Tornatore - L'esprit de Patrimoine
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Tornatore - L'esprit de Patrimoine
org/terrain/14084
55 | septembre 2010 :
Transmettre
Transmettre
L’esprit de patrimoine
JEAN-LOUIS TORNATORE
p. 106-127
Résumés
Français English
« Esprit objectif » (Paul Veyne), le patrimoine est de ces institutions de production de
significations qui instituent une sorte de familière étrangeté, nécessaire, toujours disponible et
jamais épuisée. Aujourd’hui il traverse l’art, l’architecture, l’histoire, la mémoire, la culture, la
nature, met en jeu tout à la fois les droits à la mémoire, au temps, à la culture comme un devoir de
gestion négociée de la nature et se concrétise dans autant de topiques qui coexistent sans
forcément s’accorder. On en parcourt ici quatre : le monument, le lieu, la culture et le vivant, en
suivant le fil de la pédagogie : « À quoi ça conduit ? », « comment ça agit ? » De l’examen de
quelques « objets », se dessine une constante : une pluralité d’acteurs faisant valoir à divers titres
une autorité et donnant à leur engagement une dimension politique nouvelle et potentiellement
débordante : peut-être l’exploration fragile d’une démocratie de participation. Ainsi l’esprit de
patrimoine serait l’expression politique d’interrogations et de tâtonnements propres à chaque
génération, rendus aujourd’hui foisonnants devant un monde incertain.
“The objectification of a spirit” is the way Paul Veyne describes the heritage industry. It is one of
these intuitions which create a distanced familiarity which is believed to be necessary, available
yet never complete. Nowadays, heritage concerns art, architecture, history, culture and nature. It
simultaneously makes the right to memory, time, and culture a shared duty to administer the
world in a variety of ways which are not necessarily coherent. I concentrate on the topics of place,
culture, and lived practice and I ask “What is involved?” and “What does it do? ” Certain features
seem to recur. A variety of actors exercise their varied right to authority and on that basis create a
type of political action that potentially goes beyond its original declared purpose. Such an
enterprise may well be the outline for a new type of participatory democracy. In this way the
heritage industry is perhaps the expression of the multiplicity and disorder of the questionings
and explorations of every new generation in an uncertain world.
Entrées d’index
Thème : patrimoine, transmission culturelle
Mot-clé : culture, mémoire, monument, patrimoine, patrimoine immatériel, patrimoine vivant
Keyword : culture, heritage, living heritage, memory, monuments, non material heritage,
patrimony
Texte intégral
temps, contrairement au monde et à la culture où
1 Il y a plus de vingt ans, dans un texte magistral et provocateur, Paul Veyne (1988)
invitait les anthropologues et autres exégètes de la religion, de l’art ou de la culture à ne
pas tomber dans le piège du réel autrement que le fait tout un chacun qui s’y coule
comme un poisson dans l’eau, et à ne pas se complaire dans des analyses fumeuses qui
n’exerceraient de séduction qu’en raison d’un usage abusif et entêtant du raisonnement
asymétrique. Au moyen d’exercices salutaires de symétrie réaliste, tels que mettre sur
un même plan la non-visibilité visuelle des frises de la colonne Trajane et la messe en
latin, ou ne pas considérer incompatibles ferveur religieuse et capacité à émettre un
jugement esthétique, il proposait de mesurer les œuvres d’art (relevant du monde des
valeurs) et les cérémoniels (relevant du monde des croyances) à l’aune d’une même
tension fondamentale entre production et réception, et de considérer que les unes
comme les autres ne fonctionnent jamais qu’à un faible pourcentage de leur énergie ou
de leur capacité. Toute société a ses spécialistes et ses institutions de production de
significations, qui créent un décalage avec la quotidienneté, une sorte d’étrangeté
présente, nécessaire, toujours disponible et jamais épuisée. Le réel, écrivait-il, est
peuplé d’» esprits objectifs », des « espèces d’institutions » fondées sur cette séparation
ou mise à distance : « de grandes choses qui existent en elles-mêmes », telles les
créations culturelles, les croyances, les religions, les arts, ou encore les itinéraires
touristiques consacrés, « que chacun s’efforce de rejoindre et que personne ne vit
pleinement » (ibid. : 20).
2 Il aurait pu y ajouter le patrimoine1, ne serait-ce qu’en raison de la colonne Trajane, et
parce que voilà une institution qui, avec ses servants et serviteurs, ses fidèles, ses
intégristes, ses mécréants et ses profanateurs, ses concernés et ses indifférents, est un
opérateur singulier de signification sur la relation au passé, son caractère ou non
d’héritage, avec ou sans testament, sa présence indicielle dans le présent, sur la
continuité et la rupture, la permanence et le changement, et donc sur la transmission.
Au vrai, le « faire passer » – à quoi se résume le fait de transmettre selon Marie Treps
(2000 : 363) – semble tout entier exprimer la fonction du patrimoine, autant au sens
des biens dont une personne dispose et qu’elle transmet par le mécanisme de la
dévolution successorale – particulièrement sous la forme d’un héritage désignant des
héritiers –, qu’au sens du bien commun, du trésor collectif qu’un groupe humain
revendique pour sien, et que, par une alchimie singulière, il déclare avoir hérité du
passé pour le transmettre aux générations futures. Que le second sens spécifie la notion
en ce qu’il suppose une intervention volontaire des hommes du présent sur les choses
du passé, il n’en demeure pas moins que le patrimoine constitue « une contribution
capitale à l’acte de transmettre » (Poulot 1998 : 10).
3 Cette évidence me laisse cependant aussi perplexe que la plus haute frise de la
colonne Trajane. D’un côté, en effet, la notion de transmission paraît si bien comprise
dans celle de patrimoine qu’elle n’a guère besoin d’être questionnée : en somme, le
patrimoine est un système unique de dévolution de biens collectifs ou pour un collectif,
censés lui assurer son identité dans le temps, en usage dans les sociétés occidentales.
Mais d’un autre côté, le patrimoine est devenu aujourd’hui un phénomène d’actualité
vive, excédant largement le cercle des spécialistes, libéré du monopole d’État, se
développant hors de son terreau occidental d’éclosion, et qui tend à englober, par sa
capacité de fixation (objet, monument, lieu, pratique culturelle, être vivant…), les
formes complexes et plurielles d’objectivation d’un passé-présent ou d’un « déjà-là » :
tradition, mémoire, histoire, culture, environnement, etc. Or, avec la diffusion de la
notion et sa transformation, avec son internationalisation et sa confrontation à d’autres
systèmes de dévolution des biens en nom collectif, le motif du transmettre semble
refaire surface et trouver une certaine actualité. Ce double constat appelle l’hypothèse
que l’idée de transmission est surtout mobilisée comme un mot d’ordre, comme une
injonction performative : hier travaillant à l’installation de la nation et à la célébration
d’une culture nationale ; aujourd’hui, à la faveur des extensions du patrimoine – du
monument au patrimoine culturel, de la culture à la nature et au vivant – et de sa
libération politique, réévaluée et mise au service d’une éthique de la responsabilité à
l’égard des générations futures. La conséquence méthodologique à en tirer est, me
semble-t-il, de se situer dans la perspective du « patrimoine en action » et d’observer le
travail sur les valeurs qui font la valeur patrimoniale dont sont dotées des entités :
l’établissement de la valeur, au moyen de procédures de sélection, de mise en
conformité et de la bien nommée « mise en valeur », est une étape cruciale, mais elle ne
doit pas cacher la nécessité de son actualisation, qui est un travail de tous les jours. Le
point focal de la valeur patrimoniale n’est pas tant son attribution que son actualité, le
fait qu’elle soit (toujours) le signe ou la réponse à un problème. C’est par cette actualité
que la circulation et la transmission d’un bien sont réalisées.
4 Qu’y a-t-il sous le motif de la transmission ? Comment est-il décliné ? À quelles fins
est-il mobilisé ? La variation du couple patrimoine / transmission n’est-elle pas l’indice
d’un jeu complexe entre production et réception qui justifie de prendre très au sérieux
l’actualité du patrimoine et par conséquent de ne pas tomber dans le travers,
malheureusement très couru, de la dénonciation2 ? Je propose un rapide parcours de
quelques topiques du patrimoine, qui n’en épuise pas les manifestations objectives, sur
le thème non de la transmission mais de la pédagogie, selon un sens inspiré de
l’étymologie du mot : qu’est-ce que ça conduit ? à quoi ? comment cela agit-il ?
Envisager la pédagogie des diverses figures et des multiples objets pris aujourd’hui sous
le vocable de patrimoine, soit déplacer la question du faire passer au « faire-faire », est
une manière réaliste et pratique d’examiner leur opérativité sociale. Certes, ces objets
sont ce qui se transmet et sont censés transmettre quelque chose. Ils sont objets de la
transmission et vecteurs de transmission (Treps 2000). Mais cela ne suffit pas.
Comment se réalisent-ils ? Comment sont-ils présents ? Comment se présentent-ils à un
tiers, spectateur, regardeur, à la fois témoin et acteur de leur présence ? Quels
attachements manifestentils ? Chaque section, consacrée à une topique, en présente
deux « êtres », l’un emblématique, l’autre limite, qui déborde sur la topique suivante –
hormis la dernière où tout se brouille.
Pédagogie du monument
5 Le monument est la figure archétypique du patrimoine : son origine et son essence, si
l’on suit ses ardents défenseurs3, mais qui a gagné en complexité au fil de l’histoire.
Dans un génial opuscule rédigé voici un siècle et amplement commenté, Aloïs Riegl
(1984) a fourni un cadre conceptuel permettant de rendre compte de cette complexité et
d’ouvrir sur une anthropologie historique du monument. En distinguant entre valeur de
remémoration et valeur d’actualité, et en opérant des distinctions à l’intérieur même de
ces catégories, il propose une conceptualisation dynamique du culte des monuments,
dans la mesure où celui-ci ne prend son sens que dans l’entrecroisement de ces valeurs,
du moins dans leurs rapports dans l’usage et la réception du monument. Elle permet de
comprendre comment un monument intentionnel comme la colonne Trajane est devenu
historique en vertu de qualités artistiques ayant valeur d’actualité. Paul Veyne mène
cette analyse jusqu’à son terme en montrant qu’en raison précisément de ces qualités, la
colonne n’a jamais été un pur monument intentionnel, au sens où l’efficacité
commémorative se nourrissait de la représentation picturale des exploits des légions de
l’Empire, pourtant non entièrement visible à l’œil nu. Voilà en somme un bel exemple
d’art politique : une dimension que l’éclairage savant des qualités artistiques du
monument devenu historique ne doit pas occulter. C’est l’action du monument qui
importe en tant qu’elle résulte du croisement d’une intention commémorative et d’une
représentation artistique proposée à l’attention des passants dans un espace public. Il
est important alors de souligner, à la suite de Jacques Rancière (2008), que cette
représentation n’anticipe pas son sens et ses effets. Sous cet aspect, le passage de
l’intentionnel et de la célébration commémorative à l’histoire et à l’art, et qui donc se
rapporte à des valeurs attribuées, ne présume en rien de leur effectivité : celle-ci n’est
pas donnée, elle n’est pas anticipée, elle est indécidable.
6 S’il est difficile d’appréhender concrètement la réception de la colonne Trajane, sauf à
définir les successives étapes de son culte, on s’en remettra à l’étude d’un monument
contemporain. Le mémorial des vétérans du Viêtnam, à Washington DC, est un cas
remarquable en raison de l’extraordinaire succès qui fait de lui un des monuments les
plus visités des États-Unis4. Quatre expressions de la fonction monumentale s’y
condensent dans un temps très court et sont réalisées dans la relation qui se noue avec
des acteurs, des spectateurs et des visiteurs du monument : le deuil, la mémoire, l’art et,
au final, l’histoire. Les trois premières sont d’emblée inextricablement liées. Le succès
du mémorial tient certainement à une attente énorme de réparation au regard d’un
événement traumatique à plus d’un titre : une guerre sans gloire qui a divisé la société
américaine et dont les soldats sont revenus battus et sans honneurs. Il tient en même
temps au monument de l’art, dimension qui répond à cette attente et l’actualise : un
mur de granit noir et lisse, miroir réfléchissant enfoncé dans la terre et la zébrant
comme une cicatrice, portant les noms des quelques 58 000 morts et disparus
américains, conçu par une jeune artiste, Maya Lin. Comme pour souligner l’importance
de l’intéressement artistique de l’intention monumentale, des controverses et des débats
vifs ont émaillé la construction du mur. Tous soulignaient que le projet rompait avec les
codes esthétiques et mémoriels en matière d’art commémoratif : controverse (avec des
journalistes et des critiques d’art) sur l’art minimaliste, controverse (avec des vétérans)
sur la capacité de cette œuvre abstraite à porter la mémoire de la guerre et,
conjointement, sur la légitimité de sa créatrice à se faire le porte-parole des morts et des
vétérans. Or, ces querelles se sont évanouies dès l’inauguration en 1982, devant ce qui
s’est révélé être la puissance de l’expérience du mémorial. Réalisant un transport de
réparation du corps du vétéran à la nation, le monument du deuil est devenu le
monument de la nation retrouvée et réunifiée dans sa mémoire. Au « to dismember » de
la guerre sur les corps et sur la mémoire répond un « to remember » du mémorial,
autrement dit la fabrication d’un corps entier (Sturken 1997 : 72) : la remémoration
relève du « remembrement », de la recomposition d’une totalité fragmentée. C’est alors
qu’a pu entrer en jeu la quatrième dimension monumentale : la réussite du mémorial
tient à ce qu’il ponctue une page de l’histoire américaine. Il est en cela doublement
historique : le mémorial en tant qu’événement et le mémorial comme dépôt d’une
mémoire culturelle, par l’entremise de milliers d’objets et d’écrits déposés par ses
« pèlerins ». De statut un temps indécis, ces « offrandes » sont considérées aujourd’hui
comme des objets d’histoire et sont en conséquence systématiquement récupérés,
inventoriés, archivés, voire exposés.
7 Deuil, mémoire, art, histoire : dans la réalisation réussie de ces fonctions
entrecroisées, le mémorial n’atteint-il pas son efficacité patrimoniale en tant qu’il
favorise l’expression première d’un « arraisonnement » par neutralisation et par
esthétisation ? Il agrège, réunit les adversaires d’hier (les pro et les anti-guerre),
accueille les discours conflictuels sur la guerre, il définit ce qui doit être dit, publicisé,
transmis et ce qui peut être tu, éludé, mis en réserve (les trois millions de morts
vietnamiens, par exemple). Il est un écran, suggère Marita Sturken (ibid. : 44), aux deux
sens du terme : on s’y projette, il protège. Ce succès appelle cependant une
interrogation. La plupart des analyses produites datent des années 1980-1990. Qu’en
est-il aujourd’hui ? Qu’en sera-t-il dans dix ou vingt ans ? Jusqu’à quand le monument
vivant, lieu de pèlerinage, coexistera-t-il avec le monument historique ? Nul ne peut le
dire. Si la performance du mémorial ne peut être anticipée, pour remarquable qu’elle
soit, la communauté qu’il crée n’est pas durable. Elle est fragile et sujette à des
recompositions. De même que varie l’adéquation entre l’intention et la réception.
Finalement, rien n’est plus hasardeux que de confier le soin de transmettre à un
monument. L’espace est parsemé de monuments que l’on a vu – fonctionnaient-ils au
maximum de leurs capacités ? – et que l’on ne voit plus – ils sont comme en réserve –,
ou plus de la même manière. La mémoire (et l’oubli) dont on les charge se double de la
mémoire propre du monument. C’est à se redoublement que se mesure la valeur
patrimoniale du monument. Comme le montre l’historien des mémoriaux de la Shoah,
James Young (1993), la performance (esthétique, mémorielle, mémoriale…) de l’art
monumental consiste dans l’interaction et le dialogue qui se noue avec un public dans
l’espace de commémoration créé par le monument, dans la connexion critique
maintenue entre la mémoire de la genèse du monument et le présent de ses visiteurs,
enfin dans la manière dont les événements qu’ils portent font une nouvelle entrée en
politique.
8 Cette perspective n’abolit pas la distinction entre des pratiquants simples usagers et
des producteurs de signification, mais elle la relativise. Si l’on considère que l’usage
tacticien est créateur, l’artiste, l’historien, le conservateur, etc., certes spécialistes du
sens, ne sont pas les seuls à pouvoir faire valoir une capacité d’expertise. J’emploie
« expertise » dans un sens non restrictif : la proximité avec un objet du passé ou avec ce
qu’il représente (les valeurs de la valeur) donne, sans présumer de son expression, une
capacité à s’en faire le porte-parole, à engager une action visant sa mise en valeur. En
d’autres termes, la capacité d’expertise est adossée à une relation à un objet et définit la
position du locuteur, elle n’est en aucun cas adossée, contrairement à son sens courant,
à une profession et aux compétences qui lui sont associées (Trépos 1996). Selon cette
acception, l’expertise est un ressort d’intelligibilité du phénomène des « émotions
patrimoniales », qui serait l’expression contemporaine d’une nouvelle sensibilité
populaire au passé (Fabre 2002). Suivons cette piste avec l’objet limite : le château de
Lunéville, tel qu’il se révèle dans l’intense émotion et la puissante et immédiate
mobilisation pour sa reconstruction qu’a suscité son incendie en janvier 20035. Dans la
médiatisation de l’événement, c’est le monument historique qui brûle : un ouvrage
d’architecture du XVIIIe siècle ayant abrité les deux derniers ducs de Lorraine,
surnommé « le Versailles lorrain » par les spécialistes. Dans les manifestations
d’émotion devant la « catastrophe », qui s’expriment en particulier par un afflux de
lettres d’affliction, de dons en argent, de propositions de service, la réalité est plus
complexe en ce que se révèlent deux figures contrastées d’attachement – et par
conséquent d’émotion patrimoniale. D’aucuns pleurent un témoin de l’histoire, les
pierres et les objets meurtris, en même temps que les pertes conjointes d’une richesse
culturelle et d’une ressource locale ; alors que d’autres pleurent des souvenirs partis en
fumée avec leur « support ». Car la particularité du château est qu’il a longtemps été
partagé entre diverses fonctions : musée, siège d’administration militaire, et a abrité
divers services administratifs de la Ville. Pour les habitants de Lunéville, il a été une
sorte de « maison publique » : on s’y mariait, on y fêtait des événements familiaux. En
outre son immense domaine est un parc urbain extrêmement fréquenté. C’est ce dont
rend compte le partage des émotions : à côté d’émotions associées à des appropriations
savantes du monument historique, lesquelles soutiennent une instrumentation
politique – le monument fait l’objet d’une politique culturelle et de développement
local –,jaillissent des émotions liées à des consommations populaires qui tissent une
mémoire locale du bâtiment. L’objet d’émotion n’est pas seulement un monument de
l’art et de l’histoire médiatisé par son appréhension lettrée, il est aussi un souvenir, au
sens littéral de ce qui (re)vient à l’esprit d’une expérience passée, c’est-à-dire le château
présent dans le souvenir des personnes qui l’ont rencontré et vécu à divers titres. Il est
également sa présence pratiquée dans une relation de quotidienne familiarité, comme
dans une relation touristique.
9 À quoi mène le château révélé par son incendie ? À la présence du passé dans
l’expérience des personnes ordinaires. La valeur patrimoniale attachée au label
« Monument historique » apparaît par contrecoup incomplète sans la mémoire des
habitants qui définit ce pour quoi le château leur est patrimoine. Ne peut-on dire alors
que, du point de vue des attachements respectifs dont il est l’objet, il ne fonctionne qu’à
une faible part de ses capacités6 ? L’esprit objectif du monument historique rencontre
un esprit non moins objectif mais producteur d’un sens localement intelligible. Celui-ci
n’est pas pur : il se nourrit de l’autre, mais à sa propre fin. Leur distinction tranchée,
que ne manque pas d’asséner le spécialiste – « Ceci est du patrimoine, cela est de la
mémoire » –, est exprimée du point de vue du premier : elle est politique7. Leur
confusion ne l’est pas moins, mais, en l’occurrence, sans portée véritable. Si l’on suit
cependant les combats contemporains pour le patrimoine bâti, les plaidoyers pour
« arracher sites et édifices anciens à leur ghetto muséal et financier » et pour leur
« réappropriation vivante », non mercantile et non événementielle (Choay 2009 : XLVI)
ne valent-ils pas pour fonder la présence du monument sur la coexistence sinon sur
Pédagogie du lieu
10 Dans l’expérience des habitants / pratiquants de Lunéville, le château est moins un
monument qu’un lieu. Il est limite, donc, en ce qu’il perturbe l’ordre que créent les
catégories du monument. Prenons cependant le lieu dans l’acception concrète qu’en
donne Gérard Wajcman (1998 : 15) : « Jamais rien n’a eu lieu que le lieu. Tout de la
mémoire et de son art est enfermé là. La mémoire qui marche dans le temps est d’abord
affaire de lieu. Avoir eu lieu, c’est avoir un lieu. » Paul Ricœur ne dit pas autre chose
lorsque, considérant que « les “choses” souvenues sont intrinsèquement associées à des
lieux », il envisage un « niveau primordial » où « se constitue le phénomène des “lieux
de mémoire”, avant qu’ils ne deviennent une référence pour la mémoire historique »
(Ricœur 2000 : 49). L’objet paradigmatique du lieu est aujourd’hui en Europe, sans
aucun doute, Auschwitz, lieu par excellence d’une volonté affichée de transmission, par
son nom, par son histoire et par son site, de la mémoire de la Shoah. Alors que le
mémorial du Viêtnam est contraint par le hors lieu de l’événement, alors qu’à Lunéville,
on veut faire comme si rien ne s’était passé, à Auschwitz le lieu et l’événement
fusionnent pour devenir lieu de mémoire. Dès lors, l’impératif pédagogique exige que le
site, à la fois objet et vecteur de sa transmission, soit aménagé en conformité avec
l’événement. Son traitement physique, son aménagement muséographique, l’évolution
de son environnement urbain sont d’importantes questions constamment débattues qui
déterminent les attitudes de visite – peut-on, par exemple, boire ou manger sur le site
? – et conditionnent donc la réception du lieu (Grynberg 2004). Cimetière, lieu saint,
lieu de mémoire, lieu d’histoire aux emprises nationales… les déclinaisons multiples du
lieu sont au croisement de ses publics, des collectifs et des institutions qui s’en
réclament, et du passage du temps – un temps qui n’est certes pas neutre mais saisi
dans des politiques du temps –, au risque de son illisibilité (Wieviorka 2005). Faut-il
laisser le temps faire son œuvre ? Faut-il au contraire le maintenir contre le temps, au
nom précisément de la transmission aux générations futures (Grynberg 2004 : 42) ? Un
fait ne peut manquer de frapper : à Birkenau, le lieu même de l’extermination, tout
élément à restaurer est soigneusement photographié et numéroté : « Après
restauration, des croquis indiquent aux visiteurs avec des couleurs différentes les
parties d’origine, les parties refaites, ou les éléments neufs qui ont pu êtres ajoutés »
(ibid. : 41). La rigueur du traitement, explique Anne Grynberg, est motivée par les
tentatives « des négationnistes de remettre en cause la véracité des lieux » (ibid.). Ces
derniers, nonobstant leur gravité, n’échappent pas au paradoxe du bateau de Thésée :
certes, un bateau « à l’identité bien réelle », dit Gérard Lenclud (2003), mais tantôt
« indéterminable », selon que l’on privilégie le tout ou les parties matérielle tantôt
« indéterminée » et dépendant au mieux de nos conceptions de l’objet, au pire de nos
intérêts. À l’instar du monument, le lieu (de mémoire) reste plastique et fragile, même
porté par l’impératif de transmission – l’entreprise des Lieux de mémoire l’a amplement
montré. On le voudrait, il serait tout simplement impossible de faire fonctionner l’esprit
du lieu à cent pour cent de ses capacités.
11 Il arrive qu’il agisse sans qu’on y prenne garde et sans crier gare. C’est ce que raconte
l’histoire de la Halle Verrière de Meisenthal8, une structure culturelle pluridisciplinaire
– musiques actuelles, arts plastiques et théâtre – installée dans une ancienne usine
verrière d’un village de Moselle perdu au fin fond d’une région rurale et forestière. La
Halle Verrière est de ces « friches culturelles » qui ont fleuri depuis une trentaine
d’années en France, fondées sur l’expérimentation de formes alternatives d’action
titre de leur introduction à l’ouvrage collectif malgré tout intitulé Savoir faire et
pouvoir transmettre (Chevallier 1991) qui clôt le dernier appel d’offre de la série.
et même de géopolitique (Argounes 2007). S’y joue une recomposition d’un ordre
international universaliste fondé sur une conception occidentale du patrimoine, au
profit d’une perspective différentialiste de défense de la diversité culturelle sous la
menace croissante d’une mondialisation uniformisante, et en conséquence le
rééquilibrage Nord-Sud de la carte mondiale du patrimoine. A priori, en ne visant
l’objectivation que de certains aspects de la culture anthropologique et en faisant retour
sous un autre nom à des catégories classiques du folklore étendues aux cultures du
monde16, le PCI semble en retrait par rapport au patrimoine ethnologique. Le dispositif,
cependant, se veut réaliste et entend réagir aux spécificités du monde contemporain :
sont visées notamment les cultures de l’oralité en ce qu’elles sont paradoxalement
menacées par nos très performantes techniques modernes d’archivage. D’où une
nouveauté certaine qui tient à trois caractéristiques : les biens désignés sont « vivants »,
ce qui suppose qu’il doivent être considérés dans leur capacité même à se transmettre ;
leurs premiers experts sont les praticiens eux-mêmes – et non plus l’ethnologue – ; le
référent premier de la mise en valeur patrimoniale est le groupe ou la communauté dans
lequel ces pratiques ont lieu et qui les reconnaît – et non pas le territoire (Hafstein
2007). Voilà qui est susceptible de mettre en crise la notion publique de patrimoine et
l’idée de patrimoine culturel.
17 À le regarder à l’œuvre – mais cela ne fait que commencer –, on doit cependant
reconnaître que, parce que résultant d’un compromis, le dispositif est ambivalent :
l’aspect novateur est pondéré par un certain classicisme patrimonial. Tout d’abord, il
relève dans son fonctionnement d’une mise en œuvre étatique : il dépend donc de
conceptions différenciées de la culture, du droit des personnes et des groupes
d’appartenance, du bien et de la chose publiques. Ensuite, au cours des discussions
préparatoires à la convention, c’est une logique de liste, fondée sur une sélection selon
des critères d’excellence et défendue par les états occidentaux, qui l’a finalement
emporté sur la logique de registre, fondée sur une recherche d’exhaustivité et rejetant le
principe du choix (Hafstein 2008). Il s’ensuit que, selon un mécanisme d’abstraction
similaire repéré dans les musées, la liste devient le contexte des objets qui y figurent
(Kirshenblatt-Gimblett 2006 : 170). Suivant une pente qui serait fatale, la politique
patrimoniale internationale, même recentrée sur l’immatérialité culturelle, serait vouée
à ne produire que du métaculturel (ibid.). Enfin, le déplacement sur les acteurs eux-
mêmes ne se fait qu’au profit de l’idée de création collective, qui tend à figer la culture et
ne concourt pas à rendre compte de sa « nature intrinsèquement évolutive » (ibid. :
180) : définis comme des « détenteurs, transmetteurs et porteurs de tradition », les
praticiens ne sont que des médiateurs passifs ou des véhicules dépourvus d’intention ou
de subjectivité (ibid. : 179).
18 Poussant le raisonnement, Kirshenblatt- Gimblett (ibid. : 168) avance que
l’expression « patrimoine vivant » est une contradiction dans les termes : « S’il est
réellement vivant, il n’a pas besoin d’être sauvegardé ; s’il est presque mort, la
sauvegarde sera sans effet. » La topique de la culture conduirait-elle à une aporie ? À
une limite au-delà de laquelle la référence au patrimoine serait inopérante, voire
contreproductive ? Deux remarques ici s’imposent. Premièrement, sans compter qu’il
existe toute une gradation, en matière de culture, entre le réellement vivant et le
presque mort, on objectera que la réponse à la question tiendra aux différentes
conceptions culturelles du patrimoine et aux conséquences sociales et économiques de
la reconnaissance patrimoniale. Si on considère la récente nomination sur la Liste
représentative dressée par l’Unesco de deux activités françaises bien vivantes relevant
des savoir-faire, l’artisanat de la tapisserie d’Aubusson et l’art du tracé dans la
charpente française, on peut envisager cette reconnaissance comme un label
d’excellence ou de qualité contribuant à leur viabilité économique. La question plus
générale est alors de savoir si le référent premier de la mise en valeur patrimoniale peut
être son entier bénéficiaire. Deuxièmement, Barbara Kirshenblatt-Gimblett (2006 : 181)
tempère sa remarque en notant que l’immatérialité ne saurait être confondue avec la
disparition – sur laquelle repose certaines performances artistiques – et qu’à tout
prendre, la distinction entre le matériel et l’immatériel du patrimoine revient à celle
formulée par Nelson Goodman (1990) entre arts autographiques et arts allographiques,
ces derniers se caractérisant par une coupure entre l’œuvre et ses instanciations.
Autrement dit, la célébration (patrimoniale) de la culture repose sur une performance et
donc une capacité d’actualisation. Une question, pour suivre ici Bruno Latour (1990), de
message et de messager, de changement ou non du messager et de transport avec ou
sans transformation du message. Mais plutôt que d’opposer la traduction à la
transmission, ne faut-il pas alors envisager la traduction comme performation de la
transmission ?
Pédagogie du vivant
19 Le caractère d’entre-deux du patrimoine culturel immatériel est souligné d’une autre
manière en référence à une nouvelle topique, qu’il est cependant loin d’épuiser : « Le
patrimoine immatériel est culturel comme le patrimoine matériel, il est aussi vivant
comme le patrimoine naturel » (Kirshenblatt-Gimblett 2006 : 164). Cette assertion
laisse entendre que les plus récents développements de la gestion patrimoniale de la
culture seraient liés au développement d’une réflexion sur la gestion patrimoniale de la
nature et à sa capacité à faire évoluer la notion même de patrimoine. Une clé de
compréhension du phénomène contemporain de la profusion patrimoniale résiderait
dans une dynamique qui a trait à la conservation, la protection ou la sauvegarde (c’est là
tout le problème) de réalités pas nécessairement superposables, diversement nommées
– nature, environnement, vivant – et strictement distinguées des œuvres humaines17.
Peut-être alors aurais-je dû perturber l’ordre de mon parcours en suggérant que la
pédagogie des monuments pouvait déboucher sur une pédagogie de « sites » à l’identité
indécise ? Ainsi ces ruines féodales qui se dressent sur des pitons rocheux au cœur des
forêts des Vosges du Nord, étudiées par Lucie Dupré (2008), êtres hybrides, de culture
et de nature, dans lesquels ces deux ordres ne sont pas simplement juxtaposés mais
totalement liés et co-déterminés au point d’en contester la distinction et d’en
compliquer l’entretien. Car ils intéressent une foule diverse d’humains, historiens,
botanistes, promeneurs, grimpeurs, ornithologues, écologistes, qui, là, s’attachent à du
passé, à des plantes venues des « simples » médiévales, au cadre paysager d’une
récréation dominicale, à des parois, à des faucons pèlerins, à un écosystème, et qui
doivent cohabiter et faire en sorte que l’objet de leur attachement leur reste commun.
La pédagogie de tels sites est déjà de nous confronter au pouvoir de contrainte des
catégories et à la nécessité politique de s’en affranchir pour penser la perspective d’un
monde commun.
20 Dans un sens inverse – de la nature vers la culture –, la topique du vivant met l’accent
de manière tout aussi aiguë sur l’intrication des réalités objectivées et sur la dimension
politique de leur reconnaissance patrimoniale. À côté de mouvements qui, au nom d’un
patrimoine naturel ou de l’environnement, se fondent sur l’objectif de protéger une
nature non humaine, s’est développée une activité patrimoniale portant sur le « bio-
culturel domestique », c’est-à-dire une catégorie du vivant sur laquelle l’homme
intervient dans le cadre de productions agricoles et alimentaires : espèces fruitières et
légumières, races animales, voire souches microbiennes (enrôlées dans la fabrication de
fromages ou de boissons fermentées) (Bérard & Marchenay 1998 : 159). Sans doute
parce qu’il est à la jonction de plusieurs mondes, le partage – aux différents sens du
terme – de leur expertise s’est également imposé. À la différence d’une nature
sanctuarisée, comme les réserves intégrales, terrain d’observation et d’expérimentation
réservé aux scientifiques, pour ces êtres hybrides, emblématiques d’une diversité autant
biologique que culturelle, souvent insérés dans des systèmes sociaux locaux de
production, dans des réseaux marchands alternatifs, ou supports, tels les produits de
terroir, de rapports différents à l’agriculture et à l’alimentation, la production de
signification, qui concourt à une reconnaissance patrimoniale cadrée et entérinée par
des règlements et des labels, est reconnue comme partagée entre une pluralité
d’acteurs : producteurs, professions associées, organismes consulaires, instituts
scientifiques, organisme de certification, collectivités locales, parcs naturels régionaux,
associations de consommateurs, collectivités autochtones, etc. Un parallèle peut être
fait avec les dossiers du patrimoine culturel, ethnologique et immatériel. D’un côté,
l’exemple français révèle une tendance à considérer le caractère déterminant de la
démarche scientifique pour la connaissance des ressources biologiques, des savoirs
traditionnels, des techniques et des pratiques comme pour le choix des méthodes de
conservation, que ce soit ex situ – hors de toute réalité sociale – mais surtout in situ
(Marchenay 2005). L’ethnologie, par sa tradition descriptive et issue de courants de
recherches sur les ethnosciences et les savoirs naturalistes populaires, revendique une
place importante dans cette dynamique qui vise à associer pratiques et savoirs locaux à
la préservation de la biodiversité. Occupant la première étape de la chaîne patrimoniale
– connaître (identifier, inventorier, décrire, documenter), conserver, valoriser –, elle
ambitionne d’accompagner et de guider l’ensemble du processus, le prévenant de deux
écueils : la protection abusive dans le cas de pratiques à faible patrimonialité et la
protection réductrice dans le cas inverse de pratiques aux nombreuses variantes et à
forte patrimonialité (Bérard & Marchenay 1998 : 165-167). D’un autre côté, c’est du
niveau international qu’est venue la réflexion sur le statut des savoirs traditionnels et
scientifiques, sur leur production et leur circulation. Dès la fin des années 1980, et
parallèlement aux préoccupations relatives à la protection du folklore et aux droits
culturels, la Convention sur la diversité biologique (adoptée à Rio en 1992), dont le
principal objectif était de réguler l’accès aux ressources génétiques et le partage des
avantages qui en découlent, a ouvert une brèche aux attendus culturels en considérant
que la biodiversité est liée à la reconnaissance de savoirs écologiques traditionnels
débouchant sur la défense de droits intellectuels au bénéfice des peuples autochtones
(Carneiro da Cunha 2010). Ce qui a eu pour effet de sortir d’une gestion internationale,
scientifique et réglementaire, et de rendre possible des transactions sur les ressources
génétiques et sur les savoirs impliquant les autochtones eux-mêmes. En somme, si
« l’intérêt collectif pour un patrimoine commun a cédé la place à un intérêt commun
pour la gestion d’une multitude de patrimoines » (Louafi & Roussel 2005 : 14), cet
intérêt est fondé sur un principe redistributif en tant qu’il crée un droit de propriété sur
les savoirs eux-mêmes, étendu aux États et aux peuples indigènes18.
21 Conjointement à cette ouverture politique, sous la figure du vivant, le patrimoine se
transforme jusqu’à parvenir à un renversement explicite de la perspective temporelle :
l’héritage est un passé-présent pour le futur et le viatique de son incertitude. Cet aspect
a été envisagé par André Micoud dans le tableau qu’il dresse des patrimonialisations, et
qui propose d’en comprendre toutes les occurrences à partir d’une articulation entre
« ce qui nous précède », dont nous procédons, et « ce qui nous environne », dont nous
dépendons. En fait, ce qui nous précède ne peut être réduit au passé, tout comme ce qui
nous environne ne peut être réduit à la nature. Aussi le fil qu’il suit pour penser le
renversement est-il celui du vivant : du vivant « qui a eu lieu », dont il faut
« conserver » les traces, au vivant menacé de disparaître dont il faut « sauvegarder » les
restes, puis au « vivant plein de potentialités » qu’il faut « gérer en diversité » (Micoud
2005 : 87). Cette généalogie du patrimoine est selon lui annonciatrice d’un nouveau
rapport au temps déployé sous le signe de la durabilité : la pédagogie du vivant est de
contribuer à retrouver le temps de la vie. Le thème de la transmission devient ici central
puisque patrimonialiser le vivant, consistant en un agir spécifique qui se distingue de
celui qui concourt à la production d’» êtres vivants artificiels19 », vise à aider à
accomplir ce qui est « la propriété même de la vie » : « se perpétuer dans son être par la
transmission », et dont l’autonomie est menacée (Micoud 2000 : 77). Cette approche
herméneutique a pu nourrir des études de cas qui, plus prosaïquement, viennent
conforter l’idée du changement de perspective. Étudiant le traitement en patrimoine de
l’environnement dans un dispositif muséographique, le Biodôme de Montréal, Gaëlle
Crenn en conclut que « l’environnement est un patrimoine à réaliser » (Crenn 2003 :
80) : le coup de force opéré par l’objet sur la notion de patrimoine consisterait dans le
passage du paradigme de la restauration au paradigme de la restitution20, d’une
mémoire donnée à transmettre à une « identité collective à définir » (ibid.).
22 Jusqu’à quel point, appliquée au vivant ou à la nature, la notion de patrimoine est-elle
opératoire ? Résiste-t-elle aux injonctions de responsabilité et de précaution à propos
du monde à transmettre à nos enfants ? La question n’a pas manqué d’être posée. Dans
son approche philosophique et juridique, François Ost (1995) lui accorde une place
centrale en proposant de placer la nature sous un « régime de patrimonialisation » :
non pas une « nature-objet » (exploitée par l’homme), ni une « nature-sujet » (à
laquelle la deep ecolog y fait allégeance), mais une « nature-projet », autrement dit un
« milieu » résultant de l’interaction de l’homme et de l’environnement. À réalité
complexe, notion complexe, transtemporelle et translocale, du côté de l’objet comme du
sujet, du privé comme du public – elle est « transappropriation » –, du côté de l’ici et
maintenant comme de l’ailleurs, apte à en fonder un statut juridique (ibid. : 306 sq.). À
ce titre, François Ost renoue avec les théories juridiques de la notion, qui mettent
l’accent sur la relation entre des biens et leur titulaire, sur la relation entre l’être et
l’avoir, et sur la cohésion qu’elle instaure entre un actif et un passif. Dans la perspective
de la gestion patrimoniale de la nature, « en bon père de famille », fondée sur l’idée d’un
capital hérité des générations précédentes et que la génération présente doit s’obliger à
ne pas dilapider et à transmettre aux générations suivantes, la notion de patrimoine
devient « transcendante et prospective » (ibid. : 331) : « Moins une propriété qu’une
promesse, moins une vérité qu’une question – moins un trésor en arrière qu’une quête
en avant » (Ost 1998). La transmission ne peut se faire qu’à la condition d’un travail de
signification, de construction, en un mot d’actualisation par les générations présentes.
D’autres auteurs ont préféré mettre l’accent sur l’inadaptation partielle du patrimoine.
Au terme d’une analyse fine de la catégorie de patrimoine naturel, dans laquelle il
pointe en particulier l’asymétrie des rapports intergénérationnels induits par la fonction
patrimoniale21, Olivier Godard met en cause le modèle de la « gestion patrimoniale
négociée » comme système de légitimité en matière de politique de l’environnement : la
catégorie de patrimoine étant l’archétype du bien approprié et objectivé, son application
à la nature relève du coup de force (Godard 1990 : 239). En d’autres termes, la nature
ne peut relever d’une « cité patrimoniale » – selon le modèle des cités de Luc Boltanski
et Laurent Thévenot. Le patrimoine étant davantage assimilé à une déclinaison de la
cité domestique, il ne peut contribuer qu’en partie à la constitution d’une « cité verte »
car il présente toujours le risque de verser dans la routine et l’autorité. Pour Bruno
Latour, s’il y a une « septième cité », c’est alors celle de l’écologie politique, dont le
principe supérieur commun réside dans la recherche d’attachements à une nature
considérée non pour elle-même mais comme constitutive de l’humanité et dont le
moyen consiste à poser les problèmes en commun (Latour 1995, 2002). D’une position
à l’autre, central pour les uns, plus marginal pour d’autres, le patrimoine, remarquons-
le, est politiquement indexé à l’incertitude et au tâtonnement, d’où doivent découler de
nouvelles procédures et de nouvelles combinaisons de connaissance et d’action.
L’intransmis, l’incertain
23 Mesurons alors le chemin parcouru. Toutes les occurrences envisagées se réfèrent ou
touchent explicitement à l’idée de patrimoine. D’une topique à l’autre, l’évolution est
réelle, leur concomitance, aujourd’hui, ne l’est pas moins : le patrimoine traverse l’art,
l’architecture, l’histoire, la mémoire, la culture, la nature, le vivant en nous et hors de
nous… Avec elles s’accumule ce qui est en jeu : le droit au deuil, à la mémoire, au temps,
le droit à la reconnaissance sociale ou culturelle au sein de la nation, le droit à la
localisation, le droit à la culture, à la création, le droit à la redistribution des richesses, à
la propriété intellectuelle, le devoir de gestion négociée de la nature, de préservation de
la biodiversité… – accumulation qui révèle des contradictions et des oppositions, qui est
potentiellement conflictuelle. Cette conflictualité me paraît centrale dans la question
patrimoniale aujourd’hui : autrement dit, le problème que pose le patrimoine est
exclusivement et fondamentalement politique. Il ne l’est pas moins qu’hier, il l’est
différemment. C’est pour cela que, différant l’entrée par la transmission, j’ai préféré me
focaliser sur la présence et les présences du patrimoine – ce qui serait le programme
d’une approche pragmatique : comment est-il réalisé, par qui et par quoi, avec qui et
avec quoi, pour qui et pour quoi, sur quels programmes de vérité, etc. ? Suivant le fil
conducteur de l’expertise, je me suis attaché à souligner que la production de
significations sous le patronage du patrimoine concerne et engage une pluralité
d’acteurs faisant valoir, à divers titres, une autorité, une compétence experte. Il me
semble que cette pluralité, thématisée comme confrontation de points de vue, ouvre sur
et s’inscrit dans l’exploration et le développement de formes participatives de
gouvernance. Il y a certes toujours le risque que la démocratie patrimoniale ne soit que
démocratisation, en conformité donc avec un régime dominant de patrimonialité. Mais
d’un autre côté, l’actualité du thème de la transmission est peut-être l’indice de la mise
en question du patrimoine en tant qu’institution de la centralité et de la métropole.
Comme l’écrit Manuela Carneiro da Cunha (2010 : 35) à propos du droit de propriété
intellectuelle, « il existe beaucoup plus de régimes de culture et de savoir que ce que
notre faible imagination métropolitaine est capable de concevoir ». Bref, la notion
même de patrimoine est-elle transposable et transmissible ? C’est cela qu’il faut retenir :
sous les figures successives de l’esprit du patrimoine, se révèle une interrogation sur la
capacité de transformation politique du patrimoine, à être un outil ou une arme, non
pas réservé mais à la disposition de tous.
24 L’esprit du patrimoine se transmuterait-il en esprit de patrimoine ? Reprenant
l’aphorisme fréquemment cité de René Char, « Notre héritage n’est précédé d’aucun
testament », François Ost (1998) y puise l’idée que le patrimoine est un « legs
énigmatique », un « objet insolite dépourvu de mode d’emploi ». La manière d’en faire
prévaut alors sur le contenu. Importe la valeur plus que l’objet, l’esprit plus que ses
concrétisations. Dans sa belle introduction à La Crise de la culture, Hannah Arendt
avait fait un remarquable commentaire de cet aphorisme considérant les circonstances
de son énonciation : dans l’action de la Résistance, le poète trouve son trésor, sans nom,
qu’il perd une fois advenue la Libération : « Parce qu’aucune tradition n’avait prévu sa
venue ou sa réalité, parce qu’aucun testament ne l’avait légué à l’avenir » (Arendt 1972 :
14). Mais poussant plus loin, Hannah Arendt voit dans le moment de cette énonciation
l’expérience de l’homme posté sur une brèche du temps entre le passé et le futur. Une
expérience de pensée qui ne peut être réduite à aucune donnée historique. « Il se peut
bien qu’elle soit la région de l’esprit ou, plutôt, le chemin frayé par la pensée inscrit à
l’intérieur de l’espace-temps des mortels et dans lequel le cours des pensées, du
souvenir et de l’attente sauve tout ce qu’il touche de la ruine du temps historique et
biographique22 » (ibid. : 24). Les objets du patrimoine se transmettent mais aussi
changent et les causes qu’ils soutiennent avec. C’est à l’aune de cette capacité de
renouvellement que doit être évalué le patrimoine aujourd’hui. L’esprit de patrimoine,
c’est ce qui ne peut se transmettre et doit être découvert et saisi par chaque génération,
d’un bout à l’autre de la planète. Quitte à laisser le patrimoine et à garder l’esprit.
25 * Je remercie Noël Barbe, Jean-Louis Fabiani et Gérard Lenclud pour leur lecture
encourageante des premières versions de ce texte.
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CIRAD / IDDRI / IFB / INRA, pp. 91-98.
Notes
1 Il est vrai que la « patrimoniomanie », qui depuis n’a cessé d’être dénoncée, ne faisait alors que
commencer.
2 Mon approche se situe à l’opposé de celles qui réduisent assez grossièrement le patrimoine à
une machinerie manifestant la propension excessive de l’Occident à la rumination rétrograde, à la
pétrification et à la virtualisation des sociétés (Jeudy 2001). La réalité mérite mieux que ces
spéculations convenues.
3 Voir par exemple le dernier ouvrage de Françoise Choay (2009).
4 Aussi a-t-il fait couler beaucoup d’encre : on trouvera une bibliographie substantielle dans
l’ouvrage de Marita Sturken (1997). Ce paragraphe doit beaucoup à sa remarquable étude du
mémorial. Il doit également au roman de Stewart O’Nan (1999), Le Nom des morts.
5 Ce qui suit est tiré d’une enquête collective que j’ai dirigée avec Noël Barbe (Barbe & Tornatore
2010).
6 Les attachements occasionnent des compréhensions historiques différentes : l’option choisie
par les « spécialistes » pour la mise en valeur patrimoniale du château, soit le thème du château
des Lumières, est en effet contestée car elle est jugée surestimée et artificielle par les « locaux ».
7 Berardino Palumbo (2000, 2001) a inauguré cette veine de compréhension du monument
historique dans ses belles analyses des jeux de mémoire, d’histoire et d’identité dans une ville de
Sicile.
8 Pour une relation détaillée, voir Tornatore (à paraître).
9 Cité dans Lamy (1993 : 72, note 19).
10 Expression que l’on trouve dans le rapport du Groupe de travail sur le patrimoine
ethnologique, le fameux « rapport Benzaïd » (Benzaïd 1980 : 11).
11 La topique culturelle du patrimoine s’incarnera, on le sait, dans un Conseil du patrimoine
ethnologique, chargé de proposer les grandes orientations d’une politique de l’ethnologie de la
France, et une Mission du patrimoine ethnologique, service dépendant de la Direction du
patrimoine du ministère de la Culture (1980- 2009), dont l’activité centrale consistera en la
promotion et la gestion de la recherche scientifique, sous forme d’appels d’offre.
12 « Faits industriels et savoirs techniques » (1980-1981, 1982, 1984), « Savoir-faire et techniques
menacés » (1987-1988), « Savoir-faire et techniques » (1989-1990). Source :
http://www.culture.gouv.fr/mpe/ [consulté en avril 2010].
13 Respectivement coordinateur de ces appels d’offre à la MPE et vice-président du Conseil du
patrimoine ethnologique de 1984 à 1988.
14 Significativement, la publication accueille, au risque de grands écarts théoriques non
problématisés, des spécialistes d’horizons divers : ergonomes, sociolinguistes, psychologues,
sociologues du travail, des techniques et des systèmes experts.
15 L’exemple des « trésors vivants » du Japon est cité mais sans que soit faite la corrélation avec
une conception autre du patrimoine.
16 L’article 2 de la convention définit cinq domaines d’objets : les traditions et expressions orales ;
les arts du spectacle ; les pratiques sociales, rituels et événements festifs ; les connaissances et
pratiques concernant la nature et l’univers ; les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel.
17 L’histoire de la notion de patrimoine naturel est ainsi envisagée parallèlement à celle de
patrimoine (sous-entendu culturel, au sens large). Voir à ce sujet Franck-Dominique Vivien
(2005).
18 Sur les tensions que cela crée et les rapports ambigus entre savoirs traditionnels et
nationalisme, voir Manuela Carneiro da Cunha (2010).
19 Tels les végétaux ou les animaux transgéniques, êtres totalement « marchands », pour cela non
reproductibles et non transmissibles, et donc n’appartenant pas, selon lui, à l’histoire de la vie
mais à l’histoire des sociétés humaines (Micoud 2000 : 76-77).
20 C’est sans compter, cependant, une écologie de la restauration considérée comme forme de
mise en spectacle de la nature. Voir à ce sujet Jean-Louis Fabiani (1999).
21 La logique patrimoniale combinant « désir d’irrévocable et lutte contre l’irréversible », la
transmission n’a pas le même sens pour celui qui transmet et pour celui qui hérite. Celui qui
transmet doit donner suffisamment corps à son projet de transmission, alors que pour l’héritier,
l’exercice de la fonction patrimoniale veut que la règle de transmission soit atténuée (Godard
1990 : 232-233).
22 La suite de la citation est à lire en exergue de cet article.
Référence électronique
Jean-Louis Tornatore, « L’esprit de patrimoine », Terrain [En ligne], 55 | septembre 2010, mis en
ligne le 01 janvier 2014, consulté le 27 septembre 2018. URL : http://journals.openedition.org
/terrain/14084 ; DOI : 10.4000/terrain.14084
Baticle, Christophe. Hanus, Philippe. (2018) Les nuits contestataires des néo-
charbonniers du Vercors : un chronotope forestier au service d’une hétérotopie.
Revue de géographie alpine. DOI: 10.4000/rga.3958
Baticle, Christophe. Hanus, Philippe. (2018) The Dissenting Nights of the Neo-
Wood Colliers of the Vercors: A Forest Chronotope for a Heterotopia. Revue de
géographie alpine. DOI: 10.4000/rga.3991
Auteur
Jean-Louis Tornatore
Université Paul-Verlaine, Metz / Laboratoire d’anthropologieet d’histoire de l’institution de la
culture (LAHIC), Paris
Droits d’auteur
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