Synthese JFDM
Synthese JFDM
Synthese JFDM
− 2016 : JFM est adapté au cinéma par Xavier Dolan, jeune réalisateur canadien (Montréal-
Québec) né en 1989. La même année, le film est récompensé par le Grand Prix du jury au
festival de Cannes.
⇒ Le théâtre de JLL est largement autobiographique, mettant en scène des personnages
vivant des relations difficiles avec leur famille. L’auteur y parle de façon indirecte de son
homosexualité et de sa maladie.
B. Une volonté de remise en cause du théâtre traditionnel (17e.-1ère. Moitié du XXes)
a). Analyse du titre :
● Dans les pièces conventionnelles, le titre est en relation directe avec le contenu de l’œuvre.
● Le titre déroute aussi car il associe 2 éléments contradictoires, à la façon d’un oxymore :
l’adverbe restrictif « juste » marque une atténuation, qui s’oppose au G. N. « la fin du monde »
affirmation tragique, au contraire. Cependant, ce groupe nominal « la fin du monde » est aussi à
mettre en relation avec l’expression orale « c’est pas la fin du monde ». Le titre semble signifier,
avec ironie : « rien de grave, c’est juste la fin du monde ». La fin de quel monde ? L’expression du
titre « la fin du monde » laisse prévoir qu’il sera question de la fin de l’humanité. Or c’est
seulement en lisant la pièce que l’on comprend que « la fin du monde » désigne non pas une
catastrophe universelle, mais un drame personnel, la mort prochaine de Louis : c’est juste sa fin du
monde. Contrairement à ce qui se passait dans le théâtre traditionnel, le titre de la pièce,
JFM, ne désigne pas clairement le sujet de l’œuvre.
b). Les lieux : ● Dans le théâtre classique (XVIIes.), l’histoire se déroule dans un seul espace,
conformément à la règle de l’unité de lieu.
En apparence, JLL respecte l’unité de lieu classique dans JFM : la didascalie initiale indique
que l’histoire se passe « dans la maison de la Mère et de Suz. », sans précision de décor, ce qui
rapproche encore l’espace scénique de JFM des lieux non décrits du théâtre classique.
MAIS :
en réalité, on peut parler d’un éclatement des lieux, car il est aussi question de nombreux autres
espaces, hors-scène, et parfois perçus comme lointains : Le « pavillon » où vivent Antoine,
Catherine et leurs enfants + Depuis des années, Louis a quitté le domicile familial. A son retour, il
affirme que son trajet en train n’a pas été « un grand voyage ». Mais il fait cette remarque devant
Antoine : « vous semblez toujours vouloir croire que j’habite à des milliers, centaines, milliers de
kms. »
+ Louis raconte que pour fuir la mort, il voyage. Il est ainsi question de « la salle d’attente des
aéroports » ; d’un « quai de (…) gare » ; d’ « une chambre d’hôtel » ; de « la salle à manger d’un
restaurant »
+ Les espaces hors-scène sont aussi symbolisés par les cartes postales envoyées par Louis à sa
famille, par ex. celle représentant « une ville de la grande périphérie parisienne » (p. 39 / p. ). La
périphérie est du reste un espace associé à Louis, qui vit à l’extérieur du lieu familial qu’est la
maison de Suz. et de la Mère.
+Dans l’épilogue, Louis évoque le souvenir d’une promenade nocturne réalisée dans le Sud de la
France, et l’espace prend alors une dimension irréelle, poétique, cosmique :
« je marche seul (…) à égale distance du ciel et de la terre. »
c). La structure de la pièce :
● Elle s’organise sur 5 étapes : le prologue, la 1ère partie, l’Intermède, la 2nde. partie, l’épilogue.
De ce point de vue, JFM reprend le modèle de la tragédie classique ou du drame romantique
dont la structure est elle aussi quinaire, avec 5 actes.
MAIS :
- Le mot « acte » n’apparaît pas dans JFM. Il est question de « parties », ce qui rapproche cette
pièce de l’univers narratif du roman, lui aussi souvent organisé en « parties ». Et en effet, dans JFM,
les personnages se livrent fréquemment à des narrations (de souvenirs ; de leur vie quotidienne ; de
rêves).
- Contrairement à ce qui se passe dans les pièces traditionnelles, la structure de JFM est
décroissante : la 1ère. partie comporte 11 scs., l’Intermède : 9, et la 2nde. partie, 3. Ce schéma peut
évoquer métaphoriquement l’épuisement de Louis, malade, que sa volonté d’annoncer sa mort
abandonne (déterminé à le faire dans le prologue, il ne passera pourtant jamais à l’action dans la
suite de la pièce) ; l’échec des retrouvailles de la famille, qui finalement se disperse (à la fin de la
journée, Ant. et Cath. rentrent chez eux, Louis reprend le train pour ne jamais revenir.
- Le découpage en scènes est incertain. Dans le théâtre traditionnel, une scène est délimitée par
l’entrée et la sortie des personnages. Or dans JFM, aucun des débuts de scène n’établit la liste des
personnages présents. C’est le nom du personnage précédant sa réplique qui permet d’avoir des
repères, ainsi que la parole d’un personnage qui vient suggérer la présence ou la disparition des
autres, comme des didascalies internes => II, 3, la Mère : « nous sommes toutes les 3 »,
impliquant sa présence, celles de Suz. et de Cath. + En I, 3, Suz. semble parler seule. Mais l’emploi
du pronom « tu » et le contenu de sa tirade permettent de conclure qu’elle s’adresse à Louis. + A la
fin de I, 6, la réplique de Louis « Revenez ! Catherine ! » laisse à penser que cette dernière vient de
quitter la scène.
+ Une seule fois dans la pièce, la sortie des personnages est explicitée grâce à une didascalie, cf fin
I, 9 : « Catherine reste seule. »
=> JLL affiche une volonté de déconstruire les conventions théâtrales.
C. JFM : un logodrame, théâtre du langage
Dans cette pièce, l’attention du lecteur-spect. n’est pas attirée par l’action –car il n’y en a pas-, mais
par le travail de JLL sur le langage.
a). Remise en question de la notion traditionnelle d’action : selon le philosophe grec antique
ARISTOTE (384-322 av. JC.) qui a réfléchi au théâtre de son temps, une pièce doit reposer sur une
action qui se déroule de façon linéaire depuis un commencement jusqu’à un dénouement. Au début
de JFM, Louis annonce l’action : il revient auprès des siens pour leur annoncer sa mort prochaine.
Or cette action n’aura pas lieu => Cette volonté de JLL d’effacer l’action apparaît dès la didascalie
initiale : au lieu d’écrire « L’action se passe … », il note : « Cela se passe … » .
L’action est remplacée par la narration : en I, 3, Suz. raconte sa vie ; en I, 4, la Mère raconte
le souvenir des dimanches passés en famille ; en I, 6, Cath. raconte le métier d’Ant. ; en I, 10, Louis
raconte son angoisse de la mort et ses tentatives pour l’oublier ; en II, 1, Louis raconte son départ ;
en II, 3, Ant. raconte un souvenir d’enfance.
=> L’action, les péripéties, les conflits, le suspense trouvent désormais leur place dans le
langage.
b). Fonction dramatique du langage (< grec drama, « action ») :
● Les mots et paroles des personnages sont générateurs de conflits, de malaises.=> I, 1 : lors des
retrouvailles, Suz. fait remarquer que Louis n’embrasse pas son frère Ant. Ce dernier lui rétorque
avec violence : « Suz., fous-nous la paix ! ». C’est alors que Suz. fait retour sur sa propre parole
pour protester contre celle d’Ant. => Une scène analogue se produit en I, 9. Cette fois, Suz. fait
remarquer que Louis et Suz. persistent à se vouvoyer. Ant. intervient. Ce dernier et Suz. entament
une querelle à propos des mots échangés, le dialogue aboutit à une impasse : Suz. fait un bras
d’honneur => En I, 2, Cath. parle de ses 2 enfants à Louis. Mais à ce moment, Ant. fait ce
commentaire : « Laisse ça, tu l’ennuies. » . Louis juge ce propos blessant et Ant. cherche à se
rétracter (p. 31 / p. : « Je n’ai rien dit, / ne me regarde pas comme ça ! »).=> En I, 8, la Mère
prévient Louis : elle lui dit que Suz. et Ant. vont chercher à lui parler, mais qu’ils vont le faire
« maladroitement », parce que, sentant que Louis a envie de repartir, ils ne prendront pas le temps
de s’expliquer : « cela sera mal dit ou dit trop vite (…) et tu ne comprendras pas (…). Tu répondras
à peine 2 ou 3 mots » . Les mots échangés par les membres de la famille au moment des
retrouvailles devraient être l’occasion d’un rapprochement entre eux. Or, par un
retournement de situation, c’est l’inverse qui se produit.
« Dans mes pièces, il ne se passe rien », disait Tchekhov.==> L ’action ne progresse pas, ne
comporte pas de suspens, ni de rebondissements : dès II, 1, on sait que Louis quittera les siens sans
avoir rien annoncé . C’est désormais à l’intérieur des phrases elles-mêmes que l’on trouve des
effets de suspens. Dans le prologue, l’unique phrase progresse très lentement voir l’explication de
texte.
D’une parole à l’autre, on observe des retournements de situation : il arrive en effet qu’à une
affirmation succède la dénégation : « je n’ai rien dit » (Ant. À Cath. I, 2 : « Laisse ça, tu l’ennuies
» . ), puis : « je n’ai rien dit qui puisse te troubler » ou encore en II, 2, lorsqu’Ant. déclare qu’il
va faire « d’une pierre 2 coups » en raccompagnant L. à la gare , provoquant la colère de Suz., il nie
alors son affirmation : « je ne disais rien »
b). La tragédie du langage : JFM met en scène un théâtre de la parole, et l’échec de cette parole.
● Une parole hésitante : en II, 3, Ant. déclare : « rien jamais ici ne se dit facilement ». Les
personnages apportent très souvent des rectifications à leurs propos, s’autocorrigent. Causes de ce
comportement :
□ Un complexe d’infériorité / à Louis. D’après ce que laisse supposer le propos de Suz. en I, 3 ,
Louis est écrivain. Devant lui, les membres de sa famille s’efforcent donc de respecter les normes
langagières, mais ne peuvent dissimuler leur manque de maîtrise. C’est le cas de la Mère qui hésite
sur le mode verbal à employer après la conjonction de subordination « avant que » (I, 4). Même
hésitation d’Ant. pour l’accord d’un participe passé I, 11, ). Catherine, elle, hésite entre l’emploi de
l’imparfait et du passé simple, dont elle se dit qu’il est + littéraire et conviendra mieux à Louis (I, 1)
□ La tentative pour trouver le mot juste. Dans ce cas, les personnages emploient
l’épanorthose . C’est par ex. le cas de Suz., lorsqu’elle parle du logement d’Ant. Et Cath. (I, 3).
Voir aussi Catherine, en I, 2, lorsqu’elle parle de la tradition familiale en vertu de laquelle le fils
aîné porte le prénom de Louis : sa réplique comporte de nombreux correctifs : « je crois, nous
croyons, nous avons cru, je crois »Voir aussi Louis en I, 2 : «c’est méchant, pas méchant, non,
déplaisant »
La parole recule (correctifs), avance. Son mouvement remplace le mouvement de l’action,
inexistante.
● La difficulté à dire s’exprime aussi par l’épanalepse , l’épizeuxe, l’anadiplose, le
polyptote très fréquente dans JFM. La parole est ressassante, répétitive.
● L’impossibilité à dire : Louis ne parvient pas à verbaliser l’annonce de sa mort. Il se réfugie
derrière le mensonge (« Je vais bien » ), dans le mutisme, « deux ou trois mots » (la Mère, I, 8, ),
un« petit sourire » (ibid., p. 62 / p. ). Pour briser ce silence, Louis raconte dans l’épilogue que
l’idée lui est venue de « pousser un grand et beau cri », mais qu’il y a finalement renoncé
Pour exprimer leur incapacité à dire, les personnages utilisent des formules comme : « je ne
sais pas », « comment dire ? » (Catherine, I, 2 ) ; « je ne sais comment l’expliquer, / comment le
dire, / alors je ne le dis pas » (Suz., I, 3 ). Louis : « je ne trouve pas les mots » (p. 50 / p. ) ; Ant . :
«je ne sais pas dire » (II, 2. Dans la réplique d’Ant. en II, 2, l’incapacité à dire
est exprimée par la répétition des mêmes paroles, finalement interrompues
par des points de suspension et/ou l’emploi de la négation
Dans JFM, cette impossibilité à dire est un tragique du quotidien qui atteint tous les
personnages.
● Une communication qui ne parvient pas à s’établir : => Cela apparaît même dans les
dialogues.
□ La scène I, 1 est celle lors de laquelle les personnages se rencontrent, se présentent. Or au lieu de
s’adresser directement les uns aux autres, ils emploient la 3è. pers., qu’on appelle la « non-
personne » ou « personne de l’absence ». Ce procédé paralyse le dialogue, car la parole n’est pas
adressée directement à son destinataire.
□ En I, 6, Louis commence par dire à Cath. : « Vous ne dites rien, on ne vous entend pas. » Cath.
répond : « Que voulez-vous que je dise ? ». Puis elle parle du métier d’Ant. Lorsque Louis tente de
faire un commentaire, elle l’interrompt en lui disant : « Ne me dites rien, je vous interromps ».
Puis
Louis, de son côté, dit : « Je n’ai rien à dire ou ne pas dire, je ne vois pas. » Ensuite de quoi, Cath.
quitte la scène.
□ Dans l’Intermède, les personnages s’appellent les uns les autres. Mais soit leurs appels restent
sans réponse, soit ce n’est pas le destinataire de l’appel qui répond : à la sc. 1, la Mère appelle
Louis, mais celui-ci ne répond pas . La même situation se reproduit à la sc. 3. A la sc. 4, Cath.
appelle Ant., mais c’est Suz. qui répond ; puis dans la même sc., la Mère appelle Louis, mais c’est
encore Suz. qui répond . Même situation dans les scs. 5 et 7 . Ces dysfonctionnements dans le
dialogue montrent la fracture du groupe familial.
□ En I, 11, Louis commence à raconter son voyage à son frère. Mais Ant. Refuse d’écouter (« Ne
commence pas. »), car il s’imagine que Louis va lui dire des mensonges (« tu voudras me raconter
des histoires, je vais me perdre »). Dans une tirade de 4 pages, il confisque la parole à son frère, le
réduisant au silence. A la fin de la scène, Ant. réitère son refus d’écouter Louis et quitte la scène (p.
=> Contamination du dialogue par le soliloque (= « quasi monologue » pour Anne
Ubersfeld). La présence de ces soliloques montre l’échec d’une parole qui ne circule pas entre
les personnages. La parole avec l’autre se transforme ainsi en parole devant l’autre. L’échange est
bloqué. Ces soliloques confisquent la parole à Louis, qui, en conséquence, ne pourra pas
annoncer sa mort prochaine.
CRISES du langage, des personnages, de la famille, du théâtre => liens possibles avec :
Analyse du mot « crise » : ce terme vient du latin crisis, lui-même tiré du grec krisis. Au départ, le mot a 4
sens, en grec : 1. Action ou faculté de juger. 2. Action de choisir, choix. 3. Action de séparer, d’où
contestation, critique. 4. Action de décider, décision, jugement ; ce qui décide de qch., d’où issue,
dénouement, résultat ; phase décisive d’une maladie. => En latin, le mot renvoie d’abord à un sens médical,
la crise étant définie comme la phase grave d’1 maladie. Dans un sens + général, il désigne une période
critique, un moment décisif. => De nos jours, la langue française emploie ce terme pour désigner :Un état
soudain, intense, marquant une rupture.