Parde 036 0259

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Les alliances de Paix des Patriarches *

Claude Sultan
Dans Pardès 2004/1 (N° 36), pages 259 à 268
Éditions In Press
ISSN 0295-5652
ISBN 2848350539
DOI 10.3917/parde.036.0259
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Les alliances de Paix des Patriarches *


CLAUDE SULTAN

Dans les analyses que font les hommes d’un événement historique,
toutes sortes d’arguments peuvent être évoqués : Il peut s’agir de circons-
tances d’ordre politique, sociologique, économique, diplomatique, etc.
Pour le judaïsme rabbinique, il y a aussi une manière théologique d’ana-
lyser l’histoire des hommes. Cette théorie qui lit dans la thora (c’est-à-
dire à partir d’un texte révélé) le passé et le présent d’Israël et de l’hu-
manité, y lit aussi son futur. Est utilisé pour cette lecture un principe
d’herméneutique classique que Nahmanide (Moïse fils de Nahman,
XIIe siècle) rappelle en introduction de son commentaire sur la thora. Il
s’agit du fameux « ma’asse avot simane la-banim » : « Tout ce qui est
arrivé aux pères est un signe pour les fils ! » (Nahmanide sur Gn. 12, 6 :
Midrach Tanhuma sur Lekh-Lekha § 9) C’est cette lecture que nous allons
essayer de faire des passages bibliques relatant les alliances de Paix des
Patriarches.
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Obéissant à l’ordre qui lui est donné par Dieu lors d’une révélation
unique et inattendue : « Va-t’en de ton pays, de ta patrie, de la maison de
ton père, vers le pays que je t’indiquerais » (Gn. 12, 1) Abraham apprend
qu’il est l’objet d’une promesse, et à soixante-quinze ans, il quitte Haran,
et entre en Canaan, arrivant par le nord. Les deux premières années de
son arrivée sur le sol de Canaan seront deux années au cours desquelles
Abraham sillonne le pays de long en large (il y a une raison à ces randon-
nées), avant de s’installer, après un très bref séjour en Égypte, à Hébron.
C’est à Hébron qu’il va résider pendant plus d’un quart de siècle, trans-
mettant ainsi à Isaac, puis à Jacob, une tradition qui installera Hébron
comme la capitale des Patriarches.

(*) Les références bibliques utilisent la traduction française établie sous la direction du
Grand-Rabbin Zadoc Kahn.

PARDÈS N° 36/2004
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260 CLAUDE SULTAN

Les relations d’Abraham avec les puissantes tribus, elles aussi instal-
lées à Hébron (des Hittites, des Amoréens…), sont des relations basées
sur une grande cordialité : La personnalité d’Abraham est perçue par
tous ses contemporains comme auréolée de la plus grande gloire :
(Gn. 23,6) « Tu es un prince de Dieu parmi nous ! »
Très rapidement, il est reconnu pour être l’homme dont il faut recher-
cher l’amitié et la protection. Les Amoréens Aner, Eschkol et Mamre
s’empressent de conclure avec lui un pacte d’alliance, ponctuel et circons-
tanciel, lorsqu’ils se sentiront menacés par les rois de Mésopotamie venus
envahir leurs territoires. La victoire obtenue grâce à Abraham achèvera
définitivement de faire de lui la figure la plus prestigieuse de tous ces
rois et roitelets de Canaan.
Le conflit remporté sur Amraphel, sans doute Hammourabi (celui du
Code), s’achève par un hommage solennel rendu à Abraham. Le roi-prêtre
du Shalem (la future Jérusalem accueille Abraham avec une offrande de
pain et de vin, et appelle sur lui les bénédictions du Dieu suprême.
L’étranger Abraham, à peine arrivé en Canaan, est reconnu comme le libé-
rateur du pays, et devient l’objet de la reconnaissance de la population.
Quelques années plus tard, et pour des raisons nombreuses (la plus
importante étant l’annonce de la naissance imminente d’Isaac), Abraham
quitte Hébron et décide de s’installer plus au sud du pays, dans la partie
centrale de Néguev. Ici aussi, rapidement, Abraham fait figure de pion-
nier, il y installe des points de peuplement autour de puits qu’il vient de
creuser, et transforme la steppe désertique en territoires fertiles, où, bien
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vite, se rassemblent autour de lui des populations menacées et sans
défense.
Mais dans ce Néguev, Abraham n’est pas seul. Un peu plus à l’ouest,
sur les zones côtières, viennent de s’installer des tribus philistines, elles-
mêmes d’immigration récente. Des difficultés d’approvisionnement obli-
gent Abraham à passer quelque temps chez les Philistins installés à Guérar,
l’actuel territoire de Gaza, et ce passage chez les Philistins n’est pas
exempt de nombreux incidents (Sarah est prise dans le harem du roi des
Philistins…). Abraham retourne dans les territoires du Néguev et c’est
là que va se dérouler probablement, un des premiers accords de l’his-
toire des peuples, et que la Bible raconte au chap. 21 de la Genèse.
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LES ALLIANCES DE PAIX DES PATRIARCHES 261

L’ACCORD DE BEER-SHEVA I

Résumé rapidement, ce passage nous rend compte d’un pacte d’al-


liance concrétisant l’amitié de deux hommes, chefs de deux tribus. La
présence, aux côtés d’Abraham, de son chef d’état-major indique que le
pacte englobe aussi une coopération militaire, à toutes fins utiles. En tout
cas, il établit et proclame définitivement Abraham comme résidant reconnu
par tous, dans un territoire dont la capitale est dorénavant Beer-Sheva.
Le pacte s’appellera d’ailleurs le pacte de Beer-Sheva. Une confédéra-
tion cananéenne entre les Hébreux et les Philistins vient de naître et d’être
paraphée, et ce… à la demande des Philistins qui d’ailleurs insistent
pour obtenir la pérennité de l’alliance pour une durée déterminée
(Gen 21, 22-34).
Il arriva dans le même temps, qu’Abimélec, accompagné de Pikol, chef de
son armée, dit à Abraham : « Dieu est avec toi dans tout ce que tu entre-
prends. Et maintenant, jure-moi par ce Dieu que tu ne seras infidèle ni à moi,
ni à mes enfants, ni à ma postérité ; que, comme j’ai bien agi à ton égard,
ainsi tu agiras envers moi et envers le pays où tu es venu séjourner.» Abraham
répondit : «Je veux le jurer.» Or Abraham avait fait des reproches à Abimélec,
au sujet d’un puits dont les gens d’Abimélec s’étaient emparés. Et Abimélec
avait répondu : « Je ne sais qui a commis cette action : toi-même tu ne m’en
avais pas instruit, et moi, je l’ignorais avant ce jour. » Abraham prit du menu
et du gros bétail qu’il remit à Abimélec, et il conclurent mutuellement une
alliance. Abraham ayant rangé à part sept brebis de ce bétail, Abimélec dit
à Abraham : « Que signifient ces sept brebis que tu as mises à part ? » Il répon-
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dit : « C’est que tu dois recevoir de ma main sept brebis, comme témoignage
que j’ai creusé ce puits. » Aussi appela-t-on cet endroit Bersabée, car là ils
jurèrent l’un et l’autre. Lorsqu’ils eurent contracté alliance à Bersabée,
Abimélec se leva, ainsi que Pikol son général d’armée, et ils s’en retournè-
rent au pays des Philistins. Abraham planta un bouquet d’arbres à Bersabée,
et y proclama le Seigneur, Dieu éternel. Abraham habita longtemps encore
dans le pays des Philistins.

Il faudrait scruter (c’est cela qui donne naissance au Midrach) presque


tous les termes de cet accord. Arrêtons-nous à quelques-uns de ceux-là :
« À cette époque-là » : Que s’était-il passé à cette époque-là précisé-
ment… ? N’était-ce pas que l’on venait d’annoncer la naissance immi-
nente d’Isaac… ? Et qu’il était temps peut-être pour les Philistins de se
« garantir » devant l’arrivée de celui à qui avait été promise la terre de
Canaan ? Avons-nous remarqué que le texte précédant ce pacte relatait
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262 CLAUDE SULTAN

justement le renvoi d’Ishma’el, cet autre prétendant, déjà disqualifié par


Abraham ?
« Jure-moi que tu ne seras infidèle, ni à mon fils, ni à mon petit-fils… »
Pourquoi fixer cette alliance pour une durée déterminée, plutôt que de
l’installer dans la permanence ? Et pourquoi, précisément pour une durée
de trois générations seulement ? « Signe ce pacte d’alliance, dit Abimélec
à Abraham, en remerciement de la grâce que je t’ai faite… » À quelle
grâce, dont on ne trouve pas trace dans le texte biblique, fait allusion
Abimélec ? S’agirait-il du fameux verset (Gn 20,15) : « Voici mon terri-
toire devant toi, établis-toi où bon te semblera ! » Abraham répondit : Je
fais serment ! » Abraham n’est-il pas conscient se faisant, de commettre
une faute grave en acceptant d’abandonner, serait-ce pour un temps limité,
sa souveraineté sur le pays de la Promesse ? Sur une terre que son Dieu
lui donne en partage à lui et à sa descendance ? Alors pourquoi scelle-
t-il cet accord ? Des fleuves de commentaires midrachiques, et d’ensei-
gnements rabbiniques, viendront flétrir cette décision d’Abraham. Une
volée de bois vert va s’abattre sur cet élu de Dieu qui vient, apparem-
ment, de commettre une bévue très grave, et qui va compromettre grave-
ment l’avenir de ses enfants, et certainement donner une tournure nouvelle
à toute l’histoire d’Israël. Écoutons la colère de Dieu « s’emportant »
contre Abraham (Génèse Rabba 54, 4)
« Abraham mit à part sept agnelles du troupeau » (Gen. 21 : 28). Le Saint
béni soit-il dit à Abraham : Tu as donné sept agnelles sans mon consente-
ment ! Par ta vie, c’est donc de sept générations que Je retarderai la joie de
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tes enfants. Tu as donné sept agnelles sans mon consentement ! Par ta vie,
c’est donc sept justes parmi tes enfants que ses enfants feront mourir : Samson,
Hofni, Pinhas, Saül et ses trois enfants. Tu as donné sept agnelles sans mon
consentement ! Ce seront les sept sanctuaires de tes enfants que ses enfants
détruiront ; la Tente de réunion, les sanctuaires de Gilgal, Nob, Givéon, Silo
et les deux Temples. Tu as donné sept agnelles sans mon consentement ! Ce
sera donc pendant sept mois que ton Arche errera dans le territoire philis-
tin. C’est ce qu’indiquent les mots : « Il livra sa force à la captivité » (Ps. 78 :
61) – c’est-à-dire l’Arche d’alliance – et « l’arche de YHVH fut sept mois
dans le territoire philistin » (I Sam. 6 : 1).

Selon ce midrach, rapporté ensuite et développé par toute la tradition


rabbinique depuis les premiers commentateurs de la Thora (Yonathan
ben Ouziel) jusqu’aux tout derniers, et contemporains et en passant par
S.R. Hirsh, Dieu accuse Abraham d’avoir, par légèreté, retardé l’entrée
en terre promise de sept générations : Elle devait devenir effective à la
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LES ALLIANCES DE PAIX DES PATRIARCHES 263

génération d’Isaac : Elle ne le sera qu’à celle de Josué. Comptons : Isaac,


Jacob, Lévi, Qéhat, Amram, Moïse, Josué. Il accuse Abraham, d’être
responsable indirectement, de la mort de Samson, Hofni, Pinhas, Saül
et ses trois enfants, tous massacrés par les Philistins, et d’être respon-
sable de la destruction de sept sanctuaires (il y a certes ici amalgame),
du fait que, sept mois durant, l’Arche d’alliance errera et servira d’otage
et de butin entre les mains philistines.
Analysant la raison de la proximité du texte relatant l’accord avec les
Philistins, et celui racontant « le sacrifice » d’Isaac, les rabbins y lisent
la colère de Dieu : L’Éternel veut « punir » Abraham en le privant du fils
de la promesse, Isaac : Puisque Abraham n’a pas tenu compte de la
promesse de la terre faite à la génération d’Abraham, c’est-à-dire Isaac,
alors l’Éternel veut « reprendre » ce qu’il a donné demande le « sacrifice
d’Isaac ».
C’est Rachbam (Chmuel ben Meir XIe siècle, commentateur de la
Bible, des Talmuds, disciple et petit-fils de Rachi, fils de Rabbenou Tam),
qui analyse le mieux cette raison d’être du « sacrifice d’Isaac » comme
étant la conséquence directe de l’accord consenti à Abimélec par Abraham,
et qui rapporte, entre autres, cette punition qui planait sur la tête
d’Abraham :
« Tu t’enorgueillis d’avoir un fils, et tu vas jusqu’à t’engager à ce que ce fils
accepte de s’allier par pacte avec le fils de ton ennemi ! Hé bien, maintenant,
je te demande d’aller me sacrifier ce fils : On verra bien ce qui restera de ton
pacte ! »
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La liste des conséquences néfastes de l’«erreur» commise par Abraham
signant son pacte d’Alliance avec les Philistins s’allonge. À la sortie
d’Égypte, alors qu’après la traversée de la mer Rouge, le peuple d’Israël
se retrouve à quelques jours de marche pour entrer en terre promise :
« Or, lorsque pharaon eut laissé partir le peuple, Dieu ne les dirigea point
par le pays des Philistins, lequel est rapproché… » (Ex. 13,17), est inter-
prété en effet dans la circonstance de la chronologie et non de la géogra-
phie. C’est à-dire que le pacte avec Abraham était encore « trop proche »,
et il fallait bien entendu l’honorer et éviter de passer par le sud, par la
côte, par Guérar, pour arriver en Terre Promise. Conséquence de cette
conséquence : un détour de quarante ans par le Sinaï, une traversée du
désert que l’on aurait pu éviter. Au lieu de «la route du pays des Philistins»
(3 jours de marche), se sera « la route du désert par la mer Rouge »
(quarante ans de voyage)! Le Midrach ajoutera : Parmi les enfants d’Israël,
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une partie de la tribu d’Ephraïm, ne tenant pas compte de l’interdiction


incluse dans l’accord signé six générations plus tôt, de provoquer les
Philistins, décide de « couper » par le territoire de Guérar et tombe sur
l’armée philistine qui les massacrera jusqu’au dernier. Ce sont les osse-
ments de ces milliers d’Ephraïmites qu’aurait vu renaître Ezechiel dans
sa fameuse vision de « la vallée des ossements » (Sanh. 92 b)
Et ce n’est pas fini ! Quarante années viennent de passer, la traversée
du désert est terminée. Dans leur avancée à la conquête de la Terre
promise, voici les enfants d’Israël obligés de s’arrêter devant un terri-
toire qu’ils ne peuvent conquérir, non certainement à cause d’une quel-
conque incapacité de victoire militaire (d’autres territoires beaucoup plus
puissants venaient d’être conquis), mais parce que ce territoire, bien que
situé loin de Gaza, est habité par des Philistins. Nous devons cette préci-
sion à Rachi qui, sur un passage du Talmud (Babli Hulin 60 b), explique :
« Les Avim étaient des Philistins (…ils sont comptés parmi les 5 principau-
tés philistines (Jos.13, 3)) Isaac n’a pu leur arracher leur pays, à cause du
serment prêté par Abraham à Abimélec ».

Car, à ce moment-là, un des petits enfants de Abimélec était encore


en vie, ce qui voulait dire que l’accord de ne pas s’en prendre « à mon
petit-fils et arrière-petit-fils », était encore en vigueur. Et les enfants
d’Israël sont des enfants qui respectent les accords signés par un de leurs
ancêtres, même si les accords ne sont pas honorés par la partie adverse.
Ce que nous allons voir tout à l’heure !
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Et ce n’est pas fini ! Josué a conquis la Terre promise. Il procède au
partage des territoires. Le tirage au sort désigne le territoire des Jébuséens
(habitants de Jérusalem) comme devant revenir à la tribu de Juda. Arrivés
devant Jérusalem, les enfants de Juda pourtant très puissants… « et
nombreux comme le sable de la mer » (P. de R. Eliezer, chap. 36) ne
purent prendre possession du territoire.
« Quant aux Jébuséens, qui habitaient Jérusalem, les enfants de Juda ne
purent les déposséder, de sorte qu’ils sont demeurés à Jérusalem avec les
enfants de Juda, jusqu’à ce jour » (Jos. 15, 63).

Que se passe-t-il ? Rachi et Radaq (Rabbi David Qimhi), sur le verset


cité, rapportent l’enseignement de Rabbi Yehochoua ben Korha. Voici
ce que dit R. Yehochoua : « Ce n’est pas qu’ils ne puissent pas vaincre
les Jébuséens, ils le pouvaient assurément, mais ils n’en avaient pas le
droit, à cause de la force de l’alliance du serment d’Abraham ! » Car alors,
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nous apprenons qu’un des petits-fils d’Abimélec était encore en vie à


l’époque de Josué ! Et, une fois de plus, les enfants de Juda tiennent à
respecter l’accord donné par Abraham.
Cela va se répéter encore plus tard, lorsque les enfants de la tribu de
Benjamin se retrouveront eux aussi en face des Jébuséens :
« Pour les Jébuséens habitants de Jérusalem, les enfants de Benjamin ne les
dépossédèrent point, et ils sont restés à Jérusalem, avec les enfants de
Benjamin, jusqu’à ce jour » (Juges 1, 21).

Voici le commentaire de Rachi :


« Dans Jérusalem, il y avait un quartier qui s’appelait Jébus, et qui apparte-
nait à des descendants d’Abimélec. Les enfants de Benjamin ne les dépos-
sédèrent pas de leur territoire, car un des petits-fils d’Abimelek était encore
en vie ». Et Rachi d’ajouter : « Il faudra attendre David, qui alors achètera
la ville des Jébusites à prix d’or » (I Chron. 21, 25).

Alors que les termes de l’accord étaient devenus caducs !


Telle est la grandeur du respect de la parole donnée, et des accords
passés, lorsque c’est d’Israël qu’il s’agit ! Allons voir ce que deviennent
cette parole donnée, et ces accords passés du côté d’Abimélec et des
Philistins ! Nous sommes au niveau de la deuxième génération, c’est-à-
dire des enfants des premiers contractants des accords de Béer-Sheva I :
Abraham n’est plus. Abimélec non plus, probablement (selon Rachi) !
Leur histoire va se répéter, à peu près dans les mêmes circonstances au
niveau de leur fils respectif, Isaac, et Abimélec fils. Il y a de nouveau
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famine en Canaan : Isaac, probablement assuré de trouver aide et assis-
tance chez Abimélec (il est au courant des accords de Béer-Sheva I),
vient s’installer à Guérar-Gaza, car il n’est pas autorisé à quitter le pays
et à aller en Égypte comme l’avait fait son père. Le même incident,
concernant sa mère Sarah, se reproduit dans la vie du fils d’Abraham.
Comme son père dans le Néguev, Isaac se met au travail : « Isaac sema
dans ce pays-là et recueillit, cette même année, au centuple, et le Seigneur
le bénit » (Gn.26, 12).
Abimélec fils (ou, le même) se souvient de l’avertissement de Dieu :
« On ne touche pas à Isaac ! » Mais la réussite d’Isaac provoque la jalou-
sie des Philistins. La tension monte entre Isaac et les Philistins, car Isaac
est devenu grand « l’homme devient puissant… puis sa grandeur alla
croissant, jusqu’à ce qu’il fût très grand… Les Philistins le jalousèrent »
(Gn. 26, 13-14). La tension se transforme en jalousie, et la jalousie en
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266 CLAUDE SULTAN

haine, et ce même homme, Abimélec, (ou son fils) qui avait prêté serment
de ne faire « de mal ni à mon fils ni à mon petit-fils » oublie déjà les
termes des accords signés et « Abimélec dit à Isaac : va-t’en de chez nous
car tu es trop puissant pour nous ! » (Gn.26, 16) (des commentateurs
nombreux notent que « de chez nous », pouvait être compris comme suit :
« va-t’en de chez nous car tu t’es enrichi à nos dépens » !). Ceci devien-
dra pour des siècles un leitmotiv « antisémite » à la peau dure. Les juifs
s’enrichissent sur le dos de la nation qui les accueille ! Isaac s’éloigne
alors, mais la haine le poursuit. On retrouvera trace de ce rejet d’Isaac
dans le choix du nom des puits qu’Isaac creuse à nouveau, à l’image de
son père. Les puits rappelleront les querelles, les contestations, l’oppo-
sition, l’hostilité, la haine engendrées par la réussite d’Isaac. Renvoyé
par ses soi-disant alliés, Isaac quitte la région et va s’installer à Béer-
Shéva. Le choix était bon, cela est confirmé immédiatement. « L’Éternel
se révèle à lui et l’assure de sa protection ». (Gn. 26,24)

L’ACCORD DE BEER-SHEVA II
(GN. 26,26-31)

Une scène déjà vécue va se reproduire alors : Abimelec, accompa-


gné de ses amis, et son chef d’état-major viennent rendre visite à Isaac,
pour obtenir de lui la reconduction de l’accord signé par son père, mais
les choses ne se passent pas tout à fait comme avec Abraham. Isaac est
maintenant un homme craint, parce qu’il est fort. Il reçoit la délégation
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de haut. « Pourquoi êtes-vous venus à moi, alors que vous me haïssez,
et que vous m’avez renvoyé de chez vous ? » (Gn.26, 27) La réponse est
éloquente : « Nous avons bien vu que le Seigneur est avec toi » (Gn. 26,
28), alors, « qu’il y ait un serment entre nous et toi. Et nous ferons un
pacte avec toi, que tu t’abstiendras de nous nuire » (remarquez déjà la
mauvaise foi : « tu t’abstiendras de nous nuire ». Où, quand, Isaac a-t-il
déjà nui ?) « De même que nous ne t’avons pas touché » (ils ont essayé
de reboucher tous les puits, mais devant la force, ils reculent mainte-
nant), et « que nous t’avons renvoyé en paix » ! Les Philistins considè-
rent le fait d’avoir renvoyé Isaac sans l’avoir dépouillé, comme un grand
bienfait. Pour illustrer cela, le Midrach raconte avec humour, ce que la
Fontaine ou Ésope reprendront dans la fable « Le loup et la cigogne » ;
« … Votre salaire ?
Vous riez ma bonne commère.
Quoi ! Ce n’est pas encore beaucoup
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LES ALLIANCES DE PAIX DES PATRIARCHES 267

D’avoir de mon gosier retiré votre cou


Allez, vous êtes une ingrate :
Ne tombez jamais sous ma patte ! »

Isaac, demeurant fidèle au serment prêté par son père, et enseignant


ainsi l’engagement traditionnel pour toutes les générations d’Israël de
conserver, en n’importe quelle circonstance, la fidélité aux accords légaux
et aux paroles données, Isaac, par fidélité pour son père, accepte le renou-
vellement de l’alliance. Mais cette fois-ci, sans cérémonie, sans offrir de
cadeaux (les sept agneaux), comme son père l’avait fait. Et dès le lende-
main de la signature : littéralement, « il les renvoya » (Gn. 26, 31). Ces
accords s’appelleront aussi les accords de Béer-Sheva, en raison de
l’Alliance (shevou’a) et non peut-être, en rappel des sept agneaux offerts
par Abraham. Désormais la ville portera définitivement, et jusqu’à ce
jour, le nom de Béer-Sheva, la ville du Pacte et de l’Alliance. Il n’est pas
sans intérêt de se souvenir d’un détail important (mais était-ce un détail?) :
lors de son voyage historique vers Jérusalem, Sadate choisit de faire
étape… à Béer-Sheva ! Le président égyptien connaissait ses classiques !
Je voudrais ici rapporter in extenso un enseignement du Rabbin Elie
Munk (la Voix de la Thora) sur le verset 33 du chapitre 26 de la Genèse.
« Il importe, cependant, de souligner le fait que l’écriture mette par deux fois
(ici et lors de l’histoire d’Abraham, chap. XXI) le creusement des puits en
rapport avec la conclusion d’une alliance avec une puissance étrangère. Il y
a là une indication dont la signification a été relevée au chapitre ci-dessus.
Le creusement du puits, qui suit immédiatement la signature de l’alliance,
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revêt une importance symbolique correspondant à une « réserve mentale ».
Le puits d’eau vive équivaut, dans l’ordre matériel, à la source d’inspiration
sur le plan spirituel, et les Patriarches tiennent à faire comprendre à leur
partenaire, dès la signature d’un pacte d’amitié, qu’ils ne partageront jamais
avec eux leur vie culturelle. Ils puiseront leur nourriture spirituelle aux
sources qui leur sont propres. L’Alliance avec un roi païen ne déteindra pas
sur la vie spirituelle : Elle est le domaine réservé par excellence. Aussi la
source creusée au moment de l’Alliance sera-t-elle « sept fois » sacrée, et
elle sera nommée en conséquence. »

L’accord de Béer-Sheva III n’aura pas lieu !


Et Jacob, lui, dans ces affaires d’accords et de serments, comment
réagit-il ? La réponse est à déchiffrer dans le verset : « Jacob sortit de
BEER-SHEVA et alla à HARANE ! » (Gn.28,10). Verset apparemment
superflu. « Ne savions-nous pas que Jacob était à Béer-Sheva ? » ques-
Pardès 36 & Bulletin 26/06/12 11:18 Page 268

268 CLAUDE SULTAN

tionne le Midrach, qui ajoute : « Mais c’est pour enseigner que Jacob a
décidé de « sortir » (Vayetsé) de ce piège (Béer) que constitue le serment
(shevou’a) quitte à en endosser les conséquences : La colère (Harone af
ha-’olam) des nations ! » Il n’y aura donc pas de Béer-Sheva III ! Or,
Jacob c’est Israël !
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