Dip 22-23

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UNIVERSITÉ DE MAROUA

FACULTÉ DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES

CYCLE DE MASTER
Option : Droit privé fondamental et Droit des affaires

COURS DE DROIT INTERNATIONAL


PRIVÉ
Master 1 Premier semestre

Par :
Dr Léonard LEMO,
Maitre-Assistant CAMES
Chargé de Cours au Département de Droit privé
FSJP/UMa

Année académique :
2022-2023

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BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE

- BATIFFOL (H.), LAGARDE (P.), Traité de droit international privé, t.1, 8ème édition,
Paris, LGDJ, 1993, 656 p.

- COURBE (P.), Droit international privé, 2ème édition, Paris, Armand Colin, 2003, 388 p.

- DAVID (C.), La loi étrangère devant le juge du fond, Paris, Dalloz, 1965, 336 p.

- DERRUPPE (J.), Droit international privé, 14ème édition, Paris, Dalloz, 2001, 182 p.

- DJUIDJE (B.), Pluralisme juridique camerounais et droit international privé, Paris,


L’Harmattan, 1999, 432 p.

- HENRY (L. – C), L’essentiel du droit international privé, Paris, Gualino éditeur, 2005, 92 p.

- LAGARDE (P.), Recherches sur l’ordre public en droit international privé, Paris, LGDJ,
1959, 254 p.

- MAJOROS (F.), Le droit international privé, 4ème édition, Paris, PUF, 1997, 127 p.

- MAYER (P.), HEUZE (V.), Droit international privé, Paris, Montchrestien, 8ème édition,
2004, 784 p.

- MONEGER (F.), Droit international privé, Paris, Litec, 2ème édition, 2003, 268 p.

- MELIN (F.), La connaissance de la loi étrangère par les juges du fond, PUAM, 2002, 379
p.

- NIBOYET (M-L.) et GEOUFFRE de la PRADELLE (G.), Droit international privé, Paris,


LGDJ, 5e éd., 2015, 712 p.

- LOUSSOUARN (Y.), BOUREL (P.), DE VAREILLES-SOMMIERES, Droit international


privé, Paris, Dalloz, 8ème édition, 2004, 979 p.

- OMGBA MBARGA (A. B.), Le domaine du renvoi en droit international privé, Les
Editions Universitaires Européennes, 2011, 360 p.

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PLAN DU COURS

Introduction générale
I- Le vocabulaire usuel du droit international privé
II- La définition du droit international privé
A- L’objet du droit international privé
B- Le domaine du droit international privé
C- Les règles de rattachement du droit international privé
III- Les sources du droit international privé
A- Les sources internes
B- Les sources internationales

PREMIÈRE PARTIE : LES RELATIONS PRIVÉES INTERNATIONALES : LES


CONFLITS DE LOIS

Titre 1 : Les méthodes de raisonnement en matière de conflits de lois


Chapitre 1 : La méthode bilatérale ou bilatéralisme
Section 1 : L’exposé de la méthode bilatérale
Paragraphe 1 : Le recours à la règle de conflit
A- Les caractères de la règle de conflit
B- Les fonctions de la règle de conflit
Paragraphe 2 : La désignation d’un ordre juridique
Section 2 : La critique de la méthode bilatérale
Paragraphe 1 : Le contenu de la critique
A- La complexité de la méthode conflictuelle
B- L’incertitude et l’imprévisibilité de la méthode conflictuelle
C - L’excès et l’insuffisance d’internationalisme de la méthode conflictuelle
Paragraphe 2 : La relativisation de la critique
Chapitre 2 : La méthode unilatérale ou unilatéralisme
Section 1 : Les lois de police ou d’application immédiate
Paragraphe 1 : Les critères d’identification des lois de police
A- Le critère formel
B- Le critère fonctionnel
Paragraphe 2 : L’application des lois de police
A- L’application des lois de police par le juge
B- L’éviction des lois de police par les parties
Section 2 : Les règles matérielles ou substantielles
Paragraphe 1 : Les raisons de l’édiction des règles matérielles
A- L’adaptation à l’internationalité des situations juridiques
B- L’harmonisation des législations des Etats
Paragraphe 2 : Les différentes catégories de règles matérielles
A- Les règles matérielles nationales
B- Les règles matérielles internationales
Titre 2 : Les techniques de raisonnement en matière de conflits de lois
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Chapitre 1 : La qualification
Section 1 : L’origine du conflit de qualification
Paragraphe 1 : Les arrêts classiques
A- La succession du Maltais
B- Le testament du hollandais
C- Le mariage du Grec orthodoxe
Paragraphe 2 : Les solutions proposées pour le conflit de qualification
A- La qualification lege fori
B- La qualification lege causae
Section 2 : Les techniques de qualification
Paragraphe 1 : La qualification dans les ordres juridiques simples
A- L’analyse est faite lege causae
B- Le jugement est fait lege fori
Paragraphe 1 : La qualification dans les ordres juridiques complexes
A- L’hypothèse des ordres juridiques pluralistes égalitaires
B- L’hypothèse des ordres juridiques pluralistes hiérarchisés
Chapitre 2 : Le rattachement
Section 1 : Le problème du renvoi
Paragraphe 1 : L’admission du renvoi
A- Les origines et l’évolution du renvoi
B- La controverse sur le renvoi
Paragraphe 2 : Le domaine du renvoi
A- L’exclusion du renvoi dans les matières relevant de la loi d’autonomie
B- L’exclusion du renvoi en matière de forme des actes juridiques et la problématique
des rattachements alternatifs
Section 2 : Le problème du conflit mobile
Paragraphe 1 : Notion et domaine du conflit mobile
A- La notion de conflit mobile
B- Le domaine du conflit mobile
Paragraphe 2 : Les solutions au conflit mobile
A- Le recours à la théorie des droits acquis
B- Le recours à l’interprétation de la règle de conflit
Chapitre 3 : La mise en oeuvre de la règle conflit
Section 1 : L’autorité de la règle de conflit
Paragraphe 1 : L’autorité de la règle de conflit à l’égard du juge : la question de
l’application d’office de loi étrangère
A- L’autorité de la règle de conflit en fonction de la nature des lois désignées : l’arrêt
BISBAL
B- L’autorité de la règle de conflit en fonction de la nature des droits litigieux : l’arrêt
Société Mutuelles du Mans
Paragraphe 2 : L’autorité de la règle de conflit à l’égard des parties : la question de
l’accord procédural
A- L’acceptation de l’accord procédural en jurisprudence
B- Les difficultés soulevées par l’accord procédural
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Section 2 : La condition de la loi étrangère
Paragraphe 1 : La preuve de la loi étrangère
A- La charge de la preuve
B- Les moyens de preuve
C- La sanction du défaut de preuve
Paragraphe 2 : Le contrôle par la Cour suprême de l’application de la loi étrangère
A- Le principe
B- Les exceptions
Section 3 : L’éviction de la loi étrangère
Paragraphe 1 : L’exception d’ordre public
A- La notion d’ordre public en droit international privé
B- Les effets de l’ordre public
Paragraphe 2 : L’exception de fraude à la loi
A- Les éléments constitutifs de la fraude à la loi
B- La sanction de la fraude à la loi

DEUXIÈME PARTIE : LE PROCÈS CIVIL INTERNATIONAL : LES CONFLITS DE


JURIDICTIONS

Titre 1: La compétence internationale des juridictions nationales


Chapitre 1 : La détermination de la juridiction compétente
Section 1 : La compétence fondée sur la nationalité camerounaise
Paragraphe 1 : Le domaine d’application des articles 14 et 15 du code civil
A- Le domaine d’application quant aux actions
B- Le domaine d’application quant aux personnes
Paragraphe 2 : Le caractère non impératif des règles posées par les articles 14 et 15 du
code civil
A- L’inapplicabilité d’office des articles 14 et 15 du code civil
B- La faculté de renoncer au bénéfice des articles 14 et 15 du code civil
Section 2 : La compétence fondée sur le territoire
Section 3 : La compétence fondée sur la volonté des parties
Chapitre 2 : La détermination de la loi applicable à la procédure dans un litige international
Section 1 : Le domaine de la lex fori à l’introduction de la demande
Section 2 : Le domaine de la lex fori au cours de l’instance
Section 3 : Le domaine de la lex fori relatif aux effets du jugement
Titre 2 : Les effets des jugements étrangers
Chapitre 1 : Les effets des jugements étrangers sans exequatur
Section 1 : Les effets généraux
Paragraphe 1 : La force probante
Paragraphe 2 : L’effet de titre et la juste cause
Paragraphe 3 : L’effet de fait
Section 2 : Les effets propres aux jugements relatifs à l’état et à la capacité des
personnes
Chapitre 2 : Les effets des jugements étrangers nécessitant l’exequatur
Section 1 : Les conditions de l’exequatur
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Section 2 : La procédure d’exequatur
Paragraphe 1 : Le contrôle de la compétence du juge étranger
Paragraphe 2 : Le contrôle de la loi appliquée au fond
Paragraphe 3 : Le contrôle de la non-contrariété à l’ordre public et de l’absence de
fraude
Section 3 : Le jugement d’exequatur
Conclusion

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INTRODUCTION GÉNÉRALE
Il est devenu classique pour introduire l’étude du droit international privé, de prendre
l’exemple d’une histoire de princesse, celle du mariage de la princesse Maria Christina de
Bourbon avec le sieur Patino, appelée communément « affaire Patino » (Cass. Civ., 15 Mai
1963, Clunet 1963, p. 1016, note Ph. MALAURIE, RCDIP 1964, p. 506, note P. LAGARDE).
Si cette histoire qu’on conte aux générations d’apprenants de droit international privé n’est
pas assez « mystérieuse » pour qu’on la rappelle tout le temps, elle constitue pour les
spécialistes de la matière, un sujet de délectation, tant est remarquable, « l’extrême diversité
des questions posées ainsi que la qualité des réponses qui leur ont été apportées ». C’est
pourquoi, les faits de l’espèce méritent d’être rappelés. Un bolivien du nom de Patino épouse
à Madrid en Espagne le 08 Avril 1931 une espagnole, la princesse Maria Christina de
Bourbon. Celle-ci devient bolivienne par le biais du mariage. Le couple vit tantôt aux Etats-
Unis, tantôt en France. Après plusieurs années de mariage, le mari demande le divorce en
France et il est débouté. Il le demande au Mexique (ce qu’on appelait « le divorce en une
heure ») et l’obtient à son profit. La femme, par la suite, demande la séparation de corps en
France. De ces faits, il ressortait un certain nombre de questions importantes :
Première question : La séparation de corps demandée par la femme peut-elle être
prononcée alors qu’elle est connue du droit français et du droit espagnol mais non du droit
bolivien ? Autrement dit, quelle est la loi applicable à cette demande de séparation de corps ?
La loi espagnole, la loi bolivienne ou la loi française? C’est la question du conflit de lois qui
est au cœur du droit international privé.
Deuxième question : Quelle que fut la loi applicable, la demande formée par la
femme était-elle recevable alors qu’un jugement de divorce avait déjà été rendu au Mexique ?
C’est la question de l’effet des jugements étrangers, l’un des aspects du conflit de juridictions.
Troisième question : le tribunal français était-il compétent à l’égard des parties
domiciliées en France en dépit de leur nationalité étrangère ? C’est la question de la
compétence internationale des juridictions nationales dans un litige international, l’autre
aspect du conflit de juridictions.
Quatrième question : En supposant que la loi applicable à la séparation de corps ait
admis son prononcé et que la liquidation du régime matrimonial ait entrainé la mise en jeu
d’une hypothèque inscrite par la femme sur les immeubles de son mari en France, la
nationalité étrangère de la femme ne s’opposait-elle pas à ce qu’elle puisse s’en prévaloir à
l’encontre du créancier français du mari ? C’est la question de la condition des étrangers qui
se trouve ainsi posée.
Cinquième question : A partir du moment où les problèmes posés au juge
dépendaient de la nationalité des parties, comment aurait-il pu trancher le litige si celle d’une
partie donnait lieu à contestation ? C’est le problème de la détermination de la nationalité qui
surgirait. Pour résoudre toutes ces questions, il faut procéder à une mise au point tant sur le
vocabulaire usuel du droit international privé (I), la définition du droit international privé (II),
que sur ses sources (III).

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I- Le vocabulaire usuel du droit international privé

En droit international privé, certaines expressions et certains mots nécessitent d’être


maîtrisés pour la compréhension de la matière. Il s’agit notamment :
- Litige comportant un élément d’extranéité : c’est un litige porté devant un juge et qui
contient un élément qui lui est extérieur. Cet élément peut-être la nationalité des parties, le
domicile des parties, le lieu de passation d’un acte, le lieu de réalisation d’un dommage etc.
- Règle de conflit ou règle de rattachement : c’est une règle abstraite composée de la
catégorie de rattachement, du facteur de rattachement et de la loi applicable.
- Catégorie de rattachement : c’est la case dans laquelle on range les situations
juridiques pendant la qualification. Comme en droit interne il y a trois catégories de
rattachement en droit international privé : les personnes, les biens et les obligations.
- Facteur ou élément de rattachement ou point de rattachement : c’est l’élément qui
permet de rattacher la catégorie à un ordre juridique.
- Loi applicable : c’est la loi désignée par la règle de conflit. On dit « applicable »
parce qu’à la fin cette loi peut ne pas s’appliquer comme on verra avec les hypothèses de
fraude à la loi et d’exception d’ordre public.
- Lex fori : c’est la loi du juge saisi, la loi du for, c’est-à-dire le juge devant qui est
porté le litige comportant un élément d’extranéité.
- Lex causae : c’est la loi étrangère, c’est-à-dire étrangère au juge saisi du litige.
- Qualification lege fori : selon la lex fori.
- Qualification lege causae : selon la lex causae.
- Locus regit actum : loi du lieu de passation d’un acte pour sa forme.
- Lex rei sitae : loi du lieu de situation d’un bien.
- Loi d’autonomie : loi choisie par les parties.
- Loi locale : loi du lieu de survenance d’un fait ou de passation d’un acte.
- Lex loci delicti : loi du lieu de survenance d’un dommage.

II- La définition du droit international privé

La définition du droit international privé passe par l’identification de son objet (A), de
son domaine (B), et de ses catégories de rattachement (C).

A- L’objet du droit international privé

De par son objet, le droit international privé est défini comme « la matière qui, par un
ensemble de méthodes et de règles juridiques organise le règlement des relations
internationales entre personnes privées ». Il s’agit pour cette matière d’ « organiser », c’est –
à- dire, mettre en place les éléments nécessaires en vue de parvenir à un objectif qui est ici le
règlement des relations privées internationales. L’élément fondamental dans cette définition
est que le droit international privé ne procure pas lui-même les solutions aux questions que
posent les situations internationales, mais il se borne à proposer des outils qui permettront
d’identifier ces solutions. L’objet du droit international privé est de proposer des outils
permettant d’identifier des solutions lorsqu’un juge est saisi d’un litige comportant un
élément d’extranéité.

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Le droit international privé n’est pas un droit privé international qui s’entendrait d’ un
ensemble de règles sécrétées par la communauté des Etats du monde en vue de régir les
relations entre personnes privées comme le droit international public. C’est plutôt un droit
privé interne qui devient international à cause de la présence d’un élément d’extranéité qui
fait douter de la compétence législative ou de la compétence judiciaire. Il n’existe pas de droit
international privé universel. Aussi chaque Etat dispose-t-il de son propre système de droit
international privé, bien qu’on ne puisse pas nier le rôle de plus en plus croissant des
conventions internationales tendant à uniformiser certains aspects de la matière.
Le droit international privé ne s’intéresse donc qu’aux personnes privées, plus
précisément aux relations qui se nouent entre personnes privées. Mais cette approche doit être
nuancée. En effet, le droit international privé à vocation à intégrer dans son champ d’action
certaines relations mixtes, qui mettent aux prises le particulier avec la personne publique,
lorsque cette dernière se comporte comme une personne privée. On peut dire dans une
certaine mesure que le droit international privé est le droit qui, indépendamment de la qualité
publique ou privée des personnes impliquées, règlemente les rapports soumis au droit privé.
Encore faut –il s’entendre sur les matières qui peuvent être concernées par une telle
règlementation : c’est le problème du domaine du droit international privé.

B- Le domaine du droit international privé

L’une des spécificités du droit international privé réside dans le choix entre une
conception large et une conception étroite de la matière. La conception large englobe la
nationalité, la condition des étrangers, les conflits de lois et les conflits de juridictions. La
conception étroite limite le droit international privé au droit des conflits : conflits de lois et
conflits de juridictions. Selon les Etats, le domaine du droit international privé est conçu de
façon plus ou moins extensive. Dans les pays anglosaxons par exemple, il est limité au droit
des conflits de lois et de juridictions. La nationalité et la condition des étrangers relèvent du
droit public pur. En Allemagne et en Italie, la conception du droit international privé est
encore plus restreinte car elle ne s'applique qu'aux conflits de lois, les conflits de juridictions
étant abordés en procédure civile. La conception française quant à elle, est très large
puisqu'elle concerne quatre domaines spécifiques : la nationalité ; la condition des étrangers ;
les conflits de lois ; les conflits de juridictions. Le Cameroun comme la plupart des Etats
d’Afrique noire francophone a adopté la même conception « large » du droit international
privé.
Cependant, le présent cours se limitera à l’étude des conflits de lois et des conflits de
juridictions, non seulement parce que la nationalité et la condition des étrangers sont abordées
en première année de licence dans le cours intitulé « Droit des personnes », mais surtout parce
que la théorie du conflit de lois et la théorie du conflit de juridictions forment les deux piliers
du droit international privé, « le fondement même de la conception du droit international privé
». En appréhendant la matière sous cet angle on perçoit toute sa subtilité et toute sa beauté en
commençant bien évidemment par ses catégories de rattachement.

C- Les catégories de rattachement en droit international privé

Les catégories de rattachement sont les grands domaines auxquels une loi est appelée à
s’appliquer, ce sont les ensembles des rapports sociaux. Puisque le droit international privé est
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d’abord un droit interne qui devient international à cause de la présence d’un élément
d’extranéité, les catégories de rattachement seront les mêmes qu’en droit interne. En droit
interne, on trois catégories de rattachement : les personnes, les biens et les obligations. Ainsi,
tout ce qui a trait aux personnes rentrera dans le statut personnel, ce qui a trait aux biens
rentrera dans le statut réel et tout ce qui a trait aux obligations, dans les règles applicables aux
obligations. Seulement, la particularité du droit international privé par rapport au droit interne,
réside dans la variété des lois correspond à chaque catégorie de rattachement.
Le statut personnel est en principe soumis à la loi nationale de la personne. Il en est
ainsi lorsqu’on envisage le statut personnel uniquement comme intégrant l’état et la capacité
des personnes tel qu’il ressort de l’article 3, alinéa 3, du Code civil français dans sa version
applicable au Cameroun. Mais si on envisage le statut personnel de manière large, on va y
faire entrer également le mariage, la filiation, les régimes matrimoniaux et les successions. A
ce moment, il faudra chercher la loi applicable à chacune de ces matières. Pour le mariage, les
conditions de fond seront soumises à l’application distributive des lois nationales des époux
en présence. Cela veut dire que si un camerounais veut épouser une française, pour les
conditions de fond, on appliquera la loi camerounaise au camerounais et la loi française à la
française. Quant aux conditions de forme, on appliquera la loi du lieu de célébration du
mariage, la lex loci celebrationis, en application de la règle « locus regit actum » qui signifie
que la forme d’un acte est régit par la loi du lieu où il est passé. Mais la « locus regit actum »
a un caractère facultatif, cela veut dire que les futurs époux peuvent décider de célébrer leur
mariage d’après la forme connue dans l’un des deux pays.
Pour la filiation, on va appliquer soit la loi nationale de l’enfant, soit la loi du lieu de
naissance de l’enfant, soit une loi qui assure le mieux l’intérêt de l’enfant.
Pour les régimes matrimoniaux, on va recourir à la loi du domicile commun en
l’absence de nationalité commune des époux ou la loi du juge saisi si les époux n’ont pas le
même domicile.
Pour les successions, l’ouverture de la succession est soumise à la loi nationale du de
cujus.
Le statut réel est soumis à la lex rei sitae, c’est- à- dire la loi du lieu de situation du
bien. Elle a une vocation générale et elle s’applique aussi bien aux immeubles qu’aux
meubles. Mais les meubles peuvent avoir été déplacés. En cas de conflit mobile lorsque le
meuble a été déplacé, relativement à son acquisition, on applique la loi du lieu de situation du
meuble au moment de son acquisition. Pour les effets actuels et futurs on appliquera la loi du
lieu de situation actuelle du bien.
Dans le statut des obligations, il faut trouver la loi applicable en distinguant le contrat
d’une part, et les délits et quasi-délits d’autre part. Pour le contrat, le fond sera soumis à
l’autonomie de la volonté, ce qu’on appelle la loi d’autonomie, la forme sera soumise à la
locus regit actum.
Pour les délits et quasi-délits, a loi applicable est celle du lieu de survenance du délit
ou du quasi-délit. Cette loi s’appelle la lex loci delicti. Mais pour les délits et quasi-délits
survenus en haute mer ou dans les airs, on appliquera la loi du pavillon auquel appartient
l’aéronef ou le navire. Cela s’explique par le fait que le droit international privé est d’abord un
droit interne, comme on constatera d’avantage avec l’étude de ses sources.

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II- Les sources du droit international privé

Lorsqu’on envisage l’étude des sources du droit international privé, il est important de
prime abord de rappeler la controverse qui oppose les tenants du particularisme et ceux de
l’universalisme afin de mesurer leur place respective dans la conception de la matière.
Les particularistes considèrent que chaque pays doit donner des solutions qui lui sont
propres aux problèmes de droit international privé. C’est pourquoi ils estiment que les sources
internes doivent être privilégiées. BARTIN fut en France le représentant de cette tendance.
Les universalistes considèrent au contraire que les questions de droit international
privé concernent la société internationale, et que les solutions doivent se trouver dans les
sources internationales. PILLET a été en France, le fervent défenseur de cette conception.
Aujourd’hui, il est acquis qu’il faut dépasser la controverse et admettre la coexistence
des sources internationales (B) à côté des sources nationales (A) qui quantitativement et
historiquement, sont les plus importantes.

A- Les sources internes du droit international privé

Les sources internes du droit international privé sont, comme pour les autres matières
de droit privé, la loi, la jurisprudence et la doctrine. Mais à la différence des autres matières,
la loi est moins importante que les deux autres sources.

1- La loi

En matière de conflit de lois, on se contente en droit camerounais, de l’article 3 du


code civil français dans sa version d’avant l’indépendance. Cet article dispose : « les lois de
police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire ; les immeubles, même ceux
possédés par des étrangers sont régis par la loi camerounaise ; les lois concernant l’état et la
capacité des personnes régissent les camerounais même résidant en pays étranger ».
En matière de conflit de juridictions, les articles 14 et 15 du Code civil consacrant le
privilège de juridiction fondé sur la nationalité doivent être complétés avec la loi loi
N°/2007/001 du 19 avril 2007 instituant le juge du contentieux de l’exécution et fixant les
conditions de l’exécution au Cameroun des décisions judiciaires et actes publics étrangers
ainsi que les sentences arbitrales étrangères.
Pour la nationalité, il faut se référer à la loi n° 68/LF/3 du 11 juin 1968 portant Code
de la nationalité camerounaise.
Enfin, pour la condition des étrangers, on doit citer la loi n° Loi n° 97/012 du 10
janvier 1997 fixant les conditions d’entrée, de séjour et de sortie des étrangers au Cameroun,
complétée par le décret n° 2000/286 du 12 octobre 2000 précisant les conditions d’entrée, de
séjour et de sortie des étrangers du Cameroun ainsi que la loi n° 2005/006 du 27 juillet 2005
portant statut des réfugiés au Cameroun, complétée par le décret n° 2011/389 du 28 novembre
2011 portant organisation et fonctionnement des organes de gestion du statut des réfugiés et
fixation des règles de procédure.

2- La jurisprudence

La jurisprudence occupe une place importante dans la construction du droit


international et il n’est pas abusif de dire qu’il s’agit d’un droit jurisprudentiel. Toutes les
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solutions apportées aux grandes questions évoquées dans cette matière se rattachent d’une
manière ou d’une autre à une affaire portée devant les juges. A titre indicatif, lorsqu’on
évoque la solution au conflit de qualification, on a vite fait de rappeler l’arrêt Caraslanis ; la
question du renvoi sera à jamais liée à l’affaire Forgo ; l’exception de fraude à la loi
emmènera toujours à rappeler l’affaire de la princesse de Beauffremont ; la problématique de
l’application d’office de la loi étrangère renverra le plus souvent à l’arrêt Bisbal. En droit
camerounais, la jurisprudence de droit international privé se construit progressivement. Pour
le moment elle n’offre pas des solutions bien élaborées qu’on pourrait utiliser dans l’étude de
la théorie générale de droit international privé. Aussi emprunterons – nous les solutions de la
jurisprudence française dans le présent cours.

3- La doctrine

La doctrine joue un rôle très important en droit international privé. C’est elle qui dans
un premier temps a essayé de systématiser la matière. Pour ne prendre que l’exemple de la
théorie des statuts, les empreintes de Bartole et d’Argentré restent indélébiles. Le nom de
Savigny reste encore synonyme de règle de conflit bilatérale, puisqu’il est celui qui en a le
mieux présenté le fondement, les caractéristiques et les fonctions. A Paul Lagarde, on doit le «
principe de proximité » etc. Le recueil des cours de l’académie de droit international
(RCADI), la revue critique de droit international privé (RCDIP), le journal du droit
international (JDI appelé autrefois CLUNET, du nom de son fondateur), les travaux du comité
français de droit international (TCFDI) sont les principaux supports d’expression de la
doctrine en droit international privé.
La doctrine camerounaise quant à elle, s’active depuis des années à proposer au
législateur des pistes pouvant lui permettre d’élaborer un droit international privé camerounais
tenant compte des réalités locales.

B- Les sources internationales

La principale source internationale est constituée des traités (1), auxquels il convient
d’ajouter la, jurisprudence internationale (2) et les règles non écrites (3) du droit international
privé.

1- Les traités

On doit distinguer les traités multilatéraux des traités bilatéraux. Les traités
multilatéraux sont en général élaborés dans le cadre d’organisations internationales. Ils sont
les plus nombreux en matière de conflits de lois et de conflits de juridictions. C’est ainsi que
depuis 1883, la conférence de La Haye de droit international privé a ouvert à la signature et à
la ratification, un grand nombre de conventions portant sur diverses questions de droit
international privé. Par exemple, la convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de
l’enlèvement international d’enfants ; la convention du 13 janvier 2000 sur la protection
internationale des adultes. Il en est de même de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe
qui ont élaboré plusieurs conventions extrêmement importantes pour le droit international
privé. On peut citer la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et la Convention de
Lugano du 16 Septembre 1988 qui unifient les règles de compétence et de reconnaissance des

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jugements en matière civile et commerciale, devenue le Règlement n°44/2000/CE du 22
Décembre 2000.
Les traités bilatéraux sont ceux passés entre deux Etats. Ils permettent de cerner de
plus près les nécessités juridiques des deux Etats et de mieux équilibrer les intérêts en
présence. Rares en matière de conflits de lois et conflits de juridictions, les traités bilatéraux
sont nombreux en matière de condition des étrangers. Le seul traité bilatéral conclu par le
Cameroun en matière de droit international privé est l’accord de coopération judiciaire avec la
France qui date du 21 février 1974.

2- La jurisprudence internationale

L’influence de cette jurisprudence reste limitée en droit international privé. Plusieurs


juridictions internationales peuvent être citées. En premier lieu, la Cour Internationale de
Justice de La Haye sous l’égide de l’ONU a rendu quelques décisions qui peuvent intéresser
le droit international privé. L’affaire BOLL du 28 novembre 1958 qui est à l’origine de la
Convention de La Haye du 05 Octobre 1961 sur la protection des mineurs, constitue l’apport
le plus cité de la CIJ dans la construction du droit international privé. En deuxième lieu, la
jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’Homme est également prise en
considération puisqu’elle définit les différents droits énoncés par la convention et les
protocoles additionnels. Cela permet de circonscrire un ordre public européen qui interviendra
dans la mise en œuvre de la loi étrangère.

3- Les règles non étatiques

Ces règles sont nées du commerce international, où sont apparus des usages propres à
ce commerce, et des principes consacrés par les sentences arbitrales puisque, dans l’immense
majorité des cas, les parties contractantes préfèrent soumettre leurs litiges à un arbitre plutôt
qu’au juge étatique. Cet ensemble constitue la lex mercatoria, la loi des marchands, dont
l’origine remonte au Moyen âge.
Cependant, la question de la nature de la lex mercatoria est très discutée. On se
demande s’il s’agit véritablement d’une source du droit international privé étant donné que
ces usages sont tellement importants qu’on ne saurait les rattacher à un Etat : ainsi resurgit la
problématique des « contrats sans loi ».
De tout ce qui précède, les relations privées internationales soulèvent les questions des
conflits de lois et le procès civil international qui en découle pose le problème des conflits de
juridictions, lesquels conflits forment les deux piliers indissociables du droit international
privé qui seront étudiés successivement.

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PREMIÈRE PARTIE :
LES RELATIONS PRIVÉES INTERNATIONALES : LES CONFLITS DE
LOIS
Il y a conflit de lois lorsque, face à un litige comportant un élément d’extranéité, le
juge hésite sur la loi qu’il va appliquer pour trancher ce litige. Cela est dû au fait que le juge a
en entre les mains une pluralité de lois issues de systèmes juridiques différents et qui ont
toutes vocation à régir la situation litigieuse. Il doit donc choisir la loi applicable. On peut
donc comprendre le Professeur Yvon LOUSSOUARN quand il écrit que « le problème du
conflit des lois est essentiellement un problème d’option, un problème de choix entre
plusieurs rattachements possibles ». Par exemple, un couple de français veut divorcer au
Cameroun. Quelle sera la loi applicable à ce divorce ? La loi française ou la loi camerounaise
? Le juge doit choisir.
Dans cette perspective, la théorie générale des conflits de lois doit s’entendre de la
partie du droit international privé qui regroupe l’ensemble des méthodes permettant de
sélectionner et/ou d’identifier parmi les règles de droit substantiel posées par différents ordre
juridiques ayant des liens avec une situation internationale donnée, celle qui sera en définitive,
appelée à régler cette situation. Seulement, l’opération qui conduit au choix de la loi
applicable n’est pas toujours facile à mener. En matière de conflit de lois, le droit international
privé offre au juge des méthodes (Titre 1) et des techniques (II) de raisonnement propres.

TITRE I :
LES METHODES DE RAISONNEMENT EN MATIERE DE CONFLITS DE
LOIS
De façon classique en droit international privé français, deux méthodes d’inégale
valeur sont utilisées par le juge, dans la recherche de la loi applicable à un litige international.
D’une part, la méthode principale ou indirecte, appelée bilatéralisme ou méthode bilatérale
(chapitre 1) et d’autre part, la méthode secondaire ou directe, appelée unilatéralisme ou
méthode unilatérale (chapitre 2). Chacune des méthodes a pour objectif de servir
exclusivement au raisonnement du juge face à un litige comportant un élément d’extranéité.
Mais en fin de compte, on s’accorde à dire que l’utilisation de toutes ces méthodes répond le
mieux aux attentes des justiciables sur la scène internationale. En droit international privé,
c’est le « pluralisme des méthodes » qui prévaut, c'est-à-dire qu’on utilise en même temps le
bilatéralisme et l’unilatéralisme.

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CHAPITRE I :
LA METHODE BILATERALE OU BILATERALISME

La méthode fondatrice du règlement du conflit de lois est la méthode bilatérale. Elle


repose sur le postulat de la vocation concurrente des lois des différents ordres juridiques
auxquels se rattache une même situation internationale. Il convient de présenter cette méthode
(section 1) avant de minimiser les critiques qui lui ont été adressées (section 2).

Section 1 : L’exposé de la méthode bilatérale

La méthode bilatérale élaborée par Savigny est celle qui a recours à la règle de conflit
(bilatérale) (paragraphe1) pour désigner l’ordre juridique dont le droit substantiel régira la
situation litigieuse (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le recours à la règle de conflit savignienne

On analysera les caractères (A) et les fonctions de la règle de conflit (B).

A- Les caractères de la règle de conflit

La règle de conflit de lois est une règle qui va proposer un critère de choix dont
l’application permettra de désigner, parmi ces Etats, celui dont les règles seront appliquées.
Dans la pensée de Savigny, l’élaboration de la règle de conflit se fait en considération de la
nature du rapport de droit litigieux et présente trois caractéristiques :
- Elle est bilatérale, c'est-à-dire que la règle de conflit peut désigner comme loi
applicable, soit la loi du juge saisi du litige qu’on appelle loi du for ou lex fori, soit la loi
étrangère ;
- Elle est abstraite, c'est-à-dire qu’elle procède à la désignation de la loi applicable
sans prendre en considération la teneur substantielle de la loi applicable ;
- Elle est neutre en ce sens qu’elle ne cherche pas à privilégier une solution
substantielle par rapport à une autre. Cela veut dire que dans le raisonnement de Savigny, la
loi du juge saisi est placée sur le même pied d’égalité que la loi étrangère, la règle de conflit
ne prend pas de parti pour une loi, ni la lex fori, ni la loi étrangère.

B- Les fonctions de la règle de conflit

Deux fonctions sont aujourd’hui reconnues à la règle de conflit : la fonction de


coordination et la fonction de régulation des systèmes juridiques.
La fonction de coordination des systèmes juridiques étatiques se traduit par une
répartition des compétences législatives en considération soit des intérêts privés des parties en
cause, soit en considération des intérêts des Etats impliqués dans le litige. C’est pourquoi la
méthode savignienne procède, pour une question donnée, à une allocation globale et abstraite
de compétence à un ordre juridique déterminé, dont les règles substantielles seront déclarées
applicables sans autre analyse, si ce n’est celle de leur conformité aux exigences
fondamentales du for, comme on le verra avec l’ordre public et la fraude à la loi. Cela
empêche un certain chevauchement des compétences législatives entre les Etats concernés par
la situation litigieuse.

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La fonction de régulation est nouvelle, elle est dictée par la nécessité de prendre en
compte les objectifs poursuivis par les législateurs pendant l’édiction des normes. Dire que la
règle de conflit peut avoir une fonction régulatrice, c’est admettre que cette règle peut
constituer un instrument de politique publique entre les mains des Etats. En droit camerounais
certaines « fausses règles de conflit unilatérales » comme l’article 3 du code civil et en droit
européen, le rôle des normes communautaires de droit international privé sont la traduction de
cette fonction de régulation de la règle de conflit.

Paragraphe 2 : La désignation d’un ordre juridique

L’objectif principal de la méthode savignienne est de recourir à la règle de conflit afin


de désigner l’ordre juridique dont les règles substantielles vont s’appliquer au litige
comportant un élément d’extranéité. On dit alors que la règle de conflit est indirecte,
puisqu’en réalité, elle ne désigne pas la loi substantielle qui va s’appliquer, mais plutôt l’ordre
juridique dans lequel on ira chercher une telle loi. Par exemple la règle de conflit pose qu’en
matière de responsabilité délictuelle, c’est la loi de l’Etat où le délit s’est matériellement
réalisé qui reçoit compétence. Imaginons un tchadien heurté grièvement à Ngaoundéré par un
véhicule conduit par un gabonais. La loi applicable d’après la règle de conflit est la loi
camerounaise. Mais quelle loi camerounaise ? Est-ce le code civil ou le code CIMA ? La règle
de conflit ne répond pas à cette question, elle se borne à indiquer que la loi camerounaise du
lieu de survenance du délit est compétente. Le juge va donc chercher dans la législation
camerounaise, les règles substantielles qu’il appliquera au litige, il les trouvera notamment
dans le code CIMA. Ainsi donc, il faut entendre par « loi applicable », la règle substantielle
du système juridique désigné par la règle de conflit. Il peut s’agir d’une norme d’origine
internationale, communautaire, étatique, jurisprudentielle, doctrinale ou coutumière.

Section 2 : La critique de la méthode bilatérale

Incontestée pendant plusieurs siècles, la méthode conflictuelle ou bilatérale a fait,


depuis de nombreuses années déjà, l’objet de vives critiques qui ont emmené certains auteurs
à parler de la « crise des conflits de lois ». Les assaillants de la méthode conflictuelle veulent
en faire tout simplement comme le dit Francescakis, « une méthode parmi tant d’autres ». Il
convient de présenter ces griefs (paragraphe 1), avant de les relativiser (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le contenu de la critique

Les griefs proférés à l’encontre de la méthode conflictuelle peuvent être regroupés


autour de trois idées : la méthode conflictuelle présenterait une complexité trop grande (A),
elle engendrerait l’incertitude et l’imprévisibilité (B), elle pêcherait par excès et par
insuffisance d’internationalisme (C).

A- La complexité de la méthode conflictuelle

La théorie des conflits de lois selon la méthode savignienne est comparable à un jeu
d’échecs, il s’agit d’une véritable gymnastique intellectuelle. Sa subtilité est telle
qu’abstraction faite de quelques spécialistes, bien peu nombreux sont ceux qui en ont
assimilés les finesses ou qui ont le temps, la capacité ou le courage de le faire. PROSSER
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avait écrit que la théorie générale de conflits de lois est « un marécage sinistre, peuplé de
savants et excentriques professeurs qui spéculent sur des matières mystérieuses dans un
jargon étrange et incompréhensible ». Le bilan de la jurisprudence camerounaise en la matière
témoigne de ce que le juge manque très souvent de réflexe d’internationaliste. La
qualification, le rattachement avec les hypothèses de renvoi et de conflit mobile, la mise eu
œuvre de la loi désignée ne sont pas des techniques toujours faciles à appliquer pour les non-
initiés. La complexité de la méthode conflictuelle selon ses détracteurs, la rendrait
difficilement utilisable dans la pratique.
B- L’incertitude et l’imprévisibilité de la méthode conflictuelle
Dans la plupart des pays, les règles de conflit de lois ont une origine non pas légale,
mais jurisprudentielle, et ce caractère laisser entrevoir ses défauts, car la règle est de conflit
est souvent incertaine, parfois imprévisible à raison de la fluctuation dont elle est l’objet. La
solution semble découler alors non d’une règle bien assise, mais du sentiment contingent
d’équité qu’entretient le juge, si ce n’est des exigences de l’opportunité. La théorie des
conflits de lois, si elle est un jeu pour des savants intellectuels, ce qui n’est pas grave, risque
d’être un procédé arbitraire entre les mains du juge, ce qui est infiniment plus dangereux. Le
commerce international par exemple se prête mal au jeu des conflits de lois, par ce qu’il
nécessite prévisibilité et certitude.

C- L’excès et l’insuffisance d’internationalisme de la méthode conflictuelle

L’excès d’internationalisme concerne le caractère bilatéral de la règle de conflit. Le


reproche fait à ce caractère bilatéral est qu’il peut conduire à la désignation d’une loi
étrangère dans un domaine où la compétence exclusive devrait appartenir à la lex fori. Cette
critique a été formulée par la doctrine américaine de la « proper law ». Prenant
essentiellement pour exemple la responsabilité civile et la règle de conflit désignant la loi du
lieu du délit, les auteurs ont démontré que cette règle pouvait désigner une loi qui n’avait pas
de lien suffisant avec le litige. Si un accident de la circulation se produit dans l’Etat de
l’Ontario, que cet accident implique un seul véhicule conduit par un citoyen américain
domicilié à New York, et que la victime de l’accident est également domiciliée à New York,
la loi de l’Etat de l’Ontario, loi du lieu du délit, devrait être écartée au profit de la loi de l’Etat
du New Jersey (cas Babcock v. Jackson, NY 1963, RCDIP 1964, p. 298, obs. Castel). Dans le
même ordre d’idées, on cite les mesures de protection des incapables ou encore les lois de
police contractuelles, qui sont des domaines dans lesquels l’emprise de l’Etat devient
croissante dans les rapports privés internationaux, et qui sont appelés à se multiplier dans
l’avenir. Ainsi, la règle de conflit qui désigne à l’avance la loi applicable, sans se préoccuper
du résultat ni des éléments du cas d’espèce, s’est vue reprocher son caractère abstrait,
théorique et automatique.
L’insuffisance d’internationalisme réside dans le fait que la méthode conflictuelle ne
tiendrait pas suffisamment compte de la spécificité des relations internationales. Par exemple,
en traitant la vente internationale comme une vente interne compliquée d’un élément
d’extranéité, le procédé conflictuel en trahit la physionomie véritable, car elle constitue un
contrat original, comportant des stipulations qui lui sont propres et dont la règlementation doit
répondre aux particularisme de la vie internationale.

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Paragraphe 2 : La relativisation des critiques de la méthode conflictuelle

La valeur de ces différentes critiques est assez inégale. La première tenant à la


complexité de la méthode conflictuelle atteint moins la méthode en soi que la physionomie
que certains courants doctrinaux s’efforcent de lui faire revêtir. Or, il n’est pas douteux que la
jurisprudence ne s’embarrasse pas de toutes les subtilités doctrinales. Quant à la deuxième
critique relative à l’incertitude et à l’imprévisibilité de la méthode conflictuelle, elle ne prend
son relief que dans le domaine du commerce international. La troisième critique, la plus
pertinente, est celle qui accuse la méthode conflictuelle de ne pas tenir suffisamment compte
de la spécificité des relations internationales. En effet, le rattachement d’une situation
juridique donnée à une loi interne néglige généralement cet aspect. Seule l’élaboration des
règles matérielles de droit international permettrait de le prendre en considération. C’est
pourquoi certains auteurs ont penché pour la tendance unilatéraliste.

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CHAPITRE II :
LA METHODE UNILATERALE OU UNILATERALISME

La méthode conflictuelle « savignienne » s’est construite avec pour objectif


fondamental de coordonner les ordres juridiques étatiques de la manière la plus conforme aux
intérêts privés des individus impliqués dans les rapports de droit privé à caractère
international. Certes, elle reste centrale en droit international privé, mais ses limites
ponctuelles ont justifié l’émergence de méthodes concurrentes visant à apporter directement la
solution à un litige comportant un élément d’extranéité sans passer par la règle de conflit. Ces
méthodes ayant en commun leur fondement unilatéraliste, ont donné naissance à
l’unilatéralisme. L’unilatéralisme est la doctrine qui prône une règlementation directe du
rapport de droit en évitant de passer par le canal de la règle de conflit. Son objet est de
déterminer le champ d’application dans l’espace, d’une loi sans se soucier de l’existence des
autres. Suivant cette méthode, on ne part plus de la nature des rapports juridiques pour
déterminer la loi, mais on part de la loi pour déterminer son champ d’application. Elle a été
systématisée par l’italien QUADRI.
La tendance unilatéraliste se retrouve dans la méthode des lois de police (section 1) et
dans la méthode des règles matérielles (section 2).

Section 1 : Les lois de police ou lois d’application immédiate

L’article 3, alinéa 1, du code civil applicable au Cameroun dispose : « les lois de


police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire (camerounais) ». Tous les
auteurs s’accordent à admettre l’existence des lois de police, mais cet accord cesse lorsqu’il
s’agit de découvrir un critère susceptible de permettre leur identification. En effet, les lois de
police sont des règles substantielles. Rien ne les distingue, de prime abord, des autres règles
de droit privé édictées par l’ordre juridique considéré. C’est pourquoi il convient de dégager
les critères d’identification des lois de police (paragraphe 1) avant d’envisager la question de
leur application (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les critères d’identification des lois de police

Toute la difficulté est de parvenir à faire le départ entre les règles substantielles «
ordinaires », dont l’application aux situations internationales relève de la méthode
conflictuelle, et les règles substantielles « de police » dont la particulière impérativité réclame
qu’elles s’appliquent nécessairement aux situations internationales qui présentent certains
rattachements avec le for.
Plusieurs critères ont été proposés : le critère formaliste (A), le critère technique (B), et
le critère finaliste (C).

A- Le critère formaliste

D’après le critère formaliste, une loi présente le caractère de loi de police lorsque le
législateur qui l’a édictée a pris soin de déterminer lui-même son domaine d’application dans
l’espace. Lorsque le législateur prend soin de déterminer le domaine d’application dans
l’espace de la loi qu’il édicte, il marque par là même le caractère impérieux qu’il attache à
l’application de la loi du for, et en posant une délimitation sous la forme d’une règle
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unilatérale, il manifeste sa volonté de ne pas en abandonner l’application aux aléas de la règle
de conflit bilatérale. C’est le sens en droit camerounais de l’article 24 du code du travail qui
pose que tout contrat conclu pour être exécuté au Cameroun est soumis au code de travail
camerounais.

B- Le critère technique

La proposition du critère technique est l’œuvre de la jurisprudence qui a essayé de


rapprocher les lois de police des lois territoriales et des lois d’ordre public. Partant de l’idée
que les lois de police sont des lois d’application territoriale, les tribunaux ont parfois analysé
les lois territoriales en des lois de police, en des règles en marge de la règle de conflit au nom
de l’existence d’une prétendue autonomie entre la notion de territorialité et celle de conflit de
lois. Mais toute loi territoriale n’est pas forcément une loi de police. Par exemple, la lex rei
sitae.
Une autre tentative a consisté à chercher à assimiler les lois de police aux lois d’ordre
public. L’idée selon laquelle, lorsqu’une loi est d’ordre public, l’application de la loi du for
s’impose alors même que la règle de conflit conduirait à l’application de la loi étrangère a
constamment retenu l’attention des juges. Une telle tentation est extrêmement dangereuse, car
d’une part, elle conduit à une inéluctable hypertrophie de la loi de police et, d’autre part, elle
contribue à obscurcir davantage la notion d’ordre public, en lui donnant une signification
nouvelle.

C- Le critère finaliste

Ce critère est considéré par la doctrine et la jurisprudence comme le plus apte à


caractériser les lois de police. Une règle de droit privé est une loi de police lorsqu’elle
participe de l’organisation sociale, politique et économique du pays. C’est donc le but des lois
de police qui les distingue. FRANCESCAKIS assimilant les lois de police aux lois
d’application immédiate (on peut discuter une telle assimilation), relève que « les lois de
police sont des lois dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation
politique, sociale et économique du pays ; leur caractère distinctif (d’avec les autres lois)
réside dans cette idée d’organisation ». Il cite à cet effet comme lois de police, la
règlementation des changes et les mesures d’assistance éducative.
La jurisprudence a également été sensible au critère finaliste. Dans un arrêt du 14
janvier 2004 (Cass. Com. 14 janvier 2004, Bull, civ., IV, n°9), la Cour de cassation française
a affirmé le caractère de loi de police de l’article 10 de la loi du 03 janvier 1967 relative à la
sécurité des navires que cette « exigence a pour fonction le respect d’une règlementation
devant assurer, pour des motifs impérieux d’intérêt général, un contrôle de sécurité des
navires (…) et devant donner au cocontractant toutes les informations sur l’individualisation
et les caractères du navire ». Exigence de sécurité et exigence d’information du cocontractant
caractérisent ici les « motifs impérieux d’intérêt général » justifiant qu’il soit fait application
immédiate de cette loi.
De tout ce qui précède, on doit reconnaître que les contours des lois de police sont
impossibles à définir de façon nette parce que dans les Etats modernes, presque toutes les lois
tendent à garantir les intérêts économiques ou sociaux. C’est pourquoi Yvon LOUSSOUARN
a noté à juste titre qu’entre les lois de police et les autres lois, « il n’y a pas de différence de
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nature », mais « une simple différence de degré ». En la matière, il faut irrésistiblement
recourir à la méthode du « cas par cas » qui s’apparente à celle suivie pour la mise en œuvre
de l’exception d’ordre public. La reconnaissance jurisprudentielle reste à ce jour le seul indice
réellement fiable du statut de loi de police d’une règle de droit. On comprend ainsi que le rôle
du juge est énorme dans l’application des lois de police.

Paragraphe 2 : L’application des lois de police

Le législateur se prononçant rarement, on l’a vu, sur la nature « de police » ou non des
règles de droit qu’il édicte, il revient naturellement aux juges, dans leur mission d’application
et d’interprétation des règles de droit, de décider si une disposition du droit interne doit être
rendue internationalement impérative par sa qualification de loi de police. Le juge est
généralement tenu de mettre en œuvre les lois de police (A), mais cette obligation ne vaut que
dans le domaine que se fixe la loi de police, ce qui pose la question du critère d’application
des lois de police dans l’espace (B).

A- L’application des lois de police par le juge

Trois aspects de la question nous intéressent ici : l’application de la loi de police du


for, l’application des lois de police étrangères et le conflit entre les lois de police.
Les lois de police du for doivent en principe obligatoirement être mises en œuvre par
le juge du for : placé au service de l’ordre juridique qui l’a institué, le juge n’a pas d’autre
choix que de respecter la volonté de cet ordre juridique. Dès lors, le juge qui, saisi d’une
situation internationale, constate qu’une disposition substantielle du for revêtant les caractères
d’une loi de police entend régir cette situation, est tenu de l’appliquer ; il n’a pas à mettre en
œuvre la règle de conflit pour vérifier si une loi étrangère n’est pas le cas échéant compétente.
Les lois de police étrangères apparaissent également dignes de considération. Le point
de savoir si la juge du for devait appliquer une loi de police étrangère a été longuement
discuté par la doctrine. L’opinion retenant qu’il n’existe aucune impossibilité juridique à
l’application par le juge du for d’une loi de police étrangère l’a emporté. Le droit français a
consacré une telle faculté avec la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable
aux obligations contractuelles dont l’article 7 alinéa 1 précise qu’il « (…) pourra être donné
effet aux dispositions impératives de la loi d’un autre pays avec lequel la situation présente
un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont
applicables quelle que soit la loi régissant le contrat ».
Contrairement à l’application obligatoire des lois de police du for, le juge du for n’est
jamais tenu d’appliquer les lois de police étrangères, il a une simple faculté de le faire.
L’application des lois de police étrangère est facultative pour le juge.
Le dernier aspect conduit à évoquer le conflit de lois de police, que la doctrine a
théorisé en dépit de ses rares applications en pratique. A partir du moment où le juge du for
peut être conduit à appliquer des lois de police étrangères, le risque existe que, pour une
même situation internationale, plusieurs Etats impliqués aient la prétention d’imposer
l’application d’une de leurs dispositions jugée internationalement impérative, et que ces
dispositions soient contradictoires. Le juge doit alors trancher le conflit. La solution est aisée
lorsque la loi de police du for est en conflit avec une loi de police étrangère, la première, seule
obligatoire, devant nécessairement prévaloir. En présence d’un conflit entre plusieurs lois de
21
police étrangères en revanche, les solutions s’imposent avec moins de force. Très
vraisemblablement, il conviendrait que le juge du for apprécie les titres d’application
respectifs des lois en conflit pour déterminer laquelle, de son point de vue, bénéficie des
justifications les plus pressantes.

B- Le critère d’application dans l’espace des lois de police

La reconnaissance d’une loi de police doit s’accompagner de la définition d’un critère


d’application de cette loi « dans l’espace », c'est-à-dire d’un critère d’application qui permette
de déterminer précisément quelles situations internationales entretenant un lien avec le for y
seront soumises. Dans le silence des textes, c’est à la jurisprudence qu’il revient de fixer ce
critère d’application ; elle a décidé, par exemple, que les lois de police françaises protectrices
du consommateur s’appliquent aux opérations mettant en cause un consommateur qui réside
en France, ou que les dispositions françaises protectrices des sous-traitants s’appliquent aux
opérations ayant pour objet la construction d’un immeuble en France. Déterminer le critère
d’application dans l’espace garantira la meilleure efficacité de la loi de police, au regard de
ses objectifs, n’est pas toujours aisée. On ne peut se contenter que des approximations. Ce qui
n’est pas le cas avec les règles matérielles ou substantielles qui sont plus précises.

Section 2 : La méthode des règles matérielles ou substantielles

Il faut entendre par « règles matérielles de droit international privé », un ensemble de


règles substantielles, qui ont été spécifiquement définies en considération des situations
juridiques internationales, et qui ne sont en principe destinées qu’à ces dernières. La «
méthode des règles matérielles » renvoie quant à elle à une modalité spécifique de
l’application de ces règles, dérogatoires à la méthode conflictuelle. On parle en effet de «
méthode de règles matérielles » lorsque ces règles sont directement appliquées aux situations
internationales par le juge du for, sans détour par la règle de conflit de lois, et donc en
dérogation potentielle à la loi étrangère. Mais il faut souligner que dans certaines hypothèses,
les règles matérielles s’appliquent en tant que dispositions substantielles de la loi applicable
sur désignation de la règle de conflit. L’étude portera sur les raisons d’édiction des règles
matérielles (paragraphe1), et sur la présentation des différentes catégories de règles
matérielles (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les raisons d’édiction des règles matérielles

Deux raisons fondamentales justifient l’édiction des règles matérielles : l’adaptation à


l’internationalité des situations juridiques (A) et l’harmonisation des législations des Etats
(B).

A- L’adaptation des règles spéciales à l’internationalité des situations juridiques

Si le plus souvent les règles de droit interne sont parfaitement adaptées à la


règlementation des situations internationales, il a pu apparaître, toutefois, que certaines de ces
dispositions internes se prêtaient mal à une extension aux relations privées internationales,
parce qu’elles en méconnaissaient les spécificités. Ce constat constitue le premier motif

22
d’édiction de règles de droit international privé qui consiste à créer des règles spécialement
adaptées à l’internationalité des situations.

B- L’harmonisation des législations des Etat

Parfois, c’est la seule divergence des règles substantielles édictées par les Etats
impliqués dans une situation qui paraît nocive ; l’observation se justifie tout particulièrement
dans le contexte des relations économiques internationales, où l’hétérogénéité des législations
étatiques est souvent perçue comme un frein au développement du commerce international.
La solution consiste alors à créer par voie conventionnelle des règles substantielles destinées à
régir des opérations données, non pas tant parce que ces règles sont matériellement plus
adaptées aux relations internationales que ne le sont les règles de droit interne, mais plutôt
parce que la démarche permet une harmonisation des législations des Etats signataires sur les
questions considérées.
Ces deux justifications à l’édiction des règles matérielles propres aux situations
internationales se combinent parfois en sorte qu’il n’est pas toujours aisé de faire le départ
entre règles matérielles à fonction d’adaptation, et règles matérielles à fonction
d’harmonisation.

Paragraphe 2 : Les différentes catégories de règles matérielles

En fonction de leurs sources, on distingue les règles matérielles d’origine nationale


(A), des règles matérielles d’origine internationale (B).

A- Les règles matérielles d’origine nationale

Elles peuvent être d’origine législative ou jurisprudentielle.


Les règles matérielles conçues en fonction de leur particulière adaptation aux
situations internationales sont peu nombreuses, sans doute parce que les règles de droit interne
sont dans l’ensemble tout à fait transposables aux situations internationales. Elles sont au
surplus cantonnées au droit du commerce international, et plus rares en matière civile. On
peut toutefois citer l’article 370- 3 du code civil français qui comporte une règle matérielle
puisqu’il retient que l’adoption internationale est en toute hypothèse prohibée lorsque la loi
nationale de l’un des époux ou la loi de l’enfant l’interdit. Il apparaît donc que les règles
matérielles de droit international privé qui sont d’origine législative ne s’appliquent que par
l’intermédiaire de la règle de conflit.
Les règles matérielles d’origine jurisprudentielle, sont plus nombreuses que les
précédentes. On dénombre d’importantes solutions jurisprudentielles donnant lieu à des règles
matérielles. La Cour de cassation dans l’arrêt Galakis du 2 Mai 1966 a posé que la
combinaison des articles 83 et 1004 du code de procédure civile qui avait pour conséquence
d’édicter à l’encontre de l’Etat français l’interdiction de compromettre (c'est-à-dire conclure
une clause compromissoire), n’était pas applicable aux contrats internationaux. Sans passer
par le détour de la règle de conflit, elle pose une règle matérielle qu’elle applique directement
: les contrats internationaux échappent à la prohibition des articles 83 et 1004 du code de
procédure civile. La jurisprudence a encore retenu comme règles matérielles, le principe
d’autonomie de la clause compromissoire dans l’arrêt Gosset (Cass. Civ., 7 Mai 1963,

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RCDIP, 1963, p. 615, note Ph. FRNCESCAKIS), ou celui de la validité de la clause-or dans
l’affaire Messageries Maritimes (Cass. Civ., 21 juin 1950).
De tout ce qui précède, il faut reconnaître que le besoin d’harmonisation est sans doute
plus réel que le besoin d’adaptation, justifiant que les règles matérielles soient aujourd’hui
essentiellement d’origine internationale.

B- Les règles matérielles d’origine internationale

Elles peuvent être contenues dans un Traité, être issues de l’arbitrage international ou
du « droit spontané ». Il est incontestable que les règles matérielles n’acquièrent leur pleine
valeur sur le plan international que si elles concourent efficacement à l’unification du droit.
C’est le cas des conventions portant lois uniformes comme les Actes uniformes dans le cadre
de l’OHADA. Ces règles sont applicables à la fois dans les relations internes et dans les
relations internationales. Le texte du Traité est alors incorporé dans le droit de chacun des
Etats signataires et régit indistinctement les opérations internes et internationales dans la
matière concernée.
L’extraordinaire faveur dont bénéficie l’arbitrage dans le domaine du commerce
international et le développement considérable qu’il connaît ont pour conséquence d’éliminer
le jeu de la méthode conflictuelle. Les arbitres ont la faculté de s’affranchir des lois étatiques
pour créer des règles matérielles propres à l’arbitrage international.
Enfin, pour les règles issues du droit spontané (ce vocable recouvre une catégorie fort
hétérogène dans laquelle entrent pêle-mêle le droit corporatif, les usages comme la lex
mercatoria, les contrats-types), on doit citer principalement la lex mercatoria qui est la loi des
marchands. En matière de commerce international, la lex mercatoria élimine certainement le
jeu du conflit de lois.
Pour conclure sur ces méthodes concurrentes à la méthode conflictuelle et précisément
la méthode des règles matérielles, on doit dire qu’elles n’ont pas encore réussi à la supplanter.
Aujourd’hui, certes le pluralisme des méthodes traduit la réalité du droit international privé
dans toute la complexité de son objet, mais le bilatéralisme demeure l’essence du règlement
des conflits de lois. C’est elle qui permet de mieux comprendre les techniques du
raisonnement conflictuel.

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TITRE II :
LES TECHNIQUES DU RAISONNEMENT EN MATIERE DE CONFLITS DE
LOIS

Lorsqu’un juge est saisi d’un litige comportant un élément d’extranéité, en utilisant la
méthode bilatérale, il doit interroger sa règle de conflit afin de trouver la loi applicable. Pour
cela, il doit qualifier, rattacher et mettre en œuvre la loi ainsi désignée. Mais l’opération qui
conduit à la détermination de la loi applicable peut se complexifier à cause d’une divergence
de solutions entre la loi du for et la loi étrangère au cours de ces étapes du raisonnement
conflictuel. Il importe donc d’étudier la qualification (chapitre 1), le rattachement (chapitre 2)
et la mise en œuvre de la loi désignée (chapitre 3).

CHAPITRE I :
LA QUALIFICATION

La qualification est une opération logique et essentielle en droit, elle permet de


déterminer la catégorie à laquelle se rattache une situation juridique pour en déduire les règles
applicables. En droit international privé, la qualification consiste à rechercher à quelle
catégorie de questions de droit appartient la relation privée internationale qui donne lieu à un
conflit de lois. Cependant, le problème spécifique n’est pas celui de la qualification en elle-
même, mais celui du conflit de qualifications (selon l’expression d’Etienne BARTIN),
puisque tous les systèmes juridiques ne collent pas la même étiquette juridique aux mêmes
situations. Une question de forme en droit camerounais peut être considérée comme une
question de fond par le droit grec. Le problème du conflit de qualification est apparu en
jurisprudence (section 1) et les techniques d’application de la lex fori (solution) peuvent varier
en fonction de la nature des ordres juridiques (section 2).

Section 1 : L’apparition du conflit de qualifications

Le problème du conflit de qualifications est apparu en droit international privé à


travers la jurisprudence (paragraphe 1) et y a trouvé une solution (paragraphe 2), non sans
discussion.

Paragraphe 1 : L’avènement du conflit de qualifications dans la jurisprudence

Trois arrêts classiques sont généralement cités lorsqu’il faut poser le problème du
conflit de qualifications en droit international privé. Il s’agit de la « succession du maltais »
(A), du « testament du hollandais » (B) et du « mariage du grec orthodoxe » (C).

A- La succession du maltais (Cour d’Appel d’Alger, 24 décembre 1889, Bartholot,


Clunet 1891, 1, p. 171)

Deux époux anglo-maltais ont émigré en Algérie où le mari a acquis des immeubles. A
son décès, sa veuve réclame sur ces immeubles un droit en usufruit sur le quart des biens du
défunt, institution du droit anglo-maltais appelée « quarte du conjoint pauvre ». Pour savoir
s’il convenait d’accorder à la veuve ce droit, il fallait définir la nature juridique de la quarte
25
du conjoint pauvre. En effet, s’il s’agit d’une institution rattachée au régime matrimonial, la
règle de conflit applicable en la matière (loi d’autonomie) désignera en l’espèce la loi anglo-
maltaise puisque les deux époux s’étaient mariés à Malte où ils avaient établi leur premier
domicile conjugal. Dans ce cas, la veuve avait droit la quarte du conjoint pauvre. S’il s’agit au
contraire d’une institution successorale, la règle de conflit applicable (loi du pays de situation
de l’immeuble) désignera en l’espèce la loi française qui ignore l’institution (l’usufruit
successoral du conjoint survivant n’a été introduit qu’en 1891). Alors la veuve n’avait pas
droit à la quarte. Selon que la quarte du conjoint pauvre était rattachée à la catégorie régime
matrimonial ou à la catégorie succession, la solution n’était pas la même.

B- Le testament du hollandais (Cour d’Appel d’Orléans, 4 Août 1859, Sirey 1860, II,
p. 32)

Une personne de nationalité hollandaise rédige en France un testament sous la forme


olographe, c'est-à-dire écrit et signé de sa main. A son décès, la validité du testament est
discutée. En effet, la loi hollandaise (article 992 code civil) prohibe ce genre de testament et
spécifie que le hollandais qui se trouve à l’étranger ne pourra faire de testament que par acte
authentique. Mais la loi française admet le testament olographe, et considère que la forme des
actes est régie par la loi du lieu de leur conclusion, la locus regit actum. Dès lors, si le
caractère olographe est une question de forme pure et simple, la loi française s’applique, en
vertu de la règle locus regit actum, puisque le testament a été fait en France, et il est valable.
Si par contre, on analyse la prohibition ou l’admission en une règle de capacité, la loi
hollandaise est applicable à titre de loi personnelle du testateur, et le testament est nul. Selon
l’une ou l’autre considération, la solution n’était pas la même.

C- Le mariage du grec orthodoxe (Arrêt Caraslanis, Cass. Civ., 1ère, 22 juin 1955,
RCDIP, 1955, p. 723. Voir en droit camerounais, l’arrêt Nikitas Papadopoulos, C.S/COR, 5
Mai 1970, in, Les grandes décisions de la jurisprudence civile camerounaise, p. 590)

Un grec orthodoxe épouse civilement une française en France, alors que la loi grecque
exige une célébration religieuse. Un tel mariage est-il valable ou nul ? La réponse dépend de
la qualification donnée. Si le juge considère que l’exigence de la célébration religieuse
comme une condition de fond soumise à la loi nationale, la loi grecque est applicable et le
mariage est nul. Si au contraire il l’analyse en une condition de forme relevant à ce titre de la
lex loci celebrationis, la loi française est compétente et le mariage est valable. Or, le droit grec
considère l’exigence de la célébration religieuse en une condition de fond du mariage alors
que le droit français la ramène au rang d’une simple condition de forme. Par conséquent, il
faut donc déterminer la loi de qualification, c'est-à-dire, rechercher par référence à quel
système juridique la qualification doit être donnée. Une multitude de solutions d’inégale
valeur ont été proposées.

Paragraphe 2 : Les solutions proposées pour le conflit de qualifications

Trois solutions ont été proposées par la doctrine pour résoudre le problème du conflit
de qualifications : la qualification lege causae, la qualification lege fori et la qualification par
référence à des concepts autonomes et universels. La troisième méthode pour le moment n’est

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qu’une utopie parce qu’il ne peut exister de droit privé universel, et sera exclu du débat. Il ne
restera plus alors que la qualification lege causae (A) et la qualification lege fori (B).

A- La qualification lege causae

La qualification lege causae consiste à demander la qualification au droit étranger


éventuellement applicable aux rapports de droit faisant l’objet du litige. Ici, on doit qualifier
en considération du droit étranger. La qualification doit se faire par rapport à l’objet du litige.
Dans l’exemple du testament du hollandais, le raisonnement d’un adepte de la qualification
lege causae est le suivant : il appartient au droit hollandais de régir la capacité des hollandais.
C’est donc par référence aux concepts hollandais que les règles de capacité doivent être
retenues. A partir du moment où le droit hollandais considère que l’article 992 du code civil
pose une règle de capacité, ce serait le dénaturer, que de lui attribuer une nature différente.
Cependant, émise sous cette forme, la qualification lege causae ne résiste pas à
l’objection du cercle vicieux, car elle présuppose que l’article 992 du code civil hollandais est
applicable, alors que son application n’est qu’éventuelle, et dépend précisément de la
qualification qui sera donnée. Aussi longtemps que la qualification n’est pas intervenue,
aucune certitude n’existe quant à la loi applicable. C’est pourquoi, l’argument du cercle
vicieux consiste à dire que la qualification étant une étape dans la solution du conflit de lois,
l’on ne peut pas demander de qualifier selon une loi étrangère, alors qu’on ne sait pas encore
si cette loi à vocation à s’appliquer. Tant que le problème de qualification n’est pas résolu, le
juge saisi n’a en réalité entre ses mains que sa propre loi. Dès lors, la seule qualification
possible est la qualification lege fori.

B- La qualification lege fori

La qualification lege fori signifie que chaque juge doit qualifier en se référant à sa
propre loi, la lex fori. Deux raisons fondamentales ont été avancées pour justifier la
qualification lege fori.
Premièrement, compte tenu du fait que la qualification consiste à interpréter une règle
de conflit de lois, le juge doit le faire en s’appuyant sur ses propres catégories juridiques. Par
exemple, le sens d’une règle camerounaise ne peut être donné que par référence aux concepts
camerounais. La qualification lege fori est la conséquence inéluctable du caractère national
des systèmes de solution de conflit de lois.
Deuxièmement, la qualification étant préalable à la solution du conflit de lois, la loi
étrangère n’a aucun titre à s’appliquer au moment où l’on qualifie. Ce titre, elle ne l’acquerra
que si elle est désignée par la règle de conflit. Une telle désignation, dépendant précisément
de la qualification, toute qualification, autre que la qualification lege fori, suppose résolu le
problème que l’on cherche à résoudre.
C’est pourquoi, à la suite de Kahn et Bartin, la jurisprudence a retenu comme solution
au conflit de qualifications, la qualification lege fori. Dans l’affaire du mariage du grec
orthodoxe, appelé arrêt Caraslanis du 29 juin 1955 cité plus haut, la Cour de cassation énonce
« que la question de savoir si un élément de la célébration du mariage appartient à la
catégorie des règles de forme ou à celles des règles de fond, doit être tranchée par les juges
français suivant les conceptions du droit français, selon lesquelles les caractères religieux ou
laïc du mariage est une question de forme ». D’où la validité du mariage civil d’un grec en
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France nonobstant l’exigence par sa loi nationale d’un mariage religieux. Ainsi donc, le
conflit de qualifications se règle lege fori.

Section 2 : Les techniques de qualification

On doit distinguer ces techniques selon qu’il s’agit d’envisager la qualification dans
les ordres juridiques simples (paragraphe 1) ou dans les ordres juridiques complexes
(paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La qualification dans les ordres juridiques simples

Selon le Doyen Henri BATIFFOL, l’opération de qualification comporte deux phases :


une phase d’analyse (A) et une phase de jugement (B).

A- La phase d’analyse est menée lege causae

Toutes les fois que le juge du for entend qualifier une institution étrangère, il doit
nécessairement l’analyser, dégager ses traits essentiels pour préciser sa nature et découvrir sa
catégorie de rattachement. Lorsqu’il s’agit d’une institution ou d’une technique inconnue du
droit du juge du for, une telle analyse ne peut être menée que selon la loi étrangère : la loi
étrangère joue un rôle important dans la qualification lege fori. Si l’on reprend l’exemple de la
quarte du conjoint pauvre dans la succession du maltais, le juge après l’avoir analysé selon la
loi maltaise, et en avoir dégagé les caractéristiques essentielles, décidera si cette institution
devra être intégrée à la catégorie des régimes matrimoniaux ou à celle des successions. La
quarte du conjoint pauvre ne pourrait qu’être analysée par référence à la loi maltaise dès lors
que le droit français ne connaissait pas l’institution encore moins une situation similaire.

B- La phase de jugement est menée lege fori

Après avoir analysé l’institution donnant lieu au conflit de qualifications selon la loi
étrangère, le juge la range dans l’une des catégories de son droit interne. On peut alors
comprendre MELCHIOR quand il dit que la qualification lege fori consiste à « placer l’étoffe
juridique étrangère dans les tiroirs du système national », ou encore RAAPE qui conclu que
dans la qualification lege fori, « l’Etat étranger caractérise ses règles, l’Etat du for les classe
».
Cependant, les catégories de la lex fori peuvent ne pas recevoir toutes les institutions
de la loi étrangère, parce qu’il n’y a pas toujours transposition pure et simple sur le plan
international, des catégories du droit interne du for. On n’hésite donc pas à déformer les
catégories du droit interne dans le sens d’un élargissement, pour les adapter aux institutions
étrangères qui ne peuvent pas d’office y être rangées. Par exemple, si l’on invoque devant le
juge camerounais un divorce par consentement mutuel, il va se demander de quoi il s’agit ; il
constatera après analyse (selon le droit étranger), qu’il s’agit d’un cas de dissolution du
mariage au regard du droit étranger, et il en déduira que c’est un problème de mariage,
composante du statut personnel. Il qualifiera lege fori et placera ladite institution dans le statut
personnel rattaché à la loi nationale. De même en droit français, on n’hésite pas à élargir la
catégorie du mariage pour y faire entrer certaines unions libres, ainsi que les unions
polygamiques.
28
Paragraphe 2 : La qualification dans les ordres juridiques complexes
Le problème du conflit de qualification dans les ordres juridiques complexes a été
analysé dans le détail pour le cas camerounais, par madame Brigitte DJUIDJE dans sa thèse
de Doctorat. Elle fait observer en effet que le problème du conflit de qualifications suscite des
difficultés particulières lorsque l’un des systèmes impliqués, notamment le système du for est
pluraliste. Un système pluraliste s’entend d’un système composé d’au moins deux ordres
juridiques qui peuvent être inégalitaires ou égalitaires. La difficulté consiste donc à répondre à
la question de savoir quelle est parmi les multiples lois du for, celle qui doit être considérée
comme lex fori. En fonction de la controverse doctrinale qui est née à ce sujet, il faut
distinguer selon que l’ordre juridique pluraliste est égalitaire (A) ou hiérarchisé (B).

A- L’hypothèse des ordres juridiques pluralistes égalitaires

Lorsque les multiples lois du for pluraliste sont placées sur un même pied d’égalité, il
devient difficile de choisir celle qui sera considérée comme lex fori afin de régler le conflit de
qualifications. C’est pourquoi certains ont proposé d’abandonner la lex fori et de recourir à la
lex causae. C’est le raisonnement tenu par monsieur TYAN pour le droit libanais où il existe
une véritable égalité entre les différentes lois confessionnelles. Ainsi, la qualification lege fori
impossible, le juge libanais étant nécessairement porté à respecter la loi étrangère avec ses
propres définitions. Cependant, on a vu avec le droit égyptien, que la qualification lege fori
peut être expressément énoncée en dépit de l’égalité entre les différentes lois confessionnelles.
La qualification lege fori ici est menée par référence aux prescriptions du droit musulman qui
constitue en Egypte, le droit commun en matière de statut personnel. On comprend ainsi que,
« qui dit ordre juridique pluraliste ne dit pas forcément qualification lege causae ».

B- L’hypothèse des ordres juridiques pluralistes hiérarchisés

Un ordre juridique pluraliste est hiérarchisé lorsque les différents systèmes qui le
composent ne sont pas placés sur un même pied d’égalité, il y a un système supérieur à un
autre. Dans le cas camerounais, il existe un pluralisme opposant le droit anglophone et le droit
francophone et un pluralisme opposant le droit occidental au droit coutumier. Le premier
système est égalitaire, le droit anglophone étant placé au même niveau que le droit
francophone. Par conséquent, pour qualifier lege fori, le juge francophone saisi le fera par
référence au droit francophone et le juge anglophone par référence au droit anglophone. Le
second système est inégalitaire, le droit occidental étant considéré comme supérieur au droit
coutumier. La qualification lege fori se fera alors par référence au seul droit moderne. Cette
position a été sérieusement critiquée par madame DJUIDJE qui propose dans l’attente d’un «
droit commun futur » à élaborer à partir des éléments du droit occidental et du droit
coutumier, de qualifier lege fori, non pas par référence au seul droit occidental considéré
comme droit commun existant, mais plutôt par référence au droit camerounais dans son
ensemble. L’auteur fait remarquer que la richesse du système juridique camerounais qui a à
son actif des droits d’origine diverse, apparaîtrait comme un atout considérable en matière de
qualification. Il serait aisé d’établir le rapprochement, entre le droit d’origine française et le
droit de l’Europe continentale, entre le droit d’origine anglaise et le droit des pays anglo-
saxons, entre le droit coutumier et le droit de certains pays africains ainsi que ceux des pays
musulmans. Les institutions des grands systèmes juridiques contemporains trouveraient donc
29
toujours leur répondant en droit camerounais, ce qui permettrait au juge camerounais saisi de
faire recours au droit le plus proche du système étranger pour procéder à la qualification.

30
CHAPITRE II :
LE RATTACHEMENT

Le rattachement est une opération juridique qui consiste, une fois la qualification
acquise, à désigner l’ordre juridique qui permettra de trancher le problème de droit. Par
principe, la question ne pose pas de difficulté particulière en présence d’une règle de conflit
bilatérale. En effet, une fois classée dans une catégorie de droit international privé (statut
personnel, statut réel, statut des obligations), le problème de droit est automatiquement soumis
à un ordre juridique donné, grâce à l’élément de rattachement correspondant à cette catégorie.
Mais, deux facteurs majeurs sont susceptibles de perturber l’application de ce principe. Il
s’agit du conflit de rattachements et du conflit mobile.
Le conflit de rattachements, à cause de la diversité internationale des règles de
rattachement, peut se présenter soit sous la forme positive, soit sous la forme négative. Le
conflit positif de rattachements survient lorsque plusieurs systèmes, en raison des
rattachements adoptés par leur règle de conflit, se considèrent compétents pour appréhender la
situation. Dans ce type de conflit, chacune des règles de rattachement en présence donne
compétence à sa propre loi interne. Par exemple, le statut personnel d’un camerounais
domicilié en Angleterre est régi en vertu de la règle de rattachement française par la loi
française, loi de sa nationalité, et en vertu de la règle de rattachement anglaise, par la loi
anglaise, loi de son domicile. Le conflit positif de rattachement semble donc insoluble.
Toutefois, on admet que le caractère national des règles de rattachement commande de se
référer exclusivement à la règle de rattachement du for sans tenir compte de la règle de conflit
étrangère.
Le conflit négatif de rattachement survient lorsqu’aucun des systèmes juridiques
envisagés ne retient sa compétence pour trancher le problème de droit en cause. Dans ce type
de conflit, chacune des règles de conflit attribue compétence dans un cas donné, non à sa
propre loi interne, mais à une loi étrangère. Par exemple, pour un anglais domicilié au
Cameroun, son statut personnel est régi d’après la règle de rattachement camerounaise, par la
loi anglaise, sa loi nationale, et d’après la règle de rattachement anglaise, par la loi
camerounaise, loi de son domicile. Il y a donc un conflit négatif dans cette hypothèse parce
que la règle de rattachement camerounaise en matière de statut personnel désigne la loi
anglaise, et la règle de rattachement anglaise du statut personnel désigne la loi camerounaise.
On parle alors du renvoi. C’est l’aspect du conflit de rattachement qui pose le plus de
difficultés. Cela justifie que le problème du renvoi soit étudié (section 1) avant celui relatif au
conflit mobile (section 2).

Section 1 : Le problème du renvoi

Le renvoi désigne, en droit international privé, la manière de résoudre le conflit de


solutions qui se présente lorsque la règle de conflit de lois du for désigne un droit étranger,
mais que celui-ci décline la compétence qui lui est ainsi faite en conférant au droit du for ou à
un droit tiers le soin de régir la situation. Après épuisement de la discussion sur l’admission
du renvoi (paragraphe 1), le véritable problème aujourd’hui est celui du domaine du renvoi
(paragraphe 2).

31
Paragraphe 1 : L’admission du renvoi

Les origines du renvoi (A) ne présageaient aucunement la naissance et le


développement d’une grande controverse (B) presque tranchée par la jurisprudence qui
présente et admet le renvoi désormais sous plusieurs formes, compte tenu de son utilité
pratique (C).

A- Les origines du renvoi en droit international privé

La question du renvoi n’avait pas été perçue lorsque fut élaborée la théorie de la règle
de conflit ; elle s’est révélée au cours de la seconde moitié du XIXème siècle devant les
tribunaux de différents pays qui la résolurent par acceptation du renvoi au premier degré
notamment. Elle le fut notamment en France à l’occasion de l’affaire FORGO (Cass. Civ., 24
juin 1878, S. 1878, I, 429, D. 1879, I, 56). Les faits de l’espèce étaient les suivants : FORGO
était un enfant naturel bavarois venu en France à l’âge de cinq ans et décédé une soixantaine
d’années plus tard laissant une importante succession mobilière à laquelle ne prétendaient que
des collatéraux maternels. Ceux-ci venaient à la succession selon le droit bavarois, mais non
selon le droit français alors en vigueur qui attribuait une telle succession à l’administration
française des domaines. La règle de conflit française désignait la loi du domicile, et parce que
le défunt n’avait jamais été formellement admis à domicile en France, son domicile de droit
était réputé en Bavière ; mais il fut constaté que la loi bavaroise soumettait la succession à la
loi de la dernière résidence (domicile de fait), la loi française. La Cour de cassation entérina
ce renvoi à la loi française et attribua la succession de FORGO à l’Etat français en vertu du
droit international privé bavarois. Mais la découverte du problème relatif au renvoi engendra
une vive controverse doctrinale.

B- La controverse doctrinale sur l’admission du renvoi

Le problème du renvoi a été formulé comme celui de savoir si la désignation du droit


étranger par la règle de conflit porte sur le seul droit substantiel ou sur l’ensemble de ce droit
y compris ses règles de conflit. En France comme ailleurs, les auteurs se sont partagés entre
des positions hostiles au renvoi (Bartin, Francescakis) et des positions tendant à justifier son
application (Niboyet, Maury, Lerbours- Pigeonnière, Batiffol, Dérruppé).
A l’encontre du renvoi, la doctrine avançait deux types d’arguments, un argument
théorique et un argument pratique. Pour l’argument théorique, elle faisait observer que chaque
système juridique comporte des règles de conflits et des règles de fond. Le juge devant
résoudre son problème de droit international privé, qualifie et rattache lege fori. Par exemple,
lorsque le juge camerounais est confronté à un problème de conflit de lois, il se réfère à sa
propre règle de conflit qui lui donne la solution et le conflit de lois est réglé. Dès lors, si cette
solution consiste en la désignation d’une loi étrangère, il ne peut s’agir que de la loi interne,
substantielle étrangère, seule apte à traiter le fond du litige, et non de la loi étrangère de droit
international privé : il n’y a donc pas renvoi. Pour l’argument pratique, la doctrine fait
également observer que si l’on admet le renvoi, cela signifie que la règle de conflit du for
attribut compétence à la totalité du droit étranger y compris ses dispositions de droit
international privé, c'est-à-dire ses règles de conflit. A ce moment, il n’est pas certain que le

32
système étranger renvoie à la loi du for, il peut désigner une autre loi : on craint ainsi de se
retrouver dans un cercle vicieux avec les renvois au 2nd, 3ème, 4ème degrés etc.
En faveur du renvoi, la doctrine a avancé plusieurs arguments. Premièrement, ne
serait-il pas un peu anormal pour un juge d’appliquer une loi étrangère alors que celle-ci ne se
reconnaît pas compétente ? C’est forcer un peu la nature des institutions. Deuxièmement, le
juge est plus à l’aise lorsqu’il applique sa propre loi, que lorsqu’il applique la loi étrangère.
Par conséquent, l’ordre juridique interne ne souffre aucunement du renvoi qui lui est fait, car
on peut penser que la justice rendue sur la base de la lex fori serait plus exacte que celle
rendue sur la base d’une loi étrangère.
Troisièmement, quand on rend un jugement, il faut penser à son exécution. Or, si le
juge accepte la théorie du renvoi, la compétence que lui restitue le droit étranger a pour
conséquence que le jugement qu’il va rendre se trouvera conforme non seulement au droit
interne, mais aussi au droit étranger. On comprend ainsi que les thèses en faveur du renvoi
s’appuient essentiellement sur son utilité pratique. C’est pourquoi en transcendant cette
controverse, la jurisprudence depuis l’affaire FORGO admet le renvoi sous plusieurs formes.

C- Les formes du renvoi

En dépit des critiques exprimées par la doctrine à la suite de l’arrêt FORGO, la cour de
cassation s’est prononcée pour l’application du renvoi tant au premier degré qu’au second
degré.
On parle de renvoi au premier degré lorsque le droit étranger renvoie au droit du for.
Par exemple, un tribunal camerounais est saisi d’une question d’état et de capacité concernant
un anglais domicilié au Cameroun. Selon le droit international privé camerounais, la loi
compétente est la loi nationale, c’est-à-dire la loi anglaise, et selon le droit international privé
anglais, c’est la loi du domicile, la loi française. C’était l’hypothèse de l’affaire FORGO. La
Cour de cassation française a eu l’occasion de confirmer sa position à plusieurs reprises. Dans
l’arrêt SOULIE (Cass. Req., 9mars 1910, D.P. 1912, I, p. 162) par exemple, elle déclare à
propos d’une autre succession mobilière (comme dans l’affaire Forgo), que : « la loi française
de droit international privé ne souffre d’aucune manière du renvoi qui est fait à la loi interne
française par la loi de droit international privé étranger ; qu’il n’y a qu’avantage à ce que
tout conflit se trouve ainsi supprimé et à ce que la loi française régisse, d’après ses propres
vues, des intérêts qui naissent sur son territoire ». La formule de l’arrêt Soulié fut reprise
pour faire jouer le renvoi en matière de divorce d’époux de nationalité étrangère et établis en
France, notamment dans l’affaire BIRCHALL (Cass. Civ., 10 mai 1939, S. 1942, I, p. 173).
Elle le fut également en matière de filiation, dans l’affaire SOMMER (Cass., civ., 8 décembre
1953, RCDIP, 1955, p. 133), la loi nationale de l’enfant désignant celle de l’Etat « auquel la
mère et l’enfant étaient soumis au jour de la naissance ».
Il y a renvoi au second degré lorsque le renvoi est fait à une loi tierce, lequel pourrait
encore conduire, au moins théoriquement, à la désignation d'une quatrième loi, etc. Imaginons
un tribunal camerounais saisi d’une question d’état et de capacité concernant un anglais
domicilié en France. Pour le droit camerounais, la loi compétente est la loi nationale, c’est-à-
dire la loi anglaise. Mais le droit anglais donne compétence à la loi du domicile, la loi
française. Contrairement au renvoi au premier degré, le renvoi au second degré semble avoir
son origine dans une systématisation doctrinale. Les auteurs, édifiant la théorie du renvoi à
33
partir de la règle de l’arrêt Forgo, furent emmenés à constater que la règle de conflit étrangère
pouvait désigner soit la loi française, soit la loi d’un pays tiers. Il n’y avait donc pas de raison
objective d’admettre le renvoi dans la première hypothèse et l’écarter dans la seconde. Mais
pendant longtemps, les tribunaux n’ayant eu à connaître d’aucun cas de renvoi au second
degré, l’incertitude sur le sort que la jurisprudence entendait lui réserver. L’on devait attendre
l’arrêt PATINO du 15 Mai 1963 (cité à l’introduction du cours) pour voir cette incertitude
levée. La Cour de cassation a approuvé le juge du fond d’avoir refusé le divorce à des époux
boliviens « sur le fondement du renvoi statué par la loi bolivienne aux droits espagnols du
lieu de célébration du mariage ». D’après la règle française de conflit, le divorce était régit
par la loi nationale commune des époux, c'est-à-dire la loi bolivienne ; d’après ses propres
dispositions, la loi bolivienne admettait le divorce à condition que la loi du lieu de célébration
du mariage l’admit, or, ici, le mariage ayant été célébré en Espagne, et la loi espagnole de
l’époque n’admettant pas le divorce, le juge français refusé de prononcer le divorce : il a donc
appliqué le renvoi au second degré. Toutefois, il faut reconnaître que c’est à l’occasion d’un
renvoi au premier degré que la Cour de cassation a d’abord admis le principe du renvoi au
second degré dans l’affaire MARCHI DELLA COSTA (Cass., civ., 7 mars 1938, RCDIP, 1938,
p. 472), en énonçant que les juges du fond avaient justement reconnu « le caractère en
principe obligatoire du renvoi fait par la loi nationale d’un étranger à la loi d’un autre Etat
pouvant être le cas échéant la législation française ». L’affaire Patino a donc été la première
application du renvoi au second degré.
Au-delà de l’admission du principe du renvoi en droit positif, on doit relever que le
renvoi ne s’applique pas automatiquement et de façon globale en droit international privé. On
l’admet dans certains cas, et on le rejette dans d’autres. Admettent le renvoi, les règles
bilatérales de rattachement et le statut personnel, les deux étant considérés comme le terrain
de prédilection des conflits de lois.
Rejettent par contre le renvoi, les règles à caractère unilatéral et à caractère substantiel,
auxquelles il faut adjoindre le statut réel, les faits juridiques et les actes juridiques, tous ces
éléments étant par principe allergiques à toute idée de conflit de lois. C’est pourquoi
aujourd’hui le problème que pose le mécanisme du renvoi est plutôt celui de son domaine.

Paragraphe 2 : Le domaine du renvoi

Exception au jeu normal de la règle de conflit, le renvoi ne doit être admis que si le
sens de la règle de conflit conduit à cette solution. C’est pourquoi il est généralement admis
que le renvoi doit être écarté lorsque son résultat est incompatible avec l’objectif poursuivi
par la règle de conflit. Il en est ainsi d’une part dans les matières relevant de la loi
d’autonomie (A) et d’autre part dans celles où le souci majeur de la règle de conflit est de
garantir la validité de l’acte (B).

A- L’exclusion du renvoi dans les matières relevant de la loi d’autonomie

Lorsque les parties à un contrat ou à un rapport de droit choisissent, en application de


la règle de conflit du for, la loi applicable à leur rapport, il n’est pas contestable qu’elles ont
en vue dispositions matérielles de cette loi. Ce serait déjouer leurs prévisions que de les
soumettre à une loi défavorable, issue du mécanisme du renvoi. Ainsi, les matières soumises à

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la loi d’autonomie comme les régimes matrimoniaux et les contrats sont réfractaires au
renvoi.
Le renvoi n’intervient pas dans la résolution des conflits de lois relatifs au régime
matrimonial. Prévisible et attendue, cette éviction du renvoi est commandée par la teneur
même de la règle de conflit qui est depuis Charles DUMOULIN, celle de la loi d’autonomie.
Toutefois, la volonté des époux intervient non pour dicter au juge le choix de la loi applicable,
mais pour l’aider à localiser les intérêts du ménage. Cette volonté peut être explicite ou
implicite. C’est dans ce sens que la Cour de cassation dans les arrêts LARDANS (Civ 1ère, 27
Janvier 1969, RCDIP, 1969, p. 710) et GOUTHERTZ (Civ. 1ère, 1er Février 1971, RCDIP,
1972, p. 644) a exclu le renvoi en matière de régime matrimoniaux en se fondant sur la
considération que le régime légal s’analyse en un régime conventionnel tacite et que la
soumission à la loi du premier domicile matrimonial repose sur la volonté présumée des
époux de localiser en ce pays leurs intérêts pécuniaires.
Pour les contrats, il s’agit du domaine de prédilection de l’autonomie de la volonté.
On sait que l’incompatibilité est manifeste entre le renvoi et l’autonomie de la volonté.
Lorsque deux contractants décident de soumettre leur contrat à une loi étrangère, ce choix se
porte normalement sur la loi interne matérielle de ce pays étranger. Ce serait donc déjouer
leurs prévisions que d’admettre le renvoi à une autre loi, sauf bien entendu lorsque les parties
ont entendu en désignant cette loi étrangère, y inclure ses règles de conflit.

B- L’exclusion du renvoi en matière de forme des actes juridiques et la


problématique des rattachements alternatifs

On sait que la forme des actes est soumise à la locus regit actum, c'est-à-dire la loi du
lieu de passation de l’acte ou plus précisément la loi du lieu de conclusion du contrat. Un
renvoi éventuel de la loi locale à une autre loi, aux dispositions de laquelle l’acte ne satisferait
pas, compromettrait la régularité de celui-ci, et se retournerait contre le but de la règle qui est
de permettre aux parties de se fier aux dispositions locales sur la forme des actes. Cependant,
cette règle a un caractère facultatif, elle offre aux parties ou à l’auteur de l’acte, si celui-ci est
unilatéral, la possibilité de préférer aux formes prévues par la loi du lieu de formation, celle
que prescrit une autre loi répondant mieux pour le cas, aux besoins de commodité et de
sécurité. Il s’ensuit que la double considération de commodité et de sécurité qui détermine,
lors de la confection de l’acte, le choix de telle ou telle loi serait ruinée si, au moment du
procès, le juge pouvait au mépris de toutes les prévisions mettre en œuvre un renvoi
conduisant à apprécier la régularité formelle selon une loi différente. Le renvoi est donc exclu
dans ce cas.
Toutefois, on s’est demandé s’il n’était pas possible d’admettre le renvoi de façon
assez sélective, notamment le renvoi ad validitatem lorsqu’il s’agira d’assurer la validité d’un
acte, ou le renvoi ad favorem lorsqu’il s’agira d’assurer la défense de l’intéressé qu’on entend
protéger, dans l’hypothèse des rattachements alternatifs comme en matière de filiation. On
sait que les rattachements sont alternatifs lorsque la règle de conflit propose plusieurs points
de rattachements égaux dont il faudra choisir un afin de trouver la loi applicable. En matière
de filiation, parfois, la règle de conflit met en concurrence la loi de la mère, la loi de l’enfant
et la loi du lieu de naissance de l’enfant. Un renvoi qui permettrait par exemple

35
l’établissement de la filiation d’un enfant naturel devrait être admis, puisqu’il est dans
l’intérêt de l’enfant.

Section 2 : Le problème du conflit mobile

On examinera successivement la notion et le domaine du conflit mobile (paragraphe


1) et les solutions du conflit mobile (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Notion et domaine du conflit mobile

Il y a « conflit mobile » selon la terminologie introduite par Bartin, lorsque l’élément


de rattachement retenu par la règle de conflit connaît un déplacement ou une modification. Ce
type de conflit ne peut donc se présenter qu’en certaines matières. On le rencontre
principalement en matière de statut personnel, lorsque l’intéressé change de nationalité, de
domicile ou de résidence ; et en matière de statut réel mobilier, lorsque le meuble est
transporté d’un pays à un autre. En matière contractuelle, le conflit mobile est concevable
dans la mesure où les parties sont susceptibles de se prononcer sur la loi applicable
postérieurement à la conclusion du contrat, qu’elles aient ou non effectué un choix antérieur.
Dans ces différents cas, va se poser la question de l’aménagement des rapports entre
les lois applicables. Il y a une superposition ici d’un conflit dans l’espace et d’un conflit dans
le temps. On s’interroge donc sur le point de savoir si l’on doit continuer d’appliquer la loi
ancienne ou si celle-ci doit céder la place à la loi nouvelle. On peut y répondre en fonction de
principes généraux, valables en toute matière, et deux théories ont été soutenues en ce sens ;
mais il semble préférable de s’attacher à la règle de conflit en cause et donc de se prononcer
en fonction des principes qui la sous-tendent ou des objectifs qu’elle poursuit.

Paragraphe 2 : Les solutions du conflit mobile

Une première solution a été fondée sur la théorie des droits acquis. Elle signifie que
les droits constitués selon une loi donnée seront reconnus partout. Il s’ensuit par exemple que
si une sûreté a été constituée dans un pays donné sur un meuble qui s’y trouvait et que le
meuble vient à être transporté dans un autre pays, la sûreté y conservera ses effets. Ou encore,
les effets d’un mariage demeureraient soumis à la loi qui s’y appliquait lorsqu’il a été
contracté, en dépit d’un changement de loi personnelle des époux. Ce principe de solution
assure la stabilité des droits ou institutions dans l’ordre international, ainsi qu’un certain
maintien des ensembles législatifs. Par exemple, le titulaire d’une sûreté sur un meuble ne
perdra pas le bénéfice de celle-ci au motif que l’objet a été déplacé à l’étranger ; un mariage
conclu sous l’empire d’une loi restrictive en matière de divorce ne pourra être dissous selon
une loi plus libérale.
Une seconde solution a été fondée sur l’interprétation de la règle de conflit. Le conflit
mobile ne se confondant pas avec un conflit transitoire interne, le problème peut être résolu
par une interprétation de la règle de conflit elle-même. Ainsi en matière de statu réel mobilier,
un fondement primordial du rattachement à la lex rei sitae est l’apparence qui résulte de la
situation du meuble. Ce facteur incite à faire prévaloir la loi de la situation actuelle sur celle
de la situation ancienne.

36
En matière de statut personnel, l’idée essentielle de permanence milite à première vue
pour le maintien de la loi sous l’empire de laquelle des droits ont été constitués. Mais le
principe d’application de la loi avec laquelle la situation présente les liens les plus étroits
implique au contraire que les conséquences soient tirées d’un changement effectif de
situation.
En matière contractuelle, on doit donner effet au choix actuellement exprimé, sauf à
réserver les droits des tiers qui auraient fondé des prévisions légitimes sur la situation
antérieure.
En définitive, la solution du conflit mobile emprunte tantôt au souci du respect des
droits acquis, tantôt à celui d’efficacité de la loi actuelle, en fonction des objectifs particuliers
à la matière, tels qu’ils s’expriment dans la règle de conflit. Dès lors que les problèmes de
qualification et de rattachement sont réglés, il ne reste plus au juge saisi d’un litige
comportant un élément d’extranéité, qu’à mettre en œuvre la règle de conflit.

37
CHAPITRE III :
LA MISE EN OEUVRE DE LA REGLE DE CONFLIT

Le Professeur Yvon LOUSSOUARN dans son cours général de droit international


privé à l’Académie de droit international de La Haye, enseigne que « toutes les fois qu’un
tribunal a à connaître d’un litige international (c’est-à-dire dans la définition la plus vaste
d’un litige comportant un élément d’extranéité) susceptible pour cette raison de se rattacher à
deux ou plusieurs pays, il doit consulter sa propre règle de conflit de lois (son propre système
de droit international privé) et déterminer par référence à cette dernière, la loi applicable ».
La loi applicable ainsi déterminée peut être la loi du juge saisi, c’est-à-dire la lex fori, ou une
loi étrangère. Lorsque la loi désignée par la règle de conflit est la lex fori, il n’y a aucun
problème à l’appliquer, le juge se comporte comme s’il était en face d’un litige de droit
interne. Par contre, si la loi applicable désignée par la règle de conflit est une loi étrangère,
plusieurs difficultés peuvent se poser. La première est relative à l’application d’office de la loi
étrangère désignée par la règle de conflit. En effet, le juge est-il obligé d’appliquer la loi
étrangère désignée par la règle de conflit ? Bien plus, les parties peuvent-elles s’entendre pour
faire échec à l’application de la loi désignée par la règle de conflit ? Ces deux questions
posent en droit international privé, le problème de l’autorité de la règle de conflit (section 1).
La deuxième difficulté est relative à la nature de la loi étrangère devant le juge du for. La loi
étrangère étant « un droit venu d’ailleurs », le juge devrait-il lui réserver le même traitement
que s’il était en face de sa propre loi ? Selon qu’il considère la loi étrangère comme un fait ou
comme une règle de droit, le raisonnement relatif à son application ne sera pas le même. C’est
le problème de la condition procédurale de la loi étrangère (section 2). La troisième difficulté
est celle de l’éviction de la loi étrangère. Au moment d’appliquer effectivement la loi
étrangère normalement compétente, deux obstacles majeurs peuvent se poser, notamment si
cette loi heurte l’ordre public (entendu au sens du droit international privé) ou alors si cette loi
est le résultat d’un mécanisme de fraude. Dans ces deux cas interviendra la lex fori comme
solution en cas d’éviction de la loi étrangère (section3).

Section 1 : L’autorité de la règle de conflit

On analysera l’autorité de la règle de conflit tant à l’égard du juge (paragraphe 1), qu’à
l’égard des parties (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L’autorité de la règle de conflit à l’égard du juge : la question de


l’application d’office de la loi étrangère

Après une longue évolution jurisprudentielle en « dents de scie » qui semble


aujourd’hui avoir trouvé un certain équilibre, la question de l’autorité de la règle de conflit à
l’égard du juge a cessé d’être fondée sur la nature des lois désignées (A), pour varier
désormais selon la nature des droits litigieux (B).

A- L’autorité de la règle de conflit en fonction de la nature des lois désignées :


l’arrêt BISBAL (Cass. Civ., 1ère, 12 mai 1959, D. 1960, p. 610, note Malaurie)

Dans cette affaire, la Cour de cassation avait été saisi d’une question de divorce
prononcé entre deux époux espagnols selon la loi française, alors que la règle de conflit
38
donnait compétence à leur loi nationale et que celle-ci ne permettait pas le divorce. Le
pourvoi en cassation formé par l’un d’eux pour violation de la règle de conflit fut rejeté au
motif que « les règles françaises de conflit de lois, en tant du moins qu’elles prescrivent
l’application d’une loi étrangère, ne sont pas d’ordre public, en ce sens qu’il appartient aux
parties d’en réclamer l’application, et qu’on ne peut reprocher aux juges du fond de ne pas
appliquer d’office la loi étrangère et de faire, en ce cas, appel à la loi interne française,
laquelle a vocation à régir tous les rapports de droit privé ».
De cette décision dont la solution fut reprise l’année suivante dans l’affaire
Compagnie Algérienne de Crédit et de Banque (Cass. Civ., 2 mars 1960, RCDIP, 1960, p. 97,
note Henri Batiffol), il ressortait que la règle de conflit a un caractère facultatif en cas de
désignation de la loi étrangère (1) et un caractère impératif en cas de désignation de la loi du
for (2).
1- Le caractère facultatif de la règle de conflit en cas de désignation de la loi
étrangère

Dans l’arrêt BISBAL, la question posée aux juges français était celle de savoir s’ils
sont tenus d’appliquer une loi étrangère désignée par la règle de conflit, lorsque les parties au
litige ne l’ont pas invoquée. Les juges ont répondu qu’en cas de silence des parties lorsque la
règle de conflit désigne une loi étrangère, ils ne sont pas tenus de l’appliquer d’office, la règle
de conflit n’a alors qu’un caractère facultatif.

2- Le caractère impératif de la règle de conflit en cas de désignation de la loi du


for

Selon les juges de l’affaire BISBAL, lorsque la règle de conflit désigne la loi du juge
saisi, ce dernier est tenu de l’appliquer d’office. La règle de conflit a alors un caractère
impératif. En réalité, il semble que les termes de l’arrêt expriment seulement le constat
suivant : dans le cas de désignation de la loi étrangère par la règle de conflit, la
méconnaissance de cette dernière peut prendre sa source dans une donnée de fait, tandis que
dans le cas de désignation de la loi du for, la méconnaissance de la règle de conflit ne peut
résulter que d’une erreur de droit.
Cependant, la solution de l’affaire BISBAL, bien qu’elle puisse se justifier par un
argument pratique tiré du fait que le juge ne peut pas connaître la teneur de toutes les lois
étrangères, a été vivement critiquée. La doctrine a fait observer qu’elle était de nature à créer
des situations choquantes. En matière de divorce notamment, on risquait de voir un juge
hostile à cette institution, appliquer d’office la loi étrangère qui l’interdisait, tandis qu’un
autre, qui l’estimait nécessaire, acceptait d’appliquer la loi du for.
C’est pourquoi, la Cour de cassation a imposé, par deux arrêts des 11 et 18 octobre
1988, REBOUH et SCHULE (RCDIP, 1989, p. 368, note Alexandre), aux juges du fond
l’obligation de rechercher, au besoin d’office, la loi applicable. Malheureusement, ces arrêts
ont été « éphémères », puisque deux ans plus tard, dans l’arrêt COVECO (Cass., civ., 4
décembre 1990, JDI, 1991, p. 371, note Bureau), le juge limite le domaine de l’application
d’office des règles de conflit dans deux cas : lorsque les parties n’ont pas la libre disposition
de leurs droits et lorsque la règle de conflit est de source conventionnelle.

39
B- L’autorité de la règle de conflit en fonction de la nature des droits litigieux :
l’arrêt SOCIETE MUTUELLE DU MANS (Cass., civ., 26 mai 1999, RCDIP 1999, p.707,
note Honoratia MUIR WATT)

On distinguera selon qu’il s’agit des droits dont les parties ont la libre disposition (1)
ou des droits dont les parties n’ont pas la libre disposition (2).

1- Le caractère facultatif de la règle de conflit en cas de libre disposition des


droits par les parties

Il ressort de l’arrêt Société Mutuelle du Mans que le juge saisi n’est pas obligé
d’appliquer la loi désignée par la règle de conflit lorsqu’il s’agit d’une matière dans laquelle
les parties ont la libre disposition de leurs droits. En l’espèce, il s’agissait du juge français qui
avait appliqué au litige relatif à la vente internationale, la loi française, au détriment de la
Convention de la Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère
international d’objets mobiliers. En matière contractuelle donc, le juge n’est pas tenu
d’appliquer la loi désignée par la règle de conflit. Les parties peuvent même
conventionnellement exclure l’application de la loi désignée par la règle de conflit. La règle
de conflit n’aura alors qu’un caractère facultatif.

2- Le caractère impératif de la règle de conflit en cas d’indisponibilité des droits


par les parties

Par une interprétation a contrario de la solution issue de l’affaire Mutuelle du Mans


(qui ne visait que les droits disponibles), on est arrivé à poser que le juge est tenu d’appliquer
la loi désignée par la règle de conflit lorsqu’il s’agit d’une matière dont elles n’ont pas la libre
disposition des droits litigieux. On retient qu’il n’existe désormais qu’un seul cas
d’application d’office obligatoire pour le juge, celui où les parties n’ont pas la libre
disposition de leurs droits. Il s’agit par exemple des questions relatives au statut personnel,
dont on sait que les parties n’en n’ont pas la libre disposition. Par conséquent, la règle de
conflit a un caractère impératif tant à l’égard du juge qu’à l’égard des parties. Ces dernières ne
peuvent donc pas conclure un accord procédural.

Paragraphe 2 : L’autorité de la règle de conflit à l’égard des parties : le problème


de l’accord procédural

Le problème de l’accord procédural trouve son origine dans la question de savoir si


les parties peuvent écarter les règles de conflit de lois, pour soumettre leur litige à la loi du
for, ou à une autre loi étrangère que celle désignée par la règle de conflit. Cette question, vue
par la doctrine ne s’était pas posée concrètement du fait de la jurisprudence BISBAL puisque
la règle de conflit n’avait pour le juge et pour les parties, qu’un caractère facultatif.
Désormais, avec la distinction opérée par l’arrêt Mutuelle du Mans, les parties ne pourraient
écarter ces règles que pour les droits dont elles ont la libre disposition. Il importe d’examiner
l’acceptation de l’accord procédural en jurisprudence (A) ainsi que les difficultés qu’il peut
susciter (B).

A- L’acceptation de l’accord procédural en jurisprudence


40
De l’arrêt ROHO (Cass. Civ., 1ère, 1er Avril 1988) à l’arrêt Société Deltay (Cass. Civ.,
1ère, 26 Mai 1999) en passant par l’arrêt HANOVER INTERNATIONAL (Cass. Civ., 6 mai
1997), la Cour de cassation française a finalement admis l’accord procédural, en énonçant que
les parties peuvent pour les droits dont elles ont la libre disposition, lier le juge du fond par un
accord exprès, écartant la règle de conflit quelle que soit sa source nationale ou internationale.

B- Les difficultés soulevées par l’accord procédural

Ces difficultés concernent le domaine, la forme, et la loi choisie lors de l’accord.


Quant à son domaine, l’accord procédural est limité aux droits dont les parties ont la
libre disposition. Il semble qu’il faille appliquer ici la loi du for à la question de savoir si le
droit est disponible ou indisponible. Ce principe a permis de neutraliser la jurisprudence
COVECO, qui obligeait le juge à appliquer d’office les règles de conflit contenues dans des
conventions internationales. Aujourd’hui, le juge n’est, semble –t- il, plus tenu d’appliquer les
règles de conflit conventionnelles, mais il pourrait le faire et l’accord procédural, pour écarter
ces règles, garde toute son utilité.
Quant à sa forme, l’accord procédural n’est soumis à aucune exigence de forme. Il
peut être écrit ou verbal ; il peut même résulter des conclusions des parties invoquant une loi
différente de celle désignée par la règle de conflit. Quant à la loi choisie lors de l’accord, la
formulation de l’arrêt HANOVER en 1997 paraissait restreindre l’accord procédural à la loi du
for. La formule retenue en 1999 paraît plus large : les parties peuvent s’entendre sur une autre
loi que celle désignée par la règle de conflit, cette autre loi peut être la loi du for, ou la loi
étrangère. Il faudra alors prouver cette loi étrangère. On perçoit ainsi en filigrane, la question
de la condition procédurale de la loi étrangère.

Section 2 : La condition procédurale de la loi étrangère

La question fondamentale ici est celle de savoir si la loi étrangère doit être traitée
comme un fait ou comme une règle de droit. De la réponse à cette question dépend la
condition procédurale de la loi étrangère. Sur ce point, la jurisprudence a évolué et le
traitement réservé à la loi étrangère devant le juge du for a varié selon qu’elle est considérée
soit comme un fait, soit comme une règle de droit. On peut le constater en étudiant la preuve
de la loi étrangère (paragraphe 1) et le contrôle de la Cour suprême sur la loi étrangère
(paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La preuve de la loi étrangère

On examinera sur qui pèse l’obligation de prouver, c’est la charge de la preuve (A),
comment prouver, ce sont les moyens de preuve (B) et ce qu’il faut faire si on ne peut pas
prouver, c’est la sanction du défaut de preuve (C).
A- La charge de la preuve
A l’origine, avec les arrêts LAUTOUR et THINET, la charge de la preuve de la loi
étrangère pesait sur les parties (1). Mais depuis l’arrêt COUCKE qui a reconnu le caractère de
règle de droit à la loi étrangère, la charge de la preuve incombe désormais au juge, qu’il
s’agisse des droits disponibles ou des droits indisponibles comme il ressort des arrêts AUBIN
et ITRACO (2).

41
1- La jurisprudence LAUTOUR et THINET : la preuve est l’affaire des parties
L’arrêt LAUTOUR (Cass. Civ., 25 mai 1948, RCDIP, 1949, p. 89) est le premier arrêt
ayant posé un principe général en matière de preuve de la loi étrangère. Il en ressort que la
charge de la preuve de la loi étrangère pèse sur la partie dont la prétention est soumise à cette
loi et non sur celle qui l’invoque, fusse à l’appui d’un moyen de défense. On pourrait ainsi
croire que le demandeur à l’action a seul un rôle prépondérant en matière de preuve de la loi
étrangère, or il n’a pas le monopole de l’émission des prétentions. En effet, comme l’a
clairement énoncé l’arrêt THINET (Cass. Civ., 1ère, 24 janvier 1984, RCDIP, 1985, p. 9), en
réponse à une prétention du demandeur, le défendeur peut, soit se borner à contester la
position du demandeur, soit élargissant le champ du litige, émettre à son tour, une prétention
dont le succès pourrait ruiner celle de son adversaire. En combinant les solutions de ces deux
arrêts, on comprend que la charge de la preuve de la loi étrangère est en quelque sorte
bilatérale, elle peut peser au cours du procès, soit sur le demandeur, soit sur le défendeur, ou
tour à tour sur le demandeur et le défendeur.

2- La jurisprudence AUBIN et ITRACO : la preuve est l’affaire du juge

A partir de l’arrêt COUCKE (Cass., civ., 1ère, 13 janvier 1993, RCDIP 1994, p. 78), la
Cour de cassation française a reconnu le caractère de règle de droit à la loi étrangère. Le juge
ne devait plus demander aux parties de prouver la loi étrangère (le droit étranger), il était
désormais tenu de rechercher lui-même le contenu ou la teneur du droit étranger. Entre temps,
le régime de cette nouvelle solution a juste varié en fonction de la nature des droits litigieux :
s’il s’agit des droits disponibles (Cass. Com., 16 novembre 1993, AMEFORD, RCDIP 1994,
p. 322), dans ce cas, le juge n’a pas d’obligation de rechercher la teneur du droit étranger ; s’il
s’agit des droits indisponibles (Cass., civ., 1ère, 24 novembre 1998, LAVAZZA, RCDIP, 1999,
p. 98), le juge a l’obligation de rechercher la teneur du droit étranger. Mais depuis les arrêts
AUBIN (Cass., civ., 1ère, 28 juin 2005, RCDIP, p. 646) et ITRACO (Cass., com., 28 juin
2005, Bull., civ., IV, n° 138) dont les jalons avaient été posés par l’arrêt SPORTING ( Cass.,
civ., 1ère, 18 septembre 2002, D. 2003, p. 1513), il est acquis qu’en matière de droits
disponibles comme de droits indisponibles, la responsabilité de rechercher la teneur du droit
étranger applicable revient au juge, le cas échéant avec le concours des parties. Cette solution
devait incontestablement avoir des répercussions sur les moyens de preuve.

B- Les moyens de preuve

Certains moyens sont à la disposition des parties (1) et d’autres à la disposition du juge
(2).

1- Les moyens de preuve à la disposition des parties

Les parties peuvent prouver la loi étrangère par les certificats de coutume. Le
certificat de coutume est un document qui émane, soit d’un consulat ou d’une ambassade d’un
Etat étranger, soit d’un juriste étranger ou de l’Etat du for, spécialiste du droit en question. Ce
certificat doit non seulement énoncer les textes, mais aussi leur interprétation par la
jurisprudence. En réalité, lorsqu’on parle de preuve de la loi étrangère, il s’agit de la preuve
du droit étranger dans son ensemble. La critique essentielle faite à ce procédé est que le

42
certificat de coutume est demandé par l’une des parties qui rémunère la personne qui lui
fournit ce certificat (les certificats de coutume ne sont pas compris dans l’aide judiciaire) et
qu’il y a donc là un risque que ce certificat présente le droit étranger dans un sens favorable
au demandeur. C’est pourquoi le certificat de coutume ne s’impose pas au juge. Ce dernier
doit apprécier les éléments du contenu de la loi étrangère.

2- Les moyens de preuve à la disposition du juge

Le juge peut également intervenir directement dans la recherche de la preuve de la loi


étrangère en faisant état, s’il en a, de sa propre connaissance du droit étranger. Il peut aussi
recourir à un expert ou à un consultant. En Europe, le juge a également à sa disposition,
dans le cadre du Conseil de l’Europe, le procédé de preuve des droits étrangers mis en place
par la Convention européenne dans le domaine de l’information sur le droit étranger du 7 juin
1968. Chaque pays signataire doit mettre en place une autorité chargée de donner des
informations, à la demande d’une juridiction d’un autre pays. Il s’agit, en France, du Bureau
de droit européen et de droit international du ministère de la Justice, qui assure à la fois la
transmission et la réception des demandes. Les informations, obtenues gratuitement, ne lient
pas le juge qui les a sollicitées.

C- La sanction du défaut de preuve de la loi étrangère

Le problème de la sanction du défaut de preuve est, lui aussi, directement lié à la


question de l’application d’office de la règle de conflit et à celle de la charge de la preuve de
la loi étrangère. Une fois de plus, il convient de distinguer selon que les parties ont (2) ou pas
(1) la libre disposition de leurs droits.

1- Lorsque les parties ne peuvent pas disposer de leurs droits

Dans cette hypothèse, le juge doit appliquer d’office la règle de conflit de lois et la
preuve de la loi étrangère revient aux parties, mais aussi au juge. Lorsque cette preuve n’est
pas rapportée parce que les parties par exemple, n’ont pas eu les moyens financiers de faire
établir un certificat de coutume et que le juge est resté inactif, qu’il n’a pas cherché lui-même,
le contenu de la loi étrangère, il serait extrêmement sévère, voire inadmissible, de rejeter la
demande. Le juge doit statuer selon sa propre loi qui a une vocation subsidiaire universelle
ou générale à s’appliquer.

2- Lorsque les parties peuvent disposer de leurs droits

Dans cette hypothèse, le juge n’a pas à appliquer d’office les règles de conflit de lois ;
la charge de la preuve de la loi étrangère repose sur la partie qui invoque l’application de cette
loi. On en déduit que la sanction du défaut de preuve de la loi étrangère doit conduire à
l’application de la loi du juge saisi, la lex fori, de par sa vocation subsidiaire. C’est d’ailleurs
très exactement ce qu’a affirmé la Cour de cassation dans l’arrêt AMEFORD en ces termes : «
à défaut (de preuve), le droit français s’applique en raison de sa vocation subsidiaire ».

43
Paragraphe 3 : Le contrôle par la Cour suprême de l’application de la loi
étrangère

Depuis la reconnaissance du caractère « juridique » et non plus seulement « factuel »


de la loi étrangère, son régime procédural est resté cependant assez original et se résume
finalement en un principe et des exceptions. Le principe consiste pour la Cour suprême à
refuser de contrôler l’interprétation de la loi étrangère (A), et les limites consistent à
reconnaître le contrôle des motifs et de la dénaturation (B).

A- Le principe : le refus du contrôle de l’interprétation de la loi étrangère

La Cour suprême ne se reconnaît pas compétente pour effectuer un contrôle de


l’interprétation de la loi étrangère. Elle considère que l’interprétation du droit étranger relève
de l’appréciation souveraine des juges de fond. La raison tient au fait qu’elle n’a pas le
pouvoir de créer le droit étranger. Juge de droit, la Cour suprême a pour rôle de contribuer à
l’élaboration du droit du for en interprétant la loi ou en comblant ses lacunes. Si une telle
mission était étendue à la loi étrangère, elle conduirait la Cour suprême à dire le droit
étranger, à donner sa propre interprétation de la loi étrangère. Or à l’égard de cette dernière,
ce n’est pas l’objectif poursuivi. Il s’agit, non de donner une interprétation de la loi étrangère,
mais, de rechercher l’interprétation qui est donnée dans le pays étranger. Bien plus, la Cour
suprême n’est pas suffisamment armée pour pouvoir contrôler de façon efficace
l’interprétation de la loi étrangère.

B- Les exceptions : l’admission du contrôle des motifs et de la dénaturation de la


loi étrangère

A partir de la décision Montefiore (Cass. Civ., 21 novembre 1961, RCDIP, 1962, p.


329), on sait que la Cour de cassation opère un contrôle de la dénaturation de la loi étrangère.
Celui-ci suppose que les juges du fond aient méconnu un texte suffisamment clair et précis
pour lui donner une autre signification ou qu'ils aient interprété un texte alors même qu'il n'y a
« rien à découvrir». Outre le texte de loi, ce contrôle doit s’étendre sur « les autres sources du
droit positif», notamment sur la jurisprudence. La technique du contrôle de dénaturation se
démarque ainsi nettement de la fausse interprétation. Celle-ci implique une mauvaise
interprétation d'un texte obscur. Mais la Cour de cassation se refuse à sanctionner une telle
erreur lorsqu'il s'agit d'une loi étrangère. Autrement, il lui faudrait prendre parti sur un texte
dont le sens n'est pas encore fixé dans le pays dont il émane. Or, elle n'a pas vocation à unifier
le droit applicable dans un autre État. Tandis que le contrôle de la dénaturation assure
simplement la conformité de l'interprétation retenue avec le sens réel du droit étranger, le
contrôle des motifs, d'autant plus utile qu'il fait « contrepoids » aux conditions strictes du
contrôle de la dénaturation, permet de vérifier que les juges du fond se sont bien acquittés de
leurs obligations. Plus précisément, il peut jouer afin de sanctionner ceux qui ont omis de
rechercher le contenu du droit étranger ou d'examiner un document invoqué à cet effet par
l'une des parties. Il permet encore de censurer les juges qui ont négligé de répondre à un

44
moyen précis tiré d'une disposition de la loi étrangère, ou ceux qui n'ont pas justifié leur
interprétation de la loi, même si les conclusions n'en soutenaient aucune autre.

Section 3 : L’éviction de la loi étrangère désignée par la règle de conflit

L’éviction (qui vient du verbe évincer) est la mise à l’écart, la neutralisation de la loi
étrangère normalement compétente, pour lui substituer la lex fori, la loi du juge saisi. En effet,
l’application de la loi étrangère désignée par la règle de conflit peut être considérée comme
inacceptable par le juge du for, soit parce que cette loi étrangère contient des dispositions
incompatibles avec les principes fondamentaux du for : c’est l’exception d’ordre public ; soit
parce que sa désignation est le fruit d’une utilisation frauduleuse de l’élément de rattachement
: il s’agit de l’hypothèse de la fraude à la loi. L’exception d’ordre public (paragraphe 1) et
l’exception de fraude à la loi (paragraphe 2) sont des mécanismes correctifs de la règle de
conflit qu’il convient d’étudier successivement.

Paragraphe 1 : L’exception d’ordre public

L’exception d’ordre public est une notion particulière en droit international privé dont
les contours doivent être précisés (A) avant d’en examiner les effets (B).

A- La notion d’ordre public en droit international privé

La loi étrangère désignée par la règle de conflit consacre parfois une solution si
choquante au regard des conceptions du for que le juge doit refuser de l’appliquer et recourir à
la lex fori de par sa vocation subsidiaire. L’exception d’ordre public en droit international
privé contrairement au droit interne, peut se définir comme un ensemble de principes
considérés au Cameroun à un moment donné, comme des principes fondamentaux du
système. Il intervient pour défendre des valeurs que la Cour de cassation appelle dans l’arrêt
LAUTOUR, « des principes de justice universelle considérés dans l’opinion française comme
doués de valeur internationale absolue ». C’est donc un correctif exceptionnel permettant
d’écarter la loi étrangère normalement compétente, lorsque cette dernière contient des
dispositions dont l’application est jugée inadmissible par le tribunal saisi. Ainsi, la fonction de
l’ordre public dans le sens du droit international privé est de sauvegarder les conceptions
juridiques et morales essentielles du for, en écartant le droit étranger auquel conduit
normalement la règle de conflit lorsqu’il s’y trouve des dispositions dont l’application est
jugée inadmissible par le tribunal saisi parce qu’elles sont contraires à ces données
essentielles du for. Le contenu de la loi étrangère est ici principalement incriminé.
Mais l’exception d’ordre public ne dépend pas seulement du contenu de la loi
étrangère et de sa comparaison avec le droit du for ; elle dépend aussi de son application
concrète à une espèce donnée lorsqu’elle a des liens avec le milieu du for. C’est ainsi qu’en
France est né le concept d’ « ordre public de proximité ». Par exemple, en matière de filiation,
dans un arrêt du 10 février 1993, la Cour de cassation précise que « Si les lois étrangères qui
prohibent l’établissement de la filiation naturelle ne sont en principe, pas contraires à la
conception de l’ordre public international, il en est autrement lorsque ces lois ont pour effet
de priver un enfant français ou résidant habituellement en France, du droit d’établir sa

45
filiation ; que dans ce cas, cet ordre public s’oppose à l’application de la loi étrangère
normalement applicable ».
Il s’agissait d’une action en recherche de paternité naturelle intentée par une mère
tunisienne. En application de la règle de conflit énoncée à l’article 311-14 du code civil
français, la loi tunisienne, loi personnelle de la mère, était applicable à l’action. Or, cette loi
ignore la filiation naturelle et prohibe toute action en recherche de paternité naturelle. Le
pourvoi reprochait à la Cour d’appel d’avoir écarté, au nom de l’ordre public français, la loi
tunisienne.
Bien plus, l’exception d’ordre public est par nature contingente. Elle évolue en même
temps qu’évolue le droit du for. L’ordre public est en effet lié à la politique législative d’un
Etat à un moment donné. La variabilité de l’ordre public pose alors au juge la question de
savoir si, en cas de modification, il doit tenir compte de ce qu’étaient les exigences de l’ordre
public au moment de la constitution de la situation, ou de ce qu’elles sont au moment où il
statue. La réponse générale est que le juge doit tenir compte de l’ordre public dans son état
actuel ; c’est le principe de l’actualité de l’ordre public. Le jugement qu’il va rendre ne doit ni
heurter un sentiment collectif, ni aller à l’encontre d’une politique législative du for : ce
sentiment et cette politique sont, bien entendu, ceux du moment où le jugement est rendu.

B- Les effets de l’exception d’ordre public

L’exception d’ordre public conduit à écarter la loi étrangère applicable pour lui
substituer la loi du juge saisi. Dans cet ordre d’idées, depuis la solution de l’arrêt RIVIERE
(Cass. Civ., 1ère, 17avril 1953, RCDIP, 1953, p. 412, note H. BATIFFOL), il est admis que «
la réaction à l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même suivant
qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit en France, ou suivant qu’il s’agit de laisser
produire en France les effets d’un droit acquis, sans fraude, à l’étranger ». Cela veut dire que
l’ordre public sera radical lorsqu’il s’agira de créer un rapport juridique, et il sera atténué
lorsqu’il faudra seulement reconnaître les effets sur le territoire du for, d’un droit acquis à
l’étranger. Par exemple, deux camerounais ne peuvent pas contracter un mariage polygamique
en France, parce que l’ordre public français s’y oppose : c’est l’effet radical.
En revanche, si un camerounais contracte mariage avec plusieurs conjointes au
Cameroun et décide ensuite d’aller vivre avec elles en France, le droit français ne déniera pas
la qualité d’épouse à chacune d’elles. C’est l’effet atténué de l’ordre public. Toutefois,
contrairement à certains pays comme la France où l’on peut observer l’effet radical et l’effet
atténué de l’ordre public, au Cameroun, seul l’effet radical serait admis. Par exemple, aucun
mariage homosexuel ne peut être célébré au Cameroun, et aucun mariage homosexuel célébré
à l’étranger ne peut produire des effets au Cameroun.
Finalement, chaque fois que le juge camerounais sera confronté à l’application d’une
loi qui heurterait les conceptions fondamentales de notre société, il devrait avoir un double
reflexe à savoir : tout d’abord que l’ordre public a pour aspect négatif d’évincer la loi
étrangère normalement compétente, ensuite que l’ordre public a pour aspect positif de
substituer à la loi étrangère, la loi du for, c’est –à-dire sa propre loi. Il en ira de même si la loi
étrangère désignée par la règle de conflit résulte d’un mécanisme de fraude.

46
Paragraphe 2 : L’exception de fraude à la loi

En droit international privé, la fraude à la loi « consiste en l’utilisation volontaire


d’une règle de conflit de lois dans le but d’échapper à l’application de la loi normalement
compétente ». La fraude à la loi consiste donc à changer l’élément de rattachement de la règle
de conflit pour faire varier la loi applicable. C’est l’arrêt Princesse de Bauffremeont qui a
fondé en jurisprudence, la théorie de la fraude à la loi (Cass. Civ., 18 mars 1878, S. 1878, 1, p.
193). Séparée de corps en vertu d’un arrêt de la Cour de Paris du 1er août 1874, la princesse de
Bauffremont reçut par voie de naturalisation la qualité de ressortissante du duché allemand de
Saxe-Altenburg, puis se remaria à Berlin avec le prince Bibesco ; la séparation de corps du
droit français ayant les effets d’un divorce allemand en vertu de l’article 734 du Code civil
prussien alors en vigueur à l’époque. Le prince de Bauffremont obtint des juridictions
françaises l’inopposabilité en France du second mariage, le changement de nationalité qui
l’avait rendu possible ayant été fait « dans le seul but d’échapper aux prohibitions de la loi
française » qui, à cette époque, n’admettait pas le divorce. De cette jurisprudence, on perçoit
clairement les éléments constitutifs de la fraude à la loi (A), ainsi que sa sanction (B).

A- Les éléments constitutifs de la fraude à la loi

Pour qu’il y ait fraude à la loi, il faut d’une part, un élément matériel, notamment
l’utilisation volontairement déguisée d’une règle de conflit. Ce qui suppose que la règle de
conflit soit fondée sur un élément de rattachement dont la localisation dépend de façon directe
ou indirecte de la volonté de l’individu. Ainsi donc, la fraude à la loi ne se conçoit que dans
les statuts dont les parties sont à même de modifier les facteurs de rattachement utilisés. C’est
le cas pour le statut personnel (où l’on peut modifier la nationalité, le domicile et la
résidence), pour le statut réel (où l’on peut modifier la localisation d’un meuble), pour le lieu
de conclusion d’un acte, pour l’autonomie de la volonté (au cas où on limiterait le choix des
parties entre les lois présentant des liens objectifs effectifs avec le contrat), pour le conflit de
juridiction.
D’autre part, il faut un élément intentionnel, c’est-à-dire l’intention d’éluder la loi,
d’échapper à une disposition impérative de la loi normalement applicable. L’intention de
changer la loi applicable doit être le but du changement du facteur de rattachement ; il faut
démontrer donc l’intention des parties d’échapper à la loi normalement compétente.
L’intention de fraude dont l’existence est appréciée souverainement par les juges du fond
existe, lorsque les actes ou circonstances volontaires qui rendent applicable une loi étrangère
ont eu pour cause déterminante le désir d’échapper à une disposition légale impérative. Mais
la grande difficulté est de départager la fraude à la loi et les effets de la liberté des parties de
se placer même volontairement mais sans fraude, sous l’empire de la loi qu’elles veulent
rendre applicable en vertu des règles de Droit International Privé. Il ne faut pas aller jusqu’à
donner au juge la mission de scruter les consciences et de voir l’illégalité là où il ne peut que
constater, de bon ou de mauvais gré, l’application volontaire non frauduleuse des normes du
conflit de lois.

47
B- La sanction de la fraude à la loi

Alors qu’en droit interne, la sanction de la loi a pour effet de détruire complètement
l’acte qui en est entaché, en Droit International Privé, la sanction n’est pas aussi complète. Il
s’agit de l’inopposabilité d’un acte frauduleux. Mais la difficulté ici est de déterminer ce qui
est inopposable. Est-ce l’acte frauduleux tout entier ou seulement les conséquences
frauduleuses que l’intéressé se proposait de lui faire produire ?
La doctrine pense que « la sanction frappant l’ensemble de l’acte frauduleux présente
l’avantage d’être à la fois mieux adaptée et d’une mise en oeuvre facile. C’est à elle que la
Cour de cassation s’est ralliée, puisque dans l’arrêt illustratif, (l’affaire de la Princesse de
Bauffremont), elle affirme que la princesse est demeurée française». Dans cet ordre d’idées,
non seulement la naturalisation intervenue en fraude à la loi française est dépourvue de toute
valeur juridique en France, mais surtout, les juges français ont refusé de reconnaître le divorce
et le remariage de la princesse, puisqu’il s’agissait des conséquences du but de l’acte
frauduleux.
Par ailleurs, la conception classique limitait la sanction de fraude à la loi au cas où
c’est l’application de la loi du for qui est éludée; une conception plus moderne, retient
l’exception de la fraude à la loi étrangère au moins dans l’hypothèse où la fraude à la loi a
consisté à éluder la loi étrangère normalement compétente au profit non de la loi du for mais
d’une autre loi étrangère.

48
DEUXIÈME PARTIE :
LE PROCÈS CIVIL INTERNATIONAL : LES CONFLITS DE JURIDICTIONS

Dans son sens le plus large, l’expression « conflits de juridictions » désigne le droit
judiciaire privé applicable à un litige comportant des éléments internationaux ou, à tout le
moins, un élément d’extranéité. Si en droit judiciaire privé interne pour exercer une action en
justice, la principale difficulté à résoudre est celle de la compétence de la juridiction à saisir,
en droit international judiciaire privé, l’exercice d’une action en justice se complique
d’avantage en raison de l’existence d’un élément d’extranéité. L’enjeu, de toute évidence,
n’est pas le même : dire qu’un tribunal est compétent pour connaître d’un litige est autre
chose que déterminer la loi qui sera appliquée à ce litige. C’est ce qui fait toute la particularité
de l’action en justice dans les rapports internationaux de droit privé. Ainsi compris, les
conflits de juridictions peuvent englober des questions de conflits de lois ou des questions
relatives à la condition des étrangers, notamment l’obligation pour le demandeur étranger de
fournir une caution devant un tribunal. Mais, c’est plutôt une conception réduite qui est
généralement retenue. Les conflits de juridictions concernent en amont, la détermination de la
juridiction compétente et en aval, la détermination des conditions d’efficacité des jugements
étrangers. L’instance, à quelques exceptions, reste soumise à la lex fori.
Au Cameroun, pour rendre compte de la théorie générale des conflits de juridictions,
il faut recourir fondamentalement au code civil français dans sa version applicable en France
jusqu’au 1er janvier 1960 pour ce qui concerne certains aspects de la détermination de la
juridiction compétente, et à la loi n°2007/001 du 19 avril 2007 instituant le juge du
contentieux de l’exécution et fixant les conditions de l’exécution au Cameroun des décisions
judiciaires et actes publics étrangers ainsi que les sentences arbitrales étrangères. Même
éparpillées dans plusieurs supports, les dispositions sur les conflits de juridictions conservent
une certaine cohérence cristallisée autour de la réception du droit français. En effet, les
solutions retenues sont celles du droit français (à l’exclusion du droit communautaire
européen) applicables au Cameroun en vertu du principe de la continuité législative contenues
dans les dispositions constitutionnelles transitoires depuis les indépendances. Suivant le
schéma classique qui combine les deux principales questions des conflits de juridictions, on
examinera successivement la compétence internationale des juridictions nationales (titre 1) et
les effets des jugements étrangers (titre2).

49
TITRE 1 :
LA COMPETENCE INTERNATIONALE DES JURIDICTIONS
NATIONALES

Le droit de la compétence internationale des juridictions couvre l’ensemble des règles


par lesquelles les Etats identifient les litiges affectés d’un élément d’extranéité dont ils
acceptent que le règlement soit pris en charge par les juridictions qu’ils ont instituées pour le
règlement de leurs litiges privés internes. On conçoit aisément que les Etats puissent vouloir
limiter le champ d’action de leurs juridictions à des litiges qui entretiennent des liens
suffisants avec le for. D’une part, la justice est un service public qui a un coût que les Etats
peuvent légitimement vouloir limiter ; d’autre part, l’éloignement de la situation litigieuse par
rapport au for est source de complication, en termes d’accès aux preuves ou de signification
des actes. Cependant, sans minimiser ces difficultés, chaque Etat édicte des règles de
compétence internationale de ses propres juridictions. Ces règles ont trait, soit à la
détermination de la juridiction compétente (chapitre 1), soit à la détermination de la loi
applicable à la procédure dans un litige international (chapitre 2).

CHAPITRE 1 :
LA DETERMINATION DE LA JURIDICTION COMPETENTE

Traditionnellement, en droit camerounais, les solutions auxquelles on recourt pour


déterminer la juridiction compétente dans un litige comportant un élément d’extranéité sont
au nombre de trois : le privilège de juridiction fondée sur la nationalité (1), la territorialité (2)
et la volonté des parties (3).

Section 1 : Le privilège de juridiction fondé sur la nationalité camerounaise

Le privilège de juridiction est le droit reconnu à certaines personnes de comparaître


devant une juridiction autre que celle à laquelle les règles du droit commun procédural
attribuent compétence. En droit camerounais, ce privilège a pour base, la nationalité
camerounaise de l’une des parties. C’est le sens de l’article 14 du code civil lorsque le
demandeur est de nationalité camerounaise, et de l’article 15 lorsqu’il s’agit du défendeur.
D’après l’article 14, « l’étranger, même non résident au Cameroun pourra être cité devant les
tribunaux camerounais pour l’exécution des obligations par lui contractées au Cameroun
avec un camerounais ; il pourra être traduit devant les tribunaux camerounais pour les
obligations par lui contractées en pays étranger envers des camerounais ».
A cette disposition, l’article 15 pose une règle complémentaire : « un camerounais
pourra être traduit devant un tribunal du Cameroun pour des obligations par lui contractées
en pays étranger, même avec un étranger ». L’interprétation de ces articles pose quelques
difficultés : en premier lieu, le domaine d’application de ces règles (paragraphe 1), en
50
second lieu, leur caractère impératif ou non (paragraphe 2), et en troisième lieu la
détermination du tribunal national compétent (paragraphe 3).

Paragraphe 1 : Le domaine d’application des articles 14 et 15 du code civil

Sur le domaine d’application, la jurisprudence a interprété de façon extensible les


deux règles, aussi bien en ce qui concerne les actions (A) qu’en ce qui concerne les personnes
(B).

A- Le domaine d’application quant aux actions

A propos de l’aspect matériel, les articles 14 et 15 ont une portée générale s’étendant à
toutes les matières. La première chambre civile de la Cour de cassation l’a rappelé dans l’arrêt
du 27 Mai 1970, Weiss C. Soc. Atlantic Electric et autres3 en ces termes : « Vu l’article 14 du
code civil. Attendu que ce texte, qui permet au plaideur français d’attraire devant les
juridictions françaises, a une portée générale s’étendant à toutes matières, à l’exclusion des
actions réelles immobilières et demandes en partage, portant sur des immeubles situés à
l’étranger, ainsi que des demandes relatives à des voies d’exécution… ». Il s’agit d’une
interprétation extensive du domaine matériel de l’article 14 par rapport à la lettre du Code
civil. Alors que le Code civil ne vise que l’exécution des « obligations contractées », la
jurisprudence va plus loin et vise d’autres litiges. Cependant, trois types de litiges échappent
au domaine d’application matériel des articles 14 et 15 du code civil : les actions réelles
immobilières et les demandes en partage portant sur des immeubles situés à l’étranger et aux
voies d’exécution pratiquées à l’étranger4. Dans les mêmes limites, l’article 15 permet à tout
demandeur étranger de citer au Cameroun tout défendeur camerounais. De nombreuses
applications de cette interprétation ont été faites En matière de divorce, de responsabilité
délictuelle, de contribution aux charges du ménage, de contrat de travail.
Pour le contrat de travail particulièrement, en raison de la multiplicité des points de
rattachement qui peuvent exister, Paul LARGARDE souligne que : e« si le travail est exécuté
dans un établissement situé à l’étranger ou si, le travail étant exécuté hors de tout
établissement, le contrat a été conclu à l’étranger, la compétence des tribunaux français ne
peut se fonder que sur la nationalité française du salarié, c’est-à-dire sur les articles 14 et 15
du code civil auxquels il est possible de renoncer ».

B- Le domaine d’application quant aux personnes

Quant à l’aspect personnel, les articles 14 et 15 s’appliquent en considération de la


seule qualité de camerounais du demandeur ou du défendeur, c’est-à-dire sans qu’il soit
besoin d’autre rattachement avec le Cameroun, en particulier le domicile ou la résidence de
l’intéressé10. Ils peuvent être invoqués d’après la jurisprudence, par les personnes morales
comme par les personnes physiques. Même les réfugiés peuvent invoquer ce privilège de
juridiction. Dans un arrêt du 12 Décembre 1967, rendu par la Cour d’Appel de Paris,
confirmant une position déjà adoptée par elle, dans une décision du 27 juin 1957, les juges ont
admis que : « l’article 26 de la convention de Genève du 28 Juillet 1951 sur les réfugiés
prévoyant l’assimilation aux nationaux en ce qui concerne « l’accès aux tribunaux », il échet

51
de dire que cette expression doit être interprétée de façon large, comprenant l’application des
règles de compétence réservées aux Français ».
L’hypothèse d’un changement de nationalité soulève la question de savoir, à quel
moment se placer pour tenir compte de la nationalité camerounaise. A cette question, la
jurisprudence répond que la qualité de camerounais de l’une des parties au litige doit
s’apprécier au jour de l’introduction de l’instance.

Paragraphe 2 : Le caractère non impératif des règles posées par les articles 14 et
15

Sur le caractère non impératif des règles posées par les articles 14 et 15 du code civil,
il convient de relever à ce niveau que le juge ne peut les appliquer d’office (A) et leurs
bénéficiaires ont toujours la faculté d’y renoncer (B).

A- L’inapplicabilité d’office des articles 14 et 15

Les articles 14 et 15 sont d’application subsidiaire, c’est-à-dire qu’ils ne sont


applicables que lorsqu’un critère ordinaire de compétence territoriale n’est pas réalisé au
Cameroun et ne permet donc pas de fonder la compétence du juge camerounais. La Cour
d’appel de Paris avait dans un arrêt, précisé ce caractère facultatif des articles 14 et 15 : « Vu
l’article 14 du code civil ; - Attendu que ce texte, qui autorise les Français à citer devant les
tribunaux français les étrangers pour l’exécution des obligations que ces derniers ont
contractées envers eux n’est pas d’ordre public ; qu’au cas où ceux qui bénéficient du
privilège de juridiction qu’il institue ne l’auraient pas invoqué, il n’appartient pas aux juges
de le faire jouer d’office14 ». De la note qu’en fait Yvon LOUSSOUARN, il ressort que : «
l’arrêt rapporté est d’une importance certaine, car il tranche un problème sur lequel la Cour
de Cassation n’avait pas été jusqu’à ce jour appelée à se prononcer : celui de savoir si nos
tribunaux peuvent fonder d’office leur compétence sur l’article 14 du code civil alors même
que le demandeur ne l’a pas invoqué ». On comprend ainsi que les parties au litige peuvent
choisir de renoncer au bénéfice des articles 14 et 15.

B- La faculté de renoncer au bénéfice des articles 14 et 15

Les deux formes de renonciation sont d’une part, la renonciation par convention et
d’autre part la renonciation par action en justice à l’étranger.
La première résulte généralement de l’insertion dans le contrat d’une clause attributive
de juridiction à un tribunal étranger ou d’une clause compromissoire attribuant compétence à
un arbitre.
La renonciation peut aussi résulter pour le demandeur, de l’exercice d’une action en
justice devant un tribunal étranger17. La Cour de cassation l’a martelé dans des arrêts
relativement récents : « que l’article 14 n’ouvre au demandeur français qu’une simple faculté
et n’édicte pas à son profit une compétence impérative, exclusive de la compétence indirecte
d’un tribunal étranger déjà saisi et dont le choix de la juridiction n’a pas été frauduleux18 ».
Il faut en conclure que, si une juridiction étrangère a été préalablement saisie, le juge français
(camerounais) ne pourra plus retenir une compétence exclusive fondée sur la nationalité

52
française du demandeur mais devra rechercher si le juge étranger avait des liens caractérisés
avec le litige et si sa saisine n’était pas frauduleuse.
Pour le défendeur, la renonciation est quelque peu délicate. On se demande si le fait
pour le défendeur camerounais d’opposer l’incompétence du juge étranger est généralement
considéré comme manifestant sa volonté de ne pas renoncer au bénéfice de ce texte. Mais
doit-on déduire a contrario que le fait de n’avoir pas opposé l’incompétence emporte
renonciation ? La jurisprudence ici est moins catégorique que dans le cas de l’article 14. Dès
lors, il n’y a renonciation au bénéfice de l’article 15 que si les deux parties ont accepté. Dans
une affaire du 7 Décembre 1971, la Cour de Cassation a précisé que « le seul fait de la
nationalité française de la compagnie d’assurance justifie la compétence des tribunaux
français à l’égard de l’assureur et de l’assuré, même si l’accident est survenu en Algérie où
sont domiciliés l’assuré et le demandeur victime de l’accident ».

Paragraphe 3 : La détermination du tribunal camerounais compétent

Sur la détermination du tribunal camerounais territorialement compétent, les articles


14 et 15 du code civil se bornent à attribuer compétence, à l’ordre juridictionnel camerounais.
Il ne précise pas quel est le tribunal camerounais compétent. Or, il faut en découvrir un,
puisque la compétence appartient à la justice camerounaise de l’un des plaideurs. Dès lors
qu’il existe une compétence générale du juge camerounais, la compétence d’une juridiction
particulière est déterminée par le code de procédure civile et commerciale sur la base des
règles internes de compétence territoriale et matérielle. Il peut s’agir du tribunal du lieu du fait
dommageable, du tribunal du domicile du défendeur, du tribunal du lieu de situation d’un
immeuble etc. Dans tous les cas, si aucun de ces critères ne peut être satisfait, le demandeur a
toujours la possibilité de choisir le tribunal qui présente pour lui la plus grande commodité.
Un tel choix devrait répondre aux exigences d’une bonne administration de la justice21. Il peut
par exemple choisir le tribunal dans le ressort duquel une exécution forcée est réalisable. Cette
difficulté traduit une vérité implacable : l’impossibilité de pouvoir toujours appliquer aux
camerounais, la loi camerounaise. C’est pourquoi, en dehors des limites relatives aux
immunités de juridictions et d’exécution22, les articles 14 et 15 ont fait l’objet en France de
quelques critiques. Georges DROZ disait : « en effet, l’argument que les articles 14 et 15
permettent d’assurer l’application de la loi française aux français ne se justifie plus puisque
le contrôle de l’application de la règle de conflit par le juge français requis suffit déjà à
sanctionner l’irrégularité de tout jugement étranger qui n’aurait pas appliqué celle-ci»23. Le
culte de la nationalité peut ainsi s’avérer infécond pour la détermination de la juridiction
compétente dans un litige comportant un élément d’extranéité. Cela justifierait dans une
certaine mesure, le recours à la compétence territoriale.

Section 2 : La compétence fondée sur le territoire

Les règles de compétence territoriale suffisent quelquefois à déterminer la compétence


internationale d’une juridiction donnée. Elles impliquent l’aptitude d’une juridiction à
connaître du litige du fait de sa localisation dans le territoire de compétence de ladite
juridiction. Dans les pays où ces règles existent, il suffit que l’élément de rattachement auquel
se réfère la règle de compétence soit situé dans le territoire dudit pays, pour fonder la
compétence de ses juridictions. Dès le XXè siècle en France, la question du sort des litiges
53
civils entre étrangers se posait avec une acuité grandissante : fallait-il déclarer compétentes
les juridictions françaises ? Les lectures combinées des articles 14 et 15 du Code Civil ne
permettaient une telle extension de compétence, et le principe en la matière était celui de
l’incompétence des juridictions françaises. Il est donc revenu à la jurisprudence d’opérer une
extension de compétence des juridictions françaises lorsque les deux parties au litige étaient
étrangères24. Le point de départ d’une telle extension fut la décision rendue par la Cour de
Cassation dans l’une des affaires PATINO25, où fut admise « la recevabilité des demandes
formées par des étrangers contre des étrangers », avec la formule consacrée dans l’arrêt
PELASSA26, notamment, « l’extension à l’ordre international des règles françaises internes
de compétence ». Un principe plus édifiant a depuis lors été énoncé par l’arrêt Scheffel en ces
termes : « L’extranéité des parties n’est pas une cause d’incompétence des juridictions
françaises dont, d’autre part, la compétence internationale se détermine par extension des
règles de compétence interne ». Toutefois, on doit remarquer qu’en droit français, les règles
de compétence territoriale s’appliquent en toutes matières, exception faite des successions
immobilières et de façon plus accrue en matière de lois de police.
En droit positif camerounais, la règle de la compétence territoriale a reçu un écho
favorable, puisqu’elle est consacrée par la jurisprudence28. Mais ici, le juge lui donne une
interprétation assez malheureuse car pour le juge, la saisine fonde la compétence législative29,
alors même que compétence juridictionnelle et compétence législative ne peuvent être
confondues dans les rapports internationaux en droit privé. Cela pourrait provenir comme le
relève Mme Brigitte DJUIDJE du fait de la confusion entre le problème en droit interne
camerounais du conflit de compétences entre juridiction de droit commun et juridiction de
droit coutumier, et celui du conflit de compétences sur le plan international. Il n’en demeure
pas moins que le juge camerounais fonde sa compétence internationale en empruntant aux
critères de détermination de la compétence territoriale interne. Cette compétence pourrait être
renforcée au cas où les parties ont décidé de lui attribuer la connaissance de leur litige
éventuel.

Section 3 : La compétence fondée sur la volonté des parties

Un rapport international de droit privé peut faire l’objet d’un certain nombre
d’aménagements, notamment en ce qui concerne sa structuration mais aussi, en ce qui
concerne tout litige qui pourrait en naître. Ces aménagements, généralement sous la forme de
clauses, désignent l’ordre juridictionnel étatique compétent, et sont très fréquents dans les
contrats internationaux. Tant sous la forme de clauses attributives de juridiction ou sous la
forme de clauses compromissoires, elles permettent aux parties de conférer ou d’étendre la
compétence d’une juridiction donnée.
Une clause attributive de compétence est « une disposition contractuelle confiant le
règlement du litige à une juridiction sans qualité pour en connaître, qu’il s’agisse de
compétence d’attribution ou de compétence territoriale »32. Ainsi définie, la clause attributive
de compétence est une expression de la volonté des parties à l’occasion du contrat qui les lie.
Il est tout de même nécessaire de souligner que pour emporter des effets juridiques, elle doit
être reconnue valable selon la loi du tribunal saisi et obéir aux conditions de fond et de forme
requises par le droit commun des contrats.

54
Dans cet ordre d’idées, on aurait pu, à défaut d’élaborer des règles de conflit pour les
juridictions traditionnelles, permettre tout au moins aux parties d’y recourir en utilisant une
clause attributive de compétence. En effet, on sait que dans le domaine des conflits de
juridictions, l’ignorance de la coutume est totale. Depuis l’arrêt ZAMBO, la Cour suprême du
Cameroun a décidé que « les étrangers ne peuvent comparaître devant les juridictions
traditionnelles ». Les conflits de coutumes ne peuvent alors se poser qu’entre des
camerounais. C’est dans ce sens que le décret de 1969 prévoit des solutions aux conflits de
coutumes. Pourtant, le Cameroun, synthèse de l’Afrique, regorge des coutumes qu’on
retrouve dans d’autres pays africains. Les coutumes Fang Béti par exemple s’étendent au
Gabon et en Guinée Equatoriale. Il s’agit d’un « cousinage juridique36 » qu’on aurait dû
prendre en considération dans l’élaboration d’un « droit commun futur » afin de donner aux
juridictions traditionnelles un rôle important dans le règlement des litiges internationaux.
La clause compromissoire est une clause insérée dans un contrat, par laquelle les
parties s’engagent à recourir à l’arbitrage pour les différends qui surgiraient entre elles. Elle
doit être appréhendée dans l’ensemble plus grand de la convention d’arbitrage, incluant la
clause d’arbitrage et le compromis d’arbitrage. L’aspect volontaire y est prépondérant, mais la
validité d’une telle convention est conditionnée par l’arbitrabilité ou non du litige. En droit
camerounais, deux conditions essentielles sont requises : la libre disponibilité de leurs droits
par les parties et l’absence d’une contestation communicable au ministère public39.
L’hypothèse de la clause compromissoire est pleinement justifiée, étant donné que la
compétence de la juridiction étatique ou arbitrale étrangère qui a rendu une décision, peut se
trouver remise en cause devant le juge étatique, au moment d’en réclamer les effets par le
biais de l’exequatur.

55
CHAPITRE 2 :
LA DÉTERMINATION DE LA LOI APPLICABLE À LA PROCÉDURE DANS
UN LITIGE INTERNATIONAL

La loi de procédure, applicable dans les conflits de juridictions est la lex fori, c'est-à-
dire la loi du juge saisi. Cette solution, est de prime abord compréhensible, car la procédure
est une règle de l’organisation du service public de la justice. C’est donc en soi une règle
substantielle et un juge ne peut jamais renvoyer à une procédure étrangère. La seule difficulté
est de départager, ce qui, dans le cours du procès, relève du fond, et ce qui relève de la
procédure au sens strict. Ainsi, en pratique, à propos de la procédure, il se pose un problème
de qualification, car il faut dire si la question qui fait difficulté est une question de pure
procédure ou s’il s’agit d’une question de fond. Il importe donc d’envisager le domaine de la
lex fori à l’introduction de la demande (section 1), au cours de l’instance (section 2), aux
effets du jugement (section 3).

Section 1 : Le domaine de la lex fori à l’introduction de la demande

L’exercice du droit d’action par une demande, est subordonné à différentes conditions,
lesquelles sont sanctionnées par une irrecevabilité ou une fin de non-recevoir. La qualification
procédurale ou substantielle des principales conditions demande à être précisée, car elles ne
sont pas sans lien avec le droit lui-même : la capacité pour agir, l’intérêt et la qualité, les
délais.
- La capacité pour agir en justice est une question qui échappe à la loi de la
procédure, c'est-à-dire à la lex fori. Elle est en effet soumise à la loi personnelle du défendeur
ou demandeur ;
- Parce que l’exigence d’un intérêt pour agir vise à couper court aux contestations
inutiles, et à désencombrer les tribunaux, elle est de nature procédurale et relève donc de la
lex fori ;
- La qualité pour agir relève de la loi personnelle du justiciable ;
- Les délais qui jalonnent la procédure et qui ont pour objet d’assigner un laps de
temps aux parties pour accomplir leurs actes, relèvent incontestablement de la loi du for. Il en
est ainsi du délai pour exercer une voie de recours. Il en est autrement, lorsqu’il s’agit du délai
pour exercer l’action en justice elle-même : le délai de prescription. La jurisprudence tend à
soumettre la prescription à la loi qui régit le fond du droit. Elle soumet ainsi la prescription
des actions d’état à la loi personnelle. Celle des actions en nullité, à la loi de l’acte attaqué,
celle des actions contractuelles et extracontractuelles à la loi de l’obligation. La prescription
extinctive des actions réelles sera soumise à la lex rei sitae.

Section 2 : Le domaine de la lex fori au cours de l’instance

L’instance proprement dite est le domaine d’élection d’application de la loi du for en


tant que loi de procédure. Relèvent ainsi de la loi du for, le régime des actes de procédure qui
permettent de saisir le tribunal (par exemple l’assignation, la requête etc.), le déroulement du
procès et notamment ses principes directeurs (par exemple le principe du contradictoire), la
définition des pouvoirs du juge, l’assistance et la représentation des parties par les auxiliaires
de justice, la détermination du droit d’agir du ministère public.
56
Mais la question de la preuve, question clé lors d’un procès est délicate, car elle
intéresse à la fois la procédure et le fond. En effet, au cours d’une instance, la preuve vise à
former la conviction du juge. A ce titre, elle relève de l’administration de la justice, ce qui
conduit à la déclarer soumise à la lex fori. Mais les règles de preuve sont souvent étroitement
liées au fond, par exemple lorsqu’elles visent à assurer la stabilité de l’état ou à protéger la
volonté des parties. Ainsi, de manière générale, l’objet de la preuve c'est-à-dire ce qu’il faut
prouver, les éléments générateurs de la situation juridique évoquée devant le juge et la charge
de la preuve sont soumis à la loi du fond.

Section 3 : Le domaine de la lex fori relatif aux effets du jugement

La lex fori détermine les délais et formes de voies de recours, le moment où le


jugement acquiert l’autorité de la chose jugée, et éventuellement la publicité qu’il faut faire.
Cependant, lorsque le jugement a acquis l’autorité de la chose jugée, des problèmes
d’exécution peuvent se poser. La loi applicable aux voies d’exécution est la loi du lieu où
l’exécution est demandée.

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TITRE 2 :
LES EFFETS DES JUGEMENTS ÉTRANGERS

Parmi les effets que les décisions étrangères peuvent produire au Cameroun, certains
sont soumis à l’octroi d’un exequatur (chapitre 1), d’autres sont au contraire indépendants de
l’exequatur (chapitre 2).

CHAPITRE I :
LES EFFETS DES JUGEMENTS ÉTRANGERS SANS EXEQUATUR

Avant même d’être revêtue de l’exequatur, un jugement étranger n’est pas dépourvu
de tout effet au Cameroun, car il existe certains effets qui sont indépendants de l’exequatur.
Ils peuvent être divisés en deux catégories : la catégorie des effets généraux, en ce sens qu’ils
sont produits par tout jugement étranger (section 1) et la catégorie des effets particuliers aux
jugements d’état (section 2).

Section 1 : Les effets généraux

Un jugement étranger, quel qu’il soit, n’est pas par lui-même démuni de toute
efficacité : il peut fournir des éléments de preuve (paragraphe 1), il peut justifier un titre
(paragraphe 2) ou donner lieu à des nouvelles situations de fait (paragraphe 3).

Paragraphe 1 : La force probante

Les éléments de preuve relevés par un jugement étranger ont, indépendamment de


l’exequatur, la force probante qui leur était dû dans le pays étranger, lorsqu’ils ont été
concertés par les plaideurs, en vue de limiter l’instruction judiciaire. C’est le cas de l’aveu
judiciaire. Dans tous les autres cas, notamment les témoignages recueillis, l’expertise, la
descente sur les lieux), la force probante est abandonnée à l’appréciation des tribunaux
camerounais. On peut admettre que la chose jugée elle-même est une circonstance favorable
au bénéficiaire qui peut y puiser une présomption simple.

Paragraphe 2 : L’effet de titre

Alors même que le jugement étranger est dénué d’autorité au Cameroun en tant que
jugement, il constitue un instrumentum, constatant certains droits et certaines obligations :
c’est donc un titre dont on estime qu’il ne saurait avoir moins de valeur qu’un acte sous seing
privé, et qui peut ainsi être invoqué au Cameroun à certaines fins. S’il constate une créance, il
servira par exemple de titre pour provoquer une procédure collective ou pour solliciter des
mesures conservatoires (ex : la désignation d’un séquestre) et en particulier pour pratiquer une
saisie. On peut également rattacher à l’effet de titre, le fait qu’une partie puisse intenter devant
le juge camerounais, une action principale, ayant le même objet, en produisant le jugement
étranger à l’appui de sa demande. Il pourra s’agir d’une action en référé, l’urgence expliquant

58
que le demandeur ne sollicite pas l’exequatur. De même, le jugement étranger dépourvu
d’exequatur peut constituer la cause légitime d’un contrat en vue de son exécution.

Paragraphe 3 : L’effet de fait

Indépendamment de toute autorité ou exécution au Cameroun, un jugement intervenu


à l’étranger constitue une réalité dont on peut être emmené à tirer les conséquences dans
l’ordre juridique camerounais. En effet, ayant force obligatoire dans l’Etat d’origine, le
jugement étranger y produit des conséquences matérielles telles que la possession d’un bien
ou d’une créance, le paiement d’une somme d’argent, l’obligation d’adopter un certain
comportement : à leur suite, le juge camerounais pourra être appelé à constater que
l’acquéreur d’un bien a été évincé en vertu d’un jugement, pour accueillir lui-même une
action en garantie, constater qu’un dommage a été partiellement réparé, ou qu’un débiteur a
été empêché d’exécuter. Dans tous les cas, la question n’est pas de se prononcer sur le bien ou
le mal fondé d’un jugement étranger, mais seulement d’en tirer les conséquences en
constatant une éviction, un paiement ou un cas de force majeure.

Section 2 : Les effets propres aux jugements relatifs à l’état et à la capacité des
personnes

Une jurisprudence traditionnelle accorde une efficacité immédiate aux jugements


étrangers, en matière d’état et de capacité des personnes. On peut citer à cet égard, la formule
de l’arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation française du 3 Mars 1930
(Clunet 1930, p. 981) selon laquelle « les jugements rendus par un tribunal étranger,
relativement à l’état et à la capacité des personnes, produisent leurs effets en France,
indépendamment de toute déclaration d’exequatur, sauf les cas où ces jugements doivent
donner lieu à des actes d’exécution matérielle sur les biens, ou des actes de coercition sur les
personnes ». En d’autres termes, lorsqu’un jugement a été rendu à l’étranger en matière d’état
et de capacité des personnes, il a autorité de la chose jugée au Cameroun, même non revêtue
de l’exequatur. Il faudrait cependant relever que la jurisprudence ne décide pas que les
jugements relatifs à l’état ou à la capacité des personnes échappent à un contrôle de leur
régularité internationale. Elle soumettrait ces jugements uniquement à l’instance spéciale aux
fins d’exequatur, tant qu’ils ne doivent pas donner lieu à des mesures d’exécution, et faire
monter leurs effets essentiels à la date du jugement étranger. Seulement, la question du
contrôle ne se pose pas, si personne ne conteste la régularité de la décision. Mais si cette
régularité était contestée, le juge camerounais devra alors exercer son contrôle. Le contrôle
porte sur les points suivants :
Premièrement, il s’agit de savoir si le jugement a été rendu par une juridiction
compétente, en suivant les formes légales du pays étranger, et s’il a acquis à l’étranger,
l’autorité de la chose jugée. Le contrôle ici se limite à la régularité du jugement.
Deuxièmement, le juge camerounais se reconnaît en plus le droit de vérifier si le juge
étranger a appliqué la loi de fond compétente, au regard de la règle camerounaise de conflit.
Si la décision invoquée remplit ces deux conditions, le contrôle est favorable, et le jugement
étranger acquiert au Cameroun, l’autorité de la chose jugée. Si l’on veut passer à des actes
d’exécution sur des biens, il faut nécessairement l’exequatur.

59
CHAPITRE 2 :
LES EFFETS DES JUGEMENTS ÉTRANGERS NECESSITANT
L’EXEQUATUR

Lorsqu’un jugement est rendu à l’étranger et qu’il doive produire des effets au
Cameroun, la partie qui a obtenu le jugement doit solliciter l’exequatur, afin de rendre
efficace cette décision obtenue à l’étranger40. L’exequatur est la décision par laquelle un
tribunal camerounais donne aux jugements et actes publics étrangers, force exécutoire au
Cameroun. Seulement, comme on l’a vu plus haut, la demande d’exequatur n’est pas une
condition sine qua non d’efficacité des jugements étrangers, étant donné que le Cameroun
pratique la distinction qui existe en droit français entre les jugements extrapatrimoniaux et les
jugements constitutifs d’une part, et les jugements déclaratifs patrimoniaux d’autre part, les
premiers bénéficiant de plein droit de l’autorité de la chose jugée41. Ainsi, les jugements
constitutifs ou relatifs à l’état et à la capacité des personnes produisent leurs effets
indépendamment de l’exequatur42. Par contre, pour les jugements ne rentrant pas dans ce
domaine, une procédure d’exequatur est nécessaire. Depuis l’arrêt Munzer43, une évolution44
s’est opérée, et il est désormais acquis que si les conditions d’introduction de la requête
d’exequatur sont remplies (Section 1), le juge se limite au cours de l’instance, à trois
recherches : la compétence du juge étranger, la compétence de la loi appliquée, la non
contrariété à l’ordre public et l’absence de fraude à la loi (section 2). Ces recherches vont le
conduire à prononcer un jugement d’exequatur (section 3).

Section 1 : Les conditions d’introduction de la requête aux fins d’exequatur

La loi de 2007 sur le juge de l’exequatur prévoit quatre conditions. L’article 6 dispose
: « En matière civile, commerciale ou sociale, la partie qui sollicite la reconnaissance ou
l’exequatur d’une décision judiciaire étrangère doit saisir le juge du contentieux de
l’exécution du lieu où l’exécution est envisagée d’une requête accompagnée :
1- d’une expédition de la décision réunissant les conditions nécessaires à son
authenticité ;
2- de l’original de l’exploit de signification de la décision ou de tout autre acte qui
tient lieu de signification ;
3- d’un certificat du greffier constatant qu’il n’existe contre la décision ni opposition,
ni appel ;
4- le cas échéant, d’une copie de la citation ou de la convocation de la partie qui a fait
défaut à l’instance, copie certifiée conforme par le greffier de la juridiction qui a rendu la
décision, et toutes pièces de nature à établir que cette citation ou convocation l’a atteinte à
temps.

Section 2 : La procédure d’exequatur

Au cours de l’instance d’exequatur, le juge doit exercer trois contrôles : le contrôle de


la compétence du juge étranger (paragraphe 1), le contrôle de la loi appliquée au fond
(paragraphe 2), le contrôle de la non contrariété à l’ordre public et de l’absence de fraude
(paragraphe 3).

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Paragraphe 1 : Le contrôle de la compétence du juge étranger

Les conditions dans lesquelles le juge étranger doit être reconnu compétent ont été
précisées par l’arrêt SIMITCH. Toutes les fois que la règle française de solution des conflits
de juridictions n'attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français, le tribunal
étranger doit être reconnu compétent, si le litige se rattache d'une manière caractérisée au
pays dont le juge a été saisi, et si le choix de la juridiction n'a pas été frauduleuse. Le juge de
l’exequatur ayant l’obligation de vérifier la compétence internationale indirecte du juge
étranger devait, lorsque le défendeur à l’instance en exequatur, de nationalité française, se
prévalait de cet article 15, sans y avoir renoncé, rejeter la demande, dès lors qu’il existait une
compétence exclusive de la juridiction française. Mais le 23 mai 2006, la première chambre
civile a mis fin à cette interprétation en jugeant que « l’article 15 du code civil ne consacre
qu’une compétence facultative de la juridiction française, impropre à exclure la compétence
indirecte d’un tribunal étranger, dès lors que le litige se rattache de manière caractérisée à
l’Etat dont la juridiction est saisie et que le choix de la juridiction n’est pas frauduleux ».
Désormais, le défendeur français ne pourra plus invoquer le privilège de juridiction
pour s’opposer à une demande d’exequatur, si le litige se rattache de manière caractérisée à
l’Etat de la juridiction saisie et si le choix de la juridiction n’a pas été frauduleux. On peut
interpréter l’article 7 alinéa1 de la loi de 2007 sur le juge de l’exequatur, dans ce sens,
lorsqu’il dispose que le juge se borne à vérifier que : « la décision émane d’une juridiction
compétente dans son pays d’origine ». D’ailleurs, l’accord de coopération judiciaire franco-
camerounais46 précise que la compétence du juge étranger doit être déterminée « d’après les
règles de conflits de l’Etat requis, sauf renonciation de la partie intéressée ».

Paragraphe 2 : Le contrôle de la loi appliquée au fond

Le contrôle de la loi appliquée au fond du litige est problématique parce que cette loi
est déterminée d’après les règles de conflit du juge étranger, auteur de la décision.
L’opportunité d’un tel contrôle est discutée. La doctrine pense que dans le conflit de
juridiction, le juge n'élabore pas une décision, il accepte ou non une décision étrangère. Mais
en droit privé la décision n'est jamais que la réalisation de la règle. La décision tient sa valeur
de la règle, c'est de sa conformité à la règle que la décision tient sa valeur. Le juge français
(camerounais) n'est pas juge du recours contre la loi étrangère. La bonne réalisation de la
règle en droit international privé est la réalisation de la règle de conflit. Selon une autre idée
doctrinale, la seule question qui doit être examinée est la compétence indirecte. Cela restreint
le contrôle à l'élimination des décisions qui reposent sur des fors artificiels.
Ce qui est important c'est le contenu de la décision étrangère qui consiste en la
compatibilité entre la loi appliquée et la règle de conflit du for. Il est peut-être légitime de
contrôler la loi appliquée, mais il n'est pas toujours certain qu'il soit opportun de le faire. La
loi camerounaise de 2007 ne fait pas du contrôle de la compétence de la loi appliquée, une
condition de demande d’exequatur. A notre sens, un tel contrôle est nécessaire.
Quoi qu’il en soit, on doit indiquer tout de même que le contrôle de la loi appliquée se
limite à un contrôle international de cette loi. C'est-à- dire que le juge camerounais contrôle si
le juge étranger a appliqué la législation désignée par sa règle de conflit, mais il ne contrôle
61
pas comment le juge étranger a appliqué cette loi. Lorsque la règle de conflit change, le
contrôle de conformité s'effectue au regard de la règle de conflit en vigueur au moment où le
juge étranger statue, comme l’a indiqué l’arrêt GIROUX. Il arrive que la loi appliquée soit
différente de celle désignée par la règle de conflit française. La décision peut être reconnue en
France si elle conduit à des résultats équivalents à ceux qui auraient résulté de l'application de
la loi désignée par la règle de conflit française. C’est la solution de l’arrêt DRICHEMONT50
qui a été reprise dans l’accord de coopération judiciaire franco-camerounais.
L’article 34 (f) de cet accord dispose : « l’exequatur ne peut être refusé pour la seule
raison que la juridiction d’origine a appliqué une loi autre que celle qui aurait été applicable
d’après les règles de conflits de l’Etat requis, sauf en ce qui concerne l’état ou la capacité des
personnes. Dans ces derniers cas, l’exequatur ne peut être refusé si l’application de la loi
désignée par ces règles eût abouti au même résultat ». Il s’agit du recours à la théorie de
l’équivalence. Fondée sur le refus du légalisme formel et sur le souci d’apprécier la situation
de manière concrète, la théorie de l’équivalence s’apparente à la substitution de motifs.

Paragraphe 3 : Le contrôle de la non-contrariété à l’ordre public et de l’absence


de fraude

L’atteinte à l’ordre public pourra se manifester de deux façons. Dans la procédure, il


s’agira par exemple de la méconnaissance des droits essentiels de la défense, ou même du
droit d’accès à la justice. Ce dernier point a été relevé en droit français dans l’arrêt PORDEA :
« Le droit de chacun d'accéder au juge chargé de statuer sur sa prétention,(…) relève de
l'ordre public international ; [......]il apparaissait, sans avoir pour autant à réviser les
décisions étrangères, que l'importance des frais ainsi mis à la charge de M. PORDEA, dont la
demande n'avait même pas été examinée, avait été de nature à faire objectivement obstacle à
son libre accès à la justice 51».Toutefois, l’absence de motivation du jugement n’est pas
nécessairement contraire à l’ordre public si, « des documents de nature à servir d’équivalent à
la motivation défaillante » sont produits avec le jugement étranger.
Bien plus, dans l’arrêt PELLEGRINI, la Cour Européenne des Droits de l’Homme
énonce, que le juge d’un Etat membre saisi d’une action en exequatur doit en toute hypothèse
vérifier que la décision étrangère, de quelque pays qu’elle vienne, remplit bien les garanties
du droit au procès équitable posé par l’article 6 de la convention européenne de droits de
l’homme.
Dans le fond de la décision, le juge doit contrôler si la décision soumise à exequatur
n’est pas incompatible avec un jugement camerounais. L’article 7 alinéa 4 de la loi
camerounaise de 2007 indique que la décision camerounaise doit être « définitive ». Peut-on
donc interpréter a contrario que, pour une décision soumise à exequatur et contraire à une
décision camerounaise non définitive, le juge doit accorder l’exequatur ? Dans la négative, le
caractère non définitif de la décision camerounaise serait-il une cause de suspension de la
demande en exequatur ? Ces questions posent la problématique de la litispendance
internationale ; puisqu’il s’agit de l’hypothèse où les juges, étranger et camerounais auraient
été saisis du même litige dans lequel le juge étranger a été le premier à rendre sa décision dont
l’exécution doit avoir lieu au Cameroun. En droit français, à notre connaissance, cette
hypothèse n’est pas encore envisagée. La seule certitude pour l’instant est que, si une
juridiction étrangère a été préalablement saisie, le juge français ne pourra plus retenir une
62
compétence exclusive fondée sur la nationalité française du demandeur. Le juge devra
rechercher si le juge étranger avait des liens caractérisés avec le litige et si sa saisine n’était
pas frauduleuse. Saisie d’une exception de litispendance internationale, la première chambre
civile de la Cour de cassation l’a accueillie, en considérant que le tribunal étranger était
premier saisi et que le litige se rattachait de manière caractérisée à l’Etat dont la juridiction
avait été saisie, en l’espèce l’Etat monégasque53. Nous pensons que si la décision soumise à la
demande d’exequatur est contraire à une décision judiciaire camerounaise non définitive, le
juge devrait surseoir à statuer, afin de donner à la théorie de l’équivalence, toute sa portée.
Quant à la fraude, dans les arrêts MUNZER et BACHIR, on parle de fraude à la loi ;
or, c’est plutôt une fraude au jugement ; c'est- à - dire une manoeuvre du demandeur pour
saisir un autre juge, afin d'obtenir une décision plus favorable. C’est un aspect du forum
shopping qui est largement entendu comme une fraude à la juridiction. Concrètement on se
demande si le plaideur a ou n'a pas une attache sérieuse avec l'Etat du tribunal saisi ; et en
particulier si la décision n'y sera pas appliquée, mais sera reconnue dans un Etat que l'on a
fuit. On cite généralement comme exemple, l’arrêt GUNZBOURG54, relatif au divorce d'un
New-Yorkais qui saisit spécialement le tribunal de Mexico.
La loi camerounaise n’envisage pas la fraude au jugement comme un aspect à vérifier
par le juge de l’exequatur, mais nous pensons que sur ce point, le recours au droit français
devrait être salutaire.

Section 3 : Le jugement d’exequatur

Après avoir effectué les différents contrôles imposés par la loi, le juge de l’exequatur
qui est le président du tribunal de première instance, constate le résultat de ses vérifications
dans sa décision. L’exequatur peut être accordé partiellement, pour l’un ou l’autre seulement
des chefs de la décision invoquée56. La décision du juge du contentieux de l’exécution ne peut
faire l’objet que d’un pourvoi devant la Cour suprême. La décision refusant l'exequatur
correspond ainsi, dans le cadre camerounais, à une décision rendue en premier et dernier
ressort, parce qu'elle est rendue par le juge d'instance. Sa décision est donc directement
déférée au juge de cassation sans passer par le juge d'appel qui devrait normalement être
l'intermédiaire entre les deux juges. Le souci de célérité peut justifier cette simplification des
voies de recours contre l’ordonnance refusant l’exequatur. On peut craindre que la navette
judiciaire à la Cour suprême ne vienne annihiler ce souci de célérité.
FIN DU COURS

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