De La Gestion de Classe À L'organisation Du Travail Dans Un Cycle D'apprentissage

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Revue des sciences de l’éducation

De la gestion de classe à l’organisation du travail dans un cycle


d’apprentissage
Philippe Perrenoud

La gestion de classe Résumé de l'article


Volume 25, numéro 3, 1999 Cet article porte sur la description des pratiques très courantes de gestion de
classe et sur la nécessité d'y former les enseignants. La réflexion se déroule en
URI : https://id.erudit.org/iderudit/032013ar quatre temps. L'auteur analyse les compétences que met en jeu la gestion de
DOI : https://doi.org/10.7202/032013ar classe; il définit ce qu'on entend par cycle d'apprentissage pluri-annuel comme
un espace-temps de formation regroupant un grand nombre d'élèves,
collectivement confiés à une équipe pédagogique; il identifie des problèmes
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nouveaux que rencontre une telle équipe lorsqu'elle tente d'organiser le travail
dans un cycle; il examine de près un des modes d'organisation du travail dans
un cycle d'apprentissage lié à une architecture modulaire du curriculum. Le
Éditeur(s) texte prend fin sur un inventaire des compétences individuelles et collectives
requises des enseignants en matière de gestion d'espace-temps de formation,
Revue des sciences de l'éducation
en termes d'ergonomie cognitive.

ISSN
0318-479X (imprimé)
1705-0065 (numérique)

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Citer cet article


Perrenoud, P. (1999). De la gestion de classe à l’organisation du travail dans un
cycle d’apprentissage. Revue des sciences de l’éducation, 25(3), 533–570.
https://doi.org/10.7202/032013ar

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Revue des sciences de l'éducation, Vol. XXV, n° 3, 1999, p. 533 à 570

De la gestion de classe à l'organisation


du travail dans un cycle d'apprentissage

Philippe Perrenoud
Professeur
Université de Genève

Résumé - Cet article porte sur la description des pratiques très courantes de
gestion de classe et sur la nécessité d'y former les enseignants. La réflexion se
déroule en quatre temps. L'auteur analyse les compétences que met en jeu la
gestion de classe; il définit ce qu'on entend par cycle d'apprentissage pluri-
annuel comme un espace-temps de formation regroupant un grand nombre
d'élèves, collectivement confiés à une équipe pédagogique; il identifie des
problèmes nouveaux que rencontre une telle équipe lorsqu'elle tente d'orga-
niser le travail dans un cycle; il examine de près un des modes d'organisation
du travail dans un cycle d'apprentissage lié à une architecture modulaire du
curriculum. Le texte prend fin sur un inventaire des compétences individuelles
et collectives requises des enseignants en matière de gestion d'espace-temps
de formation, en termes d'ergonomie cognitive.

Introduction

Paradoxalement, alors que la gestion de classe se profile de plus en plus comme


un thème de colloques, de recherches et de publications, la définition même de la
classe devient moins limpide.

Bien entendu, dans la plupart des systèmes éducatifs, l'unité de base de


l'organisation pédagogique est encore le groupe classe, un groupe de quelques
dizaines d'élèves censés rester ensemble durant au moins une année scolaire. Dans
ce groupe sont enseignées toutes les disciplines et pratiquées toutes les modalités
d'étude. Chaque groupe classe est confié à un enseignant généraliste au primaire,
à plusieurs professeurs spécialisés au secondaire, dont l'un est souvent maître de
classe ou professeur principal. En fin d'année scolaire, du moins à l'intérieur du
même cycle d'études, la composition du groupe classe est souvent maintenue pour
l'essentiel, d'autres enseignants prenant les élèves en charge.
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Cette forme d'organisation du travail semble indissociable de la forme scolaire.


Pourtant, elle n'a pas eu d'emblée le monopole qu'on lui connaît. C'est au XIXe
siècle, au gré de la scolarisation de masse et de l'avènement d'un ordre scolaire
bureaucratique que le groupe classe est devenu le fondement du système, dont ne
s'éloignaient que quelques écoles alternatives. Or, depuis quelques décennies, cette
forme d'organisation semble à nouveau s'assouplir et se diversifier. Dans certaines
écoles secondaires, par le jeu des options et des niveaux, les élèves se sont habitués
à faire partie de plusieurs groupes parallèles, même si l'un d'entre eux fonctionne
comme port d'attache. Au primaire, les écoles à aire ouverte et les décloisonnements
ont fait apparaître de nouveaux groupements. Certains courants de pédagogie diffé-
renciée proposent également de diversifier les modes de groupement des élèves, de
constituer des groupes de projets, de besoins, de niveaux, de soutien, par définition
moins stables et polyvalents qu'un groupe classe (Meirieu, 1989a et b; Perrenoud,
1995, 1997).

O n assiste à l'émergence de nouveaux espaces-temps de formation. C'est ce


que l'école élémentaire et primaire de Saint-Fons, en France, a compris, il y fort
longtemps, en assimilant d'emblée les cycles d'apprentissage à des espaces nouveaux
gérés par des enseignantes et des enseignants travaillant en équipe (Maison des
Trois Espaces, 1993). Les écoles à aire ouverte {openplan schools) qui se sont développées
davantage dans le monde anglo-saxon interrogent elles aussi les espaces de travail
traditionnels.

Entre la classe fermée, stable, progressant dans son programme annuel et le


cycle d'apprentissage pluriannuel cogéré par une équipe, on observe aujourd'hui
maintes formes intermédiaires, notamment dans l'enseignement primaire, dans les
écoles alternatives, les écoles actives, les pédagogies coopératives et institutionnelles,
qui ont depuis longtemps, d'abord à la marge du système, bouleversé les temps et les
espaces de la formation. Plus récemment et de façon plus banale, les enseignants
ont développé diverses formules qu'à Genève, par exemple, on tend à regrouper
sous l'étiquette assez vague de décloisonnements: la classe reste l'unité de base, mais,
par moments, ses frontières deviennent perméables, les titulaires de plusieurs classes
voisines composent d'autres groupes (de besoins, de projets, de niveaux), parfois
homogènes (en termes d'âges ou de niveaux), parfois non.

Ces décloisonnements obligent à considérer un niveau de gestion inter-


classe, qui n'est pas celui de l'établissement, encore moins de l'organisation scolaire
dans son ensemble, puisque des classes et leurs titulaires fonctionnent en réseau
et mettent en commun une partie du temps de travail. Ces décloisonnements ne
sont pas nécessairement liés à un projet d'établissement, ni même à la constitution
d'une équipe pédagogique stable. Ils s'établissent dans la sphère d'autonomie
professionnelle des enseignants, et ne sont ni vraiment clandestins, ni vraiment
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 535

officiels. C'est un niveau émergent de gestion du travail et du curriculum, que


l'administration scolaire tolère ou encourage, selon les systèmes.

Elle s'engage plus ouvertement lorsqu'elle décide de restructurer tout ou


partie du cursus en créant des cycles d'apprentissage pluriannuels. Cette tendance
s'affirme dans de nombreux systèmes éducatifs, tant au primaire qu'au secondaire.
Elle met en question le groupe classe comme pivot du travail scolaire, à moins que
travailler en cycles ne se résume à confier une classe au même enseignant durant plus
d'une année scolaire ou à déléguer un suivi pluriannuel minimal aux enseignants
qui se succèdent d'année en année au chevet des élèves. L'une des incertitudes tient
à la tension des systèmes éducatifs entre le souci de modernité, qui incite à créer
des cycles, et la volonté de ne rien changer d'essentiel dans l'organisation scolaire.

En dépit de cette confusion et sans être véritablement remplacé, le groupe


classe ne semble plus constituer, aujourd'hui, le cadre unique du travail scolaire,
même s'il demeure une valeur sûre dans l'esprit de nombreux acteurs, une structure
de base, un groupe de référence, une tour de contrôle des autres activités ou un port
d'attache, à partir duquel les élèves naviguent dans d'autres groupes. Il s'ensuit que
les tâches de gestion du travail scolaire débordent désormais la vision classique de la
structuration de règles, d'activités et de situations d'apprentissage au sein d'un groupe
classe. Non pas seulement, ce qui n'est pas nouveau, parce que l'établissement et le
système sont aussi des niveaux de gestion, mais parce que les interactions didactiques
entre enseignants et élèves ne se déroulent plus constamment dans le cadre d'un
groupe classe.

Une autre évolution se produit, qui dissocie les réseaux d'échanges et de


coopération de la coprésence dans les mêmes murs. À la faveur de nouvelles
technologies, le regroupement physique des élèves dans un bâtiment scolaire fera
progressivement place à des communautés éducatives virtuelles (Laferrière, 1999)
en même temps que se généralisera le télétravail dans le monde des adultes. La
clôture de ces réseaux et l'appartenance à un seul apparaîtront d'autant plus arbi-
traires qu'elles ne sont pas renforcées par des contraintes matérielles.

Il importe donc, dans le registre de la gestion du travail scolaire, de ne pas


limiter la conceptualisation et la recherche à l'enceinte de la classe. Faut-il alors
continuer à parler de gestion de classe? C'est tentant, du simple fait que nous manquons
encore de mots partagés pour désigner des espaces-temps de formation plus divers et
parfois plus éphémères. Sachant qu'il sera de plus en plus fallacieux de se représenter
une école comme une juxtaposition de groupes classes, mieux vaudrait pourtant
s'appliquer à conceptualiser des pratiques de gestion et d'organisation du travail
qui ne soient pas solidaires d'espaces-temps de formation définis de façon stéréotypée
ou trop étroite et qui portent sur la structuration mobile de ces espaces-temps
autant que sur les activités qui se déroulent dans chacun.
536 Revue des sciences de l'éducation

Le changement ne se limite pas, en effet, à substituer au groupe classe des


espaces-temps de formation plus vastes et complexes. Il consiste aussi, et c'est plus
fondamental, même si c'est moins apparent, à étendre les compétences des ensei-
gnants à un niveau d'organisation du travail qui appartenait jusqu'alors, pour
l'essentiel, à l'administration scolaire ou aux directions d'établissement. On assiste
à l'émergence d'une nouvelle répartition du pouvoir organisateur dans l'école.

En Belgique, la notion de pouvoir organisateur a un sens juridique très précis:


elle désigne l'association, l'Eglise ou l'administration publique (communale, régionale
ou nationale) qui ouvre une école et en est légalement responsable. La dénomination
belge souligne que ce pouvoir n'est pas seulement instituant, qu'il est organisateur. Sauf
dans le cas d'une école entièrement instituée, organisée et gérée par des enseignants,
le pouvoir organisateur ne leur appartient pas.

Certes, on tend de nos jours, du moins dans les discours, à favoriser une forte
implication des enseignants dans la gestion globale d'un établissement, donc à par-
tager avec eux une partie du pouvoir organisateur global. Ce n'est pas de ce partage
qu'il s'agit ici, mais de la dévolution aux seuls professionnels de décisions de gestion
curriculaire prises jusqu'alors au niveau de l'établissement ou d'une organisation
encore plus distante des interactions didactiques. Alors que les enseignants n'avaient
d'autonomie gestionnaire que dans l'enceinte de leur propre classe, le système édu-
catif leur confie progressivement le soin d'organiser le travail à une échelle plus vaste,
les autorise et les oblige à la fois à décider collectivement d'une organisation du
travail qui dépasse leur propre classe, notamment dans le domaine du groupement
des élèves et de la structuration pluriannuelle du curriculum. Du même coup, ils
sont invités ou incités à mettre en commun leurs sphères respectives d'autonomie
professionnelle. À la limite, ils n'ont plus leur propre classe, ils deviennent cores-
ponsables d'un plus grand ensemble d'élèves.

Cette gestion collective s'inscrit parfois dans le cadre d'une équipe pédagogique
clairement constituée. À défaut, elle passe par des modalités coopératives plus infor-
melles et sporadiques. Dans tous les cas, il y a élargissement de la sphère des décisions
de gestion déléguées aux enseignants. Certains le vivent comme une conquête, d'autres
comme un cadeau empoisonné. L'autonomie au travail ne résulte en effet pas tou-
jours d'une lutte, elle peut être imposée par l'organisation (Chatzis, Mounier, Veltz
et Zarifîan, 1999; Tardif et Lessard, 1999; Perrenoud, 1999c, à paraître). Cette
évolution, qui prépare la création de cycles d'apprentissage et l'émergence d'une
responsabilité collective (Perrenoud, 1999b), ne va pas sans déchirements ni conflits.
L'enjeu est pour les uns de se dessaisir d'une partie du pouvoir organisateur, pour les
autres - les enseignants - d'en assumer collectivement une plus grande part.

Il serait opportun que les sciences de l'éducation nomment et étudient


l'évolution de l'organisation du travail scolaire sans s'enfermer dans le concept de
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 537

gestion de classe. Non qu'il soit inutile d'analyser les pratiques de gestion de classe.
Elles font partie d'un champ plus général, au titre de cas à la fois particulier et
pour l'instant statistiquement majoritaire, car le mouvement vers de nouveaux
espaces-temps de formation, notamment les cycles d'apprentissage pluriannuels,
reste lent et incertain. Les systèmes éducatifs qui ont récemment instauré des cycles
d'apprentissage, par exemple la France, la Belgique, le Québec, ne font qu'amorcer
une rupture avec les programmes annuels et les groupes classe traditionnels. Il reste
donc nécessaire de décrire et d'expliquer des pratiques de gestion de classe encore très
courantes et sans doute d'y former les nouveaux enseignants, puisque aujourd'hui
encore, un débutant risque fort de se retrouver seul à la tête d'une classe.

Il y a une seconde raison de conceptualiser la gestion d'un groupe classe et


les compétences qu'elle met en jeu : c'est en effet à partir de leur maîtrise de la
classe que les enseignants en place développeront la maîtrise d'espaces-temps plus
vastes, un peu comme un marin sachant conduire une barque transposerait peu à peu
ses savoir-faire et ses savoirs à un plus grand navire, puis à une flotte. Penser la
gestion d'un espace-temps de formation plus vaste et complexe hausse le niveau
d'abstraction et oblige à rompre avec l'illusion de la familiarité. Cette complexité
organisationnelle fait peu à nombre d'enseignants. C'est pourquoi ils tentent d'abord
de l'affronter par une extension des savoir-faire gestionnaires qu'ils ont construits
ou se sont appropriés à l'échelle du groupe classe. Ce n'est que dans un second temps
qu'une approche plus abstraite permettra de conceptualiser l'organisation du travail
comme registre autonome de compétence professionnelle.

A l'inverse, l'identification des problèmes que pose l'organisation du travail


dans un cycle d'apprentissage pluriannuel ou un espace-temps de formation non
conventionnel peut éclairer la gestion de classe traditionnelle, la constituer comme
un cas particulier d'une pratique plus large et pousser à expliciter ce qui est largement
de l'ordre de la coutume, des habitudes, des conduites faiblement formalisées. Le
changement d'échelle met en lumière et parfois en crise des représentations tacites
du travail des enseignants; il oblige à conceptualiser de façon renouvelée tant les
problèmes que les solutions.

Ce changement aide aussi à dissocier la gestion d'un espace-temps de formation


de la gestion d'activités précises, alors que dans la classe, comme le relève Maulini
(1999), gestion du système d'action et gestion des tâches sont souvent confondues,
au point qu'on peut identifier le métier d'enseignant à l'art d'enchaîner, sans heurts
ni retards, de façon équilibrée, des activités qui, elles, au cœur du savoir, mobilise-
raient l'essentiel des compétences professionnelles. La prise en compte d'espaces-
temps de formation plus vastes oblige à porter attention à l'organisation du travail
comme niveau d'action distinct de la régulation permanente du travail.
538 Revue des sciences de l'éducation

Il est toujours difficile d'analyser des pratiques émergentes. Même si les


mouvements pédagogiques ont rêvé depuis longtemps d'une école sans classes et
sans degrés et l'ont parfois expérimentée à échelle restreinte, on peut considérer que,
dans l'école publique, les cycles pluriannuels sont encore in statu nascendi, en
quête d'une conception stable et d'un fonctionnement durable. Il est donc un peu tôt
pour étudier à large échelle des façons variées d'habiter cette structure, puisqu'elle
est en construction. Il s'ensuit que l'inventaire des problèmes que pose la gestion d'un
cycle est en partie prospectif. Pour dire les choses autrement : clarifier les opérations
de gestion d'un cycle d'apprentissage pluriannuel et les compétences qu'elles mettent
en jeu, à ce stade de la recherche et de l'innovation, est une façon de mieux con-
ceptualiser ce que pourrait être un cycle d'apprentissage.

Précisons toutefois que cet effort de conceptualisation n'est ni solitaire, ni


spéculatif. Son propos s'ancre dans l'observation de divers projets pédagogiques inno-
vants que nous avons eu l'occasion d'accompagner et d'interroger depuis longtemps.
Plus récemment, notre analyse s'est développée dans le cadre de la phase explora-
toire d'une réforme de l'enseignement primaire à Genève, qui s'oriente vers des cycles
pluriannuels de quatre ans dont la gestion serait confiée à des équipes d'enseignants
(Groupe de pilotage, 1999; Gather Thurler, 2000). Dans ce contexte a été esquissé
(Perrenoud, 1997) un modèle d'organisation modulaire du curriculum, qui a été
mis en œuvre, à titre expérimental, dans plusieurs écoles primaires genevoises. Ce
modèle s'inspire d'une approche sociologique de l'organisation et du travail scolaires.
Il s'appuie aussi assez largement sur nos travaux antérieurs, qu'ils portent sur l'obser-
vation du métier d'élève et du travail scolaire, sur la pédagogie différenciée conçue
comme création et régulation de situations s'apprentissage optimisées ou encore
sur l'évolution du métier d'enseignant, sa professionnalisation, son inscription dans
des structures plus coopératives. Par cet itinéraire, notre travail rejoint la probléma-
tique de la gestion de classe, sans appartenir véritablement à cette tradition. D'où sans
doute des références insolites dans ce champ.

Cet article s'articulera dès lors en trois parties, suivies d'une conclusion. Dans
un premier temps, on tentera de conceptualiser la gestion de classe en s'inspirant de
l'ergonomie et de la psychosociologie des organisations et du travail (Alter, 1990;
Amblard, Bernoux, Herreros et Livian, 1996; Amadieu, 1993; Chatzis étal, 1999;
Clot, 1995, Durand, 1996; deTerrsac, 1992; Tardif et Lessard, 1999), donc en se
détachant des perspectives didactiques, pédagogiques ou psychodynamiques qui
dominent en sciences de l'éducation, aussi bien que des perspectives fonctionnelles,
prescriptives ou pragmatiques familières aux enseignants et à leurs formateurs.
Dans un second temps, on définira plus précisément un cycle d'apprentissage
pluriannuel conçu comme un espace-temps de formation regroupant un nombre
relativement important d'élèves, collectivement confiés à une équipe pédagogique
durant plusieurs années. Dans un troisième temps, on s'efforcera d'identifier les
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 539

problèmes nouveaux de gestion et d'organisation du travail que rencontre une telle


équipe lorsqu'elle tente de faire fonctionner un cycle pluriannuel. Ces problèmes
naissent de l'attribution à l'équipe pédagogique de compétences organisationnelles
(au double sens de pouvoir et d'expertise) jusqu'alors confisquées par l'administration
scolaire. La conclusion esquissera un premier inventaire des compétences indivi-
duelles et collectives requises des enseignants en matière de gestion de nouveaux
espaces-temps de formation.

Gestion de classe ou organisation du travail?

Lorsqu'on dit gestion de classe, tout le monde voit à peu près ce dont on parle.
Mais si l'on demande une définition précise, on se rend compte que l'expression
permet de désigner commodément tout ce qui ne relève pas d'une discipline et de
la didactique correspondante. Elle fonctionne comme un fourre-tout, un reste, un
ensemble faiblement analysé.

Est-il utile de construire plus rigoureusement le concept? Ou est-il plus sage


de lui conserver un usage intuitif et métaphorique? La question se pose à l'heure
où l'on parle toujours plus de groupes multiâges, de décloisonnements, de cycles
d'apprentissage, autant de façons de recomposer des espaces-temps de formation
différents de la classe traditionnelle. Si le groupe classe est mis en cause comme mode
unique, voire principal, de groupement des élèves, pourquoi s'acharner à clarifier
le concept de gestion de classe? En cessant de considérer la classe comme unique
espace gestionnaire, on ne renonce pas à s'intéresser à la gestion du travail scolaire.

Il est en effet indispensable de penser l'organisation qui surplombe et rend


possible les interactions didactiques. Si la classe fait place à d'autres types de groupe-
ments, le travail gestionnaire ne disparaît pas. Il se complexifie, au contraire, ce qui
justifie plus que jamais une analyse ergonomique et sociologique des dimensions
gestionnaires du travail enseignant, de leur rationalité et de leurs conditions.

L'approche de la classe comme espace-temps spécifique à gérer a permis de


penser un niveau de fonctionnement organisational, et donc un registre d'expertise
professionnelle, qui, en tant que tels, ne relèvent pas entièrement de ce qu'on nomme
didactique, ni même pédagogie. C'est pourquoi, la notion de gestion garde du
sens, même si la classe n'est plus le groupement de base, à condition de l'étendre
à des espaces-temps de formation multiformes et à leurs interdépendances.

Plutôt que de gestion, peut-être vaudrait-il mieux parler de management. Le


mot est désormais français et l'on peut le prononcer à la française. Son acception
est plus large : le Robert assimile gérer à administrer, alors qu'il définit le management
comme l'ensemble des techniques d'organisation et de gestion d'une affaire ou
540 Revue des sciences de l'éducation

d'une entreprise. Le concept d'organisation ajoute une dimension importante et


met l'accent sur la mise en place d'un cadre de travail qui structure les activités et
les interactions. Nous proposons cependant d'inclure cette dimension d'organisation
dans le concept de gestion d'un espace-temps de formation, ce qui est plus
conforme au sens habituel donné à la gestion de classe dans le champ scolaire,
plus large que la simple administration des personnes, des ressources et des tâches.
Nous ne faisons donc pas ici de différence entre gestion et management.

La gestion d'un espace-temps de formation porte - pour le dire encore assez


abstraitement - sur l'ensemble des paramètres et des interdépendances avec lesquels
on joue pour rendre possible le travail scolaire quotidien et favoriser sa centration
sur les contenus et les apprentissages. Peut-être pourrait-on - métaphoriquement -
assimiler la gestion du travail scolaire à la mise en scène d'une pièce de théâtre,
avec cette différence que toutes les répliques ne sont pas écrites, même si les rôles
sont distribués. Comme la commedia delïarte, l'action pédagogique oscille entre
respect d'une mise en scène et improvisation.

L'organisation du travail entre didactique et administration

Un enfant ou un adolescent vont en principe à l'école pour se développer,


s'instruire, se construire. Or, on sait aujourd'hui que rien de tout cela n'arrive si
l'élève n'est pas placé régulièrement dans des situations propices, qu'on nomme
volontiers situations d'apprentissage. De telles situations supposent en général qu'une
tâche soit définie et assignée à un ou à plusieurs apprenants, ou mieux encore
négociée avec eux, voire choisie ou conçue par eux. Une tâche n'est formatrice que si
elle provoque des activités et des opérations mentales qui, à leur tour, engendrent
des apprentissages nouveaux ou du moins consolident des acquis.

L'un des enjeux de la didactique est de concevoir de telles tâches et les


situations d'enseignement-apprentissage qui les abritent et leur donnent sens.
S'ajoute une contrainte supplémentaire de taille : les apprentissages suscités doivent
correspondre à un programme et à des objectifs de formation. Connaissance des
objectifs et des programmes aussi bien que des processus d'apprentissage, des
élèves et des dispositifs didactiques sont des ressources nécessaires pour créer et
animer des situations fécondes. Pourtant, les connaissances et les compétences
proprement didactiques ne peuvent donner leur pleine mesure que si la gestion
du temps et de l'espace scolaires permet l'enchaînement raisonné, l'alternance ou
la coexistence harmonieuses d'activités productrices d'apprentissages.

Les situations d'enseignement-apprentissage relèvent en général d'une


discipline spécifique, langue maternelle, mathématique, etc. O n parle toutefois de
plus en plus de compétences transversales, dont la formation appellerait des situations
inter- ou pluridisciplinaires. Que ce soit à l'intérieur ou au carrefour des disciplines,
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 541

«faire la classe» (Nault, 1998; Rey, 1998) consiste à concevoir et à proposer des
situations d'enseignement-apprentissage qui s'articulent, s'enchaînent les unes aux
autres, dans le cadre de séquences didactiques brèves ou de dispositifs didactiques
plus étendus dans le temps, par exemple une correspondance scolaire, l'engagement
régulier dans des jeux de stratégie, la préparation d'un spectacle, une recherche ou
toute autre activité cadre.

O n peut, d'un point de vue didactique, considérer la notion de gestion de la


classe ou de tout autre espace-temps de formation comme un préalable fonctionnel,
une condition nécessaire, une trame qui sous-tend et rend possibles les situations
d'enseignement-apprentissage et permet qu'elles se succèdent avec une certaine
continuité, sans pertes de temps, en ménageant des progressions raisonnables dans
les apprentissages. Chacun sait qu'il faut mettre en place une programmation, une
grille horaire, des méthodologies, des moyens d'enseignement pour que la rencontre
didactique se produise. Pour la rendre possible, il faut bien qu'existe un groupe
stable, des lieux et des temps où maîtres et élèves se retrouvent pour travailler les
savoirs sans avoir chaque fois à réinventer l'école, des règles et des contrats sans
lesquels le marchandage ou le désordre seraient permanents.

O n peut aussi, d'un point de vue plus global, construire la notion de gestion
de classe à partir de la nécessité, dans le système éducatif, d'une délégation d'une
partie de l'administration des choses et des personnes. Pour scolariser des milliers
d'élèves, il faut les répartir en degrés, filières, bâtiments et en fin de compte en
classes ou autres groupements s'acquittant de la même fonction. Un tel système
organise les conditions de la rencontre entre des enseignants et des élèves autour
d'un programme et compte sur eux pour faire le reste. Dans le cadre tracé, à eux
de jouer, sous la responsabilité de l'enseignant et en respectant des règles du jeu
qui s'imposent à toutes les classes comparables. La gestion de classe est alors, en
quelque sorte, ce qui reste à gérer, au niveau de l'enseignant, une fois que l'admi-
nistration scolaire a délimité des espaces-temps de formation et leur a attribué des
ressources matérielles et humaines, des objectifs, des normes et des garants de l'ordre
prescrit, par exemple des moyens d'enseignement fortement recommandés ou un
système de sanctions externes à la classe qui soutiennent l'autorité des enseignants.

On peut tenter d'articuler ces deux points de vue en liant fortement la gestion
d'un espace-temps de formation à la notion d'organisation du travail.

Une entrée par l'organisation du travail

Dans les revues classiques de la documentation scientifique américaine, on


parle souvent de Classroom Organization and Management (Doyle, 1986; Evertson,
1989). Qui pourrait manquer de remarquer que la gestion de classe est un problème
542 Revue des sciences de l'éducation

d'organisation? Il demeure que le concept est pris très souvent dans le sens banal
d'un ensemble de règles qui «organisent» la vie en communauté. La notion d'organi-
sation du travail est plus spécifique, car elle se réfère non seulement à la coexistence,
mais à la coopération structurée d'acteurs ou d'agents dans une activité productive.
Certes, la production issue du travail scolaire est d'un genre particulier, et la pro-
ductivité de ce travail est faible, même dans l'école la plus efficace du monde. La
tension entre vivre et préparer à la vie traverse d'ailleurs les pratiques et les débats
autour de l'école. Il reste qu'on ne peut comprendre la gestion de classe sans
référence aux objectifs visés par le travail. L'enjeu n'est pas seulement de maintenir
l'ordre et la paix, donc d'assurer une forme de régulation de la coexistence. Le rôle du
maître est de faire travailler les élèves pour les faire apprendre. Il joue le rôle d'un
contremaître, chargé de mettre ses ouvriers à la tâche, puis invité à rendre compte
des résultats. Il n'en découle pas que le souci de la production d'apprentissages soit
la seule logique d'action à l'œuvre dans une classe...

La notion d'organisation du travail, outre sa centration sur une tâche productive,


présente l'intérêt de permettre des comparaisons avec d'autres métiers. Alors que les
approches classiques de la gestion de classe insistent sur ce qu'elle a de spécifique,
l'analyse en termes d'organisation du travail aborde un problème que doivent
affronter tous les systèmes d'action collective. Prenons deux exemples.

Dans un grand magasin, les transactions se jouent entre clients et vendeurs;


elles sont la raison d'être de l'ensemble, mais elles ne sont possibles que grâce à
une organisation complexe qui répartit les choses et les gens de façon raisonnée au
gré d'une division des tâches et des espaces de travail.

Dans un hôpital, c'est entre patients et soignants que se joue l'essentiel, mais
ici encore, les soins infirmiers ou les interventions médicales ne sont possibles que
parce que l'organisation du travail en crée les conditions.

Ces conditions diffèrent bien sûr d'un secteur à un autre, mais elles ont partout
la même fonction : permettre aux gens qui doivent travailler ensemble ou en inter-
dépendance de le faire dans des conditions optimales ou au moins acceptables.

Ces conditions sont pour une part économiques et matérielles, mais d'autres,
moins visibles, sont tout aussi importantes :
- un ensemble de règles et de contrats qui fixent les droits et les devoirs des uns
et des autres;
- un ensemble de représentations et de savoirs qui permettent aux acteurs d'ad-
hérer aux règles, aux objectifs, aux méthodes;
- une division du travail et une définition des tâches qui assignent à chacun un
statut et un rôle définis;
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 543

- un ensemble de compétences qui rendent les acteurs capables de jouer leur


rôle dans la division du travail;
- une instance de décision habilitée à prendre, de façon plus ou moins négociée,
des options sur le vif pour faire face aux événements imprévisibles ou simple-
ment pour piloter les activités impossibles à planifier dans leur détail, telle une
démarche de projet ou une recherche;
- des moyens de détection et de régulation éventuelle des écarts entre le plan et
le fonctionnement effectif.

Plus concrètement, qu'y a-t-il à gérer dans un établissement scolaire? Sans


prétendre dresser un inventaire complet et définitif, on peut mentionner :
- l'organisation interne de l'espace-temps de formation et de travail (territoires,
cloisons, circulations, grilles horaires, etc.);
- l'ouverture sur l'extérieur, le reste de l'établissement, le quartier; tout espace-temps
de formation présente une certaine clôture, par rapport à un environnement
avec lequel il entretient néanmoins des relations, comme tout système ouvert;
- les relations intersubjectives et les dynamiques de groupes qui s'y nouent;
- le rapport au temps (horaires, temps libre, absentéisme, arrivées tardives);
- le groupement des élèves en sous-ensembles plus ou moins stables réunis autour
de tâches ou rassemblés par niveaux, besoins, projets;
- la division du travail entre les enseignants;
- la répartition à la fois équitable et efficace des ressources et des équipements,
compte tenu des contraintes économiques et juridiques;
- la formulation des finalités et des valeurs qui justifient les efforts exigés de
chacun et fondent d'éventuelles sanctions;
- le contrat social, pédagogique et didactique, l'autorité, les règles et les arrange-
ments permettant la coexistence et le travail en commun;
- le statut et le traitement des différences dans la vie quotidienne à l'école et
dans les situations d'enseignement-apprentissage;
- les relations avec les familles (information, rencontres individuelles, réunions,
consultation, ouverture des classes);
- les degrés et modes de programmation et de négociation des tâches et activités;
- les valeurs, normes d'excellence et modes d'évaluation correspondants;
- le mode de juxtaposition ou de mise en relation des disciplines au niveau du
travail réel;
- l'autorité, les modes de décision et de régulation des conduites individuelles
et du fonctionnement.
544 Revue des sciences de l'éducation

Cela ne relève pas entièrement de la sphère d'autonomie et d'autoorganisation


des enseignants. Les structures scolaires et les statuts professionnels en jeu rendent
certains fonctionnements incontournables et d'autres presque impossibles. De plus,
les systèmes éducatifs, les cultures administratives et professionnelles, l'inspection,
voire les directions d'établissements, prescrivent ou privilégient, de façon indicative
ou imperative, ouverte ou déguisée, certains modes de gestion de classe.

L'organisation du travail, toutefois, est loin d'être entièrement contrainte ni


même préfigurée, par les structures, les cultures et les prescriptions externes. Les
enseignants, seuls ou en équipe, ont une importante latitude d'interprétation des
règles générales. Ils décident de tout ce que les règles institutionnelles ou les cultures
professionnelles ne prescrivent ou ne prévoient pas, et qui doit être néanmoins
déterminé pour qu'un fonctionnement didactique soit possible.

La part de ce qui est décidable par les enseignants, seuls ou en équipe, varie
selon les systèmes, les ordres d'enseignement, les politiques d'établissements. Aujour-
d'hui, presque partout, les enseignants bénéficient de marges croissantes de liberté
dans le champ des programmes, de l'évaluation certificative, de l'usage des moyens
d'enseignement, du temps à accorder aux divers contenus, de la progression au
cours de l'année scolaire, des démarches didactiques. L'institution prescrit de plus
en plus faiblement, même au primaire, les méthodes, l'ordre des activités, la grille
horaire, l'aménagement de l'espace, la nature des tâches et des groupements d'élèves,
la présence et le type de différenciation ou d'évaluation formative, le rapport entre
enseignants et apprenants, le contrat pédagogique et didactique. La réforme portu-
gaise en cours dans l'enseignement fondamental appelle ouvertement à une gestion
flexible du curriculum. Selon d'autres modalités et dans un autre langage, le Québec,
la France, la Pologne, le Portugal et d'autres pays remettent aux établissements des
pouvoirs curriculaires plus étendus. L'évolution de l'évaluation vers des démarches
plus formatives affaiblit la normalisation des examens et des procédures. Le travail
et les responsabilités de gestion des enseignants vont donc en s'accroissant, à la
mesure de l'autonomie concédée ou imposée aux professionnels ou aux établisse-
ments (Perrenoud, 1999r).

Le passage de la classe traditionnelle et du programme annuel à des cycles


d'apprentissage pluriannuels renforce cette tendance, transfère une partie des déci-
sions de gestion et d'organisation du travail à des équipes et induit donc des formes
nouvelles de coopération professionnelle.

La diversification des modes de gestion

Dans une perspective d'éducation comparée, on pourrait dresser un tableau


des multiples modes de gestion de classe et d'organisation du travail qui coexistent
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 545

aujourd'hui et des manières dont les inspirent ou les contrôlent les systèmes éducatifs
et les cultures professionnelles. À l'époque contemporaine, on peut observer à l'inté-
rieur d'un même système trois axes de différenciation : le partage du pouvoir avec
les élèves, la conception dominante de la pédagogie et l'étendue des décloisonne-
ments.

Le partage du pouvoir - Les enseignants, individuellement ou en équipe


pédagogique, peuvent disposer de leur part d'autonomie sans consulter les élèves
ou choisir au contraire de partager avec eux certaine décisions. Ce qui suggère un
premier axe : à un pôle, les organisations du travail entièrement imposées aux élève,
à l'autre, les organisations entièrement négociées. La plupart des pratiques se situent
entre ces extrêmes. Lorsqu'elles sont plus proches de l'imposition, l'organisation
est rapidement mise en place et l'on peut passer au programme, mais ce temps
apparemment gagné risque d'être reperdu parce qu'il faut exercer un contrôle social
permanent, sans quoi les élèves échapperont au travail. À l'autre extrême, la cons-
truction négociée du contrat et d'institutions internes prend du temps, mais on
peut en attendre, outre une éducation à la citoyenneté, une adhésion plus large
aux règles et aux décisions, donc des responsabilités plus partagées. Arrêter une
organisation du travail et fixer des contrats est au cœur de la gestion du travail
scolaire dans les pédagogies nouvelles. Il n'est pas étonnant qu'elle soit l'affaire
centrale du conseil de classe dans les pédagogies coopératives ou institutionnelles,
dès Freinet. Même si l'on accentue aujourd'hui la fonction de médiation, de
résolution des conflits, de prévention de la violence, le conseil de classe est, au moins
historiquement, d'abord un lieu où s'explicite et se négocie l'organisation du travail
à l'école.

La conception dominante de la pédagogie — Un second axe de différenciation


touche à la conception de l'enseignement et de l'apprentissage : une alternance
classique de cours et d'exercices facilite l'organisation du travail, car l'emploi du
temps et la succession des activités sont plus prévisibles et plus simples; ces vertus
gestionnaires se paient d'un moindre intérêt du travail du côté des élèves, voire des
enseignants, et d'un rapport assez bureaucratique de chacun à sa tâche. À l'inverse, les
pédagogies du projet, les méthodes actives, les recherches ou le travail par situations-
problèmes compliquent terriblement l'organisation du travail, perpétuellement recom-
posée et renégociée. En contrepartie, ces pédagogies espèrent donner plus de sens
aux activités et impliquer les élèves autrement (Perrenoud, 1994).

En combinant ces deux dimensions, on obtient un tableau (tableau 1) à double


entrée, qui permet de combiner schématiquement ces deux axes.
546 Revue des sciences de l'éducation

Tableau 1
Deux axes pour situer les modes de gestion de classe

Décisions et règles
Pédagogie Faiblement négociées Fortement négociées
Plutôt Alternance réglée et imposée Activités classiques, dont le
traditionnelle de cours et d'exercices. contenu, la durée, les
consignes, le niveau
d'exigence font l'objet de
discussion.
Plutôt «écoles Pédagogie du projet mené Pédagogie coopérative ou
nouvelles» par un enseignant «institutionnelle».
autoritaire, mais souvent
charismatique.

L'étendue des décloisonnements — Aujourd'hui plus que jamais, il convient


d'ajouter un troisième axe, selon que l'espace-temps à gérer est la classe fermée, la
réunion épisodique de plusieurs classes (décloisonnements, aire ouverte) ou un cycle
d'apprentissage pluriannuel collectivement géré par une équipe d'enseignants.

O n l'imagine bien, ces trois axes ne sont pas indépendants. Les pédagogies
traditionnelles et peu négociées sont en général à l'aise dans une classe fermée, alors
que les pédagogies nouvelles et coopératives préfèrent les espaces-temps de formation
plus ouverts et plus vastes, tels les cycles d'apprentissage pluriannuels. Ce ne sont
toutefois que des tendances. La prise en compte des cas atypiques peut éclairer et
enrichir la conceptualisation de la gestion des espaces-temps de formation. Elle
permet également de mieux penser les voies de transition d'un modèle à un autre.
La question cruciale n'est pas en effet de classer, mais de comprendre comment des
enseignants peuvent abandonner une organisation du travail pour en construire
graduellement une autre.

Un cycle d'apprentissage pluriannuel

Dans tous les systèmes éducatifs, le cursus scolaire se présente comme une
succession de plusieurs cycles d'études de deux à quatre ans chacun. Un cycle
d'études se caractérise par une certaine unité de conception des programmes et par
une certaine homogénéité des charges, de la formation et du statut des ensei-
gnants. Mais il reste, en général, fractionné en étapes annuelles, chacune comportant
son propre programme. À la fin d'une année scolaire, les élèves qui ont atteint un
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 547

certain seuil de maîtrise progressent dans le cursus et passent au niveau (ou degré),
où ils sont pris en charge par d'autres professeurs. Les autres redoublent ou sont
orientés vers des filières moins exigeantes.

Du cycle d'études au cycle d'apprentissage

On peut parler de cycle d'apprentissage plutôt que de cycle d'études, simple-


ment pour mettre l'accent sur les processus d'apprentissage. En soi, ce changement
d'appellation ne crée aucun problème nouveau en termes d'organisation du travail.

On peut aussi, et c'est l'option que nous prenons ici, considérer qu'un cycle
d'apprentissage est une forme d'affaiblissement, voire de total effacement des étapes
annuelles au sein d'un cycle d'études. Cet effacement peut prendre des formes
douces, notamment lorsqu'on interdit le redoublement au cours du cycle d'études
ou qu'on le cantonne à la dernière année. Le cycle central du collège, en France,
comme les cycles introduits dans l'enseignement secondaire en Belgique francophone
sont de cette nature. Du simple fait qu'il abaisse les taux de redoublement, le chan-
gement n'est pas négligeable. Il accroît l'hétérogénéité des élèves passant aux degrés
suivants, au grand dam des professeurs et des parents qui craignent une baisse du
niveau. Cela peut avoir certaines incidences sur la gestion de classe, dans des sens
contradictoires : au début d'une année scolaire, le professeur accueille un groupe plus
hétérogène, mais en contrepartie, il n'a pas à repérer d'emblée les élèves condamnés
à redoubler et peut prendre un pari positif sur la continuité des apprentissages, ce
qui le dispense par exemple de faire le forcing et d'encourager le bachotage.

Cependant, chacun reste alors enfermé dans son année et sa classe, voire dans
sa discipline. L'espace-temps de formation n'a pas changé, quand bien même ses
relations aux espaces-temps précédents et suivants modifient un peu son public et
ses exigences. Pour aller vers un véritable cycle d'apprentissage, il faut faire un pas
de plus : renoncer aux programmes annuels, pour définir des objectifs de fin de cycle
valables pour plusieurs années.

La version la plus prudente consiste à définir des cycles de deux ans et à


demander aux enseignants d'accompagner un groupe d'élèves durant cette période,
comme ils accompagnent actuellement une classe durant un an. Aux classiques
étapes annuelles, on substitue en quelque sorte des étapes de deux ans. Cela change
sans doute les conditions de la gestion de classe : planifier sur deux ans permet
davantage de flexibilité, mais oblige à tenir la distance, du point de vue du contrat
avec un groupe, de la discipline, de l'usure des tactiques des uns et des autres. On se
trouve toutefois dans un cas defigureassez familier : à l'époque rurale de la scolarisation,
il n'était pas rare qu'un enseignant soit en charge d'une classe dite « à plusieurs cours »
548 Revue des sciences de l'éducation

ou «à degrés multiples», parce que les effectifs ne permettaient pas de composer


des classes d'un seul niveau d'âge. Cette organisation a perduré dans les zones à
faible densité de peuplement. On maintient alors des programmes annuels et une
possibilité de redoublement, mais elle est en général nettement moins utilisée, car un
enseignant expérimenté planifie les apprentissages sur deux ans (ou davantage).

Une autre façon prudente d'organiser des cycles est de maintenir le principe
d'un passage des élèves d'un enseignant à un autre en fin d'année scolaire, mais sans
redoublement et en invitant les enseignants à travailler en équipe, de sorte à accroître
la continuité des prises en charge. C'est le modèle de l'enseignement primaire
français depuis la loi de 1989, avec des mises en œuvre très diverses, allant du respect
presque intégral des niveaux annuels (sans redoublement officiel) à un véritable
travail d'équipe poursuivant des objectifs de fin de cycle.

Pour aller plus loin, il faut accepter de se détacher encore plus fortement des
étapes annuelles. Certes, l'année scolaire continuera à rythmer le temps scolaire.
Il est donc assez normal qu'un enseignant se fixe des objectifs de fin d'année et
fasse un bilan juste avant les grandes vacances ou au début de l'année scolaire
suivante. Toutefois, on doit concevoir des cycles pluriannuels auxquels l'institution
n'assignerait que des objectifs de fin de cycle, leur structuration en étapes inter-
médiaires (trimestrielles, semestrielles, annuelles ou autres) étant laissée à l'entière
initiative des enseignants.

Actuellement, les systèmes scolaires balisent et normalisent très inégalement


la structuration interne d'une année scolaire. Les uns ont conservé des trimestres
ou semestres officiels, avec des programmes, mais surtout des évaluations rythmées
en conséquence; d'autres définissent un programme annuel et laissent aux
enseignants la responsabilité de la progression, donc de l'ordre des contenus aussi
bien que du temps accordé à chaque chapitre dans le texte du savoir. Dans l'ensei-
gnement secondaire, la ronde des disciplines impose une grille horaire qui régit
les emplois des professeurs aussi bien que les activités des élèves. À l'école primaire,
une telle grille est plus indicative et désigne de grands équilibres, plutôt qu'une
répartition à honorer chaque semaine. L'enseignement primaire genevois illustre le
sens d'une évolution assez générale : il y a trente ans, les enseignants devaient respecter
strictement la grille horaire, non seulement en accordant à chaque discipline son dû
exact, mais en prévoyant le moment de la semaine où l'on ferait de la grammaire,
de la géographie ou du calcul mental. De plus, le plan d'études imposait une pro-
gression mois par mois, si bien qu'on savait quel verbe devait être travaillé dans la
seconde moitié de novembre et quelles figures géométriques devaient être étudiées en
avril. Aujourd'hui, le contrat est annuel, la répartition du temps est une moyenne et,
au fil des mois, les enseignants construisent et remanient à leur guise leur planifi-
cation.
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 549

Cette évolution, qui a partie liée avec l'élévation du niveau de compétences


et la professionnalisation du corps enseignant, est une condition nécessaire pour
envisager des cycles d'apprentissage pluriannuels : à quoi bon travailler sur des temps
plus longs si les enseignants sont enserrés dans un corset qui les empêche de prendre
des décisions en fonction de leur classe ? Les systèmes éducatifs, les parents, les
enseignants, les didacticiens restent cependant très ambivalents face à de plus vastes
espaces-temps de formation. Pour les administrations et les parents, c'est un pari risqué
sur les capacités de planification et de régulation des enseignants. Pour ces derniers, c'est
une responsabilité et une angoisse. Pour les didacticiens, c'est le risque que les impératifs
organisationnels prennent le pas sur la structuration des situations d'apprentissage.

Pourquoi alors aller dans ce sens ? Parce qu'on pense accroître de la sorte
l'efficacité et l'équité du système éducatif. Lorsqu'on introduit les cycles d'appren-
tissage, de façon timide ou audacieuse, c'est généralement pour lutter contre le
redoublement, espacer les échéances évaluatives, accroître la continuité de la prise
en charge éducative, mieux tenir compte des rythmes et individualiser les parcours
de formation. Dans le meilleur des cas, les cycles s'inscrivent dans la recherche d'un
enseignement stratégique (Tardif, 1992, 1998, 1999) et d'une pédagogie différenciée
(Meirieu, 1989^ et b, 1990; Perraudeau, 1997; Perrenoud, 1995, 1997).

Nous avons soutenu que l'idée de cycle était encore une « auberge espagnole »
(Perrenoud, 1998/2). L'on ne peut donc poser les problèmes de gestion de cycle de
façon univoque, tant est grande la diversité des conceptions. À un extrême, on
s'éloigne à peine des fonctionnements annuels et aucun problème de gestion nouveau
n'est véritablement posé. À l'autre, tout est inédit et l'on manque de bases concep-
tuelles, et plus encore de recul, pour identifier des modes émergents de gestion et
les expertises correspondantes.

Une conception plus précise d'un cycle d'apprentissage

Pour approfondir l'analyse, il faut s'avancer, plaider pour une conception


plus définie des cycles. Cet exercice a été tenté ailleurs (Perrenoud, 1997,1998£); nous
n'en reprenons ici que les principaux éléments, sous forme de neuf thèses :
1) Un cycle d'apprentissage n'est qu'un moyen de faire mieux apprendre et de
lutter contre l'échec scolaire et les inégalités.
2) Un cycle d'apprentissage ne peut fonctionner que sur la base d'objectifs de fin
de cycle, qui constituent le contrat pour les enseignants, les élèves et les parents.
3) Il importe de développer dans les cycles pluriannuels plusieurs dispositifs
ambitieux de pédagogie différenciée et d'observation formative.
550 Revue des sciences de l'éducation

4) La durée de passage dans un cycle doit être standard pour forcer à différencier
sur d'autres dimensions que le temps et ne pas favoriser un redoublement
déguisé.
5) Un espace-temps de formation de plusieurs années ne peut atteindre ses buts
que si les démarches et situations d'apprentissage sont repensées dans ce cadre.
6) A l'intérieur d'un cycle, les enseignants s'organisent librement et diversement.
Le système leur propose des outils à titre indicatif : balises intermédiaires,
modèles d'organisation du travail et de groupement des élèves, outils de
différenciation et d'évaluation.
7) Il est souhaitable qu'un cycle d'apprentissage soit confié à une équipe pédago-
gique stable, qui en soit collectivement responsable durant plusieurs années.
8) Les enseignants doivent recevoir une formation, un soutien institutionnel et
un accompagnement adéquats pour construire de nouvelles compétences.
9) La quête d'un fonctionnement efficace en cycles est une longue marche, à
considérer comme un processus négocié d'innovation qui s'étale sur plusieurs
années.

Prenons un exemple. À Genève, la scolarité enfantine et primaire est de huit


ans, organisée en huit degrés annuels, dont deux préobligatoires. Le redouble-
ment existe toujours, il est de l'ordre de 2 à 4 %, selon les degrés. L'école primaire
est suivie d'un cycle d'orientation (enseignement secondaire) de trois ans, avec lequel
s'achève la scolarité obligatoire. Les enseignants primaires sont généralistes ou
polyvalents, ils maîtrisent et enseignent toutes les disciplines. Certains sont titulaires
de classes, d'autres interviennent en appui (généralistes non titulaires, G N T ) . Dans
certaines disciplines (musique, arts plastiques et éducation physique) l'enseigne-
ment est renforcé par des spécialistes (MS).

C'est dans ce contexte que le Groupe de pilotage de la rénovation (1998,


1999), à l'issue d'une phase d'exploration de quatre ans impliquant 30 écoles, a
proposé de diviser les huit années d'enseignement primaire en deux cycles de
quatre ans chacun. En voici la conception en dix thèses :
1) Le cycle pluriannuel est défini par une série d'objectifs d'apprentissage que
tous les élèves doivent atteindre en fin de cycle. Ces objectifs, qui seront définis
en temps utile par l'institution, s'inscrivent explicitement dans la continuité
des objectifs de formation (instruction et éducation) de l'école primaire et de
la scolarité obligatoire.
2) Les programmes annuels, aussi longtemps qu'ils subsistent, n'ont qu'un statut
indicatif. O n cesse de s'y référer au fur et à mesure qu'on devient capable de
gérer les progressions en fonction des objectifs de fin de cycle et de fin de cursus.
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 551

3) Il n'y a plus de référence aux degrés dans les inscriptions, dans le carnet, dans
la formation des classes ou des groupes, dans les fichiers et statistiques scolaires,
dans l'attribution des enseignants. Un élève appartient officiellement à un
cycle, auquel il est intégré en fonction de son âge, même s'il vient d'un autre
système scolaire. La référence aux degrés devrait peu à peu disparaître des métho-
dologies et moyens d'enseignement officiels mis à la disposition des écoles. Elle
perd également son sens en ce qui concerne les épreuves communes ou autres
évaluations standardisées.
4) La notion de redoublement ne veut plus rien dire, puisqu'il n'y a plus de degrés
et qu'on ne peut évidemment redoubler l'ensemble d'un cycle, ni même la
dernière année d'un cycle.
5) La durée normale de traversée du cycle par un élève est égale à la durée officielle
du cycle : on passe par exemple trois ans dans un cycle de trois ans, ni deux,
ni quatre ! Des règles strictes garantissent que les parcours réels des élèves ne
s'écartent de cette norme que de façon exceptionnelle, avec des mesures person-
nalisées, négociées de cas en cas.
6) Durant tout le cycle sont mis en place des dispositifs efficaces de pédagogie
différenciée, qui visent à permettre à tous les élèves d'atteindre les objectifs dans
le même temps.
7) En fin de cycle, pour les élèves encore loin des maîtrises visées, on prévoit des
mesures intensives, prolongées, au début du cycle suivant, par des modules de
mise à niveau et de consolidation différenciée. On peut envisager des structures
ad hoc de transition entre cycles successifs.
8) L'évaluation se fait sans notes. Elle est critériée et formative. Elle permet de si-
tuer régulièrement chaque élève par rapport aux objectifs visés en fin de cycle
et en fin de cursus primaire. Des outils d'observation et d'évaluation sont mis
à disposition par l'institution. Les parents sont régulièrement informés de la
progression de leur enfant, sur la base d'un cahier d'évaluation fondé sur di-
verses sources (autoévaluation, observation, épreuves, entretiens, etc.). Ce cahier
est conçu par chaque école sur la base de quelques principes généraux.
9) Des structures cohérentes avec les cycles sont développées pour tenir compte
des enfants immigrés (préalablement scolarisés ou non), aussi bien que des
enfants en intégration ou fréquentant actuellement la division spécialisée ou
des structures d'accueil.
10) Une nouvelle articulation est mise en place avec le cycle d'orientation à la fin
du dernier cycle primaire, en fonction de l'évolution des programmes et des
structures du cycle et au gré d'une concertation. Les objectifs du cursus pri-
maire et du cycle final du primaire sont reconnus et validés comme les bases
de la scolarité secondaire et leur maîtrise joue un rôle explicite dans l'orien-
tation en septième.
552 Revue des sciences de l'éducation

En mars 2000, au moment même où cet article est achevé, une réforme de
l'enseignement primaire a été annoncée, avec une entrée en vigueur progressive dès
2001. La durée des cycles (quatre ans) a été arrêtée, mais leurs modalités de gestion
restent assez vagues. Il est possible que le système suive les recommandations du
groupe de pilotage et aille vers un effacement délibéré des degrés annuels et une
responsabilité collective. Il se peut aussi que les textes qui seront finalement publiés
autorisent des pratiques très diverses, les unes très proches des fonctionnements
conventionnels, d'autres beaucoup plus audacieuses. L'intéressant, pour l'heure,
n'est pas de prédire la forme exacte que prendront les cycles pluriannuels, à Genève
ou ailleurs, mais de réfléchir aux problèmes de gestion et d'organisation du travail tels
qu'ils seront redéfinis ou créés par une telle évolution. À cette fin, il est plus fécond
de réfléchir sur des cycles effaçant résolument les degrés annuels et appelant les
enseignants à une véritable gestion coopérative.

La gestion d'un cycle d'apprentissage pluriannuel

Lorsqu'on sait gérer un petit espace (ou un petit budget) et qu'on hérite d'un
plus grand, on peut tenter de le fractionner en plusieurs sous-ensembles de moindre
taille, pour se retrouver dans un cas de figure familier. Si le désir des enseignants est
de retrouver, dans un cycle d'apprentissage, l'exacte autonomie dont ils bénéficiaient
dans leur classe, sans construire de compétences nouvelles, ils n'auront de cesse de
réinventer les niveaux annuels et les groupes fermés. Même alors surgit un besoin
de coordination, donc un niveau inédit de gestion, requis pour que s'instaure une
certaine harmonisation des pratiques. Cette dernière peut cependant se réduire à
peu de choses si on revient au chacun pour soi. Les cycles sont en principe gérés
par des équipes d'enseignants, mais rien n'empêche ces derniers, s'ils n'adhèrent
pas à ce modèle, de se répartir les niveaux et les élèves de sorte à n'avoir plus guère
besoin de travailler ensemble.

Pour identifier les nouveaux problèmes de gestion que poseront les cycles
d'apprentissage pluriannuels, il est évidemment plus intéressant d'imaginer une
véritable équipe pédagogique plutôt qu'un simulacre; et plus fécond de penser à
des enseignants qui, loin de chercher à «faire du vieux avec du neuf», tenteraient
de tirer tous les bénéfices possibles d'une telle structure. De tels professionnels auront
besoin de courage et d'imagination, car ils devront prendre des risques, sortir des
sentiers battus. Pour éviter qu'ils ne s'aventurent en terre inconnue, il importerait
que la recherche, les mouvements pédagogiques, les formateurs ou les autorités leur
proposent des modèles acceptables d'organisation du travail à partir des expériences
connues (Gather Thurler et ai, 1999) aussi bien que d'une conceptualisation plus
pointue.
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 553

Le Groupe de pilotage de la rénovation genevoise (1999) a prévu en ce sens des


propositions quant à la gestion coopérative d'un cycle d'apprentissage pluriannuel :
1) Les élèves d'un cycle, dans une école, sont confiés à une équipe pédagogique
solidairement responsable de leur coexistence harmonieuse, de leur travail et
de leur progression vers les objectifs tout au long du cycle, ainsi que de leur
évaluation et de l'information régulière des parents. Au sein du cursus, les
équipes veillent à la cohérence entre les cycles.
2) Les enseignants collectivement responsables du cycle regroupent les élèves de
la façon qui leur paraît optimale dans la perspective d'une pédagogie différenciée.
Ils jouent donc, en plus de l'appartenance de chaque élève à un groupe classe,
sur des groupes de travail diversifiés, monoâges ou multiâges, homogènes ou
hétérogènes, définis comme des groupes de besoin, de projet, de niveau, de soutien,
etc. Les enseignants se répartissent les tâches en conséquence, de préférence de
façon flexible et mobile.
3) L'équipe rend compte de l'usage de son autonomie d'organisation, elle est
donc capable d'expliquer et de justifier son système de travail et ses modes de
différenciation auprès des instances mises en place à cette fin.
4) Dans un groupe scolaire (bâtiment ou ensemble plus large), l'équipe compte,
en gros, le nombre de postes qui auraient été attribués à l'encadrement des
mêmes élèves dans une organisation en degrés avec titulaires, MS et GNT 1 .
Autrement dit, le passage à un cycle n'implique ni accroissement, ni diminu-
tion des forces de travail. À moyen terme, on peut définir les forces par un
rapport entre nombre d'élèves et nombre de postes d'enseignants, standard ou
modulé selon les caractéristiques du public scolaire.
5) À l'intérieur de cette enveloppe, la division du travail dépend de l'équipe, il
n'y a plus de différences entre généralistes titulaires et non titulaires. L'apport
des MS doit encore être clarifié.
6) L'équipe dispose des espaces et des moyens matériels dévolus à l'encadrement
des mêmes élèves dans une organisation en degrés. Les locaux sont regroupés.
L'équipe les utilise à sa guise, en fonction des dispositifs pédagogiques en place.
7) À la fin de chaque année, l'équipe se sépare des élèves arrivant en fin de cycle.
À la rentrée suivante, elle accueille de nouveaux élèves.
8) L'équipe informe les parents des élèves, selon des modalités variées, les associe si
possible aux débats relatives au fonctionnement interne du cycle d'apprentissage.
9) Dans la règle, l'équipe pédagogique désigne un de ses membres pour assurer les
tâches de coordination et pour la représenter au niveau de l'école et de l'extérieur.
10) Dans les grandes écoles, on peut constituer plusieurs équipes pédagogiques
distinctes, chacune prenant en charge une partie des élèves, mais toujours sur
l'ensemble du cycle.
554 Revue des sciences de l'éducation

Pour sauvegarder l'autonomie des équipes, cette structuration laisse en suspens


certains aspects importants de l'organisation du travail. En voici quelques-uns.

Le groupe classe, du port d'attache à la tour de contrôle

Une équipe pédagogique en charge d'un cycle de quatre ans, accueillant par
exemple une centaine d'élèves, aura au départ du mal à imaginer que chacun d'eux
puisse se sentir membre d'un ensemble aussi vaste. Cela paraîtra impensable pour
de jeunes enfants. Même pour des adultes, sauf en général à l'université, l'intégration
à un groupe de taille raisonnable, au moins pour une partie de la semaine, sera consi-
dérée comme une source d'identité et de sécurité. O n s'orientera donc rapidement
vers l'appartenance de chacun à un groupe de base. Il restera à définir la place et
les fonctions d'un tel groupe. On s'accordera sans doute assez vite pour lui assigner
une mission psychoaffective : se vivre comme membre d'une communauté, se sentir
quelque part chez soi, un peu comme les adultes réintègrent la cellule familiale
pour compenser le caractère souvent anonyme, décousu ou tendu de la vie au
travail. Cette fonction répond aux besoins immédiats des personnes, à la limite
indépendamment de tout enjeu de formation. O n peut, faisant de nécessité vertu,
la doubler d'une mission de socialisation : c'est à la faveur d'une appartenance durable
à un groupe de base qu'on développerait la responsabilité, la solidarité, le respect
mutuel, le débat démocratique.

Si l'on s'en tenait là, on pourrait considérer que le groupe de base fait figure
d'oasis, d'endroit protégé des urgences de la production. Assez spontanément, les
équipes chargeront en outre ce groupe d'une fonction de pilotage des parcours de
formation. En effet, la personne responsable de ce groupe — qu'on la nomme maître
de classe, professeur principal, tuteur, mentor ou enseignant de référence - sera
rapidement celle qui connaît le mieux ses élèves et peut donc avoir une vue d'en-
semble de leurs besoins, de leurs trajectoires dans le cycle et donc des orientations
à leur proposer pour la suite de leur parcours de formation. Si bien qu'on gérera,
dans un groupe de base, non seulement des identités et des sentiments d'apparte-
nance, ce qui est essentiel dans les organisations, mais des itinéraires de formation
et les décisions qui les infléchissent. Cette fonction de tour de contrôle s'ajoute
assez naturellement à celle de port d'attache.

Le désaccord surgira, en général, sur la question de savoir si le groupe de base


est aussi le cadre des apprentissages disciplinaires. Aucunement, diront les plus
radicaux, alors que pour d'autres, il doit demeurer le cadre privilégié de la plupart
des activités scolaires, que ce soit sous le contrôle d'un seul enseignant polyvalent
au primaire ou d'une succession de professeurs spécialisés au secondaire.

S'il devient le cadre unique du travail scolaire, un cycle d'apprentissage ne se


distinguera des degrés annuels que par l'absence de redoublement, des échéances
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 555

plus éloignées et la continuité des progressions vers des objectifs de fin de cycle.
Cette continuité serait alors assurée par le fait que le même enseignant ou la même
équipe accompagnent les élèves durant toute la traversée du cycle d'apprentissage,
selon deux modalités possibles :
- soit le groupe de base est formé à l'entrée dans le cycle, comme un groupe classe
conventionnel, mais sa composition reste stable durant toute la durée du cycle;
- soit le groupe de base est un groupe multiâge, qui se renouvelle par tranches
chaque année, le groupe étant rejoint chaque année par de plus jeunes et quitté
par les plus âgés, qui passent au cycle d'études ou d'apprentissage suivant.

On peut douter de l'intérêt du premier modèle, qui est très proche de la gestion
de classe conventionnelle, à cette différence que l'enseignant titulaire garde ses élèves
durant plusieurs années. Ce modèle devient plus intéressant, toutefois, si un ensemble
d'enseignants accompagne une cohorte durant plus d'un an.

Toutefois, les cycles d'apprentissage, tels qu'ils sont conçus ici, visent à la fois
la continuité des progressions sur plusieurs années et le développement de parcours
de formation plus individualisés. Si chaque enseignant reste enfermé, avec ses élèves,
dans son groupe-classe, on se retrouvera dans les mêmes impasses qu'aujourd'hui
du point de vue des pédagogies différenciées : même avec des effectifs réduits - or,
ils tendent plutôt à s'alourdir au gré des crises budgétaires - un enseignant isolé ne
peut faire coexister plusieurs dispositifs de pédagogie différenciée qu'au prix d'une
ingéniosité didactique et d'une énergie hors du commun. C'est encore plus difficile
dans l'enseignement secondaire, du fait que plusieurs spécialistes des diverses disci-
plines se succèdent dans la même classe, chacun étant seul maître à bord durant
quelques heures par semaine... Pour faire passer son programme, chacun reste tenté
par un enseignement frontal, entrecoupé d'exercices et d'épreuves notées.

La réflexion sur la gestion de cycles pourrait utilement s'inspirer de l'ingénierie


des pédagogies de groupes, développée par Meirieu (1989^ et b)> qui tente de faire
correspondre des modes de groupement différents à des démarches ou des objectifs
spécifiques. Dans cette perspective, l'apprentissage dans un groupe de base stable (un
groupe classe redéfini, éventuellement multiâge) ne serait alors qu'une modalité de
travail parmi d'autres, dont la place dépendrait d'options de gestion de cycle à
prendre par l'équipe, en fonction de l'ensemble des paramètres.

Des objectifs aux groupements

Comment faire pour organiser la répartition optimale d'une centaine d'enfants


entre divers modes de travail et divers types de groupes? Dans une pédagogie de
l'improvisation et de l'effervescence, on pourrait imaginer des établissements où,
556 Revue des sciences de l'éducation

chaque matin, l'ensemble des enseignants et des élèves du même cycle se réunissent
pour décider en commun des tâches de la journée, puis se répartissent en conséquence
entre différents lieux de travail. Cette planification souple pourrait se faire à des in-
tervalles moins rapprochés, par exemple au début de chaque semaine ou de chaque
quinzaine, voire de chaque mois.

Ce mode de gestion de cycle n'est en soi nullement absurde. Il présenterait


l'intérêt d'une grande flexibilité, mais c'est aussi sa limite : il faut du temps, de
l'énergie, de l'inventivité et de la méthode pour remanier fréquemment l'organisation
du travail. Cela suppose en outre que les acteurs partagent une culture de coopé-
ration. Ces derniers devraient faire preuve de beaucoup de lucidité et de discipline,
et manifester des capacités métacognitives et expressives qui ne peuvent se développer
que graduellement et qu'il semble plus réaliste d'attendre d'adolescents ou de jeunes
adultes, à condition qu'ils n'aient pas perdu tout goût de s'instruire...

Rien n'oblige en fin de compte à gérer sur le même mode l'ensemble du temps
de travail. Une équipe peut fonctionner un jour par semaine ou une semaine sur
quatre dans une forme d'improvisation négociée, les autres temps de travail faisant
l'objet d'une programmation à moyen ou long terme. Cette dernière n'est pas
nécessairement établie pour l'ensemble d'une année scolaire, et peut laisser une
marge à l'improvisation et à laflexibilité.Il importe dans tout modèle de réserver
dans la planification des temps (heures, jours ou semaines) non attribués à des acti-
vités ou des contenus prédéfinis, de sorte à pouvoir tenir compte des besoins et des
projets qui émergent en cours d'année.

Quels problèmes de gestion une organisation aussi complexe rencontre-t-elle?


Elle exige d'abord des concepts partagés et le langage correspondant. Une organisa-
tion improvisée au jour le jour dispense en apparence de concepts. Il suffit d'attribuer
des personnes, désignées par leur nom, à des tâches, désignées par leur contenu :
les 11 élèves suivants retravailleront la multiplication avec Yves, les 32 élèves suivants
travailleront avec Jeanne et Olivier sur l'exploration du quartier, etc. En fait, même
alors, le système de travail restera inefficace si cette répartition ne repose pas sur des
logiques de formation. Il y alors fort à parier que les intérêts et les envies des uns
et des autres prendront le pas sur leurs besoins. Contrairement à ce qu'on imagine
parfois, l'organisation du travail ne se confond par avec la planification, elle recouvre
aussi la mise en place de dispositifs qui permettent de prendre des décisions sur le vif.

Si l'on planifie l'organisation sur plusieurs mois, dans son détail ou ses grandes
lignes, le niveau d'abstraction s'élève. Pour désigner le contenu des activités, on re-
court à des dénominations de disciplines ou de fractions de disciplines : géométrie,
poésie, atelier sur les contes, travail sur textile, lecture de cartes, grammaire allemande,
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 557

etc. Alors qu'on peut, dans l'improvisation, gérer simultanément les tâches et la
composition des groupes, la planification les dissocie : ellefixeles types de contenus
avant d'arrêter la répartition des élèves, pour ne pasfigerles groupes et conserver la
possibilité de les moduler en temps réel, selon la progression effective des apprenants
et leurs projets et besoins du moment.

Dans une classe conventionnelle, la planification peut se limiter à prévoir une


activité pour chaque composante de la grille horaire. Dans une pédagogie diffé-
renciée, cela se complique du fait de la diversification des tâches. Dans un cycle
d'apprentissage confié à une équipe enseignante, on gère en outre divers groupes et
divers espaces de travail, et donc une division du travail entre les enseignants. L'une
des difficultés de cette gestion est qu'elle exige des concepts et des mots nouveaux,
que les équipes pédagogiques inventent au gré des besoins, mais qui ne font pas, à
ce jour, l'objet de définitions stables et partagées. Si bien qu'un remplaçant ou un
nouvel enseignant arrivant dans une telle équipe peuvent avoir l'impression qu'on
y parle chinois!

Raisonner domaine par domaine

La gestion planifiée d'un cycle d'apprentissage doit tenir compte de la


spécificité des divers contenus et objectifs. Il apparaît donc pertinent de distinguer
un certain nombre de domaines, appelant chacun une organisation du travail et
des modes de groupement spécifiques. Ces domaines peuvent correspondre aux
disciplines scolaires traditionnelles. Cela paraît presque incontournable dans l'ensei-
gnement secondaire, puisque les emplois des professeurs sont codifiés en heures
d'enseignement dans leur propre discipline. Même alors, on pourrait s'autoriser
quelque distance par rapport à cette conception classique, d'une part, en attribuant
des plages horaires à des blocs de disciplines voisines et, d'autre part, en réservant
du temps à des démarches de projet ou à d'autres activités interdisciplinaires ou
non disciplinaires; c'est ce que fait le collège français dans le cadre des parcours
diversifiés (Bonnichon et Martina, 1998).

Rien n'interdit par ailleurs de rompre avec le principe d'une grille horaire stable
durant toute l'année, attribuant à chaque discipline, chaque semaine, exactement
les mêmes heures. Pourquoi ne pas envisager des équilibres semestriels ou annuels?
Il n'est donc nullement impossible de concevoir des cycles d'apprentissage pluri-
annuels dans l'enseignement secondaire, à la condition de bouleverser quelques
habitudes. La garantie de l'emploi, les intérêts acquis, les bastions disciplinaires,
l'inégalité des dotations entre disciplines rendent toutefois ces bouleversements
improbables. Il est donc vraisemblable qu'une organisation en cycles raisonnera,
au secondaire, discipline par discipline, avec les rigidités qui s'ensuivent.
558 Revue des sciences de l'éducation

Le jeu est plus ouvert dans renseignement primaire, du fait que des ensei-
gnants polyvalents prennent en charge plusieurs disciplines, parfois toutes. Une
équipe pédagogique responsable d'un cycle d'apprentissage pluriannuel peut alors
s'affranchir des grilles horaires et des découpages conventionnels, pour inventer
d'autres modes de gestion du temps et de division du travail.

O n pourrait suggérer à une équipe en quête d'un modèle de gestion de


s'approprier d'abord les objectifs d'apprentissage essentiels, les objectifs de fin de
cycle, puis de se demander pour chacun s'il est préférable de le travailler dans le
groupe de base, multiâge ou monoâge, ou dans des groupements d'un autre type,
modules ou groupes de niveaux, de besoins, de projets, les uns plus homogènes,
les autres plus hétérogènes.

O n constituerait alors des familles d'objectifs, correspondant soit à l'entier


d'une discipline (par exemple une langue seconde), soit à un ensemble de disciplines
connexes (par exemple géographie-histoire ou divers enseignements de technologie),
soit à une partie de discipline (par exemple, la géométrie comme partie des mathé-
matiques), soit encore au mariage d'objectifs appartenant à deux disciplines, par
exemple observation scientifique (aspect de la physique) et rédaction des protocoles
et des rapports correspondants (aspect du français). O n laissera de côté les questions
didactiques et épistémologiques que posent ces découpages, en supposant — non
sans optimisme ! - que les systèmes éducatifs seront capables d'offrir une formation,
des appuis et les textes de référence suffisants.

Il restera alors à penser l'organisation du travail proprement dite. Pour


chaque domaine ainsi retenu (trois, cinq ou huit pour l'ensemble du curriculum),
les équipes pourraient, dans un premier temps, se demander selon quels types de
groupements il est préférable de travailler. Rien n'assure qu'en musique, en mathé-
matique, en arts plastiques ou en langue seconde, l'organisation optimale du travail
soit la même. Il est probable toutefois que l'optimisation séparée de chaque domaine
rendrait leur coexistence impossible à gérer, chacun ayant des exigences irréalistes
en heures, en flexibilité, en alternance de divers groupements.

O n pourrait proposer aux équipes, à ce stade, des régulations du même type


que celles qui permettent de construire un budget dans une organisation : dans
un premier temps, chaque département raisonne selon sa logique propre, évalue
largement ses besoins et fait des propositions. Si la somme est irréaliste, et c'est en
général le cas, une instance de coordination renvoie alors chacun à sa copie, en fixant
des contraintes. Un tel processus aiderait à construire un compromis entre les logiques
d'organisation du travail propres à chaque domaine. Ce mode de construction
d'une organisation du travail paraît plus long, mais plus prometteur qu'une logique
unique, simple, mais médiocrement adaptée aux divers contenus et objectifs et
probablement inspirée par les disciplines les plus sélectives.
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 559

Un tel processus pourrait, au fil de l'expérience et des négociations, conduire à


remanier le découpage en domaines et à définir des types de groupements convenant
à plusieurs domaines ou sous-domaines. Le modèle de gestion du cycle pourrait glo-
balement se présenter, in fine, sous la forme d'un tableau à double entrée (tableau 2).

Tableau 2
Objectifs didactiques et types de groupements
Groupe Groupe Groupe Groupe Goupe Groupe
Domaines de base modules multiâge de niveau de besoin de projet
Fonçais ~ ~ ~
oral
Français
* *
écrit
Numé-
* *
ration
Opérations I * * *

Espace I
(géométrie,
* *
géographie,
dessin)
Musique et
éducation * * *
physique

Autres

Notre propos n'est pas ici de justifier les lignes, les colonnes ou le placement
des astérisques. Ce tableau n'a d'autre but que d'illustrer une façon, sans doute
encore fort simpliste, de maîtriser la gestion d'un cycle d'apprentissage pluriannuel.

Le système éducatif pourrait être tenté, devant cette relative complexité, de


prescrire un modèle unique de gestion de cycle, ce qui représenterait en apparence
un gain de temps et d'énergie. En fait, ce serait une perte en termes de profession-
nalisation du métier d'enseignant, d'autonomie de gestion des équipes, d'adéquation
aux besoins et compétences des acteurs en présence et d'inventivité gestionnaire
et curriculaire. Mieux vaudrait que le système éducatif propose des modèles
d'organisation du travail aux équipes en charge de cycles pluriannuels, les laissant
s'en inspirer pour composer leur propre système de gestion, compte tenu des
conditions locales, du nombre et du niveau des élèves, de leur absentéisme prévisible,
des attentes des parents, des problèmes de maintien de l'ordre, des espaces effectifs
de travail et de déplacement, mais aussi des compétences et des préférences didactiques
et pédagogiques des enseignants.
560 Revue des sciences de l'éducation

Une évolution dans ce sens contribuerait à développer de nouveaux savoirs


sur le rapport entre types d'objectifs (disciplinaires ou transversaux) et types de
groupements, notamment quant aux vertus de tel ou tel type d'homogénéité. Les
systèmes scolaires ont aujourd'hui des doctrines simplistes : pour la plupart, jusqu'à
douze ans, tout paraît enseignable en groupes fortement hétérogènes, à partir de
douze ans la norme s'inverse et de nombreux professeurs du secondaire ne conçoi-
vent pas d'enseigner leur discipline dans des groupes qu'une sélection préalable
n'aurait pas fortement homogénéisés. Une réflexion didactique sur les contenus et
les démarches permettrait sans doute de développer des rationalités plus subtiles.
Il est probable que les démarches de projet, les activités de recherche ou le travail
par situations problèmes n'exigent pas le même type et le même degré d'homo-
généité qu'un cours magistral ou des travaux pratiques.

O n pourrait aussi construire progressivement des éléments de réponse à la


question de la taille optimale des groupes. Pour débattre, observer, expérimenter,
rédiger, écouter une histoire, monter un spectacle, conduire une enquête, il faut
parfois être moins nombreux que dans une classe conventionnelle, alors qu'on
peut facilement, pour d'autres activités, regrouper davantage d'élèves, sans revenir
pour autant à un enseignement frontal. Une école à aire ouverte permet par exemple
à deux enseignants de fonctionner comme personnes ressources pour soixante-dix
élèves travaillant individuellement ou par petits groupes, alors que deux autres
adultes travaillent de façon intensive avec des groupes de quinze.

Gérer les progressions sur quatre ans

Une fois stabilisé, pour un temps, un modèle de gestion de cycles par domaines
et modalités de travail, l'équipe pourrait affronter un autre problème : comment
répartir les élèves entre ces diverses modalités. L'attribution à un groupe de base
n'a de sens que pour une certaine durée, disons une année scolaire. Dans les autres
cas de figure, une telle stabilité ne s'impose pas. C'est évident pour les groupes
constitués autour d'un projet, puisque leur durée de vie dépend de l'avancement
du projet. Les groupes de besoin disparaissent lorsque les besoins sont satisfaits et
que d'autres besoins appellent la constitution de nouveaux groupes.

Les groupes de niveau peuvent être plus stables, mais avec le risque connu du
streaming : reconstituer des filières parallèles et étanches qui cristallisent une hiérar-
chie et finissent par viser des objectifs différents, alors que, dans le cadre d'une
pédagogie différenciée, les groupes de niveau doivent viser les mêmes maîtrises, avec
des démarches et des taux d'encadrement adaptés aux difficultés d'apprentissage
de chacun. Quant aux modules, on le verra plus bas, ils n'ont aucune raison de courir
durant toute l'année. Les plus courts peuvent durer quelques heures, les plus longs
quelques dizaines d'heures.
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 561

Une équipe en charge d'un cycle d'apprentissage pluriannuel, qui travaillerait


avec ces divers dispositifs, devrait donc résoudre des problèmes de gestion qui sont,
dans les établissements fonctionnant par degrés annuels, réglés pour un an, de façon
centralisée, par les instances qui composent les classes et confectionnent les horaires.
À quoi bon confier de telles tâches à une équipe pédagogique responsable d'un cycle
si c'est pour qu'elle instaure une organisation du temps, de l'espace et des tâches
aussi rigide que dans un collège traditionnel? La décentralisation des décisions de
gestion vise aussi une plus grande flexibilité.

Une équipe de cycle fera face à un double défi : procéder à une répartition viable
(donc relativement stable) des élèves tout en cherchant à optimiser la progression de
chacun. Si différencier, c'est mettre aussi souvent que possible chaque élève dans
une situation d'apprentissage pertinente et féconde pour lui (Perrenoud, 1995,
1997), l'enjeu gestionnaire est immense : il ne s'agit pas seulement de faire tourner la
machine en se débrouillant pour que chaque élève soit au travail dans un groupe,
sous la responsabilité d'un enseignant. Le défi est que cette rencontre entre un
apprenant, un enseignant et un savoir ou une tâche, autrement dit l'incarnation
concrète du triangle didactique, soit à chaque instant optimale. Bien entendu, c'est
un idéal qui relève du meilleur des mondes et dont la réalisation permanente et inté-
grale confinerait au cauchemar. Disons qu'il reste en général une marge suffisante
pour sauvegarder la liberté des uns et des autres et qu'une bonne gestion de cycle vise
un idéal, mais se satisfait d'une adéquation raisonnablement optimisée des situations
d'apprentissage.

Les décisions dont dépend cette optimisation raisonnable seront pour une
part prises à l'intérieur des groupes constitués, eux-mêmes plus ou moins durables.
C'est ce qu'on peut appeler la différenciation interne. La différenciation externe
se jouera dans l'attribution des élèves à des groupes et dans la décision de changer
un élève de groupe au moment opportun. Ce problème se pose déjà dans le cadre
de la gestion d'une classe, lorsque l'enseignant travaille par ateliers ou sous-groupes.
Sa compétence est alors de répartir au mieux ses élèves entre ces divers foyers d'acti-
vité, en trouvant une ligne médiane entre un brassage perpétuel et une stabilité
aussi peu convaincante. À l'échelle d'un cycle pluriannuel, le problème gestionnaire
est de même nature, mais la décision porte sur un plus grand nombre d'élèves.
Elle doit être prise par une équipe et ne peut donc être improvisée, ni modifiée
aussi souplement que par un seul décideur.

Gérer de tels problèmes en équipe, pour un grand espace-temps de formation,


exige des outils de pilotage, parmi lesquels, évidemment, l'évaluation constante
des acquis et des progressions (outils d'évaluation formative, portfolio) et une mé-
moire efficace et partagée des décisions prises et des activités suivies par chacun,
grâce à des outils informatiques appropriés, mais aussi à des concepts et un langage
562 Revue des sciences de l'éducation

adéquats, empruntés ou forgés par l'équipe. Une gestion de classe dont tous les
éléments sont dans la tête d'une seule personne n'est plus adaptée à la complexité
d'un cycle d'apprentissage pluriannuel confié à une équipe. Les savoirs de gestion
doivent être peu à peu formalisés et soutenus par des procédures et des instruments
partagés. Les savoirs gestionnaires que déploient les enseignants familiers des mé-
thodes actives sont en partie intuitifs et résistent à l'explicitation. L'enjeu des cycles
est de les partager et de les enrichir, plutôt que de paralyser chacun en lui imposant
une doxa organisationnelle!

Réorganiser le curriculum : entre fluidité et flux tendu

L'organisation du travail semble jongler d'abord avec des temps, des espaces,
des groupes, des activités, des modalités de contrôle. Si l'on ne perd pas de vue que
l'enjeu reste l'apprentissage, l'organisation du travail a une face cachée : la restruc-
turation du curriculum.

Il ne s'agit pas seulement d'attribuer des domaines ou des disciplines à des


modes de travail ou de groupement. O n peut questionner l'organisation même
des savoirs ou plus exactement la pratique qui consiste à traduire les découpages
épistémologiques en critères de division des temps et des espaces scolaires.

Les évolutions de l'organisation du travail ne sont pas étrangères à l'évolution


des modèles de l'apprentissage et du savoir. Plus on va vers le constructivisme, la
pédagogie de projets, l'apprentissage par recherches, problèmes et situations pro-
blèmes, l'approche par compétences, plus on conjugue plusieurs disciplines pour
affronter des situations complexes. Ce mouvement favorise la fluidité de l'organi-
sation du travail et la porosité des frontières entre domaines. À la limite, dans une
école alternative de taille réduite, l'organisation du travail peut consister à être
constamment en projet, en apportant des éléments de structuration à l'occasion
d'une tâche de production. On planifie dès lors davantage les moments de décision
et de régulation que des temps de travail consacrés à des contenus spécifiques. En
somme, les démarches les plus constructivistes pourraient conduire à une organi-
sation du travail très flexible, constamment négociée et remaniée.

Dans l'enseignement public, cette flexibilité se heurte aux statuts et contraintes


bureaucratiques. Mais ce n'est pas la meilleure raison d'y résister. En voici deux
autres :
- La stabilité de l'organisation du travail est une source d'identité et de sécurité,
au moins pour certains élèves. La flexibilité peut-être élitiste. Pour les enseignants
qui s'estiment perdants dans les négociations, c'est aussi une protection contre
la «tyrannie de l'équipe» ou le stress de la régulation permanente.
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 563

- La flexibilité représente aussi le risque de ne pas favoriser la centration sur les


obstacles et d'investir une forte énergie dans la gestion du quotidien et des
activités plutôt que de progresser à flux tendus vers les objectifs d'apprentissage.

Il importe donc de ne pas s'enfermer dans une seule logique et de faire coexister
dans la même année, en alternance, voire chaque semaine, des modes différents de
structuration des savoirs et du travail. À un extrême, on revient à la classe fermée.
À l'autre extrême, on invente des formes inédites dans l'enseignement scolaire. Quand
on s'éloigne un peu des classes traditionnelles, on va d'abord vers des décloisonne-
ments, des aires ouvertes, du multiâge, donc des espaces-temps de formation aux
missions parfois imprécises et à la gestion flexible. Paradoxalement, lorsqu'on
s'éloigne davantage des classes traditionnelles, on définit des espaces-temps de travail
qui sont au contraire centrés sur des objectifs spécifiques et permettent un investisse-
ment didactique intensif en un temps limité, favorable à une pédagogie différenciée.

Nous avons tenté d'étendre à l'enseignement primaire des modèles modulaires


inspirés de l'éducation des adultes, en les opposant à une gestion ouverte d'un cycle
d'apprentissage (Perrenoud, 1997). Certaines écoles se sont engagées dans des expé-
riences de structuration modulaire du curriculum à l'école primaire (Wandfluh et
Perrenoud, 1999; Vellas, à paraître). Il est trop tôt pour en tirer des conclusions,
sinon pour dire qu'à l'heure actuelle, et sans doute à plus long terme, l'enfermement
dans un modèle unique de gestion ne se justifie pas. Il importe de développer des
compétences de conception et de régulation de l'organisation du travail davantage
que de substituer une organisation rigide et standard à une autre.

Division et coordination du travail

Toute organisation plurielle et complexe poste la question de son pilotage. Il


sera collectif si l'on renoncer à créer une fonction hiérarchique de proximité. Dans
de nombreux métiers, on confie la coordination à un chef d'équipe, par exemple
dans un atelier, un magasin, un chantier. Ce choix n'est pas absurde en lui-même,
mais le niveau de formation des enseignants et la nature de leur travail devraient
plutôt favoriser l'émergence d'une fonction de coordinateur de cycle sans statut
hiérarchique, que chaque membre de l'équipe occuperait à tour de rôle, par exemple
pour deux ans. Un coordinateur de cycle ne prendrait pas de décisions importantes,
son rôle serait de structurer la concertation et le travail de décision de l'équipe.
L'émergence d'un tel rôle consoliderait la dimension coopérative du métier d'ensei-
gnant (Gather Thurler, 1994, 1996), aiderait à sortir de l'individualisme.

Il resterait à trouver un compromis acceptable entre l'autonomie de chacun


et la cohérence de l'ensemble. Les choix gestionnaires ne peuvent, dans aucun
système, être faits à un seul niveau. Dans les systèmes éducatifs conventionnels,
564 Revue des sciences de l'éducation

ils sont opérés en partie au niveau central, par l'administration scolaire, qui prescrit
les programmes, les horaires, les espaces, l'ameublement et l'équipement des classes,
parfois les moyens d'enseignement et les démarches didactiques, souvent les pro-
cédures d'évaluation et le calendrier. Cela laisse un espace d'autonomie de gestion
aux établissements, aux équipes et aux enseignants pris individuellement.

Dans le contexte actuel, qui valorise l'autonomie des établissements, si l'on


fonctionne par cycles pluriannuels confiés à des équipes, on aboutit en effet à
distinguer, dans le cadre de la politique et des directives d'un système éducatif, trois
niveaux de décision : le système, l'établissement, l'équipe de cycle et les enseignants
en charge d'un groupe.

Le Groupe de pilotage de la rénovation genevoise (1998, 1999) a proposé


que l'administration fixe un plan cadre assez global, contraignant pour toutes les
écoles, et laisse une large autonomie aux établissements, aux équipes gérant un cycle
et aux enseignants. Le tableau 3 suggère une répartition des décisions entre ces
trois niveaux.

Chaque point et son placement dans le tableau prêteraient à discussion. Peu


importe ici leur détail : ce tableau suffît à suggérer à la fois qu'une équipe de cycle
est un niveau d'autonomie et ne décide pas de tout, parce qu'elle doit : a) respecter
le plan cadre fixé par l'administration (de façon plus ou moins négociée avec la
profession); b) s'inscrire dans un projet d'établissement et c) laisser à chacun de
ses membres une autonomie d'action suffisante.

O n voit que le fonctionnement en cycle exigerait, parmi d'autres conditions,


un équilibre optimal entre des décisions collectives, sans lesquelles le cycle perd de
sa cohérence et donc de son intérêt, et les décisions individuelles tenant compte
de la réalité des acteurs en présence, du contrat et du rapport qui les lient.

Des coutumes de gestion de classe aux compétences d'organisation du travail

Les quelques éléments qui précèdent ne font pas le tour du problème, mais
ils suffisent pour poser la question des compétences et de l'expertise des enseignants
dans le domaine de la gestion d'espaces-temps de formation et de l'organisation du
travail.

En formation, la gestion de classe a été souvent travaillée par dessus le marché.


La notion flotte dans une sorte de no mans land, elle appartient à tout le monde
et donc tout le monde peut parler sans la définir rigoureusement. Elle relève de la
tradition et du bon sens davantage que d'une analyse pointue des processus et des
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 565

décisions à maîtriser. Lorsqu'on l'aborde, c'est souvent, comme le relèvent Gauthier


étal (1997) et Martineau, Gauthier et Desbiens (1999), dans une approche prescri-
ptive, pour donner des conseils relatifs à la gestion de classe. On se trouve donc du
côté de ce qu'on appelle encore, malheureusement, la formation pratique. La gestion
de classe s'apprend donc dans la classe, sinon sur le tas, du moins dans les stages et
à la faveur d'un compagnonnage initiatique à ces aspects peu formalisés du métier.

Tableau 3
Niveaux de gestion dans une organisation par cycles d'apprentissage
Niveau de Critères de cohérence
responsabilité (Chaque niveau inclut les critères du niveau précédent.)

Etablissement 1. Information/association des parents.


(bâtiment 2. Coordination avec l'enseignement spécialisé et les structures
ou groupe d'accueil.
scolaire) 3. Aménagement des espaces et horaires scolaires.
4. Concertation des choix de formation continue.
5. Projet d'établissement
6. Aménagement des passages d'un cycle au suivant.
7. Coordination entre les cycles, éventuels modules de transition,
modalités de suivi.
8. Politique des dérogations à demander pour abréger ou allonger le
cursus d'un élève à titre exceptionnel.
9. Droits, obligations et participation des élèves de l'école.
Cycle 1. Principes d'organisation interne du cycle (tranches, modules,
d'apprentissage division du travail entre enseignants, etc.).
de quatre ans 2. Interprétation commune des objectifs et des balises.
3. Démarches pédagogiques et didactiques dans les disciplines.
4. Moyens d'enseignement.
5. Conception et modalités de l'évaluation formative.
6. Gestion des progressions et de la circulation des élèves entre
groupes, modules, tranches ou autres dispositifs.
7. Gestion des parcours durant le cycle.
Prise en charge 1. Contrat didactique,
quotidienne des 2. Attitude, relation pédagogique,
mêmes élèves 3. Exigences, règles disciplinaires.
4. Mode de régulation des conflits, absences, déviances.
5. Fonctionnement en conseil de classe ou son équivalent.
6. Mise en place de dispositifs et de situations d'enseignement-
apprentissage.
7. Suivi formatif des élèves et de leurs apprentissages.
Source - Groupe de pilotage de la rénovation (1998, 1999)
566 Revue des sciences de l'éducation

Une analyse en termes de sociologie du travail devrait permettre de se dégager


du prescriptif pour identifier un niveau spécifique du système d'action profession-
nelle. Du même coup, il importerait, on vient de le voir, qu'on se détache de la
classe pour envisager des espaces-temps plus vastes et diversifiés et le jeu sur leur
organisation à l'échelle pluriannuelle.

Que faut-il savoir et savoir faire pour gérer une classe ou de plus vastes espaces-
temps de formation? S'il fallait esquisser une première liste, nous dirions que les
ressources mises en œuvre sont variées :
- une vision systémique de l'espace-temps de formation, une intelligence des
interdépendances fatales et des cohérences nécessaires;
- une identification des enjeux, autrement dit des liens entre les options prises
dans l'organisation du travail et les effets sur les personnes, tant dans le registre
des apprentissages que du plaisir à vivre ensemble et de l'économie de fonction-
nement;
- une juste perception des marges d'autonomie des uns et des autres;
- la capacité de définir le non-négociable, en faisant la part de ce qui est prescrit
par l'institution et de ce que l'enseignant estime de sa seule compétence;
- la capacité de négocier le reste avec les élèves, dans un dialogue ouvert et selon
des procédures claires, dans un conseil de classe ou son équivalent dans d'autres
espaces-temps;
- la capacité d'expliquer aux parents, aux collègues et à l'autorité les modalités
de travail retenues et d'en rendre compte ex post;
- la capacité d'observer et de réguler constamment le fonctionnement, au besoin
en proposant de modifier les règles du jeu;
- la capacité de créer, dans divers groupes, comme du cycle dans son ensemble,
une culture coopérative qui permette à tous de se sentir solidaires de l'organi-
sation du travail et de ses buts.

A cela s'ajoute la capacité de coopérer avec d'autres enseignants, dès lors qu'on
partage avec eux, plus ou moins formellement, la responsabilité d'un espace-temps
de formation ou simplement qu'on organise des échanges ou des décloisonnements
ponctuels.

A supposer qu'on se mette d'accord sur tous ces points, la question suivante
pourrait être : tout cela s apprend-il?

O n peut répondre à cette question de façon pragmatique, en multipliant les


occasions de se confronter à des organisations du travail différentes.
De la gestion de classe à l'organisation du travail... 567

O n peut aussi faire émerger un savoir professionnel, un savoir expert, à la


jonction des savoirs d'expérience et de la recherche. La conceptualisation ne fonde
pas ipso facto la maîtrise pratique de la gestion. Mais aussi longtemps que l'expression
«gestion de classe» ne désigne rien d'explicite et de partagé, il est difficile de savoir
en quoi consiste l'expertise correspondante et comment elle s'apprend.

Une formation plus rigoureuse passera par la conceptualisation de la gestion de


classe et, plus globalement, de l'organisation du travail, par la prise de conscience de
l'extension de la sphère d'action des enseignants dans ce domaine et par l'identifica-
tion pointue des opérations en jeu. Non pas nécessairement pour amener les étudiants
à théoriser l'organisation de façon sophistiquée, mais au minimum pour construire
des bases conceptuelles permettant d'aller au-delà de la coutume. Une formation qui
assure un surcroît de maîtrise dans une classe conventionnelle devient une question
de survie dans la mise en place de plus vastes espaces-temps de formation.

NOTE
1. À Genève, dans l'enseignement primaire, les MS sont des maîtres spécialistes prenant en
charge, en tout ou partie, des disciplines comme l'éducation physique ou artistique. Les GNT,
généralistes non titulaires, sont des enseignants primaires n'ayant pas leur propre classe et inter-
venant dans les classes de collègues pour faire du soutien pédagogique ou apporter d'autres
contributions. Cette division du travail préfigure une coopération à l'échelle de plusieurs classes,
même si l'on en reste à un réseau en étoile, le GNT travaillant avec des titulaires qui ne forment
pas nécessairement une équipe.

Abstract - This article presents a description of current classroom management practices


and underscores the need for teacher training in these practices. The discussion presents
the following four topics : an analysis of the skill competencies required in classroom
management; a definition of multi-year learning cycles as referring to training in a specific
space-time and involving a large number of students designated to a team of educators; an
identification of new problems which a team might encounter in organizing work in a cycle;
and a close examination of one example of how work is organized within a learning cycle
which is linked to the design of the curriculum. The author finally presents an inventory
of individual and group competencies required by teachers in training for space-time
management in terms of cognitive ergonomics.
Resumen - Este articulo trata de la descripciôn de practicas corrientes de gestion de clase
y de la necesidad de formar docentes calificados en esta ârea. La reflexion se desarrolla en
cuatro fases. El autor analiza las competencias que implica la gestion de la clase; define el
ciclo de aprendizaje multigrados como un espacio-tiempo de formacion que reagrupa un
numéro importante de alumnos confiados colectivamente a un equipo pedagogico; identifica
los problemas inéditos que confronta este equipo cuando intenta organizar el trabajo en un
ciclo en particular; examina de cerca un tipo de organizacion del trabajo en un ciclo de
aprendizaje relacionado con una arquitectura modular del programa. El textofinalizacon un
inventario de las competencias individuales en gestion del espacio-tiempo de formacion,
en términos de ergonomia cognitiva, requeridas en los docentes.
568 Revue des sciences de l'éducation

Zussammenfassung - Dieser Artikel beschâftigt sich mit den gângigen Praktiken der
Klassenleitung sowie der Notwendigkeit, die Lehrer auf dièse Aufgabe besser vorzubereiten.
Die Ausfiïhrungen zu diesem Thema sind in vier Abschnitte eingeteilt. Der Autor analysiert
zunàchst die fiir die Klassenleitung notwendigen Kompetenzen; anschliefiend erlâutert er,
was un ter einem ,,mehrjâhrigen Lernzyklus" zu verstehen ist, nâmlich eine raumzeitliche
Einheit, in der eine grofie Zahl von Schulern unter der Leitung von Lehrern zusammen-
gefasst ist. Im dritten Abschnitt identifiziert der Autor die aufkommenden Problème, mit
denen der Lehrkôrper konfrontiert wird, sobald die Arbeit innerhalb eines Zyklus organisiert
wird. Die verschiedenen Formen der Arbeitsaufteilung innerhalb eines Lernzyklus mit mo-
dularem Curriculum werden im einzelnen untersucht. Den Schlussteil bildet ein unter dem
Aspekt der kognitiven Ergonomie aufgestelltes Inventar der individuellen und kollektiven
Kompetenzen der Lehrer im Bereich der raumzeitlichen Organisation von Lernaktivitâten.

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