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L’intelligence artificielle au service de la

prévention et des situations de Handicap


au travail : l’équité augmentée

.1
‘‘
Edito
les particularités des individus. Cette vision
plus globale, plus juste, inclusive et éthique
ne s’attache pas à une catégorie de salariés
mais bénéficie équitablement à l’ensemble
de la communauté des collaborateurs. Elle
permet d’y intégrer le sujet de la prévention,
de la sécurité au travail et de la sécurisation
des parcours professionnels. Tout effort
porté en amont dans ces domaines contribue
à prévenir la désinsertion professionnelle et
à préserver la santé de chaque individu.

Nous sommes convaincus que les grandes


entreprises comme SOGERES ont ici un devoir
et une responsabilité : elles doivent assumer
leur leadership, leur capacité d’influence
et d’actions en supportant de nouvelles
Fortement mobilisées depuis de longues
initiatives, en devenant des acteurs clefs de
années sur la prise en compte du handicap
la R&D, en appuyant l’émergence de start-
dans l’emploi, via les incitations réglementaires
up, qui en induisant de nouveaux marchés,
mais aussi par les convictions fortes portées
dissémineront des solutions fondées sur
dans leurs politiques Ressources Humaines et
l’IA et engendreront à terme des coûts
Responsabilité Sociétale et Environnementale
abordables pour le plus grand nombre.
des Entreprises, les grandes entreprises
françaises comme SOGERES ont atteint
Il ne s’agit plus seulement de « changer le
une forme de maturité de leurs politiques
regard sur le handicap » qui encourageait à
Handicap. Cependant le vivier de personnes
intégrer la question du handicap dans tous les
en situation de handicap non employées
process de l’entreprise, mais de comprendre
reste conséquent et constitue une source
que l’IA est une formidable opportunité pour
de compétences et de savoir-être encore
l’entreprise d’intégrer le vivier conséquent
insuffisamment valorisée.
de personnes en situation de handicap
encore non employées, de s’enrichir de leurs
Nous sommes convaincus que l’Intelligence
compétences et savoir-faire mais également,
Artificielle (IA) permet le déploiement
d’un point de vue éthique, de renforcer
de nouvelles solutions opérationnelles
le lien et la confiance entre entreprise et
en situation de travail envisageant des
collaborateurs. C’est ce que montre ce livre
approches nouvelles entre les besoins des
blanc qui rassemble de manière concrète et
employés et les exigences de l’organisation
opérationnelle des avancées scientifiques et
du travail. A partir des situations de
des savoirs expérientiels majeurs.
handicap, l’approche par l’IA permet aux
entreprises d’envisager une autre posture,
La rencontre de SOGERES, d’AIVANCITY est
disruptive, plus globale avec pour ambition
un bel exemple de synergie pour avancer sur
de répondre aux besoins de l’ensemble du
le chemin d’une entreprise 3.0 plus inclusive
collectif de travail en prenant en compte
et responsable

Arnaud SEKNAZI
‘‘
DRH Sogeres

2.
Sommaire
Préface..........................................................................................................................................................................5
Introduction ...............................................................................................................................................................7

I - L’intelligence artificielle appliquée aux situations de handicap au travail : état des lieux.........................8
1/ Les différentes catégories de handicap...............................................................................................................11
2/ Quelques données à propos du handicap en entreprise..................................................................................12
3/ Pourquoi l’intelligence artificielle révolutionne-t-elle les situations de handicap ?............................13
4/ Les sujets pour améliorer le quotidien des collaborateurs en situation de handicap...........................14
4/ Les apports de l’intelligence artificielle pour compenser les contraintes des situations de
handicap....................................................................................................................................................................17

II - Les enjeux et les freins de l’IA dans le cadre du handicap au travail....................................................21

II-A / Les enjeux de l’IA appliquée au handicap................................................................................................21


1/ L’IA pour réduire les biais liés au handicap..................................................................................................21
2/ L’IA au service de l’insertion et du maintien en emploi des collaborateurs handicapés...........24
5/ Utiliser l’IA dans une démarche d’inclusion du handicap : bénéfique pour l’image....................25
6/ Les solutions d’IA appliquées aux situations de handicap : des outils d’aide à la décision....26
7/ L’IA au service de la société : équité, inclusion, prévention du handicap.......................................28

II-B/Lesfreinsdel’IAappliquéeauxsituationsdehandicapautravail..............................................................34
1/ Envisager l’intelligence artificielle comme une solution de « réparation ».......................................34
2/ Envisager l’intelligence artificielle au service des situations de handicap au travail, comme une
solution totale.................................................................................................................................................................35
3/ Envisager les outils d’IA comme des solutions inclusives dès leur conception...........................................37
4/ Les réticences liées à l’intelligence artificielle...................................................................................................38
5/ Les difficultés d’organisation entre les acteurs du handicap..........................................................................40

III - L’IA au service des personnes en situation de handicap au travail : défis et perspectives......................41
1/ L’acceptabilité, l’éthique et la protection juridique...........................................................................................41
2/ La cohérence et l’efficacité des outils intelligents d’assistance dans le cadre des situations de
handicap au travail........................................................................................................................................................43
3/ L’inclusion en ligne de mire.................................................................................................................................45
4/ Évolutions technologiques : l’humain augmenté..............................................................................................46

IV - Et demain ? Quelles pistes pour l’avenir ?...................................................................................................48

Conclusion.................................................................................................................................................................53
Remerciements........................................................................................................................................................55

.3
‘‘
L’IA au service de l’employabilité et de l’emploi
des personnes handicapées permet d’amorcer
une dynamique technique au service du plus
grand nombre.

4.
Préface
L’intelligence artificielle (IA) au service des
personnes en situation de handicap en entreprise,
voilà qui sonne comme un défi. C’est de ce défi
dont s’emparent la SOGERES et aivancity en
composant ce livre blanc centré sur un domaine
encore peu exploré mais qui laisse entrevoir de
nombreuses promesses.

Nous sommes au début d’une révolution avec


l’arrivée des données massives et leur exploitation
par l’intelligence artificielle. Mais une interprétation
fréquente consiste à considérer cette révolution
uniquement commeune innovation technologique
et scientifique. C’est effectivement le cas, mais la
réduire ainsi serait une simplification excessive..
Négliger ou ignorer la question des impacts de
l’IA sur la société, la question de la confiance,
la question de l’acceptabilité des citoyens, ou a
contrario juger abruptement que le cadre juridique
et éthique n’est qu’une entrave à la marche du
progrès scientifique sont des erreurs communes,
sans doute liées à la seule exaltation face à une
telle révolution.

Or penser l’IA au service des besoins des personnes


en situation de handicap ou au service de la
prévention, c’est replacer cette révolution dans
sa juste mesure en y incorporant de l’humanité,
de l’éthique, de l’équité et, au fond, tout un
ensemble de valeurs que nous souhaitons porter.
L’IA au service de l’employabilité et de l’emploi
des personnes handicapées permet d’amorcer une
dynamique technique au service du plus grand
nombre.

Il n’y a pas lieu d’en douter : ce qui facilite la vie


de quelques-uns simplifie souvent la vie de tous
les autres. Les commandes vocales (libérateurs
de vue et de mouvements), dont les premiers
équipements ont été achetés pour l’aviation1,
s’imposent comme une évidence pour la plupart
d’entre nous aujourd’hui. Les implants auditifs,
conçus pour améliorer l’audition en atténuant
le bruit environnant et en augmentant la voix
des interlocuteurs, ont investi un autre rôle : ils
permettent d’analyser une langue et de la traduire2 .

1 Chapitre IV-1 : https://www.cairn.info/revue-le-travail-humain-2002-3-page-261.htm


2 https://fr.waverlylabs.com/news/pilot-now-shipping

5..5
Les vêtements et accessoires intelligents peuvent Plutôt que subir une limitation d’activités pour
avoir plusieurs applications : cause de handicap5 , plutôt que répondre à des
obligations règlementaires, l’ouverture induite
• Les chaussettes qui détectent quelle partie du par l’intelligence artificielle mène vers une autre
pied subit le plus de pression pendant la marche approche innovante et inclusive. La technologie
ou la course33 destinées aux sportifs, pourraient participe à créer et améliorer un « environnement
aussi aider d’autres personnes plus largement à capacitant », concept bâti sur l’approche des
comprendre les points d’impact générateurs de « capabilités » d’Amartya Sen6 : il s’agit du pouvoir
douleurs ; d’agir en considérant qu’il dépend à la fois des
• La veste sensorielle spécialement conçue pour les ressources à disposition et des capacités des
pompiers qui détecte la température extérieure et personnes à exercer une action. L’IA au service du
intérieure du vêtement, ainsi que le les paramètres handicap favorise un « environnement capacitant »,
vitaux du professionnel pour préserver sa sécurité tel que le décrit Pierre Falzon7 :
et sa santé4, pourrait être transposée à d’autres « un environnement qui permet aux personnes
métiers sensibles. de développer de nouvelles compétences
et connaissances, d’élargir leurs possibilités
On trouvera dans ce livre blanc - le premier de son d’action, leur degré de contrôle sur leur tâche et
genre - ces exemples et bien d‘autres. sur la manière dont ils la réalisent, c’est-à-dire
leur autonomie. »
Mais ce que nous enseigne également le recours
à l’IA pour répondre aux besoins des salariés en Alors, oui, en ce sens, on peut certainement dire
termes de handicap au travail, c’est la nécessité qu’avec ce livre blanc, aivancity et la SOGERES
d’une approche globale, d’une approche « by ouvrent la voie.
design », c’est-à-dire d’une conception incluant dès
le départ, non seulement la ou les personnes en
situation de handicap, mais aussi leur management,
leur environnement et leurs collègues. En somme,
une pensée holistique en vue d’une prise en compte
globale des situations doit s’adapter à l’ensemble
du collectif de travail comme aux spécificités de
chacun.

5 Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la partici-
pation et la citoyenneté des personnes handicapées

6 Amartya Sen, prix Nobel d’Economie 1998, est économiste et philosophe indien
https://fr.wikipedia.org/wiki/Amartya_Sen . Pour Sen, les inégalités entre les individus
ne s’apprécient pas au regard de leurs seules dotations en ressources mais de leurs
capacités à les convertir en libertés réelles. Il introduit ainsi la notion de « capabilités »,
qui invite à considérer la pauvreté au-delà des seuls aspects monétaires et à la penser en
termes de libertés d’action, de capacités à faire (https://www.economie.gouv.fr/facileco/
amartya-sen# )

7 Pierre Falzon est professeur au CNAM, titulaire de la chaire d’Ergonomie et


3 https://www.nurvv.com/en-us/ neurosciences du travail et auteur https://ergonomie.cnam.fr/equipe/falzon/falzon.
4 https://www.grassi.it/fr/abbigliamento-da-lavoro-intelligente/ html

6.
Introduction
Une personne paraplégique réussit à se déplacer Les innovations s’attèlent aujourd’hui à deux valeurs
grâce à un exosquelette, une personne malvoyante fondamentales : l’équité et l’éthique. Comment
envoie un SMS grâce au traitement de la parole, un l’IA peut-elle composer avec les particularités de
robot chirurgien exécute des actions complexes et chacun sans être intrusive ? Comment peut-elle
en tire des enseignements sur l’être humain… Ce qui répondre à la diversité des situations de handicap
relevait encore de la science-fiction il y a quelques et contribuer à construire une société plus juste
décennies est désormais de l’ordre du réel. et des entreprises plus inclusives ? Comment
s’assurer que les technologies de l’IA respectent
Dans le domaine de la santé et dans les réponses l’éthique ?
apportées aux situations de handicap8 , l’intelligence
artificielle a permis des avancées majeures en Ce livre blanc commencera par dresser un état
matière de praticité et de confort. L’accessibilité, des lieux des catégories de handicap, donner
la mobilité, la communication et la prévention sont des chiffres clés, répertorier les sujets liés aux
des sujets sociétaux dont l’IA s’empare également situations de handicap et les solutions IA existantes.
avec succès. Il s’appliquera ensuite à analyser les enjeux et les
freins de l’insertion des nouvelles technologies
L’intelligence artificielle et la science des données d’assistance. Le présent livre tentera aussi de clarifier
permettent d’envisager les réponses apportées aux les défis et les perspectives d’avenir pour l’IA en
situations de handicap comme des leviers d’innovation tant que levier de prévention, d’employabilité et de
de pratiques sociales. Cependant malgré les progrès maintien de l’emploi des personnes en situation de
ou les aides exceptionnelles qu’offre l’intelligence handicap.
artificielle aux personnes en situation de handicap,
son déploiement rencontre encore quelques obstacles : A travers des recherches ciblées, des exemples et
un fonctionnement peu adapté aux spécificités de des témoignages d’experts, cet ouvrage fait le point
chaque situation de handicap, la difficulté à « faire sur l’intelligence artificielle appliquée aux situations
confiance » à un système technologique, la sécurité de handicap dans le monde professionnel.
des données, l’absence d’empathie de l’IA, etc.

8 La loi du 11 février 2005 dans son Article 114 donne la définition du handicap :
« Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction
de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison
d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques,
sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé
invalidant ».

7. .7
I -L’intelligence artificielle
appliquée aux situations de
handicap au travail :
état des lieux

8..8
Les données à
propos du handicap :

Du côté des brevets, on assiste à une véritable


explosion de leur nombre dans le domaine des
outils d’assistance et en particulier des outils liés
à l’utilisation de l’IA14 : plus de 130 000 brevets
sur des technologies d’assistance publiés entre
1998 et le milieu de l’année 2020, dont 15 592
dépôts pour les seules technologies d’assistance
nouvelles au cours de cette période (les robots
d’assistance, les applications destinées aux
L’Organisation Mondiale de la Santé9 estime que 15%
maisons intelligentes, les accessoires augmentés
de la population dans le monde est en situation
pour les personnes malvoyantes comme les
de handicap, un milliard d’individus serait donc
lunettes ou la canne)15 .
concerné. Pour un cinquième d’entre eux, de 110 à
190 millions de personnes, il s’agit d’un handicap
lourd. En 2021, en France : 6,8 millions de personnes
de 15 ans et plus, déclarent vivre avec une limitation
Pour le directeur général de l’OMPI 16 :
sévère d’une fonction physique, cognitive ou
« Depuis l’invention des béquilles dans
sensorielle. 3,4 millions d’entre elles, c’est-à-dire
l’Egypte ancienne jusqu’aux tablettes braille
3,4% de la population, se disent gênées ou restreintes
de nos jours, en passant par les prothèses
dans leurs activités quotidiennes10.
au Moyen Âge, nous sommes à l’orée d’un
avenir où les fauteuils roulants autonomes,
Les personnes reconnues en situation de handicap
les prothèses auditives contrôlées par
qui travaillent sont moins représentées dans la
l’esprit et les dispositifs de surveillance
variété des métiers : 20 professions représentent
des conditions de santé et des émotions
37 % de l’emploi des personnes en situation de
atténueront l’impact des déficiences
handicap, contre 25 % pour les autres personnes11
humaines ».
. Par ailleurs, 15 % des personnes actives disposant
d’une reconnaissance administrative de leur situation
de handicap étaient au chômage en 2021, contre 8 %
Cette évolution qui concerne la mobilité,
pour l’ensemble de la population12 .
les infrastructures, l’audition et la vision est
principalement portée par la Chine, les États-Unis,
Le rapport13 2021 de l’OMPI (L’office Mondial de
l’Europe, le Japon et la Corée du sud. Le sujet
la Propriété Intellectuelle) a réalisé un état des
de l’accès à ces nouvelles technologies qui
lieux des technologies d’assistance aux personnes
concerne une personne sur 10 dans le monde
handicapées dans le monde. Il révèle que plus d’un
est une question prégnante. On peut néanmoins
milliard de personnes utilisent les outils d’assistance
noter un mouvement global qui va dans le sens
et que ce nombre pourrait doubler en 2050. Plusieurs
d’une démocratisation et d’une ouverture au
facteurs expliquent cette évolution : le vieillissement
grand public des technologies d’assistance pour
de la population, un meilleur diagnostic médical du
les personnes en situation de handicapwWww.
handicap, les politiques en faveur de la construction
Ainsi l’OMPI constate que les technologies
d’une société inclusive et l’enjeu économique que
initialement mises au point pour des personnes
représente le développement des outils d’assistance.
ayant des limitations fonctionnelles sont de plus
en plus souvent incorporées aux produits grand
public.
9 https://www.who.int/fr
10 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/panora-
mas-de-la-drees/le-handicap-en-chiffres-edition-2023 14 https://informations.handicap.fr/a-handicap-boom-mondial-innovation-high-
11 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/panora- tech-30549.php
mas-de-la-drees/le-handicap-en-chiffres-edition-2023 15 https://www.lesechos.fr/tech-medias/intelligence-artificielle/explosion-du-nombre-de-bre-
12 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2023-04/Handicap2023.pdf vets-en-intelligence-artificielle-961464
13 https://www.wipo.int/edocs/pubdocs/en/wipo_pub_1055_2021.pdf 16 https://informations.handicap.fr/a-handicap-boom-mondial-innovation-high-
tech-30549.php

.9
• Démocratiser et rendre compréhensibles les
Par exemple, comme le note Marco Aleman17 , apports de l’IA auprès de tous les acteurs du
sous-directeur général à l’OMPI : « Les dispositifs monde éducatif et pas seulement sur l’aspect
dotés d’une interface cerveau-machine ou d’un technologique ;
système de reconnaissance des mouvements • Développer les capacités des élèves et des
oculaires, qui aident les personnes ayant une étudiants qui ont des besoins spécifiques ;
paralysie cérébrale à se servir d’appareils • Préserver la liberté pédagogique des
informatiques, peuvent également trouver une enseignants et les placer au cœur du dispositif
application dans les jeux vidéo ou les outils de (expérimentation, appropriation, diffusion, etc.) ;
communication». • Mener une réflexion et une remise en question
constantes entre tous les acteurs de
• l’enseignement et les parents d’élèves ;
En France, l’intelligence artificielle comme outil • Evaluer la qualité et le suivi des dispositifs
d’aide au handicap est un sujet nouveau et vaste. par des équipes pluridisciplinaires du monde
Le gouvernement s’interroge et organise de éducatif (réseau de recherche, plateformes de
nombreuses réflexions sur ce sujet. Citons par collecte et de partage de données) ;
exemple le colloque national sur l’intelligence • Favoriser le marché des EdTech en France
artificielle au service de l’enseignement qui a eu • Créer des écoles laboratoires, multiplier et
lieu le 25 mars 201918 . Il envisage l’IA comme une diffuser les expérimentations pour que le
solution pour rendre l’école plus inclusive parce développement des solutions parte du « terrain »
qu’elle permet un environnement d’apprentissage éducatif.
adapté aux particularités de chacun. Les propositions
mises en débat avaient pour but de réfléchir à Le Conseil national du numérique (CNNum) a
plusieurs sujets : une politique de développement par ailleurs placé la question de l’accessibilité
de l’IA dans le domaine de la formation, la numérique au cœur de ses travaux en publiant le
diffusion des solutions d’IA dans l’éducation, rapport « Accessibilité numérique, entre nécessité
l’accompagnement des professionnels et et opportunité »20 en février 2020. Accéder au
enseignants, l’aide au changement. Le rapport a numérique est le premier pas pour accéder aux
été élaboré pour ouvrir le débat public autour de technologies IA. Rappelons que l’intelligence
ces questions19 . Ce rapport souligne les apports artificielle est un ensemble d’outils et de briques
et les capacités de l’IA en termes d’enseignement : technologiques. Le numérique est une des
les nouveaux outils d’appui pour les enseignants composantes de l’IA. L’objectif de ce rapport était
et les élèves, les méthodes pédagogiques ciblées double : répondre à la nécessité de l’accessibilité
et un suivi précis de l’évaluation des élèves, numérique pour respecter l’égalité et la légalité,
l’orientation vers d’autres espaces d’apprentissage à travers des recommandations de politiques
et de connaissance non scolaires, des outils pour publiques ; et appréhender l’accessibilité comme
des apprentissages et des expérimentations en une opportunité à saisir pour façonner l’économie
autonomie. Le rapport met également en lumière et la société numérique de demain.
la vigilance qui s’impose face à l’utilisation de ces
nouvelles technologies : l’éthique et le risque de biais
implicites, le formatage excessif de la pédagogie
et de l’évaluation ou l’individualisation à outrance,
l’usage non contrôlé des données des élèves,
l’affaiblissement du lien social, la dépendance des
établissements publics aux opérateurs privés. Le
rapport exprime l’importance de tirer parti de l’IA
dans le monde éducatif tout en cultivant la vigilance
à travers un encadrement attentif et une implication
adéquate. Pour résumer dans les grandes lignes,
voici les actions incontournables pour intégrer une
IA performante au service de l’école inclusive :

17 Op. cit. Informations handicap.


18 https://handicap.gouv.fr/colloque-national-sur-lintelligence-artificielle-au-ser-
vice-de-lenseignement
19 https://leplusimportant.org/documents/2021/03/synthese-de-rapport-mettre-lia-au-
service-des-enseignants-pour-assurer-linclusion-et-le-developpement-des-capacites-de-tous- 20 https://cnnumerique.fr/files/uploads/2020/2020.02.03.Rappport_CNNum_Accessi-
les-eleves.pdf/ bilite_Numerique.pdf

10.
1.
A propos de la formation et de l’emploi, le CNNum
préconise de sensibiliser les professionnels du Les différentes catégories
numérique via la création d’un MOOC, d’intégrer de handicap
l’accessibilité numérique dans la formation
initiale et continue des professionnels du
numérique, et de structurer la filière des métiers
de l’accessibilité numérique (notamment en Commençons par brièvement répertorier les
inscrivant l’accessibilité numérique au RNCP différents types et catégories de handicap21. Le
selon les quatre profils de métiers identifiés par les site solidarites-sante.gouv.fr précise dans son
auteurs du rapport de l’OPIIEC). guide de l’accueil des personnes handicapées la
liste suivante :

« Le numérique ne sera vraiment responsable • Visuel : myopie, presbytie, strabisme, rétinite,


et éthique qu’à la condition que nos sociétés daltonisme, malvoyance, cécité…
se donnent pour objectif de mettre ces inno- • Auditif : acouphènes, surdité légère ou profonde
vations technologiques au service de tous… Il • Mental : trisomie 21, autisme, maladies
est urgent de remédier à l’inaccessibilité nu- génétiques, maladies infectieuses, traumatisme
mérique et ainsi prévenir l’exclusion sociale crânien…
et économique de tout un pan de la popula- • Psychique : névroses, troubles obsessionnels
tion française ... » Salwa TOKO, Présidente du compulsifs, bipolarité, schizophrénie, phobies,
Conseil national du numérique. addictions, dépression…
• Moteur : lombalgie, troubles musculo-
Le premier défi de l’intelligence artificielle en squelettiques, rhumatismes, malformation,
tant qu’outil d’accompagnement aux personnes paralysie …
handicapées est important : favoriser l’accès à tous • Les autres situations de handicap : maladies
et à tous les environnements (éducatif, professionnel, invalidantes (hypertension, insuffisance
culturel, numérique…). cardiaque, diabète, allergie, eczéma, cancer,
Nous ne sommes qu’au début d’une véritable épilepsie…), les troubles cognitifs « Dys22 », les
évolution / révolution des outils au service des personnes désavantagées par leur taille.
situations de handicap et de la prévention.

Les situations de handicap sont extrêmement


variables en termes de durée, d’impact et
d’intensité. La contrainte peut être temporaire,
dans le cas par exemple d’une maladie ponctuelle
guérissable ou d’une immobilisation handicapante
suite à un accident qui n’aura pas de conséquence
durable.
Les différents degrés de handicap doivent
également être pris en compte. L’autisme est un
cas explicite. Les personnes porteuses du TSA
(trouble du spectre autistique) présentent des
symptômes différents, avec une intensité variable
d’un individu à l’autre. Certains d’entre eux ne
sont pas atteints de déficience intellectuelle, mais
subissent une altération des interactions sociales
et/ou une diminution des intérêts et des activités.
Le trouble du développement dominant ou autisme
atypique altère un seul des trois critères liés à la
pathologie : le comportement, la communication
ou les relations sociales.

21 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Guide-pour-mise-en-ligne.pdf
22 L’expression « troubles spécifiques du langage et des apprentissages » regroupe
les troubles en DYS : dyslexie, dyspraxie, dysphasie, ainsi que certaines manifestations
induites de ces troubles comme la dyscalculie, la dysgraphie ou la dysorthographie. Les
troubles de l’attention font aussi partie de cet ensemble

.11
Cette ambivalence est une réalité dans notre so-

2.
ciété : une volonté de faire plus et mieux, mais
Quelques données à propos une difficulté à enclencher la démarche.
du handicap en entreprise
Dans ce contexte, l’intelligence artificielle peut
apparaître comme une solution d’avenir, parce
que ses technologies aident à l’emploi et au
En entreprise, différents cas de figure du handicap maintien en poste des personnes handicapées.
se posent, qu’il s’agisse du recrutement d’une C’est ce que nous verrons dans les paragraphes
personne handicapée, d’une maladie qui provoque suivants.
un handicap chez le collaborateur, d’un accident en
entreprise qui engendre un handicap, d’un accident Mais commençons par préciser les raisons pour
dans la sphère privée qui provoque un handicap lesquelles l’intelligence artificielle peut consti-
ou d’une maladie professionnelle (handicap dû au tuer une solution pour répondre aux besoins et
contexte et aux conséquences du travail). palier aux contraintes des personnes en situation
de handicap
Dans ce domaine la question de la perception
est importante, et du côté des entreprises, une
enquête de l’agefiph23 (2020) donne des résultats
encourageants :

• 67 % des dirigeants d’entreprises sont disposés à


embaucher davantage de personnes handicapées.
• 55 % des dirigeants pensent que l’image du
handicap en entreprise s’améliore.
• 76 % des dirigeants estiment que recruter des
personnes handicapées représente une opportunité
de s’ouvrir à de nouveaux profils.

Pour autant, à côté de la perception positive révélée


par les enquêtes, la situation sur le terrain est encore
contrastée, même si elle s’améliore chaque année24 :
En 2021, 14% des personnes en situation de
handicap étaient au chômage (contre 8% tout public
confondu), un chiffre en évolution puisqu’en 2018 il
était de 18% (9% pour la population française sans
distinction). Les embauches sont donc en hausse
pour les personnes en situation de handicap. Entre
2019 et 2021, le nombre d’apprentis en situation de
handicap a augmenté de 79% (passant de 4 562 à
8 159 personnes). Une évolution que l’on doit aux
mesures mises en place pour inciter et sécuriser les
parcours en apprentissage pour les personnes en
situation de handicap. Les dispositifs tels que le plan
France Relance - aide à l’apprentissage tout public
(2 milliards) et aide à l’embauche (85 millions) - ont
favorisé cette évolution. Grâce aux aides dédiées,
plus de 27 000 recrutements ont été effectués en
2021, dont 65% de CDI.

23 https://www.agefiph.fr/sites/default/files/medias/fichiers/2021-01/Publication%20Baro-
mètre%20Agefiph-Ifop%202020.pdf
24 https://handicap.gouv.fr/emploi-des-personnes-en-situation-de-handicap-une-mobili-
sation-gouvernementale

12.
3. Pourquoi l’intelligence artificielle
révolutionne-t-elle les situations
de handicap ?

L’intelligence artificielle simule des processus


complexes, qu’ils soient cognitifs ou physiques.
Elle repose d’une part sur les données, et d’autre
part sur l’apprentissage à partir de ces données
(l’apprentissage machine ou l’apprentissage
profond). Il s’agit donc d’un système dynamique
qui analyse les informations issues des interactions
humaines ou de l’environnement physique, pour les
intégrer ensuite dans des actions évolutives.

Quelques exemples :
Le petit robot Nao analyse les données vocales de
son interlocuteur et fournit une réponse adaptée,
un logiciel de recommandation de Netflix ou de
YouTube analyse vos choix de films pour vous
proposer ceux qui sont susceptibles de vous plaire,
une voiture autonome analyse constamment son
environnement pour adapter sa conduite à la route, etc.
Objets connectés (montres, fauteuils, semelles,
lunettes, prothèses auditives), commandes vocales, Exemple d’apport de l’IA pour les aides auditives:
outils de traduction (de l’écrit vers l’oral ou de l’oral L’entreprise Oticon a créé un appareil auditif
vers l’écrit) … Les supports d’intelligence artificielle (Oticon More ™)25 qui permet de distinguer la
qui aident les personnes handicapées sont apparus parole en temps réel dans un environnement
en grand nombre et sont en plein développement. sonore bruyant. Il s’agit du premier appareil
auditif doté d’un réseau neuronal profond intégré,
L’IA bouleverse les solutions existantes pour qui a été entraîné en utilisant plus de 12 millions
plusieurs raisons : de sons réels. Ainsi, le réseau neuronal profond
• D’abord en adaptant ses outils à la pathologie, à analyse et trie les sons dès leur perception, il
son degré d’intensité, aux besoins de l’utilisateur décide ensuite d’équilibrer l’environnement
et à son environnement en temps réel. sonore pour distinguer la parole à travers les
• Ensuite, en s’inscrivant dans une évolution continue bruits contextuels.
: les outils ne sont donc pas figés, ils se développent
et s’améliorent (en fonction des données d’entrée Des solutions existent et se perfectionnent de
dans un processus d’apprentissage). jour en jour. Précisions maintenant les grandes
• Et pour finir, parce que l’IA est aussi un outil thématiques du handicap au travail pour
préventif, les données qu’elle fournit et modélise comprendre le rôle qu’ont à jouer les outils
en temps réel permettent d’établir des analyses intelligents d’assistance et ce qu’ils pourraient
précises et d’avertir en cas de risque pour la santé. changer.

25 https://www.oticon.fr/hearing-aid-users/blog/2021/les-aides-auditives-avec-intel-
ligence-artificielle-fr

.13
La mobilité implique les déplacements des

4. Les sujets pour améliorer le


quotidien des collaborateurs
collaborateurs, qu’il s’agisse des trajets entre le
domicile et le lieu de travail ou encore les trajets
dans le cadre de leurs missions (prospection,
en situation de handicap rencontre avec les fournisseurs, clients ou
prestataires, séminaire, formation…). C’est une
donnée à prendre en compte dans le cadre d’une
situation de handicap parce qu’elle peut générer
Pour rendre l’entreprise plus inclusive et ouvrir le
de la fatigue, des douleurs et/ou du stress.
monde professionnel à toutes les personnes ayant
des particularités de santé, l’intelligence artificielle
La communication, qui peut être verbale et non
s’attelle essentiellement à trois grands domaines
verbale, écrite et visuelle, concerne l’audition,
que sont l’accessibilité, la communication et la
la vision, le langage, la mobilité… Il s’agit par
mobilité.
exemple d’accéder aux informations et aux
documents, de participer aux échanges et aux
L’accessibilité concerne les locaux de l’entreprise
relations (réunions, formations, conférences…),
et ses équipements dans leur globalité : l’entrée, les
de transmettre des informations.
bureaux, les postes de travail, les salles de réunion,
Ces questions sont patentes, elles conditionnent
les toilettes, les rampes d’accès, les ascenseurs, les
le quotidien des personnes en situation de
places de stationnement, les meubles de bureau,
handicap. Voici des témoignages sur ces sujets :
la largeur des portes, les espaces de restauration,
les dispositifs visuels ou sonores pour guider
l’évacuation en cas d’incident… L’accessibilité
concerne aussi le champ numérique. Témoignages ‘‘
« L’accessibilité numérique (voir le référentiel
général d’amélioration de l’accessibilité
RGAA) 26 consiste à rendre les services de A 17 ans, lors d’un trajet en voiture en
communication au public en ligne accessibles tant que passager, Stéphane Malle est
aux personnes handicapées, c’est-à-dire : victime d’un accident de la route qui le
rend paraplégique.
• Perceptibles : par exemple, faciliter la perception Il est aujourd’hui responsable RH au
visuelle et auditive du contenu par l’utilisateur ; sein du département R&D de Stellantis.
proposer des équivalents textuels à tout contenu
non textuel ; créer un contenu qui puisse être « Les difficultés d’accessibilité ont
présenté de différentes manières sans perte commencé dès mon retour en classe
d’information ni de structure (par exemple avec et tout au long de mes études. Je me
une mise en page simplifiée) ; souviens du premier cours de dessin
industriel. La salle était équipée de tables
• Utilisables : par exemple, fournir à l’utilisateur et de chaises hautes. Le professeur m’a
des éléments d’orientation pour naviguer, trouver annoncé que je n’y arriverais jamais.
le contenu ; rendre toutes les fonctionnalités J’ai pu suivre le cours malgré ma mise à
accessibles au clavier ; laisser à l’utilisateur l’écart au fond de la pièce sur un pupitre.
suffisamment de temps pour lire et utiliser le J’ai également connu des expériences
contenu ; ne pas concevoir de contenu susceptible plus positives. Mon école d’ingénieur
de provoquer des crises d’épilepsie ; m’a sollicité pour participer aux travaux
des nouveaux locaux et les rendre plus
• Compréhensibles : par exemple, faire en sorte accessibles. Malgré quelques bonnes
que les pages fonctionnent de manière prévisible ; volontés, il faut bien admettre qu’aucun
aider l’utilisateur à corriger les erreurs de saisie. des établissements que j’ai fréquentés
n’était réellement équipé pour accueillir
• Robustes : par exemple, optimiser la compatibilité une personne en fauteuil. »
avec les utilisations actuelles et futures, y compris
avec les technologies d’assistance ».
26 https://www.numerique.gouv.fr/publications/rgaa-accessibilite/obligations/#notion-dac-
cessibilité-numérique

14.
Témoignages ‘‘ Témoignages Internationaux27 ‘‘
Gilles S., Manager chez Sogeres témoigne Faisal Ashraf Nomani se déplace en
des suites de son accident. fauteuil roulant, il travaille pour v-shesh
Learning Services à Delhi, une organisation
« J’ai fait une chute qui m’a littéralement brisé qui offre des possibilités d’emploi et de
les deux pieds alors que je me trouvais en formation pour l’inclusion des personnes
famille. La chirurgie a fait des miracles et handicapées.
j’ai retrouvé 85% de ma mobilité. Pourtant, « Je pense que mes difficultés ne sont pas
j’ai éprouvé de réelles difficultés à occuper liées à mon handicap. Il y a des difficultés
normalement mon poste de travail, d’autant parce qu’il n’y a pas de solutions inclusives,
que je voyage beaucoup. J’ai dû trouver des c’est la raison pour laquelle l’accès aux
stratagèmes pour cacher mon handicap,
j’avais peur d’être mis au rebus. La mission
Handicap m’a accompagné et m’a proposé
des solutions simples et efficaces. Ce qui a
transports, lieux publics, soins de santé…
reste compliqué. »
‘‘
été le plus efficace a été d’en parler librement
et de comprendre que mes managers
n’étaient pas dans le jugement mais dans
la bienveillance, aussi parce qu’ils étaient Madhavi Latha Prathigudupu, para-sportif
sensibilisés en interne et que l’entreprise n’a et très actif dans les activités sociales,
pas éludé le sujet. Mon handicap est pourtant travaille dans une entreprise multinationale
bien réel mais les freins sont autant d’ordre en Inde.
psychologique que physique ». « J’ai été touché par la polio dans mon
enfance. Sous l’épaule, une partie de mon
corps est paralysée, jusqu’à la main droite
qui a une mobilité partielle. Mes poumons
ont été affectés. Mon énergie musculaire
se détériore en raison du syndrome post-
Il est intéressant de voir qu’à l’autre bout du monde, polio. Je recherche un fauteuil roulant
en Inde, les témoignages parlent de la même automatique facile à transporter. Du fait de
manière des situations de handicap et pointent là-bas ma scoliose, il m’est très difficile de porter
aussi le manque de solutions inclusives. un fauteuil. »

Regardons maintenant comment l’intelligence


artificielle révolutionne les situations de handicap
grâce à des exemples de solutions innovantes.
Les outils fonctionnels (sans IA) sont conçus
pour un type de handicap, ils sont réglables et
paramétrables en fonction des particularités
et des degrés d’intensité, mais sans possibilité
d’évoluer dans le temps et selon le contexte.

27 Les témoignages internationaux ont été possibles grâce à l’aide d’Hervé Bernard
Directeur Social & Inclusion chez Handicap International - Humanité & Inclusion, que
nous remercions très sincèrement.

.15
aussi le nombre de pas, les calories brûlées,

4. Les apports de l’intelligence


artificielle pour compenser les
la distance parcourue. Les informations sont
relayées en temps réel par des capteurs. Le
dispositif des semelles Ashirase est également
contraintes des situations de équipé de gyroscopes et d’accéléromètres pour
handicap gagner en précision.

• Le boîtier Rango31 est fixé sur une canne blanche


pour la rendre intelligente. Il permet à l’utilisateur
Les nouveaux outils technologiques intelligents d’éviter les obstacles autour de son corps et sur toute
bénéficient d’un développement continu et varient selon sa hauteur. Le système qui utilise la reconnaissance
la situation de l’utilisateur et selon son environnement visuelle, assure aussi une géolocalisation permanente.
en temps réel. Ce caractère « évolutif » en fonction des
données d’apprentissage constitue l’apport fondamental • Les lunettes connectées Orcam32 pour les
de l’IA. personnes malvoyantes ressemblent à une paire
En plus du pouvoir d’évolution de l’IA, sa capacité de classique, avec l’ajout d’un petit module sur l’une
prévention est un atout majeur pour l’utilisateur, pour des branches. En pointant du doigt un document
l’avancée de la recherche médicale, mais aussi pour les ou un livre, le texte écrit est transformé en retour
entreprises. auditif. Le système s’adapte à toutes les langues.

Deux types d’outils d’intelligence artificielle • Le bracelet sensible aux micromouvements des
existent : mains et des bras transmet des informations
comme par exemple un clic. (Ce projet sélectionné
Les appareils fonctionnels augmentés par Microsoft est encore à l’étude33 ).
grâce à l’intelligence artificielle
• La ceinture lombaire connectée Koach34 prévient
en cas de mauvaise posture, de charge lourde ;
elle soutient et envoie de la pression dans la
• Les semelles connectées intelligentes pour
zone qui le nécessite, elle enregistre aussi les
les personnes souffrant de troubles musculo-
informations à propos de l’utilisateur pour
squelettiques comme celles développées par Atos
préparer un programme de rééducation.
et Rcup28 : elles permettent de fixer un poids
maximum (et vibrent en cas de dépassement),
• Le tapis anti-escarres connecté pour les
elles enregistrent la posture du collaborateur
personnes en fauteuil, se place sous le coussin
et son degré de flexion. Les indications sont
anti-escarres. Grâce à ses capteurs, il analyse la
récupérées en temps réel grâce à des capteurs,
position de l’utilisateur, la durée de sa posture,
puis envoyées vers une plateforme sécurisée qui
la pression exercée. Il prévient en cas de risque
analyse les données et renvoie une information
via l’application35 .
appropriée. Les semelles vibrent en cas de risque
(santé et sécurité) de manière instantanée. Mais
• La montre connectée aide les personnes
les semelles connectées ont aussi une action
présentant des troubles cognitifs à organiser leur
préventive, en collectant des données (poids du
emploi du temps et à réaliser leurs activités. On
collaborateur, postures régulières induites par le
enregistre les tâches à effectuer via l’application
poste…), pour évaluer les risques potentiels de
en saisissant un horaire et une durée. L’utilisateur
troubles musculo-squelettiques.
est alors alerté36 .
• Les semelles et chaussures connectées pour les
personnes malvoyantes (comme par exemple
celles de l’entreprise Lechal29 ou de l’entreprise
Ashirase30 ) calculent un itinéraire et guident la
personne au moyen de vibrations. C’est l’utilisateur
qui définit sa destination via son smartphone au
préalable. Les semelles ou chaussures mesurent 31 http://www.gosense.com/fr/rango/
32 https://www.orcam.com/fr/myeye2/
33 https://news.microsoft.com/fr-fr/2021/04/29/microsoft-plan-sur-5-ans-accessibi-
lite-numerique-integration-personnes-en-situation-de-handicap-dans-le-monde-pro-
28 https://atos.net/fr/2019/communiques-de-presse_2019_05_15/atos-et-la-startup-rcup- fessionnel/
creent-des-semelles-intelligentes-pour-reduire-les-accidents-du-travail-en-milieu-industriel 34 https://www.lepoint.fr/sante/kine/quand-l-intelligence-artificielle-aide-a-lutter-
29 https://lechal.com/#Why-Lechal? contre-le-mal-de-dos-03-04-2017-2116816_2467.php
30 https://www.usinenouvelle.com/editorial/l-industrie-c-est-fou-place-sur-le-pied-ce-gps- 35 https://www.mistergaspard.com
vibrant-va-aider-les-personnes-malvoyantes-a-se-deplacer.N1134219 36 https://watchelp-app.com

16.
• Le gant connecté est destiné à fluidifier les
échanges avec les personnes malentendantes. Les innovations
Les capteurs retranscrivent les gestes du langage
des signes en texte auditif. (Ce projet est encore
à l’étude37).

• Le fauteuil roulant connecté Gyrolift38 (qui n’est Cette deuxième catégorie concerne les systèmes
pas encore commercialisé) permet de modifier développés entièrement par les nouvelles
l’inclinaison du corps évitant les risques d’une technologies (robots, applications…). Certains ont
position assise prolongée. L’utilisateur se déplace été créés spécialement pour aider les personnes
assis ou debout en toute sécurité grâce à son handicapées, d’autres ont été créés pour tous
application pour attraper des éléments qui ne sont les utilisateurs mais sont aujourd’hui largement
pas à sa portée dans un fauteuil classique ou se utilisés par des personnes en situation de
retrouver à la même hauteur que son entourage. handicap, c’est le cas de Cortana, l’assistant vocal
Le Gyrolift est encore en cours de développement de Microsoft par exemple41 .
pour lui ajouter de la performance via l’intelligence
artificielle. Son ensemble de capteurs devrait pouvoir
collecter des données sur l’environnement urbain • Le lecteur d’écran pour ordinateur a été initié
afin d’évaluer l’accessibilité lors du déplacement. par Apple (Voiceover)42 , il décrit vocalement
Ces données recueillies par tous les utilisateurs les contenus qui s’affichent sur l’ordinateur ou
seront partagées afin de créer des cartes d’accès, de sur le téléphone. Sur PC, il existe des solutions
faciliter et simplifier les déplacements des personnes comme le narrateur intégré par défaut dans
à mobilité réduite et d’aider les agglomérations Windows ou encore Jaws ou NVDA.
à identifier les travaux d’accessibilité requis. Les
capteurs et les algorithmes permettront d’anticiper • La transcription d’échanges vocaux (appels,
les manœuvres à effectuer en cas de danger ou de vidéos, prise de parole) en contenus écrits est
mauvaise manipulation des utilisateurs. Signalons utile aux personnes souffrant de surdité ou
aussi les solutions de Nino Robotics et en particulier d’une audition troublée. Ava scribe43 est aussi
son fauteuil Nino39 . un outil de traduction paramétré pour toutes les
langues. Ces transcriptions se généralisent et
• Des solutions gratuites comme Microsoft Soundscape sont disponibles aujourd’hui dans pratiquement
sur iPhone40 permettent aux personnes malvoyantes tous les systèmes de visioconférence comme
ou non-voyantes de découvrir le monde avec une Microsoft Teams, Google Meet, Zoom, etc.
description sonore de leur environnement.
• Les prothèses auditives intelligentes44 sélec-
tionnent les sons, réduisent les bruits et optimisent
la transmission des informations importantes.

• Les applications de vision assistée, comme Seeing


AI de Microsoft45 permettent de lire du texte, de
reconnaître des personnes, de décrire les scènes
ou les paysages aux personnes malvoyantes.
Grâce à la caméra de son smartphone, l’utilisateur
sait quel billet de banque il tient dans les mains,
par exemple46 .

41 Pour mémoire : la recherche vocale est utilisée par 37% des internautes dans le
monde et 45% des 16-24 ans, ont déjà utilisé la recherche vocale, dont 27% sur mobile,
13% sur PC/ordinateur portable, 5% sur tablette - Source : https://www.gwi.com/
reports/trends-2021-download
37 https://www.modeintextile.fr/gant-de-technologie-portable-traduit-langue-signes-dis- 42 https://support.apple.com/fr-fr/HT210076#voiceover
cours-temps-reel/ 43 https://fr.ava.me
38 http://www.gyrolift.fr 44 https://www.numendo.com/blog/intelligence-artificielle/cognitive-hea-
39 https://www.nino-robotics.com/ ring-aid-une-intelligence-artificielle-qui-tend-vers-laccessibilite-auditive/
40 https://news.microsoft.com/fr-fr/2020/06/24/soundscape-application-audio-accessibi- 45 https://www.microsoft.com/en-us/ai/seeing-ai
lite-disponible-france/ 46 https://www.microsoft.com/en-us/ai/seeing-ai

.17
• L’application dédiée au diabète offre une person-
nalisation et une automatisation du traitement
(via un capteur de glucose, la pompe à insuline
délivre la dose nécessaire47) .

• Un robot kinésithérapeute aide les personnes


souffrant de mal de dos à réaliser leurs exercices
quotidiens à domicile : programme personnalisé,
indications de posture, corrections... 48

L’adaptation, la progression, l’interaction et la


prévention sont les apports majeurs de l’IA pour
faire face aux situations de handicap.

On voit très bien à travers les innovations citées,


quelles sont celles qui permettraient d’aider les
personnes dans leur environnement professionnel :
les lecteurs d’écran vocaux, les prothèses auditives
intelligentes, etc. Les autres solutions, qui aident les
personnes en situation de handicap à améliorer leur
quotidien en général et à anticiper les risques liés
à leurs particularités, agissent aussi indirectement
sur la vie professionnelle : une pathologie mieux
vécue grâce à des outils adaptés aux contraintes,
des risques mieux anticipés grâces aux informations
provenant des données, peuvent permettre aux
personnes en situation de handicap d’intégrer ou
de réintégrer la vie professionnelle ou encore de la
vivre beaucoup mieux.

Si les applications de l’IA autour du handicap sont


nombreuses et extrêmement diverses, leur utilisation
fait surgir de nouveaux enjeux, mais aussi un certain
nombre de freins qui tiennent principalement à son
acceptabilité.

47 https://www.diabeloop.fr
48 https://imtech.wp.imt.fr/2018/01/24/robot-reeducation/

18..18
II - Les enjeux et les
freins de l’IA dans le
cadre du handicap au
travail
L’intelligence artificielle améliore le quotidien des personnes en situation
de handicap. Elle est également une ressource pour favoriser la prise en
compte du handicap en entreprise. Son potentiel prédictif est précieux pour
les organisations parce qu’il permet un travail en amont, une anticipation
et une prévention des problèmes de santé, voire du handicap. Elle constitue
ainsi un enjeu de taille pour les entreprises.

19.
.19
II-A / Les enjeux de l’IA
appliquée au handicap
1. L’IA pour réduire les biais
liés au handicap

La question des biais est essentielle dans le cas du


handicap au travail,.

Témoignages
‘‘ Comme l’explique Guy Tisserant, les biais sont
des comportements inappropriés envers une
personne ou une catégorie de personnes. Les
stéréotypes sont à l’origine des biais. Les personnes
handicapées sont bien souvent exposées à cette
Président et cofondateur de TH Conseil, difficulté dans leurs interactions.50
Guy Tisserant s’appuie sur une solide expé-
rience dans le conseil, et l’intégration des
travailleurs handicapés, ainsi que sur sa Pour illustrer ce propos, on peut imaginer deux
propre situation de personne handicapée. 49 exemples.

« Les stéréotypes sont une généralisation Le premier est le cas d’un collaborateur
simplifiée appliquée à un groupe entier de malentendant. Son manager estime qu’il n’est
personnes, sans tenir compte des différences
individuelles. Ils sont plutôt de l’ordre des donc pas sensible à la musique (stéréotype), et
croyances et de la simplification de la réalité. en conséquence il ne lui propose pas de place de
concert (biais). Croire qu’un malentendant n’est
Le préjugé, qui signifie « juger avant », est pas sensible à la musique constitue le jugement
une idée préconçue sur une personne ou un d’un « entendant » à propos d’un malentendant.
groupe de personnes. Il se fonde toujours sur
un stéréotype. Les stéréotypes se déclinent
en trois grandes catégories principales : Le deuxième est le cas d’un collaborateur qui
a une mobilité réduite, nécessitant une canne
Hétéro-stéréotypes : ils représentent les pour se déplacer. Une visite de l’usine est prévue
préjugés que l’on peut avoir sur une autre suite à différents travaux de réaménagement. Le
personne et qui portent en germe les risques
de discrimination. manager propose d’emblée au collaborateur en
situation de handicap de filmer la visite, sans lui
Auto-stéréotypes : ils couvrent les a priori demander s’il se sent apte à la faire ou s’il lui
que l’on a sur soi-même, porteurs de risques faut un fauteuil pour faciliter son déplacement.
d’autocensure. Le manager présume que le collaborateur en
Méta-stéréotypes : ce sont les stéréotypes situation de handicap ne pourra pas visiter l’usine
que l’on a sur les préjugés des autres, sans lui poser directement la question.
générant des risques potentiels à la fois de
discrimination et d’autocensure. Dans les deux cas, c’est une forme d’interprétation
des particularités des autres qui est responsable
Les stéréotypes et les préjugés peuvent
impacter la représentation que nous avons des biais.
d’une personne et donc la relation que nous
construisons avec elle, en privilégiant l’idée Remarquons en outre que les phases d’appren-
que l’on se fait d’une personne plutôt que ce tissage d’une IA sont confrontées aux mêmes
qu’elle est réellement. » problèmes : elles sont victimes de nos propres
biais (cognitifs, statistiques et économiques).

49 https://www.thconseil.fr/interview-guy-tisserant-handicap-achats-respon- 50 https://ortec-group.com/newsroom/seeph-2020-stereotypes-prejuges-et-biais-de-
sables.php cisionnels/

20.
« Les algorithmes ne seraient donc pas si « Bien sûr, c’est typiquement ce qui peut
équitables que cela et, à l’instar des décisions être fait pour faciliter la rencontre entre
prises par des personnes humaines, pourraient l’entreprise qui recherche des profils
conduire à des pratiques discriminatoires. Les spécifiques et le demandeur d’emploi, à
biais des algorithmes pourraient être alors condition qu’il mentionne sa RQTH. C’est un
définis comme une déviation par rapport avantage pour les deux parties. Mais des
à un résultat censé être neutre, loyal ou solutions permettent de mettre surtout en
encore équitable. […] l’intelligence artificielle avant les «soft skills» (ndlr : compétences
ne tiendra ses promesses que si les enjeux personnelles) de chacun avant de les faire
d’équité, d’interprétabilité, d’explicabilité et de correspondre avec les attentes des recruteurs.
responsabilité sont considérés au même niveau Un même profil peut matcher avec plusieurs
que la recherche d’efficacité. S’il est encore recruteurs sans qu’ils sachent forcément que
difficile de savoir comment concevoir une le candidat est en situation de handicap ; c’est
régulation efficace sans brider l’innovation, tout l’intérêt de l’intelligence artificielle. Ainsi,
nul doute que la maîtrise des risques passe l’employeur analyse d’abord la personnalité
en partie par l’éducation, la formation et la et évalue la capacité de cette personne à
diffusion d’une culture des données et des s’intégrer dans son entreprise et à apprendre
algorithmes auprès d’un large public. » 51 puisque l’on sait que, dans de nombreux cas,
le handicap n’empêche ni l’apprentissage ni
les compétences. »
En gommant ou en atténuant les difficultés d’accès,
de communication et de mobilité, l’intelligence
artificielle encourage la collaboration. L’interaction
est bénéfique pour réduire les stéréotypes et donc
Témoignages
‘‘
limiter les biais comportementaux. C’est en ce sens
que l’IA peut changer le regard des collaborateurs
sur le collègue handicapé. Ce dernier devient alors
une personne dont les difficultés (générées par Guy Tisserant, Président et cofondateur
la situation de handicap), sont modérées par la de TH Conseil, ajoute un point de vigilance
technologie. à prendre en compte :
« Tout système automatisé, s’il n’est pas
suffisamment bien paramétré peut être
Si la technologie permet d’inclure davantage de source de normalisation et de traitement
collaborateurs handicapés en entreprise, la présence reproductible. En cela, il peut être source
du handicap n’aura plus rien « d’exceptionnel » ou d’exclusion si la personne a par exemple
« d’anecdotique », et deviendra simplement une un parcours atypique. Il est donc important,
singularité parmi tant d’autres. En cela, l’IA permet pour que l’IA soit dotée de pratiques
d’agir à la fois sur les biais en facilitant la rencontre inclusives, que ses programmeurs soient
et sur l’ouverture du champ des possibles en eux-mêmes sensibilisés aux notions de
singularité et de diversité. »
développant de nouveaux dispositifs d’aide.

L’intelligence artificielle agit sur les stéréotypes et


donc les biais envers le handicap dès le recrutement.
Prenons un exemple :
L’introduction de l’IA dans le sujet du handicap
Fariha Shah, directrice de Golden Bees utilise l’IA nécessite plus encore que dans d’autres domaines,
pour les phases de recrutement et d’embauche52 . A une approche globale qui prenne en compte non
la question : « L’intelligence artificielle permet-elle de seulement la gestion technique de la question à
mettre en avant des profils de travailleurs handicapés traiter, mais plus largement un positionnement
recherchés par les entreprises ? » Voici ce qu’elle global autour de pratiques inclusives.
après répond
L’erreur, et pourrait-on dire le risque, serait que
l’IA ne fasse que reproduire nos propres biais sur
la question du handicap.

51 https://www.telecom-paris.fr/algorithmes-biais-discrimination-et-equite
52 https://informations.handicap.fr/a-intelligence-artificielle-booster-emploi-11413.php

.21
2. L’IA au service de l’insertion
et du maintien en emploi des
Ici, l’IA constitue une aide à la rédaction pour
un salarié dyslexique et dysorthographique, mais
peut également servir à d’autres salariés qui n’ont
collaborateurs handicapés pas une bonne orthographe… L’Intelligence
artificielle devient alors plus largement un
levier d’amélioration de la performance de
L’accueil ou le maintien en poste d’une personne
l’ensemble des salariés.
en situation de handicap nécessite souvent des
aménagements : matériel spécifique, organisation
Voici un exemple de l’usage de l’IA dans le cadre
différente, management adapté. Dans la plupart des
d’un recrutement inclusif : l’application « Job
cas, cela implique pour l’employeur un investissement
Now » (développée par Actimage en partenariat
financier, une adaptation organisationnelle et
avec Microsoft et Pôle Emploi54) est reliée au
temporelle, parce qu’il doit prendre en compte une
casque de réalité mixte Hololens, le dispositif
particularité. C’est ici que l’intelligence artificielle
place un candidat en situation de handicap
intervient.
(neuro-atypisme par exemple) face à un recruteur
virtuel. Le candidat interagit vocalement avec
Si l’entreprise est équipée d’outils technologiques
ce recruteur virtuel qui lui pose une série de
adaptés, elle peut embaucher ou maintenir en poste
questions. A l’issue de l’entretien, l’application
une personne handicapée. Par exemple, si elle possède
fournit une transcription de l’échange ainsi que
un lecteur d’écrans, une entreprise pourra recruter une
de nombreux indicateurs concernant le débit de
personne malvoyante.
parole, la réactivité du candidat et également
des commentaires sur son regard pendant
Grâce à l’intelligence artificielle, l’entreprise fait alors le
l’entretien. L’IA permet ainsi à des personnes
choix de la singularité plutôt que de la « norme ». Si les
neuro-atypiques, par exemple, de s’entrainer
outils technologiques apportent une aide performante
pour réussir ce type d’entretiens.
à de nombreuses situations de handicap, l’entreprise
peut prendre en compte les spécificités individuelles
plutôt que de considérer la question du handicap
dans son ensemble, sans distinction et de l’envisager
seulement comme une problématique. L’entreprise
peut alors se concentrer sur le savoir-faire et le sa-
voir-être, tout en intégrant la situation de la personne
et le contexte de l’entreprise. A l’instar de l’âge, du
genre ou de la culture etc. le handicap est un signe
distinctif (même s’il est moins facilement définissable).
Lorsque les technologies d’intelligence artificielle
compensent la perte fonctionnelle, l’entreprise béné-
ficie pleinement des compétences du collaborateur et
sa situation de personne handicapée n’est plus qu’une
question d’organisation. Cela lui permet de maintenir
un collaborateur en poste et de recruter en fonction
des capacités professionnelles seulement. Intégrer
des outils adaptés offre inévitablement des possi-
bilités plus larges en termes d’embauche et de ges-
tion des carrières.

Prenons l’exemple de Cdiscount qui embauche des


personnes en situation de handicap. Pour aider
David, dyslexique et dysorthographique, qui travaille
sur des projets d’innovation dans le service R&D,
l’entreprise s’est munie d’un accès à Antidote, une
application d’intelligence artificielle qui aide à la
rédaction53.

54 https://news-microsoft-com.translate.goog/source/features/digital-transformation/
mixed-reality-apps-from-actimage-help-those-with-autism-safely-prepare-for-the-real-
53 https://www.talenteo.fr/regards-croises-faire-carriere-handicap-sein-de-cdiscount/ world/?_x_tr_sl=en&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=sc

22.
3. Utiliser l’IA dans une démarche
d’inclusion du handicap :
4. Les solutions d’IA appliquées
aux situations de handicap :
bénéfique pour l’image des outils d’aide à la décision

L’image de l’entreprise qui travaille autour de L’acquisition de solutions IA en entreprise (les


la question du handicap et des technologies de outils d’accessibilité Microsoft par exemple56)
compensation IA est bénéfique en interne comme accélère la prise de décision concernant l’insertion
en externe. C’est ce que s’attache à faire Sogeres, et le maintien dans l’emploi d’une personne
tout en restant consciente des freins et des handicapée. Le fait de pouvoir compter sur un
incompréhensions que l’association peut produire. environnement technologique adapté conforte
Le sujet touche à la responsabilité sociale, sociétale les décisions d’embauche ou de continuité
et environnementale des entreprises (RSE). Les d’emploi. L’accessibilité numérique répond aux
organisations y sont sensibilisées depuis plusieurs problèmes d’interaction avec l’environnement.
années. C’est un formidable vecteur d’attraction et En créant des outils bureautiques inclusifs
de propagation des valeurs des entreprises. (dictée vocale, traduction, lecteur immersif, sous-
titrage automatisé, vérificateur d’accessibilité…),
L’égalité des chances qui accompagne les Microsoft lève les freins à l’embauche de
politiques d’intégration du handicap est également personnes handicapées et en fait bénéficier ses
un gage d’attractivité. Une entreprise qui se entreprises clientes.
préoccupe sincèrement des questions sociétales
et qui utilise l’IA pour intégrer des personnes
en situation de handicap est une entreprise « Le monde est hétérogène. Afin de répondre
ancrée dans son époque et qui prend part à son aux attentes de chacun sur la planète, nous
évolution. De plus, mettre l’accent sur la diversité via devons être son reflet en termes de diversité.
l’intelligence artificielle est un levier de performance Nous devons apprendre de nos propres
et d’innovation, de quoi allécher les autres entreprises. préjugés et changer de comportement afin
En interne, insuffler l’ouverture aux autres et à leurs de bénéficier de la puissance collective.
particularités par l’utilisation de l’IA ne présente que Nous n’allons pas simplement valoriser les
des avantages. La pluralité associée à un objectif différences, mais nous allons les rechercher
commun est riche en termes de créativité et de pour mieux les accueillir dans l’entreprise. Par
croissance pour tous les acteurs de l’organisation. conséquent, nous serons à même d’imaginer
de nouvelles idées, de créer de meilleurs
Si l’on prend en compte les risques de stéréotypes produits, et ainsi servir au mieux nos clients. »
et que l’on déconstruit les a priori, la diversité Satya Nadella, CEO Microsoft57 .
par le prisme de l’IA crée de la cohésion interne
et confère à l’entreprise une image d’exemplarité
et d’innovation sociale comme le porte Sogeres C’est aussi grâce à son pouvoir préventif que
à travers ses engagements et ses efforts pour l’intelligence artificielle peut aider à la prise
dépasser des solutions devenues parfois obsolètes de décision sur le sujet du handicap. Si les
et peu probantes. outils comme les ceintures connectées analysent
C’est également le cas du cabinet Accenture qui qu’un type de tâche engendre fréquemment
souhaite mener une politique handicap engagée. des troubles musculo-squelettiques, l’entreprise
pourra prendre une décision en conséquence :
trouver un aménagement matériel adapté, par
« Notre objectif est d’être agile par rapport au exemple.
handicap, afin de donner un confort de travail et
d’échange à tous nos collègues : cela va d’outils Sogeres teste ainsi des montres intelligentes
très simples comme des écrans additionnels, qui permettent de connaître la situation d’un
à l’utilisation de l’intelligence artificielle. Le collaborateur en difficulté et qui a besoin d’aide.
tout dans l’optique de mettre la société et la La montre détecte la situation et la transmet à
technologie au service de l’humain. »55 Cécile une personne proche et à un centre d’appel pour
André-Leruste, Managing Director Financial lui venir en secours. Ici, l’outil IA joue un rôle
Services chez Accenture
56 https://www.microsoft.com/fr-fr/accessibility
55 https://www.accenture.com/fr-fr/about/corporate-citizenship/mission-handicap 57 https://query.prod.cms.rt.microsoft.com/cms/api/am/binary/RWyGWb

.23
préventif afin d’éviter un accident du travail, un risque
de santé et peut-être de handicap.L’action de l’IA en
matière de prévention est un vecteur de préservation
5. L’IA au service de la société :
équité, inclusion, prévention
de la santé des employés mais aussi une source
importante d’économies, en ce sens qu’elle diminue le du handicap
nombre d’arrêts de travail.

Quand l’IA en tant qu’outil préventif réinvente le travail : L’intelligence artificielle au service d’une
certaines entreprises peuvent choisir de robotiser une cause sociétale
action qui génère de nombreux accidents. Par exemple, Le handicap peut être vécu comme un frein,
l’entreprise DHL a déployé 1000 robots autonomes voire une contrainte plus ou moins importante
dans ses entrepôts58 . Cette solution préservant la santé pour la personne handicapée seulement, ce
des employés et source d’importantes économies, qui est extrêmement culpabilisant. En intégrant
permet aux collaborateurs d’effectuer des missions à l’intelligence artificielle pour compenser les
plus forte valeur ajoutée. En effet, c’est l’humain qui situations de handicap, le monde professionnel
apporte de la valeur aux technologies et non l’inverse. investit pleinement l’enjeu sociétal de l’inclusion.
Les solutions technologiques aident donc les
Il ne s’agit donc pas de remplacer des humains par entreprises à prendre part à la responsabilité
des machines, mais de permettre aux salariés de ne collective sur le thème du handicap dans la société.
plus être confrontés à des tâches répétitives, peu
valorisantes et potentiellement risquées.
De manière plus générale, la prévention est un
très vaste domaine où l’IA dispose d’un potentiel
immense qui va révolutionner les organisations du
Témoignages
‘‘
travail dans les prochaines années en permettant
une plus grande sécurité et de meilleures conditions
de travail.
Stéphane Malle, responsable RH au sein
du département R&D de Stellantis :
« Il est grand temps de lâcher le terme
handicap qui a une connotation péjorative
et limitante. Parlons plutôt de particularités,
au même titre que les autres (culturelles,
de genre, comportementales...). Les
entreprises, comme les gouvernements
doivent être le reflet de la population
d’une société, faite de profils divers. En
menant une politique de quotas on appuie
sur l’inégalité et on catégorise encore
davantage les personnes. Si tous les
outils (IA ou autres) sont accessibles en
entreprise, la question de l’embauche d’un
collaborateur souffrant d’un handicap n’est
plus un problème ou une contrainte, cela
devient une simple question d’organisation.
Un collaborateur handicapé a bien d’autres
particularités que son handicap. Aujourd’hui
la société et l’entreprise n’étant pas encore
adaptées, elles font du handicap le seul
signe distinctif des personnes souffrantes.
C’est extrêmement réducteur. »

58 https://www.usine-digitale.fr/article/dhl-annonce-le-deploiement-de-1-000-robots-auto-
nomes-locus-robotics-en-entrepot.N940151

24.
L’intelligence artificielle au service de l’équité
La pluralité des profils en entreprise comme
Témoignages
‘‘
ailleurs, prouve que l’égalité (au sens de l’uniformité
des caractéristiques, des talents, des cultures, des
connaissances, des motivations, etc.) n’existe pas.
C’est pourquoi l’intelligence artificielle doit œuvrer Stéphane Malle, responsable RH au sein
vers une recherche d’équité avant tout. Les outils du département R&D de Stellantis :
technologiques suppléent à la communication, à « Le parc auto de Stellantis n’était pas équipé
l’accessibilité et à la mobilité. En compensant de de voitures à commandes manuelles au
manière fonctionnelle la difficulté du travailleur départ, j’utilisais mon véhicule personnel.
Je me suis mobilisé pour que l’entreprise
en situation de handicap, l’entreprise lui donne
dispose de voitures adaptées. Après cela,
les mêmes chances de réussir qu’aux autres les déplacements des personnes souffrant
collaborateurs (à condition de combiner cette aide de problèmes de mobilité n’était plus un
technologique avec un accompagnement et une problème. Et cela a pu favoriser l’embauche
organisation adaptés). Cela rétablit l’équilibre, les d’autres personnes paraplégiques pour des
différences et une certaine justesse malgré une postes qui imposent des déplacements.
variabilité des situations. Adapter le contexte revient à se concentrer
sur les apports des collaborateurs et non sur
les contraintes de leur handicap. Prendre en
L’intelligence artificielle offre des outils équitables parce compte la personne handicapée, c’est faire
qu’ils sont évolutifs et adaptables à l’environnement, en sorte que l’environnement s’épanouisse
aux différents types et degrés de handicaps, à chacun
et à chaque situation. C’est le cas de l’aide auditive
Widex Evoke59 , qui fonctionne avec une technologie de
avec elle. » ‘‘
machine learning. Celle-ci utilise les données captées par
les prothèses auditives pour adapter progressivement
le réglage et proposer des programmes personnalisés Gilles S, Manager chez Sogeres
à l’utilisateur. Evoke utilise également les données « Le simple fait que je sois moi-même
d’autres utilisateurs pour réaliser des optimisations et handicapé me permet de parler librement
des propositions adaptées. du sujet avec mon équipe ou d’autres
managers. Les solutions proposées par
En compensant les difficultés, les prothèses auditives l’entreprise permettent de démontrer que
travailler avec un handicap, aussi invisible
intelligentes donnent la possibilité à un collaborateur soit-il, est une question de volonté mais
de palier ses contraintes auditives de manière optimale. surtout qu’il n’est pas un frein au travail
Son accès à l’information orale est alors rendu possible. et à l’évolution. Si chacun admet qu’en
Il bénéficie d’une solution équitable pour que son niveau face des plus grands empêchements il y
de réception soit égal à celui des autres collaborateurs. a des solutions, nous serons ensemble en
capacité d’être encore plus inclusifs, justes
et responsables et gagnerons en agilité
L’intelligence artificielle au service de l’inclusion
et en innovation pour le bénéfice de tous.
La notion d’inclusion60 induit un environnement L’inclusion n’a pas de limite, c’est une
capable d’accueillir toutes les personnes, quelles que question de volonté, la technologie n’est
soient leur particularité. qu’une porte supplémentaire ».

Pour Charles Gardou61 « une société inclusive


ne défend pas seulement le droit de vivre mais
celui d’exister ». Prendre part à la société, c’est
être pris en compte, pas seulement vivre. Il s’agit
de participer à la vie professionnelle, à la vie
sociale, d’être inclus dans chaque moment de la
vie en général.

59 https://www.widex.com/fr-fr/appareils-auditifs/evoke/https://www.widex.com/fr-fr/ 61 Charles Gardou est un anthropologue et professeur des universités français, spécia-
appareils-auditifs/evoke/ lisé dans les questions relatives au handicap, en particulier dans les analyses culturelles
60 https://apfra.fr/inclusion/ du rapport des sociétés avec les personnes handicapées

.25
accidents et les arrêts de travail génèrent une
Les nouveaux outils agissent aussi sur l’auto-stéréotype, multitude de tâches : gestion de l’administratif,
c’est-à-dire le regard que la personne handicapée pose traitement du remplacement… Prévenir les risques,
sur elle-même et les limites qu’elle s’impose. Grâce à c’est aussi trouver des solutions en amont pour
leur fonction de compensation, les systèmes intelligents conserver ses talents et améliorer la qualité de
participent à redonner confiance au collaborateur et à vie au travail
dépasser ses idées reçues sur sa propre situation.Le fait
que certains systèmes IA, comme les commandes Les troubles musculo-squelettiques (TMS)64 sont
vocales, servent à tous sans distinction, rétablit une limités lorsqu’ils sont anticipés. Ils touchent
forme d’égalité via la technologie. Et quand celle-ci les articulations et le système musculaire
crée du lien, qu’elle permet de mieux communiquer, périphérique des membres (rachis, épaule, coude,
d’entrer en contact physique, d’avoir accès aux mêmes main, poignet, doigts, genoux, chevilles, pieds).
informations, elle est donc inclusive. L’activité professionnelle peut jouer un rôle dans
leur apparition, leur durée ou leur aggravation,
notamment lorsque l’organisation du travail
Selon Serge Tisseron62 , la priorité serait « de procurer (répartition de la charge, définition des tâches,
aux personnes handicapées les technologies qui gestion des remplacements, etc.) fait émerger deux
leur permettent à la fois de créer des liens et des types de facteurs de risque :
situations d’interdépendance réciproque selon
leurs désirs, et de les faire échapper à tout risque Des facteurs physiques : gestes répétitifs, travail
de dépendance imposée » statique, efforts excessifs, positions articulaires
extrêmes, port de charges lourdes, etc.
L’intelligence artificielle, au service de la prévention
L’IA utilise et génère des données, mais apprend Des facteurs psychosociaux : pression tempo-
aussi à partir de ces données (machine learning ou relle, manque d’autonomie, manque de soutien
deep learning). Ces solutions technologiques consti- social, travail monotone, etc.
tuent donc une formidable source d’informations,
un incroyable dispositif d’analyse et de prévention. Les articulations du haut du corps sont particuliè-
rement touchées par les TMS, notamment celles
Citons par exemple les semelles connectées63, des bras et de la main, ainsi que le bas du dos.
elles ont à la fois une fonction d’alerte auprès de
l’utilisateur (charge trop lourde, mauvaise posture,
etc.), mais elles donnent aussi des indicateurs
clairs pour réaliser des analyses et lutter contre les
problèmes de santé : caractéristiques de l’utilisateur
(poids, taille, âge…), positions à risque, étude de la
Témoignages
‘‘
marche (cadence, appuis, écart…). Le traitement de
ces données massives peut conduire à une alerte
au sujet d’un risque de pathologie importante : par
exemple une dégradation du contrôle de la marche Témoignage anonyme, SODEXO.
peut être due à la maladie de Parkinson. Les données « J’ai bientôt 50 ans et je travaille dans le
groupe depuis 1999. J’étais chef de groupe
contribuent à soulever une interrogation en vue d’un
et j’ai rejoint le service achats il y a 5 ans.
diagnostic médical réalisé par un médecin. Je souffre d’arthrose des genoux depuis
2005, la station debout m’est très pénible
En termes d’anticipation, les semelles connectées vont et les variations de température provoquent
encore plus loin puisque l’application liée prévoit un des douleurs. Je prends des médicaments
programme de rééducation personnalisé. Cela permet lorsque les crises d’arthrose sont trop fortes.
d’agir dès les premiers symptômes. Chez SODEXO, mon bureau a été surélevé
pour mieux correspondre à ma stature, ce qui
atténue mes douleurs. Je suis absolument
En intégrant des outils d’intelligence artificielle favorable à l’intelligence artificielle en tant
appliqués au handicap, l’entreprise contribue à qu’outil d’accompagnement et en tant que
prévenir les risques, ce qui est bénéfique à la fois solution préventive. Je n’éprouve aucune
pour l’utilisateur et pour elle-même. réticence face aux innovations IA.
Prévoir et anticiper les problèmes de santé représente
pour l’entreprise un gain de temps et d’argent. Les
62 https://sergetisseron.com
63 https://region-sud.latribune.fr/entreprises-finance/2020-12-01/comment-traxxs-et-ses- 64 https://www.ameli.fr/rhone/entreprise/sante-travail/risques/troubles-muscu-
semelles-connectees-veulent-conquerir-le-marche-des-epi-863795.html losquelettiques-tms/tms-definition-impact

26.
Témoignages
‘‘ leurs cotisations accidents du travail et maladies
professionnelles (AT / MP). Pour les salariés, près
de la moitié des TMS entraînent des séquelles
lourdes avec des risques de désinsertion
professionnelle. Selon l’étude d’AXA67 , les TMS
ont été la cause de 21,2% des arrêts de travail en
Marie-Annick MAISONNEUVE, Responsable France en 2022.
Mission Handicap chez SOGERES, a interrogé
deux collaborateurs Le développement des services de livraison à la
demande a récemment mis en avant l’explosion
« J’ai 47 ans, je travaille dans le groupe depuis de troubles TMS. Ainsi, un article du Washington
23 ans en tant que responsable restauration post68 révèle que les travailleurs des entrepôts
et hôtellerie. Mon plus gros problème de santé d’Amazon subissent des blessures graves (TMS) à
est un trouble du genou, survenu suite à un
accident de travail il y a 20 ans. J’ai subi deux des taux plus élevés que les autres entreprises.
opérations et des infections par la suite. Je ne En 2020, sur 200 000 heures travaillées en
peux rester debout trop longtemps et la position entrepôt Amazon aux Etats-Unis (ce qui équivaut à
assise me fait souffrir du dos. Le fait d’avoir un temps plein pour 100 employés pendant un an),
forcé sur ce genou en ayant mal a engendré on dénombrait 5,9 incidents graves (selon l’OSHA :
des douleurs au dos et aux épaules. Étant l’Occupational Safety and Health Administration)
donné que ma croissance a été trop rapide, soit le double des accidents relevés dans les
une de mes vertèbres est fissurée (comme un
millefeuille). A cause de ces difficultés, j’ai été autres entreprises du même secteur.
contraint de faire des choix pour ma carrière
professionnelle. Certains anciens responsables de l’OSHA, des
A ce jour je n’utilise plus de ressources pour représentants syndicaux et des travailleurs d’Amazon
atténuer les douleurs, je vis avec. La douleur attribuent le problème à la forte pression exercée
fluctue en fonction du travail et de la météo. sur la productivité et le rendement.
Il faudrait que j’utilise genouillère et ceinture de
dos quasiment en permanence, mais je ne les
supporte pas. Pourtant Amazon aurait dépensé en 2020 plus
Le fait de s’équiper d’intelligence artificielle d’un milliard de dollars en mesures de sécurité,
serait une grosse avancée et permettrait de comme l’expansion d’un programme d’étirement,
pouvoir anticiper les douleurs et les éviter de méditation et de conseils nutritionnels, ainsi
avec des outils permettant de soulager les que l’achat d’équipement de protection individuelle
mouvements. pour prévenir la propagation d’un nouveau virus.
Je n’ai aucune réticence à propos de l’IA, mais
il vrai que ça peut faire peur, car jusqu’à ce jour
l’IA était surtout présente dans les films ! » On dénombre 24 000 cas signalés de blessures
dans 638 entrepôts d’Amazon en 2020. Selon les
données de l’OSHA, plus de 10 800 employés ont
perdu leur travail pendant leur convalescence,
Rappelons ici quelques chiffres pour fixer l’ampleur tandis qu’environ 13 600 ont été affectés à des
de la question de la prévention dans le cas des tâches légères à la suite de leurs blessures.
troubles musculo-squelettiques : L’importance de ces chiffres montre l’ampleur du
problème. Disposer d’une technologie susceptible
Dans son rapport annuel de 2019, l’assurance maladie de diminuer les cas de TMS, de soulager les
a répertorié 655 715 accidents du travail (+ 0,6 % par salariés dans leurs tâches fastidieuses, voire
rapport à 2018)65. Pour la deuxième année consécutive, de prévenir le handicap, constitue à la fois une
le nombre de maladies professionnelles progresse (+ 1,7 % avancée notable pour la santé au travail et une
par rapport à 2019) avec 50 392 cas reconnus. Les troubles source d’économie à la fois temporelle (arrêt de
musculo-squelettiques sont à l’origine de 88 % d’entre travail) et financière.
elles. Dans un autre domaine, pour accompagner les
démarches de prévention des risques au travail, la
Selon l’Assurance Maladie66, les pathologies liées société Eyes’R69 propose un assistant digital qui
aux TMS engendrent 10 millions de jours d’arrêt de combine l’IA au système de caméras de l’entreprise.
travail. En 2017, leur coût direct pour les entreprises
s’est élevé à près de deux milliards d’euros à travers
67 https://www.axa-assurancescollectives.fr/wp-content/uploads/2023/05/Da-
65 https://assurance-maladie.ameli.fr/qui-sommes-nous/publications-reference/assu- tascope-2023-observatoire-absenteisme-2.pdf
rance-maladie-risques-professionnels/rapports-annuels 68 https://www.washingtonpost.com/technology/2021/06/01/amazon-osha-inju-
66 https://www.ameli.fr/rhone/entreprise/sante-travail/risques/troubles-musculosqueletti- ry-rate/
ques-tms/tms-definition-impact 69 https://inforisque.fr/fiches-pratiques/IA-risques-travail.php

.27
L’outil permet de prévenir les accidents à travers
plusieurs actions : II-B / Les freins de l’IA
• Détecter la présence d’une personne dans une
zone machine ;
• •Détecter la présence d’un engin dans une zone
appliquée aux situations
piéton ;
• Vérifier le port des équipements de protection de handicap au travail
individuelle ;
• Vérifier l’utilisation appropriée d’un outil : un

1.
échafaudage plutôt qu’une échelle lorsqu’il s’agit
de travailler en hauteur (selon des critères de
Envisager l’intelligence artifi-
temps). cielle comme une solution de
• Naturellement, se pose ici la question des données « réparation »
personnelles et celle du contrôle des salariés. C’est
ce que nous verrons dans les chapitres suivants.
Les outils technologiques développés autour du
On peut également citer l’exemple des exosquelettes handicap ont pour vocation de compenser la
dans les usines et les ateliers pour soulager les perte ou le manque (en motricité, accessibilité ou
collaborateurs dans le port de charges lourdes et communication), mais ils ne constituent pas des
répétitives. Ces dispositifs d’assistance physique systèmes de réparation, pour l’instant en tout cas
portatifs répartissent la charge sur les parties du puisque de nombreux travaux de recherche sont
corps les plus puissantes et les moins dangereuses70. en cours (citons par exemple l’exosquelette pour
les personnes paraplégiques72 ).
Du côté de la médecine, les données issues des
technologies IA sont extrêmement précieuses et font Les capacités de l’intelligence artificielle sont
avancer la recherche. On peut donner l’exemple de révolutionnaires, elles ont permis de faire des pas de
la plateforme Desiree71 qui récolte des informations géant dans de nombreux domaines. Cette puissance
(décisions, cas particuliers, traitements, résultats, combinée aux tendances transhumanistes 73 amène
etc.) pour aider les cliniciens à traiter et aider les parfois à penser que l’intelligence artificielle peut
patientes atteintes d’un cancer du sein. Le système supprimer complètement les situations de handicap.
peut apprendre et « raisonner par l’expérience », Ce n’est pas le cas à l’heure actuelle. Une attente
c’est ainsi qu’il enrichit son contenu et fait des démesurée à propos des outils technologiques
propositions de plus en plus pertinentes. entraine nécessairement une déception. Cette
Le même principe pourrait être appliqué à d’autres frustration peut être l’un des freins à l’utilisation
pathologies. des outils IA chez les personnes en situation de
handicap.
Le fait d’incorporer des outils IA supplémentaires en
entreprise génèrera davantage de données, donc Cette idéalisation de la technologie est également
davantage d’informations, ce qui constitue un atout présente dans l’entourage professionnel : imaginer
pour l’avancement de la recherche, le domaine de que la difficulté du collaborateur en situation de
la santé en général, et le sujet de la santé au travail handicap puisse être entièrement compensée par
en particulier. l’intelligence artificielle constitue également un
risque, et peut donc générer une frustration. Inclure,
c’est prendre en compte les situations de handicap
et les solutions de compensation dans leur globalité
(avec leurs apports mais aussi leurs imperfections et
leurs manques).
L’implantation des technologies IA dans le cadre
du handicap au travail nécessite donc une prise
de conscience du potentiel technologique et de
ses limites, voire de ses besoins (mise en place,
accompagnement, suivi, etc.).

70 https://www.industrie-techno.com/article/les-exosquelettes-innovent-pour-gagner-l-
usine.64023 72 https://www.buzzwebzine.fr/exosquelette-avenement-superhumains/
71 https://www.inserm.fr/dossier/intelligence-artificielle-et-sante/#:~:text=Les%20plus%20 73 https://www.futura-sciences.com/tech/definitions/technologie-transhuma-
célèbres%2C%20Mycin%20(identification,pour%20aboutir%20à%20un%20diagnostic. nisme-16985/

28.
Plusieurs acteurs sont concernés pour déployer
une solution IA dans une organisation : l’utilisateur,
l’entourage professionnel, les services de la médecine du
2. Envisager l’intelligence artificielle au
service des situations de handicap
travail, le manager, la direction, etc. Une communication au travail, comme une solution totale
très large autour des outils IA est donc essentielle pour
que chacun comprenne bien les limites et le potentiel
des solutions. Dans un article de Springer Link, Peter et Laura
Smith diffusent un journal de bord qui explique
Il ne peut en aucun cas s’agir d’une solution « patch », leurs difficultés quotidiennes dans l’utilisation
prête à l’emploi, qui aurait le pouvoir (magique !) de des outils IA74 .
dénouer entièrement une situation de handicap.
Leurs propos illustrent que les systèmes, aussi
« intelligents » soient-ils, sont des pièces de
puzzle qui manquent parfois de liens entre elles.
Les outils sont développés pour répondre à une
problématique précise. Même s’ils s’adaptent
aux besoins et qu’ils évoluent, ils ne couvrent
pas forcément les différentes problématiques
rencontrées par la personne en situation de
handicap tout au long de sa journée.
Peter Smith donne l’exemple de la commande
vocale qui permet de passer un appel, mais pas
de raccrocher par exemple. La voiture autonome
permet de se déplacer, mais ne permet pas d’en
sortir sans aide pour rejoindre un fauteuil… Les
exemples sont nombreux.

Ce n’est pas parce qu’un logiciel de transcription


audio aide un collaborateur malvoyant dans ses
missions, que celui-ci sera à l’aise dans tout son
quotidien professionnel : ses déplacements dans
l’entreprise peuvent rester compliqués (arrivée,
départ, réunion, pause-déjeuner).

Témoignages
‘‘
Vance Bergeron (Médaille de l’innovation du
CNRS en 2019)75 , directeur de recherche
au Laboratoire de physique de l’ENS de
Lyon et directeur de la start-up Kurage76
nous livre un constat semblable :
« Même avec les systèmes actuels de
reconnaissance vocale disponibles, il
peut être difficile d’utiliser l’ordinateur
lorsque vous avez un handicap moteur
qui empêche l’utilisation de vos mains.
Pour les personnes à mobilité réduite,
même si elles sont munies de fauteuils
connectés, les difficultés demeurent dans
de nombreux lieux (portes lourdes ou
étroites, escaliers, sols en mauvais état) …
Le potentiel de l’intelligence artificielle se
déploiera davantage et avec de meilleurs
résultats dans un environnement adapté
et des outils qui font des passerelles entre
eux. »

74 https ://link.springer.com/article/10.1007/s43681-020-00004-5
75 http://www.ens-lyon.fr/recherche/panorama-de-la-recherche/prix-et-distinctions/
vance-bergeron-physicien-laboratoire-de
76 https://www.pulsalys.fr/startup/kurage

.29
Une approche hybride, globale et transversale de la
recherche apparaît alors fondamentale. Une recherche
technique alimentée par des nécessités pratiques
3. Envisager les outils d’IA
comme des solutions inclu-
et sociales, tout en préservant l’éthique, serait plus
efficace. On parle désormais d’IA by design, c’est-à- sives dès leur conception
dire une IA intégrée dès la conception de nouveaux
produits ou services, comme on parle de security
by design ou de privacy by design. Cette méthode
associe experts et utilisateurs tout au long de la Dans l’article de Springer Link, Peter Smith explique
le manque de cohérence des outils technologiques
création77.
par l’absence des personnes handicapées dans
les phases de conception. Il déplore que leur
Ornella Plos a rédigé une thèse de doctorat dif-
présence n’intervienne qu’en phase de test.
fusée sur l’archive ouverte pluridisciplinaire HAL78
(https://hal.archives-ouvertes.fr) : « Innover pour et
Pour lui, penser l’intelligence artificielle en tant
par le handicap - Méthodologie de conception de
que solution pour tous, c’est inclure la présence
produits adaptée aux marchés de niche : application
de personnes en situation de handicap, dans
au marché du handicap moteur ».
chaque étape de la conception d’outils innovants
Elle relève les problèmes de conception des outils
: étude, collecte de données, création d’algorithmes,
technologiques destinés aux situations de handicap :
tests, fabrication, lancement, développement…

Si l’on considère que « Nous sommes tous des


personnes handicapées potentielles. » comme
« …mal défini (par manque de connaissances l’indique si justement le Professeur Serge Tisse-
au départ), ouvert (plusieurs solutions possibles ron80 , la démarche doit prendre en compte tous
indéfinies existent), collectif (la résolution les acteurs de la société avec tous leurs signes
du problème nécessite une coopération et distinctifs. Les handicaps deviennent alors des
coordination de plusieurs acteurs), complexe particularités parmi d’autres, avec des degrés et
(de nombreux aspects interdépendants sont à des temporalités variables.
prendre en compte, la solution finale étant un
compromis des solutions acceptables). » C’est l’ambition soutenue par Aaron Bangor,
cofondateur du premier groupe d’AT&T, dédié à la
Selon Ornella Plos79, l’évaluation de l’outil technolo- promotion de la technologie accessible. Il défend
gique doit se faire en fonction de son impact sur la une « IA éclairée », inclusive de bout en bout.
situation de handicap, et les interactions entre produit,
utilisateur, environnement et habitudes de vie.

« L’Etat de l’Art scientifique sur les méthodes « Si nous voulons créer des résultats équitables
d’évaluation nous a montré l’importance du qui servent l’ensemble de la collectivité,
positionnement sur une approche systémique de nous devons dénoncer le risque de partialité
la notion du handicap. Concevoir des produits inhérente, c’est impératif… Nous devons
d’autonomisation grand public ou spécialisés reconnaître que la conception universelle
adaptés aux besoins des PSH nécessite profite à tout le monde, et la considérer comme
l’intégration des vecteurs du handicap (facteurs un catalyseur de l’innovation inclusive, et non
personnels, facteurs environnementaux et pas simplement comme un autre obstacle à
habitudes de vie). Le produit doit être capable franchir. » 81
d’aider la personne à surmonter les obstacles à
la réalisation de ses habitudes de vie. »

77 https://talan.com/fileadmin/Reprise_de_contenus/siltea/Note_de_conjoncture_AI_by_
design__2_.pdf
78 https://pastel.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/578706/filename/ThA_se_Docto- 80 https://sergetisseron.com/biographie/
rat_Plos_2011.pdf 81 https://about.att.com/sites/accessibility/stories/enlightened-ai
79 Op. cit. p 143

30.
Et selon Aaron Bangor, cet objectif commence dès
l’école maternelle : en favorisant l’accès des personnes
handicapées à l’éducation (méthodes adaptées, 4. Les réticences liées à
accessibilité, parcours sur-mesure…), elles seront plus l’intelligence artificielle
nombreuses à prendre part aux innovations et aux
recherches technologiques.

Entre problèmes éthiques réels et idées reçues,


subsistent de nombreuses craintes envers les
« Pour assurer la réussite des entreprises et nouvelles technologies intelligentes. Ces réticences
la solidité de la société, il est essentiel de sont identiques lorsqu’il s’agit d’outils conçus pour
constituer un bassin de talents diversifiés pour améliorer le quotidien des personnes en situation
préparer l’avenir. » de handicap.

On retrouve la même idée dans le rapport 2021 de On retrouve les mêmes objections à propos
l’OMPI82 . Arezoo Talebzadeh, architecte et chercheuse de l’IA et de la data science auprès de tous les
déclare : utilisateurs, qu’il s’agisse de personnes en situation
de handicap ou non : les biais, la confidentialité,
la collecte des données sans accord, la liberté,
l’équité, le recours systématique aux décisions
« La conception universelle se concentre sur proposées par une machine sans arbitrage, les
les besoins et les capacités de la majorité en finalités incertaines, le choix de paramétrage des
matière de conception, tandis que la conception algorithmes, l’impossibilité d’accéder aux processus
inclusive vise à concevoir pour la population d’analyse, l’exactitude des résultats…
marginalisée avec une adaptabilité possible au
service de tous. »
Témoignages Internationaux83 ‘‘
Smitha Sadasivan (Inde), militante pour
les droits des personnes handicapées.
Elle souffre de fatigue aigüe et chronique,
de fluctuations visuelles, d’instabilité
vésicale et intestinale, de déséquilibre, de
« brouillard cérébral », d’instabilité de la
tête pendant toute activité physique, elle
est sensible aux variations thermiques.

« Je n’ai aucune réserve ni réticence


à propos de l’intelligence artificielle.
Cependant, il est important de maintenir
la confidentialité des données. »
‘‘
Anonyme (Inde), militant pour les droits
des personnes handicapées, en situation
d’handicap visuel.

« L’intelligence artificielle devrait se


limiter à la position d’un partisan ou d’un
facilitateur pour une tâche donnée et ne
devrait pas entrer dans les chaussures ou
la vie privée de la personne.

83 Les témoignages internationaux ont été possibles grâce à l’aide d’Hervé Bernard
82 https://www.wipo.int/edocs/pubdocs/en/wipo_pub_1055_2021.pdf Directeur Social & Inclusion chez Handicap International - Humanité & Inclusion, que
nous remercions très sincèrement.

.31
Témoignages Internationaux
‘‘ • À l’opposé, 11% des patients perçoivent
l’intelligence artificielle et les objets connectés
comme un danger (remplacement inapproprié
de l’être humain, risques de piratage des
données ou mauvais usage des données de
Madhavi Latha Prathigudupu (Inde) santé par des tiers comme les assurances).
travaille dans une entreprise multinationale,
para sportive et très active dans les L’étude a interrogé les patients participants à
activités sociales. Touchée par la polio propos de leur volonté d’adopter ou de rejeter l’un
dans son enfance, une partie de son corps de ces outils basés sur l’intelligence artificielle :
sous l’épaule est paralysée. Sa main droite
a une mobilité partielle. En raison de la
compression de la colonne vertébrale, un • Intelligence artificielle pour la détection de
de ses poumons est entièrement compressé cancer de la peau par analyse de photographies
et l’autre est affecté partiellement. Le • Capteurs portables et objets connectés
syndrome post-polio détériore son énergie permettant l’analyse et la détection en temps
musculaire. réel de l’exacerbation de maladies chroniques
• Chemise connectée et intelligence artificielle
« Ma seule réticence concerne la disponibilité
des services en cas de panne ou de
dysfonctionnement. »
‘‘ pour piloter des soins de kinésithérapie
• Chatbot ou robot conversationnel permettant
d’aider les patients à déterminer le niveau
d’urgence de leur problème de santé.

Selon l’étude, 35% des patients interrogés


refuseraient l’utilisation d’au moins l’un de
Anonyme (États-Unis), retraité et auteur, ces outils et 41% n’adopteraient ces outils qu’à
il souffre de douleurs chroniques et de condition que leur utilisation soit contrôlée
difficultés de mobilité.
par un être humain. Ces chiffres révèlent un
« Certaines avancées de l’intelligence besoin puissant de sécurisation, d’éthique et de
artificielle me font peur, c’est le cas des transparence85 , ces aspects doivent être au cœur
voitures autonomes par exemple. J’adore du déploiement de solutions IA, qu’il s’agisse
l’idée, mais lorsque l’on est en fauteuil, d’ailleurs de problème de santé ponctuel, de
on est davantage soumis aux accidents. handicap ou de tout autre domaine.
En effet notre position assise nous place
sous le champ de vision du conducteur. Signalons une autre étude de 2019 menée par
Je redoute les accidents avec l’arrivée des
véhicules autonomes. » une équipe de chercheurs en psychologie de
l’Université de Linnaeus86 en Suède, a analysé
les effets de l’utilisation des outils d’assistance
sur des étudiants malvoyants. 50% d’entre eux
Une étude scientifique réalisée dans le cadre de disent avoir retrouvé de la motivation pour leurs
ComPaRe84 (la Communauté de Patients pour la études.
Recherche : compare.aphp.fr), a évalué la perception
des patients sur l’usage médical des objets connectés L’IA pour soigner, pour atténuer, voire pour
et de l’intelligence artificielle. palier une affection est globalement acceptée, à
condition que ses modalités d’utilisation soient
Il ne s’agit certes pas de la perception de l’IA pour bien définies.
des personnes en situation de handicap dans
le monde du travail, mais ces résultats peuvent Au moment de la rédaction du livre blanc, nous
éclairer la question générale de la perception de l’IA n’avons pas de chiffres précis sur la perception
appliquée à la santé. des professionnels en situation de handicap qui
utilisent des technologies d’assistance.
Les principaux résultats de cette étude sont les suivants :
L’inclusion concerne aussi toutes les parties
• 47% des patients voient l’intelligence artificielle prenantes autour du handicap. En entreprise,
et les objets connectés comme une grande et particulièrement dans les grands groupes,
opportunité de progrès pour leur santé. les actions et réflexions menées autour de ces
questions ne sont pas toujours partagées.

84 https://compare.aphp.fr/actualites/146-etude-compare-sur-les-objets-connectes-et-l-in-
telligence-artificielle-3-patients-sur-4-refusent-l-automatisation-complete-de-certains-soins. 85 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2585_proposition-loi
html 86 https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17483107.2019.1646821

32.
5. Les difficultés d’organisation
entre les acteurs du handicap

En cause : la multitude des sites et filiales dans


certains groupes, l’éloignement géographique des
responsables, le changement de référents handicap,
le cloisonnement des missions… Dans certaines
organisations, un collaborateur est dédié à la
question du handicap, dans d’autres elle fait partie
du service sécurité et santé au travail, et parfois le
handicap est géré dans plusieurs services sans qu’il
y ait forcément de cohésion dans l’approche et les
décisions.

La mutualisation des informations et du travail,


alliée à une globalisation/responsabilisation à tous
les niveaux de l’entreprise, constitue donc une
priorité pour faire avancer le sujet.

La question du handicap en entreprise doit donc être


présente à tous les niveaux, tout comme dans nos
sociétés. La présence des innovations dans chaque
département de l’entreprise enclenche l’inclusion
« à tous les étages » de l’univers professionnel. En
cela, elle permet d’étendre la politique inclusive de
l’organisation tout en centralisant les orientations
stratégiques

.33
III - L’IA au service des
personnes en situation de
handicap au travail : défis
et perspectives

Malgré la fulgurance de ses progrès, l’intelligence artificielle compte encore de


nombreux défis à relever. Le respect de l’éthique et la conformité juridique sont
des sujets importants pour son évolution. La cohérence et les passerelles entre
les différents outils sont également des thèmes à travailler. Quant à l’inclusion de
personnes handicapées dans la construction des solutions intelligentes, elle est une
nécessité incontournable.

34.
.34
• Le ratio entre bénéfice public et risque individuel ;
1. L’acceptabilité, l’éthique • Le consentement éclairé face à l’opacité des
algorithmes (question d’explicabilité, etc.) ;
et la protection juridique • La responsabilité dans les erreurs systémiques
et biais d’algorithmes ;
• Les ressources affectées à la bonne application
des réglementations.
La notion d’acceptabilité concerne la confiance
des utilisateurs envers l’IA, qu’ils soient clients, Pour améliorer l’acceptabilité, le développement
consommateurs, patients, citoyens, en situation de l’intelligence artificielle devra tenir compte du
de handicap ou non. Elle est une composante besoin d’explicabilité des décisions algorithmiques.
fondamentale : sans confiance dans les outils qui Il s’agit là d’une question centrale qui dépasse
collectent les données ou dans les solutions IA qui largement le cadre de ce travail et qui est au cœur
les utilisent, il n’y a pas de développement possible. de multiples programmes de recherche89 .
Cette question de la confiance des utilisateurs n’est
pas seulement importante, elle est essentielle. Pour simplifier, précisons que le deep learning
Et dans ce domaine, la seule proclamation de valeurs (apprentissage profond) est un système qui
éthiques (via la signature de chartes par exemple) ne repose sur des neurones artificiels. Les règles de
suffit pas à rassurer, si elle n’est pas accompagnée d’un déduction sont définies par le système IA à partir
cadre juridique précis et réglementaire contrôlable. de nombreux exemples, il suffit de penser au
modèle de langage GPT490 avec ses centaines
de milliards de paramètres, pour comprendre
«Donner un cadre juridique permet d’avoir que retrouver dans cet ensemble des règles de
plus confiance, il s’agit aussi d’avoir un cadre déduction et donc une forme d’explicabilité, n’est
éthique. Aujourd’hui il y a le RGPD, protection pas une chose aisée. Résultat : un choix peut
des données personnelles, mais ça ne suffit s’imposer entre performance et explication. Or,
pas», déclare Laurence Devillers, professeure en pour générer de la confiance dans un système, il
IA à Sorbonne Université, chaire de recherche est nécessaire de pouvoir le justifier. L’explicabilité
sur l’IA, les robots émotionnels et l’éthique au représente donc un enjeu fort pour l’intelligence
CNRS87 . artificielle91 .
Pour Sogeres, il s’agit de donner du sens et de faire Comme le soulignent Robert Hoffman, Shane
en sorte que chacun soit sensibilisé, que le sujet Mueller et Gary Klein, dans leur article Explaining
soit désacralisé et que les valeurs soient partagées Explanation for « Explainable AI » 92
afin que les salariés bénéficiaires sentent le cocon
protecteur, qu’ils se déclarent en toute confiance et
bénéficient des dispositifs proposés par l’entreprise.
« Une explication sert à créer de la confiance
• Le rapport « Implications juridiques et éthiques à toutes les étapes des interactions, ce qui
des algorithmes d’intelligence artificielle dans le signifie que l’utilisateur doit être capable
domaine de la santé » 88 montre que l’encadrement d’explorer activement les choix dont il dis-
juridique de l’IA se heurte à plusieurs types de pose et notamment les erreurs possibles. »
difficultés :

• La relation au temps : les technologies vont plus


vite que la législation. Le RGPD en est un bon
exemple, son entrée en vigueur ne date que de
2018 alors que les données massives étaient déjà
utilisées depuis longtemps ;

• La subjectivité de l’éthique (différente d’un pays


à l’autre, d’une culture à une autre, d’une zone
géographique à une autre etc.) ;
89 https://www.telecom-paris.fr/intelligence-artificielle-explicable
90 Voir : https://openai.com/blog/openai-api/, GPT 3 permet d’analyser et de
synthétiser du texte, de traduire des textes, de générer des codes informatiques à partir
d’instructions en langue naturelle
91 https://www.lemonde.fr/blog/internetactu/2019/11/28/expli-
quer-les-boites-noires-les-enjeux-de-lexplication-des-decisions-automatisees/
87 https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-21-avril-2021 92 https://www.researchgate.net/publication/327863780_Explaining_Explanation_
88 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02424285v2/document For_Explainable_Ai

.35
L’IA devra aussi mettre l’accent sur la transparence,
l’identification des responsables à chaque étape et
la supervision humaine. 2. La cohérence et l’efficacité des
outils intelligents d’assistance
Avec la proposition de nouvelles réglementations dans le cadre des situations de
sur l’IA93 présentée en avril 2021 et adopté en handicap au travail
décembre 2023, la Commission Européenne réaffirme
l’importance stratégique de l’IA pour l’Europe et
la nécessité d’encadrer son usage. Le nouveau
règlement garantira aux européens de pouvoir faire Bras robotisés, outils d’aide à la décision,
confiance à l’IA. planification des itinéraires pour les personnes
malvoyantes, optimisation des gestes et des
Les objectifs de ce règlement sont multiples94 : trajets… Des solutions existent, mais leur
• Veiller à ce que les systèmes d’IA mis sur le marché utilisation dévoile leur potentiel en même temps
de l’Union et utilisés soient sûrs et respectent la que leurs limites : reconnaissance vocale gênée
législation existante sur les droits fondamentaux par les bruits environnants, difficultés d’arrêter
et les valeurs de l’Union ; une commande... Certains besoins demeurent
insatisfaits en matière d’assistance essentielle.
• Assurer la sécurité juridique pour faciliter Soutien et frustration vont donc parfois de pair.
l’investissement et l’innovation dans l’IA ;

• Améliorer la gouvernance et l’application effective de


la législation existante sur les droits fondamentaux et
les exigences de sécurité applicables aux systèmes
d’IA ;
Témoignages International ‘‘
• Faciliter le développement d’un marché unique
pour les applications d’IA légales, sûres et dignes
de confiance et prévenir la division du marché. Anonyme (Etats-Unis), retraité et auteur.
« Ma femme et moi avons des fauteuils
L’encadrement juridique de l’IA proposé s’articule roulants qui s’inclinent et peuvent monter
autour d’une approche des systèmes d’IA par les et descendre. Ces fauteuils roulants
risques : du risque acceptable minimal au risque ont aussi l’une des caractéristiques les
maximal inacceptable. plus stupides que j’ai jamais vues : les
commandes sont sur le joystick, mais
elles sont aussi sur le bras et elles sont
Fixer un cadre juridique et éthique encouragera exactement là où nos deux poignets se
l’introduction de systèmes IA dans les entreprises, et reposent. Il est compliqué de les éteindre
plus particulièrement l’intégration de technologies et une fois éteintes, il arrive fréquemment
d’assistance pour les personnes en situation de qu’elles se mettent à fonctionner alors
handicap. que nous ne le souhaitons pas.

La multiplicité des supports (logiciels, applications,


objets…) fait partie du casse-tête, d’autant plus
lorsqu’il n’existe aucun lien ni relais entre les
différents outils. Le recours à une autre personne
pour éteindre, activer ou régler les systèmes est
fréquent, voire impératif. C’est ce qu’évoque dans
l’article de Springer Link, le journal de bord de
Peter et Laura Smith à propos de leurs difficultés
quotidiennes dans l’utilisation des outils IA95 .

93 https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_1682
94 Pour un résumé, voir l’article de Maud Lambert dans : https://www.aivancity.ai/fr/actua-
lites/bruxelles-propose-un-reglement-pour-encadrer-lia-acte-i 95 https ://link.springer.com/article/10.1007/s43681-020-00004-5

36.
Le lien d’un système à un autre (inter-opérationnalité)
n’est pas encore établi. Par exemple, la voiture
autonome donnera-t-elle accès à un fauteuil 3. L’inclusion en ligne
spécifique pour passer d’un outil de motricité à un
autre ? de mire
La progression de la technologie et son déploiement,
en entreprise comme dans la vie quotidienne,
implique donc plusieurs sujets :
• Prendre en considération les gênes éventuelles à
l’utilisation des outils ;
• Coordonner les systèmes en fonction du rythme
de la journée et/ou des besoins de l’utilisateur,
pour éviter une cacophonie fonctionnelle des
systèmes ;
• S’adapter aux différents degrés de handicap
avecplus de subtilité, à la temporalité, aux situations
particulières, aux contraintes spécifiques.
Exclusion Ségrégation

Intégration Inclusion

Définition de l’inclusion APF France Handicap96

Œuvrer pour la collectivité en tenant compte


des singularités
Comme le défendent Aaron Bangor, Laura et
Paul Smith à travers leurs témoignages, on peut
considérer que les individus sont catégorisés
comme handicapés car la société dans ses choix
et fonctionnements n’est pas inclusive.
Répétons-le : la participation active de tous
les acteurs du handicap est cruciale dans la
conception, le développement et les questions
éthiques des outils IA. L’interaction des différentes
parties prenantes du handicap (les personnes qui
le vivent, les aidants, le maillage associatif, les
scientifiques, les entreprises technologiques, les
services dédiés dans les entreprises, les institutions
en charge…) permettra le déploiement de
l’intelligence artificielle, alimentera le changement
des mentalités et atténuera le concept de norme
au profit de la richesse des singularités.

96 https://apfra.fr/inclusion/

.37
La technologie doit donc être pensée comme utile
à tous, et nécessaire à certaines spécificités. Les
expériences variées, les environnements divers, les
4. Évolutions technologiques :
cas différents offriront pluralité, densité et puissance l’humain augmenté
aux outils et aux technologies. La diversité par le
prisme de l’IA est un facteur d’innovation.

Témoignages ‘‘ Les progrès fulgurants de la médecine et de la


science technologique conduisent à penser que
l’on pourrait passer du concept d’homme « réparé »
à celui d’homme « augmenté ». Exosquelettes98,
implants cochléaires99 , nanopuces… Les pistes
pour rendre l’humain plus fort et compenser les
Guy Tisserant97 , Président et cofondateur situations de handicap sont nombreuses.
de TH Conseil.
Comme nous l’avons vu plus haut, les
« L’IA est un facilitateur d’inclusion. En effet, particularités des personnes handicapées sont
l’IA élargit le champ des compensations
aussi des richesses. Les contraintes font naître
envisageables. Si l’accessibilité universelle
est un objectif d’amélioration de la vie de chez les personnes en situation de handicap des
tous en rendant la société plus inclusive et en stratégies de contournement et des manières
limitant les freins et difficultés que peuvent de penser différentes, facteurs d’innovation. Ce
rencontrer les personnes handicapées, elle sont ces façons d’agir ou de réfléchir « out of
ne peut pour autant pas toujours répondre the box » qui permettent d’explorer de nouvelles
aux besoins spécifiques de chacun. Toutes pistes. C’est la singularité qui crée l’individualité
les normes d’accessibilité respectées ne
feront pas disparaitre la singularité d’une et la distinction. On comprend bien la nécessité
personne en fauteuil roulant qui voudra d’envisager l’IA comme un moyen de déployer
cueillir un fruit dans un arbre trop haut pour les possibilités de chacun en compensant les
elle. L’accessibilité est donc nécessaire, mais contraintes. On comprend bien aussi que l’IA
pas toujours suffisante. Pour envisager une n’a aucun rôle de « normalisation » et de «
réelle inclusion, l’accessibilité universelle généralisation » à jouer. Les technologies doivent
doit se conjuguer avec la compensation porter la vocation de diminuer la difficulté pour
individuelle des conséquences du handicap
dans un environnement donné. Et c’est là libérer le potentiel de chacun, tout en cultivant
que l’IA apporte une nouvelle dimension l’identité individuelle.
par l’élargissement du champ des possibles
en matière de compensation ainsi qu’en François Matheron est un philosophe français
rendant plus raisonnables certains dispositifs qui a eu un accident vasculaire cérébral en
de compensation aujourd’hui difficilement novembre 2005100 . Il explique dans son livre que
mobilisables pour le plus grand nombre. la technoscience l’a sauvé grâce notamment aux
Ainsi, l’IA, en complément du développement
de l’accessibilité, est un levier pour renforcer systèmes de retranscription écrite de l’oral. Il n’est
la construction d’une société plus inclusive. donc absolument pas opposé à la technologie.
Pour autant, la question de la réparation et Ceci étant, il évoque les risques qu’induit la
du rapport à la norme est sensible et doit être perspective d’une « augmentation » de l’homme
traitée. Être inclusif ne consiste pas, selon grâce à l’IA.
moi, à gommer la singularité mais plutôt
à construire un environnement où chacun
dispose d’une égalité de chances avec ses
singularités sans subir de désavantages
induits par celles-ci.
Par ailleurs, une question sous-jacente reste à
évoquer. L’IA se limite-t-elle à compenser les
conséquences du handicap restant à prendre
en compte dans une société parfaitement
accessible, ou doit-elle aller au-delà pour
entrer dans une augmentation des capacités
de tous ? Se pose alors la question de
l’humain augmenté. » 98 https://trustmyscience.com/homme-paraplegique-parcourt-180-kilo-
metres-grace-exosquelette-motorise/
99 https://sante.lefigaro.fr/article/surdite-l-implant-cochleaire-une-solution-excep-
97 https://www.thconseil.fr/interview-guy-tisserant-handicap-achats-respon- tionnelle-encore-mal-connue/
sables.php 100 https://theconversation.com/handicap-les-malentendus-du-corps-aug-
mente-154582

38.
« …Il nous faudrait cependant nous méfier d’un
fantasme qui est celui de l’éradication définitive
du handicap, fantasme issu d’une médecine
de réparation et d’augmentation. Dans le
transhumanisme, la souffrance, la maladie,
le handicap, le vieillissement sont peu à peu
décrits comme inutiles et indésirables. Il faudrait
maîtriser cette obsolescence de notre espèce.
Mais il n’y a ici aucune vraie réflexion sur la
condition humaine, aucune compréhension de
la richesse qu’a toujours apporté à une société
la confrontation à la vulnérabilité humaine…
Quand le transhumanisme appelle à un homme
augmenté, la philosophie appelle donc à une
compréhension augmentée de l’homme.
Les déboires décrits par toute personne
handicapée qui se retrouve à un colloque ou
une salle de spectacle où exceptionnellement
l’ascenseur est en panne, doivent attirer notre
attention sur les dangers d’une habitude
à l’invisibilisation du handicap grâce à
l’accessibilité technique universelle. Car dès
que la technique est mal pensée ou défaillante,
le handicap réapparaît violemment au sein
d’un modèle social qui pensait en être venu à
bout. »

Nicolas Le Dévédec et Fany Guis101 dans leur article


« L’humain augmenté, un enjeu social », avancent
l’idée que si le progrès humain est envisagé sous le
seul angle de la technoscience, le progrès social est
exclu du sujet, alors que l’émancipation de l’humain
est le fruit de l’amélioration de ses conditions de vie
sociales et politiques.

Dans le milieu professionnel, la perspective


d’augmentation de l’humain via l’IA ne doit donc
pas empêcher l’évolution de la politique sociale
d’entreprise autour du handicap, mais plutôt
l’associer aux évolutions technologiques, pour
que les particularités demeurent et que seules les
difficultés s’estompent.

101 Nicolas Le Dévédec et Fany Guis, « L’humain augmenté, un enjeu social », SociologieS
[En ligne], Premiers textes, mis en ligne le 19 novembre 2013, consulté le 28 février 2014.
URL: http://sociologies.revues.org/4409 - https://iatranshumanisme.com/wp-content/
uploads/2016/01/l_humain_augmente_un_enjeu_social.pdf

.39
IV - Et demain ? Quelles
pistes pour l’avenir ?

Une chose est sûre : l’intelligence artificielle et la gestion des données


massives constituent une révolution qui impacte nos sociétés dans toutes
leurs dimensions : sociétales, éthiques, juridiques, techniques, économiques,
politiques, etc.

L’univers des méga-données, qui simule des processus de plus en plus


complexes dans de nombreux domaines d’application, va sculpter les contours
du monde de demain.

Ce mouvement technologique interagit déjà avec le sujet du handicap au


travail, bousculant au passage nos modèles sociétaux et dépoussiérant notre
notion de l’éthique. Si le sujet de l’inclusion des personnes handicapées dans
le monde professionnel était déjà présent et traité, les avancées concrètes
balbutiaient et progressaient lentement. L’IA semble reprendre le sujet à bras-
le-corps dans une perspective prometteuse.

40.
.40
Démocratisation de l’IA pour gommer
L’IA comme booster de l’innovation les frontières

Prenons un exemple : dans le film « Avatar » de Cette démocratisation des outils permet
James Cameron (2019), qui se passe dans un futur d’envisager un gommage des frontières entre les
lointain dans lequel la technologie foisonne, il est salariés handicapés et les autres.
étonnant de constater que le héros en situation de
handicap (paraplégie) se déplace dans un fauteuil Il y a quelques années, celui qui ne parlait pas
roulant parfaitement identique à ceux du XXème anglais (ou une autre langue que la sienne) pouvait
siècle. C’est comme si le potentiel technologique être désavantagé quand il partait à l’étranger.
et l’innovation s’arrêtaient à la porte de la situation Aujourd’hui, les logiciels de traduction automatique
de handicap. Pourtant les nouveaux outils nous se sont tellement améliorés et démocratisés grâce
prouvent déjà le contraire. Le Gyrolift102 , avec ses à l’IA, que la distinction entre anglophones et non-
deux roues, sa capacité à franchir des trottoirs, à anglophones s’est considérablement amenuisée. Il
permettre à son utilisateur de se mettre debout et est très probable que demain des logiciels encore
ses capteurs intégrés pour collecter des données plus performants, plus instantanés, suppriment
instantanées sur l’environnement urbain, nous totalement ces différences.
rappelle que lorsque l’IA investit technologiquement
un domaine, ce dernier est véritablement bousculé, En disant cela, on ne veut surtout pas dire que les
même si l’outil ne répond qu’en partie aux besoins handicaps disparaîtront avec l’IA ! De la même
du bénéficiaire. manière qu’un logiciel de traduction ne fait pas
de vous un anglophone, un Gyrolift ne supprime
Les innovations décrites dans les pages de ce livre pas la paraplégie.
blanc permettent à leurs utilisateurs, non seulement
de compenser certains aspects de leur situation de Mais dans un monde où tout le monde utilisera
handicap, mais aussi de disposer de fonctionnalités des outils de l’IA pour faciliter sa vie, son travail,
supplémentaires103 . Ces dernières reposent la voire ses performances ; la notion même d’outil
plupart du temps sur l’analyse en temps réel des d’assistance au handicap perdra de son sens. Pour
données et évoluent constamment, ce qui permet paraphraser Serge Tisseron (« nous sommes tous
d’obtenir des technologies d’assistance dynamiques des handicapés potentiels »), on pourrait dire que
dans un modèle d’amélioration continue. « nous tenterons tous de pallier nos handicaps ».
Il y a quelque chose de scandaleux dans cette
Ce caractère à la fois novateur et dynamique vaut affirmation qui semble mettre au même niveau
aussi dans le domaine de la prévention. Pour ne une personne paraplégique et une personne
prendre que le cas des TMS, la ceinture lombaire non-anglophone ! Ce n’est évidemment pas
intelligente ou les semelles connectées, permettent l’idée que l’on suit mais plutôt celle qui suppose
d’éviter que ces troubles deviennent chroniques que la généralisation des outils IA atténuerait
et de récolter des données qui feront évoluer la nos contraintes individuelles, libèrerait notre
recherche sur le sujet. potentiel singulier et nous permettrait de
prétendre au mieux-vivre individuellement et
L’accélération de l’innovation grâce à des équipements collectivement, quelle que soit notre situation
intégrant de l’IA permet donc d’un côté d’inclure initiale.
plus généralement (non seulement en remédiant,
mais en ouvrant à d’autres fonctionnalités), et de C’est tout le sens d’une démarche inclusive :
l’autre de prévenir individuellement. accueillir sans renier les différences. L’intelligence
artificielle en proposant ce changement de
paradigme, sera, elle aussi, mieux acceptée.

102 Les exemples sont légion, mais on peut se rappeler quelques coups de tonnerre : la
victoire de Deep Mind sur Lee Sedol au jeu de Go en 2017, le développement des logiciels de
reconnaissance faciale ou de traduction automatique, la résolution du problème du replie-
ment des protéines en 2020.

103 Les exemples sont légion, mais on peut se rappeler quelques coups de tonnerre : la
victoire de Deep Mind sur Lee Sedol au jeu de Go en 2017, le développement des logiciels de
reconnaissance faciale ou de traduction automatique, la résolution du problème du replie-
ment des protéines en 2020.

.41
Les conférences et les articles évoquent souvent
Une ouverture pour demain la nécessité de refléter la diversité de la socié-
té dans les entreprises. La diversité n’est pour-
tant qu’un état de fait. Alors que l’’inclusion est
une décision, une volonté. Et si les entreprises
L’IA au service des personnes en situation de devenaient pionnières en termes de diversité et
handicap est une véritable piste d’envol pour que d’inclusion ? La société et le monde en général
les entreprises intègrent cette révolution dans une devraient suivre !
démarche inclusive et d’amélioration continue de La fin des accords agréés doit marquer le sursaut
la vie professionnelle. Une inclusion au sens large, de l’entreprise vers un monde plus technologique
qui rendra tout un chacun acteur actif de cette et plus ouvert où la seule limite reste la volonté
transformation. C’est le principe de la démarche des hommes et des femmes qui la composent.
« holistique » globale, que nous avons présentée.

Les bénéfices pour les entreprises sont multiples:


accélérer leur transformation technologique,
profiter du plein potentiel de chaque collaborateur
et accéder à une diversité de ressources humaines
pour être plus performante, prendre part à l’enjeu
sociétal inclusif, participer à faire évoluer les états
d’esprits et les idées reçues, etc.

Pour y parvenir, les organisations « embarqueront »


leurs salariés en montrant que l’IA n’est pas un
synonyme de dystopie et qu’elle peut apporter
beaucoup à tous et en particulier à ceux qui sont en
situation de handicap. La démarche nécessite une
préparation en amont et une acculturation par la
pratique, avec des indicateurs clairs sur les résultats
en incluant bien sûr la notion d’éthique. Il n’est que
temps !

Depuis plusieurs dizaines d’années, toutes les


entreprises ont bénéficié des accords agréés. Elles
ont pu développer de véritables programmes pour
mieux gérer le sujet du handicap (recrutement,
gestion des emplois et carrières, aménagements
pour améliorer les conditions de travail, prévention
des risques, etc.). Depuis la loi du 1er janvier 2021,
les accords agréés sont limités à une durée de trois
ans, renouvelable une fois. Cette mesure est destinée
à encourager la mise en place d’une politique RH
favorable et durable pour les travailleurs en situation
de handicap104 dans chaque organisation. C’est donc
l’occasion, voire l’opportunité de tester, de choisir
et d’intégrer des solutions IA pour les salariés en
situation de handicap et pour la prévention. Nous
encourageons les organisations à poursuivre
leurs démarches au-delà des accords agréés, en
complétant l’expertise et les connaissances liées au
handicap par des solutions augmentées.

Le monde ne peut laisser plus longtemps autant de


personnes éloignées de l’emploi !

104 https://linklusion.fr/lavenir-de-loeth-en-france-vers-la-fin-des-accords-agrees-et-une-
reforme-majeure-de-lagefiph/

42.
des outils d’assistance par l’IA, au moment où
Et en pratique ? le gouvernement mène la deuxième phase de la
stratégie nationale pour l’intelligence artificielle
avec un accompagnement économique de 2
milliards d’euros .
Pour la mise en place d’un tel programme, les
modalités pratiques ne peuvent qu’être esquissées, Il s’agirait alors de faire de l’IA au service des
elles dépassent largement le thème de ce livre situations de handicap au travail, un véritable
blanc. vecteur de transformation des entreprises et
du regard de la société, porté par des impacts
Il pourrait d’abord s’agir pour chaque entreprise concrets et bénéfiques pour le plus grand
d’identifier, à la fois dans le domaine de la prévention nombre.
et dans celui de la situation de handicap, quelques
solutions IA qui devraient être évaluées, discutées, Ainsi, au bout du compte, les entreprises qui auront
adaptées avec les acteurs. fait ce chemin seront non seulement préparées
à embaucher des travailleurs handicapés en
Ces solutions seraient ensuite déployées dans leur permettant d’accéder à des technologies
l’entreprise sous forme de tests ou de groupes performantes et testées, mais elles auront également
témoins. Parallèlement, des formations courtes sur parcouru cet autre chemin de la prévention au
l’acculturation à l’IA impliqueraient plus largement bénéfice de leurs salariés, tout en ayant réussi leur
les salariés, permettraient échanges et discussions transition technologique au service de tous.
autour des impacts et des points de vigilance de cette
technologie (transparence, biais, RGPD, confidentialités Il s’agit là évidemment d’une description idéale,
des données etc.). peut-être un peu rêvée. Mais comme le disait
joliment Saint Exupéry : “Fais de ta vie un rêve, et
Sogeres a demandé à aivancity, à travers la clinique d’un rêve, une réalité.”
de l’IA, dispositif pédagogique impliquant les
étudiants et professeurs d’aivancity, de réfléchir sur
la mise en place de solutions IA en fonction des
situations de handicap et des spécificités de Sogeres.
Des tests vont permettre d’identifier ce qui améliore
la qualité de vie au travail. Ils pourront alors être
déployés dans un cadre plus large (auprès de tous
les salariés) afin d’affiner le travail de prévention.

Les retours d’expériences et les échanges avec


les utilisateurs sont évidemment essentiels (sur
l’utilisation pratique, ainsi que sur le vécu émotionnel
et intellectuel). Il s’agit là encore de montrer les
avantages mais aussi les limites, de ne pas éluder
les questions sociétales (quid de l’emploi ? de la
robotisation ? des libertés individuelles ? etc.) et de
ne pas sombrer dans l’hubris technologique !

Acculturation des salariés à l’IA, conception de solutions


IA avec les utilisateurs, déploiement des solutions
(passage à l’échelle), évaluation de leur utilisation...
Autant d’étapes qui permettraient aux entreprises
d’accélérer leur transformation technologique pour
inclure mieux et plus vite.

Cette série de jalons pourrait aussi fortement


intéresser les pouvoirs publics et les collectivités.
On pourrait imaginer que quelques entreprises et
institutions participent ensemble à ce travail commun,
comparent leurs approches et leurs résultats. Ce
serait la naissance d’un véritable écosystème autour

.43
Conclusion
L’intelligence artificielle est entrée de plain-pied dans la
question du handicap au travail, en bouleversant les outils
technologiques avec une véritable panoplie de solutions
qui vont des implants cochléaires aux lunettes connectées,
des nouvelles solutions de déplacement aux semelles
intelligentes, en couvrant les trois grands enjeux que sont
l’accessibilité, la communication et la mobilité. Mais, réduire
cette révolution de l’IA à une série d’objets, à une liste de
solutions technologiques nouvelles serait une erreur.

Redisons-le clairement, l’IA ne se limite pas à une seule


question technologique, et ce qui est vrai dans ses
applications à d’autres secteurs est encore plus vrai pour le
sujet du handicap au travail.
Cette révolution ne deviendra durable que si l’IA associe
dès sa conception, non seulement les bénéficiaires in fine,
mais aussi les scientifiques, le management, les experts
techniques et technologiques, les experts de l’éthique et
du juridique, les personnes en charge de son déploiement.
Soulignons l’importance de l’inclusion des personnes en
situation de handicap dès leur plus jeune âge, via l’accès
aux apprentissages et aux outils d’assistance tout au long
de la scolarité. En effet, le sujet de l’inclusion scolaire
impacte directement celui de l’inclusion professionnelle et
par ricochet l’inclusion dans la conception des solutions IA
et toutes les problématiques qu’elle soulève. Les personnes
en situation de handicap ne doivent pas être réduites à être
des bêta testeurs, mais plutôt intégrer toutes les professions
qui touchent de près ou de loin à la conception des outils
intelligents et à leur suivi.

.44
44.
Rappelons que l’IA n’est pas un dispositif figé, elle
s’alimente de données qui fluctuent et génèrent
des résultats qui évoluent. Il s’agit de solutions qui
s’améliorent continuellement, à l’instar par exemple
d’un logiciel d’analyse et de transcription vocale qui
s’adapte et apprend en fonction de la manière de
parler et de la sonorité de la voix.
Par-delà cet ajustement permanent de l’outil, il
faut aussi prendre en compte l’adaptation sociale
et humaine, c’est-à-dire non seulement la manière
dont la solution IA est perçue et reçue par ses
bénéficiaires, mais également la façon dont elle
impacte l’organisation, la relation au travail, la qualité
des services, etc.
Cette question d’impact est essentielle car elle
émane de la notion d’acceptabilité qui est au centre
d’interrogations et parfois de préoccupations à propos
de la place que prend l’IA dans nos sociétés. Or, avec
la question du handicap au travail, l’intelligence
artificielle se place au cœur d’une évolution positive
parce qu’inclusive : « On voit enfin que cela peut
nous servir. » pour paraphraser le sens de nombreux
témoignages recueillis.

Mieux encore, en étant au service des situations de


handicap au travail, elle sert aussi la prévention. C’est-
à-dire qu’elle n’est plus limitée dans ses applications
à un seul groupe – celui des RQHT – mais ouverte
potentiellement à tous.
Les risques liés aux TMS, par exemple, sont
gigantesques. On conçoit évidemment tout l’avantage
d’un continuum entre les outils IA au service des
situations de handicap et les solutions IA au service
de sa prévention.

Nous sommes aujourd’hui au tout début d’une


révolution de l’IA en faveur de l’inclusion du handicap
au travail, elle peut être envisagée comme le point
de départ d’une exploration.

Certains outils sont là mais ils doivent être adaptés,


certaines attentes sont là mais elles doivent être
mieux comprises, certaines résistances aussi sont là
qui doivent être mieux analysées.

On a pu proposer quelques pistes pour l’avenir,


montrer que le moment est particulier, et que l’IA
propose un changement de paradigme, un véritable
point de bifurcation, pourtant encore incertain,
encore à explorer, à défricher.

Mais c’est bien tout l’intérêt d’une exploration : ne pas


connaître à l’avance le chemin, tout en étant certain
que les découvertes qui seront faites bénéficieront
à tous.

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.45
Remerciements

Ce livre blanc est un travail de réflexion collective. Il n’aurait pas abouti sans
l’aide de nos précieux contributeurs.

Ainsi, SOGERES et aivancity remercient vivement :

• Guy Tisserant (Président et cofondateur de TH Conseil) pour son éclairage à


propos des biais, des stéréotypes et de l’inclusion, ainsi que pour sa vision du
développement de l’IA autour du sujet du handicap ;

• Stéphane Malle (responsable RH au sein du département R&D de Stellantis)


pour son témoignage personnel et pour son regard aiguisé sur le handicap au
travail et dans la société en général, qui nous a permis de dresser un état des
lieux pertinent pour étudier la problématique des enjeux ;

• Hervé Bernard (Directeur Social & Inclusion chez Handicap International


- Humanité & Inclusion), qui a récolté spécialement pour ce livre blanc, les
avis de quelques-uns de ses partenaires internationaux, ils furent des sources
d’information importantes ;

• Vance Bergeron (Médaille de l’innovation du CNRS en 2019), directeur de


recherche au Laboratoire de physique de l’ENS de Lyon et directeur de la start-up
Kurage, pour sa disponibilité et son retour d’expérience à propos des solutions
technologiques et leurs limites actuelles ;

• Philippe Trotin, Directeur Inclusion et Accessibilité Numérique, Accessibility


Lead chez Microsoft France, qui a participé au projet en tant qu’expert et qui
nous a fait bénéficier de ses analyses et commentaires ;

• Marie-Annick Maisonneuve (Responsable mission handicap chez SOGERES) pour


les témoignages de deux collaborateurs SODEXO qui nous ont permis de mieux
comprendre les troubles musculosquelettiques.

• Karine Gros, Titulaire de la Chaire Handicap de l’UPEC.

Avec l’ensemble des contributeurs, nous espérons avoir dressé un état des
lieux juste, et ouvert une réflexion éclairée à propos de la révolution en cours :
l’intelligence artificielle au service de l’inclusion des personnes en situation de
handicap au travail et de la prévention.
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46.
‘‘
Avec la question du handicap au travail,
l’intelligence artificielle se place au coeur
d’une évolution positive parce qu’inclusive.

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www.aivancity.ai www.sogeres.fr

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