Laxiome Du Fantasme
Laxiome Du Fantasme
Laxiome Du Fantasme
L’axiome du fantasme
Bruno de Halleux
On entre en analyse parce qu’on ne supporte plus ses symptômes et qu’on a l’idée
qu’on en est responsable, on veut en changer, ils sont devenus trop répétitifs. Combien
de personnes ne nous disent pas lors d’un premier entretien qu’elles viennent nous
consulter parce qu’elles avaient décidé qu’elles ne ressembleraient jamais à leur père ou
à leur mère, que ce qui était sûr, c’est qu’elles feraient différemment dans leur vie et
qu’elles comprennent, f inalement, qu’elles répètent les mêmes impasses, les mêmes
symptômes, les mêmes scénarios que ceux de leurs parents. Ce qui mène un sujet à
rencontrer un analyste, c’est de saisir que tous ces efforts et ces vœux conscients de chan-
gement sont en impasse. Il ne suff it pas de prendre une bonne résolution pour sortir de
l’homéostase dans laquelle le sujet se satisfait, pour transformer son rapport avec sa
jouissance. Les dites bonnes résolutions ont davantage une vertu d’endormissement.
Elles valent comme des défenses à toute mutation subjective authentique.
L’opération est parfois longue, il y faut une analyse et celle-ci comporte de grands
détours signif iants pour avoir la chance, au bout du chemin, de dénouer du roman
familial ce qui fait la f ixité de l’objet. Seule la psychanalyse opère sur le fantasme.
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Aborder le parcours de l’analyse par le biais du fantasme, c’est interroger cet espace où
le sujet se confronte à l’impossible de nouer harmonieusement le signif iant à la jouis-
sance. Face à cet impossible, le sujet y répond avec un bricolage qui le met à l’abri. Telle
est la fonction du fantasme.
À lire le mathème que nous donne Lacan, le fantasme est un assemblage de deux
lettres. Une sorte de molécule « au sens où une molécule est un assemblage de particules
ou d’atomes qui forment une petite masse de matière 2 ». Si une molécule peut se trans-
former aisément, il n’en est pas de même pour l’atome. Car seule une réaction
puissante comme celle du nucléaire pourrait séparer l’atome de signif iance et l’atome de
jouissance. Ces formulations font résonner d’une part la f ixité propre à l’objet et, d’autre
part la variabilité qui est celle du signif iant. Ainsi, pour opérer sur le fantasme, « une
réaction nucléaire 3 » est indispensable. Il y faut dès lors une interprétation juste pour
que la matrice du fantasme soit touchée et que l’objet puisse se révéler au sujet hors de
son habillage signif iant. Alors, il peut y avoir une traversée, un éclair sur ce qui l’aliène,
à son insu. C’est à cette condition que le sujet peut entrevoir ce qui fait sa fenêtre sur
le réel.
Dans un abord classique de l’enseignement de Lacan, la théorie du fantasme pose que
le signif iant a un effet de mortif ication sur le corps. Or, à partir du Séminaire XVII,
L’Envers de la psychanalyse 4, Lacan renverse toutefois sa perspective. Le signif iant qui
était saisi jusque-là comme ce qui mortif ie la jouissance, se révèle aussi comme respon-
sable d’une production de jouissance. Le signif iant se fait cause de jouissance, il produit
de la libido sous les espèces du plus-de-jouir. Le signif iant qui est cause de jouissance sur
le corps, Lacan l’appelle le symptôme. Son effet est à l’opposé de celui du fantasme.
Ainsi, J.-A. Miller prend-il le symptôme comme un au-delà du fantasme 5.
2. Miller J.-A., « L’économie de la jouissance », La Cause freudienne, no 77, mars 2011, p. 144.
3. Ibid.
4. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991.
5. Cf. Miller J.-A., L’ Os d’une cure, Navarin éditeur, Paris, 2018, p. 57.
6. Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Du symptôme au fantasme et retour » (1981-1982), enseignement
prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, inédit.
Variantes du fantasme
Opération-réduction
Lacan donne une déf inition de la f in d’une analyse comme une identif ication au
symptôme. Celle-ci touche au plus singulier du sujet. Dans ce mouvement, le symptôme
est alors réduit à l’extrême. Quand tout ce qui peut être interprété du symptôme a été
déchiffré, il reste un os, un élément indéchiffrable. Pour en donner une image appro-
chante, le symptôme en f in de parcours est à comparer en arithmétique au reste d’une
opération de division, autrement dit, à ce qui n’est plus résorbable par une opération
signif iante. C’est un reste et ce reste identif ie la singularité absolue du sujet. Ainsi, le
symptôme relève de l’Un, il n’est plus une formation de l’inconscient, il est le résidu de
ce qui ne s’est pas déchiffré. C’est la raison pour laquelle J.-A. Miller condense ce qui
fait l’essence d’une cure par un trajet qui va du multiple à l’Un 8.
7. Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, La Logique du fantasme, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil / Le Champ
freudien éd., 2023, p. 421.
8. Cf. Miller J.-A., L’Os d’une cure, op. cit., p. 28.
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J.-A. Miller décrit l’analyse du point de vue du fantasme comme une dynamique du
déshabillage de l’être 9. Le premier mouvement va de l’imaginaire au symbolique, du
fantasme comme relevant de l’imaginaire à une logique propre au symbolique. Or, le
symbolique a généralement une fonction de mortif ication. D’où la conclusion à tirer de
ce premier franchissement : « C’est l’assomption de la mort 10 ».
Le deuxième mouvement est une traversée qui se décline du symbolique au réel. Là
se joue le moment d’une passe, que Lacan qualif ie de traversée du fantasme. Cette
traversée – parfois il ne s’agit que d’une réduction – peut éclairer en retour la transfor-
mation qui s’opère sur le symptôme.
Ainsi, l’opération analytique converge vers une réduction. J.-A. Miller en fait un
concept, « opération-réduction 11 », et le décline sur les trois registres, de l’image, du
symbole et du réel. Ce concept d’opération-réduction vaut autant pour le symptôme que
pour le fantasme. Car le fantasme se situe au cœur de ces trois registres. Il est le lieu où
se conjoignent le signif iant et la jouissance.
« Le fantasme est une représentation, une scène dans l’imaginaire, et aussi une arti-
culation signif iante où est présent le sujet du signif iant, de surcroît complétée par une
quantité libidinale marquée objet a . 12 » Lorsque le fantasme est réduit au fantasme
fondamental, le sujet entr’aperçoit ce qui le déterminait jusque-là et qui a valeur
d’axiome. Alors, le fantasme n’est plus multiple, ni changeant ou variable. C’est pour-
quoi, au bout du trajet d’une analyse, le fantasme se fait axiome pour le sujet. Lacan
l’épingle, dans « La direction de la cure », de « fantasme fondamental 13 ».
C’est aussi pourquoi le sujet découvre au f il de son parcours analytique que si son
fantasme est l’appui central de son désir, il a aussi pour fonction de le protéger du réel
opaque qui relève de l’impossible. Il aura fallu un long travail de déchiffrage et d’inter-
prétation dans la chaîne signif iante du sujet pour aboutir in f ine à dénuder le fantasme.
De ses attaches imaginaires, il ne reste, nous dit Lacan, qu’une « signif ication de
vérité 14 ». « Le fantasme n’a pas d’autre rôle 15 », précise-t-il en 1967. Il y a à prendre le
fantasme « aussi littéralement que possible, et à trouver, pour chaque structure, à déf inir
les lois de transformation qui assureront à ce fantasme la place d’un axiome dans la
déduction des énoncés du discours inconscient 16 ».
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Variantes du fantasme
expérience analytique, le sujet découvre que son fantasme a le rôle d’une signif ication
de vérité ?
La dernière page du Séminaire est clinique. Lacan interroge : « Est-ce qu’il y a des
chambres à coucher ? – alors qu’il n’y a pas d’acte sexuel. 17 » En 1967, pour Lacan, le pas
d’acte sexuel correspond à ce qu’il va appeler le non-rapport sexuel. S’il n’y a pas de rapport
sexuel, que se passe-t-il dans une chambre à coucher ? Car le lieu existe indéniablement.
La réponse de Lacan est lumineuse. Dans une chambre à coucher, il ne s’y passe rien,
car le non-rapport sexuel se présente comme une forclusion. En revanche, tout se passe
essentiellement dans le cabinet de toilette ou dans l’antichambre. Traduisons : tout se
passe dans le fantasme. Pour « la phobie, ça peut se passer dans l’armoire à vêtements,
ou dans le couloir, dans la cuisine. L’hystérie, ça se passe dans le parloir – le parloir des
couvents de nonnes, bien entendu. L’obsession, dans les chiottes 18 ». Alors la chambre
à coucher ? Existe-t-elle ? Mais oui ! « Cette chambre à coucher, c’est ce qu’on appelle
communément le cabinet de l’analyste. 19 »
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