L'enseignem-Apprentissage Du Français

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L’ enseignement/apprentissage du français

en Algérie : état des lieux

Fari Bouanani
ENSET (Ecole Normale Supérieure d’Enseignement Technique)
Oran, Algérie

Synergies Algérie n° 3 - 2008 pp. 227-234


Résumé : De l’avis de la majorité des enseignants algériens ayant participé à
une enquête entre octobre 1998 et mai 2006, la situation de l’enseignement/
apprentissage du français en Algérie n’incite guère à l’optimisme. Si d’aucuns
décrient ce qu’ils nomment « une baisse de niveau» qui prend de l’ampleur
d’une année à l’autre, très peu sont en mesure de cibler les véritables raisons
de cet échec et encore moins de proposer des palliatifs à un état de fait jugé
problématique. Se limiter dans ces conditions à «une simple « analyse des
erreurs des apprenants et proposer des outils de remédiation peut s’avérer
plus qu’insuffisant. En effet, cela reviendrait à occulter d’un côté la situation
de bilinguisme en Algérie, et de l’autre les critères d’appropriation de toute
langue étrangère liés à l’étude des représentations des langues.
Mots clés : échec, analyse, bilinguisme, représentations, appropriation

Abstract: According to most of the Algerian teachers who took part in a survey conducted
from October 1988 to May 2006, the state of the teaching/learning of the French language
in Algeria does not induce any optimistic perspective. While all of them pinpoint what
they name “the declining standard”, which seems to grow every year, very few are able
to single out the real reasons behind this failure, let alone suggest any remedies to
such unsatisfactory circumstances. In these conditions, to restrict oneself to a “simple”
learners’ error analysis and to suggest remedies may eventually be insufficient. As a
matter of fact, this would result in neglecting the linguistic situation of bilingualism in
Algeria, as well as evincing the criteria of acquisition of a foreign language in relation
to the study of the representations of languages.
Key words: failure, analysis, bilingualism, representations (perceptions), acquisition.

‫ وﺿﻌﯾﺔ‬،2006 ‫ و ﻣﺎي‬1998 ‫ ﺣﺳب رأي ﻣﻌظم اﻷﺳﺎﺗذة و اﻟﻣﻌﻠﻣﯾن اﻟﺟزاﺋرﯾﯾن اﻟذﯾن ﺷﺎرﻛوا ﻓﻲ دراﺳﺔ اﺳﺗطﻼﻋﯾﺔ ﻣﺎ ﺑﯾن أﻛﺗوﺑر‬: ‫اﻟﻣﻠﺧص‬
.‫ ﺗﻌﻠم اﻟﻠﻐﺔ اﻟﻔرﻧﺳﯾﺔ ﺑﺎﻟﺟزاﺋر ﻻ ﺗﺷﺟﻊ أﺑدا ﻋﻠﻰ اﻟﺗﻔﺎؤل‬/ ‫ﺗﻌﻠﯾم‬
‫ ﻓﻘﻠﯾل ﻣﻧﮭم ﯾﺳﺗطﯾﻊ ﺗﺣدﯾد اﻟﻣﺳﺑﺑﺎت اﻟﺻﺣﯾﺣﺔ‬،‫إذا ﻛﺎن ﺑﻌﺿﮭم ﯾﻧﺗﻘد ﻣﺎ ﯾﺳﻣوﻧﮫ "ﺑـﺎﻧﺧﻔﺎض اﻟﻣﺳﺗوى" و اﻟذي ھو ﻓﻲ ﺗﻘﮭﻘر ﻣﺗزاﯾد ﻣن ﺳﻧﺔ ﻷﺧرى‬
.‫ و أﻛﺛرھم ﻗﻠﺔ ﻣن ﯾﻘدر ﻋﻠﻰ اﻗﺗراح ﺣﻠول ﻣﺧﻔﻔﺔ ﻟﺣﺎﻟﺔ واﻗﻊ ﯾطرح ﻛﺈﺷﻛﺎﻟﯾﺔ‬.‫ﻟﮭذا اﻟﻔﺷل‬
‫ ﻓﻲ اﻟواﻗﻊ ھذا ﯾﻌود ﺑﻧﺎ إﻟﻰ‬.‫ و اﻗﺗراح وﺳﺎﺋل ﻋﻼﺟﯾﺔ ﯾﻐدو أﻣرا ﻏﯾر ﻛﺎف‬،‫إن اﻟﺑﻘﺎء ﺿﻣن ھذه اﻟﺷروط ﻋﻠﻰ ﺗﺣﻠﯾل " ﺑﺳﯾط " ﻷﺧطﺎء اﻟﻣﺗﻌﻠﻣﯾن‬
.‫ و ﻣﻌﺎﯾﯾر – اﻛﺗﺳﺎب ﻛل ﻟﻐﺔ أﺟﻧﺑﯾﺔ – اﻟﻣرﺗﺑطﺔ ﺑدراﺳﺔ ﺗﻣﺛﯾل اﻟﻠﻐﺎت ﻣن ﺟﮭﺔ أﺧرى‬،‫إﺧﻔﺎء وﺿﻌﯾﺔ ازدواﺟﯾﺔ اﻟﻠﻐﺔ ﺑﺎﻟﺟزاﺋر ﻣن ﺟﮭﺔ‬

.‫ اﻛﺗﺳﺎب‬،‫ اﻟﺗﻣﺛﯾل‬،‫ ازدواﺟﯾﺔ اﻟﻠﻐﺔ‬،‫ اﻟﺗﺣﻠﯾل‬،‫ اﻟﻔﺷل اﻟدراﺳﻲ‬: ‫اﻟﻛﻠﻣﺎت اﻟﻣﻔﺗﺎﺣﯾﺔ‬

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Fari Bouanani

Un constat alarmant
A la question : « Quel constat pouvez-vous établir sur l’enseignement/apprentissage
du français en Algérie ? », 77 % des enseignants interrogés pour les besoins d’une
enquête1 estiment que nous sommes dans une situation de crise. Il suffit à cet
effet, comme le soulignent certains collègues de l’université, de consulter les
copies des étudiants inscrits en licence de français pour se rendre compte que le
problème est bien réel et qu’il ne cesse de prendre de l’ampleur d’une année à
l’autre. Que faire alors ?
C’est à juste titre que G. Niquet (1995 :15) souligne : « Lorsqu’une situation
devient difficile, lorsqu’elle se met à susciter l’ennui, le découragement, voire les
heurts, il n’est que deux façons de l’affronter : la subir ou réagir.»
Sans vouloir donner à cette affirmation une valeur absolue, il convient quand
même de reconnaître que l’enseignement/apprentissage du français en Algérie
connaît une situation très pénible et qu’on assiste à l’indifférence, voire à la
désaffection des personnes censées apporter des solutions à ce genre de crise.
La responsabilité doit être partagée entre les maillons de la même chaîne :
politiques, concepteurs de programmes, chefs d’établissements scolaires, élèves,
parents, etc. Ce sont les efforts de chacun qui aideront obligatoirement à sortir
de ce marasme qui dure depuis de longues années et dans lequel se débat,
encore aujourd’hui, l’école algérienne en général, et l’enseignement de la langue
française en particulier.
C’est en analysant des situations concrètes de classe, à partir d’objectifs précis
qu’on a projeté d’atteindre, qu’on arrive très exactement à évaluer non seulement
le niveau de nos élèves mais surtout notre enseignement. Mais ce qui est quelque
peu étonnant aujourd’hui, c’est d’entendre parler de baisse de «niveau». Peut-on
concrètement donner un sens précis à niveau ? Quel est dans ce cas le point de
référence nous permettant de dire qu’il y a eu progression ou régression ? Est-ce par
rapport à nos compétences, nous enseignants ? Au niveau des «meilleurs» élèves ?
A la classe de l’année d’avant ou celles des autres années ? A de «faux souvenirs»
des compétences qu’on avait à l’âge des élèves incriminés ? Est-ce simplement
par rapport aux résultats obtenus par les élèves lors d’un examen, comme le
baccalauréat par exemple ?
En langue étrangère, nous évaluons nos élèves sur leurs performances à l’oral et
à l’écrit, or dans ce type de situations, nous ne leur demandons nullement de
restituer des savoirs mais plutôt de mobiliser des savoir-faire. Comment peut-on
alors, dans ce genre de contexte, parler de baisse de niveau ?
Les enseignants interrogés ont depuis longtemps rangé leur optimisme au placard et
revoient continuellement leurs objectifs et leurs espoirs à la baisse. Ils soulignent
qu’il n’existe pire situation que celle où l’enseignant prend enfin conscience que
les leçons auxquelles il a dû consacrer tellement de temps de réflexion et de
préparation, ne s’adressent désormais qu’à une minorité d’élèves de sa classe,
qu’il atteint rarement les objectifs visés avant le cours et que, malgré sa bonne
volonté, sa formation et ses compétences, il s’avoue continuellement désarmé
devant les difficultés rencontrées par ses élèves et son incapacité à cibler les
remèdes adéquats.
Et c’est dans ces moments, devenus fréquents, que surgissent quelques questions
qui vont lui tarauder l’esprit :

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- Pourquoi mes élèves rencontrent-ils tellement de problèmes à accéder aux savoirs et


savoir- faire visés par l’essentiel de mes objectifs ?
- Pour quelles raisons, un nombre assez important de mes élèves se désintéresse-t-il
totalement des contenus d’enseignement que je tente de leur inculquer ?
- Comment expliquer que chez certains élèves, après plusieurs mois, voire années
d’apprentissage, on ne constate aucune progression significative mais (pire encore) la
stagnation et même la régression chez quelques uns d’entre eux ?
- Existe-t-il concrètement des solutions, des remèdes, des clés, des stratégies à mettre
en place afin de résorber ces situations problèmes, de prime abord insolubles ? Et si oui,
lesquels ? Et quels chemins emprunter pour aider l’élève à y parvenir ?

Analyser : dans quel but ?

Soyons honnêtes et avouons que dans le domaine de l’enseignement/


apprentissage, les solutions miracles n’existent pas et n’existeront assurément
jamais. L’enseignant doit être conscient que chaque élève est un cas particulier
et que les difficultés qu’il rencontre dans l’apprentissage d’une langue étrangère
lui sont propres et appellent des remèdes spécifiques et très ciblés, en somme
très particuliers.
Ce constat paraît disproportionné dans la mesure où il n’est pas rare de
rencontrer des élèves avec les mêmes soucis à tel ou tel autre moment de leur
apprentissage, avec telle ou telle autre notion qu’ils arrivent difficilement à
assimiler. Cependant, en explorant les causes de leurs lacunes, nous découvrons
que ces mêmes difficultés nécessitent des traitements différents.
Prenons comme exemple une leçon de conjugaison sur le passé composé : nous
sommes en présence de plusieurs élèves qui ont quelques difficultés à écrire
correctement le participe passé d’un verbe dans un contexte précis. Après
analyse, nous découvrons que :

- Un premier élève n’arrive pas à assimiler les règles d’accord du participe passé
- Un deuxième ignore lequel des deux auxiliaires avoir et être employer, avec tel ou
tel verbe
- Un troisième rencontre des problèmes avec les règles d’accord du participe passé
avec le complément d’objet direct
- Un quatrième a des difficultés avec la conjugaison des verbes pronominaux…

Allons-nous, dans tous ces cas, proposer les mêmes activités de remédiation ?
Analyser revient à dépasser le stade du constat pour s’orienter vers une
étude critique des problèmes et difficultés rencontrés par les élèves dans le
but essentiel d’en cerner les causes ou du moins de formuler des hypothèses
de réflexion permettant à l’enseignant de mieux comprendre certaines
«résistances» à son enseignement, puis d’élaborer et de mettre en place un
programme de remédiation construit sur les difficultés de ses élèves.

Mais analyser implique aussi, pour l’enseignant, son autoévaluation. En effet,


devant de grandes lacunes chez les élèves, peu d’enseignants remettent en
question leur enseignement et tout ce qui gravite autour, et on se retrouve
continuellement devant le même discours : mes élèves sont faibles, ils n’ont pas
de bases, ils ne travaillent pas assez, ils ne s’intéressent pas aux cours, etc.

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Etre conscient qu’il y a «problème» chez les élèves, c’est très bien, mais
s’orienter vers le «pourquoi», c’est encore mieux car :

- L’enseignant, n’est-il pas censé conduire ses élèves d’un point A (ils sont faibles)
vers un point B (ils sont moins faibles, ils ont progressé) ?
- Ne doit-il pas les aider à acquérir ces «bases» qui leur manquent tellement, et dont
il dénonce avec vigueur l’absence ?
- Ne doit-il pas rechercher toutes les conditions susceptibles de créer chez ses élèves
l’envie et la volonté de travailler plus ?
- Ne doit-il pas explorer les causes qui font que les élèves ne s’intéressent plus aux
cours, afin de leur proposer tout ce qui peut contribuer à les motiver et de faire en
sorte qu’ils soient attentifs à ce qui se passe en classe de langue ?

Proposer uniquement de simples exercices de remédiation pour tenter de


corriger des situations lacunaires peut s’avérer très insuffisant comme le prouve
la question que se posent sans cesse les enseignants : « Pourquoi mes élèves
refont-ils les mêmes erreurs qui pourtant ont déjà été prises en charge par des
exercices de correction lors de séances précédentes ? » Mais ce sont surtout les
réponses à cette question qui ne laissent présager aucune solution adéquates à
ce genre de situation :

- Ils (les élèves) oublient rapidement tout ce qui a été réalisé en amont
- Il n’y a pas d’explications
- Ils ne prennent pas assez le temps de se concentrer sur ce qu’ils écrivent
- Je ne sais pas
- Je ne comprends pas
- Ils ne fournissent pas assez d’efforts…

C’est dans ces conditions qu’on mesure toute l’importance de ces questions :
«Analyser : pourquoi ? Comment ?»
Il est important de souligner que le champ d’application et le terrain de l’analyse
portent beaucoup plus sur les situations d’enseignement / apprentissage et sur les
conditions dans lesquelles évoluent ces dernières que sur les erreurs commises,
déclarées comme telles par rapport surtout à une norme grammaticale.
De plus, l’analyse, quand elle est appliquée aux formes linguistiques (c’est-à-dire
à tous les faits de langue à quelque niveau qu’ils se situent, que ce dernier soit
d’ordre phonétique, lexical, morphologique, syntaxique ou textuel) fait partie de
l’activité de conceptualisation. Cette dernière se résumant à l’observation des
formes linguistiques citées ci-dessus et surtout à la réflexion sur ces dernières.

Puren, Bertocchini et Costanzo, (2001 :194-196) considèrent la conceptualisation


comme : « L’activité intellectuelle par laquelle l’apprenant parvient à
une représentation mentale d’une organisation morphologique (paradigme
verbal, grammatical ou lexical) ou d’une règle (syntaxique). La pratique dite
«raisonnée» de la langue s’appuie systématiquement sur la conceptualisation,
passage obligé avant l’application ».
On se rend compte, en tant qu’enseignant, de toute la complexité du processus
analytique qu’emprunte l’élève, pour résoudre un problème. Mais l’enseignant,
a-t-il les moyens de vérifier que ces «étapes» ont bien été respectées et dans

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le cas contraire, de quels procédés dispose t-il pour amener l’élève à ces
«représentations mentales» somme toutes abstraites et non mesurables ? Peut-
il d’un côté cerner ces représentations, et de l’autre amener l’élève à les
«considérer» dans le traitement des difficultés ?

La tâche n’est nullement aisée comme le souligne à juste titre D. Moore (2001 : 9).
« Les difficultés rencontrées pour cerner les représentations tiennent sans nul doute
aussi à la perméabilité des frontières entre des notions voisines, comme d’attitudes
ou de stéréotypes, dont les définitions s’entremêlent et se superposent ».

De plus, il paraît difficile de se focaliser uniquement sur l’étude de ces


représentations mentales qui interviennent dans la résolution des problèmes dans
l’apprentissage du français en occultant, dans le contexte algérien, la situation
de bilinguisme et les critères d’appropriation de toute langue étrangère, liés à
l’étude des représentations des langues.
Plusieurs travaux de recherche menés dans les années 1980 ont évalué les
conséquences du contact de deux langues au niveau du développement cognitif du
jeune enfant, d’abord en termes «d’aptitude et d’intelligence» Bogaards (1988 :33-
47), puis en tentant de rendre compte «de dimensions plus affectives, liées
notamment aux attitudes et à l’imaginaire linguistique» Houdebine (1982 : 42-51).

Mais ces attitudes, contrairement aux représentations, sont-elles mesurables ?


Comment se manifestent-elles chez les apprenants ? Ont-elles un rapport avec la
personnalité de l’individu ou se construisent-elles dans et par la collectivité ?
Voilà autant de questions qui mériteraient un temps d’arrêt car elles permettent
à coup sûr de mieux cerner les difficultés auxquelles sont confrontés bon nombre
d’apprenants, mais surtout de mieux cibler ces «résistances» constatées dans
l’apprentissage d’une langue étrangère.

En 1973, dans le numéro 17 de la revue «Voix et images du CREDIF», D. Bourgain


apportait quelques éléments de réponse sur les attitudes et leurs manifestations
chez tout individu. Elle les considérait comme : « les dispositions intérieures
d’un individu à l’égard d’objets, situations, événements et êtres (y compris à
l’égard de soi-même) dont elles sont l’appréciation en termes de valeur :
- Elles sont acquises et non fortuites. Leur formation, toujours inachevée, relève de
l’interaction de différentes composantes, parmi lesquelles se trouvent des «éléments
constitutionnels, puis éducatifs et personnels» (Gruchon, 1965)
- Elles sont donc liées aux grandes instances de la vie intérieure (par exemple : les
sentiments, les goûts, les désirs), aux instances extérieures que sont les normes
socioculturelles et elles dépendent du degré d’acceptation de ces normes (ex : le
choix d’un modèle de comportement)
- Les attitudes sont évolutives, car elles se constituent tout au long de l’histoire
d’un individu et de celle de son entourage, mais elles se caractérisent aussi par leur
relative stabilité, garante de la cohérence interne de la personnalité, dont on a pu
dire qu’elles forment la structure latente ». (Bourgain, 1973)
Les attitudes donc, vont se manifester à travers divers comportements
observables comme les gestes, les opinions, les actes, etc. Elles ne peuvent, dans
ce cas, être évaluées qu’indirectement à travers des réponses ou des réactions

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à certaines situations auxquelles est confronté l’individu. Mais peut-on aller


jusqu’à affirmer que la réussite ou l’échec de l’enseignement/apprentissage
d’une langue étrangère dépend largement de ces attitudes ?

Galisson et Coste (1965 : 54) apportent quelques éléments de réponse à notre


question en soulignant toute l’importance des attitudes des élèves, de leur
famille, de leur milieu, dans l’apprentissage d’une langue étrangère. Attitudes
à l’égard de cet apprentissage, mais aussi envers le pays où cette langue est
parlée et envers ceux qui l’habitent. Il y a presque toujours corrélation entre le
caractère plus ou moins favorable de ces attitudes et les progrès des élèves.
Nous pouvons toujours remettre en question cet énoncé, arguant du fait qu’on
rencontre souvent des individus dont les attitudes ne sont pas des plus «positives»
vis-à-vis du pays dont ils doivent apprendre la langue, mais qui réussissent
néanmoins dans leur apprentissage car cette langue représente pour eux soit un
outil de travail indispensable, soit un moyen de communication incontournable.

Citons comme exemple, des élèves algériens de certaines filières qui ont une
opinion assez négative du pays dont ils doivent étudier la langue et qui pourtant
s’investissent totalement dans l’apprentissage de cette dernière car pour eux,
il s’agit d’un idiome qui va leur permettre d’accéder à un nombre important
d’ouvrages de leur spécialité rédigés dans cette langue étrangère et inexistants
dans leur langue de prédilection.

Cela n’enlève nullement de la pertinence de l’énoncé cité ci-dessus qui a le


mérite d’orienter les enseignants des langues étrangères (en face de certaines
attitudes de leurs apprenants, jugées négatives, et qui se matérialisent en
classe par certaines difficultés pouvant aboutir jusqu’au refus de s’impliquer
dans un processus d’enseignement/apprentissage, voire à l’échec scolaire) vers
un meilleur diagnostic de ces manifestations de prime abord inexplicables, qui
conduira irrémédiablement à une recherche des moyens à mettre en place afin
d’influer positivement sur ces comportements.

Nous nous rendons compte que dans l’enseignement/apprentissage d’une langue


étrangère comme le français, analyser ne s’arrête pas uniquement à un contenu,
un discours ou à des formes linguistiques, mais exige de considérer des faits moins
observables à travers les situations et conditions de production. Il convient, en
effet, d’explorer toutes les représentations de cette langue, son statut et ses
normes comparativement à une ou d’autres langues déjà apprises, car cette
exploration va permettre de déterminer toutes les stratégies devant être mises
en œuvre par les individus qui apprennent cette langue étrangère.
Mais l’enseignant ne doit pas se faire d’illusions car comme le souligne
Moore (2001 :9): « Une représentation est toujours une approximation, une façon
de découper le réel pour un groupe donné en fonction d’une pertinence donnée,
qui omet les éléments dont on n’a pas besoin, qui retient ceux qui conviennent
pour les opérations (discursives ou autres) pour lesquelles elle fait sens.»

On ne peut de ce point de vue considérer que certaines représentations


soient meilleures que d’autres, «mais dans la mesure où elles servent de
condensé d’expérience et donnent un cadre d’exploitation des connaissances,

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elles déclenchent des inférences orientées qui guident les comportements.»


Kayser (1997).2

Pour une prise en charge exhaustive de toutes les difficultés auxquelles sont
confrontés les élèves qui apprennent une langue étrangère comme le français,
l’enseignant se doit, à un niveau ou à un autre, de rechercher comment ces derniers
se représentent cette langue et quelles sont leurs attitudes, celles de leurs familles
respectives et de leurs milieux dans l’apprentissage de cette dernière.

Cela le conduira à coup sûr à mettre en place des stratégies qui permettront
d’abord d’influer sur les sentiments des élèves dans le but de développer chez
eux le goût et le désir d’apprendre cette langue, ensuite de faire en sorte
que leurs représentations de cette dernière et que leurs attitudes vis-à-vis de
cette langue étrangère évoluent à travers une meilleure connaissance de la
France, des Français et des objectifs culturels, communicatifs et, pourquoi pas,
utilitaires de l’apprentissage du français.

Conclusion

On entend souvent dire qu’il existe une solution à chaque problème. En


Algérie, et malgré les efforts et la bonne volonté de tous les acteurs impliqués
dans le domaine de l’enseignement/ apprentissage de la langue française, il
semble qu’on soit, dans la recherche de ces solutions «miracles», au stade des
incertitudes et du tâtonnement.
Il est indispensable aujourd’hui que nous comprenions que les constats, aussi
fiables soient-ils, doivent être dépassés pour s’orienter enfin vers la réflexion et
l’analyse constructives car l’enseignement/apprentissage du français en Algérie
a certaines spécificités, à commencer par un environnement bilingue, qu’il est
impossible d’occulter.
Contrairement à certains discours, les élèves ne se trouvent pas en difficulté
parce qu’ils ne veulent pas apprendre. C’est un raccourci qui peut être
dangereux car les raisons, comme nous venons de les aborder dans cet article,
sont bien plus complexes et les remèdes à proposer encore plus.

Notes
1
La première enquête s’est déroulée durant l’année scolaire 1998/1999 pour les besoins d’un
mémoire de magistère avec un groupe de 100 enseignants de lycées.
Ce même questionnaire, revu et enrichi, a été repris dans la perspective de la rédaction d’une
thèse de doctorat à partir de l’année 2002/2003, avec un nombre d’enseignants de tous les paliers,
variant chaque année scolaire entre 70 et 110. Les dernières conclusions datent de l’année scolaire
2005/2006.
2
Kayser considère «les inférences orientées» comme l’ensemble des mécanismes par lesquels des
entrées (perceptives ou non) sont combinées à des connaissances préalables afin d’obtenir des
comportements élaborés.

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Fari Bouanani

Bibliographie

Bourgain, D. 1973. « Attitudes et apprentissage ». In : Voix et images du Crédif n°17,


janvier – mars.

Boogards, P. 1988. Aptitude et affectivité dans l’apprentissage d’une langue étrangère.


Paris : Crédif-Hatier.

Cruchon, G. 1965. Initiation à la psychologie dynamique. Paris : Mame.


Galisson, R., Coste, D. 1976. Dictionnaire de didactique des langues. Paris : Hachette.

Houdebine, A.-M. 1982. « Norme, imaginaire linguistique et phonologie du français


contemporain ». In : Le Français moderne 1.

Kayser, D. 1997. La représentation des connaissances. Paris: Hermès.

Moore, D. 2001. Les représentations des langues et de leur apprentissage, Références,


modèles, données et méthodes. Paris : Didier.

Niquet, G. 1995. Enseigner le français pour qui ? Comment ? Paris : Hachette Education.

Puren, C., Bertocchini, P., Costanzo, E. 2001. Se former en didactique des langues. Lourai
(Normandie): Ellipses.

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