CST 33 03 Frankhauser
CST 33 03 Frankhauser
CST 33 03 Frankhauser
LA GEOMETRIE FRACTALE -
UN NOUVEL OUTIL POUR EVALUER LE ROLE DE LA
MORPHOLOGIE DES RESEAUX DE TRANSPORT PUBLIC DANS
L'ORGANISATION SPATIALE DES AGGLOMERATIONS
INTRODUCTION
L'étalement des villes lié à une désagrégation des tissus urbains est devenu
une préoccupation principale de l'urbanisme. La péri-urbanisation a conduit
non seulement à une consommation d'espace inquiétante, mais elle a aussi
induit une augmentation de la longueur des déplacements quotidiens surtout
automobiles dont le corollaire est une progression de la pollution
atmosphérique qui souvent dépasse les seuils acceptables (FOUCHIER,
1995). Une autre conséquence de l'éclatement des zones bâties est
l'allongement des réseaux d'alimentation en eau et d'assainissement qui
causent des frais de gestion élevés. Il paraît donc indispensable de réfléchir à
l'organisation spatiale des tissus bâtis en liaison avec les problèmes de
déplacement. La répartition spatiale des zones bâties et l'architecture des
réseaux sont donc indissociables ce que G. DUPUY a bien mis en évidence
(1991).
42 les Cahiers Scientifiques du Transport - N° 33-1998
4 Un plan circulaire augmenterait la distance moyenne aux axes ou conduirait, si l'on exige une
certaine distance moyenne, à une augmentation du nombre d'axes.
48 les Cahiers Scientifiques du Transport - N° 33-1998
5 La structure fractale de la Figure 4b met bien en évidence ce phénomène : les espaces vides
ne sont traversés que par quatre axes principaux.
50 les Cahiers Scientifiques du Transport - N° 33-1998
6 Toutefois la remarque d'Alain SALLEZ à ce sujet paraît révélatrice. Après avoir mis en
évidence le caractère symbolique du cercle, il conclut que ce n'est "certainement pas l'effet
d'un hasard si les géographes et les urbanistes, les architectes-utopistes et les économistes, de
VON THÜNEN à la Nouvelle Economie Urbaine, ont choisi le cercle dans leurs
représentations idéales et théoriques de la ville". Notons également qu'une des hypothèses de
la NEU reprend les observations géographiques connues concernant la décroissance de la
densité résidentielle en fonction de la distance au centre.
P. Frankhauser, C. Genre-Grandpierre - La géométrie fractale... 51
8 L'analyse fractale de ce plan a d'ailleurs mis en évidence son caractère parfaitement fractal
(Figure 2).
P. Frankhauser, C. Genre-Grandpierre - La géométrie fractale... 53
laquelle la taille des éléments, donc des branches du réseau, soit inférieure à
ε ; en passant à une plus haute étape, on obtiendrait un réseau hypertrophié
par rapport à la demande réelle9, qui se satisfait de stations éloignées de
300 m des maisons. Nous posons donc
ε = l (≈ 300 m) (2)
Ceci justifie aussi l'hypothèse que les stations soient situées appro-
ximativement à une distance ε sur les lignes. Nous désignons ces endroits
comme nœuds du réseau. A l'étape n, ces arrêts sont situés aux extrémités de
toutes les croix de taille ε = l n . En outre nous supposons des stations
localisées aux extrémités des branches ainsi qu'aux intersections des lignes.
9 En interrompant l'itération à une certaine étape, la structure engendrée n'est pas une fractale
dans le sens mathématique du terme ce qui vaut pour toute structure réelle. MANDELBROT
(1983) désigne de telles structures comme « préfractales ».
P. Frankhauser, C. Genre-Grandpierre - La géométrie fractale... 55
10 En effet, on vérifie que l'on obtient pour la surface desservie la fractale désignée comme
tapis de SIERPINSKI, utilisée comme modèle de référence dans plusieurs publications
(FRANKHAUSER, 1994). Les paramètres sont en effet identiques à ceux du réseau discuté.
56 les Cahiers Scientifiques du Transport - N° 33-1998
bncarre = 5n ≈ 2,23n
bnligne = 5n (7)
donc
bncarre < bnfractal < bnligne (8)
D'autres indices révélateurs sont la distance moyenne au centre et la distance
moyenne à la bordure qui caractérise, elle, l'accessibilité des zones vertes.
12 Pour donner un exemple plus parlant : trois couleurs ne peuvent être présentes qu'à un point
isolé où trois secteurs de couleur différentes se touchent.
58 les Cahiers Scientifiques du Transport - N° 33-1998
centre principal
centre de premier ordre
centre de second ordre
centre de troisieme ordre
Sur ces réseaux, nous supposons un centre principal au milieu et nous créons
un nombre équivalent à celui du réseau fractal de sous-centres de différents
ordres. Pour le réseau linéaire il est facile de répartir les sous-centres de
façon homogène. Dans le réseau quadratique nous avons choisi une
répartition qui minimise au mieux les distances, et qui est donc optimale en
termes d'accessibilité. Pour le premier ordre de sous-centres, il existe
néanmoins des zones qui sont moins bien desservies, situées en marge du
60 les Cahiers Scientifiques du Transport - N° 33-1998
centre principal
centre de premier ordre
centre de second ordre
centre de troisième ordre
P. Frankhauser, C. Genre-Grandpierre - La géométrie fractale... 61
13 Nous n'avons pas pris en compte les intersections dans les 625 éléments, puisqu'elles ne
font plus partie de la hiérarchie proprement dite.
62 les Cahiers Scientifiques du Transport - N° 33-1998
E et F, mais que l'on accepte un certain détour pour desservir également les
villes C et D. De plus se trouvent sur ce trajet d'autres villes de moins grande
importance AB, AE, BA, BE, etc. Supposons maintenant que nous acceptons
un allongement moins important pour relier d'autres communes AC, AD, BC,
BD, etc. situées à une distance ε du réseau. On obtient ainsi le réseau en
deuxième étape d'itération. Une telle structure répond également à des
critères d'optimisation : l'allongement du réseau assure ainsi l'accessibilité
d'un nombre croissant d'endroits, cependant il est évident que la tortuosité
allonge les trajets : ainsi, dans le cas de la Figure 7, la longueur totale est à
5
chaque étape d'itération multipliée par le facteur .
3
L'allongement relatif le plus important est obtenu par une itération qui
couvre finalement de façon compacte la surface entière et dont la dimension
fractale est donc deux. Il s'agit de la courbe de PEANO. Cette structure est le
modèle antagoniste d'une courbe régulière de dimension un. En interprétant
cette structure comme un réseau de transport on pourrait dire qu'il s'agit d'une
seule ligne sans ramification qui dessert de façon équivalente la totalité de la
surface à l'intérieur d'une certaine zone. En effet, en atteignant la dimension
deux, l'aspect hiérarchique a disparu et on retrouve une structure homogène.
Figure 7 : La figure a montre un générateur « tortueux » et la figure b la
seconde étape d’itération. Comme les paramètres du générateur sont les
mêmes que pour le réseau de la Figure 4, les dimensions fractales sont
égales, d’où l’intérêt d’introduire des mesures supplémentaires
Ces exemples montrent non seulement la grande variété de réseaux qu'il est
possible de concevoir à partir de la géométrie fractale sur un plan
morphologique, mais aussi le lien étroit entre la notion d'optimisation et
l'approche fractale.
fractale associée à cette méthode porte son nom. Par son aspect visuel14, ce
type d'analyse permet de comprendre de quelle manière on obtient une
information sur la fractalité et l'intérêt que représente cette mesure pour
comparer la morphologie de différentes structures. Pour illustrer ce type
d'analyse, nous prendrons comme exemple l'étude du semis d'arrêts de bus à
Besançon.
A partir du relevé de la disposition des stations, symbolisées par des points,
on remplace chaque point par un disque noir dont le diamètre ε est agrandi à
chaque étape du processus de dilatation. Plus les stations sont proches les
unes des autres, plus les disques se joignent rapidement et la zone devient un
agrégat noir. Les agrégats ainsi formés constituent les secteurs les mieux
desservis.
Parallèlement, chaque itération fait apparaître un niveau supérieur de la
hiérarchie des espaces laissés vides, donc non desservis. Ainsi la méthode
met en évidence la non-homogénéité de la distribution et si celle-ci est
hiérarchique, son caractère fractal.
La surface noircie, répertoriée à chaque étape permet de mettre en évidence
le caractère fractal du réseau et de déterminer la dimension de Minkowski.
Suivant la logique discutée on obtient le nombre N ( ε ) en divisant la surface
noircie par la surface d'un disque de taille ε . La représentation graphique de
la relation (10) permet d'étudier le comportement fractal du réseau et
éventuellement de déterminer la dimension fractale qui est égale à la pente de
cette courbe.
Sur l'exemple de Besançon, on remarque une déviation de la loi fractale :
plus la taille des carrés est importante, plus la pente s'accentue, la surface
noircie a ainsi une distribution de plus en plus homogène au fil des itérations
puisque la valeur de D s'approche de deux. Des deux réseaux, celui qui
possède la distribution la plus homogène est donc celui dont la pente de la
courbe est la plus importante. En revanche, un point isolé aurait la dimension
zéro, en concordance avec la définition topologique habituelle.
Les éventuelles ruptures dans le comportement fractal permettent de voir à
quelle distance moyenne entre arrêts, l'organisation spatiale change. En
superposant les plans où figurent les stations dilatées jusqu'à une certaine
étape (correspondant par exemple à 300 m), à un plan représentant la surface
bâtie bisontine, on obtient un zonage du bâti en fonction de la proximité aux
stations. En superposant ensuite ce zonage à une carte de la population de la
14 Cet aspect est aussi utilisé en imagerie et la morphologie mathématique recourt également à
la dilatation dans un contexte différent.
70 les Cahiers Scientifiques du Transport - N° 33-1998
L'analyse radiale
Ce type d'analyse permet d'étudier la variation de la desserte en fonction de
l'éloignement à un centre. On entoure un point, choisi comme centre, de
cercles de rayon ρ croissant et on détermine la longueur L( ρ ) du réseau
présent dans ces cercles. Si le réseau suit une distribution fractale, on obtient
une relation linéaire entre log ( ρ ) et log L( ρ ) , analogue à (10). La dimension
fractale indique dans quelle mesure la qualité de desserte diminue à partir du
centre choisi.
Les ruptures apparaissant dans les courbes d'analyse indiquent les variations
qui s'opèrent dans la dilution radiale du réseau à partir du centre, par exemple
le passage d'une logique de couverture dans une zone centrale (D proche de
deux) à un logique plus radiale visant à relier au centre les sous-centres de la
périphérie (D proche de un) (BENGUIGUI, DAOUD, sd). En général, on
observe que les réseaux de type R.E.R., dont la fonction est de concentrer les
flux vers une agglomération, suivent plus que les réseaux intra-urbains un
principe de décroissance radiale régulière (FRANKHAUSER, 1994), la
méthode s'avère donc surtout utile pour des analyses à une échelle régionale
(FRANÇOIS, 1997).
Comme l'on montré DAOUD et BENGUIGUI (sd), ce type d'analyse peut
également servir pour l'étude du réseau de stations, afin de voir si la desserte
effective assurée par les stations suit le même principe de dilution que le
réseau constitué de lignes, donc s'il y a concordance entre les deux
morphologies. Enfin pour introduire une information sur l'espace à desservir,
on peut mettre en relation la surface bâtie et le réseau correspondant. Pour
cela on réalise des analyses radiales à partir d'une représentation du bâti, pour
les mêmes centres que pour le réseau. Puis, on construit un graphe sur lequel,
on représente en abscisse le logarithme de la surface bâtie comprise dans des
cercles de rayon ρ et en ordonnée le logarithme de la longueur totale du
réseau présent dans ces mêmes cercles. Dans ce cas la pente de la courbe
donne le rapport des dimensions des deux structures. Si cette pente est égale
à un, réseau et bâti suivent les mêmes principes de dilution, par contre des
ruptures dans la courbe indiquent que les systèmes d'organisation changent
l'un par rapport à l'autre. Par exemple une pente inférieure à un indique que le
P. Frankhauser, C. Genre-Grandpierre - La géométrie fractale... 71
L'analyse du quadrillage
Si l'analyse radiale permet d'analyser, à partir d'un centre, l'organisation du
réseau, l'analyse du quadrillage caractérise la desserte de façon globale dans
une zone. Un tel type d'information semble particulièrement adapté aux
études intra-urbaines. Il est en effet possible de distinguer les parties d'un
réseau selon le caractère plus ou moins homogène de la distribution de ses
branches. Cela revient à qualifier la desserte dans une zone sans faire
référence à un centre particulier. On obtient ainsi une connaissance sur l'aire
effectivement desservie et sur le degré de non-homogénéité de cette desserte.
Pour le calcul, on choisit la partie du réseau à étudier et on la couvre d'un
quadrillage dont on fait varier la taille des mailles. On détermine ensuite
pour chaque taille le nombre de mailles qui contiennent des branches du
réseau. Pour les grandes tailles toutes ou presque contiennent encore des
branches du réseau, puis, plus les tailles diminuent, plus le nombre de
mailles vides augmente, si le réseau n'est pas distribué de façon
rigoureusement homogène. On étudie ainsi le réseau à travers les échelles,
telles qu'elles sont définies par la taille des mailles. On met enfin en relation
dans un graphe double logarithmique la taille des mailles et le nombre d'entre
elles occupées selon la relation (10). La valeur de la pente de cette courbe
indique la dimension fractale, désignée comme dimension du quadrillage.
En faisant varier de façon systématique la position de la fenêtre d'analyse, on
calcule des valeurs de dimension pour les différentes positions. Il est alors
possible de répertorier sur une carte les dimensions fractales obtenues pour
chaque fenêtre. Ceci est réalisé en associant à chaque valeur de la dimension
un niveau de gris où un noir foncé correspond à la valeur deux et la couleur
blanc à la valeur zéro. On obtient ainsi une carte qui indique pour un réseau
la variation du degré d'homogénéité de la desserte telle qu'elle est représentée
dans la Figure 8.
Des investigations sur la répartition des arrêts de bus à Besançon (GENRE-
GRANDPIERRE, 1995) ont permis de montrer que l'information transcrite
par la dimension fractale est différente de celle de la densité, elle est surtout
plus discriminante. Ainsi si on établit une carte de densité selon la procédure
utilisée pour la carte de dimension, on remarque des similitudes, mais on
constate aussi que la carte de dimensions distingue des zones ayant des
valeurs de densité identiques. L'information obtenue est donc de nature
différente. En comparant ces secteurs on constate que, si la masse totale dans
72 les Cahiers Scientifiques du Transport - N° 33-1998
Le choix de la taille des fenêtres d'analyse peut aussi influencer les résultats
de l'analyse : une grande fenêtre correspond par exemple à un lissage
important, les variations du degré d’homogénéité à l'intérieur de la fenêtre
n'apparaissent plus. Chaque taille de fenêtre apporte donc une information
particulière. Une petite fenêtre peut servir à étudier la situation au niveau de
l'îlot, pour une plus grande fenêtre on obtient une information au niveau du
quartier… Là encore, en réalisant ce même type d'analyse pour le bâti, on
peut mettre en relation la répartition du bâti et celle du réseau afin de juger
de la concordance entre les deux systèmes spatiaux.
P. Frankhauser, C. Genre-Grandpierre - La géométrie fractale... 73
N ( λ ) = λβ (11)
séparant ces mêmes points. Les résultats montrent que l'indice permet
effectivement de classer morphologiquement les réseaux, puisqu'il
s'approche de plus en plus de un lorsque le réseau devient de plus en plus
complet. Si ce résultat semble trivial pour des réseaux simples, il n'en est pas
de même pour des réseaux plus complexes où il est très difficile d'évaluer
quelle morphologie est la plus optimale du point de vue de la configuration
des tracés des trajets.
Figure 9 : Les réseaux simulés pour étudier l’information obtenue par
l’indice γ
CONCLUSION
Nous avons pu constater que l'utilisation de la géométrie fractale est une
approche qui peut s'avérer utile dans une palette large d'applications aux
réseaux de transport urbains. Son avantage principal résulte de son caractère
géométrique. Celui-ci transcrit dans sa logique un certain type de répartition
spatiale, qui correspond à un modèle non-homogène de l'espace, basé sur un
principe hiérarchique. Un tel concept paraît plus pertinent que les modèles
traditionnels basés sur la notion d'homogénéité pour développer des
structures de référence, par exemple pour des réseaux, qui répondent
P. Frankhauser, C. Genre-Grandpierre - La géométrie fractale... 77
RÉFÉRENCES
BATTY M., LONGLEY P. (1994) Fractal Cities, a Geometry of Form
and Function. Academic Press.
BENGUIGUI L., DAOUD M. (sd) Is the suburban railway system a fractal ?
Soumis à Geographical Analysis.
BERRY B.J.L. (1976) The counter-urbanization process : Urban america
since 1970. In B.J.L. BERRY (ed), Urbanization and Counter-
Urbanization. Sage Urban Affairs Annual Reviews 11.
DERYCKE P.-H. (1992) De la nouvelle économie urbaine à l’économie
publique locale. In P.-H. DERYCKE (éd.), Espace et dynamique
territoriale. Economica.
DERYCKE P.-H., HURIOT J.-M., PUMAIN D. (éd.) (1996) Penser la ville.
Anthropos.
DUPUY G. (1991) L'urbanisme des réseaux. A. Colin.
EBERSTADT R., MÖHRING B., PETERSEN R. (1910) Architekten-
wettbewerb Berlin, chapter « Et in terra pax ».
FOUCHIER V. (1995) La densification : une comparaison internationale
entre politiques contrastées. Les Annales de la Recherche Urbaine, 67.
FRANK H. (1987) Die Überwindung der Stadtbaukunst. In Idee, Prozess,
Ergebnis. Die Reparatur und Rekonstruktion der Stadt. Internationale
Bauausstellung Berlin 1987, Fröhlich und Kaufmann.
FRANÇOIS N. (1997) Méthode d'application de la géométrie fractale à la
description des systèmes de villes et des réseaux de transport. Thèse de
Doctorat, Université Paris 1.
FRANÇOIS N., FRANKHAUSER P., PUMAIN D. (1995) Villes, densité et
fractalité. Les Annales de la Recherche Urbaine, 67(6).
FRANKHAUSER P. (1994) La fractalité des structures urbaines.
Anthropos.
78 les Cahiers Scientifiques du Transport - N° 33-1998