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L
Nelly Agrinier a définition du terme de maladie chronique n’est pas Le choix de la définition de la maladie chronique
Assistante hospitalo- unanime et ces différences de définition peuvent dépend du point de vue et de l’objectif d’utilisation du
universitaire, avoir des conséquences notables sur l’estimation terme. Ainsi, si le professionnel de santé et l’usager vont
spécialiste en des conséquences, des besoins et sur la mise en place souvent préférer une approche par pathologie et par les
des programmes d’amélioration de la prise en charge des caractéristiques étiologiques des maladies chroniques,
santé publique et
patients. Définir ce que l’on regroupe sous le terme de le décideur, le payeur et le financeur vont probablement
médecine sociale
maladie chronique apparaît donc comme un pré-requis opter pour une approche différente, qui permettrait
Anne‑Christine Rat essentiel pour : d’apporter des réponses aux besoins du plus grand
Maître de conférence ● mesurer l’ampleur épidémiologique du phénomène nombre d’individus concernés, en abordant la problé-
des universités, en termes de fréquence, de déterminants, ou de consé- matique sous un angle transversal et singulier. Nous
praticien hospitalier quences ; proposons ici une définition de la maladie chronique
Nancy‑université, ● évaluer l’impact en termes de coûts afin d’adapter utile en termes de santé publique.
université Paul les financements dédiés ;
● permettre une prise en charge médicale et éco- Les différentes approches utilisées pour
Verlaine Metz,
nomique optimale. caractériser les maladies chroniques
Université Paris
Ainsi, définir précisément ce que l’on entend par Les approches par pathologie :
Descartes, EA 4360 maladie chronique permet de déterminer les besoins les Classifications de diagnostics et la Classification
Apemac, Nancy‑ d’une population atteinte afin de lui apporter les réponses internationale des maladies (CIM)
université, faculté adaptées. Ces approches soulèvent un certain nombre de diffi-
de médecine, École Toute maladie chronique peut être caractérisée par cultés et ne semblent pas adaptées aux problématiques
de santé publique, un ensemble de particularités incluant : ses causes, de santé publique. En premier lieu, certaines maladies
CHU Nancy sa sévérité ou sa gravité, sa durée d’évolution ou son chroniques ont des facteurs de risque communs et
ancienneté, notamment sa possibilité de guérison, de des conséquences similaires pour lesquelles on pro-
rémission, de rechute ou d’évolution par poussées, et posera le même type de prise en charge médicale. Par
enfin ses conséquences, en particulier sur le fonction- exemple, l’amputation d’un membre inférieur, qu’elle
nement de l’individu. résulte d’un traumatisme ou d’un diabète, aura les
mêmes répercussions en termes de phénomènes maladies chroniques sont des affections de longue durée
douloureux, d’adaptation de prothèses liées à l’ac- qui, en règle générale, évoluent lentement.
tivité, d’évolution du moignon, ou de vieillissement ; Pour les Centers for disease control and prevention
et les moyens de compensation proposés seront (CDC) aux États-Unis, les maladies chroniques sont
identiques et ne dépendront pas de l’étiologie. De définies comme des affections non transmissibles, de
la même manière, un traitement antihypertenseur longue durée, qui ne guérissent pas spontanément une
identique peut être proposé chez un individu hyper- fois acquises, et sont rarement curables [6]. Une durée
tendu qui aura présenté un infarctus du myocarde et d’évolution minimale de trois mois est souvent requise
chez un individu hypertendu qui aura un antécédent pour correspondre à cette définition.
d’accident vasculaire cérébral. Toutefois, la définition de la maladie chronique qui
Par ailleurs, la connaissance de la cause d’une semble la plus intéressante en santé publique s’appuie
maladie ne suffit généralement pas à apprécier son sur les conséquences de la maladie.
retentissement. Elle n’est pas toujours nécessaire au
médecin, ni utile au patient, pour décider de la prise en Les approches par les conséquences : la Classification
charge à proposer, sans compter les cas où elle peut internationale des déficiences, incapacités, et du
être dangereuse pour le patient. Par exemple, dans une handicap (CIDH) puis la Classification internationale du
pratique de médecine générale, une consultation pour fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) [17]
gonalgie chronique chez la personne âgée conduit le Ces classifications, basées sur un modèle biopsycho-
plus fréquemment à poser le diagnostic de gonarthrose, social, répondent probablement mieux à des probléma-
après une exploration radiologique. Toutefois il n’y a que tiques de santé publique puisqu’elles sont centrées sur
peu de correspondance entre les tableaux cliniques et l’individu dans son intégralité et qu’elles permettent
radiologiques de la gonarthrose. De plus, connaître la d’envisager l’ensemble des maladies chroniques sur un
cause précise de la gonalgie ne conduit pas toujours à socle commun en termes de conséquences, de prises
une modification majeure de la prise en charge médicale, en charge médicale, psychologique, sociale, écono-
puisqu’elle dépend plus des caractéristiques de la mique et professionnelle, que nous pourrions définir
douleur ressentie par le patient que de la sévérité du comme la maladie chronique. De nombreuses maladies
tableau radiologique [3]. chroniques partagent les mêmes caractéristiques, les
L’approche par pathologie ne permet pas de consi- mêmes facteurs de risque et les mêmes conséquences.
dérer l’individu dans sa globalité. En effet, la présence Ainsi, tant du point de vue du décideur, du financeur, du
d’une maladie ne nous apporte que peu d’informations professionnel de santé que de celui de l’usager, ces
quant aux autres pathologies portées par le patient, en approches autorisent la prise de décisions en termes
particulier quand elles ne sont pas directement liées à d’actions qui répondraient aux besoins d’un plus grand
la maladie considérée. Cette approche n’apporte pas nombre d’individus.
non plus d’informations sur les facteurs de risque que Stein et Perrin [22] ont ainsi défini les maladies
le patient peut présenter, notamment en termes psy- chroniques en s’appuyant sur la Classification inter-
chologiques, sociaux, économiques ou professionnels, nationale du fonctionnement, du handicap et de la
et qui peuvent considérablement modifier son pronostic santé (CIF) : une maladie chronique se définit par la
mais aussi la nature et les modalités de la prise en présence d’un substratum organique, psychologique
charge indiquée. ou cognitif d’une ancienneté minimale de trois mois à
Certains patients présentent un tableau clinique un an, ou supposée telle, accompagnée d’un retentis-
ne correspondant pas à une maladie particulière ; ils sement sur la vie quotidienne des personnes atteintes
peuvent ainsi être porteurs d’une maladie chronique de maladie chronique, pouvant inclure une limitation
qui occasionne parfois une souffrance physique, morale fonctionnelle des activités ou de la participation, une
et socioprofessionnelle, ainsi qu’un retentissement sur dépendance vis-à-vis d’un médicament, d’un régime,
leur qualité de vie, sans pour autant bénéficier d’une d’une technologie médicale, d’un appareillage ou d’une
reconnaissance de leur statut, faute de libellé ou d’ex- assistance personnelle, et nécessitant des soins
ploration étiologique concluante. médicaux ou paramédicaux, une aide psychologique,
Enfin, certaines affections nécessitent une surveillance ou une adaptation.
et peuvent récidiver après un temps plus ou moins
long de rémission, par exemple le cancer du sein. Une Définition retenue par le Haut
patiente en rémission pourrait donc, selon ces défini- Conseil de la santé publique
tions, ne pas être considérée comme porteuse d’une À la lumière des réflexions précédentes, et afin de se
maladie chronique. placer dans une perspective de santé publique, le Haut
Afin de résoudre ces difficultés, certains auteurs ont Conseil de la santé publique propose dans son rapport
proposé d’autres définitions pour les maladies chro- de novembre 2009 La prise en charge et la protection
niques, plus globales et ne s’appuyant pas sur des sociale des personnes atteintes de maladie chronique Les références entre
catégories. d’utiliser une définition transversale de la maladie crochets renvoient à la
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les chronique telle que proposée par les auteurs du Plan Bibliographie générale p. 53.
pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes ◆ une limitation fonctionnelle des activités ou de la
atteintes de maladies chroniques 2007-2011 [23], et participation sociale,
caractérisée par : ◆ une dépendance vis-à-vis d’un médicament, d’un
● la présence d’un état pathologique de nature phy- régime, d’une technologie médicale, d’un appareillage
sique, psychologique ou cognitive, appelé à durer ; ou d’une assistance personnelle,
● une ancienneté minimale de trois mois, ou sup- ◆ la nécessité de soins médicaux ou paramédicaux,
posée telle ; d’une aide psychologique, d’une adaptation, d’une
● un retentissement sur la vie quotidienne comportant surveillance ou d’une prévention particulière pouvant
au moins l’un des trois éléments suivants : s’inscrire dans un parcours de soins médico-social. h
D’
juliette Bloch après l’OMS, une maladie chronique est une lièrement, avoir une consommation modérée d’alcool,
Médecin maladie nécessitant des soins à long terme, une alimentation équilibrée) ou le contrôle de certains
épidémiologiste, pendant une période d’au moins plusieurs facteurs connus pour en être des déterminants (poids,
directrice du mois. On distingue les maladies transmissibles par un pression artérielle, glycémie, cholestérol et triglycérides,
agent, viral, bactérien ou autre (les maladies infectieuses), pour citer les plus importants). Les maladies chroniques
Département des
et les maladies non transmissibles. En pratique, la non transmissibles comptent pour 88 % des décès en
maladies chroniques
notion de maladies chroniques fait souvent référence France. On comptabilisait 107 307 décès « prématurés »
et des traumatismes, aux maladies non transmissibles, telles que le cancer, en 2005, c’est-à-dire survenant avant 65 ans, toutes
Institut de veille les maladies cardio-vasculaires, le diabète, etc. Les causes confondues. Un tiers de ces décès pourrait être
sanitaire maladies infectieuses sont le plus souvent aiguës, bien « évité » en réduisant les comportements à risque : ces
que certaines telles que le sida ou certaines hépatites causes de décès « évitables » comprennent les cancers
virales puissent devenir chroniques. Nous assimilerons des voies aérodigestives supérieures, de l’œsophage,
ici les maladies chroniques aux maladies non trans- du poumon, les psychoses alcooliques, les cirrhoses,
missibles. les accidents de la circulation, les chutes accidentelles,
Dans les pays développés, les progrès de l’hygiène, les suicides et le sida.
de la nutrition, de l’antibiothérapie et de la vaccination Au-delà de la qualité de la prise en charge des maladies
ont relégué, depuis plusieurs décennies, les maladies chroniques, la qualité de vie des patients est aussi
infectieuses au second plan de la mortalité et de la devenue une préoccupation des pouvoirs publics avec
morbidité. Les maladies infectieuses ne représentent l’inclusion dans la loi de santé publique de 2004 d’un
plus que 2 % des décès en France. Les maladies chro- Plan pour l’amélioration de la qualité de vie des per-
niques sont devenues un véritable problème de société sonnes atteintes de maladies chroniques.
pour plusieurs raisons. Les progrès thérapeutiques ont
permis l’allongement de la durée de vie des personnes Comment apprécier la fréquence
atteintes de maladies autrefois toujours mortelles, des maladies chroniques ?
augmentant ainsi la prévalence de ces pathologies, Apprécier la fréquence des maladies chroniques est
c’est-à-dire le nombre de personnes atteintes à un moins immédiat qu’il n’y paraît : il n’existe pas de base
instant donné. L’allongement de l’espérance de vie, de données regroupant les diagnostics de toutes les
comme dans les autres pays développés, entraîne une personnes atteintes de maladies chroniques. Aussi, pour
augmentation du nombre de sujets âgés porteurs de en faire une estimation, on utilise différents « outils »
maladies chroniques. La maladie d’Alzheimer, l’insuffi- ayant chacun leurs limites. Les différents régimes d’as-
sance rénale chronique terminale ou encore le cancer surance maladie disposent du nombre de personnes
de la prostate sont des maladies que connaissent, à un qui sont inscrites en affection de longue durée (ALD)
bien moindre degré, les pays où l’espérance de vie est pour maladie chronique et coûteuse, donnant droit à
inférieure à 60 ans. Aussi, les maladies chroniques sont l’exonération du ticket modérateur pour les soins liés
devenues un enjeu de société, de par leur importance à cette maladie (voir plus loin). Des enquêtes en popu-
dans la population, leur coût et du fait qu’un certain lation générale permettent, sur une base déclarative,
nombre d’entre elles peuvent être prévenues par un d’estimer le nombre de personnes atteintes de certaines
mode de vie sain (ne pas fumer, faire de l’exercice régu- pathologies à un instant donné, mais sans grande pré-