Prendre Forme

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Prendre forme

Nos corps sont construits par les mécanismes que décrit la biologie,
ils sont aussi formés par nos pratiques et notre milieu. Certains voient
en eux les produits de la manufacture des gènes* ; d’autres, de vivantes
archives où est déposée la sagesse de la sélection naturelle ; pour d’autres
encore, le corps est un effet des désirs individuels, l’ombre portée des
structures sociales, ou la résultante de processus d’assignations. Nature et
société sont régulièrement mises en concurrence comme principes d’expli­
cation. Mais la biologie est-elle vraiment la destinée ? Et le social, l’es­
pace des expérimentations sans contraintes ? Les gènes sont-ils de droite,
l’envi­ronnement de gauche ? Face-à-face stérile. C’est, tout au contraire,
l’enchevê­trement de la biologie et du politique que désigne ici ­bodybuilding.
Soit une construction – mais sans le simplisme d’un mécano. Ou mieux :
une prise de forme – mais comment expliquer la forme ? Ou encore une
élaboration : bodybuilding nommerait alors la marque de notre emprise.
Mais la thèse du bodybuilding s’éprouve aussi à travers des cas, à
commencer par celui du transsexualisme, où la chirurgie combinée aux
prises d’hormones produit des corps inouïs, mais qui est aussi affaire de
souffrance sociale, de rêves poursuivis et de victoire sur l’adversité.
En un sens plus large, enfin, bodybuilding renvoie à cette plasticité
qui déjà était au cœur de la pensée darwinienne. Mais si, pour tout évolu­
tionniste, la variation et la sélection naturelle, appuyées sur les lois de la
physique, suffisent à produire les corps, comment ces facteurs s’agencent-
ils ? D’Arcy Thompson, en insistant sur les lois de la physique et leur rôle
dans la croissance, semble reléguer la sélection dans un rôle secondaire.
Avec la Synthèse moderne des années 1930-1940, appuyée sur la géné­
tique des populations, la sélection n’est plus seulement un crible ou un
principe d’élimination  : elle agit en chef d’orchestre ou en sculpteur. Mais
la Synthèse à son tour est critiquée : on lui reproche d’être obsédée par
les gènes et les structures adaptatives, indifférente à l’organisme (qu’elle
décompose en traits) et surtout incomplète, faisant l’impasse sur l’em­
bryologie et le développement.
La génétique, quant à elle, se voit accusée de prolonger l’essentialisme
en renvoyant chaque individu à un type via la notion de « ­programme » ;
mais aussi de renouveler le préformationnisme, en se donnant d’avance
cette forme qui est toute la question. D’où un retour en force de l’épi­
genèse : haro sur le « programme », place à l’épigénétique et à la recherche
de devenirs aléatoires au cœur de la cellule. Promesses réelles ou vains
mirages ?
On retrouvera ces débats, leur histoire et leur actualité, dans ce
numéro aimanté par la question suivante : de nouvelles conceptualisa­
tions sont-elles possibles, qui renouvelleraient la pensée de la forme ?

Critique

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