HC 038599
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HC 038599
Le bonheur
FRANCE MÉTROPOLITAINE
23 JUIN 2003 • SÉRIE L
S U J E T
C O R R I G É
■ Éléments d’analyse
NOTIONS EN JEU
DIFFICULTÉS
m Le bonheur est une notion très floue et très affective. Mais des concep-
tions différentes du bonheur existent.
m On s’y référera donc sans perdre trop de temps en généralités vagues
sur l’impossibilité de trouver ce qui rendrait heureux tous les hommes.
m Le mot « affaire », présenté ici sans l’article indéfini « une », comporte
des sens différents, auxquels il faut être attentif. Il signifie ici préoccu-
pation, souci, entreprise personnelle où l’on se fixe des buts ainsi que
des moyens.
m Il ne faut pas négliger de définir ce qui est privé. La difficulté est
la même que pour le bonheur, même si elle ne saute pas aux yeux :
PRÉSUPPOSÉS
DÉFINITIONS
PROBLÈME
Affirmer que notre bonheur ne regarde que nous est-il compatible avec
la vie en société ? Un individu pourrait-il s’isoler des autres de manière
tellement radicale que ni leurs actions, ni leur avis, ni leur propre sort,
heureux ou malheureux, ne compteraient aucunement dans sa propre
satisfaction ? L’égoïsme total est-il admissible : ai-je le droit de chercher
mon propre bonheur sans tenir compte le moins du monde de celui des
autres ? Ou bien est-il légitime et sensé de demander à la société qu’elle
agisse pour mon bonheur ?
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PLAN
Introduction
CORRIGÉ
A- Chacun le définit subjectivement
B- Il implique inévitablement une part de hasard
C- Il nécessite de la part de l’individu une certaine attitude
Conclusion
■ Corrigé
(corrigé complet)
Introduction1
Le thème du bonheur est omniprésent dans les traditions les plus
anciennes, toutes les littératures et les proverbes de la sagesse popu-
laire. Le bonheur est d’abord présenté comme éphémère : ainsi le mythe
de la boîte de Pandore ou la représentation du paradis terrestre dans la
Genèse opposent la période du bonheur, définitivement révolue par la
faute des hommes, et le malheur actuel. Les proverbes insistent sur l’in-
dépendance de l’homme heureux : « Il n’a pas de chemise » ; la pauvreté
non seulement n’est pas un obstacle, mais serait même une condition
du bonheur. En disant que « le malheur des uns fait le bonheur des
autres », on affirme sa relativité profonde : certains apprécient par
1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent pas figurer sur la copie.
contraste d’autant plus leur propre situation que d’autres sont mal-
heureux, ou bien on veut dire que les biens étant en quantité fixe, il faut
bien que certains aient les inconvénients pour que d’autres aient les
avantages, ou bien encore que les aspirations sont très diverses, de
CORRIGÉ
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désirs humains) admet bien que le hasard joue un rôle dans l’existence,
sous la forme de causalités imprévues: l’accident, la maladie ou l’occasion
inattendue provoquent bonheur ou malheur.
CORRIGÉ
C. Il nécessite de la part de l’individu une certaine attitude
Tous ne semblent pas pour ainsi dire également « doués » pour être
heureux. Il faudrait une certaine attitude. Par exemple, on peut découvrir
dans Mars, de Fritz Zorn, l’autobiographie très sombre d’un jeune homme
objectivement très favorisé par le sort, disposant des atouts physiques,
intellectuels et sociaux qui devraient le rendre heureux, et cependant
incapable de l’être. Dans l’Antiquité, deux grandes sagesses, le stoïcisme
et l’épicurisme, proposent des conduites qui peuvent rendre l’homme
heureux, indépendamment des circonstances qui ne dépendent pas de
lui. Pour les stoïciens, tous les événements résultent d’un destin absolu :
chacun devra donc non s’insurger contre les mauvais coups du sort,
mais comprendre qu’il a un certain rôle à jouer, et qu’il trouvera sa
dignité, donc une satisfaction de l’ordre du bonheur du devoir accompli,
en se pliant de bonne grâce au destin. Alors, le bonheur n’est pas le
but du sage, mais un effet positif de sa conduite. Pour les épicuriens,
le monde est la manifestation d’un hasard total : l’argument est opposé
à celui des stoïciens, mais il débouche aussi sur le conseil de ne pas
nous laisser irriter ou abattre par ce qui ne dépend pas de nous. Pour
leur part, ils font clairement du bonheur le but de la vie humaine. En
éliminant les désirs impossibles à satisfaire et les représentations ima-
ginaires angoissantes ou faussement consolatrices (comme celles d’un
enfer ou d’un paradis après la mort), le sage goûtera pleinement ce que
la vie lui apportera. On doit vouloir être heureux et privilégier les occa-
sions de bonheur qui se présentent. Enfin, les épicuriens recommandent
la « sécession du sage », c’est-à-dire l’isolement avec quelques amis, pour
ne pas être troublé par l’agitation et les conflits des hommes ordinaires.
Transition
Fortement personnel, tributaire du hasard et même d’une sensibilité que
l’on ne peut que cultiver soi-même, le bonheur donne bien l’impression
de ne comporter aucune dimension véritablement publique : il est sub-
jectif, aléatoire, intime. Cependant, la présence des autres qui nous sont
proches, mais aussi d’une société dont nous sommes nécessairement
les membres, ne joue-t-elle aucun rôle dans notre bonheur ? Peut-on
oublier que le domaine privé se définit justement par rapport et par
opposition au domaine public ? Le bonheur ne pourrait-il donc pas être
considéré tout aussi légitimement comme une affaire publique ?
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CORRIGÉ
les biens pratiques qui précèdent le désir des biens immatériels.
Transition
Être matériel et social par sa condition, l’homme ne peut donc atteindre
le bonheur en s’isolant complètement. Dès lors, n’est-il pas normal de
porter le problème du bonheur sur le plan public, et de demander à la
collectivité de « faire le bonheur » des individus ? Telle est justement la
conception de l’État-providence : fournir à tous, d’en haut et avec bien-
veillance, ce qui pourra les rendre heureux.
Conclusion
On ne peut de l’extérieur déclarer heureux un autre que soi. Pas de
bonheur sans conscience subjective de l’être – ni sans certaines condi-
tions minimales et suffisamment permanentes de sécurité et de satis-
faction des besoins vitaux. Les sociétés modernes admettent plus ou
moins explicitement devoir à leurs membres une assistance qui leur per-
mette de rechercher le bonheur. Pourtant, non seulement il serait naïf
de croire que la collectivité est capable de fournir le bonheur, mais il
serait très grave qu’elle y parvienne. Un être humain pourrait-il être
leurré très longtemps par un bonheur procuré de l’extérieur, et, au fond,
obligatoire ? Non, d’après Le Meilleur des mondes, roman d’Aldous
Huxley et allégorie politique de la servitude euphorique. Car le bonheur
nécessite la conviction qu’il résulte d’un mérite personnel, et tire aussi
son sens de la conscience d’une certaine précarité.
■ Ouvertures
LECTURES
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