Thèse DR KONE Odanhan Moussa

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UNIVERSITÉ ALASSANE OUATTARA

UFR COMMUNICATION, MILIEU ET SOCIÉTÉ


……………………….
DÉPARTEMENT D’ESPAGNOL
-----------------------
THÈSE DE DOCTORAT UNIQUE
------------------
MENTION : ESPAGNOL
------------
SPÉCIALITÉ : CIVILISATION HISPANO-AFRICAINE

LES ENJEUX GÉOPOLITIQUES ET GÉOÉCONOMIQUES


INTERNATIONAUX DU CONFLIT DU SAHARA OCCIDENTAL

Présentée par

KONÉ ODANHAN MOUSSA

Soutenue publiquement le 22 Septembre 2022


Pour obtenir le grade de Docteur en Espagnol option Civilisation hispano-africaine devant le jury
composé de :

M. Théophile KOUI, Professeur Titulaire, Université Felix Houphouët Boigny, Président du jury.

M. Agba Ezéchiel AKROBOU, Professeur Titulaire, Université Felix Houphouët Boigny, Directeur
de Thèse.

M. Moritié CAMARA, Professeur Titulaire, Université Alassane Ouattara de Bouaké, Rapporteur.

M. Laurent-Fidèle SOSSOUVI, Maitre de Conférences, Université d’Abomey-Calavi,


Examinateur.

ANNÉE ACADÉMIQUE : 2021-2022

i
LES ENJEUX GÉOPOLITIQUES ET
GÉOÉCONOMIQUES INTERNATIONAUX
DU CONFLIT DU SAHARA OCCIDENTAL

ii
À
KONÉ Odanhan Espérance

i
REMERCIEMENTS

« On ne peut construire une maison avec un seul grain de sable ». Cet adage traduit
parfaitement la posture de l’étudiant qui arpente les voies de la recherche scientifique. Une
thèse de doctorat est un travail individuel, certes, mais, elle est aussi et avant tout une
œuvre commune, qui se fait avec la participation d’un certain nombre de personnes. C’est
pourquoi, nous voulons témoigner notre reconnaissance :

Au Professeur AKROBOU Agba Ézéchiel, notre directeur de thèse. Voilà plusieurs années
déjà, que vous nous avez fait confiance en acceptant de guider nos premiers pas dans ce
champ sacré qu’est la Recherche. Trouvez dans ces lignes l’expression de notre infinie et
profonde gratitude.

Au Professeur KOUI Théophile. Quand le chemin paraissait sombre, vous avez toujours
su par un mot, élucider nos doutes. Merci pour votre disponibilité qui aura été pour nous
un immense apport dans l’achèvement de ce projet.

Au Docteur PALÉ Miré Germain. Merci de nous avoir ouvert votre cœur et pour votre
affection fraternelle et amicale. Dans la même veine, nous remercions le Docteur KONAN
Syntor. À tous les deux, vous avez notre gratitude pour votre disponibilité, votre sollicitude
et vos conseils constants.

Nos remerciements s’adressent également à l’ensemble du corps enseignant du


département d’Espagnol de Bouaké.

À la grande famille KONÉ, nous adressons notre reconnaissance pour l’assistance


spirituelle, morale et financière.

À SORO Gnéningnimin, notre compagne. Merci d’être là.

Merci à tous ceux qui, de près comme de loin, ont contribué de quelques manières que ce
soit à la réussite de ce travail de recherche.

ii
SIGLES ET ABRÉVIATIONS

ADES : Agence de Promotion et de Développement Économique et Social des Provinces


du Sud marocain
AG : Assemblée Générale

ALÉNA : Accord de Libre-Echange Nord-Américain

ALM : Armée de Libération Marocaine

AOE : Afrique Occidentale Espagnole

APLS : Armée de Libération Populaire Sahraouie

AQMI : Al Qaeda au Maghreb Islamique

AQPA : Al Qaïda en Péninsule Arabique

ART. : Article

ASEAN : Association des Nations du Sud-Est Asiatique

BM : Banque Mondiale

BOJA : Bulletin Officiel de la Junte d’Andalousie

BRI : Belt and Road Initiative (Route de la soie en français)

CC : Coalition Canarienne

CCPM : Conseil Consultatif Permanent du Maghreb

CD : Coalition Démocratique

CEE : Communauté Économique Européenne

CEDEAO : Communauté Economique des États d'Afrique de l'Ouest


CIA : Central Intelligence Agency. En français, « Agence Centrale de Renseignements »

CIJ : Cour Internationale de Justice

CIMSUD : Cimenteries Marocaines du Sud

CMRN : Comité Militaire de Redressement National

CMSN : Comité Militaire de Salut National

CNS : Conseil National Sahraoui

CPS : Conseil de Paix et de Sécurité

iii
CS : Conseil de Sécurité

DEA : Drug Enforcement Agency ( Agence de lutte contre la drogue)

DH : Dirham

EI : État Islamique

EIGS : État Islamique du Grand Sahara

ENADIMSA : Société Nationale Adaro d’Investigation Minière SA

EUCOM : Commandement Militaire Européen

EUR : Euro

EUROMED : Euro-Méditerranéen

FAR : Forces Armées Royales

FARIM : Forces Armées de la République Islamique de Mauritanie

FDR : Forces de Déploiement Rapide

FIT : Front Islamique Tunisien

FLS : Front pour la Libération du Sahara

FLU : Front de Libération et d’Unité

FMI : Fond Monétaire International

FOSBUCRAA : Filiale de l’Office Chérifien des Phosphates

FRONT POLISARIO : Front Populaire pour la Libération de Saguía el Hamra et de


Rio de Oro
GASPC : Groupe Algérien Salafiste pour la Prédication et le Combat

GIA : Groupe Islamique Armée

GICL : Groupe Islamiste Combattants Libyens

GICM : Groupe Islamiste Combattant Marocains

GMPJ : Groupe Mauritanien pour le Prêche et le Jihad

GPRA : Gouvernement Provisoire de la République Algérienne

GSPC : Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat

iv
HCR : Haut-Commissariat aux Réfugiés

IDE : Investissement Direct à l’Étranger

IPS : Initiative Pan Sahel


INI : Institut National d’Industrie

JNIM : Jamaat Nousrat Al Islam Wa Al Mouslimoun


KM : Kilomètre

MAE : Ministère des Affaires Etrangères

MAP : Maghreb Arab Press

MERCOSUR : Mercado comun del sur. En français, Marché Commun du Sud

MLS : Mouvement de Libération du Sahara

MNLA : Mouvement National de Libération de l’Azawad

MOREHOB : Mouvement Révolutionnaire des Hommes Bleus

MPAIAC : Mouvement pour l'Autodétermination et l'Indépendance de l'Archipel


Canarien

MVLS : Mouvement Avant-gardiste pour la Libération du Sahara

MINURSO : Mission des Nations Unies pour un Référendum au Sahara Occidental

MUJAO : Mouvement pour l'Unicité et le Jihad en Afrique de l'Ouest

MW : Mégawatt

OALS : Organisation d'Avant-garde pour la Libération du Sahara

OCP : Office Chérifien du Phosphate

OTAN : Organisation du Traité de l'Atlantique Nord

ONEE : Office national de l’Électricité et de l’Eau potable du Maroc

ONHYM : Office National des Hydrocarbures et des Mines Marocain

ONG : Organisation Non Gouvernementale

ONU : Organisation des Nations Unies

OUA : Organisation de l’Unité Africaine

PAR. : Paragraphe

v
PCE : Parti Communiste Espagnol
PE : Parlement Européen
PESD : Politique Européenne de Sécurité et de Défense
PEV : Politique Européenne de Voisinage
PNB : Produit National Brut

PNV : Parti National Basque

PP : Parti Populaire
PSOE : Parti Socialiste Ouvrier Espagnol

PUNS : Parti de l'Union Nationale Sahraouie


RASD : République Arabe Sahraouie Démocratique

RFI : Radio France Internationale

RIM : République Islamique de Mauritanie


RPC : République Populaire de Chine
SADC : Communauté de Développement de l’Afrique Australe

S.D : Sans date

SG : Secrétaire Général
SPS : Sahara Presse Service

TNA : Territoire Non Autonome

TOM : Territoire d'Outre-Mer


UA: Union Africaine
UE: Union Européenne

UMA : Union du Maghreb Arabe

UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l'Éducation, la Science et la Culture

UNFP : Union Nationale des Forces Populaires

UPM : Union Pour la Méditerranée


UPD : Union Progrès et Démocratie
USA : États-Unis
URSS : Union des Républiques Socialistes Soviétiques
WSRW : Western Sahara Resources Watch
WSC : Western Sahara Campaign
ZEE : Zone Économique Exclusive

vi
SOMMAIRE
INTRODUCTION………………………………………………….…………………...1

PREMIÈRE PARTIE : LE SAHARA OCCIDENTAL..............................................25

CHAPITRE 1 : APPROCHE GÉOGRAPHIQUE DU SAHARA OCCIDENTAL…..27

CHAPITRE 2 : LE SAHARA OCCIDENTAL AVANT LA COLONISATION


ESPAGNOLE.................................................................................................................44

CHAPITRE 3 : LES RAISONS (GÉO) POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES DE LA


PRÉSENCE ESPAGNOLE AU SAHARA....................................................................52

CHAPITRE 4 : LA NAISSANCE DE LA COLONIE DU SAHARA ESPAGNOL….65

DEUXIÈME PARTIE : L’ESPAGNE, LE MAROC, LA MAURITANIE ET LE


« TROC » DU SAHARA OCCIDENTAL…………………………………………...99

CHAPITRE 5 : L’IRRÉDENTISME MAROCO-MAURITANIEN POUR LE


SAHARA ESPAGNOL……..……………………………………………………......101

CHAPITRE 6 : L’ÉMERGENCE DU NATIONALISME SAHRAOUI……………131

CHAPITRE 7 : L’ACCORD TRIPARTITE DE MADRID…………….……...…....152

CHAPITRE 8 : LA CRÉATION DE LA RASD, LA RÉCOLONISATION DU


SAHARA OCCIDENTAL ET LA GUERRE……………………………...….……..192

TROISIÈME PARTIE : LE CONFLIT DU SAHARA OCCIDENTAL : UNE


QUESTION INTERNATIONALE………………………….……………………..218

CHAPITRE 9 : LE SAHARA OCCIDENTAL, POMME DE DISCORDE AU


MAGHREB………………………………...………………………………………...220

CHAPITRE 10 : LES GRANDES PUISSANCES INTERNATIONALES, LE


MAGHREB ET LE CONFLIT DU SAHARA OCCIDENTAL……...…………...…..253

CHAPITRE 11 : L’AFRIQUE ET LA QUESTION DU SAHARA OCCIDENTAL..306

CHAPITRE 12 : L’INTÉGRATION DU SAHARA ET SES RESSOURCES


NATURELLES AU ROYAUME CHÉRIFIEN…………….…..........................……328
CONCLUSION GÉNÉRALE…................................................................................344
ANNEXES…………….……………………………..……….………………………352
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES.………………………………………….....361
INDEX THÉMATIQUE..………………………..……….……………….………….379
TABLE DES MATIÈRES……..……………………….………………………….....384

vi
vii
Au fond d’un Sahara qui serait vide, se joue une pièce secrète qui remue les passions des
hommes.

De Saint Exupéry, (1939, p. 124)

viii
vii
INTRODUCTION

La liberté ou l’aspiration à celle-ci, plus que le bon sens cartésien (Descartes, 1637,
p. 6), est la chose la mieux partagée. Soual (2003, p. 404) souligne à ce propos qu’« Elle est
parmi les premières et suprêmes notions communes qui nous sont innées ». Pour s’en
convaincre, il suffit de jeter un regard critique sur l’Histoire, notamment, la Déclaration
d’indépendance des 13 colonies britanniques d’Amérique du Nord en 17761 et la Révolution
Française en 17892. Ce profond attachement de l’espèce humaine à la liberté a été cristallisé
par le principe Sacrosaint de « l’égalité des peuples et de leur droit à disposer d’eux-
mêmes » inscrit dans la Charte des Nations unies (Art. 1, par. 2.) et le « Pacte international
relatif aux droits civil et politique »3. Ce pacte dispose en son article premier que « Tous les
peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement
leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et
culturel ». En somme, la libre détermination des peuples est un droit fondamental.

Il faut souligner qu’il existe deux formes d’autodétermination. Les peuples ont le
choix entre l’autodétermination interne, d’une part, qui confère la possibilité de déterminer
leur statut à l’intérieur d’un État, et d’autre part, l’autodétermination externe. Celle-ci donne
le pouvoir au peuple qui le désir de se séparer d’un État pour s’ériger en un État indépendant
(Statis, 1973, p. 187) et souverain. Si tous les peuples ont le droit à l’une de ces formes
d’autodétermination, il en existe encore certains sur le continent africain à qui ces choix
sont refusés. C’est le cas du peuple du Sahara Occidental en proie à une occupation
étrangère et en quête de l’indépendance. Ce territoire, de colonie espagnole est actuellement
sous le joug colonial du royaume du Maroc.

1
Vers 1750, les territoires britanniques d'Amérique situés le long de la côte atlantique, du Canada jusqu'en
Floride étaient divisés en treize colonies. A la suite de mesures adoptées par le gouvernement britannique, qui
déplurent aux colons américains, ceux-ci décidèrent de s'armer et de lutter contre la couronne d'Angleterre qui
s’était refusé à la négociation. Les combats commencent en 1775. L'année suivante, le 4 Juillet 1776, des
représentants des treize colonies réunis en Congrès à Philadelphie votent la Déclaration d'indépendance des
États-Unis d'Amérique. Les colons américains qui avaient une visée sécessionniste avaient fini par se défaire
de l’emprise britannique et se constituer en État indépendant, les États-Unis d’Amérique.
2
La Révolution française est le nom donné au soulèvement populaire en France qui a mis fin à la monarchie
absolue. Le mouvement a éclaté en mai 1789 et aboutit le 14 juillet à la prise de la Bastille, le symbole de
l’autorité royale. La révolution a profondément bouleversé l’histoire de la France, en renversant la monarchie
pour mettre en place la première république de l’histoire du pays. Elle a aussi exporté les principes d’égalité,
de liberté et de démocratie dans le reste de l’Europe. Cf. La Révolution française In Encarta 2009.
3
Ce pacte a été adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblé générale des Nations Unies.

1
Le Sahara Occidental est depuis 1975 le théâtre d’un conflit indépendantiste. La
persistance de ce conflit est devenue la pierre d’achoppement de la coopération et de
l’intégration maghrébine. En fait, l’implication des États du Maghreb – le Maroc, la Lybie,
l’Algérie, la Mauritanie et la Tunisie- confère au conflit qui oppose l’« État » sahraoui au
Maroc, une dimension régionale. Mais avec l’évolution du paysage géopolitique mondial,
marqué autrefois par la Guerre froide avec l’antagonisme hégémonique américano-
soviétique et maintenant par le terrorisme international, le Sahara Occidental se présente
comme un champ sur lequel les grandes puissances ont des vues à l’effet de contrôler une
région devenue un terreau du terrorisme islamique4 (Herrero & Machin, 2015, pp. 89-200).
C’est à cette question que s’intéresse la présente étude.

Pour saisir d’emblée les tenants et aboutissants de l’affaire du Sahara Occidental et


faciliter la lecture de notre texte, notre introduction se structure en divers points. Ces points
comportent les éléments suivants : la présentation du sujet (i), la motivation du chercheur
(ii), l’intérêt de l’étude (iii), l’approche conceptuelle du sujet (qui comprend l’explication
du sujet et l’état de la question) (iv), le cadre référentiel (v) et la problématique de recherche
(vi).

I- PRÉSENTATION DU SUJET

La question du Sahara Occidental qui divise tant la communauté internationale, est


l’un des corollaires de la Conférence de Berlin de 1884 qui a accouché de la colonisation et
du tracé des frontières actuelles du continent africain. Pour mémoire, c’est au cours de cette
conférence internationale tenue de novembre 1884 à février 1885, qu’ont été adoptées les
règles du partage colonial de l’Afrique. Organisée par la France et l’Allemagne, cette
conférence a réuni les délégués de quatorze nations5 qui ont édicté les principes du tracé des
limites de leur possession et de la colonisation (Voir Conférence In Encarta 2009). C’est en
effet à partir de cette période que le continent a été morcelé puis reconstitué en des territoires
limités par des frontières artificielles, taillées sur mesure pour sauvegarder les intérêts
géopolitico-économiques des puissances colonisatrices européennes. De manière générale

4
Le Maghreb est le foyer de plusieurs organisations terroristes telles qu’Al Qaeda au Maghreb Islamique
(AQMI), le Groupe Algérien Salafiste pour la Prédication et le Combat (GASPC).
5
Ce sont l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, les États-Unis, la France,
l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Russie, la Suède et la Turquie.

2
en Afrique, la délimitation des frontières a suscité d’énormes problèmes dont le plus
important relève de l’incohérence ethnique des États issus de la colonisation. En effet, les
frontières arbitrairement tracées par les puissances coloniales avant leur retrait de l’Afrique
n’ont pas tenu compte des frontières naturelles, encore moins des groupes ethniques et
linguistiques qui se sont retrouvés cantonnés ou séparés dans des États artificiels. C’est en
gros, la raison principale des conflits existant encore de nos jours dans et entre les États
africains (Cabanis et al., 2010, p. 88).

Alors que la colonisation battait son plein, la fin de la Seconde Guerre Mondiale en
1945 et la création de l’Organisation des Nations Unies (ONU) vont propulser le monde et
surtout les peuples colonisés d’Afrique et d’Asie vers une époque nouvelle. Cette nouvelle
ère a sonné le glas du mythe de la supériorité raciale ou de la divinité de l’homme blanc
dans l’esprit du Noir6. Mieux, elle a favorisé la prise de conscience des peuples colonisés et
l’affirmation de leur aspiration à la liberté et à la souveraineté nationale.

En Afrique, le vent de la décolonisation a commencé à souffler vers 1950. Sous


l’impulsion des Nations unies et des pays non-alignés7, les colonies du nord du continent
ont ouvert le chemin de l’autodétermination politique. C’est la Libye qui la première a
obtenu son indépendance le 24 décembre 19518. La plupart des colonies francophones et
anglophones du continent vont obtenir leur indépendance entre 1960-1970 et ceux sous
domination portugaise entre 1974 et 1975. Les toutes dernières colonies à se libérer du joug
colonial ont été la Rhodésie du Sud (aujourd’hui Zimbabwe) en 1980, la Namibie en 1990
et l’Érythrée en 1993 (Gómez & Moya, 2016, p. 22).

6
Très longtemps, les peuples Noirs d’Afrique ont mystifié l’homme Blanc, en lui accordant des attributs divin
comme l’immortalité et donc la supériorité de par la pigmentation de sa peau etc. Mais lorsque sur les champs
de batailles les « tirailleurs sénégalais » voyaient tomber les blancs sous les balles de l’ennemi, cela changea
leur représentation et vite ils prirent conscience de ce que tous les hommes sont pareils. Ayant le même sang
rouge dans les veines.
7.
Le non-alignement est le nom donné au positionnement adopté dans les années 1950 par les pays du tiers-
monde récemment décolonisés qui refusaient de s’engager dans la guerre froide opposant les deux blocs menés
par les États-Unis et l’Union des républiques socialistes soviétiques. Ces pays formèrent un mouvement, les
Non-alignés et tinrent leur première réunion en 1955 à Bandung en Indonésie. Par ce mouvement ils
entendaient affirmer leur autonomie.
8
La Libye fut initialement une colonie italienne à partir de 1939. Mais durant la Seconde Guerre mondiale, la
Libye, qui contrôle l’accès vers l’Égypte et le canal de Suez, à l’est, et la route terrestre vers l’Afrique du Nord
française, à l’ouest, devint le théâtre de combats intensifs entre puissances de l’Axe et les Alliés. En 1943, les
troupes de l’Axe sont repoussées de Libye, dès lors, la France et la Grande-Bretagne se partagent le contrôle
du pays jusqu’à la proclamation de l’indépendance le 1 er octobre 1951. Cf. Libye In Encarta 2009.

3
Mais faut-il le rappeler, il y a encore sur le sol africain un territoire en état de
colonisation. Comme le souligne Fadel (2001, p. 11), « le grand vent de la décolonisation
en Afrique n’a pas soufflé sur tous les pays colonisés (…) ». Parmi ces peuples, il y a ceux
du Sahara Occidental. De colonie puis province espagnole, ce territoire continue de résister
au vent de la décolonisation et subit les appétences colonialistes de ses voisins. Les uns
ayant pour lui des intentions manifestes déclarées et assumées appelés « parties
impliquées » et les autres nourrissant des desseins plus ou moins inavoués, connus comme
« parties concernées ». En effet, après avoir souffert près d’un siècle durant la colonisation
espagnole, le Sahara Occidental subit depuis 1975 le joug non moins colonial du Maroc et
de ses voisins (Fadel, 2001, p.11).

Nokan (1966, p. 6) parlant de la colonisation écrit que « la plupart des peuples


colonisés, dans leur mouvement d’émancipation, passent par deux phases essentielles : la
phase de libération et celle de la séparation. (…) Aujourd’hui, beaucoup de nos peuples ont
dépassé cette [première] phase. » Le peuple du Sahara Occidental n'a pas encore pu franchir
cette première étape dont parle Nokan. En effet, si la majorité des peuples colonisés a
dépassé la phase de libération, les sahraouis sont encore dans celle-ci. Sujets de la Couronne
espagnole durant près d’un siècle (1884-1975), le gouvernement espagnol a « donné » les
sahraouis au Maroc et à la Mauritanie en 1975. Les sahraouis ont alors engagé une lutte
indépendantiste contre ces deux États pour conquérir par les armes leur autonomie tant
interne qu’externe. Mais nonobstant la longue, violente et douloureuse lutte contre ces deux
États, l’émancipation du peuple sahraoui apparait toujours comme une simple vue de
l’esprit, mieux, comme une illusion.

Le Sahara Occidental tout comme les Bermudes, les îles Vierges américaines, les
îles Caïmans ou comme l’a été le Timor-Leste9, fait partie encore de ces Territoires dit Non
autonome selon la terminologie onusienne (Résolution 1514 de 1960). Tout comme eux, il
a une petite superficie, une faible densité démographique et fait l’objet de convoitise de la
part de ses puissants voisins. Dans le cas du territoire sahraoui, il subit les inclinaisons
irrédentistes d’États comme le Maroc, la Mauritanie et l’Algérie10. Il constitue de fait, un

9
Le Timor-Leste est une ancienne colonie portugaise qui avait été annexé en 1976 par l’Indonésie qui l’avait
intégré comme sa vingt-septième province. La pression internationale était venue à bout de l’occupant qui
concéda finalement l’indépendance au territoire le 20 mai 2002.
10
Même si celle n’a pas encore manifesté d’intention sur ce territoire.

4
véritable « casse-tête international » aussi bien pour ses acteurs locaux11 qu’internationaux12
qui s’y intéressent ou qui y sont impliqués.

Le Maroc et la Mauritanie, après avoir obtenu leur indépendance, respectivement en


1956 et 1960 ont annexé en 1976 le territoire. Mais en plus de l’argument de la
reconstruction et de la restauration de l’intégrité de leur pays, la revendication du Sahara
Occidental par ces deux États a été foncièrement nourrie par des intérêts politiques (interne
et externe13) et économiques surtout que le territoire possède d’immenses ressources
minières et halieutiques. À la faveur des multiples pressions aussi bien de ces deux États
irrédentistes que celles des Nations Unies et du Front Polisario14, l’Espagne cède le territoire
au Maroc et la Mauritanie. La cession du Sahara Occidental a été faite en contrepartie de la
préservation des intérêts stratégiques politiques, économiques et sécuritaires de l’Espagne
sur les côtes ouest et Nord africaines. En effet, l’Espagne craignait qu’en refusant le Sahara
au Maroc celui-ci ne tourne son regard sur les places de souverainetés espagnoles que
constituent les îles Canaries et les enclaves de Ceuta et Melilla.

L’abandon du territoire a provoqué l’indignation de ses habitants qui se sont


engagés, dès lors, dans un conflit indépendantiste sous le leadership du Front Polisario,
concomitamment contre le Maroc et la Mauritanie. Chacune des parties du conflit est
appuyée par des alliés régionaux et internationaux. Ces derniers, feignant de soutenir la
position de leurs alliés défendent avant tout leurs propres agendas. Charles de Gaulle ne
prévenait-il pas d’ailleurs que « Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts »
(Paris Match, 9 décembre 1967).

Contrairement à des auteurs tels que De Froberville (1996) et Buteau (2005), nous
postulons que la situation du Sahara Occidental, ne constitue pas seulement un cas de

11
En plus des États du Maghreb déjà cités, nous avons l’organisation panafricaine (OUA-Union africaine), les
organisations sous régionales (CEDEAO, SADC, Ligue Arabe), les États africains les ONG africaines, les
dirigeants, les populations…
12
On peut citer entre autres l’ONU, l’Union européenne, les États occidentaux, les ONG internationales, les
institutions humanitaires et financières internationales, les médias étrangers, etc.
13
Pour le Maroc, la conquête du Sahara occidental devrait servir à calmer les partis politiques de l’opposition
qui menaçaient le régime de Mohammed V et d’Hassan II. Le Sahara Occidental devait donc servir de bouc
émissaire pour dévier l’attention du peuple sur les problèmes socio-politiques en lui donnant une cause
nationaliste à défendre. Dans le cas de la Mauritanie, la « récupération » de la colonie espagnole devait servir
non seulement à protéger le pays de l’irrédentisme marocain mais aussi à consolider le sentiment nationaliste
interne post indépendance.
14
Ce mouvement nationaliste sahraoui est créé le 10 mai 1973.

5
décolonisation non résolue. Pour nous, il n’est pas et n’a peut-être jamais été non plus qu’un
simple « conflit régional » comme le laisse penser l’intitulé d’un ouvrage de Moshen-Finan
(1987). Limiter la question du Sahara à un problème de décolonisation inachevée et
l’enfermer dans le giron régional est trop réducteur et c’est laisser de côté les considérations
géopolitiques internationales très importantes dans ce conflit. La récente sortie du président
américain Donald J. Trump, qui a reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara
Occidental en échange de la normalisation des relations maroco-israélienne (Tweet de
Trump, 2020) confirme cet état de fait. En effet, la reconnaissance américaine est venue
cristalliser la question sahraouie au cœur du jeu des relations internationales, en ce qu’elle
donne une nouvelle dynamique aux rapports sociaux, culturels, économiques et politiques
entre le Royaume Chérifien et l’État hébreu.

Comme l’on peut le constater, la question du Sahara Occidental est complexe,


multidimensionnelle même. C’est, à la fois un conflit de décolonisation, un problème de
droit international, un conflit de politique intérieure et extérieure. Mieux, c’est une
problématique géopolitique internationale avec des acteurs multiples, manifestes ou
occultes et des enjeux complexes, protéiformes et divergents. Du fait de sa durée et ses
ramifications dans l’espace, elle apparait comme la résultante des intérêts (géo) politiques
et (géo) économiques des acteurs régionaux et aussi internationaux qui y sont impliqués.

À la lumière des considérations susmentionnées, il faut prendre en compte la


nouvelle conjoncture mondiale caractérisée par la globalisation. Dans ce contexte, les
arguments économiques prennent l’ascendance sur les simples considérations
exclusivement politiques ou militaires. Sur l’échiquier international, le prestige des États se
mesure à l’aune de leur puissance économique. Dans le monde devenu un « gros village »,
la conquête du Sahara Occidental est l’un des points focaux des rivalités hégémoniques
géopolitiques des États du Maghreb et au-delà des puissances internationales qui rivalisent
pour l’hégémonie internationale et leur sécurité. C’est donc à juste titre que l’objet de cette
étude porte sur cette question traduite par un intitulé aussi expressif qu’actuel : « Les enjeux
géopolitiques, géoéconomiques internationaux du conflit du Sahara occidental ». Avant
d’expliquer les termes qui composent son intitulé, il nous importe de présenter d’emblée
l’origine ou la motivation de ce sujet.

6
II- MOTIVATION DE LA RECHERCHE

En Master 1, nous entamions nos recherches pour le mémoire. Nos investigations


portaient sur la thématique du Sahara Occidental de manière générale, mais plus
précisément, nous nous intéressions aux tentatives de résolutions du conflit par les Nations
Unies et l’Union Africaine. C’est dans ces recherches que nous avons découvert un article
du professeur H. Zoubir intitulé « Le conflit du Sahara Occidental : enjeux régionaux et
internationaux » publié en 2010. L’auteur y analyse, l’impact du conflit sur les relations des
États du Maghreb et surtout son effet sur l’Organisation supranationale, l’Union du Maghreb

Arabe (UMA) inaugurée en pompe en février 1989. L’UMA est depuis lors en hibernation
à cause de ce conflit, car celui-ci envenime les relations entre l’Algérie, principal soutien
des Sahraouis et le Maroc. En plus de ses répercutions régionales, le conflit génère des
conséquences internationales. Pour comprendre le conflit, l’auteur nous invite à
« l’approcher sous l’angle des enjeux géopolitiques ».

La découverte de cet article a été un élément catalyseur dans le choix du sujet de la


présente étude. Nous avons orienté nos recherches dans le sens des intérêts géopolitiques
du conflit. Cela nous a permis en Master 2 de faire notre mémoire sur « El conflicto del
Sahara Occidental : aspectos geopolíticos, geoeconómicos e internacionales »15. Nous
avons donc suivi le conseil du professeur Zoubir, mais en y adjoignant d’autres aspects.

Le mémoire n’a été, en somme, qu’une sorte d’introduction au sujet, nous avons
souhaité approfondir les recherches pour présenter et analyser toutes les autres dimensions
géopolitiques, géoéconomiques et internationales du conflit qui oppose la RASD, le
royaume du Maroc et leurs alliés respectifs régionaux et internationaux, pour le contrôle du
Sahara Occidental. Voici donc présenté les circonstances qui ont prévalu au choix de notre
sujet de recherche. Qu’en est-il de son intérêt ?

15
Notre traduction: Le conflit du Sahara Occidental : aspects géopolitiques, géoéconomiques et
internationaux.

7
III- L’INTÉRET DE L’ÉTUDE

L’étude des enjeux géopolitiques, géoéconomiques et internationaux de la question


du Sahara Occidental revêt pour nous un double intérêt.

Le premier intérêt de cette étude est personnel. Il relève d’un certain nombre
d’interrogations que nous nous sommes posées sur le statut actuel des peuples des territoires
classés par les Nations Unies comme « Territoires non autonome »16. En clair, il nous tient
de savoir pourquoi à l’image des autres, les peuples de ce territoire sont encore en situation
de colonisation ? Pour les cas des Sahraouis, pourquoi leur est-il refusé le droit de se
constituer un État indépendant ? Qu’est-ce qui sur le Sahara suscite la convoitise des
voisins ? À la faveur de la Charte des Nations unies, le peuple de ce territoire n’est-il pas en
droit de disposer de lui-même et de ses ressources naturelles ?

À la lumière de ces interrogations, nous intéresser au cas spécifique du Sahara


Occidental et aux difficultés que vit une frange importante de sa population exilée, nous est
apparu comme un devoir moral et intellectuel. Depuis, plus de quarante ans maintenant, en
dépit de toutes les résolutions des Nations Unies et de l’Union Africaine, le conflit continue
de braver toutes les tentatives de résolutions de ces deux organisations. Certaines grandes
puissances internationales telles les USA, l’Union Européenne, la Russie, le Royaume-Uni,
la Chine, etc., ne sont pas indifférentes. En raison des relations politiques, diplomatiques et
économiques privilégiées qu’elles entretiennent avec le royaume Chérifien, aucune d’entre
celles-ci n’entend courir le risque de se brouiller avec le Maroc en reconnaissant la
République Arabe Sahraouie Démocratique. Alors qu’une position tranchée aurait permis
de régler le conflit en faveur du Maroc ou des Sahraouis, les puissances internationales se
cachent derrière une prétendue neutralité positive. Vu l’étendue et les ramifications de la
question, nous souhaitons montrer les véritables raisons pour lesquelles, pour leurs
détracteurs, les Sahraouis ne doivent pas devenir un peuple doté d’un État indépendant.

Le second intérêt de cette étude est d’ordre scientifique. Comme il nous a été donné
d’observer dans nos recherches, le conflit du Sahara Occidental a été cantonné dans les

16
Selon la définition proposée par les Nations unies, sont qualifiés de non autonomes, aux termes du chapitre
XI de la Charte des Nations Unies, les « territoires dont les populations ne s’administrent pas encore
complètement elle mêmes ». De 72 en 1946, ces territoires sont au nombre de 17. Voir le site des Nations unies
www.un.org/dppa/descolonizatio/fr consulté le 14 décembre 2020.

8
carcans des considérations historiques, juridiques ou politiques (intérieure ou extérieure).
Mieux, le sujet est trop souvent perçu comme un problème de décolonisation alors que le
conflit dépasse de loin le cadre du simple processus de décolonisation dans lequel il a été
enfermé par les Nations Unies17. Ces approches ne sont cependant pas à rejeter, elles sont à
prendre en compte pour avoir permis de comprendre l’évolution du conflit à un certain
moment. Toutefois, dans un monde devenu global, elles paraissent désormais en déphasage
avec les nouveaux développements du conflit dans ce XXIe siècle.

Les paradigmes traditionnels (sociologique, historique, politique, juridique, etc.) se


révèlent insuffisants pour comprendre les raisons de la permanence, de l’irrésolution et la
complexité du conflit devenu international même s’il a disparu des écrans de télévisions et
qu’il n’est plus l’objet de monographies récentes. En effet, au-delà de la sphère régionale
dans laquelle il est cantonné par certains auteurs18, le conflit est mû par des considérations
internationales. La conjoncture politique internationale de cette époque post-guerre froide
est caractérisée par la mondialisation, les guerres économiques et le terrorisme. En un mot,
elle est caractérisée par la course à l’hégémonie politico-économique régionale et mondiale,
des paramètres dont il faut tenir compte désormais pour analyser le conflit.

IV- DÉFINITION DES TERMES ET REVUE DE LITTÉRATURE

Les mots se caractérisent par leur propriété polysémique. De ce fait, leur usage doit
être conceptualisé ou orienté pour permettre au lecteur de mieux cerner leur contexte
d’emploi. Une brève définition des concepts clés de notre sujet nous donnera une vue
synoptique sur l’objet de l’étude. Les termes « enjeux », « géopolitique »,
« géoéconomique », « internationaux » et « conflit » qui structurent notre sujet forment un
ensemble d’expressions fortement connotées qu’il nous faut décrypter sémantiquement pour
une meilleure intelligibilité de celui-ci.

17
C’est ce que soutient Neisse, (2004). Le règlement du conflit du Sahara Occidental et l’ONU. Pour quelle «
troisième voie ?, p. 704.
18
C’est le cas de Moshen-Finan (1987). Le Sahara Occidental: les enjeux d’un conflit régional. Paris : CNRS.

9
1- Définition des concepts du sujet

Étymologiquement, le vocable « enjeu » vient du latin classique jocus qui signifie


« plaisanterie » et de jocari qui veut dire « plaisanter » (Antidote 8). Cependant dans son
acception courante dans la langue française, le terme enjeu est loin de son sens originel latin.
En effet, il peut se concevoir comme un « objet risqué, une somme d’argent misée pendant
une partie de cartes ou un autre jeu, et remportée par le gagnant ». Ou encore « Ce qui peut
être gagné ou perdu au cours d’une entreprise, d’une compétition » (Antidote 8). En
d’autres termes, l’enjeu est l’objet pour lequel des adversaires d’une compétition luttent.
C’est ce qui motive une lutte.

Pour ce qui est du concept « géopolitique », il est issu de l’association de deux


termes : la « géographie » et la « politique ». Ainsi présenté, le terme « géopolitique » serait
synonyme de « géographie politique ». Pour les spécialistes de la question, les deux
concepts ne sont pas à confondre. En fait, la nuance entre « géographie politique » et
« géopolitique » est au centre d’un profond débat épistémologique. Ce grand
débat scientifique se retrouve en filigrane de l’histoire même de la Géographie depuis le
XIXe siècle jusqu’à l’époque contemporaine (Guillot, 2009, p. 44).

Nous n’avons pas ici la prétention de nous lancer dans de vaines spéculations
concernant ces deux concepts, encore moins nous lancer dans ce débat. En plus, nous ne
retracerons pas les grandes lignes de l’évolution historique de la « Géographie politique »
ou de la « Géopolitique ». Avant de dire ce qu’est la géopolitique, commençons d’abord par
dire ce qu’elle n’est pas. Pour ce faire, il nous faut déterminer les distinctions opératoires
entre Géopolitique et Géographie politique. D’entrée de jeu, Cadena (2006, p. 118) prévient
que « La geografía política es la ciencia madre de la geopolítica y forma parte de la ciencia
geográfica »19. Pour lui, épistémologiquement, la Géopolitique est l’appendice de la
Géographie politique ; elle est la fille de cette dernière. Dans une tentative de définition de
la Géographie Politique, Lacoste (2003, p. 188) écrit qu’elle est :

L’étude de la spatialité des différentes catégories de phénomènes politiques : non


seulement la taille et la forme des États en raison du tracé de leurs frontières, la
localisation plus ou moins centrale de leur capitale, leurs subdivisions territoriales, les

19
La géographie politique est la science génitrice de la géopolitique et celle-ci fait partie de la science
géographique.

10
différents types de frontières, mais aussi la répartition spatiale des opinions politiques
compte tenu de la composition socioprofessionnelle selon les régions ou de la
géographie culturelle.

Autrement dit, la Géographie politique analyse les phénomènes géographiques en


leur donnant une interprétation politique. C’est aussi dans cette perspective que l’on peut
comprendre cette approche de Sanguin (1977). Pour lui en effet, la Géographie Politique est
l’étude des : « relations entre les facteurs géographiques et les entités politiques [...]» (p.7).
Son but est de déterminer comment les organisations politiques s’accommodent aux
conditions physiographiques et comment ces facteurs affectent les relations internationales.
Mieux, la Géographie politique est une discipline qui essaie d'expliquer la formation et
l'action des puissances politiques dans l'espace.

Après cette approche sémantique de la Géographie politique, nous pouvons nous


poser maintenant une question. Qu’est-ce que alors la Géopolitique ? Cuellar (2012, p. 60)
souligne d’emblée qu’il est difficile de répondre à cette question. Pour lui, la difficulté de
définir aujourd’hui le concept Géopolitique se situe au niveau de la multitude de réponses
que l’on peut rencontrer sur Internet et dans quelques articles qui traitent souvent de sujet
analysé à partir d’une perspective géopolitique. Il écrit que « se han publicado trabajos que,
haciendo referencia a la Geopolítica (...), se desprenden de los fundamentos que forman su
contenido epistemológico original. También algunos carecen de un referente conceptual y
otros utilizan el término de manera indiscriminada y poco clara 20» (p. 60). Il existe autour
de la définition de la Géopolitique une brume de confusion. Pour éviter au lecteur de se
perdre dans cet épais brouillard, nous adoptons la définition proposée par Lacoste (2006 cité
par Boniface, 2017, pp.13-14). Pour lui en effet,

Le terme de géopolitique dont on fait de nos jours de multiples usages désigne de fait
tout ce qui concerne les rivalités de pouvoir ou d’influence sur les territoires et les
populations qui y vivent : rivalités entre des pouvoirs politiques de toutes sortes – et
pas seulement des États mais aussi entre des mouvements politiques ou des groupes
armés plus ou moins clandestins –, les rivalités pour le contrôle ou la domination de
territoire de grande ou de petite taille.

20
Notre traduction: Des travaux ont été publiés faisant allusion à la Géopolitique comme substantif ou
comme adjectif, s’éloignent des fondements qui forment son contenu épistémologique originel. Aussi certains
manquent de référence conceptuelle et d’autres utilisent le terme de manière indistincte et peu claire.

11
De cette approche, il ressort que l’objet de la Géopolitique est l’étude des rapports
de forces pour la conquête de territoire dans le but de conserver ou d’accroitre son influence,
son pouvoir politique. Elle étudie toutes sortes de rivalités de pouvoirs sur un territoire
donné.
Quant à la Géoéconomie, tout comme la Géopolitique, elle est issue de l’addition de
deux termes : la contraction de « géographie » associée au concept « économie ». Il convient
de souligner avant toute tentative de définition de ce terme, qu’il n’a pas encore fait l’objet
de beaucoup d’études épistémologiques. De fait, jusqu’à un récent passé, l’usage de ce
terme était réservé à quelques spécialistes, et aujourd’hui encore l’emploi n’est pas
véritablement passé dans le vocabulaire courant comme l’est la Géopolitique.

Pour comprendre l’origine de ce concept, il faut remonter à la conjoncture


économico-politique et militaire internationale des années post Guerre froide. En effet, la
fin de la Guerre froide a propulsé le monde dans une nouvelle ère. L’ère de la libéralisation
des échanges et du développement des technologies dans toutes les acceptions du terme.
Dans cette ère nouvelle, la notion de « puissance » a cessé d’être quantifiée aux seules
capacités militaires des États. Un élément nouveau, l’arme économique, a opéré son entrée
dans le champ des Relations Internationales (Boniface, 2011, p. 33). Par conséquent, pour
comprendre au mieux le nouvel exercice du jeu des relations internationales, il faut recourir
à ce que Lorot (2009, p. 9) a appelé « la nouvelle grammaire des rivalités internationales »:
la Géoéconomie.

L’objet de la Géoéconomie n’est pas l’étude des conquêtes territoriales, la


suprématie ou l’influence diplomatique internationale comme souligne Luttwak (1995). Elle
a pour propos l’analyse des stratégies pour « maximiser l’emploi hautement qualifié dans
les industries de pointe et les services à haute valeur ajoutée » (Lorot, 2009, p.11). En
d’autres termes, cette discipline naissante étudie les méthodes pour « conquérir ou de
préserver une position enviée au sein de l’économie mondiale » (Lorot, idem). Comment
peut-on la définir alors ? Lorot (ibidem) répond à cette interrogation. Il propose cette
approche :

La géoéconomie est l’analyse des stratégies d’ordre économique – notamment


commercial –, décidées par les États dans le cadre de politiques visant à protéger leur
économie nationale ou certains pans bien identifiés de celle-ci, à aider leurs
«entreprises nationales à acquérir la maîtrise de technologies clés et/ou à conquérir

12
certains segments du marché mondial relatifs à la production ou la commercialisation
d’un produit ou d’une gamme de produits sensibles, en ce que leur possession ou leur
contrôle confère à son détenteur – État ou entreprise « nationale » – un élément de
puissance et de rayonnement international et concourt au renforcement de son potentiel
économique et social. (p. 2)

La Géoéconomie étudie les rivalités de pouvoir à caractère économique sur un


territoire donné. Le but ultime des politiques géoéconomiques n’est pas seulement le
contrôle de territoires. Elles visent la suprématie technologique et commerciale à partir de
la possession des produits sensibles disponibles sur un territoire. Qu’en est-il du terme
conflit ?

Emprunté au latin classique conflictus, signifiant « contre quoi on lutte », participe


passé de confligere, « lutter », le vocable « conflit » désigne une lutte psychologique contre
quelqu’un à cause d’une incompatibilité (Antidote 8). Cependant, il faut souligner que
définir le terme « conflit » n’est pas chose aisée étant donné sa multidimensionnalité. Le
conflit peut se manifester dans tous les domaines de la vie : social, politique, économique,
individuel, famille, en un mot, partout où il y a interactions. La diversité des conflits a amené
plusieurs auteurs à proposer des acceptions différentes et parfois incomplètes.

Pour le sociologue Coser (1956), un conflit est « un affrontement entre acteurs


collectifs sur des valeurs, des statuts, des pouvoirs ou sur des ressources rares et dans lequel
l’objectif de chaque protagoniste est de neutraliser, d’affaiblir ou d’éliminer ses rivaux »
(p. 8). S’il faut concéder à cette définition le mérite d’avoir circonscrit de manière générale
le terme conflit, elle ne spécifie ni les différentes typologies de conflit ni la différence entre
le terme conflit et les autres terminologies qui ont une signification analogue. C’est pour
cette raison que Van Minh (1992, p. 311), ajoute que « la notion de conflit est une
terminologie qui met en concurrence plusieurs termes : conflit, litige, différend, crise,
tension, antagonisme, situation…».

Zartman (1990) en tentant d’établir la distinction entre ces termes déclare que le
conflit est comme « un litige qui sous-tend les heurts entre les belligérants, celle-ci désigne
le passage actif des hostilités armées » (p. 14). Pour lui le conflit se distingue de la crise et
des autres terminologies du fait de sa durée, car le conflit précède la crise. Le conflit est
donc plus long que la crise qui est le plus « souvent une flambée soudaine sur une courte
période ». En un mot quand on parle de conflit il « s’agit d’une opposition d’intérêt entre

13
les acteurs des relations internationales, laquelle opposition s’exprime sous forme de
guerre » (Zartman, 1990, p. 12).

Concernant la guerre, comme soutient Clausewitz (1832) cité par Manzan (2011, p.
37) elle est souvent conçue comme « un acte de violence dont le but est de forcer
l’adversaire à exécuter notre volonté » Un autre auteur, Bouthoul (1951, p. 35).propose la
définition suivante : « la guerre est la lutte armée et sanglante entre groupements organisés
». Ce qui caractérise la guerre, c’est l’usage des armes et le caractère sanglant. Cette dernière
caractéristique permet de distinguer la guerre des autres formes d'oppositions ou de
compétitions, comme la concurrence économique, les luttes sportives, la propagande
politique ou religieuse et les discussions de toute sorte. Aussi, la lutte armée, pour mériter
le nom de guerre, doit comporter des combats et des victimes (Manzan, op. cit).

À cette étape de l’analyse, il convient de définir les différentes formes de conflits.


Si l’on en croit Boulanger (2001) il existe deux types de conflits : les conflits intérieurs et
les conflits extérieurs. En ce qui concerne le premier type, pour l’auteur il désigne les luttes
sociales sous la forme de mouvements sociaux, de grèves, de manifestations populaires. La
seconde forme, c’est-à-dire, le conflit extérieur, se caractérise par la confrontation entre
États et groupes armés d’une part et entre États d’autre part. Le second type de conflit peut
poser la question de l’usage ou non de la force armée. Boulanger (2001, p. 110) écrit
que « Par définition si la guerre fait appel à la force armée pour obtenir la soumission de
l’adversaire, le conflit est une opposition d’intérêts qui ne conduit pas forcément à
l’affrontement armé ». Il ajoute aussi que « Lorsque le conflit devient armé, il désigne le
combat entre des forces militaires de deux gouvernements ou plus, ou entre un
gouvernement et au moins un groupe armé organisé » (p. 110).

C’est cette seconde caractéristique du « conflit » qui correspond le mieux aux


oppositions de forces dont est objet le Sahara Occidental. En effet, dans le cas de ce
territoire, nous assistons à l’emploi de la force armée par un État, le Maroc, contre la
souveraineté, l’intégrité ou l’indépendance politique de la République Arabe Sahraouie
Démocratique reconnue par l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) et actuellement par
l’Union Africaine (UA).

14
Ainsi donc notre sujet peut s’appréhender comme l’étude des intérêts géopolitiques,
géoéconomique, c’est-à-dire, les avantages politiques, économiques et internationaux en jeu
dans les oppositions de forces plus ou moins contradictoires pour la conquête du Sahara
Occidental.

2- L’état de la question

Le conflit du Sahara Occidental et ses thématiques adjacentes ont fait couler


beaucoup d’encres et de salives. La pléthore d’écrits et de débats que suscitent le sujet
montre que la question est encore au cœur des préoccupations de la Communauté
internationale. Toutefois, il faut reconnaître que « peu de livre lui [le conflit du Sahara
Occidental] ont été consacré » (Zartman, 1997, p. 7) et jusqu’à récemment, le sujet avait
tout simplement disparu des écrans. Miske (1998, p. 13) écrit dans la même veine que « peu
de livre, même s’il en eut de remarquables, sont consacrés au Sahara Occidental, au conflit
dont il est objet et à son peuple ». Ces constats demeurent un truisme ; il existe encore un
état relativement précaire de la littérature sur le conflit du Sahara Occidental. Cela dit, en
dépit de cette insuffisance notoire, le Sahara Occidental constitue l’objet d’étude de
beaucoup de chercheurs.

Notre sujet nous invite à réfléchir de manière générale sur le conflit sahraoui. Mais
de façon spécifique, il nous revient d’analyser certains de ses aspects tels que la géographie,
l’histoire, les aspects géopolitiques et/ou géoéconomiques. Par ailleurs, vu que peu d’études
traitent spécifiquement toutes ces dimensions du conflit, nous classifions la revue de la
littérature en différentes rubriques.

 L’histoire du territoire et/ou du conflit

La littérature sur l’histoire du Sahara Occidental ou sur le conflit est quelque peu
abondante. L’un des plus remarquable écrit portant sur l’histoire de cette portion de terre de
l’Afrique est sans doute la thèse de doctorat de Pasqual del Riquelme (1991) intitulée,
Historia de los saharauis y crónica de la agresión colonial en el Sahara Occidental. Dans
cette étude, il analyse la situation du Sud du Maroc depuis le XIX siècle jusque dans les
années 1970. Plus particulièrement, il examine l’histoire des sahraouis et les débuts de la
présence des Espagnols sur les côtes nord-ouest du continent africain.

15
Ruiz Miguel (1995) va plus loin dans El Sahara Occidental y España: Historia,
política y derecho. Análisis crítico de la política exterior española. Comme l’indique son
intitulé, cet ouvrage s’intéresse au dossier du Sahara Occidental en l’analysant à la fois sous
l’angle historique, politique et juridique. Pour lui, la projection hispanique vers le Nord de
l’Afrique depuis le Moyen-âge est due à la perte des colonies américaines. En plus de cela,
Ruiz souligne que l’occupation du Sahara Occidental est la conséquence directe de la
mainmise espagnole sur l’archipel Canarie. Concernant la décolonisation du Sahara
Occidental, l’auteur soutient qu’elle a été non seulement une injustice, une trahison du
peuple sahraoui, mais surtout un authentique suicide politique pour l’Espagne. Ce livre de
Ruiz nous donne une vue synoptique sur les facteurs historiques, politiques et juridiques de
la conquête et de la colonisation du Sahara Occidental.

De Froberville (1996) dans Sahara Occidental. La confiance perdue. L’impartialité


de l’ONU à l’épreuve retrace la longue histoire des sahraouis, de la période précoloniale à
celle postcoloniale. Elle soutient qu’à la base un simple problème de décolonisation, la
question du Sahara Occidental est devenue très rapidement complexe. Ainsi, durant plus de
trente-trois ans, toutes les résolutions ou recommandations des Organisations
internationales (ONU, OUA, Cour Internationale de Justice) sont restées lettre morte. Pour
l’auteure plusieurs évènements, anciens ou récents du conflit souffrent du silence ou de la
désinformation dont ils ont été quelquefois volontairement entourés. Elle en arrive à la
conclusion qu’il existe actuellement une perte de confiance des sahraouis dans les
résolutions et les plans de paix de l’Organisation des Nations Unies.

À côté de ces auteurs qui se sont attardés davantage sur l’histoire du Sahara et du
conflit, il y en a qui par contre, bien que peu nombreux, se sont intéressés aux aspects (géo)
politico-économiques du conflit.

 Les considérations (géo) politiques du conflit

Ce n’est un secret pour personne, les rivalités autour du Sahara Occidental sont
frappées du sceau des intérêts géopolitiques ou (géo) économiques des puissances
régionales et internationales. C’est ce que tente de montrer Moshen-Finan (1997) dans Le
Sahara Occidental : les enjeux d’un conflit régional. Elle explique que les divergences
interétatiques ont conduit à l’utilisation de ce conflit pour le règlement de problème interne

16
de la part des États voisins. Pour elle, ce conflit a pu constituer un véritable enjeu de
politique intérieure des États du Maghreb tels que l’Algérie, le Maroc, la Lybie et la
Mauritanie. Ainsi, analyse-t-elle la place ou l’impact du conflit sur les nouveaux choix de
politique nationale ou régionale de ces États pour appréhender les rapports entre le Polisario
et son principal tuteur, l’Algérie, à partir de la fin des années 70. Pour elle, ce conflit
constitue l’enjeu principal des relations régionales, à la fois symbole, prétexte et épine dans
les rapports entre l’Algérie et le Maroc.

Vazquez (2014) dans son mémoire de Master, Los actores e intereses involucrados
en el conflicto saharaui-marroquí (1991-2012) fait une radiographie des acteurs et de leurs
intérêts protéiformes dans le conflit. Pour ce faire, elle étudie l’importance de la situation
géographique et géostratégique du Sahara Occidental sur le continent africain et les
conséquences géopolitiques de cette position géographique sur le conflit. Cependant,
l’échelle que couvre cette étude des acteurs et intérêts du conflit sahraoui est très limitée
dans le temps et ne permet donc pas de rendre compte de la dynamique du conflit dans
l’actualité.

Fadel quant à lui dans La République Sahraouie publié en 2001, fait une présentation
générale de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD). Il présente les
antécédents et les circonstances qui ont prévalu à sa naissance, ses éléments constitutifs, sa
viabilité, ses organes et ses institutions, son régime politique et sa politique générale. Sans
se limiter à cette seule présentation de la RASD, l’auteur analyse aussi les perspectives de
solution du conflit Sahara/Maroc. Pour se faire, il démontre l’illégitimité des revendications
marocaines et passe au crible les parties impliquées et intéressées du conflit.

D’autres auteurs tels que Fuente Cobo & Menéndez (2006), dans El conflicto del
Sahara Occidental étudient la dimension militaro-diplomatique et la solution du conflit dans
la perspective du droit international du conflit qui oppose le Maroc au Front Polisario. Ils
mettent en exergue la dynamique des offensives militaires et diplomatiques entreprises par
les acteurs du conflit au niveau régional, continental ou mondial. Ils terminent leur analyse
en nous présentant la situation juridique internationale du conflit au début des années 1976.

17
 Le règlement du conflit et le rôle des Nations Unies

Il existe un large éventail d’écrits portant sur les tentatives de résolutions du conflit.
C’est le cas de Frank Neisse, (2004). Le règlement du conflit du Sahara occidental et l’ONU.
Pour quelle « troisième voie » ? Il part d’abord de l’analyse du plan de règlement proposé
par l’Onu qui consiste en l’organisation d’un référendum d’autodétermination du peuple
sahraoui et qui a vu l’avènement de la Mission des Nations Unies pour un referendum au
Sahara Occidental (MINURSO). Cependant, comme il le souligne, ce processus
référendaire est confronté à des difficultés telles que la composition du corps électoral à
travers le recensement complet des habitants du Sahara espagnol, le problème délicat de
l’identification des Sahraouis du Territoire et, au-delà, un recensement satisfaisant des
réfugiés et le manque de volonté manifeste des deux parties à coopérer. Pour lui, le plan de
règlement du conflit par la voie du référendum privilégié par les résolutions des Nations
Unies, repose sur la logique où le vainqueur garde tout.

D’autres auteurs se sont intéressés également aux difficultés de résolution de ce


conflit et le casse-tête qu’il représente pour l’ONU. C’est ce que fait Boni Tanoa (2016)
dans sa thèse intitulée L’Organisation des Nations Unies et le règlement du conflit du
Sahara Occidental. L’auteure s’assigne comme objectif principal d’analyser l’attitude de
l’ONU afin de comprendre les fondements de son incapacité à résoudre le conflit du Sahara
Occidental qui perdure depuis plus de quarante-et-un ans. Pour elle, ce conflit est loin d’être
au centre des préoccupations majeures de la communauté internationale qui le considère
avant tout comme un problème régional relevant d’acteurs régionaux. Alors que l’Onu a
pour mission principale de résoudre les conflits qui peuvent menacer la paix et la sécurité
internationale, pour l’auteure, cette Organisation n’a pas encore joué pleinement ce rôle
aujourd’hui. Les Nations unies s’enlisent dans le conflit du Sahara Occidental. Avec le
temps, elles démontrent leur incapacité de trouver une solution satisfaisante entre la thèse
unioniste défendue par le royaume chérifien et la thèse indépendantiste avancée par le
Polisario avec le soutien de l’Algérie (p. 19). Pour elle, l’incapacité de l’ONU, s’explique
par l’influence des grandes puissances internationales qui bloquent les processus de
résolutions lorsque leurs intérêts sont menacés.

Comme il nous a été donné de constater, les thématiques les plus abordées
concernant le dossier du Sahara Occidental ont trait à l’histoire, aux efforts de l’Onu dans

18
la résolution du conflit, les questions des droits de l’Homme et le principe d’application du
droit international. Les auteurs que nous avons consultés ont traité superficiellement les
enjeux géopolitiques internationaux du conflit et survolé sa dimension géoéconomique.

V- ORIENTATION DE L’ÉTUDE

Les sources bibliographiques concernant le conflit du Sahara Occidental ou sur le


Sahara Occidental de façon générale, sont relativement abondantes comme nous venons de
le voir. Cependant, même si des thèses ou mémoires ont été réalisés récemment, il faut
souligner que la quasi-totalité des ouvrages spécialisés sur la question ont été publiés avant
l’année 2000. Par conséquent, les développements actuels du conflit sont absents ou
insuffisamment analysés.

La thèse de doctorat, comme l’enseigne le professeur N’Da (2015) doit « manifester


une part d’originalité certaine, un apport personnel à l’avancement des connaissances dans
un domaine spécifique » (p. 28). En clair, l’essence d’une thèse, en tant que travail
scientifique, réside dans son originalité. C’est pourquoi, dans le présent travail, nous
prétendons étudier le conflit du Sahara Occidental sur toute sa durée, c’est-à-dire depuis les
premiers instants de la présence espagnole jusqu’à nos jours. Pour nous la question du
Sahara Occidental ne doit plus être seulement appréhendée comme un simple problème de
décolonisation, mais comme un dossier géopolitique et géoéconomique international
complexe. En fait, les raisonnements géopolitiques et géoéconomiques aident à mieux
appréhender les causes des conflits au sein d'un pays ou entre des États. Elles permettent
aussi de saisir les conséquences et les enjeux des rivalités pour le contrôle de territoires.

Découvrons maintenant, la problématique que sous-tend notre sujet d’étude.

VI- SPÉCIFICATION DE LA PROBLÉMATIQUE

Les composantes de la problématique et le concept lui-même sont au cœur d’un


débat heuristique. Pour le professeur Beaud (2006, p. 55), « La problématique, c'est
l'ensemble construit, autour d'une question principale, des hypothèses de recherche et des
lignes d'analyse qui permettront de traiter le sujet choisi ». N’Da (2015) reprend et
complète ce postulat. Pour lui, il y a un problème, c'est-à-dire un objet de préoccupation

19
identifié, passé au crible des questions, des objectifs, des hypothèses de recherche, des
indicateurs des variables en jeu ou la méthode d’analyse.

Suivant le paradigme de N’Da, notre problématique se compose d’un problème (1),


d’objectifs (2), des hypothèses de recherche (3) et d’un cadre méthodologique (4).

1- Le problème de recherche

En 1975, les derniers territoires du continent africain encore sous domination


coloniale21 se sont défaits du joug sous lequel les maintenaient encore les métropoles
européennes. À la même date, le Sahara Occidental, était abandonné par l’Espagne au
Maroc et à la Mauritanie au cours du très controversé Accord de Madrid. Pourtant, depuis
1963, les Nations Unies ont inscrit le peuple du Sahara Occidental sur la liste de ceux devant
bénéficier du principe d’autodétermination des peuples colonisés comme prévu par sa
résolution 1514 du 14 décembre 1960. En outre, la résolution 2072 du 16 décembre 1965
de l’Assemblée Générale demandait expressément à l’Espagne de se retirer du territoire et
d’organiser un référendum d’autodétermination pour le peuple sahraoui. Mais, l’ensemble
de ces résolutions ont été ignorées par Madrid.

En fait, à cette époque, l’Espagne qui traversait une crise politico-institutionnelle du


fait de l’état de santé de Franco, subissait les pressions du Maroc, de la Mauritanie, de la
France, des États-Unis (De Froberville, 1996) et des autres États membres de l’Organisation
du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). En effet, dans cette conjoncture internationale
marquée par la Guerre Froide, les membres de l’Alliance Atlantique désiraient maintenir le
Maghreb sous leur influence et y juguler l’avancée du Communisme. Ceux-ci vont placer
le Sahara Occidental dans leur agenda en raison de sa position (géo) stratégique en partie
pour son ouverture sur l’océan Atlantique.

Depuis sa cession au Maroc et à la Mauritanie, le Sahara Occidental a cessé d’être


une des préoccupations majeures des Nations Unies, qui à tort le considère comme un
problème de décolonisation et un dossier régional, relevant d’acteurs régionaux. Mais, force
est de reconnaitre que le dossier a divers répercussions et incidents sur le plan international.
En effet, en 1984, le Royaume chérifien s’est retiré de l’Organisation de l’Unité Africaine

21
Il s’agit par exemple du Mozambique, l’Angola et le Cap Vert.

20
(OUA), du fait de l’adhésion en son sein de la République Arabe Sahraouie Démocratique
(RASD). Ce retrait a causé des crises diplomatiques sur le continent et enrayé le bon
fonctionnement de l'OUA. En plus, l'Administration américaine a négocié sa reconnaissance
de la marocanité du Sahara Occidental en échange de la régularisation des relations entre le
Maroc et l'État hébreu. Tout récemment, pour faire du chantage à Madrid qui a accueilli le
Président de la RASD, Brahim Ghali22, sur son sol, le Maroc a ouvert ses frontières au
niveau de Ceuta laissant entrer des milliers de migrants sur ce territoire, provoquant par voie
de conséquence, une crise politico-migratoire en Espagne. Cette situation a généré une crise
diplomatique entre Madrid et Rabat. Fort de ces considérations, pour nous, le dossier du
Sahara Occidental n’est plus un problème de décolonisation.

La question cruciale que sous-tend cette étude est de savoir : pourquoi la


décolonisation du Sahara Occidental est devenue un problème géopolitique
international complexe ? Cette question essentielle en appelle trois autres toutes aussi
fondamentales : quels sont les intérêts géopolitiques et géoéconomiques liés au contrôle du
territoire ? Quel est leurs impacts sur le conflit ? Le conflit influence-t-il les relations
internationales ?

2- Les objectifs

La présente étude a un objectif principal et des objectifs spécifiques. Ce travail vise


principalement à montrer que le conflit qui oppose le Front Polisario au Maroc pour la
souveraineté du Sahara Occidental est un problème géopolitique et géoéconomique
international. Trois objectifs spécifiques découlent du premier :

- Présenter les prérogatives géopolitiques et géoéconomiques que confèrent le Sahara

Occidental ;

- Montrer comment ces intérêts alimentent le conflit ;

- Montrer que le conflit a des implications internationales.

22
Brahim Ghali est l’actuel Chef du Front Polisario et le Président de la République Arabe Sahraouie
Démocratique. Atteint de la Covid-19 il a été hospitalisé en Espagne malgré l’opposition du Maroc. Cet acte
a été perçu par Rabat comme une trahison de Madrid.

21
3- Les hypothèses

Le conflit du Sahara Occidental perdure depuis près d’un demi-siècle. Du fait de son
emplacement géographique stratégique au bord de l’océan Atlantique qui lui offre une
ouverture sur le monde et ses nombreuses ressources naturelles dont le phosphate et les
poissons, cette étude part de l’hypothèse que le Sahara Occidental a une grande valeur
géopolitique et géoéconomique non seulement pour les États du Maghreb mais aussi pour
les puissances internationales. Cette hypothèse principale en appelle trois secondaires :

- Le territoire du Sahara Occidental confère des avantages géopolitiques et


géoéconomiques ;
- La situation d’impasse actuelle est due aux intérêts politiques et économiques que
renferme le territoire ;
- Dans un monde caractérisé par les échanges de bons procédés entre les États et au vu
de la conjoncture sécuritaire mondiale marquée par le terrorisme international, le conflit
du Sahara Occidental a des retombés internationaux.

4- Approche méthodologique

Notre étude est essentiellement basée sur la collecte de données secondaires. Les
supports audio et visuel, les discours, les thèses, les mémoires, les documents historiques,
les revues, les articles, les magazines et surtout Internet ont constitué entre autres notre
corpus. Cette étude a commencé par une phase d’exploration du sujet et des théories pouvant
éclairer le problème que nous souhaitons élucider. À l’issue de ce travail, nous avons été
confrontés au difficile choix de la méthode. En effet, quelle démarche scientifique
convoquée pour analyser une question se situant au carrefour de plusieurs champs
notamment la Géographie, l’Histoire, le Droit international, la Géopolitique et les Relations
Internationales. Même si chacune de ces sciences est à prendre en compte dans cette étude,
nous avons fait appel à la méthode d’analyse de la géopolitique et à la méthode historique.
Selon Rosière (2001, p. 37), la méthode d’analyse de la géopolitique s’appuie sur l’étude de
la dynamique du territoire, les acteurs, les représentations territoriales, le mode opératoire
et les enjeux.

22
La dynamique du territoire consiste à exposer l'évolution historique du territoire
objet de l’analyse. Dans cette phase, il s’agit de présenter le territoire, de le décrire et de
découvrir ses différentes transformations (administrative, politique, sociale et économique)
au fil du temps et d’en donner les raisons.

Quand on dit qu’un territoire est un enjeu, c’est parce qu’il est l’objet de convoitises
diverses. Tous ceux qui développent ces convoitises sont des acteurs. Les acteurs sont tous
ceux qui sont dotés d'un projet et s'affrontent pour le contrôle du territoire. Parmi les acteurs
géopolitiques, il y a les personnes physiques (les peuples, les groupes ethniques), les États,
les organisations politiques, les multinationales, les bailleurs de fonds, les Organisations
Non Gouvernementales (ONG), les groupes de pression politiques ou religieux ou les
organisations criminelles. Tous ces acteurs qui s’affrontent pour le contrôle d’un territoire
ont une image mentale de celui-ci. C’est cette image que Lacoste (2018) a appelé la
représentation territoriale. Pour lui, on parle de géopolitique quand il y a des rivalités de
pouvoir sur des territoires, mais ces rivalités ont pour moteur des représentations. Une
représentation territoriale est une conception de l'espace et du cadre politique propre à un
acteur (Rosière, 2001, p. 39). La représentation d’un espace met en jeu l’histoire de
l’individu, son imagination et ses références. Elle a une composante socioculturelle et se
fait à travers des cartes mentales des acteurs. Elle permet de saisir les enjeux que constitue
un territoire pour les parties en cause et de rendre compte des argumentations et aussi de
comprendre les mécanismes qui ont prévalu à l’élaboration de positions quelquefois
conflictuelles et contradictoires.

Quant au mode opératoire, il s’agit des moyens choisis par les acteurs pour arriver
à leurs fins, c’est-à- dire, pour atteindre leurs objectifs. Il faut souligner que tous les acteurs
géopolitiques choisissent un mode opératoire. Le modus operandi peut être de plusieurs
sortes. En effet, il peut être à la fois politique, économique, médiatique, militaire ou
diplomatique.

L’enjeu constitue la source des tensions, des crises, de conflits ou des guerres. Il peut
être une lutte pour le contrôle d’espaces et de territoires (mers, îlots maritimes, route
d’accès, routes de transit, etc.), de ressources naturelles et énergétiques (pétrole, gaz, eau,
minerais, etc.) ou des rapports de forces autour d’un tracé de frontière (tracé mal accepté,
mur, enclave, etc.).

23
Notre sujet se propose d’étudier l’évolution du conflit sahraoui, par conséquent, une
connaissance pointue de son histoire s’impose. C’est en cela que nous convoquons la
méthode historique ou le paradigme de l’historicisme. C’est une méthode utilisée pour (re)
constituer l’histoire et déterminer scientifiquement les faits. Dans leur Introduction aux
études historiques, Langlois et Seignobos soutiennent que cette méthode comprend quatre
étapes. Il s'agit d'abord de rassembler les documents, de les traiter, après quoi, de dégager
les faits et enfin de les organiser (Langlois & Seignobos, 1992, p. 12). N’Da (2015, p. 110)
ajoute que cette méthode est utile pour comprendre les révolutions historiques et aussi pour
saisir les enjeux des débats où l'on fait appel à un « retour aux sources », ceux où la
modernisation se heurte à des modes d'organisation politique, économique et sociale, hérités
d'une période antérieure.

Ce travail est composé de trois parties subdivisées en quatre chapitres chacune.


La première partie porte sur la présentation du Sahara Occidental, sa localisation
géostratégique, ses ressources naturelles et les raisons de la présence et sa colonisation par
l’Espagne.

La deuxième partie analyse le marchandage ou le troc du Sahara Occidental par l’Espagne


au Maroc et à la Mauritanie. Nous y examinons les fondements politiques des revendications
du territoire par le Maroc, la Mauritanie et le Front Polisario.

La troisième partie présente les ramifications internationales du conflit. Concrètement,


nous essayons de montrer comment le contrôle du Sahara Occidental est devenu un élément
incontournable pour l'hégémonie géopolitique et géoéconomique régionale et la sécurité
internationale.

24
PREMIÈRE PARTIE :

LE SAHARA OCCIDENTAL

25
L’identification de l’espace ou le territoire objet de l’étude, sa présentation et sa
description constituent la première étape de toute analyse géopolitique. En effet, la
connaissance du territoire traité constitue une étape essentielle et nécessaire.

Pour ce faire, la première partie de ce travail commence par une approche


géographique du Sahara Occidental (chapitre I). L’analyse des données géographiques
débouchera sur l’examen de l’histoire précoloniale du Sahara (chapitre II). Le troisième
chapitre étudie les raisons de la présence des Espagnols sur les côtes sahraouies et le dernier,
la naissance de la colonie du Sahara espagnol.

26
CHAPITRE 1 : APPROCHE GÉOGRAPHIQUE DU SAHARA OCCIDENTAL

La compréhension des formes d'organisation de l'espace incombe à la Géographie


dont l’un des premiers objets d’étude est l'espace. Cet espace géré et modélisé par les
hommes, contient des éléments matériels et symboliques qui peuvent provoquer des rivalités
de pouvoir. Au sein des éléments matériels et symboliques de la géographie, les données
physiques de l'environnement naturel, la localisation, les populations et les richesses
naturelles occupent une place importante. Pour mieux comprendre le substrat de cette étude,
il convient de se familiariser d'abord avec le territoire.

I- SITUATION GÉOGRAPHIQUE DU SAHARA OCCIDENTAL

La fonction de la Géographie est au centre d’un profond débat épistémologique. En


effet, elle a traditionnellement été cantonnée dans une seule fonction : celle de la description
des manifestations naturelles, physiques et humaines. Dans son livre La géographie, ça sert,
d'abord, à faire la guerre publié en 1976, Lacoste dénonce cette appréhension. Il écrit
que « Tout le monde croit que la géographie n'est qu'une discipline scolaire et universitaire
dont la fonction serait de fournir des éléments d'une description du monde, dans une
certaine conception désintéressée de la culture dite générale » (p. 5).

Lacoste estime qu’avant tout elle « sert d'abord à la guerre ». Autrement dit, les
connaissances géographiques confèrent un pouvoir stratégique qui permet aux organes du
pouvoir politique, administratif, économique ou militaire de conquérir ou contrôler l'espace
et les populations qui y vivent.

Pour les besoins de l'étude, un examen profond de la situation géographique du


Sahara Occidental s'impose, pour deux raisons essentielles. Primo, permettre au lecteur
d'avoir une connaissance générale et profonde du territoire. Secundo, faire qu'à travers une
telle présentation, nous puissions appréhender l'importance géostratégique du territoire et
percevoir d’emblée l’enjeu qu’il constitue.

27
1- Le Sahara Occidental : une localisation stratégique

Il est nécessaire, avant de voir en quoi le Sahara Occidental a une localisation


stratégique, de faire quelques lumières sur le concept « Sahara » et l’expression
« stratégie ». En fait, dans l’imaginaire populaire, le terme « Sahara » est associé à celui de
« désert », de « vide ». Cette assimilation du Sahara au désert est sujette à débat. M.
Benjelloun affirmait à ce propos que :

le mot Sahara (…) n'a jamais signifié « vide », comme il est prétendu.
Étymologiquement, il veut dire vaste territoire, peu peuplé, peu fréquenté,
inhospitalier et, dans tous les cas, exigeant un déplacement permanent parce que ne
permettant pas une vie citadine du fait de la rareté de la flore23.

Un autre auteur, allant dans le même sens, souligne que « le mot Sahara, terme
géographique consacré par l’utilisation française, ne veut pas dire désert. Ce dernier se dit
khlâ et non çahrâ qui signifie terre inculte par opposition à la terre cultivée » (Moussaoui,
2002, p. 25).

Si le « Sahara » en général n’est pas un simple désert, il en est de même pour


le « Sahara Occidental ». Celui-ci est considéré souvent, à tort, comme un no man’s land,
comme un « vaste territoire, mais désertique » ( Barbier, 1988, p.9) hostile à une
quelconque présence humaine. De fait, bien que faisant partie du grand et terrible désert du
Sahara, le Sahara Occidental est un pays de faune et de flore. C’est une terre où l’agriculture
et l’élevage ont toujours été pratiqués permettant au sahraoui de mener une vie normale
(Fadel, 2001, p.13). Toutefois, s’il faut conceder l’idée que le Sahara Occidental est un
“vide”, a priori, il ne faut, cependant, pas se tromper sur sa haute valeur stratégique du fait
de sa position geographique.

Anciennement appelé « Sahara espagnol » jusqu'en l’an 1975, le Sahara Occidental


est un pays d’Afrique, situé dans le nord-ouest du continent au niveau du tropique du
Cancer. Ce territoire est niché entre trois États. Au nord le Royaume du Maroc (500 km de
frontières), par l'Algérie au nord-est (70 km de frontières), au sud-est par la République
islamique de Mauritanie avec 1570 km de frontières et à l'ouest par l'océan Atlantique avec

23
Cf. Cour Internationale de Justice : Mémoires, Plaidoiries et Documents Sahara Occidental, vol. IV, Exposés
oraux. (Exposé oral de M. Benjelloun, représentant du gouvernement marocain. pp. 194-195).

28
quelques 2000 km de côtes24. Quant à sa superfice, il est difficile d’avancer un chiffre précis
en raison de l'imprécision de certaines de ses frontières. Aussi, la superficie du territoire
diffère d’un auteur à un autre25. Malgré cette difficulté, les chiffres généralement admis,
notamment par les Nation unies, pour faire référence à la superficie du Sahara Occidental,
l'estime à 266 000 km².

À ce stade de l’analyse, il convient de souligner qu’il existe plusieurs Sahara. Il y a


d’un côté, le « Sahara Occidental » et de l’autre le « Sahara occidental ». Si ces deux
dénominations sont proches de par leur écriture, il faut remarquer que le premier s’écrit avec
un « O » majuscule et le second avec la minuscule. Au fait, il existe une différence politique,
symbolique et geéographique entre ces deux terminologies. En réalité, le territoire que nous
appelons Sahara « Occidental » est l’évolution toponymique du territoire de l’ancienne
colonie espagnole, dit le Sahara espagnol. Les limites de ce territoire ont été l’œuvre des
puissances coloniales que sont l’Espagne et la France, qui entre 1900 et 1914 ont defini les
frontières de la colonie espagnole. En un mot, le Sahara Occidental est la mutation
toponymique du Sahara espagnol. Partant de là, ce terme a une valeur politique, c’est ce
territoire qui est revendiqué par le Front Polisario comme le territoire de la République
Sahraouie.

Il est fréquent dans l’Histoire de voir des anciennes colonies changer de nom après
le depart des colons. C’est le cas par exemple de la Haute Volta qui devient Burkina Faso,
de la Gold Coast devenu Ghana, ou encore de la Rodhésie connu desormais comme le
Zimbabwe. Le changement des dénomminations héritées de la colonisation vise non
seulement à rompre avec le passé colonial mais aussi à proclammer l’appropiation du
territoire par ses habitants. En fait, « nommer [un territoire] c’est se l’approprier »
(Bouhadjar, 2016, p. 76). Ainsi, en troquant le nom Sahara espagnol en Sahara Occidental,
les sahraouis et les utilisateurs de ce nom entendent souligner l’appartenance de ce territoire

24
Ces différents chiffres divergent aussi d’un auteur à un autre. Ceux proposés ici sont d’Ismail Sayeh. (1998).
Les Sahraouis. Paris : L’Harmattan.
25
M. Barbier (1982) qui a étudié la question a fait un inventaire des différents chiffres avancés par les auteurs.
Il dit que la plupart des auteurs John Mercer, Ramon Criado, Robert Rezetie) donnent le chiffre de 266 000
km2, qui est repris par l'ON~ depuis 1975. Mais on trouve parfois un chiffre supérieur: 272 000 km2 (Ali Yata
et Attilio Gaudio), 280 000 km2 (chiffre fourni par l'Espagne et repris par l'ONU jusqu'en 1974) ou 284 000
km2 (chiffre du Front Polisario). L'Espagne a elle-même fourni trois chiffres différents: 278 000 km2
(gouvernement espagnol), 280 000 k.m2 (ministère des Affaires étrangères) et 284 000 km2 (ministère de
l'Information). Note de Barbier (1982). Le conflit du Sahara Occidental. Paris : L’Harmattan.

29
à ce peuple. Par ailleurs, le passage de « Sahara espagnol » à « Sahara Occidental », denote
de ce que l’acte de dénomination est une action de selection et d’abandon (Comard-Rentz,
2006, p. 39). Par ce changement, les sahraouis entendent rompre avec la mémoire, la
prostérité souhaité par les colons espagnols, car les noms sont des vectuers de mémoire.

Quant au Sahara occidental, il apparait comme une formule géographique vague qui
ne correpond à aucun territoire precis. Ici, l’adjectif « occidental » qui vient qualifié le nom
Sahara designe, en fait, la partie ouest du grand désert de l’Afrique du nord qu’est le Sahara
qui s’étend de l’ocean Atlantique jusqu’à la mer rouge recouvrant près de neuf millons de

km² (Cf. Sahara In Encarta 2009). Ainsi, écrire « Sahara occidental » avec la minuscule,

c’est parler de la partie la plus voisine de la direction du couchant de la région du Sahara.


C’est comme dire « Sahara oriental », pour faire allusion à la partie Est, de « Sahara
septentrional » pour parler de la zone nord du Sahara ou de « Sahara méridional » pour
parler du sud de ce grand désert. Par conséquent, le toponyme Sahara occidental est vague,
puisqu’il correspond à toute la partie ouest de l’Algérie, au Sud du Maroc, à tout le nord de
la Mauritanie et une grande partie du Mali. C’est aussi l’avis de Sayeh (1998, p.24) pour
qui la dénomination « Sahara occidental » fait référence à la dimension géographique du
territoire et au-delà des limites internationales de l’ex Sahara espagnol, il englobe d’autres
territoires du désert du Sahara.

De Froberville (1996) s’inscrit d’ailleurs dans la même veine, lorsqu’elle nous invite à :

(…) ne pas confondre le « Sahara Occidental » un territoire bien délimité, colonisé par
l’Espagne, dont les frontières sont connues internationalement et le « Sahara
occidental », formule vague qui désigne la partie occidental du désert saharien
englobant le sud du Maroc actuel, le Sahara Occidental, la Mauritanie et une partie de
l’ouest algérien (p. 11).

En définitive, le Sahara sur lequel porte cette étude, est le territoire de l’ex colonie
espagnole, soit, le Sahara Occidental et non pas le Sahara occidental, c’est-à-dire, l’ouest
du désert du Sahara.

Ainsi présenté, de par sa situation géographique, le Sahara Occidental fait partie


intégrante du Maghreb. Le territoire occupe une zone très particulière au sein de cette
région. Sa situation à l'extrême nord-ouest de l'Afrique, à quelques encablures du continent

30
européen, lui confére une position que nous pouvons qualifier de stratégique. Mais qu’est-
ce qu’une « position stratégique » ?

De manière generale, le terme « stratégie » désigne la partie de l'art militaire qui


consiste à organiser l'ensemble des opérations d'une guerre, la défense globale d'un
territoire, d'un pays. Il designe également l'art de combiner des opérations pour atteindre un
objectif. L'adjectif stratégique signifie que le nom ou l'objet qui le précède présente un
intérêt militaire (Adidi, 2002). Mais, actuellement, le terme stratégie dépasse la sphère
militaire dans laquelle il a été cantonné. À l'époque contemporaine, la stratégie ne recouvre
plus seulement l'art de la préparation et de la conduite de la guerre. En effet, le concept de
stratégie englobe désormais la politique (telle que la stratégie en période électorale),
économique (de la part des entreprises) et sociale. D'une spécialité militaire, la stratégie est
devenue un art transdisciplinaire, la notion implique désormais les facteurs économiques,
politiques, culturels et sociales.

A posteriori, la situation géographique du Sahara Occidental lui confère divers


privilèges stratégiques. Primo, la façade maritime atlantique du territoire offre une double
prérogative. Elle est favorable à la contruction de port ce qui est propice aux échanges
commerciaux avec l’extérieur, notamment au niveau des importations et des exportations.
De plus, la façade maritime peut offrir à son titulaire un droit extrêmement intéressant du
point de vue économique, à savoir les Zones Economiques Exclusives (ZEE)26, à travers
l'exploitation des ressources marines côtières sur une distance d'environ 370 km de côtes27.

Deuxièmement, la partie ouest du Sahara Occidental est propice à la pratique de


l’'agriculture avec un climat chaud et d'importantes ressources en eau douce. Il existe divers
sites agricoles près de la ville de Dakhla, qui attestent de la possibilité de pratique de
l'agriculture sur le territoire du Sahara Occidental. Toutes ces prérogatives attirent de
nombreuses entreprises européennes. C’est le cas de la société française Idyl qui détient près

26
La zone économique exclusive s’étend au-delà de la mer territoriale, jusqu’à 200 milles de la ligne de base.
L’État peut y exercer ce qu’on appelle « des droits souverains finalisés » en matière d’exploration,
d’exploitation, de gestion des ressources naturelles biologiques ou non. Voir Zone Exclusives Economiques
In Encarta 2009.
27
Fiche Pays – Sahara Occidental, Geolinks, Observatoire en géostratégie de Lyon, disponible en
http://www.geolinks.fr/category/fiches-pays/ consulté le 5/3/2019.

31
de 600 hectares de plantations pour cultiver des tomates, vendues sous le nom d’"Etoile du
Sud"28.

En outre, le Sahara Occidental peut être considéré comme le pont qui unit tous les
peuples qui vivent dans ses environs, favorisant ainsi les échanges culturels et économiques
entre ces différents peuples. Comme le souligne Garduño (2010, p. 3), « ce territoire est
l'intersection de plusieurs routes commerciales, de l'Afrique subsaharienne aux îles
Canaries, de l'Algérie à l'océan Atlantique et de la Mauritanie à Gibraltar en passant par
le Maroc et la mer Méditerranée ». Pour lui , le fait que le territoire se situe à une demi-
heure des îles Canaries, ses côtes peuvent être utilisées comme ports de commerce ou
comme bases militaires, comme ce fut le cas sous le général Franco. À la lumière de la
presentation physique du territtoire qui va suivre, l’on pourra voir que le pouvoir politique
et économique qui pourrait émerger du contrôle de ce territoire est très important.

2- De la géographie physique du territoire

Pris dans son ensemble, le Sahara Occidental historiquement, est divisé en deux
régions distinctes : la région de Saguia el Hamra et celle de Rio de Oro.

Cette division bipartite traditionnelle ne doit, toutefois, pas être confondue avec la
division physico-géopolitique dont est objet le territoire depuis 1980, date à laquelle le
royaume du Maroc a commencé la construction d’un mur long de quelques 1 200 km. Ce
mur divise le territoire en deux : d’un côté le Sahara Occidental « de l’interieur »29 protégé
par le mur et controlé par le Maroc. Cette partie est également appelée le « triangre utile »
ou le « Sahara utile » car elle contient la majeure partie de la population du territoire, la
quasi totalité des énormes ressources naturelles, ainsi que la capitale politique El Ayoun et
la capitale religieuse, Smara. D’un autre côté, il y a une bande étroite de terre de près d’un
millier de kilomètre carré qui constitue le « Sahara de l’exterieur »30 controlé par le Front
Polisario et la République Arabe Sahraouie Démocratique.

La région de Saguia el Hamra a une superficie de 82 000 km² et a pour capitale El


Aïun ou Laayoune. Cette région dont le nom signifie « rivière rouge » est l'éponyme d’une

28
« Fiche Pays – Sahara Occidental », Geolinks, op.cit.
29
Mais les indépendantistes Sahraouis appellent cette zone « les territoires occupés ».
30
Cette autre partie du territoire en dehors des murs est appelé « les territoires libérés ».

32
rivière qui s'étend d'Est en Ouest, sur plus de 500 km au nord du territoire. Cette rivière
intermittente coule plusieurs mois tout au long de l'année et connaît des bruts brefs et
violents par temps orageux. La région de Saguia el Hamra, le long du fleuve rouge, est
fertile et propice à la pratique d'activités agro-pastorales telles que les cultures céréalières
(maïs, orge) ainsi qu'à l'élevage. Cette région est également riche en ressources minérales
comme le phosphate et probablement en pétrole et de gaz (Fadel, 2001).

Au sud du territoire se trouve la région qui, pour les Européens, portait


historiquement le nom de Rio de Oro, avec pour capitale l'ancienne Villa Cisneros,
aujourd'hui Dahkla avec une superficie estimée à 184 000 km². Ce sont les Portugais qui
ont baptisé ces terres « Rio do Ouro » (fleuve d’or), ces côtes sur lesquelles ils ont obtenu
de l'or. C'était une zone d'intenses échanges commerciaux, où les Sahraouis échangeaient
directement la poudre d'or du Sénégal avec les Portugais, avant que ceux-ci ne s'installassent
officiellement dans la région. Le Rio de Oro est un vaste territoire limité au nord par Cap
Bojador et Zemmour, et au sud par la ligne qui relie Cap Blanc et Azefal. À mi-chemin entre
Bojador et Cap Blanc, la mince péninsule de Dakhla pénètre dans l'océan, où les coloniaux
espagnols ont construit, d'abord, un fort et, plus tard, la ville de Villa Cisneros. Toute cette
région possède un système hydrographique, orographique et microclimatique qui rend
possible la vie nomade au Sahara occidental en alternant l'utilisation de ces écosystèmes
pour l'élevage (Del Riquelme, 1991, p. 106).

Le paysage est monotone à l'intérieur des terres et sur la côte. Cette monotonie n'est
pas rompue par les presqu’îles de Dakhla (ex-Villa Cisneros) et La Güera. Le climat est
continental, aride à l'intérieur des terres avec des hivers très froids et secs, tandis que les
étés sont très chauds (avec des températures qui peuvent approcher 60 ° Celsius à l'ombre)
et humides sur les côtes où les brouillards se produisent parfois. Les pluies au Sahara
Occidental sont rares sur la côte ainsi qu'à l'intérieur du territoire. La ville de Dakhla
recevrait en moyenne 45 millimètres de pluie par an. L'humidité de la côte signifie que la
flore et la faune de la côte sont suffisamment abondantes et riches. À l'intérieur des terres,
il y a la flore typique de la steppe et du désert: quelques acacias, des buissons dans les
dépressions sablonneuses. Il est constant de trouver de vastes zones totalement dépourvues
de végétation et d'eau (Del Riquelme, idem).

33
Contrairement au reste du Sahara, et en particulier au Sahara Central, où la
végétation se limite aujourd'hui aux bords des canaux, aux fonds sablonneux et aux oasis,
au Sahara Occidental, la végétation est dispersée dans la majeure partie du pays. La
végétation comprend de nombreuses variétés. Pas étonnant que les Sahraouis appellent leur
propre terre Sahel, plutôt que Sahara qui signifie « vide » (Fadel, 2001). En fait, l’humidité
de l'Atlantique n'est pas étrangère à l'étendue et à la richesse de la flore et de la faune du
Sahara Occidental. Les herbes abondent, avec parfois, la forme de buissons, d'arganiers et
de palmiers nains. Dans le Nord, on trouve des acacias, des tamarins et une variété de
légumineuses (Del Riquelme, 1991, p. 106).

Comme nous venons de le voir, le territoire du Sahara Occidental se présente comme


un espace (géo) stratégique au Maghreb en raison de sa situation sur les rives de l'océan
Atlantique et de sa proximité avec des puissances régionales telles que le Maroc, l'Algérie
et la Mauritanie. Mais, son importance stratégique ne se limite pas à ces seuls aspects
physiques. Aux composantes physiques, il faut ajouter d'autres plus importantes, les
ressources naturelles.

II- LES RESSOURCES NATURELLES

Les ressources naturelles sont en grande partie le bois qui alimente le feu des rivalités
dont est objet le Sahara Occidental. Il n'est pas inconnu qu'elles jouent un rôle important
dans le conflit, lui conférant ainsi un caractère (géo) économique.

Le sol du Sahara Occidental est riche dedans tout comme dehors (on-shore et off-
shore). Cette information est devenue une vérité universelle, étant donné qu’elle est la seule
qui est partagée par les différents observateurs. En raison des velléités hégémoniques
contradictoires des uns et des autres pour ce territoire, la quantification de ces ressources est
difficile. En effet, l’on se heurte à l'existence de travaux de prospection sérieuse soutenus
par des études de terrain réalisées sur l’ensemble de la surface du territoire.

En outre, il ne serait pas exclu que certains résultats d'études aient été sacrifiés à des
fins politiques et économiques stratégiques et que, pour les mêmes raisons, ils n'aient pas
été publiés. Avant toute analyse des ressources naturelles, il faut souligner qu'avant leur
découverte et leur exploitation, les Sahraouis avaient une économie traditionnelle qui

34
reposait principalement sur l'élevage et l'agriculture. Nous donnerons plus de détails sur
l’économie traditionnelle des sahraouis dans le chapitre II. Comme on peut déjà l’apercevoir
sur cette figure, les ressources naturelles abondent sur le sol, les eaux et le sous-sol de ce
territoire.

Figure 1 : Les ressources naturelles du Sahara Occidental

Source : Garduño (2006, p. 53)

1- Les ressources minières

Il est bien connu que le Sahara Occidental est riche en ressources minérales. Au sein
de ces ressources, le phosphate occupe une place privilégiée. Le phosphate est un élément
largement présent dans la nature. En plus de l’azote et du potassium, le phosphate est
considéré comme l’un des constituants fondamentaux pour la vie des plantes, des animaux

35
même des hommes. De fait, le phosphate joue un rôle important dans le métabolisme de la
faune et de la flore et constitue l'un des éléments nutritionnels essentiels à la croissance et
au développement des légumes. Les plantes absorbent principalement le phosphate pendant
leur phase de croissance, puis le phosphate absorbé est transmis aux fruits et aux graines
pendant la phase de reproduction. Ainsi, les plantes dépourvues de phosphates présentent
un retard de croissance, comme une croissance réduite des cellules et des feuilles, une
respiration altérée et une photosynthèse. De ce fait, les phosphates jouent un rôle important
dans l'agriculture car ils sont utilisés comme de l’engrais.

Au Sahara Occidental, la prospection de minéraux rentables a commencé dans les


années 40 et les premières découvertes de phosphate ont été faites par les géologues
espagnols Manuel Alía Medina et Francisco Hernández Pacheco (Serrano & Trasosmontes,
s.d, p. 3). Mais c'est à partir de 1962 que le premier inventaire a été réalisé et que la première
étude détaillée a révélé l'importance des réserves et la qualité des phosphates du Sahara
Occidental. Le premier gisement découvert à cette époque est situé dans le désert, à quelques
centaines de kilomètres au sud-est de la capitale El Ayoun (Barbier, 1988). À cette époque
et précisément en juillet 1962, les Espagnols fondèrent la Empresa Nacional Mineral del
Sahara S.A (ENMISA), une filiale de l'Institut National de l'Industrie (INI), dans le but
d'étudier et d'évaluer les possibilités d'exploitation du phosphate existant dans le sol du
Sahara dans les différents sites où des points où des indices avaient été trouvés (Casorrán,
2004, p. 39).

La création de cette entreprise a favorisé une étude systématique du problème de


phosphate dans le Sahara espagnol, en planifiant une campagne de prospection géologique
afin de déterminer les zones les plus favorables à la formation de niveaux de phosphate.
L'étude des données obtenues a conduit à la découverte du gisement de BouCraa, situé à
environ 100 kilomètres de la côte atlantique.

Dès les premiers instants, il a été possible d'apprécier l'importance de la découverte


faite et, par conséquent, une étude systématique du bassin phosphaté a été projetée, ce qui
permettait de délimiter le gisement, ainsi que de connaître les réserves minérales, leur teneur
moyenne et, surtout, les possibilités d'exploitation économique du gisement de phosphate.
Pour cette raison, l’ENMISA a réalisé tous les travaux géologiques et d'évaluation du
gisement, ainsi que les études techniques et économiques ultérieures qui ont permis d'établir

36
les projets nécessaires à l'exploitation de la mine, en sollicitant des soutiens internationaux
pour la fourniture de logistiques en vue de l’installation des infrastructures nécessaires.

À cette époque, l’ENMISA rencontrait des difficultés pour obtenir des capitaux
auprès de diverses sociétés étrangères, notamment américaines et anglaises. Il y avait une
réserve de la part des sociétés sollicitées. Cette réticence s'expliquait par l'incertitude de ces
entreprises sur l'avenir du territoire et la faiblesse du marché mondial des phosphates
(Barbier, 1988, p. 25). En 1969, l’ENMISA est devenue la Société de phosphates de Bou
Craa S.A (FosBuCraa en acronyme) et avec un capital estimé à cinq milliards de pesetas
(Casorrán, 2004, p. 39), elle a réalisé les installations nécessaires à l'exploitation. Le
gisement de phosphate de Bou Craa est situé dans la partie nord du Sahara Occidental, à
environ 107 km au sud-est d'El Ayoun, la capitale de la province, et à environ 100 km de la
côte atlantique.

Jeune Afrique (cité par Casorrán, 2004) a estimé les réserves de phosphate au Sahara
Occidental à 3 000 millions de tonnes. D'autres études géostatistiques évaluent les réserves
de BouCraa à environ deux milliards de tonnes exploitables facilement, avec une teneur en
phosphore comprise entre soixante-dix et quatre-vingt pour cent. En d'autres termes, la mine
est exploitable à ciel ouvert. De plus, on estime que les réserves peuvent être exploitées
intensivement pendant un siècle et demi avant d'être épuisées (Vazquez, 2011, p. 57). Tout
cela, ajouté au fait que la mine de Bucraa fait environ 250 kilomètres d’extension, 84 km de
long, 2 à 15 km de large et 2 à 4 mètres de profondeur, cette mine est devenue le gisement
de phosphates le plus riche du monde, tant en quantité qu'en qualité.

Avant le retrait de l'Espagne du Sahara espagnol, la mine de phosphate de Boucraa


appartenait au gouvernement colonial espagnol. Mais en 1975, en faveur des accords de
Madrid, le Maroc a acquis les 65 % de l’entreprise espagnole FosBouCraa et depuis 2002,
le Maroc a acheté les parts restants. Alors l'Espagne a cessé d'y posséder des actifs, et
l’ensemble des activités de FosBouCraa tombèrent dans les mains de la couronne
marocaine. Actuellement, c'est la société marocaine l'Office Chérifien du Phosphate (OCP)
qui exploite les gisements de phosphate du Sahara Occidental.

Il est rare dans le monde que la nature rassemble autant de ressources minérales.
Bien qu’en moindre quantité comparativement au phosphate, le territoire contient également

37
d'autres importants minéraux. Fadel (2001, p. 52), révèle que parmi les autres minéraux
« déjà découverts » il y a « le nickel, le chrome, le platine, l’or, le plomb, le corindon,
l’argent, le cuivre ». Et parmi les autres minéraux potentiels il aurait « le wolfram et
l'étain ». De plus, selon le même auteur, dans les années 70 les résultats des prospections
menées par des sociétés américaines et allemandes ont confirmé l'existence de fers dont une
importante mine a été découverte à Aghracha, avec des réserves évaluées à 70 000 tonnes
(Fadel, 2001, p.52).

Dans la zone de Sfariat Range non loin de la frontière mauritanienne a été découverte
en 1975 par les géologues Theurkauf et Grover, l'existence d'un gisement de fer à forte
concentration avec des réserves estimées à quelques 12 milliards de tonnes de minerai à
forte concentration en minerais de fer. Au nord du territoire, autour de Smara, et en direction
de Tindouf, l'Institut national de l'industrie (INI) a révélé l'existence d'un gisement estimé à
5 milliards de tonnes de fer (Brenneisen & Martinoli, 1998, p. 2).

Si le sous-sol du Sahara Occidental est généreux pour ses ressources minérales, ses
eaux sont également d'une grande richesse.

2- Les ressources halieutiques

Le Sahara Occidental jouit d’une ouverture sur l'océan Atlantique avec une côte estimée
à 1200 kilomètres31. C’est cette grande façade maritime qui lui offre sa deuxième grande
richesse naturelle, les ressources halieutiques. De par sa situation géographique, l’ancienne
province espagnole possède l’une des aires de pêche des plus stratégiques au monde avec
une zone de pêche maritime d’une importante extension.

Les eaux du Sahara sont très généreuses. Elles possèdent une grande quantité et
qualité d’espèces de faune marine. On y trouve à peu près 200 espèces différentes de
poissons, 60 espèces de mollusques, plusieurs dizaines d’espèces de céphalopodes et de
crustacés dont la célèbre langouste (Fadel, 2001, p.51). Aussi, la productivité des bancs
poissonneux est estimée à 10 tonnes par km² sur un bassin estimé à 150 000 km². Par
conséquent, le Sahara Occidental devient l’une des zones de pêches les plus riches du monde

31
À l’image de la superficie du territoire, les chiffres de la longueur de la façade maritime du Sahara
Occidental divergent ‘un auteur à un autre.

38
comparé au grandes espaces qu’exploitent les grandes puissances de pêche (Garduño, 2007,
p.9).

Au long de son histoire, la richesse des côtes sahraouies a été la principale raison de
la présence des pêcheurs espagnols et canariens dans la région au XVIe siècle. La présence
de l'Espagne sur le territoire du Sahara occidental est historiquement liée à la pêche. Mieux,
la pêche est restée l'une des raisons de la colonisation du Sahara occidental par l’Espagne
(Barbier, 1988, p.23). Pour mener à bien l'exploitation des eaux sahraouies, l'Espagne a
signé avec les autorités marocaines d’alors le traité hispano-marocain de Tétouan en 1860.
En vertu de cet accord, un espace sur la côte atlantique du royaume Alaoui a été attribué à
l'Espagne pour y installer une pêcherie (González, 2011, p. 82). Mais, l'établissement des
premières pêcheries espagnoles au Sahara Occidental a été l'œuvre de sociétés et d'individus
privés (Milán, 2005, p. 48.). En mars 1881, la Société Canari-africaine de pêche a conclu un
accord avec des notables Sahraouis de la région de Dakhla, autorisant ainsi les Espagnols à
y établir une usine de pêche.

Deux types de pêche étaient pratiqués dans les eaux du Sahara. La pêche artisanale
était la première forme. Elle était faite avec de petits bateaux et avec des méthodes
d'extermination, comme des explosifs sous-marins (Fadel, 2001, p. 52). Les Imraguen et les
Chnagla, deux tribus sahraouies auxquelles se joignaient des pêcheurs espagnols et des
Canariens, pratiquaient une forme de pêche artisanale. En 1969, les pêcheurs espagnols et
canariens possédaient quelques 5000 bateaux et pêchaient jusqu'à 450000 tonnes de
poissons dans les eaux territoriales sahraouies (Barbier, 1988, p. 24). La majeure partie de
la production était acheminée aux îles Canaries ou en Espagne. Seule une petite partie,
estimée à 4 271 tonnes en 1969 et 5 012 tonnes en 1972 (Barbier, 1988) restait au Sahara
espagnol principalement dans les usines de La Gouera où elle a été transformée en farine de
poisson. À l'époque, les Sahraouis profitaient peu, pour ainsi dire, des considérables
ressources halieutiques de leurs eaux territoriales et participaient à peine à leur exploitation.

La deuxième forme de pêche était industrielle. Elle était réalisée avec de grands
bateaux modernes. Plusieurs puissances étrangères du monde entier s'y consacraient venant
parfois des milliers de kilomètres. C'est le cas du Japon, de l'Union soviétique, de l'Afrique
du Sud. À cette époque, selon Attilio Gaudio, les pêcheurs marocains et mauritaniens ne
s'aventuraient pas dans les eaux sahraouies car leurs côtes étaient également riches en

39
ressources halieutiques (Gaudio, 1978, pp. 339-340). Ainsi, des puissances étrangères
venaient de très loin pour piller les immenses bancs poissonneux du Sahara. Parfois, ils
pouvaient rester trois mois dans la région pour pratiquer une pêche industrielle intensive
avec leurs navires ultramodernes. Ils prenaient d'énormes quantités de poissons, qui étaient
traitées sur place.

En 1969, plus de 1 281 500 tonnes de poissons ont été capturées dans les eaux
sahariennes par le Japon, les îles Canaries, l'Espagne, l'Afrique du Sud, la Pologne, la Corée
du Sud, les Bermudes, l’Italie, Cuba, l’URSS, Portugal et autres (Barbier, 1988, p. 24).
Aujourd’hui encore, l’exploitation des bancs de poissons sahraouis par les puissances
étrangères continuent. En effet, le Royaume du Maroc qui contrôle les ressources du Sahara
Occidental signe des accords avec l'Union européenne en vue d'exploiter les eaux du
territoire.

Comme nous avons pu le constater, les eaux territoriales du Sahara Occidental, à


travers l'histoire, ont toujours été au centre de l'avidité des puissances internationales. Par
conséquent, malgré l'abondance et la reconstitution des ressources halieutiques dans cette
zone en raison de conditions de reproduction favorables, une exploitation intensive et
abusive conduira certainement à l'épuisement de ces ressources. De plus, l’on peut dire que
l’exploitation des bancs de poissons constitue un pillage systématique des richesses
appartenant à la population sahraouie. En un mot, les ressources halieutiques ou les côtes
du Sahara Occidental représentent un enjeu géoéconomique à l'échelle mondiale. D’autres
ressources sur ce territoire éveillent l'appétit des multinationales du monde entier. Il s’agit
des ressources énergétiques, des hydrocarbures et des ressources renouvelables.

3- Les hydrocarbures et les ressources énergétiques

À partir de 1940, l'exploration du territoire, tant dans sa partie continentale que


maritime, par les géologues espagnols a permis de découvrir des traces de pétrole. Mais à
cette époque, l'attention était concentrée sur les énormes gisements de phosphate. À partir
de 1961, une nouvelle exploration du territoire dédiée spécifiquement au pétrole, à travers
un cartel formé à 50% par le gouvernement espagnol et un consortium de onze32 compagnies

32
Il s’agit de CAMPSA, Phillis Oil CO., Cepsa, Caltex, Atlantic Exploration Co., Gao of Spain Inc., SOHIO
Iberian Oil Corp., Tidewater Oil Co., Sun., Ipesa et Union Oil Co of California.

40
pétrolières est entreprise (Cobo & Menéndez, 2006, p. 27). Trois ans plus tard, des filons de
pétrole brut sont découverts dans vingt-sept endroits. Cependant, la découverte à cette
époque de gisements très rentables en Libye et en mer du Nord, la chute du prix du baril et
les incertitudes politiques qui existaient quant à l'avenir du Sahara contrôlé par l'Espagne
ont conduit peu à peu à l'abandon des prospections (Cobo & Menéndez, ibidem).

Entre 1973 et 1974, des permis de prospection off-shore de la plate-forme du Sahara


Occidental, sont de nouveau accordés cette fois à CEPSA, EN de Petróleos de Aragón et
aux filiales espagnoles de Continental et Gula. Cependant jusqu’en 1975 aucun indice
prometteur n’est découvert (Villar, 1982, p. 23). En 1978, le royaume chérifien a conclu des
accords d'exploration pétrolière dans la zone maritime d'El Ayoun avec les sociétés Philips
Petroleum Company et Britsh Petroleum Company Ltd. et également en 1985 avec la société
australienne Proken Hill Proprietary Ltd pour la recherche de pétrole dans la région de
Dakhla (Vazquez, 2011, p. 93).

Aujourd’hui, nonobstant les découvertes d'indices de pétrole off-shore ou on-shore


au Sahara Occidental, la possibilité que ce territoire puisse englober de vastes gisements
d'hydrocarbures reste encore un mystère. En raison du manque d'informations officielles à
cause du conflit, la possibilité de dire que le Sahara occidental regorge de pétrole est difficile
à dire. En effet, les résultats des enquêtes sont sans aucun doute occultés pour des intérêts
stratégiques et politico-économiques. Toutefois, malgré le silence des autorités marocaines
sur les résultats des études, l’United States Geological Survey spéculant sur les possibilités
d'hydrocarbures, assure que les eaux du Sahara Occidental pourraient renfermer 14 millions
de barils de pétrole et près de 2 150 millions de mètre cube de gaz naturel (Vazquez, 2011
p. 93).

La pluralité des permis qui continuent d’être accordés par le Maroc et la RASD et
les intérêts constants des compagnies pétrolières internationales pour cette région peut être
interprétée comme preuves de la présence d'importants gisements d'or noir au Sahara
Occidental. Pour certains auteurs, il n'est pas exclu que le pétrole sahraoui soit réservé en
raison du conflit dont est objet le territoire (Gatta, 2016). Dans tous les cas, une probabilité
certaine de découverte de pétrole sur ce territoire serait un autre facteur de tension entre le
Maroc et la Rasd. Garduño (2007) le dit clairement lorqu’il écrit que « de encontrarse
petróleo en el Sahara Occidental se agregaría un agente más al conflicto debido a la

41
codicia del recurso en la economía actual internacional 33» (p. 14). S’il existe des doutes
sur les hydrocarbures, il ne fait aucun doute que le Sahara Occidental soit un territoire
regorgeant d’importantes ressources renouvelables, notamment les énergies solaire et
éolienne. Le Sahara Occidental, de par sa situation géographique (un territoire désertique),
est un pays de soleil et de vent, les principales sources de l'énergie verte. Dans un contexte
mondial où le marché de l'énergie est marqué par un attrait pour les énergies renouvelables,
le Sahara Occidental apparaît comme un terrain attractif pour le développement de ce
segment de l'industrie.

Le soleil et le vent ont la particularité d'être des ressources inépuisables, et le Sahara


Occidental a l'avantage de disposer de grands espaces et bénéficie également d'un
ensoleillement direct et constant tout au long des douze mois de l’année. De fait, l’espace
du Sahara Occidental, peut être utilisé pour la mise en place de centrales solaires ainsi
que pour le développement de projets énergétiques éoliens, notamment sur les rives de la
côte ou en mer ou sur le littoral. Malgré le caractère aride et désertique que présente le
Sahara Occidental, il cache aussi d'énormes ressources en eau douce.

4- Les ressources aquifères

Il manque des études sérieuses sur l’éventualité de la présence de ressources


aquifères dans le sous-sol du Sahara Occidental quand on sait que le sol de ce territoire est
désertique et aride. Faute de données primaires, nous nous appuyons dans ce travail sur ce
qu’en dit principalement Mohamed Fadel Ould Ismail. De l'avis de cet auteur, les centaines
de puits qui couvrent l'ensemble du territoire témoignent de l'abondance des eaux
souterraines au Sahara Occidental. Par ailleurs, le territoire aurait également une importante
nappe phréatique qui représente une immense richesse aquifère. Évaluée en millions de
tonnes d'eau potable, cette couche s'étend d'Imlili au sud à Boujdour au nord (environ 500
kilomètres) et se poursuivrait à l'intérieur du pays à l'ouest (Fadel, 2001). Pour le même
auteur, l'existence de cette richesse aquifère démontre une chose : le caractère
économiquement viable de la République sahraouie. En effet, pour lui, dans un contexte
mondial où l'eau se fait plus rare, les Sahraouis ne mourront pas de soif ni de faim non plus.

33
Notre traduction: La découverte de pétrole au Sahara Occidental ajouterait un agent de plus au conflit du
fait de la convoitise de cette ressource dans l’économie internationale actuelle.

42
L'Observatoire en géostratégie de Lyon34 assure qu'en dépit de la grande sécheresse
du territoire due à la rareté des pluies propres à l'ensemble de cette région, une étude de
l'UNESCO a révélé que le sous-sol du Sahara occidental est riche en aquifères. D'immenses
réserves d'eau douce auraient été trouvées principalement sur la côte dans la zone
actuellement occupée par le Maroc.

En somme, le territoire du Sahara Occidental n'est pas seulement un gigantesque


territoire désertique comme son nom le "Sahara" peut l'indiquer. Ce territoire est l'un des
plus riches du continent africain et notamment du Maghreb. Cependant, nous ne disposons
que de peu d'informations officielles sur l'estimation de la quantité de ressources disponibles
sur ce territoire. Il n'y en a que peu sur les ressources actuellement exploitées, le phosphate
et la pêche. Pour des raisons politiques dues aux rivalités autour de cet espace, et pour éviter
de susciter les désirs des puissances voisines, les autorités marocaines entourent d’un voile
opaque les résultats des études de prospection off-shore et on-shore réalisés au Sahara
Occidental. Par conséquent, même si les opinions divergent sur l'importance des ressources,
il ressort que le « Sahara Occidental est pour le Maghreb ce que le Koweït est pour le
Golfe » (Fadel, 2001, p.51). En d'autres termes, le Sahara est le territoire le plus riche du
Maghreb. Pour les besoins de cette étude, un détour sur l'histoire pré-espagnole ou
précoloniale du Sahara Occidental est nécessaire.

34
Cf. Geolinks, Fiche Pays–Sahara Occidental. in http://www.geolinks.fr/sahara_occidental/ consulté le
11/09/2019 à 23h 32.

43
CHAPITRE 2 : LE SAHARA OCCIDENTAL AVANT LA COLONISATION
ESPAGNOLE

Dans le présent chapitre, nous analysons le processus de peuplement, la vie des


populations autochtones qui transhumaient sur ce territoire avant l'arrivée des européens.
Sans vouloir prétendre refaire l’histoire du Sahara, c’est-à-dire, de la préhistoire à notre ère.
Nous voulons seulement répondre à une question à savoir, qui sont les Sahraouis.

I- LE SAHARA OCCIDENTAL, LA TERRE DES SAHRAOUIS

Le territoire du Sahara Occidental a longtemps été une terre humainement vivante


(Fadel, 2001). Au sens humain du terme, avant de devenir Sahara espagnol, ce territoire
n'était pas un désert, c’est-à-dire, vide et inhabité. Il a toujours été une terre occupée par une
population indigène relativement importante. De Laiglesia (1985) écrit à ce propos que

Existe en el oeste del Gran desierto del Sahara un amplio territorio que constituye
una unidad geográfica, cultural religiosa y humana. Está habitado por nómadas y
seminomadas en su casi totalidad.35 (p. 89)

Le Sahara occidental (partie ouest du désert du Sahara) et le Sahara Occidental


(ancienne colonie espagnole) sont peuplés des arabes-berbères depuis des temps anciens.
Mohamed-Fadel soutient qu’au début du Ve siècle avant le Christ (entre 500 et 480), le
navigateur Hanón, le Carthaginois, prétend avoir atteint les côtes du Sahara. Cet explorateur
a affirmé avoir trouvé des personnes qui vivaient de l’élevage des ovins et des bovins
notamment les chameaux. Celui-ci s'est arrêté avec ses 60 bateaux sur l'île de Kerne (ou
Herne), se retrouvant près de Dakhla pour certains ou à l'embouchure de la rivière Saguia
el-Hamra selon d'autres (Fadel, 2001).

Aujourd’hui, les sources historiques, notamment les écrits de l’historien arabe Ibn
Khaldoun, les travaux d’ethnologues et autres anthropologues36 sur cette partie ouest de
l'Afrique du nord nous donnent une idée relativement précise des peuples qui peuplaient
cette région dans le passé. Ainsi, avant l'arrivée des Arabes, trois peuples étaient déjà

35
Notre traduction: Il existe à l’ouest du grand désert du Sahara un vaste territoire qui constitue une unité
géographique, culturelle, religieuse et humaine. Il est habité par des nomades et des semi-nomades dans sa
quasi-totalité.
36
C’est le cas de l’anthropologue Caratin (2003) qui a consacré la majeure partie de ses recherches sur les
tribus sahraouis. Voir par exemple son livre La république des sables. Anthropologie d’une Révolution, Paris :
L’Harmattan.

44
présents au Sahara Occidental. Ce sont les Noirs, les Berbères venus du nord et les Juifs
(Barbier, 1988 et Moshen-Finan, 1997, p.16). Les Berbères étaient divisés en deux groupes
traditionnellement hostiles : les Sanhaja et les Zénètes. La venue des Arabes sur ce territoire
est postérieure à celle de ces trois peuples. De fait, les premières incursions arabes au Sahara
Occidental remontent à la fin du VIIe siècle jusqu'à la première moitié du VIIIe siècle. Mais
les Berbères (Zénètes) réussirent à garder la suprématie dans la région du milieu du VIlle
siècle au début du XIe siècle.

Les premiers vrais contacts entre les Arabes et les tribus déjà présentes au Sahara
Occidental ont commencé à partir du IXe siècle du fait du développement du commerce
transsaharien. Ces arabes qui appartenaient à la tribu Hassan, une fraction des Beni Maquil,
originaire de la péninsule arabique, notamment du Yémen. Ceux-ci, venus d'Égypte en
passant par la Tunisie au XIème siècle et ont pénétré l’actuel Sahara Occidental au début du
XIIIème siècle et s’y sont installés (Norris, 1962, pp. 31-322).

Il semble que les contacts des Arabes d'Afrique du nord avec les tribus du Sahara
Occidental à cette époque se soient opérés dans le cadre de l'établissement du commerce.
Ainsi, les grands États arabes de la Méditerranée occidentale qui avaient de grands besoins
en or en provenance d'Afrique noire pour faire confectionner leur monnaie, envoyaient des
émissaires au Sahara Occidental. Les émissaires, aux fins de remplir leur délicate mission,
c’est-à-dire, s’entendre avec les tribus locales en vue de contrôler les pistes caravanières, se
sont alliés à ces tribus locales.

La venue des Arabes a donné lieu à un mélange entre ceux-ci et les Berbères,
premiers du territoire. Du brassage répété au fil des siècles, entre les populations indigènes
–les Berbères – et les Arabes arrivées du nord, et aussi avec les populations Afro-Noires qui
peuplaient à l'origine la région, a donné naissance à une population Maure. En un mot, ceux
que l’on appelle Sahraouis aujourd’hui, sont un peuple africain d’origine Noir, Berbère et
Arabe. Ce peuple était organisé, doté d’une hiérarchie et d’une organisation sociale qui les
différenciaient de leurs voisins du Nord, les Marocains.

45
II- LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE SAHRAOUIE : HIÉRARCHIE ET
ORGANISATION SOCIALE

Pour reprendre Del Riquelme (1991), « tribu y nómada parecen términos


indisociables cuando se trata de abordar la organización social de los saharauis de los
saharianos en general, y de los bereberes en su totalidad37 » (p.111). Pour lui, l’organisation
sociale des sahraouis repose sur la tribu. En effet, comme nous le verrons dans les lignes
qui suivent, la société traditionnelle sahraouie se compose d’une kyrielle de tribus qui
avaient une même caractéristique, la transhumance.

1- Les tribus Sahraouis et leur hiérarchie sociale

Avant l’arrivée des Blancs, les Sahraouis étaient constitués d'un ensemble de tribus et
de confédérations de tribus qui se partageait traditionnellement le territoire qui correspond
maintenant au Sahara Occidental. Chaque tribu s’était établie sur un espace bien déterminé
qu’il considérait comme sien. Mais ce n’étaient pas des espaces figés car ils étaient sujets à
une incessante recomposition par les différents groupes tribaux du fait du nomadisme.
Parlant des rapports entre les tribus, García (2003) affirme que « la relación entre ellas
respondía a un sutil y complejo repertorio de pautas que mantenía el equilibrio y evitaba
que los conflictos intertribales sangraran una demografía siempre en el umbral de la
autoproducción.38» (p. 39). Les rapports entre les tribus étaient donc relativement
pacifiques. D’une part, chaque tribu faisait assurer le respect de son territoire et de ses
membres contre des actes de guerre et de pillage et d’autre part, les tribus protégeaient les
étrangers qu’ils soient explorateurs, voyageurs, commerçants, ou autres, qui demandaient
leur protection moyennant le paiement d’un tribut (Sayeh, 1998, p. 25).

Dans cette même veine Caratini (2003) explique qu’à l’époque du nomadisme
précolonial, l’accès aux ressources pastorales était acquis par un rapport de forces fondés à
la fois sur le nombre et la valeur guerrière des hommes de la tribu. L’argument du premier
occupant n’était jamais prégnant, d’autant que la plupart des groupes se donnaient pour

37
Notre traduction : Tribu et nomadisme semblent être des termes indissociables quand il s’agit d’aborder
l’organisation sociale des sahraouis en général et des berbères dans leur ensemble.
38
Notre traduction: La relation entre celles-ci reposait sur un subtil et complexe répertoire de règles qui
maintenait l’équilibre et évitait que les conflits intertribaux ne déciment une population toujours au seuil de
l’autoproduction.

46
origine un ancêtre commun, venu d’ailleurs et paré de qualités comme l’appartenance aux
lignées arabes, voire chérifiennes, et/ou la sainteté. De ce rapport de forces constamment
remis en cause, naissaient des priorités d’accès, une mosaïque de territoires possédés
collectivement par les groupes dominants, mais qui pouvaient être exploités par d’autres,
soit à la suite d’accords réciproques, soit contre paiement d’un tribut.

Ainsi, la tribu considérée de manière général comme un groupe d’individu


descendant d’un même ancêtre plus ou moins lointain, plus ou moins légendaire (Feral,
1983, p. 58), était traditionnellement l'unité de base de l'organisation socio-politique des
Sahraouis. Chaque tribu regroupait plusieurs fractions, qui elles-mêmes comprenaient des
sous-fractions. Les fractions ou les sous-fractions rassemblaient un certain nombre de tentes
ou khaima, chacune correspondait habituellement à une famille, pouvant aller à deux ou à
trois. Chaque tribu était dirigée par un chef de tribu appelé cheikh et une assemblée tribale
ou djemaa, réunissant les chefs de fractions. L’on comptait environ une vingtaine de tribus
qui transhumaient au Sahara avant l’arrivée des espagnols, mais les principales étaient au
nombre de huit39 (Barbier, 1988, p.18), divisées en 45 fractions : les Reguibat, les Izarguien,
les Ouled Delim, les Ouled Tidrarin, les Ahl Arousien, les Aït Lahcen, les Ahl Ma el Aïnin
et les Yaggout.

Les tribus identifiées ci-dessus étaient bien hiérarchisées. Parmi, les huit tribus
principales, trois se distinguaient et occupaient le haut de la hiérarchie sociale, il s’agissait
des Reguibat, des Tekna et des Ouled Delim. La hiérarchie de la société sahraouie
comprenait trois niveaux : les tribus guerrières, les tribus chorfa ou maraboutiques et les
tribus tributaires.

Les tribus guerrières, considérées comme les plus fortes et les plus nobles, étaient
composées des Reguibat Sahel, des Izarguien, des Ouled Delim, des Aït Lahcen et des
Yaggout. Quant aux tribus chorfa ou maraboutiques, qui descendaient du prophète
Mahomet, elles se composaient des Reguibat Lgouacem, des Ahl Arousien et les Ahl Ma el
Aïnin. Enfin, les tribus tributaires c'est-à-dire soumises à une autre tribu qui les protégeait
et à laquelle elles versaient un tribut. Dans cette catégorie, il y avait par exemple les Ouled

39
A côté de ces huit principales il y avait onze autres petites tribus totalisant 2 875 personnes. Il s'agissait des
tribus suivantes: Lemyar (700), Taoubbalt (600), Ladeicat (500), Mejjat (450), Filala (200), Aït Oussa (150),
Chnagla (100), Azouafid (80), Imraguen (40), Ouled Bou Aïta (40), et Ouled Bou Sba (15).

47
Tidrarin tributaires des Ouled Delim (Barbier, 1988, p.18). Les esclaves et les affranchies
constitués majoritairement de Noirs et les artisans occupaient le bas de la pyramide sociale.
Découvrons maintenant le mode de vie sociale, économique et politique de la société
sahraouie précoloniale.

2. La vie socio-politique dans la société traditionnelle sahraouie

Comme déjà indiqué, la société traditionnelle sahraouie était d'origine tribale et


nomade. La confédération des tribus sahraouies se caractérisaient par certaines particularités
communes. Elles avaient, en effet, la même langue en partage, des terres de parcours bien
définies, une organisation et un mode de vie social similaires. Tout d’abord, avant l'arrivée
des Espagnols, les Sahraouis parlaient le hassaniya. Cette langue qui doit son nom à la tribu
arabe des Beni Hasan, est un dialecte proche de l'arabe classique émaillé de mots d'origine
berbère. Cette langue est également parlée en Mauritanie et est très différente de l'arabe
dialectal marocain (De Froberville, 1996), algérien ou tunisien.

Au niveau religieux, les Sahraouis partageaient la même religion que leurs voisins,
c’est-à-dire, l'Islam. Mais contrairement à eux, pour les Sahraouis, la religion était avant
tout un acte individuel. De fait, ils n'avaient pas d'imam, car la prière étant une affaire
individuelle, rien, ni personne et aucun sultan ne devrait se tenir entre un individu et Allah.
À cet égard, Sayeh (1998) écrit que « La prière ne se fait qu’au nom d’Allah, le seul et
unique maître. Dans la grande prière du vendredi, aucun nom de souverain n'a jamais été
mentionné. La tradition des imams que l’on trouve chez les voisins n’existe pas chez les
Sahraouis » (pp. 34-35). Ainsi, traditionnellement, les habitants de ce qui correspond
aujourd’hui au Sahara Occidental, qui nomadisaient entre la région de Tindouf à l'Est, au
Cap Blanc au Sud et le Noun du Nord, ont toujours vécu librement, indépendamment de
l’autorité du sultanat marocain. Mieux, les peuples nomades du Sahara Occidental n'ont
jamais été sous l’autorité d’un quelconque sultan marocain. De Froberville (1996) partage
cette position. Selon elle, l’expédition entreprise en 1886 par le sultan marocain Moulay
Hasan ne lui a permis d’exercer aucune autorité sur les peuples nomades du Noun. Ce
territoire a été classé comme «bled as siba», c’est-à-dire, le pays de l’insoumission.

La société Sahraouis repose sur le patriarcat. Au niveau de la vie en couple, De


Froberville (1996, p. 14) dit que « les Sahraouis sont monogames », tandis que Sayeh (1998)

48
postule que « La polygamie est très peu développée » (pp. 34-35). Que les sahraouis soient
polygames ou monogames, en revanche, dans la société sahraouie, les femmes jouaient un
rôle fondamental. Ce sont, en effet, elles qui étaient (et sont) chargées d'organiser les camps
et d'éduquer les enfants. Par ailleurs, elles jouissent de la même liberté et privilège que
l’homme. Ne se voilant pas, elles n’étaient pas mises à l’écart des cénacles masculins.
Mieux, elles prenaient part à toutes les discussions (De Froberville, 1996, p. 14).

Traditionnellement, les Sahraouis vivaient de l’élevage, principalement le chameau


et les chèvres. Mais le chameau était le principal élément du cheptel des Sahraouis qui le
considéraient, à juste titre, comme une remarquable source de richesse. Ils pratiquaient
également la chasse et l'agriculture dont les céréales telles que l'orge, et le blé. Les sahraouis
du littoral pratiquaient également la pêche sur les côtes où foisonnaient d’énormes bancs de
poissons. De plus, ils exploitaient des ressources minérales telles que le sel, qui représente
une véritable monnaie échangeable contre des céréales, du coton, des épices, des métaux
précieux ou des armes (Sayeh, 1998). Le commerce des caravanes avec les peuples voisins
était un autre pilier de l'économie sahraouie traditionnelle.

La vie politique dans la société sahraouie traditionnelle était avant tout une affaire
de communauté. Au sein de chaque tribu, de chaque fraction, ou de chaque sous-fraction, la
gestion des affaires était confiée à une assemblée appelée Djemaa40. C'est au sein de cette
assemblée que s'exerçait le pouvoir, elle était le lieu d'expression de la démocratie populaire.
En effet, l'organisation en confédération des tribus sahraouies se caractérise par un système
politique décentralisée. Par conséquent, les peuples nomades du Sahara Occidental
ignoraient la notion de soumission à un quelconque pouvoir central. La Djemaa était
l'institution qui régissait la vie socio-politique des Sahraouis. Pouvaient faire partie de cette
assemblée, les hommes les plus prestigieux et représentatifs de chaque groupe. La djemaa
se prononçait, par consensus sur les questions qui lui étaient soumises. Et ses décisions
devaient être respectées par tous les chefs de tribu sur lesquels la Djemaa avait de l’autorité
(Del Riquelme, 1991, p. 187).

40
Il ne faut toutefois pas confondre cette Djemaa avec celle qui sera créée par les autorités coloniales
espagnoles dans les années 60 et que nous analyserons dans la seconde partie de cette thèse.

49
Le chef de l'assemblée, appelé cheikh, était traditionnellement choisi parmi les
fractions ou les familles les plus nobles de la tribu. L'âge pouvait également influencer le
choix de ce dernier. Le cheikh état chargé de coordonner les intérêts communs, le devenir
de la communauté en exécutant ou faisant exécuter les décisions de la djemaa (De
Froberville, 1996, p.14). En d’autres termes, le cheikh était subordonné à la djemaa. La
djemaa avait moult missions parmi lesquelles, il avait : établir les lois régissant les groupes
(orf), appliquer la loi islamique (charia) et de veiller à l’application de la justice (cadhi)
(Moshen Finan, 1997, p. 19).

Bien au-dessus de la djemaa, au niveau supra-tribal ou confédéral, il avait une


institution appelée Aït Arbain ou La Main des Quarante. Cette institution avait un grand
pouvoir, à la fois politique, militaire et moral. L'Aït Arbain, était composé des personnalités
les plus importantes de chaque tribu. Cette institution intervenait en dernière instance, après
que la djemaa se s’était prononcée. Il était chargé d défendre l’intégrité du territoire,
d’arbitrer les litiges, de percevoir les impôts destinés à financer les actions d’utilités
publique comme les forages de puits, la subvention des familles pauvres, ou l’achat d’armes.
Les membres d'Ait Arbain étaient choisis en fonction de qualités telles que le sens de
l'honneur, le courage, la générosité, la sagesse, etc., (De Froberville, 1996, p.14).

L'organisation sociale de la population indigène du territoire du Sahara Occidental


montre que les Sahraouis sont un peuple diversifié avec huit tribus principales parmi
lesquelles il existe trois dominantes : les Reguibat, les Tekna et les Ouled Delim. En outre,
la structure sociale était caractérisée par une hiérarchie entre les guerriers, les chorfas et les
tribus tributaires qui étaient rejoints par la classe inférieure des esclaves. Cependant, les
traits communs à ces différentes tribus les distinguaient suffisamment des populations des
territoires voisins. Cette particularité entre ces différentes tribus forme ce qu'il convient
d'appeler « un ensemble sahraoui divers mais homogène » (Barbier, 1988, p.21). Toutefois,
si par le passé, de longues guerres ont émaillé les relations entre les Berbères de Sanhaja et
les Arabes Maqil ou des affrontements intertribaux –par exemple la guerre entre les deux
groupes Reguibat en 1863 et la lutte des Ouled Delim et des Reguibat contre les Ouled
Tidrarin de 1877 à 1891 (Mercer, 1976, pp. 135-136.), les sahraouis ont toujours été
solidaires les uns des autres. Les tribus guerrières protégeaient les moins fortes. Les tribus

50
sahraouies étaient le plus souvent en guerre contre les populations voisines, en particulier
les Marocains, desquels elles différaient.

Rejetant l’idée selon laquelle les sahraouis voudraient se détacher du Maroc, Sayeh
(1998) écrit que « On dit improprement que les Sahraouis veulent se détacher du Maroc,
alors qu’ils n’ont jamais fait partie. Ni dans l’histoire ancienne ni dans l’histoire
contemporaine » (p. 36). Les Sahraouis, du fait de leur vie socio-politique et économique
similaire, avec un territoire de parcours spécifique, une langue identique, une solidarité
naturelle et quasi spontanée, de leur différence et indépendance vis-à-vis des populations
voisines, forment un groupe relativement homogène. Cet ensemble constitue l'essence du
peuple sahraoui et donnera dans les années de lutte anticoloniale et indépendantiste à la
naissance de ce qu'on pourrait appeler l'identité sahraouie. C'est peut-être pour défendre leur
identité sahraouie que les peuples du Sahara Occidental résisteront et rejetteront les
tentatives des populations voisines visant à les assimiler. À cette époque, ni les Européens
ni le sultan marocain n'étaient en mesure de maîtriser les tribus sahraouies. Les Sahraouis
ont toujours vécu libre et indépendamment du sultan marocain, comme en sont venus à
témoigner les traités signés entre le sultan et les puissances européennes intéressées par ces
côtes. Mais le profond attachement des sahraouis à la liberté, n’empêchera pas qu’ils soient
conquis par les puissances européennes intéressées par ses côtes, en l’occurrence l’Espagne.

51
CHAPITRE 3 : LES RAISONS (GÉO) POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES DE LA
PRÉSENCE ESPAGNOLE AU SAHARA

Comment les Rois catholiques d'Espagne en sont-ils venus à s’intéresser aux côtes
nord-ouest de l'Afrique et en particulier celles du Sahara Occidental actuel ? Quelles sont
les raisons qui ont motivé leur présence ? Telles sont formulées les questions auxquelles
nous essayons de répondre dans cette section. Les côtes occidentales de l'Afrique et les îles
Canaries ont toujours été l'objet de convoitise de la part des puissances impérialistes
européennes, la France, le Portugal, l'Angleterre, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, etc.
Toutefois, dans ce chapitre, nous n'avons pas l'intention de présenter l’historique de toutes
les différentes tentatives étrangères d'occupation du Sahara Occidental. Il nous incombe
seulement d'analyser les aspects (géo) politiques et (géo) économiques de l'occupation du
Sahara Occidental par les espagnols. Il s’agit pour nous d’analyser les sources historiques
sous le prisme de la Géopolitique et la Géoéconomie, à l’effet de mettre en exergue la
symbolique ou la représentation du Sahara Occidental pour les Européens et surtout pour
l'Espagne.

I. LA PRÉSENCE ESPAGNOLE SUR LES CÔTES NORD OUEST DE


L’AFRIQUE

À l’analyse, la présence des espagnols sur la côte saharienne s’explique par deux
raisons fondamentales : primo, les considérations historico-religieuses et deuxio, les raisons
politiques et géostratégiques. L’occupation de l’actuel Sahara Occidental par l’Espagne est
survenue vers 1880, dans une période marquée par l'explosion de l'impérialisme. C'est en
effet dans ce contexte international marqué par l'idée du colonialisme très partagé en
Europe, que le désir colonial espagnol du Sahara Occidental est né. Cet appétit d’occupation
des côtes sahariennes a été tributaire en premier lieu des considérations historiques et
religieuses.

1- Les considérations historico-religieuses

L’intérêt soudain de Madrid pour les côtes septentrionale et occidentale de l'Afrique,


et plus particulièrement celles du Sahara, est dû à ce qu’il est convenu d’appeler des
questions religieuses. En effet, aux XVe et XVIe siècles, le christianisme était considéré

52
comme ayant une vocation universelle. Pour cette raison, les territoires d'outre-mer qui
n'étaient pas encore soumis au pouvoir d'un prince chrétien devraient l'être. C’est ainsi, que
l’Espagne et le Portugal ont reçu de vastes domaines par les souverains pontificaux.
L’attribution des terres se faisait par le Pape à travers des bulles pontificales41.

Boucherikha (2016) dans sa thèse, a étudié quelques bulles papales attribuant la


souveraineté des territoires à l’Espagne ou au Portugal. Parmi ces bulles, nous avons celle
du pape Martin V qui a accordé au Portugal toutes les terres comprises entre Cap Bojador,
le Cap Noun jusqu’aux Indes. Une autre bulle, celle du pape Clément VI du 13 novembre
1334 accordait les îles Canaries à l'Espagne. Les bulles d'Eugène IV de 1438 et de Nicolas
V de 1452 et janvier 1454 attribuaient au Portugal l'Afrique et les Indes. La bulle Inter
coetera du pape Alexandre VI du 4 mai 1493 se prononçait sur un différend entre Espagnols
et Portugais concernant des terres convoitées par ces deux États.

Concernant le Sahara Occidental, c’est le 13 février 1495, qu’il a en été question


dans une bulle papale. En effet, la bulle Ineffabilis du souverain pontife, Alexandre VI,
accordait les rives du Sahara Occidental aux Rois Catholiques d'Espagne afin que ceux-ci
puissent « travailler à l'accroissement de la religion chrétienne et au salut des âmes et à
abaisser les peuples barbares afin qu'ils puissent être convertis à la foi par la suite »
(Boucherikha, 2016, p. 24). Mais, avant cette bulle d'Alexandre VI, le 15 novembre 1344
déjà, le pape Clément VI investissait le noble hispano-français Luis de la Cerda, arrière-
petit-fils d'Alphonse X le Sage, comme prince des îles Canaries situés à quelques encablures
de ce qui sera plus tard le Sahara espagnol.

A posteriori, c’est donc dans une visée évangélique que les occidentaux et surtout
les Espagnols sont arrivés aux côtes du Sahara. Ceux-ci se devaient de convertir les peuples
considérés comme barbares des côtes septentrionales et occidentales de l’Afrique à la foi
chrétienne. Le souhait des Rois Catholiques d’Espagne de conquérir toute l’Afrique du Nord
s’inscrit dans le cadre de la Reconquista (reconquête). La Reconquista est le nom donné par
les Espagnols à la lutte qu’ils entreprirent entre 722 et 1492, pour reprendre aux musulmans

41
La bulle pontificale est une lettre apostolique d'intérêt général portant le sceau du pape. Au Moyen Âge, le
terme bulle signifiait « sceau » et s'appliquait également à tout document sur lequel un sceau papal ou
souverain était apposé. La bulle pouvait être une décision du pape concernant une situation, un problème à lui
soumis. La bulle servait de loi et de jurisprudence. Pour une liste exhaustive des principales bulles papales de
l’an 382 jusqu’à 2009, voir Harvey M. (2010). Liste des principales décrétales, M.A : Histoire.

53
la péninsule Ibérique et les terres qu’ils y avaient conquises. Pour mémoire, en
l’an 711, à la suite de leur victoire à Guadalete, les musulmans dirigés par Tariq ibn Ziyad
et Musa ibn Nusayr pénètrent dans la péninsule Ibérique. Ils conquièrent le sud et le centre
de la péninsule pour le compte du calife omeyyade de Damas (Cf. Reconquista In Encarta
2009). L’occupation musulmane de la péninsule ibérique dura de 711 au 2 janvier 1492 par
la prise de Grenade par les Rois catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand II d’Aragon.

À partir de 1492, commença la lutte pour expulser, non seulement, les Maures42 hors
des frontières de la péninsule ibérique, mais aussi, la conquête des territoires du Nord du
continent africain. Très rapidement Ceuta, Melilla et les îles Chafarinas deviennent des
possessions espagnoles. L’idée de la Reconquista était accompagnée par celle de
l’évangélisation des terres (ré) conquises. De fait, les rivalités entre Chrétiens et Musulmans
poussèrent les Espagnols à reprendre tous le nord-ouest de l’Afrique. Mieux, reconquérir
cette partie du continent signifiait pour les Espagnols reconquérir les terres de leurs ancêtres.
En effet, si l’on s’en tient à ce que dit Ruiz Miguel (1995, p. 9) « Desde los primeros tiempos
de la conquista romana se consideró que la orilla sur del estrecho de Gibraltar era parte
de Hispania ». Il ajoute que :

El emperador Otón, en prueba de estimación a la provincia de la Hispania Ulterior


que él había mandado, y con el fin de que aumentara su comercio y la extensión de
su gobierno, en el año 69 d.C. agregó la provincia imperial de la Mauritania
Tingitana (que ocupaba dicha orilla sur hasta el río Malva o Muluya, y tenía su
capital en Tingis-Tánger) a la provincia Bética y al convento jurídico de Cádiz. (p.
9)43

C’était auréolé par ces arguments historiques que les rois catholiques d’Espagne se
sont vus dans l’obligation morale de reconquérir ces territoires afin de convertir les maures
au christianisme. Nous pouvons ainsi postuler que les considérations historiques et
religieuses constituent les premiers motifs de la présence et l’occupation du Sahara par les
Espagnols. Mais comme nous le verrons, des motifs d’ordres stratégiques et politiques ont
également poussé l’Espagne vers les côtes sahraouies.

42
Maures était le nom donné aux conquérants musulmans par les chrétiens d’Occident.
43
Notre traduction: L’empereur Otto, en preuve d’estimation à la province d’Hispania Ulterior qu’il avait
commandée, et afin d’accroître son commerce et l’extension de son gouvernement, en l’an 69 ap. J.-C. ajouta
la province impériale de Mauritanie Tingitana (qui occupait cette rive sud jusqu’à la rivière Malva ou Muluya,
et avait sa capitale à Tingis-Tànger) à la province de Bética et au couvent juridique de Cadiz.

54
2- Les raisons politiques et géostratégiques

Si (ré) conquérir les territoires de la rive sud du détroit de Gibraltar et la Mauritanie


Tingitania obéissait à un impératif religieux, cela avait aussi de forts relents politiques et
géostratégiques. Javier (2011), souligne à ce propos que :

Las condiciones geoestratégicas de las grandes potencias europeas modificaron tras la


conclusión del conflicto franco-prusiano en 1871. La pugna por la hegemonía
económico-comercial debía transformarse en lucha por el control político territorial. La
geografía debía reorientar su función tradicional y convertirse en soporte científico de
la acción política. El blindaje de los mercados nacionales forzó a los comerciantes a
buscar mercados y sus productos y procurarse nuevas fuentes de materias primas.
África era el único espacio posible para desplegar aquellas iniciativas, el resto del
mundo ya tenía dueños. (Non numéroté)44

La conquête de l’Afrique devrait servir à la réalisation d’objectifs géostratégiques


de la part des puissances européennes. Pour le cas de l’Espagne, la conquête de l’Afrique et
particulièrement le Nord du continent visait à prévenir le danger de nouvelles invasions
musulmanes et à mettre fin aux ravages de la piraterie maghrébine. En effet, à partir de 711,
les musulmans venus du nord du continent, lancent une irrésistible offensive sur toute la
péninsule ibérique. Après avoir conquis les peuples de cette péninsule, les maures les
obligeaient à adopter leur culture mais aussi leur religion, l’islam. L’Espagne était alors
devenue un califat. La domination Maure sur l’Espagne qui a duré plusieurs siècles a pris
fin en 1492 avec la prise de Grenade. Cette date a aussi marqué la fin de la Reconquista.
L’islam était alors vu comme un ennemi intérieur de l’Espagne. Après la reconquête
espagnole de la péninsule ibérique aux mains des Arabes qui ont fui vers l’Afrique du Nord,
l’Espagne craignait qu’ils envahissent à nouveau l’Espagne (Zouzou, 2019). Cette peur
d’une éventuelle reconquête de la péninsule ibérique par les musulmans va pousser les
Espagnols à s’accaparer la zone de l’actuel Sahara Occidental.

En outre, l’Espagne voulait aussi protéger les îles Canaries d’une quelconque
annexion étrangère. Que cela ne soit pas étonnant que dans une étude sur les raisons de la

44
Notre traduction: Les conditions géostratégiques des grandes puissances européennes ont changé après la
conclusion du conflit franco-prussien en 1871. La lutte pour l'hégémonie économique et commerciale a dû se
transformer en une lutte pour le contrôle politique territorial. La géographie doit réorienter sa fonction
traditionnelle et devenir un support scientifique de l'action politique. La protection des marchés nationaux a
obligé les commerçants à rechercher des marchés et leurs produits et à rechercher de nouvelles sources de
matières premières. L'Afrique était le seul espace possible pour déployer ces initiatives, le reste du monde
avait déjà des propriétaires.

55
présence espagnoles au Sahara Occidental, qu’un parallèle soit établi avec la présence
espagnole sur les îles Canaries. Prevenant, Ruiz Miguel (1995), écrivait que « la referencia
a Canaria en un análisis sobre el Sahara español no puede extrañar » (p.16). En réalité,
toute étude qui se fait sur le Sahara espagnol doit être intimement liée à celles existantes sur
les iles Canaries, car ces dernières forment le fondement de la présence espagnole dans ce
vaste territoire désertique (Morales, 1946, p. 13).

La conquête des îles Canaries, qui a commencé vers 1352 et s'est terminée vers 1496,
signifiera un nouveau front de projection africaine de l'Espagne. Déjà les premières
expéditions visant la conquête des îles Canaries (comme celle de Fernando Peraza, en 1385),
avaient non seulement pour but de conquérir ces îles, mais aussi de pénétrer le littoral du
continent situé en face (Vilar, 1977, p.34). Le contact avec la côte Nord-ouest de l'Afrique
a été établi dès les premiers moments de la conquête des îles Canaries et a pris une forme
historique effective en 1476, lorsque Diego García de Herrera a mené une expédition pour
prendre un point sur la côte africaine face aux îles Canaries. García de Herrera débarqua
ainsi dans le port de Santa Cruz de Mar Pequeña (en 1476), situé à trente-trois lieues de
Lanzarote, où il établit une forteresse et où des pêcheurs canariens obtinrent le droit de
pêcher sur ces rives, de la pointe sud du mont Atlante jusqu’à Cap Blanco (Guijarro, 2002,
p. 83).

L’appétence des Espagnols pour sur les îles canaries et les côtes situées en face
n’étaient pas sans provoquer la colère des portugais qui convoitaient également la région.
Ce sont pourtant les Portugais, les premiers à avoir été dans la région. Le roi Juan II de
Castille pour bloquer l’avancée du Portugal dans la zone accorda au Duc de Médine Sidonie
les terres comprises entre les caps Gouera et Bojador (Vilar, 1977, p. 35).

D’autres préoccupations d’ordres politiques, stratégiques, et surtout sécuritaires sont


à ajouter à celles déjà étudiées. En premier lieu, la nécessité de la possession des côtes
situées en face des îles Canaries s’est imposée aux espagnols à partir de 1570 lorsque les
corsaires maures ont accentué leurs hostilités dans la région. Les hostilités des corsaires ont
affecté plus particulièrement Lanzarote et Fuerteventura. Ces faits poussèrent les Espagnols
à prendre conscience de l'importance géostratégique du contrôle de la côte ouest-africaine
pour la sécurité des îles Canaries. La protection des intérêts espagnols dans l'archipel des

56
Canaries dépendait du contrôle des côtes situées en face. En d'autres termes, qui contrôlait
la côte saharienne contrôlerait les îles Canaries.

Par ailleurs, la conjoncture politique internationale de l’année 1898 a également


apporté de l’eau au moulin de l'Espagne quant à la nécessité de s'emparer de la côte
saharienne. En effet, après la fièvre de la découverte de l'Amérique en 1492, et la possibilité
de faire un enrichissement supérieur à celui offert par la Mauritanie, les Espagnols se sont
à nouveau intéressés aux côtes africaines. Le regain d’intérêt pour l’Afrique par l’Espagne
a été qualifié par le professeur Ruiz Miguel (1995) de « El "desvío" americano y la "vuelta"
a África 45» (p. 24). Il faut souligner aussi que la première moitié de XIX ème siècle a vu le
déclin colonial et naval de l'Espagne qui essayait désormais de se reconstruire dans un
monde qui était régi, dorénavant, par deux hégémonies. D'une part l'Angleterre, avec son
armée qui contrôlait les routes commerciales maritimes, et dont la diplomatie avait réussi à
imposer un système d'équilibre entre les principales puissances européennes. D'autre part,
aux États-Unis d'Amérique, la doctrine Monroe46 régnait comme principe idéologique dans
cette partie du globe.

Devant ces faits, lorsque l’hégémonie espagnole a commencé à décliner en


Amérique, l’Espagne a tourné son attention sur l’Afrique. En effet, à aucun moment la
couronne espagnole n’avait oublié son projet Canaries-Afrique et surtout le pouvoir
géostratégique que pouvait lui conférer le contrôle de cette côte occidentale africaine.
Mediavilla (2003, p. 618) pense que c'est au cours de la période dite de la Restauration que
le mouvement Africaniste a connu son essor en Espagne. Pour elle, la base doctrinale de ce
mouvement se trouvait dans une interprétation de l'histoire de l'Espagne, selon laquelle la
politique traditionnelle de Castille (reconquête et expansion vers le sud) a connu une
déviation du fait de la politique américaine et européenne menée par le roi Carlos V. Les

45
Notre traduction : Le « détour » de l’Amérique et le « retour » à l’Afrique.
46
La doctrine de Monroe est une déclaration de politique extérieure des États-Unis sur les activités et les droits
des puissances européennes dans l'hémisphère occidental. Cette doctrine a été présentée au Congrès par le
président James Monroe à l'occasion de son septième discours annuel, le 2 décembre 1823. Elle est devenue
par la suite l'un des fondements de la politique américaine en Amérique latine. Dans son discours, Monroe
apportait le soutint des Usa aux États latinos américains indépendants ou en voie d’indépendance, il mettait
en garde les puissances européennes qui désiraient continuer à établir des colonies ou des protectorats dans
l’hémisphère Nord-Américain. Simple déclaration de politique sans soutien législatif, elle sera tellement
reprise, interprétée et utilisée qu'elle est élevée au rang de principe (baptisé « doctrine de Monroe ») dès 1845
et reste encore vivace dans la politique extérieure américaine jusqu'à nos jours.

57
idées des africanistes n’ont pas manqué d’influencer la reine Isabel la catholique dans ses
idées que l'Atlas est la frontière sud du territoire espagnol (Mediavilla, 2003).

Les actions décisives des espagnols pour occuper le Sahara Occidental, la région de
Villa Bens et l'Ifni ont reçu leur élan définitif avec le déclin de l'Espagne en Amérique et
en Asie. En effet, en 1898, il eut la guerre hispano-américaine à propos de Cuba. Au cours
de cette guerre, l'Espagne a perdu sa colonie Cuba.

En outre, la colonie espagnole d'Asie, les Philippines, était également dans la ligne
de mire des nord-américains. Pour mettre fin à cette guerre qui avait déjà estropié l'Espagne,
un traité de paix a été signé à Paris le 10 décembre 1898 entre l’Espagne et les États-Unis.
Aux termes de l’accord de paix, l'Espagne s'est engagée à abandonner ses prétentions sur
Cuba et sa souveraineté sur Porto Rico. En ce qui concerne sa colonie des Philippines,
l'Espagne l’a tout simplement vendu aux États-Unis à hauteur de 20 millions de dollars
américains (Voir Guerre hispano-américaine In Encarta, 2009).

Sommes toutes, l'occupation du Sahara devrait être une stratégie politique devant
servir à l'Espagne à renforcer la préservation de ses intérêts dans l'archipel des Canaries. En
d'autres termes, la Couronne espagnole souhaite sauvegarder l'ensemble des îles Canaries
pour éviter qu’une autre puissance rivale ne s’installe sur la côte africaine opposée.

De tout ce qui précède, il ressort que jusqu’en 1884, les préoccupations historiques,
religieuses, géostratégiques et politiques font parties des premiers motifs qui ont favorisé
l’intérêt des rois catholiques d’Espagne pour les côtes sahariennes. Toutefois, elles ne sont
pas les seules. En effet, de profondes considérations (géo) économiques sont aussi à la base
de la présence espagnole au Sahara dans la période qui nous intéresse ici.

II- LES FACTEURS ÉCONOMIQUES DE LA PRÉSENCE ESPAGNOLE AU


SAHARA

Les raisons géoéconomiques de la conquête par la Couronne espagnole des côtes


sahraouies peuvent se résumer en trois.

58
1- Les rivalités commerciales hispano-marocaines

Le XVIIIe siècle a été marqué par des affrontements constants entre les deux
royaumes d'Espagne et du Maroc à propos de Ceuta et Melilla. Les hostilités ne manquaient
pas de nuire gravement au bon déroulement des activités commerciales entre les deux
royaumes. Pour mettre fin aux hostilités et sauvegarder la paix et le développement du
commerce. En fait, l'inimitié d’avec l'Empire chérifien entraînait des dommages importants,
tels que l'interruption du commerce, la perte de vies humaines et des prises en otages des
marins espagnols. Le premier traité de paix et de commerce de l'ère moderne a été signé le
28 mai 1767 entre le roi d'Espagne Carlos III et le sultan du Maroc Sidi Mohammed Ben
Abd Allah.

Bien avant la signature du traité, les deux parties entreprirent des négociations. Pour
ce faire, des tractations préliminaires sont entamées dans le but de parvenir rapidement à un
accord avec le sultan marocain. Le monarque espagnol Carlos III, confia à Jorge Juan cette
délicate mission diplomatique (Guijarro, 2002). Le roi Carlos III a donné des instructions
très fermes à Jorge Juan dont voici un extrait :

De la de los canarios en la costa de África y lograr un establecimiento fijo en ella es


objeto de suma importancia de lo que estaréis sin duda hecho cargo. En la copia de la
instrucción que di a Fray Bartolomé Girón hallaréis varias advertencias oportunas. El
fin es hacer un establecimiento en el paraje de la Costa de África que más convenga
para la pesca de los Canarios ponerlo insensiblemente y con disimulo en estado de
precaver los insultos de los moros bravos de aquellas inmediaciones; y con el tiempo
fomentarlo según lo requieran las circunstancias47 (p. 36).

Ces instructions montrent qu’à cette époque déjà la Couronne espagnole en


s'intéressant aux côtes ouest de l'Afrique était motivée principalement par des considérations
commerciales et économiques. Mieux, il s'agissait d'exploiter les richesses halieutiques de
ces eaux aux fins de booster l'économie nationale espagnole. Cette politique du roi Carlos
III, nous convainc de ce qu'affirmait Mediavilla (2003). Pour lui « la ocupación de la costa
del Sahara por parte del Gobierno español, (…) tuvo como interés prioritario hacerse con

47
Notre traduction : Des Canaris sur la côte de l’Afrique et la réalisation d’un établissement fixe sur elle est
l’objet de la plus haute importance de ce que vous aurez sans aucun doute en charge. Dans la copie de
l’instruction que j’ai donnée au Frère Bartholomée, vous trouverez plusieurs avertissements appropriés.
L’objectif est de faire un établissement à la place de la côte africaine qui est le mieux adapté à la pêche aux
Canaries pour le mettre insensiblement et d’empêcher les hostilités des braves Maures de ces environs; et
éventuellement l’encourager comme l’exigent les circonstances.

59
el Banco de pesca que desde hacía varios siglos explotaban los canarios48 » (p. 615). Dans
le cadre de sa mission, Jorge Juan dans une lettre datant du 16 juin 1767 s'adressant au
secrétaire d'État du roi Carlos III, rendait compte des résultats de ses négociations avec le
sultan marocain concernant la question d'un établissement fixe sur la côte africaine, écrit
que :
Ha rehusado Su Majestad (el Sultán) enteramente el deliberar. Dice que aquellos países
desde Santa Cruz al Sus no son suyos, que los habita una gente silvestre que jamás ha
podido sujetar, que han acometido y destrozado cuantos allí han querido establecerse y
que por tanto no puede empeñar su palabra o permiso para que nosotros lo logremos.
Que sin embargo deja al arbitrio del rey el hacerlo o no, pero sin hacerse responsable
de los sucesos.49

Dans cette missive, l’on peut retenir que le sultan avouait que cette région où
l’Espagne souhaitait s’installer ne lui appartenait nullement. Ce même sultan était prêt à
concéder exclusivement au royaume d’Espagne, à ses risques et périls s’entend,
l’installation de sa pêcherie. L’article 18 de l’Accord de paix et de commerce 50 entre les
royaumes d’Espagne et du Maroc signé le 28 mai 1767 corrobore cet état de fait. Il est
stipulé que :

Su Majestad imperial se aparta de deliberar sobre el establecimiento que su Majestad


católica quiere fundar al Sur del río Nun, pues no puede hacerse responsable de los
accidentes o desgracias que sucedieren a causa de no llegar allá sus dominios, y ser la
gente que habita el país errante y feroz que siempre ha ofendido y aprisionado a los
canarios. De Santa Cruz al Norte Su Majestad imperial concede a estos y a los españoles
la pesca sin permitir que otra ninguna nación la ejecute en ninguna parte de la costa,
que quedará enteramente por aquellos51 (Guijarro, 2003, p. 417).

En d'autres termes, le sultan assurait que les peuples de l'ancienne province


espagnole n'étaient pas sous son autorité. Ces peuples étaient des « sauvages » et réfractaires

48
Notre traduction : l’occupation de la côte sahraouie par le gouvernement espagnol (…) était motivé
prioritairement par le banc de poissons qu’exploitaient depuis plusieurs siècles les canariens.
49
Lettre de Jorge Juan à Grimaldi, le 16 juillet 1767. Notre traduction : Sa Majesté (le Sultan) a refusé de
délibérer. Il dit que ces pays de Santa-Cruz à La Sus ne sont pas les siens, qu’ils sont habités par un peuple
sauvage qui n’a jamais été en mesure d’assujettir, qu’ils ont entrepris et détruit ceux qui ont voulu s’y installer
et qu’ils ne peuvent donc pas mettre en gage sa parole ou sa permission que nous y parviendrons. Il laisse
néanmoins à la volonté du roi de le faire ou non, mais sans prendre la responsabilité de ce qui surviendra.
50
L’ensemble de ce traité de paix et de commerce peut être consulté dans la rubrique “Documentación” de la
thèse de Guijarro Ó. G., 2003, p. 417 et suivantes.
51
Notre traduction: Sa Majesté Impériale s’écarte de la délibération sur l’établissement que Sa Majesté
catholique veut fonder au sud de la rivière Noun, car il ne peut pas assumer la responsabilité des accidents ou
des malheurs qui se produiraient parce que ses domaines n’y parviennent pas, et les gens qui habitent ce pays
errant et féroce qui a toujours offensé et emprisonné les canaris. De Santa Cruz au Nord Sa Majesté impériale
les accorde à ceux-ci et les Espagnols qui pêchent sans permettre à aucune autre nation de l’exécuter n’importe
où sur la côte, qui restera entièrement pour eux.

60
à toutes formes d'autorité étrangère. Les Rois d’Espagne caressaient déjà le doux rêve de
posséder une nouvelle source de richesse pour redynamiser l’économie nationale et
renflouer ainsi les caisses de l’État. Par conséquent, pour préserver ces ressources
halieutiques au bénéfice de la Couronne, celles-ci ont été déclarées zone monopole d'État
espagnol (Cruz, 2013, p. 89). L’accord d’échanges commerciaux entre l’Espagne et le
Maroc et le vif intérêt de la première pour la région du Sahara Occidental a suscité des
rivalités au sein des autres puissances européennes.

2- L’intérêt des puissances européennes pour les ressources halieutiques des côtes
sahraouies

Il faut dire qu'à cette époque, l'Espagne n'était pas la seule puissance européenne à
s'intéresser aux rives du Sahara occidental. En effet, si l'on se réfère à l'analyse de Lazuna
(2015, p.17), on constate que ce sont les Britanniques, qui, les premiers ont exploité le
territoire sahraoui. Pour mémoire, il convient de dire que le désir de conquérir de nouvelles
colonies est né en Angleterre. Le premier Européen à s'installer au Sahara fut l’écossais
Georges Glass. Celui-ci, après avoir exploré la région de Rio de Oro, principalement la ville
de Villa Cisneros (aujourd'hui Dakhla) en 1760, il a tenté de s'établir sur la côte sahraouie
en 1764, en fondant le Port Hillsborough près de Tarfaya. Toutefois, la fondation de cet
établissement avait déplu au Maroc, à l'Angleterre (curieusement), à l'Espagne et surtout
aux habitants du territoire (ibid.). En effet, le Maroc était inquiet parce qu'il considérait
l'établissement comme un rival potentiel pour son hégémonie commerciale dans la région.
Autrement dit, la création d'un port au Sud de Mogador pourrait signifier la fin du monopole
sur le commerce caravanier en provenance de Tombouctou (Mali) destiné à l'Europe.

Quant à l’Angleterre, paradoxalement, des marchands Anglais s’étaient joints au


Maroc pour combattre leurs compatriotes. En effet, les négociants Anglais vivant à
Mogador, voyant leurs entreprises lésées et ne pensant qu’à leurs intérêts individuels,
s’étaient rangés du côté des Marocains. Ils exhortant alors la Chambre des communes
britanniques52 à ne pas soutenir les entreprises de Georges Glass et même d’ordonner la

52
La chambre des communes est l’assemblée des représentants élus par le peuple, constituant avec la Chambre
des lords le Parlement britannique. L’origine de la Chambre des communes remonte au XIIIe siècle, lorsque
les rois anglais prennent l’habitude, pour assembler leur conseil, de convoquer des représentants de la petite
noblesse.

61
fermeture de son port qui menaçait leurs entreprises et réduisaient leurs gains (Lazuna, 2015,
p. 17). Toutefois, malgré cette rivalité intestine, les Britanniques n'étaient pas indifférents
aux grands avantages qui pourraient découler de la possession de certaines pêcheries dans
cette région côtière de l'Afrique de l'ouest, d‘autant plus que Glass lui-même (cité par
Mediavilla, 2003, p.17) avait écrit que « El bacalao que allí pescan es mejor que el de
53
Terranova ». Pour les Anglais, il était surprenant de voir que les Espagnols rivalisaient
avec eux pour la pêche sur l’ile de Terre-Neuve54 « cuando a sus puertas tiene una mucho
mejor 55». (Ibid.)

Un autre Britannique, Donald Mackenzie, s'est installé en 1876, sur les rives du
sahara. Il s'est installé à Cap Juby (Villa Bens) en négociant directement avec Sheik Beiruk
dans le dos du sultan marocain. Face aux plaintes du monarque chérifien, soutenu par
l'Espagne, l'Angleterre rétorqua que cette région n'appartenait pas au Maroc et encore moins
sous l’autorité du sultan (Miguel, 1995, p.35). Mais Mackenzie a été contraint de fermer son
usine à partir de 1895 étant donné les attaques constantes qu'il subissait des indigènes.

De même que les Anglais, les Français s'intéressaient également aux côtes nord-
ouest de l'Afrique, en particulier à la région du Sahara Occidental actuel. Ces derniers ayant
pris conscience des avantages extraordinaires qu'ils pouvaient tirer des richesses potentielles
de cette région pour leur économie, ont décidé d'envoyer plusieurs expéditions scientifiques
sous les auspices de la Société Géographique de Paris. En 1840, Berthelot, consul de France
à Ténérife, a publié un vaste ouvrage sur la pisciculture sur les côtes des Canaries et du
désert du Sahara intitulé De la pêche sur la côte occidentale d'Afrique. Dans cet ouvrage,
l'auteur a minutieusement décrit les espèces de poissons de la région et notamment ceux du
Sahara Occidental. Dans un extrait dudit ouvrage cité par Isabel Mediavilla (2003), l’on lit
que “A lo largo de la costa de África (…), los isleños cogen diez o doce clases de peces,
todos igualmente propios para secarse o prepararse en verde. 56” (p. 616) Pour le Français,
il n’y avait aucun doute que les bancs de poissons des côtes sahariennes soient supérieurs à
ceux de Terre-Neuve (Ibid., p. 616).

53
Notre traduction : La morue qui qui s’y pêche est meilleur que celle de Terre-Neuve.
54
Terre-Neuve est une ile de l’Est du Canada située ente le golfe du Saint-Laurent et l’océan Atlantique.
55
Notre traduction : …Quand à leur porte il y a n’en beaucoup meilleur.
56
Notre traduction: Le long de la côte africaine (…), les insulaires attrapent dix ou douze sortes de poissons,
tous aussi propres à sécher ou à se préparer en vert.

62
Il est évident que les Espagnols ne voyaient pas d’un bon œil la convoitise de ce
territoire par des puissances étrangères rivales. Cela produira un effet sur l'opinion publique
espagnole qui commença alors à insister sur l'occupation de Santa Cruz (Ruiz Miguel, 1995,
p.36). C'est sans aucun doute ce qui explique qu'en 1878, avec le parrainage de
« l'Association espagnole pour l'exploration de l'Afrique », un espagnol du nom de Gatell,
a entrepris un voyage dans les territoires qu'il avait déjà parcourus. Mais cette fois-ci, il est
fait prisonnier par les tribus locales dans la région du fleuve Noun (près de Ifni). Il sera
libéré à la demande du gouvernement espagnol (Ruiz Miguel, 1995, p. 36). Le désir
d’extension de l’activité commerciale sur la côte ouest de l’Afrique a également favorisé la
nécessité de l’occupation du Sahara.

3- De la nécessité d’étendre les réseaux commerciaux de l'Espagne sur la côte Ouest


de l'Afrique

À la fin de l’an 1881, des particuliers, avec la bénédiction de la Couronne espagnole


ont fondé la Société de pêches canari-africaines dans le but d'exploiter les eaux sahariennes.
Cette société a réussi à obtenir du gouvernement au moyen d'un arrêté royal, le privilège de
pêcher dans le nord et l'ouest de l'Afrique. La société a également réussi à conclure des
accords avec les tribus sahraouies de la région de Dakhla. En vertu de ces accords, les
Espagnols ont été autorisés à s'installer dans ladite ville côtière et à créer une usine de pêche.
Cependant, comme nous le verrons à la suite, au fil du temps, cet accord prendra la condition
d’une cession territoriale, et sera interprété par l'Espagne comme la cession par les tribus
locales de la région du Río de Oro.

Il faut dire qu'à l’époque, les conquêtes et exploration territoriales avaient le vent en
poupe en Europe du fait de la Conférence de Berlin qui était imminente et qui devait
régulariser la colonisation de l'Afrique et la répartition de ses territoires. À cette époque en
Espagne, à la suite du congrès de Géographie Coloniale et Mercantile tenu à Madrid du 4
au 10 novembre 1883, des sociétés africanistes et colonialistes furent créées. Celles-ci à leur
tour, ont fait pression sur le gouvernement espagnol pour qu'il déploie une vraie politique
d'expansion en Afrique (Guijarro, 2003, p. 311). Pour atteindre cet objectif, ils avaient
besoin surtout de la protection du Gouvernement. Il ne faut pas oublier qu'il ne s'agissait pas
d'une simple expansion territoriale, mais plutôt d'une extension des réseaux commerciaux
de l'Espagne sur la côte ouest de l'Afrique. Dans ce contexte, sur la côte du Sahara, de Cap

63
Bojador au Cap Blanc, l’activité commerciale la plus importante de l’Espagne a été la
création de l'usine de Rio de Oro, pour l’exploitation des ressources halieutiques et leur
traitement (Guijarro, 2003, p. 320).

En octobre 1884, la Société des Africanistes et des Colonialistes, apprenant qu’un


agent Anglais, Mackenzie, avait de nouveau pénétré dans la baie de Rio de Oro dans le but
d'établir un comptoir en signant des accords avec les tribus locales, a exhorté le
gouvernement espagnol à occuper d‘urgence les principaux points de cette côte avant que
les Anglais ne s'y établissent. Ainsi, le 15 octobre 1884, soit un mois avant la conférence de
Berlin qui a commencé en novembre, la Société des africanistes et des colonialistes envoya
une expédition dirigée par Emilio Bonelli Hernando, un bon connaisseur de l’Arabe, pour
l'exploration du territoire de l'actuel Sahara Occidental. En fait, si les africanistes ont exercé
des pressions sur le gouvernement pour qu'il occupe Rio de Oro, c’est parce que cette région
avait été précédemment acquise par la société de pêche afro- canarienne, qui depuis 1881
faisait du commerce sur cette partie de la côte et signait des accords avec les tribus locales.

En novembre 1884, Bonelli installait trois bâtiments provisoires ou cabanes en bois


à Río de Oro avec le pavillon espagnol. Le 3 novembre de la même année, il créait trois
comptoirs à Villa Cisneros, Cintra et au Cap Blanc. Cette soudaine volonté de créer des
établissements par les Espagnols doit être interprétée comme un moyen de couper l'herbe
sous les pieds des autres puissances européennes, notamment les intrépides britanniques et
français. En outre, il peut être vu comme la possession définitive de Rio de Oro et de Saguia
el Hamra (Ruiz Miguel, 1995, p. 38).

La possession définitive du Sahara Occidental a été officialisée lorsque, entre le 15


novembre 1884 et le 26 février 1885, s'est tenue la célèbre Conférence de Berlin où les droits
de l'Espagne sur le territoire entre Cap Bojador et Cap Blanc ont été reconnus. C'est donc à
cette époque que l'hégémonie de l'Espagne sur le Sahara Occidental a été officiellement
reconnue. Toutefois, dans les faits, l’autorité de l’Espagne sur ce territoire continuait d’être
mise à rude épreuve par la France qui nourrissait toujours des intentions colonialistes pour
ce territoire. C’est dans ce contexte de grande rivalité entre puissances européennes qu’est
née la colonie du Sahara espagnol.

64
CHAPITRE 4 : LA NAISSANCE DE LA COLONIE DU SAHARA ESPAGNOL

Après avoir vu plus haut que les grandes puissances européennes se sont toujours
intéressées aux côtes sahariennes, il convient de souligner que la transformation du vaste et
désertique territoire saharien situé au sud du royaume du Maroc et au nord de la Mauritanie
en une colonie espagnole, a été le fruit d’un long et complexe processus. Dans le présent
chapitre, nous essayons de montrer comment malgré toutes les convoitises d’autres États
plus puissants que l’Espagne, c’est cette dernière qui finit par s’accaparer cette frange
occidentale du grand désert du Sahara.

I. LA FONDATION DE LA COLONIE DU SAHARA ESPAGNOL : DES


RIVALITÉS FRANCO-ESPAGNOLES AUX ACCORDS DE DÉLIMITATION

L'Espagne était loin d’être la seule ou la plus grande puissance européenne de


l’époque à s'intéresser aux côtes africaines situées en face de l'archipel des Canaries. Nous
avons vu plus haut que l'Angleterre, le Portugal et surtout la France étaient beaucoup
intéressés par la région. L’élan mondial de convoitise pour le Sahara étonne plus d‘une
personne. Un sahraoui exprimant sa stupéfaction de ce que « leur » territoire soit ainsi
convoité, a pu dire :

No nos explicamos que es lo que queda tiene este desierto que todos los forasteros
siempre han ambicionado poseerlo [el Sahara], desde el primer momento. Llegaron los
franceses, los españoles, los de Marruecos y todos quisieron quedarse con nuestras
tierras. (…) Esta tierra debe de tener algo oculto que no alcanzamos a saber qué es,
pero que los extranjeros siempre han ambicionado57(García, 2003, p. 38).

La conférence de Berlin qui s’est tenue de novembre 1884 à février 1885 a accordé
au royaume d’Espagne les territoires du Rio de Oro et de Saguia el Hamra. Nonobstant cette
reconnaissance internationale de la souveraineté espagnole sur ces portions de terre, Paris a
tenté de couper l'herbe sous les pieds des Espagnols.

57
Notre traduction : Nous ne nous expliquons pas ce qu’a ce désert [le Sahara] que tous les étrangers ont
toujours voulu posséder, dès le premier moment. Les Français, les Espagnols, les Marocains sont arrivés, et
ils voulaient tous garder nos terres. (...) Cette terre doit avoir quelque chose de caché que nous ne savons pas
ce que c’est, mais que les étrangers ont toujours convoité.

65
1. Rivalités franco-espagnoles autour du Sahara jusqu'en 1900

À partir des résolutions de la Conférence de Berlin et des résultats des explorations


de Bonelli, José Elduayen Gorriti (alors ministre d'État espagnol) avait envoyé une
circulaire aux puissances européennes rivales. Dans cette note, le ministre les informait de
ce que la côte nord-ouest de l'Afrique comprise entre le Cap Bojador et le Cap Blanc avait
été déclarée "protectorat espagnol". Cette circulaire disait entre autre :

S. M. el Rey ha tomado bajo su protección los territorios de la Costa Occidental de


África, comprendida entre el Cabo Bojador y la bahía del Oeste. En vista de lo
solicitado en diferentes ocasiones por la Sociedad Española de Africanistas y
Colonistas y la de Pesquerías Canario-Africana, considerando la importancia de las
instalaciones españolas establecidas en Río de Oro (…), en la costa Occidental de
África; (…). Es así mismo la voluntad de S. M. se comunique a V. E. esta Real
resolución, a fin de que sirva ponerla en conocimiento del gobierno cerca del cual está
acreditado.58

Le gouvernement espagnol souhaitait à travers ce document présenter à la face du


monde son autorité sur les côtes et l'intérieur de ce qui deviendra le Sahara espagnol. C'est
ce qui explique que le décret-circulaire ait été communiqué aux autres puissances
européennes.

Poursuivant l'exploration de leur nouveau protectorat, au début de 1885, les


Espagnols ont construit un comptoir à Villa Cisneros (aujourd'hui Dakhla) et creusaient de
nombreux puits. Mais les Ouled Delim, une tribu locale, au cours du mois de mars de la
même année, ont attaqué les établissements espagnols de Villa Cisneros et du Cap Blanc.
En conséquence, le gouvernement décida alors d'envoyer une faction de l'armée à Rio de
Oro pour protéger les installations. Cette mesure assortie d’un arrêté royal du 10 juillet 1885
plaça sous l'autorité du ministère d'outre-mer le protectorat entre Cap Blanc et Cap Bojador
(Miege, 1967, pp. 216-217). En outre, le protectorat était incorporé à la même occasion à la
capitainerie générale des îles Canaries (Décret royal du 6 avril 1886.)

La Société de Géographie Commerciale d'Espagne a entrepris en 1886 deux


expéditions aux fins d’explorer et surtout d'étendre leur possession au Sahara. La première

58
Circulaire du ministre d’État, José Elduayen Gorriti, destiné aux Représentants d’Espagne à l’étranger, le
26 décembre 1884. Notre traduction : S.M le Roi a pris sous sa protection les territoires de la côte occidentale
d’Afrique, compris entre le Cap Bojador et la Baie de l’Ouest. Au vu de ce qui a été sollicité à différentes
occasions par la Société Espagnole des Africanistes et Colonialistes et de pêcheries Canari-Africaine,
considérant l’importance des installations espagnoles établies au Rio de Oro (…).

66
a été conduite par le Consul Álvarez Pérez qui a réussi à signer un traité avec des populations
locales entre mars et avril 1886. Aux termes du traité, les territoires situés entre le fleuve
Draa et le cap Bojador, au nord du Sahara dans le Saguía el Hamra, étaient placés sous
protection espagnole. La deuxième expédition, mai-août 1886, fut celle du capitaine Julio
Cervera y Baviera, de Francisco Quiroga y Rodríguez, et du consul D. Felipe Rizzo y
Ramírez (Ruiz Miguel, 1995). Ils arrivèrent à Idjil, où ils ont réussi à mettre sous la
protection de l'Espagne les territoires à l'est du Sahara espagnol, en particulier les salines
d'Idjil et d'Adrar-Temar, dans l'actuelle Mauritanie. Selon le professeur Ruiz Miguel (1995,
pp. 40-41), l'extension des territoires convenus lors de ces différentes expéditions en 1886
était d'environ 700 000 km.

Très vite, les différentes expéditions espagnoles avaient provoqué la réaction de la


France (De Froberville, 1996, p.26), mais pas seulement de Paris mais aussi des autres
puissances coloniales. En réalité, l'avancée de l’implantation des Espagnols avait en effet
déclenché les protestations des Anglais, suscité les envies des Allemands et Belges (Miguel,
1995, p.43). Cependant, la réaction des Français a été la plus retentissante. En effet, la
colonie de Rio de Oro sous autorité espagnole incommodait la France qui souhaitait que
toute l'Afrique de l'Ouest soit française, étant donné que la France occupait déjà (ou était en
train) la Mauritanie au Sud, l'Algérie à l'Est et le Maroc au Nord. Seul le Sahara occidental
restait à l'ouest pour compléter le tableau. En réalité, le souhait de la France était bien sûr
de contrôler toute la région, du Sénégal à l'Algérie en passant par la Mauritanie, le Sahara
espagnol et le Maroc qui devenait de plus en plus faible.

En outre, les Français s’intéressaient beaucoup au territoire du Rio de Oro pour des
raisons stratégiques. En effet, ils voulaient ouvrir un canal à travers le désert à l’effet
d’inonder le Sahara. Par ce projet, la France ambitionnait créer une mer intérieure artificielle
pour que les navires puissent circuler dans le désert jusqu’en Algérie et permettre ainsi à
cette colonie d’avoir un débouché sur l’Atlantique. À ce propos, le Français Ernst Bunge
déclarait en 1887 que « La costa del Sahara me interesa sobremanera, porque ya en 1865
sometí al difunto Napoleón III el proyecto de inundar por medio de un canal y hacer
navegable la vasta cuenta denominada El-Yuf, corazón del Desierto59 (…) » (p. 155). Bien

59
Notre traduction: La côte du Sahara m’intéresse parce que dès 1865, j’ai soumis à feu Napoléon III le
projet d’inondation du cœur du désert à travers un canal et de rendre navigable le vaste compte appelé El-Yuf.

67
que le projet de Bunge n’est ni été adopté par Napoléon III ni réalisé, il nous donne une idée
de ce que le Sahara Occidental représentait pour les Français à l'époque. Par ailleurs, pour
nuire aux Espagnols, après avoir conquis Tombouctou en 1894, la France a pris le contrôle
du commerce transsaharien et détourné les routes commerciales vers le port de Saint-Louis
au Sénégal (Boni-Gatta, 2016, p.111). Le détour des routes commerciales vers Saint-Louis,
avait des répercussions non seulement sur les activités économiques espagnoles mais
touchait également le Maroc car le port marocain de Mogador perdait par la même occasion
son rôle d’unique port de commerce de ravitaillement de l’Europe dans la région.

La conjugaison des facteurs mentionnés ci-dessus a conduit les deux puissances,


l'Espagne et la France, à partir de 1886 à entamer des négociations pour cesser les hostilités
et délimiter leurs zones d'influence respectives et leurs possessions en Afrique de l'Ouest.
Mais Cobo et Menéndez (2006, p. 14), soutient que cette volonté soudaine des autorités
espagnoles (principalement) de négocier la délimitation des territoires a été motivée par un
événement tragique pour l'Espagne en Amérique à propos de Cuba. En effet
depuis 1895, l’île de Cuba est agitée de soubresauts, des rébellions des patriotes cubains
contre la domination espagnole ne cessaient de se multiplier. Les manifestations trouvaient
leur origine dans l’incapacité de l’Espagne à mettre en œuvre des réformes à suite de
l’effondrement du marché du sucre en 1878. Cette situation avait provoqué la première
guerre d’indépendance, qui a duré dix ans. L’entrée des États-Unis d’Amérique dans la
guerre du côté des Cubains va changer les donnes.

En décembre 1897, le navire de guerre américain Maine est envoyé dans le port de
La Havane pour protéger les sujets et intérêts américains. La nuit du 15 février 1898, le
cuirassé explose dans des conditions mystérieuses faisant deux cent soixante victimes.
Washington accuse alors Madrid d’être à la base de l’incident. Toutefois, l’entrée en guerre
des États-Unis ne s’explique pas seulement par une volonté désintéressée de Washington de
débarrasser l’île du joug colonial espagnol, elle dissimule également des ambitions
colonialistes américaines (Cf. Guerre hispano-américaine In Encarta 2009).

La répercussion internationale de cette guerre a été énorme et a joué au détriment


des Espagnols. Le 1er mai 1898 la flotte espagnole ancrée dans la baie de Manille aux
Philippines, est détruite par les forces navales américaines. Le 1 er juillet, les troupes
américaines percent les défenses de la ville de Santiago à Cuba et le 3 juillet, une escadre

68
espagnole est détruite alors qu’elle tente de forcer le blocus américain du port de Santiago
(Encarta 2009). Au même moment sur le continent africain, il se trouvait qu’un conflit
hégémonique opposait la Grande-Bretagne à la France à propos du Nil (Egypte). En effet,
une expédition française était entrée en collision à Faschoda (Soudan) avec une autre
expédition britannique qui remontait le Nil cherchant à consolider sous la couronne
britannique un nouvel axe stratégique transcontinental reliant le Caire au Cap (Cobo &
Menéndez, 2006, p.14) en Afrique du Sud.

La France, considérant la malheureuse expérience espagnole vis-à-vis des États-


Unis, a entamé très tôt des négociations diplomatiques avec l'Angleterre. Ainsi, le
gouvernement français a veillé à ce que l'incident ne soit pas interprété comme un acte
d’hostilité envers la Grande-Bretagne (Cobo & Menéndez, 2006). En effet, les Français
n’étaient pas sans savoir qu’en cas de déclaration de guerre contre les britanniques ils
couraient le risque de subir une défaite cuisante comme les Espagnols contre les États-Unis.
Par conséquent, Paris parvint à conclure un accord avec Londres, il s’agit de la célèbre
Entente Cordiale60 de 1904.

Tous ces incidents avaient un effet domino sur le Sahara espagnol. Pour éviter toute
collision avec la France et risquer de perdre à nouveau une autre de ses colonies après celle
des Philippines, de Cuba et de Porto Rico en 1898, le gouvernement espagnol a été contraint
de chercher la reconnaissance internationale de ses droits sur le Sahara "espagnol". La seule
façon d'obtenir cette reconnaissance et sortir de son isolement international était de le faire
par le biais d'accords internationaux avec son rival, la France.

2. Les accords franco-espagnols de délimitation frontalière

Les frontières du Sahara Occidental telles que nous les connaissons aujourd’hui sont
le fruit de divers accords, parfois officiels, parfois secrets, entre Paris et Madrid.

60
Entente cordiale, terme employé dans le domaine de la diplomatie pour désigner les relations amicales ou
la communauté d'intérêts qui unit deux pays ou plus. Le terme d'Entente cordiale s'applique plus spécialement
à l'accord de 1904 entre la France et la Grande-Bretagne, établissant une assistance réciproque pour les
questions coloniales, et visant surtout à lutter contre la montée en puissance de l'Allemagne. L'alliance franco-
britannique fut étendue en 1907 afin d'inclure la Russie, l'Entente cordiale prit alors le nom de Triple-entente.
(cf. Entente cordiale in Encarta, 2009).

69
2.1. L’accord de 1900 : le premier traité de Paris

En réalité, c'est à partir du 22 mars 1886 que les premières négociations hispano-
françaises ont commencé à Paris afin de délimiter leurs possessions respectives dans le
Nord-ouest de l’Afrique. Dès le départ, l'Espagne proposait une ligne qui séparerait les
extrémités des caps Blanc et Santa Ana, et qui laisserait la baie d'Arguin à la France. Cette
ligne suivait le parallèle 20º 43´ N, laissait le Cap Blanc légèrement au nord à 20º 46´20´´
de latitude N. Mais comme on pouvait s’y attendre, les Français n'étaient pas d'accord avec
une telle distribution et préféraient que la péninsule du Cap Blanc soit divisée entre les deux
pays (Ruiz Miguel, 1995, p. 53). De fait, la France voulait pour elle la section orientale, qui
correspondait à l'ensemble de la baie du Lévrier, qui était un important port naturel. C'est
ceux sur quoi les gouvernements français et espagnol ont convenu en novembre 1886 (Ruiz
Miguel, 1995, p.53). Ces antécédents ont constitué le prélude à la négociation ultérieure de
1900 entre les deux pays.

En février 1900, les deux États reprennent les négociations suspendues en 1891. Du
côté espagnol, c’était Fernando León y Castillo qui était chargé de conduire les négociations
et du côté français, il y avait Théophile Delcassé. La performance du négociateur, F. León,
a été diversement appréciée. Deux faits importants peuvent expliquer cette situation. Le
premier, est que lors des négociations liminaires qui divisaient la baie du Lévrier et fixait la
limite sud du territoire au parallèle 21º20´N, signifiait perdre l'Adrar Temar qui restait au
sud de ce parallèle. Le deuxième fait notable est lié aux revers internationaux subis à
l'époque par l'Espagne. Après la défaite des Espagnols face aux États-Unis en 1898,
l'Espagne était trop fragile pour négocier qu'avant ce tragique incident (De Areilza &
Castiella, 1941, pp. 323 et 576).

C’était dans ce contexte que le 27 juin 1900 se signait à Paris, au Quai d'Orsay le
premier accord de délimitation du protectorat espagnol au sahara. Ce premier accord ne
concernait que les frontières sud et sud-est du territoire de Rio de Oro. En fait, il n’était pas
encore question de la limite Nord de la Saguia –el Hamra, du fait des pressions des Anglais
et aussi parce que les limites méridionales du Maroc n'étaient pas connues avec précision.
Les limites Sud, étaient fixées au parallèle 21º 20´N au lieu du parallèle 20º 43´ N comme
l'Espagne le voulait. La ligne de démarcation coupait la péninsule du Cap Blanc en deux,

70
laissant la partie ouest de celle-ci à l'Espagne et la partie orientale, contenant les abondantes
richesses de la pêche dans la baie du Lévrier, à la France (Ruiz Miguel, 1995, p. 55).

Cette ligne montait jusqu'au parallèle 21º 20´N et continuait jusqu'à l'intersection du
méridien 13º O. de Greenwich. À partir de ce point, la frontière se dirigeait vers le nord-
ouest, décrivant une curieuse courbe dont le but n'était autre que de laisser les mines de la
région d'Idjil à la France. De ce point de rencontre de cette courbe avec le méridien 13º O
de Greenwich, la frontière se dirigeait le plus droit possible jusqu'à l'intersection du tropique
du Cancer et du méridien 12º O de Greenwich (Ruiz Miguel, 1995, p. 56 et Fuente Cobo &
M. Menéndez, 2006, p. 16).

C'est ainsi que la partie sud du Sahara a été délimitée. Mais, il faut dire que de ce
premier accord, les Espagnols sortaient perdants. En effet, c’était eux qui ont fait le plus de
concessions, peut-être, pour ne pas déranger les Français. C’est ce qui fait dire à Ruiz
Miguel (1995, p. 56) que « la firma del Tratado tuvo fatales consecuencias 61.»

Comme nous l'avons vu précédemment, le traité de 1900 avait laissé les frontières
nord indéterminées. Ainsi, Paris et Madrid sont parvenus à un protocole d’accord le 8
novembre 1902. La délimitation de la frontière nord du Sahara et, par conséquent, de la
limite sud du Maroc a été faite à travers les accords secrets de 1904.

2.2. L’accord secret de Paris de 1904

Bien avant l’accord de 1904, il y avait un projet de traité en 1902. Ce projet était
motivé, d'une part, par le désir des Français et des Espagnols d'étendre leur influence au
Maroc et, d'autre part, par la crainte qu'ils avaient de voir l'Angleterre prendre les devants
dans un pays où ils pensaient être les seuls à avoir le droit de s'implanter. C'est dans cet
esprit que se sont engagés les pourparlers franco-espagnols62.

Trois projets furent établis. II résulte de ces projets que la France reconnaissait à
l'Espagne le droit d'exercer son influence sur la zone qui englobe Saguia El Hamra et qui va
jusqu'à Mhamid à l'est et jusqu'à Agadir à l'Ouest, en passant par la ville de Taroudant et la
ville de Zagora au Maroc (Benjelloun, 1975, p.227). Cependant, ce protocole d’accord ne

61
Notre traduction: La signature du Traité a eu de terribles conséquences.
62
Cf. Exposé oral de M. Benjelloun, p. 227, In C.I.J. Mémoires, Sahara occidental, vol. IV.

71
sera jamais ratifié par les gouvernements successifs des deux pays à l'époque. Selon Messia
(1915, p.232), la non-ratification du projet peut se justifier par la crainte que la France et
l'Espagne feraient face à d'éventuelles représailles Britanniques, puisque ce projet d’accord
était fait dans le dos de la Couronne Britannique. En fait, tout comme l'Espagne et la France,
l'Angleterre s'intéressait au Maroc. Dans le même esprit, le journal Le Figaro (1991) écrit :

Avant de signer le traité secret du 3 octobre 1904, qui a été signé sous les auspices de
l'Angleterre garante de nos accords espagnols, M. Delcassé avait, en 1902 conclu avec
l'Espagne, à l'insu de l'Angleterre et contre elle, le traité secret que M. Sagasta avait
accepté mais que son successeur, M. Silvella, refusa de signer en arrivant au pouvoir.
C'était le partage du Maroc en deux moitiés. M. Silvella fut effrayé des responsabilités
financières et militaires qui incomberaient à son pays, des jalousies qu'il éveillerait en
Europe, au Foreign Office en particulier ; il eut le courage de dénoncer ces périls à son
collègue du cabinet de Londres, dont les intérêts étaient méconnus puisque le partage
était fait en dehors de lui.

La non-ratification du protocole d’accord est aussi due au fait que le Gouvernement


espagnol qui avait mené les discussions tomba à la veille de la signature du traité et celui
qui le remplaça eut peur des conséquences de la signature d'un tel acte et y renonça
définitivement (Benjelloun, 1975, p. 227). À époque, il y avait entre les puissances
européennes, une espèce d‘entente pour maintenir le statu quo et de ne pas s’installer
officiellement dans la région. Par conséquent, chaque acteur voyait mal les tentatives des
autres États de s’y installer, même à travers des initiatives privées (Lanuza, 2015, p.32).

Toutefois, en vertu de l’Entente cordiale signé le 8 avril 1904 entre la France et


l'Angleterre, la France laissait l’Égypte à l'Angleterre, en contrepartie, l'Angleterre
reconnaissait qu'elle n'entraverait pas l'action de la France au Maroc. Fort de leur accord, le
Maroc était placé sous influence de la France tandis que l'Égypte restait sous celle du
Royaume-Uni. L'Espagne qui avait déjà signé des traités avec des tribus locales des côtes
sahariennes, jouissait ainsi de droit historique. Pour elle, il était inadmissible qu’une autre
puissance européenne s’installât sur les côtes africaines justes en face des Canaries.
L’Espagne voyait donc avec un mauvais œil les différentes tentatives britanniques
d’occuper certains points de la côte et de l’hinterland du territoire.

L’Espagne, la France et l’Angleterre défendaient publiquement l’indépendance du


Maroc dans le but d’éviter la présence des autres puissances rivales européennes. Mais au
même moment où l’indépendance du Maroc était proclamée, l’Espagne et la France, le 3

72
octobre 1904 se rencontraient pour signer un traité « secret » devant consacrer la
délimitation des limites sud du Maroc. Ce deuxième traité franco-espagnol du fait de son
caractère occulte est appelé « les accords secrets de Paris ». Au liminaire de ce traité,
l’Espagne entérinait le traité franco-britannique signé précédemment le 8 avril 1904 (art 1).
En fait, l'accord franco-anglais du 8 avril 1904 en son article trois stipulait expressément
que :

Les deux gouvernements ont convenu que certaines régions du territoire marocain,
limitrophes de Melilla et de Ceuta et d'autres présides, devront relever de la sphère
d'influence espagnole le jour ou le Sultan cessera d'exercer sur elles son autorité et
l'administration de la côte de Melilla jusqu'aux hauteurs de la rive droite du Sebou devra
être confiée exclusivement à l'Espagne. Cependant, l'Espagne doit au préalable donner
son adhésion formelle aux dispositions des articles 4 et 7 de la déclaration de ce jour,
et promettre de les exécuter (Benjelloun, 1975, p. 229).

L’article second du traité franco-espagnol déterminait la zone d’influence de


l’Espagne sur la côte marocaine de la méditerranée, c’est-à-dire, Ceuta et Melilla. En vertu
de l’accord de paix et de commerce hispano-marocain de 1860, le domaine espagnol à Santa
Cruz de Mar Pequeña a été reconnu officiellement et identifié comme Ifni (art. 4). Les deux
États convenaient ensuite de la délimitation de la limite sud de leur zone d’influence. Une
importante zone au nord du Sahara depuis le parallèle 26° au 27°40’ (la région de la Saguia
el Hamra) et large zone dans la région de Tarfaya jusqu’au fleuve Oued Draa était attribuée
à l'Espagne, (art. 5). Cette large portion du territoire marocain acquerra par la suite le statut
de « protectorat du Maroc ». Dans la zone au sud de ce protectorat considéré comme « en
dehors du territoire du Maroc », le gouvernement français y a reconnu au gouvernement
espagnol la « pleine liberté d'action » (art. 6).

Boni Gatta (2016, p. 115) dénonce ces accords dans sa thèse de doctorat. Pour elle,
ils sont « hypocrites ». En effet, en même temps qu'ils étendaient leur zone d'influence, et
qu'ils divisaient le territoire du Maroc, l’Espagne et la France déclaraient qu'ils étaient
« fermement attachés à l’intégrité de l’empire marocain sous la souveraineté du sultan »
(Lazrack, 1974, p. 410). C'est ce qui explique pourquoi la France et l'Espagne ont tenté de
garder secrets ces accords. Ainsi, dans la version publiée dans la presse, il n'y était pas
question d'accord concernant le partage du Maroc, mais d’un simple entretien entre deux
États colonialistes. Pourtant, six jours après la signature de l'accord, celui-ci fuitait dans la

73
presse dans Le Journal de Genève le 9 octobre 1904. Le Maroc, dont il était question,
comprit qu’il avait été trahi par la France.
Ce sera jusqu’en 1912 que les dernières lignes de la frontière du Sahara espagnol ont été
tracées.

2.3. La convention hispano-française de 1912

Le royaume du Maroc sous le contrôle des Alaouites63 depuis 1664, a été tout au long
de l’Histoire une terre convoité par les puissances européennes. Entre 1900 et 1903, la
France occupe les confins marocains. À partir de 1904, la France, la Grande-Bretagne et
l’Espagne concluent des accords qui préparent un partage du territoire au grand dam de
l’Allemagne qui convoitait aussi ces terres. L’Allemagne et la France finirent par trouver
rapidement une solution (géo) politique. En effet, la France, a donné une partie du territoire
du Congo français frontalière du Cameroun, alors possession allemande, par conséquent,
l’Allemagne abandonnait ses prétentions au Maroc, laissant désormais le champ libre à la
France (Voir Maroc In Encarta, 2009).

Le Royaume Chérifien devint un protectorat français le 30 mars 1912. L’article 2 du


traité de Fès signé en 1912 entre la France et le Maroc stipule à ce propos que :

S. M. le Sultan admet dès maintenant que le Gouvernement français procède, après


avoir prévenu le makhzen, aux occupations militaires du territoire marocain qu'il
jugerait nécessaires au maintien de l'ordre et de la sécurité des transactions
commerciales et à ce qu'il exerce toute action de police sur la terre et dans les eaux
marocaines (Journal officiel de la République française, 1912).

Le premier article de ce même traité prévoyait que : « (…) Le Gouvernement de la


République [française] se concertera avec le Gouvernement espagnol au sujet des intérêts
que ce gouvernement tient de sa position géographique et de ses possessions territoriales
sur la côte marocaine ». En vertu de ce paragraphe, la convention hispano-française du 27
novembre 1912 est conclue à l’effet de préciser la position respective des deux signataires
par rapport à l'Empire chérifien. Les deux gouvernements ont estimé que cet accord était
une occasion favorable pour affirmer leur sentiment d'amitié mutuelle et leur volonté
d'harmoniser leurs intérêts au Maroc.

63
Voir « Maroc» dans Encarta 2009.

74
L'accord hispano-français de 1912 (Journal officiel de la République française,
1912) dispose en son article premier que le gouvernement français reconnaît que dans la
zone d'influence espagnole, il appartient à l'Espagne d'assurer la tranquillité de ladite zone
et d'aider le gouvernement marocain à introduire toutes les formes administratives,
économiques, financières, juridiques et militaire dont il a besoin. Quant à l’article 2, celui-
ci établit qu’au Nord du Maroc, la frontière séparative des zones d'influence espagnole et
française partira de l‘embouchure de la Moulouya et remontera le thalweg de ce fleuve
jusqu'à un kilomètre en aval de Mechra Klila. De ce point, la ligne de démarcation suivra
jusqu'au djebel Beni Hassen le tracé fixé par l'article 2 de la convention du 3 octobre 1904.
Le Gouvernement marocain ayant, par l'article 8 du traité du 26 avril 1860, concédé à
l'Espagne un établissement à Santa Cruz de Mar Pequefia (Ifni), il est entendu que le
territoire de cet établissement aura les limites suivantes : au nord, l'oued Bou Sedra, depuis
son embouchure ; au sud, Noun, depuis son embouchure ; à l'est, une ligne distante
approximativement de vingt-cinq kilomètres de la côte (art.3).

Par ailleurs, une commission technique, dont les membres seront désignés en
nombre égal par les Gouvernements espagnol et français, fixera le tracé exact des
délimitations spécifiées aux articles précédents. Dans son travail, la commission pourra tenir
compte non seulement des accidents topographiques, mais encore des contingences locales
(Art.4). L'Espagne s'est engagée à n'aliéner ni céder sous aucune forme, même à titre
temporaire, ses droits dans tout ou partie du territoire composant sa zone d'influence (art.5).
En d'autres termes, l'Espagne, pour quelque raison que ce soit, promettait de ne jamais
abandonner les territoires sous son contrôle. Mais nous verrons plus loin, l'Espagne ne
tiendra pas son engagement car elle finit par céder au Maroc Ifni et Tarfaya. En ce qui
concerne justement Ifni, l'article III de la convention stipulait que le gouvernement marocain
ayant, par l'article 8 du traité du 26 avril 1860, accordé à l'Espagne un établissement à Santa
Cruz de Mar Pequeña (Ifni), il est entendu que le territoire de cet établissement aura les
limites suivantes : au nord l'oued Bou Sedra, depuis son embouchure; au Sud l’oued Noun,
depuis son embouchure; à l'Est, une ligne distante approximativement de vingt-cinq
kilomètres de la côte (Convention entre l’Espagne et la France faite à Madrid le 27
novembre 1912, pp. 208- 218).

75
De ce qui précède, nous pouvons dire que les limites actuelles du Sahara Occidental
sont le résultat d’un processus de longue haleine. Comme on peut le voir, les délimitations
et les accords de délimitation sont assortis de profondes considérations géopolitiques. Les
délimitations ont été faites règle et crayon en main avec des lignes sporadiques tracées sur
une carte pour que la France et l’Espagne puissent préserver leurs intérêts. En d'autres
termes, le tracé des frontières du Sahara Occidental en particulier et des autres pays de
l'Afrique en général obéit essentiellement aux intérêts géopolitiques et n’ont pas des
données ethniques, linguistiques, ou culturelles. D’un vaste territoire désertique, parcouru
par des peuples nomades pour qui la notion de frontière était inconnue, ce territoire devenait
une entité politico-juridique administrée par une puissance coloniale. Si les successifs
accords consacraient la délimitation des zones d'influence de la France et de l'Espagne dans
le nord-ouest de l’Afrique, ils ont aussi ouvert la porte à la colonisation espagnole de ce qui
était désormais le Sahara « espagnol ».

II- LE SAHARA ESPAGNOL, DE COLONIE À PROVINCE : LA POLITIQUE


COLONIALE ESPAGNOLE

La conférence de Berlin de 1884 au cours de laquelle les côtes du Sahara ont été
attribuées à l'Espagne, a marqué le début de la colonisation espagnole de ce territoire. Cette
reconnaissance internationale du droit des Espagnols sur ces côtes et l’hinterland du
territoire s'est matérialisée lors des trois accords internationaux entre la France et l'Espagne.
L'année 1912 a consacré la fin de la délimitation des frontières du Sahara espagnol telles
que nous les connaissons aujourd'hui. L’accord final de 1912, est venu corroborer l'objectif
du gouvernement espagnol de légitimer son action expansionniste en Afrique. De plus, il a
permis d’assurer à la face des autres puissances étrangères que le territoire entre le Cap
Bojador et le Cap Blanc (actuel La Gouera), baptisé désormais « Sahara espagnol », est
désormais sous le protectorat de l'Espagne (Décret Royal du 17 décembre 1884).

L'incorporation à l'Espagne des territoires de Rio de Oro et de Saguia el Hamra a


réaffirmé la volonté de ce pays de finaliser l'annexion de tout l'arrière- pays saharien. En
effet, à cette époque, la présence espagnole se limitait seulement aux zones côtières sans
doute pour mieux défendre l'archipel des Canaries. Le temps était maintenant venu de
poursuivre l'exploration et l'exploitation du Sahara.

76
1- Pénétration, conquête, exploration et occupation effective de l’hinterland du
Sahara espagnol 1933-1956

Le professeur Salom (2003), parlant de « los orígenes coloniales del Sáhara


Occidental en el marco de la política española64» (p. 248), pense que dans le grand
mouvement d'expansion coloniale des grandes puissances au cours du dernier quart du XIXe
siècle, la position adoptée par l'État espagnol avait fondamentalement un caractère défensif
(Salom, 2003). En effet, face à la pression coloniale d'autres puissances expansionnistes
telles que la France, l'Angleterre et les États-Unis, il appartenait à l'Espagne de sauvegarder
l'héritage colonial stratégique qu’elle avait en Amérique, dans le Pacifique, au Maroc et en
Guinée. Mais dans le cas du Sahara Occidental, la position coloniale espagnole a été d'un
tout autre caractère. En fait, pour lui, la colonisation du Sahara a été l’unique action
expansive ou acquisitive : la proclamation et l’installation (Salom, 2003, p. 248).

Pour Milán (2007, p.366), l’attitude de l’Espagne s’explique par le fait que face aux
revendications des habitants des îles Canaries qui demandaient l'occupation du territoire où
il y avait la forteresse de Santa Cruz de Mar Pequeña. En fait, certains politiciens insulaires
présents au Congrès des députés se sont montrés de plus en plus préoccupé par le souci de
sauvegarder le côté du continent africain qui fait face aux îles Canaries d’autant plus que les
Britanniques avaient installé un comptoir dans l'hinterland précisément au cap Juby. Toutes
ces pressions politiques vont accoucher de la conquête du protectorat.

1.1. La conquête politico-militaire du Sahara espagnol

Il faut dire d’emblée que lors de la signature des différents traités de délimitation des
frontières du sahara, l’Espagne n’avait qu’une idée, qu’une seule stratégie pour le territoire ;
garantir l’exploitation des bancs de poissons du Sahara à travers le contrôle de certains
points clés de la côte. Milán (2007), ajoute que l’Espagne n’avait un « interés alguno en
ganar territorio en el interior del Sahara 65» (p. 369).

Une fois exécutée la délimitation des frontières sud et nord du protectorat espagnol
du Sahara, le gouvernement a transféré les territoires entre le Cap Bojador et le Cap Blanc

64
Notre traduction : Les origines coloniales du Sahara Occidental dans le cadre de la politique espagnole.
65
Notre traduction : Aucun intérêt à posséder des territoires à l’intérieur du Sahara.

77
au ministère d'État. À travers sa section coloniale, ce ministère a exclu, d’emblée, toute
tentative de pénétration militaire du territoire. Toutefois, à l’époque, l'Espagne misait plus
sur la valorisation du littoral d'un territoire qui, à l'exception de ses eaux, ignorait tout de la
valeur économique de son sous-sol. En fait, les richesses du sous-sol du Sahara étaient
inconnues des Européens à cette époque (Milan, 2007, p.369). C'est donc pour évaluer les
portées économiques du territoire pour lequel elle avait tant lutté, que le gouvernement a
mis en place à partir de 1903 une expédition. Cette expédition comme on pouvait le deviner,
avait pour finalité d’étudier non seulement les possibilités de mise en place de zones de
culture mais aussi pour essayer d'établir des relations commerciales avec les tribus de
l'intérieur ; ce qui permettrait aussi d'attirer le commerce caravanier vers la ville de Villa
Cisneros.

La pénétration espagnole a été menée par Francisco Bens Argandoña, capitaine de


La Havane et vétéran de la guerre de Cuba. Il a été nommé nouveau gouverneur politico-
militaire de Río de Oro et a remplacé la garnison d'infanterie de la marine par des unités de
l'armée des îles Canaries. Au commandement d'un petit détachement composé de 31
hommes et d'une pièce d'artillerie (Cobo & Menéndez, 2006, p.17), il deviendra pendant 22
ans le véritable architecte de l'occupation du territoire. Avec ses maigres forces, Bens a suivi
une procédure d'occupation qui peut être considérée comme classique dans l'expansion
coloniale et qui avait été employé avec succès par les créateurs, les généraux Gallieni et
Lyautey. Il s’agissait de la « pénétration pacifique » qui consistait –dans le cas espagnol–
essentiellement à acheter la volonté des indigènes en leur livrant des cadeaux et de l’argent
en espèces, sans toutefois pénétrer à l’intérieur du territoire (Milan, 2007, p.369). Cette
politique a été motivée par le fait que les Espagnols ne pouvaient s’éloigner quelques
kilomètres de leur fort sans courir le risque d'être attaqués par les hommes du désert, les
redoutables « hommes bleus ».

F. Bens à qui il incombait de dominer le pays, a commencé à occuper


progressivement les points les plus caractéristiques de la côte sahraouie. Ainsi, entre 1914
et 1916, il a pu installer une petite garnison à Tarfaya et trois garnisons sur la côte : La
Gouera au sud, Villa Cisneros au centre et Villa Bens au nord. À partir de ces postes, des
patrouilles de reconnaissance circulaient, ce qui a progressivement élargi la zone de contrôle
jusqu'à ce qu'elles se relient les unes aux autres. Dans le même temps, ces postes étaient

78
transformés en centres de commerce pour attirer les indigènes, afin de leur montrer que la
coopération impliquait la prospérité (Cobo & Menéndez, 2006, p.17).

Les maigres forces de F. Bens n'étaient pas suffisantes pour imposer l'autorité
coloniale au-delà des côtes. En effet, le capitaine était confronté à une défection du
gouvernement qui avait refusé de l'aider à occuper d'autres parties de l'arrière-pays sahraoui.
Mais, après plusieurs tentatives, le Cap Juby était finalement occupé en mars 1916, tandis
qu'en novembre 1920 il prenait La Gouera. Dans les deux cas, l'occupation a été effectuée
conformément aux directives établies par les dirigeants espagnols. En d'autres termes, de
petits détachements débarquaient pacifiquement à l'endroit choisi sur la côte et tentait
d'acheter la bonne volonté et la coopération des indigènes grâce à la politique des cadeaux
(Milan, 2007, p. 371).

Si l'occupation de la côte saharienne était quelque chose de simple, la pénétration à


l'intérieur des terres était beaucoup plus lente et plus difficile. En fait, le personnel dont
disposait F. Bens était largement insuffisant pour imposer leur autorité au-delà du périmètre
des sites. À ce propos, Lebrun (1928 cité par Slaoul, 1975), soutient que « On connaît la
situation, le Rio de Oro est une vaste contrée désertique, trois postes espagnols y sont
installés. Et les Espagnols sont en quelque sorte prisonniers derrière leurs murailles et leurs
réseaux de fils de fer.» (p. 126). C’est ainsi qu’à partir de 1926, les autorités militaires
espagnoles ont commencé à utiliser des troupes indigènes pour effectuer leurs incursions à
l'intérieur du territoire (Cobo & Menéndez, 2006, p. 18).

Plusieurs facteurs peuvent expliquer le recrutement d'indigènes dans la mission


d’exploration et de conquête du Sahara. D'abord, excellents connaisseurs des conditions de
vie dans le désert, les indigènes sahraouis s’adaptaient beaucoup mieux que les Européens
au climat africain. L’autre facteur qui favorisait le recrutement des autochtones, c’était le
coût. En effet, les Sahraouis étaient très peu payés par rapports aux blancs, aussi, ils
pouvaient se nourrir avec parcimonie avec les produits de la terre, de sorte que les lourds
convois de ravitaillement qui devaient accompagner une colonne européenne n'étaient pas
nécessaires. Enfin, le recrutement des indigènes s'inscrivait dans une politique coloniale
stratégique basée sur le principe de « diviser pour mieux régner » ce qui a permis dans une
certaine mesure de venir à bout de l'opposition sahraouie à la pénétration espagnole. Ainsi,
par cette politique, ce n'était pas seulement que l'Espagne occupe le Sahara, mais aussi que

79
les africains eux-mêmes occupent ce territoire au nom de l'Espagne (Cobo & Menéndez,
2006, p.18).

Jusque dans les années 1930, le contrôle par l’Espagne de l'hinterland du Sahara
espagnol était plus fictif que réel. En effet, l'autorité coloniale espagnole se limitait aux
postes militaires établis sur la côte. À cette époque, la région de Saguia el Hamra était
fréquemment utilisée par des tribus pour attaquer les possessions françaises. Par conséquent,
en 1934, la France décida alors de mener une campagne de pacification des dernières zones
de dissidence dans les confins algéro-marocains, au sud du Maroc et au nord-ouest de la
colonie mauritanienne. Pour ce faire, la France a fait pression sur les Espagnols qui ont fait
de même pour occuper l'intérieur du Sahara. En réalité, la France lorsqu'elle a exigé
l'occupation effective de l'intérieur du Sahara par l'Espagne, c’était pour sécuriser une zone
rebelle qui faisait face au territoire qu’elle avait déjà pacifié. Par ailleurs, pour la France, les
rebelles marocains opposés à la colonisation espagnole qui sévissaient dans la zone, se
formaient et se refugiaient dans cette partie incontrôlée encore par l’Espagne (Miguel, 1995,
p. 49).

Pour mener à bien l'occupation de l'intérieur du Sahara, une unité militaire indigène
appelée « MIA de Camellos » (Cobo & Menendez, op.cit, p.18) est créé et commandée par
des officiers espagnols. Le 6 avril 1934, cette unité dirigée par le colonel Fernando Capaz a
pu par des moyens pacifiques et avec une grande intelligence occuper Ifni. Quelques mois
plus tard, précisément le 15 juillet 1934, le capitaine Galo Bullón occupait la mythique ville
de Smara, capitale religieuse du Sahara, fondée par le "Sultan Bleu", Chech Ma El Ainin66
en 1898 (Miguel, idem, p. 50). La conquête militaire du Sahara espagnol s'est achevée avec
l'établissement de postes à Guelta, Zemmour, Tichla et Bir Gandus.

La conquête politico-militaire que nous venons de présenter a été suivie d'une autre,
la conquête ou exploration scientifique pour étudier les caractéristiques géographiques et
géologiques du territoire.

66
Ma El Ainin fut l’un des premiers nationalistes sahraouis. Il était farouchement opposé à la pénétration
européenne au Sahara. Vers la fin du XIX siècle, il a combattu les forces françaises. Mais il sera vaincu par
les français en juin 1910.

80
1.2. L’exploration scientifique du Sahara

À partir de 1940, les autorités coloniales espagnoles ont lancé plusieurs expéditions
scientifiques dirigées par les géologues Manuel Alía Medina et Francisco Hernández
Pacheco. En 1945, Manuel Alía Medina découvrait l'existence de gisements de phosphate
dans le sous-sol du Sahara espagnol. Deux ans plus tard, et après une nouvelle expédition,
Alía lui-même a confirmé la richesse en phosphate des gisements du Sahara (Milan, 2007,
p. 178).

La découverte a suscité plus l'intérêt de l'Espagne en raison des avantages que


pourrait apporter à son économie nationale lesdits gisements. En effet, comme nous l'avons
vu précédemment, la production de phosphate naturel en Espagne a été très modeste. Entre
1929 et 1935, la production intérieure ne représentait pas plus de 2,2% de la consommation
de minerai de phosphate naturel, tandis que les importations représentaient les 97,8%
restants (Milan, 2007). Ainsi, vu les bons résultats obtenus par Manuel Alia, le 9 septembre
1947, le gouvernement a approuvé en faveur de l'État tous les gisements de substances
minérales qui seraient découvert au Sahara espagnol, conformément aux dispositions de
l'article 2 du Règlement Minier du 31 Août 1947 en Afrique Occidentale Espagnole (AOE67)
(Bulletin Officiel de l’État, nº 255,1947, p. 77).

Dans le cadre de sa politique autarcique de recherche minière visant à approvisionner


le marché national et à réduire au maximum les importations, dans le mois de novembre de
la même année, l'Institut National de l'Industrie (INI) a mandaté la Société Nationale Adaro
d’Investigation Minière SA (ENADIMSA) de réaliser une enquête sur lesdits gisements afin
d'évaluer leurs quantité et qualité. Le géologue Alía Medina et l'ingénieur minier José de la
Viña seront chargés par l'ENADIMSA de la réalisation des premières études techniques au
Sahara (Milan, 2007, p. 183).

Parallèlement, des études étaient menées pour rechercher d’autres ressources


naturelles, avec un intérêt particulier pour les hydrocarbures comme le pétrole. Dans ce sens,
les premières indications de l'existence d'or noir découvertes par les sociétés américaine
Kerr Mc Gee et française Total Fina remontent aux années 1940.

67
L’Afrique Occidentale Espagnole (AOE) est créée en juin 1946. Elle était formée des territoires d’Ifni, la
zone méridionale du protectorat du Maroc et des territoires de Saguia el Hamra et de Rio de Oro. L’AOE était
placée sous l’autorité de la Présidence du Gouvernement d’État espagnol.

81
Cependant, la situation économique et politique de l’Espagne post-guerre civile68 et
début seconde Guerre Mondiale (1939) empêchait que la prospection pétrolière fût la
priorité tant du Gouvernement espagnol que des entreprises impliquées. Il a fallu attendre
près de vingt-huit ans (en 1958) pour qu’à travers la Loi d’investigation d’hydrocarbures,
soient accordées des licences d’exploration à diverses entreprises espagnoles et étrangères.
La découverte de ces quelques ressources a donné lieu à la colonisation du territoire.

2- La colonisation du Sahara espagnol

La conquête et la pacification de l’hinterland du Sahara ont débouché sur la mise en


place de politiques de gestion administrative, économique et militaire du territoire.
Commençons par analyser l’administration politico-administrative et économique.

2.1. La gestion politico-administrative du Sahara

Pendant la guerre civile espagnole69, une nouvelle étape de la gestion politique du


Sahara a commencé avec l’intensification de moyens nécessaires pour mener à bien une
réorganisation administrative du territoire. Pour mémoire, il faut dire qu'au début, la
colonisation espagnole du Sahara était imprécise et dénuée de sens. En effet, comme nous
l'avons montré plus haut, les premières enclaves n'étaient établies que sur les côtes pour
protéger les richesses halieutiques du littoral et également dans le but de faire des côtes du
Sahara une sorte de base arrière visant à protéger les îles Canaries. Autrement dit, à cette
époque, l’Espagne n’était nullement pressée d’occuper l'arrière-pays du Sahara. Ça sera
sous la pression de la France que l'Espagne s’est enfin décidée à conquérir et à occuper Sidi
Ifni (en avril 1934) et de procéder à la pacification des confins saharo-marocain.

Auparavant, le territoire sahraoui avait été déclaré protectorat par l'arrêté Royal du
26 décembre 1884. Le statut politico-juridique du protectorat va évoluer ensuite. En 1912,
de « protectorat », le pays des sahraouis devient une colonie espagnole. En 1885, un
commissaire royal des Territoires de la côte ouest de l'Afrique était nommé, il s’appelait
Emilio Bonelli. Deux ans plus tard, les territoires (Sahara espagnol et protectorat marocain)
sont incorporés à la capitainerie générale des îles Canaries, le commissaire de la région

68
En effet, l’Espagne venait de sortir d’une sanglante guerre civile fratricide qui avait commencé en juin 1936
et terminée en juillet 1939, date à laquelle commençait la dictature du General Francisco Franco.
69
La guerre civile espagnole ou guerre d’Espagne dura de 1936 à 1939. Cette guerre a opposé le gouvernement
républicain espagnol du Front populaire (Frente popular) à une insurrection militaire et nationaliste dirigée
par le général Franco.

82
prenant le titre de gouverneur politique militaire adjoint de Río de Oro. Cependant, le
ministère d'outre-mer a été supprimé en 1899 après la perte des colonies de Cuba, Porto
Rico et les Philippines. À partir de ce moment, les affaires coloniales relevaient de la
présidence du Conseil des ministres puis du ministère d'État qui a créé une section coloniale
(Miguel, 1995, p.65). En 1925, la Dirección General de Marruecos y Colonias (Décret
Royal du 15 décembre 1925), a été créée, pour assurer un meilleur contrôle du protectorat
espagnol dans le nord du Maroc et de la colonie du Sahara espagnol. En fait, pour ce qui
était de ce territoire, il n'y avait ni contrôle ni organisation territoriale effective de la part de
l'Espagne. Jusqu'en 1925, l'Espagne n'avait pas encore établi un contrôle administratif et
colonial suffisant sur le Sahara. Ce ne sera qu'en 1934, après la conquête des confins nord
du Sahara et sud du Maroc, que l’Espagne procèdera à une structuration administrative et
politique de ses possessions en Afrique de l'Ouest.

Pendant la Guerre Civile espagnole, Juan Beigbeder Atienza a été nommé nouveau
haut-commissaire de l'Espagne au Maroc. La nomination de cette personnalité à cet
important poste, avait pour rôle de mener à bien la réorganisation politico-militaire des
territoires d'Ifni, de la zone sud du protectorat marocain (Tarfaya) et du Sahara espagnol
comme le souhaitaient certains militaires africanistes (Milan, 2007, p. 373). Pour unifier
l'action politique et militaire dans les possessions espagnoles en Afrique de l'Ouest, le
nouveau Haut-Commissaire a divisé les possessions en trois : Ifni, Tarfaya et Sahara. Pour
soutenir cette nouvelle organisation territoriale, l’"Inspection des territoires de la côte
atlantique" est créée, dirigée par le lieutenant-colonel Antonio Oro Pulido (Milan, ibid.).
Celui-ci a procédé à deux réformes majeures en matière d'organisation territoriale. La
première mesure concernait l'organisation militaire des îles Canaries par la création de
plusieurs garnisons dans l’archipel. La deuxième grande réforme a été la création d'un
réseau de communication terrestre pour promouvoir le contrôle et la surveillance du Sahara,
un vaste territoire aux frontières mal définies avec une population nomade.

De plus, la réforme avait pour but de permettre d’unir toutes les enclaves espagnoles
en Afrique de l’Ouest, d'accélérer la connexion entre elles, de construire un vaste réseau de
routes et plus de 2000 km de pistes d'atterrissage pour faciliter l’accès à toutes les enclaves.
Au cours des années 1938 et 1941, de nouveaux postes ont été construits à l'intérieur du
Sahara: Bir Ganzud, Ticla, Zug, Mseid del Dra, Tizgui, Remtz (voir Milan, 2007, p. 374 et

83
López, 2016, p. 18). Après la Guerre Civile espagnole, le gouvernement dictatorial de
Franco a procédé à une troisième réorganisation et restructuration des possessions en
Afrique de l’Ouest. Par la loi du 12 avril 1940, le territoire a été réorganisé en deux: Ifni et
Sahara espagnol. Le Sahara espagnol à son tour était divisé en trois: Cap Juby au Nord,
Saguia El Hamra au Centre et Rio Oro au Sud (López, 2016, p. 18).

Figure 2 : Possessions espagnoles Afrique de l’Ouest et Nord

Source: https://www.monde-diplomatique.fr/IMG/png/8601v2.png consulté le 20/07/2019.

84
La nouvelle réorganisation du Sahara n’était pas synonyme d’un changement radical
par rapport aux deux dernières opérations de restructuration effectuées en 1935 et 1937,
puisque les deux territoires étaient sous l'autorité du Haut-Commissariat de Police
d'Espagne au Maroc jusqu'en 1946. Au demeurant, la dernière restructuration politico-
administrative signifiait en effet qu’à partir de ce moment la présence militaire et
l’investissement économique sur le territoire deviendrait plus important encore dans ce
territoire (Milan, 2007, p. 374). Toutefois, concernant le budget alloué par le gouvernement
franquiste au Sahara, les auteurs s'accordent à dire qu'il est difficile de spéculer sur les
chiffres exacts des dépenses que le gouvernement franquiste a faites. Un auteur soutient
qu’à cette époque, le budget alloué au Sahara s'était multiplié par 7 ou 8 et même jusqu'à
8,7 entre 1935 et 1945, tandis que la région de Tarfaya connaissait une augmentation dans
l’ordre de 4,5 dans la même période (Milan, op.cit., p. 374 et López, op. cit., p. 18).

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette forte augmentation, tant du personnel


militaire que du budget de la colonie du Sahara espagnol. Là encore, les auteurs divergent
sur ces raisons. Pour Javier Morillas, par exemple, l’augmentation du budget sahraoui
s'explique par « la necesidad de transferir capitales vía presupuesto ante la constatación
de las posibilidades económicas del subsuelo sahariano »70 (Morillas, 1988, p. 174). Mais
l'augmentation du budget alloué au Sahara espagnol est due à deux facteurs essentiels.
Premièrement l’occupation de l’hinterland saharien-marocain, dont la valeur géostratégique
accroissait dans une conjoncture aussi délicate comme celle de la Seconde Guerre Mondiale.
En deuxième lieu, cette action répondait à la nécessité de maintenir la présence coloniale
dans le continent africain, vu que pour la réussite de sa stratégie autarcique, le régime
franquiste avait besoin de contrôler son «espace vital» et dans cet espace était inclus les
colonies et protectorats. L’augmentation du budget par Franco était aussi due à l’importance
du territoire en termes de ressources naturelles. Par ailleurs, en cette période de Seconde
Guerre mondiale, l’importance du territoire augmentait pour sa grande valeur
géostratégique (Lopez, 2016, p. 19). Comme Francisco Franco lui-même l'a dit en mai 1949,
« loin de constituer des dépenses, nos colonies sont devenues un élément important pour
notre économie » (De Froberville, 1996, p. 27).

70
Notre traduction: la nécessité de transférer des capitaux par le biais du budget compte tenu de la
constatation des possibilités économiques du sous-sol saharien.

85
En juillet 1946, par arrêté royal, l'Espagne franquiste créait l'Afrique occidentale
espagnole (AOE) et une restructuration de l'administration de ses possessions du nord-ouest
de l'Afrique commença. Les territoires de l'AOE étaient divisés en deux: d'une part, par la
colonie du Sahara espagnol (qui englobait administrativement Tarfaya) et Ifni et d’autre
part, le protectorat du nord du Maroc (le Rif). L'AOE dépendait directement de la présidence
du gouvernement sous l'autorité d'un gouverneur général qui avait les pouvoirs politiques,
administratifs et, bien sûr, militaires. Ce changement dans l'administration des territoires
qui a duré jusqu'en 1958, et qui a entrainé un renforcement des effectifs militaire dans cette
partie nord-ouest du Maghreb avait pour but d’étouffer l'éveil du nationalisme marocain, et
protéger ses territoires sahariens (De Froberville, 1996, p. 27).

En 1958, l'A.O.E est supprimée. Cette suppression va induire un changement dans


le régime juridique du Sahara et d’Ifni. En effet, de « colonie », le Sahara espagnol et Ifni
devenaient des « provinces » espagnoles. La provincialisation s’est faite par le biais du
décret du 10 janvier 1958. L'article 1 de celui-ci stipulait que « los Territorios del África
Occidental Española se hallan integrados por dos provincias, denominadas Ifni y Sáhara
Español »71. En d'autres termes, le Sahara espagnol à partir de ce moment faisait partie
intégrante du royaume d'Espagne, mieux, il devenait son appendice. La provincialisation du
Sahara espagnol par le gouvernement espagnol s'explique, selon nous, par le fait que
l'Espagne a voulu lutter contre la fièvre indépendantiste qui secouait la région et surtout,
elle entendait demeurer sur un territoire où les études de prospections scientifiques avaient
révélé d'importants gisements de phosphate.

Trois ans après le changement des colonies d’Ifni et du Sahara espagnole en


province, la loi du 19 avril 1961 instituait El Ayoun comme capitale de la province Sahara
espagnol. Un an plus tard, le décret du 29 novembre 1962 portant Organisation de
l'administration locale du Sahara venait fixer la composition, les pouvoirs et le régime
électoral. Pour ce qui était du premier point, le texte prévoyait la création de municipalités
ou ayuntamentos, présidées par un maire, dit alcalde, et au nombre de deux, un à El Ayoun
et l’autre à Dakhla. Par ailleurs, des « entités locales de base » ou « entités locales
mineures », désignées par des « assemblées locales » étaient créées. Enfin, le texte prévoyait

71
Notre traduction : Les territoires de l’Afrique Occidental Espagnole sont divisé en deux provinces Ifni et
Sahara espagnol.

86
la création d’un « cabildo provincial » ou assemblée consultative qui sera présente dans
chaque province et présidée obligatoirement par un député.

Étant donné les particularités de la société sahraouie (composée de tribus ou


fractions de tribus), une Djemaa ou assemblée territoriale était instituée par le décret du 11
mai 1967. Cette Djemaa (qui ne devait pas se confondre avec la Djemaa de la société
traditionnelle sahraouie dont nous avons parlé plus haut) se composait du président du
cabildo, des maires d'El Ayoun et de Dakhla, des cheikhs72 et 40 représentants élus
démocratiquement. Le président et les vice-présidents étaient élus obligatoirement parmi le
président du Cabildo, les maires et les cheikhs. Leur mandat était de 4 ans.

Concernant le régime électoral, celui-ci était en partie corporatiste, en partie direct


et indirect. Pour être électeur et pour être éligible (municipalité ou présidence de la Djemaa)
il fallait avoir 21 ans révolus et être titulaire de la carte équivalant reconnaissance de la
nationalité espagnole. En un mot, ce droit était ouvert au seul chef de famille qui pouvait se
vanter d’avoir ce précieux sésame. En outre selon l'article 168 du décret, la désignation des
candidats en lice devait être contresignée par le gouverneur général qui pouvait lui-même,
désigner des candidats de son choix. Les candidats retenus devaient prononcer une espèce
de serment. En effet ceux-ci devaient jurer « fidélité à l'Espagne dans l'accomplissement de
[leurs] devoirs et respect à la loi qui régit la vie de la communauté » (Boucherikha, 2013,
p.33).

La Djemaa occupait de ce fait le sommet de la pyramide de l’organisation politique


et de l'administration locale de la province du Sahara. Concernant ses pouvoirs ils étaient
purement consultatifs. Elle ne disposait pas de véritable pouvoir de décisions. En réalité, la
Djemaa était tout simplement un instrument, mieux, un moyen au travers duquel la volonté
et les décisions de Madrid étaient exécutées. Dans une missive datant du 27 février 1973
adressée au général Franco, elle le priait de mettre en place un processus
d'autodétermination pour parvenir à un « développement progressif des organismes légaux
existants » dans le but d' « arriver à une plus grande participation du peuple [sahraouis].aux
fonctions et décisions de son administration interne » (Boucherikha, 2013, p. 34). La
Djemaa priait instamment Franco de poursuivre le financement et l'assistance technique

72
Les cheikhs étaient les chefs de tribus ou fractions de tribus.

87
pour le développement économique, social du territoire. Toutefois, la représentation
extérieure du territoire et la garantie de son intégrité devraient incomber à l'Espagne dont le
chef d'État (Franco) devrait être l' « incarnation de l'autorité suprême du peuple sahraoui »
(Boucherikha, ibid.).

En réponse aux doléances formulées par la Djemaa, dans une lettre du 12 septembre
1973, le général Franco accédait aux demandes de réorganisation politique et administrative
du Sahara. Avant les politiques de réorganisation politique de l’administration locale du
territoire, quel genre de gouvernance l’Espagne a mené sur sa colonie ? Pour répondre à
cette interrogation nous allons analyser la caractéristique de la colonie du Sahara espagnol.

2.2. La « véritable » nature de la colonie du Sahara espagnol

L'expansion coloniale européenne du XIXe siècle a été dominée par ce qu'un auteur
appelle « le colonialisme mercantile » (Sanchez, 2018, p. 41). C’est-à-dire qu’à travers leurs
colonies, les puissances colonisatrices voulaient soutenir l'activité économique afin de
promouvoir le commerce colonial. La règle d’or de cette politique commerciale était basée
sur le fait que les colonies pourvoyaient en matières premières les métropoles, tandis que
les métropoles envoyaient des produits manufacturés dans leurs colonies.

Un peu plus tard, en raison de la montée du mercantilisme colonialiste, les colonies


ont été classées en deux catégories. D'une part, il y avait les territoires appelés colonies de
peuplement. C'étaient des territoires qui avaient un nombre abondant de populations
d'origine européenne qui y avaient émigré pour s'installer définitivement (Sanchez, 2018, p.
42). Cette poignée de population européenne donnait naissance à des sociétés de type
occidentales en soumettant la population indigène. Mieux, les colonies de peuplement ont
été utilisées pour absorber une partie très importante de la masse démographique des
métropoles. Comme exemple de telles colonies, nous avons l'Algérie, le Québec et la
Louisiane pour le cas de la France ou de l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou l'Afrique du
Sud, pour ce qui est du Royaume-Uni.

La deuxième catégorie de colonies qui se distingue est celle dite les « colonies
d'exploitation ». Comme son nom l'indique, ce type de colonies étaient dédiées à
l'exploitation pure et simple des ressources humaines et naturelles. En effet, dotées de fortes

88
structures économiques et administratives, leurs ressources naturelles étaient exploitées au
profit de la métropole. Dans ces colonies, la population indigène se présentait comme une
source de main-d'œuvre abondante et bon marché (Sanchez, 2018, p. 42), travaillant dur
dans les mines et dans les plantations des maitres blancs.

Contrairement à la colonie de peuplement, les colonies d’exploitation étaient


utilisées par la métropole comme source d'approvisionnement en matières premières
nécessaires au bon fonctionnement et au développement des industries européennes. En
d'autres termes, elles constituaient des territoires exploités uniquement pour leurs ressources
naturelles et humaines. À la lumière des agissements de l'Espagne sur le Sahara, il est
difficile de dire a priori si le Sahara espagnol appartient à la première ou à la deuxième
catégorie de colonie que nous venons de mettre en évidence. Ne serait-il pas sage de classer
la colonie espagnole du Sahara à cheval entre les deux catégories, même si elle est très
proche de la seconde ? A posteriori, les Espagnols se sont intéressés au Sahara pour ses
côtes riches en ressources halieutiques et pour défendre l'archipel Canaris.

Pour Ruiz Miguel (1995, p. 79), la colonisation espagnole moderne du Sahara


présente des caractéristiques particulières qui la distinguent des autres colonisations
effectuées par l'Espagne dans le monde. En effet, à partir du XVe siècle, les colonisations
de grande ou petite envergure que l'Espagne a entreprise dans le monde ont été guidées par
un zèle missionnaire assorti d’objectifs politiques. Pour lui, la colonisation espagnole était
synonyme d'évangélisation. Ces tendances évangélisatrices n'ont pas disparu avec le temps.
La colonisation de la Guinée à la fin du XIXe siècle et au cours du XXe siècle a les mêmes
traits d'évangélisation. Ce paradigme montre ces limites quand on sait que l’objectif premier
des Nations colonisatrices a toujours été politique et économique.

La colonisation espagnole du Sahara n'avait pas ce caractère purement évangéliste.


Lorsque nous analysons les premières heures de la colonisation espagnole de ce territoire,
il semble que l'Espagne ne savait pas en réalité quoi faire de cette terre. Il semble même que
son unique intention était de protéger ses pêcheries et préserver les iles Canaries de l’assaut
de puissances européennes rivales. À la limite de nos recherches, nous pouvons affirmer
que la colonisation du Sahara n'était pas prévue, elle s’est imposée à l’Espagne par les
réalités géopolitique du moment. C'est peut-être ce qui explique que quand l’Espagne a
véritablement commencé à s'intéresser au territoire, il était trop tard, étant donné que cette

89
période a coïncidé avec l’émergence de mouvements nationaliste et indépendantiste qui
secouaient toute l'Afrique et surtout le Maghreb.

A posteriori, le Sahara espagnol était une colonie d'exploitation. Une colonie


d’exploitation, car c’est la quête des ressources naturelles qui justifie l'arrivée des Espagnols
sur cette terre désertique. Mais le Sahara espagnol peut être considéré aussi comme une
colonie de peuplement ou comme, le dit Guadalupe P. García, une « colonie pénitentiaire »
(Pérez García, 2002, p. 169). Elle a été une colonie où l’on envoyait des condamnés purger
leur peine. En effet, le Sahara espagnol a été utilisé comme terre de « peuplement » pour
une population « indésirable » d'origine européenne. Mieux, le territoire a été utilisé comme
terre d’accueil d'une frange de la population métropolitaine : les prisonniers.

Le changement du Sahara en colonie pénitentiaire est la résultante d'une loi votée en


1931. En effet, le 21 octobre 1931, la loi portant Défense de la République établissant la
possibilité de déporter hors d'Espagne des personnes qui menaçaient la stabilité du régime
républicain est promulguée en Espagne. C'est en vertu de cette loi que pendant la Deuxième
République, la colonie de Rio de Oro au Sahara espagnol est devenue un centre de détention.
Cependant, l’idée de faire de la colonie du Sahara espagnol un centre pénitencier remonte à
un peu plus loin. Elle serait née à la fin du XIXe siècle. Comme l'explique. García (2002, p.
167), cette idée serait venue suite aux observations faites sur la configuration péninsulaire
et le climat côtier du Rio de Oro favorable au à l’installation de populations d’origine
européenne. Ainsi, les gouverneurs successifs de la colonie, le lieutenant d'infanterie de
marine Ángel Villalobos et Francisco Bens auraient défendu la perspective de la
transformation de ce territoire en prison. Pour donner vie à son projet, F. Bens construira
des lignes de forts permanents défensives à l’effet de résister à une éventuelle attaque des
indigènes et de contrôler les futurs détenus (Garcia, 2002, p.170).

En plus des forts, plusieurs autres infrastructures ont été construits à Villa Cisneros,
il s’agit d’une grande maison destinée à la pêche et située très près du port, d’un fort dans
lequel se situait la résidence du gouverneur de la colonie, d’une caserne militaire dotée d’une
boulangerie, d’une épicerie et d'autres installations de premières nécessités, des logements
pour les familles des officiers et des employés, des bureaux de poste et une station
radiotélégraphique, et d’usines, d’un casino, d’une chapelle etc. (Garcia, 2002, p. 170). Le
gouvernement espagnol décidait d'utiliser sa colonie du Sahara comme lieu d'exil pour

90
détenir des personnalités politiques qui lui mettaient des bâtons dans les roues. La première
expédition de déportés dans la colonie pénitentiaire de Villa Cisneros a été effectuée à partir
de 1932.

Deux événements ont été à la base de l’envoi de cette première expédition de


déportés à Villa Cisneros (Vidal, 1996, p. 134). Le premier évènement a lieu le 19 janvier
1932, il y a eu une grève révolutionnaire des anarchistes dans le bassin du Llobregat à
Barcelone. En réaction, plus de 150 militants libertaires et un groupe de mineurs, tous
participants à l'insurrection anarchiste d'Alto de Llobregat, ont été déportés à Bata en Guinée
Equatoriale et à Villa Cisneros au Sahara. Avec la poursuite de la grève jusqu’au 22 janvier
de cette année, 119 autres miniers et militants ont été détenus avec pour destination finale
Rio de Oro au Sahara espagnol. Le deuxième évènement qui a favorisé l’envoi de
prisonniers politiques dans la colonie de Rio de Oro c’était produit le 10 août 1932, avec la
tentative de coup d'État par Sanjurjo. Toutes ces déportations ont été faites en application
de la loi républicaine du 21 octobre 1931 qui pour la première fois en Espagne instituait la
déportation de prisonniers hors du pays. Mais il y a eu une autre déportation vers la colonie
sahraouie qui n'était pas motivée par l'application de la législation républicaine
susmentionnée.

Les victimes de cette déportation étaient un groupe de partisans politique de droite


détenu à Ténériffe à l’occasion du soulèvement du 18 juillet 1936 marquant les débuts de la
Guerre Civile espagnole (1936-1939). Ces détenus, ont été embarqués le 20 juillet dans la
Santa Rosa de Lima, la Gomera, le Santa Elena et le Adeje, ils demeureront sur les côtes
sahraouies pendant un mois. Une fois au Sahara, certains prisonniers, (au nombre de 38)
seront enrôlés de force au sein de la faction militaire indigène (Garcia, 2002, p.183) avec
pour objectif de participer à l’extension de l’autorité coloniale dans l’hinterland du Sahara
espagnol.

De ce qui précède, il convient de retenir la colonie espagnole du Sahara a été utilisée


par les Républicains pour expulser hors d'Espagne leurs concitoyens qui mettaient en danger
l'existence même du régime. Le Sahara espagnol était donc une colonie de « peuplement »
à cause des centres pénitenciers, mais il était aussi une colonie d’exploitation à cause de
l’intérêt primordial des autorités espagnoles pour l’exploitation des bancs poissonneux et
du phosphate de ce territoire. Jusqu'en 1941, l'Espagne s'intéressait davantage à la

91
construction des postes militaires et des prisons pour éloigner les opposants politiques des
centres de pouvoirs, « oubliant » ainsi de mettre en place des infrastructures de
développement pour améliorer les conditions de vie des populations locales. Même s’il faut
reconnaitre, toutefois, que quelques infrastructures de développements ont été réalisées de
manière sporadique à cette époque.

En outre, l'action du gouvernement espagnol à cette époque met en évidence, d'une


part, ce qu’il convient de qualifier de « colonisation imprécise » que l'Espagne a effectuée
dans le Sahara espagnol et d'autre part, cela illustre la rareté des moyens et la précarité de
l'administration coloniale espagnole dans ce territoire. Nonobstant ce qui précède, il faut
souligner que la véritable colonisation du Sahara espagnol a commencé à la fin des années
1950 et au début des années 60. Deux raisons sont à la base de cette volonté politique de
mettre l’accent sur l’administration du territoire.

La première raison est consécutive à la découverte des gisements de phosphates.


Après les études liminaires, des études détaillées et approfondies ont été faites en 1962 à
l’effet d’évaluer l'importance tant quantitative que qualitative des gisements de phosphate
découvert en 1947 par Manuel Alia Medina dans la région de la Saguia el Hamra. C’est sans
doute la découverte des ressources minières qui a induit la provincialisation du territoire en
1958 et de la transformation de la ville d'El Ayoun en capitale du Sahara espagnol le 19
avril 1961. C’est à partir de cette date que le gouvernement espagnol a commencé à investir
dans des secteurs sociaux tels que l'éducation et à mener des politiques d'aide sociale.

La deuxième raison est le corollaire du vent de liberté qui avait commencé à souffler
sur tout le continent. Il y avait à cette époque post Seconde Guerre Mondiale, l’éveil du
nationalisme dans les colonies Française, Britannique, Espagnole et Portugaise d’Afrique.
À cette époque, le Maghreb et notamment le Maroc était secoué par une vague
indépendantiste. Le Maroc retrouvera, en partie, sa souveraineté à la suite de la Déclaration
commune franco-marocaine du 2 mars 1956. Le faisant, l'Espagne se voyait contrainte par
la France de lui emboiter le pas. Le 7 avril 1956 l'Espagne mettait aussi fin à son protectorat
nord (rif) du Maroc. Il ne faisait aucun doute que les autorités espagnoles craignaient que
les habitants du Sahara espagnol ne soient contaminés par la fièvre nationaliste et
indépendantiste. Ce sont ces deux facteurs susmentionnés qui poussaient les autorités
espagnoles à intensifier l’action coloniale sur la province du Sahara espagnol. Toutefois,

92
l’accession à l’indépendance du Maroc ouvrait une sorte de boite de Pandore pour l’Espagne
au Sahara.

3- L’indépendance du Maroc ou le début des problèmes

De mémoire, il faut dire que la fin des protectorats hispano-français du Maroc a été
la conséquence lointaine de la défaite subie par la France en 1940 face à l’Allemagne
pendant la Seconde Guerre Mondiale. Cette défaite a eu pour effet le renforcement du
sentiment nationaliste au sein de la classe politique marocaine. Le Maroc a retrouvé sa
pleine souveraineté à la suite des deux déclarations communes franco-marocaine du 2 mars
1956 et hispano- marocaine du 7 avril 1956. La déclaration hispano-marocaine du 7 avril
1956 similaire d'ailleurs à la franco-marocaine, stipulait que : « Le gouvernement espagnol
et sa majesté Mohammed V, sultan du Maroc, considérant que le régime instauré au Maroc
en 1912 ne correspond pas à la réalité présente, déclarent que la convention signée à
Madrid le 27 novembre 1912 ne peut plus régir à l'avenir les relations hispano-
marocaines. » Dans le paragraphe suivant, le Gouvernement espagnol :

Reconnait l'indépendance du Maroc proclamée par S. M. Mohamed V et sa pleine


souveraineté avec tous les attributs de cette dernière, y compris le droit du Maroc à une
diplomatie et à une propre armée. Il réaffirme sa volonté de respecter l'unité territoriale
de l'Empire que garantissent les traités internationaux. II s'engage à prendre toutes les
mesures nécessaires pour la rendre effective (Exposé oral de M. Benjelloun, 1975,
p. 244).

Par ces deux articles, l’Espagne souscrivait à l'indépendance retrouvée du Royaume


du Maroc tout en s’engageant à respecter l'intégrité territoriale de l'Empire chérifien par le
transfert aux autorités marocaines des pouvoirs qu’elles exerçaient, ainsi que les territoires
sur lesquels elles les exerçaient. C’est dans leur application que ces résolutions allaient poser
du fil à retordre. En effet, le transfert de pouvoirs en zone nord (le Rif) a eu lieu
effectivement en juin 1956. Mais, en ce qui concerne la zone méridionale détenue par
l'Espagne en vertu du traité du 27 novembre 1912 portant délimitation des frontières du
protectorat du Sahara, son transfert ne s’est jamais fait.

Et pour cause, l’Espagne estime que le transfert de pouvoirs de la zone sud du


protectorat correspondant au Sahara Occidental (englobant Rio de Oro, Saguia el Hamra,
Tarfaya et Ifni) n'a pas eu lieu parce que :

93
Les mêmes difficultés présentes de façon permanente dans les régions méridionales du
Royaume du Maroc pendant une longue période historique, c'est-à-dire, le manque
d’exercice d'une autorité effective de la part des autorités marocaines, empêchèrent les
autorités espagnoles de pouvoir procéder immédiatement au transfert prévu (M.
Benjelloun, 1975, p. 244).

Cet argument avancé par l’Espagne constitue, selon le Maroc, une fuite en avant, car
à la vérité l’autorité coloniale de l’Espagne sur le Sahara relevait plus de la théorie que de
la réalité. Aussi c'est parce que 1Espagne répugnait de se dessaisir de quelque parcelle que
ce soit des territoires qu'elle avait administré pendant plus de quarante ans.

La conservation du Rio de Oro, Saguia el Hamra, Ifni et de Tarfaya a provoqué


l'indignation des autorités marocaines qui dès la proclamation de l'indépendance, ont
réclamé immédiatement la restitution de ces régions qui étaient encore entre les mains de
l'Espagne. Devant la longueur des pourparlers relatifs à cette restitution et les difficultés que
rencontrait le Maroc de la part de l’Espagne, le premier écrivit le 26 octobre 1957 une lettre
au ministère des affaires étrangères à Madrid. Dans cette lettre, le gouvernement marocain
insistait auprès de Madrid « de bien vouloir confirmer par écrit la position du
Gouvernement espagnol par rapport à ce transfert. » Par ailleurs, S.M. le Roi et son
gouvernement désiraient voir ce transfert se réaliser dans le plus bref délai possible. Il ne
manquait de rappeler que la réalisation dudit transfert contribuera à resserrer les liens
d'amitié et de compréhension mutuelle existant « heureusement » entre les deux peuples73.
Cette lettre ne faisait qu’annoncer le début des problèmes, tous azimuts, qui allaient bientôt
s’abattre sur la tête de l’Espagne.

Au sein de l’opinion publique marocaine et sahraouie, le désir de se défaire du joug


colonial espagnol commençait à se faire plus vivace. À la tête de ce front il y avait Allal El
Fassi, fondateur du parti nationaliste marocain l'Istiqlal, qui avait su mobiliser des éléments
de l'Armée de libération qui avaient refusé de rejoindre la nouvelle armée nationale
marocaine, les Forces Armées Royales (FAR). Ils déclenchèrent des hostilités contre les
forces françaises à Tindouf. En novembre 1957, deux compagnies militaires espagnoles sont
attaquées à Laâyoune par un détachement de l'armée marocaine de libération. Dans le même
temps, les Sahraouis attaquaient les troupes espagnoles dans la province de Tarfaya,

73
Cf. Lettre datée du 26 octobre 1957 adressé par l'ambassadeur du royaume du Maroc à Madrid à M.
Fernando Maria Castiella, Ministre des affaires étrangères, in. C.IJ. memoires, Sahara Occidental, vol. Il,
Exposés écrits et documents (suite) Appendice 50 à l’annexe 21.

94
obligeant celles-ci à battre en retraite en direction des villes côtières, El Ayoun, Villa
Cisneros et La Gouera (De Froberville, 1996, p. 28).

Pour se libérer des colons espagnols, les Sahraouis s’étaient alliées à l'Armée de
Libération Marocaine (ALM) qui avait jeté son dévolu sur la Mauritanie pour y secouer le
joug colonial. Ainsi, les bandes de l’armée de Libération, soutenues par les FAR, ont
commencé à opérer à l'intérieur du Sahara et à menacer les avant-postes français en
Mauritanie, à partir de là elles assiégeaient les garnisons espagnoles. Très rapidement, la
situation devint difficile pour l’Espagne quand El Ayoun la capitale est menacée par l’armée
de Libération et que les autorités coloniales prirent conscience de ce que ses troupes
estimées 2000 hommes (Cobo & Menéndez, 2006, p. 23), déployés principalement sur le
littoral, étaient insuffisantes pour défendre un territoire de 266.000 kilomètres carrés. Par
conséquent, l’Espagne décidait alors d’unir ses forces à celles de la France pour venir à bout
de l’insurrection.

Début février 1958, Madrid et Paris réunissaient leurs forces armées. Ils planifièrent
et lancèrent une opération militaire appelée Teide par les Espagnols et Ecouvillon par les
Français. Le théâtre d'action de cette opération était le Sahara espagnol en vue d'éliminer
tous les gangs irréguliers et de pacifier le territoire. Cette opération avait un double objectif
(géo) stratégique. De la part des Espagnols, permettre le rétablissement de l’autorité
coloniale espagnole en Afrique espagnole. Pour la France, elle consistait à empêcher que la
fièvre indépendantiste née au Maroc ne se propage à ses colonies de Mauritanie et d’Algérie
comme une trainée de poudre.

Nous n'allons pas retracer ici dans les moindres détails le déroulement de l'opération
de pacification du Sahara espagnol. Il existe déjà sur la question une abondante littérature74.
En se référant à cette littérature, il ressort que l'opération a commencé le 10 février 1958.
Pour commencer, les forces espagnoles et françaises ont renforcé leurs effectifs, ceux-ci
montaient à quelques 14 000 soldats au total, 9 000 espagnols et 5 000 soldats français
(Barbier, 1982, p.69). Cet important effectif sera soutenu par une toute aussi importante
logistique. Cobo (2006) dit que les Espagnols après avoir renforcé leurs forces disposées

74
Voir De Froberville, 1996, op. cit, pp. 28-36, José Carlos Lopez-POZAS LAZUNA, op. cit, pp. 94-99, et
M. Barbier, op. cit, p. 69.

95
sur la façade côtière avec 8 500 hommes venus des îles Canaries, le XIII régiment de la
Légion parti de El Ayoun se dirigea rapidement à l'est vers Tafudart, où il est renforcé par
une colonne venue de Villa Bens. Ensuite, les deux colonnes poursuivirent les opérations
en direction de Smara. Là, les Espagnols sont rejoints par les Français qui, depuis Tindouf
et Fort Trinquet en Mauritanie, ont nettoyé toute la partie orientale du territoire sahraoui
(Cobo & Menéndez, op. cit, p. 23).

Après l'est, les forces conjointes hispano-françaises et auxquelles s’étaient ajoutées


les FAR, formèrent dès lors deux grandes colonnes et initièrent une persécution effrénée en
direction du Nord et du Sud. La première colonne commandée par les Français se dirigeait
vers l'intérieur des Bir Nazarán et l'autre sous les ordres des Espagnols, s’était dirigée vers
la côte. Après avoir nettoyé les villes côtières, les deux colonnes en provenance de Villa
Cisneros (espagnol) et Fort Gouraud et Port Etienne (français) convergèrent à Auserd au
cœur même du Río de Oro, non loin des frontières sud-est de la Mauritanie. Auserd, dernier
bastion des bandes de l’armée de Libération, est vite nettoyé. À la fin du mois de février
1958, c'est-à-dire, en seulement deux mois d'opération, le Sahara espagnol avait été
complètement nettoyé et pacifié.

Mais qu’est ce qui explique l’acharnement des dissidents de l’Armée de Libération


(ALM) à vouloir se défaire du joug colonial franco-espagnol dans les territoires du Sahara
espagnol et de la Mauritanie, alors que le Maroc était déjà indépendant ? Il semble que la
réponse à cette interrogation se trouve dans la théorie du « Grand Maroc » conçu et
entretenue par le chef de l'Istiqlal, Allal el Fassi. En fait, après les déclarations franco-
espagnoles de 1956 qui accordaient l’indépendance au royaume du Maroc, El Fassi a invité
ses concitoyens marocains à poursuivre la lutte jusqu'à ce que la libération de toutes les
régions du Maroc soit obtenue. Par l'expression « toutes les parties du Maroc », Allal désigne
l'ensemble du Sahara espagnol, Tindouf et toute la Mauritanie. Pour El Fassi, « le Maroc a
pour limites au sud Saint-Louis du Sénégal » (De Froberville, 1996, p. 28). Fort de la
conviction selon laquelle le Maroc pour être indépendant totalement devait « récupérer »
tous « ses » territoires, le 25 février 1958 (Ruiz Miguel, 1995, p. 99), le roi Mohamed V
proclama, solennellement, « les droits historiques du Maroc sur le Sahara espagnol » en
revendiquant par là- même ce territoire.

96
Deux mois après le discours royal, en avril 1958, pour régulariser des relations
bilatérales devenues très tendues avec le Maroc afin que celui-ci « oublie » sa province du
Sahara espagnol et ses enclaves de Ceuta et Melilla, l’Espagne cédait la zone de Tarfaya et
Tan-Tan située entre le parallèle 27° 40’ au fleuve Draa. Pour concrétiser le transfert, les
ministres des Affaires étrangères d'Espagne et du Maroc, Castiella et Balafrej, se
réunissaient secrètement à Cintra (Portugal) pour discuter de la question. Le 1er avril 1958,
l'accord du transfert de la zone sud du protectorat marocain était signé. Toutefois, dans cet
accord, du fait de ce que l'Espagne considérait comme un « manque d’exercice d'une
autorité effective de la part des autorités marocaines au Sahara » elle ne put exécuter le
transfert du Sahara espagnol ni même d’Ifni, ces deux territoires étant considéré comme des
provinces espagnoles.

Pour répondre aux deux questions posées à l’entame de ce chapitre à savoir d’une
part pourquoi les rois catholiques se sont intéressés aux côtes nord-ouest du continent
africain et particulièrement à celles due l’actuel Sahara Occidental, et d’autre part quels sont
les facteurs qui ont conduit à la conquête puis à la colonisation de cette partie du continent
africain ? Nous pouvons maintenant dire qu’il y en a plusieurs. Ces facteurs sont non
seulement d’ordres historique, religieux, politique, géostratégique, mais et surtout
économique. C’est après le déclin de l’autorité coloniale espagnole en Amérique Latine
qu’il eut un regain d’attention pour l’Afrique, en particulier les côtes nord-ouest. Ce regain
d’intérêt pour l’Afrique, surtout l’Ouest, avait pour but de protéger les énormes bancs de
poissons des îles Canaries.

Les rivalités franco-espagnoles dans la région vont accoucher des accords de 1900,
1904 et 1912. C’est au cours de ces accords que les limites du Maroc et du Sahara espagnol
ont été définies. La colonisation du Maroc et du Sahara espagnol qui avait ainsi commencé
s’est étendue jusqu’en 1956, date à laquelle le Maroc obtint son indépendance de la France
et de l’Espagne. Depuis lors, le Maroc entreprit de récupérer le Sahara qu’il considère
comme sien. Par le transfert de Tarfaya et de Tan-Tan en avril 1958 au Maroc, Madrid
pensait pouvoir sauvegarder Ifni, Saguia el Hamra et Rio de Oro, en calmant, quoique
temporairement, les ambitions expansionnistes et irrédentistes marocaines. Mais il était
évident qu'un tel transfert ne pouvait mettre un terme aux revendications marocaines,
d’autant plus qu’un nouvel acteur, la Mauritanie, allait faire son entrée.

97
Conclusion partielle

La première partie de cette étude en forme de mise en contexte nous a permis de


mener une approche tant géographique qu’historique du Sahara Occidental. L’analyse des
données géographiques a révélé que ce territoire est l'un des plus riches d'Afrique, et même
de la planète, du fait de l'abondance et de la variété de ses ressources naturelles. Son
positionnement sur les rives de l'océan Atlantique et sa position de pont entre deux mondes,
les Arabes au Nord et les Noirs au Sud en font un carrefour dans cette partie du continent
africain. Ce riche territoire a toujours été habité par quelques tribus fières et amoureuses de
la liberté, opposées à toute forme d'assimilation. Ils forment ce qui devrait être considéré
comme un « ensemble sahraoui ». Les considérations géographiques et historiques du
Sahara Occidental à l’époque précoloniale nous permettent de confirmer notre première
hypothèse de travail. C’est-à-dire, que le Sahara Occidental, est victime de sa situation
géographique et de son histoire. Il connaît ce qu’il faut qualifier de situation géopolitique et
géoéconomique.

La deuxième partie de cette thèse tente de présenter et d’expliquer pourquoi


l’Espagne a « donné » le Sahara Occidental au Maroc et à la Mauritanie et les répercussions
géopolitiques de cet acte.

98
DEUXIÈME PARTIE :

L’ESPAGNE, LE MAROC, LA MAURITANIE


ET LE « TROC » DU SAHARA OCCIDENTAL

99
Comment de colonie puis province espagnole, le Sahara espagnol est devenu une
colonie marocaine et mauritanienne ? Voici ici formulée la préoccupation nodale à laquelle
nous essayons de répondre dans cette deuxième partie. Pour y parvenir, nous analyserons la
« dynamique territoriale géopolitique » de ce territoire.

Un territoire est une portion de l’espace bien délimitée sur laquelle des peuples
inscrivent leur histoire. C’est donc un espace approprié et vecteur de mémoire. L’idée de
territoire implique l’expression d’une volonté d’appropriation exclusive par des acteurs.
Cette volonté d’appropriation est à l’origine des rivalités de pouvoirs et nourries des
dynamiques des territoires. Rosière (2003, p. 37) qui a développé le concept soutient que
pour mener une analyse géopolitique, il faut étudier les dynamiques territoriales, les acteurs
et les enjeux qui les motivent. La dynamique du territoire s'attache à décrire et à expliquer
l'évolution du cadre politique c’est-à-dire l’espace. Mieux, il s‘agit de présenter le territoire,
de le décrire et de présenter ses différentes transformations (administrative, politique,
sociale, économique) au fil du temps et d’en donner les raisons.

Pour comprendre l'évolution politico-administrative du Sahara espagnol, nous


divisons la présente partie en quatre sections. Le premier chapitre étudie les causes et les
enjeux géopolitiques des revendications maroco-mauritaniennes du territoire. Le deuxième
chapitre analyse l’éclosion du nationalisme sahraoui. Le troisième chapitre dissèque
l’accord de Madrid. Enfin, cette deuxième partie se ferme sur la création de la République
Sahraouie et de la recolonisation du Sahara Occidental par le Maroc et la Mauritanie.

100
CHAPITRE 5: L’IRRÉDENTISME MAROCO-MAURITANIEN POUR LE
SAHARA ESPAGNOL

L'irrédentisme est un concept qui tire ses origines du XIX siècle et qui serait né dans
l’Italie des années 1870 (cf. Irrédentisme in Encarta, 2009). C'était un mouvement politique
nationaliste qui réclamait l'annexion des territoires considérés comme faisant partie
historiquement de l'Italie. Il regroupait les extrémistes qui ne pouvaient se résigner à voir
des populations de langue italienne restées en dehors de la communauté nationale, en dehors
de l’Italie, leur patrie. Les territoires revendiqués étaient en majorité des possessions de
l'Empire austro-hongrois (Istrie, Dalmatie, sud du Tyrol, Trentin), mais s'étendaient au
XXe siècle à des territoires français (Nice, Savoie, Corse, Tunisie), à l'île de Malte et au Sud
de la Suisse (Encarta, 2009, ibidem). L'irrédentisme italien est donc né d’une indignation,
celle de voir se fragmenter l’Italie.

Par extension de nos jours, le terme irrédentisme est appliqué aux mouvements
nationalistes de tout État qui lutte pour récupérer une région ou un territoire qu'il considère
comme injustement détaché de son territoire national. Toutefois, il convient de souligner
que l’irrédentisme est mu par des représentations territoriales divergentes, contradictoires
et plus ou moins antagonistes d’acteurs. C’est pour cette raison que Lacoste (1993, p. 28)
écrit que « la seule façon scientifique d’aborder quel que problème géopolitique que ce soit
est de poser d’entrée de jeu, comme principe fondamental, qu’il est exprimé par des
représentations divergentes, contradictoires et plus ou moins antagonistes » Dans cette
section, nous examinons les représentations territoriales développées par le Maroc et la
Mauritanie concernant la province espagnole du Sahara.

I- LES RÉVENDICATIONS IRRÉDENTISTES MAROCAINES DU SAHARA :


UNE REPRÉSENTATION DYNAMIQUE DU TERRITOIRE

Les Sciences Politiques nous révèlent que tout au long de l’Histoire, beaucoup de
théories ont été développées pour tenter d’expliquer ou de justifier le désir expansionniste
ou d’agrandissement des États. La naissance de la Géopolitique, terme employé pour la
première fois par le suédois Rudolph Kjellen en 1899, s’inscrit dans cette même dynamique.
Celui-ci considérait alors la Géopolitique comme « la théorie de l'État en tant qu'organisme
géographique ou phénomène spatial » (cité par Stanganelli, 2014, p. 20). Dans les premières

101
décennies de l’an 1900, le suédois a tenté d'établi, mieux d’imposer une théorie, ou plutôt,
une "Science de l'État", qui servirait à analyser les défis spatiaux auxquels les grandes
puissances de l'époque s'opposaient.

Si selon R. Kjellen, les États sont comme des organismes vivants, nous pouvons
donc dire qu’ils sont sujets à la loi de la croissance : ils naissent, peuvent se développer et
mourir ou, dans certains cas, se transformer. Autrement dit, les États obéissant aux lois
biologiques que les vivants. Ainsi, comme tout organisme biologique, pour survivre, ils
doivent se nourrir d'autres organismes vivants, lesquels organismes dans le contexte de
Kjellen sont des territoires. Par conséquent, tout État qui se veut sérieux, se doit d’engloutir
d'autres États ou territoires pour son développement, sa subsistance, son extension, en un
mot, pour ne pas disparaitre.

Bien que le paradigme de Kjellen ait été critiqué par la postérité, appliqué à notre
cas d’espèce, a priori, il nous permet de comprendre à peu près les fondements de
l'irrédentisme des États et celui dont le Sahara Occidental est l'objet aujourd’hui. Pour que
le lecteur ait une vision synoptique des revendications marocaines, nous commençons par
mettre l'accent sur la représentation ou la symbolique de cet espace géographique pour le
Maroc.

1- La valeur symbolique du territoire Sahara Occidental pour le Maroc

Il faut dire aussi que la dimension symbolique des territoires est de plus en plus
présente dans les travaux des géographes et des géo-politologues. C’est également l’avis de
Claval (1997) lorsqu’il écrit que « la dimension symbolique du territoire devient l’un des
thèmes essentiels de la géographie » (p. 3). On peut aussi sans prétention ajouter qu’elle le
devient aussi pour la géopolitique.

Dans un conflit pour le contrôle ou la conquête d’un territoire, celui-ci peut être un
enjeu en soi, fut-il dépourvu de richesse. Dans ce cas, Rosière, (2003, p. 39) écrit que
« l'enjeu est alors symbolique ». L’intérêt symbolique d’un territoire réside souvent dans la
valeur de ce territoire, soit en termes de richesses, soit en termes de sécurité. Si pour les
peuples qui y habitent, a posteriori, le territoire est assorti d’une haute valeur symbolique,
c’est parce qu’il « contribue (...) à conforter le sentiment d'appartenance, il aide à la

102
cristallisation de représentations collectives, des symboles qui [s’y] incarnent (…)»
(Brunet, 1992, p. 436). Mieux, pour le même auteur, les territoires « sont des lieux de
mémoire; leur valeur symbolique est plus ou moins élevée, locale, nationale, internationale,
mondiale, ou propre à une religion, à une culture; ils sont souvent sources d'identité
collective et, aussi, d'activités économiques » (p. 232)

Cependant, si le territoire revêt une importance symbolique pour les peuples qui y
habitent, qu’en est-il pour ceux qui n’y ont pas habité et qui le revendiquent ? En d’autres
termes, les habitants et non habitants d’un territoire ont-ils la même représentation de ce
territoire ? Bien qu’il paraisse à première vue difficile de répondre à ces interrogations, nous
pouvons avancer que dans l’esprit de ceux qui n’habitent pas un territoire donné, celui-ci
peut être également doté d’une valeur symbolique. Pour ceux-là, l’idée même de son
appropriation peut, surtout au niveau de l’imaginaire, se concevoir comme la promesse de
biens futurs, quelle que soit la nature desdits biens. Toutefois, la valeur symbolique du
territoire n’est pas toujours marchande, même si au demeurant celle-ci peut générer des
retombés économiques et politiques.

Dans son ouvrage La république des sables. Anthropologie d’une Révolution,


Caratini (2003) a étudié ce qu’elle considère comme la « valeur symbolique du territoire
Sahraoui ». En nous référant à son analyse, il ressort que le territoire du Sahara Occidental
revêt aussi bien pour les Sahraouis que pour le Maroc une haute valeur symbolique. Pour le
Maroc, la valeur emblématique du Sahara Occidental réside à deux niveaux : au niveau de
l’identité et celui de l’honneur.

Pour ce qui est de l’aspect identitaire, l’ex Sahara espagnol est considéré par les
Marocains, simples citoyens ou tenants du pouvoir, comme le lieu de provenance, le lieu
d’origine des Arabes. En effet, c’était par le Sud, c’est-à-dire, du Sahara Occidental, que
sont arrivés les premiers conquérants Arabes, et après eux la plupart des dynasties
marocaines, des Almoravides aux Alaouites, en passant par les Saadiens (Caratin, 2003, p.
84). En fait, la dynastie actuelle qui règne au Maroc depuis plusieurs générations maintenant
est celle des Alaoui. Pour mémoire, la dynastie Alaouite, originaire du Tafilabet aux portes
du Sahara, a été fondée en 1664 par Moulay Ibn Sheriff à qui ses progénitures revendiquent
une ascendance remontant à Ali, le gendre du Prophète.de l’Islam (Voir Alaouite in Encarta,
2009). C’est cette prétendue origine saharienne des souverains chérifiens qui alimente le

103
désir de leurs descendants, d'intégrer les populations du Sahara Occidental au royaume du
Maroc.

Les souverains successifs du Maroc, depuis le début du conflit, attribuent à leur


ancêtre, Moulay Ibn Sheriff, une identité sahraouie. Pour les généalogistes des souverains
marocains, Moulay Ibn Sheriff, serait venu du Sahara et serait, de facto, d’une manière ou
d’une autre, un sahraoui. Par conséquent, même si les Sahraouis d’aujourd’hui ont une
idiosyncrasie, c’est-à-dire, des traits, une langue, des mœurs et un mode de vie différents
des « autres » marocains au Nord, ils n’en demeurent pas moins des “sujets” des monarques
Alaoui. Mieux, les Sahraouis sont considérés comme « les cousins » des monarques
Alaouites. Le Sahara Occidental serait donc dans ce cas l’un des piliers essentiels à la
construction d’une Nation marocaine unie et indivisible. Par conséquent, prendre le risque
de renoncer au Sahara reviendrait à reconstruire l’identité nationale marocaine sur de
nouvelles bases, lesquelles seraient susceptible de détruire les références et les valeurs
traditionnelles sur lesquelles reposent la légitimité de la dynastie actuelle (Caratin, 2003, p.
84). En un mot, la survie de la dynastie actuelle au pouvoir au Maroc passe nécessairement
par la conquête du Sahara Occidental.

Le deuxième niveau, comme nous l'avons vu tantôt, est la dimension morale, c'est-
à-dire l'honneur. Lorsque les Marocains, simples citoyens ou tenants du pouvoir considèrent
les Sahraouis comme leurs "cousins", les laisser en marge du territoire national serait
moralement injuste. De cette façon, concéder à ses « cousins » non seulement la
revendication d’une identité différente, mais plus grave encore, une partie importante du
territoire de la mère patrie seraient un dangereux précédent et constituerait une trahison, pis,
un affront. Étant donné que l'honneur de la Nation, celui de chaque Marocain et surtout
l'honneur des monarques est en jeu, la conquête du Sahara « espagnol » a obtenu l'adhésion
massive d'une large majorité de la population marocaine. Ainsi, de peur de tomber en
disgrâce devant leurs sujets, les monarques alaouites ont fait de la (ré) conquête de ce
territoire l'une des conditions sine qua non pour la reconstruction d'une nation marocaine
démembrée par la double colonisation française et espagnole. En effet, pour Mohammed V
et ses descendants (Hassan II et Mohammed VI), perdre le Sahara Occidental, "leurs"
provinces du Sud, « leurs Sahara » serait préjudiciable non seulement à leur dignité, à la
légitimité de leur régime, mais et surtout ce serait amputer dangereusement le royaume, la

104
terre de leur père, d'une partie stratégique de ses composantes. Ou pour reprendre Caratin
(2003), ce serait briser le lien d’avec leur mémoire, celle de l’origine arabe et musulmane.

En un mot, la perte du Sahara serait synonyme de rupture avec l'histoire du royaume


marocain. Quand l’on sait que « Perdre son territoire, c'est disparaître » (Bonnemaison &
Cambrézy, 1997, p. 16), pour ne pas courir le risque de disparaitre avec la perte de “son”
Sahara, le père de l’indépendance marocaine, le roi Mohammed V assumera officiellement
la revendication du territoire épousant ainsi, de facto, le concept de « Grand Maroc »
développé par Allal el Fassi.

2- Mohammed et la problématique du « Grand Maroc » et l’unité du Maroc

Le sultan Mohammed V, de son nom de naissance Sidi Mohammed ben Youssef, né


le 10 août 1909, premier monarque marocain de l'ère contemporaine, est le troisième fils du
sultan Moulay Yousef de la dynastie alaouite. Lorsque son père meurt en 1927, il est choisi
par les autorités coloniales françaises, le vendredi 18 novembre 1927, à la place de ses deux
frères ainés. À cette date, le Traité du Protectorat signé en 1912, a déjà quinze ans, les
résistances militaires ont presque toutes été brisées et le colonialisme mondial vit son « âge
d’or ». Par le choix de Mohammed V, la France pensait pouvoir l’influencer comme elle le
voulait, mais à la grande surprise, il fit montre d’une forte personnalité. En effet, en dépit
de son jeune âge, (âgé de dix-huit ans) Mohammed V comprit très vite que l’urgence
politique devait être, non pas l’indépendance, une utopie en 1927, mais la sauvegarde de
l’unité et de l’identité marocaines. Pendant les vingt premières années de son règne, sa
priorité fut d’empêcher que de « Protectorat », le Maroc ne se transforme en « colonie ».

À partir de 1944, toute l’action de Mohammed V aura pour but l’indépendance du


Maroc. C’est avec une totale détermination et avec un grand sens politique qu’il atteindra
cet objectif. Tout au long de son règne, le monarque fut d’une intransigeance inégalable et
inébranlable dès lors qu’il s’agissait de l’unité nationale ou de la souveraineté du Maroc. Il
coopéra dans un premier temps avec la France, mais plus tard, pour bien marquer son
indépendance vis-à-vis de la France, le monarque a fait preuve d’une intransigeance
inébranlable. L’un des exemples les plus éloquents de cette intransigeance est survenu après

105
la défaite militaire française, lorsque le gouvernement de Vichy 75désirait que les lois anti-
juives76 mises en application en France et en Algérie soient étendues au Maroc. Le sultan
s’y opposa radicalement, affirmant que les Juifs vivant au Maroc étaient des sujets
marocains et que vouloir leur appliquer des lois spéciales introduirait un précédent
inacceptable dans le domaine de l’unité nationale du Maroc et de sa souveraineté.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le prestige de la France était largement


affaibli et la Charte de l’Atlantique77 avait proclamé le droit de tous les peuples à choisir la
forme de gouvernement sous laquelle ils voulaient vivre. C’est dans ce contexte que le sultan
Mohammed V s’est rendu en France où le général De Gaulle lui a promis de réfléchir à une
forme d’émancipation du Maroc. Cette promesse ne sera pas tenue puisque De Gaulle
démissionne en 1946.

Au Maroc, les nationalistes ne se contentaient plus de réclamer des réformes, ils


demandaient maintenant l’indépendance. Créé en 1943, l’Istiqlal (le parti de
l’Indépendance) qui dominait désormais la vie politique, était très présent dans l’entourage
de Mohammed V et au Conseil du gouvernement qui même ne disposant pas de pouvoir
constituait une tribune. Mohammed V s’est rendu à nouveau en France en 1951 afin de
demander au gouvernement de mettre un terme au Traité de Protectorat de 1912. La série
de réformes proposées par le gouvernement français allait dans le sens de la co-souveraineté
sur le Maroc, c’est-à-dire à l’encontre de l’indépendance. Aussitôt de retour au Maroc et en
signe de contestation, le sultan Mohammed V décida alors la « grève du sceau ». En vertu
de cette grève, les dahirs (décrets) présentés à sa signature pour promulgation par le Résident
de France, le général Juin, ne pouvaient plus être ratifiés. La situation étant bloquée, le
général Juin demanda à Mohammed V de désavouer l’Istiqlal ou de se démettre.

75
Le gouvernement de Vichy, est le nom donné au régime politique installé à Vichy, qui a pris le nom officiel
d’État français et a dirigé la France au cours de la Seconde Guerre mondiale, du 10 juillet 1940 au mois d’août
1944. Ce gouvernement était dirigé et dominé par la personnalité du maréchal Pétain.
76
C’est le cas par exemple de la loi du 3 octobre 1940 proclamant le statut juif. Cette loi excluait les juifs de
nombreuses professions (fonction publique, éducation, presse et cinéma). Cf. « Vichy, gouvernement de. » sur
Encarta 2009.
77
La Charte de l'Atlantique, est le nom donné à la déclaration commune signée le 14 août 1941 par les États-
Unis et le Royaume-Uni, pendant la Seconde Guerre mondiale, qui énonçait les principes fondamentaux de la
paix future. Ce document, qui rappelle les grands principes auxquels sont attachées les démocraties, fut élaboré
lors d'une conférence au sommet tenue secrètement entre le 9 et le 12 août 1941, sur le Potomac, au large de
Terre-Neuve.

106
En février 1951, afin de contraindre le sultan à cesser « la grève du sceau » et avec
l’accord et le support matériel de la Résidence, al-Glaoui lança des milliers de cavaliers des
tribus vers Fès et Rabat, cette situation contraint Mohammed V à céder le 23 février pour
ne pas déclencher une guerre civile. En novembre 1952 Mohammed V dans son « discours
du trône » demanda l’émancipation immédiate du Maroc. Cet acte désespéré provoqua la
colère de la France. 78 Les 14 et 15 août 1953, le souverain fut mis en état d’arrestation avec
le prince héritier Hassan puis embarqué à bord d’un avion militaire français pour un exil de
plus de deux années en Corse puis à Madagascar. Le 15 août, Mohammed Ben Arafa, un
chérif de la famille alaouite, « candidat au trône » que le Glaoui avait suggéré à la Résidence,
fut proclamé « Prince des Croyants » à Marrakech79.

Le peuple marocain s’enflammait et perpétrait des actes terroristes. Voyant la


situation s’aggraver et ayant à faire face à de sérieux problèmes, en particulier la chute de
Diên Biên Phu (Vietnam) en mai 1954 ou le début de la guerre d’Algérie en automne de la
même année, la France décida d’agir. Le 22 août 1955, après que des contacts officieux
aient été pris avec le sultan d’une part et les nationalistes d’autre part, une conférence débuta
à Aix-les-Bains. La création d’un Conseil du trône et d’un gouvernement marocain chargés
d’établir une base de négociations pour l’avenir des relations franco-marocaines a été créée.
Le 8 Septembre, un accord est trouvé et approuvé par Mohammed V. Le souverain
« fantoche » Mohammed ben Arafa abdique le 1er octobre et, le 26, l’Istiqlal exige le retour
du sultan légitime. À l’issue des négociations entamées en France le 1er novembre 1955
avec le président du Conseil français Edgar Faure et son ministre des Affaires Étrangères,
Antoine Pinay, Mohammed V obtint la « Déclaration de La Celle Saint-Cloud» par laquelle
la France mettait un terme au régime du Protectorat et rétablissait la totale indépendance du
Maroc. Le 10 novembre, Mohammed V rentrait au Maroc dans la liesse générale.80 En Août
1957, le sultan Mohammed V est proclamé roi du Maroc.

En principe, après la « Déclaration de La Celle Saint-Cloud » et de la fin du


protectorat espagnol le 7 avril 1956, le Maroc redevenait un État indépendant et souverain.

78
En ligne http://www.portailsudmaroc.com consulté le 24/04/20.
79
Cf. http://www.portailsudmaroc.com consulté le 24/04/20.
80
À l’exception près, toute cette présentation que nous de faire de Mohammed V est extraite de « Histoire
Marocaine. De la Préhistoire Marocaine au Alaouites » In. http://www.portailsudmaroc.com consulté le
24/04/20

107
Mais les nouvelles autorités du pays et le Parti de l’Istiqlal ne l’entendaient pas de cette
oreille. En effet, pour eux, cette indépendance que leur pays venait d'obtenir était partielle,
car une partie importante du Maroc était encore sous le joug colonial espagnol. Par
conséquent, le Maroc sera vraiment libre que quand toutes ses parties reviendraient dans la
patrie. C’était pour atteindre cet objectif politique à moyen terme que le sultan Mohammed
V va aider les forces armées coloniales franco-espagnoles à libérer le Sahara espagnol alors
occupé par les bandes rebelles de l'Armée de libération Marocaine (ALM). Mais le soutien
du trône marocain dans le démantèlement de l’ALM avait un autre sens. En effet, il s’inscrit
dans la volonté du régime de stabiliser son pouvoir fragilisé par la nouvelle conjoncture
politique intérieure issue de l’indépendance.

La création des Forces Armées Royales (FAR) s’inscrit aussi dans la volonté de
consolidation de la monarchie par le sultan. En effet, pour mémoire, il faut dire que dans
l’histoire du Maroc, la menace contre les sultans est souvent venue de membres de leur
propre dynastie, alliés à telle ou telle tribu. Pour contrer ce danger constant, les sultans
associaient un de leur fils à l’exercice du pouvoir (Buttin, 2015, p.63). Il était promu khalifa
d’une des régions du pays et en même temps commandant d’une troupe armée dissuasive
importante. Dès son retour d’exil, le sultan Mohammed V songe à la création d’une
importante force militaire qui lui permettrait, le cas échéant, de s’opposer à toute velléité de
mouvements internes antimonarchiques (Buttin, idem).

La nouvelle armée, appelé Forces Armées Royales, qui voit le jour par un dahir du
15 mai 1956 sera confiée au prince héritier Moulay Hassan. Celui-ci est nommé major
général et chef d’état-major général. Les éléments de cette nouvelle force armée seront
choisis parmi les proches collaborateurs, surtout des officiers compétents issus de l’armée
française, presque tous berbères (Buttin, ibidem) de Moulay Hassan. Pour le roi Mohammed
V et son fils, les éléments de l'Armée de Libération qui refusaient la « farisation », c'est-à-
dire ceux qui refusaient d'intégrer les FAR constituaient, à court et moyen terme, une
potentielle menace pour la stabilité d’un régime monarchique jeune et faible. Dans ce sens,
Perrault (1990) écrit que : « (…) pour Mohamed V et son fils ainé [Hassan II], la libération
du Sahara passait après l’affermissement de leur pouvoir encore frêle, pour eux, les
combattants du Sud étaient des rebelles en puissances dont la mise au pas s’imposait ». (p.
42).

108
Par consequent, aider la France et l'Espagne à vaincre les rebelles de l’Armée de
Libération du Maroc (ALM) n'était pas seulement un moyen d'affirmer la volonté du
royaume à coopérer avec ces deux puissances coloniales, en échange de service de bon
office, dans un esprit particulièrement amical. C'était aussi une façon de proclamer que le
Maroc s'intéresse par-dessus tout, aux territoires révendiqués par l’Armée de Libération.
Comme preuve de cette intention, alors que le front franco-espagnol et les FAR luttaient
contre les éléments de l’Armée de Libération au Sahara espagnol, le roi Mohammed V a
revendiqué officiellement et personnellement ce qu'il a appelé alors le Sahara « marocain ».
En effet, le mardi 25 février 1958, à l'occasion d'une visite qu’il a effectué au village de
M'Hamid El Ghizlane, non loin du Sahara, le roi Mohammed V annonçait alors :

Nous proclamons solennellement que nous poursuivrons notre action pour le retour de
notre Sahara dans le cadre du respect de nos droits historiques et selon la volonté de
ses habitants. Ainsi, nous accomplissons la mission que nous nous sommes engagés à
remplir et qui consistant à restauraurer notre passé et à édifier un avenir prospère qui
permet à tous nos sujets de connaître le bonheur et la tranquillité.81

Par ailleurs, Mohammed V promettait aux populations de M’Hamed qu’il


continuera à œuvrer en tout ce qui est de son pouvoir pour recouvrer leur Sahara. Pour lui,
il était impossible de concevoir l'avenir du royaume chérifien sans "leur" Sahara. La
récupération de ce territoire était essentielle pour le régime. La déclarations de Mohamed
V, indue implicitement qu'avant la date du 25 février, le Maroc avait déjà engagé des actions
pour "récupérer" le Sahara espagnol. C’est ce qui fait dire à Ruiz Miguel (1995, pp.99-100),
que « La declaración, (…) constituye una auténtica confesión de parte »82. Elle est aussi la
preuve de la reconnaissance que le roi avait soutenu, officieusement, les actions de l'Armée
de libération qui tentait au même moment d'annexer le Sahara espagnol.

Le fondement idéologique ou théorique sur lequel se fondait la revendication


territoriale émise par le roi Mohammed V, c’était la théorie du "Grand Maroc" conçue par
Allal El Fassi. Il existe déjà une abondante littérature sur la théorie du Grand Maroc et sur
Allal el Fassi83. Par conséquent, nous n'avons pas l'intention ici d'apporter quelque chose de
nouveau qui n'a plus été dit sur Allal El fassi ou sur son Grand Maroc. Notre objectif est

81
Extraits du discours de feu SM Mohammed V. En ligne http://www.sahara.gov.ma/blog/messages-
royaux/extraits-du-discours-de-feu-sm-mohammed-v-a-mhamid-el-ghizlane-2/, consulté le 01/12/2019.
82
Notre traduction: La déclaration, (...) constitue une authentique confession.
83
Voir par exemple G. Atilio (1972). Allal El fassi ou l’histoire de l’Istiqlal. Paris : Ed. Alain Moreau.

109
d'établir le parallèle entre ce concept et les actions de Mohammed V concernant le Sahara.
Le théoricien du "Grand Maroc" est Allal el Fassi, chef du tout premier parti politique
nationaliste marocain, l’Istiqlal ou le Parti de l’indépendance en français. À partir de 1952,
EL Fassi depuis le Caire commença une large campagne diplomatique internationale en vue
de l’indépendance du Maroc. C’est dans cette même période qu’il commence à diffuser que
les limites naturelles du Maroc atteignent le fleuve Sénégal. Fort de cette certitude, le 18
juillet 1956, dans le journal AL Alam affilié à l’Istiqlal, El Fassi faisait cette déclaration :

Si le Maroc est indépendant, il n'est pas complètement unifié. Il faut compléter


l'indépendance du Maroc. Les frontières du Maroc se terminent au sud à Saint-Louis
du Sénégal. Il faut lutter jusqu'à l'union totale. Autrement dit, les limites historiques
fixées par lui comprendraient en dehors des Présides et d'autres territoires
incontestablement marocains, la Mauritanie, le Sahara Occidental, un lambeau du
territoire du Mali, une bande du Sénégal (débordant le fleuve Sénégal) et à l'est de
vastes territoires de l'Algérie tels que Béchar, Tindouf (Boucherikha, 2013, p. 37).

Figure 3 : Carte du Grand Maroc selon Allal El Fassi

Source: https://es.wikipedia.org/wiki/Gran_Marruecos#/media/File:Gran_Marruecos.PNG
consulté le 20/08/2020.

110
La thèse de El-Fassi a été épousé par Mohammed V et utilisé comme ideal polítique
et comme l’un des fondements de sa politique extérieur. Par aileurs, dans le discours de
M’Hamid, le roi Mohammed V, désirait se présenter devant ses sujets comme celui qui allait
ramener l’indépendance totale du royaume.

Pour comprendre l’attitude du souverain marocain, il faut faire une analepse. En


effet, le prince Sidi Mohammed avait été intronisé pince héritier au détriment de ses deux
frères aînés Moulay Idriss et Moulay Hassan, qui normalement dans la lignée des ayants
droit au trône, avaient plus droits que lui. L'élection de Mohammed V a été motivée par des
considérations subjectives et surtout politiques de la part de la France. Par son choix, la
France souhaitait « appliquer la formule du contrôle exclusive de toute administration
directe en s'appuyant sur un Sultan consolidé, rehaussé dans son prestige et son autorité et
sur un Makhzen rénové » (Luccioni, 1972, p. 127). Par ailleurs, pour un auteur la France
aurait choisi Sidi Mohammed car celui-ci se distinguait de ses frères par « l'intelligence, la
sagesse, la simplicité et la pondération. » (Luccioni, ibidem).

Mais au-delà de ces considérations purement morales ou subjectives, le véritable


objectif de la France par le choix de Sidi Mohammed était avant tout politique. En effet, les
Français et même certains Marocains s’accordaient pour dire qu'à l'image de feu son père,
le sultan Moulay Youssef, le prince Sidi Mohammed régnerait dans l'ombre de la France.
Autrement dit, Paris voulait installer un souverain fantoche, mieux, une marionnette. Mais
l’histoire va (de) montrer que Paris a misé sur le mauvais cheval. En effet, le prince Sidi
Mohammed, devenu le roi Mohammed V, va se positionner comme un vrai leader
charismatique, comme un vrai chef d'État, libre et responsable de ses actes.

Dans ce contexte, soutenir la thèse du « Grand Maroc » d'El Fassi, a été l'occasion
pour Mohammed V de réaffirmer son engagement dans la reconstruction du royaume
alaouite et de la nation marocaine sous la houlette de son souverain bien-aimé. Il permettait
aussi d’avoir le Parti de l’indépendance l’Istiqlal comme allié. Par ailleurs, la réalisation du
projet « Grand Maroc » devrait permettre de consolider la légitimité du nouveau monarque
dans tout le pays y compris au Sahara espagnol et en Mauritanie. En 1955, Mohammed V
lui-même affirmait que :

111
Si no recuperamos nuestra región del Sahara, estaré muy pesimista por el futuro
de Marruecos como Nación. La recuperación de este territorio, estratégica,
política y emocionalmente, es más importante que la propia independencia de
Marruecos84 (Contreras, 1983, p. 41).

La décision de défendre officiellement la thèse irrédentiste d'El Fassi concernant le


Sahara espagnol n'a pas été prise machinalement par Mohammed V, elle a été longtemps
mûrie. Cette décision s’est imposée d’elle-même avec la conjoncture géopolitique interne
et sous régionale. En effet, avec la fin du statut de protectorat du Maroc en 1956,
Mohammed V va tenter de renforcer l'indépendance de son pays. Mais pour ce faire, il avait
besoin de l'aval de la France qui était toujours présente dans les terres voisines de Mauritanie
et d’Algérie. Aussi afin de ne pas énerver la France et bloquer le processus d'indépendance
totale du Maroc, au tout début, le sultan a évité soigneusement de soutenir la thèse du Grand
Maroc échafaudée par El Fassi. Mais le régime connaitra des difficultés internes : les
révoltes sociales de Tafilalet en 1957 (au Sud) et du Rif (1958-1959) au Nord.

Les révoltes susmentionnées ont été nourries par la faction la plus progressiste des
jeunes de l’Istiqlal. Face à cette nouvelle conjoncture politique interne, le roi décida de sortir
de son silence et se mit à soutenir la thèse irrédentiste de l'Istiqlal. C’est ainsi que, le 25
février 1958, le roi Mohammed V va soutenir de manière ostensible la théorie du « Grand
Maroc ».
Deux événements clés permettent de mettre en évidence le caractère ostensible du
soutien royal à la théorie irrédentiste du Grand Maroc. Le premier événement a eu lieu en
1957. En effet, le 14 octobre 1957, le délégué marocain à la Commission de décolonisation
de l'Assemblée générale des Nations Unies a revendiqué les droits historiques du Maroc sur
le Sahara et la Mauritanie. Le deuxième événement s'est produit peu après. Le 10 novembre
de la même année, une "Direction générale des affaires sahariennes et frontalières" est créée
au sein du ministère marocain de l'Intérieur. Cette Direction était dirigée par Abdelkader El
Fassi, celui-là même qui avait conçu la carte du "Grand Maroc".

De tout ce qui précède, nous pouvons retenir que la (re) conquête du Sahara avait
pour le roi Mohmmed V une grande valeur à la fois politique et symbolique. La reconquete

84
Notre traduction : « Si nous ne récupérons pas notre région du Sahara, je serai très pessimiste quant à
l'avenir du Maroc en tant que nation. La récupération de ce territoire, stratégiquement, politiquement et
émotionnellement, est plus importante que l'indépendance du Maroc ».

112
du Sahara concorde avec les deux piliers sur lesquels reposaient la légitmitité du regime du
roi Mohammed V : une monarchie toute puissante et une ideologie nationaliste basée sur
l’expansion territoriale (Pérez, 2012) du royaume du Maroc à ses frontières historiques. Le
roi Mohammed V ne verra pas se réaliser le projet du Grand Maroc ni en partie ni en tout,
car en 1961, il mourait. Toutefois, à sa mort, il était considéré comme l'un des plus grands
souverains qu’est connu le Maroc jusqu’ici. Après sa mort lors d'une opération chirurgicale
bénigne, son fils aîné, le prince Moulay Hassan, accède au trône en le 26 février 1961. Ce
dernier comme son père, fort de ses répresentations sur le Sahara va poursuivre l’œuvre
d’expansion territoriale de son père.

3- Hassan II et l’emploi du Sahara Occidental comme « bouc émissaire »

Pour comprendre la nouvelle représentation du Sahara Occidental à l'époque du roi


Hassan II, il est nécessaire d'analyser sa personnalité et la situation socio-politique et
économique du Maroc des années 60-70. En effet, un examen du régime et de la personnalité
du nouveau roi nous permettra de mettre en lumière les facteurs de la reéctivation de la
revendication du Sahara Occidental par Hassan II.

Né à Rabat le 9 juillet 1929, Moulay Hassan, est le fils aîné du roi Mohammed V. Il
est venu au monde deux ans après l'arrivée de son père sur le trône au Maroc. Dès l'âge de
deux ans, il reçoit une double éducation arabe et française. Avant l'âge de dix ans, son père
a commencé son initiation aux arcanes du pouvoir. En juin 1943, à l'entrevue historique
d'Anfa, entre le sultan Mohammed V, Winston Churchill et Franklin Roosevelt, le jeune
Mouly Hassan était present. De cette rencontre, il en conservera le goût de la diplomatie
dont il demeurera toujours, une fois roi, le véritable chef.

Après avoir obtenu son diplôme de droit à l'Université de Bordeaux en France,


Moulay Hassan devient l'un des pincipaux conseillers de son père le roi. Dans ce sens, il
participe à la rédaction du discours du trône de 1952 considéré comme la Charte du
nationalisme marocain. En 1953, Hassan suit son père en exil à Madagascar. Après le retour
triomphal de son père à Rabat le 16 novembre 1955, Moulay Hassan est nommé chef des
Forces Armées Royales (FAR) avec pour mission d'unir les dissidents de l'Armée de
Libération Nationale (ALN) au sein des FAR. En effet, après son retour, le roi voit se dresser
deux forces qui se sont aguerries dans la lutte anti-coloniale: d’un côté l'lstiqlal, et de L’autre

113
part, l'Armée de libération Nationale. Proclamé prince hériter le 9 juillet 1957, Moulay
Hassan se voit confier la lourde tâche d'organiser les Forces Armées Royales afin d'y
intégrer les troupes de l'ALN influencées par l'Istiqlal (Balta, 1999, p. 27).

Chef d'État-major des FAR, le prince héritier fait preuve d’un certain zèle à l'égard
de l'Armée et conseille à son père de rompre avec la tendance progressiste de l’Istiqlal. Pour
sa radicalité et sa rigueur, il devient une cible non seulement pour les bandes de l'ALN et
l’Istiqlal. En février 1960, il échappe à un premier complot visant à l'assassiner. Pour le
Palais, le « cerveau » de cette opération est Mehdi Ben Barka, chef charismatique de I’UNFP
et leader de l’opposition marocaine85.

Lorsqu'il monte au trône en février 1961, Moulay Hassan, qui porte désormais le
titre d’Hassan II, a 31 ans. Immédiatement², il essaie de continuer le chemin tracé par son
défunt père. En effet, le roi Mohammed V tout au long de son règne était adulé par le peuple
qui le qualifiait de « Sultan Libérateur et Bien-aimé ». Il incarnait pour eux la figure du
Libérateur et le garant de la stabilité du pays pour l’avoir libéré du joug colonial franco-
espagnol. Hassan II avait certes hérité d’un royaume, mais non pas du prestige de son père,
il tentera d’exaucer le vœu de son père (Rivet, 2012, p.317) d’instaurer une monarchie
constitutionnelle basée sur la séparation des pouvoirs. Le but de la dotation du pays d’une
Constitution était la transformation du vieil « Empire Chérifien » en un moderne « Royaume
du Maroc ». Cependant, comme l'ont affirmé certains commentateurs de l’actualité
marocaine de l'époque, succéder à Mohammed V, le Libérateur, ne sera pas facile. À ce
propos, Le Parisien libéré (1991) s'est permis de déclarer que :

85
Né à Rabat en 1920, Mehdi Ben Barka devient président de l’Assemblée consultative marocaine, puis
contribue à la fondation, en 1950, de l’Union nationale des forces populaires (UNFP), de tendance socialiste,
dont il devient le chef. Contraint à l’exil, il est par deux fois (en 1963 et 1964) condamné à mort par contumace
par le gouvernement marocain. Ses prises de position sur le conflit algéro-marocain en 1963, puis son
opposition à la Constitution que le roi Hassan II propose par référendum, en font un adversaire redoutable
pour celui-ci. Le 8 juin 1965, en raison de l’agitation, le roi proclame l’état d’exception, mettant en sommeil
la nouvelle Constitution. Ben Barka vit alors en exil à Genève, sous la protection du consul d’Algérie. Le
29 octobre 1965, Ben Barka tombe dans un piège alors qu’il se rend à Paris pour y rencontrer un cinéaste
censé monter un projet de film sur la décolonisation. Il est interpellé par deux policiers français (des secrets
marocains) au moment où il arrive sur les lieux du rendez-vous en compagnie d’un ami marocain. Il ne sera
jamais revu vivant. Ben Barka a été torturé et assassiné et sa dépouille immédiatement rapatriée à Rabat. La
disparition de Ben Barka fut providentielle pour la royauté marocaine, car au Maroc, il n’y avait plus
désormais de chef charismatique susceptible de s’opposer au pouvoir personnel de Hassan II, ou capable
d’offrir une alternative à la royauté. Cf. Mehdi Ben Barka in Encarta 2009.

114
Il ne suffit pas que la succession au trône soit assurée pour que soit préservée la stabilité
(…) dont Mohamed V était le symbole. (…) Il n’en reste pas moins que par son rôle
religieux, sa dignité de commandeur des croyants, comme par une adresse politique
indéniable, Mohamed V constituait la dernière barrière à la dislocation de son pays.
Hassan II, nouveau souverain, ne bénéficie pas au départ des atouts de son père. On
conçoit donc que le monde entier n’ait qu’une réaction après la mort de Mohamed V,
l’inquiétude. (Le Parisien libéré, 27 février 1961)

Ce bref récit permet d'apprécier la complexité de la tâche du nouveau monarque.


Mais il faut souligner qu'ayant été associé tout au long du règne de son père à la gestion de
l’État et du pouvoir depuis son enfance, Hassan II n'a pas seulement succédé à son père mais
à lui-même. Certains observateurs prophétisaient que « Mohammed V, (…) sera le dernier
roi du Maroc. Moulay Hassan a du talent, du courage, de la culture, mais il ne régnera pas,
et c’est parce qu’il le sait qu’il se hâte, dans l’ombre de son père, de gouverner »
(Lacouture, 1991, p.2). Hassan II, qui n'ignorait sans doute pas ce pronostic sur son règne,
tentera de relever le « défi », mot éponyme d’un de ses livres (Hassan II, 1978).

Hassan II, 17e monarque alaouite, Al-Amir al-Mu'minin ou Commandant des


croyants et 35e descendant direct du prophète Mahomet, n'était pas seulement le nouveau
monarque du Maroc. Il était devenu le chef de tous les musulmans du fait de son titre de Al-
Amir al-Mu'minin. Autrement dit, il devenait le représentant d’Allah sur terre. Cependant,
les prédictions des observateurs les plus pessimistes quant à son règne n’avaient pas manqué
de susciter un sentiment de peur chez le jeune monarque. En effet, dans une monarchie
constitutionnelle basée sur la séparation des pouvoirs, le jeune souverain qui entendait à la
fois régner et gouverner (Balta, 1999, p.28), ne cessait de se demander : sur quelles bases
assoir la légitimité de son régime ?, et surtout comment régner et gouverner ?

Pour ce faire, Hassan II va s’employer à bâtir une monarchie suffisamment solide


et respectée pour qu’elle soit maître des institutions et du jeu politique (Graciet & Laurent,
2012, p.31). Pour réaliser un tel objectif, le monarque va faire du Maroc, une monarchie
absolue86. Pour Rivet (2012, p.317), les débuts du jeune roi sont incertains. En effet, « il
doit se faire craindre pour être respecté avant de chercher à se faire aimer ». Pour ce faire,

86
Généralement, le terme s’applique surtout aux monarchies occidentales entre le XVIe et le XVIIIe siècle, en
Espagne et en France notamment. Dans la monarchie absolue, le roi gouverne seul, mais doit respecter les
privilèges des corps et des ordres qui composent le pays, et il doit prendre conseil. La monarchie absolue est,
par essence, centralisatrice. Louis XIV, en France, en est le représentant archétypal. (Voir la monarchie
absolue In Encarta, 2009).

115
le jeune roi va conserver tous les pouvoirs, judiciaire, législatif et exécutif. Hassan II
parviendra donc à régner et à gouverner sans plus de restrictions que sa propre volonté, niant
la séparation des pouvoirs propres à tout régime démocratique. L’absolutisme d’Hassan II
était résolument politique, visant à perpétuer la monarchie marocaine et son régime. En
choisissant cette forme de gouvernance politique, Hassan II s'inscrivait dans la logique des
rois français notamment Louis XIV et Louis XV. Au fort de son règne ce dernier avait
déclaré que :

Ce n'est qu'en ma personne que réside le pouvoir souverain, dont le caractère propre est
l'esprit de conseil, de justice et de raison ; c'est à moi à qui mes courtisans doivent leur
existence et leur autorité ; la plénitude de leur autorité qu'ils n'exercent qu'en mon nom
réside toujours en moi et ne peut jamais se retourner contre moi; Ce n'est qu'à moi
qu'appartient le pouvoir législatif sans dépendance et sans division (...).87

Ces propos de Louis XV, comme nous le verrons plus loin, seront utilisés de manière
implicite par Hassan II non pas comme un simple slogan mais surtout comme un credo.
L’établissement d'un régime politique dictatorial si opposé à celui de son prédécesseur
accouchera d’une profonde crise socio-politico-économique dans le pays.

La dimension politique de la crise s'est manifestée par des tensions entre la


monarchie et les principaux partis politiques nationalistes. En effet, après l'indépendance du
Maroc en 1956, il y a eu une redistribution des rôles entre les partis politiques et la
monarchie. Mais de cette redistribution naitra entre les deux forces politiques du pays : la
monarchie et les deux principaux partis de l’opposition, l’Istiqlal et l’USFP. Pendant de
longues années, ces deux partis politiques vont exiger un Maroc libre et démocratique et
revendiquer une monarchie parlementaire ainsi que le partage du pouvoir comme une
légitimité à suite de leur participation à l’indépendance du pays, se considérant à l’origine
de cet événement historique. De fait, les partis du mouvement national que sont l'Istiqlal et
l'Union socialiste des forces populaires (l'USFP), entendaient jouer un rôle important dans
la gestion des affaires publiques. Mais, à la surprise, ils seront confrontés à un régime
politique absolu qui entendait régner et gouverner sans partage en conservant tous les
pouvoirs, que ce soit au niveau militaire, économique ou politique. L'Istiqlal et l'USFP vont

87
Discours de Luis XV devant le Parlement à Paris le 3 mars 1766, In. M. Fain, (s.d). El absolutismo
monárquico. En ligne https://www.elhistoriador.com.ar/el-absolutismo-monarquico/ consulté le 31/12/2019.

116
entrer en compétition avec la monarchie au sujet de la direction de la politique de l’État, à
l’effet de réduire les pouvoirs du Roi et surtout de lutter contre l'autoritarisme.

Entre 1956 et 1965, sur l’arène politique, le Maroc n’a connu que des règlements de
comptes entre monarchie et opposition. Cette situation va affecter le développement du
Maroc dont la stabilité dépendait du sort des affrontements entre les deux forces du pays,
monarchie et opposition. À cela s’ajoutait le fait qu’à cette période le royaume souffrait de
plusieurs insuffisances, notamment au niveau administratif à cause du départ des
colonisateurs français qui géraient l’administration marocaine. Pour corroborer le tout, il y
avait l’absence d’une Constitution, d’institutions et de réglementations essentielles au
respect de la vie en communauté et au fonctionnement d'un État démocratique.

Outre cette profonde crise politique que nous venons de présenter, le Maroc était en
proie à une crise socio-économique matérialisée par une inflation galopante, une hausse du
chômage, des révoltes populaires, un taux trop élevé d’analphabètes. Cette nouvelle
conjoncture sociale et économique sera à la base de d’innombrables révoltes sociales. En
effet, à partir de 1965, le Maroc a connu une série de révoltes sociales, à Casablanca, à Fès
et Rabat. Ces grèves populaires insurrectionnelles visaient à dénoncer la situation chaotique
de l'économie et le manque de libertés publiques et individuelles dans le pays (Ybarra, 2005,
p. 5).

Les révoltes des populations urbaines ont été rapidement réprimées par l’armée, qui
se substitue à la police débordée, faisant un grand nombre de victimes (Rivet, 2012, p.320).
Le 7 juin 1965, le roi proclame l’état d’exception, signe de son échec à constituer un
gouvernement d’union nationale. Il suspend temporairement le Parlement et assume à lui
tout seul tous les pouvoirs, exécutif et législatif, agissant en tant que Premier ministre au
cours des deux prochaines années. La « démocratie » et « la monarchie constitutionnelle
basée sur la séparation des pouvoirs » promises par le souverain à son arrivée au pouvoir et
dans la Constitution de 1962 demeureront une simple vue de l’esprit. Dès lors, la
confiscation des pouvoirs politique, militaire, économique et religieux, incarné par le roi
Hassan II, est devenue évident dans tout le Maroc (Ybarra; 2005, p. 6).

Le choix de la répression au lieu d'une tentative de considérer les demandes du


peuple et celles de l'opposition, pour nous, peut être interprété comme une stratégie

117
d’Hassan II d’étouffer le problème dans l'œuf afin de décourager toute future révolte
populaire contre son régime. Mais le roi s’était trompé. Lui qui était pourtant considéré
comme une personnalité particulièrement « intelligente et habile », dotée d’une bonne
capacité d’anticipation des événements, en prenant des initiatives politiques et en imprimant
des dynamiques nationales avec un esprit analytique et intellectuel, n'a pas pu détecter les
complots contre son trône et contre sa vie (Zarate, s.d).

Comme il fallait s’y attendre, les actions du monarque et son autoritarisme


déplaisaient tant à l’opposition qu’à certains chefs militaires des Forces Armées Royales.
Ces deux forces complotèrent alors en vue de renverser le dictateur. La première tentative
qui était en réalité la deuxième, (la première tentative d’assassinat avait eu lieu en février
1960) de coup d'État a eu lieu le 10 juillet 1971, alors qu’Hassan II fêtait ses 42 ans dans
son palais d'été à Sjirat, un complexe résidentiel sur la côte Atlantique à 27 km de Rabat.
Ce jour-là, le monarque était avec ses illustres invités, estimés à un millier (Ybarra; 2005,
p.7), composés de l'élite politique marocaine, des commandants militaires de haut rang et
des personnalités étrangères éminentes. Tout à coup, un commando de plusieurs dizaines
d'élèves sous-officiers de la Force régionale a fait irruption dans l'enceinte et, avec une
fureur extraordinaire, commença à mitrailler et larguer des explosifs sans distinction
(Zarate, s.d, p. 6). Plusieurs ministres et plus d'une centaine de diplomates, hommes
d'affaires et autres autorités ainsi que quatre généraux avaient péri dans l'attaque. Mais,
miraculeusement, le roi s’en était sorti sain et sauf quoique traumatisé. La répression qui
suivit ce « coup d'État » infructueux a été extrêmement dure. En effet, cinq généraux de
l’Armée accusés d’être les « cerveaux », d’avoir fomenté le « coup » le payèrent de leur vie.
Ce jour 10 juillet 1971, le Maroc perdait neuf de ses quinze généraux (Cobo & Menéndez,
2006, p. 39).

La deuxième sinon la troisième attaque contre le régime et la vie d’Hasan a eu lieu


le 16 août 1972. Ce jour-là, le roi rentrait à Rabat à bord de son Boeing-727 après un long
séjour dans son château de Betz près de Paris, accompagné de son frère le prince Abdallah,
du colonel Dlimi, et d’autres personnalités proches. Arrivé à la hauteur de Tétouan, l'avion
Royal est intercepté par un équipage de chasseurs-bombardiers F-5 de l'armée de l'air
marocaine basé à Kenitra. Après avoir signalé d’abord aux pilotes de bord, qu'ils venaient
escorter le monarque, subitement les F-5 ouvraient le feu sur l’avion royal dans l’intention

118
évidente d'abattre l'avion, lui causant de graves dommages. Hassan II, une fois encore, s’en
est sorti sain et sauf.

Face à la multiplication des hostilités contre la vie et le régime: problèmes avec


l'opposition, révoltes populaires, révoltes de l'armée avec deux tentatives de coup d'État ; le
très intelligent Hassan II, comprit que sa politique autoritaire appliquée jusqu'à cette date,
basée sur la répression des revendications populaires, n'était pas efficace avec l’armée
(Cobo & Menéndez, 2006, p.40) ni ne pouvait assurer la tranquillité de son régime. Cette
nouvelle situation socio-économique, politique et militaire sera à la base d'un changement
de paradigme de la part d’Hassan II et l’amener à tourner son regard vers la province
espagnole au Sud.

Le roi a décidé de retirer l'armée du royaume, déplaçant son noyau hors du territoire
marocain, en l’envoyant sur les hauteurs du Golan pendant la guerre de Yom Kippour en
octobre 1973, avec les troupes syriennes et contre la puissante armée d’Israël. Mais à la fin
de cette guerre et avec le rapatriement des forces marocaines, Hassan II a été contraint de
trouver une nouvelle stratégie à l’effet d’occuper l'armée. Pour éloigner cette fois, l'armée
des centres de pouvoir, le monarque va réveiller un "vieux démon": la question du Sahara
"espagnol". C'est ainsi que le monarque va tourner son regard vers ce territoire. Cette
nouvelle stratégie Hassan II reposait sur quatre piliers clés.

D'abord, entre le 30 avril et le 3 mai 1974, le Corps expéditionnaire marocain a été


déployé dans la province de Tarfaya, au sud du Maroc, dans le but d’entreprendre des
hostilités contre les forces espagnoles au Sahara. Pour ce faire, Hassan II acheta des armes
aux États-Unis, à la France et à l’Italie (Cobo & Menéndez, 2006, p.40). Pour Hassan II, le
déploiement de l'armée au Sahara espagnol avait un double objectif. Premièrement, «
dépolitiser » l'armée, en l'isolant et en l'éloignant des centres de décisions politiques, en les
campant dans les « provinces du sud ». Secundo, avec la construction des murs de défense
à partir de 1980, le roi transformait son armée en « gardienne de muraille » (Vergniot, 1989).

Deuxièmement, Hassan II, pour calmer le mécontentement de ses sujets et protéger


son régime, va entreprendre des réformes politiques avec l'adoption d'une nouvelle
Constitution en 1972.

119
Le troisième pilier est politico-diplomatique88. Au niveau national, le monarque a
annoncé une longue ouverture politique et une démocratisation et un assouplissement de
son régime, mais suffisamment contrôlée pour empêcher toute réaction qui pourrait nuire
au régime. Sur le plan de la politique internationale, l’œuvre d’Hassan II a été également
très importante. Elle tenait dans une phrase qu’il aimait à répéter : « le Maroc ressemble à
un arbre dont les racines nourricières plongent profondément dans la terre d’Afrique et qui
respire grâce à son feuillage bruissant aux vents de l’Europe »89. Pour lui, les racines du
Maroc sont très largement sahariennes. De ce fait, le recouvrement du Sahara espagnol
devenait une cause non négociable.

Dans le même esprit, le Maroc a adhéré à la Charte de l'Organisation de l'Unité


africaine (OUA) le 19 septembre 1963. Toutefois, en ratifiant cette Charte, le royaume
alaouite émettait des réserves quant à la réalisation et la sauvegarde de son intégrité
territoriale « dans le cadre de la défense de ses frontières authentiques ». Cette réserve avait
pour but de préserver pour autant leurs droits sur le Sahara et la Mauritanie (Boni-Gatta,
2016, p. 134).

Quatrièmement, le roi Hassan II tentera d'attirer les nationalistes sahraouis du F.


Polisario en les soudoyant et en leur promettant des promotions au sein des FAR. Cette
politique a partiellement réussi. En effet, quelque 200 volontaires sahraouis déserteront
l'armée espagnole pour former le Bataillon Méhariste de Tan-Tan, (une force montée sur
des chameaux), encadrés par 57 sous-officiers appartenant à différentes tribus sahraouies
(Cobo & Menéndez, 2006, p.40). La mission de ce bataillon était de servir de guides aux
autres unités des FAR en cas d'invasion marocaine du Sahara.

Le monarque a réussi à atteindre cet objectif puisque, à partir de 1974, une nouvelle
armée de libération appelée Front de Libération et d’Unité du Sahara (FLU) est créée. Cette
armée comptait un effectif d’environ 500 combattants (Cobo & Menéndez, ibidem).
L’objectif militaire de cette nouvelle arme était d'attaquer les positions espagnoles au
Sahara. Parallèlement à ce qui précède, nous pouvons émettre une autre hypothèse pour

88
Pour plus d’informations sur le rôle de la diplomatie dans l’affaire du Sahara Occidental, voir l’article de P.
Vella (1978). La Diplomatie Marocaine dans l'affaire du Sahara Occidental. Politique étrangère, n°4, 417-
428.
89
Cf. « Histoire Marocaine. De la Préhistoire Marocaine au Alaouites », op. cit
http://www.portailsudmaroc.com consulté le 12/09/2019.

120
expliquer la représentation qu'avait Hassan II du Sahara Occidental. Il s’agit de la question
de la richesse de ce territoire en ressources naturelles. Le Maroc convoitait déjà le phosphate
du Sahara, pour juguler la crise économique qu’il connaissait à l’époque. Aussi, le pays était
confronté à une sévère sécheresse qui avait contraint l’état à importer près de 800 000 tonnes
de céréales (Lanuza, 2015, p. 124).

À ces premières difficultés, il faut ajouter qu'à partir de 1974, le Maroc, premier
exportateur mondial de phosphate à l’époque a vu sa demande diminuer, entraînant une
baisse des bénéfices. Sur le marché mondial, le prix du phosphate avait chuté à 50 dollars
la tonne, ce qui a gravement compromis le plan de développement de l'État. Outre la baisse
de la demande, il y avait la menace de production de phosphate au Sahara occidental à partir
de 1972. En fait, le phosphate du Sahara était de meilleure qualité et moins cher à exploiter
que celui du Maroc. En seulement un an d’exploitation, en 1974, les gisements du Sahara
produisaient 3,5 millions de tonnes de phosphate (Lanuza, ibidem).

Fort de ce qui précède, il s'avère que Hassan a pu considérer le Sahara espagnol


comme une « manne financière » susceptible, en cas de sa possession, de soutenir
l'économie marocaine et résoudre la crise économique. Ainsi, il n'est pas surprenant que le
prédécesseur du roi Mohammed VI ait utilisé le Sahara comme objectif géoéconomique
pour sauver son régime, surmonter les crises internes et la situation économique du pays.

Il ressort de cette analyse que ce n'est pas essentiellement dans le cadre du « Grand
Maroc » qu’Hassan II a revendiqué le Sahara espagnol. Pour nous, le régime hassanien a
utilisé le Sahara espagnol comme un bouc émissaire90 pour purger les tensions internes,
régler les problèmes personnels du roi et protéger son régime impopulaire. Avec le réveil
de la question saharienne « Le roi et ses conseillers réussirent à reconstituer l'unité
nationale et à susciter un sentiment d'enthousiasme patriotique dans la population
marocaine » (Hottinger, 1980, p.167). Enfin, la réactivation de l'épineuse question du
Sahara Occidental a été un mécanisme pour « oublier » les préoccupations quotidiennes. À

90
Si nous nous referons à l’origine de cette expression, celle-ci traduit bien l’attitude d’Hassan II en vers le
Sahara Occidental. En effet, dans l’Ancien Testament (livre du Lévitique), il est fait le récit de que les juifs
pour célébrer la fête de l’expiation il était sacrifié deux boucs. Le premier était destiné à Yahvé tandis que
l’autre chargé des péchés des Israelites confessés est envoyé dans le désert ou il mourait de faim et de soif.
L’expression « bouc émissaire » est utilisée pour qualifier une chose dont on se sert expier nos péchés à notre
place.

121
travers le Sahara Occidental, le régime de Hassan a intelligemment tenté de projeter sur un
hypothétique ennemi extérieur l'échec de sa propre politique sociale et économique interne.
À l'image du Maroc, la Mauritanie va nourrir des idées irrédentistes pour le territoire
sahraoui.

II- L’IRRÉDENTISME MAURITANIEN POUR LE SAHARA

Contrairement à l'irrédentisme marocain que nous venons d’étudier et sur lequel il


existe une abondante littérature, il est difficile de spéculer sur les revendications du Sahara
occidental par la République Islamique de Mauritanie (RIM). Cette difficulté est due à une
insuffisance notoire de documentation spécialisée sur les motivations officielles et/ou
officieuses qui ont conduit la Mauritanie à s'intéresser également au Sahara alors qu’elle-
même est revendiquée par le Maroc. Toutefois, il convient de souligner que dans presque
tous les travaux menés sur le conflit pour le Sahara Occidental, certaines sections sont
consacrées au rôle de la Mauritanie dans le conflit.

1- La Mauritanie, d’une indépendance contestée à une dissension politique interne

La Mauritanie, vue du Maghreb auquel ses gouvernants successifs ont cherché


prioritairement à la rattacher, est dans ses configurations institutionnelle et territoriale
actuelles, le seul État (la République Arabe Sahraouie Démocratique exceptée) dont la
reconnaissance internationale a posé problème (Baduel, 1994, p.11). En effet, les deux
territoires ont souffert de la menace de l'expansionnisme marocain pendant le règne de
Mohammed V et de son fils Hassan II.

Le 23 juillet 1956, la Mauritanie est devenue un territoire d'outre-mer (TOM) de la


France. Deux ans plus tard, en vertu de la Constitution du 5 octobre 1958, le territoire
devenait la République islamique de Mauritanie dotée d’une autonomie interne. Cela fera
dire à Moktar Daddah que « Si le Sahara, si le Sahel et le Fleuve, si le Chergue et Ia Guebla
représentent des entités vivantes avec des vocations particulières, nous placerons au-dessus
d’elles une entité qui les résume toutes : la Mauritanie. Nous sommes une nation qui naît.
» (Baduel, 1994, p.11) C’était ainsi que Moktar Ould Daddah envisageait le futur État-
nation mauritanien. Il est clair qu’un tel projet venait concurrencer celui du Maroc porté par
Allal El-Fassi, la restauration d’un grand espace chérifien allant de Tanger à Saint-Louis du
Sénégal et à Tombouctou, et devant bien évidemment inclure le Sahara espagnol et une

122
partie du Sahara algérien. Dans un discours prononcé le jour de l’Indépendance (le 28
novembre 1960), Moktar Ould Daddah (cité par Baduel, 1994) prenait acte de la situation
créée lorsqu’il affirmait :

Au moment où la France, par des institutions généreuses, nous donne le droit de nous
gouverner nous-mêmes et de nous déterminer librement, je dis non au Maroc!
Mauritaniens nous étions. Mauritaniens nous sommes. Mauritaniens nous resterons
! Nous en avons conscience. Faisons ensemble la Nation mauritanienne. (p. 14)

Quelques mois après l’opération Ecouvillon, dans son discours du 25 juillet 1958, le
roi du Maroc, Mohammed V, prononçait ses premières déclarations officielles en faveur de
l'appartenance du territoire mauritanien à son royaume. Mais bien avant cette date, le
gouvernement marocain avait nommé dès le mois de novembre 1956 un « délégué du Sahara
» à l’Assemblée consultative marocaine (Meric, 1965, p.748). En novembre 1957 une
« Direction des affaires sahariennes et frontalières » est créée au ministère de l’Intérieur.
D’autre part, au tout début de l’année 1957, le 8 janvier, Mohammed V aurait reçu une
importante délégation de Réguibats pour les exhorter à la guerre sainte et à la « libération
de la province marocaine de Mauritanie » (Beslay, 1984, p.167).

Au cours de l’été 1958, le gouvernement marocain a envoyé un émissaire auprès de


Mokhtar Ould Daddah à l’effet de l’exhorter à profiter du référendum91 pour se désunir de
la France et proclamer son rattachement au Maroc en échange d’un poste important à Rabat
(Evrard, 2015, p. 150). Le 28 septembre 1958, l’Assemblée territoriale proclame la
République islamique de Mauritanie. Malgré l’opposition du Maroc et de la Ligue arabe, le
28 novembre 1960, l’indépendance de la République Islamique de Mauritanie (RIM) est
proclamée. Ce fut alors qu’immédiatement au sein des Nations Unies, la lutte pour la
reconnaissance. En effet, dès le mois d’août 1960, le Maroc avait saisi l’ONU de la question
mauritanienne, dont il jugeait l’indépendance illégale, du fait qu’elle aurait appartenu à
l’empire chérifien avant 1906. Dans ce sens, le théoricien du Grand Maroc, Allal El-Fassi
parlant des dangers de l’acceptation de l’indépendance de la Mauritanie pour l’unité et la
stabilité du royaume de Maroc prévenait que :

Ni le Roi ni le peuple ont le pouvoir d’autoriser aucun des territoires marocains à opter
pour une indépendance autre que l’indépendance du Maroc. Pas plus que Fès ou Rabat,

91
Il s’agit du référendum pour la Communauté Franco-Africaine. La Mauritanie votera majoritairement OUI
à la Communauté avec 94% voir Bouboutt A. S. 1989). L’évolution des institutions de la République Islamique
de Mauritanie. Revue du monde musulman et de la Méditerranée, vol. 54.

123
la Mauritanie n’a le droit de se séparer du reste du Maroc. Le Roi et le peuple auraient
éventuellement le devoir de contraindre par la force les Mauritaniens à sauvegarder
l’unité de la patrie (De La Serre, 1966, p. 322).

Par ailleurs, le Maroc entama une intense politique de lobbying auprès des pays
africains déjà indépendants afin de les convaincre de ce que le problème mauritanien fût
placé dans le cadre de l’unité africaine et de la liquidation des bastions colonialistes. Le 15
novembre 1960, à quelques jours seulement de la proclamation de l’indépendance de la
RIM, les représentants du Maroc et de la France se sont affrontés, arguments et contre-
arguments des revendications territoriales marocaines, à la quinzième session de
l’Assemblée générale des Nations Unies (Evrard, 2015, p.236). Mais finalement, nonobstant
l’opposition farouche du Maroc et ses alliés dont la Ligue Arabe92, le 25 octobre 1961, le
Conseil de sécurité approuvait l’admission de la RIM à l’Assemblée générale des Nations
Unies. Le 27 octobre 1962, l’Assemblée générale votait à 68 voix pour, 13 contre et 20
abstentions (Evrard, 2015, p. 238).

À cette période en Mauritanie, une partie de l'opinion politique nationale était


favorable à la thèse marocaine de l'intégration de la Mauritanie au royaume chérifien. À la
tête des partisans de cette position se trouvait le parti politique Nahda Al Watania al
Mauritania (parti mauritanien de la Renaissance nationale). Après le discours du roi
Mohammed V à M'Hamid le 28 février 1958 où il lançait un appel à ses frères de la
Mauritanie, d'importantes personnalités de ce parti ont émigré au Maroc. Ces personnalités
ont non seulement prêté allégeance et juré fidélité au trône alaouite, mais elles exprimaient
au roi « le désir de tout le peuple mauritanien de voir la Mauritanie retourner au sein de
la mère patrie [le Maroc] » (De La Serre, 1966, p. 323). Pour récompenser ses frères
mauritaniens qui étaient retournés à la mère patrie, Mohammed V leur attribuait des postes
stratégiques au sein de l’Administration marocaine. Ces « transfuges » comme ils sont
appelés en Mauritanie, pour la plupart seront nommés conseillers dans divers ministères au
sein du gouvernement Marocain (Evrard, 2015, p. 151). S'il est difficile de parler des causes

92
La ligue Arabe est une organisation régionale créée le 22 mars 1945 au Caire en Egypte par l’Égypte, l’Irak,
le Liban, l’Arabie Saoudite, la Syrie, la Transjordanie (devenue la Jordanie en 1950) et le Yémen-du-Nord.
D’autres pays y adhèrent par la suite : la Libye (1953), le Soudan (1956), le Maroc et la Tunisie (1958), le
Koweït (1961), l’Algérie (1962), le Yémen-du-Sud (1967), Bahreïn, Oman, le Qatar et les Émirats arabes
unis (1971), la Mauritanie (1973), la Somalie (1974), Djibouti (1977) et les Comores (1993). L’Organisation
de libération de la Palestine (OLP) y est admise en tant que membre à part entière en 1976. (Cf. Ligue Arabe
In Encarta 2009.

124
objectives de l'attitude de ces mauritaniens qui rejoignaient Rabat, il ne fait aucun doute
que leurs actions ait mis de l’eau dans le moulin du Maroc quant à « ses droits » sur la
Mauritanie.

La tension était donc devenue palpable au sein de la jeune République de Mauritanie.


Moktar Ould Daddah, principal personnalité politique de l’époque et d’ailleurs futur
premier président de la Mauritanie, était confronté à une équation ambiguë. En effet, au
moment où le jeune État entamait des démarches pour entrer aux Nations Unies, il était
d’un impératif catégorique que toutes les forces vives du pays soient unies. Ould Daddah,
qui était alors vice-président du conseil de gouvernement, a dû se battre simultanément sur
deux fronts. D'une part, combattre le Maroc et sa thèse irrédentiste sur son pays. Et de
l'autre, faire tout pour apaiser les désirs des partis politiques tels que la Nahda et l'Union
Nationale Mauritanienne (UNM). Alors que le premier optait pour l’intégration au Maroc,
le second préconisait l'intégration du sud de la Mauritanie au Mali (De La Serre, 1966, p.
332).

Pour faire face aux tensions internes et à celles de Rabat, Ould Daddah, va appliquer
la même politique qu’Hassan II, c’est-à-dire, utiliser le Sahara espagnol comme bouclier,
mieux, comme bouc émissaire. C’est ainsi que dans son discours d’Atar du 1er juillet 1957,
il revendique pour la première fois le territoire du Sahara espagnol.

2- La conquête du Sahara espagnol, condition sine qua non de l’unité nationale de la


Mauritanie

Après l’indépendance, le gouvernement mauritanien va miser sur le projet politique


de construction d‘une nation mauritanienne par-delà les clivages ethniques. Mais ce projet
va connaitre rapidement des difficultés. En effet, le régime au pouvoir va favoriser
davantage la fraction arabophone et plus particulièrement maure de la population, et cela
conduira à une crispation des relations interethniques. Pour Bauel (1999, p. 15), « là où
une nation mauritanienne n’aurait pu se fonder que sur le socle d’une désethnicisation,
d‘une détribalisation des relations sociales, on assistait en fait à un réarmement identitaire
des ensembles ethniques. » Les problèmes identitaires et ethniques que vivaient la jeune
république mauritanienne faisait de l’ombre aux efforts d’Ould Daddah pour construire une
nation mauritanienne unie. Il lui fallait donc trouver une cause qui rassemblerait tous les

125
fils et toutes les filles de la Mauritanie. C’est ainsi que va naitre le désir de « récupération »
du Sahara espagnol. La récupération du territoire sahraoui, envisagée par Ould Daddah
devait permettre de déplacer délibérément le centre de gravité géographique et politique du
pays vers le Nord, renforçant ainsi sa maghrébinité et son arabité. C’est ainsi que Moktar
Ould dira que :

Je ne peux pas m’empêcher d’évoquer les innombrables liens qui nous unissent : nous
portons les mêmes noms, nous parlons la même langue, nous conservons les mêmes
nobles traditions, nous vénérons les mêmes chefs religieux, faisons paitre nos
troupeaux sur les mêmes pâturages, les abreuvons aux mêmes puits. En un mot nous
réclamons cette même civilisation de désert dont nous sommes si justement fiers
(Moshen-Finan, 1997, p.35).

Le 29 octobre 1961, suite à la reconnaissance internationale de la République


Islamique de Mauritanie (RIM), le gouvernement mauritanien a formulé pour la première
devant l'Assemblée générale des Nations Unies, une réserve de souveraineté sur le Sahara
Occidental. Dès lors, la RIM ne cessera de faire connaitre sa détermination à sauvegarder
son intégrité territoriale et à consolider l'unité de son peuple par la récupération de son
Sahara encore sous domination coloniale espagnole. C’est dans cette optique que le 14
octobre1963, Moktar Ould Daddah, président de la République islamique de Mauritanie, à
la dix-huitième session de l’Assemblée générale des Nations Unies déclarait que « C'est
parce que nous avons toujours cru aux vertus du dialogue franc que nous espérons exercer
par la négociation dans l'amitié notre souveraineté sur une vaste partie de notre territoire
national non encore libéré » (Salmon, 1975, p. 317). Le message du président est clair, le
Sahara espagnol fait partie intégrante du territoire national de la Mauritanie.

Cette offensive diplomatique mauritanienne devant les Nations Unies visait à


défendre la thèse selon laquelle la Mauritanie a été divisée en deux parties par la
colonisation franco-espagnole, et que seule la partie colonisée par la France a pu accéder à
l'indépendance, alors que la partie nord-ouest était toujours une colonie espagnole, le
Sahara espagnol. En un mot, pour eux, le Sahara dit espagnol fait partie intégrante de la
Mauritanie. Cette tournure que prenait les choses n’était pas du goût de Rabat que la réserve
mauritanienne avait surpris et déplu. À ce propos, l'ambassadeur du Maroc à Amman, Fatmi
Ben Slimane, déclarait le 19 septembre 1960 que « Si les efforts pacifiques échouent, le
Maroc est prêt à combattre pour la réintégration de la Mauritanie… » (De La Serre, 1966,

126
p.326). Malgré son opposition au début, après l'entrée de la Mauritanie à l'ONU, à partir de
1962, il y aura plusieurs tentatives de rapprochement entre la Mauritanie et le Maroc 93. À
partir de cette période, avait commencé entre les deux pays ce qu'un auteur qualifie de
« coexistence difficile » (De La Serre, ibidem).

Compte tenu de la complexité de la situation telle que nous venons de la présenter,


on peut se demander ce qui explique réellement l'intérêt de la Mauritanie pour le territoire
du Sahara espagnol. Bien qu'il soit difficile de répondre à cette question, de nombreux
auteurs conviennent pour dire que la revendication mauritanienne du Sahara, plutôt
qu'offensive ou annexionniste, a été défensive. Loin de constituer un impérieux désir
politique d’absorber l'ancienne colonie espagnole, la revendication du Sahara par la
Mauritanie allait se présenter comme un bouclier pour empêcher à tout prix l'annexion de
la Mauritanie par le Maroc.94Nous pouvons postuler, a posteriori, que la revendication
mauritanienne au sujet du Sahara Occidental était due à la réalisation d'un projet
géopolitique complexe en accord avec sa représentation de ce territoire.

Divers arguments (géo) politiques peuvent expliquer la conception du Sahara


Occidental dans l’imaginaire d'Ould Daddah. D’abord, avec l'acquisition de
l'indépendance, en réclamant le Sahara Occidental comme une partie intégrante de la
Mauritanie, le président mauritanien invitait ainsi tous les enfants du pays maure à
construire une « nouvelle Mauritanie ». Cette invitation était adressée principalement aux
« frères » du Sahara espagnol. En fait, Ould Daddah considère que les Sahraouis et les
Mauritaniens en partageant la même culture, notamment la langue, le Hasania, sont des
frères. L’idée d’une fraternité séculaire entre les Mauritaniens et les Sahraouis est soutenue
également par Sayeh (1996). Pour cet auteur sahraoui, « Dans l'ensemble maghrébin, les
Sahraouis et les Mauritaniens sont les deux peuples les plus proches » (p.26).

Deuxièmement, face à la menace du spectre du "Grand Maroc" qui planait sur la


Mauritanie comme une épée de Damoclès et qui pouvait la phagocyter à tout moment,
Moktar Ould Daddah développera et opposera son projet d'une "Grande Mauritanie". Dans
son discours de juillet 1957, Moktar invite d’ailleurs ses « frères du Sahara espagnol à

93
Cf. déclarations d’Ould Daddah à ce propos dans Le Monde, 29 avril 1962.
94
Lire dans ce sens F. Villar (1982), M. De Froberville, (1996), K. Moshen-Finan, (1997) 35-47 et Lanuza J.
C. L.-P., (2015).

127
rêver de cette grande Mauritanie économique et spirituelle ». En réalité, la "Grande
Mauritanie" d'Ould Daddah devrait pouvoir contre-attaquer le "Grand Maroc" d'Allal El
Fassi. Cette attitude de Nouakchott a été considérée par un auteur comme une sorte
"d'alignement" sur Rabat (De Froberville, 1996, p.46). Enfin, la « récupération » du Sahara
Occidental par la Mauritanie, en plus de servir de barrière à l'expansionnisme territorial
marocain, devrait permettre de « construire et consolider la nation mauritanienne »
(Moshen-Finan, 1997, p.47). Face au tribalisme qui entravait les actions du président pour
réaliser l'unité nationale, d’une part, et les tensions internes au sein de la classe politique
nationale avec les hostilités de Nahda, d‘autre part, la conquête du Sahara Occidental
devrait servir à resserrer les rangs autour de la personne du président Moktar Ould Daddah
(Moshen-Finan , idem). En 1977, alors que la Mauritanie était en guerre contre les forces
du Front Polisario, Moktar lui-même, parlant des émanations positives de cette guerre pour
la construction et le renforcement de l'unité nationale dans son pays, confiait à un
journaliste que :

Nos adversaires renforcent notre unité nationale. Ainsi apparait plus que par le passé,
un Mauritanien citoyen d’un État moderne qui se dresse pour la défense de sa patrie,
abstraction faite de son origine tribale, régionale ou ethnique. Avec cette guerre qui
nous est imposée, le citoyen de tous les coins de la Mauritanie, quelle que soit son
origine défend la même patrie, verse le même sang. (…) Cette guerre imposée a permis
d’ancrer plus profondément dans l’esprit de nos compatriotes l’idée de nation (Jeune
Afrique, n° 847, 1977, p. 73).

Ces propos de Moktar O. Daddah viennent soutenir le fait que la Mauritanie a


toujours fait référence à la guerre du Sahara Occidental comme clé de sa réunification
nationale. Par conséquent, Ould Daddah n’aura de cesse de faire pression verbalement sur
l'Espagne de son intention de récupérer « son » territoire (Olivero & Lemus López, 2015,
p.130). Cela confirme ce que nous vons déjà montré plus haut, à savoir que l'intérêt
fondamental de la Mauritanie, en revendiquant le Sahara, était de l'utiliser comme bouclier
contre les dangereuses ambitions des alaouites.

Pour mémoire, il faut souligner que les Sahraouis n’ignoraient pas toutes les
manoevres et calculs géopolitiques adont ils étaient l’objet de la part du Maroc, de la
Mauritanie et surtout de l'Espagne. Ces troits États balayaient du revers de la main le Droit
à la libre détemination des peuples colonisés proné par les Nations Unies. Ce droit qui
s’appliquait au territoire non autonome (TNA) était consacré par la Résoluton 1514 (XV)

128
du 14 décembre 1960 de l'Assemblée générale (AG) des Nations Unies. Cette résolution
stupule que « la sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une
exploitation étrangère constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme, est contraire
à la Charte des Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la coopération
mondiales ». En outre, il prévoyait que « des mesures immédiates seront prises (...) pour
transférer tous les pouvoirs aux peuples des territoires sous tutelle et territoires non
autonomes, sans aucune condition (...) afin de leur permettre de jouir d’une indépendance
et d’une liberté complètes (Résolution 1514 (XV).

Cette résolution était une invitation à l’endroit de l'Espagne à décoloniser sa colonie


ou sa province saharienne. Mais, Madrid ignora la résolution. Compte tenu de l'inaction de
l'Espagne à appliquer la résolution 1514, l'AG des Nations Unies votait une autre résolution,
la résolution 2072 (XX) du 16 décembre 1965. Dans la même dynamique, l'AG demandait
au gouvernement espagnol : « (…) Adopter immédiatement les mesures appropriées pour
la libération de la domination coloniale d'Ifni et du Sahara espagnol et entamer des
négociations sur les problèmes liés à leur souveraineté » (Résolution du 16 octobre 1964).
Toutefois, la résolution ne précisait pas qui devrait être l'interlocuteur de l'Espagne puisque
non seulement le Maroc mais aussi l'Algérie (pas officiellement) et la Mauritanie ont
revendiqué le Sahara. C’est de la conjugaison de toutes ces considérations que va émerger
le nationalisme sahraoui.

Au total, nous venons étudier l'irrédentisme marocain et mauritanien à propos du


Sahara espagnol. Cet irrédentisme a été motivé par la réalisation de divers projets à relents
géopolitiques en raison de la représentation que ces acteurs ont de ce territoire. Dans le cas
du royaume Alaoui, la représentation du Sahara Occidental a évolué au fil du temps suivant
les successifs monarques de ce royaume. Se considérant comme un « État démembré », le
Maroc a revendiqué le Sahara Occidental comme son « appendice ». Aussi, l’ambitieux et
non moins irréalisable projet du « Grand Maroc » a servi de prétexte à Mohammed V et à
son fils Hassan II pour revendiquer le territoire. Sous le règne d’Hassan II, pour sauver son
régime d’une mort certaine vu les trois tentatives de régicides, le roi a utilisé le Sahara
comme « bouc émissaire » pour régler ses problèmes personnels.

La Mauritanie de Moktar Ould Daddah, a exprimé son intérêt pour le Sahara


Occidental. Mais la revendication mauritanienne était plus défensive qu’offensive. Elle

129
visait en partie, à utiliser le Sahara comme un bouclier pour se protéger du « dangereux »
Maroc et de sa thèse du "Grand Maroc" qui englobait toute la Mauritanie. Par ailleurs, la
revendication du Sahara a servi à Moktar Ould Daddah à renforcer l’intégrité de son
territoire et l’unité nationale fragilisées par des luttes politiques intestines.

C'est dans ce contexte que le nationalisme sahraoui a germé comme corollaire de


l'irrédentisme sur « leur » territoire et de la duplicité de l'Espagne qui ne voulait pas leur
accorder l'indépendance.

130
CHAPITRE 6 : L’ÉMERGENCE DU NATIONALISME SAHRAOUI

Le Sahara Occidental a été l’un des bastions à être longtemps réfractaire à l'idée
nationale (Boucherikha, 2013, p. 70). C’est ce qui va expliquer comme on le verra que
l'émergence du sentiment nationaliste chez les peuples sahraouis se soit faite bien tard.
Même si par le passé les Sahraouis ont été réfractaires à la domination coloniale étrangère,
ces résistances ont été menées de façon isolée et sporadique, par des tribus telles que les
Tekna et les Reguibat. Mais les sahraouis formaient un ensemble homogène (Barbier, 1982,
p. 22) bien que la prise de conscience et la volonté de vivre ensemble un même destin soient
des sentiments apparus très tardivement.

Mais comment une entité nomade considérée comme réfractaire à toute organisation
étatique a-t-elle pu constituer un front nationaliste pour revendiquer un État ? Sachant que
la conscience nationaliste ne vient pas ex nihilo, nous pouvons nous interroger de savoir
quels sont donc les facteurs qui ont déclenché la prise de conscience nationaliste chez les
Sahraouis ? Dans les lignes qui suivent, nous essaierons de donner une esquisse de réponses
à ces interrogations.

I- LES FACTEURS DE L’ÉCLOSION DU NATIONALISME SAHRAOUI

Le concept nationalisme est polysémique. Dans sa première acception, c’est une


doctrine affirmant la prééminence de la nation sur le corps social qui la compose et pouvant
viser à l’expansion de son aire d’influence au détriment d’autres collectivités nationales. Le
terme serait apparu au XVIIe siècle en France. Selon les auteurs d’Encarta (2009), le
concept aurait été utilisé pour désigner les théories des Jacobins les plus extrêmes de la
Révolution française (1789-1799). Avec le temps, le terme est utilisé de manière générale,
pour évoquer les aspirations d'indépendance d'un peuple de toute forme de domination (Voir
Nationalisme In Encarta, 2009). Mais Plumyene (1979, p. 13) soulignait que « Le
nationalisme, dans l’infinie diversité de son déplacement planétaire, est bien toujours la
même chose, indéfinissable sans doute, reconnaissable ». Il est donc difficile de définir le
nationalisme. Cette difficulté est due sans doute aux formes que prend le nationalisme dans
le temps et dans l’espace. Diverses définitions du « nationalisme » et en particulier du
« nationalisme africain » ont été développées. De manière générale, dans les pays ayant été

131
sous le joug colonial, le nationalisme est associé voire même identifié à l'anticolonialisme,
à une idéologie révolutionnaire de libération du colonialisme.

Dans l’océan des définitions du concept, celle proposée par Khon (1966) semble
suffisamment explicative pour comprendre la substance du « nationalisme ». Selon lui, le
nationalisme est « un estado de ánimo en el cual el individuo siente que debe su lealtad
suprema al Estado Nacional, manifestándose por un profundo apego al suelo nativo, por
las tradiciones locales y por la autoridad territorial establecida95» (p. 11). González (1987),
dans la même veine, renchérit pour dire que le nationalisme « Es por lo tanto más un
sentimiento que una verdadera ideología;(…); por lo tanto lo que se da en primer lugar es
la recuperación de la identidad personal y nacional, la necesidad primaria de demostrarse
a sí mismos que seguían existiendo como pueblo ». (p. 45).96

Autrement dit, le nationalisme repose sur l’existence d’un sentiment de communauté


liant des individus autour d’une histoire, d’une langue ou d’une religion commune. Les
causes du nationalisme sont aussi diverses que ses définitions. Mais les considérations
endogènes (internes) et exogènes (externes) sont le plus souvent les principales raisons de
la naissance des sentiments dits nationalistes.

1- Les facteurs endogènes de la montée du nationalisme sahraoui

De manière générale, la montée des nationalismes en Afrique est le fait d’un certain
nombre de facteurs internes qui ont bouleversé les habitudes et les modes de vie politique,
social et économique des peuples colonisés. La société traditionnelle sahraouie a
expérimenté du fait de la colonisation espagnole de profondes mutations sociales et
politiques qui vont accoucher d’un sentiment nationaliste embryonnaire.

Premièrement, la découverte d'énormes ressources naturelles (surtout le phosphate)


dans le sous-sol du territoire, a suscité une certaine prise de conscience de la part des
populations du Sahara Occidental. En plus des bancs de poissons dont l’existence n’était

95
Notre traduction: Une disposition d’esprit dans laquelle l’individu sent qu’il doit sa loyauté suprême à
l’État national, se manifestant par un profond attachement au sol, pour les traditions locales et par l’autorité
territoriale établie.
96
Notre traduction: C’est donc plus un sentiment qu’une véritable idéologie; (…) par conséquent, ce qui est
donné en premier lieu c’est le rétablissement de l’identité personnelle et nationale, le besoin premier de se
prouver à soi qu’on continue d’exister en tant que peuple.

132
plus à prouver, les Espagnols ont découvert d’autres ressources naturelles (minérales), à
partir de 1940 et dont l'exploitation (phosphate) avait commencé à partir de 1960. Avec
l'importance tant quantitative que qualitative des ressources du territoire, les Sahraouis ont
commencé à rêver à l'existence d'une République Sahraouie. Pour eux, un État Sahraoui
indépendant, serait économiquement viable et plus important encore, serait tout à fait
indépendant de l'aide de la Communauté internationale (Fadel, 2001, p. 53).

Deuxièmement, il y a le désir de changement social manifesté par la jeunesse


sahraouie. En effet, dans les années 50, l’on a assisté à l'émergence d'une jeunesse sahraouie
homogène qui a pris conscience de sa propre identité. De membre de « tribus », cette
nouvelle génération a commencé à se considérer comme un « peuple », le peuple sahraoui.

Troisièmement, au cours de la dernière moitié du XXe siècle, une véritable mutation


de l'idiosyncrasie de la société nomade sahraouie s’est opérée. En fait, le nomadisme qui
avait toujours caractérisé cette population a progressivement cédé la place au sédentarisme
en raison des effets des guerres et de la sécheresse. En effet, au cours de ces années, le
Sahara a connu une terrible sécheresse. Cette sécheresse a eu de graves conséquences sur
les activités pastorales des Sahraouis. Elle a éliminé une partie importante de leur bétail
(Boni-Gatta, 2016, p.146), forçant la majorité de la population locale à abandonner leur
mode de vie nomade et à s'installer dans les centres urbains se transformant ainsi en
sédentaires. Le mode de vie sédentaire qui s’est imposé à ce peuple sera un facteur important
dans la formation du sentiment nationaliste au sein des Sahraouis. Par conséquent, ils ont
commencé à s'identifier comme un « peuple » et non plus comme un « ensemble de tribus ».
À cet égard, Soroeta Liceras (2001, p. 87) explique que la sédentarisation de la population
sahraouie et l'abandon progressif du nomadisme entraîneront le remplacement des valeurs
tribales traditionnelles par des valeurs nationales, avec la naissance du nationalisme
sahraoui.

Outre ces trois facteurs, il convient d'ajouter que le sentiment nationaliste sahraoui
a été favorisé par d'autres éléments parfois absents des études sur le nationalisme sahraoui.
Il s'agit de l’impact de la colonisation ou des transformations sociales et administratives
subies par le Sahara Occidental du fait de la colonisation. L’on peut postuler que le
nationalisme Sahraoui est le résultat direct de la colonisation espagnole elle-même. En effet,
bien que l'Espagne n'ait pas pu décoloniser sa colonie et province, à l'inverse, elle a

133
largement contribué non seulement à la formation de l'identité collective et nationale des
Sahraouis, mais a renforcé le sentiment d’unité nationale au détriment des particularismes.
Elle a aussi contribué au renforcement de leur besoin primordial de se prouver qu'ils existent
en tant que peuple ayant vécu un passé commun. L'anthropologue Caratini (2003) écrit à cet
égard que :

L’émergence des “Sahraouis”, en tant que peuple revendiquant l’indépendance de ce


territoire [le Sahara Occidental], qu’ils considèrent comme national, est la conséquence
de l’histoire coloniale en même temps que du long processus de décolonisation,
toujours inachevé, que cette histoire a généré. (p. 25)

Parlant des impacts de l’histoire coloniale sur la naissance du nationalisme sahraoui,


trois faits majeurs peuvent être mentionnés. Premièrement, entre 1900, 1904 et 1912, il a y
eu les conventions internationales entre les puissances coloniales que sont la France et
l’Espagne. Dans ces traités il était question de la délimitation des frontières du Sahara
Occidental telles que nous les connaissons aujourd’hui. Le tracé des frontieres a supposé
que désormais les sahraouis naguère nomades –ignorant jusqu’à la notion de frontière et se
promenant au gré du vent et de la pluie – formait desormais un ensemble homogène. Mieux,
ils formaient à partir de cet instant, une communauté politique fixée sur un territoire et
soumise à une même autorité, à un même gouvernement (espagnol). Ces frontières
artificielles seront enterinées par l’organisation supranationale africaine, l’Organisaton de
l’Unité Africaine (OUA) avec son principe d’intangibilité des frontières héritées de la
colonisation.

Par ailleurs, durant la colonisation espagnole du Sahara, le territoire a été l’objet de


profonde restructuraton socio-politique et administrative. L’organisation socio-politique de
la société traditionelle sahraouie régie par la djemaa et la Main des Quarante dirigées par
les Cheikhs, ont été remplacée à partir de 1960. Le Sahara espagnol de colonie deviendra
une province espagnole. Pour couronner le tout, le décret du 29 novembre 1962 venait
mettre en place une réorganisation de l'administration locale du Sahara en fixant la
composition, les pouvoirs et son régime électoral.

À partir de 1962, les premières élections municipale et provinciale étaient organisées


afin que les Sahraouis puissent participer de manière formelle à la politique coloniale à
travers leurs propres organes de représentation dirigés par eux-mêmes. Les nouvelles

134
structures politiques et administratives dont étaient maintenant dotées les Sahraouis leur a
permis de prendre en charge progressivement leur propre gestion (Fadel, 2001, p. 34) et
surtout de s’affirmer comme peuple indépendant. Enfin, la mise en place d’infrastructures
scolaires et de formation professionnelle relativement importante a également joué un rôle
dans la culture du sentiment nationaliste au sein de la nouvelle élite sahraouie.

En somme, la conjugaison de ces facteurs endogènes a contribué en partie à faire


émerger la conscience nationaliste sahraouie. À ces éléments internes, le renforcement du
nationalisme a aussi été nourri par des facteurs externes.

2- Les facteurs exogènes de la montée du nationalisme sahraoui

Au Sahara Occidental tout comme dans la plupart des pays colonisés, un certain
nombre de circonstances extérieures survenues au lendemain de la seconde Guerre Mondiale,
vont favoriser l’émergence de mouvements nationalistes. Ces circonstances se traduisant par
la chute du prestige des puissances coloniales, la position anticolonialiste des super-grands
(USA et URSS) et une opinion internationale anticoloniale vont être nourries par deux
éléments. Il s’agit de la conférence de Bandung et des actions de l'ONU.

La conférence de Bandung (Indonésie) corganisée en 1955, a été le premier facteur


externe qui a contribué à la naissance du sentiment nationaliste sahraoui. À l’initiative des
gouvernements de Birmanie, de Ceylan, de l’Inde, d’Indonésie et du Pakistan, du 18 au 24
avril 1955, s’est tenue à Bandung, en Indonésie la conférence internationale des peuples
afro-asiatiques qui consacrera l’émergence politique des pays dit du Tiers-Monde et
marquera surtout la fin du complexe de supériorité du Blanc par rapport au Noir. Cette
réunion sera aussi à l'origine de la création du mouvement des pays non-alignés97. Au cours
de cette Assemblée qui a réuni 23 pays africains et six États asiatiques, il a été question de
la nécessité de créer une troisième voie parallèle à celle des deux grands blocs
hégémoniques mondiaux (le bloc occidental et le bloc soviétique). Le président indonésien
Sukarno déclarait à propos de cette réunion que « C’est un nouveau départ dans l'histoire
du monde que les dirigeants des peuples africains et asiatiques puissent se rencontrer dans

97
Les non-alignés sont l’ensemble des colonies récemment décolonisés qui à partir de 1950, refusent de
s’engager dans la guerre froide opposant les deux blocs menés par les États-Unis et l’Union des Républiques
Socialistes Soviétiques, et affirment ainsi leur autonomie.

135
leurs propres pays afin de discuter et de délibérer sur des sujets d'intérêt commun. » (Cf.
Conférence de Bandung In Encarta, 2009) Les débats de la conférence ont porté sur les
problèmes généraux de sous- développement, de la question de la dépendance et du
colonialisme qui prévalaient encore dans de nombreux pays, africains et asiatiques. Dans ce
sens, les participants de la conférence ont évoqué la situation au Maghreb puisque cette
région était encore en proie au colonialisme français et espagnol. Au chapitre D, section 2,
les signataires de la Conférence notent ce qui suit :

Acerca de la solución aún no resuelta en África septentrional y la persistente negación


a estos pueblos de su derecho de autodecisión, la Conferencia Afroasiática ha declarado
que debe apoyar los derechos de los pueblos de Argelia, Túnez y Marruecos a la
autodecisi6n e independencia, y ha solicitado del gobierno francés que elabore sin
demora una sistematización pacífica del problema 98 (Cordero Torres, 1962, p. 630).

Tout en rejettant la soumission des peuples à l’assujettissement de l’étanger, à leur


domination et leur exploitation, les Nations présentes à la conférence étaient d’accord :

1. Pour déclarer que le colonialisme dans toutes ses manifestations, est un mal auquel
il doit être mis fin rapidement ;
2. Pour déclarer que la question des peuples soumis à l’assujettissement de l’étranger,
à sa domination et à son exploitation constitue une négation des droits
fondamentaux, de l’homme, est contraire à la charte des Nations Unies et empêche
de favoriser la paix et la coopération mondiales ;
3. Pour déclarer qu’elle appuie la cause de la liberté et de l’indépendance de ces
peuples ;
4. Et pour faire appel aux puissances intéressées pour qu’elles accordent la liberté et
l’indépendance à ces peuples. (…)99

La conférence de Bandung a été d'une importance capitale même si cette importance


a été beaucoup plus symbolique. Il ne fait aucun doute que ses principes ont grandement
contribué entre 1956 et 1962 à l’obtention de l'indépendance politique des États du
Maghreb.

98
Notre traduction: En ce qui concerne la solution encore non résolue en Afrique du Nord et le déni persistant
à ces peuples de leur droit à l'autodécision, la Conférence afro-asiatique a déclaré qu'elle devait soutenir les
droits des peuples d'Algérie, de Tunisie et du Maroc à l'autodétermination et à l'indépendance, et a a demandé
au gouvernement français de développer sans délai une systématisation pacifique du problème.
99
Cf. Nouvel Ordre international et Non Alignement, Bagdad, Édition du monde Arabe, 1982.

136
Le second facteur exogène ayant participé à l’éveil du nationalisme sahraoui a trait
à la conjonctue politique internationale marquée par la position anticolonialiste des deux
super-grands et les principes anticolonialistes des Nations Unies. Les États-Unis et l’URSS
ont tous adopté une position anticolonialiste au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Pour les États-Unis, la conception idéologique de la démocratie et des libertés qu’ils ont
toujours exprimé notamment lors de la création des organisations internationales comme la
Société Des Nations (SDN)100 et l’Organisation des Nations Unies (ONU) est contraire aux
principes coloniaux. De plus, les États-Unis sont opposés au colonialisme pour avoir eux-
mêmes été colonies et pour en avoir connu les méfaits et les souffrances. Pour l’URSS, les
principes marxistes condamnent le colonialisme qu’ils assimilent à une domination capitaliste
et la décolonisation à une lutte des classes. Au demeurant, pour les soviétiques, aider les
peuples colonisés à accéder à leur indépendance, pourrait aboutir sur l’extension du bloc
communiste.

Le 26 juin 1945, la Charte des Nations Unies était signée consacrant ainsi la naissance
de l’Organisation des Nations unies. Dans sa charte, l’ONU a inscrit le principe du droit des
tous les peuples à l’indépendance. Les Nations unies deviennent ainsi une tribune
anticolonialiste où s’affrontent le bloc colonialiste (la France, la Grande-Bretagne, les Pays-
Bas et la Belgique) et un groupe de colonies déjà indépendantes essentiellement latino-
américains et arabo-asiatiques. Ce sont ces pays latino-américains et arabo-asiatiques qui
forment le Tiers-Monde naissant et qui ont tenu en 1955 la Conférence de Bandoeng où ils
ont dressé un violent réquisitoire contre le colonialisme, faisant de la lutte anticolonialiste leur
objectif principal.

L’Assemblée Génerale des Nations Unies a approuvé le 8 decembre 1960 la


résolution 1514 (VX) portant « Déclaration sur la concesssion de l’indépendance aux
peuples colonisés ». Dans ladite résolution, l’Assemblée Générale :

Considérant le rôle important de l’organisation des Nations Unies comme moyen pour
moyen d’aider le mouvement vers l’indépendance dans les territoires sous tutelle et les
territoires non autonomes ;

100
La Société des Nations, SDN en abrégé, était l’organisation internationale créée en 1920, pour favoriser
l’alliance entre les peuples et le maintien de la paix. Toutefois, la SDN s’est montrée impuissante face aux
événements qui ont conduit l’Europe à la Seconde Guerre mondiale. En avril 1946, la Société des Nations
vote sa propre dissolution. La majeure partie de ses possessions et de son organisation est transférée à l’ONU.

137
Reconnaissant que les peuples du monde souhaitent ardemment la fin du colonialisme
dans toutes ses manifestations.
(…) Proclame solennellement la nécessité de mettre fin rapidement au colonialisme
sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations ;
Déclare que « la sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une
exploitation étrangère constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme, est
contraire à la Charte des Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la
coopération mondiales (Résolution 1514).

Cette déclaration a fait l’effet d’un coup de tonnerre auprès des États colonialistes
qui hésitaient encore à accorder l’indépendance à leur colonie, province coloniale ou
protectorat. Il a invité les puissances colonisatrices à mettre fin à la colonisation afin que
tous les peuples puissent exercer leur souveraineté et jouir de l'intégrité de leur territoire
national et ressources naturelles. Pour les peuples encore sous domination étrangère, cette
résolution était un appel à eux lancés de se lever pour se libérer du joug colonial. Toutefois,
la résolution XV était destinée seulement aux « pays » et aux « peuples » coloniaux et non
pas aux communautés et aux tribus. Les sahraouis font-ils partie de ces deux ensembles ?
Mieux, ont-ils un « pays », sont-ils un « peuple » ou ne constituent-ils qu’une simple
confédération de tribus plus ou moins homogène ?

Pour répondre à cette question il faut examiner sur ce que l'on entend par « peuple ».
Il est difficile de définir cette notion car « le concept de peuple n'a pas reçu de définition
en droit positif, et les résolutions de l'Assemblée générale consacrant le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes se bornent moins à le formuler en termes généraux et abstraits » dixit
Boucherikha (2016, p. 66).

Face à cette difficulté, nous allons spéculer sur les facteurs ou critères qui confèrent
à un groupe d'individus le statut de "peuple". Boucherikha (2006) met en évidence deux
catégories de facteurs. La première prend en compte la non-autonomie c’est-à-dire que le
peuple se définit par rapport à son appartenance au Territoire Non Autonome (TNA), aux
territoires sous tutelle et autres. La deuxième implique une double approche. L'hétéro-
qualification, lorsque le statut de "peuple" est reconnu par un organisme des Nations Unies,
et l'auto-qualification lorsque c'est le bénéficiaire lui-même qui démontre la preuve de son
existence en tant que « peuple » du fait de son aptitude pour atteindre l'indépendance. Mais
la preuve de son existence comme « peuple » ne se fait pas seulement par la simple
expression de la volonté du sujet mais par la lutte de celui-ci. Car « un peuple qui ne lutte
pas pour son existence n'est qu'un agglomérat de classes ou de personnes ». Mieux, c'est

138
dans la lutte que « se forgent à la fois son unité et son identité », de même que sa
« conscience nationale » (Boucherikha, 2016, p. 68).

Dans le cas du Sahara occidental, son inscription en 1963 sur la liste des territoires
non autonomes (TNA) en vertu du chapitre XI de la Charte des Nations Unies correspond à
la première catégorie de facteurs, à savoir le principe de non-autonomie. En fait, la portée
juridique et politique de l’inscription du Sahara Occidental en tant que territoire non encore
autonome induit implicitement la reconnaissance des Sahraouis en tant que peuple pouvant
disposer de lui-même et jouir du droit inaliénable à l’autodétermination et à l’indépendance
prévu par la résolution 1514 (XV). Fort de cette reconnaissance internationale de leur statut
de « peuple », les Sahraouis vont manifester devant la communauté internationale leur
conscience nationale avec la création de mouvements nationalistes.

II- LES TYPES DE MOUVEMENTS NATIONALISTES AU SAHARA ESPAGNOL

La naissance des mouvements nationalistes sahraouis peut être située dans les années
60. Malgré une conjoncture internationale générale favorable à l'émergence de mouvements
de libération nationale avec les facteurs que nous avons évoqués plus haut, le territoire
sahraoui est l'une des rares colonies à avoir souffert d'un vide politique au sens où les
Sahraouis n'avaient « aucun sentiment national » (Barbier, 1974, p. 576) matérialisant leur
désir de former un État. Cet état de fait se justifiait par le nomadisme d’une grande frange
de la population et au tribalisme qui caractérisaient les Sahraouis. Jusqu'à une date récente,
il n'y avait pas de mouvement nationaliste au Sahara pour réclamer l'indépendance, surtout
que le territoire est revendiqué depuis longtemps par ses deux voisins, le Maroc et la
Mauritanie. Paradoxalement, c'est la puissance coloniale elle-même, l'Espagne, qui grâce
aux politiques engagées à partir de 1960, va déclencher une sorte de « nationalisme saharien
local affranchi de toute allégeance politique » (Barbier, ibidem) à l'égard du Maroc et de la
Mauritanie. La création de la Djemaa en 1961 fait partie intégrante de la réalisation de cet
objectif.

Bien que les sahraouis aient longtemps couvé leur sentiment nationaliste, celui-ci
finira cependant par éclore vers la fin des années 1960. Depuis son éclosion, deux types de
nationalismes vont s’affronter au Sahara Occidental.

139
1- Les « vrais » mouvements nationalistes sahraouis

Ce que nous considérons comme "vrai" nationalisme sahraoui correspond aux


mouvements engendrés par les populations locales elles-mêmes pour défendre leur
aspiration légitime à la souveraineté nationale vis-à-vis du pouvoir colonial ou à leur
autodétermination.

Il est difficile de dire exactement quel a été le premier mouvement nationaliste au


Sahara. Il y a un débat profond au sein des spécialistes sur cette question. En effet, il y a
ceux qui postulent qu'il est probable que le « Front pour la libération du Sahara » (FLS) ait
été la première organisation politique à essence nationaliste du peuple sahraoui, c’est le cas
par exemple de Villar (1982, p.133) et Miguel (1995, p.153). Selon ces auteurs, le FLS
aurait été créé par le Maroc et composé de Sahraouis exilés après la guerre de 1957-1958 et
de Sahraouis de la région de Villa Bens, partisans de la cause marocaine. Les activités du
FLS se seraient développées fondamentalement en 1967. Ce mouvement aurait eu pour
objectif de convaincre les Sahraouis de mener des actes de sabotages contre des travaux de
constructions que l’Espagne avaient entrepris sur le territoire. En un mot, le FLS aurait été
créé pour soutenir les soulèvements des tribus sahraouis contre les colons espagnols. A
posteriori, ce mouvement, bien qu'il fût, en partie, de création locale, ne peut pas être
qualifié de premier mouvement nationaliste sahraoui, puisqu'il ne s'agit que d'une
organisation circonstancielle et éphémère qui aurait été créée par le Maroc.

1.1. Le Mouvement de libération du Sahara (MLS)

Nous pensons que le premier véritable mouvement politique nationaliste sahraoui


fût le Mouvement de libération du Sahara (MLS), également connu sous le nom de
Mouvement d'avant-garde pour la Libération du Sahara (MVLS en espagnol). Le MLS a été
créé dans la ville mythique de Smara le 11 décembre 1969 par Mohamed Sidi Brahim Basir,
plus connu sous le nom de "Mohamed Bassiri". En ce qui concerne la naissance de ce
personnage fondamental du nationalisme sahraoui, il existe différentes versions.

Il y a d’une part ceux qui font naitre Bassiri vers 1942 dans la ville de Tan-Tan (au
sud du Maroc) et d’autre part, ceux qui le disent être né en 1942 mais dans la ville de Beni
Ayar, Asilah, dans les montagnes du Moyen Atlas, au sein de la confrérie familiale créée
par son père en 1920 (Abdalahe, 2015, p. 44). En revanche, ce qui fait l'unanimité, c'est que

140
Bassiri est la figure principale du nationalisme sahraoui (Fuentes Cobo & Menéndez, 2006,
p. 31). Membre d’une famille sahraoui traditionnelle, à ses 15 ans, il partit à l’étranger pour
poursuivre ses études. Il est parti d’abord au Maroc puis au Caire en Égypte et enfin à Amas
en Syrie où il obtint une licence en journalisme. C'est en 1967 qu'il commence son activité
militante à Rabat où il fonde la même année un journal anticolonialiste ou nationaliste
appelé Al-Chihab (Le flambeau). Au début, ses positions n'étaient pas purement
nationalistes puisqu'il identifiait la libération du Sahara Occidental à son incorporation au
Royaume chérifien. Après son retour au Sahara, précisément à El Ayoun, il rompt alors
avec sa politique corporatiste en 1968 quand il créait le Mouvement de Libération du Sahara.

L'avènement de ce mouvement peut être interprété comme le résultat de la


radicalisation des populations sahraouies et surtout des jeunes (Miguel, 1995, p. 153) qui,
après plusieurs décennies de résistance à la pénétration espagnole et à la collusion coloniale
maroco-mauritanienne, affirmaient à la face du monde leur conscience nationale. Dans le
journal anticolonial Al-Chihab devenu l'organe d'expression publique des Sahraouis, Bassiri
écrivait :
Le Sahara n'a jamais été marocain, le Royaume du Maroc ne peut justifier que le Sahara
ait fait partie du royaume alaouite susmentionné. Tout au long de l'histoire, le Maroc
n'a jamais envoyé de gouverneur marocain au Sahara Occidental, et les Sahraouis ne se
sont pliés à aucun monarque marocain et il n'y avait que des liens commerciaux entre
les marchands sahraouis et marocains ou religieux de l'islam, que les deux peuples
confessent (Naranjo, 2010, non numéroté).

Une position comme celle-ci a provoqué son départ du Maroc en 1967. Il s'est
ensuite installé à Smara, la ville sainte des Sahraouis, en tant que maitre coranique.
Cependant, les autorités espagnoles ne pouvaient pas non plus être très satisfaites de la
présence active de Bassiri sur leur territoire, alors ils l'ont envoyé directement au cachot.
C’est la pression des notables locaux qui permettra sa libération. À partir de ce moment
Bassiri commença à organiser sa lutte pour l'indépendance. En 1968, il a commencé à
organiser son mouvement anticolonial, mais ce n’est que le 11 décembre 1969 que son
mouvement a été officiellement constitué (Naranjo, 2010, non numéroté). Selon Fuente
Cobo & Menéndez (2006, p. 29), à cette époque, les aspirations de l’Armée de Libération
du Sahara (ALS) ne passaient pas par la lutte armée ni même par l'indépendance politique.
Il se contentait de demander une autonomie interne qui permettrait de préserver l'identité ou
la personnalité sahraouie, de les protéger contre le danger de l'annexion par les pays voisins.

141
Cette gestion devrait également permettre l'application du droit à l'autodétermination promu
par les Nations Unies. Au sujet de cette politique du ALS, Baba Miske (1978) explique que
cette position :

(…) peut paraître confuse, sinon contradictoire : on réclame en quelque sorte des droits
de citoyens dans le cadre d'un État auquel on se refuse en même temps d'être intégré ;
on semble à la fois exiger et rejeter l'assimilation. Cette ambiguïté était en partie
volontaire, tactique, en partie conforme à une étape historique dans le développement
et la maturité du Mouvement...Elle traduisait également une autre réalité : la
coexistence au sein du Mouvement de toutes les tendances de l'opinion... allant des
partisans de la lutte armée immédiate, à ceux d'une entente avec l'Espagne en échange
d'une sorte d'autonomie interne (p. 122).

Bassiri avait choisi comme paradigme d'autres mouvements de résistance pacifique,


comme celui de Gandhi en Inde ou de Mandela en Afrique du Sud. Par principe idéologique,
il était fermement opposé à la violence estimant que l'indépendance de son peuple était
accessible par des actions démocratiques. Toutefois, bien que le MLS ait favorisé des
actions pacifiques, la lutte armée n'était pas pour autant exclue. De plus, le mouvement va
tenter d'obtenir un soutien extérieur en Irak, en Libye ainsi que dans les pays voisins, au
Maroc, en Algérie et en Mauritanie.

Dans la même période, il y avait des contradictions au sein de la classe politique


espagnole concernant l'avenir du territoire. En effet, les Ministères de la Présidence et celui
des Affaires étrangères avaient des positions opposées. Alors que la Présidence était
favorable à la thèse du maintien du Sahara sous souveraineté espagnole, le Ministère des
Affaires Étrangères (MAE), en revanche, était plus favorable aux postulats des Nations
Unies. Tout particulièrement le MAE état favorable à la résolution 2354 (XXII) du 19
décembre 1967 de l'Assemblée générale, acceptée par l'Espagne dans laquelle
l'autodétermination du Sahara devait être proclamée par référendum, en consultation avec
les gouvernements de la Mauritanie et du Maroc et avec "toute autre partie intéressée" ; cette
allusion faisait clairement référence à l'Algérie (Cobo & Menéndez, 2006, p. 30).

Profitant de la lutte interne de Madrid, le Maroc a très intelligemment entrepris un


marathon diplomatique au niveau régional pour obtenir le soutien des États voisins de ses
thèses annexionnistes du Sahara. C’est dans cette optique qu’en 1969 les traités d'Ifran ont
été signés d'une part et d’autre part, s’était tenu le sommet de Tlemcen en mai 1969 avec

142
l'Algérie. Lors de ce sommet, Alger et Rabat se sont mis d'accord sur les limites des
frontières entre les deux pays et sur l'exploitation conjointe des gisements de fer de Tindouf.

En septembre de la même année, Rabat a changé sa position vis-à-vis de la


Mauritanie en entérinant l'existence de la République Islamique de Mauritanie (RIM). En
réalité, en entreprenant toutes ces actions, Hassan II voulait surmonter les rivalités
hégémoniques entre Rabat, Nouakchott et Alger afin de former un « front commun »101 pour
obtenir la libération du Sahara de l’Espagne et son intégration au Maroc. Les sahraouis
n’étaient pas sans savoir ces manœuvres, pour avoir entendu à la radio de la BBC de Londres
l’information selon laquelle il se préparait une entente entre le Maroc et la Mauritanie
concernant le partage du Sahara. La nouvelle a déclenché un "débat houleux" entre les
membres du MLS, qui étaient convaincus « que era necesario realizar algún tipo de acción
para evitar este hecho » (Abdalahe, 2015, p.84). Après plusieurs propositions, il a été
unanimement admis qu’il fallait empêcher que le territoire soit remis au Maroc ou à la
Mauritanie. Au demeurant, le MLS projeta dès lors d’organiser une grande manifestation et
de rédiger un manifeste de protestation.

Le MLS a été rebaptisé Organisation d'Avant-garde pour la Libération du Sahara


(OALS). Par ce changement, le mouvement est passé d'un simple mouvement clandestin à
un véritable parti politique de 4700 membres (Gargallo, 2014, p. 42). Comme promis, en
juin 1970, Bassiri rédigea sa « Lettre ouverte au gouverneur général »102. Sans aucun doute,
cette lettre peut être considérée comme la première expression formelle du nationalisme
sahraoui et de son désir ardent d'autodétermination. Dans sa lettre, Bassiri reprochait à
l'Espagne son incapacité à maintenir l'intégrité territoriale du Sahara pour avoir cédé des
parties de celui-ci à la Mauritanie au sud, à l'Algérie à l'Est et au Maroc au Nord (allusion à
Ifni et Tarfaya). Par ailleurs, il dénonçait l'intervention étrangère (allusion à résolution 2354)
dans la décision finale sur l'avenir du Sahara (Cobo & Menéndez, 2006, p. 31).

À ce moment précis, l'Organisation de Bassiri, avait pour objectif de parvenir à la


signature d'un traité avec l'Espagne, qui reconnaitrait un État sahraoui indépendant et lui

101
Sur la formation du front commun autour du Sahara Occidental voir la thèse de doctorat de Boni-Gatta,
2016, p.141 et suivants.
102
Peut être consulté sur le site http://www.desaparecidos.org/sahara/basiri/a1.html consulté le 07/09/2019 à
22:18.

143
assurait l’intégrité de son territoire. Mais à la lettre de Bassiri, les autorités espagnoles n'ont
donné aucune réponse favorable. Suite à la provincialisation en 1958 et à la réorganisation
politico-administrative de 1962, le 17 juin 1970, le gouverneur du Sahara pour matérialiser
à la face de Madrid que les sahraouis acceptaient leur pleine intégration à Espagne comme
la 53e province, organisaient une marche officielle à El Ayoun dans le quartier de Zemla.
Face à cette duplicité à Madrid, Bassiri a décidé de donner de la visibilité à son parti.

Ainsi, il décida que personne ne devait assister à la marche officielle et


parallèlement, il organisait sa propre marche pour l'après-midi du 16 juin sur l'esplanade
d'Hatarrambla, à la sortie d'El Ayoun en direction de Smara. Un millier de Sahraouis était
venus de tous les villages, villes et campements du pays, scandant des slogans
indépendantistes et des cris patriotiques, (Naranjo, 2010) ce qui avait grandement surpris
les autorités espagnoles. Cette première manifestation politique du peuple sahraoui,
également appelée « el grito de Zemla » (De Dalmases, 2010, pp. 42-47), a été durement
réprimée par les forces coloniales espagnoles de la compagnie III Tercio. Les forces
espagnoles avaient ouvert le feu sur les hommes et les femmes sahraouis rassemblés armés
de pierres et de bâtons. Bassiri, le chef du mouvement, a été arrêté et a depuis disparu pour
toujours (De Dalmases, idem).

1.2. Le NIDAM

C’était la seconde vraie organisation nationaliste sahraouie. Aux limites de nos


investigations nous n'avons pas pu trouver beaucoup de données sur cette organisation. Peu
d'auteurs en parlent103. Le peu que nous savons est que le NIDAM était un petit mouvement
nationaliste créé en 1969 (Moshen-Finan, 1987, p. 54) par les Sahraouis. Tout comme le
MLS, le NIDAM était opposé à la politique coloniale espagnole et aurait participé à la
manifestation du 17 juin 1970 à El Ayoun. C'est tout ce que nous savons de cette
organisation.

1.3. Naissance du Front Polisario ou le nationalisme actif

L'ONU avait condamné et dénoncé la répression espagnole du 11 juin 1970 contre


les manifestants indépendantistes sahraouis. La condamnation de la répression par les

103
Il s’agit de Barbier M., 1975, p. 369, Moshen-Finan, 1987, p. 54 et de Boni-Gatta, 2016, pp. 148-149.

144
Nations Unies venait légitimer le nationalisme sahraoui et réaffirmer le droit inaliénable de
ce peuple à l'autodétermination. Le triste événement de Jatarrambla avait suscité une réelle
prise de conscience de la part des nationalistes des méthodes à utiliser à l’avenir. En effet,
ils commencèrent à considérer que pour parvenir à la décolonisation du territoire, le
dialogue n'était pas possible avec la puissance occupante, l’Espagne, par conséquent, il était
essentiel de s'engager dans la lutte armée (Cobo & Menéndez, 2006, p. 32).

Le nationalisme sahraoui deviendra ainsi plus actif, plus agressif. Pour commencer,
ils ont créé en 1972 le Mouvement embryonnaire pour la libération du Sahara. Ce
mouvement avait été créé après les manifestations de Tan-Tan, organisées par de jeunes
sahraouis étudiants au Maroc, pour exiger le retrait des Espagnols et l'autodétermination du
peuple sahraoui. Selon Sayeh (1996, p.16), ces protestations ont été réprimées par les
autorités marocaines. C’est ce mouvement qui a été la phase transitoire de la naissance du
Front Polisario. Le 10 mai 1973104, le Front populaire de libération de Saquía el Hamra et
Río de Oro (Front Polisario) est créé. Le Front Polisario est né de la rencontre de deux
groupes de jeunes nationalistes sahraouis. D'une part, il y avait le groupe de Tan-Tan, parmi
lesquels ceux qui avaient étudié à Rabat, comme El Ouali et, d'autre part, ceux de la zone
mauritanienne de Zouerate (Ruiz Miguel, 1995, pp. 160-161). C’est dans cette ville
mauritanienne (Zouerate) que le Front Polisario a été fondé.

Le Front Polisario, organisation politique et militaire nourrie des idéaux de


l'indépendance arabe, va exiger l'indépendance du Sahara et la formation de son propre État.
Il s’oppose de facto à l’intégration au Maroc ou à la Mauritanie. Au cours de son premier
congrès tenu le 10 mai 1973, le Manifeste ou le Programme d'action politique du
mouvement a été approuvé. Le profil idéologique de l'organisation été défini ainsi que le
mode d’action. Mais les questions de politiques générales, d'économie ou la politique
étrangère n’ont pas été traitées au cours de ce premier congrès.

Le Manifeste Politique indiquait ce qui suit :

104
M. A. Abdalahe, 2015, p. 163, n'est pas d'accord avec cette date. Il dit que la date du 10 mai a toujours été
utilisée comme jour officiel de la constitution du Front Polisario. Le choix de cette date n'est ni capricieux ni
accidentel, il explique que c'était le jour exact de la publication du communiqué de l'organisation urbe et orbi.
En fait, le Front Polisario a été créé les 29 et 30 avril dans la maison qu'Ahmed Gaid avait louée à Zuerat et
qui appartenait au résident sahraoui d'Auserd, Mulay el Hassan.

145
(…) Après l'échec de tous les moyens pacifiques utilisés à la fois par les mouvements
spontanés et par les organismes imposés et par d'autres milieux.
Le Front Polisario est né comme la seule expression des masses, optant pour la violence
révolutionnaire et la lutte armée comme moyen pour que le peuple arabe sahraoui,
africain puisse retrouver sa liberté totale et déjouer les manœuvres du colonialisme
espagnol. (…)
- Considère que la coopération avec la Révolution populaire algérienne dans un stade
transitoire constitue un élément essentiel pour faire déjouer les manœuvres conçues
contre le Tiers-monde.
- Nous invitons tous les peuples révolutionnaires à serrer leurs rangs pour affronter
l'ennemi commun.
- La liberté est au bout du fusil (Sahara Info, 10 mai 1983).

Il transparait de ce manifeste que le Font Polisario naissant avait choisi la révolution


et le non-alignement comme principe idéologique à l’image de l’Algérie et de la Lybie.
Quant au mode d’action, le nouveau mouvement venait d‘opter pour la lutte armée. Quels
sont les enjeux réels du choix de la Révolution comme idéologie ? Qu’est-ce le F. Polisario
espérait par ce choix ?

D’emblée, nous pouvons dire que le choix d'une option idéologique au gré des
mouvements de libération arabe de l'époque, en particulier celui de l'Algérie et de la Lybie
dans une certaine mesure, n'a pas valu immédiatement au F. Polisario le soutien du premier
encore moins du deuxième. À cet égard, le diplomate sahraoui, Fadel (2002) écrit : « Et je
tiens à rappeler que lorsque les Sahraouis ont lancé en 1967 et particulièrement en 1973
leur lutte de libération nationale, ils étaient seuls. Ce n’est que deux ans plus tard, qu’ils
eurent droit à un soutien extérieur, de l’Algérie notamment » (p.17). Donc en réalité, les
enjeux réels du choix de la révolution comme idéologie étaient d’obtenir le parrainage de
ce pays. Toutefois, le choix de cette idéologie révolutionnaire ne sera pas sans conséquences
sur l’avenir politique du mouvement naissant à moyen et à long termes. En effet, il
entraînera de graves conséquences au moment de l'indépendance et dans les années
suivantes, étant donné qu'aucun gouvernement occidental ne serait disposé, en ces années
de guerre froide, à soutenir un nouvel État si apparemment hostile au modèle politique
occidental (Assidon, 1978). Dans le même sens, Diego Aguirre (1988, p.54) déclare que :

desde el primer momento el nacionalismo Saharaui combativo, se alineaba con unas


opciones ideológicas fundamentalmente opuestas a las posiciones occidentales, lo que
acarrearía graves y negativas repercusiones en el momento del abandono del territorio

146
por España, ningún país occidental apoyaría firmemente la independencia de Sáhara.
105

Le Front Polisario qui se considérait comme un simple mouvement nationaliste, était


convaincu que « la liberté est au bout du fusil ». Pour le Polisario, l'indépendance du Sahara
Occidental était possible que par la seule voie des armes. Le 20 mai 1973, soit dix jours
après sa création officielle, le F. Polisario déclenchait la première opération contre
l'occupant espagnol. Cette opération ouvrait ainsi une ère nouvelle dans la lutte pour exiger
le respect des droits légitimes, reconnus universellement au peuple sahraoui.106. Avec
Brahim Gali aux commandes, le bras armé du F. Polisario dénommé, l'Armée Populaire de
Libération Sahraouie (APLS) a attaqué le poste de police de Janguet Quesat, à cinq
kilomètres de la frontière du Maroc, où un poste de contrôle pour le passage des nomades
avait été établi.

Depuis lors, l’Armée de libération populaire du Sahara du Front Polisario va


multiplier les opérations militaires infligeant de lourdes pertes aux colons espagnols. Durant
ces années et jusqu'au départ des Espagnols, le Sahara Occidental devient le théâtre d'une
guérilla contre les forces espagnoles. Parti de la Mauritanie et de l'Algérie qui ont mis leur
territoire à la disposition de l’APLS du Front Polisario et avec des armes fournies par la
Libye de Mouammar Kadhafi et de la nourriture et des vêtements fournis par l'Algérie par
le socialiste Houari Boumediene, (Fuente Cobo & Menéndez, 2006, p. 35) les forces du
Polisario ont entrepris de libérer leur territoire.

Parallèlement à l’action militaire, le Front Polisario entreprit aussi des actions au


niveau politique. Entre le 12 et le 20 mai 1975, à l’effet de s'imprégner davantage de la
situation au Sahara afin de pouvoir arrêter une action rapide permettant au peuple d'exercer
ses droits légitimes à l'indépendance, l'Assemblée Générale a dépêché une mission. Profitant
du séjour de la mission onusienne, alimentées par le Front Polisario, les populations
entreprirent plusieurs manifestations dans les villes et les campagnes scandant ¡Fuera

105
Notre traduction: Dès le premier instant, le nationalisme combatif sahraoui s'est aligné sur des options
idéologiques fondamentalement opposées aux positions occidentales, ce qui aurait des répercussions graves
et négatives lors de l'abandon du territoire par l'Espagne. Aucun pays occidental ne soutiendrait fermement
l'indépendance du Sahara.
106
Cf. Mémorandum daté du 5 octobre 1977, adressé au Président du Comité des vingt-quatre par le Front
Populaire pour la Libération de Saguia el Hamra et du Rio de Oro (Front POLISARIO) à l'occasion de la
trente-deuxième session de l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies, In. A/32/303, 26
octobre 1917, p. 2.

147
España!107 (Ruiz Miguel, 1995, p.164). Les manifestants demandaient d’une part le retrait
immédiat des forces espagnoles et d‘autre part, l'indépendance sans condition en conformité
avec les principes et les résolutions pertinentes des Nations de l'Organisation de l'unité
africaine et du Mouvement des non-alignés.

Face aux démonstratons des manifestants de leur attachement au Font Polsario


comme unique et légitime representant du peuple sahraoui, la Mission onusien a pu conclure
dans son rapport à l'Assemblée Générale que le Front Polisario est le mouvement
fondamental dans le pays. « Le Front Polisario qui était considéré comme clandestin
jusqu'à l'arrivée de la Mission, est apparu comme la force politique dominante dans le
territoire. Partout dans le territoire, la Mission a assisté à des manifestations de masses en
sa faveur» (Revue trimestrielle de l'ONU, vol.7, N° 4, 1975). Le Front Polisario que nous
venons de presenter, le mouvment de libération du Sahara et le Nidam sont des mouvents
nationalstes d’émanation sahraouie. Paralellement, il y en avaient d’autres d’inspirations
étrangères, creant une sorte de nationlisme téléguidé.

2- Les mouvements nationalistes « opportunistes » ou « polichinelles »

La seconde catégorie de nationalisme sahraoui est ce que nous considérons comme


le « nationalisme opportuniste » ou polichinelles car contrairement aux premiers, il
s'agissait de mouvements d'inspiration ou de fabrication étrangère dont les rênes étaient
tenues par l’étranger. Ces mouvements à la différence du MLS et du F. Polisario n'avaient
pas pour but ultime l'indépendance ou la défense de l'intégrité territoriale d'un Sahara
Occidental indépendant. C’est à juste titre que Abdalahe (2015, p.233) les qualifie de
mouvements alternatifs.

2.1. Le Mouvement Révolutionnaire des Hommes Bleus (MOREHOB)

Le Mouvement Révolutionnaire des Hommes Bleus plus connu sous le sigle


MOREHOB a été un mouvement local, dont les ficelles étaient tirées par des mains occultes
étrangères. Ce mouvement a été créé par un certain Eduardo Moha, il serait un Sahraoui
d'origine Reguibat. Le MOREHOB a été fondé en juillet 1972 en marge du sommet de
l'Organisation de l'Union Africaine à Rabat, au Maroc. Les auteurs s'accordent à dire que le

107
Notre traduction : Espagne, dégage !

148
MOREHOB était une création marocaine, il s’agirait en fait d'une organisation polichinelle
aux mains de Rabat. En effet, le MOREHOB n'avait pas d'objectifs clairement définis et ses
positions très volatiles ont évolué avec les circonstances. Au début, le MOREHOB luttait
pour la libération du Sahara espagnol et de Ceuta et Melilla. Dans les faits, l'existence même
du mouvement était problématique étant donné qu'en 1975 la Mission de visite de l'ONU
« n'a rencontré aucun autre membre (mis à part Moha) ou sympathisant soit dans le
territoire, soit dans un autre pays » (Boucherikha, 2013, p. 72).

Concernant le nom Mouvement révolutionnaire des Hommes Bleus donné au


mouvement il y a beaucoup de spéculation. Pour certains auteurs, l'utilisation d'éléments qui
rappelaient « quelque chose » de la culture saharienne à un public européen, visait à donner
de faux éléments nationalistes (Gargallo, 2014, p. 51). En d’autres termes, il a contribué à
répandre dans l’opinion politique européenne particulièrement, une fausse image du
nationalisme sahraoui. Pour d'autres auteurs, le choix du qualificatif « hommes bleus » pour
les habitants du territoire a créé une certaine image de manque de définition aux frontières
de la colonisation. Cette étiquette a été utilisée par la colonisation en référence à l'utilisation
de vêtements traditionnels de cette couleur (Abdalahe, 2015, p. 235).

En juillet 1973, il y a eu une scission du mouvement entre une faction favorable à


l'intégration au Maroc et une faction qui continuait d'exiger l'indépendance du Sahara. Moha
réside quelques temps en Algérie voulant obtenir le soutien financier et matériel de ce pays
en vain. Très bientôt, il disparait d’Alger pour se manifester dans des pays étrangers
européens et arabes puis revient à Rabat en 1975 pour y défendre les thèses d'intégration du
Sahara au Maroc. Vu l'aspect volatil de sa position, il apparaît que le MOREHOB n'a été
qu'une simple opération de laboratoire pour défendre un Sahara marocain, s'inclinant devant
Hassan II et défendant ouvertement la "marocanité" du Sahara Occidental (Abdalahe, idem,
p.235). Le journal marocain, Al-Alam, dirigé par le parti d’Allal El Fassi, l’Istiqlal, le 23
juillet 1973 faisait état de la création d’un mouvement nationaliste dénommée MOREHOB
à l’effet de « libérer les parties du territoire marocain encore sous domination espagnole »
(Al-Alam, 23 juillet 1973).

L’idée selon laquelle le MOREHOB ne fut qu’un pseudo-mouvement nationaliste


sahraoui instrumentalisé par Rabat se vérifie dans le sens que ce mouvement dont les
membres se réduisaient au seul président, n'avait aucune présence effective au Sahara

149
espagnol. Au demeurant, la véritable identité d’Edouardo Moha ne tardera pas à être révélée.
En effet, Edouardo Moha, de son vrai nom s’appelait Bachir Figugi, et était un agent
marocain.108

2.2. Le Front de libération et d'unité (FLU)

C’est un autre mouvement nationaliste conçu par le Maroc. Le Front de libération et


d'unité (FLU) a été créée en 1975 pour mener des actes de sabotages à la frontière nord du
Sahara. Ses actes devaient servir de pression militaire directe contre le gouvernement
espagnol. Le FLU était formé d’éléments des Forces Armées Royales (FAR) du Maroc sous
les ordres du Général Dlemi. Ce mouvement est un élément de plus de la politique générale
mise en place par le gouvernement de Rabat pour favoriser l'instabilité du territoire afin de
forcer une négociation favorable à l'annexion du Sahara (Abdalahe, 2015, p. 238). Les
actions du FLU consistaient à entreprendre une série d'attaques à caractère terroriste contre
la population civile sahraouie et les forces indigènes et espagnoles au Sahara (Gargallo,
2014, p. 52). Il plaçait des mines anti-personnelles menaçant des postes militaires espagnols
isolés à la frontière. Dans la presse marocaine, le FLU était présenté comme un mouvement
d’origine sahraoui qui luttait pour la libération du Sahara et son incorporation au Maroc
(Abdalahe, 2015, p. 239).

2.3. Le Parti de l'Union Nationale Sahraouie (PUNS)

Pour freiner l’avancée du Front Polisario et doter le Sahara espagnol d’instruments


politiques performants capables d’endosser le désir d’indépendance manifesté par les
populations, le Parti de l'Union Nationale Sahraouie (PUNS) a été créé le 6 novembre 1974.
Le PUNS a été fondé par l'Administration coloniale et les services secrets espagnols, afin
que ses figures de proue deviennent les futurs dirigeants d'un Sahara indépendant. Mais
indépendant, le territoire ne devrait pas couper le cordon qui le liait à l'Espagne pour pouvoir
garantir à celle-ci l’exploitation des phosphates et des ressources halieutiques. Relti (2010)
écrit à propos du PUNS que :

Los Servicios de Inteligencia españoles le encomendaron la creación del PUNS


(Partido de la Unidad Nacional Saharaui), una supuesta organización “nacionalista”,
que en realidad era una marioneta en manos del Ejecutivo de Arias Navarro, cuya

108
Cf. Sahara Occidental-Histoire 5. En ligne www.arso.org consulté le 1/5/2020.

150
finalidad consistía en tener a mano un partido “nacionalista” domesticado que pudiera
jugar un papel favorable en el proceso descolonizador al que España se había
comprometido ante las Naciones Unidas109 (Cité par Gómez Justo, 2013, p. 268).

Le PUNS a été présenté comme un parti moderne doté d’un programme politique
modéré. Il entendait se positionner comme le seul parti pouvant conduire le Sahara à
l'indépendance. Mais il n'a pas exercé une grande influence sur le territoire et au sein des
populations. Au demeurant, auprès des populations locales, sa crédibilité était douteuse vu
qu’en mai 1975, son chef politique, Jalihenna Rachid, s'est enfui au Maroc pour rendre
allégeance à Hassan II entrainant la chute du parti.

Pour finir, disons que le Parti de l'Union Nationale Sahraouie était une vaine et
tardive tentative de la métropole pour prendre le contrôle du nationalisme sahraoui.
Toutefois, il échouera et ses membres seront pratiquement absorbés par le Front Polisario.
L’Espagne au lieu de permettre alors la naissance d'un pays indépendant dirigé par les
authentiques habitants du territoire, préférerait « vendre » sa province pays au Maroc et à la
Mauritanie lors des accords de Madrid.

Au terme de ce chapitre, il convient de retenir que le nationalisme sahraoui a été le


fruit de facteurs endogènes et exogènes. Mais parmi ces facteurs, la double revendication
maroco-mauritanienne du Sahara espagnol et la politique coloniale ambiguë de l’Espagne
ont été les raisons fondamentales de l’émergence des vrais mouvements nationalistes au
Sahara Occidental. En effet, l'Espagne ne voulait pas leur accorder l'indépendance. En fait,
l'Espagne, la puissance colonisatrice s'apprêtait à troquer le Sahara et les sahraouis au Maroc
et à la Mauritanie.

109
Les services de Renseignements espagnols ont orchestré l’avènement du PUNS (Parti de l’Unité Nationale
Sahraouie), une présumée organisation « nationaliste » qui en réalité était une marionnette entre les mains de
l’Exécutif tenu par Arias Navarro, dont l’objectif consistait à avoir en les mains un parti « nationaliste »
domestiqué à même de jouer un rôle déterminant dans le processus de décolonisation auquel l’Espagne s’était
engagé auprès des Nations Unies.

151
CHAPITRE 7 : L’ACCORD TRIPARTITE DE MADRID

L'avènement du Front Polisario sur la scène politique régionale et internationale en


tant que force politique dominante sur le territoire l'a fait reconnaître comme le représentant
légitime du peuple sahraoui par les Nations Unies. Avec ce mouvement, le désir légitime
d'indépendance des Sahraouis est devenu plus vivant. Dans un mémorandum adressé au
Comité de décolonisation des Nations Unies, le F. Polisario a invité l'Espagne à prendre
« en considération les conditions nouvelles et transmettre la souveraineté à celui à qui elle
revient de droit : le peuple sahraoui ». En ce qui concerne le Maroc et la Mauritanie, le F.
Polisario réaffirmait que leurs « revendications n’ont aucun fondement juridique ni
historique » (Frente Polisario, 1975, pp. 31 et 33).

La détermination du Polisario ne sera pas du goût du Maroc et principalement


d’Hassan II. Ce dernier, après les deux coups d’États manqués et les tensions politiques et
sociales internes qui menaçaient son régime, cherchait impérativement « "un ennemi
extérieur", pour dévier l'attention du peuple de ce qui se passait à l'intérieur du pays et
sauver, ainsi, le trône » (Fadel, 2002, p.16). La conjugaison des pressions du Maroc, des
Nations Unies, de la France et des États-Unis va pousser l’Espagne à céder en convoquant
l’Accord de Madrid. Cet Accord est tributaire à trois grands événements. Le premier a trait
à l’adoption d’un nouveau statut politico-juridique du Sahara Occidental.

I. L’ANNONCE D’UN NOUVEAU STATUT D’AUTONOMIE DU SAHARA ET


SES CONSÉQUENCES

Le 20 février 1973, la Djemaa et le Front Polisario ont adressé un mémorandum au


chef d’État espagnol, le Général Francisco Franco pour lui réaffirmer non seulement le droit
inaliénable du peuple sahraoui à l’autodétermination, mais aussi pour demander au
gouvernement espagnol d’entreprendre des mesures pour leur garantir la possibilité de se
prononcer librement sur leur futur. Le même texte a été communiqué aux gouvernements
espagnol, algérien, mauritanien et au marocain le 27 février 1973. Le 6 mars, le chef d’État
espagnol après avoir accusé réception de la missive a instruit son gouvernement d’examiner
les doléances contenues de la Djemaa. Deux jours plus tard, soit le 8 mars, le gouvernement
de Moktar Ould Daddah s’est prononcé contre le communiqué du gouvernement espagnol.

152
La Mauritanie, le Maroc et l’Algérie formèrent alors un front commun pour convenir d’une
attitude commune à adopter face à la politique du gouvernement espagnol. C’est ainsi que
le 13 mars, le Maroc au nom de la Mauritanie et de l’Algérie adressa au Secrétaire General
des Nations Unies un message dans lequel il dénonçait la politique coloniale qu’entreprenait
l’Espagne au Sahara espagnol. Pour eux, l’attitude de l’Espagne était contraire aux
pertinentes résolutions de l’ONU (Carrero Plaza, 2015, p.313). En d’autres termes, il fallait
faire front aux « manœuvres dilatoires » avec lesquelles l’Espagne tentait de se soustraire
de ses obligations.

L’Espagne n’était pas inquiète par les manœuvres de ces trois pays. Loin s’en faut.
Le 21 septembre 1973, toujours à la faveur du mémorandum de la Djemaa, le chef d’État
espagnol réitérait au peuple sahraoui qu’il est le seul maitre de son territoire et que l’Espagne
garantira son intégrité territoriale et son autodétermination. L’Espagne par la voix de son
ministre des Affaires étrangères, informait le 23 juillet 1974 les ambassadeurs d’Algérie, de
la Mauritanie et du Maroc qu’il publierait incessamment un changement de Statut du
Territoire du Sahara. Le nouveau Statut du Sahara qui s’appuyait sur les doléances
formulées par la Djemaa dans sa lettre du 21 décembre 1973, contenait quatre grandes
résolutions à savoir :
- Le respect de la volonté du peuple Sahraoui à travers un processus
d’autodétermination o de référendum ;
- Un régime progressif d’autonomie interne jusqu’à ce que le peuple sahraoui fasse
lui-même la demande du referendum ;
- La défense de l’intégrité du Sahara ;
- La propriété des ressources naturelles et leurs bénéfices exclusifs au peuple sahraoui
(De Viguri, 1978, p. 4).
En vertu du nouveau statut, le Sahara espagnol cessait d’être une province espagnole
pour devenir un « territoire administré par l’Espagne ». Le texte du changement de Statut
comptait 24 articles, une disposition transitoire et une finale (Carro Martinez, 1974, p. 18)
Mais du fait de l’état de santé de Franco à cette époque, le Statut a seulement été approuvé
verbalement, par acclamation. Il ne sera jamais transformé en Loi.

L’adoption du nouveau Statut réveillait de grandes espérances au sein du peuple


Sahraoui car il mettait non seulement le Sahara Occidental sur la voie de la décolonisation,

153
le rapprochait de son indépendance mais lui conférait également une autonomie interne.
Mais très vite, l’espérance va se transformer en désillusions. En effet, le Maroc et la
Mauritanie ont vu d’un mauvais œil le Nouveau Statut du Sahara.

En juillet 1974, dans une conférence de presse Hassan II, déclarait qu’il n’admettrait
aucune modification du “statu quo” du Sahara parce que ce territoire appartenait au peuple
marocain. Au même moment, le représentant permanent du Maroc aux Nations Unies dans
une lettre au Secrétaire général assurait que l’Espagne est en train d’appliquer sur le
territoire une politique unilatérale qui contredit les décisions pertinentes de l’assemblée
générale (De Viguri, 1978, p. 4). Dans la même veine, dans un message adressé au chef
d’État espagnol, Hassan II prévenait que « toute action unilatérale de l’Espagne sur le
territoire obligera le Maroc à agir en conséquence pour préserver ses intérêts légitimes »
(Carrero Plaza, 2015, p. 317). Le même Hassan II dans son discours du trône du 8 juillet
1974 déclarait à ses sujets que :

España parece querer aplicar hoy una política tendente a la introducción de un estatuto
de autonomía interna que implica, como sabemos, el predominio del Estado protector
sobre los asuntos interiores y la defensa…no admitimos en modo alguno ver
constituirse en la parte meridional de nuestro país un Estado fantoche110 (Carrero
Plaza, ibidem).

De même que le Maroc, la Mauritanie a émis aussi des inquiétudes quant au nouveau
Statut d’autonomie interne du Sahara. Le 3 août 1974, le ministre des Affaires étrangères
de la Mauritanie dans une conférence devant la presse nationale et internationale soutenait
que le Sahara faisait partie de la Mauritanie. Par ailleurs, il assurait que la Mauritanie
respectera la volonté du peuple sahraoui sous la responsabilité des Nations Unies et en
concertation avec les trois États intéressés, l’Algérie, la Mauritanie et le Maroc.

Le 20 août de la même année, le représentant permanent d’Espagne aux Nations


Unies envoya une note au Secrétaire Général. Il y annonçait l’intention du gouvernement
espagnol d’organiser au Sahara, dans le courant du premier semestre de 1975, un
référendum d’autodétermination sous les auspices des Nations Unies dont le corps électoral

110
Notre traduction : L’Espagne semble vouloir appliquer aujourd’hui une politique tendant à introduire un
statut d’autonomie interne qui implique, comme nous le savons, la prédominance de l’État protecteur dans les
affaires intérieures et la défense…nous n’admettons en aucune manière voir se constituer au sud de notre pays
un État fantoche.

154
se résumerait aux seuls habitants autochtones du territoire. Pour ce faire, le gouvernement
espagnol était décidé à s’opposer à toute tentative de certains pays de faire barrière à la libre
autodétermination des populations sahraouies telle que demandé par les résolutions des
Nations Unies. Il est clair que le représentant de l’Espagne faisait allusion au Maroc. Face
à la détermination du gouvernement espagnol à vouloir organiser impérativement un
référendum d’autodétermination au Sahara, le Roi Hassan II ne tarda pas à réagir. Sa
réaction prit forme dans une lettre du 23 septembre 1974 adressée au ministre des affaires
étrangères d'Espagne et à l’Assemblée Générale par le ministre des affaires étrangères du
Maroc. Dans cette lettre, le Roi déclarait :

Vous prétendez, Gouvernement espagnol, que le Sahara était res nullius; vous
prétendez que c'était une terre ou un bien qui était tombée en déshérence; vous
prétendez qu'il n'y avait aucun pouvoir ni aucune administration établis sur le Sahara;
le Maroc prétend le contraire. Alors demandons l'arbitrage de la Cour internationale de
Justice. Elle dira le droit sur titres et elle pourra à ce moment-là éclairer l'organisation
des Nations Unies pour recommander au Maroc et à l'Espagne la voie à suivre
(Opinion individuelle de De Castro, 1975, p. 129).

La République Islamique de Mauritanie va endosser cette déclaration d’Hassan II.


C’est ainsi que le 31 octobre 1974, la Mauritanie déclarait devant l’AG qu’elle entendait
s’associer à la proposition du gouvernement marocain de solliciter l’expertise de la plus
haute juridiction internationale. Fort de la sollicitation maroco-mauritanienne, l'Assemblée
Générale vota la résolution 3292 (XXIX) du 13 décembre 1974. Par la même, l’AG décida
de demander à la Cour son avis quant à l'applicabilité de la « Déclaration sur l'octroi de
l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux » au Sahara Occidental.

II. L’AVIS CONSULTATIF DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE :


SES AMBIGUÏTÉS ET SES RÉPERCUSSIONS

La Cour Internationale de Justice (CIJ) de La Haye, créé en 1945, est l'organe


judiciaire principal des Nations Unies. Elle a été créée selon les dispositions de la Charte
des Nations Unies, pour succéder à la Cour permanente de justice internationale. La CIJ
fonctionne conformément à un statut qui lui est propre, annexé à la Charte des Nations
Unies. Elle a une double fonction : une contentieuse, pour le règlement des controverses
juridiques entre les États qui font appel à la Cour et l’autre consultative, pour l’émission
d’avis consultatifs sur des questions juridiques qui lui sont soumis en accord avec l’article

155
96 de la Charte des Nations Unies. Dans le cas du Sahara Occidental, son rôle était d'énoncer
la Loi applicable à ce territoire.

Faut-il le souligner, il existe une abondante littérature sur l'avis de la Cour


internationale de Justice sur le Sahara. La plupart des analyses abordent la question, de facto,
sous l'angle juridique. N'étant pas juriste, nous n'avons nullement la prétention ici de mener
une analyse juridique originale sur l’avis. Notre objectif est d’analyser ses répercussions
géopolitiques.

1. L’avis de la Cour

Lors de la IV Commission de l’ONU le 10 décembre 1974, un groupe de trente-cinq


pays arabes et africains présentait un projet de résolution portant pétition d’un avis
consultatif de la CIJ concernant l’affaire du Sahara Occidental. La Commission avait
approuvé la pétition et l’avait ensuite soumise à l’Assemblée Générale. Trois jours plus tard,
soit le 13 décembre l'Assemblée générale dans sa 2318e séance plénière adoptait la
résolution 3292 (XXIX). Dans cette résolution, l'AG après avoir réaffirmé le droit à
l'autodétermination des populations du Sahara espagnol conformément à la résolution 1514
(XV) considérait que la persistance d'une situation coloniale au Sahara Occidental
compromettait la stabilité et l'harmonie dans la région du nord-ouest de l'Afrique
(Résolution 3292)111. Par ailleurs, avant de demander à l'Espagne de sursoir au référendum
qu'elle avait envisager d’organiser au Sahara jusqu'à ce que l'Assemblée Générale décide de
la politique à suivre pour accélérer le processus de décolonisation du territoire, à la lumière
de l'avis consultatif délivré par le Tribunal International. Par conséquent, l’Assemblée
demandait à la Cour Internationale de Justice d’émettre un avis consultatif sur les questions
suivantes :

1. Le Sahara occidental (Rio de Oro et Sakiet El Hamra) était-il, au moment de la


colonisation par l'Espagne, un territoire sans maître (terra nullius) ?
Si la réponse à la première question est négative,
2. Quels étaient les liens juridiques de ce territoire avec le Royaume du Maroc et
l'ensemble mauritanien ?

111
Cette Résolution a été adoptée par l'Assemblée générale à sa 2318e séance plénière, le 13 décembre 1974.

156
À l’effet de répondre à ces questions, l’Assemblée demandait à l'Espagne en tant que
Puissance administrante en particulier, ainsi qu'au Maroc et à la Mauritanie en tant que
parties concernées, de soumettre à la Cour Internationale de Justice tous renseignements ou
documents pouvant servir à élucider ces questions.

Notre propos n’est pas de faire une analyse juridique détaillée de l’avis de la Cour.
Loin s’en faut. Nous nous proposons seulement d’examiner sa portée pour faire ressortir ce
que nous considérons comme ses ambigüités. En effet, si les deux questions posées à la
Cour sont en apparence simples et claires, il n’en demeure pas moins que leur examen a
montré qu'elles soulèvent de délicats problèmes d'interprétation. Les deux questions
n'avaient pas pour objet d'obtenir une déclaration sur les titres du Maroc ou de la Mauritanie
à la revendication du Sahara Occidental, plutôt d'aider l'Assemblée Générale à se prononcer
« sur la politique à suivre aux fins d’accélérer le processus de décolonisation du territoire,
conformément à la résolution 1514 (XV) » (De Castro, 1975, p.132). Pour le juge De Castro,
la première question ne doit pas être séparée de la seconde, car c'est la même question,
quoique rédigée autrement.

Avant de spéculer sur les questions, la Cour a, d‘emblée analysé les termes et
expressions clés qui les compose. Pour ce faire, à la première question de savoir si le Sahara
occidental (Rio de Oro et Sakiet El Hamra) était, au moment de la colonisation par
l'Espagne, un territoire sans maître (terra nullius), la Cour a examiné tour à tour les
expressions « au moment de la colonisation » et « terra nullius », c’est-à-dire, un territoire
sans maître.

Concernant le « moment de sa colonisation par l'Espagne », le juge De Castro dans


son opinion individuelle soutient qu’il ne s'agit pas ici d'établir une « date critique ». Il n'est
pas question d'un temps fort bref, car la colonisation espagnole du Sahara Occidental a été
un processus étalé sur plusieurs années. En ce sens, on peut parler d'une période de
colonisation ou d'une « période critique » et il faut prendre en considération non seulement
le commencement de la colonisation, soit en fait, soit en droit, mais aussi le moment de sa
consolidation par l'occupation ou la pacification (De Castro, idem, p. 137). Concernant le «
moment de la colonisation par l'Espagne » la Cour conclut, d'après les éléments dont elle
dispose, elle est parvenue à la conviction que la période commençant en 1884 représente le
« moment de la colonisation par l'Espagne » du Sahara Occidental au sens de la requête et

157
constitue le contexte temporel dans lequel les deux questions se situent suivant les termes
de la requête (Avis consultatif de la CIJ, 1975).

Quant à l’expression « terra nullius », c'est-à-dire un territoire sans maitre la Cour


postule terra nullius était un terme juridique technique employé à propos de l'occupation en
tant que l'un des modes juridiques reconnus d'acquisition de la souveraineté sur un territoire.
L'une des conditions essentielles d'une occupation valable était que le territoire considéré
fût une terra nullius - un territoire sans maître – au moment de l'acte qui était censé
constituer l'occupation. Toutefois, selon la pratique des États de l'époque, les territoires
habités par des tribus ou des peuples ayant une organisation sociale et politique, n'étaient
pas considérés comme terra nullius. La souveraineté à leur égard ne pouvait donc s'acquérir
par l'occupation mais par des accords conclus avec des chefs locaux. Or il ressort des
renseignements fournis à la Cour que :

a) au moment de la colonisation le Sahara Occidental était habité par des populations


qui, bien que nomades, étaient socialement et politiquement organisées en tribus et
placées sous l'autorité de chefs compétents pour les représenter.

b) que l'Espagne n'a jamais agi comme si elle établissait sa souveraineté sur une terra
nullius; ainsi, dans son ordonnance du 26 décembre 1884, le roi d'Espagne a proclamé
qu'il prenait le Rio de Oro sous sa protection, sur la base d'accords conclus avec les
chefs des tribus locales (Avis consultatif de la CIJ, 1975).

La Cour a répondu donc négativement à la première question. Conformément aux


termes de la requête pour avis consultatif, "si la réponse à la première question est négative",
la Cour doit répondre à la deuxième question à savoir quels étaient les liens juridiques de ce
territoire avec le Royaume du Maroc et l'ensemble mauritanien.

Tout comme pour la première question, la Cour a commencé par l’analyse des termes
clés qui composent cette question. La cour a d’abord situé le contexte historique dans lequel
elle entendait interpréter les expressions « les liens juridiques de ce territoire avec le
Royaume du Maroc et l'ensemble mauritanien » et « l'ensemble mauritanien ». Il a donc
semblé à la Cour qu'il y a lieu d'interpréter, à la question II, les mots « liens juridiques de ce
territoire avec le Royaume du Maroc et l'ensemble mauritanien » comme désignant les liens
juridiques qui pourraient influer sur la politique à suivre pour la décolonisation du Sahara
occidental. À cet égard, la Cour ne saurait accepter l'opinion selon laquelle les liens
juridiques qu'envisageait l'Assemblée Générale en rédigeant la question. IIs ne concernaient

158
que des liens établis directement avec le territoire, indépendamment des êtres humains qui
pouvaient s'y trouver. Une telle interprétation restreindrait trop la portée de la question, car
des liens juridiques existent normalement par rapport à des personnes.

L'expression « ensemble mauritanien » a été employée pour la première fois en 1974


lors de la session où l'Assemblée Générale des Nations Unies a adopté la résolution 3292
(XXIX) demandant un avis consultatif à la Cour. L’ « ensemble mauritanien » désigne
l'ensemble culturel, géographique et social dans lequel s'est créée la République Islamique
de Mauritanie. Selon la Mauritanie, cet ensemble était, à l'époque pertinente, le Bilad
Chinguiti ou pays chinguittien, groupement humain caractérisé par une communauté de
langue, de mode de vie, de religion et de système juridique et connaissant des types
d'autorités politiques : des émirats et des groupements de tribus (Avis consultatif de la CIJ,
1975).

Après avoir levé tout équivoque quant au sens des termes, la Cour a invité le Maroc
et à la Mauritanie la convaincre de ce qu'il existait des liens juridiques entre le Sahara
occidental et le Royaume du Maroc ou l'ensemble mauritanien au moment de la colonisation
du territoire par l'Espagne. Toutefois, de l'avis de la Cour, ce qui doit déterminer de façon
décisive la réponse à la question II, ce sont les preuves se rapportant directement à un
exercice effectif d'autorité au moment de la colonisation espagnole et pendant la période qui
l'a immédiatement précédée.

Le Maroc112a présenté les liens juridiques qui, selon lui, l'unissaient au Sahara
Occidental comme des liens de souveraineté découlant de sa possession immémoriale du
territoire et d'un exercice ininterrompu d'autorité. Le Maroc a demandé à la Cour de tenir
compte en la matière de la structure particulière de l'État t marocain. Cet État était fondé sur
le lien religieux de l'Islam et sur l'allégeance (bey’a) des tribus au Sultan, par l'intermédiaire
de leurs caïds ou de leurs cheikhs, plus que sur la notion de territoire. À cette époque, le
royaume du Maroc se composait de régions véritablement soumises au Sultan (bled
makhzen) et de régions où en fait les tribus ne lui obéissaient pas (bled siba); durant la
période pertinente, les régions situées juste au nord du Sahara Occidental étaient comprises
dans le bled siba. Comme preuve de l'exercice de sa souveraineté au Sahara Occidental, le

112
Pour le résumé de l’exposé du Maroc voir paragraphe 90 à 129 de l'avis consultatif.

159
Maroc a invoqué des actes par lesquels il aurait manifesté son autorité sur le plan interne. Il
a invoqué principalement des éléments prouvant l'allégeance de caïds sahariens envers le
Sultan, y compris des dahirs et autres documents concernant la nomination de caïds, la
perception d'impôts coraniques et autres et des actes militaires de résistance à la pénétration
étrangère sur le territoire.

Le Maroc a aussi invoqué des actes internationaux qui auraient constitué la


reconnaissance par d'autres États de sa souveraineté sur tout ou partie du Sahara occidental
: a) des traités conclus avec l'Espagne, les États-Unis d'Amérique et la Grande-Bretagne de
1767 à 1861, qui contiennent notamment des dispositions au sujet de la protection des
marins faisant naufrage sur les côtes de l'oued Noun ou à proximité; b) des traités bilatéraux
de la fin du XIXe siècle et du début du XXe aux termes desquels la Grande-Bretagne,
l'Espagne, la France et l'Allemagne auraient reconnu qu'au sud la souveraineté marocaine
atteignait le cap Bojador ou la limite du Rio de Oro.

Après avoir entendu le Maroc, la Cour a écouté la Mauritanie. La Mauritanie a


expressément admis que dans la présente affaire 1'« ensemble mauritanien » ne constituait
pas alors un État et que sa qualité actuelle d'État « ne rétroagit pas ». Une conséquence
évidente est que, dans le cas de l' « ensemble mauritanien », la Cour n'a pas eu à s'occuper
de liens juridiques de souveraineté étatique mais de liens juridiques d'une autre nature. II
s'ensuit aussi que la Cour doit commencer par examiner le caractère juridique de cet «
ensemble mauritanien » avec lequel, selon la République islamique de Mauritanie, le Sahara
Occidental aurait eu les liens juridiques au moment de la colonisation par l'Espagne.
Concernant les liens juridiques entre le Sahara Occidental et l'ensemble mauritanien, la
Mauritanie soutient la thèse selon laquelle au moment de la colonisation espagnole,
l'ensemble mauritanien s'étendait du fleuve Sénégal à l'oued Saguia El Hamra. Fort de cela,
la partie des territoires actuellement sous administration espagnole située au Sud de l'oued
Saguia El Hamra était partie intégrante de l'ensemble mauritanien.

Pour la Mauritanie, à l'époque, le Bilad Chinguiti était un ensemble uni par des liens
historiques, religieux, linguistiques, sociaux, culturels et juridiques formant une
communauté ayant sa propre cohésion. En revanche, les territoires occupés par l'Espagne
ne formaient aucune entité propre et n'avaient aucune identité différente. La partie située au
sud de la Saguia El Hamra faisait juridiquement partie de l'ensemble mauritanien. Cette

160
partie et le territoire actuel de la République Islamique de Mauritanie constituent les parties
indissociables de l'ensemble mauritanien. Toutefois, la Mauritanie considère que là où
s'arrêtait l'ensemble mauritanien commençait le Royaume du Maroc.113

Après avoir tour à tour examiné les éléments de preuves présentés par le Maroc et la
Mauritanie concernant cette affaire, en ce qui concerne la question 1, la Cour à l'unanimité,
déclare que le Sahara Occidental (Rio de Oro et Saguia El Hamra) n'était pas un territoire
sans maître (terra nullius) au moment de la colonisation par l'Espagne. Si cette réponse est
claire et exprimé en des termes simples, las mots choisis pour la seconde réponse sont
obscurs et ambigus. Comme on le verra, la réponse à la question 2 fera l’objet
d’interprétation diverses par les différents acteurs du conflit à savoir, le Polisario, l’Espagne,
l’Algérie, la Mauritanie et surtout le Maroc.

2. L’avis de la Cour : des réponses ambigües et diversement appréciées

Une formule latine bien connue des spécialistes du droit dit que « Interpretatio
cessat in claris ». Autrement dit, quand le texte est clair, on ne l'interprète pas. En revanche,
lorsque le texte n'est pas clair, il ouvre la voie à des interprétations fallacieuses et
tendancieuses, dues à l’humeur, aux orientations religieuses, culturelles, politiques,
philosophiques et parfois, aux intérêts personnels. Dans le même esprit, Coulibaly (2018, p.
36) va plus loin en prévenant qu’ « Un texte ambigu est une insécurité juridique, source
d’insécurité judiciaire pour le justiciable ». En d’autres mots, un texte juridique ambigu est
dangereux. Ce fut le cas de la réponse à la deuxième question de la Cour International de
Justice.

Partageant l’idée du professeur Bontems (2001, p.37), il appert que « le tribunal a


donné une réponse très claire, mais avec une présentation obscure ». Pour ressortir les
ambiguïtés de la réponse à la question 2 analysons la technique utilisée par la Cour pour
cette question. Voici comment la Cour procède. Dans le paragraphe 163 de son avis
consultatif, on peut lire que la Cour :

En ce qui concerne la question 1, à l'unanimité, que le Sahara occidental (Rio de Oro


et Saguia El Hamra) n'était pas un territoire sans maître (terra nullius) au moment de la
colonisation par l'Espagne ;

113
Pour voir le résumé de l’exposé de la Mauritanie voir paragraphe 131 à 140 de l’avis consultatif.

161
En ce qui concerne la question II, (…), le territoire avait, avec le Royaume du Maroc,
des liens juridiques possédant les caractères indiqués au paragraphe 162 du présent avis
; (…) le territoire avait, avec l'ensemble mauritanien, des liens juridiques possédant les
caractères indiqués au paragraphe 162 du présent avis114.

Dans cette décision du paragraphe 163 qui devait en réalité être la décision finale de
la Cour, ce paragraphe fait un double renvoie au paragraphe 162 comme pour signifier que
le dit paragraphe fait partie du paragraphe 163. Par conséquent, pour comprendre le dernier
paragraphe, il faut se référer au premier. En réalité, c’est le paragraphe 162 et non le 163
qui contient la réponse de la Cour.

Et justement dans ce paragraphe 162 l’on peut lire que

au moment de la colonisation espagnole, des liens juridiques d'allégeance existaient


entre le sultan du Maroc et certaines des tribus vivant sur le territoire du Sahara
occidental. Ils montrent également l'existence de droits, y compris certains droits
relatifs à la terre, qui constituaient des liens juridiques entre l'ensemble mauritanien, au
sens où la Cour l'entend, et le territoire du Sahara occidental.

Puis, la Cour continue pour dire que « les éléments et renseignements portés à sa
connaissance n'établissent l'existence d'aucun lien de souveraineté territoriale entre le
territoire du Sahara occidental d'une part, le Royaume du Maroc ou l'ensemble mauritanien
d'autre part. » Après avoir dit cela, au terme de ce paragraphe, la Cour mentionne entre
parenthèse voir paragraphes 54 à 59 ci-dessus.

Cela dit, pour le non-juriste que nous sommes, cette technique de pingpong, c’est-à-
dire, de renvoie à renvoie pour donner une réponse à une question aussi importante, créé
autour de celle-ci une brume de confusion. La réponse à cette question nous semble
compliquée, ambiguë et obscure. Ce texte rendre donc dans la catégorie de ce que Coulibaly
(2018, op. cit) qualifie de « texte ambigu source d’insécurité juridique et judiciaire ». C’est
pour cela que le juge Ammoun (1975) soulignait dans son Opinion individuelle que :

La réponse telle qu'elle est libellée dans le dispositif, avec le renvoi aux motifs tels
qu'ils s'énoncent, comporte une contradiction interne. Car il y est fait mention du
territoire du Sahara, mais tout de suite on explique par ledit renvoi que c'est des tribus
qu'il s'agit. (p. 102, par.3)

114
Voir le Paragraphe 163 de l’Avis consultatif de la CIJ.

162
Dans sa réponse à la question II contenu dans le paragraphe 162, la Cour a donné
des affirmations contradictoires. D’abord, les juges proclament l'existence de « liens
juridiques d'allégeance » entre le sultan du Maroc et « certaines des tribus vivant sur le
territoire du Sahara Occidental », ainsi que l'existence de « droits », y compris certains
droits relatifs à la terre, qui constituaient des liens juridiques entre l'ensemble mauritanien
et le Sahara Occidental. Deuxièmement, concernant la souveraineté territoriale, la Cour
conclut toutefois que les éléments et renseignements portés à sa connaissance « n'établissent
l'existence d'aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental
d'une part, le Royaume du Maroc ou l'ensemble mauritanien d'autre part ». Enfin, la Cour
affirme qu'il n'existait aucun lien de nature à modifier l'application de la résolution 1514
(XV) quant à la décolonisation du Sahara Occidental et en particulier aucun qui puisse
modifier l'application du principe d'autodétermination grâce à l'expression libre et
authentique de la volonté des populations du territoire.

Un tel procédé pour répondre à la question manque de rigueur de la part d’une aussi
importante et sérieuse Institution telle que la CIJ. C’est aussi l’avis de Carrillo Sacedo
(1976, p.39). Pour lui, le texte de la déclaration de la Cour n’est non seulement pas clair
mais manque de la rigueur qui doit accompagner les déclarations d’un aussi haut Tribunal.
C’est pourquoi le juge M. Ruda (1975), dans son Opinion Dissidente, arrive à la conclusion
que :

(…) la réponse de la Cour ne correspond pas à ce que l'Assemblée générale lui a


demandé. (…) La réponse juste à la question II, pour ce qui concerne le Royaume du
Maroc, aurait consisté à dire qu'il n'existait pas de liens juridiques entre celui-ci et le
territoire du Sahara occidental, alors que la Cour a conclu à l'existence de liens
juridiques d'allégeances.

La réponse de la Cour selon laquelle il n'y avait « aucun lien de souveraineté


territoriale » entre le Maroc et la Mauritanie, mais qu’au contraire des « liens juridiques
existaient entre le Sahara Occidental, le Maroc et l’ensemble mauritanien » a fait l'objet
d’interprétations diverses qui auront de graves répercussions sur la suite des évènements.
Le 16 octobre 1975, date à laquelle le Greffe de la Cour Internationale de Justice a mis à la
disposition de la presse mondiale la décision, celle-ci fut diversement appréciée selon les
couleurs de l’organe de presse. La presse espagnole indiquait à sa une que la Cour avait
donné raison à l'Espagne. La Vanguardia (1975) écrivait dans ce sens que « es reafirmada

163
la tesis española de la autodeterminación del territorio. Se considera asimismo que ni
Marruecos ni Mauritania han ejercido nunca su soberanía sobre la zona en cuestión ».

Le journal de Genève (1975) se faisant l’écho du ministre marocain de l'Information


soutenait que « Notre droit sur notre Sahara a été reconnu. La revendication du Maroc sur
son Sahara a été reconnue aujourd’hui par l’organe juridique consultatif des Nations Unies
». Par ailleurs, ce même organe de presse défendant la thèse marocaine, concluait que « la
Cour de la Haye estime qu'il des liens juridiques entre Rabat et le Sahara Espagnol ».

Hassan II s'érigeant en juge, a tout de suite, fait sa propre interprétation de l'avis.


Dans son analyse, le roi va essayer d’imposer à l'ensemble de la communauté internationale
sa propre appréciation du droit (Moshen Finan, 1987, p.41) et de l’avis de la CIJ. Pour lui,
l’avis signifiait que le Sahara Occidental relevait de sa souveraineté, car il reconnaissait des
liens d’allégeances entre certaines tribus sahariennes et le sultan marocain (Barbier, 1978,
p. 93). Dans son livre Le Défis (1976), Hassan II lui-même écrit que :

Les liens d’allégeance évoqués par le Cour Internationale étaient si anciens, si


constants, si nombreux, [...], que la Cour, jugeant en pleine connaissance de cause, nous
donna raison sur ce point. Dirai-je que des liens ancestraux, humains, culturels,
religieux, traditionnels, qui nous lient à nos compatriotes sahraouis, ne soient pas moins
puissants et que les liens juridiques n’existent que par rapport aux premiers, qui sont
les plus anciens et les plus solides ? (pp.174-175)

L’avis de la CIJ a été une sorte de boite de Pandore ouverte par les juges de cette
haute institution judiciaire des Nations Unies. Il a été la conséquence immédiate de
l’ « invasion », de l’ « occupation » ou la « récupération » du Sahara Occidental par le
Maroc.

III- LA MARCHE VERTE : INSTRUMENTALISATION DE L’AVIS DE LA CIJ,


RECONQUETE TERRITORIALE ET EXUTOIRE POUR HASSAN II

Le 16 octobre 1975, quelques heures après l'arrêt de la Cour, Hassan II, s'adressant
à ses sujets, déclarait que la CIJ venait de reconnaitre non seulement « leurs » droits sur le
Sahara mais aussi l’existence de liens juridiques de souveraineté entre les rois du Maroc et
les populations du Sahara. Les portes du Sahara leur étaient donc légalement ouvertes. Par
conséquent, il ne leur restait plus qu'à récupérer « leur » Sahara. En effet, ce jour-là, Hassan
II avait pu dire à ses sujets :

164
Louange à Dieu, cher peuple Dieu nous enseigné que la vérité ne manque jamais de
triompher. Effectivement, cher peuple, notre droit a été reconnu et la cour internationale
de justice répondu aux questions qu’on lui a posées. (…) Alors que nous reste-t-il à
faire, cher peuple ? Les portes du Sahara nous sont juridiquement ouvertes, tout le
monde a reconnu que le Sahara nous appartient depuis la nuit des temps. Il nous reste
donc à occuper notre territoire. (Discours de Hassan II, 1975).

C'est à travers cette interprétation subjective et tendancieuse de l'avis de la Cour que


le Maroc allait envahir le Sahara encore sous occupation coloniale de l’Espagne.
L’opération d’invasion du Sahara allait se faire par ce qu’Hassan II a nommé « la Marche
Verte ». Pour mémoire, il faut dire qu’Hassan II n’avait pas attendu l’avis de la Cour ni la
Mission de visite onusienne prévue par la résolution 3292 pour annoncer son intention
d’annexer le Territoire non Autonome du Sahara Occidental. En effet, le 28 avril 1975,
Hassan II à travers la radio française France inter prévenait que son armée se déployait au
long des frontières Nord du Sahara à l’effet d’affirmer la présence et l’intérêt marocain pour
ce territoire. Il ajoutait en outre que le déploiement de l’armée devrait servir de cadre à la
marche inexorable que le peuple marocain ne manquera pas d’entreprendre avec à sa tête
son roi (Carrero Plaza, 2015, p. 382).

Dans le tumulte créé par l’avis consultatif de la Cour où chacun des acteurs se
félicitaient de ce que la Cour lui avait donné raison, le très intelligent Hassan II préparait
dans le plus grand secret l’annexion du Sahara Occidental. Hassan II voulait donner une
légitimité à son action, c’est pourquoi il attendit l’avis de la Cour pour entamer son
opération. Fort de ce qu’il considérait alors comme la reconnaissance par la C.I.J. des « liens
juridiques et d’allégeance » c’est-à-dire « l’obéissance et la fidélité des Sahraouis de cette
région envers les souverains marocains », le roi du Maroc réclamait le retour du Sahara à la
mère patrie.

Conscient de ce que le Maroc va réaliser sa marche que le roi annonçait, déjà,


sporadiquement dans ses discours, le Gouvernement espagnol, le 18 octobre 1975, informa
le Conseil de Sécurité de l’Onu que la marche annoncée par Hassan II peut constituer un
dangereux précédent. Pour Madrid, la marche d’Hassan II, si elle était réalisée, serait une
grave menace pour la paix et la sécurité internationale et déclinait toute responsabilité sur
ses éventuelles conséquences. Dans la même veine, le 21 octobre, le Front Polisario a lancé,
un appel à l’Onu. pour réitérer le respect des principes d’autodétermination reconnus par la
mission des Nations Unies et la déclaration du CIJ. Le 24 octobre, le Front Polisario

165
adressait un communiqué à Alger pour réaffirmer que « le peuple arabe du Sahara
Occidental se battrait résolument pour empêcher la confiscation de sa liberté avant même
de l’avoir retrouvée » (Le Monde, 1975). Le 22 octobre 1975, le Conseil de Sécurité (CS) a
approuvé la résolution 377/1975 en lien avec la situation concernant le Sahara Occidental.
Dans cette résolution, le Conseil de Sécurité :

prie le Secrétaire général d‘engager des consultations immédiates avec les parties
concernées et intéressées et de faire rapport dès que possible au Conseil de sécurité sur
les résultats des consultations en vue e permettre au conseil d’adopter les mesures
appropriées pour faire face à la situation présente concernant le Sahara Occidental; et
la lettre en date du 18 octobre adressée au Président du Conseil par le représentant
permanent de l’Espagne et réaffirmant les termes de la résolution 1514 (XV) de
l’Assemblée générale et toutes les autres résolutions pertinentes de l’Assemblée
générale concernant le territoire.

Par ailleurs, le Conseil de Sécurité a aussi fait appel aux parties concernées et
intéressées pour qu’elles fassent preuve de retenue et de modération et pour qu’elles mettent
le Secrétaire général en mesure d’entreprendre sa mission dans des conditions satisfaisantes
(Résolution 377/1975). Faisant fi des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, Hassan
II, a pris de cours la communauté internationale en accélérant le cours des événements. En
effet, le 16 octobre 1975, dans un discours adressé à la Nation, il révéla à ses sujets un projet
préparé dans le plus grand secret, sous le nom de code d’« Opération Fath ». Il décida de
faire passer dans la réalité ce qui était théoriquement acquis, sans attendre une hypothétique
résolution de l’O.N.U. Il affirmait alors que « Puisque notre Sahara ne pouvait venir à nous,
nous devions aller à lui » (Hassan II, 1976, p.175). Par ces mots, Hassan II donnait le point
de départ de la « Marche Verte ».

En fin stratège, Hassan II voulait profiter de la maladie de Franco pour faire pression
sur le gouvernement espagnol en occupant les frontières internationalement reconnues du
Sahara Occidental (Barberan, 2011, p. 58). La « récupération » du Sahara devrait se faire
pacifiquement grâce à une marche civile de volontaires de 350 000 civils et 35 000 militaires
(Abdalahe, 2015, p. 257) qui marcheraient seulement armés du Coran. Aux dires d’Hassan
II lui-même, l’idée de la Marche fut « conçue et définie dans la solitude et la méditation »,
à partir du 19 Août 1975 (Hassan II, 1989, p. 12). À l’exception du cercle restreint de ses
plus proches collaborateurs, les premiers à avoir été mis au courant de la Marche ont été les
gouverneurs du Royaume, un soir du mois de ramadan, le 26 septembre 1975, après que

166
ceux-ci aient prêté le serment solennel de ne rien révéler. Dès leur retour dans leurs
préfectures ou provinces, ils ont commencé, sous des prétextes divers, l’inventaire des
produits et matériels disponibles, produits de consommation, moyens de transport, cars et
camions, moyens d’hébergement, tentes et couvertures. Par la suite sept cents agents et
auxiliaires d’autorité sont envoyés par le ministère de l’Intérieur à Benguérir pour recevoir
une formation accélérée axée sur le civisme, le patriotisme et l’encadrement des masses, à
l’exemple de l’école des cadres de la Route de l’Unité. Eux-mêmes ne connaîtront la raison
de ce stage que lors du discours du 16 octobre annonçant la Marche (Rollinde, 2003, pp.137-
138).

Au-delà de vouloir récupérer un territoire qu’il considère comme sien, la Marche


verte avait pour d’autres enjeux. Quels étaient les véritables enjeux de la Marche verte ? La
Marche verte pour être en soi un véritable défi, était une stratégie géopolitique savamment
orchestré par Hassan II. S’il est difficile de dire qu’elle en était la symbolique, toutefois,
nous pouvons avancer plusieurs hypothèses.

Primo, la Marche devrait permettre la réunification du royaume par la récupération


du « Sahara marocain » et son intégration à la mère patrie. Par la Marche verte, Hassan II
voulait accomplir le vœu de feu son père le roi Mohammed V qui le 25 février 1958
annonçait que « Nous proclamons solennellement que Nous poursuivrons Notre action pour
le retour de Notre Sahara dans le cadre du respect de nos droits historiques et
conformément à la volonté de ses habitants ». Ainsi, en organisant la Marche, Hassan II
s’inscrivait dans la droite ligne de la poursuite des actions en vue du retour de « leur »
Sahara. La Marche verte devrait donc servir à consolider l’unité nationale du royaume du
Maroc et mettre fin à son statut d’État démembré par la colonisation.

En deuxième lieu, la « Marche verte » devrait permettre de soigner l’image très


dégradée d’Hassan II, par l’affaire Ben Barka et par son autoritarisme à la limite de la
dictature. Dans ce contexte, le jeune roi impulsif des années 60-70 devait laisser place au
monarque sage et paternel. Il comprit que le souverain autoritaire devrait faire figure de
libéralisme et de sagesse. Il devait être le « réunificateur ». Et précisément à cette époque,
Hassan II, était en quête de qualificatif et recherchait l’amour de son peuple comme ce fut
le cas avec son devint père. Son prédécesseur, feu le roi Mohammed V, adulé par le peuple
était considéré comme le « Libérateur » et « le Bien-aimé ». En effet, « Durant son court

167
règne de souverain affranchi de la tutelle étrangère, il [Mohammed V] restera pour ses
sujets le souverain « bien-aimé » (al-mahbûb), le père de la nation retrouvée autant
qu’inventée » (Rivet, 2012, p. 300) écrivait Daniel Rivet. Il était resté dans la mémoire
collective comme celui-là qui avait libéré le Maroc de la double colonisation française et
espagnole. Parallèlement, il n’est pas exclu qu’Hassan II ai voulu qu’une cause historique
soit attachée à son nom. En menant à bien son projet de récupération du Sahara Occidental
par la Marche Verte, il pourrait passer auprès de son peuple comme Hassan II « le
Conquérant », « le Réunificateur », « le Sauveur » ou « le Rassembleur ». Ces qualificatifs
pourraient l’inscrire ainsi dans la longue lignée des dignes rois alaouites qui auront fait de
la libération et de l’expansion du royaume du Maroc leur cheval de batail.

En outre, vu les tensions internes – entre l’opposition et le Palais – que connaissaient


le Maroc dans ces années, il semble que le roi ait recherché l’union sacrée de toutes les
forces vives de la nation autour de sa personne. Hassan II voulait satisfaire le nationalisme
populaire marocain en pratiquant une politique de défi à l’égard de l’Espagne, de l’Algérie
et surtout des Nations Unies. En cette fin d’année 1975, le roi voulait restaurer le consensus
disparu entre lui et l’unité de la Nation dont il est, constitutionnellement, le représentant
légitime et le garant, en reprenant le dialogue direct avec son peuple. Pour ce faire, il doit
se reconstituer le capital de légitimité, qui lui avait été transmis par son père, et qui a été
remis en cause par les deux attentats militaires de juillet 1971 et août 1972 (Rollinde, 2003,
pp. 143).

La quatrième hypothèse la plus probable est que la Marche verte aurait été utilisée
par Hassan II comme l’acte de foi d’un roi et d’un peuple. En effet, Hassan II était
successeur du Prophète Mahomet par sa fille Fatima et son cousin et gendre Ali. Il était par
ailleurs, non seulement Commandeur des croyants ou Amir al mouminin mais aussi « Le
Sabre de Dieu sur terre » et « La sentinelle avancée de l’islam » (Le Monde, 1999). C’était
fort de tous ces titres et qualificatifs que celui-ci s’était adressé à la Nation dans son discours
du 16 octobre 1975. Comme il le dira lui-même plus tard, la « Marche verte » lui a été
inspirée par Allah. Dans son ouvrage consacré à la Marche Verte, il l’explique en ces termes

C’est avec une intense émotion que Je Me remémore cette nuit du 19 août 1975, à Fès,
où Me fut inspirée l’idée de la Marche Verte. La Fatiha, sourate liminaire du Coran,

168
qui a guidé les pas du prophète Sidna Mohammed, M’a fourni le code de conduite pour
déjouer les manœuvres de l’Espagne au Sahara (Hassan II, 1989, p. 12).

La « Marche verte » initialement baptisée « opération Fath » en référence à la


sourate du coran EL Fath « La Victoire », sera finalement rebaptisée Marche « verte », le
vert étant la couleur de l’étendard du Prophète et par extension la couleur de l’islam. Par
conséquent, d’une simple revendication territoriale pacifique, la Marche devenait un jihad
contre les Espagnols. Les 350 000 marcheurs qui avançaient en direction du Sahara en
brandissant le Coran et en récitant la Fatiha devenaient des moudjahidin (Rollinde, 2003,
pp. 142).

De tout ce qui précède, il apparait que la Marche verte était une stratégie géopolitique
bien huilée visant non pas seulement à « récupérer » le territoire du Sahara Occidental mais
surtout à créer autour de la personne du roi un plébiscite, et un consensus national autour de
la marocanité du Sahara Occidental. Le 6 novembre, au cours d’une séance privée (1853è
séance), le Conseil de sécurité, a prié sa Majesté le roi de mettre fin immédiatement à la
marche projetée sur le Sahara Occidental.

À cet appel, le roi rassura le Conseil de sécurité de ce que sa Marche était pacifique.
Quelques instants après, le Conseil approuva par consensus la résolution 380 après avoir
regretté que la situation au Sahara Occidental se soit gravement détériorée. Le Conseil a
déploré l’exécution de la marche ; demandé au Maroc de retirer immédiatement du territoire
du Sahara Occidental tous les participants à la marche, et au Maroc et à toutes les autres
parties concernées, sans préjudice de toute mesure que l’Assemblée Générale pourrait
pendre aux termes la résolution 3292 du 13 décembre 1974.

Le 9 novembre dans un message à la nation, Hassan II annonçait sa profonde


conviction que la Marche avait accompli sa mission et atteint son objectif. Mais quel était
cet objectif ? L’accord tripartite de Madrid qui se préparait dans le secret allait nous
l’apprendre. Mais bien avant analysons la conjoncture géopolitique en Espagne et dans le
monde à l’époque en lien avec la situation du Sahara Occidental.

169
IV. LA CONJONCTURE GÉOPOLITIQUE EN ESPAGNE ET DANS LE MONDE
AVANT LA SIGNATURE DE L’ACCORD TRIPARTITE DE MADRID

Par sa Marche verte, Hassan II a pu (dé) montrer à la communauté internationale sa


détermination à récupérer « son » Sahara. Elle a aussi permis au roi de parvenir à des
négociations bilatérales avec le gouvernement espagnol. En effet, le 14 novembre 1975 soit
deux jours après le rappel des marcheurs par Hassan II, étaient organisés les accords de
Madrid entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie. Dérogeant à ses propres engagements,
au cours de ces accords, Madrid va « donner » le Sahara Occidental à Hassan II et à Moktar
Ould Daddah. Avant d’examiner les textes des accords, nous voulons présenter d’abord les
considérations géopolitiques qui sont à la base de la flexibilité de Madrid. Le premier facteur
que nous identifions est la situation politique et sociale nationale en Espagne entre 1970-
75¸ un quinquennat marqué par le crépuscule du franquisme.

1- La conjoncture socio-politique dans l’Espagne des années 1970-75 : une opinion


publique divisée

Pour être pragmatique, l'Organisation des Nations Unies n'a rien fait pour empêcher
l'invasion du Sahara Occidentale, encore colonie espagnole, par Hassan II. Rien, sauf peut-
être l’approbation par le Conseil de Sécurité d’une résolution impopulaire. Au lieu de
condamner avec la dernière énergie cette marche qui était une violation des résolutions 377
du 22 octobre et 379 (1975) du 6 novembre, le Conseil de sécurité n’a fait que « regretter »
et « déplorer » l’exécution de la marche (cf. Résolution 380 du 6 novembre 1975). L’attitude
des Nations Unies n’était pas sans déplaire au gouvernement espagnol. Celui-ci, déçu de
tout soutien positif de cette Organisation, s’est vu confronté à la nécessité de résoudre le
problème par ses propres moyens dans un contexte politique national marqué par la grave
maladie du chef de l'État, le général Francisco Franco.

Il faut dire qu’en Espagne, il n’était pas facile de décider de la politique ou de la


position à suivre concernant le Sahara, du fait de la nouvelle conjoncture sociale,
économique et politique. En effet, il y avait une lutte interne au sein de l'opinion publique
et de la classe politique espagnole. Cette lutte interne était motivée par trois problèmes : la
transition politique, la crise économique et la problématique de la décolonisation. Mais la

170
question de la transition politique ou de la succession et la crise économique que traversaient
le pays influaient sur la politique de décolonisation du Sahara Occidental. Concernant la
décolonisation en liaison avec la situation du Sahara, il faut dire qu’il y avait, en Espagne,
deux tendances diamétralement opposées.

D’un côté, il y avait ceux qui défendaient que satisfaction soit donnée à « cualquier
legítima aspiración de países interesados en aquella zona »115 (Fuente Cobo & Menéndez,
2006, p. 46). Et de l'autre, il y avait ceux qui étaient pour l'indépendance du territoire du
Sahara Occidental et donc pour le retrait des Espagnols par le transfert de « la soberanía del
territorio en la forma que mejor convenga a sus habitantes »116 (Fuente Cobo & Menéndez,
ibidem) L’affaire du Sahara va devenir un théâtre où s’affronte ces deux tendances. Parmi
les premiers, nous avions d'abord, le président du gouvernement espagnol Arias Navarro.
On raconte qu'avant l'annonce de la Marche verte par Hassan II le 16 octobre, les services
de renseignements de l'armée espagnole ont informé Franco, déjà très malade, des plans du
Maroc en complicité avec les États-Unis et lui aurait conseillé d’agir en conséquence.

En réaction, le 22 octobre 1975, le président du gouvernement espagnol, Arias


Navarro, avec l’aval de Franco, a envoyé le chef de la phalange, José Solís Ruiz, à
Marrakech pour tenter d'arrêter le projet marocain en promettant des négociations bilatérales
sur le Sahara quand l’état de santé du Chef d’État le permettra (Abdelhay, s.d)117. Le choix
de José Solís Ruiz par Navarro état fait à dessein. En effet, José Solís était un grand
défenseur de la position pro-marocaine du Sahara. En fait, il était très proche de la Maison
royale marocaine car il était l'administrateur de leurs biens en Espagne (De Froberville,
1996, p. 59). L’État-major de l’armée espagnole, compte tenu de la période de guerre froide,
considérait aussi qu'un Sahara indépendant avec un gouvernement socialiste, soutenu par
une Algérie révolutionnaire et une Libye hostile à l'Occident, constituerait non seulement
un point faible pour la sécurité des îles Canaries mais aussi une menace pour le système
défensif Euro-atlantique (Aguire, 1991, p. 100 ; Fuente Cobo & Menéndez, 2006, p. 46).

115
Notre traduction : Toute aspiration légitime des pays intéressés dans cette zone.
116
Notre traduction : La souveraineté du territoire de la manière qui convient le mieux à ses habitants.
117
L’article peut être lu en ligne sur. https://www.ecsaharaui.com/2020/01/juan-carlos-i-pacto-en-secreto-
con.html Consulté le 23/02/2020.

171
De plus, à cette époque de grande incertitude politique interne en Espagne en raison
de l'état de santé du Caudillo, l'armée voudrait se préserver d'une guerre coloniale. En effet,
l'État-major était conscient de ses propres lacunes : le manque de logistiques et surtout de
munitions et il savait aussi qu’il ne pouvait compter sur le soutien des États-Unis pour
fournir des renforts étant donné ce qui s’était passé lors de la guerre de Yom Kippour118.
Pour l’État-major espagnol, en cas de guerre contre le Maroc, l'Espagne pourrait bien s’en
sortir et préserver le Sahara. Toutefois, les conséquences de l'instabilité au Maroc, la chute
de la monarchie après une défaite, la possible mise en place d'un régime radical de l'autre
côté du détroit de Gibraltar, ont conduit à envisager, comme dans la décennie de la
décolonisation marocaine, qu'il valait mieux céder à nouveau (Burgos, 1988, p. 260).

En plus de l'État-major général, il y avait un groupe d'entreprises telles que FESA,


Rumasa, Banco Urquijo qui, ayant de grands intérêts économiques au Maroc, mettaient la
pression sur le gouvernement pour qu'il cède le territoire au royaume chérifien. En plus du
lobbying des entreprises, le gouvernement subissait la pression de la médiasphère de médias
tels qu’ABC ou Blanco y Negro (De La Iglesia, 2005, p. 92).

Ajouté à ces différents acteurs pro-marocains, certaines formations politiques étaient


aussi favorables à la cession du Sahara Occidental au Maroc. Parmi lesquels, il y avait la
Coalition Démocratique (CD). La CD est un regroupement de partis politiques
conservateurs de droite. En ce qui concerne la politique de décolonisation entréprise par le
gouvernement au Sahara Occidental, la CD dénonçait le fait que « falta un principio rector
en torno al cual articular los diversos movimientos un tanto desordenados, y ello hace que
dicha política resulte pobre, parcial, desnivelada, oportunista y, en una palabra, mal
119
orientada » (Mesa, 1982, p. 35). En fait, la Coalition Démocratique reprochait au
gouvernement de ne pas avoir entrepris une politique d'équilibre, d'équidistance envers le
Maghreb, jugeant sa performance d’« une politique de faiblesse ». Par conséquent, la

118
Au cours de de la guerre du Yom Kippour en 1973, Franco avait refusé l’assistance de son pays aux États-
Unis. De fait, les Américains avaient sollicité auprès du gouvernement espagnol son consentement pour
l’utilisation de ses bases militaires pour faciliter le soutien logistique à Israël.
119
Notre traduction: L'absence d'un principe directeur autour duquel articuler les différents mouvements
quelque peu désordonnés, ce qui rend cette politique pauvre, partielle, inégale, opportuniste et, en un mot, mal
orienté.

172
Coalition Démocratique était opposée à la reconnaissance du Front Polisario par le
gouvernement espagnol, la jugeant prématurée (Mesa, ibidem).

Le courant sécessionniste s’était renforcé après l’avènement de la principale force


nationaliste sahraouie, le Front Polisario qui se montrait hostile à l’Espagne en menant des
actions militaires contre les forces espagnoles sur le territoire. De fait, avec le
positionnement de ce mouvement comme représentant légitime du peuple sahraoui selon les
Nations Unies, l’Espagne voyait se dissiper la viabilité d’un Sahara Occidental indépendant
sous tutelle espagnole.

L’ensemble de ces acteurs que nous venons de présenter optaient pour une relation
privilégiée avec le Maroc au détriment du peuple sahraoui, dont ils soutenaient auparavant
le droit à l'autodétermination et à l'indépendance. Cependant, cette attitude qualifiée de
« politique d'équilibre », allait à l'encontre des visées d'une frange importante de l’opinion
publique espagnole qui, quant à elle, était favorable à l’indépendance du peuple sahraoui
(Fadel, 2001, p. 125).

La deuxième tendance était les pro-indépendantistes. Au sein de ses défenseurs de


l'indépendance du Sahara Occidental se trouvait en premier lieu le Ministère des Affaires
étrangères (MAE) tenu à l’époque par Cortina Mauri. Le 11 septembre 1974, Cortina Mauri
s'est rendue à Alger pour rencontrer le leader du Front Polisario, Lulei. Lors de leur réunion,
le chef de la diplomatie espagnole a promis aux Sahraouis que l'Espagne défendrait leur
droit à l'autodétermination (Criado, 1977, p. 14). Le ministère des armées était également
favorable à l’indépendance du Sahara et soutenait la position du MAE (Ruiz Miguel, 1995,
p. 200).

Le prince et chef de l'État par intérim, Don Juan Carlos, était à l’époque l'un des
défenseurs de la décolonisation et de l'indépendance du Sahara Occidental. Son voyage à El
Ayoun le 2 novembre 1975 peut être interprété comme un indice de cette volonté. Alors que
le Maroc s’apprêtait à envahir le territoire, Juan Carlos avait personnellement fait le
déplacement pour affirmer aux forces espagnoles et aux sahraouis que l’Espagne accomplira
ses engagements et que « deseamos proteger también los legítimos derechos de la población

173
civil saharaui 120» (Miguel, 1995, pp. 20-21). Aux soldats, il leur faisait cette promesse «
No dudéis que vuestro comandante en jefe estará aquí, con todos vosotros, en cuanto suene
el primer disparo 121» (Abdelhay, s.d). Mais comme nous le verrons plus loin, Juan Carlos
ne respectera pas ses engagements. De même qu’il se trouvait des formations politiques
favorables à la cession u territoire au Maroc, il y en avait de favorable à l’indépendance du
Sahara. Ces partis politiques soutenaient la cause sahraouie au Parlement espagnol.

Le Parti Communiste Espagnol (PCE) faisait partie des soutiens du peuple Sahraoui.
Le programme de ce parti concernant le Sahara Occidental reposait sur la lutte de ce peuple
contre l'impérialisme et le colonialisme. En outre, le PCE demandait la reconnaissance de
leur droit, l'autodétermination et la reconnaissance du Front Polisario en tant que
représentant légitime du peuple sahraoui (Mesa, 1982, p. 49). Ainsi que le PCE, le Parti
socialiste ouvrier espagnol (PSOE) par principe idéologique était anticolonial et anti-
impérialiste. En vertu de sa ligne idéologique, « El PSOE propugnará la solidaridad con
todos aquellos pueblos que siguen luchando por sacudirse la dominación colonial o racista,
o la opresión de las tiranías locales al servicio de los intereses imperialistas (…) »122 (Mesa,
idem, p. 42).

Cette déclaration était une allusion claire à la situation du Sahara Occidental. Par
conséquent, on peut dire que le PSOE était pro-indépendance, donc pro-Sahara. En plus de
ces groupes politiques, il y avait le lobby d'un groupe d'entreprises espagnoles pro-
algériennes et pro-sahraouies : Hispanoil, Dragados y Construcciones, Gas Natural ou
Standard Eléctrico. L'ensemble de ces sociétés revendiquait l'indépendance du Sahara
(Segura, 1976, p. 234).

En somme, l’opinion publique et politique était divisée quant à l’avenir politique du


Sahara et des Sahraouis. Cette division intestine a joué en faveur du Maroc dans sa volonté
de récupération du territoire. L’autre élément qui finira de faire pencher la balance en faveur
de la cession du Sahara était la situation géopolitique internationale de l’époque.

120
Notre traduction: Nous souhaitons protéger aussi les droits légitimes de la population civile sahraouie.
121
Notre traduction: Ne doutez pas que votre commandant en chef sera là, avec vous tous, dès le premier
coup de feu.
122
Notre traduction: Le PSOE plaidera en faveur de la solidarité avec tous ces peuples qui continuent de
lutter pour secouer la domination coloniale ou raciste, ou l'oppression des tyrannies locales au service des
intérêts impérialistes (...).

174
2- La conjoncture géopolitique internationale 1970-1975 et son impact sur le Sahara
Occidental

La situation géopolitique internationale des années 1970, caractérisée par la guerre


froide, la rivalité entre communistes et capitalistes divisant le monde en deux sphères
d’influence, a joué un rôle important dans le processus d‘abandon du Sahara par l'Espagne.
Elle a permis de faire pression sur l'Espagne pour qu'elle accepte des accords dans un cadre
bilatéral de transférer la souveraineté du Sahara et renoncer à son projet d’organiser un
référendum d’autodétermination au Sahara.

Le Maroc va exploiter en sa faveur cette conjoncture géopolitique internationale.


Pour y parvenir, le royaume va s’appuyer sur ses alliés internationaux, notamment le leader
du bloc occidental, les États-Unis. En effet, en se montrant favorable à l’idéologie
capitaliste, Hassan II attirait les faveurs des USA qui entendaient faire du Maroc le levier
de la lutte anti-communiste en Afrique du nord et principalement au Maghreb. La position
du Maroc a été vue de bon œil par les États-Unis car elle coïncidait avec leurs approches
fondamentales de la sécurité internationale. Avec un Front Polisario qui avait choisi comme
modèle la révolution socialiste algérienne, l'indépendance d'un Sahara Occidental
révolutionnaire tomberait sans aucun doute entre les mains du gouvernement algérien
« procommuniste » ou celle de la guérilla « procommuniste » du Polisario (Ruiz Miguel,
1995, p. 182).

Pour les nord-américains, il était inacceptable de créer un État socialiste faible et


hostile sur la côte africaine de l'Atlantique Nord, dans leur hémisphère. Les stratèges
américains de l'époque de la guerre froide, considérait qu’un Sahara indépendant tomberait
inévitablement sous l'influence algérienne, qui trouverait ainsi un moyen pour se frayer un
chemin vers les eaux de l'Atlantique, isolant son voisin et rival marocain, qui était l'allié
traditionnel des États-Unis (Fuente Cobo & Menéndez, 2006, p. 45). En outre, pour
l'Occident, il y avait un risque que l'Union soviétique profite de cet « État fantoche » pour
ouvrir des bases navales sur les côtes sahraouies. En effet, dans le cas d'une confrontation
ouverte entre les deux grands, à partir de la position du Sahara, l’URSS pourrait menacer
les lignes d'approvisionnement stratégiques qui devraient garantir l'arrivée de renforts et de

175
ressources en Europe. Bref, un Sahara indépendant avec un modèle politique à caractère
socialiste irait ipso facto contre le modèle géostratégique nord-américain. Par conséquent,
pour les occidentaux, les États-Unis et la France en tête, l'intégration de ce territoire au
Maroc était vue comme la meilleure option pour conjurer ce danger (Fuente Cobo &
Menéndez, 2006, p. 45).

En plus du spectre communiste, s'ajoutait le désir pour les États-Unis d'améliorer


leurs relations avec le Maroc à cause de ce qui s'est passé au Portugal en 1974. En effet, le
25 avril de la même année, il y a eu un coup d'État au Portugal perpétré par les éléments de
la branche progressiste de l’armée. Ce coup d’état avait mis fin à quarante-huit ans de règne
dictatorial de Salazar. La révolution des œillets qui avait suivi le coup d’état, avait modifié
la conjoncture atlantico-méditerranéenne (De Froberville, 1996, p. 58). En effet, avec la
chute du régime autoritaire de Salazar au Portugal, la gauche politique était arrivée au
pouvoir. L’arrivée au pouvoir de la gauche inquiétait les USA de la possibilité que des
formations politiques prosoviétiques gouvernent un pays appartenant à l'Organisation du
Traité de l'Atlantique Nord (OTAN).

Les Américains étaient préoccupés que la révolution qui avait eu lieu au Portugal
n’altère leurs intérêts dans cette zone géostratégique étant donné les rivalités Ouest-Est et
le conflit au Moyen-Orient. Ainsi, les États-Unis craignaient-ils un affaiblissement du flanc
sud de l'OTAN. En réalité, le fantôme de la crise des fusées de Cuba (1962) continuait de
hanter les États-Unis. En outre, ceux-ci n'ignoraient pas que les nouvelles autorités
politiques du Portugal refuseraient l'utilisation de leur espace géographique comme base
aérienne ou navale pour l’OTAN. Les États-Unis voulaient renforcer la base de Rota qui
avait perdu une grande efficacité en raison d'un angle mort de 80 degrés dans sa défense
anti-missile (De La Iglesia, 2005, p. 93).

Concernant l'Espagne, les USA craignaient que ce qui venait de se produire au


Portugal voisin ne se reproduise en Espagne où ils avaient des bases, notamment à Torrejón,
à Morón, à Saragosse, etc., (Lanuza, 2015, p. 108). En effet, le déclin du franquisme avec
la maladie du Caudillo créait dans le pays une forte tension du fait de la transition politique
une fois qu'il serait mort. Si ce qui se passait au Portugal arrivait en Espagne, les États-Unis
pourraient perdre l'utilisation des bases militaires des Açores. De plus, les Américains
craignaient également qu'un régime pro-soviétique ne soit installé au pouvoir puisque les

176
partis politiques socialistes de gauche tels que le Parti Communiste Espagnol (PCE) et le
Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) se sont présentés comme la plus grande force
d'opposition de ces années. En un mot comme le souligne Powell (2005): « Para los EEUU,
el objetivo prioritario en relación con España consistía en evitar que la muerte de Franco
se tradujera en una alteración sustancial del equilibrio de fuerzas a favor de la URSS123 »
(p. 39).

Face à la nouvelle situation du Sahara Occidental engendrée par la « Marche verte »,


Washington étaient également soucieux de maintenir ses intérêts en Espagne, notamment
les bases militaires. Mais en raison de la politique d'équidistance qu'ils entendaient défendre
dans le conflit, la position des Américains est devenue très compliquée. En effet, les USA
ne voulaient pas déranger les Espagnols en soutenant officiellement l'attitude de Rabat, ni
inquiéter le Maroc en soutenant manifestement Madrid. Mais en raison des modifications
politiques qui s’opéraient dans la péninsule ibérique, les membres de l'OTAN et de
l'Alliance Atlantique ont ressenti le besoin de s'approcher et surtout de soutenir leur
traditionnel allié nord-africain, le Maroc.

En effet, d'un point de vue politique et géostratégique, le Royaume chérifien était


considéré non seulement comme le seul allié pro-occidental en Afrique du Nord-Ouest, mais
également comme l'un des principaux alliés occidentaux du monde Arabe. Au vue de sa
situation géographique, étant située à l'Ouest de la Méditerranée juste au Sud de l'Europe,
les occidentaux considéraient le Maroc comme un espace géostratégique en ce sens qu'il
pouvait favoriser la défense de son flanc Sud (Lanuza, 2015, p. 110). Par conséquent, les
USA étaient plus favorables au Maroc en ce qui concerne l’affaire du Sahara. Tout comme
les Américains, l'Espagne a également subi le lobbying de la France, se positionnant en
faveur du Maroc. La France, considérée comme la puissance tutrice du Maghreb, estimait
qu'un Sahara indépendant serait inapproprié voire inopportun. À cet égard, Aguirre (1991)
souligne que dans la région :
(…) se unen los intereses de Francia, tan inclinada a mantener la estabilidad marroquí
procedente de la época colonial como sus privilegiadas relaciones económicas, junto
con la intención de Giscard d’Estaing de constituir un eje París-Madrid-Rabat-
Nouakchott-Dakar, enfrentándose a la presencia argelina y sustituyendo a la débil
acción española en la zona. Francia desempeñará un importante papel diplomático en

123
Notre traduction : Pour les USA l’objectif prioritaire concernant l’Espagne était d’éviter que la mort de
Franco ne produise une altération substantielle de l’équilibre des forces en faveur de l’URSS.

177
la ralentización delas decisiones del Consejo de Seguridad de las Naciones Unidas y en
el impulso para el entendimiento hispano-marroquí. (p. 21)124

En d’autres termes, quand les intérêts stratégiques internationaux reposent sur une
côte atlantique, les puissances telles que la France, les États-Unis et divers autres États
conservateurs, arabes, européens, tranchent la question du Sahara Occidental en faveur du
Maroc.

En conclusion, la conjugaison des facteurs que nous venons de présenter : la crise


politique en Espagne et la pression du bloc occidental et celle des nationalistes sahraouis,
seront la cause du « sacrifice » du Sahara par l’Espagne. Madrid sous la pression étrangère,
(Maroc, France, et États-Unis) et du fait des divisions internes, et désireuse de conserver ses
intérêts économiques avec le Maroc, la France et les États-Unis et aussi au Sahara, va
« troquer » le territoire du Sahara Occidental au Maroc et à la Mauritanie au cours de
l’Accord de Madrid.

V- L’ACCORD TRIPARTITE DE MADRID

La situation intérieure de l’Espagne dans les années 1973-1975 était marquée par la
décadence du franquisme, la recherche d’un compromis militaire avec les États-Unis
concernant la création de bases militaires en Espagne, la question de l’Otan et des relations
venimeuses avec le Maghreb et le monde Arabe du fait de la question du Sahara Occidental.
Dans ce contexte, les principaux objectifs du gouvernement concernant le futur de la
politique extérieure de Madrid tenaient à la pleine incorporation de l’Espagne à la société
internationale (Tusell & Soto, 1996, pp. 159-181). Pour ce faire, étant donné la crise
politique interne à Madrid, il était impérieux de régler l’épineuse question de la
décolonisation du Sahara Occidental.

Pour le gouvernement espagnol et le prince Juan Carlos, il était essentiel d'être


prudent pour éviter un conflit armé avec le Maroc. Ce conflit, s’il advenait aurait eu des
répercussions internationales imprévisibles. Par ailleurs, les États-Unis ne cachaient pas leur

124
Notre traduction: (…) Les intérêts de la France se rejoignent, enclins à maintenir la stabilité marocaine
de l'époque coloniale comme ses relations économiques privilégiées, avec l'intention de Giscard d'Estaing de
constituer un axe Paris-Madrid-Rabat-Nouakchott-Dakar Face à la présence algérienne et remplaçant la faible
action espagnole dans la région,... la France jouera un rôle diplomatique important en ralentissant les décisions
du Conseil de sécurité des Nations unies et l’entente hispano-marocaine.

178
soutien au Maroc. En effet, Washington aidait techniquement et économiquement le Maroc,
afin de s'assurer que le bloc communiste ne put établir des bases militaires sur ce territoire
(Ybarra, 2005, p. 4). Il fallait, pour ce faire, parvenir à un bon accord entre les
gouvernements espagnol et marocain.

Nous voulons démontrer ici que l’Accord tripartite de Madrid a été un « troc », celui
du Sahara par l’Espagne. Pour y parvenir, nous allons analyser successivement la
« Déclaration de principes », les annexes secrètes, la question des places de souveraineté
espagnole en Afrique et les intérêts politiques personnels du Chef d’État par intérim, Don
Juan Carlos.

1- La Déclaration de principes entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie

C’était une Espagne faible sur l’échiquier international, du fait de la politique


autarcique entreprise par le régime franquiste et intérieurement divisée, qui trois jours après
la « Marche verte », a convoqué à la table de négociation le Maroc et la Mauritanie pour
décider du sort du Sahara Occidental source de conflit. En fait, conscient des effets
dramatiques qu’aurait un affrontement armé avec le Maroc soutenu par la France et les
États-Unis, le gouvernement espagnol qui était présidé par le pro-marocain, Carlos Arias
Navarro, commençait à considérer le Sahara Occidental comme un caillou dans ses bottes.
Pour se débarrasser de ce territoire très gênant, le gouvernement de Carlos Arias Navarro
entreprit de négocier directement avec le Maroc et la Mauritanie. Toutefois, il faut souligner
que, bien avant l’accord tripartite qui allait se tenir quelques jours plus tard, déjà, Madrid
projetait l’évacuation de ses ressortissants du territoire à travers une opération dénommée «
Operación Golondrina ». Cette opération devrait aboutir sur l’évacuation complète du
Sahara de plus de 10.000 civiles européens qui y résidaient à l’époque (Cobo & Menéndez,
2006)

El procedimiento de la evacuación y de la transferencia de la administración a


Marruecos y Mauritania fue fijado por el Alto Estado Mayor unos días después. Se
establecieron los plazos en que progresivamente se irían abandonando los puestos y
fortificaciones españoles, señalando aquellos otros que debían quedar en manos
españolas durante un tiempo prudencial para permitir la repatriación de todos los
nacionales a través de ellos. Se especificaba finalmente que dicha evacuación quedaría
condicionada a que las fuerzas militares españolas y las de los nuevos ocupantes,

179
garantizasen su seguridad con los medios suficientes para hacer frente a la amenaza de
ocupación por parte del Frente Polisario o por Argelia125. (p. 58).

Alors que l'Espagne en sa qualité de puissance administrante, a toujours réaffirmé


que le peuple sahraoui aura le dernier mot sans qu'il n'ait à souffrir ni pression, ni ingérence
étrangère. Et que le territoire du Sahara, tout comme ses richesses, appartiennent aux
Sahraouis et rien qu'aux Sahraouis et par conséquent que ni mêmes les Espagnols ne
pourront jamais disposer ni de celui-ci, ni de celles-là (Déclaration de Lopez Bravo, 1972,
p. 9) ; Madrid finit par renier tous ses engagements envers la Communauté Internationale
et surtout envers le peuple sahraoui et de commettre ce que le Front Polisario considère
comme « la plus grande trahison de l'histoire contemporaine en matière de
décolonisation. 126» (Mémorandum du Polisario du 5 octobre 1977).

L’Accord de Madrid, même s’il permettait de calmer les tensions socio-politiques


internes comme externes du Maroc, de la Mauritanie et de l’Espagne, il représentait une
grave dérive politique. Mieux, c’était une fuite en avant, de la part des autorités espagnoles
au vue de leur promesse de décoloniser le Sahara. Les signes de la trahison de l’Espagne
étaient déjà perceptibles en Mai 1975 quand le ministre de l’Information, Léon Herrera, à
la sortie d’un conseil de ministre annonçait à la presse que « (…) a propósito del traspaso
de poderes se hará la transferencia en la forma y modo que mejor convenga a sus habitantes
y a la satisfacción, en su caso, de cualquier legítima aspiración de países interesados en
aquella zona 127» (Informaciones du 24 mai 1975).

À la suite de León Herrera, le ministre de la Défense, le Général Coloma Gallego en


visite à Laayoun, capitale du Sahara, le 26 mai de la même année intimait aux forces armées
« que el gobierno Español desea vivamente que al transferir la soberanía del territorio a

125
Notre traduction: La procédure d'évacuation et de transfert de l'administration vers le Maroc et la
Mauritanie a été fixée par l'état-major quelques jours plus tard. Les périodes pendant lesquelles les postes et
fortifications espagnols seraient progressivement abandonnés furent établies, en indiquant celles qui devaient
rester entre les mains des Espagnols pendant un temps raisonnable pour permettre le rapatriement de tous les
ressortissants par leur intermédiaire. Enfin, il a été précisé que ladite évacuation serait conditionnée à ce que
les forces militaires Espagnoles et celles des nouveaux occupants garantissent leur sécurité avec des moyens
suffisants pour faire face à la menace d'occupation par le Front Polisario ou par l'Algérie.
126
Ce message a été adressé au Président du Comité des vingt-quatre par le Front Polisario à l'occasion de la
trente-deuxième session de l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies.
127
Notre traduction : A propos de la passation de pouvoirs, elle se fera selon la forme et mode qui convient
le mieux à ses habitants et à la satisfaction, le cas échéant, des aspirations des pays intéressés par cette région.

180
128
quien le corresponda, las fuerzas armadas lo abandonen con todo honor y dignidad »
(Informaciones du 24 mai 1975). Les négociations bilatérales ont été le fruit d’un « horrible
chantaje » (Cobo & Menéndez, 2006, p. 59). Les pourparlers se sont déroulés du 12 au 4
novembre 1975 à Madrid. Ce sont ces négociations qui ont accouché des très célèbres «
Accords de Madrid ».

Pour participer à ces accords, Rabat avait mandaté son Premier ministre, Ahmed
Osman, accompagnés du ministre des Affaires étrangères et du colonel Dlimi. Quant à la
Mauritanie c’était son ministre des Affaires étrangères, Hamdi Mouknass. Pour l’Espagne
c’était le chef du gouvernement, Carlos Arias Navarro, lui-même, accompagné par d’autres
membres du gouvernement qui représentaient l’Espagne. Les négociations de l’accord
tournaient autour de trois thématiques fondamentales, à savoir : l’indemnisation
économique de l’Espagne pour ses investissements réalisés, le transfert de pouvoirs et la
question de la souveraineté (Lanuza, 2015, p. 239). L’ensemble de ces accords ont été
appelé par le joli nom de « Déclaration de principes entre l’Espagne, le Maroc et la
Mauritanie au sujet du Sahara Occidental ». Dans cette déclaration de principes qui ne
contenait que six articles, les représentants des trois États susmentionnés convenaient de ce
que :

1. L'Espagne réaffirme sa résolution, exprimée à maintes reprises devant


l'Organisation des Nations Unies, de décoloniser le territoire du Sahara Occidental en
mettant un terme aux responsabilités et aux pouvoirs qu'elle a sur ce territoire en qualité de
Puissance administrante.

2. En conséquence de ce qui précède et conformément aux négociations avec les


parties intéressées tenues sur les instances de l'Organisation des Unies, l'Espagne procédera
immédiatement à l'instauration d’une administration sur le territoire, à laquelle participeront
le Maroc et la Mauritanie en collaboration avec la Djemââ, et à laquelle seront transmis les
responsabilités et les pouvoirs visés au paragraphe précédent. En conséquence, il est
convenu de nommer, sur la proposition du Maroc et de la Mauritanie, deux gouverneurs

128
Notre traduction : le gouvernement espagnol désir vivement qu’en transférant la souveraineté à qui de
droit, les forces armées l’abandonnent avec honneur et dignité.

181
adjoints qui assisteront le Gouverneur général du territoire dans ses fonctions. La présence
espagnole prendra définitivement fin avant le 28 février 1976.

3. L'opinion de la population sahraouie, exprimée par l'intermédiaire de la Djemââ,


sera respectée.
4. Les trois pays informeront le Secrétaire général de l'Organisation des Nations
Unies des dispositions dans le présent document à l'issue des négociations tenues
conformément à l'Article 33 de la Charte des Nations Unies.

5. Les trois déclarent être parvenus à ce qui précèdent dans le meilleur esprit de
compréhension, de fraternité et de respect des principes de la Charte des Nations Unies ; ils
y voient le meilleur moyen de contribuer au maintien de la paix de la sécurité
internationales.
6. Le présent document entrera en vigueur à la date de la publication au Journal
officiel de l'État de la « Loi sur la décolonisation du Sahara » qui autorise le Gouvernement
espagnol à confirmer les engagements conditionnels énoncés dans le présent document (Cf.
Nations Unies - Recueil des Traités 1975 N°. 14450).

La valeur juridique de cette Déclaration a déjà fait couler beaucoup d’encres,


certains juristes n’hésitent pas à la qualifier « d’immorales, d’illégales et de politiquement
suicidaire » (Ruiz Miguel, 2005, p. 1). Il ne sera pas question ici de revenir sur cet aspect
de ce texte, il s’agit pour nous d’analyser sa portée sur le Sahara Occidental. Plusieurs
auteurs ont avancé que cette déclaration rédigée par un ministre espagnol, en occurrence
Cortina, a plusieurs fois été modifiée pour l’assortir aux goûts de chacun des trois acteurs.
Certains points du texte auraient été amandés pour plaire surtout au Maroc. Il est dit qu’au
niveau de l’article 3 qui stipule que « L'opinion de la population sahraouie, exprimée par
l'intermédiaire de la Djemââ, sera respectée » serait une proposition du Maroc129. En
réalité, le document original stipulerait que « la volonté du peuple sahraoui serait respecté
à travers un référendum » (Álvarez, 2016, p. 22). Ce point aurait été modifié pour que le
peuple sahraoui ne puisse opter pour la consultation populaire pour l’autodétermination
(Álvarez, ibidem).

129
On verra dans pour quelle raison dans la suite de notre exposé.

182
Le Ministre de la Présidence, Carro Martinez, dans sa comparution devant le
Congrès, soutient que l’ « Accord de Madrid » n’a jamais été un Traité, mais une simple
Déclaration dans laquelle ni le Maroc ni la Mauritanie n’avaient placé un seul mot. Il assure
130
que la Déclaration « fue redactada por plumas exclusivamente españolas » (Martinez
1978, p. 29). L’accord de Madrid en son article 6 dispose que « le document entrera en
vigueur le jour de sa publication au Journal Officiel de l'État d’Espagne », mais l’Accord de
Madrid, c’est-à-dire les dénommées « Déclaration de principes », n’a jamais été publié dans
le Journal Officiel de l’État ni soumis aux Cortès pour ratification. Certains auteurs
expliquent cela par le fait qu’Arias Navarro, le Chef du gouvernement y était formellement
opposé (Martinez, ibidem).

Ces textes seront publiés sporadiquement dans la presse bien plus tard. En revanche,
les députés espagnols votèrent le 18 novembre 1975 la fameuse « Loi de décolonisation du
Sahara » devant autoriser le Gouvernement espagnol à confirmer ses engagements
conditionnels énoncés dans la Déclaration de principes. En votant cette loi à l’aveuglette,
sans le savoir les députés donnaient le feu vert au chef d’État de rendre effectif des textes
dont ils ignoraient encore la portée. Pour mémoire, c’était le Ministre de la présidence, Carro
Martinez, qui ayant participé aux accords et qui n’ignorait pas leur teneur, fut celui qui a
défendu le projet de loi. Pour convaincre les Cortès de l’adopter, il affirmait que :

le projet de loi ne suppose aucun changement (…) dans la politique espagnole en ce


qui concerne le territoire. Cette loi, si elle était adoptée représenterait le premier pas
effectif sur le chemin de la décolonisation. (…) Il ne s’agit aucunement de chercher la
légalisation envers et contre tout de décisions ou accords déjà conclus (Aguirre, 1991,
cité par De Froberville, 1996, p. 59).

Carro faisait preuve de duplicité car ce qu’il disait était exactement le contraire de
ce qui se jouait. En effet, par ce vote il s’agissait de donner une légalisation à une décision,
mieux, à un accord déjà conclu, car au moment où les Cortès votaient la loi de
décolonisation du Sahara, le gouvernement d’Arias Navarro avait déjà « donné »
unilatéralement le Sahara Occidental à Hassan II et à Moktar Ould Daddah.

L’esprit de l’accord de Madrid a été diversement apprécié non seulement par le


Maroc, la Mauritanie et l’Espagne. Pour le gouvernement espagnol, l’Accord de Madrid a

130
Notre traduction : a été rédigée par des plumes espagnoles exclusivement

183
été simplement une Déclaration de retrait unilatéral formulé par l’Espagne. Mais pour le
Maroc et la Mauritanie, l’Espagne venait de leur transférer la souveraineté du Sahara
Occidental. À ce propos, Carro Martinez (1978) devant le Congrès, assure que :

España no transmitió la soberanía, sino sólo la administración del territorio, (...) El


Ejército español no transmitió nada al Ejército marroquí. Simplemente, el Ejército
marroquí fue ocupando las plazas que España iba abandonando, y nunca el Ejército
español entregó llaves ni símbolos de ocupación al Ejército marroquí.131 (p. 29).

Liceras Soroeta (2005, p. 19) s’inscrit dans la même veine « Es obvio que los
acuerdos de Madrid no supusieron una transferencia de la soberanía sobre el Territorio
(…)132 ». Allant dans la même veine, mais plus loin, le Comité ad hoc de l’Organisation de
l’Unité Africaine (OUA) proclamera que l’accord de Madrid n’a pas établi le transfert de
l’administration du territoire au Maroc et la Mauritanie et ne constitue pas non plus un
transfert de souveraineté (Résolution AHG.92, 1979). Mais pour le Maroc et la Mauritanie,
l’accord de Madrid était la conséquence de la résolution 2072 (XX) du 16 décembre 1965.
Dans ladite résolution, l‘Assemblée générale a prié :

instamment le gouvernement espagnol, en tant que puissance administrante, de prendre


immédiatement les mesures nécessaires pour la libération e la domination coloniale des
territoires d’Ifni et du Sahara espagnol et d’engager à cette fin des négociations sur les
problèmes relatifs à la souveraineté que posent ces deux territoires.

Par conséquent, l’Accord de Madrid était l’accomplissement de la résolution 2072.


En décidant de mettre fin à sa présence au Sahara Occidental, l’Espagne lui transférait de
fait la souveraineté de ce territoire. La Déclaration de principe, mettait fin à la présence
espagnole dans ce qui était jusqu’alors considéré comme le Sahara espagnol. Cette
déclaration contenait diverses annexes secrètes dans lesquelles le gouvernement espagnol
négociait les termes du troc du Sahara avec Rabat et Nouakchott.

131
Notre traduction : L’Espagne n’a pas transmis la souveraineté, mais seulement l’administration du
territoire. (…) L’Armée espagnole n’a rien transmis à l’Armée marocaine. L’Armée marocaine a tout
simplement pris la place que l’Espagne abandonnait, et jamais l’Armée espagnole n’a remis de clés ou
symboles à l’armée marocaine pour l’occupation du territoire.
132
Notre traduction : il est évident que les Accords de Madrid ne supposèrent nullement le transfert de la
souveraineté sur le territoire (…).

184
2- Les accords secrets, la question de Ceuta, Melilla et des îles Canaries et les intérêts
personnels ou les éléments du “troc” du Sahara Occidental

D’aucuns considèrent les Accords de Madrid, comme « la entrega del Sahara a


Marruecos y a Mauritania », c’est-à-dire la remise du Sahara au Maroc et à la Mauritanie.
Cette approche donne au mot « entrega » le sens de « donner » ou celui de « céder ». En
d’autres termes, l’Espagne aurait fait cadeau du Sahara au Maroc et à la Mauritanie. Mais,
nous pensons que les Accords de Madrid n’ont pas seulement été qu’un simple don. Le
concevoir ainsi ça serait penser que l’Espagne qui remettait ne recevait rien en retour.
Comme si l’Espagne ne tirait aucun profit en retour. Or ce ne fut pas le cas. A priori, les
Accords de Madrid constituent un « troc ».

Mais qu’est-ce le troc ? Bien qu’il soit difficile de définir simplement ce concept
étant donné ses nombreuses ramifications, sociales, économiques et politiques, il peut,
néanmoins, être conçu comme « l’échange d’un objet contre un ou plusieurs autres » (Le
Larousse). Le troc consiste à donner un bien en échange d‘un autre ou fournir un service en
échange d’un autre sans payer quoi que ce soit. Par exemple, l’on peut céder son « chien»
pour « le sac de riz » de son voisin. L’on peut également donner son téléphone portable
contre celui de son ami. De fait, le troc consiste en ce que chacune des parties trouve son
avantage en échangeant un bien contre un autre. Postuler que les Accords de Madrid
constituent le troc du Sahara, c’est reconnaitre que l’Espagne en tant que puissance coloniale
a échangé le Sahara au Maroc et à la Mauritanie contre d’autres biens ou services. Puisque
le troc suppose que quelque chose soit donné en échange d’un autre, pour l’Espagne qui
donnait son ancienne colonie que recevait-elle en retour du Maroc et de la Mauritanie ? Pour
étayer la théorie du troc et répondre à cette question, analysons d’emblée les accords secrets
en matière économique.

2.1. Les accords secrets hispano-maroco-mauritanien en matière économique

L’annexe de l’Accord de Madrid portait sur divers accords secrets d’ordre


économique en lien avec le transfert de l’Administration du Sahara. Il s’agissait par exemple
des questions liées à la pêche, aux biens publiques et privés, au commerce, le transport
aérien et maritime, à la délimitation des eaux et la coopération économique. Les aspects

185
économiques qui sont les plus importants ont été longuement et largement présentés au
congrès des députés par González le 15 février 1978133.

Au niveau économique, concernant la pêche dans les eaux du Sahara, il y eut la


reconnaissance conjointe du Maroc et de la Mauritanie à l’Espagne de droits de pêche dans
lesdites eaux en faveur de 800 navires espagnols pour une durée de 20 ans. En ce qui
concerne les eaux territoriales marocaines de la côte atlantique, le Maroc concédait à
l’Espagne le droit de pêche en faveur d’un maximum de 600 navires pour une période de
quinze ans. En ce qui concerne les eaux marocaines de la Côte méditerranéenne, il y eut la
concession de droits de pêche par le Maroc en faveur d’un maximum de 200 navires
espagnols et pour une période de quinze.

Quant aux eaux territoriales mauritaniennes, la Mauritanie concédait des droits de


pêche dans ses eaux en faveur de 200 bateaux espagnols, pour une période de quinze années,
mais à travers certains frais à fixer chaque année, sur la base de conditions plus favorables
applicables à des pays tiers. Il y avait aussi une autorisation de la part de Mauritanie, dans
le cadre du précédent accord hispano-mauritanien en 1964 en matière de pêche maritime,
d’accorder le droit à d’autres bateaux espagnols, à condition que ceux-ci débarquent la
totalité de leurs prises dans son intégralité dans les ports mauritaniens (González, 1978).

Concernant les ressources minières, l’Espagne donnait au Maroc, sans aucune


compensation, tous les équipements installés pour l’exploitation et l’exploration des
phosphates. Ainsi, l’Espagne accordait les 65% de ses actions de son entreprise
FOSBUCRAA, qui exploitait le précieux minerai. L’Espagne conservait les 35 % restants
des actions de son entreprise (Ruiz Miguel, 2005, p.2). Il était également question d’un
projet commun de création d’une entreprise navale hispano-marocaine mixte pour le
transport du phosphate vers des usines espagnoles en territoire espagnol. Au niveau
juridique, l’Espagne et le Maroc formalisaient la délimitation de l’espace maritime
espagnole dans l’Atlantique.

133
Disponible en ligne sur : http://www.congreso.es/public_oficiales/L0/CONG/DS/C_1978_015.PDF
consulté le 12/05/ 2020

186
A posteriori, l’Espagne a « donné » le Sahara Occidental à la Mauritanie et au Maroc
en échange du respect et de la sauvegarde de ses intérêts économiques au Sahara Occidental
et dans la région. L’idée du troc se trouve en partie justifiée.

2.2. La sauvegarde de Ceuta, Melilla et des îles Canaries

En plus des inquiétudes de Madrid de conserver ses intérêts halieutiques et miniers


au Sahara Occidental en le donnant à la Mauritanie et au Maroc, l’Espagne état également
inquiet pour la préservation de sa souveraineté sur des territoires comme Ceuta, Melilla et
les iles Canaries. Ces trois territoires sont des places de souveraineté espagnole situés sur le
continent africain près du Maroc et revendiqués par Rabat à l’image du Sahara Occidental.
Pour mémoire, il faut dire que Ceuta et Melilla sont deux enclaves espagnoles situées au
Nord du Maroc. C’est à la fin du Moyen-Age, que les monarchies espagnole et portugaise
ont cherché à achever le grand mouvement de reconquête, appelé la Reconquista, de la
péninsule Ibérique que les musulmans avaient envahie à partir de 711. Dès 1415, les
Portugais s’emparent de la ville de Ceuta, située sur la rive sud du détroit de Gibraltar, à 15
kilomètres environ de la province de Cadiz.

En 1492, les « Rois catholiques » d’Espagne, Ferdinand II d’Aragon et Isabelle de


Castille, prennent Grenade mettant ainsi fin au dernier royaume musulman d’Al Andalus,
puis poursuivent leur avancée sur la côte nord de l’Afrique pour y installer des postes
militaires, destinés à protéger les côtes andalouses des incursions des pirates barbaresques ;
c’est ainsi que la place de Melilla est conquise en 1497 (Zurlo, 2011, p.1). En 1580 Ceuta
est devenue une place de souveraineté par le concours du hasard, mieux par un « alea
dynastique » (Zurlo, 2011, p. 2). La possession de ces deux places de souveraineté a servi
de « tête de pont » à la pénétration espagnole puisque c’est par leurs ports qu’arrivent
hommes et matériaux. Ainsi, depuis le XVI siècle, Ceuta et Melilla sont sous souveraineté
espagnole et considérés comme formant partie du territoire nationale de l’Espagne. Il en
était de même pour les Iles Canaries.

Toutes ces places de souverainetés espagnoles seront revendiquées par le Maroc


dans le cadre de sa théorie du « Grand Maroc » d’Allal el Fassi. Mais sur ces territoires, les
autorités espagnoles étaient plus intransigeantes que concernant le Sahara. Pour Madrid, il
n’était pas question d’abandonner Ceuta, Melilla ou les iles Canaries car se serait porter

187
atteinte à l’intégrité territoriale de l’Espagne. En fait, pour Madrid, Ceuta, Melilla et les Iles
Canaries relèvent de la souveraineté de l’Espagne (Ruiz Miguel, 1995, pp. 330-331). Il
fallait donc parvenir à des engagements avec Rabat afin qu’il abandonne toutes ses
revendications sur les autres territoires de souveraineté espagnole en Afrique, que sont
Ceuta, Melilla et les îles Canaries.

Pour le professeur Ruiz Miguel (1995, p.330), il ne fait aucun doute que « Marruecos
reclama Ceuta y Melilla para ocultar sus problemas internos»134. En effet, à partir de 1974,
le Maroc entama une offensive diplomatique pour récupérer les territoires espagnols :
Ceuta, Melilla, les îles Chafarinas, les îles Canaries. Cette surenchère politico-diplomatique
du Maroc était destinée à obtenir un soutien marqué du Monde arabe et musulman sur la
question du Sahara Occidental. La Ligue Arabe, la conférence islamique, l'OUA et les pays
non alignés, pratiquement tout le Tiers Monde, c’est-à-dire, une bonne partie de la
Communauté internationale, appuyèrent les revendications marocaines concernant les
places de souveraineté espagnoles (Vehgniot, 1985, p. 127). En réalité, la revendication des
places de souverainetés était utilisée par le Maroc comme une épée de Damoclès sur la tête
des autorités espagnoles. Pour se défaire de la menace marocaine, plusieurs personnalités
du gouvernement espagnol dont Arias Navarro et Solis, qui avaient participé à l’Accord de
Madrid appuyèrent la nécessité de donner le Sahara au Maroc en échange de Ceuta, Melilla
et les îles Canaries. Comme l’a révélé De Viguri (1978, p. 6) au Congrès le 13 mars 1978
que :

El argumento favorito de esta tendencia era que un Sahara independiente y dominado


por el Polisario y apoyado por Argelia serviría al MPAIAC 135 para acentuar su
influencia en Canarias y que, además, cediéndolo a Marruecos obtendríamos ya dos
promesas sustanciales: Concesión de dos bases militares frente a Canarias y olvido
indefinido de las reivindicaciones sobre Ceuta y Melilla.136

Pour mémoire, il faut dire que les autorités algériennes essayaient de faire pression
sur le gouvernement espagnol en appuyant directement le Mouvement pour
l'Autodétermination et l'Indépendance de l'Archipel Canarien (MPAIAC). Le MPAIAC a

134
Notre traduction: Le Maroc revendique Ceuta et Melilla pour dissimuler ses problèmes internes.
135
Acronyme de Mouvement pour l’Autodétermination et l’Indépendance de l’Archipel Canari.
136
Notre traduction : L’argument favoris de cette tendance était qu’un Sahara indépendant et dominé par le
Polisario et appuyé par l’Algérie servira au MPAIAC à accentuer son influence au Canarie et que, par ailleurs,
en le cédant au Maroc nous obtiendrions deux promesses substantielles : la concession de deux bases militaires
faces au Canaries et l’oubli indéfiniment des revendications sur Ceuta y Melilla.

188
été fondé dans les années 60 par un avocat de Ténériffe, ex-communiste réfugié à Alger,
Antonio Cubillo. Au début de 1975 le MPAIAC par la voie de son leader Cubillo, va utiliser
les médias officiels algériens surtout la Radiodiffusion-Télévision algérienne pour dénoncer
la politique coloniale espagnole, ou pour expliquer les différentes façons de fabriquer chez
soi des explosifs. Le Mouvement indépendantiste de Cubillo commença à se développer et
à mener des attaques terroristes, en faisant exploser ses premières bombes dans l'archipel
(Miguez, 1978, p. 177).

Les actions du MPAIAC et celles du Front Polisario allaient faire pencher la balance
en faveur de la « remise » du Sahara Occidental au Maroc et à la Mauritanie. Par conséquent,
a posteriori, l’Espagne a « donné » le Sahara Occidental au Maroc pour que celui-ci
« oublie » ses revendications de Ceuta, Melilla et surtout les îles Canaries. Cependant, dans
la pratique, après que l’Espagne a donné le Sahara, toutes les parties signataires du pacte de
Madrid n’ont pas respecté leurs engagements. Le député espagnol, Marín González (1978)
disait à ce propos que : « Nuestro país, (…) cumplió en su día de manera completa sus
compromisos derivados del Acuerdo Tripartito. Lo lógico hubiese sido que Marruecos, una
de las otras partes contratantes, hubiese asimismo dando exacto cumplimiento de los suyas
»137.

L’Accord de Madrid a été de la poudre de perlimpinpin vendue à l’Espagne par le


Maroc. Le professeur Ruiz Miguel, (1995, p. 219) soutient que « todas estas promesas y
proyectos económicos quedaron en nada »138. Aguire (1986) renchérit pour dire que « puede
asegurarse que la entrega del Sahara fue realzada sin contrapartida alguna, por lo menos
a nivel de interés nacional; ningún beneficio económico ni cooperación económica alguna
surgieron de las actas ». (p. 788)139 Analysons maintenant la dernière dimension du troc du
Sahara par l’Espagne.

137
Notre traduction: Notre pays (…) a accompli au moment opportun complètement ses engagements issus
de l’Accord Tripartite. La logique aurait voulu que le Maroc, l’une des autres parties contractantes, fasse de
même en accomplissant les siens.
138
Notre traduction : Toutes ces promesses et projets économiques ont été vains.
139
Notre traduction : l’on peut assurer que la remise du Sahara s’est faite sans aucune contrepartie, du moins
au niveau de l’intérêt national, aucun bénéfice économique ni de coopération économique n’ont surgi de ces
actes.

189
2.3. Les intérêts personnels dans le « troc » du Sahara

S’il faut concéder à Diego Aguirre que la remise ou le troc du Sahara Occidental à
la Mauritanie et surtout au Maroc s’est faite sans aucune plus-value pour l’Espagne au
niveau national, plusieurs voies se lèvent aujourd’hui pour dire que le territoire a été échangé
pour des intérêts personnels. De récents documents déclassifiés par la CIA140 permettent de
corroborer la thèse selon laquelle le Sahara Occidental a été troqué au Maroc par Arias
Navarro, Carro, Solís Ruiz et le prince héritier Juan Carlos. Il est dit dans une certaine presse
que ces différents « personnages impliqués dans la vente du Sahara Occidental ont été
généreusement payés pour leur collaboration en argent comptant, en pouvoir ou les deux
choses à la fois »141 (Collectif Diaspora Sahraouie, 2010).

Quant à Juan Carlos en sa qualité de Chef d’État intérimaire, dans son voyage éclair
à El Aïoun, il avait avec facilité, pu convaincre les commandements militaires de la fermeté
du gouvernement et de la nécessité de résister face aux menaces marocaines. Cependant,
selon certaine source, au même moment, il négociait avec Hassan II, à l’aide des bons
offices de Vernon Walters (ancien directeur adjoint de la CIA et ami personnel de Hassan
II depuis 1942), le retrait des troupes espagnoles et l’annexion de l’ancienne province
espagnole au royaume du Maroc 142.

Le prince Juan Carlos était parmi les personnalités politiques de l’Espagne franquiste
qui avaient beaucoup à perdre à l’époque à cause de l’affaire du Sahara Occidental. En effet,
le prince était conscient de ce qu’une guerre coloniale avec le Maroc soutenu militairement
et financièrement par les États Unis, pourrait provoquer en Espagne une révolution
populaire comme au Portugal voisin. Une révolution civile et militaire aurait précipité la
chute du franquisme déjà moribond et aurait pu faire perdre à Juan Carlos sa couronne avant
qu’il ne la porte.

Pour préserver son intérêt et son pouvoir et la monarchie, Juan Carlos a entrepris des
négociations à l’effet de mettre fin à la situation délétère que provoquait la Marche verte.

140
Lesdits documents peuvent été consultés sur le site https://www.cia.gov/library/readingroom/docs/CIA-
RDP80T00942A000800130001-2.pdf consulté le 23 février 2020 à 12 h02.
141
Disponible en ligne sur http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/le-sahara-occidental-entre-
guerre-70321 consulté le 23 février 2020.
142
Collectif Diaspora Sahraouie, « Le Sahara Occidental, entre guerre froide et guerre économique », op. cit.

190
Pour ce faire, il a envoyé son homme de confiance Manuel Prado y Colón de Carvajal, à
Washington, pour solliciter l’aide du Secrétaire d’État américain Henry Kissinger. Ce
dernier a accepté la médiation entre Juan Carlos et Hassan II. À l’issue de la rencontre du
roi du Maroc et du futur roi d’Espagne, les deux hommes ont signé un pacte secret dans
lequel « Juan Carlos se compromete a entregar el Sáhara español a Marruecos a cambio
del total apoyo político americano en su próxima andadura como Rey de España ».143 En
définitive, le prince héritier et chef d‘État par intérim Juan Carlos I ont donné le Sahara
Occidental au Maroc en échange de la promesse des États Unis d’appuyer son ascension au
trône.

De tout ce qui précède, il ressort que, c’est dans une conjoncture géopolitique trouble
tant sur le plan interne qu’externe pour l’Espagne que l’accord de Madrid s’est tenue. Le
susdit accord va entrainer d’énormes bouleversements dans la conjoncture géopolitique au
Maghreb. Si l’accord de Madrid a accouché de la recolonisation du Sahara Occidental par
Rabat et Nouakchott, il a été l’une des causes de la création d’une République Sahraouie
indépendante.

143
Cf .Espacios Europeos « Como Juan Carlos I «regaló» el Sáhara Occidental a Marruecos a cambio del
apoyo de EE.UU en su coronación » (6/8/2019).
Notre traduction : Juan Carlos s’engage à remettre le Sahara espagnol au Maroc en échange de soutien
politique total américain dans sa prochaine ascension comme Roi d’Espagne. En ligne
https://contrainformacion.es/como-juan-carlos-i-regalo-el-sahara-occidental-a-marruecos-a-cambio-del-
apoyo-de-ee-uu-en-su-coronacion/ 23/02/2020.

191
CHAPITRE 8 : LA CRÉATION DE LA RASD, LA RECOLONISATION DU
SAHARA OCCIDENTAL ET LA GUERRE

La décolonisation du Sahara Occidental ne s’est pas encore opérée. Malgré la


Déclaration de principe issue de l’Accord de Madrid, le territoire demeure en état de
colonisation. L’accord de Madrid a seulement consacré le retrait de l’Espagne et la fin de
ce qui était jusqu’alors connu comme la province du « Sahara espagnol ». L’un des effets
pervers de cet accord a été ses interprétations diverses. Pour le Maroc et la Mauritanie,
l’Accord de Madrid leur transférait l’ancienne province espagnole. Par conséquent, ils
devenaient les nouveaux maitres de ce territoire dont ils vont se hâter de prendre possession.

Dans le présent chapitre, notre objectif principal est de montrer que l’accord
tripartite de Madrid conclu en 1975 a donné lieu à un complexe processus de
« recolonisation » du Sahara Occidental par le Maroc et la Mauritanie. Ce chapitre se divise
en trois parties. Dans la première, nous analysons le processus de formation de la république
Sahraouie.

I. LE PROCESSUS DE CRÉATION DE LA RÉPUBLIQUE ARABE SAHRAOUIE


DÉMOCRATIQUE (RASD)

La Déclaration de principe sur le Sahara Occidental est venue cristalliser ce que les
nationalistes sahraouis du Front Polisario considèrent comme la trahison du peuple sahraoui
par l’Espagne. C’est pourquoi au lendemain même de l’Accord tripartite, le 15 novembre
1975, le secrétaire général du mouvement, El Ouali Mustapha Sayed, dans une déclaration
à la presse disait, en substance que :

Les colonialistes espagnols ont conclu avec les gouvernements expansionnistes de


Rabat et de Nouakchott un accord de partage de notre pays. (…) Le droit à
l’autodétermination appartient aux peuples colonisés qui doivent l’exercer sans aucune
pression. Personne ne peut l’exercer à leur place. (…) Notre peuple qui fait face
actuellement à l'invasion militaire marocaine, considère l'accord conclu entre
l'Espagne, le Maroc et la Mauritanie comme NUL ET NON AVENU et comme un acte
d'agression et de brigandage. (Mémorandum du Front Polisario 1977).

Pour faire front à cet « acte d’agression et de brigandage » et pour ne pas que la
question de la décolonisation du Sahara Occidental ne soit étouffée par les visées
expansionnistes du Maroc et de la Mauritanie, les sahraouis vont monter au créneau en

192
entreprenant deux faits majeurs. Le premier a trait à la dissolution de la Djemaa instituée
par l’Espagne dans les années 67.

1- La dissolution de la Djemaa et la naissance du Conseil National Sahraoui (CNS)

L’Accord tripartite du 14 novembre 1975 dans ses articles 2 et 3 stipulait que


« L’Espagne procédera immédiatement à l'instauration d'une administration temporaire
dans le territoire, à laquelle participeront le Maroc et la Mauritanie en collaboration avec
la Djemââ, et à laquelle seront transmis les responsabilités et les pouvoirs visés au
paragraphe précédent. (…) » Et que « L'opinion de la population sahraouie, exprimée par
l'intermédiaire de la Djemââ, sera respectée » (Cf. Déclaration de principes entre
l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie ).

Ces deux articles montraient que nonobstant le fait que l’Espagne en sa qualité de
puissance colonisatrice comptait mettre fin à sa présence au Sahara Occidental, le peuple
sahraoui était seul souverain de son territoire. Autrement dit, les sahraouis étaient toujours
les maitres, du moins en théorie, de leur territoire.

Conscients de leurs pouvoirs, les sahraouis ont décidé de faire échouer l’une des
dispositions phares de l’Accord tripartite selon laquelle « l'instauration d'une
administration temporaire dans le territoire, à laquelle participeront le Maroc et la
Mauritanie devrait se faire avec la collaboration de la Djemââ » (Déclaration de principes
entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie). Le 28 novembre 1975 des membres de la
Djemaa se sont réunis à Guelta pour dissoudre la Djemaa et reconnaitre le Front Polisario
comme représentant légitime et unique du peuple sahraoui (Mémorandum du Front Polisario
1977, p. 24).

La décision de dissoudre cette Assemblée générale s’est imposée aux Sahraouis


lorsque ceux-ci ont pris conscience qu’ils ont été trahi par l’Espagne qui a vendu leur
territoire au Maroc et à la Mauritanie. C’est pourquoi au cours de leur réunion, les 67
membres sur 102 que comptait la Djemaa, déclarèrent que de par le passé, ils ont accepté de
prendre part à cette institution colonialiste qu’est la djemaa car l’Espagne leur avait promis
de faire de cette instance une autorité au profit du peuple sahraoui et pour la consolation de
son indépendance dans les plus brefs délais.

193
Cependant, l’Espagne s’est refusée à maintes reprises à reconnaitre les prérogatives
assignées initialement à cette Assemblée qui n’avait aucune autorité réelle et n’ayant d’autre
rôle que son nom d’Assemblée. Pour les membres de l’Assemblée générale du Sahara, il
appert qu’à travers l’Accord Tripartite, l’Espagne a publiquement vendu leur pays au Maroc
et à la Mauritanie, réalisant ainsi le plus grand marchandage colonialiste que l’histoire ait
jamais connu. Par ce fait, l’Espagne a justifié sa trahison à l’égard du peuple Sahraoui en
prétendant le consulter par le biais de la Djemaa.

À l’issue d’une réunion, les membres de l’Assemblée générale du Sahara (Djemaa)


ont convenu dès lors que, premièrement, la seule voie pour l’autodétermination du peuple
sahraoui est de lui permettre de décider son destin et d’obtenir son indépendance en dehors
de toute pression et de toute intervention étrangère. Par conséquent, l’Assemblée générale
non élue démocratiquement par le peuple sahraoui ne peut décider de l’autodétermination
du peuple sahraoui. Deuxièmement, pour qu’il n’y ait aucune utilisation par l’Espagne de
cette institution fantoche (la Djemaa) et à la suite de manœuvres tentées par les ennemis du
peuple sahraoui, l’Assemblée générale a décidé à l’unanimité de ses membres présents son
autodissolution définitive (De Froberville, 1996, p. 65).

En troisième lieu, les membres de la Djemaa décrétaient que l’autorité unique et


légitime du peuple sahraoui sera désormais le Front Polisario, reconnu par l’ONU, suivant
les conclusions de la mission d’enquête des Nations Unies en 1974. En outre, dans le cadre
d’une solution d’unité et en dehors de toute intervention étrangère, ils décidèrent de mettre
en place un Conseil National provisoire Sahraoui. Avant de conclure pour réaffirmer leur
détermination à poursuivre la lutte pour la défense de leur patrie, jusqu’à l’indépendance
totale et la sauvegarde de leur intégrité territoriale, les signataires du document de El Guelta,
réaffirmaient leur soutien inconditionnel au Front Polisario, représentant unique et légitime
du peuple sahraoui (De Froberville, ibidem).

Par cet acte, les Sahraouis venaient de mettre fin à la Djemaa ou Assemblée générale
du Sahara et instituaient un Conseil National Sahraoui (CNS). Politiquement, la création de
ce Conseil avait plusieurs fonctions. D’abord, la reconnaissance du Front Polisario comme
seul et unique représentant du peuple sahraoui. Dorénavant, c’est le Front Polisario qui serait
la seule et légitime voix des sahraouis auprès des instances internationales. En deuxième
lieu, l’avènement du Conseil National sahraoui et la dissolution de la Djemaa venait frapper

194
d’obsolescence l'une des dispositions fondamentales de l'Accord de Madrid qui prévoyait la
consultation du peuple du Sahara Occidental à travers la Djemaâ (Article 3 de la Déclaration
de principes). Le troisième fait majeur de la création du CNS était qu’il cristallisait
l’édification de l’unité nationale sahraouie et leur désir ardent de créer et d’imposer un État
Sahraoui indépendant et souverain.

2- La création de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD)

Tout au long de l’histoire coloniale du Sahara Occidental, les sahraouis n’ont pas
cessé de témoigner de leur conscience nationaliste et de leur existence en tant que peuple et
entité indépendante. Ce sentiment de liberté vis-à-vis des puissances étrangères et de leurs
voisins immédiats, les Sahraouis vont tenter de le conserver vu que la puissance coloniale
avait démontré son incapacité à la leur garantir.

Dans l’accomplissement des engagements de l’Accord tripartie, la présence de


l’Espagne sur le sol sahraoui prenait fin le 26 février 1976. Madrid a respecté le susdit
engagement. En se retirant du territoire, les espagnols tournaient le dos aux sahraouis, sans
assumer leurs engagements et sans laisser derrière eux un État sahraoui indépendant et
souverain. Toutefois, l’Espagne avait eu le mérite d’avoir implanté les ingrédients
nécessaires à la formation d’une entité étatique sahraouie indépendante. En effet, l’Espagne
avait délimité les frontières du territoire à travers les trois accords internationaux franco-
espagnols de 1900, 1904 et 1912. Deuxièmement, la colonisation avait favorisé l’émergence
d’un ensemble démographique homogène conscient de sa propre identité en tant que peuple.
Enfin, elle avait contribué à la création de structure politico-administrative telle que la
Djemaa, qui a permis aux sahraouis de s’initier à l’exercice de la démocratie à travers la
tenue d’élection municipale et provinciale.

En vertu de l’Accord de Madrid, au matin du jeudi 26 février 1976, les derniers


espagnols encore présents sur le sol sahraoui pliaient bagage. Le même jour, le représentant
permanent d’Espagne à l’ONU, Jaime de Pinés écrit au Secrétaire général pour lui signifier
que :
a) L’Espagne se considère déliée par conséquent de toute responsabilité de caractère
internationale en ce qui concerne ce territoire, au moment même où elle met fin à sa
responsabilité dans l’administration temporaire qui a été établie sur celui-ci.

195
b) La décolonisation du Sahara Occidental sera achevée lorsque l’opinion de la
population se sera exprimée valablement.144

Profitant du départ des espagnols et en vertu des résolutions de l’Accord de Madrid,


le Maroc et la Mauritanie vont tenter de donner une légalité à leur occupation du territoire.
Pour ce faire, ils convoquèrent une session extraordinaire de la Djemaa, ou du moins ce qui
en restait étant donné que la majorité de ses membres avaient rejoint les rangs du Front
Polisario, alors que celle-ci s’était déjà auto-dissoute le 28 novembre 1975 faisant place au
Conseil National Sahraoui. Le jeudi 26 février 1976 réunis à El Ayoun, l’on pouvait lire
dans les colonnes des médias marocains que la « Djemaa » a manifesté sa « pleine
satisfaction et son approbation totale pour la décolonisation de ce territoire et sa
réintégration au Maroc et à la Mauritanie » (Le matin du Sahara 1976). Le Maroc et la
Mauritanie s’appuieront sur cette déclaration pour envahir le Sahara. En fait, ces deux pays
voulaient profiter du vide institutionnel laissé par le retrait de l’Espagne pour occuper le
territoire.

Devant une telle situation, le Front Polisario et le Conseil National du Sahara ont
donné de la voix. Ne voulant pas subir le diktat du Maroc et de la Mauritanie qui entendaient
s’accaparer le territoire avec le retrait de la puissance coloniale originelle, la décision de
proclamer unilatéralement leur indépendance s’est imposée aux sahraouis. En décidant de
créer leur État, les sahraouis appliquaient le principe selon lequel la « nature a horreur du
vide ». En effet, l’Espagne en partant, laissait un vide juridique, institutionnel que seul le
peuple sahraoui, véritable dépositaire légal de la souveraineté sur le territoire, était en droit
de combler (Sayeh, 1996, p. 79). Par ailleurs, les sahraouis obéissaient à un conseil du roi
Hassan II lui-même. En effet, en juin 1972, le roi soutenait que « Si un mouvement de
libération doit vraiment être organisé et formé, il lui faut s’ériger en gouvernement en exil,
(…) à ce moment, il demande la reconnaissance de jure ou de facto non seulement des pays
africains, mais des pays amis » (Sayeh, ibidem). Par conséquent, en décidant de s’organiser
en État indépendant, le peuple sahraoui ne faisait que suivre ces sages conseils du Roi du
Maroc.

144
Cf. « Décolonisation » publications du département des affaires politiques de la tutelle et de la
décolonisation de l’ONU, n°17, octobre 1980.

196
Dans la nuit du 27 février 1976 au lendemain du départ du dernier soldat espagnol, à
Bir-Lehlou à quelques 130 km des frontières algériennes, le Front Polisario et le Conseil
National Sahraoui ont proclamé la République Arabe Sahraouie Démocratique plus connu
par l’acronyme RASD. Le jour de la proclamation de l’indépendance du territoire, le
président du Conseil National provisoire et le secrétaire général adjoint du Polisario ont
présenté solennellement la RASD comme :

(…) un État libre, indépendant, souverain régi par un système national démocratique
arabe, d’orientation unioniste, progressiste et de religion islamique, sur la base de la
libre volonté populaire fondée sur les principes de l’option démocratique. Cet État
arabe, africain non aligné proclame son respect pour les chartes de l’ONU, de l’OUA,
de la Ligue Arabe tout en affirmant son engagement à la Déclaration universelle des
droits de l’homme (De Froberville, 1996, p. 68).

Par ailleurs, le jeune État lançait un appel à tous les pays frères et aux États du monde
de le reconnaitre. Au lendemain même de sa proclamation, c’est-à-dire le 28 février 1976,
la proclamation de la RASD était saluée par le Madagascar qui fut le premier État à la
reconnaitre. La « Grande île » a été suivie par le Burundi, le 1 mars, et le 6 mars l’Algérie
leur emboitait le pas. Le 4 mars, soit un mois après son apparition sur le paysage politique
régional et africain, la RASD se dotait de son premier gouvernement. Ce premier
gouvernement était présidé par Mohamed Lamine Ould Ahmed. Au cours du 4e Congrès du
Polisario en aout 1978, la première Constitution de la RASD a été adoptée. Cette première
Constitution est révisée en Aout 1995 au cours du 9e Congrès du Front Polisario. De cette
Constitution, un auteur dit qu’elle « est pensée et rédigée sur la base des caractéristiques
principales de la société sahraouie héritées u passé » (Fadel, 2001, p. 66). Cette nouvelle
constitution qui compte en tout 120 articles (Sayeh, 1996, pp.176-190), consacre les
Institutions de la République Sahraouie et les organes de pouvoirs que sont l’Exécutif, le
Judiciaire et le Législatif.

Il est stipulé que la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) est une
république démocratique et sociale, indivisible. (art.1). Cette République est fondée sur un
système politique républicain, semi-présidentiel ou la séparation des pouvoirs est respectée
et dans lequel la souveraineté appartient au peuple. Il l'exerce conformément à la
Constitution (art.4). Concernant la Présidence de la République, la Constitution dispose en
son article 91 que « Le Secrétaire Général du Front Populaire pour la Libération de Saguia

197
el Hamra et Rio de Oro est le chef de l'État ». La durée de la présidence est « de trois ans »
(Art. 98). À l’état actuel des choses, il n’est pas évident pour le profane de faire le distinguo
entre le Front Polisario et la RASD tant les deux sont subtilement liés. À ce propos, Sayeh
(1996) affirme qu’« il est difficile de dissocier le Front Polisario de la Rasd, tant la
confusion est totale dans l’esprit des sahraouis ». Il conclut pour dire que « le Front
Polisario, c’est la Rasd et vice versa » (Sayeh, 1996, p. 81). Pour ce qui est du pouvoir
législatif, la Constitution stipule en article 39 que « Le Conseil National Sahraoui (CNS) est
l'organe législatif du pays. Il élabore les lois et contrôle l'exécutif ». Il approuve le budget
général, le programme du gouvernement et les conventions internationales (Article 40). Le
CNS est composé de 101 membres, élus tous les dix-huit mois.

La RASD avec le soutien de son plus fidèle allié, l’Algérie, va essayer de s’imposer
sur la scène internationale en entreprenant une vaste campagne diplomatique en Afrique et
dans d’autres continents. Cette offensive diplomatique va lui valoir la reconnaissance de de
84 États de par le monde145. Mais les Nations Unies se refusent de la reconnaitre alors que
nombre de ses États membres l’ont fait. Toutefois, le 4 décembre 1979, l’Assemblée
générale de l’ONU par sa résolution 3437 (XXXIV), a reconnu le Front Polisario comme
« le représentant du peuple du Sahara occidental ». À partir de cette date, le Front Polisario
est cité nommément dans les différentes résolutions de l’Assemblée générale. Si les Nations
Unies méconnaissent la RASD, l’OUA et l’actuelle Union Africaine l’ont admis comme
membre fondateur en 1984.

Conformément au postulat d’Hassan II selon lequel si un mouvement de libération


doit vraiment être organisé et formé, il lui faut s’ériger en gouvernement en exil, et au
moment opportun, demander la reconnaissance de jure ou de facto non seulement des pays
africains, mais des pays amis, le Maroc devrait dès lors reconnaitre l’État sahraoui. Pour
couper les herbes sous le pied du Front Polisario et de la RASD, Hassan II et Ould Daddah
entreprenaient déjà la recolonisation du Sahara Occidental.

145
Mais il faut dire qu’en l’état actuel, nous assistons à une vague de retrait de la reconnaissance de la RASD
par plusieurs pays. Ces retraits peuvent s’expliquer par le fait que ces États préfèrent privilégier la coopération
économique avec le Maroc au détriment du respect du droit international. Des 84 États qui ont reconnu la
République Sahraouie, 45 maintiennent leur reconnaissance, 31 l’ont retiré et 8 ont gelés leur relation avec la
Rasd. Pour la liste exhaustive cf. www.usc.gal/gl/intitutos/ceso/Rasd_reconocimientos.html consulté le 16
février 2021.

198
II. LA RÉCOLONISATION DU SAHARA OCCIDENTAL : FRAGMENTATION ET
RÉCONFIGURATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE

Après le retrait de la puissance coloniale originelle du Sahara Occidental, le Maroc


et la Mauritanie, puissances occupantes selon la terminologie onusienne, se considérant
comme les nouveaux maitres du territoire vont entreprendre divers traités aux fins de se le
partager. Les accords maroco-mauritaniens pour le partage du Sahara Occidental sont de
deux sortent.

1- Convention relative au partage de la colonie du Sahara entre la Mauritanie et le


Maroc146

Officiellement, c’est en avril 1975 que la Mauritanie et le Maroc se sont partagé le


Sahara Occidental comme un gâteau d’anniversaire. Mais selon Le Monde dans son édition
du 1 juillet 1975, officieusement Rabat et Nouakchott auraient conclu à la fin de l'an 1974
un accord secret portant partage du Sahara qui était encore espagnol bien avant l’accord
tripartite de Madrid. Ces accords secrets se seraient signés au moment où la Cour
Internationale de Justice de La Haye poursuivait ses audiences consacrées à l'examen des
thèses maroco-mauritaniennes à l’effet de répondre les deux questions que l’Assemblée
générale. Selon Paul Balta, après le sommet de la Ligue Arabe Rabat en octobre 1974, le
Maroc et la Mauritanie ont signé un accord aux termes duquel les deux pays se sont entendus
sur le partager du Sahara Occidental et l’exploitation commune des gisements de phosphate
de la Saguia-El-Hamra, zone qui serait placée sous la souveraineté de Rabat (Le Monde du
1 juillet 1975).

Si cette information est avérée, cela signifierait que bien avant l’avis de la Cour
Internationale de Justice sur les deux questions, le Maroc et la Mauritanie avaient déjà pris
leur décision : envahir le Sahara Occidental quel que soit la réponse de la Cour. Peut-être
sont-ce les résolutions du même accord qui seront publiées le 14 avril 1976 par le
gouvernement marocain. En effet, le 14 avril 1976 se sont réunis à Rabat au Maroc les
Ministres d'État, Chargé des Affaires étrangères de la Mauritanie, Hamdi Ould Mouknass,
et celui du Maroc, Ahmed Laraki, pour se partager l’ancienne province espagnole.

146
Les principaux articles de cette convention figurent en annexe à la page 355.

199
Figure 3 : Partage du Sahara Occidental opéré en 1976 par le Maroc et la Mauritanie

Source : http://es.slideshare.net/AnselmoFarinaMelian/charla-ies-2014 consulté le


20/08/2020.

Pour réaliser la division du Sahara Occidental et donner à leur action sa contenance


juridique, le Maroc et la Mauritanie s’appuyaient sur trois évènements politico-juridiques.
Le premier avait trait à l'avis consultatif de la Cour Internationale de justice du 16 novembre
1975. En interprétant l’ambiguë réponse de la CIJ à la deuxième question, Rabat et
Nouakchott, considéraient que la Cour avait reconnu l'existence de liens juridiques
d'allégeance entre le Roi du Maroc et certaines des tribus vivant sur le territoire du Sahara
et l'existence de droits, y compris certains droits relatifs à la terre, qui constituaient des liens
juridiques avec l'ensemble mauritanien.

La deuxième assise politico-juridique sur laquelle ils s’appuyaient était l’Accord


tripartite de Madrid du 14 novembre 1975. Pour rappel, la déclaration de principes prévoyait
l’institution d’une administration intérimaire avec la participation du Maroc et de la
Mauritanie et la collaboration de la Djemaa. En général, comme nous l’avons dit, le Maroc

200
et la Mauritanie interprétaient l’Accord de Madrid comme le transfert des pouvoirs, de
l’Administration et de la souveraineté détenus par l'Espagne sur le Sahara.

Le troisième fait relevait de l’application de la Déclaration de principe de Madrid de


1975 qui prévoyait en son article 3 que « L'opinion de la population sahraouie, exprimée
par l'intermédiaire de la Djemââ, sera respectée » (Déclaration de principes du 14
novembre 1975). Au cours de sa réunion extraordinaire, les quelques membres de l’ex-
Djemaa, fidèles au Maroc avait donné leur « approbation totale pour la décolonisation de
ce territoire et sa réintégration au Maroc et à la Mauritanie » (Mémorandum du Polisario
1976).

À la faveur de ces assises, Hassan II et Moktar Ould Daddah convenaient d'un


commun accord que la frontière d'État établie entre la République Islamique de Mauritanie
et le Royaume du Maroc est définie par la ligne droite, partant du point d'intersection de la
côte Atlantique avec le 24e parallèle nord et se dirigeant vers le point d'intersection du 23 e
parallèle nord avec le 13e méridien ouest; l'intersection de cette ligne droite avec l'actuelle
frontière de la République Islamique de Mauritanie constituant la limite sud-est de la
frontière du Royaume du Maroc (art.1)147. La frontière d'État entre la République Islamique
de Mauritanie et le Royaume du Maroc, telle que définie à l'article premier ci-dessus,
constitue la frontière terrestre et délimite également dans le sens vertical la souveraineté
dans l'espace aérien ainsi que l'appartenance du sous-sol. En ce qui concerne le plateau
continental, la délimitation est constituée par le 24e parallèle Nord (art. 2). L’article 3 portait
sur la création d’une commission mixte maroco-mauritanienne en vue de procéder sur le
terrain au bornage de la frontière entre les deux pays, telle que définie à l'article premier ci-
dessus. Il était également prévu qu’au terme de ses travaux, la commission mixte établisse
un acte constatant le bornage de la frontière maroco-mauritanienne. Cet acte était prévu pour
être joint à la convention (art. 4). Le dernier article (art. 6) disposait que dès son entrée en
vigueur, la convention sera enregistrée au secrétariat général des Nations Unies
conformément à l'article 102 de la Charte des Nations Unies.

147
L’accord de partage du Sahara entre le Maroc et la Mauritanie est disponible sur
https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%25201035/volume-1035-I-15406-French.pdf
consulté le 25/05/2020

201
À la suite de cet accord de partage du Sahara Occidental, la Mauritanie et le Maroc
vont se retrouver encore pour décider du partage des ressources naturelles du territoire.

2- De l’accord de coopération économique entre la Mauritanie et le Maroc pour


l’exploitation des ressources de la colonie du Sahara

Comme nous l’avons dit antérieurement, le Sahara Occidental est loin d’être un
simple vaste espace désertique. Il est avant tout un territoire de ressources naturelles. Ce
sont ses immenses ressources qui font dire à certains auteurs que le « Sahara Occidental est
pour le Maghreb ce que le Koweït est pour le Golfe » (Fadel, 2001, p. 51). En effet, sans ses
richesses naturelles (halieutiques, minières, hydrocarbures, aquifères, etc.), le Sahara
Occidental n’aurait certainement pas été l’objet de convoitise aussi bien des puissances
européennes, africaines qu’internationales occultes. À l’image de l’Espagne dont la
présence sur les côtes du Sahara Occidental est due en grande partie aux ressources
halieutiques, le Maroc et la Mauritanie, parallèlement à leurs intérêts (géo) politiques au
sujet desquels nous avons déjà suffisamment spéculé, ont été mues pour les ressources
naturelles de ce territoire.

Le Maroc et la Mauritanie dont l’intérêt pour les ressources naturelles était latent
jusqu’à ce jour, vont le révéler à la face du monde au cours d’un accord bilatéral pour le
partage des ressources naturelles du Sahara Occidental. Ce traité a été appelé Accord de
coopération économique entre la République Islamique de Mauritanie et le Royaume du
Maroc pour la mise en valeur du territoire saharien récupéré.148

À la faveur dudit accord, premièrement, le Maroc convenait d'une participation de la


République Islamique de Mauritanie dans le capital social de la Société Fos Boucraa. Les
modalités de cette participation seront fixées d'un commun accord entre les deux pays.
Deuxièmement, les deux parties conviennent de conjuguer leurs moyens et leurs
potentialités pour prospecter les ressources du sous-sol dans les territoires sahariens
récupérés en vue de leur exploitation en commun. À cet effet, elles prévoyaient la création
de sociétés mixtes entre des organismes étatiques Mauritaniens et Marocains désignées par
les deux États.

148
Cf. « Accord de coopération économique entre la République Islamique de Mauritanie et le Royaume du
Maroc pour la mise en valeur du territoire saharien récupéré » In. BORM (3311 bis), 16/4/76 pp. 500-501.

202
Troisièmement, le Maroc et la Mauritanie ont convenu de mettre tout en œuvre pour
développer leur coopération dans le domaine de la pêche. Elles s'accorderont mutuellement
les conditions les plus favorables dans les eaux maritimes des territoires sahariens récupérés
et favoriseront notamment la constitution de sociétés mixtes de pêche. Afin de préserver
leurs richesses halieutiques, les deux parties décident de la création d'une commission mixte
chargée d'examiner l'ensemble des mesures appropriées à cette fin.

Les deux conventions de partage du Sahara Occident et de ses ressources par le


Maroc et la Mauritanie, vont accoucher d’une tentative de la part de ces deux États de
recoloniser le territoire.

3- La recolonisation du Sahara Occidental et le début de la guerre 1976-1991

Après s’être partagé l’ancienne colonie espagnole, le Maroc et la Mauritanie vont


entreprendre de mettre en application ce sur quoi ils se sont entendus dans les deux accords
précédemment présentés. Alors que ces deux pays parlent de « récupération » de leurs
territoires spoliés par la colonisation franco-espagnole et de mise en valeur des dits
territoires, selon une certaine presse et en vertu du droit international et des résolutions
pertinentes des Nations Unies, l’occupation du Sahara Occidental par Rabat et Nouakchott
s’apparente à une recolonisation. En effet, le Maroc et la Mauritanie vont entreprendre la
recolonisation de l’ancienne colonie espagnole.

L’on se rappelle que les frontières actuelles du territoire sont le fruit de trois traités
internationaux signés entre les puissances coloniales européennes que sont la France et
l’Espagne. Le tracé de ces frontières obéissait à une politique coloniale visant à sauvegarder
leurs intérêts et protéger leur zone d’influence. Le partage du Sahara opéré par le Maroc et
la Mauritanie ne s’inscrit-il pas dans cette même logique ? Dans tous les cas, marocain et
mauritanien vont occuper leurs nouvelles provinces.

3.1. Occupation et intégration du Sahara « marocain » au royaume chérifien

L’occupation militaire du Sahara est le modus operandi choisi par le Maroc pour
arriver à ses fins. Le professeur S. Rosière (2001, p. 39) précise à propos que « le mode
opératoire des acteurs privilégie suivant les lieux et les périodes, l'action civile,
économique, diplomatique ou militaire privilégiant ou non l'usage de la force ». Le Maroc

203
après avoir tenté le modus operandi diplomatique, va essayer celui militaire, mais en
privilégiant le hard power c’est-à-dire, l'usage de la force armée.

Consécutivement au retrait des populations civiles et militaires espagnoles du Sahara


Occidental en vertu de l’Accord de Madrid, le Maroc occupa alors ses « provinces du sud ».
Pour le Maroc qui considérait le Sahara comme son « cordon ombilical », il ne s’agissait
nullement d’une occupation mais d’une récupération de ses terres occupées jusque-là par
les Espagnols. En fait, la véritable occupation marocaine du Sahara a commencé le 30
octobre 1975, soit 15 jours avant la signature de l’Accord Tripartite du 14 novembre de la
même année. L’on se souvient de la « Marche verte » organisée par le très intelligent Hassan
II pour récupérer le Sahara « marocain ». Au-delà d’une simple Marche, cet évènement a
été un écran de fumée pour envahir militairement le Sahara Occidental. En effet, le 30
octobre 1975, des colonnes des Forces Armées Royales (FAR) avaient pénétré la région de
Saguia el Hamra (Nord-Est) sans que les forces armées espagnoles présentes à l’époque sur
le territoire ne réagissent. Les FAR occuperont ainsi successivement Haouza, Edcheiría,
Mahbes et Farsía qui sont toutes des villes situées au Nord du Sahara Occidental. Ruiz
Miguel (1995, p. 188) soutient que peu après la prise de ces petites villes du Sahara, les
FAR hissèrent le drapeau marocain. Certaines sources soutiennent que les FAR occupaient
le Sahara avec la complicité des Forces Armées espagnoles. Dans ce sens Ruiz Miguel
(1995) écrit que :

España proporcionó a los militares marroquíes apoyo logístico e información para estos
movimientos, antes del acuerdo de 14 de noviembre. Todo esto gracias al abandono por
las Fuerzas Armadas españolas (operación Golondrina) de tales puestos, provocando el
vacío de poder. (p. 188)

Après la Déclaration de principes de l’accord tripartite de Madrid, à la mi-novembre,


des milliers de soldats marocains franchissent la frontière nord. Au début de février 1976,
les FAR pénétrèrent profondément dans le Sahara Occidental en occupant Tifariti le 5
février et Gouelta le 11 de ce mois (Fuente Cobo & Menéndez, 2006, p. 77) non loin de la
frontière de la Mauritanie. L’attitude guerrière des FAR qui était en contradiction avec la
loi et les droits de l’homme, provoquait la terreur au sein des populations locales civiles qui
s’enfuyaient massivement vers les zones contrôlées par l’Armée Populaire de Libération du
Sahara (APLS) sous les ordres du F. Polisario (Abdalahe, 2015, p. 279). En fait, les FAR
avaient entrepris une violente répression contre les Sahraouis allant jusqu’à les bombarder

204
au napalm149 et au phosphate blanc. La répression des populations était une politique, mieux,
une stratégie d’Hassan II et du colonel Dlimi consistait à attaquer les civils sahraouis à
l’effet de noyer leur volonté de se défendre et les repousser vers les zones du territoire
maintenant sous contrôle du Maroc. C’est ce qui explique le bombardement de Gouelta et
de Tifariti provoquant plusieurs centaines de morts et de blessés. Les 18, 20 et 23 février, le
campement d’Oum Dreiga au nord de Bir Nazaram était bombardé à son tour faisant de
nombreux blessés (Fuente Cobo & Menéndez, 2006 ; Ruiz Miguel, 1995). Un témoin du
bombardement d’Oum Dreiga fera quelques années plus tard ce témoignage :

Un poco antes de las doce del mediodía aparecieron en el cielo varios aviones. Tras un
primer reconocimiento, de dos en dos comenzaron a lanzar bombas sobre los primeros
campamentos. Pasados unos minutos, se fueron. Volvieron posteriormente a
bombardear, esta vez con napalm, al segundo campamento y, al día siguiente, a los tres.
Fue una masacre horrorosa. Otra enfermera española fue alcanzada por un proyectil de
12´7 mm; aún hoy sufre las consecuencias.150 (Sobero, 2010, p. 6.)

Aux exactions aériennes s’ajoutaient celles de l’Armée de terre. Devant


l’acharnement et la détermination du Maroc à vouloir venir à bout de la résistance des
sahraouis coûte que coûte, les Sahraouis comprirent alors que l’alternative la plus salvatrice
était de fuir. C’est ainsi que des milliers de sahraouis vont expérimenter la tragédie de
l’exode. Mais comme un beignet, les sahraouis seront brulés sur les deux côtés. En effet, en
plus de fuir les bombes de l’Armée Royale marocaine qui leur tombaient sur la tête au Nord,
au Sud, ils allaient cette fois-ci faire face à l’occupation mauritanienne.

3.2. Occupation et tentative de recolonisation du Rio de Oro par la Mauritanie

Durant l’accord de partage du Sahara, le Maroc s’était gardé la part du lion (les deux
tiers du territoire) et la Mauritanie avait eu le tiers restant du territoire, c’est-à-dire un vaste
étendu désertique et pauvre en ressources naturelles. Cette zone correspondait à la partie
moitié sud du Rio de Oro. Pour le président Moktar Ould Daddah après le partage du Sahara

149
Le napalm est une essence solidifiée composée d’acides naphténique (extrait du pétrole) et palmitique
(acide gras). L’origine du terme napalm provient de la contraction des noms de ces deux acides : naphténique
et palmitique. Le napalm est utilisé par les militaires comme bombes incendiaires.
150
Notre traduction : Peu avant midi, sont apparues dans le ciel plusieurs avions. Après une première
reconnaissance, deux à deux ils commencèrent à lancer les bombes sur les premiers campements. Des minutes
passèrent, ils s’en allèrent. Ils sont revenus plus tard bombarder, cette fois-ci avec du napalm, le deuxième
campement, puis le jour d’après le troisième. Ce fut un horrible massacre. Une infirmière espagnole a été
touchée par un projectile de 12,7 mm, aujourd’hui encore elle souffre de ces conséquences.

205
Occidental, l’heure état venu d’occuper et d’administrer effectivement sa partie du territoire.
Dès cet instant Nouakchott intégra le Rio de Oro à son territoire national sous le nom de
Tiris el Gharbia. La province de Tiris el Gharbia fut divisée en trois départements Dakhla
(ex Villa Cisneros), Aousserd et Aargau. La Gouera dans la péninsule du Lévrier est associé
au département mauritanien de Nouadhibou.

Un nouveau gouverneur civil est nommé à la tête de la nouvelle province qui a pour
capitale Dakhla. Et pour fédérer la population mauritanienne derrière l’enjeu territorial et
pour gagner en légitimité, Ould Daddah organisa une fête dite de la réunification nationale
le 26 février 1976 (Evrard, 2015, p. 639). Les populations du Tiris el Gharbia participent
aux élections présidentielles et législatives mauritaniennes. L’Assemblée nationale
mauritanienne accueillera même dans ses rangs des députés sahariens des trois départements
que comptait la nouvelle province de Tirs el Gharbia. Pour montrer à la face du monde que
le Sahara et les sahraouis étaient bien intégrés dans leur « pays », le gouvernement
mauritanien a invité 42 journalistes du monde entier à Dakhla en mars 1976, afin qu’ils se
rendent compte par eux-mêmes de ce que « la population ne semble pas y vivre sous le joug
d’une armée d’occupation étrangère, la Mauritanie n’a aucune velléité belliqueuse, et ses
soldats ne font que répliquer aux agressions de l’APLS pour défendre les civils » (Evrard,
2015, p. 639).

Face à cette tentative marocaine et mauritanienne de leur arracher leur territoire et


qui était une violation de l’intégrité territorial de la RASD, l’APLS va réagir
vigoureusement contre l’occupation de leur pays.

4- La réaction du Front Polisario/Rasd : la guerre pour le Sahara Occidental

Les Espagnols ont commencé à évacuer le Sahara Occidental à la fin de l’an 1975
pour faire place à l’occupation de celui-ci par le Maroc et la Mauritanie. Les Sahraouis ont
pris conscience de ce que leur véritable ennemi n’était pas (ou plus) les Espagnols sinon les
nouveaux occupants que sont le Maroc et la Mauritanie. L’occupation du Tirs El Gharbia
au Sud par la Mauritanie et la Saguia el Hamra au Nord par le Maroc et les exactions
auxquelles se sont livrés ces deux États vont amener les sahraouis à défendre l’intégrité
territoriale de la République Arabe Sahraouie. Pour le Polisario, l’occupation du Sahara
Occidental par les Forces armées marocaine et mauritanienne est le « plus grave défi qui a

206
été lancé à la communauté internationale » (Sahara Info, 1979, p. 9). Pour relever le défi
des « envahisseurs », le Polisario réagit alors frontalement. Plusieurs facteurs vont conduire
le Front Polisario à se défendre contre la double annexion de « leur » territoire.

D’abord, pour le représentant du Polisario aux Nations Unies, en envahissant le


Sahara Occidental, la volonté d’Hassan II et son allié Ould Daddah était de « supprimer de
la carte du monde un peuple et sa patrie en le partageant et l’annexant par la force ». En
deuxième lieu, pour mener à bien l’occupation du territoire, le Maroc a commis beaucoup
de crimes contre le peuple sahraoui : « génocide, répression brutale, représailles contre les
populations civiles, bombardements aveugles au napalm » (Sahara Info, 1979, p.9). Comme
exemple de la tentative de liquidation des Sahraouis, à défaut de les soumettre, il y a le
bombardement des habitants de Oum-Dreiga. Pour répondre à l’action belliqueuse du Maroc
et de la Mauritanie, le 14 Aout 1976, au cours d’une conférence de presse, le Ministre
sahraouis des affaires étrangères faisait cette déclaration :

(…) le peuple sahraoui prend à témoin tous les pays du monde et particulièrement, ceux
qui par la charte de l’ONU assument une très grande responsabilité dans le maintien de
la paix, de ce que l’attitude aveuglement belliqueuse du Maroc ne laisse aucun choix
pour notre peuple que celui de combattre en légitime défense pour libérer sa terre de
l’occupation militaire illégale. (Sahara Info, 1979, p. 5).

Le Front Polisario plus que jamais disposé à défendre sa liberté et sa dignité, va


mobiliser le peuple pour les repousser et sauvegarder ainsi l'indépendance de son pays. Dans
son action de défense, contre la tentative de recolonisation dont il était l'objet et la violation
ou l’agression151 des frontières d’un Territoire non autonome, les Sahraouis ont commencé
d’abord par proclamer le 27 février 1976 leur État. Ensuite, fort de son crédo selon lequel
« la liberté se trouve au bout du fusil » (Manifeste du front Polisario 1974), le Front
Polisario va se lancer dans une course à l’armement. Pour ce faire, à partir de 1976, il
commence à diversifier ses fournisseurs en armement parmi lesquels il y avait la Libye de

151
Si l’on s’en tient à la résolution 3314 de l’Assemblée générale des nations unies, l’on peut assimiler
l’invasion maroco-mauritanienne comme un acte d’agression selon la terminologie onusienne. Selon l’article
premier de cette résolution, le concept d’agression est défini comme « l’emploi de la force armée par un État
contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre
manière incompatible avec la Charte des Nations Unies, ainsi qu’il ressort Définition ». L’article 3 donne les
conditions d’un acte d’agression. Il est stipulé que : « L’invasion ou l’attaque du territoire d’un État par les
forces armées d’un autre, ou toute occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion
attaque, ou toute annexion par l’emploi de la force du territoire ou d’une partie du territoire d’un autre État ».

207
Mouammar Kadhafi, l’Algérie et aussi la Corée du Nord152. Fuente Cobo (2006), nous
donne plus de détail sur l’arsenal militaire dont jouissait le Polisario quand il écrit que :

(…) los combatientes saharauis tendrán a su disposición cañones sin retroceso,


ametralladoras ZPU de 14,5 mm, morteros de 120 mm, lanzadores múltiples de cohetes
(…), misiles portátiles SAM 7, armas antitanque RPG 7, etc. Enseguida llegarán los
blindados T 55, los misiles antiaéreos SAM 6 Gainful tracción automática y los
transportes de tropa blindados BMP y BTR. Gracias a las piezas de artillería montadas
en camionetas pick-up, el Frente Polisario adquirirá progresivamente, mayor poder
ofensivo. (p. 78).

Figure 4

Source : Moniquet C. (2015, p. 32)

152
La République populaire Démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a reconnu la RASD le 16 Mars
1976. Il est le huitième état du monde et le premier hors du continent à avoir reconnu la RASD.

208
Sur le champ de la bataille, lorsque l’Armée Populaire de Libération du Sahara
(APLS) bras armée du Front Polisario, a entrepris son action militaire défensive, les attaques
les plus dures se sont dirigées d’abord contre la Mauritanie.

4.1. L’affrontement sahraoui-mauritanien

Le choix de s’attaquer d’emblée à la Mauritanie obéissait à une tactique militaire qui


consistait à affaiblir le maillon le plus faible du couple maroco-mauritanien. Et dans ce
couple, la République islamique de Mauritanie était le maillon faible du chainon. Comme
l’a écrit Hodges (2014, p. 36), « El primer objetivo de los guerrilleros fue poner fuera de
combate a Mauritania, sacándola de la guerra, y destruir así la alianza mauritano-
marroquí. 153» Par ailleurs, le choix de s’attaquer d’abord à la Mauritanie était symbolique.
Pour les sahraouis, l’alliance de la Mauritanie d’avec le Maroc pour revendiquer le Sahara
Occidental était considérée comme un acte de trahison de la part de la Mauritanie. En effet,
dans le Maghreb, les Sahraouis et les mauritaniens sont les deux peuples les plus proches,
mieux, ils sont un seul et même peuple, partageant la même culture. Avant le début des
échauffourées, en mai 1975, le leader du Front Polisario, El Ouali, eut un entretien avec le
président mauritanien Ould Daddah. Dans leur échange, El Ouali essayait de dissuader
Moktar de ne pas s’allier avec le Maroc et de s’unir avec les Sahraouis pour former une
fédération des deux pays (Abdalahe, 2015, p.287). À ce propos, Miske (1978) écrit que :

le choix de Nouakchott, capitale de la Mauritanie n’avait pas seulement des raisons


militaires ; il ne s’agissait pas de frapper le principal ennemi, mais le frère qui avait
trahi « le sang et les serments ». Et que ce n’est pas n’importe quel endroit de la capitale
qui était visé, mais symboliquement la maison de Moktar Ould Daddah, ce bureau
même où le jeune leader sahraoui avait eu un an auparavant, une si fraternelle
discussion avec lui. El Ouali était venu proposer simplement l’unité des deux pays, qui
aurait après la libération du Sahara, permis à presque toute la communauté
hassanophone de se retrouver au sein d’une fédération.

Pourtant, Ould Daddah avait déjà signé un pacte secret de partage du Sahara avec
Hassan II. L’APLS lance ses premières attaques contre la Mauritanie début décembre 1975,
alors que les Forces Armées de la République Islamique de Mauritanie (FARIM) n’avaient
pas encore occupé les villes de la portion du territoire désigné pour devenir mauritanien. La
petite armée mauritanienne qui comptait quelques 3000 hommes était passée à 20 000

153
Notre Traduction : L’objectif premier des guérilleros fut de mettre fin hors de jeu la Mauritanie, la retirer
de la guerre et détruire l’alliance maroco-mauritanienne.

209
(Hodges, 2014, p. 36). Les FARIM non seulement devait défendre Tiris el Gharbia sinon
qu’elles devraient faire face aux incursions de l’APLS qui menaient des attaques au cœur
même de la Mauritanie.
Le 7 juin 1976 le Polisario dirigea ses forces en direction de la capitale
mauritanienne. Le 9 juin de la même année, El Ouali meurt au cours de l’attaque contre la
capitale. De cette période jusqu’en juillet 1977, les unités (katibas) de l’APLS parvinrent à
Nouakchott et bombardèrent le palais présidentiel. Parallèlement à l’attaque de la capitale,
le Front Polisario tente de créer une hémorragie dans l’économie, pour asphyxier
économiquement la Mauritanie. Pour ce faire, il s’attaque au gisement de fer de Zouerate et
la ligne de chemin de fer qui transporte le minerai jusqu’au port de Nouadhibou. Pour le
professeur Ruiz Miguel (1995, p. 241), l’explication est simple : le minerai de fer contribuait
dans ces années à 85% des recettes du commerce extérieur mauritanien.

Les attaques contre la Mauritanie et le cœur de son économie continuaient et la


guerre allait prendre un autre tournant. En fait, le 1 mai 1977, le Front Polisario attaquait de
nouveau les chemins de fers miniers de Zouerate- Nouadhibou. Au cours de cette attaque,
les hommes de l’APLS tuèrent deux techniciens français et enlevèrent six d’entre eux (De
Froberville, 1996 p. 80). Les violentes incursions de l’APLS avaient provoqué l’évacuation
de 276 des 700 employés français qui travaillaient dans ces mines. Parallèlement à
l’ouverture du front mauritanien, plus au nord, l’APLS harcelait également les positions
marocaines autour des installations d’exploitation des phosphates, en décembre et en
janvier. Le 29 janvier, tandis que le F. Polisario organisait l’évacuation de nombreux
réfugiés sahraouis vers Tindouf avec l’aide de l’armée algérienne, les FAR en profitaient
pour attaquer leur repli à Amghala. L’Armée sahraouie répliquait le 14 février, et l’escalade
de la violence avait entraîné trois mois d’intenses raids aériens marocains sur les réfugiés
(Evrard, 2015, p. 368).

De l’autre côté, la Mauritanie qui ne tenait plus sous l’effet des attaques sporadiques
du Front Polisario contre sa capitale, va appeler en renfort la France et le Maroc.

210
4.2. L’alliance franco-maroco-mauritanienne et la réaction du Front Polisario

Le cri de détresse de Moktar Ould Daddah à l’endroit de la France et du Maroc, avait


un double sens : militaire mais surtout économique. Au niveau économique, un auteur écrit
qu’à l’époque :

L´économie mauritanienne se voit sérieusement affectée par cette guerre d´usure dans
le désert. La présence de coopérant français en Mauritanie a obligé la France à venir au
secours de ses nationaux, ainsi que de fournir à la Mauritanie une aide militaire qui est
considéré par le Polisario comme une agression contre le peuple sahraoui qui se
considère comme étant en état de légitime défense (Le Monde, 23 juin 1978).

Cette guerre causait de grandes hémorragies dans l’économie mauritanienne et au-


delà impactait le quotidien des mauritaniens qui devait en payer le prix. En effet, l’Armée
Sahraouie en s’attaquant aux trains minéraliers de la ligne Zouerate-Nouadhibou avait
provoqué une crise socio-économique que venait cristalliser la chute de la demande de fer
sur le marché mondial. En avril 1978, le déficit de la dette publique extérieure était monté
à 711 millions de dollars US soit 170 % du Produit National Brut (PNB) (Hodges, 2014, p.
37). La Mauritanie payait donc un lourd tribut dans cette guerre.

Au niveau militaire, le 13 mai 1977 Hassan II et Ould Daddah signaient un accord


de défense mutuelle en créant un haut commandement militaire mixte. En vertu dudit
accord, 9 000 soldats marocains pénétrèrent en Mauritanie pour en occuper les principales
villes pour barrer la route à l’APLS (Evrard, 2015). Un accord de coopération franco-
mauritanien signé en septembre 1976 a été élargi en 1977 pour permettre que tout personnel
militaire français de toute catégorie puisse être envoyé en Mauritanie. La séquestration des
techniciens français par le Polisario va précipiter l’entrée des forces françaises dans la
guerre. L’opération Lamantin est mise en place et les forces françaises avec leur avions
Jaguars ont intensifié les frappes aériennes entre décembre 1977 et mai 1978. Les forces
conjointes franco-maroco-mauritaniennes armées de Jaguars français ont pu infliger de
sérieux revers aux guérilleros sahraouis, toutefois, elles n’ont pu empêcher que les six
premiers mois soient très meurtriers pour les militaires mauritaniens et de porter un grand
coup au moral de tous.

Il faut dire qu’à cette époque, la conjoncture sociale, politico-militaire et


économique en Mauritanie était défavorable à Ould Daddah et donnait un grand coup de

211
pouce à l’offensive du Front Polisario. Au niveau social, au sein de l’opinion publique,
beaucoup de maures mauritaniens voyaient en cette guerre contre les sahraouis comme
« une guerre fratricide ». Une partie de la population du nord de l’Adrar et du Tiris
Zemmour, ayant toujours vécu à proximité des tribus d’où proviennent une majorité des
combattants de l’APLS, commencèrent à épouser les thèses du Polisario.

Enfin sur le plan politico-militaire, les hauts gradés des FARIM commençaient à
s’indigner des nombreuses et incessantes pertes de leurs hommes dans cette guerre stupide.
En outre, ils voyaient d‘un assez mauvais œil la présence massive des FAR sur le territoire
mauritanien et même dans la capitale. En fait, la présence militaire marocaine avait renforcé
le sentiment d’humiliation au sein des militaires et populations mauritaniennes (Evrard,
2015, p. 377). Par conséquent, dans la nuit du 9 au 10 juillet 1978, les Forces Armées de la
République Islamique de Mauritanie vont renverser le président Moktar Ould Daddah
(Hodges, 2014, p. 37). Au matin du 10 juillet, un message radiodiffusé apprend à la
population que :

les forces armées, dépositaires en dernier recours de la légitimité nationale, ont pris le
pouvoir, ou plutôt repris le pouvoir, à ceux qui l’ont lâchement spolié, pour sauver le
pays et la nation de la ruine et du démembrement, pour sauvegarder l’unité nationale et
défendre l’existence de l’État (Evrard, 2015, p. 391).

Ould Daddah est remplacé par le colonel Moustapha Ould Saleck (De Froberville,
1996, p. 83) et un Comité Militaire de Redressement National (CMRN) est mis sur pied à
l’effet de « sauver le pays de la ruine et du démembrement ». Le Polisario comprit qu’il
pouvait tirer un profit politique et diplomatique dans ce renversement de situation. Aussi,
décida-t-il de faire preuve de bon sens et de bonne volonté et d’annoncer deux jours plus
tard un cessez-le-feu temporel des opérations militaires sur le territoire mauritanien.

Le 27 juillet, au cours d’une entrevue accordée par le président Giscard d’Estaing au


lieutenant-colonel Ahmed Salem Ould Sidi et Sidi Ahmed Ould Bneijara, respectivement
ministres de l’Équipement et des Finances. Le communiqué final de la réunion faisait état
de ce que après la visite des ministres mauritaniens à l’Elysée, le Président de la République
a indiqué que la France est favorable à un processus de retour à la paix au Sahara occidental
et que les circonstances nouvelles permettent aujourd’hui de progresser dans la recherche

212
d’une solution acceptable par toutes les parties intéressées.154C’est dans la recherche de cette
solution acceptable par toutes les parties intéressées que vont signer l’accord d’Alger.

4.3. De l’accord d’Alger à la construction des murs

Le 5 août 1979 devant la grande consternation de Rabat, le Comité Militaire de Salut


National (CMSN) qui venait de remplacer le Comité Militaire de Redressement National
(CMRN) en avril 1979, signait un accord de paix avec le Front Polisario à Alger (Algérie).
Les deux parties après avoir réaffirmé leur attachement au respect scrupuleux des principes
inviolables des Chartes de l’OUA et de l’ONU relatif au droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes et à l’intangibilité des frontières héritées de l’époque coloniale convenaient de ce
que :

a) La république Islamique de Mauritanie déclare solennellement qu’elle n’a et n’aura pas


de revendications territoriales ou autres sur le Sahara Occidental ;
b) La république Islamique de Mauritanie décidait par ailleurs, de sortir définitivement de
la guerre injuste du Sahara Occidental suivant les modalités arrêtées en commun avec
les représentants du peuple sahraoui, le front Polisario (Sahara Info, 1979, p. 4).

Au demeurant, le « Front Polisario déclare solennellement qu’il n’a et n’aura pas


de revendications territoriales ou autres sur la Mauritanie ». Les deux parties ont décidé
de « signer entre eux une paix définitive ». Pour finir, le texte disposait qu’après sa
signature, l’accord sera « immédiatement transmis au Président en exercice de l’OUA, aux
membres du comité Ad-Hoc, aux secrétaires généraux de l’OUA et de l’ONU155, ainsi qu’au
Président en exercice des Non-Alignés » 156
. En d’autres termes¸ par cet accord, la
Mauritanie se retirait non seulement du conflit, mais aussi de Tiris el Gharbia et le cédait au
Front Polisario.

L’accord d’Alger fut perçu par le Maroc comme un acte de trahison de la part de la
Mauritanie. Par conséquent, Rabat décida de s’insurger contre sa mise en œuvre sur le
terrain. Pour ce faire, les FAR prenaient le contrôle de Dakhla (capitale de Tiris el Gharbia)

154
Cf. http://mauritanie-ouldkaige.blogspot.fr/2008/08/30me-anniversaire-10-juillet-1978-les.html consulté
le 31/05/2020.
155
Le 20 aout 1979, le représentant permanent de la Mauritanie aux Nations Unies a communiqué au Secrétaire
général l’accord d’Alger et la décision du Mauritanie de sa sortie du conflit et mande au Maroc d’en faire
autant.
156
Pour voir le texte intégral de l’accord de paix signé à Alger entre le Front Polisario et la république
islamique de Mauritanie, cf. Annexe de la présente thèse.

213
et le 14 Août, soit neuf jours après l’accord d’Alger, Tiris El Gharbia était déclaré province
marocaine avec pour capitale Dakhla (Hodges, 2014, p. 38). L’annexion du Rio de Oro
(Tiris el Gharbia) par le Maroc sera condamnée par les Nations Unies dans une résolution
votée le 21 novembre 1979. En effet dans sa résolution 34/37, l’Assemblée générale a
réaffirmé :

le droit inaliénable du peuple du Sahara Occidental à l’autodétermination et à


l’indépendance (…) ainsi que la légitimité de la lutte qu’il mène pour obtenir la
jouissance de ce droit comme le prévoient les résolutions pertinentes de l’Organisation
des nations unies et de l’Organisation de l’unité africaine.

L’Assemblée générale (AG) a également « déploré vivement l’aggravation de la


situation découlant de la persistance de l’occupation du Sahara Occidental par le Maroc
et l’extension de cette occupation au territoire récemment évacué par la Mauritanie ». Par
conséquent, l’AG a « demandé instamment au Maroc de s’engager lui aussi [à l’image de
la Mauritanie] dans la dynamique de paix et de mette fin à l’occupation du territoire du
Sahara Occidental » (Résolution 34/37 du 21 novembre 1979).

Comme à son accoutumé, cette résolution de l’assemblée sera balayée du revers de


la main par Rabat qui poursuivait de plus belle l’occupation du territoire. Toutefois, elle
avait une portée symbolique, car elle soulignait l’isolement diplomatique du Maroc sur
l’échiquier international. Les relations entre Rabat et Nouakchott se réchauffèrent, chacun
accusant l’autre. Dans la foulée, en février 1984, la Mauritanie reconnut la République
Arabe Sahraouie Démocratique (RASD). Des lors, le Maroc devenait le seul et unique
ennemi du Front Polisario et de son bras armé.

Avec la défaite des forces armées mauritaniennes, l’APLS consacra toutes ses forces
sur les Forces Armées Royales. Le front Polisario activa « l’opération Boumediene157 » qui
va durer de 1979 à 1984. L’Armée de libération populaire poussa alors ses attaques dans le
Sud, à l’intérieur même du Maroc jusqu’au Draa coupant ainsi la route de ravitaillent et de
renfort des troupes marocaines présentes au Sahara Occidental (De Froberville, 1996, p.
83). Dès lors, les FAR commencèrent à essuyer de sérieux revers et des défaites
retentissantes. La situation physique et psychologique des troupes marocaines devint

157
En honneur au Président algérien Houari Boumediene qui venait de mourir.

214
difficile à soutenir à cause d’une guerre qui se déroulait dans le désert avec des pontes de
températures pouvant avoisiner les 60 (Ruiz Miguel, 1995, p. 254).

À ces difficultés physico-psychologiques, sur le plan économique les perspectives


étaient moins reluisantes pour le Maroc. En effet, dans ces années le pays subissait de plein
fouet, non seulement, la chute du cours et la diminution de la vente des phosphates mais
aussi la course à l’armement devenait de plus en plus budgétivore pour l’économie
marocaine. Selon un rapport de la Banque mondiale, dans cette période, l’ensemble des
dépenses militaires du gouvernement marocain, tous comptes et budgets confondus était
passé de 1,56 milliards de dirhams, soit 13% des dépenses totales du gouvernement, en 1975
à 4,03 milliards de dirhams soit 23 % des dépenses gouvernementales en 1977 (Moshen-
Finan, 1997, p. 60). Et il ne fait aucun doute que le conflit contre le Front Polisario ait été
la cause de l’augmentation notoire du budget militaire.

Conscient qu’il perdait la guerre face aux à l’Armée sahraouie, le Maroc comprit
qu’il devait opter pour une forme nouvelle de guerre, visant non seulement à défendre les
principales villes du Sud du Maroc, mais aussi et surtout « à couper l’accès des principales
villes du Sahara Occidental aux combattants du front Polisario » (Moshen-Finan, 1987, p.
62). Cette nouvelle forme de la guerre a été appelé « la stratégie des murs ». Cette nouvelle
stratégie implique la construction d’un mur de plus de deux mille kilomètres de longueur
qui divise le Sahara et ses habitants en deux. Dans la partie dominée par le Maroc, plus de
cent mille soldats, des millions de mines, des clôtures et un armement sophistiqué et des
systèmes de détection électronique la protégeait. La construction du mur a commencé en
août 1980 et s’est terminée en avril 1987 (Abdalahe, 2015, p. 337).

Au-delà de la simple volonté de se protéger des assauts du Front Polisario, la


construction du mur obéissait à un double objectif à la fois (géo) politique et (géo)
économique. Au niveau (géo) politique, partant du postulat de Lacoste (1987) selon
lequel « la géographie, ça sert à faire la guerre », le Maroc voulait utiliser l’avantage
tactique que lui offraient ses murs pour riposter efficacement aux attaques du F. Polisario.
La nouvelle configuration du terrain changeait la face de la guerre. D’une guerre de
« mouvement », la construction des murs transformait le conflit en une « guerre de
position ». L’APLS qui était passé mate dans la guerre de guérilla dans le désert, se voyait
désormais privé de son point fort pour s’adapter à une guerre de position. Comme souligne

215
Moshen-Finan, (1997) cette stratégie « permettait au Maroc d’épuiser militairement un
adversaire dont la supériorité sur le terrain résidait dans la mobilité » (p. 65).

Sur le plan (géo) économique, les murs qui coupaient désormais le Sahara en deux
parties, permettaient au Maroc de protéger ce qui a été appelé le « Sahara utile », c’est-à-
dire, la partie du territoire où se trouvait la quasi-totalité des ressources naturelles du
territoire : eaux, poissons, phosphate et peut-être du pétrole etc. En juillet 1982,
l’exploitation des mines de phosphate de BouCraa qui avait été interrompue à cause des
attaques du front Polisario, a repris. Ainsi, en 1983, les exportations de phosphates étaient
de 677 672 millions de tonnes, mais bien en deçà du niveau atteint avant le début de la
guerre (Hodges, 2014, p. 41).

Au lieu de mettre fin à la guerre, l’extension des murs vers les frontières
mauritanienne et algérienne avait tout simplement déplacé la « ligne de front » plus loin
dans le désert. Ce qui a amené les éléments du Polisario à se servir des territoires
mauritaniens et algériens comme nouvelles lignes offensives contre les FAR. Cela, à son
tour, va conduire à des attaques de représailles du Maroc contre la Mauritanie qui tentait
désespérément de prendre ses distances avec la crise depuis 1979. En outre, l’extension du
mur près de la frontière algérienne non loin de Tindouf était susceptible de déclencher des
affrontements directs entre les Forces armées marocaines et algériennes, ce qui aurait des
conséquences potentiellement désastreuses pour la paix et la fébrile stabilité au Maghreb
(Hodges, idem, p. 43).

Le soutien militaire des États-Unis, de la France et de l’Espagne158 (Abdalahe, 2015,


p. 346) au Maroc, et celui de la Libye, de la Mauritanie et de l’Algérie consacre non
seulement la régionalisation mais aussi l’internationalisation du conflit du Sahara
Occidental.

158
Bien que l’Espagne se soit retirée du territoire le 26 février 1976, elle a contribué à armer le Maroc et le
Mauritanie en leur vendant d’importantes quantités d’armes. Pour un aperçu des ventes d’armes de l’Espagne
à ses deux pays.

216
Conclusion de la deuxième partie

Cette deuxième partie de notre travail a permis de découvrir les représentations


géopolitiques du Sahara Occidental pour le Maroc, la Mauritanie et le F. Polisario. Ce
territoire, de colonie et province espagnole est devenu une « colonie » et province maroco-
mauritanienne. La conquête du Sahara Occidental avait aussi bien pour Rabat que pour
Nouakchott le même objectif, faire de ce territoire un bouc émissaire pour conjurer et taire
les difficultés socio-politiques que connaissaient les régimes d’Hassan II et de Moktar Ould
Daddah. L’invasion et le partage du territoire ont suscité l’indignation de ses habitants
autochtones et favorisé l’éclosion de leur sentiment nationaliste. Divers mouvements et
partis politiques ont alors été créés au Sahara, réclamant pour les uns l’indépendance du
territoire et pour les autres, son intégration au Maroc ou son alignement sur l’Espagne.
Devant les pressions internes et externes, le gouvernement d’Arias Navarro a organisé
l’accord tripartite de Madrid en 1975. Au cours dudit accord, le Sahara Occidental est troqué
au Maroc et à la Mauritanie en échange d’intérêts géopolitiques et (géo) économiques
nationaux et personnels. En contrepartie du troc du territoire, l’Espagne s’est retirée du
territoire le 26 février 1976 laissant par la même un vide juridique que seul le peuple
sahraoui s’est jugé digne de combler. Cela a conduit, le Front Polisario et le Conseil National
Provisoire à créer, le 27 février, la République Arabe Sahraoui Démocratique.

Les « nouveaux colons » du Sahara Occidental, le Maroc et la Mauritanie, vont se


partager le territoire et ses abondantes richesses. Le Front Polisario/RASD réagit contre
l’occupation qu’il considérait comme une « action belliqueuse ». Pour ce faire, il a engagé
une violente offensive militaire contre la Mauritanie qui céda le 5 août 1979 et contre le
Maroc qui a construit alors des murs pour se protéger et pour exploiter les ressources dans
la quiétude. Depuis la construction des murs, le Sahara Occidental est dans une situation de
« ni paix, ni guerre ». Cette situation d’impasse est due justement à l’implication des acteurs
régionaux et internationaux dans le conflit pour défendre des intérêts géopolitiques et
géoéconomiques. C’est justement ce que tente de montrer la dernière partie de cette étude.

217
TROISIÈME PARTIE

LE CONFLIT DU SAHARA OCCIDENTAL :


UNE QUESTION INTERNATIONALE

218
À bien des égards, le conflit qui oppose le Maroc au Front Polisario/RASD est un
conflit régional relevant d’acteurs régionaux. Son enlisement depuis le cessez-le-feu (1991)
et le maintien du statu quo ont des effets à l’échelle régionale. En effet, il envenime les
relations entre les États du Maghreb et surtout entre l’Algérie, principal soutien du Front
Polisario et le Maroc, entraînant une coûteuse course à l’armement et le manque
d’intégration réelle dans la région. Toutefois, l’affaire du Sahara est indissociable du soutien
reçu par le Maroc de la part des grandes puissances membres du Conseil de Sécurité de
l’ONU chargées de la résolution du conflit.

Si en dehors des États-Unis, aucun autre État membre du Conseil de Sécurité ne


reconnait officiellement la souveraineté du Maroc sur le territoire, ils lui ont permis de
conforter sa position tant au niveau régional qu’international. Le problème du Sahara
transcende donc le microcosme régional. Les acteurs impliqués et intéressés ne cessent de
recourir au soutien d’acteurs externes pour la défense de leurs positions sur la scène
internationale. À juste titre Sayeh (1998) indique que « la question de décolonisation du
Sahara Occidental est devenue aujourd’hui une question internationale » (p. 123).
Néanmoins, soulignons que ce n’est pas qu’aujourd’hui que la question s‘est
internationalisée. Pour comprendre les enjeux internationaux du conflit pour le Sahara
Occidental, cette dernière partie de notre travail se divise en quatre chapitres. Depuis la
période de la guerre froide à celle actuelle de la guerre « chaude » du terrorisme, le Sahara
Occidental est au cœur de la lutte pour l’hégémonie géopolitique, géoéconomique et la
sécurité au Maghreb.

219
CHAPITRE 9 : LE SAHARA OCCIDENTAL, POMME DE DISCORDE AU
MAGHREB

Le Maghreb, dans son acception traditionnelle, désignait les trois pays d’Afrique du
Nord islamisés et arabisés que sont le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. La Libye et la
Mauritanie sont souvent ajoutées à ces trois États. À ces cinq États regroupés depuis 1989
au sein de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) s’intègre également le territoire du Sahara
Occidental. L’on peut donc dire que le Maghreb est un vaste ensemble géographique et
culturel qui comprend six pays, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, la Mauritanie et le
Sahara Occidental. Les six pays ont une superficie totale de plus de 6 millions de km2 (Voir
Maghreb in Encarta, 2009), avec de fortes disparités d’un pays à un autre.

Le Maghreb forme une unité géographique, linguistique et religieuse, mais non pas
encore un ensemble politique et économique intégré du fait des tensions interétatiques
frontalières. En fait, après l’indépendance de la plupart des États, les pays du Maghreb ont
adopté des systèmes politiques tout à fait différents. Le caractère hétérogène des régimes
politiques des États du Maghreb a fini par installer un climat de méfiance réciproque et
de tensions politiques empêchant toute intégration régionale. Deux grands faits sont à
l’origine de leurs hostilités : les questions frontalières et le sempiternel conflit du Sahara
Occidental.

Bien qu’à des considérations et degrés différents, tous les États du Maghreb ont été,
ou sont encore, affectés par le conflit qui a opposé plutôt la Mauritanie et le Maroc, au Front
Polisario jusqu’en 1979, puis le Maroc et le Front Polisario jusqu’à nos jours. L’implication
des États régionaux transforme une simple lutte de décolonisation, en un complexe conflit
hégémonique géopolitique et géoéconomique régional. Dans le présent chapitre, nous
tentons de comprendre les raisons de la régionalisation du conflit du Sahara Occidental.

I. LE SAHARA OCCIDENTAL, LE HEARTLAND DU MAGHREB

Avant d’étudier les raisons qui ont favorisé l’ingérence des États du Maghreb dans la
lutte indépendantiste du Front Polisario contre le Maroc pour le contrôle du Sahara
Occidental, analysons d’abord la valeur symbolique de ce territoire au sein du Maghreb. En
effet, quand l’on sait que « les pays du Maghreb éprouvent des difficultés sérieuses à

220
communiquer entre eux du fait de l’aggravation du différend algéro-marocain sur le Sahara
Occidental » (Roche, 2012, p. 9), il nous parait comme une évidence que géopolitiquement
parlant, le Sahara Occidental occupe une place stratégique dans cette région. Mieux, il en
serait le pivot central ou « heartland ». Pour le montrer essayons d’abord d’élucider ce
qu’est le « Heartland ».

1- Essai d‘application de la théorie du « Heartland » au Sahara Occidental

La situation géopolitique mondiale et surtout celle de l’Europe du début du XXe


siècle a conduit des pères de la Géopolitique moderne à définir des concepts originaux
pouvant faciliter l’analyse et la compréhension des grands évènements (géo) politiques
internationaux. Parmi les susdits pères de la géopolitique actuelle, nous avons entre autre
Nicholas Spykman, Alfred Mahan, Karl Haushofer et le britannique Halford Mackinder.
Mais c’est la pensée de ce dernier qui nous intéresse dans la présente étude.

En janvier 1904, Mackinder a prononcé une conférence à la Société royale de


Géographie dont le texte est ensuite publié sous le titre de The Geographical Pivot of
History. Le concept principal à retenir de l’œuvre de Mackinder est le pivot géographique.
Pour lui, sur le globe terrestre constitué à 9/12èmes d’eau, il existe un pivot fixe, une masse
continentale écrasante autour de laquelle s’articulent toutes les stratégies de puissance des
États dominants. Ce pivot central, pour Mackinder, est « l’Ile mondiale » c’est-à-dire
l’Eurasie159, qui possède elle-même un cœur stratégique. C’est ce cœur stratégique de
l’Eurasie que Mackinder a appelé le Heartland. Ce territoire correspond à peu près aux
plaines et plateaux de Sibérie et d’Asie centrale (Lacoste, 2011, p.21) dont l’immensité et
les ressources, conjuguées à l’amélioration des moyens de communication terrestres
(Transsibérien), lui donnent un potentiel de puissance immense (Zajec, 2008).

Mackinder divise le monde en deux blocs de pouvoir. Le premier est le pivot central,
ou Heartland, situé entre le Danube et les montagnes de l’Oural. Il affirmait que celui qui
l’unifiera, dominerait les trois continents de l’île mondiale -l’Europe, l’Asie et l’Afrique
(Stanganelli, 2014, p. 24). Le deuxième bloc de pouvoir, appelé Heartland méridional,
s’étend en Afrique au sud du Sahara, isolé de la mer car ses fleuves ne seraient pas

159
L’Eurasie est la masse continentale formée par l’Asie et l’Europe et souvent considérée comme un continent
unique.

221
navigables depuis l’océan jusqu’au cœur du continent du fait de la rupture de pente, proche
des côtes, entre les plateaux de l’intérieur et les plaines côtières (Mackinder, 1942, p.80).
Les deux heartland constituent ce que Mackinder considère comme l’île monde. C’est ainsi
qu’il a développé sa célèbre théorie selon laquelle: « Qui commande l’Europe de l’Est,
commande le Heartland ; qui commande le Heartland commande l’île-monde ; qui
commande l’île-monde commande le Monde. » (p. 150)

La théorie de Mackinder a été beaucoup critiquée par nombre de géopoliticiens.


C’est le cas des professeurs Lasserre et Mottet (2017). Pour eux, sa théorie avait seulement
comme objectif de modéliser la rivalité russo-britannique en Asie centrale. Par conséquent,
elle correspondait assez bien à la réalité qu’elle entendait dépeindre et à rien d’autre. Par
ailleurs, il est reproché au Britannique de n’avoir jamais démontré la validité scientifique
de son modèle. En effet, il affirme simplement que le contrôle du heartland aboutirait au
contrôle de « l’île-monde », puis du monde, mais ne démontre pas pourquoi, ni par quels
mécanismes (Lasserre & Mottet, 2017, p. 6). Toutefois, il faut concéder à Mackinder que le
contrôle de l’Asie centrale pouvait, de par sa configuration géopolitique du moment, revêtir
des avantages pour certains acteurs. Mais, il serait dangereux d’appliquer à travers les
époques une grille de lecture extrêmement datée, qui a été forgée à des fins illustratives
davantage qu’heuristiques et au final dont la validité scientifique n’a jamais été prouvée
(Lasserre & Mottet, idem, p. 6). Sans vouloir nous lancer dans des considérations
heuristiques et le grand débat hautement épistémologique sur la validité scientifique de la
théorie du Heartland mackindérien, néanmoins nous nous servons de son paradigme pour
tenter de montrer que le Sahara Occidental est le (ou est l’un) « pivot géographique » central
du Maghreb.

À la lumière de la représentation géopolitique de Mackinder de la source de


l’hégémonie mondiale, selon laquelle « Qui commande l’Europe de l’Est, commande le
Heartland ; qui commande le Heartland commande l’île-monde ; qui commande l’île-
monde commande le Monde », nous sommes tenté d’établir un parallèle entre la conquête
du Sahara Occidental et l’ile-monde de Mackinder. Par conséquent, nous pouvons risquer
ce postulat selon lequel : Qui commande le Sahara Occidental, domine le Maghreb; qui
domine le Maghreb domine l’Afrique nord-ouest.

222
L’on est en droit de s’interroger dans quelle mesure le Sahara Occidental constitue
le heartland du Maghreb ? Avant de répondre à cette question, il convient de noter que le
Sahara Occidental ressemble au territoire qui correspond au Heartland de Mackinder :
richesse en ressources naturelles et situation géographique stratégique. Comme nous l’avons
vu plus haut, le Sahara Occidental fait partie des territoires les plus riches du Maghreb, en
raison de ses réserves de ressources halieutiques, minières et probablement des
hydrocarbures.160 Les immenses richesses naturelles stratégiques que l’on trouve sur ce
territoire et non pas dans tous les autres pays du Maghreb, font du Sahara Occidental l’objet
d’intérêts (géo) économiques pour les puissances de cette région.

Concernant la situation géographique du territoire, son emplacement entre deux


mondes africains, le Nord arabisé et le Sud noir, et entre deux traditions, berbère et arabe
font de ce territoire l’un des carrefours culturels de cette région. D’autre part, sa situation
géographique fait de lui une espèce d’arbre de transmission, de communication entre la
Méditerranée et l’Afrique subsaharienne, ainsi qu’une sortie sur l’Atlantique pour les pays
de la région d’Afrique du Nord (Polo Lázaro, 2015, p. 225). Par conséquent, l’État du
Maghreb qui parviendra à contrôler le Sahara Occidental pourrait non seulement posséder
ses innombrables richesses naturelles et devenir ainsi le pays le plus riche de la région mais
aussi pourrait augmenter son prestige socio-politique sur l’échiquier régional et
international. La valeur géopolitique du Sahara Occidental en tant que l’un des pivots
centraux ou heartland du Maghreb réside aussi dans le fait que des acteurs régionaux, autres
que le Maroc et la Mauritanie, vont faire leur entrée dans le conflit.

C’est ainsi que, de simple lutte anticoloniale, le conflit du Sahara Occidental devient
un problème d’hégémonie (géo) politique et (géo) économique d’obédience régionale. Et
c’est parce que celui qui commandera le Sahara Occidental dominera le Maghreb et que
celui qui dominera le Maghreb dominera tout le nord-ouest de l’Afrique, que les acteurs
maghrébins vont s’engager dans le conflit.

160
Voir le chapitre consacré aux ressources naturelles dans la première partie de ce travail

223
2- L’engagement des États du Maghreb dans le conflit

Le Sahara Occidental. Les enjeux d’un conflit régional, tel est l’intitulé d’un livre
de Moshen-Finan publié en 1997. Du titre de cet ouvrage, il transparait, a priori, que la
question du Sahara Occidental est avant tout un conflit régional. Ce serait à partir de 1969
que le conflit aurait acquis sa dimension maghrébine, donc régionale, avec l’entrée en jeu
des acteurs algérien, mauritanien puis libyen et tunisien. Le professeur Zartman (1997) ne
dit pas le contraire quand il écrit que le conflit « constitue l’enjeu principal des relations
régionales, à la fois un symbole, un prétexte et une épine dans les rapports entre le Maroc
et l’Algérie » (p. 7). Dans un cadre plus global, le conflit constitue aussi une épine dans les
relations intermaghrébines. Il va devenir le catalyseur de la consolidation, à l’intérieur
comme extérieur, des États de la région. Un auteur soutient que « la crise du Sahara, tout
en revêtant une dimension régionale, est activée sans cesse par les nationalismes
maghrébins, croisés et irréconciliables et attisée continuellement par des intérêts politiques,
économiques et stratégiques, enchevêtrés et inextricables » (Settouti, 2008, p. 424). C’est
donc les velléités hégémoniques géopolitiques et géoéconomiques qui sont à la base de
l’engagement des États du Maghreb à s’intéresser au conflit. Le premier de ces États est
l’Algérie.

2.1. L’Algérie et le Sahara Occidental : des principes révolutionnaires aux enjeux


géopolitiques et géoéconomiques

Contrairement au Maroc et à la Mauritanie, l'Algérie n'a pas (encore) formulé


officiellement de revendication territoriale sur l’ancienne colonie espagnole. Néanmoins,
elle ne pouvait se désintéresser du sort du Sahara Occidental et des Sahraouis quand son
voisin et rival de toujours, le Maroc, a des vues sur celui-ci. Mais il faut dire qu’à
l’éclatement du conflit, l’Algérie ne s’est pas précipitée pour s’y engager pour soutenir le
Front Polisario contre le Maroc et la Mauritanie. L’engagement de l’Algérie dans le conflit
au côté du Polisario a été tributaire à trois facteurs aussi importants les uns que les autres.

Le premier facteur relève de la fidélité au principe idéologique révolutionnaire


adopté par l’Algérie depuis la période de la lutte anticoloniale contre la France. Comme
nous l’avons dit plutôt, quand bien même l’Algérie soutenait l’autodétermination du peuple
sahraoui, elle n’a pas apporté son soutien au Polisario dès les premières années de sa

224
création. Selon Berramdane (1992, p. 56) l’Algérie « l’avait boudé et même pourchassé à
ses débuts ». À partir de 1975, Alger pour justifier son changement de position et le soutien
à la cause du Front Polisario, va mette en avant sa fidélité à ses principes révolutionnaire et
anticolonialiste.

Pour l’ancien président algérien, Boumediene, la reconnaissance de la RASD et


l’accueil des sahraouis en exil à Tindouf s’inscrit dans le cadre de la politique africaine du
gouvernement de son pays. C’est-à-dire, que l’Algérie voulait montrer que son assistance à
la RASD était en parfaite adéquation avec les optons idéologiques prises par le
gouvernement. Ces options se basaient sur le socialisme, le non-alignement, la défense de
la norme de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation de l’OUA et le droit de
peuples à disposer d‘eux-mêmes. L’Algérie s’était positionnée comme le leader de la lutte
contre le colonialisme et le néocolonialisme en Afrique (Moshen-Finan, 1997, p.51). Fort
de cela, elle se devait donc de soutenir le mouvement indépendantiste sahraoui surtout que
celui était d’obédience socialiste et optait pour le non-alignement. En soutenant le Font
Polisario et la RASD, l’Algérie entendait permette au peuple sahraoui de se défaire du
néocolonialisme maroco-mauritanien et lui permettre de jouir de son droit inaliénable la
liberté et à la souveraineté. Le gouvernement algérien se conduisait ainsi en montreur de
chemin au jeune mouvement nationaliste sahraoui dans sa lutte pour son indépendance. En
fait, l’Algérie, forte du prestige que lui avait procuré sa guerre de libération, s’est
positionnée depuis son indépendance en 1962, comme le défenseur du droit des peuples à
l’autodétermination. Après une période de relative modération concernant le dossier
sahraoui sous la présidence de Chadli Benjedid dans les années 1980, les gouvernements
successifs de Mohammed Boudiaf, du général Zéroual, et d’Abdelaziz Bouteflika ont
renoué avec le nationalisme de Boumediene en ramenant la question du Sahara Occidental
au cœur des préoccupations nationales et de leur politique étrangère.

La deuxième raison est d‘ordre hégémonique et surtout géopolitique. Il a trait à la


rivalité entre l’Algérie et le Maroc pour assoir leur hégémonie au Maghreb. L’Algérie
déclare souvent qu’elle ne prend pas partie dans le conflit. Elle s’est attachée aux principes
des Nations Unies et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais pour le Maroc, le
problème du Sahara aurait déjà été résolu n’eut été « l’obstination de l’Algérie dont les
responsabilités sont imprescriptibles par rapport à la genèse, l’entretien et le maintien de

225
ce différend » (Hilale, 2017, p. 4). Cet entêtement d’Alger à nourrir le conflit par tous les
moyens possibles, serait une manière « d’occulter ses visées stratégiques, sous couvert
d’une interprétation subjective, sélective et à géométrie variable du principe de
l’autodétermination » (Hilale, ibidem). Même si l'État algérien ne se considère pas touché
directement par l'affaire du Sahara Occidental, il n'en demeure pas moins que son prestige
et l'avenir de toute sa politique maghrébine et son positionnement comme le « géant » du
Maghreb, soient en jeu.

Aussi bien Alger et Rabat sont convaincus de ce que de la solution finale du conflit
sahraoui-marocain dépendra la prépondérance de l'un ou l'autre dans le Maghreb. De fait, il
ne fait pas de doute qu’un État autonome sahraoui internationalement reconnu serait soumis
à Algérie. Si le Sahara Occidental devenait indépendant, ce serait un moyen pour Alger de
séparer le Maroc de ses « provinces du Sud » en l'isolant ainsi au milieu de terres algériennes
ou soumises à Alger. Par ailleurs, en aidant les sahraouis à obtenir leur indépendance, cela
pourrait permettre d’enterrer le projet de reconstitution du « Grand Maroc » qui englobe le
Sahara Occidental, la Mauritanie et une parte importante de l’ouest du territoire algériens.

Si le « Grand Maroc » était reconstitué, il constituerait une menace pour l’Algérie,


car le Maroc deviendrait pour toujours le plus grand et surtout le riche État du Maghreb. Ce
qui est intolérable pour Alger. Hottinger (1980, p. 170) soutient que bien que parlant de
« justice » plutôt que de « realpolitik », Alger laisse entrevoir que ses intérêts géopolitiques
seraient gravement lésés si le Maroc devait continuer à dominer cette région saharienne.
Pour cet auteur, dans la conscience populaire algérienne, la lutte du « peuple sahraoui »
contre le « colonialisme marocain » rappelle la guerre d'indépendance des algériens qui
reste encore le mythe central de l'État. Par conséquent, le gouvernement ne peut, sans risque
d'ébranler sa popularité et son prestige, envisager de céder aux prétentions du royaume
chérifien. C’est ce qui explique qu'aussi bien Alger et le F. Polisario ne sont prêts à accepter
le « Plan d’autonomie » proposé par le Maroc en 2007. Alger espère qu’à la fin de ce
sempiternel conflit, son protégé sahraoui puisse se défaire du « menaçant » voisin marocain.

La monarchie marocaine utilise l’affaire du Sahara Occidental pour forger une union
sacrée de toutes les forces politiques autour d’une tâche historique : l’achèvement de la
libération nationale. Sous cet angle, la victoire du Polisario signifierait la fin du prestige
national et international du royaume du Maroc et le renforcement de celui de l’Algérie sur

226
l’échiquier mondial. C’est ce qui fait dire à Hottinger (1980, p. 171) que « C'est dans ce
contexte éminemment concurrentiel que la question du Sahara prend valeur d'un symbole,
celui d'une victoire définitive sur le rival maghrébin ». De cette victoire pourrait découler
une position prépondérante dans le Maghreb du Maroc ou de l’Algérie.

Le soutien algérien au Polisario peut aussi s'expliquer par l'immensité des richesses
économiques révélées ou supposées du Sahara Occidental. En effet, parmi les richesses
révélées de ce territoire il y a entre autres le phosphate et les ressources halieutiques, mais
la possibilité de trouvaille d’hydrocarbures ou d'uranium n’est pas à exclure. Le dernier
facteur de la défense des sahraouis par Alger a donc trait à des ambitions géoéconomiques.
En effet, il est possible d’émettre l’hypothèse selon laquelle le gouvernement algérien voit
d’un mauvais œil l’exploitation des ressources naturelles du Sahara Occidental notamment
le phosphate et la construction de port sur sa façade maritime. C’est un secret de polichinelle
que l’Algérie convoite aussi la façade maritime du Sahara Occidental. En fait, l’Algérie,
contrairement au Maroc qui jouit de deux façades maritimes, une sur la Méditerranée et
l’autre sur l’océan Atlantique, n’a qu’un seul accès à la mer situé sur la Méditerranée. Ainsi,
si avec son appui le territoire devenait indépendant, les sahraouis pourraient remercier les
algériens en leur offrant un accès privilégié à l’océan Atlantique pour ses échanges
commerciaux.

Une ouverture algérienne sur l’Atlantique serait bénéfique à ce pays et devrait


permettre de booster son développement socio-économique à travers l’exploitation de la
mine de fer de Gara Djebilet. La mine de Gara Djebilet découvert vers 1952 est considérée
comme l’un des plus gros gisements de fer au monde. Elle est située en Algérie à 130
kilomètres au sud-est de Tindouf, à 300 kilomètres de l’océan Atlantique et à 1600
kilomètres de la Méditerranée. Les réserves de ce gisement estimées à environ 2,5 milliards
de tonnes (Kansoun, 2016)161 pourraient être d’un incommensurable apport à l’économie
du pays puisqu’elles permettraient à elles seules d’alimenter toutes les usines sidérurgiques
algériennes et une partie du marché international.

L’économie de l’Algérie repose en grande partie sur le pétrole et le gaz. Avec la


baisse des prix mondiaux du pétrole brut ces dernières années, le gouvernement se voit

161
L’article est consultable en ligne via https://www.agenceecofin.com/mines consulté le 16/08/20.

227
obligé de diversifier son économie. Dans ce contexte, l’Algérie entend mettre en
exploitation le gisement minier de fer de Gara Djebilet. L’exploitation de ce gisement serait
un immense apport à l’économie du pays si ce minerai est évacué par l’océan Atlantique
distante seulement de seulement 300 km. Au contraire, l’évacuation par la méditerranée
distante de 1600 km serait bien moins rentable pour l’Algérie. C’est ce risque économique,
ajouté à d‘autres, qui font que l’exploitation de la mine de Gara Djebilet reste encore en état
de projet. Toutefois, depuis 2016, l’Algérie est en pourparlers avec la Chine en vue de
l’exploitation de ce gisement (Kansoun, 2016).

Enfin, un Sahara Occidental inféodé à Alger pourrait permettre à celui-ci de


participer à l’exploration des immenses ressources naturelles de ce territoire. Cela pourrait
aussi faire d’Alger le premier partenaire économique d’El Ayoun qui mettrait à sa
disposition ses ports où les algériens pourraient facilement exporter vers l’Amérique. Tout
comme l’Algérie, la Libye va s’engager dans le conflit du Sahara Occidental à cause des
considérations géopolitiques de Mouammar Kadhafi.

2.2. Les projets géopolitiques de Kadhafi : la (con) quête du grand Maghreb et


l’engagement dans le conflit du Sahara Occidental

La Libye, officiellement, la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste


se situe en Afrique du Nord. Le territoire couvre une superficie de 1.775.500 km². Avec
cette superficie, la Libye est l’un des plus grands pays du continent africain. Le pays est
limité au Nord par la mer Méditerranée, à l’Ouest par la Tunisie (459 km de frontières), et
l’Algérie (982 km), au Sud par le Niger (354 km), et le Tchad (1 055 km), à l’Est par
l’Égypte (1 150) et le Soudan (383 km) (Ibrahim, 2009, p. 5). Le 1er septembre 1969, le
colonel Mouammar al-Kadhafi, alors âgé de vingt-six ans, prend le pouvoir à Tripoli
renversant le roi Idriss Ier au trône depuis 1950. Pour le jeune colonel, chef du gouvernement
révolutionnaire mis en place et ses douze compagnons d'armes, le coup d’État n’est que la
première étape d'un vaste projet élaboré dix ans auparavant. Hottinger (1981) écrit que :

Dès leur passage à l'école secondaire de Sabha, ils décidèrent, sous l'impulsion du jeune
élève al-Kadhafi, une fois leurs examens passés, d'entrer dans la carrière d'officiers, de
renverser la monarchie du roi Idriss et de rejoindre la République Arabe Unie (RAU)
de Gamal Abdel Nasser. (p. 137)

228
Dès son accession au pouvoir en 1969, le colonel Kadhafi ayant épousé l’idéologie
et le projet géopolitique du président égyptien Nasser, va se poser ou s’imposer comme le
rassembleur du monde arabe et musulman. À la tête désormais d’un pays devenu grand
producteur de pétrole (11e rang mondial), Kadhafi a souhaité conforter sa puissance en
lançant l’idée des États-Unis du Sahara. Comme dit Abusitta, (2012), « depuis la révolution
de 1969 il [Kadhafi] ne voit ses rapports avec les pays arabes qu’à travers « l’union arabe
». Ce concept a été le moteur principal de toute la politique étrangère libyenne envers le
monde arabe » (p. 35).

Pour réaliser cette « Union Arabe » à laquelle il tenait tant, le colonel Kadhafi
préconisait trois moyens : l’unification des pays arabes progressistes, l’unification de tous
les pays arabes et la réalisation de l’union par la force. Pour ce faire, Kadhafi va entamer
une politique vivant à redonner vie au mouvement unitaire arabe par la formation d‘un grand
Maghreb arabe uni sous son leadership. En marge du sommet de Rabat de décembre 1969,
Nasser, Kadhafi et Nemeiri162 jetèrent les bases, d'une fédération regroupant les trois États
(Hottinger, 1981, p. 138) : l’Égypte, la Libye et le Soudan.

L’idée de la création d’une fédération de tous les États arabes démangeait Kadhafi
et deviendra par la suite une obsession. Mais au grand dam du guide libyen, le projet de
fusion de l’Égypte, la Libye et le Soudan fut avorté. Le Soudan s’était désisté en raison des
problèmes internes que traversait le pays à l’époque : coup d'État procommuniste, troubles
dans le Sud, opposition mahdiste. En 1971, le projet d’une nouvelle fédération comprenant
cette fois la Syrie, l'Égypte et la Libye est constitué. En 1972, Kadhafi persuada le nouveau
président égyptien Anouar al-Sadate, de concrétiser l'unité, mais la Syrie refusa de
consommer la fusion, ce qui va détériorer les relations entre Hafez al-Assad163 et Kadhafi.
Sadate et Kadhafi ont alors convenu d'un délai d'un an avant de réaliser l'unification de leur
deux pays à savoir, l'Égypte et la Lybie. Le délai sur lequel s’étaient accordés les deux chefs
d’États, partait du 1er août 1972 au 1er septembre 1973. Arnold Hottinger soutient que ce
délai d’un an a été déterminant dans l'évolution des projets et de l'attitude de Kadhafi
(Hottinger, 1981, p. 144). En effet, il lui a permis de prendre conscience de l'impossibilité

162
Djafar al- Nemeiri, a été général et homme d’État soudanais. Il fut président de la république du Soudan de
1969 à 1985 date à laquelle il est renversé par un coup d’État alors qu’l se trouve au Caire en Egypte.
163
Il est né en 1928 et mort en 2000. Il fut général et homme d’État syrien. Il a dirigé la République de Syrie
de novembre 1970 à juin 2000.

229
de réaliser l'unité de son pays avec l'Égypte de Sadate. C’est ainsi que Kadhafi va tourner
son projet d’unité et de fédération vers le Maghreb avec l’objectif d’y étendre son pouvoir.

En tournant son regard vers le Maghreb, Kadhafi ne pouvait rester en marge de la


lutte du Front Polisario contre le Maroc. Avant d’analyser le rôle joué par la Libye de
Mouammar Kadhafi dans le conflit du Sahara Occidental voyons d’abord la politique
maghrébine de Kadhafi. Ce serait vers les années 1971 qu’aurait commencé la politique
maghrébine de Kadhafi. Toujours fidèle à lui-même, et à son idéologie unioniste et de
leadership régional et continental, la politique maghrébine de Kadhafi s’inscrit dans la droite
ligne de celle déjà entreprise plutôt auprès de la Syrie, de l’Egypte ou du soudan. Aucun
État du Maghreb n’a échappé à la politique unioniste du guide de la révolution libyenne.

Dans son désir d’expansion et d’hégémonie maghrébine, la première cible a été le


royaume du Maroc du roi Hassan II. Le guide libyen va tenter de vendre son projet d’unité
arabe au Maroc, très vite, Kadhafi comprit que le royaume n’était pas un sol infertile pour
son projet. Le Maroc d’Hassan II qui ambitionnait aussi de devenir une puissance régionale
du Maghreb s’opposa à la politique de Kadhafi. Le Guide libyen considérait Hassan II
comme un réactionnaire (Hottinger, 1981, p. 144). En représailles, quand les premiers
signes d'affaiblissement du royaume chérifien se furent sentir, il eut une intensification de
la propagande radiophonique libyenne, en particulier à la suite des deux tentatives
d'assassinat contre Hassan II en 1971 et 1972. Par ailleurs, le 3 mars 1973, des groupes de
combat formés à la guérilla se sont infiltrés au Maroc. Enfin, Kadhafi entendait profiter de
tous les moyens pour nuire au Maroc et surtout pour le faire chanter. C’est ainsi qu’à partir
de 1975, l'action libyenne contre le Maroc s’est traduite par l'aide massive de Tripoli au
Front Polisario (Hottinger, 1981, p. 144) dans sa lutte pour le Sahara Occidental,
l’autodétermination et le néocolonialisme marocain.

La deuxième cible de Kadhafi a été son voisin du nord est, la Tunisie. Tout comme
avec le Maroc, la politique libyenne à l’endroit de la Tunisie était empreinte du désir
unioniste de Kadhafi. Voisin immédiat, le guide libyen entendait fusionner avec ce petit État
pour former un grand et puissant État arabe supprimant de facto la frontière qui divisait les
deux peuples. C’est ainsi qu’après une longue suite de visites fraternelles mutuelles et de
tentatives de collaboration qu'un projet d'unification est signé à Djerba le 12 janvier 1974

230
par Bourguiba164. Ce projet d‘unification portait sur la création d’un seul État appelé « la
république arabe islamique ». Toutefois, le projet d'unification tuniso-libyen ne verra jamais
le jour car la rupture entre Tunis et Tripoli est consommée et aboutira à une opération
subversive libyenne de Gafsa le 27 janvier 1980.

La troisième cible de la politique maghrébine libyenne fut l’Algérie. Parmi tous les
États du Maghreb, les autorités libyennes considéraient l’Algérie comme le pays le plus
enclin idéologiquement à accepter l’idée de l’union arabe. C’est ainsi qu’en octobre 1971,
eurent lieu les pourparlers entre les deux pays à Hassi-Messaoud qui vont se solder par un
échec du fait du refus du président algérien Boumediene à accepter l’union totale et
immédiate que proposait Kadhafi. Un traité d'unification algéro-libyen sera conclu en 1975,
ce traité visait non seulement à accroitre l’hégémonie algéro-libyenne au Maghreb mais était
principalement dirigé contre le Maroc. Avant de concrétiser leur union, les deux pays
signaient une convention d’assistance mutuelle où ils s'engageaient à fournir une aide
militaire si l'un d'entre eux était attaqué (Hottinger, 1981, p. 144). En outre, la Libye se
déclarait prête à soutenir militairement le Front Polisario et acceptait de prendre en charge
financièrement l'aide aux Sahraouis.

Mais comme il fallait s’y attendre plus tard, les ambitions sahariennes de Kadhafi ne
cessaient d’inquiéter l’Algérie qui se considérait comme la première puissance saharienne,
place que les autorités entendaient garder. Le rejet par les différents États maghrébins du
projet de « l’union arabe » peut s’expliquer par le fait que toutes les démarches unionistes
sont vues par les pays du Maghreb comme un risque de déséquilibre dans les rapports de
force entre les différents pays (Abusitta, 2012, p. 39).

Le Sahara occidental (partie ouest du désert du Sahara) et le Sahara Occidental


(entité politique délimitée par des frontières internationalement reconnues), ont été dès 1975
au centre de la politique maghrébine du guide libyen. Kadhafi va intensifier la politique
saharienne de la Libye en s’engageant de plus en plus intensément dans le conflit du Sahara
Occidental. L’engagement libyen va se matérialiser par un soutien logistique, financier et
militaire. De fait, « la majeure partie de l'armement lourd et sophistiqué utilisé contre

Habib Bourguiba, (1903-2000), est l’artisan de l’indépendance de la Tunisie et premier président de la


164

République tunisienne (1957-1987).

231
l'armée marocaine serait de provenance libyenne » (Hottinger, 1981, p. 145). Par ailleurs,
comme il ressort de l’analyse de certains observateurs, « la Libye aurait réussi à se ménager
des possibilités d'accès direct vers les régions sahraouies à travers le Mali et la Mauritanie,
échappant ainsi au contrôle de l'Algérie.» (Hottinger, ibidem). Kadhafi était impressionné
par les succès militaire et diplomatique du Front Polisario. Pour un Kadhafi qui était en
quête d’hommes de mains pour réaliser ses desseins d’expansion de la Libye a voulu, en
réalité, attirer le Front Polisario à l’effet d’en faire une « force de frappe » saharienne. Pour
Kadhafi, il était évident que le Sahara Occidental était, dans une certaine mesure, le
« heartland » du Maghreb. En effet, en le contrôlant il serait facile pour la Libye de pénétrer
et d'atteindre les différents États riverains que sont le Maroc, la Mauritanie et la Mauritanie.

Le guide suprême de la Jamahiriya libyenne entendait s’appuyer sur les peuples


nomades du Sahara Occidental et notamment les éléments du Front Polisario pour réaliser
son vieux projet du « grand Sahara ». La réalisation du Grand Sahara devrait aboutir sur la
reconstitution de l’Oumma, c’est-à-dire, une communauté islamique formant une seule
entité politique et culturelle dont le chef serait Kadhafi. Pour Lacoste (1986. p. 289), le
projet de Kadhafi suscitait auprès des populations nomades un grand écho favorable et un
certain intérêt. En effet, d’une part, Kadhafi dénonçait le caractère artificiel des frontières
d’ailleurs très récentes et sans légitimité historique qui découpait le Sahara (Lacoste, idem),
et réduisait dans une certaine mesure le champ de parcours des populations locales
transhumantes. D’autre part, la plus part des tribus locales du Sahara accordait « un grand
intérêt au projet de « grand Sahara » du colonel Kadhafi, l'intérêt de ce programme
géopolitique étant renforcé par l'argent que distribuent ici et là les agents libyens »
(Lacoste, ibídem).

Cependant, malgré le soutien libyen notoire au Front Polisario dans sa lutte contre
les colons espagnols, l’idéologie géopolitique et nationaliste de l’unité arabe que professait
le guide libyen empêchait que celui-ci accepte l’idée de l’indépendance et l’avènement d’un
autre État au Sahara. En effet, pour Kadhafi, accepter la République Arabe Sahraouie
Démocratique, qui serait un autre nouvel État arabe dans la région au moment où lui prêchait
l’unité du monde arabe, serait dangereux pour son projet de « grand Sahara ». Mieux,
accepter la Rasd serait favoriser la balkanisation du monde arabe, chose contre quoi luttait
Kadhafi. C’est cette peur qui a favorisé le soutien de Kadhafi à la « Marche verte » d’Hassan

232
II. À la faveur d’une visite qu’il a rendue au roi du Maroc le 16 juin 1975, Kadhafi a pu dire
que « les forces armées libyennes sont à la disposition du Maroc pour la libération de son
Sahara » (Barbier, 1985, p. 179). Tout comme la Libye, la Tunisie est impactée par l’affaire
du Sahara Occidental.

2.3. De la « neutralité positive » de la Tunisie dans le conflit

Comme le Maroc, la Mauritanie, la Libye et l’Algérie, la Tunisie fait partie du


Maghreb, elle est d’ailleurs la plus ancienne entité politique de cette région (Voir Tunisie
In Encarta, 2009). Coincée entre la Libye à l’Est et l’Algérie à l’Ouest, avec une superficie
de 164 418 km², la Tunisie comparée à ses gigantesques voisins, est le plus petit État du
Maghreb.

Parmi les États du Maghreb, la République de Tunisie est la seule qui n’a pas, encore,
joué un rôle –officiel – dans le conflit qui oppose le Front Polisario/ RASD au Maroc pour
le contrôle du Sahara Occidental. Mais, même si Tunis n’est pas acteur du conflit, il n’en
demeure pas moins qu’il en est resté indifférent. Face à la question du Sahara, les dirigeants
tunisiens sont obligés de tourner sept fois la langue avant de se prononcer sur l’affaire. Et
pour cause, Tunis vit dans la crainte de la réaction de Rabat et d’Alger concernant le
penchant des autorités tunisiennes pour l’une ou l’autre des parties du conflit. En effet, de
peur de mettre des bâtons dans ses relations fraternelles avec les deux grandes puissances
du Maghreb, Maroc et l’Algérie, la Tunisie se cache derrière sa position ambigüe dite de
« neutralité positive ». Les deux principales parties du conflit ont à cœur d’aligner la Tunisie
sur leur thèse. Mais la Tunisie ne cesse de réaffirmer sa « neutralité positive » dans le conflit
opposant Rabat et Alger autour du Sahara Occidental, au désespoir des Algériens qui
espéraient rallier les Tunisiens aux thèses séparatistes du Polisario.

En 2013, réagissant à une information véhiculée par le journal tunisien, Assour,


faisant état de ce que « les autorités tunisiennes envisageaient de reconnaître le Front
Polisario », le gouvernement tunisien a réaffirmé par la voix de son ministère des Affaires
Étrangères, sa position de principe dans le conflit territorial opposant le Maroc à l’Algérie.

233
Pour rappel, le quotidien tunisien « Assour » rapportait que la Tunisie « s’apprête à
reconnaître le Polisario algérien165 » (Junger, s.d).

Le Ministère des Affaires Étrangères a démenti formellement cette information en


rappelant la position de principe de la Tunisie vis-à-vis du conflit du Sahara occidental et
son attachement à la « neutralité positive » envers toutes les parties concernées. Dans sa
logique de préservation des relations cordiales avec les différents pays frères et amis
impliqués dans le conflit, le gouvernement tunisien post Ben Ali s’oppose à « tout ce qui
est de nature à perturber ces relations, basées sur la fraternité et le respect mutuel de la
souveraineté nationale » (Junger, s.d). Mais il faut dire qu’à l’époque du président tunisien,
Zine El Abidine Ben Ali, la Tunisie dissimulait difficilement sa prétendue « neutralité
positive ». En effet, des révélations faites par Wikileaks trahissaient la fausse neutralité de
Ben Ali dans l’affaire du Sahara Occidental. Comme le rapporte le journal El Watan, au
cours d’un entretien entre Ben Ali et David Welch, sous-secrétaire d’État américain chargé
des affaires du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord, en date du 28 février 2008, le chef
d’État tunisien accusait les autorités algériennes d’être « responsables de l’actuelle
impasse dans laquelle se trouve le dossier du Sahara occidental » et de « bloquer tous les
progrès dans la région du Maghreb à cause de sa position sur le conflit »166.

Pour les deux hommes, il n y’a pas lieu de douter que les autorités algériennes « se
doivent d’accepter l’idée qu’il n’y aura jamais d’État indépendant au Sahara occidental ».
Toutefois, Ben Ali était conscient que le problème du Sahara Occidental est complexe et
que sa résolution prendrait plusieurs années. Pour Ben Ali, ce conflit délicat ne peut pas
« être réglé par le Conseil de sécurité des Nations unies ». Pour ce faire, « la Tunisie avait
essayé de convoquer une réunion des Chefs d’États du Maghreb à ce sujet à Tunis ».
Cependant, « alors que le Maroc et la Libye avaient accepté de participer, l’Algérie a refusé
prétextant qu’il n’y avait rien à discuter », confiait Ben Ali à David Welch167.

165
. Disponible en ligne sur http://droits-humains.org/473-sahara-occidental-tunis-dement-les-rumeurs-dune-
reconnaissance-du-polisario.html#content consulté le 20/06/2020.
166
Cf. https://maroc-leaks.com/wikileaks-sahara-occidental-la-fausse-neutralite-de-ben-ali/amp/ consulté le
24/06/2020.
167
Voir le site https://www.elwatan.com/archives/actualites/wikileaks-ben-ali-accuse-lalgerie-de-bloquer-le-
maghreb-08-12-2010 consulté le 24/06/2020.

234
Officieusement, la Tunisie de Ben Ali soutenait la position marocaine d‘intégration
du Sahara Occidental au royaume. Mais officiellement en vertu de sa position de « neutralité
positive », le président Ben Ali a su au fil du temps mener une politique étrangère mesurée.
Cette politique visait non seulement à placer la Tunisie hors des différends intermaghrébins,
en particulier celui qui oppose le Maroc et l’Algérie concernant le chapitre du Sahara
Occidental, mais aussi à avoir un rayonnement à l’échelle du continent en même temps
qu’elle jouait un rôle en Méditerranée (Sfeir, 2010, p. 30).

Après la révolution de 2011 qui a vu le renversement du régime de Ben Ali, il ressort


d’une certaine presse qu’un changement de nature dans l’attitude tunisienne a été observé,
déjà, sous le gouvernement Béji Caïd Essebsi. Ce dernier, au cours d’une visite à Rabat, le
15 mars 2011, avait déclaré qu’« Il est important de trouver une solution politique et
définitive à cette question, conformément à la légalité internationale ». Selon le
communiqué du cabinet royal, le roi Mohamed VI a affirmé, à son interlocuteur tunisien, «
la nécessité de consolider les fondements de l’UMA, en tant que choix stratégique
incontournable, et en tant que mécanisme de coopération et de solidarité entre les cinq
États » (Kacem , s.d).

Le 28 avril 2013, le chef du gouvernement provisoire, Ali Larayedh, a affirmé, à


Tunis, que la position de la Tunisie à l’égard de la question du Sahara occidental, « est de
soutenir toute solution juste et équitable, qui jouit de la confiance de toutes les parties ».
Dans un entretien à l’agence de presse algérienne, à la veille d’une visite de travail, le 29
avril 2013, en Algérie, Ali Larayedh a précisé que le rôle de la Tunisie, était de « faciliter
les solutions favorables à toutes les parties de nature à renforcer l’édification du Grand
Maghreb arabe » (Kacem , s.d).

À travers et au de-là du Sahara Occidental, ce qui intéresse la Tunisie c’est de se


positionner comme la cheville ouvrière de l’édification d’un Maghreb plus uni où la
coopération serait le credo des États de la région. Ainsi, elle veut se placer comme leader
régional dans la résolution des différends intermaghrébins. Cette hypothèse est confirmée
par Ali Larayedh quand il affirme que la Tunisie « soutient tout ce qui est susceptible de
contribuer à l’édification du Maghreb arabe, conformément aux aspirations des peuples
maghrébins » (Kacem , s.d). Avec le temps, certains observateurs ne cessent de soutenir

235
que la position officielle tunisienne commence à basculer de la « neutralité positive »
traditionnelle, vers une prise de position officielle.

Le mois d’avril 2013 a été marqué par un événement important, en Tunisie. En effet,
en marge des travaux du Forum social mondial, qui s’est tenu en Tunisie, un Comité
Tunisien de Solidarité avec le peuple sahraoui a été créé. La cérémonie de création du
comité s’est déroulée en présence d’une forte délégation sahraouie, de représentants des
différentes composantes de la société civile tunisienne, du Président de la coordination
européenne de solidarité avec le peuple sahraoui et plusieurs responsables d’associations de
solidarité avec le peuple sahraoui de France, d’Espagne et d’Italie.

Sommes toutes, la politique de « neutralité positive » adoptée par la Tunisie depuis


l’éclatement du conflit l’empêche d’y jouer un rôle considérable. Toutefois, cette prétendue
« neutralité positive » apparait comme un manteau pour dissimuler des ambitions
géopolitiques régionales. En fait, la Tunisie a peur de s’engager dans le conflit ou de prendre
position officiellement au risque de brouiller ses relations fraternelles et amicales avec les
deux frères ennemis que sont le Maroc et l’Algérie.

Aujourd’hui, la constance de la situation du Sahara Occidental révèle que le conflit


est la pierre d’achoppement de l’intégration régionale et de la déliquescence de l’Union du
Maghreb arabe.

II. LE SAHARA OCCIDENTAL, UN OBSTACLE À L’ÉDIFICATION DE


L’UNION DU MAGHREB ARABE

Il est devenu presque redondant de dire que la paix, la stabilité, la sécurité et les
perspectives d’intégration et de développement économique au Maghreb dépendent dans
une large mesure du Sahara Occidental ; ou plutôt de la résolution du conflit. Pour vérifier
ce postulat, il convient, de prime abord, de jeter un coup d’œil sur les différentes politiques
d‘intégration sous régionales des États du Maghreb qui vont accoucher de l’Union du
Maghreb Arabe, en acronyme UMA.

236
1- L’Union du Maghreb Arabe (UMA), une organisation « mort-née »

Le « Maghreb », au sens politique du terme, est un concept quelque peu ancien. En


effet, au début du XXe siècle, alors que les peuples du Maghreb étaient encore sous le joug
colonial, des leaders nationalistes de la région, parlaient déjà de la nécessité de l’unité du
Maghreb. L’idée de l’unité maghrébine va ainsi se nourrir et se confirmer avec les luttes
indépendantistes, dans les années quarante et cinquante. Dans cette période, les luttes
indépendantistes cristallisèrent le concept du Maghreb à travers l’affirmation de la
dimension maghrébine des mouvements nationalistes de la région. Dans ce contexte, deux
dates historiques sont à retenir quant à la formation de l’idée maghrébine : le congrès du
Maghreb au Caire (février 1947) et le congrès de Tanger (avril 1958) (Benantar, 2008, p.
106).

Par ailleurs, il faut dire que les rivalités hégémoniques et les tensions interétatiques
pour, notamment, des questions frontalières, n’empêchaient pas les États maghrébins
d’avoir à l’esprit la coopération régionale. C’est dans ce contexte que l’Algérie, le Maroc,
la Libye et la Tunisie ont créé le Conseil Consultatif Permanent du Maghreb (CCPM) en
1964 dans le but de coordonner des politiques économiques communes pour faire face à la
CEE (créée en 1957). Même si le CCPM ne fut pas long feu, il n’en demeure pas moins
qu’il ait été la première structure régionale ayant regroupé les cinq pays magrébins donnant
pour la première fois un sens politique aux frontières du Maghreb des cinq (Benantar, idem).

C’est finalement en 1989 que le long et périlleux processus de rapprochement


entamé par les cinq États de la région est arrivé à son terme avec l’avènement d’une
organisation politico économique supranationale, l’Union du Maghreb Arabe. L’avènement
de cette organisation va réduire quelque peu le champ des tensions, ce qui a entrainé entre
1986 et 1989 la résolution de divers différends frontaliers, le rétablissement de relations
diplomatiques et la réouverture des frontières (entre la Tunisie et la Libye d’une part, et
entre le Maroc et I 'Algérie d’autre part).

Le 17 février 1989, cinq Chefs d'États d’Afrique du nord-ouest (Maroc, Algérie,


Tunisie, Libye et Mauritanie « Ayant foi, dans les liens solides qui unissent les peuples du

237
Maghreb Arabe168» (Préambule du Traité constitutif de l’Union du Maghreb) et liés entre
eux par un héritage commun et dotés de ressources naturelles considérables se sont réunis à
Marrakech pour signer le Traité constitutif consacrant la naissance de l'Union du Maghreb
Arabe. Dans son article 2 fixant les objectifs de l’UMA, il est stipulé qu’elle vise à :

- renforcer les liens de fraternité qui unissent les États membres et leurs peuples ;
- réaliser le progrès et la prospérité des sociétés qui les composent et la défense de leurs
droits ;
- contribuer à la préservation de la paix fondée sur la justice et l’équité ;
- poursuivre une politique commune dans différents domaines ;
- œuvrer progressivement à réaliser la libre circulation des personnes, des services, des
marchandises et des capitaux. (Traité constitutif de l’Union du Maghreb)

Le conseil des pays membres (Algérie, Libye, Mauritanie, Maroc, et Tunisie) se


réunit deux fois par an et la présidence est assurée en alternance par chacun des pays pendant
une période d’un an. La lecture du Traité constitutif de l’UM laisse apparaitre que les États
maghrébins ont opté pour une construction progressive de l'UMA, s'engageant à atteindre
par des moyens divers, selon les mécanismes établis par le Traité, les objectifs fixés qu’ils
se sont eux-mêmes fixés. Toutefois, le devenir de l'UMA dépend fondamentalement de
l'action et des décisions du Conseil présidentiel, composé par les chefs d'État des cinq pays
membres. En effet, l’article 6 stipule que « Le Conseil présidentiel est seul habilité à
prendre des décisions. Ces décisions sont prises à l’unanimité des membres. » (Traité
constitutif de l’Union du Maghreb). Très rapidement et comme annoncé dans le Traité, les
États membres ont mis en place les instruments et les mécanismes susceptibles d'aider à la
mise en œuvre des objectifs. En effet, entre de 1989 à 1991, les institutions prévues par le
Traité à savoir : le Conseil des ministres des Affaires étrangères, le Comité de suivi,
l’Instance judiciaire, le Secrétariat général, le Conseil Consultatif et Commissions
ministérielles spécialisées, sont mis en place169.

Au milieu de l'année 1994, différentes actions communes étaient en cours de


réalisation ou de négociation, notamment la création d'une zone de libre-échange,
l'amélioration des transports, un projet de ligne aérienne commune, la création d'une banque
du Maghreb pour le commerce extérieur et l'investissement et l'instauration d'une union

168
Disponible sur http://www.Droit-Afrique.com consulté le 03/07/2020.
169
Pour toutes informations sur les actons des institutions de l’UMA, voir le site de l’organisation :
http://www.maghrebarabe.org.fr

238
douanière. Ces différentes commissions de l’Union sont à la base de l'élaboration des
conventions et accords maghrébins conclus dans le cadre de l'UMA170. Toutefois, trente et
un ans après la signature du traité de Marrakech ayant accouché de l’UMA, force est de
constater qu'aucun progrès significatif n'a été réalisé dans le sens des objectifs de l'UMA et
que l'intégration maghrébine est toujours en panne (Jamel, 2008. p. 77). Quand la question
lui a été posée de savoir « comment se porte l'Union du Maghreb Arabe ? », l’ancien
Secrétaire général de l’UMA, Habid Boualès (2001-2006) répondait ceci :

Cela dépend de ce que vous entendez par l'UMA. Si vous voulez parler des structures
d’une organisation créée en 1989, je vous dirais que ces structures souffrent à la fois de
leur propre Constitution de départ (...). Comme le Conseil de la Présidence ne s'est pas
réuni depuis 1994, ses structures sont ankylosées en quelque sorte. Si vous entendez
par l'UMA l’ensemble des autorités des pays du Maghreb dans leur coopération, je vous
dirais que cette UMA-là existe. Même qu'elle fonctionne bien. Nous avons une UMA
des banques qui regroupe les 65 banques de nos pays, une UMA des assurances, une
UMA des médecins, une UMA des chemins de fer donc plusieurs secteurs qui
fonctionnent. La conclusion á tirer de cela est la suivante chaque fois que la décision a
appartenu á des institutions, à des organisations ou à des ensembles professionnels qui
ne dépendent pas directement des gouvernements, on a pu constituer une union
maghrébine efficace (Bustos, 2009, p. 141).

Même s’il faut concéder à l’UMA des acquis, comme par exemple la réalisation de
« tronçons nationaux de l’autoroute maghrébine, l’extension des réseaux de
télécommunications en fibres optiques, l’interconnexion électrique, la lutte contre la
désertification, la coopération en matière de santé, etc.» (Martinez, 2006, p. 5), il n’en
demeure pas moins que l’intégration régionale ne s’est pas concrétisée en Afrique du Nord
: elle demeure, encore, à l’état de projet.

Créée pour développer la coopération régionale afin de faire face au principal


partenaire économique du Maghreb, à savoir l’Europe, et se mettre au même niveau que des
regroupements régionaux tels que la CEDEAO, l’ALÉNA171, l’Union Européenne, le
MERCOSUR172, etc., l’UMA fait piètre figure (Lamrani, 2013, p. 264). Il suffit pour s’en

170
L'ensemble de ces conventions est disponible sur le site de l'UMA.
171
ALENA, Accord de libre-échange nord-américain (en anglais, North American Free Trade Agreement,
NAFTA), est un accord économique multilatéral de libre-échange signé par le Canada, le Mexique et les États-
Unis le 18 décembre 1992. Cf. ALENA In Encarta 2009.
172
Le Mercosur, Mercado comun del sur, en français, Marché commun du Sud, est une
union douanière formée en 1991 par l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, qui a évolué en un
marché commun à partir de 1995, et dont le Venezuela est devenu membre en 2006. Cette organisation vise à
instaurer un marché commun en abaissant les tarifs douaniers entre les pays membres (Argentine, Brésil,
Paraguay et Uruguay) et à favoriser les échanges avec les pays associés (Chili et Bolivie à partir de 1996,
Pérou en 2003, Colombie et Équateur en 2004. Cf. Mercosur In Encarta 2009.

239
convaincre, de jeter un œil sur les différentes conventions intermaghrébines signées et non
entrées en vigueur. En effet, jusqu’en 2008, sur les 36 conventions maghrébines, seules cinq
sont entrées en vigueur (Benantar, 2008, p. 109).

Aujourd’hui encore, l’Union du Maghreb Arabe notamment ses structures demeure


toujours de l’encre sur papier. En effet, depuis leurs indépendances, les pays maghrébins
sont minés par de profondes dissensions qui empêchent la réalisation de l’union rêvée.
L’UMA, au-delà de ses carences institutionnelles, paie un lourd tribut au conflit qui oppose
le Font Polisario et l’Algérie au Maroc pour le contrôle du Sahara Occidental.

2- Le conflit du Sahara Occidental : alibi du « non-Maghreb »

Malgré l’existence depuis février 1989 d’une organisation régionale, l’Union du


Maghreb Arabe (UMA), le Maghreb politique en tant qu’entité ou ensemble régional est
aujourd’hui plus une éventualité et un espoir qu’une réalité tangible. Plus de trente ans après
sa création, la construction d’un Maghreb uni et cohérent semble demeurer une simple vue
de l’esprit. En somme, « le Maghreb n’a pas réussi son intégration politique » (Lamrani,
2013, p. 265). En effet, l’horizon reste obscur quant à la coopération politico-économique
et socio-culturelle et la création d’un ensemble uni de la Mauritanie, du Maroc, de l’Algérie,
de la Tunisie, la Libye et de la RASD.

Au-delà de la divergence et l’incompatibilité des régimes politiques maghrébins, les


facteurs du blocage de l’unité du Maghreb sont essentiellement dus aux divergences
frontalières.

Primo, nous avons en 1960, le conflit entre la Mauritanie et le Maroc qui revendique
le territoire mauritanien. Cette situation a provoqué une tension dans les relations
intermaghrébines car elle a vu la rupture des rapports entre le Maroc et la Tunisie. La Tunisie
était en effet, le seul pays arabe à soutenir la Mauritanie et votera pour son adhésion aux
Nations Unies en 1962. Deuxio, l’Algérie, après son indépendance a eu des désaccords avec
la Tunisie. En effet, en 1963, la Tunisie profite de l’indépendance algérienne pour réclamer
des territoires qui lui ont été arrachées lors de la colonisation française. Tercio, il y eut en
1963, entre le Maroc et l’Algérie la guerre des sables. Cette fois, c’est le royaume chérifien
qui revendique une bonne partie du territoire algérien principalement les régions de Tindouf

240
et de Béchar. Et enfin, il y a la sempiternelle question du Sahara Occidental. Mais plus que
les trois premiers conflits que nous évoquions plutôt, la question du Sahara Occidental est
la véritable pierre d'achoppement de l'intégration maghrébine. Jusqu’à aujourd’hui, ce
conflit reste le plus complexe et le sensible dans cette région.

La question du Sahara Occidental est l’aune par lequel se mesure la santé des
relations intermaghrébines. Parce qu’il oppose les deux poids lourds du Maghreb, le Maroc
et l’Algérie, la persistance du conflit illustre l’incapacité de ces deux États « frères
ennemis », depuis « la guerre des sables » en 1963, à sortir d’une relation de méfiance,
d’hostilité perpétuelle avec la fermeture de leurs frontières terrestres. C’est surtout les
rivalités entre Alger et Rabat, sur fond du problème sahraoui, qui empêchent l’évolution du
processus l’édification d’un ensemble régional maghrébin uni. L’Algérie et le Maroc, pour
être les deux acteurs les plus influents de la région, leurs querelles sont de facto des obstacles
à toute convergence politico-économique maghrébine. Dans le fond, le Maroc et l’Algérie
s’adonnent à une surenchère politique et médiatique autour de la question du Sahara
Occidental, en l’utilisant comme une réelle opportunité politique pour asseoir leur
autorité et leur leadership tant sur le plan national que régional. C’est pourquoi avec Luiz
Martinez, nous nous interrogeons à savoir si : le conflit du Sahara n’est pas un prétexte
historique à un déficit démocratique de ces deux États du Maghreb ? (Martinez, 2006, p.
7).

Par ailleurs, il devient évident que la question du Sahara Occidental soit « un alibi
d’impuissance par excellence » (Benantar, 2008, p. 110). Les États du Maghreb, ayant
échoué dans leur entreprise de construction maghrébine, font porter au conflit RASD/Maroc
plus qu’il ne peut supporter. Mieux, « les pays maghrébins instrumentalisent le conflit du
Sahara pour dissimuler leur propre échec et pour se donner par la même occasion bonne
conscience en continuant à tourner le dos au Maghreb » (Benantar, ibidem). En effet,
confrontés à des critiques internes sur la violation des droits de l’homme, un déficit
démocratique notoire, la corruption, des régimes oligarchiques, la concentration des
richesses et l’absence de liberté, l’Algérie et le Maroc ont trouvé dans le conflit du Sahara
Occidental une parfaite occasion de déverser, à travers une presse complaisante, des
préjugés et des clichés sur l’autre, dans l’espoir de rallier à leur cause une population frustrée
par la dégradation des conditions économiques et sociales (Martinez, 2006, p. 7).

241
Sans vouloir revenir sur ce que nous avons déjà longuement tenté de montrer
jusqu’ici, pour la monarchie marocaine, l’affaire du Sahara lui a permis de s’approprier le
sentiment nationaliste proclamé alors par l’Istiqlal qui faisait de la cause du « Grand
Maroc » son cheval de bataille politique. Par ailleurs, pour les successifs régimes algériens,
la cause sahraouie représente le moyen par excellence de s’affirmer comme le défenseur des
peuples opprimés et d’entretenir le sentiment nationaliste.

Le déficit démocratique de l’Algérie et du Maroc explique aussi, pourquoi au cours


de ces deux dernières décennies, ce conflit est devenu un prétexte à la persistance de leurs
relations hostiles. Au demeurant, ces deux acteurs avancent des perspectives inconciliables
de résolutions du conflit. Alors que le Maroc exige un règlement du conflit conformément
à ses intérêts (autonomie sous sa souveraineté), l’Algérie opte pour un règlement entre les
deux parties concernées, c’est-à-dire, le Maroc et le Polisario, dans le cadre des Nations
Unies et conformément au principe du droit à l’autodétermination.

Aujourd’hui, nonobstant de nombreux efforts et plusieurs tentatives, l’UMA n’a pas


été, encore, en mesure de prendre son envol de manière décisive. La non-résolution et
l’instrumentalisation du conflit pour le Sahara Occidental constitue une faille pour l’UMA
et nourri le « non-Maghreb ». Ne corrobore-t-il pas aussi la théorie selon laquelle le Sahara
Occidental est le heartland ou le « pivot central » du Maghreb ? Tout compte fait, il y aurait
une sorte de dialectique hégélienne entre le conflit du Sahara Occidental et l’édification du
Maghreb. C’est sans doute ce que Miske-Talbot (2001) a voulu souligner quand il écrit que
« S’il est vrai qu’on ne peut construire le Maghreb tant que le conflit du Sahara Occidental
persiste, il est aussi vrai que la résolution du conflit passe par l’édification du Maghreb. »

Toujours est-il que les rapports de forces géopolitiques contradictoires autour du


Sahara Occidental empêchent les États maghrébins de conjuguer leurs efforts et leurs
ressources pour lutter contre les nouveaux défis sécuritaires international et régional,
notamment, la lutte contre l’intégrisme religieux et le terrorisme islamique.

242
III. LES DÉFIS SÉCURITAIRES AU MAGHREB ET LA QUESTION DU
SAHARA OCCIDENTAL

La vaste étendue désertique que constitue le Grand Sahara, sert aujourd’hui, aussi
bien de refuge aux organisations terroristes que d’espace de communication aux nombreux
trafics mêlant concomitamment le crime organisé et l’immigration clandestine. Cette zone
est une concentration des principales menaces sécuritaires auxquelles est confronté le
monde entier. En effet, les effets de ces menaces sont de plus en plus globaux et se propagent
en particulier sur tout le Nord du Maghreb et sur l’Europe. À l'heure actuelle, pour tous les
États du monde, le futur se conjugue en termes de globalisation, de mondialisation et de
regroupements, à l’effet de faire face ensemble efficacement aux nouveaux défis sécuritaires
mondiaux. Dans ce contexte, les États du Maghreb n'ont d'autre alternative que de relever,
tout d’abord, le défi de l’intégration pour, espérer, pouvoir entreprendre ensemble des
politiques sécuritaires pour l’intégrité de leur territoire respectif.

De fait, la persistance de la question du Sahara Occidental, qui empêche toute


coopération et intégration régionale, constitue une faille pour la sécurité et la stabilité du
Maghreb. C’est sur ce fond de tension croissante sur le flanc occidental du Maghreb, que
toute la région doit faire face à de nombreux défis sécuritaires. Et pour cause, la stabilité, la
paix et la sécurité du nord-ouest africain ne peuvent se faire sans un réel effort de
coopération entre les États de la région, vu que le Grand Sahara est devenu depuis peu le
terrier du terrorisme en Afrique.

1- Le Maghreb et le Grand Sahara : terreaux de la prolifération des mouvements


terroristes et le manque de coopération des États

Lorsque des organisations politiques ou des mouvements armés font un emploi


aveugle de la violence en vue d’atteindre un dessein politique, ils sont qualifiés
d’organisations terroristes. Ces actes terroristes se concrétisent par des attentats, des
assassinats et des enlèvements dirigés contre les structures des États. L’ancien Secrétaire
général de l’UMA, Habib Boularès, soulignait que « Nous avons une UMA des banques qui
regroupe les 65 banques de nos pays, une UMA des assurances, une UMA des médecins,

243
une UMA des chemins de fer (…) »173. Ce qu’il avait oublié de dire, c’est qu’il existe aussi,
une UMA du terrorisme. Des auteurs sont unanimes sur ce qu’il convient d’appeler comme
l’Union du Maghreb Arabe du terrorisme. Pour certains « À défaut d’une union des États
du Maghreb arabe, l’union des terroristes du Maghreb arabe est une réalité » (Faty, 2016,
p. 74). Pour les autres, « À défaut d’une union maghrébine des peuples, on est en train
d’assister à la naissance d’une « UMA du terrorisme » (Baghzouz, 2013). Le conflit du
Sahara Occidental est l’un des obstacles à la mise en place de politique anti-terroriste au
Maghreb. Les divergences politiques entre l’Algérie et le Maroc sur le statut du Sahara
Occidental sont restées un obstacle à la coopération bilatérale et régionale en matière de
lutte contre le terrorisme.

L’Afrique du Nord, plus précisément le Maghreb est depuis longtemps la proie du


terrorisme et semble réunir tous les ingrédients pour son essor. En effet, tirant sa vitalité
dans la misère, l’exclusion et le désespoir d’une jeunesse marginalisée par les régimes
gérontocraties et oligarchiques maghrébins, le terrorisme, va se déployer progressivement
sur toute la région. De par sa nature transnationale, le phénomène terroriste au Maghreb va
se nourrir aussi de l’arrogance et de l’unilatéralisme des grandes puissances, surtout des
États-Unis et des puissances européennes, ainsi que des inégalités entre le Nord et le Sud,
exacerbées par une mondialisation ultra-libérale (Baghzouz, 2013).

Selon des spécialistes de questions terroristes, la vague de terrorisme que le monde


affronte aujourd’hui, tire son origine dans la transformation des moudjahidines afghans
(Afghans arabes), en une internationale du terrorisme sous l’impulsion doctrinaire de
plusieurs théoriciens dont Abdellah Azzam, et sous la conduite opérationnelle d’Oussama
Ben Laden. Les différents mouvements extrémistes qui n’agissaient jusqu’alors qu’aux
échelons nationaux, avaient trouvé dans le djihad contre l’armée soviétique, qui avait
envahi l’Afghanistan, une cause leur permettant de se rassembler en un contingent
international. Ces différents mouvements extrémistes se seraient réunis sous une même
bannière représentant la lutte des musulmans contre un envahisseur « mécréant » (Bassou,
2018, p. 1). La fin de la guerre d’Afghanistan aurait vu naître la première génération de
combattants internationaux du Djihad sous l’égide d’Al-Qaïda. Il semble que cette première

173
Cf. interview du SG de l'UMA, 25- 11-2005, disponible sur le site officiel de l'UMA.

244
génération avait été montée, bénie et même formée par les USA, le Pakistan et l’Arabie
Saoudite (Bassou, 2018, p. 1).

Par ailleurs, suite à l’échec de la tentative de faire de l’Afghanistan une base de


départ pour ses opérations du fait de l’intervention américaine qui a délogé les Talibans du
pouvoir, les combattants d’Al-Qaïda se sont dispersés. Ces combattants vont rejoindre
d’autres fronts tel que la Bosnie, ou retourner dans leurs pays d’origine où ils avaient pour
mission de combattre leurs régimes et même de perpétrer des attentats dans les pays jugés
alliés de ces régimes. Ce sont ces combattants retournés dans leur pays qui ont créé par la
suite de nouveaux groupes locaux affiliés à Al-Qaïda. Les plus connus sont le Groupe
Islamique Armé (GIA) algérien, les Groupes Islamistes Combattants Marocains et Libyens
(GICM et GICL) ou Al-Qaïda en Péninsule Arabique (AQPA).

Au Maghreb, l’Algérie a été le premier pays maghrébin à être frappé par le


terrorisme. Les moudjahidines qui sont revenus de l’Afghanistan au début des années 1990
ont joué un rôle primordial dans la naissance de mouvements extrémistes en Algérie174. Le
Groupe Islamique Armé (GIA) a été alors le premier mouvement terroriste. Par la suite le
GIA devient, vers la fin des années quatre-vingt-dix, le Groupe Salafiste pour la Prédication
et le Combat (GSPC) a été créé en Algérie. Après l’annulation du processus électoral de
1991, que les islamistes étaient certains de remporter, le GSPC va s’illustrer comme l’un
des groupes extrémistes violents qui s’est dressé contre le gouvernement de l’Algérie.
L’insurrection fomentée par les islamistes a été matée par les autorités algériennes. Le
mouvement s’était alors dispersé dans la région.

Combattu et acculé jusque dans ses derniers retranchements, le terrorisme en Algérie


semble avoir été vaincu militairement et politiquement. L’ensemble du Maghreb est à
présent menacé par un phénomène qui connait des mutations rapides et profondes. C’est
ainsi que le GSPC va s’affilier à Al-Qaida, pour devenir Al-Qaïda au Maghreb Islamique,
plus connu sous son sigle AQMI. C’est le 26 Janvier 2007, que le GSPC prend la
dénomination Al-Qaïda au Maghreb Islamique. L’affiliation par allégeance du GSPC à la
centrale terroriste est déjà confirmée depuis septembre 2006 par Ayman Al Zawahiri,

174
SCRS Atelier sur « Le terrorisme en Afrique du nord et au sahel la menace régionale se répand-elle? », de
la série Regards sur le monde : avis d’experts, Publication n°2016-12-05, p. 52

245
principal lieutenant de Ben Laden auparavant (Bassou, 2018, p. 5). En devenant AQMI, le
GSPC entend étendre son champ d’action, au-delà des frontières de l’Algérie, sur toute
l’Afrique du nord islamique. L’année 2006 et le début de 2007 ont consacré le renforcement
de l’alliance entre les organisations terroristes au Maghreb d’une part, entre celles-ci et
d’autre part avec Al Qaïda. Le GSPC devenu AQMI va ainsi se connecter au Groupe
Islamique des Combattants Marocains (GICM) et au Groupe Islamique des Combattants
Libyens (GICL), ainsi qu’au Front Islamique Tunisien (FIT) et au Groupe Mauritanien pour
le Prêche et le Jihad (GMPJ). Ces mouvements extrémistes vont conjuguer leurs actions
contre les intérêts nationaux et étrangers dans la région.

Dans la foulée, en 2006 le GSPC attaqua une caserne à Lemgheity en Mauritanie. À


la fin de cette même année, le GSPC a par ailleurs menacé de s’en prendre au rallye Paris-
Dakar, ce qui a contraint les organisateurs à annuler deux étapes de la course entre la
Mauritanie et le Mali. Selon les spécialistes, plusieurs indices corroborent les liens entre
les organisations terroristes maghrébines. Les membres du GICM, auteurs des attentats de
Casablanca de 2003, auraient été formés par le Groupe Islamique des Combattants Libyens
(GICL) qui s’était distingué par une tentative d’assassinat contre Kadhafi à Benghazi en
1996. En mars 2005, dix membres du Front Islamique Tunisien (FIT) ont été arrêtés en
Algérie. Tous ces évènements prouvent la jonction entre les terroristes tunisiens,
marocains, libyens et le GSPC (Baghzouz, 2013) désormais AQMI.

Depuis, le Printemps Arabe175, comme expression du mécontentement de la jeunesse


maghrébine, qui a vu la chute des régimes autoritaires et dictatoriaux du Maghreb, nous
pouvons dire qu’une nouvelle topographie du terrorisme a aussi vu le jour au Maghreb. Ce
qu’il convient d’appeler désormais le « Maghreb du terrorisme » est une réalité et en même
temps un défi aux États encore désunis de la région. En effet, la porosité des frontières et
la facilité avec laquelle les terroristes peuvent se mouvoir d’un pays à l’autre témoignent,
dans le Grand Sahara, d’une absence flagrante de coopération entre les services secrets et
les polices maghrébines, due à une méfiance, toujours, mutuelle. Les organisations

175
Le printemps arabe est le nom donné au soulèvement populaire de la jeunesse maghrébine de 2011. Le
mouvement qui est né en Tunisie et qui s’est étendu sur presque tout le Maghreb, excepté le Maroc et la
Mauritanie, réclamait plus de justice sociale, l’emploi pour les jeunes et surtout le renforcement de l’état de
droit et de la Démocratie.

246
terroristes, quant à elles, ont su développer et unir leur capacité en profitant de l’absence
d’un Maghreb uni qui aurait pu réduire leur liberté d’action.

Les mouvements extrémistes, bien que s’agissant souvent de mouvements


autonomes sont uni à travers un ensemble de système d’allégeance qu’ils prêtent à de plus
grands mouvements terroristes. Ainsi, deux idéologies extrémistes sont présentes
aujourd’hui en Afrique et se partagent le paysage terroriste du Grand Sahara, le Maghreb
inclus. D’une part, la tendance de l’organisation « État Islamique » ou Daech et d’une autre
part, la tendance « Al-Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) ». En 2014, une faction
extrémiste algérienne basée dans la région Kabyle se sépare d’Al Qaeda au Maghreb
Islamique (AQMI) et prête allégeance à l’État Islamique (EI). C’est ainsi que « Jund Al-
Khilafa fi Ard al-Jazaïr » voit le jour en Algérie. Inconnue du grand public, cette
organisation fait sa première apparition médiatique quelques jours après sa création avec la
publication d’une vidéo dans laquelle un otage français est décapité (Abdelhak & Ihssane,
2017, p. 2).

À côté de ce groupe, il y a aussi des groupements extrémistes tels que : Al


Mourabitoun - Al Qaeda en Afrique de l’Ouest, le (Mouvement pour l'unicité et le jihad en
Afrique de l'Ouest) MUJAO, Ansar Dine, le Mouvement National de Libération de
l’Azawad (MNLA), ou le Jamaat Nousrat Al Islam Wa Al Mouslimoun (JNIM). Tous ces
mouvements seraient affiliés à Al Qaïda. Cependant, actuellement, le paysage terroriste
dans le Grand Sahara et le Sahel est dominé par un groupe qui se démarque des autres par
le caractère violent de ses attaques de plus en plus meurtrières. En effet, au début, les
groupes terroristes basés (que nous avons cité plutôt) au Sud de l’Algérie, affiliés à Al
Qaïda constituaient la figure de proue du djihadisme saharien et sahélien. Mais désormais,
comme le reconnait le président français, Emmanuel Macron, l' « ennemi prioritaire » des
États du Maghreb et du Sahel, c'est l'État Islamique (EI) et sa filiale locale l'État islamique
du Grand Sahara (EIGS). Devant ses alliés sahéliens rassemblés en sommet à Pau, le 13
janvier 2020, E. Macron déclarait que dorénavant, « la priorité, c'est l'État Islamique du
Grand Sahara [EIGS] » (Le Figaro du 15/01/2020).

L’éclosion des mouvements extrémistes, depuis le printemps arabe et la chute de


Mouammar Kadhafi, démontre que le Grand Sahara et surtout le Maghreb sont devenus un
foyer résiduel, où se concurrencent les deux grandes organisations terroristes mondiales,

247
l’EI, Al Qaïda et leurs filiales. Si les mouvements terroristes locaux s’allient au grand
groupe pour former de véritable conglomérat, la coopération interétatique en matière de
lutte coordonnée anti-terrorisme, demeure aujourd’hui illusoire ou quelque peu limitée.
C’est ce que soulignait Maïga (2011, p. 10), l’ancien ministre des Affaires étrangères du
Mali, quand il écrit que « Les États de la région ne sont pas parvenus pour l’instant à
inscrire la coopération sécuritaire dans un cadre stratégique global (…). Pourtant, ils sont
membres d’une multitude de dispositifs, programmes et mécanismes régionaux et
internationaux, mais ceux-ci ne sont guère coordonnés quand ils ne sont pas concurrents. »

Face au manque de coopération et de coordination de politique sécuritaire régionale,


l’irruption de l'État Islamique du Grand Sahara (EIGS) est inquiétante. Créé en 2015 par
Adnane Abou Walid al-Sahraoui, un ancien membre du Front Polisario, l’EIGS vient
mettre de l’eau dans le moulin de ceux qui pensent que le mouvement indépendantiste
sahraoui, le Front Polisario s’est radicalisé et la partie du Sahara Occidental qu’il administre
est devenu un « nid » pour le terrorisme international.

2- Le Sahara Occidental : nouveau « foyer » du terrorisme dans le Grand Sahara

Au cours de ces dernières années, plusieurs études sur les questions de sécurité
régionale en Afrique du Nord, font état d’une collusion entre le Front Polisario et des
groupes terroristes tels AQMI et EIGS. Parmi les auteurs, pour qui le Sahara Occidental est
devenu un vivier du terrorisme sahélien, nous avons Moniquet (2010) et le professeur
Chauprade (s.d). Pour le premier tout comme pour le second, il existe une étroite
coopération opérationnelle entre l’AQMI et le Front Polisario. En effet, plus de trente années
de vain combat pour l’indépendance, n’est pas sans avoir certaines conséquences sur le
Front Polisario dont l’objectif principal est l’indépendance du Sahara Occidental. De fait,
l’incapacité du Front Polisario à réaliser son objectif, a considérablement affaibli le
mouvement, intensifiant, par là même, les dysfonctionnements déjà existants.

Pour Louveaux (2003), « le mouvement est désormais gouverné par quelques


personnes qui visent prioritairement leurs intérêts personnels dans la conclusion du
conflit ». Par ailleurs, depuis un certain temps maintenant, le Front Polisario est
régulièrement accusé de détournement des aides humanitaires, financières et matérielles
attribuées par des Organisations Non Gouvernementales (ONG) ainsi que par des

248
organisations internationales destinés aux populations des camps de Tindouf. C. Moniquet
postule alors que le mouvement indépendantiste sahraoui profite également de sa position
privilégiée dans une région échappant au contrôle des États pour s’enrichir en participant au
trafic d’armes. Pour lui, le Polisario serait « un mouvement gangrené par la criminalité » et
« en proie à l’islamisme radical » (Moniquet, 2010, p. 10).

Lors d’une conférence organisée à l’Université de Genève sur le mouvement


indépendantiste sahraoui, le Font Polisario, Chauprade (s.d) soutenait que c’est « Sous
l’effet conjugué d’une impuissance politique et militaire croissante et de l’arrivée dans ses
rangs d’une nouvelle génération de militants imprégnés d’intégrisme, le Polisario
basculerait à terme vers l’islamisme radical et le terrorisme ».176 Pour le même auteur, la
« mutation » du Polisario au radicalisme et l’extrémisme peut s’expliquer par le fait que
depuis quelques années : « on observe qu’un certain nombre de mouvements identitaires
locaux (séparatistes), qui avaient, du temps de la guerre froide, adopté le marxisme-
léninisme comme idéologie transnationale, changent de référentiel idéologique et optent
pour l’islamisme radical. »

L’islamisme radical qui conteste, depuis un certain moment, l’ordre mondial et


l’hégémonie des grandes puissances capitalistes, constituerait, désormais, la nouvelle
idéologie révolutionnaire transnationale des mouvements qui avaient choisi pour idéologie,
le marxisme-léninisme. Pour Chauprade (s.d), « la mutation du Polisario s’inscrit dans ce
cadre ».

Pour étayer son hypothèse, Chauprade (s.d), s’appuie sur l’arrestation par les
services de sécurité mauritaniens, à la mi-janvier 2004, d’un membre actif du Polisario,
Baba Ould Mohamed Bakhili. En effet, ce personnage et plusieurs de ses lieutenants,
auraient été arrêté en flagrant délit de vol « de grandes quantités d’explosifs dans les dépôts
de la Société nationale mauritanienne de l’industrie minière (153 bouteilles de produits très
inflammables et 12 kilomètres de fil qu’on utilise pour les explosions télécommandées) ».
La nature du matériel volé a suscité de nombreuses interrogations parmi les experts qui
s’interrogent de savoir si le Polisario avait l’intention de passer à l’acte ou cherchait-il à

176
L’article est disponible en ligne. http://polisario-confidentiel.com/265-linquietante-connexion-polisario-
algerien-et-al-qaida.html

249
vendre ces produits à des groupes radicaux islamistes présents dans les régions frontalières
poreuses du Grand Sahara ? Il est difficile de réponde à cette question. Toutefois, Moniquet
(2005) soutient que :

les 153 bouteilles de produits inflammables et les quelque 12 kilomètres de fil utilisé
pour des explosions télécommandées retrouvés dans la ville mauritanienne de Zérouate
ne font en effet pas partie du matériel utilisé habituellement par les guérillas mais plutôt
par des organisations terroristes désireuses de fabriquer des bombes (p. 69).

Par conséquent, il se soulève des interrogations comme quoi le Front Polisario serait
affilié à des groupes terroristes ou serait leur fournisseur en ingrédients indispensables à la
fabrication de bombes pour des attentats terroristes. Pour certains experts, le Polisario a déjà
tissé des relations avec des groupes islamistes radicaux. C’est le cas Chauprade (s.d). Il
souligne qu’ « On peut même parler d’une certaine complémentarité entre des franges du
Polisario (la nouvelle génération intégriste), le GSPC algérien (...) et des éléments
islamistes radicaux, essentiellement des vétérans d’Afghanistan à la recherche de relais. »
Une mutation accélérée serait en cours dans le Grand Sahara avec la formation d’un « arc
intégriste du Sahara » qui constituerait une base arrière pour Al Qaeda. Cet arc, de l’avis
de Chauprade (s.d), « s’étend du Sud du Maroc et de l’Algérie au Nord du Tchad, [incluant
donc le Sahara Occidental] en passant par les confins du Mali, du Niger et de la
Mauritanie ».

Certaines sources sécuritaires font aussi état depuis quelques années d’un intérêt
certain et croissant de l’AQMI pour le Front Polisario, qui serait devenu un des principaux
bassins de recrutement de cette organisation terroriste. En effet, il n’est pas exclu que les
camps de Tindouf et la zone du Sahara contrôlés par le Polisario soient une sorte de « zone
grise » pour des organisations comme l’Al Qaïda, sa filiale locale AQMI et l’EI. Pour un
directeur des opérations de la DEA (Drug Enforcement Agency), l’agence américaine de
lutte anti-drogue, dans les camps de Tindouf, « les jeunes âgés entre 16 et 25 ans sont spoliés
de leurs droits et vivent dans des conditions abjectes et sans espoir d’un lendemain
meilleur ». Il ajoute que « les organisations terroristes puissantes telle al-Qaïda au
Maghreb islamique sont des experts en matière de détection de personnes présentant de tels
signes de vulnérabilité. » par conséquent, « les camps de Tindouf représentent une mine
d’or potentielle pour les recruteurs de groupes comme AQMI » (Aujourd’hui Le Maroc, 18

250
février 2010). La collusion du Polisario d’avec AQMI est aussi confirmée par Ammour
(2012) quand elle écrit que :

AQMI devenue une insurrection régionale ayant des points d’appui dans les
communautés locales, elle opère avec le soutien d’agents gouvernementaux et de
sécurité ainsi qu’avec les trafiquants de drogue (parmi lesquels des Sahraouis du
territoire contesté du Sahara Occidental) et autres contrebandiers.

L’asymétrie territoriale de la violence terroriste impliquerait alors que le territoire


sahraoui soit devenu le foyer pour la préparation d’attentats, pour la logistique et le transit
de groupes armés tels que le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), et
État islamique du Gand Sahara (EIGS). L’avènement de ce dernier groupe crée par un
ancien membre du Polisario, Adnane Abou Walid al-Sahraoui, vient confirmer le fait que
le Polisario se transforme en un vivier terroriste. Des émirs d’AQMI soutiennent même que
« recruter au sein des camps du Polisario est à la fois un moyen de combler les pertes dans
leurs propres rangs et l’assurance d’obtenir des moudjahidine aguerris, connaissant
parfaitement le terrain saharien » (Soudan 2012).

L’affluence de jeunes venus des camps sahraouis et des colonnes du F. Polisario


pour grossir les rangs des jihadistes ne signifie pas qu’aujourd’hui, tout ce mouvement soit
devenu une filiale d’Al Qaïda ou de l’État Islamique. Mais au vu de la conjoncture
sécuritaire régionale et internationale, si dans les années à venir, le problème du Sahara
Occidental n’a pas eu d’issue, ce territoire (du moins la partie contrôlée par les Sahraouis)
pourrait se transformer en un véritable « État terroriste ». Il n’est pas aussi exclu que, le
Front Polisario se transforme complètement en un mouvement islamiste radical rattaché au
tristement célèbre Al Qaïda ou à l’État Islamique déjà que ces organisations ont leurs filiales
dans la région.

Au terme du présent chapitre, nous pouvons retenir que le Sahara Occidental se


présente comme « l’os dans la gorge » des dirigeants des États maghrébins et le prétexte du
blocage de l’Union du Maghreb Arabe créée pour promouvoir l’intégration et la coopération
régionale. « Heartland » du Maghreb, le Sahara Occidental est au cœur des rivalités
hégémoniques des deux poids lourds de la région, le Maroc et l’Algérie. Avec la
prolifération de mouvements extrémistes dans le Grand Sahara du fait de la porosité des
frontières de la région et le manque de coopération réelles entre les États du Maghreb, les

251
réfugiés sahraouis se transforment en une importante ressource humaine pour AQMI et
l’EIGS. Dans ce contexte, le contrôle du Sahara Occidental devient non seulement un enjeu
pour la sécurité et la stabilité des États du Maghreb et du Sahel mais aussi pour l’Occident.

252
CHAPITRE 10 : LES GRANDES PUISSANCES INTERNATIONALES, LE
MAGHREB ET LE CONFLIT DU SAHARA OCCIDENTAL

Le Maghreb, en dépit du manque d’intégration régionale, joue tout de même un rôle sur
l’échiquier international. Pour cause, les grandes puissances internationales ont des intérêts
au Maghreb et sont donc soucieux du climat socio-politique qui y règne ou qui devrait y
régner. Depuis le début du deuxième millénaire, surtout depuis la fin de la guerre froide et
le début de la guerre contre le terrorisme avec les attentats du 11 septembre 2001, le
Maghreb est devenu un espace convoité et courtisé. Toutes les grandes puissances et
singulièrement celles qui sont dotées d’une présence militaire en Méditerranée comme les
États-Unis, la Russie et la France, l’Espagne, mais aussi la Chine, et l’Inde sont intéressés
par cet espace.

Désormais, face à la nouvelle menace terroriste fortement implantée dans la région,


la sécurité de l’Afrique, de l’Europe, des États-Unis et même de l’Asie, du monde en un
mot, se joue aussi au Maghreb. C’est ce qui explique le regain d’attention des grandes
puissances pour cette région et surtout dans la question du Sahara Occidental.

I. LE MAGHREB DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES

Dans le monde actuel confronté à des bouleversements, liés à la mondialisation des


dernières décennies et à la crise économique, la nécessité de trouver de nouveau partenariat
global entre les continents s’impose. Dans ce contexte actuel de globalisation, le Maghreb,
de par sa position (géo) stratégique en Afrique et dans le monde arabe, mais également pour
la richesse de son sous-sol en richesses naturelles qui revêt un intérêt certain pour les
puissances internationales.

Cet espace n’est certes pas le « pivot central » des relations internationales, toutefois,
les Européens, Américains, Russes, et Asiatiques ont des intérêts au Maghreb et sont
soucieux de l'ordre qui y règne ou qui devrait y régner. Pour ce faire, ils multiplient les
actions de coopération avec cette région.

253
1- Les États-Unis et le Maghreb

La politique étrangère américaine du Maghreb, depuis la fin de la Première Guerre


Mondiale, a évolué au gré des conjonctures socio-politiques propres à chacun des États de
la région. De fait, la diplomatie américaine s’est adaptée au climat politique des pays de la
région. Depuis les évènements tragiques du 11 septembre 2001, l’intérêt des États-Unis pour
le Maghreb s’est considérablement accru. Nous analyserons l’évolution de cette politique,
les enjeux de la politique américaine dans la région et pour finir, nous allons nous pencher
sur les raisons pour lesquelles le Maghreb est devenu une région stratégique pour
l’Administration américaine. Pour commencer, disons qu’à la base, le Maghreb, en dépit de
sa position géostratégique et des innombrables richesses (minières, hydrocarbures,
halieutiques) dont regorge son sous-sol, est resté longtemps en marge des grandes lignes de
la stratégie américaine. Les administrations américaines considéraient le Nord de l'Afrique
comme un pré carré européen, notamment, français.

Le positionnement des États-Unis dans le monde arabe et singulièrement dans le


Maghreb, tant sur le plan économique que politique, s’est fait à la faveur de certains
événements dans cette région. Pour le professeur Zoubir, (2006, p. 3) trois périodes peuvent
être distinguées pour comprendre l’évolution de la politique américaine du Maghreb. Il
s’agit de la période de la deuxième Guerre Mondiale, de la période de la décolonisation dans
les années 1950 et 1960 et, enfin, le conflit du Sahara Occidental jusqu’aux années 1980.
Mais à ces trois périodes ou événements, il y faut aussi prendre en compte la période de la
guerre froide, la période des débuts des années 1990 jusqu’aux années correspondant à la
fin de la bipolarisation et l’instauration d’un monde multipolaire. Enfin, il y a la période
partant du 11 septembre 2001 à nos jours, période marquée par le terrorisme international.

Tout d’abord, il faut dire que pendant la guerre froide, dans le cadre de sa politique
anticommuniste, les USA n’accordaient pas beaucoup d'intérêt au Maghreb malgré sa
position géopolitique. En effet, les États-Unis ne concevaient pas le Maghreb comme une
entité régionale et préféraient donc nouer des relations bilatérales avec chacun des États
notamment le Maroc et la Tunisie, les deux pays ouvertement pro-occidentaux. Le Maghreb
en tant que région n’avait de signification que par rapport aux conséquences que l’évolution
dans cet espace pouvait avoir sur la stabilité de l’Europe méridionale, flanc sud de l’OTAN
(Zoubir, 2006, p. 3).

254
D’une manière plus concrète, après la seconde Guerre Mondiale, et donc pendant
toute la période de la guerre froide, dans le cadre de leur politique d’endiguement, les États-
Unis désiraient surtout juguler l’influence communiste, et promouvoir leurs intérêts et ceux
de leurs alliés occidentaux. Pour réaliser cet objectif, les Américains s’en étaient remis à la
France, ancienne puissance coloniale de la plupart des États de la région, pour y jouer un
rôle prépondérant au sein de ses anciennes colonies. En réalité, et les experts sont unanimes
pour le dire, les Américains n’avaient pas une politique proprement dite maghrébine avant
les années 1990 (Zoubir, 2006, p. 3). La fin de la guerre froide marquée par l’implosion de
l’URSS et qui a consacrée la supériorité des États-Unis, a été marquée par l’apparition
graduelle d’une politique maghrébine américaine. À cette époque, l’intérêt du Maghreb pour
les Américains, était dictée par la stratégie globale de l’hégémonie internationale
américaine.

Après la période de la guerre froide, l’intérêt américain pour le Maghreb s’est accru
pour des raisons économiques et aussi dans le contexte de la globalisation. En effet, vers
l’an 2000, la politique Étatsunienne maghrébine était purement d’ordre économique
privilégiant la coopération économique pour un développement durable au Maghreb. Cette
politique visait le renforcement de la stabilité et de la prospérité économique des États de la
région. C’est dans ce cadre que l’ « Initiative Eizenstat ou Alliance économique entre les
États-Unis et l’Afrique du Nord » encore appelé « Programme économique américain pour
l’Afrique du Nord » a été mis en place en 1999.

Ce Programme économique États-Unis Afrique du Nord visait à resserrer les liens


entre les États-Unis et les trois pays du Maghreb (le Maroc, la Tunisie et l’Algérie) en
matière de commerce et d’investissements. Pour ce faire, le programme devait d’une part «
favoriser davantage le commerce entre nos pays, inciter un plus grand nombre
d’entreprises américaines à investir dans la région, créer des emplois bien rémunérés […]»
et, d’autre part, « favoriser la réduction des barrières internes entre les pays de l’Afrique
du Nord qui ont freiné les flux de commerce normaux entre ces pays. » (Zoubir, 2006, p. 4).

Par ailleurs, à travers le programme, l’administration américaine entendait soutenir


économiquement les trois pivots centraux du Maghreb dans le but de ressusciter
l’organisation supranationale, l’Union du Maghreb Arabe (UMA) et aussi favoriser la
réouverture de la frontière algéro-marocaine, fermée depuis août 1994. Le 11 septembre

255
2001 (11-S), les États-Unis ont été frappé en plein cœur par un acte terroriste inédit et d’une
extrême violence. Le choc produit par cet attentat a été un évènement planétaire. Il ne sera
pas exagéré de dire que cet événement a changé la face du monde. Cet événement va
bouleverser les grandes lignes de la stratégie sécuritaire et géopolitique américaine sur
l’échelle planétaire. Dans cette ligne de lutte anti-terroriste international que va entreprendre
l’Administration américaine, l'Afrique du Nord va constituer une pièce maîtresse dans la
guerre contre le terrorisme déclenchée après le 11-S.

Après les attentats du 11-S, les États-Unis ont commencé à associer le terrorisme au
monde arabe, notamment le Moyen Orient et le Nord de l’Afrique, et à la religion
musulmane (Ettwiller, 2014, p. 14). Dans ce contexte, l’Administration américaine a
accordé plus d’attention au Maghreb, car il semblerait que certains membres du réseau
terroriste d‘Al Qaïda, dénommés les « Arabes afghans », soient d’origine nord-africaine
(Zoubir, 2006, p. 4). Pour lutter contre le terrorisme à la racine, les Américains vont
renforcer leur présence dans cette zone considérée comme vitale pour la sécurité dans
l’ensemble de la Méditerranée. Pour ce faire, le projet Eizenstat lancé en 1999 va changer
d‘objectif pour s'attaquer aux fondements économiques, sociaux et politiques du terrorisme.
L’initiative Eizenstat a été aussi amendé pour inciter les pays maghrébins à entreprendre
des réformes politiques et économiques nécessaires, afin d’enrayer le terrorisme (Faty,
2016, p. 270).

De par son positionnement géographique, le Maghreb est considéré comme une zone
« tampon » entre la Méditerranée et l'Afrique Subsaharienne où l'enjeu est majeur pour la
sécurité des États-Unis et celle de ses alliés. Depuis la fin de la guerre froide, et après le 11
septembre, les États-Unis voient dans le Maghreb une zone d’instabilité et d‘insécurité pour
les intérêts américain et occidentaux. Du fait du manque coopération régionale, le
terrorisme, le trafic de la drogue, l’immigration, l’instabilité politique et les crises de toutes
sortes dans le Maghreb font que les États-Unis entendent garder un œil sur cette zone.

Dans la conjoncture actuelle, le Maghreb est devenu une nouvelle zone de sécurité
pour Washington. Par conséquent, l’objectif principal pour les États-Unis est de développer
avec le Maghreb une étroite coopération militaire et économique liée à la sécurité. Toutefois,
les Américains ne sont pas sans ignorer l’importance du pétrole et du gaz naturel dans la
région, notamment en Algérie et en Libye. Il ne fait aucun doute que les États-Unis craignent

256
de voir le Maghreb devenir une base de recrutement et d’activités pour l’État Islamique et
Al Qaeda. Cela pourrait constituer un véritable danger pour les intérêts et la stabilité des
USA. C’est pour cette raison que le président George W. Bush déclarait en 2002 que :

Nous continuerons d’encourager nos partenaires régionaux à entreprendre des efforts


coordonnés afin d’isoler les terroristes. Une fois que la campagne régionale localise la
menace contre un État en particulier, nous nous assurerons que cet État a les moyens
militaires, les mesures légales, ainsi que les instruments politiques et financiers pour
finir la tâche.177

Depuis les événements du 11 septembre, les États-Unis vont changer de paradigmes


envers le Maghreb. L’objectif principal n’est plus seulement de développer un partenariat
économique, mais une coopération militaire et sécuritaire étroite. Au demeurant, le 11-S a
favorisé une amélioration des relations bilatérales entre les États-Unis et les régimes
maghrébins en place, notamment algérien (depuis 2001), mauritanien (depuis 2002),
marocain (depuis mai 2003, suite aux attentats de Casablanca), et libyen (après décembre
2003) (Zoubir, 2006, p. 15).

Pour terminer, nous pouvons dire que la récente politique maghrébine des États-Unis
du XXIe siècle est le relent des attentats du 11 septembre 2001. En effet, les États-Unis
fidèles à eux-mêmes ne recherchent que leur propre intérêt, c’est-à-dire, leur sécurité.
Officiellement, au Maghreb, les États-Unis recherchent la stabilité et la prospérité de
l’Afrique du Nord en renforçant les relations avec le Maroc, la Tunisie et l’Algérie et
encourager les réformes politiques et économiques. Mais, il appert que le renforcement des
relations dont il est question vise à lutter contre le terrorisme, la prolifération des armes, le
trafic de drogue ; en un mot lutter contre tout ce qui peut nuire aux intérêts étatsuniens.
L’intérêt croissant démontré par les États-Unis pour une zone qui était jusqu’alors
considérée comme sous influence européenne, va réveiller l’intérêt de l’Europe pour cette
zone. Soucieux de l’influence Américaine au Maghreb, les européens vont alors chercher à
faire barrage en projetant une coopération globale euromaghrébine.

177
The White House, The National Security Strategy (Washington DC, The White House, septembre 2002),
disponible sur http://www.whitehouse.gov/nsc/nss/2002

257
2- Le couple Europe-Maghreb : entre coopération politico-économique et méfiance

Dans un discours sur « L’Europe, le Maghreb et l'Afrique : Pour un nouveau


partenariat global » prononcé au Forum International de Réalités, De Villepin (2010)
soutenait que : « L’Europe, le Maghreb et l’Afrique partagent un héritage commun nourri
par une longue histoire commune et par des échanges humains et commerciaux intenses,
forts des cinq millions de ressortissants d’Afrique et du Maghreb qui vivent en Europe ».
C’est par ces termes que De Villepin définissait la nature des relations euromaghrébines. Il
faut dire que les relations entre le Maghreb et l’Europe se sont tissées avec le flux et reflux
de l’histoire, de la géographie et des intérêts des populations des deux rives de la
Méditerranée. Toutefois, il est difficile de dire avec précision à quand remonte les débuts
des relations entre ces deux espaces. Les auteurs divergent sur la question. Quand un
soutient que « les liens économiques avec le continent européen remontent à l’époque
romaine » (Faty, 2016, p. 246), un autre postule que « le partenariat entre l’Europe et le
Maghreb à cinquante ans d‘existence » (Goumeziane, s.d). Mais quoiqu’il en soit, nous
pouvons dire que les relations entre le Maghreb et l'Europe sont aussi anciennes que
l'histoire.

La proximité géographique a été un facteur certain dans l’établissement de rapports


particuliers entre le Maghreb et l’Europe. En fait, en raison de leur voisinage, le partenariat
euromaghrébin s’est imposé comme une nécessité pour les deux entités de faire de la
Méditerranée un espace de paix, de coopération, de partage et de sécurité. C’est d’ailleurs
pour cette raison qu’actuellement, l’Europe est le principal partenaire économique du
Maghreb ; elle est le premier fournisseur et le premier client.

2.1. L’évolution du partenariat euromaghrébin

Les relations économiques euromaghrébines actuelles sont passées par plusieurs


étapes. Au tout début, ces relations étaient d’ordre économique et commercial. Le premier
accord commercial a été signé avec le Maroc en mars 1969. Au cours des années 1970, s’en
sont suivi des accords avec les autres pays du Maghreb, notamment la Tunisie et l’Algérie.
Mais ces premiers accords s’étaient fait dans un cadre bilatéral et non global. Comme le
souligne S. Goumeziane, au début des années 1990, la chute du Mur de Berlin et l’implosion
de l’URSS créent une situation nouvelle. Les ex-pays socialistes d’Europe centrale et

258
orientale (PECO) multiplient les demandes d’adhésion à l’Union. Dans ce cadre, ceux-ci
vont engager de véritables transitions économiques et politiques d’un système socialiste
autoritaire vers un système de marché démocratique. Face à cette nouvelle concurrence, les
pays du Sud et de l’Est méditerranéens (PSEM) se sont mobilisés pour exiger une relance
de la coopération euro-méditerranéenne (Goumeziane, s.d). Conscients que les intérêts
économiques de l’Europe au Maghreb sont considérables et que cet espace est, en effet, doté
de grandes potentialités, minières, énergétiques, maritimes et agricoles, en plus d’un marché
de plus de 70 millions de consommateurs, divers partenariats vont être tissés.

Le premier partenariat fut Euro-méditerranéen (EUROMED) approuvé par la


Commission européenne à Barcelone en novembre 1995. Il s’agit d’une coopération
économique, élargie aux nouveaux domaines de compétence de l’Union européenne
(environnement, transports, coopération transfrontalière) et un dialogue politique. Il a par
ailleurs donné lieu à plusieurs accords d’association (ou de libre-échange) de l’Union
européenne avec chacun des pays, notamment avec la Tunisie (1995), le Maroc (1996) et
plus tard l’Algérie (2005). Ce partenariat repose sur un cadre institutionnel complexe dans
lequel cohabitent deux dispositifs : bilatéral avec la conclusion d’accords d’association et
multilatéral.

Le deuxième accord de partenariat a été la Politique européenne de voisinage (PEV).


Cette nouvelle visait à soutenir et à favoriser la stabilité, la sécurité et la prospérité dans les
pays les plus proches des frontières européennes. À défaut d’une grande communauté
méditerranéenne, et à l’effet d’étendre la PEV en direction de la Méditerranée, une Union
pour la Méditerranée (UPM) est mise en place le 13 juillet 2008. Tout comme le processus
de Barcelone de 1995, initié par Jacques Chirac (De Villepin, 2010), l’UPM a été une
initiative du président français d’alors (Nicolas Sarkozy) et recadrée par l’Union européenne
(notamment par l’Allemagne). L’UPM développe une approche globale, pacifique et à
dominante économique au niveau de toute l’Europe et de toute la région sud et est
méditerranéenne. Dans la configuration actuelle de l’UPM, le Maghreb occupe une place
relativement marginale parmi les 16 pays éligibles à la politique de voisinage (PEV)
(Goumeziane, s.d).

259
Toutefois, si des progrès sont enregistrés dans les domaines politique, économique et
culturel, le processus de Barcelone, l’UPM ou le PEV se sont révélés incapables de
surmonter les obstacles en matière de sécurité. Fatigué des échecs de toutes les tentatives de
coopération globale ou multilatérale, la collaboration d’un petit nombre d’acteurs euro-
maghrébins sera mise en avant pour respecter des procédures réellement partenariales et se
focaliser sur des actions concrètes, directement effectives. C’est dans ce cadre qu’en 2004,
est née, une nouvelle démarche de coopération, plus connue sous le nom de dialogue « 5+5
». Instauré en 1990, le Dialogue « 5+5 » désigne un cadre de concertation pour la paix et la
sécurité entre cinq pays du Maghreb à savoir l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Mauritanie,
la Libye et cinq pays de l’Europe méridionale : la France, l’Espagne, l’Italie, le Portugal,
Malte. Pour Roche (2012, p.9) « le 5+5 s’est imposé dans le paysage multilatéral entre
1990 et 2010 comme un instrument au service du rapprochement entre le pays de la
méditerranée occidentale. »

Le Dialogue « 5+5 » se focalise principalement sur la sécurité régionale et la stabilité,


sur les enjeux économiques, sociaux et éducatifs ainsi que sur les questions migratoires. Il
constitue un cadre de dialogue informel au niveau des Chefs d’État et de gouvernement ou
des ministres concernés qui porte un programme de coopération régionale. Bien que ce
dialogue paraisse comme une structure resserrée et plus cohérente par rapport à l’UpM, le
« 5+5 » n’est toutefois pas encore une instance de concertation intergouvernementale
(Martin, 2012, p. 174).

Même s’il n’est pas encore question d’intégration dans le Dialogue « 5+5 », ce
mécanisme encourage néanmoins l’interdépendance entre ses membres et plaide en faveur
d’un resserrement des liens entre l’Europe et le Maghreb. Il permet aux dix pays de la
Méditerranée occidentale, proches par la géographie, la culture et l’histoire, de nouer un
dialogue dense et des coopérations dans tous les domaines, tels que l’immigration, la
sécurité, les trafics illégaux, etc. Aujourd’hui quoiqu’il en soit, l’Union Européenne (UE)
demeure le premier partenaire commercial de la Tunisie, de l’Algérie et du Maroc. De fait,
le commerce avec l’UE représente environ 63 % du commerce tunisien, 54 % du commerce
algérien et 60 % du commerce marocain (Cambon & Durrieu, 2014, p. 55). Quant aux
Investissements directs à l’étranger (IDE), l’Europe concentre 65,5 % de l’investissement
au Maghreb.

260
Mais il convient de souligner au passage que le Maghreb n’est pas seulement que le
partenaire économique traditionnel de l’Europe. Il n’est plus considéré simplement comme
une zone porteuse d’opportunités considérables, vecteur de développement des échanges
commerciaux et à même de produire une croissance durable et partagée. Le Maghreb est
devenu pour l’Europe source d’inquiétude de tout genre. En fait, dans l’imaginaire des
européens actuellement, l’Afrique du Nord constitue une menace pour leurs intérêts.

2.2. Le partenariat Maghreb-Europe face à la nouvelle conjoncture sécuritaire au


Grand Sahara

Le 11 mars 2004, une série d’attentats frappe Madrid et sa banlieue, faisant 191 morts
et quelques 1 900 blessés (Voir attentat de Madrid In Encarta, 2009). Cette attaque terroriste
a été revendiquée par le groupe islamiste Al Qaïda, dont la majorité des recrues seraient
d’Afrique du Nord (Zoubir, 2005, p.13). Depuis cette date jusqu’au déclenchement du
conflit libyen en 2011, le Maghreb est devenu une source de préoccupations pour l’Union
européenne, compte tenu des multiples défis de sécurité et de développement qui se posent
à la région et de leurs répercussions en Méditerranée occidentale.

Ainsi, de partenaire hier, les relations Europe Maghreb traversent une « zone de
turbulence » marquée par la méfiance des européens. Le Maghreb et l’Europe, eu égard à
leur proximité géographique, les pays de l’Europe, surtout l’Europe méridionale sont
préoccupés par les enjeux économiques, sécuritaires et géostratégiques dans l’Afrique du
Nord. Depuis l’implantation des deux faîtières du terrorisme international, l’État Islamique
et Al Qaïda, au Maghreb, la région ne cesse d’inquiéter les Européens qui craignent que le
Grand Sahara (Maghreb et Sahel) ne devienne la base arrière du terrorisme international en
destination de l’Europe. Pour l’Europe, leurs voisins du Sud jouent un rôle-clé sur le plan
de ses approvisionnements énergétiques, de la gestion des flux migratoires et de la lutte
contre le trafic illicite et le terrorisme. De ce fait, elle ne peut laisser des phénomènes
d’instabilité s’accentuer et se propager dans cette région (Baghzouz, 2013, p. 175).

La crise qui secoue aujourd’hui le Sahel, théâtre des activités terroristes, constitue
une lucarne pour rapprocher les points de vue des États maghrébins d’une part et maghrébins
et européens d’autre part. Cette crise se présente comme une opportunité pour inciter
maghrébins et européens à conjuguer leurs efforts dans le but de donner une bouffée

261
d’oxygène aux différents accords de partenariat euromaghrébin, notamment le Processus de
Barcelone, la PEV et l’UPM dont l’objectif, s’il fallait encore le rappeler, est d’instaurer
une zone de prospérité et de sécurité dans la Méditerranée. Préoccupée qu’elle est par les
enjeux sécuritaires persistant sur son flanc sud, l’Union Européenne va initier divers cadres
de coopération non pas seulement avec le Maghreb, mais également dans un cadre plus
large. C’est dans ce cadre que la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD)
est instituée. Telle que défini par le Conseil européen en décembre 2003 à travers sa
Stratégie européenne de sécurité, la PESD s’articule autour de trois points : « faire face aux
menaces », « construire la sécurité dans le voisinage de l’UE » et « régler le conflit israélo-
arabe » (Faty, 2016, p. 247).

La convergence des groupes terroristes au Sahel a suscité une nouvelle conjoncture


géopolitique dans le Grand Sahara. La situation sécuritaire dans cette zone inquiète l’Union
Européenne. Aussi bien les états maghrébins qu’européens sont conscients que la sécurité
du Gand Sahara, notamment la bande saharo-sahélienne, représente un défi en raison de
l’existence d’espaces peu peuplés et difficilement contrôlables, qui sont devenus des hubs
de trafics illégaux et où agissent des groupes terroristes affiliés à Al Qaeda ou plus
récemment à Daech.

La France, en sa qualité d’ancienne puissance coloniale et représentant l’Europe, va


s’impliquer fortement au Mali. En 2013 avec les déploiements militaires des opérations
Serval puis Barkhane, la France a pris ses responsabilités au Mali et assure la sécurisation
d’un large secteur au Sud du Maghreb, de la Mauritanie au Tchad. En conjuguant ses forces
avec celles locales, elle a contribué dans une certaine mesure à l’affaiblissement de la
menace terroriste au Sud du Maghreb. Devant l’intensification des menaces de toutes sortes,
du phénomène migratoire, au terrorisme en passant par le trafic de drogue, les Maghrébins
et Européens intègrent désormais la donne sahélienne dans leurs stratégies
méditerranéennes. Si pour le Maghreb, le Sahel représente sa profondeur méridionale
naturelle, pour l’Europe, en revanche, elle constitue une nouvelle ligne de frontière entre la
Méditerranée et l’Afrique Subsaharienne. En réalité, l’intérêt des Européens, notamment la
France, pour le Sahel est assorti des richesses qu’il recèle (uranium, pétrole, phosphate) et
les fenêtres d’opportunités qu’il peut offrir en matière de stratégie internationale de lutte

262
anti-terroriste, ou de concurrence avec les autres grandes puissances (Baghzouz, 2013, p.
175).

Pour faire face aux nouveaux défis sécuritaires que représente la menace terroriste au
Grand Sahara, tant les Européens et Maghrébins sont conscients que la réussite de toute
politique de coopération passe par une bonne coordination entre les moyens et les efforts.
Aujourd’hui, l’UE reste un acteur inéluctable pour toute politique sécuritaire dans le bassin
méditerranéen, mais l’un des grands défis auxquels elle est confrontée au manque
d’intégration et de coopération dans le Maghreb qui empêche la mise en œuvre d’une
politique européenne harmonisée avec la région. En plus des États-Unis et de l’Union
Européenne, la Chine est une également une puissance internationale fortement ancrée au
Maghreb.

3- Chine- Maghreb : les enjeux d’une relation essentiellement (géo) économique

Il convient de dire que par leur position géographique, les États du Maghreb, en dépit
du manque notoire de coopération régionale, sont au carrefour des régions porteuses
d’avenir. Il appert que les pays du Maghreb ont un grand potentiel, tant en énergie fossile
que renouvelable. En effet, ils sont, par exemple, parmi les premiers producteurs et
exportateurs de phosphate et leur sous-sol est très riche en ressources naturelles. Selon des
auteurs, les États du Maghreb « représentent plus de 4 % de la production mondiale et des
réserves connues. L’Algérie et la Libye se classent au 14e et 15e rang mondial des pays
exportateurs de pétrole.» (Cambon & Durrieu, 2014, p. 58). Compte tenu de l’importance
géoéconomique et des énormes potentialités économiques des États du Maghreb, ceux-ci ne
pouvaient rester hors du giron de l’empire du Milieu. Selon un auteur, l’un des faits saillants
de ce début de ce deuxième millénaire, est l’ « invasion chinoise » du Maghreb, considéré
pendant longtemps comme la « chasse-gardée » des anciennes puissances coloniales
européennes (Nicolas, 2010, p. 4), notamment la France. En effet, nous assistons
actuellement à un renforcement progressif de la présence chinoise au Maghreb central et,
de façon plus générale, en Afrique du Nord.

Pour mémoire, la République Populaire de Chine (RPC) fut le premier État non arabe
à reconnaître le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en décembre
1958. Elle a ensuite établi des relations diplomatiques avec les pays du Maghreb peu après

263
leur indépendance : en novembre 1958 avec le Maroc, en janvier 1964 avec la Tunisie, puis
en 1965 avec la Mauritanie. Seules les relations diplomatiques avec la Libye ont été
instaurées plus tardivement en 1978, puisque Tripoli reconnaissait jusqu’alors la
République de Chine (Taiwan) (Lafargue, 2018).

Plus importantes que les relations purement politiques, il faut reconnaitre que le
principal intérêt porté par la Chine à l’Afrique du Nord s’explique par des enjeux
énergétiques, miniers et commerciaux. Le Maghreb est l’un des fournisseurs de la Chine en
hydrocarbures. C’est ainsi que la Libye (avant la guerre civile qui dure depuis 2011)
exportait près de 10 % de sa production en pétrole vers la Chine. Avec la crise libyenne,
désormais seule l’Algérie reste un fournisseur en hydrocarbures. Mais cette fourniture reste
marginale puisqu’elle ne couvre que 1,3 % des importations pétrolières chinoises (Lafargue,
2018).

En matière minière, même si le sous-sol du Maghreb n’est pas aussi riche en minerais
et en métaux qu’en Afrique Australe, mais les minerais et métaux présents constituent une
proportion non négligeable. En Mauritanie par exemple, la quasi-totalité des importations
de la Chine est constituée de minerai de fer Au Maroc, la moitié des exportations du
royaume vers les ports chinois sont également des minerais (cuivre, zinc et plomb).

Au niveau commercial, les pays du Maghreb se présentent comme un marché


prometteur de près de 100 millions de clients potentiels pour les entreprises chinoises,
susceptibles de distribuer leurs biens de consommation courants (produits électroménagers,
textile), adaptés à des populations au pouvoir d’achat encore limité, mais davantage
solvables qu’en Afrique Subsaharienne. La Tunisie, le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie
représentent 15 % du PIB du continent africain pour 8 % de sa population. Toutefois, les
marques et produits chinois sont encore perçus comme peu fiables pour un consommateur
assez averti (Lafargue, 2018).

Depuis la période coloniale jusqu’à l’heure actuelle, la République Populaire de


Chine a su tisser avec chacun des cinq pays du Maghreb une relation particulière. Mais,
l’intérêt chinois pour la région est économique. La lutte pour son indépendance a permis à
l’Algérie de nouer avec la Chine des relations privilégiées à la fin des années 1950 et au
début des années 1960. C’est encore sur ce fondement historique que reposent les relations

264
entre ces deux pays (Pairault, 2018, p. 136). Aujourd’hui, l’Algérie est l’un des plus anciens
et des plus importants partenaires économiques de Pékin en Afrique du Nord. Pékin
s’intéresse aux abondantes réserves de pétrole et de gaz. Depuis le début des années 2000,
les relations économiques sino-algériennes ont pris véritablement leur essor. En 2013, la
Chine a écarté la France de sa première place et, en 2018, ses exportations y ont atteint 7,85
milliards de dollars, un montant record pour le commerce chinois au Maghreb. Sur le sol
algérien, les entreprises chinoises opèrent principalement dans les domaines de la
construction, du logement et de l’énergie (Ghafar & Jacobs, 2019).

Dans le domaine de la construction par exemple, de grands projets tels que l’opéra
national d’Alger, l’hôtel Sheraton en bord de mer, dans la banlieue ouest de la capitale, la
grande mosquée d’Alger et l’autoroute est-ouest sont là pour cristalliser la préférence du
partenariat économique chinoise d’Alger. La réalisation de ces chantiers a drainé dans leur
sillage des milliers de travailleurs et de commerçants qui ont créé un « Chinatown » au sein
du quartier de Boushaki, dans la banlieue Est d’Alger (Ghafar & Jacobs, 2019).

Avec le Maroc les relations diplomatiques remontent à novembre 1958. Les


investissements et échanges chinois avec le Maroc, sont au beau fixe. Toutefois, depuis
2016 année à laquelle le roi Mohammed VI s’est rendu en Chine, les investissements et les
échanges commerciaux ont un essor. La construction de la plate-forme Tanger Med 1, dans
le Nord, est devenue le plus grand port à conteneurs d’Afrique, devant ses rivaux de Port-
Saïd (Égypte) et de Durban (Afrique du Sud). Des entreprises telles que le géant des
télécommunications Huawei prévoient d’y établir des centres logistiques régionaux. À
l’occasion du 10e anniversaire de l’inauguration du port, Rabat a annoncé un projet
d’investissement de 10 milliards de dollars, baptisé « Cité Mohammed VI Tanger Tech »,
qui devrait accueillir deux cents usines dans les dix prochaines années, faisant du Maroc la
plus grande plate-forme industrielle chinoise du continent (Gharbaoui, 2019).

En 2004, la société chinoise, Transtech Engineering Corporation (TEC) a été chargé


de la construction du tunnel ferroviaire de Borj Moulay Omar sur la voie qui relie Sidi
Kacèm à Meknès et celle des travaux de liaison ferroviaire entre Tanger et le port de Ras
R’mel. Le 5 septembre 2018, à l’occasion de la célébration des 70e anniversaire des relations
sino-marocaine, le président Xi Jinping, n’a pas manqué de souligner que son pays, la Chine,
« considère le Maroc comme un partenaire important dans la construction de la Belt and

265
Road Initiative [BRI] 178». La Chine cherche aussi à approfondir ses échanges commerciaux
avec la Tunisie et la Libye. En 2018, elle a signé des protocoles d’entente dans le cadre de
la BRI avec ces deux pays (Ghanmi, 2018). Avec la Tunisie, ses ventes ont atteint en
moyenne annuelle 1,85 milliard de dollars depuis 2016, ce qui la classe au troisième rang
des partenaires économiques tout juste derrière la France et l’Italie. La Russie est également
intéressée par la région.

4- La Russie et le Maghreb

Du 22 au 24 octobre 2019, s’est tenu à Sotchi, au bord de la mer Noire, le tout


premier sommet Russie-Afrique. Par cet acte, le président russe, Vladimir Poutine, veut voir
son pays jouer un rôle de premier plan, comme au temps de la Guerre Froide, au Sud du
Sahara et au Maghreb. Spéculant sur l’état actuel des relations Afrique-Russie, le même
Poutine affirmait que :

Si à une époque, nous avons pu donner l’impression d’avoir perdu tout intérêt pour le
continent africain, il est de notre devoir de rattraper le temps perdu. Nous avons quantité
de projets et d’idées intéressantes et de qualité pour développer notre coopération. La
Russie constate sans jalousie que d’autres pays ont noué des liens en Afrique, mais elle
entend bien défendre ses intérêts dans le continent (Bassou, 2019, p. 1).

Souvent qualifiée de puissance régionale après l’implosion de l’Union des


Républiques Socialistes Soviétiques (URSS), actuellement, les autorités russes entendent
développer une autre représentation de leur pays dans le monde de ce deuxième millénaire.
Dans son objectif de s’affirmer comme une grande puissance internationale, la Russie veut
conjuguer avec les cinq États du Maghreb. Avant d’aborder le nouveau cadre des relations
entre la Russie et le Maghreb, il convient de rappeler que le rapport de la Russie avec les
autres régions du monde reste toujours tributaire de ses relations avec les États-Unis. La
période soviétique a vu se développer un rapport consistant avec le Maghreb tantôt sur la
base d’affinités politiques, de positionnements géostratégiques dans le contexte de la guerre
froide, tantôt sur la base d’intérêts économiques de différente nature (Saaf, 2016, p. 6).

La Russie a toujours eu des rapports différents avec chacun des États du Maghreb.
Les relations avec les deux grands États pétroliers du Maghreb, que sont l’Algérie et la

178
Belt and Road Initiative est le terme par lequel le gouvernement chinois désigne son projet de « nouvelles
routes de la soie ».

266
Libye, se distinguent des relations avec les autres pays de la région en raison des antécédents
remontants à la période soviétique. En premier lieu avec l’Algérie, les relations
diplomatiques furent établies en 1962. À cette époque de Guerre Froide marquée par les
rivalités Est-Ouest, l’Union Soviétique apparaissait comme un allié proche idéologiquement
en comparaisons des autres acteurs. En effet, pour Algérie, l’URSS apparaissait aussi
comme une source de financement peu coûteuse pour la construction et la production
d’équipements comme pour l’acquisition d’armements (Sanchez Andres, 2006).

Toutefois, les relations furent interrompues au cours des années 1990 à cause de
problèmes internes de l’Algérie mais aussi du fait d’un ensemble d’événements graves pour
l’Union Soviétique : effondrement, désintégration, crises économiques et politiques de la
nouvelle Russie. Cependant, les relations politiques entre la Russie et l’Algérie furent
pratiquement renouées en 1999, avec un nouveau départ des relations sur la base des intérêts
stratégiques mutuels. C’est ainsi que les deux pays ont renforcé leurs relations dans le
domaine des hydrocarbures, notamment le secteur du gaz et commencèrent à insister sur la
coordination entre pays producteurs de gaz.

Au niveau militaire, de 1962 à 1989, l’Algérie a été une grosse consommatrice de


l’armement russe. Au cours de cette période, l’Union Soviétique a livré un armement dans
l’ordre de près de onze milliards dollars US (avions, tanks, véhicules blindés, et bateaux),
ainsi qu’une variété d’armes et des munitions. À partir de l’an 2006, l’Algérie est devenue
le troisième pays le plus grand consommateur de l’armement russe, après la Chine et l’Inde
(Saaf, 2016, p.13). Au niveau de la fourniture en armement, l’Algérie est considérée comme
la chasse-gardée de l’URSS (Saaf, idem, p.17). En mars 1999, eut lieu la signature d’accords
de coopération militaire. Pour l’Algérie qui veut accroître son rôle de puissance régionale,
la Russie est une source d’armes modernes à des prix accessibles, et agent de réparation et
de maintenance.

Les relations de la Russie avec les autres pays du Maghreb, le Maroc, la Tunisie et
la Mauritanie, diffèrent des relations avec l’Algérie. Cependant, il ne s’agit pas d’une
nouveauté, car avec ces États les relations remontent aussi à la période de la Guerre Froide.
Traditionnellement, même si le Maroc a toujours été sous influence occidentale, il n’en
demeure pas moins vrai que le royaume a toujours maintenu des liens avec l’URSS. Le fait
d’entretenir des relations avec les pays occidentaux, d’être lié dans des zones de libre-

267
échange avec l’Union Européenne et les États-Unis, d’entretenir des relations poussées avec
l’OTAN, n’a pas empêché les relations maroco-russes de connaître un développement
spectaculaire (Saaf, 2016, p.13). Pour s’en convaincre, il y eu lieu en septembre 2006 la
première visite d’un président russe au Maroc depuis la chute de l’URSS en 1991. La
dernière visite d’un chef d’État soviétique fut celle de Leonid Brejnev, en 1961 en pleine
Guerre froide.

Sur le plan économique, le Maroc a été le deuxième grand partenaire de la Russie en


Afrique du Nord entre 2002-2005. Le royaume concentre à lui seul 24,1% du commerce
russe dans cette zone géographique. Les échanges ont connu une importante évolution: ils
ont atteint 200 millions de dollars US par an à 2,5 milliards de $ en 2015. La Russie exporte
vers le Maroc des matières premières (pétrole, fer et soufre) et des céréales en plus des tôles,
des produits chimiques, des engrais et du bois. Depuis 1998, la Russie est devenue le
deuxième client après l’Union Européenne des produits agricoles marocains, notamment
des agrumes et des tomates (Saaf, 2016, p. 13).

Quant à la Tunisie, tout comme le Maroc mais plus que celui-ci, elle est entièrement
tournée vers l’Union Européenne, en raison de la proximité géographique et des dynamiques
économiques de cette région. Elle constitue un allié politique et militaire en Afrique du Nord
des États- Unis et de l’Union Européenne. Une première tentative de rapprochement de la
Tunisie avec la Russie eut lieu en 1999, et les efforts furent concrétisés par la conclusion
d’abord d’accords culturels et éducatifs.

En 2000 les présidents Poutine et Ben Ali se rencontrèrent à New York. Cette
encontre a relancé les relations tuniso-russes. Le ministre des Affaires Étrangères russe Igor
Ivanov fit une visite en Tunisie, visite que l’on peut considérer comme le premier fait
d’importance dans les relations entre les deux pays. En 2001, se tint la deuxième
Commission intergouvernementale tuniso-russe. Entre la Russie et la Tunisie, des
dimensions politiques, en particulier celles liées au terrorisme, prennent plus d’importance
du fait de la conjoncture sécuritaire actuelle. En mars 2016, lors d’une rencontre à Moscou
entre les ministres des Affaires Étrangères des deux pays, les deux hommes ont affirmé la
nécessité de coordonner davantage les positions et les efforts aux plans bilatéral et
international, notamment dans la lutte anti-terroriste. L’établissement des relations

268
diplomatiques entre l’URSS et la République Islamique de Mauritanie (RIM) date du 12
juillet 1964.

Mais actuellement, le niveau des échanges reste modeste. En octobre 1966, la


Mauritanie a conclu un accord commercial de trois ans. L’année suivante, un accord de
coopération culturelle et technique avait été conclu avec la présence d’étudiants
mauritaniens à Moscou, notamment pour la formation de techniciens, et en Mauritanie, par
une assistance en matière aéronautique (Saaf, 2016, p. 19). Les dirigeants mauritaniens ne
s’étaient pas départis de leur ligne non-alignée, affichant leur neutralité vis-à-vis des deux
grands.

Depuis, la reconnaissance en décembre 1991 par le gouvernement de la Mauritanie


de la Fédération de Russie, un nombre important de visites de nombreux hauts responsables
des deux pays a été effectué. En 2012, selon les données de l’Office National de la
Statistique de la Mauritanie, les échanges commerciaux entre la Russie et la Mauritanie, se
sont élevés à 33 millions de dollars US. Les principaux articles d’exportation russe en
Mauritanie sont traditionnellement le pétrole, les produits laminés, la machinerie, les
équipements, les produits de transport et instruments. La Russie importe principalement de
la Mauritanie de la farine de poisson, de l’huile de poisson, des poissons surgelés et en
conserves (Saaf, 2016, p. 20).

En somme, pour la Russie le Maghreb est important dans son positionnement global
en tant que puissance internationale et comme une force économique en réémergence, en
comparaison des USA, de l’UE et de la Chine. Le Maghreb en raison de sa proximité avec
l’Europe, a une importance géostratégique et géopolitique.

II. LES ACTEURS INTERNATIONAUX DU CONFLIT. UNE PRIMAUTÉ POUR


LES CONSIDÉRATIONS GÉOPOLITIQUE ET SÉCURITAIRE

La résolution du conflit du Sahara Occidental incombe à l’ONU, mais, au vu des


évolutions actuelles du dossier, il est de plus en plus évident que la clé de sa résolution est
entre les mains de la France et des États-Unis. Même si le premier ne reconnait pas la
souveraineté du Maroc sur le territoire, les États-Unis ont récemment proclamé la
marocanité du Sahara Occidental, ce qui a permis à Rabat de conforter sa position. Cela

269
illustre d’emblée, combien de fois, les grandes puissances sont impliquées dans l’affaire du
Sahara.

Selon la terminologie onusienne, le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie, et le


Polisario/RASD sont les « parties concernées » dans la lutte pour le Sahara Occidental.
Mais, outres ces États, l’Espagne, la France, les États-Unis et dans une certaine mesure la
Russie, la Chine, le Japon et l’Inde, qui font partie des grandes puissances de ce monde, de
par leur attitude face aux acteurs concernées, peuvent être considérés comme des « parties
impliquées » dans le conflit. Toutefois, il convient de souligner que des puissances comme
la Chine, l’Inde ou le Japon ne jouent qu’un rôle mineur dans le conflit se contentant de
voter –ou pas- les résolutions des Nations Unies. Néanmoins, il n’en demeure pas moins
qu’au vu de leurs intérêts dans le Maghreb et avec le Maroc et l’Algérie, ces puissances
constituent des « mains occultes » qui tirent les ficelles dans l’ombre. Pour commencer,
analysons d’abord les intérêts des États-Unis et leur rôle dans la question du Sahara
Occidental.

1- Les représentations du Sahara Occidental pour les États-Unis, de la guerre froide


à la guerre « chaude » du terrorisme

L’implication des États-Unis dans le conflit du Sahara a été consécutive à deux


événements (géo) politiques mondiaux. Il s’agit en premier lieu de la Guerre froide marquée
par les rivalités entre soviétiques et américains pour l’hégémonie mondiale et en deuxième
lieu, ce que nous qualifions de guerre « chaude » du terrorisme, depuis les tristement
célèbres attentats terroristes contre les « Tours jumelles » aux États-Unis le 11 septembre
2001. C’est toujours aux noms de l’hégémonie mondiale et de la lutte contre le terrorisme
que tout récemment, l’Administration Trump a changé sa posture dans le dossier sahraoui.
L’implication de la Maison Blanche dans le conflit Rasd-Maroc reste tributaire de ces
conjonctures.

1.1. L’Administration américaine et la question du Sahara pendant la guerre froide


(1975-1991)

Après la seconde Guerre Mondiale en 1945, les rapports entre les États-Unis et leur
ancienne alliée, l’Union Soviétique, devinrent très compliqués à cause notamment de

270
considérations géopolitiques divergentes pour l’hégémonie mondiale. Cette dissension dans
les relations des deux grands, va consacrer la division du monde en deux blocs ; le bloc
occidental tenu par les États-Unis et le bloc de l’est dirigé par l’URSS.

Toute cette période est connue comme la « Guerre Froide ». Même si les deux
superpuissances ne se sont pas affrontées directement, elles combattaient par alliés
interposés sur les cinq continents. Le continent africain et particulièrement le Maghreb, n’est
pas resté en marge de la guerre froide, de cette guerre idéologique. Au Maghreb, américains
et soviétiques, y avaient leurs représentants. Des États comme la Libye et l’Algérie étaient
considérés comme proche de l’URSS, tandis que, le Maroc est considéré comme l’allié
traditionnel des États-Unis au Maghreb. Comme le dit Ismail Uld Es-Sweyih, « les États-
Unis se sont engagés résolument dans les premières années de conflit, aux côtés du Maroc,
considéré comme un allié fidèle » (Fadel, 2001, p. 120).

Depuis l’éclatement du conflit en 1975, le Sahara Occidental exacerbe les tensions


dans le nord-ouest africain. Les États-Unis ne pouvaient restés indifférents à la question. Et
pour cause, le problème du Sahara oppose le Maroc et l’Algérie, les deux poids lourds d’une
région géopolitiquement importante dans l’imaginaire de la Maison Blanche. De fait,
l’Administration américaine a toujours entretenu avec le royaume chérifien de profonds
liens politico-historiques qui remontent à la période de l’indépendance des États-Unis
d’Amérique. En effet, alors que les États-Unis étaient en pleine guerre d’indépendance
contre le Royaume uni, le royaume du Maroc a été l’un des premiers à reconnaitre les États-
Unis en 1777179 (cf. Le royaume du Maroc In Encarta, 2009).

Comparé à des crises comme la guerre du Golfe de 1991 ou à d’autres dossiers


conflictuels dans le monde, le conflit du Sahara Occidental apparait comme un conflit de
basse intensité et n’est pas une priorité immédiate des américains. On peut même dire qu’il
ait été un conflit d’ordre secondaire dans les rapports de forces Est-Ouest. Pourtant, on ne
peut pas exclure l’influence cruciale du contexte international dans l’évolution du conflit

179
La guerre de l’Indépendance américaine (1775-1783) entre les Britanniques et les treize colonies insurgées
(Massachusetts, New Hampshire, Connecticut, Rhode Island, New York, New Jersey, Pennsylvanie,
Delaware, Maryland, Virginie, Caroline du Sud, Caroline du Nord et Géorgie) débute le 17 juin 1775, avec la
bataille de Bunker Hill. Le 4 juillet 1776, les colonies américaines adoptent la Déclaration d’Indépendance,
rédigée par Thomas Jefferson puis, le 15 novembre 1777, les Articles de la Confédération. Apres plusieurs
années de lutte contre les colons britanniques, l’indépendance des États-Unis est officiellement reconnue par
le Royaume-Uni, à l’issue des traités de Paris et de Versailles le 3 septembre 1783.

271
qui oppose depuis plus de quarante ans les sahraouis et les marocains. En effet, à cette
époque où les rapports de forces géopolitiques sont tendus entre les deux blocs, aucun des
gouvernements occidentaux qui ont des intérêts dans le Maghreb n’est prêt à appuyer
l’indépendance d’un État, petit et fragile. Cet État pourrait tomber sous l’influence
algérienne et libyenne et compléter par conséquent l’encerclement du Maroc. À l’époque
du président Carter, l’Administration américaine considérait que la formation d’un État
sahraoui indépendant pourrait représenter l’expansion définitive de l’influence soviétique
et cubaine dans la zone. Une conviction qui légitimait par elle-même une plus grande
provision d’armes au Maroc. Cette politique est reprise et consolidée par le gouvernement
de Ronald Reagan en 1981 (Laura, 2013, pp. 165-166).

Par principe, a priori, les USA ne sont pas opposés à l’exercice du droit à
l’autodétermination des peuples, mais pour le cas du Sahara Occidental, ce sont les
considérations géopolitiques du moment qui ont dicté l’attitude américaine (Zoubir, 2005,
p. 6). En effet, les premiers intérêts des USA dans la question du Sahara Occidental ont trait
au contexte international de la période de la Guerre Froide.

Durant la guerre froide, la presse américaine spécialisée présentait le Sahara


Occidental comme équidistant entre les U.S.A. et l’U.R.S.S. et son « contrôle » entrait
naturellement dans le périmètre de défense de l’Occident. Tant que l’Espagne l’occupait,
les pays de l’alliance atlantique étaient rassurés, d’autant que l’Algérie, qui entretenait de
bonnes relations avec l’U.R.S.S., était susceptible de les inquiéter. Pendant la guerre froide,
les grandes puissances soutiennent de façon inconditionnelle leurs alliés. En Afrique du
Nord-Ouest, c’est le Maroc qui joue le rôle de tête de pont de l’Occident (Miske-Talbot, s.
d). Comme on l’a vu plus haut, à sa création en 1973, le Front Polisario avait choisi la
révolution socialiste algérienne et le panarabisme comme modèle idéologique. Dans ce
contexte de guerre froide, le choix du socialisme comme idéologie va faire que les Sahraouis
soient alors catalogués –à tort selon un auteur (Fadel 2001, p. 120) comme étant pro-
soviétique. Par conséquent, les Occidentaux considéraient alors qu’un Sahara Occidental
indépendant révolutionnaire tomberait sans aucun doute entre les mains du gouvernement
algérien « pro-communiste » ou celle de la guérilla « procommuniste » du Polisario (Ruiz
Miguel, 1995, p. 183). Comme le dit si bien Fuente Cobo (2006, p. 33) :

272
la elección por el Frente Polisario de una opción ideológica tan al gusto de los
movimientos de liberación árabes de la época cuyos modelos venían representados por
la Argelia de Bumedian, el Egipto de Nasser y la Libia de Gadafi, le acarrearía graves
consecuencias en el momento de la independencia y en los años siguientes, dado que
ningún gobierno occidental estaría dispuesto, en esos años de guerra fría, a apoyar a un
nuevo Estado tan aparentemente hostil al modelo político occidental.180

Pour les nord-américains, il était inacceptable de créer un État socialiste faible et


hostile sur la côte africaine de l'Atlantique Nord, dans leur hémisphère. Les stratèges
américains de l'époque de la guerre froide, considéraient qu’un Sahara indépendant
tomberait inévitablement sous l'influence algérienne, qui trouverait ainsi un moyen pour se
frayer un chemin vers les eaux de l'Atlantique, isolant son voisin et rival marocain, qui était
l'allié traditionnel des États-Unis. C’est dans ce sens que l’ancien premier ministre d‘Hassan
II, Ahmed Laraki a pu dire que « La population du Sahara espagnol est très faible et
pourrait facilement être la proie des communistes, russes ou chinois, rendant possible le
vieux rêve d’une “fenêtre” communiste sur l’Atlantique. » (Dalle, 2011, p. 405).

En outre, pour l'Occident, il y avait un risque que l'Union Soviétique profite de ce


« État fantoche » pour ouvrir des bases navales sur les côtes sahraouies. En effet, dans le
cas d'une confrontation ouverte entre les deux grands, à partir de la position géostratégique
du Sahara, l’URSS pourrait menacer les lignes d'approvisionnement stratégiques qui
devraient garantir l'arrivée de renforts et de ressources en Europe. En d’autres termes, le
Sahara Occidental pourrait devenir une sorte de deuxième Cuba si les Soviétiques le
décidaient. Par conséquent, pour les occidentaux, les États-Unis en tête, l'intégration de ce
territoire au Maroc était vue comme la meilleure option pour conjurer ce danger (Fuente
Cobo & Menéndez, 2006, pp. 45-46).

En fait, il existait un antagonisme idéologique entre l’Algérie et les États-Unis


pendant la guerre froide. Le Maroc va alors servir d’« État par procuration » pour les États-
Unis en Afrique pour contrer les mouvements révolutionnaires opposés aux Washington.
C’est ainsi dès le début du conflit à partir de 1975, le Maroc a obtenu plus d’un cinquième
de l’aide totale américaine en Afrique, dont plus d’un milliard de dollars pour la seule aide

180
Notre traduction: le choix par le Front Polisario d’une option idéologique au goût des mouvements de
libération arabes de l’époque dont les modèles étaient représentés par l’Algérie Boumediene, l’Egypte de
Nasser et la Libye de Kadhafi aurait de graves conséquences au moment de l’indépendance et dans les années
suivantes, puisqu’aucun gouvernement occidental ne serait disposé, dans ces années de la guerre froide, à
soutenir un nouvel État si apparemment hostile au modèle politique occidental.

273
militaire (Zoubir, 2005, p.5). Les ventes d’armes avec le Maroc ont eu lieu, en dépit de ce
que la législation de vente d’armes interdisait leur utilisation en cas de conflit contre un pays
tiers. Dans le cas du Maroc, il était dit que les armes américaines devraient être utilisées
seulement pour la défense de l’intégrité territoriale du Maroc.

Avec l’arrivée de Carter à la Maison Blanche, la politique extérieure américaine


envers le Sahara a été marquée par des moments « de doutes » et de « neutralité passive ».
Mais très rapidement, vers 1979, de la « neutralité passive », les USA adoptèrent
officiellement une politique de « neutralité positive ». À partir de cet instant, le soutien, tant
militaire qu’économique, au Maroc s’est accru. À cette même période, les démocrates
majoritaires au Congrès commencèrent à s’interroger sur la viabilité d’un Sahara
indépendant. « Los razonamientos de la+ administración [americana] abandonaban, por
tanto, el terreno de la neutralidad al afirmar que las acciones de Marruecos en territorio
saharaui estaban relacionadas con la autodefensa y la seguridad interna del país » (Feliu,
2013, p. 164).

En janvier 1981 lorsque le Parti républicain a accédé au pouvoir, il a continué à


affirmer la prétendue neutralité active adoptée par l’Administration Carter. Dans ce contexte
de guerre froide, l’Administration Reagan craignait qu’indépendant, le petit État du Sahara
Occidental, soit facilement manipulé par l’Algérie ou la Libye grâce à la connexion
socialiste » (Feliu, 2013, p. 166). Les dirigeants américains soutenaient que l’agissement du
Maroc était conforme au droit international et que le conflit devrait être résolu
pacifiquement en faveur de Rabat. À cette période, l’augmentation du volume de
l’approvisionnement en logistique militaire destiné au Maroc souligne la volonté de
l’Administration américaine de renforcer la capacité offensive du royaume chérifien.

Au cours de la bataille de Guelta Zemmur, où les forces marocaines ont subi


d’importantes pertes, a servi à justifier l’augmentation du soutien militaire du royaume.
C’est dans ce cadre qu’une délégation américaine forte de 23 personnes - dirigée par le
Secrétaire d’État adjoint à la Défense, a visité en novembre 1981 la partie du Sahara
Occidental contrôlée par le Maroc. Cette délégation aurait conclu qu’il était dans l’intérêt
des États-Unis de mettre en place un commando mobile sur le territoire contre le Front
Polisario (Feliu, 2013, p. 166). Même si le Congrès n’a pas approuvé cette éventualité, il a
fini par autoriser en 1981 l’envoi de conseillers militaires au Maroc, et des officiers

274
marocains ont été même envoyés aux États-Unis pour y être instruits. Par la suite, l’alliance
militaire a été renforcée par l’accord d’utilisation des bases marocaines par les Forces de
déploiement rapide (FDR), signés en mai 1982.

La fin de la guerre froide en 1991 avec l’implosion de l’URSS a cédé le pas à une
autre guerre plus chaude : le terrorisme international et à une autre représentation du
problème sahraoui.

1.2. La représentation du Sahara Occidental après le 11 septembre

Les répercutions internationales de l’attentat terroriste du 11 Septembre 2001, sur la


Nation la plus puissante du monde a fait couler beaucoup d’encre. De tous ce qui a pu être
dit ou écrit, nous convenons avec Chomski (2018, p. 23) que « Le 11-Septembre a changé
le monde ». Cet événement a eu des conséquences majeures sur le plan international. Parmi
celles-ci, on compte la politique de lutte globale contre le principal groupe terroriste de
l’époque, Al Qaïda, dans le monde. Cette conjoncture va amener les États-Unis à favoriser
un changement de représentation du Sahara Occidental pour la Maison Blanche. Si au début
le territoire était perçu comme pro-communiste, il va maintenant être perçu comme un
potentiel vivier du terrorisme. Les États-Unis craignent de voir surtout les réfugiés
sahraouis, devenir un foyer de recrutement pour les activités du réseau d’al Qaeda et l’État
Islamique. Au vu de cette conjoncture, les américains ont montré un intérêt certain à la
résolution du conflit de manière satisfaisante, tant pour Maroc que pour le Front Polisario
et son tuteur, l’Algérie.

Sayeh (1998, p. 136) parlant de la nouvelle représentation du Sahara pour les États-
Unis, écrit que « le fondement de la nouvelle politique maghrébine es États-Unis et de leur
engagement au Sahara Occidental pour mener la question de décolonisation de ce territoire
à son terme, serait le rétablissement de la paix et, surtout, la recherche de la stabilité dans
la région ». En d’autres termes, les États-Unis ne conçoivent la question qu’en terme global,
régional. Ce qui les intéresse ce n’est pas tant l’autodétermination des Sahraouis, mais leurs
propres intérêts, c’est-à-dire, leur sécurité de manière globale. Ce n’est donc pas pour les
« beaux yeux » des sahraouis que les nord-américains sont engagés dans leur conflit, c’est
pour promouvoir la coopération avec les États de la région et lutter contre le terrorisme.

275
Le leader de la majorité démocrate à la chambre des représentants soulignait en 2007
que « Cuando Al Qaeda (...) extiende su presencia por el norte de África, nos preocupa que
la continuación de este conflicto desde hace más de treinta años suponga un peligro para
181
la seguridad regional de EE.UU » (El País, 28 avril 2007). Le Grand Sahara, en effet,
est devenu le champ d’activité où des groupes terroristes aussi bien locaux
qu’internationaux sillonnent, s’adonnant à tous genres de contrebande, armes incluses, et
recrutent de nouveaux membres parmi les populations locales. Les groupes terroristes
islamistes, dont les plus actifs sont le Groupe salafiste pour la prédication et le combat
(GSPC) affilié à al Qaeda, et devenu AQMI et le groupe État islamique au Grand Sahara
(EIGS), représentent une menace pour cette région aux frontières poreuses.

La région est à présent considérée comme « le nouveau front dans la guerre globale
contre le terrorisme » de l’administration américaine. L’objectif des États-Unis est donc de
« faciliter la coopération entre les gouvernements dans la région (Algérie, Maroc, Tunisie,
Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Sénégal et Nigéria) et de renforcer leur capacité à
combattre les organisations terroristes » (Zoubir, 2005, p. 14). Ils visent aussi à empêcher
que des groupes terroristes établissent des bases comme ils avaient réussi à le faire en
Afghanistan avant le 11 septembre. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’a été lancée à la
fin de 2002 l’Initiative Pan Sahel (IPS), un programme d’un peu plus de 8 millions de
dollars, qui doit augmenter d’une manière substantielle, afin de former des troupes
spécialisées dans la lutte antiterroriste en Mauritanie, au Mali, au Niger et au Tchad (Zoubir,
2005, p. 14).

Selon le media espagnol Europa Press (reprit par Maroc diplomatique, 2020), l’État
islamique au Grand Sahara (EIGS) lié au Polisario, constitue aujourd’hui la principale
menace djihadiste au Sahel, où il a enchaîné ces derniers mois les attaques à l’encontre des
armées du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Ce groupe terroriste est devenu une véritable
préoccupation pour les forces de sécurité, souligne le média espagnol, évoquant la création,
lors du sommet de Pau ayant réuni en janvier dernier la France et les États du G5 Sahel,
d’une coalition pour lutter contre le terrorisme, en ciblant en “priorité” l’État islamique au

181
Notre traduction: Quand Al-Qaïda (...) étend sa présence à travers l’Afrique du Nord, nous craignons que
la poursuite de ce conflit depuis plus de trente ans ne représente un danger pour la sécurité régionale des États-
Unis.

276
Grand Sahara. Avec l’avènement du groupe terroriste l’Organisation de l’État Islamique et
sa filiale locale l’EIGS qui vient s’ajouter à un grand écosystème de mouvement intégriste
dans le Grand Sahara, les Américains sont conscients qu’il faille la coopération de tous les
États de cette région. Par ailleurs, le Polisario est soupçonné aujourd’hui de basculer vers
l’islamisme radical et le terrorisme et d’être en collusion avec Al Qaïda. Un auteur dit même
qu’ « on ne peut exclure que le Polisario puisse s’autonomiser de l’emprise algérienne pour
tomber sous celle d’un parrainage islamiste radical » (Chauprade, s.d). De fait, les jeunes
générations sahraouies sont peu séduites par le Front Polisario divisé par les intérêts
personnels de certains de ses membres et qui démontre son incapacité à accomplir sa
promesse d’obtenir l’indépendance du Sahara Occidental.

De même, le renouvellement de cadres du Polisario, les arrestations ou les défections


remettent en cause l’influence algérienne sur le mouvement, et accentuent les soupçons
marocains de son implication dans les activités illicites au Sahel. Mais pour Alger, le
Polisario est extérieur à la problématique sécuritaire régionale. Si Alger envisage le Front
sous son aspect politique, en revanche, Rabat prétend qu’il entretient des liens avec AQMI
(Chena, 2011). Tout compte fait, au vu du contexte sécuritaire régional, les soupçons qui
pèsent sur le Front Polisario risquent d’amenuiser le poids de ses revendications politiques
et effriter la cause sahraouie.

En 2004, nous avons assisté à l’émergence d’un groupe dissident au sein du


Polisario, le Khat Achahid. Cela traduit la lente décomposition que connait ce mouvement.
Fort de cette situation, il ne sera pas exagéré de dire que le Front Polisario a perdu sa base
populaire. La radicalisation du Polisario, si elle s’avère, serait une source de préoccupation
pour la sécurité du Maroc, pour toute la région du grand Sahara et, au-delà, de l’Europe et
des États-Unis.

Deux autres facteurs vont venir justifier l’intérêt des États-Unis pour le Sahara
Occidental et par-delà, de toute la région. D’une part, le manque d’une coopération en
matière de sécurité entre États maghrébins dans une zone où les contentieux interétatiques
sont particulièrement lourds, avec en premier lieu la question du Sahara occidental. À cause,
notamment de cette question, le contrôle étatique des territoires et frontières est un exercice
malaisé, ce qui fait qu’ils sont susceptibles de servir de base arrière pour la préparation et le
soutien logistique d’actions terroristes dans le monde occidental et dans les autres pays de

277
la région. D’autre part, la nationalité ou l’origine maghrébine (d’un État du Maghreb) de
certains auteurs d’attentats ou membres de réseaux islamistes.

Pour ces raisons, le Maghreb va constituer une pièce importante du dispositif


international de lutte contre le terrorisme. Les États-Unis vont œuvrer largement au
rapprochement entre les pays maghrébins et sahéliens avec le développement du terrorisme
dans l’espace sahélo-saharien : dans le cadre du Commandement militaire européen
(EUCOM), la conférence de Stuttgart réunissait dès mars 2004 les chefs d’état-major du
Tchad, du Mali, de la Mauritanie, du Niger, du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie. Les
programmes de coopération militaire américains, initiés en 2002 avec la Pan-Sahel
Initiative, englobent désormais l’ensemble de l’Afrique du Nord, le Sahel jusqu’au Tchad
et une partie de l’Afrique de l’Ouest (Sénégal et Nigeria) dans une logique de partenariat
(Chena, 2011).

Le blocage du conflit illustre aujourd’hui qu’il est plus tributaire des positions
marocaines et algériennes que des aspirations du peuple sahraoui. Toutefois, le spectre de
la perte du contrôle algérien sur le F. Polisario dont certains –anciens- membres sont
devenus des leaders de groupe terroriste. La perte du contrôle algérien sur le Polisario et si
le statu quo actuel se poursuit, cela pourrait déstabiliser davantage une région déjà fragile,
et entraîner, par ricochet, des conséquences terribles pour l’Europe et Washington.
L’Algérie, tuteur actuel du Polisario et partie concernée du conflit, est devenu un cas d’école
dans la lutte anti-terroriste. Et, c’est durant les années de la crise anti-terroriste algérienne
que l’Algérie est devenue important aux yeux des États-Unis. Comme le dira l’ambassadrice
des États-Unis à Alger, l’Algérie a « (…) malheureusement plus d’expérience en ce qui
concerne le terrorisme [que les États-Unis] » (La Tribune, 18/6/2003). Cependant, la
monarchie marocaine demeure toujours l’allié principal des États-Unis au Maghreb.

Le conflit du Sahara occidental acquiert une dimension nouvelle, car sa non-


résolution signifie la persistance d’obstacles majeurs à la réalisation de la politique régionale
américaine. C’est la raison pour laquelle Bush a insisté, en novembre 2003, sur la nécessité
pour l’Algérie et le Maroc de trouver des « façons créatives et pragmatiques de résoudre
leurs différends » (Zoubir, 2005, p. 12). Malgré la bonne qualité des relations algéro-
américaines aujourd’hui, l’Administration américaine ne tient pas compte de la position

278
algérienne pourtant basée sur la légalité internationale. Les étatsuniens semblent négliger le
fait que le statu quo demeurera au Maghreb tant qu’elle continuera à soutenir le Maroc.

En même temps que les États-Unis insistent sur la résolution du conflit, obstacle
majeur à une construction maghrébine, au même moment, ils ne font aucune pression sur le
Maroc pour se plier aux résolutions onusiennes. Pis, la Maison Blanche reconnait la
souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. Dans le contexte actuel, où chacune des
parties récuse les plans de résolution de l’autre et dans une région en train de devenir le
bastion du terrorisme international, Washington commence à taper du poing sur la table. En
effet, « l’administration américaine ne veut plus se contenter de « gérer la crise » (Moshen
Finan et Jeune Afrique, 2018) Les États-Unis affichent deux priorités quant au Sahara
Occidental : d’une part, secouer la Minurso en insistant pour réduire sa mission à six mois
et trouver une solution à un conflit qui n’a que trop duré.

Maintenant plus que jamais, les États-Unis doivent s’impliquer davantage dans la
résolution du conflit du Sahara Occidental d’une manière juste, équitable et rapide, pour
permettre non seulement le développement du Maghreb et aux Sahraouis de choisir la forme
de gouvernement qui leur convient. Mais la récente sortie du président sortant des États-
Unis, qui reconnait la marocanité du Sahara Occidental, est loin d’aller dans le sens de
l’apaisement du conflit. Au contraire, elle a envenimé la situation en accentuant les
suspicions entre les différentes parties du conflit.

1.3. La reconnaissance de la marocanité du Sahara Occidental et ses implications

Le mois d’octobre 2020 a vu s’intensifier les tensions entre le Maroc et le Front


Polisario au sud du Sahara Occidental dans la zone tampon de Guerguerat. Des éléments du
F. Polisario avaient bloqués le passage du poste frontalier de Guerguerat. La route de
Guerguerat est d’une importance capitale pour le Maroc et la Mauritanie car elle favorise
les échanges commerciaux entre ces deux pays. L’attitude du Polisario a suscité la réaction
du Maroc et de son souverain. En effet, le roi a échangé des messages avec les Nations
unies, la France, les États-Unis, la Mauritanie et d’autres pays impliqués dans le dossier. Le
roi les prévenait de ce que les Forces Armées Royales entreprendraient une opération visant
à « mettre un terme à la situation de blocage » à Guerguerat (Le Monde du 13 nov. 2020).
Cette opération qui s’est déroulée sous les yeux de la Minurso visait aussi à mettre en place

279
« un cordon de sécurité en vue de sécuriser le flux des biens et des personnes », selon un
communiqué de l'état-major marocain (L’Express.fr du 14/11/2020). Pour le F. Polisario, le
Maroc a liquidé le cessez-le-feu qui était en vigueur depuis 1991.

C’est dans ce contexte de hautes tensions, de soupçons et de méfiance qu’à la


surprise générale, le 10 décembre 2020, le président sortant des États-Unis, Donald Trump
a fait deux Tweets. Dans le premier, il écrit : « Today, I signed a proclamation recognizing
Moroccan sovereignty over the Western Sahara. Morocco's serious, credible, and realistic
autonomy proposal is the ONLY basis for a just and lasting solution for enduring peace and
prosperity! »182 Dans le second message, Trump se félicitait de « Another historic
breakthrough today! Our two GREAT friends Israel and the Kingdom of Morocco have
agreed to full diplomatic relations – a massive breakthrough for peace in the Middle
East!»183

Les tweets de D. Trump ne viennent-ils pas affirmer tout haut ce que l’on
soupçonnait déjà. Les États-Unis estiment qu'un État sahraoui indépendant n’est pas une
option réaliste pour résoudre le conflit et qu’une véritable autonomie sous souveraineté
marocaine est la seule solution possible. Le ministre marocain des affaires étrangère, Nasser
Bourita, soutient que « La reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le
Sahara ne s'est pas faite en échange du rétablissement des relations avec Israël » (Belabd ,
s.d). Mais bien au contraire, il apparait clairement dans les messages que Trump conditionne
la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental à la normalisation
des relations entre Rabat et Tel Aviv. Pour lui, il était naturel que les États-Unis soutiennent
le plan d’autonomie du Maroc. En fait, il existe entre les deux pays des relations solides et
historiques qui remontent à 1777 quand le Sultan du Maroc, Mohammed Ben Abdellah a
reconnu l’indépendance des États-Unis. Cette reconnaissance sera officialisée en 1786 par
la ratification d’un traité de paix et d’amitié liant les États-Unis et le Maroc par le Congrès
américain.

182
Notre traduction : J’ai signé ce jour la proclamation de la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur
le Sahara Occidental. La proposition sérieuse, crédible et réaliste du Maroc sur le plan d'autonomie est la seule
base pour une solution juste et pérenne afin d'assurer paix et prospérité !
183
Notre traduction : Une autre percée HISTORIQUE aujourd’hui ! Nos deux GRANDS amis Israël et le
Royaume du Maroc ont convenu de relations diplomatiques complètes – une percée massive pour la paix au
Moyen-Orient !

280
De ce qui précède, il semble que les États-Unis et le Maroc aient opéré une sorte de
troc ou de deal (géo) politique où chaque partie s’en tire gagnant-gagnant. Mohsen-Finan
(sur RFI, 2020) soutient à ce propos que « C'est un deal à tous les nouveaux. C’est un deal
Américain ». La reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara
Occidental soulève des questions géopolitiques. Elle est aussi assortie de conséquences sur
les perspectives de résolutions du conflit. Pour Abderrahim (cité par Gay-Padoan, 2020),
« Cette décision de Donald Trump a une incidence et impact puisqu’elle va bouleverser
l’équilibre stratégique au Maghreb et en Méditerranée. » En effet, la reconnaissance de la
"marocanité" du Sahara est une stratégie américaine visant à contenir l’hégémonie iranienne
dans le monde Arabe.

En fait, Donald Trump sait que ses jours à la Maison Blanche sont comptés. Et
désirant au plus profond de lui qu’une cause historique soit rattachée à son nom, va faire de
la normalisation des relations du Maroc d’avec l’État hébreu un enjeu majeur de sa politique
au Moyen-Orient. Abderrahim (cité par Gay-Padoan, 2020) écrit à ce propos qu’ « il s’agit
de faire en sorte qu’Israël devienne un allié stratégique dans le dispositif américain au
Moyen-Orient et du monde arabe en général ». La décision américaine pourra pousser
plusieurs États du monde Arabe, d’Afrique ou d’Europe à revoir leur position vis-vis de la
cause sahraouie en renonçant à leur traditionnelle neutralité pour devenir des défenseurs
farouches du Maroc au sein des Organisations Internationales.

En outre, la reconnaissance unilatérale par l’Administration Trump de la


souveraineté marocaine sur le territoire autonome du Sahara Occidental dans le dos des
Nations Unies chargées du dossier a aussi des conséquences (positives) stratégiques pour le
royaume du Maroc. La décision américaine vient mettre de l’eau au moulin du Maroc dans
son positionnement comme une puissance régionale et l’allié incontournable des États-Unis
dans le monde arabe. Fort de son succès politico-diplomatique, le Maroc voit se conforter
l’idée selon laquelle il est un acteur déterminant en Afrique de l’Ouest et Afrique du Nord,
mais aussi au-delà au sein d’autres communautés économiques régionales comme la
communauté économique d’Afrique Australe (Dupuy, 2020).184

184
L’article est disponible en ligne sur https://www.francemaghreb2.fr/, consulté le 27/12/2020.

281
La décision américaine est une vraie aubaine pour le Maroc car elle implique
l’ouverture d'un consulat « virtuel » à Dakhla, dans le sud du Sahara Occidental. Le consulat
américain rejoindrait ceux d'autres pays africains et arabes, tels que les Émirats arabes unis
ou le Bahreïn. « Cette présence virtuelle dépendra de l'ambassade des États-Unis à Rabat »
et donnera « une attention particulière à la promotion du développement économique et
social »185, soulignait Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine de
l’Administration Trump. La reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara en
échange de la normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël est
également assortie de gain financier et économique pour le royaume chérifien. En effet,
selon des informations fournies par France 24, en vue d’un « soutien financier et technique
de projets d’investissements privés au Maroc y compris le Sahara Occidental », les États-
Unis ont décaissé la somme de trois milliards de dollars au profit du Maroc.

Dans la conjoncture internationale actuelle marquée par la pandémie de la Covid-


19, où la quasi-totalité des États sont en récession, la normalisation des relations maroco-
israéliennes, est aussi une bouée de sauvetage pour l’économie marocaine. C’est un énorme
marché qui s’ouvre entre le Maroc et Israël. Avec l’établissement des liaisons diplomatiques
et des lignes aériennes, les investisseurs israéliens viendront au Maroc et vis-versa. Au
niveau des deux pays, n’eut été les restrictions dues à la COVID-19, l’on pourrait
commencer à assister à l’intensification des activités touristiques entre Rabat et Tel Aviv.
Comme le souligne Moshen-Finan (cité par Gay-Padoan, 2020),

l’intérêt pour le Maroc est donc évidemment économique, sécuritaire mais il est
également visible sur le développement politique du Maroc qui peut devenir une
puissance régionale. (...) grâce aux États-Unis, à condition que Joe Biden186 reste sur la
même ligne politique que Donald Trump.

Mais, au vu des liens d’amitié séculaires entre Rabat et Washington, et surtout


l’intérêt pour les USA de maintenir de bonnes relations avec le royaume chérifien tant sur
le plan économique, politique que sécuritaire, surtout dans la lutte contre le radicalisme des
jeunes, il sera difficile que le nouveau locataire de la Maison blanche revienne sur la
décision de son prédécesseur. Quand on sait que la décision de Trump a été conditionnée

185
Lire l’article complet en ligne https://www.rtbf.be/info/mot-cle_sahara-occidental?keyword=669063,
consulté le 27/12/2020.
186
Joe Biden est le nouveau président élu des États-Unis d’Amérique qui a remplacé Donald Trump.

282
par la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, un revirement de J. Biden
conduirait à un refroidissement des relations entre le royaume chérifien et l’État hébreu.

La décision américaine a réanimé les hostilités dans une région déjà en proie aux
tensions du fait du terrorisme islamique, de l’absence de coopération économique et de la
méfiance entre le Maroc et l’Algérie. C’est pourquoi le Front Polisario l’a aussitôt rejeté et
dénoncé. Quant à l’Algérie, elle vient de traverser une crise institutionnelle et politique du
fait de l’absence du Président Abdelmadjid Tebboune hospitalisé en Allemagne des suites
du Covid-19187 et le Hirak188.

La conjugaison de ces deux facteurs ont non seulement affaiblie l’Algérie mais l’ont
en plus isolée sur la scène politico-diplomatique. Néanmoins, quoique faiblement, elle a
dénoncé la décision de Trump la qualifiant de « manœuvres étrangères » (Gay-Padoan,
2020), visant à la déstabiliser. Dans la même veine, plusieurs capitales dont Moscou et Pékin
ont estimé que c'était là une décision unilatérale qui sort complètement du cadre du droit
international. Ainsi que les États-Unis, l’Union Européenne n’est pas indifférente à la
situation qui prévaut au Sahara Occidental.

2- L’Union européenne (UE) et la question du Sahara Occidental

Depuis le déclenchement du conflit en 1975, l’Europe notamment l’Europe


occidentale, s’est toujours engagée dans le processus de règlement du conflit qui oppose le
Maroc et la Rasd pour le contrôle du territoire du Sahara Occidental. En fait, la Communauté
européenne, avant sa transformation en Union européenne (le 7 février 1992), s’était déjà
saisie de la question du Sahara Occidental. Mais la position de l’UE ne peut se cerner qu’à
travers celle de chacun des organes qui la compose : le Conseil, la Commission et le
Parlement. C’est le Parlement européen (PE) qui s’est prononcé sur le statut du territoire, et
aussi sur la question des droits de l’homme, en faisant sienne la doctrine des Nations unies.

187
Après avoir contracté la covid-19, le Président est d’abord admis à l’hôpital militaire d’Ain Naadja près
d’Alger, avant d’être évacué sur l’Allemagne le 28 octobre 2020. L’absence du président plonge le pays dans
une certaine paralysie car elle laisse en suspend plusieurs dossiers clés comme la réforme constitutionnelle, le
budget du gouvernement, la situation sécuritaire (avec la reprise des hostilités entre le Maroc et le Polisario)
et sanitaire...
188
Le Hirak désigne des manifestations sporadiques qui ont lieu depuis février 2019 en Algérie. Les
manifestants protestaient en premier lieu contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat
présidentiel. En deuxième lieu, les manifestants réclamaient le renouvellement de la classe politique et me
départ des dignitaires du régime Bouteflika.

283
Pour le PE, le Sahara Occidental est un « territoire non autonome » qui attend encore le
parachèvement de sa décolonisation. Il est donc objet d’un « processus de décolonisation »
qui n’est pas encore parachevé (Résolutions du 27 octobre 2005 et du 25 novembre 2010).

Pour l’UE, le conflit pour le Sahara Occidental est donc un « problème de


décolonisation » (Résolutions du 15 mars 1989 et du 12 septembre 1991) qui oppose deux
parties, qui sont le Maroc et le Front Polisario. Dans cette veine, le Parlement reconnaît que
la solution de ce conflit réside dans le fait que le « peuple du Sahara Occidental » puisse
exercer son « droit inaliénable » à « l’autodétermination » et à « l’indépendance » à travers
un référendum libre. En théorie, l’UE ne reconnait pas la souveraineté du Maroc sur le
Sahara Occidental et qualifie la partie du territoire du Sahara Occidental sous contrôle
marocain de « territoires occupés » (Résolution du 27 mai 1993). Pour mettre fin à
l’occupation du territoire par le royaume du Maroc, l’Union européenne recommande :

[…] que le territoire du Sahara occidental soit placé provisoirement sous le contrôle
des Nations unies et de leur force de paix (MINURSO), en attendant la préparation et
la tenue d’un référendum qui permettra au peuple sahraoui de se prononcer sur l’avenir
de son pays (Résolution du 18 avril 1991).

Mais il se trouve que dans les faits, la question du Sahara Occidental apparait surtout
comme source de tensions (Boni-Gatta, 2016, p. 419) au sein de l’Union, de ses membres
et de ses organes.

Le Conseil européen, représentant les États membres et « clé de voûte » de l’Union,


adopte la même position les chefs d’États européens. Dans le cas du Sahara Occidental, la
position du Conseil est à cheval entre le silence complice et la neutralité passive (Fadel,
2001, p. 127.). Mais, leur position est à rechercher du côté de de leur soutien au Maroc. En
effet, aux yeux des capitales européennes, notamment les Français, le Maroc est perçu
comme une forteresse en raison de sa stabilité interne et sa situation de rempart
géographique contre l’islamisme radical. Ainsi, un régime marocain affaibli faciliterait-il
l’ascension de l’islamisme radical au sein de ce pays, ce qui donnerait lieu à une émigration
massive vers l’Europe (Zoubir, 2005, p. 4).

Le parlement européen semble plutôt pro-sahraoui. En effet, dans l’ensemble des


résolutions adoptées par cet organe sur la question du Sahara Occidental, les eurodéputés à
la majorité soutiennent le droit à l’autodétermination et à l’indépendance du peuple

284
Sahraoui. Le parlement n’hésite pas à l’occasion à condamner les violations des droits de
l’homme au Sahara en dénonçant les manœuvres marocaines l‘obstruction du referendum.

Enfin, la Commission européenne qui s’intéresse davantage aux questions


économiques que politiques est soucieuse de créer une zone de libre-échange euro-
méditerranéenne. C’est dans cet ordre qu’elle signe des accords avec le Maroc notamment
au niveau agricole et des ressources halieutiques. Pour obtenir le soutien de l’Union
européenne, le Maroc, puissante occupante du territoire, en plus des intérêts
géoéconomiques avancent des arguments géopolitiques et sécuritaires. Ces arguments
avancés par le Maroc sont bien connus pour obtenir les faveurs de l’Occident. Il s’agit du
phénomène de l’immigration et de la menace du terrorisme intégriste, qui exigent un État
marocain fort et stable ce qui n’est possible qu’avec le soutien économique de l’UE, et qui
pourrait échouer si l’indépendance du Sahara Occidental se produisait. Le gouvernement
marocain met en avant l’importance de son rôle dans la lutte contre l’intégrisme religieux
pour l’empêcher de continuer sa route vers l’Europe, comme l’une des raisons les plus
puissantes pour obtenir l’aide européenne. Ce discours semble convaincre les dirigeants
européens.

Il est généralement admis par les européens que la sécurité en Afrique est une
condition de la sécurité européenne. Ce constat est d’autant plus vrai que l’Afrique et
notamment le Maghreb est plus proche du continent européen et il partage avec lui des
espaces méditerranéens et océaniques. C’est pourquoi, pour l’Union européenne, la question
du Sahara Occidental n’est pas seulement une affaire de droits de l’homme (Ruiz Miguel,
2018, p. 123). En effet, « la posición de la unión europea en el conflicto del Sahara
Occidental, una muestra palpable (más) de la primacía de sus intereses económicos y
políticos sobre la promoción de la democracia y de los derechos humanos »189 (Soroeta
Liceras, 2009, p. 823).

La primauté pour les considérations économique et sécuritaire de l’implication de


l’UE dans la question sahraouie a fait dire à certains auteurs que la question du Sahara
Occidental est un enjeu sécuritaire pour l'Union européenne. Mieux, « la sécurité de l’U.E

189
Notre traduction: la position de l’Union européenne dans le conflit au Sahara occidental, est un signe
palpable de la primauté de ses intérêts économiques et politiques sur la promotion de la démocratie et des
droits de l’homme.

285
est liée au règlement du différend et au développement durable du Sahara Occidental »
(Faupin & Guillaumin, 2015, p. 1). Même si objectivement l’on peut dire que l’Union
européenne est pro-marocaine, il n’en demeure pas moins qu’elle reste partagée entre les
positions antinomiques de ses États membres. Après avoir vu la position de l’UE dans le
conflit du Sahara Occidental, il convient maintenant de jeter un coup d’œil sur l’attitude de
certains de ses membres qui se sont illustrés de par leur engagement dans le conflit depuis
ses débuts. Pour ce faire, commençons par la puissance colonisatrice du territoire,
l’Espagne.

2.1. Les « nouvelles donnes » de l’implication de l’Espagne dans le conflit après


l’abandon du Sahara

En sa qualité de puissance colonisatrice et administrative de l’ancienne colonie et


province, l’Espagne intervient aujourd’hui dans le conflit du Sahara occidental. Mais cette
fois-ci, elle a troqué son manteau de puissance colonisatrice pour celui de facilitateur de la
résolution du conflit.

Comme nous l’avons vu plus haut, c'est en novembre 1975, alors que le général
Franco agonisait et dans le dos de celui-ci, que ses successeurs ont organisé « une transition
sans incidents » avec le Maroc. Était alors signé à Madrid « l'Accord Tripartite sur le Sahara
Occidental ». Cet accord, pour ne plus revenir dessus, qui a consacré le partage de la
« dernière colonie d'Afrique », a été une solution élégante pour l’Espagne. Cette solution a
permis à l’Espagne, non seulement, de se débarrasser d’un territoire qui devenait trop
encombrant pour elle, car la situation menaçait de dégénérer en conflit armé entre les forces
espagnoles et marocaines dans cette période de transition politique en Espagne. Aussi, cela
a permis à l’Espagne de « mettre à l’abri » ses autres territoires notamment, Ceuta, Melilla,
les iles Canaries, les îles Chaffarines et les rocs de Vêlez et Al Hoceima. Comme nous
l’avons démontré, déjà, l’Espagne a troqué le Sahara pour des intérêts géopolitiques et
géoéconomiques nationaux et privés.

Depuis 1975, date de la « vente » du Sahara au Maroc et à la Mauritanie, l’Espagne


continue d’être une partie impliquée dans le conflit du Sahara. Faut-il le dire, l’Espagne est
en partie responsable du conflit. Avec la situation de blocage que connait le conflit depuis
la construction des murs marocains et de la signature du cessez-le-feu de 1991,

286
officiellement, l’Espagne a adopté une « neutralité active » en appuyant la doctrine des
Nations Unies, c’est-à-dire, qu’il s'agit d'un problème de décolonisation inachevé, qui attend
la célébration d'un référendum d'autodétermination auprès de la population du territoire. Ce
qui intéresse par-dessus tout le gouvernement espagnol c’est la préservation de ses relations
économique et politiques avec les États du Maghreb. Ainsi, soucieuse de préserver ses
intérêts, l’Espagne a mis en place une « politique d’équilibre ». Cette politique est faite
d’ententes bilatérales et de coopération qui devait lui permettre, en endormant les
revendications concurrentes au Maghreb, de résister aux pressions internationales et
d’envisager une exploitation fructueuse des ressources des territoires (Ceuta, Melilla, les
iles Canaries, etc.).

Dans le contexte actuel, officiellement, comme l’a indiqué Pedro Sanchez, « le


gouvernement espagnol soutient les efforts du Secrétaire général des Nations unies dans la
recherche d’une politique et d’une solution juste, durable et mutuellement acceptable »190.
Les différents gouvernements espagnols ont toujours évité de jouer un rôle actif de
médiation dans le conflit, sous le prétexte de ne pas interférer dans le débat entre les parties.
Toutefois, l’Espagne de par sa nature composite, tant dans sa composition politique
(idéologies et tendances nationalistes et indépendantistes) que territoriale (constituée de
régions autonomes), la question du Sahara Occidental est aujourd’hui diversement
appréciée par l’opinion publique et politique.

On assiste désormais à une transformation de la question du Sahara d’une affaire


sociale et humanitaire en une affaire purement politique et économique.

- Au niveau social.

À partir des années 80 l’on a assisté à une prolifération d’Associations espagnoles


de Solidarité avec le Peuple Sahraoui. Ces Associations sont présentes dans la majorité des
grandes villes espagnoles et appuient les sahraouis et le Polisario à travers des actions
humanitaires et de solidarité. En décembre 2010, presque 3 millions d’euros ont été octroyés
au Front Polisario, dont 2 millions et demi par le Gouvernement Autonome de l’Andalousie.
Le reste, soit 400.000 euros, provenait des Iles Canaries. Selon le Bulletin officiel de la

190
À lire sur https://atalayar.com/fr consulté le 29/07/20.

287
Junta de Andalucia (BOJA), l’aide du gouvernement de Séville à travers l’Agence
Andalouse de Coopération Internationale est consacrée à l’Association d’Amitié avec le
Peuple Sahraoui de Séville. L’aide du Gouvernement de l’Archipel Canarien est destinée à
l’Association d’Amitié avec le Peuple Sahraoui, et cela malgré la crise que connaît
l’Espagne (Benlabbah 2012, p. 57).

Selon l’Agence Espagnole de Coopération Internationale pour le Développement,


l’Espagne a accordé à la « population sahraouie », au cours des dernières années, plus de
125 millions d’euros, dont 90% sont gérés par les Régions Autonomes et les entités locales
(municipalités et conseils locaux). Parmi les régions autonomes les plus actives à ce niveau,
il y a le Pays Basque. Ces actions de nature sociale et humanitaire, se sont développées pour
se transformer en une plateforme sociale d’appui à l’indépendance et à l’autodétermination
du peuple sahraoui.

- Au niveau politique

L’appui des partis politiques espagnols au Front Polisario depuis sa création est un
secret de polichinelle. Leurs interventions au sein du Parlement depuis les années 1970,
reflètent le soutien de l’élite politique espagnole à la cause des indépendantistes sahraouis.
Mais cet appui et cette sympathie sont toujours relatifs, et sont fonction des partis politiques
espagnols et de leur participation ou non au gouvernement. Les partis IU (Gauche Unie) et
UPyD (Union Progrès et Démocratie, parti fondé en 2007) ont toujours exprimé leur appui
inconditionnel au Polisario de même que les parti CC (Coalition Canarienne) et le PNV
(Parti National Basque). Les deux grands partis espagnols PP (Parti Populaire) et le PSOE
(Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) utilisent la question du Sahara selon leur position dans
le Gouvernement ou dans l’opposition.
Mais tout récemment en 2020, le gouvernement espagnol dirigé par le Pedro
Sanchez a rompu avec la position historique de l’Espagne. En effet, en 2021, le
gouvernement espagnol accueille sur son sol le président de la RASD, Brahim Gali, malade
du Covid-19. Rabat va considérer cet acte comme une trahison de la part de Madrid191. Par
conséquent, le Maroc ouvre ses frontières au niveau de Ceuta et laisse entrer des milliers de

191
L’article est disponible sur https://www.publico.es/sociedad/gobierno-devolucion-marroquies-ceuta.html#
consulté le 29/08/2021.

288
migrants dans cette ville espagnole (Publico, 2021). A la suite d’acte de chantage migratoire
du Maroc, le gouvernement a été contraint de reconnaitre le Plan d’autonomie proposé par
le Maroc, le jugeant comme le plan le plus sérieux et réaliste pouvant permettre la résolution
du conflit.
- Au niveau économique

La région du Sahara, arrière-pays des Iles Canaries est comme nous l’avons déjà dit
très riche en ressources halieutiques et minérales. Pour préserver ses intérêts, l’Espagne
envisage toujours d’avoir de bonnes relations avec la future entité qui administrerait ou
gouvernerait le territoire, dans le cadre de la solution qui serait adoptée par les Nations Unies
et acceptée par les parties. Juste après la France, l’Espagne est le deuxième partenaire
économique du Maroc avec 13,3% des transactions commerciales, ce qui correspond à 28
953 millions dirham (DH) en 2011. Elle est également deuxième client et deuxième
fournisseur avec, respectivement, 18,9 % et 10,6% (Benlabbah 2012, p. 70).

Au début de la guerre sahraouis-maroco-mauritanienne en 1976, le royaume


d’Espagne a apporté un important soutien militaire aux Forces Armés Royale (FAR)
marocaines. Entre février 1976 et janvier 1977, Madrid a effectué des livraisons d’armes et
de matériels militaires au Maroc s’estimaient à quelque 27 millions de dollars (Hodges,
1985, p. 476).

À l’arrivée des socialistes au pouvoir, la coopération militaire avec le Maroc est allée
crescendo et s’est élargie à d‘autres champs ; c’est ce qui explique la participation des forces
espagnoles et marocaines à des manœuvres communes en octobre 1984. Quant aux ventes
d’armes et de matériels, entre 1982 et 1984, elles ont dépassé les 15 milliards de pesetas.
Dans la foulé et toujours dans la même veine, en décembre 1986, toujours pendant la guerre
Polisario-Maroc, l’Espagne va signer avec le Maroc un important contrat de vente d’armes
et de matériel militaire pour un montant total de 221 millions de dollars. Cette opération,
comme souligne un auteur, a été « la plus importante opération commerciale de l’année
pour l’Espagne » (De Froberville, 1996, p. 88). Le gouvernement espagnol se sucre, donc,
sur le dos des sahraouis.

Tous ce qui précède explique aujourd’hui la double attitude de l’Espagne dans la


question de son ancienne colonie. À travers la société civile et les partis politiques,

289
l’Espagne semble soutenir le Polisario et l’autodétermination du peuple Sahraoui ou la
Constitution d’une République. Le gouvernement, à travers les déclarations des officiels,
parait clairement appuyer la position marocaine en avalisant son plan d’Autonomie, selon
les conditions qui y sont fixées.

Pour finir, nous pouvons dire que l’Espagne a inscrit sa position dans la question du
Sahara dans le contexte global de ses rapports avec le Maghreb. En effet, les fondements
sur lesquels reposait la politique extérieure espagnole envers le Maghreb évoluèrent de
façon significative après son adhésion à la Communauté économique européenne en 1986
et à l’Union européenne. Le Maghreb cessa d'être perçu à travers le prisme de la défense
des intérêts territoriaux espagnols pour être appréhendé sur la base de critères de stabilité et
de sécurité globale. Cela se traduisit par la mise en œuvre d'une politique globale vis-à-vis
de la région, par une intensification des liens économiques, politiques et culturels,
considérés comme le meilleur moyen pour limiter les effets de la conflictualité cyclique qui
avait caractérisé les relations avec le Maroc et le Maghreb (De Larramendi et Lopez, 2004,
p. 22). Tout comme la puissance colonisatrice, la France soutient le Maroc au détriment du
Polisario.

2.2. La France, alliée traditionnelle du Maroc

Dans l’histoire coloniale du Sahara Occidental, la France y a toujours été présente.


En effet, c’est la France qui au côté de l’Espagne a délimitée les frontières du Sahara
Occidental en 1900, 1904 et 1912. C’est encore qui a favorisée la conquête espagnole de
l’hinterland du Sahara en 1934, en réduisant les foyers de résistances des tribus locales qui
étaient alors sous la houlette de Ma el Ainín. C’est la même France qui aux côtés de
l’Espagne avait concoctée l’opération conjointe Écouvillon ou Teide. Elle avait alors aidé
les forces armées espagnoles à pacifier le Sahara et à défaire les bandes de l’Armée de
Libération du Sahara (ALS).

Comme on peut le noter, la France a été et est très impliquée dans le conflit du Sahara
Occidental. Au début, la France qui a toujours été intéressé par le territoire, est intervenue
pour aider l’Espagne à le conquérir puis à le coloniser. Par la suite, son engagement dans le
conflit aux côtés du Maroc et de la Mauritanie va servir à affirmer son hégémonie
géopolitique sur cette région considérée comme le « pré-carré » français. Une maxime

290
attribuée à Napoléon dit que « Tout État fait la politique de sa géographie ». C’est la
politique de sa géographie politique et économique que la France va faire au Sahara à partir
de 1977. En effet, ce sont des considérations géopolitico-économiques qui, comme nous le
verrons, peuvent justifier le soutien militaire et diplomatique de Paris à Rabat et à
Nouakchott. Commençons par les considérations d’ordres géopolitiques pour terminer par
celles géoéconomiques.

Officiellement, Paris soutien l’effort et le plan de paix de l’ONU et de l’OUA et donc


le droit à l’autodétermination et à l’indépendance du peuple sahraoui, mais à l’invitation de
Ould Daddah en 1976, la France mit en place une coopération militaire franco-maroco-
mauritanienne. Cette alliance militaire avait pour but de sauver la Mauritanie qui subissait
les assauts destructeurs de l’Armée Populaire de Libération du Sahara aux ordres du
Polisario.

Après l’attaque de Nouakchott par l’APLS en juin 1976, le président mauritanien a


alors sollicité l’aide militaire et technique du Gouvernement français et du président Valéry
Giscard d’Estaing. Une commission mixte franco-mauritanienne se réunit pour la première
fois à Paris mi-avril 1976. Le 2 septembre suivant est signée une convention pour
l’instruction d’officiers, étendue un an après à l'organisation et instruction des forces armées
de la RIM. En fait, le président français Valéry Giscard d’Estaing ne voulait pas entendre
parler de la création d’un État, encore moins d’un micro État, en Afrique et notamment au
Maghreb. « Le président Giscard affirma qu’il n’était pas favorable à la création d‘un petit
État indépendant au Sahara et il estimait regrettable la multiplication des micro-États »
(Boni-Gatta, 2016, p. 407) comme le souligne la professeure Gatta. Par ailleurs, l’ex
président français trouvait irraisonnables que la population nomade du Sahara qu’il évaluait
à cent mille personnes au maximum puisse se constituer en un État autonome.

Pour parer la création du « petit État du Sahara » la France va accentuer ses ventes
d’armes et au Maroc et à la Mauritanie. C’est ainsi que les ventes d’armes et de matériels
passaient de 234 millions de francs en 1984 à 300 millions de francs français en 1984
(Hodges, 1985, p. 476). Pour les successifs maitres de l’Élysée, l’émergence de la
République Arabe sahraouie Démocratique (RASD) est vue comme un facteur de
déstabilisation politique et économique du royaume au sein duquel la France a d’énormes
intérêts politiques, économiques, culturels et militaires (Boni-Gatta, 2016, p. 420). Selon le

291
même auteur, « la France demeure l’obstacle majeur à toute solution juste au conflit du
Sahara Occidental » (Gatta, 2018, p.125).

Pour nous, l’hostilité de la France vis-à-vis du Polisario et des Sahraouis peut aussi
s’expliquer par le fait que ceux-ci ont choisi l’Algérie pour tutrice et modèle de lutte.
Comme on le sait, les relations franco-algérienne, depuis la période coloniale jusqu’à ces
dernières années, n’ont jamais été vraiment au beau fixe. Pour Sayeh (1998), il ne fait aucun
doute que la France « veut façonner l’équilibre dans la région Grand Sahara selon sa
propre vision politique de telle sorte que les rapports de force dans la région penchent en
faveur du Maroc, devant donc annexer le Sahara à tout prix. » (p. 123).

Même si ce n’est qu’une hypothèse, il semble que la France veut se dédouaner auprès
du Maroc. En effet, dans le cadre de la reconstitution du « Grand Maroc », le Maroc avait
revendiqué la Mauritanie tout comme le Sahara. La France, au grand dam de Rabat, a alors
soutenu la Mauritanie, contre les visées expansionniste et annexionniste du Maroc. Par
conséquent, la France cherche maintenant à se « dédouaner en quelque sorte auprès de
celui-ci [le Maroc] en faisant tout pour imposer la marocanisation du Sahara en guise de
compensation » (Sayeh, 1998, p. 123). En plus de cela, il y a aussi des considérations
politico-culturelles. Le Maghreb est une région où tous les États sauf la Libye et le Sahara,
ont été colonisés par la France. Cette région du continent africain peut donc être considérée
comme une zone à consonance francophone, mieux, le Maghreb est la « chasse gardée
culturelle » de la France. Par conséquent, il serait donc « dangereux » pour Paris de laisser
émerger dans son pré-carré une entité politique indépendante, d’obédience et de langue
espagnole dans une région sous sa tutelle. En clair, la France ne veut ménager aucun effort
pour maintenir son influence géopolitique et géoéconomique au Maghreb et par extension
en Afrique.

Pour finir, la prédominance de la France au niveau des échanges commerciaux avec


le Maroc explique aussi l’hostilité de Paris envers le Polisario. Faut-il le rappeler, la France
est le premier partenaire du Maroc. Selon des chiffres de l’Office des changes du Maroc de
2012, 16,7 % des transactions commerciales du Maroc vers l’étranger se font avec la France,
p. 70).

292
Quand on sait de l’économie française que quelque 600 entreprises françaises sont
installées au Maroc et employant environ 70 000 personnes (Benlabbah, 2012) on comprend
bien pourquoi la France entend tout mettre en œuvre pour préserver ses énormes intérêts au
Maroc en le soutenant dans sa lutte contre le Front Polisario. Comme les États-Unis, la
France et l’Espagne, la Russie, la Chine et aussi l’Inde sont des acteurs –implicites- du
conflit du Sahara Occidental.

3- La position de la Russie, de la Chine et l’Inde

La physionomie du Conseil de Sécurité et la portée des débats en son sein reflètent


un effritement de la mainmise des États-Unis, de la France et du Royaume Uni sur la gestion
du dossier du Sahara et un retour en force de la Russie et de la Chine.

3.1. De l’URSS à la Russie et les calculs géopolitiques dans l’affaire du Sahara


Occidental

La Russie et avant elle, l’URSS, est un acteur incontournable au sein du Conseil de


sécurité. Comme nous l’avons dit plus haut, pour la Russie, le Maghreb est important dans
son désir de positionnement global en tant que puissance internationale et dans sa volonté
de s’affirmer comme une force économique en réémergence, en comparaison des USA, de
l’UE et de la Chine. En effet, le Maghreb de par sa proximité avec l’Europe, revêt une
importance géostratégique et géopolitique pour la Fédération de Russie actuelle et avant elle
pour la défunte URSS.

C’est dans ce contexte qu’il convient d’analyser la position actuelle de la Russie


dans le dossier du Sahara, d’identifier les déterminants qui motivent sa position à l’aune de
ses relatons avec les acteurs locaux du conflit dont certains sont des partenaires privilégiés
de la Russie dans la région. Mais, il convient dire que pendant la période de la guerre froide,
l’Union Soviétique a été taxée d’être le « tuteur idéologique » du Polisario. Ces accusations
nourries par la diplomatie marocaine étaient une stratégie pour internationaliser un conflit
régional à l’effet de favoriser l’appui technique, diplomatique et militaire des États-Unis et
la France.

À l’époque de la guerre froide¸ l’Union Soviétique avait-il un intérêt à appuyer le


petit mouvement de libération national sahraoui confronté au puissant régime chérifien

293
soutenu par le bloc Occidental. Pour Gomez Martin (2016, non numéroté), « Bien que le
conflit du Sahara Occidental se soit déclenché dans les derniers sursauts de la doctrine
Brejnev (1964-1982) on peut souligner que l’indépendance du Sahara Occidental n’a
jamais été dans l’agenda international de l’URSS. » En fait, pour l’Union Soviétique parier
sur les Sahraouis n’était pas une valeur sûre d’autant plus qu’elle avait de forts intérêts
économiques à protéger au Maroc. Pour mémoire, les rapports économiques entre les deux
pays débutent en 1958 par le biais d’échanges commerciaux et de la coopération scientifique
et technique. Ils se multiplient dans les années 1970 grâce aux lourds investissements
soviétiques en matière d’infrastructures, comme la construction des projets énergétiques et
industriels à l’intérieur du territoire marocain (Gomez Martin, 2016).

Pourtant, l’Algérie de Boumediene, socialiste, panarabe, non-aligné et proche de


l’Union Soviétique, va transformer l’État sahraoui avant même sa naissance, en un potentiel
satellite de l’URSS. En 2006, au cours de la commémoration du trentième anniversaire de
la proclamation de la RASD, l’ambassadeur sahraoui au Venezuela, Hash Ahmed, parlant
d’un hypothétique soutien de la Russie à son pays, assurait que :

[…] ni avant ni pendant le conflit (sahraoui-marocain) l’URSS a entretenu des contacts


avec la RASD ou a permis l’ouverture d’un bureau sahraoui à Moscou. Même pas une
boîte de sardines n’est arrivée aux réfugiés sahraouis provenant de l’Union Soviétique,
et on peut dire la même chose de la Chine […]192.

Bien qu’il soit aujourd’hui difficile de prouver des connexions entre l’URSS et la
RASD, l’existence d’une relation indirecte par l’intermédiaire de l’Algérie et la Libye est
assez probable. En effet, l’Union soviétique a permis à l’Algérie et la Libye de fournir à
l’Armée Populaire de Libération du Sahara (APLS) du Front Polisario, des armes d’origine
et de fabrication soviétique.

Aujourd’hui, la fédération de Russie adopte une position officielle dite de neutralité


positive basée sur le soutien du processus politique de négociations des Nations Unies. Pour
la Russie, la question du Sahara fait partie du jeu géopolitique global sur la scène
internationale. Si la Russie n’a jamais été activement entreprenante sur ce dossier, il n’en
demeure pas moins qu’elle a toujours veillé à garder son influence sur cette question,
puisqu’elle constitue un levier pour la promotion de ses intérêts aussi bien avec le Maroc

192
Le discours intégral est disponible sur http://www.arso.org/discembsahven.pdf consulté le 29/08/2021.

294
qu’avec l’Algérie. L'ambassadeur de Russie au Maroc, Valerian Shuvaev en décembre 2018
indiquait que « nous [la Russie] ne proposons pas de solutions toutes faites à ce conflit. Et
ce en partant d'une conviction simple, à savoir que cette question doit être réglée par les
différents acteurs concernés par le problème. Nous, de notre côté, nous sommes prêt à
reconnaitre n'importe quelle solution résultant d'un accord commun entre eux »193.

Pour comprendre les déterminants qui motivent la position actuelle de Moscou sur
le dossier sahraoui, analysons l’évolution chronologique de la position russe de 1975 à nos
jours. Tout d’abord, de 1975 à 1998, l’Union soviétique, a apporté un appui idéologique à
l’autodétermination du peuple Sahraoui. À cette époque considérée, les contraintes
géopolitiques liées à la guerre froide ont largement modelé la position de l’Union des
Républiques Socialistes Soviétiques sur la question du Sahara durant. L’ex-URSS soutenait
inconditionnellement les pays de sa « sphère d’influence » politico-idéologique. De par le
choix du socialisme, l’Algérie et la Libye, qui armaient le Polisario, relevaient alors de la
sphère soviétique. À cette période où les pays l’Est et l’Ouest se battait par États interposés,
la question du Sahara était alors perçue comme un « conflit par procuration ». Le soutien
politique soviétique à la position de l’Algérie était évident. L’équipement militaire et
l’armement étaient assurés, principalement, à travers la Libye de Kadhafi et la formation
l’était par Cuba.

En somme, l’appui de l’URSS à la thèse d’autodétermination du peuple Sahraoui,


tant à l’Assemblée Générale qu’au Conseil de sécurité, était le corollaire de son rôle de
leader du mouvement d’émancipation des peuples opprimés par la colonisation et qui
trouvait du côté d’Alger un relai en Afrique.194 Toutefois, l’URSS s’était, toutefois,
maintenu à une distance raisonnable du différend régional sur le Sahara, en évitant de
devenir un protagoniste notoire, comme la France, aux vues de ses relations économiques
et commerciales avec le Maroc. L’URSS était très intéressée par le phosphate marocain.
Même si l’Union soviétique produisait plus de phosphate que le Maroc, ce dernier était le

193
Cf. le site internet https://fr.sputniknews.com/international/201812121039276579-sahara-occidental-
position-russe/ consulté le 15/09/2019.
194
Cf. « La fédération de Russie & la question du sahara marocain »,
http://www.arso.org/Coleman/Note_Russie_Saharacorrige.pdf consulté le 30/06/2020.

295
premier exportateur mondial. L’URSS dont la production locale ne lui suffisait pas,
importait d’énormes quantités du Maroc pour son marché local.

En deuxième lieu, de 1998 à 2006, l’URSS devenue la Fédération de Russie a appuyé


les efforts de l’ONU pour parvenir à une solution politique, mutuellement acceptable entre
les parties du conflit. Après la dislocation de l’URSS, la nouvelle Russie a été contrainte à
un repli géostratégique sur la scène internationale, en raison des coûts énormes (politique,
économique, social, financier, militaire, etc.) de sa déségrégation et son effritement. Moscou
a vu diminuer, dans ce contexte, son influence au sein des Nations Unies, en particulier au
sein du Conseil de sécurité, tout en restant attentif à ses intérêts supérieurs.

À l’Assemblée Générale des Nations Unies et durant la période considérée, les


Résolutions qui avaient trait à la question du Sahara avaient été adoptées sans vote, à
l’exception de celles de 2004195et de 2006 qui avaient été soumises au vote. Au cours de ces
deux votes, la Russie avait voté en faveur des deux résolutions, alors que le Maroc invitait
les États membres des Nations Unies à s’abstenir sur lesdits projets. Entre 1998 et 2006, le
vote favorable de la Russie à toutes les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité,
démontre le soutien des efforts entrepris par les Nations Unies en vue de parvenir à une
solution politique, définitive et mutuellement acceptable au différend régional sur le Sahara.

Enfin, de 2007 à ce jour, la diplomatie russe affiche une politique de neutralité


positive et continue de soutenir les efforts des Nations Unies. Par ailleurs, depuis 2007, la
Russie s’oppose à l’inclusion de toute référence à la question des droits de l’homme dans le
mandat de la MINURSO. Cette attitude de la Russie a indigné le Représentant du Costa
Rica qui a déclaré, le 30 avril 2008, que :

Aujourd’hui, à notre grande surprise, le représentant de la Fédération de Russie a


menacé d’exercer son veto technique à toute mention des droits de l’homme, alors que
les deux parties se lancent des accusations mutuelles sur la question des droits de
l’homme (…).196

Lors de lʼexamen de la question du Sahara en 2014 par le Conseil de sécurité, le


Représentant de la Russie a signalé que « la position de la Russie sur la question du Sahara
occidental demeure inchangée ». Il a affirmé que son pays refuse le statut quo ainsi que tout

195
Il s’agit de la Résolution 1541 (2004).
196
Cf. http://www.arso.org/Coleman/Note_Russie_Saharacorrige.pdf consulté le 30/06/2020.

296
acte portant atteinte à la solution politique. Pour la Russie, la MINURSO doit respecter son
mandat et qu’il est inacceptable de politiser la question des droits de l’homme.

La position officielle de la Russie face au conflit a quelque chose d’ambigüe vu son


rapprochement à l’Algérie et au Maroc. La Russie veut privilégier la coopération et le
partenariat économique avec ces deux pays « ennemis » et antagonistes dans la question du
Sahara en adoptant une position d’équilibre entre le Maroc et l’Algérie. Comme nous
l’avons vu plutôt, nous assistons depuis les années 2000 à un rapprochement entre le Maroc
et la Fédération de Russie, illustré par la visite de Sa Majesté le Roi à Moscou en octobre
2002 et la signature dʼune déclaration de Partenariat stratégique. Dans la foulée, le Président
Poutine a également effectué une visite officielle au Maroc en septembre 2006. Les relations
ont connu un développement quantitatif et qualitatif. Aujourd’hui, le Maroc est l’un des plus
grands partenaires commerciaux de la Russie en Afrique et dans le monde arabe. En 2012,
la Russie était le 6ème fournisseur du Maroc avec plus de 20 milliards dhs. et 19ème client
avec à 2 milliards. Les échanges ont connu une importante évolution : ils ont atteint 200
millions de dollars US par an à 2,5 milliards $ en 2015 (Saaf, 2016, p. 17).

Moscou veille au maintien de l’équilibre dans ses relations avec Rabat et Alger.
Mais, la Russie et l’Algérie sont plus ou moins concurrentes dans leur produit phare; les
hydrocarbures. Ainsi, à l’exception des équipements militaires où l’Algérie demeure un
client stratégique pour la Russie197, le potentiel commercial bilatéral demeure quelque peu
limité. Toutefois, consciente de l’importance que revêt la question du Sahara aussi bien pour
le Maroc que pour l’Algérie, Moscou fort de sa politique de realpolitik basée sur la primauté
des intérêts économiques que l’appui à un mouvement indépendantiste à des fins
idéologiques, n’hésite pas à en tirer un profit économique auprès des deux partenaires. Cette
situation vient confirmer la thèse selon laquelle le statu quo du conflit du Sahara Occidental
sert les intérêts géoéconomiques et géopolitiques de la Russie.

3.2. Les relations Chine-Maghreb à l’aune de la question du Sahara Occidental : des


relations basées sur des échanges de bons procédés

197
À partir de 2013, l'Algérie est le deuxième plus grand importateur d'armes russes avec 1,9 milliard de
dollars.

297
Comme nous l’avons vu plus haut, l’un des faits saillants de ce début de ce deuxième
millénaire, est l’« invasion chinoise » du Maghreb, considéré pendant longtemps comme la
« chasse-gardé » de l’Union Européenne et surtout de la France. Depuis 2006, des États
comme le Maroc (9e), l’Algérie (8e) la Libye (7e) figurent parmi les dix principaux
partenaires africains de la Chine (Nicolas, 2010, p. 24). L’un des objectifs majeurs de la
Chine au Maghreb est d‘obtenir un accès privliégié à certaines ressources naturelles
indispensables à la croissance et à l’alimentation de l’economie chinoise. Il s’agit par
exemple du petrole, du phospahte (dont le Maroc est le premier exportateur mondial), le
zinc, l’or, le fer, etc. Mais, il serait réducteur d’affirmer que la Chine n’a d’autres ambitions
que sa sécurité énergétique et le développement de ses entreprises dans la région. Elle a
également un agenda politique. En effet, l’effort d’implantation de la Chine dans la région
répond avant tout à étendre son influence politico-diplomatique et concurrencer celle des
occidentaux.

Le partenariat stratégique sino-maghrébin est conçu autour de l’économie, comme


pilier central, mais la dimension politique et diplomatique représente aussi une clé dans ledit
partenariat. Comme nous l’avons déjà dit, il existe de solides liens politiques entre la Chine
et les États du Maghreb depuis la conférence de Bandung en 1955 au cours de laquelle la
Chine avait présenté les « cinq principes de coexistence mutuelle », clé de voûte de sa
politique extérieure (Rhattat, 2013, p. 242).

Ces cinq principes sont : le respect de l’intégrité territoriale, le refus de l’agression,


la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays, l’égalité et bénéfice mutuel et
la coexistence pacifique. La mise en avant de ces principes, permet à la Chine de se
distinguer de ses concurrents occidentaux et accroître le soutien politique dont elle bénéficie
au sein des organisations internationales dont la rivalité avec Taïwan198 est l’un des enjeux
majeurs de sa diplomatie. Les autorités chinoises tiennent beaucoup aux considérations
politiques et le soutien diplomatique potentiel des nouveaux partenaires de la région
(Ekman, 2013, p. 13). Mais la dimension politico-diplomatique doit être prise à double sens.

198
Taïwan est une île située au large de la Chine continentale. Ce territoire d’une superficie d’environ
36 000 km², est séparé du continent par le détroit de Taïwan ; elle est entourée au nord par la mer de Chine
orientale, à l’est par l’océan Pacifique, et au sud par la mer de Chine méridionale. Tout comme le Sahara
Occidental, Taïwan est revendiquée par la Chine comme sa vingt-troisième province. Pourtant, le
gouvernement de Taiwan se considère comme étant le seul vrai gouvernement de la République Populaire de
Chine.

298
En soutenant la Chine, les pays du Maghreb espèrent également pouvoir compter sur son
soutien international pour l’avancement de certains dossiers qui leur sont chers. Il s’agit par
exemple de la question de la représentation du continent africain dans les organisations
internationales notamment au Conseil de sécurité des Nations Unies, et l’engagement des
Chinois dans la résolution de certains conflits comme celui du Sahara Occidental qui bloque
toute coopération dans la région.

La Chine entretient des relations diplomatiques historiques avec ces deux acteurs clés
du conflit du Sahara Occidental. La représentation diplomatique du Maroc à Pékin a été
ouverte en 1960. La Chine a également été le premier État non arabe à reconnaître le
gouvernement provisoire algérien en septembre 1958. Elle a par ailleurs établi des relations
diplomatiques avec l’Algérie quelques mois après. Depuis 1960, Pékin et Rabat
entretiennent des rapports assez amicaux du fait de la position du Maroc concernant Taiwan
et le Tibet. En fait, entre Taïwan et la Chine, il existe une rivalité diplomatique dont
l’Afrique a souvent été le témoin et le foyer. Les gouvernements africains, en fonctions
d’intérêts ponctuels, ont reconnu l’un ou l’autre gouvernement. Mais la diplomatie
marocaine a toujours été constante dans sa reconnaissance de la République Populaire de
Chine avec pour capitale Pékin comme la seule et unique Chine. Par conséquent, pour le
Maroc, l'île de Taiwan est une province chinoise et il respecte la position de la Chine sur le
Tibet (Rhattat, 2013, p. 242).

Comme le veut le principe de la réciprocité et en vertu de la loi des échanges de bons


procédés, de son côté, la Chine ne reconnaît pas le Mouvement indépendantiste sahraoui le
Front Polisario et comme il fallait s’y attendre, considère la région du Sahara comme une
province marocaine. Plus récemment, la relation sino-marocaine a été marquée par les
visites successives de Jiang Zemin au Maroc, en 1999, du roi Mohammed VI en Chine en
2002, de celle de président chinois Hu Jintao, au Maroc, en 2004. Parlant des relations
politiques et diplomatiques et la coopération entre la Chine et le Maroc, après plus de
soixante ans d’existence, l’ambassadeur chinois au Maroc, Li Li interrogé par Jeune Afrique
(2019) confessait que :

Jamais les relations n’ont été aussi bonnes. Elles se caractérisent par une confiance
politique mutuelle accrue, marquée par une maturation des mécanismes de coordination

299
dans tous les domaines, ainsi qu’une meilleure compréhension et un soutien réciproque
dans les affaires internationales et régionales.

Même si Pékin ne soutient pas totalement la position marocaine en ce qui concerne


la question du Sahara, elle s’est toujours opposée ouvertement à toute forme de séparatisme
(la question de Taiwan) aussi bien sur son territoire qu’ailleurs dans le monde. Fort de cela,
il ne fait aucun doute que la Chine confrontée également à des problèmes de « séparatisme »
comme le Maroc, soutiendra toujours ce dernier. La Chine ne reconnait pas le Front
Polisario ni la Rasd comme État et risque de ne jamais le reconnaitre vu ses excellentes
relations avec le Royaume du Maroc.

Mais en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, la
Chine s’en tient à une position qu’elle qualifie de « juste et objective ». Comme le souligne
l’ambassadeur Li Li (2019), « Elle [la Chine] soutient les parties concernées dans leurs
efforts pour parvenir à une solution équitable, durable et acceptable par tous, par le
dialogue et les négociations, sur la base des résolutions pertinentes du Conseil de
sécurité. » La Chine soutient donc officiellement les efforts des Nations Unies pour
promouvoir le règlement de cette question et y apporter sa contribution par le vote des
résolutions. Mais quand il s’agit de garantir un partenariat stratégique politique,
diplomatique, outre le développement des échanges économiques avec les États du Maghreb
concernés, l’engagement de Pékin dans la région a plutôt mis au service de ses intérêts dits
fondamentaux.

La dernière visite de Mohamed VI en République de Chine en mai 2016 a permis


d’institutionnaliser des relations respectueuses qui existent avec l’Empire du milieu basés
sur l’échange de bons procédés diplomatiques. Cette visite a permis de capitaliser les acquis
entre les deux nations et de renouveler le vœu de l’entente politique. C’est sans doute ce qui
explique que le Polisario/Rasd ait été exclu du 7e Forum Chine–Afrique199 de 2018. Plus
récemment encore, la RASD a été écartée une nouvelle fois du sommet extraordinaire
Chine-Afrique de 2020 consacré à l’examen de la propagation de la pandémie du nouveau
coronavirus Covid-19 et ses effets sur le continent africain.

199
Le Forum pour la Coopération Chine-Afrique (FOCAC) a été instauré en 2000. Il s’agit d’une plateforme
d’échange et de coopération entre la Chine et les pays africains, qui entretiennent des relations diplomatiques
officielles avec la Chine, et qui couvre divers aspects concernant la politique, les échanges commerciaux,
l’économie, la société et la culture.

300
En somme, nous pouvons dire qu’au début du conflit la position de la Chine était
considérée par certains auteurs comme « incertaine » (Afanador et Jiménez, 2008, p. 288)
et confuse, pour nous, malgré le manteau de non-ingérence sous lequel se drape Pékin, sa
position officieuse dans l’affaire du Sahara Occidental penche en faveur du Maroc. Aussi
longtemps que Rabat continuera de considérer Taiwan comme une province chinoise, Pékin
ne se risquera jamais de reconnaitre le Front Polisario ni la RASD comme État.

3.3. L’attitude volatile de l’Inde dans le conflit sahraoui

Depuis son indépendance en 1947, l’Inde a adopté une politique proche des positions
pays arabes. Ces positions sont basées sur les principes d’autodétermination,
d’indépendance et de souveraineté inscrits dans la Charte des Nations-Unies, confirmés par
les actes du Mouvement des non-alignés et des engagements au sein de diverses
organisations internationales ou à caractère régional. Les relations entre l’Inde et le monde
arabe sont anciennes. En vertu de leurs principes anticolonialistes, de leur non-alignement,
les grands leaders nationalistes indiens avaient adopté une politique appuyant les
dynamiques maghrébines de libération nationale. Ainsi, au cours des années 1950, l’Inde a
soutenu les mouvements nationaux maghrébins au sein de l’ONU. Elle a également appuyé,
et de manière constante, la cause palestinienne.

Cette attitude a commencé à évoluer dès la fin des années 1960 période à laquelle la
plupart des états maghrébins obtenaient leur indépendance ou luttait pour. En effet,
autrefois, les relations politiques de l’Inde avec les pays maghrébins, fondées sur le principe
de solidarité entre mouvements de libération, les idées du non-alignement, une politique
ouverte sur l’arabisme progressiste, se sont recomposées. Actuellement, c’est sur une base
dite pragmatique, qui donne la priorité aux intérêts économiques et énergétiques et à la
croissance économique (Saaf, 2018, p. 25) que se fondent les relations indo-maghrébines.

L’inde s’est fixée pour objectif d’appuyer son développement économique et son
rayonnement sur l’échiquier international. Pour ce faire, elle cherche à accéder aux matières
premières et aux ressources en énergie là où elles sont disponibles, aidant ses acteurs
économiques, publics ou privés, à s’installer dans des marchés qu’elle estime prometteurs.
Il en ressort des fins de cycle des relations de l’Inde avec les pays maghrébins et des sortes
de nouveaux départs. C’est le cas des relations Indo-marocaine. Parmi les deux grands

301
acteurs du conflit que sont les le Maroc et l’Algérie, ce sont les rapports du premier avec
l’inde qui mérite d’être analysés. En effet, l’histoire des relations maroco-indiennes a connu
de nombreuses mutations depuis l’indépendance du Maroc en 1956.

Dans sa lutte contre l’occupation française, l'Inde avait fortement soutenu le


processus de lutte pour l'indépendance du Maroc au détriment des français. Les relations
diplomatiques entre le Maroc et l’Inde ont été alors établies officiellement en 1957 après la
visite du ministre des Affaires étrangères du Maroc indépendant, Ahmed Balafrej. De
manière globale les relatons ces deux pays se caractérisent par leur évolution positive et la
convergence des points de vue des deux pays au sein des instances multilatérales. Toutefois,
les relations indo-marocaines ont connu des périodes assez difficiles. E fait, les relations
maroco-indiennes, qui se sont opérées en trois phases, se sont heurtées essentiellement à la
question du Sahara Occidental. Les décennies 1960 et 1970 se sont caractérisées par des
relations, au mieux, neutres, du fait de l’idéologie régnante du Mouvement des Non-Alignés
dont l’Inde a été le chantre et, surtout, des effets des divisions issues de la Guerre Froide
qui ont marqué, de façon souvent opposée, les politiques étrangères du Maroc et de l’Inde.

La seconde phase dates des années 1980 et 1990. Cette période s'est distinguée par
des crises aboutissant à la rupture diplomatique entre les deux pays. La rupture des relations
diplomatiques a été causée par la reconnaissance, en 1985, par l’Inde de la République
Arabe Sahraouie Démocratique (RASD). La RASD avait même ouvert une ambassade en
Inde. Avec la rupture des relations diplomatiques, l’Inde, a alors décidé de suspendre ses
relations économiques notamment l’achat de phosphates marocains et dérivés qui
représentaient, à l’époque, 40% des ventes annuelles du Groupe OCP (Mouline, 2018, p. 5).
Cette situation avait impacté grandement les chiffres de cette entreprise considérée comme
l’un des poumons de l’économe marocaine.

La troisième phase date des décennies 2000 à ce jour. Au cours de cette phase, la
politique de l'Inde vis-à-vis du Maroc s'est avérée plus favorable, avec le changement de
régime en inde et surtout par le retrait par la reconnaissance indienne de la RASD. Le retrait
de la reconnaissance de l’État sahraoui a propulsé les relations maroco-indiennes dans une
ère nouvelle. Elle a, par ailleurs, ouvert le champ à un rapprochement des points de vue
marocains et indiens au sein des instances multilatérales. Actuellement, les hauts dirigeants
des deux pays ont porté un intérêt au développement des relations bilatérales, comme en

302
témoigne, en particulier, la visite du Roi Mohammed VI, à New Delhi, en février 2001, qui
a donné une forte impulsion à ces relations. Elle a, aussi, favorisé des investissements
croisés dans l'industrie des engrais qui constitue, jusqu’à présent, un levier important des
liens économiques entre les deux pays (Mouline, 2018, p. 5.).

Au vu du cheminement des relations indo-marocaines, et du soutien originel de


l’Inde aux mouvements de libération nationale, l’on peut se poser la question de savoir
pourquoi New Delhi a retiré sa reconnaissance à la RASD ? La réponse à cette question est
à rechercher du côté des nouvelles priorités des dirigeants indiens. En effet, depuis, le début
des années 2000, l’Inde a déployé une nouvelle diplomatie centrée principalement sur le
renforcement des relations avec les principaux pôles économiques donnant la priorité aux
intérêts économiques et énergétiques, à sa croissance économique, et à une politique
étrangère marquée par une recherche de stabilité dans les relations extérieures.

L’an 2000 a vu un regain d’intérêt de l’Inde vis-à-vis des pays du Maghreb,


notamment le Maroc. Cet intérêt qui a été motivé entre autres par l’accélération de la
croissance économique indienne, a poussé l’Inde à revoir sa position voire même apaiser
certains dossiers jugés conflictuels au Maghreb notamment la question sahraouie. En
retirant sa reconnaissance, l’Inde a effacé par là même la pomme de discorde dans ses
relations d’avec le royaume du Maroc. En l’état actuel des choses, la RASD ne peut rien
offrir à l’Inde, sur le plan économique s’entend. Le Maroc en revanche contribue pour
beaucoup dans le développement économique indien.

Partenaire commercial du Maroc, l’Inde est l’un des rares pays asiatique avec lequel
le royaume réalise un excédent commercial, en raison du volume de ses exportations d'acide
phosphorique et d'engrais. Cet excédent a varié entre 273,5 millions de dollars en 2000 à 1
milliard et 379 millions de dollars en 2008 (Si Ali, 2016, p. 255). En 2012, l’Inde était le
3ème principal pays client et le 11ème fournisseur du Maroc. Les échanges commerciaux
largement dominés par les phosphates. Actuellement, le Maroc couvre, en moyenne, le tiers
des importations d’engrais de l’Inde. Ce pays représente 20% des exportations du Groupe
OCP (Mouline, 2018, p. 5). L’obtention de ces excellents chiffres pour les économies
indienne et marocaine a été possible grâce au rétablissement des relations diplomatiques
entre Rabat et New Delhi. Aujourd’hui, New Delhi, même si elle n’ose pas le dire
publiquement et se cache derrière son soutien aux efforts de l’ONU, s’aligne –

303
implicitement- sur la position marocaine, à savoir que le Sahara Occidental est une province
marocaine.

Dans le but de s’assurer des approvisionnements suffisants en phosphate essentiels


pour son agriculture dont le Maroc est l’un des leaders mondiaux et de surcroît, détient un
important savoir-faire industriel en la matière, l’Inde est obligée de mener une politique de
séduction. Pour cela, elle caresse son partenaire dans le sens des poils. Pour s’en convaincre,
au cours du sommet Inde-Afrique de New Delhi en 2015, l’Inde avait refusé d’accueillir le
Polisario arguant de la non-reconnaissance de la République du Sahara (RASD) par l’ONU,
malgré les insistances de l’UA pour faire accepter la RASD au sommet. L’Inde n’a pas
souhaité (ré) mettre à mal les relations avec Maroc, acteur économique incontournable pour
son développement et ses besoins en matière de sécurité alimentaire.

Au terme de ce chapitre, il ressort que le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie, et le


Polisario/RASD ne sont pas les seuls acteurs dans la lutte pour le Sahara Occidental. Des
États, considérés comme de grandes puissances internationales, tels que les États-Unis,
l’Espagne, la France, la Russie, la Chine, et l’Inde, de par leur attitude face aux acteurs
concernés, sont aussi impliqués dans le conflit. Ces États pour des raisons diverses :
sécurité, lutte anti-terroriste, immigration clandestine et coopération économique, appuient
l’un ou l’autre des véritables acteurs concernés, le Maroc et la RASD.

Aujourd’hui, la question du Sahara s’inscrit dans la globalisation. Dans ce nouveau


monde globalisé et confronté à une même menace, le terrorisme international, et où la
priorité est donnée aux considérations (géo) économiques, les rapports de forces balancent
à la faveur du royaume du Maroc qui peut compter parmi ses soutiens les États-Unis. En
effet, alors que le Maroc est considéré comme un rempart contre l’intégrisme religieux et
l’immigration clandestine, le Front Polisario, lui, est soupçonné de se radicaliser et de
devenir un vivier du terrorisme dans le Grand Sahara. Pour continuer de s’assurer le
partenariat et la coopération politique et économique du Maroc, aucune grande puissance
internationale n’est prête à courir le risque de reconnaitre le Front Polisario. À l’instar de
certaines grandes puissances que nous venons de présenter, les organisations
internationales comme les Nations Unies et l’Union Africaine sont aussi saisies du dossier
du Sahara Occidental. En fait depuis l’éclatement du conflit en 1976, le continent africain

304
et surtout l’UA, sont devenu le théâtre où s’affrontent les diplomaties marocaine et
Polisario-algérienne.

305
CHAPITRE 11 : L’AFRIQUE ET LA QUESTION DU SAHARA OCCIDENTAL

Le conflit n’est pas – ou n’est plus – une des préoccupations majeures de la


Communauté internationale. Toutefois, elle n’est pas en marge des différentes tentatives de
règlement. Seulement voilà, l’Organisation des Nations Unies et l’Union Africaine créées
pour maintenir l’ordre, la sécurité mondiale et la coopération internationale, sont victimes
du lobbying des grandes puissances internationales ce qui les rendent inefficaces et les
empêchent de faire respecter les résolutions qu’elles votent. En clair, le dossier du Sahara
Occidental continue de mettre à l’épreuve toute les tentatives de ces deux organisations
internationales.

Dans le présent chapitre, nous traitons seulement le rôle joué par les organisations
supranationales africaines que sont l’Oua et l’UA. Et pour cause, le rôle joué par les Nations
Unies dans le règlement du conflit a déjà fait l’objet de beaucoup trop d’études et de thèses.
C’est le cas de la thèse de Boni-Gatta (2016), L’Organisation des Nations Unies et le
règlement du conflit du Sahara Occidental. Cette étude traite de manière exhaustive des
actions de l’Onu dans l’affaire du Sahara. Il ne nous servira donc à rien de revenir sur les
conclusions de l’auteure. L’objectif de ce chapitre est d’étudier d’une part comment
l’Afrique est divisée sur la question du Sahara Occidental et d’autre part, l’engagement de
l’Organisation supranationale continentale OUA/UA dans le règlement du conflit qui
oppose la Rasd au Maroc pour la souveraineté du Sahara Occidental.

I- LES ÉTATS AFRICAINS ET LA QUESTION DU SAHARA OCCIDENTAL :


ENTRE RESPECT DE LA CHARTE DE L’OUA ET PRÉSERVATION DE
LIENS ÉCONOMIQUES

Territoire africain, le Sahara Occidental cristallise les rapports entre les deux parties
du conflit, d’un côté le Maroc et de l’autre la RASD/ l’Algérie. Pour tout dire, les deux
parties par des modus operandi similaires, mènent des offensives diplomatiques auprès des
capitales africaines pour les rallier sur leurs positions quant au Sahara Occidental. À peu
près 80 États dans le monde, dont plus de la moitié est africaine reconnaissent la RASD.
Mais concernant la question du Sahara Occidental, les États africains se trouvent divisés en
deux groupes. Quand les premiers s’alignent sur les objectifs et principes de la charte de
l’Organisation de l’unité africaine et défendent l’autodétermination du peuple sahraoui, les

306
seconds, fort de leurs relations politico-économiques avec Rabat, soutiennent le plan
d’Autonomie proposé par le Maroc en 2007. Ce plan conçoit le Sahara Occidental comme
une province marocaine.

1- Les défenseurs de l’autodétermination du peuple sahraoui

Depuis sa proclamation dans la nuit du 27 février 1976 à Bir-Lehlou jusqu’en 2020,


le nombre de pays reconnaissant la RASD dans le monde dépassent les 80. Parmi les nations
qui reconnaissent la RASD, la plupart sont de l’Amérique Latine. Mais, c’est surtout en
Afrique que le Polisario a le plus d’audience et a ses principaux soutiens. En effet, en dehors
de ses soutiens traditionnels que sont l’Algérie, l’Afrique du Sud, de la Mauritanie, du Mali,
de l’Angola, du Botswana, de l’Éthiopie et du Kenya qui reconnaissent « toujours » la
RASD, d’autres États africains défendent la cause sahraouie. Il s’agit entre autres de la
Namibie, du Nigeria, du Rwanda, de l’Ouganda et surtout du Zimbabwe. D’autres États,
comme l’Île Maurice, le Malawi, la Tanzanie, la Zambie etc., qui initialement
reconnaissaient la RASD, ont changé de camp en 2017.

Le 26 mars 2019 en Afrique du Sud s’est tenue la Conférence de solidarité de la


Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC) avec le Sahara Occidental.
Cette conférence a vu la participation de 24 États, de huit Mouvements de libération
d'Afrique, de partis politiques et de 10 organisations de la société civile et autres institutions.
En marge de la conférence, la ministre sud-africaine des Affaires étrangères, Lindiwe Sisulu
déclarait que :

On ne peut parler d’Afrique post-coloniale si le Sahara Occidental est toujours occupé


par le Maroc. Nous sommes ici pour une cause juste. Et nous notons avec tristesse que
le peuple sahraoui lutte toujours pour ses droits. Bien que l’ONU joue un rôle actif dans
la résolution de ce problème, nous, membres de la SADC avons décidé d’être solidaire
dans leurs efforts200.

Pour elle l’initiative de la SADC est légitime et fondée. Les conclusions de la


conférence vont dans le même sens que les propos de madame Lindiwe Sisulu. En effet, les
chefs d'État et de gouvernement ou les représentants des États membres de la SADC, tout
en « reconnaissant que la plupart des pays africains sont devenus indépendants », ont avec

200
Cf. « L'Afrique australe apporte son soutien à l'indépendance du Sahara Occidental », disponible en ligne
sur https://mobile.francetvinfo.fr/monde/afrique/ consulté le 20/08/20.

307
regret, noté que « le Sahara Occidental reste le seul territoire africain sous domination
coloniale inscrit sur la liste des Nations Unies et de la décolonisation des « Territoires non
autonomes ». Ils ont souligné leur préoccupation devant « la non-résolution prolongée de
la question du Sahara occidental » et de « la poursuite de l'occupation et de l'exploitation
illégales des ressources naturelles du Sahara Occidental ».201 Ils n’ont pas manqué de
réaffirmer leur soutien indéfectible à la réalisation du droit inaliénable du peuple du Sahara
Occidental à l'autodétermination et ce, conformément à la Charte des Nations Unies et à
l'Acte constitutif de l'Union africaine.202

Pour les États de la SADC et autres défenseurs de la cause sahraouie, étant donné
que la République arabe et démocratique sahraouie est un membre fondateur de l’Union
Africaine (UA), ils estiment que l’UA a l’obligation morale d’appuyer la lutte du peuple
sahraoui. De fait comme le dira le représentant de l’Afrique du Sud devant la Quatrième
Commission chargée des questions politiques spéciales et de la décolonisation, « Le
problème est que le Maroc essaye d’imposer une proposition d’autonomie qui nie le droit
à l’autodétermination des Sahraouis et ne leur offre pas la possibilité de choisir leur
destinée par référendum »203. Cela est donc inacceptable pour eux que le Maroc continue
de « coloniser » le Sahara Occidental. En fait, « la colonisation perpétuelle efface l’identité
des peuples colonisés » affirme le représentant du Lesotho au cours de cette même
Quatrième Commission. Par conséquent, il est déplorable que le Sahara Occidental continue
d’être étiqueté comme « la seule colonie du continent africain ». S’agissant des véritables
raisons du soutien de ces différents pays au Polisario, une certaine presse204 n’hésite pas à
dire que l’Algérie finance les pays qui reconnaissent le Polisario. L’on peut lire dans les
colonnes de Tamurt.info (2019) que :
C’est le ministère de la Défense qui prend en charge le Polisario. Ce n’est pas la prise
en charge du corps diplomatique du Polisario ni son Gouvernement ou ses réfugiés qui
posent problème, mais le nombre de milliards que l’Algérie verse dans les comptes des
pays africains et Sud-américains pour qu’ils continuent à reconnaître le Polisario et

201
Voir le projet de déclaration de la Conférence en ligne https://www.sadc.int/index.php/download_file/
consulté le 20/08/20.
202
« Projet de déclaration de la Conférence de Solidarité de la Communauté de Développement de l’Afrique
Australe (SADC) avec le Sahara Occidental ». op. cit.
203
Quatrième Commission: l’Afrique divisée sur la question du Sahara occidental, Soixante neuvième session
6e séance – matin 13 octobre 2014.
204
L’article peut être consulté en ligne https://tamurt.info/fr/2020/01/19/lalgerie-finance-les-pays-qui-
reconnaissent-le-polisario/150423/# consulté le 20/08/20 à 22h37.

308
donner un minimum de crédibilité à cette organisation paramilitaire sur la scène
internationale.

Cette information qui est difficilement vérifiable n’est toutefois pas à rejeter du
revers de la main. En fait, dans l’affaire du Sahara, le Maroc a également utilisé la
diplomatie économique pour rallier les États africains à sa vision sur le Sahara Occidental.

2- Les alliés africains du Maroc : les effets de l’écodiplomatie pour la marocanité du


Sahara

Pour les autorités marocaines, le Maroc est un pays à vocation africaine. D’ailleurs,
le roi Hassan II, aimait à dire que « le Maroc est un arbre dont les racines plongent en
Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe ». Cela traduit combien de fois est évident,
l’intérêt du royaume pour l’Afrique et surtout l’Afrique sub-saharienne. Mais les relations
entre le Maroc et l’Afrique n’ont pas toujours été bonne surtout après l’invasion du Sahara
Occidental par les FAR et l’admission de la RASD au sein de l’Organisation continentale,
OUA, devenant ainsi membre à part entière de l’OUA lors de la vingtième session ordinaire
de l’Assemblée qui s’est tenue à Addis-Abeba du 12 au 15 novembre 1984. Le Maroc, pour
protester contre cette décision a annoncé officiellement son retrait de l’OUA le 12 novembre
1984.

L’admission de la Rasd qui a vu le retrait du Maroc de l’OUA a consacré


l’isolement diplomatique du royaume en Afrique. Lorsqu’à la mort d’Hassan II son fils
Mohamed VI le remplaça, celui-ci comprit que les tentatives entreprises par son père n’ont
pas permis de régler la question sahraouie. Au demeurant, l’attitude d’Hassan II dans la
recherche d’une solution au conflit, n’a pas permis au Maroc de se faire beaucoup d’alliés
et d’amis en Afrique. C’est ainsi que Mohamed VI, tout en maintenant la position de son
père sur la question, va entreprendre une nouvelle politique basée sur l’économie et la
diplomatie. C’est ce que certains auteurs ont appelé « la diplomatie économique de
Mohamed VI » (Bamba et Diabaté, 2017). Dans la quête de l’appui de la marocanité du
Sahara auprès de capitales africaines, Mohamed VI va faire de l’écodiplomatie, le levier de
la politique africaine. Le concept d’écodiplomatie tel que le conçoit Dafir et repris par
Bamba et Diabaté (2017, p. 108), est

309
l’ensemble des mécanismes et pratiques adoptés par des individus ou groupes, étatique
ou non étatique, dans le but de réaliser les objectifs économiques d’un État par le
recours à des moyens politiques, ou de réaliser les objectifs politiques par le recours à
des moyens économiques.

Bamba & Diabaté (2017, p. 111) soutiennent que « L’écodiplomatie utilisée par le
jeune monarque [Mohamed VI] est caractérisée par sa volonté de renforcer les relations
bilatérales avec, en toile de fond, sa politique de relais et en second lieu, la dynamisation
de la coopération économique et commerciale.» C’est ainsi qu’au cours du premier sommet
Afrique –Union européenne, tenu au Caire le 3 avril 2000, le roi a décidé l’annulation de la
dette des pays africains les moins avancés vis-à-vis du Maroc et la levée de toutes les
barrières douanières imposées aux produits importés de ces pays. Pour le souverain
chérifien, « Cette décision émane de la foi du Maroc en la nécessité de faire prévaloir et de
consacrer l'esprit de solidarité et intervient en harmonie avec les convictions africaines du
Maroc » (Chibli, 2020). Le même Mohamed VI soutient que « l'engagement du Maroc pour
l'Afrique et en faveur d'une coopération sud-sud agissante n'est pas le fruit de circonstances
ni d'intérêts étriqués » (Dione, s.d).

Même s’il faut concéder, en partie, au souverain que cette soudaine générosité du
Maroc envers l'Afrique, n’est pas le fruit de circonstances ni d'intérêts étriqués, il n’en
demeure pas moins que cela soit en réalité une stratégie savamment étudiée pour rallier ces
États africains à la vision marocaine sur le Sahara Occidental. Mohamed VI va alors
entreprendre plusieurs visites officielles dans plusieurs capitales d’Afrique subsaharienne.
C’est ainsi qu’à partir de 2000, il se rend successivement au Bénin, au Niger, au Gabon, au
Cameroun, au Sénégal, au Burkina Faso et en Mauritanie et en Côte d'Ivoire. Dans chacun
de ses voyages, le monarque est accompagné d‘un important cortège de ministres.

Les ministres marocains signent alors avec leurs homologues des accords de
coopération bilatérale dans les domaines de l’éducation, du tourisme, de l’agriculture, de
l’eau, de la recherche, de la santé, de la promotion des investissements (Bamba & Diabaté,
2017, pp. 116). Le lobbying du souverain marocain trouve un écho favorable dans les
capitales africaines car certains ont commencé à revoir leur position face au Polisario. Il
s’agit de la Sierra Leone en 2003, de Madagascar en 2005, du Malawi en 2017, du Kenya
en 2006, du Cap Vert en 2007, de la Guinée-Bissau en 2010, du Burundi en 2010 et de la
Zambie en 2017.

310
Depuis fin 2019, plusieurs capitales de l’Afrique francophone ont officiellement
rejoints les vues du Maroc concernant le Sahara Occidental en y ouvrant des consulats. En
effet, dix pays ont récemment ouvert des représentations diplomatiques sur le territoire non
autonome du Sahara Occidental. C’est le cas du Djibouti, la Côte d'Ivoire, les Comores, la
Gabon, Sao Tomé-et-Principe, la République Centre-Afrique, le Burundi, la Guinée, la
Gambie et le Liberia. Il est même dit que le pays des hommes intègres, le Burkina Faso,
devrait très prochainement emboiter le pas à ces dix premiers pays.

Pour certains c’est au prix de garantie financière que ces pays dont la majorité sont
d’Afrique de l’Ouest, ouvrent des consulats au Maroc, approuvant de facto, la marocanité
du Sahara. Le professeur Zoubir (cité par Hugo,.2020) indique dans cette veine que « Ces
pays sont endettés, ils ont des difficultés économiques énormes. Et ils font cela en échange
de paiements ». Mais le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, fait une autre
lecture. Pour lui, l’ouverture des représentations diplomatiques sur le territoire du Sahara
Occidental, est « au contraire l'expression même de la "marocanité du Sahara" » (Hugo,
2020).
Quoiqu’il en soit, nous pouvons dire que l’alliage de l’économie et de la diplomatie
a permis au Maroc de Mohamed VI de réduire le champ d’influence diplomatique du
Polisario et de l’Algérie en Afrique. Et la ruée des États d’Afrique subsaharien sur le dernier
territoire non autonome du continent pour y ouvrir des représentations diplomatiques,
illustre que l’Afrique est un champ de bataille à pour le Maroc et le Polisario. Tout comme
ses États membres qui sont impliqués dans la question du Sahara Occidental, l’Organisation
de l’Unité Africaine (OUA) s’est également impliquée dans le règlement du différend autour
de ce territoire. Mais si la plupart des États tergiversent dans leur engagement et leur
position dans le conflit, l’OUA va clairement afficher la sienne. En effet, l’OUA a fait du
principe du respect des frontières héritées de la colonisation et de la lutte contre le
colonialisme et le néo-colonialisme, non pas un slogan mais un credo.

II- L’IMPLICATION DE L’OUA DANS LE RÈGLEMENT DE LA QUESTION DU


SAHARA OCCIDENTAL

Le problème du Sahara Occidental a depuis 1975 souvent été porté devant plusieurs
instances régionales ou internationales, entre lesquelles il fait la navette : Cour

311
Internationale de Justice, Assemblée générale des Nations Unies, Conseil de Sécurité, Non-
Alignés, Ligue Arabe, Conférences islamiques. Cela souligne l’internationalisation du
conflit. Mais, malgré l’intervention de toutes ces instances, il ne demeure pas moins que la
question du Sahara Occidental constitue tout d'abord un problème africain.

En effet, le territoire fait géographiquement partie de l'Afrique, il pose la


problématique de la décolonisation d’un territoire africain. Le problème du Sahara a
constitué le questionnement de principes fondamentaux de l'Organisation de l'Unité
Africaine (OUA), à savoir l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation et le
respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chaque État et de son droit
inaliénable à une existence indépendante. Il a aussi mis en question l'existence de
l'Organisation elle-même. C’est pourquoi très tôt, l'Organisation de l'Unité Africaine s’est
saisie de la question en entreprenant diverses initiatives, notamment l’adoption de
résolutions.

1- Les résolutions de l’OUA pour le règlement du conflit

La politique officielle de l'Organisation de l'Unité Africaine concernant le Sahara


Occidental a été principalement fondée par les principes et objectifs de sa Charte, en
particulier les points qui prévoient la décolonisation totale des territoires africains sous
occupation étrangère et le « dévouement, sans réserve, à la cause de l’émancipation totale
des territoires africains non encore indépendants » (Cf. Charte de l’OUA). De fait, l’un des
principaux objectifs de la Charte de l’OUA, adoptée et signée par les chefs d’État et de
gouvernement africains réunis à Addis Abéba (Ethiopie) le 25 mai 1963, était d’éliminer,
sous toutes ses formes, le colonialisme de l’Afrique (Article II ; d).

De plus, la première conférence des chefs d’État et de gouvernement, qui s’est


tenue à Addis Abéba du 22 au 25 mai 1963, a adopté la résolution Cias/Plen.2/Rev.2, sur la
décolonisation. Dans cette résolution, les dirigeants africains ont exprimé leur conviction
unanime « de la nécessité impérieuse et urgente qui s’impose à ses membres de coordonner
et d’intensifier leurs efforts en vue d’accélérer l’accession inconditionnelle à
l’indépendance nationale de tous les territoires encore sous domination étrangère »
(Résolution Cias/Plen.2/Rev.2). Ils ont aussi réaffirmé le devoir qui incombe à tous les États

312
africains indépendants de soutenir les peuples non encore indépendants en Afrique, dans
leur lutte pour la liberté et l’indépendance.

Conscient de ce que la question des frontières est une épée de Damoclès, c’est-à-
dire, un fort et permanent potentiel de discorde, l’OUA a, sans équivoque, réaffirmé
l’intangibilité des frontières héritées de l’époque coloniale comme principe clé de
l’organisation du continent. Pour ce faire, l’Assemblée des chefs d’État et de gouvernement
qui s’est tenu au Caire du 17 au 21 juillet 1964, a adopté la résolution AHG/Res.16,
concernant les disputes de frontières entre pays africains. Considérant que les frontières des
États africains, le jour de l’indépendance, constituent une réalité tangible, l’Assemblée de
l’OUA a solennellement déclaré que tous les États membres doivent s’engager à respecter
les frontières existantes lors de l’avènement de l’indépendance nationale.

Il est utile de rappeler que la création de l’OUA, en 1963, coïncide avec l’inclusion
du Sahara espagnol sur la liste des Territoires qui ne se gouvernent pas eux-mêmes, sous le
Chapitre XI de la Chapitre des Nations Unies. Deux ans plus tard, le 16 décembre 1965,
l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait sa première résolution sur le Sahara
espagnol. Dans sa résolution 2072, rappelant la résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960,
les Nations Unies demandaient à l’Espagne, la puissance administratrice des territoires, de
prendre toutes les mesures nécessaires pour libérer le Sahara espagnol de la domination
coloniale. Dans ce contexte, la politique de l’OUA concernant le Sahara Occidental était
basée sur les principes et objectifs de l’organisation, en particulier ceux relatifs à la
décolonisation.

C’est sur la base de ses principes et objectifs que l’OUA a été saisie du cas du
Sahara espagnol comme étant un pays africain sous domination étrangère. Cette politique a
été renforcée par les Nations Unies et sa définition de territoire non autonome dont la
population a le droit d’exercer son droit inaliénable à l’autodétermination en accord avec la
résolution 1514 (XV) contenant la Déclaration pour l’Octroi de l’indépendance aux pays et
peuple colonisés. C’est dans ce contexte, que le Conseil des ministres de l’OUA, lors de sa
septième session ordinaire, qui s’est tenue du 31 octobre au 4 novembre 1966 à Addis
Abéba, a adopté la résolution CM/Res.82 (VII) sur le territoire sous occupation espagnole.
Considérant l’Art. 2 de la Charte de l’OUA, le Conseil des ministres a exprimé son plein
soutien à tous les efforts visant à la libération immédiate et inconditionnelle de tous

313
territoires africains sous domination espagnole (Ifni, Sahara espagnol, la Guinée équatoriale
et Fernando Po). Il a aussi fait appel à l’Espagne pour qu’elle initie un processus vigoureux
pour donner la liberté et l’indépendance à toutes ces régions et de s’abstenir de prendre des
mesures qui pourraient créer des conditions qui mettent en péril la paix et la sécurité en
Afrique.

Au cours de sa treizième session ordinaire, tenue à Addis Abéba du 27 août au 6


septembre 1969, le Conseil de ministres de l’Oua a adopté la résolution CM/Res.206 (XIII)
sur la décolonisation et l’Apartheid. Dans cette résolution, le Conseil a réaffirmé la
légitimité de la lutte au Zimbabwe, au Mozambique, en Angola, en Guinée Bissau, en
Namibie, en Afrique du Sud, en Somalie française (Djibouti), au Sahara espagnol et aux Iles
Comores et recommandait qu’une aide plus substantielle soit allouée aux mouvements de
libération africains, matérielle, financière, diplomatique. Il a aussi pressé l’Espagne
d’appliquer la résolution 2428 (XXIII) de l’Assemblée générale sur la question du Sahara
espagnol.

Dans sa quinzième session ordinaire du 24 au 31 août 1970, le Conseil des


ministres de l’Oua lançait le même appel par l’adoption de sa résolution CM/Res.234 (XV)
sur la décolonisation. Le Conseil demandait à l’Espagne de se conformer sans délai aux
résolutions pertinentes des Nations Unies concernant les droits légitimes à
l’autodétermination de la population du Sahara espagnol. Il est à noter aussi que le Conseil
des ministres lors de sa dix-neuvième session ordinaire tenue à Rabat, entre le 5 et le 12 juin
1972, a adopté la résolution CM Res.272 (XIX) sur les mesures spéciales à adopter pour la
décolonisation et la lutte contre l’Apartheid et la discrimination raciale. Pour ce qui est du
Sahara espagnol, le Conseil a exprimé sa solidarité avec la population sous domination
espagnol et en a appelé une fois encore au gouvernement espagnol pour qu’il crée une
atmosphère libre et démocratique dans laquelle le peuple de ce territoire peut exercer sans
délai son droit à l’autodétermination et à l’indépendance en accord avec la Charte des
Nations Unies. Cette résolution a été adoptée à l’unanimité, y compris par le Maroc, qui
endossait ainsi le droit du peuple du Sahara espagnol, non seulement à l’autodétermination,
mais à l’indépendance.

Dans sa vingt et unième session ordinaire à Addis Abéba (17 au 24 mai 1973), le
Conseil des ministres de l’OUA a adopté la résolution CM/Res.301 (XXI) sur le Sahara sous

314
domination espagnole. Le Conseil dénonçait les manœuvres dilatoires espagnoles et
exprimait sa totale solidarité avec le peuple du Sahara sous domination espagnole. Il pressait
également les Nations Unies d’assumer leurs responsabilités à l’égard de ce problème. Il est
à souligner que la résolution CM/Res.301 (XXI) a été adoptée quelques jours après la
fondation du Front Polisario le 10 mai 1973.

La pression exercée par les attaques de plus en plus nombreuses du Front Polisario
et des appels successifs des Nations Unies et de l’OUA à la décolonisation des territoires,
en août 1974 l’Espagne a finalement déclaré qu’elle était prête à organiser un referendum
d’autodétermination du Sahara Occidental au début 1975. En réaction à la réponse
espagnole, le roi Hassan II a annoncé que son pays ne pouvait accepter de référendum qui
incluait une option pour l’indépendance du Sahara Occidental et a demandé un arbitrage à
la Cour internationale de justice (CIJ) afin qu’elle se prononce sur le statut du territoire.
Après l’avis de la CIJ, le Maroc a envahi le Sahara Occidental en 1975. Cette occupation
marocaine du Sahara Occidental était une violation de nombreuses résolutions de l’OUA et
surtout de son principe d’intangibilité des frontières coloniales et de l’avis de la Cour
Internationale de Justice.

Lors de sa treizième session ordinaire qui a eu lieu à Port Louis (Ile Maurice), du
2 au 6 juillet 1976, l’Assemblée des chefs d’État et de gouvernements de l’Oua a adopté la
résolution AHG/Res.81 (XIII). Cette résolution prévoyait l’organisation d’un sommet
extraordinaire sur la question du Sahara occidental. Rappelant les résolutions pertinentes de
son Comité de libération, en particulier réaffirmant le principe sacré à l’autodétermination,
l’Oua a décidé de tenir un sommet extraordinaire afin de trouver une solution juste et
pacifique au problème du Sahara Occidental.

La session ordinaire suivante, qui a eu lieu à Khartoum du 18 au 22 juillet 1978,


l’Assemblée des chefs d’États et de gouvernements de l’Oua a adopté la résolution
AHG/Res.92 (XV) sur la question du Sahara Occidental. Elle y exprime sa préoccupation
concernant la gravité de la situation prévalant dans les territoires et les tensions dans la
région qui résultent de l’occupation persistante du Sahara Occidental par le Maroc et a
réaffirmé les principes et objectifs de la Charte de l’Oua. Elle prenait note de l’avis de droit
de la Cour internationale de justice en ce qui concerne le respect du principe du droit du
peuple du Sahara Occidental à l’autodétermination et a réaffirmé la responsabilité de l’OUA

315
dans la quête d’une solution juste et pacifique en accord avec les principes de l’organisation
et de la Charte des Nations Unies.

Il a été aussi décidé de mettre sur pied un comité ad hoc, composé d’au moins cinq
chefs d’État de l’OUA, auquel a été confiée la prise en compte de toutes les données
concernant la question du Sahara occidental. Enfin elle demandait à toutes les nations de la
région de s’abstenir d’entreprendre des actions susceptibles d’entraver la quête d’une
solution juste et pacifique du problème.

À sa dix-huitième session ordinaire, l’Assemblée des chefs d’États et de


gouvernements de l’OUA, qui s’est tenue à Nairobi du 24 au 27 juin 1981, a examiné le
rapport du secrétaire général et les rapports de la cinquième et sixième session du Comité
ad hoc des chefs d’État pour la question du Sahara Occidental. Elle a aussi noté avec
satisfaction l’engagement solennel du roi Hassan II du Maroc, acceptant la tenue d’un
referendum au Sahara Occidental qui permettra à la population de ce territoire d’exercer son
droit à l’autodétermination ainsi que sa promesse de coopération avec le Comité ad hoc pour
rechercher une solution durable, juste et pacifique.

Par conséquent, l’OUA a adopté la résolution AHR/Res.103 (XVIII) sur le Sahara


Occidental. Dans celle-ci, elle prévoyait de mettre sur pied un comité de mise en œuvre pour
collaborer avec les Nations Unies et pour prendre toutes les mesures nécessaires afin de
permettre aux Sahraouis l’exercice de leur droit à l’autodétermination au travers d’un
référendum général et libre. Elle pressait les parties au conflit à observer un cessez-le-feu
immédiat et demandait au Comité de mise en œuvre de se réunir avant la fin août 1981, et,
en collaboration avec les parties au conflit d’élaborer des modalités et tous les détails
pertinents pour l’observation d’un cessez-le-feu ainsi que la conduite et l’administration du
referendum.

Il était aussi demandé aux Nations Unies, conjointement avec l’OUA de fournir des
troupes de maintien de la paix. Ces troupes devraient être stationnées au Sahara Occidental
afin de garantir la paix et la sécurité au cours de l’organisation du déroulement du
référendum et les élections subséquentes.

316
C'est dans ce contexte que l'OUA a engagé un processus de médiation, qui a abouti
à la l'adoption de la résolution AHG/Res.104 (XIX) lors de la dix-neuvième session
ordinaire des chefs d’État et de gouvernement de l’OUA qui s’est tenue à Addis Abéba du
6 au 12 juin 1983. Cette résolution exhortait toutes les parties du conflit, le royaume du
Maroc et le Front du Polisario, à entreprendre des négociations directes afin de parvenir à
un cessez-le-feu pour créer les conditions nécessaires pour un referendum pacifique et juste
pour l’autodétermination du peuple sahraoui, un referendum sans contraintes
administratives ou militaires, sous les auspices de l’OUA et des Nations Unies (EX.CL/788
Rev.1).

En dépit des engagements préalables du Maroc auprès de l’ OUA à Nairobi au cours


de session d 24 au 27 juin 198 et de ses promesses de permettre la tenue du referendum et
d’en respecter le résultat, il est devenu immédiatement évident, pour l’OUA, que le Maroc
n’était pas sincère dans ses intentions et qu’il ne faisait qu’essayer de gagner du temps. C’est
en réponse aux manœuvres et à la non coopération du Maroc que l’OUA a pris, en 1982, la
décision historique d’admettre la RASD au sein de l’organisation continentale. La Rasd est
devenue un membre à part entière de l’OUA lors la Vingtième session ordinaire de
l’Assemblée qui s’est tenue à Addis Abéba du 12 au 15 novembre 1984 (Sidi, s.d).
L’admission de la RASD comme 51e membre de l’Oua a povoqué le départ du Maroc de
l’organisation la même année205.

Comme on peut le voir, tout au long de son existence, l’OUA au côté des Nations
unies, est restée saisie de l’affaire du Sahara Occidental. Pour ce faire, elle a appuyé la
Mission des Nations Unies pour le Referendum au Sahara Occidental (MINURSO) en
créant à Laâyoune, capitale du Sahara Occidental un bureau.

2- La création d’un bureau de l’OUA au Sahara Occidental206

Le bureau de l’Oua au Sahara Occidental a été créé à la suite de la résolution 960


(1991) du conseil de sécurité des Nations unies, approuvant le Plan de règlement ONU/OUA

205
Mais depuis 2017, après quelques 33 ans d’absence, le Maroc a réintégré l’organisation continentale
devenue entretemps l’Union Africaine (UA).
206
Les informations fournies ici proviennent du Rapport intérimaire de la présidente de la Commission sur la
situation au Sahara Occidental.

317
et autorisant l’établissement de la MINURSO. La résolution demandait la mise en œuvre du
Plan de règlement en coopération avec l’Oua. Ce plan exhortait les deux paries du conflit à
engager des négociations directes en vue de parvenir à un cessez-le-feu, condition nécessaire
pour l’organisation d’un referendum juste. La résolution précise également que le
referendum du peuple du Sahara doit se tenir sans contrainte administrative ou militaire,
sous les auspices de l’OUA et des Nations Unies.

C’est ainsi que lors de l’identification des électeurs, Saharauis potentiels pour le
referendum par la MINURSO, des observateurs de l'OUA/UA provenant aussi bien
du Secrétariat général que de plus d’une dizaine d’États membres de l’OUA, ont participé
à l’opération, afin d’assurer la régularité du processus d’identification entrepris pour
déterminer le corps électoral.

Depuis lors, le Bureau de l'Oua, qui est dirigé par un Haut Représentant, et abrité
par la MINURSO dans ses locaux, fournissait des mises à jour régulières sur l’évolution de
la situation du Sahara Occidental. Sur le terrain, le Haut Représentant de l’OUA était en
étroite collaboration avec la Minurso et maintenait un contact continu avec les deux parties
du conflit que sont le Maroc et le Polisario.

En outre, le Bureau participait aux conférences de donateurs pour mobiliser les


ressources et l’aide humanitaire en faveur des réfugiés sahraouis à Tindouf. Le personnel
visitait les antennes des équipes militaires, les casques bleus, déployés sur toute l’étendue
du Sahara Occidental dans le cadre de l’observation du cessez-le-feu entre les deux parties
du conflit. Enfin, le chef du Bureau saisissait l’occasion des visites des ambassadeurs, des
dignitaires étrangers et autres acteurs internationaux du conflit à Laâyoune, pour échanger
sur le rôle de l’OUA dans le règlement du conflit. En somme, le Bureau de l'OUA n’avait
aucun pouvoir de décision. C’était juste une mission d’Observation diligentée par
l’organisation continentale afin de s’assurer du respect par les deux parties du plan de
règlemente Oua/Onu. Le 20 mars 2016, le Maroc a expulsé les fonctionnaires du bureau de
l’OUA qui entre-temps était devenu Bureau de l’UA. Depuis lors, cette dernière ne cesse de
réclamer la réouverture du bureau.

Comme, il nous a été donné de constater, dans toutes ses résolutions aussi bien
l’Assemblée des chefs d‘États que le conseil des ministres de l’OUA, ont toujours appelé

318
de leurs vœux au respect du droit du peuple du Sahara Occidental à l'autodétermination.
Mais jusqu’à sa dissolution en 1999, l’OUA n’a pas atteint l’un de ses objectifs phares
consistant à combattre le néo-colonialisme sous toutes ses formes. Elle a aussi manqué à
son dévouement, à la cause de l’émancipation totale des territoires africains non encore
indépendants, en vertu de l’article III-6 de sa Charte. C’est en partie, l’une des raisons qui
ont poussé à sa dissolution et son remplacement par une Organisation nouvelle, l’Union
Africaine.

III- L’UNION AFRICAINE ET LA RÉSOLUTION DU CONFLIT

Les dirigeants africains, dans l’Acte de Constitution de l’Union africaine, adopté à


Lomé au Togo le 11 juillet 2000, sont convenus que l’Union africaine devait fonctionner en
accord avec les principes et les objectifs de la charte de l’OUA. Ces principes et objectifs
sont entre autres l’égalité souveraine et l’interdépendance des État membres de l’Union, le
respect des frontières telles que dessinées lors de l’indépendance ou la prohibition de l’usage
de la force entre États membres de l’Union.

Comme successeur de l’OUA, l’Union Africaine (UA) ne pouvait rester en marge


de la recherche d’une solution au conflit du Sahara Occidental qui demeurait selon elle la
dernière colonie du continent. Ayant comme objectifs clés, la défense de la souveraineté,
l’intégrité territoriale et l’indépendance de ses États membres, l’UA a dans ses débuts,
maintenu la même position de principe que celle adoptée par la défunte OUA en ce qui
concerne la question du Sahara Occidental. Les efforts de l’UA pour résoudre cette crise ont
jusqu’à présent porté sur la mise en œuvre sans interférence du droit à l’autodétermination
des habitants du territoire. Même si son rôle dans le processus de paix s’est limité à
approuver les initiatives de l’ONU en appelant à la mise en œuvre des décisions de cette
dernière, l’UA a aussi entrepris des programmes de résolution de la question sahraouie. En
effet, elle a intensifié les efforts pour faire avancer le processus de paix pouvant permettre
au peuple Sahraoui l’exercice de son droit inaliénable à l’autodétermination. C’est dans ce
sens que l’ex-présidente de la Commission de l’Union précisait que

l’implication de l’UA dans le dossier du Sahara Occidental n‘est pas seulement basée
sur sa responsabilité de promouvoir la paix et la sécurité sur le continent, conformément
au Chapitre VII de la Charte des Nations unies, mais également sur sa responsabilité

319
en tant que garant du Plan de Paix de l’OUA de juin
1983, qui a permis de parvenir au Plan de Règlement du conflit207.

Consciente que l’échec de l’Afrique à décoloniser le Sahara Occidental serait une


négation des idéaux et principes africains, dans ses dernières décisions sur la question, le
Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’UA a décidé de renforcer le rôle de l’Union dans
le règlement du conflit.

1- L’engagement de l’UA dans le conflit

La question du Sahara Occidental est l’un des sujets qui fâchent au sein de l’Union
Africaine. En fait, à chacun de ses sommets, la situation de la dernière colonie du continent
ne manque pas de s’inviter dans les débats et de nourrir les controverses. Cela tient au fait
que, de toutes les organisations, l’UA reste la seule où le Maroc et la République Arabe
Sahraouie Démocratique (RASD) siègent côte à côte. L’UA depuis son avènement est restée
saisie de la question qui comme indique l’actuel président de la Commission de
l’organisation, Moussa Faki Mahamat (cité par Rfi, 2018), « Le conflit du Sahara
Occidental demeure préoccupant pour le fonctionnement de notre organisation.». Pour
avoir une certaine idée de l’engagement de l’UA dans le règlement du conflit le plus vieux
non résolu du continent, nous allons nous pencher sur les dernières initiatives prises par
l’Organisation. Pour ce faire, nous analysons les conclusions de la 31ème session ordinaire
des chefs d’État à Nouakchott, le rapport du président de la Commission et la mise en place
de la Troïka.

1.1. Le 31e sommet de l’UA à Nouakchott et le rapport du président de la Commission

Réunis les 1er et 2 juillet à Nouakchott, en Mauritanie, pour le 31e sommet de


l’Union africaine (UA), les chefs d’État africains ont discuté de certains dossiers brûlants
du continent, notamment, la réforme de l'UA, la candidature de Louise Mushikiwabo à l’OIF
et surtout, le conflit au Sahara Occidental. Ce sommet était en effet très attendu par les
acteurs du conflit. En fait, c’est au cours de celui-ci que le président de la Commission de
l’Union Africaine, Moussa Faki Mahamat, a remis son rapport très attendu sur le conflit
entre le Maroc et la (RASD).

207
Communiqué de presse de la présente de la commission de l’union africaine Dr Nkosozana Dlamini Zuma
le 14 Mars 2016.

320
Le rapport, fruit de six mois de consultations, était le document le plus attendu du
31e sommet de l’Union africaine (UA), selon Jeune Afrique (2018). Ce texte a été étudié à
huis-clos le dimanche 1er juillet 2018. Il se fonde sur une série d’entretiens menés d’une
part, avec le roi du Maroc, Mohammed VI, et son ministre des Affaires étrangères (à Rabat,
les 5 et 6 juin) et d’autre part, avec le président de la RASD, Brahim Ghali, et son ministre
des Affaires étrangères (à Tindouf, les 19 et 20 juin). Mais aussi avec le Premier ministre
algérien Ahmed Ouyahia et son ministre des Affaires étrangères (les 11 et 12 mars), ou
encore avec le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, fin mars.

Le président de la Commission dans son apport indique que « Le conflit du Sahara


occidental n’a que trop duré. Cette situation est entrée dans une phase où, au-delà de ses
effets négatifs bien connus au niveau de la région (…), elle menace aussi le fonctionnement
de l’UA et fait obstacle à la mise en œuvre de son agenda. Un tel état de fait ne peut être
toléré » (Assembly/AU/4(XXXI). Par conséquent, il importe que l’UA se mobilise pour
contribuer significativement à la recherche d’une solution. Il s’agit, ce faisant, d’appuyer
plus effectivement les efforts des Nations unies qui sont saisies du dossier.

Le président de la Commission de l’UA propose à la Conférence de l’Union la mise


mette en place d’un mécanisme africain à même de permettre d’apporter un appui efficace
au processus conduit par les Nations unies. Le Conseil de sécurité, de façon constante,
demande aux parties de reprendre les négociations sous les auspices du Secrétaire général,
en vue de parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui
permette l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental. De façon plus spécifique, ce
mécanisme encouragerait les parties à faire preuve de flexibilité et d’esprit de compromis.

Comme on le voit, l’objectif du mécanisme que propose le Président de la


Commission, est la reprise des négociations entre les parties prenantes pour parvenir à une
solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, qui permette
l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental. Il proposait aussi, d’envisager la
réouverture du bureau de l’UA auprès de la Mission des Nations Unies pour le référendum
au Sahara occidental (MINURSO), à Laâyoune, en vue d’assurer une liaison opérationnelle
avec les Nations Unies. Enfin de lancer un appel à tous les États membres de l’UA,
notamment les pays voisins, pour contribuer au succès de la démarche africaine proposée

321
Le mécanisme africain qu’a envisagée propose le tchadien, prévoit la mise en place
d’un Panel de haut niveau comprenant la Troïka de l’Union et le Président de la
Commission (Assembly/AU/4(XXXI), p. 6).

1.2. La mise en place de la Troïka

À la clôture du sommet de Nouakchott, le 2 juillet 2018, les chefs d’État de l’Union


africaine (UA) réunis à huis clos, ont entériné les recommandations du président de la
Commission de mettre en place un mécanisme africain de règlement du conflit du Sahara
occidental en collaboration avec l’ONU. En effet, les chefs d’États sont convenus de ce que
« mécanisme africain » pour aider les Nations unies à tenter d’amener le Maroc et la RASD
à résoudre leur conflit, sera composé d’un « quartet » de dirigeants du continent,
comprenant le président de la Commission, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, ainsi que
la « troïka » des chefs d’État africains, c’est-à-dire le président en exercice de l’UA, son
prédécesseur et son successeur. Jusqu’au prochain sommet de l’UA, en janvier 2019, à
Addis-Abeba, la Troïka était composée du président rwandais Paul Kagamé, du Guinéen
Alpha Condé et de l’Égyptien Abdel Fattah al-Sissi. À partir de janvier, Alpha Condé a cédé
sa place au président en exercice suivant, qui devrait être issu d’Afrique australe, région
traditionnellement plus favorable à la RASD (Jeune Afrique, 02 juillet 2018).

La Troïka sera désormais l’interlocuteur de l’UA d’avec les Nations unies. Toutes
les décisions de la gestion de cette crise se feront depuis New York et non depuis Addis-
Abeba. Il acte « la nécessité pour l’UA d’inscrire sa démarche dans le cadre d’un appui
renforcé aux efforts des Nations unies », comme souligné dans le rapport. Mais les quatre
hommes auront la charge de présenter les avancées du dossier devant les chefs d’État de
l’Union africaine lors des deux sommets annuels. « Cette démarche est une solution
supplémentaire pour aider les deux parties », estime Smaïl Chergui (2018), le commissaire
à la Paix et à la sécurité de l'Union.

Après l’adoption du mécanisme, les deux camps ont vite fait de crier victoire et y
ont été de leurs commentaires. Pour le Maroc, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a,
en quelque sorte, été « dessaisi » du dossier au profit de l’ONU. En effet, le CSP de l’UA
ne devrait désormais plus avoir cette problématique à son ordre du jour. Du côté du Sahara
Occidental, les responsables ne font pas la même lecture de la mise en place du mécanisme.

322
Ils estiment, au contraire, que l’Union africaine reprend l’initiative sur ce dossier. « C’est
une élévation de la question du Sahara occidental au niveau des chefs d’État. Il faut qu’il y
ait une collaboration entre deux institutions, ONU et UA, mais sans l’UA aucun progrès ne
peut être réalisé » estime Mohamed Salem Ould Salek, ministre des Affaires étrangères de
la RASD. Et le responsable durcit le ton ajoutant que « le Maroc nage à contre-courant »
de cette décision. « Il a voulu dessaisir l’Union africaine et il s’en est sorti avec un
mécanisme africain » (Rfi, 2018)208. En effet, depuis son retour dans l’Union en 2017, le
Maroc n’a cessé de remettre en cause la compétence et la légitimité de l’UA dans le dossier
du Sahara Occidental.

2. La légitimité de l’UA mise en cause

Dans son rapport présenté aux chefs d’États au cours du 31e sommet tenu en
Mauritanie, le président de la Commission de l’UA prévenait que :

les autorités marocaines ont réaffirmé le rôle central des Nations unies dans la conduite
du processus de négociation. Elles ont mis en garde contre les risques d’un processus
parallèle, estimant qu’en reconnaissant la RASD, l’UA s’était d’elle-même exclue des
efforts de recherche d’une solution. Les autorités marocaines n’ont, toutefois, pas
totalement exclu un rôle pour l’UA, aussi longtemps que la primauté des Nations unies
dans la gestion du dossier n’est pas remise en cause (Assembly /AU/4 (XXXI)).

C’est ce qui explique selon le président de la Commission que les parties du conflit
ont marqué leur appui aux efforts du nouvel Envoyé personnel du Secrétaire général des
Nations unies et leur attachement au processus de négociation conduit sous les auspices des
Nations unies. Fort de cela, le président de la Commission insistait sur :

la nécessité pour l’UA d’inscrire sa démarche dans le cadre d’un appui renforcé aux
efforts des Nations unies, pour accroître leur chance d’aboutissement. En d’autres
termes, il ne s’agirait pas pour l’UA de développer un processus parallèle à celui des
Nations unies. (Assembly /AU/4 (XXXI).

Au demeurant, le tchadien a recommandé à la Conférence de l’Union que « le rôle


de l’UA devrait viser à accompagner et à soutenir les efforts des Nations unies, dont le
Conseil de sécurité demeure saisi de la question ». Si l’UA place tous ces garde-fous, c’est
parce que la légitimité de son engagement dans la recherche d’une solution au conflit est

208
Disponible sur https://www.rfi.fr/fr/afrique/20180702-conflit-sahara-occidental-ua-met-place-une-troika-
lien-onu#main-content consulté le 19/08/20.

323
mise en cause par le Maroc. En fait, Rabat veut que le dossier du Sahara Occidental soit à
la charge exclusive de l’Onu. Pour le Maroc, le principal enjeu de son retour au sein de
l’Union africaine (UA) est de s’assurer que sur la question du Sahara Occidental,
l’institution panafricaine ne cherche pas à se substituer à l’ONU, qui offre les meilleures
garanties à ses yeux.

Dans une interview accordée à Jeune Afrique (2018) en marge du sommet de


Nouakchott, le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, soulignait que le rôle de
l’UA devrait viser à accompagner et soutenir les efforts des Nations unies. « Son rôle se
limite donc à cela : il n’a pas de processus à développer, ni d’initiative à lancer ». Pour lui,
« Le dossier reste à l’ONU ». Quant à l’UA, il soutient qu’elle « n’intervient qu’au même
titre des organisations régionales. Elle doit s’aligner sur le Conseil de sécurité de l’ONU»
(Jeune Afrique, 2018). En fait, le Maroc déplore le fait que beaucoup d’organes de l’UA
plus ou mos hostiles au Maroc s’immiscent dans le dossier du Sahara. Parmi, lesdits organes,
il y a par exemple le Conseil Paix et Sécurité (CPS), celui des droits de l’Homme.
Concernant aussi le « mécanisme africain », c’est à dire la troïka composée de l’ancien, de
l’actuel et du futur président en exercice de l’UA, avec le président de la Commission, le
ministre Marocain des Affaires étrangères émet des réserves sur le mandat de la Troïka.
Pour lui, « leur mandat est clair : ils ne sont pas là pour mener une action. Ils sont là pour
montrer leur soutien à l’ONU » (Jeune Afrique, 2018).

Au terme de ce chapitre, nous pouvons soutenir que maintenant plus que jamais,
l’Afrique est profondément divisée sur la question du Sahara Occidental. L’OUA/UA, fort
des principes et objectifs dont elles se sont dotées, se sont saisies de la question. Pour l’UA,
l’enjeu est de taille, l’intégration politique et socio-économique et la paix, la sécurité et la
stabilité du continent passe nécessairement par le règlement du conflit du Sahara. Même si
la RASD est admise au sein de l’UA comme membre fondateur, de plus en plus d’États,
séduits par le plan d’autonomie du Maroc et du lobbying de Mohammed VI à travers sa
diplomatie-économique, commence à approuver la « marocanité du Sahara Occidental ».
De tout ce qui précède, n’est-il pas évident que l’Afrique est devenue un véritable champ
de bataille de la guerre politico-diplomatique que se livre le Maroc et la RASD ?

Tout compte fait, le Polisario semble en perte de vitesse et le Maroc est entrain de
renforcer sa position sur la question du Sahara en Afrique et même dans le monde. La

324
finalité pour le Royaume est d’intégrer le Sahara Occidental et ses ressources naturelles
pour, non seulement, le rayonnement de son économie, mais aussi pour devenir à terme
l’une des premières puissances économiques à l’échelle du continent.

325
CHAPITRE 12 : L’INTÉGRATION DU SAHARA OCCIDENTAL ET SES
RESSOURCES NATURELLES AU ROYAUME CHÉRIFIEN

La fin de la guerre froide a sonné le glas des conflits directs et frontaux, recourant à
la puissance de feu et aux capacités militaires interétatiques, même si la crise russo-
urkrainienne vient nuancer cette réalité. Dorénavant, les conflits d’intérêts entre les pays ne
trouvent leur expression qu'à travers l’affrontement économique (Lorot, 2009, p. 2). La
santé économique d’une Nation est l’aune par laquelle l’on juge sa puissance, car dans ce
monde globalisé, les intérêts économiques des États prennent l’ascendance sur leurs intérêts
purement militaires ou politiques. Fort de cela, nous soutenons que le monde est en train de
passer de l’ère de la Géopolitique à celle de la Géoéconomie.

Comme nous l’avons déjà vu, la Géoéconomie est une extension de la Géopolitique
qui sert à étudier les rivalités territoriales de nature économique. Les politiques
géoéconomiques ne visent aucunement la conquête territoriale, elle vise plutôt à « acquérir
la suprématie technologique et commerciale » (Lorot, 2010, p.16). L’enjeu des politiques
géoéconomiques serait donc de « conquérir ou de préserver une position convoitée au sein
de l’économie mondiale » (Luttwak, 1995, p. 403). La question de l'exploitation des
ressources naturelles du Sahara Occidental par le Maroc a fait l'objet de plaintes régulières
du Front Polisario. Celui-ci souligne que le Sahara Occidental, en tant que territoire non
autonome, devrait voir ses ressources naturelles protégées pour le bénéfice de sa propre
population.

Après avoir analysé dans les précédents chapitres les enjeux géopolitiques en lien
avec la sécurisation du Grand Sahara, il nous sied d’examiner comment les ressources
naturelles du Sahara Occidental ont transformé un conflit direct et frontal, recourant à la
puissance de feu et aux capacités militaires entre le Maroc et le Front Polisario, en une
véritable « guerre économique » opposant les mêmes antagonistes. Pour ce faire, nous
commencerons par déterminer les acteurs impliqués dans l’exploitation des ressources
naturelles du territoire. Pour finir, nous analysons les politiques développés par les acteurs
pour la gestion des ressources et surtout la part de celles-ci dans l’économie du Maroc.

326
I. LA PROBLEMATIQUE DE L’EXPLOITATION DES RESSOURCES
NATURELLES DU SAHARA OCCIDENTAL

Dans les discours des acteurs du conflit, il est de plus en plus question des ressources
naturelles. Ce n‘est un secret pour personne que malgré son aspect désertique, les 266 000
km2 du territoire du Sahara Occidental sont riches en ressources naturelles. En plus d’être
bordé à l’Ouest par l’océan Atlantique avec près de 1200 kilomètres de côtes, lui assurant
un accès maritime et une richesse en ressources halieutiques, le Sahara Occidental regorge
de phosphate, de fer, de pétrole et surtout de sables. Mais au vu de la situation actuelle du
territoire et de ses immenses richesses naturelles, il est important de savoir qui sont ceux
qui exploitent ces richesses.

1- Les acteurs locaux de l’exploitation des ressources : une forte implantation des
entreprises marocaines

Les diverses ressources naturelles présentes sur le sol, sous-sol et les eaux du Sahara
Occidental constituent un enjeu économique dans le conflit qui oppose le Maroc au Front
Polisario. Actuellement, ces deux acteurs « luttent » non seulement pour la souveraineté du
territoire, mais aussi pour la tutelle des richesses naturelles. En l’état actuel des choses,
aucun des deux acteurs n’exerce légalement une souveraineté sur ce territoire catalogué par
les Nations Unies, comme étant non-autonome. Le Front Polisario est considéré par les
Nations Unies comme mouvement de libération et comme le représentant du peuple
sahraoui. Alors que le Maroc est qualifié de puissance occupante (Résolution 3458 A (XXX)
et S/2002/161 du 12 février 2002). Au vu de cela, n’est-il pas évident que les ressources du
Sahara Occidental appartiennent aux sahraouis en vertu du principe de souveraineté
permanente des peuple su leurs ressources naturelles ? Difficile de répondre à cette
interrogation, car la paternité des ressources du territoire est au centre d‘un débat qui oppose
les juristes et qui fait couler d‘encre au sein des chercheurs.

Le Sahara Occidental est divisé en deux depuis 1982 par le Maroc qui y a construit
des murs. Le royaume contrôle et administre 80% du territoire. La RASD, par
l’intermédiaire du Front Polisario, administre la partie restante, c’est-à-dire, les 20% du
territoire. Toutefois, contrairement au Maroc, la RASD manque de moyens techniques et
financiers pour exploiter la partie du territoire sous son contrôle. De ce fait, il résulte qu’il

327
y a qu’un seul acteur local qui exploite véritablement les sources du Sahara Occidental : le
Maroc.

L’on se souvient qu’après le retrait des espagnols du territoire en 1976, le Maroc et


la Mauritanie se sont partagés non seulement le territoire mais aussi ses ressources. Avec le
retrait de la Mauritanie du conflit en 1979, le royaume chérifien est resté le principal acteur
de l’exploitation des ressources naturelles au Sahara Occidental. Après s’être accaparé la
région délaissée par la RIM, Rabat a favorisé l’implantation de ses entreprises sur ce
territoire.

Les premières entreprises sur le sol du Sahara remontent à la période coloniale,


quand le territoire était encore colonie espagnole. Ces entreprises étaient pour la plupart
dans les domaines des mines et de la pêche. Avec l’accord de Madrid en 1975, l’Espagne a
vendu 65% des titres de son entreprise d’exploitation minière PhosBuCraa S.A au Maroc.
C’était cette entreprise qui exploitait la mine de Boucraa en partenariat avec l’Entreprise
Publique Espagnole (INI). Par la suite, la multinationale marocaine, l’Office Chérifien des
Phosphates (OCP) a acquis les 65 % de Phosboucraa S.A. L’OCP devenait ainsi la première
entreprise marocaine sur le territoire du Sahara Occidental.

D’autres les entreprises marocaines vont investir le Sahara Occidental peu de temps
après que les Espagnols l’aient abandonné. Ces entreprises vont s’accaparer des secteurs
clés comme la pêche et les mines. En 2002, l’OCP acquiert la totalité des parts de
Phosboucraa, soit les 35% restants. Phosboucraa SA devient une filiale d’OCP. Depuis cette
date, elle est l’unique entreprise qui exploite les gisements de phosphate du Sahara
Occidental, extrayant entre 2,5 et 3 millions de m 3 par an209.

Parallèlement au phosphate, le sous-sol du Sahara Occidental regorge d’autres


importantes ressources minières telles que le nickel, le chrome, le platine, l’or, le plomb, le
corindon, l’argent, le cuivre le wolfram et l'étain (Fadel 2001, p. 52). Si l’OCP se charge
exclusivement déjà du phosphate, les autres ressources minières sont confiées à l’Office
National des Hydrocarbures et des Mines Marocain (ONHYM). L’ONHYM est chargé
d’encadrer les travaux d’exploration des sites mis en avant par les travaux de recherche.

209
Pour les détails techniques sur les chiffres de PhosBuCraa voir http://www.phosboucraa.ma/ consulté le
12/05/ 2019.

328
Ainsi, il a entrepris des travaux d’extraction minière sur huit sites au Sahara Occidental. Ces
extractions concernent les métaux de base et les métaux précieux.

Au Sahara Occidental, les entreprises marocaines sont également présentes dans le


secteur de la pêche afin d’exploiter les nombreuses ressources halieutiques au large des
côtes du territoire. Tout dernièrement, le 22 janvier 2020, le Maroc a intégré les eaux du
Sahara Occidental à son espace maritime. Le Maroc, par le biais de l’Office Nationale des
pêches (ONP) gère le secteur de la pêche au Sahara. L’office a lancé la création de sept
villages de pêche d’une valeur de 915 millions de dirhams 210 (Aujourd’hui. Le Maroc,
2020). L’idée pour le Maroc est de rompre avec la forme artisanale de pêche basée sur la
collecte de poulpe afin de mieux gérer les ressources halieutiques du territoire. Le Maroc a
aussi construit trois ports de débarquement sur les côtes du Sahara Occidental,
respectivement à Laâyoune, Dakhla et Boujdour. Le Sahara Occidental du fait de toutes ses
richesses constitue une poule aux œufs d‘or pour le royaume du Maroc. Mais, les entreprises
étrangères sont aussi présentes dans tous les secteurs clés d’activités du Sahara. En effet, le
territoire est convoité par les investisseurs étrangers.

2- L’implication des multinationales dans l’exploitation des ressources du Sahara


Occidental

Les ressources naturelles du Sahara Occidental sont comme un aimant qui attire les
multinationales étrangères. Sous l’impulsion du Royaume de Maroc qui coordonne tous les
appels d’offres, plusieurs multinationales étrangères sont implantées au Sahara dans les
secteurs énergétiques, miniers, de l’agriculture, de la pêche etc. Dans le secteur des
énergétiques et des mines, c’est l’Office National des Hydrocarbures et des Mines
(ONHYM) en sa qualité d’agence nationale de promotion des hydrocarbures et des
ressources minières du Maroc, qui est chargé d’attirer les investisseurs étrangers pour mener
les travaux d’exploration dans ce qui est considéré comme les provinces du Sud. Avec un
énorme potentiel en ressources minières et énergétiques, les grandes entreprises vont se ruer
au Sahara à l’effet d’explorer les potentialités de son sous-sol.

210
Cf. https://aujourdhui.ma/economie/onp-villages-de-peche-au-sahara-19878 consulté le 07/08/20.

329
Les premières entreprises à s’installer au Sahara Occidental furent la française Total,
et le groupe énergétique américain Kerr-McGee en 2001. Les deux entreprises se sont vues
octroyer une licence d’exploration pétrolière au large des côtes du Sahara occidental. Le
géant pétrolier français Total avait bénéficié d’une licence couvrant une zone offshore de
plus de 100 000 kilomètres carrés (la surface du Portugal) au large du Sahara Occidental, le
« bloc Anzarane »211. En 2015, l’entreprise française Total s’est retirée de la prospection
pétrolière au Sahara en raison des résultats jugés décevants de ses activités sur le bloc
d’Anzarane (Le Figaro du 21/12/2015). L’entreprise américaine Kerr Mc-Gee quant à elle
s’est retirée de l’exploration pétrolière au large du Sahara Occidental en 2006.

Même si aujourd’hui, ces deux entreprises se sont retirées du territoire, d’autres


firmes internationales continuent à mener des activités de prospection pétrolière et gazière
au large du Sahara Occidental. Kosmos Energy, une multinationale pétrolière américaine,
détient un permis d’exploration pétrolière depuis 2013 sur le bloc offshore de Boujdour,
appartenant auparavant à l’entreprise américaine Kerr Mc-Gee. La société a comme
partenaire l’entreprise pétro-gazière britannique Cair Energy. San Leon Energy, une
entreprise pétro-gazière irlandaise est quant à elle détentrice du bloc on-shore de Tarfaya.
Elle a effectué en octobre 2015 le premier forage on-shore d’exploration pétrolière sur le
territoire du Sahara occidental. Ces entreprises présentes dans la zone administrée de fait
par le Maroc possèdent toutes un contrat avec l’ONHYM. L’office national détient 25% des
parts dans chaque licence octroyée aux entreprises étrangères (Guibbaud, 2005, p. 41).

Dans le domaine minier, le géant allemand du ciment HeidelbergCement contrôle


actuellement deux cimenteries au Sahara Occidental via sa filiale marocaine Ciments du
Maroc. Elle détient une participation majoritaire dans une entreprise de broyage de ciment
à El Ayoun, la capitale du Sahara Occidental. En mai de l’an 2020, elle a repris l’entreprise
Cimenteries Marocaines du Sud (CIMSUD), également située à El Ayoun.212

Dans le domaine énergétique, les entreprises étrangères sont également implantées


au Sahara Occidental. Il s’agit par exemple du géant indien de l'ingénierie Larsen & Toubro.
Cette entreprise a installé de grandes infrastructures énergétiques dans la partie du Sahara

211
Voir https://multinationales.org/?lang=fr consulté le 13/08/20.
212
Cf. Western Sahara Resource Watch. Disponible sur http://www.wsrw.org consulté le 13/08/20.

330
Occidental occupé par le Maroc. La société a remporté un appel d’offres lancé par l’Office
national de l’électricité et de l’eau potable du Maroc (ONEE) pour la construction d’une
sous-station 225 / 60kV à Dakhla (Maroc) avec des lignes aériennes 60kV et des câbles
souterrains associés à Dakhla213 Dans le même secteur, et toujours selon Western Sahara

Resource Watch, la compagnie allemande Siemens a construit de parcs éoliens pour le

gouvernement marocain.

La plus grande ferme, le Foum El Oued, est un complexe de 50 Mégawatt, près de


la ville capitale El Ayoun. En novembre 2016, le Maroc a signé avec la société saoudienne
ACWA Power pour développer 100 Méga Watt (MW) d'énergie solaire au Sahara
Occidental. L'accord a été signé lors de la conférence climatique de l'ONU, COP22, le 15
novembre. Le programme prévoit le développement d'une centrale solaire de 80 MW à El
Ayoun, appelé Noor Laayoune et une autre centrale de 20 MW à Boujdour, dénommé Noor
Boujdour. Les 70 MW restants seront ajoutés à la centrale du site d’Ouerzazate.214 La ruée
des entreprises étrangères pour l’exploration et l’exploitation des ressources du Sahara
Occidental va pousser le Maroc à entreprendre des politiques pour intégrer le Sahara et ses
ressources.

II. L’INTÉGRATION DU SAHARA OCCIDENTAL ET SES RESSOURCES AU


MAROC : LES APPORTS DU SAHARA L’ÉCONOMIE MAROCAINE

Désormais, à l’enjeu politique d’obtention de la souveraineté, vient s’ajouter un


enjeu économique qui intensifie la nouvelle dimension du conflit depuis la signature du
cessez-le-feu de 1991. La bataille diplomatique n’est plus purement politique, elle se situe
donc également au niveau des richesses naturelles du Sahara Occidental, à cause de leur
nature hautement stratégique (Guibbaud, 2005, p. 29). Les ressources naturelles du Sahara
Occidental sont instrumentalisées, par le Maroc, le Front Polisario et son allié algérien que
ce soit au niveau interne ou au niveau international, afin de servir leurs propres intérêts.
L’instrumentalisation de nature politique de la gestion des ressources naturelles au Sahara
Occidental s’intègre au sein des stratégies des acteurs du conflit pour le contrôle du
territoire.

213
Cf. http://www.wsrw.org consulté le 13/08/20.
214
« Signées à la Cop22 : des centrales solaires au Sahara occupé », http://www.wsrw.org consulté le 13/08/20.

331
La gestion des ressources naturelles au Sahara Occidental est devenue très vite le
nouveau cheval de batail du Front Polisario dans l’optique d’attaquer le royaume du Maroc.
Cette thématique constitue un moyen de la part du Front Polisario de délégitimer la
présence marocaine au Sahara Occidental. De son côté, le Maroc intègre la gestion
ressources à un projet plus vaste qui vise à légitimer le « Plan d’autonomie » proposé au
nations unies en 2007. Puisqu’à l’heure le Maroc est le seul des deux acteurs du conflit à
exploiter et bénéficier des ressources du Sahara Occidental, nous allons donc étudier les
enjeux des projets de développement pour les provinces du Sud entrepris par le Maroc afin
de mettre en valeur les ressources du Sahara Occidental.

1- Le modèle de développement pour les provinces du Sud : la « mise en valeur »


des ressources des « provinces sahariennes »

Après le départ des Espagnols du Sahara en 1976, le Maroc a « récupéré » ce


territoire et l’a intégré au royaume. Pour se faire, le royaume va y étendre son administration
par l’organisation d’élections nationales dans cette région. La monarchie a aussi entrepris
une série réalisations considérable pour développer économiquement le Sahara et pour
favoriser son désenclavement et son insertion économique au pays. Le Roi Mohamed VI
dans son adresse à la Nation à l’occasion du 37ème anniversaire de la Marche Verte, le 6
novembre 2012, affirmait que :

Nous réaffirmons notre engagement à mettre en œuvre la régionalisation avancée, en


commençant, en premier lieu, par Nos provinces du Sud, au regard de la possibilité
qu’elle offre aux populations de participer à la gestion de leurs affaires locales et de
contribuer au développement humain intégré et durable. (…) A cet égard, Nous
appelons à l’élaboration d’un modèle de développement régional intégré et rigoureux,
s’appliquant à une échelle la plus large possible et visant à créer une synergie et une
complémentarité entre les programmes sectoriels. (Discours de Sa Majesté le Roi à
la Nation à l’occasion du 37ème anniversaire de la Marche Verte, le 6 novembre
2012)

Ce discours du roi va accoucher de la mise en œuvre d’un Nouveau modèle de


développement pour les « provinces du Sud ». Ce nouveau modèle de développement pour
les « provinces du Sud » prôné par Mohamed VI est le corollaire de la volonté de feu son
père, le roi Hassan II. En effet, celui-ci dans un discours prononcé le 6 décembre 1975 disait
que « (…) nous nous devons de rester réalistes et de penser à l’édification du Sahara
nouveau par la généralisation de l’industrie, de l’enseignent, de la santé et de

332
l’agriculture » (Le Matin du Sahara, 6 novembre 1985, p. 5). Le programme d’édification
du Sahara nouveau dot parlait Hassan II a été baptisé « mise en valeur des provinces
sahariennes ». Il vise à effacer ainsi le long retard enregistré ici par rapport aux régions du
Maroc durant la colonisation espagnole et à intégrer le Sahara Occidental au territoire
national marocain.

L’intégration du Sahara au Maroc est concrétisée par le nouveau découpage


administratif du royaume de 2015. Le Décret n°2 du 20 février 2015 qui consacre le nouveau
découpage administratif porte le nombre de région à douze. Parmi les douze régions que
compte désormais le royaume chérifien, nous avons celles de « Laâyoune-Sakia El Hamra
avec pour chef-lieu de région Laâyoune et la Dakhla-Oued Ed-Dahab qui a pour chef-lieu
Oued Ed-Dahab » (Bulletin Officiel du Royaume du Maroc, 2015). Les provinces et
préfectures qui composent ces deux régions sont respectivement Laâyoune, Boujdour,
Tarfaya, Es-Semara, Oued Ed-Dahab et Aousserd. Ce sont ces régions situées au Sahara
Occidental qui forment ce que le Maroc considère comme ses « provinces du sud ».

Le plan de « mise en valeur des provinces sahariennes » sera rebaptisé « nouveau


modèle de développement pour les provinces du Sud ». Ce nouveau plan a pour but, d’une
part, de faire des « provinces du sud » un hub africain. De fait, la dimension géostratégique
du Sahara Occidental ou des « provinces du Sud » n’échappe pas au Maroc. Par ailleurs,
pour le Maroc, la dimension atlantique du Sahara, lui permet de devenir une véritable
plateforme économique entre le Nord et le Sud. Elle prendrait dès lors appui sur les accords
de partenariat signés avec l’Union Européenne, les États Unis, le Monde Arabe et les pays
Africains (Rapport du Conseil Économique, Social et Environnemental, 2013, p. 56).

Le modèle de développement prôné par le Maroc vise également à désenclaver les


provinces du sud longtemps isolées ou marginalisées, à travers la participation de tous les
acteurs (État, associations, populations). Dans ce contexte, et depuis 1975, le Maroc s’est
engagé dans un processus de développement du Sahara, et a orienté sa politique vers
l’éradication des séquelles du sous-développement hérité de la colonisation espagnole. La
priorité a été accordée aux infrastructures de base, à savoir l’électrification, l’alimentation
en eau potable, la scolarisation, et la santé publique. Pour réaliser les objectifs ci-dessus
mentionnés, l’état marocain a créé de nouvelles institutions notamment l’Agence de
Promotion et de Développement économique et social des provinces du Sud marocain

333
(ADES). Au total, le budget alloué aux provinces du Sud est de près de 4,6 10 milliards Dh
par an.215

L’Agence de Promotion et de Développement économique et social (ADES) a été


créée en 2002, pour encourager l’émergence de pôles de développement durable par la mise
en place des infrastructures nécessaires à la valorisation des potentialités offertes dans les
zones concernées. Dans ce cadre, entre 2004 et 2008, l’Agence a réalisé 226 projets, avec
un coût de 7,2 milliards de dirham (Chmourk, 2012, p. 10), dans les trois régions du Sahara
marocain (Guelmim-Es-Semara, Laâyoune-Boujdour et Oued-Ed-Dahab-Lagouira).

Au Sahara Occidental, la mission de l’Agence du Sud dans les trois régions vise
officiellement la promotion de toutes les composantes de la vie économique et sociale. Mais
officieusement, elle s’intéresse à la valorisation des ressources naturelles. C’est pourquoi,
les projets divergent d’une région à une autre selon les ressources qu’offre la région. Les
projets réalisés dans chacune des trois régions du Sahara sous occupation marocaine, ont
été étudié par Chmourk (2012). Nous nous appuyons sur son analyse.

1.1. La région de Smara

Entre 2004 et 2008, cette région a vu la réalisation de 125 projets. Dans ces projets,
le royaume a mis l’accent sur l’eau et l’environnement. Avec 1,7 milliard de dirhams, ces
secteurs représentent plus de 60 % de l’ensemble des dépenses. Plus de 945 millions de
dirhams sont réservés à la mobilisation et la répartition de l’eau dans toute la région. Grâce
à ces investissements, le milieu rural affiche aujourd’hui un taux d’accès des ménages au
réseau d’eau potable de 98 %. Les oasis de la région souffrent elles aussi de divers
problèmes qui alimentent les processus de dégradation de cet espace, dont la fragilité a été
accentuée par l’instabilité des conditions climatiques. Plus de 551 millions de dirhams ont
été affectés à l’habitat et au développement urbain, soit plus de 14 % de l’ensemble des
investissements.

Depuis des années, les villes de la région de Guelmim-Es-Semara ont connu le


lancement d’un vaste programme d’urbanisation. Ce programme a visé à lutter contre

215
Chiffre disponible sur « Nouveau modèle de développement pour les provinces du Sud », Rapport du
Conseil Economique, Social et Environnemental.

334
l’habitat insalubre, et à satisfaire les besoins induits par la croissance démographique en
matière de logement et d’infrastructures. Ce programme a bénéficié de de plus de 20 000
ménages (Chmourk, 2012, p. 11).

1.2. La région de Laâyoune-Boujdour

Selon le même auteur, cette région a bénéficié de 68 projets. Le secteur de l’habitat


et du développement urbain concerne à lui seul 982 millions de dirhams, dont 800 millions
de dirhams pour l’habitat et 182 millions de dirhams pour l’assainissement, soit plus de 50
% de la totalité des dépenses. Dans cette région, la croissance urbaine (95%) a généré des
besoins en matière de logements, d’infrastructures et de services à usage collectif. Pour ce
faire, plusieurs programmes d’urgence ont été lancés pour résorber les bidonvilles hérités
de la période coloniale, surtout dans les villes de Laâyoune et Boujdour.

Les trois villes de la région ont vu la construction de plus 3 138 logements pour 3
291 ménages. Des lots et des terrains ont été également aménagés afin d’encourager et
d’inciter les bénéficiaires à construire eux-mêmes leurs propres logements. Pour renforcer
l’infrastructure de base dans les villes sahariennes, plus de 340 millions de dirhams ont été
réservés pour la construction de la deuxième tranche de la centrale électrique de Laâyoune.

Par ailleurs, le développement de la pêche a absorbé 280 millions de dirhams à


travers la construction et l’aménagement de deux villages de pêcheurs (Amegriou et
Tarouma). Enfin les travaux d’extension de la station de dessalement de Boujdour ont coûté
87 millions de Dirhams (Chmourk, 2012, p. 11). Ces investissements sont censés impulser
le développement dans cette région et lui permettre l’intégration dans le reste du Maroc.

1.3. Les projets de désenclavement de la région d’Oued-Ed-Dahab

Cette région a vu la réalisation de 33 projets. Le regroupement de la population rurale


et l’afflux de pêcheurs du Nord y entraînent une forte demande en logements et
d’infrastructures de base. Dans ses programmes du développement, l’État a réservé plus de
700 millions de dirhams à l’habitat et au développement urbain. Dans le cadre de la lutte
contre l’habitat insalubre, les pouvoirs publics ont construit plus de 2 300 logements
sociaux, et plus de 7000 ménages ont bénéficié de cette opération.

335
La ville du Dakhla, principale ville de la région, a été dotée d’une centrale, équipée
de 5 groupes électriques. Cette nouvelle centrale doit permettre de couvrir les besoins en
électricité de la ville. La réalisation d’un nouveau port a coûté plus de 370 millions de
dirhams. La mise à niveau de cinq villages de pêche a coûté 664 millions de dirhams,
affectés essentiellement à la réalisation de zone d’habitat, d’activités commerciales, et
d’équipements administratifs et scolaires. Aujourd’hui, la ville de Dakhla est devenue une
ville moderne dotée de toutes les infrastructures. Elle concentre également des équipements
nécessaires à la transformation des produits de la pêche. Et son nouveau port va augmenter
la capacité de sa flotte de pêche, faciliter les relations commerciales avec les villes du Nord,
et permettre la diversification de ses activités économiques (Chmourk, 2012, p. 13).

Tous ces projets visent à renforcer la place de ces régions du sahara Occidental dans
le développement économique du Maroc. Aujourd’hui, le Maroc a fait d’El Ayoun une ville
vitrine symbolisant à la fois l’intégration et la réussite du développement dans le « Sahara
marocain ». Si le Maroc a consacré plus de 20 milliards de dirhams au désenclavement et
au développement de ces provinces du Sahara, c’est parce que les ressources naturelles de
ces provinces contribuent largement au développement économique global du Maroc.

2- L’apport des ressources du Sahara Occidental à l’économie marocaine

Depuis le début du conflit et la fin de la guerre en 1991, le Maroc a beaucoup dépensé


au Sahara Occidental appelé « Provinces du sud ». Le coût du conflit est énorme du point
de vue du Maroc tant au niveau humain qu’économique. Mais au Maroc, parler de “coût
économique” est contesté par les autorités marocaines, qui considèrent que tout argent
dépensé dans la région constitue un investissement. Même s’il est difficilement quantifiable,
le montant des dépenses sécuritaires, liées au conflit, est extrêmement élevé. Cependant, il
ne faut pas négliger que l’exploitation puis la commercialisation des ressources naturelles
(halieutiques et phosphate) du Sahara constituent un apport assez considérable pour
l’économie marocaine.

Concernant par exemple les ressources halieutiques, le Maroc dispose de deux


façades maritimes, une sur la Mer Méditerranée et l’autre sur l'Océan Atlantique, s'étendant
sur une longueur de plus de 3500 km. Les spécialistes disent que les conditions hydro-
climatiques qui caractérisent les zones de l’Atlantique Sud, font de la côte marocaine,

336
notamment la zone du Sahara Occidental, l’une des plus poissonneuses du monde (Cf.
Programme d’Appui Analytique à la Stratégie Changement Climatique du Maroc–
Document Préparatoire 1, 2013, p. 17). Avec une production halieutique annuelle de près
d’un million de tonnes pour un chiffre d’affaires au débarquement de près de 13 milliards
de dirhams, le Maroc est le premier producteur de poissons à l’échelle de l’Afrique et du
Moyen-Orient (Programme d’Appui Analytique à la Stratégie Changement Climatique du
Maroc, idem).

Des deux façades maritimes, les déchargements de la côte atlantique sont plus
importants que ceux de la côte méditerranéenne. En effet, les ressources halieutiques du
Maroc proviennent essentiellement de la façade atlantique, surtout des eaux du Sahara. Fort
de cela, il est intéressant de s’interroger sur les enjeux des ressources halieutiques du Sahara
Occidental dans l’économie du Royaume du Maroc. Pour voir l’importance de ces deux
ressources, nous allons analyser d’une part, l’apport des ressources halieutiques, des côtes
et celle des ressources minières du Sahara Occidental pour l’économie nationale du royaume
du Maroc.

2.1. Les ressources halieutiques et les côtes du Sahara Occidental, enjeux (géo)
économiques pour le Maroc

La production halieutique marocaine de 1980 à 2015 montre qu’elle a connu un taux


d’accroissement annuel moyen de 5%. Cette tendance s’est accentuée durant la période
1981-2000, avec un rythme de croissance annuel moyen de 6,3%. La part moyenne de la
pêche côtière et artisanale dans le volume total est de 82% durant la période 1980-2015
(Doukkali & Kamili, 2018, p. 19). Le rendement de la pêche côtière est plus déterminant
dans le taux d’accroissement global de la production halieutique marocaine. L’apport du
Sahara Occidental dans cette progression des captures en volume est essentiel. En effet, ce
territoire possède actuellement les eaux parmi les plus poissonneuses du monde, avec de
nombreuses espèces très recherchées: céphalopodes, thons, sardines, crustacés, etc., (Sayeh,
1998, pp. 73-75).

Pour doper la contribution de la façade océanique du Sahara Occidental dans son


développement économique, le Maroc va miser sur la mise en valeur des côtes avec la
construction de ports de pêche, l’exploitation et la vente des produits de la mer. Il y a vingt-

337
deux ports au Maroc : Six en Méditerranée: et seize sur l’Atlantique, parmi lesquels, nous
avons ceux de Laâyoune, Boujdour et Dakhla, situés sur les côtes du Sahara Occidental. Les
débarquements dans les ports du Sahara Occidental qui ne représentaient que 20% du
produit national de la pêche en 1990, sont passés à 54% en 2000 (Karmous, s.d., p. 2). Selon
des chiffres fournis par divers médias marocains, la flotte marocaine en activité forte de
quelques 356 unités pour la pêche hauturière, de 1700 unités pour la pêche côtière, et 17
000 barques pour la pêche artisanale (L’Economiste, 25 juillet 2002), se déploie
essentiellement dans l’Atlantique sur les côtes sahraouies. Dans les années 2000, les ports
de Laâyoune et Boujdour comptaient 800 barques artisanales et 700 bateaux (Le Matin du
Sahara, 21 juillet 2002). Les ports de pêche sur la côte atlantique représentent 95% des
captures avec 45% pour le seul port d’El Ayoun.

En 2001, 90% de la pêche côtière marocaine était réalisées au Sahara Occidental et


à Tan Tan. Cela représentait 790 000 tonnes, pour une valeur de 1.75 millions d’euros et
78% de la production du Royaume (Le Matin du Sahara, 21 juillet 2002). Les ports de
Laâyoune et de Tan Tan représentent à eux seuls 71% du volume et 35% de la valeur totale
des débarquements de la pêche côtière. Laâyoune était donc devenu le premier port de pêche
marocain pour le volume des captures.

En Août 2001, le nouveau port de Dakhla comprenant une zone industrielle portuaire
à terre de 300 ha dont 60 ha viabilisés216, a été inauguré. En décembre de la même année, le
port est mis en exploitation, son activité est basée sur la pêche hauturière soutenue par le
développement d’unités de valorisation. De fait, si 88 % de la production halieutique est
assurée par la pêche côtière et artisanale, la pêche hauturière représente les 63% de cette
production. Le poisson pélagique (sardine, anchois, maquereau, chinchard) représente 79%
des captures en volume, et les céphalopodes constituent 60% de la valeur des captures dans
la zone de Dakhla (L'Economiste du 30/03/2004). Mais, l’espèce la plus exploitée au large
de Dakhla reste le poulpe connu pour sa qualité supérieure et destiné essentiellement aux
marchés japonais et espagnol. La zone identifiée pour la pêcherie poulpière s'étend du cap

216
Fiche port de Dakhla. En ligne :
http://www.equipement.gov.ma/AR/maritime/ports/PatrimoinePortuaireEtMaritime/Documents/Fiche%2520
Port%2520Dakhla.pdf consulté le 0/08/20.

338
Boujdour au Cap Blanc (Lagouira) (L'Economiste du 30/03/2004), c'est-à-dire du sud d'El
Ayoun à la frontière Mauritanie / Sahara Occidental.

La ville de Dakhla dispose d’un grand port sardinier, et de 70 unités industrielles de


céphalopodes (Maroc Hebdo International, 29 mars-4 avril 2002). La construction de ce
nouveau port s’inscrit dans le cadre du Plan de Développement des Infrastructures
portuaires dans les provinces du Sud. Cet ouvrage a été réalisé en vue de créer des activités
commerciales et industrielles, de créer de l’emploi en faveur de la population locale, et aussi
d’améliorer les conditions de vie et de travail des pêcheurs (Fiche Port de Dakhla , op.cit).

Par ailleurs, l’extension du port de Dakhla, lancée en 2011, permettra d’augmenter


la capacité du port qui sera ainsi portée à 1 Million de tonnes par an dont 670.000 T/an de
pélagique frais, en plus du trafic des hydrocarbures et du poisson congelé. Avec
l’aménagement et l’extension de la zone industrielle portuaire de Dakhla, le Maroc entend
faire de celui-ci le premier port de l’Afrique (Karmous, s.d, p. 2). De ce fait, les trois ports
sahariens occupent aujourd’hui le premier rang pour certaines productions (sardines,
maquereaux, céphalopodes, etc.), et participent pleinement au développement économique
du Maroc.

Comme on peut le constater, le territoire du Sahara occidental possède un espace de


pêche très stratégique. Ces eaux sont d’ailleurs reconnues pour être parmi les plus
poissonneuses du monde. Plusieurs espèces très prisées sur le marché mondial sont
présentes au sein de cet espace maritime. La présence des différentes espèces (sardines,
maquereaux, anchois, cabillaud, merlu, poulpe, etc.) au large des côtes du Sahara Occidental
confère au territoire une haute attractivité économique notamment pour le Maroc.

Les pêcheries du Sahara Occidental représentent une part importante du secteur de


pêche dans le royaume. La pêche côtière artisanale au Sahara Occidental compte
aujourd’hui près de 3400 embarcations grâce auxquelles, quelques 700 000 tonnes ont pu
être débarquées en 2005. La valeur totale de ces débarquements est estimée à deux milliards
de dirhams (Jeune Afrique n°2389, 22 octobre 2006). À l’échelle mondiale, les ressources
halieutiques (végétales ou animales) constituent d’importantes sources pour l’économie et
alimentaires. En effet, les ressources naturelles ont une fonction essentielle pour la survie
de l’humanité, quand on sait qu’elles contribuent largement à la sécurité alimentaire

339
mondiale. De fait, dans un monde caractérisé par une croissance démographique
continuelle, les ressources halieutiques se présentes comme des richesses indispensables
pour l’avenir.

Enfin, dans ce contexte, le contrôle de zones maritimes riches en ressources


halieutiques représente de plus en plus un enjeu (géo) économique pour les États du monde,
car la hausse de l’activité de la pêche au niveau mondial a entraîné une certaine diminution
des réserves halieutiques mondiales. Aucun État ne s’auto-suffit désormais et certains
dépendent fortement des ressources halieutiques en provenance de pays étrangers. C’est le
cas des États européens. Au vu de tout ce qui précède, il résulte que les richesses
halieutiques des côtes du Sahara Occidental représentent donc un enjeu stratégique à
l’échelle mondiale. C’est aussi le cas des ressources minières du Sahara Occidental qui sont
actuellement exclusivement exploités par le Royaume du Maroc et son entreprise nationale,
l’Office chérifien du phosphate (OCP).

2.2. Les ressources minières du Sahara Occidental dans l’économie marocaine

Au Sahara Occidental, le Maroc ne fait pas qu’exploiter ni commercialiser les


ressources halieutiques, il a aussi un grand intérêt pour ses ressources minières. Comme
nous l’avons déjà dit, le Sahara Occidental est, certes, désertique, mais son sous-sol est très
riche en minerais. On y trouve du fer, du titane, du manganèse et surtout du phosphate.
Parmi les minerais, c’est le phosphate qui a le plus d’attrait sur le Maroc. Les minerais de
phosphate du Sahara, ajoutés à ceux extraits sur son propre territoire, permettent au Maroc
de conforter sa position de leader mondial dans le domaine des engrais phosphatés.

En fait, l'intérêt des phosphates, dont plus de 80% de la production mondiale est
utilisée par l'agriculture, tient au fait que toutes les plantes, cultivées ou non, ont un besoin
incontournable de phosphore pour leur existence et leur croissance. Comme il n'y a aucun
produit de substitution, les phosphates se révèlent être indispensables à la vie du monde
végétal et des êtres humains. À l’échelle mondiale, il y a toujours une hausse de la demande
en engrais phosphatés, ce que reflète la production mondiale de phosphates. En effet, celle-
ci était estimée à 42 millions de tonnes en 1960, à 77 millions en 1969, à 110 millions en

340
1974, à 132 millions en 1980, à 162 millions en 1990, à 133 millions en 1996 et de 128
millions de tonnes en 2001217.

Dans le domaine des phosphates et engrais phosphatés, le Maroc occupe une position
dominante. Il possède les 72 % des réserves mondiales de phosphates (Wagner, 2019), il est
le 2e producteur et le 1er exportateur mondial de phosphates. Si le Maroc détient 72% des
réserves mondiales de phosphate, les mines du Sahara Occidental occupent une place non
négligeable de ce pourcentage. De fait, il existe quelque cinq grands secteurs au Sahara. Le
secteur de Boucraa, d’Amsliken, d’Azig, El-Abadela, et celui de la province d’Oued
Eddahab (Chmourk, 2012, p. 8). Mais ce sont les mines de Boucraa qui présente un grand
potentiel, et une grande importance économique. Située à 100 kilomètres au Sud-Est d'El
Ayoun, les mines de Boucraa représentent un gisement considérable dont la superficie
reconnue s'étend sur près de 260 km². Ses réserves sont estimées à 3 milliards de tonnes,
soit 3,3 % des réserves nationales de phosphate estimées à 60 milliards de tonnes (Chmourk,
2012, p.8). Actuellement, la mine de Boucraa produit environ 1,86 millions de tonnes de
phosphate, soit 2,3 % de la production nationale.

Le Sahara Occidental sous administration marocaine renferme environ 1,6% des


réserves218prouvées de phosphate au Maroc. Ses productions représentent 12% (Riche, s.d)
de la production nationale totale du Maroc. Une fois exploités, les phosphates du Sahara
Occidental, sont intégrés au marché marocain et vendus au niveau régional et international.
Cela permet au Maroc de consolider plus sa position de leader mondial de phosphate et
dérivés.

En outre, avec ses nombreuses salines naturelles, le Sahara Occidental, est riche en
sel. La saline de Tazgha est la plus importante, avec des réserves évaluées à 4,5 millions de
tonnes (Chmourk, 2012, p. 8). Le Sahara Occidental est un désert, cela veut dire qu’il a du
sable à profusion. Actuellement, le Maroc exporte des milliers de tonnes de sable en
provenance du Sahara Occident. Western sahara ressources Watch219 (WSRW) fait état de

217
Chiffres disponible sur http://www.usgs.gov/ consulté le 27/02/2020.
218
« Phosboucraâ : Investir dans l’avenir des phosphates dans la région du Sahara », rapport de l’OCP.
http://www.ocpgroup.ma/sites/default/files/filiales/document/presentation_phosboucraa_fr.pdf
219
Western Sahara Resource Watch (WSRW) est une ONG internationale composée de plusieurs associations
présentes dans une plusieurs pays. Elle a été créée en 2004, pour de faire de la recherche et mener des

341
ce qu’en 2008, la grande quantité de plus des 500 000 tonnes de sables qu’exporte le Maroc
en Espagne provient du Sahara Occidental. La plus grosse part de ce sable est destinée aux
iles Canaries.220

Au terme de ce chapitre, nous pouvons dire qu’actuellement même si le conflit du


Sahara Occidental a un énorme coût humain, militaire et économique pour le Maroc, il n’en
demeure pas moins que les ressources de ce territoire soient, dans le contexte actuel,
incontournables pour le développement économique du royaume. C’est pour encadrer
l’apport du Sahara « occupé » dans son essor économique que le Maroc a entrepris des
actions pour désenclaver les « provinces sahariennes ».

campagnes sur l’exploitation des ressources naturelles dans la partie du Sahara occidental sous contrôle
marocain.a
220
Voir le site web de WSRW https://www.wsrw.org/ma139x742 consulté le 13/05/20.

342
Conclusion partielle

La troisième partie de cette étude a été consacrée à l’analyse de l’implication des


acteurs régionaux et internationaux dans le conflit du Sahara Occidental. Elle nous a permis
de lever tout équivoque sur le fait que le conflit a dépassé le microcosme régional dans
lequel il a toujours été enfermé. Il est vrai que le territoire, par sa situation géographique de
« pivot central » du Maghreb, a vu l’implication de tous les États de la région, confirmant
l’idée selon laquelle le Sahara Occidental est le heartland du Maghreb. Le territoire possède
d’immenses ressources naturelles, capables de faire de celui qui le contrôle la locomotive
du Maghreb. C’est pourquoi dans cette région, les États éprouvent d’énormes difficultés à
communiquer entre eux du fait de l’aggravation du différend algéro-marocain sur le Sahara
Occidental. Fort de ce qui précède, nous pouvons, par conséquent, soutenir sans ambages
que le Sahara Occidental est un obstacle à l’édification de l’Union du Maghreb Arabe
(UMA). Il entrave toute coopération en matière de politique économique et sécuritaire face
au phénomène du terrorisme dans une zone devenue un terreau fertile.

Avec la prolifération des groupes extrémistes dans le Grand Sahara du fait de la


porosité des frontières de la région et le manque de coopération réelles entre les États du
Maghreb, les réfugiés sahraouis se transforment progressivement en une importante
ressource humaine pour Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) et l’État Islamique dans
le Grand Sahara (EIGS). Dans ce contexte, le contrôle du Sahara Occidental devient non
seulement un enjeu pour la sécurité et la stabilité des États du Maghreb et du Sahel mais
aussi pour les grandes puissances internationales. Ces grandes puissances, notamment les
États-Unis, l’Union Européenne, la Russie, la Chine et l’Inde, sont devenues des acteurs
concernés par la question. Celles-ci, pour sauvegarder leur intérêts géopolitiques et
économiques dans le Maghreb interviennent directement dans le conflit mais de plus en plus
en faveur du Maroc en sacrifiant « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de leurs
ressources » au profit de leurs propres intérêts. À l’instar de certaines grandes puissances
internationales, l’Organisation des Nations Unies et l’Union Africaine sont aussi saisies du
dossier du Sahara Occidental. Pour l’UA, la résolution du conflit du Sahara Occidental est
un véritable enjeu politique qui questionne sa propre existence. En effet, l’échec de
l’Afrique à décoloniser le Sahara Occidental équivaudrait à une négation des idéaux et
principes de la Charte.

343
CONCLUSION GÉNÉRALE

Le sujet de cette étude se situe au carrefour de plusieurs champs : la Géographie,


l’Histoire, le Droit et surtout la Géopolitique, la Géoéconomie et les Relations
Internationales. Le conflit du Sahara Occidental est très complexe du fait de la multiplicité
des acteurs directement et indirectement impliqués et de leurs intérêts multiformes. À la
lumière des évènements récents qui ont émaillé son évolution, nous avons souscrit le sujet
dans le triple champ de la Géopolitique, la Géoéconomie et des Relations Internationales.

La question fondamentale à laquelle nous avons essayé de répondre tout au long


de cette étude a été de savoir pourquoi une question de décolonisation est devenue un conflit
géopolitique et géoéconomique international. Notre objectif principal a été de comprendre
les atouts géopolitiques et géoéconomiques pouvant résulter du contrôle du Sahara
Occidental. Pour ce faire, l’étude s’est fondée sur l’hypothèse selon laquelle le territoire
victime de sa situation géographique à une grande valeur géopolitique et géoéconomique
sur la scène internationale.

Pour vérifier notre hypothèse, atteindre notre objectif et répondre par la même à la
question centrale de ce travail, nous nous sommes imposé le choix d’une méthode d’analyse
rigoureuse. Étant donné que cette étude se propose d’analyser les enjeux géopolitiques et
géoéconomiques du conflit au Sahara Occidental, nous avons convoqué la méthode
géopolitique proposée par Rosière (2001). Cette démarche nous a semblé la mieux adaptée
et à même de fournir les outils nécessaires à l’analyse d’un conflit aussi complexe que celui
du Sahara Occidental. Le paradigme de Rosière comme nous l’avons vu, repose sur l’étude
de la dynamique du territoire, des acteurs, des représentations territoriales, du mode
opératoire et des enjeux. Cependant, étant donné que notre sujet traite une question
historique, mais d’actualité, nous avons également fait appel à la méthode historique. Celle-
ci nous a permis de reconstituer l’histoire du conflit et de dégager scientifiquement les faits.

Le propos du présent travail doit être entendu sans ambages. Il ne s’agissait


nullement pour nous d’apporter une solution ou une perspective de règlement à un conflit
que la Communauté internationale s’est montrée incapable de résoudre jusqu’à présent. Il
nous importait seulement de montrer que pour appréhender les causes profondes de la

344
permanence du conflit, il fallait découvrir les intérêts tant (géo) politiques qu’économiques
de ses acteurs officiels et officieux. Ainsi, arrivé au terme de notre étude, pouvons-nous
émettre les conclusions suivantes.

Pour ce qui est des considérations géopolitiques du conflit du Sahara Occidental,


l’étude de la géographie et de l’histoire du territoire a permis de présenter ses atouts
politiques et économiques. En réalité, le Sahara Occidental est l'un des territoires les plus
riches d'Afrique et dans une certaine mesure de la planète, du fait de l'abondance et de la
variété de ses ressources naturelles. En effet, il dispose d’énormes ressources naturelles,
notamment le poisson, du sable, du phosphate et potentiellement du pétrole, du gaz et de
l’uranium. Ces différentes ressources comme on peut le voir, sont très convoités sur le
marché mondial pour leur haute valeur stratégique. Par ailleurs, son positionnement sur les
rives de l'océan Atlantique et sa « position de pont » entre deux mondes, les Arabes au Nord
et les Noirs au Sud en font un carrefour dans cette partie du continent africain et fait qu’il
est considéré comme une zone géostratégique. C’est justement à cause de ses richesses et
son positionnement géographique, qui ont fait que dès le XVIIe siècle, les côtes du Sahara
Occidental ont été l'objet de convoitise des puissances impérialistes européennes de
l'époque, la France, le Portugal, l'Angleterre, l'Italie, l'Allemagne, l'Espagne. Au terme de
profondes rivalités entre français et espagnols pour la possession Sahara Occidental, celui-
ci finit par être espagnol.

L’analyse des données géographiques et historiques du Sahara Occidental de


l’époque précoloniale nous ont permis de confirmer notre première hypothèse de travail, à
savoir que le territoire confère des avantages géopolitiques et géoéconomiques à celui qui
le possède. L’Espagne et les autres puissances européennes n’étaient pas les seules à
s’intéresser au Sahara Occidental. Le royaume du Maroc et la République Islamique de
Mauritanie, ont aussi développé des représentations géopolitiques pour ce territoire. Après
la conférence de Berlin en 1884, le Sahara espagnol devient une colonie espagnole et en
1958, une province. Le Maroc et la Mauritanie vont s’élever contre la provincialisation et
la présence espagnole sur ce territoire, car le Sahara dit espagnol, ferait partie de leur
territoire et amputé du fait de la colonisation.

Pour la monarchie Alaouite, le Sahara Occidental se présente comme le cordon qui


rattache le Maroc au reste du continent. Et, au titre du « Grand Maroc », ce territoire fait

345
partie du royaume. Pour les successifs rois du Maroc, le royaume sera totalement
indépendant que quand il sera complètement unifié. Pour eux, les frontières du Maroc se
terminent au sud à Saint-Louis du Sénégal. Le sultan Mohammed V fera de la théorie du
« Grand Maroc » l’un des fondements de sa politique intérieure et extérieure. Par ailleurs,
soutenir la thèse du « Grand Maroc », a été l'occasion pour lui de réaffirmer son engagement
dans la reconstruction du royaume chérifien et de la nation marocaine et de se positionner
comme le « Libérateur ». La revendication de la colonie espagnole a permis au souverain
d’avoir le principal parti de l’opposition, l’Istiqlal, comme allié. Par ailleurs, la réalisation
du projet « Grand Maroc » devrait permettre de consolider la légitimité de Mohammed V
dans tout le royaume y compris au Sahara espagnol et en Mauritanie.

À la mort de Mohammed V en 1961, son fils prince Moulay Hassan accéda au


trône. Le début du règne de Moulay Hassan devenu Hassan II « l’autoritaire », a été marqué
par une profonde crise économique, sociale et politique. Hassan II a failli payer de sa vie
son autoritarisme et les difficultés socio-politiques. Pour conjurer cette mauvaise
conjoncture, Hassan II se tourne vers le Sahara Occidental. Le régime d’Hassan II a alors
utilisé le Sahara espagnol comme « bouc émissaire » pour expier les tensions internes, régler
les problèmes personnels du roi et protéger son régime impopulaire et moribond. En
réveillant la question saharienne, le roi et ses conseillers ont réussi à reconstituer l'unité
nationale et à susciter un sentiment d'enthousiasme patriotique dans la population
marocaine.

Quant à la Mauritanie, en 1960 elle accédait à l’indépendance. Très rapidement, le


Maroc a contesté cette indépendance puisque la Mauritanie était considérée comme une
province du Maroc. Ajouté à cela, une partie de l'opinion politique nationale était favorable
à la thèse marocaine de l'intégration de la Mauritanie au royaume chérifien. Pour faire face
aux tensions internes et à celles de Rabat, le Président Moktar Ould Daddah, va appliquer
la même politique qu’Hassan II, c’est-à-dire, utiliser le Sahara espagnol comme bouclier,
mieux, comme bouc émissaire. C’est ainsi que dans son discours d’Atar du 1er juillet 1957,
il revendique officiellement le territoire du Sahara espagnol. La Mauritanie va miser sur le
Sahara espagnol, comme condition sine qua non pour parvenir à l’unité nationale de la
Mauritanie.

346
C’est à ce moment que sont nés sur le Sahara Occidental trois catégories de
mouvements nationalistes. Les premiers réclamaient le rattachement du territoire au Maroc,
d’autres une autonomie sous tutelle espagnole et les derniers, l’exercice du droit
d’autodétermination et l’indépendance totale du Sahara Occidental. Au titre des derniers, il
y a le Front Polisario, reconnu comme le représentant légitime du peuple sahraoui. Au fort
des revendications de « sa » province et après l’ambigu avis consultatif émis par la Cour
Internationale de Justice sur les liens de souveraineté entre le Sahara Occidental le Maroc
et l’ensemble mauritanien, Hassan II va orchestrer la « Marche verte » et annexer le
territoire en 1975.

Comme nous l’avons montré, la « Marche verte » a été une stratégie géopolitique
savamment coordonné par Hassan II pour trois raisons. Primo, la Marche devrait permettre
la réunification du royaume par la récupération du « Sahara marocain » et son intégration à
la mère patrie. Secundo, la « Marche verte » devrait permettre de soigner l’image très
dégradée d’Hassan II, par l’affaire Ben Barka et par son autoritarisme à la limite de la
dictature. Enfin, vu la crise socio-politique que connaissaient le Maroc dans les années 70,
le roi a recherché l’union sacrée de toutes les forces vives de la nation autour de sa personne.
De fait, Hassan II voulait satisfaire le nationalisme populaire marocain en pratiquant une
politique de défi à l’égard de l’Espagne, de l’Algérie et surtout des Nations Unies.

Au demeurant, la conjoncture géopolitique nationale en Espagne marquée par le


déclin du franquisme et à l’échelle internationale marquée par la guerre froide a conduit
l’Espagne à signer l’Accord tripartite de Madrid. L’Accord Tripartite convoqué par Madrid
et qui a réuni l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie a été une occasion pour le gouvernement
espagnol et le prince héritier Juan Carlos de troquer le Sahara Occidental. L’Espagne a
vendu le Sahara pour trois raisons : des garanties en matières économiques notamment dans
le domaine de la pêche, pour sauvegarder Ceuta, Melilla et les îles Canaries de la convoitise
marocaine et pour que rien ne vienne entraver l’accession au trône de Juan Carlos. Comme
convenu dans les accords de Madrid, l’Espagne a mis fin à sa présence au Sahara Occidental
en 1976, au profit du Maroc et à la Mauritanie.

Le 27 février 1976, le Polisario proclamait la République Arabe Sahraouie


Démocratique (RASD) pour combler le vide juridique laissé par le retrait des Espagnols. La
RASD entreprit alors une guerre contre les nouveaux colons du Sahara Occidental, le Maroc

347
et à la Mauritanie, qui s’était partagé le territoire et ses abondantes richesses. La violente
offensive militaire de la RASD, va conduire à un accord de paix avec la Mauritanie en Août
1979, et contrait le Maroc à construire des murs pour se protéger et pour exploiter les
ressources du territoire dans la quiétude. C’est alors que le conflit s’est internationalisé avec
l’entrée en jeu d’acteurs régionaux (Algérie, Libye, Tunisie et l’Union Africaine) et
internationaux tels que les États-Unis, la France, l’Espagne, la Russie, la Chine et l’Inde.

L’intérêt des acteurs régionaux est le fruit de leurs représentations du rôle du


Sahara Occidental dans le Maghreb. En effet, de par ses richesses naturelles et sa situation
dans la région, le Sahara Occidental se positionne comme le « Heartland » du Maghreb. Qui
le contrôle deviendra le leader de la région. Quant aux acteurs internationaux, le territoire
représente pour eux un enjeu sécuritaire. En fait, devant le fléau du terrorisme international
et dans une région devenu foyer de groupes terroristes comme Al Qaeda au Maghreb
Islamique (AQMI) et État Islamique au Grand Sahara (EIGS), le conflit au Sahara
Occidental est vu par les grandes puissances comme un catalyseur des activités extrémistes
dans le Grand Sahara.

Au niveau des enjeux géoéconomiques du conflit, sachant que la finalité ultime des
politiques géoéconomiques n’est pas seulement le contrôle de territoires, mais d’acquérir la
suprématie technologique et commerciale (Lorot, 2010, p.16), l’étude a montré que le
Sahara Occidental est désormais au cœur de politiques économiques tant de la part du Maroc
que d’autres puissances internationales et leurs multinationales. En clair, le Sahara
Occidental est devenu un enjeu géoéconomique mondial pouvant conférer aux États le
pouvoir d’avoir une position enviable au sein de l’économie mondiale et un élément de
puissance et de rayonnement international.

C’est pour le renforcement de son potentiel économique et social, et conquérir une


position convoitée au sein de l’économie mondiale que des politiques ont été développées
par les actuelles autorités marocaines avec à leur tête le roi Mohammed VI, pour faire du
Sahara Occidental les « provinces du Sud » du Maroc. L’intégration du Sahara au Maroc
est concrétisée par le nouveau découpage administratif du royaume de 2015 qui divise le
territoire en deux province : Laâyoune-Sakia El Hamra avec pour chef-lieu de région
Laâyoune et Dakhla-Oued Ed-Dahab qui a pour chef-lieu Oued Ed-Dahab.( Bulletin
Officiel du Royaume du Maroc du 5/3/2015) Dès lors, le Maroc a entrepris un plan de «

348
mise en valeur des provinces sahariennes » qui sera rebaptisé « Nouveau modèle de
développement pour les provinces du Sud » et doté d’un budget de près de 4,6 milliards de
Dirham (DH) par an. L’objectif affiché du Maroc est non seulement de faire des « provinces
du sud » un hub africain, mais aussi permettre au Maroc, à travers la façade atlantique du
Sahara, de devenir une véritable plateforme économique entre le Nord et le Sud.

Si le Maroc fait tous ces efforts au Sahara Occidental, c’est parce que la région a
un apport considérable à son économie nationale. Ainsi, dans le secteur des phosphates, les
réserves des « provinces du Sud » sont estimées à trois milliards de tonnes, soit 4 % des
réserves nationales de phosphate estimées à 60 milliards de tonnes. En 2013, la mine de
Boucraa a pris environ 1,86 millions de tonnes de phosphate, soit 2,3 % de la production
nationale 1,6% des réserves prouvées au Maroc. Grace au Sahara Occidental, dans le
domaine des phosphates et dérivés, le Maroc occupe une position dominante sur le marché
mondial. Il possède en effet les 72% des réserves mondiales de phosphates. Toujours à
l’échelle mondiale, le Maroc est le 2e producteur et le 1er exportateur de phosphates.

Au niveau agricole, les trois régions du Sud contribuent au chiffre d’affaires à


hauteur de 3,5 milliards de Dirham au total. Dans le domaine de la pêche, en 2012, les
« provinces du Sud » ont fourni 78,7% du volume des captures nationales (autour de 930
000 tonnes) et 69% en valeur (5,4 milliards de DH). En terme, de débarquement dans les
ports du Sud, les principales espèces se répartissent comme suit : les petits pélagiques
représentent 83% des captures nationales en volume (soit 802 000 tonnes) et 69% en valeur
(soit 1,3 milliards de DH) et les céphalopodes représentent 40% des captures nationales en
volume (soit 29 690 tonnes) et 36% en valeur (soit 1,3 milliards de DH) (Rapport du Conseil
Economique, Social et Environnemental, 2012, p. 45). Les pêcheries du Sahara Occidental
représentent également une part importante du secteur de pêche du Maroc. En 2005, la pêche
côtière artisanale au Sahara Occidental comptait près de 3400 embarcations grâce
auxquelles, quelques 700 000 tonnes de poissons ont pu être débarquées. La valeur totale
de ces débarquements est estimée à deux milliards de dirhams (Jeune Afrique, du 22 octobre
2006).

Toutefois, les entreprises marocaines ne sont pas les seules à explorer et exploiter
les richesses du Sahara Occidental. Les géants pétroliers français et américains, Total et
Kerr-McGee ont obtenu en 2001 des licences d’exploration pétrolière au large des côtes du

349
Sahara. Dans le domaine minier, l’Allemagne est présente avec ses multinationales comme
Heidelberg Cement et Siemens.

La présence des multinationales étrangères au Sahara Occidental, s’inscrit dans le


cadre des stratégies d’ordre économique et commercial décidées par les États dans le cadre
de politiques visant à aider leurs entreprises. L’objectif est d’acquérir la maîtrise de
technologies et/ou de conquérir certains segments du marché mondial relatifs à la
production ou la commercialisation de produits sensibles, notamment le phosphate, les
ressources halieutiques et énergétiques. Pour s’assurer du partenariat et de la coopération
politique et économique du Maroc, aucune grande puissance internationale n’est prête à
courir le risque de reconnaitre la République Arabe Sahraouie Démocratique. Cela se
confirme par la récente reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara Occidental
en échange de la normalisation des relations diplomatiques entre le royaume chérifien et
l’État hébreu.

Les États-Unis, l’Union européenne, la Russie, la Chine et l’Inde, en un mot les


puissances industrielles, sont devenues des acteurs concernés et incontournables de la
question du Sahara Occidental. Celles-ci, en se cachant derrière une pseudo-neutralité,
exploitent (ou achètent) aux côtés du Maroc les ressources naturelles du territoire non
autonome du Sahara Occidental. En fait, dans le dossier du Sahara, les grandes puissances
ont suffisamment démontré qu’elles préfèrent sacrifier « le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes et de leurs ressources » au profit de leurs propres intérêts basés sur la sécurité
et la prospérité économique.

Pour nous, c’est la conjugaison des intérêts géopolitiques (lutte pour l’hégémonie
régionale et internationale, lutte contre le terrorisme), géoéconomiques (possessions de
ressources stratégiques, suprématie économique mondiale) et la multiplicité des acteurs qui
constituent les principales raisons pour lesquelles le conflit du Sahara Occidental continue
de résister à toutes les tentatives de résolutions. Mais, les résolutions du Conseil de sécurité
depuis 2018 qui ordonnent aux parties (Maroc, Front Polisario et Algérie) de reprendre les
négociations pour parvenir à une « solution politique équitable », « durable » et «
mutuellement acceptable », et la rencontre de Genève des 5 et 6 décembre 2018,
s’annonçaient comme des lueurs d’espoir. Mais la reprise des hostilités dans le sud du

350
Sahara dans la zone frontalière de Guerguerat, ne viennent elle pas tuer dans l’œuf ce début
d’espoir ?

Au demeurant, la reconnaissance de la marocanité du Sahara Occidental par la


première puissance mondiale et première contributrice des Nations Unies, les États-Unis,
ne pourra-t-elle pas déboucher sur un règlement du conflit basé sur le plan d’autonomie du
Maroc ? Les acteurs officieux pourront-ils un jour ravaler leurs intérêts au profit de ceux
des Sahraouis ? À la lumière de leurs échecs précédents, l’ONU et l’UA seront-t-elle en
mesure de concilier les acteurs du conflit malgré leurs intérêts multiformes ? En un mot, les
Sahraouis pourront-ils un jour exercer leur droit à l’autodétermination en vertu de la
résolution 1514 des Nations Unies et de la Charte de l’Union Africaine?

La prudence scientifique nous invite à la réserve. Toutefois, s’il y a une chose que
nous avons appris dans cette étude, c’est que le problème du Sahara Occidental montre que,
chaque fois que les intérêts politiques et économiques des puissances industrielles
impliquées dans un conflit seront en jeu sur un territoire en lutte pour son autodétermination,
l’indépendance de ce peuple sera toujours sacrifiée.

Néanmoins, pour le règlement de l’un des conflits les plus vieux du continent
africain, il est nécessaire que cesse la guerre par procuration autour du Sahara Occidental.
Les deux vrais acteurs du conflit sont le Maroc et le Front Polisario/RASD. Les autres
acteurs dit impliqués que nous avons identifiés dans ce travail, se livrent en réalité à une
guerre par procuration selon la température socio-politique interne dans leur pays. Et aussi
longtemps que ceux-ci tireront les ficelles dans l’ombre, l’exercice du droit de
l’autodétermination auquel aspire les sahraouis sera une utopie. Enfin, comme pistes de
réflexions en vue d’une solution, il faut que :
- l’ONU et l’UA qui sont en charge du règlement du conflit soient plus ferme dans leur
engagement et fassent respecter les résolutions pertinentes qu’elles votent ;

- l’Union Africaine doit cesser d’être dans l’ombre des Nations Unies et tenter d’imposer
une solution africaine au conflit en vertu de la Charte de l’Organisation ;
- les puissances internationales, mains occultes du conflit, doivent faire preuve
d’impartialité et permettre au peuple sahraoui de jouir de son droit inaliénable à
l’autodétermination selon la forme qui lui conviendrait.

351
ANNEXES

1- Carte des ressources halieutiques du Maroc

Source : www.foulka.ma consulté le 20/08/2020.

352
2. Perception de l’agenda géopolitique et sécuritaire de l’Algérie en Afrique

Source : Razoux (2019, p. 45)

353
3. Perception de l’agenda géopolitique et sécuritaire du Maroc en Afrique

Source : Razoux (2019, p. 45)

354
4. Carte économique du Maghreb

355
5- Convention relative au tracé de la frontière établie entre la République Islamique
de Mauritanie et le Royaume du Maroc

356
6-
--

357
Chronologie des dates les plus déterminantes du conflit du Sahara Occidental depuis
1884 à nos jours.

 1884-1975 : L’occupation espagnole du territoire


1884-1930 : Conquête espagnole

1956 : Le Maroc devenu indépendant, réclame l’indépendance du Sahara qu’il considère


comme faisant partie de ses frontières authentique.

1965 : L’Assemblée générale de l’ONU demande à l’Espagne de se retirer du Sahara, dans


le contexte international de la décolonisation, et affirme le droit à l’autodétermination du
peuple sahraoui.

1973 : Création du Front Polisario (10 mai) qui revendique l’indépendance du Sahara
Occidental. Déclenchement de la lutte armée contre l’occupation espagnole (20 mai).

1974 : L’Espagne annonce son intention de se retirer et propose d’organiser un référendum.


Le roi du Maroc Hassan II s’oppose aussitôt au droit à l’autodétermination du peuple
sahraoui : il considère que le Sahara était marocain avant la colonisation.
Hassan II propose de soumettre le problème à la Cour internationale de Justice de La Haye.

1975 : Avis de la Cour Internationale de Justice de la Haye pour l’application de la


résolution 1514 de l’ONU sur la décolonisation du Sahara occidental et l’application du
principe d’autodétermination des populations du territoire. (16 octobre).

 1975-1991 : La guerre au Sahara Occidental

1975 : 6 novembre : Marche verte organisée par Hassan II avec 350 000 civils marocains
encadrés par 20 000 militaires pour prendre possession du Sahara espagnol.
Le 14 novembre : accords de Madrid partageant le Sahara espagnol entre le Maroc (2/3) et
la Mauritanie (1/3).

1976 : Création de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) par le Front


Polisario. (27 février)

1978-1979 : Cessez-le feu d’un an (10 juillet 1978 – juillet 1979) entre le Front Polisario et
la Mauritanie.

1979 :Traité de paix Polisario-Mauritanie (5 août) : retrait des troupes, renoncement à toute
revendication sur le tiers du Sahara occidental obtenu lors des accords de Madrid et
reconnaissance du Polisario comme seul représentant du peuple sahraoui. Annexion de tout
le territoire par le Maroc.

1981-1987 : Construction par l’armée marocaine de 6 murs de 2700 km qui coupent le


territoire sahraoui en deux.

358
1984 : L’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) admet la RASD en son sein comme 51e
membre.

1991 : Signature d’un cessez-le-feu (20 juin) à l’initiative de l’OUA et de l’ONU, assorti
d’un plan de paix qui prévoit la tenue d’un référendum d’autodétermination en 1992
(résolution 690). Proclamation du cessez-le-feu (2 septembre).
Depuis, le Maroc contrôle et administre environ 80 % du territoire, tandis que le Front
Polisario en contrôle 20 %.

 Depuis 1992 : Un référendum devenu illusoire…

1997 : Kofi Annan (secrétaire général de l’ONU) relance le processus de paix et nomme
James Baker, ancien Secrétaire d’État américain, comme envoyé personnel pour le Sahara
occidental.

1999 : Violente répression d’un sit-in pour des revendications sociales à El Ayoun (22
septembre).

2000 : Le Plan "Baker I" offre une large autonomie locale dans le cadre de l’État marocain,
dont les compétences seraient limitées à la défense et aux affaires étrangères. Ce plan est
accepté par le Maroc, mais rejeté par le Polisario et l’Algérie.

2003 : Nouveau plan de règlement "Baker II" qui prévoit l’établissement d’une Autorité du
Sahara occidental pour cinq ans, puis la tenue du référendum auquel les Marocains non
originaires du Sahara occidental participeraient et dans lequel la nouvelle option d’une
« autonomie permanente » figurerait.

2004 : Refus de Mohamed VI qui rejette toute idée de référendum.


Démission de James Baker (en juin).

2005 : Manifestations et émeutes surnommées "Intifada pour l’indépendance" ont lieu dans
plusieurs villes du Sahara Occidental. Vives réserves d’Amnesty International et d’Human
Rights Watch sur les conditions des procès de 14 militants sahraouis.
Libération par le Front Polisario des derniers prisonniers de guerre marocains (18 août).

2006 : Mise en place par Mohamed VI du Conseil Royal consultatif pour les affaires
sahariennes (CORCAS) afin de proposer une troisième voie entre l’annexion et
l’indépendance, celle de l’autonomie. Le Maroc conserverait alors la défense nationale, les
affaires étrangères et la monnaie.

2007 : Signature d’un accord de pêche incluant le Sahara Occidental entre le Maroc et l’UE.
Plan d’autonomie marocain.

2010 : "Camp de la dignité" installé le 10 octobre à Gdeim Izik (15 km à l’est d’El Ayoun,
capitale sahraouie occupée) : jusqu’à 20 000 personnes dénoncent la marginalisation socio-
économique des Sahraouis. Assaut donné le 8 novembre faisant 13 morts, plus d’une
centaine de personnes arrêtées. Violentes agressions d’étudiants et chômeurs sahraouis par

359
des colons marocains, assistés des forces de sécurités marocaines à El Ayoun, Smara, et
Dakhla, (fin novembre)

2011 : Multiplication des manifestations de la résistance sahraouie sur tout le territoire (en
février à Dakhla puis le 25 septembre, après un match de foot, des affrontements entre
Marocains -soutenus par la police et l’armée marocaines- et sahraouis, toujours à Dakhla,
font 7 morts dont 2 policiers et provoquent l’embrasement de la ville).
Prolongement du mandat de la Mission des Nations Unies pour le Référendum au Sahara
Occidental (27 avril). Ce prolongement se répète chaque année depuis.
Rejet par le Parlement européen du prolongement de l’accord de pêche UE-Maroc (14
décembre).

2013 : Condamnation du Maroc pour torture par le Comité International contre la Torture
de l’ONU suite à la condamnation de 25 militants sahraouis sur la base d’aveux obtenus
sous la torture.

2015 : Adoption par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine d’une résolution
historique pour la tenue urgente d’un référendum au Sahara Occidental (27 mars).
Résolution de premier ordre car elle aborde l’ensemble des aspects du conflit du Sahara
Occidental et propose des mécanismes de sorties de crise.
Mise en œuvre du « nouveau modèle de développement pour les provinces du Sud ».

2016 : Décision de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) selon laquelle l’accord
agricole et de pêche entre l’UE et le Maroc n’est pas applicable au Sahara occidental. (21
décembre).

2017 : Réintégration du Maroc au sein de l’Union Africaine, lors du sommet d’Addis


Abeba, Démission de l’émissaire de l’ONU pour le Sahara occidental, Christopher Ross,
après huit ans passés à tenter de régler le conflit entre le Maroc et le Front Polisario (6 mars).

2018 : La mise en place de la Troïka par l’Union africaine (UA).


2019 : Le 26 mars 2019 en Afrique du Sud s’est tenue la conférence de solidarité de la
Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC) avec le Sahara Occidental.
Fin 2019, plusieurs capitales d’Afrique francophone ont officiellement rejoints les positions
du Maroc concernant le Sahara Occidental en y ouvrant des consulats.

2020 : Le 22 janvier 2020, le Maroc a intégré les eaux du Sahara Occidental à son espace
maritime.

Le 10 décembre 2020, le président sortant des États-Unis, Donald Trump, signe un décret
reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental. Et aussi, le rétablissement
des relations entre le royaume du Maroc et l’État hébreu.

2022 : L’Espagne reconnait le plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007. Visite du
chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez au Roi Mohammed VI.

360
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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253. Le Matin du Sahara, 6 novembre 1985.
254. Le matin du Sahara (1976). La motion votée par la Jemaa.
255. Le Monde (2020). Opération de l’armée marocaine dans une zone tampon au Sahara
occidental.

377
256. -------------, déclarations d’Ould Daddah, 29 avril 1962.
257. ------------- du 1 juillet 1975.
258. -------------, 26-27 octobre 1975.
259. Le Parisien libéré, 27 février 1961.
260. Sayed, A. (1978). La légitime défense est du côté des sahraouis. Le Monde.
261. Sahara Info (1979). n°3, 6-37.
262. Soudan, F. (2012). Mali : Polisario Connection. Jeune Afrique.
263. Wagner, J. (2019). Maroc : plongée au cœur d’OCP, l’empire des phosphates. Jeune
Afrique.
X. DOCUMENTS JURIDIQUES

264. Bulletin Officiel de l’État espagnol (BOE), nº 255, 12 septembre 1947, 50-77
265. C.I.J. Mémoires, Sahara occidental, vol. IV.
266. C.I.J. Mémoires, Sahara occidental, vol. Il, Exposés écrits et documents (suite)
Appendice 50 à l’annexe 21.
267. Convention entre la France et le Maroc faite à Fès le 30 mars 1912 In. Journal officiel
de la République française du 27 juillet 1912.
268. Convention entre l’Espagne et la France faite à Madrid le 27 novembre 1912, 208-
218, In, C.I.J. Mémoires, Sahara occidental, vol. Il 1980.
269. Décret Royal du 6 avril 1886.
270. Décret Royal du 17 décembre 1884.
271. Décret Royal du 15 décembre 1925.
272. Diario de sesiones del Congreso de los diputados, Comisión de asuntos Diario de
exteriores 13 de marzo de 1978.
273. Diario de Congreso de los diputados, Comisión de Asuntos exteriores, 15 de febrero
de 1978.
274. Exposé oral M. Benjelloun,
275. Exposé oral de M. Salmon.
276. Opinion Individuelle de M. De Castro.
277. Préambule du Traité constitutif de l’Union du Maghreb Arabe.
278. Résolution du 18 avril 1991, Journal officiel de l’Union européenne, 20 mai 1991.

378
XI. DOCUMENTS ONU

279. A/32/303, 26 octobre 1917.


280. Charte de Nations unies.
281. « Décolonisation » publications du département des affaires politiques de la tutelle
et de la décolonisation de l’ONU, n°17, octobre 1980.
282. Pacte international relatif aux droits civil et politique.
283. Quatrième Commission: l’Afrique divisée sur la question du Sahara occidental,
Soixante neuvième session 6e séance – matin 13 octobre 2014.
284. Recueil des Traités 1975 n° 14450.
285. Résolution 34/37 (XXXIV) Assemblée General, 21 novembre 1979.
286. Résolution du 16 octobre 1964, A/AC.109/100.
287. Résolution 1514 (XV).
288. Résolution 380 du 6 novembre 1975.
289. Résolution du 16 octobre 1964, A/AC.109/100.
290. Résolution AHG.92 (XV), approuvé le 23 juin 1979.
291. Résolution 3292 (XXIX) 13 décembre 1974.
292. Résolution 960 (1991) du Conseil de sécurité
293. Revue trimestrielle de l'ONU, vol.7, No 4, octobre/novembre/ décembre 1975.
XII. DOCUMENTS UNION AFRICAINE
294. Acte Constitutif de l’Union Africaine.
295. Assembly/AU/4(XXXI).
296. Charte de l’OUA.
297. Résolution Cias/Plen.2/Rev.2
298. Résolution AHG/Res.81.
299. Résolution AHG/Res.92 (XV).
300. Résolution AHR/Res.103 (XVIII).
301. Résolution AHG/Res.104 (XIX)

XIII. DICTIONNAIRES
302. Antidote 8 (2014)
303. Encarta (2009)
304. Le grand Larousse illustré (2017)

379
INDEX THÉMATIQUE
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
A:
Acteur : 4, 5, 6, 8, 11, 13, 17, 20, 23, 72, 99, 100, 120, 170, 200, 213, 219, 220, 237, 264,
265, 288, 289, 293, 296, 298, 299, 312, 322, 337, 338, 342, 344, 354.

Algérie : 28, 32, 34, 47, 66, 87, 105, 109, 127, 134, 140, 141, 144, 145, 147, 169, 172, 178,
186, 187, 195, 210, 213, 221, 223, 224, 229, 232, 234, 235, 237, 242, 243, 247, 252, 259,
268, 272, 274, 279, 293, 295, 300, 316, 326, 345.

AQMI : 241, 242, 244, 247, 271, 272, 342.

Armée : 13, 14, 57, 66, 78, 92, 93, 94, 107, 108, 112, 116, 117, 118, 140, 143, 144, 145,
169, 171, 178, 200, 201, 204, 205, 207, 208, 210, 212, 228, 271, 274.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
C
Conflit : 5, 6, 7, 8, 9, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 21, 22, 23, 24, 29, 34, 41, 55, 103, 120, 174,
209, 210, 211, 213, 214, 215, 216, 219, 220, 222, 229, 230, 232, 235, 237, 239, 244, 248,
257, 264, 265, 266, 269, 270, 271, 273, 274, 276, 279, 290, 281, 282, 285, 287, 288, 289,
290, 292, 293, 299, 300, 310, 311, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 318, 319, 320, 321, 322,
325, 330, 331, 337, 338, 339, 342, 344, 345, 346.

Cour International de Justice : 153, 154, 155, 156, 157, 161, 163, 169, 197, 306, 309,
310, 370.
Communauté Internationale : 02, 131, 137, 164, 167, 177, 185, 203.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
D
Démocratie : 49, 105, 115, 242, 280, 283.
Djemaa : 47, 49, 50, 86, 87, 132, 137, 150, 151, 190, 191, 193, 197.
Dictature : 81, 165, 341.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
E
Enjeux : 6, 7, 9, 10, 15, 18, 19, 22, 23, 24, 40, 99, 101, 117, 144, 215, 249, 251, 255, 256,
276, 280, 292, 320, 321, 325, 326, 331, 334, 337, 338, 342.

Espagne : 21, 29, 37, 38, 39, 40, 52, 53, 56, 57, 59, 61, 62, 63, 64, 66, 67, 68, 70, 71, 72,
73, 74, 76, 77, 79, 80, 81, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 91, 9293, 96, 108, 126, 127, 128, 131,
137, 140, 141, 142, 145, 148, 149, 150, 153, 154, 155, 156, 158, 160, 161, 167, 168, 169,
171, 172, 174, 175, 177, 179, 185, 187, 189, 190, 212, 281, 283, 336, 341.

Europe : 52, 55, 61, 63, 72, 173, 175, 252, 253, 255, 303, 304.

États-Unis : 1, 20, 57, 69, 70, 77, 105, 135, 158, 173, 174, 175, 176, 177, 240, 249, 250,
251, 252, 261, 264, 265, 266, 268, 269, 270, 271, 172, 273, 274, 275, 276, 277, 287, 299.
État Islamique au Grand Sahara : 242, 243, 244, 271, 342.

380
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
F
France : 1, 2, 20, 52, 62, 64, 65, 67, 68, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 77, 80, 88, 91, 94, 96, 104,
105, 106, 108, 109, 110, 112, 120, 121, 122, 124, 129, 132, 150, 158, 163, 173, 175, 177,
200, 206, 208, 250, 257, 258, 289, 264, 271, 274, 285, 286, 287, 288, 290, 339.

Forces Armées Royales : 94, 95, 107, 112, 118, 200, 201, 209, 210, 212, 284.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
G
Géopolitique : 6, 7, 8, 9, 10, 11, 16, 18, 19, 21, 22, 23, 24, 26, 32, 75, 97, 99, 100, 101, 110,
125, 126 127, 154, 165, 167, 168, 172, 173, 213, 216, 217, 218, 220, 222, 224, 229, 232,
238, 249, 251, 264, 265, 266, 276, 280, 281, 285, 288, 289, 292, 320, 337, 338, 339, 340,
341, 342.

Géoéconomie : 06, 07, 08, 09, 16, 19, 21, 22, 24, 40, 58, 119, 216, 220, 223, 258, 280, 281,
285, 292, 320, 321, 337, 339, 342.

Gouvernement : 01, 4, 14, 28, 29, 37, 40, 63, 66, 39, 70, 71, 73, 76, 77, 78, 81, 82, 83, 84,
85, 89, 91, 92, 105, 121, 122, 123, 124, 127, 132, 134, 140, 144, 148, 150, 152, 153, 163,
164, 167, 168, 169, 170, 176, 177, 179, 231, 234, 244, 258, 260, 263, 264, 266, 267, 271,
274, 278, 282, 284, 293, 301, 303, 306, 325, 341, 344.

Guerre : 2, 3, 5, 12, 14, 20, 23, 31, 50, 58, 68, 77, 79, 81, 82, 83, 84, 92, 105, 106, 117,
121, 126, 131, 133, 135, 138, 144, 169, 172, 173, 189, 199, 203, 206, 207, 209, 211, 213,
215, 222, 236, 245, 248, 249, 251, 261, 263, 266, 267, 268, 270, 271, 284, 297, 319, 320,
341, 345.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
H
Hassan II : 103, 107, 109, 111, 112, 113, 114, 115, 117, 118, 119, 119, 127, 141, 147,
149,152, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 173, 187, 188, 193, 195, 197, 200, 207,
226, 303, 309, 326, 327, 340, 341.

Hégémonie : 24, 55, 57, 61, 64, 285.


-------------------------------------------------------------------------------------------------------------
I
Relation Internationale : 11, 12, 21, 248, 338.

Intérêt : 2, 5, 7, 8, 16, 18, 21, 31,41,50, 53, 56, 58,61, 68, 72, 74, 80, 81, 125, 126, 127,
134, 152, 159, 170, 172, 174, 176, 182, 184, 187, 188, 198, 213, 220, 222, 228, 241, 244,
248, 251, 252, 253, 254, 256, 261, 262, 265, 267, 270, 272, 280, 284, 287, 288, 290, 292,
296, 297, 304, 320, 325, 334, 335, 337, 338, 344, 345.

Indépendance : 1, 3, 5, 51, 91, 92, 93, 104, 106, 107, 109, 110, 114, 124, 125, 128, 129,
134, 135, 137, 139, 140, 143, 144, 145, 146, 147, 149, 150, 151, 153, 169, 171, 172, 173,
186, 190, 204, 221, 222, 235, 258, 259, 295, 296, 301, 340.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
L
Liberté : 1, 49, 73, 97, 115, 134, 144, 145, 192, 204, 221.

381
Libération : 4, 93, 94, 95, 107, 108, 112, 121, 122, 127, 130, 137, 138, 139, 141, 143, 144,
145, 146, 147, 148, 182, 195, 196, 206, 223, 230, 244, 286, 289, 297, 302, 309, 322, 372,
376.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
M
Maroc : 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 15, 16, 17, 20, 21, 24, 28, 30, 32, 34, 36, 37, 38, 39, 41, 42, 45,
48, 51, 59, 60, 61, 62, 65, 67, 68, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 79, 82, 83, 85, 91, 92, 93, 94,
95, 96, 97, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 109, 110, 111, 112, 113,
114, 115, 116, 117, 118, 119, 220, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 134, 137, 138, 139,
140, 141, 143, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159,
160, 161, 162, 163, 165, 166, 167, 169, 170, 172, 173, 175, 176, 177, 179, 180, 181, 182,
183, 184, 185, 186, 187, 189, 190, 191, 193, 195, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203,
204, 206, 209, 210, 211, 212, 213, 215, 216, 219, 220, 221, 222, 223, 226, 227, 228, 229,
233, 234, 235, 236, 237, 238, 249, 253, 254, 258, 259, 260, 262, 263, 264, 265, 266, 268,
269, 270, 271, 272, 273, 274, 275, 276, 277, 278, 279, 280, 281, 284, 285, 286, 287, 288,
290, 291, 292, 293, 294, 296, 297, 298, 299, 300, 301, 302, 303, 304, 315, 311, 312, 313,
315, 317, 318, 319, 320, 321, 322, 323, 324, 325, 326, 327, 330, 331, 332, 333, 334, 335,
336, 337, 339, 340, 341, 342, 343, 344, 345, 346.

Mauritanie : 4, 5, 16, 20, 24, 28, 30, 32, 34, 37, 45, 48, 54, 55, 57, 65, 67, 79, 94, 95, 97,
98, 99, 100, 109,110, 111, 117, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 137, 140, 141, 143,
145, 149, 150, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 176, 177, 178, 179, 181, 182,
183, 186, 189, 190, 191, 193, 196, 197, 198, 199, 200, 213, 204, 206, 207, 208, 209, 210,
212, 216, 219, 220, 223, 224, 236, 241, 246, 258, 259, 264, 271, 285, 287, 304, 314, 322,
340, 341, 342, 343.
Mohammed VI : 103, 113, 231, 260, 294, 295, 297, 303, 304, 315, 326, 342.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
N
Nationalisme : 85, 88, 112, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 137, 138, 141, 143, 145,
146, 147, 149, 166, 220, 221, 341.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
O
ONU : 16, 29, 124, 133, 143, 146, 147, 196, 274, 312, 313, 317, 318, 325, 346.
OUA : 16, 20, 118, 185, 300, 306, 310, 311, 312, 313.
ONG : 5, 23, 244, 316.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
P
Paix : 16, 18, 59, 105, 127, 134, 135, 163, 179, 208, 209, 212, 213, 232, 239, 254, 270, 275,
279, 308, 311, 314, 316, 318, 341.
Politique : 1, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 22, 25, 26, 30, 31, 32, 33, 34,
40, 42, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 54, 55, 5758, 59, 63, 75, 76, 77, 78, 79, 8182, 83, 85, 87, 89,
90, 91, 92, 96, 97, 99, 100, 102, 105, 109, 111, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 120, 122, 123,
124, 125, 126, 127, 128, 130, 132, 133n 135, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 146,
148, 150, 152, 154, 156, 157, 168, 169, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 178, 182, 186,
191, 194, 196, 198, 201, 208, 211, 216, 220, 221, 227, 228, 230, 231, 232, 233, 234, 237,
239, 243, 248, 249, 250, 252, 254, 257, 259, 261, 263, 267, 259, 269, 270, 277, 278, 280,
281, 282, 283, 284, 285, 286, 287, 289, 290, 291, 292, 294, 295, 296, 297, 299, 301, 302,
304, 306, 307, 315, 320, 325, 327, 337, 340, 341, 342, 345, 346.

382
Provinces du sud : 103, 117, 200, 222, 326, 327, 328, 330, 333, 342, 343.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
R
RASD : 5, 7, 9, 17, 20, 21, 32, 41, 97, 189, 192, 194, 196, 196, 1999, 203, 204, 210, 213,
215, 221, 228, 229, 236, 237,264, 278, 286, 294, 295, 297, 299, 300, 301, 311, 315, 316,
317, 318, 321, 341, 345.
Représentation : 3, 22, 23, 52, 86, 100, 101, 11, 117, 118, 129, 127, 212, 218, 261, 265,
270, 293, 305, 339, 339.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
S
Sahraoui : 2, 45, 7, 8, 9, 14, 16, 17, 20, 23, 26, 29, 30, 32, 33, 34, 38, 39, 40, 41, 42, 44,
45, 47, 48, 49, 50, 51, 58, 61, 78, 82, 86, 87, 90, 93, 97, 99, 102, 103, 118, 120, 125, 127,
128, 129, 130, 131, 132, 133, 136, 137, 138, 140, 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 149,
150, 151, 152, 162, 170, 171, 172, 173, 175, 177, 178, 179, 180, 187, 189, 190, 191, 192,
193, 194, 195, 197, 201, 202, 203, 204, 205, 206, 207, 209, 210, 213,8, 220, 221, 222, 223,
227, 228, 232, 244, 246, 247, 265, 266, 267, 268, 270, 272, 273, 274, 276, 282, 283, 284,
286, 288, 294, 297, 298, 302, 312, 313, 321, 337, 341, 344, 345.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
T
Terrorisme : 2, 9, 22, 215, 239, 240, 241, 242, 243, 244, 242, 249, 251, 252, 256, 257, 263,
270, 273, 278, 299, 342, 344, 345.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
U
Union Africaine : 5, 146, 300, 302, 312, 313, 316, 317, 318, 319, 338, 346.

383
TABLE DES MATIÈRES

DÉDICACE…………………………………………………………………………………i
REMERCIEMENTS………………………..……………………………………………...ii
SIGLES ET ABRÉVIATIONS.……………….……….…………….……..…………..…iii
INTRODUCTION…………………………………………………..…………………….1
PREMIÈRE PARTIE : LE SAHARA OCCIDENTAL…….……………………..……25

CHAPITRE 1: APPROCHE GÉOGRAPHIQUE DU SAHARA OCCIDENTAL….27


I. SITUATION GÉOGRAPHIQUE DU SAHARA OCCIDENTAL…....……………..27
1- Le Sahara Occidental : une localisation géostratégique…….….….……….….......28
2- De la géographie physiques du territoire……………………..……………...……32
II. LES RESSOURCES NATURELLES……….….……………………………………34
1- Les ressources minières …….………………………………………….…….……35
2- Les ressources halieutiques…………………………………...…………………...38
3- Les hydrocarbures et les ressources énergétiques …..…………………….........…40
4- Les ressources aquifères…………………………………………………........…..42
CHAPITRE 2 : LE SAHARA AVANT LA COLONISATION ESPAGNOLE….…..44
I. LE SAHARA OCCIDENTAL, LA TERRE DES SAHRAOUIS................................44
II. LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE SAHRAOUIE : HIÉRARCHIE ET
ORGANISATION SOCIALE ………………………………...……………….….....46
1- Les tribus Sahraouis et leur hiérarchie sociale ……………………………………46
2- La vie socio-politique et économique de la société traditionnelle sahraouie ……..48
CHAPITRE 3 : LES RAISONS (GÉO) POLITIQUES ET (GÉO) ÉCONOMIQUES
DE LA PRÉSENCE ESPAGNOLE AU SAHARA.........................................................52
I- LA PRÉSENCE ESPAGNOLE SUR LES CÔTES NORD-OUEST DE L’AFRIQUE.51
1- Les considérations historico-religieuses………………………………………......52
2- Les raisons politiques et géostratégiques………………………………………….55
II- LES FACTEURS ÉCONOMIQUES DE LA PRÉSENCE ESPAGNOLE AU
SAHARA………………………………………………………………………….....58
1- Les rivalités commerciales hispano-marocaines…………………………….……59
2- L’intérêt des puissances européennes pour les ressources halieutiques des côtes
sahraouies………………………………………………………….……………..61
3- De la nécessité d’étendre les réseaux commerciaux de l'Espagne sur la côte ouest
de l'Afrique……………………………………………………………………….63
CHAPITRE 4 : LA NAISSANCE DE LA COLONIE DU SAHARA ESPAGNOL…..65

384
I. LA FONDATION DE LA COLONIE DU SAHARA ESPAGNOL: DES RIVALITÉS
FRANCO-ESPAGNOLES AUX ACCORDS DE DÉLIMITATION……………..…65
1- Rivalités franco-espagnoles autour du Sahara jusqu'en 1900………………….....66
2- Les accords franco-espagnols de délimitation frontalière………………….…......69
2.1. L’accord de 1900 : le premier traité de Paris………………………………….70
2.2. L’accord secret de Paris de 1904………………………………………….......71
2.3.La convention hispano-française de 1912……………………………………..74
II- LE SAHARA ESPAGNOL, DE COLONIE À PROVINCE : LA POLITIQUE
COLONIALE ESPAGNOLE………………………………………………..……….76
1- Pénétration, conquête, exploration et occupation effective de l’hinterland du Sahara
espagnol 1933-1956 …………………………………………………………..…..77
1.1. La conquête politico-militaire du Sahara espagnol……….……………….…77
1.2. L’exploration scientifique du Sahara………………………………………...80
2- La colonisation du Sahara espagnol……………………………………………….82
2.1. La gestion politico-administrative du Sahara………………………………...82
2.2. La « véritable » nature de la colonie du Sahara espagnol…………………….88
3- L’indépendance du Maroc ou le début des problèmes………………….………….91
Conclusion partielle ……………………………………………………………………..98
DEUXIÈME PARTIE : L’ESPAGNE, LE MAROC, LA MAURITANIE ET LE
« TROC » DU SAHARA
OCCIDENTAL……………………………………………....99
CHAPITRE 5 : L’IRRÉDENTISME MAROCO-MAURITANIEN POUR LE
SAHARA ESPAGNOL………………………………………………….…………......101
I- LES RÉVENDICATIONS IRRÉDENTISTES MAROCAINES DU SAHARA : UNE
RÉPRESENTATION TERRITORIALE DYNAMIIQUE……...…………….…….101
1- La valeur symbolique du territoire Sahraoui pour le Maroc………………..….…102
2- Mohammed V, le Sahara, le « Grand Maroc » et l’unité du Maroc………….…..105
3- Hassan II et l’emploi du Sahara Occidental comme « bouc émissaire »………….113
II. L’IRRÉDENTISME MAURITANIEN POUR LE SAHARA............…....................122
1- La Mauritanie, d’une indépendance contestée, une dissension politique interne...122
2- La revendication du Sahara espagnol, condition sine qua non de l’unité nationale de
la Mauritanie…………………………………………………………….……….125

CHAPITRE 6 : L’ÉMERGENCE DU NATIONALISME SAHRAOUI ……………131

385
I- LES FACTEURS DE L’ECLOSION DU NATIONALISME SAHRAOUI………..131
1- Les facteurs endogènes de la montée du nationalisme sahraoui……………...132
2- Les facteurs exogènes de la montée du nationalisme sahraoui………………135
II- LES TYPES DE MOUVEMENTS NATIONALISTES AU SAHARA
ESPAGNOL………………………………...………………………………………139
1- Les « vrais » mouvements nationalistes sahraouis………………………………140
1.1. Le Mouvement de libération du Sahara (MLS)…………………………….140
1.2. Le Nidam…………………………………...………………………….…...144
1.3. Naissance du Front Polisario ou le nationalisme actif………………….......144
2- Les mouvements nationalistes « opportunistes » ou « polichinelles »…………...148
2.1. Le Mouvement révolutionnaire des Hommes Bleus (MOREHOB)…………148
2.2. Le Front de libération et d'unité (FLU)………………………………….......150
2.3. Le Parti de l'Union Nationale Sahraouie (PUNS)……………………………150
CHAPITRE 7 : L’ACCORD TRIPARTITE DE MADRID……....…….……............152
I- L’ANNONCE D’UN NOUVEAU STATUT D’AUTONOMIE DU SAHARA ET SES
CONSÉQUENCES………………...…………………………………………………152
II- L’AVIS CONSULTATIF DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE :
AMBIGUÏTES ET REPERCUSSIONS……………………………...………………155
1- L’avis de la Cour………………………………………………………………….156
2- L’avis de la Cour : des réponses ambigües et diversement appréciées…………...161
III- LA MARCHE VERTE: INSTRUMENTALISATION DE L’AVIS DE LA CIJ,
RÉCONQUETE TERRITORIALE ET EXUTOIRE POUR HASSAN II ……….....164
IV- LA CONJONCTURE GÉOPOLITIQUE EN ESPAGNE ET DANS MONDE AVANT
LA SIGNATURE DE L’ACCORD TRIPARTITE DE MADRID............................170
1- La conjoncture socio-politique dans l’Espagne des années 1970-75 : une opinion
publique divisée………………………………………………………………….170
2- La conjoncture géopolitique internationale 1970-1975 et son impact sur le Sahara
Occidental……………………………………………….……………………….175
V- L’ACCORD TRIPARTITE DE MADRID….…………………………………..…..176
1- La Déclaration de principes entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie…………179
2- Les accords secrets et la question de Ceuta, Melilla et des iles Canaries et les intérêts
personnels ou les éléments du “troc” du Sahara Occidental……………………..185
2.1 -Les accords secrets hispano-maroco-mauritanien en matière économique.185

386
2.2 - La sauvegarde de Ceuta, Melilla et des îles Canaries….……..….…….....187
2.3 - Les intérêts personnels dans le « troc » du Sahara…………..….………....190
CHAPITRE 8 : LA CRÉATION DE LA RASD, LA RÉCOLONISATION DU
SAHARA OCCIDENTAL ET LA GUERRE…………………...……….…….……..192
I. LE PROCESSUS DE CRÉATION DE LA RÉPUBLIQUE ARABE SAHRAOUIE
DÉMOCRATIQUE (RASD)………………………………………………….…….192
1- La dissolution de la Djemaa et la naissance du Conseil National Sahraoui……193
2- La création de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD)………..193
II- LA RÉCOLONISATION DU SAHARA OCCIDENTAL : FRAGMENTATION ET
RECONFIGURATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE DU SAHARA…....199
1- Convention relative au partage de la colonie du Sahara entre la Mauritanie et le
Maroc…………………………………………………………………………….199
2- De l’accord de coopération économique entre la Mauritanie et le Maroc pour
l’exploitation des ressources de la colonie du Sahara………………….………....202
3- La recolonisation du sahara Occidental et le début de la guerre (1976-1991)…….203
3.1. Occupation et intégration du Sahara « marocain » au royaume………..…….203
3.2. Occupation et tentative de recolonisation du Rio de Oro par la Mauritanie.205
4- La réaction du Front Polisario/Rasd : la guerre pour le Sahara Occidental…….....206
4.1. L’affrontement sahraoui-mauritanien………………………………….…....209
4.2. L’alliance franco-maroco-mauritanienne et la réaction du Front Polisario…211
4.3. De l’accord d’Alger à la construction des « murs »…………………………213
Conclusion partielle…………………………………………….………………………………..217
TROISIÈME PARTIE : LE CONFLIT DU SAHARA OCCIDENTAL : UNE
QUESTION INTERNATIONALE……………………………………………...…….218
CHAPITRE 9 : LE SAHARA OCCIDENTAL, POMME DE DISCORDE AU
MAGHREB………………………………..…………………………………………....220
I. LE SAHARA OCCIDENTAL, LE HEARTLAND DU MAGHREB...........................220
1- Essai d‘application de la théorie du « Heartland » au Sahara Occidental…….….221
2- L’engagement des États du Maghreb dans le conflit…..…………………………224
2.1. L’Algérie et le Sahara Occidental : des principes révolutionnaires aux enjeux
géopolitique et géoéconomique…………………………...…………………224
2.2. Les projets géopolitiques de Kadhafi : la (con) quête du Grand Maghreb et
l’engagement dans le conflit pour le Sahara Occidental………………….…..228

387
2.3. De la « neutralité positive » de la Tunisie dans le conflit……………….……233
II- LE SAHARA OCCIDENTAL, UN OBSTACLE A L’ÉDIFICATION DE L’UNION
DU MAGHREB ARABE…………………………………………………….……236
1. L’Union du Maghreb Arabe (UMA), une organisation « mort-née »....................237
2. Le conflit du Sahara Occidental : alibi du « non-Maghreb »…………….…..…..240
III- LES DEFIS SÉCURITAIRES AU MAGHREB ET LA QUESTION DU SAHARA
OCCIDENTAL……………………………………………………………………..243
1- Le Maghreb et le Grand Sahara : terreaux de la prolifération des mouvements
terroristes et le manque de coopération des États………………………………..243
2- Le Sahara Occidental : nouveau « foyer » du terrorisme dans le Grand
Sahara....................................................................................................................248
CHAPITRE 10 : LES GRANDES PUISSANCES INTERNATIONALES, LE
MAGHREB ET LE CONFLIT DU SAHARA OCCIDENTAL…………….………..253
I. LE MAGHREB DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES: COOPÉRATION
ÉCONOMIQUE, POLITIQUE ET SÉCURITAIRE…..…………………………....253
1- Les États-Unis et le Maghreb…………………………………………………….254
2- Le couple Europe-Maghreb: entre coopération politico-économique et méfiance.258
2.1. L’évolution du partenariat euromaghrébin……………………………….....258
2.2. Le partenariat Maghreb-Europe face à la nouvelle conjoncture sécuritaire au
Grand Sahara……………………………….……………………………….261
3- Chine-Maghreb: les enjeux d’une relation essentiellement (géo) économique…..263
4- La Russie et le Maghreb……………………………………………………….....266
II. LES ACTEURS INTERNATIONAUX DU CONFLIT: LA PRIMAUTÉ POUR LES
CONSIDÉRATIONS GEOPOLITIQUE ET SÉCURITAIRE….…………………..269
1- Les représentations géopolitiques du Sahara Occidental pour les États-Unis, de la
guerre froide à la guerre « chaude » du terrorisme……………………..................270
1.1. L’Administration américaine et la question du Sahara pendant la guerre froide
(1975-1991)…………………………………………………………………271
1.2. La représentation du Sahara Occidental après le 11 septembre……...……...275
1.3. La reconnaissance de la marocanité du Sahara Occidental et ses
implications…………………………………………………………………279
2- L’Union Européenne (UE) et la question du Sahara Occidental………………….283

388
2.1. Les « nouvelles donnes » de l’implication de l’Espagne dans le conflit après
l’abandon du Sahara……………………………………….…………….......286
2.2. La France, alliée traditionnelle du Maroc…………………………………..290
3- La position de la Russie, de la Chine et l’Inde……………………………………..293
3.1. De l’URSS à la Russie et les calculs géopolitiques dans l’affaire du Sahara
Occidental………………………………………………………………...........293
3.2. Les relations Chine-Maghreb à l’aune de la question du Sahara Occidental des
relations basées sur des échanges de bons procédés…………………………….298
3.3. L’attitude volatile de l’Inde dans le conflit sahraoui…………………………...301
CHAPITRE 11 : L’AFRIQUE ET LA QUESTION DU SAHARA OCCIDENTAL..306
I- LES ÉTATS AFRICAINS ET LE SAHARA OCCIDENTAL : ENTRE RESPECT
DE LA CHARTE DE L’OUA ET PRÉSERVATION DE LIENS
ÉCONOMIQUES…………………………………………………………………306
1- Les défenseurs de l’autodétermination du peuple sahraoui……………………...307
2- Les alliés africain du Maroc ou les effets de l’éco diplomatie pour la marocanité du
Sahara…………………………………………………………………………….....309
II- L’IMPLICATION DE L’OUA DANS LE RÈGLEMENT DE LA QUESTION DU
SAHARA OCCIDENTAL………………...…………………………….…….......311
1. Les résolutions de l’OUA pour le règlement de la question du Sahara
Occidental…...…………………………………………………………….….312
2. La création d’un bureau de l’OUA au Sahara Occidental……………………….317
III- L’UNION AFRICAINE ET LA RÉSOLUTION DU CONFLIT……………..…..319
1- L’engagement de l’UA…………..……………………………………………….320
1.1. Le 31e sommet de l’UA à Nouakchott et le rapport du président de la
Commission…….……………………………………………………….......320
1.2. La mise en place de la Troïka……………………………………………….322
2- La légitimité de l’UA mise en cause………………..……………………………323
CHAPITRE 12 : L’INTÉGRATION DU SAHARA OCCIDENTAL ET SES
RESSOURCES NATURELLES AU ROYAUME CHÉRIFIEN……………………326
I- LA PROBLÉMATIQUE DE L’EXPLOITATION DES RESSOURCES
NATURELLES DU SAHARA OCCIDENTAL……………………………..........327
1. Les acteurs locaux de l’exploitation des ressources : une forte implantation des
entreprises marocaines…………………………………………..…………….....327
2. L’implication des multinationales dans l’exploitation des ressources du Sahara
Occidental………………………………………………...…………….………..329

389
II. L’INTÉGRATION DU SAHARA OCCIDENTAL ET SES RESSOURCES AU
MAROC : LES APPORTS DU SAHARA A L’ÉCONOMIE MAROCAINE…….331
1- Le modèle de développement pour les provinces du Sud : la « mise en valeur » des
ressources des « provinces sahariennes »………………………………………….332
1.1. La région de Smara…………………………………………….……………….334
1.2. La région de Laâyoune-Boujdour…………………………………..…………..335
1.3. Les projets de désenclavement de la région d’Oued-Ed-Dahab………………..335
2- De l’apport des ressources du Sahara Occidental à l’économie marocaine…………...336
2.1. Les ressources halieutiques et les côtes du Sahara Occidental, enjeux (géo)
économiques pour le Maroc……………………..…………………………………..337
2.2. Les ressources minières du Sahara Occidental dans l’économie marocaine.........340
Conclusion partielle…………………………………………………………………….343
CONCLUSION GÉNÉRALE….....................................................................................344
ANNEXES…………………………………………..……….………………………….352
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES………………………..…...……………….361
INDEX THÉMATIQUE………………………………………...……………………..379

390
Résumé

Ce travail interroge les retombées géopolitique et géoéconomique internationales du conflit


du Sahara Occidental. Longtemps confiné dans le microcosme régional et considéré comme
une question de décolonisation mal opérée, le conflit qui oppose les nationalismes marocain,
sahraoui et algérien pour le Sahara Occidental a des relents géopolitiques et
géoéconomiques internationaux. De par sa position géographique stratégique, avec ses
atouts politiques et économiques, le territoire attire non seulement les puissances régionales
mais aussi internationales et les multinationales. Pour les États de la région, ce territoire est
le pivot central. Celui qui le contrôlera deviendra le leader du Maghreb. Et pour les acteurs
internationaux, la France, les États unis, la Russie, la Chine ou l’Inde, le territoire est pour
eux un enjeu sécuritaire, politique et économique. Pour s’assurer le partenariat et la
coopération politique, sécuritaire et économique de Rabat, aucune de se ces grandes
puissances ne veut se bouiller avec le Maroc en reconnaissant la RASD.

Mots-clés : Sahara Occidental, conflit, enjeux géopolitiques, géoéconomie, rivalités.

Resumen

Este trabajo cuestiona las repercusiones geopolíticas y geoeconómicas internacionales del


conflicto del Sahara Occidental. Confinado durante mucho tiempo en la esfera regional y
considerado como un problema de descolonización mal operado, el conflicto entre los
nacionalismos marroquí, saharaui y argelino por el Sáhara Occidental tiene connotaciones
geopolíticas y geoeconómicas internacionales. Debido a su posición geográfica estratégica,
con sus activos políticos y económicos, el territorio atrae no solo potencias regionales sino
también internacionales y multinacionales. Para los Estados vecinos, este territorio es el
“corazón” de la región. Quien lo controle se convertirá en el líder del Magreb. Para los
actores internacionales como, Francia, Estados Unidos, Rusia, China o India, este territorio
es un reto de seguridad, político y económico. Para garantizar la cooperación política,
económica y de seguridad de Marruecos, ninguna de estas potencias internacionales no
quiere romper con Marruecos reconociendo la RASD.

Palabras clave: Sáhara Occidental, conflicto, desafíos geopolíticos, geoeconomía,


rivalidades.

Abstract

This work questions the geopolitical and geo-economics repercussions of the conflict in
Western Sahara on the international scene. Long confined to the regional sphere and
considered as a problem of poorly operated decolonization, the conflict between Moroccan,
Sahrawi and Algerian nationalisms for Western Sahara has international geopolitical and
geo-economics overtones. Due to its strategic geographical position, with its political and
economic assets, this territory attracts not only regional powers but also international
powers and multinationals. For the States of the region, this territory is the “heartland”.
Whoever controls it will become the leader of the Maghreb. For international players,
France, USA, Russia, China or India, this territory is a security, political and economic issue
for them. To ensure Morocco's partnership and political, security and economic cooperation,
none of its international powers wants to run the risk of recognizing the Republic Sahrawi.

Keys words: Western Sahara, conflict, geopolitical challenges, geo-economics, rivalries.

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