Paroles Gelées: Title
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Paroles gelées
Title
Plaisir du déplaisir ou désir dans le réalisme et le masochisme
Permalink
https://escholarship.org/uc/item/04r8k17p
Journal
Paroles gelées, 6(1)
ISSN
1094-7264
Author
Morel, Renée
Publication Date
1988
DOI
10.5070/PG761003218
Peer reviewed
Renee Morel
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24 PAROLES GELEES
nation. Ainsi au Theatre des Varietes, toutes les jumelles sont bra-
quees sur Nana erotiquement (de)vetue en Venus: le public est
meduse. Le Comte Muffat reste bouche bee. Plus tard, quand Muffat
comtemple Nana en prive, elle lui fait peur. La "bonne enfant"
blonde et grasse gagne rapidement une dimension mythique. Elle
grandit et finit par devenir "le monstre de I'Ecriture, lubrique, sentant
sens du terme: sans cesse / sans finalite), pour le seul plaisir, pour
son propre plaisir. Elle incarne ainsi I'art pour I'art, qui se soucie peu
de la vie et, par la, s'oppose directement au realisme.
Des le debut, le recit est done un recit de I'ignorance. Claude tri-
nue (le regard realiste constitue une defense contre I'invisible, le trou
noir), il craint egalement de la voir (il cherche a se debarrasser d'elle
au plus vite).
et montre a la fois. Elle est presence qui cache une absence, voile sur
Quant a Severin, ce nest pas dans le reel qu'il se meut, mais dans
I'imaginaire, tant qu'il demeure epris de la statue du jardin. II n'entre
veritablement dans le reel que, lorsqu'a la place de la statue, il
entrevoit une femme nue, par une fatale nuit de pleine lune ("Une
grande fourrure sombre tombe des epaules de marbre de la deesse
Son destin se joue au moment ou la statue
jusqu'a ses pieds", p. 133).
s'anime, ou elle devient femme. Comme dans le cas de Claude, I'ir-
ruption de I'alterite provoque la felure (la sexualite, c'est toujours
I'entame, la felure — on a deja vu que Lantier n'est plus "I'entier").
Une 'panique indescriptible" saisit Severin devant ce spectacle qui
le glace et le que la vision redoutable de la tete de Me-
fascine, ainsi
duse ("Une peur sans nom
s'empara de moi, mon coeur mena^ait
d'eclater", p. 129). Le heros reste petrifie. Par la suite, sa tentative
repetee de mettre une fourrure a Wanda, sa Venus, correspond a un
deni de la realite. Dans ce geste, la fourrure opere a un double
niveau: elle est substitut qui vaut pour I'objet invisible (I'oxymore
toujours absent du "phallus feminin ") et aussi enveloppe qui recouvre
la froideur et I'insensibilite de la femme —
veritablement de marbre.
Avers du fetichisme, la notion de I'invisible hante pareillement les
personnages de L'Oeiivre. Ainsi le cache (invariablement associe a
la sexualite exerce sa fascination sur Christine que le grand tableau
les deux cas, la femme, cote vice (la complaisante Nana) ou cote
vertu (I'innocente Christine), incarne I'objet narcissique qui n'a pas
besoin de I'Autre. La Venus des boulevards "a le sexe assez fort pour
detruire tout ce monde et n'etre pas entamee" (54), et, en donnant
a Muffat I'adresse de Fauchery, elle lui flanque son cocuage a la
pas acces a I'amour d'objet). Or, ce qui fascine I'homme est tres
precisement le fait que la femme se suffise a elle-meme, qu'elle soit
a elle-meme son propre Autre. La femme est eminemment desirable
parce que, Nana ou Wanda, elle n'a pas besoin de I'homme qui
telle
trop) aussi bien que de plaisir. Les contraires glissent I'un dans I'autre:
on goute au plaisir du deplaisir.
En plus du role privilegie du regard, toute problematique du reel
appelle invariablement celle de la jalousie. En effet, le reel n'est pas
ce que Ion voit, mais bien plutot ce que Ion ne voit pas. Cette
logique a pour matrice la jalousie liee a I'exclusion de la scene primi-
tive, moment de la trahison de la mere. Le reel, c'est qui se passe
que celle-ci se detourne de lui, qu'elle lui echappe. Comme tout desir
de savoir, sa quete porte sur le desir, le desir de I'Autre, sur I'incom-
municable jouissance de la femme. Un passage de L'Oeuvre I'illus-
tre clairement, celui ou Claude veut connaitre la sexualite de
perfide Dalila ( "Chacun de nous finit par etre Samson" (p. 244),
declare philosophiquement le heros). De fa;:on plus emblematique
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exclu (et done de souffrir) fait partie du desir masochiste. Ce qui do-
mine, chez le pervers, c'est un imperieux besoin d'etre le destinataire
des choses. En effet, le geste obsessionnel de Severin mettre une —
fourrure a sa Venus —
consiste a faire de telle sorte que les infide-
lites de I'Aimee soient ce qu'il veut. Le heros agit semblablement a
echapper.
En outre, parce qu'elle provoque I'envie, la structure d'exclusion
declenche une agressivite typique du romancier realiste a I'egard de
son public. Cette agressivite est une projection de la paranoia (le desir
d'etre exclu releve d'ailleurs du mecanisme de la paranoia). Le
deplaisir constitue alors le fond meme du rapport entre le romancier
et son public (comment oublier que le premier recueil de I'auteur
s'intitule Mes hainesl). Zola refuse d'imiter un grand nombre de ses
a part, ou on lui dit des choses seulement pour lui faire plaisir —
exactement comme dans les romans (contes a I'eau de rose ou
oeuvres erotiques) que fustige Zola. Le realisme, on le sait, veut mon-
trer la "verite du Sacher-Masoch se rapporte egale-
vrai." Le recit de
ment au vrai, puisque I'intrigue a pour pierre de louche la difference
entre le reel (le serieux, le "pour de vrai") et I'irreel (le jeu, le "pour
faire plaisir"). Dans la premiere scene de "masochisme," Severin se
fait fouetter par sa maitresse, qui n'accepte le jeu qu'a contre-coeur
(elle n'aime pas la comedie, et le dit sans fagon: "Cela ne me fait pas
plaisir", p. 162). Severin lui demande alors de quitter le domaine du
jeu: "Maltraite-moi vraiment" (162). Bien entendu, I'intention ne
change rien a I'acte. Toute I'erotisation du roman se joue cependant
sur cette vacillation entre le reel et I'irreel, entre ce qui est pour me
faire plaisir ou pas. Severin veut que ce soit vrai et, en meme temps,
que ce ne soit pas vrai. II veut la separation et il ne la veut pas. II
cruel!" (236).
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terait" —
O, p. 169). II y a, chez lui, une paralysie du desir qui ne peut
pas changer d'objet. Mais, en derniere analyse, ce desir se trouve etre
une metaphore, car ce que le peintre veut n'est pas Christine mais une
doublure, une image ideale de Christine (un peu a la maniere des fan-
tasmes masochistes, qui sont autant de representations dune image
ideale de la femme). Ce que Claude peint, en fin de compte, ce nest
pas le reel, mais son desir inextinguible (comme le montre la phalli-
cisation de son corps pendu, ce nest qu'avec la mort qu'il peut re-
joindre son oeuvre et satisfaire son desir).
II maintenant a s'interroger sur la nature du desir. Le desir
reste
se distingue du besoin, qui est besoin materiel d'un objet; il est desir
d'un desir. Et puisque le desir s'abolit en s'accomplissant, il lui faut
differer sa satisfaction, selon le concept derridien de differance. Dans
sa "Presentation de Sacher-Masoch", Deleuze souligne a juste titre
le role essentiel de suspens dans I'oeuvre de ce romancier: "La forme
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faction. On
y trouve finalement peu de scenes d'amour et beaucoup
de masochisme. Quand Claude supplie: "Aneantis-moi, que je de-
vienne ta chose, assez esclave, assez petit, pour me loger sous tes
pieds . . . t'obeir comme un chien" (408), ne croirait-on pas entendre
Gregoire, alias Severin, dans un registre tragique?
Le realisme (Zola et son alter ego Sandoz) s'eleve contre le desir,
Notes
Volume 6 S 1988
PAROLES GELEES
UCLA French Studies
Volume 6 ^ 1988
Editor: Atiyeh Showrai
Paroles Gelees
Department of French
222 Royce Hall
UCLA
Los Angeles, CA 90024-1550
(213) 825-1145
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Thomas F. Bertonneau
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