Comprendre Le Ministère Du Soleil Et de L'étoile

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II

Comprendre l’atmosphère du Soleil


et celles des étoiles variables à la fin du xixe siècle
La théorie astro-chimique d’Albert Brester
(1843-1919) aux débuts de l’astrophysique
Guy Boistel

INTRODUCTION

Dans le domaine des sciences physiques, le xixe siècle voit l’émer-


gence de nouveaux savoirs tels que la thermodynamique, la cinétique
et la statistique des gaz, ainsi que de nouvelles techniques comme
la spectroscopie notamment, avec les succès connus de Fraunhofer,
Bunsen et Kirchhoff. Ces auteurs et leurs travaux posent entre autres
questions, celle de la constitution du Soleil, de son évolution et de
l’origine de l’énergie solaire 1.
Les théories solaires foisonnent au xixe siècle, ce que ne montre
pas vraiment ou pas du tout l’historiographie récente sur l’histoire de
la physique solaire, notamment l’ouvrage de Karl Hufbauer, devenu
désormais un « classique », Exploring the sun. Dans cet ouvrage,
l’auteur tend à faire l’éloge de la science des vainqueurs 2. Une telle

1. Stéphane Le Gars, L’émergence de l’astronomie physique en France (1860-1914) :


acteurs et pratiques, thèse de doctorat en histoire des sciences et des techniques, Centre
François Viète, Université de Nantes, 2007. Francis Beaubois, « Comment construire une
théorie du Soleil : problèmes épistémologiques et méthodologiques chez Hervé Faye »,
in G. Boistel, C. Le Lay et S. Le Gars (dir.), Hervé Faye (1814-1902) ou l’art de la rupture,
Bulletin de la Sabix, n° 55, septembre 2014.
2. Karl Hufbauer, Exploring the Sun. Solar science since Galileo, Baltimore, John
Hopkins University Press. Voir aussi A.J. Meadows, Early solar physics, Oxford, Pergamon
Press, 1970, 1993 (2nde éd.) ; Jean-Louis et Monique Tassoul, A concise history of Solar and
Stellar Physics, Princeton and Oxford, Princeton University Press, 2004 (chap. 2 à 4, pages
sur les variables et les théories de pulsation stellaire ; Brester n’y est nulle part mentionné).
62 Dans le champ solaire

approche conduit à masquer, voire à ignorer une grande partie des


débats qui agitent la communauté savante et l’activité scientifique
réelle, c’est-à-dire quotidienne, dans un mouvement de construction
et de structuration d’une nouvelle discipline émergeant de l’astro-
nomie physique, l’astro-physique 3. C’est souvent en s’intéressant aux
seconds couteaux ou aux savants réputés de second ordre, voire aux
théories fausses et/ou rejetées, qu’il est possible de se faire une idée
plus précise de la construction, du développement et de la diffusion
des savoirs en matière d’histoire des sciences 4.
Il est possible de distinguer trois approches différentes de la
physique solaire, c’est-à-dire trois tentatives de décrire ce qu’est
la photosphère et de comprendre la constitution et la nature des
taches solaires ou des éruptions solaires, dans la seconde moitié du
xixe siècle. Si, à partir des années 1860, tous les scientifiques consi-
dèrent à peu près le Soleil comme étant une boule de gaz 5, cette
idée doit encore faire son chemin et résister aux diverses théories
qui vont se développer.
La première approche est météorologique ou cyclonique : elle privi-
légie une analogie avec les phénomènes météorologiques terrestres,
regardant l’atmosphère solaire brassée dans son entier par des cyclones
et de violentes tempêtes, agitée de vortex et de tourbillons, mélan-
geant la matière solaire. Alliée aux interprétations spectroscopiques,
cette approche constitue le courant dominant, un presque paradigme
solaire, jusqu’au début du xxe siècle. Elle est partagée par les grands
noms de la physique solaire de la fin du xixe siècle : le père Angelo
Secchi s.j. (1818-1878), Hervé Faye (1814-1902), Friedrich Zöllner
(1834-1882), William Huggins (1824-1910), Norman Lockyer
(1836-1920), Egon Von Oppolzer (1869-1907) et Charles A. Young

3. Stéphane Le Gars, op. cit. Voir aussi : James E. Keeler, “The importance of astro-
physical research and the relation of astro-physics to other physical sciences”, Astrophysical
Journal, vol. 7, n° 4, 1897, p. 271-288.
4. Voir par exemple Hugues Chabot, Enquête historique sur les savoirs scientifiques
rejetés à l’aube du positivisme (1750-1835), thèse de doctorat en histoire des sciences et des
techniques, Centre François Viète, Université de Nantes, 1999 ; Hugues Chabot, « Une
théorie fausse et ses avatars, L’explication cinétique de la gravitation de Lesage à la fin du
xixe siècle », Sciences et Techniques en Perspective, série 2, vol. VII, n° 1, 2003, p. 155-172.
5. Albert Brester, Essai d’une explication chimique des principaux phénomènes lumi-
neux stellaires, Delft, J. Waltman Jr., 1888 : « Les étoiles seront regardées dans cette étude
comme de véritables soleils, c’est-à-dire, comme des masses sphériques de matières gazeuses
agglomérées par l’unique effet de leur propre gravitation », p. 3.
Comprendre l’atmosphère du Soleil et celles des étoiles variables 63

(1834-1908) notamment, tous auteurs d’au moins d’un ouvrage


important marquant la littérature astronomique de cette époque.
La seconde approche est chimique. Puisque les spectres révèlent
la présence de composés chimiques dans les atmosphères des étoiles
et que le Soleil est considéré par presque tous les astronomes comme
une boule de gaz à haute température, il est assez normal d’aller
puiser dans la chimie et la physique des gaz les lois du compor-
tement des atmosphères stellaires. Cette approche se base sur l’idée
de dissociation thermique des éléments chimiques se trouvant dans
les étoiles et exploite les réactions chimiques extraordinaires obser-
vées sur Terre, notamment mises en lumière par le chimiste Henry
Sainte-Claire Deville (1818-1881) en 1864-1867 6, puis exploitées
par Faye (en 1866), Secchi (en 1870), Lockyer (en 1885) puis par
Albert Brester à partir de 1888. Le vulgarisateur de la science l’abbé
Théophile Moreux (1867-1954) sera lui aussi porteur en 1902 d’une
théorie hyperthermique du Soleil à rattacher aux idées de Secchi et
de Brester 7.
Enfin, la troisième approche fait la part belle à la physique et
se base sur la thermodynamique des gaz parfaits. Plus formelle,
exploitant les connaissances sur le comportement des gaz et établis-
sant les relations d’équilibres hydrostatiques, et l’influence des
équilibres gravitationnel et radiatif mis en jeu dans les atmosphères
stellaires, cette approche est défendue par les « vainqueurs » de
la physique stellaire 8 (avant que l’on ne comprenne les réactions
nucléaires qui se produisent au sein du noyau stellaire) : Jonathan
Homer Lane (1819-1880), Karl Schwarzschild (1873-1916),
Robert Emden (1862-1940), Nikolay Alekseevich Umov (1846-
1915), Harlow Shapley (1885-1972) puis Sir Arthur Eddington
(1882-1944), et Meghnad Saha (1893-1956) notamment. Bien que
les premières équations de l’équilibre stellaire soient établies dès 1870

6. Voir note infra.


7. L’Abbé Théophile Moreux, Le problème solaire, Paris, Berteaux, 1900. Voir les
recensions de : Georges Mundler, « Abbé Théophile Moreux. Le problème solaire », Annales
de l’observatoire de Lucien Libert, vol. III, 1902, p. 48-53. Henri Deslandres, « M. L’abbé
Moreux. Le problème solaire », Bulletin astronomique, série I, vol. XIX, 1902, p. 78-80.
8. Voir le récent : Carl J. Hansen, Steven D. Kawaler et Virginia Trimble, Stellar
Interiors. Physical Principles, Structure and Evolution, Springer, A&A Library, 2004 (2nde éd.).
Pour un aspect plus historique : Jean-Louis et Monique Tassoul, A concise history of Solar
and Stellar Physics, Princeton University Press, 2004.
64 Dans le champ solaire

par Jonathan Homer Lane 9, ces vainqueurs de la physique stellaire


ne le sont pas par « K.O. technique », loin s’en faut. Avant qu’une
« science normale » des intérieurs stellaires s’établisse, la physique
solaire passe par divers chemins et tâtonnements qui participent à
une meilleure compréhension des phénomènes stellaires ; c’est ce
que je souhaite illustrer dans cette étude.

I. LE PARCOURS D’UN ASTRO-CHIMISTE

Intéressons-nous donc à un second couteau de la physique solaire


et stellaire, qui n’est cité ou mentionné dans aucun des travaux
historiques marquants de ces cinquante dernières années sur l’histoire
de la physique solaire : Albert Brester. Né en 1843 à Delft, Brester
est d’abord un chimiste et un physicien, sans doute professeur à
l’Université de Technologie de Delft (il est présenté comme tel dans
la revue royale belge Ciel et Terre), et sans doute astronome à Delft.
Il est mort en 1919. Nous écrivons « Sans doute astronome », car
le parcours qui le conduit à s’intéresser à l’astronomie et particuliè-
rement aux étoiles variables, ne nous est pas encore connu ; Brester
est toutefois mentionné par le directeur de l’observatoire Royal de
Belgique, Paul Stroobant dans son recensement des observatoires
mondiaux en 1907 10. L’observatoire de Brester, localisé au port
fluvial du quartier de Hooikade, semble bien modeste. Brester ne
semble pas occuper de position institutionnelle plus importante
que celle d’un professeur de chimie physique dans un établissement
d’enseignement technologique de la Ville de Delft.
Entre 1888 et 1892, Albert Brester publie trois textes qui
constituent le cœur de sa théorie solaire. Il ne la retouchera que
pour des détails ou des extensions étrangères à son projet initial avant
son décès et son œuvre sera publiée de manière posthume par sa fille
aînée en 1924 11. Dans l’état actuel des recherches, Albert Brester
est le premier à publier une tentative de théorie générale stellaire

9. Jonathan Homer Lane, “On the theoretical temperature of the Sun; under the
hypothesis of a gaseous mass maintaining its volume by its internal heat, and depending
on the laws of gases as known to terrestrial experiment”, American Journal of Sciences and
Arts, série 2, vol. 50, 1869, p. 57-74. Voir aussi Corey S. Powell, “J. Homer Lane and the
internal structure of the sun”, Journal for the history of astronomy, 19/3, 1988, p. 183-199.
10. Paul Stroobant et al., Les observatoires astronomiques et les astronomes, Bruxelles,
Hayez Imprimeur, 1907 ; pour Delft, p. 72.
11. Voir la bibliographie d’Albert Brester en annexe à cette étude.
Comprendre l’atmosphère du Soleil et celles des étoiles variables 65

embrassant l’ensemble des phénomènes de l’atmosphère du Soleil


et des variations d’éclat des étoiles variables rouges. C’est cet aspect
qui rend l’œuvre de Brester intéressante et originale et qui motive
la présente étude. Il faut en effet attendre 1935 et la théorie de
l’astronome d’Harvard Paul W. Merrill, pour trouver une seconde
théorie générale des étoiles variables à longue-période que sont les
variables rouges 12.
Brester écrit principalement en
français ; le hollandais est réservé
aux textes de l’Académie d’Ams-
terdam au sein de laquelle il semble
jouir d’une certaine reconnais-
sance. Ceci explique sans doute
pourquoi les travaux de Brester ne
sont cités par aucun des travaux
contemporains de Brester sur l’his-
toire de la physique solaire, ni par
Ernst Pringsheim (1859-1917)
dans sa Vorlesungen über die Physik
der Sonne 13. En revanche, il est
abondamment cité et interrogé par
deux astronomes français qui
trouvent dans ses idées quelque
matière à réflexion : Jean Bosler,
Figure 1. A. Brester,
Essai d’une théorie du Soleil astronome à l’observatoire de
et des étoiles variables, 1889. Meudon puis directeur de l’obser-
(Archives personnelles G. Boistel.) vatoire de Marseille, en 1910 dans
son incontournable ouvrage
Les théories modernes du Soleil , en 1923 dans L’évolution des étoiles,
14

et encore en 1928 dans le troisième tome de son Cours d’astronomie


consacré à l’astrophysique 15 ; Jean Mascart, directeur de l’observatoire
de Lyon (le seul observatoire français impliqué très tôt dans la
recherche sur les étoiles variables), en 1925, écrit une recension

12. Paul W. Merrill, “Theories of Long-Period variable stars”, Popular astronomy,


43, 1935, p. 214-221 (7th paper). Id., The nature of variable stars, N. Y., The Macmillan
Company, 1938.
13. Publié à Leipzig, Teubner, 1910.
14. Jean Bosler, Les théories modernes du Soleil, Paris, Gaston Doin et Fils,
coll. « Encyclopédie Scientifique. Bibliothèque d’astronomie et de mécanique céleste », 1910.
15. Jean Bosler, Cours d’astronomie. III. Astrophysique, Paris, Hermann, 1928, p. 204-206.
66 Dans le champ solaire

intéressante de l’ouvrage posthume d’Albert Brester 16. La revue de


la Société royale belge d’astronomie, Ciel et Terre, se fait couramment
l’écho de ses travaux et constitue une source de première main.
Enfin, Brester a publié quelques articles en langue anglaise, princi-
palement dans Nature, auxquels répondent les astronomes anglais
Norman Lockyer et Alfred Fowler (1868-1940), deux grands experts
en spectroscopie solaire.

II. PERCER LE MYSTÈRE DES ÉTOILES VARIABLES

À l’époque où Brester publie, la plupart des étoiles variables


connues sont des étoiles rouges à longue période et à grande ampli-
tude visuelle 17 (hormis les étoiles Algol ou β Persée, δ Céphée par
exemple 18). La description de ces « étoiles changeantes » aux variations
de luminosité parfois spectaculaires – elles peuvent disparaître à la
vue et réapparaître – a pris une certaine ampleur depuis la fin du
xviiie siècle, avec les travaux de James Goodricke et de Nathaniel
Pigott 19. Jérôme Lalande puis François Arago n’hésitent pas à consacrer
des pages à ces étoiles dans leurs ouvrages, à parler de leur existence
et à les décrire 20. Mais les étoiles variables (étoiles temporaires ou
périodiques ou encore étoiles changeantes) constituent encore des
énigmes au milieu du xixe siècle. Seul l’astronome allemand Friedrich
Wilhelm Argelander (1799-1875) s’est lancé dans un programme

16. Jean Mascart, « Brester. Le Soleil », Rev. Gén. Sci. Pures et Appl., t. XXXVI, 1925,
p. 84-85.
17. Typiquement une période de l’ordre d’une année et des amplitudes pouvant
atteindre et dépasser 3 magnitudes visuelles. L’étoile type Mira de la constellation de la
baleine (ο Ceti) a pour caractéristiques : période d’environ 331 jours ; amplitude comprise
entre les magnitude 2 et 10 ; supergéante rouge de spectre M7IIIe.
18. Algol ou β Persée est actuellement le prototype des algolides, étoiles variables à
éclipses. L’étoile δ Céphée est le prototype des céphéïdes, variables pulsantes d’amplitude
notable. Au début du xxe siècle, les algolides et les céphéïdes sont assimilées aux mêmes
étoiles ; le concept des pulsations stellaires ne se développe que progressivement ; voir par
exemple Michel Luizet, Les céphéïdes considérées comme des étoiles doubles, avec une monographie
de l’étoile variable δ Céphée, Annales de l’Université de Lyon, Paris, Gauthier-Villars, 1912.
19. Michael Hoskin, “Goodricke, Pigott and the Quest for Variable Stars”, in Stellar
astronomy. Historical studies, Science History Publications Ltd, 1982, p. 37-55.
20. Voir par exemple : Jérôme Lalande, Encyclopédie méthodique. Mathématiques,
Panckouke, 1784, t. I : art. Étoiles, p. 690-700 ; art. Changeantes, p. 340-341. François Arago,
Astronomie Populaire, Paris, Éditions Barral, 1867, t. I, Livre IX « Des étoiles simples »,
chapitres xv « Étoiles changeantes ou périodiques » à xxiv « Importance de l’observation
des étoiles changeantes » en particulier, p. 386-410.
Comprendre l’atmosphère du Soleil et celles des étoiles variables 67

d’observation et de recensement systématiques de ces étoiles, notam-


ment pour des questions de catalogage d’étoiles et d’astrométrie.
Argelander en appelle même à l’aide des « amis de l’astronomie 21 »
pour développer ce type d’observation et assurer un suivi plus étendu
et régulier qu’il ne peut assurer seul.
L’explication des causes des variations des étoiles rouges pose
de gros problèmes théoriques. Dans les années 1860, toutes les
propositions sont également accueillies. On pense à des croûtes à la
surface des étoiles qui occultent en partie la lumière :

Ces étoiles sont des Soleils, assez refroidis déjà pour que des croûtes d’une
grande étendue puissent se développer à leur surface. Le mouvement de
rotation apporte alors à notre vue tantôt des parties lumineuses et tantôt des
parties obscures. Si la partie encroûtée n’est qu’une minime portion de la
surface, l’étoile n’éprouve qu’une variation limitée dans l’éclat de sa lumière,
sans disparaître complètement. Que si, au contraire, plus de la moitié de
la surface est encroûtée et obscure, il pourra y avoir des époques où l’étoile
s’évanouira entièrement 22.

D’autres approches plus analogiques existent. En effet, Hervé


Faye a, en 1866, dans un texte encore trop méconnu 23, esquissé un
rapprochement entre physique solaire et explications des variations
d’éclat des étoiles variables ou étoiles périodiques, jetant ainsi les
bases d’une évolution stellaire moderne :

[…] les faits nombreux que nous possédons aujourd’hui nous conduisent à
examiner si les étoiles variables et les étoiles nouvelles ne seraient pas autre chose
que les états successifs d’un même phénomène dont le Ciel nous offrirait à la
fois toutes les phases : les étoiles à éclat constant, les étoiles à faibles variations
périodiques, les étoiles à périodes irrégulières, celles qui s’éteignent presque

21. Friedrich Wilhelm Argelander, „Aufforderung an Freunde der astronomie“,


H.C. Schumacher’s Jahrbuch für 1844, 1844, p. 122-254 ; Id., „Ueber veränderliche
Sterne“, Astronomie Nachrichten, vol. 34, n° 806, 1852, p. 221-222. Sur Argelander et
son catalogue d’étoiles : Alan H. Batten, „Argelander and the Bonner Durchmusterung“,
J. Roy. Astron. Soc. Can., vol. 85, n° 1, 1991, p. 43-50.
22. Bulletin hebdomadaire de l’association scientifique de France, t. IV, Paris, Gauthier-
Villars, 1868 : septembre 1868, « Catalogue des étoiles changeantes », p. 170-172 ;
Explications : tome I du Bulletin, p. 236 sq.
23. Hervé Faye, « Les étoiles nouvelles et les étoiles variables », Revue des cours scientifiques
de la France et de l’étranger, n° 38 (18 août), 1866, p. 617-620. Voir G. Boistel, S. Le Gars
et C. Le Lay (éd.), Hervé Faye (1814-1902) ou l’art de la rupture, éd. cit.
68 Dans le champ solaire

dans leur minima, celles qui cessent de varier pendant un temps plus ou moins
long […] enfin les étoiles presque éteintes qui se rallument convulsivement
[…]. Ne dirait-on pas, je le répète, que ce sont là les phases successives et de
plus en plus dégradées de la vie d’une seule et même étoile, phases qui, pour
cette étude unique, embrasseraient des myriades de siècles, mais que le ciel
nous offre simultanément quand on considère à la fois tous les astres qui y
brillent ? De même dans une ville, le spectacle simultané de tous les individus
nous fait embrasser d’un seul coup d’œil la succession de toutes les phases
qu’un individu pris à part doit traverser jusqu’à sa mort 24.

Faye émet l’hypothèse que lors du refroidissement d’une couche


gazeuse du Soleil, la température des couches superficielles est suffi-
sante pour que des réactions gazeuses puissent se produire et donner
des combinaisons de gaz et de vapeurs nouvelles, peu lumineuses,
ou des nuages de particules liquides ou solides à l’incandescence
très vive. Pour lui, ces nuages retombent après avoir rayonné dans
les couches profondes ; la décomposition qui absorbe une grande
quantité de chaleur propage le refroidissement dans les couches
profondes qui rompt l’équilibre puis provoque le dégagement de
nouveaux gaz. Le processus se répète alors 25.
Curieusement, Hervé Faye ne poursuit pas cette première idée,
lui préférant finalement une explication météorologique de l’atmos-
phère solaire, agitée par de larges cyclones ou vortex, brassant la
matière solaire dans son ensemble 26. C’est d’ailleurs cette approche
qui domine chez les principaux astronomes et auteurs de théories
solaires dans les années 1870-1900 (Lockyer, Von Oppolzer, Zöllner,
Young notamment), à l’époque où Albert Brester entreprend ses
recherches sur l’atmosphère solaire.
Dans son œuvre phare de 1892, Théorie du Soleil, Brester écrit
s’être d’abord intéressé aux étoiles variables (Essais de 1888 et 1889) 27

24. Hervé Faye, art. cit., p. 618. En effet, on sait aujourd’hui que lors de sa vie,
en fonction de sa masse, une étoile passe par plusieurs états d’instabilité et présente des
variations d’éclat caractéristiques de ces bandes d’instabilité que l’on peut dessiner dans le
diagramme Hertzsprung-Russell. Voir par exemple John R. Percy, Understanding Variable
Stars, Cambridge University Press, 2007 ; pour une approche plus technique : Vicki E.
Sherwood et Lukas Plaut, Variable Stars and Stellar Evolution, Symposium n° 67, I.A.U.,
Moscow 1974, Dordrecht, D. Reidel Publishing Company, 1975.
25. Hervé Faye, art. cit., p. 619.
26. Voir les études de Stéphane Le Gars et Francis Beaubois dans ce volume.
27. Albert Brester, Essai d’une explication chimique des principaux phénomènes lumineux
stellaires, Delft, J. Waltman Jr., 1888, 27 p. : « § 1. Explication du phénomène des étoiles
Comprendre l’atmosphère du Soleil et celles des étoiles variables 69

avant de penser appliquer sa théorie astro-chimique au Soleil consi-


déré comme une vaste machine thermique. Il s’appuie sur le fait
que la spectroscopie montre des signes évidents de combinaisons
chimiques dans les spectres des étoiles rouges, que ne montrent pas
les spectres des autres étoiles :

Tandis que notre Soleil et tant d’autres étoiles à spectres analogues sont trop
échauffés pour pouvoir contenir des combinaisons chimiques en quantités
notables, il n’en est pas de même des étoiles périodiques, qui appartenant au
type des étoiles rouges, contiennent d’après les indications de leurs spectres,
du moins dans leurs couches extérieures les plus refroidies, des quantités très
évidentes de combinaisons chimiques, telles que par exemple des carbures
d’hydrogène 28.

Brester reconnaît volontiers ne pas jouer dans la même cour que


Secchi, Lockyer ou Young, n’ayant contribué ni aux observations
ni aux travaux solaires importants menés en cette fin du xixe siècle.
S’il va à l’encontre de l’idée dominante d’une agitation permanente
de l’atmosphère solaire, en défendant l’hypothèse d’un Soleil calme
troublé par quelques bouffées ou éruptions de chaleur, c’est qu’il
espère aussi découvrir « cet aspect saisissant qui, d’après Secchi, est
si difficile à trouver, pour convaincre les autres 29 ».
Brester se repose sur une excellente connaissance des écrits de
ses contemporains ; il fait une excellente bibliographie et cite très
précisément ses sources. Brester apparaît très au courant des travaux
et découvertes en matière de spectroscopie et en matière de cinétique
des gaz. Il est aussi très au fait des dernières recherches sur le Soleil.
Entrons dans le détail de la théorie de Brester.

périodiques et des étoiles temporaires », p. 5-11 ; « § 2. Explication des protubérances


solaires », p. 12-14 ». La partie consacrée aux étoiles variables est la plus importante. Id.,
Essai d’une théorie du Soleil et des étoiles variables, Delft, J. Waltman Jr., 1889, 48 p. :
« I. Les étoiles variables », p. 6-19 ; « II. Le Soleil », p. 20-44.
28. Albert Brester, Essai d’une explication chimique […], éd. cit., p. 5. Les spectres de ces
étoiles montrent des bandes moléculaires très fortes pour l’oxyde de titane TiO notamment,
ainsi que le groupe CH. Ces spectres correspondent aux spectres de type III chez Angelo
Secchi et dans la littérature du xixe siècle où l’on se réfère directement aux types spectraux
de Secchi. Voir J.-C. Hénoux, « Molécules dans les atmosphères stellaires », Journal de
physique, Colloque C5a, supplément au n° 10, t. XXXII, octobre 1971, p. C5a-121-127.
29. Albert Brester, Théorie du Soleil, Amsterdam, J. Müller, 1892, p. 7.
70 Dans le champ solaire

III. BRESTER ET LA PHYSIQUE SOLAIRE

Albert Brester emprunte beaucoup au père Angelo Secchi, lequel


propose dans son ouvrage Le Soleil 30, indépendamment semble-t-il
d’Hervé Faye, une approche chimique des phénomènes régissant
l’atmosphère solaire :

Dans l’intérieur du globe solaire, l’effet dû à la gravitation étant extrêmement


considérable, il doit en résulter un état gazeux bien différent de tout ce que nous
connaissons sur Terre. D’un côté une pression énorme doit favoriser l’affinité ;
mais de l’autre la température est tellement élevée, qu’aucune combinaison
[chimique] proprement dite ne peut subsister, si ce n’est à la surface où la
radiation peut abaisser la température d’une manière suffisante. Les différents
corps simples peuvent, en effet, rester l’un en présence de l’autre sans se
combiner, malgré leur affinité réciproque : on dit alors qu’ils sont dissociés 31.

Secchi s’appuie sur des expériences du chimiste français Henri


Sainte-Claire Deville (1818-1881) menées en 1864 et publiées en
1866 dans ses Leçons sur la dissociation 32. Sainte-Claire Deville a
en effet montré qu’oxygène et hydrogène refroidis en présence de
dioxyde de carbone donnent un mélange tonnant, alors que sans
dioxyde de carbone, oxygène et hydrogène se seraient combinés en
eau 33. Secchi reprend l’idée de la dissociation par analogie avec les
observations chimiques « extraordinaires » faites sur Terre :

[…] Il y a la plus grande analogie entre les faits que nous venons de rappeler et
ceux qui accompagnent les combinaisons chimiques. À l’état de dissociation,
les gaz contiennent une certaine quantité de chaleur latente qui devient sensible
au moment où la combinaison s’effectue. Toute la chaleur qui disparaît dans
la dissociation reparaît dans la combinaison, sans aucune perte […] 34.

30. Angelo Secchi s.j., Le Soleil, Paris, Gauthier-Villars, 1870 (1re éd.), p. 289-295
en particulier.
31. Ibid., p. 289-290.
32. Henri Sainte-Claire Deville, Leçons sur la dissociation professées devant la Société
chimique, le 18 mars et le 1er avril 1864, Paris, Imprimerie de C. Lahure, 1866, 126 p.
Voir infra pour de plus amples détails sur cette « dissociation ».
33. Une autre analogie donnée par Brester est la suivante : le mélange 02 + 2 H2
donne un mélange tonnant. Si l’on ajoute une partie 7 ½ d’air, il n’y a plus d’explosion du
mélange ; A. Brester, Théorie du Soleil, éd. cit., p. 33-35 et la très longue note (x), p. 34-35.
34. Angelo Secchi s.j., op. cit., p. 291.
Comprendre l’atmosphère du Soleil et celles des étoiles variables 71

Cette idée suppose que la chaleur qui dissocie les combinaisons


chimiques, dissocie aussi les corps simples pour ne laisser subsister
à la fin que les principes de la chimie universelle (le concept d’ion est
en cours de construction par Svante Arrhenius 35). Mais Secchi ne
développe pas particulièrement cette idée comme se propose de le
faire Brester dans ses essais de la période 1888-1892.

IV. LE SOLEIL TRANQUILLE

Pour Brester, les conditions de


température T et de pression P
sont compatibles avec un spectre
continu jusqu’à la photosphère.
Autour de la chromosphère, où
la température et la pression sont
inférieures, le spectre est naturel-
lement un spectre d’absorption.
Les spectres montrent l’existence
de molécules (spectres de bandes
de type III chez A. Secchi – 7) ;
on y voit aussi les éléments
chimiques H, He, Ca, Na, Mg,
Fe, Ni, Ba et la très fameuse et
énigmatique raie observée, celle
du pseudo-élément coronium
Figure 2. Types spectraux (ligne 1474 de Fraunhofer dans
d’Albert Secchi. (Source : A. Secchi,
Les étoiles. Essai d’astronomie sidérale, la série de raies du fer) 36.
Paris, Germer Baillère et Cie, Comme la plupart des princi-
1879, t. I, p. 89.) paux auteurs, il partage l’idée que
le Soleil est une boule gazeuse,
une vaste machine thermique, mais il se démarque en considérant
que le Soleil présente une structure stratifiée que met en évidence la
spectroscopie, incompatible, écrit-il, avec des mouvements cycloniques
ou de brassage de la matière solaire en profondeur comme l’avance
notamment Lockyer que Brester critique beaucoup dans sa Théorie

35. Axel Petit, Histoire du concept d’ion au XIXe siècle, thèse de doctorat en histoire des
sciences et des techniques de l’Université de Nantes, Centre François Viète, 2013.
36. George C. Claridge, “Coronium”, Journ. Roy. Astron. Soc. Canada, 21/8, october
1937, p. 337-346 pour une discussion de près de 70 années autour du coronium.
72 Dans le champ solaire

du Soleil de 1892. Ainsi, Brester rejette le recours à toute extension


de la météorologie terrestre aux phénomènes solaires et écrit que cette
idée est « viciée à sa base ». Il plaide pour un calme de l’atmosphère
solaire – « le Soleil tranquille » – et rejette les théories météorolo-
giques solaires de Faye, Secchi, Zöllner et Oppolzer.

Ma théorie demande en premier lieu que le Soleil soit à l’intérieur relativement


tranquille, que du moins, il ne soit pas continuellement bouleversé par toutes ces
éruptions, ces explosions et ces tempêtes, qui d’après l’interprétation courante
du déplacement des raies spectrales y séviraient sans relâche 37.

Les arguments avancés sont mûris au fil des ans et au gré des décou-
vertes spectroscopiques réalisées à la fin du xixe siècle. En premier
lieu, Brester s’approprie les propos de A. Clerke qui, au sujet des
spectres des protubérances solaires, se prononce pour « une tempête
d’hydrogène dans un calme de calcium 38 ». En effet, si les spectres des
protubérances montrent des déplacements de raies spectrales auxquelles
on peut appliquer l’effet Doppler, certaines raies ne montrent aucun
déplacement, notamment celle du calcium. Brester montre qu’il ne
peut y avoir plusieurs gaz en mouvements violents alors que d’autres
seraient au repos ; il fait alors une analogie terrestre : « La tranquillité
du [pseudo-]coronium serait ici tout aussi impossible que le serait
la tranquillité de l’azote dans notre propre atmosphère si l’oxygène
s’y mît à souffler 39. » En second lieu, pour Brester, la stratification
des couches solaires développée par Lockyer et Secchi notamment 40
est une preuve convaincante de la (relative) tranquillité du Soleil
et il ne comprend pas pourquoi d’autres chercheurs n’adhèrent pas
à cette hypothèse. Enfin, le troisième argument en faveur d’un « Soleil
tranquille », est l’invariabilité du spectre solaire, hormis quelques
événements remarquables rares qui conduisent d’ailleurs, selon lui, à
des interprétations souvent divergentes. Brester voit son interprétation
relayée par l’astronome jésuite hongrois Julius Fenyi (1845-1927)
qui en 1894 s’exprime sur la simplicité de l’explication de Brester :

37. Albert Brester, Essai d’une explication du mécanisme de la périodicité dans le Soleil
et les étoiles rouges variables, Amsterdam, J. Müller, 1908, p. 3.
38. Ibid., note f, p. 4 ; Agnès Clerke, Probl. P. 96 : « Nothing is commoner than the
raging of hydrogen storms amid profound calcium calms. »
39. Albert Brester, Essai d’une explication du mécanisme […], éd. cit., p. 4.
40. Références citées dans ibid., p. 5 : N. Lockyer, The chemistry of the Sun, p. 304 ;
Angelo Secchi, op. cit., t. I, p. 275-293 ; t. II, p. 292, 482 entre autres.
Comprendre l’atmosphère du Soleil et celles des étoiles variables 73

En considérant ces phénomènes dans leur ensemble et en détail et en cher-


chant à nous les expliquer nous avons peine à n’y voir qu’un mouvement
mécanique : nous opinerions plutôt pour un mouvement apparent, produit
par la rapide propagation d’une opération de physique ou de chimie. La
théorie de M. Brester, selon qui les protubérances ne sont autre chose qu’une
inflammation de ces endroits où les éléments dissociés sont tellement refroidis
qu’ils peuvent se réunir, cette théorie, dis-je, nous offre l’explication la plus
simple de ces phénomènes […] 41.

En résumé, Brester pose comme acquise une stratification stable


à l’intérieur du Soleil, et relativement instable à l’extérieure du Soleil
en raison du mouvement des masses causé par leur refroidissement.
Brester ne peut accepter l’idée des cyclones solaires puisque pour
sa théorie, l’atmosphère solaire est garante de la durabilité de la
stratification des couches solaires.

V. LE SOLEIL À L’ÉPREUVE DE L’HYPOTHÈSE


DE LA DISSOCIATION CHIMIQUE

S’inscrivant dans la filiation Sainte-Claire Deville-Secchi, Brester


pense lui aussi que la dissociation thermique des gaz doit s’opposer
à leur refroidissement qui conduirait à une recombinaison chimique
qui produirait de la chaleur et procurerait au Soleil une relative
stabilité. C’est aussi en creusant cette idée que Brester va chercher
à expliquer les variations d’éclat des étoiles, dans des éruptions
ou « bouffées » de chaleur sans déplacement de matière autre que la
« matière lumineuse ».

Qu’il me soit permis d’insister beaucoup sur le fait, que dans ce jeu paisible de
voiles et de calories se formant et se détruisant tour à tour nous ne voyons pas
des éruptions matérielles de gaz ardents mais seulement des éruptions de chaleur. Le
mouvement des masses y est relativement insignifiant ; et pour peu qu’il existe,
il tend à réparer les désordres […] comme étant causés par le refroidissement 42.

41. Julius Fenyi, s.j., « Sur deux grandes protubérances de septembre 1893 observées
à Kalocsa », Mem. della Soc. di Spettrosc., vol. 23, 1895, p. 28-32, cit. p. 31. Fenyi émet
toutefois quelques réserves sur la capacité de cette théorie à s’appliquer aux protubérances,
qui ne peuvent se plier à des interprétations de combinaisons chimiques ou physiques en
regard des déplacements des raies d’émission dans les spectres.
42. Albert Brester, Essai d’une explication chimique […], éd. cit., p. 9.
74 Dans le champ solaire

Pour Brester, le Soleil est certes une masse gazeuse perpétuel-


lement agitée et bouleversée, dans des proportions moindres que
celles des partisans des cyclones solaires, mais une masse gazeuse
à haute température et relativement tranquille. Cette tranquillité
implique une relative invariabilité thermique des diverses parties
du Soleil et doit expliquer la formation et la périodicité des taches.
La photosphère toute entière du Soleil subit par le jeu même de
la communication de chaleur de l’intérieur vers l’extérieur, et de la
perte de chaleur par rayonnement, un mouvement de contraction et
de dilatation. Les taches sont alors regardées comme des « trouées »
remplies de vapeur absorbante dans la photosphère formées de véri-
tables nuages de condensation plus émissifs. Pour Brester, les phéno-
mènes solaires sont le résultat d’un jeu incessant de condensation et
décondensation qui s’apparente à la dissociation chez Faye et Secchi,
que Brester nomme un état de surdissociation. Cette hypothèse lui
paraît ainsi rendre compte « des cas les plus différents de la pério-
dicité comme les effets variés d’une cause unique : la combinaison
intermittente à l’extérieur de ce qui était séparé à l’intérieur par la
chaleur » 43.
Éruption de chaleur
Refroidissement
état de
AB surdissociation voile nuageux
couche P
AB ĺ A + B
couche AB + R
dissociée

T + dT T A+B+C

AB + R
chaleur qui
évapore
les nuages

Figure 3a et b. Le mécanisme de surdissociation.


(© G. Boistel d’après A. Brester, 1888-1889.)

Examinons le mécanisme astro-chimique imaginé par Brester.


Tout refroidissement est rendu impossible et tout refroidissement est
inégal. Il fait intervenir : 1°. la condensation des gaz et le dégagement
de chaleur latente lors de la recombinaison d’éléments chimiques ;
2°. la combinaison d’éléments chimiques dissociés qui libère leur
chaleur de réaction. Brester lève quelques obstacles théoriques

43. Ibid., p. 11.


Comprendre l’atmosphère du Soleil et celles des étoiles variables 75

en faisant intervenir des molécules étrangères en nombre suffisant


qui empêchent des recombinaisons qui s’effectueraient sans elles :
c’est l’état de « surdissociation » et Brester en appelle aux expériences
de Sainte-Claire Deville. Dans l’atmosphère solaire explique-t-il, si
les molécules étrangères sont trop peu nombreuses (ce sont alors
les molécules gazeuses libres de la théorie cinétique des gaz), les
réactions de recombinaison peuvent survenir brutalement et produire
des bouffées de chaleur. L’éruption de chaleur qui se produit dissocie
alors les molécules des corps interposés qui se recombinent lors de
l’arrêt de la bouffée de chaleur ; et l’on assiste alors à une suite de
phénomènes plus ou moins périodiques.
Dans ce mécanisme de surdissociation, lors du refroidissement,
la couche P plonge et la distance entre les molécules A et B diminue
(figure 3a). On observe alors un mélange A+B+R (molécules étran-
gères) et de AB. Les molécules A et B s’unissent dans des couches de
température plus élevées et contribuent au réchauffement des couches
inférieures. La température augmente provoquant la dissociation
AB ĺ A+B et propageant les molécules vers l’extérieur (figure 3b)
provoquant une « bouffée de chaleur ». Selon la présence massive
ou non des molécules étrangères R, l’état de l’atmosphère et des
couches solaires peut évoluer :

Revenons […] à notre couche A+B+R de l’astre, si dans cette couche le pouvoir
synthétique encore très petit des molécules A et B ne parvient pas à vaincre
l’obstacle des molécules R, cet état surdissocié des molécules A et B pourra durer
très longtemps […] Mais comme ce n’est pas seulement la température encore élevée,
mais surtout aussi la présence des molécules R innombrables qui empêche l’union
des molécules A et B, une diminution suffisante dans le nombre de ces molécules
R aura le même effet qu’une diminution de température […] Ce seront alors ces
molécules R, qui seules auront à accomplir la tâche importante de s’opposer
quelques temps par leur condensation au refroidissement de la couche stellaire 44.

La photosphère est donc pour Brester, une mer de nuages où se


forment les taches solaires. La bouffée de chaleur vaporise les masses
inertes, creuse un trou renforcé par l’absorption causée par la vapori-
sation ou la production de nuages de gaz absorbant. Brester parvient
notamment à expliquer la chaleur plus faible observée pour les taches
solaires, pour lesquelles il invoque un plus faible pouvoir émissif.

44. Albert Brester, Théorie du Soleil, éd. cit., p. 35.


76 Dans le champ solaire

VI. COMPRENDRE LE COMPORTEMENT


PHYSIQUE DE L’ATMOSPHÈRE DES ÉTOILES
VARIABLES ROUGES

Brester est le premier auteur à ouvrir un ouvrage sur une théorie


du Soleil par un chapitre sur les étoiles variables. Jusqu’alors, ces
étoiles sont principalement demeurées dans le domaine observationnel
et les essais d’interprétation des variations d’éclats sont restés très
modestes. La plupart des astronomes considèrent que les variations
d’éclat sont dues soit à des taches qui obscurcissent la surface des
étoiles ou bien à des étoiles présentant une face obscure, l’autre étant
brillante. En 1784, John Goodricke a bien proposé un mécanisme
d’éclipses pour l’étoile β Persée ou Algol 45 mais l’idée d’un corps
sombre tournant autour d’un soleil est loin d’être universellement
partagée. Brester n’accepte pas la possibilité de considérer l’existence
de systèmes binaires à éclipses ou l’hypothèse d’un compagnon obscur
tournant à très grande vitesse autour d’une étoile brillante. Ainsi,
Brester amalgame le type Algol avec les autres variables. Il ne peut
imaginer que l’étoile U Ophiuchi a un compagnon qui tourne en
une vingtaine d’heures 46 ! :

Les autres explications proposées pour le phénomène du type Algol semblent


bien peu probables et même peu sérieuses. Elles supposent en effet l’existence
d’objets aussi exorbitants que des étoiles toujours obscures d’un même côté
et toujours brillantes de l’autre ou bien d’étoiles obscures gravitant autour
d’un astre comme U Ophiuchi par exemple dans une période de 20 heures !
[…] et il nous faut faire intervenir encore d’autres astres tout aussi obscurs
mais perturbateurs pour expliquer les changements que la périodicité présente ;

45. Michael Hoskin, “Goodricke, Pigott and the Quest for variable stars”, in Stellar
astronomy. Historical studies, Science History Publications Ltd., 1982, p. 37-55. Id., “Novae
and variables before the spectroscope”, Journal for the history of astronomy, 38/3, n° 132,
2007, p. 365-379.
46. U Oph est même un système triple à éclipses de période P = 1,6773460 jour
environ : V.P. Kukarkin et al., General Catalogue of Variable Stars, 1969 ed., t. II, 1970,
p. 134-135. Voir aussi : L.P.R. Vaz, J. Andersen et A. Claret, “The eclipsing triple system
U Ophiuchi revisited”, in W.I. Hartkopf, E.F. Guinan et P. Harmanec (éd.), Binary
Stars as Critical Tools & Tests in Contemporary Astrophysics, Proceedings of IAU Symposium
n° 240, held 22-25 August, 2006 in Prague, Czech Republic, Cambridge University Press,
2007, p. 109-110.
Comprendre l’atmosphère du Soleil et celles des étoiles variables 77

changements qui font retarder par exemple Y Cygni d’une demi-seconde à


chaque minimum nouveau 47.

Brester mobilise tous les résultats connus qui vont en ce sens et


sonnent comme un coup de grâce donné à l’hypothèse du satellite
obscur 48. Avec la même détermination, il rejette l’hypothèse de
l’essaim météoritique avancée par Norman Lockyer pour expliquer
les variations d’éclat d’Algol.
Comme Hervé Faye l’avait écrit en 1866, Brester rejette l’appel-
lation « étoiles nouvelles » pour décrire des étoiles dont les varia-
tions paraissent soudaines ou irrégulières. Il lui préfère l’appellation
d’« étoiles temporaires » dans sa quête d’une théorie qui expliquerait
l’ensemble des phénomènes observés :

Les étoiles nouvelles ne méritent pas ce nom ; leur apparition presque subite
n’est qu’une exagération du phénomène ordinaire des étoiles périodiquement
variables, lequel répond lui-même à de simples oscillations plus ou moins
sensibles dans le phénomène de la production et de l’entretien des photos-
phères de toutes les étoiles 49.

Dans les années 1880, les variations d’éclat de ces étoiles « chan-
geantes » ou périodiques demeurent donc toujours aussi mystérieuses.
Brester étend son hypothèse de la surdissociation pour expliquer
la cause des variations d’éclat des étoiles rouges. Le mécanisme
des éruptions de chaleur est celui décrit pour le Soleil. Les nuages
produits par le refroidissement de vapeurs jusqu’à leur point de rosée,
sont la cause d’une opacité qui amoindrit l’éclat de l’étoile en vertu
du sombre voile qui l’enveloppe :

Dans les étoiles variables, la condensation intermittente des molécules R produit


par intervalles à l’extérieur de l’astre des nuages obscurcissants. Plus ces nuages
s’épaississent, plus ils voilent l’éclat intérieur de l’astre, plus aussi ils préparent
un maximum nouveau. Car dès que, l’étoile étant au minimum, la condensa-
tion des molécules R en nuages aura atteint une certaine limite, les molécules

47. Albert Brester , Essai d’une théorie du Soleil […], éd. cit., p. 16-17. Brester reconnaît
qu’il peut se produire des changements périodiques dans les systèmes doubles ; il ne parle
pas de mouvement apsidal mais l’idée est là.
48. Albert Brester , Essai d’une théorie du Soleil […], éd. cit., p. 17-19.
49. Hervé Faye, art. cit., p. 620.
78 Dans le champ solaire

A et B, que ces molécules séparaient, cessant d’être suffisamment séparées,


se combineront, et produiront de la sorte une éruption de chaleur, qui en
évaporant les nuages du minimum restaurera le maximum en rendant mieux
visible de nouveau l’intérieur toujours invariablement brillant de l’astre 50.

Figure 4. Explication des variations dans les étoiles rouges et le Soleil


par A. Brester. (Source : Le Soleil, 1924, p. 145. Archives personnelles G. Boistel.)

Pour la plupart des étoiles, remarque Brester, ces changements


périodiques passent inaperçus mais pour les étoiles rouges, les
combinaisons chimiques mises en évidence par l’analyse spectrale
doivent occasionner des changements nettement perceptibles. La
stabilité des périodes est le signe d’une composition chimique stable
des couches externes. Brester explique que le maximum long et
stable observé dans les variations d’éclat d’Algol est dû à un refroi-
dissement des gaz jusqu’au point de rosée. Les maxima et minima
secondaires des étoiles du type β Lyrae 51 sont dues à des éruptions
de chaleur qui ne conduisent pas la surdissociation jusqu’à son terme
mais à un retour à une température différente de la température
initiale : « l’énergie chimique des étoiles doit s’opposer d’une manière

50. Albert Brester, Théorie du Soleil, éd. cit., p. 38.


51. Étoile variable à éclipses mais présentant une courbe arrondie aux maximums de
lumière, au contraire des algolides qui présentent souvent un maximum plat ou presque.
Comprendre l’atmosphère du Soleil et celles des étoiles variables 79

intermittente à leur refroidissement […] le phénomène que les


étoiles variables nous présente est causé par un mécanisme tout à fait
comparable à une horloge dont l’énergie chimique serait le ressort
immense et la chaleur produite l’échappement 52. »
Invoquant ce « jeu paisible de voiles et de calories se formant et
se diluant [où] nous ne voyons pas d’éruptions matérielles de gaz
mais seulement des éruptions de chaleur », Brester affirme que :

[…] ce qui distingue mon hypothèse chimique, c’est qu’elle est tout à fait
générale et qu’en expliquant tous les cas de la périodicité comme les effets
variés d’une cause unique : la combinaison intermittente à l’extérieur de ce qui
était séparé à l’intérieur par la chaleur, elle rend compte en même temps de ce
fait capital, écartant toute explication à rotation quelconque, que parmi tous
les objets que le ciel nous présente, il n’y en a pas de plus capricieux que les
étoiles variables 53.

Cherchant à décrire toutes les étoiles variables sous l’angle de la


dissociation thermique des constituants chimiques de l’atmosphère
solaire, Brester se ferme ainsi à d’autres tentatives d’interprétations.

VII. RÉCEPTION ET DISCUSSION


DES TRAVAUX D’ALBERT BRESTER

L’étude de la réception des travaux de Brester permet de mieux


saisir comment les hypothèses et les idées neuves sur l’atmosphère
solaire circulent, et d’observer les pratiques locales de cette nouvelle
discipline en construction, l’astrophysique.
La table 1 donne les dix-huit articles de revues, annonçant les
travaux de Brester, avec des critiques et ses réponses. On peut y
discerner trois époques différentes d’une dizaine d’années chacune
environ. La première, de 1888 à 1896, voit les travaux de Brester
discutés dans des revues anglaises de haute réputation scientifique,
Nature, et dans les premières publications spécialisées en astrophy-
sique, l’Astrophysical Journal et Astronomy&Astrophysics (connus
depuis sous les acronymes ApJ et A&A). De grands noms de l’astro-
nomie prennent le temps de discuter avec Brester : Alfred Fowler,
astrophysicien anglais de l’Imperial College, l’un des grands spécialistes

52. Albert Brester, Essai d’une théorie du Soleil […], éd. cit., p. 7.
53. Ibid., p. 19.
80 Dans le champ solaire

de spectroscopie, et Egon von Oppolzer (1869-1907), professeur


d’astronomie à Innsbrück, l’un des fils du grand astronome autrichien
Theodor von Oppolzer (1841-1886).
Suit un trou d’une dizaine d’années, jusqu’en 1907. Durant ces
années, Brester prend connaissance de la découverte de l’électron et
du phénomène de radioactivité et tente une nouvelle synthèse de sa
théorie avec ces nouveaux éléments expérimentaux 54.
La troisième période de littérature concernant les travaux de
Brester couvre les années de 1908 à 1925. Cette dernière époque
est marquée par la littérature de langue française professionnelle :
deux revues françaises – le Bulletin astronomique de l’Observatoire de
Paris et la Revue générale des sciences pures et appliquées pour laquelle
Brester est un collaborateur –, et la revue belge, Ciel et Terre, d’abord
publiée par l’Observatoire royal de Belgique à Bruxelles à partir de
1880, puis reprise en 1910 par la Société royale belge d’astronomie 55.
C’est Alfred Fowler qui formule les critiques les plus précises et
les plus importantes sur les travaux de Brester dès 1889 dans la revue
Nature. Fowler attaque notamment le caractère généraliste de la théorie
de Brester. Il fait remarquer que, selon le processus décrit, toutes les
étoiles froides c’est-à-dire les étoiles rouges, devraient être variables ; or
ce n’est évidemment pas le cas. Fowler, spectroscopiste reconnu à la
fin du xixe siècle, note que certaines étoiles rouges ne sont pas variables
comme le montrent leurs spectres. Concernant les variations d’Algol,
Fowler objecte que beaucoup d’étoiles montrent des caractéristiques
spectrales identiques et qu’elles ne sont pas variables. Albert Brester,
conscient que son approche n’explique pas tout, répond que dans
le cas d’Algol (il refuse toute idée de compagnon tournant autour
d’Algol), la variabilité est due à ses taches. En 1896, Fowler revient
sur les observations spectroscopiques formulables à l’encontre de la
théorie de Brester. En effet, les spectres de certaines étoiles rouges
montrent des raies brillantes de l’hydrogène (raies en émission :
figures 5 et 6). Or la théorie analogique et qualitative de Brester est
incapable d’expliquer ce phénomène.

54. Voir la bibliographie de Brester en fin de chapitre : ouvrages de 1911 et de 1917.


55. Devenue depuis la Société royale belge d’astronomie, de météorologie et de
géophysique du Globe.
Comprendre l’atmosphère du Soleil et celles des étoiles variables 81

Figure 5. Exemples de spectres montrant les raies brillantes de l’hydrogène dans


le spectre des étoiles rouges (de type M), par exemple la raie Hγ dans le spectre
de l’étoile R Bootis à 4 340 ansgtröms. (Source : Paul W. Merril, The nature
of variable stars, N. Y., McMillan Company, 1938, p. 78.)

Figure 6. Spectre de Mira Ceti (1926) On voit ici comment lors des variations
d’éclat, les raies d’émission de l’hydrogène dans le spectre de Mira Ceti, notamment
les raies Hδ et Hγ, apparaissent ou disparaissent. (Source : L. Campbell et L. Jacchia,
The story of variable stars, Philadelphia, The Blakiston Company, 1941, p. 103.)

Dans sa réponse, Brester fait alors appel au phénomène de lumi-


nescence 56 récemment proposé, qui selon lui, peut être produit par
des probables chocs électriques à basse température dans l’atmosphère
des étoiles rouges.
En 1895, von Oppolzer revient sur le calme de l’atmosphère solaire
défendu par Brester. Oppolzer, farouche partisan de l’explication
météorologique et des ouragans solaires lui objecte les forts mouve-
ments de convection observés. Brester ne reconnaît pas ces mouvements
violents et s’en tient à son hypothèse du Soleil tranquille. Ces prétendus
mouvements violents sont pour lui des apparences de déplacements
qu’il faut éclaircir à l’aide des nouvelles découvertes (mouvements
électriques et thermiques dus aux déplacements d’électrons).

56. Eilhard Wiedemann, „Über Fluorescenz und Phosphorescenz, I. Abhandlung“,


Annalen der Physik, 34, 1888, p. 446-463. Le terme Luminescenz est introduit p. 447.
82 Dans le champ solaire

Regardons maintenant les relations que font les astronomes


français et belges des travaux de Brester à partir de 1907. Si des
critiques sont formulées dès la parution des premiers travaux de
Brester, elles se font plus rares dans les années 1910 et la littérature
comporte alors plutôt des éloges ou des appréciations très positives
sur la théorie du Soleil et des étoiles variables que Brester tente de
remettre en ordre et de promouvoir. Dans le Bulletin astronomique,
revue de l’observatoire de Paris qui traduit les orientations scienti-
fiques des astronomes parisiens, les avis portés sont assez positifs et
l’on qualifie les idées de Brester, d’« ingénieuses » en attendant ses
développements à d’autres domaines de la physique stellaire :

[…] Ces décharges intermittentes de l’énergie chimique que M. Brester appelle


« éruptions de chaleur » seraient donc la cause des phénomènes périodiques
stellaires. Ce sont elles qui, évaporant par intervalles les nuages obscurcissants,
produisent les réhaussements d’éclat dans les étoiles variables. Ce sont elles
qui, évaporant localement les nuages photosphériques du Soleil, y creusent des
trous que nous apercevons comme taches. Ce sont elles aussi qui, en rendant
lumineux les endroits où dans l’atmosphère tranquille du Soleil, les éléments
jusqu’alors dissociés se combinent dès que leur perte continuelle de chaleur
le permet, y allumant les protubérances et les rayons de la couronne […]
M. Brester s’efforce de montrer que sa théorie explique les phénomènes solaires
[et] se propose de la faire suivre d’une théorie des étoiles, des nébuleuses et
des comètes, fondée sur les mêmes principes. Il sera alors plus facile de juger
de la valeur de cette conception, d’ailleurs ingénieuse 57.

La revue belge Ciel et Terre présente souvent de manière élogieuse


les travaux d’un des siens :

M. Brester a depuis vingt ans, soutenu des idées nouvelles auxquelles on tend
à se ranger aujourd’hui sur les causes des phénomènes offerts par la photos-
phère et ses enveloppes, couches renversante, chromosphère et couronne. Il
a donné de très fortes raisons pour que l’on abandonne l’idée que les taches
ou les protubérances sont dues à des mouvements de la matière gazeuse,
soit circulaires soit de projection radiale, mouvements dont parfois la vitesse
dépasse toute imagination. Il tend à n’y voir que la propagation de modifi-
cations physiques sans transport de matière […] L’impossibilité d’éruptions

57. N.S., « Brester (A.) – Théorie du Soleil », Bulletin astronomique, série I, vol. IX,
1892, p. 426-427.
Comprendre l’atmosphère du Soleil et celles des étoiles variables 83

véritables dans l’atmosphère solaire […] est prouvée : 1°. Par la stratification
durable des vapeurs solaires ; 2°. La rotation du Soleil par couches superposées
qui tournent toutes autour de son axe avec des vitesses angulaires différentes ;
3°. Et surtout, l’invariabilité du spectre solaire. Voilà trois grands faits qui
ont été mis en évidence par M. Brester dans ses nombreux travaux et dont les
théories solaires doivent inéluctablement tenir compte […] 58.

Lors de la parution de l’ouvrage posthume de Brester en 1924, Jean


Mascart écrit une recension et explique que les éruptions de chaleur
est un processus « qui n’est pas loin d’être accepté aujourd’hui ».
Mascart signale « un recueil et un ouvrage du premier ordre » et
souligne la richesse bibliographique de l’ouvrage qui recense près de
2 000 références aux théories solaires de 1840 à 1919.
Jean Bosler apprécie chez Brester des idées qui ont amené les
astronomes à abandonner l’hypothèse météorologique. Après lui avoir
consacré dix pages en 1910 dans son ouvrage Les théories modernes
du Soleil 59, il en fait des éloges dans son cours d’astrophysique de 1928 :

Brester proteste avec raison contre n’importe quelle introduction de la météo-


rologie terrestre dans la physique solaire ; L’immobilité du Soleil eut pu être
seulement complète ; le spectrohéliographe montre des couches stratifiées et les
lignes de Fraunhofer ne détectent aucun mouvement de la couche absorbante ;
la dissociation doit être générale 60.

Bosler renforce sa bonne appréciation des idées de Brester et


notamment l’idée des éruptions de chaleur :

Quand la température s’abaisse pour une raison ou pour une autre, les éléments
dissociés se recombinent avec libération de leur chaleur de combinaison ; de
même une condensation de vapeurs détermine un dégagement de chaleur
de vaporisation. Les apparences de mouvements que nous croyons constater
dans le soleil sont donc, trompeuses : la matière n’y bouge pas ; c’est son état
chimique ou physique qui, seul, varie et sur place. Nous n’observons que des
« éruptions » de chaleur. […] La photosphère n’est qu’une mer de nuages,

58. E.L., « Le vulcanisme solaire de M. Krebs et la théorie solaire de M. Brester »,


Ciel et Terre, 33, 1912, p. 120-121, cit. p. 120.
59. Jean Bosler, « Théorie de Brester sur la dissociation », in Les théories modernes du
Soleil, Paris, Gaston Doin, 1910, p. 62-71.
60. Jean Bosler, Cours d’astronomie. III. Astrophysique, Paris, Hermann, 1928,
p. 204-205.
84 Dans le champ solaire

séparés par des intervalles d’étendue très diverse qui sont les taches et les pores
de la surface. Quant au rayonnement, il est inutile pour l’interpréter, d’avoir
recours à des courants verticaux compliqués : la seule radiation des couches
internes, se propageant par transparence à travers l’astre entier suffit. C’est
d’ailleurs l’explication universellement adoptée aujourd’hui […] 61.

Notons une résurgence de la théorie de la dissociation dans les


travaux du physicien Meghnad Saha (1921) soulignée par Bosler.
En 1921, ce physicien montre que l’ionisation, c’est-à-dire, la
décomposition d’un atome en un ion positif et des électrons est un
phénomène de même nature que la dissociation réversible d’un gaz A
en deux autres B et C (A = B + C) 62. Edward Milne critiquera et
complètera la même année cette idée dans un très intéressant article
au style résolument moderne 63.

CONCLUSION

Cette étude montre un très bon exemple de « second couteau »


de la science, négligé à tort. Cette histoire met en relief les effets
d’autorité de la « science des vainqueurs » (Lockyer, Young et al.) ou
des « grands noms » de la science, qui occultent la manière dont la
science se construit au jour le jour. La théorie solaire et généraliste
de Brester du Soleil calme ou tranquille, constitue une étape inter-
médiaire entre les théories météorologistes et les théories modernes.
Elle ne contient pas de mise en équation d’équilibres ou d’effets des
rayonnements, mais elle comporte des idées réputées ingénieuses
face auxquelles les concurrents ont à se positionner. La théorie
solaire de Brester est une première tentative cohérente d’explication
des variations des étoiles rouges variables qui oblige les théoriciens
à préciser et compléter leurs arguments.

61. Ibid.
62. Jean Bosler, op. cit., 1923, p. 33-34. Saha Meghnad, “Ionization in the Solar chro-
mosphere”, Phil. Mag., vol. 40, october 1920, p. 472 ; “Problems of temperature radiation
of gases”, Phil. Mag., vol. 41, february 1921, p. 267 ; “On a physical theory of stellar
spectra”, Proc. Roy. Soc. A, 99, 1921, p. 135. Voir aussi Anton Pannekoek, “Ionization in
stellar atmospheres”, Bulletin of the Astronomical Institute of the Netherlands, vol. 1, n° 19,
1922, p. 107-118.
63. Edward A. Milne, “Ionization in stellar atmospheres”, The Observatory, vol. 44,
n° 568, September 1921, p. 261-269.
Comprendre l’atmosphère du Soleil et celles des étoiles variables 85

L’étude de ces discussions montre et illustre les différentes atti-


tudes des communautés scientifiques face aux développements
de l’astrophysique et de la physique stellaire. Il est assez évident
qu’à l’époque où les revues spécialisées en astrophysique voient le
jour, les théories de Brester y trouvent leur place car les travaux les
plus importants de physique stellaire ne sont pas encore connus ou
sont encore en gestation. Pour Fowler et Von Oppolzer, la théorie de
Brester constitue une curiosité qui ne les satisfait pas. Après 1896, les
travaux de Brester ne seront plus discutés ni même mentionnés par
les astronomes anglo-saxons, alors qu’ils constitueront une référence
possible à ne pas écarter totalement chez certains astronomes français
(ceux du Bulletin astronomique et les auteurs de la RGSPA) et ce,
jusqu’en 1928 au moins (date de l’édition du cours d’astrophysique
de Jean Bosler). Signalons toutefois que Jean Mascart et Jean Bosler
sont les rares astronomes français à s’intéresser à la question des étoiles
variables et à écrire sur ce sujet. Seul l’observatoire astronomique
de Lyon a développé un programme d’observation et de réflexion
théorique autour du problème des étoiles variables 64. Il est donc assez
normal de les voir discuter des théories d’Albert Brester.
Ce simple sondage bibliométrique et historiographique montre
que le décalage théorique est patent entre les pratiques anglo-saxonnes
et les pratiques franco-belges au début du xxe siècle. Dans les années
1920, il paraît évident que les astronomes français ne connaissent que
peu ou pas les travaux d’Eddington, de Milne ou de Meghnad Saha
et ne découvrent que peu à peu la nouvelle astrophysique qui s’est
développée sans eux depuis les années 1890. N’est-il pas surprenant
de lire chez Jean Bosler en 1928 que les idées de Brester sont sans
doute une bonne voie ? Connaît-il à cette époque les nouvelles théories

64. Voir la thèse de Michel Luizet, op. cit. ; articles parus dans le Bulletin de l’Observatoire
de Lyon, 1920 : Henri Grouiller, « Le problème de la variabilité des céphéides », p. 81-83 ;
id., « L’observation visuelle des étoiles variables », (plusieurs parties), p. 145 sq. ; id., « But
des observations. Techniques particulières de l’observation des diverses catégories d’étoiles
variables », p. 178 sq., par exemple. Sur Michel Luizet (1866-1918) : « M. Luizet a eu un
record honorable de 37 années de service à l’Observatoire, où il est entré à l’âge de 15 ans.
De 1892 à 1911, il a eu la charge de la section météorologique, dans laquelle ses méthodes
précises d’observation lui ont assuré le succès. En 1897, il a entrepris l’étude des Étoiles
Variables, et ses nombreuses communications concernant ce sujet ont été publiées dans
les Comptes Rendus, Bulletin Astronomique, […] ; il a également publié une importante
monographie sur les étoiles variables Céphéides. Il a acquis aussi une place éminente parmi
les observateurs de doubles étoiles, et était l’un des plus grands spécialistes français dans
cette branche d’astronomie. » (The Observatory, janvier 1919.)
86 Dans le champ solaire

sur les intérieurs et pulsations stellaires d’Arthur Eddington 65 à l’esprit


radicalement différent des théories « radio-calorifiques » de Brester ?
Cette histoire illustre aussi parfaitement pour l’historien la
nécessaire prise en compte du temps nécessaire d’assimilation de
nouveaux concepts scientifiques, de représentations et d’acceptation
de phénomènes stellaires colossaux et démesurés en l’occurrence.
Signalons enfin qu’actuellement, on éprouve toujours quelques
difficultés à interpréter les irrégularités dans les variations d’éclat et
de période des étoiles rouges du type Mira Ceti, comme leur perte
de masse (de 10-7 à 10-4 masse solaire par an). Plusieurs phénomènes
semblent contribuer à ces irrégularités, à des parts inégales que l’on a
bien du mal à mesurer, comme une savante combinaison d’ondes de
chocs acoustiques propageant la chaleur vers les couches extérieures, de
thermal pulses qui pourraient être assimilés aux « bouffées de chaleur »
de Brester, d’abondances moléculaires inégales et variables révélées
par la spectroscopie (présence de vapeur d’eau H2O, monoxyde de
carbone CO, silicates SiO2, oxyde de titane TiO2…) d’éjection de
poussières dans les couches externes voire autour des étoiles, qui
apparaissent depuis quelques années de surcroît dissymétriques dans
les techniques d’imagerie stellaire par interférométrie infra-rouge 66.
Les atmosphères de ces étoiles rouges présentent toujours autant de
mystères qu’à la fin du xixe siècle.

65. Sir Arthur Eddington, The internal constitution of the stars, 1926 (réimpression
Dover books, 1959) ; id., « Theory of the Outer Layers of a pulsating star », MNRAS,
87/7, 1927, p. 539-553.
66. Donald G. Luttermoser, “The dynamic atmospheres of Mira variables stars”,
Bull. Am. Astron. Soc., vol. 36, 2004, p. 817 sq. ; Markus Wittkowski et al., “Inhomogeneities
in molecular layers of Mira atmospheres”, Astron. & Astroph., 532, L7, 2011, p. 1-5. Voir
aussi Keiichi Ohnaka, Thomas Driebe, Gerd Weigelt et Markus Wittkowski, “Temporal
variations of the outer atmosphere and the dust shell of the carbon-rich Mira variable V
Ophiuchi probed with VLTI/MIDI”, Astron. & Astroph., 466, 2007, p. 1099-1110.
Comprendre l’atmosphère du Soleil et celles des étoiles variables 87

BIBLIOGRAPHIE CHRONOLOGIQUE
D’ALBERT BRESTER JZ.

(Ne tient pas compte d’éditions en d’autres langues ou éditions secon-


daires à compte d’auteur.)

(Ph. D. Docteur ès sciences physiques et mathématiques) « Recherches


électrolytiques », Archives néerlandaises des sciences exactes et naturelles,
t. I, La Haye, 1866, p. 296-304.
« Researches on electro-deposition », Chemical news, novembre 1868,
p. 254-256.
Essai d’une explication chimique des principaux phénomènes lumineux stellaires,
Delft, J. Waltman Jr., 1888, 27 p. (résumé court dans le Bull. Astr.,
vol. I/5, 1889, p. 549).
Essai d’une théorie du Soleil et des étoiles variables, Delft, J. Waltman Jr., 1889,
48 p. (« Études de surdissociation. I. Les étoiles variables et le Soleil »)
(résumé et suite de 1888, dans Bull. Astr., vol. I/6S, 1889, p. 496).
« Variable stars and the constitution of the Sun », Nature, vol. 39, n° 1017,
April 25, 1889, p. 606.
Théorie du Soleil, Amsterdam, Johannes Müller, 1892, 168 p. (publ. de
l’Acad. Roy. d’Amsterdam, band 1, n° 3) (revue dans Bull. Astr., vol. I/9,
1892, p. 426-427).
« Variability of red stars », Nature, vol. 53, n° 1368, January 16, 1896,
p. 248-249 (réponse au n° du 14 nov. 1895).
« La matière radioactive dans le Soleil », Bull. Soc. Astr. de France, vol. XXI,
juin 1907, p. 283-284.
« The solar vortices of Hale », Koninklije Nederlandse akademie van
wetenschappen, vol. 11, 1908, p. 592-599 (Proceedings Royal Acad.
Amsterdam).
Essai d’une explication du mécanisme de la périodicité dans le Soleil et les
étoiles rouges variables, Académie des sciences d’Amsterdam, Band IX,
n° 6, Amsterdam, Johannes Müller, 1908, 137 p.
« L’hypothèse des éruptions solaires », Revue générale des sciences pures et
appliquées, vol. XX, 1909, p. 495-501 et 690-691 (discussions sur les
protubérances solaires liées à sa théorie appliquée aux étoiles variables).
« Nos protubérances terrestres », Revue générale des sciences pures et appli-
quées, vol. XXI, 1910, p. 383-388.
Du Soleil et de ses rayons beta et gamma qui causent nos aurores polaires,
les protubérances, la couronne solaire et les queues des comètes, La Haye,
W.P. Van Stockum and son, 1911.
88 Dans le champ solaire

Explication des phénomènes solaires les plus importants, La Haye, W.P. Van
Stockum and son, 1917.
A summary of my theory of the sun, La Haye, W.P. Van Stockum and son,
1919, 62 p.
Le Soleil. Ses phénomènes les plus importants, leur littérature et leur explica-
tion, La Haye, W.P. Van Stockum & Fils : ouvrage posthume édité
par Dr T. Van Lohuizen (professeur de physique à La Haye et la fille
d’A. Brester, Nelly Brester), 1924, 315 p.

Table 1. Recensions, critiques et réponses publiées concernant la théorie solaire d’Albert Brester,
entre 1888 et 1920.
Année Auteur Revue et contenu
1888 Bulletin astronomique, série I, n° 5, p. 549-550 : recension de l’Essai d’une explication chimique
des principaux phénomènes stellaires.
1889 Bulletin astronomique, série I, n° 6s, 496-497 : recension de l’Essai d’une théorie du Soleil et
des étoiles variables.
1889 Fowler Nature, 21 mars, p. 492 : recension et critique de l’Essai d’une théorie du Soleil…
1889 Brester Nature, 25 avril, 606a, b : réponse de Brester
1889 Fowler Nature, 25 avril, 606b : réponse de Fowler
1892 Bulletin astronomique, série I, n° 9, p. 426-427 : recension de Théorie du Soleil.
1894 Brester Astronomy & Astrophysics, vol. 13, décembre 1893, mars 1894, p. 218 : « A short review of
my theory of the Sun ».
1894 Von Oppolzer « On Brester’s views as to the tranquility of the solar atmosphere », Astronomy & Astrophysics,
1894, p. 849-856 : réponse d’Egon von Oppolzer, sur la tranquillité de l’atmosphère solaire
selon Brester.
1895 Von Oppolzer Astrophysical Journal, 1, p. 260-262 : sur la tranquillité de l’atmosphère solaire selon Brester
(même article que celui paru dans A&A en 1894).
1895 Nature, 14 novembre : notice selon laquelle les raies de l’hydrogène devraient être produites
à basse température, en accord avec la théorie de Brester.
1896 Brester Nature, 16 janvier, p. 248-249 : réponse de Brester à la critique précédente et sur la variabilité
des étoiles rouges.
1909 Brester via PV de la section des sciences de l’Académie royale des Pays-Bas, 11, 1908, p. 592-599 : critiques
Julius de Brester à la théorie des vortex de G. Hale.
1909 Brester RGSPA, 20, p. 495-501 : « L’hypothèse des éruptions solaires » (qui doit être abandonnée).
1909 Brester RGSPA, 20, p. 690-691 : Brester apporte de nouveaux éléments à propos de l’impossibilité
des éruptions solaires.
1911 E.L. Ciel et Terre, 32, p. 435-437 : Brester développe une approche du rayonnement radio-calorifique
hypothétique émis par le Soleil.
1912 E.L. Ciel et Terre, 33, p. 120-121 : comparaison du vulcanisme solaire de M. Krebs et de la théorie
solaire de Brester.
1917 Monthly Weather Review, octobre, p. 485 : sur la théorie solaire de Brester, revue pour la
couronne regardée comme une aurore permanente maintenue par les électrons émis par
la photosphère.
1925 Mascart RGSPA, t. XXXVI, p. 84-85 : parution de Le Soleil. Ses phénomènes les plus importants…
« Les travaux de Brester sont universellement connus et appréciés (84b). »

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