Copie de L'Etat Est-Il Un Mal Nécessaire

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L’Etat est-il un mal nécessaire ?

/philosophie/AdeMarigny/LFIGP

Introduction
Sans aucun doute, chacun d’entre nous aimerait pouvoir faire ce qui lui plaît quand cela lui chante. Mais
nos désirs viennent bien souvent se heurter à l’interdiction de la loi, nous exposant du même coup au
châtiment prévu par la loi si on leur laisse malgré tout libre cours. Ainsi, c’est un fait : les lois de l’État
viennent entraver notre liberté d’action. Pourtant, chacun reconnaît également, pour peu qu’il prenne la
peine d’y réfléchir, qu’obéir aux lois de l’État est nécessaire pour que l’ordre règne : que serait une
société où chacun se mettrait à n’en faire qu’à sa tête, bafouant les lois à l’envie ? Ce serait l’anarchie,
car les lois perdraient justement toute leur valeur de lois. Or, là où il n’y a plus de lois instituées et
reconnues, et de ce fait, plus d’État, on peut penser que c’est précisément la force seule qui fait le droit
et tient lieu de loi, ce que nul sans doute ne peut sérieusement souhaiter : c’est la survie de chacun qui
se trouverait alors compromise. Alors faut-il en conclure que l’État est un mal en tant qu’il nous empêche
d’être libre, mais qu’il est un mal nécessaire, dont nous ne saurions nous dispenser si nous voulons ne
serait-ce que pouvoir cohabiter sans nous nuire les uns aux autres ? Serions-nous plus libres et plus
heureux sans Etat ? Les sociétés sans Etat semblent être un paradis perdu à jamais inaccessibles, tandis
que nos sociétés actuelles ne semblent être composées que d’individus agressifs qui, si on leur donnait
plus de liberté, sèmeraient le chaos. Comment penser un Etat qui serait bienveillant et non liberticide ?
Texte de Pierre Clastres, manuel P. 139
Texte de Thomas Hobbes, manuel P. 138

I L’Etat n’est pas un mal mais une nécessité


A) Quel est le but de la politique ?
Aristote, dans son ouvrage intitulé Politique, affirme que l’homme est non seulement un animal social,
mais aussi un animal politique. La politique*, inséparable de la morale, constitue le point fondamental
du système aristotélicien.
*Politique : du grec polis qui signifie la cité, c’est-à-dire une communauté politique et religieuse
indépendante. Le terme a donné deux sens : 1) « qui concerne les citoyens, relatif à l’État » ; 2) « science
des affaires de l’État ».
L’homme ne peut vivre qu’au sein de la cité ; la politique détient donc un statut privilégié, son but est
le bien de la cité. Pour Aristote, l’homme est par nature un être destiné à vivre en société. En effet, les
hommes étant les animaux les plus faibles de la nature, c’est tout naturellement qu’ils s’unissent les uns
aux autres et se divisent le travail. L’Etat, la Cité, n’est pas pour Aristote une construction artificielle,
venant en quelque sorte prendre le relais, ou même remédier à un ordre naturel déficient. L’Etat est
naturel à l’homme, au même titre, et sans doute plus, que ses yeux ou ses mains. La cité est le résultat
d’une genèse naturelle qui va de l’individu à la famille, de la famille à la société, sous la forme de
villages et de villes. Ces regroupements humains sont nécessaires à la survie matérielle et économique
de l’homme. La cité est donc ce vers quoi tend la nature de l’homme
B) Du droit naturel au droit positif
Dans l’Etat de nature, rien n’est injuste puisque c’est à chaque individu de décider ce qui lui est utile ou
nécessaire en fonction de ses besoins. Pourtant, il existe néanmoins un droit dans l’état de nature : il
consiste, pour un individu, à faire tout ce qu’il veut et tout ce qu’il peut afin de préserver sa vie et de
vivre le mieux possible. C’est un droit qui découle de l’impératif de survie. En nous donnant la vie, la
nature nous a en même temps donné le droit de la préserver, en utilisant les moyens que bon nous semble,
y compris le meurtre ou le vol si on l’estime nécessaire. Mais ce droit est possédé par tous et règne alors
rapidement la loi du plus fort. La situation est invivable ; c’est alors qu’apparaît le droit positif.
Le droit positif, c’est l’ensemble des règles qui régissent les rapports entre les hommes dans une société
donnée. Ce droit est donné par une autorité. Il est forcément plus restrictif que le droit naturel, puisqu’il
a pour objet d’éviter le chaos dangereux de l’état de nature. Il s’accompagne d’une force répressive,

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puisqu’il doit toujours être respecté. Le droit positif varie selon les époques et les Etats. Il existe
néanmoins un document qui tente d’établir un droit positif pour toute l’humanité, il s’agit de la
déclaration universelle des droits de l’homme.
Problématiques liées à la justice :
- Comment élaborer des lois justes ? Sachant que ce sont les puissants qui font les lois, n’y a-t-il
pas toujours le risque d’un parti pris ? Exemple : lorsqu’Edward Snowden découvre que le
gouvernement américain outrepasse ses droits en organisant une surveillance de masse de ses
citoyens, il décide de révéler des informations classées secret-défense. Un mois plus tard, il est
inculpé par le gouvernement américain pour espionnage et vol, il encourt jusqu’à trente ans de
prison. Manuel P. 152-153
- Avons-nous la garantie que les lois soient justes ? « Il est dangereux de dire au peuple que les
lois ne sont pas justes, car il n’y obéit qu’à cause qu’il les croit justes », Blaise Pascal. Rappelez-
vous que Socrate avait accepté sa condamnation à mort, tout en affirmant qu’elle était injuste,
mais qu’il fallait respecter les lois, même lorsqu’elles sont injustes, et cela pour la stabilité de
la société.
- Comment rendre justice ? Texte Amartya Sen, manuel P. 202
Dans un schéma idéal, l’Etat garantirait l’instauration et le maintien du bien collectif, sur la base de lois
toujours justes. Cependant, l’observation du fonctionnement des Etats nous rappelle une réalité bien
autre, désignée par le terme emprunté à l’allemand de realpolitik*.
*Realpolitik : dans le sens positif, le terme désigne un abandon des idéaux pour composer avec la
réalité. Dans le sens négatif, il désigne l’abandon des principes éthiques ainsi qu’un manque de vision
politique qui conduit à une gestion à court terme.

II Imaginer le moins pire des régimes


Manuel, exercice 3 P. 136
A) La critique de la démocratie
Les critiques de l’Etat conduisent à deux initiatives radicales : soit effacer l’Etat au profit d’une
organisation sociale autonome, autogérée (c’est l’anarchie), soit étendre la logique de l’Etat à la totalité
des sphères sociales (c’est la logique du totalitarisme).
S’il semble être une évidence que le risque totalitaire doit être évité à tout prix, il ne faut pas néanmoins
basculer dans une facile et naïve admiration du système démocratique. Alexis de Tocqueville, tout en
célébrant la démocratie, prévenait déjà, au XIXème siècle, des dangers qu’elle comprend en son sein :
la démocratie peut être assimilée à un despotisme. Alexis de Tocqueville, manuel P. 144
Question : à quoi sert le vote ?
Avons-nous une influence sur la société et l’Etat ? Comment puis-je, en tant qu’individu, changer la
société dans laquelle je vis ? Est-ce à travers le vote ? Faut-il suivre André Gide dans sa décision de ne
pas voter parce que la voix de sa concierge valait autant que la sienne ? Avant de répondre par la
négative, il faut comprendre que Gide soulève un vrai problème de la démocratie : celui de
l’aveuglement populaire causé tant par son incompétence que par son goût sans maîtrise pour les
passions, que par le danger de la foule réunie.
B) Qui est-ce qui commande l’Etat ?
Pour Platon, c’est le philosophe-roi qui doit gouverner la cité, c’est-à-dire celui qui serait sorti de la
caverne, qui aurait été illuminé pas les connaissances divines, et qui serait par la suite reparti dans la
caverne. Nous retrouvons ici les critiques adressées au mythe de la caverne : comment le philosophe-roi

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serait-il sorti de la caverne ? Admettons qu’il puisse en sortir, pour quelles raisons déciderait-il d’y
retourner ?
Le premier à avoir abordé la question des dangers du pouvoir est probablement Nicolas Machiavel
(1469-1527). Machiavel est le premier à avoir décrit l’exercice réel du pouvoir politique, ce que les
gouvernants font effectivement.
La vie de Machiavel
Né à 1469 à Florence et mort en 1527 dans cette même ville, Machiavel s’intéresse dès sa jeunesse aux
problèmes de la guerre du fait de sa position dans le système politique de la République florentine. En
1498, il est chargé du secrétariat du « Conseil des Dix », l’instance qui, à Florence, gère les affaires
diplomatiques et militaires. Puis, de 1502 à 1512, il devient l’un des principaux conseillers du chef de
gouvernement de la République florentine, le gonfalonier à vie Piero Soderini. Il entre en fonction dans
une période de grand trouble, quatre ans après l’invasion de l’Italie par la France, marquant le début des
guerres d’Italie qui dureront jusqu’en 1559. Son expérience est nourrie de nombreuses missions
diplomatiques (France, Suisse, Tyrol, Rome). Il met également en place une milice à Florence, afin que
la république ne soit plus dépendante des mercenaires. Cependant, les troupes florentines sont battues
par l’alliance de l’Espagne et du pape, qui impose le retour des Médicis au pouvoir en 1512 – pouvoir
politique (par Julien de Médicis) et religieux (Jean de Médicis est élu pape Léon X). Machiavel est alors
révoqué et emprisonné. Éloigné des lieux de décision, il se met à écrire. Il commence par les Discours
sur la première décade de Tite-Live, puis s’interrompt pour écrire Le Prince en 1513, dédié à Laurent II
de Médicis, qui a succédé à Julien.
Sa vision de la politique
Selon Machiavel, le politique doit supposer d’avance les hommes méchants. Rompant avec la longue
tradition qui voyait dans l’Etat la réalisation d’un idéal moral comme chez Platon, Machiavel envisage
la politique comme l’art de conquérir et de conserver le pouvoir, un art difficile qui requiert la vertu
(qualités morales) d’un prince. Ainsi Machiavel conseille au prince d’unir en sa personne la « ruse du
renard et la férocité du lion » afin de pouvoir gouverner au mieux la patrie. S’il tient à se maintenir au
pouvoir, le prince doit déjouer les complots et surmonter les crises et agir parfois « contre la foi, contre
la charité, contre l’humanité » : la fin justifie les moyens.
« A un prince, donc, il n'est pas nécessaire d'avoir en fait toutes les susdites qualités, mais il est bien
nécessaire de paraître les avoir. Et même, j'oserai dire ceci : que si on les a et qu'on les observe toujours,
elles sont dommageables : et que si l'on paraît les avoir, elles sont utiles ; comme de paraître pitoyable,
fidèle, humain, droit, religieux, et de l'être ; mais d'avoir l'esprit édifié de telle façon que, s'il faut ne
point l'être, tu puisses et saches devenir le contraire. Et il faut comprendre ceci : c'est qu'un prince, et
surtout un prince nouveau, ne peut observer toutes ces choses pour lesquelles les hommes sont tenus
pour bons, étant souvent contraint, pour maintenir l'État, d'agir contre la foi, contre la charité, contre
l'humanité, contre la religion. Aussi faut-il qu'il ait un esprit disposé à tourner selon que les vents de la
fortune et les variations des choses le lui commandent, et comme j'ai dit plus haut, ne pas s'écarter du
bien, s'il le peut, mais savoir entrer dans le mal, s'il le faut. »
Nicolas Machiavel, Le Prince

Remarque - machiavélique : le mot a été détourné de son sens originel et signifie aujourd’hui rusé,
perfide, démoniaque, diabolique.
Question – Peut-on dire qu’Amin Dada tel qu’il est dépeint dans le film The Last King of Scotland
correspond au portrait du prince de Machiavel ?
Tout le monde aura compris que l’on ne peut faire preuve ni d’idéalisme ni d’angélisme en matière de
politique. Cependant, le fait de dissocier moralité et politique pose un problème : en utilisant tous les
moyens, y compris les moyens immoraux, pour se maintenir au pouvoir, n’y a-t-il pas forcément une
contamination du pouvoir ?

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III Comment penser un Etat bienveillant ?


La complexité de l’art de la politique ainsi que la difficulté d’instaurer une justice juste semblent détruire
toute possibilité d’une société juste. Pourtant, depuis les débuts de l’humanité, cette question ressurgit
sans cesse.
John Rawls (1921-2002) est né à Baltimore aux Etats-Unis. Son ouvrage principal, Théorie de la justice,
est considéré, dans le milieu anglo-saxon, comme un des textes les plus importants dans le champ de la
philosophie éthique et politique.
La Théorie de la justice a connu un extraordinaire retentissement à partir des années 80. Le but de cet
essai de philosophie politique et morale est de trouver les fondements d'un contrat social juste. Sa
méthode consiste à construire une fiction dans laquelle des individus libres et solitaires sont chargés de
définir les règles d'une société. Mais ils sont censés le faire sans connaître la place qu'ils y occuperont,
ils sont sous un « voile d'ignorance ». Dans une telle situation, chacun imaginera, par prudence, la
situation qui pourra être la pire pour lui une fois les positions des autres attribuées. Dans ce cas, il
cherchera à limiter sa précarité.
A partir d'une telle fiction, J. Rawls déduit que tout homme forgera le système le plus « juste » et
équitable possible, qui répondra à deux principes :
- Le premier, appelé « principe de liberté », affirmera l'égalité des droits dans l'accès aux libertés
fondamentales.
- Le second, le « principe de différence », tolèrera les inégalités sous certaines conditions : l'accès aux
positions favorisées sera ouvert à tous, assurant ainsi l'égalité des chances, et la société devra aider les
plus défavorisés à être mieux lotis. Le tour de force de Rawls est d'avoir construit un modèle théorique
dans lequel il concilie les principes de liberté et de justice. Toute la Théorie de la justice est ainsi la
quête d'un « équilibre réfléchi » entre des principes fondés en raison et notre sens intuitif de la justice.
Pour Rawls, l'objet d'une théorie de la justice est de déterminer la « structure de base de la société »,
c'est-à-dire la manière dont les institutions - juridiques, politiques et économiques - doivent attribuer les
droits individuels et répartir les fruits de la coopération sociale. John Rawls, texte manuel P. 150
Si la théorie de Rawls semble séduisante, elle ne prend néanmoins pas en compte que les hommes n’ont
pas toujours la faculté de se mettre à la place des autres et à se montrer altruistes.

Conclusion : vers l’utopie


L’impasse dans laquelle nous plonge la justice a poussé de nombreux penseurs dans la voie de l’utopie.
Du grec u-topia, le mot signifie non-lieu ; l’utopie est donc hors de l’espace et aussi hors du temps ;
qu’est-elle donc sinon un rêve ? Thomas More est le premier à avoir conçu une société utopique. Il écrit
Utopie (1516) à une période où l’Europe est secouée par des guerres. Utopia expose un des rêves
politiques de la Renaissance, un rêve si puissant qu’il se déroule dans l’Ile de nulle part. More a une
formation de juriste et il est homme de loi. Loin de chercher l’évasion dans un ailleurs idéal, il construit,
avec un étonnant réalisme, la structure juridique et sociale d’une autre politique qui parviendra à conjurer
la folie et la méchanceté des hommes. L’île d’Utopie est une démocratie qui abolit la propriété privée,
réserve l’or pour la fabrication des vases, impose la tolérance religieuse, l’aide sociale, le travail de six
heures par jour pour tous les citoyens. Pourtant, cet idéal a ses limites internes : l’esclavage est autorisé,
permettant d’employer les prisonniers de guerre ou les grands criminels ; les besoins de la défense
nécessitent des mercenaires venus de l’extérieur qui sont eux-mêmes méprisés par les Utopiens, ce qui
engendre des conflits. La réalité des hommes, refoulée, revient toujours menacer le rêve.

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