Monographie Materiaux Du Nucleaire Outils Modelisation
Monographie Materiaux Du Nucleaire Outils Modelisation
Monographie Materiaux Du Nucleaire Outils Modelisation
L’approche multi-échelles
de la modélisation des matériaux
L a simulation multi-échelles des matériaux est une disci- sibles directement par l’expérience. D’autre part, le coût et la
pline émergente qui vise à prédire le comportement d’un difficulté de réaliser des expériences sur les matériaux irra-
matériau en couplant des techniques de modélisation opérant diés. Et, enfin, la nécessité de prédire le comportement des
à différentes échelles d’espace et de temps. Ces échelles vont matériaux avant de les tester et de transposer les résultats
du nanomètre (quelques distances interatomiques) au milli- obtenus en vieillissement accéléré par irradiation aux ions,
mètre ou au mètre (échelle des composants), et de la picose- notamment.
conde (période de vibration d’un atome dans un solide) à
quelques années (durée de fonctionnement d’un composant) La très grande majorité des simulations multi-échelles consiste
ou quelques siècles (pour les matériaux de stockage). Cette à coupler deux échelles de simulations, ou plus, mais unique-
approche est liée au caractère intrinsèquement multi-échelles ment par passage d’information d’une échelle à l’autre, non
des phénomènes qui régissent l’évolution des propriétés des en couplant différentes échelles dans une même simulation.
matériaux : c’est l’énergétique des défauts à l’échelle atomique Ces échelles peuvent être grossièrement subdivisées en
qui pilote la cinétique d’évolution de la microstructure du maté- deux : les échelles les plus fines, celles de la physico-chimie
riau et des propriétés macroscopiques qui en découlent. des matériaux et les plus grandes, celles de la mécanique des
matériaux. Ces deux catégories, qui se rejoignent typiquement
Le nucléaire fait historiquement partie des secteurs en pointe à l’échelle de la dynamique des dislocations, obéissent à une
dans le développement et l’utilisation des différents outils de logique un peu différente et sont présentées successivement
simulation des matériaux, pour plusieurs raisons. D’une part, ci-après (fig. 17).
la complexité : la matière est fortement perturbée par l’irradia-
tion neutronique, qui créé des défauts spécifiques, notamment La modélisation des matériaux sous irradiation a toujours été
les interstitiels, dont les propriétés sont difficilement acces- en pointe : une des premières applications de la dynamique
moléculaire a été l’étude de la forma-
tion de défaut par irradiation dans un
cristal [1].
Temps
50 nm
1 an
Les outils de la
modélisation physique
des matériaux
pour le nucléaire
10 µm
Les physiciens ont tendance à partir de
Monte-Carlo sur Objet
Monte-Carlo cinétique (OkMC) l’échelle la plus fine, celle à laquelle la
1s Atomique (AkMC) Dynamique d’amas
physique est la plus robuste. C’est
l’échelle des calculs de structure élec-
tronique. Les calculs dits « ab initio* »
basés sur la Théorie de la
Fonctionnelle de la Densité (DFT)*
ont connu un formidable essor ces der-
1 ps nières années (voir infra, pp. 29-32,
40 nm
« Les calculs électroniques ab initio
Dynamique moléculaire
classique (DM) pour la matière condensée »). Ils per-
Structure électronique
Ab initio (DFT) Distance mettent de prédire, sans paramètres
1 nm 1 µm 1 mm ajustables, la plupart des propriétés
dans la majorité des matériaux avec
Fig. 17. Représentation schématique des principaux outils de la modélisation physique
une précision de quelques pourcents,
des matériaux. mais aussi de nombreuses restrictions
+ = rien
+
+ =
+
+ =
Fig. 18. Modélisation multi-échelles des matériaux sous irradiation ; les carrés représentent les lacunes, les haltères représentent
des « dumbbells », paires d’interstitiels.
Microstructure
Orientations cristallographiques
Géométrie et dimensions des grains
Comportement
macroscopique
Dynamique
des dislocations Éléments finis ou FFT
Fig. 19. Principaux outils de la modélisation de la mécanique des matériaux. Le lien avec les échelles inférieures se fait, principalement,
au travers des mécanismes considérés par la dynamique des dislocations.
Références
[1] J.B. GIBSON, A.N. GOLAND, G.H. VINEYARD, Phys. Rev., 120 (1960),
p. 1229.
L a physico-chimie des phénomènes mis en jeu dans la Évidemment, cette transformation a un prix. Tous les phéno-
matière condensée provient quasiment exclusivement du mènes quantiques ont été cachés dans une expression rece-
comportement des électrons. Ainsi, tous ces phénomènes lant toute la complexité du problème : l’énergie d’échange-cor-
variés tels que la structure des solides, leurs constantes élas- rélation. L’échange provient de la nature indiscernable des
tiques, leur couleur, leur caractère métallique, semi-conduc- électrons qui sont des fermions, tandis que la corrélation
teur ou isolant, leur teneur en défauts, leur déviation de la stœ- désigne, par définition, tout le reste des effets quantiques. Plus
chiométrie, se comprennent par les propriétés des électrons. précisément, le terme de « corrélation » correspond au fait
Les électrons sont, par nature, des particules quantiques ; leur qu’on ne peut décrire la position d’un électron sans tenir
description nécessite donc la résolution de l’équation fonda- compte de la position des autres. Leurs mouvements respec-
mentale de la mécanique quantique, l’équation de tifs sont dits « corrélés ».
SCHRÖDINGER.
Heureusement, des approximations extrêmement simples,
Les calculs électroniques dits « ab initio* », c’est-à-dire à mais pourtant très précises, ont été proposées dès les travaux
partir des premiers principes, proposent donc d’étudier les pro- pionniers des années 60 [2]. Dans la DFT, l’énergie
priétés des électrons sans ajustement spécifique au système, d’échange-corrélation est, en principe, une fonctionnelle de la
directement à partir de la résolution de l’équation de densité électronique (). Cela signifie que cette énergie est
Schrödinger. Cela représente, à première vue, un défi formi- une fonction dont la valeur dépend de la connaissance de la
dable, puisque l’équation de Schrödinger devient déjà très dif- fonction () en tout point de l’espace. L’approximation de la
ficile à résoudre, dès que le nombre de particules quantiques densité locale (LDA) propose de limiter cette dépendance
interagissant dépasse l’unité. Comment donc procéder alors drastiquement : l’énergie d’échange- corrélation n’est fonction
que le nombre d’électrons d’un solide macroscopique est de que de la valeur de la densité au point considéré :
l’ordre de 1023 ?
! = "()ε !(()).
hcp
bcc
Mise en œuvre numérique : pseudopotentiels
0,15 et fonctions de base
La théorie étant posée, il s’agit maintenant de comprendre les
Énergie (mRy)
10
L es simulations de physique statistique fondées sur une matière condensée »). La contrepartie de la précision des cal-
description atomistique (comme la dynamique moléculaire) culs ab initio est un temps de calcul qui évolue comme au
nous permettent d’accéder à l’évolution de la macrostructure moins le cube N3 du nombre d’atomes considérés N. Les
en partant d’une échelle atomique des matériaux. La robus- limites actuelles des puissances de calcul ne permettent pas
tesse du modèle physique qui décrit la liaison interatomique de traiter plus d’une centaine d’atomes. Cette contrainte
est l’ingrédient clé des simulations et assure leur caractère confine ce type de calcul à l’étude des propriétés physiques de
réaliste, transférable et prédictif. De manière systématique, matériaux massifs ou contenant des défauts de petite taille.
une simplification du modèle physique implique une efficacité Cette contrainte restreint, de plus, les calculs de dynamique
numérique croissante qui va de pair avec une perte importante moléculaire ab initio à l’échelle de la picoseconde.
du caractère prédictif et transférable de la méthode. Cette sim-
plification est l’objet principal des potentiels empiriques. Les Il est légitime d’envisager de repousser les limites spatio-tem-
potentiels empiriques s’attachent à décrire les liaisons entre porelles de ces calculs pour avoir accès à la description de
les atomes à l’aide de fonctionnelles simples, comme celle volumes de l’ordre du nanomètre cube (nm3) pendant des
représentée figure 22. temps de simulation de l’ordre de la nanoseconde. L’extension
spatiale est nécessaire à l’étude de défauts de grande taille,
Les propriétés des matériaux sont pilotées par les électrons et tandis que l’extension temporelle est impérative pour le calcul
leur caractère quantique. Une prédiction exacte de toute pro- de propriétés physiques qui demandent un traitement statis-
priété physique passe par la résolution de l’équation de tique temporel (conductivité thermique, diffusion, énergie libre,
Schrödinger pour tous les électrons du système. Les calculs changements de phase, etc.). L’étude des dommages pri-
de structure électronique ab initio donnent accès aux proprié- maires d’irradiation (voir infra, pp. 127-132, « La modélisation
tés de cohésion des matériaux, quelle que soit la nature des du dommage primaire d’irradiation par dynamique molécu-
liaisons entre les atomes (métallique, covalente ou ionique). laire ») impose à la fois une extension spatiale (quelques 105
Ces calculs ont un grand pouvoir de prédiction car ils décri- atomes) et une extension temporelle (quelques dizaines de
vent explicitement les électrons. Cette description passe par la picosecondes). Notons que ces temps accessibles à ce type
résolution des équations de Schrödinger, via des hypothèses de simulation restent néanmoins courts, comparés à ceux
simplificatrices mais robustes (par exemple, la DFT ; voir atteints par les calculs de Monte-Carlo cinétique sur réseau,
supra, pp. 29-32, « Les calculs électroniques ab initio pour la de champ moyen auto-cohérent ou de dynamique d’amas
(voir infra, pp. 57-60, « Les modèles cinétiques »).
Potentiel i+1
TESTS Relaxation
POTENTIEL
Potentiel de départ
2
b c Potentiel ajusté
EC15-Epara (eV)
Énergie de formation (eV)
5 DFT
-2
4
-4
-6
0
<110> <111> <100> OCT TED 0 2 4 6 8 10 12 14
Taille de l’amas d’auto-interstitiels
Fig. 23. a) Schéma de principe d’un ajustement de potentiel. b) Comparaison entre les valeurs cibles de la base de données (en orange les
calculs ab initio DFT) et les valeurs ajustées pour l’auto-interstitiel de fer (en vert le potentiel interatomique ajusté sur la base de données DFT)
et en bleu le potentiel de départ. c) Comparaison entre les calculs ab initio et les valeurs prédites par les deux potentiels EAM pour les nouvelles
configurations d’amas d’interstitiels non incluses dans la base d’ajustement. On peut noter qu’un meilleur accord entre les calculs DFT et EAM
pour les configurations des mono-interstitiels entraîne un accord remarquable pour les nouvelles configurations d’amas d’interstitiels.
alors que les erreurs sont de l’ordre de 20 % ou plus pour cer- nouveau potentiel, qui prend la suite du potentiel proposé en
taines propriétés. Il faut alors se rappeler des objectifs qui moti- [4], permet de décrire avec une grande précision non seule-
vent l’utilisation de potentiels empiriques. L’utilisation des ment la stabilité relative des petits amas d’interstitiels dans le
potentiels empiriques permet d’étendre l’investigation spatio- fer (fig. 23b) mais aussi la dilatation thermique, les barrières de
temporelle d’un solide, ainsi que de son espace configuration- migration des mono-interstitiels et mono-lacunes, les proprié-
nel, mais cela, en partie, aux dépens de la précision. Ainsi, les tés vibrationnelles des défauts, les surfaces et les γ -surfaces
résultats attendus aident à identifier des mécanismes, à dans le fer. Il a été utilisé pour explorer de manière extensive
rendre compte et à explorer des phénoménologies, mais don- le paysage énergétique des interstitiels dans le fer. Il a ainsi
nent rarement accès à des valeurs quantitativement fiables conduit à prédire la stabilité d’une structure cristalline tridimen-
des grandeurs physiques. sionnelle de type phase de Laves C15 pour les amas d’auto-
interstitiels dans ce métal [5], en accord remarquable avec les
Il existe néanmoins des exemples où des résultats quantitatifs calculs ab initio pour ce type d’amas (fig. 23c). Cette prédiction
peuvent être obtenus. Citons le développement récent d’un s’oppose à la morphologie classique des boucles bidimension-
potentiel simple (EAM) pour le cas complexe du fer pur [3]. Ce nelles, sur lesquelles le potentiel avait pourtant été ajusté.
Alain CHARTIER,
Département de physico-chimie
Mihai Cosmin MARINICA et Jean-Paul CROCOMBETTE,
Département des matériaux pour le nucléaire
Références
[1] A. CHARTIER, G. CATILLON et J.-P. CROCOMBETTE, Phys. Rev. Lett., 102
(2009), p. 155503.
L’ énergie totale d’un système sans contrainte est la somme tielle, nous pouvons définir une surface de potentiel thermody-
des énergies potentielle et cinétique de ses constituants. Pour namique adéquat, par exemple l’énergie libre pour le système
la physique des matériaux, toutes les propriétés (état d’équi- couplé à un thermostat. Pour d’autres conditions d’investiga-
libre, changements de phases, évolution de la macrostructure tions (pression ou potentiel chimique constant), il faut utiliser
pendant ou après irradiation, recuit de dommage primaire, le potentiel thermodynamique associé (pour plus de détails,
etc.) découlent de l’énergie potentielle qui est une caractéris- voir supra, pp. 27 et 28, « Les outils de la modélisation méca-
tique intrinsèque du système. Ce concept fut rationalisé sous nique des matériaux pour le nucléaire »). Les informations
la forme de « surface d’énergie potentielle » (ou PES, extraites du paysage énergétique sont utilisables pour le para-
« Potential Energy Surface », en anglais) par R. MARCELIN et métrage de techniques multi-échelles très utilisées pour les
H. EYRING, au début des années 30, pour décrire une réaction études des dommages primaires d’irradiation comme les cal-
chimique comme l’évolution d’un point sur une surface d’éner- culs de Monte-Carlo cinétiques* (voir supra, pp. 127-132, le
gie potentielle dans un espace à 3N dimensions, N étant le chapitre intitulé « La modélisation du dommage primaire d’ir-
nombre d’atomes du système considéré. radiation par dynamique moléculaire »), de champ moyen
auto-cohérent (voir supra, pp. 133-136, le chapitre intitulé
Une surface d’énergie potentielle est souvent présentée « Structure et cinétique des défauts ponctuels dans le carbure
comme un paysage montagneux où les minima correspon- de silicium ») ou de dynamique d’amas* (voir supra, pp. 137-
dent au fond des vallées et les points de cols aux points de 140, le chapitre intitulé « Structure et cinétique des défauts
passage les plus bas en hauteur entre les vallées. d’irradiation dans le fer »).
L’information essentielle pour l’évolution d’un système est
extraite à partir de la distribution de minima et de points de La recherche de minima et de points de col d’une fonction d’un
cols de la surface d’énergie. La distribution de minima déter- grand nombre de variables est un sujet largement étudié par
mine la thermodynamique du système et les points de cols, les physiciens et les mathématiciens. Pratiquement, pour
et les chemins qui relient les minima locaux déterminent l’évo- atteindre un minimum, il est seulement nécessaire de suivre
lution cinétique du système. Selon la distribution de une évolution du système dans la direction de la plus grande
BOLTZMANN, la probabilité de trouver le système dans un état descente (méthode du gradient). Pour localiser les minima,
décroît de manière exponentielle avec l’augmentation de nous pouvons utiliser des algorithmes mathématiques spéci-
l’énergie de l’état. Dans la limite de basse température, cette fiques : soit des méthodes déterministes qui utilisent comme
dépendance exponentielle signifie que le système est le plus information le gradient (dérivée première) et/ou le Hessien
susceptible de se retrouver dans le voisinage du minimum glo- (dérivée seconde) de la fonction, soit des méthodes stochas-
bal. Par conséquent, à basse température, le minimum de la tiques de physique statistique sans gradient, pour les situa-
fonction énergie potentielle donne une bonne description de la tions spécifiques, quand les forces interatomiques sont très
structure atomique dans l’état thermodynamique du système. difficilement calculables (Metropolis, algorithmes génétiques,
Dans la même gamme de température, les chemins qui relient simplex, etc.). Les algorithmes sont généralement plus effi-
les minima locaux nous indiquent les probabilités pour évo- caces s’ils disposent du gradient de la fonction traitée.
luer d’une configuration de minimum à l’autre. C’est exacte- L’algorithme déterministe le plus facile est de suivre le gradient
ment le cas des processus élémentaires de diffusion atomis- de la fonction en s’assurant que l’énergie cinétique du sys-
tiques de défauts ponctuels* ou des dislocations* (voir tème est zéro à chaque pas d’itération. L’application directe de
ci-après), les réactions cinétiques de défaut, annihilation, cette méthode peut prendre différents noms suivant le
croissance ou élimination sur des puits à l’origine de toute évo- contexte de son utilisation : méthode d’EULER, de la descente
lution cinétique de la microstructure. Pour des températures la plus rapide (« steepest descent », en anglais) ou de la dyna-
plus grandes, la notion de paysage énergétique n’est plus mique moléculaire trempée. Cette méthode n’est pas la plus
adaptée et des changements quantitatifs et qualitatifs peuvent efficace, mais elle est très utilisée car ses avantages majeurs
apparaître. À une température suffisamment grande, l’état le sont qu’elle est très robuste et très facile à mettre en œuvre.
plus stable n’est donc pas forcément celui qui possède l’éner- Actuellement, les algorithmes les plus efficaces sont les
gie potentielle la plus faible. Une entropie importante peut sta- méthodes de type quasi-Newton qui utilisent une approxima-
biliser une configuration d’énergie élevée. De la même tion numérique de l’inverse du Hessien. Un exemple est la
manière que nous avons défini une surface d’énergie poten- méthode BROYDEN-FLETCHER-GOLDFARB-SHANNO à mémoire
Énergie (eV)
4,5
3,0
4,0
2,5
3,5
2,0
3,0
2,5
1,5
2,0
1,0 1,5
1,0
0,5
0,5
0 0
Fig. 24. Le paysage énergétique d’un amas de quatre auto-interstitiels dans le fer, c’est-à-dire à quatre atomes supplémentaires dans le réseau
cubique centré. Le paysage énergétique a été déterminé en utilisant la méthode « Activation Relaxation Technique nouveau » [1] et visualisé
avec la technique des graphes : chaque terminaison représente un minimum ou configuration, et chaque nœud du graphe représente un point
col. Nous remarquons plusieurs contributions : en rouge celle des amas avec une structure conventionnelle formée de dumbbells <110> et en
rouge celle des structures de type phase de Laves C15. Pour chaque configuration, les cubes bleus représentent des lacunes de la structure
initiale, et les boules de couleur des atomes interstitiels.
1
yz
z = [110]
y = [111]
x = [112] Coupe du cristal Hkp(yz) = 0,09 eV
-0,5
b c
-1
Dislocation vis à l’arrêt Dislocation vis glissant
Décrochement
-1,5
Décrochement
0
0 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0 1,2
Coordonnées de réaction
Fig. 25. Le paysage énergétique d’une dislocation vis avec les deux positions de minima et le chemin de passage entre les deux configurations.
a) Une boîte de simulation avec des surfaces libres (en orange) qui contient une dislocation vis dans une position de minimum. Les atomes sont
colorés en fonction de leur énergie potentielle. Une coupe du cristal permet la visualisation des atomes à proximité du cœur de la dislocation
(les atomes jaunes). b) la dislocation dans la boîte de simulation dans la même position initiale vue de côté avec la même convention de
couleurs. c) La dislocation vis glissant vers un autre minimum avec une paire de décrochements d) Calcul de la barrière énergétique pour la
formation d’une paire de décrochements sur une dislocation vis dans un modèle de fer pour différentes valeurs de contrainte appliquée à la
cellule de simulation. La méthode utilisée est la méthode Nudge Elastic Band [2]. La hauteur de barrière, notée ici Hkp, est un paramètre
déterminant de la loi de mobilité des dislocations (voir, infra, pp. 169-170, « La modélisation de la mobilité des dislocations »).
graphe pour un amas de quatre auto-interstitiels dans un Dans les métaux de symétrie cubique centrée, comme le fer
métal de structure cubique centré, le fer, en utilisant la pur, les dislocations de type vis glissent suivant un processus
méthode ARTn. Le paysage énergétique des interstitiels est dit « de Peierls », c’est-à-dire par activation thermique de
beaucoup plus compliqué que celui des lacunes qui ne pré- double décrochement le long de la ligne de dislocation (voir la
sente que quelques minima bien définis. Nous pouvons remar- figure 25a-c). La méthode Nudge Elastic Band est utilisée afin
quer les milliers de minima et de points cols. Chaque graphe de calculer la barrière énergétique associée au processus de
correspond à une morphologie bien définie, soit de boucle PEIERLS. La fonction enthalpie est utilisée pour analyser la
bidimensionnelle, soit de structure tridimensionnelle pério- dépendance de cette barrière en fonction de la contrainte
dique. Cette nouvelle structure tridimensionnelle a été récem- résolue appliquée sur les surfaces de nos cellules de simula-
ment déterminée et la structure cristalline sous-jacente cor- tion. Deux exemples de calculs de barrière énergétique pour
respond à la phase de Laves C15 (fig. 24, voir également, la formation de paire de décrochement sur une dislocation vis
infra, pp. 123-126, le chapitre intitulé « La thermodynamique dans le fer ont été reportés en figure 25d. Plus la contrainte
des alliages fer-chrome »). Dans le fer-alpha, ces agrégats appliquée augmente, plus la formation de décrochement est
C15 sont très stables, immobiles et se forment directement facilitée par la diminution de la barrière. Ces calculs nous ser-
dans les cascades de déplacements. Ils peuvent croître en vent de paramètres pour déterminer la loi de mobilité des dis-
capturant des auto-interstitiels. Ils constituent ainsi un nouvel locations (voir infra, pp. 169-170, le chapitre intitulé « La modé-
élément important à prendre en compte dans les prévisions lisation de la mobilité des dislocations »).
de l’évolution microstructurale des matériaux à base de fer
sous irradiation. La structure et la mobilité des amas d’auto-
interstitiels sont une question encore largement ouverte (pour Mihai Cosmin MARINICA, François WILLAIME
plus de détails voir, infra, pp. 123-126, le chapitre intitulé « La et Laurent PROVILLE,
thermodynamique des alliages fer-chrome »). Département des matériaux pour le nucléaire
Bibliographie
Calcul ab initio de la plasticité : structure de cœur et mécanismes
de glissement des dislocations vis
DEZERALD (L.), VENTELON (L.), CLOUET (E.), DENOUAL (C.), RODNEY (D.)
et WILLAIME (F.), « Ab initio modelling of the two-dimensional energy
landscape of screw dislocations in bcc transition metals », Phys. Rev.
B, 89 (2014), p. 024104.
C’ est entre 1950 et 1955 que Enrico FERMI et ses col- le calcul des forces exercées sur chacun des atomes, mais
lègues, John R. PASTA et Stanislaw ULAM, de Los Alamos, réa- autorise, par ailleurs, la réalisation d’événements collectifs ;
lisèrent les expériences numériques consistant à intégrer les
équations de la mécanique newtonienne pour une chaîne • d’autre part, la dynamique moléculaire permet de modéliser
d’oscillateurs couplés par des interactions non linéaires des phénomènes hors d’équilibre à l’échelle atomique. Par
(potentiels d’interactions non quadratiques) [1]. Les 18 000 exemple, on peut noter l’étude d’endommagements méca-
lampes de l’ordinateur MANIAC permettaient alors de traiter niques [5], de cascades de déplacements atomiques provo-
des systèmes unidimensionnels comportant quelques quées par irradiation (voir infra, pp. 127-132, le chapitre inti-
dizaines d’atomes. Cette étude heuristique, selon Enrico FERMI tulé « La modélisation du dommage primaire d’irradiation par
lui-même, peut être considérée comme la première simulation dynamique moléculaire ») ou encore la formation de couche
de dynamique moléculaire de solides modèles. Avec ces cal- d’oxyde [6], la diffusion d’atomes isolés sur certaines sur-
culs numériques sur une chaîne unidimensionelle d’oscilla- faces [7], la mobilité des dislocations (voir infra, pp. 169-170,
teurs, l’objectif de FERMI [1] était d’étudier la thermalisation des le chapitre intitulé « La modélisation de la mobilité des dislo-
solides en tenant compte de la non-linéarité des interactions cations »). Cette liste est non exhaustive.
entre atomes. À la grande surprise de FERMI et de ses col-
lègues, la chaîne d’atomes ne thermalisait pas dans les temps L’explosion de la capacité de calcul des ordinateurs a permis
accessibles à la simulation et il fallut de nombreuses études, non seulement d’augmenter considérablement les volumes de
par la suite, afin de comprendre le processus menant à l’équi- matière étudiés, mais aussi d’améliorer la description des
libre thermodynamique [2]. Cette première étude fondait la interactions atomiques.Très tôt, ces interactions furent décrites
méthode dite « de dynamique moléculaire* », qui consiste à par des fonctionnelles de différentes formes analytiques, prin-
considérer, dans le cadre de la mécanique classique, des cipalement les interactions dites « à deux corps » et celles
atomes ou des ions en interaction et de suivre pas à pas leurs dites « à N-corps » (voir supra, pp. 33-37, le chapitre intitulé
mouvements par discrétisation du temps. Une représentation « Les potentiels interatomiques »). La première famille com-
schématique est donnée dans la figure 26. Compte tenu de la porte des potentiels modèles de type LENNARD-JONES, mais
rapidité des vibrations atomiques, le pas en temps des calculs également des potentiels permettant de décrire les interac-
de dynamique moléculaire est extrêmement court (de l’ordre tions dans les solides ioniques. La seconde famille est consti-
de la femto-seconde). De nombreux physiciens et chimistes tuée de potentiels de forme plus complexe (d’où le nom à N-
utilisent cette méthode, désormais standard. On peut classer
les calculs de dynamique moléculaire en deux grandes
familles :
Les calculs de dynamique moléculaire peuvent être relative- Laurent PROVILLE, Mihai Cosmin MARINICA
ment lourds. Ils sont limités soit par le volume de matière, et Jean-Paul CROCOMBETTE,
c’est-à-dire le nombre d’atomes considérés, soit par le temps Département des matériaux pour le nucléaire
Potentiels thermodynamiques
et potentiels de force moyenne
L e premier objectif de la simulation atomistique sur ordina- 8(5 –1 , +, /) = -–〈〉/5 = 1 2 34∑ & exp<– & /1 2 5= (2)
teur est de prévoir la stabilité des phases d’un matériau au
cours du temps en fonction de la température, de la pression La somme, appelée « fonction de partition », comprend tous
et des potentiels chimiques de chacun de ses constituants. Le les états & du système. Les termes exponentiels correspon-
second objectif, tout aussi important, est de calculer les dent aux poids de Boltzmann non normalisés. L’ensemble
constantes de réaction associées aux mécanismes atomiques canonique autorise les échanges d’énergie sous forme de
contrôlant l’évolution de la microstructure. Le moyen le plus chaleur entre la boîte de simulation et un thermostat, ce qui se
direct pour résoudre ces deux problèmes consiste à laisser le traduit par des fluctuations de l’énergie du système autour
système évoluer au cours du temps en résolvant l’équation de d’une valeur moyenne 〈〉.
mouvement de Newton, éventuellement couplée à un thermo-
stat et un barostat. Malheureusement, cette approche néces- Notons que l’on aurait également pu effectuer la transformée
site des temps de calcul importants et ne peut être utilisée que de Legendre de l’énergie par rapport à l’entropie du système
dans des cas simples. La raison en est que les processus ther- en considérant cette dernière comme une variable d’état. La
miquement activés, qui contrôlent les mécanismes atomiques fonction thermodynamique correspondante est alors l’énergie
et le transport dans les matériaux, sont très rarement obser- libre :
vés à l’échelle du pas de temps de la dynamique moléculaire,
lequel est typiquement de l’ordre de la femtoseconde (10-15 s). = – 5- (3)
En pratique, il est presque toujours préférable de calculer un Cette fonction, obtenue en utilisant la relation 5 = ∂/∂-, est
potentiel thermodynamique en fonction des paramètres de équivalente à – 58. L’énergie libre est plus communément
contrôle du système. Cela permet, par la suite, de déterminer considérée dans le domaine de la simulation moléculaire. Elle
les conditions de coexistence à l’équilibre thermodynamique possède une analogie évidente avec le principe de stabilité en
en maximisant les fonctions thermodynamiques appropriées. mécanique classique. Mécaniquement, un système est stable
C’est ce qui est fait, en pratique, dans un alliage binaire dans si son énergie potentielle est dans un minimum local.
lequel deux phases coexistent lorsque l’on met en œuvre la Thermodynamiquement, une phase est stable si son énergie
construction de MAXWELL. libre est plus basse que celle de toutes les autres phases pos-
sibles. À température non nulle, la phase la plus stable n’est
Le potentiel thermodynamique le plus simple est celui qui est donc pas forcément celle qui possède l’énergie interne la plus
associé à l’ensemble microcanonique et qui correspond à l’en- faible : une entropie importante peut stabiliser une phase
tropie de Boltzmann du système : d’énergie interne élevée. C’est le cas pour les structures for-
tement dégénérées présentant une multitude de minima éner-
-(, + ,/) = 1 2 34⍀( ,+ ,/), (1) gétiques voisins et des modes de vibration très lents.
où ⍀(, +, /) est le nombre d’états quantiques d’un système Les similarités entre stabilité mécanique et thermodynamique
dans lequel on impose la valeur de l’énergie, le nombre + nécessitent de clarifier ce que l’on entend par « énergie libre
de particules et le volume /. La quantité ⍀(, +, /) est aussi d’une phase » pour des systèmes de taille finie. En simulation
l’inverse de la densité d’état. La constante 1 2 est la constante numérique, on doit tout d’abord être capable de distinguer les
différentes phases possibles dans un système atomique. Pour
cela, on a recours à un paramètre d’ordre >. Il s’agit, le plus
de Boltzmann. Si l’on se restreint au cadre de la mécanique
classique, l’énergie du système est la somme de l’énergie
cinétique et d’un potentiel interatomique empirique. souvent, d’une fonction réelle des positions atomiques dont
Formellement, une ou plusieurs transformées de Legendre de les valeurs varient de façon continue quand on passe d’une
l’entropie de Boltzmann par rapport aux grandeurs extensives phase à l’autre. Pour un alliage présentant une lacune de mis-
(énergie, volume, nombre de particules…) permet d’obtenir cibilité et simulé dans l’ensemble pseudo-grand canonique, la
les potentiels thermodynamiques des autres ensembles. Par concentration jouera parfaitement ce rôle. Pour un alliage
exemple, le potentiel thermodynamique de l’ensemble cano- ordonné, le paramètre d’ordre pourra être une fonction des
nique à la température inverse 5-1 = ∂-/∂ s’écrit comme une occupations atomiques sur les sous-réseaux de la phase
fonction de Massieu : ordonnée. Dans le cas d’une transition structurale, on utilisera
- log (A(ξ))
15 En arrière
contraire, le paramètre d’ordre n’est pas une bonne coordon- Moyen
née de réaction : le sommet de la surface d’énergie libre décrit 12
M(ξ)
0,30
face d’énergie libre de la figure 27, page précédente, ne per- 0,25
met pas ainsi d’extraire les constantes de réaction associées 0,20
à cette transition structurale. La raison en est que les états 0,15
ξ
0 5.10-11 10-10 1,5.10-10 2.10-10 2,5.10-10
déplacé dans le bassin d’attraction du minimum local. La
détermination d’un paramètre d’ordre pertinent peut donc
s’avérer difficile. Fig. 28. Migration lacunaire dans le fer-alpha. La position de l’atome
migrant vers le site vacant est représentée par la coordonnée
de réaction ξ (exprimée en mètres). La probabilité de la configuration
le long d’une migration est A(ξ). Le cologarithme de la moyenne
L’étude de la migration d’un défaut lacunaire dans le fer est
(forward ou backward).
3.10-10
ξ [m]
600
500 1.10-10
T [K] 400
5.10-11
indirectement accès à la précision de la moyenne directe de 300
usuels effectués dans le cadre de l’approximation harmonique. [2] M. ATHÈNES et M.-C. MARINICA, « Free energy reconstruction from
Cela montre tout l’intérêt de quantifier de la sorte les effets steered dynamics without post-processing », J. Comp. Phys., 229
anharmoniques et de les prendre en compte, par la suite, dans (2010), pp. 7129-7146.
les modèles cinétiques. [3] G. ACKLAND, M. MENDELEV, D. SROLOWITZ, S. HAN et A. BARASHEV,
« Development of an interatomic potential for phosphorous impurities
Le calcul des potentiels thermodynamiques et des potentiels in alpha-Fe », J. Phys. : Cond. Matter, 16 (2004), S2629.
de force moyenne est une composante importante de la simu-
lation des matériaux à l’échelle atomique. Cette approche
reste cependant cantonnée aux systèmes pouvant être décrits
de façon suffisamment réaliste avec des potentiels semi-empi-
riques. En effet, mieux décrire les interactions atomiques
nécessiterait de combiner les codes de calcul de potentiel
thermodynamique et de structure électronique. Cela se tradui-
A fin de modéliser les propriétés d’équilibre des alliages, en construire la thermodynamique d’un alliage binaire à partir
particulier leur diagramme de phase*, il faut une approche d’un seul paramètre Q d’interaction entre premiers voisins.
permettant de calculer les fonctions thermodynamiques asso- L’énergie d’une configuration est donnée par :
1
ciées, telles que l’énergie libre, et non seulement l’énergie à
= — R QS&S),
2 &,)
0 K. Il est vrai que les calculs de dynamique moléculaire ab ini- (1)
tio peuvent être réalisés à température finie, mais la partie de
La thermodynamique du réseau 4
rigide
3 c.f.c. L12 L10 L12 c.f.c.
Nous nous intéressons ici à la modélisation d’un alliage cris-
tallin. À température non nulle, les atomes vibrent autour de
positions moyennes occupant les nœuds d’un réseau pério- 2
dique. Toutes les configurations de l’alliage peuvent donc être
décrites en précisant le type d’atomes occupant chacun des 1
nœuds du réseau. Il devient alors très simple de construire un
modèle prédisant l’énergie de chacune de ces configurations.
0
Ce modèle est ensuite utilisé pour en déduire la thermodyna-
0 0,25 0,5 0,75 1
mique et les propriétés d’équilibre de l’alliage [1,2]. Fraction atomique de soluté
À haute température, les effets anharmoniques peuvent deve- Une fois le jeu de données expérimentales sélectionné, les
nir importants. Comme la principale source d’anharmonicité modèles thermodynamiques adaptés aux phases à modéliser
provient de la variation des fréquences de vibration atomique sont choisis.
avec le volume, l’approximation quasi harmonique s’avère
généralement très satisfaisante pour traiter ces effets anhar- Le choix des modèles thermodynamiques
moniques. Cette approximation consiste à appliquer le modèle
Les modèles thermodynamiques associés aux différentes
harmonique pour différents volumes et à minimiser ensuite
phases d’un système donné sont choisis en tenant compte de
l’énergie libre du système par rapport au volume.
leurs caractéristiques cristallographiques.
Quant aux excitations magnétiques, le modèle d’Ising peut
Il est également important de se préoccuper, à ce stade du
être complété par un modèle d’Heisenberg décrivant les inter-
travail, de la compatibilité des modèles choisis pour un sys-
actions entre les moments magnétiques des atomes ainsi
tème donné avec d’autres systèmes mettant en jeu des élé-
qu’une seconde contribution magnétique décrivant la variation
ments et des phases communs. Cela est fait dans la perspec-
de l’énergie d’un atome avec son moment magnétique. Les
tive de créer des bases de données par mutualisation de
propriétés thermodynamiques du système sont alors obte-
différents systèmes optimisés, et donc de pouvoir extrapoler
nues en échantillonnant non seulement les différentes confi-
des équilibres dans des systèmes multi-constitués.
gurations atomiques du système, mais également ses diffé-
rents états magnétiques (amplitude et direction du moment
Selon le type de phases : éléments purs, composés stoechio-
magnétique de chaque atome).
métriques et solutions de substitution, différents formalismes
mathématiques sont utilisés.
3 3
G (kJ/mol)
G (kJ/mol)
2 2
Liquide
1 1 Liquide
Solide Solide
0 0
-1 -1
-2 -2
0 0,2 0,4 0,6 0,8 1 0 0,2 0,4 0,6 0,8 1
1000 1000
Température (°C)
Température (°C)
800 800
400 400
Solide
Solide
Solide
Solide
200 200
0 0
0 0,2 0,4 0,6 0,8 1 0 0,2 0,4 0,6 0,8 1
A Fraction molaire de B B A Fraction molaire de B B
Électron 1 MeV
Laurence LUNÉVILLE, Guido BALDINOZZI
Ion Ar 0,6 MeV
Ion He 1 MeV et David SIMEONE,
Neutron (FBR)
LRC CARMEN CEA/CNRS/ECP
Spectre pondéré
0,8
Références
[1] D. SIMEONE et L. LUNEVILLE, Phys. Rev. E, 82 (2010), p. 011122.
0,6
[2] S. JUMEL et J. VAN DUYSEN, Journal of Nuclear Materials, 328 (2004),
0,4 p. 151.
Fig. 35. Évolution du spectre pondéré dans un acier ODS pour [7] L. LUNEVILLE, D. SIMEONE et Y. SERRUYS, Mater. Res. Soc. Symp. Proc.
différents projectiles : électrons d’1 MeV (orange), ions Ar 1215 (2010), V13-03.
de 600 keV (vert), ions He de 1 MeV (bleu) et pour un flux
[8] J. LINDHARD, V. NIELSEN et M. SCHRAFF, Kgl. Dan. Vid. Mat. Fys.
de neutrons typique d’un réacteur à neutrons rapides (FBR) [rouge] :
Medd., 36 (1968), p. 1.
ce sont les ions Argon de 600 keV qui donnent le spectre pondéré
le plus proche du spectre obtenu dans le réacteur.
L a modélisation de la cinétique d’évolution des matériaux gurations stables d’un alliage, énergie de formation et de
en vieillissement thermique ou sous irradiation peut être faite migration des défauts). De plus, le calcul des fréquences de
à différentes échelles et avec différents niveaux d’approxima- saut – en particulier, celui du terme pré-exponentiel qui intègre
tion, selon le degré de précision requis, la complexité des phé- la contribution des phonons – reste très coûteux [2]. Une
nomènes envisagés et les temps physiques simulés. Nous approche alternative consiste à adapter les méthodes d’inter-
décrivons dans cette section quatre modèles cinétiques* et actions effectives sur réseau rigide déjà présentées (voir
discutons leurs champs d’application. supra, pp. 25-28, « L’approche multi-échelles de la modélisa-
tion des matériaux »), en y intégrant la description des confi-
gurations de col. Dans les deux cas, l’ajustement sur des cal-
Monte-Carlo cinétique atomique culs ab initio peut améliorer considérablement la qualité du
(AKMC) modèle.
10 10 10 10
0 0 0 0
Fig. 37. Autour d’une dislocation dans l’alliage Ni-Si, lignes de flux (a) des lacunes, des atomes de silicium aux températures (b) T = 1 010 K,
(c) T = 1 060 K, et (d) T = 1 110 K. La distribution initiale des atomes Si et des lacunes est homogène. Les dimensions sont données en unité de
vecteur de Burgers (0,25 nm) pour une dislocation coin dans le nickel placée à l’origine, avec un axe horizontal selon [11^0] et un axe vertical selon
[111] dans le plan (112^). Les couleurs indiquent l’amplitude du cosinus de l’angle entre la direction du flux et le vecteur radial de la dislocation ⃗,
avec en orange les flux qui sortent du cœur de la dislocation, en bleu ceux dirigés vers le cœur et en blanc ceux orthogonaux à ⃗ [13].
alliage à proximité des puits de défauts ponctuels tels que les est identifié par son nombre d’atomes de chaque espèce
joints de grains, les surfaces ou les dislocations (fig. 37). minoritaire et son nombre de défauts ponctuels, et une forme
Toutefois, cette approche ne permet pas d’étudier les sépara- lui est attribuée. Les différentes configurations atomiques des
tions de phases de type germination-croissance susceptibles amas sont prises en compte dans les termes d’entropie de
d’avoir lieu à proximité de ces mêmes puits de défauts. configuration de l’énergie libre de formation [5], qui sont
cependant souvent négligés, en pratique.
d (cm-3)
culs, une approximation supplémentaire consiste à remplacer
les événements de migration par les conséquences de ces 1018
R (nm)
Monte-Carlo cinétique sur événements (EKMC). Elle a été uti- 3
0
pp. 137-140, « Structure et cinétique des défauts d’irradiation
100 101 102 103 104 105 106 107 108
dans le fer »).
C1
0,012
0,008
0
De même que les simulations EKMC, la dynamique d’amas* 100 101 102 103 104 105 106 107 108
t (s)
est une approche de type « gaz d’amas ». Les paramètres
d’entrée sont très proches : ce sont principalement les éner-
Fig. 39. Cinétique de précipitation à 500 °C dans un alliage Fe-
gies libres de formation des amas et leurs coefficients de dif- 1.34 %Cu, simulée par dynamique d’amas (DA) et par Monte-Carlo
fusion. À la différence des simulations EKMC, le système est cinétique atomique (AKMC), en utilisant des paramètres avec
traité en champ moyen. Ainsi, les variables du problème sont lesquels les amas sont immobiles. De haut en bas : densité d’amas,
les concentrations des différents types d’amas, qui sont sup- rayon moyen, concentration de monomères de Cu dans la matrice.
Les différents stades (germination, croissance, coalescence) sont
posés être uniformément répartis dans l’espace. Cette hypo-
clairement visibles. La dynamique d’amas permet de traiter le stade
thèse n’est pas toujours valide ; par exemple, les corrélations de coalescence sur des temps longs.
spatiales entre défauts créés par irradiation sont souvent
fortes, ce qui peut rendre l’utilisation de cette méthode plus
délicate. Dans certains cas, comme pour la simulation d’irra-
diations aux ions qui induisent un dommage fortement dépen-
dant de la profondeur, il est utile de s’affranchir de l’hypothèse
d’homogénéité sur tout le système. On considère alors un sys- alliages de Zr »), ou encore la précipitation homogène du
tème découpé en tranches, couplées entre elles par la diffu- cuivre dans le fer (fig. 39, [6] et infra, pp. 157-160, « L’évolution
sion des espèces mobiles, le système étant supposé homo- microstructurale dans les alliages modèles d’aciers de cuve »).
gène dans chaque tranche.
L’évolution du système est obtenue en résolvant un jeu d’équa- Thomas JOURDAN, Frédéric SOISSON
tions de cinétique chimique sur les concentrations d’amas. La et Maylise NASTAR,
Département des matériaux pour le nucléaire
résolution déterministe du système d’équations permet, dans
de nombreux cas, de simuler l’évolution sur des temps phy-
siques longs et d’avoir accès aux fortes doses (plusieurs
dizaines de dpa). Toutes les classes d’amas étant simulées,
Références
du monomère aux amas contenant quelques millions de
[1] A. R. ALLNATT et A. B. LIDIARD, « Atomic Transport in Solids »,
défauts ou de solutés, les processus de germination, crois-
Cambridge University Press (1993).
sance et coalescence d’amas sont directement pris en
compte, comme dans les approches AKMC et EKMC. Les dis- [2] J.-L. BOCQUET, « Contribution of shear strains to the vibrational
tributions des tailles d’amas (boucles interstitielles, cavités, entropy of defect configurations », Philos. Mag., 87 (2007), pp. 3259-
3295.
précipités) obtenues peuvent être directement comparées aux
observations expérimentales, par exemple en microscopie [3] F. CHRISTIEN et A. BARBU, « Cluster dynamics modelling of irradia-
électronique à transmission. tion growth of zirconium single crystals », Journal of Nuclear Materials,
393 (2009), pp. 153-161.
À titre d’exemple, la dynamique d’amas a été utilisée pour [4] C.-C. FU, J. DALLA TORRE, F. WILLAIME, J.-L. BOCQUET et A. BARBU,
simuler les recuits de résistivité dans le fer en présence de « Multiscale modelling of defect kinetics in irradiated iron », Nature
carbone ([7] et infra, pp. 137-140, « Structure et cinétique des Materials, 4 (2005), pp. 68-74.
défauts d’irradiation dans le fer »), la formation d’amas de [5] T. JOURDAN, J.-L. BOCQUET et F. SOISSON, « Modeling homogeneous
défauts ponctuels sous irradiation dans le zirconium ([3] et precipitation with an event-based Monte Carlo method : Application to
infra, pp. 147-150, « L’évolution de la microstructure des the case of Fe-Cu », Acta Mater., 58 (2010), pp. 3295-3302.
L a dynamique des dislocations* (DD) a pour objet l’étude Le premier code de dynamique des dislocations 3D a été
des mécanismes de déformation plastique à l’échelle du grain développé en France au début des années 90 [1]. Depuis cette
(quelques µm) par une modélisation du comportement de l’en- date, plusieurs codes ont été développés en France et à
semble des dislocations* sous-jacentes19 (voir l’encadré l’étranger. Parmi les plus significatifs, citons les codes MICRO-
supra, p. 20, intitulé « Les dislocations »). Le mouvement de MEGAS (CNRS-ONERA) et TRIDIS (CNRS-Grenoble INP)
ces défauts cristallins linéiques, leurs interactions mutuelles pour la France, les codes PARANOID (IBM T.J. Watson),
ou avec les autres éléments microstructuraux (joints de grains, Parametric Dislocation Dynamics (UCLA) et PARADIS (LLNL,
précipités…) sont, en effet, responsables de nombreuses pro- UCLA) pour les États-Unis, le code développé au Karlsruher
priétés mécaniques du matériau (écrouissage, tenue à la Institute für Technologie en Allemagne ainsi que le code
fatigue, ténacité…). NUMODIS développé conjointement par le CEA, le CNRS et
l’INRIA.
La DD s’inscrit par nature dans une démarche multi-échelle
et vise à faire le lien entre la dynamique moléculaire (voir
supra, pp. 43-44, « Les simulations de dynamique molécu- Le principe de la dynamique
laire ») et la plasticité cristalline (voir infra, pp. 71-74, « La des dislocations
viscoplasticité cristalline »). Intégrant les mécanismes phy-
La modélisation par dynamique des dislocations permet de
siques élémentaires étudiés par la première méthode (voir
suivre l’évolution d’un ensemble de dislocations, représentées
infra, pp. 163-167, « Le calcul ab initio de la plasticité : struc-
individuellement par la ligne de discontinuité du champ de
ture de cœur et mécanismes de glissement des dislocations
déplacement, au cours du temps et sous une sollicitation
vis ». Voir également, infra, pp. 169-170, « La modélisation de
mécanique donnée [2]. Chaque ligne de dislocation est alors
la mobilité des dislocations »), elle a pour objectif de fournir
discrétisée par une succession de segments caractérisés par
des lois de comportement physiquement motivées à la
leur vecteur de Burgers*, leur plan de glissement voire de
deuxième. La DD permet, en outre, l’étude des mécanismes
montée (fig. 40).
d’endommagement lorsque ceux-ci se jouent à l’échelle du
grain (voir infra, pp. 171-173, « La fatigue des aciers austéni-
Cette représentation conduit, par comparaison avec la dyna-
tiques inoydables »).
mique moléculaire, à une réduction drastique du nombre de
19. Les densités typiques sont de l’ordre de 1012 à 1015 m/m3, soit une lon- degrés de liberté nécessaire au suivi d’une dislocation indivi-
gueur de dislocation de l’ordre de 1 mm à 1 m pour un grain de taille 10 µm.
a b c
Fig. 40. a) Une dislocation « coin ». La présence de cette dislocation induit une distorsion du réseau cristallin caractérisée par la ligne
de dislocation (vecteur normal sortant) et par son vecteur de Burgers b. Le plan de glissement (pointillé bleu) de cette dislocation contient
à la fois la ligne de dislocation et son vecteur de Burgers. La figure (b) présente la discrétisation en segments « vis » et « coin » utilisée par
le code TRIDIS pour représenter une ligne de dislocation courbe (noir pointillé). La figure (c) présente la discrétisation de cette même dislocation
par une succession de segments d’orientations quelconques, telle qu’elle est utilisée par le code NUMODIS.
a b c
Fig. 41. a-b) Formation d’une jonction de LOMER-COTTRELL dans un matériau de structure cubique à faces centrées : le croisement entre deux
dislocations (a) situés dans deux plans de glissement distincts conduit à la formation d’une jonction située (b) dans la direction commune aux
deux plans. (c) Simulation de la plasticité dans un grain de forme cubique (taille 1 µm) contenant initialement quatre sources de FRANK-READ
de taille 0,1 µm situées au centre du grain. On note que les dislocations interagissent avec les joints du grain en venant s’y empiler.
60
40
20
0
0 0,2 0,4 0,6 0,8 1 1,2
Déformation m (%)
a b
Fig. 42. Simulation de l’interaction d’une dislocation « coin » avec une population de boucles induites par l’irradiation (boucles de type <100>,
densité 6.1022 m-3, taille 2,6 nm). a) La dislocation apparait en bleu et les défauts d’irradiation en rouge. b) courbe contrainte-déformation pour
un cisaillement effectué dans le plan de glissement de la dislocation « coin ». Cette courbe permet de mesurer le durcissement induit par la
présence des boucles et ainsi de faire le lien avec les lois de plasticité cristalline (voir infra, pp. 69-72, « La viscoplasticité cristalline »).
sion20 a été livrée en 2009. Son objectif est de répondre à l’en- Références
semble des besoins en modélisation par DD de la DEN et du [1] L.P. KUBIN, G.R. CANOVA, M. CONDAT, V. PONTIKIS et Y. BRECHET, Sol.
CNRS, en intégrant, d’une part, les spécificités des matériaux Stat. Phen., 23-24 (1992), pp. 455-472.
du nucléaire et en exploitant, d’autre part, le calcul haute per-
[2] V.V. BULATOV, et W. CAI, Computer simulations of dislocations,
formance, afin de permettre la modélisation de volumes et de
Oxford University Press (2006).
temps suffisamment significatifs. Un exemple de résultat
obtenu avec le code NUMODIS est donné dans la figure 42. [3] J. FRIEDEL, Dislocations, Pergamon, Oxford (1964).
Laurent DUPUY,
Département des matériaux pour le nucléaire
La production de microstructures
de matériaux pour la simulation
L es simulations numériques sur microstructures* sont uti- tion cristalline des grains présents à la surface d’un polycris-
lisées dans le but d’évaluer le comportement homogénéisé du tal (fig. 43a) [1] et la tomographie X, qui conduit à une image
matériau (voir infra, pp. 75-79, « Les méthodes d’homogénéi- 3D du coefficient d’absorption des rayons X permettant de
sation en mécanique des milieux continus ») et/ou d’étudier séparer certains constituants ou des porosités au sein d’un
en détail les répartitions des contraintes, des déformations ou matériau (fig. 43b) [2].
de l’endommagement à une échelle locale. Ces calculs s’ap-
puient sur une représentation de la microstructure, sous la
forme d’une ou de plusieurs cellules élémentaires. Ces cel- La génération de microstructures
lules élémentaires peuvent être directement issues de moyens virtuelles
d’imagerie expérimentaux 2D (microscopie optique, électro-
Les outils de génération de microstructures virtuelles présen-
nique, EBSD…) ou 3D (tomographie X). Ces cellules élémen-
tent l’intérêt de pouvoir modifier simplement certaines carac-
taires peuvent également être simulées, on parle alors de
téristiques de la microstructure, mais aussi, dans le cas de
microstructures virtuelles. Dans ce cas, la cellule simulée doit
microstructures aléatoires, de pouvoir modifier la taille des cel-
être la plus représentative possible de la microstructure étu-
lules élémentaires et multiplier les réalisations de configura-
diée.
tions géométriques différentes mais équivalentes d’un point
de vue statistique. Grâce à ces outils, il est alors possible de
définir la taille de la cellule simulée la plus représentative du
Les microstructures réelles matériau étudié (Volume Élémentaire Représentatif). Par
On cherche ici à utiliser la microstructure réelle des matériaux ailleurs, pour les matériaux polycristallins, l’EBSD 3D est
à partir d’images, discrétisées en pixels (ou voxels, pour des encore trop peu répandu pour être utilisé couramment et les
images 3D), selon une grille régulière orthogonale, obtenues microstructures polycristallines sont alors classiquement
par différentes techniques de microscopie expérimentale. Ces représentées par un découpage en cellules de VORONOI
images numériques peuvent être utilisées directement au sein (fig. 44a) [3].
d’un code de calcul mécanique, généralement après un trai-
tement numérique (filtrage, seuillage, etc.). Parmi les tech- Différentes équipes du CEA ont travaillé autour de cette ques-
niques expérimentales d’imagerie largement utilisées à cet tion et un travail de capitalisation est en cours sous la forme
effet, nous citerons l’EBSD* (Electron Back Scattering d’un module (MICROGEN) de la plateforme logicielle MATIX
Diffraction), qui permet d’obtenir une image 2D de l’orienta- (A Multiscale Materials Modeling and Simulation Platform).
a b
Fig. 43. a) Maillage réalisé à partir d’une « image » EBSD d’une éprouvette en alliage de Zirconium à gros grains. b) Maillage cubique régulier
réalisé à partir d’une image 3D obtenue par tomographie X d’un matériau composite SiC/SiC (en rouge, le matériau, en bleu la porosité).
Fig. 44. Exemples de maillage d’une microstructure polycristalline (a) d’une microstructure biphasée avec croissance de phase aux joints
de grains (b) et d’une microstructure de type « béton » constituée d’inclusions sphériques et prismatiques distribuées aléatoirement au sein
d’une matrice.
Ce découpage en cellules de Voronoi a également été utilisé (voir la description des composites SiC/SiC, infra, pp. 181-183,
pour produire des microstructures représentatives d’alliages « Le comportement macroscopique des aciers déduit de la
de zirconium polycristallins avec croissance de phase aux plasticité cristalline »), microstructures réelles et virtuelles ont
joints de grains (fig. 44b) [4]. On notera également d’autres été confrontées sur la base de différents descripteurs statis-
types de développements réalisés pour introduire différentes tiques. Les figures 45a et 45b, montrent le bon accord quali-
formes d’inclusions afin de reproduire des microstructures tatif, tandis que la figure 45c révèle l’accord quantitatif, ici
représentatives de béton (fig. 44c) [5]. observé sur la fonction de distribution radiale des centres de
fibres.
Si la comparaison des microstructures réelles et simulées
s’est limitée à un accord qualitatif pour les microstructures pré- À l’échelle supérieure, des outils de génération de microstruc-
sentées ci-dessus, une confrontation plus quantitative permet tures tissées ont également été développés pour les compo-
d’asseoir la méthode de changement d’échelles sur une base sites SiC/SiC. À nouveau, les microstructures simulées ont pu
solide. Une telle démarche a notamment été mise en œuvre être comparées aux microstructures expérimentales (fig. 46)
sur les matériaux composites SiC/SiC [6] à l’échelle du toron observées en 3D par tomographie X.
3
Fonction g
Poisson
2,5 Observations
Simulations
1,5
0,5
0
0 10 20 30 40 50
a b c Distance r (µm)
Fig. 45. Exemples de cellules élémentaires réelles (image MEB) (a) et simulées (b) et confrontation des microstructures par la fonction
de distribution radiale des centres de fibres (c) d’un matériau composite SiC/SiC.
Porosité
Tube 1B
0,8 Tube B2
0,7
0,6
0,5
0,4
0,3
0,2
0,1
0
0 4,1 4,2 4,3 4,4 4,5 4,6 4,7
Rayon (mm)
a b c
Fig. 46. Image d’un tube SiC/SiC obtenue par tomographie X (a). Cellule élémentaire virtuelle (b). Comparaison des évolutions de fraction
surfacique de porosité en fonction du rayon pour deux tomographies de tubes et pour la cellule simulée (c).
La viscoplasticité cristalline
L a viscoplasticité* cristalline s’inscrit dans le cadre de la • des lois d’évolution des différentes variables internes du
mécanique des milieux continus, à l’échelle du cristal. Elle per- modèle en fonction des incréments de glissement sur
met de traduire au moyen de variables continues les phéno- chaque système.
mènes discrets que sont le glissement et la multiplication/anni-
hilation des dislocations, ce qui constitue, en un sens, la Pour faciliter le transfert entre la mécanique des dislocations
première étape d’un changement d’échelle plus vaste entre le discrètes (voir supra, pp. 63-65, « La dynamique des disloca-
comportement collectif des dislocations dans un grain et le tions ») et la mécanique des milieux continus cristallins, la plu-
comportement élasto-visco-plastique macroscopique du part des lois de comportement cristallines actuelles intègrent
matériau. Les différentes techniques qui permettent de pas- comme variables internes les densités de dislocations par sys-
ser du comportement d’un grain décrit par la plasticité cristal- tème s, dont l’évolution suit une loi du type [3] :
line à celui du polycristal font l’objet d’un chapitre spécifique
|m|s| 1
|s = —– } — – ~s
(voir infra, pp. 75-79, « Les méthodes d’homogénéisation en
s
(1)
mécanique des milieux continus »).
De nombreuses lois de viscoplasticité cristalline existent selon avec la norme du vecteur de Burgers, s le libre parcours
le type de matériau et de comportement que l’on souhaite moyen ou distance parcourue par un segment de dislocation
représenter : monotone ou cyclique, visqueux, thermiquement avant qu’il ne soit ancré par interaction avec la microstructure
activé ou non. Au-delà de ces différences, les points suivants et ~ une distance maximale d’annihilation entre deux disloca-
restent communs aux lois de viscoplasticité cristalline : tions de signe opposé. Le libre parcours moyen dépend des
densités de dislocations présentes sur tous les systèmes ren-
• Une partition de la déformation plastique en glissements contrés par le système actif, ainsi que de la taille de grain.
plastiques sur les différents systèmes de glissement du
matériau : εnṗ = ∑b r q s = –₂¹ (v4s⨂ y
q sṁs, où r xs + y
x s⨂v4s ) est la L’application aux matériaux cristallins [5] du cadre des grandes
matrice de Taylor permettant d’orienter chaque système de transformations de la mécanique des milieux continus permet
glissement dans l’espace à partir de la normale au plan de
glissement 4 v s et de la direction de glissement, y x s.ṁs étant
enfin de reproduire la rotation cristalline qui apparaît pour
accommoder les forts niveaux de déformation plastique [4].
l’incrément de glissement viscoplastique sur le système de
glissement - ;
Quelques exemples d’application
• le calcul d’une cission résolue* s sur chaque système de de la viscoplasticité cristalline
glissement sous forme de produit contracté entre la matrice
de Taylor rs et le tenseur de contraintes local S
n:
aux matériaux du nucléaire
s = r
q s: S
n; Les matériaux de structure des centrales nucléaires sont sou-
mis à divers chargements ou dommages dont certains méca-
• le calcul d’une cission critique* {s qu’il faut dépasser pour nismes peuvent être avantageusement décrits à l’échelle de la
activer le glissement d’un système à une température don- plasticité cristalline. Trois exemples d’applications réalisées au
née et qui fait intervenir les interactions mutuelles entre les CEA sont présentés dans ce qui suit.
différents systèmes de glissement au moyen de variables
internes. Peuvent aussi intervenir la solution solide, la pré- Fatigue et fluage à haute température
sence de précipités, les vallées de Peierls…
des aciers martensitiques
• une loi d’écoulement reliant l’incrément de glissement visco- Les aciers martensitiques sont des candidats potentiels
plastique d’un système ṁs à la cission résolue s et à la cis- comme matériaux de structures des réacteurs de quatrième
sion critique {s ; génération. On observe expérimentalement que leur micro-
structure très fine, composée de sous-joints, disparaît progres-
sivement en cours de déformation, ce qui conduit à un adou-
cissement notable du matériau. Les sous-joints peuvent être
|s = — s|m|s|
–~ peuvent fournir des informations quantitatives sur les forces
d’obstacles α& de ces défauts qui ancrent les dislocations.
Connaissant la densité s& de ces défauts sur chaque sys-
L’équation d’évolution de la densité de dislocations est similaire tème de glissement, le durcissement d’irradiation Fs& peut
¹ s|m| s|, repré-
—
alors être introduit par une relation de Taylor du type :
x
à (1), avec ajout d’un terme supplémentaire, – –
Des comparaisons entre prévisions et données expérimen- La densité de défauts d’irradiation peut être amenée à diminuer
tales sont détaillées dans le chapitre intitulé « Déformation et sur les systèmes de glissement actifs par un mécanisme de
endommagement des aciers martensitiques revenus à haute nettoyage, lors du passage des dislocations. Ce mécanisme, à
température », infra, pp. 175-179. l’origine, notamment, de la formation de bandes claires dans
les matériaux fortement irradiés (alliages de zirconium ou aciers
inoxydables austénitiques) [fig. 47] peut se traduire par la rela-
s&|m| s| où le coefficient corres-
s = ––
tion suivante [6] : |&
pond à la distance de capture du défaut d’irradiation par la dis-
220
111
0,3 µm
0,25 µm
a b
Fig. 47. Bandes claires dans un acier inoxydable austénitique irradié aux neutrons puis déformé [8]. a) Cisaillement de bandes claires
d’un système primaire par celles d’un système secondaire (flèches rouges) et (b) déformation au voisinage d’un joint de grains (traits continus)
impacté par une bande claire (traits en pointillés).
72 La viscoplasticité cristalline
Bande
S4()
L
45°
t ∑
Grain
Joint de grains
Matrice Matrice
a b
Fig. 48. Introduction de bandes de localisation de la déformation dans un grain lui-même noyé dans une matrice polycristalline. L’épaisseur et la
longueur des bandes sont notées t et L (qui s’identifie à la taille de grain) (a) ; champ de contrainte intergranulaire, S4(), résultant de l’interaction
de cette bande avec un joint de grains, en fonction de la distance au point d’impact de la bande, (b).
—– = !&]
Domaine de
glissement multiple
p
<111>
150
Domaine de 100
glissement simple
50
<100>
<-149>
0
<001> <110> 1.00E-05 1.00E-04 1.00E-03 1.00E-02
Déformation axiale
a b
Fig. 49. a) Définition des zones de glissement simple ou multiple en fonction de la direction de chargement dans un grain sollicité en traction-
compression. Le critère est fondé sur la comparaison entre le rapport des contraintes résolues secondaire et primaire avec une valeur critique
identifiée grâce aux observations des microstructures de dislocations. b) Identification du comportement contrainte-déformation en fonction
du type de glissement, simple ou multiple (<-149>, direction pour laquelle on n’active qu’un seul système de glissement ; <100>, direction
pour laquelle on active plusieurs systèmes de glissement). Les simulations (lignes) sont comparées aux valeurs expérimentales de BUQUE
et BOCHWITZ (symboles).
74 La viscoplasticité cristalline
Les outils de la modélisation
« La viscoplasticité cristalline », supra,
pp. 71-74. Dans le cas des alliages de
MHE MHE MHE zirconium irradiés, le modèle polycris-
tallin développé a pu être validé à la
+ +…= fois, d’une part au niveau macrosco-
pique sur des essais spécifiques de la
littérature et, d’autre part, sur des
observations réalisées en microscopie
électronique en transmission [4]. Ce
Fig. 50. Illustration de la démarche d’homogénéisation, dans le cas d’un polycristal. modèle a notamment permis de prédire
Description du polycristal en phases cristallines et principe du schéma auto-cohérent. le comportement d’alliages de zirco-
+ 0 * ! – !0: =
élémentaire mais un grand nombre de cellules élémentaires,
afin d’en déduire le comportement moyen, qui est alors une
CLDH
h11 (GPa)
320
CLMI
CLP
310
300
290
280
270
260
250
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45
Fig. 51. Homogénéisation de composites SiC/SiC à l’échelle du toron (voir figure 45 du chapitre intitulé « La production de microstructures de
matériaux pour la simulation », supra, pp. 65-67). Évaluation du coefficient K11 du tenseur d’élasticité moyen (1 = direction perpendiculaire aux
fibres) en fonction de la taille des cellules ( = dimension de la cellule / diamètre des fibres) et du choix des Conditions aux Limites Périodiques
(CLP), Mixtes (CLMI) ou Déformation Homogène (CLDH). Sur ce graphique, chaque point est le résultat de la moyenne d’un grand nombre
de calculs réalisés sur différentes cellules élémentaires. Un exemple de champ de contrainte associé à ces calculs est également proposé
(figure de droite).
140 12
120 10
100
8
80
Hill-Hutchinson 6
60
Kröner 4
40
Éléments finis 2
20
0 0
Fig. 52. Prédictions des courbes d’écrouissage cyclique obtenues par les modèles à champ moyen ou la méthode des éléments finis : a) nickel ;
b) aluminium. L’identification des paramètres de plasticité cristalline s’effectue à l’échelle des monocristaux (fig. 49 du chapitre « La viscoplasticité
cristalline », supra, p. 72) [8].
160
Contrainte axiale (MPa)
140
120
100
80
60
Contrainte axiale (MPa)
300
40
20
200 0
-0,0003 -0,0002 -0,0001 0 0,0001 0,0002 0,0003
-20
-40
100 -60
-80
-100
0
-120
-140
N = 20 000 [Morrison et al.]
-100 -160
Calcul éléments finis
1.00E-05 1.00E-04 1.00E-03 1.00E-02
Fig. 53. Comparaison entre courbes d’écrouissages cycliques mesurée et prédite par la méthode des éléments finis (a), et boucles d’hystérésis
(dites stabilisées) sur du nickel à température ambiante [8].
résultats expérimentaux de mesure par diffraction de neutrons [13] L. GÉLÉBART et C. LESTRINGANT, FFT-based homogenization of the
in situ ont ensuite permis de valider à l’échelle locale ce type mechanical behavior of SiC/SiC composites, Note Technique
d’approche numérique de l’homogénéisation en comparant DEN/DANS/DMN/SRMA/LC2M/NT/2011-3255/A.
les valeurs expérimentales et simulées de contrainte moyenne
[14] F. RACHDI et M. SAUZAY, Prediction of the cyclic behavior of FCC
dans certaines phases cristallines [7]. polycrystals using mean-field homogenization, 16th Conference on
Strength of Materials, Bangalore, 2012.
Références
[1] M. BORNERT, T. BRETHEAU et P. GILORMINI, Homogénéisation en
mécanique des matériaux 2, Comportements non linéaires et pro-
blèmes ouverts, Hermès Science Publications, Paris (2001).
Le terme ultime d’un essai de traction ou de fluage est la rup- Il y a rupture fragile du matériau fissuré si Sy dépasse la
ture de l’éprouvette. Cette rupture peut être ductile* ou fra- contrainte théorique de clivage S , ce qui arrive si la
gile* c’est-à-dire avec ou sans déformation plastique. contrainte macroscopique S dépasse
1 m.. 1/2
Considérons ici le second cas (rupture fragile), où les deux sur-
S = — —-—,
2 .3
faces de la pièce cassée peuvent être remises en contact l’une
avec l’autre, jusqu’à l’échelle atomique.
Or, le rayon de courbure minimal du fond de fissure est de
Si l’on cherche à écarter deux plans cristallins d’un matériau en l’ordre de la distance interatomique , donc
m. 1/2
traction (rupture dite « en mode I »), il faut exercer une
contrainte de traction qui dépend du module de Young et de S ≈ —— (critère de Griffith*).
la variation de l’écartement entre les plans. Cette contrainte 3
croît d’abord linéairement avec , atteint une valeur seuil cor- L’expérience montre qu’effectivement le produit de la racine
respondant à la contrainte théorique de clivage, puis retombe carrée de la longueur de défauts (3) et la contrainte à la rup-
à zéro au-delà d’une distance alpha entre les plans, désormais ture (S) est à peu près constant.
clivés. La forme la plus simple décrivant cette relation
contrainte-déplacement est une fonction sinus : La quantité h ≡ (2..m.)1/2 est une grandeur intrinsèque au
. .
S = —–. b&4 ——,
matériau, appelée « facteur d’intensité de contrainte* », qui
. caractérise sa ténacité* (résistance à la rupture fragile). On la
.
« fragile », il y a souvent en fond de fissure une zone où le
matériau subit une déformation plastique dans laquelle se pro-
S prend, en général, des valeurs très élevées, de l’ordre de duit une relaxation des contraintes et une dissipation de l’éner-
10 GPa, beaucoup plus grandes que les contraintes de rup- gie de rupture. On entre alors dans le domaine plus complexe
ture observées sur matériaux réels, de l’ordre de 100 MPa. En de la rupture ductile.
fait, la rupture est due à l’existence de défauts microscopiques
sous forme de fissures dans le matériau, qui concentrent la
contrainte en fond de fissure. Si on considère une fissure ellip-
tique, de longueur 2l et de rayon de courbure en fond de fis-
sure, la théorie de l’élasticité dit que la contrainte Sy en fond
de fissure est 2.(3 /)1/2 fois plus forte que la contrainte
moyenne dans le matériau (fig. 54).
Sy
3
® (+©)
pª« (+©) = a p § – ——–— ¬ª« (+-+©) +©¨ ,
+
——
Site obscurci Fissure active entourée de sa zone d’obscurcissement Fissure stoppée entourée de sa zone d’obscurcissement
Fig. 55. Évolution de l’endommagement d’un matériau par fissuration multiple. Les grandes fissures empêchent la germination et la propagation
des fissures situées dans leur zone d’obscurcissement, zone dans laquelle le champ de contraintes est localement relaxé.
Probabilité d’obscurcissement
¬ª« (0)
1
+ 0,8 15
D
0,6
¬ª« (+-+©)
10
+© 0,4
5
¬ª« (+-+±²³)
0,2
+±²³
0 0
Espace (n)
0 106 107 104 105 106 107
a Zone d’étude b Nombre de cycles c Nombre de cycles
Fig. 56. a) Définition de la zone espace-Nombre de cycles dans laquelle il faut ne trouver aucun défaut pour que le défaut D puisse amorcer une
fissure après N cycles. b) Évolution de la probabilité d’obscurcissement Aª«. c) Évolution des densités de fissures amorcées ®± et actives ®±.
Application au cas d’un chargement de chocs thermiques cycliques produisant une décroissance rapide du chargement et un arrêt des fissures
dans l’épaisseur du matériau (conditions favorables pour le développement d’un réseau important de fissures en surface).
avec ® (+) la densité de fissures amorçables indépendam- Une application de cette modélisation est proposée sur la
ment de tout effet de voisinage. On réutilise alors la notion de figure 56b et c, dans le cas de chocs thermiques cycliques
maillon faible [eq. (1)], en considérant qu’il suffit de trouver au induisant une décroissance rapide du chargement et un arrêt
moins un défaut dans une des zones ¬ª« (+-+©) l’entourant des fissures dans l’épaisseur du matériau. Ce type de char-
pour empêcher un défaut D d’amorcer une fissure à + cycles, gement favorise alors l’amorçage et la propagation de mul-
ce qui s’écrit : tiples fissures en surface d’échantillons, là où le chargement
+
—— sures macroscopiques.
+© =+y&4
+ y&4
3 60 60
2 40 40
1 20 20
0 0 0
10 000 100 000 1 000 000 0 0,2 0,4 0,6 0,8 0 0,2 0,4 0,6 0,8 1
a Nombre de cycles b N/NR c N/NR
Fig. 57. a) Évolution de la densité de fissures amorçables à l’échelle du grain sous chargement de fatigue uniaxial. Comparaison
modèle/expérience sur un acier inoxydable austénitique de type 304L à température ambiante. b) Mesures expérimentales sur un autre type
d’acier inoxydable (316L) de l’évolution de la densité de fissures en fonction du nombre de cycles N rapporté au nombre de cycles à rupture NR
et de la taille des fissures (type I : une taille de grain, type II : deux tailles de grains. Type III : plus de trois tailles de grains), d’après [2].
c) Prévision par le modèle probabiliste de l’évolution des mêmes évolutions de tailles de fissures. D’après [6].
Références
[1] J. BARES, L. GÉLÉBART, J. RUPIL et L. VINCENT, International Journal
of Fatigue, à paraître.