Dip 22-23
Dip 22-23
Dip 22-23
CYCLE DE MASTER
Option : Droit privé fondamental et Droit des affaires
Par :
Dr Léonard LEMO,
Maitre-Assistant CAMES
Chargé de Cours au Département de Droit privé
FSJP/UMa
Année académique :
2022-2023
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BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
- BATIFFOL (H.), LAGARDE (P.), Traité de droit international privé, t.1, 8ème édition,
Paris, LGDJ, 1993, 656 p.
- COURBE (P.), Droit international privé, 2ème édition, Paris, Armand Colin, 2003, 388 p.
- DAVID (C.), La loi étrangère devant le juge du fond, Paris, Dalloz, 1965, 336 p.
- DERRUPPE (J.), Droit international privé, 14ème édition, Paris, Dalloz, 2001, 182 p.
- HENRY (L. – C), L’essentiel du droit international privé, Paris, Gualino éditeur, 2005, 92 p.
- LAGARDE (P.), Recherches sur l’ordre public en droit international privé, Paris, LGDJ,
1959, 254 p.
- MAJOROS (F.), Le droit international privé, 4ème édition, Paris, PUF, 1997, 127 p.
- MAYER (P.), HEUZE (V.), Droit international privé, Paris, Montchrestien, 8ème édition,
2004, 784 p.
- MONEGER (F.), Droit international privé, Paris, Litec, 2ème édition, 2003, 268 p.
- MELIN (F.), La connaissance de la loi étrangère par les juges du fond, PUAM, 2002, 379
p.
- OMGBA MBARGA (A. B.), Le domaine du renvoi en droit international privé, Les
Editions Universitaires Européennes, 2011, 360 p.
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PLAN DU COURS
Introduction générale
I- Le vocabulaire usuel du droit international privé
II- La définition du droit international privé
A- L’objet du droit international privé
B- Le domaine du droit international privé
C- Les règles de rattachement du droit international privé
III- Les sources du droit international privé
A- Les sources internes
B- Les sources internationales
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
Il est devenu classique pour introduire l’étude du droit international privé, de prendre
l’exemple d’une histoire de princesse, celle du mariage de la princesse Maria Christina de
Bourbon avec le sieur Patino, appelée communément « affaire Patino » (Cass. Civ., 15 Mai
1963, Clunet 1963, p. 1016, note Ph. MALAURIE, RCDIP 1964, p. 506, note P. LAGARDE).
Si cette histoire qu’on conte aux générations d’apprenants de droit international privé n’est
pas assez « mystérieuse » pour qu’on la rappelle tout le temps, elle constitue pour les
spécialistes de la matière, un sujet de délectation, tant est remarquable, « l’extrême diversité
des questions posées ainsi que la qualité des réponses qui leur ont été apportées ». C’est
pourquoi, les faits de l’espèce méritent d’être rappelés. Un bolivien du nom de Patino épouse
à Madrid en Espagne le 08 Avril 1931 une espagnole, la princesse Maria Christina de
Bourbon. Celle-ci devient bolivienne par le biais du mariage. Le couple vit tantôt aux Etats-
Unis, tantôt en France. Après plusieurs années de mariage, le mari demande le divorce en
France et il est débouté. Il le demande au Mexique (ce qu’on appelait « le divorce en une
heure ») et l’obtient à son profit. La femme, par la suite, demande la séparation de corps en
France. De ces faits, il ressortait un certain nombre de questions importantes :
Première question : La séparation de corps demandée par la femme peut-elle être
prononcée alors qu’elle est connue du droit français et du droit espagnol mais non du droit
bolivien ? Autrement dit, quelle est la loi applicable à cette demande de séparation de corps ?
La loi espagnole, la loi bolivienne ou la loi française? C’est la question du conflit de lois qui
est au cœur du droit international privé.
Deuxième question : Quelle que fut la loi applicable, la demande formée par la
femme était-elle recevable alors qu’un jugement de divorce avait déjà été rendu au Mexique ?
C’est la question de l’effet des jugements étrangers, l’un des aspects du conflit de juridictions.
Troisième question : le tribunal français était-il compétent à l’égard des parties
domiciliées en France en dépit de leur nationalité étrangère ? C’est la question de la
compétence internationale des juridictions nationales dans un litige international, l’autre
aspect du conflit de juridictions.
Quatrième question : En supposant que la loi applicable à la séparation de corps ait
admis son prononcé et que la liquidation du régime matrimonial ait entrainé la mise en jeu
d’une hypothèque inscrite par la femme sur les immeubles de son mari en France, la
nationalité étrangère de la femme ne s’opposait-elle pas à ce qu’elle puisse s’en prévaloir à
l’encontre du créancier français du mari ? C’est la question de la condition des étrangers qui
se trouve ainsi posée.
Cinquième question : A partir du moment où les problèmes posés au juge
dépendaient de la nationalité des parties, comment aurait-il pu trancher le litige si celle d’une
partie donnait lieu à contestation ? C’est le problème de la détermination de la nationalité qui
surgirait. Pour résoudre toutes ces questions, il faut procéder à une mise au point tant sur le
vocabulaire usuel du droit international privé (I), la définition du droit international privé (II),
que sur ses sources (III).
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I- Le vocabulaire usuel du droit international privé
La définition du droit international privé passe par l’identification de son objet (A), de
son domaine (B), et de ses catégories de rattachement (C).
De par son objet, le droit international privé est défini comme « la matière qui, par un
ensemble de méthodes et de règles juridiques organise le règlement des relations
internationales entre personnes privées ». Il s’agit pour cette matière d’ « organiser », c’est –
à- dire, mettre en place les éléments nécessaires en vue de parvenir à un objectif qui est ici le
règlement des relations privées internationales. L’élément fondamental dans cette définition
est que le droit international privé ne procure pas lui-même les solutions aux questions que
posent les situations internationales, mais il se borne à proposer des outils qui permettront
d’identifier ces solutions. L’objet du droit international privé est de proposer des outils
permettant d’identifier des solutions lorsqu’un juge est saisi d’un litige comportant un
élément d’extranéité.
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Le droit international privé n’est pas un droit privé international qui s’entendrait d’ un
ensemble de règles sécrétées par la communauté des Etats du monde en vue de régir les
relations entre personnes privées comme le droit international public. C’est plutôt un droit
privé interne qui devient international à cause de la présence d’un élément d’extranéité qui
fait douter de la compétence législative ou de la compétence judiciaire. Il n’existe pas de droit
international privé universel. Aussi chaque Etat dispose-t-il de son propre système de droit
international privé, bien qu’on ne puisse pas nier le rôle de plus en plus croissant des
conventions internationales tendant à uniformiser certains aspects de la matière.
Le droit international privé ne s’intéresse donc qu’aux personnes privées, plus
précisément aux relations qui se nouent entre personnes privées. Mais cette approche doit être
nuancée. En effet, le droit international privé à vocation à intégrer dans son champ d’action
certaines relations mixtes, qui mettent aux prises le particulier avec la personne publique,
lorsque cette dernière se comporte comme une personne privée. On peut dire dans une
certaine mesure que le droit international privé est le droit qui, indépendamment de la qualité
publique ou privée des personnes impliquées, règlemente les rapports soumis au droit privé.
Encore faut –il s’entendre sur les matières qui peuvent être concernées par une telle
règlementation : c’est le problème du domaine du droit international privé.
L’une des spécificités du droit international privé réside dans le choix entre une
conception large et une conception étroite de la matière. La conception large englobe la
nationalité, la condition des étrangers, les conflits de lois et les conflits de juridictions. La
conception étroite limite le droit international privé au droit des conflits : conflits de lois et
conflits de juridictions. Selon les Etats, le domaine du droit international privé est conçu de
façon plus ou moins extensive. Dans les pays anglosaxons par exemple, il est limité au droit
des conflits de lois et de juridictions. La nationalité et la condition des étrangers relèvent du
droit public pur. En Allemagne et en Italie, la conception du droit international privé est
encore plus restreinte car elle ne s'applique qu'aux conflits de lois, les conflits de juridictions
étant abordés en procédure civile. La conception française quant à elle, est très large
puisqu'elle concerne quatre domaines spécifiques : la nationalité ; la condition des étrangers ;
les conflits de lois ; les conflits de juridictions. Le Cameroun comme la plupart des Etats
d’Afrique noire francophone a adopté la même conception « large » du droit international
privé.
Cependant, le présent cours se limitera à l’étude des conflits de lois et des conflits de
juridictions, non seulement parce que la nationalité et la condition des étrangers sont abordées
en première année de licence dans le cours intitulé « Droit des personnes », mais surtout parce
que la théorie du conflit de lois et la théorie du conflit de juridictions forment les deux piliers
du droit international privé, « le fondement même de la conception du droit international privé
». En appréhendant la matière sous cet angle on perçoit toute sa subtilité et toute sa beauté en
commençant bien évidemment par ses catégories de rattachement.
Les catégories de rattachement sont les grands domaines auxquels une loi est appelée à
s’appliquer, ce sont les ensembles des rapports sociaux. Puisque le droit international privé est
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d’abord un droit interne qui devient international à cause de la présence d’un élément
d’extranéité, les catégories de rattachement seront les mêmes qu’en droit interne. En droit
interne, on trois catégories de rattachement : les personnes, les biens et les obligations. Ainsi,
tout ce qui a trait aux personnes rentrera dans le statut personnel, ce qui a trait aux biens
rentrera dans le statut réel et tout ce qui a trait aux obligations, dans les règles applicables aux
obligations. Seulement, la particularité du droit international privé par rapport au droit interne,
réside dans la variété des lois correspond à chaque catégorie de rattachement.
Le statut personnel est en principe soumis à la loi nationale de la personne. Il en est
ainsi lorsqu’on envisage le statut personnel uniquement comme intégrant l’état et la capacité
des personnes tel qu’il ressort de l’article 3, alinéa 3, du Code civil français dans sa version
applicable au Cameroun. Mais si on envisage le statut personnel de manière large, on va y
faire entrer également le mariage, la filiation, les régimes matrimoniaux et les successions. A
ce moment, il faudra chercher la loi applicable à chacune de ces matières. Pour le mariage, les
conditions de fond seront soumises à l’application distributive des lois nationales des époux
en présence. Cela veut dire que si un camerounais veut épouser une française, pour les
conditions de fond, on appliquera la loi camerounaise au camerounais et la loi française à la
française. Quant aux conditions de forme, on appliquera la loi du lieu de célébration du
mariage, la lex loci celebrationis, en application de la règle « locus regit actum » qui signifie
que la forme d’un acte est régit par la loi du lieu où il est passé. Mais la « locus regit actum »
a un caractère facultatif, cela veut dire que les futurs époux peuvent décider de célébrer leur
mariage d’après la forme connue dans l’un des deux pays.
Pour la filiation, on va appliquer soit la loi nationale de l’enfant, soit la loi du lieu de
naissance de l’enfant, soit une loi qui assure le mieux l’intérêt de l’enfant.
Pour les régimes matrimoniaux, on va recourir à la loi du domicile commun en
l’absence de nationalité commune des époux ou la loi du juge saisi si les époux n’ont pas le
même domicile.
Pour les successions, l’ouverture de la succession est soumise à la loi nationale du de
cujus.
Le statut réel est soumis à la lex rei sitae, c’est- à- dire la loi du lieu de situation du
bien. Elle a une vocation générale et elle s’applique aussi bien aux immeubles qu’aux
meubles. Mais les meubles peuvent avoir été déplacés. En cas de conflit mobile lorsque le
meuble a été déplacé, relativement à son acquisition, on applique la loi du lieu de situation du
meuble au moment de son acquisition. Pour les effets actuels et futurs on appliquera la loi du
lieu de situation actuelle du bien.
Dans le statut des obligations, il faut trouver la loi applicable en distinguant le contrat
d’une part, et les délits et quasi-délits d’autre part. Pour le contrat, le fond sera soumis à
l’autonomie de la volonté, ce qu’on appelle la loi d’autonomie, la forme sera soumise à la
locus regit actum.
Pour les délits et quasi-délits, a loi applicable est celle du lieu de survenance du délit
ou du quasi-délit. Cette loi s’appelle la lex loci delicti. Mais pour les délits et quasi-délits
survenus en haute mer ou dans les airs, on appliquera la loi du pavillon auquel appartient
l’aéronef ou le navire. Cela s’explique par le fait que le droit international privé est d’abord un
droit interne, comme on constatera d’avantage avec l’étude de ses sources.
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II- Les sources du droit international privé
Lorsqu’on envisage l’étude des sources du droit international privé, il est important de
prime abord de rappeler la controverse qui oppose les tenants du particularisme et ceux de
l’universalisme afin de mesurer leur place respective dans la conception de la matière.
Les particularistes considèrent que chaque pays doit donner des solutions qui lui sont
propres aux problèmes de droit international privé. C’est pourquoi ils estiment que les sources
internes doivent être privilégiées. BARTIN fut en France le représentant de cette tendance.
Les universalistes considèrent au contraire que les questions de droit international
privé concernent la société internationale, et que les solutions doivent se trouver dans les
sources internationales. PILLET a été en France, le fervent défenseur de cette conception.
Aujourd’hui, il est acquis qu’il faut dépasser la controverse et admettre la coexistence
des sources internationales (B) à côté des sources nationales (A) qui quantitativement et
historiquement, sont les plus importantes.
Les sources internes du droit international privé sont, comme pour les autres matières
de droit privé, la loi, la jurisprudence et la doctrine. Mais à la différence des autres matières,
la loi est moins importante que les deux autres sources.
1- La loi
2- La jurisprudence
3- La doctrine
La doctrine joue un rôle très important en droit international privé. C’est elle qui dans
un premier temps a essayé de systématiser la matière. Pour ne prendre que l’exemple de la
théorie des statuts, les empreintes de Bartole et d’Argentré restent indélébiles. Le nom de
Savigny reste encore synonyme de règle de conflit bilatérale, puisqu’il est celui qui en a le
mieux présenté le fondement, les caractéristiques et les fonctions. A Paul Lagarde, on doit le «
principe de proximité » etc. Le recueil des cours de l’académie de droit international
(RCADI), la revue critique de droit international privé (RCDIP), le journal du droit
international (JDI appelé autrefois CLUNET, du nom de son fondateur), les travaux du comité
français de droit international (TCFDI) sont les principaux supports d’expression de la
doctrine en droit international privé.
La doctrine camerounaise quant à elle, s’active depuis des années à proposer au
législateur des pistes pouvant lui permettre d’élaborer un droit international privé camerounais
tenant compte des réalités locales.
La principale source internationale est constituée des traités (1), auxquels il convient
d’ajouter la, jurisprudence internationale (2) et les règles non écrites (3) du droit international
privé.
1- Les traités
On doit distinguer les traités multilatéraux des traités bilatéraux. Les traités
multilatéraux sont en général élaborés dans le cadre d’organisations internationales. Ils sont
les plus nombreux en matière de conflits de lois et de conflits de juridictions. C’est ainsi que
depuis 1883, la conférence de La Haye de droit international privé a ouvert à la signature et à
la ratification, un grand nombre de conventions portant sur diverses questions de droit
international privé. Par exemple, la convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de
l’enlèvement international d’enfants ; la convention du 13 janvier 2000 sur la protection
internationale des adultes. Il en est de même de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe
qui ont élaboré plusieurs conventions extrêmement importantes pour le droit international
privé. On peut citer la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et la Convention de
Lugano du 16 Septembre 1988 qui unifient les règles de compétence et de reconnaissance des
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jugements en matière civile et commerciale, devenue le Règlement n°44/2000/CE du 22
Décembre 2000.
Les traités bilatéraux sont ceux passés entre deux Etats. Ils permettent de cerner de
plus près les nécessités juridiques des deux Etats et de mieux équilibrer les intérêts en
présence. Rares en matière de conflits de lois et conflits de juridictions, les traités bilatéraux
sont nombreux en matière de condition des étrangers. Le seul traité bilatéral conclu par le
Cameroun en matière de droit international privé est l’accord de coopération judiciaire avec la
France qui date du 21 février 1974.
2- La jurisprudence internationale
Ces règles sont nées du commerce international, où sont apparus des usages propres à
ce commerce, et des principes consacrés par les sentences arbitrales puisque, dans l’immense
majorité des cas, les parties contractantes préfèrent soumettre leurs litiges à un arbitre plutôt
qu’au juge étatique. Cet ensemble constitue la lex mercatoria, la loi des marchands, dont
l’origine remonte au Moyen âge.
Cependant, la question de la nature de la lex mercatoria est très discutée. On se
demande s’il s’agit véritablement d’une source du droit international privé étant donné que
ces usages sont tellement importants qu’on ne saurait les rattacher à un Etat : ainsi resurgit la
problématique des « contrats sans loi ».
De tout ce qui précède, les relations privées internationales soulèvent les questions des
conflits de lois et le procès civil international qui en découle pose le problème des conflits de
juridictions, lesquels conflits forment les deux piliers indissociables du droit international
privé qui seront étudiés successivement.
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PREMIÈRE PARTIE :
LES RELATIONS PRIVÉES INTERNATIONALES : LES CONFLITS DE
LOIS
Il y a conflit de lois lorsque, face à un litige comportant un élément d’extranéité, le
juge hésite sur la loi qu’il va appliquer pour trancher ce litige. Cela est dû au fait que le juge a
en entre les mains une pluralité de lois issues de systèmes juridiques différents et qui ont
toutes vocation à régir la situation litigieuse. Il doit donc choisir la loi applicable. On peut
donc comprendre le Professeur Yvon LOUSSOUARN quand il écrit que « le problème du
conflit des lois est essentiellement un problème d’option, un problème de choix entre
plusieurs rattachements possibles ». Par exemple, un couple de français veut divorcer au
Cameroun. Quelle sera la loi applicable à ce divorce ? La loi française ou la loi camerounaise
? Le juge doit choisir.
Dans cette perspective, la théorie générale des conflits de lois doit s’entendre de la
partie du droit international privé qui regroupe l’ensemble des méthodes permettant de
sélectionner et/ou d’identifier parmi les règles de droit substantiel posées par différents ordre
juridiques ayant des liens avec une situation internationale donnée, celle qui sera en définitive,
appelée à régler cette situation. Seulement, l’opération qui conduit au choix de la loi
applicable n’est pas toujours facile à mener. En matière de conflit de lois, le droit international
privé offre au juge des méthodes (Titre 1) et des techniques (II) de raisonnement propres.
TITRE I :
LES METHODES DE RAISONNEMENT EN MATIERE DE CONFLITS DE
LOIS
De façon classique en droit international privé français, deux méthodes d’inégale
valeur sont utilisées par le juge, dans la recherche de la loi applicable à un litige international.
D’une part, la méthode principale ou indirecte, appelée bilatéralisme ou méthode bilatérale
(chapitre 1) et d’autre part, la méthode secondaire ou directe, appelée unilatéralisme ou
méthode unilatérale (chapitre 2). Chacune des méthodes a pour objectif de servir
exclusivement au raisonnement du juge face à un litige comportant un élément d’extranéité.
Mais en fin de compte, on s’accorde à dire que l’utilisation de toutes ces méthodes répond le
mieux aux attentes des justiciables sur la scène internationale. En droit international privé,
c’est le « pluralisme des méthodes » qui prévaut, c'est-à-dire qu’on utilise en même temps le
bilatéralisme et l’unilatéralisme.
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CHAPITRE I :
LA METHODE BILATERALE OU BILATERALISME
La méthode bilatérale élaborée par Savigny est celle qui a recours à la règle de conflit
(bilatérale) (paragraphe1) pour désigner l’ordre juridique dont le droit substantiel régira la
situation litigieuse (paragraphe 2).
La règle de conflit de lois est une règle qui va proposer un critère de choix dont
l’application permettra de désigner, parmi ces Etats, celui dont les règles seront appliquées.
Dans la pensée de Savigny, l’élaboration de la règle de conflit se fait en considération de la
nature du rapport de droit litigieux et présente trois caractéristiques :
- Elle est bilatérale, c'est-à-dire que la règle de conflit peut désigner comme loi
applicable, soit la loi du juge saisi du litige qu’on appelle loi du for ou lex fori, soit la loi
étrangère ;
- Elle est abstraite, c'est-à-dire qu’elle procède à la désignation de la loi applicable
sans prendre en considération la teneur substantielle de la loi applicable ;
- Elle est neutre en ce sens qu’elle ne cherche pas à privilégier une solution
substantielle par rapport à une autre. Cela veut dire que dans le raisonnement de Savigny, la
loi du juge saisi est placée sur le même pied d’égalité que la loi étrangère, la règle de conflit
ne prend pas de parti pour une loi, ni la lex fori, ni la loi étrangère.
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La fonction de régulation est nouvelle, elle est dictée par la nécessité de prendre en
compte les objectifs poursuivis par les législateurs pendant l’édiction des normes. Dire que la
règle de conflit peut avoir une fonction régulatrice, c’est admettre que cette règle peut
constituer un instrument de politique publique entre les mains des Etats. En droit camerounais
certaines « fausses règles de conflit unilatérales » comme l’article 3 du code civil et en droit
européen, le rôle des normes communautaires de droit international privé sont la traduction de
cette fonction de régulation de la règle de conflit.
La théorie des conflits de lois selon la méthode savignienne est comparable à un jeu
d’échecs, il s’agit d’une véritable gymnastique intellectuelle. Sa subtilité est telle
qu’abstraction faite de quelques spécialistes, bien peu nombreux sont ceux qui en ont
assimilés les finesses ou qui ont le temps, la capacité ou le courage de le faire. PROSSER
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avait écrit que la théorie générale de conflits de lois est « un marécage sinistre, peuplé de
savants et excentriques professeurs qui spéculent sur des matières mystérieuses dans un
jargon étrange et incompréhensible ». Le bilan de la jurisprudence camerounaise en la matière
témoigne de ce que le juge manque très souvent de réflexe d’internationaliste. La
qualification, le rattachement avec les hypothèses de renvoi et de conflit mobile, la mise eu
œuvre de la loi désignée ne sont pas des techniques toujours faciles à appliquer pour les non-
initiés. La complexité de la méthode conflictuelle selon ses détracteurs, la rendrait
difficilement utilisable dans la pratique.
B- L’incertitude et l’imprévisibilité de la méthode conflictuelle
Dans la plupart des pays, les règles de conflit de lois ont une origine non pas légale,
mais jurisprudentielle, et ce caractère laisser entrevoir ses défauts, car la règle est de conflit
est souvent incertaine, parfois imprévisible à raison de la fluctuation dont elle est l’objet. La
solution semble découler alors non d’une règle bien assise, mais du sentiment contingent
d’équité qu’entretient le juge, si ce n’est des exigences de l’opportunité. La théorie des
conflits de lois, si elle est un jeu pour des savants intellectuels, ce qui n’est pas grave, risque
d’être un procédé arbitraire entre les mains du juge, ce qui est infiniment plus dangereux. Le
commerce international par exemple se prête mal au jeu des conflits de lois, par ce qu’il
nécessite prévisibilité et certitude.
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Paragraphe 2 : La relativisation des critiques de la méthode conflictuelle
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CHAPITRE II :
LA METHODE UNILATERALE OU UNILATERALISME
Toute la difficulté est de parvenir à faire le départ entre les règles substantielles «
ordinaires », dont l’application aux situations internationales relève de la méthode
conflictuelle, et les règles substantielles « de police » dont la particulière impérativité réclame
qu’elles s’appliquent nécessairement aux situations internationales qui présentent certains
rattachements avec le for.
Plusieurs critères ont été proposés : le critère formaliste (A), le critère technique (B), et
le critère finaliste (C).
A- Le critère formaliste
D’après le critère formaliste, une loi présente le caractère de loi de police lorsque le
législateur qui l’a édictée a pris soin de déterminer lui-même son domaine d’application dans
l’espace. Lorsque le législateur prend soin de déterminer le domaine d’application dans
l’espace de la loi qu’il édicte, il marque par là même le caractère impérieux qu’il attache à
l’application de la loi du for, et en posant une délimitation sous la forme d’une règle
19
unilatérale, il manifeste sa volonté de ne pas en abandonner l’application aux aléas de la règle
de conflit bilatérale. C’est le sens en droit camerounais de l’article 24 du code du travail qui
pose que tout contrat conclu pour être exécuté au Cameroun est soumis au code de travail
camerounais.
B- Le critère technique
C- Le critère finaliste
Le législateur se prononçant rarement, on l’a vu, sur la nature « de police » ou non des
règles de droit qu’il édicte, il revient naturellement aux juges, dans leur mission d’application
et d’interprétation des règles de droit, de décider si une disposition du droit interne doit être
rendue internationalement impérative par sa qualification de loi de police. Le juge est
généralement tenu de mettre en œuvre les lois de police (A), mais cette obligation ne vaut que
dans le domaine que se fixe la loi de police, ce qui pose la question du critère d’application
des lois de police dans l’espace (B).
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d’édiction de règles de droit international privé qui consiste à créer des règles spécialement
adaptées à l’internationalité des situations.
Parfois, c’est la seule divergence des règles substantielles édictées par les Etats
impliqués dans une situation qui paraît nocive ; l’observation se justifie tout particulièrement
dans le contexte des relations économiques internationales, où l’hétérogénéité des législations
étatiques est souvent perçue comme un frein au développement du commerce international.
La solution consiste alors à créer par voie conventionnelle des règles substantielles destinées à
régir des opérations données, non pas tant parce que ces règles sont matériellement plus
adaptées aux relations internationales que ne le sont les règles de droit interne, mais plutôt
parce que la démarche permet une harmonisation des législations des Etats signataires sur les
questions considérées.
Ces deux justifications à l’édiction des règles matérielles propres aux situations
internationales se combinent parfois en sorte qu’il n’est pas toujours aisé de faire le départ
entre règles matérielles à fonction d’adaptation, et règles matérielles à fonction
d’harmonisation.
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RCDIP, 1963, p. 615, note Ph. FRNCESCAKIS), ou celui de la validité de la clause-or dans
l’affaire Messageries Maritimes (Cass. Civ., 21 juin 1950).
De tout ce qui précède, il faut reconnaître que le besoin d’harmonisation est sans doute
plus réel que le besoin d’adaptation, justifiant que les règles matérielles soient aujourd’hui
essentiellement d’origine internationale.
Elles peuvent être contenues dans un Traité, être issues de l’arbitrage international ou
du « droit spontané ». Il est incontestable que les règles matérielles n’acquièrent leur pleine
valeur sur le plan international que si elles concourent efficacement à l’unification du droit.
C’est le cas des conventions portant lois uniformes comme les Actes uniformes dans le cadre
de l’OHADA. Ces règles sont applicables à la fois dans les relations internes et dans les
relations internationales. Le texte du Traité est alors incorporé dans le droit de chacun des
Etats signataires et régit indistinctement les opérations internes et internationales dans la
matière concernée.
L’extraordinaire faveur dont bénéficie l’arbitrage dans le domaine du commerce
international et le développement considérable qu’il connaît ont pour conséquence d’éliminer
le jeu de la méthode conflictuelle. Les arbitres ont la faculté de s’affranchir des lois étatiques
pour créer des règles matérielles propres à l’arbitrage international.
Enfin, pour les règles issues du droit spontané (ce vocable recouvre une catégorie fort
hétérogène dans laquelle entrent pêle-mêle le droit corporatif, les usages comme la lex
mercatoria, les contrats-types), on doit citer principalement la lex mercatoria qui est la loi des
marchands. En matière de commerce international, la lex mercatoria élimine certainement le
jeu du conflit de lois.
Pour conclure sur ces méthodes concurrentes à la méthode conflictuelle et précisément
la méthode des règles matérielles, on doit dire qu’elles n’ont pas encore réussi à la supplanter.
Aujourd’hui, certes le pluralisme des méthodes traduit la réalité du droit international privé
dans toute la complexité de son objet, mais le bilatéralisme demeure l’essence du règlement
des conflits de lois. C’est elle qui permet de mieux comprendre les techniques du
raisonnement conflictuel.
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TITRE II :
LES TECHNIQUES DU RAISONNEMENT EN MATIERE DE CONFLITS DE
LOIS
Lorsqu’un juge est saisi d’un litige comportant un élément d’extranéité, en utilisant la
méthode bilatérale, il doit interroger sa règle de conflit afin de trouver la loi applicable. Pour
cela, il doit qualifier, rattacher et mettre en œuvre la loi ainsi désignée. Mais l’opération qui
conduit à la détermination de la loi applicable peut se complexifier à cause d’une divergence
de solutions entre la loi du for et la loi étrangère au cours de ces étapes du raisonnement
conflictuel. Il importe donc d’étudier la qualification (chapitre 1), le rattachement (chapitre 2)
et la mise en œuvre de la loi désignée (chapitre 3).
CHAPITRE I :
LA QUALIFICATION
Trois arrêts classiques sont généralement cités lorsqu’il faut poser le problème du
conflit de qualifications en droit international privé. Il s’agit de la « succession du maltais »
(A), du « testament du hollandais » (B) et du « mariage du grec orthodoxe » (C).
Deux époux anglo-maltais ont émigré en Algérie où le mari a acquis des immeubles. A
son décès, sa veuve réclame sur ces immeubles un droit en usufruit sur le quart des biens du
défunt, institution du droit anglo-maltais appelée « quarte du conjoint pauvre ». Pour savoir
s’il convenait d’accorder à la veuve ce droit, il fallait définir la nature juridique de la quarte
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du conjoint pauvre. En effet, s’il s’agit d’une institution rattachée au régime matrimonial, la
règle de conflit applicable en la matière (loi d’autonomie) désignera en l’espèce la loi anglo-
maltaise puisque les deux époux s’étaient mariés à Malte où ils avaient établi leur premier
domicile conjugal. Dans ce cas, la veuve avait droit la quarte du conjoint pauvre. S’il s’agit au
contraire d’une institution successorale, la règle de conflit applicable (loi du pays de situation
de l’immeuble) désignera en l’espèce la loi française qui ignore l’institution (l’usufruit
successoral du conjoint survivant n’a été introduit qu’en 1891). Alors la veuve n’avait pas
droit à la quarte. Selon que la quarte du conjoint pauvre était rattachée à la catégorie régime
matrimonial ou à la catégorie succession, la solution n’était pas la même.
B- Le testament du hollandais (Cour d’Appel d’Orléans, 4 Août 1859, Sirey 1860, II,
p. 32)
C- Le mariage du grec orthodoxe (Arrêt Caraslanis, Cass. Civ., 1ère, 22 juin 1955,
RCDIP, 1955, p. 723. Voir en droit camerounais, l’arrêt Nikitas Papadopoulos, C.S/COR, 5
Mai 1970, in, Les grandes décisions de la jurisprudence civile camerounaise, p. 590)
Un grec orthodoxe épouse civilement une française en France, alors que la loi grecque
exige une célébration religieuse. Un tel mariage est-il valable ou nul ? La réponse dépend de
la qualification donnée. Si le juge considère que l’exigence de la célébration religieuse
comme une condition de fond soumise à la loi nationale, la loi grecque est applicable et le
mariage est nul. Si au contraire il l’analyse en une condition de forme relevant à ce titre de la
lex loci celebrationis, la loi française est compétente et le mariage est valable. Or, le droit grec
considère l’exigence de la célébration religieuse en une condition de fond du mariage alors
que le droit français la ramène au rang d’une simple condition de forme. Par conséquent, il
faut donc déterminer la loi de qualification, c'est-à-dire, rechercher par référence à quel
système juridique la qualification doit être donnée. Une multitude de solutions d’inégale
valeur ont été proposées.
Trois solutions ont été proposées par la doctrine pour résoudre le problème du conflit
de qualifications : la qualification lege causae, la qualification lege fori et la qualification par
référence à des concepts autonomes et universels. La troisième méthode pour le moment n’est
26
qu’une utopie parce qu’il ne peut exister de droit privé universel, et sera exclu du débat. Il ne
restera plus alors que la qualification lege causae (A) et la qualification lege fori (B).
La qualification lege fori signifie que chaque juge doit qualifier en se référant à sa
propre loi, la lex fori. Deux raisons fondamentales ont été avancées pour justifier la
qualification lege fori.
Premièrement, compte tenu du fait que la qualification consiste à interpréter une règle
de conflit de lois, le juge doit le faire en s’appuyant sur ses propres catégories juridiques. Par
exemple, le sens d’une règle camerounaise ne peut être donné que par référence aux concepts
camerounais. La qualification lege fori est la conséquence inéluctable du caractère national
des systèmes de solution de conflit de lois.
Deuxièmement, la qualification étant préalable à la solution du conflit de lois, la loi
étrangère n’a aucun titre à s’appliquer au moment où l’on qualifie. Ce titre, elle ne l’acquerra
que si elle est désignée par la règle de conflit. Une telle désignation, dépendant précisément
de la qualification, toute qualification, autre que la qualification lege fori, suppose résolu le
problème que l’on cherche à résoudre.
C’est pourquoi, à la suite de Kahn et Bartin, la jurisprudence a retenu comme solution
au conflit de qualifications, la qualification lege fori. Dans l’affaire du mariage du grec
orthodoxe, appelé arrêt Caraslanis du 29 juin 1955 cité plus haut, la Cour de cassation énonce
« que la question de savoir si un élément de la célébration du mariage appartient à la
catégorie des règles de forme ou à celles des règles de fond, doit être tranchée par les juges
français suivant les conceptions du droit français, selon lesquelles les caractères religieux ou
laïc du mariage est une question de forme ». D’où la validité du mariage civil d’un grec en
27
France nonobstant l’exigence par sa loi nationale d’un mariage religieux. Ainsi donc, le
conflit de qualifications se règle lege fori.
On doit distinguer ces techniques selon qu’il s’agit d’envisager la qualification dans
les ordres juridiques simples (paragraphe 1) ou dans les ordres juridiques complexes
(paragraphe 2).
Toutes les fois que le juge du for entend qualifier une institution étrangère, il doit
nécessairement l’analyser, dégager ses traits essentiels pour préciser sa nature et découvrir sa
catégorie de rattachement. Lorsqu’il s’agit d’une institution ou d’une technique inconnue du
droit du juge du for, une telle analyse ne peut être menée que selon la loi étrangère : la loi
étrangère joue un rôle important dans la qualification lege fori. Si l’on reprend l’exemple de la
quarte du conjoint pauvre dans la succession du maltais, le juge après l’avoir analysé selon la
loi maltaise, et en avoir dégagé les caractéristiques essentielles, décidera si cette institution
devra être intégrée à la catégorie des régimes matrimoniaux ou à celle des successions. La
quarte du conjoint pauvre ne pourrait qu’être analysée par référence à la loi maltaise dès lors
que le droit français ne connaissait pas l’institution encore moins une situation similaire.
Après avoir analysé l’institution donnant lieu au conflit de qualifications selon la loi
étrangère, le juge la range dans l’une des catégories de son droit interne. On peut alors
comprendre MELCHIOR quand il dit que la qualification lege fori consiste à « placer l’étoffe
juridique étrangère dans les tiroirs du système national », ou encore RAAPE qui conclu que
dans la qualification lege fori, « l’Etat étranger caractérise ses règles, l’Etat du for les classe
».
Cependant, les catégories de la lex fori peuvent ne pas recevoir toutes les institutions
de la loi étrangère, parce qu’il n’y a pas toujours transposition pure et simple sur le plan
international, des catégories du droit interne du for. On n’hésite donc pas à déformer les
catégories du droit interne dans le sens d’un élargissement, pour les adapter aux institutions
étrangères qui ne peuvent pas d’office y être rangées. Par exemple, si l’on invoque devant le
juge camerounais un divorce par consentement mutuel, il va se demander de quoi il s’agit ; il
constatera après analyse (selon le droit étranger), qu’il s’agit d’un cas de dissolution du
mariage au regard du droit étranger, et il en déduira que c’est un problème de mariage,
composante du statut personnel. Il qualifiera lege fori et placera ladite institution dans le statut
personnel rattaché à la loi nationale. De même en droit français, on n’hésite pas à élargir la
catégorie du mariage pour y faire entrer certaines unions libres, ainsi que les unions
polygamiques.
28
Paragraphe 2 : La qualification dans les ordres juridiques complexes
Le problème du conflit de qualification dans les ordres juridiques complexes a été
analysé dans le détail pour le cas camerounais, par madame Brigitte DJUIDJE dans sa thèse
de Doctorat. Elle fait observer en effet que le problème du conflit de qualifications suscite des
difficultés particulières lorsque l’un des systèmes impliqués, notamment le système du for est
pluraliste. Un système pluraliste s’entend d’un système composé d’au moins deux ordres
juridiques qui peuvent être inégalitaires ou égalitaires. La difficulté consiste donc à répondre à
la question de savoir quelle est parmi les multiples lois du for, celle qui doit être considérée
comme lex fori. En fonction de la controverse doctrinale qui est née à ce sujet, il faut
distinguer selon que l’ordre juridique pluraliste est égalitaire (A) ou hiérarchisé (B).
Lorsque les multiples lois du for pluraliste sont placées sur un même pied d’égalité, il
devient difficile de choisir celle qui sera considérée comme lex fori afin de régler le conflit de
qualifications. C’est pourquoi certains ont proposé d’abandonner la lex fori et de recourir à la
lex causae. C’est le raisonnement tenu par monsieur TYAN pour le droit libanais où il existe
une véritable égalité entre les différentes lois confessionnelles. Ainsi, la qualification lege fori
impossible, le juge libanais étant nécessairement porté à respecter la loi étrangère avec ses
propres définitions. Cependant, on a vu avec le droit égyptien, que la qualification lege fori
peut être expressément énoncée en dépit de l’égalité entre les différentes lois confessionnelles.
La qualification lege fori ici est menée par référence aux prescriptions du droit musulman qui
constitue en Egypte, le droit commun en matière de statut personnel. On comprend ainsi que,
« qui dit ordre juridique pluraliste ne dit pas forcément qualification lege causae ».
Un ordre juridique pluraliste est hiérarchisé lorsque les différents systèmes qui le
composent ne sont pas placés sur un même pied d’égalité, il y a un système supérieur à un
autre. Dans le cas camerounais, il existe un pluralisme opposant le droit anglophone et le droit
francophone et un pluralisme opposant le droit occidental au droit coutumier. Le premier
système est égalitaire, le droit anglophone étant placé au même niveau que le droit
francophone. Par conséquent, pour qualifier lege fori, le juge francophone saisi le fera par
référence au droit francophone et le juge anglophone par référence au droit anglophone. Le
second système est inégalitaire, le droit occidental étant considéré comme supérieur au droit
coutumier. La qualification lege fori se fera alors par référence au seul droit moderne. Cette
position a été sérieusement critiquée par madame DJUIDJE qui propose dans l’attente d’un «
droit commun futur » à élaborer à partir des éléments du droit occidental et du droit
coutumier, de qualifier lege fori, non pas par référence au seul droit occidental considéré
comme droit commun existant, mais plutôt par référence au droit camerounais dans son
ensemble. L’auteur fait remarquer que la richesse du système juridique camerounais qui a à
son actif des droits d’origine diverse, apparaîtrait comme un atout considérable en matière de
qualification. Il serait aisé d’établir le rapprochement, entre le droit d’origine française et le
droit de l’Europe continentale, entre le droit d’origine anglaise et le droit des pays anglo-
saxons, entre le droit coutumier et le droit de certains pays africains ainsi que ceux des pays
musulmans. Les institutions des grands systèmes juridiques contemporains trouveraient donc
29
toujours leur répondant en droit camerounais, ce qui permettrait au juge camerounais saisi de
faire recours au droit le plus proche du système étranger pour procéder à la qualification.
30
CHAPITRE II :
LE RATTACHEMENT
Le rattachement est une opération juridique qui consiste, une fois la qualification
acquise, à désigner l’ordre juridique qui permettra de trancher le problème de droit. Par
principe, la question ne pose pas de difficulté particulière en présence d’une règle de conflit
bilatérale. En effet, une fois classée dans une catégorie de droit international privé (statut
personnel, statut réel, statut des obligations), le problème de droit est automatiquement soumis
à un ordre juridique donné, grâce à l’élément de rattachement correspondant à cette catégorie.
Mais, deux facteurs majeurs sont susceptibles de perturber l’application de ce principe. Il
s’agit du conflit de rattachements et du conflit mobile.
Le conflit de rattachements, à cause de la diversité internationale des règles de
rattachement, peut se présenter soit sous la forme positive, soit sous la forme négative. Le
conflit positif de rattachements survient lorsque plusieurs systèmes, en raison des
rattachements adoptés par leur règle de conflit, se considèrent compétents pour appréhender la
situation. Dans ce type de conflit, chacune des règles de rattachement en présence donne
compétence à sa propre loi interne. Par exemple, le statut personnel d’un camerounais
domicilié en Angleterre est régi en vertu de la règle de rattachement française par la loi
française, loi de sa nationalité, et en vertu de la règle de rattachement anglaise, par la loi
anglaise, loi de son domicile. Le conflit positif de rattachement semble donc insoluble.
Toutefois, on admet que le caractère national des règles de rattachement commande de se
référer exclusivement à la règle de rattachement du for sans tenir compte de la règle de conflit
étrangère.
Le conflit négatif de rattachement survient lorsqu’aucun des systèmes juridiques
envisagés ne retient sa compétence pour trancher le problème de droit en cause. Dans ce type
de conflit, chacune des règles de conflit attribue compétence dans un cas donné, non à sa
propre loi interne, mais à une loi étrangère. Par exemple, pour un anglais domicilié au
Cameroun, son statut personnel est régi d’après la règle de rattachement camerounaise, par la
loi anglaise, sa loi nationale, et d’après la règle de rattachement anglaise, par la loi
camerounaise, loi de son domicile. Il y a donc un conflit négatif dans cette hypothèse parce
que la règle de rattachement camerounaise en matière de statut personnel désigne la loi
anglaise, et la règle de rattachement anglaise du statut personnel désigne la loi camerounaise.
On parle alors du renvoi. C’est l’aspect du conflit de rattachement qui pose le plus de
difficultés. Cela justifie que le problème du renvoi soit étudié (section 1) avant celui relatif au
conflit mobile (section 2).
31
Paragraphe 1 : L’admission du renvoi
La question du renvoi n’avait pas été perçue lorsque fut élaborée la théorie de la règle
de conflit ; elle s’est révélée au cours de la seconde moitié du XIXème siècle devant les
tribunaux de différents pays qui la résolurent par acceptation du renvoi au premier degré
notamment. Elle le fut notamment en France à l’occasion de l’affaire FORGO (Cass. Civ., 24
juin 1878, S. 1878, I, 429, D. 1879, I, 56). Les faits de l’espèce étaient les suivants : FORGO
était un enfant naturel bavarois venu en France à l’âge de cinq ans et décédé une soixantaine
d’années plus tard laissant une importante succession mobilière à laquelle ne prétendaient que
des collatéraux maternels. Ceux-ci venaient à la succession selon le droit bavarois, mais non
selon le droit français alors en vigueur qui attribuait une telle succession à l’administration
française des domaines. La règle de conflit française désignait la loi du domicile, et parce que
le défunt n’avait jamais été formellement admis à domicile en France, son domicile de droit
était réputé en Bavière ; mais il fut constaté que la loi bavaroise soumettait la succession à la
loi de la dernière résidence (domicile de fait), la loi française. La Cour de cassation entérina
ce renvoi à la loi française et attribua la succession de FORGO à l’Etat français en vertu du
droit international privé bavarois. Mais la découverte du problème relatif au renvoi engendra
une vive controverse doctrinale.
32
système étranger renvoie à la loi du for, il peut désigner une autre loi : on craint ainsi de se
retrouver dans un cercle vicieux avec les renvois au 2nd, 3ème, 4ème degrés etc.
En faveur du renvoi, la doctrine a avancé plusieurs arguments. Premièrement, ne
serait-il pas un peu anormal pour un juge d’appliquer une loi étrangère alors que celle-ci ne se
reconnaît pas compétente ? C’est forcer un peu la nature des institutions. Deuxièmement, le
juge est plus à l’aise lorsqu’il applique sa propre loi, que lorsqu’il applique la loi étrangère.
Par conséquent, l’ordre juridique interne ne souffre aucunement du renvoi qui lui est fait, car
on peut penser que la justice rendue sur la base de la lex fori serait plus exacte que celle
rendue sur la base d’une loi étrangère.
Troisièmement, quand on rend un jugement, il faut penser à son exécution. Or, si le
juge accepte la théorie du renvoi, la compétence que lui restitue le droit étranger a pour
conséquence que le jugement qu’il va rendre se trouvera conforme non seulement au droit
interne, mais aussi au droit étranger. On comprend ainsi que les thèses en faveur du renvoi
s’appuient essentiellement sur son utilité pratique. C’est pourquoi en transcendant cette
controverse, la jurisprudence depuis l’affaire FORGO admet le renvoi sous plusieurs formes.
En dépit des critiques exprimées par la doctrine à la suite de l’arrêt FORGO, la cour de
cassation s’est prononcée pour l’application du renvoi tant au premier degré qu’au second
degré.
On parle de renvoi au premier degré lorsque le droit étranger renvoie au droit du for.
Par exemple, un tribunal camerounais est saisi d’une question d’état et de capacité concernant
un anglais domicilié au Cameroun. Selon le droit international privé camerounais, la loi
compétente est la loi nationale, c’est-à-dire la loi anglaise, et selon le droit international privé
anglais, c’est la loi du domicile, la loi française. C’était l’hypothèse de l’affaire FORGO. La
Cour de cassation française a eu l’occasion de confirmer sa position à plusieurs reprises. Dans
l’arrêt SOULIE (Cass. Req., 9mars 1910, D.P. 1912, I, p. 162) par exemple, elle déclare à
propos d’une autre succession mobilière (comme dans l’affaire Forgo), que : « la loi française
de droit international privé ne souffre d’aucune manière du renvoi qui est fait à la loi interne
française par la loi de droit international privé étranger ; qu’il n’y a qu’avantage à ce que
tout conflit se trouve ainsi supprimé et à ce que la loi française régisse, d’après ses propres
vues, des intérêts qui naissent sur son territoire ». La formule de l’arrêt Soulié fut reprise
pour faire jouer le renvoi en matière de divorce d’époux de nationalité étrangère et établis en
France, notamment dans l’affaire BIRCHALL (Cass. Civ., 10 mai 1939, S. 1942, I, p. 173).
Elle le fut également en matière de filiation, dans l’affaire SOMMER (Cass., civ., 8 décembre
1953, RCDIP, 1955, p. 133), la loi nationale de l’enfant désignant celle de l’Etat « auquel la
mère et l’enfant étaient soumis au jour de la naissance ».
Il y a renvoi au second degré lorsque le renvoi est fait à une loi tierce, lequel pourrait
encore conduire, au moins théoriquement, à la désignation d'une quatrième loi, etc. Imaginons
un tribunal camerounais saisi d’une question d’état et de capacité concernant un anglais
domicilié en France. Pour le droit camerounais, la loi compétente est la loi nationale, c’est-à-
dire la loi anglaise. Mais le droit anglais donne compétence à la loi du domicile, la loi
française. Contrairement au renvoi au premier degré, le renvoi au second degré semble avoir
son origine dans une systématisation doctrinale. Les auteurs, édifiant la théorie du renvoi à
33
partir de la règle de l’arrêt Forgo, furent emmenés à constater que la règle de conflit étrangère
pouvait désigner soit la loi française, soit la loi d’un pays tiers. Il n’y avait donc pas de raison
objective d’admettre le renvoi dans la première hypothèse et l’écarter dans la seconde. Mais
pendant longtemps, les tribunaux n’ayant eu à connaître d’aucun cas de renvoi au second
degré, l’incertitude sur le sort que la jurisprudence entendait lui réserver. L’on devait attendre
l’arrêt PATINO du 15 Mai 1963 (cité à l’introduction du cours) pour voir cette incertitude
levée. La Cour de cassation a approuvé le juge du fond d’avoir refusé le divorce à des époux
boliviens « sur le fondement du renvoi statué par la loi bolivienne aux droits espagnols du
lieu de célébration du mariage ». D’après la règle française de conflit, le divorce était régit
par la loi nationale commune des époux, c'est-à-dire la loi bolivienne ; d’après ses propres
dispositions, la loi bolivienne admettait le divorce à condition que la loi du lieu de célébration
du mariage l’admit, or, ici, le mariage ayant été célébré en Espagne, et la loi espagnole de
l’époque n’admettant pas le divorce, le juge français refusé de prononcer le divorce : il a donc
appliqué le renvoi au second degré. Toutefois, il faut reconnaître que c’est à l’occasion d’un
renvoi au premier degré que la Cour de cassation a d’abord admis le principe du renvoi au
second degré dans l’affaire MARCHI DELLA COSTA (Cass., civ., 7 mars 1938, RCDIP, 1938,
p. 472), en énonçant que les juges du fond avaient justement reconnu « le caractère en
principe obligatoire du renvoi fait par la loi nationale d’un étranger à la loi d’un autre Etat
pouvant être le cas échéant la législation française ». L’affaire Patino a donc été la première
application du renvoi au second degré.
Au-delà de l’admission du principe du renvoi en droit positif, on doit relever que le
renvoi ne s’applique pas automatiquement et de façon globale en droit international privé. On
l’admet dans certains cas, et on le rejette dans d’autres. Admettent le renvoi, les règles
bilatérales de rattachement et le statut personnel, les deux étant considérés comme le terrain
de prédilection des conflits de lois.
Rejettent par contre le renvoi, les règles à caractère unilatéral et à caractère substantiel,
auxquelles il faut adjoindre le statut réel, les faits juridiques et les actes juridiques, tous ces
éléments étant par principe allergiques à toute idée de conflit de lois. C’est pourquoi
aujourd’hui le problème que pose le mécanisme du renvoi est plutôt celui de son domaine.
Exception au jeu normal de la règle de conflit, le renvoi ne doit être admis que si le
sens de la règle de conflit conduit à cette solution. C’est pourquoi il est généralement admis
que le renvoi doit être écarté lorsque son résultat est incompatible avec l’objectif poursuivi
par la règle de conflit. Il en est ainsi d’une part dans les matières relevant de la loi
d’autonomie (A) et d’autre part dans celles où le souci majeur de la règle de conflit est de
garantir la validité de l’acte (B).
34
la loi d’autonomie comme les régimes matrimoniaux et les contrats sont réfractaires au
renvoi.
Le renvoi n’intervient pas dans la résolution des conflits de lois relatifs au régime
matrimonial. Prévisible et attendue, cette éviction du renvoi est commandée par la teneur
même de la règle de conflit qui est depuis Charles DUMOULIN, celle de la loi d’autonomie.
Toutefois, la volonté des époux intervient non pour dicter au juge le choix de la loi applicable,
mais pour l’aider à localiser les intérêts du ménage. Cette volonté peut être explicite ou
implicite. C’est dans ce sens que la Cour de cassation dans les arrêts LARDANS (Civ 1ère, 27
Janvier 1969, RCDIP, 1969, p. 710) et GOUTHERTZ (Civ. 1ère, 1er Février 1971, RCDIP,
1972, p. 644) a exclu le renvoi en matière de régime matrimoniaux en se fondant sur la
considération que le régime légal s’analyse en un régime conventionnel tacite et que la
soumission à la loi du premier domicile matrimonial repose sur la volonté présumée des
époux de localiser en ce pays leurs intérêts pécuniaires.
Pour les contrats, il s’agit du domaine de prédilection de l’autonomie de la volonté.
On sait que l’incompatibilité est manifeste entre le renvoi et l’autonomie de la volonté.
Lorsque deux contractants décident de soumettre leur contrat à une loi étrangère, ce choix se
porte normalement sur la loi interne matérielle de ce pays étranger. Ce serait donc déjouer
leurs prévisions que d’admettre le renvoi à une autre loi, sauf bien entendu lorsque les parties
ont entendu en désignant cette loi étrangère, y inclure ses règles de conflit.
On sait que la forme des actes est soumise à la locus regit actum, c'est-à-dire la loi du
lieu de passation de l’acte ou plus précisément la loi du lieu de conclusion du contrat. Un
renvoi éventuel de la loi locale à une autre loi, aux dispositions de laquelle l’acte ne satisferait
pas, compromettrait la régularité de celui-ci, et se retournerait contre le but de la règle qui est
de permettre aux parties de se fier aux dispositions locales sur la forme des actes. Cependant,
cette règle a un caractère facultatif, elle offre aux parties ou à l’auteur de l’acte, si celui-ci est
unilatéral, la possibilité de préférer aux formes prévues par la loi du lieu de formation, celle
que prescrit une autre loi répondant mieux pour le cas, aux besoins de commodité et de
sécurité. Il s’ensuit que la double considération de commodité et de sécurité qui détermine,
lors de la confection de l’acte, le choix de telle ou telle loi serait ruinée si, au moment du
procès, le juge pouvait au mépris de toutes les prévisions mettre en œuvre un renvoi
conduisant à apprécier la régularité formelle selon une loi différente. Le renvoi est donc exclu
dans ce cas.
Toutefois, on s’est demandé s’il n’était pas possible d’admettre le renvoi de façon
assez sélective, notamment le renvoi ad validitatem lorsqu’il s’agira d’assurer la validité d’un
acte, ou le renvoi ad favorem lorsqu’il s’agira d’assurer la défense de l’intéressé qu’on entend
protéger, dans l’hypothèse des rattachements alternatifs comme en matière de filiation. On
sait que les rattachements sont alternatifs lorsque la règle de conflit propose plusieurs points
de rattachements égaux dont il faudra choisir un afin de trouver la loi applicable. En matière
de filiation, parfois, la règle de conflit met en concurrence la loi de la mère, la loi de l’enfant
et la loi du lieu de naissance de l’enfant. Un renvoi qui permettrait par exemple
35
l’établissement de la filiation d’un enfant naturel devrait être admis, puisqu’il est dans
l’intérêt de l’enfant.
Une première solution a été fondée sur la théorie des droits acquis. Elle signifie que
les droits constitués selon une loi donnée seront reconnus partout. Il s’ensuit par exemple que
si une sûreté a été constituée dans un pays donné sur un meuble qui s’y trouvait et que le
meuble vient à être transporté dans un autre pays, la sûreté y conservera ses effets. Ou encore,
les effets d’un mariage demeureraient soumis à la loi qui s’y appliquait lorsqu’il a été
contracté, en dépit d’un changement de loi personnelle des époux. Ce principe de solution
assure la stabilité des droits ou institutions dans l’ordre international, ainsi qu’un certain
maintien des ensembles législatifs. Par exemple, le titulaire d’une sûreté sur un meuble ne
perdra pas le bénéfice de celle-ci au motif que l’objet a été déplacé à l’étranger ; un mariage
conclu sous l’empire d’une loi restrictive en matière de divorce ne pourra être dissous selon
une loi plus libérale.
Une seconde solution a été fondée sur l’interprétation de la règle de conflit. Le conflit
mobile ne se confondant pas avec un conflit transitoire interne, le problème peut être résolu
par une interprétation de la règle de conflit elle-même. Ainsi en matière de statu réel mobilier,
un fondement primordial du rattachement à la lex rei sitae est l’apparence qui résulte de la
situation du meuble. Ce facteur incite à faire prévaloir la loi de la situation actuelle sur celle
de la situation ancienne.
36
En matière de statut personnel, l’idée essentielle de permanence milite à première vue
pour le maintien de la loi sous l’empire de laquelle des droits ont été constitués. Mais le
principe d’application de la loi avec laquelle la situation présente les liens les plus étroits
implique au contraire que les conséquences soient tirées d’un changement effectif de
situation.
En matière contractuelle, on doit donner effet au choix actuellement exprimé, sauf à
réserver les droits des tiers qui auraient fondé des prévisions légitimes sur la situation
antérieure.
En définitive, la solution du conflit mobile emprunte tantôt au souci du respect des
droits acquis, tantôt à celui d’efficacité de la loi actuelle, en fonction des objectifs particuliers
à la matière, tels qu’ils s’expriment dans la règle de conflit. Dès lors que les problèmes de
qualification et de rattachement sont réglés, il ne reste plus au juge saisi d’un litige
comportant un élément d’extranéité, qu’à mettre en œuvre la règle de conflit.
37
CHAPITRE III :
LA MISE EN OEUVRE DE LA REGLE DE CONFLIT
On analysera l’autorité de la règle de conflit tant à l’égard du juge (paragraphe 1), qu’à
l’égard des parties (paragraphe 2).
Dans cette affaire, la Cour de cassation avait été saisi d’une question de divorce
prononcé entre deux époux espagnols selon la loi française, alors que la règle de conflit
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donnait compétence à leur loi nationale et que celle-ci ne permettait pas le divorce. Le
pourvoi en cassation formé par l’un d’eux pour violation de la règle de conflit fut rejeté au
motif que « les règles françaises de conflit de lois, en tant du moins qu’elles prescrivent
l’application d’une loi étrangère, ne sont pas d’ordre public, en ce sens qu’il appartient aux
parties d’en réclamer l’application, et qu’on ne peut reprocher aux juges du fond de ne pas
appliquer d’office la loi étrangère et de faire, en ce cas, appel à la loi interne française,
laquelle a vocation à régir tous les rapports de droit privé ».
De cette décision dont la solution fut reprise l’année suivante dans l’affaire
Compagnie Algérienne de Crédit et de Banque (Cass. Civ., 2 mars 1960, RCDIP, 1960, p. 97,
note Henri Batiffol), il ressortait que la règle de conflit a un caractère facultatif en cas de
désignation de la loi étrangère (1) et un caractère impératif en cas de désignation de la loi du
for (2).
1- Le caractère facultatif de la règle de conflit en cas de désignation de la loi
étrangère
Dans l’arrêt BISBAL, la question posée aux juges français était celle de savoir s’ils
sont tenus d’appliquer une loi étrangère désignée par la règle de conflit, lorsque les parties au
litige ne l’ont pas invoquée. Les juges ont répondu qu’en cas de silence des parties lorsque la
règle de conflit désigne une loi étrangère, ils ne sont pas tenus de l’appliquer d’office, la règle
de conflit n’a alors qu’un caractère facultatif.
Selon les juges de l’affaire BISBAL, lorsque la règle de conflit désigne la loi du juge
saisi, ce dernier est tenu de l’appliquer d’office. La règle de conflit a alors un caractère
impératif. En réalité, il semble que les termes de l’arrêt expriment seulement le constat
suivant : dans le cas de désignation de la loi étrangère par la règle de conflit, la
méconnaissance de cette dernière peut prendre sa source dans une donnée de fait, tandis que
dans le cas de désignation de la loi du for, la méconnaissance de la règle de conflit ne peut
résulter que d’une erreur de droit.
Cependant, la solution de l’affaire BISBAL, bien qu’elle puisse se justifier par un
argument pratique tiré du fait que le juge ne peut pas connaître la teneur de toutes les lois
étrangères, a été vivement critiquée. La doctrine a fait observer qu’elle était de nature à créer
des situations choquantes. En matière de divorce notamment, on risquait de voir un juge
hostile à cette institution, appliquer d’office la loi étrangère qui l’interdisait, tandis qu’un
autre, qui l’estimait nécessaire, acceptait d’appliquer la loi du for.
C’est pourquoi, la Cour de cassation a imposé, par deux arrêts des 11 et 18 octobre
1988, REBOUH et SCHULE (RCDIP, 1989, p. 368, note Alexandre), aux juges du fond
l’obligation de rechercher, au besoin d’office, la loi applicable. Malheureusement, ces arrêts
ont été « éphémères », puisque deux ans plus tard, dans l’arrêt COVECO (Cass., civ., 4
décembre 1990, JDI, 1991, p. 371, note Bureau), le juge limite le domaine de l’application
d’office des règles de conflit dans deux cas : lorsque les parties n’ont pas la libre disposition
de leurs droits et lorsque la règle de conflit est de source conventionnelle.
39
B- L’autorité de la règle de conflit en fonction de la nature des droits litigieux :
l’arrêt SOCIETE MUTUELLE DU MANS (Cass., civ., 26 mai 1999, RCDIP 1999, p.707,
note Honoratia MUIR WATT)
On distinguera selon qu’il s’agit des droits dont les parties ont la libre disposition (1)
ou des droits dont les parties n’ont pas la libre disposition (2).
Il ressort de l’arrêt Société Mutuelle du Mans que le juge saisi n’est pas obligé
d’appliquer la loi désignée par la règle de conflit lorsqu’il s’agit d’une matière dans laquelle
les parties ont la libre disposition de leurs droits. En l’espèce, il s’agissait du juge français qui
avait appliqué au litige relatif à la vente internationale, la loi française, au détriment de la
Convention de la Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère
international d’objets mobiliers. En matière contractuelle donc, le juge n’est pas tenu
d’appliquer la loi désignée par la règle de conflit. Les parties peuvent même
conventionnellement exclure l’application de la loi désignée par la règle de conflit. La règle
de conflit n’aura alors qu’un caractère facultatif.
La question fondamentale ici est celle de savoir si la loi étrangère doit être traitée
comme un fait ou comme une règle de droit. De la réponse à cette question dépend la
condition procédurale de la loi étrangère. Sur ce point, la jurisprudence a évolué et le
traitement réservé à la loi étrangère devant le juge du for a varié selon qu’elle est considérée
soit comme un fait, soit comme une règle de droit. On peut le constater en étudiant la preuve
de la loi étrangère (paragraphe 1) et le contrôle de la Cour suprême sur la loi étrangère
(paragraphe 2).
On examinera sur qui pèse l’obligation de prouver, c’est la charge de la preuve (A),
comment prouver, ce sont les moyens de preuve (B) et ce qu’il faut faire si on ne peut pas
prouver, c’est la sanction du défaut de preuve (C).
A- La charge de la preuve
A l’origine, avec les arrêts LAUTOUR et THINET, la charge de la preuve de la loi
étrangère pesait sur les parties (1). Mais depuis l’arrêt COUCKE qui a reconnu le caractère de
règle de droit à la loi étrangère, la charge de la preuve incombe désormais au juge, qu’il
s’agisse des droits disponibles ou des droits indisponibles comme il ressort des arrêts AUBIN
et ITRACO (2).
41
1- La jurisprudence LAUTOUR et THINET : la preuve est l’affaire des parties
L’arrêt LAUTOUR (Cass. Civ., 25 mai 1948, RCDIP, 1949, p. 89) est le premier arrêt
ayant posé un principe général en matière de preuve de la loi étrangère. Il en ressort que la
charge de la preuve de la loi étrangère pèse sur la partie dont la prétention est soumise à cette
loi et non sur celle qui l’invoque, fusse à l’appui d’un moyen de défense. On pourrait ainsi
croire que le demandeur à l’action a seul un rôle prépondérant en matière de preuve de la loi
étrangère, or il n’a pas le monopole de l’émission des prétentions. En effet, comme l’a
clairement énoncé l’arrêt THINET (Cass. Civ., 1ère, 24 janvier 1984, RCDIP, 1985, p. 9), en
réponse à une prétention du demandeur, le défendeur peut, soit se borner à contester la
position du demandeur, soit élargissant le champ du litige, émettre à son tour, une prétention
dont le succès pourrait ruiner celle de son adversaire. En combinant les solutions de ces deux
arrêts, on comprend que la charge de la preuve de la loi étrangère est en quelque sorte
bilatérale, elle peut peser au cours du procès, soit sur le demandeur, soit sur le défendeur, ou
tour à tour sur le demandeur et le défendeur.
A partir de l’arrêt COUCKE (Cass., civ., 1ère, 13 janvier 1993, RCDIP 1994, p. 78), la
Cour de cassation française a reconnu le caractère de règle de droit à la loi étrangère. Le juge
ne devait plus demander aux parties de prouver la loi étrangère (le droit étranger), il était
désormais tenu de rechercher lui-même le contenu ou la teneur du droit étranger. Entre temps,
le régime de cette nouvelle solution a juste varié en fonction de la nature des droits litigieux :
s’il s’agit des droits disponibles (Cass. Com., 16 novembre 1993, AMEFORD, RCDIP 1994,
p. 322), dans ce cas, le juge n’a pas d’obligation de rechercher la teneur du droit étranger ; s’il
s’agit des droits indisponibles (Cass., civ., 1ère, 24 novembre 1998, LAVAZZA, RCDIP, 1999,
p. 98), le juge a l’obligation de rechercher la teneur du droit étranger. Mais depuis les arrêts
AUBIN (Cass., civ., 1ère, 28 juin 2005, RCDIP, p. 646) et ITRACO (Cass., com., 28 juin
2005, Bull., civ., IV, n° 138) dont les jalons avaient été posés par l’arrêt SPORTING ( Cass.,
civ., 1ère, 18 septembre 2002, D. 2003, p. 1513), il est acquis qu’en matière de droits
disponibles comme de droits indisponibles, la responsabilité de rechercher la teneur du droit
étranger applicable revient au juge, le cas échéant avec le concours des parties. Cette solution
devait incontestablement avoir des répercussions sur les moyens de preuve.
Certains moyens sont à la disposition des parties (1) et d’autres à la disposition du juge
(2).
Les parties peuvent prouver la loi étrangère par les certificats de coutume. Le
certificat de coutume est un document qui émane, soit d’un consulat ou d’une ambassade d’un
Etat étranger, soit d’un juriste étranger ou de l’Etat du for, spécialiste du droit en question. Ce
certificat doit non seulement énoncer les textes, mais aussi leur interprétation par la
jurisprudence. En réalité, lorsqu’on parle de preuve de la loi étrangère, il s’agit de la preuve
du droit étranger dans son ensemble. La critique essentielle faite à ce procédé est que le
42
certificat de coutume est demandé par l’une des parties qui rémunère la personne qui lui
fournit ce certificat (les certificats de coutume ne sont pas compris dans l’aide judiciaire) et
qu’il y a donc là un risque que ce certificat présente le droit étranger dans un sens favorable
au demandeur. C’est pourquoi le certificat de coutume ne s’impose pas au juge. Ce dernier
doit apprécier les éléments du contenu de la loi étrangère.
Dans cette hypothèse, le juge doit appliquer d’office la règle de conflit de lois et la
preuve de la loi étrangère revient aux parties, mais aussi au juge. Lorsque cette preuve n’est
pas rapportée parce que les parties par exemple, n’ont pas eu les moyens financiers de faire
établir un certificat de coutume et que le juge est resté inactif, qu’il n’a pas cherché lui-même,
le contenu de la loi étrangère, il serait extrêmement sévère, voire inadmissible, de rejeter la
demande. Le juge doit statuer selon sa propre loi qui a une vocation subsidiaire universelle
ou générale à s’appliquer.
Dans cette hypothèse, le juge n’a pas à appliquer d’office les règles de conflit de lois ;
la charge de la preuve de la loi étrangère repose sur la partie qui invoque l’application de cette
loi. On en déduit que la sanction du défaut de preuve de la loi étrangère doit conduire à
l’application de la loi du juge saisi, la lex fori, de par sa vocation subsidiaire. C’est d’ailleurs
très exactement ce qu’a affirmé la Cour de cassation dans l’arrêt AMEFORD en ces termes : «
à défaut (de preuve), le droit français s’applique en raison de sa vocation subsidiaire ».
43
Paragraphe 3 : Le contrôle par la Cour suprême de l’application de la loi
étrangère
44
moyen précis tiré d'une disposition de la loi étrangère, ou ceux qui n'ont pas justifié leur
interprétation de la loi, même si les conclusions n'en soutenaient aucune autre.
L’éviction (qui vient du verbe évincer) est la mise à l’écart, la neutralisation de la loi
étrangère normalement compétente, pour lui substituer la lex fori, la loi du juge saisi. En effet,
l’application de la loi étrangère désignée par la règle de conflit peut être considérée comme
inacceptable par le juge du for, soit parce que cette loi étrangère contient des dispositions
incompatibles avec les principes fondamentaux du for : c’est l’exception d’ordre public ; soit
parce que sa désignation est le fruit d’une utilisation frauduleuse de l’élément de rattachement
: il s’agit de l’hypothèse de la fraude à la loi. L’exception d’ordre public (paragraphe 1) et
l’exception de fraude à la loi (paragraphe 2) sont des mécanismes correctifs de la règle de
conflit qu’il convient d’étudier successivement.
L’exception d’ordre public est une notion particulière en droit international privé dont
les contours doivent être précisés (A) avant d’en examiner les effets (B).
La loi étrangère désignée par la règle de conflit consacre parfois une solution si
choquante au regard des conceptions du for que le juge doit refuser de l’appliquer et recourir à
la lex fori de par sa vocation subsidiaire. L’exception d’ordre public en droit international
privé contrairement au droit interne, peut se définir comme un ensemble de principes
considérés au Cameroun à un moment donné, comme des principes fondamentaux du
système. Il intervient pour défendre des valeurs que la Cour de cassation appelle dans l’arrêt
LAUTOUR, « des principes de justice universelle considérés dans l’opinion française comme
doués de valeur internationale absolue ». C’est donc un correctif exceptionnel permettant
d’écarter la loi étrangère normalement compétente, lorsque cette dernière contient des
dispositions dont l’application est jugée inadmissible par le tribunal saisi. Ainsi, la fonction de
l’ordre public dans le sens du droit international privé est de sauvegarder les conceptions
juridiques et morales essentielles du for, en écartant le droit étranger auquel conduit
normalement la règle de conflit lorsqu’il s’y trouve des dispositions dont l’application est
jugée inadmissible par le tribunal saisi parce qu’elles sont contraires à ces données
essentielles du for. Le contenu de la loi étrangère est ici principalement incriminé.
Mais l’exception d’ordre public ne dépend pas seulement du contenu de la loi
étrangère et de sa comparaison avec le droit du for ; elle dépend aussi de son application
concrète à une espèce donnée lorsqu’elle a des liens avec le milieu du for. C’est ainsi qu’en
France est né le concept d’ « ordre public de proximité ». Par exemple, en matière de filiation,
dans un arrêt du 10 février 1993, la Cour de cassation précise que « Si les lois étrangères qui
prohibent l’établissement de la filiation naturelle ne sont en principe, pas contraires à la
conception de l’ordre public international, il en est autrement lorsque ces lois ont pour effet
de priver un enfant français ou résidant habituellement en France, du droit d’établir sa
45
filiation ; que dans ce cas, cet ordre public s’oppose à l’application de la loi étrangère
normalement applicable ».
Il s’agissait d’une action en recherche de paternité naturelle intentée par une mère
tunisienne. En application de la règle de conflit énoncée à l’article 311-14 du code civil
français, la loi tunisienne, loi personnelle de la mère, était applicable à l’action. Or, cette loi
ignore la filiation naturelle et prohibe toute action en recherche de paternité naturelle. Le
pourvoi reprochait à la Cour d’appel d’avoir écarté, au nom de l’ordre public français, la loi
tunisienne.
Bien plus, l’exception d’ordre public est par nature contingente. Elle évolue en même
temps qu’évolue le droit du for. L’ordre public est en effet lié à la politique législative d’un
Etat à un moment donné. La variabilité de l’ordre public pose alors au juge la question de
savoir si, en cas de modification, il doit tenir compte de ce qu’étaient les exigences de l’ordre
public au moment de la constitution de la situation, ou de ce qu’elles sont au moment où il
statue. La réponse générale est que le juge doit tenir compte de l’ordre public dans son état
actuel ; c’est le principe de l’actualité de l’ordre public. Le jugement qu’il va rendre ne doit ni
heurter un sentiment collectif, ni aller à l’encontre d’une politique législative du for : ce
sentiment et cette politique sont, bien entendu, ceux du moment où le jugement est rendu.
L’exception d’ordre public conduit à écarter la loi étrangère applicable pour lui
substituer la loi du juge saisi. Dans cet ordre d’idées, depuis la solution de l’arrêt RIVIERE
(Cass. Civ., 1ère, 17avril 1953, RCDIP, 1953, p. 412, note H. BATIFFOL), il est admis que «
la réaction à l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même suivant
qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit en France, ou suivant qu’il s’agit de laisser
produire en France les effets d’un droit acquis, sans fraude, à l’étranger ». Cela veut dire que
l’ordre public sera radical lorsqu’il s’agira de créer un rapport juridique, et il sera atténué
lorsqu’il faudra seulement reconnaître les effets sur le territoire du for, d’un droit acquis à
l’étranger. Par exemple, deux camerounais ne peuvent pas contracter un mariage polygamique
en France, parce que l’ordre public français s’y oppose : c’est l’effet radical.
En revanche, si un camerounais contracte mariage avec plusieurs conjointes au
Cameroun et décide ensuite d’aller vivre avec elles en France, le droit français ne déniera pas
la qualité d’épouse à chacune d’elles. C’est l’effet atténué de l’ordre public. Toutefois,
contrairement à certains pays comme la France où l’on peut observer l’effet radical et l’effet
atténué de l’ordre public, au Cameroun, seul l’effet radical serait admis. Par exemple, aucun
mariage homosexuel ne peut être célébré au Cameroun, et aucun mariage homosexuel célébré
à l’étranger ne peut produire des effets au Cameroun.
Finalement, chaque fois que le juge camerounais sera confronté à l’application d’une
loi qui heurterait les conceptions fondamentales de notre société, il devrait avoir un double
reflexe à savoir : tout d’abord que l’ordre public a pour aspect négatif d’évincer la loi
étrangère normalement compétente, ensuite que l’ordre public a pour aspect positif de
substituer à la loi étrangère, la loi du for, c’est –à-dire sa propre loi. Il en ira de même si la loi
étrangère désignée par la règle de conflit résulte d’un mécanisme de fraude.
46
Paragraphe 2 : L’exception de fraude à la loi
Pour qu’il y ait fraude à la loi, il faut d’une part, un élément matériel, notamment
l’utilisation volontairement déguisée d’une règle de conflit. Ce qui suppose que la règle de
conflit soit fondée sur un élément de rattachement dont la localisation dépend de façon directe
ou indirecte de la volonté de l’individu. Ainsi donc, la fraude à la loi ne se conçoit que dans
les statuts dont les parties sont à même de modifier les facteurs de rattachement utilisés. C’est
le cas pour le statut personnel (où l’on peut modifier la nationalité, le domicile et la
résidence), pour le statut réel (où l’on peut modifier la localisation d’un meuble), pour le lieu
de conclusion d’un acte, pour l’autonomie de la volonté (au cas où on limiterait le choix des
parties entre les lois présentant des liens objectifs effectifs avec le contrat), pour le conflit de
juridiction.
D’autre part, il faut un élément intentionnel, c’est-à-dire l’intention d’éluder la loi,
d’échapper à une disposition impérative de la loi normalement applicable. L’intention de
changer la loi applicable doit être le but du changement du facteur de rattachement ; il faut
démontrer donc l’intention des parties d’échapper à la loi normalement compétente.
L’intention de fraude dont l’existence est appréciée souverainement par les juges du fond
existe, lorsque les actes ou circonstances volontaires qui rendent applicable une loi étrangère
ont eu pour cause déterminante le désir d’échapper à une disposition légale impérative. Mais
la grande difficulté est de départager la fraude à la loi et les effets de la liberté des parties de
se placer même volontairement mais sans fraude, sous l’empire de la loi qu’elles veulent
rendre applicable en vertu des règles de Droit International Privé. Il ne faut pas aller jusqu’à
donner au juge la mission de scruter les consciences et de voir l’illégalité là où il ne peut que
constater, de bon ou de mauvais gré, l’application volontaire non frauduleuse des normes du
conflit de lois.
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B- La sanction de la fraude à la loi
Alors qu’en droit interne, la sanction de la loi a pour effet de détruire complètement
l’acte qui en est entaché, en Droit International Privé, la sanction n’est pas aussi complète. Il
s’agit de l’inopposabilité d’un acte frauduleux. Mais la difficulté ici est de déterminer ce qui
est inopposable. Est-ce l’acte frauduleux tout entier ou seulement les conséquences
frauduleuses que l’intéressé se proposait de lui faire produire ?
La doctrine pense que « la sanction frappant l’ensemble de l’acte frauduleux présente
l’avantage d’être à la fois mieux adaptée et d’une mise en oeuvre facile. C’est à elle que la
Cour de cassation s’est ralliée, puisque dans l’arrêt illustratif, (l’affaire de la Princesse de
Bauffremont), elle affirme que la princesse est demeurée française». Dans cet ordre d’idées,
non seulement la naturalisation intervenue en fraude à la loi française est dépourvue de toute
valeur juridique en France, mais surtout, les juges français ont refusé de reconnaître le divorce
et le remariage de la princesse, puisqu’il s’agissait des conséquences du but de l’acte
frauduleux.
Par ailleurs, la conception classique limitait la sanction de fraude à la loi au cas où
c’est l’application de la loi du for qui est éludée; une conception plus moderne, retient
l’exception de la fraude à la loi étrangère au moins dans l’hypothèse où la fraude à la loi a
consisté à éluder la loi étrangère normalement compétente au profit non de la loi du for mais
d’une autre loi étrangère.
48
DEUXIÈME PARTIE :
LE PROCÈS CIVIL INTERNATIONAL : LES CONFLITS DE JURIDICTIONS
Dans son sens le plus large, l’expression « conflits de juridictions » désigne le droit
judiciaire privé applicable à un litige comportant des éléments internationaux ou, à tout le
moins, un élément d’extranéité. Si en droit judiciaire privé interne pour exercer une action en
justice, la principale difficulté à résoudre est celle de la compétence de la juridiction à saisir,
en droit international judiciaire privé, l’exercice d’une action en justice se complique
d’avantage en raison de l’existence d’un élément d’extranéité. L’enjeu, de toute évidence,
n’est pas le même : dire qu’un tribunal est compétent pour connaître d’un litige est autre
chose que déterminer la loi qui sera appliquée à ce litige. C’est ce qui fait toute la particularité
de l’action en justice dans les rapports internationaux de droit privé. Ainsi compris, les
conflits de juridictions peuvent englober des questions de conflits de lois ou des questions
relatives à la condition des étrangers, notamment l’obligation pour le demandeur étranger de
fournir une caution devant un tribunal. Mais, c’est plutôt une conception réduite qui est
généralement retenue. Les conflits de juridictions concernent en amont, la détermination de la
juridiction compétente et en aval, la détermination des conditions d’efficacité des jugements
étrangers. L’instance, à quelques exceptions, reste soumise à la lex fori.
Au Cameroun, pour rendre compte de la théorie générale des conflits de juridictions,
il faut recourir fondamentalement au code civil français dans sa version applicable en France
jusqu’au 1er janvier 1960 pour ce qui concerne certains aspects de la détermination de la
juridiction compétente, et à la loi n°2007/001 du 19 avril 2007 instituant le juge du
contentieux de l’exécution et fixant les conditions de l’exécution au Cameroun des décisions
judiciaires et actes publics étrangers ainsi que les sentences arbitrales étrangères. Même
éparpillées dans plusieurs supports, les dispositions sur les conflits de juridictions conservent
une certaine cohérence cristallisée autour de la réception du droit français. En effet, les
solutions retenues sont celles du droit français (à l’exclusion du droit communautaire
européen) applicables au Cameroun en vertu du principe de la continuité législative contenues
dans les dispositions constitutionnelles transitoires depuis les indépendances. Suivant le
schéma classique qui combine les deux principales questions des conflits de juridictions, on
examinera successivement la compétence internationale des juridictions nationales (titre 1) et
les effets des jugements étrangers (titre2).
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TITRE 1 :
LA COMPETENCE INTERNATIONALE DES JURIDICTIONS
NATIONALES
CHAPITRE 1 :
LA DETERMINATION DE LA JURIDICTION COMPETENTE
A propos de l’aspect matériel, les articles 14 et 15 ont une portée générale s’étendant à
toutes les matières. La première chambre civile de la Cour de cassation l’a rappelé dans l’arrêt
du 27 Mai 1970, Weiss C. Soc. Atlantic Electric et autres3 en ces termes : « Vu l’article 14 du
code civil. Attendu que ce texte, qui permet au plaideur français d’attraire devant les
juridictions françaises, a une portée générale s’étendant à toutes matières, à l’exclusion des
actions réelles immobilières et demandes en partage, portant sur des immeubles situés à
l’étranger, ainsi que des demandes relatives à des voies d’exécution… ». Il s’agit d’une
interprétation extensive du domaine matériel de l’article 14 par rapport à la lettre du Code
civil. Alors que le Code civil ne vise que l’exécution des « obligations contractées », la
jurisprudence va plus loin et vise d’autres litiges. Cependant, trois types de litiges échappent
au domaine d’application matériel des articles 14 et 15 du code civil : les actions réelles
immobilières et les demandes en partage portant sur des immeubles situés à l’étranger et aux
voies d’exécution pratiquées à l’étranger4. Dans les mêmes limites, l’article 15 permet à tout
demandeur étranger de citer au Cameroun tout défendeur camerounais. De nombreuses
applications de cette interprétation ont été faites En matière de divorce, de responsabilité
délictuelle, de contribution aux charges du ménage, de contrat de travail.
Pour le contrat de travail particulièrement, en raison de la multiplicité des points de
rattachement qui peuvent exister, Paul LARGARDE souligne que : e« si le travail est exécuté
dans un établissement situé à l’étranger ou si, le travail étant exécuté hors de tout
établissement, le contrat a été conclu à l’étranger, la compétence des tribunaux français ne
peut se fonder que sur la nationalité française du salarié, c’est-à-dire sur les articles 14 et 15
du code civil auxquels il est possible de renoncer ».
51
de dire que cette expression doit être interprétée de façon large, comprenant l’application des
règles de compétence réservées aux Français ».
L’hypothèse d’un changement de nationalité soulève la question de savoir, à quel
moment se placer pour tenir compte de la nationalité camerounaise. A cette question, la
jurisprudence répond que la qualité de camerounais de l’une des parties au litige doit
s’apprécier au jour de l’introduction de l’instance.
Paragraphe 2 : Le caractère non impératif des règles posées par les articles 14 et
15
Sur le caractère non impératif des règles posées par les articles 14 et 15 du code civil,
il convient de relever à ce niveau que le juge ne peut les appliquer d’office (A) et leurs
bénéficiaires ont toujours la faculté d’y renoncer (B).
Les deux formes de renonciation sont d’une part, la renonciation par convention et
d’autre part la renonciation par action en justice à l’étranger.
La première résulte généralement de l’insertion dans le contrat d’une clause attributive
de juridiction à un tribunal étranger ou d’une clause compromissoire attribuant compétence à
un arbitre.
La renonciation peut aussi résulter pour le demandeur, de l’exercice d’une action en
justice devant un tribunal étranger17. La Cour de cassation l’a martelé dans des arrêts
relativement récents : « que l’article 14 n’ouvre au demandeur français qu’une simple faculté
et n’édicte pas à son profit une compétence impérative, exclusive de la compétence indirecte
d’un tribunal étranger déjà saisi et dont le choix de la juridiction n’a pas été frauduleux18 ».
Il faut en conclure que, si une juridiction étrangère a été préalablement saisie, le juge français
(camerounais) ne pourra plus retenir une compétence exclusive fondée sur la nationalité
52
française du demandeur mais devra rechercher si le juge étranger avait des liens caractérisés
avec le litige et si sa saisine n’était pas frauduleuse.
Pour le défendeur, la renonciation est quelque peu délicate. On se demande si le fait
pour le défendeur camerounais d’opposer l’incompétence du juge étranger est généralement
considéré comme manifestant sa volonté de ne pas renoncer au bénéfice de ce texte. Mais
doit-on déduire a contrario que le fait de n’avoir pas opposé l’incompétence emporte
renonciation ? La jurisprudence ici est moins catégorique que dans le cas de l’article 14. Dès
lors, il n’y a renonciation au bénéfice de l’article 15 que si les deux parties ont accepté. Dans
une affaire du 7 Décembre 1971, la Cour de Cassation a précisé que « le seul fait de la
nationalité française de la compagnie d’assurance justifie la compétence des tribunaux
français à l’égard de l’assureur et de l’assuré, même si l’accident est survenu en Algérie où
sont domiciliés l’assuré et le demandeur victime de l’accident ».
Un rapport international de droit privé peut faire l’objet d’un certain nombre
d’aménagements, notamment en ce qui concerne sa structuration mais aussi, en ce qui
concerne tout litige qui pourrait en naître. Ces aménagements, généralement sous la forme de
clauses, désignent l’ordre juridictionnel étatique compétent, et sont très fréquents dans les
contrats internationaux. Tant sous la forme de clauses attributives de juridiction ou sous la
forme de clauses compromissoires, elles permettent aux parties de conférer ou d’étendre la
compétence d’une juridiction donnée.
Une clause attributive de compétence est « une disposition contractuelle confiant le
règlement du litige à une juridiction sans qualité pour en connaître, qu’il s’agisse de
compétence d’attribution ou de compétence territoriale »32. Ainsi définie, la clause attributive
de compétence est une expression de la volonté des parties à l’occasion du contrat qui les lie.
Il est tout de même nécessaire de souligner que pour emporter des effets juridiques, elle doit
être reconnue valable selon la loi du tribunal saisi et obéir aux conditions de fond et de forme
requises par le droit commun des contrats.
54
Dans cet ordre d’idées, on aurait pu, à défaut d’élaborer des règles de conflit pour les
juridictions traditionnelles, permettre tout au moins aux parties d’y recourir en utilisant une
clause attributive de compétence. En effet, on sait que dans le domaine des conflits de
juridictions, l’ignorance de la coutume est totale. Depuis l’arrêt ZAMBO, la Cour suprême du
Cameroun a décidé que « les étrangers ne peuvent comparaître devant les juridictions
traditionnelles ». Les conflits de coutumes ne peuvent alors se poser qu’entre des
camerounais. C’est dans ce sens que le décret de 1969 prévoit des solutions aux conflits de
coutumes. Pourtant, le Cameroun, synthèse de l’Afrique, regorge des coutumes qu’on
retrouve dans d’autres pays africains. Les coutumes Fang Béti par exemple s’étendent au
Gabon et en Guinée Equatoriale. Il s’agit d’un « cousinage juridique36 » qu’on aurait dû
prendre en considération dans l’élaboration d’un « droit commun futur » afin de donner aux
juridictions traditionnelles un rôle important dans le règlement des litiges internationaux.
La clause compromissoire est une clause insérée dans un contrat, par laquelle les
parties s’engagent à recourir à l’arbitrage pour les différends qui surgiraient entre elles. Elle
doit être appréhendée dans l’ensemble plus grand de la convention d’arbitrage, incluant la
clause d’arbitrage et le compromis d’arbitrage. L’aspect volontaire y est prépondérant, mais la
validité d’une telle convention est conditionnée par l’arbitrabilité ou non du litige. En droit
camerounais, deux conditions essentielles sont requises : la libre disponibilité de leurs droits
par les parties et l’absence d’une contestation communicable au ministère public39.
L’hypothèse de la clause compromissoire est pleinement justifiée, étant donné que la
compétence de la juridiction étatique ou arbitrale étrangère qui a rendu une décision, peut se
trouver remise en cause devant le juge étatique, au moment d’en réclamer les effets par le
biais de l’exequatur.
55
CHAPITRE 2 :
LA DÉTERMINATION DE LA LOI APPLICABLE À LA PROCÉDURE DANS
UN LITIGE INTERNATIONAL
La loi de procédure, applicable dans les conflits de juridictions est la lex fori, c'est-à-
dire la loi du juge saisi. Cette solution, est de prime abord compréhensible, car la procédure
est une règle de l’organisation du service public de la justice. C’est donc en soi une règle
substantielle et un juge ne peut jamais renvoyer à une procédure étrangère. La seule difficulté
est de départager, ce qui, dans le cours du procès, relève du fond, et ce qui relève de la
procédure au sens strict. Ainsi, en pratique, à propos de la procédure, il se pose un problème
de qualification, car il faut dire si la question qui fait difficulté est une question de pure
procédure ou s’il s’agit d’une question de fond. Il importe donc d’envisager le domaine de la
lex fori à l’introduction de la demande (section 1), au cours de l’instance (section 2), aux
effets du jugement (section 3).
L’exercice du droit d’action par une demande, est subordonné à différentes conditions,
lesquelles sont sanctionnées par une irrecevabilité ou une fin de non-recevoir. La qualification
procédurale ou substantielle des principales conditions demande à être précisée, car elles ne
sont pas sans lien avec le droit lui-même : la capacité pour agir, l’intérêt et la qualité, les
délais.
- La capacité pour agir en justice est une question qui échappe à la loi de la
procédure, c'est-à-dire à la lex fori. Elle est en effet soumise à la loi personnelle du défendeur
ou demandeur ;
- Parce que l’exigence d’un intérêt pour agir vise à couper court aux contestations
inutiles, et à désencombrer les tribunaux, elle est de nature procédurale et relève donc de la
lex fori ;
- La qualité pour agir relève de la loi personnelle du justiciable ;
- Les délais qui jalonnent la procédure et qui ont pour objet d’assigner un laps de
temps aux parties pour accomplir leurs actes, relèvent incontestablement de la loi du for. Il en
est ainsi du délai pour exercer une voie de recours. Il en est autrement, lorsqu’il s’agit du délai
pour exercer l’action en justice elle-même : le délai de prescription. La jurisprudence tend à
soumettre la prescription à la loi qui régit le fond du droit. Elle soumet ainsi la prescription
des actions d’état à la loi personnelle. Celle des actions en nullité, à la loi de l’acte attaqué,
celle des actions contractuelles et extracontractuelles à la loi de l’obligation. La prescription
extinctive des actions réelles sera soumise à la lex rei sitae.
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TITRE 2 :
LES EFFETS DES JUGEMENTS ÉTRANGERS
Parmi les effets que les décisions étrangères peuvent produire au Cameroun, certains
sont soumis à l’octroi d’un exequatur (chapitre 1), d’autres sont au contraire indépendants de
l’exequatur (chapitre 2).
CHAPITRE I :
LES EFFETS DES JUGEMENTS ÉTRANGERS SANS EXEQUATUR
Avant même d’être revêtue de l’exequatur, un jugement étranger n’est pas dépourvu
de tout effet au Cameroun, car il existe certains effets qui sont indépendants de l’exequatur.
Ils peuvent être divisés en deux catégories : la catégorie des effets généraux, en ce sens qu’ils
sont produits par tout jugement étranger (section 1) et la catégorie des effets particuliers aux
jugements d’état (section 2).
Un jugement étranger, quel qu’il soit, n’est pas par lui-même démuni de toute
efficacité : il peut fournir des éléments de preuve (paragraphe 1), il peut justifier un titre
(paragraphe 2) ou donner lieu à des nouvelles situations de fait (paragraphe 3).
Alors même que le jugement étranger est dénué d’autorité au Cameroun en tant que
jugement, il constitue un instrumentum, constatant certains droits et certaines obligations :
c’est donc un titre dont on estime qu’il ne saurait avoir moins de valeur qu’un acte sous seing
privé, et qui peut ainsi être invoqué au Cameroun à certaines fins. S’il constate une créance, il
servira par exemple de titre pour provoquer une procédure collective ou pour solliciter des
mesures conservatoires (ex : la désignation d’un séquestre) et en particulier pour pratiquer une
saisie. On peut également rattacher à l’effet de titre, le fait qu’une partie puisse intenter devant
le juge camerounais, une action principale, ayant le même objet, en produisant le jugement
étranger à l’appui de sa demande. Il pourra s’agir d’une action en référé, l’urgence expliquant
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que le demandeur ne sollicite pas l’exequatur. De même, le jugement étranger dépourvu
d’exequatur peut constituer la cause légitime d’un contrat en vue de son exécution.
Section 2 : Les effets propres aux jugements relatifs à l’état et à la capacité des
personnes
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CHAPITRE 2 :
LES EFFETS DES JUGEMENTS ÉTRANGERS NECESSITANT
L’EXEQUATUR
Lorsqu’un jugement est rendu à l’étranger et qu’il doive produire des effets au
Cameroun, la partie qui a obtenu le jugement doit solliciter l’exequatur, afin de rendre
efficace cette décision obtenue à l’étranger40. L’exequatur est la décision par laquelle un
tribunal camerounais donne aux jugements et actes publics étrangers, force exécutoire au
Cameroun. Seulement, comme on l’a vu plus haut, la demande d’exequatur n’est pas une
condition sine qua non d’efficacité des jugements étrangers, étant donné que le Cameroun
pratique la distinction qui existe en droit français entre les jugements extrapatrimoniaux et les
jugements constitutifs d’une part, et les jugements déclaratifs patrimoniaux d’autre part, les
premiers bénéficiant de plein droit de l’autorité de la chose jugée41. Ainsi, les jugements
constitutifs ou relatifs à l’état et à la capacité des personnes produisent leurs effets
indépendamment de l’exequatur42. Par contre, pour les jugements ne rentrant pas dans ce
domaine, une procédure d’exequatur est nécessaire. Depuis l’arrêt Munzer43, une évolution44
s’est opérée, et il est désormais acquis que si les conditions d’introduction de la requête
d’exequatur sont remplies (Section 1), le juge se limite au cours de l’instance, à trois
recherches : la compétence du juge étranger, la compétence de la loi appliquée, la non
contrariété à l’ordre public et l’absence de fraude à la loi (section 2). Ces recherches vont le
conduire à prononcer un jugement d’exequatur (section 3).
La loi de 2007 sur le juge de l’exequatur prévoit quatre conditions. L’article 6 dispose
: « En matière civile, commerciale ou sociale, la partie qui sollicite la reconnaissance ou
l’exequatur d’une décision judiciaire étrangère doit saisir le juge du contentieux de
l’exécution du lieu où l’exécution est envisagée d’une requête accompagnée :
1- d’une expédition de la décision réunissant les conditions nécessaires à son
authenticité ;
2- de l’original de l’exploit de signification de la décision ou de tout autre acte qui
tient lieu de signification ;
3- d’un certificat du greffier constatant qu’il n’existe contre la décision ni opposition,
ni appel ;
4- le cas échéant, d’une copie de la citation ou de la convocation de la partie qui a fait
défaut à l’instance, copie certifiée conforme par le greffier de la juridiction qui a rendu la
décision, et toutes pièces de nature à établir que cette citation ou convocation l’a atteinte à
temps.
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Paragraphe 1 : Le contrôle de la compétence du juge étranger
Les conditions dans lesquelles le juge étranger doit être reconnu compétent ont été
précisées par l’arrêt SIMITCH. Toutes les fois que la règle française de solution des conflits
de juridictions n'attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français, le tribunal
étranger doit être reconnu compétent, si le litige se rattache d'une manière caractérisée au
pays dont le juge a été saisi, et si le choix de la juridiction n'a pas été frauduleuse. Le juge de
l’exequatur ayant l’obligation de vérifier la compétence internationale indirecte du juge
étranger devait, lorsque le défendeur à l’instance en exequatur, de nationalité française, se
prévalait de cet article 15, sans y avoir renoncé, rejeter la demande, dès lors qu’il existait une
compétence exclusive de la juridiction française. Mais le 23 mai 2006, la première chambre
civile a mis fin à cette interprétation en jugeant que « l’article 15 du code civil ne consacre
qu’une compétence facultative de la juridiction française, impropre à exclure la compétence
indirecte d’un tribunal étranger, dès lors que le litige se rattache de manière caractérisée à
l’Etat dont la juridiction est saisie et que le choix de la juridiction n’est pas frauduleux ».
Désormais, le défendeur français ne pourra plus invoquer le privilège de juridiction
pour s’opposer à une demande d’exequatur, si le litige se rattache de manière caractérisée à
l’Etat de la juridiction saisie et si le choix de la juridiction n’a pas été frauduleux. On peut
interpréter l’article 7 alinéa1 de la loi de 2007 sur le juge de l’exequatur, dans ce sens,
lorsqu’il dispose que le juge se borne à vérifier que : « la décision émane d’une juridiction
compétente dans son pays d’origine ». D’ailleurs, l’accord de coopération judiciaire franco-
camerounais46 précise que la compétence du juge étranger doit être déterminée « d’après les
règles de conflits de l’Etat requis, sauf renonciation de la partie intéressée ».
Le contrôle de la loi appliquée au fond du litige est problématique parce que cette loi
est déterminée d’après les règles de conflit du juge étranger, auteur de la décision.
L’opportunité d’un tel contrôle est discutée. La doctrine pense que dans le conflit de
juridiction, le juge n'élabore pas une décision, il accepte ou non une décision étrangère. Mais
en droit privé la décision n'est jamais que la réalisation de la règle. La décision tient sa valeur
de la règle, c'est de sa conformité à la règle que la décision tient sa valeur. Le juge français
(camerounais) n'est pas juge du recours contre la loi étrangère. La bonne réalisation de la
règle en droit international privé est la réalisation de la règle de conflit. Selon une autre idée
doctrinale, la seule question qui doit être examinée est la compétence indirecte. Cela restreint
le contrôle à l'élimination des décisions qui reposent sur des fors artificiels.
Ce qui est important c'est le contenu de la décision étrangère qui consiste en la
compatibilité entre la loi appliquée et la règle de conflit du for. Il est peut-être légitime de
contrôler la loi appliquée, mais il n'est pas toujours certain qu'il soit opportun de le faire. La
loi camerounaise de 2007 ne fait pas du contrôle de la compétence de la loi appliquée, une
condition de demande d’exequatur. A notre sens, un tel contrôle est nécessaire.
Quoi qu’il en soit, on doit indiquer tout de même que le contrôle de la loi appliquée se
limite à un contrôle international de cette loi. C'est-à- dire que le juge camerounais contrôle si
le juge étranger a appliqué la législation désignée par sa règle de conflit, mais il ne contrôle
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pas comment le juge étranger a appliqué cette loi. Lorsque la règle de conflit change, le
contrôle de conformité s'effectue au regard de la règle de conflit en vigueur au moment où le
juge étranger statue, comme l’a indiqué l’arrêt GIROUX. Il arrive que la loi appliquée soit
différente de celle désignée par la règle de conflit française. La décision peut être reconnue en
France si elle conduit à des résultats équivalents à ceux qui auraient résulté de l'application de
la loi désignée par la règle de conflit française. C’est la solution de l’arrêt DRICHEMONT50
qui a été reprise dans l’accord de coopération judiciaire franco-camerounais.
L’article 34 (f) de cet accord dispose : « l’exequatur ne peut être refusé pour la seule
raison que la juridiction d’origine a appliqué une loi autre que celle qui aurait été applicable
d’après les règles de conflits de l’Etat requis, sauf en ce qui concerne l’état ou la capacité des
personnes. Dans ces derniers cas, l’exequatur ne peut être refusé si l’application de la loi
désignée par ces règles eût abouti au même résultat ». Il s’agit du recours à la théorie de
l’équivalence. Fondée sur le refus du légalisme formel et sur le souci d’apprécier la situation
de manière concrète, la théorie de l’équivalence s’apparente à la substitution de motifs.
Après avoir effectué les différents contrôles imposés par la loi, le juge de l’exequatur
qui est le président du tribunal de première instance, constate le résultat de ses vérifications
dans sa décision. L’exequatur peut être accordé partiellement, pour l’un ou l’autre seulement
des chefs de la décision invoquée56. La décision du juge du contentieux de l’exécution ne peut
faire l’objet que d’un pourvoi devant la Cour suprême. La décision refusant l'exequatur
correspond ainsi, dans le cadre camerounais, à une décision rendue en premier et dernier
ressort, parce qu'elle est rendue par le juge d'instance. Sa décision est donc directement
déférée au juge de cassation sans passer par le juge d'appel qui devrait normalement être
l'intermédiaire entre les deux juges. Le souci de célérité peut justifier cette simplification des
voies de recours contre l’ordonnance refusant l’exequatur. On peut craindre que la navette
judiciaire à la Cour suprême ne vienne annihiler ce souci de célérité.
FIN DU COURS
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