Par L'amour de La Patrie-Andry Rajoelina

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PAR AMOUR DE LA PATRIE

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Andry Rajoelina

PAR AMOUR
DE LA PATRIE

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© Michel Lafon Poche, 2018, pour la présente édition
118, avenue Achille-Peretti – CS 70024
92521 Neuilly-sur-Seine Cedex
www.michel-lafon.com

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Sommaire

Préambule. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Chapitre 1. L’enfance d’un meneur. . . . . . . . . . . . . . . . . . 15


Chapitre 2. « Le maître de l’événementiel » . . . . . . . . . . . 21
Chapitre 3. De maître de l’événementiel à grand
entrepreneur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Chapitre 4. Mialy, l’Amour de ma vie . . . . . . . . . . . . . . . 27
Chapitre 5. Mes premiers pas en politique !. . . . . . . . . . . 31
Chapitre 6. 2007 : à 33 ans ma victoire
aux municipales !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
Chapitre 7. Un maire dynamique envers
et contre tout . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Chapitre 8. Fermeture de Viva TV : le déclencheur. . . . . 44
Chapitre 9. Inauguration de la place de la Démocratie
le 17 janvier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
Chapitre 10. Les manifestations sur la place
du 13-Mai. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
Chapitre 11. L’arrogance du Président
M. Ravalomanana. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Chapitre 12. La terrible répression du 7 février :
la tuerie de trop . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
Chapitre 13. Le FFKM entre en scène
dans la médiation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
Chapitre 14. Le règne de la terreur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
Chapitre 15. La réunion décisive avec les ambassadeurs. . . . 69
Chapitre 16. Le refuge à la résidence de France. . . . . . . . . 71
Chapitre 17. 17 mars : la chute du régime
M. Ravalomanana. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
Chapitre 18. Une tournée en forme de plébiscite
en province. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
Chapitre 19. L’investiture du 21 mars 2009. . . . . . . . . . . . 80

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Chapitre 20. La médiation internationale. . . . . . . . . . . . . . 87
Chapitre 21. Les grands chantiers. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
Chapitre 22. Pour une meilleure gouvernance… . . . . . . . . 98
Chapitre 23. Les pressions pour le retour
de M. Ravalomanana. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
Chapitre 24. L’origine du Ni-Ni…. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
Chapitre 25. Comment TGV a choisi « Hery R. »
en 2013 ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
Chapitre 26. Présidentielles 2013 : la machine
de guerre derrière Hery R. !. . . . . . . . . . . . . . 122
Chapitre 27. La passation de pouvoir
du 24 janvier 2014. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
Chapitre 28. Les années de mon retrait
de la scène politique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
Chapitre 29. Mon retour sur la scène politique . . . . . . . . . 138
Chapitre 30. La répression d’avril-mai 2018. . . . . . . . . . . . 143
Chapitre 31. De grandes rencontres avec les grands
hommes qui m’ont inspiré. . . . . . . . . . . . . . . 151
Chapitre 32. Mes profondes valeurs Malagasy,
religieuses et universelles . . . . . . . . . . . . . . . . 159

Épilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163

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Préambule

Depuis ma jeunesse, j’ai toujours été à la recherche de la liberté :


liberté d’aller vers les autres, liberté de discuter et de débattre avec
tout le monde. Et, à chaque fois qu’il n’y avait pas école, avec mes
amis, nous arpentions toutes les ruelles existant à Antananarivo.
Ainsi, je me suis familiarisé avec tout le monde. Et lors de mes
passages, les gens n’oubliaient jamais de crier : « Tiens, voilà le
petit Andry ! » Et j’ai ainsi pu découvrir Antananarivo à travers
les ruelles de la capitale jusque sur les hauteurs de la ville où se
trouvait le palais royal de Manjakamiadana dont l’histoire m’a
toujours fasciné. Les après-midis passés à côtoyer les vestiges des
grands rois et reines ont aiguisé mon envie d’approfondir l’histoire,
l’histoire de mon pays. L’imposante bâtisse se dressait devant moi.
Quelles histoires se cachaient dans ces murs témoins des grands
instants de la monarchie Malagasy ? À quoi les rois avaient-ils
pensé en érigeant leur palais au sommet de la plus haute colline de
­d’Analamanga ? Que leur avait inspiré la vue sur la Ville-des-Milles
que leur offrait Ampamarinana ? Quelles étaient leurs aspirations
pour Madagascar ? L’histoire du roi Andrianampoinimerina a par-
ticulièrement frappé mon esprit. Je me rappelle un de ses nom-
breux leitmotivs qui ont été les assises de sa renommée : « Sauver
la patrie n’est pas de mon seul ressort mais c’est notre devoir commun,
le mien et le vôtre. »

Ces mots simples mais percutants ont eu l’effet de l’eau sur


les jeunes pousses de mon patriotisme. Les mots de ce grand roi,
ambitieux et avant-gardiste, m’ont poussé à prendre des respon-
sabilités pour développer et aider ma ville ; pour apporter ma part
de brique dans l’édification de la nation.

Lorsque toutes les conditions nécessaires furent réunies, en


2007, je me suis présenté comme candidat au poste de maire de
la ville. Je m’en souviens comme si c’était hier et je n’oublierai

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Par Amour de la Patrie

jamais la confiance que m’a donnée la population d’Antana-


narivo, le 12 décembre 2007. Car c’est avec 70 % des voix
exprimées – le pourcentage le plus élevé jamais atteint lors de
toutes les élections municipales organisées dans la capitale de
Madagascar – que les Tananariviens m’ont élu. Mais les pra-
tiques politiciennes étant ce qu’elles sont dans mon pays, c’est
le score de 63,32 % qui a été annoncé officiellement. Les tergi-
versations et contestations ont été nombreuses, les frustrations
aussi. Les faits sont les faits, nous savons ce qu’il en était. La
victoire fut obtenue haut la main.

Au regard de cela, je ne remercierai jamais assez la population


d’Antananarivo qui m’a choisi pour prendre en mains la destinée
de cette ville aimante que j’adore, témoin de mes premiers pas.
En effet, il s’agissait du plus beau cadeau dans l’histoire de mon
parcours politique.
Cela restera à jamais gravé dans mon cœur.
Lorsque j’ai lancé le défi de reconstruire l’hôtel de ville, nombreux
ont été ceux qui n’y ont pas cru ; ceux qui me sous-estimaient ;
ceux qui ironisaient. Mais j’étais persuadé de l’importance de ce
projet, j’y ai cru, et ma conviction était inébranlable : mon projet
était réalisable, sensé et symbolique.
Malgré les tentatives de sabotages multipliées par les tenants du
pouvoir de l’époque, nous avons réussi à relever le défi. L’objectif
a été atteint et l’hôtel de ville renaissait de ses cendres. C’est un
immense honneur pour moi d’avoir reconstruit cet hôtel de ville
qui demeurera un héritage laissé à la capitale de Madagascar.

À l’âge de 19 ans, j’ai créé ma société. À l’époque, cette


démarche, de la part d’un jeune ayant la réussite à l’esprit, n’était
pas vue d’un bon œil à Madagascar. Mes débuts ont été difficiles.
Je me suis heurté à des portes fermées. Malgré tout cela, j’avais
foi en mon projet, je savais que je pouvais prouver à tous ceux
qui étaient sceptiques qu’ils avaient tort de ne pas y croire. Qu’ils
n’y croyaient pas parce qu’ils ne voyaient pas ce que je voyais, le
potentiel dans le nouveau, l’avenir dans le changement et le succès
dans l’inattendu. Et c’est par la force de mes propres efforts, de

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Préambule

ma détermination, sans nom, sans financement, sans mécènes, que


je relevai le défi et créai mon entreprise.

Ayant moi-même vécu les rudes épreuves de l’entrepreneuriat, je


suis pleinement conscient des difficultés auxquelles sont confrontés
les jeunes qui souhaitent se lancer dans cette trépidante aventure.
Et je suis au courant aussi des difficultés au quotidien auxquelles
doivent faire face la majorité des Malagasy.

Pour en revenir à mes débuts, je dois avouer que ce fut un véri-


table parcours du combattant. Étant parti de rien, j’ai dû ramer
dur, fort contre vents et marées.
Ma volonté et mes efforts ont été payants, car j’ai reçu de nom-
breuses distinctions et reconnaissances telles que le « Trophée du
meilleur jeune entrepreneur », « Homme de l’année », etc., de la
part de mes pairs plusieurs années consécutives. J’aime travailler,
aller de l’avant, concevoir, passer d’un projet à un autre. J’aime
être occupé et l’oisiveté est une de mes plus grandes craintes.
Je ne sais m’imaginer inactif. L’émulation intellectuelle, l’activité
physique et la polyvalence qu’offre le domaine de la communica-
tion correspondent donc plus que jamais à ma personnalité. Les
métiers de la communication m’ont particulièrement captivé, et
pour explorer tous les champs des possibles qu’ils offraient, j’ai
créé une chaîne audiovisuelle. J’étais également attiré par tout ce
qui à trait aux grands spectacles scéniques, ce qui m’a poussé à
devenir organisateur événementiel. À partir de 1994, j’ai organisé
des événements musico-culturels dénommés « Live » qui ont tou-
jours fait salle comble durant une décennie.
Antananarivo, ville du « Live », a été généreuse envers mes
ambitions et mes aspirations de jeune entrepreneur.

Antananarivo a, à nouveau, été la scène de débats, d’un sou-


lèvement populaire, d’une rupture politique, de déséquilibres
économiques et d’un désarroi social lorsque l’arbitraire revint
au début des années 2000. Fidèle à mes convictions, je me
suis levé sans hésitation aucune pour défendre les intérêts de
Madagascar. À la suite du mouvement populaire qui survint

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Par Amour de la Patrie

inévitablement, je devins en 2009, à 34 ans, le plus jeune chef


d’État au monde.

Après avoir réussi à traverser un long chemin parsemé d’em-


bûches de toutes les sortes, nous sommes parvenus à l’année 2013
où, pour sauvegarder les intérêts supérieurs de la nation, je me
suis mis en retrait et j’ai accepté de ne pas me présenter comme
candidat à l’élection présidentielle.

En janvier 2014 a eu lieu à Madagascar la toute première pas-


sation de pouvoir démocratique, à travers la remise d’une clef
symbolique au Président élu. Hélas, la déception a ruiné tous nos
espoirs : de nos jours, le peuple est profondément plongé dans les
abîmes de la paupérisation généralisée. La déprime s’est installée
en chacun de nous. Nous ressentons tous, quotidiennement, le
poids d’un joug qui nous opprime. Le pays est plongé dans une
totale obscurité empêchant tout rayon de soleil d’éclairer chaque
foyer. Ce sont ces faits qui m’ont poussé à me lever.

Pendant quatre ans, je me suis retiré par choix de la vie poli-


tique de Madagascar. J’étais avec ma famille, mon socle et mon
ancre.
Je me suis également enrôlé dans un travail acharné et dans un
débat permanent avec des experts, des personnes de tous bords
politiques et de tous horizons, pouvant répondre à mes questions,
pouvant guider ma réflexion, pouvant partager leurs visions et leurs
expériences. Voilà où j’étais, je me suis préparé à agir.
Mais surtout, j’étais face à moi-même, à mes doutes et mes
ambitions. Je faisais face à la plus grande des épreuves, l’accepta-
tion et le questionnement. Une introspection dont je sors grandi,
mûri, réfléchi et plus que jamais décidé.
Aujourd’hui cela va faire plus de neuf mois que je suis sorti
de mon mutisme, que je suis revenu sur la scène politique. Je
reprends ma course.

Beaucoup se demanderont pourquoi ce livre ? Pourquoi j’ai pris


le temps du récit, moi l’homme de tous les projets et entrepreneur

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Préambule

hyperactif ? Eh bien, écrire l’histoire permet de se remémorer le


passé pour mieux comprendre le présent et envisager l’avenir.
Ce livre n’est pas une plaidoirie ni un procès d’intention.
Ce livre est un projet personnel car il exorcise tout ce que je n’ai
pas pu dire pendant toutes ces années, durant lesquelles certains
s’en donnaient à cœur joie pour défaire et refaire la vérité.

Je suis conscient de l’effet que ce livre aura dans la classe poli-


tique de Madagascar, car la vérité n’est jamais douce à entendre
lorsque l’on a l’habitude de l’ignorer ou de la détourner. Cette fois,
je lève le voile sur la réalité des faits et les coulisses d’une vérité
qui a tant été manipulée.

En 2013, je me suis dit : « Un jour, tu feras encore plus pour


ce pays qui le mérite. » Agir pour sa patrie ne se résume pas à la
politique. Restaurer la vérité et rafraîchir la mémoire est aussi un
acte patriotique. Dans mon cas, écrire devient un acte de courage.
J’aimerais que toute personne qui lira ce livre puisse y puiser la
vérité. Que grâce à ce livre elle puisse se dire qu’elle a entre ses
mains des faits véridiques, enfin, la vraie version des faits !

Ce livre constitue une action pour rétablir la vérité. Non pas la


mienne mais la vérité historique qui ne s’inventera jamais.
Ce livre est un devoir de mémoire envers la patrie.

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CHAPITRE 1

L’enfance d’un meneur

Commençons par le début. Je suis né le 30 mai 1974 à Antsirabe.


C’est là que j’ai vécu les trois premières années de ma vie. Je suis
le dernier d’une famille de cinq enfants. Le seul fils aussi. Andry
Nirina signifie « celui que l’on a espéré ». Et Andry, c’est le pilier
de la famille. J’étais arrivé après ma dernière sœur, Fara Lalao,
littéralement « le dernier jeu » (la dernière chance). On peut dire
que j’étais attendu. Antsirabe est une ville calme qui a bercé le
début d’une enfance heureuse. Je me souviens du vieil hôtel Les
Thermes où avait séjourné, de janvier 1954 à octobre 1955, le roi
du Maroc Mohammed V durant son exil forcé. Tout un pan de
l’histoire coloniale française était passé par là. D’ailleurs, notre
destin familial a croisé celle-ci. Yves Roger Rajoelina, mon père,
militaire de carrière, né en 1940, a combattu en Algérie. Il ne
voulait jamais en parler mais un jour, il s’est confié. Il m’a raconté
qu’il se cachait parfois dans des tombes pour éviter d’être vu par
les maquisards du FLN. Il était tireur d’élite et logiquement en
première ligne sur le front. Et dans son régiment, seuls une poi-
gnée de soldats étaient revenus vivants de la guerre. Quelques
années après l’indépendance de Madagascar, on lui a demandé de
choisir entre rester dans l’armée Française ou de rejoindre l’armée
Malagasy et comme il croyait en l’avenir de son pays, il a préféré
perdre sa nationalité française en faveur de son pays. Ce fut un
acte fort, un exemple pour notre famille. Mon père a toujours été
un grand patriote et j’ai certainement hérité de son patriotisme.
Plus tard, il est devenu instructeur d’élite au sein de l’académie
militaire. Il a fini sa carrière colonel de l’armée de terre. Ma mère
Olga Rakotomalala Rasoanjanahary (« miraculée de Dieu ») a été

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Par Amour de la Patrie

une femme aimante et une mère dévouée, qui a tout donné pour
ses enfants. Alors, comme il y avait une grande différence d’âge
entre mes sœurs et moi, je suis rapidement devenu un petit garçon
autonome. Je faisais un peu ce que je voulais, au grand dam de
ma mère qui me trouvait un peu trop intrépide. Mais j’étais très
curieux, j’avais un peu l’âme d’un aventurier. Il fallait toujours que
j’aille plus loin voir ce qu’il y avait de l’autre côté. Et je me fixais
souvent des objectifs. C’était comme des défis qui m’ont permis
de me forger une personnalité solide.
Lorsque j’ai eu 4 ans, mon père a été muté à Tana. Quel chan-
gement ! Je suis passé d’une petite ville tranquille à une mégalo-
pole bruyante et agitée. « Tana » m’ouvrait de nouveaux espaces
de découverte. Et comme j’étais très indépendant, j’inventais
des jeux, en invitant mes camarades à y participer. En grandis-
sant presque naturellement, je suis devenu le chef de ma bande.
J’avais ça en moi, une espèce de capacité à diriger un groupe. Je
me souviens, à l’époque, j’organisais pendant les vacances sco-
laires un concours dans le quartier, avec des voitures en carton
qu’on avait confectionnées nous-mêmes. Comme nous n’avions
pas les moyens, on se débrouillait, on bricolait beaucoup et on
mettait des numéros, des dossards, on se donnait même des
nationalités. C’était un peu notre Paris-Dakar ! Et puis, on jouait
beaucoup au football. Comme j’avais les cheveux très lisses, on
m’avait surnommé « Hrubesch », du nom du célèbre attaquant
allemand, Horst Hrubesh, à qui apparemment je ressemblais. Et
comme c’était un peu long comme surnom, on m’avait appelé
« Besa ». Je jouais attaquant d’ailleurs car je voulais marquer des
buts, mais j’avais l’esprit d’équipe. J’aimais partager le ballon. En
réfléchissant à cette période, un autre détail me revient en tête.
À l’école, vers 9 ans, je devais être en septième, j’ai organisé le
« jeu des enveloppes surprises » à l’occasion d’une kermesse de
fin d’année de l’école. Pour constituer les « surprises » à gagner
dans les enveloppes, je sollicitais les parents à faire des dons
d’objets et de petits gadgets. Chacun donnait ce qu’il pouvait.
Par exemple, le père d’une camarade de classe qui travaillait dans
les usines Cotona, la cotonnière d’Antsirabe, offrait des lamba-
hoany, le paréo traditionnel Malagasy. Dès mon plus jeune âge,

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L’enfance d’un meneur

je voulais faire adhérer mon entourage à des projets collectifs


pour rendre notre quotidien plus joyeux. Et c’est un peu ce qui
a motivé ma vie : l’envie de me rendre utile. Cela vient peut-être
de mon éducation religieuse. Mes parents m’ont élevé dans le
christianisme. Mon père est catholique et ma mère protestante.
J’ai même été enfant de chœur. Je n’étais pourtant pas toujours
raisonnable, je faisais quelques bêtises, mais jamais méchantes ou
graves. Un jour, le prêtre fut très remonté contre moi, car quand
je servais la messe, au lieu de faire sonner la clochette trois fois
comme il est normalement prévu, je l’avais agitée plusieurs fois
de suite. Le prêtre m’en avait voulu et m’a longtemps sermonné.
C’était une petite provocation sans grande conséquence. Car dans
l’ensemble, j’ai plutôt été un enfant qui aimait faire le bien. Je
me souviens de la sœur de mon grand-père, Marthe Lafougère,
religieuse à Fianarantsoa. Elle y dirigeait un orphelinat de plus
de 300 enfants. Et je passais souvent mes vacances chez elle. Elle
m’emmenait régulièrement visiter les prisons le mercredi et le
samedi pour y distribuer des repas aux détenus. J’étais toujours
volontaire et j’ai toujours été bien accueilli par les prisonniers.
J’aimais cela, le rapport avec les autres, le fait d’être confronté
à une réalité difficile. Dans l’orphelinat, je participais à créer
des pièces de théâtre avec les orphelins. Je préparais les sketchs,
je les mettais en scène, je coordonnais les acteurs. C’étaient les
grandes vacances loin des parents : le temps de l’indépendance,
du partage et de l’entraide. C’est comme ça que j’ai commencé
à me rendre utile, à prendre soin des plus faibles. C’est là aussi
que je suis devenu très pratiquant, et que j’ai pris conscience de
l’existence de Dieu. Plus tard, on m’envoya même poursuivre mes
études chez les jésuites. J’en ai gardé un certain sens de l’orga-
nisation et du travail bien fait. Aujourd’hui, tout ce que je fais,
je m’y applique du mieux possible. À l’époque, je prenais plaisir
à préparer avec mes camarades la fête de Noël, pour célébrer la
fin d’année.
Et puis, autre point important de mon éducation, c’est l’in-
fluence des arts martiaux. J’ai commencé très jeune à faire du
judo puis du kung-fu, avant de me lancer dans le karaté. J’ai tout
de suite adoré ce sport et j’ai même réussi l’exploit personnel

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Par Amour de la Patrie

d’être sacré champion cinq années consécutives. Je me souviens,


il fallait faire 18 combats éliminatoires avant d’arriver en finale.
C’était long et éprouvant. On me surnommait « Bruce Lee » car
j’étais un grand admirateur de cet acteur et de ses prouesses.
On disait que je lui ressemblais physiquement. Avant le com-
bat, j’utilisais comme lui le fameux « Kiai », ce cri spécifique.
J’y mettais alors beaucoup d’énergie afin de faire trembler mes
adversaires. Je regardais tous ses films et j’imitais au détail près
sa technique. Je répétais ses mouvements, j’imitais son compor-
tement, j’essayais d’avoir son regard perçant tout autant que sa
détermination. J’étais très souple, aussi les coups que j’assénais
étaient percutants, vifs et précis. Certains adversaires me crai-
gnaient tellement qu’ils n’osaient pas m’affronter sur le tatami.
Cela faisait beaucoup rire les spectateurs lors des compétitions.
Il m’arrive encore aujourd’hui de m’entraîner et de donner des
coups contre le sac de sable. Le karaté a véritablement forgé
mon caractère. C’est pour ça que j’ai toujours cet esprit combatif
aujourd’hui, cette détermination aussi. Je peux encaisser beaucoup
car j’ai appris à résister aux chocs, à observer mes adversaires, et
à donner le coup fatal. La confiance en moi, je l’ai apprise au
karaté. Ma mère me dit souvent qu’on retrouve sur les photos de
moi, étant petit, ce regard déterminé. Et à force de prendre des
coups, je suis devenu stratège. Aujourd’hui, quand j’ai quelqu’un
en face de moi, je le regarde droit dans les yeux. J’aime capter
le ressenti de l’autre et même parfois d’un groupe tout entier.
C’est une sorte de psychologie de masse. Quand j’étais à la tête
de mes sociétés, quand un de mes employés frappait à ma porte,
je savais au premier coup d’œil ce qu’il était venu me dire. Je
savais par exemple si c’était pour une avance spéciale, pour des
vacances ou encore pour des raisons de santé ou un deuil. Je crois
que les sports de combat transmettent une forme d’intuition.
Rapidement, on détecte celui qui nous veut du bien et surtout
celui qui nous veut du mal. Lorsque je fais mes discours, j’observe
la foule et je remarque rapidement les personnes qui sont de tout
cœur avec moi. Je le vois à travers leurs sourires, leurs gestes.
Mais parfois, je décèle les gens nocifs, les imposteurs aussi. En
général, je garde mon sang-froid, je ne panique jamais car ça ne

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L’enfance d’un meneur

sert à rien de gaspiller son énergie en ayant peur ou en s’éparpil-


lant émotionnellement, mais je conserve toujours la personne que
je détecte comme étant suspecte dans le viseur. Je reste quand
même sur mes gardes. Cela ne m’empêche pas d’être extrêmement
sociable. Et dans mon enfance, comme je l’ai déjà plus ou moins
évoqué, je suis toujours allé vers les autres, sans préjugé. Petit,
j’allais naturellement parler avec les « 4 amis » (les sans-abri). Je
voulais comprendre leur vie, savoir de quoi était fait leur quo-
tidien. Pendant ma jeunesse, chaque week-end, je partais à la
découverte de la capitale avec ma bande de copains, en sillonnant
les ruelles de tous les quartiers. On connaissait tous les raccourcis
pour passer de l’un à l’autre. On arpentait les moindres recoins
de la capitale. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui, je connais Tana
comme ma poche. Je me suis ainsi fait des amis partout. Et en
général, c’étaient plutôt des gens simples. Je discutais avec tout
le monde. Comme j’ai une certaine aisance pour communiquer,
que je suis assez ouvert et curieux, je créais facilement le contact.
Ces rencontres m’ont permis de mieux cerner les mentalités. Et
toutes ces relations tissées au fil des années m’ont beaucoup servi
plus tard, lorsque j’ai pris la tête du « mouvement populaire » en
2009. Durant cette adolescence, le scoutisme – qui est une autre
école de la vie – m’a appris à me débrouiller et à me structurer. Je
me souviens, on apprenait à faire du feu, à faire des nœuds, à se
nourrir avec ce qu’on trouvait. On jouait les « Robinson Crusoé » !
On partait à pied le week-end planter la tente à Ambohimanga
Rova. Et l’on marchait plusieurs heures parfois sous la pluie pour
atteindre la colline, située à plus de 20 kilomètres de la ville.
J’aimais ces camps dans cette Cité royale vieille de cinq cents
ans, avec son site funéraire et ses lieux sacrés. On faisait le Lasy
(camp) on dressait les tentes, on chantait. Je partageais alors avec
les autres scouts ce fameux patriotisme qui animait déjà mes plus
jeunes années.

Plus tard, mon père a voulu que je marche sur ses traces. Le
moment venu, il m’a proposé d’aller faire des études militaires.
Malgré son insistance, j’ai refusé. Sa déception a été immense
mais je ne voulais pas être ce que je n’étais pas. Ce moment de

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Par Amour de la Patrie

vive tension entre nous a marqué ma vie. C’était très dur, il fallait
désormais que je trouve ma voie pour subvenir à mes besoins.
L’indépendance a un prix. Mais cela m’a mis au défi, je devais
absolument réussir ma vie pour lui prouver que j’avais trouvé ma
vocation et que je pouvais devenir maître de mon destin.

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CHAPITRE 2

« Le maître de l’événementiel »

Vers 17 ans, j’ai créé un collectif de jeunes qu’on appela « TGV »


(Troupe en Groupe unique nouveau style Valeureux). Notre goût
pour la danse, la musique nous rassemblait. Avec mes copains, on
organisait des rencontres entre jeunes, des concours de danse et
même des compétitions avec d’autres groupes rivaux issus d’autres
lycées. Il y avait les Bads du lycée français, les Cobras de l’ESCA,
Da Hopp d’Antsahabe, Up the Rap, Yankees. TGV voulait contri-
buer à l’ouverture culturelle et la découverte de nouveaux styles
artistiques.
Ainsi « TGV » est entré en scène… À la tête du groupe, j’ai
voulu contribuer au rayonnement du paysage culturel Malagasy
et révolutionner le monde du divertissement. J’ai ainsi tissé des
liens avec le monde artistique et les médias. J’étais dans mon
élément et je m’épanouissais dans ce que je faisais. Et à 19 ans,
j’ai voulu relever un défi de taille qui allait être déterminant pour
ma carrière. J’avais un projet concret. Un matin, je suis allé frap-
per à la porte d’un directeur du Hilton international, à Anosy.
Conscient de l’importance de ce moment, j’avais bien préparé cette
rencontre et réfléchi à tous les arguments. Il n’est pas évident
pour un jeune de 19 ans, débutant et sans garant, de convaincre
pareil établissement. Je ne pouvais pas me permettre d’échouer.
Je lui ai présenté un projet ambitieux. « Je vais louer toutes les salles
disponibles de votre établissement, le Ravinala, le lobby, les Salles du
Roi et de la Reine, celle du Papillon pour organiser la plus grande
soirée qu’Antananarivo ait jamais accueillie. » Mon idée, c’était de
créer un événement marquant pour célébrer la fin des épreuves du
baccalauréat. J’avais fait venir des DJ de la diaspora de Paris, de

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Par Amour de la Patrie

Toulouse, de Grenoble… et de toutes les provinces de Madagascar.


Il y avait aussi des défilés de mode, des prestations de danse. Le
directeur m’a regardé un peu circonspect. Au fond de lui, il devait
se demander « D’où il sort ce jeune homme ? » et quelles étaient mes
prétentions. Il m’a d’abord posé beaucoup de questions, notam-
ment sur la capacité de financement. Malgré mes incertitudes sur
ce dernier point, ma détermination et mon audace ont eu raison
de ses doutes. Contre toute attente, il a accepté. Et le 30 juil-
let 1994, nous avons organisé le premier « Live » jamais organisé
depuis. J’ai travaillé d’arrache-pied pour relever le défi. Je me suis
rapproché des chaînes de télévision pour leur demander d’accom-
pagner la promotion de l’événement. J’ai assuré personnellement
la conception de la publicité, j’ai enregistré moi-même la voix off,
me suis rendu personnellement dans les émissions de radio pour
promouvoir l’événement. J’étais partout et à 100 %. Tous mes amis
m’ont épaulé, on était une vraie « team », une bande d’inséparables.
Et le jour J, il y a eu cinq fois plus de gens à s’être déplacés que
ce que nous avions prévu. On a dû fermer les portes du Hilton.
Il y avait encore la queue dans la rue. Plus de 3 000 personnes
ont participé à cette soirée sans précédent. Le succès était total et
l’organisation a été incroyablement réussie. Nous avions tout prévu.
Je me souviens, un journal avait alors écrit : « Un coup d’essai mais
un coup de maître. » J’ai alors marqué durablement mon empreinte
sur la jeunesse. Et c’est comme ça qu’on a commencé à m’appeler
Andry « TGV » à travers tout Tana. Le « Live » est devenu par la
suite une vraie success-story. La grande soirée de la capitale est
devenue le rendez-vous de la jeunesse à ne pas manquer durant
une dizaine d’années. J’ai fait venir des artistes de renommée inter-
nationale et très prisés à l’époque : Twenty Fingers, Boney M,
Sun Club, Stevie H, Whigfield, etc. Et à chaque édition, c’était
le même succès. La 10e édition du « Live » rassemblera même
plus de 10 000 personnes lors d’un immense concert qui avait
attiré toutes les couches de la population. Et c’est ainsi que je suis
devenu le « maître de l’événementiel », en organisant des soirées
et des concerts. C’est malheureusement comme ça aussi que plus
tard, certains ont voulu me caricaturer en me traitant de « DJ ».

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CHAPITRE 3

De maître de l’événementiel
à grand entrepreneur

Dans la foulée du succès du « Live 94 », j’ai créé l’espace


Abakabaka, un lieu de divertissement nocturne, à la fois cabaret et
discothèque, devenu successivement Le Bus, Le Club puis Taxi B.
C’était un lieu incontournable pour les artistes et un tremplin pour
les étoiles montantes. Je leur donnai accès à nos espaces afin de
répéter gratuitement la journée et le soir, ils se produisaient devant
le public. En 1999, j’ai créé mon entreprise Injet. J’avais déjà passé
beaucoup de temps à faire de la conception d’événements – j’étais
devenu la référence dans le secteur – alors j’ai décidé de diversifier
mon activité dans la publicité. À cette époque, Mialy, ma future
épouse sur qui je reviendrai plus longuement un peu plus tard, était
en France faire ses études et j’allais souvent la voir. Et sur place, je
suis allé visiter le salon de la publicité porte de Versailles. On était
à la fin de l’été, en septembre 1994. Lorsque j’ai découvert pour la
première fois les panneaux publicitaires de Jean-Claude Decaux, je
me suis dit qu’il fallait que je fasse la même chose à Madagascar.
Et j’en ai profité pour passer commande d’une dizaine de pan-
neaux sucettes déroulants, à une entreprise suédoise, qui pouvaient
contenir quatre affiches à la fois. En revenant à Madagascar, j’ai
déposé une demande de financement auprès de Fiaro, la société
financière, de conseil en stratégie et en gestion, afin d’acquérir une
machine industrielle pour l’impression grand format. Étant jeune
entrepreneur à l’époque, négocier n’était jamais gagné d’avance. On
m’a demandé d’apporter d’énormes garanties de remboursement.
Pourtant, les activités d’Injet avaient déjà bien démarré mais cela
était insuffisant pour acquérir cette technologie industrielle. La

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Par Amour de la Patrie

Fiaro m’a demandé de leur fournir des accords de principes avec


de potentiels clients pouvant me garantir la viabilité du projet
et le remboursement du prêt. J’ai alors pris rendez-vous avec les
principales sociétés de la capitale, notamment avec le groupe Star,
spécialisé en boissons (Coca-Cola, eau minérale) et bières. Et
j’ai convaincu le directeur de me soutenir. Habituellement, pour
faire un panneau publicitaire 4 × 3, il fallait quinze jours pour le
peindre manuellement. Mais avec cette machine, j’allais pouvoir
imprimer jusqu’à 50 affiches quotidiennement. Le directeur géné-
ral de la Star a été emballé par mon projet. Il m’a envoyé une
lettre de soutien et de recommandation. « Je ne peux qu’encourager
votre initiative et nous serons vos premiers clients. » Une fois que la
Star avait accepté de me soutenir, tout était plus simple et j’ai pu
convaincre l’agence Promodim-Imperial Tobacco d’en faire de
même puis Air Madagascar et les concessionnaires automobiles.
J’ai rassemblé tous les documents nécessaires avant de déposer le
dossier complet à la Fiaro qui m’a aussitôt accordé les finance-
ments. Et j’ai pu ainsi acquérir la machine « de mes rêves ». Et
en très peu de temps, Injet s’est imposé en leader de l’impression
numérique grand format à Madagascar. J’étais devenu le « Decaux
Malagasy ». C’était la seule machine de ce niveau dans l’océan
Indien. On venait demander nos services depuis l’île Maurice, les
Comores afin de réaliser des affiches… J’avais normalement cinq
ans pour rembourser mon prêt mais au bout d’un an et demi, nous
avions fait tellement de profits que j’ai demandé le remboursement
anticipé du prêt.
À partir de là, j’ai fait construire les locaux de mon entreprise
dans l’enceinte de Tana Water Front, où nous sommes désor-
mais installés. Et lentement, j’ai tissé des liens avec le monde
des affaires. On travaillait avec tous les régisseurs de panneaux
publicitaires à Madagascar et notamment avec DomaPub qui
avait été créée en 1972. C’était alors le numéro 1 de la publi-
cité à Madagascar. Son directeur général M. Raharifidy avait
beaucoup d’amitié pour moi et une certaine admiration quant
à ma réussite car j’avais révolutionné l’impression grand format
à Madagascar. Il ne faut pas oublier qu’avant 1994, on en était
encore au stade de la sérigraphie. M. Raharifidy était proche de

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De maître de l’événementiel à grand entrepreneur

la retraite, et un jour il a demandé à ses enfants en France s’ils


voulaient rentrer s’occuper de sa société. À son grand désespoir,
tous lui ont répondu qu’ils n’étaient pas intéressés. Alors il leur a
proposé, s’ils étaient d’accord, de me revendre sa société. Et il m’a
dit : « Andry, ce n’est pas une société qu’on te vend, DomaPub,
c’est notre vie. Mes enfants et moi te souhaitons bon vent. Mais
s’il te plaît, gère bien la société. » Il me considérait comme son
propre fils. Et très naturellement, il m’a ouvert les portes du
monde des affaires. Il m’a parrainé pour devenir membre du
Rotary Club. À l’époque, j’avais à peine 26 ans et j’étais le plus
jeune. La moyenne d’âge avoisinait plutôt les 50 ans ! Mais les
membres du club aimaient m’écouter développer mes idées lors
des réunions qui avaient lieu une fois par semaine. J’étais comme
un poisson dans l’eau dans ce monde. Et l’ascension fulgurante
de ma société Injet avait été très remarquée par l’ensemble des
opérateurs économiques.
C’est ainsi que je suis rentré en contact avec tous les décideurs
Malagasy qui, les uns après les autres, m’ouvraient à nouveau
leurs portes. On me conviait dans le petit cercle restreint de la vie
mondaine tananarivienne. On m’invitait souvent ici et là pour faire
des conférences sur l’entrepreneuriat. Au fil des années, j’ai reçu de
nombreuses distinctions. En 2001, la revue régionale L’Eco austral
m’a élu « Manager de l’année ». Puis, en 2003, j’ai remporté le
premier « Trophée du meilleur jeune entrepreneur » par la BNI-
Crédit Lyonnais qui m’a octroyé un prêt à taux zéro. Ensuite,
en 2008, les lecteurs de Midi Madagasikara, le premier quotidien
Malagasy, m’ont élu « Homme de l’année ». Et proportionnel-
lement à cette reconnaissance, Injet ne cessait de se développer.
Mon entreprise embauchait une soixantaine d’employés. On avait
implanté notre réseau d’affichage dans tout Madagascar. Puis,
juste après l’élection présidentielle de 2006, j’ai racheté la chaîne
de radio-télé Ravinala de Norbert Lala Ratsirahonana en la rebap-
tisant « Viva ». Et très rapidement, elle est devenue en quelques
mois, la chaîne de radio et télévision numéro 1 à Madagascar.
Tout le monde écoutait Viva dans les taxis be (bus), les grandes
surfaces. Le petit garçon qui découvrait Tana, l’adolescent qui
organisait des événements était devenu un décideur ! J’avais tout

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Par Amour de la Patrie

juste la trentaine et j’étais déjà « dans la cour des Grands ». Mais


cela n’a pas changé ma mentalité ni mon comportement. Je suis
toujours resté aussi à l’aise avec les gens quelle que soit leur caté-
gorie sociale. Et j’avais surtout envie de prouver qu’avec la foi et
du travail, rien n’est impossible.

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CHAPITRE 4

Mialy, l’Amour de ma vie

J’ai rencontré Mialy en 1992. Elle avait à peine 15 ans, elle était
un peu plus jeune que moi (elle est née en 1977).
Dès la première rencontre, j’ai été bouleversé par sa simpli-
cité et sa douce beauté. Un jour, je suis allé chez elle, j’ai sonné
au portail et je l’ai vue arriver de loin. Dans ce premier regard
échangé, il s’est passé quelque chose de très fort entre nous. Elle
était très naturelle, elle avait beaucoup d’allure. Elle m’a souri. J’ai
lu sur son visage une forme de bonté et de tendresse aussi. Et en
l’observant, avec son air simple, son regard doux, je me suis dit
tout de suite qu’elle serait la femme de ma vie. Je voyais la mère
de mes enfants, le pilier d’une famille. C’était beau car tout était
simple. Il n’y avait pas de jeu, on était dans la vraie rencontre, les
vrais sentiments. Ce n’était pas qu’une apparence encore moins une
illusion. Je sentais quelque chose se lier entre nous. C’était l’Amour
au premier regard. Pour moi, vivre sans Amour n’est pas une vie
accomplie. Et vivre sans elle me semblait déjà inenvisageable.

Notre histoire a donc commencé ainsi. Et aussitôt, on est deve-


nus inséparables, on était tout le temps ensemble. On passait des
heures au téléphone au grand dam de nos parents. À cette époque,
on ne pouvait pas « flirter » tranquillement. C’était presque interdit
de se voir. Et à chaque fois que j’appelais, elle s’occupait de sa
petite sœur qui venait de naître. Cela frustrait un peu mon envie
de parler avec elle. Je lui demandais conseil pour tout et elle était
déjà lucide et positive sur mes projets. Je sentais en elle quelqu’un
de vraiment responsable. Et j’aimais discuter avec elle pendant des
heures. Deux ans après notre rencontre, il y a eu cette fameuse

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Par Amour de la Patrie

soirée que j’ai organisée, « Live 94 ». Au début, elle n’avait pas


obtenu l’autorisation de son père pour y assister. Elle était très
triste car toutes ses amies s’y étaient donné rendez-vous. Après
tout, c’était la fête de toute la jeunesse. Et puis finalement, son
père a accepté mais avec l’obligation de rentrer à minuit ! Or la
soirée commençait vraiment vers 23 heures, ce qui frustra quelque
peu son enthousiasme. Comme prévu, son père est venu la cher-
cher. Il l’a attendue en bas de l’hôtel Hilton. Je me souviens, un
moment, on s’est assis avec Mialy sur les marches de l’escalier
du lobby et elle était légèrement abattue à l’idée de rentrer au
moment fort de la soirée, de ne pas pouvoir rester avec ses amies
qui dansaient et s’amusaient. C’était un peu dur pour elle. Alors
je l’ai consolée, je lui ai dit qu’il y aurait d’autres occasions, que
ce n’était que le début d’une longue histoire. Elle est repartie
sereine. Le lendemain, on avait déjà oublié. La vie est une ques-
tion de patience et de mesure. Qu’est-ce qui était important à ce
moment-là, sinon la construction de notre histoire. D’ailleurs, dès
que j’ai commencé à avoir une relation avec Mialy, j’ai voulu être
complètement indépendant. J’ai décidé de quitter le foyer familial
afin d’explorer mon propre chemin.
Quelques mois après le « Live 94 », elle est partie poursuivre
ses études en France. Cela a été un coup dur car je ne voyais pas
ma vie sans elle. C’était bien pire que d’être séparés une soirée.
Mais comme c’était pour son bien et qu’elle avait déjà fait tous
ces efforts pour moi, j’ai accepté son choix et je l’ai même encou-
ragée. Elle est restée six ans à Paris. Six longues années. Alors,
on a vécu notre relation à distance. Durant ses années d’études en
France, chaque dimanche, nous nous retrouvions avec sa famille
à l’occasion d’un déjeuner. C’était toujours un moment agréable
où l’on pouvait discuter et échanger. Je m’entendais très bien avec
ses sœurs et j’avais un lien particulier avec ma future belle-mère.
Je n’étais pas son gendre, j’étais devenu presque son fils. Cela m’a
beaucoup aidé à surmonter l’absence de Mialy. Cela m’a donné de
la force pour me concentrer sur mes affaires et être à la hauteur
de notre union. Je ne voulais pas me marier avant d’être capable
d’assumer mon rôle de chef de famille. Je me disais : « Tu ne te
marieras qu’après avoir construit ta propre maison. C’est un devoir

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Mialy, l’Amour de ma vie

de responsabilité ! » En politique, ça a toujours été pareil : je ne


me suis jamais engagé que lorsque je pouvais vraiment répondre à
l’attente des populations. Et puis, en l’an 2000, Mialy est revenue
et presque aussitôt, nous nous sommes mariés. J’ai fait réaliser
par un pâtissier un gâteau de mariage très symbolique long de
quatre mètres. Il était en forme de voie ferrée, c’étaient les rails du
TGV ! Il y avait sur les côtés les monuments du monde entier, le
Cristo Redentor à Rio, le Colisée à Rome, la tour Eiffel à Paris !
Cette route symbolisait tous nos souhaits de voyage. Et l’idée
derrière c’était : « Je t’emmènerai faire le tour du monde. » Rien
n’était trop beau pour Mialy. Elle m’avait déjà épaulé dans mon
succès professionnel, je voulais lui prouver en retour qu’elle avait
fait le bon choix. Et j’ai exaucé tous ces rêves, nous sommes allés
partout, en Italie, en Israël, en Espagne, en France, au Brésil, en
Thaïlande, à Singapour. En quelques années, nous avons fait le
tour du monde. Heureux dans notre couple, nous avons rapide-
ment souhaité avoir un enfant. Au début, j’avais une préférence
pour un garçon. Il est arrivé le 11 juin 2001. Arena signifie en
Malagasy « trésor », et pour moi l’enfant, c’est un trésor envoyé de
Dieu. Le second, Ilontsoa, est né le 15 février 2004, et une fois de
plus, je voulais un garçon et ma prière avait été exaucée. Ilontsoa
signifie « la lumière du bonheur ! ». Et enfin, pour le troisième
enfant, je rêvais d’une fille. Et ma prière a encore été exaucée car
Andrialy est arrivée le 19 juin 2005. Son prénom est la fusion
de nos deux noms Andry et de Mialy : l’Amour parfait. Et pour
moi, mes enfants, mon épouse ont toujours été plus importants
que tout. Nous avons toujours privilégié notre vie familiale. Quand
j’étais à la tête de l’État, nous nous étions fait une promesse entre
nous. Celle de passer au moins une semaine en famille durant les
vacances scolaires, rien que tous les cinq. À l’époque, comme mes
enfants étudiaient dans les écoles françaises d’Antananarivo, toutes
les six semaines, nous nous retrouvions pour de petites vacances.
Et c’est comme ça que nous avons parcouru le monde en famille.
Aujourd’hui encore, on prend l’avion tous les cinq et on part à
la découverte. C’est notre moment de détente et de retrouvailles.
La famille est sacrée chez nous et peu importe les opinions diver-
gentes, lorsqu’on décide de quelque chose, on se donne la main

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Par Amour de la Patrie

pour atteindre l’objectif. Nous sommes une famille très soudée.


Cela n’a pas toujours été facile. Et j’ai beaucoup de chance, car
mon épouse a toujours été là pour me soutenir et m’accompagner
dans les épreuves parfois difficiles que j’ai traversées. Quant à mes
enfants, ils sont ma fierté, ma raison de vivre. Ce sont eux qui me
donnent envie de changer ce pays, d’améliorer les conditions de
vie des Malagasy. C’est pour eux que je veux agir pour la Patrie
et c’est également à eux que je transmets des valeurs qui me sont
chères, telles que le patriotisme. Et même parfois, ils me donnent
des idées. La famille est une source d’inspiration permanente.

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CHAPITRE 5

Mes premiers pas en politique !

Depuis mon plus jeune âge, comme je l’ai déjà écrit précé-
demment, j’ai toujours voulu me rendre utile, être au service des
autres. Avec la maturité, j’ai senti l’envie de me mettre au service
de mon pays, de la nation. Mon patriotisme est intrinsèque en
moi depuis toujours. Et comme je connais Tana comme ma poche,
que j’en mesurais les enjeux économiques et sociaux, je me suis dit
très tôt qu’il y avait d’abord quelque chose à faire pour cette ville
qui m’avait tout donné. Je voulais y apporter le développement,
améliorer les conditions de vie des habitants. Et dès 1999, à tout
juste 25 ans, j’ai voulu être candidat à la mairie. Mais au regard
de l’échiquier politique, je me suis dit qu’il était un peu tôt. Il y
avait déjà Marc Ravalomanana, le grand homme d’affaires qui
avait fait fortune dans les produits laitiers. À l’époque, il était assez
populaire, il était un exemple de réussite avec sa marque Tiko,
fleuron de l’industrie agroalimentaire. Je savais que cela serait très
compliqué de m’imposer. Et puis le maire sortant, Guy Willy
Razanamasy, m’a contacté pour faire la campagne de sa candidate
Lalatiana Ravololomanana. Il m’a proposé de m’occuper de sa
communication. Marc Ravalomanana a fait son dernier meeting de
clôture sur un terrain d’Ankorondrano où se trouve actuellement
« l’immeuble de verre » et moi j’ai organisé le sien au stade d’Ala-
robia. Et cela a été un immense succès. Avec un budget très limité,
j’avais relevé le défi en rassemblant énormément de gens. Il y avait
même eu des feux d’artifice, ce qui était très nouveau à l’époque.
C’était un grand meeting réussi. On y a cru mais la candidate était
trop peu populaire et Marc Ravalomanana s’est imposé facilement
et est finalement devenu maire d’Antananarivo. Plus tard, il y a eu

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Par Amour de la Patrie

l’élection présidentielle de 2002. M. Ravalomanana avait engagé


des moyens matériels considérables pour sa campagne électorale.
Et puis il avait tous les médias derrière lui, et notamment sa
propre chaîne MBS (Madagascar Broadcasting System). Il venait
aussi de créer un nouveau journal Le Quotidien, totalement acquis
à sa cause. Il avait même bénéficié du soutien des communautés
chrétiennes, du FFKM en particulier, le Conseil œcuménique des
Églises chrétiennes de Madagascar. Avec ces soutiens, il prétendait
avoir gagné la présidentielle dès le premier tour. La violente crise
de 2002 a profondément divisé le pays. Elle a provoqué la chute
de Didier Ratsiraka et l’arrivée au pouvoir de Marc Ravalomanana.
Il fallait un changement. Mais les désillusions sont rapidement
arrivées. L’homme s’était en quelques mois érigé un régime sur
mesure. Et comme les élections municipales devaient avoir lieu
dans la foulée, en 2003, cette fois, quatre ans plus tard, j’ai voulu
y aller. J’étais prêt dans ma tête pour être candidat. Par politesse et
diplomatie, j’ai prévenu la fille de M. Ravalomanana que je voulais
me présenter. Elle était alors directrice de communication de la
société Tiko et donc nous travaillions régulièrement ensemble. Sauf
que le Président m’a fait passer le message qu’il s’y opposait ferme-
ment. Certains ont fait courir la rumeur stupide que j’entretenais
une relation sentimentale avec Sarah, la fille de M. Ravalomanana.
Ce n’était en réalité que de la diffamation car il ne s’est jamais rien
passé entre elle et moi. À l’époque, son parti, le TIM, était très
fort. Les paysages politiques et économiques étaient monocolores,
sous l’emprise de son parti. Il était partout et puissant. Et comme
M. Ravalomanana ne m’avait pas donné sa « bénédiction », je ne
pouvais pas affronter son candidat, c’était trop risqué. Au fond
de moi, je voulais agir pour ma ville. Je savais que tôt ou tard, je
serais candidat à la mairie. Je crois qu’il ne faut jamais baisser les
bras, qu’il faut se battre pour une cause et ne jamais abandonner.
Pour moi, le plus important c’est d’avoir la foi. Il fallait donc que
je me prépare. J’ai donc décidé de me concentrer sur les affaires.
Mais de 2003 à 2007, Marc Ravalomanana, bien entendu conscient
de mes ambitions politiques, n’a eu de cesse de me mettre des
bâtons dans les roues. Il a saboté mon entreprise dont les activités
étaient liées à la mairie, notamment sur les questions d’affichage

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Mes premiers pas en politique !

publicitaire. Certains partenariats ou gros contrats ont été remis


en question. À cette époque, Injet avait un contrat d’exclusivité sur
l’affichage publicitaire des taxis de la capitale. Malgré la signature
du contrat et le paiement des taxes, j’avais reçu une lettre de mise
en demeure exigeant le retrait immédiat de tous les visuels sur
les taxis. En 2004, quand j’ai fait venir pour la première fois à
Madagascar les panneaux d’affichage géants Trivision, le maire de
l’époque Patrick Ramiaramanana, sur ordre du palais présidentiel,
les a fait démonter quarante-huit heures après leur installation.
Pour protester contre cette mesure autoritaire, j’ai alors emmené
l’ensemble du personnel d’Injet sur le rond-point d’Antanimena.
On était tous habillés en noir et blanc comme à un enterrement.
Cela a eu un gros impact médiatique et nous avons ainsi gagné
le soutien de la population. Ça a été le premier bras de fer entre
les autorités et ma société car personne ne comprenait vraiment
les raisons d’un tel acharnement contre ma personne.

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CHAPITRE 6

2007 : à 33 ans ma victoire


aux municipales !

En 2007, huit ans après ma première intention de candidature


pour la mairie, j’étais prêt à m’engager à fond pour mon pays, à
travers ma ville, la capitale de Madagascar. Avec mon épouse,
nous sommes allés demander le tso-drano du Ray aman-dreny, la
bénédiction des parents. Avant de me lancer dans la bataille des
municipales, nous avons fait le tour de la famille et chacun nous
a apporté son soutien moral. J’ai formé mon équipe de campagne
et mes comités de soutien constitués surtout de jeunes. C’était
loin d’être gagné car le TIM, parti présidentiel, était au sommet
de sa puissance. Le Parlement était presque totalement aux mains
du parti du Président. Il y avait à Madagascar un pouvoir fort,
quasi dictatorial. Pour preuve, mes beaux-parents ont demandé au
pasteur Lala Rasendrahasina, alors président du FJKM, l’Église
protestante réformée de Madagascar, de nous réunir en famille
pour porter en prière le chemin à parcourir pour cette candidature.
Il avait béni notre mariage. Une fois à la maison, il a refusé. Il
était pourtant très proche de ma belle-famille. On l’a alors appelé
et il nous a répondu : « Andry ne devrait pas se présenter, il finira
mal. Il pourrait même terminer en prison. » Il était devenu très
hostile et méfiant…
Effectivement, j’ai pris conscience alors qu’être candidat et
affronter le parti du Président, c’était très osé de ma part. À cette
époque, personne n’osait défier Marc Ravalomanana. Beaucoup
d’amis me disaient : « Mais pourquoi tu y vas ? Tu as une société,
tu es le meilleur manager de l’année, tu vis bien, tu as des enfants
et une épouse, qu’est-ce que tu cherches ? » Mais cela n’avait pas

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2007 : à 33 ans ma victoire aux municipales !

de prise sur la décision que j’avais sagement mûrie depuis plu-


sieurs années. Une fois toutes les conditions réunies, j’ai déposé
ma candidature au nom de l’association TGV, Tanora malaGasy
Vonona (Jeunes Malagasy déterminés). Au début, j’avais prévu
d’annoncer ma candidature en grande pompe à la gare ferroviaire
de Soarona, au PK Zéro. Le choix de ce lieu n’était pas anodin.
C’était un symbole fort car c’est là que commence le kilométrage
des routes de Madagascar, un point de départ idéal pour un train.
Mais lorsque le pouvoir a eu vent de cet événement, il a fait annu-
ler l’autorisation et les forces de l’ordre nous ont bloqué l’accès à
la gare. Mais cette tentative d’intimidation n’a pas eu raison de
notre détermination. J’ai donc cherché une alternative et décidé
d’annoncer ma candidature à l’hôtel Hilton, rebaptisé le Carlton.
Mais lorsque les conseillers du Président l’ont su, ils ont aussitôt
organisé une course de vélo autour du lac Anosy. Ils ont barré
toutes les routes menant à l’hôtel afin de saboter une nouvelle fois
cette déclaration en empêchant le public d’y assister. Mes invités
avaient dû abandonner leurs voitures à quelques kilomètres pour
rejoindre l’hôtel car la zone avait été bouclée par les forces de
l’ordre. Ils étaient venus à pied pour nous retrouver. Et il y avait
beaucoup de monde mais lorsque la télévision publique natio-
nale Malagasy est arrivée, quelques opérateurs économiques, des
amis ont pris peur et ont caché leur visage. Personne ne voulait
apparaître à l’écran par peur des représailles. C’est dire dans quel
régime de terreur nous nous trouvions. Et c’est là que l’aventure
a commencé. J’ai donc fait appel à des volontaires. Et des milliers
de jeunes sont venus rejoindre TGV. Nous sommes alors partis en
campagne. Le slogan était : « Fomba fijery vaovao hafa tsotra izao »
(« Une nouvelle vision tout simplement différente »).
Chaque jour ils étaient des milliers à vouloir accompagner cha-
cun de mes déplacements. Comme nous prenions en charge leurs
frais de transport, cela représentait un coût non négligeable. Nous
leur avons donc demandé d’alterner leur venue pour que tout le
monde puisse y participer et limiter le budget. Suite à cette déci-
sion, ils sont venus me voir et me demandèrent : « Andry TGV,
c’est quoi le problème ? On viendra de toute façon avec ou sans
frais de déplacement, car on croit en toi. »

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Par Amour de la Patrie

C’était particulièrement et profondément touchant. Chacun fai-


sait venir d’autres sympathisants et parmi eux, il y avait beaucoup
de jeunes filles.

De son côté, le pouvoir en place préparait la contre-offensive


depuis le palais. Le Président avait même prêté sa voiture personnelle
à son candidat et ordonné que tous ses ministres descendent dans les
quartiers pour quadriller le terrain. Il sentait que le vent tournait en
ma faveur. Et il a mis tous ces moyens matériels et financiers à dispo-
sition de son camp. Il y avait un abus de pouvoir évident et visible que
les gens n’ont pas accepté. Pire, cela a entraîné un rejet jusque chez
certains de ses partisans qui rejoignaient mon camp. Mes soutiens
n’étaient pas rémunérés mais il y avait un engouement débordant. Les
jeunes s’identifiaient à moi, à mon âge, à ma réussite. Pour clôturer
ma campagne, j’ai réservé l’espace d’Antsonjombe, un grand terrain
vague. Mais le gouvernement avait le jour même réquisitionné tous
les transports en commun pour éviter au public de se rendre à mon
meeting. Mais qu’importe, mes partisans avaient fait des kilomètres
à pied pour venir me retrouver. Il faisait pourtant chaud, peut-être
28 ou 30 degrés… C’était l’occasion pour moi d’annoncer officielle-
ment mon ambitieux projet de Coliseum, le plus grand site consacré
à l’expression artistique et culturel jamais construit en Afrique. Il y
avait tellement de monde qu’il m’était impossible de distinguer le
sol. Une foule immense était venue assister à ce meeting. La plupart
étaient jeunes et il y avait une majorité de femmes. L’ambiance était
joyeuse, ils chantaient avec conviction l’hymne de la lutte de 1947 :

« Mitsangana ry tanora
Mitsangana aza manana ahihahy
’Zao no andro sady ora
Mijoroa sahia tokoa ho lehilahy. »

« Debout la jeunesse
Debout, n’ayez aucune crainte
Voici venus l’heure et le jour,
Osez vous lever
Comme des hommes. »

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2007 : à 33 ans ma victoire aux municipales !

« Debout la jeunesse, debout les Malagasy. » C’était très émou-


vant à la fois de voir toute cette ferveur populaire et cette attente
autour de ma candidature. C’est là que j’ai commencé à me dire
que rien ne pourrait m’empêcher de remporter les élections. Et
les signaux positifs se succédaient. Un soir, la chaîne de télévision
TV Plus avait organisé un débat entre le candidat du pouvoir et
moi-même. Je me suis bien préparé et j’étais déterminé car il y
avait beaucoup de sujets qui me tenaient à cœur que je voulais
aborder. Je voulais en parler afin de partager ma vision. Il faut
savoir que j’ai toujours aimé les débats et les confrontations d’idées
car c’est ainsi que l’on peut enrichir ses opinions et convaincre
efficacement. Mais au dernier moment, mon principal adversaire
Hery Rafalimanana s’est finalement rétracté. Il craignait ce face-
à‑face. Il sentait la tendance pencher de mon côté. Je me suis donc
retrouvé seul sur le plateau et j’ai eu le temps d’exposer mon projet
et ma vision pour Antananarivo. L’émission a été décisive car je
suis parvenu à convaincre les électeurs qui hésitaient encore. Le
sentiment de rejet à l’égard du pouvoir commençait à se faire sentir.
De nouveaux sympathisants se rassemblaient autour de ma candi-
dature. À l’approche du scrutin, nous étions assez stressés car aux
informations, des fraudes massives étaient annoncées. Le jour de
l’élection, je n’avais rien mangé de la journée. En plus, nous avions
dû faire face à des taupes. Certains volontaires étaient des infiltrés
du camp adverse. Et la veille, lorsque nous avons invité les délégués
des bureaux de vote pour un dernier briefing, beaucoup ne se sont
pas manifestés. Nous avions tout de suite compris qu’ils avaient
été envoyés par le camp adverse. Nous avons veillé toute la nuit
pour trouver de nouveaux délégués afin de surveiller le scrutin du
lendemain. Nous avons approché l’Église catholique et notamment
des jeunes chrétiens ainsi que les représentants de la commission
épiscopale Justice et Paix. Et certains sont venus spontanément
contrôler les bureaux de vote afin d’éviter la fraude. Le jour J, le
mercredi 12 décembre 2007, je suis allé voter à Ambatobe avec
mon épouse. J’ai commencé à faire la queue comme tout le monde
mais des gens ont insisté pour me laisser passer avant eux. Et c’était
un signe, la victoire était proche. Avec mon épouse, nous avions

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Par Amour de la Patrie

durant des semaines ratissé toute la ville, fait des kilomètres à pied,
pour aller au contact des habitants au fin fond des quartiers. Nous
étions allés à la rencontre du moindre électeur.
Les gens nous offraient au passage du Mofo gasy, les beignets à
la farine de riz… On avait vraiment senti l’engouement autour de
nous, un accueil chaleureux. Partout, les gens nous encourageaient
et on recevait régulièrement la bénédiction des personnes âgées.
Et le soir, on a attendu les résultats dans mon QG de campagne
à Tana Waterfront, au siège de mon bureau, à Ambodivona.
Je me souviens à l’heure du décomptage des voix, dès que mes
partisans entendaient mon nom ils criaient : « Bon anniversaire
Président. » Marc Ravalomanana fêtait le jour même ses 58 ans.
Nous avons pris connaissance des premières estimations. Selon mes
propres informations, je menais entre 70 et 85 % dans la plupart
des bureaux de vote de la capitale. On était tous aux anges. Il
y avait beaucoup d’émotion et d’espoir. J’avais même eu 100 %
dans un bureau de vote à Ampefiloha Ambodirano, soit 284 voix
exprimées sur 284 ! Les résultats ont commencé à tomber et le
pouvoir en place a réalisé sa défaite. Devant ma victoire écrasante,
il ne pouvait pas se permettre de trop tricher. Alors, ils ont juste
diminué l’ampleur des résultats. Selon le conseil électoral, j’étais
élu à 63,27 %. Mais en réalité, je l’étais à plus de 70 %. Mais
qu’importe, j’avais gagné… Et devant les bureaux et les locaux
de Viva TV, la foule réunie était en larmes. Pour beaucoup, cette
victoire était incroyable, car il était presque impossible de défier
le parti au pouvoir. En tous les cas, ce 12 décembre 2007 fut l’un
des plus beaux jours de ma vie. À 33 ans j’étais devenu le maire
de la capitale de Madagascar.

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CHAPITRE 7

Un maire dynamique
envers et contre tout

Au lendemain de cette victoire historique, on s’est tous réunis


avec mes plus proches conseillers pour former mon équipe muni-
cipale. Il y avait beaucoup d’attente autour de nous et on savait
que notre marge de manœuvre serait réduite. Cela n’a pas traîné,
une semaine après, le Président m’a convoqué au palais d’Ambo-
hitsorohitra. La rencontre a d’ailleurs été fortement médiatisée. Il
n’avait évidemment pas digéré cette défaite humiliante pour son
parti. Si ma victoire était autant un vote de défiance que de renou-
vellement de la classe politique, le Président, lui, voyait alors en
moi un adversaire, j’étais devenu une menace car dans son esprit,
Antananarivo était un tremplin pour la présidence de la République.
Après tout, c’est un parcours classique en politique. Je m’y étais
préparé et j’espérais sincèrement que cette rencontre allait per-
mettre de calmer le jeu. Je n’avais pas envie de confrontation, je
voulais diriger cette ville le mieux possible, et ne pas perdre de
temps dans des considérations « politicardes ». Mais lorsque je suis
entré dans son bureau, j’ai tout de suite constaté son regard méfiant
et inquiet. Plusieurs journalistes étaient présents. Le Président
M. Ravalomanana semblait vraiment nerveux. Il m’a serré la main
froidement et m’a invité à prendre place. Puis d’un ton sec et
autoritaire il m’a ordonné de décroiser les jambes. J’ai alors aus-
sitôt compris que notre tête-à-tête se déroulerait dans un climat
de froideur guindée. Cela n’a pas duré longtemps, ce fut plus
symbolique qu’autre chose. Il m’a parlé de mon arrivée à la mai-
rie et m’a donné un conseil un peu ambigu. « Il faut prendre
rapidement vos fonctions », a-t‑il dit. Or, cela faisait déjà une

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Par Amour de la Patrie

semaine que je m’étais installé à l’hôtel de ville. Je voyais bien qu’il


cherchait déjà à me déstabiliser. Cette entrevue a été froide mais
courtoise. Je suis reparti avec une impression étrange, comme s’il
m’avait déclaré la guerre. Presque pour rien ou plutôt si, avec la
conviction qu’il m’avait déclaré la guerre. Et les hostilités n’ont
pas tardé. Très vite, la Jirama (société nationale d’eau et d’électri-
cité) a donné l’ordre de couper l’eau dans les fontaines publiques
et l’éclairage municipal dans les ruelles de la capitale. Je leur ai
aussitôt demandé des explications. Selon la société publique, la
mairie était endettée pour un montant s’élevant à 8,2 milliards
d’Ariary, soit 3 millions d’euros. Voilà qu’en guise de cadeau de
bienvenue, on me faisait porter la responsabilité de la mauvaise
gestion des équipes précédentes, et notamment de la dernière,
censée proche du pouvoir. Et le camp du pouvoir a commencé à
ironiser sur les ondes en disant : « Vous avez voté Rajoelina, eh
bien maintenant vous êtes dans le noir ! » En fait, le Président
« tout-puissant » me faisait le Fay Rano, c’est-à-dire qu’il avait
trouvé un moyen de punir la population pour qu’elle se retourne
contre moi. Le directeur de la Jirama m’a prévenu en personne
avec le sourire en coin : « Si vous voulez que l’eau et l’électricité
reviennent, il faut payer au plus vite. » Or, les caisses de la mairie
étaient bien entendu vides. Et certains conseillers municipaux
adverses ont ajouté : « Soit tu démissionnes, soit tu te débrouilles. »
On s’est alors réunis avec mon équipe pour éplucher les comptes
de la commune et on a trouvé la faille. Avec l’aide de mon direc-
teur financier, polytechnicien de formation, nous avons pu consta-
ter que la Jirama devait plusieurs années d’arriérés à la mairie
concernant les redevances d’ordures ménagères collectées par la
Jirama et non versées à la commune urbaine d’Antananarivo. Et
comme la dette de la Jirama était supérieure à celle de la mairie,
en fin de compte, c’était à cette société publique de compenser
d’abord la différence. Et c’est ainsi que la situation s’est inversée,
et que j’ai pu rétablir le courant et l’eau dans les cinq jours et
devenir encore plus populaire ! Nous avions remporté une première
bataille mais pas encore tout à fait la guerre. En janvier 2008, un
mois après mon installation, j’ai réuni mon staff pour lui annon-
cer que nous allions lancer le premier grand chantier, à savoir la

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Un maire dynamique envers et contre tout

reconstruction de l’hôtel de ville. Aussitôt, mon directeur financier


s’est levé en assurant que c’était impossible vu l’état de notre tré-
sorerie. Je lui ai dit gentiment de se rasseoir et de bien vouloir
m’accompagner dans ce projet. Il s’est rassis et finalement, il a
porté financièrement le projet jusqu’au bout. J’ai négocié avec deux
architectes et on a produit les plans ensemble. Nous avons travaillé
jour et nuit de février à début avril et en deux mois le projet était
viable. J’avais moi-même imaginé les plans de l’hôtel de ville et
l’aménagement des espaces : bureau du maire, salle de conseil,
salle de réception, ainsi que le grand hall d’accueil. Faute de fonds
nécessaires, j’ai demandé à l’architecte de répartir les travaux en
trois tranches : fondation, gros œuvre et finition. Et j’ai parallè-
lement lancé un appel à contribution à la diaspora malagasy ainsi
qu’aux grandes sociétés locales pour participer à la reconstruction
de l’hôtel de ville. Nous avons réussi à rassembler les fonds néces-
saires pour démarrer les travaux. On a beaucoup travaillé avec les
architectes afin de n’oublier aucun détail quant à l’agencement de
l’intérieur, on a beaucoup réfléchi à l’ergonomie, aux choix des
matériaux, etc. Tout devait être juste, précis et parfait. J’ai envoyé
les invitations pour la pose de la première pierre prévue initiale-
ment le 13 mai 2008. Mais le Président M. Ravalomanana était
furieux. « Pourquoi le 13 mai ? » s’est-il insurgé aussitôt. Le 13 mai
est une date nationale importante, un symbole particulier pour les
Malagasy. En 1972, les étudiants de l’école de médecine s’étaient
mis en grève. Le 13 mai, suite à cette grève, cet hôtel de ville a
été incendié. Ce mouvement de contestation avait entraîné la chute
de Philibert Tsiranana, premier président de la Ire République de
Madagascar. Et depuis, le lieu a été appelé place du 13-Mai où
sont tombés tous les régimes qui ont suivi. Pour en revenir au
président Marc Ravalomanana en 2008, en apprenant la nouvelle,
il s’était exclamé : « Ça doit être l’État qui lance le projet d’un
nouvel hôtel de ville, et non le maire ! » Le Premier ministre m’a
appelé en personne pour me dire d’annuler. Et moi je lui ai dit
calmement : « Désolé, c’est un projet de la mairie, je dois le faire. »
Mais, j’ai quand même accepté de décaler de quelques jours le
lancement officiel des travaux pour ne pas frustrer le pouvoir.
Finalement, la cérémonie a eu lieu le 17 mai. Conscient des risques

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Par Amour de la Patrie

et blocages de la part de l’exécutif, j’avais au préalable invité les


différentes chancelleries, l’ambassadeur de France, des États-Unis
ou d’Allemagne, le nonce apostolique… Et ils étaient tous au
rendez-vous au grand complet. Ce qui, m’a-t‑on dit, a rendu le
Président encore plus furieux. En revanche, aucun de ses ministres
n’avait honoré mon invitation, ce qui voulait tout dire. La popu-
lation a elle aussi répondu massivement présente. J’avais recouvert
le grand panneau annonçant la construction de l’hôtel de ville d’un
immense tissu noir. « Nous allons lever le voile de l’obscurité. Ici
surgira dans quelques années le symbole de la fierté de notre ville.
Nous allons rendre la fierté à notre capitale », me suis-je écrié en
tirant le voile. Et les gens ont alors découvert le plan en 3D de
l’hôtel de ville. Sur le coup, personne n’y croyait mais ce qui a le
plus impressionné la population tananarivienne, c’est que dès le
lendemain de mon discours, des engins étaient là pour commen-
cer les travaux. Et le hasard du calendrier avait bien fait les choses.
Le dernier hôtel de ville avait brûlé le 13 mai 1972. Et trente-six
ans après, le 13 mai 2008 à quelques jours près, je posais la pre-
mière pierre de sa reconstruction. Pour la petite anecdote, moi
qui ai toujours aimé les chiffres, j’ai eu 36 ans le 30 mai 2010 et
j’ai inauguré quelques mois après en tant que chef d’État le nou-
vel hôtel de ville. Cela faisait donc 36 + 36 = 72, c’est-à-dire
l’année de l’incendie. L’année 2008 a été très chargée pour moi,
j’ai commencé aussi à me faire connaître à l’étranger. Il y a eu la
réunion des maires francophones au Canada, au Québec. Je me
suis lié d’amitié avec le maire de Paris, Bertrand Delanoë. J’ai
organisé dans la foulée une rencontre avec la diaspora dans la
mairie du IVe arrondissement à Paris, le 13 octobre 2008. Puis
j’ai été invité à Sydney au 9e Sommet mondial triennal de
Metropolis, cette association internationale qui regroupe les maires
des grandes villes du monde. L’association organisait une élection
afin de nommer son nouveau bureau. Chaque maire candidat
devait présenter les projets qu’il portait pour le développement de
sa ville. Je me suis retrouvé ainsi à côté des célèbres maires de
New York ou Sydney pour exposer mes idées. Pour ma part, mon
projet, c’était de reconstruire l’hôtel de ville et les marchés, de
faire un parcours sportif, etc. C’est ainsi que j’ai été élu

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Un maire dynamique envers et contre tout

vice-président de l’association. Et rapidement, j’ai tissé des liens


très forts au niveau international. Jean-Paul Huchon, alors pré-
sident de la région Ile-de-France, croyait beaucoup en moi. Il m’a
énormément conseillé et soutenu. Grâce à lui, nous avons construit
un partenariat fort avec la région Ile-de-France. Ils ont dépêché
des ingénieurs parisiens pour plusieurs projets, tels des parcours
sportifs, des stades ou des parcs. Le jardin d’Andohalo, avec une
scène pour accueillir les spectacles des chants traditionnels, a été
réalisé grâce au financement de la région Ile-de-France. Il y a eu
aussi le parc sportif du marais Masay ainsi que l’institut des métiers
de la ville, IMV. Tous ces projets ont été rendus possible, grâce
au soutien de l’Ile-de-France. Et puis j’ai eu vraiment beaucoup
de sympathie de la part des ambassadeurs. Le Japon m’a aidé à
reconstruire des écoles publiques. Aux côtés de l’ambassadeur de
France, nous avons organisé le 21 juin 2008 la première fête de
la musique Malagasy, en partenariat avec l’alliance française
­d’Antananarivo. La mairie avait aussi organisé un carnaval avec
un immense défilé dans les rues d’Antananarivo. C’était une pre-
mière dans la capitale. Avec mon épouse, nous marchions à la tête
de la parade. Et cette fête de la musique a eu un succès immense.
Tout le monde, jeunes et vieux, scolaires, étudiants ont participé.
La jeunesse avait apprécié. Antananarivo était alors une fête.

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CHAPITRE 8

Fermeture de Viva TV : le déclencheur

Au mois de décembre 2008, l’ancien Président Didier Ratsiraka,


qui vivait en exil en France, à Neuilly, dans sa résidence de la Villa
Madrid, a voulu sortir de son silence. Ma chaîne de télévision,
Viva TV, a donc diffusé un enregistrement de son premier entre-
tien depuis qu’il avait été chassé du pouvoir en 2002. Nous avons
diffusé ce témoignage de quarante minutes le 13 décembre. Didier
Ratsiraka avait critiqué la gestion du Président M. Ravalomanana.
Notamment, il pointait du doigt les inaugurations de routes mises à
l’actif de son successeur et il avait rappelé que tous ces grands chan-
tiers d’infrastructures avaient été actés durant son dernier mandat.
Et cela n’a pas du tout plu du côté du palais présidentiel. Après
la diffusion de cette interview, l’ordre a été donné de fermer Viva
TV. Peu de temps après, une trentaine de membres armés de la
cellule de l’Emmonat (État-major mixte opérationnel national) ont
été envoyés dans les locaux de Viva, à Ambodivona, munis d’un
document signé par le ministre de la Communication de l’époque,
pour procéder à la fermeture immédiate de la chaîne. Ils en ont
profité pour saisir le DVD du programme incriminé. Selon eux,
les propos de l’ancien Président « étaient susceptibles de porter
atteinte à l’ordre public ». Le signal de Viva TV a été fermé. Je
n’en revenais pas. Certes le Président Ratsiraka avait peut-être violé
son devoir de réserve, mais c’était sa responsabilité, pas la nôtre.
J’ai donc fait une conférence de presse dans la foulée, à la radio,
durant laquelle j’ai dénoncé une « décision purement politique ».
J’ai rappelé au passage que « le gouvernement avait fermé Viva
TV », et que « la direction de l’organe de régulation des médias
avait harcelé la chaîne pendant quinze jours, cherchant la petite

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Fermeture de Viva TV : le déclencheur

bête pour trouver de quoi justifier la fermeture ». J’ai beaucoup


parlé aussi de l’importance de la liberté d’opinion et d’expression
dans une démocratie. « Une télévision est un outil de communica-
tion, il faut respecter la liberté d’expression. » Et j’ai lancé un ulti-
matum en donnant un mois aux autorités pour rouvrir ma chaîne,
c’est-à-dire le 13 janvier 2009. « Si d’ici un mois, vous ne rouvrez
pas la chaîne, je prendrai mes responsabilités pour rétablir la liberté
d’expression », ai-je prévenu. Cet ultimatum a été perçu comme
une déclaration de guerre par le Président. Et tout le monde a
commencé à s’inquiéter pour moi. Certains m’ont rapporté la colère
du Président lorsqu’il a vu l’interview de son prédécesseur à la
télévision. Apparemment, il avait perçu cela comme une provo-
cation. Quelques jours après la fermeture de la chaîne, j’ai réuni à
l’hôtel La Rotonde une grande partie des membres de l’opposition
Malagasy. Et 38 d’entre eux ont signé une lettre « condamnant
fermement la dictature perpétrée actuellement dans le pays ». J’ai
attendu plusieurs semaines dans l’espoir de recevoir une réponse du
gouvernement mais l’État a préféré faire la sourde oreille. Toute
l’opinion trouvait injuste la fermeture de la chaîne télévisée. Et les
tensions ont commencé à monter. Beaucoup d’appels à manifester
ont d’abord été lancés par la société civile, par de simples citoyens.
La population commençait vraiment à ne plus supporter cette
quasi-« dictature » avec le musellement de la presse et de la liberté
d’opinion. Après Viva TV, beaucoup d’autres médias opposés au
pouvoir ont été fermés aux quatre coins du pays. Il y avait donc
un premier combat à mener pour rétablir la liberté d’expression.
J’ai fait plusieurs appels sur les chaînes privées pour demander la
réouverture immédiate de tous ces médias. J’ai alors réfléchi aux
stratégies à adopter pour rétablir la démocratie, confisquée par
le pouvoir. Les forces vives de la nation nous poussaient à agir.
Mais le Président restait sourd à nos appels au dialogue. Pour moi,
c’était un combat quasi spirituel. Pour anéantir les ténèbres, il me
fallait utiliser la lumière. Alors, dans un premier temps, j’ai invité
tous les Malagasy à prier le dimanche 11 janvier. J’ai organisé
une grande messe dans le gymnase couvert de Mahamasina. Tout
le monde était vêtu de blanc. Le blanc, c’est la non-violence, la
pureté. Et on n’avait rien à se reprocher. Nous n’étions pas là pour

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Par Amour de la Patrie

faire le mal. Plus de 4 500 personnes, de toutes religions confon-


dues, réunies par le Conseil œcuménique des Églises chrétiennes
d’Antananarivo (FFKM), mais aussi l’Église protestante réformée
(FPVM) fermée par le Président sont venues prier avec moi. La
salle était pleine à craquer, il y avait même des gens à l’extérieur.
Il faisait très chaud ce jour-là. L’homélie du jour était basée sur
I Corinthiens 13 : 4‑13 : Hymne à la charité : « Frères, l’Amour
prend patience ; l’Amour rend service ; l’Amour ne jalouse pas ; il ne
se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne fait rien de malhonnête ;
il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de
rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est mal, mais il trouve sa joie
dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère
tout, il endure tout. L’Amour ne passera jamais. Un jour, les prophé-
ties disparaîtront, le don des langues cessera, la connaissance que nous
avons de Dieu disparaîtra. En effet, notre connaissance est partielle,
nos prophéties sont partielles. Quand viendra l’achèvement, ce qui est
partiel disparaîtra. Quand j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je
pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Maintenant
que je suis un homme, j’ai fait disparaître ce qui faisait de moi un
enfant. Nous voyons actuellement une image obscure dans un miroir,
ce jour-là, nous verrons face à face. Actuellement, ma connaissance est
partielle ; ce jour-là, je connaîtrai vraiment, comme Dieu m’a connu.
Ce qui demeure aujourd’hui, c’est la foi, l’espérance et la charité ; mais
la plus grande des trois, c’est la charité. »
À la fin de l’homélie, durant ma prière, j’ai remercié chaude-
ment les nombreuses personnes présentes : « Mon premier mot est
une reconnaissance et un profond remerciement à Dieu qui a permis
d’organiser de bout en bout ce culte d’aujourd’hui où, ensemble, nous
avons tous communié. Nous avons réellement et sincèrement vécu un
moment de prières et de recueillement en ce jour. Mon second mot
est un grand salut à nous tous, cela à la manière d’une bruine qui
crachine imperceptiblement mais qui inonde la terre. […] Je ne vais
pas disserter longtemps mais pour conclure, je dirais ceci : nous avons
prié aujourd’hui et nous sommes tous convaincus que Dieu entend nos
prières et, plus que tout, Dieu répond à nos prières. Je vous remercie. »
Puis à la fin, j’ai annoncé un nouveau grand rendez-vous pour le
week-end d’après, en invitant les Tananariviens à venir participer

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Fermeture de Viva TV : le déclencheur

le 17 janvier à l’inauguration d’une nouvelle place de la Démocratie


à Ambohijatovo. Pour moi, cet événement allait être un grand
défi. En tant que maire et premier magistrat de la ville, j’avais le
droit de créer une place. Et j’avais eu l’idée de concevoir un lieu
de débats où chacun pourrait s’exprimer librement. Mais cette idée
ne m’était pas venue toute seule. Face à l’épreuve que je traversais
je lisais beaucoup la Bible et j’y trouvais toutes les réponses à mes
questions… Les Saintes Écritures m’inspiraient, c’était même plus
fort que ça, j’étais éclairé.

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CHAPITRE 9

Inauguration de la place
de la Démocratie le 17 janvier

Nous avons préparé nuit et jour l’événement pour que tout soit
prêt le 17 janvier. Évidemment, le pouvoir était contre mais il
était embarrassé, car c’était inconcevable d’interdire l’instauration
d’une place de la Démocratie. Quelques jours plus tôt le Président
avait même dit lors d’un discours le 13 janvier, à quelques jours de
l’expiration de l’ultimatum que j’avais lancé : « Il n’existe guère un
État dans un État. Un maire ne peut donner un ultimatum à un
chef d’État. » J’avais quasiment répondu le même jour du tac au tac
en utilisant un vieux proverbe symbolique : « Aleo halan’Andriana
toy izay halam-bahoaka » : « Mieux vaut être haï par les seigneurs
que par le peuple. » Heureusement pour moi, la communauté
internationale, à travers les diverses chancelleries, soutenait mon
initiative. Mais la veille, dès 4 heures du matin, la place d’Ambo-
hijatovo était déjà encerclée par les forces mixtes de sécurité et
de maintien de l’ordre. D’autres militaires, ceux d’Ambatolampy
et d’Arivonimamo, avaient aussi été appelés en renfort pour blo-
quer les issues. La météo n’était pas vraiment avec nous. Il avait
plu des cordes toute la nuit car nous étions en pleine saison des
pluies. Malgré tout cela, à partir de 6 heures du matin, les gens
commencèrent déjà à affluer et à investir les alentours du jardin.
Puis ce fut comme une vague déferlante irrésistible montant de
très loin. Rien ne pourrait résister à cette mobilisation. À 9 heures,
les hommes en uniforme étaient déjà débordés. La vague humaine
était trop importante. Les forces de l’ordre étaient prises en tenaille
entre les deux tunnels de la ville. À ce moment-là, le général
de gendarmerie m’a appelé. Il était assez nerveux, je sentais que

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Inauguration de la place de la Démocratie le 17 janvier

la situation le dépassait. « Je ne veux pas d’affrontement, a-t‑il


prévenu, vous êtes le premier magistrat de la ville, vous êtes res-
ponsable. Pour ma part, je veux juste qu’il n’y ait pas de casse. »
Pourtant, il me l’a confié, il avait déjà reçu l’ordre de faire de la
répression. Le Président était très irrité par cette inauguration.
Mais cet homme vraisemblablement mesuré a préféré désobéir
et prendre une décision historique. Il sera démis de ses fonctions
peu après. Les gendarmes se sont alors repliés et la population
tananarivienne a pris possession des lieux. C’était déjà une belle
victoire pour la démocratie ! Il était 9 h 30 pile quand je suis arrivé
avec mon épouse. Nous portions tous les deux l’écharpe orange qui
allait devenir la couleur de la révolution malagasy. L’ambiance était
incroyable, les gens chantaient, criaient au passage de mon cortège.
On ne s’entendait plus. Il y avait ce refrain qui revenait sans cesse,
celui de notre si bel hymne national Ry Tanindrazanay malala ô. Ce
chant patriotique faisait vibrer les murs de la capitale. « Ô Bien-
Aimée Terre de nos ancêtres. Ô beau pays de Madagascar. Notre
Amour pour toi ne faillira pas. Et restera à ta cause éternellement
fidèle. Ô Bien-Aimée Terre de nos ancêtres. Nous espérons que
tu sois bénie, celui qui a créé l’Univers est la base de ton existence.
Ô Bien-Aimée Terre de nos ancêtres chéris. Nous espérons mettre
à ton service notre corps, notre cœur, notre âme, que nous avons,
qui sont certes précieux et emplis de dignité. » Ce jour-là, quand
j’entendis la foule entonner cet hymne, j’en ai eu la chair de poule.
Je suis donc arrivé sur place. La terre Malagasy est sacrée, c’est
l’héritage de nos ancêtres, le fruit du courage de toutes ces femmes
et de ces hommes qui se sont sacrifiés pour elle durant l’histoire.
Il y avait autour de moi mes conseillers municipaux, toute mon
équipe de fidèles. J’avais les larmes aux yeux, je me sentais porté par
cette foule. Des gens étaient venus expressément des provinces, des
quatre coins du pays, avec des banderoles rappelant leur ville, leur
région. Et tout le monde avait répondu présent pour le meeting.
Mais je le sentais, les gens voulaient un changement et mettre
fin à la dictature. Ils voulaient que j’aille plus loin. J’ai relevé le
voile de la plaque et j’ai regardé cet océan de visages anonymes,
autour de moi. Et j’ai déclaré lors d’un discours improvisé : « Nous
n’acceptons pas la dictature, l’abus de pouvoir, c’est notre lutte et nous

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Par Amour de la Patrie

irons jusqu’au bout. » J’ai dénoncé les dernières décisions prises par
le pouvoir comme l’achat d’un avion présidentiel, qui n’était pas
prévu dans la loi de finances. Le nouvel Air Force One avait coûté
60 millions de dollars alors que la majorité de la population vivait
sous le seuil de la pauvreté. Ce n’était pas vraiment une priorité !
J’ai également dénoncé l’intention d’octroyer 1,3 million d’hectares
de terres arables pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans à
la société Daewoo Logistics. Les Coréens avaient commencé à
expulser beaucoup de paysans Malagasy de leurs exploitations.
Au regard de la loi, cette action est anticonstitutionnelle d’au-
tant plus que la terre est sacrée pour les Malagasy ! Et puis, j’ai
lancé un nouvel ultimatum à l’attention des autorités centrales en
demandant la démission du ministre du Budget, du ministre de la
Communication ainsi que du ministre de l’Aménagement du ter-
ritoire de l’époque impliqués dans ces affaires. Ils avaient jusqu’au
21 janvier 2009 pour se retirer. L’inauguration de la place de la
Démocratie était désormais plus que symbolique, c’était devenu
le début de la lutte. Une lutte exemplaire et pacifique, il n’y avait
eu aucune échauffourée avec les forces de l’ordre. Et pourtant
nous étions nombreux, plus de 100 000 personnes réunies dans
le centre de Tana. C’était du jamais vu dans la capitale malagasy.
Au fond de moi, je sentais que ce vaste mouvement populaire
était parti pour durer. Plus tard, j’ai relu un article qui résumait
bien l’ambiance de ce jour-là. Il reprenait en partie des bribes de
mon discours : « Malgré le scepticisme de certains, voire le vœu
caché qu’il y ait des incidents de toutes sortes, l’inauguration de la
place de la Démocratie, dans le parc municipal d’Ambohijatovo à
Antananarivo, mérite réellement d’être connue du monde entier.
Primo, par la sagesse ancestrale qu’ont démontrée les Malagasy
d’Antananarivo, représentatifs de tous les Malagasy de Madagascar.
Secundo, la “sagesse” des forces de l’ordre. Tertio, la sagesse et la
foi inébranlable du Maire et de son épouse vraiment bénis de
Dieu. Car il a plu toute la nuit et encore vers 9 heures ce matin.
Mais lorsque Mialy et Andry Rajoelina sont arrivés, le soleil était
au rendez-vous. Cette journée à marquer d’une pierre blanche a
apporté un élément nouveau dans l’Histoire même de la Grande
Ile : le temps est venu de faire l’histoire pour ne plus la subir. Plus

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Inauguration de la place de la Démocratie le 17 janvier

jamais. Vox populi, vox Dei. Faire l’Histoire avec le peuple et pour le
peuple. Laissons aux autres la tâche de faire des… histoires. » J’étais
passé du stade de simple maire à celui d’« homme providence » à la
tête d’un vaste mouvement populaire parce que je disais tout haut
ce que tout le monde pensait tout bas. J’étais devenu la voix de la
souffrance populaire. Et je n’ai d’ailleurs jamais cessé de l’être. Je
n’avais peur de rien, j’avais foi en mon combat et en ma religion.
Mon épouse était inquiète bien sûr mais elle me soutenait de tout
son cœur. C’était courageux de sa part, épouse et mère de famille,
d’être présente à mes côtés. Tous mes proches avaient peur pour
mon intégrité physique aussi, mes parents en premier lieu, mes
amis aussi, mais pour ma part, j’étais si sûr de mon combat, que
rien ne pouvait m’arrêter. J’étais comme porté par le peuple. Car
tout le monde espérait alors que Rajoelina allait enfin libérer le
pays de l’emprise autoritaire du Président M. Ravalomanana. Il y
avait déjà beaucoup de militants politiques en prison… Et j’avais
bien précisé ce jour-là à mon équipe qu’il s’agissait d’un combat
spirituel. J’étais devenu le porte-parole des sans-voix.

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CHAPITRE 10

Les manifestations
sur la place du 13-Mai

Le 24 janvier, face au mutisme du pouvoir à nos revendications,


les manifestations se sont intensifiées. C’était encore plus impres-
sionnant, il y avait encore plus de gens. Une fois de plus, bon
nombre de mes partisans avaient fait le voyage par leurs propres
moyens depuis l’intérieur du pays. Ils étaient venus avec la ferme
intention de repartir avec des réponses et promesses de changement
de la part du régime. En vain ! Le peuple étouffait, la marmite
bouillonnait sur la place de la Démocratie. Il y avait autant de
gens à l’intérieur qu’à l’extérieur qui scandaient « 13 mai ‘zao dia
‘zao! 13 mai ’zao dia ‘zao! » (« 13 mai tout de suite ! 13 mai tout
de suite ! »). Sous ces incitations, j’ai pris la parole pour déclarer
« Mes amis, je vous ai entendus ! Descendons vers la place du 13-Mai ».
S’en est suivi un tonnerre de cris de joie ! Debout dans ma voiture
à toit ouvrant, j’ai pris la tête de la marche allant vers la place du
13-Mai. J’étais vêtu d’un costume blanc et je portais autour du
cou, désormais inséparable, mon écharpe orange. Tout le monde
portait cette couleur, devenue le symbole de la révolution. Il y
avait des casquettes, des T-shirts, des fanions de couleur orange.
C’est une couleur chaude, solaire, énergique et porteuse d’espoir.
Elle a toujours été ma préférée.
Les images de cette marée orange ont fait le tour des médias
internationaux. Je faisais l’ouverture des journaux télévisés du
monde entier. Je pressentais que nous étions en train d’écrire une
page de l’histoire du continent. Une fois sur la place du 13-Mai,
j’ai refait un discours improvisé : « Je vous remercie pour votre
sagesse, c’est une lutte populaire pacifique. » Je me sentais réellement

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Les manifestations sur la place du 13-Mai

en communion avec le peuple assoiffé de liberté et de changement.


Il était écrit sur des banderoles : « Sokafy ny haino aman-jery rehe-
tra » (« Ouvrez toutes les radios et télévisions fermées »). D’autres
banderoles disaient « C’est notre droit de réclamer la démocra-
tie à Madagascar ». Je revois encore devant moi cette affluence
immense, tous ces gens qui arrivaient des quatre coins de la capi-
tale, toutes ces longues files humaines sur les hauteurs de la ville.
Les gens étaient partout.
Malheureusement, dans la foulée de cette manifestation, quatre
étudiants ont été incarcérés. Ils étaient accusés d’avoir jeté des
cocktails Molotov. Nous sommes redescendus deux jours plus
tard, le 26 janvier au matin, sur la place du 13-Mai, pour récla-
mer leur libération. Et à nouveau, la foule était au rendez-vous,
avec de nombreuses délégations d’étudiants. J’ai fait un discours
en dénonçant à nouveau les exactions des autorités et les abus
de pouvoir. Non seulement il n’y avait plus de radio Viva, mais
les chaînes nationales RNM et TVM avaient été déménagées au
palais présidentiel. J’ai également pointé du doigt la mainmise du
pouvoir sur des terrains domaniaux et l’expropriation illégale des
habitants d’Anosipatrana et d’Andohatapenaka. Le meeting était
diffusé en direct sur les ondes des radios privées. Et presque tout
Madagascar écoutait attentivement ce qui était en train de se passer
sur la place du 13-Mai.
Pour renforcer nos revendications, nous avons quitté pacifique-
ment la place pour se diriger vers Andohatapenaka afin de manifes-
ter contre les mesures iniques du Président. Nous avons marché et
lorsque nous sommes arrivés au niveau de la Cenam (marché arti-
sanal malagasy), la foule a crié : « MBS maintenant, MBS main-
tenant ! » J’ai aussitôt refusé car cela ne faisait pas partie de notre
programme. J’ai invité la foule à me suivre à Andohatapenaka.
« Moi je ne veux pas vous emmener à la MBS », ai-je précisé. Mais
la foule a refusé et j’ai finalement décidé de continuer le chemin,
cependant très peu de gens m’ont suivi. C’était la première fois
que des manifestants ne suivaient pas mes consignes. Les plus
réfractaires à mes appels au calme se sont alors dirigés vers les
locaux de la MBS à Anosipatrana. C’est à ce moment-là que tout
a basculé. À 200 mètres à peu près de l’entrée, les gardes militaires

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Par Amour de la Patrie

ont ouvert le feu et un jeune homme a été touché à la tête, tué


sur le coup, ce qui a aggravé la situation, et tout a dégénéré. La
nouvelle s’est propagée rapidement et est repassée en boucle sur
toutes les radios. Les esprits se sont alors échauffés et certains
manifestants, dans un excès de colère, s’en sont pris violemment
aux studios de la MBS. Les militaires sur place se sont enfuis à
travers les marais.
En parallèle aux événements de la MBS, des étudiants ont
effectué un sit-in devant le tribunal d’Anosy pour réclamer la
libération de leurs camarades, incarcérés arbitrairement. Il y avait
là une poignée d’hommes en uniforme. En entendant à la radio
la tragédie d’Anosipatrana, les manifestants les plus radicaux ont
décidé de se faire justice eux-mêmes. Ils ont lancé des pierres en
direction du tribunal. Ils ont également incendié les locaux de la
Radio et de la Télévision nationale malagasy qui étaient devenus
des outils de propagande du pouvoir en place. Des voitures ont
aussi été ravagées par le feu dans la cour. C’était comme en 1972,
lorsque les étudiants désespérés par les injustices, les atteintes
au droit de manifester, la répression sous le régime du Président
Philibert Tsiranana, avaient voulu prendre en mains les médias
publics pour faire passer leur message. La coupe était pleine.
Ceux qui n’acceptaient plus cette situation, la mort d’innocents,
se sont dit « Seul Dieu est maître de la vie d’un être humain »,
et ils sont allés se faire justice eux-mêmes. D’autres sont allés
saccager les bureaux et usines du Président, Magro et Tiko, ins-
tallés sur des terrains de l’État. Tout s’est passé très vite entre
11 h 30 et 15 heures. Les manifestants avaient exprimé leur
mécontentement et Antananarivo avait basculé dans un climat
insurrectionnel. Plus tard, vers 17 heures-18 heures, des « gros
bras » à la solde du pouvoir, sont allés forcer la porte des autres
magasins Zoom Ankorondrano et Avance Center Behoririka. Des
gens ont vu et reconnu les milices inciter les badauds à piller
les magasins en lançant ici et là des bombes incendiaires pour
y mettre le feu. Le soir même, j’ai fait un discours sur Radio
Antsiva pour calmer les esprits : « En tant que maire, j’ai décrété le
couvre-feu et envoyé les sapeurs-pompiers […], j’invite la population
à rester au calme. »

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Les manifestations sur la place du 13-Mai

Le lendemain, le 27 janvier, le Président s’est rendu sur les lieux


des incendies, notamment à la RNM. Et il s’est rendu coupable
tout seul des exactions de la veille en répondant à une question
d’un journaliste : « Monsieur le président, pourquoi, en tant que
chef suprême des armées, n’avez-vous pas donné de consigne aux
militaires de protéger les biens et personnes ? » Le président a
souri et il a répondu : « C’est moi qui ai donné l’ordre de ne rien
faire. » En clair, le président de la République avouait clairement
qu’il n’avait pas pris ses responsabilités. Pire, une semaine après,
j’apprenais ma destitution le 3 février 2009 par ordre du ministère
de l’Intérieur. J’avais été remplacé par un « Président de délégation
spéciale (PDS) ». Guy Rivo Randrianarisoa, nommé par arrêté du
Président. Une décision qui a mis de l’huile sur le feu.

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CHAPITRE 11

L’arrogance
du Président M. Ravalomanana

Marc Ravalomanana a fait un petit discours fin janvier au détour


d’une visite dans un quartier de la capitale. Et il a provoqué davan-
tage les esprits déjà surchauffés à travers une phrase pleine de
mépris à mon égard : « Testez votre force d’abord avant de vous
mesurer à moi », a-t‑il dit, avant d’ajouter « Et lui (Andry) il a
envie de voler, mais il n’a pas d’ailes ». Cette provocation verbale
m’avait aussitôt rappelé la crise de 1972, au moment fort de la
révolution estudiantine, lorsque Philibert Tsiranana, alors pré-
sident de la Ire République (juin 1960-mai 1972), avait rétorqué
aux manifestants qui voulaient le changement : « Hataoko Tsak-
tsak zato arivo » (« Je ferai tirer des coups de feu qui feront des
milliers de victimes »). À l’époque, les FRS (Forces républicaines
de sécurité) avaient été envoyées sur l’avenue de l’Indépendance
devant l’hôtel de ville pour réprimer la manifestation estudiantine.
Et Marc Ravalomanana était en train de faire la même erreur,
comme avant lui Didier Ratsiraka en 1991. En effet, ce dernier,
pour rassurer ses partisans, avait osé affirmer face aux revendica-
tions de ses opposants sur la place du 13-Mai : « Tsy hiala aho!
Tsy hiala aho! » (« Je ne quitterai jamais le pouvoir ! Je ne quitterai
jamais le pouvoir ! »)
Pour résumer, la petite phrase du Président M. Ravalomanana
était une provocation de plus qui mettait en péril une hypothé-
tique sortie de crise pacifique. Et ses partisans étaient de plus en
plus inquiets, car le Président restait sourd face à l’ampleur du
mouvement populaire. Il y avait déjà un côté fin de règne. Dans
la tête des malagasy, il n’était plus le « père de la nation » comme

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L’arrogance du Président M. Ravalomanana

il aimait à se présenter depuis son arrivée au pouvoir en 2002. Son


image s’effilochait. Une foule toujours plus dense se réunissait de
plus en plus régulièrement sur la place du 13-Mai pour réclamer
son départ. Tout Madagascar était connecté en permanence et
passionné par la tournure des événements. Les malagasy avaient
littéralement l’oreille collée au poste radio. Dans la logique de
ce mouvement de contestation populaire, j’ai appelé à une grève
générale le 7 février. La tournure des événements s’accéléra.

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CHAPITRE 12

La terrible répression du 7 février :


la tuerie de trop

Mon appel à la grève générale a été majoritairement suivi. La


foule s’est rendue en masse sur la place du 13-Mai. Lors de mon
discours, comme je l’avais évoqué quelques jours avant, j’ai nommé
un Premier ministre pour une transition, ce qui a constitué un acte
symbolique fort. J’avais consulté Monja Roindefo le matin même.
Nous avons discuté en tête à tête et il a accepté de s’engager. Il
est le fils de feu Monja Jaona, un leader politique nationaliste très
populaire qui avait créé en 1946 la société secrète Jiny, à l’origine de
la célèbre insurrection de 1947 contre le système colonial français.
Plus tard, en 1956, il avait fondé le parti Monima (Mouvement
national pour l’indépendance de Madagascar). En fait, j’avais
nommé le fils d’un résistant de la première heure. Ce n’était évi-
demment pas un hasard, c’était pour démontrer qu’on était dans
la même logique. Monja Roindefo a fait un discours remarquable
et remarqué en s’adressant au peuple malagasy et à la communauté
internationale en trois langues, malagasy, français et anglais. Il y
avait une joie palpable dans la foule mais aussi beaucoup d’impa-
tience. Les gens criaient : « Au palais d’Ambohitsorohitra mainte-
nant, au palais maintenant ! » La foule était galvanisée. Après un
conciliabule avec Monja Roindefo, j’ai décidé de prendre la parole.
« Dans l’histoire, le palais avait été accordé à la mairie d’Antananarivo
pour devenir le bureau du maire sous le Président Ratsiraka. Donc,
il est tout à fait normal que M. le Premier ministre de la transition
aille s’y installer. » Simultanément, les manifestants continuaient de
scander : « Tout de suite ! Tout de suite !!! » Monja Roindefo m’a
alors fixé dans les yeux. Puis, il m’a fait un petit signe de la main

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La terrible répression du 7 février : la tuerie de trop

en me disant : « OK, nous allons au palais. » Évidemment, l’idée,


c’était de marquer la journée d’un acte symbolique percutant mais
il n’avait jamais été question de prendre le palais d’assaut. Et d’une
certaine manière, c’était surtout pour calmer la foule survoltée.
Tout cela s’est donc déroulé de manière spontanée, rien n’avait été
programmé. Monja Roindefo et des députés sont montés dans un
pick-up et se sont frayé un chemin dans la foule pour remonter vers
le palais. Beaucoup de manifestants les ont suivis. D’autres sont
montés par les escaliers allant de la place du marché d’Analakely et
débouchant directement sur le square d’Antaninarenina. Certains
ont préféré prendre la rue environnante d’Ambatomena et celle de
la Pergola. Cette foule s’est dirigée comme un seul homme vers
un des symboles du pouvoir. Les gens agitaient des drapeaux de
couleur orange aux balcons. Lorsque je revois encore ces images
aujourd’hui, j’en ai les larmes aux yeux. Nous n’avions pas d’armes,
notre lutte était totalement pacifique. Mais lorsque nous nous
sommes retrouvés là-haut, à proximité de l’hôtel du Louvre, des
membres des forces armées y étaient déjà postés. Ces militaires
ont alors encerclé les manifestants en bloquant l’accès au palais.
Le général Dolin Rasolosoa, mon ancien directeur de cabinet à
la mairie, a demandé à la foule de s’arrêter et a prié les militaires
de laisser passer une délégation pour négocier avec les autorités.
Mais des gardes ont aussitôt répondu : « Il n’y a aucun responsable
à l’intérieur. » Après les négociations, les militaires qui tenaient la
place devant le palais se sont tous retirés d’un seul coup en courant.
L’ordre leur avait été donné de laisser la foule investir les lieux. Sur
certaines vidéos on voit très clairement des éléments de la garde
présidentielle donner des consignes derrière les grilles du palais, en
faisant des gestes signifiants : « Écartez-vous, laissez-les passer. »
Les militaires postés à l’extérieur du palais couraient dans tous les
sens en alertant : « Tandremo fa hitifitra ry zalahy! » (« Attention
ils vont tirer ! ») Ils voulaient prévenir que la garde présidentielle
s’apprêtait à prendre les manifestants pour cible. Mais il était déjà
trop tard, les manifestants s’avançaient encore plus. Alors qu’ils
étaient encore loin des grilles du Palais d’Ambotsirohitra, la garde
présidentielle a commencé à ouvrir le feu. Il n’y a même pas eu un
seul tir de sommation. Tout est parti très vite. Ils visaient même

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Par Amour de la Patrie

directement les gens qui n’avaient aucune intention de pénétrer


dans l’enceinte du palais, et qui n’étaient pas armés. En entendant
les coups de feu, certains d’entre eux ont couru pour se réfugier
dans les ruelles adjacentes. Ceux qui se trouvaient au milieu de
la fusillade se sont allongés par terre en tentant de se dissimuler
comme ils le pouvaient, souvent en se protégeant mutuellement
les uns derrière les autres. L’angoisse a duré plusieurs minutes
interminables. Les blessés qui essayaient de se relever et de s’enfuir
se faisaient encore tirer dessus. Ce massacre a été diffusé en direct
sur les chaînes de radio et de télévision. Les députés se trouvaient,
heureusement, sur les côtés. Beaucoup s’étaient mis à l’abri der-
rière les voitures ou contre les porches des immeubles. Il y a eu
en tout 47 morts, dont un journaliste, et des dizaines de blessés.
À travers ces événements tragiques, M. Ravalomanana avait pris
sa revanche après la mise à sac de ses sociétés et de ses propres
affaires les jours précédents. Mais à quel prix ?
Lorsque j’ai eu pleinement conscience de l’ampleur de cette
tuerie, j’étais complètement abattu. Je ne pensais pas qu’un diri-
geant, même assoiffé de pouvoir, puisse être capable de faire
tirer sur des Malagasy comme lui. J’étais littéralement effondré
et j’ai fait un appel en direct à la radio pour condamner cette
« répression meurtrière aveugle ». Dans la foulée, la ministre de
la Défense Cécile Manorohanta qui n’était pas d’accord avec les
ordres donnés a dénoncé elle aussi une « répression féroce » avant
de déposer sa démission : « En tant que mère de famille, je ne peux
pas accepter de tels actes. » puis elle annonça sa démission en tant
que ministre des Forces armées et de la Défense nationale. Tout
Madagascar était en deuil et j’ai alors appelé à une trêve en invitant
les Tananariviens à une journée « ville morte » le lendemain qui
fut largement suivie par la population. Tous les magasins furent
fermés, ainsi que les établissements scolaires. Le peuple malagasy
tout entier avait rejeté ce carnage. Nous étions tous sous le choc, le
régime M. Ravalomanana se durcissait et avait franchi un nouveau
cap dans la terreur. Plus tard, des milliers de personnes sont allées
se recueillir au gymnase couvert de Mahamasina où étaient expo-
sées les victimes dans leur cercueil. Une fois de plus, les Malagasy
étaient venus des quatre coins du pays pour un dernier et solennel

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La terrible répression du 7 février : la tuerie de trop

adieu à ces combattants de la liberté. Parti du gymnase couvert, en


passant sous le tunnel d’Analakely, l’interminable cortège funèbre
s’est rendu sur la place du 13-Mai. Les gens levaient la main
droite au passage des « martyrs » de cette révolution pacifique.
Des femmes, des mères de famille, des sœurs pleuraient, criaient,
s’évanouissaient. « Malagasy tokony tsy mamono malagasy iray rà
aminy » (« Un Malagasy de sang ne doit pas tuer un Malagasy
comme lui »), entendait-on ici ou là. C’est tout Madagascar qui
fut en deuil ce jour-là.

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CHAPITRE 13

Le FFKM entre en scène


dans la médiation

Nous étions pris dans une spirale dangereuse à l’issue incer-


taine où tout pouvait basculer dans le chaos. Pourtant, si dès le
début du mouvement populaire le pouvoir avait écouté ce que la
population réclamait, il n’y aurait pas eu de bras de fer, pas de
massacre, et tout serait rapidement rentré dans l’ordre. La grande
erreur du Président M. Ravalomanana, c’était d’abord son manque
de clairvoyance sur l’évolution des événements. Il avait été inca-
pable de prévoir le « cyclone Malagasy » qui allait tout emporter.
Il aurait pu dire comme le général de Gaulle en 1958 devant la
population rassemblée à Alger « Je vous ai compris », mais au lieu
de cela, il s’était enfermé dans sa tour d’ivoire. Il avait pris de haut
les revendications de la population. Pire, il les avait régulièrement
méprisées. Alors, afin de trouver une solution pacifique à la crise,
le Conseil œcuménique des Églises chrétiennes de Madagascar,
le FFKM, a pris les devants en organisant une « Conférence pour
la paix » à l’hôtel Le Hintsy. Chaque camp a accepté de former
un groupe de représentants. Le premier round des discussions a
débuté le 21 février.
La première rencontre entre le président de la République et
moi-même s’est relativement bien passée mais n’a rien donné de
concret. Le chef d’État ne voulait faire aucun compromis. Il restait
campé sur ses positions, borné et sûr de lui.
Le FFKM a alors fait une proposition de charte à laquelle j’ai
répondu positivement. J’étais prêt à accepter le schéma proposé par
les chefs des Églises chrétiennes. J’ai donc accepté l’initiative en
me rendant une quatrième fois à l’hôtel Le Hintsy. Le rendez-vous

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Le FFKM entre en scène dans la médiation

fut donné le 26 février 2009. Monseigneur Odon Razanakolona,


archevêque d’Antananarivo, s’était déplacé en personne, avec la
délégation des leaders d’Églises, pour présider la réunion. Je suis
arrivé d’un pas décidé et serein vers 10 heures. Je voulais vraiment
que l’on s’entende et que le pouvoir prête une oreille attentive aux
aspirations populaires.
C’était une occasion unique de mettre un terme définitif à la
crise. Mais le Président n’est jamais venu. Il avait pourtant été
mis au courant de cette réunion de négociations quelques jours
avant, et il avait d’abord annoncé qu’il viendrait. Et nous l’avons
attendu plusieurs heures dans le salon de l’hôtel avant qu’il finisse
par appeler pour nous prévenir que son agenda présidentiel ne lui
permettrait pas d’honorer l’invitation. Il avait décidé de partir à la
dernière minute en tournée sur la côte est de Madagascar. C’était
presque un geste de désinvolture, il désignait le bâton plutôt que la
main tendue. Tout le monde a été choqué par son comportement.
Il y avait de quoi être furieux par un tel mépris. Il y avait
une sorte d’arrogance. Il lui a manqué alors cette humilité néces-
saire pour sortir rapidement de la crise. J’ai fait pour ma part une
déclaration à la presse en annonçant la rupture des discussions
avec le Président Marc Ravalomanana. « À partir de maintenant,
moi qui dirige cette lutte, je ne participerai plus à ces négociations.
Personnellement, je n’y trouve plus d’intérêt […]. Je me suis rendu à
ce face-à-face dans l’objectif de trouver une solution face à la crise que
subit Madagascar actuellement. Le fait que le président de la République
ne soit pas venu à cette rencontre signifie que la vie de la nation
n’est pas prioritaire pour lui. » « La vie de la nation n’est pas un jeu,
avais-je rappelé. Il est primordial de se pencher sur les revendications
actuelles du peuple, point par point et de long en large. Je rappelle
que les meetings sur la place du 13-Mai ont été suspendus pour éviter
les confrontations durant ces rencontres. Mais si aucune solution n’est
apportée aux problèmes actuels, le peuple qui m’a mandaté reprendra
les manifestations et, cette fois-ci, à lui de prendre sa décision finale.
Personnellement, j’ai assisté à ces rencontres avec une totale humilité,
en laissant de côté tout orgueil pour l’intérêt de la nation. Ce qui ne
veut pas dire que la lutte est terminée. Au contraire, elle est loin d’être
achevée tant que des solutions ne seront pas dégagées de ces rencontres.

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Par Amour de la Patrie

Ainsi, une manifestation sera prévue sur la place du 13-Mai avant


la fin de la semaine. »
Et j’ai ajouté à la fin de mon allocution : « Si nous voulons vrai-
ment mettre en place la démocratie, il faut laisser le peuple malagasy
sans distinction dire son opinion, dévoiler ses idées. Et jusqu’à présent,
nous revendiquons le droit de nous exprimer à la RNM et à la TVM
(Radio et Télévision Nationale). Car jusqu’à maintenant, moi-même
je n’ai même pas eu le droit de m’y exprimer. » Je me souviens alors
de cette phrase dans un très bon article intitulé « À quoi joue
donc Marc Ravalomanana ? », de l’éminent journaliste Jeannot
Ramambazafy : « Que nous réserve l’avenir ? Surtout que l’ambassa-
deur des États-Unis a bien précisé, le 23 février 2009 : “L’échec n’est
pas une option.” En tout cas, la politique de la terre brûlée pointe à
l’horizon. Personne n’en sortira indemne et il n’y aura ni gagnant ni
perdant mais Marc Ravalomanana en sera tenu pour unique respon-
sable devant le tribunal de l’histoire et dans les dictionnaires (c’était
un des rêves – réalisé – de Didier Ratsiraka que de figurer dans ce
genre d’ouvrage). Mais demain sera un autre jour, soyons optimistes et
ayons foi en Dieu. » Cela dit, je continuais sourdement de croire à
l’option pacifique. Au fond de moi, je me disais que demain serait
un autre jour, qu’il fallait effectivement rester optimiste et garder
foi en Dieu. Les gens disaient que M. Ravalomanana n’écoutait
plus les conseils de ses ministres et qu’il était encore moins enclin
au dialogue. Face à cela, la population se crispait davantage. Et le
mouvement populaire s’amplifiait partout dans la Grande Ile. Face
à l’échec des négociations, j’ai alors appelé à une grève générale
dans tout le pays.
Le succès de ce nouveau et vaste mouvement de grève a été quasi
total, la majorité des fonctionnaires ont suivi la consigne. Tous
les ministères fermèrent leurs portes et l’ensemble de l’appareil de
l’État fut bloqué. Plus personne, ou presque, n’allait travailler. Le
pays était entièrement paralysé.

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CHAPITRE 14

Le règne de la terreur

Depuis la mi-février, pour mater le mouvement, le régime avait


fait venir des « mercenaires » d’origine sud-africaine et israélienne
avec l’objectif de semer la terreur et d’arrêter les meneurs. C’étaient
pour la plupart d’anciens militaires qui étaient venus encadrer
l’armée Malagasy. Leur première mesure avait été de bloquer
l’accès à la place du 13-Mai. Le pouvoir avait aussi armé des
milices en recrutant de jeunes désœuvrés dans les bas quartiers.
On les reconnaissait facilement car ils ne portaient pas de rangers
mais des baskets. En voyant cela, beaucoup de militaires s’étaient
sentis offensés. Comment pouvait-on faire appel à des étrangers
pour sécuriser le pays se sont-ils offusqués ? Et donc, il y a eu des
défections. Et pas mal de militaires n’acceptaient pas la répression.
À cette époque, la lutte était presque perdue. Les principaux lea-
ders avaient été arrêtés. La population commençait à avoir peur.
Augustin, mon conseiller, avait dû s’enfuir en douce après avoir
fait une allocution à la radio, pour échapper aux militaires venus
l’arrêter. Tous mes proches s’éparpillaient un peu partout. Nous-
mêmes, ma famille et moi, avions dû nous éclipser quelque temps
à cause de menaces de mort. Parfois, on se dissimulait dans le
coffre de la voiture qui nous conduisait pour se réfugier chez des
amis. Mon épouse était très éprouvée par cette période. C’était
un cauchemar au quotidien. Par précaution, nous avions décidé
d’un commun accord d’envoyer nos enfants en France. Nous crai-
gnions un enlèvement. Tout était possible de la part d’un pouvoir
qui ne respectait plus l’État de droit. Tout le monde se mettait à
l’abri des arrestations arbitraires, de la répression violente qui
s’abattait sur le pays. Il n’y avait quasiment plus de contacts entre

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Par Amour de la Patrie

mes collaborateurs. Nous prenions tous nos distances en évitant


de trop parler au téléphone car la plupart de nos communications
étaient sur écoute. Nos réunions devenaient clandestines. Un soir,
un convoi de militaires est même venu m’arrêter dans mes bureaux.
C’était le branle-bas de combat. Ne sachant pas où aller, j’ai appelé
le père curé de la cathédrale d’Andohalo située sur la haute ville.
C’était là qu’on avait célébré notre mariage. Il nous a aussitôt
invités à venir le rejoindre. On nous a exfiltrés discrètement en
nous cachant une nouvelle fois dans le coffre de la voiture avec
mon épouse. Et on nous a emmenés vers le lieu de rendez-vous.
Nous avons été accueillis par le prêtre en personne. Plus tard, on
est venu nous apporter des vivres et un matelas. Nous avons dormi
par terre dans la salle de séjour du presbytère. « Ne craignez rien,
vous êtes dans la maison du Seigneur et personne ne pourra rien contre
vous. Ceux qui voudront vous faire du mal ne pourront pas pénétrer
ce lieu », nous a rassuré le représentant de l’Église. Une fois de
plus, nous avions échappé à une rafle, mais jusqu’à quand ?
Heureusement nous pouvions avoir quelques informations en
avance pour nous préparera, car parmi les forces de l’ordre, certains
étaient avec nous, dont le commissaire Fidelis. Un soir, il m’a
appelé pour me prévenir : « Président, quittez la maison, cachez-vous,
car on nous a donné l’ordre de vous arrêter mort ou vif. ». J’ai immé-
diatement suivi son conseil et j’ai quitté mon domicile pour aller
me cacher chez des amis. Mais ça ne s’est pas arrêté là. Car
quelques jours plus tard, dans la nuit du 3 mars, à 21 h 46 pile !
J’étais chez moi, je venais de regarder ma montre et je m’apprêtais
à me coucher lorsque j’ai entendu un coup de feu à l’extérieur.
Tous les soirs, des vigiles surveillaient les accès à ma résidence à
Ambatobe. Ils avaient fait des barrages sur la route pour assurer
ma sécurité, notamment au niveau du lycée français. Ce soir-là,
six camions militaires et quatre 4 × 4 avaient surgi dans la nuit.
Ils étaient venus encercler le périmètre. Les soldats étaient des-
cendus rapidement des camions et s’étaient mis en position d’at-
taque. Ils se préparaient à l’assaut lorsque, par erreur, l’un d’eux
avait déclenché son fusil, blessant au passage l’un de ses équipiers.
Ce coup de feu accidentel allait faire échouer leur plan. Car en
l’entendant, un de mes gardes avait aussitôt répondu par un tir de

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Le règne de la terreur

sommation. En tant que maire de la capitale, j’avais droit à quatre


policiers armés pour me protéger. Ils portaient tous en permanence
sur eux un Mas 36. C’est un vieux fusil de la Seconde Guerre
mondiale que l’on charge balle par balle. En réalité, à côté des
nombreux militaires, c’est comme si nous n’étions pas armés. Mais
lorsque ces derniers ont entendu notre riposte, ils ont cru que nous
étions nombreux. Par chance, toute ma famille était en France.
J’ai interpellé un ami d’enfance qui était avec moi à la maison et
mon garde du corps, et je leur ai dit : « Les gars, on y va, il faut
partir au plus vite. » Nous sommes passés par la terrasse pour
rejoindre au pas de course la concession mitoyenne. De l’autre
côté, il y avait une usine. Je savais que par là nous pourrions nous
enfuir. C’était une question de vie ou de mort. Mais il y avait un
obstacle de taille devant nous, il fallait sauter par-dessus un mur
de sept mètres de haut. On a d’abord escaladé un poteau électrique
pour se faufiler sur le mur. Le vigile a sauté le premier. Je savais
que c’était très haut et on ne voyait rien dans le noir. Mais je n’ai
pas hésité une minute, je me suis élancé dans le vide. Par chance,
je suis bien retombé sur mes pieds, sans rien me fouler, le sport
m’a donné une certaine souplesse. Je venais à peine de me relever
quand on a entendu au loin cinq molosses courir vers nous en
aboyant. Je n’ai pas eu peur, j’ai même commencé à me diriger
vers eux en premier. Et j’ai reconnu au loin leur gardien. J’ai crié :
« S’il vous plaît, aidez-nous, sauvez-nous, on veut nous tuer. » Le
type m’a reconnu sur-le-champ. Il a hurlé à ses chiens « Couchez-
vous, assis, couchez-vous » et aussitôt ils se sont arrêtés de courir.
En entendant les cris, le directeur de l’usine est sorti. Je lui ai
demandé de me cacher. Il était terrorisé à l’idée de représailles
contre lui mais il nous a quand même invités à nous réfugier au
fond d’un hangar, dans le dépôt de l’usine. Et une fois à l’abri,
j’ai appelé un journaliste de Viva pour relayer l’information sur les
ondes. Et peu de temps après que l’alerte a été donnée, on a vu
deux 4 × 4 descendre de la colline pour se diriger droit vers l’usine.
Là, je me suis dit : « C’est foutu, on va être arrêtés. » J’ai dit :
« Chut, on ne bouge plus, pas un bruit. » Les militaires menés par
le colonel Faly avaient le plan de ma maison. Je me disais au fond
de moi : « On va m’attraper, on va me tuer. » Je me suis mis à

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Par Amour de la Patrie

prier quelques minutes. Les militaires sont apparemment restés


devant le portail de l’usine pendant plusieurs minutes. C’était très
angoissant. Puis, ils ont encerclé la maison. Et Viva TV continuait
de diffuser l’information en boucle : « Tentative d’arrestation du
maire Andry Rajoelina à son domicile. » Dans la foulée, les cloches
des églises se sont mises à sonner. Et en quelques minutes, des
journalistes étaient déjà sur les lieux pour filmer. Face à l’agitation
médiatique et au fiasco de leur mission, les militaires ont préféré
abandonner et sont repartis. Plus tard je me suis dit : « Une minute
de plus, et peut-être serions-nous morts. » Quand j’ai su que les
journalistes étaient eux aussi partis, j’ai aussitôt prévenu un employé
de l’entreprise de ma belle-famille pour lui expliquer où nous
etions. Et on est venu rapidement nous chercher. À nouveau, on
nous a dissimulés dans le coffre d’une voiture et on est parti en
direction des entrepôts de la société de mes beaux-parents, qui se
trouvait à quelques kilomètres de là, en évitant la route principale.
Sur place, nous nous sommes cachés derrière des fûts et on s’est
couché par terre, sans couverture, sur des coussins. On a très mal
dormi car on était toujours sur le qui-vive. On écoutait discrète-
ment la radio pour connaître l’évolution de la situation. Le len-
demain, le 4 mars, j’avais rendez-vous avec des ambassadeurs, cette
réunion avait été programmée quelques jours auparavant.

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CHAPITRE 15

La réunion décisive
avec les ambassadeurs

L’ensemble du corps diplomatique est arrivé assez tôt à ma


résidence vers 9 heures. J’avais prévenu ma collaboratrice de les
accueillir. Une fois que j’ai su qu’ils étaient tous là, je pouvais
moi-même m’y rendre. Mais je n’étais pas tout à fait rassuré, car
dans le même temps, l’échec de mon arrestation avait provoqué
la colère de M. Ravalomanana. On venait de me prévenir qu’il
avait redonné l’ordre de m’arrêter à tout prix. Alors, avant d’aller
retrouver les ambassadeurs, j’ai décidé de reparler à la radio, par
telephone, en exprimant mes inquiétudes quant à mon sort. Et
d’un seul coup, tout le quartier est venu me protéger. Les rive-
rains avaient érigé des barricades et jouaient les boucliers humains.
L’armée ne pouvait plus passer. J’ai finalement réussi à passer
entre les contrôles et à rejoindre ma villa. Mais lorsque je me suis
présenté devant les diplomates, installés dans mon salon, j’étais
dans un état lamentable. Je n’avais pas eu le temps de me laver ni
de me changer, mes vêtements étaient souillés, on avait dormi sur
un sol huileux. J’étais méconnaissable. Nous entendions un fort
bourdonnement à l’extérieur de la résidence. Le Président avait fait
envoyer un hélicoptère rempli de militaires armées jusqu’aux dents.
Pendant plusieurs minutes, il tournait en rond à basse altitude
autour de ma résidence. Les gens criaient : « On ne veut plus de
cette dictature », en apostrophant l’hélicoptère, ils étaient survoltés.
J’ai aussitôt expliqué ce qui s’était passé aux ambassadeurs : « Vous
voyez ce que cherche le Président, il veut porter atteinte à ma vie. »
Je me suis alors tourné vers le représentant diplomatique des
États-Unis :

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Par Amour de la Patrie

– Monsieur l’ambassadeur, pouvez-vous assurer ma protection ?


Puis-je me réfugier dans votre ambassade ?
Il m’a regardé un peu interloqué avant de répondre :
– Monsieur le maire, je dois en référer à Washington.
Je me suis alors tourné vers l’ambassadeur d’Allemagne et j’ai
eu la même réponse : « Je dois en référer à Berlin. »
Et à la fin, j’avais les larmes aux yeux et j’ai regardé la char-
gée d’affaires française Marie-Claire Girardin, qui remplaçait
l’ambassadeur congédié quelques mois plus tôt par le Président
M. Ravalomanana. Je l’ai regardée sans rien dire mais je crois
qu’en tant que femme, mère de famille, elle a compris.
– Monsieur le maire, j’accepte, venez je vous emmène avec moi.
J’étais surpris et rassuré par sa réponse instinctive et protectrice.
C’était un acte courageux de sa part que je n’oublierai jamais. Mon
personnel de maison m’a préparé une valise avec des vêtements
propres et je suis monté dans son véhicule de fonction, à côté d’elle.
Je me suis plié en quatre derrière le chauffeur pour que l’on ne
me voie pas quitter mon domicile. Mais je voyais ce qui se passait
dehors. Les gens tapaient sur les voitures du corps diplomatique
en hurlant : « Prenez position, protégez notre maire, protégez
notre leader, prenez position. » Une fois arrivés à la résidence de
France à Ivandry, Mme Marie-Claire Girardin a prévenu le Quai
d’Orsay et les Nations unies. Et aussitôt le représentant de l’ONU
a fait une déclaration publique en disant : « M. Rajoelina est sous
la protection des Nations unies à la résidence de France. » On
m’a installé dans une grande chambre en me disant : « Vous êtes
ici chez vous, par contre vous ne pourrez pas la quitter pour des
questions de sécurité. »

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CHAPITRE 16

Le refuge à la résidence de France

Le lendemain, Mme la chargée d’affaires avait rendez-vous avec


le Président M. Ravalomanana. J’étais seul à la résidence. J’avais un
téléphone et j’appelais régulièrement mes conseillers. En revenant
de son entretien, Mme Girardin m’a dit avec un grand sourire :
« Monsieur le maire, j’ai une bonne nouvelle à vous annoncer. »
J’avais hâte de savoir de quoi il pouvait s’agir.
– Oui dites-moi, ai-je répondu sobrement.
– Il a accepté, monsieur le maire !
– Il a accepté quoi ?
– Il a accepté que vous partiez. On va vous emmener à l’aéroport
et vous prendrez l’avion pour Paris. La France accepte de garantir
votre sécurité.
Tout était déjà organisé pour que je m’exile en France. J’ai
regardé la chargée d’affaires en observant plusieurs secondes de
silence. Puis je lui ai dit :
– Désolé, je n’ai pas mené cette lutte pour partir et m’enfuir
ainsi, je ne peux pas laisser mes partisans sans leader. Et je vais
assumer jusqu’au bout mon rôle et mon devoir.
Elle m’a regardé avec surprise, elle ne s’attendait pas à ma
réponse. Je ne reculais pas et je refusais de m’enfuir ainsi.
– Monsieur le maire, dans ce cas, nous ne pouvons pas vous
garder éternellement à la résidence. On peut vous accueillir encore
quelques jours mais une fois que vous aurez franchi la porte de
cette maison, vous ne serez plus sous notre protection, et vous
assumerez vos actes.
Je l’ai remerciée et rassurée, et je lui ai demandé juste une chose :
– Madame la chargée d’affaires, avez-vous une Bible ?

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Par Amour de la Patrie

Elle m’a regardé dans les yeux et a répondu :


– Oui, je vais en chercher une pour vous.
Elle est allée aussitôt en récupérer une et me l’a donnée en main
propre. Je l’ai remerciée chaudement et je suis retourné dans ma
chambre. Le mouvement avait été complètement écrasé par la
force, mais j’avais encore la foi. Et à partir de ce moment-là, je
me suis mis à prier toutes les heures, à genoux devant un crucifix,
pour que le Seigneur m’accompagne davantage dans ce combat.
Chaque jour, je lisais des versets bibliques différents et je deman-
dais au Seigneur de me donner la force nécessaire pour affronter
cette épreuve. Un matin, la chargée d’affaires est venue prendre le
petit déjeuner avec moi et je lui ai lu un verset biblique.
– J’ai reçu un message du Seigneur. « Le méchant prend la fuite
sans qu’on le poursuive. Le juste a de l’assurance comme un jeune
lion. » Proverbes 28.
Elle a souri en rétorquant :
– Ça, c’est aussi valable pour vous.
Je lui ai répondu :
– Madame, je crois que tout cela va arriver.
J’avais la foi avec moi pour réussir. Il y avait dans la résidence
un militaire français des forces spéciales qui avait été dépêché
expressément par la France pour veiller à ma sécurité. Cela me
rassurait évidemment. Un jour, en regardant la télévision en direct
sur TV Plus, j’ai appris qu’il y avait eu une réunion d’état-major
le 8 mars et qu’une mutinerie avait éclaté dans plusieurs casernes
en même temps. Des gendarmes et militaires dénonçaient la
répression et s’étaient donné rendez-vous au camp du Capsat à
Soanierana. Sous couvert d’anonymat certains avaient même avoué
devant les caméras : « Nous ne répondons plus aux ordres de nos
supérieurs. » Les militaires commençaient à ne plus supporter
l’usage de la force envers le peuple. Et ils ont invité la garde
présidentielle à les rejoindre. Beaucoup ont accepté, d’autres ont
quitté leurs postes et rendu leurs armes. Et cette mutinerie a
provoqué des démissions en série au sein du gouvernement car
face au renoncement de la garde présidentielle, il ne restait plus
qu’une poignée de miliciens pour protéger le pouvoir. Le 11 mars,
un nouveau chef d’état-major a été désigné pour remplacer celui

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Le refuge à la résidence de France

nommé quelques semaines auparavant, tandis que les forces de


sécurité réclamaient toujours une solution politique à la crise.
Le 13 mars au soir, depuis la résidence de France, j’ai appelé les
Malagasy à un grand rassemblement le lendemain sur la place
du 13-Mai.

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CHAPITRE 17

17 mars : la chute du régime


M. Ravalomanana

J’ai quitté la résidence de France le 14 mars, escorté et protégé


par les militaires qui refusaient M. Ravalomanana. On est d’abord
allés à l’épiscopat à Antanimena où nous attendait beaucoup de
monde, dont plusieurs escadrons de gendarmerie pour me protéger.
C’était notre lieu de rendez-vous. De là, nous sommes partis vers
la place du 13-Mai. Et une fois de plus, une foule immense était
venue pour m’accueillir. J’avais les larmes aux yeux de constater
qu’il y avait toujours autant de monde après toutes les exactions
du pouvoir. J’ai fait un discours improvisé comme à chaque fois.
Dans le fond, je préférais cette manière-là, spontanée, car je par-
lais aux Malagasy avec mes tripes, avec toute ma sincérité. Ce
qui m’a le plus frappé ce jour-là, c’est que les militaires étaient
enfin applaudis par la population. Ils avaient été tellement cri-
tiqués pendant la répression. Ils retrouvaient un peu de crédibi-
lité dans le cœur des Malagasy car ils étaient désormais du côté
du peuple. L’ancien Premier ministre et président de l’Assem-
blée nationale Jacques Sylla a demandé en personne au Président
M. Ravalomanana de démissionner. « C’est la seule solution pour
Madagascar », a-t‑il dit. J’ai lu un verset biblique. Grâce à cette
foi en moi, je me sentais investi spirituellement par cette mission.
J’ai fait un discours en disant : « Il est temps de rendre le pouvoir
au peuple ! Et pour matérialiser cela, je vais me rendre personnelle-
ment au palais d’Ambohitsorohitra ! » Et je suis parti aussitôt avec
une délégation. Tout le long de la route, les gens sortaient pour
m’acclamer. C’étaient des « hourras » sur les trottoirs et mes par-
tisans agitaient des écharpes orange en faisant le V de la victoire

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17 mars : la chute du régime M. Ravalomanana

depuis les balcons. Cette fois, je savais que je ne pouvais plus


reculer. On s’est garés devant l’hôtel du Louvre et j’ai marché à
pied jusqu’au palais. J’étais en première ligne, là même où il y avait
eu le massacre quelques semaines plus tôt. Je n’avais pas peur,
j’étais totalement habité. Des mpiandry ont pénétré juste avant
moi pour exorciser les lieux. Ils y ont trouvé des amulettes, les
gris-gris du Président. Plus tard, en creusant, on retrouvera même
des ossements, des cornes utilisées lors de sacrifices. La sorcellerie
est encore une pratique répandue à Madagascar. Au moment où
je suis moi-même entré dans le palais, la radio a annoncé que le
Président M. Ravalomanana avait démissionné après signature de
l’ordonnance n° 2009/001 du 17 mars 2009 actant sa démission
et la passation des pleins pouvoirs à un directoire militaire. Alors
j’ai aussitôt fait un discours. Et c’était la joie autour de moi, un
immense sentiment de libération. Une nouvelle page allait s’écrire.
Car si M. Ravalomanana n’avait pas démissionné, je n’aurais sans
doute pas pu calmer les esprits longtemps. Puis, on est allés à
l’épiscopat où nous attendait l’évêque. ainsi que le représentant
des Nations unies et des membres de la chancellerie. Une fois sur
les lieux, j’ai été étonné de voir plusieurs voitures diplomatiques
avec leurs fanions reconnaissables sur le côté. Les ambassadeurs
étaient venus m’accueillir. J’ai rencontré Tiébilé Dramé, le repré-
sentant des Nations unies, l’ambassadeur des États-Unis, plusieurs
diplomates et les militaires présents. M. Dramé a lu à haute voix
la démission de Marc Ravalomanana qui transmettait les pleins
pouvoirs à un directoire militaire formé par les plus hauts gra-
dés de l’armée. J’étais accompagné de ma délégation, j’ai pris la
parole pour dire que cette décision était contraire à l’aspiration
populaire et j’ai quitté la salle. En me voyant partir, les militaires
s’interrogeaient sur la situation. Un proche collaborateur leur a
alors expliqué qu’un directoire militaire sera en charge des affaires
du pays. Un commandant et quelques officiers sont alors rentrés
dans la salle les fusils braqués en disant qu’ils n’acceptaient pas
ce directoire militaire. C’était complètement impulsif de leur part.
Je les ai alors rappelés en essayant de calmer les esprits et en leur
demandant de bien vouloir sortir. Les militaires ont accepté et sont
descendus. Malheureusement, ce geste incontrôlé d’une poignée

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Par Amour de la Patrie

de militaires allait me mettre à dos la communauté internationale


qui jusque-là me soutenait. Au bout de quelques minutes, je suis
finalement reparti. Plus tard, les militaires ont réussi à convaincre
les hauts gradés de soutenir notre cause. Ils se sont alors réunis
entre eux au camp militaire du Capsat. Finalement, le vice-amiral
Hyppolite Raharison ainsi que trois hauts gradés m’ont confié
dans la soirée les pleins pouvoirs, pour assurer la continuité de
l’État à travers la transition politique. J’ai alors fait une demande
de conformité. J’ai demandé à la Haute Cour constitutionnelle si
cette décision était conforme à la Constitution. Elle a répondu
favorablement à ma requête en arguant que le transfert du pouvoir
à une autorité militaire n’était pour le coup pas prévu par la loi.
En effet, Marc Ravalomanana n’avait pas respecté la Constitution
car c’est le président du Sénat qui aurait dû normalement le rem-
placer et non un directoire militaire. Et c’est comme ça que j’ai
été investi président de la Haute Autorité de la transition de la
république de Madagascar. J’ai signé l’ordonnance n° 2009‑003
qui institutionnalisait la Haute Autorité de la transition (HAT).
« Vu l’Ordonnance n° 2009/002 du directoire militaire du 17 mars
2009, conférant les pleins pouvoirs à Monsieur Andry Rajoelina. »
Et le samedi 21 mars 2009 à 10 h 30 du matin a eu lieu mon
installation officielle au poste de président de la Haute Autorité
de la transition. À ce moment-là, Marc Ravalomanana se cachait
depuis plusieurs jours. Un matin, la chargée d’affaires de l’ambas-
sade de France est venue me voir. Elle m’a demandé :
– Monsieur le Président, je suis venue vous demander de laisser
M. Ravalomanana partir librement, m’a-t‑elle dit.
– Madame la chargée d’affaires, vous souvenez-vous du verset
biblique Proverbes 28 : « Le méchant prend la fuite sans qu’on
le poursuive. Le juste a de l’assurance comme un jeune lion. »
Je n’avais pas l’intention d’agir autrement, vous connaissez mes
principes, lui ai-je répondu.
Je l’ai donc laissé partir. On apprenait quelques jours plus tard
que Marc Ravalomanana fuyait en catimini pour l’Afrique du Sud.

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CHAPITRE 18

Une tournée en forme


de plébiscite en province

Après la chute de Marc Ravalomanana, j’ai effectué un voyage


à travers tout le pays pour remercier ceux qui m’avaient soutenu,
et faire le point sur les attentes de la population. Je savais que
j’avais eu beaucoup de soutien aux quatre coins du pays, mais je
ne m’attendais pas à un tel accueil. Et j’ai d’abord été accueilli
triomphalement dès mon arrivée à Tuléar. Cela m’a beaucoup
touché. Les gens étaient venus en masse m’attendre à l’aéroport.
Lorsque je suis descendu de l’avion, certains tenaient dans la
main des branches de palmiers. Et ils les ont posées devant
mes pieds. C’était un geste de déférence et de respect qui est
resté gravé dans ma mémoire. Ils chantaient et acclamaient le
cortège. Je me souviens alors qu’il faisait très chaud, et qu’il n’y
avait pas d’eau, les gens étaient venus me chercher en faisant
plus d’une quinzaine de kilomètres à pied, pour m’accueillir.
Ils avaient aussi coupé des branches d’arbres car nous étions le
fameux dimanche des Rameaux, juste avant Pâques. Et tout cela
était très symbolique. Ils m’ont accueilli comme leur sauveur.
Ils avaient aussi déposé des branches sous la voiture. « Vous êtes
notre héros, c’est vous qui nous avez libérés », scandaient-ils. Les
femmes étaient toutes très apprêtées et portaient leurs lamba
traditionnels. Plus tard, sur le chemin menant vers la ville,
j’avais ouvert la fenêtre de la voiture en saluant mes partisans.
« Vous êtes notre sauveur, vous êtes notre héros », criaient-ils. Un
moment, j’ai demandé au chauffeur de s’arrêter et j’ai dit à un
jeune qui courait en sueur depuis plusieurs kilomètres le long
du cortège :

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Par Amour de la Patrie

– Pourquoi m’accueillez-vous ainsi ?


– Parce que vous êtes notre libérateur !
J’ai trouvé cela très émouvant. Ce n’était pas le fait d’être flatté,
c’était plutôt toute cette attente, ce besoin de changement. Pendant
plusieurs années, le paysage politique était quasi monocolore. Et
personne n’osait vraiment s’exprimer contre M. Ravalomanana.
C’était une sorte de terreur. L’opposition n’existait plus. Et il était
impensable qu’un jeune politique comme moi puisse renverser
un tel pouvoir cadenassé. J’avais gagné la confiance du peuple
par ma détermination malgré les risques, une sorte de légitimité
populaire. Alors, j’ai continué ma tournée en faisant le tour de la
Grande Ile. Majunga, Diégo-Suarez, Tamatave, Antsirabe, etc.,
et à chaque fois c’était le même accueil. Je voyais dans les yeux
de ces gens une attente immense. Ils faisaient reposer sur moi
leurs espoirs de changement. Je voyais aussi l’état de dégrada-
tion des infrastructures. Les habitants venaient vers moi pour
dénoncer le manque d’hôpitaux, d’écoles, de services en tout
genre. Une tâche immense m’attendait, mais faudrait-il encore
qu’on m’en donne les moyens ou qu’on me laisse les mains libres
pour agir durablement, reconstruire ce pays. Trop d’abus, de
monopole et d’égoïsme avait provoqué le désespoir du peuple
de ce si beau pays, fierté de nos ancêtres. Cette jeunesse me
souriait aujourd’hui et me tendait la main partout dans les rues
espérait enfin des réformes concrètes, une politique de l’emploi
effective, une modernisation en profondeur. Je devais ne plus
promettre mais agir. Je me souviens dans l’avion, je repensais
aux événements qui s’étaient précipités. Tout était allé si vite.
Il y avait eu des instants de joie et d’espoir. Je repensais à cette
foule sur la place du 13-Mai. Je revoyais ces visages, ces cris de
joie. Et puis il y avait aussi des souvenirs pénibles. Je repensais
à tous ces militants de la liberté qui étaient morts assassinés. Il
y avait ces mères de famille qui avaient pleuré devant les cer-
cueils de leurs fils, de leurs maris. J’avais la tête contre le hublot
et je repensais à ce grand mouvement populaire qui venait de
déboucher sur cette victoire pour la démocratie. Et au fond de
moi, j’en ressentais une certaine fierté. Oui, le peuple Malagasy
comme en 1947 était capable de se battre jusqu’au bout pour

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Une tournée en forme de plébiscite en province

se libérer de ses chaînes. Par le hublot, je regardais aussi ces


paysages si contrastés, le bleu de la mer, les plages de sable fin,
les îlots sauvages, tous ces espaces d’une beauté rare qui font la
richesse de ce pays au potentiel immense. En bas, ces forêts, ces
parcs naturels, ces camaïeux de vert étaient comme un immense
drapeau de l’espoir.

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CHAPITRE 19

L’investiture du 21 mars 2009

Après la validation de la Haute Cour constitutionnelle du


décret me nommant à la tête de l’État, j’ai été investi officiel-
lement président de la Haute Autorité de la transition de la
république de Madagascar le 21 mars 2009, par le grand chan-
celier qui m’a remis l’écharpe de chef d’État et la grand-croix de
l’ordre national Malagasy. À 34 ans, je devenais le plus jeune
chef d’État au monde. La Haute Cour constitutionnelle s’est
occupée d’organiser la cérémonie et d’inviter la population à y
participer. C’était toute la différence avec Marc Ravalomanana
qui s’était autoproclamé Président, après les accords de Dakar
d’avril 2002 qu’il n’avait pas respectés. Ces accords de paix et de
réconciliation qu’il avait pourtant signés avec le Président renversé
Didier Ratsiraka prévoyaient « un partage temporaire du pouvoir
politique entre les deux protagonistes, un nouveau décompte des voix
du scrutin présidentiel accepté par les deux parties du 16 décembre, la
formation d’un gouvernement de cohabitation qui devrait déboucher
sur l’organisation, du second tour de l’élection présidentielle ». Mais
ces accord étaient restés lettre morte et Ratsiraka avait été forcé
à l’exil. Pour ma part, l’ambiance était tout autre, le pays avait
su trouver presque seul une issue à la crise, en évitant un bain
de sang et la chasse aux sorcières. M. Ravalomanana s’était enfui
par peur des représailles mais personne ne lui avait véritablement
fait de menaces de poursuites. Lorsque je suis arrivé au stade
municipal de Mahamasina, j’ai été impressionné. Cette enceinte
sportive qui peut contenir près de 40 000 places était comble,
des milliers de personnes avaient répondu présentes, une foule
enthousiaste et joyeuse. Mes partisans étaient venus en nombre

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L’investiture du 21 mars 2009

pour agiter les écharpes orange dans les tribunes. Ils scandaient
nos chants de victoire. Il y avait les chefs de corps de l’armée, la
société civile, toutes les forces vives de la nation Malagasy étaient
là. En revanche, l’absence du corps diplomatique avait été remar-
quée. Marc Ravalomanana avait fait le travail de sape nécessaire
à travers un lobbying auprès de la communauté internationale
pour que les choses se passent ainsi. Il pensait que je le vivrais
comme une humiliation, or pas du tout. Certes, c’était extrême-
ment cruel car notre « révolution » méritait un autre accueil, mais
le plus important c’était d’être entouré du peuple. Car c’était un
moment fort, il y avait beaucoup de sentiments. Nous étions
en communion. Je portais ce jour-là une cravate orange sur une
chemise blanche et un smoking bleu marine. Je voulais que les
Malagasy soient fiers de leur dirigeant. J’étais le jeune Président
d’un vieux pays qui méritait enfin qu’on le respecte. C’était la
fin d’un long combat mené depuis plusieurs mois contre une
« dictature ». Toute la nuit, j’avais préparé mon discours. Je n’ai
d’ailleurs pas arrêté de l’améliorer, de le réécrire, d’y ajouter ici et
là des détails importants que j’avais pu omettre. Je le lisais à voix
haute, le reprenais, même dans la voiture qui m’avait emmené
au stade. C’était mon premier message officiel à la nation en
tant que chef d’État et je ne pouvais me permettre de rater ce
rendez-vous avec l’histoire. Mon idée, c’était d’abord d’appeler les
Malagasy à se rassembler. Je voulais une union des forces vives
du pays pour améliorer ensemble le niveau de vie des citoyens,
pour construire une vraie démocratie. J’étais prêt à réformer le
pays. Ma mission ne serait néanmoins pas simple, sous la pres-
sion de la communauté internationale, elle consistait à organiser
des élections sous vingt-quatre mois. Mais j’avais confiance en
mon équipe. J’ai obtenu ensuite les décorations de président de la
République des mains du grand chancelier, Étienne Ralitera. Et
puis, j’ai prêté serment en levant la main droite. Et lorsque j’ai
débuté mon discours avant de prendre un long bain de foule, j’ai
ressenti une profonde émotion. À nouveau, je voyais les images
de la lutte défiler. Je crois que cela s’est ressenti dans mon entou-
rage, car tous mes proches avaient les larmes aux yeux. C’était
comme la rencontre d’un homme et de son peuple. D’ailleurs,

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Par Amour de la Patrie

mon premier geste fort a été d’annoncer la grâce présidentielle


aux prisonniers et exilés politiques.
« Honorables invités, Mesdames et Messieurs. Mes premiers mots
sont des mots de remerciements, c’est un grand plaisir pour moi d’expri-
mer ma profonde gratitude et mon infinie reconnaissance au peuple
malagasy, pour le courage soutenu qu’il a manifesté pendant ces longues
semaines de lutte et, parfois, de dures souffrances. Le peuple Malagasy
a encore une fois marqué sa volonté de changement, cette volonté est
inébranlable, indestructible. Je suis ici, devant vous aujourd’hui,
conscient de l’ampleur de la tâche qui nous attend, reconnaissant pour
la confiance que vous m’avez témoignée et conscient des sacrifices que
vous avez consentis, pour que nous puissions ensemble atteindre nos
objectifs. Nous sommes réunis aujourd’hui, car nous avons vaincu la
peur, nous avons l’espoir et la volonté de travailler main dans la main
pour donner une nouvelle chance à notre pays de marcher enfin vers
un véritable développement. Nous proclamons aujourd’hui la fin de la
dictature, de la gabegie dans la gestion des affaires d’État, des mensonges
et des fausses promesses, des exclusions et de la pensée unique qui ont,
pendant longtemps, étouffé notre vie politique. Nous avons parcouru
ensemble un long chemin, qui n’a jamais été fait pour les craintifs, mais
pour les hommes et les femmes déterminés à réaffirmer la grandeur de
notre Nation, parce que nous sommes convaincus que cette grandeur
n’est jamais donnée, elle se mérite. Et nous savons, chers compatriotes,
que nous la méritons. Nous avons pris des risques, parce qu’il faut oser
prendre des risques pour atteindre nos objectifs, et pour arriver au bout
du chemin qui nous a mené vers la liberté. Je sais pertinemment que
nous nous sommes battus, nous nous sommes sacrifiés, nous avons tra-
vaillé sans relâche pour mener une vie meilleure. Nous avons franchi
une étape importante, mais le plus dur reste à faire, à partir d’au-
jourd’hui, nous devons nous relever, et reprendre la tâche de la refon-
dation de Madagascar. Honorables invités, chers concitoyens. La
principale mission que doit accomplir le pouvoir de transition est de
réaliser, en vingt-quatre mois, au maximum l’élaboration d’une nou-
velle Constitution, d’un Code électoral avec l’instauration du système
de bulletin unique et la mise en place d’une commission électorale com-
plètement indépendante, d’un statut de l’opposition, d’une nouvelle loi
sur la communication et de fixer les échéances électorales. Ces nouvelles

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L’investiture du 21 mars 2009

législations sont nécessaires pour répondre aux attentes du peuple qui


aspirent à des changements permettant d’instaurer une véritable démo-
cratie, un réel État de droit, une bonne gouvernance effective, un vrai
respect des libertés publiques et des droits de l’homme, mais aussi une
vraie réconciliation nationale. Le calendrier de l’exécution des travaux,
l’élaboration des textes, de la tenue des différentes élections seront arrê-
tés d’un commun accord, au cours d’une concertation nationale où seront
représentées les différentes composantes de la nation concernées (acteurs
politiques, société civile, organisations de promotion et de protection des
droits de l’homme, secteur privé, syndicats et d’autres encore…). Je sais
qu’il y a des gens qui s’interrogent sur l’ampleur de nos ambitions, et
qui pensent que nous ne serons pas capables de faire face à trop de grands
projets à la fois. Mais je me permets de leur rafraîchir la mémoire. Il
ne faut pas oublier ce que des hommes et des femmes Malagasy, assoif-
fés de liberté, ont déjà fait ; et ce que des hommes et des femmes désor-
mais libres peuvent réaliser quand l’imagination sert un objectif
commun et que le courage s’allie à la nécessité. Nous gérerons les deniers
publics avec sagesse, en pleine lumière et en toute transparence ; nous
changerons les mauvaises habitudes. C’est seulement ainsi que nous
pourrons restaurer l’indispensable confiance entre un peuple et son gou-
vernement. À tous les peuples et les gouvernants de nos pays amis et
partenaires, bailleurs de fonds résidant à Madagascar ou ailleurs, qui
nous regardent aujourd’hui : sachez que nous voulons le changement
dans la façon de gérer notre pays avec une nouvelle vision, et que nous
sommes déterminés à appliquer les principes et les règles de bonne gou-
vernance, et que nous sommes prêts à nouveau à jouer notre rôle afin
qu’il y ait une alliance solide et durable avec tous nos partenaires. À ce
titre, nous allons travailler inlassablement pour assainir les finances
publiques par une politique rigoureuse d’austérité et le respect des règles
de l’orthodoxie financière. Nous combattrons sans merci la gabegie et
le gaspillage. Les soldes dégagés seront utilisés aux actions sociales et à
l’amélioration des conditions de vie des fonctionnaires et autres agents
de l’État. La préoccupation primordiale du pouvoir de transition est le
rétablissement de la sécurité afin que soit préservée la protection des
biens et des personnes. Sur ce point, mes remerciements nourris vont
aux forces de l’ordre qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour assurer la
tranquillité publique. Nous ne transigerons pas à l’égard des fauteurs

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Par Amour de la Patrie

de troubles, des auteurs d’actes de vandalisme que nous ne pouvons, en


aucun cas, tolérer. Le peuple Malagasy aspire à vivre enfin dans la
paix. Aux habitants des zones rurales, nous promettons de travailler à
vos côtés pour faire en sorte que vos cultures prospèrent, que l’élevage
de vos bétails soit sécurisé, et qu’il n’y ait plus de paysans affamés et
sans eau potable. Par ailleurs, je veux rassembler tous les Malagasy ;
je veux que chacun comprenne qu’il a sa place dans un pays libre, juste
et bien gouverné. Il nous faut changer, non pas par Amour du chan-
gement, mais parce que les Malagasy attendent autre chose que des
discours du passé, des solutions et des mots vides de sens. Travaillons
ensemble sans arrière-pensée, ensemble, la réussite est à notre portée.
Pour ce faire, nous sommes décidés à privilégier le dialogue et la concer-
tation avec les acteurs politiques et de la société civile, les opérateurs
économiques et toutes les composantes de la Nation. Nous avons la
volonté politique de jeter les bases d’une véritable réconciliation natio-
nale, nous respecterons l’indépendance de la Justice mais nous demandons
à chaque magistrat de respecter les règles de droit. Nous allons poursuivre
la politique de lutte contre la corruption qui continue à gangrener notre
société. Nous n’hésiterons pas à sanctionner tout acte de corruption, quel
qu’en soit l’auteur et à n’importe quel niveau qu’il se trouve. Je ferai
personnellement une déclaration de mon patrimoine car j’ai accepté cette
charge, non pas pour m’enrichir mais pour servir. Nous voulons res-
pecter la laïcité de l’État car nous sommes contre l’instrumentalisation
de l’Église à des fins politiques. Le pouvoir de transition déploiera tous
les efforts nécessaires pour lutter contre le coût de la vie, améliorer la
qualité de vie des Malagasy et réduire la pauvreté. À vous les opérateurs
économiques, nous vous promettons la libre concurrence. Plus de mono-
pole économique, plus de favoritisme économique. À vous les investis-
seurs, nous nous engageons à assurer la protection de vos investissements,
à créer un climat de confiance en instaurant un dialogue permanent.
Pour atteindre tous les objectifs que nous nous sommes fixés, notre stra-
tégie est simple : la diffusion progressive d’une culture des résultats.
Nous avons la volonté d’améliorer la qualité du service public. Lorsque
nous regardons le chemin à parcourir, nous nous rappelons avec toute
notre gratitude nos parents, nos fils et nos filles qui ont payé de leur
vie pour que vienne enfin la liberté, notre liberté. Nous les honorons,
non seulement parce qu’ils sont les gardiens de cette liberté, mais parce

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L’investiture du 21 mars 2009

qu’ils incarnent l’esprit de sacrifice, « leur disponibilité à mourir » pour


une cause qu’ils ont défendue, l’Amour de leur patrie. Et à ce moment,
c’est précisément leur esprit qui doit tous nous habiter. Chers Ray aman-
dreny, chers frères et sœurs de Madagascar, chacun peut imaginer
­l’émotion profonde qui est la mienne au moment où je vais assumer la
plus haute fonction de la République. Je mesure le poids de mes respon-
sabilités à l’endroit de chacun d’entre vous. Quoi qu’un gouvernement
puisse et doive faire, c’est en définitive de la foi et la détermination des
Malagasy que ce pays dépend. C’est le courage d’un paysan prêt à obte-
nir une bonne récolte, la volonté d’un agent de l’État d’offrir un meil-
leur service à tous les contribuables, mais aussi la disposition d’un parent
à nourrir son enfant, qui décident en définitive de notre destin. Je sais
que la confiance que vous me témoignez me crée plus de devoirs que de
droits. Je connais les difficultés des défis qui m’attendent. Notre force a
été et sera d’être ensemble et de le rester. Les défis face à nous sont
peut-être nouveaux. Les outils avec lesquels nous les affrontons sont
peut-être nouveaux. Mais les valeurs dont notre succès dépend, le tra-
vail, l’honnêteté, le courage, le respect des règles, la tolérance, la loyauté
et le patriotisme, sont connues de tous. Nous devons, de nouveau, faire
nôtres ces valeurs. Elles seront la force tranquille de notre progrès. Nous
devons entamer une nouvelle ère de responsabilité, une reconnaissance,
de la part de chaque Malagasy, que nous avons des devoirs envers notre
pays, des devoirs que nous n’acceptons pas à contrecœur mais saisissons
avec joie, avec la certitude qu’il n’y a rien de plus satisfaisant pour
l’esprit, et qui définissent notre caractère, que de nous donner tout entiers
à une tâche difficile. C’est le prix, la promesse et le défi de la citoyenneté.
Grâce à vous, je suis prêt à relever tous ces défis, à incarner vos espoirs,
je suis prêt parce qu’au plus profond de moi-même, je sais que le peuple
Malagasy ne redoute plus le changement mais qu’il l’attend. Je ferai
tout pour mériter votre confiance et votre soutien ; et la source de notre
confiance, c’est de savoir que Dieu nous appelle pour forger un destin.
De tout ce qui précède, et pour entamer le grand changement et la
réconciliation nationale, j’ai décidé, ce jour, d’octroyer la grâce à tous
les prisonniers politiques, incarcérés dans le pays comme ceux en exil à
l’extérieur, pour marquer notre volonté de mettre fin à toutes les
­pratiques abusives contre les citoyens n’épousant pas la même vision
politique que les tenants du pouvoir. De même, une réduction de peine

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Par Amour de la Patrie

va également être accordée à tous les condamnés. Le garde des Sceaux,


ministre de la Justice, est chargé de l’exécution de ces décisions, selon les
dispositions des textes en vigueur. Chers concitoyens, nous avons rendu
possible ce que de nombreux ont pensé inaccessible, nous avons eu une
première victoire : cette victoire est la vôtre ! Nous, peuple Malagasy
uni, déterminé pour le changement. Oui, nous avons changé ! Oui, nous
allons changer. Tourner la page pour une nouvelle histoire de notre
pays. Nous avons besoin des uns et des autres, le concours de tout un
chacun, hommes et femmes, et surtout les jeunes, est indispensable.
Ensemble nous allons reconstruire, bâtir et nous unir. Nous allons trou-
ver une nouvelle approche, fondée sur l’intérêt et le respect mutuel. Vive
Madagascar.
Masina ny tanindrazana. »

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CHAPITRE 20

La médiation internationale

Ma légitimité populaire s’était heurtée à l’abandon de la com-


munauté internationale. Marc Ravalomanana avait réussi son pari
d’entraver dès le début mon accession au pouvoir. En juin, les diri-
geants des pays de la Communauté de développement d’Afrique
australe (SADC) ont nommé l’ancien Président mozambicain
Joaquim Chissano médiateur pour mener la négociation. Son
objectif principal était de faire revenir l’ordre constitutionnel à
Madagascar. Il est venu dans la Grande Ile et il a tenu à rencon-
trer un par un tous les représentants des anciens présidents de la
république de Madagascar. Et au bout de ce round de discussions,
il a proposé une cohabitation gouvernementale à partir des quatre
mouvances politiques dont ceux des trois chefs d’État empêchés,
exilé et rejeté par la population, celles de Didier Ratsiraka, d
­ ’Albert
Zafy, de M. Ravalomanana et de moi-même. En réalité, ils nous
ont imposé cette solution qui n’était pas très simple à mettre en
place et qui, forcément, empêcherait toute réforme en profon-
deur. Puis, nous avons été conviés en août à une première réu-
nion à Maputo. Ils avaient choisi un pays neutre car c’était plus
simple d’organiser cette réunion en dehors de Madagascar alors
que plusieurs ex-Présidents vivaient toujours en exil à l’étranger.
Le Président Ratsiraka en exil en France depuis 2002 est venu de
Paris, Marc Ravalomanana exilé en Afrique du Sud a fait le voyage
de Johannesburg. Et nous nous sommes retrouvés avec les média-
teurs de l’Union africaine (UA), de l’Afrique australe, des Nations
unies (ONU) et de l’Organisation internationale de la francophonie
(OIF) dans un climat assez détendu malgré les risques d’échec.
Marc Ravalomanana et Didier Ratsiraka ne s’étaient pas revus

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Par Amour de la Patrie

depuis les négociations de Dakar en 2002. Le groupe de contact


international voulait mettre tout le monde d’accord sur un texte
pour une transition consensuelle et inclusive à Madagascar. Après
les négociations, la feuille de route a été établie pour remettre sur
pied les institutions et permettre la mise en place rapide d’un gou-
vernement de transition, constitué à partir de quotas égaux entre
les quatre grandes mouvances. J’ai pour ma part accepté toutes les
conditions même si la tenue de cette réunion avait été très mal
perçue par nos partisans. Ils se demandaient pourquoi les anciens
Présidents rejetés par la population allaient à nouveau pouvoir gérer
le pays. Cela avait provoqué une certaine déception dans mon camp.
Certains me le reprocheront plus tard. Parmi les plus réticents, il
y avait le chef du premier gouvernement qui refusera longtemps
de démissionner, estimant que toutes les parties n’avaient pas été
consultées lors des négociations sur l’accord de partage du pouvoir.
Mais je n’avais pas tellement le choix, on m’imposait cette feuille de
route, et je voulais montrer des signes de bonne volonté et d’apai-
sement. De retour à Madagascar, conformément aux dispositions
de la feuille de route la « mouvance Ratsiraka » proposait comme
Premier ministre M. Eugène Mangalaza. Il a pris ses fonctions
en octobre, mais ce philosophe-anthropologue, n’a jamais réussi
à former ce fameux gouvernement de cohabitation. C’était très
difficile d’obtenir un consensus tant les forces en présence étaient
contradictoires et ce fut d’autant plus difficile à comprendre de la
part de la population. À l’initiative du président de la Commission
de l’Union africaine (UA), M. Jean Ping, le Groupe international
de contact (GIC) sur Madagascar a tenu sa troisième réunion
à Antananarivo, le 6 octobre 2009. L’Union africaine (UA), la
Commission de l’Océan Indien (COI), la Communauté pour le
développement de l’Afrique australe (SADC), les Nations unies
(ONU), l’Organisation internationale de la francophonie (OIF)
et l’Union européenne (UE) ainsi que la Libye, en sa qualité de
pays assurant la présidence en exercice de l’UA, et les membres
permanents du Conseil de sécurité des Nations unies avaient tous
assisté à cette réunion.
Mais cela s’est transformé en échec retentissant. Comme
on n’arrivait pas à s’entendre, les sanctions de la communauté

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La médiation internationale

internationale ont commencé à pleuvoir. Le 1er janvier 2010,


Madagascar a été suspendu de la liste des pays africains jouissant
d’un droit d’accès préférentiel pour leurs produits au marché amé-
ricain dans le cadre de l’AGOA (African Growth and Opportunity
Act). Puis l’Union européenne a suspendu son aide au développe-
ment. L’Union africaine a imposé des sanctions contre 109 person-
nalités Malagasy à l’initiative de la mouvance M. Ravalomanana.
Bref, tous les financements étaient bloqués. On n’avait plus aucune
aide de l’étranger. On nous faisait pression de toutes parts en nous
prédisant le pire. Soit-disant que nous ne pourrions pas gérer le
pays plus de six mois sans le soutien économique de la commu-
nauté internationale. Les réunions se sont succédé, à chaque fois
soldées par autant d’échecs, à Addis Abeba fin 2009, Pretoria en
2010. Et puis, finalement, les choses se sont débloquées à partir de
Gaborone au Botswana en 2011. On s’était à nouveau tous réunis,
les trois anciens chefs d’État et moi-même, pour tenter de ratifier
l’accord avec les présidents de la SADC. Mais la médiation avait
décidé d’élargir les débats à d’autres groupements politiques. C’est
vite devenu la cacophonie. Et finalement, nous nous sommes tous
à nouveau retrouvés en juin à Sandton en Afrique du Sud, où la
feuille de route a été maintenue et finalement acceptée par tous.
Depuis deux ans, on nous déplaçait un peu partout en Afrique pour
trouver une solution. Il était temps d’avancer. Et finalement, j’ai
nommé à la primature Omer Beriziky de la mouvance Zafy. Et on
a pu enfin créer un gouvernement de coalition qui nous a ensuite
amenés aux élections de 2013. Cette feuille de route imposée par la
communauté internationale ne m’a pas permis de réaliser de grands
travaux que j’avais planifiés et il a fallu que je dirige le pays avec
les autres mouvances dont les objectifs politiques divergeaient des
miens. Nous nous sommes rapidement rendu compte qu’il était
difficile de réformer le pays.

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CHAPITRE 21

Les grands chantiers

Lorsque je suis arrivé au pouvoir fin mars 2009, j’ai d’abord mis
en place un gouvernement issu de notre lutte. C’était une équipe
restreinte acquise à la cause. Nous nous sommes rapidement mis à
travailler pour la reconstruction du pays et j’ai immédiatement lancé
les grands chantiers. J’ai nommé un architecte pour faire le plan des
hôpitaux aux normes internationales. Tous les centres hospitaliers
étaient obsolètes. L’hôpital Joseph Ravoahangy Andrianavalona
d’Antananarivo (HJRA) datait du début de l’indépendance en
1975. Il portait d’ailleurs le nom d’un leader indépendantiste qui
avait été emprisonné par les Français durant l’époque coloniale
pour son activisme politique. Tout un symbole qui m’était cher !
L’hôpital de Befelatanana avait plus de 90 ans. Tous les centres
de santé du pays avaient vieilli. Et je voulais faire en sorte que les
Malagasy puissent enfin se soigner dignement. Je voulais leur offrir
des hôpitaux dignes de ce nom, avec des matériels aux normes
internationales, avec des scanners modernes. La population avait
beaucoup augmenté depuis 1960 et très peu d’hôpitaux avaient été
construits depuis l’indépendance. J’ai tracé moi-même les grandes
lignes de ce vaste programme de modernisation de notre système
de santé. Nous avons fait les plans avec l’architecte et on a lancé
la construction de six hôpitaux dans chacun des chefs-lieux de
provinces de Madagascar : Diégo-Suarez, Majunga, Tamatave,
Antananarivo, Fianarantsoa, Tuléar. C’étaient des projets concrets
qui touchaient le cœur des Malagasy. Je me suis déplacé en per-
sonne pour inaugurer ces nouveaux lieux de santé ultramodernes.
Et à chaque fois, on retrouvait et le même accueil chaleureux et
le même engouement. Je me souviens notamment de l’ambiance

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Les grands chantiers

joyeuse lors de l’inauguration de l’hôpital Manara-Penitra à Diégo


avec ses services spécialisés en oncologie, biologie, maternité,
stomatologie, ORL, urgences, et ses outils ultrasophistiqués, en
matière d’imagerie médicale.
Dans une même démarche, je me suis engagé sur le plan spor-
tif et culturel. J’ai d’abord voulu construire à Antsonjombe un
immense stade. C’était à l’époque un terrain en friche et poussié-
reux. Et j’avais promis de bâtir un Coliseum ! Et une fois de plus,
j’ai réalisé ma promesse en trente mois seulement et le stade fut
inauguré en novembre 2012. Un véritable projet pharaonique à
l’échelle de Madagascar. Le Coliseum a été bâti sur une superficie
de 7 hectares pouvant accueillir jusqu’à 50 000 personnes. Il est
doté d’un immense parking qui peut contenir jusqu’à 620 voitures.
Son extension devrait comprendre entre autres deux grandes salles
d’exposition de 2 000 mètres carrés. Il est considéré comme « le
plus grand amphithéâtre de l’Océan Indien et en Afrique ». C’est
devenu le lieu des grands spectacles, des grands rassemblements
politiques, des offices religieux aussi. Et jusqu’à aujourd’hui, les
gens se battent pour pouvoir l’utiliser ! Le jour de l’inauguration,
j’ai sabré le champagne avec mes amis artistes qui avaient cru en
ce projet. C’était une promesse tenue et pourtant beaucoup n’y
croyaient pas. Pour moi, c’était aussi l’occasion de rendre hommage
à la culture. Tous les artistes qui font la fierté de Madagascar
étaient présents comme Tsiliva, Jaojoby, Lôla, Farah Jones,
Rajery, Princio, Njakatiana, Samoëla, Jean Aimé, WaWa, Henri
Ratsimbazafy, Marion, Bekoto et Fafah du groupe Mahaleo ou
encore Om-Gui. Mais j’avais un autre projet en tête pour la jeu-
nesse. Un jour, j’ai reçu au palais présidentiel l’équipe nationale
Malagasy de rugby que je soutiens depuis toujours. À Madagascar,
le rugby est le sport le plus populaire. Durant notre entretien, j’ai
encouragé les joueurs à donner le meilleur d’eux-mêmes lors de la
prochaine Coupe d’Afrique des nations (CAN) qui devait avoir lieu
à Madagascar en juillet 2012. Je leur ai demandé de porter haut
le flambeau de notre pays. Nous avons parlé de leur quotidien,
de leur emploi du temps, de leurs difficultés aussi. C’était une
discussion très sincère, chaleureuse et décontractée. Et ils m’ont
dit : « Notre problème, c’est qu’on est obligé de travailler pour survivre

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Par Amour de la Patrie

et qu’on ne peut pas se concentrer sur le rugby. On gagne mal notre


vie. » Alors, je leur ai répondu : « OK, je vais multiplier par cinq
votre salaire et vous allez uniquement vous concentrer sur le rugby.
Et je vais vous soutenir dans la préparation de cette compétition ». Je
revois encore leur large sourire. C’était très amical et joyeux. Ils
se sont mis à chanter leur hymne pour me remercier. Ils allaient
enfin pouvoir se concentrer rien que sur leur activité sportive. Je
leur ai fait une dernière promesse : « Vous allez assister et participer
à toutes les compétitions à l’étranger. Nous nous engageons à prendre en
charge tous les frais de billets d’avion, d’hôtel, etc. » Ils sont repartis le
sourire aux lèvres. J’étais heureux de miser sur eux, de pouvoir les
épauler. Une équipe nationale, c’est un exemple pour la jeunesse. Je
voulais que Madagascar retrouve sa fierté, que cette nation relève
la tête à travers le sport. Dans la foulée de cette rencontre, je leur
ai fait construire une salle de musculation et nous avons veillé à
ce qu’ils bénéficient d’une alimentation saine. Beaucoup d’efforts
ont été déployés pour faire de cette équipe (de magasiniers, de
dockers) des professionnels du rugby. En 2012, les pays africains
disputaient la CAN et Madagascar aussi. Match après match, les
joueurs Malagasy se rapprochaient un peu plus de la finale. Puis
le jour J arriva. Le 8 juillet 2012, la sélection Malagasy affron-
tait la Namibie en finale au stade de Mahamasina. Cette grande
nation de rugby était bien sûr favorite, c’était un peu David contre
Goliath. On savait que ça serait très difficile mais on y croyait.
Je suis arrivé volontairement avant le début du match pour aller
à la rencontre des joueurs. Je suis descendu dans les vestiaires et
j’ai salué nos athlètes un à un en les encourageant, un peu à la
façon d’un coach :
« L’Afrique a les yeux braqués sur nous, je compte sur vous, donnez
le maximum, je crois en vous et je sais que vous allez gagner. » On
s’est fait l’accolade et on a entonné le chant de guerre. Il y avait
une puissante énergie, une solidarité entre nous. Puis je suis monté
m’installer dans les gradins. L’ambiance était extraordinaire. Je
n’avais jamais connu le stade aussi joyeux, ou peut-être si, une
seule fois, lors de mon investiture. L’ambassadeur de France était
assis à mes côtés et il y avait, de l’autre, le président de la fédé-
ration africaine de rugby. Le match était très serré. À la fin de la

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Les grands chantiers

deuxième mi-temps, le score était nul à 43 partout. Namibiens


et Malagasy continuaient à s’affronter pour remporter le titre. À
une minute de la fin du match, la Namibie menait 51‑50, mais
on y a cru jusqu’au bout. Et finalement Madagascar a marqué
l’essai de la victoire, à quelques secondes du coup de sifflet final
et remporta le titre avec un score de 57‑54. Des cris de joie, des
hurlements même se sont fait entendre partout dans la capitale
Malagasy. Pour la première fois dans l’histoire de la Grande Ile,
l’équipe nationale de rugby était devenue championne d’Afrique
devant la Namibie, le Sénégal et le Maroc. Quelle fierté après
un tel suspense ! Alors pour célébrer cette victoire, j’ai offert une
prime à tous les joueurs de l’équipe. C’était aussi une promesse
que je leur avais faite discrètement pour les encourager. Le soir,
je me suis adressé à la nation et j’ai fait part de mon sentiment
de fierté et de joie. « Cela a été un grand suspense. Mais toutefois,
j’étais sûr depuis le début, je savais qu’enfin la coupe reviendrait à
Madagascar, et c’est pour cela que je les ai soutenus jusqu’au bout. Notre
équipe nationale a marqué l’histoire. » Le lendemain, j’ai appelé les
joueurs pour leur faire une nouvelle promesse : « Pour la première
fois, nous sommes devenus champions d’Afrique. Alors pour marquer cet
événement, nous allons construire un nouveau stade. » Et j’ai aussitôt
demandé à l’architecte Jean-Claude Dubois de concevoir le plan
d’un stade aux normes internationales. On a organisé une réunion
à la présidence avec le directeur général de Colas qui a aussitôt
accepté de s’associer à cette belle aventure. En deux semaines, il
m’a fait parvenir un devis. Il m’assurait de pouvoir réaliser le stade
en dix-huit mois.
Je l’ai regardé dans les yeux et je lui ai dit :
– Pour moi, c’est beaucoup trop long.
– Avec deux équipes d’ouvriers, nous pourrons éventuellement
le réaliser en neuf mois mais cela coûtera plus cher.
Je l’ai à nouveau regardé dans les yeux et j’ai ajouté :
– Alors mettez une troisième équipe, pour le faire en six mois !
Et on a travaillé jour et nuit, d’arrache-pied, et un mois après
la consécration de la CAN, le 4 août 2012, nous avons posé la
première pierre. Quand j’y pense, je suis encore ému, car une fois
de plus, personne n’y croyait. Je me souviens de tous ces camions à

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Par Amour de la Patrie

pied d’œuvre, qui faisaient des allers et retours dans la poussière. Le


rendement était complètement fou. Et finalement, le 15 décembre
2012, nous avons inauguré, après quatre mois de travaux seu-
lement, ce grand stade que nous avons baptisé en hommage à
l’équipe nationale des Makis, dont la capacité d’accueil s’élevait
à 20 000 spectateurs, étalée sur une superficie de 9 000 mètres
carrés. Le stade Kianja Makis était devenu le nouveau « Temple
du rugby » à Andohatapenaka. Quelle fierté, nous avions relevé
le défi ! J’ai fait un discours pour rendre hommage à cette perfor-
mance : « Le pouvoir n’est pas seulement un simple passage pour les
politiques Malagasy, mais c’est surtout une occasion pour construire.
Le peuple Malagasy mérite bien de nouvelles infrastructures, et c’est
la raison pour laquelle, malgré les sabotages et les actes de déstabili-
sation perpétrés par des personnes malintentionnées et qui ne veulent
pas nous voir réussir, nous avons construit le Coliseum de Madagascar
pour le domaine culturel, le temple du rugby en matière de sport, et les
centres hospitaliers pour le volet social et enfin les hôtels de ville pour
l’administration […]. Nous avons déjà prouvé que Madagascar peut
devenir champion avec la volonté et la détermination d’aller de l’avant.
Il suffit juste d’un coup de pouce et nos athlètes brilleront même sur
le plan mondial. » Il y a eu un match amical opposant les Makis
de Madagascar à une sélection de l’océan Indien pour ouvrir le
programme. L’équipe Malagasy l’avait remporté sur un score de
59 à 24. C’était de bon augure ! Et afin de soutenir davantage
encore cette sélection prometteuse, j’ai également promis à partir
du mois de janvier 2013, d’allouer un budget spécial à la Fédération
Malagasy de rugby pour les rémunérations mensuelles des joueurs
de l’équipe nationale Makis. Ils allaient enfin devenir de vrais
professionnels.
Par la suite, je n’ai cessé d’aller à la rencontre de la population
et notamment dans les quartiers défavorisés. En me rendant en
province aussi, j’ai constaté qu’il y avait de gros besoins en terme
de logements sociaux. Et j’ai aussitôt lancé un projet de logements
pour jeunes mariés de moins de 35 ans. On leur proposait de
payer 50 euros par mois et au bout de quinze ans, ils devenaient
propriétaires. Pour accéder à un trois pièces de 56 mètres carrés, ils
devaient débourser 12 millions d’Ariary, soit 3 000 euros. En fait,

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Les grands chantiers

ils ne remboursaient que le prix de la construction. Le Président


Tsiranana avait été le seul chef d’État Malagasy à avoir une telle
ambition de logement social. Il avait construit les premières cités
à 67 hectares, Ampefiloha, etc. Depuis, les logements dignes de
ce nom manquaient cruellement sur la Grande Ile. La plupart
des jeunes Malagasy vivaient chez leurs parents, faute de moyens
pour s’émanciper ailleurs. Alors, en très peu de temps, nous avons
bâti et construit des logements sociaux dans les grandes villes, à
Diégo-Suarez, Tamatave, Tuléar avec la fameuse Cité du soleil,
à Antananarivo la cité Fitiavana (la cité de l’Amour de la patrie)
à travers le projet « Trano mora », maison à bas prix. Je tenais à
visiter personnellement les terrains d’Ambohidratrimo, situés à
16 kilomètres de la capitale. Et j’avais précisé lors d’un point-presse
devant trois prototypes de logements déjà réalisés. « Contrairement
aux rumeurs qui circulent, ce n’est pas un projet préparé à la hâte. Au
contraire, ce projet a été bien concocté. La preuve, les travaux de terras-
sement ont déjà commencé trois mois auparavant. […] La mise en place
de ces logements sociaux permet de créer de nouveaux emplois car, au
titre de l’année 2011, un important budget sera consacré à la construc-
tion de nouveaux logements dans toute l’île. » Nous y avons finale-
ment bâti des lotissements et des pavillons pour la plupart dotés
d’espaces verts et de terrains de sport. Les travaux de construc-
tion de la « cité Fitiavana » ont été entièrement exécutés par des
entreprises Malagasy. Nous avions comme objectif de construire
10 000 logements dans les cinq années à venir. « Le rêve de toute
famille Malagasy, c’est d’avoir une maison, et j’ai pris l’initiative de
vouloir réaliser ce rêve », ai-je dit lors de l’inauguration. Sans l’aide
de la communauté internationale, nous avions réussi à mener à
bien ces projets et à gérer le pays. Nous étions dans une logique
d’action. Et pour faire bouger les choses, nous étions prêts à nous
débrouiller seuls. Pour la première fois, un gouvernement s’atta-
quait aux problèmes quotidiens des Malagasy. J’ai même relevé
le défi d’augmenter le salaire des fonctionnaires de 10 % chaque
année. Nous avons honoré les dettes de Madagascar, alors que
nous subissions de lourdes sanctions de la part de la commu-
nauté internationale. J’ai réussi à diminuer le prix de l’électricité de
10 %. Afin de répondre aux besoins alimentaires et d’augmenter la

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production de riz. Nous avons mis en place dans le Sud-Ouest de


Madagascar, un accord de financement avec la Banque africaine de
développement pour un projet de réaménagement de périmètres
rizicoles du « Bas Mangoky ». « Notre pari, c’est que Madagascar
ne va plus importer du riz, mais l’exporter dans le monde entier, ai-je
dit. Jusque-là, Madagascar importait annuellement plus de 70 000 à
80 000 tonnes de riz en période de soudure. » Madagascar avait été
le grenier rizicole dans les années 1970 ! Pourtant aujourd’hui,
en 2018, nous importons près de 300 000 tonnes annuellement.
« À Bevoay, nous allons procéder au lancement officiel du projet de
réhabilitation de la basse plaine de Mangoky afin d’assurer l’autosuf-
fisance alimentaire du pays et de deux, pour que Madagascar puisse, à
son tour, exporter du riz. » Et j’ai ajouté : « Avec l’aboutissement de
ce projet, Madagascar pourra devenir un modèle, dans l’océan Indien,
en termes d’autosuffisance alimentaire. Nous pouvons ainsi augmenter
nos surfaces cultivables de 15 000 à 20 000 hectares. Toutefois, nous
devrons nous soutenir mutuellement afin d’atteindre ensemble ce défi
de développement. D’ailleurs, si nous sommes ici aujourd’hui, c’est pour
trouver une solution pérenne. » Et pour éviter que le prix du riz
augmente, nous avons fait venir un immense cargo chargé de riz.
On a créé spécialement une centrale d’achat pour les plus pauvres,
avec une marque Tsena mora, que nous avons développée dans
tous les quartiers de Madagascar. On y trouvait un peu de tout, du
riz, de l’huile, de la farine, cela ressemblait au système des Mercal
mis en place par Hugo Chávez au Venezuela. Ce qui dictait mon
action, c’était un engagement en profondeur pour la population.
J’essayais d’apporter des solutions concrètes aux problèmes réels
des Malagasy. Et toujours dans cette optique, nous avons réussi
à maintenir la valeur de notre monnaie, l’Ariary, et à stabiliser
l’inflation. Ce qui était un immense défi vu l’état de notre éco-
nomie lorsque nous sommes arrivés au pouvoir et du manque de
solidarité internationale. J’étais le seul Président à m’intéresser aux
plus démunis. Je tiens cela de mon enfance, je n’ai jamais perdu ce
contact avec les plus humbles. Je continuais d’aller les voir. C’est
en tenant compte de leur réalité que je savais ce dont ils avaient
besoin. Avec le père Pedro, on était même allés dans les décharges
au contact de ceux qui ramassent les déchets. J’ai moi-même assisté

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et participé aux ventes de riz, de lait en poudres de bougies dans


nos magasins, de fournitures scolaires dans les écoles. Je voulais
alléger les difficultés des ménages afin d’améliorer leur pouvoir
d’achat. Lorsque je me rendais à Paris, les grandes chaînes de
télévision ou de radio internationales nous posaient les mêmes
questions sur la feuille de route et les négociations, au lieu de
s’intéresser à notre action concrète. Les instances internationales
demeuraient insensibles à la transformation profonde que nous
voulions xsengagée à Madagascar. On avait beau se retrousser les
manches, essayer d’améliorer les choses, cela ne les intéressait pas.
Et tous les projets que nous avons initiés ont souvent été restreints
et limités par la feuille de route. Malgré cela, j’ai fait de mon mieux
pour aider Madagascar, en tous les cas, j’ai réalisé des choses qui
n’avaient été ni même imaginées depuis longtemps.

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CHAPITRE 22

Pour une meilleure gouvernance…

Durant cette période, j’ai tout fait pour maîtriser les dépenses
de l’État. J’ai lutté pour qu’il n’y ait ni gaspillage ni détournement
massif des deniers publics. Cela peut paraître bien prétentieux,
mais je vais rappeler concrètement ce que j’ai mis en place. Tout
d’abord, j’ai instauré une règle de bonne conduite. J’ai donné
comme consigne à tous les ministères qu’une dépense de plus de
200 millions d’Ariary sur les marchés publics devait en être référée
à la présidence. C’était une manière de contrôler les engagements
de dépenses de l’État. Tout investissement en terme de maté-
riel roulant ou d’informatique, toutes les dépenses quelles qu’elles
soient devaient être scrupuleusement contrôlés, car il y avait eu
des abus au début de mon mandat.
En septembre 2011, les choses se sont compliquées lorsqu’un
gouvernement issu de la lutte populaire a été mis en place, juste
après la signature de la feuille de route. J’étais désormais obligé
de diriger avec les différentes mouvances politiques du pays, de
gouverner avec le Premier ministre de l’opposition Jean Omer
Beriziky, issu de la mouvance Albert Zafy. Albert Zafy était très
remonté contre la gestion de M. Ravalomanana, notamment
concernant les exportations illicites de bois de rose. Alors, après
de longues négociations pour le partage des portefeuilles ministé-
riels, j’ai confié à sa mouvance politique le portefeuille du minis-
tère de l’Environnement, des Eaux et Forêts pour qu’il puisse
m’aider à mettre fin à ces trafics. Malgré les difficultés, j’ai réussi
à imposer quelques réformes et obtenir des résultats. Sous Marc
Ravalomanana, à quelques semaines avant sa chute, les autorités
avaient donné l’autorisation à une vingtaine d’entreprises d’exporter

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Pour une meilleure gouvernance…

légalement le bois de rose. C’est alors que certains exploitants


avaient envoyé des bateaux au port de Vohémar avec des milices
et des pseudo-autorisations pour menacer et forcer l’embarquement
des bois précieux. J’ai dépêché les forces de l’ordre d’Antananarivo
sur place pour empêcher l’exportation massive et illégale de bois de
rose et cela a failli mal tourner. Face à ces bandes bien organisées,
nous avons décidé en Conseil des ministres de multiplier par 100 le
montant de la taxe d’exportation. Cela permettait de faire rentrer
de l’argent dans le budget de l’État. On a travaillé sur la liste de
l’ancien régime en indexant d’autres exploitants officiels possédant
des stocks. Nous avons traité équitablement les opérateurs. Hery
Rajaonarimampianina, en charge du ministère des Finances, s’est
occupé d’attribuer les autorisations et d’assurer le suivi de ces nou-
velles dispositions. Il était en contact direct avec les opérateurs. Je
voulais utiliser la recette à des fins sociales, mais malheureusement,
il a décidé de le reverser directement dans les caisses du Trésor
public, pour l’utiliser aux dépenses courantes de l’État.
Durant toute la transition, je me suis efforcé de limiter le budget
de fonctionnement de la présidence et les fameux « fonds spé-
ciaux ». Tous les chefs d’état ont la possibilité de recourir à cet
argent dont ils fixent eux-mêmes le montant. J’ai divisé par 20
le budget par rapport à mon prédécesseur, mon successeur l’a
multiplié par 100. Concernant les missions à l’extérieur toujours
très coûteuses et lors de mes déplacements officiels, je veillais à
restreindre ma délégation au nombre de 7 personnes : mon aide
de camp, mon assistante, un responsable de sécurité, deux à trois
ministres au maximum contrairement à d’autres, qui voyagent avec
une délégation de 40 personnes. J’étais très en colère lorsque j’ap-
prenais qu’un fonctionnaire profitait de son pouvoir en utilisant
par exemple un gyrophare afin d’éviter les embouteillages. Et j’ai
toujours veillé à ce que mes proches n’abusent pas des privilèges
d’État. Pour ma part, j’aime marcher et j’apprécie me promener
sans garde du corps. C’est un plaisir que je m’offre parfois : flâ-
ner dans les rues piétonnes de telle ou telle capitale pour prendre
la température du pays et ressentir la joie de l’anonymat. Je me
souviens, un soir à Marrakech, j’avais refusé le chauffeur qu’on
m’avait proposé avec la voiture protocolaire car j’avais envie de

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Par Amour de la Patrie

découvrir les dédales de ses rues labyrinthiques. Et on a marché


comme ça dans le centre avec mes collaborateurs. Un moment,
j’ai fini par héler un taxi dans la rue, c’était un taxi tout ce qu’il y
a de plus simple, low cost. Et j’ai pris du plaisir à discuter avec le
chauffeur qui m’a fait connaître le vrai visage du Maroc. Malgré
mon statut, j’aime rester moi-même, partager et discuter, aller à
la rencontre des autres.

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CHAPITRE 23

Les pressions pour le retour


de M. Ravalomanana

Durant toute la transition, les ministres partisans de


M. Ravalomanana ont usé de toutes les manœuvres possibles
pour son retour, alors que les conditions n’étaient pas réunies. Le
pays avait besoin de stabilité. Or le retour de l’ancien Président
représentait une menace pour la paix. On se remettait à peine
de plusieurs mois de lutte et de répression. Alors, pour marquer
leur mécontentement, ils refusaient régulièrement d’assister au
Conseil des ministres. Ce qui évidemment avait une incidence
sur la gestion des affaires du pays. Ils bloquaient toute perspective
de progrès. Ils refusaient le débat, ne réfléchissaient à aucun projet
de fond pour le redressement de Madagascar. Leur seul objectif,
c’était de voir revenir M. Ravalomanana. Mamy Rakotoarivelo,
ancien député élu du TIM, bras droit et chef de délégation de
M. Ravalomanana, avait été nommé président du Congrès de
la transition, ce qui n’arrangeait pas non plus nos affaires. Ce
n’était pas simple de gouverner dans l’intérêt de tous car chaque
ministre avait sa priorité clanique, sans parler des multiples com-
plots dans mon dos. Mais malgré les divergences de points de vue,
j’ai quand même réussi à fédérer et rassembler au fil du temps
tous mes ministres dans un objectif commun : le rétablissement
de l’ordre constitutionnel qui devait aboutir à la tenue d’élections
libres et transparentes à Madagascar. Mais un climat de tension
régnait dans le pays. Et dans la plupart des familles, les opinions
divergeaient. Il y avait ceux qui étaient pour et ceux qui étaient
contre. Et parfois, certains en venaient aux mains. Il y avait des
bagarres durant les mariages, les repas de famille, l’atmosphère

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Par Amour de la Patrie

était réellement électrique. Le jour même de mon intronisation,


plusieurs centaines de partisans de Marc Ravalomanana s’étaient
rassemblés sur la place de la Démocratie. Évidemment, c’était une
provocation ciblée sachant que j’avais créé et inauguré cette place.
Ils y ont ensuite manifesté régulièrement pendant des semaines
sans que je ne dise rien. En tant que chef de l’État, j’ai toujours
respecté le droit de manifester et la liberté d’expression car ces
valeurs fondamentales constituaient l’essence même de notre lutte.
D’ailleurs, le camp adverse a bien profité de ces principes. Et
la propagande contre mon pouvoir fonctionnait à plein régime
depuis l’Afrique du Sud. La situation à Madagascar était com-
plètement déformée. Les oppresseurs d’hier jouaient les victimes
d’aujourd’hui. Et un jour, une manifestation a dégénéré. Il y a eu
des tirs sur les kiosques à livres d’Ambohijatovo, faisant plusieurs
blessés et un mort. Les partisans de M. Ravalomanana s’étaient
rendus ensuite sur la place du 13-Mai et avaient commencé à
tout casser et à brûler des pneus. Puis, devant le palais du Sénat
à Anosy, ils avaient brûlé une voiture. Certains manifestants ultra-
violents avaient brisé les vitres à coups de marteaux. J’ai alors
pris tout naturellement la décision de faire respecter l’ordre. Et
avec mes ministres, nous avons décidé d’encadrer davantage les
manifestations à venir. Pour éviter tout débordement, nous avons
demandé aux partisans de l’opposition de choisir un endroit pré-
cis pour se réunir. Après les critiques, les insultes, ils ont finale-
ment accepté et opté pour l’enceinte de Magro, le supermarché
de M. Ravalomanana en ruines à Behoririka. Et durant toute
la transition, chaque jour, ils s’y sont retrouvés en toute liberté
pour exiger le retour de leur « dada ». Mais parallèlement, il y
a eu plusieurs tentatives de déstabilisation. Le 20 juillet 2009,
un attentat à la bombe a eu lieu à Ambohibao faisant un mort
et un blessé. Une semaine après, un commando d’une vingtaine
d’hommes a attaqué ma chaîne de télévision Viva et provoqué la
mort de deux de mes agents de sécurité civils sans armes. Ces deux
vigiles, fidèles de la première heure, ont tenté courageusement
de résister puis d’échapper à la chasse à l’homme dont ils furent
l’objet. Mais malheureusement, à 20 contre 2, le combat était
inégal. Ils ont finalement été attrapés par ces malfaiteurs et l’un

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Les pressions pour le retour de M. Ravalomanana

d’eux a été tué à bout portant d’une balle dans la tête. Cela nous a
beaucoup marqués. L’objectif de cette opération criminelle visait le
siège de ma société publicitaire Injet et de ma chaîne de télévision
Viva. Le 2 mai 2012, ce fut au tour du centre culturel français
Albert-Camus et d’un magasin Nasa électronique de Tsaralalàna
d’être la cible d’une attaque. Un client avait même été blessé.
Les images des caméras de surveillance ont permis d’y voir plus
clair. La bombe avait été déposée par un partisan de l’opposition
quelques secondes seulement avant l’explosion. Les forces de l’ordre
ont ratissé tout le quartier et interpellé le suspect. Plus tard, une
alerte à la bombe a eu lieu à une station de pompage de la Jirama
à Mandroseza. Un partisan de M. Ravalomanana s’était même
fait exploser tout seul dans sa voiture. Lorsque les policiers ont
perquisitionné chez lui, ils y ont retrouvé un véritable laboratoire
clandestin avec tout le matériel pour commettre des attentats, il y
avait des mèches, de la poudre à canon, des tubes métalliques, des
composants chimiques, des matériels d’assemblage pour fabriquer
des explosifs… Le but de toutes ces actions « terroristes » était
de provoquer un climat de terreur et un sentiment d’insécurité
chez la population. Le plan maléfique de mes ennemis, c’était de
retourner l’opinion contre moi, en m’accusant de ne pas diriger
correctement le pays. Le 20 mai 2010, il y a eu une première
tentative de coup d’État contre mon pouvoir, au camp des FIGN
(Forces d’intervention de la gendarmerie nationale), dont certains
officiers et soldats avaient été manipulés. Nous avons dû envoyer
les forces spéciales pour briser dans l’œuf ce début de mutinerie.
Des partisans de M. Ravalomanana y compris des pasteurs avaient
même rejoint la caserne pour semer le désordre. Quelques mois
après, le jour même du référendum, le 17 novembre 2010, neuf
officiers supérieurs ont pris en otage la Base aéronavale d’Ivato
(Bani). Ils ont fait une déclaration à la presse exigeant la suspen-
sion de toutes les institutions de la transition et en refusant toutes
négociations. Ils clamaient qu’ils étaient prêts à tout pour faire
tomber le régime de transition d’Andry Rajoelina et qu’aucune
négociation n’était possible. Durant toute la nuit, le chef d’état-
major (Cemgam) avec qui j’étais en contact permanent a tenté de
négocier avec les insurgés. Le lendemain, en tant que chef suprême

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Par Amour de la Patrie

des forces armées, j’ai réuni tous les officiers de l’État-major au


palais d’Ambohitsorohitra. Je leur ai demandé d’éviter à tout prix
une effusion de sang. D’abord, parce que je déteste la violence
mais aussi parce que je craignais la manipulation à venir. Nous
ne devions en aucun cas leur donner l’occasion de transformer
Madagascar en scène de guerre. Comme notre main tendue avait
été rejetée, nous avons alors décidé d’envoyer les chars ! C’était une
manière de les impressionner, de leur prouver au passage que nous
aussi on était prêts à tout pour rétablir l’ordre. En réalité, c’était du
bluff car les chars n’avaient même pas de munitions. Nous avions
annoncé l’évacuation des lieux et des alentours à la télé.
Des proches, enfants et mères de famille qui se trouvaient dans
la zone ont ainsi été déplacés en toute sécurité. Ensuite, il y a
eu quelques tirs de sommation. Nos forces de sécurité leur ont
demandé de se rendre mais ils ont refusé.
Il y a eu des échanges de tirs jusqu’au moment où ils ont fini par
épuiser leurs cartouches. Alors on les a rappelés pour les convaincre
de se rendre. Les principaux chefs des mutins ont accepté de
rencontrer deux représentants de l’armée. Nous avions nommé
le général Andriamisa et le colonel Samuel du Cemgam, pour
essayer de les faire revenir à la raison. Ils sont allés les voir en leur
expliquant qu’ils n’avaient aucune chance de s’en sortir vivants s’ils
continuaient dans cette direction. Finalement, quelques minutes
après cette rencontre, les mutins ont fini par agiter le drapeau blanc
et sont sortis les mains en l’air. Le ministère de la Défense natio-
nale en avait transféré une partie à la gendarmerie d’Ankadilalana
et l’autre a été emmenée à la maison d’arrêt de Tsiafahy. C’était
un climat très tendu. Il y a eu parallèlement plusieurs tentatives
d’atteinte à mon intégrité physique. Le 2 décembre 2009, au retour
d’une visite présidentielle, sur l’axe Ambodimita-Ambohimanarina,
je rentrais de mission d’Antsiranana et ma voiture a essuyé un tir
au fusil d’assaut. Heureusement, celle-ci était blindée et le convoi
ne s’est pas arrêté car sinon je ne serais peut-être plus de ce monde.
Un peu plus tard, le 4 mars 2011, j’ai à nouveau été victime d’un
attentat, sur la route du marais Masay. Je revenais cette fois du
palais présidentiel pour rejoindre mon domicile, lorsqu’une bombe
artisanale dissimulée à proximité d’un dos-d’âne a explosé. Le

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Les pressions pour le retour de M. Ravalomanana

souffle a été si puissant que mon véhicule, une Mercedes blindée


plutôt très lourde, a été littéralement soulevé. Heureusement, cette
explosion n’a pas fait de dégâts. Mais j’ai été assez choqué, je me
souviens encore de la très forte déflagration, de ce bruit terrifiant,
de cette impression de planer. Et je suis resté sourd plusieurs
secondes. Il y avait de la fumée blanche partout autour de nous.
C’était réellement impressionnant. Heureusement, une fois de plus,
mon chauffeur avait eu le bon réflexe en accélérant. Nous avions
quitté la zone au plus vite pour éviter les tireurs embusqués. Les
enquêteurs retrouveront sur place près de 200 mètres de câbles le
long des garde-fous. Des éclats de bombe avaient été éparpillés
un peu partout sur la chaussée. C’était une tentative d’assassinat
politique.
Et pendant ce temps, Marc Ravalomanana continuait de nous
provoquer. Il n’a jamais cessé de tenter de rentrer au pays par sur-
prise. Une fois, j’étais au bureau et les autorités sud-africaines m’ont
prévenu qu’il se trouvait sur un vol à destination de Madagascar.
Il n’avait pourtant pas eu l’autorisation de quitter le territoire sud-
africain mais il avait fait du forcing. Nous avons immédiatement
décidé, avec le ministre des Transports et celui de la Défense,
d’empêcher son débarquement sur l’île. Nous avons prévenu la
compagnie AirLink, que la présence de M. Ravalomanana à bord
d’un de ces avions était illégale, que son retour aurait dû se faire en
concertation avec les autorités, et que, par conséquent, l’avion ne
pourrait atterrir comme prévu à Madagascar. Après quarante-cinq
minutes de vol, il a dû faire demi-tour… Ce retour rocambolesque
et non concerté a été immédiatement condamné par la SADC et
la communauté internationale. Par la suite, son passeport a été
confisqué par l’État sud-africain mais cela ne l’a pas empêché de
tenter encore de revenir à deux reprises.

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CHAPITRE 24

L’origine du Ni-Ni…

Malgré les troubles, les nombreuses tentatives de déstabilisa-


tion, j’ai proclamé avec fierté la naissance de la IVe République
de Madagascar le samedi 11 décembre 2010. Après d’innom-
brables réunions avec les différents acteurs de la médiation pour
remettre en route les institutions, et programmer les élections,
j’avais déjà relevé un premier défi. La nouvelle Constitution a été
largement adoptée par référendum le 17 novembre en capitalisant
près de 74 % des suffrages. Lors de la cérémonie de promulgation,
j’ai affirmé que l’installation de cette IVe République ne signi-
fiait pas seulement la victoire du « oui » mais celle « du peuple
Malagasy tout entier ». « Les Malagasy ont exprimé leur opinion
et leur choix d’entrer dans la IVe République […]. C’est la vic-
toire des Malagasy qui n’acceptent plus que des forces étrangères
décident à leur place, avais-je déclaré. La route pour arriver à
cette IVe République a été longue mais nous souhaitons que la
nouvelle devise décrite dans la nouvelle Constitution “Fitiavana-
Tanindrazana-Fandrosoana” (“Amour-Patrie-Développement”)
règne concrètement dans le pays. »
Le 24 juillet 2012, une nouvelle réunion a été organisée aux
Seychelles par les médiateurs de l’Afrique australe (SADC), sous
l’égide du Président des Seychelles, James Michel, et du Président
sud-africain Jacob Zuma. Marc Ravalomanana et sa délégation
étaient déjà sur place. Un face-à-face à huis clos devait avoir lieu
sur une île isolée de l’archipel, à Desroches. Le Président Michel
m’a d’abord accueilli à la résidence du palais présidentiel. C’était
une belle journée et j’étais assez serein. Puis, on a pris l’avion pour
aller sur l’île Desroches. Là, j’ai rencontré Marc Ravalomanana.

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L’origine du Ni-Ni…

L’ambiance était assez décontractée. Nous étions en bras de chemise


car il faisait très chaud. On s’est serré la main, on s’est même souri
en se regardant droit dans les yeux. Chacun avait bien entendu son
objectif dans la tête, et j’espérais au fond de moi que nous allions
enfin trouver un point d’entente. Sur place, nous avons attendu
l’arrivée du Président Jacob Zuma qui avait un peu de retard. Puis
les discussions ont commencé. Malheureusement, d’entrée, ce fut
assez pénible car Marc Ravalomanana exigeait son retour sans
condition à Madagascar. Pour ma part, ma priorité, c’étaient la
paix et la stabilité. En tant que chef d’État, je voulais d’abord unir
les Malagasy. Or, comme je l’ai exprimé précédemment, il y avait
beaucoup de tensions sur la Grande Ile. L’autre grande question,
c’était de préciser quels seraient les candidats habilités à participer
à la prochaine présidentielle qui devait impérativement se dérouler
en 2013. La réunion s’est donc éternisée jusque tard dans la nuit.
Et vers 3 heures du matin, le Président Jacob Zuma a demandé
à me voir seul. En tant que représentant principal de la Troïka, il
m’a dit que lui et les membres de la SADC (l’organe de politique
défense et sécurité de la Communauté des États d’Afrique australe)
ne voyaient pas d’inconvénient à ce que je sois candidat. « Vous
êtes jeune et populaire et vous avez une chance de remporter ces
élections », m’a-t‑il dit. Mais il a ajouté deux conditions de taille :
la participation de M. Ravalomanana et son retour immédiat à
Madagascar. Je lui ai exprimé mes doutes et inquiétudes quant à
un retour précipité de l’ancien « dictateur ». Il ajouta fermement :
« Président Rajoelina, si Marc Ravalomanana ne rentre pas au pays,
ni vous ni lui ne pourrez vous présenter à l’élection présidentielle
de 2013. » Et je lui ai répondu : « Dans ce cas pour préserver la
paix et la stabilité à Madagascar, je préfère ne pas être candidat
et que M. Ravalomanana ne rentre à Madagascar qu’après les
élections et le rétablissement de l’ordre constitutionnel. » Ainsi,
le « Ni-Ni » a été évoqué pour la première fois. Je préférais me
sacrifier moi, plutôt que tout un peuple. Au petit matin, l’échec
de cette interminable réunion était cuisant. Chacun est reparti se
reposer dans son bungalow. Plus tard, le Président Jacob Zuma a
insisté pour que nous discutions en tête à tête Marc Ravalomanana
et moi-même. Je n’ai pas hésité une seconde, je l’ai interpellé avec

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Par Amour de la Patrie

sincérité. « Pourquoi déstabilisez-vous le pays par vos incessantes


tentatives ? Pourquoi vos partisans organisent-ils sans arrêt des
manifestations ? Quel est votre but ? Nous avons besoin d’un geste
fort de votre part pour pouvoir instaurer la paix à Madagascar. »
M. Ravalomanana m’a regardé sans rien dire, l’air songeur. Je savais
qu’au fond de lui ce qui le motivait, c’était de rentrer à tout prix au
pays pour reprendre le pouvoir. Mais ce face-à-face n’avait débou-
ché sur rien de concret. Plusieurs semaines après la réunion aux
Seychelles, on m’a demandé de me rendre en Tanzanie à Dar es
Salam pour discuter avec les trois chefs d’État de la SADC. C’était
le sommet de la dernière chance pour enclencher définitivement
l’organisation des élections présidentielles. Après quelques hésita-
tions, j’ai fini par me rendre à Dar es Salam le 12 janvier 2013. Je
me suis retrouvé seul face aux Présidents tanzanien, sud-africain et
namibien. Ils m’ont dit : « Président Rajoelina, on doit prendre une
décision aujourd’hui pour mettre fin à la crise à Madagascar. Nous
ferons part de notre résolution directement aux pays membres
de la SADC, aux Nations unies et à l’Union européenne. Nous
ne sommes pas contre le fait que vous vous présentiez aux élec-
tions. Mais il faudra que M. Ravalomanana y participe aussi. » J’ai
répondu du tac au tac en rappelant ma position : « Regardez ce
qui s’est passé en Côte d’Ivoire. À l’issue des élections, il y a eu
trois mille morts, parce que Laurent Gbagbo a refusé le résultat
des urnes et la victoire de Ouattara. Je ne veux pas que mon pays
subisse le même sort. Et je ne veux ni affrontements ni guerre civile
à Madagascar. Le contexte actuel ne nous permet pas d’organiser
des élections paisibles si Marc Ravalomanana revient. Si telle est
la condition, je préfère dans ce cas ne pas être candidat et me
sacrifier afin de préserver la paix. » Ma position était en parfaite
harmonie avec mes valeurs profondes. Il était impossible pour moi
d’accepter si vite le retour de M. Ravalomanana, après la tuerie
du 7 février 2009, après la longue lutte menée par le peuple avec
moi. Ce n’était pas le pouvoir qui m’intéressait, c’était le respect
du sacrifice des Malagasy. Notre combat avait mis fin à son régime
autoritaire. J’étais resté droit dans mes bottes.
Jacob Zuma m’a alors interpellé :
– C’est votre décision finale ?

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L’origine du Ni-Ni…

– Oui, monsieur le Président, c’est ma décision finale !


En réalité, je n’avais pas le choix. Quel dirigeant peut accepter de
sacrifier la paix de son pays au profit de ses ambitions politiques ?
Le Ni-Ni a donc été imposé. J’ai alors demandé aux chefs d’État
de m’accorder la primeur de l’annonce au peuple Malagasy. Je suis
rentré à Madagascar. J’ai alors annoncé que je ferai une déclara-
tion à la nation. Seul dans mon bureau, j’ai préparé un discours
dont tous mes collaborateurs ignoraient la teneur. Le 15 janvier
au soir, j’ai confirmé dans une allocution télévisée que je ne me
présenterais pas à l’élection présidentielle prochaine. « Je suis une
solution pour Madagascar, pas un problème, ai-je précisé pour
justifier mon retrait. Laissez-moi me sacrifier pour les 20 millions
de Malagasy. » J’ai confirmé ce soir-là que je resterais à la tête
de la présidence de transition jusqu’aux élections présidentielles
et législatives qui devaient avoir lieu simultanément cette année.
Et j’ai commencé à dresser mon bilan. « Cela n’a pas été facile,
mais nous avons bâti, et si les hommes passent, les actions, elles,
restent. […] Ceux qui critiquent ne pensent qu’à diviser et à créer
des troubles. » Cela n’a pas été compris par l’ensemble de mes
partisans et collaborateurs. Et tout le monde a évoqué une injustice
pour désigner cette injonction de la communauté internationale.
Aussitôt, la guerre de succession a fait rage au sein de mon équipe.
Certains avaient déjà œuvré pour la mise en place du Ni-Ni. Il y
avait déjà comme un climat de trahison. Durant toute la fin de la
transition jusqu’aux élections de 2013, ce qui primait dans mon
esprit, c’était l’intérêt général du peuple et de la nation. À l’époque,
si j’avais voulu m’accrocher au pouvoir, j’aurais pu, mais dans le
fond, je savais que le peuple Malagasy méritait la stabilité. Et je
me rappelle de la citation de l’auteur américain, James Freeman
Clarke, à laquelle je m’identifie pleinement depuis toujours : « La
différence entre le politicien et l’homme d’État est la suivante :
le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine
génération. »

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Discours du 15 janvier 2013
Annonce d’Andry Rajoelina,
président de la Haute Autorité de transition,
de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle

Mes chers compatriotes,

Mesdames et Messieurs,

Comme je vous l’avais déjà promis, mes chers amis malagasy,


c’est à vous seuls que je donnerai la primeur de ma décision.
Aussi, c’est avec le cœur empli d’amour que je salue chaque
foyer à travers toute la Grande Ile.

Vous m’avez fait confiance et avez mis vos espoirs en moi,


depuis l’année 2009. Et c’est grâce à cela que j’ai pu diriger la
nation malagasy, en tant que président de la transition.
Chers amis malagasy, je suis conscient de l’affection que vous
me portez. Et c’est ce qui m’a permis d’avoir la foi, le courage et
la volonté de faire face à toutes les épreuves jusqu’à présent.

Votre soutien m’est tellement précieux. Et je tiens particulière-


ment à vous en remercier en ce jour.

J’ai donné le meilleur de moi-même afin de concentrer mes


efforts pour le développement du pays.

Nous avons prouvé qu’il était tout à fait possible de bâtir et de


relever les grands défis de réalisations, même en pleine période
de transition.

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L’origine du Ni-Ni…

Cela n’a pas été facile, d’autant que la signature de la feuille de


route nous a obligés à gouverner avec toutes les forces politiques,
y compris les opposants. Ce qui a rendu difficile la gestion des
affaires de l’État.

Toutefois, on a dû emprunter cette voie de l’inclusivité afin de


procéder à l’organisation des élections qui seraient acceptées par
tous.

Nous avons été confrontés à plusieurs contraintes mais notre


détermination a primé.

Mesdames et Messieurs,

Dans la situation où se trouve Madagascar actuellement, il nous


faut impérativement changer de mentalité car elle constitue la base
de la refondation et du développement de notre nation.

La mauvaise foi est source de régression.


La jalousie engendre l’hypocrisie.
L’hypocrisie entraîne la haine.
La haine conduit jusqu’à la trahison.

Durant ces quatre années de transition, j’ai pu me faire une


idée approfondie de la mentalité et des comportements de certains
politiciens.

Certains sont très critiques sans qu’ils puissent proposer la


moindre solution objective ni adéquate, et d’autres ne cherchent
qu’à semer le trouble, voire essayer de provoquer la désunion et
l’affrontement entre Malagasy.

Aucune de ces manœuvres malintentionnées n’a abouti.


Et nous rendons grâce à Dieu de nous avoir protégés.
Nous avons pu éviter la guerre civile et nous veillerons toujours
à préserver l’unité du peuple malagasy.

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Par Amour de la Patrie

Mesdames et Messieurs,

Ma plus grande priorité a été de sauvegarder la souveraineté


nationale et de garantir la liberté à laquelle nous nous attachons.
La liberté de décider, la liberté de choisir et la liberté de conve-
nir de l’avenir de notre pays sans aucune contrainte de quelque
nature qu’elle soit.

Chers compatriotes,

Notre pays a besoin de vrais patriotes, engagés, ayant la foi et


la crainte de Dieu, la sagesse et le discernement d’hommes prêts
à tout pour le développement de notre chère nation.
Un Président est jugé par son peuple, à travers ses actions et
ses réalisations. Seuls le patriotisme et les intérêts de son Peuple
devraient l’animer.
L’homme que je suis est une solution pour la nation et non
un blocage.
C’est en ce sens que je réitère aujourd’hui, devant la nation
tout entière, ma déclaration en date du 12 mai 2010, confirmant
ainsi ma décision de ne pas me porter candidat aux élections pré-
sidentielles.

Je préfère me sacrifier, plutôt que de sacrifier la nation tout


entière.

Je préfère me sacrifier, plutôt que de sacrifier les 22 millions de


compatriotes malagasy pris en otage.

Cette décision relève déjà d’une proposition que j’ai faite dans
le cadre des négociations de sortie de crise, depuis l’année 2009,
de Maputo aux Seychelles.

J’ai toujours tenu parole et je respecterai toujours mes engage-


ments.
Nous devons penser à Madagascar et nous focaliser sur les véri-
tables intérêts du peuple malagasy.

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L’origine du Ni-Ni…

Aujourd’hui, je me propose comme une solution pour la nation,


et demain, je le serai encore. C’est ma manière de vous prouver
le patriotisme qui est en moi.
Je suis pleinement conscient de l’espoir et de la confiance dont
nombreux d’entre vous ont manifesté en moi. Soyez rassurés que
je ne vous abandonnerai jamais, je serai toujours là.

Ne soyez pas tristes, soyez optimistes et croyez en l’avenir.

Mesdames et Messieurs,

Nous sommes à la recherche de la paix et de la sérénité.


Aussi, je pense que l’organisation des élections législatives avant
celle des élections présidentielles pourra apporter cette sérénité et
cette paix tant recherchées.
Organiser des élections jumelées pourrait être source de nou-
veaux problèmes, comme je l’ai souvent affirmé.
Il est de mon devoir et il relève de ma responsabilité de veiller
à l’organisation des élections dans les règles de l’art, sans affron-
tement ni contestation.
Nous pouvons y parvenir en respectant scrupuleusement le
calendrier électoral préétabli, qui court du mois de mai au mois
de juillet 2013.

Mesdames et Messieurs,

Le dernier sommet extraordinaire de la Troïka de la SADC


avait pour but de rechercher des solutions durables et pérennes.

Il a été convenu le maintien de tous les dispositifs afin de main-


tenir la paix à Madagascar et d’éviter toute prise de décision pou-
vant engendrer des situations de trouble jusqu’à la mise en place
du président de la IVe République.

Ma mission principale est de mener à terme cette transition.

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Par Amour de la Patrie

Il est de mon devoir de m’assurer de la tenue des élections libres


et transparentes à Madagascar ; afin que je puisse effectuer une
passation de pouvoir de manière démocratique, qui restera dans
les annales de Madagascar.

D’ores et déjà, je souhaite plein succès à mon futur successeur


et je m’apprête à lui remettre la clef de Madagascar.

Chers compatriotes,

Dans quelques mois, je redeviendrai un simple citoyen comme


vous, mais je continuerai d’agir toujours à vos côtés.

J’aimerais exprimer ma gratitude au peuple malagasy.


Et je tiens à remercier particulièrement tous ceux qui, de près
ou de loin, ont travaillé avec moi, et tous ceux qui étaient mes
compagnons depuis le début de la lutte jusqu’en cette veille du
terme de la transition.

J’exprime ma reconnaissance à l’endroit des forces de l’ordre, qui


ont, sans relâche, fait montre de volonté et de courage dans l’accom-
plissement de leurs devoirs et dans la prise de leurs responsabilités.

Je ne saurai terminer sans me tourner vers mon épouse et mes


enfants qui m’ont toujours soutenu dans les moments les plus
difficiles. Merci.

Je remercie également tous ceux qui m’ont harcelé et qui n’ont


cessé de m’attaquer personnellement. Au contraire, leurs démarches
m’ont poussé à faire mieux et davantage.

De tout cœur, merci infiniment.

Mes chers concitoyens malagasy,

Les dirigeants passent mais toutes nos actions resteront à jamais


inscrites dans l’Histoire. Laissons un bon héritage à nos généra-
tions futures.

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L’origine du Ni-Ni…

Je lance un appel à tous pour un changement radical de com-


portement et d’état d’esprit.

Que cesse à jamais la culture de la haine et du dénigrement.

Enfin, pour conclure, je ne saurai remercier tous ceux qui ont


porté en prière notre nation.

Que la volonté de Dieu soit faite,

Madagascar m’est si chère,

La patrie est sacrée !

Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre aimable


attention.

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CHAPITRE 25

Comment TGV a choisi « Hery R. »


en 2013 ?

Mon retrait officiel de la course à la présidentielle a exacerbé


les rivalités dans mon propre camp pour me succéder. Même
si je m’en doutais, et que cela fait partie du jeu politique, je ne
pouvais pas m’empêcher de trouver cela assez pathétique. Je voyais
apparaître le vrai visage de l’homme dans ce qu’il a de plus laid.
Mais comme je voulais faire gagner mon propre camp, j’ai proposé
d’organiser une primaire interne pour décider du futur candidat.
Mon parti, le Tanora malaGasy Vonona (TGV), a convoqué un
congrès extraordinaire avec tous nos partisans et représentants à
Madagascar au centre de conférences d’Andranomena. Il y avait
trois personnalités pressenties pour devenir notre candidat. Il y
avait d’abord Albert-Camille Vital, mon ancien Premier ministre
nommé le 20 décembre 2009. Cet officier général de l’armée,
qui avait suivi une formation à l’école supérieure de guerre de
Paris et fait toute sa carrière dans l’armée Malagasy, avait le pro-
fil de l’homme politique respectable. Ensuite, il y avait Edgard
Razafindravahy. Cet éminent industriel (groupe Prey) était pré-
sident de la délégation spéciale de la commune urbaine d’Anta-
nanarivo depuis 2009. Il assurait les fonctions de maire de la
ville, en attendant de nouvelles élections municipales. Il n’avait
donc pas été élu, ce qui n’était pas forcément un avantage. On
ne savait pas très bien ce qu’il valait dans l’opinion. Originaire
des hauts plateaux, il pouvait compter sur le soutien de la haute
bourgeoisie Malagasy, mais il y avait de grosses interrogations
concernant le vote en brousse ou en province. Et puis, il y avait
Hery Rajaonarimampianina qui, depuis 2010, était mon ministre

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Comment TGV a choisi « Hery R. » en 2013 ?

des Finances et du Budget. C’était un gestionnaire et expert-


comptable. À la veille des élections, je leur ai fait un entretien un
par un pour jauger les motivations de chacun. Il n’est jamais facile
de se lancer en politique, et je voulais m’assurer de la motivation
des candidats. Pour le premier, Albert-Camille Vital, il se disait
prêt à être candidat, mais j’avais l’impression qu’il manquait un peu
de détermination. Et malheureusement, j’ai eu cette impression à
peu près avec tous les candidats pressentis. Je trouvais qu’il leur
manquait la foi en la fonction. Ils n’avaient pas de convictions
profondes et cela m’a un peu refroidi. Car pour moi, il faut vrai-
ment se sentir investi de la fonction présidentielle pour se lancer
dans une telle bataille. J’avais personnellement vécu l’expérience
des élections municipales qui avaient pris une dimension nationale,
et j’avais alors pris beaucoup de coups. Mais j’avais gagné grâce à
ma détermination et mon désir de changer les choses. Durant les
primaires, il y a eu beaucoup de manipulations au sein du parti
pour favoriser certains candidats qui ont influencé le choix des
congressistes et des responsables. Mais c’est finalement Edgard
Razafindravahy qui a été investi candidat, malgré les nombreuses
réticences et divisions qu’avait suscitées sa candidature. Pour ma
part, j’ai accepté le choix de mes partisans et j’ai tout fait pour
guider Edgard vers ma succession. Il y a eu plusieurs réunions
chez moi pour mettre en place le staff de campagne. J’ai planché
moi-même sur les slogans, les thèmes : lutte contre le chômage,
la corruption, accès à la santé et à l’éducation. Malheureusement,
une partie de mon équipe n’a pas joué le jeu et est partie rejoindre
Albert-Camille Vital qui a aussitôt annoncé une candidature paral-
lèle. Cela a créé une scission au sein de notre famille politique.
Certains ont tenté de me convaincre en me disant : « C’est mieux
qu’il y ait deux candidats et qu’après, au second tour, l’un sou-
tienne l’autre. » Souhaitant fédérer les forces de mon camp, je
leur ai rappelé une seule règle : celle du respect des uns et des
autres. Je ne voulais pas que l’on s’entre-déchire dans des luttes
intestines ou que l’on sombre dans la division. À ce moment-là,
j’ai pris du recul. Je me suis rendu à Rome sur invitation du Pape
François pour effectuer une visite d’État. Ce fut un moment très
fort pour moi que j’évoquerai plus tard. J’ai simplement demandé

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Par Amour de la Patrie

à Sa Sainteté de porter en prière Madagascar. Ce qui était impor-


tant pour moi, c’étaient le retour de la paix, éviter la guerre civile
et développer Madagascar. Je ne voulais surtout pas à nouveau
qu’il y ait d’effusion de sang. Après le Vatican, je suis passé
par Paris et j’ai été reçu au Quai d’Orsay. J’ai réaffirmé auprès
de Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères et du
Développement international, ma volonté de voir la France accom-
pagner le processus électoral. Mais à peine étais-je arrivé à Paris
que j’ai reçu des appels alarmistes de mon staff me rapportant que
Lalao Ravalomanana et l’ancien Président Didier Ratsiraka avaient
déposé leurs dossiers de candidature à l’élection présidentielle et
que la Haute Cour constitutionnelle les avait même validés. Or,
Lalao Ravalomanana avait signé un accord comme quoi elle ne
pouvait rentrer à Madagascar que pour des raisons « humani-
taires ». Nous avions accepté car elle avait signifié vouloir être au
chevet de sa mère malade. En échange, elle avait promis de ne
pas faire de politique. Elle avait donc rompu l’accord. Quant au
Président Didier Ratsiraka, avec tout le respect que j’ai pour lui,
il ne remplissait pas non plus les critères. La Constitution stipule
que tout candidat à l’élection présidentielle doit résider six mois
au moins sur le territoire national avant la date de fin du dépôt
de candidature, or, cela n’était pas son cas. Tout cela ne rentrait
donc pas dans le contrat que nous avions accepté les uns et les
autres et j’ai aussitôt réagi en arguant que Marc Ravalomanana
ne pouvait se présenter à travers la candidature de son épouse.
J’avais l’impression qu’on se moquait de moi. Certains avaient
attendu que je quitte le sol Malagasy pour remettre en question
les règles du jeu. Alors je me suis dit, puisque c’est ainsi, que
personne ne respecte plus rien, je vais aussi me présenter. Et ma
candidature a aussi été validée en juillet 2013 par la Haute Cour
constitutionnelle. Le scrutin qui devait avoir lieu en mai puis en
août était finalement fixé pour le 25 octobre. L’annonce de ma
participation avait changé la donne sur l’échiquier politique. J’ai
alors demandé solennellement à Edgard de se retirer de la course.
Il a refusé et c’était la première trahison.
« C’est moi qui ai été investi candidat du parti TGV », m’a-t‑il
répondu.

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Comment TGV a choisi « Hery R. » en 2013 ?

Quelque part, c’était vrai, sauf qu’il avait oublié une des règles :
j’étais le président fondateur du parti et à partir du moment où je
m’engageais, il était logique que la primauté du nom du parti me
revienne et qu’il m’aide dans cette mission. Pour Albert-Camille
Vital, c’était différent, il n’était certes pas affilié au parti, mais
malgré ma demande, il a refusé lui aussi de retirer sa candidature.
Ma candidature a en tous les cas été reçue avec une joie immense
par mes partisans, beaucoup moins par la communauté interna-
tionale. Quelques jours après ma décision, les déclarations ont
fusé de toutes parts. La SADC condamnait le non-respect des
conventions. Le médiateur de la communauté de développement
d’Afrique australe (SADC), Joaquim Chissano, a donné le samedi
13 juillet jusqu’à la fin du mois aux trois candidats très controversés
de l’élection présidentielle Malagasy pour retirer leur candidature
sous peine de sanctions.
Les représentants de la SADC et de l’Union africaine sont
venus me voir au palais. Je leur ai expliqué ma position et ils
l’ont acceptée et comprise. Ils m’ont demandé de proposer une
solution pour sortir le pays de l’impasse où il se trouvait. Ils m’ont
dit : « Si vous retirez votre candidature, personne, ni la SADC,
ni l’Union africaine, ni la communauté internationale en général,
ne pourra empêcher votre candidature en 2018. Il serait sage et
louable pour vous de tenir votre parole en n’étant pas candidat. »
Je leur ai bien expliqué à mon tour que mon objectif n’était pas
d’être candidat, mais que chacun respecte la parole donnée. Et
à la fin de l’entrevue, j’ai accepté en disant : « OK, je retire ma
candidature. » Le lendemain, une loi a été proposée en ce sens en
Conseil des ministres.
« Un candidat qui ne remplit pas les conditions pourra être
remplacé par un candidat de substitution. » Le samedi 17 août,
nous avons fait un nouveau pas vers l’organisation d’une élection
présidentielle reconnue par la communauté internationale. La
nouvelle Cour électorale a entériné le retrait des trois candida-
tures « polémiques » plus sept autres. Il ne restait plus alors que
31 candidats sur les 41 autorisés par la première Cour électorale
le 3 mai précédent. Je me suis réuni avec mon équipe et on
a logiquement choisi « Hery R. » pour devenir un candidat de

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Par Amour de la Patrie

substitution. J’ai demandé à mon secrétaire général d’appeler le


Dr Kolo Roger qui était à Genève et qui faisait partie des can-
didats qui ne remplissaient pas les conditions. Au cours d’une
discussion téléphonique, je lui ai demandé de faire de « Hery R. »
son candidat de substitution. Il a accepté sans condition. Mon
secrétaire général de la présidence a aussi appelé le Dr Jules
Étienne afin qu’il se range lui aussi derrière notre nouveau can-
didat. J’ai reçu personnellement d’autres candidats retirés de la
course à la présidentielle afin de les convaincre de se rallier à
nous. Mais ces derniers ont réclamé de l’argent en échange. J’ai
bien entendu refusé. Une fois que tout était mis en place, j’ai
fait appeler Hery R. pour qu’il rentre à Madagascar immédiate-
ment, lui qui était en mission à l’île Maurice. Et il est arrivé en
fin d’après-midi à Ivato. De l’aéroport, il est venu directement
chez moi à Ambatobe. On s’est entretenus en tête à tête. Je lui
ai alors demandé :
– Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à devenir le futur pré-
sident de Madagascar pour diriger et développer notre pays ?
Il ne semblait pas très à l’aise. J’avais l’impression qu’il n’était pas
très convaincu par l’idée de se lancer dans cette bataille difficile.
Et il a juste répondu :
– Monsieur le Président, c’est vous le chef, si c’est vous qui le
décidez, alors je suis prêt à y aller.
Je l’ai remercié et je lui ai demandé une dernière chose :
– Pouvez-vous trouver des financements pour la campagne ?
– Je ne me suis pas préparé, cela va être difficile, a-t‑il simple-
ment répondu.
Je l’ai observé quelques secondes et je lui ai dit :
– Tout ce que je voulais faire pour moi en tant que candidat,
je le ferai pour vous.
Et à ce moment-là, je me suis retourné pour récupérer une
prémaquette de l’affiche de campagne avec sa photo et un slogan :
« Hery vaovao ho an’i Madagasikara. »
J’ai ajouté pour le rassurer et le motiver un peu :
– Je vais tout faire pour vous faire élire. Je vais vous aider mais
en 2018, je compte sur vous pour me renvoyer l’ascenseur.
Et il a répondu :

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Comment TGV a choisi « Hery R. » en 2013 ?

– Président, je suis à votre service. Au moment où vous décidez


qu’il faut arrêter, j’arrête.
D’ailleurs, un contrat avait été signé entre lui et moi mais qu’il
n’a jamais honoré. Il était convenu qu’il ne crée pas de parti poli-
tique mais il l’a fait. En 2018, il devait m’apporter son soutien
et ne pas se présenter à l’élection présidentielle, mais encore une
fois, il n’a pas respecté sa parole. En outre, il n’a jamais remboursé
les frais avancés pour sa campagne malgré ses engagements. Le
pouvoir change certains hommes et la trahison m’a endurci. J’ai
appris à guérir de mes blessures, je me suis relevé.

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CHAPITRE 26

Présidentielles 2013 :
la machine de guerre derrière Hery R. !

Le lendemain de notre tête-à-tête, nous avons organisé à l’hôtel


Colbert un point-presse afin d’annoncer officiellement sa candida-
ture. Hery R. n’était pas un militant de la première heure. Cela
ne m’a pas empêché de tout donner pour un scrutin électoral,
peut-être autant, voire plus, que pour ma propre campagne lors
des municipales de 2007. J’ai mis en place le plan de campagne.
J’ai moi-même conçu le slogan ainsi que l’affiche en conseillant
aux graphistes d’y mettre une église, symbole de notre croyance,
derrière le portrait du candidat. « C’est important qu’il y ait une
trace de sacré pour les Malagasy », ai-je précisé. Et ils ont mis
une église en haut d’une colline sur l’affiche présidentielle avec ce
slogan : « Force nouvelle pour Madagascar ». J’ai aimé participer à
cela, c’est mon côté « grand communicant ». Le candidat a passé
l’obstacle du premier tour le 25 octobre 2013. Mais la déception
était immense, car Jean-Louis Robinson était arrivé largement
en tête avec 21 % des suffrages contre à peine 15 % pour Hery
Rajaonarimampianina. Il y avait de quoi s’affoler car rien n’était
joué. Alors, j’ai mobilisé entre les deux tours toute notre base
politique pour le faire gagner. Mais il traînait les pieds, il donnait
l’impression d’y aller à reculons. Or je lui avais bien précisé que
la lutte était sacrée, qu’il faudrait retrousser ses manches. Pour
moi, la « qualité », le travail bien fait, c’est primordial. Lors du
congrès du parti en mai 2013, je m’étais moi-même rendu sur
place dans la nuit, pour peaufiner les détails des décors de la
salle, l’agencement de la scène, avant de valider le programme de
la journée. Je n’aime pas l’improvisation. Et j’ai un vrai sentiment

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Présidentielles 2013 : la machine de guerre derrière Hery R. !

de gêne face aux gaspillages. J’ai beau être généreux, je ne donne


pas plus que ce qui est nécessaire et depuis le début de la cam-
pagne, j’avais senti que le candidat ne donnait pas grand-chose en
retour. Parfois, je descendais de l’hélicoptère, je voyais son visage
dépourvu d’émotions et j’avais presque envie de repartir. Il y avait
comme du regret dans son regard. Pourtant, les gens qui nous
soutenaient avaient de vraies convictions, ils y croyaient. Et nos
partisans trouvaient déjà que la confiance se perdait entre eux et
celui qu’ils soutenaient. La lutte populaire avait été mise de côté.
On ne faisait pas assez participer les militants. Alors j’ai fini par
le convoquer au palais. Et je lui ai dit ceci devant tous mes colla-
borateurs : « Monsieur le candidat, je ne vous appelle pas encore
“Monsieur le Président”. Nous devons travailler tous ensemble
main dans la main pour y arriver. Pour cela, je souhaiterais que
vous portiez la couleur de notre lutte durant cette campagne. Cette
condition est primordiale pour la victoire. C’est un symbole fort.
Vous le savez, elle est orange. »
Il n’y avait pas assez de fierté de sa part, il ne semblait pas
animé par sa mission. Et plus ennuyeux, il ne rendait pas assez
hommage au mouvement populaire, à ceux qui avaient accompa-
gné et soutenu notre lutte. Il y avait une certaine frustration dans
l’air. Mes proches collaborateurs et moi-même savions que nous
allions droit dans le mur. Il fallait donc remobiliser tout ce monde.
Durant la réunion, j’ai alors mis en garde le candidat :
– Si on continue comme ça, on va perdre les élections […].
Monsieur le candidat, tout le monde ici est prêt à faire tout ce
qui est possible pour vous mettre sur ce fauteuil.
Et je me suis alors levé spontanément en désignant mon siège :
« C’est ma place que je vous donne. » Mais la réunion a été très
tendue, car il semblait ailleurs et donnait l’impression de ne pas
vouloir nous écouter. Il n’a d’ailleurs rien dit durant cette réu-
nion. Nous nous sommes quittés de manière un peu distante et
il est retourné au QG de campagne à Antanimena. Il s’est réuni
avec son équipe resserrée et son épouse. Et finalement, ils ont
décidé de ne pas afficher la couleur orange. Et notre malentendu
a commencé ainsi. Mais je ne voulais pas que cela ait une inci-
dence sur le résultat. Nous étions dans la dernière ligne droite

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Par Amour de la Patrie

et nous nous devions de resserrer les rangs. À Madagascar, on


lave son linge sale en famille. Malgré nos différends, il fallait
garantir la victoire. J’ai appelé personnellement les candidats
éliminés au premier tour pour les convaincre de soutenir Hery
Rajaonarimampianina. La plupart comme Roland Ratsiraka,
Pierrot Rajaonarivelo, Dadafara ont accepté à l’exception de
quelques-uns. Et, depuis le palais, j’ai reçu un coup de fil qui
provenait d’un grand investisseur étranger. Il voulait beaucoup
investir à Madagascar et il m’a proposé de venir discuter avec
lui à Singapour où il habitait. En tant que chef d’État, j’étais
sensible aux projets d’investissement étrangers donc j’ai accepté la
proposition. Il m’a envoyé un jet privé pour me rendre sur place.
J’ai atterri à Singapour pour soixante-douze heures de visite.
J’ai rencontré cet homme qui a aussitôt engagé la discussion
sur les élections présidentielles à Madagascar. Et il m’apprend
alors, à ma grande surprise, que l’épouse du candidat Jean-Louis
Robinson et Albert-Camille Vital, mon ancien Premier ministre,
qui le soutenait désormais, étaient dans le même hôtel que moi.
Et l’homme d’affaires s’est écrié : « Hery R. est en train de vous
trahir, il dit du mal de vous aux chancelleries. Une fois élu, il
coupera le cordon ombilical. » Je n’y croyais pas et je me sentais
très mal à l’aise face à ce piège. Mais je voulais en avoir le cœur
net, savoir où il voulait en venir.
– Nous on vous propose une chose, a-t‑il encore précisé, que
vous ne vous positionnez pas pendant la campagne du second tour.
Et on vous sécurisera quoi qu’il arrive. On trouvera un terrain
d’entente et de toute façon, vous serez gagnant. Je vous assure
que vous serez gagnant.
Il m’a alors proposé une très grosse somme d’argent. Même
en travaillant jusqu’à la fin de mes jours, je ne pourrai jamais
gagner autant. Mais ce n’est pas mon style. Et j’ai alors répondu
de manière très naturelle :
– Avec tout mon respect, je dois vous préciser que ma réponse
ne dépend pas que de moi. Je suis seul devant vous à cet ins-
tant, mais derrière moi, il y a beaucoup de gens qui ne peuvent
pas aller ailleurs. J’ai des partisans ! Ceux qui ont lutté contre
M. Ravalomanana sont derrière moi. Or faire gagner JL Robinson,

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Présidentielles 2013 : la machine de guerre derrière Hery R. !

c’est faire gagner M. Ravalomanana. Moi, je suis sûr que Hery R.


va gagner et je ferai tout pour qu’il gagne !
Il l’a très mal pris. Il m’a demandé de bien réfléchir et nous nous
sommes quittés ainsi. Plus tard, dans l’après-midi, il m’a rappelé
pour me dire que ça serait bien que je rencontre Mme Robinson.
L’épouse du candidat connaît très bien ma femme donc j’ai accepté
par courtoisie en précisant l’heure : 14 heures ! À 14 heures pile,
Mme Robinson a frappé à la porte de ma suite. Nous avons dis-
cuté longuement au salon. Elle a tout fait pour me convaincre.
Je lui ai juste dit :
– Personnellement je vous connais ainsi que votre mari, et je
n’ai aucun problème contre vous, mais vous avez vos opinions
politiques et j’ai les miennes. Vous faire gagner, c’est faire gagner
M. Ravalomanana. Ça serait une trahison vis-à-vis de notre lutte,
notre cause et nos partisans.
Elle est partie contrariée. Pour ma part, j’étais resté fidèle à
mes valeurs, et cela n’avait pas de prix. J’ai repris l’avion dans
l’autre sens,
Évidemment, tout le monde était déçu du côté des organisateurs
de cette rencontre et surtout du côté de Jean-Louis Robinson qui
avait déjà obtenu le soutien de quelques candidats. Mais j’étais
resté intransigeant, je ne voulais pas trahir la cause. En rentrant,
j’ai dû faire face à une fronde des militants. Certains se plaignaient
encore de ne pas être pris en compte dans la campagne. En gros,
ceux qui avaient mené la lutte ne se sentaient pas écoutés. Notre
candidat ne voulait décidément pas porter le dossard de la lutte
populaire « sacrée » pour nous. Et c’était une véritable blessure
pour ceux qui le soutenaient. Ses collaborateurs ne voulaient pas
associer leur image à 2009. Alors j’ai proposé d’ouvrir un deu-
xième QG dans l’ancienne salle du cinéma Roxy Antaninarenina
afin d’accueillir tous les partisans. Et dans la foulée, nous avons
démarré la campagne du second tour jumelée à celle des légis-
latives en organisant un grand meeting au Coliseum. Ce fut un
immense succès malgré l’absence d’Hery R., qui n’avait pas sou-
haité y participer. On a bien senti ce jour-là qu’on avait recon-
quis Antananarivo. Or celui qui gagne Tana gagne le pays. Aux
législatives, nous avions eu autant de députés à Tana que le TIM

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Par Amour de la Patrie

de M. Ravalomanana, c’est-à-dire six chacun. C’était difficile de


remonter la pente. Comme la loi m’interdisait de supporter publi-
quement le candidat, Augustin A., le directeur de campagne du
Mapar, m’avait suppléé dans ce rôle. Je lui soufflais les messages
à faire passer. On organisait tout nous-mêmes : les meetings,
la communication, les messages à véhiculer, les comités de sou-
tien, etc. Or à chaque descente dans les communes, on ne voyait
que les affiches de JL Robinson dans les rues et on sentait qu’on
perdait du terrain. Face à ce constat alarmant, il nous fallait réagir.
Comme nous avions à notre disposition quatre hélicoptères, nous
avons immédiatement dispatché les matériels de campagne pour
quadriller le territoire. Nous avons fait sept meetings par jour dans
sept districts différents durant les deux semaines de propagande.
Et à chaque fois, le directeur de campagne criait à la foule « Vous
aimez le Président Rajoelina ? », et celle-ci répondait d’une seule
voix : « Oui, nous l’aimons. » Et il reprenait : « Alors si vous aimez
le Président Rajoelina, votez pour Hery Rajaonarimampianina ! »
Les meetings dans les grandes villes ont été l’occasion de faire
une démonstration de force. Je me souviens, c’était à chaque fois
noir de monde. Il y avait des cortèges pour nous attendre, et
la route était toujours bondée. Malheureusement, c’était surtout
quand je l’accompagnais. Les gens voulaient me voir. Et dans les
stades, quand les speakers annonçaient le candidat « Hery R. »,
les réactions étaient mitigées. C’était un peu trop silencieux. Et
quand il disait : « Il y a ici le Président “Rajoelina” », alors c’étaient
aussitôt des cris de joie, des hourras très bruyants. Le candidat
Hery R. ne l’a jamais vraiment supporté, pourtant je n’y pouvais
rien. Et qu’importe, si c’était pour le faire gagner. Heureusement,
les élections législatives ont annoncé le vent de la victoire, ce qui
était de bon augure. Nos députés ont été élus dans presque toutes
les grandes villes, à Antananarivo, à Diégo-Suarez, à Tamatave,
à Majunga… Nous avons eu la majorité à l’Assemblée nationale,
soit 49 députés, suivis de loin par 21 députés pour le parti TIM
de M. Ravalomanana. Le second tour des présidentielles a eu lieu
le 20 décembre 2013. Et les premières tendances étaient positives,
Hery Rajaonarimampianina arrivait en tête. Les premiers résultats
collectés étaient rassurants, car nous menions à Antananarivo dans

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Présidentielles 2013 : la machine de guerre derrière Hery R. !

des quartiers populaires importants. Je restais tous les soirs dans


mon bureau à Ambodivona pour faire le point avec la direction
informatique. On analysait les résultats avec précision grâce à un
système de comptage ultramoderne que nous avions mis en place.
Mais à Noël, alors qu’on était tous dans l’expectative et que le
résultat demeurait incomplet et non proclamé – même si la victoire
semblait plus ou moins assurée –, notre candidat, son équipe et
sa famille sont partis en France. Et à partir de ce moment-là, il
a pris ses distances vis-à-vis de nous. Nous n’avions presque plus
de contact. Il était devenu difficile d’accès et il ne m’appelait plus.
De notre côté, nous sommes restés jusqu’au bout à travailler pour
vérifier tous les P-V des résultats qui tombaient petit à petit. Et
c’est seulement vers la fin de l’année que sa victoire a été confir-
mée. Nous étions soulagés, notre travail, des mois d’efforts avaient
été récompensés.

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CHAPITRE 27

La passation de pouvoir
du 24 janvier 2014

Les premiers jours de l’année 2014, on a senti un flottement.


Quelles que soient les raisons qui l’ont motivé, la distance que le
candidat que nous avions soutenu avait soudainement imposée était
mal ressentie par sa famille politique et par ses électeurs. Mais une
fois de plus, j’ai préféré ne pas lui en porter rigueur. Désormais, je
voulais sortir par la grande porte. Je voulais organiser la passation
de pouvoir de la manière la plus exemplaire possible. Et puis, j’avais
envie de me reposer un peu, après tant d’années de combat. La
campagne n’avait pas été facile et j’avais mis toute mon énergie à
participer à la victoire de notre candidat. D’une certaine manière,
j’en tirais aussi une certaine fierté. Et par conséquent, je me devais
d’être élégant jusqu’au bout. Nous avons donc préparé la cérémonie
de passation de pouvoir qui se déroulait au palais d’Iavoloha. Au
début, le nouveau Président semblait réticent. Certains ont même
dit qu’il ne voulait pas en entendre parler. Mais j’y tenais car nous
étions du même camp et nous devions montrer aux Malagasy que
la transition démocratique avait débouché sans bain de sang grâce
à des élections libres et transparentes. Je suis arrivé dans la cour
du palais sous les hourras des invités. J’avais un large sourire aux
lèvres car c’était pour moi un beau jour. Je sentais une certaine
libération. Autour de nous, on pouvait lire un sentiment de tris-
tesse sur les visages des gens. L’atmosphère de départ pesait sur
les esprits. Je ressentais au fond de moi-même un sentiment de
satisfaction. Il est vrai qu’à Madagascar et ailleurs en Afrique, il
est assez inhabituel de voir un chef d’Etat céder son fauteuil avec
le sourire. Le nouveau Président était moins à l’aise, il semblait

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La passation de pouvoir du 24 janvier 2014

nerveux, peut-être parce que pour la première fois, il sentait la


responsabilité qui lui incombait. Dans la salle, l’auditoire a long-
temps applaudi notre arrivée. J’ai alors fait un discours solennel
durant lequel j’ai remercié le peuple Malagasy dans son ensemble,
les médiateurs internationaux, les forces de l’ordre, mes collabora-
teurs et bien sûr ma famille, ma femme en particulier.
« Nous ne sommes pas entrés dans le piège qui mène à l’affron-
tement et à la guerre civile et cela est une fierté pour le peuple
Malagasy. C’est le patriotisme qui m’a poussé à prendre mes res-
ponsabilités pour ma patrie. C’est avec ce patriotisme que je suis
rentré ici au palais et pour l’intérêt supérieur de la Nation c’est
avec ce patriotisme qui emplit mon cœur que je m’apprête à le
quitter », ai-je dit avant de souhaiter ensuite le meilleur pour mon
successeur. Il y a eu de longs applaudissements et une grande
partie de l’assistance en face de moi a fondu en larmes. C’était
très émouvant, il y avait là tous ceux qui avaient participé à la
lutte populaire de 2009. Mais j’essayais de rester serein. Je ne
voulais pas en tant que chef d’État, certes sur le départ, me laisser
envahir par l’émotion. Et j’ai donc suivi le protocole à la lettre.
Nous avions confectionné une clef géante censée symboliser celle
du pouvoir et quand je la lui ai remise, il a paru gêné, il avait le
visage triste et fermé. Il n’a laissé échapper aucun sentiment. Il ne
m’a même pas fait l’accolade. Il donnait l’impression de vouloir
repartir sur-le-champ. Je l’ai retenu un peu pour réaliser la photo
du jour. Il s’est alors retourné bien malgré lui avec la clef, le visage
toujours aussi fermé. Puis, il a reposé la clef assez vite sur la table
et a refusé de faire un discours. C’était vraiment une réaction très
étrange de sa part. Rien ne justifiait pareil comportement. Et
puis, il est reparti aussitôt. Normalement, le protocole exige que
le nouveau Président raccompagne l’ancien sur le perron du palais
présidentiel, afin d’entrer dans la fonction. C’est une marque de
respect pour celui qui part autant que le symbole de la prise de
fonction pour celui qui reste. Or, il est parti tout de suite, avant
moi, sans respecter cette règle basique. Pire, il m’a donné l’impres-
sion de vouloir fuir. J’avoue, ce moment a été très révélateur pour
moi. Je ne comprenais pas ce qui se passait, tout cela me dépassait
alors que j’avais tout donné durant sa campagne. Heureusement, le

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Par Amour de la Patrie

personnel du palais, les militaires, les officiels, les amis, les proches,
tout le monde est resté sous le perron. Et l’on m’a fait une haie
d’honneur. J’ai marché dans la cour main dans la main avec mon
épouse et mes enfants. J’avais le sentiment d’avoir accompli mon
devoir envers la patrie. Cette image a fait le tour de Madagascar.
C’était un moment d’extrême émotion. Mon épouse m’a gentiment
dit tout bas dans l’oreille : « Je suis fière de toi, Andry, tu es un
grand homme. » Je l’ai regardée avec les larmes aux yeux, en me
disant que c’était bien la femme exemplaire que j’avais épousée. Je
me suis dit que j’avais de la chance, que Dieu m’avait préservé du
pire et offert d’être accompagné dans les moments difficiles par les
plus beaux êtres. Et j’ai observé mes enfants. Ils avaient le sourire
et me disaient : « Bravo dadah. » On a marché comme ça sous
les applaudissements et la fanfare présidentielle. J’ai même vu une
personne s’évanouir devant nous. L’émotion était à son comble.
J’ai tout fait pour garder le sourire mais je sentais une profonde
tristesse autour de moi, sincère, à me voir partir. Et je ne peux
le nier, j’ai senti à cet instant-là un grand vide. Heureusement,
je regardais ma famille et elle me donnait le courage de ne pas
craquer. Nous nous sommes installés dans la voiture. J’ai pris
moi-même le volant. J’avais les miens autour de moi. Il n’y avait
même pas de garde du corps. J’ai regardé par la vitre et je prenais
conscience que je redevenais un simple citoyen. J’ai jeté un coup
d’œil sur le palais. On avait l’impression d’un grand vide au som-
met de l’État. Hery R. était lui-même parti. Drôle de symbole.
Mais au moins, tout s’était parfaitement déroulé. J’avais remis les
clefs du palais, la passation de pouvoir avait été démocratique et
c’était quand même la première fois dans l’histoire de Madagascar.
J’avais exaucé mes vœux. Ce que j’avais dit au Pape, puis au Père
Pedro, prenait tout son sens. « Je veux une sortie démocratique, je
ne veux pas d’autre effusion de sang. » J’étais heureux, je quittais
le palais sans amertume. Le lendemain, le jour de l’investiture du
nouveau Président où je me suis rendu, le stade de Mahamasina
était malheureusement rempli au quart. C’était un mauvais signe.
Car pour le coup, c’était encore une première dans l’histoire de
Madagascar que si peu de monde participait à l’investiture d’un
nouveau Président. J’avais pourtant envoyé personnellement des

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La passation de pouvoir du 24 janvier 2014

invitations à de nombreux chefs d’État qui avaient répondu pré-


sents. Il y avait le Président de la Namibie Hifikepunye Pohamba,
le Président de Maurice, Rajkeswur Purryag, le Président des
Seychelles, James Alix Michel, le Président des Comores Ikililou
Dhoinine ainsi que de nombreux ministres des Affaires étrangères
et hauts représentants d’organisations internationales. Il y avait un
écran géant. Le nouveau Président a prêté serment devant Dieu
et devant la nation tout entière. Malheureusement, lorsque durant
son discours, la caméra passait sur moi, les gens applaudissaient.
Il levait la tête, le bruit du public le gênait. Il s’arrêtait de parler,
regardait de gauche à droite en se demandant ce qu’il se passait
et semblait embarrassé. Or, tout était très spontané. Et je préfère
ne faire aucun commentaire sur son discours qui a été si décrié.
Ses conseillers avaient fait un copier-coller de celui du Président
français Nicolas Sarkozy en 2007.

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CHAPITRE 28

Les années de mon retrait


de la scène politique

Malheureusement, les premiers jours du nouveau Président au


pouvoir ne m’avaient pas rassuré. C’est comme s’il faisait tout pour
s’éloigner de son propre camp. Et je ne comprenais pas bien sa
volonté affichée de couper le cordon. Lors de sa prise de fonction
le 25 janvier 2014, selon l’article 54 de la Constitution, il devait
normalement nommer le Premier ministre, désigné par le groupe
du parti majoritaire à l’Assemblée nationale. Cette nomination
devait se faire dans la concertation. Mais il a mis beaucoup de
temps à se décider. Et bizarrement, il ne donnait plus signe de
vie, il avait coupé les ponts. Il ne voulait plus entendre ce qui était
convenu. Alors j’ai envoyé un de mes conseillers, pour le rappe-
ler à l’ordre avec diplomatie de nommer rapidement le Premier
ministre. Mais il a continué à faire le sourd et à gérer le pays avec
le gouvernement précédent. À mon sens, il avait mal débuté son
mandat en piétinant la Constitution. J’ai alors décidé de m’adres-
ser au peuple malagasy au Carlton le 21 février 2014, lors d’une
déclaration « vérité ». « Il est important de rappeler que c’est le
Mapar qui a soutenu le nouveau président de la République. Ce qui
m’étonne vraiment c’est qu’aujourd’hui on me demande si le Mapar
sera dans l’opposition. Je vous invite à retourner la question au
président de la République. Qui, aujourd’hui, considère le Mapar
comme un ennemi ? Comme un adversaire ? Votre ami et soutien
d’hier est-il devenu votre ennemi d’aujourd’hui ? Je pense que tout
cela va en sens inverse. Premièrement, concernant le poste de
Premier ministre : vous savez, ce qui prime pour moi, c’est l’avenir
de Madagascar. Ce n’est pas le poste de Premier ministre. J’étais

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Les années de mon retrait de la scène politique

déjà Président de la Transition durant cinq ans, et je pense que


je pourrais encore faire mieux pour développer Madagascar. Et je
pense que les Malagasy méritent un avenir meilleur. Madagascar
doit être la vitrine de l’océan Indien, comme je l’avais toujours
dit. […] Aujourd’hui, les gens loyaux, les gens fidèles se font de
plus en plus rares. Et même, celui que vous avez soutenu, hier, vous
prend comme ennemi ou adversaire aujourd’hui. Tout ceci prête
a confusion. C’est pour cette raison que je ne brigue pas le poste
de Premier ministre. Et d’ailleurs je n’en ai jamais eu l’intention.
Ce qui m’intéresse, ce n’est ni le pouvoir ni les titres mais l’action
concrète pour le pays. Comme je le dis souvent : c’est l’Amour qui
prime avant tout. L’Amour de la Patrie ! L’Amour que j’ai pour le
peuple malagasy ! Et l’Amour que j’ai pour Madagascar. Toutefois,
il faut respecter la Constitution. Les textes sont simples et, pour
la stabilité des institutions, ne doivent en aucun cas faire l’objet
d’interprétations. Le Mapar propose le nom du Premier ministre
et le Président le nomme. Et nous allons faire les démarches en
ce sens. » Mais le Président a continué à faire perdre du temps, et
finalement ce n’est qu’au bout de trois mois qu’il a enfin nommé
un Premier ministre non conforme à la Constitution. Pour moi,
il était déjà trop tard, j’étais écœuré, et j’ai préféré me retirer de la
vie politique, ou plutôt de la « politique politicienne ». C’est alors
que j’ai décidé de prendre un peu de recul en allant rejoindre ma
famille en France quelque temps et en même temps pour réflé-
chir à l’avenir de Madagascar… Je voulais chercher d’autres voies,
m’atteler à trouver des solutions pour un développement durable de
la Grande Ile. Les premiers jours étaient très durs, car quitter le
pays qu’on aime n’est jamais chose facile mais je me suis raccroché
à des objectifs concrets et la présence de ma famille m’a beaucoup
aidé. Cette période m’a permis de me rapprocher de mes enfants,
le matin je les accompagnais à l’école, j’assistais aux réunions des
parents d’élèves, nous passions beaucoup de temps ensemble. Un
jour mon fils aîné Arena m’a demandé : « Dadah, pourquoi veux-tu
encore faire de la politique ? » Et je lui ai répondu : « Tu sais, mon
fils, la politique, ce n’est pas une obligation mais un devoir. Durant
une guerre, chaque homme majeur est obligé de prendre une arme
pour défendre son pays. La politique, c’est pareil. “Fais ce que tu

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Par Amour de la Patrie

peux, là où tu es avec ce que tu as. Même loin de Madagascar,


nous devons faire quelque chose pour notre pays.” » Et depuis,
tous mes enfants me soutiennent. Je les ai éduqués dans l’Amour
de la patrie, l’Amour de Madagascar. Cette période était l’occasion
pour moi d’être plus présent pour eux car je le savais bien, j’ai été
absent de leur vie. Je leur avais manqué et c’était réciproque.
Quand je n’étais pas avec ma famille, je me réunissais réguliè-
rement avec des experts internationaux et des représentants de
grandes entreprises internationales afin de chercher des solutions
concrètes pour chaque problème de chaque secteur à Madagascar.
Nous avons travaillé d’arrache-pied pendant quatre ans et demi, en
faisant le point sur les besoins de l’île, sur ses richesses naturelles,
sur les solutions que nous pourrions apporter, sur son potentiel
industriel, énergétique et agricole. J’aime le rappeler, mais n’ou-
blions jamais que la Grande Ile fut le grenier rizicole de l’océan
Indien dans les années 1970 alors que maintenant nous impor-
tons plus de 300 000 tonnes de riz annuellement. Il n’y a pas de
fatalité, Madagascar n’est pas condamné. J’ai beaucoup échangé
avec la direction de la société américaine General Electric, lors
de longues réunions en son siège en France à Belfort. C’est là
qu’il y a l’usine où l’on fabrique les turbines… Je m’intéressais
de près à tous les détails. Il n’y a pas eu un seul jour où je ne
pensais pas à Madagascar et à son avenir prospère. J’ai aussi visité
le numéro un de l’énergie en Belgique, la société ABB, ainsi que
de grands spécialistes de l’éolienne et des panneaux solaires. J’ai
énormément voyagé durant ces cinq dernières années. Je suis allé
à la rencontre d’éventuels partenaires indiens pour relever le défi
de la sécurité alimentaire et de l’autosuffisance. Je suis allé au
Maroc aussi pour voir de près le projet Tanger Med, ce nouveau
hub en Méditerranée qui fait la fierté de la monarchie chéri-
fienne. C’est l’un des plus importants complexes portuaires de la
planète pouvant accueillir parmi les plus grands cargos du monde.
J’étais convaincu que l’on pouvait tout à fait réaliser ces projets à
Madagascar. Nous avons aussi planché sur un vaste programme de
logements sociaux, « le plan habitat », avec l’objectif de construire
plus de 40 000 logements en cinq ans. Et puis, évidemment, on a
aussi établi des projets de reforestation avec des sociétés spécialisées

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Les années de mon retrait de la scène politique

car comment ne pas être sensible à ce fléau qui ronge notre île
depuis des décennies ? Je suis personnellement très sensible à la
faune et la flore de cette si belle île que je laisserai en legs à la
génération future. Pendant cinq ans, je n’ai cessé d’échanger pour
le meilleur de Madagascar avec des personnalités politiques de pre-
mier rang, des industriels, des investisseurs d’Afrique et d’ailleurs.
Tous ces gens m’ont garanti de leur soutien pour faire émerger
Madagascar. J’ai pris le temps de tisser des relations solides afin
d’être demain accompagné dans mes ambitions de développement.
Et puis j’ai profité de ce recul, pour apprendre et renforcer mes
propres acquis. J’ai beaucoup lu, j’ai suivi plusieurs formations
politiques et diplomatiques… J’ai voulu tirer les conclusions du
passé, de certaines de mes erreurs, pour mieux me projeter dans
l’avenir. Pendant ce temps, la situation ne cessait de se dégrader
à Madagascar, l’inflation est aujourd’hui à 45 %, et notre mon-
naie a énormément perdu de sa valeur. Quand j’étais à la tête du
pays, 1 euro était équivalent à 2 800 Ariary or aujourd’hui 1 euro
est équivalent à 4 000 Ariary ! En 2018 nous sommes devenus le
5e pays le plus pauvre du monde, même les Comores sont passées
devant nous en se plaçant au 22e rang devant Madagascar. Loin de
mon pays, j’avais envie de me révolter, je sentais la colère monter
mais la sagesse me disait de me taire. Tous mes proches colla-
borateurs ont dénoncé et tenté de lutter contre les malversations,
les mauvaises pratiques, la corruption, et ils ont tous été arrêtés
et emprisonnés. Les ponts ont été définitivement coupés avec le
Président Hery Rajaonarimampianina, qui m’a littéralement tourné
le dos. Et plus tard, j’ai assisté au sommet de la francophonie en
2016, pour marquer l’événement de ma présence. Quand il s’agit
de recevoir des hôtes pour le bien de mon pays, je me dois d’être
là. Ce sommet avait d’ailleurs été acté sous la transition. C’était un
geste de bonne volonté de ma part, pour montrer que j’étais dans
de bonnes dispositions, et non pas « revanchard ». Le Président
m’a néanmoins regardé de travers pendant toute la cérémonie. Son
regard était très parlant. Et au contraire, au lieu de dialoguer, il a
toujours utilisé la force et la loi pour nous persécuter, mon camp
et moi. Il nous était interdit de contester son pouvoir, même nos
élus ne pouvaient à peine se réunir. Ce qui me faisait le plus mal,

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Par Amour de la Patrie

c’était de devoir attendre pour revenir et travailler au redressement


économique et social de l’île. Mais une chose est sûre, nous nous
étions battus contre la dictature de M. Ravalomanana en 2009 et
finalement, ce sont la gabegie et la paupérisation qui sont revenues
en force avec Rajaonarimampianina. Mais j’ai toujours refusé de
polémiquer à travers la presse. Je préférais ne rien dire face à la
situation car chaque chose en son temps. Tout cela ne m’empê-
chait pas de rentrer régulièrement à Madagascar pour remonter
le moral de mes troupes, en rappelant que tout cela n’était que
passager et qu’il fallait se préparer pour les prochaines échéances
électorales, afin d’apporter notre contribution au relèvement de
Madagascar. On travaillait en silence, dans notre coin, en mettant
en place notre organisation avec une stratégie de recrutement basée
sur la fidélisation de nos partisans. C’est grâce à ce long travail
de fourmis que nous avons pu rassembler et répertorier près de
900 000 partisans, et adhérents et sympathisants !
Au passage en 2017, j’ai bien suivi et analysé la victoire du
Président Macron, j’ai apprécié son panache, sa manière de mener
campagne. Quelques mois auparavant, personne ne croyait qu’en
France, un jeune homme de 39 ans sans parti politique puisse
accéder au pouvoir en créant un tout nouveau mouvement (En
marche). Pour ma part, j’ai cru très vite en sa victoire, car j’avais
constaté sa persévérance, sa volonté de gagner, sa foi. C’était plus
qu’un symbole qu’un jeune candidat remporte une élection en
France et que les grands partis traditionnels soient affaiblis. C’était
le signe que les temps changaient. Cela m’a également rappelé mon
parcours. Je suis devenu chef d’État à l’âge de 34 ans et j’ai moi-
même participé au renouvellement de la classe politique. Au-delà
de son âge et de son parcours, je retrouve chez le Président Macron
certaines de mes propres valeurs. Il est un battant, un chef d’État
qui sait reconnaître les erreurs du passé pour aller de l’avant.
D’ailleurs, dans la lettre de félicitations que je lui ai adressée à
l’issue de son élection, je lui ai fait part de ma reconnaissance pour
sa condamnation de la colonisation en Afrique. Il faut admettre
qu’il y a eu des actes auxquels la majeure partie des Français n’ad-
hère pas. Lui, il a eu le courage de le dire. Mais la France n’est
pas mon pays, juste une terre d’accueil provisoire, et j’avais toujours

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Les années de mon retrait de la scène politique

hâte de fouler la terre malagasy. Malheureusement, à chaque fois


que je revenais, j’étais davantage surpris par l’aggravation de la
misère partout, autant urbaine que rurale. Il n’y a aujourd’hui
quasiment plus de classe moyenne, la pauvreté s’est généralisée
sur toute l’île. Comme j’ai eu connaissance d’un rapport alarmant
du PAM (Programme alimentaire mondial) sur la famine dans le
sud de Madagascar, je suis allé au chevet des personnes atteintes
du Kere (malnutrition). Je me suis rendu sur place pour apporter
des médicaments, du riz, de l’eau, du lait, etc., le 7 février 2016.
Ce fut ma première sortie officielle. « Je continuerai à vous aider »,
ai-je promis à l’endroit de la communauté des Sœurs de Tsihombe
qui étaient complètement débordées par la famine et l’état de
malnutrition qui sévissaient gravement au sud de Madagascar. La
tuberculose frappait aussi une partie de la population et le dispen-
saire tenu par les Sœurs de Tsihombe était littéralement submergé
de malades. « Nous n’avons plus rien à manger, personne ne se
soucie de nous et vous êtes la première personnalité à nous rendre
visite. Nous doutons maintenant si nous faisons toujours partie du
peuple malagasy et depuis des mois, le cactus reste notre principal
aliment », s’est plaint une femme âgée lors de mon passage. J’ai
toujours été dès que je pouvais au chevet des Malagasy. Je ne me
suis jamais découragé pour soulager la souffrance des plus faibles
dans mon pays. Je ne ménagerai jamais mes efforts tant qu’il s’agit
de Madagascar et de mes compatriotes.

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CHAPITRE 29

Mon retour sur la scène politique

Madagascar, mars 2018. Que j’aime fouler cette terre, celle de


nos ancêtres, façonnée au fil des siècles à force de labeur et de
sueur. Ce matin-là, j’ai décidé de me rendre à Ambilobe. Nous
avons pris l’avion vers midi pour arriver en début d’après-midi sur
la petite piste de terre rouge au milieu de champs verts. Le ciel
était encore nuageux car le cyclone menaçait. La pluie était tom-
bée sans arrêt pendant plusieurs jours, provoquant de nombreuses
inondations dans la région. Ambilobe se trouvait alors entièrement
enclavée. Les crevasses aussi rendaient la route impraticable. On
voyait la latérite, cette glaise, craqueler le bitume. À mon arrivée,
une foule de fidèles m’attendaient. Cinq ans après ils étaient tou-
jours là. Ces femmes, ces jeunes… C’est pour tous ces gens que
j’ai décidé de reprendre le combat. C’est à eux que je dois cela.
Je me souviens des soirs de solitude, lorsque nous n’étions plus
qu’une poignée à nous réunir à Antananarivo. Je me souviens des
visages, de toi Nina, ma députée de Majunga, fidèle au poste,
qui ne m’a jamais lâché, de toi aussi ma courageuse députée de
Tamatave, Irmah, toujours prête à tout pour faire entendre mon
message et porter fièrement notre couleur. Quelle joie de vous
retrouver toujours là, en bas de l’avion, lorsque la porte s’ouvre.
Je reconnais l’orange de mes partisans qui pour certains se sont
déplacés à pied pendant plusieurs heures. Je pense surtout à mes
compatriotes. Eux qui pour beaucoup n’avaient qu’un toit, et leurs
enfants à nourrir. Eux qui n’avaient pas d’emploi mais la volonté
de survivre au quotidien, aux coupures d’électricité à répétition, aux
infiltrations d’eau dans leurs logements, à leurs difficultés parfois
même à nourrir leurs enfants. Comment ne pouvais-je pas être ému

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Mon retour sur la scène politique

lorsque je suis descendu de l’avion et que j’ai vu ces fidèles d’entre


les fidèles m’attendre avec le sourire et le V de la victoire. Ceux qui
n’ont jamais fait de politique ne peuvent pas comprendre ce que
provoque une telle fraternité. Je sais que tous ces gens ont besoin
de moi et c’est une lourde responsabilité. Quand j’étais au pouvoir,
j’ai fait ce que je pouvais pour améliorer le sort des plus humbles,
j’ai construit des écoles pour assurer l’éducation de leurs enfants,
des hôpitaux pour garantir leur santé, des logements sociaux, des
stades, des centres culturels pour soutenir le sport et le monde de
la culture. Bien sûr, ce n’est jamais assez, bien sûr nous aurions pu
faire encore mieux. Mais je n’avais pas les mains totalement libres
alors que la feuille de route m’obligeait à diriger le pays avec mes
adversaires. Après ces premières accolades entre frères et sœurs du
même combat, j’aperçois Jocelyne que l’on surnomme « la dame
de fer du Nord », ma députée dans cette région. Le cortège, dont
elle avait pris la tête, quittait l’aéroport pour la ville. Accompagnés
du maire d’Ambilobe, les milliers de partisans se dirigeaient vers
le stade où se tenait le meeting. Ils chantaient et dansaient. Tout
le long de la route, j’ai revu ces visages de la joie. Des femmes,
des hommes venaient me serrer la main. Certains tentaient de
m’embrasser. Je demandais souvent au chauffeur de s’arrêter pour
pouvoir profiter de cette chaleur humaine. Une foule orange s’était
amassée dans toute la ville jusqu’au stade, comme du sang neuf qui
coulerait vers le cœur. J’ai fait irruption sur le toit ouvrant de la
voiture, pour répondre à toutes ces mains tendues. Quel âge avait la
plupart de ces partisans ? 20, 25, 30 ans maximum. J’avais en face
de moi les électeurs de demain, les forces vives de la nation, les
nouvelles générations qui bâtiront Madagascar. Ces jeunes savent
que ce projet « Initiative pour l’émergence de Madagascar », je l’ai
imaginé pour eux. C’est comme un rêve en fait et tous les rêves
que j’ai faits, je les ai réalisés, autant dans ma vie personnelle que
professionnelle, alors pourquoi pas à l’échelle de tout un pays ?
Pourquoi une nation aussi riche serait-elle condamnée à vivre
dans la pauvreté ? Lorsque je suis monté sur l’estrade, j’ai compris
qu’un immense espoir était en train de renaître. En face de moi,
ils étaient des dizaines de milliers à s’être donné rendez-vous là
pour me soutenir ou plutôt pour partager leurs souffrances. À cet

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Par Amour de la Patrie

instant-là, j’ai ressenti un immense sentiment de responsabilités


face aux attentes de tous ces gens, face au devoir qui m’appelle.
J’ai compris alors que les jours difficiles étaient derrière nous et
que demain une autre page devrait s’écrire. Comment ne pas être
touché ? Il y avait cette ambiance électrique. Et je me suis senti
investi d’une mission. Un patriote doit ressentir ces moments
d’union nationale, de fraternité et de ferveur. J’entends encore
la foule réclamer la clef du palais : « Rajoelina, sauvez-le pays !
cette clef, elle est à nous, reprenez-la ! » Nous étions le 8 mars.
C’était la Journée internationale de la femme à qui j’avais prévu de
rendre un hommage particulier. J’apprécie tout particulièrement de
travailler avec les femmes car je les trouve plus méticuleuses, plus
exigeantes que les hommes. D’ailleurs le directeur général d’Injet
est une femme. C’est une dame très efficace, de toute confiance,
je peux lui confier la clef de l’entreprise, elle la gérera comme si
c’était la sienne. Quand j’étais à la présidence, mes conseillères
et assistantes personnelles étaient aussi des femmes. Sur les six
secrétaires nationaux de mon parti, quatre sont des femmes. Alors
pour marquer cette journée particulière, nous avons retransmis le
discours enregistré de Mialy, mon épouse et présidente du Pan
African Ethanol Stoves and Fuel Alliance (PAESFA). Elle y parlait
d’énergies vertes. Elle a annoncé à cette occasion que la première
usine de production d’éthanol serait mise en place à Ambilobe. Ce
projet consiste à faire de l’éthanol une source alternative d’énergie
qui se substituerait au charbon de bois. En effet, le bois de chauffe,
source de déforestation massive, affecte la santé des familles et
aggrave la pollution intérieure des ménages. Ce projet a suscité
beaucoup d’espoir et d’applaudissements. Je me suis retourné, et j’ai
vu les visages lumineux de mon équipe. C’était une communion,
la même joie qui se lisait sur les visages.
Et j’ai alors repris la parole. « Cela fait plusieurs années que nous
ne nous sommes pas rencontrés. Je sais que je vous ai manqué et
c’est réciproque, me suis-je écrié avant d’ajouter : Une nation ne
serait pas une nation sans les femmes. Le mot Firenena a pour
racine le mot neny qui veut dire “mère”. Vous êtes le socle d’une
nation. Vous avez une place particulière dans le développement
du pays. Si nous voulons développer le pays, les femmes doivent

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Mon retour sur la scène politique

être mises en avant. » Je les ai invitées d’ailleurs à m’aider pour


le développement du pays. Au bout de deux heures de retrou-
vailles émouvantes, nous avons quitté le stade. Une véritable marée
humaine nous empêchait de sortir. Je n’oublierai jamais cet accueil.
Plus tard, le soir, nous nous sommes retrouvés avec mon équipe
au grand complet dans un petit restaurant. L’ambiance était cha-
leureuse et joviale. Chacun à son tour a animé la soirée et nous
avons chanté. Nous savions que quelque chose avait commencé là,
à Ambilobe. Le lendemain au petit déjeuner, un vieux militant,
habillé tout en orange, nœud papillon sur chemise de la même
couleur, où il était imprimé « Rajoelina Prezida », s’est rapproché
de notre table. Il m’a parlé et m’a raconté sa difficile existence.
Il m’a dit qu’il avait veillé toute la nuit pour préparer notre ren-
contre et qu’il en avait l’estomac noué au point de ne pouvoir rien
avaler. Alors je l’ai invité à partager notre repas. Voilà, c’est ainsi
que je conçois la politique, c’est de tout partager et d’être au plus
proche des citoyens. C’était vraiment très important pour moi.
L’homme politique que je suis devenu est le même enfant qui
aimait se perdre dans les rues d’Antananarivo pour rencontrer les
autres. Je ressens un sentiment d’indignation quand je vois cette
population abandonnée à son triste sort et l’état de délabrement
de ce si beau pays. Plus tard, nous avons organisé les assises de
l’IEM dans l’hôtel Le Lémurien. Ils étaient environ 400 personnes
à s’être déplacées pour débattre de notre projet de société pour
Madagascar. Quel bonheur là encore de répondre aux questions
de tous ces gens, riches et pauvres, jeunes et vieux. Je revois ce
monsieur, Simon, un ancien ouvrier de la Sirama, trente-cinq ans
de carrière à la sucrière. Il se plaignait de ne pas recevoir sa pen-
sion, du sentiment d’impunité face aux injustices quotidiennes, à
la corruption généralisée. Je revois la colère dans ses yeux lorsqu’il
a répété plusieurs fois : « Les Chinois de la Sicoma qui ont repris
l’entreprise m’ont dit un jour qu’on peut tout acheter à Madagascar,
même le gouvernement. »
– Quelle est votre situation ? lui ai-je demandé.
Et il a répondu tout simplement et dignement :
– Je suis à la retraite, je ne touche pas grand-chose mais je n’ai
qu’une exigence : le respect de l’État de droit !

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Par Amour de la Patrie

– Oui, lui ai-je répondu, je vous promets qu’une fois au pou-


voir l’une de mes priorités sera de reconstruire une justice saine
et efficace et de combattre la corruption.
Après, un jeune s’est présenté en face de moi.
– Monsieur le Président, il faut vraiment faire plus pour la
jeunesse désœuvrée. Il faut leur trouver un emploi et leur donner
la possibilité de faire du sport.
– Souvenez-vous déjà, sous la transition, j’ai construit des stades,
dont un pour le Maki, notre sélection de rugby sacrée championne
d’Afrique face à la Namibie. Je vous le promets, ensemble nous
relèverons d’autres défis. Je ne vous abandonnerai jamais.
Puis, une autre jeune femme au chômage s’est rapprochée. Elle
était autrefois employée dans une entreprise de coton.
– Nous on veut bien travailler dans l’éthanol ! Car on veut se
sentir utiles, avoir un travail, gagner notre vie, mais comment
faut-il faire ?
– Ne vous inquiétez pas, lui ai-je répondu, nous sommes en
train de mettre en place tout cela, lorsque je serai élu, il y aura
des centres d’embauche où vous pourrez vous présenter.
À la fin de toutes ces rencontres, j’ai voulu leur offrir un calen-
drier où se trouvait ma photo :
– C’est pour vous accompagner tout au long de l’année 2018.
Vous pourrez y lire un verset du I Corinthiens 13 : 13 que je vous
invite à appliquer au quotidien.
« […] trois choses demeurent, la Foi, l’Espérance et l’Amour,
mais la plus grande d’entre elles, c’est l’Amour. »

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CHAPITRE 30

La répression d’avril-mai 2018

La politique est faite de coups bas. Il faut toujours rester calme


face à l’adversité, et, éviter les coups comme au karaté. Je ne m’at-
tendais pas en avril 2018, alors que je me préparais tranquillement
à me lancer dans la campagne des présidentielles, à devoir faire
face à ce qu’on pourrait appeler une « tentative d’abus de pouvoir ».
Dans la perspective des élections présidentielles, le Président Hery
Rajaonarimampianina avait décidé de proposer de nouvelles lois
électorales sur mesure. Jusque-là, rien de très grave même si, bien
sûr, à quelques mois dudit scrutin, j’avais quelques doutes sur ses
bonnes intentions. Malheureusement, en prenant connaissance
du contenu de ces lois, mes craintes allaient vite être confirmées.
Pour se maintenir au « Palais », ces lois permettaient en réalité de
détourner le choix de la population, en favorisant un contexte de
fraudes massives dans l’organisation des élections. Ce qui était dra-
matique, c’est que le pouvoir en place avait changé la quasi-totalité
des articles de lois relatives aux élections. Il a dévié l’esprit des lois
électorales à son profit afin de perdurer au pouvoir et éliminer tout
candidat potentiel. Revenons sur les manipulations. D’abord, ce
projet de loi compliquait l’inscription sur la liste électorale, et en
cas d’absence lors du recensement, il fallait apporter un justificatif
auprès de l’administration compétente pour être réinscrit. Pourtant
auparavant, seule la présentation de la carte d’identité nationale
suffisait pour l’inscription sur la liste électorale, ce qui constitue
un droit fondamental pour tout citoyen. Ces nouvelles lois com-
pliquaient aussi les procédures du comptage des voix qui devrait se
faire dorénavant sur table et non au tableau comme de coutume.
Or un tableau, c’est beaucoup plus visuel, on ne peut pas tricher,

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Par Amour de la Patrie

alors que sur une table, si. Tout ceci manquait de transparence.
Le pouvoir avait aussi réduit la durée de la campagne électorale
du second tour de quinze à sept jours, faire une tournée sur toute
l’île devenait une tâche impossible. En revanche cela permettait de
masquer les différences entre les deux candidats et de détourner
ainsi le choix de la population. Même pour l’élection d’un chef
de quartier, on lui donnait dix jours pour faire campagne. Alors
que là, il s’agit d’élire un président de la République qui engagera
pour les cinq années à venir la vie et l’avenir d’une population de
25 millions d’habitants. Enfin, le pire, pour faire adopter ces lois,
le pouvoir avait usé de toutes les manœuvres. Ils avaient confiné
des députés dans un hôtel cinq étoiles, le Paon d’or, sur la route
de l’aéroport. Ils avaient tout fait pour convaincre ces députés et
les persuader d’adopter les nouvelles lois électorales, en échange
de 50 millions d’Ariary (12 500 euros) chacun et cela au vu et au
su de tout le monde. L’événement avait même été rapporté par
toute la presse nationale. La séparation des pouvoirs n’existait plus
car le Premier ministre, les présidents du Sénat et de l’Assemblée
nationale, ainsi que quelques ministres ont défilé à l’hôtel, devenant
ainsi complices des élus corrompus. La Constitution a été pour la
énième fois bafouée.
Pendant ce temps, de mon côté, j’ai réuni les députés de notre
parti ainsi que d’autres groupes parlementaires. Nous avons dis-
cuté du danger de ces lois pour le pays, de leur devoir de suivre
le droit chemin et de respecter le peuple qui a voté pour eux. Un
des députés était même venu vers moi pour me confier qu’il avait
tremblé de peur avant de refuser sans équivoque le sac rempli
d’argent que les émissaires du gouvernement lui avaient tendu
afin de l’acheter. « Je remercie le ciel » disait-il en s’agenouillant
« car je n’ai pas succombé à la tentation. » Plusieurs autres députés
n’étaient pas tombés dans ce piège. Il y eut donc une scission au
sein de l’Assemble nationale.

Malgré cela, le président de l’Assemblée nationale, lorsque les


députés contre ces projets de loi demandaient l’ajournement de
l’adoption de ces lois, a fait entrer les forces de l’ordre dans la
salle plénière.

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La répression d’avril-mai 2018

Le jour du vote, le 3 avril, depuis le Paon d’or, les députés ont


été transportés dans un bus et escortés par des forces de sécurité à
l’Assemblée nationale. Nous n’avions jamais vu une telle scène dans
le pays. La session extraordinaire a débuté et de suite le président
de l’Assemble nationale a exigé que l’on accélère les procédures de
vote dans la salle plénière car la loi devait être adoptée coûte que
coûte le jour même. Face à cette manipulation et l’absence du débat
démocratique, nos députés ainsi que ceux du TIM et des indépen-
dants, qui étaient contre l’adoption, ont réclamé la suspension de
la séance. Des députés ont brandi des pancartes qui appelaient à
stopper la corruption. Le président de l’Assemblée nationale refusa
et continua son monologue. Les voix commencèrent à monter.
C’était devenu la cacophonie totale, certains ont tapé sur les tables,
d’autres se sont bousculés. Les nerfs de chacun étaient mis à rude
épreuve. Dans ce tumulte, le président de l’Assemblée nationale a
donné l’ordre aux militaires d’intervenir pour faire sortir de force
certains députés. C’était inadmissible et inacceptable. Tout compte
fait, les députés contre sont sortis de l’Assemblée, et les lois élec-
torales ont finalement été adoptées par 79 voix contre 73 qui n’ont
pas voté, en quelques heures, sans amendement ni débat. Face à
la presse, notre députée du Mapar Christine Razanamahasoa a
déclaré : « On ne veut pas être complices d’une loi qui donne lar-
gement la place à la dérive, à la dictature, à l’élimination arbitraire
des candidats. Nous allons déposer une doléance auprès du Bianco
(Bureau indépendant de lutte anticorruption) parce que ce n’est
pas de cette manière qu’on vote une loi qui est plus que jamais
déterminante pour des élections libres et transparentes. » Comme
la volonté démocratique au sein du parlement avait été rompue et
non respectée, les députés d’opposition ont invité la population à
venir manifester devant le parvis de l’hôtel de ville, sur la place du
13-Mai, le 21 avril. Les députés s’étaient donné rendez-vous sur
la place d’Ambohijatovo, avant de rejoindre la place du 13-Mai.
Mais très tôt le matin, vers 9 heures, ils étaient déjà encerclés par
les forces de l’ordre qui avaient comme consigne de les empêcher
de quitter la résidence du Président du conseil municipal où ils
s’étaient donné rendez-vous. Les députés sont finalement sortis

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Par Amour de la Patrie

en ligne, bras dessus bras dessous, mais on ne leur permettait pas


d’avancer. Après plusieurs minutes de négociation sans succès, ils
ont finalement décidé de s’enfuir en se faufilant entre les forces
mixtes de sécurité. Puis, ils se sont regroupés plus loin pour parti-
ciper à la manifestation. Mais l’avenue de l’Indépendance avait été
à nouveau barricadée sur une centaine de mètres par les forces de
l’ordre armées jusqu’aux dents. La population voulait se rendre sur
la place encerclée par les militaires. Cette foule épaisse commençait
à affluer depuis toutes les artères de la ville menant au centre de
la place. Les forces de l’ordre ont commencé à tirer, à lancer des
bombes lacrymogènes à tout-va pendant plusieurs heures. À ce
moment-là, un haut gradé de la gendarmerie nationale contacta
un des parlementaires présents sur la place du 13-Mai pour lui
conseiller de quitter les lieux car l’ordre avait été donné de faire
de la « ROP », de la répression et non le maintien de l’ordre.
Malheureusement, la population était déterminée et personne ne
pouvait l’arrêter, car elle était à bout. Il faut se remettre dans le
contexte, depuis quatre ans et demi, personne ne pouvait jamais
manifester, et la corruption, l’abus de pouvoir avaient explosé sous
le régime actuel. Pour se protéger des tirs, les jeunes ont utilisé
les bacs à ordures. Au bout d’un moment, les forces de l’ordre se
sont repliées car elles n’avaient plus de munitions. Une partie est
retournée à leur caserne, un autre groupe s’est retranché dans l’hôtel
de ville. Et la population a pu finalement accéder à la place du
13-Mai après six heures d’affrontement. Le groupe de gendarmes
posté derrière l’hôtel de ville a tiré à balles réelles pour éparpiller
la foule et a tué deux jeunes manifestants. Le lendemain, en signe
de solidarité avec les victimes et aussi pour leur témoigner mon
soutien et leur rendre hommage, je me suis rendu sur la place du
13-Mai où les dépouilles ont été amenées. J’ai présenté personnel-
lement mes condoléances aux parents et aux familles des victimes
et je me suis recueilli sur les dépouilles des martyrs.

Après leur enterrement, les manifestations se sont poursuivies


chaque jour sur la place du 13-Mai à l’appel des parlementaires
pour le changement. « Misy miala ao Iavoloha! » (« L’occupant du
palais doit démissionner ! ») C’était le mot d’ordre qui résonnait

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La répression d’avril-mai 2018

de partout sur la place ainsi que dans tout Madagascar. Après


plusieurs jours de manifestations, les parlementaires ont par la
suite déposé un recours auprès de la Haute Cour constitutionnelle
qui a finalement invalidé plusieurs articles anticonstitutionnels de
la loi électorale. Ce fut une immense victoire pour la démocratie.
Néanmoins, je me suis quand même dit que tout ceci était
désolant. Peu importe les divergences d’opinions, peu importe
l’Amour du pouvoir, rien ne pourra jamais justifier qu’un homme
d’État verse le sang de son peuple qui souhaite faire valoir son
droit fondamental. L’intérêt commun et supérieur de la nation doit
toujours demeurer au-dessus de tout dans les prises de décisions
et dans les actions d’un dirigeant.
Après ce verdict, les revendications ne se sont pas arrêtées là. Les
syndicalistes, les fonctionnaires, les enseignants ont rejoint le mou-
vement en dénonçant les malversations, la corruption, la mauvaise
gouvernance au sein du régime. Parmi cela la non mise en place de
la Haute Cour de justice (HCJ). En effet il est stipulé dans l’ar-
ticle 167 de la Constitution que : « Le président de la République
doit dans un délai de 12 mois à compter de son investiture, inviter
les instances compétentes à désigner les membres qui composeront
la Haute Cour de Justice afin de procéder dès l’expiration de ce
délai à l’installation de la Haute Cour de Justice » Or le Président
n’avait toujours pas mis en place cette instance, malgré l’insistance
de la population et de la communauté internationale. Et pour cause,
les 73 députés d’opposition ont alors déposé le 25 avril, au sein de la
HCC (Haute Cour constitutionnelle), la demande de la déchéance
du président de la République pour non-respect des textes de loi
liés à sa fonction et ses obligations. Dans l’attente du rendu du
verdict, la manifestation s’est amplifiée dans la rue comme sur les
ondes des médias nationaux. L’attention du peuple était rivée sur
la HCC. Finalement, un mois après, le 25 mai à 18 heures, cette
dernière rendit sa décision n° 18-HCC/D3 relative à une requête
en déchéance du président de la République, l’obligeant à dissoudre
le gouvernement et à nommer un nouveau Premier ministre de
consensus conformément à l’article 54 de la Constitution.
L’article 4 de cette décision, précise que le président de la
République met fin aux fonctions du gouvernement et procède

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Par Amour de la Patrie

à la nomination d’un Premier ministre de consensus, dans un


délai de sept jours pour compter de la publication de la présente
décision sur une liste d’au moins trois noms, conformément aux
dispositions de l’article 54 de la Constitution et aux termes de
l’avis n° 01-HCC/AV du 17 février 2014 portant interprétation
des dispositions de l’article 54 de la Constitution et sur la base
de l’arrêt n° 11-CES/AR.14 du 6 février 2014 portant proclama-
tion officielle des résultats définitifs des élections législatives de
la IVe République.
Dans cette logique, c’est donc le parti majoritaire à l’Assemblée
nationale, c’est-à-dire notre parti, le Mapar, qui devait soumettre
le nom du Premier ministre il y a quatre ans déjà. La crise insti-
tutionnelle que nous avons traversée en 2018 aurait pu être évitée
si le Président avait respecté la Constitution au début de son
mandat à l’issue des élections législatives. Suite à la décision de
la HCC, notre parti proposera trois noms qui seront tous refusés
par le Président Rajaonarimampianina. Pour débloquer le proces-
sus et dans un souci d’apaisement, nous avons proposé Christian
Ntsay, une personnalité non partisane et diplomate de carrière.
Finalement, le Président a validé ce choix et l’a nommé en tant
que Premier ministre de consensus. Ce n’est que quatre ans et
demi après l’élection de Hery Rajaonarimampianina qu’on avan-
çait enfin sur le droit chemin en respectant la Constitution et les
règles démocratiques. C’était dommage qu’il ait fallu que le peuple
se lève à nouveau pour que les tenants du pouvoir assurent enfin
leurs obligations. Plus tard, quand l’heure de la mise en place du
gouvernement était arrivée, j’ai accepté les clefs de répartition des
portefeuilles ministériels proposés par le président pour ne pas faire
blocage et je suis resté ouvert au dialogue. Pourtant, si on suit à
la lettre l’article 6 de la décision, le parti du Président ne pouvait
prétendre avoir des ministres dans ce gouvernement car il n’a offi-
ciellement aucun député. En revanche, les partis qui possédaient
plus de six députés devaient tous avoir des postes ministériels. Pour
calmer le jeu, alors que nous avions la majorité, nous avons accepté
que le parti du Président ait le même nombre de ministères que
nous. Nous avions donné les noms de nos ministres sans connaître
ceux du HVM (parti du Président Hery Rajaonarimampianina).

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La répression d’avril-mai 2018

Il fallait faire vite car nous n’avions que sept jours pour mettre en
place le gouvernement. Le jour de la mise en place du gouverne-
ment, le nouveau Premier ministre n’avait toujours pas la liste des
ministrables du parti du pouvoir. Cela était totalement contraire
à ce qui avait été convenu. En début d’après-midi, après avoir
patienté toute la matinée en vain, le nouveau Premier ministre s’est
rendu directement au palais présidentiel pour réclamer les noms
car il voulait s’entretenir logiquement avec les futurs membres de
son gouvernement. Chose qui n’a pas pu se faire. Le président de
la République a finalement présenté la liste au dernier moment,
ce qui prouvait au passage une certaine mauvaise foi.
Le nouveau gouvernement a finalement été nommé en fin de
journée.

Tout cela a créé beaucoup de tensions et d’incompréhensions


dans le pays au sein de la classe politique dans son ensemble mais
aussi du côté de nos propres partisans qui nous ont reproché d’avoir
accepté de rentrer dans ce gouvernement. En effet, il y avait un
rejet total de l’actuel Président et cela a été mal perçu. Par sagesse,
j’ai préféré faire le choix de la démocratie et de la Constitution. Je
ne voulais pas d’une nouvelle crise constitutionnelle. Pour le bien
du pays, je souhaiterais qu’il y ait une alternance démocratique
en 2018 et des élections libres et transparentes. Que tout cela se
fasse dans le calme et l’apaisement. Car si l’on aspire vraiment à
développer Madagascar, il faut garantir la stabilité. J’ai voulu sauver
la paix à Madagascar car notre pays a besoin d’une nouvelle image.
C’est une condition essentielle pour instaurer l’émergence et mettre
en œuvre un vrai programme de développement.
C’est donc pour présenter cette vision mais surtout rassurer
nos partisans que j’ai décidé de m’adresser au peuple malagasy le
dimanche 17 juin 2018 à 20 heures sur les chaînes Viva et TV Plus.
C’est lors de cet entretien exclusif que j’ai rappelé les textes
et expliquer l’importance des décisions que nous avons prises
les jours précédents. À savoir que l’article 8 de la décision de la
HCC stipule que le gouvernement de consensus doit fixer avec
la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) l’orga-
nisation d’une élection anticipée durant la saison sèche. Il était

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Par Amour de la Patrie

important de participer à la mise en place rapide du gouvernement


afin d’enclencher l’organisation des élections. Car nous le savons
bien, plus on tarde à résoudre la crise institutionnelle, plus on va
retarder les élections, et plus le Président tardera à démissionner.
En effet, j’ai également rappelé que si le Président actuel se porte
candidat, il doit démissionner soixante jours avant le scrutin.
Cette interview a eu l’effet escompté, les manifestations se sont
apaisées.

Finalement, un mois et demi après la mise en place du gouver-


nement, la date de l’élection présidentielle a été fixée par la Ceni
avec un premier tour le 7 novembre et un second le 19 décembre
2018. Mais cela ressemblait une fois de plus à une demi-mesure,
car si le 7 novembre, nous sommes encore en période sèche, le
19 décembre, nous sommes au début de la saison des pluies, ce
qui évidemment complique l’acheminement du matériel de vote et
le rapatriement des bulletins de vote, les routes étant impraticables
en saison de pluie. Mais en tout bon démocrate que je suis, j’ai
accepté ce calendrier.

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CHAPITRE 31

De grandes rencontres
avec les grands hommes qui m’ont inspiré

Père Pedro

Des grandes rencontres de ma vie, j’en retiendrai cinq que je


tiens à vous raconter. La première, ce fut avec le père Pedro,
lorsque j’étais maire d’Antananarivo. Il était venu me voir pour des
problèmes fonciers. Il a bâti son ONG sur des terrains domaniaux
et il voulait depuis longtemps régulariser la situation. J’étais très
admiratif de son œuvre bienfaitrice et lorsque je l’ai vu, je lui ai
promis de lui venir en aide. J’ai ainsi enclenché les démarches
nécessaires. Un an plus tard, lorsque je suis devenu président de
la transition, je me suis rendu dans son village à Akamasoa, qui
porte bien son nom, « un ami qui vous veut du bien ». Et c’est
avec une grande fierté que je lui ai transmis officiellement le titre
de propriété qu’il avait attendu depuis de longues années. Il y avait
autour de lui son « peuple », des milliers de personnes étaient là,
ses assistants, des orphelins, des familles, toutes ces personnes qu’il
soutenait et aidait. « Depuis plusieurs années, nous avons demandé
la régularisation de notre terre, mais on nous a toujours dirigés
vers des voies compliquées, voire sans issue », m’a-t‑il dit. Puis il
a poursuivi en disant : « À force de vouloir faire le bien, on nous
a fait beaucoup de mal. Aucun dirigeant avant vous n’a jamais eu
la volonté de régulariser notre situation foncière. » Je lui ai alors
répondu : « Je vous l’avais promis, j’ai entre mes mains les titres
de votre domaine. » Nous avons fait une accolade chaleureuse.
J’étais réellement fier de ce moment. À partir de là, un lien très
fort s’est créé entre nous et s’est perpétué avec le temps. Ainsi,

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Par Amour de la Patrie

en août 2011, en mon nom personnel et celui de mon épouse,


nous avons fait une donation au père Pedro, afin qu’il construise
un village de soixante maisons pour les plus démunis nommé
le « Village Tolotra » (donation). Le père Pedro nous avait une
nouvelle fois accueillis chaleureusement. Il s’est réjoui de cette
journée inaugurale devant la presse locale et la foule. J’ai alors pris
la parole pour lui dire : « Akamasoa est un projet extraordinaire
car il a commencé à partir de rien, sans moyen. C’est un exemple
pour tout le pays. Il est la preuve qu’avec la foi, des sacrifices et
de l’Amour, tout peut être fait ! Tout est possible. Le père Pedro
est vraiment notre Akamasoa, il est un ami qui nous veut du bien
et qui nous apporte le bonheur. Notre vœu est qu’il y ait plus
d’initiatives de ce genre afin d’aider les plus faibles et de sauver
Madagascar. » Depuis, le père Pedro m’a toujours soutenu discrè-
tement. C’est un homme de foi qui ne prend pas parti mais nous
sommes restés très complices, à tel point que c’est à lui que j’ai
annoncé en premier que je ne me présenterais pas aux élections
en fin 2013, c’était juste avant la messe du dimanche. Il m’avait
répondu en me regardant droit dans les yeux : « C’est une sage
décision. » Je me suis confié à lui, comme on se confie à un père.
Son oreille attentive et sa dévotion pour Madagascar resteront
toujours pour moi une lumière.

Muammar Kadhafi

Un autre fait marquant de mon parcours a eu lieu alors que la


crise politique à Madagascar battait son plein. J’étais allé chercher
des soutiens à l’étranger. Je devais convaincre les chefs d’État de
la légitimité de notre lutte populaire. J’ai donc décidé de ren-
contrer le président de l’Union africaine d’alors, il s’agissait de
Muammar Kadhafi, le guide de la révolution libyenne. Il a accepté
de me recevoir et m’a invité à venir le rencontrer à Tripoli. Et
pour preuve de sa bonne volonté, il a envoyé un jet de sa flotte
pour venir me chercher à Madagascar. Mon épouse et moi étions
donc en route pour rencontrer le grand leader qui avait marqué
l’histoire de la Libye durant les cinquante dernières années. Une

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De grandes rencontres…

fois arrivés sur place, à Tripoli, nous avons été très bien accueillis.
Une délégation est venue nous récupérer sur le tarmac. Puis, on
nous a installés dans un hôtel de la capitale, en nous expliquant
qu’il faudrait patienter. Par mesure de sécurité, on ne connaissait
pas l’agenda du « Guide ». Nous avons passé la matinée à l’hôtel,
puis on nous a annoncé que la rencontre était prévue pour le len-
demain, sans précision sur l’heure ni le lieu. Alors nous sommes
sortis dans les rues de Tripoli. Nous avons visité la ville. Elle était
calme, moderne, éclectique et vibrante. On était admiratifs de
l’ordre qui y régnait, de l’état de propreté de la capitale. Dans les
stations-service, le prix de l’essence était quasiment gratuit. On
nous a aussi expliqué que chaque famille recevait une aide finan-
cière de l’État. C’était un pays où le soutien social était visible et
cela était inspirant. La Libye de Kadhafi donnait l’impression de
bien fonctionner. Le lendemain matin, un 4 × 4 blindé est venu
nous chercher. Nous avons roulé pendant assez longtemps dans
une zone hautement sécurisée. C’était très impressionnant, car il
n’y avait aucun bâtiment, mais des murs barbelés interminables.
Finalement, nous nous sommes retrouvés face à un grand chapi-
teau planté au milieu de nulle part. C’était la tente de Kadhafi en
plein désert. Et il nous a accueillis avec un grand sourire, juste à
la sortie de la voiture. Il était entouré de ses proches conseillers. Il
nous a invités à entrer dans cette immense tente bédouine. C’était
un enchaînement de salons arabes. Nous nous sommes assis sur
des sofas traditionnels. Nous avons alors longuement échangé sur
la situation à Madagascar. Ce qui m’a surpris, c’est que très vite,
il m’a appelé « mon fils », en ajoutant : « Je me revois dans votre
situation, dans votre jeunesse et votre détermination. » Il était très
à l’écoute et à un moment il a pris la parole : « Le pouvoir appar-
tient au peuple ! Sachant que l’ancien président de Madagascar
a démissionné et que la Haute Cour constitutionnelle de votre
pays a validé votre nomination à la tête de l’Etat, la communauté
internationale ne doit plus se mêler de vos problèmes internes. »
Et il m’a conseillé alors d’organiser un « plébiscite », c’est le mot
qu’il a utilisé, c’est-à-dire un référendum pour légitimer davantage
mon pouvoir. Avec du recul, j’aurais dû suivre ses conseils. On est
restés plusieurs heures ensemble. C’était très détendu et amical.

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Par Amour de la Patrie

Je me souviens, il nous a fait goûter du lait de chamelle. C’était


très spécial ! D’ailleurs, il avait offert à l’État Malagasy un couple
de chameaux qui a vécu longtemps au zoo d’Antananarivo. On
parlait sans tabou. Kadhafi voulait unifier l’Afrique avec une seule
monnaie. Il m’a beaucoup parlé de son ambition d’un continent
uni. Il voulait vraiment que Madagascar soit partie prenante de ce
projet. Je me suis dit que cet homme était un visionnaire. Il voulait
absolument comprendre la situation de notre pays et il a pris tout
son temps pour m’écouter. Il ne s’était jamais rendu à Antananarivo
mais il s’intéressait à la Grande Ile. Il était très respectueux avec
mon épouse. Il faisait froid ce jour-là et elle tremblait, alors il
lui a offert son manteau. Il était très galant et courtois avec elle.
Il s’est d’ailleurs excusé de l’absence de son épouse qui venait de
perdre son père.
C’était un homme sensible et très intelligent qui m’a fait une
grande impression. Nous avons longtemps gardé contact. D’ailleurs,
lors d’une session extraordinaire aux Nations unies à New York,
il m’a placé à sa droite, à la table d’honneur, lors du grand ban-
quet. Il me répétait toujours : « J’apprécie votre détermination et
votre courage. » Il avait compris ce que j’avais enduré. En tous les
cas, cette rencontre m’a beaucoup marqué, il y avait une sorte de
connexion entre nos deux personnalités.

Nicolas Sarkozy

Le 7 décembre 2011, je me suis rendu à Paris. C’était l’hiver, il


faisait froid, le temps était parisien. Je suis entré dans la cour de
l’Élysée. Je me suis avancé en passant en revue la garde républi-
caine sous la musique de la fanfare. Le Président Nicolas Sarkozy
m’attendait sur le perron. Nous nous sommes serré la main avant
de monter dans son bureau où nous attendaient autour de la table
de réunion son ministre de la Coopération Henri de Raincourt,
l’ambassadeur de France Jean-Marc Chataigner et deux conseillers
Afrique. Pour ma part, j’étais accompagné de mon ministre des
Finances, du ministre de la Communication, de mon directeur
de cabinet et de ma directrice des relations internationales. Nous

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De grandes rencontres…

avons échangé des informations notamment concernant la situation


à Madagascar.
Puis l’entretien s’est poursuivi par un tête-à-tête entre le
Président Nicolas Sarkozy et moi-même. Nous avons discuté
pendant plus de vingt-cinq minutes. J’ai apprécié son côté direct.
J’étais très admiratif de son parcours. C’est un homme persévé-
rant et déterminé. Le Président Sarkozy a félicité la signature et
l’application de la feuille de route pour une transition démocratique
à Madagascar. « Monsieur le Président, une transition crédible,
appuyée par la communauté internationale, est actuellement ins-
tallée à Madagascar. C’est la raison qui m’a amené aujourd’hui à
vous recevoir ici, au palais de l’Élysée, en tant que chef d’État de
Madagascar […]. En dépit de toutes les difficultés auxquelles vous
avez dû faire face, vous avez eu raison de ne pas vous décourager.
La feuille de route est une chance pour Madagascar après presque
trois années de crise, car le peuple Malagasy n’a que trop souffert.
C’est en ami que je vous reçois aujourd’hui », m’a-t‑il dit. Je lui ai
demandé de nous soutenir au niveau de l’Union européenne pour
que les sanctions pesant sur Madagascar et handicapant le déve-
loppement du pays soient levées. Et au terme de cette rencontre,
le président de la République française a promis sa coopération
afin de permettre au peuple Malagasy de jouir des aides et fonds
financiers européens. « Car j’ai compris que votre objectif, plus
que louable, est de tenir des élections crédibles, libres et démocra-
tiques dans les meilleurs délais, a-t‑il précisé. On fera tout pour
vous aider », a déclaré le Président Sarkozy. Et lui de conclure :
« J’éprouve une particulière sympathie envers vous et le peuple
Malagasy », s’est-il écrié. Je n’oublierai jamais cette rencontre avec
le Président Sarkozy car elle fut primordiale pour la suite des
événements marquant la reconnaissance internationale.

Shimon Peres

Deux ans plus tard, en janvier 2013, j’ai eu la chance de me


rendre en Israël pour rencontrer un immense personnage de l’his-
toire : Shimon Peres, un grand homme d’État. C’était lors de

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Par Amour de la Patrie

mon pèlerinage en Israël, sur les Lieux saints, juste après Noël. Je
voulais porter en prière la mission qui m’était assignée. Nous étions
en famille et il y eut alors beaucoup d’émotion et de connexion
spirituelle. Nous avons traversé la fameuse mer de Galilée et là,
sur les flots, je me suis remémoré la traversée de Jésus et de ses
apôtres décrite dans la bible.
« Un jour, Jésus monta dans une barque avec ses disciples. Il
leur dit : “Passons sur l’autre rive du lac.” Et ils partirent. Pendant
qu’ils naviguaient, Jésus s’endormit. Un tourbillon s’abattit sur
le lac, la barque se remplissait d’eau et ils étaient en danger. Ils
s’approchèrent et le réveillèrent en disant : “Maître, maître, nous
allons mourir.” Il se réveilla et menaça le vent et les flots. Ceux-ci
s’apaisèrent et il y eut un calme plat. Puis il leur dit : “Où est
votre foi ?” » Luc 8.22.

J’avais l’impression d’en être au même stade de mon existence


et de mon expérience au pouvoir. Tant d’épreuves, tant d’angoisse
et tant de doute. Pendant tous ces mois passés, ma foi – en Dieu,
en mon pays, en mes valeurs – a été mon phare dans la tempête.

Puis nous nous sommes rendus dans le Jourdain. Nous avons


reçu l’eau bénite.
Ensuite, nous avons marché sur le mont des Oliviers, avant de
visiter le Mur des lamentations. Conformément à la tradition, j’ai
écrit ma prière sur un morceau de papier que j’ai glissé dans le
mur pour qu’elle soit exaucée. J’ai demandé au Seigneur de m’aider
à mener à bien ma mission, de l’accomplir comme il se doit, de
toujours rester droit et juste. Je lui ai aussi demandé de mettre
Madagascar à l’abri des heurts et malheurs. J’ai prié pour qu’il
m’aide à garder la force de mes convictions afin que mon temps
au pouvoir soit digne. J’ai prié fort pour que le pouvoir n’ait pas
d’emprise sur mon intégrité et que je puisse quitter le palais serein
en mon âme et conscience.

Et cela a été exaucé car pour la première fois dans l’histoire


de Madagascar, une passation de pouvoir s’est déroulée démo-
cratiquement, avec le rétablissement de l’ordre constitutionnel.

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De grandes rencontres…

Et c’est dans le cadre de ce voyage « pèlerinage » en Israël que


j’ai été reçu par le Président Shimon Peres. Quel homme ! Il m’a
reçu avec un grand sourire dans son bureau. Il était vif, alerte et
attentif. J’étais impressionné car il parlait couramment plusieurs
langues dont le français. C’était un grand homme de culture. Ce
qui m’impressionnait le plus, c’est qu’il connaissait parfaitement
l’histoire de Madagascar. Il était au courant de toutes les difficul-
tés économiques que nous vivions. Il m’a même donné quelques
conseils comme celui de sécuriser davantage nos côtes maritimes
et de développer l’agriculture. Il m’a rappelé aussi cette histoire
incroyable, lorsque les nazis avaient voulu renvoyer les juifs d’Eu-
rope vers Madagascar. Nous avons discuté longtemps, et à la fin
de notre entretien, il m’a raccompagné à la porte. J’ai quitté son
bureau, littéralement impressionné par sa grandeur et sa généro-
sité. Et là encore, ce qui m’a touché, c’est que nous nous sommes
compris, nos échanges ont été enrichissants et naturels.

Le Pape François

Enfin, la rencontre la plus émouvante fut celle avec le Pape


François un mois seulement après son intronisation le 13 mars
2013. J’ai été le premier chef d’État africain reçu au Saint-Siège, le
26 avril 2013. En tant que catholique, c’était pour moi la rencontre
la plus importante de ma vie. Le Pape représente le Père spirituel
par excellence. Nous sommes arrivés au Vatican avec mon épouse
accompagnés d’une délégation de cinq personnes. Nous avons été
accueillis par le cardinal Tarcisio Bertone, l’équivalent du ministre
des Affaires étrangères du Vatican, et l’archevêque Dominique
Mamberti. Nous avons longé un très long couloir en marbre très
ancien encadré de deux rangées de gardes suisses. Ils tenaient
chacun une lance qu’ils frappaient contre le sol à chaque pas le
long de notre parcours. Tout cela avait un côté très martial, on
marchait presque au pas ! Puis, nous avons traversé une immense
pièce au rythme des coups de lance sur le sol qui résonnait jusqu’au
fond de mon cœur. J’étais très impressionné. Nous avons traversé
une longue pièce avant d’être introduits enfin dans la bibliothèque

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Par Amour de la Patrie

particulière de Sa Sainteté le Pape François. En face de moi, j’ai vu


quelqu’un de très simple et de très ouvert. Il était habillé en aube
blanche. Il m’a tendu la main en souriant : « Soyez bénis et les
bienvenus dans la maison du Seigneur. » Mon épouse avait couvert
son visage par déférence. J’avais déjà rencontré des personnalités
importantes auparavant mais cette fois-ci, ce fut différent. Il a pris
ma main. Ensuite, il m’a invité à un tête-à-tête. Nous avons parlé
à cœur ouvert. C’était l’occasion pour moi de me confier. Je me
suis assis en face de lui devant son bureau. Il était très à l’écoute.
Je lui ai expliqué que mon vœu le plus sincère était que la paix et
la stabilité s’installent à Madagascar, et que je ferai tout pour cela.
« Pour moi, l’intérêt supérieur de la nation doit primer sur mes
actions. C’est pour cette raison que j’ai pris la décision de ne pas
me présenter pour les prochaines élections présidentielles. » Et j’ai
ajouté : « Je préfère me sacrifier que de sacrifier tout un peuple. »
Il a répondu : « C’est une très sage décision que vous avez prise,
elle vous grandira. » Je lui ai demandé de bien vouloir porter en
prière notre pays, ainsi que notre peuple. À la fin, il m’a offert la
médaille du Saint-Siège, un rosaire, ainsi qu’un chapelet. Lorsque
je suis sorti de la pièce, je ressentais un grand soulagement. Cette
rencontre avait suscité en moi beaucoup d’émotions. Je m’étais
libéré d’un fardeau avec un sentiment de devoir accompli. Mon
épouse et moi, nous en avons reparlé plus tard, elle avait aussi
ressenti quelque chose de très fort. Cette rencontre a raffermi
davantage ma foi.

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CHAPITRE 32

Mes profondes valeurs Malagasy,


religieuses et universelles

J’ai toujours eu comme valeur primordiale l’Amour. C’est, je


crois, un des principaux enseignements de la Bible et des reli-
gions en général. Me rendre utile pour une cause commune, servir
mon pays ! Voilà ce qui m’anime. Et dans ma vie, j’ai toujours
su rester fidèle à mes principes. Ce qui n’est pas toujours le cas
à Madagascar, où les gens se trahissent facilement pour quelques
intérêts particuliers. D’ailleurs, dès que je suis arrivé au pouvoir
en 2009, j’ai mis le mot « Amour » dans la devise Malagasy de
la IVe République : « Fitiavana-Tanindrazana-Fandrosoana ».
Dans la vie, l’Amour se décline. Il y a d’abord l’Amour de Dieu.
Je suis catholique et profondément croyant, je tiens cela de mes
parents. Je crois en une religion mais je ne la mets pas au-dessus
des autres. « “Aimez-vous les uns les autres !” Et les Malagasy
doivent commencer par s’aimer entre eux. » Ça s’appelle la fra-
ternité. C’est volontairement que j’ai inscrit sur mes calendriers
le verset 4 du chapitre 13 de la première épître aux Corinthiens :
« Ny Fitiavana dia sady mahari-po no Malemy fanaby ; ny fitiavana
dia tsy mialona… » « L’Amour est patient, dit la Bible, il est plein
de bonté ; l’Amour n’est pas envieux ; l’Amour ne se vante pas, il
ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche
pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il ne soupçonne pas le mal, il ne
se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité ; il par-
donne tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout. L’Amour
ne meurt jamais. Les prophéties disparaîtront, les langues cesse-
ront, la connaissance disparaîtra. » Toutes ces citations bibliques
m’ont aidé à cicatriser mes blessures et à croire en l’avenir. Il y a

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Par Amour de la Patrie

ensuite « l’Amour de la patrie », qui est avant tout l’Amour de la


terre des ancêtres (tanindrazana). L’Amour est très présent dans
notre histoire commune, on le retrouve même dans le refrain de
notre bel hymne national : « Ny fitiavanay anao tsy miala, Fa ho
anao ho anao doria tokoa. » Je suis sensible à cet hymne, à la levée
des couleurs, au drapeau. Cela vient peut-être de mon père mili-
taire. Madagascar est une terre qui m’est chère depuis ma tendre
enfance. C’est pourquoi d’ailleurs dans mon clip de l’IEM, on me
voit au bord du lac de Mantasoa. Je suis sensible à la beauté des
paysages de Madagascar comme à la diversité de sa population.
D’ailleurs, j’ai beau venir d’une famille Merina des hauts plateaux,
je me sens tout aussi proche des gens de la côte ou de la brousse,
qui me le rendent bien. Partout où je passe que, ce soit à Diégo-
Suarez, Tamatave ou Majunga, Fianarantsoa ou Tuléar, ce sont
des milliers de Malagasy qui m’attendent à chaque descente. Ils
se reconnaissent d’une certaine façon en moi car je n’ai jamais
stigmatisé ni favorisé personne, je n’ai jamais fait de différences
entre les Malagasy d’une région ou d’une autre. Madagascar est
une terre de rencontres, et c’est le mélange de toutes ces influences
qui fait sa richesse et sa force. J’aime profondément ce pays situé
entre l’Afrique et l’Asie. J’ai d’ailleurs l’Amour des Malagasy en
général, riches ou pauvres. On me dit accessible, c’est un très beau
compliment. J’aime rester à l’écoute de mon peuple, quel qu’il soit.
J’ai aussi en moi « l’Amour du travail » bien fait. Chez moi, la
droiture a toujours primé. C’est pour cette raison que je n’hésite
pas à féliciter mes troupes quand ils ont réussi leur mission. J’essaye
de mettre les gens en valeur, de tirer le meilleur d’eux-mêmes.
C’est ça l’Amour véritable, aimer les autres, c’est s’aimer soi-même.
On dit de moi que je suis un patriote de cœur et un artiste dans
l’âme. Ça me fait sourire, car je ne me sens pas particulièrement
doué pour les arts, mais effectivement j’ai un certain sens de la
créativité. Je crois que cet Amour du beau et du travail bien fait
est une grande qualité nationale, qui malheureusement a tendance
à se perdre. Car de tous les temps, les Malagasy ont été de grands
artisans. Quand je vois le savoir-faire des Zafimaniry, leur travail
magnifique sur le bois, je me dis que je viens bien de ce pays-là.
Dans ma vie professionnelle, j’aurais pu entreprendre des activités

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Mes profondes valeurs Malagasy, religieuses et universelles

encore plus lucratives, mais j’ai choisi la communication, car il y


avait une forme de créativité. Avec moi, il n’y a pas d’heure qui
compte, ni jour férié. Je suis un perfectionniste et mon statut ne
m’a pas empêché de rester simple. Souvent, durant mes voyages,
j’aime aller à la rencontre des autres. Je me souviens, à l’occasion de
l’Assemblée Générale de l’ONU je me suis rendu à New York. Je
voulais me promener, sans cortège sans garde du corps ni gyrophare
et passer inaperçu pour découvrir la ville. Et nous sommes allés à
Central Park. Alors que je me promenais, des vendeurs à la sau-
vette africains francophones m’ont reconnu et m’ont soudainement
interpellé : : « Hey Rajoelina ? Vous êtes le Président Malagasy ? »
C’était drôle, j’étais très étonné mais ils m’avaient vu à la télévision
en suivant l’actualité. Et j’ai pris conscience alors que beaucoup
d’Africains m’appréciaient. Et je me souviens de ce qu’ils ont dit
ce jour-là : « En Amérique latine, ils ont Hugo Chavez et nous
en Afrique on a Rajoelina ! Vous aimez votre peuple et vous êtes
courageux ! Il en faudrait beaucoup des Rajoelina en Afrique, les
gens s’accrochent trop au pouvoir, il faut de la jeunesse. » Ça m’a
beaucoup touché.
D’ailleurs, les symboles ont toujours une importance particu-
lière pour moi, il n’y a qu’à voir le logo de mon Initiative pour
l’émergence de Madagascar (IEM). J’ai tenu à ce qu’au milieu de
ce symbole, il y ait un cœur, symbole de l’Amour justement. La
foi et l’Amour constituent le socle de notre chaîne d’union pour
bâtir un avenir meilleur pour Madagascar. Dans mes discours, je
glisse toujours à un moment ou un autre le mot « Amour ». Et le
samedi 25 août 2018, les candidats à l’élection présidentielle ont
été invités par la Ceni pour un tirage au sort afin de déterminer
leur numéro dans le bulletin unique. Alors que plusieurs candidats
avaient fait envoyé des mandataires, moi j’ai souhaité m’y rendre
personnellement car être candidat à l’élection présidentielle est
une tâche sacrée qui ne se délègue pas. Le jour même, je m’étais
agenouillé pour prier et demander au Seigneur de m’accompagner
dans cette étape, de guider mes pas et d’éclairer mon chemin. Je lui
avais demandé de m’envoyer un message et que le numéro qui en
sortirait vienne de lui. À dix heures pile, je suis arrivé au siège de
la Ceni. Comme j’étais le premier à déposer ma candidature, j’étais

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Par Amour de la Patrie

donc le premier à tirer au sort. Il y avait 36 boules pour 36 can-


didats et chacune portait un numéro. Elles avaient été placées
dans une urne transparente par un huissier de justice. Après avoir
procédé au tirage, j’ai remis la boule au responsable. Elle portait
le numéro 13. À ce moment-là, j’ai remercié le Seigneur et j’eus
tout de suite à l’esprit les messages bibliques que j’avais partagé
depuis plusieurs années. Il avait entendu ma prière et m’envoyait un
message clair. Tout ce qui se passe dans la vie est écrit à l’avance.
Rien n’est laissé au hasard dans tout ce que l’on entreprend. Car
depuis toujours j’avais fait de l’Amour une valeur fondamentale,
je l’avais placé au cœur de toutes mes actions. D’ailleurs, je l’avais
inscrite sur tous mes supports. C’est un message, une valeur, une
mission que j’accomplirai. 13 portera ma vision pour l’avenir de
Madagascar
« Maintenant donc ces trois choses demeurent : la Foi, l’Espé-
rance et l’Amour ; mais la plus grande des trois, c’est l’Amour. »
I Corinthiens 13 : 13

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ÉPILOGUE

Mon ambition pour Madagascar

J’ai longtemps réfléchi sur la démarche à suivre pour rattra-


per le retard de développement de Madagascar. Pour concrétiser
ma vision, je me suis entouré d’experts afin d’apporter de nou-
velles idées, de nouvelles orientations, des plans stratégiques et
des structures réfléchies pour un développement rapide et durable
qui impacteront directement chaque ménage Malagasy.

Il me semblait primordial de constater de visu la réalité du pays et


d’aller à la rencontre de la population. Cinq ans après mon départ
du palais, qu’était devenu Madagascar ? Les échos étaient alarmants
et la situation préoccupante. Aussi, comme saint Thomas, je voulais
voir de mes propres yeux. Alors j’ai décidé de faire le tour de l’île.
Et ce que j’ai vu était encore pire que ce que j’avais pu imaginer
ou que ce qu’on m’avait rapporté. J’ai trouvé le pays dans un tel
état de délabrement que j’ai pris conscience de l’immense tâche qui
nous attend. Dans certains districts, il n’y avait même pas d’eau
potable, pas d’électricité, les hôpitaux étaient en ruines, les écoles
désertées. Les routes étaient impraticables, causant l’enclavement de
plusieurs villes. L’insécurité était à son summum, la malnutrition à
son apogée, et la corruption généralisée se répandait dans toute l’île
comme une vermine. Notre monnaie avait perdu 45 % de sa valeur
en cinq ans, Madagascar avait dégringolé et se retrouve cinquième
pays le plus pauvre du monde, les jeunes étaient désœuvrés, les
Malagasy désemparés. Madagascar mourait à petit feu et l’espoir
s’éteignait. La majorité des personnes qui ont croisé mon chemin
m’ont supplié de leur venir en aide. La population n’a plus foi en
l’avenir. J’ai entendu leurs cris de détresse.

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Par Amour de la Patrie

Comment en est-on arrivé là ? Avec le recul, si l’on remonte


à la période de transition, les salaires des fonctionnaires et des
privés ont vu une augmentation annuelle de 10 %, et ce pendant
cinq ans. L’inflation était contrôlée, des infrastructures ont été
construites. La valeur de l’Ariary a été maîtrisée.
Beaucoup reste à faire, je ne dis pas que tout était parfait, mais
il y avait une dynamique, une vraie politique sociale pour le peuple
malgré l’absence d’aides internationales.
Je me suis rendu compte en faisant le tour de l’île que l’on
n’écoutait plus la souffrance du peuple, que l’on ne faisait plus
attention à sa pauvreté. Personne ne répondait plus à l’appel des
plus démunis. Et c’est pour cette raison que partout où je suis allé,
même dans les districts les plus reculés, on m’a accueilli à bras
ouverts. On m’a demandé de sauver le pays. Certains m’ont même
dit en pleurs : « Vous êtes notre dernière chance, notre dernier
espoir pour Madagascar. » Je sais qu’il y a beaucoup d’attentes. Je
me suis dit « Allons-y, la route sera longue et chargée d’obstacles »,
mais j’ai confiance. Mon engagement est solide et ancré profondé-
ment dans ma Foi. Je veux leur redonner l’espoir. Je ne peux pas
laisser les Malagasy vivre dans cette pauvreté profonde. Je veux leur
rendre leur dignité et raviver en chacun d’eux la fierté nationale.
Le 1er août 2018, le dépôt de candidature pour la présidentielle
du 7 novembre prochain a été officiellement ouvert au sein de la
Haute Cour constitutionnelle. Pour marquer ma détermination,
j’ai déposé ma candidature en premier, peu de temps avant mon
meeting.

J’ai pénétré dans l’enceinte du Palais des sports et de la culture


de Mahamasina à 15 h 30. À la sortie de mon véhicule, des
milliers de partisans vêtus de T-shirts orange m’ont acclamé, car
effectivement cela faisait plusieurs années que nous ne nous étions
pas vus. C’étaient mes retrouvailles avec Tana ! Il y eut des cris,
des applaudissements, des chants : « Prezida Rajoelina nous vous
avons attendu ! Prezida Rajoelina ! Sauvez le pays ! Revenez diriger
le pays ! » clamait la foule. Quelle émotion ! Quel bonheur !
Je suis monté sur les marches pour adresser quelques mots
d’amitié aux gens qui n’ont pas pu entrer dans la salle déjà bondée.

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Épilogue

« Quel bonheur de vous voir ici, tous réunis, portés par l’Amour
et l’espoir ! Nous sommes une famille et vous êtes de vrais amis.
Merci d’être là ! Merci ! » J’ai terminé mon allocution sous un
tonnerre d’applaudissements. Je me suis ensuite dirigé vers ma loge
accompagné de mon équipe. J’étais essoufflé par l’émotion et mon
cœur battait la chamade. On me dit de patienter, tout était minuté.
Le succès d’un événement réussi repose sur un timing parfait ! Je
suis un perfectionniste ! Je ne laisse rien au hasard.
Concentré, j’entendais les tambours rythmer les cris de la foule
à l’intérieur du Palais des sports. Je sentais le moment approcher
au fil des accords de la nouvelle musique que j’avais composés
avec mon équipe.

Je fermais les yeux, je visualisais la salle. Je me remémorais


ces jours passés de préparation intense. Les hauts et les bas, le
stress également. Je me rappelle ce qui nous était tombé dessus la
veille, le 31 juillet 2018. À 10 heures du matin, nous avions reçu
une lettre d’annulation de la part du directeur général du Fonds
national pour la promotion et le développement de la jeunesse
et des sports, dénommé Tafita, gérant le Palais des sports. Nous
étions interloqués mais à moitié surpris car quelque part nous
nous étions préparés à ce type de tentative de sabotage. C’est
pourquoi nous avions tout fait en règle. Nous avons obtenu toutes
les autorisations nécessaires à la mise en route de l’organisation
de notre événement, à savoir l’autorisation de Tafita (Palais des
sports) ainsi que l’autorisation de la préfecture de police d’Anta-
nanarivo. Tous les paiements exigés pour valider notre demande
ont été effectués et le respect de toutes les clauses du contrat a
été assuré.
Nous savions de source sûre que le président de la République
lui-même a fait pression sur le DG de Tafita pour faire annuler
notre contrat. Le motif invoqué pour l’application de cette annu-
lation est l’obligation de neutralité de l’Administration à la vue de
la soi-disant envergure politique de notre événement.
Nous étions dépités de constater une telle ingérence. D’autant
plus que le HVM, parti politique du Président, avait organisé au
sein du Palais des sports le Rodoben’ny Fisandratana le 7 avril 2018.

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Par Amour de la Patrie

Évidemment, nous avons contesté cette annulation et avons


envoyé une demande d’intervention auprès du Premier ministre
qui rapidement a rétabli les choses. À 12 h 30, tout est rentré
dans l’ordre et les installations au Palais des sports, stoppées par
Tafita à 10 heures, ont pu reprendre. L’organisation était colossale.
Je voulais que cet événement soit impressionnant, qu’il marque
l’histoire et soit représentatif de ce que Madagascar mérite en
termes d’audace et de maîtrise. Cet événement doit résonner,
rayonner ! J’ai pensé et conçu ce moment pendant quatre ans, les
moindres détails, des phrases de mon discours à la scénographie.
J’aime faire les choses jusqu’au bout.

Les yeux fermés, je me remémorais ces deux semaines qui sont


passées à un rythme effréné.
On me toucha l’épaule pour me prévenir que le décompte allait
commencer. 10, 9, 8…, j’ai bu une gorgée d’eau, on attendait le
bon passage de la musique. 7, 6, 5, le public de l’autre côté de la
porte de ma loge criait : « Prezida! Prezida! Prezida! » 4, 3, je pris
ma respiration. 2, 1, « Monsieur le Président, allez-y ! ». La porte
s’ouvrit sur une foule en délire ! J’étais porté par l’énergie incroyable
de cette marée humaine. Il y avait 7 000 personnes ! J’ai fendu la
foule sur toute la longueur de la salle. Je voyais les fanions, les
drapeaux de Madagascar fouetter l’air. J’ai serré quelques mains,
j’étais aveuglé par les flashs et les projecteurs, j’étais noyé dans les
cris, les chants et les battements de mon cœur qui m’ont porté
jusqu’au-devant de la scène. J’ai aperçu sur ma gauche ma famille,
mon épouse et mes trois enfants. Je me suis dirigé vers eux pour
les embrasser puis j’ai monté les cinq grandes marches me menant
vers le pupitre. Il m’a fallu quelques secondes pour retrouver mes
esprits tellement cette entrée a été transcendante.
J’ai parcouru la salle de mon regard. Le Palais des sports était
plein comme un œuf ! Plein à craquer !

C’était pour moi l’occasion de rendre un vibrant hommage à


la capitale Malagasy. C’est la ville que j’ai dirigée, cette capitale
que je connais comme ma poche, dans les moindres recoins, pour
l’avoir parcourue à pied maintes fois, lorsque j’étais un petit garçon

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Épilogue

aventureux. Antananarivo, le cœur battant de Madagascar, qui a


vu bourgeonner mes premières ambitions d’accomplissements. Je
l’ai toujours chérie d’autant plus qu’elle tient plus que jamais une
place spéciale dans ma vie professionnelle et politique.
J’ai débuté mon discours en remerciant évidemment tout le
monde pour leur venue, ceux qui sont venus de loin, les Ray
aman-dreny (les parents, les anciens), les Sojabe (seigneurs de vil-
lages), les Ampanjaka (roitelet), les élus de la nation et les hauts
dignitaires, les parlementaires, sénateurs et députés, les maires, les
dignitaires religieux.
Les opérateurs économiques, grands sportifs, les amis, la famille.
J’en ai profité pour saluer l’impressionnante mobilisation et la
diversité des soutiens venus de tout le pays. Mon message d’espoir
s’adressait d’abord à la jeunesse très présente dans la salle. Je leur
ai promis des solutions concrètes à travers mon programme l’IEM.
« Je sais les difficultés que les jeunes désireux d’entreprendre tra-
versent car j’ai été à leur place, leur ai-je dit. Je sais à quoi ils
aspirent et je sais de quoi ils ont besoin pour réussir. Je sais quelles
solutions mettre en place pour que la jeunesse entrepreneuriale de
Madagascar puisse prendre son envol. » J’ai aussi pointé du doigt
l’immobilisme du régime actuel incapable de relever le pays. J’ai
passé en revue les faiblesses de sa gestion : la corruption généra-
lisée, les infrastructures défaillantes, les problèmes d’insécurité et
plus globalement le marasme économique dans lequel Madagascar
est plongé aujourd’hui. « La corruption règne actuellement dans
les hameaux, les quartiers, jusqu’au palais présidentiel. On achète
les lois mais on ne les vote pas. » C’était pour moi l’occasion aussi
de remettre les pendules à l’heure concernant mon propre bilan et
de rappeler, combien il avait été positif. Mais j’ai aussi reconnu les
faiblesses de cette expérience : « Une grande erreur dans ce pays
est l’absence de programme commun, la carence de préparation
sérieuse des dirigeants successifs, y compris moi. En 2009, je recon-
nais que je ne me suis pas préparé pour diriger le pays. Le Andry
Rajoelina de 2009 n’est pas le Andry Rajoelina de 2018. » Devant
une foule enthousiaste, j’ai alors énuméré les grands points de mon
programme, en rappelant que « l’énergie pour tous » serait au cœur
de mes priorités. La maîtrise des potentiels de la Grande Ile sera

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Par Amour de la Patrie

donc un atout considérable et l’exploitation de ces derniers sera


indéniablement un pas en avant vers le développement. « L’IEM
est la seule et unique solution pertinente, viable et durable pour
Madagascar, ai-je martelé. L’IEM apporte de solutions concrètes à
des problèmes réels. La vision sera transformée en actions concrètes
et réalisables mais surtout durables pour que Madagascar rattrape
son retard de développement et rejoigne le concert des nations.
Madagascar peut et va briller. Elle deviendra la vitrine de l’océan
Indien ! Je vous l’assure, rien de tout ce que nous vivons aujourd’hui
n’est voué à durer, ce n’est pas une fatalité ! » J’ai déclaré également
que, si j’étais élu, je supprimerais le Sénat malagasy. Cette annonce
fut suivie d’acclamations et d’applaudissements. Cette mesure a fait
polémique car je soulevais là un débat au sein même de la classe
politique. Il s’agit là d’une grande réforme de la gouvernance des
institutions et de la réduction des dépenses publiques. À travers
cette démarche je veux engager une grande révision des institutions
pour auditer leur mandat et supprimer le mille-feuille administra-
tif paralysant le service public à Madagascar. Cette réforme peut
également être un levier pour un autre plan fondamental de mon
programme : investir dans l’éducation des jeunes. « Les dépenses
annuelles du Sénat s’élèvent à 25 milliards d’Ariary l’équivalent
de 6 500 000 euros. Avec cette somme, il est tout à fait pos-
sible de construire des universités spécialisées avec un rythme de
six universités par an – dont le coût unitaire est de 4 milliards
d’Ariary. » Enfin, j’ai promis de faire une lutte sans merci à la
mal-gouvernance et à la corruption afin de restaurer la confiance
des Malagasy vis-à-vis de leurs dirigeants et des symboles de la
République. « Il est temps de rendre ses lettres de noblesse à la
fonction présidentielle, de revaloriser la fonction publique, d’assurer
le respect de la parole donnée et d’œuvrer pour ne laisser place à
aucun écart. » Puis, mon nouveau logo de campagne apparut sur
l’écran géant surplombant la scène. Je repris mon discours pour
leur expliquer l’icône A de mon logo « Le “A” est la première
lettre de mon prénom. Le “A” est la première lettre de l’alphabet
formant un triangle. Le triangle est le symbole de la solidarité et
de la force. Il préfigure un commencement. Il est la marque de
la maturité. Dans ce nouveau logo, nous pouvons voir un lever

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Épilogue

de soleil. Le soleil apporte la lumière qui annihile les ténèbres.


Il est un reflet du renouveau pour Madagascar. Notre nation va
s’éveiller sur un matin nouveau. Et tous les Malagasy auront leur
place au soleil. » Tout le monde a applaudi. Jamais encore dans
l’histoire de la politique à Madagascar, un candidat ne s’était créé
une charte graphique aussi élaborée. Dans le passé, la pratique de
la communication politique était sommaire et réduite à des flyers
et pseudo-logos de partis. À travers cette démarche novatrice, je
voulais tirer Madagascar vers le haut.
À la fin de mon allocution, il y avait une atmosphère de victoire
dans la salle, mes troupes étaient galvanisées.
J’ai posé mes mains sur le pupitre, j’ai regardé la salle puis
mon épouse et nos enfants à ses côtés. Je repris mon discours :
« Mesdames et Messieurs, j’ai entendu vos appels comme des bat-
tements de tambour me pénétrant à l’intérieur jusqu’à faire vibrer
mon cœur […]. Je fais le vœu de demeurer une Solution pour
Madagascar et d’apporter des solutions pour mon pays. Je redon-
nerai l’espoir et lutterai contre la pauvreté », ai-je déclaré. Puis je
poursuivis : « Je suis malagasy de père et de mère ; je suis né à
Madagascar et le patriotisme coule dans mes veines. Madagascar
est ma patrie. Ma vie est à Madagascar. J’offre ma vie entière pour
la nation et je déploierai tous les efforts possibles pour développer
notre chère île. »
J’ai pris ma respiration.
« Aussi, en ce 1er août 2018, moi, Andry Rajoelina, je déclare
solennellement que je me porte candidat à l’élection du président
de la République de Madagascar. » Ce fut la folie dans mon cœur
et dans la salle. « Je ne suis pas un candidat de parti ni un candidat
de groupement de partis politiques : je suis le candidat du peuple
Malagasy tout entier. Aujourd’hui, en ce lieu, en cette date, je
scelle mon avenir et mets mon présent au service du vôtre. »
J’ai attendu ce moment depuis quatre ans.
L’ambiance était électrique, la foule était en liesse au Palais des
sports. Je me sentais chaviré par cette vague de bonheur.
Après avoir salué la foule avec notre signe de ralliement : le
V de la victoire, je suis descendu de la scène pour rejoindre ma
famille. J’ai étreint mon épouse et enlacé mes enfants.

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Par Amour de la Patrie

Quelques minutes après, sans même avoir eu le temps de nous


remettre de nos émotions, mon fils aîné Arena se leva, se dirigea
vers le pupitre et prit la parole. J’étais dans l’expectative de ses
mots.
« Notre très cher Dadàh ! Tu as été et seras toujours pour nous
un modèle. Tu es non seulement un père, mais aussi une inspi-
ration pour moi. Tu ne perds jamais courage, tu ne recules pas
devant les difficultés et les obstacles.
Tu nous apprends à encaisser les coups, tu nous encourages à
nous relever et aller de l’avant. Tu nous as toujours partagé ton
Amour pour Madagascar. Grâce à toi, nous y sommes attachés et
nous sommes fiers d’être malagasy. Aujourd’hui, tu te lances. Tu
t’engages à nouveau pour servir le peuple malagasy et nous sommes
conscients que cet engagement qui est d’assurer un meilleur ave-
nir pour notre pays te tient vraiment à cœur. Certes, ce ne sera
pas toujours facile pour notre famille car notre vie ne sera plus la
même. Nous avons la conviction que tu y arriveras car tu travailles
sans relâche. Dadàh, tu n’as pas choisi le plus cool des métiers.
Le chemin sera long et parsemé d’embûches. Sache que tu peux
compter sur notre soutien. Nous sommes et serons là pour toi,
avec toi ! Nous te portons en prière, nous comptons sur toi pour
porter haut le flambeau de Madagascar. On t’aime fort Dadàh. »
J’ai rassemblé toutes mes forces pour ne pas flancher. J’étais ému
et au bord des larmes. Il quitta la scène et se dirigea vers moi. Je
le pris dans mes bras. La foule était absente, il n’y avait plus que
Arena et moi entourés de Mialy, Ilontsoa et Andrialy.
L’émotion était à son comble. J’étais si fier de mon fils. Si fier
et reconnaissant de tout leur Amour et leur soutien.
Après avoir quitté le Palais des sports, nous avons été rejoints
par nos amis proches pour un simple mais chaleureux dîner. Tout
le monde s’en est donné à cœur joie avec leurs commentaires et
les sensations vécues lors de l’événement.
Le lendemain, sans répit, j’ai accueilli dans le QG de ma cam-
pagne les associations de femmes venues présenter leur soutien.
S’ensuivit une rencontre avec cinq cents maires venant de toute
l’île, puis avec les Sojabe et Ampanjaka. Nous avons entamé les
discussions pour le grand chantier de Madagascar. Je n’ai pas arrêté

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Épilogue

de la journée. À 19 heures, j’ai donné une interview conjointe


exclusive à l’AFP, RFI et Jeune Afrique. Puis fit un autre entre-
tien avec le grand média allemand Deutsch Welle. L’annonce de
ma candidature a fait couler de l’encre dans tout Madagascar et
au-delà de ses frontières. Les photos ont fait le tour du pays et
la une des plus grands médias de l’océan Indien. L’événement
a raisonné comme un coup de tonnerre dans le ciel morose de
Madagascar. Il est venu l’heure du « Renouveau avec Rajoelina ».
Tous les journalistes internationaux présents à l’événement ont
salué l’audace et l’ampleur de l’organisation. Ils ont été dithyram-
biques et tout ceci est revigorant.
Je me suis enrôlé dans une aventure incroyable ! Pour cette
course, je me suis préparé et je suis prêt, plus que jamais déter-
miné. Apporter le développement pour tous, améliorer le sort des
Malagasy, restaurer l’honnêteté dans l’exercice du pouvoir, voilà
mon ambition pour Madagascar. Puissent le temps et mes actions
me donner raison. Puissent mes adversaires accepter jusqu’au bout
les règles du jeu sans tenter de transformer ma victoire en une
défaite planifiée. Il en va de la cohésion de ce pays, de son ultime
chance aussi, pour sortir définitivement du sous-développement.
Nous ne gagnerons rien dans les batailles d’ego, dans les bassesses
de la politique politicienne, élevons le débat ! Ce ne sont pas les
hommes qui se battront mais les idées. Pour ma part, je ne ména-
gerai aucun effort et ferai tout mon possible pour que les actions
aboutissent pleinement aux résultats attendus et qu’elles soient
rapidement couronnées de succès. C’est avec mon peuple et avec
mes compatriotes que j’œuvrerai pour redresser et faire rayon-
ner Madagascar. Pour conclure ce livre, je citerai cette citation,
qui m’a beaucoup marqué, du grand roi Andrianampoinimerina :
« Sauver la patrie n’est pas de mon seul ressort mais c’est notre
devoir commun, le mien et le vôtre. » C’est ma foi en mon pays
qui me porte.
Je fais tout ceci par Amour de la Patrie.

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Andry Rajoelina, Mahamasina,
discours intégral d’investiture officielle
du 21 mars 2009, prononcé en français

Honorables invités, Mesdames et Messieurs,

Mes premiers mots sont des mots de remerciements, c’est un


grand plaisir pour moi d’exprimer ma profonde gratitude et mon
infinie reconnaissance au peuple malagasy, pour le courage sou-
tenu qu’il a manifesté pendant ces longues semaines de lutte et,
parfois, de dures souffrances. Le peuple malgache a encore une
fois marqué sa volonté de changement, cette volonté est inébran-
lable, indestructible. Je suis ici, devant vous aujourd’hui, conscient
de l’ampleur de la tâche qui nous attend, reconnaissant pour la
confiance que vous m’avez témoignée et conscient des sacrifices que
vous avez consentis, pour que nous puissions ensemble atteindre
nos objectifs. Nous sommes réunis aujourd’hui, car nous avons
vaincu la peur, nous avons l’espoir et la volonté de travailler main
dans la main pour donner une nouvelle chance à notre pays de
marcher enfin vers un véritable développement.

Nous proclamons aujourd’hui la fin de la dictature, de la gabegie


dans la gestion des affaires d’État, des mensonges et des fausses
promesses, des exclusions et de la pensée unique qui ont, pen-
dant, longtemps étouffé notre vie politique. Nous avons parcouru
ensemble un long chemin, qui n’a jamais été un parcours pour
les craintifs, mais pour les hommes et les femmes déterminés à
réaffirmer la grandeur de notre nation, parce que nous sommes
convaincus que cette grandeur n’est jamais donnée, elle se mérite.
Et nous savons, chers compatriotes, que nous la méritons. Nous
avons pris des risques, parce qu’il faut oser prendre des risques

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Discours

pour atteindre nos objectifs, et pour arriver au bout du chemin


qui nous a menés vers la liberté. Je sais pertinemment que nous
nous sommes battus, nous nous sommes sacrifiés, nous avons
travaillé sans relâche pour mener une vie meilleure. Nous avons
franchi une étape importante, mais le plus dur reste à faire, à partir
d’aujourd’hui, nous devons nous relever, et reprendre la tâche de
la refondation de Madagascar.

Honorables invités, chers concitoyens,

La principale mission que doit accomplir le pouvoir de tran-


sition est de réaliser, en vingt-quatre mois, au maximum l’éla-
boration d’une nouvelle Constitution, d’un Code électoral avec
l’instauration du système de bulletin unique et la mise en place
d’une commission électorale complètement indépendante, d’un
statut de l’opposition, d’une nouvelle loi sur la communication et
de fixer les échéances électorales. Ces nouvelles législations sont
nécessaires pour répondre aux attentes du peuple qui aspirent à
des changements permettant d’instaurer une véritable démocratie,
un réel État de droit, une bonne gouvernance effective, un vrai
respect des libertés publiques et des droits de l’homme, mais aussi
une vraie réconciliation nationale. Le calendrier de l’exécution des
travaux, de l’élaboration des textes, de la tenue des différentes élec-
tions, sera arrêté d’un commun accord, au cours d’une concertation
nationale où seront représentées les différentes composantes de la
nation concernées (acteurs politiques, société civile, organisations
de promotion et de protection des droits de l’homme, secteur
privé, syndicats et d’autres encore…).

Je sais qu’il y a des gens qui s’interrogent sur l’ampleur de nos


ambitions, et qui pensent que nous serons capables de faire face à
trop de grands projets à la fois. Mais je me permets de leur rafraîchir
la mémoire. Il ne faut pas oublier ce que des hommes et des femmes
malgaches, assoiffés de liberté, ont déjà fait ; et ce que des hommes
et des femmes désormais libres peuvent réaliser quand l’imagination
sert un objectif commun et que le courage s’allie à la nécessité.
Nous gérerons les deniers publics avec sagesse, en pleine lumière

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Par Amour de la Patrie

et en toute transparence ; nous changerons les mauvaises habitudes.


C’est seulement ainsi que nous pourrons restaurer l’indispensable
confiance entre un peuple et son gouvernement. À tous les peuples
et les gouvernants de nos pays amis et partenaires, bailleurs de fonds
résidant à Madagascar ou ailleurs, qui nous regardent aujourd’hui :
sachez que nous voulons le changement dans la façon de gérer notre
pays avec une nouvelle vision, et que nous sommes déterminés à
appliquer les principes et les règles de bonne gouvernance, et que
nous sommes prêts à nouveau à jouer notre rôle afin qu’il y ait une
alliance solide et durable avec tous nos partenaires. À ce titre, nous
allons travailler inlassablement pour assainir les finances publiques
par une politique rigoureuse d’austérité et le respect des règles de
l’orthodoxie financière. Nous combattrons sans merci la gabegie et
le gaspillage. Les soldes dégagés seront utilisés aux actions sociales
et à l’amélioration des conditions de vie des fonctionnaires et autres
agents de l’État. La préoccupation primordiale du pouvoir de tran-
sition est le rétablissement de la sécurité afin que soit préservée la
protection des biens et des personnes. Sur ce point, mes remercie-
ments nourris vont aux forces de l’ordre qui n’ont pas ménagé leurs
efforts pour assurer la tranquillité publique. Nous ne transigerons
pas à l’égard des fauteurs de troubles, des acteurs d’actes de van-
dalisme que nous ne pouvons, en aucun cas, tolérer.

Le peuple malgache aspire à vivre enfin dans la paix. Aux habi-


tants des zones rurales, nous promettons de travailler à vos côtés
pour faire en sorte que vos cultures prospèrent, que l’élevage de vos
bétails soit sécurisé, et qu’il n’y ait plus de paysans affamés et sans
eau potable. Par ailleurs, je veux rassembler tous les Malgaches ;
je veux que chacun comprenne qu’il a sa place dans un pays libre,
juste et bien gouverné. Il nous faut changer, non pas par amour
du changement, mais parce que les Malgaches attendent autre
chose que des discours du passé, des solutions et des mots vides
de sens. Travaillons ensemble sans arrière-pensée, ensemble, la
réussite est à notre portée. Pour ce faire, nous sommes décidés
à privilégier le dialogue et la concertation avec les acteurs poli-
tiques et de la société civile, les opérateurs économiques et toutes
les composantes de la nation. Nous avons la volonté politique

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Discours

de jeter les bases d’une véritable réconciliation nationale, nous


respecterons l’indépendance de la Justice mais nous demandons
à chaque magistrat de respecter les règles de droit. Nous allons
poursuivre la politique de lutte contre la corruption qui continue à
gangrener notre société. Nous n’hésiterons pas à sanctionner tout
acte de corruption, quel qu’en soit l’auteur et à n’importe quel
niveau qu’il se trouve. Je ferai personnellement une déclaration
de mon patrimoine car j’ai accepté cette charge, non pas pour
m’enrichir mais pour servir. Nous voulons respecter la laïcité de
l’État car nous sommes contre l’instrumentalisation de l’Église
à des fins politiques. Le pouvoir de transition déploiera tous les
efforts nécessaires pour lutter contre le coût de la vie, améliorer
la qualité de vie des Malgaches et réduire la pauvreté.

À vous les opérateurs économiques, nous vous promettons la


libre concurrence. Plus de monopole économique, plus de favori-
tisme économique. À vous les investisseurs, nous nous engageons
à assurer la protection de vos investissements, à créer un climat
de confiance en instaurant un dialogue permanent. Pour atteindre
tous les objectifs que nous nous sommes fixés, notre stratégie est
simple : la diffusion progressive d’une culture des résultats. Nous
avons la volonté d’améliorer la qualité du service public à moindre
coût. Lorsque nous regardons le chemin à parcourir, nous nous
rappelons avec toute notre gratitude nos parents, nos fils et nos
filles qui ont payé de leur vie pour que vienne enfin la liberté,
notre liberté. Nous les honorons, non seulement parce qu’ils sont
les gardiens de cette liberté, mais parce qu’ils incarnent l’esprit
de sacrifice, leur disponibilité à mourir pour une cause qu’ils ont
défendue, l’amour de leur patrie. Et à ce moment, c’est précisément
leur esprit qui doit tous nous habiter.

Chers Ray aman-dreny, chers frères et sœurs de Madagascar,

Chacun peut imaginer l’émotion profonde qui est la mienne au


moment où je vais assumer la plus haute fonction de la République.
Je mesure le poids de mes responsabilités à l’endroit de chacun

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Par Amour de la Patrie

d’entre vous. Quoi qu’un gouvernement puisse et doive faire, c’est


en définitive de la foi et la détermination des Malgaches que ce
pays dépend. C’est le courage d’un paysan prêt à obtenir une
bonne récolte, la volonté d’un agent de l’État d’offrir un meilleur
service à tous les contribuables, mais aussi la disponibilité d’un
parent à nourrir son enfant, qui décident en définitive de notre
destin. Je sais que la confiance que vous me témoignez me crée
plus de devoirs que de droits. Je connais les difficultés des défis
qui m’attendent. Notre force a été et sera d’être ensemble et de le
rester. Les défis face à nous sont peut-être nouveaux. Les outils
avec lesquels nous les affrontons sont peut-être nouveaux. Mais les
valeurs dont notre succès dépend, le travail, l’honnêteté, le courage,
le respect des règles, la tolérance, la loyauté et le patriotisme, sont
connues de tous. Nous devons, de nouveau, faire nôtres ces valeurs.
Elles seront la force tranquille de notre progrès.

Nous devons entamer une nouvelle ère de responsabilité, une


reconnaissance, de la part de chaque Malgache, que nous avons des
devoirs envers notre pays, des devoirs que nous n’acceptons pas à
contrecœur mais saisissons avec joie, avec la certitude qu’il n’y a rien
de plus satisfaisant pour l’esprit, et qui définissent notre caractère,
que de nous donner tout entiers à une tâche difficile. C’est le prix, la
promesse et le défi de la citoyenneté. Grâce à vous, je suis prêt à rele-
ver tous ces défis, à incarner vos espoirs, je suis prêt parce qu’au plus
profond de moi-même, je sais que le peuple malgache ne redoute
plus le changement mais qu’il l’attend. Je ferai tout pour mériter
votre confiance et votre soutien ; et la source de notre confiance,
c’est de savoir que Dieu nous appelle pour forger un destin incertain.
De tout ce qui précède, et pour entamer le grand changement et la
réconciliation nationale, j’ai décidé, ce jour, d’octroyer la grâce à tous
les prisonniers politiques, incarcérés dans le pays comme ceux en exil
à l’extérieur, pour marquer notre volonté de mettre fin à toutes les
pratiques abusives contre les citoyens n’épousant pas la même vision
politique que les tenants du pouvoir. De même, une réduction de
peine va également être accordée à tous les condamnés. Le garde
des Sceaux, ministre de la Justice, est chargé de l’exécution de ces
décisions, selon les dispositions des textes en vigueur.

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Discours

Chers concitoyens,

Nous avons rendu possible ce que de nombreux ont pensé


inaccessible ; nous avons eu une première victoire : cette vic-
toire est la vôtre ! Nous, peuple malgache uni, déterminé pour
le changement,

Oui, nous allons changer,


Oui, nous avons changé,
Oui, nous allons changer !

Tourner la page pour une nouvelle histoire de notre pays. Nous


avons besoin des uns et des autres, le concours de tout un cha-
cun, hommes et femmes, et surtout les jeunes, est indispensable.
Ensemble nous allons reconstruire, bâtir et nous unir. Nous allons
trouver une nouvelle approche, fondée sur l’intérêt et le respect
mutuel.

Vive Madagascar !

Je vous remercie.

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Traduction du discours
du président de la transition
Andry Rajoelina
Palais d’État d’Iavoloha, le 24 janvier 2014

Peuple malagasy à travers toute l’île,


Vous tous qui êtes présents, ici,
Mesdames et Messieurs,

C’est avec le cœur empli d’amour que je visite vos foyers


respectifs et que je vous salue, tous, sans exclusive, en ce grand
jour.
Car la cérémonie d’aujourd’hui constituera un modèle du
genre, et Madagascar sera pris en modèle par le continent afri-
cain. Elle restera également gravée dans l’Histoire même de la
Grande Ile et de son peuple, car nous allons procéder à une
passation tout ce qu’il y a de plus démocratique, comme je
vous l’avais promis.

Pendant un peu moins de cinq ans, la nation malagasy a che-


miné sur une route parsemée d’embûches. Mais, le but ultime de
la période de transition restait l’organisation d’élections pour un
retour à l’ordre constitutionnel.

Aujourd’hui, ce but a été atteint sans que les Malagasy ne


soient tombés dans le piège de la confrontation physique, voire
de la guerre civile. Cela constitue une grande fierté pour les
Malagasy, et un immense honneur pour Madagascar. Nous avons
pu faire face à toutes les difficultés en ayant revêtu la carapace
du Courage , le casque de la Foi et le manteau de l’Union qui
fait la force.

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Discours

Mesdames et Messieurs,

Les élections ont été menées à leur terme, le peuple a choisi,


et le premier président de la IVe République a été élu ainsi que
les députés de Madagascar.

Aussi, je me tourne particulièrement vers vous, monsieur le


Président élu, Hery Rajaonarimampianina : je vous adresse ma
bénédiction et vous souhaite plein succès dans la tâche qui vous
incombe désormais. Elle ne sera pas une sinécure, et de lourdes
responsabilités vous attendent.

Les Malagasy aspirent au développement et ils méritent un


avenir brillant.
Ainsi, c’est notre chère patrie tout entière qui souhaite une
réussite totale pour que son peuple puisse avoir des lendemains
meilleurs et parvienne à se développer selon nos souhaits partagés.
Je suis convaincu et persuadé, monsieur le Président, que vous
serez à l’écoute des besoins du peuple malagasy. Et je garde l’assu-
rance que vous ne décevrez pas toutes celles et tous ceux qui vous
ont accordé leur confiance.
Puissent toutes les décisions que vous allez prendre toujours
reposer sur le patriotisme et l’intérêt de la nation.

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de m’adresser particulièrement aux illustres invi-


tés venus honorer de leur présence cette cérémonie qui revêt un
cachet historique pour notre nation.
Monsieur le président Joachim Chissano, médiateur du GIC-M
pour la SADC, nous n’oublierons jamais que vous étiez omniprésent
dans la recherche de solutions pour sortir Madagascar de la crise.

Nous avons partagé avec vous tous les problèmes, tous les fac-
teurs de blocage, et sans tergiversation, vous vous êtes attelé à
chercher des solutions concertées avec nous, en restant toujours à
notre écoute et en nous appuyant.

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Par Amour de la Patrie

Ensemble, et avec vos proches collaborateurs, nous avons parti-


cipé à des réunions qui nous ont pris tout notre temps, auxquelles
nous avons consacré de nombreux jours, que ce soit à Maputo,
Addis Abeba, Pretoria, Gaborone, Sandton, Dar es Salam… Et
même ici, à Madagascar.

Un adage dit : « C’est dans les temps de difficultés que nous


reconnaissons nos vrais amis. » C’est donc sans ambages que vous
pouvez être considéré comme de « vrai ami de Madagascar ». Pour
nous, vous avez effectivement bu de l’eau du Manangareza et,
désormais, vous ne pouvez plus être considéré comme un étranger
dans notre île.

Monsieur Marius Fransman, vice-ministre sud-africain des


Affaires étrangères, représentant le président de la République
d’Afrique du Sud : je vous adresse mes remerciements anticipés,
pour bien vouloir transmettre à M. le président Jacob Zuma ma
reconnaissance et mes compliments car vous avez œuvré de concert
avec nous, avec le pouvoir malagasy, dans la mise en route de la
feuille de route et la mise en place de toutes les institutions de
la transition, qui nous ont amenés à une sortie de crise à travers
les élections.

Monsieur le ministre, vous êtes parmi ceux qui se sont engagés


sans relâche, si je ne parle que de la réunion aux Seychelles, de la
nomination d’un Premier ministre d’union nationale, de la mise
en place du gouvernement ou encore des diverses institutions de
la transition.
Mais, il ne serait pas convenable, ici, d’ignorer le rôle et les
efforts soutenus des représentants de l’ONU et des ambassadeurs,
sans exclusive, accrédités et résidant à Madagascar, qui se sont unis
avec nous pour résoudre les problèmes, et qui nous ont appuyé
dans la réalisation des élections.
Au nom du Peuple malagasy tout entier, je vous adresse mes
sincères félicitations et toute ma gratitude pour tout ce que vous
avez accompli, et pour votre présence en ces lieux, aujourd’hui.

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Discours

Malagasy, mes compatriotes amis,


Durant la période de transition, de jour comme de nuit, j’ai mis
en œuvre tout ce qui était en mon pouvoir, en tant que premier
dirigeant, pour défendre les intérêts de la nation, pour protéger
l’unité nationale, pour éviter la guerre civile et, surtout, pour veiller
sur les intérêts des couches sociales fragiles.

J’ai déployé tout ce qui était possible pour transmettre notre


idéologie et nos valeurs ancestrales ainsi que toutes les projections
pouvant permettre à notre chère île de se développer.
Aujourd’hui, j’ai envie de partager avec vous tous et de vous
révéler le constat immuable suivant : la seule et unique chose qui
doit surpasser la soif du pouvoir repose sur le patriotisme, le peuple
malagasy et Madagascar.
C’est cette ligne de conduite qui m’a guidé, qui a dicté tout
ce que j’ai accompli et tout ce que je pourrais accomplir encore.

Peuple malagasy, j’ose affirmer que sans votre confiance, votre


patience et, surtout, votre soutien, la période de transition n’aurait
jamais pu arriver à son terme.
Et c’est pourquoi je me tourne vers vous, amis malagasy, pour
vous remercier spécialement, car votre patience et la confiance
que vous m’avez portée ont été, pour moi, le meilleur et le plus
sincère des gages que vous ayez pu m’offrir.
Cela restera éternellement gravé dans mon esprit et dans mon
cœur. Car la confiance est la chose la plus merveilleuse que vous
m’avez offerte, amis compatriotes malagasy. Recevez toute ma gra-
titude, toute ma reconnaissance, tous mes sincères remerciements !

Mesdames et Messieurs,

À compter d’aujourd’hui, une nouvelle page s’ouvre pour


Madagascar : je vais quitter ma fonction de président de la tran-
sition.
À partir de demain, mon lieu de travail et mes responsabilités
ne seront plus les mêmes car je redeviendrai un simple citoyen.

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Par Amour de la Patrie

Mais rappelez-vous, Malagasy mes amis : où que je sois, je


serai toujours près de vous. N’ayez crainte, gardez confiance : je
défendrai toujours la lutte que nous avons menée ensemble, ainsi
que sa philosophie qui nous a fait nous lever.
Je ressens que nombre d’entre vous gardent l’espoir et la
confiance en moi. Ne soyez pas attristés et portez votre vision au
plus loin. C’est Madagascar que nous devons considérer et notre
regard doit se tourner vers l’avenir. Les liens qui nous unissent ne
se dénoueront jamais, au grand jamais.

Je tiens à vous rappeler encore que c’est le patriotisme qui m’a


poussé à prendre des responsabilités au sein de la nation. C’est
ce patriotisme qui m’a introduit dans ce palais, et c’est ce même
patriotisme qui emplit mon cœur et mon esprit, en ce moment
où je vais quitter ce palais.
Durant ces dernières années, au sein de/et pour la nation, beau-
coup de discours ont été entendus. Mais seules les actions nous
jugent tous, en particulier les dirigeants.
Nous avons érigé, nous avons construit, nous avons laissé un
héritage pour les générations à venir. Nous avons organisé les
élections dans un climat paisible. Aussi, je peux affirmer que nous
avons su relever le défi et notre objectif a été atteint.

Je vous réitère, ici, mes remerciements et toute ma gratitude,


à vous qui, sans trêve ni relâche, avez permis l’organisation et la
réalisation des élections qui se sont tenues dans la nation.
Je m’adresse, à présent, aux institutions et à tous les responsables
qui ont œuvré de concert au sein de la transition.
Bien que nous ayons vécu et traversé des moments d’incertitude,
nous avons su nous écouter et nous entendre mutuellement, pour
être sur le même diapason. Bien que nous n’ayons pas eu la même
idéologie, ni la même vision et encore moins la même mouvance
politique, c’est ensemble que nous avons pris des décisions allant
dans l’intérêt supérieur de la nation.

Nous nous trouvons à la croisée du chemin, chacun suivra sa


route, car cela fait partie de la vie. Mais je ne saurai pas partir

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Discours

sans remercier de tout cœur, ni exprimer ma reconnaissance à


vous, chefs d’institution et membres du gouvernement d’union
nationale, sans exclusive.

Ici, j’adresse toute ma gratitude et mes profonds remerciements


à toutes celles et tous ceux qui ont travaillé avec moi, jusqu’en cette
fin de la transition. Je reconnais que nous avons vécu des moments
pénibles et nous avons souvent été mis en face de situations dures.
J’adresse spécialement mes félicitations aux membres de l’armée
et à ceux des forces de l’ordre : vous avez toujours montré votre
courage et votre détermination dans l’accomplissement des devoirs
et la prise de responsabilités qui vous incombaient.

Et je remercie aussi tous mes ami(e)s qui ne m’ont jamais laissé


seul face aux défis à relever.
Ici, il y a des amis que j’aimerais remercier tout spécialement, car
ils étaient omniprésents durant toute la période de transition, aussi
bien dans les moments difficiles que dans les moments d’accalmie,
pour me réconforter et me soutenir. Il s’agit de mon épouse, Mialy,
et de nos trois enfants, Arena, Ilontsoa et Andrialy. Merci à vous
quatre, du fond de mon cœur.

Sur ce, je vous dis : « Au revoir, peuple malagasy ! » Et je vous


demande, à vous tous, de toujours porter en prières notre chère
nation.

Que la volonté de Dieu soit faite pour Madagascar, pays bien-


aimé !
Mesdames et Messieurs, merci de votre aimable attention.

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Discours intégral du président
de la transition de Madagascar,
le 23 septembre 2011, dans le cadre
du débat général de la 66e session
de l’Assemblée générale des Nations unies

Monsieur le président,

Monsieur le secrétaire général,

Mesdames et Messieurs les chefs d’État et de gouvernement,

Honorables délégués, Mesdames et Messieurs,

Après trois ans de crise politique et après trois ans d’absence,


Madagascar est aujourd’hui fier de retrouver sa place, ici parmi
vous, dans le concert des nations.
Au nom de mes compatriotes, je suis particulièrement honoré
de participer à ce débat général, axé sur « le rôle de la médiation
dans le règlement des différends par des moyens pacifiques ». En
effet, les crises qui se sont succédé à travers le monde, et tout
récemment dans le nord de l’Afrique, démontrent l’importance
et l’actualité de ce thème !

Madagascar en a traversé, qui vient de connaître justement une


étape décisive, grâce au concours de la médiation internationale,
qui a permis aux Malgaches de trouver entre eux un consensus
porteur d’espoir.

Aussi, permettez-moi tout d’abord de rendre un vibrant hom-


mage à Son Excellence feu Dag Hammarskjöld ancien secrétaire
général de cette grande organisation, pionnier de la diplomatie
préventive et architecte du concept de maintien de la paix, dont

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Discours

nous venons de célébrer le 50e anniversaire de sa disparition


tragique.

Durant son mandat, il n’a cessé d’œuvrer pour renforcer la


légitimité de l’Organisation des Nations unies dans la résolution
pacifique des différends internationaux. Et maintenant encore,
nous lui devons en grande partie la reconnaissance universelle
des vertus de la médiation pour résoudre les tensions, voire les
conflits.

Nous venons de commémorer les événements tragiques du


11 septembre 2001 qui ont ébranlé cette ville de New York et
même le monde entier. Nous sommes aussi à dix ans de l’« Année
des Nations unies pour le dialogue entre les civilisations », une
année durant laquelle le dialogue des cultures et la culture du dia-
logue ont été promus sur la scène internationale afin de combattre
le choc des civilisations.

Mais quand on parle de « conflits », on se réfère à deux idéolo-


gies différentes qui ne défendent pas les mêmes valeurs. Cela peut
concerner deux pays, ou deux régions, ou encore un gouvernant
et son peuple.

Dans ce dernier cas, lorsque l’un ne respecte plus l’autre, cela


engendre un soulèvement populaire qui aboutit à un conflit,
conduisant à une crise, d’où l’importance du rôle de la médiation
pour régler les différends par des moyens pacifiques.

C’est en ce sens que toute médiation devrait recueillir les infor-


mations à leurs sources, et constater de visu les réalités prévalant
sur le terrain du conflit, avant de proposer une solution qui serait
durable et acceptable par tous.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

L’histoire nous a montré que des actes démesurés d’un diri-


geant, en utilisant la force, engendrent des conséquences graves à

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Par Amour de la Patrie

son pays, qui peuvent le ramener au chaos, et coûter la vie à des


dizaines, des centaines, voire des milliers d’innocents. Et c’est tout
un peuple qui en subit malheureusement les graves conséquences.
Pourquoi ? Souvent, l’apport de vraies solutions se fait trop
attendre, ce qui fait plonger une grande partie de l’humanité dans
la pauvreté. Car aux souffrances, à l’angoisse, au désespoir, nous
devons avoir une réponse. Nous voulons changer et nous allons
changer !

Afin de mieux illustrer mes propos, permettez-moi de vous


parler du cas de mon pays : Madagascar.

Vous savez tous, autant que moi, que la Grande Ile de l’océan
Indien a vécu, depuis la fin de l’année 2008, une crise politique.

Le peuple malgache s’est soulevé avec détermination pour


rompre avec un passé caractérisé par une mauvaise gouvernance,
le non-respect des principes démocratiques, des droits de l’homme
et de l’État de droit – engendrant une paupérisation généralisée,
une misère sociale insoutenable au quotidien et une frustration
grandissante ressentie par la majorité de mes compatriotes.

C’est ainsi que le peuple malgache a revendiqué une vie meil-


leure et la mise en place d’un véritable changement tout en se
confortant au respect des principes universels.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

À un moment où la recherche d’une sortie de crise passe par les


principes d’une gestion consensuelle et inclusive d’une transition, et
au moment où ce consensus s’avère difficile à obtenir, des efforts
louables de médiation entre les protagonistes malgaches ont été
déployés, aussi bien par des organisations de la société civile mal-
gache que par des partenaires bilatéraux et régionaux de la Grande
Ile ainsi que par la communauté internationale.
Je me permets de citer ici et de saluer fortement les efforts
inlassables et patients de l’équipe de médiation de la Communauté

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Discours

de développement de l’Afrique australe (dite la « SADC »), struc-


ture régionale mandatée par l’Union africaine, et également les
initiatives sans relâche, effectuées par d’autres entités telles que
l’Organisation des Nations unies, l’Organisation internationale de
la francophonie et la Commission de l’océan Indien.
L’implication de tous les acteurs concernés dans la médiation a
été indispensable, afin de répondre à une logique d’efficacité et de
pragmatisme, c’est-à-dire être à la hauteur de l’urgence ainsi que
des impératifs vitaux de la population, et de l’économie malgache
qui aurait été fragilisée, si la crise et les négociations perduraient
encore.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Le peuple malgache a été patient et a fait preuve d’un courage


sans pareil dans la résolution pacifique de la crise politique, et ce,
d’une manière exemplaire, malgré toutes les restrictions écono-
miques et sociales, ainsi que l’absence d’aide internationale dont
il a souffert durant ces trois dernières années.

La feuille de route de sortie de crise pour Madagascar propo-


sée par la SADC, paraphée le 9 mars 2011, a été signée par les
groupements politiques, constituant la grande majorité des parties
prenantes malgaches, le 17 septembre dernier.

La grande famille politique malgache est désormais résolue à


aller de l’avant et à s’engager à œuvrer de concert dans l’intérêt
supérieur de la nation, pour le bien-être, la paix et la sérénité du
peuple dans son ensemble.

Une étape extrêmement importante vient d’être franchie. Mais


les efforts à entreprendre et qui suivent restent nombreux. Il
convient, dès lors, de les concentrer en premier lieu vers la mise
en application des dispositions de la feuille de route, par pur respect
des premières aspirations populaires, menant vers l’organisation
d’élections libres, crédibles, justes et transparentes – seule issue
définitive à la crise et au retour à la normalité constitutionnelle.

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Par Amour de la Patrie

Nous sommes parvenus à trouver finalement un accord consen-


suel, reflété par le sens du compromis dont nous sommes particu-
lièrement fiers en raison de la culture profonde du Fihavanana, un
concept de vie en société qui anime les Malgaches depuis la nuit
des temps, qu’on pourrait résumer aux principes de « Fraternité,
Solidarité, Respect mutuel, Tolérance, et Sagesse ». Ainsi, nous
exprimons notre détermination à aller vers la reconstruction et le
développement de notre société.

Pour ma part, je ne ménagerai aucun effort et ferai tout mon


possible pour que les actions aboutissent pleinement aux résultats
attendus et qu’elles soient rapidement couronnées de succès.

Dès lors, je lance un appel solennel à la communauté interna-


tionale, à apporter sa contribution individuelle et/ou regroupée,
nécessaire à leur mise en œuvre.

J’attire particulièrement l’attention des Nations unies sur l’action


qu’elle doit entreprendre dans l’évaluation des besoins électoraux
de Madagascar, afin qu’un calendrier électoral établi dans un cadre
crédible, neutre, transparent et indépendant, fondé sur le respect
des droits fondamentaux et des normes internationales, puisse être
fixé dans les meilleurs délais possibles.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

L’histoire nous enseigne que même après l’usage de la force,


toute guerre et tout conflit se terminent toujours autour d’une
table. Cela démontre clairement que la médiation peut être choisie
comme une alternative aux armes.

Nous sommes contre l’utilisation de toute forme de répression


quelle qu’elle soit. Il est tout à fait possible de résoudre des diffé-
rends par des moyens pacifiques, comme c’est le cas de Madagascar,
en recourant à un procédé plus efficace comme le dialogue.

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Discours

Le monde évolue, le monde change, et nous tous, dirigeants,


ici, voulons un monde meilleur pour nos peuples respectifs ! Oui,
Mesdames et Messieurs, c’est possible et nous pouvons le réaliser !

Je vous remercie de votre aimable attention.

Andry Rajoelina
Président de la transition de Madagascar

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Discours intégral du président
de la transition de Madagascar,
le 23 septembre 2011, dans le cadre
du débat général de la 68e session
de l’Assemblée générale des Nations unies
Thème : « Programme de développement
pour l’après-2015 : plantons le décor »

Excellences Mesdames et Messieurs les chefs d’État et de gou-


vernement,

Monsieur le président de l’Assemblée générale,

Monsieur le secrétaire général des Nations unies,

Mesdames et Messieurs les chefs de délégation,

Honorables délégués,

Mesdames et Messieurs,

Selon l’adage bien connu « jamais deux sans trois », c’est effec-
tivement pour la troisième fois consécutive que j’ai le privilège
de m’exprimer devant cette auguste assemblée, en ma qualité de
président de la transition de Madagascar.

Comme chaque année, nous voilà de nouveau réunis pour la


session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies.

Tous les dirigeants de la planète s’y retrouvent régulièrement


pour débattre, échanger et partager leurs expériences, dans le cadre

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Discours

d’une concertation, qui s’inscrit dans une longue marche collective


vers la paix, la sécurité et le développement planétaire durable.

Mais chaque année également, de nouveaux cas de conflits


encore plus violents et plus meurtriers se présentent. Ces faits
continuent à nous interpeller et avec autant d’intensité.

Devons-nous alors nous limiter à disserter sur les résolutions


de ces conflits ? Ou allons-nous nous remettre en question, pour
en analyser les causes profondes, et nous apprêter à prendre les
mesures qui s’imposent, pour préserver la stabilité dans le monde ?

Monsieur le président,

Joignant volontiers ma voix à celles de mes honorables prédé-


cesseurs, je vous adresse mes chaleureuses félicitations pour les
suffrages éloquents que vous avez réunis autour de votre candi-
dature. Madagascar s’efforcera de vous apporter son soutien et sa
collaboration sincères.

Ces dernières décennies, quand on évoque l’Afrique, il est


regrettable que le constat général fasse ressortir des États exposés
à des violences permanentes, où la démocratie régresse, où des
guerres, des crises et des affrontements éclatent, et où la division
l’emporte sur le consensus.

« L’humanité est en pleine crise existentielle », selon les propos


du président de la 67e session de l’Assemblée générale, avec comme
symptômes : l’instabilité économique, les inégalités sociales et la
dégradation de l’environnement. Pour ma part, j’ajouterais : « Une
humanité en désarroi, mais qui ne baisse pas les bras. »

Certes, les actualités que nous déversent quotidiennement les


médias sont extrêmement inquiétantes partout dans le monde. Que
ce soit dans les pays développés, émergents ou pauvres, aucune
couche de la société n’est maintenant épargnée par : les dégradations
diverses, les conditions d’emploi, le chômage, la diminution du

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Par Amour de la Patrie

pouvoir d’achat et même l’absence de revenus, la non-­accessibilité


aux premières nécessités alimentaires, vestimentaires, sanitaires et
éducationnelles, la pauvreté, le dénuement et la misère…

Autant de facteurs qui viennent cimenter le terreau de l’intolé-


rance, des affrontements et des conflits, favorisant la montée d’une
insécurité globale ambiante.

Nous pensons particulièrement aux événements survenus récem-


ment au Kenya, en Irak, au Pakistan et en Syrie, pour ne citer
que cela, et nous partageons la douleur et le chagrin des familles
des victimes.

À quelque huit cents jours de l’échéance de 2015, à l’instar de


la plupart des États africains et de bon nombre de pays en déve-
loppement, Madagascar peine encore à atteindre tous les objectifs
du millénaire, et ce en dépit des efforts que tous, nous aurons
déployés et acceptés.

Face à cette situation, la question qui me vient à l’esprit est


de savoir quelle contribution nous, les premiers responsables des
nations, pouvons apporter individuellement à cette recherche col-
lective de voies et moyens d’améliorer le quotidien des peuples qui
nous ont confié leur destinée et accordé leur confiance.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Dans son allocution, prononcée hier lors de l’ouverture de notre


68e session, le secrétaire général a souligné le fait que : « Partout
dans le monde, des gens descendent dans la rue, ou occupent des
places, pour se faire entendre de ceux qui sont au pouvoir. Ils
veulent que nous, leurs Dirigeants, les écoutions. Ils veulent savoir
que nous faisons tout pour garantir à chacun une vie de dignité. »

Les soulèvements populaires dans le cadre des printemps arabes,


ainsi que les mouvements des indignés, illustrent cette affirmation
et traduisent une aspiration légitime.

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Discours

Cette compréhension manifestée à leur endroit, Madagascar


aurait souhaité pouvoir en bénéficier, lorsque le peuple malagasy
s’est soulevé contre un régime contesté, pour revendiquer une vie
meilleure, à travers la mise en place d’un véritable changement.
Or, ce ne fut pas le cas, Madagascar, bien au contraire, a dû
faire face à l’incompréhension et à l’inflexibilité d’une commu-
nauté internationale à plusieurs vitesses, sans parler de lecture et
d’application dogmatique de textes, alors que des soulèvements
populaires ailleurs, dans des conditions identiques, avaient suscité
bienveillance et sollicitude.

Des efforts doivent être désormais fournis, pour faire cesser les
inégalités de traitement, des pays en crise politique. Il faut prendre
connaissance de l’aspiration populaire et de la réalité sur le terrain,
pour ne pas se tromper sur la décision à prendre. Ce qui est valable
ailleurs ne l’est-il pas pour autant pour Madagascar ?

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Toutes les conditions étaient réunies, le danger omniprésent


pour une explosion sociale et un affrontement fratricide. À la
différence de certains pays qui continuent à connaître des troubles,
sinon des violences armées, et malgré toutes les restrictions éco-
nomiques et sociales, ainsi que l’absence de soutien et d’aide de la
communauté internationale, dont ils ont pâti ces dernières années,
les Malagasy ne sont pas tombés dans le piège du conflit interne
dont certains n’auraient pas hésité à profiter.

Et c’est avec une grande fierté nationale que j’annonce, du haut


de cette tribune aujourd’hui, que Madagascar a pu éviter la guerre
civile. J’affirme que ces conditions ont nécessité beaucoup de sacri-
fices, d’abnégation et d’humilité mais nous les avons surmontés
par patriotisme.

Je réitère que, malgré nos désaccords et nos divergences de


points de vue, nous sommes parvenus à un règlement de nos

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Par Amour de la Patrie

conflits, en usant de toutes les voies de négociation. Et je remercie


solennellement le peuple malagasy, qui est un peuple pacifique,
qui aspire à la paix, et dont le courage et la patience ont été sans
pareils, dans cette résolution pacifique de notre crise politique.

Le peuple malagasy mérite un avenir meilleur. Désormais, les


citoyens pourront exprimer librement leur choix, sur leur futur
dirigeant, à travers les urnes, lors des prochaines élections prési-
dentielles, prévues se tenir le 25 octobre de cette année.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Madagascar entame désormais une nouvelle phase de son his-


toire.

J’adresse mes vifs remerciements à tous ceux qui, tout au long


du processus de sortie de crise de Madagascar, nous ont accom-
pagnés et apporté leur soutien, durant cette période transitoire,
en particulier la SADC, les présidents successifs de la troïka de la
SADC, l’Union africaine, l’Union européenne et les Nations unies,
ainsi que la COI, l’OIF et tous les pays amis sans exception. Sans
oublier ceux qui ont déjà fait part de leur entière disponibilité, à
nous envoyer des observateurs internationaux.

Je renouvelle, par la même occasion, mon appel, en direction


de vous tous ici présents, afin de venir renforcer les rangs de ces
partenaires.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Nous sommes à la croisée des chemins. Les peuples attendent


des résultats concrets et tangibles. La question est : « Est-ce que
nous avons le courage et la sagesse, pour se sacrifier pour le bien
de notre peuple, pour éviter l’affrontement, pour éviter la guerre
civile, pour que des innocents ne perdent plus leur vie, pour que
celui ou celle qui est au pouvoir n’utilise plus des armes, ne fasse
plus de la répression, afin d’éviter tout recours à la violence ? » En

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Discours

tant que « dirigeant », l’exercice du pouvoir requiert une prise de


conscience de notre humanité et de notre faillibilité. Et c’est le
message que Madagascar, dans sa contribution au présent débat
général, souhaiterait faire passer.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Le monde évolue à grande vitesse, les générations changent, et


les dirigeants ont le devoir de répondre aux attentes de la popu-
lation, et de trouver une solution à leur bien-être.

En ce qui me concerne, pour débloquer la crise politique, j’ai


tout mis en œuvre pour préserver l’unité nationale et les intérêts
supérieurs du peuple malagasy, et je suis arrivé à la conclusion de
ne pas me porter candidat à notre prochaine élection présidentielle.

Et c’est sur cette note, et avec la phrase bien connue de l’écrivain


anglais, James Freeman Clarke, que je voudrais conclure : « La
différence entre le politicien et l’homme d’État est la suivante :
le premier pense à la prochaine élection, le second pense à la
prochaine génération. »

Masina ny tanindrazana! (« Que Dieu bénisse notre nation ! »)

Je vous remercie de votre aimable attention.

Andry Rajoelina
Président de la transition de Madagascar

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Discours intégral du président
de la transition de Madagascar,
le 26 septembre 2012, dans le cadre
du débat général de la 67e session
de l’Assemblée générale des Nations unies

Mesdames et Messieurs les chefs d’État et de gouvernement,

Excellences, Mesdames et Messieurs,

En ma qualité de président de la transition de Madagascar, c’est


pour moi un immense honneur de participer, pour la deuxième
fois, à ce débat général de l’Organisation des Nations unies.

La thématique de cette 67e session ressemble fort à un appel


à un rassemblement, à une réflexion commune et à un retour en
général sur des questions existentielles et de valeurs humaines face
à des situations de paix extrêmement précaires dans le monde.

En effet, ces dernières années ont été marquées par des diver-
gences de points de vue, de différends politiques et de contra-
diction d’intérêts. Le monde est face aujourd’hui à de nouveaux
enjeux de stabilité et de maintien de la paix. Plusieurs moyens et
initiatives ont certes été déployés pour résoudre les conflits qui
ne sont pas homogènes et des différends qui ne se présentent pas
toujours de la même manière. Les intérêts sont variables et les
modes de traitement sont inégalitaires.

Auguste Assemblée,

L’inventaire des formes de conflits mondiaux nous ramène


aujourd’hui à une évidente réalité : la variation géostratégique
n’obéit à aucune règle, et elle est en perpétuel mouvement.

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Discours

Les propos sensibilisateurs de Son Excellence monsieur le secré-


taire général Ban Ki-moon dans l’allocution qu’il a prononcée
récemment, lors de l’ouverture du 16e sommet du Mouvement des
pays non-alignés, nous semblent, à ce sujet, très révélateurs. N’a-
t‑il pas souligné, parmi les défis qu’il y a lieu de relever, les diffé-
rends politiques « bien trop nombreux » entre les États membres
du même Mouvement des non-alignés ? N’a-t‑il pas exhorté les
protagonistes de la crise syrienne à immédiatement cesser le feu
et les violences ? Et pourtant, nous ne pouvons que déplorer le
fait que son appel n’ait pas été suivi d’effet. Aujourd’hui encore,
une cinquantaine d’innocents meurent chaque jour et se comptent
maintenant par milliers depuis des mois.

Nous condamnons fermement ces pertes de vies humaines. La


terre continue de fumer de sang innocent, violemment répandu
non seulement en Syrie, mais aussi dans d’autres parties du
monde. Devant cet état de choses et malgré la complexité des
enjeux de ces conflits, notre secrétaire général n’a pas baissé les
bras. Nous ne pouvons que saluer sa détermination à s’atteler,
sans relâche, à la recherche d’une solution négociée. Les États
et autres organisations doivent unir leurs forces pour maintenir
la paix, la stabilité et la sécurité dans le monde. Nous ne pou-
vons pas être des témoins passifs des désastres actuels et futurs.
La république de Madagascar attache une valeur particulière à la
pertinence et à l’importance des principes énoncés dans la Charte
des Nations unies, comme étant une source d’inspiration ainsi
que de renforcement de l’interdépendance entre les nations et les
peuples. Ceci étant, le droit de l’homme, le droit des États, l’État
de droit ainsi que les autres outils internationaux en termes de
réglementation mettent les dirigeants devant leurs responsabilités.
La Société des Nations a défini l’État de droit comme étant un
principe de gouvernance fondé sur la soumission de tout individu
de toute Institution incluant l’État aux lois adoptées et publiées
sans distinction de statut social ni économique, l’égalité de tous
devant une justice indépendante et impartiale, la conformité des
lois nationales aux normes internationales des droits de l’homme.

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Par Amour de la Patrie

Nul ne devrait être au-dessus de la loi, et il faut bannir la culture


de l’impunité.

Les conflits nationaux dépassent aujourd’hui les frontières et ils


deviennent actuellement des problèmes internationaux. La place
de la diplomatie et les négociations internationales sont plus que
jamais confrontées aux difficultés. Les conséquences des diffé-
rends se présentent sous plusieurs aspects, notamment : les pro-
blèmes d’impunité, l’instabilité du monde arabe et musulman, le
cas des pirateries somaliennes, les immigrations clandestines, les
déplacés de guerre, les problématiques des ROM, les confronta-
tions religieuses, les gestions frontalières terrestres et maritimes,
et l’insécurité alimentaire. Force est de constater que beaucoup
reste à faire pour préserver des vies et préserver des humains, car
c’est toujours la population civile qui est la première victime des
conflits et des différends.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Le monde est en pleine mutation et plusieurs pays sont en


situation de transition. Leurs peuples revendiquent un change-
ment et espèrent un développement pérenne. Ces pays doivent être
soutenus, appuyés et non sanctionnés. À ce sujet, permettez-moi
d’évoquer le cas de mon pays : Madagascar. Dans le cadre du
processus de sortie de crise politique, grâce aux implications des
organisations de la SADC, le soutien de l’Union africaine, l’appui
de la Commission de l’océan Indien et de l’Organisation inter-
nationale de la francophonie, la feuille de route a été signée et
adoptée par les partis politiques malgaches en septembre 2011.
Ainsi, plusieurs étapes significatives ont été franchies. Les partis
malgaches ont honoré leurs engagements. Toutes les institutions
de la transition ont été mises en place, notamment un gouver-
nement d’union nationale et le parlement de la transition. Cette
feuille de route, qu’on peut qualifier d’« accord politique », nous
a permis ainsi de déclencher le processus électoral. Madagascar a
besoin de prendre en main son destin, d’écrire sa propre histoire,
d’en finir avec le cycle d’instabilité politique à travers l’organisation

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Discours

d’élections crédibles et transparentes, garanties par la mise en


place de la Commission électorale nationale indépendante pour
la transition (CENIT). Et de concert avec les experts des Nations
unies, les échéances électorales à Madagascar ont été officiellement
proclamées, dont la tenue des élections présidentielles prévues le
8 mai 2013.

Je lance ainsi un appel solennel à tous les partenaires inter-


nationaux, à tous les pays membres et amis de Madagascar, à
nous soutenir et nous appuyer dans cette démarche qui est la
seule voie la plus démocratique au monde. Profondément attaché
aux valeurs de solidarité, de tolérance et de paix, Madagascar est
actuellement en quête d’un développement rapide et d’un avenir
meilleur. Durant ces trois ans et demi de transition, et en dépit
de toutes les tentatives de déstabilisation, nous veillons chaque
jour sans relâche à tenir nos engagements et assurer la protection
de nos compatriotes, tout en palliant aux problèmes sociaux. En
dépit de cette conjoncture éprouvante, et malgré la suspension des
aides et des subventions internationales, qui représentaient 60 %
du budget de l’État, nous avons pu faire fonctionner l’Administra-
tion normalement et honorer tous nos engagements ainsi que nos
dettes. Madagascar fait certes partie des pays les moins avancés,
mais néanmoins, il fait partie des pays les moins endettés dans
le monde, car son taux d’endettement s’élève à seulement 5 % du
PIB, par rapport à d’autres pays dont le taux atteint jusqu’à 238 %
du PIB. Il est donc possible de développer notre pays et de créer
notre richesse à travers nos propres richesses.

C’est le défi que nous relevons. Il est maintenant plus que temps
de procéder à la réforme en profondeur d’un système efficace, res-
pectueux, à la hauteur des attentes de nos populations respectives,
sans oublier évidemment la nécessité de doubler, voire tripler, les
engagements dans la lutte contre la pauvreté et le développement
durable. Ici, aujourd’hui, je lance un appel à la solidarité inter-
nationale à acheminer cette transition vers la construction d’un
avenir plus prometteur, sans nous asphyxier !

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Par Amour de la Patrie

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Le peuple malgache a besoin de son indépendance pleine et


entière pour parvenir à des élections transparentes, donc démocra-
tiques. Je sais qu’au fond de vous-mêmes, tous ici présents, vous avez
la volonté de nous apporter votre soutien. Alors, permettez-moi
de vous donner la solution. La meilleure façon de nous aider
consisterait à nous faire confiance, à respecter vos engagements
et à nous laisser assumer nos responsabilités. Au nom des valeurs
et des principes universels, toute personne remplissant les condi-
tions d’éligibilité dictées par la loi a le droit d’exercer pleinement
cette liberté. C’est un principe fondamental et tout État se doit
de le respecter. Seul le peuple malgache décidera souverainement
qui devra conduire son destin, et non l’influence d’un pays et des
pressions extérieures. Seul le peuple malgache choisira celui ou celle
qui dirigera Madagascar. Faites confiance au peuple malgache et
il vous en sera reconnaissant.

En instaurant la confiance mutuelle, qui est une règle de base


de toutes les négociations internationales, les notions de non-­
ingérence et de respect de la souveraineté de chaque pays sont
parmi les moyens à la fois essentiels et pacifiques pour la construc-
tion d’une paix durable. Des efforts doivent être fournis pour faire
cesser les inégalités de traitement des pays en crise politique. Il faut
prendre connaissance de la réalité sur le terrain et de l’aspiration
populaire, pour ne pas se tromper sur la décision à prendre.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Malgré nos désaccords et nos divergences de points de vue, sur


la façon de parvenir à un règlement pacifique de nos conflits, Nous,
pays membres de l’Organisation des Nations unies, sommes una-
nimes quant à notre ferme désir de paix. Le système des Nations
unies ne pourrait continuer à être la police du monde. Il devrait
être aussi porteur d’espoir et de valeurs. Notre société a besoin
d’exister et de se reconnaître à travers ses propres valeurs. Car ce
sont les malaises sociaux et économiques, les injustices et l’absence

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Discours

de protection des populations vulnérables, ainsi que l’intolérance


des minorités qui sont souvent les sources d’éclatement d’un
État. Dans la limite de ses modestes moyens, la république de
Madagascar est déterminée à apporter sa pierre à l’édifice pour la
réalisation de nos objectifs communs. L’accord de paix est ainsi
fragile et appelé à évoluer.

Comme nous rappelle Martin Luther King, je cite : « Tous les


progrès sont précaires et la solution d’un problème nous confronte
à un autre problème. »

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Nous avons le devoir et la responsabilité d’assurer un meilleur


avenir pour la génération future. La stabilité mondiale doit passer
par la tolérance, l’entraide, la création et le partage équitable de
richesses, par la réduction de la pauvreté, par le développement
pérenne et la réconciliation. Les principes d’ajustement ou de
règlement des différends internationaux par des moyens pacifiques
doivent passer par le retour à nos valeurs, l’équilibre et la parité
des genres, et nécessairement par l’alternance démocratique.

Masina ny tanindrazana! (« Que Dieu bénisse notre nation ! »)

Je vous remercie de votre aimable attention.

Andry Rajoelina
Président de la transition de Madagascar

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Composition et mise en pages
Nord Compo à Villeneuve-d’Ascq

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Imprimé en
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