Olivier Belin - La Poésie Faite Par Tous
Olivier Belin - La Poésie Faite Par Tous
Olivier Belin - La Poésie Faite Par Tous
L’INTRODUCTEUR : ÉLUARD
La poésie faite par tous n’est donc pas à l’ordre du jour des
futurs surréalistes en 1919-1920. D’après les sources que j’ai
pu dépouiller, il faut attendre 1925 pour que la formule fasse
son apparition dans le discours surréaliste. Elle est en effet
relevée par Éluard à la fin d’un article intitulé « Des perles aux
cochons » et qui paraît le 30 novembre 1925 dans la revue
Clarté :
Poésie pure ? La force absolue de la poésie purifiera les hommes, tous les
hommes : « La poésie peut être faite par tous. Non par un. » (Lautréamont).
Toutes les tours d’ivoire seront démolies, toutes les paroles seront sacrées et,
ayant bouleversé la réalité, l’homme n’aura plus qu’à fermer les yeux pour que
s’ouvrent les portes du Merveilleux67.
63. Louis ARAGON, « Lautréamont et nous », Les Lettres françaises, 1er et 8 juin
1967 (I. « Ce qu’il fut pour la génération de 1917 » ; II. « Les Poésies voient le jour
»). Repris in LAUTRÉAMONT, ŒC, p. 527-571.
64. Voir Henri BÉHAR, « Philippe Dada ou les défaillances de la mémoire »,
Europe, n° 769, mai 1993, p. 7-14, ainsi que l’introduction de Lionel Follet à Louis
ARAGON, Lettres à André Breton 1918-1931, Paris, Gallimard, 2011, p. 15-20.
65. Isidore DUCASSE, « Poésies (II) », Littérature, n° 3, mai 1919, p. 17. Je
souligne.
66. André BRETON, Lettres à Simone Kahn. 1920-1960, Paris, Gallimard, 2016, p.
56-57.
67. Paul ÉLUARD, « Des perles aux cochons », Clarté, 4e année, n° 78,
30 novembre 1925, p. 13. Ce texte ne figure pas dans les Œuvres complètes
d’Éluard.
68. André BRETON, « Pourquoi je prends la direction de La Révolution surréaliste
», La Révolution surréaliste, n° 4, 15 juillet 1925, p. 3. Repris in André BRETON,
Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 905-906.
69. Reproduit in José PIERRE (éd.), Tracts surréalistes et déclarations collectives,
t. 1 (1922-1939) Paris, Le Terrain Vague, Éric Losfeld éditeur, 1980, p. 54-56.
70. « Le SURRÉALISME est-il / le communisme du génie ? », demandait l’un des
papillons surréalistes d’octobre 1924.
71. Paul ÉLUARD, préface à Les Animaux et leurs hommes, les hommes et leurs
animaux, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade
», t. 1, 1997, p. 37.
72. Paul ÉLUARD, Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 1489.
73. Ibid., p. 513.
74. Ibid., p. 519.
75. Ibid., p. 514.
76. Voir Paul ÉLUARD, Premières vues anciennes [Paris, Minotaure, 1937],
Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 553.
77. Paul ÉLUARD, Donner à voir, Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 977.
78. René CREVEL, « Pour la simple honnêteté » (Les Cahiers du mois, n° 21-22,
juin 1926) ; repris in L’Esprit contre la Raison et autres écrits surréalistes, Paris,
Pauvert, 1986, p. 37.
79. René CREVEL, L’Esprit contre la Raison, Marseille, Les Cahiers du Sud, 1927,
p. 32-33.
80. René CREVEL, « Résumé d’une conférence », Le Surréalisme au service de la
révolution [désormais SASDLR], n° 3, décembre 1931, p. 35.
81. René CREVEL, Le Clavecin de Diderot, Paris, Éditions surréalistes, 1932, p.
34-35 pour l’ensemble du passage.
82. Tristan TZARA, « Essai sur la situation de la poésie », Le SASDLR, n° 4,
décembre 1931, p. 21. Repris in Tristan TZARA, Grains et issues, Paris, GF-
Flammarion, 1981, p. 276.
83. Ibid., p. 23. Repris in Tristan TZARA, Grains et issues, op. cit., p. 283.
84. Max ERNST, « Danger de pollution », Le SASDLR, n° 3, décembre 1931, p. 25.
La citation de Rimbaud est tirée de « Vierge folle », dans Une Saison en enfer.
85. Louis ARAGON, « La Peinture au défi », in Chroniques 1918-1932, Paris,
Stock, 1998, p. 387.
86. Ibid., p. 375-376.
87. Ibid., p. 378.
88. Ibid.
89. Ibid., p. 381. La citation de Lautréamont provient des Poésies II, ŒC, p. 283.
90. André BRETON, Nadja [1928], Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 651.
91. André BRETON, Second manifeste du surréalisme [1930], Œuvres complètes,
t. 1, op. cit., p. 821.
92. Voir la réponse de Breton à une enquête de la revue communiste Monde en
1928, intégrée au Second manifeste (Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 803-806) et
« À propos du concours de littérature prolétarienne organisé par L’Humanité »
[février 1933], in Point du jour, Œuvres complètes, t. 2, Paris, Gallimard, coll. «
Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p. 332-340.
93. André BRETON, Position politique du surréalisme, Œuvres complètes, t. 2, op.
cit., p. 479.
94. Ibid., p. 480.
95. André BRETON, « Gradiva », in La Clé des champs, Œuvres complètes, t. 3,
Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 675.
96. Gherasim LUCA, Le Vampire passif [1945], Paris, Corti, 2001, p. 9. Sur la
théorie de l’objet selon Luca, voir Dominique CARLAT, Gherasim Luca
l’intempestif, Paris, Corti, 1998, chap. III, p. 119-167.
97. « Une interview d’André Breton et de Paul Éluard », repris dans Paul
ÉLUARD, Œuvres complètes, t. 2, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », 1996, p. 1030.
98. André BRETON & Paul ÉLUARD, Dictionnaire abrégé du surréalisme, in
André BRETON, Œuvres complètes, t. 2, op. cit., p. 833.
CHAPITRE 3. COMMUNISTES CONTRE
SURRÉALISTES : LA LUTTE DUCASSE
129. Benjamin FONDANE, Faux Traité d’esthétique [1938], Paris, Éditions Paris
Méditerranée, 1998, p. 32, 68 et 143.
130. Georges BATAILLE, L’Expérience intérieure [1943], Paris, Gallimard, coll. «
Tel », 2002, p. 172-173.
131. Ibid., p. 173.
132. Voir Maurice BLANCHOT, « Lautréamont ou l’espérance d’une tête »,
préface aux Œuvres complètes de Lautréamont, Le Club français du livre, 1950,
repris dans LAUTRÉAMONT, ŒC, p. 489-501. Les extraits cités figurent p. 498-
499.
133. Maurice BLANCHOT, Lautréamont et Sade [1949], Paris, Minuit, coll. «
Arguments », 1990, p. 185.
134. Guy DEBORD & Gil J WOLMAN, « Mode d’emploi du détournement », Les
Lèvres nues, n° 8, mai 1956, repris in LAUTRÉAMONT, ŒC, p. 511-512.
135. Ibid., p. 512.
136. Ibid., p. 513.
137. Ibid., p. 515-516.
138. Mustapha KHAYATI, « Les mots captifs (Préface à un dictionnaire
situationniste) », Internationale situationniste, n° 10, mars 1966, p. 51.
139. Guy DEBORD & Raoul VANEIGEM, « All the king’s men », Internationale
situationniste, n° 8, janvier 1963, p. 31.
140. Raoul VANEIGEM, « Banalités de base (II) », Internationale situationniste, n°
8, janvier 1963, p. 39.
141. Raoul VANEIGEM, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations
[1967], Paris, Gallimard, coll. « Folio actuel », ١٩٩٢, p. ٢٣٣.
142. Ibid., p. 189.
143. Ibid., p. 257.
144. Ibid., p. 258-259.
145. Ibid., p. 260.
146. Ibid., p. 361.
147. De la misère en milieu étudiant […], Strasbourg, Union nationale des étudiants
de France / Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg, 1966, p.
28.
148. Raoul VANEIGEM, Nous qui désirons sans fin [1996], Paris, Gallimard,
coll. « Folio actuel », 1999, p. 94.
149. Raymond QUENEAU, Cent mille milliards de poèmes, dans Œuvres
complètes, t. 1, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p. 334.
150. Ibid., p. 333.
151. Vincent KAUFMANN, Poétique des groupes littéraires. Avant-gardes 1920-
1970, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Écritures », 1997, p. 50.
152. Raymond QUENEAU, Cent mille milliards de poèmes, op. cit., p. 331.
153. Ibid., p. 333.
154. Georges PEREC, Le Voyage d’hiver [1979], in Romans et récits, Paris,
Librairie Générale Française, coll. « Le Livre de poche », 2002, p. 1428.
155. Ibid., p. 1430.
156. Jacques ROUBAUD, Mathématique :, Paris, Seuil, coll. « Fiction & Cie »,
1997, p. 60.
157. Ibid., p. 61.
158. Jacques ROUBAUD, Poésie, etcetera : ménage, Paris, Stock, coll. « Versus »,
1995, p. 55.
159. Georges PEREC / OULIPO, Le Voyage d’hiver & ses suites, Paris, Seuil,
coll. « La Librairie du XXIe siècle », 2013.
160. Marcelin PLEYNET, Lautréamont, Paris, Seuil, coll. « Écrivains de toujours
», 1967, p. 168.
161. Ibid., p. 162.
162. Ibid., p. 57.
163. Philippe SOLLERS, « La science de Lautréamont », Critique, octobre 1967,
repris in LAUTRÉAMONT, ŒC, p. 584-585.
164. Ibid., p. 585.
165. Philippe SOLLERS, « Écriture et révolution », entretien avec Jacques Henric,
Les Lettres Françaises, 24 avril 1968, repris in TEL QUEL, Théorie d’ensemble,
Paris, Seuil, coll. « Tel Quel », 1968, p. 69.
166. Philippe SOLLERS, Lois, Paris, Seuil, coll. « Tel Quel », 1972, p. 79.
167. Julia KRISTEVA, La Révolution du langage poétique [1974], Paris, Seuil,
coll. « Points Essais », 1985, p. 415.
168. Ibid., p. 416.
169. François BON, « 1995 | Naïfs », in Apprendre l’invention, [Paris], publie.net,
coll. « Critique et essais », 2012.
170. Yves CITTON, Lire, interpréter, actualiser [2007], Paris, Éditions Amsterdam,
2017, p. 31.
171. Vincent KAUFMANN, op. cit., p. 12.
172. Ibid., p. 4.
173. Ibid., p. 15.
DEUXIÈME PARTIE. POÉTIQUES DU COLLECTIF
« La poésie doit être faite par tous » : la circulation de la
formule dans les discours avant-gardistes et le foisonnement
des interprétations qu’elle a suscitées pourraient laisser croire
qu’elle n’est que la désignation d’un projet, la figuration d’un
rêve ou la devise d’une utopie. Mais elle correspond aussi à
des pratiques poétiques concrètes, qui mettent diversement en
œuvre l’impersonnalité, la banalité ou la pluralité réclamées
par Ducasse. Loin d’être une simple vue de l’esprit, la poésie
faite par tous est en effet une réalité profondément ancrée dans
l’éthique comme dans l’esthétique des mouvements avant-
gardistes, des groupes littéraires et des courants d’écriture des
XXe et XXIe siècles, depuis la redécouverte des Poésies par le
groupe de Littérature. Et si des écrivains ont pu se reconnaître
dans la formule, c’est qu’elle répondait à l’invention de
poétiques du collectif qui ont tenté de changer, sinon la vie, du
moins l’écriture en énonciation pluralisée, le poème en
pratique collaborative, l’œuvre en travail participatif.
Ces arts du collectif, les avant-gardes en ont décliné des
variantes originales, jusqu’à assimiler leur propre démarche à
un projet de partage de l’activité poétique : c’est
exemplairement le cas du surréalisme, défini par le Manifeste
de 1924 comme un « automatisme psychique pur » dont le
mode d’emploi est mis à la portée de tous par un Breton
révélant avec humour les « Secrets de l’art magique
surréaliste174 », comme pour mieux faire la réclame de son
propre mouvement. Mais l’identification entre la logique de
groupe et la poétique du partage est également à l’œuvre au
sein de l’Oulipo : dans sa postface aux Cent mille milliards de
poèmes de Queneau, François Le Lionnais définit la poésie
combinatoire comme une « nouvelle formule de composition
littéraire ouverte à qui voudra l’expérimenter175 ». Quant aux
situationnistes, leur raison d’être est de se dissoudre dans le
peuple pour mieux reconstruire la vie quotidienne, comme
l’affirme un article collectif paru en 1962 dans l’Internationale
situationniste : « Nous sommes totalement populaires. […] La
théorie situationniste est dans le peuple comme le poisson dans
l’eau176. » Plus récemment, et sans souscrire à l’horizon
révolutionnaire des avant-gardes, le slam entreprend lui aussi
de confondre la poésie avec une démocratie de la parole, de
l’aveu même de l’un de ses promoteurs en France, Pilote Le
Hot : « C’est un mouvement de poésie démocratisée ; ça ne
veut pas dire que c’est de la poésie démocratique, mais qu’il
s’agit de donner la parole à un maximum de poètes177. »
Ces cas d’espèce ressortissent à un véritable mouvement de
fond de la modernité littéraire et artistique, qui tend à ouvrir la
poésie, au moins en droit, à la parole du premier venu, aux
discours sociaux et à la vie des masses. Il s’agit aussi de sortir
la poésie du livre imprimé, et plus généralement de l’espace
clos, savant ou sacralisé de la lecture et de l’écriture
individuelles.
À cette communion ritualisée de la parole en quoi consiste
au fond le Livre mallarméen, les poétiques du collectif mises
en place par les mouvements littéraires depuis le début du
XXe siècle ont donné des formes très différentes, qui recoupent
les diverses interprétations de la formule de Ducasse : pratique
du plagiat, de la citation ou du détournement, écriture à
plusieurs mains, esthétique de la banalité, recherche d’une
participation du public… Autant de pistes dont l’exploration
varie non seulement en fonction de l’esthétique ou de la
doctrine propre à chaque groupe, mais plus profondément en
vertu de la définition même du collectif et des critères
employés pour le penser. Il existe en effet plusieurs manières
de faire œuvre de poésie commune, selon qu’on se réfère à une
communauté linguistique (les mots de la tribu, pour rester dans
le registre mallarméen), discursive (les bien nommés lieux
communs), interpersonnelle (la collaboration entre les auteurs,
voire l’interaction avec le public) ou médiatique (l’espace
public ouvert et construit par des moyens de communication et
de transmission). Ces différents niveaux, les avant-gardes ne
les distinguent ni ne les pensent nécessairement ; et si tel est le
cas, elles peuvent les étager de manière équilibrée ou ne tabler
que sur l’un d’entre eux. C’est pourquoi les tentatives de
création communautaires gagnent à être analysées non pas au
prisme des seules intentions avant-gardistes, mais à l’aide de
critères beaucoup plus généraux, susceptibles de rendre
compte du caractère protéiforme de la poésie faite par tous,
qu’elle soit mise en pratique par des groupes constitués ou par
des démarches plus diffuses et singulières.
Il s’agit donc ici de proposer une typologie des poétiques du
collectif. Une typologie qui, disons-le d’emblée, doit être
triplement relativisée : esthétiquement d’abord, puisqu’elle est
tributaire des projets de démocratisation poétique portés par
les avant-gardes du XXe siècle et les mouvements
contemporains, en écho avec leurs lectures variables de la
formule de Ducasse ; historiquement par conséquent, puisque
la période concernée ne prend guère qu’un siècle de recul et
s’enrichirait évidemment d’un regard en amont, la poésie
collective étant aussi ancienne que la poésie même ;
sociologiquement enfin, puisqu’envisager la poésie faite par
tous impliquerait de tenir compte d’acteurs qui ne relèvent pas
seulement du champ avant-gardiste et littéraire, mais du
monde de l’art, de la musique ou de la scène, du milieu
associatif, et bien sûr de la grande nébuleuse des amateurs. La
typologie esquissée ici reste donc ouverte et ne demande,
comme les maximes corrigées par Ducasse, qu’à être révisée
et tournée au bien.
Ainsi délimitées, les poétiques de la création collective
peuvent se diviser en deux grands types, selon qu’on les
aborde sous l’angle des œuvres et des textes produits, ou bien
de leurs conditions de production et de la mobilisation de leurs
producteurs. Dans le premier cas, la poésie faite par tous est
envisagée comme une collection d’énoncés où s’efface la
persona de l’auteur (avec les exemples du plagiat, du collage,
de la génération de texte par une contrainte formelle ou par un
procédé aléatoire) ; dans le second, elle procède d’une
coopération entre énonciateurs, plus ou moins encadrée par
des protocoles, des formats et des contraintes (avec les
exemples de l’automatisme et des jeux surréalistes, ou encore
des interactions suscitées par la poésie sur écran). D’un côté,
on a donc affaire à des dispositions, presque au sens rhétorique
du terme, qui désigne l’agencement du discours dans ses
parties successives : il s’agit de productions langagières (ou
plurisémiotiques) qui relèvent de l’ordre du dire et jouent de la
polyphonie énonciative. De l’autre, on a affaire à des
dispositifs qui visent à favoriser l’échange entre participants,
au moyen de conditions techniques, médiatiques ou
symboliques ; on se situe ici dans l’ordre du faire, et dans une
perspective pragmatique qui cherche à réguler la pluralité des
acteurs. Dispositions et dispositifs sont ainsi deux manières
différentes de penser et de pratiquer la poésie collective, en
mettant l’accent soit sur les énoncés, soit sur les énonciateurs –
soit sur les ouvrages, soit sur les ouvriers. Deux facettes qui,
loin de s’exclure ou de s’ignorer, peuvent bien sûr se
combiner.
É
Les proverbes et locutions d’Éluard et Péret sont bien des morceaux de réalité
quotidienne, des énoncés du langage usuel à finalité pratique qui, d’être écrits
(passage de l’oral au littéraire), intégrés dans un paradigme, objets de
substitutions verbales, changent de nature, deviennent par leur emploi énoncés
poétiques188.
Parmi les surréalistes, Éluard est sans doute l’un de ceux qui
a le mieux illustré et défendu l’inventivité du figement
linguistique et sa réactivation par le défigement. Et cette
attention à l’usage explique pour une bonne part l’intérêt que
le poète a pu porter à la formule de Ducasse. L’idée d’une
continuité, voire d’une identité entre poésie et langue
commune est en effet au cœur des préoccupations d’Éluard,
même après son départ du groupe surréaliste. Paru en 1942,
Poésie involontaire et poésie intentionnelle rassemble un
choix de fragments poétiques où voisinent des citations
d’auteurs passés ou contemporains, à côté de comptines ou de
chansons. « Les hommes ont dévoré un dictionnaire et ce
qu’ils nomment existent », affirme Éluard dans sa préface,
faisant ainsi de la langue le creuset de l’invention poétique.
Partant du constat que « le langage est commun à tous les
hommes », il prône l’incorporation à la poésie « des éléments
involontaires, objectifs, tout ce qui gît sous l’apparente
imperméabilité de la vie courante et dans les plus innocentes
productions de l’homme ». L’exercice de la poésie,
conformément au vœu de Ducasse, devient un « travail banal »
où le poète, « à l’affût des obscures nouvelles du monde »,
s’efforce de retrouver « les délices du langage le plus pur,
celui de l’homme de la rue et du sage, de la femme, de l’enfant
et du fou189 ». Nul besoin, chez Éluard, de donner un sens plus
pur aux mots de la tribu : la pureté est déjà là, comme un trésor
à la fois évident et invisible qu’il appartient au poète de donner
à entendre en redevenant lui-même la voix de la tribu – de
donner à voir en se faisant le prisme d’« une seule vision,
variée à l’infini190 ».
Le détournement surréaliste de l’énonciation proverbiale
procède d’un travail plus large sur les séquences figées, et dont
témoignent par exemple les aphorismes signés Rrose Sélavy et
élaborés par Desnos, qui montrent combien certaines
structures discursives comme les maximes ou les définitions
peuvent se libérer grâce au jeu des signifiants. Et parce que ses
facultés d’invention s’appuient fréquemment sur la reprise
d’expressions lexicalisées, la poésie surréaliste est bien, en un
sens, une mémoire de la langue commune – mais une mémoire
lacunaire, déformante, subversive, qui opère sans cesse sur ce
que Desnos appelait le « langage cuit ». Si l’Aragon dadaïste a
sans doute atteint dans cette voie un point de non-retour en
signant l’alphabet avec « Suicide », paru en 1920 dans la revue
Cannibale 191, le travail de remotivation de séquences figées
ou le détournement d’expressions lexicalisées participent
régulièrement de la poétique surréaliste. Éluard recycle ainsi
les clichés dans des poèmes comme « L’invention » (qui récrit
clair comme de l’eau de roche en « Clair avec mes deux yeux,
/ Comme l’eau et le feu », avant de dresser la liste des
différents « arts de… ») ou « Sans rancune », qui télescope
deux tournures figées (nuit noire et un temps à ne pas mettre
un chien dehors) en une phrase qui condense le malheur et
l’absurdité suggérés par le texte (« Il fait un triste temps, il fait
une nuit noire / À ne pas mettre un aveugle dehors192 »). Quant
à Breton, il est lui aussi familier de l’emprunt aux séquences
figées, qui lui permettent d’ancrer le lyrisme subjectif dans
l’expérience de la langue quotidienne : dans « Le verbe être »,
le désespoir est ainsi ironiquement défini par la négation de
plusieurs tournures proverbiales ou familières (« Ce n’est pas
la mousse sur une pierre ou le verre à boire », phrase qui
conjugue Pierre qui roule n’amasse pas mousse, Ce n’est pas
la mer à boire et l’image d’un verre de bière193).
Le travail de remotivation des clichés est particulièrement
sensible dans le choix des titres, d’autant plus que les
surréalistes jouent volontiers du décalage et du choc entre
l’intitulé du texte et les thèmes qui y sont développés. Lieu
stratégique d’affichage, de provocation ou de captatio
benevolentiae, le titre constitue souvent le nœud où s’articule
la rencontre entre le lexique commun et le surcroît – ou le
défaut – de sens que le poème lui apporte. On n’en finirait pas
de compter les titres surréalistes qui reprennent, modifient ou
retournent des expressions lexicalisées : qu’on songe aux
livres de Breton (Mont-de-piété, Clair de terre, L’Union libre,
Les Pas perdus, Point du jour, La Clé des champs) ou aux
trouvailles de Desnos qui joue volontiers de l’inversion des
énoncés attendus dans certains titres de Corps et biens («
Cœur en bouche », « Langage cuit », « Un jour qu’il faisait
nuit »). De même, les œuvres issues de l’automatisme collectif
se plaisent aux intitulés qui réinvestissent la langue toute faite,
qu’elle provienne du vocabulaire scientifique (Les Champs
magnétiques), religieux (L’Immaculée Conception) ou routier
(Ralentir travaux).
S’APPUYER SUR LES CONTRAINTES & LES POTENTIALITÉS DE LA
LANGUE
MIXAGE
UNE PRATIQUE INTERMÉDIALE
La comparaison établie par K. Goldsmith permet
d’apparenter la technique du collage, issue des arts plastiques,
à celle du mixage, qui a pour horizon le domaine musical, avec
les samples ou les loops travaillés par le rap ou les musiques
électroniques. L’analogie entre les deux pratiques est évidente,
car elles procèdent par prélèvement et assemblage de
matériaux préexistants. Il est cependant important de maintenir
l’écart entre deux notions qui recourent certes à des techniques
équivalentes, mais qui engagent des poétiques du collectif bien
distinctes, à la fois par leur statut et par leur visée. Collage et
mixage, tels que je les envisage ici, n’entretiennent en effet pas
le même rapport au poétique : le premier privilégie le matériau
verbal, tandis que le second déplace la poésie hors des
frontières de la textualité ou du discours. Si le mixage peut se
définir comme un collage étendu à plusieurs systèmes de
signes, il induit néanmoins une redéfinition de la poésie hors
du texte et du collectif hors de la langue.
C’est pourquoi les deux pratiques abordent différemment la
représentation du collectif. Avec le collage, la poésie partagée
se traduit par le déploiement d’un intertexte visant à recueillir
les traces de multiples énonciateurs, au risque de souligner
leur discontinuité et leur fragmentation. Quant au mixage, il
transforme le poème en multisupport médiatique servant de
chambre d’écho à l’ensemble des signes (verbaux, visuels,
sonores, gestuels…) qui circulent pêle-mêle dans l’espace
social. Parce qu’il manie un seul système de signes (la langue),
le collage poétique suggère la pluralité des discours en
soulignant l’hétérogénéité des énoncés. Le mixage, en
revanche, établit une continuité entre des codes sémiotiques
différents et une circulation entre des supports médiatiques
variés, afin de suggérer la synthèse du divers et le sentiment
d’une communauté façonnée par les moyens de
communication modernes.
Avec le mixage, la polyphonie se double de la recherche
d’une symbiose entre les signifiants linguistiques, iconiques,
musicaux, audiovisuels – tout ce qui forme la trame de la
culture de masse et sature le quotidien de l’homme occidental
moderne. La mobilisation de ces supports croisés renvoie ainsi
à la perspective de l’intermédia, tel qu’il a été théorisé à partir
de 1966 par l’écrivain et artiste américain Dick Higgins,
cofondateur de Fluxus. Pour Higgins, une œuvre intermédiale
se situe « à l’intersection de plusieurs médiums » ; il en donne
pour exemples le ready-made ou le happening, « terre vierge
qui se tenait entre le collage, la musique et le théâtre ». Si
Higgins insiste sur le préfixe inter-, c’est pour parier sur la
mise en relation et le dépassement des catégories artistiques : «
la continuité, bien plus que la catégorisation, est la véritable
marque de fabrique de notre nouvelle mentalité », écrit-il en
1966249. La recherche d’une continuité entre différents
médiums répond, selon Higgins, à une exigence d’immédiateté
et à un désir de communion qui sont au cœur des techniques et
des spectacles contemporains (télévision, radio, cinéma,
concerts, théâtre, danse…). L’intermédia propose, en ce sens,
un art social en même temps qu’une expérience de
communication partagée.
Si le mixage peut ainsi entrer dans la perspective d’une
poésie faite par tous, c’est d’abord parce qu’il matérialise un
brassage de paroles, d’images, de sons, de graphismes qui
constituent le fonds commun des pratiques culturelles de
masse. D’autre part, les défenseurs ou les praticiens du mixage
reprennent souvent la posture de l’inventeur qui fait avec les
matériaux laissés à sa disposition, ou celle de l’amateur qui
combine passion et habileté. Réclamant une ingéniosité
technique sans nécessairement présupposer un métier, le
mixage se rapproche ainsi de la pensée du « bricolage » dont
le propre, selon Claude Lévi-Strauss, « est de toujours
s’arranger avec les “moyens du bord” » et « d’élaborer des
ensembles structurés, non pas directement avec d’autres
ensembles structurés, mais en utilisant des morceaux et des
bribes d’événements250 ». Bricoleur et bidouilleur d’énoncés,
de sons, d’images, de vidéos ou de codes informatiques que
chacun peut se réapproprier par ailleurs, le poète-mixeur, ce
chiffonnier des médias contemporains, prolonge, récupère,
détourne et recycle.
Prolongeant cet anti-élitisme sur le plan collectif, le mixage
se réclame aussi de la démocratisation de l’art, en pariant sur
la capacité des individus à s’approprier les outils artistiques, et
sur des médias susceptibles d’une diffusion massive dans
l’espace public : la vidéo, le son, l’image, le site Web destiné à
documenter une performance. Sortir du support imprimé serait
ainsi la condition nécessaire pour éviter tout risque
d’autoréférentialité, et redonner à la poésie une fonction de
communication sociale. Dès lors, la logique du mixage déporte
la poésie de la textualité pour en chercher sinon la réalisation
par tous, du moins la manifestation partout.
LA POÉSIE PARTOUT
Sensibles à cette diffraction de la poésie, les post-
symbolistes et les modernistes ont célébré dans la vie
grouillante de l’espace urbain un nouveau spectacle poétique,
à la fois multisensoriel et multimédiatique, à l’exemple de
Gustave Kahn publiant L’Esthétique de la rue en 1901, ou de
Blaise Cendrars évoquant en 1924 les chatoiements du «
profond aujourd’hui » :
Dans ce travail prodigieux […], la langue – des mots et des choses, et des
disques et des runes, et du portugais et du chinois, et des chiffres et des
marques de fabrique, des patentes industrielles, des timbres-poste, des billets
de passage, des feuilles de connaissement, le code des signaux, la T.S.F. – la
langue se refait et prend corps[…]251.
178. « Il n’y pas de sujet, il n’y a que des agencements collectifs d’énonciation »,
Gilles DELEUZE & Félix GUATTARI, Kafka. Pour une littérature mineure, Paris,
Minuit, 1975, p. 33 (souligné dans l’original).
179. Philippe SOLLERS, Lois, Paris, Seuil, coll. « Tel Quel », 1972, p. 79.
180. Antonio RODRIGUEZ, Le Pacte Lyrique. Configuration discursive et
interaction affective, Bruxelles, Mardaga, coll. « Philosophie et Langage », 2003.
181. Stéphane MALLARMÉ, « Sur l’évolution littéraire [Enquête de Jules Huret]
», in Poésies, Œuvres complètes, t. 2, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », 2003, p. 698.
182. André JOLLES, Formes simples [1930], Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1972,
p. 17-18.
183. Stéphane MALLARMÉ, « Le Tombeau d’Edgar Poe », in Poésies, Œuvres
complètes, t. 1, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1998, p. 38.
184. Stéphane MALLARMÉ, « Crise de vers », dans Divagations, Œuvres
complètes, t. 2, op. cit., p. 211.
185. Jean PAULHAN, « Syntaxe », Proverbe, n° 1, 1er février 1920, p. 1.
186. Paul ÉLUARD & Benjamin PÉRET, 152 proverbes mis au goût du jour
[1925], in Paul ÉLUARD, Œuvres complètes, t. 1, Paris, Gallimard, coll. «
Bibliothèque de la Pléiade », 1997, p. 153-161.
187. Pour une analyse des procédés mis en œuvre par Éluard et Péret, voir Marie-
Paule BERRANGER, Dépaysement de l’aphorisme, Paris, José Corti, 1988, p. 126-
151.
188. Ibid., p. 124.
189. Paul ÉLUARD, Poésie involontaire et poésie intentionnelle, in Œuvres
complètes, t. 1, op. cit., p. 1133.
190. Paul ÉLUARD, Ralentir travaux [1930], in Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p.
270.
191. Louis ARAGON, « Suicide », in Le Mouvement perpétuel [1925], Œuvres
poétiques complètes, t. 1, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
2007, p. 111.
192. Paul ÉLUARD, « L’invention » et « Sans rancune », in Capitale de la douleur,
Œuvres complètes, t. 1, op. cit., p. 104-105 et p. 148.
193. André BRETON, « Le verbe être », in Le Revolver à cheveux blancs, Œuvres
complètes, t. 2, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p. 75.
194. François LE LIONNAIS, « La Lipo (Le premier Manifeste) », in OULIPO, La
Littérature potentielle [1973], Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2007, p. 16.
195. François LE LIONNAIS, « Le Second Manifeste », in OULIPO, La
Littérature potentielle, op. cit., p. 21.
196. Vincent KAUFMANN, op. cit., p. 49 et 50.
197. Alison JAMES, « Écritures en collaboration », in Christelle REGGIANI &
Alain SCHAFFNER (dir.), Oulipo mode d’emploi, Paris, Honoré Champion, coll. «
Littérature de notre siècle », 2016, p. 303.
198. Jacques ROUBAUD, « La mathématique dans la méthode de Raymond
Queneau », in OULIPO, Atlas de littérature potentielle [1981], Paris, Gallimard,
coll. « Folio essais », 2007, p. 47.
199. Paul BRAFFORT, « Formalismes pour l’analyse et la synthèse de textes
littéraires », in OULIPO, Atlas de littérature potentielle, op. cit., p. 108.
200. Jean CLÉMENT, « Préface. Une littérature problématique », in Serge
BOUCHARDON (dir.), Un laboratoire de littératures. Littérature numérique et
Internet, Paris, Éditions de la Bibliothèque publique d’information, coll. « Études et
recherche », 2007, p. 8.
201. Philippe BOOTZ, « La littérature numérique en quelques repères », in Claire
BÉLISLE (dir.), Lire dans un monde numérique, Villeurbanne, Presses de
l’ENSSIB, coll. « Papiers », 2011, p. 230.
202. Jean CLÉMENT, art. cit., p. 9.
203. François LE LIONNAIS, « La Lipo (Le premier Manifeste) », in OULIPO, La
Littérature potentielle, op. cit., p. 17.
204. Jacques ROUBAUD, Poésie, etcetera : ménage, Paris, Stock, coll. « Versus »,
1995, p. 101-102.
205. Ibid., p. 106-107.
206. Ibid., p. 256.
207. Jacques ROUBAUD, La Fleur inverse. L’art des troubadours [1986], Paris,
Les Belles Lettres, coll. « Architecture du verbe », 1994, p. 276-277 pour cette
citation et celles qui suivent dans le paragraphe.
208. Jacques ROUBAUD, « La tradition du renga », in Octavio PAZ, Jacques
ROUBAUD, Edoardo SANGUINETI, Charles TOMLINSON, Renga, Paris,
Gallimard, 1971, p. 33.
209. Ibid.
210. Ibid., p. 34.
211. Ibid., p. 32.
212. Jean-François PUFF, « Un héritier singulier : Jacques Roubaud et la tradition
poétique », in Muguras CONSTANTINESCU, Ion Horia BIRLEANU & Alain
MONTANDON (dir.), Poétique de la tradition, Clermont-Ferrand, Presses
Universitaires Blaise Pascal, 2006, p. 84.
213. Paul ZUMTHOR, Introduction à la poésie orale, Paris, Seuil, coll. « Poétique
», ١٩٨٣, p. ١٦٩.
214. Ibid., p. 129.
215. Ibid., p. 130.
216. Ibid., p. 143.
217. Ibid., p. 231-232.
218. Alexandre GEFEN, « Ce que les réseaux font à la littérature », Itinéraires, n°
2010-2, « Les blogs » (dir. Christèle COULEAU & Pascale HELLÉGOUARC’H),
2010, en ligne, URL : http://itineraires.revues.org/2065.
219. César DU MARSAIS, Des Tropes [1730], Paris, Manucius, coll. « Le
philologue », 2011, p. 33.
220. Paul CLAUDEL, « Réflexions et propositions sur le vers français » (1925), in
Réflexions sur la poésie, Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1963, p. 78.
221. Louis ARAGON, « La Peinture au défi », in Chroniques 1918-1932, Paris,
Stock, 1998, p. 373 et 376 pour l’ensemble des extraits cités.
222. André BRETON, « Marcel Duchamp » [1922], in Les Pas perdus, Œuvres
complètes, t. 1, op. cit., p. 271.
223. Louis ARAGON, « Collages dans le roman et le film », in Les Collages, Paris,
Hermann, coll. « Miroirs de l’art », 1965, p. 114.
224. Louis ARAGON, « Collages dans le roman et le film », in Les Collages, op.
cit., p. 113.
225. Ibid., p. 116.
e e
226. Gaëlle THÉVAL, Poésies ready-made. XX -XXI siècles, Paris, L’Harmattan,
coll. « Arts et médias », 2015, p. 93.
227. Ibid., p. 96.
228. Gérard GENETTE, Palimpsestes [1982], Paris, Seuil, coll. « Points Essais »,
2003, p. 8 pour l’ensemble des citations.
229. Henri BÉHAR, Littéruptures, Lausanne, L’Âge d’homme, coll. « Bibliothèque
Mélusine », 1988, p. 184.
230. Ibid., p. 133.
231. Dominique MAINGUENEAU, Le Discours littéraire. Paratopie et scène
d’énonciation, Paris, Armand Colin, coll. « U Lettres », 2004, p. 181-182.
232. Philippe SOUPAULT, « Soubeyran voyage », in Georgia. Épitaphes.
Chansons, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1999, p. 56.
233. Jules LAFORGUE, « Grande complainte de la ville de Paris », in Les
Complaintes et les premiers poèmes, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 2001, p.
129.
234. Guillaume APOLLINAIRE, « Lundi rue Christine », in Calligrammes,
Œuvres poétiques, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p.
180.
235. Guillaume APOLLINAIRE, « Simultanisme-librettisme » [1914], in Œuvres
en prose complètes, t. 2, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
1991, p. 976.
236. Jacques ROUBAUD, « Mandrin au cube », entretien avec Pierre Lartigue,
L’Humanité, 1er juillet 1977.
237. Blaise CENDRARS, L’Homme foudroyé, Paris, Denoël, 1945, p. 188.
238. LAUTRÉAMONT, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque
de la Pléiade », 2009, p. 283.
239. Michel CHARLES, Composition, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2018, p. 92.
240. André BRETON, Manifeste du surréalisme, in Œuvres complètes, t. 1, op. cit.,
p. 341.
241. Peter BÜRGER, Théorie de l’avant-garde [1974], Paris, Questions théoriques,
coll. « Saggio Casino », 2013, p. 119.
242. Alexander DICKOW, Le Poète innombrable. Cendrars, Apollinaire, Jacob,
Paris, Hermann, 2015, p. 11.
243. Octavio PAZ, Jacques ROUBAUD, Edoardo SANGUINETI & Charles
TOMLINSON, Renga, Paris, Gallimard, 1971, p. 96.
244. Kenneth GOLDSMITH, L’Écriture sans écriture. Du langage à l’âge
numérique, trad. Fr. Bon, Paris, Jean Boîte Éditions, 2018 (éd. originale :
Uncreative writing. Managing Language in the Digital Age, New York, Columbia
University Press, 2011).
245. Ibid., p. 11.
246. Ibid., p. 18.
247. Ibid., p. 90.
248. Kenneth GOLDSMITH, « Tout Internet est un texte de Roland Barthes »,
interview de Fr. Roussel, Libération, 4 juillet 2018, en ligne, URL :
https://next.liberation.fr/livres/2018/07/04/kenneth-goldsmith-tout-internet-est-un-
texte-de-roland-barthes_1664134.
249. Dick HIGGINS, « Sur les intermédia » [1966, 1981], trad. Pascal Krajewski,
Appareil, n° 18, 2017, « Art et médium 2 : les média dans l’art », en ligne, URL :
http://journals.openedition.org/appareil/2379.
250. Claude LÉVI-STRAUSS, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 27 & 32.
251. Blaise CENDRARS, « Le principe d’utilité » (1924), in Aujourd’hui (1917-
1929) suivi d’Essais et réflexions (1910-1916), Paris, Denoël, 1987, p. 54.
252. Guillaume APOLLINAIRE, « Interview du 24 juin 1917 au Pays », Œuvres en
prose complètes, t. 2, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p.
989.
253. Vincent BARRAS, « Entretien avec Bernard Heidsieck », dans Vincent
BARRAS & Nicolas ZUBRUGG (dir.), Poésies sonores, Genève, Contrechamps,
1992, en ligne, URL : http://books.openedition.org/contrechamps/1301.
254. Bernard HEIDSIECK, Notes convergentes. Interventions 1961-1995,
Romainville, Al Dante, 2001, p. 65.
255. Bernard HEIDSIECK, Le Carrefour de la Chaussée d’Antin, Romainville,
Al Dante, coll. « Niok », 2001.
256. Rodolphe BURGER & Olivier CADIOT, Welche – On n’est pas indiens, c’est
dommage, Paris, Wagram music / Dernière bande 2000.
257. Alexandra SAEMMER, Rhétorique du texte numérique : figures de la lecture,
anticipations de pratiques, Lyon, Presses de l’ENSSIB, coll. « Papiers », 2015, p.
14.
258. Kenneth GOLDSMITH, « Tout Internet est un texte de Roland Barthes », art.
cit.
259. Jan BAETENS, « Écrivains d’aujourd’hui », dans Sofiane LAGHOUATI,
David MARTENS & Myriam WATTHEE-DELMOTTE (dir.), Écrivains mode
d’emploi, Morlanwelz, Musée royal de Mariemont, 2012, p. 121.
CHAPITRE 2. DISPOSITIFS
Créer une poétique du collectif peut, on l’a vu, consister à
dire la communauté, comprise comme un agencement
polyphonique de discours et de signes – ce que j’ai nommé la
disposition. Il est également possible de situer cette poésie
collective sur le plan du faire, et de la concevoir comme une
collaboration réglée entre différents acteurs – c’est ce que je
propose d’appeler le dispositif. Les deux versants, disposition
et dispositif, pluralité des voix et pluralité des actants, sont
d’ailleurs souvent solidaires, les œuvres qui mettent en scène
une énonciation multiple se proposant volontiers comme des
cadres ouverts à la participation des lecteurs.
Si la notion de disposition conserve de la rhétorique l’idée de
l’articulation des parties d’un discours – dispositio –, le terme
de dispositif hérite quant à lui de réflexions nourries par la
philosophie contemporaine et poststructuraliste. Michel
Foucault, dans un entretien de 1977, se proposait ainsi de
repérer sous le nom de dispositif
[…] un ensemble résolument hétérogène comportant des discours, des
institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires,
des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des
propositions philosophiques, morales, philanthropiques ; bref, du dit aussi bien
que du non-dit, voilà les éléments du dispositif 260.
COLLABORATIONS
Si la coopération repose sur un modèle pyramidal et sur une
division du travail, la collaboration apparaît comme un
processus horizontal où chaque intervenant, profitant de son
autonomie, peut s’emparer de la tâche collective afin de la
mener à bien. La conséquence de cette pratique est double :
non seulement elle rend le résultat final d’autant moins
programmable et prévisible, mais elle fait constamment appel
à des échanges, des relances, des rétroactions qui présupposent
une capacité d’adaptation, une souplesse d’écriture et une forte
connivence entre les auteurs, dont la relation, ainsi mise à
l’épreuve, devient alors un enjeu de l’expérience collective, au
même titre (voire davantage) que la production d’un contenu.
Les recueils collectifs de l’automatisme surréaliste illustrent
parfaitement le principe et le fonctionnement de la
collaboration poétique, à deux voix dans le cas des Champs
magnétiques (Breton et Soupault en 1919) et de L’Immaculée
Conception (Éluard et Breton en 1930), ou à trois voix avec
Ralentir travaux (Breton, Char, Éluard en 1930). Ces livres
mettent en œuvre un double paradoxe : l’un qui revient à
multiplier les auteurs pour mieux en finir avec l’Auteur, l’autre
qui consiste à susciter la spontanéité et à vouloir
l’involontaire. C’est pourquoi ils font appel, quoique sans
vraiment le dire, à de véritables protocoles créatifs sur lesquels
les scripteurs peuvent s’appuyer pour réguler leurs
interventions et guider leur inventivité. L’automatisme est
ainsi sollicité par la détermination a priori d’un cadre
d’écriture. Breton est d’ailleurs le premier à reconnaître que la
coulée automatique, pour s’inscrire dans la durée, doit suivre
une orientation préalable, un « minimum de direction » qui va
« généralement dans le sens de l’arrangement en poème 291 ».
La condition première de l’automatisme reste néanmoins
l’obtention d’une certaine vitesse d’écriture, nécessaire pour
déjouer les censures rationnelles ou morales : Les Champs
magnétiques, à en croire un commentaire rédigé en 1930 par
Breton, obéissent à la volonté de « varier, d’un [des] chapitres
à l’autre, la vitesse de la plume, de manière à obtenir des
étincelles différentes292 ». Dans cette perspective, un titre
comme Ralentir travaux est évidemment ironique, ce panneau
routier croisé sur les routes du Vaucluse ayant fourni à Breton,
Char et Éluard une antiphrase idéale pour désigner des poèmes
écrits au hasard d’une errance automobile, dans le feu et le jeu
d’une conversation à trois, et que Char qualifie dans sa préface
de « petits fagots hâtivement construits293 » : rapidité, brièveté
et ludisme forment ici le ressort de l’écriture.
La présence d’un cadre préétabli permet également
d’aiguiller l’automatisme collectif vers un horizon commun :
chaque chapitre des Champs magnétiques possède ainsi un
thème, une tonalité ou une atmosphère caractéristique (comme
le désespoir pour « La Glace sans tain » ou les souvenirs
d’enfance pour « Saisons »), tandis que L’Immaculée
Conception fait l’objet d’une composition soignée, guidée par
les références constantes au catholicisme dans les différentes
parties du livre (à travers le dogme de l’immaculée
conception, les « Possessions » ou le croisement du péché
originel et du jugement dernier dans « Le jugement originel »)
ainsi que par l’évocation des différentes étapes de la vie
humaine dans « L’homme » (« La conception », « La vie intra-
utérine », « La naissance », « La vie », « La mort »). Éluard et
Breton intègrent ainsi leurs textes automatiques dans la
perspective d’une véritable redéfinition de l’homme, en
rupture avec le christianisme comme avec le rationalisme,
grâce à des essais de simulation de délires censés remplacer «
la ballade, le sonnet, l’épopée, le poème sans queue ni tête et
autres genres caducs294 ».
La collaboration automatique se nourrit aussi de référents
contextuels ou de références hypotextuelles qui servent de
fonds commun aux scripteurs, et renforcent leur connivence.
Ralentir travaux garde le souvenir des circonstances de sa
composition en mars 1930. Les travaux routiers, le paysage
méridional, les images diffuses de femmes absentes viennent
par exemple se nouer dans les motifs des « cheveux », des «
ouvriers » et des « pierres » (« L’usage de la force ») ou bien
dans l’image de la « route-chevelure » avec laquelle Char
ouvre « On donne le change ». Quant au travail de
détournement citationnel, il est au fondement de la section «
Ne bougeons plus », dernière partie des Champs magnétiques
qui consiste en un collage de phrases publiées dans diverses
revues, ou encore de textes comme « Il n’y a rien
d’incompréhensible » et « Le sentiment de la nature »
(L’Immaculée Conception), qui récrivent librement des extraits
de presse : une chronique musicale parue dans L’Intransigeant
en septembre 1930 pour le premier, des articles tirés de La
Nature, célèbre revue scientifique du XIXe siècle, dans le
second cas.
Adossée à ces repères et à ces guides, la collaboration
automatique peut s’organiser de deux façons. La première
méthode est celle de l’écriture simultanée où les auteurs
poursuivent des chemins parallèles, le texte final résultant d’un
montage ; elle correspond à la volonté exprimée par le Second
manifeste du surréalisme d’explorer les phénomènes de
transmission de pensée grâce à des « textes surréalistes
obtenus simultanément par plusieurs personnes écrivant de
telle heure à telle heure dans la même pièce », le but étant de
faire surgir une « mise en commun » de la pensée et de lui
créer des « lieux de rencontre295 ». C’est sans doute d’une
expérience de ce type que résulte la série de poèmes écrits par
Breton et Char dans la nuit du 7 au 8 mai 1931, et dotés de
titres ironiques : « Poème genre scolaire », « Poème
exhibitionniste », « Poème prophétique », « Poème avec
vocabulaire », « Poème fin du monde » et « Poème
scatologique » (la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet
conserve ces six échantillons du côté de Breton, et seulement
les trois derniers pour Char296). Il est vraisemblable que
certains textes de L’Immaculée Conception ont par ailleurs été
écrits selon cette méthode.
La seconde possibilité d’organisation est successive : les
interventions s’enchaînent et éventuellement se corrigent sur le
mode de la greffe, de la continuation, de la reprise fluide ou au
contraire de la rupture tranchante, comme Char aime à le faire
en concluant certains poèmes de Ralentir travaux par un vers
nominal aussi bref qu’abrupt. La transmission du relais est ici
le point crucial, et le plus délicat sans doute à étudier :
l’articulation entre les scripteurs passe-t-elle entièrement par
l’écrit, à travers la lecture de la contribution précédente ? Ou
bien est-elle tributaire d’un recours à l’oralité, qu’il s’agisse
d’une lecture à haute voix des apports de chacun, ou d’un
dialogue plus ou moins improvisé entre les collaborateurs ? La
question est difficile à trancher. Si les manuscrits des Champs
magnétiques et de L’Immaculée Conception offrent par
exemple nombre de renseignements précieux sur l’attribution
des séquences, sur les variantes d’écriture et de lecture, sur
l’intensité de ce que Jacqueline Chénieux-Gendron nomme le
« travail automatique297 » et qui ne se réduit pas à la passivité
du premier jet, ils sont déjà une archive de la création
collective, orientée en vue de la publication. La préparation à
l’impression, en effet, représente aussi une part importante de
la collaboration surréaliste : c’est ce travail d’édition (au sens
d’établissement du texte) qui permet de transformer
l’expérience en livre, l’accueil du flux automatique en recueil
adressé au public. Breton s’est ainsi chargé des corrections, de
la sélection et du montage des textes qui aboutiront aux
Champs magnétiques, tandis que l’organisation de
L’Immaculée Conception semble partagée entre ses deux
auteurs.
La collaboration automatique, cependant, n’a pas pour seul
enjeu la publication d’un livre : elle est aussi une mise à
l’épreuve de la logique de groupe. En ce sens, chaque recueil
collectif rejoue la fondation du mouvement, depuis l’écriture
des Champs magnétiques en 1919. La réaffirmation de
l’identité et de la cohésion surréalistes intervient ainsi à des
moments clés et parfois difficiles de l’histoire du groupe :
l’année 1930, où paraissent successivement Ralentir travaux et
L’Immaculée Conception, marque une crise profonde,
ponctuée par la parution du Second manifeste, la violente
polémique entre Breton et les anciennes figures du
mouvement, et le choix d’un engagement révolutionnaire qui
implique aussi de montrer, par un rappel aux principes, que le
surréalisme demeure fidèle à ses origines tout en assumant
l’action politique. La publication de Ralentir travaux donnera
même à Breton l’occasion, dans sa « Lettre à A. Rolland de
Renéville » en 1932, d’enrichir sa réflexion sur la possibilité
d’une « collaboration poétique véritablement intime » en
expliquant, dialectique hégélienne à l’appui, que la synthèse
peut « être réalisée à trois mieux qu’à deux, le troisième
élément sans cesse variable étant de jonction, de résolution et
intervenant auprès des deux autres comme facteur d’unité 298 ».
Si la distinction entre modèle coopératif ou collaboratif
permet de mieux cerner le fonctionnement interpersonnel de
l’œuvre collective – avec un penchant plus hiérarchique dans
le premier cas, plus démocratique dans le second –, elle ne doit
pourtant pas être trop tranchée : le compagnonnage poétique
oscille souvent entre les deux pratiques, et la gestion éditoriale
d’un livre à plusieurs voix, par exemple, se retrouve souvent
déléguée à une ou deux personnes, une fois passée la phase de
collaboration scripturale. Coopération et collaboration peuvent
donc tout à fait se compléter, et ces deux formes d’interaction
soulèvent in fine un certain nombre de questions communes,
dont la résolution appelle des choix significatifs.
OUVERTURE & CLÔTURE
La première question est celle du nombre de collaborateurs,
qui peut être ouvert ou fermé. Les exemples que nous avons
mentionnés ont tendance à limiter les intervenants : deux, trois
ou quatre auteurs, ces nombres réduits favorisent sans doute
une collaboration efficace, rapide et souple, d’autant plus
fluide que les poètes se connaissent mieux. Le microgroupe
semble ainsi incarner une association idéale, sur le modèle du
club, voire de la société secrète, qui imprègne les pratiques de
l’Oulipo ou du surréalisme. Sans doute existe-t-il sur ce point
une tension entre la volonté avant-gardiste d’une poésie faite
par tous et la réalité d’une poésie faite à quelques-uns
seulement. Mais on peut aussi voir dans le compagnonnage un
modèle réduit de la démocratie poétique à venir – un essai, en
toute modestie, de ses possibilités et de ses limites. La hauteur
de l’ambition tout comme la modestie de son début de
réalisation sont, par exemple, soulignées par Claude Roy dans
la préface qu’il donne à Renga en 1971 :
Yamakochi pensait aux alentours de 750 qu’il ne faut pas faire pousser le riz
pour le manger seul. Lautréamont pensait vers 1860 que « La poésie doit être
faite par tous, non par un ». En 1969 quatre poètes se donnent, des quatre coins
d’Europe, rendez-vous à Paris, pour essayer de faire, sinon la poésie par tous,
du moins à plusieurs299.
LA QUESTION DE L’AUTEUR
Parce qu’il réunit plusieurs écrivains au service d’une même
œuvre, le compagnonnage soulève enfin le problème crucial
de l’identité auctoriale : qui doit-on ou peut-on considérer
comme l’auteur d’une œuvre collective ? Il ne s’agit pas
seulement de comprendre comment s’organise concrètement la
collaboration ou la coopération, mais de comprendre comment
se donne symboliquement à lire le texte collectif en se plaçant
sous l’autorité – ou non – d’un ou de plusieurs garants, réels
ou fictifs, que la signature permet d’identifier ou d’accréditer.
C’est pourquoi la question du nom d’auteur est souvent
significative dans la poétique, la diffusion et la réception du
poème à plusieurs mains. De ce point de vue, trois grandes
possibilités s’offrent aux écrivains, du moins si l’on prend
appui sur la typologie des noms d’auteur présentée par Gérard
Genette dans Seuils : onymat, anonymat et pseudonymat308.
Le choix de l’onymat implique de diffuser l’œuvre collective
en mentionnant le nom de l’ensemble des participants : on a ici
affaire à une multiauctorialité assumée, comme dans le cas des
recueils surréalistes collectifs ou des collaborations du type
Renga. Dans le cas de Renga, la spécificité de chaque poète est
d’autant plus repérable qu’elle se confond avec l’usage d’une
langue particulière, même si des phénomènes de brouillage, de
citation et de polyphonie viennent peu à peu mélanger les
idiomes. Ici comme dans toute œuvre collective, la mention
des noms d’auteur incite à rechercher la part attribuable à
chacun, à s’interroger sur la possibilité d’une fusion des styles,
à s’intéresser aux phénomènes de rupture et de continuité qui
peuvent affecter la coexistence d’écritures singulières. C’est
d’ailleurs précisément pour cette raison que les livres
surréalistes à plusieurs voix, tout en incluant leurs auteurs dans
le paratexte, prennent soin, dans l’espace du texte, de ne livrer
aucune marque distinctive qui permettrait d’identifier tel ou tel
contributeur : il s’agit en effet d’aboutir à une forme de
concordia discors, de suggérer la continuité d’un langage sous
la diversité des voix, d’atteindre ce point suprême si important
dans la pensée de Breton et identifié dans Ralentir travaux à la
synthèse hégélienne entre les trois auteurs du recueil.
Mais chassée par la porte, l’identité individuelle des auteurs
revient souvent par la fenêtre : Breton, Éluard ou Char ont
indiqué dans certains exemplaires des Champs magnétiques ou
de Ralentir travaux les limites respectives de leurs
contributions. Certes, ces marques de propriété ont été
déposées dans un cadre privé, sans intention de publication, et
elles n’ont été connues que par les éditions critiques des
recueils ou des manuscrits en fac-similé. Il n’en reste pas
moins que le choix de l’onymat accentue le désir d’identifier
la singularité auctoriale. En effet, si un nombre réduit de
participants facilite l’usage des signatures individuelles, qui
concorde en outre avec les normes éditoriales, l’identification
de chacun des intervenants n’est pas si neutre qu’elle en a l’air.
Elle sous-entend que l’ouvrage, même pluriel, n’a pas aboli les
individualités, ce qui invite le lecteur à se demander si et
comment les voix parviennent à s’unir entre elles. Autrement
dit, l’onymat appelle une critique d’attribution que l’entreprise
collective, précisément, tend à déjouer : on nage alors en plein
paradoxe. C’est que la singularité ne s’efface pas si facilement,
et la présence des signatures est l’indice de la persistance de
l’auteur, de son nom et de sa fonction.
Cette situation paradoxale peut être résolue, ou évacuée, par
l’adoption d’un pseudonyme collectif, susceptible d’évoquer,
de créer ou de revendiquer une auctorialité collective. Tel est
le cas des publications signées, par exemple, au nom et du
nom d’un groupe ou d’un mouvement : Le Voyage d’hiver et
ses suites est ainsi cosigné par Perec et par l’Oulipo en tant
que communauté indistincte, réunie en hommage à l’un de ses
membres. Si l’on pousse encore d’un cran la logique du
pseudonymat collectif, on s’aperçoit qu’elle s’accompagne
volontiers de l’anonymat individuel, comme pour mieux
effacer la singularité des auteurs particuliers au profit de la
logique communautaire. Plusieurs projets récents font appel à
ce modèle, comme le collectif italien Wu Ming qui regroupe
plusieurs romanciers dont les publications sont entourées
d’une constellation de laboratoires d’écritures collectives, de
rencontres avec le public ou de projets numériques sur
Internet. En France, sur un versant qui conjoint écriture
poétique, force pamphlétaire et radicalité politique, le Comité
invisible signe collectivement des manifestes comme
L’insurrection qui vient (2007) ou Maintenant (2017), qui lui-
même met en exergue des tags et des slogans nés dans la
manifestation ou l’émeute. Quant au Général Instin, ce projet
collectif (plus de deux cents participants revendiqués à ce jour)
et protéiforme (il a investi le Web et en particulier le site
remue.net depuis 2007, mais joue de la plasticité entre formes
numériques, réseaux sociaux, festivals et publications papier)
se donne pour ambition de tisser les vies fictives, secrètes et
fantomatiques d’une figure oubliée qui repose au cimetière du
Montparnasse : le général Adolphe Hinstin, frère de Gustave
qui fut le professeur de rhétorique d’Isidore Ducasse. Comme
si la poésie faite par tous, à une époque contemporaine qui
interroge volontiers les formes biographiques et
autobiographiques, débouchait sur une vie inventée par tous.
Mais il se pourrait bien plutôt que l’essor des collectifs
littéraires dans la littérature contemporaine, comme le
montrent Anthony Glinoer et Michel Lacroix dans La
Littérature contemporaine au collectif, soit le signe de
l’abandon du modèle avant-gardiste du XXe siècle, en tant que
communauté militante et idéologique, au profit de « la volonté
d’une activité commune basée sur l’action et non sur
l’établissement d’une doctrine et sur une institutionnalisation
rapide », et de la volonté « d’horizontalisation et d’apaisement
des rapports sociaux309 ».
L’adoption d’un pseudonyme collectif va souvent de pair
avec la troisième modalité de présentation distinguée par
Genette, l’anonymat, qui représente l’ultime étape du procès
intenté par la poésie impersonnelle à la figure de l’Auteur. Cet
anonymat joue sur deux plans : il peut renvoyer à celui d’un
écrivain s’effaçant derrière une instance collective (les
Éditions surréalistes, l’Internationale situationniste, le Général
Instin…), mais aussi à l’impossibilité radicale d’assigner une
œuvre à un ou à des auteurs, soit que leur identité ait été
camouflée ou perdue (c’est par exemple souvent le cas parmi
les « poètes de réclame » dont Laurence Guellec a étudié
l’activité dans la presse du XIXe siècle310), soit que la
multiplication des interventions à travers le temps rende
impossible une attribution certaine (on revient alors au cas de
la « Légion » que G. Paris voyait à l’œuvre dans La Chanson
de Roland). Les variations possibles du nom d’auteur, jusqu’à
son absence, montrent ainsi combien le compagnonnage est
une association souple, qui autorise des stratégies différenciées
pour un même mouvement (l’Oulipo, la Bibliothèque
oulipienne ou les noms propres conjugués d’un Forte, d’un
Jouet et d’un Roubaud apparaissent comme autant de manières
de décliner l’identité du groupe), et qui peut graduellement
aller de la reconnaissance de l’individualité à son effacement
ou à son éviction, au moins rêvée.
Au-delà du nom de l’auteur, c’est plus profondément sa
fonction qui est affectée par de telles œuvres. On sait que
Michel Foucault décrivait la fonction-auteur comme « un
régime de propriété » et « un certain être de raison » qui «
n’est que la projection, en des termes toujours plus ou moins
psychologisants, du traitement qu’on fait subir aux textes311 ».
Les œuvres à plusieurs mains invitent non seulement à
dépersonnaliser et à désindividualiser l’auteur, mais à se
demander si quelque chose comme un auteur collectif est
possible – concept paradoxal dans le régime de singularité qui
caractérise la production artistique en général, et littéraire en
particulier, depuis les temps modernes et le romantisme. Dans
ces conditions, il importe donc d’articuler les entreprises de
poésie collective à la « fonction-groupe » telle que la
présentent Guillaume Bridet et Laurence Giavarini, en la
calquant sur la fonction-auteur de Foucault afin de construire
un outil critique et heuristique favorable à une relecture de
l’histoire littéraire312.
Toujours est-il que, pour des avant-gardes soucieuses de
promouvoir la poésie faite par tous à travers des œuvres
réalisées par quelques-uns, le choix de l’anonymat ou
l’adoption d’un pseudonyme collectif s’est avéré une question
cruciale autant que délicate, riche d’implications esthétiques et
politiques. La disparition de l’identité des auteurs individuels
tend en effet à la collectivisation de la poésie, à l’abolition de
la propriété littéraire et au dépassement de la spécialisation de
l’activité artistique : aussi voit-on les surréalistes et les
situationnistes se référer à l’analyse de Marx et Engels dans
L’Idéologie allemande, pour lesquels « la concentration
exclusive du talent artistique chez quelques individualités et,
corrélativement, son étouffement dans la grande masse des
gens, est une conséquence de la division du travail », et qui
soutiennent que dans une société communiste, « il n’y aura
plus de peintres, mais tout au plus des gens qui, entre autres
choses, feront de la peinture313 ». Formule qui sera elle-même
détournée par Debord (« Dans une société sans classes, peut-
on dire, il n’y aura plus de peintres, mais des situationnistes
qui, entre autres choses, feront de la peinture314 ») et qui, à vrai
dire, fait sortir du principe même du compagnonnage.
Envisager la fin de la spécialisation poétique, de la
professionnalisation de l’écrivain et corollairement de la
commercialisation des œuvres, c’est en effet envisager une
nouvelle logique, celle du partage. Utopie ? Sans doute, mais
une utopie qui oriente bon nombre de démarches poétiques
modernes et contemporaines – pour peu que, dans cette
perspective, elles ressortissent encore à la poésie entendue
comme une forme d’écriture littéraire.
PARTAGE
Si « Autant de têtes, autant de poèmes » peut passer pour la
devise de l’essaimage et « Un poème pour tous, tous pour un
poème » pour celle du compagnonnage, le partage se donnerait
plutôt ce mot d’ordre : « Il n’y a pas de poèmes, il n’y a que
des poètes. » Car ce qui différencie la logique de partage des
deux précédentes, c’est qu’elle vise moins à créer des œuvres
qu’à permettre, voire à susciter une pratique sociale de la
poésie qui soit à elle-même, et indépendamment des résultats
obtenus, sa propre fin. Autrement dit, en termes aristotéliciens,
le partage est une action collective qui ne met pas l’accent sur
la poiesis mais sur la praxis. Dans ces conditions, le partage
valorise moins les objets éventuellement produits que le
processus de production lui-même : ce qui compte dans cette
perspective, ce sont la qualité, l’intensité, la richesse de
l’interaction, et surtout sa capacité à changer la vie des
individus qu’elle relie, tout comme à transformer le monde,
même à petite échelle.
UNE UTOPIE COMMUNAUTAIRE
Les dispositifs de partage sollicitent, plus que la
collaboration à une tâche commune, la participation à une
expérience communautaire. Participation : le terme est surtout
employé ici pour ses connotations politiques (lorsqu’il est par
exemple envisagé dans le cadre de la démocratie participative,
avec l’idée d’une implication directe des citoyens dans la
chose publique), médiatiques (sur le modèle du Web 2.0 des
années 2000, caractérisé par davantage de simplicité et
d’interactivité) mais aussi… sportives (si l’on pense à l’esprit
de fair-play résumé par la citation apocryphe de Pierre de
Coubertin : « l’essentiel, c’est de participer »). Dès lors, et
pour le dire vite, le partage consiste moins en une communauté
de création qu’en la création d’une communauté – une création
continuée par la participation active de chacun de ses
membres, si l’on veut bien pardonner ce détournement de
Descartes.
En ce sens, le partage poétique rejoint des pratiques
artistiques qui se sont développées depuis le début du
XXe siècle, comme les happenings, les installations, les
déambulations, les interpellations du public, les
réappropriations plus ou moins sauvages de l’espace urbain
(affiches, tags, graffiti). Autant de gestes qui se présentent
comme un art de participation, impliquant l’artiste aussi bien
que le public, comme un art d’intervention, cherchant à
modifier la réalité sociale ou sa perception, et comme un art de
relation, au sens où Nicolas Bourriaud a pu défendre une «
esthétique relationnelle » conçue comme un « ensemble de
pratiques artistiques qui prennent comme point de départ
théorique ou pratique l’ensemble des relations humaines et
leur contexte social, plutôt qu’un espace autonome et privatif
315
».
Intervention, participation, relation : telles sont les valeurs
que l’idée de partage reconduit en matière de poésie collective.
À ce titre, le partage entre dans le champ de ce que Paul
Ardenne nomme l’art contextuel : « Un art dit “contextuel”
regroupe toutes les créations qui s’ancrent dans les
circonstances et se révèlent soucieuses de “tisser avec” la
réalité316. » Et dans ce tissage, le public fait partie intégrante
du processus de création, au point de le transformer en co-
auteur d’un work in progress qui sort « du registre de l’autorité
» pour glisser « vers celui de l’invitation317 ». La littérature
contemporaine n’échappe pas à ce mouvement et se fait elle
aussi contextuelle, comme en témoignent les deux numéros de
Littérature qu’Olivia Rosenthal et Lionel Ruffel ont consacrés
en 2010 puis 2018 à la « littérature exposée318 ». David Ruffel
rattache même explicitement la « littérature contextuelle » aux
esthétiques mises en évidence par P. Ardenne, décrivant « une
littérature qui se fait donc “en contexte” et non dans la seule
communication in absentia de l’écriture, du cabinet de travail
ou de la lecture muette et solitaire des textes319 ». Ce tournant
contextuel, la poésie avant-gardiste la plus soucieuse d’un
partage de la poésie hors du livre a été l’une des premières à le
prendre :
Ainsi les formes de « poésie marchée » et d’explorations urbaines (depuis la
flânerie baudelairienne jusqu’aux dérives situationnistes), la performance et la
poésie sonore (depuis Dada jusqu’à Fluxus et Bernard Heidsieck) relevaient
d’une volonté de sortir de l’assise du livre, de mettre la poésie debout, avec le
corps du poète, d’en faire une action320.
345. Nathalie HEINICH, L’Élite artiste, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des
sciences humaines », 2010, p. 350-351.
346. Voir Hélène MILLOT, Nathalie VINCENT-MUNIA, Marie-Claude
SCHAPIRA & Michèle FONTANA (dir.), La Poésie populaire en France au
e
XIX siècle. Théories, pratiques et réceptions, Tusson, Du Lérot éditeur, 2005.
347. Eugène SUE, préface à Une voix d’en bas. Poésies par Savinien Lapointe,
ouvrier cordonnier, Paris, Adolphe Blondeau, 1844, p. XV.
348. Charles BAUDELAIRE, « Pierre Dupont [I] », in Œuvres complètes, t. 2,
Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, p. 35.
349. Sur l’importance de cette catégorie dans la pensée de Baudelaire, voir Pierre
PACHET, Le Premier Venu. Baudelaire : solitude et complot, Paris, Denoël, 2009.
350. Charles BAUDELAIRE, Mon cœur mis à nu, Œuvres complètes, t. 1, Paris,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 676.
351. Charles BAUDELAIRE, « Victor Hugo », in Réflexions sur quelques-uns de
mes contemporains, Œuvres complètes, t. 2, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque
de la Pléiade », 1993, p. 139.
352. Jacques RANCIÈRE, Politique de la littérature, Paris, Galilée, 2007, p. 21.
353. Pierre BOURDIEU, Les Règles de l’art, Paris, Seuil, coll. « Points essais »,
2015, p. 404.
354. Voir Nathalie HEINICH & Roberta SHAPIRO (dir.), De l’artification.
Enquêtes sur le passage à l’art, Paris, EHESS, coll. « Cas de figure », 2012.
355. Michel DEGUY, « Reflets de Claude au miroir d’Octavio », in La Fin dans le
monde, Paris, Hermann, coll. « Le bel aujourd’hui », 2009, p. 132-133.
CHAPITRE 1. LA NRF & LE « TABLEAU DE LA
POÉSIE »
445. La dernière en date : Olivier DONNAT, Les Pratiques culturelles des Français
à l’ère numérique. Enquête 2008, Paris, La Découverte / Ministère de la Culture et
de la Communication, 2009. Le chap. VIII, « Pratiques en amateur et production de
contenus », nous apprenait que 6 % des sondés avaient pratiqué l’écriture de
poèmes, de nouvelles ou de romans depuis les douze derniers mois – en majorité
des étudiants et des lycéens.
446. Aude MOUACI, Les Poètes amateurs, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques
sociales », 2001.
447. Claude POLIAK, Aux frontières du champ littéraire. Sociologie des écrivains
amateurs, Paris, Économica, coll. « Études sociologiques », 2006.
448. Jacques RANCIÈRE, Politique de la littérature, Paris, Galilée, 2007, p. 22.
EN QUÊTE DE NOMS
Faisons le pari du nominalisme, et gageons que si la pratique
sociale de la poésie ne se réduit pas aux noms qui la désignent,
les nuances et même les ambiguïtés terminologiques
permettent néanmoins de rendre compte de la complexité du
phénomène.
DES POÈTES HORS CHAMP ?
Si le propre de la démocratie poétique est de laisser ouverte
et indéterminée l’identité du sujet lyrique, alors toute
dénomination visant à qualifier et à caractériser le commun
des poètes devient partielle et problématique. Il est tentant de
se tirer de cette impasse avec une formulation négative, en
parlant de poètes hors champ : entendons par là les poètes
exclus du champ littéraire, et dont l’exclusion même signale
les limites de la poésie reconnue et légitimée. Si ces poètes
sont hors champ, c’est parce qu’ils ne connaissent pas, ou mal,
ou à travers des cadres culturels en décalage avec les
productions contemporaines, ce que Pierre Bourdieu nomme
l’histoire « immanente » du champ littéraire – cette géologie et
cette généalogie des codes et des références dont la maîtrise
est nécessaire à qui veut acquérir une position dans la
République des lettres :
Dans le champ artistique parvenu à un stade avancé de son histoire, il n’y a pas
de place pour ceux qui ignorent l’histoire du champ et tout ce qu’elle a
engendré, à commencer par un certain rapport, tout à fait paradoxal, au legs de
l’histoire et c’est encore le champ qui construit et consacre comme tels ceux
que leur ignorance des règles du jeu désignent comme des « naïfs »449.
449. Pierre BOURDIEU, Les Règles de l’art [1992], Paris, Seuil, coll. « Points
essais », 2015, p. 400.
450. Ibid., p. 367-368.
451. Claude POLIAK, op. cit., p. 245.
452. Claude POLIAK, ibid., p. 303.
453. Jérôme MEIZOZ, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur,
Genève, Slatkine, 2007, p. 21.
454. Jacques ROUBAUD, Poésie :, Paris, Seuil, coll. « Fiction et Cie », 2000,
§ 156, p. 413-414.
455. Bernard LAHIRE, avec la collaboration de Géraldine BOIS, La Condition
littéraire. La double vie des écrivains, Paris, La Découverte, coll. « Textes à
l’appui. Laboratoire des sciences sociales », 2006.
456. Gisèle SAPIRO & Cécile RABOT (dir.), Profession ? Écrivain, Paris, CNRS
Éditions, 2017.
457. Robert A. STEBBINS, Amateurs, Professionnals, and Serious Leisure,
Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1992.
458. Aude MOUACI, Les Poètes amateurs, op. cit., p. 322.
459. Ibid., p. 127 & 130.
460. Patrice FLICHY, Le Sacre de l’amateur, Paris, Seuil, coll. « La République
des idées », 2010, p. 20.
461. Nelly WOLF, Le Peuple à l’écrit. De Flaubert à Virginie Despentes, Saint-
Denis, Presses Universitaires de Vincennes, coll. « Culture et Société », 2019, p. 8.
462. Voir Alain VIALA, « Les classes de trajectoires littéraires », in Naissance de
l’écrivain, Paris, Minuit, coll. « Le sens commun », 1985, p. 178-185.
463. Hélène MILLOT, « Introduction » à La Poésie populaire en France au
e
XIX siècle. Théories, pratiques et réceptions, Tusson, Du Lérot éditeur, 2005, p. 8.
464. Guy ROSA, Sophie TRZEPIZUR & Alain VAILLANT, « Le peuple des
poètes. Étude bibliométrique de la poésie populaire de 1870 à 1880 », Romantisme,
1993, n° 80, « L’édition populaire », p. 21-22.
465. Claude ROY, « Introduction aux plaisirs et aux profits de la poésie populaire »,
Trésor de la poésie populaire [1954], Paris, Seghers, 1967, p. 12.
466. Ibid.
467. Richard HOGGART, The Uses of Literacy, Londres, Chatto and Windus,
1957. Traduit en français sous le titre La Culture du pauvre, Paris, Minuit, coll. «
Le sens commun », 1970.
468. Jean-Claude PINSON, « Du “poétariat” comme démenti au populisme »,
Cités, n° 49, 2012, p. 110.
469. Jean COHEN, Structure du langage poétique [1966], Paris, Flammarion,
coll. « Champs », 2009.
470. Roger CHARTIER, « Culture écrite et littérature à l’âge moderne », Annales.
Histoire, Sciences Sociales, 56e année, n° 45, 2001, p. 787.
471. Daniel FABRE, introduction à Écritures ordinaires, Paris, P.O.L. / BPI-Centre
Georges Pompidou, 1993, p. 11.
472. Ibid., p. 14.
473. Jean-Pierre ALBERT, « Écritures domestiques », ibid., p. 37-94.
474. Claude POLIAK, « Manières profanes de “parler de soi” », Genèses, vol. 47,
n° 2, « L’individu social », 2002, p. 19.
475. Pierre BOURDIEU (dir.), Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la
photographie [1965], Paris, Minuit, coll. « Le Sens commun », 1989, p. 130.
476. Gilles DELEUZE & Félix GUATTARI, Kafka. Pour une littérature mineure,
Paris, Minuit, 1975, p. 29.
477. Ibid., p. 33.
478. Ibid., p. 35.
479. Ibid., p. 34.
480. Roland BARTHES, « Écrivains et écrivants » [1960], in Essais critiques,
Seuil, coll. « Points essais », 2000, p. 153 & 156.
481. Howard S. BECKER, Les Mondes de l’art, op. cit., p. 265.
482. Ibid., p. 266.
483. Lettre d’Ulysse Préchacq, dans Robert DESNOS, « Le Paradis perdu », La
Révolution surréaliste, n° 5, 15 octobre 1925, p. 27.
484. Anouck CAPE, Les Frontières du délire : écrivains et fous au temps des avant-
gardes, Paris, Honoré Champion, coll. « Poétiques et esthétiques XXe-XXIe siècle »,
2011, p. 118.
485. Jean-Pierre BERTRAND, « Surcodage linguistique et stéréotypie littéraire
dans la poésie du dimanche », dans Jean-Pierre BERTRAND & Lise GAUVIN
(dir.), Littératures mineures en langue majeure. Québec / Wallonie-Bruxelles,
Montréal, Presses de l’Université de Montréal / Peter Lang, 2003, p. 241.
486. Ibid., p. 242.
487. Ibid., p. 244-245.
488. Théodore DE BANVILLE, Petit traité de poésie française, Paris, A. Le Clère,
1872, p. 42.
489. Jan BAETENS, « Habiter professionnellement la terre : pour une poésie du
dimanche », dans Pour une poésie du dimanche, Bruxelles, Les Impressions
Nouvelles, 2009, p. 11-13. Les citations suivantes sont extraites de la p. 11.
EN QUÊTE DE CORPUS
On le voit : nommer les poètes du dimanche, c’est déjà les
enrôler dans une hypothèse. De même, les trouver consiste
toujours, pour une part, à les inventer. C’est ici qu’intervient la
délicate question des corpus de poésie amateur. Leur
constitution représente en effet une tâche doublement
difficile : du fait de l’immensité des auteurs potentiels (surtout
si la poésie doit être faite par tous !), et de la labilité de la
pratique, qui échappe par définition à l’institutionnalisation et
parfois même à la publication (avec le domaine de l’écriture
privée). La poésie hors champ peut néanmoins être approchée
à travers une série de corpus de référence, déjà évoqués ici :
les grandes collectes ethnographiques du folklore poétique
menées sur la lancée du décret Ampère-Fortoul en 1852 ; les
prosopographies de Michel Ragon dans son Histoire de la
littérature prolétarienne de langue française490 ; les recherches
sur la poésie ouvrière et populaire du XIXe siècle ; les travaux
de Marc Angenot sur Le Savon du Congo ou sur la poésie
socialiste des années 1880-1914491 ; et pour le tournant du
XXI siècle, les enquêtes sociologiques d’Aude Mouaci et de
e
503. Voir Céline PARDO, La Poésie hors du livre (1945-1965). Le poème à l’ère de
la radio et du disque, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2015.
504. En l’occurrence, je ne peux manquer de signaler cet hommage à Lautréamont
taggé fin novembre 2018 sur l’avenue des Champs-Élysées : « Beau comme une
insurrection impure ».
505. Marie-Paule BERRANGER & Laurence GUELLEC (dir.), Les Poètes et la
Publicité, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, ANR LITTéPUB, 2017, en ligne,
URL : http://littepub.net/publication/je-poetes-publicite/l-guellec.pdf.
506. Jacques ROUBAUD, La Vieillesse d’Alexandre [1978], Paris, Ivréa, 2000, p.
207-208.
507. Stéphane MALLARMÉ, « Crise de vers », in Divagations, Œuvres complètes,
t. 2, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. 209.
508. Jean-Marie SCHAEFFER, Petite écologie des études littéraires, Vincennes,
Thierry Marchaisse, 2011, p. 10.
509. Voir Michel BRAUD et Valéry HUGOTTE, L’Irressemblance. Poésie et
autobiographie, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, coll. « Modernités »,
n° 33, 2007.
510. Philippe LEJEUNE, « Autobiographie et poésie », in Signes de vie. Le pacte
autobiographique 2, Paris, Seuil, 2005, p. 49.
511. Voir Dominique COMBE, Poésie et récit. Une rhétorique des genres, Paris,
José Corti, 1989.
512. Philippe LEJEUNE, « Le pacte autobiographique, vingt-cinq ans après », in
Signes de vie, op. cit., p. 28.
513. Stéphane MALLARMÉ, « Crise de vers », op. cit., p. 212.
RETOUR À DUCASSE
La réalité concrète des pratiques et des représentations
sociales de la poésie contraste avec les ambitions
révolutionnaires et collectivistes qu’ont pu nourrir les avant-
gardes en s’autorisant de la formule de Ducasse. Et si une
poésie faite par tous s’ébauche, elle ne ressemble guère au
visage que lui dessinaient les poétiques du collectif les plus
radicales ou les plus subversives.
Les utopies avant-gardistes veulent l’impersonnalité,
l’objectivité, la disparition élocutoire du poète ? Les amateurs
utilisent la poésie pour construire leur identité, explorer les
facettes de la subjectivité, assumer une logique d’expression
personnelle ou de mandat communautaire. La dissolution de
l’auteur dans le collectif et l’anonymat ? Les poètes du
dimanche sont attachés à la signature, à l’ethos individuel,
voire à l’image de marque auctoriale (la publication sur les
réseaux sociaux aurait même tendance à renforcer ce trait). La
rupture avec le Livre, la fin de la Littérature ? Les amateurs
restent fascinés par le prestige de la publication imprimée (la
persistance du compte d’auteur ou de l’autoédition avec
impression à la demande en est le signe) autant que par celui
d’une littérature d’autant plus légitime qu’elle est instituée par
l’École. La production collective d’un intertexte indéfiniment
scriptible ? Les poèmes des premiers venus se tiennent du côté
du lisible et demandent surtout à l’écriture de transmettre et de
partager des émotions, des sentiments, des choses vues. Le
jaillissement d’une spontanéité primitive, d’un flux
inconscient, d’une pulsion poétique archaïquement enfouie en
chacun de nous ? C’est au contraire sur le mode de
l’apprentissage scolaire, de l’initiation artisanale, de la
maîtrise instrumentale, que bien des amateurs cultivent leur
rapport à la poésie. Bref, tout se passe comme si le romantisme
tant décrié par Ducasse continuait tranquillement sa course, et
comme si la poésie personnelle s’était finalement emparée de
la formule qui était censée la réfuter.
Faut-il en conclure à l’inefficience des avant-gardes ? Je ne
le pense pas. D’abord parce que la « poésie faite par tous » n’a
jamais été que le nom d’une utopie, ou d’un défi. Ensuite
parce que les mouvements modernes sont parfaitement
conscients du décalage entre leurs horizons anticonformistes et
les pratiques culturelles des masses : Breton ne disait pas autre
chose de la littérature prolétarienne, Poulaille lui-même la
considérait comme une culture de transition encore imprégnée
de références bourgeoises, et Debord rangerait dans la
catégorie du spectacle l’essentiel de la poésie qui se lit, s’écrit,
se publie et se diffuse encore aujourd’hui, qu’elle soit le fait
des initiés ou des profanes. Enfin parce qu’au sein des avant-
gardes, la formule de Ducasse n’a jamais été reçue sans heurts,
sans scrupules et sans réinterprétations. Il me semble
significatif, à cet égard, que sa première réimpression dans
Littérature ait été fautive (« La poésie doit être faite pour tous
») et que sa première occurrence parmi la vulgate surréaliste,
chez Éluard, ait été déformée (« la poésie peut être faite par
tous ») : dès l’origine, ces lapsus citationnels suggèrent que la
phrase littérale de Ducasse est irrecevable, qu’il faut l’atténuer
ou la remodeler pour l’accepter. Car devant un énoncé aussi
absolu que « La poésie doit être faite par tous », deux réactions
sont possibles : en assumer la dimension provocatrice, en
diminuer la prétention exorbitante. Que les avant-gardes aient
affiché la première attitude ne doit pas cacher qu’elles ont tout
autant pratiqué la seconde : l’histoire de la formule est aussi
celle de sa critique.
Aussi ne dérogerai-je pas à la règle, et même céderai-je à
mon tour au plaisir un peu coupable d’apporter de l’eau à un
moulin exégétique qui a déjà tant tourné. Ce qui dans la
maxime de Ducasse en impose, à tous les sens du terme, c’est
sans doute l’usage du verbe devoir, qui peut séduire autant que
rebuter. En marquant une obligation impérieuse, étendue à une
collectivité aux limites indéterminées, l’auxiliaire modal
suggère en effet l’inversion du rêve en cauchemar : celui d’une
société où la poésie serait une contrainte subie et non une
activité autonome, un besoin que l’on présuppose et non un
désir que l’on suscite, un mot d’ordre et non un ordre des
mots. Il suffit, pour s’en convaincre par l’absurde, de corriger
Ducasse à son tour, et de récrire sa formule à la voix active :
on aboutit alors à quelque chose comme « tous doivent faire la
poésie », voire « tout le monde doit faire de la poésie »,
sentences au parfum déjà moins démocratique que la tournure
passive. Une Cité qui exile ses poètes, c’est fâcheux,
assurément ; mais une Cité qui exige que tous soient poètes,
n’est-ce pas un peu inquiétant ? Dans ces conditions, on est
tenté, comme l’a fait initialement et involontairement Éluard,
de reformuler la phrase de Ducasse en « la poésie peut être
faite par tous » : placé sous le signe de la possibilité et non
plus de la nécessité, l’exercice de la poésie devient alors un
droit auquel peut prétendre le premier venu. Et cette
perspective résolument démocratique correspond sans doute
davantage à ce que les avant-gardes ont pu défendre et illustrer
à travers la phrase des Poésies.
Si le verbe devoir confère à cette formule une large part de
sa force de provocation, le verbe faire, en apparence plus
anodin, se révèle lui aussi riche d’implications. On peut
d’abord voir dans son emploi une réminiscence de
l’expression faire des vers, si fréquente chez les auteurs
français classiques. Mais le verbe est également passible d’une
lecture étymologique : en rappelant le poiein grec, faire nous
inviterait à lire l’énoncé comme une sorte de tautologie, la
poésie n’advenant ou ne persistant dans son être que par
l’intervention de tous. À cet égard, l’extrême degré de
généralité de faire offre de larges possibilités interprétatives :
s’agit-il d’écrire la poésie ? de la lire ? de la chanter ? de la
performer ? de la publier ? de la transmettre ? de la commenter
? de la traduire ? ou de tout cela à la fois, précisément pour
autoriser la participation du plus grand nombre ? En ce sens, la
poésie faite par tous n’impliquerait pas que tous fassent œuvre
de poésie, mais que tous soient invités à la faire vivre. Verbe
vicaire par excellence, faire renverrait alors à une multitude de
gestes par lesquels, à défaut de devenir un auteur de poèmes,
chacun peut devenir un acteur de la poésie, qu’il soit tour à
tour lecteur, passeur ou amateur au sens propre : celui ou celle
qui manifeste son goût, voire son amour pour une activité.
Dans la perspective moderniste et avant-gardiste qui a été
privilégiée dans ce volume, la plasticité du verbe faire ouvre
surtout la porte aux métamorphoses possibles de la poésie.
C’est ce qui explique que la phrase de Ducasse ait pu
rencontrer les aspirations de différents courants désireux de
sortir du livre imprimé, de défier le graphocentrisme et plus
largement de délier la poésie de la littérature.
En témoignant d’une relative indifférence aux formes et aux
moyens, le verbe faire tend en effet à caractériser la poésie
comme action ou processus. Pour le dire en termes
aristotéliciens, la formule invite à faire de la poésie non plus
une poiesis visant la production d’une œuvre séparée, mais
une praxis ayant sa propre fin en elle, dans le
perfectionnement des sujets et de leurs relations sociales. Un
tel basculement fait évidemment écho au projet des avant-
gardes tel que l’a défini Peter Bürger, comme reconduction de
l’art dans la vie :
L’intention des mouvements d’avant-garde peut être définie comme tentative
de transférer dans la pratique de la vie l’expérience esthétique (qui s’oppose à
la praxis vivante) à laquelle l’esthétisme a donné naissance. Ce qui était entré
le plus durement en conflit avec la rationalité instrumentale de la société
bourgeoise était ainsi destiné à devenir un principe d’organisation de la vie514.
ARTICLES OU CHAPITRES
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