La Vie Mystique Du Prophète Mohammed
La Vie Mystique Du Prophète Mohammed
La Vie Mystique Du Prophète Mohammed
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Introduction
La vie mystique du prophte Mohammed Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan ............................................................ - 7 Prface .................................................................................................. - 8 Introduction ......................................................................................... - 9 Mohammed apportant l'Alchimie de la Gloire de la Vie La vie mystique du prophte Mohammed ..................................................................... - 11 -
La vie de Mohammed La vie mystique du prophte Mohammed Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan .......................................................... - 13 Naissance La vie mystique du prophte Mohammed..........................- 14 Petite enfance et enfance La vie mystique du prophte Mohammed ..- 16 Jeunesse et Age Adulte La vie mystique du prophte Mohammed .....- 19 L'ducation prparatoire de Mohammed ...........................................- 21 La prdisposition de l'me de Mohammed......................................... - 23 La rvlation La vie mystique du prophte Mohammed .....................- 27 Premier disciples La vie mystique du prophte Mohammed ............. - 32 Les efforts pour dtourner le peuple de l'idoltrie ..............................- 37 Violences et perscutions La vie mystique du prophte Mohammed .- 41 -
Faits et traditions concernant Mohammed et sa religion, qui sont souvent mal compris .................................................. - 47 La vie mystique du prophte Mohammed ...........................................- 47 -
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LA GUERRE SAINTE Principe et exemples Point de vue historique. - 48 L'ANGE GABRIEL TOMBANT SUR MOHAMMED .......................... - 54 SHAQQ-e-SADR L'ouverture de la poitrine ...................................... - 56 MERAJ L'ascension............................................................................ - 59 -
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Ces textes ne sont pas une propagande pour lIslam, dont Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan ne sest jamais considr comme un missionnaire. Ils eurent surtout pour but de mieux faire connatre aux occidentaux lesprit de lIslam et de son Prophte, ainsi que quelques points mal compris des traditions de cette religion. Ces textes sinscrivent dans une des proccupations majeures du Message Soufi de Libert Spirituelle : amener une meilleure comprhension entre les fidles des diverses religions.
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Mohammed n'a pas t prsent au monde occidental comme il aurait d l'tre. D'une part on a mal compris sa vie, d'autre part, il y a une recherche parmi les mes en qute de vrit pour connatre sa vie et son enseignement. Les livres existant aujourd'hui en anglais n'ayant pas t en gnral crits par des auteurs possdant une comprhension intime de l'Islam, pleine justice n'a pas souvent t rendue la vie du Matre. Il existe cependant des ouvrages crits par certains de nos auteurs trs qualifis comme Sir Syed Ahmad, l'auteur du livre "Essays on Muhammad and his teachings" et Maulvi Amir 'Ali, qui a crit un ouvrage magnifique intitul "The Spirit of Islam" ouvrages qui ne manquent en aucune faon de donner une vraie conception de l'Islam et de son Message. Je n'ai donc pas vu le besoin d'voquer la partie historique de la vie du Prophte ni la partie logique de son enseignement..
J'ai donc essay dans ces quelques pages d'expliquer le ct mystique de la vie du Matre et sa mission sur terre, comme cela m'avait t demand par mes amis du monde occidental attirs par l'sotrisme, en pensant que cette explication servirait de flambeau pour guider les voyageurs sur le chemin de la vrit.
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La civilisation des gyptiens, la science et l'art des Grecs taient inconnus des Arabes. La nature tait le seul aliment pour leur intellect; elle tait nue parmi les terres du monde. Les habitants vivaient dans les montagnes, les dserts, dans de simples abris ayant le ciel comme toiture. Leur religion dans le vrai sens du mot tait nulle. Quelques-uns adoraient le feu, les autres priaient les plantes, beaucoup croyaient plusieurs dieux et l'on trouvait partout l'idoltrie. Certains recherchaient seulement la magie, certains passaient leur vie entire chercher des phnomnes. S'il y avait un seul endroit pour adorer Dieu, c'tait le temple d'Abraham. Mais cette demeure qui semble avoir t prdestine par le Crateur pour la descente du courant de Dieu tait aussi transforme par les idoltres en un sanctuaire o ne subsistait aucune trace de l'Infini. Chaque famille avait un dieu part: certains Habal, certains Sufa; d'autres avaient Aza comme dieu, un autre encore avait Naela comme sujet d'adoration, de sorte que chaque foyer avait son idole particulire. Le soleil de la connaissance tait couvert par les nuages de l'obscurit. Il faisait noir sur les sommets de Harah.
Toutes leurs manires et coutumes taient barbares; chacun d'eux tait occup drober et voler, leur vie se passait en querelles et conflits.
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Chacun avait sa propre loi, ils taient libres de tuer et de dtruire des vies - aussi libres que les animaux sauvages de la jungle. S'ils voulaient faire grve, personne ne pouvait les forcer travailler. S'ils voulaient se battre, personne ne pouvait faire la paix entre eux. Si deux personnes taient en dsaccord, leur rupture envenimait les relations de centaines de familles. Si un individu levait la tte au-dessus du niveau ordinaire, tout le village se dressait pour s'y opposer. La guerre de Bakra et Taghlab dura un demi-sicle durant lequel, sans aucune raison srieuse, toute l'Arabie fut implique. Il y avait querelle pour la division du butin aprs un vol, pour avoir laiss un cheval marcher en avant d'un autre. Parmi certaines gens, il y avait des rclamations au sujet des alles et venues ici ou l, au sujet de la permission donner quelqu'un de prendre de l'eau, de sorte que chaque jour il y avait un conflit entre eux et que pour chaque petit prtexte l'on tirait l'pe. Quand une fille tait ne, quelle que ft la maison, la mre tait accable de honte; aussitt qu'elle voyait le regard furieux de son mari, elle se sauvait de peur et enterrait vive la petite fille, la considrant comme un serpent. Les jeux de hasard taient l'occupation du jour, la boisson leur seule rjouissance; il y avait le sexe et l'abtissement. En bref, tous gards, leur condition tait mauvaise. De cette faon ils avaient vcu pendant des sicles; de cette faon mme leurs vertus taient submerges par le pch.
Soudain la fiert d'Allah fut touche par cette dgradation. La nue de Sa compassion s'approcha des montagnes de La Mecque dont la terre fut tant inonde de cette pluie bienheureuse qu'elle produisit l'idal de l'univers qui avait t prophtis par les tres saints pendant les ges du pass.
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Mohammed apportant l'Alchimie de la Gloire de la Vie La vie mystique du prophte Mohammed Introduction
Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan Il apparut dans les bras d'Amina, la bnie, lui pour qui Abraham avait pri, et lui que le Christ avait prvu. Le temps montra les signes que le hraut du dcret final d'Allah s'tait lev, bien que la lumire ne se manifestt pas encore, tant que la lune du Message Divin tait encore sous les nuages.
La manifestation mme du Meraj de Dieu, l'accomplissement des dsirs des sans appui, celui qui allait partager les difficults des autres, aider les infortuns, l'ami des pauvres, le protecteur des orphelins, le librateur des esclaves, celui qui pardonnerait les fautes d'autrui, celui qui terait les doutes, qui contrlerait les mchants, qui rconcilierait les familles dans l'amour et l'affection, descendit du Mont Hira et vint vers son peuple apportant avec lui l'alchimie de la gloire de la vie, l'alchimie qui dgage l'or du fer et distingue le rel de l'irrel. L'Arabie, submerge par l'ignorance pendant des sicles, fut aussitt change en un tre nouveau. Le danger de destruction disparut alors, le vent souffla vers une autre direction. La veine inexplore, invalue et mconnue, dont les proprits n'taient pas plus estimes que si s'avait t poussire mle la poussire, cette alchimie tait reste cache afin qu'elle pt produire son or sous un seul regard.
Mohammed, la fiert de l'Arabie, le dtenteur de l'loquence et de la sagesse divines, tint assemble sur le Mont Safa et s'adressa ainsi tous les habitants de la Mecque: "Frres bien-aims, me regardez-vous comme un homme droit ou me regardez-vous autrement?" Ils rpondirent: "Nous n'avons jamais entendu une parole fausse ou constat une fausse action de ta part". - "Si vous me considrez comme tel, croirez-vous ce que je vais vous dire? Un ennemi dangereux se prpare, tapi derrire cette montagne, afin de vous voler aussitt qu'il en verra l'occasion". "Nous croyons" - dirent-ils - "tout ce que tu dis. Depuis ton enfance tu as t vrai et sincre". - "Si vous croyez que je suis tel, alors entendez. Il n'y a rien de faux dans ce que je dis. Toute cette caravane dans laquelle nous sommes - le monde, les richesses, les amis, les parents, les enfants - cette caravane entire quittera un jour ce
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monde. Considrez cela avant que le temps n'en arrive". Cette parole tonnante de la vrit qu'il pronona tel un tremblement de terre se propagea travers le pays d'Arabie. En chaque esprit elle produisit une faim nouvelle pour la vrit. Ah, quelle voix, qui veilla le peuple entier de son sommeil!
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Tout vnement de quelque importance, que ce soit une guerre, un mariage, une naissance, tant annonc par des signes - car Allah annonce tous les vnements par des signes -, ainsi la mre de Mohammed vit chaque nuit jusqu la naissance de l'enfant les Messagers de Dieu qui lui apparaissaient l'un aprs l'autre. Ils la flicitaient pour l'enfant qui allait natre, lui disant: "Sois bnie, Amina, de porter cet enfant, l'idal d'Allah, qui sera le consolateur des affligs et le librateur de l'humanit". Elle voyait une grande lumire qui venait d'elle-mme et qui tendait ses rayons sur le monde. Elle raconta cette vision son mari Abdallah qui, inclinant la tte, se soumit avec joie la volont dAllah. La vie malheureusement ne lui permit pas de voir cet enfant bni, car il mourut avant sa naissance. Les vnements extraordinaires qui se produisirent pendant la grossesse d'Amina et les prodiges qui, dit-on, sont arrivs vers la naissance de Mohammed peuvent faire sursauter l'esprit sceptique qui ne peut pas voir au-del des raisons sa porte. Ainsi mme des auteurs musulmans de l'cole contemporaine ont essay dans leurs crits, en prsentant Mohammed et ses enseignements au monde occidental, de contester ces traditions qui taient au-del de leurs perceptions intellectuelles. Je ne les en blmerai pas, car il est prfrable de ne pas croire que d'obscurcir sa propre intelligence par respect pour une croyance religieuse. Mais pour le mystique tout ce que le monde appelle superstition est super-science. Ce qui est nigme pour le monde est pour lui un miroir. De tout temps le monde a cru et continuera de croire, aussi civilis qu'il devienne, que tout vnement essentiel est annonc de
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diverses manires. Toutes les religions du monde ont eu des prophties leur fondation. Toute personne intelligente et droite peut voir dans un rve de faon claire ou confuse les petits vnements de sa vie se manifester devant elle. Tout ce qui arrive de petit annonce la survenue de quelque vnement important.
L'influence de toute me qui nat possde une certaine porte. Souvent l'on dit d'un enfant qu'il a en naissant port bonheur sa famille. Un prince qui nat dans un palais apporte parfois sa bonne ou sa mauvaise influence tout le royaume. Il est raisonnable en tout point que l'Instructeur du monde montre les signes qu'il apporte le Message divin par diverses manifestations merveilleuses qui se produisent travers le monde. Il n'y a pas lieu de douter un instant de cela.
Si Amina, la mre du Prophte, a t flicite dans ses rves par tous les prophtes, si divers signes dans le monde ont annonc la venue de l'Instructeur du monde, si les marques de son gnie prophtique ont t reconnues en lui avant qu'il ne reoive le Message, qu'y a-t-il l de surprenant pour un esprit veill? Le hibou ne peut pas voir le jour; cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas de lumire. Ce sont les yeux du hibou qui le privent de vision.
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Quand il devint un peu plus grand, il avait l'habitude de jouer avec les enfants des voisins. Il tait toujours dispos donner ses jouets et n'arrachait jamais des mains d'un autre le jouet qu'il avait apport. Halima avait fort faire pour garder les objets la maison. Quand les petits enfants se disputaient, comme ils le font toujours, il les sparait et parfois il prenait le parti du plus faible. Mais par moments il semblait trs loin d'eux et de tout le monde. Il s'asseyait l'cart, absorb dans ses penses, et parfois il se jetait terre dans une complte immobilit. Puis progressivement il se relevait et il tait si frais et si rayonnant que sa face, semblable la lune, apparaissait resplendissante. Halima parla son mari de cette manifestation inhabituelle, et tous deux pensrent que l'enfant tait obsd par quelque esprit. Elle le rendit alors sa mre en lui disant: "Madame, votre gentil petit enfant est, j'en ai peur, obsd par un esprit". Amina rpondit: "N'ayez crainte. Dieu l'en prserve. Il est lev au-dessus des obsessions du monde".
Dans la maison de sa mre, il montra des traits rares montrant son dveloppement futur. Il acceptait toujours les enfants pauvres. Il avertissait et menaait ses jeunes compagnons concernant les mauvaises actions et les poussait obir leurs parents. Il sympathisait avec les chagrins de chaque enfant de son ge et il tait toujours le meneur de ses camarades de jeu. Il devenait comme un aimant, attirant la fois jeunes et vieux, et grandissait chaque jour en intrt.
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A l'ge de six ans, sa mre l'emmena la Mecque, et aprs une courte visite, sur le chemin de retour, Amina mourut. La douleur fut profonde pour le tendre cur de l'enfant. Il se trouvait ainsi priv non seulement des soins d'un pre, mais aussi de ceux d'une mre qui sont si importants pour un enfant. Mohammed fut laiss aux soins de son grand-pre qui, bien qu'g et souffrant, veilla sur lui de son lit de malade avec une trs grande attention, car son ge et son exprience lui firent comprendre que c'tait un enfant remarquable. Bientt ce grand-pre mourut aussi, et il resta tout fait orphelin dans ce vaste monde. C'est comme si Dieu enviait toute personne prenant soin de Ses lus en dehors de Lui seul.
Mohammed fut alors plac sous la garde de son oncle, Abou Talib, qui le prit en charge et l'leva, prenant soin de lui autant que de ses propres enfants. A cette poque il n'y avait ni cole ni universits; on envoya les jeunes garons dans la nature avec le btail, les moutons et les chvres. Un jour o Mohammed tait parti garder les moutons et les chvres de son oncle, un autre garon lui dit: "Surveille ma place mes chvres et les moutons pendant que j'irai la ville pour m'amuser. Puis je surveillerai tes moutons et tes chvres, et ton tour tu pourras aller t'amuser en ville". Mohammed rpliqua: "Je surveillerai tes moutons et tes chvres, mais je n'abandonnerai pas les miens, parce que c'est moi personnellement qu'ils ont t confis". Ce petit fait montre comment, dans la vie de tous les jours, la fermet de Mohammed tait dj en prparation au-dedans de lui-mme. Elle se manifesta d'abord un degr mineur et se dveloppa dans la suite un degr tel quAllah lui confia la responsabilit de l'humanit, charge qu'il ne ngligea pas au milieu des tentations de ce monde dconcertant.
Son oncle avait l'habitude d'aller une fois par an Sham pour vendre sa marchandise. Avant le dpart il recommandait sa famille ses propres enfants et Mohammed, leur donnant des instructions pour veiller trs attentivement sur eux et particulirement sur Mohammed, parce qu'il avait une grande affection pour lui et aussi parce qu'il pensait que Mohammed tant orphelin, c'tait le commandement de Dieu de prendre particulirement soin de lui. Mais quand vint le moment des adieux, Mohammed se cramponna au cou de son oncle, disant: "Je partirai avec toi. Je ne peux pas rester ici en ton absence". Le voyage tait difficile, et prendre un jeune garon comme Mohammed, c'tait prvoir de grandes difficults. Mais son oncle ne pouvait pas lui refuser et il le prit avec lui.
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Pendant leur voyage, Mohammed montra beaucoup d'attention pour son oncle, lui apportant son aide de toutes les faons, et sa compagnie lui porta chance. En rentrant chez eux, un Arabe qui tait voyant les rencontra. Il avertit Abou Talib de prendre grand soin de l'enfant car il avait vu qu'un grand avenir l'attendait. Il dit: "Cet enfant sera celui qui lvera non seulement sa communaut mais toute l'humanit".
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Quand Mohammed envoya son rapport, Khadidjah dcouvrit que sous son administration elle avait gagn plus qu' aucune des expditions prcdentes, et elle comprit que les autres, ceux qui avaient eu ses affaires en main, la ruinaient. Elle admira son talent quilibr par
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l'honntet, ce que l'on rencontre bien rarement, car en rgle gnrale on voit l'honntet chez l'innocent et la malhonntet chez l'intelligent. Cela, et le rayonnement qui l'entourait, firent une grande impression sur elle, et elle lui dit: "Je vois quel grand tre tu es. Je serai ton esclave". Mohammed rpondit: "Non pas. Je ferai de toi ma reine". Ainsi se marirent-ils et ce fut un grand mariage, car Khadidjah tait de la famille des Qorayshites et fort riche, et bien que les parents de Mohammed fussent pauvres, ils taient eux aussi de la famille des Qorayshites.
Aprs son mariage Mohammed commena prendre une plus large part aux affaires sociales et ainsi quinze annes de sa vie d'homme mari s'coulrent avec divers faits notables. L o une querelle opposait deux hommes, l o deux autres cherchaient se nuire mutuellement, il rtablissait la paix. Ses manires douces, ses paroles affables, sa conduite irrprochable, la grande puret de sa vie, sa dlicate franchise, son empressement aider, servir les pauvres, les faibles, la noblesse de sa nature, son indfectible fidlit, son sens strict du devoir, lui gagnrent parmi sa communaut le titre trs distingu de El-Amine, celui qui est digne de confiance, le pacificateur. Ainsi les paroles du Christ annonant le Consolateur furent-elles ralises dans sa personne.
La vie d'homme mari de Mohammed apporta son esprit un tat de calme et de paix. Quelqu'un d'autre tait venu pour complter sa vie et partager ses responsabilits. Khadidjah saisissait de plus en plus quelle tait la vocation de son mari. Elle commena le porter, comme le dit l'expression, "sur les paumes de ses mains". Elle comprit que sa nature tait trop fine pour le commerce ou les affaires ou pour tre guerrier, elle comprit qu'il devait tre tenu loin de toutes ces occupations. Sa prdisposition pour la poursuite de la vrit commena s'veiller. Puis vint l'appel de Dieu, le poussant aller dans la solitude; et, sacrifiant toutes les occupations terrestres qui retiennent l'homme loin d'Allah, il commena se rendre au Mont Hira pour rechercher le but de sa vie, pour connatre ce qu'tait le Message de Dieu.
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Tout d'abord il ne vit pas son pre, afin qu'en labsence d'un pre mortel il soit amen chercher un pre cleste. Dieu souhaitait qu'il dcouvre que Lui seul pouvait lui apporter soutien et prendre soin de lui. Tout enfant se tourne vers sa mre et son pre pour le nourrir et l'aider, mais il devait apprendre ce que c'est que d'tre orphelin. La dernire maladie et la mort de son grand-pre Abd'ul Muttalib apporta un grand changement dans son exprience. Il connut l'amour d'une mre et apprcia les soins de son oncle tuteur.
Il ne reut aucune ducation en ce qui concerne la lecture et l'criture, trs rare cette poque, spcialement dans le dsert au sein duquel il tait n. Cependant Mohammed acquit l'loquence qui constituait l'ducation dans ces temps grce ses liens avec certaines familles. Il la matrisa facilement parce que d'un point de vue mystique l'loquence est le meilleur des dons divins, que les Hindous appellent Wak devi: la desse-sur-la-langue. Au modeste foyer de Halima, sa nourrice, il reut l'empreinte de la vie domestique du peuple. Les scnes d'orgies Okhod furent une tude concernant la dgradation de son peuple. Se trouver dans le dsert avec les troupeaux lui apprit ce qu'tait la vie des bergers, des travailleurs. Sa prsence dans les combats pour dfendre la Ka'ba lui montra ce que c'est d'tre soldat, quoi ressemble une bataille, quel point se dfendre est ncessaire dans la vie. Son assistance ses compatriotes dans leurs affaires sociales et nationales lui apprit une leon concernant les besoins de la nation et la rforme de la socit. Ses voyages en Syrie lui montrrent l'envers du tableau: l'tat de dgradation des gens dans ces parties du monde, la manire dont la droiture est sacrifie l'appt du gain dans les affaires, quel point le cur de
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l'homme devient froid en prlevant intrt sur intrt sur l'argent prt, gagnant ainsi sans aucun travail. Il constata la situation des Juifs, il vit l'tat des Chrtiens. Il vit l'hypocrisie des autorits religieuses, l'ignorance des simples croyants, compltement enveloppe dans des superstitions et des fables inventes. Tout cela fut l'ducation prliminaire de Mohammed qui lui fut donne spcialement en vue du but pour lequel il tait n sur terre. S'il avait t un ascte, s'il tait n dans un foyer heureux ou dans un palais, s'il n'avait jamais vu de champ de bataille, s'il n'avait pas connu le monde des affaires, s'il n'avait pas vcu parmi les bergers, s'il n'avait pas t mari et n'avait pas connu les soucis de la famille, s'il n'avait pas constat la dcadence du peuple, l'hypocrisie au nom de la religion, comment aurait-il t capable de dlivrer le Message final de Dieu, un Message destin aux gens de tous genres de vie, un Message destin tre non pas une religion mais ISLAM, fraternit des nations et des races, fraternit morale et spirituelle pour l'humanit entire. Il vint comme le Matre mondial ici-bas et dans l'au-del, comme l'Inspir, non pas pour une race ou une communaut, mais pour l'entire humanit. Mohammed dut apprendre toutes les leons de la vie, parce que le message donner son poque tait d'apprendre tre homme, apprendre comment vivre en tant qu'tre humain. Le message qui tait d'apprendre tre spirituel avait dj t donn.
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Ce matre promis de l'humanit, inconscient de sa tche venir, se prosternant la face dans la poussire, se rendit au Dieu vivant, attirant ainsi Sa misricorde et Sa compassion sur la terre. Il s'immergeait si profondment en lui-mme pendant des heures qu'aucune ide de temps, aucun manque de nourriture, aucune inclination au sommeil, rien n'tait capable de distraire son esprit de cet tat d'absorption. C'tait l la bonne manire, c'tait l le seul chemin. Si quelqu'un a atteint la ralisation de la vrit, c'est en la cherchant au-dedans de son propre tre. Il aimait chaque jour davantage la solitude et s'asseyait sur les rochers du Mont Hira, cherchant tout alentour une aide, l o nul homme et mme pas d'oiseau ou danimal sauvage n'taient en vue. Le dsert nu avec ses rochers muets, dnus mme d'arbres et de plantes, parla sans entraves quand le moment bni arriva. Il ferma les yeux et dirigea son attention pour couter si quelque rponse venait du dedans, sinon du dehors. Alors vint la rponse son appel fervent. Quelque chose du dedans dit: "Crie le nom de ton Dieu". Il dit: "Quel Dieu? Mon peuple en a des milliers". La seconde fois, comme une voix plus claire dit: "Crie le nom de ton Dieu", il rpondit: "Non, je ne le ferai pas, car je n'ai pas de Dieu dfini pour moi". Alors vint une troisime injonction: "Rpte le nom de ton Seigneur, le Dieu vivant, le seul Dieu que tu aies appel". Il commena alors crier haute voix: "Allah! Allah!" Et comme il le rptait, les nuages de la confusion qui l'entouraient commencrent se dissiper sa vue. A chacun de ses appels "Allah!", les oreilles de son me entendirent, rpt un million de fois travers toutes choses, travers la lumire du soleil, travers la clart de la lune, travers le scintillement des toiles, travers le murmure de la brise, travers la plainte de la nuit sombre: "Je suis ici", "Je suis prs", "Je suis ton Seigneur", "Je suis ton Dieu". L'amour de Mohammed, l'amant divin idal, jaillit de son cur en coutant la rponse du Bien-Aim, les mots dispensateurs de vie de Celui qui tait dsir. Versant des larmes de joie, il sentit son corps empli de lgret, qui se sentait comme voler, qui se sentait comme prt sauter du haut des montagnes. Et qutait-ce donc? C'tait le commencement du duo d'amour entre l'amant terrestre et le divin Bien-Aim. C'tait la premire rencontre du regard de l'amant et de la beaut de la BienAime. Pour la joie de ce stade o l'on commence faire la cour, si les anges pouvaient en tre tmoins du haut des cieux, ils tomberaient des cieux pour devenir un homme de la terre. Quand l'amour se manifeste la fois dans l'amant et la bien-aime, alors il est naturel que la bien-aime demande l'amant non seulement l'amour, l'admiration ou l'attention mais le sacrifice, le service. La pense de Dieu cherchant un esprit responsable, le verbe de Dieu cherchant une langue de feu rayonnant constamment, l'esprit de Dieu cherchant une
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me pure, la misricorde de Dieu cherchant un cur aimant se rjouirent de la dvotion de Mohammed, comme une jeune fille aime se rjouirait d'un admirateur, surtout de celui qui pourrait voir et admirer sa beaut tandis que la foule cherche autre chose avec les yeux ferms. Le cur aimant de Mohammed dans le Ghare-e-Hira (Une grotte du Mont Hira)coutait de plus en plus attentivement les paroles de son Bien-Aim cleste. Et qu'tait-ce donc? C'tait l'appel, la demande du sacrifice, du service. L'intellect de Mohammed disait: "Mais comment peut-on faire? La raison n'y peut rien comprendre. Ce Dieu mien, omniprsent et omnipotent, sans forme et sans couleur, que j'ai ralis, sera tellement diffrent des dieux du peuple". Mohammed se regarda lui-mme et imagina: "Moi, goutte dans la mer - et voici la divine injonction de secouer l'ocan tout entier!" Stupfaction au-del de toute explication. Comment l'accomplir? O aller? A qui demander? Que faire? Et son corps qui tremblait mme l'ide de cette responsabilit! Imaginez le roi demandant un gnral d'opposer sa petite arme aux forces du monde entier runies pour le combat. Quel serait alors son tat d'esprit? Et l'esprit sensible de Mohammed qui tait empli d'amour et nourri de sympathie commena voir le monde entier devant lui en armes. Il ne pouvait ni refuser la parole du Tout-Puissant, la demande du Bien-Aim, le commandement de l'tre Suprme, ni voir son chemin ouvert o que ce soit, tel que le monde apparaissait son exprience Il rentra chez lui en hte depuis le Ghare-e-Hira, perdu dans son exprience rcente, et chercha refuge prs de la consolatrice de son cur, jusque l sa seule conseillre sur la face de la terre, sa femme Khadidja. Il lui demanda de le cacher. Il ne pouvait expliquer ce qu'il ressentait ni que le fait d'tre ainsi cach pourrait cacher sa propre vue son petit moi qui semblait tre charg du poids de la terre et des cieux. Malgr toute sa discipline et sa rponse courageuse la Volont Suprme, il ne savait pas encore que Sa puissance est suffisante pour porter n'importe quelle responsabilit, si lourde soit-elle, et il ne connaissait pas encore la force toute-puissante qui se cachait sous le voile de son moi limit et impuissant. Nous avons propos notre confiance aux montagnes qui n'ont pu la supporter. Ensuite nous avons propos notre confiance aux arbres qui n'ont pu en supporter le poids. Alors nous l'avons propose l'homme et c'est lui qui l'a accepte". Quelle tait cette confiance? On peut la comprendre dans une faible mesure comme la charge qui est donne aux parents concernant leurs enfants, un capitaine concernant son vaisseau, un gouverneur concernant son gouvernement, un roi envers son royaume, au Wali, Ghawth, Qutb et Nabi concernant la charge des mes qui sont sous leur influence pour les guider et les gouverner, mais
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la culmination de cette confiance tait cache dans le Risalat qui tait confr Mohammed. C'tait la charge non seulement de glorifier le nom de Dieu devant le monde en gnral - et, qui plus est, une poque o le dieu du mari tait diffrent du dieu de la femme et o, cause de cette diffrence mme, le sabre tait toujours dgain - mais cette responsabilit consistait en fait interprter de faon juste la vrit divine enseigne par les divers Messagers, la vrit qui avait t maltraite jusqu un certain point dans les diverses critures religieuses, ceci afin qu'un lien de fraternit puisse tre tabli parmi les enfants d'Adam, parmi les cratures de Dieu. Nous nous rendrons compte, en regardant les choses avec sympathie, que le cur plein de jeunesse de Mohammed, totalement absorb dans l'amour de son divin Bien-Aim, l'avait conduit encore et encore Gharee-Hira. L, couvert de son manteau, s'isolant de tout l'environnement du monde, assidu diriger son esprit dans la pense exclusive du Bien-Aim avec espoir et confiance dans sa guidance, il passa l des heures en contemplation. Alors la Voix tant attendue se fit entendre:
O toi, l'envelopp du manteau, Lve-toi et avertis, Et de ton Seigneur clbre la grandeur, Et ta vture purifie-la Et de l'abomination loigne-toi, Et n'accorde pas d'avantages pour augmenter tes gains, Et tiens-toi dans l'attente de ton Seigneur.
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Mohammed commena d'entendre la voix de Dieu plus fortement que tout au monde. La voix disait: "Ikra!" La premire fois il n'y fut pas attentif parce qu'il dsirait la solitude, la deuxime fois il n'y fut pas attentif parce qu'il tait silencieux, mais la troisime fois la voix parla plus fort et il commena chanter "Allah! Allah!" Et la voix poursuivait: "Ikra! Proclame, rcite, chante!" Ceci est important pour les Soufis parce que cela signifie: que tu restes assis mditer les yeux ferms ne suffit pas, chante Ma gloire dans le dhikr, travaille par le son".
Un jour que Mohammed revenait du Mont Hira, il demanda un manteau, s'en recouvrit et tout pntr la fois de crainte, d'espoir et de confiance, il dit sa femme: "J'ai fait une bien trange exprience. Je ne sais si je suis fou ou si c'est une exprience qu'ont eu les Matres du pass. Je ne peux pas t'expliquer ce que j'ai prouv, cela dpasse l'entendement humain". Khadidja dit: "Je ne sais pas pourquoi tu ne serais pas choisi. Pourquoi craindre une mauvaise influence? Je sais et je peux en tmoigner, tu es bon, indulgent, patient, doux. Tu es bon pour moi, tu es bon pour tes amis, tu es indulgent pour tes ennemis. Tu es un conciliateur, tu es en sympathie avec les animaux, avec les oiseaux, avec les insectes". Lorsque la conscience lui revint des profondeurs de son esprit, il dit Khadidja qui le veillait avec inquitude: "O Khadidja, qui
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aurait pu penser que je serais, moi, devenu un devin ou un obsd?" (par un esprit) Khadidja lui rpondit: "O mon mari, Dieu me protge. Il ne permettra srement pas qu'une telle chose t'arrive, parce que tu dis la vrit, tu ne rends pas le mal pour le mal, tu es de confiance et tu mnes une vie droite. Tu n'es pas de ceux qui palabrent sur les marchs. Que t'est-il arriv? As-tu vu quelque chose de terrible?"
"Oui", dit Mohammed, et il lui expliqua tout ce qu'il avait vcu au Mont Hira. Aprs avoir cout son rcit, elle parla, pleine de courage et le visage riant, et dit: "Rjouis-toi, cher mari, et prends courage. Celui qui tient la vie de Khadidja dans sa main m'est tmoin que tu seras le prophte de ce peuple". Pour en avoir confirmation elle se leva peu aprs et se rendit chez son cousin Waraqa, un sage vieillard qui faisait autorit en matire d'critures saintes juives et chrtiennes. Aussitt que Khadidja lui et tout expliqu de la merveilleuse exprience de son mari pendant sa retraite au Mont Hira, les mots des critures sacres: "Je prierai le Pre et il vous donnera un autre consolateur afin qu'il demeure ternellement avec vous: l'esprit de Vrit que le monde ne peut recevoir parce qu'il ne le voit point et ne le connat point" (Saint Jean XIV, 16) apparurent devant les yeux de Waraqa en mme temps que son cur tait empli de confiance. Il dit alors: "Saint! Saint! En vrit, ceci est la parole de Dieu. Mohammed sera le prophte de ce peuple. Dis-le-lui et prie-le d'avoir du courage. Ne crains pas de mauvaise influence. Je pense que ceci est la mme exprience que celle qui fut donne Mose: la communication avec Dieu. Et je pense que si cela continue toute sa communaut sera contre lui. Ils le chasseront, car les gens n'aiment pas ce qui est nouveau. Ils aiment l'ancien qu'ils croient tre leur proprit. Si je n'tais pas aussi g, je me tiendrais ses cts. Ceci prendra quelques annes avant de se manifester, mais garde courage, mon enfant, il sera un guide de l'humanit".
L'attente tait partout, dans les dserts comme dans les terres peuples, de l'Est l'Ouest et du Nord au Sud - l'attente du message de Dieu qui allait arriver. Il fallait qu'un phare soit allum pour montrer aux navires gars le droit chemin du port. Le mme clair traversa le cur de Waraqa. Lorsqu'il rencontra Mohammed par hasard dans la rue, cet homme instruit des critures lui dit ardemment: "Par Celui qui tient ma vie dans Sa main, je te dis: Dieu t'a choisi pour tre le prophte de ce peuple, la parole de Dieu est venue jusqu' toi. Rjouis-toi, la communication est tablie. Ils te traiteront de menteur, ils te
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perscuteront, ils te banniront, ils te combattront. Ah! Si je pouvais vivre jusque l, je me battrais pour toi". Et il embrassa Mohammed sur le front. Ces paroles d'espoir et de confiance apportrent consolation l'me innocente de Mohammed pendant le temps de son enfance dans la lumire de Dieu. La communication tait tablie, Mohammed entendait cette voix vritable, la voix de Dieu. Il ne voyait pas d'images, pas de symboles, il voyait la vritable face de Dieu dans le soleil levant, dans le soleil couchant, dans la nature.
Parce qu'il souhaitait entendre l'tre intrieur, parce qu'il s'tait dtourn de l'tre extrieur, de ses amis, de tous, parce qu'il avait foi, il lui fut possible d'entendre l'tre intrieur. Une fois la communication tablie, vint alors le commandement: "Sois Notre agent, dveloppe la graine seme par le Christ. Fais autour d'elle un corps que le monde puisse voir; sans corps elle ne peut tre vue". C'tait comme quand nous correspondons une premire fois avec un ami; plus tard, une fois la correspondance tablie, nous disons: "Fais ceci ou cela pour moi". Alors vint une premire sourate et ensuite d'autres sourates:
"En vrit, Nous l'avons rvl pendant la Nuit du Pouvoir. "Qui te dira ce qu'est la Nuit du Pouvoir? "La Nuit du Pouvoir est meilleure que mille mois. "Durant celle-ci descendent les anges ainsi que l'esprit "par permission de leur Seigneur pour toutes choses. "Elle est paix jusqu' l'apparition de l'aube". (Sourate 97)
"Chante au nom de ton Seigneur "Qui a cr l'homme d'un caillot de sang. "Chante par ton Seigneur, le Bienfaisant, "Qui a enseign par la plume, "Qui a appris l'homme ce qu'il ne savait pas. (Sourate 96)
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La diffrence entre le sens verbal et l'interprtation mystique du Qur'an est aussi vaste que la distance entre les cieux et la terre. Le mot "nuit" dans la sourate ci-dessus dsigne la condition de l'me lorsqu'elle ne voit pas d'objets terrestres, qu'elle n'a pas de penses ou d'impressions, comme la tombe de la nuit voile notre vue tous les objets qui nous entourent. Ceci est la seule condition qui permette l'me d'avoir la rvlation divine: pendant qu'elle est dans l'treinte du Tout-Puissant, attire par Lui qui est son propre lment, durant le temps de sa rceptivit absolue. C'est cela la Nuit du Pouvoir. Ce moment de splendeur est une extase plus grande que l'ensemble des ombres d'extases que l'me pourrait rcolter pendant plusieurs annes de sa veille sur le plan physique de l'existence. Dans cet tat d'exaltation, apparaissent aux yeux du voyant, les anges, les officiants clestes, et la lumire qui illumine les modalits de la vie. Une paix absolue envahit l'me jusqu' ce qu'elle merge et arrive dans les sphres terrestres, ce qui est l'apparition de l'aube.
Chaque son a une forme et chaque mot a un visage; chaque pense a une image que les yeux de l'esprit peuvent voir. Tandis que les mots tombaient dans les oreilles de son cur, la forme de celui qui parlait apparut devant les yeux de son cur, et Mohammed vit Gabriel, l'officiant cleste, qui venait lui donner confiance dans la vracit des mots.
Tandis que son me tait concentre sur la lumire divine du dedans, tout autour de lui le soleil, la lune, les plantes, les toiles, la terre avec toutes ses beauts, la nature avec toutes ses varits commencrent scintiller devant ses yeux comme un manuscrit cleste crit en lettres d'or. Celui qui parlait au-dedans murmura alors doucement la sourate dont l'interprtation est celle-ci: "Ainsi lis-tu ce manuscrit de la nature qui est devant toi et vois-tu comment partir d'un tat de conception insignifiante (Le sens rel du terme arabe trs souvent traduit par "caillot de sang" est "sperme") est apparu le beau visage d'un tre vivant dans toute sa perfection. Tel est le phnomne de la plume de Notre nature, qui a crit Nos signes sur tous les plans de l'existence et a appris l'homme comment les lire. Alors proclame la gloire de Celui qui enseigne par la plume". Qu'est-ce que la plume? Ceci fut interprt comme tant "celui qui enseigna par l'criture", et cette interprtation lui a fait perdre son grand sens
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mystique. L'criture est une si petite chose! Aujourd'hui tout le monde crit. Lire et crire sont si peu de choses. Un banquier peur crire pendant toute sa vie. Que sait-il en fin de compte? Quelqu'un peut crire une grammaire et devenir un grand spcialiste de sa langue. Que sait-il? Comment peut-on dire de Dieu qu'il crit? La plume est le souffle. Quand le souffle a disparu, la personne est morte. Aussi longtemps qu'il respire, l'homme projette. Il projette des maisons, des palais; il fait de la posie, de la musique. Si le souffle de l'homme a tant de pouvoir, quel n'est pas alors le pouvoir collectif du Tout, de Dieu? Il a fait tout cet univers.
Il est dit: "Le soleil, la lune et les toiles montrent Sa gloire. Glorifiez-Le dans Ses oeuvres". La gloire du chanteur est dans son chant, la gloire du pote est dans ses pomes. Vous ne ferez pas l'loge d'un chanteur si vous ne l'avez pas entendu chanter. Vous ne ferez pas l'loge d'un pote si vous n'avez pas lu sa posie. Louez Dieu en contemplant la beaut de Sa nature.
La vie sur la terre aux yeux du Soufi est un apprentissage o chaque objet et chaque tre, si grand ou si petit soit-il, est une lettre crite sur la page de l'univers. La Volont Suprme l'a crite avec la plume de Son activit et seul peut le lire correctement celui qui est illumin par l'Esprit audedans, car c'est cette fin que l'homme fut cr.
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La premire personne avec qui Mohammed souhaita partager son exprience fut sa femme Khadidja. Il lui dit: "Viens avec moi dans la montagne". Il y emmena aussi son cousin Ali, et tous deux dcouvrirent la splendeur de la nature. Il les emmenait non pour les dtourner de leur religion mais parce que son esprit gnreux souhaitait partager avec d'autres. Il voulait qu'ils fassent eux aussi l'exprience d'une joie qu'il considrait comme la plus haute. Il ne les dissuadait pas du culte de leurs idoles, mais les voyant gars, il les prit par la main pour les conduire sur la bonne route. Il leur apprit adorer le Dieu vivant avec toutes les prosternations qu'ils avaient rserves auparavant leurs idoles.
C'tait l'achvement de la religion qui devait s'accomplir: que l'homme vnre le Dieu du dedans, le Dieu qui voit par nos yeux, qui entend par nos oreilles, qui fait l'exprience de la vie comme plante ou comme rocher, afin que l'homme n'adore plus les statues ou les images, qu'il n'adore plus par l'entremise du prtre qui prtend lui enseigner telle ou telle croyance, ou lui faire suivre l'ordre d'une voix qui dirait: "Venez dans cette glise ou dans ce lieu". Dans le dsert, en mer, dans la fort, partout o il en a le temps et sans intermdiaire, l'homme devrait luimme adorer et reconnatre Dieu. Une grande opposition commena se manifester parmi les gens de La Mecque, car l'un pensait: "Le temple que tient mon beau-pre sera dtruit". Un autre pensait: "Le temple que tient le mari de ma sur n'existera plus". Ces proccupations matrielles agitaient leurs esprits et ils s'opposrent vivement Mohammed. Grce leur notorit, Abou Talib et Khadidja purent attnuer les effets de l'opposition contre eux, mais les disciples plus pauvres furent bien davantage perscuts qu'eux-mmes.
Alors son pouse bien-aime Khadidja mourut. Mohammed avait dj perdu deux fils, et son oncle Abou Talib aussi tait mort. Pour son cur
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reconnaissant, la perte de cet oncle qui l'avait lev fut le premier coup trs dur. Ensuite la mort de sa femme fut pour lui un trs grand chagrin. En dehors de l'attention d'une mre ou d'un parent, s'il avait eu quelque rconfort dans sa vie, il le devait son pouse dont le dvouement et les attentions avaient t trs grands.
Son mariage lui avait apport le calme et le quotidien dont il avait besoin pour prparer son esprit cette grande tche. Mais au-del de cela, il lui avait aussi apport le cur d'une femme aimante qui tait la premire avoir eu foi en sa mission. Toujours prte le consoler dans son dsespoir et partager ses responsabilits, elle avait entretenu en lui la petite flamme vacillante de l'espoir lorsque personne, pas mme luimme, ne croyait en lui, et le monde dsormais tait noir ses yeux.
On a souvent reproch la religion musulmane d'avoir priv la femme de sa libert. Si on lit la vie de Khadidja, on verra comme elle fut honore. Mohammed ne voulait jamais manger sans elle, ne voulait jamais boire sans elle, ne voulait aller nulle part sans elle. Lorsqu'elle entrait dans la pice, il se levait et disait: "Voici ton sige, ma reine". Tel tait le respect qu'il avait pour elle.
Elle lui tmoignait un grand dvouement. Lorsque Mohammed manquait de confiance en lui, elle disait: "Pourquoi ne serais-tu pas lu? Je suis tmoin que tu es un homme vertueux, qu'il n'y en a pas d'autres comme toi. Pourquoi n'accepteras-tu pas le Message de Dieu? Je crois que tu es l'homme destin cela." Elle acceptait la foi de son mari, elle y croyait quand lui-mme en doutait encore, elle la lui confirmait et la prfrait la croyance de ses anctres. Par sa force d'me, elle lui inspira un grand courage. Allah dit d'elle dans le Coran: "Nous l'avons rconfort travers elle lorsqu'il revenait vers elle", car elle le soutenait et rendait sa tche plus lgre en l'assurant de sa confiance et en lui montrant la futilit et l'inutilit du bavardage des hommes. Elle fut la premire Musulmane. Tout le crdit lui en revient en priorit, et partir d'une seule femme la religion parvint au monde entier. Que ceux qui connaissaient le mieux Mohammed, sa propre famille et surtout sa femme, l'aient cru digne d'estime est un grand signe de sa valeur. Dans la relation entre mari et femme, tous les travers, tous les dfauts sont connus. S'il y avait eu dans l'esprit de Khadidja le moindre doute quant savoir s'il en tait digne,
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elle n'aurait pas t sa premire disciple, elle n'aurait pas t sa premire conseillre et sa consolatrice. Beaucoup sont grands au loin, qui ne sont rien dans leur village, parce que l leurs dfauts sont connus.
Le chagrin de Mohammed fut immense. Des jours durant il pleura et appela son nom. La seule chose qui le consolait tait cette parole intrieure murmure par les lvres de son cur: "Tu es l'homme, tu es celui qui avertit, tu es le rformateur".
Ses disciples avaient beaucoup de mal lui rendre sa gaiet et sa bonne humeur d'avant. C'taient de si fidles disciples; ils ne cessaient de l'entourer et, partout o il pouvait y avoir du danger, ils couraient devant lui pour le protger, pensant: "Soyons tus s'il le faut, mais pas lui". Ils estimaient que c'tait un bonheur de donner leur vie pour la cause de la vrit.
Aprs Khadidja, Ali fut le deuxime disciple de Mohammed. Il tait non seulement son cousin mais presque son fils adoptif. Mohammed ouvrait d'abord son me ceux qui taient proches. Parfois il les emmenait avec lui au Ghare-e-Hira pour prier avec lui dans la solitude le Dieu vivant. L'oncle de Mohammed, Abou Talib qui l'avait lev, lui avait dit: "Je ne sais pas grand-chose de la religion, mais je sais que tu es un homme vertueux. Je te confie mon fils Ali et je suis sr que tu seras pour lui un bon guide". Mohammed prit donc Ali sous sa guidance et il le laissait parfois plusieurs jours dans la montagne. C'est l que le mysticisme, la science du souffle, le Soufisme lui fut enseign.
Mohammed prcha au Mont Safah et les Soufis qui vivaient l furent ses premiers disciples. C'taient des philosophes, des mtaphysiciens, des asctes, et ils n'adoraient pas les idoles.
La religion de Mohammed attira ensuite quelques mes qui taient prtes la recevoir, les premiers parmi eux tant Abou Bakr. Abou Bakr tait un homme important parmi les Qorayshites et possdait une grande fortune. C'tait un homme dou d'une intelligence claire et d'un jugement
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sain, et dans son califat il fit preuve d'une grande nergie double de prudence et d'honntet. Le fait qu'il adopta sans hsiter la nouvelle foi est en soi la preuve qu'il tait beaucoup plus volu que ses frres qui lui taient opposs.
Othman le suivit. C'tait un lettr, ce qui tait rare en ce temps-l, surtout en Arabie. Son assistance fut d'une grande utilit, car il consigna les sourates du Coran mesure qu'elles taient rvles. Il fut le troisime calife, aprs Abou Bakr. Ensuite vinrent Abd'ul Rahman, Sad, le futur conqurant de la Perse, et Zubair. Ceux-l furent les premiers disciples qui reurent la bndiction de l'initiation des mains de Mohammed.
Un jour Omar, qui tait un ennemi, prpara une pe, empoisonne comme c'tait alors la coutume, et partit tuer Mohammed. En chemin il apprit que sa sur tait devenue une disciple de Mohammed et il dcida de la tuer la premire. Il arriva chez elle et la trouva en train de lire le Coran. Elle lui dit: "Je ne te crains pas, ni ta forte voix, ni ton pe, ni tes regards furieux. Depuis que j'ai appris la vrit, je crains Dieu et ne crains personne d'autre". Omar lui dit: Tu parles beaucoup de vrit. Si c'est a la vrit, lis-la-moi. Elle lut dans le Coran et Omar fut touch. C'tait un homme sensible et son cur fut attendri; le sentiment tait vivace en lui et ce sentiment fut touch. Il se rendit chez Mohammed l'pe la main et lui dit: "J'tais parti dans l'intention de te tuer car j'tais ton adversaire acharn, mais maintenant j'ai compris la vrit. Alors, tue-moi". Peut-on penser que Mohammed, qui tait indulgent pour tous, mme pour ses pires ennemis, aurait pu le tuer? Il l'embrassa aussitt, disant: "Mon frre, je suis heureux que tu sois venu pour tre mon disciple".
Quelques autres le suivirent qui taient de condition plus modeste. Le but prdestin de la vie de Mohammed rvla sa promesse d'avenir ds ses modestes dbuts. Tout d'abord sa femme et son cousin devinrent ses premiers disciples, et ils taient assez proches de lui pour connatre ses mrites autant que ses fautes. Ils auraient remarqu la plus petite chose dans sa vie susceptible d'altrer leur confiance en lui comme prophte inspir de Dieu. Ensuite, et bien que peu nombreux, les premiers qui adoptrent sa religion taient les hommes les plus intelligents du pays cette poque. Ils taient de ses amis, ils le voyaient dans toutes les
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circonstances de la vie. S'ils avaient eu la moindre raison de douter de sa mission prophtique, ils l'auraient quitt sans aucun doute. Ceci tait un grand tmoignage de la bndiction de prophtie qu'il avait reue, et ses tout premiers disciples assurrent les fondations, modestes mais encourageantes, de ce qui accomplirait un jour la promesse faite par Dieu Abraham:
"Pour Ismael je t'ai exauc. Voici je le bnirai, je le rendrai fcond et je le multiplierai l'infini... Et je ferai de lui une grande nation".(Gense, XVII, 20)
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Les efforts pour dtourner le peuple de l'idoltrie La vie mystique du prophte Mohammed La vie de Mohammed
Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan Mohammed oeuvra discrtement pendant trois ans sevrant son peuple du culte des idoles. Mais le culte des idoles tait si profondment grav dans leur cur qu'il n'tait pas facile d'en effacer l'empreinte. Par ailleurs, l'Islam possdait la vrit pure, et celle-ci a t de tous temps sans intrt et incomprhensible pour un esprit ordinaire pour lequel les idoles offrent naturellement bien plus d'attirance. D'autre part, les croyances aveugles des masses procuraient aux plus puissants et aux plus intelligents d'entre eux leur source de revenus, et l'oligarchie tait une autre force dont dpendait leur destin. Malgr toutes les difficults, trente disciples acceptrent la foi pendant ces trois annes, ce qui n'tait pas un si mince avantage. Aussi lente que semblt la progression de l'Islam, cela ne dcouragea jamais le cur vivant de Mohammed. Ferme dans sa foi en Allah, solide sur ses deux pieds, travers toutes les difficults et les obstacles sems sur son chemin, il tint bon.
La force divine cherche inlassablement: "A travers qui pourrais-je parler au monde?", tout comme le matre spirituel pense continuellement: "Qui pourrais-je inspirer et guider?" Il conduit les plus volus d'une certaine manire, il guide ceux dont l'volution est diffrente d'une autre manire, comme le ferait un mdecin qui ne traite pas tous ses patients de la mme faon. Parfois, le patient frappe le mdecin, parfois s'il est angoiss, il lui donne un coup de poing dans la figure ou il lui crache sur les mains. Le mdecin ne s'en formalise pas, il pense: "Je suis ici pour gurir", et ne se proccupe pas de la manire dont le patient se conduit; il le soigne. Le matre spirituel ne se proccupe pas de la manire dont le disciple se conduit; il le guide malgr tout.
Ses compatriotes commencrent douter de la sant mentale d'Al Amn et pensrent qu'il tait devenu fou ou obsd, mais lui poursuivit son travail avec la force de Dieu, tranquillement, consciencieusement.
La force de la foi dans le cur de Mohammed, et la beaut de la sagesse divine, qui est toujours la recherche d'une occasion de se dvoiler,
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encouragea maintenant Mohammed dire haute voix ce qu'il disait depuis si longtemps voix basse. Il convoqua une assemble sur le Mont Safah et leur parla en termes ardents, leur expliquant combien le culte des idoles est un crime aux yeux du Dieu vivant, et quel point il obscurcit le chemin des Cieux. Il leur dit comment les prophtes du pass avaient prvenu les gens qui n'obissaient pas, et les maldictions qui s'en taient suivies pour eux. Il les invita adopter la religion de l'amour et de la sagesse, et les pressa d'abandonner le culte des idoles. Les railleurs se moqurent et les hommes sarcastiques ironisrent en entendant cela. Certains s'amusrent de l'enthousiasme de Ali et s'en allrent; d'autres continurent de se moquer dans leur scepticisme. Certains s'clipsrent, effrays par ce qu'ils croyaient tre le signe avantcoureur d'une rvolution parmi eux. Bref, personne ne sembla rpondre publiquement l'appel du Matre.
Comme il n'avait pas russi convaincre les Qorayshites de la vrit simple et claire qu'il prsentait, il s'adressa aux trangers venus la Mecque en plerinage ou pour affaires. Mais l aussi, les habitants de la ville firent de leur mieux pour influencer dfavorablement les trangers tant que leurs impressions taient encore fraches. Pourtant "les flches de la vrit percent les montagnes et les collines". Bien que les Qorayshites fissent passer Mohammed pour un dangereux magicien, certains de ces trangers l'coutrent et racontrent aux leurs qu'il y avait la Mecque un homme courageux qui enjoignait ouvertement toutes les tribus d'Arabie d'abandonner l'idoltrie, le culte de leurs anctres, et les conjurait haute voix de s'unir dans la vritable foi en Dieu.
Un chef Yathrabit (de Yathrib, appele plus tard Mdine) demanda aux Qorayshites de la Mecque d'couter le nouveau prdicateur. "Un homme honorable a adopt une certaine religion. Pourquoi le perscuter? Car seul le Seigneur du ciel peut lire dans le cur de l'homme". Les hommes de Yathrib prtrent serment: "Nous n'associerons rien Dieu, nous ne volerons pas, nous ne commettrons pas l'adultre ni la fornication. Nous ne tuerons pas nos enfants. Nous nous abstiendrons de calomnier et de diffamer. Nous obirons au Prophte dans tout ce qui est juste et nous le suivrons dans le bonheur comme dans le malheur". Mohammed parla aux gens de Yathrib: "O gens de Yathrib, montrez votre joie en donnant vos voisins le salut de paix. Donnez des parts aux pauvres. Resserrez vos liens de parent. Priez pendant que d'autres dorment. Ainsi vous entrerez en paradis".
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Mais rien ne pouvait dissiper l'obscurit dans l'esprit des Qorayshites car aucune lumire, aussi brillante soit-elle, ne peut changer la nuit en jour. Ils n'pargnrent rien pour torturer la vie de Mohammed. Ils l'interrompaient dans ses prires la Ka'ba; ils le poursuivaient partout o il allait; ils jetaient des salets et des ordures sur lui et sur ses disciples lorsqu'ils faisaient leurs prires dans des vtements propres. Ils rpandaient des pines dans les lieux o il venait le plus souvent se prosterner devant le Tout-Puissant. Malgr toutes ces preuves, le coeur de Mohammed, fermement ancr dans sa foi en Dieu, ne flchit pas un seul instant. Il poursuivit assidment la mission pour laquelle il avait t cr, en affrontant quantit de dangers qui menaaient sa vie chacun de ses pas. Il n'y avait pratiquement aucune protection contre ces dangers si ce n'tait garder bon espoir, conserver sa prsence d'esprit, sa gentillesse, son calme naturel et une grande matrise de soi.
Abou Talib, l'oncle de Mohammed, avait gard la croyance de ses anctres. Ayant appris que Mohammed suivait une religion diffrente de celle de leurs anctres, il vint le trouver et lui demanda: "O fils de mon frre, quelle est cette religion que tu suis? Dlivre-nous des maux qui s'amoncellent sur toi et sur notre famille". Mohammed rpondit: "O mon oncle, si le soleil tombait sur ma main droite et la lune sur ma main gauche pour me combattre, et si je devais choisir entre renoncer ma mission ou prir en l'accomplissant, je ne dvierais pas de mon but". Voyant que beaucoup taient hostiles Mohammed cause de sa mission bnie, Abou Talib dclara ouvertement que Mohammed tait le bienfaiteur de la veuve et de l'orphelin, qu'il tait Al Amn, celui qui ne manque jamais sa parole ni ses actes, et que, si les Qorayshites voulaient tout prix lui faire du tort, les enfants de Hashim et de Mutalib dfendraient l'innocent au prix de leur vie.
Certains furent demi intresss et dirent: "Nous attendrons, pour nous convertir, que l'opposition soit calme, ensuite nous en apprendrons davantage". Quelques-uns des disciples ne disaient personne qu'ils taient des adeptes, mais, peu peu, cela finissait par se savoir, et ils rencontraient alors beaucoup d'inimiti. Ses disciples entouraient Mohammed pour le protger du danger. S'ils avaient faibli ce momentl, le message aurait t perdu. Mais ils taient dtermins et prts chaque instant donner leur vie pour le protger. Mohammed vcut ainsi
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un certain temps au milieu des dangers, des attaques et de l'hostilit. Puis, voyant que beaucoup de ses disciples taient perscuts et que certains taient tus, il pensa qu'il valait mieux aller dans un autre pays. Il demanda ses disciples s'ils taient prts faire l'hgire, c'est--dire abandonner ce qu'ils avaient. Ils dirent qu'ils taient prts. C'est alors qu'il alla avec eux Jash en Abyssinie, un lieu peu loign, mais dans un autre pays dont le roi tait chrtien.
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Les Qorayshites cherchrent donc le moyen d'touffer le mouvement dans luf. Ils conurent le projet unanime de tourmenter Mohammed et ses disciples de toutes les manires possibles afin que chacun d'eux soit dans les tourments quelque moment ou en quelque lieu que ce soit. A l'exception de quelques-uns tels Abu Talib et Abu Bakr qui jouissaient du pouvoir et de la notorit, les autres furent emprisonns, affams et traits avec un grande violence. Les femmes entre autres qu'ils souponnaient de suivre Mohammed furent exposes sur le sable brlant dans la fournaise du dsert, jusqu' ce qu'elles choisissent entre l'adoration des idoles ou la mort. Sous la torture, certains renoncrent pratiquer l'Islam ouvertement, mais la plupart des disciples restrent inbranlables malgr leurs souffrances, et parmi eux Bilal, le premier muezzin de l'Islam, qu'ils exposrent tte nue, la face tourne vers le soleil brlant. Ils lui mirent un norme bloc de pierre sur la poitrine et lui dirent: "Tu resteras l jusqu' ce que tu meures ou que tu abjures l'Islam." Mais l'article de la mort Bilal rpondait: "Un Dieu, Un Seul." Ils turent beaucoup de disciples et en torturrent beaucoup, et Mohammed tait le tmoin de toutes ces souffrances, endures avec patience et dans la ferme conviction en Dieu et en Son aptre par ces martyrs de la vrit. La dvotion de certains de ses disciples tait remarquable entre toutes. On raconte qu'on demanda l'un des disciples que l'on mettait mort s'il prfrerait que Mohammed soit tortur sa place. Au plus fort de la souffrance, il rpondit: "Je ne demanderais pas de rester avec ma famille et mes enfants en change d'une seule piqre d'pine faite Mohammed."
Ainsi les Qorayshites ne reculaient devant rien pour parvenir leurs fins. Voyant Mohammed trs tourment et pensant qu'il cderait peut-tre leurs dsirs, ils entreprirent de le tenter, croyant que les honneurs et la richesse pourraient dtourner Mohammed de la mission de sa vie. Ils dlgurent l'un des chefs arabes de l'opposition afin d'arriver un compromis. Celui-ci dit Mohammed: "Tu es rput par tes qualits et ta naissance et voil que tu as sem la division dans notre peuple et la discorde dans nos familles. Tu dnonce nos dieux et nos desses, tu taxes nos anctres d'impit. Nous avons une proposition te faire. Rflchis bien si tu n'aurais pas intrt l'accepter. Si tu dsires obtenir la richesse, nous rassemblerons pour toi une fortune plus grande que celle qu'aucun d'entre nous ne possde. Si tu dsires les honneurs et la gloire, nous ferons de toi notre roi. Mais si l'esprit qui t'obsde ne peut tre matris, nous t'enverrons des mdecins et nous leur donnerons une fortune pour te gurir." Mohammed rpondit: "Au nom du Dieu de misricorde, ceci est la rvlation du Tout-Misricordieux. C'est un livre
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dont les versets sont clairement expliqus, un Coran en Arabe pour instruire ceux qui comprennent; il contient de bonnes nouvelles et annonce des menaces. Mais la majorit des gens s'en dtourne et ne veut pas l'entendre. Ils disent: 'Nos curs sont ferms la doctrine que tu nous proposes; un rideau est tomb entre nous et toi. Fais donc comme tu l'entends, mais nous agirons conformment nos ides'. Dis, en vrit, je ne suis qu'un homme comme vous. A travers moi il est rvl que votre Dieu est un Dieu unique. C'est pourquoi allez droit vers Lui et demandezLui pardon pour le pass. Et que la guerre soit dclare aux idoltres qui ne donnent pas l'aumne prescrite et qui ne croient pas dans la vie future. Quant ceux qui croient et qui pratiquent la vertu, ils recevront une rcompense ternelle. Voil ce que tu as entendu. Maintenant prends la direction que tu juges la meilleure."
Voyant que la position de ses malheureux disciples devenait de jour en jour plus intenable, Mohammed leur conseilla de se chercher refuge dans le royaume voisin des Chrtiens d'Abyssinie dont il connaissait l'hospitalit et la tolrance. Certains d'entre eux suivirent immdiatement son conseil. Les Qorayshites, que le patriotisme rendait jaloux de leur religion et de leurs dieux, furent furieux d'apprendre leur fuite. Ils envoyrent leurs ambassadeurs au roi d'Abyssinie pour lui demander d'extrader ces rfugis, qu'ils avaient dcid de passer par l'pe pour avoir abandonn leur ancienne religion au profit de la nouvelle foi. Aprs avoir entendu les ambassadeurs, le roi demanda si la dclaration des Qorayshites tait exacte. "Quelle est cette religion pour laquelle vous avez abandonn la foi de vos anctres?", demanda-t-il. Jaffr, le chef du groupe des rfugis, parla: "O roi, nous tions plongs dans les profondeurs de l'ignorance et de la barbarie. Nous adorions des idoles, nous vivions dans la dbauche, nous mangions des viandes mortes, nous disions des horreurs. Nous ignorions tout sentiment d'humanit ainsi que les devoirs de l'hospitalit et du voisinage; notre seule loi tait la loi du plus fort. Quelqu'un dont nous connaissons la naissance et la bonne foi, l'honntet et la puret, nous a rvl l'unicit de Dieu et nous a appris de ne rien Lui associer. Il ne prtend pas tre suprieur un homme ordinaire, mais il prche et il enseigne. La religion qu'il enseigne - dit-il - est la mme que la religion d'Adam, la mme que la religion d'Abraham, la mme que la religion du Christ. Le mme Livre commenc au temps d'Adam fut poursuivi par Abraham, par Mose et par tous les prophtes et se termine par Mohammed. Il nous a dfendu d'adorer les idoles et nous a recommand de dire la vrit, d'tre indulgents et de respecter les droits de nos voisins. Il nous a dfendu de dire du mal de la femme, de manger la subsistance des orphelins. Il nous
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a ordonn de fuir le vice et de nous abstenir de faire le mal. Il nous a ordonn d'offrir nos prires, de pratiquer l'aumne, d'observer le jene. Nous avons cru en lui, nous avons accept ses enseignements et ses injonctions d'adorer Dieu l'exclusion de tout autre. C'est pour cela que notre peuple s'est lev contre nous et nous a perscuts pour nous faire abandonner l'adoration de Dieu et revenir au culte des idoles de pierre et de bois et d'autres abominations. Ils nous ont torturs et tourments tel point que, ne pouvant trouver scurit parmi eux, nous sommes venus dans ce pays avec l'espoir que tu nous protgeras de leur oppression." En entendant ce rcit, le roi refusa de rendre les rfugis aux Qorayshites.
Bien que le cercle de ses disciples qui, au pril de leur vie, se tenait autour de Mohammed en et t loign, Mohammed lui-mme tait rest bravement au pays et poursuivait la mission de sa vie travers les insultes et les outrages. Le voyant spar de ses disciples, les Qorayshites revinrent la charge pour le tenter avec la promesse d'honneurs et de richesses, mais la rponse de ce cur sincre tait: "Je ne souhaite ni richesses, ni honneurs, ni royaume. Je suis envoy par Dieu qui m'a ordonn de vous annoncer la bonne nouvelle. Je vous donne les paroles de mon Seigneur. Si vous acceptez le message que je vous apporte, Dieu vous sera favorable dans ce monde et dans l'autre. Si vous rejetez mes exhortations, je serai patient et je laisserai Dieu le soin de juger entre vous et moi." Ils riaient et se gaussaient de ses paroles et se moquaient de ses enseignements, mais sa simple foi et sa confiance dans le Dieu vivant et dans les divins commandements tait inbranlable. Ils commencrent lui demander de faire des miracles pour leur prouver qu'il tait un prophte. Ils lui demandrent de faire surgir des puits et des rivires, de faire descendre les cieux sur la terre, de dplacer des montagnes, de construire une maison en or, de monter aux cieux par une chelle. Ce grand pionnier du rationalisme rpliquait: "Dieu ne m'a pas envoy pour faire des miracles; Il m'a envoy pour vous prcher. Que mon Seigneur soit lou. Suis-je autre chose qu'un homme envoy comme aptre? Les anges ne marchent gnralement pas sur la terre, sans quoi Dieu aurait envoy un ange pour vous prcher Sa vrit. Je n'ai jamais dit que je dtiens les trsors d'Allah, que je connais les choses caches ou que je suis un ange, moi, qui suis mme incapable de m'aider moi-mme ou de me fier moi-mme sans qu'il plaise Dieu."
Sans prtentions extravagantes, sans phrases hyperboliques, sans chercher charmer par son caractre ou sa personnalit, il continuait de
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dire: "Je ne fais que prcher les paroles de Dieu, je ne fais qu'apporter le message de Dieu l'humanit." De la premire la dernire, aucune phrase ne lui chappait qui puisse tre interprte comme un culte de la personnalit; chaque mot tait dit avec une clart d'esprit et d'expression qui traduisait une parfaite sobrit, et c'est cela qui tait remarquable en lui compte tenu de l'poque et de l'environnement. Du dbut la fin, on dcouvre la douceur et l'humilit devant Dieu qu'il conserva sa vie durant.
Mais comment les oreilles des Qorayshites pouvaient-elles entendre les mots divins qui sortaient de la bouche de Mohammed? Et comment leurs yeux pouvaient-ils voir l'immanence de Dieu dans la nature lorsque leurs regards taient tourns vers leurs hideuses idoles? Ils disaient: "Sache ceci, Mohammed, nous ne cesserons jamais de t'empcher de prcher jusqu' ce que mort s'ensuive pour toi ou pour nous." Que peut comprendre l'insens de ce que dit le sage? Que peut percevoir le rocher de ce que le cur ressent?
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Dans le manuscrit original qui se rapporte ce chapitre, on trouve aussi le passage ci-aprs. Bien qu'il ft supprim, il peut tre intressant de conserver cette interprtation des vers dits sataniques :
"L'intelligence poussa Mohammed se rconcilier avec eux. Si pour le simplet un fait un et deux font deux, pour le sage un fait un et deux fait un, rpt deux fois. Pour les rconcilier il leur dit : 'Que pensez-vous de Al-Lat, Al-Azza et Ma'nat, le troisime aprs eux ?' Ceux-ci taient les noms qu'ils avaient idaliss et adors pendant des sicles. Un adorateur possd par le dmon et prsent parmi eux s'cria : 'Ce sont des Dames trs hautes dont on peut esprer l'intercession auprs de Dieu.'
Ces mots furent censs faire partie de la rvlation du Prophte. A ces mots les Qorayshites furent pleinement rconcilis, parce que les mots du
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diable voilrent un instant les mots de la Vrit lorsque Mohammed parla et fut interrompu au milieu de sa phrase".
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Faits et traditions concernant Mohammed et sa religion, qui sont souvent mal compris La vie mystique du prophte Mohammed
Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan
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LA GUERRE SAINTE Principe et exemples Point de vue historique La vie mystique du prophte Mohammed Faits et traditions concernant Mohammed et sa religion, souvent mal compris
Chapitre 1 Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan
Il est naturel que toute tte qui dpasse le niveau ordinaire de l'humanit se fasse abattre. L'homme n'aime jamais voir son frre s'lever plus haut que lui et Mohammed qui s'leva au plus haut et jusqu' l'idal divin Allah dit dans le Coran: "Si Je ne t'avais pas cr, Je n'aurais pas cr l'univers" - a t particulirement attaqu. Il fallait s'attendre ce que la jalousie naturelle qui existe entre les nations, les races et les religions comme entre les individus frappe de faon rpte Mohammed durant son vivant et mme encore prsent. Certains l'ont attaqu par l'pe, d'autres par la plume et d'autres encore par des propos venimeux.
Parmi beaucoup de critiques quant la vie de Mohammed, la premire est que le matre ait t un hros, un guerrier, ce qui est trs diffrent de la vie d'un prophte, d'un saint ou d'un sage. A cela, on peut rpondre en prenant comme exemple le dveloppement du corps et de l'esprit. Si l'esprit est hautement dvelopp et que le corps est nglig au point de devenir un squelette force d'abstinence et de privations, comme ce fut jadis le cas des Yogis et en gnral de trs nombreux mystiques de l'ancien temps, qu'arrive-t-il? L'esprit a pris le commandement et son arme, le corps, est incapable d'excuter les ordres. Les religions et les peuples qui observaient ces principes volurent par l'esprit et s'affaiblirent physiquement, de sorte qu'ils furent au cours des sicles crass sous le talon des plus forts, et les gnrations ultrieures perdirent la foi dans leurs religions et se trouvrent physiquement trop affaiblies pour suivre les principes des autres plus matrialistes. Tel est le cas des anciennes religions fondes sur les principes de la saintet.
Imaginez un instant qu'un roi construise un trs beau palais pour son agrment et son confort sans entourer sa capitale de fortifications. Un
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jour ou l'autre le palais tomberait aux mains d'un conqurant et cela en serait fini du confort et de l'agrment du roi. Mohammed, qui fut idalis par les sages et qui fut un crateur de saints, en mme temps fut celui qui enseigna les nations et qui cra des nations. L'on en trouve la preuve dans sa propre vie, car il n'est pas d'autre exemple dans l'histoire du monde de l'expansion aussi rapide et aussi considrable d'une nation fonde sur l'enseignement de la loi divine. Il vit que si chaque individu volue pour lui-mme, trs peu volueront et tous les autres resteront sans recours. Dornavant l'volution devait tre celle de beaucoup, unis la main dans la main, afin qu'il y ait des fondations solides et que toutes les causes d'obstacles puissent disparatre. C'est en cela que ses enseignements sont admirables: ils sont adapts toutes les nations et aux gens d'volution diffrente. Ses principes se sont avrs les seuls possibles pour la vie dans le monde et, directement ou indirectement, ils ont t adopts par toutes les nations, mme notre poque moderne de progrs, qu'ils soient ou non inclus dans leurs religions. Et pourtant il n'y a personne pour prendre l'pe comme le fit Mohammed, car le monde a toujours pris l'pe pour gouverner le monde, pour possder des royaumes; mais il prit l'pe pour frayer un passage afin que le Message de Dieu se rpande.
Les Arabes ont toujours t une race guerrire. Pas une semaine, pas un mois, pas une anne ne se passaient sans qu'il n'y eut de guerre. Il tait impossible d'apprendre cette race des principes d'humanit en gardant l'pe au fourreau. Pas un mot sur Dieu ou sur la vrit pouvait leur tre dit sans devoir les garder une porte de lance.
Il n'y a pas d'exemple que Mohammed ait jamais attaqu qui que ce soit. Son pe tait son bouclier; il ne s'en servait qu'en cas de lgitime dfense. Les pays conquis taient rendus ceux qui les possdaient. Les hommes conquirent les peuples pour les gouverner, lui les conqurait pour le service de l'Amour. Ceci est grav dans le cur de l'humanit, si bien qu'aujourd'hui le cur de presque chaque Musulman se sent mu et attendri quand le nom de Mohammed vient ses oreilles. L'pe peutelle laisser une telle empreinte?
La guerre sainte pour Dieu avait ses principes, trs diffrents de ceux de la guerre pour le monde. Dans la premire, il y a une ide d'amour, de
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bont, de sympathie humaine, de justice et du bien de l'adversaire; dans la seconde, il y a l'envie, la jalousie, la colre, la haine, et chaque adversaire a cur d'anantir l'autre. La premire repose sur l'esprit d'abngation, la seconde est le fruit de l'ego. Mme s'il s'agit de dfendre la famille, le pays ou la race, c'est l'gosme rig en patriotisme.
Les guerriers qui sacrifirent leur vie pour la cause de Dieu et de la vrit mritaient vritablement plus qu'un titre ou une dcoration. Tout sacrifice pour la plus noble cause appelle srement une rcompense plus leve. Pour un esprit aveugle, la promesse d'une plus haute rcompense ou d'une vie meilleure passe pour du fanatisme; pour celui-l, une toile et un ruban seront son prix et il trouvera sa rcompense dans un gain terrestre. La rcompense de ceux qui sont la poursuite de gains terrestres est cre sur terre. Mais que valent la terre et ses trsors pour ceux-l qui ont donn leur vie pour la cause de la vrit, pour Dieu? En Islam on les appelle shahid, ceux qui font le sacrifice de leur vie pour Dieu. Leur rcompense les attend au ciel.
La majeure partie des Hadiths et tout le Coran expliquent abondamment combien l'amour du monde est dangereux, combien l'existence est transitoire et combien il est important de suivre le chemin de la vrit. Cette impression n'a jamais quitt le cur du Musulman. Dans toutes les situations et les tentations de la vie, il a donn d'admirables exemples moraux chaque fois qu'il a t test dans l'preuve de la guerre.
Ce ne fut jamais pour le pouvoir, la possession ou les richesses terrestres que Mohammed fit la guerre, mais bien pour la diffusion la plus large du Message final dans le monde, ou alors pour la protection des fidles ou la prservation de l'Islam. Et ainsi en fut-il pour ses successeurs. S'il en avait t autrement, l'Arabie se serait enrichie des dpouilles d'au moins la moiti du monde jadis possde par l'Islam. A partir du moment o il avait embrass cette fraternit universelle, chaque converti tait trait comme n'importe quel autre Musulman, mme dans les affaires politiques, morales ou sociales. Les Musulmans de tous pays et de toutes conditions accueillaient Mohammed comme un des leurs. O que ce soit dans le monde o ses reprsentants s'installaient et o ils tablissaient la mosque sous la protection des remparts locaux, ils consacraient leur vie aux gens de ce pays. Ils leur laissaient leur fortune ainsi que leurs
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pouvoirs et leurs possessions. La bravoure seule fut toujours leur unique moyen de conqute pour tendre leur nation. On ne trouve aucune circonstance historique o l'Islam aurait sacrifi son idal d'unit un intrt national.
Des exemples laisss par des souverains tel Akbar n'ont pas encore t suivis. Sous son rgne les vaincus pouvaient garder leurs armes et personne ne s'immisait dans leurs commerces. Il considrait que ses richesses appartenaient au pays qu'il gouvernait. Le premier ministre de son empire tait Birbal, un Hindou. S'il existe dans l'histoire une religion qui a fait preuve de fraternit universelle, c'est bien l'Islam. Sous le rgne d'Akbar, les temples des Hindous, les glises des Chrtiens, les agijaris des Parsis, les synagogues des Juifs taient tous maintenus et visits par Akbar lui-mme avec autant de respect que celui des adeptes de chaque culte. Aujourd'hui encore on trouve les traces de ce principe impartial et tolrant Hyderabad, le seul tat musulman qui existe encore en Inde (Ceci fut crit entre 1917 et 1920), o non seulement les mosques mais aussi toutes les autres religions sont sous la protection de l'tat.
Les actes du Prophte ne peuvent tre compars ceux de ses successeurs ultrieurs. Aprs tout, l'homme est l'homme, il a ses vertus et ses dfauts. Comme le matre l'avait prdit, la nation perdit peu peu la vraie saveur de l'enseignement du Prophte et ceci fut la cause de son dclin, tandis que d'autres, considrs comme incroyants, l'imitrent et en eurent le bnfice. S'il en avait t autrement, la nation, avec la force de la vertu et le pouvoir divin dont elle tait investie ses dbuts, se serait srement rpandue dans le monde entier.
"Dieu ne rejette jamais un peuple moins qu'eux-mmes ne provoquent leur chute". Coran.
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Exemples On ne trouve pas un seul fait historique relatant que Mohammed ait tu qui que ce soit avec son pe. Il existe par contre d'innombrables tmoignages de sa magnanimit. Il a pardonn l'Arabe dont la brutalit avait tu sa fille bien-aime. Il pardonna ceux qui se moquaient et se gaussaient de lui, ceux qui le critiquaient, ceux qui l'insultaient dans les rues, ceux qui le lapidaient, ceux qui riaient des versets du Coran, ceux qui turent ses dvous disciples et les blessrent plusieurs reprises. Aprs sa victoire, il leur dit: "Vous qui m'avez trait comme vous l'avez fait dans le pass, comment voudriez-vous que je vous traite prsent?" Capturs comme prisonniers de guerre, tous lui rpondirent: "O frre, traite-nous avec bont". Mohammed fut touch et oublia dans l'instant tout ce qu'ils avaient dit et fait. "Frres, je vous pardonne au nom d'Allah, le Misricordieux, et je vous traiterai comme Joseph traita ses frres".
L'ultime tmoignage de sa clmence restera un exemple vivant jusqu' la fin des temps. Il pardonna la femme qui lui avait donn le poison qui causa sa mort alors que ses nombreux pouvoirs lui auraient facilement permis de se venger. Quelle perte pour ses adorateurs fidles! Mais aucun ne fut permis de lever un doigt contre elle, parce que le mal avait t commis contre la seule personne du Prophte. Il prit cela trs volontiers comme tant la volont d'Allah.
Une histoire clbre en Islam raconte que lorsque Ali eut terrass son ennemi dans un combat au corps corps, celui-ci incapable de se dgager lui cracha la figure. Au lieu de le tuer, Ali lui rendit la libert. Stupfait l'ennemi lui demanda: "Pourquoi m'as-tu libr alors que mon geste aurait d me valoir la mort sur le champ?". Ali rpondit: "Ton geste indigne d'un guerrier m'a rendu un instant furieux, et nous avons pour principe de considrer l'emprise de la colre comme haram, interdite. Si je t'avais tu sous l'emprise de la colre, c'eut t une faute et non une vertu". Ali, qui tait un vaillant guerrier ainsi qu'un saint et un grand mystique, appliqua ce principe durant toute sa vie. Un jour un ennemi l'attaqua par derrire, le poignarda et prit la fuite. Quand on le ramena chez lui, Ali tait mourant. Pendant les quelques instants qui lui restaient vivre, ses amis lui apportrent un peu de nourriture. La premire chose qu'il demanda fut: "Qu'est-il advenu de mon assassin?" - "Il a t captur", lui dit-on. - "Alors commencez par lui apporter cette nourriture, car furieux comme vous l'tes, je suis sr que vous le ngligerez". Mais
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lorsqu' il reut le plat que Ali lui envoyait, l'assassin dans son aveuglement refusa d'y toucher, disant: "Je suis sr qu'il doit tre empoisonn".
Un jour, au cours d'une bataille, un soldat terrassa Mohammed. Aucun de ses disciples n'tait l pour le secourir, et le soldat qui le maintenait terre lui demanda: "Dis qui t'aidera maintenant que je vais t'enlever la vie?" - Le matre rpondit avec assurance: "Allah". La force d'Allah lui vint en aide et brusquement Mohammed jeta le soldat terre et lui arracha son pe. "Maintenant dis-moi, l'homme, qui te viendra en aide?" - Le soldat rpondit: "Toi, Mohammed. Sois bon pour moi qui n'ai plus personne de mon arme pour me secourir". Mohammed lui dit: "Ce qui vient de se passer sous tes yeux n'est-il pas une preuve vidente de l'aide de Dieu? N'est-ce pas suffisant pour te donner confiance en Allah et te convaincre que Lui qui vient de me sauver pourra te sauver toi aussi? Reprends ton arme et apprends dsormais croire en Allah qui est notre secours de chaque instant". L'homme accepta la foi de Mohammed sur le champ et depuis ce jour-l il fut Musulman. Dira-t-on que ceci est le geste d'un saint ou le geste d'un guerrier? Dieu tait prsent en permanence la vue de Mohammed, mme en temps de guerre quand dans le feu du combat un homme serait tent de l'oublier.
La guerre est une chose naturelle dans la vie, mme les animaux et les oiseaux se font la guerre. Quel combat l'homme ne doit-il pas mener dans la vie de ce monde - pas seulement pour gagner quelque chose mais simplement pour vivre! Il y a la guerre contre ses propres dfauts; l'homme doit combattre ses fautes. S'il ne sait pas comment se battre, il doit pourtant se dfendre contre les attaques du dehors. Et s'il n'a pas appris faire la guerre au-dehors, comment pourrait-il faire la guerre audedans?
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L'ANGE GABRIEL TOMBANT SUR MOHAMMED La vie mystique du prophte Mohammed Faits et traditions concernant Mohammed et sa religion, souvent mal compris
Chapitre 2 Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan On raconte que, quand Mohammed tait au Mont Hira, quelque chose s'abattit sur lui, et il vit que l'ange Gabriel tait venu et l'avait bris en morceaux. Quand des gens forms dans une universit commentent cet pisode, ils disent que ce fut une imagination, un rve, car comment un ange pouvait-il le briser en pices et comment, aprs avoir t rduit en morceaux, pouvait-il tre encore en vie? Les traditionalistes disent que c'tait l'ange Gabriel, mais en ralit c'tait le ravissement, l'extase qui s'empara de lui. Mohammed se sentit comme fractur, bris. Lorsque la conscience peut se librer du corps, le corps n'est plus soutenu et retombe. Cela signifie que l'me quitta le corps. C'tait une trange exprience. Mohammed n'avait pas de murshid qui pt lui dire: "Mon enfant, ce n'est pas cela", et c'tait la premire fois que cela lui arrivait. C'tait arriv quand il tait seul dans le dsert et qu'il n'avait devant lui rien d'artificiel, rien de faux, aucune fausse voix du monde pour lui dire: "Je suis ta femme, je suis ton frre, je suis ton ami, je t'aime." Tout cela est faux. Un prophte aurait pu transmettre son exprience un autre, mais le dernier prophte tait mort bien longtemps avant que le suivant ne ft n. Un murshid peut transmettre son exprience de mystique son mourd, mais ici c'est Dieu qui devait instruire directement et sans intermdiaire Son lu, celui qu'Il avait choisi.
Cette extase, que les soufis appellent wajad, grandit de plus en plus. Parfois, lorsqu'il tait dans la montagne, Mohammed tait tent de se jeter du haut du sommet. Alors une voix se faisait entendre: "Garde l'quilibre, ne saute pas!" Deux choses lui taient donc enseignes: l'extase et l'quilibre. Mohammed n'tait pas un ascte pour devenir pierre parmi les pierres. Il tait un homme de ce monde. Il avait sa femme dont il devait prendre soin, il avait une famille dont il avait la charge, il avait une communaut dont il devait s'occuper, et il avait le message de Dieu donner. Il ne pouvait pas se consacrer son seul dveloppement personnel.
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La puissance de l'injonction divine, le pouvoir de la pense de l'Esprit Universel, la prsence irrsistible de Dieu n'avaient pas seulement de l'effet sur l'me et l'esprit de Mohammed, mais son corps se sentait comme garrott, cras, bris, ce qui le rendait comme ensorcel. C'tait comme si une personne se voyait elle-mme du sommet d'une haute tour en mme temps que tout le paysage alentour et rpugnait regarder en bas. Telle tait la condition du cur innocent de Mohammed se voyant lui-mme face toute l'humanit dploye sous ses yeux. A ce moment, il et aim se cacher lui-mme sa propre vue.
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SHAQQ-e-SADR L'ouverture de la poitrine La vie mystique du prophte Mohammed Faits et traditions concernant Mohammed et sa religion, souvent mal compris
Chapitre 3 Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan Une tradition rapporte que les anges vinrent, ouvrirent la poitrine de Mohammed et lui prirent le cur. Ils enlevrent quelque chose du coeur, le lavrent avec de l'eau de Zemzem sur un plateau en or et le remirent en place, aprs quoi Mohammed fut guri et bien portant. La sourate du Coran propos de Shaqq-e-sadr est celle-ci: "N'avons-Nous pas ouvert pour toi ta poitrine Et ne t'avons-Nous pas dcharg de ton fardeau?" (Sourate XCIV)
Mais, la vue du Soufi, le sens de cette sourate est trs diffrent de l'explication littrale du mythe. Pour le Soufi, chaque tre humain est tout l'univers et chaque me contient des degrs divers tout le bien et tout le mal contenu dans l'univers. De mme qu'il y a dans le corps de chaque crature une poche de substance amre - celle que nous retirons du poisson, de l'oiseau, de l'animal avant de consommer sa chair -, ainsi il y a dans le coeur de tout homme un attribut empoisonn, non pas un morceau de chair mais l'esprit par-del l'existence physique. Le produit en est l'aigreur que les hommes prouvent les uns envers les autres qui se traduit par un millier de tendances destructrices telles que la colre, la vengeance, la tyrannie, la duperie. Ce poison est la part de Satan dans l'homme. C'est cela qui rend l'homme rapidement versatile, dsagrable pour lui-mme et pour les autres, incapable de parler avec Dieu, honteux de lui, mal l'aise, incapable mme de se tenir devant Dieu.
La tradition rapporte que Shaqq-e-sadr se produisit trois fois et, du point de vue du Soufi, nous pouvons interprter cela. La premire fois o cette amertume que l'homme a naturellement contre l'homme fut retire du coeur de Mohammed, c'tait avant quaucune rvlation ne vint. Pour Ses
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lus, Dieu veut avant toute chose laver cela de leur coeur. Il est tout fait naturel qu'une me venue au monde pour librer l'humanit prsente ds l'enfance une nature qui montre que la goutte de poison qui est en chacun a t enleve de sa poitrine et que son cur a t lav de toute amertume. Point n'est besoin d'tudier ce phnomne comme le font les orthodoxes en cherchant dmontrer qu'il peut se produire de faon inhabituelle. Il suffit d'observer le phnomne luvre dans la vie mme de Mohammed, un homme incomparable qui, tout au long d'une vie passe dans le monde, a conserv inaltrablement la douceur et le parfum de la personnalit anglique.
La seconde occasion o la tradition rapporte que Shaqq-e-sadr se produisit fut lorsque Mohammed reut l'injonction divine d'annoncer le Message. Cette ouverture de la poitrine reprsente le courage de proclamer la vrit. Beaucoup d'entre nous veulent dire, mais ne peuvent pas exprimer ce qu'ils voudraient rellement dire, soit parce qu'ils manquent de confiance en eux, se demandant si c'est la chose dire ou non, soit parce qu'ils manquent de confiance dans les autres, se demandant comment les gens l'accepteront et quel en sera le rsultat. Ils ont la gorge noue par la peur. C'est cette pense: "Comment parlerai-je la face du monde alors que tous sont engags sur une autre route?", cette pense naturelle produite par l'intellect fut enleve. La pense: "A qui parler? Je ne vois partout que des idoltres, des gens troitement conservateurs, et parmi eux des amis, des parents. Toute l'Arabie sera contre moi. Comment pourrai-je parler contre tous?", cette peur lui fut enleve. Tant que cette pense n'a pas t enleve, tant que le coeur n'a pas t ouvert Dieu, on ne peut pas parler. Ensuite les mots arrivent et avec eux l'loquence. Quand l'Arabie fut plonge dans les tnbres, les mots de lumire que disait Mohammed avec le courage et le pouvoir de la vrit, sans craindre un instant les plus terribles menaces qui pesaient sur lui jour et nuit, ces mots taient la preuve vidente de l'ouverture de la poitrine. Son coeur parlait, non son cerveau.
La troisime fois o l'on dit que l'ouverture de la poitrine se produisit, ce fut juste avant le Meraj. En ralit, c'est la passion de l'unification avec le divin Bien-aim qui nous ouvre des voies travers toute l'existence, du plan le plus bas au plan le plus lev de l'tre individuel. Les mystiques ont toujours dit que la purification interne du corps physique ouvre les veines et les canaux et les conduits de tous les sens pour permettre au souffle divin de faire du corps une flte. La flte de Krishna est le
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symbole de ceci. Le coeur purifi de toutes penses et dsirs sans bont, les cordes du coeur accordes sur l'amour et le dsir ardent font de lui une harpe que les anges tiennent et dont Dieu joue. Purifier l'me de toutes ses impressions et de tous ses idaux est comme briser les idoles de nombreux dieux. C'est ce sacrifice qui plat au coeur jaloux du Bienaim cleste. Sa vanit est ainsi satisfaite.
En cela rside le secret de la perfection spirituelle dont la personne de Mohammed est l'exemple. Les anges qui lavrent le coeur sont l'expression des rayons de la lumire divine. L'eau de Zemzem ne provenait pas du puits Zemzem de la Mecque, mais tait le souffle de l'inspiration. Le plateau d'or reprsentait le monde rvl, l'or tant le symbole de la lumire. Shaqq-e-sadr, du point de vue mystique, n'tait rien d'autre que la purification du corps et du coeur par l'inspiration divine.
On dit que les anges pesrent Mohammed et le mirent en balance, d'abord avec deux personnes, ensuite avec dix, ensuite avec cent, et qu'il les surpassa toutes en poids. Les anges dirent: "S'il tait mis en balance avec le monde entier, il ne lui manquerait pas de poids." Comprendre ceci au sens littral serait aussi absurde que d'imaginer que Dieu est plus grand et plus gros qu'un lphant. On dit d'une personne qu'elle a un grand poids dans la socit. Ceci ne signifie pas qu'elle est plus lourde que ceux qui sont prsents. Cette tradition signifie que la purification a permis Mohammed de surpasser les curs gostes du monde et l'a rendu infiniment plus grand que l'homme moyen, que sa parole, sa prsence avait plus de poids que celle de deux, de dix, de cent personnes, ce qui revient dire: plus de poids que le monde entier. Si chaque homme tait ainsi purifi, la religion ne serait plus ncessaire; chacun penserait et agirait avec droiture.
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MERAJ L'ascension La vie mystique du prophte Mohammed Faits et traditions concernant Mohammed et sa religion, souvent mal compris
Chapitre 4 Pir-o-Murshid Hazrat Inayat Khan "Puret Celui qui transporta de nuit Son serviteur. Gloire Celui qui transporta de nuit Son serviteur du temple sacr au temple plus lointain dont Nous avons bni l'enceinte, afin de lui montrer certains de Nos signes. Car Dieu est Celui qui entend et Celui qui voit." (Coran Sourate XVII, 11)
"Par l'toile son coucher, votre compagnon ne s'est point gar ni n'a t induit en erreur et il ne parle pas sous l'effet de la passion. Ceci n'est autre qu'une rvlation inspire. Un Etre au pouvoir prodigieux, dou d'intelligence, lui en a donn connaissance. Il est apparu dans la plus haute partie de l'horizon et s'est approch du Prophte la distance de deux portes d'arc, ou plus prs, et Il a rvl Son serviteur ce qu'Il lui rvla. Le cur de Mohammed n'a pas menti dans ce qu'il a vu. Mettrez-vous en doute ce qu'il a vu? Il l'avait dj vu une autre fois prs du lotus de la limite que nul ne franchit, proche du jardin de l'Eternel Sjour. Quand le lotus fut couvert par ce qui le couvrait, Sa vue ne s'est point dtourne ni ne s'est gare et il a rellement contempl certains des plus grands signes de son Seigneur." (Sourate LIII, 1-18)
"Nous t'avons accord la vision que Nous t'avons montre." (Sourate XVII, 62)
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"Aprs quoi un animal me fut apport pour en faire ma monture. Il tait blanc, d'une taille entre la mule et l'ne, et s'appelait Bouraq. Il s'allongeait aussi loin que la vue peut porter."
"Un jour que j'tais seul assis, Gabriel vint et me toucha l'paule. Je me levai et - surprise! - il y avait l deux nids dans l'arbre. J'tais assis dans l'un et Gabriel dans l'autre, et les portes du premier ciel s'ouvrirent notre arrive. Derrire un rideau, je vis une grande lumire et une fentre de rubis et de perles. Et Dieu me rvla ce quil Lui plut de me rvler."
Le rcit de Meraj est donc relat dans le Coran et complt par des Hadiths et d'autres rcits qu'il est loisible aux orthodoxes de croire. Pour un mystique, ce mystre est aussi clair que le secret de Shaqq-e-sadr. En fait, Meraj n'tait pas une simple vision, comme beaucoup l'ont compris; c'tait une bien plus grande ralisation qu'un rve mme exceptionnel. C'tait la ralisation par le Prophte de son voyage vers le but ternel. Est matre celui qui tient en main le flambeau de la sagesse et avance grce la roue de l'amour. Lorsquil va vers l'extrieur, l'univers entier se rvle lui; lorsquil progresse vers l'intrieur, il atteint la plus haute rvlation spirituelle. Ce fut le voyage du Prophte vers le but ternel que l'on appela Meraj. Pour l'orthodoxe, Meraj est un vnement qui se produisit une seule fois dans la vie de Mohammed, mais, pour le Soufi, c'est une leon unique dont l'accomplissement remplit toute la vie du mystique. Meraj tait un tat de ralisation frquent chez Mohammed qui le rendait parfois intensment conscient des ralits spirituelles. Il fut
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donn au monde comme un vnement unique, comme un exemple pour l'humanit de ce que sont les niveaux mystrieux de l'tre intrieur.
Cette sourate indique que la puret qui permit Mohammed d'entreprendre le voyage intrieur tait celle de son Dieu, car nul tre terrestre n'a accs l-haut. Ceci rvle surtout un secret: la partie immortelle de l'tre de Mohammed tait en fait l'hritage de l'Etre Eternel. Nous voyons que la balle de caoutchouc peut s'lever bien plus haut que la brique, parce que la balle de caoutchouc est creuse et contient en elle un espace, ce qui lui donne accs plus haut dans l'espace. La brique ne contient pas d'espace et est immdiatement attire par la terre. Mais mme la balle ne peut rester indfiniment dans l'espace parce que le caoutchouc est une matire trangre qui la fait revenir sur terre. Meraj peut tre appel la naissance de l'me, comme le dit la Bible: "A moins quil ne naisse de l'eau et de l'esprit, l'homme n'entrera pas dans le royaume de Dieu." Autrement dit: moins qu'il ne renaisse de l'esprit ce qui veut dire que l'me, la mre sainte, doit enfanter cette connaissance capable de reconnatre le Pre Eternel. Le voyage de nuit de cette sourate fait penser cet tat de conscience que connut Mohammed dans sa contemplation de Dieu, lorsque autour et l'alentour de lui tout tait semblable l'obscurit de la nuit.
"Gloire celui qui transporta de nuit Son serviteur du temple sacr au temple plus lointain dont Nous avons bni l'enceinte."
Ce rcit raconte que pendant la nuit de Meraj, Mohammed, absorb dans ses dvotions Allah, fut transport de la mosque de la Mecque la mosque de Jrusalem, o il vit les signes de son Seigneur qu'il tait appel voir. En ralit, la mosque de la Mecque d'o partit le Prophte tait le corps physique de l'homme, qui fut cr pour la glorification de Dieu et que Mohammed utilisa cet effet. Pour le Soufi, le corps physique de celui qui vit dans la conscience de Dieu est le temple sacr de la Mecque, la Ka'ba, le sanctuaire. Ceci est le symbolisme du takbir de
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namaz (Le nom persan des prires effectues avec des gestes): les deux mains leves au niveau de la tte font de la tte le dme de la mosque et les deux bras levs en font les minarets. A partir de cette mosque, l'existence physique, Mohammed fut transport, autrement dit attir, par le pouvoir d'attraction de son Seigneur. Sa progression spirituelle se poursuivit jusqu'au moment o il en vint raliser cet tat o il se vit luimme, non pas comme le temple du corps physique, mais comme le temple le plus lointain de la paix ternelle, Jrusalem, Dar-e-salam, la porte de la paix. Il ne s'agissait pas de Jrusalem, la grande cit des Juifs, mais de Masjidi Aqsa, l'existence la plus profonde, vide de noms et de formes, o rgnent jamais un calme qui n'est pas de ce monde et une paix ternelle. Si le voyage du Prophte de la Ka'ba la mosque de Jrusalem avait t fait en rve, quelle aurait t l'importance particulire de Meraj et de la bndiction reue? Meraj dont il est question dans le Coran doit avoir plus d'importance qu'un simple rve ou une simple vision.
On rapporte que pendant son voyage Mohammed rencontra Adam et qu'Adam le salua en lui disant: "Digne fils et matre." Adam tait assis au centre d'un groupe d'hommes qui se tenaient sa droite et sa gauche. Il se tourna d'un ct et sourit de joie, il se tourna de l'autre et pleura tristement. Les anges expliqurent le sens de ceci Mohammed et lui dirent: "Ces apparitions sont les esprits de ses enfants sous la forme humaine. A sa droite se tiennent ceux du paradis, sa gauche ceux des enfers. Adam sourit joyeusement en regardant droite, mais pleure en regardant gauche." La beaut de ce mythe rside dans la vision idale du voyant. Nous voyons par exemple la libert reprsente par des statues ou des affiches. Il n'existe personne du nom de Libert, mais la statue n'est pas seulement une image de la libert, elle dit ce que signifie la libert, parce que l'image personnifie l'idal de la libert. Ceci est le ct idaliste de la vision intelligente qui voit chaque idal sous la forme d'une certaine image, et chaque image est reprsentative du sens qu'elle contient.
L'idal d'Adam, le pre de l'humanit dont le bonheur est son but, dont la bont est sa fiert, dont le mal est son dshonneur, apparut aux yeux du voyant qu'tait Mohammed, satisfait de l'humanit vertueuse et attrist par l'humanit gare. La prise de conscience de cet idal tait en ralit la torche clairante qui devait guider Mohammed et illuminer son voyage vers le but. Ensuite, Mohammed fut, dit-on, prsent au chef des cieux et
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au gardien des mondes infernaux. Ceci ne signifie pas le ciel sous l'aspect de hur et malayak dans un environnement luxuriant, ni l'enfer sous l'aspect d'un brasier incandescent, mais il eut en fait la vision profonde de la joie et de la bndiction pour lui-mme et pour les autres qui dcoulent des bonnes actions, et de la souffrance cause par le mal. S'il ne lui avait pas t donn de contempler cela, il n'y aurait pas eu de possibilit de ralisations plus avances sur les plans suprieurs de l'existence. C'tait la leon ncessaire qui devait permettre Mohammed d'annoncer la loi divine dfinitive: connatre parfaitement la part de rcompense attache chaque vertu et le degr de souffrance attach chaque pch.
Ensuite, le monde de l'esprit fut dvoil au matre, les diffrents plans qui taient l'autre monde, le monde d'avant et qui tait prsent sa demeure. Les matres du pass dont Mohammed connaissait les noms se tenaient maintenant en face de lui. Il y avait parmi eux Enoch, JeanBaptiste, Jsus, Joseph, Mose, Abraham et beaucoup d'autres. Cette vision peut se comprendre comme tant la rsurrection du monde intrieur qui est manifest clairement aux lus de Dieu. Il est normal que si un pcheur tait enlev dans le monde de l'esprit, il verrait autour de lui la rivire, la mer, les filets, les poissons, des pcheurs et des marchands de poisson. Un berger dans le monde de l'esprit se verrait dans un pturage avec un troupeau et des volailles parmi des paysans. Que pouvait donc voir un prophte dans le monde de l'esprit, si ce n'est la chane des prophtes laquelle il tait reli, qui taient en ralit luimme sous des noms et des formes diffrentes apparues des poques successives? Il se trouvait face face, pourrait-on dire, avec les diffrents idaux de Nuri Muhammad dans le pass et il pouvait tudier tour tour la vie et luvre de chacun d'eux. Un musicien accompli est celui qui a tudi les compositeurs du pass, un pote accompli est celui qui a parcouru les oeuvres des potes du pass. Tout ceci tait un exercice avant la bataille, une rptition avant la reprsentation. Mais le projet tait encore diffrent; le but que Mohammed avait atteindre tait encore devant lui.
"Ensuite, Il s'approcha du Prophte la distance de deux portes d'arc, ou mme plus prs et Il rvla Son serviteur ce qu'Il lui rvla."
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Cette sourate nous dit que ce voyage du dvoilement spirituel rapprocha Mohammed, autrement dit le soi mortel, de l'Etre Immortel tout en le maintenant la distance de deux portes d'arc: une porte entre le corps et l'esprit, l'autre entre l'esprit et l'me. Mais, ensuite, il s'leva mme audel de cette limite.
On apporta, dit-on, un Bouraq Mohammed pour qu'il en fit sa monture durant son voyage, un coursier cleste qui avait la forme d'un cheval, des ailes et un beau visage humain. Ceci est simplement l'explication symbolique de la route mystique du voyage intrieur. Bouraq est le nom symbolique du souffle de l'homme, qui dans le Vednta, est appel prana, la vie mme. Le souffle circule travers le corps animal et la pense de l'homme, deux aspects appels dans le Vednta karmkand et gnyankand, le vhicule de l'action et le vhicule de la connaissance. Ainsi le visage de Bouraq est reprsentatif de la pense, son corps figure l'action et ses ailes signifient le pouvoir qui permet au souffle de voler dans les sphres suprieures, le souffle tant le seul vhicule qui permette l'homme de s'lever du plan terrestre le plus bas jusquau plus haut sommet des cieux. Lorsque l'homme, par le contrle des passions animales, est ainsi devenu un tre humain, sa pense alors se dploie comme des ailes pour l'lever de la terre et le mener vers le ciel, qui est sa vritable destination, son sjour ternel. L'image mme de Bouraq exprime cela. Il est certain que ce n'est pas le cas pour tous. Seul celui qui a saisi les rnes du souffle peut devenir le cavalier de Bouraq, peut tre son matre.
L'ide de cet oiseau que les Hindous appellent Garuda, du sphinx des Egyptiens de l'Antiquit et de Pgase, le coursier qui conduit au bonheur cleste, exprime ce mme secret. Ceux qui ont pntr le symbolisme des rves et des visions peuvent voir en ceci une plus grande ralit que celui qui considre le monde objectif comme la seule ralit. Car chaque me voit le pass, le prsent et l'avenir qui concernent elle-mme et ce qui l'entoure sous une forme trs diffrente de ce qu'elle ralisera plus tard, lorsque ses effets se manifesteront sur le plan physique. Pour la vision d'artiste, du voyant, cette image est une rvlation, mais pour l'esprit aveugle, elle ne signifie rien; c'est une page blanche.
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L'histoire se poursuit et dit que, quand Bouraq fut amen Mohammed, l'ange Gabriel le voyant rtif - il se cabrait et ruait - lui dit: "Ne sais-tu donc pas quel est ton privilge aujourd'hui? Tu devrais tre fier d'tre mont par l'orgueil de la cration." Alors, dit-on, Bouraq ne refusa plus et s'envola firement vers les cieux, conscient de la bndiction reue. Le Soufi appelle ceci l'indocilit du souffle qui tout d'abord rsiste son matre, le cavalier, jusqu' ce que Gabriel, le guide intrieur, l'inspire et lui conseille d'tre fier du matre qui voyage de la mortalit vers le monde immortel, de la servitude la royaut.
L'histoire raconte encore que Mohammed partit avec Gabriel. Ils taient assis dans deux nids perchs dans un arbre, Gabriel dans l'un, Mohammed dans l'autre. Les portes du ciel furent ouvertes, et Mohammed vit derrire un rideau une grande lumire et une fentre de rubis et de perles, et Dieu lui rvla ce qu'il Lui plut de lui rvler. L'interprtation de ce symbole peut tre, immdiatement et sans la moindre hsitation, aperue par le mystique, le voyageur dans cette voie. L'arbre dont il est question dans ce rcit est celui qui est situ dans le corps humain, dont la racine est dans le centre et dont le sommet atteint la couronne de la tte. Les Yogis appellent le tronc kundalini et le sommet brahmand, la demeure de Brahma. Parmi les Soufis, on les appelle arsh et kursi. Les deux nids poss sur cet arbre de vie sont les vecteurs des deux sens importants que sont sami et basir, l'oue et la vue. "Afin que Nous puissions lui montrer Nos signes - car en vrit Il est Celui qui voit et Celui qui entend." Lorsque Mohammed, sous l'gide de son ange-guide, et contrl et arrt ces deux sens en les fermant au monde extrieur, alors le voile qui cache l'esprit la matire, le Ciel la terre, fut lev. La lumire se montra ainsi que les gemmes et les joyaux clestes qui se refltent dans les signes cosmiques tels que le soleil, la lune, l'toile, la plante, et tous les autres joyaux tels que diamants, rubis et perles. C'est le plan abstrait qui tait ainsi rvl Mohammed. Il ne vit pas seulement les signes magnifiques tels que gemmes, rubis et perles et la lumire divine, mais c'tait comme si une fentre s'tait ouverte pour permettre de jeter un coup dil, de passer au travers d'elle afin d'entrer dans les cieux, le monde intrieur.
"Et Dieu lui rvla ce quil Lui plut de rvler. Lorsque le lotus fut couvert par ce qui le couvrait, sa vue ne se dtourna point ni ne s'gara,
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En d'autres termes, il vit l les signes qui sont la cause des causes, l'origine des origines qui se forment d'abord au sein de ces plans intrieurs et se manifestent ensuite extrieurement, alors que l'homme qui ne comprend pas le secret de la vie dit: "Ceci est ce qui a cr cela, ceci est ce qui a dtruit cela", et ne sait pas que c'est autre chose qui avait cr ceci, que c'est autre chose qui dtruisit cela.
"L'air, la terre, l'eau et le feu sont les serviteurs de Dieu. Pour nous ils semblent sans vie, mais pour Dieu ils sont vivants. En prsence de Dieu le feu attend toujours pour faire son office, Comme l'amant soumis dpourvu de volont propre. Quand tu frappes l'acier sur le silex, l'tincelle jaillit, Mais c'est par ordre de Dieu qu'elle survient ainsi. Ne frappe pas ensemble l'acier et le silex tort, Car cette paire engendrera davantage, comme l'homme et la femme. Le silex et l'acier sont eux-mmes une cause, Mais cherche plus haut la cause premire, O homme juste! Car cette cause-l prcde la seconde cause. Comment une cause peut-elle exister par elle-mme sans cause prcdente? C'est cette cause-ci qui rend cette cause-l oprante, Et nouveau impuissante et inoprante. Cette Cause qui est la Lumire des prophtes, Celle-l, dis-je, est plus leve que ces secondes causes. L'esprit des hommes reconnat les causes secondes, Mais seuls les prophtes peroivent l'action de la Cause premire." (Djalal-ud-Din-Roumi)
On rapporte que Mohammed poursuivit alors sa route vers le monde anglique et que les anges l'accueillirent et le flicitrent de cet honneur. C'est l'accueil et les flicitations du plan spirituel l'me partie depuis longtemps, prisonnire du monde physique, lorsquelle est capable de s'en chapper volont et qu'elle visite sa vritable demeure. Alors s'lve le chant de bienvenue des htes de ce plan. On dit que les anges
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salurent Mohammed par ces mots: "Entre, O Matre, O frre!" Ceci fait penser la parabole d'Attar dans laquelle il parle d'un perroquet qui vivait au palais d'un roi dans une cage en or, qui pourtant ne lui plaisait aucunement. Un jour, il parvint s'chapper de la cage et retourna dans la jungle, son pays d'origine o vivaient ses frres. Ils le salurent par ces mots: "Bravo frre pour ta matrise et ton courage! Bravo d'tre parvenu sortir de la prison o beaucoup d'entre nous sont entrs et se sont perdus depuis des sicles."
Ensuite, il est dit que l'on proposa Mohammed un bol de lait et une coupe de vin pour clbrer la fte. Mohammed choisit le lait et remercia celui qui le lui offrait. Dans cette image, le lait reprsente la sagesse, tandis que le vin symbolise l'extase. Ce sont les deux aspects de la plus haute flicit qui ne s'atteint que sur le plan spirituel. Si Mohammed avait prfr l'extase, comment aurait-il pu aider l'humanit par la sagesse divine - ce qui tait l'objet de sa mission particulire?
Poursuivant son voyage plus loin encore que dcouvrit-il? Bait-ul mamoor ou Masjidi aqsa: il ralisa la Conscience indivise, celle qui n'est jamais obscurcie par les illusions des mondes de varit. L Mohammed invoqua le grand nom de son Seigneur: "Il n'y a de Dieu que Toi, O Seul Etre." La rponse arriva de cette Conscience Eternelle, rpte en cho dans sa propre conscience: "Vrai! Vrai!" A ce moment, la vanit de l'Unique, Celui qui seul est digne de toutes louanges, fut satisfaite et ces mots lui parvinrent: "Si ce n'tait pour te crer, Mohammed, Je n'aurais pas cr tout l'univers." Les mmes mots viendraient aux lvres d'une bien-aime qui son amant dirait: "Gloire nulle autre que toi. Pour moi tu es l'unique, ce qu'il y a de meilleur, le monde entier." L'aime alors rpondrait: "Mais si toi, mon adorateur, tu n'existais pas, le monde entier ne serait rien pour moi."
On raconte encore que Gabriel ne put conduire Bouraq plus loin, et Mohammed l'attacha la mme pierre que celle o l'avaient attach tous les matres du pass. Pour le point de vue du Soufi, le secret de ceci rside dans l'incapacit, mme pour la lumire-guide, d'oprer sur le plan le plus lev, l o mme Bouraq, le souffle, n'a pas le pouvoir de s'lever.
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"Ceci n'est autre qu'une rvlation qui lui fut rvle. Un tre au pouvoir prodigieux, dou d'intelligence, lui en a donn connaissance, et Il apparut dans la plus haute partie de l'horizon."
Il apparut dans l'ultime sommet de l'tre intrieur. Ceci tait, comme le dit la Bible, l'unification, l o ni Gabriel, la lumire-guide, ni Bouraq, le souffle, n'avaient accs, l o rien ne leur restait faire. Ceci tait le lieu de la paix absolue, le Bait-ul mamoor, Masjidi aqsa, le but ternel. L, dit-on, soixante mille anges entrent chaque jour et aucun n'en sort. Cela signifie que des milliers d'mes purifies, venues de l'tre extrieur, pntrent dans ce but ternel et y fusionnent comme une goutte perdue dans l'eau se confond jamais avec elle. C'tait une exprience telle qu'aucun langage ne peut l'exprimer. Mme si l'me avait une langue pour en parler, les oreilles mortelles ne pourraient l'couter.
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"Mohammed n'est le pre d'aucun d'entre vous, "Mais il est l'aptre d'Allah, "Et le sceau des prophtes; "Et Allah connat toutes choses" (Coran, Sourate XXXIII, 40)
Pourquoi ne pourrait-on esprer la venue d'un autre prophte, si Dieu est le mme, si sa lumire est la mme que dans le pass? Ceci est la question qui vient immdiatement un esprit qui s'interroge.
La raison n'en est autre que celle-ci: s'il n'existe qu'un seul homme riche dans toute une ville, c'est lui le matre; s'il n'existe qu'un homme puissant dans un village, c'est lui le chef. Mais s'il en existe dix, le pouvoir est alors aux mains de la multitude.
Dans le pass, le roi tait ador comme un dieu, mais ceci n'est plus le cas aujourd'hui. L'autocratie est de jour en jour supplante par la dmocratie. Il n'est pas ncessaire d'avoir un mdiateur entre l'homme et Dieu - particulirement une poque o non seulement l'homme mais aussi la femme veulent gouverner eux-mmes toutes leurs affaires sans dpendre de qui que ce soit ou sans interfrence de quiconque. Et chaque race et chaque classe sociale relve la tte et cherche paratre au mme niveau que les plus grands.
La lumire de la guidance a exist de tous temps et ceux qui ont t dans son courant ont t aussi grands qu'un Matre peut l'tre. "Certains d'entre nous seront aussi grands que les prophtes de Beni Isral", a dit le Prophte.
Nombreux furent ceux qui, depuis l'annonce du Message final et malgr la proclamation dmocratique de Mohammed, ont souhait se faire passer pour un messie, un guide de l'humanit, une incarnation de Dieu. Plusieurs ont utilis ce moyen de notorit, esprant ainsi mettre leur
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communaut ou leur religion en valeur la face du monde, mais jusqu' prsent aucun n'a russi. Il est absurde d'esprer un seul instant que, au point o en est le monde aujourd'hui avec toutes les diffrences et les rivalits nationales, sociales et religieuses, le monde s'abandonnera en confiance un seul matre et le considrera comme le messager divin. D'abord les scientifiques le mettront l'preuve, les historiens argumenteront, ensuite il devra vaincre les entits politiques qui dfendent chacune leurs propres intrts, ensuite - et pire que tout - il devra faire face aux grandes puissances qui s'en tiennent leur propre loi, chacune pour gouverner sa partie du monde. C'est aussi impossible que d'imaginer qu'un roi surgira dans le monde moderne devant lequel toute la gnration actuelle s'inclinera et se prosternera comme les peuples de Khusrau se prosternrent devant lui.
C'est la nature de toutes choses, et particulirement celle de la lumire, de fuser par le canal troit de son point de dpart pour se disperser ensuite progressivement jusqu' devenir un courant indistinct, en d'autres mots, de devenir une lumire qui se diffuse partout, comme le suggre l'image de la colombe. L'aspect final du message doit montrer le kamal, la priode de la perfection de la vie du monde et son ducation spirituelle.
On se demandera alors si telle est l'volution spirituelle du monde d'aujourd'hui. A cela on peut rpondre ceci: l'ducation d'un enfant consiste lui promettre des rcompenses pour son assiduit et des punitions pour sa ngligence. Lorsque ce temps est rvolu et que l'enfant a grandi, il n'a plus besoin de parents ou de tuteurs pour diriger les choses de sa vie, il est responsable de ses propres actes. Il en est de mme prsent pour le monde aprs le message final de l'amour divin. On pourrait penser: quelle sorte d'volution est-ce donc, quand jusqu' nos jours l'homme tue son frre sans piti, quand tant de sang est rpandu, quand l'gosme aveugle submerge l'ensemble de l'humanit?
On peut le comprendre ainsi: que se passe-t-il lorsque les parents donnent leur enfant toute l'ducation ncessaire, et que, malgr cela, l'enfant se plat dans des chimres aveugles et cause ainsi sa perte de ses propres mains? Les parents ne sont pas responsables et il ne se trouvera pas d'autres parents pour l'duquer une nouvelle fois. C'est le temps o,
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si l'ducation donne par ses parents ne lui a fait aucun bien, il ne recevra plus d'autre ducation, si ce n'est de faire l'exprience de ses propres folies et de leurs consquences dsagrables.
Le message final donn par Mohammed fut donn l'poque o la leon du message divin l'humanit tait termine. C'tait une loi pour la multitude. Mais le message reu titre individuel ne cessera jamais. La question se pose alors: comment le message de Mohammed pourrait-il tre le dernier, alors qu'une grande partie du monde n'a pas reconnu l'Islam? A cela on rpondra: si la communaut forme par Mohammed pour l'volution et l'amlioration de son peuple en Arabie n'a pas atteint le monde entier, si les forces qui ont prsid la diffusion de l'Islam parmi les bons et les mchants n'ont pas conquis toutes les parties du monde, l'esprit de son message a sans conteste influenc toutes les religions du monde et a activ l'amlioration de toutes les nations du monde. L'idal de l'Unit Divine qui tait l'objet principal de son message a inspir le monde, son influence tant reconnue dans certaines parties du monde et ignore dans d'autres.
La lumire de la guidance continue de briller aussi fort qu'avant et il en sera toujours ainsi. S'il ne doit plus y avoir de monarchies hrditaires dans les dmocraties, il y aura encore des prsidents lus par le peuple, et s'il ne doit plus y avoir de prophtes investis de l'autorit divine, il y aura encore des rformateurs dont l'autorit sera reconnue par l'homme.
(London, 1919)
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