Thèse DR KONE Odanhan Moussa
Thèse DR KONE Odanhan Moussa
Thèse DR KONE Odanhan Moussa
Présentée par
M. Théophile KOUI, Professeur Titulaire, Université Felix Houphouët Boigny, Président du jury.
M. Agba Ezéchiel AKROBOU, Professeur Titulaire, Université Felix Houphouët Boigny, Directeur
de Thèse.
i
LES ENJEUX GÉOPOLITIQUES ET
GÉOÉCONOMIQUES INTERNATIONAUX
DU CONFLIT DU SAHARA OCCIDENTAL
ii
À
KONÉ Odanhan Espérance
i
REMERCIEMENTS
« On ne peut construire une maison avec un seul grain de sable ». Cet adage traduit
parfaitement la posture de l’étudiant qui arpente les voies de la recherche scientifique. Une
thèse de doctorat est un travail individuel, certes, mais, elle est aussi et avant tout une
œuvre commune, qui se fait avec la participation d’un certain nombre de personnes. C’est
pourquoi, nous voulons témoigner notre reconnaissance :
Au Professeur AKROBOU Agba Ézéchiel, notre directeur de thèse. Voilà plusieurs années
déjà, que vous nous avez fait confiance en acceptant de guider nos premiers pas dans ce
champ sacré qu’est la Recherche. Trouvez dans ces lignes l’expression de notre infinie et
profonde gratitude.
Au Professeur KOUI Théophile. Quand le chemin paraissait sombre, vous avez toujours
su par un mot, élucider nos doutes. Merci pour votre disponibilité qui aura été pour nous
un immense apport dans l’achèvement de ce projet.
Au Docteur PALÉ Miré Germain. Merci de nous avoir ouvert votre cœur et pour votre
affection fraternelle et amicale. Dans la même veine, nous remercions le Docteur KONAN
Syntor. À tous les deux, vous avez notre gratitude pour votre disponibilité, votre sollicitude
et vos conseils constants.
Merci à tous ceux qui, de près comme de loin, ont contribué de quelques manières que ce
soit à la réussite de ce travail de recherche.
ii
SIGLES ET ABRÉVIATIONS
ART. : Article
BM : Banque Mondiale
CC : Coalition Canarienne
CD : Coalition Démocratique
iii
CS : Conseil de Sécurité
DH : Dirham
EI : État Islamique
EUR : Euro
EUROMED : Euro-Méditerranéen
iv
HCR : Haut-Commissariat aux Réfugiés
MW : Mégawatt
PAR. : Paragraphe
v
PCE : Parti Communiste Espagnol
PE : Parlement Européen
PESD : Politique Européenne de Sécurité et de Défense
PEV : Politique Européenne de Voisinage
PNB : Produit National Brut
PP : Parti Populaire
PSOE : Parti Socialiste Ouvrier Espagnol
SG : Secrétaire Général
SPS : Sahara Presse Service
vi
SOMMAIRE
INTRODUCTION………………………………………………….…………………...1
vi
vii
Au fond d’un Sahara qui serait vide, se joue une pièce secrète qui remue les passions des
hommes.
viii
vii
INTRODUCTION
La liberté ou l’aspiration à celle-ci, plus que le bon sens cartésien (Descartes, 1637,
p. 6), est la chose la mieux partagée. Soual (2003, p. 404) souligne à ce propos qu’« Elle est
parmi les premières et suprêmes notions communes qui nous sont innées ». Pour s’en
convaincre, il suffit de jeter un regard critique sur l’Histoire, notamment, la Déclaration
d’indépendance des 13 colonies britanniques d’Amérique du Nord en 17761 et la Révolution
Française en 17892. Ce profond attachement de l’espèce humaine à la liberté a été cristallisé
par le principe Sacrosaint de « l’égalité des peuples et de leur droit à disposer d’eux-
mêmes » inscrit dans la Charte des Nations unies (Art. 1, par. 2.) et le « Pacte international
relatif aux droits civil et politique »3. Ce pacte dispose en son article premier que « Tous les
peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement
leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et
culturel ». En somme, la libre détermination des peuples est un droit fondamental.
Il faut souligner qu’il existe deux formes d’autodétermination. Les peuples ont le
choix entre l’autodétermination interne, d’une part, qui confère la possibilité de déterminer
leur statut à l’intérieur d’un État, et d’autre part, l’autodétermination externe. Celle-ci donne
le pouvoir au peuple qui le désir de se séparer d’un État pour s’ériger en un État indépendant
(Statis, 1973, p. 187) et souverain. Si tous les peuples ont le droit à l’une de ces formes
d’autodétermination, il en existe encore certains sur le continent africain à qui ces choix
sont refusés. C’est le cas du peuple du Sahara Occidental en proie à une occupation
étrangère et en quête de l’indépendance. Ce territoire, de colonie espagnole est actuellement
sous le joug colonial du royaume du Maroc.
1
Vers 1750, les territoires britanniques d'Amérique situés le long de la côte atlantique, du Canada jusqu'en
Floride étaient divisés en treize colonies. A la suite de mesures adoptées par le gouvernement britannique, qui
déplurent aux colons américains, ceux-ci décidèrent de s'armer et de lutter contre la couronne d'Angleterre qui
s’était refusé à la négociation. Les combats commencent en 1775. L'année suivante, le 4 Juillet 1776, des
représentants des treize colonies réunis en Congrès à Philadelphie votent la Déclaration d'indépendance des
États-Unis d'Amérique. Les colons américains qui avaient une visée sécessionniste avaient fini par se défaire
de l’emprise britannique et se constituer en État indépendant, les États-Unis d’Amérique.
2
La Révolution française est le nom donné au soulèvement populaire en France qui a mis fin à la monarchie
absolue. Le mouvement a éclaté en mai 1789 et aboutit le 14 juillet à la prise de la Bastille, le symbole de
l’autorité royale. La révolution a profondément bouleversé l’histoire de la France, en renversant la monarchie
pour mettre en place la première république de l’histoire du pays. Elle a aussi exporté les principes d’égalité,
de liberté et de démocratie dans le reste de l’Europe. Cf. La Révolution française In Encarta 2009.
3
Ce pacte a été adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblé générale des Nations Unies.
1
Le Sahara Occidental est depuis 1975 le théâtre d’un conflit indépendantiste. La
persistance de ce conflit est devenue la pierre d’achoppement de la coopération et de
l’intégration maghrébine. En fait, l’implication des États du Maghreb – le Maroc, la Lybie,
l’Algérie, la Mauritanie et la Tunisie- confère au conflit qui oppose l’« État » sahraoui au
Maroc, une dimension régionale. Mais avec l’évolution du paysage géopolitique mondial,
marqué autrefois par la Guerre froide avec l’antagonisme hégémonique américano-
soviétique et maintenant par le terrorisme international, le Sahara Occidental se présente
comme un champ sur lequel les grandes puissances ont des vues à l’effet de contrôler une
région devenue un terreau du terrorisme islamique4 (Herrero & Machin, 2015, pp. 89-200).
C’est à cette question que s’intéresse la présente étude.
I- PRÉSENTATION DU SUJET
4
Le Maghreb est le foyer de plusieurs organisations terroristes telles qu’Al Qaeda au Maghreb Islamique
(AQMI), le Groupe Algérien Salafiste pour la Prédication et le Combat (GASPC).
5
Ce sont l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, les États-Unis, la France,
l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Russie, la Suède et la Turquie.
2
en Afrique, la délimitation des frontières a suscité d’énormes problèmes dont le plus
important relève de l’incohérence ethnique des États issus de la colonisation. En effet, les
frontières arbitrairement tracées par les puissances coloniales avant leur retrait de l’Afrique
n’ont pas tenu compte des frontières naturelles, encore moins des groupes ethniques et
linguistiques qui se sont retrouvés cantonnés ou séparés dans des États artificiels. C’est en
gros, la raison principale des conflits existant encore de nos jours dans et entre les États
africains (Cabanis et al., 2010, p. 88).
Alors que la colonisation battait son plein, la fin de la Seconde Guerre Mondiale en
1945 et la création de l’Organisation des Nations Unies (ONU) vont propulser le monde et
surtout les peuples colonisés d’Afrique et d’Asie vers une époque nouvelle. Cette nouvelle
ère a sonné le glas du mythe de la supériorité raciale ou de la divinité de l’homme blanc
dans l’esprit du Noir6. Mieux, elle a favorisé la prise de conscience des peuples colonisés et
l’affirmation de leur aspiration à la liberté et à la souveraineté nationale.
6
Très longtemps, les peuples Noirs d’Afrique ont mystifié l’homme Blanc, en lui accordant des attributs divin
comme l’immortalité et donc la supériorité de par la pigmentation de sa peau etc. Mais lorsque sur les champs
de batailles les « tirailleurs sénégalais » voyaient tomber les blancs sous les balles de l’ennemi, cela changea
leur représentation et vite ils prirent conscience de ce que tous les hommes sont pareils. Ayant le même sang
rouge dans les veines.
7.
Le non-alignement est le nom donné au positionnement adopté dans les années 1950 par les pays du tiers-
monde récemment décolonisés qui refusaient de s’engager dans la guerre froide opposant les deux blocs menés
par les États-Unis et l’Union des républiques socialistes soviétiques. Ces pays formèrent un mouvement, les
Non-alignés et tinrent leur première réunion en 1955 à Bandung en Indonésie. Par ce mouvement ils
entendaient affirmer leur autonomie.
8
La Libye fut initialement une colonie italienne à partir de 1939. Mais durant la Seconde Guerre mondiale, la
Libye, qui contrôle l’accès vers l’Égypte et le canal de Suez, à l’est, et la route terrestre vers l’Afrique du Nord
française, à l’ouest, devint le théâtre de combats intensifs entre puissances de l’Axe et les Alliés. En 1943, les
troupes de l’Axe sont repoussées de Libye, dès lors, la France et la Grande-Bretagne se partagent le contrôle
du pays jusqu’à la proclamation de l’indépendance le 1 er octobre 1951. Cf. Libye In Encarta 2009.
3
Mais faut-il le rappeler, il y a encore sur le sol africain un territoire en état de
colonisation. Comme le souligne Fadel (2001, p. 11), « le grand vent de la décolonisation
en Afrique n’a pas soufflé sur tous les pays colonisés (…) ». Parmi ces peuples, il y a ceux
du Sahara Occidental. De colonie puis province espagnole, ce territoire continue de résister
au vent de la décolonisation et subit les appétences colonialistes de ses voisins. Les uns
ayant pour lui des intentions manifestes déclarées et assumées appelés « parties
impliquées » et les autres nourrissant des desseins plus ou moins inavoués, connus comme
« parties concernées ». En effet, après avoir souffert près d’un siècle durant la colonisation
espagnole, le Sahara Occidental subit depuis 1975 le joug non moins colonial du Maroc et
de ses voisins (Fadel, 2001, p.11).
Le Sahara Occidental tout comme les Bermudes, les îles Vierges américaines, les
îles Caïmans ou comme l’a été le Timor-Leste9, fait partie encore de ces Territoires dit Non
autonome selon la terminologie onusienne (Résolution 1514 de 1960). Tout comme eux, il
a une petite superficie, une faible densité démographique et fait l’objet de convoitise de la
part de ses puissants voisins. Dans le cas du territoire sahraoui, il subit les inclinaisons
irrédentistes d’États comme le Maroc, la Mauritanie et l’Algérie10. Il constitue de fait, un
9
Le Timor-Leste est une ancienne colonie portugaise qui avait été annexé en 1976 par l’Indonésie qui l’avait
intégré comme sa vingt-septième province. La pression internationale était venue à bout de l’occupant qui
concéda finalement l’indépendance au territoire le 20 mai 2002.
10
Même si celle n’a pas encore manifesté d’intention sur ce territoire.
4
véritable « casse-tête international » aussi bien pour ses acteurs locaux11 qu’internationaux12
qui s’y intéressent ou qui y sont impliqués.
Contrairement à des auteurs tels que De Froberville (1996) et Buteau (2005), nous
postulons que la situation du Sahara Occidental, ne constitue pas seulement un cas de
11
En plus des États du Maghreb déjà cités, nous avons l’organisation panafricaine (OUA-Union africaine), les
organisations sous régionales (CEDEAO, SADC, Ligue Arabe), les États africains les ONG africaines, les
dirigeants, les populations…
12
On peut citer entre autres l’ONU, l’Union européenne, les États occidentaux, les ONG internationales, les
institutions humanitaires et financières internationales, les médias étrangers, etc.
13
Pour le Maroc, la conquête du Sahara occidental devrait servir à calmer les partis politiques de l’opposition
qui menaçaient le régime de Mohammed V et d’Hassan II. Le Sahara Occidental devait donc servir de bouc
émissaire pour dévier l’attention du peuple sur les problèmes socio-politiques en lui donnant une cause
nationaliste à défendre. Dans le cas de la Mauritanie, la « récupération » de la colonie espagnole devait servir
non seulement à protéger le pays de l’irrédentisme marocain mais aussi à consolider le sentiment nationaliste
interne post indépendance.
14
Ce mouvement nationaliste sahraoui est créé le 10 mai 1973.
5
décolonisation non résolue. Pour nous, il n’est pas et n’a peut-être jamais été non plus qu’un
simple « conflit régional » comme le laisse penser l’intitulé d’un ouvrage de Moshen-Finan
(1987). Limiter la question du Sahara à un problème de décolonisation inachevée et
l’enfermer dans le giron régional est trop réducteur et c’est laisser de côté les considérations
géopolitiques internationales très importantes dans ce conflit. La récente sortie du président
américain Donald J. Trump, qui a reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara
Occidental en échange de la normalisation des relations maroco-israélienne (Tweet de
Trump, 2020) confirme cet état de fait. En effet, la reconnaissance américaine est venue
cristalliser la question sahraouie au cœur du jeu des relations internationales, en ce qu’elle
donne une nouvelle dynamique aux rapports sociaux, culturels, économiques et politiques
entre le Royaume Chérifien et l’État hébreu.
6
II- MOTIVATION DE LA RECHERCHE
Arabe (UMA) inaugurée en pompe en février 1989. L’UMA est depuis lors en hibernation
à cause de ce conflit, car celui-ci envenime les relations entre l’Algérie, principal soutien
des Sahraouis et le Maroc. En plus de ses répercutions régionales, le conflit génère des
conséquences internationales. Pour comprendre le conflit, l’auteur nous invite à
« l’approcher sous l’angle des enjeux géopolitiques ».
Le mémoire n’a été, en somme, qu’une sorte d’introduction au sujet, nous avons
souhaité approfondir les recherches pour présenter et analyser toutes les autres dimensions
géopolitiques, géoéconomiques et internationales du conflit qui oppose la RASD, le
royaume du Maroc et leurs alliés respectifs régionaux et internationaux, pour le contrôle du
Sahara Occidental. Voici donc présenté les circonstances qui ont prévalu au choix de notre
sujet de recherche. Qu’en est-il de son intérêt ?
15
Notre traduction: Le conflit du Sahara Occidental : aspects géopolitiques, géoéconomiques et
internationaux.
7
III- L’INTÉRET DE L’ÉTUDE
Le premier intérêt de cette étude est personnel. Il relève d’un certain nombre
d’interrogations que nous nous sommes posées sur le statut actuel des peuples des territoires
classés par les Nations Unies comme « Territoires non autonome »16. En clair, il nous tient
de savoir pourquoi à l’image des autres, les peuples de ce territoire sont encore en situation
de colonisation ? Pour les cas des Sahraouis, pourquoi leur est-il refusé le droit de se
constituer un État indépendant ? Qu’est-ce qui sur le Sahara suscite la convoitise des
voisins ? À la faveur de la Charte des Nations unies, le peuple de ce territoire n’est-il pas en
droit de disposer de lui-même et de ses ressources naturelles ?
Le second intérêt de cette étude est d’ordre scientifique. Comme il nous a été donné
d’observer dans nos recherches, le conflit du Sahara Occidental a été cantonné dans les
16
Selon la définition proposée par les Nations unies, sont qualifiés de non autonomes, aux termes du chapitre
XI de la Charte des Nations Unies, les « territoires dont les populations ne s’administrent pas encore
complètement elle mêmes ». De 72 en 1946, ces territoires sont au nombre de 17. Voir le site des Nations unies
www.un.org/dppa/descolonizatio/fr consulté le 14 décembre 2020.
8
carcans des considérations historiques, juridiques ou politiques (intérieure ou extérieure).
Mieux, le sujet est trop souvent perçu comme un problème de décolonisation alors que le
conflit dépasse de loin le cadre du simple processus de décolonisation dans lequel il a été
enfermé par les Nations Unies17. Ces approches ne sont cependant pas à rejeter, elles sont à
prendre en compte pour avoir permis de comprendre l’évolution du conflit à un certain
moment. Toutefois, dans un monde devenu global, elles paraissent désormais en déphasage
avec les nouveaux développements du conflit dans ce XXIe siècle.
Les mots se caractérisent par leur propriété polysémique. De ce fait, leur usage doit
être conceptualisé ou orienté pour permettre au lecteur de mieux cerner leur contexte
d’emploi. Une brève définition des concepts clés de notre sujet nous donnera une vue
synoptique sur l’objet de l’étude. Les termes « enjeux », « géopolitique »,
« géoéconomique », « internationaux » et « conflit » qui structurent notre sujet forment un
ensemble d’expressions fortement connotées qu’il nous faut décrypter sémantiquement pour
une meilleure intelligibilité de celui-ci.
17
C’est ce que soutient Neisse, (2004). Le règlement du conflit du Sahara Occidental et l’ONU. Pour quelle «
troisième voie ?, p. 704.
18
C’est le cas de Moshen-Finan (1987). Le Sahara Occidental: les enjeux d’un conflit régional. Paris : CNRS.
9
1- Définition des concepts du sujet
Nous n’avons pas ici la prétention de nous lancer dans de vaines spéculations
concernant ces deux concepts, encore moins nous lancer dans ce débat. En plus, nous ne
retracerons pas les grandes lignes de l’évolution historique de la « Géographie politique »
ou de la « Géopolitique ». Avant de dire ce qu’est la géopolitique, commençons d’abord par
dire ce qu’elle n’est pas. Pour ce faire, il nous faut déterminer les distinctions opératoires
entre Géopolitique et Géographie politique. D’entrée de jeu, Cadena (2006, p. 118) prévient
que « La geografía política es la ciencia madre de la geopolítica y forma parte de la ciencia
geográfica »19. Pour lui, épistémologiquement, la Géopolitique est l’appendice de la
Géographie politique ; elle est la fille de cette dernière. Dans une tentative de définition de
la Géographie Politique, Lacoste (2003, p. 188) écrit qu’elle est :
19
La géographie politique est la science génitrice de la géopolitique et celle-ci fait partie de la science
géographique.
10
différents types de frontières, mais aussi la répartition spatiale des opinions politiques
compte tenu de la composition socioprofessionnelle selon les régions ou de la
géographie culturelle.
Le terme de géopolitique dont on fait de nos jours de multiples usages désigne de fait
tout ce qui concerne les rivalités de pouvoir ou d’influence sur les territoires et les
populations qui y vivent : rivalités entre des pouvoirs politiques de toutes sortes – et
pas seulement des États mais aussi entre des mouvements politiques ou des groupes
armés plus ou moins clandestins –, les rivalités pour le contrôle ou la domination de
territoire de grande ou de petite taille.
20
Notre traduction: Des travaux ont été publiés faisant allusion à la Géopolitique comme substantif ou
comme adjectif, s’éloignent des fondements qui forment son contenu épistémologique originel. Aussi certains
manquent de référence conceptuelle et d’autres utilisent le terme de manière indistincte et peu claire.
11
De cette approche, il ressort que l’objet de la Géopolitique est l’étude des rapports
de forces pour la conquête de territoire dans le but de conserver ou d’accroitre son influence,
son pouvoir politique. Elle étudie toutes sortes de rivalités de pouvoirs sur un territoire
donné.
Quant à la Géoéconomie, tout comme la Géopolitique, elle est issue de l’addition de
deux termes : la contraction de « géographie » associée au concept « économie ». Il convient
de souligner avant toute tentative de définition de ce terme, qu’il n’a pas encore fait l’objet
de beaucoup d’études épistémologiques. De fait, jusqu’à un récent passé, l’usage de ce
terme était réservé à quelques spécialistes, et aujourd’hui encore l’emploi n’est pas
véritablement passé dans le vocabulaire courant comme l’est la Géopolitique.
12
certains segments du marché mondial relatifs à la production ou la commercialisation
d’un produit ou d’une gamme de produits sensibles, en ce que leur possession ou leur
contrôle confère à son détenteur – État ou entreprise « nationale » – un élément de
puissance et de rayonnement international et concourt au renforcement de son potentiel
économique et social. (p. 2)
Zartman (1990) en tentant d’établir la distinction entre ces termes déclare que le
conflit est comme « un litige qui sous-tend les heurts entre les belligérants, celle-ci désigne
le passage actif des hostilités armées » (p. 14). Pour lui le conflit se distingue de la crise et
des autres terminologies du fait de sa durée, car le conflit précède la crise. Le conflit est
donc plus long que la crise qui est le plus « souvent une flambée soudaine sur une courte
période ». En un mot quand on parle de conflit il « s’agit d’une opposition d’intérêt entre
13
les acteurs des relations internationales, laquelle opposition s’exprime sous forme de
guerre » (Zartman, 1990, p. 12).
Concernant la guerre, comme soutient Clausewitz (1832) cité par Manzan (2011, p.
37) elle est souvent conçue comme « un acte de violence dont le but est de forcer
l’adversaire à exécuter notre volonté » Un autre auteur, Bouthoul (1951, p. 35).propose la
définition suivante : « la guerre est la lutte armée et sanglante entre groupements organisés
». Ce qui caractérise la guerre, c’est l’usage des armes et le caractère sanglant. Cette dernière
caractéristique permet de distinguer la guerre des autres formes d'oppositions ou de
compétitions, comme la concurrence économique, les luttes sportives, la propagande
politique ou religieuse et les discussions de toute sorte. Aussi, la lutte armée, pour mériter
le nom de guerre, doit comporter des combats et des victimes (Manzan, op. cit).
14
Ainsi donc notre sujet peut s’appréhender comme l’étude des intérêts géopolitiques,
géoéconomique, c’est-à-dire, les avantages politiques, économiques et internationaux en jeu
dans les oppositions de forces plus ou moins contradictoires pour la conquête du Sahara
Occidental.
2- L’état de la question
Notre sujet nous invite à réfléchir de manière générale sur le conflit sahraoui. Mais
de façon spécifique, il nous revient d’analyser certains de ses aspects tels que la géographie,
l’histoire, les aspects géopolitiques et/ou géoéconomiques. Par ailleurs, vu que peu d’études
traitent spécifiquement toutes ces dimensions du conflit, nous classifions la revue de la
littérature en différentes rubriques.
La littérature sur l’histoire du Sahara Occidental ou sur le conflit est quelque peu
abondante. L’un des plus remarquable écrit portant sur l’histoire de cette portion de terre de
l’Afrique est sans doute la thèse de doctorat de Pasqual del Riquelme (1991) intitulée,
Historia de los saharauis y crónica de la agresión colonial en el Sahara Occidental. Dans
cette étude, il analyse la situation du Sud du Maroc depuis le XIX siècle jusque dans les
années 1970. Plus particulièrement, il examine l’histoire des sahraouis et les débuts de la
présence des Espagnols sur les côtes nord-ouest du continent africain.
15
Ruiz Miguel (1995) va plus loin dans El Sahara Occidental y España: Historia,
política y derecho. Análisis crítico de la política exterior española. Comme l’indique son
intitulé, cet ouvrage s’intéresse au dossier du Sahara Occidental en l’analysant à la fois sous
l’angle historique, politique et juridique. Pour lui, la projection hispanique vers le Nord de
l’Afrique depuis le Moyen-âge est due à la perte des colonies américaines. En plus de cela,
Ruiz souligne que l’occupation du Sahara Occidental est la conséquence directe de la
mainmise espagnole sur l’archipel Canarie. Concernant la décolonisation du Sahara
Occidental, l’auteur soutient qu’elle a été non seulement une injustice, une trahison du
peuple sahraoui, mais surtout un authentique suicide politique pour l’Espagne. Ce livre de
Ruiz nous donne une vue synoptique sur les facteurs historiques, politiques et juridiques de
la conquête et de la colonisation du Sahara Occidental.
À côté de ces auteurs qui se sont attardés davantage sur l’histoire du Sahara et du
conflit, il y en a qui par contre, bien que peu nombreux, se sont intéressés aux aspects (géo)
politico-économiques du conflit.
Ce n’est un secret pour personne, les rivalités autour du Sahara Occidental sont
frappées du sceau des intérêts géopolitiques ou (géo) économiques des puissances
régionales et internationales. C’est ce que tente de montrer Moshen-Finan (1997) dans Le
Sahara Occidental : les enjeux d’un conflit régional. Elle explique que les divergences
interétatiques ont conduit à l’utilisation de ce conflit pour le règlement de problème interne
16
de la part des États voisins. Pour elle, ce conflit a pu constituer un véritable enjeu de
politique intérieure des États du Maghreb tels que l’Algérie, le Maroc, la Lybie et la
Mauritanie. Ainsi, analyse-t-elle la place ou l’impact du conflit sur les nouveaux choix de
politique nationale ou régionale de ces États pour appréhender les rapports entre le Polisario
et son principal tuteur, l’Algérie, à partir de la fin des années 70. Pour elle, ce conflit
constitue l’enjeu principal des relations régionales, à la fois symbole, prétexte et épine dans
les rapports entre l’Algérie et le Maroc.
Vazquez (2014) dans son mémoire de Master, Los actores e intereses involucrados
en el conflicto saharaui-marroquí (1991-2012) fait une radiographie des acteurs et de leurs
intérêts protéiformes dans le conflit. Pour ce faire, elle étudie l’importance de la situation
géographique et géostratégique du Sahara Occidental sur le continent africain et les
conséquences géopolitiques de cette position géographique sur le conflit. Cependant,
l’échelle que couvre cette étude des acteurs et intérêts du conflit sahraoui est très limitée
dans le temps et ne permet donc pas de rendre compte de la dynamique du conflit dans
l’actualité.
Fadel quant à lui dans La République Sahraouie publié en 2001, fait une présentation
générale de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD). Il présente les
antécédents et les circonstances qui ont prévalu à sa naissance, ses éléments constitutifs, sa
viabilité, ses organes et ses institutions, son régime politique et sa politique générale. Sans
se limiter à cette seule présentation de la RASD, l’auteur analyse aussi les perspectives de
solution du conflit Sahara/Maroc. Pour se faire, il démontre l’illégitimité des revendications
marocaines et passe au crible les parties impliquées et intéressées du conflit.
D’autres auteurs tels que Fuente Cobo & Menéndez (2006), dans El conflicto del
Sahara Occidental étudient la dimension militaro-diplomatique et la solution du conflit dans
la perspective du droit international du conflit qui oppose le Maroc au Front Polisario. Ils
mettent en exergue la dynamique des offensives militaires et diplomatiques entreprises par
les acteurs du conflit au niveau régional, continental ou mondial. Ils terminent leur analyse
en nous présentant la situation juridique internationale du conflit au début des années 1976.
17
Le règlement du conflit et le rôle des Nations Unies
Il existe un large éventail d’écrits portant sur les tentatives de résolutions du conflit.
C’est le cas de Frank Neisse, (2004). Le règlement du conflit du Sahara occidental et l’ONU.
Pour quelle « troisième voie » ? Il part d’abord de l’analyse du plan de règlement proposé
par l’Onu qui consiste en l’organisation d’un référendum d’autodétermination du peuple
sahraoui et qui a vu l’avènement de la Mission des Nations Unies pour un referendum au
Sahara Occidental (MINURSO). Cependant, comme il le souligne, ce processus
référendaire est confronté à des difficultés telles que la composition du corps électoral à
travers le recensement complet des habitants du Sahara espagnol, le problème délicat de
l’identification des Sahraouis du Territoire et, au-delà, un recensement satisfaisant des
réfugiés et le manque de volonté manifeste des deux parties à coopérer. Pour lui, le plan de
règlement du conflit par la voie du référendum privilégié par les résolutions des Nations
Unies, repose sur la logique où le vainqueur garde tout.
Comme il nous a été donné de constater, les thématiques les plus abordées
concernant le dossier du Sahara Occidental ont trait à l’histoire, aux efforts de l’Onu dans
18
la résolution du conflit, les questions des droits de l’Homme et le principe d’application du
droit international. Les auteurs que nous avons consultés ont traité superficiellement les
enjeux géopolitiques internationaux du conflit et survolé sa dimension géoéconomique.
V- ORIENTATION DE L’ÉTUDE
19
identifié, passé au crible des questions, des objectifs, des hypothèses de recherche, des
indicateurs des variables en jeu ou la méthode d’analyse.
1- Le problème de recherche
21
Il s’agit par exemple du Mozambique, l’Angola et le Cap Vert.
20
(OUA), du fait de l’adhésion en son sein de la République Arabe Sahraouie Démocratique
(RASD). Ce retrait a causé des crises diplomatiques sur le continent et enrayé le bon
fonctionnement de l'OUA. En plus, l'Administration américaine a négocié sa reconnaissance
de la marocanité du Sahara Occidental en échange de la régularisation des relations entre le
Maroc et l'État hébreu. Tout récemment, pour faire du chantage à Madrid qui a accueilli le
Président de la RASD, Brahim Ghali22, sur son sol, le Maroc a ouvert ses frontières au
niveau de Ceuta laissant entrer des milliers de migrants sur ce territoire, provoquant par voie
de conséquence, une crise politico-migratoire en Espagne. Cette situation a généré une crise
diplomatique entre Madrid et Rabat. Fort de ces considérations, pour nous, le dossier du
Sahara Occidental n’est plus un problème de décolonisation.
2- Les objectifs
Occidental ;
22
Brahim Ghali est l’actuel Chef du Front Polisario et le Président de la République Arabe Sahraouie
Démocratique. Atteint de la Covid-19 il a été hospitalisé en Espagne malgré l’opposition du Maroc. Cet acte
a été perçu par Rabat comme une trahison de Madrid.
21
3- Les hypothèses
Le conflit du Sahara Occidental perdure depuis près d’un demi-siècle. Du fait de son
emplacement géographique stratégique au bord de l’océan Atlantique qui lui offre une
ouverture sur le monde et ses nombreuses ressources naturelles dont le phosphate et les
poissons, cette étude part de l’hypothèse que le Sahara Occidental a une grande valeur
géopolitique et géoéconomique non seulement pour les États du Maghreb mais aussi pour
les puissances internationales. Cette hypothèse principale en appelle trois secondaires :
4- Approche méthodologique
Notre étude est essentiellement basée sur la collecte de données secondaires. Les
supports audio et visuel, les discours, les thèses, les mémoires, les documents historiques,
les revues, les articles, les magazines et surtout Internet ont constitué entre autres notre
corpus. Cette étude a commencé par une phase d’exploration du sujet et des théories pouvant
éclairer le problème que nous souhaitons élucider. À l’issue de ce travail, nous avons été
confrontés au difficile choix de la méthode. En effet, quelle démarche scientifique
convoquée pour analyser une question se situant au carrefour de plusieurs champs
notamment la Géographie, l’Histoire, le Droit international, la Géopolitique et les Relations
Internationales. Même si chacune de ces sciences est à prendre en compte dans cette étude,
nous avons fait appel à la méthode d’analyse de la géopolitique et à la méthode historique.
Selon Rosière (2001, p. 37), la méthode d’analyse de la géopolitique s’appuie sur l’étude de
la dynamique du territoire, les acteurs, les représentations territoriales, le mode opératoire
et les enjeux.
22
La dynamique du territoire consiste à exposer l'évolution historique du territoire
objet de l’analyse. Dans cette phase, il s’agit de présenter le territoire, de le décrire et de
découvrir ses différentes transformations (administrative, politique, sociale et économique)
au fil du temps et d’en donner les raisons.
Quand on dit qu’un territoire est un enjeu, c’est parce qu’il est l’objet de convoitises
diverses. Tous ceux qui développent ces convoitises sont des acteurs. Les acteurs sont tous
ceux qui sont dotés d'un projet et s'affrontent pour le contrôle du territoire. Parmi les acteurs
géopolitiques, il y a les personnes physiques (les peuples, les groupes ethniques), les États,
les organisations politiques, les multinationales, les bailleurs de fonds, les Organisations
Non Gouvernementales (ONG), les groupes de pression politiques ou religieux ou les
organisations criminelles. Tous ces acteurs qui s’affrontent pour le contrôle d’un territoire
ont une image mentale de celui-ci. C’est cette image que Lacoste (2018) a appelé la
représentation territoriale. Pour lui, on parle de géopolitique quand il y a des rivalités de
pouvoir sur des territoires, mais ces rivalités ont pour moteur des représentations. Une
représentation territoriale est une conception de l'espace et du cadre politique propre à un
acteur (Rosière, 2001, p. 39). La représentation d’un espace met en jeu l’histoire de
l’individu, son imagination et ses références. Elle a une composante socioculturelle et se
fait à travers des cartes mentales des acteurs. Elle permet de saisir les enjeux que constitue
un territoire pour les parties en cause et de rendre compte des argumentations et aussi de
comprendre les mécanismes qui ont prévalu à l’élaboration de positions quelquefois
conflictuelles et contradictoires.
Quant au mode opératoire, il s’agit des moyens choisis par les acteurs pour arriver
à leurs fins, c’est-à- dire, pour atteindre leurs objectifs. Il faut souligner que tous les acteurs
géopolitiques choisissent un mode opératoire. Le modus operandi peut être de plusieurs
sortes. En effet, il peut être à la fois politique, économique, médiatique, militaire ou
diplomatique.
L’enjeu constitue la source des tensions, des crises, de conflits ou des guerres. Il peut
être une lutte pour le contrôle d’espaces et de territoires (mers, îlots maritimes, route
d’accès, routes de transit, etc.), de ressources naturelles et énergétiques (pétrole, gaz, eau,
minerais, etc.) ou des rapports de forces autour d’un tracé de frontière (tracé mal accepté,
mur, enclave, etc.).
23
Notre sujet se propose d’étudier l’évolution du conflit sahraoui, par conséquent, une
connaissance pointue de son histoire s’impose. C’est en cela que nous convoquons la
méthode historique ou le paradigme de l’historicisme. C’est une méthode utilisée pour (re)
constituer l’histoire et déterminer scientifiquement les faits. Dans leur Introduction aux
études historiques, Langlois et Seignobos soutiennent que cette méthode comprend quatre
étapes. Il s'agit d'abord de rassembler les documents, de les traiter, après quoi, de dégager
les faits et enfin de les organiser (Langlois & Seignobos, 1992, p. 12). N’Da (2015, p. 110)
ajoute que cette méthode est utile pour comprendre les révolutions historiques et aussi pour
saisir les enjeux des débats où l'on fait appel à un « retour aux sources », ceux où la
modernisation se heurte à des modes d'organisation politique, économique et sociale, hérités
d'une période antérieure.
24
PREMIÈRE PARTIE :
LE SAHARA OCCIDENTAL
25
L’identification de l’espace ou le territoire objet de l’étude, sa présentation et sa
description constituent la première étape de toute analyse géopolitique. En effet, la
connaissance du territoire traité constitue une étape essentielle et nécessaire.
26
CHAPITRE 1 : APPROCHE GÉOGRAPHIQUE DU SAHARA OCCIDENTAL
Lacoste estime qu’avant tout elle « sert d'abord à la guerre ». Autrement dit, les
connaissances géographiques confèrent un pouvoir stratégique qui permet aux organes du
pouvoir politique, administratif, économique ou militaire de conquérir ou contrôler l'espace
et les populations qui y vivent.
27
1- Le Sahara Occidental : une localisation stratégique
le mot Sahara (…) n'a jamais signifié « vide », comme il est prétendu.
Étymologiquement, il veut dire vaste territoire, peu peuplé, peu fréquenté,
inhospitalier et, dans tous les cas, exigeant un déplacement permanent parce que ne
permettant pas une vie citadine du fait de la rareté de la flore23.
Un autre auteur, allant dans le même sens, souligne que « le mot Sahara, terme
géographique consacré par l’utilisation française, ne veut pas dire désert. Ce dernier se dit
khlâ et non çahrâ qui signifie terre inculte par opposition à la terre cultivée » (Moussaoui,
2002, p. 25).
23
Cf. Cour Internationale de Justice : Mémoires, Plaidoiries et Documents Sahara Occidental, vol. IV, Exposés
oraux. (Exposé oral de M. Benjelloun, représentant du gouvernement marocain. pp. 194-195).
28
quelques 2000 km de côtes24. Quant à sa superfice, il est difficile d’avancer un chiffre précis
en raison de l'imprécision de certaines de ses frontières. Aussi, la superficie du territoire
diffère d’un auteur à un autre25. Malgré cette difficulté, les chiffres généralement admis,
notamment par les Nation unies, pour faire référence à la superficie du Sahara Occidental,
l'estime à 266 000 km².
Il est fréquent dans l’Histoire de voir des anciennes colonies changer de nom après
le depart des colons. C’est le cas par exemple de la Haute Volta qui devient Burkina Faso,
de la Gold Coast devenu Ghana, ou encore de la Rodhésie connu desormais comme le
Zimbabwe. Le changement des dénomminations héritées de la colonisation vise non
seulement à rompre avec le passé colonial mais aussi à proclammer l’appropiation du
territoire par ses habitants. En fait, « nommer [un territoire] c’est se l’approprier »
(Bouhadjar, 2016, p. 76). Ainsi, en troquant le nom Sahara espagnol en Sahara Occidental,
les sahraouis et les utilisateurs de ce nom entendent souligner l’appartenance de ce territoire
24
Ces différents chiffres divergent aussi d’un auteur à un autre. Ceux proposés ici sont d’Ismail Sayeh. (1998).
Les Sahraouis. Paris : L’Harmattan.
25
M. Barbier (1982) qui a étudié la question a fait un inventaire des différents chiffres avancés par les auteurs.
Il dit que la plupart des auteurs John Mercer, Ramon Criado, Robert Rezetie) donnent le chiffre de 266 000
km2, qui est repris par l'ON~ depuis 1975. Mais on trouve parfois un chiffre supérieur: 272 000 km2 (Ali Yata
et Attilio Gaudio), 280 000 km2 (chiffre fourni par l'Espagne et repris par l'ONU jusqu'en 1974) ou 284 000
km2 (chiffre du Front Polisario). L'Espagne a elle-même fourni trois chiffres différents: 278 000 km2
(gouvernement espagnol), 280 000 k.m2 (ministère des Affaires étrangères) et 284 000 km2 (ministère de
l'Information). Note de Barbier (1982). Le conflit du Sahara Occidental. Paris : L’Harmattan.
29
à ce peuple. Par ailleurs, le passage de « Sahara espagnol » à « Sahara Occidental », denote
de ce que l’acte de dénomination est une action de selection et d’abandon (Comard-Rentz,
2006, p. 39). Par ce changement, les sahraouis entendent rompre avec la mémoire, la
prostérité souhaité par les colons espagnols, car les noms sont des vectuers de mémoire.
Quant au Sahara occidental, il apparait comme une formule géographique vague qui
ne correpond à aucun territoire precis. Ici, l’adjectif « occidental » qui vient qualifié le nom
Sahara designe, en fait, la partie ouest du grand désert de l’Afrique du nord qu’est le Sahara
qui s’étend de l’ocean Atlantique jusqu’à la mer rouge recouvrant près de neuf millons de
km² (Cf. Sahara In Encarta 2009). Ainsi, écrire « Sahara occidental » avec la minuscule,
De Froberville (1996) s’inscrit d’ailleurs dans la même veine, lorsqu’elle nous invite à :
(…) ne pas confondre le « Sahara Occidental » un territoire bien délimité, colonisé par
l’Espagne, dont les frontières sont connues internationalement et le « Sahara
occidental », formule vague qui désigne la partie occidental du désert saharien
englobant le sud du Maroc actuel, le Sahara Occidental, la Mauritanie et une partie de
l’ouest algérien (p. 11).
En définitive, le Sahara sur lequel porte cette étude, est le territoire de l’ex colonie
espagnole, soit, le Sahara Occidental et non pas le Sahara occidental, c’est-à-dire, l’ouest
du désert du Sahara.
30
européen, lui confére une position que nous pouvons qualifier de stratégique. Mais qu’est-
ce qu’une « position stratégique » ?
26
La zone économique exclusive s’étend au-delà de la mer territoriale, jusqu’à 200 milles de la ligne de base.
L’État peut y exercer ce qu’on appelle « des droits souverains finalisés » en matière d’exploration,
d’exploitation, de gestion des ressources naturelles biologiques ou non. Voir Zone Exclusives Economiques
In Encarta 2009.
27
Fiche Pays – Sahara Occidental, Geolinks, Observatoire en géostratégie de Lyon, disponible en
http://www.geolinks.fr/category/fiches-pays/ consulté le 5/3/2019.
31
de 600 hectares de plantations pour cultiver des tomates, vendues sous le nom d’"Etoile du
Sud"28.
En outre, le Sahara Occidental peut être considéré comme le pont qui unit tous les
peuples qui vivent dans ses environs, favorisant ainsi les échanges culturels et économiques
entre ces différents peuples. Comme le souligne Garduño (2010, p. 3), « ce territoire est
l'intersection de plusieurs routes commerciales, de l'Afrique subsaharienne aux îles
Canaries, de l'Algérie à l'océan Atlantique et de la Mauritanie à Gibraltar en passant par
le Maroc et la mer Méditerranée ». Pour lui , le fait que le territoire se situe à une demi-
heure des îles Canaries, ses côtes peuvent être utilisées comme ports de commerce ou
comme bases militaires, comme ce fut le cas sous le général Franco. À la lumière de la
presentation physique du territtoire qui va suivre, l’on pourra voir que le pouvoir politique
et économique qui pourrait émerger du contrôle de ce territoire est très important.
Pris dans son ensemble, le Sahara Occidental historiquement, est divisé en deux
régions distinctes : la région de Saguia el Hamra et celle de Rio de Oro.
Cette division bipartite traditionnelle ne doit, toutefois, pas être confondue avec la
division physico-géopolitique dont est objet le territoire depuis 1980, date à laquelle le
royaume du Maroc a commencé la construction d’un mur long de quelques 1 200 km. Ce
mur divise le territoire en deux : d’un côté le Sahara Occidental « de l’interieur »29 protégé
par le mur et controlé par le Maroc. Cette partie est également appelée le « triangre utile »
ou le « Sahara utile » car elle contient la majeure partie de la population du territoire, la
quasi totalité des énormes ressources naturelles, ainsi que la capitale politique El Ayoun et
la capitale religieuse, Smara. D’un autre côté, il y a une bande étroite de terre de près d’un
millier de kilomètre carré qui constitue le « Sahara de l’exterieur »30 controlé par le Front
Polisario et la République Arabe Sahraouie Démocratique.
28
« Fiche Pays – Sahara Occidental », Geolinks, op.cit.
29
Mais les indépendantistes Sahraouis appellent cette zone « les territoires occupés ».
30
Cette autre partie du territoire en dehors des murs est appelé « les territoires libérés ».
32
rivière qui s'étend d'Est en Ouest, sur plus de 500 km au nord du territoire. Cette rivière
intermittente coule plusieurs mois tout au long de l'année et connaît des bruts brefs et
violents par temps orageux. La région de Saguia el Hamra, le long du fleuve rouge, est
fertile et propice à la pratique d'activités agro-pastorales telles que les cultures céréalières
(maïs, orge) ainsi qu'à l'élevage. Cette région est également riche en ressources minérales
comme le phosphate et probablement en pétrole et de gaz (Fadel, 2001).
Le paysage est monotone à l'intérieur des terres et sur la côte. Cette monotonie n'est
pas rompue par les presqu’îles de Dakhla (ex-Villa Cisneros) et La Güera. Le climat est
continental, aride à l'intérieur des terres avec des hivers très froids et secs, tandis que les
étés sont très chauds (avec des températures qui peuvent approcher 60 ° Celsius à l'ombre)
et humides sur les côtes où les brouillards se produisent parfois. Les pluies au Sahara
Occidental sont rares sur la côte ainsi qu'à l'intérieur du territoire. La ville de Dakhla
recevrait en moyenne 45 millimètres de pluie par an. L'humidité de la côte signifie que la
flore et la faune de la côte sont suffisamment abondantes et riches. À l'intérieur des terres,
il y a la flore typique de la steppe et du désert: quelques acacias, des buissons dans les
dépressions sablonneuses. Il est constant de trouver de vastes zones totalement dépourvues
de végétation et d'eau (Del Riquelme, idem).
33
Contrairement au reste du Sahara, et en particulier au Sahara Central, où la
végétation se limite aujourd'hui aux bords des canaux, aux fonds sablonneux et aux oasis,
au Sahara Occidental, la végétation est dispersée dans la majeure partie du pays. La
végétation comprend de nombreuses variétés. Pas étonnant que les Sahraouis appellent leur
propre terre Sahel, plutôt que Sahara qui signifie « vide » (Fadel, 2001). En fait, l’humidité
de l'Atlantique n'est pas étrangère à l'étendue et à la richesse de la flore et de la faune du
Sahara Occidental. Les herbes abondent, avec parfois, la forme de buissons, d'arganiers et
de palmiers nains. Dans le Nord, on trouve des acacias, des tamarins et une variété de
légumineuses (Del Riquelme, 1991, p. 106).
Les ressources naturelles sont en grande partie le bois qui alimente le feu des rivalités
dont est objet le Sahara Occidental. Il n'est pas inconnu qu'elles jouent un rôle important
dans le conflit, lui conférant ainsi un caractère (géo) économique.
Le sol du Sahara Occidental est riche dedans tout comme dehors (on-shore et off-
shore). Cette information est devenue une vérité universelle, étant donné qu’elle est la seule
qui est partagée par les différents observateurs. En raison des velléités hégémoniques
contradictoires des uns et des autres pour ce territoire, la quantification de ces ressources est
difficile. En effet, l’on se heurte à l'existence de travaux de prospection sérieuse soutenus
par des études de terrain réalisées sur l’ensemble de la surface du territoire.
En outre, il ne serait pas exclu que certains résultats d'études aient été sacrifiés à des
fins politiques et économiques stratégiques et que, pour les mêmes raisons, ils n'aient pas
été publiés. Avant toute analyse des ressources naturelles, il faut souligner qu'avant leur
découverte et leur exploitation, les Sahraouis avaient une économie traditionnelle qui
34
reposait principalement sur l'élevage et l'agriculture. Nous donnerons plus de détails sur
l’économie traditionnelle des sahraouis dans le chapitre II. Comme on peut déjà l’apercevoir
sur cette figure, les ressources naturelles abondent sur le sol, les eaux et le sous-sol de ce
territoire.
Il est bien connu que le Sahara Occidental est riche en ressources minérales. Au sein
de ces ressources, le phosphate occupe une place privilégiée. Le phosphate est un élément
largement présent dans la nature. En plus de l’azote et du potassium, le phosphate est
considéré comme l’un des constituants fondamentaux pour la vie des plantes, des animaux
35
même des hommes. De fait, le phosphate joue un rôle important dans le métabolisme de la
faune et de la flore et constitue l'un des éléments nutritionnels essentiels à la croissance et
au développement des légumes. Les plantes absorbent principalement le phosphate pendant
leur phase de croissance, puis le phosphate absorbé est transmis aux fruits et aux graines
pendant la phase de reproduction. Ainsi, les plantes dépourvues de phosphates présentent
un retard de croissance, comme une croissance réduite des cellules et des feuilles, une
respiration altérée et une photosynthèse. De ce fait, les phosphates jouent un rôle important
dans l'agriculture car ils sont utilisés comme de l’engrais.
36
les projets nécessaires à l'exploitation de la mine, en sollicitant des soutiens internationaux
pour la fourniture de logistiques en vue de l’installation des infrastructures nécessaires.
À cette époque, l’ENMISA rencontrait des difficultés pour obtenir des capitaux
auprès de diverses sociétés étrangères, notamment américaines et anglaises. Il y avait une
réserve de la part des sociétés sollicitées. Cette réticence s'expliquait par l'incertitude de ces
entreprises sur l'avenir du territoire et la faiblesse du marché mondial des phosphates
(Barbier, 1988, p. 25). En 1969, l’ENMISA est devenue la Société de phosphates de Bou
Craa S.A (FosBuCraa en acronyme) et avec un capital estimé à cinq milliards de pesetas
(Casorrán, 2004, p. 39), elle a réalisé les installations nécessaires à l'exploitation. Le
gisement de phosphate de Bou Craa est situé dans la partie nord du Sahara Occidental, à
environ 107 km au sud-est d'El Ayoun, la capitale de la province, et à environ 100 km de la
côte atlantique.
Jeune Afrique (cité par Casorrán, 2004) a estimé les réserves de phosphate au Sahara
Occidental à 3 000 millions de tonnes. D'autres études géostatistiques évaluent les réserves
de BouCraa à environ deux milliards de tonnes exploitables facilement, avec une teneur en
phosphore comprise entre soixante-dix et quatre-vingt pour cent. En d'autres termes, la mine
est exploitable à ciel ouvert. De plus, on estime que les réserves peuvent être exploitées
intensivement pendant un siècle et demi avant d'être épuisées (Vazquez, 2011, p. 57). Tout
cela, ajouté au fait que la mine de Bucraa fait environ 250 kilomètres d’extension, 84 km de
long, 2 à 15 km de large et 2 à 4 mètres de profondeur, cette mine est devenue le gisement
de phosphates le plus riche du monde, tant en quantité qu'en qualité.
Il est rare dans le monde que la nature rassemble autant de ressources minérales.
Bien qu’en moindre quantité comparativement au phosphate, le territoire contient également
37
d'autres importants minéraux. Fadel (2001, p. 52), révèle que parmi les autres minéraux
« déjà découverts » il y a « le nickel, le chrome, le platine, l’or, le plomb, le corindon,
l’argent, le cuivre ». Et parmi les autres minéraux potentiels il aurait « le wolfram et
l'étain ». De plus, selon le même auteur, dans les années 70 les résultats des prospections
menées par des sociétés américaines et allemandes ont confirmé l'existence de fers dont une
importante mine a été découverte à Aghracha, avec des réserves évaluées à 70 000 tonnes
(Fadel, 2001, p.52).
Dans la zone de Sfariat Range non loin de la frontière mauritanienne a été découverte
en 1975 par les géologues Theurkauf et Grover, l'existence d'un gisement de fer à forte
concentration avec des réserves estimées à quelques 12 milliards de tonnes de minerai à
forte concentration en minerais de fer. Au nord du territoire, autour de Smara, et en direction
de Tindouf, l'Institut national de l'industrie (INI) a révélé l'existence d'un gisement estimé à
5 milliards de tonnes de fer (Brenneisen & Martinoli, 1998, p. 2).
Si le sous-sol du Sahara Occidental est généreux pour ses ressources minérales, ses
eaux sont également d'une grande richesse.
Le Sahara Occidental jouit d’une ouverture sur l'océan Atlantique avec une côte estimée
à 1200 kilomètres31. C’est cette grande façade maritime qui lui offre sa deuxième grande
richesse naturelle, les ressources halieutiques. De par sa situation géographique, l’ancienne
province espagnole possède l’une des aires de pêche des plus stratégiques au monde avec
une zone de pêche maritime d’une importante extension.
Les eaux du Sahara sont très généreuses. Elles possèdent une grande quantité et
qualité d’espèces de faune marine. On y trouve à peu près 200 espèces différentes de
poissons, 60 espèces de mollusques, plusieurs dizaines d’espèces de céphalopodes et de
crustacés dont la célèbre langouste (Fadel, 2001, p.51). Aussi, la productivité des bancs
poissonneux est estimée à 10 tonnes par km² sur un bassin estimé à 150 000 km². Par
conséquent, le Sahara Occidental devient l’une des zones de pêches les plus riches du monde
31
À l’image de la superficie du territoire, les chiffres de la longueur de la façade maritime du Sahara
Occidental divergent ‘un auteur à un autre.
38
comparé au grandes espaces qu’exploitent les grandes puissances de pêche (Garduño, 2007,
p.9).
Au long de son histoire, la richesse des côtes sahraouies a été la principale raison de
la présence des pêcheurs espagnols et canariens dans la région au XVIe siècle. La présence
de l'Espagne sur le territoire du Sahara occidental est historiquement liée à la pêche. Mieux,
la pêche est restée l'une des raisons de la colonisation du Sahara occidental par l’Espagne
(Barbier, 1988, p.23). Pour mener à bien l'exploitation des eaux sahraouies, l'Espagne a
signé avec les autorités marocaines d’alors le traité hispano-marocain de Tétouan en 1860.
En vertu de cet accord, un espace sur la côte atlantique du royaume Alaoui a été attribué à
l'Espagne pour y installer une pêcherie (González, 2011, p. 82). Mais, l'établissement des
premières pêcheries espagnoles au Sahara Occidental a été l'œuvre de sociétés et d'individus
privés (Milán, 2005, p. 48.). En mars 1881, la Société Canari-africaine de pêche a conclu un
accord avec des notables Sahraouis de la région de Dakhla, autorisant ainsi les Espagnols à
y établir une usine de pêche.
Deux types de pêche étaient pratiqués dans les eaux du Sahara. La pêche artisanale
était la première forme. Elle était faite avec de petits bateaux et avec des méthodes
d'extermination, comme des explosifs sous-marins (Fadel, 2001, p. 52). Les Imraguen et les
Chnagla, deux tribus sahraouies auxquelles se joignaient des pêcheurs espagnols et des
Canariens, pratiquaient une forme de pêche artisanale. En 1969, les pêcheurs espagnols et
canariens possédaient quelques 5000 bateaux et pêchaient jusqu'à 450000 tonnes de
poissons dans les eaux territoriales sahraouies (Barbier, 1988, p. 24). La majeure partie de
la production était acheminée aux îles Canaries ou en Espagne. Seule une petite partie,
estimée à 4 271 tonnes en 1969 et 5 012 tonnes en 1972 (Barbier, 1988) restait au Sahara
espagnol principalement dans les usines de La Gouera où elle a été transformée en farine de
poisson. À l'époque, les Sahraouis profitaient peu, pour ainsi dire, des considérables
ressources halieutiques de leurs eaux territoriales et participaient à peine à leur exploitation.
La deuxième forme de pêche était industrielle. Elle était réalisée avec de grands
bateaux modernes. Plusieurs puissances étrangères du monde entier s'y consacraient venant
parfois des milliers de kilomètres. C'est le cas du Japon, de l'Union soviétique, de l'Afrique
du Sud. À cette époque, selon Attilio Gaudio, les pêcheurs marocains et mauritaniens ne
s'aventuraient pas dans les eaux sahraouies car leurs côtes étaient également riches en
39
ressources halieutiques (Gaudio, 1978, pp. 339-340). Ainsi, des puissances étrangères
venaient de très loin pour piller les immenses bancs poissonneux du Sahara. Parfois, ils
pouvaient rester trois mois dans la région pour pratiquer une pêche industrielle intensive
avec leurs navires ultramodernes. Ils prenaient d'énormes quantités de poissons, qui étaient
traitées sur place.
En 1969, plus de 1 281 500 tonnes de poissons ont été capturées dans les eaux
sahariennes par le Japon, les îles Canaries, l'Espagne, l'Afrique du Sud, la Pologne, la Corée
du Sud, les Bermudes, l’Italie, Cuba, l’URSS, Portugal et autres (Barbier, 1988, p. 24).
Aujourd’hui encore, l’exploitation des bancs de poissons sahraouis par les puissances
étrangères continuent. En effet, le Royaume du Maroc qui contrôle les ressources du Sahara
Occidental signe des accords avec l'Union européenne en vue d'exploiter les eaux du
territoire.
32
Il s’agit de CAMPSA, Phillis Oil CO., Cepsa, Caltex, Atlantic Exploration Co., Gao of Spain Inc., SOHIO
Iberian Oil Corp., Tidewater Oil Co., Sun., Ipesa et Union Oil Co of California.
40
pétrolières est entreprise (Cobo & Menéndez, 2006, p. 27). Trois ans plus tard, des filons de
pétrole brut sont découverts dans vingt-sept endroits. Cependant, la découverte à cette
époque de gisements très rentables en Libye et en mer du Nord, la chute du prix du baril et
les incertitudes politiques qui existaient quant à l'avenir du Sahara contrôlé par l'Espagne
ont conduit peu à peu à l'abandon des prospections (Cobo & Menéndez, ibidem).
La pluralité des permis qui continuent d’être accordés par le Maroc et la RASD et
les intérêts constants des compagnies pétrolières internationales pour cette région peut être
interprétée comme preuves de la présence d'importants gisements d'or noir au Sahara
Occidental. Pour certains auteurs, il n'est pas exclu que le pétrole sahraoui soit réservé en
raison du conflit dont est objet le territoire (Gatta, 2016). Dans tous les cas, une probabilité
certaine de découverte de pétrole sur ce territoire serait un autre facteur de tension entre le
Maroc et la Rasd. Garduño (2007) le dit clairement lorqu’il écrit que « de encontrarse
petróleo en el Sahara Occidental se agregaría un agente más al conflicto debido a la
41
codicia del recurso en la economía actual internacional 33» (p. 14). S’il existe des doutes
sur les hydrocarbures, il ne fait aucun doute que le Sahara Occidental soit un territoire
regorgeant d’importantes ressources renouvelables, notamment les énergies solaire et
éolienne. Le Sahara Occidental, de par sa situation géographique (un territoire désertique),
est un pays de soleil et de vent, les principales sources de l'énergie verte. Dans un contexte
mondial où le marché de l'énergie est marqué par un attrait pour les énergies renouvelables,
le Sahara Occidental apparaît comme un terrain attractif pour le développement de ce
segment de l'industrie.
33
Notre traduction: La découverte de pétrole au Sahara Occidental ajouterait un agent de plus au conflit du
fait de la convoitise de cette ressource dans l’économie internationale actuelle.
42
L'Observatoire en géostratégie de Lyon34 assure qu'en dépit de la grande sécheresse
du territoire due à la rareté des pluies propres à l'ensemble de cette région, une étude de
l'UNESCO a révélé que le sous-sol du Sahara occidental est riche en aquifères. D'immenses
réserves d'eau douce auraient été trouvées principalement sur la côte dans la zone
actuellement occupée par le Maroc.
34
Cf. Geolinks, Fiche Pays–Sahara Occidental. in http://www.geolinks.fr/sahara_occidental/ consulté le
11/09/2019 à 23h 32.
43
CHAPITRE 2 : LE SAHARA OCCIDENTAL AVANT LA COLONISATION
ESPAGNOLE
Existe en el oeste del Gran desierto del Sahara un amplio territorio que constituye
una unidad geográfica, cultural religiosa y humana. Está habitado por nómadas y
seminomadas en su casi totalidad.35 (p. 89)
Aujourd’hui, les sources historiques, notamment les écrits de l’historien arabe Ibn
Khaldoun, les travaux d’ethnologues et autres anthropologues36 sur cette partie ouest de
l'Afrique du nord nous donnent une idée relativement précise des peuples qui peuplaient
cette région dans le passé. Ainsi, avant l'arrivée des Arabes, trois peuples étaient déjà
35
Notre traduction: Il existe à l’ouest du grand désert du Sahara un vaste territoire qui constitue une unité
géographique, culturelle, religieuse et humaine. Il est habité par des nomades et des semi-nomades dans sa
quasi-totalité.
36
C’est le cas de l’anthropologue Caratin (2003) qui a consacré la majeure partie de ses recherches sur les
tribus sahraouis. Voir par exemple son livre La république des sables. Anthropologie d’une Révolution, Paris :
L’Harmattan.
44
présents au Sahara Occidental. Ce sont les Noirs, les Berbères venus du nord et les Juifs
(Barbier, 1988 et Moshen-Finan, 1997, p.16). Les Berbères étaient divisés en deux groupes
traditionnellement hostiles : les Sanhaja et les Zénètes. La venue des Arabes sur ce territoire
est postérieure à celle de ces trois peuples. De fait, les premières incursions arabes au Sahara
Occidental remontent à la fin du VIIe siècle jusqu'à la première moitié du VIIIe siècle. Mais
les Berbères (Zénètes) réussirent à garder la suprématie dans la région du milieu du VIlle
siècle au début du XIe siècle.
Les premiers vrais contacts entre les Arabes et les tribus déjà présentes au Sahara
Occidental ont commencé à partir du IXe siècle du fait du développement du commerce
transsaharien. Ces arabes qui appartenaient à la tribu Hassan, une fraction des Beni Maquil,
originaire de la péninsule arabique, notamment du Yémen. Ceux-ci, venus d'Égypte en
passant par la Tunisie au XIème siècle et ont pénétré l’actuel Sahara Occidental au début du
XIIIème siècle et s’y sont installés (Norris, 1962, pp. 31-322).
Il semble que les contacts des Arabes d'Afrique du nord avec les tribus du Sahara
Occidental à cette époque se soient opérés dans le cadre de l'établissement du commerce.
Ainsi, les grands États arabes de la Méditerranée occidentale qui avaient de grands besoins
en or en provenance d'Afrique noire pour faire confectionner leur monnaie, envoyaient des
émissaires au Sahara Occidental. Les émissaires, aux fins de remplir leur délicate mission,
c’est-à-dire, s’entendre avec les tribus locales en vue de contrôler les pistes caravanières, se
sont alliés à ces tribus locales.
La venue des Arabes a donné lieu à un mélange entre ceux-ci et les Berbères,
premiers du territoire. Du brassage répété au fil des siècles, entre les populations indigènes
–les Berbères – et les Arabes arrivées du nord, et aussi avec les populations Afro-Noires qui
peuplaient à l'origine la région, a donné naissance à une population Maure. En un mot, ceux
que l’on appelle Sahraouis aujourd’hui, sont un peuple africain d’origine Noir, Berbère et
Arabe. Ce peuple était organisé, doté d’une hiérarchie et d’une organisation sociale qui les
différenciaient de leurs voisins du Nord, les Marocains.
45
II- LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE SAHRAOUIE : HIÉRARCHIE ET
ORGANISATION SOCIALE
Avant l’arrivée des Blancs, les Sahraouis étaient constitués d'un ensemble de tribus et
de confédérations de tribus qui se partageait traditionnellement le territoire qui correspond
maintenant au Sahara Occidental. Chaque tribu s’était établie sur un espace bien déterminé
qu’il considérait comme sien. Mais ce n’étaient pas des espaces figés car ils étaient sujets à
une incessante recomposition par les différents groupes tribaux du fait du nomadisme.
Parlant des rapports entre les tribus, García (2003) affirme que « la relación entre ellas
respondía a un sutil y complejo repertorio de pautas que mantenía el equilibrio y evitaba
que los conflictos intertribales sangraran una demografía siempre en el umbral de la
autoproducción.38» (p. 39). Les rapports entre les tribus étaient donc relativement
pacifiques. D’une part, chaque tribu faisait assurer le respect de son territoire et de ses
membres contre des actes de guerre et de pillage et d’autre part, les tribus protégeaient les
étrangers qu’ils soient explorateurs, voyageurs, commerçants, ou autres, qui demandaient
leur protection moyennant le paiement d’un tribut (Sayeh, 1998, p. 25).
Dans cette même veine Caratini (2003) explique qu’à l’époque du nomadisme
précolonial, l’accès aux ressources pastorales était acquis par un rapport de forces fondés à
la fois sur le nombre et la valeur guerrière des hommes de la tribu. L’argument du premier
occupant n’était jamais prégnant, d’autant que la plupart des groupes se donnaient pour
37
Notre traduction : Tribu et nomadisme semblent être des termes indissociables quand il s’agit d’aborder
l’organisation sociale des sahraouis en général et des berbères dans leur ensemble.
38
Notre traduction: La relation entre celles-ci reposait sur un subtil et complexe répertoire de règles qui
maintenait l’équilibre et évitait que les conflits intertribaux ne déciment une population toujours au seuil de
l’autoproduction.
46
origine un ancêtre commun, venu d’ailleurs et paré de qualités comme l’appartenance aux
lignées arabes, voire chérifiennes, et/ou la sainteté. De ce rapport de forces constamment
remis en cause, naissaient des priorités d’accès, une mosaïque de territoires possédés
collectivement par les groupes dominants, mais qui pouvaient être exploités par d’autres,
soit à la suite d’accords réciproques, soit contre paiement d’un tribut.
Les tribus identifiées ci-dessus étaient bien hiérarchisées. Parmi, les huit tribus
principales, trois se distinguaient et occupaient le haut de la hiérarchie sociale, il s’agissait
des Reguibat, des Tekna et des Ouled Delim. La hiérarchie de la société sahraouie
comprenait trois niveaux : les tribus guerrières, les tribus chorfa ou maraboutiques et les
tribus tributaires.
Les tribus guerrières, considérées comme les plus fortes et les plus nobles, étaient
composées des Reguibat Sahel, des Izarguien, des Ouled Delim, des Aït Lahcen et des
Yaggout. Quant aux tribus chorfa ou maraboutiques, qui descendaient du prophète
Mahomet, elles se composaient des Reguibat Lgouacem, des Ahl Arousien et les Ahl Ma el
Aïnin. Enfin, les tribus tributaires c'est-à-dire soumises à une autre tribu qui les protégeait
et à laquelle elles versaient un tribut. Dans cette catégorie, il y avait par exemple les Ouled
39
A côté de ces huit principales il y avait onze autres petites tribus totalisant 2 875 personnes. Il s'agissait des
tribus suivantes: Lemyar (700), Taoubbalt (600), Ladeicat (500), Mejjat (450), Filala (200), Aït Oussa (150),
Chnagla (100), Azouafid (80), Imraguen (40), Ouled Bou Aïta (40), et Ouled Bou Sba (15).
47
Tidrarin tributaires des Ouled Delim (Barbier, 1988, p.18). Les esclaves et les affranchies
constitués majoritairement de Noirs et les artisans occupaient le bas de la pyramide sociale.
Découvrons maintenant le mode de vie sociale, économique et politique de la société
sahraouie précoloniale.
Au niveau religieux, les Sahraouis partageaient la même religion que leurs voisins,
c’est-à-dire, l'Islam. Mais contrairement à eux, pour les Sahraouis, la religion était avant
tout un acte individuel. De fait, ils n'avaient pas d'imam, car la prière étant une affaire
individuelle, rien, ni personne et aucun sultan ne devrait se tenir entre un individu et Allah.
À cet égard, Sayeh (1998) écrit que « La prière ne se fait qu’au nom d’Allah, le seul et
unique maître. Dans la grande prière du vendredi, aucun nom de souverain n'a jamais été
mentionné. La tradition des imams que l’on trouve chez les voisins n’existe pas chez les
Sahraouis » (pp. 34-35). Ainsi, traditionnellement, les habitants de ce qui correspond
aujourd’hui au Sahara Occidental, qui nomadisaient entre la région de Tindouf à l'Est, au
Cap Blanc au Sud et le Noun du Nord, ont toujours vécu librement, indépendamment de
l’autorité du sultanat marocain. Mieux, les peuples nomades du Sahara Occidental n'ont
jamais été sous l’autorité d’un quelconque sultan marocain. De Froberville (1996) partage
cette position. Selon elle, l’expédition entreprise en 1886 par le sultan marocain Moulay
Hasan ne lui a permis d’exercer aucune autorité sur les peuples nomades du Noun. Ce
territoire a été classé comme «bled as siba», c’est-à-dire, le pays de l’insoumission.
48
postule que « La polygamie est très peu développée » (pp. 34-35). Que les sahraouis soient
polygames ou monogames, en revanche, dans la société sahraouie, les femmes jouaient un
rôle fondamental. Ce sont, en effet, elles qui étaient (et sont) chargées d'organiser les camps
et d'éduquer les enfants. Par ailleurs, elles jouissent de la même liberté et privilège que
l’homme. Ne se voilant pas, elles n’étaient pas mises à l’écart des cénacles masculins.
Mieux, elles prenaient part à toutes les discussions (De Froberville, 1996, p. 14).
La vie politique dans la société sahraouie traditionnelle était avant tout une affaire
de communauté. Au sein de chaque tribu, de chaque fraction, ou de chaque sous-fraction, la
gestion des affaires était confiée à une assemblée appelée Djemaa40. C'est au sein de cette
assemblée que s'exerçait le pouvoir, elle était le lieu d'expression de la démocratie populaire.
En effet, l'organisation en confédération des tribus sahraouies se caractérise par un système
politique décentralisée. Par conséquent, les peuples nomades du Sahara Occidental
ignoraient la notion de soumission à un quelconque pouvoir central. La Djemaa était
l'institution qui régissait la vie socio-politique des Sahraouis. Pouvaient faire partie de cette
assemblée, les hommes les plus prestigieux et représentatifs de chaque groupe. La djemaa
se prononçait, par consensus sur les questions qui lui étaient soumises. Et ses décisions
devaient être respectées par tous les chefs de tribu sur lesquels la Djemaa avait de l’autorité
(Del Riquelme, 1991, p. 187).
40
Il ne faut toutefois pas confondre cette Djemaa avec celle qui sera créée par les autorités coloniales
espagnoles dans les années 60 et que nous analyserons dans la seconde partie de cette thèse.
49
Le chef de l'assemblée, appelé cheikh, était traditionnellement choisi parmi les
fractions ou les familles les plus nobles de la tribu. L'âge pouvait également influencer le
choix de ce dernier. Le cheikh état chargé de coordonner les intérêts communs, le devenir
de la communauté en exécutant ou faisant exécuter les décisions de la djemaa (De
Froberville, 1996, p.14). En d’autres termes, le cheikh était subordonné à la djemaa. La
djemaa avait moult missions parmi lesquelles, il avait : établir les lois régissant les groupes
(orf), appliquer la loi islamique (charia) et de veiller à l’application de la justice (cadhi)
(Moshen Finan, 1997, p. 19).
50
sahraouies étaient le plus souvent en guerre contre les populations voisines, en particulier
les Marocains, desquels elles différaient.
Rejetant l’idée selon laquelle les sahraouis voudraient se détacher du Maroc, Sayeh
(1998) écrit que « On dit improprement que les Sahraouis veulent se détacher du Maroc,
alors qu’ils n’ont jamais fait partie. Ni dans l’histoire ancienne ni dans l’histoire
contemporaine » (p. 36). Les Sahraouis, du fait de leur vie socio-politique et économique
similaire, avec un territoire de parcours spécifique, une langue identique, une solidarité
naturelle et quasi spontanée, de leur différence et indépendance vis-à-vis des populations
voisines, forment un groupe relativement homogène. Cet ensemble constitue l'essence du
peuple sahraoui et donnera dans les années de lutte anticoloniale et indépendantiste à la
naissance de ce qu'on pourrait appeler l'identité sahraouie. C'est peut-être pour défendre leur
identité sahraouie que les peuples du Sahara Occidental résisteront et rejetteront les
tentatives des populations voisines visant à les assimiler. À cette époque, ni les Européens
ni le sultan marocain n'étaient en mesure de maîtriser les tribus sahraouies. Les Sahraouis
ont toujours vécu libre et indépendamment du sultan marocain, comme en sont venus à
témoigner les traités signés entre le sultan et les puissances européennes intéressées par ces
côtes. Mais le profond attachement des sahraouis à la liberté, n’empêchera pas qu’ils soient
conquis par les puissances européennes intéressées par ses côtes, en l’occurrence l’Espagne.
51
CHAPITRE 3 : LES RAISONS (GÉO) POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES DE LA
PRÉSENCE ESPAGNOLE AU SAHARA
Comment les Rois catholiques d'Espagne en sont-ils venus à s’intéresser aux côtes
nord-ouest de l'Afrique et en particulier celles du Sahara Occidental actuel ? Quelles sont
les raisons qui ont motivé leur présence ? Telles sont formulées les questions auxquelles
nous essayons de répondre dans cette section. Les côtes occidentales de l'Afrique et les îles
Canaries ont toujours été l'objet de convoitise de la part des puissances impérialistes
européennes, la France, le Portugal, l'Angleterre, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, etc.
Toutefois, dans ce chapitre, nous n'avons pas l'intention de présenter l’historique de toutes
les différentes tentatives étrangères d'occupation du Sahara Occidental. Il nous incombe
seulement d'analyser les aspects (géo) politiques et (géo) économiques de l'occupation du
Sahara Occidental par les espagnols. Il s’agit pour nous d’analyser les sources historiques
sous le prisme de la Géopolitique et la Géoéconomie, à l’effet de mettre en exergue la
symbolique ou la représentation du Sahara Occidental pour les Européens et surtout pour
l'Espagne.
À l’analyse, la présence des espagnols sur la côte saharienne s’explique par deux
raisons fondamentales : primo, les considérations historico-religieuses et deuxio, les raisons
politiques et géostratégiques. L’occupation de l’actuel Sahara Occidental par l’Espagne est
survenue vers 1880, dans une période marquée par l'explosion de l'impérialisme. C'est en
effet dans ce contexte international marqué par l'idée du colonialisme très partagé en
Europe, que le désir colonial espagnol du Sahara Occidental est né. Cet appétit d’occupation
des côtes sahariennes a été tributaire en premier lieu des considérations historiques et
religieuses.
52
comme ayant une vocation universelle. Pour cette raison, les territoires d'outre-mer qui
n'étaient pas encore soumis au pouvoir d'un prince chrétien devraient l'être. C’est ainsi, que
l’Espagne et le Portugal ont reçu de vastes domaines par les souverains pontificaux.
L’attribution des terres se faisait par le Pape à travers des bulles pontificales41.
A posteriori, c’est donc dans une visée évangélique que les occidentaux et surtout
les Espagnols sont arrivés aux côtes du Sahara. Ceux-ci se devaient de convertir les peuples
considérés comme barbares des côtes septentrionales et occidentales de l’Afrique à la foi
chrétienne. Le souhait des Rois Catholiques d’Espagne de conquérir toute l’Afrique du Nord
s’inscrit dans le cadre de la Reconquista (reconquête). La Reconquista est le nom donné par
les Espagnols à la lutte qu’ils entreprirent entre 722 et 1492, pour reprendre aux musulmans
41
La bulle pontificale est une lettre apostolique d'intérêt général portant le sceau du pape. Au Moyen Âge, le
terme bulle signifiait « sceau » et s'appliquait également à tout document sur lequel un sceau papal ou
souverain était apposé. La bulle pouvait être une décision du pape concernant une situation, un problème à lui
soumis. La bulle servait de loi et de jurisprudence. Pour une liste exhaustive des principales bulles papales de
l’an 382 jusqu’à 2009, voir Harvey M. (2010). Liste des principales décrétales, M.A : Histoire.
53
la péninsule Ibérique et les terres qu’ils y avaient conquises. Pour mémoire, en
l’an 711, à la suite de leur victoire à Guadalete, les musulmans dirigés par Tariq ibn Ziyad
et Musa ibn Nusayr pénètrent dans la péninsule Ibérique. Ils conquièrent le sud et le centre
de la péninsule pour le compte du calife omeyyade de Damas (Cf. Reconquista In Encarta
2009). L’occupation musulmane de la péninsule ibérique dura de 711 au 2 janvier 1492 par
la prise de Grenade par les Rois catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand II d’Aragon.
À partir de 1492, commença la lutte pour expulser, non seulement, les Maures42 hors
des frontières de la péninsule ibérique, mais aussi, la conquête des territoires du Nord du
continent africain. Très rapidement Ceuta, Melilla et les îles Chafarinas deviennent des
possessions espagnoles. L’idée de la Reconquista était accompagnée par celle de
l’évangélisation des terres (ré) conquises. De fait, les rivalités entre Chrétiens et Musulmans
poussèrent les Espagnols à reprendre tous le nord-ouest de l’Afrique. Mieux, reconquérir
cette partie du continent signifiait pour les Espagnols reconquérir les terres de leurs ancêtres.
En effet, si l’on s’en tient à ce que dit Ruiz Miguel (1995, p. 9) « Desde los primeros tiempos
de la conquista romana se consideró que la orilla sur del estrecho de Gibraltar era parte
de Hispania ». Il ajoute que :
C’était auréolé par ces arguments historiques que les rois catholiques d’Espagne se
sont vus dans l’obligation morale de reconquérir ces territoires afin de convertir les maures
au christianisme. Nous pouvons ainsi postuler que les considérations historiques et
religieuses constituent les premiers motifs de la présence et l’occupation du Sahara par les
Espagnols. Mais comme nous le verrons, des motifs d’ordres stratégiques et politiques ont
également poussé l’Espagne vers les côtes sahraouies.
42
Maures était le nom donné aux conquérants musulmans par les chrétiens d’Occident.
43
Notre traduction: L’empereur Otto, en preuve d’estimation à la province d’Hispania Ulterior qu’il avait
commandée, et afin d’accroître son commerce et l’extension de son gouvernement, en l’an 69 ap. J.-C. ajouta
la province impériale de Mauritanie Tingitana (qui occupait cette rive sud jusqu’à la rivière Malva ou Muluya,
et avait sa capitale à Tingis-Tànger) à la province de Bética et au couvent juridique de Cadiz.
54
2- Les raisons politiques et géostratégiques
En outre, l’Espagne voulait aussi protéger les îles Canaries d’une quelconque
annexion étrangère. Que cela ne soit pas étonnant que dans une étude sur les raisons de la
44
Notre traduction: Les conditions géostratégiques des grandes puissances européennes ont changé après la
conclusion du conflit franco-prussien en 1871. La lutte pour l'hégémonie économique et commerciale a dû se
transformer en une lutte pour le contrôle politique territorial. La géographie doit réorienter sa fonction
traditionnelle et devenir un support scientifique de l'action politique. La protection des marchés nationaux a
obligé les commerçants à rechercher des marchés et leurs produits et à rechercher de nouvelles sources de
matières premières. L'Afrique était le seul espace possible pour déployer ces initiatives, le reste du monde
avait déjà des propriétaires.
55
présence espagnoles au Sahara Occidental, qu’un parallèle soit établi avec la présence
espagnole sur les îles Canaries. Prevenant, Ruiz Miguel (1995), écrivait que « la referencia
a Canaria en un análisis sobre el Sahara español no puede extrañar » (p.16). En réalité,
toute étude qui se fait sur le Sahara espagnol doit être intimement liée à celles existantes sur
les iles Canaries, car ces dernières forment le fondement de la présence espagnole dans ce
vaste territoire désertique (Morales, 1946, p. 13).
La conquête des îles Canaries, qui a commencé vers 1352 et s'est terminée vers 1496,
signifiera un nouveau front de projection africaine de l'Espagne. Déjà les premières
expéditions visant la conquête des îles Canaries (comme celle de Fernando Peraza, en 1385),
avaient non seulement pour but de conquérir ces îles, mais aussi de pénétrer le littoral du
continent situé en face (Vilar, 1977, p.34). Le contact avec la côte Nord-ouest de l'Afrique
a été établi dès les premiers moments de la conquête des îles Canaries et a pris une forme
historique effective en 1476, lorsque Diego García de Herrera a mené une expédition pour
prendre un point sur la côte africaine face aux îles Canaries. García de Herrera débarqua
ainsi dans le port de Santa Cruz de Mar Pequeña (en 1476), situé à trente-trois lieues de
Lanzarote, où il établit une forteresse et où des pêcheurs canariens obtinrent le droit de
pêcher sur ces rives, de la pointe sud du mont Atlante jusqu’à Cap Blanco (Guijarro, 2002,
p. 83).
L’appétence des Espagnols pour sur les îles canaries et les côtes situées en face
n’étaient pas sans provoquer la colère des portugais qui convoitaient également la région.
Ce sont pourtant les Portugais, les premiers à avoir été dans la région. Le roi Juan II de
Castille pour bloquer l’avancée du Portugal dans la zone accorda au Duc de Médine Sidonie
les terres comprises entre les caps Gouera et Bojador (Vilar, 1977, p. 35).
56
Canaries dépendait du contrôle des côtes situées en face. En d'autres termes, qui contrôlait
la côte saharienne contrôlerait les îles Canaries.
45
Notre traduction : Le « détour » de l’Amérique et le « retour » à l’Afrique.
46
La doctrine de Monroe est une déclaration de politique extérieure des États-Unis sur les activités et les droits
des puissances européennes dans l'hémisphère occidental. Cette doctrine a été présentée au Congrès par le
président James Monroe à l'occasion de son septième discours annuel, le 2 décembre 1823. Elle est devenue
par la suite l'un des fondements de la politique américaine en Amérique latine. Dans son discours, Monroe
apportait le soutint des Usa aux États latinos américains indépendants ou en voie d’indépendance, il mettait
en garde les puissances européennes qui désiraient continuer à établir des colonies ou des protectorats dans
l’hémisphère Nord-Américain. Simple déclaration de politique sans soutien législatif, elle sera tellement
reprise, interprétée et utilisée qu'elle est élevée au rang de principe (baptisé « doctrine de Monroe ») dès 1845
et reste encore vivace dans la politique extérieure américaine jusqu'à nos jours.
57
idées des africanistes n’ont pas manqué d’influencer la reine Isabel la catholique dans ses
idées que l'Atlas est la frontière sud du territoire espagnol (Mediavilla, 2003).
Les actions décisives des espagnols pour occuper le Sahara Occidental, la région de
Villa Bens et l'Ifni ont reçu leur élan définitif avec le déclin de l'Espagne en Amérique et
en Asie. En effet, en 1898, il eut la guerre hispano-américaine à propos de Cuba. Au cours
de cette guerre, l'Espagne a perdu sa colonie Cuba.
En outre, la colonie espagnole d'Asie, les Philippines, était également dans la ligne
de mire des nord-américains. Pour mettre fin à cette guerre qui avait déjà estropié l'Espagne,
un traité de paix a été signé à Paris le 10 décembre 1898 entre l’Espagne et les États-Unis.
Aux termes de l’accord de paix, l'Espagne s'est engagée à abandonner ses prétentions sur
Cuba et sa souveraineté sur Porto Rico. En ce qui concerne sa colonie des Philippines,
l'Espagne l’a tout simplement vendu aux États-Unis à hauteur de 20 millions de dollars
américains (Voir Guerre hispano-américaine In Encarta, 2009).
Sommes toutes, l'occupation du Sahara devrait être une stratégie politique devant
servir à l'Espagne à renforcer la préservation de ses intérêts dans l'archipel des Canaries. En
d'autres termes, la Couronne espagnole souhaite sauvegarder l'ensemble des îles Canaries
pour éviter qu’une autre puissance rivale ne s’installe sur la côte africaine opposée.
De tout ce qui précède, il ressort que jusqu’en 1884, les préoccupations historiques,
religieuses, géostratégiques et politiques font parties des premiers motifs qui ont favorisé
l’intérêt des rois catholiques d’Espagne pour les côtes sahariennes. Toutefois, elles ne sont
pas les seules. En effet, de profondes considérations (géo) économiques sont aussi à la base
de la présence espagnole au Sahara dans la période qui nous intéresse ici.
58
1- Les rivalités commerciales hispano-marocaines
Le XVIIIe siècle a été marqué par des affrontements constants entre les deux
royaumes d'Espagne et du Maroc à propos de Ceuta et Melilla. Les hostilités ne manquaient
pas de nuire gravement au bon déroulement des activités commerciales entre les deux
royaumes. Pour mettre fin aux hostilités et sauvegarder la paix et le développement du
commerce. En fait, l'inimitié d’avec l'Empire chérifien entraînait des dommages importants,
tels que l'interruption du commerce, la perte de vies humaines et des prises en otages des
marins espagnols. Le premier traité de paix et de commerce de l'ère moderne a été signé le
28 mai 1767 entre le roi d'Espagne Carlos III et le sultan du Maroc Sidi Mohammed Ben
Abd Allah.
Bien avant la signature du traité, les deux parties entreprirent des négociations. Pour
ce faire, des tractations préliminaires sont entamées dans le but de parvenir rapidement à un
accord avec le sultan marocain. Le monarque espagnol Carlos III, confia à Jorge Juan cette
délicate mission diplomatique (Guijarro, 2002). Le roi Carlos III a donné des instructions
très fermes à Jorge Juan dont voici un extrait :
47
Notre traduction : Des Canaris sur la côte de l’Afrique et la réalisation d’un établissement fixe sur elle est
l’objet de la plus haute importance de ce que vous aurez sans aucun doute en charge. Dans la copie de
l’instruction que j’ai donnée au Frère Bartholomée, vous trouverez plusieurs avertissements appropriés.
L’objectif est de faire un établissement à la place de la côte africaine qui est le mieux adapté à la pêche aux
Canaries pour le mettre insensiblement et d’empêcher les hostilités des braves Maures de ces environs; et
éventuellement l’encourager comme l’exigent les circonstances.
59
el Banco de pesca que desde hacía varios siglos explotaban los canarios48 » (p. 615). Dans
le cadre de sa mission, Jorge Juan dans une lettre datant du 16 juin 1767 s'adressant au
secrétaire d'État du roi Carlos III, rendait compte des résultats de ses négociations avec le
sultan marocain concernant la question d'un établissement fixe sur la côte africaine, écrit
que :
Ha rehusado Su Majestad (el Sultán) enteramente el deliberar. Dice que aquellos países
desde Santa Cruz al Sus no son suyos, que los habita una gente silvestre que jamás ha
podido sujetar, que han acometido y destrozado cuantos allí han querido establecerse y
que por tanto no puede empeñar su palabra o permiso para que nosotros lo logremos.
Que sin embargo deja al arbitrio del rey el hacerlo o no, pero sin hacerse responsable
de los sucesos.49
Dans cette missive, l’on peut retenir que le sultan avouait que cette région où
l’Espagne souhaitait s’installer ne lui appartenait nullement. Ce même sultan était prêt à
concéder exclusivement au royaume d’Espagne, à ses risques et périls s’entend,
l’installation de sa pêcherie. L’article 18 de l’Accord de paix et de commerce 50 entre les
royaumes d’Espagne et du Maroc signé le 28 mai 1767 corrobore cet état de fait. Il est
stipulé que :
48
Notre traduction : l’occupation de la côte sahraouie par le gouvernement espagnol (…) était motivé
prioritairement par le banc de poissons qu’exploitaient depuis plusieurs siècles les canariens.
49
Lettre de Jorge Juan à Grimaldi, le 16 juillet 1767. Notre traduction : Sa Majesté (le Sultan) a refusé de
délibérer. Il dit que ces pays de Santa-Cruz à La Sus ne sont pas les siens, qu’ils sont habités par un peuple
sauvage qui n’a jamais été en mesure d’assujettir, qu’ils ont entrepris et détruit ceux qui ont voulu s’y installer
et qu’ils ne peuvent donc pas mettre en gage sa parole ou sa permission que nous y parviendrons. Il laisse
néanmoins à la volonté du roi de le faire ou non, mais sans prendre la responsabilité de ce qui surviendra.
50
L’ensemble de ce traité de paix et de commerce peut être consulté dans la rubrique “Documentación” de la
thèse de Guijarro Ó. G., 2003, p. 417 et suivantes.
51
Notre traduction: Sa Majesté Impériale s’écarte de la délibération sur l’établissement que Sa Majesté
catholique veut fonder au sud de la rivière Noun, car il ne peut pas assumer la responsabilité des accidents ou
des malheurs qui se produiraient parce que ses domaines n’y parviennent pas, et les gens qui habitent ce pays
errant et féroce qui a toujours offensé et emprisonné les canaris. De Santa Cruz au Nord Sa Majesté impériale
les accorde à ceux-ci et les Espagnols qui pêchent sans permettre à aucune autre nation de l’exécuter n’importe
où sur la côte, qui restera entièrement pour eux.
60
à toutes formes d'autorité étrangère. Les Rois d’Espagne caressaient déjà le doux rêve de
posséder une nouvelle source de richesse pour redynamiser l’économie nationale et
renflouer ainsi les caisses de l’État. Par conséquent, pour préserver ces ressources
halieutiques au bénéfice de la Couronne, celles-ci ont été déclarées zone monopole d'État
espagnol (Cruz, 2013, p. 89). L’accord d’échanges commerciaux entre l’Espagne et le
Maroc et le vif intérêt de la première pour la région du Sahara Occidental a suscité des
rivalités au sein des autres puissances européennes.
2- L’intérêt des puissances européennes pour les ressources halieutiques des côtes
sahraouies
Il faut dire qu'à cette époque, l'Espagne n'était pas la seule puissance européenne à
s'intéresser aux rives du Sahara occidental. En effet, si l'on se réfère à l'analyse de Lazuna
(2015, p.17), on constate que ce sont les Britanniques, qui, les premiers ont exploité le
territoire sahraoui. Pour mémoire, il convient de dire que le désir de conquérir de nouvelles
colonies est né en Angleterre. Le premier Européen à s'installer au Sahara fut l’écossais
Georges Glass. Celui-ci, après avoir exploré la région de Rio de Oro, principalement la ville
de Villa Cisneros (aujourd'hui Dakhla) en 1760, il a tenté de s'établir sur la côte sahraouie
en 1764, en fondant le Port Hillsborough près de Tarfaya. Toutefois, la fondation de cet
établissement avait déplu au Maroc, à l'Angleterre (curieusement), à l'Espagne et surtout
aux habitants du territoire (ibid.). En effet, le Maroc était inquiet parce qu'il considérait
l'établissement comme un rival potentiel pour son hégémonie commerciale dans la région.
Autrement dit, la création d'un port au Sud de Mogador pourrait signifier la fin du monopole
sur le commerce caravanier en provenance de Tombouctou (Mali) destiné à l'Europe.
52
La chambre des communes est l’assemblée des représentants élus par le peuple, constituant avec la Chambre
des lords le Parlement britannique. L’origine de la Chambre des communes remonte au XIIIe siècle, lorsque
les rois anglais prennent l’habitude, pour assembler leur conseil, de convoquer des représentants de la petite
noblesse.
61
fermeture de son port qui menaçait leurs entreprises et réduisaient leurs gains (Lazuna, 2015,
p. 17). Toutefois, malgré cette rivalité intestine, les Britanniques n'étaient pas indifférents
aux grands avantages qui pourraient découler de la possession de certaines pêcheries dans
cette région côtière de l'Afrique de l'ouest, d‘autant plus que Glass lui-même (cité par
Mediavilla, 2003, p.17) avait écrit que « El bacalao que allí pescan es mejor que el de
53
Terranova ». Pour les Anglais, il était surprenant de voir que les Espagnols rivalisaient
avec eux pour la pêche sur l’ile de Terre-Neuve54 « cuando a sus puertas tiene una mucho
mejor 55». (Ibid.)
Un autre Britannique, Donald Mackenzie, s'est installé en 1876, sur les rives du
sahara. Il s'est installé à Cap Juby (Villa Bens) en négociant directement avec Sheik Beiruk
dans le dos du sultan marocain. Face aux plaintes du monarque chérifien, soutenu par
l'Espagne, l'Angleterre rétorqua que cette région n'appartenait pas au Maroc et encore moins
sous l’autorité du sultan (Miguel, 1995, p.35). Mais Mackenzie a été contraint de fermer son
usine à partir de 1895 étant donné les attaques constantes qu'il subissait des indigènes.
De même que les Anglais, les Français s'intéressaient également aux côtes nord-
ouest de l'Afrique, en particulier à la région du Sahara Occidental actuel. Ces derniers ayant
pris conscience des avantages extraordinaires qu'ils pouvaient tirer des richesses potentielles
de cette région pour leur économie, ont décidé d'envoyer plusieurs expéditions scientifiques
sous les auspices de la Société Géographique de Paris. En 1840, Berthelot, consul de France
à Ténérife, a publié un vaste ouvrage sur la pisciculture sur les côtes des Canaries et du
désert du Sahara intitulé De la pêche sur la côte occidentale d'Afrique. Dans cet ouvrage,
l'auteur a minutieusement décrit les espèces de poissons de la région et notamment ceux du
Sahara Occidental. Dans un extrait dudit ouvrage cité par Isabel Mediavilla (2003), l’on lit
que “A lo largo de la costa de África (…), los isleños cogen diez o doce clases de peces,
todos igualmente propios para secarse o prepararse en verde. 56” (p. 616) Pour le Français,
il n’y avait aucun doute que les bancs de poissons des côtes sahariennes soient supérieurs à
ceux de Terre-Neuve (Ibid., p. 616).
53
Notre traduction : La morue qui qui s’y pêche est meilleur que celle de Terre-Neuve.
54
Terre-Neuve est une ile de l’Est du Canada située ente le golfe du Saint-Laurent et l’océan Atlantique.
55
Notre traduction : …Quand à leur porte il y a n’en beaucoup meilleur.
56
Notre traduction: Le long de la côte africaine (…), les insulaires attrapent dix ou douze sortes de poissons,
tous aussi propres à sécher ou à se préparer en vert.
62
Il est évident que les Espagnols ne voyaient pas d’un bon œil la convoitise de ce
territoire par des puissances étrangères rivales. Cela produira un effet sur l'opinion publique
espagnole qui commença alors à insister sur l'occupation de Santa Cruz (Ruiz Miguel, 1995,
p.36). C'est sans aucun doute ce qui explique qu'en 1878, avec le parrainage de
« l'Association espagnole pour l'exploration de l'Afrique », un espagnol du nom de Gatell,
a entrepris un voyage dans les territoires qu'il avait déjà parcourus. Mais cette fois-ci, il est
fait prisonnier par les tribus locales dans la région du fleuve Noun (près de Ifni). Il sera
libéré à la demande du gouvernement espagnol (Ruiz Miguel, 1995, p. 36). Le désir
d’extension de l’activité commerciale sur la côte ouest de l’Afrique a également favorisé la
nécessité de l’occupation du Sahara.
Il faut dire qu'à l’époque, les conquêtes et exploration territoriales avaient le vent en
poupe en Europe du fait de la Conférence de Berlin qui était imminente et qui devait
régulariser la colonisation de l'Afrique et la répartition de ses territoires. À cette époque en
Espagne, à la suite du congrès de Géographie Coloniale et Mercantile tenu à Madrid du 4
au 10 novembre 1883, des sociétés africanistes et colonialistes furent créées. Celles-ci à leur
tour, ont fait pression sur le gouvernement espagnol pour qu'il déploie une vraie politique
d'expansion en Afrique (Guijarro, 2003, p. 311). Pour atteindre cet objectif, ils avaient
besoin surtout de la protection du Gouvernement. Il ne faut pas oublier qu'il ne s'agissait pas
d'une simple expansion territoriale, mais plutôt d'une extension des réseaux commerciaux
de l'Espagne sur la côte ouest de l'Afrique. Dans ce contexte, sur la côte du Sahara, de Cap
63
Bojador au Cap Blanc, l’activité commerciale la plus importante de l’Espagne a été la
création de l'usine de Rio de Oro, pour l’exploitation des ressources halieutiques et leur
traitement (Guijarro, 2003, p. 320).
64
CHAPITRE 4 : LA NAISSANCE DE LA COLONIE DU SAHARA ESPAGNOL
Après avoir vu plus haut que les grandes puissances européennes se sont toujours
intéressées aux côtes sahariennes, il convient de souligner que la transformation du vaste et
désertique territoire saharien situé au sud du royaume du Maroc et au nord de la Mauritanie
en une colonie espagnole, a été le fruit d’un long et complexe processus. Dans le présent
chapitre, nous essayons de montrer comment malgré toutes les convoitises d’autres États
plus puissants que l’Espagne, c’est cette dernière qui finit par s’accaparer cette frange
occidentale du grand désert du Sahara.
No nos explicamos que es lo que queda tiene este desierto que todos los forasteros
siempre han ambicionado poseerlo [el Sahara], desde el primer momento. Llegaron los
franceses, los españoles, los de Marruecos y todos quisieron quedarse con nuestras
tierras. (…) Esta tierra debe de tener algo oculto que no alcanzamos a saber qué es,
pero que los extranjeros siempre han ambicionado57(García, 2003, p. 38).
La conférence de Berlin qui s’est tenue de novembre 1884 à février 1885 a accordé
au royaume d’Espagne les territoires du Rio de Oro et de Saguia el Hamra. Nonobstant cette
reconnaissance internationale de la souveraineté espagnole sur ces portions de terre, Paris a
tenté de couper l'herbe sous les pieds des Espagnols.
57
Notre traduction : Nous ne nous expliquons pas ce qu’a ce désert [le Sahara] que tous les étrangers ont
toujours voulu posséder, dès le premier moment. Les Français, les Espagnols, les Marocains sont arrivés, et
ils voulaient tous garder nos terres. (...) Cette terre doit avoir quelque chose de caché que nous ne savons pas
ce que c’est, mais que les étrangers ont toujours convoité.
65
1. Rivalités franco-espagnoles autour du Sahara jusqu'en 1900
58
Circulaire du ministre d’État, José Elduayen Gorriti, destiné aux Représentants d’Espagne à l’étranger, le
26 décembre 1884. Notre traduction : S.M le Roi a pris sous sa protection les territoires de la côte occidentale
d’Afrique, compris entre le Cap Bojador et la Baie de l’Ouest. Au vu de ce qui a été sollicité à différentes
occasions par la Société Espagnole des Africanistes et Colonialistes et de pêcheries Canari-Africaine,
considérant l’importance des installations espagnoles établies au Rio de Oro (…).
66
a été conduite par le Consul Álvarez Pérez qui a réussi à signer un traité avec des populations
locales entre mars et avril 1886. Aux termes du traité, les territoires situés entre le fleuve
Draa et le cap Bojador, au nord du Sahara dans le Saguía el Hamra, étaient placés sous
protection espagnole. La deuxième expédition, mai-août 1886, fut celle du capitaine Julio
Cervera y Baviera, de Francisco Quiroga y Rodríguez, et du consul D. Felipe Rizzo y
Ramírez (Ruiz Miguel, 1995). Ils arrivèrent à Idjil, où ils ont réussi à mettre sous la
protection de l'Espagne les territoires à l'est du Sahara espagnol, en particulier les salines
d'Idjil et d'Adrar-Temar, dans l'actuelle Mauritanie. Selon le professeur Ruiz Miguel (1995,
pp. 40-41), l'extension des territoires convenus lors de ces différentes expéditions en 1886
était d'environ 700 000 km.
En outre, les Français s’intéressaient beaucoup au territoire du Rio de Oro pour des
raisons stratégiques. En effet, ils voulaient ouvrir un canal à travers le désert à l’effet
d’inonder le Sahara. Par ce projet, la France ambitionnait créer une mer intérieure artificielle
pour que les navires puissent circuler dans le désert jusqu’en Algérie et permettre ainsi à
cette colonie d’avoir un débouché sur l’Atlantique. À ce propos, le Français Ernst Bunge
déclarait en 1887 que « La costa del Sahara me interesa sobremanera, porque ya en 1865
sometí al difunto Napoleón III el proyecto de inundar por medio de un canal y hacer
navegable la vasta cuenta denominada El-Yuf, corazón del Desierto59 (…) » (p. 155). Bien
59
Notre traduction: La côte du Sahara m’intéresse parce que dès 1865, j’ai soumis à feu Napoléon III le
projet d’inondation du cœur du désert à travers un canal et de rendre navigable le vaste compte appelé El-Yuf.
67
que le projet de Bunge n’est ni été adopté par Napoléon III ni réalisé, il nous donne une idée
de ce que le Sahara Occidental représentait pour les Français à l'époque. Par ailleurs, pour
nuire aux Espagnols, après avoir conquis Tombouctou en 1894, la France a pris le contrôle
du commerce transsaharien et détourné les routes commerciales vers le port de Saint-Louis
au Sénégal (Boni-Gatta, 2016, p.111). Le détour des routes commerciales vers Saint-Louis,
avait des répercussions non seulement sur les activités économiques espagnoles mais
touchait également le Maroc car le port marocain de Mogador perdait par la même occasion
son rôle d’unique port de commerce de ravitaillement de l’Europe dans la région.
En décembre 1897, le navire de guerre américain Maine est envoyé dans le port de
La Havane pour protéger les sujets et intérêts américains. La nuit du 15 février 1898, le
cuirassé explose dans des conditions mystérieuses faisant deux cent soixante victimes.
Washington accuse alors Madrid d’être à la base de l’incident. Toutefois, l’entrée en guerre
des États-Unis ne s’explique pas seulement par une volonté désintéressée de Washington de
débarrasser l’île du joug colonial espagnol, elle dissimule également des ambitions
colonialistes américaines (Cf. Guerre hispano-américaine In Encarta 2009).
68
espagnole est détruite alors qu’elle tente de forcer le blocus américain du port de Santiago
(Encarta 2009). Au même moment sur le continent africain, il se trouvait qu’un conflit
hégémonique opposait la Grande-Bretagne à la France à propos du Nil (Egypte). En effet,
une expédition française était entrée en collision à Faschoda (Soudan) avec une autre
expédition britannique qui remontait le Nil cherchant à consolider sous la couronne
britannique un nouvel axe stratégique transcontinental reliant le Caire au Cap (Cobo &
Menéndez, 2006, p.14) en Afrique du Sud.
Tous ces incidents avaient un effet domino sur le Sahara espagnol. Pour éviter toute
collision avec la France et risquer de perdre à nouveau une autre de ses colonies après celle
des Philippines, de Cuba et de Porto Rico en 1898, le gouvernement espagnol a été contraint
de chercher la reconnaissance internationale de ses droits sur le Sahara "espagnol". La seule
façon d'obtenir cette reconnaissance et sortir de son isolement international était de le faire
par le biais d'accords internationaux avec son rival, la France.
Les frontières du Sahara Occidental telles que nous les connaissons aujourd’hui sont
le fruit de divers accords, parfois officiels, parfois secrets, entre Paris et Madrid.
60
Entente cordiale, terme employé dans le domaine de la diplomatie pour désigner les relations amicales ou
la communauté d'intérêts qui unit deux pays ou plus. Le terme d'Entente cordiale s'applique plus spécialement
à l'accord de 1904 entre la France et la Grande-Bretagne, établissant une assistance réciproque pour les
questions coloniales, et visant surtout à lutter contre la montée en puissance de l'Allemagne. L'alliance franco-
britannique fut étendue en 1907 afin d'inclure la Russie, l'Entente cordiale prit alors le nom de Triple-entente.
(cf. Entente cordiale in Encarta, 2009).
69
2.1. L’accord de 1900 : le premier traité de Paris
En réalité, c'est à partir du 22 mars 1886 que les premières négociations hispano-
françaises ont commencé à Paris afin de délimiter leurs possessions respectives dans le
Nord-ouest de l’Afrique. Dès le départ, l'Espagne proposait une ligne qui séparerait les
extrémités des caps Blanc et Santa Ana, et qui laisserait la baie d'Arguin à la France. Cette
ligne suivait le parallèle 20º 43´ N, laissait le Cap Blanc légèrement au nord à 20º 46´20´´
de latitude N. Mais comme on pouvait s’y attendre, les Français n'étaient pas d'accord avec
une telle distribution et préféraient que la péninsule du Cap Blanc soit divisée entre les deux
pays (Ruiz Miguel, 1995, p. 53). De fait, la France voulait pour elle la section orientale, qui
correspondait à l'ensemble de la baie du Lévrier, qui était un important port naturel. C'est
ceux sur quoi les gouvernements français et espagnol ont convenu en novembre 1886 (Ruiz
Miguel, 1995, p.53). Ces antécédents ont constitué le prélude à la négociation ultérieure de
1900 entre les deux pays.
En février 1900, les deux États reprennent les négociations suspendues en 1891. Du
côté espagnol, c’était Fernando León y Castillo qui était chargé de conduire les négociations
et du côté français, il y avait Théophile Delcassé. La performance du négociateur, F. León,
a été diversement appréciée. Deux faits importants peuvent expliquer cette situation. Le
premier, est que lors des négociations liminaires qui divisaient la baie du Lévrier et fixait la
limite sud du territoire au parallèle 21º20´N, signifiait perdre l'Adrar Temar qui restait au
sud de ce parallèle. Le deuxième fait notable est lié aux revers internationaux subis à
l'époque par l'Espagne. Après la défaite des Espagnols face aux États-Unis en 1898,
l'Espagne était trop fragile pour négocier qu'avant ce tragique incident (De Areilza &
Castiella, 1941, pp. 323 et 576).
C’était dans ce contexte que le 27 juin 1900 se signait à Paris, au Quai d'Orsay le
premier accord de délimitation du protectorat espagnol au sahara. Ce premier accord ne
concernait que les frontières sud et sud-est du territoire de Rio de Oro. En fait, il n’était pas
encore question de la limite Nord de la Saguia –el Hamra, du fait des pressions des Anglais
et aussi parce que les limites méridionales du Maroc n'étaient pas connues avec précision.
Les limites Sud, étaient fixées au parallèle 21º 20´N au lieu du parallèle 20º 43´ N comme
l'Espagne le voulait. La ligne de démarcation coupait la péninsule du Cap Blanc en deux,
70
laissant la partie ouest de celle-ci à l'Espagne et la partie orientale, contenant les abondantes
richesses de la pêche dans la baie du Lévrier, à la France (Ruiz Miguel, 1995, p. 55).
Cette ligne montait jusqu'au parallèle 21º 20´N et continuait jusqu'à l'intersection du
méridien 13º O. de Greenwich. À partir de ce point, la frontière se dirigeait vers le nord-
ouest, décrivant une curieuse courbe dont le but n'était autre que de laisser les mines de la
région d'Idjil à la France. De ce point de rencontre de cette courbe avec le méridien 13º O
de Greenwich, la frontière se dirigeait le plus droit possible jusqu'à l'intersection du tropique
du Cancer et du méridien 12º O de Greenwich (Ruiz Miguel, 1995, p. 56 et Fuente Cobo &
M. Menéndez, 2006, p. 16).
C'est ainsi que la partie sud du Sahara a été délimitée. Mais, il faut dire que de ce
premier accord, les Espagnols sortaient perdants. En effet, c’était eux qui ont fait le plus de
concessions, peut-être, pour ne pas déranger les Français. C’est ce qui fait dire à Ruiz
Miguel (1995, p. 56) que « la firma del Tratado tuvo fatales consecuencias 61.»
Comme nous l'avons vu précédemment, le traité de 1900 avait laissé les frontières
nord indéterminées. Ainsi, Paris et Madrid sont parvenus à un protocole d’accord le 8
novembre 1902. La délimitation de la frontière nord du Sahara et, par conséquent, de la
limite sud du Maroc a été faite à travers les accords secrets de 1904.
Bien avant l’accord de 1904, il y avait un projet de traité en 1902. Ce projet était
motivé, d'une part, par le désir des Français et des Espagnols d'étendre leur influence au
Maroc et, d'autre part, par la crainte qu'ils avaient de voir l'Angleterre prendre les devants
dans un pays où ils pensaient être les seuls à avoir le droit de s'implanter. C'est dans cet
esprit que se sont engagés les pourparlers franco-espagnols62.
Trois projets furent établis. II résulte de ces projets que la France reconnaissait à
l'Espagne le droit d'exercer son influence sur la zone qui englobe Saguia El Hamra et qui va
jusqu'à Mhamid à l'est et jusqu'à Agadir à l'Ouest, en passant par la ville de Taroudant et la
ville de Zagora au Maroc (Benjelloun, 1975, p.227). Cependant, ce protocole d’accord ne
61
Notre traduction: La signature du Traité a eu de terribles conséquences.
62
Cf. Exposé oral de M. Benjelloun, p. 227, In C.I.J. Mémoires, Sahara occidental, vol. IV.
71
sera jamais ratifié par les gouvernements successifs des deux pays à l'époque. Selon Messia
(1915, p.232), la non-ratification du projet peut se justifier par la crainte que la France et
l'Espagne feraient face à d'éventuelles représailles Britanniques, puisque ce projet d’accord
était fait dans le dos de la Couronne Britannique. En fait, tout comme l'Espagne et la France,
l'Angleterre s'intéressait au Maroc. Dans le même esprit, le journal Le Figaro (1991) écrit :
Avant de signer le traité secret du 3 octobre 1904, qui a été signé sous les auspices de
l'Angleterre garante de nos accords espagnols, M. Delcassé avait, en 1902 conclu avec
l'Espagne, à l'insu de l'Angleterre et contre elle, le traité secret que M. Sagasta avait
accepté mais que son successeur, M. Silvella, refusa de signer en arrivant au pouvoir.
C'était le partage du Maroc en deux moitiés. M. Silvella fut effrayé des responsabilités
financières et militaires qui incomberaient à son pays, des jalousies qu'il éveillerait en
Europe, au Foreign Office en particulier ; il eut le courage de dénoncer ces périls à son
collègue du cabinet de Londres, dont les intérêts étaient méconnus puisque le partage
était fait en dehors de lui.
72
octobre 1904 se rencontraient pour signer un traité « secret » devant consacrer la
délimitation des limites sud du Maroc. Ce deuxième traité franco-espagnol du fait de son
caractère occulte est appelé « les accords secrets de Paris ». Au liminaire de ce traité,
l’Espagne entérinait le traité franco-britannique signé précédemment le 8 avril 1904 (art 1).
En fait, l'accord franco-anglais du 8 avril 1904 en son article trois stipulait expressément
que :
Les deux gouvernements ont convenu que certaines régions du territoire marocain,
limitrophes de Melilla et de Ceuta et d'autres présides, devront relever de la sphère
d'influence espagnole le jour ou le Sultan cessera d'exercer sur elles son autorité et
l'administration de la côte de Melilla jusqu'aux hauteurs de la rive droite du Sebou devra
être confiée exclusivement à l'Espagne. Cependant, l'Espagne doit au préalable donner
son adhésion formelle aux dispositions des articles 4 et 7 de la déclaration de ce jour,
et promettre de les exécuter (Benjelloun, 1975, p. 229).
Boni Gatta (2016, p. 115) dénonce ces accords dans sa thèse de doctorat. Pour elle,
ils sont « hypocrites ». En effet, en même temps qu'ils étendaient leur zone d'influence, et
qu'ils divisaient le territoire du Maroc, l’Espagne et la France déclaraient qu'ils étaient
« fermement attachés à l’intégrité de l’empire marocain sous la souveraineté du sultan »
(Lazrack, 1974, p. 410). C'est ce qui explique pourquoi la France et l'Espagne ont tenté de
garder secrets ces accords. Ainsi, dans la version publiée dans la presse, il n'y était pas
question d'accord concernant le partage du Maroc, mais d’un simple entretien entre deux
États colonialistes. Pourtant, six jours après la signature de l'accord, celui-ci fuitait dans la
73
presse dans Le Journal de Genève le 9 octobre 1904. Le Maroc, dont il était question,
comprit qu’il avait été trahi par la France.
Ce sera jusqu’en 1912 que les dernières lignes de la frontière du Sahara espagnol ont été
tracées.
Le royaume du Maroc sous le contrôle des Alaouites63 depuis 1664, a été tout au long
de l’Histoire une terre convoité par les puissances européennes. Entre 1900 et 1903, la
France occupe les confins marocains. À partir de 1904, la France, la Grande-Bretagne et
l’Espagne concluent des accords qui préparent un partage du territoire au grand dam de
l’Allemagne qui convoitait aussi ces terres. L’Allemagne et la France finirent par trouver
rapidement une solution (géo) politique. En effet, la France, a donné une partie du territoire
du Congo français frontalière du Cameroun, alors possession allemande, par conséquent,
l’Allemagne abandonnait ses prétentions au Maroc, laissant désormais le champ libre à la
France (Voir Maroc In Encarta, 2009).
63
Voir « Maroc» dans Encarta 2009.
74
L'accord hispano-français de 1912 (Journal officiel de la République française,
1912) dispose en son article premier que le gouvernement français reconnaît que dans la
zone d'influence espagnole, il appartient à l'Espagne d'assurer la tranquillité de ladite zone
et d'aider le gouvernement marocain à introduire toutes les formes administratives,
économiques, financières, juridiques et militaire dont il a besoin. Quant à l’article 2, celui-
ci établit qu’au Nord du Maroc, la frontière séparative des zones d'influence espagnole et
française partira de l‘embouchure de la Moulouya et remontera le thalweg de ce fleuve
jusqu'à un kilomètre en aval de Mechra Klila. De ce point, la ligne de démarcation suivra
jusqu'au djebel Beni Hassen le tracé fixé par l'article 2 de la convention du 3 octobre 1904.
Le Gouvernement marocain ayant, par l'article 8 du traité du 26 avril 1860, concédé à
l'Espagne un établissement à Santa Cruz de Mar Pequefia (Ifni), il est entendu que le
territoire de cet établissement aura les limites suivantes : au nord, l'oued Bou Sedra, depuis
son embouchure ; au sud, Noun, depuis son embouchure ; à l'est, une ligne distante
approximativement de vingt-cinq kilomètres de la côte (art.3).
Par ailleurs, une commission technique, dont les membres seront désignés en
nombre égal par les Gouvernements espagnol et français, fixera le tracé exact des
délimitations spécifiées aux articles précédents. Dans son travail, la commission pourra tenir
compte non seulement des accidents topographiques, mais encore des contingences locales
(Art.4). L'Espagne s'est engagée à n'aliéner ni céder sous aucune forme, même à titre
temporaire, ses droits dans tout ou partie du territoire composant sa zone d'influence (art.5).
En d'autres termes, l'Espagne, pour quelque raison que ce soit, promettait de ne jamais
abandonner les territoires sous son contrôle. Mais nous verrons plus loin, l'Espagne ne
tiendra pas son engagement car elle finit par céder au Maroc Ifni et Tarfaya. En ce qui
concerne justement Ifni, l'article III de la convention stipulait que le gouvernement marocain
ayant, par l'article 8 du traité du 26 avril 1860, accordé à l'Espagne un établissement à Santa
Cruz de Mar Pequeña (Ifni), il est entendu que le territoire de cet établissement aura les
limites suivantes : au nord l'oued Bou Sedra, depuis son embouchure; au Sud l’oued Noun,
depuis son embouchure; à l'Est, une ligne distante approximativement de vingt-cinq
kilomètres de la côte (Convention entre l’Espagne et la France faite à Madrid le 27
novembre 1912, pp. 208- 218).
75
De ce qui précède, nous pouvons dire que les limites actuelles du Sahara Occidental
sont le résultat d’un processus de longue haleine. Comme on peut le voir, les délimitations
et les accords de délimitation sont assortis de profondes considérations géopolitiques. Les
délimitations ont été faites règle et crayon en main avec des lignes sporadiques tracées sur
une carte pour que la France et l’Espagne puissent préserver leurs intérêts. En d'autres
termes, le tracé des frontières du Sahara Occidental en particulier et des autres pays de
l'Afrique en général obéit essentiellement aux intérêts géopolitiques et n’ont pas des
données ethniques, linguistiques, ou culturelles. D’un vaste territoire désertique, parcouru
par des peuples nomades pour qui la notion de frontière était inconnue, ce territoire devenait
une entité politico-juridique administrée par une puissance coloniale. Si les successifs
accords consacraient la délimitation des zones d'influence de la France et de l'Espagne dans
le nord-ouest de l’Afrique, ils ont aussi ouvert la porte à la colonisation espagnole de ce qui
était désormais le Sahara « espagnol ».
La conférence de Berlin de 1884 au cours de laquelle les côtes du Sahara ont été
attribuées à l'Espagne, a marqué le début de la colonisation espagnole de ce territoire. Cette
reconnaissance internationale du droit des Espagnols sur ces côtes et l’hinterland du
territoire s'est matérialisée lors des trois accords internationaux entre la France et l'Espagne.
L'année 1912 a consacré la fin de la délimitation des frontières du Sahara espagnol telles
que nous les connaissons aujourd'hui. L’accord final de 1912, est venu corroborer l'objectif
du gouvernement espagnol de légitimer son action expansionniste en Afrique. De plus, il a
permis d’assurer à la face des autres puissances étrangères que le territoire entre le Cap
Bojador et le Cap Blanc (actuel La Gouera), baptisé désormais « Sahara espagnol », est
désormais sous le protectorat de l'Espagne (Décret Royal du 17 décembre 1884).
76
1- Pénétration, conquête, exploration et occupation effective de l’hinterland du
Sahara espagnol 1933-1956
Pour Milán (2007, p.366), l’attitude de l’Espagne s’explique par le fait que face aux
revendications des habitants des îles Canaries qui demandaient l'occupation du territoire où
il y avait la forteresse de Santa Cruz de Mar Pequeña. En fait, certains politiciens insulaires
présents au Congrès des députés se sont montrés de plus en plus préoccupé par le souci de
sauvegarder le côté du continent africain qui fait face aux îles Canaries d’autant plus que les
Britanniques avaient installé un comptoir dans l'hinterland précisément au cap Juby. Toutes
ces pressions politiques vont accoucher de la conquête du protectorat.
Il faut dire d’emblée que lors de la signature des différents traités de délimitation des
frontières du sahara, l’Espagne n’avait qu’une idée, qu’une seule stratégie pour le territoire ;
garantir l’exploitation des bancs de poissons du Sahara à travers le contrôle de certains
points clés de la côte. Milán (2007), ajoute que l’Espagne n’avait un « interés alguno en
ganar territorio en el interior del Sahara 65» (p. 369).
Une fois exécutée la délimitation des frontières sud et nord du protectorat espagnol
du Sahara, le gouvernement a transféré les territoires entre le Cap Bojador et le Cap Blanc
64
Notre traduction : Les origines coloniales du Sahara Occidental dans le cadre de la politique espagnole.
65
Notre traduction : Aucun intérêt à posséder des territoires à l’intérieur du Sahara.
77
au ministère d'État. À travers sa section coloniale, ce ministère a exclu, d’emblée, toute
tentative de pénétration militaire du territoire. Toutefois, à l’époque, l'Espagne misait plus
sur la valorisation du littoral d'un territoire qui, à l'exception de ses eaux, ignorait tout de la
valeur économique de son sous-sol. En fait, les richesses du sous-sol du Sahara étaient
inconnues des Européens à cette époque (Milan, 2007, p.369). C'est donc pour évaluer les
portées économiques du territoire pour lequel elle avait tant lutté, que le gouvernement a
mis en place à partir de 1903 une expédition. Cette expédition comme on pouvait le deviner,
avait pour finalité d’étudier non seulement les possibilités de mise en place de zones de
culture mais aussi pour essayer d'établir des relations commerciales avec les tribus de
l'intérieur ; ce qui permettrait aussi d'attirer le commerce caravanier vers la ville de Villa
Cisneros.
78
transformés en centres de commerce pour attirer les indigènes, afin de leur montrer que la
coopération impliquait la prospérité (Cobo & Menéndez, 2006, p.17).
Les maigres forces de F. Bens n'étaient pas suffisantes pour imposer l'autorité
coloniale au-delà des côtes. En effet, le capitaine était confronté à une défection du
gouvernement qui avait refusé de l'aider à occuper d'autres parties de l'arrière-pays sahraoui.
Mais, après plusieurs tentatives, le Cap Juby était finalement occupé en mars 1916, tandis
qu'en novembre 1920 il prenait La Gouera. Dans les deux cas, l'occupation a été effectuée
conformément aux directives établies par les dirigeants espagnols. En d'autres termes, de
petits détachements débarquaient pacifiquement à l'endroit choisi sur la côte et tentait
d'acheter la bonne volonté et la coopération des indigènes grâce à la politique des cadeaux
(Milan, 2007, p. 371).
79
les africains eux-mêmes occupent ce territoire au nom de l'Espagne (Cobo & Menéndez,
2006, p.18).
Jusque dans les années 1930, le contrôle par l’Espagne de l'hinterland du Sahara
espagnol était plus fictif que réel. En effet, l'autorité coloniale espagnole se limitait aux
postes militaires établis sur la côte. À cette époque, la région de Saguia el Hamra était
fréquemment utilisée par des tribus pour attaquer les possessions françaises. Par conséquent,
en 1934, la France décida alors de mener une campagne de pacification des dernières zones
de dissidence dans les confins algéro-marocains, au sud du Maroc et au nord-ouest de la
colonie mauritanienne. Pour ce faire, la France a fait pression sur les Espagnols qui ont fait
de même pour occuper l'intérieur du Sahara. En réalité, la France lorsqu'elle a exigé
l'occupation effective de l'intérieur du Sahara par l'Espagne, c’était pour sécuriser une zone
rebelle qui faisait face au territoire qu’elle avait déjà pacifié. Par ailleurs, pour la France, les
rebelles marocains opposés à la colonisation espagnole qui sévissaient dans la zone, se
formaient et se refugiaient dans cette partie incontrôlée encore par l’Espagne (Miguel, 1995,
p. 49).
Pour mener à bien l'occupation de l'intérieur du Sahara, une unité militaire indigène
appelée « MIA de Camellos » (Cobo & Menendez, op.cit, p.18) est créé et commandée par
des officiers espagnols. Le 6 avril 1934, cette unité dirigée par le colonel Fernando Capaz a
pu par des moyens pacifiques et avec une grande intelligence occuper Ifni. Quelques mois
plus tard, précisément le 15 juillet 1934, le capitaine Galo Bullón occupait la mythique ville
de Smara, capitale religieuse du Sahara, fondée par le "Sultan Bleu", Chech Ma El Ainin66
en 1898 (Miguel, idem, p. 50). La conquête militaire du Sahara espagnol s'est achevée avec
l'établissement de postes à Guelta, Zemmour, Tichla et Bir Gandus.
La conquête politico-militaire que nous venons de présenter a été suivie d'une autre,
la conquête ou exploration scientifique pour étudier les caractéristiques géographiques et
géologiques du territoire.
66
Ma El Ainin fut l’un des premiers nationalistes sahraouis. Il était farouchement opposé à la pénétration
européenne au Sahara. Vers la fin du XIX siècle, il a combattu les forces françaises. Mais il sera vaincu par
les français en juin 1910.
80
1.2. L’exploration scientifique du Sahara
À partir de 1940, les autorités coloniales espagnoles ont lancé plusieurs expéditions
scientifiques dirigées par les géologues Manuel Alía Medina et Francisco Hernández
Pacheco. En 1945, Manuel Alía Medina découvrait l'existence de gisements de phosphate
dans le sous-sol du Sahara espagnol. Deux ans plus tard, et après une nouvelle expédition,
Alía lui-même a confirmé la richesse en phosphate des gisements du Sahara (Milan, 2007,
p. 178).
67
L’Afrique Occidentale Espagnole (AOE) est créée en juin 1946. Elle était formée des territoires d’Ifni, la
zone méridionale du protectorat du Maroc et des territoires de Saguia el Hamra et de Rio de Oro. L’AOE était
placée sous l’autorité de la Présidence du Gouvernement d’État espagnol.
81
Cependant, la situation économique et politique de l’Espagne post-guerre civile68 et
début seconde Guerre Mondiale (1939) empêchait que la prospection pétrolière fût la
priorité tant du Gouvernement espagnol que des entreprises impliquées. Il a fallu attendre
près de vingt-huit ans (en 1958) pour qu’à travers la Loi d’investigation d’hydrocarbures,
soient accordées des licences d’exploration à diverses entreprises espagnoles et étrangères.
La découverte de ces quelques ressources a donné lieu à la colonisation du territoire.
Auparavant, le territoire sahraoui avait été déclaré protectorat par l'arrêté Royal du
26 décembre 1884. Le statut politico-juridique du protectorat va évoluer ensuite. En 1912,
de « protectorat », le pays des sahraouis devient une colonie espagnole. En 1885, un
commissaire royal des Territoires de la côte ouest de l'Afrique était nommé, il s’appelait
Emilio Bonelli. Deux ans plus tard, les territoires (Sahara espagnol et protectorat marocain)
sont incorporés à la capitainerie générale des îles Canaries, le commissaire de la région
68
En effet, l’Espagne venait de sortir d’une sanglante guerre civile fratricide qui avait commencé en juin 1936
et terminée en juillet 1939, date à laquelle commençait la dictature du General Francisco Franco.
69
La guerre civile espagnole ou guerre d’Espagne dura de 1936 à 1939. Cette guerre a opposé le gouvernement
républicain espagnol du Front populaire (Frente popular) à une insurrection militaire et nationaliste dirigée
par le général Franco.
82
prenant le titre de gouverneur politique militaire adjoint de Río de Oro. Cependant, le
ministère d'outre-mer a été supprimé en 1899 après la perte des colonies de Cuba, Porto
Rico et les Philippines. À partir de ce moment, les affaires coloniales relevaient de la
présidence du Conseil des ministres puis du ministère d'État qui a créé une section coloniale
(Miguel, 1995, p.65). En 1925, la Dirección General de Marruecos y Colonias (Décret
Royal du 15 décembre 1925), a été créée, pour assurer un meilleur contrôle du protectorat
espagnol dans le nord du Maroc et de la colonie du Sahara espagnol. En fait, pour ce qui
était de ce territoire, il n'y avait ni contrôle ni organisation territoriale effective de la part de
l'Espagne. Jusqu'en 1925, l'Espagne n'avait pas encore établi un contrôle administratif et
colonial suffisant sur le Sahara. Ce ne sera qu'en 1934, après la conquête des confins nord
du Sahara et sud du Maroc, que l’Espagne procèdera à une structuration administrative et
politique de ses possessions en Afrique de l'Ouest.
Pendant la Guerre Civile espagnole, Juan Beigbeder Atienza a été nommé nouveau
haut-commissaire de l'Espagne au Maroc. La nomination de cette personnalité à cet
important poste, avait pour rôle de mener à bien la réorganisation politico-militaire des
territoires d'Ifni, de la zone sud du protectorat marocain (Tarfaya) et du Sahara espagnol
comme le souhaitaient certains militaires africanistes (Milan, 2007, p. 373). Pour unifier
l'action politique et militaire dans les possessions espagnoles en Afrique de l'Ouest, le
nouveau Haut-Commissaire a divisé les possessions en trois : Ifni, Tarfaya et Sahara. Pour
soutenir cette nouvelle organisation territoriale, l’"Inspection des territoires de la côte
atlantique" est créée, dirigée par le lieutenant-colonel Antonio Oro Pulido (Milan, ibid.).
Celui-ci a procédé à deux réformes majeures en matière d'organisation territoriale. La
première mesure concernait l'organisation militaire des îles Canaries par la création de
plusieurs garnisons dans l’archipel. La deuxième grande réforme a été la création d'un
réseau de communication terrestre pour promouvoir le contrôle et la surveillance du Sahara,
un vaste territoire aux frontières mal définies avec une population nomade.
De plus, la réforme avait pour but de permettre d’unir toutes les enclaves espagnoles
en Afrique de l’Ouest, d'accélérer la connexion entre elles, de construire un vaste réseau de
routes et plus de 2000 km de pistes d'atterrissage pour faciliter l’accès à toutes les enclaves.
Au cours des années 1938 et 1941, de nouveaux postes ont été construits à l'intérieur du
Sahara: Bir Ganzud, Ticla, Zug, Mseid del Dra, Tizgui, Remtz (voir Milan, 2007, p. 374 et
83
López, 2016, p. 18). Après la Guerre Civile espagnole, le gouvernement dictatorial de
Franco a procédé à une troisième réorganisation et restructuration des possessions en
Afrique de l’Ouest. Par la loi du 12 avril 1940, le territoire a été réorganisé en deux: Ifni et
Sahara espagnol. Le Sahara espagnol à son tour était divisé en trois: Cap Juby au Nord,
Saguia El Hamra au Centre et Rio Oro au Sud (López, 2016, p. 18).
84
La nouvelle réorganisation du Sahara n’était pas synonyme d’un changement radical
par rapport aux deux dernières opérations de restructuration effectuées en 1935 et 1937,
puisque les deux territoires étaient sous l'autorité du Haut-Commissariat de Police
d'Espagne au Maroc jusqu'en 1946. Au demeurant, la dernière restructuration politico-
administrative signifiait en effet qu’à partir de ce moment la présence militaire et
l’investissement économique sur le territoire deviendrait plus important encore dans ce
territoire (Milan, 2007, p. 374). Toutefois, concernant le budget alloué par le gouvernement
franquiste au Sahara, les auteurs s'accordent à dire qu'il est difficile de spéculer sur les
chiffres exacts des dépenses que le gouvernement franquiste a faites. Un auteur soutient
qu’à cette époque, le budget alloué au Sahara s'était multiplié par 7 ou 8 et même jusqu'à
8,7 entre 1935 et 1945, tandis que la région de Tarfaya connaissait une augmentation dans
l’ordre de 4,5 dans la même période (Milan, op.cit., p. 374 et López, op. cit., p. 18).
70
Notre traduction: la nécessité de transférer des capitaux par le biais du budget compte tenu de la
constatation des possibilités économiques du sous-sol saharien.
85
En juillet 1946, par arrêté royal, l'Espagne franquiste créait l'Afrique occidentale
espagnole (AOE) et une restructuration de l'administration de ses possessions du nord-ouest
de l'Afrique commença. Les territoires de l'AOE étaient divisés en deux: d'une part, par la
colonie du Sahara espagnol (qui englobait administrativement Tarfaya) et Ifni et d’autre
part, le protectorat du nord du Maroc (le Rif). L'AOE dépendait directement de la présidence
du gouvernement sous l'autorité d'un gouverneur général qui avait les pouvoirs politiques,
administratifs et, bien sûr, militaires. Ce changement dans l'administration des territoires
qui a duré jusqu'en 1958, et qui a entrainé un renforcement des effectifs militaire dans cette
partie nord-ouest du Maghreb avait pour but d’étouffer l'éveil du nationalisme marocain, et
protéger ses territoires sahariens (De Froberville, 1996, p. 27).
71
Notre traduction : Les territoires de l’Afrique Occidental Espagnole sont divisé en deux provinces Ifni et
Sahara espagnol.
86
la création d’un « cabildo provincial » ou assemblée consultative qui sera présente dans
chaque province et présidée obligatoirement par un député.
72
Les cheikhs étaient les chefs de tribus ou fractions de tribus.
87
pour le développement économique, social du territoire. Toutefois, la représentation
extérieure du territoire et la garantie de son intégrité devraient incomber à l'Espagne dont le
chef d'État (Franco) devrait être l' « incarnation de l'autorité suprême du peuple sahraoui »
(Boucherikha, ibid.).
En réponse aux doléances formulées par la Djemaa, dans une lettre du 12 septembre
1973, le général Franco accédait aux demandes de réorganisation politique et administrative
du Sahara. Avant les politiques de réorganisation politique de l’administration locale du
territoire, quel genre de gouvernance l’Espagne a mené sur sa colonie ? Pour répondre à
cette interrogation nous allons analyser la caractéristique de la colonie du Sahara espagnol.
L'expansion coloniale européenne du XIXe siècle a été dominée par ce qu'un auteur
appelle « le colonialisme mercantile » (Sanchez, 2018, p. 41). C’est-à-dire qu’à travers leurs
colonies, les puissances colonisatrices voulaient soutenir l'activité économique afin de
promouvoir le commerce colonial. La règle d’or de cette politique commerciale était basée
sur le fait que les colonies pourvoyaient en matières premières les métropoles, tandis que
les métropoles envoyaient des produits manufacturés dans leurs colonies.
La deuxième catégorie de colonies qui se distingue est celle dite les « colonies
d'exploitation ». Comme son nom l'indique, ce type de colonies étaient dédiées à
l'exploitation pure et simple des ressources humaines et naturelles. En effet, dotées de fortes
88
structures économiques et administratives, leurs ressources naturelles étaient exploitées au
profit de la métropole. Dans ces colonies, la population indigène se présentait comme une
source de main-d'œuvre abondante et bon marché (Sanchez, 2018, p. 42), travaillant dur
dans les mines et dans les plantations des maitres blancs.
89
période a coïncidé avec l’émergence de mouvements nationaliste et indépendantiste qui
secouaient toute l'Afrique et surtout le Maghreb.
En plus des forts, plusieurs autres infrastructures ont été construits à Villa Cisneros,
il s’agit d’une grande maison destinée à la pêche et située très près du port, d’un fort dans
lequel se situait la résidence du gouverneur de la colonie, d’une caserne militaire dotée d’une
boulangerie, d’une épicerie et d'autres installations de premières nécessités, des logements
pour les familles des officiers et des employés, des bureaux de poste et une station
radiotélégraphique, et d’usines, d’un casino, d’une chapelle etc. (Garcia, 2002, p. 170). Le
gouvernement espagnol décidait d'utiliser sa colonie du Sahara comme lieu d'exil pour
90
détenir des personnalités politiques qui lui mettaient des bâtons dans les roues. La première
expédition de déportés dans la colonie pénitentiaire de Villa Cisneros a été effectuée à partir
de 1932.
91
construction des postes militaires et des prisons pour éloigner les opposants politiques des
centres de pouvoirs, « oubliant » ainsi de mettre en place des infrastructures de
développement pour améliorer les conditions de vie des populations locales. Même s’il faut
reconnaitre, toutefois, que quelques infrastructures de développements ont été réalisées de
manière sporadique à cette époque.
La deuxième raison est le corollaire du vent de liberté qui avait commencé à souffler
sur tout le continent. Il y avait à cette époque post Seconde Guerre Mondiale, l’éveil du
nationalisme dans les colonies Française, Britannique, Espagnole et Portugaise d’Afrique.
À cette époque, le Maghreb et notamment le Maroc était secoué par une vague
indépendantiste. Le Maroc retrouvera, en partie, sa souveraineté à la suite de la Déclaration
commune franco-marocaine du 2 mars 1956. Le faisant, l'Espagne se voyait contrainte par
la France de lui emboiter le pas. Le 7 avril 1956 l'Espagne mettait aussi fin à son protectorat
nord (rif) du Maroc. Il ne faisait aucun doute que les autorités espagnoles craignaient que
les habitants du Sahara espagnol ne soient contaminés par la fièvre nationaliste et
indépendantiste. Ce sont ces deux facteurs susmentionnés qui poussaient les autorités
espagnoles à intensifier l’action coloniale sur la province du Sahara espagnol. Toutefois,
92
l’accession à l’indépendance du Maroc ouvrait une sorte de boite de Pandore pour l’Espagne
au Sahara.
De mémoire, il faut dire que la fin des protectorats hispano-français du Maroc a été
la conséquence lointaine de la défaite subie par la France en 1940 face à l’Allemagne
pendant la Seconde Guerre Mondiale. Cette défaite a eu pour effet le renforcement du
sentiment nationaliste au sein de la classe politique marocaine. Le Maroc a retrouvé sa
pleine souveraineté à la suite des deux déclarations communes franco-marocaine du 2 mars
1956 et hispano- marocaine du 7 avril 1956. La déclaration hispano-marocaine du 7 avril
1956 similaire d'ailleurs à la franco-marocaine, stipulait que : « Le gouvernement espagnol
et sa majesté Mohammed V, sultan du Maroc, considérant que le régime instauré au Maroc
en 1912 ne correspond pas à la réalité présente, déclarent que la convention signée à
Madrid le 27 novembre 1912 ne peut plus régir à l'avenir les relations hispano-
marocaines. » Dans le paragraphe suivant, le Gouvernement espagnol :
93
Les mêmes difficultés présentes de façon permanente dans les régions méridionales du
Royaume du Maroc pendant une longue période historique, c'est-à-dire, le manque
d’exercice d'une autorité effective de la part des autorités marocaines, empêchèrent les
autorités espagnoles de pouvoir procéder immédiatement au transfert prévu (M.
Benjelloun, 1975, p. 244).
Cet argument avancé par l’Espagne constitue, selon le Maroc, une fuite en avant, car
à la vérité l’autorité coloniale de l’Espagne sur le Sahara relevait plus de la théorie que de
la réalité. Aussi c'est parce que 1Espagne répugnait de se dessaisir de quelque parcelle que
ce soit des territoires qu'elle avait administré pendant plus de quarante ans.
73
Cf. Lettre datée du 26 octobre 1957 adressé par l'ambassadeur du royaume du Maroc à Madrid à M.
Fernando Maria Castiella, Ministre des affaires étrangères, in. C.IJ. memoires, Sahara Occidental, vol. Il,
Exposés écrits et documents (suite) Appendice 50 à l’annexe 21.
94
obligeant celles-ci à battre en retraite en direction des villes côtières, El Ayoun, Villa
Cisneros et La Gouera (De Froberville, 1996, p. 28).
Pour se libérer des colons espagnols, les Sahraouis s’étaient alliées à l'Armée de
Libération Marocaine (ALM) qui avait jeté son dévolu sur la Mauritanie pour y secouer le
joug colonial. Ainsi, les bandes de l’armée de Libération, soutenues par les FAR, ont
commencé à opérer à l'intérieur du Sahara et à menacer les avant-postes français en
Mauritanie, à partir de là elles assiégeaient les garnisons espagnoles. Très rapidement, la
situation devint difficile pour l’Espagne quand El Ayoun la capitale est menacée par l’armée
de Libération et que les autorités coloniales prirent conscience de ce que ses troupes
estimées 2000 hommes (Cobo & Menéndez, 2006, p. 23), déployés principalement sur le
littoral, étaient insuffisantes pour défendre un territoire de 266.000 kilomètres carrés. Par
conséquent, l’Espagne décidait alors d’unir ses forces à celles de la France pour venir à bout
de l’insurrection.
Début février 1958, Madrid et Paris réunissaient leurs forces armées. Ils planifièrent
et lancèrent une opération militaire appelée Teide par les Espagnols et Ecouvillon par les
Français. Le théâtre d'action de cette opération était le Sahara espagnol en vue d'éliminer
tous les gangs irréguliers et de pacifier le territoire. Cette opération avait un double objectif
(géo) stratégique. De la part des Espagnols, permettre le rétablissement de l’autorité
coloniale espagnole en Afrique espagnole. Pour la France, elle consistait à empêcher que la
fièvre indépendantiste née au Maroc ne se propage à ses colonies de Mauritanie et d’Algérie
comme une trainée de poudre.
Nous n'allons pas retracer ici dans les moindres détails le déroulement de l'opération
de pacification du Sahara espagnol. Il existe déjà sur la question une abondante littérature74.
En se référant à cette littérature, il ressort que l'opération a commencé le 10 février 1958.
Pour commencer, les forces espagnoles et françaises ont renforcé leurs effectifs, ceux-ci
montaient à quelques 14 000 soldats au total, 9 000 espagnols et 5 000 soldats français
(Barbier, 1982, p.69). Cet important effectif sera soutenu par une toute aussi importante
logistique. Cobo (2006) dit que les Espagnols après avoir renforcé leurs forces disposées
74
Voir De Froberville, 1996, op. cit, pp. 28-36, José Carlos Lopez-POZAS LAZUNA, op. cit, pp. 94-99, et
M. Barbier, op. cit, p. 69.
95
sur la façade côtière avec 8 500 hommes venus des îles Canaries, le XIII régiment de la
Légion parti de El Ayoun se dirigea rapidement à l'est vers Tafudart, où il est renforcé par
une colonne venue de Villa Bens. Ensuite, les deux colonnes poursuivirent les opérations
en direction de Smara. Là, les Espagnols sont rejoints par les Français qui, depuis Tindouf
et Fort Trinquet en Mauritanie, ont nettoyé toute la partie orientale du territoire sahraoui
(Cobo & Menéndez, op. cit, p. 23).
96
Deux mois après le discours royal, en avril 1958, pour régulariser des relations
bilatérales devenues très tendues avec le Maroc afin que celui-ci « oublie » sa province du
Sahara espagnol et ses enclaves de Ceuta et Melilla, l’Espagne cédait la zone de Tarfaya et
Tan-Tan située entre le parallèle 27° 40’ au fleuve Draa. Pour concrétiser le transfert, les
ministres des Affaires étrangères d'Espagne et du Maroc, Castiella et Balafrej, se
réunissaient secrètement à Cintra (Portugal) pour discuter de la question. Le 1er avril 1958,
l'accord du transfert de la zone sud du protectorat marocain était signé. Toutefois, dans cet
accord, du fait de ce que l'Espagne considérait comme un « manque d’exercice d'une
autorité effective de la part des autorités marocaines au Sahara » elle ne put exécuter le
transfert du Sahara espagnol ni même d’Ifni, ces deux territoires étant considéré comme des
provinces espagnoles.
Pour répondre aux deux questions posées à l’entame de ce chapitre à savoir d’une
part pourquoi les rois catholiques se sont intéressés aux côtes nord-ouest du continent
africain et particulièrement à celles due l’actuel Sahara Occidental, et d’autre part quels sont
les facteurs qui ont conduit à la conquête puis à la colonisation de cette partie du continent
africain ? Nous pouvons maintenant dire qu’il y en a plusieurs. Ces facteurs sont non
seulement d’ordres historique, religieux, politique, géostratégique, mais et surtout
économique. C’est après le déclin de l’autorité coloniale espagnole en Amérique Latine
qu’il eut un regain d’attention pour l’Afrique, en particulier les côtes nord-ouest. Ce regain
d’intérêt pour l’Afrique, surtout l’Ouest, avait pour but de protéger les énormes bancs de
poissons des îles Canaries.
Les rivalités franco-espagnoles dans la région vont accoucher des accords de 1900,
1904 et 1912. C’est au cours de ces accords que les limites du Maroc et du Sahara espagnol
ont été définies. La colonisation du Maroc et du Sahara espagnol qui avait ainsi commencé
s’est étendue jusqu’en 1956, date à laquelle le Maroc obtint son indépendance de la France
et de l’Espagne. Depuis lors, le Maroc entreprit de récupérer le Sahara qu’il considère
comme sien. Par le transfert de Tarfaya et de Tan-Tan en avril 1958 au Maroc, Madrid
pensait pouvoir sauvegarder Ifni, Saguia el Hamra et Rio de Oro, en calmant, quoique
temporairement, les ambitions expansionnistes et irrédentistes marocaines. Mais il était
évident qu'un tel transfert ne pouvait mettre un terme aux revendications marocaines,
d’autant plus qu’un nouvel acteur, la Mauritanie, allait faire son entrée.
97
Conclusion partielle
98
DEUXIÈME PARTIE :
99
Comment de colonie puis province espagnole, le Sahara espagnol est devenu une
colonie marocaine et mauritanienne ? Voici ici formulée la préoccupation nodale à laquelle
nous essayons de répondre dans cette deuxième partie. Pour y parvenir, nous analyserons la
« dynamique territoriale géopolitique » de ce territoire.
Un territoire est une portion de l’espace bien délimitée sur laquelle des peuples
inscrivent leur histoire. C’est donc un espace approprié et vecteur de mémoire. L’idée de
territoire implique l’expression d’une volonté d’appropriation exclusive par des acteurs.
Cette volonté d’appropriation est à l’origine des rivalités de pouvoirs et nourries des
dynamiques des territoires. Rosière (2003, p. 37) qui a développé le concept soutient que
pour mener une analyse géopolitique, il faut étudier les dynamiques territoriales, les acteurs
et les enjeux qui les motivent. La dynamique du territoire s'attache à décrire et à expliquer
l'évolution du cadre politique c’est-à-dire l’espace. Mieux, il s‘agit de présenter le territoire,
de le décrire et de présenter ses différentes transformations (administrative, politique,
sociale, économique) au fil du temps et d’en donner les raisons.
100
CHAPITRE 5: L’IRRÉDENTISME MAROCO-MAURITANIEN POUR LE
SAHARA ESPAGNOL
L'irrédentisme est un concept qui tire ses origines du XIX siècle et qui serait né dans
l’Italie des années 1870 (cf. Irrédentisme in Encarta, 2009). C'était un mouvement politique
nationaliste qui réclamait l'annexion des territoires considérés comme faisant partie
historiquement de l'Italie. Il regroupait les extrémistes qui ne pouvaient se résigner à voir
des populations de langue italienne restées en dehors de la communauté nationale, en dehors
de l’Italie, leur patrie. Les territoires revendiqués étaient en majorité des possessions de
l'Empire austro-hongrois (Istrie, Dalmatie, sud du Tyrol, Trentin), mais s'étendaient au
XXe siècle à des territoires français (Nice, Savoie, Corse, Tunisie), à l'île de Malte et au Sud
de la Suisse (Encarta, 2009, ibidem). L'irrédentisme italien est donc né d’une indignation,
celle de voir se fragmenter l’Italie.
Par extension de nos jours, le terme irrédentisme est appliqué aux mouvements
nationalistes de tout État qui lutte pour récupérer une région ou un territoire qu'il considère
comme injustement détaché de son territoire national. Toutefois, il convient de souligner
que l’irrédentisme est mu par des représentations territoriales divergentes, contradictoires
et plus ou moins antagonistes d’acteurs. C’est pour cette raison que Lacoste (1993, p. 28)
écrit que « la seule façon scientifique d’aborder quel que problème géopolitique que ce soit
est de poser d’entrée de jeu, comme principe fondamental, qu’il est exprimé par des
représentations divergentes, contradictoires et plus ou moins antagonistes » Dans cette
section, nous examinons les représentations territoriales développées par le Maroc et la
Mauritanie concernant la province espagnole du Sahara.
Les Sciences Politiques nous révèlent que tout au long de l’Histoire, beaucoup de
théories ont été développées pour tenter d’expliquer ou de justifier le désir expansionniste
ou d’agrandissement des États. La naissance de la Géopolitique, terme employé pour la
première fois par le suédois Rudolph Kjellen en 1899, s’inscrit dans cette même dynamique.
Celui-ci considérait alors la Géopolitique comme « la théorie de l'État en tant qu'organisme
géographique ou phénomène spatial » (cité par Stanganelli, 2014, p. 20). Dans les premières
101
décennies de l’an 1900, le suédois a tenté d'établi, mieux d’imposer une théorie, ou plutôt,
une "Science de l'État", qui servirait à analyser les défis spatiaux auxquels les grandes
puissances de l'époque s'opposaient.
Si selon R. Kjellen, les États sont comme des organismes vivants, nous pouvons
donc dire qu’ils sont sujets à la loi de la croissance : ils naissent, peuvent se développer et
mourir ou, dans certains cas, se transformer. Autrement dit, les États obéissant aux lois
biologiques que les vivants. Ainsi, comme tout organisme biologique, pour survivre, ils
doivent se nourrir d'autres organismes vivants, lesquels organismes dans le contexte de
Kjellen sont des territoires. Par conséquent, tout État qui se veut sérieux, se doit d’engloutir
d'autres États ou territoires pour son développement, sa subsistance, son extension, en un
mot, pour ne pas disparaitre.
Bien que le paradigme de Kjellen ait été critiqué par la postérité, appliqué à notre
cas d’espèce, a priori, il nous permet de comprendre à peu près les fondements de
l'irrédentisme des États et celui dont le Sahara Occidental est l'objet aujourd’hui. Pour que
le lecteur ait une vision synoptique des revendications marocaines, nous commençons par
mettre l'accent sur la représentation ou la symbolique de cet espace géographique pour le
Maroc.
Il faut dire aussi que la dimension symbolique des territoires est de plus en plus
présente dans les travaux des géographes et des géo-politologues. C’est également l’avis de
Claval (1997) lorsqu’il écrit que « la dimension symbolique du territoire devient l’un des
thèmes essentiels de la géographie » (p. 3). On peut aussi sans prétention ajouter qu’elle le
devient aussi pour la géopolitique.
Dans un conflit pour le contrôle ou la conquête d’un territoire, celui-ci peut être un
enjeu en soi, fut-il dépourvu de richesse. Dans ce cas, Rosière, (2003, p. 39) écrit que
« l'enjeu est alors symbolique ». L’intérêt symbolique d’un territoire réside souvent dans la
valeur de ce territoire, soit en termes de richesses, soit en termes de sécurité. Si pour les
peuples qui y habitent, a posteriori, le territoire est assorti d’une haute valeur symbolique,
c’est parce qu’il « contribue (...) à conforter le sentiment d'appartenance, il aide à la
102
cristallisation de représentations collectives, des symboles qui [s’y] incarnent (…)»
(Brunet, 1992, p. 436). Mieux, pour le même auteur, les territoires « sont des lieux de
mémoire; leur valeur symbolique est plus ou moins élevée, locale, nationale, internationale,
mondiale, ou propre à une religion, à une culture; ils sont souvent sources d'identité
collective et, aussi, d'activités économiques » (p. 232)
Cependant, si le territoire revêt une importance symbolique pour les peuples qui y
habitent, qu’en est-il pour ceux qui n’y ont pas habité et qui le revendiquent ? En d’autres
termes, les habitants et non habitants d’un territoire ont-ils la même représentation de ce
territoire ? Bien qu’il paraisse à première vue difficile de répondre à ces interrogations, nous
pouvons avancer que dans l’esprit de ceux qui n’habitent pas un territoire donné, celui-ci
peut être également doté d’une valeur symbolique. Pour ceux-là, l’idée même de son
appropriation peut, surtout au niveau de l’imaginaire, se concevoir comme la promesse de
biens futurs, quelle que soit la nature desdits biens. Toutefois, la valeur symbolique du
territoire n’est pas toujours marchande, même si au demeurant celle-ci peut générer des
retombés économiques et politiques.
Pour ce qui est de l’aspect identitaire, l’ex Sahara espagnol est considéré par les
Marocains, simples citoyens ou tenants du pouvoir, comme le lieu de provenance, le lieu
d’origine des Arabes. En effet, c’était par le Sud, c’est-à-dire, du Sahara Occidental, que
sont arrivés les premiers conquérants Arabes, et après eux la plupart des dynasties
marocaines, des Almoravides aux Alaouites, en passant par les Saadiens (Caratin, 2003, p.
84). En fait, la dynastie actuelle qui règne au Maroc depuis plusieurs générations maintenant
est celle des Alaoui. Pour mémoire, la dynastie Alaouite, originaire du Tafilabet aux portes
du Sahara, a été fondée en 1664 par Moulay Ibn Sheriff à qui ses progénitures revendiquent
une ascendance remontant à Ali, le gendre du Prophète.de l’Islam (Voir Alaouite in Encarta,
2009). C’est cette prétendue origine saharienne des souverains chérifiens qui alimente le
103
désir de leurs descendants, d'intégrer les populations du Sahara Occidental au royaume du
Maroc.
Le deuxième niveau, comme nous l'avons vu tantôt, est la dimension morale, c'est-
à-dire l'honneur. Lorsque les Marocains, simples citoyens ou tenants du pouvoir considèrent
les Sahraouis comme leurs "cousins", les laisser en marge du territoire national serait
moralement injuste. De cette façon, concéder à ses « cousins » non seulement la
revendication d’une identité différente, mais plus grave encore, une partie importante du
territoire de la mère patrie seraient un dangereux précédent et constituerait une trahison, pis,
un affront. Étant donné que l'honneur de la Nation, celui de chaque Marocain et surtout
l'honneur des monarques est en jeu, la conquête du Sahara « espagnol » a obtenu l'adhésion
massive d'une large majorité de la population marocaine. Ainsi, de peur de tomber en
disgrâce devant leurs sujets, les monarques alaouites ont fait de la (ré) conquête de ce
territoire l'une des conditions sine qua non pour la reconstruction d'une nation marocaine
démembrée par la double colonisation française et espagnole. En effet, pour Mohammed V
et ses descendants (Hassan II et Mohammed VI), perdre le Sahara Occidental, "leurs"
provinces du Sud, « leurs Sahara » serait préjudiciable non seulement à leur dignité, à la
légitimité de leur régime, mais et surtout ce serait amputer dangereusement le royaume, la
104
terre de leur père, d'une partie stratégique de ses composantes. Ou pour reprendre Caratin
(2003), ce serait briser le lien d’avec leur mémoire, celle de l’origine arabe et musulmane.
105
la défaite militaire française, lorsque le gouvernement de Vichy 75désirait que les lois anti-
juives76 mises en application en France et en Algérie soient étendues au Maroc. Le sultan
s’y opposa radicalement, affirmant que les Juifs vivant au Maroc étaient des sujets
marocains et que vouloir leur appliquer des lois spéciales introduirait un précédent
inacceptable dans le domaine de l’unité nationale du Maroc et de sa souveraineté.
75
Le gouvernement de Vichy, est le nom donné au régime politique installé à Vichy, qui a pris le nom officiel
d’État français et a dirigé la France au cours de la Seconde Guerre mondiale, du 10 juillet 1940 au mois d’août
1944. Ce gouvernement était dirigé et dominé par la personnalité du maréchal Pétain.
76
C’est le cas par exemple de la loi du 3 octobre 1940 proclamant le statut juif. Cette loi excluait les juifs de
nombreuses professions (fonction publique, éducation, presse et cinéma). Cf. « Vichy, gouvernement de. » sur
Encarta 2009.
77
La Charte de l'Atlantique, est le nom donné à la déclaration commune signée le 14 août 1941 par les États-
Unis et le Royaume-Uni, pendant la Seconde Guerre mondiale, qui énonçait les principes fondamentaux de la
paix future. Ce document, qui rappelle les grands principes auxquels sont attachées les démocraties, fut élaboré
lors d'une conférence au sommet tenue secrètement entre le 9 et le 12 août 1941, sur le Potomac, au large de
Terre-Neuve.
106
En février 1951, afin de contraindre le sultan à cesser « la grève du sceau » et avec
l’accord et le support matériel de la Résidence, al-Glaoui lança des milliers de cavaliers des
tribus vers Fès et Rabat, cette situation contraint Mohammed V à céder le 23 février pour
ne pas déclencher une guerre civile. En novembre 1952 Mohammed V dans son « discours
du trône » demanda l’émancipation immédiate du Maroc. Cet acte désespéré provoqua la
colère de la France. 78 Les 14 et 15 août 1953, le souverain fut mis en état d’arrestation avec
le prince héritier Hassan puis embarqué à bord d’un avion militaire français pour un exil de
plus de deux années en Corse puis à Madagascar. Le 15 août, Mohammed Ben Arafa, un
chérif de la famille alaouite, « candidat au trône » que le Glaoui avait suggéré à la Résidence,
fut proclamé « Prince des Croyants » à Marrakech79.
78
En ligne http://www.portailsudmaroc.com consulté le 24/04/20.
79
Cf. http://www.portailsudmaroc.com consulté le 24/04/20.
80
À l’exception près, toute cette présentation que nous de faire de Mohammed V est extraite de « Histoire
Marocaine. De la Préhistoire Marocaine au Alaouites » In. http://www.portailsudmaroc.com consulté le
24/04/20
107
Mais les nouvelles autorités du pays et le Parti de l’Istiqlal ne l’entendaient pas de cette
oreille. En effet, pour eux, cette indépendance que leur pays venait d'obtenir était partielle,
car une partie importante du Maroc était encore sous le joug colonial espagnol. Par
conséquent, le Maroc sera vraiment libre que quand toutes ses parties reviendraient dans la
patrie. C’était pour atteindre cet objectif politique à moyen terme que le sultan Mohammed
V va aider les forces armées coloniales franco-espagnoles à libérer le Sahara espagnol alors
occupé par les bandes rebelles de l'Armée de libération Marocaine (ALM). Mais le soutien
du trône marocain dans le démantèlement de l’ALM avait un autre sens. En effet, il s’inscrit
dans la volonté du régime de stabiliser son pouvoir fragilisé par la nouvelle conjoncture
politique intérieure issue de l’indépendance.
La création des Forces Armées Royales (FAR) s’inscrit aussi dans la volonté de
consolidation de la monarchie par le sultan. En effet, pour mémoire, il faut dire que dans
l’histoire du Maroc, la menace contre les sultans est souvent venue de membres de leur
propre dynastie, alliés à telle ou telle tribu. Pour contrer ce danger constant, les sultans
associaient un de leur fils à l’exercice du pouvoir (Buttin, 2015, p.63). Il était promu khalifa
d’une des régions du pays et en même temps commandant d’une troupe armée dissuasive
importante. Dès son retour d’exil, le sultan Mohammed V songe à la création d’une
importante force militaire qui lui permettrait, le cas échéant, de s’opposer à toute velléité de
mouvements internes antimonarchiques (Buttin, idem).
La nouvelle armée, appelé Forces Armées Royales, qui voit le jour par un dahir du
15 mai 1956 sera confiée au prince héritier Moulay Hassan. Celui-ci est nommé major
général et chef d’état-major général. Les éléments de cette nouvelle force armée seront
choisis parmi les proches collaborateurs, surtout des officiers compétents issus de l’armée
française, presque tous berbères (Buttin, ibidem) de Moulay Hassan. Pour le roi Mohammed
V et son fils, les éléments de l'Armée de Libération qui refusaient la « farisation », c'est-à-
dire ceux qui refusaient d'intégrer les FAR constituaient, à court et moyen terme, une
potentielle menace pour la stabilité d’un régime monarchique jeune et faible. Dans ce sens,
Perrault (1990) écrit que : « (…) pour Mohamed V et son fils ainé [Hassan II], la libération
du Sahara passait après l’affermissement de leur pouvoir encore frêle, pour eux, les
combattants du Sud étaient des rebelles en puissances dont la mise au pas s’imposait ». (p.
42).
108
Par consequent, aider la France et l'Espagne à vaincre les rebelles de l’Armée de
Libération du Maroc (ALM) n'était pas seulement un moyen d'affirmer la volonté du
royaume à coopérer avec ces deux puissances coloniales, en échange de service de bon
office, dans un esprit particulièrement amical. C'était aussi une façon de proclamer que le
Maroc s'intéresse par-dessus tout, aux territoires révendiqués par l’Armée de Libération.
Comme preuve de cette intention, alors que le front franco-espagnol et les FAR luttaient
contre les éléments de l’Armée de Libération au Sahara espagnol, le roi Mohammed V a
revendiqué officiellement et personnellement ce qu'il a appelé alors le Sahara « marocain ».
En effet, le mardi 25 février 1958, à l'occasion d'une visite qu’il a effectué au village de
M'Hamid El Ghizlane, non loin du Sahara, le roi Mohammed V annonçait alors :
Nous proclamons solennellement que nous poursuivrons notre action pour le retour de
notre Sahara dans le cadre du respect de nos droits historiques et selon la volonté de
ses habitants. Ainsi, nous accomplissons la mission que nous nous sommes engagés à
remplir et qui consistant à restauraurer notre passé et à édifier un avenir prospère qui
permet à tous nos sujets de connaître le bonheur et la tranquillité.81
81
Extraits du discours de feu SM Mohammed V. En ligne http://www.sahara.gov.ma/blog/messages-
royaux/extraits-du-discours-de-feu-sm-mohammed-v-a-mhamid-el-ghizlane-2/, consulté le 01/12/2019.
82
Notre traduction: La déclaration, (...) constitue une authentique confession.
83
Voir par exemple G. Atilio (1972). Allal El fassi ou l’histoire de l’Istiqlal. Paris : Ed. Alain Moreau.
109
d'établir le parallèle entre ce concept et les actions de Mohammed V concernant le Sahara.
Le théoricien du "Grand Maroc" est Allal el Fassi, chef du tout premier parti politique
nationaliste marocain, l’Istiqlal ou le Parti de l’indépendance en français. À partir de 1952,
EL Fassi depuis le Caire commença une large campagne diplomatique internationale en vue
de l’indépendance du Maroc. C’est dans cette même période qu’il commence à diffuser que
les limites naturelles du Maroc atteignent le fleuve Sénégal. Fort de cette certitude, le 18
juillet 1956, dans le journal AL Alam affilié à l’Istiqlal, El Fassi faisait cette déclaration :
Source: https://es.wikipedia.org/wiki/Gran_Marruecos#/media/File:Gran_Marruecos.PNG
consulté le 20/08/2020.
110
La thèse de El-Fassi a été épousé par Mohammed V et utilisé comme ideal polítique
et comme l’un des fondements de sa politique extérieur. Par aileurs, dans le discours de
M’Hamid, le roi Mohammed V, désirait se présenter devant ses sujets comme celui qui allait
ramener l’indépendance totale du royaume.
Dans ce contexte, soutenir la thèse du « Grand Maroc » d'El Fassi, a été l'occasion
pour Mohammed V de réaffirmer son engagement dans la reconstruction du royaume
alaouite et de la nation marocaine sous la houlette de son souverain bien-aimé. Il permettait
aussi d’avoir le Parti de l’indépendance l’Istiqlal comme allié. Par ailleurs, la réalisation du
projet « Grand Maroc » devrait permettre de consolider la légitimité du nouveau monarque
dans tout le pays y compris au Sahara espagnol et en Mauritanie. En 1955, Mohammed V
lui-même affirmait que :
111
Si no recuperamos nuestra región del Sahara, estaré muy pesimista por el futuro
de Marruecos como Nación. La recuperación de este territorio, estratégica,
política y emocionalmente, es más importante que la propia independencia de
Marruecos84 (Contreras, 1983, p. 41).
Les révoltes susmentionnées ont été nourries par la faction la plus progressiste des
jeunes de l’Istiqlal. Face à cette nouvelle conjoncture politique interne, le roi décida de sortir
de son silence et se mit à soutenir la thèse irrédentiste de l'Istiqlal. C’est ainsi que, le 25
février 1958, le roi Mohammed V va soutenir de manière ostensible la théorie du « Grand
Maroc ».
Deux événements clés permettent de mettre en évidence le caractère ostensible du
soutien royal à la théorie irrédentiste du Grand Maroc. Le premier événement a eu lieu en
1957. En effet, le 14 octobre 1957, le délégué marocain à la Commission de décolonisation
de l'Assemblée générale des Nations Unies a revendiqué les droits historiques du Maroc sur
le Sahara et la Mauritanie. Le deuxième événement s'est produit peu après. Le 10 novembre
de la même année, une "Direction générale des affaires sahariennes et frontalières" est créée
au sein du ministère marocain de l'Intérieur. Cette Direction était dirigée par Abdelkader El
Fassi, celui-là même qui avait conçu la carte du "Grand Maroc".
De tout ce qui précède, nous pouvons retenir que la (re) conquête du Sahara avait
pour le roi Mohmmed V une grande valeur à la fois politique et symbolique. La reconquete
84
Notre traduction : « Si nous ne récupérons pas notre région du Sahara, je serai très pessimiste quant à
l'avenir du Maroc en tant que nation. La récupération de ce territoire, stratégiquement, politiquement et
émotionnellement, est plus importante que l'indépendance du Maroc ».
112
du Sahara concorde avec les deux piliers sur lesquels reposaient la légitmitité du regime du
roi Mohammed V : une monarchie toute puissante et une ideologie nationaliste basée sur
l’expansion territoriale (Pérez, 2012) du royaume du Maroc à ses frontières historiques. Le
roi Mohammed V ne verra pas se réaliser le projet du Grand Maroc ni en partie ni en tout,
car en 1961, il mourait. Toutefois, à sa mort, il était considéré comme l'un des plus grands
souverains qu’est connu le Maroc jusqu’ici. Après sa mort lors d'une opération chirurgicale
bénigne, son fils aîné, le prince Moulay Hassan, accède au trône en le 26 février 1961. Ce
dernier comme son père, fort de ses répresentations sur le Sahara va poursuivre l’œuvre
d’expansion territoriale de son père.
Né à Rabat le 9 juillet 1929, Moulay Hassan, est le fils aîné du roi Mohammed V. Il
est venu au monde deux ans après l'arrivée de son père sur le trône au Maroc. Dès l'âge de
deux ans, il reçoit une double éducation arabe et française. Avant l'âge de dix ans, son père
a commencé son initiation aux arcanes du pouvoir. En juin 1943, à l'entrevue historique
d'Anfa, entre le sultan Mohammed V, Winston Churchill et Franklin Roosevelt, le jeune
Mouly Hassan était present. De cette rencontre, il en conservera le goût de la diplomatie
dont il demeurera toujours, une fois roi, le véritable chef.
113
part, l'Armée de libération Nationale. Proclamé prince hériter le 9 juillet 1957, Moulay
Hassan se voit confier la lourde tâche d'organiser les Forces Armées Royales afin d'y
intégrer les troupes de l'ALN influencées par l'Istiqlal (Balta, 1999, p. 27).
Chef d'État-major des FAR, le prince héritier fait preuve d’un certain zèle à l'égard
de l'Armée et conseille à son père de rompre avec la tendance progressiste de l’Istiqlal. Pour
sa radicalité et sa rigueur, il devient une cible non seulement pour les bandes de l'ALN et
l’Istiqlal. En février 1960, il échappe à un premier complot visant à l'assassiner. Pour le
Palais, le « cerveau » de cette opération est Mehdi Ben Barka, chef charismatique de I’UNFP
et leader de l’opposition marocaine85.
Lorsqu'il monte au trône en février 1961, Moulay Hassan, qui porte désormais le
titre d’Hassan II, a 31 ans. Immédiatement², il essaie de continuer le chemin tracé par son
défunt père. En effet, le roi Mohammed V tout au long de son règne était adulé par le peuple
qui le qualifiait de « Sultan Libérateur et Bien-aimé ». Il incarnait pour eux la figure du
Libérateur et le garant de la stabilité du pays pour l’avoir libéré du joug colonial franco-
espagnol. Hassan II avait certes hérité d’un royaume, mais non pas du prestige de son père,
il tentera d’exaucer le vœu de son père (Rivet, 2012, p.317) d’instaurer une monarchie
constitutionnelle basée sur la séparation des pouvoirs. Le but de la dotation du pays d’une
Constitution était la transformation du vieil « Empire Chérifien » en un moderne « Royaume
du Maroc ». Cependant, comme l'ont affirmé certains commentateurs de l’actualité
marocaine de l'époque, succéder à Mohammed V, le Libérateur, ne sera pas facile. À ce
propos, Le Parisien libéré (1991) s'est permis de déclarer que :
85
Né à Rabat en 1920, Mehdi Ben Barka devient président de l’Assemblée consultative marocaine, puis
contribue à la fondation, en 1950, de l’Union nationale des forces populaires (UNFP), de tendance socialiste,
dont il devient le chef. Contraint à l’exil, il est par deux fois (en 1963 et 1964) condamné à mort par contumace
par le gouvernement marocain. Ses prises de position sur le conflit algéro-marocain en 1963, puis son
opposition à la Constitution que le roi Hassan II propose par référendum, en font un adversaire redoutable
pour celui-ci. Le 8 juin 1965, en raison de l’agitation, le roi proclame l’état d’exception, mettant en sommeil
la nouvelle Constitution. Ben Barka vit alors en exil à Genève, sous la protection du consul d’Algérie. Le
29 octobre 1965, Ben Barka tombe dans un piège alors qu’il se rend à Paris pour y rencontrer un cinéaste
censé monter un projet de film sur la décolonisation. Il est interpellé par deux policiers français (des secrets
marocains) au moment où il arrive sur les lieux du rendez-vous en compagnie d’un ami marocain. Il ne sera
jamais revu vivant. Ben Barka a été torturé et assassiné et sa dépouille immédiatement rapatriée à Rabat. La
disparition de Ben Barka fut providentielle pour la royauté marocaine, car au Maroc, il n’y avait plus
désormais de chef charismatique susceptible de s’opposer au pouvoir personnel de Hassan II, ou capable
d’offrir une alternative à la royauté. Cf. Mehdi Ben Barka in Encarta 2009.
114
Il ne suffit pas que la succession au trône soit assurée pour que soit préservée la stabilité
(…) dont Mohamed V était le symbole. (…) Il n’en reste pas moins que par son rôle
religieux, sa dignité de commandeur des croyants, comme par une adresse politique
indéniable, Mohamed V constituait la dernière barrière à la dislocation de son pays.
Hassan II, nouveau souverain, ne bénéficie pas au départ des atouts de son père. On
conçoit donc que le monde entier n’ait qu’une réaction après la mort de Mohamed V,
l’inquiétude. (Le Parisien libéré, 27 février 1961)
86
Généralement, le terme s’applique surtout aux monarchies occidentales entre le XVIe et le XVIIIe siècle, en
Espagne et en France notamment. Dans la monarchie absolue, le roi gouverne seul, mais doit respecter les
privilèges des corps et des ordres qui composent le pays, et il doit prendre conseil. La monarchie absolue est,
par essence, centralisatrice. Louis XIV, en France, en est le représentant archétypal. (Voir la monarchie
absolue In Encarta, 2009).
115
le jeune roi va conserver tous les pouvoirs, judiciaire, législatif et exécutif. Hassan II
parviendra donc à régner et à gouverner sans plus de restrictions que sa propre volonté, niant
la séparation des pouvoirs propres à tout régime démocratique. L’absolutisme d’Hassan II
était résolument politique, visant à perpétuer la monarchie marocaine et son régime. En
choisissant cette forme de gouvernance politique, Hassan II s'inscrivait dans la logique des
rois français notamment Louis XIV et Louis XV. Au fort de son règne ce dernier avait
déclaré que :
Ce n'est qu'en ma personne que réside le pouvoir souverain, dont le caractère propre est
l'esprit de conseil, de justice et de raison ; c'est à moi à qui mes courtisans doivent leur
existence et leur autorité ; la plénitude de leur autorité qu'ils n'exercent qu'en mon nom
réside toujours en moi et ne peut jamais se retourner contre moi; Ce n'est qu'à moi
qu'appartient le pouvoir législatif sans dépendance et sans division (...).87
Ces propos de Louis XV, comme nous le verrons plus loin, seront utilisés de manière
implicite par Hassan II non pas comme un simple slogan mais surtout comme un credo.
L’établissement d'un régime politique dictatorial si opposé à celui de son prédécesseur
accouchera d’une profonde crise socio-politico-économique dans le pays.
87
Discours de Luis XV devant le Parlement à Paris le 3 mars 1766, In. M. Fain, (s.d). El absolutismo
monárquico. En ligne https://www.elhistoriador.com.ar/el-absolutismo-monarquico/ consulté le 31/12/2019.
116
entrer en compétition avec la monarchie au sujet de la direction de la politique de l’État, à
l’effet de réduire les pouvoirs du Roi et surtout de lutter contre l'autoritarisme.
Entre 1956 et 1965, sur l’arène politique, le Maroc n’a connu que des règlements de
comptes entre monarchie et opposition. Cette situation va affecter le développement du
Maroc dont la stabilité dépendait du sort des affrontements entre les deux forces du pays,
monarchie et opposition. À cela s’ajoutait le fait qu’à cette période le royaume souffrait de
plusieurs insuffisances, notamment au niveau administratif à cause du départ des
colonisateurs français qui géraient l’administration marocaine. Pour corroborer le tout, il y
avait l’absence d’une Constitution, d’institutions et de réglementations essentielles au
respect de la vie en communauté et au fonctionnement d'un État démocratique.
Outre cette profonde crise politique que nous venons de présenter, le Maroc était en
proie à une crise socio-économique matérialisée par une inflation galopante, une hausse du
chômage, des révoltes populaires, un taux trop élevé d’analphabètes. Cette nouvelle
conjoncture sociale et économique sera à la base de d’innombrables révoltes sociales. En
effet, à partir de 1965, le Maroc a connu une série de révoltes sociales, à Casablanca, à Fès
et Rabat. Ces grèves populaires insurrectionnelles visaient à dénoncer la situation chaotique
de l'économie et le manque de libertés publiques et individuelles dans le pays (Ybarra, 2005,
p. 5).
Les révoltes des populations urbaines ont été rapidement réprimées par l’armée, qui
se substitue à la police débordée, faisant un grand nombre de victimes (Rivet, 2012, p.320).
Le 7 juin 1965, le roi proclame l’état d’exception, signe de son échec à constituer un
gouvernement d’union nationale. Il suspend temporairement le Parlement et assume à lui
tout seul tous les pouvoirs, exécutif et législatif, agissant en tant que Premier ministre au
cours des deux prochaines années. La « démocratie » et « la monarchie constitutionnelle
basée sur la séparation des pouvoirs » promises par le souverain à son arrivée au pouvoir et
dans la Constitution de 1962 demeureront une simple vue de l’esprit. Dès lors, la
confiscation des pouvoirs politique, militaire, économique et religieux, incarné par le roi
Hassan II, est devenue évident dans tout le Maroc (Ybarra; 2005, p. 6).
117
d’Hassan II d’étouffer le problème dans l'œuf afin de décourager toute future révolte
populaire contre son régime. Mais le roi s’était trompé. Lui qui était pourtant considéré
comme une personnalité particulièrement « intelligente et habile », dotée d’une bonne
capacité d’anticipation des événements, en prenant des initiatives politiques et en imprimant
des dynamiques nationales avec un esprit analytique et intellectuel, n'a pas pu détecter les
complots contre son trône et contre sa vie (Zarate, s.d).
118
évidente d'abattre l'avion, lui causant de graves dommages. Hassan II, une fois encore, s’en
est sorti sain et sauf.
Le roi a décidé de retirer l'armée du royaume, déplaçant son noyau hors du territoire
marocain, en l’envoyant sur les hauteurs du Golan pendant la guerre de Yom Kippour en
octobre 1973, avec les troupes syriennes et contre la puissante armée d’Israël. Mais à la fin
de cette guerre et avec le rapatriement des forces marocaines, Hassan II a été contraint de
trouver une nouvelle stratégie à l’effet d’occuper l'armée. Pour éloigner cette fois, l'armée
des centres de pouvoir, le monarque va réveiller un "vieux démon": la question du Sahara
"espagnol". C'est ainsi que le monarque va tourner son regard vers ce territoire. Cette
nouvelle stratégie Hassan II reposait sur quatre piliers clés.
119
Le troisième pilier est politico-diplomatique88. Au niveau national, le monarque a
annoncé une longue ouverture politique et une démocratisation et un assouplissement de
son régime, mais suffisamment contrôlée pour empêcher toute réaction qui pourrait nuire
au régime. Sur le plan de la politique internationale, l’œuvre d’Hassan II a été également
très importante. Elle tenait dans une phrase qu’il aimait à répéter : « le Maroc ressemble à
un arbre dont les racines nourricières plongent profondément dans la terre d’Afrique et qui
respire grâce à son feuillage bruissant aux vents de l’Europe »89. Pour lui, les racines du
Maroc sont très largement sahariennes. De ce fait, le recouvrement du Sahara espagnol
devenait une cause non négociable.
Le monarque a réussi à atteindre cet objectif puisque, à partir de 1974, une nouvelle
armée de libération appelée Front de Libération et d’Unité du Sahara (FLU) est créée. Cette
armée comptait un effectif d’environ 500 combattants (Cobo & Menéndez, ibidem).
L’objectif militaire de cette nouvelle arme était d'attaquer les positions espagnoles au
Sahara. Parallèlement à ce qui précède, nous pouvons émettre une autre hypothèse pour
88
Pour plus d’informations sur le rôle de la diplomatie dans l’affaire du Sahara Occidental, voir l’article de P.
Vella (1978). La Diplomatie Marocaine dans l'affaire du Sahara Occidental. Politique étrangère, n°4, 417-
428.
89
Cf. « Histoire Marocaine. De la Préhistoire Marocaine au Alaouites », op. cit
http://www.portailsudmaroc.com consulté le 12/09/2019.
120
expliquer la représentation qu'avait Hassan II du Sahara Occidental. Il s’agit de la question
de la richesse de ce territoire en ressources naturelles. Le Maroc convoitait déjà le phosphate
du Sahara, pour juguler la crise économique qu’il connaissait à l’époque. Aussi, le pays était
confronté à une sévère sécheresse qui avait contraint l’état à importer près de 800 000 tonnes
de céréales (Lanuza, 2015, p. 124).
À ces premières difficultés, il faut ajouter qu'à partir de 1974, le Maroc, premier
exportateur mondial de phosphate à l’époque a vu sa demande diminuer, entraînant une
baisse des bénéfices. Sur le marché mondial, le prix du phosphate avait chuté à 50 dollars
la tonne, ce qui a gravement compromis le plan de développement de l'État. Outre la baisse
de la demande, il y avait la menace de production de phosphate au Sahara occidental à partir
de 1972. En fait, le phosphate du Sahara était de meilleure qualité et moins cher à exploiter
que celui du Maroc. En seulement un an d’exploitation, en 1974, les gisements du Sahara
produisaient 3,5 millions de tonnes de phosphate (Lanuza, ibidem).
Il ressort de cette analyse que ce n'est pas essentiellement dans le cadre du « Grand
Maroc » qu’Hassan II a revendiqué le Sahara espagnol. Pour nous, le régime hassanien a
utilisé le Sahara espagnol comme un bouc émissaire90 pour purger les tensions internes,
régler les problèmes personnels du roi et protéger son régime impopulaire. Avec le réveil
de la question saharienne « Le roi et ses conseillers réussirent à reconstituer l'unité
nationale et à susciter un sentiment d'enthousiasme patriotique dans la population
marocaine » (Hottinger, 1980, p.167). Enfin, la réactivation de l'épineuse question du
Sahara Occidental a été un mécanisme pour « oublier » les préoccupations quotidiennes. À
90
Si nous nous referons à l’origine de cette expression, celle-ci traduit bien l’attitude d’Hassan II en vers le
Sahara Occidental. En effet, dans l’Ancien Testament (livre du Lévitique), il est fait le récit de que les juifs
pour célébrer la fête de l’expiation il était sacrifié deux boucs. Le premier était destiné à Yahvé tandis que
l’autre chargé des péchés des Israelites confessés est envoyé dans le désert ou il mourait de faim et de soif.
L’expression « bouc émissaire » est utilisée pour qualifier une chose dont on se sert expier nos péchés à notre
place.
121
travers le Sahara Occidental, le régime de Hassan a intelligemment tenté de projeter sur un
hypothétique ennemi extérieur l'échec de sa propre politique sociale et économique interne.
À l'image du Maroc, la Mauritanie va nourrir des idées irrédentistes pour le territoire
sahraoui.
122
partie du Sahara algérien. Dans un discours prononcé le jour de l’Indépendance (le 28
novembre 1960), Moktar Ould Daddah (cité par Baduel, 1994) prenait acte de la situation
créée lorsqu’il affirmait :
Au moment où la France, par des institutions généreuses, nous donne le droit de nous
gouverner nous-mêmes et de nous déterminer librement, je dis non au Maroc!
Mauritaniens nous étions. Mauritaniens nous sommes. Mauritaniens nous resterons
! Nous en avons conscience. Faisons ensemble la Nation mauritanienne. (p. 14)
Quelques mois après l’opération Ecouvillon, dans son discours du 25 juillet 1958, le
roi du Maroc, Mohammed V, prononçait ses premières déclarations officielles en faveur de
l'appartenance du territoire mauritanien à son royaume. Mais bien avant cette date, le
gouvernement marocain avait nommé dès le mois de novembre 1956 un « délégué du Sahara
» à l’Assemblée consultative marocaine (Meric, 1965, p.748). En novembre 1957 une
« Direction des affaires sahariennes et frontalières » est créée au ministère de l’Intérieur.
D’autre part, au tout début de l’année 1957, le 8 janvier, Mohammed V aurait reçu une
importante délégation de Réguibats pour les exhorter à la guerre sainte et à la « libération
de la province marocaine de Mauritanie » (Beslay, 1984, p.167).
Ni le Roi ni le peuple ont le pouvoir d’autoriser aucun des territoires marocains à opter
pour une indépendance autre que l’indépendance du Maroc. Pas plus que Fès ou Rabat,
91
Il s’agit du référendum pour la Communauté Franco-Africaine. La Mauritanie votera majoritairement OUI
à la Communauté avec 94% voir Bouboutt A. S. 1989). L’évolution des institutions de la République Islamique
de Mauritanie. Revue du monde musulman et de la Méditerranée, vol. 54.
123
la Mauritanie n’a le droit de se séparer du reste du Maroc. Le Roi et le peuple auraient
éventuellement le devoir de contraindre par la force les Mauritaniens à sauvegarder
l’unité de la patrie (De La Serre, 1966, p. 322).
Par ailleurs, le Maroc entama une intense politique de lobbying auprès des pays
africains déjà indépendants afin de les convaincre de ce que le problème mauritanien fût
placé dans le cadre de l’unité africaine et de la liquidation des bastions colonialistes. Le 15
novembre 1960, à quelques jours seulement de la proclamation de l’indépendance de la
RIM, les représentants du Maroc et de la France se sont affrontés, arguments et contre-
arguments des revendications territoriales marocaines, à la quinzième session de
l’Assemblée générale des Nations Unies (Evrard, 2015, p.236). Mais finalement, nonobstant
l’opposition farouche du Maroc et ses alliés dont la Ligue Arabe92, le 25 octobre 1961, le
Conseil de sécurité approuvait l’admission de la RIM à l’Assemblée générale des Nations
Unies. Le 27 octobre 1962, l’Assemblée générale votait à 68 voix pour, 13 contre et 20
abstentions (Evrard, 2015, p. 238).
92
La ligue Arabe est une organisation régionale créée le 22 mars 1945 au Caire en Egypte par l’Égypte, l’Irak,
le Liban, l’Arabie Saoudite, la Syrie, la Transjordanie (devenue la Jordanie en 1950) et le Yémen-du-Nord.
D’autres pays y adhèrent par la suite : la Libye (1953), le Soudan (1956), le Maroc et la Tunisie (1958), le
Koweït (1961), l’Algérie (1962), le Yémen-du-Sud (1967), Bahreïn, Oman, le Qatar et les Émirats arabes
unis (1971), la Mauritanie (1973), la Somalie (1974), Djibouti (1977) et les Comores (1993). L’Organisation
de libération de la Palestine (OLP) y est admise en tant que membre à part entière en 1976. (Cf. Ligue Arabe
In Encarta 2009.
124
objectives de l'attitude de ces mauritaniens qui rejoignaient Rabat, il ne fait aucun doute
que leurs actions ait mis de l’eau dans le moulin du Maroc quant à « ses droits » sur la
Mauritanie.
Pour faire face aux tensions internes et à celles de Rabat, Ould Daddah, va appliquer
la même politique qu’Hassan II, c’est-à-dire, utiliser le Sahara espagnol comme bouclier,
mieux, comme bouc émissaire. C’est ainsi que dans son discours d’Atar du 1er juillet 1957,
il revendique pour la première fois le territoire du Sahara espagnol.
125
fils et toutes les filles de la Mauritanie. C’est ainsi que va naitre le désir de « récupération »
du Sahara espagnol. La récupération du territoire sahraoui, envisagée par Ould Daddah
devait permettre de déplacer délibérément le centre de gravité géographique et politique du
pays vers le Nord, renforçant ainsi sa maghrébinité et son arabité. C’est ainsi que Moktar
Ould dira que :
Je ne peux pas m’empêcher d’évoquer les innombrables liens qui nous unissent : nous
portons les mêmes noms, nous parlons la même langue, nous conservons les mêmes
nobles traditions, nous vénérons les mêmes chefs religieux, faisons paitre nos
troupeaux sur les mêmes pâturages, les abreuvons aux mêmes puits. En un mot nous
réclamons cette même civilisation de désert dont nous sommes si justement fiers
(Moshen-Finan, 1997, p.35).
126
p.326). Malgré son opposition au début, après l'entrée de la Mauritanie à l'ONU, à partir de
1962, il y aura plusieurs tentatives de rapprochement entre la Mauritanie et le Maroc 93. À
partir de cette période, avait commencé entre les deux pays ce qu'un auteur qualifie de
« coexistence difficile » (De La Serre, ibidem).
93
Cf. déclarations d’Ould Daddah à ce propos dans Le Monde, 29 avril 1962.
94
Lire dans ce sens F. Villar (1982), M. De Froberville, (1996), K. Moshen-Finan, (1997) 35-47 et Lanuza J.
C. L.-P., (2015).
127
rêver de cette grande Mauritanie économique et spirituelle ». En réalité, la "Grande
Mauritanie" d'Ould Daddah devrait pouvoir contre-attaquer le "Grand Maroc" d'Allal El
Fassi. Cette attitude de Nouakchott a été considérée par un auteur comme une sorte
"d'alignement" sur Rabat (De Froberville, 1996, p.46). Enfin, la « récupération » du Sahara
Occidental par la Mauritanie, en plus de servir de barrière à l'expansionnisme territorial
marocain, devrait permettre de « construire et consolider la nation mauritanienne »
(Moshen-Finan, 1997, p.47). Face au tribalisme qui entravait les actions du président pour
réaliser l'unité nationale, d’une part, et les tensions internes au sein de la classe politique
nationale avec les hostilités de Nahda, d‘autre part, la conquête du Sahara Occidental
devrait servir à resserrer les rangs autour de la personne du président Moktar Ould Daddah
(Moshen-Finan , idem). En 1977, alors que la Mauritanie était en guerre contre les forces
du Front Polisario, Moktar lui-même, parlant des émanations positives de cette guerre pour
la construction et le renforcement de l'unité nationale dans son pays, confiait à un
journaliste que :
Nos adversaires renforcent notre unité nationale. Ainsi apparait plus que par le passé,
un Mauritanien citoyen d’un État moderne qui se dresse pour la défense de sa patrie,
abstraction faite de son origine tribale, régionale ou ethnique. Avec cette guerre qui
nous est imposée, le citoyen de tous les coins de la Mauritanie, quelle que soit son
origine défend la même patrie, verse le même sang. (…) Cette guerre imposée a permis
d’ancrer plus profondément dans l’esprit de nos compatriotes l’idée de nation (Jeune
Afrique, n° 847, 1977, p. 73).
Pour mémoire, il faut souligner que les Sahraouis n’ignoraient pas toutes les
manoevres et calculs géopolitiques adont ils étaient l’objet de la part du Maroc, de la
Mauritanie et surtout de l'Espagne. Ces troits États balayaient du revers de la main le Droit
à la libre détemination des peuples colonisés proné par les Nations Unies. Ce droit qui
s’appliquait au territoire non autonome (TNA) était consacré par la Résoluton 1514 (XV)
128
du 14 décembre 1960 de l'Assemblée générale (AG) des Nations Unies. Cette résolution
stupule que « la sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une
exploitation étrangère constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme, est contraire
à la Charte des Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la coopération
mondiales ». En outre, il prévoyait que « des mesures immédiates seront prises (...) pour
transférer tous les pouvoirs aux peuples des territoires sous tutelle et territoires non
autonomes, sans aucune condition (...) afin de leur permettre de jouir d’une indépendance
et d’une liberté complètes (Résolution 1514 (XV).
129
visait en partie, à utiliser le Sahara comme un bouclier pour se protéger du « dangereux »
Maroc et de sa thèse du "Grand Maroc" qui englobait toute la Mauritanie. Par ailleurs, la
revendication du Sahara a servi à Moktar Ould Daddah à renforcer l’intégrité de son
territoire et l’unité nationale fragilisées par des luttes politiques intestines.
130
CHAPITRE 6 : L’ÉMERGENCE DU NATIONALISME SAHRAOUI
Le Sahara Occidental a été l’un des bastions à être longtemps réfractaire à l'idée
nationale (Boucherikha, 2013, p. 70). C’est ce qui va expliquer comme on le verra que
l'émergence du sentiment nationaliste chez les peuples sahraouis se soit faite bien tard.
Même si par le passé les Sahraouis ont été réfractaires à la domination coloniale étrangère,
ces résistances ont été menées de façon isolée et sporadique, par des tribus telles que les
Tekna et les Reguibat. Mais les sahraouis formaient un ensemble homogène (Barbier, 1982,
p. 22) bien que la prise de conscience et la volonté de vivre ensemble un même destin soient
des sentiments apparus très tardivement.
Mais comment une entité nomade considérée comme réfractaire à toute organisation
étatique a-t-elle pu constituer un front nationaliste pour revendiquer un État ? Sachant que
la conscience nationaliste ne vient pas ex nihilo, nous pouvons nous interroger de savoir
quels sont donc les facteurs qui ont déclenché la prise de conscience nationaliste chez les
Sahraouis ? Dans les lignes qui suivent, nous essaierons de donner une esquisse de réponses
à ces interrogations.
131
sous le joug colonial, le nationalisme est associé voire même identifié à l'anticolonialisme,
à une idéologie révolutionnaire de libération du colonialisme.
Dans l’océan des définitions du concept, celle proposée par Khon (1966) semble
suffisamment explicative pour comprendre la substance du « nationalisme ». Selon lui, le
nationalisme est « un estado de ánimo en el cual el individuo siente que debe su lealtad
suprema al Estado Nacional, manifestándose por un profundo apego al suelo nativo, por
las tradiciones locales y por la autoridad territorial establecida95» (p. 11). González (1987),
dans la même veine, renchérit pour dire que le nationalisme « Es por lo tanto más un
sentimiento que una verdadera ideología;(…); por lo tanto lo que se da en primer lugar es
la recuperación de la identidad personal y nacional, la necesidad primaria de demostrarse
a sí mismos que seguían existiendo como pueblo ». (p. 45).96
De manière générale, la montée des nationalismes en Afrique est le fait d’un certain
nombre de facteurs internes qui ont bouleversé les habitudes et les modes de vie politique,
social et économique des peuples colonisés. La société traditionnelle sahraouie a
expérimenté du fait de la colonisation espagnole de profondes mutations sociales et
politiques qui vont accoucher d’un sentiment nationaliste embryonnaire.
95
Notre traduction: Une disposition d’esprit dans laquelle l’individu sent qu’il doit sa loyauté suprême à
l’État national, se manifestant par un profond attachement au sol, pour les traditions locales et par l’autorité
territoriale établie.
96
Notre traduction: C’est donc plus un sentiment qu’une véritable idéologie; (…) par conséquent, ce qui est
donné en premier lieu c’est le rétablissement de l’identité personnelle et nationale, le besoin premier de se
prouver à soi qu’on continue d’exister en tant que peuple.
132
plus à prouver, les Espagnols ont découvert d’autres ressources naturelles (minérales), à
partir de 1940 et dont l'exploitation (phosphate) avait commencé à partir de 1960. Avec
l'importance tant quantitative que qualitative des ressources du territoire, les Sahraouis ont
commencé à rêver à l'existence d'une République Sahraouie. Pour eux, un État Sahraoui
indépendant, serait économiquement viable et plus important encore, serait tout à fait
indépendant de l'aide de la Communauté internationale (Fadel, 2001, p. 53).
Outre ces trois facteurs, il convient d'ajouter que le sentiment nationaliste sahraoui
a été favorisé par d'autres éléments parfois absents des études sur le nationalisme sahraoui.
Il s'agit de l’impact de la colonisation ou des transformations sociales et administratives
subies par le Sahara Occidental du fait de la colonisation. L’on peut postuler que le
nationalisme Sahraoui est le résultat direct de la colonisation espagnole elle-même. En effet,
bien que l'Espagne n'ait pas pu décoloniser sa colonie et province, à l'inverse, elle a
133
largement contribué non seulement à la formation de l'identité collective et nationale des
Sahraouis, mais a renforcé le sentiment d’unité nationale au détriment des particularismes.
Elle a aussi contribué au renforcement de leur besoin primordial de se prouver qu'ils existent
en tant que peuple ayant vécu un passé commun. L'anthropologue Caratini (2003) écrit à cet
égard que :
134
structures politiques et administratives dont étaient maintenant dotées les Sahraouis leur a
permis de prendre en charge progressivement leur propre gestion (Fadel, 2001, p. 34) et
surtout de s’affirmer comme peuple indépendant. Enfin, la mise en place d’infrastructures
scolaires et de formation professionnelle relativement importante a également joué un rôle
dans la culture du sentiment nationaliste au sein de la nouvelle élite sahraouie.
Au Sahara Occidental tout comme dans la plupart des pays colonisés, un certain
nombre de circonstances extérieures survenues au lendemain de la seconde Guerre Mondiale,
vont favoriser l’émergence de mouvements nationalistes. Ces circonstances se traduisant par
la chute du prestige des puissances coloniales, la position anticolonialiste des super-grands
(USA et URSS) et une opinion internationale anticoloniale vont être nourries par deux
éléments. Il s’agit de la conférence de Bandung et des actions de l'ONU.
97
Les non-alignés sont l’ensemble des colonies récemment décolonisés qui à partir de 1950, refusent de
s’engager dans la guerre froide opposant les deux blocs menés par les États-Unis et l’Union des Républiques
Socialistes Soviétiques, et affirment ainsi leur autonomie.
135
leurs propres pays afin de discuter et de délibérer sur des sujets d'intérêt commun. » (Cf.
Conférence de Bandung In Encarta, 2009) Les débats de la conférence ont porté sur les
problèmes généraux de sous- développement, de la question de la dépendance et du
colonialisme qui prévalaient encore dans de nombreux pays, africains et asiatiques. Dans ce
sens, les participants de la conférence ont évoqué la situation au Maghreb puisque cette
région était encore en proie au colonialisme français et espagnol. Au chapitre D, section 2,
les signataires de la Conférence notent ce qui suit :
1. Pour déclarer que le colonialisme dans toutes ses manifestations, est un mal auquel
il doit être mis fin rapidement ;
2. Pour déclarer que la question des peuples soumis à l’assujettissement de l’étranger,
à sa domination et à son exploitation constitue une négation des droits
fondamentaux, de l’homme, est contraire à la charte des Nations Unies et empêche
de favoriser la paix et la coopération mondiales ;
3. Pour déclarer qu’elle appuie la cause de la liberté et de l’indépendance de ces
peuples ;
4. Et pour faire appel aux puissances intéressées pour qu’elles accordent la liberté et
l’indépendance à ces peuples. (…)99
98
Notre traduction: En ce qui concerne la solution encore non résolue en Afrique du Nord et le déni persistant
à ces peuples de leur droit à l'autodécision, la Conférence afro-asiatique a déclaré qu'elle devait soutenir les
droits des peuples d'Algérie, de Tunisie et du Maroc à l'autodétermination et à l'indépendance, et a a demandé
au gouvernement français de développer sans délai une systématisation pacifique du problème.
99
Cf. Nouvel Ordre international et Non Alignement, Bagdad, Édition du monde Arabe, 1982.
136
Le second facteur exogène ayant participé à l’éveil du nationalisme sahraoui a trait
à la conjonctue politique internationale marquée par la position anticolonialiste des deux
super-grands et les principes anticolonialistes des Nations Unies. Les États-Unis et l’URSS
ont tous adopté une position anticolonialiste au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Pour les États-Unis, la conception idéologique de la démocratie et des libertés qu’ils ont
toujours exprimé notamment lors de la création des organisations internationales comme la
Société Des Nations (SDN)100 et l’Organisation des Nations Unies (ONU) est contraire aux
principes coloniaux. De plus, les États-Unis sont opposés au colonialisme pour avoir eux-
mêmes été colonies et pour en avoir connu les méfaits et les souffrances. Pour l’URSS, les
principes marxistes condamnent le colonialisme qu’ils assimilent à une domination capitaliste
et la décolonisation à une lutte des classes. Au demeurant, pour les soviétiques, aider les
peuples colonisés à accéder à leur indépendance, pourrait aboutir sur l’extension du bloc
communiste.
Le 26 juin 1945, la Charte des Nations Unies était signée consacrant ainsi la naissance
de l’Organisation des Nations unies. Dans sa charte, l’ONU a inscrit le principe du droit des
tous les peuples à l’indépendance. Les Nations unies deviennent ainsi une tribune
anticolonialiste où s’affrontent le bloc colonialiste (la France, la Grande-Bretagne, les Pays-
Bas et la Belgique) et un groupe de colonies déjà indépendantes essentiellement latino-
américains et arabo-asiatiques. Ce sont ces pays latino-américains et arabo-asiatiques qui
forment le Tiers-Monde naissant et qui ont tenu en 1955 la Conférence de Bandoeng où ils
ont dressé un violent réquisitoire contre le colonialisme, faisant de la lutte anticolonialiste leur
objectif principal.
Considérant le rôle important de l’organisation des Nations Unies comme moyen pour
moyen d’aider le mouvement vers l’indépendance dans les territoires sous tutelle et les
territoires non autonomes ;
100
La Société des Nations, SDN en abrégé, était l’organisation internationale créée en 1920, pour favoriser
l’alliance entre les peuples et le maintien de la paix. Toutefois, la SDN s’est montrée impuissante face aux
événements qui ont conduit l’Europe à la Seconde Guerre mondiale. En avril 1946, la Société des Nations
vote sa propre dissolution. La majeure partie de ses possessions et de son organisation est transférée à l’ONU.
137
Reconnaissant que les peuples du monde souhaitent ardemment la fin du colonialisme
dans toutes ses manifestations.
(…) Proclame solennellement la nécessité de mettre fin rapidement au colonialisme
sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations ;
Déclare que « la sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une
exploitation étrangère constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme, est
contraire à la Charte des Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la
coopération mondiales (Résolution 1514).
Cette déclaration a fait l’effet d’un coup de tonnerre auprès des États colonialistes
qui hésitaient encore à accorder l’indépendance à leur colonie, province coloniale ou
protectorat. Il a invité les puissances colonisatrices à mettre fin à la colonisation afin que
tous les peuples puissent exercer leur souveraineté et jouir de l'intégrité de leur territoire
national et ressources naturelles. Pour les peuples encore sous domination étrangère, cette
résolution était un appel à eux lancés de se lever pour se libérer du joug colonial. Toutefois,
la résolution XV était destinée seulement aux « pays » et aux « peuples » coloniaux et non
pas aux communautés et aux tribus. Les sahraouis font-ils partie de ces deux ensembles ?
Mieux, ont-ils un « pays », sont-ils un « peuple » ou ne constituent-ils qu’une simple
confédération de tribus plus ou moins homogène ?
Pour répondre à cette question il faut examiner sur ce que l'on entend par « peuple ».
Il est difficile de définir cette notion car « le concept de peuple n'a pas reçu de définition
en droit positif, et les résolutions de l'Assemblée générale consacrant le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes se bornent moins à le formuler en termes généraux et abstraits » dixit
Boucherikha (2016, p. 66).
Face à cette difficulté, nous allons spéculer sur les facteurs ou critères qui confèrent
à un groupe d'individus le statut de "peuple". Boucherikha (2006) met en évidence deux
catégories de facteurs. La première prend en compte la non-autonomie c’est-à-dire que le
peuple se définit par rapport à son appartenance au Territoire Non Autonome (TNA), aux
territoires sous tutelle et autres. La deuxième implique une double approche. L'hétéro-
qualification, lorsque le statut de "peuple" est reconnu par un organisme des Nations Unies,
et l'auto-qualification lorsque c'est le bénéficiaire lui-même qui démontre la preuve de son
existence en tant que « peuple » du fait de son aptitude pour atteindre l'indépendance. Mais
la preuve de son existence comme « peuple » ne se fait pas seulement par la simple
expression de la volonté du sujet mais par la lutte de celui-ci. Car « un peuple qui ne lutte
pas pour son existence n'est qu'un agglomérat de classes ou de personnes ». Mieux, c'est
138
dans la lutte que « se forgent à la fois son unité et son identité », de même que sa
« conscience nationale » (Boucherikha, 2016, p. 68).
Dans le cas du Sahara occidental, son inscription en 1963 sur la liste des territoires
non autonomes (TNA) en vertu du chapitre XI de la Charte des Nations Unies correspond à
la première catégorie de facteurs, à savoir le principe de non-autonomie. En fait, la portée
juridique et politique de l’inscription du Sahara Occidental en tant que territoire non encore
autonome induit implicitement la reconnaissance des Sahraouis en tant que peuple pouvant
disposer de lui-même et jouir du droit inaliénable à l’autodétermination et à l’indépendance
prévu par la résolution 1514 (XV). Fort de cette reconnaissance internationale de leur statut
de « peuple », les Sahraouis vont manifester devant la communauté internationale leur
conscience nationale avec la création de mouvements nationalistes.
La naissance des mouvements nationalistes sahraouis peut être située dans les années
60. Malgré une conjoncture internationale générale favorable à l'émergence de mouvements
de libération nationale avec les facteurs que nous avons évoqués plus haut, le territoire
sahraoui est l'une des rares colonies à avoir souffert d'un vide politique au sens où les
Sahraouis n'avaient « aucun sentiment national » (Barbier, 1974, p. 576) matérialisant leur
désir de former un État. Cet état de fait se justifiait par le nomadisme d’une grande frange
de la population et au tribalisme qui caractérisaient les Sahraouis. Jusqu'à une date récente,
il n'y avait pas de mouvement nationaliste au Sahara pour réclamer l'indépendance, surtout
que le territoire est revendiqué depuis longtemps par ses deux voisins, le Maroc et la
Mauritanie. Paradoxalement, c'est la puissance coloniale elle-même, l'Espagne, qui grâce
aux politiques engagées à partir de 1960, va déclencher une sorte de « nationalisme saharien
local affranchi de toute allégeance politique » (Barbier, ibidem) à l'égard du Maroc et de la
Mauritanie. La création de la Djemaa en 1961 fait partie intégrante de la réalisation de cet
objectif.
Bien que les sahraouis aient longtemps couvé leur sentiment nationaliste, celui-ci
finira cependant par éclore vers la fin des années 1960. Depuis son éclosion, deux types de
nationalismes vont s’affronter au Sahara Occidental.
139
1- Les « vrais » mouvements nationalistes sahraouis
Il y a d’une part ceux qui font naitre Bassiri vers 1942 dans la ville de Tan-Tan (au
sud du Maroc) et d’autre part, ceux qui le disent être né en 1942 mais dans la ville de Beni
Ayar, Asilah, dans les montagnes du Moyen Atlas, au sein de la confrérie familiale créée
par son père en 1920 (Abdalahe, 2015, p. 44). En revanche, ce qui fait l'unanimité, c'est que
140
Bassiri est la figure principale du nationalisme sahraoui (Fuentes Cobo & Menéndez, 2006,
p. 31). Membre d’une famille sahraoui traditionnelle, à ses 15 ans, il partit à l’étranger pour
poursuivre ses études. Il est parti d’abord au Maroc puis au Caire en Égypte et enfin à Amas
en Syrie où il obtint une licence en journalisme. C'est en 1967 qu'il commence son activité
militante à Rabat où il fonde la même année un journal anticolonialiste ou nationaliste
appelé Al-Chihab (Le flambeau). Au début, ses positions n'étaient pas purement
nationalistes puisqu'il identifiait la libération du Sahara Occidental à son incorporation au
Royaume chérifien. Après son retour au Sahara, précisément à El Ayoun, il rompt alors
avec sa politique corporatiste en 1968 quand il créait le Mouvement de Libération du Sahara.
Une position comme celle-ci a provoqué son départ du Maroc en 1967. Il s'est
ensuite installé à Smara, la ville sainte des Sahraouis, en tant que maitre coranique.
Cependant, les autorités espagnoles ne pouvaient pas non plus être très satisfaites de la
présence active de Bassiri sur leur territoire, alors ils l'ont envoyé directement au cachot.
C’est la pression des notables locaux qui permettra sa libération. À partir de ce moment
Bassiri commença à organiser sa lutte pour l'indépendance. En 1968, il a commencé à
organiser son mouvement anticolonial, mais ce n’est que le 11 décembre 1969 que son
mouvement a été officiellement constitué (Naranjo, 2010, non numéroté). Selon Fuente
Cobo & Menéndez (2006, p. 29), à cette époque, les aspirations de l’Armée de Libération
du Sahara (ALS) ne passaient pas par la lutte armée ni même par l'indépendance politique.
Il se contentait de demander une autonomie interne qui permettrait de préserver l'identité ou
la personnalité sahraouie, de les protéger contre le danger de l'annexion par les pays voisins.
141
Cette gestion devrait également permettre l'application du droit à l'autodétermination promu
par les Nations Unies. Au sujet de cette politique du ALS, Baba Miske (1978) explique que
cette position :
(…) peut paraître confuse, sinon contradictoire : on réclame en quelque sorte des droits
de citoyens dans le cadre d'un État auquel on se refuse en même temps d'être intégré ;
on semble à la fois exiger et rejeter l'assimilation. Cette ambiguïté était en partie
volontaire, tactique, en partie conforme à une étape historique dans le développement
et la maturité du Mouvement...Elle traduisait également une autre réalité : la
coexistence au sein du Mouvement de toutes les tendances de l'opinion... allant des
partisans de la lutte armée immédiate, à ceux d'une entente avec l'Espagne en échange
d'une sorte d'autonomie interne (p. 122).
142
l'Algérie. Lors de ce sommet, Alger et Rabat se sont mis d'accord sur les limites des
frontières entre les deux pays et sur l'exploitation conjointe des gisements de fer de Tindouf.
101
Sur la formation du front commun autour du Sahara Occidental voir la thèse de doctorat de Boni-Gatta,
2016, p.141 et suivants.
102
Peut être consulté sur le site http://www.desaparecidos.org/sahara/basiri/a1.html consulté le 07/09/2019 à
22:18.
143
assurait l’intégrité de son territoire. Mais à la lettre de Bassiri, les autorités espagnoles n'ont
donné aucune réponse favorable. Suite à la provincialisation en 1958 et à la réorganisation
politico-administrative de 1962, le 17 juin 1970, le gouverneur du Sahara pour matérialiser
à la face de Madrid que les sahraouis acceptaient leur pleine intégration à Espagne comme
la 53e province, organisaient une marche officielle à El Ayoun dans le quartier de Zemla.
Face à cette duplicité à Madrid, Bassiri a décidé de donner de la visibilité à son parti.
1.2. Le NIDAM
103
Il s’agit de Barbier M., 1975, p. 369, Moshen-Finan, 1987, p. 54 et de Boni-Gatta, 2016, pp. 148-149.
144
Nations Unies venait légitimer le nationalisme sahraoui et réaffirmer le droit inaliénable de
ce peuple à l'autodétermination. Le triste événement de Jatarrambla avait suscité une réelle
prise de conscience de la part des nationalistes des méthodes à utiliser à l’avenir. En effet,
ils commencèrent à considérer que pour parvenir à la décolonisation du territoire, le
dialogue n'était pas possible avec la puissance occupante, l’Espagne, par conséquent, il était
essentiel de s'engager dans la lutte armée (Cobo & Menéndez, 2006, p. 32).
Le nationalisme sahraoui deviendra ainsi plus actif, plus agressif. Pour commencer,
ils ont créé en 1972 le Mouvement embryonnaire pour la libération du Sahara. Ce
mouvement avait été créé après les manifestations de Tan-Tan, organisées par de jeunes
sahraouis étudiants au Maroc, pour exiger le retrait des Espagnols et l'autodétermination du
peuple sahraoui. Selon Sayeh (1996, p.16), ces protestations ont été réprimées par les
autorités marocaines. C’est ce mouvement qui a été la phase transitoire de la naissance du
Front Polisario. Le 10 mai 1973104, le Front populaire de libération de Saquía el Hamra et
Río de Oro (Front Polisario) est créé. Le Front Polisario est né de la rencontre de deux
groupes de jeunes nationalistes sahraouis. D'une part, il y avait le groupe de Tan-Tan, parmi
lesquels ceux qui avaient étudié à Rabat, comme El Ouali et, d'autre part, ceux de la zone
mauritanienne de Zouerate (Ruiz Miguel, 1995, pp. 160-161). C’est dans cette ville
mauritanienne (Zouerate) que le Front Polisario a été fondé.
104
M. A. Abdalahe, 2015, p. 163, n'est pas d'accord avec cette date. Il dit que la date du 10 mai a toujours été
utilisée comme jour officiel de la constitution du Front Polisario. Le choix de cette date n'est ni capricieux ni
accidentel, il explique que c'était le jour exact de la publication du communiqué de l'organisation urbe et orbi.
En fait, le Front Polisario a été créé les 29 et 30 avril dans la maison qu'Ahmed Gaid avait louée à Zuerat et
qui appartenait au résident sahraoui d'Auserd, Mulay el Hassan.
145
(…) Après l'échec de tous les moyens pacifiques utilisés à la fois par les mouvements
spontanés et par les organismes imposés et par d'autres milieux.
Le Front Polisario est né comme la seule expression des masses, optant pour la violence
révolutionnaire et la lutte armée comme moyen pour que le peuple arabe sahraoui,
africain puisse retrouver sa liberté totale et déjouer les manœuvres du colonialisme
espagnol. (…)
- Considère que la coopération avec la Révolution populaire algérienne dans un stade
transitoire constitue un élément essentiel pour faire déjouer les manœuvres conçues
contre le Tiers-monde.
- Nous invitons tous les peuples révolutionnaires à serrer leurs rangs pour affronter
l'ennemi commun.
- La liberté est au bout du fusil (Sahara Info, 10 mai 1983).
D’emblée, nous pouvons dire que le choix d'une option idéologique au gré des
mouvements de libération arabe de l'époque, en particulier celui de l'Algérie et de la Lybie
dans une certaine mesure, n'a pas valu immédiatement au F. Polisario le soutien du premier
encore moins du deuxième. À cet égard, le diplomate sahraoui, Fadel (2002) écrit : « Et je
tiens à rappeler que lorsque les Sahraouis ont lancé en 1967 et particulièrement en 1973
leur lutte de libération nationale, ils étaient seuls. Ce n’est que deux ans plus tard, qu’ils
eurent droit à un soutien extérieur, de l’Algérie notamment » (p.17). Donc en réalité, les
enjeux réels du choix de la révolution comme idéologie étaient d’obtenir le parrainage de
ce pays. Toutefois, le choix de cette idéologie révolutionnaire ne sera pas sans conséquences
sur l’avenir politique du mouvement naissant à moyen et à long termes. En effet, il
entraînera de graves conséquences au moment de l'indépendance et dans les années
suivantes, étant donné qu'aucun gouvernement occidental ne serait disposé, en ces années
de guerre froide, à soutenir un nouvel État si apparemment hostile au modèle politique
occidental (Assidon, 1978). Dans le même sens, Diego Aguirre (1988, p.54) déclare que :
146
por España, ningún país occidental apoyaría firmemente la independencia de Sáhara.
105
105
Notre traduction: Dès le premier instant, le nationalisme combatif sahraoui s'est aligné sur des options
idéologiques fondamentalement opposées aux positions occidentales, ce qui aurait des répercussions graves
et négatives lors de l'abandon du territoire par l'Espagne. Aucun pays occidental ne soutiendrait fermement
l'indépendance du Sahara.
106
Cf. Mémorandum daté du 5 octobre 1977, adressé au Président du Comité des vingt-quatre par le Front
Populaire pour la Libération de Saguia el Hamra et du Rio de Oro (Front POLISARIO) à l'occasion de la
trente-deuxième session de l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies, In. A/32/303, 26
octobre 1917, p. 2.
147
España!107 (Ruiz Miguel, 1995, p.164). Les manifestants demandaient d’une part le retrait
immédiat des forces espagnoles et d‘autre part, l'indépendance sans condition en conformité
avec les principes et les résolutions pertinentes des Nations de l'Organisation de l'unité
africaine et du Mouvement des non-alignés.
107
Notre traduction : Espagne, dégage !
148
MOREHOB était une création marocaine, il s’agirait en fait d'une organisation polichinelle
aux mains de Rabat. En effet, le MOREHOB n'avait pas d'objectifs clairement définis et ses
positions très volatiles ont évolué avec les circonstances. Au début, le MOREHOB luttait
pour la libération du Sahara espagnol et de Ceuta et Melilla. Dans les faits, l'existence même
du mouvement était problématique étant donné qu'en 1975 la Mission de visite de l'ONU
« n'a rencontré aucun autre membre (mis à part Moha) ou sympathisant soit dans le
territoire, soit dans un autre pays » (Boucherikha, 2013, p. 72).
149
espagnol. Au demeurant, la véritable identité d’Edouardo Moha ne tardera pas à être révélée.
En effet, Edouardo Moha, de son vrai nom s’appelait Bachir Figugi, et était un agent
marocain.108
108
Cf. Sahara Occidental-Histoire 5. En ligne www.arso.org consulté le 1/5/2020.
150
finalidad consistía en tener a mano un partido “nacionalista” domesticado que pudiera
jugar un papel favorable en el proceso descolonizador al que España se había
comprometido ante las Naciones Unidas109 (Cité par Gómez Justo, 2013, p. 268).
Le PUNS a été présenté comme un parti moderne doté d’un programme politique
modéré. Il entendait se positionner comme le seul parti pouvant conduire le Sahara à
l'indépendance. Mais il n'a pas exercé une grande influence sur le territoire et au sein des
populations. Au demeurant, auprès des populations locales, sa crédibilité était douteuse vu
qu’en mai 1975, son chef politique, Jalihenna Rachid, s'est enfui au Maroc pour rendre
allégeance à Hassan II entrainant la chute du parti.
Pour finir, disons que le Parti de l'Union Nationale Sahraouie était une vaine et
tardive tentative de la métropole pour prendre le contrôle du nationalisme sahraoui.
Toutefois, il échouera et ses membres seront pratiquement absorbés par le Front Polisario.
L’Espagne au lieu de permettre alors la naissance d'un pays indépendant dirigé par les
authentiques habitants du territoire, préférerait « vendre » sa province pays au Maroc et à la
Mauritanie lors des accords de Madrid.
109
Les services de Renseignements espagnols ont orchestré l’avènement du PUNS (Parti de l’Unité Nationale
Sahraouie), une présumée organisation « nationaliste » qui en réalité était une marionnette entre les mains de
l’Exécutif tenu par Arias Navarro, dont l’objectif consistait à avoir en les mains un parti « nationaliste »
domestiqué à même de jouer un rôle déterminant dans le processus de décolonisation auquel l’Espagne s’était
engagé auprès des Nations Unies.
151
CHAPITRE 7 : L’ACCORD TRIPARTITE DE MADRID
152
La Mauritanie, le Maroc et l’Algérie formèrent alors un front commun pour convenir d’une
attitude commune à adopter face à la politique du gouvernement espagnol. C’est ainsi que
le 13 mars, le Maroc au nom de la Mauritanie et de l’Algérie adressa au Secrétaire General
des Nations Unies un message dans lequel il dénonçait la politique coloniale qu’entreprenait
l’Espagne au Sahara espagnol. Pour eux, l’attitude de l’Espagne était contraire aux
pertinentes résolutions de l’ONU (Carrero Plaza, 2015, p.313). En d’autres termes, il fallait
faire front aux « manœuvres dilatoires » avec lesquelles l’Espagne tentait de se soustraire
de ses obligations.
L’Espagne n’était pas inquiète par les manœuvres de ces trois pays. Loin s’en faut.
Le 21 septembre 1973, toujours à la faveur du mémorandum de la Djemaa, le chef d’État
espagnol réitérait au peuple sahraoui qu’il est le seul maitre de son territoire et que l’Espagne
garantira son intégrité territoriale et son autodétermination. L’Espagne par la voix de son
ministre des Affaires étrangères, informait le 23 juillet 1974 les ambassadeurs d’Algérie, de
la Mauritanie et du Maroc qu’il publierait incessamment un changement de Statut du
Territoire du Sahara. Le nouveau Statut du Sahara qui s’appuyait sur les doléances
formulées par la Djemaa dans sa lettre du 21 décembre 1973, contenait quatre grandes
résolutions à savoir :
- Le respect de la volonté du peuple Sahraoui à travers un processus
d’autodétermination o de référendum ;
- Un régime progressif d’autonomie interne jusqu’à ce que le peuple sahraoui fasse
lui-même la demande du referendum ;
- La défense de l’intégrité du Sahara ;
- La propriété des ressources naturelles et leurs bénéfices exclusifs au peuple sahraoui
(De Viguri, 1978, p. 4).
En vertu du nouveau statut, le Sahara espagnol cessait d’être une province espagnole
pour devenir un « territoire administré par l’Espagne ». Le texte du changement de Statut
comptait 24 articles, une disposition transitoire et une finale (Carro Martinez, 1974, p. 18)
Mais du fait de l’état de santé de Franco à cette époque, le Statut a seulement été approuvé
verbalement, par acclamation. Il ne sera jamais transformé en Loi.
153
le rapprochait de son indépendance mais lui conférait également une autonomie interne.
Mais très vite, l’espérance va se transformer en désillusions. En effet, le Maroc et la
Mauritanie ont vu d’un mauvais œil le Nouveau Statut du Sahara.
En juillet 1974, dans une conférence de presse Hassan II, déclarait qu’il n’admettrait
aucune modification du “statu quo” du Sahara parce que ce territoire appartenait au peuple
marocain. Au même moment, le représentant permanent du Maroc aux Nations Unies dans
une lettre au Secrétaire général assurait que l’Espagne est en train d’appliquer sur le
territoire une politique unilatérale qui contredit les décisions pertinentes de l’assemblée
générale (De Viguri, 1978, p. 4). Dans la même veine, dans un message adressé au chef
d’État espagnol, Hassan II prévenait que « toute action unilatérale de l’Espagne sur le
territoire obligera le Maroc à agir en conséquence pour préserver ses intérêts légitimes »
(Carrero Plaza, 2015, p. 317). Le même Hassan II dans son discours du trône du 8 juillet
1974 déclarait à ses sujets que :
España parece querer aplicar hoy una política tendente a la introducción de un estatuto
de autonomía interna que implica, como sabemos, el predominio del Estado protector
sobre los asuntos interiores y la defensa…no admitimos en modo alguno ver
constituirse en la parte meridional de nuestro país un Estado fantoche110 (Carrero
Plaza, ibidem).
De même que le Maroc, la Mauritanie a émis aussi des inquiétudes quant au nouveau
Statut d’autonomie interne du Sahara. Le 3 août 1974, le ministre des Affaires étrangères
de la Mauritanie dans une conférence devant la presse nationale et internationale soutenait
que le Sahara faisait partie de la Mauritanie. Par ailleurs, il assurait que la Mauritanie
respectera la volonté du peuple sahraoui sous la responsabilité des Nations Unies et en
concertation avec les trois États intéressés, l’Algérie, la Mauritanie et le Maroc.
110
Notre traduction : L’Espagne semble vouloir appliquer aujourd’hui une politique tendant à introduire un
statut d’autonomie interne qui implique, comme nous le savons, la prédominance de l’État protecteur dans les
affaires intérieures et la défense…nous n’admettons en aucune manière voir se constituer au sud de notre pays
un État fantoche.
154
se résumerait aux seuls habitants autochtones du territoire. Pour ce faire, le gouvernement
espagnol était décidé à s’opposer à toute tentative de certains pays de faire barrière à la libre
autodétermination des populations sahraouies telle que demandé par les résolutions des
Nations Unies. Il est clair que le représentant de l’Espagne faisait allusion au Maroc. Face
à la détermination du gouvernement espagnol à vouloir organiser impérativement un
référendum d’autodétermination au Sahara, le Roi Hassan II ne tarda pas à réagir. Sa
réaction prit forme dans une lettre du 23 septembre 1974 adressée au ministre des affaires
étrangères d'Espagne et à l’Assemblée Générale par le ministre des affaires étrangères du
Maroc. Dans cette lettre, le Roi déclarait :
Vous prétendez, Gouvernement espagnol, que le Sahara était res nullius; vous
prétendez que c'était une terre ou un bien qui était tombée en déshérence; vous
prétendez qu'il n'y avait aucun pouvoir ni aucune administration établis sur le Sahara;
le Maroc prétend le contraire. Alors demandons l'arbitrage de la Cour internationale de
Justice. Elle dira le droit sur titres et elle pourra à ce moment-là éclairer l'organisation
des Nations Unies pour recommander au Maroc et à l'Espagne la voie à suivre
(Opinion individuelle de De Castro, 1975, p. 129).
155
96 de la Charte des Nations Unies. Dans le cas du Sahara Occidental, son rôle était d'énoncer
la Loi applicable à ce territoire.
1. L’avis de la Cour
111
Cette Résolution a été adoptée par l'Assemblée générale à sa 2318e séance plénière, le 13 décembre 1974.
156
À l’effet de répondre à ces questions, l’Assemblée demandait à l'Espagne en tant que
Puissance administrante en particulier, ainsi qu'au Maroc et à la Mauritanie en tant que
parties concernées, de soumettre à la Cour Internationale de Justice tous renseignements ou
documents pouvant servir à élucider ces questions.
Notre propos n’est pas de faire une analyse juridique détaillée de l’avis de la Cour.
Loin s’en faut. Nous nous proposons seulement d’examiner sa portée pour faire ressortir ce
que nous considérons comme ses ambigüités. En effet, si les deux questions posées à la
Cour sont en apparence simples et claires, il n’en demeure pas moins que leur examen a
montré qu'elles soulèvent de délicats problèmes d'interprétation. Les deux questions
n'avaient pas pour objet d'obtenir une déclaration sur les titres du Maroc ou de la Mauritanie
à la revendication du Sahara Occidental, plutôt d'aider l'Assemblée Générale à se prononcer
« sur la politique à suivre aux fins d’accélérer le processus de décolonisation du territoire,
conformément à la résolution 1514 (XV) » (De Castro, 1975, p.132). Pour le juge De Castro,
la première question ne doit pas être séparée de la seconde, car c'est la même question,
quoique rédigée autrement.
Avant de spéculer sur les questions, la Cour a, d‘emblée analysé les termes et
expressions clés qui les compose. Pour ce faire, à la première question de savoir si le Sahara
occidental (Rio de Oro et Sakiet El Hamra) était, au moment de la colonisation par
l'Espagne, un territoire sans maître (terra nullius), la Cour a examiné tour à tour les
expressions « au moment de la colonisation » et « terra nullius », c’est-à-dire, un territoire
sans maître.
157
constitue le contexte temporel dans lequel les deux questions se situent suivant les termes
de la requête (Avis consultatif de la CIJ, 1975).
b) que l'Espagne n'a jamais agi comme si elle établissait sa souveraineté sur une terra
nullius; ainsi, dans son ordonnance du 26 décembre 1884, le roi d'Espagne a proclamé
qu'il prenait le Rio de Oro sous sa protection, sur la base d'accords conclus avec les
chefs des tribus locales (Avis consultatif de la CIJ, 1975).
Tout comme pour la première question, la Cour a commencé par l’analyse des termes
clés qui composent cette question. La cour a d’abord situé le contexte historique dans lequel
elle entendait interpréter les expressions « les liens juridiques de ce territoire avec le
Royaume du Maroc et l'ensemble mauritanien » et « l'ensemble mauritanien ». Il a donc
semblé à la Cour qu'il y a lieu d'interpréter, à la question II, les mots « liens juridiques de ce
territoire avec le Royaume du Maroc et l'ensemble mauritanien » comme désignant les liens
juridiques qui pourraient influer sur la politique à suivre pour la décolonisation du Sahara
occidental. À cet égard, la Cour ne saurait accepter l'opinion selon laquelle les liens
juridiques qu'envisageait l'Assemblée Générale en rédigeant la question. IIs ne concernaient
158
que des liens établis directement avec le territoire, indépendamment des êtres humains qui
pouvaient s'y trouver. Une telle interprétation restreindrait trop la portée de la question, car
des liens juridiques existent normalement par rapport à des personnes.
Après avoir levé tout équivoque quant au sens des termes, la Cour a invité le Maroc
et à la Mauritanie la convaincre de ce qu'il existait des liens juridiques entre le Sahara
occidental et le Royaume du Maroc ou l'ensemble mauritanien au moment de la colonisation
du territoire par l'Espagne. Toutefois, de l'avis de la Cour, ce qui doit déterminer de façon
décisive la réponse à la question II, ce sont les preuves se rapportant directement à un
exercice effectif d'autorité au moment de la colonisation espagnole et pendant la période qui
l'a immédiatement précédée.
Le Maroc112a présenté les liens juridiques qui, selon lui, l'unissaient au Sahara
Occidental comme des liens de souveraineté découlant de sa possession immémoriale du
territoire et d'un exercice ininterrompu d'autorité. Le Maroc a demandé à la Cour de tenir
compte en la matière de la structure particulière de l'État t marocain. Cet État était fondé sur
le lien religieux de l'Islam et sur l'allégeance (bey’a) des tribus au Sultan, par l'intermédiaire
de leurs caïds ou de leurs cheikhs, plus que sur la notion de territoire. À cette époque, le
royaume du Maroc se composait de régions véritablement soumises au Sultan (bled
makhzen) et de régions où en fait les tribus ne lui obéissaient pas (bled siba); durant la
période pertinente, les régions situées juste au nord du Sahara Occidental étaient comprises
dans le bled siba. Comme preuve de l'exercice de sa souveraineté au Sahara Occidental, le
112
Pour le résumé de l’exposé du Maroc voir paragraphe 90 à 129 de l'avis consultatif.
159
Maroc a invoqué des actes par lesquels il aurait manifesté son autorité sur le plan interne. Il
a invoqué principalement des éléments prouvant l'allégeance de caïds sahariens envers le
Sultan, y compris des dahirs et autres documents concernant la nomination de caïds, la
perception d'impôts coraniques et autres et des actes militaires de résistance à la pénétration
étrangère sur le territoire.
Pour la Mauritanie, à l'époque, le Bilad Chinguiti était un ensemble uni par des liens
historiques, religieux, linguistiques, sociaux, culturels et juridiques formant une
communauté ayant sa propre cohésion. En revanche, les territoires occupés par l'Espagne
ne formaient aucune entité propre et n'avaient aucune identité différente. La partie située au
sud de la Saguia El Hamra faisait juridiquement partie de l'ensemble mauritanien. Cette
160
partie et le territoire actuel de la République Islamique de Mauritanie constituent les parties
indissociables de l'ensemble mauritanien. Toutefois, la Mauritanie considère que là où
s'arrêtait l'ensemble mauritanien commençait le Royaume du Maroc.113
Après avoir tour à tour examiné les éléments de preuves présentés par le Maroc et la
Mauritanie concernant cette affaire, en ce qui concerne la question 1, la Cour à l'unanimité,
déclare que le Sahara Occidental (Rio de Oro et Saguia El Hamra) n'était pas un territoire
sans maître (terra nullius) au moment de la colonisation par l'Espagne. Si cette réponse est
claire et exprimé en des termes simples, las mots choisis pour la seconde réponse sont
obscurs et ambigus. Comme on le verra, la réponse à la question 2 fera l’objet
d’interprétation diverses par les différents acteurs du conflit à savoir, le Polisario, l’Espagne,
l’Algérie, la Mauritanie et surtout le Maroc.
Une formule latine bien connue des spécialistes du droit dit que « Interpretatio
cessat in claris ». Autrement dit, quand le texte est clair, on ne l'interprète pas. En revanche,
lorsque le texte n'est pas clair, il ouvre la voie à des interprétations fallacieuses et
tendancieuses, dues à l’humeur, aux orientations religieuses, culturelles, politiques,
philosophiques et parfois, aux intérêts personnels. Dans le même esprit, Coulibaly (2018, p.
36) va plus loin en prévenant qu’ « Un texte ambigu est une insécurité juridique, source
d’insécurité judiciaire pour le justiciable ». En d’autres mots, un texte juridique ambigu est
dangereux. Ce fut le cas de la réponse à la deuxième question de la Cour International de
Justice.
113
Pour voir le résumé de l’exposé de la Mauritanie voir paragraphe 131 à 140 de l’avis consultatif.
161
En ce qui concerne la question II, (…), le territoire avait, avec le Royaume du Maroc,
des liens juridiques possédant les caractères indiqués au paragraphe 162 du présent avis
; (…) le territoire avait, avec l'ensemble mauritanien, des liens juridiques possédant les
caractères indiqués au paragraphe 162 du présent avis114.
Dans cette décision du paragraphe 163 qui devait en réalité être la décision finale de
la Cour, ce paragraphe fait un double renvoie au paragraphe 162 comme pour signifier que
le dit paragraphe fait partie du paragraphe 163. Par conséquent, pour comprendre le dernier
paragraphe, il faut se référer au premier. En réalité, c’est le paragraphe 162 et non le 163
qui contient la réponse de la Cour.
Puis, la Cour continue pour dire que « les éléments et renseignements portés à sa
connaissance n'établissent l'existence d'aucun lien de souveraineté territoriale entre le
territoire du Sahara occidental d'une part, le Royaume du Maroc ou l'ensemble mauritanien
d'autre part. » Après avoir dit cela, au terme de ce paragraphe, la Cour mentionne entre
parenthèse voir paragraphes 54 à 59 ci-dessus.
Cela dit, pour le non-juriste que nous sommes, cette technique de pingpong, c’est-à-
dire, de renvoie à renvoie pour donner une réponse à une question aussi importante, créé
autour de celle-ci une brume de confusion. La réponse à cette question nous semble
compliquée, ambiguë et obscure. Ce texte rendre donc dans la catégorie de ce que Coulibaly
(2018, op. cit) qualifie de « texte ambigu source d’insécurité juridique et judiciaire ». C’est
pour cela que le juge Ammoun (1975) soulignait dans son Opinion individuelle que :
La réponse telle qu'elle est libellée dans le dispositif, avec le renvoi aux motifs tels
qu'ils s'énoncent, comporte une contradiction interne. Car il y est fait mention du
territoire du Sahara, mais tout de suite on explique par ledit renvoi que c'est des tribus
qu'il s'agit. (p. 102, par.3)
114
Voir le Paragraphe 163 de l’Avis consultatif de la CIJ.
162
Dans sa réponse à la question II contenu dans le paragraphe 162, la Cour a donné
des affirmations contradictoires. D’abord, les juges proclament l'existence de « liens
juridiques d'allégeance » entre le sultan du Maroc et « certaines des tribus vivant sur le
territoire du Sahara Occidental », ainsi que l'existence de « droits », y compris certains
droits relatifs à la terre, qui constituaient des liens juridiques entre l'ensemble mauritanien
et le Sahara Occidental. Deuxièmement, concernant la souveraineté territoriale, la Cour
conclut toutefois que les éléments et renseignements portés à sa connaissance « n'établissent
l'existence d'aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental
d'une part, le Royaume du Maroc ou l'ensemble mauritanien d'autre part ». Enfin, la Cour
affirme qu'il n'existait aucun lien de nature à modifier l'application de la résolution 1514
(XV) quant à la décolonisation du Sahara Occidental et en particulier aucun qui puisse
modifier l'application du principe d'autodétermination grâce à l'expression libre et
authentique de la volonté des populations du territoire.
Un tel procédé pour répondre à la question manque de rigueur de la part d’une aussi
importante et sérieuse Institution telle que la CIJ. C’est aussi l’avis de Carrillo Sacedo
(1976, p.39). Pour lui, le texte de la déclaration de la Cour n’est non seulement pas clair
mais manque de la rigueur qui doit accompagner les déclarations d’un aussi haut Tribunal.
C’est pourquoi le juge M. Ruda (1975), dans son Opinion Dissidente, arrive à la conclusion
que :
163
la tesis española de la autodeterminación del territorio. Se considera asimismo que ni
Marruecos ni Mauritania han ejercido nunca su soberanía sobre la zona en cuestión ».
L’avis de la CIJ a été une sorte de boite de Pandore ouverte par les juges de cette
haute institution judiciaire des Nations Unies. Il a été la conséquence immédiate de
l’ « invasion », de l’ « occupation » ou la « récupération » du Sahara Occidental par le
Maroc.
Le 16 octobre 1975, quelques heures après l'arrêt de la Cour, Hassan II, s'adressant
à ses sujets, déclarait que la CIJ venait de reconnaitre non seulement « leurs » droits sur le
Sahara mais aussi l’existence de liens juridiques de souveraineté entre les rois du Maroc et
les populations du Sahara. Les portes du Sahara leur étaient donc légalement ouvertes. Par
conséquent, il ne leur restait plus qu'à récupérer « leur » Sahara. En effet, ce jour-là, Hassan
II avait pu dire à ses sujets :
164
Louange à Dieu, cher peuple Dieu nous enseigné que la vérité ne manque jamais de
triompher. Effectivement, cher peuple, notre droit a été reconnu et la cour internationale
de justice répondu aux questions qu’on lui a posées. (…) Alors que nous reste-t-il à
faire, cher peuple ? Les portes du Sahara nous sont juridiquement ouvertes, tout le
monde a reconnu que le Sahara nous appartient depuis la nuit des temps. Il nous reste
donc à occuper notre territoire. (Discours de Hassan II, 1975).
Dans le tumulte créé par l’avis consultatif de la Cour où chacun des acteurs se
félicitaient de ce que la Cour lui avait donné raison, le très intelligent Hassan II préparait
dans le plus grand secret l’annexion du Sahara Occidental. Hassan II voulait donner une
légitimité à son action, c’est pourquoi il attendit l’avis de la Cour pour entamer son
opération. Fort de ce qu’il considérait alors comme la reconnaissance par la C.I.J. des « liens
juridiques et d’allégeance » c’est-à-dire « l’obéissance et la fidélité des Sahraouis de cette
région envers les souverains marocains », le roi du Maroc réclamait le retour du Sahara à la
mère patrie.
165
adressait un communiqué à Alger pour réaffirmer que « le peuple arabe du Sahara
Occidental se battrait résolument pour empêcher la confiscation de sa liberté avant même
de l’avoir retrouvée » (Le Monde, 1975). Le 22 octobre 1975, le Conseil de Sécurité (CS) a
approuvé la résolution 377/1975 en lien avec la situation concernant le Sahara Occidental.
Dans cette résolution, le Conseil de Sécurité :
prie le Secrétaire général d‘engager des consultations immédiates avec les parties
concernées et intéressées et de faire rapport dès que possible au Conseil de sécurité sur
les résultats des consultations en vue e permettre au conseil d’adopter les mesures
appropriées pour faire face à la situation présente concernant le Sahara Occidental; et
la lettre en date du 18 octobre adressée au Président du Conseil par le représentant
permanent de l’Espagne et réaffirmant les termes de la résolution 1514 (XV) de
l’Assemblée générale et toutes les autres résolutions pertinentes de l’Assemblée
générale concernant le territoire.
Par ailleurs, le Conseil de Sécurité a aussi fait appel aux parties concernées et
intéressées pour qu’elles fassent preuve de retenue et de modération et pour qu’elles mettent
le Secrétaire général en mesure d’entreprendre sa mission dans des conditions satisfaisantes
(Résolution 377/1975). Faisant fi des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, Hassan
II, a pris de cours la communauté internationale en accélérant le cours des événements. En
effet, le 16 octobre 1975, dans un discours adressé à la Nation, il révéla à ses sujets un projet
préparé dans le plus grand secret, sous le nom de code d’« Opération Fath ». Il décida de
faire passer dans la réalité ce qui était théoriquement acquis, sans attendre une hypothétique
résolution de l’O.N.U. Il affirmait alors que « Puisque notre Sahara ne pouvait venir à nous,
nous devions aller à lui » (Hassan II, 1976, p.175). Par ces mots, Hassan II donnait le point
de départ de la « Marche Verte ».
En fin stratège, Hassan II voulait profiter de la maladie de Franco pour faire pression
sur le gouvernement espagnol en occupant les frontières internationalement reconnues du
Sahara Occidental (Barberan, 2011, p. 58). La « récupération » du Sahara devrait se faire
pacifiquement grâce à une marche civile de volontaires de 350 000 civils et 35 000 militaires
(Abdalahe, 2015, p. 257) qui marcheraient seulement armés du Coran. Aux dires d’Hassan
II lui-même, l’idée de la Marche fut « conçue et définie dans la solitude et la méditation »,
à partir du 19 Août 1975 (Hassan II, 1989, p. 12). À l’exception du cercle restreint de ses
plus proches collaborateurs, les premiers à avoir été mis au courant de la Marche ont été les
gouverneurs du Royaume, un soir du mois de ramadan, le 26 septembre 1975, après que
166
ceux-ci aient prêté le serment solennel de ne rien révéler. Dès leur retour dans leurs
préfectures ou provinces, ils ont commencé, sous des prétextes divers, l’inventaire des
produits et matériels disponibles, produits de consommation, moyens de transport, cars et
camions, moyens d’hébergement, tentes et couvertures. Par la suite sept cents agents et
auxiliaires d’autorité sont envoyés par le ministère de l’Intérieur à Benguérir pour recevoir
une formation accélérée axée sur le civisme, le patriotisme et l’encadrement des masses, à
l’exemple de l’école des cadres de la Route de l’Unité. Eux-mêmes ne connaîtront la raison
de ce stage que lors du discours du 16 octobre annonçant la Marche (Rollinde, 2003, pp.137-
138).
167
règne de souverain affranchi de la tutelle étrangère, il [Mohammed V] restera pour ses
sujets le souverain « bien-aimé » (al-mahbûb), le père de la nation retrouvée autant
qu’inventée » (Rivet, 2012, p. 300) écrivait Daniel Rivet. Il était resté dans la mémoire
collective comme celui-là qui avait libéré le Maroc de la double colonisation française et
espagnole. Parallèlement, il n’est pas exclu qu’Hassan II ai voulu qu’une cause historique
soit attachée à son nom. En menant à bien son projet de récupération du Sahara Occidental
par la Marche Verte, il pourrait passer auprès de son peuple comme Hassan II « le
Conquérant », « le Réunificateur », « le Sauveur » ou « le Rassembleur ». Ces qualificatifs
pourraient l’inscrire ainsi dans la longue lignée des dignes rois alaouites qui auront fait de
la libération et de l’expansion du royaume du Maroc leur cheval de batail.
La quatrième hypothèse la plus probable est que la Marche verte aurait été utilisée
par Hassan II comme l’acte de foi d’un roi et d’un peuple. En effet, Hassan II était
successeur du Prophète Mahomet par sa fille Fatima et son cousin et gendre Ali. Il était par
ailleurs, non seulement Commandeur des croyants ou Amir al mouminin mais aussi « Le
Sabre de Dieu sur terre » et « La sentinelle avancée de l’islam » (Le Monde, 1999). C’était
fort de tous ces titres et qualificatifs que celui-ci s’était adressé à la Nation dans son discours
du 16 octobre 1975. Comme il le dira lui-même plus tard, la « Marche verte » lui a été
inspirée par Allah. Dans son ouvrage consacré à la Marche Verte, il l’explique en ces termes
C’est avec une intense émotion que Je Me remémore cette nuit du 19 août 1975, à Fès,
où Me fut inspirée l’idée de la Marche Verte. La Fatiha, sourate liminaire du Coran,
168
qui a guidé les pas du prophète Sidna Mohammed, M’a fourni le code de conduite pour
déjouer les manœuvres de l’Espagne au Sahara (Hassan II, 1989, p. 12).
De tout ce qui précède, il apparait que la Marche verte était une stratégie géopolitique
bien huilée visant non pas seulement à « récupérer » le territoire du Sahara Occidental mais
surtout à créer autour de la personne du roi un plébiscite, et un consensus national autour de
la marocanité du Sahara Occidental. Le 6 novembre, au cours d’une séance privée (1853è
séance), le Conseil de sécurité, a prié sa Majesté le roi de mettre fin immédiatement à la
marche projetée sur le Sahara Occidental.
À cet appel, le roi rassura le Conseil de sécurité de ce que sa Marche était pacifique.
Quelques instants après, le Conseil approuva par consensus la résolution 380 après avoir
regretté que la situation au Sahara Occidental se soit gravement détériorée. Le Conseil a
déploré l’exécution de la marche ; demandé au Maroc de retirer immédiatement du territoire
du Sahara Occidental tous les participants à la marche, et au Maroc et à toutes les autres
parties concernées, sans préjudice de toute mesure que l’Assemblée Générale pourrait
pendre aux termes la résolution 3292 du 13 décembre 1974.
169
IV. LA CONJONCTURE GÉOPOLITIQUE EN ESPAGNE ET DANS LE MONDE
AVANT LA SIGNATURE DE L’ACCORD TRIPARTITE DE MADRID
Pour être pragmatique, l'Organisation des Nations Unies n'a rien fait pour empêcher
l'invasion du Sahara Occidentale, encore colonie espagnole, par Hassan II. Rien, sauf peut-
être l’approbation par le Conseil de Sécurité d’une résolution impopulaire. Au lieu de
condamner avec la dernière énergie cette marche qui était une violation des résolutions 377
du 22 octobre et 379 (1975) du 6 novembre, le Conseil de sécurité n’a fait que « regretter »
et « déplorer » l’exécution de la marche (cf. Résolution 380 du 6 novembre 1975). L’attitude
des Nations Unies n’était pas sans déplaire au gouvernement espagnol. Celui-ci, déçu de
tout soutien positif de cette Organisation, s’est vu confronté à la nécessité de résoudre le
problème par ses propres moyens dans un contexte politique national marqué par la grave
maladie du chef de l'État, le général Francisco Franco.
170
question de la transition politique ou de la succession et la crise économique que traversaient
le pays influaient sur la politique de décolonisation du Sahara Occidental. Concernant la
décolonisation en liaison avec la situation du Sahara, il faut dire qu’il y avait, en Espagne,
deux tendances diamétralement opposées.
D’un côté, il y avait ceux qui défendaient que satisfaction soit donnée à « cualquier
legítima aspiración de países interesados en aquella zona »115 (Fuente Cobo & Menéndez,
2006, p. 46). Et de l'autre, il y avait ceux qui étaient pour l'indépendance du territoire du
Sahara Occidental et donc pour le retrait des Espagnols par le transfert de « la soberanía del
territorio en la forma que mejor convenga a sus habitantes »116 (Fuente Cobo & Menéndez,
ibidem) L’affaire du Sahara va devenir un théâtre où s’affronte ces deux tendances. Parmi
les premiers, nous avions d'abord, le président du gouvernement espagnol Arias Navarro.
On raconte qu'avant l'annonce de la Marche verte par Hassan II le 16 octobre, les services
de renseignements de l'armée espagnole ont informé Franco, déjà très malade, des plans du
Maroc en complicité avec les États-Unis et lui aurait conseillé d’agir en conséquence.
115
Notre traduction : Toute aspiration légitime des pays intéressés dans cette zone.
116
Notre traduction : La souveraineté du territoire de la manière qui convient le mieux à ses habitants.
117
L’article peut être lu en ligne sur. https://www.ecsaharaui.com/2020/01/juan-carlos-i-pacto-en-secreto-
con.html Consulté le 23/02/2020.
171
De plus, à cette époque de grande incertitude politique interne en Espagne en raison
de l'état de santé du Caudillo, l'armée voudrait se préserver d'une guerre coloniale. En effet,
l'État-major était conscient de ses propres lacunes : le manque de logistiques et surtout de
munitions et il savait aussi qu’il ne pouvait compter sur le soutien des États-Unis pour
fournir des renforts étant donné ce qui s’était passé lors de la guerre de Yom Kippour118.
Pour l’État-major espagnol, en cas de guerre contre le Maroc, l'Espagne pourrait bien s’en
sortir et préserver le Sahara. Toutefois, les conséquences de l'instabilité au Maroc, la chute
de la monarchie après une défaite, la possible mise en place d'un régime radical de l'autre
côté du détroit de Gibraltar, ont conduit à envisager, comme dans la décennie de la
décolonisation marocaine, qu'il valait mieux céder à nouveau (Burgos, 1988, p. 260).
118
Au cours de de la guerre du Yom Kippour en 1973, Franco avait refusé l’assistance de son pays aux États-
Unis. De fait, les Américains avaient sollicité auprès du gouvernement espagnol son consentement pour
l’utilisation de ses bases militaires pour faciliter le soutien logistique à Israël.
119
Notre traduction: L'absence d'un principe directeur autour duquel articuler les différents mouvements
quelque peu désordonnés, ce qui rend cette politique pauvre, partielle, inégale, opportuniste et, en un mot, mal
orienté.
172
Coalition Démocratique était opposée à la reconnaissance du Front Polisario par le
gouvernement espagnol, la jugeant prématurée (Mesa, ibidem).
L’ensemble de ces acteurs que nous venons de présenter optaient pour une relation
privilégiée avec le Maroc au détriment du peuple sahraoui, dont ils soutenaient auparavant
le droit à l'autodétermination et à l'indépendance. Cependant, cette attitude qualifiée de
« politique d'équilibre », allait à l'encontre des visées d'une frange importante de l’opinion
publique espagnole qui, quant à elle, était favorable à l’indépendance du peuple sahraoui
(Fadel, 2001, p. 125).
Le prince et chef de l'État par intérim, Don Juan Carlos, était à l’époque l'un des
défenseurs de la décolonisation et de l'indépendance du Sahara Occidental. Son voyage à El
Ayoun le 2 novembre 1975 peut être interprété comme un indice de cette volonté. Alors que
le Maroc s’apprêtait à envahir le territoire, Juan Carlos avait personnellement fait le
déplacement pour affirmer aux forces espagnoles et aux sahraouis que l’Espagne accomplira
ses engagements et que « deseamos proteger también los legítimos derechos de la población
173
civil saharaui 120» (Miguel, 1995, pp. 20-21). Aux soldats, il leur faisait cette promesse «
No dudéis que vuestro comandante en jefe estará aquí, con todos vosotros, en cuanto suene
el primer disparo 121» (Abdelhay, s.d). Mais comme nous le verrons plus loin, Juan Carlos
ne respectera pas ses engagements. De même qu’il se trouvait des formations politiques
favorables à la cession u territoire au Maroc, il y en avait de favorable à l’indépendance du
Sahara. Ces partis politiques soutenaient la cause sahraouie au Parlement espagnol.
Le Parti Communiste Espagnol (PCE) faisait partie des soutiens du peuple Sahraoui.
Le programme de ce parti concernant le Sahara Occidental reposait sur la lutte de ce peuple
contre l'impérialisme et le colonialisme. En outre, le PCE demandait la reconnaissance de
leur droit, l'autodétermination et la reconnaissance du Front Polisario en tant que
représentant légitime du peuple sahraoui (Mesa, 1982, p. 49). Ainsi que le PCE, le Parti
socialiste ouvrier espagnol (PSOE) par principe idéologique était anticolonial et anti-
impérialiste. En vertu de sa ligne idéologique, « El PSOE propugnará la solidaridad con
todos aquellos pueblos que siguen luchando por sacudirse la dominación colonial o racista,
o la opresión de las tiranías locales al servicio de los intereses imperialistas (…) »122 (Mesa,
idem, p. 42).
Cette déclaration était une allusion claire à la situation du Sahara Occidental. Par
conséquent, on peut dire que le PSOE était pro-indépendance, donc pro-Sahara. En plus de
ces groupes politiques, il y avait le lobby d'un groupe d'entreprises espagnoles pro-
algériennes et pro-sahraouies : Hispanoil, Dragados y Construcciones, Gas Natural ou
Standard Eléctrico. L'ensemble de ces sociétés revendiquait l'indépendance du Sahara
(Segura, 1976, p. 234).
120
Notre traduction: Nous souhaitons protéger aussi les droits légitimes de la population civile sahraouie.
121
Notre traduction: Ne doutez pas que votre commandant en chef sera là, avec vous tous, dès le premier
coup de feu.
122
Notre traduction: Le PSOE plaidera en faveur de la solidarité avec tous ces peuples qui continuent de
lutter pour secouer la domination coloniale ou raciste, ou l'oppression des tyrannies locales au service des
intérêts impérialistes (...).
174
2- La conjoncture géopolitique internationale 1970-1975 et son impact sur le Sahara
Occidental
175
ressources en Europe. Bref, un Sahara indépendant avec un modèle politique à caractère
socialiste irait ipso facto contre le modèle géostratégique nord-américain. Par conséquent,
pour les occidentaux, les États-Unis et la France en tête, l'intégration de ce territoire au
Maroc était vue comme la meilleure option pour conjurer ce danger (Fuente Cobo &
Menéndez, 2006, p. 45).
Les Américains étaient préoccupés que la révolution qui avait eu lieu au Portugal
n’altère leurs intérêts dans cette zone géostratégique étant donné les rivalités Ouest-Est et
le conflit au Moyen-Orient. Ainsi, les États-Unis craignaient-ils un affaiblissement du flanc
sud de l'OTAN. En réalité, le fantôme de la crise des fusées de Cuba (1962) continuait de
hanter les États-Unis. En outre, ceux-ci n'ignoraient pas que les nouvelles autorités
politiques du Portugal refuseraient l'utilisation de leur espace géographique comme base
aérienne ou navale pour l’OTAN. Les États-Unis voulaient renforcer la base de Rota qui
avait perdu une grande efficacité en raison d'un angle mort de 80 degrés dans sa défense
anti-missile (De La Iglesia, 2005, p. 93).
176
partis politiques socialistes de gauche tels que le Parti Communiste Espagnol (PCE) et le
Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) se sont présentés comme la plus grande force
d'opposition de ces années. En un mot comme le souligne Powell (2005): « Para los EEUU,
el objetivo prioritario en relación con España consistía en evitar que la muerte de Franco
se tradujera en una alteración sustancial del equilibrio de fuerzas a favor de la URSS123 »
(p. 39).
123
Notre traduction : Pour les USA l’objectif prioritaire concernant l’Espagne était d’éviter que la mort de
Franco ne produise une altération substantielle de l’équilibre des forces en faveur de l’URSS.
177
la ralentización delas decisiones del Consejo de Seguridad de las Naciones Unidas y en
el impulso para el entendimiento hispano-marroquí. (p. 21)124
En d’autres termes, quand les intérêts stratégiques internationaux reposent sur une
côte atlantique, les puissances telles que la France, les États-Unis et divers autres États
conservateurs, arabes, européens, tranchent la question du Sahara Occidental en faveur du
Maroc.
La situation intérieure de l’Espagne dans les années 1973-1975 était marquée par la
décadence du franquisme, la recherche d’un compromis militaire avec les États-Unis
concernant la création de bases militaires en Espagne, la question de l’Otan et des relations
venimeuses avec le Maghreb et le monde Arabe du fait de la question du Sahara Occidental.
Dans ce contexte, les principaux objectifs du gouvernement concernant le futur de la
politique extérieure de Madrid tenaient à la pleine incorporation de l’Espagne à la société
internationale (Tusell & Soto, 1996, pp. 159-181). Pour ce faire, étant donné la crise
politique interne à Madrid, il était impérieux de régler l’épineuse question de la
décolonisation du Sahara Occidental.
124
Notre traduction: (…) Les intérêts de la France se rejoignent, enclins à maintenir la stabilité marocaine
de l'époque coloniale comme ses relations économiques privilégiées, avec l'intention de Giscard d'Estaing de
constituer un axe Paris-Madrid-Rabat-Nouakchott-Dakar Face à la présence algérienne et remplaçant la faible
action espagnole dans la région,... la France jouera un rôle diplomatique important en ralentissant les décisions
du Conseil de sécurité des Nations unies et l’entente hispano-marocaine.
178
soutien au Maroc. En effet, Washington aidait techniquement et économiquement le Maroc,
afin de s'assurer que le bloc communiste ne put établir des bases militaires sur ce territoire
(Ybarra, 2005, p. 4). Il fallait, pour ce faire, parvenir à un bon accord entre les
gouvernements espagnol et marocain.
Nous voulons démontrer ici que l’Accord tripartite de Madrid a été un « troc », celui
du Sahara par l’Espagne. Pour y parvenir, nous allons analyser successivement la
« Déclaration de principes », les annexes secrètes, la question des places de souveraineté
espagnole en Afrique et les intérêts politiques personnels du Chef d’État par intérim, Don
Juan Carlos.
179
garantizasen su seguridad con los medios suficientes para hacer frente a la amenaza de
ocupación por parte del Frente Polisario o por Argelia125. (p. 58).
125
Notre traduction: La procédure d'évacuation et de transfert de l'administration vers le Maroc et la
Mauritanie a été fixée par l'état-major quelques jours plus tard. Les périodes pendant lesquelles les postes et
fortifications espagnols seraient progressivement abandonnés furent établies, en indiquant celles qui devaient
rester entre les mains des Espagnols pendant un temps raisonnable pour permettre le rapatriement de tous les
ressortissants par leur intermédiaire. Enfin, il a été précisé que ladite évacuation serait conditionnée à ce que
les forces militaires Espagnoles et celles des nouveaux occupants garantissent leur sécurité avec des moyens
suffisants pour faire face à la menace d'occupation par le Front Polisario ou par l'Algérie.
126
Ce message a été adressé au Président du Comité des vingt-quatre par le Front Polisario à l'occasion de la
trente-deuxième session de l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies.
127
Notre traduction : A propos de la passation de pouvoirs, elle se fera selon la forme et mode qui convient
le mieux à ses habitants et à la satisfaction, le cas échéant, des aspirations des pays intéressés par cette région.
180
128
quien le corresponda, las fuerzas armadas lo abandonen con todo honor y dignidad »
(Informaciones du 24 mai 1975). Les négociations bilatérales ont été le fruit d’un « horrible
chantaje » (Cobo & Menéndez, 2006, p. 59). Les pourparlers se sont déroulés du 12 au 4
novembre 1975 à Madrid. Ce sont ces négociations qui ont accouché des très célèbres «
Accords de Madrid ».
Pour participer à ces accords, Rabat avait mandaté son Premier ministre, Ahmed
Osman, accompagnés du ministre des Affaires étrangères et du colonel Dlimi. Quant à la
Mauritanie c’était son ministre des Affaires étrangères, Hamdi Mouknass. Pour l’Espagne
c’était le chef du gouvernement, Carlos Arias Navarro, lui-même, accompagné par d’autres
membres du gouvernement qui représentaient l’Espagne. Les négociations de l’accord
tournaient autour de trois thématiques fondamentales, à savoir : l’indemnisation
économique de l’Espagne pour ses investissements réalisés, le transfert de pouvoirs et la
question de la souveraineté (Lanuza, 2015, p. 239). L’ensemble de ces accords ont été
appelé par le joli nom de « Déclaration de principes entre l’Espagne, le Maroc et la
Mauritanie au sujet du Sahara Occidental ». Dans cette déclaration de principes qui ne
contenait que six articles, les représentants des trois États susmentionnés convenaient de ce
que :
128
Notre traduction : le gouvernement espagnol désir vivement qu’en transférant la souveraineté à qui de
droit, les forces armées l’abandonnent avec honneur et dignité.
181
adjoints qui assisteront le Gouverneur général du territoire dans ses fonctions. La présence
espagnole prendra définitivement fin avant le 28 février 1976.
5. Les trois déclarent être parvenus à ce qui précèdent dans le meilleur esprit de
compréhension, de fraternité et de respect des principes de la Charte des Nations Unies ; ils
y voient le meilleur moyen de contribuer au maintien de la paix de la sécurité
internationales.
6. Le présent document entrera en vigueur à la date de la publication au Journal
officiel de l'État de la « Loi sur la décolonisation du Sahara » qui autorise le Gouvernement
espagnol à confirmer les engagements conditionnels énoncés dans le présent document (Cf.
Nations Unies - Recueil des Traités 1975 N°. 14450).
129
On verra dans pour quelle raison dans la suite de notre exposé.
182
Le Ministre de la Présidence, Carro Martinez, dans sa comparution devant le
Congrès, soutient que l’ « Accord de Madrid » n’a jamais été un Traité, mais une simple
Déclaration dans laquelle ni le Maroc ni la Mauritanie n’avaient placé un seul mot. Il assure
130
que la Déclaration « fue redactada por plumas exclusivamente españolas » (Martinez
1978, p. 29). L’accord de Madrid en son article 6 dispose que « le document entrera en
vigueur le jour de sa publication au Journal Officiel de l'État d’Espagne », mais l’Accord de
Madrid, c’est-à-dire les dénommées « Déclaration de principes », n’a jamais été publié dans
le Journal Officiel de l’État ni soumis aux Cortès pour ratification. Certains auteurs
expliquent cela par le fait qu’Arias Navarro, le Chef du gouvernement y était formellement
opposé (Martinez, ibidem).
Ces textes seront publiés sporadiquement dans la presse bien plus tard. En revanche,
les députés espagnols votèrent le 18 novembre 1975 la fameuse « Loi de décolonisation du
Sahara » devant autoriser le Gouvernement espagnol à confirmer ses engagements
conditionnels énoncés dans la Déclaration de principes. En votant cette loi à l’aveuglette,
sans le savoir les députés donnaient le feu vert au chef d’État de rendre effectif des textes
dont ils ignoraient encore la portée. Pour mémoire, c’était le Ministre de la présidence, Carro
Martinez, qui ayant participé aux accords et qui n’ignorait pas leur teneur, fut celui qui a
défendu le projet de loi. Pour convaincre les Cortès de l’adopter, il affirmait que :
Carro faisait preuve de duplicité car ce qu’il disait était exactement le contraire de
ce qui se jouait. En effet, par ce vote il s’agissait de donner une légalisation à une décision,
mieux, à un accord déjà conclu, car au moment où les Cortès votaient la loi de
décolonisation du Sahara, le gouvernement d’Arias Navarro avait déjà « donné »
unilatéralement le Sahara Occidental à Hassan II et à Moktar Ould Daddah.
130
Notre traduction : a été rédigée par des plumes espagnoles exclusivement
183
été simplement une Déclaration de retrait unilatéral formulé par l’Espagne. Mais pour le
Maroc et la Mauritanie, l’Espagne venait de leur transférer la souveraineté du Sahara
Occidental. À ce propos, Carro Martinez (1978) devant le Congrès, assure que :
Liceras Soroeta (2005, p. 19) s’inscrit dans la même veine « Es obvio que los
acuerdos de Madrid no supusieron una transferencia de la soberanía sobre el Territorio
(…)132 ». Allant dans la même veine, mais plus loin, le Comité ad hoc de l’Organisation de
l’Unité Africaine (OUA) proclamera que l’accord de Madrid n’a pas établi le transfert de
l’administration du territoire au Maroc et la Mauritanie et ne constitue pas non plus un
transfert de souveraineté (Résolution AHG.92, 1979). Mais pour le Maroc et la Mauritanie,
l’accord de Madrid était la conséquence de la résolution 2072 (XX) du 16 décembre 1965.
Dans ladite résolution, l‘Assemblée générale a prié :
131
Notre traduction : L’Espagne n’a pas transmis la souveraineté, mais seulement l’administration du
territoire. (…) L’Armée espagnole n’a rien transmis à l’Armée marocaine. L’Armée marocaine a tout
simplement pris la place que l’Espagne abandonnait, et jamais l’Armée espagnole n’a remis de clés ou
symboles à l’armée marocaine pour l’occupation du territoire.
132
Notre traduction : il est évident que les Accords de Madrid ne supposèrent nullement le transfert de la
souveraineté sur le territoire (…).
184
2- Les accords secrets, la question de Ceuta, Melilla et des îles Canaries et les intérêts
personnels ou les éléments du “troc” du Sahara Occidental
Mais qu’est-ce le troc ? Bien qu’il soit difficile de définir simplement ce concept
étant donné ses nombreuses ramifications, sociales, économiques et politiques, il peut,
néanmoins, être conçu comme « l’échange d’un objet contre un ou plusieurs autres » (Le
Larousse). Le troc consiste à donner un bien en échange d‘un autre ou fournir un service en
échange d’un autre sans payer quoi que ce soit. Par exemple, l’on peut céder son « chien»
pour « le sac de riz » de son voisin. L’on peut également donner son téléphone portable
contre celui de son ami. De fait, le troc consiste en ce que chacune des parties trouve son
avantage en échangeant un bien contre un autre. Postuler que les Accords de Madrid
constituent le troc du Sahara, c’est reconnaitre que l’Espagne en tant que puissance coloniale
a échangé le Sahara au Maroc et à la Mauritanie contre d’autres biens ou services. Puisque
le troc suppose que quelque chose soit donné en échange d’un autre, pour l’Espagne qui
donnait son ancienne colonie que recevait-elle en retour du Maroc et de la Mauritanie ? Pour
étayer la théorie du troc et répondre à cette question, analysons d’emblée les accords secrets
en matière économique.
185
économiques qui sont les plus importants ont été longuement et largement présentés au
congrès des députés par González le 15 février 1978133.
133
Disponible en ligne sur : http://www.congreso.es/public_oficiales/L0/CONG/DS/C_1978_015.PDF
consulté le 12/05/ 2020
186
A posteriori, l’Espagne a « donné » le Sahara Occidental à la Mauritanie et au Maroc
en échange du respect et de la sauvegarde de ses intérêts économiques au Sahara Occidental
et dans la région. L’idée du troc se trouve en partie justifiée.
187
atteinte à l’intégrité territoriale de l’Espagne. En fait, pour Madrid, Ceuta, Melilla et les Iles
Canaries relèvent de la souveraineté de l’Espagne (Ruiz Miguel, 1995, pp. 330-331). Il
fallait donc parvenir à des engagements avec Rabat afin qu’il abandonne toutes ses
revendications sur les autres territoires de souveraineté espagnole en Afrique, que sont
Ceuta, Melilla et les îles Canaries.
Pour le professeur Ruiz Miguel (1995, p.330), il ne fait aucun doute que « Marruecos
reclama Ceuta y Melilla para ocultar sus problemas internos»134. En effet, à partir de 1974,
le Maroc entama une offensive diplomatique pour récupérer les territoires espagnols :
Ceuta, Melilla, les îles Chafarinas, les îles Canaries. Cette surenchère politico-diplomatique
du Maroc était destinée à obtenir un soutien marqué du Monde arabe et musulman sur la
question du Sahara Occidental. La Ligue Arabe, la conférence islamique, l'OUA et les pays
non alignés, pratiquement tout le Tiers Monde, c’est-à-dire, une bonne partie de la
Communauté internationale, appuyèrent les revendications marocaines concernant les
places de souveraineté espagnoles (Vehgniot, 1985, p. 127). En réalité, la revendication des
places de souverainetés était utilisée par le Maroc comme une épée de Damoclès sur la tête
des autorités espagnoles. Pour se défaire de la menace marocaine, plusieurs personnalités
du gouvernement espagnol dont Arias Navarro et Solis, qui avaient participé à l’Accord de
Madrid appuyèrent la nécessité de donner le Sahara au Maroc en échange de Ceuta, Melilla
et les îles Canaries. Comme l’a révélé De Viguri (1978, p. 6) au Congrès le 13 mars 1978
que :
Pour mémoire, il faut dire que les autorités algériennes essayaient de faire pression
sur le gouvernement espagnol en appuyant directement le Mouvement pour
l'Autodétermination et l'Indépendance de l'Archipel Canarien (MPAIAC). Le MPAIAC a
134
Notre traduction: Le Maroc revendique Ceuta et Melilla pour dissimuler ses problèmes internes.
135
Acronyme de Mouvement pour l’Autodétermination et l’Indépendance de l’Archipel Canari.
136
Notre traduction : L’argument favoris de cette tendance était qu’un Sahara indépendant et dominé par le
Polisario et appuyé par l’Algérie servira au MPAIAC à accentuer son influence au Canarie et que, par ailleurs,
en le cédant au Maroc nous obtiendrions deux promesses substantielles : la concession de deux bases militaires
faces au Canaries et l’oubli indéfiniment des revendications sur Ceuta y Melilla.
188
été fondé dans les années 60 par un avocat de Ténériffe, ex-communiste réfugié à Alger,
Antonio Cubillo. Au début de 1975 le MPAIAC par la voie de son leader Cubillo, va utiliser
les médias officiels algériens surtout la Radiodiffusion-Télévision algérienne pour dénoncer
la politique coloniale espagnole, ou pour expliquer les différentes façons de fabriquer chez
soi des explosifs. Le Mouvement indépendantiste de Cubillo commença à se développer et
à mener des attaques terroristes, en faisant exploser ses premières bombes dans l'archipel
(Miguez, 1978, p. 177).
Les actions du MPAIAC et celles du Front Polisario allaient faire pencher la balance
en faveur de la « remise » du Sahara Occidental au Maroc et à la Mauritanie. Par conséquent,
a posteriori, l’Espagne a « donné » le Sahara Occidental au Maroc pour que celui-ci
« oublie » ses revendications de Ceuta, Melilla et surtout les îles Canaries. Cependant, dans
la pratique, après que l’Espagne a donné le Sahara, toutes les parties signataires du pacte de
Madrid n’ont pas respecté leurs engagements. Le député espagnol, Marín González (1978)
disait à ce propos que : « Nuestro país, (…) cumplió en su día de manera completa sus
compromisos derivados del Acuerdo Tripartito. Lo lógico hubiese sido que Marruecos, una
de las otras partes contratantes, hubiese asimismo dando exacto cumplimiento de los suyas
»137.
137
Notre traduction: Notre pays (…) a accompli au moment opportun complètement ses engagements issus
de l’Accord Tripartite. La logique aurait voulu que le Maroc, l’une des autres parties contractantes, fasse de
même en accomplissant les siens.
138
Notre traduction : Toutes ces promesses et projets économiques ont été vains.
139
Notre traduction : l’on peut assurer que la remise du Sahara s’est faite sans aucune contrepartie, du moins
au niveau de l’intérêt national, aucun bénéfice économique ni de coopération économique n’ont surgi de ces
actes.
189
2.3. Les intérêts personnels dans le « troc » du Sahara
S’il faut concéder à Diego Aguirre que la remise ou le troc du Sahara Occidental à
la Mauritanie et surtout au Maroc s’est faite sans aucune plus-value pour l’Espagne au
niveau national, plusieurs voies se lèvent aujourd’hui pour dire que le territoire a été échangé
pour des intérêts personnels. De récents documents déclassifiés par la CIA140 permettent de
corroborer la thèse selon laquelle le Sahara Occidental a été troqué au Maroc par Arias
Navarro, Carro, Solís Ruiz et le prince héritier Juan Carlos. Il est dit dans une certaine presse
que ces différents « personnages impliqués dans la vente du Sahara Occidental ont été
généreusement payés pour leur collaboration en argent comptant, en pouvoir ou les deux
choses à la fois »141 (Collectif Diaspora Sahraouie, 2010).
Quant à Juan Carlos en sa qualité de Chef d’État intérimaire, dans son voyage éclair
à El Aïoun, il avait avec facilité, pu convaincre les commandements militaires de la fermeté
du gouvernement et de la nécessité de résister face aux menaces marocaines. Cependant,
selon certaine source, au même moment, il négociait avec Hassan II, à l’aide des bons
offices de Vernon Walters (ancien directeur adjoint de la CIA et ami personnel de Hassan
II depuis 1942), le retrait des troupes espagnoles et l’annexion de l’ancienne province
espagnole au royaume du Maroc 142.
Le prince Juan Carlos était parmi les personnalités politiques de l’Espagne franquiste
qui avaient beaucoup à perdre à l’époque à cause de l’affaire du Sahara Occidental. En effet,
le prince était conscient de ce qu’une guerre coloniale avec le Maroc soutenu militairement
et financièrement par les États Unis, pourrait provoquer en Espagne une révolution
populaire comme au Portugal voisin. Une révolution civile et militaire aurait précipité la
chute du franquisme déjà moribond et aurait pu faire perdre à Juan Carlos sa couronne avant
qu’il ne la porte.
Pour préserver son intérêt et son pouvoir et la monarchie, Juan Carlos a entrepris des
négociations à l’effet de mettre fin à la situation délétère que provoquait la Marche verte.
140
Lesdits documents peuvent été consultés sur le site https://www.cia.gov/library/readingroom/docs/CIA-
RDP80T00942A000800130001-2.pdf consulté le 23 février 2020 à 12 h02.
141
Disponible en ligne sur http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/le-sahara-occidental-entre-
guerre-70321 consulté le 23 février 2020.
142
Collectif Diaspora Sahraouie, « Le Sahara Occidental, entre guerre froide et guerre économique », op. cit.
190
Pour ce faire, il a envoyé son homme de confiance Manuel Prado y Colón de Carvajal, à
Washington, pour solliciter l’aide du Secrétaire d’État américain Henry Kissinger. Ce
dernier a accepté la médiation entre Juan Carlos et Hassan II. À l’issue de la rencontre du
roi du Maroc et du futur roi d’Espagne, les deux hommes ont signé un pacte secret dans
lequel « Juan Carlos se compromete a entregar el Sáhara español a Marruecos a cambio
del total apoyo político americano en su próxima andadura como Rey de España ».143 En
définitive, le prince héritier et chef d‘État par intérim Juan Carlos I ont donné le Sahara
Occidental au Maroc en échange de la promesse des États Unis d’appuyer son ascension au
trône.
De tout ce qui précède, il ressort que, c’est dans une conjoncture géopolitique trouble
tant sur le plan interne qu’externe pour l’Espagne que l’accord de Madrid s’est tenue. Le
susdit accord va entrainer d’énormes bouleversements dans la conjoncture géopolitique au
Maghreb. Si l’accord de Madrid a accouché de la recolonisation du Sahara Occidental par
Rabat et Nouakchott, il a été l’une des causes de la création d’une République Sahraouie
indépendante.
143
Cf .Espacios Europeos « Como Juan Carlos I «regaló» el Sáhara Occidental a Marruecos a cambio del
apoyo de EE.UU en su coronación » (6/8/2019).
Notre traduction : Juan Carlos s’engage à remettre le Sahara espagnol au Maroc en échange de soutien
politique total américain dans sa prochaine ascension comme Roi d’Espagne. En ligne
https://contrainformacion.es/como-juan-carlos-i-regalo-el-sahara-occidental-a-marruecos-a-cambio-del-
apoyo-de-ee-uu-en-su-coronacion/ 23/02/2020.
191
CHAPITRE 8 : LA CRÉATION DE LA RASD, LA RECOLONISATION DU
SAHARA OCCIDENTAL ET LA GUERRE
Dans le présent chapitre, notre objectif principal est de montrer que l’accord
tripartite de Madrid conclu en 1975 a donné lieu à un complexe processus de
« recolonisation » du Sahara Occidental par le Maroc et la Mauritanie. Ce chapitre se divise
en trois parties. Dans la première, nous analysons le processus de formation de la république
Sahraouie.
La Déclaration de principe sur le Sahara Occidental est venue cristalliser ce que les
nationalistes sahraouis du Front Polisario considèrent comme la trahison du peuple sahraoui
par l’Espagne. C’est pourquoi au lendemain même de l’Accord tripartite, le 15 novembre
1975, le secrétaire général du mouvement, El Ouali Mustapha Sayed, dans une déclaration
à la presse disait, en substance que :
Pour faire front à cet « acte d’agression et de brigandage » et pour ne pas que la
question de la décolonisation du Sahara Occidental ne soit étouffée par les visées
expansionnistes du Maroc et de la Mauritanie, les sahraouis vont monter au créneau en
192
entreprenant deux faits majeurs. Le premier a trait à la dissolution de la Djemaa instituée
par l’Espagne dans les années 67.
Ces deux articles montraient que nonobstant le fait que l’Espagne en sa qualité de
puissance colonisatrice comptait mettre fin à sa présence au Sahara Occidental, le peuple
sahraoui était seul souverain de son territoire. Autrement dit, les sahraouis étaient toujours
les maitres, du moins en théorie, de leur territoire.
Conscients de leurs pouvoirs, les sahraouis ont décidé de faire échouer l’une des
dispositions phares de l’Accord tripartite selon laquelle « l'instauration d'une
administration temporaire dans le territoire, à laquelle participeront le Maroc et la
Mauritanie devrait se faire avec la collaboration de la Djemââ » (Déclaration de principes
entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie). Le 28 novembre 1975 des membres de la
Djemaa se sont réunis à Guelta pour dissoudre la Djemaa et reconnaitre le Front Polisario
comme représentant légitime et unique du peuple sahraoui (Mémorandum du Front Polisario
1977, p. 24).
193
Cependant, l’Espagne s’est refusée à maintes reprises à reconnaitre les prérogatives
assignées initialement à cette Assemblée qui n’avait aucune autorité réelle et n’ayant d’autre
rôle que son nom d’Assemblée. Pour les membres de l’Assemblée générale du Sahara, il
appert qu’à travers l’Accord Tripartite, l’Espagne a publiquement vendu leur pays au Maroc
et à la Mauritanie, réalisant ainsi le plus grand marchandage colonialiste que l’histoire ait
jamais connu. Par ce fait, l’Espagne a justifié sa trahison à l’égard du peuple Sahraoui en
prétendant le consulter par le biais de la Djemaa.
Par cet acte, les Sahraouis venaient de mettre fin à la Djemaa ou Assemblée générale
du Sahara et instituaient un Conseil National Sahraoui (CNS). Politiquement, la création de
ce Conseil avait plusieurs fonctions. D’abord, la reconnaissance du Front Polisario comme
seul et unique représentant du peuple sahraoui. Dorénavant, c’est le Front Polisario qui serait
la seule et légitime voix des sahraouis auprès des instances internationales. En deuxième
lieu, l’avènement du Conseil National sahraoui et la dissolution de la Djemaa venait frapper
194
d’obsolescence l'une des dispositions fondamentales de l'Accord de Madrid qui prévoyait la
consultation du peuple du Sahara Occidental à travers la Djemaâ (Article 3 de la Déclaration
de principes). Le troisième fait majeur de la création du CNS était qu’il cristallisait
l’édification de l’unité nationale sahraouie et leur désir ardent de créer et d’imposer un État
Sahraoui indépendant et souverain.
Tout au long de l’histoire coloniale du Sahara Occidental, les sahraouis n’ont pas
cessé de témoigner de leur conscience nationaliste et de leur existence en tant que peuple et
entité indépendante. Ce sentiment de liberté vis-à-vis des puissances étrangères et de leurs
voisins immédiats, les Sahraouis vont tenter de le conserver vu que la puissance coloniale
avait démontré son incapacité à la leur garantir.
195
b) La décolonisation du Sahara Occidental sera achevée lorsque l’opinion de la
population se sera exprimée valablement.144
Devant une telle situation, le Front Polisario et le Conseil National du Sahara ont
donné de la voix. Ne voulant pas subir le diktat du Maroc et de la Mauritanie qui entendaient
s’accaparer le territoire avec le retrait de la puissance coloniale originelle, la décision de
proclamer unilatéralement leur indépendance s’est imposée aux sahraouis. En décidant de
créer leur État, les sahraouis appliquaient le principe selon lequel la « nature a horreur du
vide ». En effet, l’Espagne en partant, laissait un vide juridique, institutionnel que seul le
peuple sahraoui, véritable dépositaire légal de la souveraineté sur le territoire, était en droit
de combler (Sayeh, 1996, p. 79). Par ailleurs, les sahraouis obéissaient à un conseil du roi
Hassan II lui-même. En effet, en juin 1972, le roi soutenait que « Si un mouvement de
libération doit vraiment être organisé et formé, il lui faut s’ériger en gouvernement en exil,
(…) à ce moment, il demande la reconnaissance de jure ou de facto non seulement des pays
africains, mais des pays amis » (Sayeh, ibidem). Par conséquent, en décidant de s’organiser
en État indépendant, le peuple sahraoui ne faisait que suivre ces sages conseils du Roi du
Maroc.
144
Cf. « Décolonisation » publications du département des affaires politiques de la tutelle et de la
décolonisation de l’ONU, n°17, octobre 1980.
196
Dans la nuit du 27 février 1976 au lendemain du départ du dernier soldat espagnol, à
Bir-Lehlou à quelques 130 km des frontières algériennes, le Front Polisario et le Conseil
National Sahraoui ont proclamé la République Arabe Sahraouie Démocratique plus connu
par l’acronyme RASD. Le jour de la proclamation de l’indépendance du territoire, le
président du Conseil National provisoire et le secrétaire général adjoint du Polisario ont
présenté solennellement la RASD comme :
(…) un État libre, indépendant, souverain régi par un système national démocratique
arabe, d’orientation unioniste, progressiste et de religion islamique, sur la base de la
libre volonté populaire fondée sur les principes de l’option démocratique. Cet État
arabe, africain non aligné proclame son respect pour les chartes de l’ONU, de l’OUA,
de la Ligue Arabe tout en affirmant son engagement à la Déclaration universelle des
droits de l’homme (De Froberville, 1996, p. 68).
Par ailleurs, le jeune État lançait un appel à tous les pays frères et aux États du monde
de le reconnaitre. Au lendemain même de sa proclamation, c’est-à-dire le 28 février 1976,
la proclamation de la RASD était saluée par le Madagascar qui fut le premier État à la
reconnaitre. La « Grande île » a été suivie par le Burundi, le 1 mars, et le 6 mars l’Algérie
leur emboitait le pas. Le 4 mars, soit un mois après son apparition sur le paysage politique
régional et africain, la RASD se dotait de son premier gouvernement. Ce premier
gouvernement était présidé par Mohamed Lamine Ould Ahmed. Au cours du 4e Congrès du
Polisario en aout 1978, la première Constitution de la RASD a été adoptée. Cette première
Constitution est révisée en Aout 1995 au cours du 9e Congrès du Front Polisario. De cette
Constitution, un auteur dit qu’elle « est pensée et rédigée sur la base des caractéristiques
principales de la société sahraouie héritées u passé » (Fadel, 2001, p. 66). Cette nouvelle
constitution qui compte en tout 120 articles (Sayeh, 1996, pp.176-190), consacre les
Institutions de la République Sahraouie et les organes de pouvoirs que sont l’Exécutif, le
Judiciaire et le Législatif.
Il est stipulé que la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) est une
république démocratique et sociale, indivisible. (art.1). Cette République est fondée sur un
système politique républicain, semi-présidentiel ou la séparation des pouvoirs est respectée
et dans lequel la souveraineté appartient au peuple. Il l'exerce conformément à la
Constitution (art.4). Concernant la Présidence de la République, la Constitution dispose en
son article 91 que « Le Secrétaire Général du Front Populaire pour la Libération de Saguia
197
el Hamra et Rio de Oro est le chef de l'État ». La durée de la présidence est « de trois ans »
(Art. 98). À l’état actuel des choses, il n’est pas évident pour le profane de faire le distinguo
entre le Front Polisario et la RASD tant les deux sont subtilement liés. À ce propos, Sayeh
(1996) affirme qu’« il est difficile de dissocier le Front Polisario de la Rasd, tant la
confusion est totale dans l’esprit des sahraouis ». Il conclut pour dire que « le Front
Polisario, c’est la Rasd et vice versa » (Sayeh, 1996, p. 81). Pour ce qui est du pouvoir
législatif, la Constitution stipule en article 39 que « Le Conseil National Sahraoui (CNS) est
l'organe législatif du pays. Il élabore les lois et contrôle l'exécutif ». Il approuve le budget
général, le programme du gouvernement et les conventions internationales (Article 40). Le
CNS est composé de 101 membres, élus tous les dix-huit mois.
La RASD avec le soutien de son plus fidèle allié, l’Algérie, va essayer de s’imposer
sur la scène internationale en entreprenant une vaste campagne diplomatique en Afrique et
dans d’autres continents. Cette offensive diplomatique va lui valoir la reconnaissance de de
84 États de par le monde145. Mais les Nations Unies se refusent de la reconnaitre alors que
nombre de ses États membres l’ont fait. Toutefois, le 4 décembre 1979, l’Assemblée
générale de l’ONU par sa résolution 3437 (XXXIV), a reconnu le Front Polisario comme
« le représentant du peuple du Sahara occidental ». À partir de cette date, le Front Polisario
est cité nommément dans les différentes résolutions de l’Assemblée générale. Si les Nations
Unies méconnaissent la RASD, l’OUA et l’actuelle Union Africaine l’ont admis comme
membre fondateur en 1984.
145
Mais il faut dire qu’en l’état actuel, nous assistons à une vague de retrait de la reconnaissance de la RASD
par plusieurs pays. Ces retraits peuvent s’expliquer par le fait que ces États préfèrent privilégier la coopération
économique avec le Maroc au détriment du respect du droit international. Des 84 États qui ont reconnu la
République Sahraouie, 45 maintiennent leur reconnaissance, 31 l’ont retiré et 8 ont gelés leur relation avec la
Rasd. Pour la liste exhaustive cf. www.usc.gal/gl/intitutos/ceso/Rasd_reconocimientos.html consulté le 16
février 2021.
198
II. LA RÉCOLONISATION DU SAHARA OCCIDENTAL : FRAGMENTATION ET
RÉCONFIGURATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE
Si cette information est avérée, cela signifierait que bien avant l’avis de la Cour
Internationale de Justice sur les deux questions, le Maroc et la Mauritanie avaient déjà pris
leur décision : envahir le Sahara Occidental quel que soit la réponse de la Cour. Peut-être
sont-ce les résolutions du même accord qui seront publiées le 14 avril 1976 par le
gouvernement marocain. En effet, le 14 avril 1976 se sont réunis à Rabat au Maroc les
Ministres d'État, Chargé des Affaires étrangères de la Mauritanie, Hamdi Ould Mouknass,
et celui du Maroc, Ahmed Laraki, pour se partager l’ancienne province espagnole.
146
Les principaux articles de cette convention figurent en annexe à la page 355.
199
Figure 3 : Partage du Sahara Occidental opéré en 1976 par le Maroc et la Mauritanie
200
et la Mauritanie interprétaient l’Accord de Madrid comme le transfert des pouvoirs, de
l’Administration et de la souveraineté détenus par l'Espagne sur le Sahara.
147
L’accord de partage du Sahara entre le Maroc et la Mauritanie est disponible sur
https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%25201035/volume-1035-I-15406-French.pdf
consulté le 25/05/2020
201
À la suite de cet accord de partage du Sahara Occidental, la Mauritanie et le Maroc
vont se retrouver encore pour décider du partage des ressources naturelles du territoire.
Comme nous l’avons dit antérieurement, le Sahara Occidental est loin d’être un
simple vaste espace désertique. Il est avant tout un territoire de ressources naturelles. Ce
sont ses immenses ressources qui font dire à certains auteurs que le « Sahara Occidental est
pour le Maghreb ce que le Koweït est pour le Golfe » (Fadel, 2001, p. 51). En effet, sans ses
richesses naturelles (halieutiques, minières, hydrocarbures, aquifères, etc.), le Sahara
Occidental n’aurait certainement pas été l’objet de convoitise aussi bien des puissances
européennes, africaines qu’internationales occultes. À l’image de l’Espagne dont la
présence sur les côtes du Sahara Occidental est due en grande partie aux ressources
halieutiques, le Maroc et la Mauritanie, parallèlement à leurs intérêts (géo) politiques au
sujet desquels nous avons déjà suffisamment spéculé, ont été mues pour les ressources
naturelles de ce territoire.
Le Maroc et la Mauritanie dont l’intérêt pour les ressources naturelles était latent
jusqu’à ce jour, vont le révéler à la face du monde au cours d’un accord bilatéral pour le
partage des ressources naturelles du Sahara Occidental. Ce traité a été appelé Accord de
coopération économique entre la République Islamique de Mauritanie et le Royaume du
Maroc pour la mise en valeur du territoire saharien récupéré.148
148
Cf. « Accord de coopération économique entre la République Islamique de Mauritanie et le Royaume du
Maroc pour la mise en valeur du territoire saharien récupéré » In. BORM (3311 bis), 16/4/76 pp. 500-501.
202
Troisièmement, le Maroc et la Mauritanie ont convenu de mettre tout en œuvre pour
développer leur coopération dans le domaine de la pêche. Elles s'accorderont mutuellement
les conditions les plus favorables dans les eaux maritimes des territoires sahariens récupérés
et favoriseront notamment la constitution de sociétés mixtes de pêche. Afin de préserver
leurs richesses halieutiques, les deux parties décident de la création d'une commission mixte
chargée d'examiner l'ensemble des mesures appropriées à cette fin.
L’on se rappelle que les frontières actuelles du territoire sont le fruit de trois traités
internationaux signés entre les puissances coloniales européennes que sont la France et
l’Espagne. Le tracé de ces frontières obéissait à une politique coloniale visant à sauvegarder
leurs intérêts et protéger leur zone d’influence. Le partage du Sahara opéré par le Maroc et
la Mauritanie ne s’inscrit-il pas dans cette même logique ? Dans tous les cas, marocain et
mauritanien vont occuper leurs nouvelles provinces.
L’occupation militaire du Sahara est le modus operandi choisi par le Maroc pour
arriver à ses fins. Le professeur S. Rosière (2001, p. 39) précise à propos que « le mode
opératoire des acteurs privilégie suivant les lieux et les périodes, l'action civile,
économique, diplomatique ou militaire privilégiant ou non l'usage de la force ». Le Maroc
203
après avoir tenté le modus operandi diplomatique, va essayer celui militaire, mais en
privilégiant le hard power c’est-à-dire, l'usage de la force armée.
España proporcionó a los militares marroquíes apoyo logístico e información para estos
movimientos, antes del acuerdo de 14 de noviembre. Todo esto gracias al abandono por
las Fuerzas Armadas españolas (operación Golondrina) de tales puestos, provocando el
vacío de poder. (p. 188)
204
au napalm149 et au phosphate blanc. La répression des populations était une politique, mieux,
une stratégie d’Hassan II et du colonel Dlimi consistait à attaquer les civils sahraouis à
l’effet de noyer leur volonté de se défendre et les repousser vers les zones du territoire
maintenant sous contrôle du Maroc. C’est ce qui explique le bombardement de Gouelta et
de Tifariti provoquant plusieurs centaines de morts et de blessés. Les 18, 20 et 23 février, le
campement d’Oum Dreiga au nord de Bir Nazaram était bombardé à son tour faisant de
nombreux blessés (Fuente Cobo & Menéndez, 2006 ; Ruiz Miguel, 1995). Un témoin du
bombardement d’Oum Dreiga fera quelques années plus tard ce témoignage :
Un poco antes de las doce del mediodía aparecieron en el cielo varios aviones. Tras un
primer reconocimiento, de dos en dos comenzaron a lanzar bombas sobre los primeros
campamentos. Pasados unos minutos, se fueron. Volvieron posteriormente a
bombardear, esta vez con napalm, al segundo campamento y, al día siguiente, a los tres.
Fue una masacre horrorosa. Otra enfermera española fue alcanzada por un proyectil de
12´7 mm; aún hoy sufre las consecuencias.150 (Sobero, 2010, p. 6.)
Durant l’accord de partage du Sahara, le Maroc s’était gardé la part du lion (les deux
tiers du territoire) et la Mauritanie avait eu le tiers restant du territoire, c’est-à-dire un vaste
étendu désertique et pauvre en ressources naturelles. Cette zone correspondait à la partie
moitié sud du Rio de Oro. Pour le président Moktar Ould Daddah après le partage du Sahara
149
Le napalm est une essence solidifiée composée d’acides naphténique (extrait du pétrole) et palmitique
(acide gras). L’origine du terme napalm provient de la contraction des noms de ces deux acides : naphténique
et palmitique. Le napalm est utilisé par les militaires comme bombes incendiaires.
150
Notre traduction : Peu avant midi, sont apparues dans le ciel plusieurs avions. Après une première
reconnaissance, deux à deux ils commencèrent à lancer les bombes sur les premiers campements. Des minutes
passèrent, ils s’en allèrent. Ils sont revenus plus tard bombarder, cette fois-ci avec du napalm, le deuxième
campement, puis le jour d’après le troisième. Ce fut un horrible massacre. Une infirmière espagnole a été
touchée par un projectile de 12,7 mm, aujourd’hui encore elle souffre de ces conséquences.
205
Occidental, l’heure état venu d’occuper et d’administrer effectivement sa partie du territoire.
Dès cet instant Nouakchott intégra le Rio de Oro à son territoire national sous le nom de
Tiris el Gharbia. La province de Tiris el Gharbia fut divisée en trois départements Dakhla
(ex Villa Cisneros), Aousserd et Aargau. La Gouera dans la péninsule du Lévrier est associé
au département mauritanien de Nouadhibou.
Un nouveau gouverneur civil est nommé à la tête de la nouvelle province qui a pour
capitale Dakhla. Et pour fédérer la population mauritanienne derrière l’enjeu territorial et
pour gagner en légitimité, Ould Daddah organisa une fête dite de la réunification nationale
le 26 février 1976 (Evrard, 2015, p. 639). Les populations du Tiris el Gharbia participent
aux élections présidentielles et législatives mauritaniennes. L’Assemblée nationale
mauritanienne accueillera même dans ses rangs des députés sahariens des trois départements
que comptait la nouvelle province de Tirs el Gharbia. Pour montrer à la face du monde que
le Sahara et les sahraouis étaient bien intégrés dans leur « pays », le gouvernement
mauritanien a invité 42 journalistes du monde entier à Dakhla en mars 1976, afin qu’ils se
rendent compte par eux-mêmes de ce que « la population ne semble pas y vivre sous le joug
d’une armée d’occupation étrangère, la Mauritanie n’a aucune velléité belliqueuse, et ses
soldats ne font que répliquer aux agressions de l’APLS pour défendre les civils » (Evrard,
2015, p. 639).
Les Espagnols ont commencé à évacuer le Sahara Occidental à la fin de l’an 1975
pour faire place à l’occupation de celui-ci par le Maroc et la Mauritanie. Les Sahraouis ont
pris conscience de ce que leur véritable ennemi n’était pas (ou plus) les Espagnols sinon les
nouveaux occupants que sont le Maroc et la Mauritanie. L’occupation du Tirs El Gharbia
au Sud par la Mauritanie et la Saguia el Hamra au Nord par le Maroc et les exactions
auxquelles se sont livrés ces deux États vont amener les sahraouis à défendre l’intégrité
territoriale de la République Arabe Sahraouie. Pour le Polisario, l’occupation du Sahara
Occidental par les Forces armées marocaine et mauritanienne est le « plus grave défi qui a
206
été lancé à la communauté internationale » (Sahara Info, 1979, p. 9). Pour relever le défi
des « envahisseurs », le Polisario réagit alors frontalement. Plusieurs facteurs vont conduire
le Front Polisario à se défendre contre la double annexion de « leur » territoire.
(…) le peuple sahraoui prend à témoin tous les pays du monde et particulièrement, ceux
qui par la charte de l’ONU assument une très grande responsabilité dans le maintien de
la paix, de ce que l’attitude aveuglement belliqueuse du Maroc ne laisse aucun choix
pour notre peuple que celui de combattre en légitime défense pour libérer sa terre de
l’occupation militaire illégale. (Sahara Info, 1979, p. 5).
151
Si l’on s’en tient à la résolution 3314 de l’Assemblée générale des nations unies, l’on peut assimiler
l’invasion maroco-mauritanienne comme un acte d’agression selon la terminologie onusienne. Selon l’article
premier de cette résolution, le concept d’agression est défini comme « l’emploi de la force armée par un État
contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre
manière incompatible avec la Charte des Nations Unies, ainsi qu’il ressort Définition ». L’article 3 donne les
conditions d’un acte d’agression. Il est stipulé que : « L’invasion ou l’attaque du territoire d’un État par les
forces armées d’un autre, ou toute occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion
attaque, ou toute annexion par l’emploi de la force du territoire ou d’une partie du territoire d’un autre État ».
207
Mouammar Kadhafi, l’Algérie et aussi la Corée du Nord152. Fuente Cobo (2006), nous
donne plus de détail sur l’arsenal militaire dont jouissait le Polisario quand il écrit que :
Figure 4
152
La République populaire Démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a reconnu la RASD le 16 Mars
1976. Il est le huitième état du monde et le premier hors du continent à avoir reconnu la RASD.
208
Sur le champ de la bataille, lorsque l’Armée Populaire de Libération du Sahara
(APLS) bras armée du Front Polisario, a entrepris son action militaire défensive, les attaques
les plus dures se sont dirigées d’abord contre la Mauritanie.
Pourtant, Ould Daddah avait déjà signé un pacte secret de partage du Sahara avec
Hassan II. L’APLS lance ses premières attaques contre la Mauritanie début décembre 1975,
alors que les Forces Armées de la République Islamique de Mauritanie (FARIM) n’avaient
pas encore occupé les villes de la portion du territoire désigné pour devenir mauritanien. La
petite armée mauritanienne qui comptait quelques 3000 hommes était passée à 20 000
153
Notre Traduction : L’objectif premier des guérilleros fut de mettre fin hors de jeu la Mauritanie, la retirer
de la guerre et détruire l’alliance maroco-mauritanienne.
209
(Hodges, 2014, p. 36). Les FARIM non seulement devait défendre Tiris el Gharbia sinon
qu’elles devraient faire face aux incursions de l’APLS qui menaient des attaques au cœur
même de la Mauritanie.
Le 7 juin 1976 le Polisario dirigea ses forces en direction de la capitale
mauritanienne. Le 9 juin de la même année, El Ouali meurt au cours de l’attaque contre la
capitale. De cette période jusqu’en juillet 1977, les unités (katibas) de l’APLS parvinrent à
Nouakchott et bombardèrent le palais présidentiel. Parallèlement à l’attaque de la capitale,
le Front Polisario tente de créer une hémorragie dans l’économie, pour asphyxier
économiquement la Mauritanie. Pour ce faire, il s’attaque au gisement de fer de Zouerate et
la ligne de chemin de fer qui transporte le minerai jusqu’au port de Nouadhibou. Pour le
professeur Ruiz Miguel (1995, p. 241), l’explication est simple : le minerai de fer contribuait
dans ces années à 85% des recettes du commerce extérieur mauritanien.
De l’autre côté, la Mauritanie qui ne tenait plus sous l’effet des attaques sporadiques
du Front Polisario contre sa capitale, va appeler en renfort la France et le Maroc.
210
4.2. L’alliance franco-maroco-mauritanienne et la réaction du Front Polisario
L´économie mauritanienne se voit sérieusement affectée par cette guerre d´usure dans
le désert. La présence de coopérant français en Mauritanie a obligé la France à venir au
secours de ses nationaux, ainsi que de fournir à la Mauritanie une aide militaire qui est
considéré par le Polisario comme une agression contre le peuple sahraoui qui se
considère comme étant en état de légitime défense (Le Monde, 23 juin 1978).
211
pouce à l’offensive du Front Polisario. Au niveau social, au sein de l’opinion publique,
beaucoup de maures mauritaniens voyaient en cette guerre contre les sahraouis comme
« une guerre fratricide ». Une partie de la population du nord de l’Adrar et du Tiris
Zemmour, ayant toujours vécu à proximité des tribus d’où proviennent une majorité des
combattants de l’APLS, commencèrent à épouser les thèses du Polisario.
Enfin sur le plan politico-militaire, les hauts gradés des FARIM commençaient à
s’indigner des nombreuses et incessantes pertes de leurs hommes dans cette guerre stupide.
En outre, ils voyaient d‘un assez mauvais œil la présence massive des FAR sur le territoire
mauritanien et même dans la capitale. En fait, la présence militaire marocaine avait renforcé
le sentiment d’humiliation au sein des militaires et populations mauritaniennes (Evrard,
2015, p. 377). Par conséquent, dans la nuit du 9 au 10 juillet 1978, les Forces Armées de la
République Islamique de Mauritanie vont renverser le président Moktar Ould Daddah
(Hodges, 2014, p. 37). Au matin du 10 juillet, un message radiodiffusé apprend à la
population que :
les forces armées, dépositaires en dernier recours de la légitimité nationale, ont pris le
pouvoir, ou plutôt repris le pouvoir, à ceux qui l’ont lâchement spolié, pour sauver le
pays et la nation de la ruine et du démembrement, pour sauvegarder l’unité nationale et
défendre l’existence de l’État (Evrard, 2015, p. 391).
Ould Daddah est remplacé par le colonel Moustapha Ould Saleck (De Froberville,
1996, p. 83) et un Comité Militaire de Redressement National (CMRN) est mis sur pied à
l’effet de « sauver le pays de la ruine et du démembrement ». Le Polisario comprit qu’il
pouvait tirer un profit politique et diplomatique dans ce renversement de situation. Aussi,
décida-t-il de faire preuve de bon sens et de bonne volonté et d’annoncer deux jours plus
tard un cessez-le-feu temporel des opérations militaires sur le territoire mauritanien.
212
d’une solution acceptable par toutes les parties intéressées.154C’est dans la recherche de cette
solution acceptable par toutes les parties intéressées que vont signer l’accord d’Alger.
L’accord d’Alger fut perçu par le Maroc comme un acte de trahison de la part de la
Mauritanie. Par conséquent, Rabat décida de s’insurger contre sa mise en œuvre sur le
terrain. Pour ce faire, les FAR prenaient le contrôle de Dakhla (capitale de Tiris el Gharbia)
154
Cf. http://mauritanie-ouldkaige.blogspot.fr/2008/08/30me-anniversaire-10-juillet-1978-les.html consulté
le 31/05/2020.
155
Le 20 aout 1979, le représentant permanent de la Mauritanie aux Nations Unies a communiqué au Secrétaire
général l’accord d’Alger et la décision du Mauritanie de sa sortie du conflit et mande au Maroc d’en faire
autant.
156
Pour voir le texte intégral de l’accord de paix signé à Alger entre le Front Polisario et la république
islamique de Mauritanie, cf. Annexe de la présente thèse.
213
et le 14 Août, soit neuf jours après l’accord d’Alger, Tiris El Gharbia était déclaré province
marocaine avec pour capitale Dakhla (Hodges, 2014, p. 38). L’annexion du Rio de Oro
(Tiris el Gharbia) par le Maroc sera condamnée par les Nations Unies dans une résolution
votée le 21 novembre 1979. En effet dans sa résolution 34/37, l’Assemblée générale a
réaffirmé :
Avec la défaite des forces armées mauritaniennes, l’APLS consacra toutes ses forces
sur les Forces Armées Royales. Le front Polisario activa « l’opération Boumediene157 » qui
va durer de 1979 à 1984. L’Armée de libération populaire poussa alors ses attaques dans le
Sud, à l’intérieur même du Maroc jusqu’au Draa coupant ainsi la route de ravitaillent et de
renfort des troupes marocaines présentes au Sahara Occidental (De Froberville, 1996, p.
83). Dès lors, les FAR commencèrent à essuyer de sérieux revers et des défaites
retentissantes. La situation physique et psychologique des troupes marocaines devint
157
En honneur au Président algérien Houari Boumediene qui venait de mourir.
214
difficile à soutenir à cause d’une guerre qui se déroulait dans le désert avec des pontes de
températures pouvant avoisiner les 60 (Ruiz Miguel, 1995, p. 254).
Conscient qu’il perdait la guerre face aux à l’Armée sahraouie, le Maroc comprit
qu’il devait opter pour une forme nouvelle de guerre, visant non seulement à défendre les
principales villes du Sud du Maroc, mais aussi et surtout « à couper l’accès des principales
villes du Sahara Occidental aux combattants du front Polisario » (Moshen-Finan, 1987, p.
62). Cette nouvelle forme de la guerre a été appelé « la stratégie des murs ». Cette nouvelle
stratégie implique la construction d’un mur de plus de deux mille kilomètres de longueur
qui divise le Sahara et ses habitants en deux. Dans la partie dominée par le Maroc, plus de
cent mille soldats, des millions de mines, des clôtures et un armement sophistiqué et des
systèmes de détection électronique la protégeait. La construction du mur a commencé en
août 1980 et s’est terminée en avril 1987 (Abdalahe, 2015, p. 337).
215
Moshen-Finan, (1997) cette stratégie « permettait au Maroc d’épuiser militairement un
adversaire dont la supériorité sur le terrain résidait dans la mobilité » (p. 65).
Sur le plan (géo) économique, les murs qui coupaient désormais le Sahara en deux
parties, permettaient au Maroc de protéger ce qui a été appelé le « Sahara utile », c’est-à-
dire, la partie du territoire où se trouvait la quasi-totalité des ressources naturelles du
territoire : eaux, poissons, phosphate et peut-être du pétrole etc. En juillet 1982,
l’exploitation des mines de phosphate de BouCraa qui avait été interrompue à cause des
attaques du front Polisario, a repris. Ainsi, en 1983, les exportations de phosphates étaient
de 677 672 millions de tonnes, mais bien en deçà du niveau atteint avant le début de la
guerre (Hodges, 2014, p. 41).
Au lieu de mettre fin à la guerre, l’extension des murs vers les frontières
mauritanienne et algérienne avait tout simplement déplacé la « ligne de front » plus loin
dans le désert. Ce qui a amené les éléments du Polisario à se servir des territoires
mauritaniens et algériens comme nouvelles lignes offensives contre les FAR. Cela, à son
tour, va conduire à des attaques de représailles du Maroc contre la Mauritanie qui tentait
désespérément de prendre ses distances avec la crise depuis 1979. En outre, l’extension du
mur près de la frontière algérienne non loin de Tindouf était susceptible de déclencher des
affrontements directs entre les Forces armées marocaines et algériennes, ce qui aurait des
conséquences potentiellement désastreuses pour la paix et la fébrile stabilité au Maghreb
(Hodges, idem, p. 43).
158
Bien que l’Espagne se soit retirée du territoire le 26 février 1976, elle a contribué à armer le Maroc et le
Mauritanie en leur vendant d’importantes quantités d’armes. Pour un aperçu des ventes d’armes de l’Espagne
à ses deux pays.
216
Conclusion de la deuxième partie
217
TROISIÈME PARTIE
218
À bien des égards, le conflit qui oppose le Maroc au Front Polisario/RASD est un
conflit régional relevant d’acteurs régionaux. Son enlisement depuis le cessez-le-feu (1991)
et le maintien du statu quo ont des effets à l’échelle régionale. En effet, il envenime les
relations entre les États du Maghreb et surtout entre l’Algérie, principal soutien du Front
Polisario et le Maroc, entraînant une coûteuse course à l’armement et le manque
d’intégration réelle dans la région. Toutefois, l’affaire du Sahara est indissociable du soutien
reçu par le Maroc de la part des grandes puissances membres du Conseil de Sécurité de
l’ONU chargées de la résolution du conflit.
219
CHAPITRE 9 : LE SAHARA OCCIDENTAL, POMME DE DISCORDE AU
MAGHREB
Le Maghreb, dans son acception traditionnelle, désignait les trois pays d’Afrique du
Nord islamisés et arabisés que sont le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. La Libye et la
Mauritanie sont souvent ajoutées à ces trois États. À ces cinq États regroupés depuis 1989
au sein de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) s’intègre également le territoire du Sahara
Occidental. L’on peut donc dire que le Maghreb est un vaste ensemble géographique et
culturel qui comprend six pays, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, la Mauritanie et le
Sahara Occidental. Les six pays ont une superficie totale de plus de 6 millions de km2 (Voir
Maghreb in Encarta, 2009), avec de fortes disparités d’un pays à un autre.
Le Maghreb forme une unité géographique, linguistique et religieuse, mais non pas
encore un ensemble politique et économique intégré du fait des tensions interétatiques
frontalières. En fait, après l’indépendance de la plupart des États, les pays du Maghreb ont
adopté des systèmes politiques tout à fait différents. Le caractère hétérogène des régimes
politiques des États du Maghreb a fini par installer un climat de méfiance réciproque et
de tensions politiques empêchant toute intégration régionale. Deux grands faits sont à
l’origine de leurs hostilités : les questions frontalières et le sempiternel conflit du Sahara
Occidental.
Bien qu’à des considérations et degrés différents, tous les États du Maghreb ont été,
ou sont encore, affectés par le conflit qui a opposé plutôt la Mauritanie et le Maroc, au Front
Polisario jusqu’en 1979, puis le Maroc et le Front Polisario jusqu’à nos jours. L’implication
des États régionaux transforme une simple lutte de décolonisation, en un complexe conflit
hégémonique géopolitique et géoéconomique régional. Dans le présent chapitre, nous
tentons de comprendre les raisons de la régionalisation du conflit du Sahara Occidental.
Avant d’étudier les raisons qui ont favorisé l’ingérence des États du Maghreb dans la
lutte indépendantiste du Front Polisario contre le Maroc pour le contrôle du Sahara
Occidental, analysons d’abord la valeur symbolique de ce territoire au sein du Maghreb. En
effet, quand l’on sait que « les pays du Maghreb éprouvent des difficultés sérieuses à
220
communiquer entre eux du fait de l’aggravation du différend algéro-marocain sur le Sahara
Occidental » (Roche, 2012, p. 9), il nous parait comme une évidence que géopolitiquement
parlant, le Sahara Occidental occupe une place stratégique dans cette région. Mieux, il en
serait le pivot central ou « heartland ». Pour le montrer essayons d’abord d’élucider ce
qu’est le « Heartland ».
Mackinder divise le monde en deux blocs de pouvoir. Le premier est le pivot central,
ou Heartland, situé entre le Danube et les montagnes de l’Oural. Il affirmait que celui qui
l’unifiera, dominerait les trois continents de l’île mondiale -l’Europe, l’Asie et l’Afrique
(Stanganelli, 2014, p. 24). Le deuxième bloc de pouvoir, appelé Heartland méridional,
s’étend en Afrique au sud du Sahara, isolé de la mer car ses fleuves ne seraient pas
159
L’Eurasie est la masse continentale formée par l’Asie et l’Europe et souvent considérée comme un continent
unique.
221
navigables depuis l’océan jusqu’au cœur du continent du fait de la rupture de pente, proche
des côtes, entre les plateaux de l’intérieur et les plaines côtières (Mackinder, 1942, p.80).
Les deux heartland constituent ce que Mackinder considère comme l’île monde. C’est ainsi
qu’il a développé sa célèbre théorie selon laquelle: « Qui commande l’Europe de l’Est,
commande le Heartland ; qui commande le Heartland commande l’île-monde ; qui
commande l’île-monde commande le Monde. » (p. 150)
222
L’on est en droit de s’interroger dans quelle mesure le Sahara Occidental constitue
le heartland du Maghreb ? Avant de répondre à cette question, il convient de noter que le
Sahara Occidental ressemble au territoire qui correspond au Heartland de Mackinder :
richesse en ressources naturelles et situation géographique stratégique. Comme nous l’avons
vu plus haut, le Sahara Occidental fait partie des territoires les plus riches du Maghreb, en
raison de ses réserves de ressources halieutiques, minières et probablement des
hydrocarbures.160 Les immenses richesses naturelles stratégiques que l’on trouve sur ce
territoire et non pas dans tous les autres pays du Maghreb, font du Sahara Occidental l’objet
d’intérêts (géo) économiques pour les puissances de cette région.
C’est ainsi que, de simple lutte anticoloniale, le conflit du Sahara Occidental devient
un problème d’hégémonie (géo) politique et (géo) économique d’obédience régionale. Et
c’est parce que celui qui commandera le Sahara Occidental dominera le Maghreb et que
celui qui dominera le Maghreb dominera tout le nord-ouest de l’Afrique, que les acteurs
maghrébins vont s’engager dans le conflit.
160
Voir le chapitre consacré aux ressources naturelles dans la première partie de ce travail
223
2- L’engagement des États du Maghreb dans le conflit
Le Sahara Occidental. Les enjeux d’un conflit régional, tel est l’intitulé d’un livre
de Moshen-Finan publié en 1997. Du titre de cet ouvrage, il transparait, a priori, que la
question du Sahara Occidental est avant tout un conflit régional. Ce serait à partir de 1969
que le conflit aurait acquis sa dimension maghrébine, donc régionale, avec l’entrée en jeu
des acteurs algérien, mauritanien puis libyen et tunisien. Le professeur Zartman (1997) ne
dit pas le contraire quand il écrit que le conflit « constitue l’enjeu principal des relations
régionales, à la fois un symbole, un prétexte et une épine dans les rapports entre le Maroc
et l’Algérie » (p. 7). Dans un cadre plus global, le conflit constitue aussi une épine dans les
relations intermaghrébines. Il va devenir le catalyseur de la consolidation, à l’intérieur
comme extérieur, des États de la région. Un auteur soutient que « la crise du Sahara, tout
en revêtant une dimension régionale, est activée sans cesse par les nationalismes
maghrébins, croisés et irréconciliables et attisée continuellement par des intérêts politiques,
économiques et stratégiques, enchevêtrés et inextricables » (Settouti, 2008, p. 424). C’est
donc les velléités hégémoniques géopolitiques et géoéconomiques qui sont à la base de
l’engagement des États du Maghreb à s’intéresser au conflit. Le premier de ces États est
l’Algérie.
224
création. Selon Berramdane (1992, p. 56) l’Algérie « l’avait boudé et même pourchassé à
ses débuts ». À partir de 1975, Alger pour justifier son changement de position et le soutien
à la cause du Front Polisario, va mette en avant sa fidélité à ses principes révolutionnaire et
anticolonialiste.
225
ce différend » (Hilale, 2017, p. 4). Cet entêtement d’Alger à nourrir le conflit par tous les
moyens possibles, serait une manière « d’occulter ses visées stratégiques, sous couvert
d’une interprétation subjective, sélective et à géométrie variable du principe de
l’autodétermination » (Hilale, ibidem). Même si l'État algérien ne se considère pas touché
directement par l'affaire du Sahara Occidental, il n'en demeure pas moins que son prestige
et l'avenir de toute sa politique maghrébine et son positionnement comme le « géant » du
Maghreb, soient en jeu.
Aussi bien Alger et Rabat sont convaincus de ce que de la solution finale du conflit
sahraoui-marocain dépendra la prépondérance de l'un ou l'autre dans le Maghreb. De fait, il
ne fait pas de doute qu’un État autonome sahraoui internationalement reconnu serait soumis
à Algérie. Si le Sahara Occidental devenait indépendant, ce serait un moyen pour Alger de
séparer le Maroc de ses « provinces du Sud » en l'isolant ainsi au milieu de terres algériennes
ou soumises à Alger. Par ailleurs, en aidant les sahraouis à obtenir leur indépendance, cela
pourrait permettre d’enterrer le projet de reconstitution du « Grand Maroc » qui englobe le
Sahara Occidental, la Mauritanie et une parte importante de l’ouest du territoire algériens.
La monarchie marocaine utilise l’affaire du Sahara Occidental pour forger une union
sacrée de toutes les forces politiques autour d’une tâche historique : l’achèvement de la
libération nationale. Sous cet angle, la victoire du Polisario signifierait la fin du prestige
national et international du royaume du Maroc et le renforcement de celui de l’Algérie sur
226
l’échiquier mondial. C’est ce qui fait dire à Hottinger (1980, p. 171) que « C'est dans ce
contexte éminemment concurrentiel que la question du Sahara prend valeur d'un symbole,
celui d'une victoire définitive sur le rival maghrébin ». De cette victoire pourrait découler
une position prépondérante dans le Maghreb du Maroc ou de l’Algérie.
Le soutien algérien au Polisario peut aussi s'expliquer par l'immensité des richesses
économiques révélées ou supposées du Sahara Occidental. En effet, parmi les richesses
révélées de ce territoire il y a entre autres le phosphate et les ressources halieutiques, mais
la possibilité de trouvaille d’hydrocarbures ou d'uranium n’est pas à exclure. Le dernier
facteur de la défense des sahraouis par Alger a donc trait à des ambitions géoéconomiques.
En effet, il est possible d’émettre l’hypothèse selon laquelle le gouvernement algérien voit
d’un mauvais œil l’exploitation des ressources naturelles du Sahara Occidental notamment
le phosphate et la construction de port sur sa façade maritime. C’est un secret de polichinelle
que l’Algérie convoite aussi la façade maritime du Sahara Occidental. En fait, l’Algérie,
contrairement au Maroc qui jouit de deux façades maritimes, une sur la Méditerranée et
l’autre sur l’océan Atlantique, n’a qu’un seul accès à la mer situé sur la Méditerranée. Ainsi,
si avec son appui le territoire devenait indépendant, les sahraouis pourraient remercier les
algériens en leur offrant un accès privilégié à l’océan Atlantique pour ses échanges
commerciaux.
161
L’article est consultable en ligne via https://www.agenceecofin.com/mines consulté le 16/08/20.
227
obligé de diversifier son économie. Dans ce contexte, l’Algérie entend mettre en
exploitation le gisement minier de fer de Gara Djebilet. L’exploitation de ce gisement serait
un immense apport à l’économie du pays si ce minerai est évacué par l’océan Atlantique
distante seulement de seulement 300 km. Au contraire, l’évacuation par la méditerranée
distante de 1600 km serait bien moins rentable pour l’Algérie. C’est ce risque économique,
ajouté à d‘autres, qui font que l’exploitation de la mine de Gara Djebilet reste encore en état
de projet. Toutefois, depuis 2016, l’Algérie est en pourparlers avec la Chine en vue de
l’exploitation de ce gisement (Kansoun, 2016).
Dès leur passage à l'école secondaire de Sabha, ils décidèrent, sous l'impulsion du jeune
élève al-Kadhafi, une fois leurs examens passés, d'entrer dans la carrière d'officiers, de
renverser la monarchie du roi Idriss et de rejoindre la République Arabe Unie (RAU)
de Gamal Abdel Nasser. (p. 137)
228
Dès son accession au pouvoir en 1969, le colonel Kadhafi ayant épousé l’idéologie
et le projet géopolitique du président égyptien Nasser, va se poser ou s’imposer comme le
rassembleur du monde arabe et musulman. À la tête désormais d’un pays devenu grand
producteur de pétrole (11e rang mondial), Kadhafi a souhaité conforter sa puissance en
lançant l’idée des États-Unis du Sahara. Comme dit Abusitta, (2012), « depuis la révolution
de 1969 il [Kadhafi] ne voit ses rapports avec les pays arabes qu’à travers « l’union arabe
». Ce concept a été le moteur principal de toute la politique étrangère libyenne envers le
monde arabe » (p. 35).
Pour réaliser cette « Union Arabe » à laquelle il tenait tant, le colonel Kadhafi
préconisait trois moyens : l’unification des pays arabes progressistes, l’unification de tous
les pays arabes et la réalisation de l’union par la force. Pour ce faire, Kadhafi va entamer
une politique vivant à redonner vie au mouvement unitaire arabe par la formation d‘un grand
Maghreb arabe uni sous son leadership. En marge du sommet de Rabat de décembre 1969,
Nasser, Kadhafi et Nemeiri162 jetèrent les bases, d'une fédération regroupant les trois États
(Hottinger, 1981, p. 138) : l’Égypte, la Libye et le Soudan.
L’idée de la création d’une fédération de tous les États arabes démangeait Kadhafi
et deviendra par la suite une obsession. Mais au grand dam du guide libyen, le projet de
fusion de l’Égypte, la Libye et le Soudan fut avorté. Le Soudan s’était désisté en raison des
problèmes internes que traversait le pays à l’époque : coup d'État procommuniste, troubles
dans le Sud, opposition mahdiste. En 1971, le projet d’une nouvelle fédération comprenant
cette fois la Syrie, l'Égypte et la Libye est constitué. En 1972, Kadhafi persuada le nouveau
président égyptien Anouar al-Sadate, de concrétiser l'unité, mais la Syrie refusa de
consommer la fusion, ce qui va détériorer les relations entre Hafez al-Assad163 et Kadhafi.
Sadate et Kadhafi ont alors convenu d'un délai d'un an avant de réaliser l'unification de leur
deux pays à savoir, l'Égypte et la Lybie. Le délai sur lequel s’étaient accordés les deux chefs
d’États, partait du 1er août 1972 au 1er septembre 1973. Arnold Hottinger soutient que ce
délai d’un an a été déterminant dans l'évolution des projets et de l'attitude de Kadhafi
(Hottinger, 1981, p. 144). En effet, il lui a permis de prendre conscience de l'impossibilité
162
Djafar al- Nemeiri, a été général et homme d’État soudanais. Il fut président de la république du Soudan de
1969 à 1985 date à laquelle il est renversé par un coup d’État alors qu’l se trouve au Caire en Egypte.
163
Il est né en 1928 et mort en 2000. Il fut général et homme d’État syrien. Il a dirigé la République de Syrie
de novembre 1970 à juin 2000.
229
de réaliser l'unité de son pays avec l'Égypte de Sadate. C’est ainsi que Kadhafi va tourner
son projet d’unité et de fédération vers le Maghreb avec l’objectif d’y étendre son pouvoir.
La deuxième cible de Kadhafi a été son voisin du nord est, la Tunisie. Tout comme
avec le Maroc, la politique libyenne à l’endroit de la Tunisie était empreinte du désir
unioniste de Kadhafi. Voisin immédiat, le guide libyen entendait fusionner avec ce petit État
pour former un grand et puissant État arabe supprimant de facto la frontière qui divisait les
deux peuples. C’est ainsi qu’après une longue suite de visites fraternelles mutuelles et de
tentatives de collaboration qu'un projet d'unification est signé à Djerba le 12 janvier 1974
230
par Bourguiba164. Ce projet d‘unification portait sur la création d’un seul État appelé « la
république arabe islamique ». Toutefois, le projet d'unification tuniso-libyen ne verra jamais
le jour car la rupture entre Tunis et Tripoli est consommée et aboutira à une opération
subversive libyenne de Gafsa le 27 janvier 1980.
La troisième cible de la politique maghrébine libyenne fut l’Algérie. Parmi tous les
États du Maghreb, les autorités libyennes considéraient l’Algérie comme le pays le plus
enclin idéologiquement à accepter l’idée de l’union arabe. C’est ainsi qu’en octobre 1971,
eurent lieu les pourparlers entre les deux pays à Hassi-Messaoud qui vont se solder par un
échec du fait du refus du président algérien Boumediene à accepter l’union totale et
immédiate que proposait Kadhafi. Un traité d'unification algéro-libyen sera conclu en 1975,
ce traité visait non seulement à accroitre l’hégémonie algéro-libyenne au Maghreb mais était
principalement dirigé contre le Maroc. Avant de concrétiser leur union, les deux pays
signaient une convention d’assistance mutuelle où ils s'engageaient à fournir une aide
militaire si l'un d'entre eux était attaqué (Hottinger, 1981, p. 144). En outre, la Libye se
déclarait prête à soutenir militairement le Front Polisario et acceptait de prendre en charge
financièrement l'aide aux Sahraouis.
Mais comme il fallait s’y attendre plus tard, les ambitions sahariennes de Kadhafi ne
cessaient d’inquiéter l’Algérie qui se considérait comme la première puissance saharienne,
place que les autorités entendaient garder. Le rejet par les différents États maghrébins du
projet de « l’union arabe » peut s’expliquer par le fait que toutes les démarches unionistes
sont vues par les pays du Maghreb comme un risque de déséquilibre dans les rapports de
force entre les différents pays (Abusitta, 2012, p. 39).
231
l'armée marocaine serait de provenance libyenne » (Hottinger, 1981, p. 145). Par ailleurs,
comme il ressort de l’analyse de certains observateurs, « la Libye aurait réussi à se ménager
des possibilités d'accès direct vers les régions sahraouies à travers le Mali et la Mauritanie,
échappant ainsi au contrôle de l'Algérie.» (Hottinger, ibidem). Kadhafi était impressionné
par les succès militaire et diplomatique du Front Polisario. Pour un Kadhafi qui était en
quête d’hommes de mains pour réaliser ses desseins d’expansion de la Libye a voulu, en
réalité, attirer le Front Polisario à l’effet d’en faire une « force de frappe » saharienne. Pour
Kadhafi, il était évident que le Sahara Occidental était, dans une certaine mesure, le
« heartland » du Maghreb. En effet, en le contrôlant il serait facile pour la Libye de pénétrer
et d'atteindre les différents États riverains que sont le Maroc, la Mauritanie et la Mauritanie.
Cependant, malgré le soutien libyen notoire au Front Polisario dans sa lutte contre
les colons espagnols, l’idéologie géopolitique et nationaliste de l’unité arabe que professait
le guide libyen empêchait que celui-ci accepte l’idée de l’indépendance et l’avènement d’un
autre État au Sahara. En effet, pour Kadhafi, accepter la République Arabe Sahraouie
Démocratique, qui serait un autre nouvel État arabe dans la région au moment où lui prêchait
l’unité du monde arabe, serait dangereux pour son projet de « grand Sahara ». Mieux,
accepter la Rasd serait favoriser la balkanisation du monde arabe, chose contre quoi luttait
Kadhafi. C’est cette peur qui a favorisé le soutien de Kadhafi à la « Marche verte » d’Hassan
232
II. À la faveur d’une visite qu’il a rendue au roi du Maroc le 16 juin 1975, Kadhafi a pu dire
que « les forces armées libyennes sont à la disposition du Maroc pour la libération de son
Sahara » (Barbier, 1985, p. 179). Tout comme la Libye, la Tunisie est impactée par l’affaire
du Sahara Occidental.
Parmi les États du Maghreb, la République de Tunisie est la seule qui n’a pas, encore,
joué un rôle –officiel – dans le conflit qui oppose le Front Polisario/ RASD au Maroc pour
le contrôle du Sahara Occidental. Mais, même si Tunis n’est pas acteur du conflit, il n’en
demeure pas moins qu’il en est resté indifférent. Face à la question du Sahara, les dirigeants
tunisiens sont obligés de tourner sept fois la langue avant de se prononcer sur l’affaire. Et
pour cause, Tunis vit dans la crainte de la réaction de Rabat et d’Alger concernant le
penchant des autorités tunisiennes pour l’une ou l’autre des parties du conflit. En effet, de
peur de mettre des bâtons dans ses relations fraternelles avec les deux grandes puissances
du Maghreb, Maroc et l’Algérie, la Tunisie se cache derrière sa position ambigüe dite de
« neutralité positive ». Les deux principales parties du conflit ont à cœur d’aligner la Tunisie
sur leur thèse. Mais la Tunisie ne cesse de réaffirmer sa « neutralité positive » dans le conflit
opposant Rabat et Alger autour du Sahara Occidental, au désespoir des Algériens qui
espéraient rallier les Tunisiens aux thèses séparatistes du Polisario.
233
Pour rappel, le quotidien tunisien « Assour » rapportait que la Tunisie « s’apprête à
reconnaître le Polisario algérien165 » (Junger, s.d).
Pour les deux hommes, il n y’a pas lieu de douter que les autorités algériennes « se
doivent d’accepter l’idée qu’il n’y aura jamais d’État indépendant au Sahara occidental ».
Toutefois, Ben Ali était conscient que le problème du Sahara Occidental est complexe et
que sa résolution prendrait plusieurs années. Pour Ben Ali, ce conflit délicat ne peut pas
« être réglé par le Conseil de sécurité des Nations unies ». Pour ce faire, « la Tunisie avait
essayé de convoquer une réunion des Chefs d’États du Maghreb à ce sujet à Tunis ».
Cependant, « alors que le Maroc et la Libye avaient accepté de participer, l’Algérie a refusé
prétextant qu’il n’y avait rien à discuter », confiait Ben Ali à David Welch167.
165
. Disponible en ligne sur http://droits-humains.org/473-sahara-occidental-tunis-dement-les-rumeurs-dune-
reconnaissance-du-polisario.html#content consulté le 20/06/2020.
166
Cf. https://maroc-leaks.com/wikileaks-sahara-occidental-la-fausse-neutralite-de-ben-ali/amp/ consulté le
24/06/2020.
167
Voir le site https://www.elwatan.com/archives/actualites/wikileaks-ben-ali-accuse-lalgerie-de-bloquer-le-
maghreb-08-12-2010 consulté le 24/06/2020.
234
Officieusement, la Tunisie de Ben Ali soutenait la position marocaine d‘intégration
du Sahara Occidental au royaume. Mais officiellement en vertu de sa position de « neutralité
positive », le président Ben Ali a su au fil du temps mener une politique étrangère mesurée.
Cette politique visait non seulement à placer la Tunisie hors des différends intermaghrébins,
en particulier celui qui oppose le Maroc et l’Algérie concernant le chapitre du Sahara
Occidental, mais aussi à avoir un rayonnement à l’échelle du continent en même temps
qu’elle jouait un rôle en Méditerranée (Sfeir, 2010, p. 30).
235
que la position officielle tunisienne commence à basculer de la « neutralité positive »
traditionnelle, vers une prise de position officielle.
Le mois d’avril 2013 a été marqué par un événement important, en Tunisie. En effet,
en marge des travaux du Forum social mondial, qui s’est tenu en Tunisie, un Comité
Tunisien de Solidarité avec le peuple sahraoui a été créé. La cérémonie de création du
comité s’est déroulée en présence d’une forte délégation sahraouie, de représentants des
différentes composantes de la société civile tunisienne, du Président de la coordination
européenne de solidarité avec le peuple sahraoui et plusieurs responsables d’associations de
solidarité avec le peuple sahraoui de France, d’Espagne et d’Italie.
Il est devenu presque redondant de dire que la paix, la stabilité, la sécurité et les
perspectives d’intégration et de développement économique au Maghreb dépendent dans
une large mesure du Sahara Occidental ; ou plutôt de la résolution du conflit. Pour vérifier
ce postulat, il convient, de prime abord, de jeter un coup d’œil sur les différentes politiques
d‘intégration sous régionales des États du Maghreb qui vont accoucher de l’Union du
Maghreb Arabe, en acronyme UMA.
236
1- L’Union du Maghreb Arabe (UMA), une organisation « mort-née »
Par ailleurs, il faut dire que les rivalités hégémoniques et les tensions interétatiques
pour, notamment, des questions frontalières, n’empêchaient pas les États maghrébins
d’avoir à l’esprit la coopération régionale. C’est dans ce contexte que l’Algérie, le Maroc,
la Libye et la Tunisie ont créé le Conseil Consultatif Permanent du Maghreb (CCPM) en
1964 dans le but de coordonner des politiques économiques communes pour faire face à la
CEE (créée en 1957). Même si le CCPM ne fut pas long feu, il n’en demeure pas moins
qu’il ait été la première structure régionale ayant regroupé les cinq pays magrébins donnant
pour la première fois un sens politique aux frontières du Maghreb des cinq (Benantar, idem).
237
Maghreb Arabe168» (Préambule du Traité constitutif de l’Union du Maghreb) et liés entre
eux par un héritage commun et dotés de ressources naturelles considérables se sont réunis à
Marrakech pour signer le Traité constitutif consacrant la naissance de l'Union du Maghreb
Arabe. Dans son article 2 fixant les objectifs de l’UMA, il est stipulé qu’elle vise à :
- renforcer les liens de fraternité qui unissent les États membres et leurs peuples ;
- réaliser le progrès et la prospérité des sociétés qui les composent et la défense de leurs
droits ;
- contribuer à la préservation de la paix fondée sur la justice et l’équité ;
- poursuivre une politique commune dans différents domaines ;
- œuvrer progressivement à réaliser la libre circulation des personnes, des services, des
marchandises et des capitaux. (Traité constitutif de l’Union du Maghreb)
168
Disponible sur http://www.Droit-Afrique.com consulté le 03/07/2020.
169
Pour toutes informations sur les actons des institutions de l’UMA, voir le site de l’organisation :
http://www.maghrebarabe.org.fr
238
douanière. Ces différentes commissions de l’Union sont à la base de l'élaboration des
conventions et accords maghrébins conclus dans le cadre de l'UMA170. Toutefois, trente et
un ans après la signature du traité de Marrakech ayant accouché de l’UMA, force est de
constater qu'aucun progrès significatif n'a été réalisé dans le sens des objectifs de l'UMA et
que l'intégration maghrébine est toujours en panne (Jamel, 2008. p. 77). Quand la question
lui a été posée de savoir « comment se porte l'Union du Maghreb Arabe ? », l’ancien
Secrétaire général de l’UMA, Habid Boualès (2001-2006) répondait ceci :
Cela dépend de ce que vous entendez par l'UMA. Si vous voulez parler des structures
d’une organisation créée en 1989, je vous dirais que ces structures souffrent à la fois de
leur propre Constitution de départ (...). Comme le Conseil de la Présidence ne s'est pas
réuni depuis 1994, ses structures sont ankylosées en quelque sorte. Si vous entendez
par l'UMA l’ensemble des autorités des pays du Maghreb dans leur coopération, je vous
dirais que cette UMA-là existe. Même qu'elle fonctionne bien. Nous avons une UMA
des banques qui regroupe les 65 banques de nos pays, une UMA des assurances, une
UMA des médecins, une UMA des chemins de fer donc plusieurs secteurs qui
fonctionnent. La conclusion á tirer de cela est la suivante chaque fois que la décision a
appartenu á des institutions, à des organisations ou à des ensembles professionnels qui
ne dépendent pas directement des gouvernements, on a pu constituer une union
maghrébine efficace (Bustos, 2009, p. 141).
Même s’il faut concéder à l’UMA des acquis, comme par exemple la réalisation de
« tronçons nationaux de l’autoroute maghrébine, l’extension des réseaux de
télécommunications en fibres optiques, l’interconnexion électrique, la lutte contre la
désertification, la coopération en matière de santé, etc.» (Martinez, 2006, p. 5), il n’en
demeure pas moins que l’intégration régionale ne s’est pas concrétisée en Afrique du Nord
: elle demeure, encore, à l’état de projet.
170
L'ensemble de ces conventions est disponible sur le site de l'UMA.
171
ALENA, Accord de libre-échange nord-américain (en anglais, North American Free Trade Agreement,
NAFTA), est un accord économique multilatéral de libre-échange signé par le Canada, le Mexique et les États-
Unis le 18 décembre 1992. Cf. ALENA In Encarta 2009.
172
Le Mercosur, Mercado comun del sur, en français, Marché commun du Sud, est une
union douanière formée en 1991 par l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, qui a évolué en un
marché commun à partir de 1995, et dont le Venezuela est devenu membre en 2006. Cette organisation vise à
instaurer un marché commun en abaissant les tarifs douaniers entre les pays membres (Argentine, Brésil,
Paraguay et Uruguay) et à favoriser les échanges avec les pays associés (Chili et Bolivie à partir de 1996,
Pérou en 2003, Colombie et Équateur en 2004. Cf. Mercosur In Encarta 2009.
239
convaincre, de jeter un œil sur les différentes conventions intermaghrébines signées et non
entrées en vigueur. En effet, jusqu’en 2008, sur les 36 conventions maghrébines, seules cinq
sont entrées en vigueur (Benantar, 2008, p. 109).
Primo, nous avons en 1960, le conflit entre la Mauritanie et le Maroc qui revendique
le territoire mauritanien. Cette situation a provoqué une tension dans les relations
intermaghrébines car elle a vu la rupture des rapports entre le Maroc et la Tunisie. La Tunisie
était en effet, le seul pays arabe à soutenir la Mauritanie et votera pour son adhésion aux
Nations Unies en 1962. Deuxio, l’Algérie, après son indépendance a eu des désaccords avec
la Tunisie. En effet, en 1963, la Tunisie profite de l’indépendance algérienne pour réclamer
des territoires qui lui ont été arrachées lors de la colonisation française. Tercio, il y eut en
1963, entre le Maroc et l’Algérie la guerre des sables. Cette fois, c’est le royaume chérifien
qui revendique une bonne partie du territoire algérien principalement les régions de Tindouf
240
et de Béchar. Et enfin, il y a la sempiternelle question du Sahara Occidental. Mais plus que
les trois premiers conflits que nous évoquions plutôt, la question du Sahara Occidental est
la véritable pierre d'achoppement de l'intégration maghrébine. Jusqu’à aujourd’hui, ce
conflit reste le plus complexe et le sensible dans cette région.
La question du Sahara Occidental est l’aune par lequel se mesure la santé des
relations intermaghrébines. Parce qu’il oppose les deux poids lourds du Maghreb, le Maroc
et l’Algérie, la persistance du conflit illustre l’incapacité de ces deux États « frères
ennemis », depuis « la guerre des sables » en 1963, à sortir d’une relation de méfiance,
d’hostilité perpétuelle avec la fermeture de leurs frontières terrestres. C’est surtout les
rivalités entre Alger et Rabat, sur fond du problème sahraoui, qui empêchent l’évolution du
processus l’édification d’un ensemble régional maghrébin uni. L’Algérie et le Maroc, pour
être les deux acteurs les plus influents de la région, leurs querelles sont de facto des obstacles
à toute convergence politico-économique maghrébine. Dans le fond, le Maroc et l’Algérie
s’adonnent à une surenchère politique et médiatique autour de la question du Sahara
Occidental, en l’utilisant comme une réelle opportunité politique pour asseoir leur
autorité et leur leadership tant sur le plan national que régional. C’est pourquoi avec Luiz
Martinez, nous nous interrogeons à savoir si : le conflit du Sahara n’est pas un prétexte
historique à un déficit démocratique de ces deux États du Maghreb ? (Martinez, 2006, p.
7).
Par ailleurs, il devient évident que la question du Sahara Occidental soit « un alibi
d’impuissance par excellence » (Benantar, 2008, p. 110). Les États du Maghreb, ayant
échoué dans leur entreprise de construction maghrébine, font porter au conflit RASD/Maroc
plus qu’il ne peut supporter. Mieux, « les pays maghrébins instrumentalisent le conflit du
Sahara pour dissimuler leur propre échec et pour se donner par la même occasion bonne
conscience en continuant à tourner le dos au Maghreb » (Benantar, ibidem). En effet,
confrontés à des critiques internes sur la violation des droits de l’homme, un déficit
démocratique notoire, la corruption, des régimes oligarchiques, la concentration des
richesses et l’absence de liberté, l’Algérie et le Maroc ont trouvé dans le conflit du Sahara
Occidental une parfaite occasion de déverser, à travers une presse complaisante, des
préjugés et des clichés sur l’autre, dans l’espoir de rallier à leur cause une population frustrée
par la dégradation des conditions économiques et sociales (Martinez, 2006, p. 7).
241
Sans vouloir revenir sur ce que nous avons déjà longuement tenté de montrer
jusqu’ici, pour la monarchie marocaine, l’affaire du Sahara lui a permis de s’approprier le
sentiment nationaliste proclamé alors par l’Istiqlal qui faisait de la cause du « Grand
Maroc » son cheval de bataille politique. Par ailleurs, pour les successifs régimes algériens,
la cause sahraouie représente le moyen par excellence de s’affirmer comme le défenseur des
peuples opprimés et d’entretenir le sentiment nationaliste.
242
III. LES DÉFIS SÉCURITAIRES AU MAGHREB ET LA QUESTION DU
SAHARA OCCIDENTAL
La vaste étendue désertique que constitue le Grand Sahara, sert aujourd’hui, aussi
bien de refuge aux organisations terroristes que d’espace de communication aux nombreux
trafics mêlant concomitamment le crime organisé et l’immigration clandestine. Cette zone
est une concentration des principales menaces sécuritaires auxquelles est confronté le
monde entier. En effet, les effets de ces menaces sont de plus en plus globaux et se propagent
en particulier sur tout le Nord du Maghreb et sur l’Europe. À l'heure actuelle, pour tous les
États du monde, le futur se conjugue en termes de globalisation, de mondialisation et de
regroupements, à l’effet de faire face ensemble efficacement aux nouveaux défis sécuritaires
mondiaux. Dans ce contexte, les États du Maghreb n'ont d'autre alternative que de relever,
tout d’abord, le défi de l’intégration pour, espérer, pouvoir entreprendre ensemble des
politiques sécuritaires pour l’intégrité de leur territoire respectif.
243
une UMA des chemins de fer (…) »173. Ce qu’il avait oublié de dire, c’est qu’il existe aussi,
une UMA du terrorisme. Des auteurs sont unanimes sur ce qu’il convient d’appeler comme
l’Union du Maghreb Arabe du terrorisme. Pour certains « À défaut d’une union des États
du Maghreb arabe, l’union des terroristes du Maghreb arabe est une réalité » (Faty, 2016,
p. 74). Pour les autres, « À défaut d’une union maghrébine des peuples, on est en train
d’assister à la naissance d’une « UMA du terrorisme » (Baghzouz, 2013). Le conflit du
Sahara Occidental est l’un des obstacles à la mise en place de politique anti-terroriste au
Maghreb. Les divergences politiques entre l’Algérie et le Maroc sur le statut du Sahara
Occidental sont restées un obstacle à la coopération bilatérale et régionale en matière de
lutte contre le terrorisme.
173
Cf. interview du SG de l'UMA, 25- 11-2005, disponible sur le site officiel de l'UMA.
244
génération avait été montée, bénie et même formée par les USA, le Pakistan et l’Arabie
Saoudite (Bassou, 2018, p. 1).
174
SCRS Atelier sur « Le terrorisme en Afrique du nord et au sahel la menace régionale se répand-elle? », de
la série Regards sur le monde : avis d’experts, Publication n°2016-12-05, p. 52
245
principal lieutenant de Ben Laden auparavant (Bassou, 2018, p. 5). En devenant AQMI, le
GSPC entend étendre son champ d’action, au-delà des frontières de l’Algérie, sur toute
l’Afrique du nord islamique. L’année 2006 et le début de 2007 ont consacré le renforcement
de l’alliance entre les organisations terroristes au Maghreb d’une part, entre celles-ci et
d’autre part avec Al Qaïda. Le GSPC devenu AQMI va ainsi se connecter au Groupe
Islamique des Combattants Marocains (GICM) et au Groupe Islamique des Combattants
Libyens (GICL), ainsi qu’au Front Islamique Tunisien (FIT) et au Groupe Mauritanien pour
le Prêche et le Jihad (GMPJ). Ces mouvements extrémistes vont conjuguer leurs actions
contre les intérêts nationaux et étrangers dans la région.
175
Le printemps arabe est le nom donné au soulèvement populaire de la jeunesse maghrébine de 2011. Le
mouvement qui est né en Tunisie et qui s’est étendu sur presque tout le Maghreb, excepté le Maroc et la
Mauritanie, réclamait plus de justice sociale, l’emploi pour les jeunes et surtout le renforcement de l’état de
droit et de la Démocratie.
246
terroristes, quant à elles, ont su développer et unir leur capacité en profitant de l’absence
d’un Maghreb uni qui aurait pu réduire leur liberté d’action.
247
l’EI, Al Qaïda et leurs filiales. Si les mouvements terroristes locaux s’allient au grand
groupe pour former de véritable conglomérat, la coopération interétatique en matière de
lutte coordonnée anti-terrorisme, demeure aujourd’hui illusoire ou quelque peu limitée.
C’est ce que soulignait Maïga (2011, p. 10), l’ancien ministre des Affaires étrangères du
Mali, quand il écrit que « Les États de la région ne sont pas parvenus pour l’instant à
inscrire la coopération sécuritaire dans un cadre stratégique global (…). Pourtant, ils sont
membres d’une multitude de dispositifs, programmes et mécanismes régionaux et
internationaux, mais ceux-ci ne sont guère coordonnés quand ils ne sont pas concurrents. »
Au cours de ces dernières années, plusieurs études sur les questions de sécurité
régionale en Afrique du Nord, font état d’une collusion entre le Front Polisario et des
groupes terroristes tels AQMI et EIGS. Parmi les auteurs, pour qui le Sahara Occidental est
devenu un vivier du terrorisme sahélien, nous avons Moniquet (2010) et le professeur
Chauprade (s.d). Pour le premier tout comme pour le second, il existe une étroite
coopération opérationnelle entre l’AQMI et le Front Polisario. En effet, plus de trente années
de vain combat pour l’indépendance, n’est pas sans avoir certaines conséquences sur le
Front Polisario dont l’objectif principal est l’indépendance du Sahara Occidental. De fait,
l’incapacité du Front Polisario à réaliser son objectif, a considérablement affaibli le
mouvement, intensifiant, par là même, les dysfonctionnements déjà existants.
248
organisations internationales destinés aux populations des camps de Tindouf. C. Moniquet
postule alors que le mouvement indépendantiste sahraoui profite également de sa position
privilégiée dans une région échappant au contrôle des États pour s’enrichir en participant au
trafic d’armes. Pour lui, le Polisario serait « un mouvement gangrené par la criminalité » et
« en proie à l’islamisme radical » (Moniquet, 2010, p. 10).
Pour étayer son hypothèse, Chauprade (s.d), s’appuie sur l’arrestation par les
services de sécurité mauritaniens, à la mi-janvier 2004, d’un membre actif du Polisario,
Baba Ould Mohamed Bakhili. En effet, ce personnage et plusieurs de ses lieutenants,
auraient été arrêté en flagrant délit de vol « de grandes quantités d’explosifs dans les dépôts
de la Société nationale mauritanienne de l’industrie minière (153 bouteilles de produits très
inflammables et 12 kilomètres de fil qu’on utilise pour les explosions télécommandées) ».
La nature du matériel volé a suscité de nombreuses interrogations parmi les experts qui
s’interrogent de savoir si le Polisario avait l’intention de passer à l’acte ou cherchait-il à
176
L’article est disponible en ligne. http://polisario-confidentiel.com/265-linquietante-connexion-polisario-
algerien-et-al-qaida.html
249
vendre ces produits à des groupes radicaux islamistes présents dans les régions frontalières
poreuses du Grand Sahara ? Il est difficile de réponde à cette question. Toutefois, Moniquet
(2005) soutient que :
les 153 bouteilles de produits inflammables et les quelque 12 kilomètres de fil utilisé
pour des explosions télécommandées retrouvés dans la ville mauritanienne de Zérouate
ne font en effet pas partie du matériel utilisé habituellement par les guérillas mais plutôt
par des organisations terroristes désireuses de fabriquer des bombes (p. 69).
Par conséquent, il se soulève des interrogations comme quoi le Front Polisario serait
affilié à des groupes terroristes ou serait leur fournisseur en ingrédients indispensables à la
fabrication de bombes pour des attentats terroristes. Pour certains experts, le Polisario a déjà
tissé des relations avec des groupes islamistes radicaux. C’est le cas Chauprade (s.d). Il
souligne qu’ « On peut même parler d’une certaine complémentarité entre des franges du
Polisario (la nouvelle génération intégriste), le GSPC algérien (...) et des éléments
islamistes radicaux, essentiellement des vétérans d’Afghanistan à la recherche de relais. »
Une mutation accélérée serait en cours dans le Grand Sahara avec la formation d’un « arc
intégriste du Sahara » qui constituerait une base arrière pour Al Qaeda. Cet arc, de l’avis
de Chauprade (s.d), « s’étend du Sud du Maroc et de l’Algérie au Nord du Tchad, [incluant
donc le Sahara Occidental] en passant par les confins du Mali, du Niger et de la
Mauritanie ».
Certaines sources sécuritaires font aussi état depuis quelques années d’un intérêt
certain et croissant de l’AQMI pour le Front Polisario, qui serait devenu un des principaux
bassins de recrutement de cette organisation terroriste. En effet, il n’est pas exclu que les
camps de Tindouf et la zone du Sahara contrôlés par le Polisario soient une sorte de « zone
grise » pour des organisations comme l’Al Qaïda, sa filiale locale AQMI et l’EI. Pour un
directeur des opérations de la DEA (Drug Enforcement Agency), l’agence américaine de
lutte anti-drogue, dans les camps de Tindouf, « les jeunes âgés entre 16 et 25 ans sont spoliés
de leurs droits et vivent dans des conditions abjectes et sans espoir d’un lendemain
meilleur ». Il ajoute que « les organisations terroristes puissantes telle al-Qaïda au
Maghreb islamique sont des experts en matière de détection de personnes présentant de tels
signes de vulnérabilité. » par conséquent, « les camps de Tindouf représentent une mine
d’or potentielle pour les recruteurs de groupes comme AQMI » (Aujourd’hui Le Maroc, 18
250
février 2010). La collusion du Polisario d’avec AQMI est aussi confirmée par Ammour
(2012) quand elle écrit que :
AQMI devenue une insurrection régionale ayant des points d’appui dans les
communautés locales, elle opère avec le soutien d’agents gouvernementaux et de
sécurité ainsi qu’avec les trafiquants de drogue (parmi lesquels des Sahraouis du
territoire contesté du Sahara Occidental) et autres contrebandiers.
251
réfugiés sahraouis se transforment en une importante ressource humaine pour AQMI et
l’EIGS. Dans ce contexte, le contrôle du Sahara Occidental devient non seulement un enjeu
pour la sécurité et la stabilité des États du Maghreb et du Sahel mais aussi pour l’Occident.
252
CHAPITRE 10 : LES GRANDES PUISSANCES INTERNATIONALES, LE
MAGHREB ET LE CONFLIT DU SAHARA OCCIDENTAL
Le Maghreb, en dépit du manque d’intégration régionale, joue tout de même un rôle sur
l’échiquier international. Pour cause, les grandes puissances internationales ont des intérêts
au Maghreb et sont donc soucieux du climat socio-politique qui y règne ou qui devrait y
régner. Depuis le début du deuxième millénaire, surtout depuis la fin de la guerre froide et
le début de la guerre contre le terrorisme avec les attentats du 11 septembre 2001, le
Maghreb est devenu un espace convoité et courtisé. Toutes les grandes puissances et
singulièrement celles qui sont dotées d’une présence militaire en Méditerranée comme les
États-Unis, la Russie et la France, l’Espagne, mais aussi la Chine, et l’Inde sont intéressés
par cet espace.
Cet espace n’est certes pas le « pivot central » des relations internationales, toutefois,
les Européens, Américains, Russes, et Asiatiques ont des intérêts au Maghreb et sont
soucieux de l'ordre qui y règne ou qui devrait y régner. Pour ce faire, ils multiplient les
actions de coopération avec cette région.
253
1- Les États-Unis et le Maghreb
Tout d’abord, il faut dire que pendant la guerre froide, dans le cadre de sa politique
anticommuniste, les USA n’accordaient pas beaucoup d'intérêt au Maghreb malgré sa
position géopolitique. En effet, les États-Unis ne concevaient pas le Maghreb comme une
entité régionale et préféraient donc nouer des relations bilatérales avec chacun des États
notamment le Maroc et la Tunisie, les deux pays ouvertement pro-occidentaux. Le Maghreb
en tant que région n’avait de signification que par rapport aux conséquences que l’évolution
dans cet espace pouvait avoir sur la stabilité de l’Europe méridionale, flanc sud de l’OTAN
(Zoubir, 2006, p. 3).
254
D’une manière plus concrète, après la seconde Guerre Mondiale, et donc pendant
toute la période de la guerre froide, dans le cadre de leur politique d’endiguement, les États-
Unis désiraient surtout juguler l’influence communiste, et promouvoir leurs intérêts et ceux
de leurs alliés occidentaux. Pour réaliser cet objectif, les Américains s’en étaient remis à la
France, ancienne puissance coloniale de la plupart des États de la région, pour y jouer un
rôle prépondérant au sein de ses anciennes colonies. En réalité, et les experts sont unanimes
pour le dire, les Américains n’avaient pas une politique proprement dite maghrébine avant
les années 1990 (Zoubir, 2006, p. 3). La fin de la guerre froide marquée par l’implosion de
l’URSS et qui a consacrée la supériorité des États-Unis, a été marquée par l’apparition
graduelle d’une politique maghrébine américaine. À cette époque, l’intérêt du Maghreb pour
les Américains, était dictée par la stratégie globale de l’hégémonie internationale
américaine.
Après la période de la guerre froide, l’intérêt américain pour le Maghreb s’est accru
pour des raisons économiques et aussi dans le contexte de la globalisation. En effet, vers
l’an 2000, la politique Étatsunienne maghrébine était purement d’ordre économique
privilégiant la coopération économique pour un développement durable au Maghreb. Cette
politique visait le renforcement de la stabilité et de la prospérité économique des États de la
région. C’est dans ce cadre que l’ « Initiative Eizenstat ou Alliance économique entre les
États-Unis et l’Afrique du Nord » encore appelé « Programme économique américain pour
l’Afrique du Nord » a été mis en place en 1999.
255
2001 (11-S), les États-Unis ont été frappé en plein cœur par un acte terroriste inédit et d’une
extrême violence. Le choc produit par cet attentat a été un évènement planétaire. Il ne sera
pas exagéré de dire que cet événement a changé la face du monde. Cet événement va
bouleverser les grandes lignes de la stratégie sécuritaire et géopolitique américaine sur
l’échelle planétaire. Dans cette ligne de lutte anti-terroriste international que va entreprendre
l’Administration américaine, l'Afrique du Nord va constituer une pièce maîtresse dans la
guerre contre le terrorisme déclenchée après le 11-S.
Après les attentats du 11-S, les États-Unis ont commencé à associer le terrorisme au
monde arabe, notamment le Moyen Orient et le Nord de l’Afrique, et à la religion
musulmane (Ettwiller, 2014, p. 14). Dans ce contexte, l’Administration américaine a
accordé plus d’attention au Maghreb, car il semblerait que certains membres du réseau
terroriste d‘Al Qaïda, dénommés les « Arabes afghans », soient d’origine nord-africaine
(Zoubir, 2006, p. 4). Pour lutter contre le terrorisme à la racine, les Américains vont
renforcer leur présence dans cette zone considérée comme vitale pour la sécurité dans
l’ensemble de la Méditerranée. Pour ce faire, le projet Eizenstat lancé en 1999 va changer
d‘objectif pour s'attaquer aux fondements économiques, sociaux et politiques du terrorisme.
L’initiative Eizenstat a été aussi amendé pour inciter les pays maghrébins à entreprendre
des réformes politiques et économiques nécessaires, afin d’enrayer le terrorisme (Faty,
2016, p. 270).
De par son positionnement géographique, le Maghreb est considéré comme une zone
« tampon » entre la Méditerranée et l'Afrique Subsaharienne où l'enjeu est majeur pour la
sécurité des États-Unis et celle de ses alliés. Depuis la fin de la guerre froide, et après le 11
septembre, les États-Unis voient dans le Maghreb une zone d’instabilité et d‘insécurité pour
les intérêts américain et occidentaux. Du fait du manque coopération régionale, le
terrorisme, le trafic de la drogue, l’immigration, l’instabilité politique et les crises de toutes
sortes dans le Maghreb font que les États-Unis entendent garder un œil sur cette zone.
Dans la conjoncture actuelle, le Maghreb est devenu une nouvelle zone de sécurité
pour Washington. Par conséquent, l’objectif principal pour les États-Unis est de développer
avec le Maghreb une étroite coopération militaire et économique liée à la sécurité. Toutefois,
les Américains ne sont pas sans ignorer l’importance du pétrole et du gaz naturel dans la
région, notamment en Algérie et en Libye. Il ne fait aucun doute que les États-Unis craignent
256
de voir le Maghreb devenir une base de recrutement et d’activités pour l’État Islamique et
Al Qaeda. Cela pourrait constituer un véritable danger pour les intérêts et la stabilité des
USA. C’est pour cette raison que le président George W. Bush déclarait en 2002 que :
Pour terminer, nous pouvons dire que la récente politique maghrébine des États-Unis
du XXIe siècle est le relent des attentats du 11 septembre 2001. En effet, les États-Unis
fidèles à eux-mêmes ne recherchent que leur propre intérêt, c’est-à-dire, leur sécurité.
Officiellement, au Maghreb, les États-Unis recherchent la stabilité et la prospérité de
l’Afrique du Nord en renforçant les relations avec le Maroc, la Tunisie et l’Algérie et
encourager les réformes politiques et économiques. Mais, il appert que le renforcement des
relations dont il est question vise à lutter contre le terrorisme, la prolifération des armes, le
trafic de drogue ; en un mot lutter contre tout ce qui peut nuire aux intérêts étatsuniens.
L’intérêt croissant démontré par les États-Unis pour une zone qui était jusqu’alors
considérée comme sous influence européenne, va réveiller l’intérêt de l’Europe pour cette
zone. Soucieux de l’influence Américaine au Maghreb, les européens vont alors chercher à
faire barrage en projetant une coopération globale euromaghrébine.
177
The White House, The National Security Strategy (Washington DC, The White House, septembre 2002),
disponible sur http://www.whitehouse.gov/nsc/nss/2002
257
2- Le couple Europe-Maghreb : entre coopération politico-économique et méfiance
258
orientale (PECO) multiplient les demandes d’adhésion à l’Union. Dans ce cadre, ceux-ci
vont engager de véritables transitions économiques et politiques d’un système socialiste
autoritaire vers un système de marché démocratique. Face à cette nouvelle concurrence, les
pays du Sud et de l’Est méditerranéens (PSEM) se sont mobilisés pour exiger une relance
de la coopération euro-méditerranéenne (Goumeziane, s.d). Conscients que les intérêts
économiques de l’Europe au Maghreb sont considérables et que cet espace est, en effet, doté
de grandes potentialités, minières, énergétiques, maritimes et agricoles, en plus d’un marché
de plus de 70 millions de consommateurs, divers partenariats vont être tissés.
259
Toutefois, si des progrès sont enregistrés dans les domaines politique, économique et
culturel, le processus de Barcelone, l’UPM ou le PEV se sont révélés incapables de
surmonter les obstacles en matière de sécurité. Fatigué des échecs de toutes les tentatives de
coopération globale ou multilatérale, la collaboration d’un petit nombre d’acteurs euro-
maghrébins sera mise en avant pour respecter des procédures réellement partenariales et se
focaliser sur des actions concrètes, directement effectives. C’est dans ce cadre qu’en 2004,
est née, une nouvelle démarche de coopération, plus connue sous le nom de dialogue « 5+5
». Instauré en 1990, le Dialogue « 5+5 » désigne un cadre de concertation pour la paix et la
sécurité entre cinq pays du Maghreb à savoir l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Mauritanie,
la Libye et cinq pays de l’Europe méridionale : la France, l’Espagne, l’Italie, le Portugal,
Malte. Pour Roche (2012, p.9) « le 5+5 s’est imposé dans le paysage multilatéral entre
1990 et 2010 comme un instrument au service du rapprochement entre le pays de la
méditerranée occidentale. »
Même s’il n’est pas encore question d’intégration dans le Dialogue « 5+5 », ce
mécanisme encourage néanmoins l’interdépendance entre ses membres et plaide en faveur
d’un resserrement des liens entre l’Europe et le Maghreb. Il permet aux dix pays de la
Méditerranée occidentale, proches par la géographie, la culture et l’histoire, de nouer un
dialogue dense et des coopérations dans tous les domaines, tels que l’immigration, la
sécurité, les trafics illégaux, etc. Aujourd’hui quoiqu’il en soit, l’Union Européenne (UE)
demeure le premier partenaire commercial de la Tunisie, de l’Algérie et du Maroc. De fait,
le commerce avec l’UE représente environ 63 % du commerce tunisien, 54 % du commerce
algérien et 60 % du commerce marocain (Cambon & Durrieu, 2014, p. 55). Quant aux
Investissements directs à l’étranger (IDE), l’Europe concentre 65,5 % de l’investissement
au Maghreb.
260
Mais il convient de souligner au passage que le Maghreb n’est pas seulement que le
partenaire économique traditionnel de l’Europe. Il n’est plus considéré simplement comme
une zone porteuse d’opportunités considérables, vecteur de développement des échanges
commerciaux et à même de produire une croissance durable et partagée. Le Maghreb est
devenu pour l’Europe source d’inquiétude de tout genre. En fait, dans l’imaginaire des
européens actuellement, l’Afrique du Nord constitue une menace pour leurs intérêts.
Le 11 mars 2004, une série d’attentats frappe Madrid et sa banlieue, faisant 191 morts
et quelques 1 900 blessés (Voir attentat de Madrid In Encarta, 2009). Cette attaque terroriste
a été revendiquée par le groupe islamiste Al Qaïda, dont la majorité des recrues seraient
d’Afrique du Nord (Zoubir, 2005, p.13). Depuis cette date jusqu’au déclenchement du
conflit libyen en 2011, le Maghreb est devenu une source de préoccupations pour l’Union
européenne, compte tenu des multiples défis de sécurité et de développement qui se posent
à la région et de leurs répercussions en Méditerranée occidentale.
Ainsi, de partenaire hier, les relations Europe Maghreb traversent une « zone de
turbulence » marquée par la méfiance des européens. Le Maghreb et l’Europe, eu égard à
leur proximité géographique, les pays de l’Europe, surtout l’Europe méridionale sont
préoccupés par les enjeux économiques, sécuritaires et géostratégiques dans l’Afrique du
Nord. Depuis l’implantation des deux faîtières du terrorisme international, l’État Islamique
et Al Qaïda, au Maghreb, la région ne cesse d’inquiéter les Européens qui craignent que le
Grand Sahara (Maghreb et Sahel) ne devienne la base arrière du terrorisme international en
destination de l’Europe. Pour l’Europe, leurs voisins du Sud jouent un rôle-clé sur le plan
de ses approvisionnements énergétiques, de la gestion des flux migratoires et de la lutte
contre le trafic illicite et le terrorisme. De ce fait, elle ne peut laisser des phénomènes
d’instabilité s’accentuer et se propager dans cette région (Baghzouz, 2013, p. 175).
La crise qui secoue aujourd’hui le Sahel, théâtre des activités terroristes, constitue
une lucarne pour rapprocher les points de vue des États maghrébins d’une part et maghrébins
et européens d’autre part. Cette crise se présente comme une opportunité pour inciter
maghrébins et européens à conjuguer leurs efforts dans le but de donner une bouffée
261
d’oxygène aux différents accords de partenariat euromaghrébin, notamment le Processus de
Barcelone, la PEV et l’UPM dont l’objectif, s’il fallait encore le rappeler, est d’instaurer
une zone de prospérité et de sécurité dans la Méditerranée. Préoccupée qu’elle est par les
enjeux sécuritaires persistant sur son flanc sud, l’Union Européenne va initier divers cadres
de coopération non pas seulement avec le Maghreb, mais également dans un cadre plus
large. C’est dans ce cadre que la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD)
est instituée. Telle que défini par le Conseil européen en décembre 2003 à travers sa
Stratégie européenne de sécurité, la PESD s’articule autour de trois points : « faire face aux
menaces », « construire la sécurité dans le voisinage de l’UE » et « régler le conflit israélo-
arabe » (Faty, 2016, p. 247).
262
anti-terroriste, ou de concurrence avec les autres grandes puissances (Baghzouz, 2013, p.
175).
Pour faire face aux nouveaux défis sécuritaires que représente la menace terroriste au
Grand Sahara, tant les Européens et Maghrébins sont conscients que la réussite de toute
politique de coopération passe par une bonne coordination entre les moyens et les efforts.
Aujourd’hui, l’UE reste un acteur inéluctable pour toute politique sécuritaire dans le bassin
méditerranéen, mais l’un des grands défis auxquels elle est confrontée au manque
d’intégration et de coopération dans le Maghreb qui empêche la mise en œuvre d’une
politique européenne harmonisée avec la région. En plus des États-Unis et de l’Union
Européenne, la Chine est une également une puissance internationale fortement ancrée au
Maghreb.
Il convient de dire que par leur position géographique, les États du Maghreb, en dépit
du manque notoire de coopération régionale, sont au carrefour des régions porteuses
d’avenir. Il appert que les pays du Maghreb ont un grand potentiel, tant en énergie fossile
que renouvelable. En effet, ils sont, par exemple, parmi les premiers producteurs et
exportateurs de phosphate et leur sous-sol est très riche en ressources naturelles. Selon des
auteurs, les États du Maghreb « représentent plus de 4 % de la production mondiale et des
réserves connues. L’Algérie et la Libye se classent au 14e et 15e rang mondial des pays
exportateurs de pétrole.» (Cambon & Durrieu, 2014, p. 58). Compte tenu de l’importance
géoéconomique et des énormes potentialités économiques des États du Maghreb, ceux-ci ne
pouvaient rester hors du giron de l’empire du Milieu. Selon un auteur, l’un des faits saillants
de ce début de ce deuxième millénaire, est l’ « invasion chinoise » du Maghreb, considéré
pendant longtemps comme la « chasse-gardée » des anciennes puissances coloniales
européennes (Nicolas, 2010, p. 4), notamment la France. En effet, nous assistons
actuellement à un renforcement progressif de la présence chinoise au Maghreb central et,
de façon plus générale, en Afrique du Nord.
Pour mémoire, la République Populaire de Chine (RPC) fut le premier État non arabe
à reconnaître le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en décembre
1958. Elle a ensuite établi des relations diplomatiques avec les pays du Maghreb peu après
263
leur indépendance : en novembre 1958 avec le Maroc, en janvier 1964 avec la Tunisie, puis
en 1965 avec la Mauritanie. Seules les relations diplomatiques avec la Libye ont été
instaurées plus tardivement en 1978, puisque Tripoli reconnaissait jusqu’alors la
République de Chine (Taiwan) (Lafargue, 2018).
Plus importantes que les relations purement politiques, il faut reconnaitre que le
principal intérêt porté par la Chine à l’Afrique du Nord s’explique par des enjeux
énergétiques, miniers et commerciaux. Le Maghreb est l’un des fournisseurs de la Chine en
hydrocarbures. C’est ainsi que la Libye (avant la guerre civile qui dure depuis 2011)
exportait près de 10 % de sa production en pétrole vers la Chine. Avec la crise libyenne,
désormais seule l’Algérie reste un fournisseur en hydrocarbures. Mais cette fourniture reste
marginale puisqu’elle ne couvre que 1,3 % des importations pétrolières chinoises (Lafargue,
2018).
En matière minière, même si le sous-sol du Maghreb n’est pas aussi riche en minerais
et en métaux qu’en Afrique Australe, mais les minerais et métaux présents constituent une
proportion non négligeable. En Mauritanie par exemple, la quasi-totalité des importations
de la Chine est constituée de minerai de fer Au Maroc, la moitié des exportations du
royaume vers les ports chinois sont également des minerais (cuivre, zinc et plomb).
264
entre ces deux pays (Pairault, 2018, p. 136). Aujourd’hui, l’Algérie est l’un des plus anciens
et des plus importants partenaires économiques de Pékin en Afrique du Nord. Pékin
s’intéresse aux abondantes réserves de pétrole et de gaz. Depuis le début des années 2000,
les relations économiques sino-algériennes ont pris véritablement leur essor. En 2013, la
Chine a écarté la France de sa première place et, en 2018, ses exportations y ont atteint 7,85
milliards de dollars, un montant record pour le commerce chinois au Maghreb. Sur le sol
algérien, les entreprises chinoises opèrent principalement dans les domaines de la
construction, du logement et de l’énergie (Ghafar & Jacobs, 2019).
Dans le domaine de la construction par exemple, de grands projets tels que l’opéra
national d’Alger, l’hôtel Sheraton en bord de mer, dans la banlieue ouest de la capitale, la
grande mosquée d’Alger et l’autoroute est-ouest sont là pour cristalliser la préférence du
partenariat économique chinoise d’Alger. La réalisation de ces chantiers a drainé dans leur
sillage des milliers de travailleurs et de commerçants qui ont créé un « Chinatown » au sein
du quartier de Boushaki, dans la banlieue Est d’Alger (Ghafar & Jacobs, 2019).
265
Road Initiative [BRI] 178». La Chine cherche aussi à approfondir ses échanges commerciaux
avec la Tunisie et la Libye. En 2018, elle a signé des protocoles d’entente dans le cadre de
la BRI avec ces deux pays (Ghanmi, 2018). Avec la Tunisie, ses ventes ont atteint en
moyenne annuelle 1,85 milliard de dollars depuis 2016, ce qui la classe au troisième rang
des partenaires économiques tout juste derrière la France et l’Italie. La Russie est également
intéressée par la région.
4- La Russie et le Maghreb
Si à une époque, nous avons pu donner l’impression d’avoir perdu tout intérêt pour le
continent africain, il est de notre devoir de rattraper le temps perdu. Nous avons quantité
de projets et d’idées intéressantes et de qualité pour développer notre coopération. La
Russie constate sans jalousie que d’autres pays ont noué des liens en Afrique, mais elle
entend bien défendre ses intérêts dans le continent (Bassou, 2019, p. 1).
La Russie a toujours eu des rapports différents avec chacun des États du Maghreb.
Les relations avec les deux grands États pétroliers du Maghreb, que sont l’Algérie et la
178
Belt and Road Initiative est le terme par lequel le gouvernement chinois désigne son projet de « nouvelles
routes de la soie ».
266
Libye, se distinguent des relations avec les autres pays de la région en raison des antécédents
remontants à la période soviétique. En premier lieu avec l’Algérie, les relations
diplomatiques furent établies en 1962. À cette époque de Guerre Froide marquée par les
rivalités Est-Ouest, l’Union Soviétique apparaissait comme un allié proche idéologiquement
en comparaisons des autres acteurs. En effet, pour Algérie, l’URSS apparaissait aussi
comme une source de financement peu coûteuse pour la construction et la production
d’équipements comme pour l’acquisition d’armements (Sanchez Andres, 2006).
Toutefois, les relations furent interrompues au cours des années 1990 à cause de
problèmes internes de l’Algérie mais aussi du fait d’un ensemble d’événements graves pour
l’Union Soviétique : effondrement, désintégration, crises économiques et politiques de la
nouvelle Russie. Cependant, les relations politiques entre la Russie et l’Algérie furent
pratiquement renouées en 1999, avec un nouveau départ des relations sur la base des intérêts
stratégiques mutuels. C’est ainsi que les deux pays ont renforcé leurs relations dans le
domaine des hydrocarbures, notamment le secteur du gaz et commencèrent à insister sur la
coordination entre pays producteurs de gaz.
Les relations de la Russie avec les autres pays du Maghreb, le Maroc, la Tunisie et
la Mauritanie, diffèrent des relations avec l’Algérie. Cependant, il ne s’agit pas d’une
nouveauté, car avec ces États les relations remontent aussi à la période de la Guerre Froide.
Traditionnellement, même si le Maroc a toujours été sous influence occidentale, il n’en
demeure pas moins vrai que le royaume a toujours maintenu des liens avec l’URSS. Le fait
d’entretenir des relations avec les pays occidentaux, d’être lié dans des zones de libre-
267
échange avec l’Union Européenne et les États-Unis, d’entretenir des relations poussées avec
l’OTAN, n’a pas empêché les relations maroco-russes de connaître un développement
spectaculaire (Saaf, 2016, p.13). Pour s’en convaincre, il y eu lieu en septembre 2006 la
première visite d’un président russe au Maroc depuis la chute de l’URSS en 1991. La
dernière visite d’un chef d’État soviétique fut celle de Leonid Brejnev, en 1961 en pleine
Guerre froide.
Quant à la Tunisie, tout comme le Maroc mais plus que celui-ci, elle est entièrement
tournée vers l’Union Européenne, en raison de la proximité géographique et des dynamiques
économiques de cette région. Elle constitue un allié politique et militaire en Afrique du Nord
des États- Unis et de l’Union Européenne. Une première tentative de rapprochement de la
Tunisie avec la Russie eut lieu en 1999, et les efforts furent concrétisés par la conclusion
d’abord d’accords culturels et éducatifs.
En 2000 les présidents Poutine et Ben Ali se rencontrèrent à New York. Cette
encontre a relancé les relations tuniso-russes. Le ministre des Affaires Étrangères russe Igor
Ivanov fit une visite en Tunisie, visite que l’on peut considérer comme le premier fait
d’importance dans les relations entre les deux pays. En 2001, se tint la deuxième
Commission intergouvernementale tuniso-russe. Entre la Russie et la Tunisie, des
dimensions politiques, en particulier celles liées au terrorisme, prennent plus d’importance
du fait de la conjoncture sécuritaire actuelle. En mars 2016, lors d’une rencontre à Moscou
entre les ministres des Affaires Étrangères des deux pays, les deux hommes ont affirmé la
nécessité de coordonner davantage les positions et les efforts aux plans bilatéral et
international, notamment dans la lutte anti-terroriste. L’établissement des relations
268
diplomatiques entre l’URSS et la République Islamique de Mauritanie (RIM) date du 12
juillet 1964.
En somme, pour la Russie le Maghreb est important dans son positionnement global
en tant que puissance internationale et comme une force économique en réémergence, en
comparaison des USA, de l’UE et de la Chine. Le Maghreb en raison de sa proximité avec
l’Europe, a une importance géostratégique et géopolitique.
269
illustre d’emblée, combien de fois, les grandes puissances sont impliquées dans l’affaire du
Sahara.
Après la seconde Guerre Mondiale en 1945, les rapports entre les États-Unis et leur
ancienne alliée, l’Union Soviétique, devinrent très compliqués à cause notamment de
270
considérations géopolitiques divergentes pour l’hégémonie mondiale. Cette dissension dans
les relations des deux grands, va consacrer la division du monde en deux blocs ; le bloc
occidental tenu par les États-Unis et le bloc de l’est dirigé par l’URSS.
Toute cette période est connue comme la « Guerre Froide ». Même si les deux
superpuissances ne se sont pas affrontées directement, elles combattaient par alliés
interposés sur les cinq continents. Le continent africain et particulièrement le Maghreb, n’est
pas resté en marge de la guerre froide, de cette guerre idéologique. Au Maghreb, américains
et soviétiques, y avaient leurs représentants. Des États comme la Libye et l’Algérie étaient
considérés comme proche de l’URSS, tandis que, le Maroc est considéré comme l’allié
traditionnel des États-Unis au Maghreb. Comme le dit Ismail Uld Es-Sweyih, « les États-
Unis se sont engagés résolument dans les premières années de conflit, aux côtés du Maroc,
considéré comme un allié fidèle » (Fadel, 2001, p. 120).
179
La guerre de l’Indépendance américaine (1775-1783) entre les Britanniques et les treize colonies insurgées
(Massachusetts, New Hampshire, Connecticut, Rhode Island, New York, New Jersey, Pennsylvanie,
Delaware, Maryland, Virginie, Caroline du Sud, Caroline du Nord et Géorgie) débute le 17 juin 1775, avec la
bataille de Bunker Hill. Le 4 juillet 1776, les colonies américaines adoptent la Déclaration d’Indépendance,
rédigée par Thomas Jefferson puis, le 15 novembre 1777, les Articles de la Confédération. Apres plusieurs
années de lutte contre les colons britanniques, l’indépendance des États-Unis est officiellement reconnue par
le Royaume-Uni, à l’issue des traités de Paris et de Versailles le 3 septembre 1783.
271
qui oppose depuis plus de quarante ans les sahraouis et les marocains. En effet, à cette
époque où les rapports de forces géopolitiques sont tendus entre les deux blocs, aucun des
gouvernements occidentaux qui ont des intérêts dans le Maghreb n’est prêt à appuyer
l’indépendance d’un État, petit et fragile. Cet État pourrait tomber sous l’influence
algérienne et libyenne et compléter par conséquent l’encerclement du Maroc. À l’époque
du président Carter, l’Administration américaine considérait que la formation d’un État
sahraoui indépendant pourrait représenter l’expansion définitive de l’influence soviétique
et cubaine dans la zone. Une conviction qui légitimait par elle-même une plus grande
provision d’armes au Maroc. Cette politique est reprise et consolidée par le gouvernement
de Ronald Reagan en 1981 (Laura, 2013, pp. 165-166).
Par principe, a priori, les USA ne sont pas opposés à l’exercice du droit à
l’autodétermination des peuples, mais pour le cas du Sahara Occidental, ce sont les
considérations géopolitiques du moment qui ont dicté l’attitude américaine (Zoubir, 2005,
p. 6). En effet, les premiers intérêts des USA dans la question du Sahara Occidental ont trait
au contexte international de la période de la Guerre Froide.
272
la elección por el Frente Polisario de una opción ideológica tan al gusto de los
movimientos de liberación árabes de la época cuyos modelos venían representados por
la Argelia de Bumedian, el Egipto de Nasser y la Libia de Gadafi, le acarrearía graves
consecuencias en el momento de la independencia y en los años siguientes, dado que
ningún gobierno occidental estaría dispuesto, en esos años de guerra fría, a apoyar a un
nuevo Estado tan aparentemente hostil al modelo político occidental.180
180
Notre traduction: le choix par le Front Polisario d’une option idéologique au goût des mouvements de
libération arabes de l’époque dont les modèles étaient représentés par l’Algérie Boumediene, l’Egypte de
Nasser et la Libye de Kadhafi aurait de graves conséquences au moment de l’indépendance et dans les années
suivantes, puisqu’aucun gouvernement occidental ne serait disposé, dans ces années de la guerre froide, à
soutenir un nouvel État si apparemment hostile au modèle politique occidental.
273
militaire (Zoubir, 2005, p.5). Les ventes d’armes avec le Maroc ont eu lieu, en dépit de ce
que la législation de vente d’armes interdisait leur utilisation en cas de conflit contre un pays
tiers. Dans le cas du Maroc, il était dit que les armes américaines devraient être utilisées
seulement pour la défense de l’intégrité territoriale du Maroc.
274
marocains ont été même envoyés aux États-Unis pour y être instruits. Par la suite, l’alliance
militaire a été renforcée par l’accord d’utilisation des bases marocaines par les Forces de
déploiement rapide (FDR), signés en mai 1982.
La fin de la guerre froide en 1991 avec l’implosion de l’URSS a cédé le pas à une
autre guerre plus chaude : le terrorisme international et à une autre représentation du
problème sahraoui.
Sayeh (1998, p. 136) parlant de la nouvelle représentation du Sahara pour les États-
Unis, écrit que « le fondement de la nouvelle politique maghrébine es États-Unis et de leur
engagement au Sahara Occidental pour mener la question de décolonisation de ce territoire
à son terme, serait le rétablissement de la paix et, surtout, la recherche de la stabilité dans
la région ». En d’autres termes, les États-Unis ne conçoivent la question qu’en terme global,
régional. Ce qui les intéresse ce n’est pas tant l’autodétermination des Sahraouis, mais leurs
propres intérêts, c’est-à-dire, leur sécurité de manière globale. Ce n’est donc pas pour les
« beaux yeux » des sahraouis que les nord-américains sont engagés dans leur conflit, c’est
pour promouvoir la coopération avec les États de la région et lutter contre le terrorisme.
275
Le leader de la majorité démocrate à la chambre des représentants soulignait en 2007
que « Cuando Al Qaeda (...) extiende su presencia por el norte de África, nos preocupa que
la continuación de este conflicto desde hace más de treinta años suponga un peligro para
181
la seguridad regional de EE.UU » (El País, 28 avril 2007). Le Grand Sahara, en effet,
est devenu le champ d’activité où des groupes terroristes aussi bien locaux
qu’internationaux sillonnent, s’adonnant à tous genres de contrebande, armes incluses, et
recrutent de nouveaux membres parmi les populations locales. Les groupes terroristes
islamistes, dont les plus actifs sont le Groupe salafiste pour la prédication et le combat
(GSPC) affilié à al Qaeda, et devenu AQMI et le groupe État islamique au Grand Sahara
(EIGS), représentent une menace pour cette région aux frontières poreuses.
La région est à présent considérée comme « le nouveau front dans la guerre globale
contre le terrorisme » de l’administration américaine. L’objectif des États-Unis est donc de
« faciliter la coopération entre les gouvernements dans la région (Algérie, Maroc, Tunisie,
Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Sénégal et Nigéria) et de renforcer leur capacité à
combattre les organisations terroristes » (Zoubir, 2005, p. 14). Ils visent aussi à empêcher
que des groupes terroristes établissent des bases comme ils avaient réussi à le faire en
Afghanistan avant le 11 septembre. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’a été lancée à la
fin de 2002 l’Initiative Pan Sahel (IPS), un programme d’un peu plus de 8 millions de
dollars, qui doit augmenter d’une manière substantielle, afin de former des troupes
spécialisées dans la lutte antiterroriste en Mauritanie, au Mali, au Niger et au Tchad (Zoubir,
2005, p. 14).
Selon le media espagnol Europa Press (reprit par Maroc diplomatique, 2020), l’État
islamique au Grand Sahara (EIGS) lié au Polisario, constitue aujourd’hui la principale
menace djihadiste au Sahel, où il a enchaîné ces derniers mois les attaques à l’encontre des
armées du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Ce groupe terroriste est devenu une véritable
préoccupation pour les forces de sécurité, souligne le média espagnol, évoquant la création,
lors du sommet de Pau ayant réuni en janvier dernier la France et les États du G5 Sahel,
d’une coalition pour lutter contre le terrorisme, en ciblant en “priorité” l’État islamique au
181
Notre traduction: Quand Al-Qaïda (...) étend sa présence à travers l’Afrique du Nord, nous craignons que
la poursuite de ce conflit depuis plus de trente ans ne représente un danger pour la sécurité régionale des États-
Unis.
276
Grand Sahara. Avec l’avènement du groupe terroriste l’Organisation de l’État Islamique et
sa filiale locale l’EIGS qui vient s’ajouter à un grand écosystème de mouvement intégriste
dans le Grand Sahara, les Américains sont conscients qu’il faille la coopération de tous les
États de cette région. Par ailleurs, le Polisario est soupçonné aujourd’hui de basculer vers
l’islamisme radical et le terrorisme et d’être en collusion avec Al Qaïda. Un auteur dit même
qu’ « on ne peut exclure que le Polisario puisse s’autonomiser de l’emprise algérienne pour
tomber sous celle d’un parrainage islamiste radical » (Chauprade, s.d). De fait, les jeunes
générations sahraouies sont peu séduites par le Front Polisario divisé par les intérêts
personnels de certains de ses membres et qui démontre son incapacité à accomplir sa
promesse d’obtenir l’indépendance du Sahara Occidental.
Deux autres facteurs vont venir justifier l’intérêt des États-Unis pour le Sahara
Occidental et par-delà, de toute la région. D’une part, le manque d’une coopération en
matière de sécurité entre États maghrébins dans une zone où les contentieux interétatiques
sont particulièrement lourds, avec en premier lieu la question du Sahara occidental. À cause,
notamment de cette question, le contrôle étatique des territoires et frontières est un exercice
malaisé, ce qui fait qu’ils sont susceptibles de servir de base arrière pour la préparation et le
soutien logistique d’actions terroristes dans le monde occidental et dans les autres pays de
277
la région. D’autre part, la nationalité ou l’origine maghrébine (d’un État du Maghreb) de
certains auteurs d’attentats ou membres de réseaux islamistes.
Le blocage du conflit illustre aujourd’hui qu’il est plus tributaire des positions
marocaines et algériennes que des aspirations du peuple sahraoui. Toutefois, le spectre de
la perte du contrôle algérien sur le F. Polisario dont certains –anciens- membres sont
devenus des leaders de groupe terroriste. La perte du contrôle algérien sur le Polisario et si
le statu quo actuel se poursuit, cela pourrait déstabiliser davantage une région déjà fragile,
et entraîner, par ricochet, des conséquences terribles pour l’Europe et Washington.
L’Algérie, tuteur actuel du Polisario et partie concernée du conflit, est devenu un cas d’école
dans la lutte anti-terroriste. Et, c’est durant les années de la crise anti-terroriste algérienne
que l’Algérie est devenue important aux yeux des États-Unis. Comme le dira l’ambassadrice
des États-Unis à Alger, l’Algérie a « (…) malheureusement plus d’expérience en ce qui
concerne le terrorisme [que les États-Unis] » (La Tribune, 18/6/2003). Cependant, la
monarchie marocaine demeure toujours l’allié principal des États-Unis au Maghreb.
278
algérienne pourtant basée sur la légalité internationale. Les étatsuniens semblent négliger le
fait que le statu quo demeurera au Maghreb tant qu’elle continuera à soutenir le Maroc.
En même temps que les États-Unis insistent sur la résolution du conflit, obstacle
majeur à une construction maghrébine, au même moment, ils ne font aucune pression sur le
Maroc pour se plier aux résolutions onusiennes. Pis, la Maison Blanche reconnait la
souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. Dans le contexte actuel, où chacune des
parties récuse les plans de résolution de l’autre et dans une région en train de devenir le
bastion du terrorisme international, Washington commence à taper du poing sur la table. En
effet, « l’administration américaine ne veut plus se contenter de « gérer la crise » (Moshen
Finan et Jeune Afrique, 2018) Les États-Unis affichent deux priorités quant au Sahara
Occidental : d’une part, secouer la Minurso en insistant pour réduire sa mission à six mois
et trouver une solution à un conflit qui n’a que trop duré.
Maintenant plus que jamais, les États-Unis doivent s’impliquer davantage dans la
résolution du conflit du Sahara Occidental d’une manière juste, équitable et rapide, pour
permettre non seulement le développement du Maghreb et aux Sahraouis de choisir la forme
de gouvernement qui leur convient. Mais la récente sortie du président sortant des États-
Unis, qui reconnait la marocanité du Sahara Occidental, est loin d’aller dans le sens de
l’apaisement du conflit. Au contraire, elle a envenimé la situation en accentuant les
suspicions entre les différentes parties du conflit.
279
« un cordon de sécurité en vue de sécuriser le flux des biens et des personnes », selon un
communiqué de l'état-major marocain (L’Express.fr du 14/11/2020). Pour le F. Polisario, le
Maroc a liquidé le cessez-le-feu qui était en vigueur depuis 1991.
Les tweets de D. Trump ne viennent-ils pas affirmer tout haut ce que l’on
soupçonnait déjà. Les États-Unis estiment qu'un État sahraoui indépendant n’est pas une
option réaliste pour résoudre le conflit et qu’une véritable autonomie sous souveraineté
marocaine est la seule solution possible. Le ministre marocain des affaires étrangère, Nasser
Bourita, soutient que « La reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le
Sahara ne s'est pas faite en échange du rétablissement des relations avec Israël » (Belabd ,
s.d). Mais bien au contraire, il apparait clairement dans les messages que Trump conditionne
la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental à la normalisation
des relations entre Rabat et Tel Aviv. Pour lui, il était naturel que les États-Unis soutiennent
le plan d’autonomie du Maroc. En fait, il existe entre les deux pays des relations solides et
historiques qui remontent à 1777 quand le Sultan du Maroc, Mohammed Ben Abdellah a
reconnu l’indépendance des États-Unis. Cette reconnaissance sera officialisée en 1786 par
la ratification d’un traité de paix et d’amitié liant les États-Unis et le Maroc par le Congrès
américain.
182
Notre traduction : J’ai signé ce jour la proclamation de la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur
le Sahara Occidental. La proposition sérieuse, crédible et réaliste du Maroc sur le plan d'autonomie est la seule
base pour une solution juste et pérenne afin d'assurer paix et prospérité !
183
Notre traduction : Une autre percée HISTORIQUE aujourd’hui ! Nos deux GRANDS amis Israël et le
Royaume du Maroc ont convenu de relations diplomatiques complètes – une percée massive pour la paix au
Moyen-Orient !
280
De ce qui précède, il semble que les États-Unis et le Maroc aient opéré une sorte de
troc ou de deal (géo) politique où chaque partie s’en tire gagnant-gagnant. Mohsen-Finan
(sur RFI, 2020) soutient à ce propos que « C'est un deal à tous les nouveaux. C’est un deal
Américain ». La reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara
Occidental soulève des questions géopolitiques. Elle est aussi assortie de conséquences sur
les perspectives de résolutions du conflit. Pour Abderrahim (cité par Gay-Padoan, 2020),
« Cette décision de Donald Trump a une incidence et impact puisqu’elle va bouleverser
l’équilibre stratégique au Maghreb et en Méditerranée. » En effet, la reconnaissance de la
"marocanité" du Sahara est une stratégie américaine visant à contenir l’hégémonie iranienne
dans le monde Arabe.
En fait, Donald Trump sait que ses jours à la Maison Blanche sont comptés. Et
désirant au plus profond de lui qu’une cause historique soit rattachée à son nom, va faire de
la normalisation des relations du Maroc d’avec l’État hébreu un enjeu majeur de sa politique
au Moyen-Orient. Abderrahim (cité par Gay-Padoan, 2020) écrit à ce propos qu’ « il s’agit
de faire en sorte qu’Israël devienne un allié stratégique dans le dispositif américain au
Moyen-Orient et du monde arabe en général ». La décision américaine pourra pousser
plusieurs États du monde Arabe, d’Afrique ou d’Europe à revoir leur position vis-vis de la
cause sahraouie en renonçant à leur traditionnelle neutralité pour devenir des défenseurs
farouches du Maroc au sein des Organisations Internationales.
184
L’article est disponible en ligne sur https://www.francemaghreb2.fr/, consulté le 27/12/2020.
281
La décision américaine est une vraie aubaine pour le Maroc car elle implique
l’ouverture d'un consulat « virtuel » à Dakhla, dans le sud du Sahara Occidental. Le consulat
américain rejoindrait ceux d'autres pays africains et arabes, tels que les Émirats arabes unis
ou le Bahreïn. « Cette présence virtuelle dépendra de l'ambassade des États-Unis à Rabat »
et donnera « une attention particulière à la promotion du développement économique et
social »185, soulignait Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine de
l’Administration Trump. La reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara en
échange de la normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël est
également assortie de gain financier et économique pour le royaume chérifien. En effet,
selon des informations fournies par France 24, en vue d’un « soutien financier et technique
de projets d’investissements privés au Maroc y compris le Sahara Occidental », les États-
Unis ont décaissé la somme de trois milliards de dollars au profit du Maroc.
l’intérêt pour le Maroc est donc évidemment économique, sécuritaire mais il est
également visible sur le développement politique du Maroc qui peut devenir une
puissance régionale. (...) grâce aux États-Unis, à condition que Joe Biden186 reste sur la
même ligne politique que Donald Trump.
185
Lire l’article complet en ligne https://www.rtbf.be/info/mot-cle_sahara-occidental?keyword=669063,
consulté le 27/12/2020.
186
Joe Biden est le nouveau président élu des États-Unis d’Amérique qui a remplacé Donald Trump.
282
par la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, un revirement de J. Biden
conduirait à un refroidissement des relations entre le royaume chérifien et l’État hébreu.
La décision américaine a réanimé les hostilités dans une région déjà en proie aux
tensions du fait du terrorisme islamique, de l’absence de coopération économique et de la
méfiance entre le Maroc et l’Algérie. C’est pourquoi le Front Polisario l’a aussitôt rejeté et
dénoncé. Quant à l’Algérie, elle vient de traverser une crise institutionnelle et politique du
fait de l’absence du Président Abdelmadjid Tebboune hospitalisé en Allemagne des suites
du Covid-19187 et le Hirak188.
La conjugaison de ces deux facteurs ont non seulement affaiblie l’Algérie mais l’ont
en plus isolée sur la scène politico-diplomatique. Néanmoins, quoique faiblement, elle a
dénoncé la décision de Trump la qualifiant de « manœuvres étrangères » (Gay-Padoan,
2020), visant à la déstabiliser. Dans la même veine, plusieurs capitales dont Moscou et Pékin
ont estimé que c'était là une décision unilatérale qui sort complètement du cadre du droit
international. Ainsi que les États-Unis, l’Union Européenne n’est pas indifférente à la
situation qui prévaut au Sahara Occidental.
187
Après avoir contracté la covid-19, le Président est d’abord admis à l’hôpital militaire d’Ain Naadja près
d’Alger, avant d’être évacué sur l’Allemagne le 28 octobre 2020. L’absence du président plonge le pays dans
une certaine paralysie car elle laisse en suspend plusieurs dossiers clés comme la réforme constitutionnelle, le
budget du gouvernement, la situation sécuritaire (avec la reprise des hostilités entre le Maroc et le Polisario)
et sanitaire...
188
Le Hirak désigne des manifestations sporadiques qui ont lieu depuis février 2019 en Algérie. Les
manifestants protestaient en premier lieu contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat
présidentiel. En deuxième lieu, les manifestants réclamaient le renouvellement de la classe politique et me
départ des dignitaires du régime Bouteflika.
283
Pour le PE, le Sahara Occidental est un « territoire non autonome » qui attend encore le
parachèvement de sa décolonisation. Il est donc objet d’un « processus de décolonisation »
qui n’est pas encore parachevé (Résolutions du 27 octobre 2005 et du 25 novembre 2010).
[…] que le territoire du Sahara occidental soit placé provisoirement sous le contrôle
des Nations unies et de leur force de paix (MINURSO), en attendant la préparation et
la tenue d’un référendum qui permettra au peuple sahraoui de se prononcer sur l’avenir
de son pays (Résolution du 18 avril 1991).
Mais il se trouve que dans les faits, la question du Sahara Occidental apparait surtout
comme source de tensions (Boni-Gatta, 2016, p. 419) au sein de l’Union, de ses membres
et de ses organes.
284
Sahraoui. Le parlement n’hésite pas à l’occasion à condamner les violations des droits de
l’homme au Sahara en dénonçant les manœuvres marocaines l‘obstruction du referendum.
Il est généralement admis par les européens que la sécurité en Afrique est une
condition de la sécurité européenne. Ce constat est d’autant plus vrai que l’Afrique et
notamment le Maghreb est plus proche du continent européen et il partage avec lui des
espaces méditerranéens et océaniques. C’est pourquoi, pour l’Union européenne, la question
du Sahara Occidental n’est pas seulement une affaire de droits de l’homme (Ruiz Miguel,
2018, p. 123). En effet, « la posición de la unión europea en el conflicto del Sahara
Occidental, una muestra palpable (más) de la primacía de sus intereses económicos y
políticos sobre la promoción de la democracia y de los derechos humanos »189 (Soroeta
Liceras, 2009, p. 823).
189
Notre traduction: la position de l’Union européenne dans le conflit au Sahara occidental, est un signe
palpable de la primauté de ses intérêts économiques et politiques sur la promotion de la démocratie et des
droits de l’homme.
285
est liée au règlement du différend et au développement durable du Sahara Occidental »
(Faupin & Guillaumin, 2015, p. 1). Même si objectivement l’on peut dire que l’Union
européenne est pro-marocaine, il n’en demeure pas moins qu’elle reste partagée entre les
positions antinomiques de ses États membres. Après avoir vu la position de l’UE dans le
conflit du Sahara Occidental, il convient maintenant de jeter un coup d’œil sur l’attitude de
certains de ses membres qui se sont illustrés de par leur engagement dans le conflit depuis
ses débuts. Pour ce faire, commençons par la puissance colonisatrice du territoire,
l’Espagne.
Comme nous l’avons vu plus haut, c'est en novembre 1975, alors que le général
Franco agonisait et dans le dos de celui-ci, que ses successeurs ont organisé « une transition
sans incidents » avec le Maroc. Était alors signé à Madrid « l'Accord Tripartite sur le Sahara
Occidental ». Cet accord, pour ne plus revenir dessus, qui a consacré le partage de la
« dernière colonie d'Afrique », a été une solution élégante pour l’Espagne. Cette solution a
permis à l’Espagne, non seulement, de se débarrasser d’un territoire qui devenait trop
encombrant pour elle, car la situation menaçait de dégénérer en conflit armé entre les forces
espagnoles et marocaines dans cette période de transition politique en Espagne. Aussi, cela
a permis à l’Espagne de « mettre à l’abri » ses autres territoires notamment, Ceuta, Melilla,
les iles Canaries, les îles Chaffarines et les rocs de Vêlez et Al Hoceima. Comme nous
l’avons démontré, déjà, l’Espagne a troqué le Sahara pour des intérêts géopolitiques et
géoéconomiques nationaux et privés.
286
officiellement, l’Espagne a adopté une « neutralité active » en appuyant la doctrine des
Nations Unies, c’est-à-dire, qu’il s'agit d'un problème de décolonisation inachevé, qui attend
la célébration d'un référendum d'autodétermination auprès de la population du territoire. Ce
qui intéresse par-dessus tout le gouvernement espagnol c’est la préservation de ses relations
économique et politiques avec les États du Maghreb. Ainsi, soucieuse de préserver ses
intérêts, l’Espagne a mis en place une « politique d’équilibre ». Cette politique est faite
d’ententes bilatérales et de coopération qui devait lui permettre, en endormant les
revendications concurrentes au Maghreb, de résister aux pressions internationales et
d’envisager une exploitation fructueuse des ressources des territoires (Ceuta, Melilla, les
iles Canaries, etc.).
- Au niveau social.
190
À lire sur https://atalayar.com/fr consulté le 29/07/20.
287
Junta de Andalucia (BOJA), l’aide du gouvernement de Séville à travers l’Agence
Andalouse de Coopération Internationale est consacrée à l’Association d’Amitié avec le
Peuple Sahraoui de Séville. L’aide du Gouvernement de l’Archipel Canarien est destinée à
l’Association d’Amitié avec le Peuple Sahraoui, et cela malgré la crise que connaît
l’Espagne (Benlabbah 2012, p. 57).
- Au niveau politique
L’appui des partis politiques espagnols au Front Polisario depuis sa création est un
secret de polichinelle. Leurs interventions au sein du Parlement depuis les années 1970,
reflètent le soutien de l’élite politique espagnole à la cause des indépendantistes sahraouis.
Mais cet appui et cette sympathie sont toujours relatifs, et sont fonction des partis politiques
espagnols et de leur participation ou non au gouvernement. Les partis IU (Gauche Unie) et
UPyD (Union Progrès et Démocratie, parti fondé en 2007) ont toujours exprimé leur appui
inconditionnel au Polisario de même que les parti CC (Coalition Canarienne) et le PNV
(Parti National Basque). Les deux grands partis espagnols PP (Parti Populaire) et le PSOE
(Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) utilisent la question du Sahara selon leur position dans
le Gouvernement ou dans l’opposition.
Mais tout récemment en 2020, le gouvernement espagnol dirigé par le Pedro
Sanchez a rompu avec la position historique de l’Espagne. En effet, en 2021, le
gouvernement espagnol accueille sur son sol le président de la RASD, Brahim Gali, malade
du Covid-19. Rabat va considérer cet acte comme une trahison de la part de Madrid191. Par
conséquent, le Maroc ouvre ses frontières au niveau de Ceuta et laisse entrer des milliers de
191
L’article est disponible sur https://www.publico.es/sociedad/gobierno-devolucion-marroquies-ceuta.html#
consulté le 29/08/2021.
288
migrants dans cette ville espagnole (Publico, 2021). A la suite d’acte de chantage migratoire
du Maroc, le gouvernement a été contraint de reconnaitre le Plan d’autonomie proposé par
le Maroc, le jugeant comme le plan le plus sérieux et réaliste pouvant permettre la résolution
du conflit.
- Au niveau économique
La région du Sahara, arrière-pays des Iles Canaries est comme nous l’avons déjà dit
très riche en ressources halieutiques et minérales. Pour préserver ses intérêts, l’Espagne
envisage toujours d’avoir de bonnes relations avec la future entité qui administrerait ou
gouvernerait le territoire, dans le cadre de la solution qui serait adoptée par les Nations Unies
et acceptée par les parties. Juste après la France, l’Espagne est le deuxième partenaire
économique du Maroc avec 13,3% des transactions commerciales, ce qui correspond à 28
953 millions dirham (DH) en 2011. Elle est également deuxième client et deuxième
fournisseur avec, respectivement, 18,9 % et 10,6% (Benlabbah 2012, p. 70).
À l’arrivée des socialistes au pouvoir, la coopération militaire avec le Maroc est allée
crescendo et s’est élargie à d‘autres champs ; c’est ce qui explique la participation des forces
espagnoles et marocaines à des manœuvres communes en octobre 1984. Quant aux ventes
d’armes et de matériels, entre 1982 et 1984, elles ont dépassé les 15 milliards de pesetas.
Dans la foulé et toujours dans la même veine, en décembre 1986, toujours pendant la guerre
Polisario-Maroc, l’Espagne va signer avec le Maroc un important contrat de vente d’armes
et de matériel militaire pour un montant total de 221 millions de dollars. Cette opération,
comme souligne un auteur, a été « la plus importante opération commerciale de l’année
pour l’Espagne » (De Froberville, 1996, p. 88). Le gouvernement espagnol se sucre, donc,
sur le dos des sahraouis.
289
l’Espagne semble soutenir le Polisario et l’autodétermination du peuple Sahraoui ou la
Constitution d’une République. Le gouvernement, à travers les déclarations des officiels,
parait clairement appuyer la position marocaine en avalisant son plan d’Autonomie, selon
les conditions qui y sont fixées.
Pour finir, nous pouvons dire que l’Espagne a inscrit sa position dans la question du
Sahara dans le contexte global de ses rapports avec le Maghreb. En effet, les fondements
sur lesquels reposait la politique extérieure espagnole envers le Maghreb évoluèrent de
façon significative après son adhésion à la Communauté économique européenne en 1986
et à l’Union européenne. Le Maghreb cessa d'être perçu à travers le prisme de la défense
des intérêts territoriaux espagnols pour être appréhendé sur la base de critères de stabilité et
de sécurité globale. Cela se traduisit par la mise en œuvre d'une politique globale vis-à-vis
de la région, par une intensification des liens économiques, politiques et culturels,
considérés comme le meilleur moyen pour limiter les effets de la conflictualité cyclique qui
avait caractérisé les relations avec le Maroc et le Maghreb (De Larramendi et Lopez, 2004,
p. 22). Tout comme la puissance colonisatrice, la France soutient le Maroc au détriment du
Polisario.
Comme on peut le noter, la France a été et est très impliquée dans le conflit du Sahara
Occidental. Au début, la France qui a toujours été intéressé par le territoire, est intervenue
pour aider l’Espagne à le conquérir puis à le coloniser. Par la suite, son engagement dans le
conflit aux côtés du Maroc et de la Mauritanie va servir à affirmer son hégémonie
géopolitique sur cette région considérée comme le « pré-carré » français. Une maxime
290
attribuée à Napoléon dit que « Tout État fait la politique de sa géographie ». C’est la
politique de sa géographie politique et économique que la France va faire au Sahara à partir
de 1977. En effet, ce sont des considérations géopolitico-économiques qui, comme nous le
verrons, peuvent justifier le soutien militaire et diplomatique de Paris à Rabat et à
Nouakchott. Commençons par les considérations d’ordres géopolitiques pour terminer par
celles géoéconomiques.
Pour parer la création du « petit État du Sahara » la France va accentuer ses ventes
d’armes et au Maroc et à la Mauritanie. C’est ainsi que les ventes d’armes et de matériels
passaient de 234 millions de francs en 1984 à 300 millions de francs français en 1984
(Hodges, 1985, p. 476). Pour les successifs maitres de l’Élysée, l’émergence de la
République Arabe sahraouie Démocratique (RASD) est vue comme un facteur de
déstabilisation politique et économique du royaume au sein duquel la France a d’énormes
intérêts politiques, économiques, culturels et militaires (Boni-Gatta, 2016, p. 420). Selon le
291
même auteur, « la France demeure l’obstacle majeur à toute solution juste au conflit du
Sahara Occidental » (Gatta, 2018, p.125).
Pour nous, l’hostilité de la France vis-à-vis du Polisario et des Sahraouis peut aussi
s’expliquer par le fait que ceux-ci ont choisi l’Algérie pour tutrice et modèle de lutte.
Comme on le sait, les relations franco-algérienne, depuis la période coloniale jusqu’à ces
dernières années, n’ont jamais été vraiment au beau fixe. Pour Sayeh (1998), il ne fait aucun
doute que la France « veut façonner l’équilibre dans la région Grand Sahara selon sa
propre vision politique de telle sorte que les rapports de force dans la région penchent en
faveur du Maroc, devant donc annexer le Sahara à tout prix. » (p. 123).
Même si ce n’est qu’une hypothèse, il semble que la France veut se dédouaner auprès
du Maroc. En effet, dans le cadre de la reconstitution du « Grand Maroc », le Maroc avait
revendiqué la Mauritanie tout comme le Sahara. La France, au grand dam de Rabat, a alors
soutenu la Mauritanie, contre les visées expansionniste et annexionniste du Maroc. Par
conséquent, la France cherche maintenant à se « dédouaner en quelque sorte auprès de
celui-ci [le Maroc] en faisant tout pour imposer la marocanisation du Sahara en guise de
compensation » (Sayeh, 1998, p. 123). En plus de cela, il y a aussi des considérations
politico-culturelles. Le Maghreb est une région où tous les États sauf la Libye et le Sahara,
ont été colonisés par la France. Cette région du continent africain peut donc être considérée
comme une zone à consonance francophone, mieux, le Maghreb est la « chasse gardée
culturelle » de la France. Par conséquent, il serait donc « dangereux » pour Paris de laisser
émerger dans son pré-carré une entité politique indépendante, d’obédience et de langue
espagnole dans une région sous sa tutelle. En clair, la France ne veut ménager aucun effort
pour maintenir son influence géopolitique et géoéconomique au Maghreb et par extension
en Afrique.
292
Quand on sait de l’économie française que quelque 600 entreprises françaises sont
installées au Maroc et employant environ 70 000 personnes (Benlabbah, 2012) on comprend
bien pourquoi la France entend tout mettre en œuvre pour préserver ses énormes intérêts au
Maroc en le soutenant dans sa lutte contre le Front Polisario. Comme les États-Unis, la
France et l’Espagne, la Russie, la Chine et aussi l’Inde sont des acteurs –implicites- du
conflit du Sahara Occidental.
293
soutenu par le bloc Occidental. Pour Gomez Martin (2016, non numéroté), « Bien que le
conflit du Sahara Occidental se soit déclenché dans les derniers sursauts de la doctrine
Brejnev (1964-1982) on peut souligner que l’indépendance du Sahara Occidental n’a
jamais été dans l’agenda international de l’URSS. » En fait, pour l’Union Soviétique parier
sur les Sahraouis n’était pas une valeur sûre d’autant plus qu’elle avait de forts intérêts
économiques à protéger au Maroc. Pour mémoire, les rapports économiques entre les deux
pays débutent en 1958 par le biais d’échanges commerciaux et de la coopération scientifique
et technique. Ils se multiplient dans les années 1970 grâce aux lourds investissements
soviétiques en matière d’infrastructures, comme la construction des projets énergétiques et
industriels à l’intérieur du territoire marocain (Gomez Martin, 2016).
Bien qu’il soit aujourd’hui difficile de prouver des connexions entre l’URSS et la
RASD, l’existence d’une relation indirecte par l’intermédiaire de l’Algérie et la Libye est
assez probable. En effet, l’Union soviétique a permis à l’Algérie et la Libye de fournir à
l’Armée Populaire de Libération du Sahara (APLS) du Front Polisario, des armes d’origine
et de fabrication soviétique.
192
Le discours intégral est disponible sur http://www.arso.org/discembsahven.pdf consulté le 29/08/2021.
294
qu’avec l’Algérie. L'ambassadeur de Russie au Maroc, Valerian Shuvaev en décembre 2018
indiquait que « nous [la Russie] ne proposons pas de solutions toutes faites à ce conflit. Et
ce en partant d'une conviction simple, à savoir que cette question doit être réglée par les
différents acteurs concernés par le problème. Nous, de notre côté, nous sommes prêt à
reconnaitre n'importe quelle solution résultant d'un accord commun entre eux »193.
Pour comprendre les déterminants qui motivent la position actuelle de Moscou sur
le dossier sahraoui, analysons l’évolution chronologique de la position russe de 1975 à nos
jours. Tout d’abord, de 1975 à 1998, l’Union soviétique, a apporté un appui idéologique à
l’autodétermination du peuple Sahraoui. À cette époque considérée, les contraintes
géopolitiques liées à la guerre froide ont largement modelé la position de l’Union des
Républiques Socialistes Soviétiques sur la question du Sahara durant. L’ex-URSS soutenait
inconditionnellement les pays de sa « sphère d’influence » politico-idéologique. De par le
choix du socialisme, l’Algérie et la Libye, qui armaient le Polisario, relevaient alors de la
sphère soviétique. À cette période où les pays l’Est et l’Ouest se battait par États interposés,
la question du Sahara était alors perçue comme un « conflit par procuration ». Le soutien
politique soviétique à la position de l’Algérie était évident. L’équipement militaire et
l’armement étaient assurés, principalement, à travers la Libye de Kadhafi et la formation
l’était par Cuba.
193
Cf. le site internet https://fr.sputniknews.com/international/201812121039276579-sahara-occidental-
position-russe/ consulté le 15/09/2019.
194
Cf. « La fédération de Russie & la question du sahara marocain »,
http://www.arso.org/Coleman/Note_Russie_Saharacorrige.pdf consulté le 30/06/2020.
295
premier exportateur mondial. L’URSS dont la production locale ne lui suffisait pas,
importait d’énormes quantités du Maroc pour son marché local.
195
Il s’agit de la Résolution 1541 (2004).
196
Cf. http://www.arso.org/Coleman/Note_Russie_Saharacorrige.pdf consulté le 30/06/2020.
296
acte portant atteinte à la solution politique. Pour la Russie, la MINURSO doit respecter son
mandat et qu’il est inacceptable de politiser la question des droits de l’homme.
Moscou veille au maintien de l’équilibre dans ses relations avec Rabat et Alger.
Mais, la Russie et l’Algérie sont plus ou moins concurrentes dans leur produit phare; les
hydrocarbures. Ainsi, à l’exception des équipements militaires où l’Algérie demeure un
client stratégique pour la Russie197, le potentiel commercial bilatéral demeure quelque peu
limité. Toutefois, consciente de l’importance que revêt la question du Sahara aussi bien pour
le Maroc que pour l’Algérie, Moscou fort de sa politique de realpolitik basée sur la primauté
des intérêts économiques que l’appui à un mouvement indépendantiste à des fins
idéologiques, n’hésite pas à en tirer un profit économique auprès des deux partenaires. Cette
situation vient confirmer la thèse selon laquelle le statu quo du conflit du Sahara Occidental
sert les intérêts géoéconomiques et géopolitiques de la Russie.
197
À partir de 2013, l'Algérie est le deuxième plus grand importateur d'armes russes avec 1,9 milliard de
dollars.
297
Comme nous l’avons vu plus haut, l’un des faits saillants de ce début de ce deuxième
millénaire, est l’« invasion chinoise » du Maghreb, considéré pendant longtemps comme la
« chasse-gardé » de l’Union Européenne et surtout de la France. Depuis 2006, des États
comme le Maroc (9e), l’Algérie (8e) la Libye (7e) figurent parmi les dix principaux
partenaires africains de la Chine (Nicolas, 2010, p. 24). L’un des objectifs majeurs de la
Chine au Maghreb est d‘obtenir un accès privliégié à certaines ressources naturelles
indispensables à la croissance et à l’alimentation de l’economie chinoise. Il s’agit par
exemple du petrole, du phospahte (dont le Maroc est le premier exportateur mondial), le
zinc, l’or, le fer, etc. Mais, il serait réducteur d’affirmer que la Chine n’a d’autres ambitions
que sa sécurité énergétique et le développement de ses entreprises dans la région. Elle a
également un agenda politique. En effet, l’effort d’implantation de la Chine dans la région
répond avant tout à étendre son influence politico-diplomatique et concurrencer celle des
occidentaux.
198
Taïwan est une île située au large de la Chine continentale. Ce territoire d’une superficie d’environ
36 000 km², est séparé du continent par le détroit de Taïwan ; elle est entourée au nord par la mer de Chine
orientale, à l’est par l’océan Pacifique, et au sud par la mer de Chine méridionale. Tout comme le Sahara
Occidental, Taïwan est revendiquée par la Chine comme sa vingt-troisième province. Pourtant, le
gouvernement de Taiwan se considère comme étant le seul vrai gouvernement de la République Populaire de
Chine.
298
En soutenant la Chine, les pays du Maghreb espèrent également pouvoir compter sur son
soutien international pour l’avancement de certains dossiers qui leur sont chers. Il s’agit par
exemple de la question de la représentation du continent africain dans les organisations
internationales notamment au Conseil de sécurité des Nations Unies, et l’engagement des
Chinois dans la résolution de certains conflits comme celui du Sahara Occidental qui bloque
toute coopération dans la région.
La Chine entretient des relations diplomatiques historiques avec ces deux acteurs clés
du conflit du Sahara Occidental. La représentation diplomatique du Maroc à Pékin a été
ouverte en 1960. La Chine a également été le premier État non arabe à reconnaître le
gouvernement provisoire algérien en septembre 1958. Elle a par ailleurs établi des relations
diplomatiques avec l’Algérie quelques mois après. Depuis 1960, Pékin et Rabat
entretiennent des rapports assez amicaux du fait de la position du Maroc concernant Taiwan
et le Tibet. En fait, entre Taïwan et la Chine, il existe une rivalité diplomatique dont
l’Afrique a souvent été le témoin et le foyer. Les gouvernements africains, en fonctions
d’intérêts ponctuels, ont reconnu l’un ou l’autre gouvernement. Mais la diplomatie
marocaine a toujours été constante dans sa reconnaissance de la République Populaire de
Chine avec pour capitale Pékin comme la seule et unique Chine. Par conséquent, pour le
Maroc, l'île de Taiwan est une province chinoise et il respecte la position de la Chine sur le
Tibet (Rhattat, 2013, p. 242).
Jamais les relations n’ont été aussi bonnes. Elles se caractérisent par une confiance
politique mutuelle accrue, marquée par une maturation des mécanismes de coordination
299
dans tous les domaines, ainsi qu’une meilleure compréhension et un soutien réciproque
dans les affaires internationales et régionales.
Mais en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, la
Chine s’en tient à une position qu’elle qualifie de « juste et objective ». Comme le souligne
l’ambassadeur Li Li (2019), « Elle [la Chine] soutient les parties concernées dans leurs
efforts pour parvenir à une solution équitable, durable et acceptable par tous, par le
dialogue et les négociations, sur la base des résolutions pertinentes du Conseil de
sécurité. » La Chine soutient donc officiellement les efforts des Nations Unies pour
promouvoir le règlement de cette question et y apporter sa contribution par le vote des
résolutions. Mais quand il s’agit de garantir un partenariat stratégique politique,
diplomatique, outre le développement des échanges économiques avec les États du Maghreb
concernés, l’engagement de Pékin dans la région a plutôt mis au service de ses intérêts dits
fondamentaux.
199
Le Forum pour la Coopération Chine-Afrique (FOCAC) a été instauré en 2000. Il s’agit d’une plateforme
d’échange et de coopération entre la Chine et les pays africains, qui entretiennent des relations diplomatiques
officielles avec la Chine, et qui couvre divers aspects concernant la politique, les échanges commerciaux,
l’économie, la société et la culture.
300
En somme, nous pouvons dire qu’au début du conflit la position de la Chine était
considérée par certains auteurs comme « incertaine » (Afanador et Jiménez, 2008, p. 288)
et confuse, pour nous, malgré le manteau de non-ingérence sous lequel se drape Pékin, sa
position officieuse dans l’affaire du Sahara Occidental penche en faveur du Maroc. Aussi
longtemps que Rabat continuera de considérer Taiwan comme une province chinoise, Pékin
ne se risquera jamais de reconnaitre le Front Polisario ni la RASD comme État.
Depuis son indépendance en 1947, l’Inde a adopté une politique proche des positions
pays arabes. Ces positions sont basées sur les principes d’autodétermination,
d’indépendance et de souveraineté inscrits dans la Charte des Nations-Unies, confirmés par
les actes du Mouvement des non-alignés et des engagements au sein de diverses
organisations internationales ou à caractère régional. Les relations entre l’Inde et le monde
arabe sont anciennes. En vertu de leurs principes anticolonialistes, de leur non-alignement,
les grands leaders nationalistes indiens avaient adopté une politique appuyant les
dynamiques maghrébines de libération nationale. Ainsi, au cours des années 1950, l’Inde a
soutenu les mouvements nationaux maghrébins au sein de l’ONU. Elle a également appuyé,
et de manière constante, la cause palestinienne.
Cette attitude a commencé à évoluer dès la fin des années 1960 période à laquelle la
plupart des états maghrébins obtenaient leur indépendance ou luttait pour. En effet,
autrefois, les relations politiques de l’Inde avec les pays maghrébins, fondées sur le principe
de solidarité entre mouvements de libération, les idées du non-alignement, une politique
ouverte sur l’arabisme progressiste, se sont recomposées. Actuellement, c’est sur une base
dite pragmatique, qui donne la priorité aux intérêts économiques et énergétiques et à la
croissance économique (Saaf, 2018, p. 25) que se fondent les relations indo-maghrébines.
L’inde s’est fixée pour objectif d’appuyer son développement économique et son
rayonnement sur l’échiquier international. Pour ce faire, elle cherche à accéder aux matières
premières et aux ressources en énergie là où elles sont disponibles, aidant ses acteurs
économiques, publics ou privés, à s’installer dans des marchés qu’elle estime prometteurs.
Il en ressort des fins de cycle des relations de l’Inde avec les pays maghrébins et des sortes
de nouveaux départs. C’est le cas des relations Indo-marocaine. Parmi les deux grands
301
acteurs du conflit que sont les le Maroc et l’Algérie, ce sont les rapports du premier avec
l’inde qui mérite d’être analysés. En effet, l’histoire des relations maroco-indiennes a connu
de nombreuses mutations depuis l’indépendance du Maroc en 1956.
La seconde phase dates des années 1980 et 1990. Cette période s'est distinguée par
des crises aboutissant à la rupture diplomatique entre les deux pays. La rupture des relations
diplomatiques a été causée par la reconnaissance, en 1985, par l’Inde de la République
Arabe Sahraouie Démocratique (RASD). La RASD avait même ouvert une ambassade en
Inde. Avec la rupture des relations diplomatiques, l’Inde, a alors décidé de suspendre ses
relations économiques notamment l’achat de phosphates marocains et dérivés qui
représentaient, à l’époque, 40% des ventes annuelles du Groupe OCP (Mouline, 2018, p. 5).
Cette situation avait impacté grandement les chiffres de cette entreprise considérée comme
l’un des poumons de l’économe marocaine.
La troisième phase date des décennies 2000 à ce jour. Au cours de cette phase, la
politique de l'Inde vis-à-vis du Maroc s'est avérée plus favorable, avec le changement de
régime en inde et surtout par le retrait par la reconnaissance indienne de la RASD. Le retrait
de la reconnaissance de l’État sahraoui a propulsé les relations maroco-indiennes dans une
ère nouvelle. Elle a, par ailleurs, ouvert le champ à un rapprochement des points de vue
marocains et indiens au sein des instances multilatérales. Actuellement, les hauts dirigeants
des deux pays ont porté un intérêt au développement des relations bilatérales, comme en
302
témoigne, en particulier, la visite du Roi Mohammed VI, à New Delhi, en février 2001, qui
a donné une forte impulsion à ces relations. Elle a, aussi, favorisé des investissements
croisés dans l'industrie des engrais qui constitue, jusqu’à présent, un levier important des
liens économiques entre les deux pays (Mouline, 2018, p. 5.).
Partenaire commercial du Maroc, l’Inde est l’un des rares pays asiatique avec lequel
le royaume réalise un excédent commercial, en raison du volume de ses exportations d'acide
phosphorique et d'engrais. Cet excédent a varié entre 273,5 millions de dollars en 2000 à 1
milliard et 379 millions de dollars en 2008 (Si Ali, 2016, p. 255). En 2012, l’Inde était le
3ème principal pays client et le 11ème fournisseur du Maroc. Les échanges commerciaux
largement dominés par les phosphates. Actuellement, le Maroc couvre, en moyenne, le tiers
des importations d’engrais de l’Inde. Ce pays représente 20% des exportations du Groupe
OCP (Mouline, 2018, p. 5). L’obtention de ces excellents chiffres pour les économies
indienne et marocaine a été possible grâce au rétablissement des relations diplomatiques
entre Rabat et New Delhi. Aujourd’hui, New Delhi, même si elle n’ose pas le dire
publiquement et se cache derrière son soutien aux efforts de l’ONU, s’aligne –
303
implicitement- sur la position marocaine, à savoir que le Sahara Occidental est une province
marocaine.
304
et surtout l’UA, sont devenu le théâtre où s’affrontent les diplomaties marocaine et
Polisario-algérienne.
305
CHAPITRE 11 : L’AFRIQUE ET LA QUESTION DU SAHARA OCCIDENTAL
Dans le présent chapitre, nous traitons seulement le rôle joué par les organisations
supranationales africaines que sont l’Oua et l’UA. Et pour cause, le rôle joué par les Nations
Unies dans le règlement du conflit a déjà fait l’objet de beaucoup trop d’études et de thèses.
C’est le cas de la thèse de Boni-Gatta (2016), L’Organisation des Nations Unies et le
règlement du conflit du Sahara Occidental. Cette étude traite de manière exhaustive des
actions de l’Onu dans l’affaire du Sahara. Il ne nous servira donc à rien de revenir sur les
conclusions de l’auteure. L’objectif de ce chapitre est d’étudier d’une part comment
l’Afrique est divisée sur la question du Sahara Occidental et d’autre part, l’engagement de
l’Organisation supranationale continentale OUA/UA dans le règlement du conflit qui
oppose la Rasd au Maroc pour la souveraineté du Sahara Occidental.
Territoire africain, le Sahara Occidental cristallise les rapports entre les deux parties
du conflit, d’un côté le Maroc et de l’autre la RASD/ l’Algérie. Pour tout dire, les deux
parties par des modus operandi similaires, mènent des offensives diplomatiques auprès des
capitales africaines pour les rallier sur leurs positions quant au Sahara Occidental. À peu
près 80 États dans le monde, dont plus de la moitié est africaine reconnaissent la RASD.
Mais concernant la question du Sahara Occidental, les États africains se trouvent divisés en
deux groupes. Quand les premiers s’alignent sur les objectifs et principes de la charte de
l’Organisation de l’unité africaine et défendent l’autodétermination du peuple sahraoui, les
306
seconds, fort de leurs relations politico-économiques avec Rabat, soutiennent le plan
d’Autonomie proposé par le Maroc en 2007. Ce plan conçoit le Sahara Occidental comme
une province marocaine.
200
Cf. « L'Afrique australe apporte son soutien à l'indépendance du Sahara Occidental », disponible en ligne
sur https://mobile.francetvinfo.fr/monde/afrique/ consulté le 20/08/20.
307
regret, noté que « le Sahara Occidental reste le seul territoire africain sous domination
coloniale inscrit sur la liste des Nations Unies et de la décolonisation des « Territoires non
autonomes ». Ils ont souligné leur préoccupation devant « la non-résolution prolongée de
la question du Sahara occidental » et de « la poursuite de l'occupation et de l'exploitation
illégales des ressources naturelles du Sahara Occidental ».201 Ils n’ont pas manqué de
réaffirmer leur soutien indéfectible à la réalisation du droit inaliénable du peuple du Sahara
Occidental à l'autodétermination et ce, conformément à la Charte des Nations Unies et à
l'Acte constitutif de l'Union africaine.202
Pour les États de la SADC et autres défenseurs de la cause sahraouie, étant donné
que la République arabe et démocratique sahraouie est un membre fondateur de l’Union
Africaine (UA), ils estiment que l’UA a l’obligation morale d’appuyer la lutte du peuple
sahraoui. De fait comme le dira le représentant de l’Afrique du Sud devant la Quatrième
Commission chargée des questions politiques spéciales et de la décolonisation, « Le
problème est que le Maroc essaye d’imposer une proposition d’autonomie qui nie le droit
à l’autodétermination des Sahraouis et ne leur offre pas la possibilité de choisir leur
destinée par référendum »203. Cela est donc inacceptable pour eux que le Maroc continue
de « coloniser » le Sahara Occidental. En fait, « la colonisation perpétuelle efface l’identité
des peuples colonisés » affirme le représentant du Lesotho au cours de cette même
Quatrième Commission. Par conséquent, il est déplorable que le Sahara Occidental continue
d’être étiqueté comme « la seule colonie du continent africain ». S’agissant des véritables
raisons du soutien de ces différents pays au Polisario, une certaine presse204 n’hésite pas à
dire que l’Algérie finance les pays qui reconnaissent le Polisario. L’on peut lire dans les
colonnes de Tamurt.info (2019) que :
C’est le ministère de la Défense qui prend en charge le Polisario. Ce n’est pas la prise
en charge du corps diplomatique du Polisario ni son Gouvernement ou ses réfugiés qui
posent problème, mais le nombre de milliards que l’Algérie verse dans les comptes des
pays africains et Sud-américains pour qu’ils continuent à reconnaître le Polisario et
201
Voir le projet de déclaration de la Conférence en ligne https://www.sadc.int/index.php/download_file/
consulté le 20/08/20.
202
« Projet de déclaration de la Conférence de Solidarité de la Communauté de Développement de l’Afrique
Australe (SADC) avec le Sahara Occidental ». op. cit.
203
Quatrième Commission: l’Afrique divisée sur la question du Sahara occidental, Soixante neuvième session
6e séance – matin 13 octobre 2014.
204
L’article peut être consulté en ligne https://tamurt.info/fr/2020/01/19/lalgerie-finance-les-pays-qui-
reconnaissent-le-polisario/150423/# consulté le 20/08/20 à 22h37.
308
donner un minimum de crédibilité à cette organisation paramilitaire sur la scène
internationale.
Cette information qui est difficilement vérifiable n’est toutefois pas à rejeter du
revers de la main. En fait, dans l’affaire du Sahara, le Maroc a également utilisé la
diplomatie économique pour rallier les États africains à sa vision sur le Sahara Occidental.
Pour les autorités marocaines, le Maroc est un pays à vocation africaine. D’ailleurs,
le roi Hassan II, aimait à dire que « le Maroc est un arbre dont les racines plongent en
Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe ». Cela traduit combien de fois est évident,
l’intérêt du royaume pour l’Afrique et surtout l’Afrique sub-saharienne. Mais les relations
entre le Maroc et l’Afrique n’ont pas toujours été bonne surtout après l’invasion du Sahara
Occidental par les FAR et l’admission de la RASD au sein de l’Organisation continentale,
OUA, devenant ainsi membre à part entière de l’OUA lors de la vingtième session ordinaire
de l’Assemblée qui s’est tenue à Addis-Abeba du 12 au 15 novembre 1984. Le Maroc, pour
protester contre cette décision a annoncé officiellement son retrait de l’OUA le 12 novembre
1984.
309
l’ensemble des mécanismes et pratiques adoptés par des individus ou groupes, étatique
ou non étatique, dans le but de réaliser les objectifs économiques d’un État par le
recours à des moyens politiques, ou de réaliser les objectifs politiques par le recours à
des moyens économiques.
Bamba & Diabaté (2017, p. 111) soutiennent que « L’écodiplomatie utilisée par le
jeune monarque [Mohamed VI] est caractérisée par sa volonté de renforcer les relations
bilatérales avec, en toile de fond, sa politique de relais et en second lieu, la dynamisation
de la coopération économique et commerciale.» C’est ainsi qu’au cours du premier sommet
Afrique –Union européenne, tenu au Caire le 3 avril 2000, le roi a décidé l’annulation de la
dette des pays africains les moins avancés vis-à-vis du Maroc et la levée de toutes les
barrières douanières imposées aux produits importés de ces pays. Pour le souverain
chérifien, « Cette décision émane de la foi du Maroc en la nécessité de faire prévaloir et de
consacrer l'esprit de solidarité et intervient en harmonie avec les convictions africaines du
Maroc » (Chibli, 2020). Le même Mohamed VI soutient que « l'engagement du Maroc pour
l'Afrique et en faveur d'une coopération sud-sud agissante n'est pas le fruit de circonstances
ni d'intérêts étriqués » (Dione, s.d).
Même s’il faut concéder, en partie, au souverain que cette soudaine générosité du
Maroc envers l'Afrique, n’est pas le fruit de circonstances ni d'intérêts étriqués, il n’en
demeure pas moins que cela soit en réalité une stratégie savamment étudiée pour rallier ces
États africains à la vision marocaine sur le Sahara Occidental. Mohamed VI va alors
entreprendre plusieurs visites officielles dans plusieurs capitales d’Afrique subsaharienne.
C’est ainsi qu’à partir de 2000, il se rend successivement au Bénin, au Niger, au Gabon, au
Cameroun, au Sénégal, au Burkina Faso et en Mauritanie et en Côte d'Ivoire. Dans chacun
de ses voyages, le monarque est accompagné d‘un important cortège de ministres.
Les ministres marocains signent alors avec leurs homologues des accords de
coopération bilatérale dans les domaines de l’éducation, du tourisme, de l’agriculture, de
l’eau, de la recherche, de la santé, de la promotion des investissements (Bamba & Diabaté,
2017, pp. 116). Le lobbying du souverain marocain trouve un écho favorable dans les
capitales africaines car certains ont commencé à revoir leur position face au Polisario. Il
s’agit de la Sierra Leone en 2003, de Madagascar en 2005, du Malawi en 2017, du Kenya
en 2006, du Cap Vert en 2007, de la Guinée-Bissau en 2010, du Burundi en 2010 et de la
Zambie en 2017.
310
Depuis fin 2019, plusieurs capitales de l’Afrique francophone ont officiellement
rejoints les vues du Maroc concernant le Sahara Occidental en y ouvrant des consulats. En
effet, dix pays ont récemment ouvert des représentations diplomatiques sur le territoire non
autonome du Sahara Occidental. C’est le cas du Djibouti, la Côte d'Ivoire, les Comores, la
Gabon, Sao Tomé-et-Principe, la République Centre-Afrique, le Burundi, la Guinée, la
Gambie et le Liberia. Il est même dit que le pays des hommes intègres, le Burkina Faso,
devrait très prochainement emboiter le pas à ces dix premiers pays.
Pour certains c’est au prix de garantie financière que ces pays dont la majorité sont
d’Afrique de l’Ouest, ouvrent des consulats au Maroc, approuvant de facto, la marocanité
du Sahara. Le professeur Zoubir (cité par Hugo,.2020) indique dans cette veine que « Ces
pays sont endettés, ils ont des difficultés économiques énormes. Et ils font cela en échange
de paiements ». Mais le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, fait une autre
lecture. Pour lui, l’ouverture des représentations diplomatiques sur le territoire du Sahara
Occidental, est « au contraire l'expression même de la "marocanité du Sahara" » (Hugo,
2020).
Quoiqu’il en soit, nous pouvons dire que l’alliage de l’économie et de la diplomatie
a permis au Maroc de Mohamed VI de réduire le champ d’influence diplomatique du
Polisario et de l’Algérie en Afrique. Et la ruée des États d’Afrique subsaharien sur le dernier
territoire non autonome du continent pour y ouvrir des représentations diplomatiques,
illustre que l’Afrique est un champ de bataille à pour le Maroc et le Polisario. Tout comme
ses États membres qui sont impliqués dans la question du Sahara Occidental, l’Organisation
de l’Unité Africaine (OUA) s’est également impliquée dans le règlement du différend autour
de ce territoire. Mais si la plupart des États tergiversent dans leur engagement et leur
position dans le conflit, l’OUA va clairement afficher la sienne. En effet, l’OUA a fait du
principe du respect des frontières héritées de la colonisation et de la lutte contre le
colonialisme et le néo-colonialisme, non pas un slogan mais un credo.
Le problème du Sahara Occidental a depuis 1975 souvent été porté devant plusieurs
instances régionales ou internationales, entre lesquelles il fait la navette : Cour
311
Internationale de Justice, Assemblée générale des Nations Unies, Conseil de Sécurité, Non-
Alignés, Ligue Arabe, Conférences islamiques. Cela souligne l’internationalisation du
conflit. Mais, malgré l’intervention de toutes ces instances, il ne demeure pas moins que la
question du Sahara Occidental constitue tout d'abord un problème africain.
312
africains indépendants de soutenir les peuples non encore indépendants en Afrique, dans
leur lutte pour la liberté et l’indépendance.
Conscient de ce que la question des frontières est une épée de Damoclès, c’est-à-
dire, un fort et permanent potentiel de discorde, l’OUA a, sans équivoque, réaffirmé
l’intangibilité des frontières héritées de l’époque coloniale comme principe clé de
l’organisation du continent. Pour ce faire, l’Assemblée des chefs d’État et de gouvernement
qui s’est tenu au Caire du 17 au 21 juillet 1964, a adopté la résolution AHG/Res.16,
concernant les disputes de frontières entre pays africains. Considérant que les frontières des
États africains, le jour de l’indépendance, constituent une réalité tangible, l’Assemblée de
l’OUA a solennellement déclaré que tous les États membres doivent s’engager à respecter
les frontières existantes lors de l’avènement de l’indépendance nationale.
Il est utile de rappeler que la création de l’OUA, en 1963, coïncide avec l’inclusion
du Sahara espagnol sur la liste des Territoires qui ne se gouvernent pas eux-mêmes, sous le
Chapitre XI de la Chapitre des Nations Unies. Deux ans plus tard, le 16 décembre 1965,
l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait sa première résolution sur le Sahara
espagnol. Dans sa résolution 2072, rappelant la résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960,
les Nations Unies demandaient à l’Espagne, la puissance administratrice des territoires, de
prendre toutes les mesures nécessaires pour libérer le Sahara espagnol de la domination
coloniale. Dans ce contexte, la politique de l’OUA concernant le Sahara Occidental était
basée sur les principes et objectifs de l’organisation, en particulier ceux relatifs à la
décolonisation.
C’est sur la base de ses principes et objectifs que l’OUA a été saisie du cas du
Sahara espagnol comme étant un pays africain sous domination étrangère. Cette politique a
été renforcée par les Nations Unies et sa définition de territoire non autonome dont la
population a le droit d’exercer son droit inaliénable à l’autodétermination en accord avec la
résolution 1514 (XV) contenant la Déclaration pour l’Octroi de l’indépendance aux pays et
peuple colonisés. C’est dans ce contexte, que le Conseil des ministres de l’OUA, lors de sa
septième session ordinaire, qui s’est tenue du 31 octobre au 4 novembre 1966 à Addis
Abéba, a adopté la résolution CM/Res.82 (VII) sur le territoire sous occupation espagnole.
Considérant l’Art. 2 de la Charte de l’OUA, le Conseil des ministres a exprimé son plein
soutien à tous les efforts visant à la libération immédiate et inconditionnelle de tous
313
territoires africains sous domination espagnole (Ifni, Sahara espagnol, la Guinée équatoriale
et Fernando Po). Il a aussi fait appel à l’Espagne pour qu’elle initie un processus vigoureux
pour donner la liberté et l’indépendance à toutes ces régions et de s’abstenir de prendre des
mesures qui pourraient créer des conditions qui mettent en péril la paix et la sécurité en
Afrique.
Dans sa vingt et unième session ordinaire à Addis Abéba (17 au 24 mai 1973), le
Conseil des ministres de l’OUA a adopté la résolution CM/Res.301 (XXI) sur le Sahara sous
314
domination espagnole. Le Conseil dénonçait les manœuvres dilatoires espagnoles et
exprimait sa totale solidarité avec le peuple du Sahara sous domination espagnole. Il pressait
également les Nations Unies d’assumer leurs responsabilités à l’égard de ce problème. Il est
à souligner que la résolution CM/Res.301 (XXI) a été adoptée quelques jours après la
fondation du Front Polisario le 10 mai 1973.
La pression exercée par les attaques de plus en plus nombreuses du Front Polisario
et des appels successifs des Nations Unies et de l’OUA à la décolonisation des territoires,
en août 1974 l’Espagne a finalement déclaré qu’elle était prête à organiser un referendum
d’autodétermination du Sahara Occidental au début 1975. En réaction à la réponse
espagnole, le roi Hassan II a annoncé que son pays ne pouvait accepter de référendum qui
incluait une option pour l’indépendance du Sahara Occidental et a demandé un arbitrage à
la Cour internationale de justice (CIJ) afin qu’elle se prononce sur le statut du territoire.
Après l’avis de la CIJ, le Maroc a envahi le Sahara Occidental en 1975. Cette occupation
marocaine du Sahara Occidental était une violation de nombreuses résolutions de l’OUA et
surtout de son principe d’intangibilité des frontières coloniales et de l’avis de la Cour
Internationale de Justice.
Lors de sa treizième session ordinaire qui a eu lieu à Port Louis (Ile Maurice), du
2 au 6 juillet 1976, l’Assemblée des chefs d’État et de gouvernements de l’Oua a adopté la
résolution AHG/Res.81 (XIII). Cette résolution prévoyait l’organisation d’un sommet
extraordinaire sur la question du Sahara occidental. Rappelant les résolutions pertinentes de
son Comité de libération, en particulier réaffirmant le principe sacré à l’autodétermination,
l’Oua a décidé de tenir un sommet extraordinaire afin de trouver une solution juste et
pacifique au problème du Sahara Occidental.
315
dans la quête d’une solution juste et pacifique en accord avec les principes de l’organisation
et de la Charte des Nations Unies.
Il a été aussi décidé de mettre sur pied un comité ad hoc, composé d’au moins cinq
chefs d’État de l’OUA, auquel a été confiée la prise en compte de toutes les données
concernant la question du Sahara occidental. Enfin elle demandait à toutes les nations de la
région de s’abstenir d’entreprendre des actions susceptibles d’entraver la quête d’une
solution juste et pacifique du problème.
Il était aussi demandé aux Nations Unies, conjointement avec l’OUA de fournir des
troupes de maintien de la paix. Ces troupes devraient être stationnées au Sahara Occidental
afin de garantir la paix et la sécurité au cours de l’organisation du déroulement du
référendum et les élections subséquentes.
316
C'est dans ce contexte que l'OUA a engagé un processus de médiation, qui a abouti
à la l'adoption de la résolution AHG/Res.104 (XIX) lors de la dix-neuvième session
ordinaire des chefs d’État et de gouvernement de l’OUA qui s’est tenue à Addis Abéba du
6 au 12 juin 1983. Cette résolution exhortait toutes les parties du conflit, le royaume du
Maroc et le Front du Polisario, à entreprendre des négociations directes afin de parvenir à
un cessez-le-feu pour créer les conditions nécessaires pour un referendum pacifique et juste
pour l’autodétermination du peuple sahraoui, un referendum sans contraintes
administratives ou militaires, sous les auspices de l’OUA et des Nations Unies (EX.CL/788
Rev.1).
Comme on peut le voir, tout au long de son existence, l’OUA au côté des Nations
unies, est restée saisie de l’affaire du Sahara Occidental. Pour ce faire, elle a appuyé la
Mission des Nations Unies pour le Referendum au Sahara Occidental (MINURSO) en
créant à Laâyoune, capitale du Sahara Occidental un bureau.
205
Mais depuis 2017, après quelques 33 ans d’absence, le Maroc a réintégré l’organisation continentale
devenue entretemps l’Union Africaine (UA).
206
Les informations fournies ici proviennent du Rapport intérimaire de la présidente de la Commission sur la
situation au Sahara Occidental.
317
et autorisant l’établissement de la MINURSO. La résolution demandait la mise en œuvre du
Plan de règlement en coopération avec l’Oua. Ce plan exhortait les deux paries du conflit à
engager des négociations directes en vue de parvenir à un cessez-le-feu, condition nécessaire
pour l’organisation d’un referendum juste. La résolution précise également que le
referendum du peuple du Sahara doit se tenir sans contrainte administrative ou militaire,
sous les auspices de l’OUA et des Nations Unies.
C’est ainsi que lors de l’identification des électeurs, Saharauis potentiels pour le
referendum par la MINURSO, des observateurs de l'OUA/UA provenant aussi bien
du Secrétariat général que de plus d’une dizaine d’États membres de l’OUA, ont participé
à l’opération, afin d’assurer la régularité du processus d’identification entrepris pour
déterminer le corps électoral.
Depuis lors, le Bureau de l'Oua, qui est dirigé par un Haut Représentant, et abrité
par la MINURSO dans ses locaux, fournissait des mises à jour régulières sur l’évolution de
la situation du Sahara Occidental. Sur le terrain, le Haut Représentant de l’OUA était en
étroite collaboration avec la Minurso et maintenait un contact continu avec les deux parties
du conflit que sont le Maroc et le Polisario.
Comme, il nous a été donné de constater, dans toutes ses résolutions aussi bien
l’Assemblée des chefs d‘États que le conseil des ministres de l’OUA, ont toujours appelé
318
de leurs vœux au respect du droit du peuple du Sahara Occidental à l'autodétermination.
Mais jusqu’à sa dissolution en 1999, l’OUA n’a pas atteint l’un de ses objectifs phares
consistant à combattre le néo-colonialisme sous toutes ses formes. Elle a aussi manqué à
son dévouement, à la cause de l’émancipation totale des territoires africains non encore
indépendants, en vertu de l’article III-6 de sa Charte. C’est en partie, l’une des raisons qui
ont poussé à sa dissolution et son remplacement par une Organisation nouvelle, l’Union
Africaine.
l’implication de l’UA dans le dossier du Sahara Occidental n‘est pas seulement basée
sur sa responsabilité de promouvoir la paix et la sécurité sur le continent, conformément
au Chapitre VII de la Charte des Nations unies, mais également sur sa responsabilité
319
en tant que garant du Plan de Paix de l’OUA de juin
1983, qui a permis de parvenir au Plan de Règlement du conflit207.
La question du Sahara Occidental est l’un des sujets qui fâchent au sein de l’Union
Africaine. En fait, à chacun de ses sommets, la situation de la dernière colonie du continent
ne manque pas de s’inviter dans les débats et de nourrir les controverses. Cela tient au fait
que, de toutes les organisations, l’UA reste la seule où le Maroc et la République Arabe
Sahraouie Démocratique (RASD) siègent côte à côte. L’UA depuis son avènement est restée
saisie de la question qui comme indique l’actuel président de la Commission de
l’organisation, Moussa Faki Mahamat (cité par Rfi, 2018), « Le conflit du Sahara
Occidental demeure préoccupant pour le fonctionnement de notre organisation.». Pour
avoir une certaine idée de l’engagement de l’UA dans le règlement du conflit le plus vieux
non résolu du continent, nous allons nous pencher sur les dernières initiatives prises par
l’Organisation. Pour ce faire, nous analysons les conclusions de la 31ème session ordinaire
des chefs d’État à Nouakchott, le rapport du président de la Commission et la mise en place
de la Troïka.
207
Communiqué de presse de la présente de la commission de l’union africaine Dr Nkosozana Dlamini Zuma
le 14 Mars 2016.
320
Le rapport, fruit de six mois de consultations, était le document le plus attendu du
31e sommet de l’Union africaine (UA), selon Jeune Afrique (2018). Ce texte a été étudié à
huis-clos le dimanche 1er juillet 2018. Il se fonde sur une série d’entretiens menés d’une
part, avec le roi du Maroc, Mohammed VI, et son ministre des Affaires étrangères (à Rabat,
les 5 et 6 juin) et d’autre part, avec le président de la RASD, Brahim Ghali, et son ministre
des Affaires étrangères (à Tindouf, les 19 et 20 juin). Mais aussi avec le Premier ministre
algérien Ahmed Ouyahia et son ministre des Affaires étrangères (les 11 et 12 mars), ou
encore avec le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, fin mars.
321
Le mécanisme africain qu’a envisagée propose le tchadien, prévoit la mise en place
d’un Panel de haut niveau comprenant la Troïka de l’Union et le Président de la
Commission (Assembly/AU/4(XXXI), p. 6).
La Troïka sera désormais l’interlocuteur de l’UA d’avec les Nations unies. Toutes
les décisions de la gestion de cette crise se feront depuis New York et non depuis Addis-
Abeba. Il acte « la nécessité pour l’UA d’inscrire sa démarche dans le cadre d’un appui
renforcé aux efforts des Nations unies », comme souligné dans le rapport. Mais les quatre
hommes auront la charge de présenter les avancées du dossier devant les chefs d’État de
l’Union africaine lors des deux sommets annuels. « Cette démarche est une solution
supplémentaire pour aider les deux parties », estime Smaïl Chergui (2018), le commissaire
à la Paix et à la sécurité de l'Union.
Après l’adoption du mécanisme, les deux camps ont vite fait de crier victoire et y
ont été de leurs commentaires. Pour le Maroc, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a,
en quelque sorte, été « dessaisi » du dossier au profit de l’ONU. En effet, le CSP de l’UA
ne devrait désormais plus avoir cette problématique à son ordre du jour. Du côté du Sahara
Occidental, les responsables ne font pas la même lecture de la mise en place du mécanisme.
322
Ils estiment, au contraire, que l’Union africaine reprend l’initiative sur ce dossier. « C’est
une élévation de la question du Sahara occidental au niveau des chefs d’État. Il faut qu’il y
ait une collaboration entre deux institutions, ONU et UA, mais sans l’UA aucun progrès ne
peut être réalisé » estime Mohamed Salem Ould Salek, ministre des Affaires étrangères de
la RASD. Et le responsable durcit le ton ajoutant que « le Maroc nage à contre-courant »
de cette décision. « Il a voulu dessaisir l’Union africaine et il s’en est sorti avec un
mécanisme africain » (Rfi, 2018)208. En effet, depuis son retour dans l’Union en 2017, le
Maroc n’a cessé de remettre en cause la compétence et la légitimité de l’UA dans le dossier
du Sahara Occidental.
Dans son rapport présenté aux chefs d’États au cours du 31e sommet tenu en
Mauritanie, le président de la Commission de l’UA prévenait que :
les autorités marocaines ont réaffirmé le rôle central des Nations unies dans la conduite
du processus de négociation. Elles ont mis en garde contre les risques d’un processus
parallèle, estimant qu’en reconnaissant la RASD, l’UA s’était d’elle-même exclue des
efforts de recherche d’une solution. Les autorités marocaines n’ont, toutefois, pas
totalement exclu un rôle pour l’UA, aussi longtemps que la primauté des Nations unies
dans la gestion du dossier n’est pas remise en cause (Assembly /AU/4 (XXXI)).
C’est ce qui explique selon le président de la Commission que les parties du conflit
ont marqué leur appui aux efforts du nouvel Envoyé personnel du Secrétaire général des
Nations unies et leur attachement au processus de négociation conduit sous les auspices des
Nations unies. Fort de cela, le président de la Commission insistait sur :
la nécessité pour l’UA d’inscrire sa démarche dans le cadre d’un appui renforcé aux
efforts des Nations unies, pour accroître leur chance d’aboutissement. En d’autres
termes, il ne s’agirait pas pour l’UA de développer un processus parallèle à celui des
Nations unies. (Assembly /AU/4 (XXXI).
208
Disponible sur https://www.rfi.fr/fr/afrique/20180702-conflit-sahara-occidental-ua-met-place-une-troika-
lien-onu#main-content consulté le 19/08/20.
323
mise en cause par le Maroc. En fait, Rabat veut que le dossier du Sahara Occidental soit à
la charge exclusive de l’Onu. Pour le Maroc, le principal enjeu de son retour au sein de
l’Union africaine (UA) est de s’assurer que sur la question du Sahara Occidental,
l’institution panafricaine ne cherche pas à se substituer à l’ONU, qui offre les meilleures
garanties à ses yeux.
Au terme de ce chapitre, nous pouvons soutenir que maintenant plus que jamais,
l’Afrique est profondément divisée sur la question du Sahara Occidental. L’OUA/UA, fort
des principes et objectifs dont elles se sont dotées, se sont saisies de la question. Pour l’UA,
l’enjeu est de taille, l’intégration politique et socio-économique et la paix, la sécurité et la
stabilité du continent passe nécessairement par le règlement du conflit du Sahara. Même si
la RASD est admise au sein de l’UA comme membre fondateur, de plus en plus d’États,
séduits par le plan d’autonomie du Maroc et du lobbying de Mohammed VI à travers sa
diplomatie-économique, commence à approuver la « marocanité du Sahara Occidental ».
De tout ce qui précède, n’est-il pas évident que l’Afrique est devenue un véritable champ
de bataille de la guerre politico-diplomatique que se livre le Maroc et la RASD ?
Tout compte fait, le Polisario semble en perte de vitesse et le Maroc est entrain de
renforcer sa position sur la question du Sahara en Afrique et même dans le monde. La
324
finalité pour le Royaume est d’intégrer le Sahara Occidental et ses ressources naturelles
pour, non seulement, le rayonnement de son économie, mais aussi pour devenir à terme
l’une des premières puissances économiques à l’échelle du continent.
325
CHAPITRE 12 : L’INTÉGRATION DU SAHARA OCCIDENTAL ET SES
RESSOURCES NATURELLES AU ROYAUME CHÉRIFIEN
La fin de la guerre froide a sonné le glas des conflits directs et frontaux, recourant à
la puissance de feu et aux capacités militaires interétatiques, même si la crise russo-
urkrainienne vient nuancer cette réalité. Dorénavant, les conflits d’intérêts entre les pays ne
trouvent leur expression qu'à travers l’affrontement économique (Lorot, 2009, p. 2). La
santé économique d’une Nation est l’aune par laquelle l’on juge sa puissance, car dans ce
monde globalisé, les intérêts économiques des États prennent l’ascendance sur leurs intérêts
purement militaires ou politiques. Fort de cela, nous soutenons que le monde est en train de
passer de l’ère de la Géopolitique à celle de la Géoéconomie.
Comme nous l’avons déjà vu, la Géoéconomie est une extension de la Géopolitique
qui sert à étudier les rivalités territoriales de nature économique. Les politiques
géoéconomiques ne visent aucunement la conquête territoriale, elle vise plutôt à « acquérir
la suprématie technologique et commerciale » (Lorot, 2010, p.16). L’enjeu des politiques
géoéconomiques serait donc de « conquérir ou de préserver une position convoitée au sein
de l’économie mondiale » (Luttwak, 1995, p. 403). La question de l'exploitation des
ressources naturelles du Sahara Occidental par le Maroc a fait l'objet de plaintes régulières
du Front Polisario. Celui-ci souligne que le Sahara Occidental, en tant que territoire non
autonome, devrait voir ses ressources naturelles protégées pour le bénéfice de sa propre
population.
Après avoir analysé dans les précédents chapitres les enjeux géopolitiques en lien
avec la sécurisation du Grand Sahara, il nous sied d’examiner comment les ressources
naturelles du Sahara Occidental ont transformé un conflit direct et frontal, recourant à la
puissance de feu et aux capacités militaires entre le Maroc et le Front Polisario, en une
véritable « guerre économique » opposant les mêmes antagonistes. Pour ce faire, nous
commencerons par déterminer les acteurs impliqués dans l’exploitation des ressources
naturelles du territoire. Pour finir, nous analysons les politiques développés par les acteurs
pour la gestion des ressources et surtout la part de celles-ci dans l’économie du Maroc.
326
I. LA PROBLEMATIQUE DE L’EXPLOITATION DES RESSOURCES
NATURELLES DU SAHARA OCCIDENTAL
Dans les discours des acteurs du conflit, il est de plus en plus question des ressources
naturelles. Ce n‘est un secret pour personne que malgré son aspect désertique, les 266 000
km2 du territoire du Sahara Occidental sont riches en ressources naturelles. En plus d’être
bordé à l’Ouest par l’océan Atlantique avec près de 1200 kilomètres de côtes, lui assurant
un accès maritime et une richesse en ressources halieutiques, le Sahara Occidental regorge
de phosphate, de fer, de pétrole et surtout de sables. Mais au vu de la situation actuelle du
territoire et de ses immenses richesses naturelles, il est important de savoir qui sont ceux
qui exploitent ces richesses.
1- Les acteurs locaux de l’exploitation des ressources : une forte implantation des
entreprises marocaines
Les diverses ressources naturelles présentes sur le sol, sous-sol et les eaux du Sahara
Occidental constituent un enjeu économique dans le conflit qui oppose le Maroc au Front
Polisario. Actuellement, ces deux acteurs « luttent » non seulement pour la souveraineté du
territoire, mais aussi pour la tutelle des richesses naturelles. En l’état actuel des choses,
aucun des deux acteurs n’exerce légalement une souveraineté sur ce territoire catalogué par
les Nations Unies, comme étant non-autonome. Le Front Polisario est considéré par les
Nations Unies comme mouvement de libération et comme le représentant du peuple
sahraoui. Alors que le Maroc est qualifié de puissance occupante (Résolution 3458 A (XXX)
et S/2002/161 du 12 février 2002). Au vu de cela, n’est-il pas évident que les ressources du
Sahara Occidental appartiennent aux sahraouis en vertu du principe de souveraineté
permanente des peuple su leurs ressources naturelles ? Difficile de répondre à cette
interrogation, car la paternité des ressources du territoire est au centre d‘un débat qui oppose
les juristes et qui fait couler d‘encre au sein des chercheurs.
Le Sahara Occidental est divisé en deux depuis 1982 par le Maroc qui y a construit
des murs. Le royaume contrôle et administre 80% du territoire. La RASD, par
l’intermédiaire du Front Polisario, administre la partie restante, c’est-à-dire, les 20% du
territoire. Toutefois, contrairement au Maroc, la RASD manque de moyens techniques et
financiers pour exploiter la partie du territoire sous son contrôle. De ce fait, il résulte qu’il
327
y a qu’un seul acteur local qui exploite véritablement les sources du Sahara Occidental : le
Maroc.
D’autres les entreprises marocaines vont investir le Sahara Occidental peu de temps
après que les Espagnols l’aient abandonné. Ces entreprises vont s’accaparer des secteurs
clés comme la pêche et les mines. En 2002, l’OCP acquiert la totalité des parts de
Phosboucraa, soit les 35% restants. Phosboucraa SA devient une filiale d’OCP. Depuis cette
date, elle est l’unique entreprise qui exploite les gisements de phosphate du Sahara
Occidental, extrayant entre 2,5 et 3 millions de m 3 par an209.
209
Pour les détails techniques sur les chiffres de PhosBuCraa voir http://www.phosboucraa.ma/ consulté le
12/05/ 2019.
328
Ainsi, il a entrepris des travaux d’extraction minière sur huit sites au Sahara Occidental. Ces
extractions concernent les métaux de base et les métaux précieux.
Les ressources naturelles du Sahara Occidental sont comme un aimant qui attire les
multinationales étrangères. Sous l’impulsion du Royaume de Maroc qui coordonne tous les
appels d’offres, plusieurs multinationales étrangères sont implantées au Sahara dans les
secteurs énergétiques, miniers, de l’agriculture, de la pêche etc. Dans le secteur des
énergétiques et des mines, c’est l’Office National des Hydrocarbures et des Mines
(ONHYM) en sa qualité d’agence nationale de promotion des hydrocarbures et des
ressources minières du Maroc, qui est chargé d’attirer les investisseurs étrangers pour mener
les travaux d’exploration dans ce qui est considéré comme les provinces du Sud. Avec un
énorme potentiel en ressources minières et énergétiques, les grandes entreprises vont se ruer
au Sahara à l’effet d’explorer les potentialités de son sous-sol.
210
Cf. https://aujourdhui.ma/economie/onp-villages-de-peche-au-sahara-19878 consulté le 07/08/20.
329
Les premières entreprises à s’installer au Sahara Occidental furent la française Total,
et le groupe énergétique américain Kerr-McGee en 2001. Les deux entreprises se sont vues
octroyer une licence d’exploration pétrolière au large des côtes du Sahara occidental. Le
géant pétrolier français Total avait bénéficié d’une licence couvrant une zone offshore de
plus de 100 000 kilomètres carrés (la surface du Portugal) au large du Sahara Occidental, le
« bloc Anzarane »211. En 2015, l’entreprise française Total s’est retirée de la prospection
pétrolière au Sahara en raison des résultats jugés décevants de ses activités sur le bloc
d’Anzarane (Le Figaro du 21/12/2015). L’entreprise américaine Kerr Mc-Gee quant à elle
s’est retirée de l’exploration pétrolière au large du Sahara Occidental en 2006.
211
Voir https://multinationales.org/?lang=fr consulté le 13/08/20.
212
Cf. Western Sahara Resource Watch. Disponible sur http://www.wsrw.org consulté le 13/08/20.
330
Occidental occupé par le Maroc. La société a remporté un appel d’offres lancé par l’Office
national de l’électricité et de l’eau potable du Maroc (ONEE) pour la construction d’une
sous-station 225 / 60kV à Dakhla (Maroc) avec des lignes aériennes 60kV et des câbles
souterrains associés à Dakhla213 Dans le même secteur, et toujours selon Western Sahara
gouvernement marocain.
213
Cf. http://www.wsrw.org consulté le 13/08/20.
214
« Signées à la Cop22 : des centrales solaires au Sahara occupé », http://www.wsrw.org consulté le 13/08/20.
331
La gestion des ressources naturelles au Sahara Occidental est devenue très vite le
nouveau cheval de batail du Front Polisario dans l’optique d’attaquer le royaume du Maroc.
Cette thématique constitue un moyen de la part du Front Polisario de délégitimer la
présence marocaine au Sahara Occidental. De son côté, le Maroc intègre la gestion
ressources à un projet plus vaste qui vise à légitimer le « Plan d’autonomie » proposé au
nations unies en 2007. Puisqu’à l’heure le Maroc est le seul des deux acteurs du conflit à
exploiter et bénéficier des ressources du Sahara Occidental, nous allons donc étudier les
enjeux des projets de développement pour les provinces du Sud entrepris par le Maroc afin
de mettre en valeur les ressources du Sahara Occidental.
332
l’agriculture » (Le Matin du Sahara, 6 novembre 1985, p. 5). Le programme d’édification
du Sahara nouveau dot parlait Hassan II a été baptisé « mise en valeur des provinces
sahariennes ». Il vise à effacer ainsi le long retard enregistré ici par rapport aux régions du
Maroc durant la colonisation espagnole et à intégrer le Sahara Occidental au territoire
national marocain.
333
(ADES). Au total, le budget alloué aux provinces du Sud est de près de 4,6 10 milliards Dh
par an.215
Au Sahara Occidental, la mission de l’Agence du Sud dans les trois régions vise
officiellement la promotion de toutes les composantes de la vie économique et sociale. Mais
officieusement, elle s’intéresse à la valorisation des ressources naturelles. C’est pourquoi,
les projets divergent d’une région à une autre selon les ressources qu’offre la région. Les
projets réalisés dans chacune des trois régions du Sahara sous occupation marocaine, ont
été étudié par Chmourk (2012). Nous nous appuyons sur son analyse.
Entre 2004 et 2008, cette région a vu la réalisation de 125 projets. Dans ces projets,
le royaume a mis l’accent sur l’eau et l’environnement. Avec 1,7 milliard de dirhams, ces
secteurs représentent plus de 60 % de l’ensemble des dépenses. Plus de 945 millions de
dirhams sont réservés à la mobilisation et la répartition de l’eau dans toute la région. Grâce
à ces investissements, le milieu rural affiche aujourd’hui un taux d’accès des ménages au
réseau d’eau potable de 98 %. Les oasis de la région souffrent elles aussi de divers
problèmes qui alimentent les processus de dégradation de cet espace, dont la fragilité a été
accentuée par l’instabilité des conditions climatiques. Plus de 551 millions de dirhams ont
été affectés à l’habitat et au développement urbain, soit plus de 14 % de l’ensemble des
investissements.
215
Chiffre disponible sur « Nouveau modèle de développement pour les provinces du Sud », Rapport du
Conseil Economique, Social et Environnemental.
334
l’habitat insalubre, et à satisfaire les besoins induits par la croissance démographique en
matière de logement et d’infrastructures. Ce programme a bénéficié de de plus de 20 000
ménages (Chmourk, 2012, p. 11).
Les trois villes de la région ont vu la construction de plus 3 138 logements pour 3
291 ménages. Des lots et des terrains ont été également aménagés afin d’encourager et
d’inciter les bénéficiaires à construire eux-mêmes leurs propres logements. Pour renforcer
l’infrastructure de base dans les villes sahariennes, plus de 340 millions de dirhams ont été
réservés pour la construction de la deuxième tranche de la centrale électrique de Laâyoune.
335
La ville du Dakhla, principale ville de la région, a été dotée d’une centrale, équipée
de 5 groupes électriques. Cette nouvelle centrale doit permettre de couvrir les besoins en
électricité de la ville. La réalisation d’un nouveau port a coûté plus de 370 millions de
dirhams. La mise à niveau de cinq villages de pêche a coûté 664 millions de dirhams,
affectés essentiellement à la réalisation de zone d’habitat, d’activités commerciales, et
d’équipements administratifs et scolaires. Aujourd’hui, la ville de Dakhla est devenue une
ville moderne dotée de toutes les infrastructures. Elle concentre également des équipements
nécessaires à la transformation des produits de la pêche. Et son nouveau port va augmenter
la capacité de sa flotte de pêche, faciliter les relations commerciales avec les villes du Nord,
et permettre la diversification de ses activités économiques (Chmourk, 2012, p. 13).
Tous ces projets visent à renforcer la place de ces régions du sahara Occidental dans
le développement économique du Maroc. Aujourd’hui, le Maroc a fait d’El Ayoun une ville
vitrine symbolisant à la fois l’intégration et la réussite du développement dans le « Sahara
marocain ». Si le Maroc a consacré plus de 20 milliards de dirhams au désenclavement et
au développement de ces provinces du Sahara, c’est parce que les ressources naturelles de
ces provinces contribuent largement au développement économique global du Maroc.
336
notamment la zone du Sahara Occidental, l’une des plus poissonneuses du monde (Cf.
Programme d’Appui Analytique à la Stratégie Changement Climatique du Maroc–
Document Préparatoire 1, 2013, p. 17). Avec une production halieutique annuelle de près
d’un million de tonnes pour un chiffre d’affaires au débarquement de près de 13 milliards
de dirhams, le Maroc est le premier producteur de poissons à l’échelle de l’Afrique et du
Moyen-Orient (Programme d’Appui Analytique à la Stratégie Changement Climatique du
Maroc, idem).
Des deux façades maritimes, les déchargements de la côte atlantique sont plus
importants que ceux de la côte méditerranéenne. En effet, les ressources halieutiques du
Maroc proviennent essentiellement de la façade atlantique, surtout des eaux du Sahara. Fort
de cela, il est intéressant de s’interroger sur les enjeux des ressources halieutiques du Sahara
Occidental dans l’économie du Royaume du Maroc. Pour voir l’importance de ces deux
ressources, nous allons analyser d’une part, l’apport des ressources halieutiques, des côtes
et celle des ressources minières du Sahara Occidental pour l’économie nationale du royaume
du Maroc.
2.1. Les ressources halieutiques et les côtes du Sahara Occidental, enjeux (géo)
économiques pour le Maroc
337
deux ports au Maroc : Six en Méditerranée: et seize sur l’Atlantique, parmi lesquels, nous
avons ceux de Laâyoune, Boujdour et Dakhla, situés sur les côtes du Sahara Occidental. Les
débarquements dans les ports du Sahara Occidental qui ne représentaient que 20% du
produit national de la pêche en 1990, sont passés à 54% en 2000 (Karmous, s.d., p. 2). Selon
des chiffres fournis par divers médias marocains, la flotte marocaine en activité forte de
quelques 356 unités pour la pêche hauturière, de 1700 unités pour la pêche côtière, et 17
000 barques pour la pêche artisanale (L’Economiste, 25 juillet 2002), se déploie
essentiellement dans l’Atlantique sur les côtes sahraouies. Dans les années 2000, les ports
de Laâyoune et Boujdour comptaient 800 barques artisanales et 700 bateaux (Le Matin du
Sahara, 21 juillet 2002). Les ports de pêche sur la côte atlantique représentent 95% des
captures avec 45% pour le seul port d’El Ayoun.
En Août 2001, le nouveau port de Dakhla comprenant une zone industrielle portuaire
à terre de 300 ha dont 60 ha viabilisés216, a été inauguré. En décembre de la même année, le
port est mis en exploitation, son activité est basée sur la pêche hauturière soutenue par le
développement d’unités de valorisation. De fait, si 88 % de la production halieutique est
assurée par la pêche côtière et artisanale, la pêche hauturière représente les 63% de cette
production. Le poisson pélagique (sardine, anchois, maquereau, chinchard) représente 79%
des captures en volume, et les céphalopodes constituent 60% de la valeur des captures dans
la zone de Dakhla (L'Economiste du 30/03/2004). Mais, l’espèce la plus exploitée au large
de Dakhla reste le poulpe connu pour sa qualité supérieure et destiné essentiellement aux
marchés japonais et espagnol. La zone identifiée pour la pêcherie poulpière s'étend du cap
216
Fiche port de Dakhla. En ligne :
http://www.equipement.gov.ma/AR/maritime/ports/PatrimoinePortuaireEtMaritime/Documents/Fiche%2520
Port%2520Dakhla.pdf consulté le 0/08/20.
338
Boujdour au Cap Blanc (Lagouira) (L'Economiste du 30/03/2004), c'est-à-dire du sud d'El
Ayoun à la frontière Mauritanie / Sahara Occidental.
339
mondiale. De fait, dans un monde caractérisé par une croissance démographique
continuelle, les ressources halieutiques se présentes comme des richesses indispensables
pour l’avenir.
En fait, l'intérêt des phosphates, dont plus de 80% de la production mondiale est
utilisée par l'agriculture, tient au fait que toutes les plantes, cultivées ou non, ont un besoin
incontournable de phosphore pour leur existence et leur croissance. Comme il n'y a aucun
produit de substitution, les phosphates se révèlent être indispensables à la vie du monde
végétal et des êtres humains. À l’échelle mondiale, il y a toujours une hausse de la demande
en engrais phosphatés, ce que reflète la production mondiale de phosphates. En effet, celle-
ci était estimée à 42 millions de tonnes en 1960, à 77 millions en 1969, à 110 millions en
340
1974, à 132 millions en 1980, à 162 millions en 1990, à 133 millions en 1996 et de 128
millions de tonnes en 2001217.
Dans le domaine des phosphates et engrais phosphatés, le Maroc occupe une position
dominante. Il possède les 72 % des réserves mondiales de phosphates (Wagner, 2019), il est
le 2e producteur et le 1er exportateur mondial de phosphates. Si le Maroc détient 72% des
réserves mondiales de phosphate, les mines du Sahara Occidental occupent une place non
négligeable de ce pourcentage. De fait, il existe quelque cinq grands secteurs au Sahara. Le
secteur de Boucraa, d’Amsliken, d’Azig, El-Abadela, et celui de la province d’Oued
Eddahab (Chmourk, 2012, p. 8). Mais ce sont les mines de Boucraa qui présente un grand
potentiel, et une grande importance économique. Située à 100 kilomètres au Sud-Est d'El
Ayoun, les mines de Boucraa représentent un gisement considérable dont la superficie
reconnue s'étend sur près de 260 km². Ses réserves sont estimées à 3 milliards de tonnes,
soit 3,3 % des réserves nationales de phosphate estimées à 60 milliards de tonnes (Chmourk,
2012, p.8). Actuellement, la mine de Boucraa produit environ 1,86 millions de tonnes de
phosphate, soit 2,3 % de la production nationale.
En outre, avec ses nombreuses salines naturelles, le Sahara Occidental, est riche en
sel. La saline de Tazgha est la plus importante, avec des réserves évaluées à 4,5 millions de
tonnes (Chmourk, 2012, p. 8). Le Sahara Occidental est un désert, cela veut dire qu’il a du
sable à profusion. Actuellement, le Maroc exporte des milliers de tonnes de sable en
provenance du Sahara Occident. Western sahara ressources Watch219 (WSRW) fait état de
217
Chiffres disponible sur http://www.usgs.gov/ consulté le 27/02/2020.
218
« Phosboucraâ : Investir dans l’avenir des phosphates dans la région du Sahara », rapport de l’OCP.
http://www.ocpgroup.ma/sites/default/files/filiales/document/presentation_phosboucraa_fr.pdf
219
Western Sahara Resource Watch (WSRW) est une ONG internationale composée de plusieurs associations
présentes dans une plusieurs pays. Elle a été créée en 2004, pour de faire de la recherche et mener des
341
ce qu’en 2008, la grande quantité de plus des 500 000 tonnes de sables qu’exporte le Maroc
en Espagne provient du Sahara Occidental. La plus grosse part de ce sable est destinée aux
iles Canaries.220
campagnes sur l’exploitation des ressources naturelles dans la partie du Sahara occidental sous contrôle
marocain.a
220
Voir le site web de WSRW https://www.wsrw.org/ma139x742 consulté le 13/05/20.
342
Conclusion partielle
343
CONCLUSION GÉNÉRALE
Pour vérifier notre hypothèse, atteindre notre objectif et répondre par la même à la
question centrale de ce travail, nous nous sommes imposé le choix d’une méthode d’analyse
rigoureuse. Étant donné que cette étude se propose d’analyser les enjeux géopolitiques et
géoéconomiques du conflit au Sahara Occidental, nous avons convoqué la méthode
géopolitique proposée par Rosière (2001). Cette démarche nous a semblé la mieux adaptée
et à même de fournir les outils nécessaires à l’analyse d’un conflit aussi complexe que celui
du Sahara Occidental. Le paradigme de Rosière comme nous l’avons vu, repose sur l’étude
de la dynamique du territoire, des acteurs, des représentations territoriales, du mode
opératoire et des enjeux. Cependant, étant donné que notre sujet traite une question
historique, mais d’actualité, nous avons également fait appel à la méthode historique. Celle-
ci nous a permis de reconstituer l’histoire du conflit et de dégager scientifiquement les faits.
344
permanence du conflit, il fallait découvrir les intérêts tant (géo) politiques qu’économiques
de ses acteurs officiels et officieux. Ainsi, arrivé au terme de notre étude, pouvons-nous
émettre les conclusions suivantes.
345
partie du royaume. Pour les successifs rois du Maroc, le royaume sera totalement
indépendant que quand il sera complètement unifié. Pour eux, les frontières du Maroc se
terminent au sud à Saint-Louis du Sénégal. Le sultan Mohammed V fera de la théorie du
« Grand Maroc » l’un des fondements de sa politique intérieure et extérieure. Par ailleurs,
soutenir la thèse du « Grand Maroc », a été l'occasion pour lui de réaffirmer son engagement
dans la reconstruction du royaume chérifien et de la nation marocaine et de se positionner
comme le « Libérateur ». La revendication de la colonie espagnole a permis au souverain
d’avoir le principal parti de l’opposition, l’Istiqlal, comme allié. Par ailleurs, la réalisation
du projet « Grand Maroc » devrait permettre de consolider la légitimité de Mohammed V
dans tout le royaume y compris au Sahara espagnol et en Mauritanie.
346
C’est à ce moment que sont nés sur le Sahara Occidental trois catégories de
mouvements nationalistes. Les premiers réclamaient le rattachement du territoire au Maroc,
d’autres une autonomie sous tutelle espagnole et les derniers, l’exercice du droit
d’autodétermination et l’indépendance totale du Sahara Occidental. Au titre des derniers, il
y a le Front Polisario, reconnu comme le représentant légitime du peuple sahraoui. Au fort
des revendications de « sa » province et après l’ambigu avis consultatif émis par la Cour
Internationale de Justice sur les liens de souveraineté entre le Sahara Occidental le Maroc
et l’ensemble mauritanien, Hassan II va orchestrer la « Marche verte » et annexer le
territoire en 1975.
Comme nous l’avons montré, la « Marche verte » a été une stratégie géopolitique
savamment coordonné par Hassan II pour trois raisons. Primo, la Marche devrait permettre
la réunification du royaume par la récupération du « Sahara marocain » et son intégration à
la mère patrie. Secundo, la « Marche verte » devrait permettre de soigner l’image très
dégradée d’Hassan II, par l’affaire Ben Barka et par son autoritarisme à la limite de la
dictature. Enfin, vu la crise socio-politique que connaissaient le Maroc dans les années 70,
le roi a recherché l’union sacrée de toutes les forces vives de la nation autour de sa personne.
De fait, Hassan II voulait satisfaire le nationalisme populaire marocain en pratiquant une
politique de défi à l’égard de l’Espagne, de l’Algérie et surtout des Nations Unies.
347
et à la Mauritanie, qui s’était partagé le territoire et ses abondantes richesses. La violente
offensive militaire de la RASD, va conduire à un accord de paix avec la Mauritanie en Août
1979, et contrait le Maroc à construire des murs pour se protéger et pour exploiter les
ressources du territoire dans la quiétude. C’est alors que le conflit s’est internationalisé avec
l’entrée en jeu d’acteurs régionaux (Algérie, Libye, Tunisie et l’Union Africaine) et
internationaux tels que les États-Unis, la France, l’Espagne, la Russie, la Chine et l’Inde.
Au niveau des enjeux géoéconomiques du conflit, sachant que la finalité ultime des
politiques géoéconomiques n’est pas seulement le contrôle de territoires, mais d’acquérir la
suprématie technologique et commerciale (Lorot, 2010, p.16), l’étude a montré que le
Sahara Occidental est désormais au cœur de politiques économiques tant de la part du Maroc
que d’autres puissances internationales et leurs multinationales. En clair, le Sahara
Occidental est devenu un enjeu géoéconomique mondial pouvant conférer aux États le
pouvoir d’avoir une position enviable au sein de l’économie mondiale et un élément de
puissance et de rayonnement international.
348
mise en valeur des provinces sahariennes » qui sera rebaptisé « Nouveau modèle de
développement pour les provinces du Sud » et doté d’un budget de près de 4,6 milliards de
Dirham (DH) par an. L’objectif affiché du Maroc est non seulement de faire des « provinces
du sud » un hub africain, mais aussi permettre au Maroc, à travers la façade atlantique du
Sahara, de devenir une véritable plateforme économique entre le Nord et le Sud.
Si le Maroc fait tous ces efforts au Sahara Occidental, c’est parce que la région a
un apport considérable à son économie nationale. Ainsi, dans le secteur des phosphates, les
réserves des « provinces du Sud » sont estimées à trois milliards de tonnes, soit 4 % des
réserves nationales de phosphate estimées à 60 milliards de tonnes. En 2013, la mine de
Boucraa a pris environ 1,86 millions de tonnes de phosphate, soit 2,3 % de la production
nationale 1,6% des réserves prouvées au Maroc. Grace au Sahara Occidental, dans le
domaine des phosphates et dérivés, le Maroc occupe une position dominante sur le marché
mondial. Il possède en effet les 72% des réserves mondiales de phosphates. Toujours à
l’échelle mondiale, le Maroc est le 2e producteur et le 1er exportateur de phosphates.
Toutefois, les entreprises marocaines ne sont pas les seules à explorer et exploiter
les richesses du Sahara Occidental. Les géants pétroliers français et américains, Total et
Kerr-McGee ont obtenu en 2001 des licences d’exploration pétrolière au large des côtes du
349
Sahara. Dans le domaine minier, l’Allemagne est présente avec ses multinationales comme
Heidelberg Cement et Siemens.
Pour nous, c’est la conjugaison des intérêts géopolitiques (lutte pour l’hégémonie
régionale et internationale, lutte contre le terrorisme), géoéconomiques (possessions de
ressources stratégiques, suprématie économique mondiale) et la multiplicité des acteurs qui
constituent les principales raisons pour lesquelles le conflit du Sahara Occidental continue
de résister à toutes les tentatives de résolutions. Mais, les résolutions du Conseil de sécurité
depuis 2018 qui ordonnent aux parties (Maroc, Front Polisario et Algérie) de reprendre les
négociations pour parvenir à une « solution politique équitable », « durable » et «
mutuellement acceptable », et la rencontre de Genève des 5 et 6 décembre 2018,
s’annonçaient comme des lueurs d’espoir. Mais la reprise des hostilités dans le sud du
350
Sahara dans la zone frontalière de Guerguerat, ne viennent elle pas tuer dans l’œuf ce début
d’espoir ?
La prudence scientifique nous invite à la réserve. Toutefois, s’il y a une chose que
nous avons appris dans cette étude, c’est que le problème du Sahara Occidental montre que,
chaque fois que les intérêts politiques et économiques des puissances industrielles
impliquées dans un conflit seront en jeu sur un territoire en lutte pour son autodétermination,
l’indépendance de ce peuple sera toujours sacrifiée.
Néanmoins, pour le règlement de l’un des conflits les plus vieux du continent
africain, il est nécessaire que cesse la guerre par procuration autour du Sahara Occidental.
Les deux vrais acteurs du conflit sont le Maroc et le Front Polisario/RASD. Les autres
acteurs dit impliqués que nous avons identifiés dans ce travail, se livrent en réalité à une
guerre par procuration selon la température socio-politique interne dans leur pays. Et aussi
longtemps que ceux-ci tireront les ficelles dans l’ombre, l’exercice du droit de
l’autodétermination auquel aspire les sahraouis sera une utopie. Enfin, comme pistes de
réflexions en vue d’une solution, il faut que :
- l’ONU et l’UA qui sont en charge du règlement du conflit soient plus ferme dans leur
engagement et fassent respecter les résolutions pertinentes qu’elles votent ;
- l’Union Africaine doit cesser d’être dans l’ombre des Nations Unies et tenter d’imposer
une solution africaine au conflit en vertu de la Charte de l’Organisation ;
- les puissances internationales, mains occultes du conflit, doivent faire preuve
d’impartialité et permettre au peuple sahraoui de jouir de son droit inaliénable à
l’autodétermination selon la forme qui lui conviendrait.
351
ANNEXES
352
2. Perception de l’agenda géopolitique et sécuritaire de l’Algérie en Afrique
353
3. Perception de l’agenda géopolitique et sécuritaire du Maroc en Afrique
354
4. Carte économique du Maghreb
355
5- Convention relative au tracé de la frontière établie entre la République Islamique
de Mauritanie et le Royaume du Maroc
356
6-
--
357
Chronologie des dates les plus déterminantes du conflit du Sahara Occidental depuis
1884 à nos jours.
1973 : Création du Front Polisario (10 mai) qui revendique l’indépendance du Sahara
Occidental. Déclenchement de la lutte armée contre l’occupation espagnole (20 mai).
1975 : 6 novembre : Marche verte organisée par Hassan II avec 350 000 civils marocains
encadrés par 20 000 militaires pour prendre possession du Sahara espagnol.
Le 14 novembre : accords de Madrid partageant le Sahara espagnol entre le Maroc (2/3) et
la Mauritanie (1/3).
1978-1979 : Cessez-le feu d’un an (10 juillet 1978 – juillet 1979) entre le Front Polisario et
la Mauritanie.
1979 :Traité de paix Polisario-Mauritanie (5 août) : retrait des troupes, renoncement à toute
revendication sur le tiers du Sahara occidental obtenu lors des accords de Madrid et
reconnaissance du Polisario comme seul représentant du peuple sahraoui. Annexion de tout
le territoire par le Maroc.
358
1984 : L’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) admet la RASD en son sein comme 51e
membre.
1991 : Signature d’un cessez-le-feu (20 juin) à l’initiative de l’OUA et de l’ONU, assorti
d’un plan de paix qui prévoit la tenue d’un référendum d’autodétermination en 1992
(résolution 690). Proclamation du cessez-le-feu (2 septembre).
Depuis, le Maroc contrôle et administre environ 80 % du territoire, tandis que le Front
Polisario en contrôle 20 %.
1997 : Kofi Annan (secrétaire général de l’ONU) relance le processus de paix et nomme
James Baker, ancien Secrétaire d’État américain, comme envoyé personnel pour le Sahara
occidental.
1999 : Violente répression d’un sit-in pour des revendications sociales à El Ayoun (22
septembre).
2000 : Le Plan "Baker I" offre une large autonomie locale dans le cadre de l’État marocain,
dont les compétences seraient limitées à la défense et aux affaires étrangères. Ce plan est
accepté par le Maroc, mais rejeté par le Polisario et l’Algérie.
2003 : Nouveau plan de règlement "Baker II" qui prévoit l’établissement d’une Autorité du
Sahara occidental pour cinq ans, puis la tenue du référendum auquel les Marocains non
originaires du Sahara occidental participeraient et dans lequel la nouvelle option d’une
« autonomie permanente » figurerait.
2005 : Manifestations et émeutes surnommées "Intifada pour l’indépendance" ont lieu dans
plusieurs villes du Sahara Occidental. Vives réserves d’Amnesty International et d’Human
Rights Watch sur les conditions des procès de 14 militants sahraouis.
Libération par le Front Polisario des derniers prisonniers de guerre marocains (18 août).
2006 : Mise en place par Mohamed VI du Conseil Royal consultatif pour les affaires
sahariennes (CORCAS) afin de proposer une troisième voie entre l’annexion et
l’indépendance, celle de l’autonomie. Le Maroc conserverait alors la défense nationale, les
affaires étrangères et la monnaie.
2007 : Signature d’un accord de pêche incluant le Sahara Occidental entre le Maroc et l’UE.
Plan d’autonomie marocain.
2010 : "Camp de la dignité" installé le 10 octobre à Gdeim Izik (15 km à l’est d’El Ayoun,
capitale sahraouie occupée) : jusqu’à 20 000 personnes dénoncent la marginalisation socio-
économique des Sahraouis. Assaut donné le 8 novembre faisant 13 morts, plus d’une
centaine de personnes arrêtées. Violentes agressions d’étudiants et chômeurs sahraouis par
359
des colons marocains, assistés des forces de sécurités marocaines à El Ayoun, Smara, et
Dakhla, (fin novembre)
2011 : Multiplication des manifestations de la résistance sahraouie sur tout le territoire (en
février à Dakhla puis le 25 septembre, après un match de foot, des affrontements entre
Marocains -soutenus par la police et l’armée marocaines- et sahraouis, toujours à Dakhla,
font 7 morts dont 2 policiers et provoquent l’embrasement de la ville).
Prolongement du mandat de la Mission des Nations Unies pour le Référendum au Sahara
Occidental (27 avril). Ce prolongement se répète chaque année depuis.
Rejet par le Parlement européen du prolongement de l’accord de pêche UE-Maroc (14
décembre).
2013 : Condamnation du Maroc pour torture par le Comité International contre la Torture
de l’ONU suite à la condamnation de 25 militants sahraouis sur la base d’aveux obtenus
sous la torture.
2015 : Adoption par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine d’une résolution
historique pour la tenue urgente d’un référendum au Sahara Occidental (27 mars).
Résolution de premier ordre car elle aborde l’ensemble des aspects du conflit du Sahara
Occidental et propose des mécanismes de sorties de crise.
Mise en œuvre du « nouveau modèle de développement pour les provinces du Sud ».
2016 : Décision de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) selon laquelle l’accord
agricole et de pêche entre l’UE et le Maroc n’est pas applicable au Sahara occidental. (21
décembre).
2020 : Le 22 janvier 2020, le Maroc a intégré les eaux du Sahara Occidental à son espace
maritime.
Le 10 décembre 2020, le président sortant des États-Unis, Donald Trump, signe un décret
reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental. Et aussi, le rétablissement
des relations entre le royaume du Maroc et l’État hébreu.
2022 : L’Espagne reconnait le plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007. Visite du
chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez au Roi Mohammed VI.
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275. Exposé oral de M. Salmon.
276. Opinion Individuelle de M. De Castro.
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278. Résolution du 18 avril 1991, Journal officiel de l’Union européenne, 20 mai 1991.
378
XI. DOCUMENTS ONU
XIII. DICTIONNAIRES
302. Antidote 8 (2014)
303. Encarta (2009)
304. Le grand Larousse illustré (2017)
379
INDEX THÉMATIQUE
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
A:
Acteur : 4, 5, 6, 8, 11, 13, 17, 20, 23, 72, 99, 100, 120, 170, 200, 213, 219, 220, 237, 264,
265, 288, 289, 293, 296, 298, 299, 312, 322, 337, 338, 342, 344, 354.
Algérie : 28, 32, 34, 47, 66, 87, 105, 109, 127, 134, 140, 141, 144, 145, 147, 169, 172, 178,
186, 187, 195, 210, 213, 221, 223, 224, 229, 232, 234, 235, 237, 242, 243, 247, 252, 259,
268, 272, 274, 279, 293, 295, 300, 316, 326, 345.
Armée : 13, 14, 57, 66, 78, 92, 93, 94, 107, 108, 112, 116, 117, 118, 140, 143, 144, 145,
169, 171, 178, 200, 201, 204, 205, 207, 208, 210, 212, 228, 271, 274.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
C
Conflit : 5, 6, 7, 8, 9, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 21, 22, 23, 24, 29, 34, 41, 55, 103, 120, 174,
209, 210, 211, 213, 214, 215, 216, 219, 220, 222, 229, 230, 232, 235, 237, 239, 244, 248,
257, 264, 265, 266, 269, 270, 271, 273, 274, 276, 279, 290, 281, 282, 285, 287, 288, 289,
290, 292, 293, 299, 300, 310, 311, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 318, 319, 320, 321, 322,
325, 330, 331, 337, 338, 339, 342, 344, 345, 346.
Cour International de Justice : 153, 154, 155, 156, 157, 161, 163, 169, 197, 306, 309,
310, 370.
Communauté Internationale : 02, 131, 137, 164, 167, 177, 185, 203.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
D
Démocratie : 49, 105, 115, 242, 280, 283.
Djemaa : 47, 49, 50, 86, 87, 132, 137, 150, 151, 190, 191, 193, 197.
Dictature : 81, 165, 341.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
E
Enjeux : 6, 7, 9, 10, 15, 18, 19, 22, 23, 24, 40, 99, 101, 117, 144, 215, 249, 251, 255, 256,
276, 280, 292, 320, 321, 325, 326, 331, 334, 337, 338, 342.
Espagne : 21, 29, 37, 38, 39, 40, 52, 53, 56, 57, 59, 61, 62, 63, 64, 66, 67, 68, 70, 71, 72,
73, 74, 76, 77, 79, 80, 81, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 91, 9293, 96, 108, 126, 127, 128, 131,
137, 140, 141, 142, 145, 148, 149, 150, 153, 154, 155, 156, 158, 160, 161, 167, 168, 169,
171, 172, 174, 175, 177, 179, 185, 187, 189, 190, 212, 281, 283, 336, 341.
Europe : 52, 55, 61, 63, 72, 173, 175, 252, 253, 255, 303, 304.
États-Unis : 1, 20, 57, 69, 70, 77, 105, 135, 158, 173, 174, 175, 176, 177, 240, 249, 250,
251, 252, 261, 264, 265, 266, 268, 269, 270, 271, 172, 273, 274, 275, 276, 277, 287, 299.
État Islamique au Grand Sahara : 242, 243, 244, 271, 342.
380
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
F
France : 1, 2, 20, 52, 62, 64, 65, 67, 68, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 77, 80, 88, 91, 94, 96, 104,
105, 106, 108, 109, 110, 112, 120, 121, 122, 124, 129, 132, 150, 158, 163, 173, 175, 177,
200, 206, 208, 250, 257, 258, 289, 264, 271, 274, 285, 286, 287, 288, 290, 339.
Forces Armées Royales : 94, 95, 107, 112, 118, 200, 201, 209, 210, 212, 284.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
G
Géopolitique : 6, 7, 8, 9, 10, 11, 16, 18, 19, 21, 22, 23, 24, 26, 32, 75, 97, 99, 100, 101, 110,
125, 126 127, 154, 165, 167, 168, 172, 173, 213, 216, 217, 218, 220, 222, 224, 229, 232,
238, 249, 251, 264, 265, 266, 276, 280, 281, 285, 288, 289, 292, 320, 337, 338, 339, 340,
341, 342.
Géoéconomie : 06, 07, 08, 09, 16, 19, 21, 22, 24, 40, 58, 119, 216, 220, 223, 258, 280, 281,
285, 292, 320, 321, 337, 339, 342.
Gouvernement : 01, 4, 14, 28, 29, 37, 40, 63, 66, 39, 70, 71, 73, 76, 77, 78, 81, 82, 83, 84,
85, 89, 91, 92, 105, 121, 122, 123, 124, 127, 132, 134, 140, 144, 148, 150, 152, 153, 163,
164, 167, 168, 169, 170, 176, 177, 179, 231, 234, 244, 258, 260, 263, 264, 266, 267, 271,
274, 278, 282, 284, 293, 301, 303, 306, 325, 341, 344.
Guerre : 2, 3, 5, 12, 14, 20, 23, 31, 50, 58, 68, 77, 79, 81, 82, 83, 84, 92, 105, 106, 117,
121, 126, 131, 133, 135, 138, 144, 169, 172, 173, 189, 199, 203, 206, 207, 209, 211, 213,
215, 222, 236, 245, 248, 249, 251, 261, 263, 266, 267, 268, 270, 271, 284, 297, 319, 320,
341, 345.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
H
Hassan II : 103, 107, 109, 111, 112, 113, 114, 115, 117, 118, 119, 119, 127, 141, 147,
149,152, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 173, 187, 188, 193, 195, 197, 200, 207,
226, 303, 309, 326, 327, 340, 341.
Intérêt : 2, 5, 7, 8, 16, 18, 21, 31,41,50, 53, 56, 58,61, 68, 72, 74, 80, 81, 125, 126, 127,
134, 152, 159, 170, 172, 174, 176, 182, 184, 187, 188, 198, 213, 220, 222, 228, 241, 244,
248, 251, 252, 253, 254, 256, 261, 262, 265, 267, 270, 272, 280, 284, 287, 288, 290, 292,
296, 297, 304, 320, 325, 334, 335, 337, 338, 344, 345.
Indépendance : 1, 3, 5, 51, 91, 92, 93, 104, 106, 107, 109, 110, 114, 124, 125, 128, 129,
134, 135, 137, 139, 140, 143, 144, 145, 146, 147, 149, 150, 151, 153, 169, 171, 172, 173,
186, 190, 204, 221, 222, 235, 258, 259, 295, 296, 301, 340.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
L
Liberté : 1, 49, 73, 97, 115, 134, 144, 145, 192, 204, 221.
381
Libération : 4, 93, 94, 95, 107, 108, 112, 121, 122, 127, 130, 137, 138, 139, 141, 143, 144,
145, 146, 147, 148, 182, 195, 196, 206, 223, 230, 244, 286, 289, 297, 302, 309, 322, 372,
376.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
M
Maroc : 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 15, 16, 17, 20, 21, 24, 28, 30, 32, 34, 36, 37, 38, 39, 41, 42, 45,
48, 51, 59, 60, 61, 62, 65, 67, 68, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 79, 82, 83, 85, 91, 92, 93, 94,
95, 96, 97, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 109, 110, 111, 112, 113,
114, 115, 116, 117, 118, 119, 220, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 134, 137, 138, 139,
140, 141, 143, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159,
160, 161, 162, 163, 165, 166, 167, 169, 170, 172, 173, 175, 176, 177, 179, 180, 181, 182,
183, 184, 185, 186, 187, 189, 190, 191, 193, 195, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203,
204, 206, 209, 210, 211, 212, 213, 215, 216, 219, 220, 221, 222, 223, 226, 227, 228, 229,
233, 234, 235, 236, 237, 238, 249, 253, 254, 258, 259, 260, 262, 263, 264, 265, 266, 268,
269, 270, 271, 272, 273, 274, 275, 276, 277, 278, 279, 280, 281, 284, 285, 286, 287, 288,
290, 291, 292, 293, 294, 296, 297, 298, 299, 300, 301, 302, 303, 304, 315, 311, 312, 313,
315, 317, 318, 319, 320, 321, 322, 323, 324, 325, 326, 327, 330, 331, 332, 333, 334, 335,
336, 337, 339, 340, 341, 342, 343, 344, 345, 346.
Mauritanie : 4, 5, 16, 20, 24, 28, 30, 32, 34, 37, 45, 48, 54, 55, 57, 65, 67, 79, 94, 95, 97,
98, 99, 100, 109,110, 111, 117, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 137, 140, 141, 143,
145, 149, 150, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 176, 177, 178, 179, 181, 182,
183, 186, 189, 190, 191, 193, 196, 197, 198, 199, 200, 213, 204, 206, 207, 208, 209, 210,
212, 216, 219, 220, 223, 224, 236, 241, 246, 258, 259, 264, 271, 285, 287, 304, 314, 322,
340, 341, 342, 343.
Mohammed VI : 103, 113, 231, 260, 294, 295, 297, 303, 304, 315, 326, 342.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
N
Nationalisme : 85, 88, 112, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 137, 138, 141, 143, 145,
146, 147, 149, 166, 220, 221, 341.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
O
ONU : 16, 29, 124, 133, 143, 146, 147, 196, 274, 312, 313, 317, 318, 325, 346.
OUA : 16, 20, 118, 185, 300, 306, 310, 311, 312, 313.
ONG : 5, 23, 244, 316.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
P
Paix : 16, 18, 59, 105, 127, 134, 135, 163, 179, 208, 209, 212, 213, 232, 239, 254, 270, 275,
279, 308, 311, 314, 316, 318, 341.
Politique : 1, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 22, 25, 26, 30, 31, 32, 33, 34,
40, 42, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 54, 55, 5758, 59, 63, 75, 76, 77, 78, 79, 8182, 83, 85, 87, 89,
90, 91, 92, 96, 97, 99, 100, 102, 105, 109, 111, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 120, 122, 123,
124, 125, 126, 127, 128, 130, 132, 133n 135, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 146,
148, 150, 152, 154, 156, 157, 168, 169, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 178, 182, 186,
191, 194, 196, 198, 201, 208, 211, 216, 220, 221, 227, 228, 230, 231, 232, 233, 234, 237,
239, 243, 248, 249, 250, 252, 254, 257, 259, 261, 263, 267, 259, 269, 270, 277, 278, 280,
281, 282, 283, 284, 285, 286, 287, 289, 290, 291, 292, 294, 295, 296, 297, 299, 301, 302,
304, 306, 307, 315, 320, 325, 327, 337, 340, 341, 342, 345, 346.
382
Provinces du sud : 103, 117, 200, 222, 326, 327, 328, 330, 333, 342, 343.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
R
RASD : 5, 7, 9, 17, 20, 21, 32, 41, 97, 189, 192, 194, 196, 196, 1999, 203, 204, 210, 213,
215, 221, 228, 229, 236, 237,264, 278, 286, 294, 295, 297, 299, 300, 301, 311, 315, 316,
317, 318, 321, 341, 345.
Représentation : 3, 22, 23, 52, 86, 100, 101, 11, 117, 118, 129, 127, 212, 218, 261, 265,
270, 293, 305, 339, 339.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
S
Sahraoui : 2, 45, 7, 8, 9, 14, 16, 17, 20, 23, 26, 29, 30, 32, 33, 34, 38, 39, 40, 41, 42, 44,
45, 47, 48, 49, 50, 51, 58, 61, 78, 82, 86, 87, 90, 93, 97, 99, 102, 103, 118, 120, 125, 127,
128, 129, 130, 131, 132, 133, 136, 137, 138, 140, 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 149,
150, 151, 152, 162, 170, 171, 172, 173, 175, 177, 178, 179, 180, 187, 189, 190, 191, 192,
193, 194, 195, 197, 201, 202, 203, 204, 205, 206, 207, 209, 210, 213,8, 220, 221, 222, 223,
227, 228, 232, 244, 246, 247, 265, 266, 267, 268, 270, 272, 273, 274, 276, 282, 283, 284,
286, 288, 294, 297, 298, 302, 312, 313, 321, 337, 341, 344, 345.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
T
Terrorisme : 2, 9, 22, 215, 239, 240, 241, 242, 243, 244, 242, 249, 251, 252, 256, 257, 263,
270, 273, 278, 299, 342, 344, 345.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
U
Union Africaine : 5, 146, 300, 302, 312, 313, 316, 317, 318, 319, 338, 346.
383
TABLE DES MATIÈRES
DÉDICACE…………………………………………………………………………………i
REMERCIEMENTS………………………..……………………………………………...ii
SIGLES ET ABRÉVIATIONS.……………….……….…………….……..…………..…iii
INTRODUCTION…………………………………………………..…………………….1
PREMIÈRE PARTIE : LE SAHARA OCCIDENTAL…….……………………..……25
384
I. LA FONDATION DE LA COLONIE DU SAHARA ESPAGNOL: DES RIVALITÉS
FRANCO-ESPAGNOLES AUX ACCORDS DE DÉLIMITATION……………..…65
1- Rivalités franco-espagnoles autour du Sahara jusqu'en 1900………………….....66
2- Les accords franco-espagnols de délimitation frontalière………………….…......69
2.1. L’accord de 1900 : le premier traité de Paris………………………………….70
2.2. L’accord secret de Paris de 1904………………………………………….......71
2.3.La convention hispano-française de 1912……………………………………..74
II- LE SAHARA ESPAGNOL, DE COLONIE À PROVINCE : LA POLITIQUE
COLONIALE ESPAGNOLE………………………………………………..……….76
1- Pénétration, conquête, exploration et occupation effective de l’hinterland du Sahara
espagnol 1933-1956 …………………………………………………………..…..77
1.1. La conquête politico-militaire du Sahara espagnol……….……………….…77
1.2. L’exploration scientifique du Sahara………………………………………...80
2- La colonisation du Sahara espagnol……………………………………………….82
2.1. La gestion politico-administrative du Sahara………………………………...82
2.2. La « véritable » nature de la colonie du Sahara espagnol…………………….88
3- L’indépendance du Maroc ou le début des problèmes………………….………….91
Conclusion partielle ……………………………………………………………………..98
DEUXIÈME PARTIE : L’ESPAGNE, LE MAROC, LA MAURITANIE ET LE
« TROC » DU SAHARA
OCCIDENTAL……………………………………………....99
CHAPITRE 5 : L’IRRÉDENTISME MAROCO-MAURITANIEN POUR LE
SAHARA ESPAGNOL………………………………………………….…………......101
I- LES RÉVENDICATIONS IRRÉDENTISTES MAROCAINES DU SAHARA : UNE
RÉPRESENTATION TERRITORIALE DYNAMIIQUE……...…………….…….101
1- La valeur symbolique du territoire Sahraoui pour le Maroc………………..….…102
2- Mohammed V, le Sahara, le « Grand Maroc » et l’unité du Maroc………….…..105
3- Hassan II et l’emploi du Sahara Occidental comme « bouc émissaire »………….113
II. L’IRRÉDENTISME MAURITANIEN POUR LE SAHARA............…....................122
1- La Mauritanie, d’une indépendance contestée, une dissension politique interne...122
2- La revendication du Sahara espagnol, condition sine qua non de l’unité nationale de
la Mauritanie…………………………………………………………….……….125
385
I- LES FACTEURS DE L’ECLOSION DU NATIONALISME SAHRAOUI………..131
1- Les facteurs endogènes de la montée du nationalisme sahraoui……………...132
2- Les facteurs exogènes de la montée du nationalisme sahraoui………………135
II- LES TYPES DE MOUVEMENTS NATIONALISTES AU SAHARA
ESPAGNOL………………………………...………………………………………139
1- Les « vrais » mouvements nationalistes sahraouis………………………………140
1.1. Le Mouvement de libération du Sahara (MLS)…………………………….140
1.2. Le Nidam…………………………………...………………………….…...144
1.3. Naissance du Front Polisario ou le nationalisme actif………………….......144
2- Les mouvements nationalistes « opportunistes » ou « polichinelles »…………...148
2.1. Le Mouvement révolutionnaire des Hommes Bleus (MOREHOB)…………148
2.2. Le Front de libération et d'unité (FLU)………………………………….......150
2.3. Le Parti de l'Union Nationale Sahraouie (PUNS)……………………………150
CHAPITRE 7 : L’ACCORD TRIPARTITE DE MADRID……....…….……............152
I- L’ANNONCE D’UN NOUVEAU STATUT D’AUTONOMIE DU SAHARA ET SES
CONSÉQUENCES………………...…………………………………………………152
II- L’AVIS CONSULTATIF DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE :
AMBIGUÏTES ET REPERCUSSIONS……………………………...………………155
1- L’avis de la Cour………………………………………………………………….156
2- L’avis de la Cour : des réponses ambigües et diversement appréciées…………...161
III- LA MARCHE VERTE: INSTRUMENTALISATION DE L’AVIS DE LA CIJ,
RÉCONQUETE TERRITORIALE ET EXUTOIRE POUR HASSAN II ……….....164
IV- LA CONJONCTURE GÉOPOLITIQUE EN ESPAGNE ET DANS MONDE AVANT
LA SIGNATURE DE L’ACCORD TRIPARTITE DE MADRID............................170
1- La conjoncture socio-politique dans l’Espagne des années 1970-75 : une opinion
publique divisée………………………………………………………………….170
2- La conjoncture géopolitique internationale 1970-1975 et son impact sur le Sahara
Occidental……………………………………………….……………………….175
V- L’ACCORD TRIPARTITE DE MADRID….…………………………………..…..176
1- La Déclaration de principes entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie…………179
2- Les accords secrets et la question de Ceuta, Melilla et des iles Canaries et les intérêts
personnels ou les éléments du “troc” du Sahara Occidental……………………..185
2.1 -Les accords secrets hispano-maroco-mauritanien en matière économique.185
386
2.2 - La sauvegarde de Ceuta, Melilla et des îles Canaries….……..….…….....187
2.3 - Les intérêts personnels dans le « troc » du Sahara…………..….………....190
CHAPITRE 8 : LA CRÉATION DE LA RASD, LA RÉCOLONISATION DU
SAHARA OCCIDENTAL ET LA GUERRE…………………...……….…….……..192
I. LE PROCESSUS DE CRÉATION DE LA RÉPUBLIQUE ARABE SAHRAOUIE
DÉMOCRATIQUE (RASD)………………………………………………….…….192
1- La dissolution de la Djemaa et la naissance du Conseil National Sahraoui……193
2- La création de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD)………..193
II- LA RÉCOLONISATION DU SAHARA OCCIDENTAL : FRAGMENTATION ET
RECONFIGURATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE DU SAHARA…....199
1- Convention relative au partage de la colonie du Sahara entre la Mauritanie et le
Maroc…………………………………………………………………………….199
2- De l’accord de coopération économique entre la Mauritanie et le Maroc pour
l’exploitation des ressources de la colonie du Sahara………………….………....202
3- La recolonisation du sahara Occidental et le début de la guerre (1976-1991)…….203
3.1. Occupation et intégration du Sahara « marocain » au royaume………..…….203
3.2. Occupation et tentative de recolonisation du Rio de Oro par la Mauritanie.205
4- La réaction du Front Polisario/Rasd : la guerre pour le Sahara Occidental…….....206
4.1. L’affrontement sahraoui-mauritanien………………………………….…....209
4.2. L’alliance franco-maroco-mauritanienne et la réaction du Front Polisario…211
4.3. De l’accord d’Alger à la construction des « murs »…………………………213
Conclusion partielle…………………………………………….………………………………..217
TROISIÈME PARTIE : LE CONFLIT DU SAHARA OCCIDENTAL : UNE
QUESTION INTERNATIONALE……………………………………………...…….218
CHAPITRE 9 : LE SAHARA OCCIDENTAL, POMME DE DISCORDE AU
MAGHREB………………………………..…………………………………………....220
I. LE SAHARA OCCIDENTAL, LE HEARTLAND DU MAGHREB...........................220
1- Essai d‘application de la théorie du « Heartland » au Sahara Occidental…….….221
2- L’engagement des États du Maghreb dans le conflit…..…………………………224
2.1. L’Algérie et le Sahara Occidental : des principes révolutionnaires aux enjeux
géopolitique et géoéconomique…………………………...…………………224
2.2. Les projets géopolitiques de Kadhafi : la (con) quête du Grand Maghreb et
l’engagement dans le conflit pour le Sahara Occidental………………….…..228
387
2.3. De la « neutralité positive » de la Tunisie dans le conflit……………….……233
II- LE SAHARA OCCIDENTAL, UN OBSTACLE A L’ÉDIFICATION DE L’UNION
DU MAGHREB ARABE…………………………………………………….……236
1. L’Union du Maghreb Arabe (UMA), une organisation « mort-née »....................237
2. Le conflit du Sahara Occidental : alibi du « non-Maghreb »…………….…..…..240
III- LES DEFIS SÉCURITAIRES AU MAGHREB ET LA QUESTION DU SAHARA
OCCIDENTAL……………………………………………………………………..243
1- Le Maghreb et le Grand Sahara : terreaux de la prolifération des mouvements
terroristes et le manque de coopération des États………………………………..243
2- Le Sahara Occidental : nouveau « foyer » du terrorisme dans le Grand
Sahara....................................................................................................................248
CHAPITRE 10 : LES GRANDES PUISSANCES INTERNATIONALES, LE
MAGHREB ET LE CONFLIT DU SAHARA OCCIDENTAL…………….………..253
I. LE MAGHREB DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES: COOPÉRATION
ÉCONOMIQUE, POLITIQUE ET SÉCURITAIRE…..…………………………....253
1- Les États-Unis et le Maghreb…………………………………………………….254
2- Le couple Europe-Maghreb: entre coopération politico-économique et méfiance.258
2.1. L’évolution du partenariat euromaghrébin……………………………….....258
2.2. Le partenariat Maghreb-Europe face à la nouvelle conjoncture sécuritaire au
Grand Sahara……………………………….……………………………….261
3- Chine-Maghreb: les enjeux d’une relation essentiellement (géo) économique…..263
4- La Russie et le Maghreb……………………………………………………….....266
II. LES ACTEURS INTERNATIONAUX DU CONFLIT: LA PRIMAUTÉ POUR LES
CONSIDÉRATIONS GEOPOLITIQUE ET SÉCURITAIRE….…………………..269
1- Les représentations géopolitiques du Sahara Occidental pour les États-Unis, de la
guerre froide à la guerre « chaude » du terrorisme……………………..................270
1.1. L’Administration américaine et la question du Sahara pendant la guerre froide
(1975-1991)…………………………………………………………………271
1.2. La représentation du Sahara Occidental après le 11 septembre……...……...275
1.3. La reconnaissance de la marocanité du Sahara Occidental et ses
implications…………………………………………………………………279
2- L’Union Européenne (UE) et la question du Sahara Occidental………………….283
388
2.1. Les « nouvelles donnes » de l’implication de l’Espagne dans le conflit après
l’abandon du Sahara……………………………………….…………….......286
2.2. La France, alliée traditionnelle du Maroc…………………………………..290
3- La position de la Russie, de la Chine et l’Inde……………………………………..293
3.1. De l’URSS à la Russie et les calculs géopolitiques dans l’affaire du Sahara
Occidental………………………………………………………………...........293
3.2. Les relations Chine-Maghreb à l’aune de la question du Sahara Occidental des
relations basées sur des échanges de bons procédés…………………………….298
3.3. L’attitude volatile de l’Inde dans le conflit sahraoui…………………………...301
CHAPITRE 11 : L’AFRIQUE ET LA QUESTION DU SAHARA OCCIDENTAL..306
I- LES ÉTATS AFRICAINS ET LE SAHARA OCCIDENTAL : ENTRE RESPECT
DE LA CHARTE DE L’OUA ET PRÉSERVATION DE LIENS
ÉCONOMIQUES…………………………………………………………………306
1- Les défenseurs de l’autodétermination du peuple sahraoui……………………...307
2- Les alliés africain du Maroc ou les effets de l’éco diplomatie pour la marocanité du
Sahara…………………………………………………………………………….....309
II- L’IMPLICATION DE L’OUA DANS LE RÈGLEMENT DE LA QUESTION DU
SAHARA OCCIDENTAL………………...…………………………….…….......311
1. Les résolutions de l’OUA pour le règlement de la question du Sahara
Occidental…...…………………………………………………………….….312
2. La création d’un bureau de l’OUA au Sahara Occidental……………………….317
III- L’UNION AFRICAINE ET LA RÉSOLUTION DU CONFLIT……………..…..319
1- L’engagement de l’UA…………..……………………………………………….320
1.1. Le 31e sommet de l’UA à Nouakchott et le rapport du président de la
Commission…….……………………………………………………….......320
1.2. La mise en place de la Troïka……………………………………………….322
2- La légitimité de l’UA mise en cause………………..……………………………323
CHAPITRE 12 : L’INTÉGRATION DU SAHARA OCCIDENTAL ET SES
RESSOURCES NATURELLES AU ROYAUME CHÉRIFIEN……………………326
I- LA PROBLÉMATIQUE DE L’EXPLOITATION DES RESSOURCES
NATURELLES DU SAHARA OCCIDENTAL……………………………..........327
1. Les acteurs locaux de l’exploitation des ressources : une forte implantation des
entreprises marocaines…………………………………………..…………….....327
2. L’implication des multinationales dans l’exploitation des ressources du Sahara
Occidental………………………………………………...…………….………..329
389
II. L’INTÉGRATION DU SAHARA OCCIDENTAL ET SES RESSOURCES AU
MAROC : LES APPORTS DU SAHARA A L’ÉCONOMIE MAROCAINE…….331
1- Le modèle de développement pour les provinces du Sud : la « mise en valeur » des
ressources des « provinces sahariennes »………………………………………….332
1.1. La région de Smara…………………………………………….……………….334
1.2. La région de Laâyoune-Boujdour…………………………………..…………..335
1.3. Les projets de désenclavement de la région d’Oued-Ed-Dahab………………..335
2- De l’apport des ressources du Sahara Occidental à l’économie marocaine…………...336
2.1. Les ressources halieutiques et les côtes du Sahara Occidental, enjeux (géo)
économiques pour le Maroc……………………..…………………………………..337
2.2. Les ressources minières du Sahara Occidental dans l’économie marocaine.........340
Conclusion partielle…………………………………………………………………….343
CONCLUSION GÉNÉRALE….....................................................................................344
ANNEXES…………………………………………..……….………………………….352
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES………………………..…...……………….361
INDEX THÉMATIQUE………………………………………...……………………..379
390
Résumé
Resumen
Abstract
This work questions the geopolitical and geo-economics repercussions of the conflict in
Western Sahara on the international scene. Long confined to the regional sphere and
considered as a problem of poorly operated decolonization, the conflict between Moroccan,
Sahrawi and Algerian nationalisms for Western Sahara has international geopolitical and
geo-economics overtones. Due to its strategic geographical position, with its political and
economic assets, this territory attracts not only regional powers but also international
powers and multinationals. For the States of the region, this territory is the “heartland”.
Whoever controls it will become the leader of the Maghreb. For international players,
France, USA, Russia, China or India, this territory is a security, political and economic issue
for them. To ensure Morocco's partnership and political, security and economic cooperation,
none of its international powers wants to run the risk of recognizing the Republic Sahrawi.