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Revue française de pédagogie

Recherches en éducation
190 | janvier-février-mars 2015
La formation des adultes, lieu de recompositions ?

La formation des adultes, lieu de recompositions ?


Recomposition in adult education?

Jean-Marie Barbier et Richard Wittorski

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/rfp/4672
ISSN : 2105-2913

Éditeur
ENS Éditions

Édition imprimée
Date de publication : 31 mars 2015
Pagination : 5-14
ISBN : 978-2-84788-768-6
ISSN : 0556-7807

Référence électronique
Jean-Marie Barbier et Richard Wittorski, « La formation des adultes, lieu de recompositions ? », Revue
française de pédagogie [En ligne], 190 | janvier-février-mars 2015, mis en ligne le 31 mars 2015,
consulté le 04 janvier 2020. URL : http://journals.openedition.org/rfp/4672

© tous droits réservés


dossier
La formation des adultes,
lieu de recompositions ?
Jean-Marie Barbier
Richard Wittorski

La formation des adultes en France manifeste, singu- d’État2, dans les moyens financiers qui lui sont consa-
lièrement depuis les années 1960, une grande sensibi- crés, dans l’espace social et professionnel qu’elle
lité aux évolutions économiques et sociales, et ceci occupe, dans l’affirmation de sa culture propre. C’est
sous un double aspect : du moins ainsi qu’elle a été vécue par beaucoup de
–– sensibilité aux conjonctures économiques. Il suffit professionnels du champ.
pour s’en convaincre d’examiner l’évolution des dépenses Nous faisons l’hypothèse qu’à l’inverse, en élargis-
de formation jusqu’aux années 19901 et de relever notam- sant son périmètre propre et ses systèmes de réfé-
ment leur caractère cyclique dans le cas des dépenses des rence, en se rapprochant d’autres champs profession-
entreprises ou contre-­cyclique dans le cas des dépenses nels relevant des « métiers sur les métiers » (manage-
publiques. Cette situation s’est accompagnée d’un dis- ment, ergonomie, conseil, soin, communication, etc.),
cours politique sur la formation comme levier de transfor- bref en se « recomposant » ­elle-même, la formation des
mation économique et sociale, alors que probablement adultes participe de façon plus forte encore aux trans-
elle ne faisait qu’accompagner des évolutions en cours ; formations économiques et sociales en cours. Mieux,
–– sensibilité également aux dynamiques d’acteurs, à parce qu’elle contribue directement aux constructions-­
leurs tensions et convergences ; situation qui a pu égale- reconstructions des sujets humains, elle constitue pro-
ment lui donner une place importante dans les relations bablement un lieu privilégié de formalisation des nou-
entre partenaires sociaux. velles cultures d’action économique et sociale et des
Au détour des années 1990, cette situation semble nouvelles cultures de recherche et d’éducation valori-
avoir changé. La place de la formation des adultes sées depuis les années 1990. Nous entendons par
comme champ autonome s’est apparemment affai- « cultures d’action » des « modes évolutifs et partagés
blie : dans la place qui lui est accordée dans l’appareil entre plusieurs sujets d’organisation des constructions

2 Au début des années 1970, la formation professionnelle dépen-


1 Annexe annuelle à la loi de Finances-Formation professionnelle. dait des services du Premier ministre. 5-14
de sens autour de, à partir de, sur et pour des activités sur le vocabulaire de l’autonomie et de la responsabi-
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dans lesquelles ils sont engagés » (Barbier, 2011). lité. Il est demandé aux sujets d’être les acteurs et les
Cette contribution s’attache ainsi à présenter auteurs de leur propre vie.
quelques transformations significatives du champ de Dans les discours des institutions publiques, on peut
la formation des adultes telles qu’elles sont perçues ainsi relever une inflexion des positions affichées s’agis-
par les observateurs et les acteurs du secteur concerné sant du rapport attendu entre citoyens et institutions,
et à examiner cette nouvelle situation à l’aune de la privilégiant une prise en main plus grande par le citoyen
notion de « culture d’action » (Barbier, 2010) successi- ­lui-même d’un ensemble de démarches sans tout
vement aux trois niveaux distingués : attendre des institutions. Par exemple, s’agissant des
–– les transformations des cultures d’action écono- personnes privées momentanément ou durablement
mique et sociale ; d’un emploi, le chômeur doit faire preuve de « mobilité,
–– les transformations des cultures d’action de de dynamisme, d’autonomie, de ­savoir-être, de commu-
recherche ; nication et d’ouverture ». Il doit montrer qu’il recherche
–– les transformations des cultures d’action éducative. activement un emploi et non plus attendre qu’on lui en
Ces transformations expliquent l’apparition de propose un. Dans les secteurs privés, notamment les
nouvelles questions de recherche dans le champ de la secteurs industriels, il n’est pas rare d’entendre les chefs
formation des adultes, par exemple l’intérêt prononcé d’entreprise s’exprimer très différemment du passé
pour la thématique de la professionnalisation, pour concernant la contribution des individus au travail, ce
l’étude des rapports entre activité et expérience, ou qui traduit le passage de la conception d’un salarié « dis-
encore entre savoirs et compétences… Ces intérêts de cipliné » (système taylorien) à un salarié « doué d’autono-
recherche vont structurer les contributions du dossier mie, de responsabilité » dans des organisations du travail
proposé, ­celles-ci faisant par ailleurs l’objet d’une pré- plus « flexibles ». Ainsi au début des années 1990, le res-
sentation en dernière partie du texte. ponsable d’une grosse entreprise de textile qui fonction-
nait jusqu’alors selon le modèle taylorien, laissant peu
d’initiative à ses salariés, disait : « On veut que les
Formation des adultes employés sachent prendre des décisions sur leur travail »,
et transformation des cultures « mon grand principe, c’est que les employés décident
et le management influence ; ce sont les employés qui
d’action économique et sociale ont le pouvoir »3. Dans le secteur de la santé, la loi « Hôpi-
tal, patients, santé et territoires » (2010) demande que les
On observe aujourd’hui, notamment par comparaison soignants transfèrent aux malades chroniques les com-
avec les années 1960, 1970, et pour partie 1980, une pétences d’­auto-soins et psychosociales d’adaptation
transformation profonde des cultures d’action écono- nécessaires à la prévention de la détérioration de leur
mique et sociale, des cultures de gestion de l’activité santé et au maintien de leur qualité de vie.
humaine quel que soit le cadre de cette activité. Se Cette culture de l’autonomie et de la responsabilité
traduisant selon les cas par des vocabulaires ou des trouve dans le monde élargi de la formation des
accents un peu différents, ces nouvelles cultures se adultes, ne se limitant pas à la formation instituée, mais
caractérisent par une grande cohérence d’ensemble. incluant toutes les formes de développement des com-
pétences, une expression et une formalisation très
Cultures de l’autonomie et de la affinées. On peut penser en particulier au développe-
responsabilité, injonction de subjectivité ment considérable des démarches de projet et pour
partie des démarches d’autoformation, qui privilégient
Dans tous les secteurs de la vie sociale, professionnelle la place des sujets dans l’engagement de leur forma-
ou non, on constate une volonté déclarée de « faire tion ou de leur démarche de développement, dans leur
bouger » les individus, de les conduire à être plus finalisation et dans leur performation. Ces démarches
« volontaires » de manière à accompagner l’introduc- méritent une mise en objet par la recherche, comme
tion de nouveaux modes de gouvernance (Conjard s’efforce précisément de le faire ce dossier.
& Devin, 2007). Cette intention s’accompagne d’un
discours et d’un lexique renouvelés pour parler préci-
3 Extrait d’entretiens de recherche réalisés avec le responsable
6 sément de l’activité humaine : on insiste notamment d’une grande entreprise de textile québécoise en 1991.
Nous avons quelques raisons de penser que la moyens dans la production. Ceci pourrait expliquer en

DOSSIER
« montée en puissance » de ces cultures peut s’analyser particulier le rapprochement relatif entre formation et
comme une intervention sociale sur la place des sujets gestion.
dans l’engagement de leur activité. Il s’agit en fait d’une
délégation de responsabilité par les organisations et Cultures du décloisonnement,

La formation des adultes, lieu de recompositions ?


institutions. Cela explique en particulier l’éloignement
économie de services et pilotage
qu’elles affichent par rapport au modèle taylorien, et les
nouvelles proximités entre formation et management. de la production par la demande

De façon générale, les organisations publiques et pri-


Cultures de l’efficience vées tendent à réorganiser leurs activités autour de
et de la performance et pression « pôles » d’activités censés briser les spécialisations et
des organisations sur les engagements ordonner les activités autour d’une logique d’usage.
de moyens Dans le cas des entreprises industrielles, on insiste par
exemple sur l’adaptabilité ; dans les années 1990 une
Concernant les réformes récentes du fonctionnement entreprise de fabrication d’électroménager, par la voix
de l’État depuis le début des années 2000, notamment de son DRH, expliquait : « Nous devons développer
l’introduction de la LOLF (Loi organique relative aux l’adaptabilité de nos salariés, il faut casser les rigidités
lois de finances), de la RGPP (Révision générale des liées aux activités répétitives et favoriser la polyvalence
politiques publiques), on peut lire sur le site du minis- nécessaire dans un contexte plus flexible »4. Dans le cas
tère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction de la réforme hospitalière, l’ordonnance de 2005 met
publique » : « la LOLF, cadre organique de la perfor- en place « une organisation médicale interne simplifiée
mance publique », « La loi organique relative aux lois autour de “pôles d’activités” ou de “pôles de soin” qui
de finances du 1er août 2001 institue de nouvelles règles doivent permettre le décloisonnement de l’hôpital ».
d’élaboration et d’exécution du budget de l’État. Elle En 2008, le rapport Larcher « propose notamment de
introduit notamment une démarche de performance faire évoluer les règles de l’hôpital public pour amélio-
pour améliorer l’efficacité des politiques publiques qui rer son pilotage (transformer le conseil d’administration
permet de faire passer l’État d’une logique de moyens en conseil de surveillance et diversifier sa composition,
à une logique de résultats. Ainsi l’État définit désormais resserrer le conseil exécutif et le transformer en direc-
des missions (grandes politiques publiques) et des toire) » (Larcher, 2008)... Le discours politique se veut
objectifs à atteindre avant de décider des crédits à y ensemblier et favorable à la pluridisciplinarité ; en 2007,
consacrer. Les discussions budgétaires qui conduisent François Fillon, alors Premier ministre, déclarait à pro-
à l’élaboration du budget portent donc non seulement pos de la formation des enseignants : « elle se veut plu-
sur les moyens, mais aussi sur l’efficacité des actions, ridisciplinaire en cohérence avec les objectifs du socle
et donc des dépenses par rapport à des indicateurs commun des connaissances et des compétences ».
concrets définis pour chacun des objectifs fixés ». A­u- Dans le monde élargi de la formation des adultes,
delà de la simple efficacité des politiques est posé le cette culture se traduit dans les multiples formes d’ar-
problème de leur efficience, c’­est-à-dire du rapport ticulation entre formation et travail, ou entre formation
entre moyens mobilisés et résultats obtenus : e­ st-il pos- et activité, mais également par la mise en place de
sible de garantir les mêmes résultats (ou des résultats dispositifs ensembliers, articulant explicitement diffé-
encore accrus) avec moins de moyens ? rents espaces d’activités : « alternance » articulant expli-
Dans le monde élargi de la formation des adultes, citement situations d’enseignement, situations de
cette culture s’exprime notamment à travers le déve- formation et situations de production, blended learning
loppement des démarches d’analyse des perfor- par exemple.
mances, d’évaluation stratégique ou de calcul du retour Le développement de ces nouvelles cultures peut
sur investissement. s’analyser à nos yeux comme s’inscrivant dans des
Resituées dans des transformations économiques transformations économiques et sociales donnant
et sociales plus globales, ces cultures peuvent être
analysées comme un écho et comme une contribution
4 Extrait d’entretiens de recherche réalisés avec le Directeur des
à la pression des organisations sur les engagements de ressources humaines d’une entreprise d’électroménager en 1991. 7
davantage de poids à la demande qu’à l’offre dans le rapproche bien sûr la formation des adultes du monde
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pilotage de la production, à l’inverse de la situation du développement professionnel.


issue des politiques keynésiennes. Le progrès consis-
terait moins dans la spécialisation que dans la Cultures de l’accompagnement
­recomposition. Ceci explique également l’importance
et intervention sociale dans la gestion
accordée aux thématiques du pilotage stratégique, de
la polyvalence, des compétences transversales. Elle par les sujets de leur propre activité
permet de comprendre les rapprochements entre
monde de la formation et monde du développement Une dernière culture de grande extension sociale et
des organisations. professionnelle mérite encore d’être soulignée, c’est la
culture de l’accompagnement qui prend aujourd’hui
de multiples formes : accompagnement des organisa-
Valorisation de l’expérience tions, accompagnement social, accompagnement psy-
et cultures de l’analyse des pratiques chologique, accompagnement professionnel. Guy
Le Bouëdec (2001) définit ainsi la posture générale de
La question de l’expérience, de sa constitution, de son l’accompagnement : « Elle concerne les situations où il
usage et de sa reconnaissance est devenue socialement y a un acteur principal que, d’une manière ou d’une
essentielle, aussi bien pour la professionnalisation, l’op- autre, il s’agit de soutenir, de protéger, d’honorer, de
timisation de l’action, que dans les nouvelles formes de servir, d’aider à atteindre son but ; en aucun cas il ne
régulation sociale. Les responsables nationaux des sys- peut être question de le supplanter en prenant sa place
tèmes d’enseignement et de recherche parlent souvent ou le devant de la scène, ou la direction des événe-
de « retour d’expériences » (Bassy, Dulac, Dulot et al., ments, ou tout simplement en prenant l’initiative. Pos-
2008). Les entreprises lient expérience, compétence et ture modeste donc ; à côté de ; de mise en valeur d’un
professionnalisation et en font un enjeu majeur de leur autre ou d’autre chose ; de service ; de retrait, d’ombre,
développement. Les pouvoirs publics sont confrontés de second plan ; posture essentielle pourtant […] ».
au défi difficile de la validation de l’expérience. Les L’accompagnement est devenu une figure centrale
personnes ­elles-mêmes voient dans la réappropriation du monde de l’éducation et en particulier du monde
de leur histoire une possibilité d’affirmation identitaire. de la formation des adultes qui y apporte des contri-
Beaucoup de « métiers de la société » supposent une butions essentielles notamment dans les domaines du
connaissance des « cadres de l’expérience d’autrui ». tutorat, du coaching, de la médiation, du mentorat, du
À bien des égards, cette question de la construc- counselling.
tion de l’expérience, de son usage et de sa reconnais- Contrairement au discours qu’il tient sur l­ ui-même,
sance constitue l’avenir de la formation des adultes. l’accompagnement peut être considéré comme une
C’est en effet dans son périmètre élargi que se déve- intervention sociale non pas sur le contenu de l’activité
loppent les multiples formes d’analyse, d’évaluation et des sujets, mais sur la gestion par les sujets de leur
d’ingénierie des pratiques, de reconnaissance et de propre activité (Vitali, 2013). Un excellent exemple
validation des acquis expérientiels, d’écriture sur le nous en est donné notamment en matière d’accompa-
travail, de production d’outils personnalisés, de gnement de la validation des acquis.
­formation-action ou de r­ echerche-action. La formation
des adultes s’adresse à des sujets qui non seulement
ont une expérience, mais qui se la reconnaissent dans Formation des adultes
leurs démarches de formation et de développement. et transformation des cultures
Elle peut contribuer aussi à faire reconnaître l’intérêt
de la notion d’expérience y compris pour aborder des d’action de recherche
publics de formation initiale.
À l’analyse, nous pouvons considérer que ces trans- Le paradigme de pensée classique, ordonnant succes-
formations de cultures renvoient encore à des nou- sivement production, transmission et application de
veaux modes de gestion de l’activité humaine privilé- savoirs, a longtemps eu pour conséquence de favoriser
giant la construction de compétences de gestion de sa des cultures de recherche présentant en particulier
8 propre activité et de communication sur elle. Ceci trois caractéristiques :
–– elles ont en dominante pour objectif la connaissance dispositifs de recherche : l’exercice même de la

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du fonctionnement du monde, préalable supposé à sa recherche par les acteurs sur leurs propres activités est
transformation ; souvent considéré aujourd’hui comme une contribu-
–– elles s’autonomisent dans un temps et dans un tion possible à leur construction en tant que sujets
espace spécifiques, différenciant notamment leurs professionnels et sociaux. En tant que champ de

La formation des adultes, lieu de recompositions ?


objets à partir d’un découpage disciplinaire et leurs recherche correspondant à un champ de pratiques :
acteurs (les « chercheurs » versus les « praticiens ») ; avec la montée en puissance de l’analyse des activités,
–– les savoirs qu’elles produisent, constitutifs de « la la formation des adultes comme champ de recherche
science », sont de valeur générale et potentiellement se rapproche d’autres champs de pratiques fonction-
« applicables ». nant également ou susceptibles de fonctionner
À ce modèle vivace, qui reste largement dominant, comme champs de recherche : gestion, soin, travail
s’est ajouté un modèle liant toujours les trois espaces, social, sciences de l’ingénieur, ergonomie. Les uns et
mais selon un mode nouveau, tendant cette fois à arti- les autres tendent à développer des postures épisté-
culer explicitement action, production de savoirs et mologiques, des outils théoriques et des outils métho-
construction des sujets humains. Il présente également dologiques largement communs, dans lesquels le
trois caractéristiques, se différenciant des premières : paradigme constructiviste et les méthodes d’approche
–– les recherches ont pour objectif la connaissance des des activités réelles jouent un rôle essentiel.
processus de transformation du monde : ceci induit
notamment le développement de champs de recherche
correspondant à des champs de pratiques ; Formation des adultes
–– elles peuvent se développer dans les espaces et dans et transformation des cultures
les temps des actions qu’elles ont comme objet, avec leurs
acteurs, et pour partie leurs méthodes ; bref elles « accom- d’action éducative
pagnent » les processus de transformation du monde ;
–– les savoirs qu’elles produisent portent sur des actions En ce qui concerne les transformations propres aux
singulières, « situées » : ils sont immédiatement réinvestis- cultures d’action éducative, le phénomène important
sables dans l’action par ceux qui les produisent. est probablement, à l’intersection des cultures d’action
Plusieurs courants déclinent ces caractéristiques, économique et sociale précédemment décrites, et en
insistant tantôt sur l’indifférenciation des processus de cohérence avec les nouvelles cultures de recherche, le
recherche et des processus de transformation du développement des cultures de la professionnalisation.
monde : ­recherche-action, ­recherche-intervention, L’intention de professionnalisation dans le champ
recherche-développement, recherche profession-
­ de la formation n’est pas nouvelle, mais on constate
nelle ; sur les liens entre acteurs : recherche coopéra- qu’elle fait aujourd’hui l’objet d’une généralisation
tive, recherche impliquée, recherche participante, prescrite par les institutions (européennes, nationales),
recherche partenariale, collaborations praticiens-­ dont on peut repérer quelques manifestations au tra-
chercheurs ; sur le caractère singulier, situé de ses résul- vers par exemple des expressions suivantes :
tats : recherche « clinique », recherche « qualitative », –– la « professionnalisation durable » soutenue au
recherche « située », considérées comme plus proches niveau européen (processus de Bologne et de Lisbonne
des réalités dont on a à connaître les acteurs. Elles s’ins- par exemple), mais aussi les « périodes et contrats de
crivent souvent dans une perspective holiste, pluri-, professionnalisation » prônés par la loi française sur la
inter- ou ­trans-disciplinaire et mettent en discussion le formation professionnelle (loi de 2004 « Formation tout
paradigme classique p ­ ré-cité de la recherche. au long de la vie » et lois suivantes) ;
La formation des adultes, toujours dans un péri- –– la « professionnalisation adaptation » en lien avec les
mètre élargi, joue dans ce contexte un rôle important. évolutions s­ ocio-économiques permanentes (flexibilité
D’abord en tant qu’objet de recherche : dans l’univers et recherche d’adaptabilité des individus, mais aussi
des activités professionnelles, les activités éducatives d’une sécurisation des parcours…) ;
représentent un champ considérable, tant par leur –– la « professionnalisation des métiers en évolution »
étendue que par leurs enjeux, même si les investisse- ou en émergence (métiers de la médiation sociale, des
ments effectivement consentis ne sont pas toujours à services à la personne) s’accompagnant d’un débat
la hauteur de ces enjeux. En tant que « dimension » des entre militantisme et professionnalisation… 9
Peu de dispositifs de formation ne se réclament pas dans le cadre de partenariats avec des entreprises.
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aujourd’hui d’une visée professionnalisante. Portée à la Comme toutes les cultures d’action, les cultures de
fois pas les orientations nationales et ­européennes la professionnalisation montrent ainsi les caractéris-
s’agissant de l’organisation de la formation initiale et tiques d’ambiguïté fonctionnelle qui sont liées bien
continue et prônée par les secteurs privés, la profession- entendu au fait que les dispositifs proposés sont adres-
nalisation a à l’évidence le vent en poupe. sés et doivent « prendre sens » par rapport à une diver-
On peut penser toutefois que les cultures de la sité d’acteurs et de logiques.
professionnalisation, en dehors du concept classique
de professionnalisation dans la sociologie des profes-
sions, peuvent être entendues en deux sens, souvent De nouveaux thèmes de recherche
complémentaires : à la frontière de plusieurs champs
–– comme mode d’articulation plus étroite entre travail
et formation : il s’agit alors de faire en sorte que la réali-
sation du travail soit, dans le même e­ space-temps, occa- Comme champ de recherche, la formation des adultes
sion de se former (formations intégrées au travail, forma- s’est assez naturellement déployée à partir des ques-
tion en situation de travail, f­ ormation-action) ou qu’il tions qui se sont posées aux praticiens de la formation
s’agisse de mettre en place des moments de réflexion structurant ainsi au moins deux traditions de recherche :
rétrospective ou anticipatrice à propos de l’activité (ana- d’une part, des recherches en compréhension portant
lyse de pratiques, groupes de pairs par exemple) dans le par exemple sur les caractéristiques singulières des
cadre ou non de démarches de qualité ; adultes en formation (par différence avec les enfants/
–– comme qualification de la finalité de l’offre de forma- adolescents du système scolaire…) et, d’autre part, des
tion par rapport au travail : les milieux de la formation ­recherches-intervention accompagnant la définition
cherchent à mettre en évidence le caractère profession- des méthodes spécifiques d’intervention auprès des
nalisant de leur offre de formation de manière notam- adultes (y ­a-t-il une pédagogie des adultes ?...). L’un des
ment à influer sur la perception que leurs clients peuvent enjeux et défis de ce champ de recherche est donc bien
avoir de l’efficacité des dispositifs qu’ils mettent en de transformer des enjeux et concepts sociaux (par
œuvre, en vue d’améliorer la place et la légitimité de exemple ceux de l’individualisation, du ­e-learning…)
leurs pratiques de formation. De ce point de vue, la pro- en enjeux et concepts scientifiques par la production
fessionnalisation constitue un enjeu fort de visibilité ou d’un discours autonome mettant en objet les pratiques
d’affichage social pour les milieux de la formation, en sociales et susceptible de proposer au final des outils
lien souvent avec l’introduction de démarches qualité. de lecture de ces pratiques.
En ce qui concerne les dispositifs déployés, on Depuis quelques décennies, des orientations nou-
constate qu’ils reposent souvent sur des conceptions velles internationales (OCDE), européennes (Bologne
différentes de la professionnalisation : en 2000) et nationales (lois de 2004 et 2009 notam-
–– un débat concernant la relation « ­formation-e­mploi- ment) insistent davantage, comme nous l’évoquions
f­ormation-métier » opposant une conception « adéqua- plus haut, sur la « nécessaire » contribution de la
tionniste » valorisant l’idée d’une formation pour un ­formation à une meilleure efficacité économique et
métier ou visant le développement de compétences incitent à mettre en place des modalités de formation
dites « spécifiques » et une conception « transversaliste » différentes : vers le « sur mesure », vers une articulation
valorisant l’idée d’une formation pour plusieurs emplois plus grande entre situations de travail et situations de
et métiers, en cohérence avec des orientations euro- formation, vers l’individualisation et la gestion de par-
péennes, et visant le développement de compétences cours, vers la modularisation de l’offre de formation,
dites transversales ou transférables ; vers la formation à distance… En lien avec ces inten-
–– un débat concernant les traits qui caractériseraient tions et les pratiques nouvelles qui en découlent, la
une formation professionnalisante ; pour certains serait recherche en formation des adultes a tendance à se
professionnelle une formation débouchant sur un déployer sur des objets nouveaux : à côté des premiers
emploi ; pour d’autres serait professionnelle une forma- travaux portant par exemple sur l’adulte en formation
tion donnant place à la pratique et à des savoirs dits et les méthodes d’intervention, on voit apparaître un
« opérationnels » ; pour d’autres enfin serait profession- intérêt grandissant à la fois, et de façon probablement
10 nelle une formation faisant intervenir des professionnels complémentaire, pour la compréhension des rapports
entre évolution du travail, évolution des organisations prentissage qui traversent les milieux de la formation,

DOSSIER
et évolution des formes de la formation, pour le pas- il mentionne ensuite en quoi ces concepts et théories
sage d’une logique de formation à une logique de contribuent à la rénovation des visions de la formation
professionnalisation, pour les rapports entre activité et autorisent à en mieux penser l’efficacité, p ­ ar-delà
et expérience, entre savoirs et compétences… effets de mode et emballements techniques ou péda-

La formation des adultes, lieu de recompositions ?


Ces questions de recherche nouvelles n’intéressent gogiques éphémères. La question proprement péda-
pas seulement le champ de la formation des adultes, gogique de l’intervention « facilitante » sera enfin
elles intéressent également le champ de la formation ébauchée avant de conclure par une proposition de
initiale lorsqu’elle se préoccupe de façon principale de cadre conceptuel pour une psychopédagogie des
l’activité, qu’il s’agisse de l’activité de l’élève ou de l’ac- adultes renouvelée.
tivité des enseignants et mieux encore de leurs inte- Dans un texte intitulé « De l’évaluation à la recon-
ractivités, et des constructions identitaires qui s’y naissance professionnelle en formation », Anne Jorro
opèrent : par exemple, la question du passage d’une s’intéresse à la question de l’évaluation, qui a tendance
logique de formation à une logique de professionna- à se présenter sous un nouveau jour au vu des recom-
lisation ; liens entre expérience et apprentissages, etc. positions évoquées précédemment. Ainsi, en tant que
Les contributions qui suivent permettront d’abon- pratique ­ socio-professionnelle, l’évaluation est au
der ­quelques-unes de ces questions. Dans un premier centre de vives controverses dans le champ des sciences
texte intitulé « Les transformations des relations entre humaines et sociales. Cette pratique suscite en particu-
travail, éducation et formation dans l’organisation lier des interrogations dans le contexte des formations
sociale contemporaine : questions posées par trois universitaires professionnalisantes. Présentée comme
dispositifs analyseurs », Patricia Champy-Remousse- source de contraintes, voire de soumission pour les
nard propose un certain nombre de pistes d’analyse acteurs quand la technique d’enquête devient une fin
pour comprendre ce qui caractérise actuellement les en soi, l’évaluation peut cependant également être étu-
relations renouvelées entre l’éducation, la formation diée dans une visée de développement professionnel
et le travail en focalisant notre regard sur le rapport et organisationnel. Au regard de ces contrastes, cet
des acteurs à l’activité de travail. Les termes en usage article vise à mettre en regard une évaluation tournée
pour désigner ces faits sociaux, les évolutions en cours vers des procédures normées avec une évaluation qui
les plus sensibles dans le champ des activités profes- relève de la reconnaissance et qui favorise le dévelop-
sionnelles, la quête d’adéquation entre formation et pement professionnel des acteurs en situation de for-
emploi et les logiques de professionnalisation, de com- mation. La reconnaissance professionnelle interroge les
pétences et d’évaluation et le développement de trois démarches évaluatives dans leur format technique et
dispositifs propres à analyser les évolutions de ce que managérial. Elle constitue une manière de comprendre
l’auteure envisage comme des faits sociaux interdé- et d’agir dans les milieux de formation dans un proces-
pendants seront étudiés. sus d’accompagnement des acteurs. En ce sens, le para-
Pour sa part, le texte de Philippe Carré intitulé « De digme de la reconnaissance inaugure un mouvement
l’apprentissage à la formation. Pour une nouvelle psy- de singularisation dans lequel l’évaluation joue un rôle
chopédagogie des adultes » part du postulat selon de révélateur de l’éthos professionnel des acteurs.
lequel une partie du monde de la formation diffuse et Marc Durand et Germain Poizat, pour leur part,
entretient un contresens psychologique et pédago- mettent l’accent sur l’utilisation de l’analyse de l’activité
gique en subsumant le processus d’apprentissage des en formation des adultes. Cet article, intitulé « Analyse
adultes sous la pratique de la formation. À partir de de l’activité humaine et éducation des adultes : faits et
constats établis sur ces questions au plan international, valeurs dans un programme de recherche finalisée »,
l’auteur cherche à confirmer cette priorité à propose une approche de la formation des adultes cen-
l’« apprendre » dans la compréhension des faits de for- trée sur l’analyse de l’activité humaine. Il présente deux
mation d’adultes et la recherche d’efficience des pra- parties articulées. La première décrit dans un premier
tiques. Pour ce faire, cet article pose un bref rappel des temps les fondements théoriques de cette approche
définitions, puis l’hypothèse d’une « erreur pédago- dans une perspective de formation professionnelle, et
gique fondamentale » dans les conceptions courantes en détaille les concepts principaux, notamment : acti-
et, parfois, expertes de la formation des adultes. À vité, couplage a­ cteur-environnement, appropriation,
travers un aperçu des grandes conceptions de l’ap- individuation, espaces d’action encouragés. Elle 11
­ ropose ensuite un repérage des modalités d’expres-
p occasion de penser l’importance de la formation des
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sion didactique et pédagogique de cette approche, et adultes dans les recompositions économiques et
détaille pour finir les dispositifs innovants actuellement sociales qui s’opèrent, elle attire aussi l’attention sur la
inventés et testés dans différents champs de pratiques signification de l’appel à la recherche. Dans une inten-
qui articulent, sous une qualification d’­ergonomie-for- tion scientifique, il ne faut pas confondre en effet les
mation, des recherches empiriques et technologiques. recherches qui auraient pour but de légitimer ces nou-
La deuxième partie étend la réflexion selon deux axes. velles cultures en contribuant à leur formalisation et
Le premier constate l’impossibilité d’adopter dans cette les recherches qui prendraient ces cultures comme une
approche une épistémologie distinguant le registre des composante importante de leurs objets. Comme on le
faits de celui des valeurs, et propose un mode de pro- sait, les sciences sociales se caractérisent par le fait
duction de connaissances qualifié d’enquête collabo- qu’elles sont susceptibles de proposer d’autres signifi-
rative impliquant les professionnels selon une visée de cations que celles que les acteurs accordent à leurs
transformation de leur activité. Le deuxième ouvre actes ; elles n’en considèrent pas moins ces significa-
cette approche à des pratiques autres que le travail, et tions d’acteurs comme des faits sociaux à analyser et à
détaille trois conséquences de cette ouverture : la défi- interpréter. Certaines commandes de recherche,
nition d’objets d’étude et de conception nouveaux tels notamment en lien avec les thématiques nouvelles qui
que le cours d’existence et le cours d’existence relatif à apparaissent dans la période récente dont certaines
une pratique ; l’implication es qualité des chercheurs font l’objet des contributions qui suivent, peuvent por-
dans le registre axiologique et éthique ; l’adoption ter naturellement les intérêts sociaux liés à la diffusion
d’une démarche critique envers les orientations de ces nouvelles cultures. Sous réserve de précautions
actuelles en éducation des adultes, et la proposition épistémologiques et théoriques, elles n’en peuvent pas
d’une approche développementale résumée par la for- moins contribuer à la connaissance affinée de l’objet
mule « éducation du devenir ». social majeur que constitue la formation. C’est la voie
dans laquelle nous nous efforçons de nous engager.

En conclusion Jean-Marie Barbier


Conservatoire national des arts et métiers, CRF
­[email protected]
Si, comme nous avons essayé de le montrer plus haut,
la référence à des cultures constitue un outil puissant Richard Wittorski
pour comprendre un certain niveau des transforma- Conservatoire national des arts et métiers, CRF
tions économiques et sociales, et si elle permet à cette [email protected]

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