Pluralité Des Formes Et Des Modèles Matrimoniaux en Afrique: Un État Des Lieux

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INTRODUCTION

PLURALITÉ DES FORMES


ET DES MODÈLES
MATRIMONIAUX
EN AFRIQUE
UN ÉTAT DES LIEUX
PHILIPPE ANTOINE ET RICHARD MARCOUX

LA N É C E S S I T É D E P RO D U I R E S U R L’A F R I Q U E D E S
­ onnées utiles sur les tendances en matière de fécondité et
d
de mortalité et sur la répartition spatiale de la population
semble avoir relégué au second plan les recherches concer-
nant la nuptialité. Pourtant, une attention particulière à l’étude
des changements matrimoniaux permet de mieux appréhender
les mutations que connaissent les sociétés de ce vaste conti-
nent. L’étude de la nuptialité s’avère évidemment délicate, car
la définition du mariage renvoie simultanément à des concep-
tions d’ordres juridique, religieux et culturel (Antoine, 2002).
En Afrique comme ailleurs, plusieurs sociétés reconnaissent
LE MARIAGE EN AFRIQUE INTRODUCTION

différentes formes d’union, de l’union dite libre, c’est-à-dire sans cérémonie,


à des formes de mariage largement codifiées, que ce soit les mariages dits cou-
tumiers, religieux ou civils. Comme en Occident, où la pratique de l’union libre
comme mode de formation des couples et des familles tend à prendre le pas
sur le mariage formalisé, le mariage-institution laisse place dans de nombreuses
sociétés africaines à de nouveaux arrangements matrimoniaux.
Dans certaines sociétés, le mariage religieux l’emporte encore sur le
mariage civil (Antoine, 2008 ; Boye et al., 1991), dans d’autres, c’est le mariage
coutumier qui prédomine (Adjamagbo et al., 2014). Si les systèmes matrimoniaux
en Afrique diffèrent d’une société à l’autre, un certain nombre de traits com-
muns se retrouvent dans ces sociétés lignagères : l’union concerne davantage les
groupes de filiation que les individus, surtout en milieu rural. L’asymétrie provo-
quée par la « perte d’une femme » pour la famille de la future épouse nécessite
en contrepartie ce qu’on nomme la « compensation matrimoniale ». Le mariage
apparaît donc comme une « affaire de famille » (Hertrich, 1996 ; Marcoux, Guèye
et Konaté, 1995). Néanmoins, on voit apparaître des transformations subtiles
par réajustements successifs à travers le temps, avec une évolution récente plus
vive, marquée surtout par le recul de la formalisation des unions et le désenga-
gement – ou du moins une distanciation – des responsables familiaux envers
la prospection matrimoniale (Hertrich, 2007). Cela étant, même si les systèmes
évoluent, les processus matrimoniaux codifiés sont dans l’ensemble respectés,
tant en milieu rural que dans des villes, où il reste difficile de se marier sans
l’assentiment des parents ou de leurs représentants. Le mariage laisse encore
peu de place à l’expression des sentiments, qui peuvent même être considérés
comme un frein aux tractations familiales.
L’union de deux personnes semble toutefois de plus en plus précédée
par une série d’événements strictement individuels (la rencontre, la fré-
quentation plus ou moins régulière, le début d’une relation sentimentale
et sexuelle, etc.), eux-mêmes suivis d’événements concernant un cercle plus
large, celui de la famille et de l’entourage (accord entre familles, organisa-
tion des fiançailles par celles-ci, versement d’une compensation matrimo-
niale, etc.). L’union pourra alors être sanctionnée par différentes cérémonies
où interviennent les membres de cet entourage. Chez les Bambaras du Mali
par exemple, on peut compter jusqu’à trois types de cérémonie pouvant
officialiser un même mariage : la cérémonie dite traditionnelle (kogno), qui
scelle socialement l’accord entre les familles concernant le mariage et
qui est entourée habituellement de différentes activités festives, la cérémonie
religieuse musulmane, qui rend compte des engagements moraux et spirituels
associés à l’union et qui est habituellement plus sobre ou moins ostenta-
toire que le kogno, étant officiée par un imam et souvent sans la présence
des futurs époux, et enfin la cérémonie dite civile, qui se fait, elle, devant

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LE MARIAGE EN AFRIQUE INTRODUCTION

un représentant officiel et répond en quelque sorte aux exigences de l’État


moderne malien (droits des époux, allocations familiales, etc.). Dans des
contextes économiques difficiles, et étant donné les coûts différents associés
à ces trois types de cérémonie, on a pu observer à Bamako deux stratégies : soit
un étalement dans le temps des différentes célébrations, soit une inversion de
la séquence de ces célébrations, la cérémonie religieuse devenant la première
à sanctionner l’union (Marcoux et al., 1995).
En somme, la diversité de ces événements, leur chronologie, la variabilité
de leur importance et les aléas de leur apparition sont autant d’éléments qui
expriment la complexité du processus aboutissant à une situation matrimoniale
donnée. La variété des situations et des contextes rend par ailleurs d’autant plus
complexes les tentatives de comparaisons internationales. Dans la plupart des
enquêtes, on s’en remet simplement à la perception qu’a l’individu de sa situa-
tion matrimoniale. Cette perception individuelle est fondée sur un vécu person-
nel, mais cette appréhension est plus ou moins libre, selon le poids des normes
et des conventions sociales. Dans certains pays, il n’y aura aucune difficulté à se
déclarer en union libre, alors que cette situation sera totalement occultée dans
d’autres pays. Là où un phénomène est particulièrement minoritaire, il risque
d’être considéré comme déviant, et ainsi ne pas être mentionné par les enquêtés
vivant cette situation marginale, ce qui minimise statistiquement encore plus
le phénomène. Faute de données précises, c’est donc l’approche transversale
qui prédomine dans l’étude de la nuptialité.
La plupart des enquêtes classiques s’en tiennent à enregistrer différents
états matrimoniaux : célibat, mariage, divorce/séparation et veuvage. Cette
succession peut laisser penser à un continuum, alors que la vie matrimoniale
s’avère souvent complexe, surtout si l’individu connaît plusieurs unions au cours
de sa vie. En effet, mariage, divorce et veuvage sont autant d’états réversibles.
Ces dernières années, la plupart des enquêtes et des recensements ont par
ailleurs tenté de relever les unions consensuelles ou les unions libres, ce qui
représente assurément une amélioration importante de nos outils de collecte
sur les ­arrangements matrimoniaux en Afrique.
S’appuyant sur les données des Enquêtes démographie et santé (EDS/
DHS), les tableaux qui suivent rassemblent différents indicateurs pour huit
pays africains qui nous ont semblé représentatifs, géographiquement et socia-
lement, de la variété des pays d’Afrique et qui, pour la plupart, font l’objet
d’une attention particulière dans les différents chapitres de cet ouvrage. Le
tableau I.1 présente la répartition (en pourcentage) des femmes de 20 à 24 ans
selon leur état ­matrimonial lors des différentes EDS réalisées dans chacun
de ces huit pays.

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LE MARIAGE EN AFRIQUE INTRODUCTION

TABLEAU I.1.

État matrimonial des femmes de 20 à 24 ans

Jamais mariée* (%)


consensuelle (%)
Célibataire (%)

Divorcée (%)

Séparée (%)
Mariée (%)

Veuve (%)
Union
PAYS ENQUÊTE
EDS 2012 35,5 46,2 15,2 0,2 0,3 2,7 50,7
Bénin EDS 2006 28,1 61,2 8,5 0,3 0,4 1,5 36,6
EDS 1996 20,5 67,7 9,4 0,5 0,4 1,5 29,9
EDS 2010 17,1 74,8 6,3 0,2 0,2 1,3 23,4
Burkina
EDS 2003 16,1 70,1 11,7 0,4 0,4 1,3 27,8
Faso
EDS 1993 6,4 91,0 — 0,8 0,9 0,9 6,4
EDS 2011 32,4 40,8 21,0 0,3 1,3 4,0 53,4
Cameroun EDS 2004 23,4 46,3 23,1 0,3 1,2 5,7 46,5
EDS 1991 18,6 58,3 18,5 0,3 1,4 3,1 37,1
EDS 2008-2009 37,9 51,5 4,3 1,0 0,9 4,2 42,2
Kenya EDS 2003 36,2 49,4 7,6 1,1 1,0 4,7 44,8
EDS 1993 35,5 54,1 3,1 0,7 2,2 4,4 38,7
EDS 2008-2009 16,0 58,9 14,1 0,2 1,1 9,6 30,1
Madagascar EDS 2003-2004 26,3 47,3 15,6 0,1 1,2 9,5 41,9
EDS 1992 31,7 45,7 10,8 0,4 10,5 0,9 42,5
EDS 2006 7,0 80,6 9,1 0,6 0,9 1,8 16,1
Mali EDS 2001 12,0 82,6 2,4 0,5 0,7 1,9 14,4
EDS 1995-1996 12,4 83,4 2,0 0,7 0,6 0,8 14,4
EDS 2003 61,7 36,4 — 0,0 1,8 0,1 61,7
Maroc EDS 1992 56,0 40,2 — 0,2 3,6 — 56,0
EDS 1987 55,3 41,1 — 0,7 3,0 — 55,3
EDS 2010-2011 37,8 59,0 1,0 0,2 1,6 0,3 38,8
Sénégal EDS 2005 32,0 60,5 4,0 0,1 1,7 1,7 36,0
EDS 1992-1993 32,1 63,4 0,2 0,8 3,4 0,1 33,3
* Les pourcentages de la colonne « jamais mariée » sont la somme des pourcentages des colonnes
« célibataire » et « union consensuelle ».
Source : ICF international (2012). Measure DHS STATcompiler [en ligne]. <http://www.statcompiler.com>.

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LE MARIAGE EN AFRIQUE INTRODUCTION

Dans tous les pays, à l’exception notable de Madagascar (où la part des
femmes mariées progresse), on observe une tendance à la hausse dans la pro-
portion de femmes de 20 à 24 ans célibataires ou en union consensuelle (jamais
mariées). Le Mali se distingue, avec le maintien d’une forte proportion de femmes
mariées à 20-24 ans, suggérant ainsi un âge moyen au mariage relativement bas,
ce que l’on constatera plus loin. Le Burkina Faso et surtout le Bénin ont connu
pour leur part les plus fortes hausses de proportions de femmes n’ayant jamais
connu de mariage, l’un par l’accroissement des célibataires, l’autre par l’aug-
mentation des unions consensuelles. Au Kenya, et dans une moindre mesure au
Sénégal, où les proportions de célibataires étaient déjà relativement élevées au
début des années 1990, on assiste à une légère croissance du célibat, mais à une
relative diminution des unions consensuelles. Au Cameroun, la proportion des
« jamais mariées » dépasse les 50 % en 2011. Cette forte augmentation en l’es-
pace de 20 ans a été encore plus rapide au Bénin. Enfin, avec près des deux tiers
de femmes célibataires à 20-24 ans, le Maroc présente un schéma ­nettement
différent des pays d’Afrique subsaharienne.
La proportion d’unions consensuelles chez les jeunes femmes de 20 à
24 ans varie suivant les pays, rendant compte ainsi du degré d’acceptabilité
sociale de cet arrangement matrimonial. Elles sont particulièrement négli-
geables au Sénégal (1 % en 2010) et particulièrement élevées au Cameroun,
au Bénin et à Madagascar. Quant à l’état de divorcée/séparée, il est particuliè-
rement rare à cet âge, sauf au Kenya (5,1 % en 2008) et surtout à Madagascar,
où il dépasse les 10 %.
La proportion de femmes qui restent divorcées/séparées demeure très faible
dans la plupart des pays, le divorce étant statistiquement masqué du fait d’un
remariage rapide après la rupture, notamment dans les pays où la polygamie est
importante. Dans tous les pays étudiés, le célibat définitif n’existe quasiment pas :
la proportion de femmes ou d’hommes encore célibataires à 50 ans demeure
très faible.
En Afrique, on sait que le mariage se caractérise par la précocité de la
première union chez les femmes. Au calcul de l’âge moyen, nous avons préféré
celui de l’âge médian, c’est-à-dire de l’âge où la moitié des personnes d’une
cohorte est déjà mariée. Dans les huit pays retenus, cet âge progresse pour les
femmes de 25 à 49 ans, mais pas avec la même ampleur partout (tableau I.2).
L’âge au premier mariage recule plus nettement en milieu urbain qu’en milieu
rural, à l’exception des villes malgaches où il semble stable (20,4 ans en 2008,
comme en 1992). L’évolution est particulièrement nette dans les villes séné-
galaises : cet âge médian est passé de 18,2 ans en 1992-1993 à 21,5 ans
en 2010-2011.

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LE MARIAGE EN AFRIQUE INTRODUCTION

TABLEAU I.2.

Âge médian au premier mariage, femmes de 25 à 49 ans


Milieu de résidence Niveau d’instruction

Non scolarisée Secondaire


PAYS ENQUÊTE Urbain (%) Rural (%) (%) et plus (%)
EDS 2012 21,0 18,8 18,9 23,6
Bénin EDS 2006 19,8 18,1 18,1 23,5
EDS 1996 19,2 18,0 18,0 23,0
EDS 2010 19,2 17,6 17,6 22,2
Burkina
EDS 2003 19,0 17,6 17,6 23,0
Faso
EDS 1993 17,9 17,5 17,5 21,5
EDS 2011 20,0 17,3 15,8 21,8
Cameroun EDS 2004 18,7 16,6 15,3 20,8
EDS 1991 17,4 16,0 15,2 20,3
EDS 2008-2009 22,2 19,4 17,5 22,4
Kenya EDS 2003 21,4 19,3 17,3 22,7
EDS 1993 20,6 18,5 17,0 21,5
EDS 2008-2009 20,4 18,6 17,4 20,6
Madagascar EDS 2003-2004 20,2 18,8 17,2 21,3
EDS 1992 20,4 17,8 16,6 21,7
EDS 2006 17,3 16,3 16,4 20,3
Mali EDS 2001 17,5 16,2 16,1 21,8
EDS 1995-1996 17,0 15,8 15,9 20,5
EDS 2003 22,6 19,8 19,5 —
Maroc EDS 1992 20,9 18,8 18,7 —
EDS 1987 19,3 17,8 17,8 24,9
EDS 2010-2011 21,5 17,7 17,9 —
Sénégal EDS 2005 20,1 16,9 17,1 23,9
EDS 1992-1993 18,2 15,7 15,8 23,0
Source : ICF international (2012). Measure DHS STATcompiler [en ligne]. <http://www.statcompiler.com>.

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LE MARIAGE EN AFRIQUE INTRODUCTION

C’est également au Sénégal que le différentiel urbain/rural est le plus


important, le mariage étant nettement plus précoce dans les campagnes sénéga-
laises. Dans l’ensemble, le mariage reste également très précoce au Mali, même
si un léger recul de l’âge médian au mariage est enregistré. C’est au Kenya et
au Maroc que l’âge au mariage est le plus élevé, tant dans les villes que dans les
campagnes. Le rôle de la scolarisation est particulièrement flagrant au Kenya :
l’âge au premier mariage des femmes non scolarisées n’a guère progressé, pas-
sant de 17 ans en 1993 à 17,5 ans en 2008, alors qu’aux mêmes dates il est passé
de 21,5 ans à 22,4 pour les Kenyanes ayant suivi des études secondaires ou plus.
Ces différences de comportement matrimonial se retrouvent dans tous les pays,
mais notons toutefois qu’au Mali et à Madagascar, le recul de l’âge au mariage
des femmes plus longuement scolarisées semble stoppé et, lors des dernières
enquêtes, on a même relevé un léger rajeunissement.
On note dans l’ensemble un début de transition dans les schémas de nup-
tialité, en particulier dans les villes et chez les femmes scolarisées. Cette évolution
concerne non seulement l’âge d’entrée en union, mais aussi toute la dynamique
matrimoniale, que ce soit les formes et les modalités de l’union ou les rup-
tures d’union. La précocité de l’entrée en union des jeunes femmes, présen-
tée souvent comme une caractéristique majeure de la nuptialité en Afrique,
semble néanmoins perdurer, surtout en milieu rural et particulièrement dans
les pays du Sahel.
Le recul de l’âge au premier mariage des femmes est souvent imputé à une
série de facteurs liés plus ou moins directement à l’urbanisation : scolarisation
plus importante des filles et activité des femmes, en particulier dans le secteur
moderne de l’économie, avec la difficulté de concilier la fréquentation scolaire ou
la pratique d’une activité et la tenue d’un ménage (Kuate Defo, 2000). L’adoption
de nouveaux comportements et de nouvelles conceptions des relations sentimen-
tales avant le mariage, ainsi que de nouveaux modes de vie urbains, sont égale-
ment des facteurs importants du retard de calendrier dans le premier mariage
des femmes (Jordan Smith, 2010 ; Newell, 2009).
Dans certaines capitales africaines comme Dakar, la transition de la nup-
tialité est largement due à la scolarisation des jeunes filles (Gyimah, 2009),
mais aussi aux difficultés d’installation que connaissent les nouveaux ménages,
que ce soit des problèmes d’emploi ou des obstacles dans l’accès au logement
(Marcoux et Tokindang, 1998). L’obtention d’un emploi rémunéré est détermi-
nante dans la formation d’une première union (Antoine, 2006 ; Calvès, 2007).
Ce recul de l’âge au mariage modifie aussi les relations de genre et l’organi-
sation de l’unité domestique (Mensch, Singh et Casterline, 2005). Il ne faut pas
négliger non plus l’existence de nouvelles règles juridiques régissant le mariage
et la famille, notamment l’adoption de codes de la famille qui reconnaissent des
droits nouveaux aux femmes (Ndiaye, 2007 ; Schulz, 2003 ; Soares, 2009).

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LE MARIAGE EN AFRIQUE INTRODUCTION

Par ailleurs, le recul de l’âge au premier mariage ne se limite pas aux


femmes : il touche aussi les hommes. Par exemple, au Niger, les effets combinés
du libéralisme économique et de l’islam réformiste transforment les modali-
tés et la signification du mariage : les jeunes hommes ressentent nettement la
­diminution des occasions lorsqu’ils tardent à se marier (Masquelier, 2005).
La forte différence d’âge entre conjoints au premier mariage, loin de
s’amenuiser, tend à se maintenir. Cet écart d’âge entre conjoints est fortement
corrélé à la pratique de la polygamie et au remariage des femmes (Barbieri
et Hertrich, 1999). Dans les villes sahéliennes en particulier, si le mariage est
plus tardif, il reste toutefois la préoccupation principale des femmes quant à
leur avenir. Le mariage plus tardif des femmes va-t-il entraîner des modifica-
tions du marché matrimonial et remettre en cause des pratiques matrimoniales
comme la polygamie ?
Pratiquée à différentes époques dans de nombreuses sociétés, la polygamie
n’a jamais constitué la seule forme de mariage dans une société (Henrich, Boyd
et Richerson, 2012). Dans plusieurs pays africains où une part importante de la
population vit sous un régime matrimonial polygame, la monogamie demeure
majoritaire. Même si une certaine proportion d’hommes et de femmes ne vivront
jamais en union polygame au cours de leur vie, davantage de femmes sont
exposées au risque de connaître ce type d’union. Dans une union polygame, à la
défiance envers l’époux s’ajoute la méfiance vis-à-vis des coépouses : la dépen-
dance et la soumission des coépouses sont renforcées par la compétition et les
inégalités instituées entre elles (Madhavan, 2002). La femme ignore parfois tout
de ce qui se passe entre son mari et son autre (ou ses autres) coépouse(s). La
polygamie pourrait être alors définie comme une double (voire triple) mono-
gamie : monogamie séquentielle pour chaque femme (quelques jours par
semaine) et monogamies juxtaposées pour les hommes (Fainzang et Journet,
1988). Les inégalités au sein du ménage polygame et la tendance des femmes
à s’autonomiser sur le plan économique et résidentiel conduisent à avancer
l’idée que chaque couple constitue un ménage : plutôt que de ménage polygame,
Gning (2011) préfère ainsi parler de polyménages.
Nous avons retenu deux indicateurs de la polygamie pour les huit pays
africains étudiés ici : la proportion de femmes en union polygame parmi les
femmes mariées (tableau I.3) et la proportion d’hommes en union polygame
parmi les hommes mariés (tableau I.4).

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LE MARIAGE EN AFRIQUE INTRODUCTION

TABLEAU I.3.

Proportion de femmes en union polygame parmi les femmes mariées


Milieu Niveau Groupe
de résidence d’instruction d’âge

40 à 44 ans (%)
scolarisée (%)
Ensemble (%)

Secondaire
et plus (%)
Urbain (%)

Rural (%)

Non
PAYS ENQUÊTE
EDS 2012 37,1 29,2 42,6 41,1 21,7 48,0
Bénin EDS 2006 43,6 36,5 47,7 47,2 28,7 56,3
EDS 1996 49,6 45,4 51,9 52,7 29,6 63,6
EDS 2010 42,4 21,6 48,0 47,1 14,2 54,7
Burkina
EDS 2003 48,4 28,2 52,1 52,0 11,2 63,9
Faso
EDS 1993 51,2 31,0 55,4 54,7 12,8 60,2
EDS 2011 31,1 25,7 36,0 46,9 21,5 36,9
Cameroun EDS 2004 30,7 23,2 37,9 47,0 17,6 44,3
EDS 1991 38,6 32,0 42,7 50,0 18,7 47,9
EDS 2008-2009 14,9 9,4 16,6 35,1 9,1 23,2
Kenya EDS 2003 18,8 15,6 19,7 37,0 11,2 25,1
EDS 1993 19,5 13,8 20,5 33,4 11,4 29,7
EDS 2008-2009 7,7 9,9 7,4 10,8 7,9 7,6
Madagascar EDS 2003-2004 3,4 3,6 3,4 6,7 1,5 3,5
EDS 1992 6,6 8,2 6,3 7,7 6,0 5,3
EDS 2006 40,3 29,2 45,3 42,8 25,0 54,8
Mali EDS 2001 42,7 33,8 45,6 44,2 26,2 58,7
EDS 1995-1996 44,3 36,0 47,2 45,6 31,6 58,5
Maroc EDS 1987 5,5 6,1 5,1 5,5 5,6 6,1
EDS 2010-2011 34,7 27,9 39,5 39,7 20,6 52,0
Sénégal EDS 2005 39,8 32,6 44,6 44,0 28,5 60,5
EDS 1992-1993 47,9 40,7 51,3 51,0 29,9 69,0
Source : Nos calculs à partir de ICF international (2012). Measure DHS STATcompiler [en ligne]. <http://www.
statcompiler.com>.

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LE MARIAGE EN AFRIQUE INTRODUCTION

TABLEAU I.4.

Proportion d’hommes polygames parmi les hommes mariés


Milieu Niveau Groupe
de résidence d’instruction d’âge

40 à 44 ans (%)
Ensemble (%)

scolarisé (%)

Secondaire
et plus (%)
Urbain (%)

Rural (%)

Non
PAYS ENQUÊTE
EDS 2012 22,4 15,4 27,7 26,9 14,6 34,7
Bénin EDS 2006 33,8 26,8 38,1 41,2 21,0 50,3
EDS 1996 32,8 28,8 34,9 37,0 26,3 44,8
EDS 2010 25,0 9,6 30,1 29,7 6,3 45,9
Burkina
EDS 2003 29,5 11,5 33,6 32,4 7,2 57,1
Faso
EDS 1993 35,0 20,0 37,6 38,5 12,5 61,3
EDS 2011 15,6 11,8 19,3 34,7 10,4 31,4
Cameroun EDS 2004 13,0 8,7 17,7 28,3 7,0 29,6
EDS 1991 25,8 22,9 27,6 38,1 13,3 46,1
EDS 2008-2009 7,5 3,9 9,2 22,0 5,1 —
Kenya EDS 2003 9,8 7,6 10,6 29,5 6,0 —
EDS 1993 11,7 8,6 12,6 23,5 8,3 —
EDS 2008-2009 1,7 1,3 1,7 2,8 1,1 2,5
Madagascar
EDS 2003-2004 0,7 0,3 0,8 1,5 0,0 0,0
EDS 2006 27,9 22,7 30,4 30,1 19,5 35,5
Mali EDS 2001 26,8 17,7 29,8 30,0 14,6 52,1
EDS 1995-1996 27,3 23,2 28,8 30,0 20,0 50,2
EDS 2010-2011 17,2 10,1 23,6 23,2 9,8 36,4
Sénégal EDS 2005 24,4 18,5 30,0 29,5 21,4 45,8
EDS 1992-1993 37,6 30,7 41,3 42,4 15,5 53,2
Source : Nos calculs à partir de ICF international (2012). Measure DHS STATcompiler [en ligne]. <http://www.
statcompiler.com>.

10
LE MARIAGE EN AFRIQUE INTRODUCTION

Les résultats des EDS montrent une disparité des niveaux de polygamie
et des différences d’évolution de cette forme d’union. Les rares données dispo-
nibles concernant la polygamie au Maroc révèlent que ce régime matrimonial
y est peu important. À Madagascar, une proportion, quoique faible, de femmes ou
d’hommes vivent en polygamie alors que ce régime matrimonial n’est pas officiel-
lement légal. La modicité des niveaux cache toutefois d’importantes disparités
régionales : dans la province de Toliana, 15 % des femmes déclarent être coépouses
(Andriamaro, 2013). Au Kenya, ce mode s’érode peu à peu, mais concerne encore
16,6 % des femmes en milieu rural et 9,4 % en ville (respectivement 9,2 % et 3,9 %
des hommes). Des différences importantes sont relevées en fonction du niveau
de scolarisation : un tiers des femmes non scolarisées sont en union polygame
(et cette proportion n’a guère évolué) contre 9,1 % chez les femmes ayant suivi
des études secondaires.
Dans l’ensemble, le niveau de polygamie est nettement plus élevé en milieu
rural. Dans les quatre pays d’Afrique de l’Ouest, la proportion de femmes en union
polygame diminue depuis les années 1990, cette évolution étant plus lente au
Burkina Faso et davantage encore au Mali. Les différences entre femmes instruites
et femmes non scolarisées sont plus marquées au Burkina Faso qu’au Sénégal.
On note que la majorité des femmes mariées de 40 à 44 ans sont en union poly-
game au Burkina, au Mali et au Sénégal, et que cela concerne près de la majorité
(48 %) au Bénin. Dans les quatre pays, les niveaux demeurent particulièrement
élevés à la fin de la première décennie des années 2000 : 42,4 % des femmes bur-
kinabè, 40,3 % des Maliennes, 37,1 % des Béninoises et 34,7 % des Sénégalaises
vivent en union polygame. Les différences entre milieu urbain et milieu rural
demeurent marquées au Bénin, au Burkina Faso et au Mali (tableau I.3).
Vus du côté masculin (tableau I.4), les mêmes constats peuvent être dres-
sés concernant le milieu de résidence ou le niveau d’instruction, même si, par
définition, moins d’hommes que de femmes sont concernés par la polygamie.
À la fin de la première décennie des années 2000, un homme marié sur quatre
est polygame au Burkina, un peu plus au Mali et un peu moins au Sénégal.
Au Bénin, malgré son interdiction en 2002, la polygamie perdure, avec cepen-
dant une ampleur moindre. Toutefois, aux âges plus élevés (55 à 59 ans), une
proportion très importante d’hommes est concernée : près d’un homme sur deux
au Burkina Faso et plus d’un homme sur trois au Mali, au Sénégal, au Bénin et
au Cameroun. En somme, la polygamie semble concerner tout particulièrement
les hommes plus âgés.
Les mécanismes démographiques qui rendent possible la polygamie sont
relativement bien cernés (Hertrich, 2006) : la polygamie implique un important
écart d’âge au mariage entre les hommes et les femmes et une structure par
âge marquée par une base large. Le remariage rapide et fréquent des femmes
divorcées ou veuves favorise également cette pratique.

11
LE MARIAGE EN AFRIQUE INTRODUCTION

Certains auteurs portent un regard critique sur cette forme d’union en rele-
vant ses effets négatifs sur le statut des femmes et les injustices intrafamiliales
dont elle serait porteuse (Sawadogo, 2006). Au regard des faibles taux de poly-
gamie dans un pays musulman du Maghreb comme le Maroc et des taux élevés
de polygamie dans certains pays peu islamisés comme le Bénin, le Cameroun
ou le Togo, on peut se demander quelle est l’influence réelle de l’islam sur les
comportements polygamiques en Afrique subsaharienne (Falen, 2008). Le Coran
ne prône pas la polygamie : au contraire, il en a restreint la pratique. Par exemple,
le principe de la stricte égalité entre les épouses est une condition bien difficile
à respecter. L’islam limite aussi le nombre d’épouses à quatre, nombre rarement
atteint, la plupart des polygames étant bigames. Quelles que soient ses justifi-
cations, la polygamie possède souvent un statut légal et une reconnaissance en
tant que régime matrimonial au même titre que la monogamie. Dans plusieurs
pays (Mali, Sénégal, Togo), la législation prévoit différents régimes matrimoniaux,
le choix relevant des conjoints.
Le recul progressif de l’âge au mariage et la baisse de la fécondité devaient,
en principe, restreindre peu à peu les facteurs favorables à cette institution.
Ce n’est pourtant pas ce qui a été observé dans plusieurs pays. En fait, la plupart
des tentatives d’explication de la polygamie ont été fondées sur une perception
ruraliste des sociétés africaines, et ce, dans le cadre d’un mode de production
familial particulier : une économie de subsistance faiblement mécanisée dans
laquelle le rôle des femmes comme productrices de produits vivriers est important
(Boserup, 1970).
Cette argumentation, strictement économique, a été contestée par Goody
(1973), qui souligne que les taux de polygamie les plus élevés sont en Afrique de
l’Ouest, alors que c’est en Afrique de l’Est que les femmes sont les plus présentes
dans les travaux agricoles. Pour lui, les causes de la polygamie sont avant tout
d’ordres sexuel et reproductif, plutôt qu’économique et productif. La polygamie
permet en effet à l’homme de maximiser sa descendance (Chojnacka, 2000). La
« production » d’enfants dans le cadre de la polygamie permet d’avoir une main-
d’œuvre plus nombreuse et, compte tenu la forte mortalité infantile et juvénile,
permet aux hommes d’espérer une meilleure prise en charge par ses enfants sur-
vivants durant la vieillesse. Dans le même sens, Tabi, Doster et Cheney (2010) sug-
gèrent que le système polygamique au Ghana permet d’assurer une descendance à
une famille initialement formée d’une union inféconde. Selon ces auteurs, bien que
la plupart des femmes condamnent la polygamie, ce système permettrait d’éviter
le divorce aux femmes dites infertiles.
Pour Diop (1985), il y a plusieurs facteurs favorables à la polygamie : cette
dernière permet de s’allier à plusieurs groupes et confère un avantage socio­
politique. Elle offre également un meilleur apport économique au groupe familial.
Libérée régulièrement de certaines tâches domestiques étant donné le système

12
LE MARIAGE EN AFRIQUE INTRODUCTION

de tours qui caractérise l’organisation familiale polygamique, la femme peut


plus facilement contribuer aux travaux de subsistance par sa production agri-
cole dans ses champs personnels. Ce partage des tâches est parfois recherché par
certaines femmes en milieu rural, qui iront même jusqu’à proposer une seconde
épouse à leur mari.
Une approche très ruraliste interdit par ailleurs d’imaginer le maintien de
la polygamie en milieu urbain africain. La polygamie en ville ne serait ainsi qu’un
élément d’ostentation et de prestige réservé à certaines catégories privilégiées. Le
milieu urbain et le mode d’organisation de la production qu’il impose offrent
en effet de nouveaux modes de vie qui apparaissent a priori plus contraignants
pour l’institution de la polygamie. Qui plus est, l’aspiration aux valeurs familiales
occidentales, véhiculées par les médias, aurait dû, selon certains auteurs, contri-
buer à entraîner une disparition progressive de la polygamie dans les milieux
urbains (Clignet, 1987 ; Lesthaeghe, Kaufmann et Meekers, 1989 ; Romaniuc,
1967 ; Sween et Clignet, 1974). Or de nombreux travaux montrent que la poly-
gamie semble très bien « résister » dans plusieurs villes africaines et peut même,
tout comme à la campagne, favoriser un allégement des tâches domestiques
dévolues aux membres féminins du ménage et offrir un espace d’autonomie éco-
nomique pour les femmes mariées (Anderson, 2000 ; Cook, 2007 ; Marcoux, 1997 ;
Marcoux et Piché, 1998).
Dans l’ensemble, les données disponibles montrent que l’institution poly-
gamique demeure globalement encore très prégnante en Afrique de l’Ouest,
alors qu’elle aurait tendance à être moins répandue au sein des nouvelles
générations en Afrique de l’Est (Hetherington, 2001).
Par ailleurs, les dynamiques des ruptures d’union, par divorce ou sépara-
tion, sont demeurées mal connues en Afrique jusqu’aux années 1990 : on ignorait
presque tout de l’évolution de la fréquence du divorce ainsi que de ses détermi-
nants (Kaufmann, Lesthaege et Meekers, 1988). On estimait qu’environ 40 % des
femmes mariées avant l’âge de 20 ans se retrouvaient veuves ou divorcées avant
50 ans (Lesthaeghe et al., 1989). La faible proportion d’hommes ou de femmes
divorcés demeurait masquée par l’ampleur des remariages dans certains pays.
Il reste que ce sont les femmes qui sont en insécurité économique qui divorcent le
moins. Le divorce est parfois aussi une stratégie de promotion sociale des femmes,
grâce à un remariage avec un homme plus aisé financièrement. Indépendamment
de ces considérations matérielles, la femme qui se remarie prend davantage
d’autonomie vis-à-vis de son nouveau conjoint (Dial, 2008). Les jeunes femmes
urbaines et instruites rentrent en contact avec d’autres valeurs extérieures, qui
prônent l’émancipation de la femme et l’égalité des sexes. Mariées plus tard,
leurs aspirations entrent parfois en conflit avec les rôles habituellement dévo-
lus à la femme par la société, et les relations entre les conjoints s’en trouvent
modifiées (Dial, 2008 ; Thiombiano, 2009 ; Takyi, 2001).

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LE MARIAGE EN AFRIQUE INTRODUCTION

Les textes et les études de cas rassemblés dans cet ouvrage apportent
un nouveau regard sur ces questions liées au mariage et permettent de mieux
en appréhender certains aspects. Les travaux présentés concernent six pays
d’Afrique subsaharienne (Burkina Faso, Kenya, Madagascar, Mali, Sénégal et Togo)
et trois pays du Maghreb. Les auteurs, démographes, sociologues ou anthro-
pologues, se sont focalisés sur certains changements majeurs concernant les
relations prénuptiales, les modalités d’entrée en union, le choix du conjoint, les
mariages interethniques, les rapports au sein du couple, l’activité des femmes,
le divorce, la polygamie et le remariage.
L’entrée en union est un phénomène complexe qui peut obéir à des
logiques diverses et connaître différents processus. Clotilde Binet et Bénédicte
Gastineau mettent en évidence dans la province de Fianarantsoa à Madagascar
la permanence d’un modèle traditionnel obéissant à la coutume et visant à
favoriser la reproduction. Les mères célibataires sont en position favorable
sur le marché matrimonial, contrairement à ce que l’on observe dans d’autres
régions. Nathalie Mondain, Valérie Delaunay et Thomas LeGrand analysent les
changements de comportements matrimoniaux en milieu rural serer au Sénégal,
où les migrations féminines vers les villes sont nombreuses. Le mariage plus
tardif, du fait des migrations, accroît les risques de naissance hors mariage, sans
pour autant influer sur les comportements face à la contraception. Abdoulaye
Maïga et Banza Baya montrent pour leur part une évolution dans les modali-
tés de formation des couples au Burkina Faso, le choix individuel supplantant
le contrôle familial des alliances.
En ville, de nouvelles formes d’union moins formalisées apparaissent,
surtout chez les personnes davantage scolarisées et chez celles actives dans
le secteur moderne de l’économie. S’intéressant aux capitales du Togo et du
Sénégal, Philippe Antoine et Donatien Béguy montrent que l’évolution des condi-
tions économiques et la précarité rencontrée par les jeunes générations sur les
marchés de l’emploi et du logement les conduisent à ajuster leurs comporte-
ments. À Dakar, cela se traduit par une entrée encore plus tardive en union, et ce,
en étant malgré tout accueilli chez les parents. À Lomé, cette précarité écono-
mique conduit à ce que le mariage formalisé cède le pas à des formes d’union
libre chez les jeunes. À Ouagadougou cette fois, Anne-Emmanuèle Calvès et
Bilampoa Gnoumou Thiombiano montrent que la scolarisation féminine, qui fait
l’objet de nombreux efforts de la part des institutions nationales et internatio-
nales sur le continent africain, encourage l’autonomie des femmes en ce qui a
trait au choix d’un futur conjoint. La scolarisation de jeunes Ouagalaises favorise
également l’adoption d’un modèle de couple plus égalitaire, où les écarts d’âge
entre conjoints sont significativement moins importants.

14
LE MARIAGE EN AFRIQUE INTRODUCTION

Le mariage et l’union se diversifient aussi dans leurs formes. Poursuivant


sur le Burkina Faso, Anne Attané analyse les formes conjugales intermédiaires
qui prennent de l’ampleur dans la société mossi. Entre l’union libre et le mariage
formalisé, ces formes d’union permettent aux hommes de maintenir leur domi-
nation en laissant subsister un sentiment de précarité et de doute chez les
femmes. Kamel Kateb met quant à lui en évidence les profondes mutations qui
entourent le mariage au Maghreb ces trente dernières années, et ce, du fait, là
aussi, de l’importante scolarisation des femmes. Le mariage est de plus en plus
tardif, l’écart d’âge entre conjoints diminue et le divorce judiciaire supplante la
répudiation. Cependant, au-delà de ces indicateurs, les familles tentent de garder
leur emprise sur le mariage et freinent l’émancipation des jeunes couples. Sara
Randall et Nathalie Mondain identifient, quant à elles, de nouvelles dimensions
du mariage au Sénégal. Même si l’impératif lié à la reproduction reste l’objec-
tif premier du mariage, de nouveaux rapports de genre s’établissent. Dans un
contexte où l’âge au premier mariage augmente et où la polygamie se maintient
à un niveau élevé, deux dimensions importantes du mariage sont vécues et se
transforment de différentes façons : alors que la résidence patrilocale postmari-
tale et le mariage comme mode d’acquisition du travail des femmes ne sont pas
remis en question en milieu rural, elles sont de plus en plus contestées en ville.
De l’autre côté du continent, Valérie Golaz montre également que les unions
non formalisées prennent de l’importance en milieu rural gusii au Kenya, et
que la compensation matrimoniale est de moins en moins acquittée en totalité.
Ces unions informelles participent d’une stratégie d’acquisition d’un nouveau
statut par les jeunes hommes et d’une attribution par leur père d’une parcelle
de terre agricole.
Le dernier thème abordé s’intéresse au devenir des unions et aux ten-
sions internes entre les conjoints, le plus souvent liées à la polygamie, et pou-
vant conduire au divorce. Agnès Adjamagbo, Pierrette Aguessy et Awa Diallo
observent les changements matrimoniaux et les tensions conjugales à Dakar
dans un contexte où l’institution du mariage reste une valeur très forte.
L’importance croissante du travail des femmes met à mal l’autorité masculine et
pousse les femmes à obtenir de nouvelles prérogatives. Ces nouveaux rapports
conduisent à des négociations au sein du couple qui ne se font pas toujours en
faveur de la femme. Si au Burkina Faso le divorce reste peu fréquent, Bilampoa
Gnoumou Thiombiano rend compte des évolutions en cours où problèmes
relationnels entre conjoints et difficultés économiques se conjuguent pour
contribuer à augmenter la fréquence des séparations au sein des jeunes géné-
rations. Le statut de divorcée restant dévalorisé dans ce pays, et afin d’y échap-
per, les femmes s’accommodent du mieux qu’elles peuvent de leurs difficultés
dans leur foyer. Au Sénégal, au contraire, le divorce semble plus souvent être
l’issue choisie en réponse à ces tensions. Fatou Binetou Dial rend bien compte

15
LE MARIAGE EN AFRIQUE INTRODUCTION

de la complexité des parcours matrimoniaux à Dakar. Les conditions du premier


divorce y orientent la suite de la vie matrimoniale des femmes. La complexité
de certains parcours matrimoniaux est amplifiée par la pratique de la polygamie
et de ses conséquences. Ce qui importe le plus aux femmes de Dakar, ce n’est
pas tant le rang d’épouse occupé lors du remariage que la considération que
leur mari leur apporte et que leurs conditions de vie lors de la cohabitation
avec leur(s) coépouse(s).
En somme, les différentes contributions rassemblées dans cet ouvrage
mettent en évidence – on ne s’en étonnera pas – une grande diversité de cas, ce
qui vient à nouveau confirmer que l’Afrique est plurielle. L’ensemble de textes
réunis dans cet ouvrage pluridisciplinaire fait surtout apparaître des mutations
dans les modèles matrimoniaux au sein des sociétés africaines, mutations qui
révèlent une véritable révolution silencieuse, annonciatrice de profondes trans-
formations des sociétés, et tout particulièrement des rapports hommes-femmes.

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