RFS 511 0085

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Les conflits de pouvoir comme obstacles à l'appropriation

d'un outil technologique en formation professionnelle


Stéphane Le Lay
Dans Revue française de sociologie 2010/1 (Vol. 51), pages 85 à 120
Éditions Éditions Ophrys
ISSN 0035-2969
ISBN 9782708012653
DOI 10.3917/rfs.511.0085
© Éditions Ophrys | Téléchargé le 02/07/2024 sur www.cairn.info (IP: 37.68.25.221)

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R. franç. sociol., 51-1, 2010, 85-120

Stéphane LE LAY

Les conflits de pouvoir comme obstacles


à l’appropriation d’un outil technologique
en formation professionnelle*

RÉSUMÉ
À partir d’une recherche menée dans un organisme peu connu de la Sécurité sociale,
l’Union des caisses nationales de Sécurité sociale, et consacrée à l’usage d’un outil informa-
tique permettant à des stagiaires en formation professionnelle de travailler à distance, cet
article montre que l’analyse des processus d’appropriation des technologies de communica-
tion par les agents doit tenir compte de l’histoire longue de l’institution. En effet, un
ensemble de tensions liées aux origines politiques et juridiques de l’UCANSS et aux proces-
sus d’homogénéisation de l’architecture du régime général portés par l’État freine l’usage
de cet outil mis en place dans une visée de décloisonnement. Loin de se tourner vers cette
technologie transversale, les stagiaires privilégient avant tout des canaux hérités d’une
période caractérisée par l’autonomie des organismes locaux.

Créée à la suite de la mise en place des quatre branches nationales de la


Sécurité sociale en 1967, l’Union des caisses nationales de Sécurité sociale
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(UCANSS) est un organisme peu connu du régime général. Souvent présenté
comme la cinquième branche de la Sécurité sociale, il a notamment en charge
la politique en matière de relations professionnelles pour l’ensemble de
l’institution, incluant la négociation collective des quelque 166 000 agents de
la Sécurité sociale. Aussi, parmi ses nombreuses attributions, se trouve par
exemple celle de mener une politique de formation continue en direction des
personnels. Dans ce cadre, la Direction de la formation professionnelle (DFP)
a développé, depuis une dizaine d’années, des sessions de formation dites
mixtes, alternant des phases de travail de plusieurs jours dans des centres de
formation (dispositif classique que le vocabulaire de l’ingénierie de formation
et de la pédagogie qualifie de formation « présentielle ») et des phases de
travail à distance, mises en œuvre ici par l’intermédiaire d’une technologie de
l’information et de la communication nommée @tout.net (voir Annexe I pour
sa présentation).

* Nous tenons à remercier Chantal Horellou-Lafarge et les membres du comité de rédaction de


la Revue française de sociologie pour leurs relectures critiques des versions antérieures de cet
article. Les erreurs et omissions éventuelles, ainsi que les interprétations des données empiriques
demeurent bien évidemment de notre seule responsabilité.

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Revue française de sociologie

Entre novembre 2005 et octobre 2006, nous avons mené une recherche
consacrée aux usages de cet outil, présenté par ses promoteurs comme un
moyen particulièrement apte à faciliter le travail formatif des stagiaires, du
fait de son ergonomie (maniement facile), de ses possibilités techniques
(nombreuses fonctionnalités offertes) et surtout de son caractère transversal
aux quatre branches de l’institution. Pourtant, nos analyses indiquent un
mésusage massif de l’outil. Or, si l’on suit les analyses de Bourdieu (1980) et
Coleman (1994) reprises par Greenan et Walkowiak, « les réseaux sociaux
fermés où la proximité sociale entre les individus est forte favorisent le déve-
loppement du capital social, puisque l’information circule mieux et la
confiance est plus forte. Ainsi, des salariés proches en termes de caractéristi-
ques identitaires communiqueraient plus facilement et seraient davantage soli-
daires » (2004, p. 20). On peut donc légitimement s’interroger sur ce qui
pousse des salariés en formation à ne pas utiliser un outil porteur d’innovation
culturelle potentielle leur permettant de continuer à mener le travail formatif
entre deux sessions de rencontres physiques, et donc d’augmenter les chances
de valorisation de leurs capitaux social et culturel. Cette défection
(Hirschman, 1995) découle-t-elle d’un problème d’organisation de la forma-
tion à la Sécurité sociale ? Renvoie-t-elle aux caractéristiques propres à
l’outil ? Trouve-t-elle sa source dans des dimensions socioculturelles plus
classiques (niveau de diplôme des usagers, par exemple) ?
Pour répondre à ces questions, nous allons décrire la configuration sociale
que représente la situation de formation où @tout.net est utilisé. D’inspiration
éliasienne, notre approche vise à mettre au jour un ensemble de processus
institutionnels de longue durée permettant de rendre compte de comporte-
ments individuels (1). Selon le sociologue allemand ([1939] 1991), dans une
société complexifiée (division du travail accrue, niveaux d’intégration diver-
sifiés, conscience de soi et des autres exacerbée), il apparaît extrêmement
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difficile de comprendre une situation sans s’intéresser aux chaînes d’interdé-
pendance donnant forme, dans le temps, à sa configuration globale. Autre-
ment dit, cela revient à analyser les structures matérielles et symboliques
durables des institutions, les liens d’interdépendance fonctionnelle qui leur
sont entrecroisés aux individus concernés (confrontation croisée du travail
prescrit et du travail réel, par exemple) et les dynamiques individuelles de
chacune des personnes en présence (mise en place de tactiques notamment).
Plus particulièrement, nous insisterons sur les éléments ressortissant à
l’histoire politique et juridique (2) de l’UCANSS, les origines idéologiques,
théoriques et techniques de la Sécurité sociale étant maintenant bien connues
(Hatzfeld, 1971 ; Ewald, [1986] 1996 ; David, 1993 ; Castel, 1995 ; Friot,
1998 ; Fukusawa, 2002). Comme nous l’ont en effet indiqué à plusieurs

(1) Pour plus de détails sur les implications politique. C’est une autre particularité de notre
de cette approche, nous nous permettons de étude par rapport au champ habituel des
renvoyer à Le Lay (2007). connaissances, comme le soulignait déjà
(2) Le rattachement au service public Parente (2007) dans son étude sur l’informati-
étatique de la Sécurité sociale explique cette sation des services fiscaux.
insistance sur les dimensions juridique et

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Stéphane LE LAY

reprises des interviewés, il est indispensable de comprendre l’architecture et


les dynamiques institutionnelles pour saisir les enjeux liés à l’UCANSS en
général, et à la formation professionnelle en particulier.
Ce souci du long terme est cohérent avec l’approche de Bruno Palier, qui
utilise les notions d’« empreinte des origines » politiques (Merrien, 1990) et
d’« inertie institutionnelle » (Pierson, 1993) pour expliquer les lentes et
conflictuelles transformations du système de protection sociale français, et
selon qui « le plan français de Sécurité sociale tient une place à part : il cons-
titue le seul moment où les réalisations institutionnelles correspondent à un
plan d’ensemble explicité et largement discuté. C’est pourquoi sans doute il
restera comme une référence historique et conceptuelle fondamentale pour les
politiques futures de protection sociale. C’est pourquoi aussi les choix institu-
tionnels faits en 1945 contraindront les évolutions du système de protection
sociale jusqu’à aujourd’hui » (Palier, 2002, p. 93). Ce poids de l’histoire
s’exprimera à différents niveaux durant nos prochains développements, y
compris jusque dans les dispositions professionnelles des salariés de la Sécu-
rité sociale, influençant directement la manière dont @tout.net est perçu et
utilisé par les stagiaires.
En procédant de la sorte, nous nous inscrivons dans le champ d’investiga-
tion, classique en sociologie du travail, des relations entretenues entre trans-
formations techniques et transformations sociales, questionnement qui ne
(re)surgit jamais avec autant de force que lors de l’apparition de nouveaux
procédés recherchant l’accroissement de la fluidité de l’activité (3). Effective-
ment, l’informatisation marquée des organisations productives (4) durant la
dernière décennie n’a pas manqué de provoquer un foisonnement d’études
visant à rendre compte des bouleversements engendrés par le déploiement des
« nouvelles technologies de l’information et de la communication » en une
« société de réseaux » (Castells, 1998) (5). Or, rendre compte de ces débats
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sans tomber dans certaines caricatures – affranchissement des contraintes
spatiales, sociales et temporelles versus domination et contrôle absolus
(Neuville et Musselin, 2001) – nécessite de considérer les influences croisées
entre organisation et changements techniques (6), comme Whyte (1949) nous
y invitait dès les années 1950.
Rendre compte de ces interrelations nécessite une attention marquée à trois
dimensions : une dimension organisationnelle, une dimension technique et
une dimension liée aux usages. L’enjeu est en effet de comprendre les dyna-
miques organisationnelles accompagnant le déploiement de l’informatisation

(3) Pour un panorama général de ces discus- à la représentation mythifiée et contradictoire


sions, on pourra se reporter à Pillon et Vatin de la « société de communication », dont la
(2003, pp. 213-225). « société en réseau » constitue une forme plus
(4) Pour une revue des travaux empiriques sophistiquée, lire Neveu (2001).
relatifs à l’informatisation menés dans la (6) Pour une présentation des approches
période de démarrage et de croissance des économiques de la complémentarité, voir
nouvelles technologies, voir par exemple Greenan et Walkowiak (2004, pp. 8-10). Pour
Gollac et al. (1999). une présentation sociologique, voir Muhlmann
(5) Pour une analyse des étapes ayant abouti (2001, pp. 327-330).

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Revue française de sociologie

(forme de la division du travail, réflexion managériale sur l’activité produc-


tive, sur les possibilités actuelles et les besoins à venir en matière technique,
etc.), puis d’apprécier les effets de cette dernière sur d’éventuels changements
opérés par l’organisation, du fait de la forme et du degré d’appropriation des
technologies par les acteurs concernés. Ainsi, le travail de Muhlmann (2001)
montre que, si la mise en place de groupware (ensemble de techniques et de
méthodes de travail associées permettant à un groupe, par le recours aux
outils de communication électronique, de mener un travail collaboratif à
distance – échanges d’informations, élaboration de documents, etc.) dans une
entreprise de services fonctionne notamment au profit des stratégies des
managers dans le but de renforcer le contrôle sur certaines informations
jugées capitales, les salariés ne demeurent pas sans ressources pour déve-
lopper des pratiques informelles permettant de contourner le formalisme tech-
nique.
Dans une première partie, nous verrons que les facteurs classiques en
matière d’usage des outils techniques, s’ils doivent être considérés avec soin
pour cerner l’évitement d’@tout.net, ne permettent pas d’épuiser l’analyse.
Pour cette raison, nous serons amené, dans une deuxième partie, à questionner
la transversalité de l’outil, et nous verrons qu’un ensemble de tensions liées
aux origines politiques et juridiques de l’UCANSS et aux processus d’homo-
généisation de l’architecture du régime général portés par l’État freine l’usage
de cet outil mis en place dans une visée de décloisonnement. Cette remise en
perspective historique de l’UCANSS nous permettra alors, en troisième
partie, de préciser les raisons pour lesquelles les stagiaires privilégient avant
tout des outils hérités d’une période caractérisée par l’autonomie des orga-
nismes locaux.
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Des utilisateurs peu disposés à la formation à distance ?

Dans le vaste champ des recherches consacrées depuis une vingtaine


d’années aux usages des technologies de l’information et de la communica-
tion (TIC), on a pu noter le développement de nombreuses études empirique-
ment ancrées dans l’univers de la formation, initiale ou continue (par
exemple, Hellouin, 1999 ; Metz, 2001). Parallèlement, quelques études ont été
consacrées à l’impact de ces technologies sur l’organisation du travail dans
les organismes de Sécurité sociale. Ainsi, à titre d’illustration, on peut noter
qu’entre 1985 et 2005 la revue trimestrielle de la Caisse nationale d’alloca-
tions familiales (CNAF) a publié deux articles relatifs à l’informatisation des
organismes de la branche famille (Jospin, Vaxevanoglou et Lancry, 1995 ;
Kounowski, 2002), un autre sur les TIC (Morin, 2004). Ce faible intérêt a
toutefois été en partie comblé en décembre 2006, avec la parution d’un
numéro spécial de Recherches et prévisions consacré à « L’information numé-
rique au service du citoyen ». Et si la question de la formation à la Sécurité
sociale est également étudiée par certains auteurs (Moreau et Lévy, 1991 ;

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Chelly et al., 2003), en revanche le croisement entre TIC et formation profes-


sionnelle n’y avait pas été exploré quand nous avons mené notre recherche
(Encadré I).

ENCADRÉ I. – Méthodologie d’enquête

À la suite de chercheurs étudiant les implications sociologiques de l’usage des


TIC sur les collectifs de travail (Craipeau et Le Peletier, 1991 ; Briole et Craipeau,
1995 ; Craipeau, 2003), nous avons voulu rendre compte des dynamiques d’appro-
priation de ces outils par des stagiaires en formation, à la fois pendant cette période
spécifique et à son issue (7). Pour cela, nous avons opéré en deux temps. Le premier
a consisté en une analyse quantitative des usages d’@tout.net à partir du
back-office du portail (grâce à l’accès fourni par l’administratrice, avec qui nous
avons souvent discuté durant notre présence à l’UCANSS). Nous verrons plus bas
que les données disponibles à l’issue de ce traitement quantitatif (2 242 fiches indi-
viduelles) sont intéressantes pour cerner le type d’usage de l’outil, mais guère satis-
faisantes du point de vue sociodémographique pour connaître les usagers. De
manière à comprendre les résultats qui ressortaient de ce traitement statistique, nous
avons alors procédé à trente-cinq entretiens semi-directifs, d’une durée de
quarante-cinq minutes à deux heures trente (une heure et demie en moyenne). Pour
commencer, nous avons rencontré six agents de l’UCANSS appartenant ou ayant
appartenu à la DFP (ainsi qu’une ancienne directrice de l’établissement), de
manière à saisir la genèse et le fonctionnement de l’outil informatique. En outre,
ces rencontres s’avéraient nécessaires pour entrer en contact avec les utilisateurs de
l’outil, aussi bien pour des questions de repérage que d’autorisation hiérarchique.
Nous avons ensuite rencontré dix-sept stagiaires, dans différents centres locaux de
la Sécurité sociale en France (onze appartenant à des Caisses primaires d’assurance
maladie, cinq à des Caisses d’allocations familiales et une à un Centre de traitement
informatique) : les entretiens ont concerné la formation suivie, le poste occupé à la
suite de la formation et l’usage de l’outil collaboratif durant ces deux périodes
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différentes. Nous avons également recueilli, lorsque cela s’avérait possible, le
maximum d’informations concernant les études initiales et la trajectoire profession-
nelle précédant l’entrée à la Sécurité sociale.
Pour contacter les utilisateurs d’@tout.net, nous avons décidé d’utiliser le forum
général (après avoir été nous-même inscrit à l’outil), en annonçant la recherche en
cours, et notre désir de rencontrer des utilisateurs. Devant le peu de réponses (8),
.../...

(7) Cette recherche a été réalisée à l’Institut revanche, on peut se reporter aux mémoires de
national des télécommunications (Évry), sous fin d’études réalisés à l’École nationale
la responsabilité scientifique de Sylvie supérieure de Sécurité sociale, qui présentent
Craipeau (que nous remercions pour son l’intérêt de se faire l’écho des préoccupations
soutien), dans le cadre du projet INITIATIVE institutionnelles dans une perspective gestion-
mené par le Groupement des écoles de télécom- naire (notamment Kaspruk et Vacchino, 2000).
munications (Paris). Sauf erreur de notre part, (8) Cet échec illustre la faible utilisation
au moment de notre enquête, nous n’avons pas globale des fonctionnalités de discussion de
trouvé ce type de sujet abordé dans d’autres l’outil, et plus généralement les constats
revues, y compris spécialisées (Revue interna- effectués pour les intranets d’entreprise. Sur ce
tionale de Sécurité sociale ou Revue française point, lire par exemple Cohendet, Guittard et
des affaires sociales, par exemple). En Schenk (2007).

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Revue française de sociologie

des chargés de formation responsables du dispositif « Performance » (voir infra)


nous ont servi d’intermédiaire pour rencontrer d’autres stagiaires. La DFP nous a
orienté vers ces intermédiaires en nous expliquant que les groupes formation dont
ils avaient la charge étaient les plus dynamiques sur @tout.net. Cette tactique empi-
rique a certes fonctionné, mais n’a pas permis de rencontrer suffisamment d’agents.
En plus de l’approche par capillarité mise en place avec les premiers interviewés,
nous avons donc décidé de lancer une enquête par questionnaire qui nous permet-
trait, espérions-nous, de mieux connaître les membres des « communautés », mais
également de trouver de nouvelles personnes à rencontrer.
En collaboration avec l’administratrice du portail, nous avons donc mis sur pied un
questionnaire. Une divergence est apparue au moment de l’envoi du document : nous
pensions qu’il valait mieux passer par un envoi par mail pour toucher le maximum de
personnes. À l’inverse, l’administratrice considérait que la fonctionnalité sondage
d’@tout.net serait efficace (elle a divisé le questionnaire en plusieurs sondages pour ne
pas poster un document trop imposant). Nous avons donc fait une proposition sous
forme de pari : les deux canaux de communication seraient utilisés et nous comptabili-
serions à l’échéance le nombre de réponses obtenues. Au final (environ un mois après
l’envoi), notre mail eut 54 retours (pas nécessairement tous exploitables), soit un taux
de réponse de 2,45 %, tandis que le sondage ne dépassait pas la trentaine de réponses
(encore moins complètes, du fait du découpage du questionnaire). Ainsi, les envois
externes (mails professionnels de branche) ont eu plus d’« efficacité » que l’usage
d’une fonctionnalité d’@tout.net, indice supplémentaire du faible usage lié au portail.
Mais surtout nous avons pu rencontrer d’autres interviewés, qui donnaient leur accord
et précisaient leurs coordonnées à la fin du questionnaire.
Pour compléter ces entretiens, nous avons par ailleurs rencontré des agents ayant
connu @tout.net par le biais d’un projet spécifique (deux cadres de l’Agence centrale
des organismes de Sécurité sociale et quatre appartenant à des Centres régionaux de
formation professionnelle), car l’outil était utilisé dans un cadre différent de celui de
la formation, et une comparaison, même partielle, pouvait s’avérer intéressante à
mener. Les entretiens abordaient le poste occupé et la nature du projet concerné par
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l’usage d’@tout.net. Enfin, nous avons rencontré deux cadres de CPAM, afin de
mieux comprendre le fonctionnement de la formation interne dans l’institution.

Sans pouvoir détailler ici l’ensemble des possibilités offertes en termes de


formations d’adaptation et de promotion sociale, il convient de noter que les
dix-sept stagiaires rencontrés (exception faite d’une technicienne) ont suivi le
dispositif « Performance » (9), mis en place en 1995 (non sans opposition

(9) Les formations « Performance », qui mêle travaux individuels et collectifs. La


articulent périodes de formation « présentielle » deuxième phase de la formation consiste en une
et périodes de formation à distance (FAD), « mission en apprentissage » menée dans un
décomposent le temps d’apprentissage en trois organisme éloigné (géographiquement et
phases distinctes. La première concentre les généralement hors de la branche d’apparte-
apports théoriques utiles aux fonctions profes- nance des stagiaires). Le but est de permettre
sionnelles. Durant quatre mois environ, une aux stagiaires de mettre en application ces
semaine par mois, les stagiaires vont se acquisitions théoriques, dans le cadre d’une
retrouver au sein d’un Centre régional de mission spécifique, définie par les chargés de
formation professionnelle (CRFP) pour mener formation UCANSS et les organismes locaux
différents apprentissages et travaux. Cette acceptant de recevoir les stagiaires. Généra-
phase de formation « présentielle » classique lement, la mission sert à répondre à une

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Stéphane LE LAY

syndicale [10]) pour remplacer le « Cours des cadres ». Ce dispositif permet à


des techniciens des organismes de Sécurité sociale, toutes branches confon-
dues, d’accéder au premier échelon cadre (11), ou à des cadres de se perfec-
tionner dans leurs pratiques, en passant un master professionnalisant d’une
durée variant généralement de dix à douze mois. De fait, selon les interviewés
rencontrés, la Sécurité sociale offre des possibilités relativement fortes pour
celles et ceux qui désirent se donner les moyens de progresser dans leur
métier ou leur carrière. La première marque de ces efforts de formation réside
dans les chiffres : consacrant, en 2004, 4,98 % des salaires bruts à la dépense
de formation de 98 109 stagiaires (12) (58,01 % de taux d’accès), sur une
durée moyenne de cinquante heures, l’institution se différencie de la moyenne
des entreprises du secteur tertiaire (13), même si les données longitudinales
montrent un certain tassement de l’effort de formation depuis 1993 (5,87 %).
Par ailleurs, des efforts ont été faits pour lutter contre les inégalités en matière
de formation : si les femmes représentent 75,7 % des salariés de l’institution,
elles sont 58 % à accéder à la formation professionnelle (Tableau I de
l’Annexe II) ; les salariés des petits organismes locaux ne sont pas défavorisés
par rapport aux gros organismes (Tableaux IIa et IIb en Annexe II). Un bémol
toutefois : alors que les employés représentent 59 % des personnes formées,
cette catégorie de main-d’œuvre compte pour 71,5 % des emplois de l’institu-
tion, ce qui indique une sous-représentation non négligeable dans l’accès aux
dispositifs. En comparaison, agents de direction et cadres bénéficient d’accès
facilités (par exemple, 72 % des femmes et 69 % des hommes cadres ont eu
accès à la formation en 2004), constituant pour ces derniers un changement
par rapport au début des années 1990 (Moreau et Lévy, 1991).
Ces précisions ne sont pas sans importance pour spécifier les profils des
stagiaires rencontrés durant notre enquête et comprendre leur vision de la
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(suite note 9)
demande de la direction de l’organisme local, connaître le nombre de postes d’encadrement
en produisant des préconisations pratiques. De effectivement ouvert au recrutement. Sur les
manière à habituer les stagiaires à leur nouvelle positions syndicales, lire F. Limoge, « Le
position et leurs futures fonctions, cette phase dispositif Performance fait des vagues à la
de travail se déroule en binôme (ou trinôme), Sécurité sociale », Espace social européen, 13
accompagné par un tuteur extérieur (relevant de octobre 1995, 305, p. 21.
l’UCANSS). La dernière phase de formation (11) Hors agents de direction, classés à part,
consiste en une « mission en autonomie » qui les salariés de la Sécurité sociale sont globa-
plonge le stagiaire dans une situation profes- lement classés du niveau 3 (technicien) au
sionnelle proche de ce que sera son travail niveau 9, les cadres relevant des niveaux 5A à 9.
quotidien. Pendant plusieurs mois, il doit, seul, (12) Dont entre 35 000 et 40 000 personnes
mener une mission dans son organisme formées chaque année par le seul réseau
employeur, avec l’appui d’un tuteur interne à la « externe institutionnel » (voir infra).
caisse locale. Les formateurs et les tuteurs FAD (13) Pour les entreprises de plus de dix salariés
mobilisent @tout.net durant ces différentes du secteur entre 2001 et 2003, les données du
phases. Céreq (http://mimosa.cereq.fr/psb/indicateurs
(10) La réforme a entraîné la mise en place TER.xls#UsageMO!A108:H117) indiquent un
d’une étape de sélection supplémentaire pour taux de participation moyen de 3,1 %, un taux
les (futurs) cadres, car les salariés se présentent d’accès de 36,1 % et une durée moyenne de
au concours après que les directions ont fait trente-trois heures.

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formation : ils sont tous entrés dans une démarche de promotion sociale
interne, en changeant de métier et/ou en progressant statutairement (gain de
niveau hiérarchique). Pour cela, ils ont dû réussir à passer plusieurs filtres de
sélection, à la fois dans leur organisme local et au niveau de l’UCANSS. Ils
font donc partie des salariés parfaitement intégrés, en recherche de mobilité
ascendante, et bénéficiant de capitaux social et culturel suffisamment impor-
tants pour se lancer dans une démarche longue et difficile (ils l’ont souvent
qualifiée de « lourde »). On peut ainsi penser qu’ils sont prêts à « jouer le
jeu » de l’institution durant la formation (qu’ils jugent par ailleurs favorable-
ment), et donc à utiliser les outils mis en place pour les aider.
Pourtant, les données quantitatives nous révèlent tout autre chose (voir
Encadré II pour des explications concernant le recueil des données) : seuls
29,3 % des comptes créés sur le portail @tout.net entre 2002 et mi-2006
avaient eu au moins une connexion courant 2006, la fréquence de connexion
baissant à mesure que les membres « vieillissent ». Cette proportion est légè-
rement supérieure à celle rencontrée dans d’autres configurations productives,
comme c’est le cas à France Télécom par exemple, où « moins d’une
personne sur cinq ayant accès à l’intranet […] participe, même de façon très
occasionnelle, à des forums » (Beaudouin, Cardon et Mallard, 2001, p. 318).

ENCADRÉ II. – Précisions concernant les données statistiques des usages


sur le portail

Le portail @tout.net a été créé dans un but essentiellement opérationnel, sans


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attention particulière à une démarche d’évaluation ex post des pratiques ou des
profils des utilisateurs, point qui n’est pas sans poser de questions quant aux
présupposés ayant conduit à sa création (pourquoi se priver, dès le départ, de possi-
bilités d’évaluation minimale permettant éventuellement de faire évoluer l’outil ?).
Par ailleurs, en dépit du caractère fortement volontariste inhérent à l’élaboration
puis à la mise en place technique du projet, la philosophie de l’ensemble apparaît
davantage comme une incitation à l’usage qu’une obligation strictement réglemen-
taire. Ce flottement prescriptif se reflète au niveau des fiches individuelles censées
renseigner le profil des utilisateurs : contrairement à ce qui se pratique dans de
nombreux domaines de la Toile, le renseignement des différentes « plages » infor-
matives (âge, sexe, etc.) n’est pas obligatoire. Aussi, on ne connaît avec précision
que les indications rentrées par l’administratrice du portail elle-même, lorsqu’elle
en crée l’accès pour un membre : nom et prénom, « communauté » de rattachement,
adresse email et sexe de la personne. Le reste (profession, organisme de rattache-
ment, âge, photo, etc.) dépend du bon vouloir et du temps de chacun.
Ces deux points conduisent à alerter sur le caractère extrêmement parcellaire des
statistiques recueillies manuellement (car il n’existe qu’un appareillage automa-
tique très pauvre : sexe, âge – inutilisable car trop peu de personnes remplissent ce
champ informatique –, date de création du membre, dernière connexion, type et
.../...

92
Stéphane LE LAY

nombre de fonctionnalités utilisées). Toutefois, en recoupant les données indivi-


duelles et les données collectives (par type de « communauté ») disponibles et utili-
sables, on arrive à se faire une idée précise de la cartographie des usages du portail
que l’analyse des entretiens a permis d’affiner sous différents angles (pratiques
individuelles, dynamiques collectives, réalités institutionnelles). Au 19 avril 2006,
le portail regroupait 2 242 membres (1 082 hommes – 48 % – et 1 160 femmes –
52 %) répartis au sein de 129 « communautés ».

Parmi ces 29 %, 431 membres avaient utilisé une ou plusieurs fonctionna-


lités depuis la création de leur profil utilisateur (les 1 801 autres membres
n’avaient pas utilisé du tout le portail, ou simplement à titre de « consomma-
teur » d’informations) (14). On peut donc avancer que se connecter à
@tout.net reste avant tout un acte minoritaire mais participatif : la recherche
d’information et l’utilisation de fonctionnalités davantage actives (forums,
échanges de fichiers, etc.) se pratiquent de manière corollaire. Il est intéres-
sant de noter que les femmes constituent 55,7 % de ces membres. En dépit
d’une présence inférieure à ce qu’elles représentent dans les entrées en forma-
tion (58 % en 2004 ; voir en Annexe II le Tableau I pour les chiffres de la
formation à la Sécurité sociale), mais surtout dans les institutions du régime
général (en moyenne 75,7 % de la main-d’œuvre ; voir en Annexe II le
Tableau III pour les détails par grandes catégories sociales), les femmes sont
donc légèrement plus actives sur @tout.net qu’elles ne sont inscrites sur le
portail (52 %). Toutefois, cet usage technologique féminisé trouve son expli-
cation dans la proportion des salariées ayant des responsabilités institution-
nelles (appartenant à l’UCANSS ou aux différentes caisses nationales
principalement) : elles représentent 60,2 % du groupe des utilisateurs institu-
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tionnels (avec un usage moyen de 68 fonctions, elles constituent 62,5 % des
usages de ce groupe). À l’inverse, les femmes en formation évitent l’outil ni
plus ni moins que les hommes (15). Le genre s’avère donc ici peu pertinent
pour expliquer l’évitement d’@tout.net.
Peut-on dans ce cas envisager une explication découlant d’un dernier
élément particulièrement rédhibitoire, à savoir le rejet du travail à distance
par les stagiaires ? Sur ce point, les entretiens ne permettent pas de valider

(14) On est très loin des proportions boratif huit fois plus qu’un membre de base.
avancées par le créateur du portail : « Grosso Les « institutionnels » utilisent massivement
modo, je dirais qu’on a à peu près 20 % trois fonctionnalités liées au travail (nouvelles,
d’hyperactifs, ce qui est un beau chiffre, 40 % mails, fichiers), quand les membres de base
d’utilisateurs et grosso modo 40 % de consom- utilisent principalement deux fonctionnalités,
mateurs purs, des gens qui bougent pas et l’une rattachée au travail (fichiers), l’autre à la
récupèrent l’information. » sociabilité de groupe (albums photos, qui
(15) Un administrateur de « communauté » permet d’alimenter les souvenirs des journées
ou un membre d’une des branches intervenant et soirées passées ensemble durant les sessions
dans un projet participe d’un point de vue colla- de formation « présentielle »).

93
Revue française de sociologie

l’explication. À plusieurs reprises, les stagiaires nous ont déclaré avoir utilisé
des outils pour mener leur travail de formation en dehors des séquences de
« présentiel ».
« On s’était réparti le travail, chacun devait bosser sur une question, et après on échan-
geait par courrier, par téléphone aussi ça nous arrivait…
Question : courrier électronique ?
Réponse : oui, oui.
Question : est-ce que @tout.net dans ces cas-là était utilisé ?
Réponse : non. Non. C’est… non, nous on ne s’en est pas servi. On s’est servi du courrier
électronique, messagerie électronique (Voilà ou msn).
Question : mais pas l’outil…
Réponse : pas @tout.net, non. » (conseillère en organisation, CPAM).

« On se voyait quand même tous les quinze jours, on s’appelait si nécessaire. On n’a
pas utilisé non plus tout ce qui était chat, donc là on préférait faire par téléphone.
Question : qu’est-ce qui fait qu’on préfère le téléphone plutôt que le chat ?
Réponse : bah peut-être la dextérité au clavier. Je pense que… ouais par facilité, le télé-
phone c’est… Et puis en plus, bon je ne sais pas si ça peut jouer, mais après il y a un as-
pect amical, dans le téléphone, qui… enfin c’est plus convivial à la limite. Mais ça c’est
peut-être une question de génération, je sais pas. Encore que je ne dois pas être beaucoup
plus vieille que vous [rire]. » (fondée de pouvoir, CAF).

@tout.net se voit concurrencé par des outils dont l’usage est perçu comme
plus rapide, plus pratique, plus agréable ou simplement plus habituel. Peut-on
parler d’un usage stratégique des outils disponibles, dans le sens qu’en donne
Crozier (1963) ? En dépit de certains points de convergence (par exemple,
lorsqu’il insiste sur les relations d’interdépendance pour comprendre les jeux
de pouvoir dans l’organisation), son approche de l’action souffre de limites
importantes que Alter divise en deux catégories : un désintérêt pour les
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raisons d’agir des acteurs (Alter se limitant toutefois à la seule conception
boudonnienne de la rationalité) et une absence de référence à la question de la
culture (2006, pp. 96-98). Ce second point mérite certes d’être nuancé,
puisque Crozier consacre un quart de son ouvrage à analyser les « caractéristi-
ques d’une société nationale [constituant] une contrainte extrêmement forte à
tout changement » (1963, p. 11). Toutefois, son usage à la fois sélectif et
normatif des traits culturels français censés renforcer son analyse stratégique
apparaît plaqué et l’on ne comprend pas comment ces éléments culturels
généraux influent réellement sur les organisations étudiées.
À l’inverse, l’approche historique que nous privilégions permet de saisir
les éléments culturels de l’organisation pesant dans les choix rationalisants
des salariés de la Sécurité sociale. En effet, les outils informatiques utilisés
sont ceux issus des différentes branches, et pour expliquer ces choix il nous
semble fécond de suivre les travaux récents privilégiant l’analyse diachro-
nique des changements techniques dans les organisations (Hochereau, 2006),
en insistant particulièrement sur les éléments historiques tels que les évolu-
tions des stratégies économiques, celles du contexte général de l’activité, ou

94
Stéphane LE LAY

encore celles de l’idéologie véhiculée par l’organisation (par exemple les


éléments éthiques accompagnant la définition du travail prescrit) (16). « Les
nouveaux objets techniques sont eux-mêmes des produits de rapports sociaux
entre acteurs de l’organisation et ils gardent toujours de ce fait un rapport
avec l’histoire de cette organisation. Depuis le moment d’élaboration de la
décision d’introduire un nouveau système informatique dans une organisation,
jusqu’au déploiement et à l’appropriation ou non des nouveaux outils infor-
matiques par ceux à qui ils sont destinés, les rapports sociaux des acteurs qui
participent à la vie d’une organisation sont générateurs de mouvements qui
configurent aussi bien les nouveaux systèmes que l’organisation elle-même. »
(Parente, 2007, p. 83). Pour ce qui concerne @tout.net, nous allons voir que
son mésusage important trouve des éléments d’explication dans les tensions
institutionnelles de longue durée entre une tradition d’autonomie des caisses
de Sécurité sociale et une tendance croissante à l’homogénéisation et la trans-
versalité institutionnelles.

L’UCANSS aux prises avec les tensions institutionnelles


du régime général

Comprendre la mise en place et les modalités d’usage d’@tout.net ne peut


se faire sans comprendre la configuration institutionnelle au sein de laquelle
l’outil a vu le jour. Or, celle-ci se caractérise par de fortes tensions politiques,
dont certaines origines remontent aux années 1960.

Les origines politiques et juridiques de l’UCANSS


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Tout au long des années 1960, le pouvoir gaulliste transforma en profon-
deur le système institutionnel de la Sécurité sociale hérité de l’après-guerre,
pour lutter à la fois contre les tendances hégémoniques syndicales, principale-
ment cégétistes (17), dans la gestion des organismes locaux, et contre les déficits
financiers chroniques (Barjot, 1988). L’un des éléments les plus significatifs
de ce qui participait d’un vaste mouvement de réforme de l’État – et de son
administration – qui s’accentuerait durant les années 1970 (Bezes, 2006) fut
le décret du 12 mai 1960. Celui-ci organisait le transfert de pouvoirs impor-
tants des conseils d’administration vers les directeurs, notamment en matière
de gestion des carrières individuelles. La CGT, la CGT-FO et la CFTC
s’opposèrent à ces dispositions au nom du risque d’une étatisation croissante

(16) Un courant en économie explore la marché. Sur le cas des révolutions industrielles
perspective historique pour éclairer les liens britanniques (XVIIIe siècle, années 1920 et
complexes entre découvertes scientifiques, années 1990), lire Kapás (2008).
dynamiques technologiques, formes d’organi- (17) Ce point avait été souligné dès les
sation des firmes capitalistes, environnement années 1950 (Galant, 1955).
institutionnel et politique et transformations du

95
Revue française de sociologie

du régime général : selon les centrales syndicales, la dépendance des direc-


teurs de caisses vis-à-vis du ministre de tutelle augmentait, du fait notamment
de l’existence de l’agrément ministériel nécessaire à la constitution d’une
caisse locale (18). Quelques années plus tard, le 21 août 1967, Georges
Pompidou prit quatre ordonnances visant trois grands objectifs : agir sur la
couverture du déficit (hausse des cotisations, freinage des dépenses), orga-
niser la séparation des risques et leur équilibre financier et accroître la respon-
sabilité des organismes gestionnaires, notamment en créant des caisses
nationales (et une agence centrale de recouvrement) et en instaurant un parita-
risme strict (point imposé par Georges Pompidou au ministre des Affaires
sociales de l’époque). De la sorte, le pouvoir étatique réorganisa l’architecture
institutionnelle par la mise en place des quatre caisses nationales actuelles,
chapeautant des organismes locaux (Figure I) : Caisse nationale d’assurance
maladie (CNAM), Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), Caisse
nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et Agence centrale des organismes
de Sécurité sociale (ACOSS) (19). Chaque caisse s’occuperait de la gestion de
« risques » (20) spécifiques, de manière à protéger les salariés de l’industrie
et du commerce (21).

FIGURE I. – Présentation institutionnelle simplifiée de la Sécurité sociale (22)


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(18) Cette manifestation du pouvoir de (20) Bien que la retraite soit en fait du
contrôle étatique se retrouve dans le fait que salaire socialisé et non un risque (pas plus que
tous les accords négociés et conclus par la maternité), il est d’usage, dans les textes
l’UCANSS doivent être agréés par le ministère juridiques, de parler de risques pour désigner
de tutelle. Supprimé durant une courte période, ces différents domaines.
l’agrément ministériel a été rétabli par le décret (21) Dans la réalité, les catégories de
du 12/05/1960 et confirmé par les ordonnances personnes couvertes sont plus larges que cela.
du 21/08/1967. (22) Source : http://www.cram-bretagne.fr/
(19) À ces quatre caisses s’ajoute une cram_bretagne/img/service/organisation_actuelle_
commission traitant spécifiquement des accidents RG.jpg. Consulté le 28 août 2009.
du travail.

96
Stéphane LE LAY

À cette occasion, l’élection des administrateurs des caisses fut abandonnée


au profit d’une désignation par les organisations syndicales et surtout patro-
nales, CNPF en tête. La période précédente de « démocratie sociale » s’ache-
vait avec l’entrée dans l’ère de la gestion paritaire, voire d’un retour à celle du
tripartisme (connu durant les années 1920-1930). « La réforme a abouti à une
gestion des risques très centralisée. Toutes les ressources en effet sont attri-
buées directement aux caisses nationales. Ce sont celles-ci qui déterminent les
dotations des caisses dépensières. Il y a une responsabilité qui n’appartenait
pas à l’ancienne Caisse nationale de sécurité sociale. » (Droit social, 1968,
p. 29). On note dans ces changements une tendance de fond dans les modifi-
cations du mode de gouvernement de la Sécurité sociale, que les analyses
néo-institutionnalistes vont nous permettre d’éclairer (DiMaggio et Powell,
1983 ; Zucker, 1987) : le processus d’homogénéisation du régime général
sous aiguillon étatique visait, dans un premier temps, à réduire l’autonomie
des caisses locales en créant des caisses nationales, dont le pouvoir s’accroî-
trait au gré des réformes successives, comme nous aurons l’occasion de le
développer plus loin.
Notons pour le moment que, si la séparation en branches de risques
distinctes et la création de l’ACOSS contribuèrent à apporter une certaine
clarification en termes de gestion, la relative précipitation qui présida à la
mise en place de la nouvelle architecture entraîna une curiosité juridique. En
effet, à quelques rares exceptions près, les organismes locaux, régionaux et
nationaux issus de la réforme de 1967 n’abritent que des salariés de droit
privé, globalement soumis à la législation salariale de droit commun : les
branches de la Sécurité sociale relèvent donc de la négociation (et à l’applica-
tion) d’une convention collective, ce que leur nature juridique d’établissement
public interdit.
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« Avec le soutien du patronat, on instaure donc ce système-là et quand on s’aperçoit
que les quatre établissements publics ne peuvent pas négocier la convention collective, il
est totalement exclu de remettre en place quelque chose qui fasse remonter là aussi la légi-
timité du bas, puisque c’est précisément ce qu’on a voulu supprimer, et que cette réforme
qui vient d’en haut n’est pas partagée […] Donc il fallait créer quelque chose qui vienne
du haut et qui ne soit “pas discutable”, ou en tout cas pas discuté. […] l’UCANSS, j’ai
coutume de dire, est une fiction. Elle a été créée comme si les quatre caisses nationales –
c’est écrit dans la loi “comme si” –… pour que quatre caisses nationales donnent déléga-
tion à l’UCANSS pour exercer un certain nombre de responsabilités en matière de négo-
ciation de la convention collective, et de dialogue avec les partenaires sociaux, disons
pour faire bref. Alors c’est une fiction parce qu’en droit – moi je suis juriste de formation
– on m’a toujours appris qu’on ne pouvait pas déléguer plus que ce qu’on avait. »
(ancienne directrice de l’UCANSS).

Le positionnement institutionnel longtemps malaisé de l’UCANSS

Les origines politiques et juridiques heurtées de l’UCANSS ont eu un


certain nombre de conséquences pratiques et symboliques pour le déploie-
ment des missions des agents œuvrant dans ses services. En premier lieu, la

97
Revue française de sociologie

position de l’UCANSS incarnait la recherche de transversalité institutionnelle


face aux logiques intrabranche et territoriale, les organismes locaux ayant
conservé du système issu de 1945 une autonomie importante dans la gestion et
l’organisation des métiers, y compris face à leurs caisses nationales.
« Les cultures entre les branches ne sont absolument pas identiques, les modes de
pensée sont différents, les représentations sont complètement différentes. Je prends mon
histoire personnelle… mon parcours professionnel personnel, je viens des CAF, donc j’ai
une culture du travail d’équipe, des formes d’écoute particulières dues au métier, du
groupe de pairs, du travail en transversal, des groupes projet, etc. Aujourd’hui, je suis dans
le recouvrement. Le recouvrement, ce n’est absolument pas une culture du social, c’est
une culture du droit, et qui aujourd’hui doit s’ouvrir sur “on doit faire plus de relationnel,
on doit aller à l’avant du cotisant”, mais ça n’a rien à voir. Une culture du contrôle ici,
c’est très fortement marqué par le contrôle : contrôle dans les entreprises, etc. Donc c’est
des modes de pensée qui sont extrêmement différents.
Question : donc ça reste plus une identité de branche ?
Réponse : oui, tout à fait. D’où l’intérêt de l’UCANSS, c’est-à-dire que l’UCANSS fédère
l’ensemble, alors l’intérêt et la difficulté pour surmonter ça, c’est que chaque fois cela né-
cessite de négocier avec l’ensemble des branches. D’où la difficulté. » (chargée d’études
ressources humaines, ACOSS).
« Au début, on m’a dit, quand je suis venue ici, qu’il ne fallait absolument pas poser de
questions aux organismes extérieurs, il fallait qu’on se débrouille en interne.
Question : qu’est-ce que vous appelez extérieur ?
Réponse : extérieur, c’est-à-dire l’UCANSS, la CNAF… pour moi, c’est extérieur à la
CAF de R. Donc c’était ça et moi ce n’est pas du tout ma politique donc… Pourtant, notre
organisme national nous disait bien que si l’on avait des questions à poser, on pouvait les
appeler. À une certaine époque, c’était mal vu : si on les appelle c’est qu’on a fait quelque
chose de mal, ou qu’on sait pas […].
Question : quand vous dites “quand je suis arrivée, on m’a dit qu’il fallait pas…”. C’est
qui ?
Réponse : c’est mon… mes collaborateurs, et puis c’est leur manière de travailler, ils
m’expliquaient comment ils travaillaient et tout ça. Et des fois, je leur posais une question :
“pourquoi on n’appelle pas notre organisme ? – Non non non, on va attendre un peu”. »
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(responsable budget, CAF).

La logique de transversalité portée par l’UCANSS a conduit pendant long-


temps à des tensions institutionnelles :
« Si vous voulez il y avait un reproche latent des caisses nationales de dire… quelque
part l’UCANSS faisait ce qu’elle voulait et n’était pas le service commun à la disposition
des caisses nationales. […]
Question : et sur quoi ils se basaient pour dire qu’avant l’UCANSS n’était pas…
Réponse : l’histoire [rire]. L’histoire. […] Le directeur de l’UCANSS était relativement
libre de ses mouvements pour faire ce qu’il entendait, comment il entendait développer
l’activité de l’UCANSS. » (responsable pôle commission paritaire nationale de l’emploi et
de la formation professionnelle, UCANSS).

Cette liberté d’action n’était bien sûr pas absolue, car les caisses natio-
nales, jusque très récemment, votaient le budget de l’UCANSS sur leur propre
dotation étatique. Toutefois, cette structure relationnelle complexe débouchait
sur un positionnement difficile à tenir pour l’UCANSS :
« L’UCANSS est un peu un prestataire de services interne, “fournisseur d’expertise” à
la fois pour les caisses nationales, mais aussi directement les vrais clients, qui sont surtout
les organismes de base. Ça, c’est un peu une difficulté pour l’UCANSS : est-ce que nos

98
Stéphane LE LAY

clients sont les organismes de base ou les caisses nationales ? » (ingénieur de formation,
UCANSS).

Et tout en reconnaissant à demi-mot que l’UCANSS était dépendante des


caisses nationales, cet interviewé réaffirme, paradoxalement, que la relation
entre UCANSS et caisses nationales est fondée sur une approche partenariale
et non hiérarchique :
« Alors ce qu’il faut bien comprendre c’est que l’UCANSS, Union des caisses nationa-
les de Sécurité sociale, dans ce monde-là ce sont des relations de partenariat, il n’y a pas
du tout de hiérarchie, l’UCANSS n’est pas au-dessus des caisses nationales, c’est vraiment
à côté. » (ibid.).

Selon nous, ces flottements dans la perception des relations entre orga-
nismes expriment les tensions inhérentes aux transformations institutionnelles
de 1967 : d’un point de vue organisationnel, l’UCANSS partage en effet un
certain nombre de prérogatives avec les autres organismes du régime général,
ce que le domaine de la formation professionnelle va nous permettre d’illus-
trer précisément.

La formation à la Sécurité sociale : une place difficile à négocier pour


l’UCANSS

Pour analyser l’ambiguïté de la place de l’UCANSS, il s’avère pertinent


d’expliquer comment la formation professionnelle continue est organisée à la
Sécurité sociale. Outre que ce point nécessite d’être abordé dans une approche
configurationnelle, puisque ce niveau de fonctionnement de l’institution
permet de faire le lien entre les stagiaires, leurs organismes locaux et
l’UCANSS, nous allons voir que la position de cette dernière et de sa DFP
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n’est pas évidente à tenir. En effet, chaque organisme local a théoriquement la
possibilité de mener sa propre politique de formation professionnelle, en
raison des compétences en la matière attribuées aux directeurs (cette politique
dépendant, dans la pratique, des budgets alloués par les caisses natio-
nales) (23).
« Question : les organismes ont des demandes différentes y compris en termes de for-
mation ?
Réponse : oui. Parce qu’ils n’ont pas d’abord les mêmes approches, ils n’ont pas spéciale-
ment les mêmes cultures, ils n’ont pas spécialement les mêmes besoins, ils ne sont
peut-être pas tous au même rythme aussi […] les caisses nationales nous prenaient plus
pour des concurrents sur des thèmes et développaient leurs propres dispositifs de forma-
tion […] parce que, dans chaque caisse nationale, on a des gens qui ont leur propre service
de DRH […] En plus, il y a des enjeux politiques qui sont d’un autre ordre, mais… Pre-
nons les CAF : il y a un service DRH, qui est mené par quelqu’un qui développe en ma-
tière de RH mais aussi en matière de formation. Et donc quand elle a envie de faire

(23) Pour complexifier les choses, précisons travaillant au niveau national. Comme les
que chaque caisse nationale possède son propre caisses locales, les caisses nationales peuvent
service de formation, destiné à prendre en rédiger des cahiers des charges en « externe
charge les besoins spécifiques des salariés institutionnel » et en « externe externe ».

99
Revue française de sociologie

quelque chose en matière de formation, pourquoi elle irait s’adresser à l’UCANSS, puis-
qu’elle considère que ça ne va concerner que son réseau ? Donc elle va développer son
propre système, qu’elle va donner à un cabinet extérieur qu’elle va choisir elle-même.
Alors que, si elle vient par l’UCANSS, elle va se prendre la tête éventuellement parce
qu’on ne sera peut-être pas d’accord sur un certain nombre de choses, etc. » (chargé d’étu-
des, créateur du portail @tout.net, UCANSS).

Pour répondre aux besoins en la matière, les organismes locaux disposent


donc de la possibilité de recourir à deux types de formation, interne et
externe, selon la nature des besoins en question, la taille de l’établissement et
l’histoire locale.
« Il y a un historique par rapport aux caisses de la région X, par exemple ici on est
3 600, donc… Et ils trouvaient que les formations nationales ne répondaient pas aux be-
soins, parce qu’elles étaient trop théoriques et pas assez pratiques…
Question : qui est-ce qui trouvait ça ?
Réponse : au niveau des directions de la CPAM de Y. Et on n’a pas travaillé… parce que
la CPAM du Z, par exemple, a travaillé à faire l’articulation, à utiliser le module national
et à l’adapter pour le local. À l’intégrer au local…
Question : faire des modules différents…
Réponse : voilà. Nous, on ne l’a pas fait. Ce n’est pas l’option qui avait été retenue jusqu’à
présent. » (cadre service formation, CPAM).

Dans les gros organismes locaux disposant toujours d’équipes chargées de


mettre en œuvre des formations internes (24), chaque année est défini, au
niveau de la direction des ressources humaines, un plan de formation qui
recense, pour l’année suivante, les besoins des services. Ces formations
internes concernent le cœur de métier (techniciens-conseils ou de cadres tech-
niques).
« On fait des formations vraiment adaptées, de terrain à destination surtout des techni-
ciens, hein. L’équipe de formation interne vraiment fait tout ce qui est, je dirais, législa-
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tion propre à l’assurance maladie, tout ce qui est applicatif – utilisation des différents
outils pour régler les prestations, pour gérer différentes choses –, c’est vraiment orienté
très métier et très pratique. » (ibid.).

Parallèlement, existent des formations menées avec des prestataires exté-


rieurs. En règle générale, elles s’adressent à des professions spécialisées (par
exemple, les médecins conseils), dans un but d’adaptation aux conditions
productives. Mais elles se déploient aussi en direction des fonctions transver-
sales à la Sécurité sociale (organisateurs, managers, etc.), pour développer
l’« employabilité » ou la mobilité professionnelle. Chaque caisse est alors
libre de contracter avec le prestataire de son choix. Les chargés de formation
de l’UCANSS doivent alors monter des modules de formation et réussir à
persuader la DFP et les directeurs d’organismes locaux du bien-fondé de leurs
approches. En effet, les thématiques abordées (management, ressources
humaines, etc.) font qu’existe une forte concurrence entre le canal « externe

(24) Les formations internes représentaient, en 2004, 33 % du temps total affecté à la formation
professionnelle, contre 67 % pour les formations « externes externes » et « externes institution-
nelles » (source UCANSS).

100
Stéphane LE LAY

externe » (Cegos, par exemple) et le canal « externe institutionnel » pour la


captation du marché formatif (25).
« Question : quand vous dites interne, ça comprend à la fois ce que vous pouvez faire
vous-mêmes en tant que formation et en plus ce que fait l’UCANSS ?
Réponse : non, c’est vraiment au niveau du service. En externe, il y a l’externe institution-
nel ou alors il y a l’externe externe.
Question : donc l’UCANSS fait partie de l’externe…
Réponse : voilà. » (cadre service formation, CPAM).

Ce classement de l’UCANSS en « externe institutionnel » (d’ailleurs


constesté par les agents de la DFP qui défendent la légitimité de l’organisme)
est une bonne illustration de la position ambiguë qu’elle occupe dans le
régime général, et des tensions existant entre transversalité et autonomie
intrabranche. La solution pour lutter contre cette difficulté consiste à mobi-
liser la légitimité des acteurs des organismes du régime général au sein même
de la formation :
« À chaque fois, on est en train de dire “si vous venez suivre les stages à l’UCANSS,
on va vous délivrer un contenu de formation institutionnel”, donc moi ça m’oblige à mon-
ter à chaque fois des actions de formation avec des intervenants institutionnels. […] Donc
tu vois notre plus-value elle est là, on monte un cadre qui finalement est plutôt basique, en
termes de GRH il n’y a pas réellement de plus-value, après c’est sur les intervenants où
l’on cherche vraiment des gens pour… enfin qui vont développer un discours institution-
nel et propre à développer la RH dans nos organismes. » (ingénieur de formation,
UCANSS).

Réussir à convaincre les directions locales du bien-fondé du choix de


l’UCANSS comme partenaire de formation suppose notamment de montrer
qu’une approche transversale (fonctions communes) peut s’avérer pertinente
au sein de l’institution, en dépit de la spécialisation des quatre branches. Le
dispositif « Performance » se situe dans ce cadre. Mais, comme le souligne un
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interviewé, cette transversalité recherchée est difficile à atteindre et, à
nouveau, les dynamiques intrabranches viennent directement s’opposer aux
processus d’homogénéisation mis en œuvre par l’UCANSS :
« Avec la branche maladie, pour la formation des techniciens maladie, on a mis en
place pour la première fois des modalités de formation à distance, de e-learning, enfin des
choses un peu nouvelles. Et donc, à un moment donné, on s’est dit que ce projet a une va-
leur en tant qu’il est avant-gardiste par rapport à ce qu’on fait d’habitude, et donc ça vaut
le coup de faire un retour d’expérience pour les autres branches […] de sorte que, ce qui
est souvent le cas malheureusement, on ne fasse pas en ignorance totale de ce que le voisin
d’à côté vient de faire. Et en même temps, nous on assoit aussi un peu notre légitimité
là-dessus, c’est logique, plus on va réussir à créer une circulation des expériences, une dy-
namique interbranches, c’est le sens de notre mission finalement aussi, mais il y a pas mal
d’endroits où ça ne marche pas du tout. » (ingénieur de formation, UCANSS).

(25) En 2005, l’UCANSS et le réseau des Centres régionaux de formation professionnelle avait
dispensé 36,8 % du temps total de formation professionnelle. Les concurrents « externes externes »
représentaient eux 18,9 % du total (source : UCANSS).

101
Revue française de sociologie

Pour déployer ses dispositifs, la DFP de l’UCANSS s’appuie sur une archi-
tecture institutionnelle à deux niveaux. Le premier niveau d’intégration est
constitué des Centres régionaux de formation professionnelle (CRFP), orga-
nisés suivant le même principe que les caisses locales (conseil d’administra-
tion, paritarisme), dont ils dépendent à la fois pour le financement et pour la
« gouvernance ». Au nombre de quinze, ces organismes régionaux interbran-
ches sont chargés :
– « De la mise en œuvre au plan régional de la politique générale de forma-
tion et de perfectionnement arrêtée au niveau national. À ce titre, ils assurent
notamment les formations initiales de techniciens et du personnel d’encadre-
ment de premier niveau.
– De la décentralisation et de la mise en application des actions conçues au
plan national par l’UCANSS seule ou en partenariat avec les caisses natio-
nales.
– De la conception et de la réalisation d’actions de formation régionales
spécifiques pour les personnels des organismes de leur région.
– De la diffusion des pratiques de gestion des ressources humaines, en tant
que relais régional, notamment par l’animation des échanges d’expérience
entre les organismes.
– D’un appui technique et pratique aux organismes locaux notamment en
ce qui concerne la conception et la mise en œuvre des plans de formation. »
(site Internet UCANSS).
Le second niveau d’intégration renvoie lui au niveau interrégional, formé
du regroupement des CRFP en quatre plates-formes géographiquement
compétentes. Leur but principal consiste à mutualiser les moyens, attente
inscrite dans le processus de « modernisation » de la Sécurité sociale : on peut
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ainsi lire sur le site Internet de l’UCANSS que le rôle des plates-formes est de
« développer des pôles de compétence répondant à des besoins de formation
spécifiques [et de] proposer une offre lorsque les publics à former sont insuf-
fisants au niveau du seul CRFP ». Toutefois, dans les faits on note des diffé-
rences d’approche dans la mise en place de formations par les CRFP, point
qui mériterait d’être analysé de manière à souligner l’existence de stratégies
locales pour développer les activités en direction des caisses locales, et donc à
mettre en lumière les marges de manœuvre potentielles face au processus
d’homogénéisation. Ces marges de manœuvre sont d’autant plus importantes
à rappeler que la période actuelle se caractérise, pour les CRFP, par un
accroissement de la concurrence entre plates-formes, sous l’impulsion de
l’UCANSS et des caisses nationales, au moment de la définition du cahier des
charges des formations :
« Aujourd’hui, on est dans des logiques de concurrence de plus en plus fortes, et donc
les caisses nationales font des cahiers des charges sur les formations, et elles n’attendront
des réponses que des CRF qui seront certifiés [ISO]. » (formatrice, CRFP).

Ainsi, les transformations attendues des CRFP – et les difficultés les


accompagnant – découlent directement d’une accentuation des tensions liées à

102
Stéphane LE LAY

l’homogénéisation institutionnelle, sur lesquelles il nous faut maintenant


revenir précisément.

Le déploiement des processus d’isomorphisme institutionnel à la Sécurité


sociale

Le dernier point soulevé par l’interviewée souligne ce à quoi nous faisions


allusion plus haut : la tutelle étatique (exécutive et législative) s’est accrue
notamment à travers la mise en place de nouveaux outils (par exemple, les
conventions d’objectifs et de gestion [26] signées entre les caisses nationales
et les pouvoirs publics), en cohérence avec l’« esprit gestionnaire mobilisé
dans un projet politique de restructuration d’un État pour s’inscrire dans un
capitalisme mondialisé » (Le Galès et Scott, 2008, p. 326), à mesure que les
effets de la déstabilisation du compromis keynésien d’organisation du marché
(Polanyi, 1983) se sont faits sentir. Ainsi, par le biais de la loi du 25/07/1994,
les pouvoirs étatiques ont à nouveau réduit l’autonomie des caisses locales
vis-à-vis des caisses nationales : « Les principes fixés par cette loi restent à la
base de l’édifice actuel : la gestion séparée et l’autonomie des branches du
régime général, l’accroissement du rôle du Parlement en matière de Sécurité
sociale, et un renforcement des pouvoirs des organismes nationaux sur les
organismes de base, assorti d’un transfert de compétence de l’État vers les
organismes nationaux. » (Fontaine, 2005, p. 52). De manière un peu para-
doxale, alors que les politiques sociales étaient dorénavant présentées comme
articulées au territoire (notamment local), le système de protection sociale
voyait une partie des prérogatives et de l’autonomie des organismes de base
davantage contrôlée par le pouvoir central (Palier, 2002, pp. 362-378). On se
trouve ici en présence de mécanismes coercitifs de l’isomorphisme institu-
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tionnel mis en évidence par DiMaggio et Powell (1983, pp. 150-151), où
l’État, par son action directe, modifie les conditions dans lesquelles les orga-
nismes locaux de Sécurité sociale exerçaient jusqu’alors leur rôle.
Mais le poids de la tutelle étatique ne passe pas seulement par des outils ou
des changements organisationnels. Il est également renforcé par ce que
DiMaggio et Powell appellent les mécanismes de pressions normatives (ibid.,
p. 152) : nommés par le conseil des Ministres, les directeurs des quatre caisses
nationales sont majoritairement issus de l’ENA. Aussi, leurs dispositions
d’agents passés par le moule de la haute administration et ayant occupé des
postes similaires les conduisent à partager un certain nombre de visions
communes sur le sens à donner à la « modernisation » (Hassenteufel et al.,
1999) (27). Mais la dimension normative de l’isomorphisme normatif découle
également directement de la position stratégique que ces directeurs occupent

(26) Sur les conventions d’objectifs et de des réformes de l’État a été rappelé récemment
gestion, on pourra se reporter au numéro de par Baruch et Bezes (2006), en introduction
Droit social (1997). d’un numéro de la Revue française d’adminis-
(27) Le poids croissant, à partir des années tration publique consacré à ce sujet.
1960, des hauts fonctionnaires dans l’impulsion

103
Revue française de sociologie

dans l’institution, en particulier avec la possibilité, depuis 1996, de proposer à


la nomination les directeurs des caisses locales (et de les nommer directement
pour les CPAM, depuis 2004). Ainsi, depuis 1967 et surtout 1996, l’initiative
du recrutement du personnel est passée de l’échelon local (le conseil d’admi-
nistration des caisses), sous tutelle étatique (la nomination devait être agréée
par la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales), à l’échelon
national, en particulier pour la branche maladie. Dès lors, la trajectoire profes-
sionnelle des directeurs locaux est intimement liée à la manière dont ils
s’acquittent de leur fonction, au regard des attentes des autorités centrales.
Leur avenir individuel dépend dorénavant fortement de leur adhésion à
l’illusio véhiculée par les acteurs dominants de la configuration, et à leur réus-
site dans la lutte des places entre directeurs (voire entre agents de direction),
concurrence qui ne peut manquer d’accentuer le phénomène de conformation
normative précédemment évoqué, ainsi que les mécanismes mimétiques (troi-
sième dimension de l’isomorphisme institutionnel, et dont on trouve la trace
dans l’obligation de respect de la certification ISO et la recherche des
« bonnes pratiques ») dans un contexte de resserrement des moyens.
« Les directeurs de caisses locales sont en position de subordination, par rapport aux
caisses nationales. Ils ne sont pas en position de coproduction. C’est pour ça que, quand
les directeurs de caisses nationales se gargarisent sur leur réseau, ce n’est pas vrai, ce n’est
pas un réseau, c’est une hiérarchie maintenant. Un réseau, c’est un ensemble où les gens
sont interactifs, ce n’est pas le cas. Quand vous avez une relation hiérarchique, si je vous
nomme vous n’allez pas dire que vous êtes en réseau avec moi. Si j’alloue vos moyens, je
contrôle vos résultats et je vous évalue, est-ce qu’on est en réseau tous les deux ? Ça
m’étonnerait. » (ancienne directrice de l’UCANSS).
« Les directeurs de caisses primaires ont moins de pouvoir qu’ils n’en ont eus à une
époque. Notamment avec tout ce qui est tombé avec la réforme… bon. Leurs axes stratégi-
ques, c’est plus eux qui les choisissent depuis qu’il y a la mise en place des COG, ils ont
pas de liberté de manœuvre, on leur dit c’est tel axe, c’est telle priorité, etc. et puis les
moyens c’est en fonction des priorités définies. » (responsable de l’administration géné-
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rale, Centre de traitement informatique).

Indéniablement, l’isomorphisme institutionnel actuellement à l’œuvre


bouleverse le mécanisme de pression normative (à travers le rôle des direc-
teurs en matière de recrutement des salariés, et celui du conseil d’administra-
tion) qui assurait jusque-là le maintien des dispositions à l’autonomie locale
dans les habitus professionnels.

Les effets sur l’UCANSS

Nous avons vu plus haut que la liberté de mouvement de l’UCANSS a été


longtemps à la hauteur de l’autonomie des différents organismes du régime
général, mais que sa mission de transversalité la plaçait dès le départ dans une
position de porte-à-faux vis-à-vis des organismes du régime général, dans un
contexte de flou juridique :
« Si l’on a créé l’UCANSS, c’est parce que les caisses nationales n’avaient pas le pou-
voir de négocier la convention collective. Après, les juristes ont ergoté sur le fait de savoir
si la loi peut instaurer une compétence spécifique qui nécessairement est déléguée au

104
Stéphane LE LAY

terme de la loi, enfin bon bref, toujours est-il que cette question ne s’est jamais posée de
manière claire jusqu’en 2001. » (ancienne directrice de l’UCANSS).

En effet, les missions de l’UCANSS ont été redéfinies par l’article 75 de la


loi de financement de la Sécurité sociale du 21/12/2001 et le décret du
6/03/2002 (28). Dans les grandes lignes, l’UCANSS a donc pour objet prin-
cipal : d’assurer les tâches mutualisées de la gestion des ressources humaines
pour le compte des quatre branches ; de négocier et conclure les conventions
collectives nationales (classifications, salaires, conditions de travail, temps de
travail) ; d’évaluer, de coordonner et de participer à la mise en œuvre des
politiques de formation du personnel ; d’assurer le suivi de gestion prévision-
nelle de l’emploi, des effectifs, de la masse salariale et des politiques de
recrutement du régime général. Ce travail de clarification juridique s’est
accompagné, courant 2001, d’un mouvement similaire à celui observé pour
les caisses locales, l’autonomie de l’UCANSS vis-à-vis des caisses nationales
diminuant drastiquement au moment de la création du comité exécutif
(COMEX), lors d’une redéfinition des instances décisionnelles de l’orga-
nisme :
« On a un conseil d’administration à deux étages, donc toujours l’étage supérieur, on
va dire, qui est le conseil d’administration classique, paritaire, et un étage inférieur qu’on
appelle le COMEX, où siègent les quatre caisses nationales. L’exécutif est directement
confié aux caisses nationales et quatre représentants des organismes de base, le COMEX
ayant le pouvoir de nommer et révoquer le directeur de l’UCANSS. » (ingénieur de forma-
tion, UCANSS).

Ces changements visaient à accroître la coopération entre acteurs contre les


tendances au cloisonnement :
« Clairement dans le fonctionnement tel qu’on a pu l’avoir jusqu’à la création du
COMEX, ça veut pas dire qu’on ne travaillait pas avec les caisses nationales, on travaillait
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avec, mais quelque part les décisions n’étaient pas suspendues à l’approbation des caisses
nationales. Alors que là, il faut que l’on arrive à une forme de consensus entre l’ensemble
des acteurs. » (responsable pôle commission paritaire nationale de l’emploi et de la forma-
tion professionnelle, UCANSS).

De ce fait, si la volonté déclarée de développer la transversalité interbran-


ches s’inscrit dans un mouvement de longue durée, dont l’enjeu a été de trans-
former l’architecture du régime général dans une optique homogénéisatrice
d’abord portée par l’État, puis par les caisses nationales, ce mouvement ne va
pas sans contradictions, liées à l’architecture de l’institution, qui entretiennent
des tensions entre dynamiques inter- et intrabranches :
« Le COMEX a pris du pouvoir du directeur. On a traversé un an et demi/deux ans de
difficultés majeures parce qu’il y avait une incompatibilité entre le directeur et le
COMEX. On a eu un nouveau directeur l’année dernière. Donc quand on a commencé à

(28) L’ancienne directrice de l’UCANSS ou une branche, ou si les organismes locaux


considère pourtant que cela n’a guère clarifié indépendants ne forment qu’une juxtaposition
les choses : d’un point de vue juridique ni la d’employeurs de droit privé, soumis à la même
loi, ni la jurisprudence n’ont tranché la question convention collective nationale et libres de
de savoir si l’UCANSS représente un groupe conclure des accords d’entreprise.

105
Revue française de sociologie

travailler avec les caisses nationales, ils sont arrivés “c’est nous les patrons, donc vous fe-
rez comme nous on le souhaite”. Mais comme elles sont quatre, il suffit de les mettre au-
tour de la table pour s’apercevoir qu’elles ont des enjeux et des souhaits différents. »
(chargé d’études, créateur du portail @tout.net, UCANSS).
« Il y a une tendance quand même à développer des politiques de branche, et c’est ren-
forcé aussi par le fait que chaque caisse nationale signe une convention d’objectifs et de
gestion avec le ministère de tutelle sur une période de quatre ans, et ça se fait par branche.
Ils ont des objectifs spécifiques à chacune des branches, même s’il y a des tendances com-
munes. Donc il y a un certain nombre de faisceaux convergents qui encouragent les cais-
ses nationales à raisonner par branche, et ça devient d’autant plus compliqué de faire
circuler l’idée que l’on est aussi une institution globale et que l’on devrait pouvoir faciliter
un certain nombre de mobilités notamment. » (responsable pôle commission paritaire na-
tionale de l’emploi et de la formation professionnelle, UCANSS).

Ces différentes tensions contradictoires ne pouvaient rester sans effets


durables sur l’outil informatique mis en place par la Direction de la formation
professionnelle de l’UCANSS.

La transversalité institutionnelle : un frein à l’appropriation


technologique

L’histoire institutionnelle et les ambiguïtés de la position de l’UCANSS


ont eu deux grands effets : d’abord, une réserve certaine des salariés de la
Sécurité sociale vis-à-vis de l’organisme ; ensuite, le voisinage de différents
systèmes technologiques concurrents à @tout.net.

Une distance des usagers vis-à-vis de l’UCANSS


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Représentant une position centralisée, quoique mal identifiée et inconfor-
table, l’UCANSS a souffert dès son origine d’un déficit de légitimité au sein
des organismes locaux et nationaux (29), qu’une interviewée formule de la
manière suivante : « À chaque fois qu’il y a une réforme dans l’air la question
c’est “est-ce que l’on garde l’UCANSS ou est-ce qu’on la supprime ?” » Si
les prises de position ne sont pas toutes aussi tranchées, on ne peut toutefois
pas les écarter d’un revers de la main lorsque l’on constate l’évitement du
portail @tout.net.
« Je ne sais pas comment les clients extérieurs se… tu vois des gens comme les CRFP,
les stagiaires, je ne sais pas comment ils interprètent ça. Ça m’intéresserait de savoir. […]
ça m’intéresse de voir un petit peu pourquoi à leur niveau ça n’a pas… tu vois comment ils
se représentent l’outil, comment… ce qui a été manqué […] Tu vois parfois quand tu par-
les d’@tout.net, nous à l’UCANSS, on a l’impression qu’on est genre “Ouais @tout.net…
– Putain, ils nous font chier avec @tout.net, l’UCANSS !” [rire] Tu vois ce que je veux
dire ? » (chargée de formation, UCANSS).

(29) Le refus de la CGT de siéger pendant plusieurs années dans les nouveaux conseils issus de
la réforme de 1967 en est une marque.

106
Stéphane LE LAY

Même si l’on peut considérer que l’interviewée procède en partie à une


extrapolation, il faut convenir avec elle que la vision des (non-)utilisateurs
dénote une certaine distance vis-à-vis de l’UCANSS, ainsi que l’indiquent
(d’abord avec prudence) ces échanges entre deux responsables de formation
de CRFP :
« Réponse 1 : il y a quand même – je le dis, tant pis – il y a quand même le fait que ce
soit UCANSS. Je l’ai dit, vous vous attendiez à ce que je le dise. [rires collectifs…] on
leur amène un outil UCANSS, en plus un outil informatique pour les informaticiens [sou-
rire]. Bon. Même si l’outil est bien, je veux dire ce n’est pas… mais il y a la connotation
UCANSS derrière. Je ne sais pas trop si ça… je ne sais pas… enfin moi j’ai eu quelques
réactions par rapport à ça. Je ne dis pas que c’est pour ça que ça ne marche pas, je pense
que la problématique branche est plus importante. Mais il y a aussi peut-être l’imprimatur
UCANSS derrière […].
Question : c’est quoi ? c’est que l’UCANSS n’est pas identifiée comme une institution à
part entière ou c’est un problème de légitimité, c’est-à-dire que les gens savent ce qu’est
l’UCANSS et ils…
Réponse 1 : oh ils savent ce qu’est l’UCANSS, mais… [souffle].
Question : ils ne reconnaissent pas de légitimité à l’UCANSS ?
Réponse 2 : bah c’est comme dans toute entreprise, vous avez le siège social et les anten-
nes de production ou autres. Il y a toujours conflit entre le terrain et les structures plus
haut. Ça, ça se retrouve partout. Que ce soit Sécu ou pas Sécu. Là, c’est ce qu’il se passe,
c’est une structure nationale. Vous avez pareil quand on parle de la CNAM, par
exemple. »

La fin des propos pourrait laisser penser que le problème se situe unique-
ment sur la question de la répartition du pouvoir local/national, le cas de
l’UCANSS étant mis sur un même plan que celui d’une autre caisse nationale.
Si ce point joue un rôle indéniable (comme part du conflit pour l’autonomie
des caisses locales), il se double du problème de légitimité propre à
l’UCANSS, telle qu’elle est perçue par les agents locaux :
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« Il y en a une dans la formation, elle n’a pas eu @tout.net du début de la formation à
la fin. Pourtant ça fait partie des pré-requis qui sont demandés par l’UCANSS. Donc là je
dis qu’il y a un problème. Bon il y a le problème de la légitimité de l’UCANSS, même si
l’UCANSS ça regroupe les caisses, mais quand même je pense que quand on reçoit des di-
rectives on devrait a minima l’appliquer. » (conseiller en organisation, CPAM).
« Je pense que c’était plus pratique d’aller sur sa messagerie perso [de branche], quoi,
et après il y a peut-être – bon ça c’est un point de vue plus personnel –, comme on était
dans le cadre d’une formation où c’étaient des documents de travail qu’on échangeait, fi-
nalement je préférais utiliser ma messagerie personnelle […] d’avoir plus de liberté
peut-être par rapport à l’organisme de formation.
Question : par rapport à l’UCANSS ?
Réponse : [hochement de tête positif] hum. » (conseillère en organisation, CPAM).

La confusion sémantique de l’interviewée quand elle évoque sa « messa-


gerie personnelle », qui est en fait professionnelle (et de branche), indique en
négatif qu’@tout.net est considéré comme « non personnel ». Les échanges
amorcés durant la formation continuent alors par d’autres biais.
« Aller raconter ma vie sur le chat d’@tout.net, ça ne m’intéresse pas. Je ne suis pas
comme ça. Bon, il y a un répertoire de gens qui ont accès à ce site, je ne connais pas la
personne, je ne vais pas communiquer.
Question : même si elle fait partie de votre communauté ? Si vous ne la connaissez pas,

107
Revue française de sociologie

vous n’allez pas aller la…


Réponse : bah non. Même les gens que j’ai rencontrés pendant la formation, il y a plus ou
moins des liens qui se sont créés, mais bon je n’utilise pas ce moyen pour communiquer
avec elles, enfin avec le garçon quoi.
Question : c’est plus le mail ou le téléphone…
Réponse : oui. » (gestionnaire comptable, CPAM).

L’outil collaboratif ne permet pas de s’aménager des espaces réservés à des


formes d’intimité, puisque chacun demeure sous le regard permanent des
autres :
« Sur @tout.net tout reste de toute façon. Et effectivement si après quelqu’un ne va pas
faire la démarche de le supprimer, ça reste et c’est visible par tous ceux qui y ont accès.
Alors que le mail, ça va ça vient, ce n’est pas forcément affiché dès qu’on ouvre la page. »
(fondée de pouvoirs, CAF).

On est certes là face à une question classique de représentation de soi et


d’épreuve de jugement (Rot, 2005, p. 10). Toutefois, le retrait d’@tout.net
semble signaler une défiance directe vis-à-vis de l’UCANSS, comme institu-
tion de formation :
« Quand les gens avaient du travail à rendre, tout ça, là ça peut devenir intéressant
qu’il y ait du partage, mais concrètement ça ne se fait pas par @tout.net, les mecs ils cho-
pent leurs adresses perso, ils se les échangent entre eux, pas sous le regard institutionnel.
Bien évidemment. Je veux dire tu vas dealer “ouais passe-moi ce que t’as fait, je repren-
drai deux/trois idées”, tu ne vas pas le faire sur @tout.net, tu n’es pas crétin. Tu ne sais
pas ce que les gens [de l’UCANSS] vont en faire. On est chargés de projet, ils ne savent
pas ce que ça veut dire, où s’arrête notre autorité, notre pouvoir et tout ça. Franchement,
on n’en aurait rien à faire, hein, moi ça m’amuserait plutôt de voir des trucs de partage,
mais eux ils ne le savent pas et ils ont raison de ne pas s’exposer à ce risque-là. Tu vois ?
Il y a des traces, et tout. » (chargée de formation, UCANSS).
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Dans ce cadre, l’adresse professionnelle de branche permet de réinjecter
une logique d’échanges informels (« dealer », « pas sous le regard institu-
tionnel »), au regard de l’UCANSS, ce qui revient notamment à ne pas mettre
en danger sa professionnalité : n’oublions pas que se mettre en position de
demande équivaut à admettre que l’on ne sait pas. Mettre en scène ses propres
limites professionnelles, dans une institution en pleine transformation, et
cherchant à développer un système de knowledge management (30) et à
évaluer des « compétences » pour mesurer la productivité de ses salariés, peut
être considéré comme risqué par ces derniers.
« Quand on remonte au niveau du national par un outil informatique, donc on n’est pas
dans le face-à-face, où l’on n’a pas… voilà, qu’est-ce qu’on en fait de ça ? Jusqu’où on
peut aller dans l’expression. Moi ça je ne sais pas, je n’ai pas de repères là, je n’ai pas
quelque chose qui me dit “tu peux faire des états d’âme mais des états d’âme qui peuvent
participer aussi à une réflexion qu’on peut alimenter”. […] ce qui va en être dit, ou pas dit,

(30) Système que l’on peut définir comme de toute nature et format ainsi que dans la “tête
« le processus de capture et d’enregistrement de des individus”) puis de sa redistribution là où
l’expertise collective d’une entreprise quel que elle est susceptible de produire les meilleurs
soit l’endroit où cette dernière réside (les bases profits » (Crié, 2003, p. 67).
de données internes ou externes, les documents

108
Stéphane LE LAY

comment ça va être traité ? Et ça peut être interprété aussi, parce que c’est tout l’inconvé-
nient de l’outil, il n’y a pas de feed-back immédiat qui te permet de dire “attends je me
suis mal exprimé, ce que j’ai voulu dire c’est ça”. Non, on n’a pas ça. C’est une parole et
c’est un écrit. Donc qui reste et qui ne peut pas être après… comme tout écrit, interprété,
réinterprété, remanipulé, machin patin couffin, etc. Le sens nous échappe par rapport à
ça. » (formatrice, CRFP).

Ces risques de voir le sens des écrits échapper à leurs auteurs sont particu-
lièrement sensibles dans la configuration actuelle, où des mécanismes
d’isomorphisme institutionnel et d’isomorphisme compétitif bousculent
l’équilibre organisationnel antérieur, en remettant en cause l’autonomie des
caisses locales et en accroissant la concurrence entre organismes, comme
nous l’avons dit plus haut.
« Les directeurs de caisses avec ce système se vivent plus comme rivaux que
comme… Ils sont plus en rivalité, puisqu’il y a un classement des caisses, un classement
des résultats, une évaluation des directeurs, et ainsi de suite, donc je ne dis pas qu’il ne
faut pas une saine émulation, je ne dis pas ça, mais je veux dire, spontanément, ils n’ont
pas forcément envie de diffuser leurs bonnes pratiques et ainsi de suite. Ça, c’est les li-
mites de l’individualisation, moi je suis pour une part d’évaluation et d’individualisa-
tion, mais il faut bien savoir où l’on met les pieds. Ça ne se manage pas de la même
façon. Donc à la limite il y avait peut-être plus de coopération dans le passé sur certains
aspects qu’aujourd’hui pour ces raisons-là, mais qui ne sont pas des raisons politique-
ment correctes à exprimer, mais qui sont quand même bien réelles. » (ancienne directrice
de l’UCANSS).

Ce point de vue est partagé par deux autres interviewés, qui insistent sur la
discrétion recherchée par les salariés des organismes locaux :
« Disons que le directeur de M. n’a pas trop envie que le directeur de N. voie ce qui se
passe dans sa caisse. Parce qu’en général quand il y a une étude c’est qu’il y a un pro-
blème, et donc on voit les problèmes d’une autre caisse. Chacun garde son territoire […]
tout le monde est prudent à la caisse. » (conseiller en organisation, CPAM).
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« On est des caisses, il y a de la “compétition”, chacun est dans son domaine et si je
peux faire mieux que mon voisin, pourquoi j’irais partager avec lui ce que je sais faire ? et
ainsi de suite. […] Quand je demandais “est-ce qu’on peut partager ce type de dossier ?
est-ce qu’on peut échanger ? est-ce qu’officiellement il y a quelque chose de dit ?” Non,
officiellement on ne vous dira rien, mais officieusement on vous demande de ne pas…
vous n’êtes pas là pour passer votre dossier, ce que vous avez fait. […] j’aimerais que clai-
rement on définisse un peu un champ, qu’on restreint ou qu’on ne restreint pas, mais
qu’on ait un minimum de règles pour dire en termes de partenariat d’un organisme à un
autre qu’est-ce qui est autorisé et qu’est-ce qui n’est pas autorisé. » (conseillère en organi-
sation, CPAM).

Ainsi, les mécanismes coercitifs et normatifs d’isomorphisme institu-


tionnel visant à développer la mobilité et la transversalité se heurtent aux
mécanismes antérieurs (cloisonnement de branche et autonomie locale). À ces
tensions s’ajoutent celles découlant de la mutualisation des moyens au niveau
des branches : partage et coopération sont en effet ébranlés par l’isomor-
phisme compétitif, qui conduit à des pratiques de repli sur soi intrabranche,
voire local. De ces différentes tensions surgissent des contradictions dont on
ne peut pas encore connaître l’issue certaine : le cloisonnement va-t-il rester
de mise sous des formes renouvelées ou la transversalité va-t-elle s’imposer

109
Revue française de sociologie

sous l’effet de la raréfaction des ressources et la nécessité d’échanger ? Quoi


qu’il en soit, on comprend pourquoi @tout.net, lui-même vecteur de ces
contradictions, ne pouvait que rencontrer des freins à son appropriation, et ce
d’autant qu’il s’intègre au sein d’une architecture technologique elle-même
touchée par les processus d’isomorphisme institutionnel dont nous avons déjà
parlé.

Les tensions territoriales de l’architecture technologique intrabranche

Aux débuts de l’informatisation de l’activité des organismes du régime


général, la structuration sociotechnique a été profondément marquée par la
position autonome des caisses locales travaillant de manière conjointe, sous
l’impulsion de « pionniers », qui expérimentèrent des modèles locaux ou
régionaux, souvent sur la base d’affinités personnelles. La coopération fonc-
tionnait donc, le cloisonnement local des organismes étant en quelque sorte
subverti par des relations interpersonnelles fondées sur la confiance. Toute-
fois, cette « subversion » ne dépassait pas le cadre intrabranche, et elle fut
finalement rattrapée par les caisses nationales, qui impulsèrent progressive-
ment leurs propres normes techniques (schémas directeurs, matériels, logi-
ciels, etc.), dans le but de mutualiser les efforts et d’améliorer l’efficacité des
systèmes.
« Donc il y a eu des efforts des caisses nationales, c’est une longue période difficile,
chaotique et pas gratifiante, parce que ceux qui avaient avancé avaient fait des choses, et
ceux qui n’avaient rien fait devaient se retrouver sur une application nationale, ce qu’on
appelait le modèle national. Donc ceux qui étaient en avance forcément régressaient en
prenant le modèle national, ce qui n’est quand même pas très porteur, et ceux qui
n’avaient rien fait étaient obligés d’avoir le choc de l’informatisation. Le tout dans un
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contexte de tensions sur les moyens, et donc tout de suite la question posée des gains de
productivité. Des gains de productivité, des suppressions d’emploi et des réductions
d’effectifs, etc. » (ancienne directrice de l’UCANSS).

À nouveau donc, la dynamique de rationalisation (ici informatique) a


emprunté le chemin de la division de branches (systèmes d’information
séparés et étanches, logiciels de paie différents, etc.), les organismes locaux
les plus importants développant même leur propre intranet, au sein du système
d’exploitation national. Par ailleurs, la politique de mutualisation conduisit à
la mise en place de systèmes renforçant le caractère intrabranche de la structu-
ration du régime général :
« Ici vous êtes dans un centre de traitement informatique de l’assurance maladie (vous
avez les mêmes structures dans le recouvrement, dans la famille et dans la vieillesse mais
je connais moins leurs structures). C’est une union de plusieurs caisses primaires de la ré-
gion. On fait leur traitement informatique. […] Vous avez pour la branche maladie neuf
CTI, qui en fait sont les prestataires de services des caisses pour assurer les traitements.
Quand la feuille de soin électronique est saisie chez le médecin, elle arrive sur un concen-
trateur chez nous, et elle est rentrée dans les flux qui sont envoyés aux CPAM. Les
CPAM, quand elles saisissent des feuilles de soin, pour que le paiement se fasse, c’est sur
les traitements de nos machines que ça se fait. » (responsable de l’administration générale,
centre de traitement informatique).

110
Stéphane LE LAY

Ce regroupement de l’activité contribua également à réduire l’autonomie


des caisses locales.
« Dans un CTI, par rapport à une caisse primaire, on est beaucoup plus sous tutelle de
la caisse nationale en raison de l’impact budgétaire sur les équipements et les aspects stra-
tégiques, donc on est vraiment complètement… on ne peut pas prendre… on n’a pas vrai-
ment… enfin on a la personnalité morale juridiquement, mais en fait on ne peut pas
bouger le petit doigt si la caisse nationale n’est pas d’accord, donc tous nos recrutements
sont soumis à autorisation, tous nos budgets sont soumis à autorisation, etc., ce qui limite
complètement la marge de manœuvre. […] parce qu’on est dans une architecture natio-
nale, les investissements, ce n’est pas nous qui décidons, c’est la caisse nationale dans le
cadre d’un schéma national, et il faut que tous les CTI soient équipés de la même façon et
travaillent de la même façon, de façon à ce qu’un assuré soit payé de la même façon à
Marseille ou à Lille. » (ibid.).

On retrouve donc des dynamiques déjà pointées plus haut, la transversalité


recherchée par l’UCANSS rencontrant dès son origine des freins sociotechni-
ques importants, que les caisses nationales et l’UCANSS allaient progressive-
ment chercher à faire tomber, @tout.net apportant sa contribution :
« @tout.net, qui était un outil sur lequel ils n’avaient pas d’intérêt parce qu’ils ont leur
propre réseau, leur propre intranet, outils de communication, maintenant ils y voient un in-
térêt parce qu’ils voient que c’est le seul outil interbranches. Comme l’interbranches leur
rapporte aussi une forme d’intérêt, parce que ce qu’ils n’arrivent plus à faire passer éven-
tuellement dans leur branche, ils vont le mettre à notre niveau, et nous on peut le passer en
interbranches, comme décision collective. […] À partir du moment où c’est mis en inter-
branches et qu’il y a une décision qui est approuvée y compris par le COMEX, etc., ce
n’est plus une problématique de ma branche, c’est une problématique de toute l’institu-
tion, et le pouvoir ce n’est plus moi responsable du réseau de ma branche, c’est une déci-
sion du COMEX prise au niveau de l’UCANSS par toutes les caisses nationales. @tout.net
en fait partie dans la mesure où ça rentre dans cet enjeu de globalisation institutionnelle de
la formation. » (chargé d’études, créateur du portail @tout.net, UCANSS).
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Malgré ces efforts, le cloisonnement intrabranche et l’autonomie locale
ralentissent le déploiement des processus d’isomorphisme institutionnel
repérés plus haut, cette fois dans le domaine technique, et expliquent que
continue d’exister, au sein de chaque configuration locale, un mode spéci-
fique de répartition des ressources informatiques. C’est ainsi que nous avons
rencontré des stagiaires bénéficiant d’ordinateurs portables, de clés USB et
d’accès WIFI, quand d’autres nous ont expliqué qu’ils disposaient d’un ordi-
nateur pour deux ou trois, et que la demande d’accès à @tout.net avait dû
suivre la voie hiérarchique classique, la responsable du service les accueillant
en stage devant faire une demande justifiée aux services techniques avant
toute ouverture du réseau.
« Pour la formation, nous on a fait un peu le forcing auprès du CRF, pour leur deman-
der à ce qu’ils interviennent auprès des responsables chez nous pour qu’on ait un accès
Internet. Et c’est grâce à ça qu’on a eu accès à Internet, sinon on ne l’aurait jamais eu.
Qu’on ait un accès ouvert, sans mot d’utilisateur, sans mot de code. Donc on a eu un accès
libre… enfin libre… À la fois libre et à la fois bien sûr bien cloisonné, parce que bon il ne
faut pas non plus qu’il y ait des débordements, que ça ne serve bien que pour la forma-
tion. » (technicienne agent comptable, CPAM).

111
Revue française de sociologie

Il est intéressant de noter que certains stagiaires ayant eu accès à Internet


pour la période de formation ont ensuite vu cet accès supprimé, la logique
locale reprenant le dessus dans l’exercice du métier :
« Ici on avait accès à Internet, on nous avait donné accès à Internet, mais après c’est
une chose qui a cessé dès qu’on a travaillé. @tout.net continuait à nous envoyer ce qu’on
pouvait trouver, moi je ne suis pas allée… je trouve contraignant d’aller dans le bureau de
la responsable… [souffle] c’est contraignant. Ce n’est pas adapté après au milieu profes-
sionnel. C’est intéressant mais… Je ne sais pas si l’UCANSS a conscience [rire]. On n’est
pas prêts… je ne pense pas qu’on soit prêts dans les caisses à travailler comme ça.
Question : c’est-à-dire ?
Réponse : en donnant l’accès à l’information à tout le monde. » (conseillère en organisa-
tion, CPAM).

Pour rendre intelligibles ces différences dans le déploiement du « mode


individualisé de compétence » (31) que représente l’accès à @tout.net, les
agents rencontrés mobilisent, au gré de leurs expériences personnelles, des
explications différentes, non exclusives les unes des autres (32). Certaines
sont avant tout morales :
« Internet est limité pour tout le monde. Après vous savez il y a sûrement des gens qui
passent leurs journées dessus [rire], je pense. Tout est… On ne sait pas faire dans le rai-
sonnable à la caisse. Enfin si, il y a des jeunes comme moi, comme V., tout ça, bon, tant
bien que mal parce que je pense que nos études et ce qu’on nous a enseigné nous permet
justement de… Mais les anciens ici, vous leur donnez un doigt ils vous le bouffent entier,
quoi. [rire] Ils n’attendent même pas que vous leur donniez. » (technicienne agent comp-
table, CPAM).

D’autres explications privilégient des arguments financiers ou sécuritaires


(les accès doivent être limités au maximum pour éviter tout problème de virus
ou de pénétration du système), quand certaines font résonner la relation
savoir/pouvoir analysée en son temps par Foucault : l’accès à Internet – et
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@tout.net – constitue une marque matérielle du pouvoir symbolique lié au
statut ou une marque de confiance de la part de la hiérarchie.
« Tu peux envoyer partout avec Hermès [système de messagerie de la branche ma-
ladie]. Enfin ça dépend… c’est toujours pareil. Tout dépend de ton profil. Nous, en tout
cas, on peut sortir, on peut envoyer à tout le monde en France. Mais c’est vrai que sur Her-
mès il y en a certains qui sont bloqués, qui peuvent rester que dans la caisse [locale].
Nous, on peut envoyer partout. » (technicienne, CPAM).
« C’est très valorisant de pouvoir avoir un accès Internet et de ne pas être limité ou
bloqué par rapport aux informations qu’on peut trouver sur le net, et c’est lié aussi à la
culture interne, l’information est détenue par le hiérarchique, Internet étant source d’infor-
mations, c’est source de pouvoir. Donc les accès sont limités. […] Historiquement, il y
avait des accès Internet mais il devait y en avoir deux/trois dans les caisses. Le directeur,

(31) Sans pouvoir développer ici cette dualisé de compétence.


dimension, les salariés que nous avons (32) « Manque de confiance, sûrement, on
rencontrés utilisent l’ordinateur selon un mode n’est pas équipés en Internet, je ne sais pas si
autonome et fondé sur leurs dispositions c’est un manque de confiance ou un manque
professionnelles et personnelles, que Gollac et de moyens, peut-être un peu des deux. »
Kramarz (2000) assimilent à un mode indivi- (conseillère en organisation, CPAM).

112
Stéphane LE LAY

l’agent comptable et puis le directeur adjoint, grosso modo. Donc maintenant ça se déve-
loppe, c’est un petit peu étendu, mais sur trois cents, il y a quarante accès chez nous. Donc
on va dire, de façon péjorative, que le commun des mortels ou le technicien de base il n’y
a pas droit. » (auditeur, CAF).

On sait effectivement que les « ordinateurs ne sont pas attribués aux sala-
riés au hasard. L’usage de l’informatique suppose un minimum de capital
scolaire, tout en apparaissant comme un outil de second rang, car elle tend à
être moins utilisée par ceux dont le niveau scolaire est le plus élevé. Il
suppose aussi une certaine ancienneté du salarié : les entreprises attribuent en
priorité les ordinateurs aux employés qu’elles connaissent, en qui elles ont
confiance. Enfin, il semble que ce sont les salariés les mieux rémunérés aupa-
ravant qui bénéficient en premier des équipements informatiques. Si les liens
entre informatisation et organisation reflètent la diffusion de logiques de
travail plus horizontales au sein des entreprises, la diffusion du matériel infor-
matique aux salariés tend à suivre, quant à elle, une logique tout à fait hiérar-
chique. Cette logique verticale est persistante » (Greenan et Walkowiak,
2004, p. 10).
Certes, notre étude ne nous permet pas de mesurer le poids des différentes
explications avancées par les interviewés. Pour autant, l’existence de ces
accès différenciés au dispositif informatique freine mécaniquement l’usage
d’@tout.net pour ceux des agents non ou peu pourvus en « capital technolo-
gique » par leur organisme. Et l’on peut conclure que, dans ces cas,
l’influence de la culture locale en matière informatique s’exerce au détriment
des impulsions transversales nationales, et des intérêts du stagiaire, qui doit
alors se replier sur d’autres outils technologiques.

*
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* *

@tout.net, outil technique intégré développé par l’UCANSS, offre la possi-


bilité à des stagiaires en formation continue, originaires des différentes bran-
ches de la Sécurité sociale, de communiquer entre eux sans pâtir de
l’existence de réseaux technologiques séparés. Pourtant, son mésusage est
massif. Ce cas, intéressant en ce qu’il décrit une organisation peu connue du
régime général, permet également de questionner, dans un cadre a priori favo-
rable à la création et l’échange de connaissances, certains présupposés du
knowledge management. Certes, des analyses sociologiques (par exemple, Rot
[2005]) ont insisté sur les limites empiriques sur lesquelles sont bâties les
approches théoriques du knowledge management fondées sur une approche
technologique : simplification des processus de coopération dans le travail,
non prise en compte des rapports de pouvoir entre salariés, désincarnation des
processus d’apprentissage, confusion entre accumulation des données et créa-
tion de connaissances, etc. N’en demeure pas moins fortement ancrée l’idée
selon laquelle le knowledge management s’inscrit dans une perspective de
transversalité visant à développer une vision commune de valorisation du

113
Revue française de sociologie

savoir et de la transmission des connaissances au sein des organisations (33),


et donc à faire progressivement tomber les barrières à la convergence (techno-
logie, organisation, savoir-faire), en rationalisant les processus productifs, et
en partageant les « bonnes pratiques ».
Or, le cas de la Sécurité sociale, avec l’importance de ses dynamiques
institutionnelles, renseigne sur les limites des approches prônées lors de la
mise en place des systèmes de knowledge management. On a vu que la redon-
dance technique, liée au cloisonnement historique des organismes de Sécurité
sociale en général et de l’UCANSS en particulier, constitue une raison impor-
tante dans l’évitement d’@tout.net. Les « managers des connaissances »
mettent en effet en garde contre les effets négatifs que la juxtaposition des
canaux de diffusion provoque pour une « bonne gestion de la connaissance »
dans l’organisation (Henry et Tinet, 2000). La réalité empirique ne peut ici
leur donner tort, en rappelant néanmoins que les connaissances ne se résument
pas à des formes symboliques stockables (si l’on suit Nonaka et Takeushi
[1997], les connaissances impliquent une circulation permanente entre diffé-
rentes strates hiérarchiques, et l’on peut ajouter, en suivant les travaux classi-
ques de sociologie et de psychodynamique du travail, qu’elles passent par la
matérialité du corps), ni leur gestion à une question de « tuyaux » : « Les
dispositifs de gestion des connaissances se rangent aux intérêts des acteurs. Ils
concourent à la circulation des connaissances créatrices dans les milieux qui
la pratiquent spontanément ; ils échouent à le faire dès lors que les situations
d’action ne leur sont pas propices. » (Segrestin, 2004, p. 290).
Et, de fait, les entretiens indiquent clairement une utilisation tactique
(Certeau, 1990) des différents moyens technologiques disponibles. Engagés
en un équilibre spécifique des rapports sociaux dont ils n’ont pas nécessaire-
ment une claire conscience, et encore moins une maîtrise des logiques organi-
satrices, les stagiaires se saisissent des possibilités au coup par coup en
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fonction de ce qui paraît le plus simple et efficace eu égard au résultat attendu
(n’oublions pas que les dispositions incorporées permettent le déploiement
routinisé des schèmes de perception et d’action) : la configuration institution-
nelle locale – médiatisée par des outils spécifiques comme les messageries
personnelles –, en tant qu’elle renvoie à des collectifs de travail fonctionnant
« sur la base d’un “dispositif de jugement fondé sur la confiance interperson-
nelle” qui concurrence directement et met en échec un “dispositif de jugement
fondé sur la confiance impersonnelle” » (Karpik cité dans Rot, 2005, p. 692),
représente une instance à la fois plus accessible et plus facilement maîtrisable,

(33) Pour une synthèse managériale récente nécessairement sociale et organisationnelle de


des effets (limités) du knowledge management tout processus de gestion des connaissances »
sur le partage du savoir dans les entreprises, (ibid., p. 148). Ces deux pôles extrêmes ont
voir par exemple Grimand (2006). L’auteur pour conséquence une surcodification des
insiste sur les deux déboires majeurs en ce connaissances (qui deviennent, faute de contex-
domaine : la réduction de « la gestion des tualisation, difficilement appropriables) et une
connaissances à une infrastructure technolo- sursocialisation (les connaissances restent
gique et au déploiement de solutions ancrées dans leur contexte local et ne sont pas
logicielles » ; l’insistance sur « la dimension appropriées collectivement).

114
Stéphane LE LAY

car mieux connue, et a donc toutes les chances d’être privilégiée dans le
processus d’apprentissage. À l’inverse, en apparaissant comme un outil
étranger, @tout.net crée une distance, et n’est utilisé que dans des circons-
tances particulières, bien souvent réglées selon des modalités définies lors de
rencontres physiques préalables. En ce sens, on peut donc dire que l’habitude
intrabranche des organisations l’emporte sur la nouveauté transversale
recherchée par l’institution.
Ainsi, pour rendre compte de l’équilibre du pouvoir dans le processus de
formalisation collective du savoir et donc de la valorisation du capital culturel
des agents, fonctionnant en étroite interdépendance avec leur capital
social (34), l’analyse ne peut faire l’économie de l’histoire institutionnelle
globale, qui influe sur les trajectoires individuelles. Faute de quoi, elle ne peut
réellement saisir l’organisation des forces, souvent contradictoires, modelant
la tension entre confiance et méfiance dans les relations interpersonnelles
transversales à plusieurs organisations locales prises dans des dynamiques de
grande ampleur modifiant profondément leur mode de gouvernement.
Stéphane LE LAY
CRESPPA
Cnrs-Universités Paris VIII-Paris X
59-61, rue Pouchet
75017 Paris
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(34) « Dans le cas de l’informatique au connaissances, le goût pour tel type de travail,
moins, la valorisation du capital culturel repose l’aptitude à nouer des relations avec certaines
[…] sur une succession de transformations : de personnes, joueront, à tel ou tel moment, un
capital culturel en capital social, de capital rôle-clé. Le processus est dynamique. Les
social en capital culturel. Au cours de ces relations nouées sur la base de certaines dispo-
processus de valorisation, les dispositions à sitions et de certains savoirs engendreront de
l’égard des techniques, les dispositions nouveaux savoirs et de nouvelles disposi-
morales, le genre de vie et de loisirs, les tions. » (Gollac et Kramarz, 2000, p. 12).

115
Revue française de sociologie

ANNEXE I

L’outil @tout.net est apparu en 1997, période où, selon son créateur, les quelque 10 000 informa-
ticiens du régime général se trouvaient face à des difficultés liées à un décalage entre les nouvelles
attentes de l’institution (réseau) et leur qualification acquise (développement), en raison notamment
des évolutions de la structuration technique des organismes liée à la « modernisation » (carte vitale,
techniques de gestion de documents, etc.). Cela à un moment où les responsables de la Sécurité so-
ciale privilégiaient la voie technologique pour accroître la productivité du travail tout en diminuant la
main-d’œuvre (recherche de polyvalence des agents [35]). Le créateur du portail proposa donc son
idée à la Direction de la formation professionnelle dans l’optique de développer un outil technique
permettant la création de liens durables entre membres d’un même métier et l’échange permanent
d’informations pour tenir à jour les connaissances, et ce de manière transversale. @tout.net constituait
donc un outil mis en place pour une action ciblée de formation répondant à l’injonction à la « moder-
nisation par l’usager » (Weller, 1998) impulsée par les pouvoirs publics, dans un contexte managérial
favorable aux solutions privilégiant la collaboration en réseau (Segrestin, 2004, pp. 265-274).
Mais très rapidement, la DFP allait élargir le périmètre d’action d’@tout.net, dans le but d’en
faire un outil facilitant la constitution d’identités professionnelles par-delà la spécialisation intra-
branche, de manière à accompagner la politique de mobilité interbranches souhaitée par les diri-
geants de la Sécurité sociale : le portail devait être un moyen pour chacun « de prendre cons-
cience de ce que fait l’autre » (ingénieur de formation, UCANSS), même si ce souci de mobilité
institutionnelle concernait avant tout « des métiers orphelins à forte valeur ajoutée » (chargé
d’études, créateur du portail @tout.net, UCANSS). Toutefois, en cohérence avec les nouvelles
dynamiques d’isomorphisme institutionnel, l’UCANSS élargira à nouveau le champ d’action du
dispositif, vers des groupes projets cette fois.
@tout.net (36) est accessible à partir de l’adresse Internet du site (37), dont la première page
présente le portail pédagogique de l’UCANSS, et à partir de laquelle les stagiaires peuvent accéder
à différentes sous-rubriques (accueil, foire aux questions, etc.), dont celle intitulée « Abonnés », où
l’internaute doit s’identifier de manière à accéder à la page visualisant l’ensemble des groupes aux-
quels il est abonné. La page « Mes groupes » donne accès à un tableau de bord récapitulant les
« communautés » (38) auxquelles le stagiaire appartient (formation, métier, projet ou ingénierie de
formation, ainsi que la « communauté » générale, qui regroupe l’ensemble des membres
d’@tout.net). Dans chacune des « communautés », on retrouve seize fonctionnalités regroupées
sous une rubrique intitulée « Publications », divisée en trois catégories (communiquer, partager, or-
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ganiser) : ces fonctionnalités permettent de poster des mailings, des nouvelles, des articles, des pho-
tos, de participer à des chat, etc. Notons que chaque administrateur responsable de groupes organise
le fonctionnement de ces fonctionnalités : on peut en supprimer certaines, en réserver d’autres pour
des membres particuliers (par exemple, la fonctionnalité mailing, permettant de contacter tous les
membres d’une « communauté » dans un même envoi, est souvent réservée aux seuls administra-
teurs). Ces choix dépendent à la fois du type de « communauté », du degré de liberté d’usage que
l’administrateur souhaite laisser aux membres, et de ses propres connaissances en informatique.

(35) Ceci est aussi vrai pour les fonctions externe, relayé en interne par une administra-
techniciennes (Moreau et Lévy, 1991) que les trice qui s’occupe, entre autres tâches, du suivi
fonctions informaticiennes. logistique (création des fiches membres, attri-
(36) Un consultant en management des techno- bution du mot de passe, etc.), ainsi que du suivi
logies a mené une petite étude sur cet outil du contenu de la « communauté » générale.
(Humeau, 2005). Malheureusement, l’utilisation (38) En accord avec certaines approches
incontrôlée des données qualitatives et statistiques théoriques (Wenger, 1998 ; Tremblay, 2005),
conduit à une surestimation de l’ancrage de l’outil l’UCANSS utilise l’idée de « communauté »
dans les habitudes de travail des (anciens) stagiaires, pour désigner les groupes formés sur @tout.net.
et en produit finalement une vision enchantée. Comme l’usage du terme durant les entretiens
(37) Depuis sa refonte suite à son externali- est demeuré marginal par rapport à ceux de
sation en 2000, l’ensemble du portail est pris en « groupe » ou « promotion », nous avons utilisé
charge sur le plan technique par un provider les différents vocables.

116
Stéphane LE LAY

ANNEXE II

TABLEAU I. – Taux d’accès à la formation (en %)

Sexe
Femmes Hommes
Accès à la formation Sécurité sociale* 58 57
Accès à la formation ensemble des entreprises** 37 41
* Source : UCANSS (2004). Tous organismes de Sécurité sociale confondus.
** Source : Céreq (exploitation des déclarations 2483, 2004).

TABLEAU IIa. – Taux d’accès à la formation (en %)

Taille d’organisme
10-19 20-49 50-299 300-499 500-1 999 2 000 +
Accès à la formation Sécurité sociale 51 66 66 63 55 51
Source : UCANSS (2004).

TABLEAU IIb. – Taux d’accès à la formation (en %)

Taille d’organisme
10-19 20-49 50-249 250-499 500-1 999 2 000 +
Accès à la formation ensemble
13 20 34 42 49 51
des entreprises
Source : Céreq (exploitation des déclarations 2483, 2004).

TABLEAU III. – Répartition des effectifs CDI selon le type d’organisme


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Employés Cadres Agents de direction Total
Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes
CPAM 10 056 44 280 3 744 7 066 396 198 14 196 51 544 65 740
(18,5 %) (81,5 %) (34,6 %) (65,4 %) (66,7 %) (33,3 %) (21,6 %) (78,4 %)
CAF 3 939 18 491 2 187 7 190 298 188 6 424 25 869 32 293
(17,6 %) (82,4 %) (23,3 %) (76,7 %) (61,3 %) (38,7 %) (19,9 %) (80,1 %)
URSSAF 2 053 6 768 1 743 2 380 209 95 4 005 9 243 13 248
(23,3 %) (76,7 %) (42,3 %) (57,7 %) (68,8 %) (31,2 %) (30,2 %) (69,8 %)
CRAM-CRAV 2 565 9 717 2 286 4 552 96 46 4 947 14 315 19 262
(20,9 %) (79,1 %) (33,4 %) (66,6 %) (67,6 %) (32,4 %) (25,7 %) (74,3 %)
Caisses nationales 915 2 502 1 258 1 963 134 93 2 307 4 558 6 865
(dont UCANSS) (26,8 %) (73,2 %) (39,1 %) (60,9 %) (59 %) (41 %) (33,6 %) (66,4 %)
UGECAM 1 822 5 929 1 708 4 204 25 13 3 555 10 146 13 701
(23,5 %) (76,5 %) (28,9 %) (71,1 %) (65,8 %) (34,2 %) (25,9 %) (74,1 %)
Autres (dont CTI) 2 182 8 231 2 792 2 515 96 35 5 070 10 781 15 851
(21 %) (79 %) (52,6 %) (47,4 %) (73,3 %) (26,7 %) (32 %) (68 %)
Total 23 532 95 918 15 718 29 870 1 254 668 40 504 126 456 166 960
(19,7 %) (80,3 %) (34,5 %) (65,5 %) (65,2 %) (34,8 %) (24,3 %) (75,7 %)
119 450 45 588 1 922 166 960

Source : Fichier issu de la paie au 31/12/2005 – personnels présents et rémunérés (UCANSS).

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