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ENS Cachan, Antenne de Bretagne

Stage de fin de deuxième année

La théorie de l’intégration de Lebesgue

Par : Encadrement :
Victor Wasiolek Laurent Mazliak

28 août 2010
Table des matières
1 Les prémices de l’intégrale 4
1.1 Intégration et séries trigonométriques . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.2 Continuité et définition analytique de l’intégrale . . . . . . . . . . . 10
1.3 De la France à l’Allemagne : convergence des séries de Fourier . . . 14
1.4 Critères d’intégrabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

2 La décennie post-Riemannienne 21
2.1 L’intégration terme-à-terme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
2.2 Un peu de topologie, et les confusions qui s’y rattachent . . . . . . 27
2.3 Les intégrales par excès et par défaut . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
2.4 L’intégration et la dérivabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
2.5 Étendre la théorie de Riemann . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
2.6 La notion d’aire : débuts de la théorie de la mesure . . . . . . . . . 40

3 Mesures et intégration 43
3.1 Définir précisément la notion d’aire . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
3.2 Intégrales doubles et étendues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
3.3 Fonctions analytiques et mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

4 La théorie de la mesure de Lebesgue 63

5 Les premières applications 70

1
Introduction
Le problème de l’estimation de la mesure des surfaces est extrêmement an-
cien. On possède des traces de tels calculs, souvent en liaison avec des pratiques
ésotériques et religieuses, dans des civilisations très anciennes de l’Antiquité, en
Inde ou en Mésopotamie.
Ce sont cependant les Élements d’Euclide qui nous restent comme témoignage
le plus vieux concernant ces interrogations, et c’est chez Archimède qu’on trouve
systématisées certaines techniques d’approximations, telles que celles consistant à
découper les aires en petits rectangles ou triangles, dont les aires deviennent de
plus en plus petites, et sommer ces aires.
L’apparition de la notion de fonction et d’intégrale au XV II ème siècle allait
établir un lien entre la question, géométrique, de la mesure des aires et celle,
analytique, du calcul des intégrales. Le travail qui suit veut suivre l’évolution
de ce lien entre la fin du XV III ème siècle et le début du XX ème siècle, où les
travaux révolutionnaires de Lebesgue changèrent l’approche de l’intégrale au point
de surmonter nombre des difficultés accumulées suite aux questions soulevées par
les recherches dans le courant du XIX ème siècle, au premier rang desquelles on
trouve les études sur les développements en séries trigonométriques, inaugurées
par Fourier.
Notre article se veut une étude historique. Elle se fonde sur les ouvrages et
articles des différents acteurs de cette histoire, afin de les commenter et de rendre
compte au mieux des multiples évolutions de cette théorie. Naturellement, un pro-
cessus historique s’inscrivant dans des temps et lieux donnés, nous aurons aussi
à évoquer les contextes dans lesquels cette trame a pu s’inscrire - contexte social
et politique dont l’intéraction avec notre sujet se montrera parfois plus présente
qu’on ne s’y attendrait en premier lieu. Nous prendrons également en compte un
certain nombre de sources secondaires traitant des sujets que nous considérons,
dont l’importance a naturellement attiré l’attention de nombreux historiens par
le passé. Plus particulièrement, cette étude s’appuie en grande partie sur le cours
du Master de Mathématiques de l’Université Pierre et Marie Curie (Paris), inti-
tulé “Histoire des mathématiques : construction d’un objet mathématique”, que
Laurent Mazliak a enseigné depuis l’année scolaire 2008-09.
Notre travail est organisé comme suit. Nous étudierons dans un premier temps
la manière dont la définition de l’intégrale s’est mise en place avec Cauchy, et les
différents problèmes que soulevaient ces définitions, notamment quand il s’agissait
de les faire fonctionner dans le cadre des études de Fourier et de ses successeurs,
au premier rang duquel Dirichlet. Nous étudierons les évolutions de ces définitions,
et en particulier les travaux fondateurs de Riemann. Puis, en évoquant les notions
qui ont permis aux mathématiciens de traiter des problèmes annexes, en partic-
ulier autour des questions fondant la théorie des ensembles et la topologie, nous

2
constaterons les bouleversements qu’engendrèrent les théories de Peano, Jordan et
Borel, et plus particulièrement ce dont s’est inspiré Lebesgue pour construire ce
qui deviendra la théorie de la mesure adoptée par les mathématiciens à partir du
XX ème siècle.

3
1 Les prémices de l’intégrale

1.1 Intégration et séries trigonométriques

Si Jean Baptiste Joseph Fourier (1768-1830) n’a pas consacré ses études mathé-
matiques à la théorie de l’intégration, sa Théorie analytique de la chaleur [Fourier, 1822]
fut un élément central pour le développement de cette théorie, ou plutôt de ces
théories. Son étude sur les séries trigonométriques favorisa l’émergence de nou-
veaux questionnements sur lesquels de nombreux mathématiciens du XIX ème siè-
cle allaient se pencher : nombre de travaux sur l’intégrale furent motivés par les
propriétés de convergence des séries de Fourier, et comme nous allons le voir tout
au long de cet article, les deux théories progressèrent simultanément.
Après avoir intégré l’École Normale en 1795 1 , Fourier eut l’occasion d’enseigner
à l’École Polytechnique en 1797, puis de faire partie de l’expédition d’Égypte en
1798. Remarqué pour ses qualités d’organisateur, il fut nommé à la préfecture
de l’Isère en 1801 2 , et c’est à Grenoble que Fourier s’intéresse à la théorie de
la propagation de la chaleur. Il présenta son mémoire à l’Académie des Sciences,
la Théorie analytique de la chaleur [Fourier, 1822], en 1807. Cette dernière sera
écartée pour manque de rigueur et pour son côté novateur. Néanmoins, ce même
mémoire recevra en 1811 le prix de l’Académie, et ne sera publié qu’en 1822.

Rappelons dans un premier temps que Fourier avait une approche des notions
de fonction, de continuité, de discontinuité, d’infini, ou d’aire, sensiblement dif-
férentes de la conception contemporaine.

Fourier ayant reçu son éducation au XV III ème siècle, il conservait la même
notion d’une fonction discontinue que Leonhard Euler (1707-1783), le plus grand
analyste de ce siècle. Apparemment, ce dernier voyait les fonctions discontinues
comme des fonctions qui se définissaient par morceaux, à l’aide de plusieurs for-
mules ; Fourier aurait gardé cette idée-là.

Par exemple, Fourier considère la fonction :


(
e−x si x > 0
f (x) =
ex si x < 0
comme une fonction discontinue ; nous la considérerions continue aujourd’hui.
1. L’École Normale fut créée en octobre 1794, Fourier fut donc l’un des premiers élèves. Il y
suivra entre autres les cours de Lagrange, Laplace et Monge.
2. nommé par Bonaparte ; il y restera de 1801 à 1815.

4
“On voit ici un second exemple d’une fonction d’une fonction
Z ∞
discon-
2 dq cos qx
tinue exprimée par une intégrale définie. Cette fonction π
0 1 + q2
−x x
équivaut à e lorsque x est positive, mais elle est e lorsque x est néga-
tive.” 3

On pourrait croire qu’en utilisant le terme “fonction arbitraire” dans sa Théorie


analytique de la chaleur [Fourier, 1822], Fourier se faisait une idée très générale de
la notion de fonction :

“En général, la fonction f x représente une suite de valeurs ou d’or-


données dont chacune est arbitraire. L’abscisse x pouvant recevoir une
infinité de valeurs, il y a un pareil nombre d’ordonnées f x. Toutes ont
des valeurs numériques actuelles, ou positives, ou négatives, ou nulles.
On ne suppose point que ces ordonnées soient assujetties à une loi com-
mune ; elles se succèdent d’une manière quelconque, et chacune d’elles
est donnée comme le serait une seule quantité.” 4

“Cette équation sert à développer une fonction arbitraire f x en une


suite de sinus et de cosinus d’arcs multiples. La fonction f x désigne
une fonction entièrement arbitraire, c’est-à-dire une suite de valeurs
données, assujetties ou non à une loi commune, et qui répondent à
toutes les valeurs de x comprises entre 0 et une grandeur quelconque
X.” 5

Cependant, en pratique, Fourier considérait une fonction “arbitraire” comme


une fonction qui “ne peut pas se décrire à l’aide d’une seule équation”, à l’in-
star de ses prédécesseurs. On peut imaginer que Fourier pensait ces deux notions
équivalentes.

La thèse de Fourier était avant tout destinée à l’étude de l’équation de la


chaleur :
∂T
= K∆T
∂t
3. Théorie analytique de la chaleur, [Fourier, 1822] p.435
4. Théorie analytique de la chaleur, [Fourier, 1822] p.554
5. Théorie analytique de la chaleur, [Fourier, 1822] p.552

5
où ∆ désigne le Laplacien.
En dimension 1, Jean Le Rond D’Alembert (1717-1783) avait prouvé 6 en 1747
grâce à l’étude de la corde vibrante - pour laquelle les ondes vérifiaient le même
type d’équation - que les solutions étaient de la forme :
1
T (x, t) = [f (x + t) + f (x − t)]
2
où f devait être continue pour D’Alembert, mais pouvait être discontinue pour
Euler (continue et discontinue au sens du XV III ème siècle).
Plus tard, Daniel Bernoulli (1700-1782) montrait que cette fontion f doit néces-
sairement être de la forme :
πx 2πx 3πx
f (x) = a1 sin( ) + a2 sin( ) + a3 sin( ) + ...
L L L
où L désigne la longueur de la corde vibrante. Bernoulli émit alors l’hypothèse
que n’importe quelle fonction “arbitraire” définie sur un intervalle fini de longueur
L peut s’écrire sous la forme d’une série trigonométrique. Il resterait à savoir ce
que Bernoulli entendait par fonction “arbitraire”, même s’il s’agissait probablement
de la même notion que celle de Fourier. Dans tous les cas, la nécessité de cette
forme n’était pas claire pour de nombreux mathématiciens, dont D’Alembert, qui
certes considérait que les fonctions de Bernoulli étaient solutions de l’équation de
la chaleur, mais ne pensait pas que ces fonctions étaient les seules.
Fourier s’est certainement inspiré des résultats de Bernoulli pour ses travaux,
puisqu’il cherchait à prouver que toute fonction bornée définie sur un intervalle de
longueur 2a peut s’écrire sous la forme
+∞
1 nπx nπx
X    
f (x) = a0 + (an cos + bn sin )
2 n=1 a a
avec
1Z a nπx
 
an = f (x) cos dx
a −a a
1Z a nπx
 
bn = f (x) sin dx
a −a a

Comme beaucoup de mathématiciens du XV III ème siècle, Fourier voyait le


procédé d’intégration comme le calcul d’une aire, et non comme le procédé inverse
de la dérivation :
6. cf. Recherches sur la courbe que forme une corde tenduë mise en vibration
[D’Alembert, 1747]

6
“Il faut en général, pour construire les valeurs des coëfficients a b c d e...
etc., imaginer que les courbes, dont les équations sont

y = sin .x, y = sin .2x, y = sin .3x, y = sin .4x, etc.,


ont été tracées pour un même intervalle sur l’axe des x, depuis x = 0
jusqu’à x = π ; et qu’ensuite on a changé ces courbes en multipliant
toutes leurs ordonnées par les ordonnées correspondantes d’une même
courbe, dont l’équation est y = ϕx. Les équations des courbes réduites,
sont :

y = sin .x.ϕx, y = sin .2x.ϕx, y = sin .3x.ϕx, y = sin .4x.ϕx, etc.,

Les aires de ces dernières courbes, prises depuis x = 0 jusqu’à x = π,


seront les valeurs des coëfficients a b c d etc., dans l’équation

1
πϕx = a sin .x + b sin .2x + c sin .3x + d sin .4x + etc.” 7
2

Si nous savons aujourd’hui que le résultat de Fourier n’est pas valable pour
toute fonction “arbitraire”, il reste que son raisonnement va mettre en exergue
les questions que vont se poser de nombreux mathématiciens dans les années qui
suivent.

La première preuve que Fourier donne de son résultat passe par une résolution
de systèmes linéaires. Il prend une fonction “arbitraire”, qu’il développe en série
entière, puis cherche à déterminer les coefficients de Fourier par identification avec
les coefficients de la série entière.

“On examinera, en premier lieu, le cas où il s’agit de réduire en une


série de sinus d’arcs multiples, une fonction dont le développement ne
contient que des puissances impaires de la variable. Désignant une telle
fonction par ϕx, on posera l’équation

ϕx = a sin .x + b sin .2x + c sin .3x + d sin .4x + ... etc.


et il s’agit de déterminer la valeur des coëfficients a, b, c, d,etc.
On écrira d’abord l’équation

7
x2 00 x3 000 x4 iv x5
ϕx = xϕ0 0 + ϕ 0+ ϕ 0+ ϕ 0+ ϕv 0 + ... etc.
2 2.3 2.3.4 2.3.4.5
dans laquelle ϕ0 0, ϕ00 0, ϕ000 0, ϕiv 0, etc. désignent les valeurs que prennent
les coëfficients

d.ϕx d2 .ϕx d3 .ϕx d4 .ϕx


, , , , etc.
dx dx2 dx3 dx4
lorsqu’on y suppose x = 0. Ainsi en représentant le développement
selon les puissances de x par l’équation

x3 x5 x7 x9
ϕx = Ax − B +C −D +E − etc.
2.3 2.3.4.5 2.3.4.5.6.7 2.3.4.5.6.7.8.9

on aura ϕ0 = 0 et ϕ0 0 = A
ϕ00 0 = 0 ϕ000 0 = B
iv
ϕ 0=0 ϕv 0 = C
ϕvi 0 = 0 ϕvii 0 = D
etc. etc.
Si maintenant on compare l’équation précédente à celle-ci

ϕx = a sin .x + b sin .2x + c sin .3x + d sin .4x + e sin .5x + etc.

En développant le second membre par rapport aux puissances de x, on


aura les équations
A = a + 2b + 3c + 4d + 5e + etc.
B = a + 23 b + 33 c + 43 d + 53 e + etc.
C = a + 25 b + 35 c + 45 d + 55 e + etc.
D = a + 27 b + 37 c + 47 d + 57 e + etc.
E = a + 29 b + 39 c + 49 d + 59 e + etc. (a)
Ces équations doivent servir à trouver les coëfficients a, b, c, d, e, etc.,
dont le nombre est infini.” 8

Il donne ensuite une seconde preuve :

8. Théorie analytique de la chaleur, [Fourier, 1822] p.211-212

8
“On peut aussi vérifier l’équation précédente 9 en déterminant immé-
diatement les quantités a1 a2 a3 ...aj etc., dans l’équation :

φx = a1 sin x + a2 sin 2x + a3 sin 3x + ...aj sin jx + ...etc.

pour cela on multipliera chacun des membres de la dernière équation,


par sin ixdx, i étant un nombre entier, et l’on prendra l’intégrale depuis
x = 0 jusqu’à x = π, on aura

S(φx. sin ixdx) =a1 S(sin x. sin ixdx) + a2 S(sin 2x. sin ixdx)+
...aj S(sin jx. sin ixdx) + ... etc.

Or on peut facilement prouver, 1˚ que toutes les intégrales qui entrent


dans le second membre, ont une valeur nulle, excepté le seul terme
ai S(sin ix. sin ixdx) ; 2˚que la valeur de S(sin ix. sin ixdx) est 21 π ; d’où
l’on conclura la valeur de ai , qui est S(φx. sin
1
π
ixdx) 10
.”
2

PR
On peut remarquer que Fourier ne prête pas attention à l’interversion - (que
Fourier notait S), il faudra d’ailleurs attendre les années 1860 pour que Weierstrass
s’intéresse réellement à ce problème. Fourier omet également de se demander si les
intégrales S(φx. sin ixdx) existent pour n’importe quelle fonction φ.

Néanmoins rappelons que l’objectif principal de Fourier était d’obtenir des


résultats pour sa Théorie de la chaleur, et non d’établir des résultats généraux sur
la théorie de l’intégration. Aussi explique-t-il son “manque de rigueur”, notamment
dans le fait qu’il n’ait pas prouvé la convergence de ces séries :

“En général les suites trigonométriques auxquelles nous sommes par-


venus, en développant les diverses fonctions, sont toujours convergentes :
mais il ne nous a point paru nécessaire de le démontrer ici : car les
termes qui composent ces suites ne sont que les coëfficients des termes
des séries qui donnent les valeurs des températures ; et ces coëfficients
affectent des quantités exponentielles qui décroissent très-rapidement,
en sorte que ces dernières séries sont très-convergentes.” 11
9. Il s’agit de l’équation 12 πφx = sin xS(sin x.φxdx) + ... + sin ixS(sin ix.φxdx) + etc. qu’il
veut montrer dans le cas d’une fonction φ impaire - S désigne le signe d’intégration
10. Théorie analytique de la chaleur, [Fourier, 1822] p.235-236
11. Théorie analytique de la chaleur, [Fourier, 1822] p.246-247

9
C’est probablement parce que les fonctions auxquelles il songeait devaient cor-
respondre à une situation physique concrète que Fourier n’était pas préoccupé par
l’existence de fonctions qui ne seraient pas développables en séries trigonométriques.

1.2 Continuité et définition analytique de l’intégrale

Le mathématicien que nous considérons ensuite est Augustin Louis Cauchy


(1789-1857). Même s’il entretint toute sa vie des opinions politiques farouchement
hostiles à la Révolution Française, il ne fait pas de doute que sa carrière fut un
pur produit des réalisations de cette dernière. Professeur à l’École Polytechnique à
partir de 1815, il n’eut de cesse de promouvoir une mathématique toute de rigueur
et de clarté pour faciliter la transmission aux nouvelles élites techniciennes en
formation. C’est donc avant tout dans un but pédagogique qu’il publia en 1821 et
1823 ses Cours d’analyse algébrique [Cauchy, 1821] et son Résumé des leçons sur le
calcul infinitésimal [Cauchy, 1823]. Ainsi ces ouvrages virent apparaître des notions
plus rigoureuses de continuité, discontinuité, limite. Il y donnera de plus sa propre
définition de l’intégrale. L’ensemble de ses notes sera publié en 1829 12 . Ces cours
eurent en outre une influence considérable sur les autres mathématiciens. Abel,
qui avait pourtant eu maille à partir avec Cauchy, ne cachait pas son admiration
pour la modernité de son approche :
“Cauchy est fou, mais actuellement c’est le seul qui sache comment on
doit faire des mathématiques”
(Abel, 1826)

Comme c’était le cas pour Fourier, Cauchy paraît avoir eu une notion de fonc-
tion assez générale. En effet, Cauchy disait que y était une fonction de x si une
valeur particulière de x détermine une valeur de y.
Cependant les notes de cours de 1821 et 1823 semblent indiquer que Cauchy
sépare les fonctions en deux catégories : celles définies par une unique formule,
et celles définies par le fait d’être solution d’une équation donnée. La notion de
fonction est donc généralisée, mais on ne peut toujours pas considérer ces fonctions
comme des fonctions quelconques au sens moderne.

Dans ses notes de 1821, Cauchy décrivait la continuité d’une fonction f en un


point x comme suit :

12. Leçons sur le calcul différentiel, [Cauchy, 1829]

10
“Cela posé, la fonction f (x) sera, entre les deux limites assignées à la
variable x fonction continue de cette variable, si, pour chaque valeur de
x intermédiaire entre ces limites, la valeur numérique de la différence

f (x + α) − f (x)
décroît indéfiniment avec celle de α. En d’autres termes, la fonction
f (x) restera continue par rapport à x entre les limites données, si, entre
ces limites, un accroissement infiniment petit de la variable produit
toujours un accroissement infiniment petit de la fonction elle-même.” 13

Autrement dit, f est continue si pour tout x de l’intervalle :

f (x + α) − f (x) −−→ 0
α→0

On note donc que Cauchy définit la continuité sur un segment et non en un


point ; il s’agirait donc plutôt de continuité uniforme. En revanche, sa définition
de la discontinuité n’est pas comme on pourrait le penser “ne pas être continu”,
mais “ne pas être continu sur chaque voisinage de x”, c’est-à-dire qu’une fonction
sera discontinue en x si tout voisinage de x contient un point où la fonction n’est
pas continue 14 .

“Enfin, lorsqu’une fonction f (x) cesse d’être continue dans le voisi-


nage d’une valeur particulière de la variable x, on dit qu’elle devient
alors discontinue et qu’il y a pour cette valeur particulière solution de
continuité.” 15

Par la suite, cette définition de la discontinuité n’a pas été adoptée. La plupart
des mathématiciens considèraient une fonction comme discontinue lorsqu’elle est
de la forme
13. Cours d’analyse algébrique, [Cauchy, 1821] p.43
14. Par exemple, si l’on considère la fonction :
1 p
q si x = q ∈ Q, p ∧ q = 1
f (x) =
0 sinon
On montre que f est continue sur les irrationnels et discontinue sur les rationnels ; elle
sera donc pour Cauchy discontinue partout, puisque chaque voisinage d’un point contient des
rationnels.
15. Cours d’analyse algébrique, [Cauchy, 1821] p.43

11
n
X
χIi (x)gi (x)
i=1

où les Ii partitionnent l’intervalle sur lequel est définie la fonction, où χ désigne


la fonction indicatrice, et où les gi sont continues (dans le sens d’Euler cette fois).

Par la suite, et notamment dans son Mémoire sur les fonctions discontinues
[Cauchy, 1849], Cauchy reprendra cette définition de la discontinuité, mais avec
les gi continues en son sens :

“On y parvient en considérant les fonctions discontinues comme des


valeurs particulières de fonctions plus générales, mais continues, desquelles
on les tire en réduisant à zéro un paramètre spécial. [...] Ajoutons que,
dans ce cas, la fonction discontinue peut être considérée comme équiv-
alente au produit de la fonction continue donnée par un coefficient qui
se réduise toujours à l’unité entre les limites proposées, et à zéro en
dehors de ces limites.” 16

Cauchy est apparemment conscient qu’il existe d’autres formes de fonctions


discontinues, puisqu’il utilise les termes “il arrive souvent qu’une fonction discon-
tinue...” et “...cessent généralement d’être continues...”.

“Il importe d’observer que les fonctions discontinues introduites dans


le calcul par la considération de l’état initial d’un système ne cessent
généralement d’être continues que pour certaines valeurs des variables
qu’elles renferment. Ainsi, par exemple, il arrive souvent qu’une fonc-
tion discontinue d’une ou de plusieurs variables se confonde entre des
limites données de ces variables avec une certaine fonction continue,
et passe brusquement, hors de ces limites, d’une valeur sensible à une
valeur nulle.” 17

Dans ses notes de 1823 [Cauchy, 1823], Cauchy donne sa définition de l’intégrale
pour une fonction continue sur un intervalle [x0 ; X]. Il commence par partitionner
l’intervalle en x0 < x1 < ... < xn−1 < xn = X, puis considère la somme
16. Mémoire sur les fonctions discontinues, [Cauchy, 1849] p.123-124
17. Cours d’analyse algébrique, [Cauchy, 1849] p.123

12
n
X
S= (xi − xi−1 )f (xi−1 )
i=1

“Or il importe de remarquer que, si les valeurs numériques des élé-


ments deviennent très petites et le nombre n très considérable, le mode
de division n’aura plus sur la valeur de S qu’une influence insensible.” 18

Cauchy va alors montrer que si les normes de deux partitions P et P 0 diffèrent


d’une assez petite quantité, alors les deux sommes S et S 0 vont différer d’une
quantité aussi petite que l’on veut. Ce que l’on noterait aujourd’hui par

|S − S 0 | −−−−−
0
−→ 0
|P −P |→0

La série S est donc une série qui vérifie le critère de Cauchy (un des outils
fondamentaux introduit dans les travaux d’analyse de Cauchy), et qui converge
donc vers un nombre réel que Cauchy appelle l’intégrale définie de f entre x0 et
X.

“...la valeur de S finira par être sensiblement constante ou, en d’autres


termes, elle finira par atteindre une certaine limite qui dépendra unique-
ment de la fonction f (x) et des valeurs extrêmes x0 , X attribuées à la
variable x. Cette limite est ce que l’on appelle une intégrale définie.” 19

Dans la suite de son Résumé des leçons sur le calcul infinitésimal [Cauchy, 1823],
Cauchy va introduire la fonction
Z x
F(x) = f (x)dx (notations de Cauchy)
x0

Il montre que cette fonction, toujours pour f continue, est différentiable ; il


montre en outre que :
– F0 = f.
– Toutes les primitives de f sont de la forme ax f + C où C est constante.
R

– Si π 0 (x) = 0 pour tout x dans [x0 ; X] alors π(x) reste constant sur cet
intervalle.
18. Résumé des leçons sur le calcul infinitésimal, [Cauchy, 1823] p.122-123
19. Résumé des leçons sur le calcul infinitésimal, [Cauchy, 1823] p.125

13
Les deux résultats en question, que nous appelerons “Théorèmes fondamentaux
de l’intégration” :

– Théorème 1 :
d Zx
f (t)dt = f (x)
dx a
– Théorème 2 : Z b
f 0 (t)dt = f (b) − f (a)
a
joueront par la suite un rôle essentiel, lorsque l’on cherchera à préciser sous
quelles hypothèses ils restent valables.
Dans le cas de Cauchy, celui-ci a prouvé le premier théorème fondamental pour
f continue, et le second théorème fondamental pour f et f 0 continues, où l’intégrale
doit être comprise au sens de Cauchy.

Cauchy a d’ailleurs remarqué que l’on peut étendre cette définition aisément
P
aux fonctions f discontinues (en son sens, c’est-à-dire χIi gi , avec les gi continues).
Il suffit simplement de remarquer qu’en une discontinuité c, les deux limites
Z c−ε
lim f
ε→0 x0

Z X
lim f
ε→0 c+ε

existent, et que l’on peut alors définir


Z X Z c−ε Z X
f = lim f + lim f
x0 ε→0 x0 ε→0 c+ε

Les deux théorèmes fondamentaux peuvent alors se prouver pour les fonctions
discontinues en un nombre fini de points. C’est à Peter Gustav Lejeune-Dirichlet
(1805-1859) que reviendra quelques années plus tard le mérite de s’intéresser au
cas où les fonctions sont discontinues sur une infinité de points.

1.3 De la France à l’Allemagne : convergence des séries de


Fourier

Comme nous allons le voir, Dirichlet fut le personnage qui réalisa le transfert en
Allemagne des résultats et méthodes de l’analyse française, et c’est en grande partie
grâce à Dirichlet que la théorie de l’intégration a pu se développer en Allemagne.

14
En 1820, on enseigne la Théorie de la chaleur [Fourier, 1822] à Dirichlet à Cologne.
L’anné suivante, il part à Paris dans le but de suivre de meilleures études. Il alla à
l’Université de Paris ainsi qu’au Collège de France, où il suivit les cours de Fourier.
En 1823 il devient tuteur des enfants du général Foy. La mort de ce dernier lui
fait quitter la France pour retourner en Allemagne fin 1825. Il enseignera par la
suite à l’université de Breslau (1827), au collège militaire de Berlin (1828), puis à
l’université de Berlin (1828-1843). Avec la présence de Dirichlet débute l’“âge d’or
des mathématiques” à Berlin.
En 1829, il publie un papier Sur la convergence des séries trigonométriques qui
servent à représenter une fonction arbitraire entre des limites données [Dirichlet, 1829],
contenant pour la première fois une étude complète sur la convergence des séries
de Fourier. L’article, publié en Français, s’adresse clairement à ses anciens maîtres
parisiens. Ce n’est que huit ans plus tard, en 1837, que Dirichlet publie une nouvelle
version de ses travaux en Allemand 20 .

La notion de fonction quelconque chez Dirichlet se rapproche de la notion


actuelle : une correspondance x 7−→ f (x) arbitraire, et non nécessairement définie
par une équation. Par exemple, à un x rationnel on associe la valeur c, et à un
irrationnel la valeur d.

En outre, Dirichlet utilise la même définition de la continuité que Cauchy :

“f (β) une fonction de β qui reste continue entre les limites 0 et h ;


j’entends par là une fonction qui a une valeur finie et déterminée pour
toute valeur de β comprise entre 0 et h, et en outre telle que la dif-
férence f (β + ε) − f (β) diminue sans limite lorsque ε devient de plus
en plus petit” 21

Comme nous l’avons dit plus haut, la note de 1829 de Dirichlet fut la première
preuve rigoureuse de la convergence de la série de Fourier associée à une fonction f .
Les hypothèses sur f étaient différentes de celles de Fourier, mais il est intéressant
de voir que Dirichlet ne cherche plus à prouver que la série de Fourier converge
vers f (x), mais vers 22
20. Ueber die Darstellung ganz willkürlicher Functionen durch Sinus und Cosinusreihen,
[Dirichlet, 1837]
21. Sur la convergence des séries trigonométriques qui servent à représenter une fonction ar-
bitraire entre des limites données, [Dirichlet, 1829] p.159
22. notons que Dirichlet ne regarde plus les intervalles [−a; a] mais simplement l’intervalle
[−π; π], et que la formule suivante diffère aux points −π et π

15
1
(f (x+ ) + f (x− ))
2
(notations actuelles, Dirichlet utilise quant à lui les notations f (x + ε) et f (x −
ε)).
L’hypothèse faite sur la fonction f est qu’elle ait un nombre fini de maxima,
de minima, et de points discontinus (au sens “non continu”, et non au sens de
Cauchy) entre −π et π.

Afin de prouver la convergence, Dirichlet introduisit les sommes partielles


n
1 X
Sn (x) = a0 + ak cos kx + bk sin kx
2 k=1

dont il montre qu’elles sont égales à

1Zπ sin 21 (2n + 1)(t − x)


Sn (x) = f (t) dt
π −π sin 12 (t − x)
il montra alors la convergence vers la limite énoncée ci-avant.

Suite à cette démonstration, il évoqua le souhait d’étendre sa méthode aux


fonctions f dont les points non continus formeraient ce que nous appelons aujour-
d’hui un ensemble rare :

“Il est nécessaire qu’alors la fonction φ(x) soit telle que, si l’on désigne
par a et b deux quantités quelconques comprises entre −π et π, on
puisse toujours placer entre a et b d’autres quantités r et s assez rap-
prochées pour que la fonction reste continue dans l’intervalle de r à
s.” 23

La note qu’il promet, où cette extension devait être expliquée, ne paru jamais.

Néanmoins, Rudolf Lipschitz (1832-1903) publia dans sa thèse 24 ce qu’il pensait


être une preuve de cette extension, qui s’avèrera en fait défectueuse.
23. Sur la convergence des séries trigonométriques qui servent à représenter une fonction ar-
bitraire entre des limites données, [Dirichlet, 1829] p.169
24. Recherches sur le développement en séries trigonométriques des fonctions arbitraires d’une
variable et principalement de celles qui, dans un intervalle fini, admettent une infinité de maxima
et de minima (De explicatione per series trigonometricas instituenda functionum unius variabilis
arbitrariarum, et praecipue earum, quae per variabilis spatium finitum valorum maximorum et
minimorum numerum habent infinitum, disquisitio), [Lipschitz, 1864]

16
C’est cependant dans cette thèse que Lipschitz introduira pour la première fois
ce que l’on appelle la condition de Lipschitz, condition qui va lui servir à remplacer
l’hypothèse de Dirichlet sur le nombre de maxima et de minima.

Dirichlet remarque par ailleurs que sa définition de l’intégrale ne lui permet


pas de calculer l’intégrale de certaines fonctions, telles que la fonction indicatrice
de Q :

“On aurait un exemple d’une fonction qui ne remplit pas cette condi-
tion, si l’on supposait ϕ(x) égale à une constante déterminée c lorsque
la variable x obtient une valeur rationelle, et égale à une autre constante
d, lorsque cette variable est irrationnelle. La fonction ainsi définie a des
valeurs finies et déterminées pour toutes valeurs de x, et cependant on
n’en saurait la substituer dans la série, attendu que les différentes in-
tégrales qui entrent dans cette série, perdroient toute signification dans
ce cas.” 25

Henri Léon Lebesgue (1875-1941) donnera pourtant une définition qui permet
ce calcul.

On peut remarquer par ailleurs que Dirichlet fut le premier à introduire les
fonctions intégrables comme une catégorie de fonctions.

Mais si Dirichlet s’impose des conditions sur ses fonctions f pour qu’elles soient
intégrables, il ne s’intéressera pas au fait de trouver des propriétés caractéristiques
de f garantissant son intégrabilité. Ce sera Bernhard Riemann (1826-1866), un de
ses étudiants, qui se penchera plus profondément sur la question.

1.4 Critères d’intégrabilité

C’est en effet Riemann, un des mathématiciens les plus inventifs du XIX ème
siècle, qui acheva d’autonomiser le concept de l’intégration.
Après avoir suivi les cours de Carl Friedrich Gauss (1777-1855) à Göttingen en
1846, c’est à Berlin, en 1847, que Riemann suivit les cours de Dirichlet et entra en
contact avec la théorie de l’intégration.
En 1849, il retourna à Göttingen pour préparer son doctorat sous la tutelle de
Gauss.
25. Sur la convergence des séries trigonométriques qui servent à représenter une fonction ar-
bitraire entre des limites données, [Dirichlet, 1829] p.169

17
Il présenta sa thèse, Grundlagen für eine allgemeine Theory der Functionen
einer veränderlichen complesen Grösse [Riemann, 1851], deux ans plus tard. Il
obtint alors un poste d’assistant à Göttingen, et commença à préparer sa thèse
d’habilitation.
Il présente cette dernière en 1854 : Über die Darstellbarkeit einer Function
durch eine trigonometrische Reihe (Sur la possibilité de représenter une fonction
par une série trigonométrique) [Riemann, 1867], où il poursuit les idées de Dirichlet
et donne ses propres conditions d’intégrabilité. Elle ne sera publiée qu’un an après
sa mort, en 1867, par un de ses étudiants de Göttingen : Dedekind. En effet,
Riemann mourut prématurément suite à une santé précaire. En 1863, suite à une
tuberculose, il partait en Italie, où il retrouvait Enrico Betti (1823-1892), Felice
Casorati (1835-1890) et Francesco Brioschi (1824-1897), mathématiciens italiens
qui l’avaient visités à Göttingen lors d’un voyage de 1858. Ces visites et ces relations
privilégiées italo-allemandes constituèrent un socle pour le futur développement
des mathématiques en Italie, comme nous le verrons ensuite.

C’est probablement de la complicité spirituelle entre Dirichlet et Riemann que


naquit chez ce dernier l’envie de poursuivre les travaux de Dirichlet dans sa thèse
d’habilitation.

“Riemann était lié à Dirichlet par une solide complicité reposant sur
une même façon de penser. Dirichlet aimait se rendre claires les notions
d’une façon intuitive ; en parallèle, il se livrait à des analyses logiques
fines de questions fondamentales et évitait les longs calculs autant qu’il
était possible. Sa démarche convenait à Riemann, qui l’adopta et tra-
vailla selon les méthodes de Dirichlet.” 26

Riemann était convaincu tout comme Dirichlet que toute fonction continue de
la variable réelle pouvait se développer en sa série de Fourier. De plus, il considérait
que “les fonctions qui ne sont pas du type considéré par Dirichlet n’arrivent pas
dans la nature” 27 . Pourtant, Riemann jugeait nécessaire de justifier les développe-
ments de Fourier pour des fonctions plus générales : d’une part parce que, selon lui
et Dirichlet, cette théorie peut s’avérer utile dans le calcul infinitésimal ; et d’autre
part car les mathématiques ne se limitent plus aux applications de la physique, mais
26. Development of mathematics in the Nineteenth century, [Klein, 1979] p.234-235
27. Gesammelte mathematische Werke und Wissenschaftlicher Nachlass, [Riemann, 1902]
p.237

18
peuvent servir à ce qu’il nommait les “mathématiques pures” 28 (ayant probable-
ment en tête ce que nous appelons aujourd’hui la théorie analytique des nombres).
Lorsqu’il parle de fonctions quelconques, Riemann suit l’idée de Dirichlet d’une
correspondance arbitraire x 7−→ f (x).

Riemann s’intéressait à savoir quand une fonction quelconque est intégrable.


Reprenant la définition d’intégrabilité de Cauchy, il cherche donc une condition
n
X
équivalente à (xi − xi−1 )f (xi−1 ) “s’approche indéfiniment d’une valeur constan-
i=1
te” lorsque |P | → 0.
Riemann trouve alors un premier critère, que nous noterons (R1 ) :

D1 δ1 + D2 δ2 + ... + Dn δn −−−→ 0
|P |→0

où δi est la longueur des intervalles formant la partition, c’est-à-dire xi − xi−1 ,


et où Di est l’oscillation de la fonction f dans ces intervalles, c’est-à-dire

sup |f | − inf |f |
[xi−1 ;xi ] [xi−1 ;xi ]

(xi −xi−1 )f (xi−1 )


P
Tout comme Cauchy, il notera la limite commune des sommes
Z b
par f (x)dx.
a

Riemann cherche ensuite un second critère. Pour un nombre σ et une partition


P de l’intervalle [a; b], on note s(P, σ) la somme des δi pour lesquels l’oscillation
Di est plus grande que σ. Riemann prétend alors que le critère (R1 ) est équivalent
au critère (R2 ) suivant :

Pour toute paire de nombres strictement positifs ε et σ, il existe un


nombre strictement positif d tel que si P est une partition de norme
plus petite que d, alors s(P, σ) est plus petit que ε.

Si Riemann prouve l’équivalence entre les deux critères, il ne montre pas l’équiv-
alence entre la définition de Cauchy de l’intégrale et le critère (R1 ). Pour lui, il
s’agit juste d’une reformulation de la définition de l’intégrabilité.
On pourra voir plus tard que ce critère (R2 ) est proche de la Jordan-mesurabilité,
et plus particulièrement de ce que Camille Jordan (1838-1922) appellera “mesure
extérieure”.
On peut remarquer que ces deux critères ne font pas intervenir la continuité de
la fonction f . D’ailleurs, Riemann va donner un exemple de fonction, discontinue
28. Gesammelte mathematische Werke und Wissenschaftlicher Nachlass, [Riemann, 1902]
p.238

19
“sur une infinité de points dans chaque intervalle”, et qui va tout de même vérifier
(R2 ). Il s’agit de la fonction :

(2x) (3x) (nx)


f (x) = (x) + + + ... + + ...
22 32 n2
où (x) représente la distance de x à l’entier le plus proche (Riemann prendra
(x) = 0 pour x = 21 , − 12 , 32 , − 23 , ...). (cf. figure 1.4)

Figure 1 – La fonction f(x) de Riemann

Concernant les séries de Fourier, Riemann va examiner le problème avec un


nouveau point de vue. Il part non pas d’une série de Fourier, mais d’une série
trigonométrique

1
Ω(x) = a0 + a1 cos(x) + b1 sin(x) + ... + an cos(nx) + bn sin(nx) + ...
2
où les an et bn deviennent quelconques. Riemann cherchera alors des conditions
nécessaires et suffisantes pour qu’une fonction soit représentée non plus par sa série
de Fourier, mais plus généralement par une série trigonométrique.

La thèse de Riemann soulevait de nouveaux problèmes, et la distinction entre


séries trigonométriques et séries de Fourier va être très importante pour la suite
de l’histoire. Durant les décennies suivantes, les mathématiciens se demanderont
notamment s’il y a unicité des coefficients d’une série trigonométrique, et si ces
coefficients correspondent toujours aux coefficients de Fourier.

20
2 La décennie post-Riemannienne

Comme nous l’avons constaté grâce à Fourier et Cauchy, les débuts de la théorie
de l’intégration naissaient principalement en France.
Suite à Dirichlet et Riemann, les travaux mathématiques concernant l’intégra-
tion migraient en Allemagne. Et comme nous allons le voir, différents événements
ont permis aux Italiens de s’y intéresser à leur tour, et d’autres ont permis aux
Français de voir renaître cet intérêt.

2.1 L’intégration terme-à-terme

À l’époque de Riemann, le “centre intellectuel” des mathématiques se situait


à Berlin. Grâce à Dirichlet et Riemann, certes, mais aussi grâce à l’expansion de
l’empire allemand à cette époque (1865 : guerre contre le Danemark ; 1866 : contre
l’Autriche ; 1870 : contre la France). Ainsi l’Allemagne succédait logiquement à la
France en terme de centre mathématique mondial, et c’est entre autres pour cela
que les idées post-riemanniennes trouvèrent leur berceau là-bas.

Par exemple, en 1870, Heinrich Eduard Heine (1821-1881) joua comme nous
allons le voir un rôle précurseur dans la validité de l’intégration terme-à-terme.
PR
On peut rappeler que Fourier admettait l’interversion - sans se poser la
question de la validité. Plus tard, que ce soit avec Cauchy ou Gauss, on continuait
à admettre cette interversion :

“Considérons une série

(1) u0 , u1 , u2 , u3 , ..., un , ...


dont les différents termes soient des fonctions de la variable x qui
restent continues entre les limites x = x0 , x = X. Si, après avoir mul-
tiplié ces mêmes termes par dx, on les intègre entre les limites dont il
s’agit, on obtiendra une série nouvelle composée des intégrales définies

Z X Z X Z X Z X Z X
(2) u0 dx, u1 dx, u2 dx, u3 dx, ..., un dx, ...
x0 x0 x0 x0 x0

En comparant cette nouvelle série à la première, on obtiendra sans


peine le théorème que nous allons énoncer.

21
THÉORÈME 1. - Supposons que, les deux limites x0 , X étant des quan-
tités finies, la série (1) soit convergente, non seulement pour x = x0 et
pour x = X, mais aussi pour toutes les valeurs de x comprises entre
x0 et X. La série (2) sera elle-même convergente ; et si l’on appelle s
la somme de la série (1), la série (2) aura pour somme l’intégrale
Z X
sdx.” 29
x0

Suite aux travaux d’Heine, la question de l’interversion a commencé à se poser


systématiquement.
Niels Henrik Abel (1802-1829) s’était déjà rendu compte qu’intervertir lim et
n’était pas si évident. Il montrait en 1826 30 que Cauchy avait tort lorsqu’il
P

affirmait qu’une série de fonctions continues en un point a convergeait vers une


fonction également continue en a :

“De cette remarque on déduit immédiatement la proposition suivante :


THÉORÈME 1. - Lorsque les différents termes de la série (1) sont des
fonctions d’une même variable x, continues par rapport à cette variable
dans le voisinage d’une valeur particulière pour laquelle la série est
convergente, la somme s de la série est aussi, dans le voisinage de
cette valeur particulière, fonction continue de x.” 31

Or, le raisonnement de Fourier, à propos de l’unicité des coefficients de Fourier,


reposait sur l’intégration terme-à-terme. Heine se reposa donc la question de la
validité de ce raisonnement.

Le concept de convergence uniforme avait été vaguement suggéré par Abel en


1826, et avait été établi par Karl Theodor Wilhelm Weierstrass (1815-1897) en
1841. En effet, dans un écrit de 1841, Weierstrass distinguait convergence nor-
male et uniforme, mais cet écrit ne sera publié qu’en 1894 (Mathematische Werke,
[Weierstrass, 1894-1927]). Entre temps il parlait de cette convergence dans ses
cours à Berlin : Weierstrass montrait à ses étudiants la validité de l’intégration
terme-à-terme dans le cas d’une convergence uniforme ; mais hormis ses élèves les
mathématiciens ne se sont pas intéressés à ce concept avant Heine.
30. cf. Recherches sur la série 1+(m/1)x+(m(m−1)/1.2)x2 +(m(m−1)(m−2)/1.2.3)x3 +...,
[Abel, 1826]
31. Cours d’Analyse de l’École Royale Polytechnique, [Cauchy, 1821] p.120

22
Ce dernier aurait eu vent des idées de Weierstrass grâce à Georg Cantor (1845-
1918). Ce dernier partait de Berlin en 1867 pour aller à Halle, ville où enseignait
Heine.

Également au courant des travaux de Dirichlet, Heine s’était rendu compte que
la convergence ne pouvait être uniforme au voisinage des points où f (x+ ) 6= f (x− ),
c’est pourquoi il introduisit la notion de convergence uniforme “en général” : une
série converge uniformément “en général” s’il existe un ensemble P fini tel que sur
chaque intervalle de [a; b] ne rencontrant pas P , la convergence est uniforme. Heine
réduisait alors son problème d’unicité à :
+∞
1 X
a0 + an cos(nx) + bn sin(nx) = 0 =⇒ an = 0, bn = 0
2 n=1

dans le cas où la convergence est uniforme “en général” (avec P fini). Sa démon-
stration reprendra les idées de Riemann lorsqu’il distinguait séries trigonométriques
et séries de Fourier (cf. 1.4).

Heine savait que sa condition n’était que suffisante, aussi réussit-il à convaincre
Cantor de s’intéresser au cas où la convergence uniforme en général n’était plus
vérifiée. Ainsi, dans un papier de 1872 32 , Cantor s’intéresse à étendre la proposition
de Heine au cas où l’ensemble P deviendrait infini.

Dans un premier temps, Cantor introduit de nouvelles notions relatives aux


ensembles infinis.
Il définit ce qu’est un point d’accumulation d’un ensemble P , point dont le
voisinage contient un sous-ensemble infini de P . Il définit ensuite l’ensemble P 0
dérivé de P , qui est l’ensemble des points d’accumulation de P . Puis par récurrence
il définit l’ensemble P (ν) dérivé ν-ième de P , qui est l’ensemble dérivé de P (ν−1) .
Si l’ensemble P (ν) est fini, son dérivé sera vide, et Cantor appelera un tel ensemble
P un ensemble de type fini ν.
Plus tard, Cantor nommera ces ensembles de type fini les ensembles de première
espèce. Les autres ensembles seront de seconde espèce.

Ces nouvelles notions seront utiles dans le développement de la topologie, mais


elles nous intéressent également ici : Cantor va montrer que la proposition de Heine
est encore valable lorsque la série converge uniformément excepté sur un ensemble
P de type fini. Il s’agit en fait de la même preuve que celle de Heine - qui prouve
cela pour ν = 0 - que Cantor va étendre par induction aux ensembles de type fini
ν quelconque.
32. Ueber die Ausdehnung eines Satzes aus der Theorie der trigonometrischen Reihen,
[Cantor, 1872]

23
“Theorem. Wenn eine Gleichung besteht von der Form :

(1) 0 = C0 + C1 + ... + Cn + ...,


wo C0 = 21 d0 ; Cn = cn sin nx+dn cos nx, für alle Werthe von x mit Aus-
nahme derjenigen, welche den Punkten einer im Intervalle (0...(2π))
gegebenen Punktmenge P der ν ten Art entsprechen, wobei ν eine be-
liebig grosse ganze Zahl bedeutet, so ist :

d0 = 0, cn = dn = 0.” 33

On peut remarquer que si Heine et Cantor ont prouvé l’unicité des coefficients,
ils ne se sont pas penchés sur la nature de ces coefficients. Ce furent deux Italiens,
Giulio Ascoli (1843-1896) et Ulisse Dini (1845-1918), qui se demandèrent si ces
coefficients sont bien ceux décrits par Fourier.

Les mathématiques italiennes étaient également en pleine expansion à cette


époque. En effet, les mouvements révolutionnaires de 1848 (que l’on nommera
“Printemps des Peuples”) ont permis l’indépendance de l’Italie 34 . D’ailleurs, les
intellectuels italiens, et notamment les mathématiciens comme Betti, ont largement
participé à ce “Printemps des Peuples”.

Cette indépendance a entre autres donné un second souffle à l’École Normale


de Pise 35 , dont Dini et Betti prendront la direction de 1865 à 1876.

En outre, les mathématiques allemandes auront une grande influence sur les
mathématiques italiennes. En effet, comme nous l’avons déjà remarqué (cf. 1.4),
les Italiens auront des liens privilégiés avec les Allemands, et ce jusqu’à l’aube de
la première guerre mondiale. On l’a vu avec Riemann : Betti, Brioschi et Casorati
sont venus lui rendre visite à Göttingen en 1858 ; et Riemann a rejoint Betti en
1863 suite à ses problèmes de santé. Par ailleurs, ces trois Italiens sont également
passés à Paris et Berlin au cours de leur visite.

Ainsi, notamment grâce à Riemann, les mathématiciens italiens étaient au


courant des avancées de la théorie de l’intégration. De plus, l’Italien Dini tra-
vaillait sur la représentation en séries de Fourier durant les années 1870, ce qui lui
permit d’être au courant des travaux de Heine et Cantor.
34. Première guerre d’indépendance
35. créée en 1810

24
Aussi, entre 1872 et 1874, Ascoli et Dini se penchèrent à leur tour sur le prob-
lème de l’unicité des coefficients dans une série trigonométrique.
Ils prouvèrent non seulement l’unicité - dans le cas où l’ensemble des points
de discontinuité est fini pour Ascoli 36 , et dans le cas où le dérivé de cet ensemble
est fini pour Dini 37 - mais ils montrèrent de plus que ces coefficients étaient bel et
bien les coefficients introduits par Fourier :
1 Zb
an = f (x) cos(nx)dx
b−a a
1 Zb
bn = f (x) sin(nx)dx
b−a a
Là encore, leurs preuves sont basées sur les premiers résultats de Riemann sur
les séries trigonométriques (cf. 1.4).

Un pas supplémentaire a été franchi avec l’Allemand Paul Du Bois-Reymond


(1831-1889), qui en 1874 prouva le même résultat pour des fonctions uniquement
supposées Riemann-intégrables. Sa démonstration est semble-t-il longue et pénible,
mais a eu le mérite de montrer l’importance de l’intégrale de Riemann dans la
théorie des séries de Fourier.

Quant aux mathématiques françaises, ces dernières ont connu un certain déclin
suite à la défaite de 1870 contre la Prusse. Pasteur, par exemple, critiquait la faib-
lesse des sciences françaises, notamment de l’École Polytechnique, et les rendait
coupable de cette défaite. Cependant, les scientifiques français souhaitaient “re-
construire” leur renommée internationale :

“Je vous disais donc quand M. Chasles est venu que nous avons besoin
de refaire notre enseignement supérieur. Je pense que vous êtes du
même avis, les Allemands nous enfoncent par le nombre, là comme
ailleurs. Je crois que si cela continue les Italiens nous dépasseront avant
peu. Aussi tâchons avec notre Bulletin de réveiller ce feu sacré et de
faire comprendre aux Français qu’il y a un tas de choses dans le monde
dont ils ne se doutent pas, et que si nous sommes toujours la Grrrande
nation, on ne s’en aperçoit guère à l’étranger.” 38
36. cf. Ueber trogonometrischen Riehen, [Ascoli, 1873]
37. cf. La serie de Fourier, [Dini, 1874]
38. 1870, correspondance entre Darboux et Houël, cf. cours de Laurent Mazliak

25
C’est dans ce Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques, créé par
Jean Gaston Darboux (1842-1917) en 1869, que ce même Darboux publia la tra-
duction française de la thèse d’habilitation de Riemann, en 1873, permettant à la
France de se tenir au courant des avancées de la théorie de l’intégration.

Deux ans plus tard, en 1875, Darboux publia un Mémoire sur les fonctions
discontinues, ouvrage dôté d’une grande précision et d’une grande rigueur.

“Au risque d’être trop long, j’ai tenu avant tout, sans y réussir peut-
être, à être rigoureux. Bien des points, qu’on regardait à bon droit
comme évidents ou que l’on accorderait dans les applications de la sci-
ence aux fonctions usuelles, doivent être soumis à une critique rigoureuse
dans l’exposé des propositions relatives aux fonctions les plus générales.” 39

Il reprit notamment les résultats de Heine et Cantor, et réécrivit une preuve


de l’intégrabilité d’une série uniformément convergente, ainsi qu’une preuve de
la validité de l’intégration terme à terme (toujours pour une série uniformément
convergente).
Darboux donna de plus un exemple de convergence non uniforme où l’intégra-
tion n’est pas valide, et tenta de justifier cette non-validité par le fait que la série
n’est pas uniformément bornée sur l’intervalle d’intégration.

“Une série peut être toujours convergente dans un intervalle donné,


sans être uniformément convergente dans cet intervalle. En voici un
premier exemple. Considérons la série

2 −x2 2 x2 2 x2
[n2 x2 e−n − (n + 1)2 x2 e−(n+1)
X
xe = ],
1

qui est convergente pour toute valeur de x. La série n’est pas égale-
ment convergente dans l’intervalle (0, 1). En effet, le reste Rn a pour
expression
2 x2
Rn = n2 x2 e−n ;
il tend vers 0 avec n1 , quelle que soit la valeur fixe donnée à x. Mais,
dans l’intervalle (0, 1), il y a toujours une valeur de x égale à n1 pour
39. Mémoire sur la théorie des fonctions discontinues, [Darboux, 1875] p.58

26
laquelle on a Rn = 1e . Donc Rn ne peut pas être rendu, quel que soit
x, plus petit que σ pour une valeur fixe donnée à n ; son maximum ne
tend pas vers zéro quand n augmente indéfiniment. Si l’on prenait la
série
2 x2 2 x2
[n2 xe−n − (n + 1)2 xe−(n+1)
X
],
le reste Rn tendrait bien vers zéro avec n1 , pour toute valeur fixe de x ;
mais la valeur maximum ne dans l’intervalle (0, 1), au lieu de tendre
vers zéro, croîtrait indéfiniment avec n.” 40

Cependant, Darboux ne fait qu’effleurer cette idée : il n’introduit pas la notion


d’“uniformément bornée”, et n’avait apparemment pas idée de l’importance de
cette notion dans l’intégration terme à terme.

2.2 Un peu de topologie, et les confusions qui s’y rat-


tachent

Depuis l’étude de Dirichlet sur les séries trigonométriques (cf. 1.3), les points de
discontinuité semblaient être le cœur du problème de l’intégrabilité d’une fonction.
Ainsi l’étude de l’ensemble de ces points paraissait naturelle, et notamment les
propriétés que cet ensemble devait vérifier.

C’est dans ce besoin d’étudier les ensembles que naquirent les premiers concepts
de topologie.

Si nous voulions “mesurer” un ensemble de nos jours, nous pourrions procéder


de plusieurs façons : par cardinalité, par densité, ou par mesure. Durant les an-
nées 1870-1880, comme nous pourrons le constater, les mathématiciens qui s’in-
téressaient à l’intégration eurent tendance à confondre les deux premières notions.
Cette confusion, à l’évidence, provenait principalement du fait que des exemples
concrets d’ensembles rares étaient alors inconnus.

Pourtant, en 1875, Henri John Stephen Smith (1826-1883) donnait des exemples
et des méthodes de construction de tels ensembles 41 :

40. Mémoire sur la théorie des fonctions discontinues, [Darboux, 1875] p.77-78
41. Smith qualifiera les ensembles rares de “in loose order”

27
“Let m be any given integral number greater than 2. Divide the interval
from 0 to 1 into m equal parts ; and exempt the last segment from any
subsequent division. Divide each of the remaining m − 1 segments into
m equal parts ; and exempt the last segment of each from any subsequent
division. If this operation be continued ad infinitum, we shall obtain an
infinite number of points of division P upon the line from 0 to 1. These
points are in loose order [...]” 42

Le premier exemple de Smith ressemble à ce que l’on appelle aujourd’hui


l’ensemble de Cantor : on divise l’intervalle [0; 1] en m parties égales (m > 2), puis
on enlève la dernière partie. On considère ensuite les m − 1 intervalles restants,
sur lesquels on répète l’opération (cf. 2.2)

Figure 2 – Construction de l’ensemble de Smith pour m = 3

T
Si l’on note En le n-ième ensemble obtenu, alors En est l’ensemble rare décrit
par Smith.

Le seconde exemple de Smith est l’ensemble P2 = { a11 + 1


a2
, a1 , a2 ∈ N}, qu’il
étend ensuite aux ensembles Pn par induction.

“Let a system of points Ps+1 be defined by the equation

1 1 1
x= + + ... + ,
a1 a2 as+1
where a1 , a2 , ..., as+1 are positive integers. Assuming (what has just been
proved for s = 2) that the system Ps is in loose order over the whole
42. On the integration of discontinuous functions, [Smith, 1875] p.145-146

28
interval from 0 to 1, we shall prove the same thing for the system Ps+1 .
Let x = L1 , x = L2 be any two consecutive points of the system Ps ;
and consider as before the interval ( µLµ+1 1 +L2
, L2 ). If the point Ps+1 , or
1 1 1
x = a1 + a2 + ... + as+1 , lies on this interval, we must have, besides the
inequality

1 1 1 µL1 + L2
+ + ... + = ,
a1 a2 as+1 µ+1
the s + 1 inequalities included in the formula

1 1 1 1
+ + ... + 5 L1 + ,
a1 a2 as+1 ai
because no point of the system Ps can be between L1 and L2 . These
inequalities give

µ+1
ai 5 , i = 1, 2, 3, ..., s + 1,
L2 − L1
whence we may infer, precisely as in the case in which s = 2, that the
points Ps+1 are in loose order over the whole of interval from 0 to 1. 43

Cependant Smith ne sera que peu lu, et il faudra attendre Vito Volterra (1860-
1940) en 1881 et Cantor en 1883 pour rendre ces exemples connus 44 .

Ainsi Hermann Hankel (1839-1873), en 1870 [Hankel, 1870], confondait les en-
sembles rares et les ensembles inclus dans des intervalles de longueur arbitraire-
ment petite (c’est-à-dire de mesure nulle). En fait, Hankel confondait les ensembles
“topologiquement négligeables” (appelés aujourd’hui ensembles rares) avec les en-
sembles négligeables du point de vue de la mesure.

En 1880, Axel Harnack (1851-1888) confondait également deux notions. Il ap-


pelait [Harnack, 1880] ensembles de première espèce les ensembles pouvant être
inclus dans un nombre fini d’intervalles de longueur arbitrairement petite, con-
sidérant que cette définition était une reformulation de celle de Cantor (cf. 2.1),
et confondant ainsi les ensembles de première espèce (ceux de Cantor) avec les
ensembles de mesure nulle.
43. On the integration of discontinuous functions, [Smith, 1875] p.145-146
44. On parlera des ensembles de Smith-Volterra-Cantor, ou SVC

29
Quant à Lipschitz, il prouvait [Lipschitz, 1864] le résultat de Cantor à propos
de la validité de l’intégration terme-à-terme pour P (n) fini 45 (il le prouvait pour
P 0 , mais son résultat peut s’étendre aux ensembles de première espèce), mais il
en concluait à tort que le résultat était vrai pour P rare. Il confondait donc les
ensembles rares et de première espèce.

Seul Dini, dans un papier de 1878 pourtant [Dini, 1878], ne confondait pas P de
première espèce et P rare. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que la plupart
des preuves dans l’article de Dini impliquant des ensembles P de première espèce
peuvent s’étendre aux ensembles P de mesure nulle.

C’est avec Cantor que les trois notions commencent réellement à se distinguer.

On a déjà vu le travail de Cantor de 1872 sur les ensembles infinis, où ce dernier


introduisait les ensembles dérivés 46 . En 1873, il introduisit le concept d’ensembles
dénombrables. Et en 1879, il utilisait le vocable d’ensembles “de première espèce”
et d’ensembles “rares” pour la première fois.

Hier kann es nun vorkommen, dass der Progress der Ableitungen


P 0 , P 00 , ... zu einer Ableitung P (n) führt, welche aus Punkten besteht,
die in jedem endlichen Bereiche nur in endlicher Anzabl vorkommen,
so dass P (n) keine Grenzpunkte und folglich auch keine Ableitung hat ;
in diesem Falle sagen wir von der Punktmenge P , dass sie von der
ersten Gattung und von der nten Art sei. Bricht aber die Reihe der
Ableitungen von P , die Reihe P 0 , P 00 , P 000 , ...P (ν) , ... nicht ab, so sagen
wir, dass die Punktmenge P von der zweiten Gattung sei. 47

L’intérêt que portait Cantor à la théorie des ensembles lui viendrait de sa


corrélation avec la théorie des fonctions de la variable réelle, et notamment avec
la théorie de l’intégration. On l’a vu avec Heine 48 , et cet intérêt a certainement
grandi suite au papier de Dini utilisant les ensembles de première espèce qu’il avait
introduits en 1872.
En 1880, il introduisit 49 les concepts d’union et d’intersection, ce qui l’amèna
à introduire les ensembles parfaits, tels que P 0 = P , puis les ensembles fermés 50 ,
tels que P 0 ⊂ P .
45. cf. 2.1
46. cf. 2.1
47. Ueber unendliche, lineare Punktmannichfaltigkeiten, [Cantor, 1879]
48. cf. 2.1
49. cf. Ueber unendliche, lineare Punktmannichfaltigkeiten, [Cantor, 1880]
50. cf. Ueber unendliche, lineare Punktmannichfaltigkeiten, [Cantor, 1884]

30
Emile Borel (1871-1956), dont nous parlerons plus tard, s’inspirera beaucoup
des notions topologiques de Cantor pour introduire sa notion de mesure.

2.3 Les intégrales par excès et par défaut

Comme nous l’avons évoqué en première partie, Riemann considérait comme


équivalents la convergence des séries de Cauchy
n
X
f (xi−1 )(xi − xi−1 )
i=1
n
X
et la convergence de la série Di δi vers 0 (critère (R1 )).
i=1

Ce n’est qu’en 1875 que cette équivalence sera prouvée. Carl Johannes Thomae
(1840-1921), mathématicien allemand, introduisit 51 pour cela les sommes partielles
X X
Mi δi et mi δi
où les Mi et mi sont les extrema de la fonction. Puis il prouva que ces deux
sommes convergent toujours lorsque la fonction est bornée, qu’elle soit Riemann-
intégrable ou non. Il montra ensuite que l’égalité des deux limites équivaut à la
fois au critère (R1 ) et à la convergence des séries de Cauchy, ce qui achève la
démonstration.

Les termes “intégrale par excès” et “intégrale par défaut”, correspondants aux
limites des deux séries introduitesR par RThomae, seront introduits plus tard par
Volterra 52 , ainsi que les notations et .

On peut remarquer que l’Italien Ascoli, le Français Darboux et l’Américain


Smith ont démontré cette même équivalence la même année, ce qui nous fait con-
stater l’importance qu’avait prise la théorie de Riemann à cette époque, surtout
en Europe (Smith était certes Américain, mais il étudiait à Paris, et a passé une
grande partie de sa vie en Europe) 53 .

51. Einleitung in die Theorie der bestimmten Integrale, [Thomae, 1875]


52. Sui principii del calcolo integrale, [Volterra, 1881]
53. pour Smith, cf. On the Integration of Discontinuous Fonctions, [Smith, 1875] p.141-143 ;
pour Ascoli, cf. Sul concetto del integrale definito, [Ascoli, 1875]

31
“Nous formerons ainsi n intervalles, et nous désignerons par Mi , mi ,
∆i la limite maximum, la limite minimum et l’oscillation dans le ième
intervalle. Formons les trois sommes

M = M1 δ1 + M2 δ2 + ... + Mn δn ,
m = m1 δ1 + m2 δ2 + ... + mn δn ,
∆ = ∆1 δ1 + ∆2 δ2 + ... + ∆n δn ,
entre lesquelles existe la relation identique

∆=M −m
Je dis que, lorsqu’on prendra n suffisamment grand, et que tous les in-
tervalles δ tendront vers zéro, les trois sommes précédentes, quelle que
soit la fonction considérée, continue ou discontinue, tendront chacune
vers une limite finie et déterminée, ne dépendant que de la nature de
la fonction et des valeurs extrêmes a, b qui limitent l’intervalle consid-
éré.” 54

Du Bois-Reymond s’intéressait également à ces intégrales par excès et par dé-


faut. Il se demandait notamment s’il existait g et k telles que :
Z x Z x Z x Z x
f= g et f= k
a a a a

Cependant, Du Bois-Reymond n’a publié aucun résultat à ce sujet, probable-


ment parce que l’existence de tels g et k n’est généralement pas assurée.

Néanmoins, un article de Du Bois-Reymond de la même année 55 nous montre


un raisonnement que Lebesgue reprendra beaucoup. Afin de prouver la formule de
l’intégration par parties (dans le cas de l’intégrale de Riemann), Du Bois-Reymond
utilisa la démarche suivante : il commença par prouver la formule pour des fonc-
tions de la forme
X
mj χIj (x)

54. Mémoire sur la théorie des fonctions discontinues, [Darboux, 1875] p.65P

55. Beweis, dass die Coeffizienten der trigonometrischen Reihe f (x) = p=0 (ap cos px +
1
R π 1 π
R 1 π
R
bp sin px) die Werthe a0 = 2π −π
dαf (α), ap = π −π dαf (α) cos pα, b p = π −π dαf (α) sin pα
haben, jedesmal wenn diese Integrale endlich und bestimmt sind, [Du Bois-Reymond, 1875a]

32
appelées aujourd’hui “fonctions en escaliers” ; puis il étendit la formule aux
fonctions f Riemann-intégrables, en utilisant le fait que les intégrales des fonctions
Z b
en escalier convergent vers f pour des mj bien choisis.
a

2.4 L’intégration et la dérivabilité

Si l’ambiguïté entre P rare et P de type fini a freiné l’évolution de la théorie


de l’intégration, il en fut de même pour la dérivabilité. En effet, lorsque la théorie
de l’intégration de Riemann s’est mise en place, les mathématiciens n’avaient pas
encore idée de tous les cas atypiques qui pouvaient se présenter, et ce n’est qu’au fil
de leurs recherches que certains d’entre eux vont commencer à trouver des fonctions
spéciales, qui comme nous allons le voir contrediront les théorèmes fondamentaux
de l’intégration.

À l’époque où Fourier introduisait ses séries, André Marie Ampère (1775-1836)


pensait que la continuité entrainait la dérivabilité, sauf en certains points. En 1806,
il pensait avoir prouvé qu’une fonction continue possédait une dérivée non nulle
et non infinie “à l’exception de certaines valeurs particulières et isolées de x” 56 .
En réalité, sa conclusion ne correspondait pas aux résultats qu’il établissait, mais
personne ne l’a mise en doute jusqu’à ce que Hankel trouve une fonction continue
dont la dérivée n’existe pas sur un ensemble dense.
En fait, Weierstrass et Riemann considéraient déjà le résultat faux, mais Han-
kel, inspiré par la fonction de Riemann (cf. figure 1.4), publia le premier contre-
exemple avec la fonction

Z xX
(nx)
F (x) = 2
0 i=1 n

où (x) est la distance entre x et l’entier le plus proche ((x) = 0 si x =


1
2
, − 21 , 32 , − 32 , ...).

On a vu que la fonction sous l’intégrale était discontinue sur un dense, mais


Riemann-intégrable. Ce résultat permit à Hankel de montrer en 1871 57 que la
fonction F est continue partout, mais non dérivable sur un dense.
56. Recherches sur quelques points de la théorie des fonctions dérivées qui conduisent à une
nouvelle démonstration de la série de Taylor, [Ampère, 1806] p.149
57. cf. Grenze, Allgemeine Encyklopädie der Wissenschaften und Künste, [Hankel, 1871] p.199-
200

33
Ainsi le premier théorème fondamental ne peut s’appliquer sur F , et le raison-
nement de Cauchy, selon lequel le premier théorème implique le second, ne peut
pas non plus s’appliquer.
Weierstrass donna quant à lui, en 1872, un exemple de fonction continue dériv-
able nulle part 58 .

“Es sei x eine reelle Veränderliche, a eine ungrade ganze Zahl, b eine
positive Constante, kleiner als 1, und

bn cos(an xπ);
X
f (x) =
n=0

so ist f (x) eine stetige Function, von der sich zeigen lässt, dass sie,
sobald der Werth des Products ab eine gewisse Grenze übersteigt, an
keiner Stelle einen bestimmten Differentialquotienten besitzt.” 59

La première publication d’un tel résultat se fit en 1875 avec Du Bois-Reymond,


et la même année Darboux donna aussi son propre exemple :

“Nous terminerons en donnant un exemple d’une fonction qui n’a de


dérivée pour aucune valeur de la variable. Soit

X sin[1.2.3...(n + 1)x]
f (x) =
1 1.2.3...n
[...]” 60

Dans son Mémoire [Darboux, 1875], Darboux voulut en outre prouver le deux-
ième théorème fondamental indépendamment du premier, afin de contourner la
raisonnement de Cauchy. Il y parvint en utilisant le théorème des accroissements
finis, avec pour simple hypothèse le fait que f 0 soit intégrable.

58. Apparemment Bolzano avait déjà trouvé une telle fonction en 1861, mais cet exemple n’a
pas été publié avant 1930
59. Mathematische Werke, [Weierstrass, 1894-1927] p.72
60. Mémoire sur la théorie des fonctions discontinues, [Darboux, 1875] p.107

34
“Il semble difficile d’indiquer un caractère général qui permette de
reconnaître si une fonction f (x) a une fonction primitive, c’est-à-dire
si elle est la dérivée d’une autre fonction.
Dans le cas, toutefois, où f (x) est susceptible d’intégration, la solution
peut être donnée. En effet, s’il existe une fonction F (x) telle que

F 0 (x) = f (x),
on aura

F (x)−F (a) = F (x)−F (xn−1 )+F (xn−1 )−F (xn−2 )+...+F (x1 )−F (a),
ou, en appliquant le théorème des accroissements finis,

F (x) − F (a) = f (a + θ1 δ1 )δ1 + f (x1 + θ2 δ2 )δ2 + ... + f (xn−1 + θn δn )δn ,


les δ ayant la même signification que dans l’article III, et par con-
séquent F (x) ne pourra être que l’intégrale définie
Z x
C+ f (x)dx.
a
On effectuera cette intégration et il restera à voir si l’intégrale a pour
dérivée f (x).
Il faut pour cela que l’on ait
Z x+h
f (x)dx = [f (x) + ε]h,
x
ε tendant vers zéro avec h. Or l’intégrale est la limite de
( ! " #)
h h (n − 1)h
f (x) + f x + + ... + f x + ,
n n n
lorsque n croît indéfiniment. Donc, pour qu’une fonction susceptible
d’intégration soit la dérivée d’une autre fonction, il faut et il suffit que
sa valeur moyenne dans l’intervalle (x, x + h)
( ! " #)
1 h (n − 1)h
lim f (x) + f x + + ... + f x +
n n n
devienne égale à f (x) quand h tend vers zéro. h doit être pris succes-
sivement positif et négatif.” 61
61. Mémoire sur la théorie des fonctions discontinues, [Darboux, 1875] p.111-112

35
Dini, suite à ces découvertes sur la dérivabilité, souleva en 1877 le problème
suivant : étant donné les nombreux théorèmes qui se basent sur le fait que la
continuité entraine la dérivabilité, les mathématiciens se doivent soit d’étendre ces
théorèmes, soit d’étendre le concept de la dérivabilité.
C’est cette dernière solution que Dini envisagea, en introduisant les dérivées à
droite :

f (x + h) − f (x)
D+ f (x) = lim inf
h&0 h
f (x + h) − f (x)
D+ f (x) = lim sup
h&0 h
et les dérivées à gauche :

f (x − h) − f (x)
D− f (x) = lim inf
h&0 −h
f (x − h) − f (x)
D− f (x) = lim sup
h&0 −h

Ces notions avaient déjà été introduites par Ernest Lamarle (1806-1875) en
1855, et par Louis-Philippe Gilbert (1832-1892) en 1873 62 .

“Pour chacun des intervalles, dont il vient d’être fait mention, l’on a
généralement :

f (x + h) − f (x) f (x) − f (x − h)
lim = lim = f 0 (x)
h h
et la limite f 0 (x) est une fonction continue de la variable x. Néanmoins,
il est possible que, pour certaines valeurs particulières, xa , xb , xc , etc.,
comprises dans l’un quelconque de ces intervalles, les limites des deux
rapports f (x+h)−fh
(x) f (x)−f (x−h)
, h
cessent tout à coup d’être égales.” 63

Mais c’est Dini qui montra un théorème des plus intéressants : quelque soit l’in-
tervalle sur lequel on se place, ces quatre fonctions ont la même borne supérieure.
62. cf. Mémoire sur l’existence de la dérivée dans les fonctions continues, [Gilbert, 1873]
63. Étude approfondie sur les fonctions lim f (x+h)−f h
(x)
= f 0 (x) et dy = f 0 (x).∆x,
[Lamarle, 1885] p.52

36
Ce qui permit à Dini de montrer ensuite que si l’une des quatre dérivées est
Riemann-intégrable sur un intervalle, alors les trois autres aussi, et les quatre
ont la même intégrale.
C’est ainsi qu’en 1878 64 , Dini généralise le deuxième théorème fondamental de
la façon suivante : si F est continue et si l’une des dérivées DF (à gauche ou à
droite) est Riemann-intégrable, alors
Z b
DF = F (b) − F (a)
a
et ce pour les quatre dérivées DF .
Par ailleurs, Dini montra que la condition “DF est intégrable” est nécessaire,
même si sa preuve n’était pas constructive : il considérait une fonction F telle
Z β
que DF = 0 et telle que F (β) − F (α) 6= 0, mais il n’explicitait pas de telle
α
fonction. (en fait, pour prouver l’existence d’une telle fonction, Dini aurait eu
besoin de connaître des ensembles rares de mesure positive)
De plus, ZDini fit la remarque suivante : si f est une primitive de F , c’est-à-
x
dire F (x) = f , alors les quatres dérivées de Dini différent de f d’une fonction
a
“d’intégrale nulle”, c’est-à-dire que

DF (x) = f (x) + n(x)


où n(x) est une fonction d’intégrale nulle quelque soit l’intervalle considéré.
On voit qu’ici Dini se rapproche de la théorie de la mesure, puisque ce résultat
équivaut au résultat que nous connaissons aujourd’hui sous la forme
d Zx
f = f (x) presque partout
dx a
ou
d Zx
f = f (x) sauf sur un ensemble de mesure nulle.
dx a

2.5 Étendre la théorie de Riemann

Même si le théorème de Dini renforce la validité de la théorie de l’intégration de


Riemann, les trop nombreux cas où les théorèmes fondamentaux ne s’appliquent
pas vont encourager les mathématiciens à vouloir étendre cette théorie.
64. Fondamenti per la teorica della funzioni di variabili reali, [Dini, 1878]

37
Jusque là, les principaux problèmes de la théorie de Riemann étaient :
– L’intégrale de Riemann n’est définie que pour les fonctions bornées. Et bien
qu’on ait essayé de l’étendre aux fonctions non bornées il s’agit simplement
d’une extension a posteriori.
– L’exemple de Hankel de 1871 (cf. 2.4) fournit un contre-exemple au premier
théorème fondamental.
– Les ensembles de Smith-Volterra-Cantor vont fournir un contre-exemple au
deuxième théorème fondamental.
– Une suite bornée de fonctions intégrables ne converge pas forcément vers une
fonction intégrable.
– La validité de l’intégration terme-à-terme n’a été prouvée qu’avec des con-
ditions suffisantes, mais il s’avère difficile de trouver des conditions équiva-
lentes.

Le premier point a été étudié par Du Bois-Reymond en 1875. On savait étendre


la définition de Riemann aux fonctions discontinues sur un ensemble D fini (cf.
méthode de Cauchy, 1.2), et Du Bois-Reymond montra 65 que cette extension
pouvait aussi s’appliquer aux ensembles de première espèce.
En 1882, Harnack introduisit 66 une nouvelle définition de l’intégrale pour le
cas où cet ensemble D est fini.
Il introduisit dans un premier temps la notion d’égalité “en général” : f et g
sont égales “en général” si l’ensemble des x tels que |f (x) − g(x)| > δ est discret,
Z b
et ce pour tout δ. Il définit alors f comme F (b) − F (a), où F est telle que
a
0
F (x) = f (x) “en général” et F (a) = 0.
Cependant, cette fonction F n’est pas unique, puisque lorsque l’on se donne
g non constante telle que g 0 = 0 sauf sur un ensemble discret, alors la fonction
G = F + g − g(a) vérifie les mêmes hypothèses que F . Il n’y a donc pas unicité de
Z b
ce que Harnack appelle f.
a

En outre, Harnack pensait pouvoir prouver que si f 2 est intégrable, alors f est
somme de sa série de Fourier “en général”. Cette remarque est intéressante car elle
se rapproche des idées de Lebesgue : il suffit de remplacer “en général” par presque
partout, et de voir les intégrales comme des intégrales de Lebesgue.

Si l’intégrale de Harnack possèdait des problèmes de définition, Otto Lud-


wig Hölder (1859-1937) s’en inspira néanmoins pour donner à son tour sa propre
65. Versuch einer Classification der willkürlichen Functionen reeller Argument nach ihren Aen-
derungen in den kleinsten Intervallen, [Du Bois-Reymond, 1875b]
66. cf. Vereinfachung der Beweise in der Theorie der Fourier’schen Reihe, [Harnack, 1882]

38
définition de l’intégrale en 1884 67 , qui cette fois englobe les fonctions où D est
dénombrable, et supprime le problème de l’unicité.
Cependant, si ces définitions paraissent intéressantes pour pallier le problème
des valeurs infinies, l’intégrale de Harnack ne se popularisera jamais, notamment
parce que l’on peut trouver des fonctions telles que
Z x
DF 6= F (x) − F (a) (intégrale de Harnack)
a
Il suffit pour cela de considérer l’escalier de Cantor, fonction croissante de 0 à
1, telle que f (0) = 0 et f (1) = 1, et dont la dérivée s’annule presque partout. On
Z 1
a alors f (1) − f (0) = 1 et DF = 0.
0

Le troisième point fait intervenir les ensembles de Smith (cf. 2.2), mais c’est
Volterra qui se rendit compte en 1881 que ces ensembles fournissaient un contre-
exemple au deuxième théorème fondamental.
L’ensemble que construisit Volterra, rare de mesure strictement positive, ressem-
ble à celui construit par Smith. Il servit d’une part à valider quelques conjectures
faites par Dini, et surtout à trouver une fonction g telle que g 0 existe partout
mais n’est pas Riemann-intégrable, le deuxième théorème fondamental étant alors
inutilisable.
Volterra utilisait ces termes : “dans certains cas, il peut arriver que la définition
habituelle de l’intégrale ne soit pas incluse dans la définition de Riemann” 68 .

En outre, toujours dans cette optique d’étendre la définition de Riemann,


Weierstrass tenta de remplacer le critère (R1 ) par :
n
Di∗ δi → 0
X

i=1

où lesDi∗ sont toujours les oscillations de f , mais prises sans tenir compte des
discontinuités.
Il semblerait que Weierstrass ait toujours eu conscience des limites de la défini-
tion de Riemann. En 1885, il en faisait part à Du Bois-Reymond [Weierstrass, 1923],
probablement après avoir vu que ce dernier avait publié des ouvrages confirmant
ces limites. Du Bois-Reymond fit remarquer à Weierstrass que son extension ne
suffisait toujours pas, puisqu’elle ne prenait toujours pas en compte les fonctions
telles que celles de Volterra.
67. cf. Zur Theorie der trigonometrischen Reihen, [Hölder, 1884]
68. Sui principii del calcolo integrale, [Volterra, 1881] p.334

39
C’est pourquoi Weierstrass s’attela ensuite à donner sa propre définition de
l’intégrale (il écrivait alors à Du Bois-Reymond : “la définition de Riemann doit
être modifiée plus drastiquement que je ne l’ai fait”, Briefe von K. Weierstrass an
Paul Du Bois-Reymond, [Weierstrass, 1923]). En 1886, Weierstrass informa son
ancien étudiant Kowalewsky qu’il avait trouvé un moyen de définir correctement
l’intégrale pour toute fonction définie et bornée sur un ensemble dense. Lors d’une
correspondance avec Koenigsberger, il en parlait dans les termes suivants :

“Soit un intervalle (a...b) donné, tel que dans chaque partie de (a...b)
arbitrairement petite il existe des points où la fonction est définie. Alors
à chaque point où la fonction est définie, je regarde l’ordonnée. [...]
Nous prenons maintenant la définition suivante : imaginons chacune
des ordonnées entourées par un petit rectangle de base égale à δ. Alors
ces rectangles se recoupent. Si nous regardons maintenant l’ensemble de
points constitué par ces points qui sont à l’intérieur de tels rectangles,
on remarque facilement que cela forme un continuum. Ce continuum
possède une étendue Sδ qui est une fonction de δ. [...] On peut main-
tenant montrer que Sδ décroît avec δ, et ainsi s’approche d’une lim-
Z b
ite pour δ = 0. On définit alors d(x)dx = lim Sδ . Cette définition
a δ=0
est justifiée puisqu’elle coïncide avec celle connue pour les fonctions
continues, et puisque les propriétés essentielles de l’intégrale sont con-
servées.” 69

Malheureusement, la définition de Weierstrass ne conservait pas l’additivité de


l’intégrale, c’est pourquoi elle non plus ne sera pas adoptée.

2.6 La notion d’aire : débuts de la théorie de la mesure

Bien que Weierstrass n’y fît pas allusion, sa nouvelle définition de l’intégrale
s’appuyait sur la notion de mesure extérieure, introduite par Cantor en 1884.
Notion dont s’inspirèrent Giuseppe Peano (1858-1932), Camille Jordan et Émile
Borel pour leurs théories de la mesure, comme nous le verrons plus tard.

C’est l’Allemand Otto Stolz (1842-1905) qui donna en 1884 70 la première déf-
inition de la mesure extérieure (sans la nommer). Motivé par ses travaux sur la
69. Briefe von K. Weierstrass an L. Koenigsberger, [Weierstrass, 1923] p.225
70. Ueber einen zu einer unendlichen Punktmenge gehörigen Grenzwerth, [Stolz, 1884]

40
longueur d’une courbe, Stolz s’était aperçu du lien entre l’aire et l’intégration. Sa
définition était énoncée en dimension 1 et 2 uniquement.
En dimension 1, il définissait un nombre L associé à un ensemble E ⊂ [a; b]
comme suit : pour tout ε > 0, il existe δ tel que pour toute partition P de [a; b]
de norme inférieure à δ, on ait |L(P ) − L| < ε. Où L(P ) désigne l’ensemble des
intervalles de la partition qui contiennent des points de E (c’est en cela que l’on
qualifiera le nombre L de mesure “extérieure”).
En dimension 2, il utilisa un procédé analogue pour les ensembles du plan
contenus dans un ensemble borné.

La même année, Cantor introduisit des définitions équivalentes, mais cette fois
en toute dimension.

“Jeder Punktmenge P innerhalb Gn , sie mag continuirlich oder dis-


continuirlich sein, kommt eine bestimmte nicht negative Zahlgrösse zu,
welche wir ihren Inhalt oder ihr Volumen mit Bezug auf ihre Theil-
nehmerschaft an dem ebenen n-dimensionalen Raum Gn , oder, wie wir
uns kürzer ausdrücken wollen, mit Bezug auf Gn nennen wollen.” 71

“Sind P und Q zwei Punktmengen von solcher Lagenbeziehung, dass


völlig getrennte n-dimensionale Raumtheile H und H 0 angeben werden
können, so dass P ganz in H, Q ganz in H 0 enthalten ist, so gilt, wie
leicht zu zeigen der Satz, dass :

I(P + Q) = I(P ) + I(Q).


Lässt man aber die gemachte Voraussetzung über P und Q fallen, so
gilt dieser Satz im Allgemeinen nicht. 72

Apparemment Cantor admettait deux propriétés pour introduire ses défini-


tions, propriétés que les mathématiciens n’établissèrent que plus tard 73 . Néan-
moins ces définitions nous montraient les prémices d’une théorie de la mesure. On
y retrouve par exemple l’additivité pour deux ensembles disjoints, et le lien entre
71. Ueber unendliche, lineare Punktmannichfaltigkeiten, [Cantor, 1884] p.473
72. Ueber unendliche, lineare Punktmannichfaltigkeiten, [Cantor, 1884] p.475
73. Lebesgue’s Theory of Integration, [Hawkins] p.62

41
la définition et la dimension (un disque sera de mesure positive en dimension 2,
mais de mesure nulle en dimension 3).

Harnack donna aussi sa définition de la mesure extérieure en 1885. Mais quelque


soit la définition, on ne pouvait pas considérer cette “aire” comme l’“aire sous la
courbe” de la théorie de l’intégration, puisqu’une fonction bornée possède toujours
une aire sous la courbe au sens de Cantor, quand bien même elle ne serait pas
intégrable.

Ainsi l’émergence de la théorie de la mesure, favorisée par la difficulté que


représentaient les problèmes de discontinuité dans la définition de Riemann, fit
apparaître un réel changement dans la théorie de l’intégration.
En effet, Peano ne va plus s’intéresser à l’ensemble de discontinuité de la fonc-
tion intégrée, mais au domaine d’intégration de la fonction.

42
3 Mesures et intégration

3.1 Définir précisément la notion d’aire

La notion d’aire est présente dans la théorie de l’intégration depuis le début.


Par exemple, les calculs d’aire d’Archimède au III ème siècle av. J.-C. faisaient
déjà partie de cette théorie. Mais si les mathématiciens que nous avons évoqués
Z b
s’intéressaient à changer ou à étendre la définition de f , la définition précise de
a
l’aire n’était pas entrée en considération.
C’est pourquoi Peano était critique à propos de la définition de l’intégrale
comme l’“aire sous la courbe”, puisque la notion même d’aire n’était pas précisé-
ment définie.

Aussi en 1883, dans son ouvrage Sur l’intégrabilité des fonctions (Sull’ integra-
bilita delle funzioni [Peano, 1883]), Peano donna sa propre définition de l’aire.
Dans un premier temps, Peano définit les aires des polygones. Puis, considérant
un ensemble “de forme simple” inclus dans le plan, il appela aire de cet ensemble
la valeur commune de :
– La borne supérieure des polygones inclus dans l’ensemble
– La borne inférieure des polygones qui contiennent l’ensemble
Si ces deux valeurs diffèrent, alors l’aire ne peut pas être définie :

“...le concept d’aire ne s’appliquerait pas dans ce cas. C’est pourquoi,


lorsque l’on veut parler de l’aire d’une figure, il est d’abord nécessaire
de vérifier que ces deux limites sont égales...” 74

Il semblerait que cette définition de l’aire ait été inspirée par le critère (R1 )
de Riemann, ou tout du moins par la méthode qu’utilisait Thomae (cf. 2.3) pour
montrer l’équivalence entre le critère (R1 ) et l’intégrabilité d’une fonction, c’est-à-
dire l’introduction des sommes
X X
Mi δi et mi δi
On peut remarquer l’analogie entre le fait d’enfermer l’intégrale entre ces deux
sommes, et enfermer l’aire entre deux nombres réels.
74. Sull’ integrabilita delle funzioni, [Peano, 1883] p.446

43
Peano faisait ses études à Turin, où Genocchi enseignait depuis 1859. Ce dernier
travaillait sur le calcul infinitésimal depuis 1863, et en tant qu’assistant de Genoc-
chi (l’année 1882-1883), Peano a lui-même beaucoup travaillé dans ce secteur. L’in-
térêt que portait Peano à l’intégration lui serait donc venu de ses relations avec
Genocchi, et ses travaux sur le calcul infinitésimal lui firent publier en 1887 Appli-
cations géométriques du calcul infinitésimal (Applicazioni geometriche del calcolo
infinitesimale, [Peano, 1887]), qui poursuivait les notions mises en place en 1883.

Dans le souci de définir la notion d’aire pour des ensembles quelconques, Peano
fut amené à travailler sur la théorie des ensembles. Dans ce cadre, Peano fut
fortement influencé par les définitions de Cantor. En effet, Peano utilisait les mêmes
termes et la même définition d’un ensemble fermé que Cantor ; il reprit également
les notions de point extérieur, point intérieur, point frontière 75 .
On peut en revanche remarquer que Peano définira ces notions en dimension
1, 2 et 3 séparément, à l’inverse de Cantor.
En outre, Peano remarque que la frontière d’un ensemble peut être assez peu
intuitive. Pour étayer ses propos, il prit l’exemple des rationnels inclus dans [0; 1],
dont la frontière est [0; 1] tout entier.

En dimension 2, Peano rebaptisa les “aires” définies en 1883 aire extérieure et


aire intérieure, que nous noterons ce (.) et ci (.).

Peano remarqua ensuite que pour un ensemble A de frontière ∂A, on a la


relation 76

ce (A) = ci (A) + ce (∂A)


Ce qui implique directement que l’aire de A est bien définie si et seulement si
ce (∂A) = 0.

Dans son Applicazioni geometriche del calcolo infinitesimale [Peano, 1887], Peano
considérait sa mesure comme une fonction additive sur les ensembles, fonctions
qu’il appella fonctions distributives. Ce fut la première fois que la mesure était
détachée de sa vision “géométrique” ; on se rapprochait alors des méthodes ax-
iomatiques, qu’utilisèrent plus tard Jules Drach (1871-1949) en 1895 et Borel en
1898.

75. cf.Applicazioni geometriche del calcolo infinitesimale, [Peano, 1887], p.152-155


76. Une preuve en dimension 2 peut être donnée de la façon suivante : on découpe le plan en
carrés de taille 2−m , on regarde les carrés Ae,m qui rencontrent A, et parmi eux les Aδ,m qui
S frontière de A et les Ai,m qui n’en contiennent pas. On a bien sûr la relation
contiennent un point
∪Ae,m = ∪Aδ,m ∪Ai,m . La somme des aires des Ae,m donne à la limite ce (A), celle des Ai,m
donne ci (A), et celle des Aδ,m donne ce (∂A).

44
“Una grandezza dicesi funzione distributiva d’un campo, se il valore di
quella grandezza corrispondente ad un campo è la somma dei valori di
essa correspondenti alle parti in cui si può decomporre il campo dato.” 77

Peano fit par ailleurs un bref lien entre sa mesure et la théorie de l’intégration,
en remarquant que pour une fonction f positive sur [a; b], on a :
Z b Z b
f = ci (E) et f = ce (E)
a a
R R
où E est l’ensemble sous la courbe que délimite la fonction f , et où et sont
les intégrales par excès et par défaut de Volterra. (On a donc f Riemann-intégrable
⇔ ce (E) = ci (E))

Cependant Peano ne poussera pas davantage sa théorie, ni le lien qui la relie


avec l’intégrale.

3.2 Intégrales doubles et étendues

Les intérêts de Jordan pour la théorie de l’intégration et pour la théorie de


la mesure furent motivés par ses travaux sur l’intégrale double, liée de près aux
calculs d’aire en dimension 2, comme nous allons le voir.

Z
Au début du XIX ème siècle, le calcul d’une intégrale double f (x, y)dE s’-
E
effectuait comme une intégrale simple : on découpe le plan en un quadrillage de
rectangles Ri,j au lieu d’une subdivision d’intervalles [xi ; xi+1 ], quadrillage qui va
découper l’ensemble E en Ei,j . Puis on choisit des points (xi , yj ) de Ei,j et on
somme
X
f (xi , yj )a(Ei,j )
i,j

où a(.) désigne l’aire de l’ensemble.


L’intégrale est alors la limite de ces sommes lorsque l’aire des rectangles Ri,j
tend vers 0.
77. Applicazioni geometriche del calcolo infinitesimale, [Peano, 1887]

45
Le premier problème rencontré fut le calcul de l’aire des Ei,j , qui la plupart du
temps ne sont pas des rectangles. Problème que contournèrent les mathématiciens
en sommant sur les Ri,j soit intérieurs, soit extérieurs à l’ensemble E (cf. figure
3.2).

Figure 3 – (Découpages de E)

X X
Le second problème fut l’interversion et , qui devient possible lorsque
i j
l’on remplace les Ei,j par les Ri,j .
Or, en 1827, Cauchy montrait qu’une telle interversion pouvait ne pas être
valable dans certains cas, en donnant un exemple de fonction non bornée qui ne
vérifiait pas l’égalité de
Z 1 Z 1  Z 1 Z 1 
dy f (x, y)dx et dx f (x, y)dy
0 0 0 0

z
“Soit K = ϕ(x, z) = x2 +z 2
, et concevons que l’intégrale

∂K Z Z
dxdz
∂z
doive être prise entre les limites z = 0, z = 1, x = 0, x = 1. Si l’on
suppose les valeurs de z substituées avant celles de x, on aura
Z 1
∂K 1 Z 1Z 1
∂K Z 1
dx π
dz = , dxdz = = .
0 ∂z 1 + x2 0 0 ∂z 0 1+x 2 4
Mais, si l’on veut renverser l’ordre des substitutions, l’intégrale chang-
z
era de valeur ; car la fonction x2 +z 2 devient indéterminée, lorsqu’on

suppose à la fois x = 0, z = 0. On a donc, dans le cas présent,

46
X = a0 = 0, Z = b0 = 0.
Par suite, la quantité qu’il faut ajouter à la première valeur de l’inté-
grale double pour obtenir la seconde sera
Z ε Z ε
ζ
A=− ϕ(ξ, ζ)dξ = − dξ,
0 0 ξ2 + ζ2
ζ devant être supposé nul après l’intégration relative à ξ. On a d’ailleurs,
en général,
Z
ζ ξ
dξ = arctang + const.,
ξ2 + ζ 2 ζ
arctang ζξ désignant le plus petit des arcs qui ont ξ
ζ
pour tangente. On
aura donc
Z ε
ζ ε
dξ = arctang .
0 ξ2 +ζ 2 ζ
Si, dans cette première expression, on fait ζ = 0, elle deviendra égale
à π2 . On a donc
Z ε
ζ π
A=− dξ = − ;
0 ξ2 +ζ 2 2
et, par suite,
Z 1Z 1
∂K π π
dxdz = + A = − ,
0 0 ∂z 4 4
lorsqu’on substitue les valeurs de x avant celles de z. Ce dernier résultat
peut être aisément vérifié de la manière suivante.
z ∂K x2 −z 2
K étant égal à x2 +z 2
, on a ∂z
= (x2 +z 2 )2
; et, par suite,
Z 1Z 1
∂K Z 1Z 1
x2 − z 2
dzdx = dzdx
0 0 ∂z 0 0 (x2 + z 2 )2

On a d’ailleurs, en général,
Z
x2 − z 2 x
2 2 2
dx = − 2 + const.
(x + z ) x + z2
Donc

47
Z 1
x2 − z 2 1
dx = − ;
0 (x2 + z 2 )2 1 + z2
et, par suite,
Z 1Z 1 Z 1
∂K dz π
dzdx = − 2
=− ,
0 0 ∂z 0 1+z 4
comme ci-dessus. ” 78

En 1878, Thomae montrait un résultat similaire pour une fonction bornée 79 :


il trouvait une fonction f bornée telle que
Z 1 Z 1 
dx f (x, y)dy
0 0

existe, mais telle que x 7−→ f (x, y) n’est pas Riemann-intégrable, excepté pour
une valeur de y,
Z 1 Z 1 
dy f (x, y)dx
0 0

n’aurait donc pas de sens.


En 1883, Du Bois-Reymond montrait même que l’intégrale double peut exister
sans que f (., y) et f (x, .) ne soient intégrables pour tout x et pour tout y 80 . Il
regardait pour cela la fonction valant 21p lorsque (x, y) est de la forme ( 2n+1
2p
, 2m+1
2q
),
où n, m, p, q sont des entiers positifs, et valant 0 ailleurs. La fonction y 7−→ f (x, y)
est totalement discontinue pour les x = 2n+1 2p
, qui forment un ensemble dense sur
Z 1
[0; 1]. Ainsi l’intégrale f (x, y)dy n’existe pas au sens de Riemann. Pourtant, Du
0
Bois-Reymond montra que cette fonction est intégrable sur le carré 0 6 x 6 1,
0 6 y 6 1.

Par la suite, les cas où l’interversion est valable vont faire l’objet d’études plus
approfondies. Z
Harnack, en 1884, regardait la fonction η 7−→ f (x, η)dx, et se posait la
question de l’intégrabilité sur Gη = {y = η} ∩ E. Il commençait par imposer que la
ligne {y = η} ne coupe E qu’en deux points, de sorte que Gη soit un intervalle 81 .
78. Mémoire sur les intégrales définies, [Cauchy, 1827] p.394-6
79. Ueber bestimmte Integrale, [Thomae, 1878]
80. Ueber das Doppelintegral, [Du Bois-Reymond, 1883]
81. Lehrbuch der Differential- und Integralrechnung, [Harnack, 1884]

48
Puis en 1886 il étendait ses hypothèses à un nombre fini de points, de sorte que
Gη soit une union finie d’intervalles 82 .

Cesare Arzelà (1847-1912), quant à lui, mettait des hypothèses sur l’ensemble
E. En 1891, il s’intéressait aux ensembles E bornés, délimités par une courbe
fermée continue rectifiable 83 . Cependant l’interversion n’est pas vérifiée dans tous
les cas sous ces hypothèses. En fait, Arzelà considérait également les Gη comme
union d’intervalles, ce qui n’est pas forcément le cas.
Émile Picard (1856-1941), la même année 84 , considérait apparemment un en-
semble E quelconque, mais on peut se rendre compte qu’il suppose à tort que
chaque ligne du “quadrillage” rencontre le bord de E en un nombre fini de points :

“Prenons en effet, au lieu de l’aire d’un rectangle, une aire plane quel-
conque limitée par une courbe C (fig. 9), et traçons dans le plan une
succession de parallèles à Ox et à Oy. Nous rangeons encore, par ordre
croissant de grandeurs, la succession des abscisses des parallèles à Oy,
et des ordonnées des parallèles à Ox. Nous aurons ainsi un réseau de
rectangles : le rectangle (i, k) sera, comme plus haut, celui qui corre-
spond au point (xi , yk ) et qui aura pour côtés xi+1 − xi et yk+1 − yk .
Formons la somme
XX
(3) f (xi , yk )(xi+1 − xi )(yk+1 − yk ),
82. Bemerkung zur Theorie des Doppelintegrals, [Harnack, 1886]
83. Sugli integrali doppi, [Arzelà, 1891]
84. Traité d’analyse, [Picard, 1891]

49
en l’étendant à tous les points (xi , yk ) contenus à l’intérieur ou sur le
périmètre de l’aire. Certains de ces rectangles, tels que mnpq, pour-
ront sortir en partie de l’aire limitée par C ; ces rectangles irréguliers
figureront néanmoins dans notre somme. Nous allons montrer que la
somme précédente tend vers une limite quand tous les rectangles ten-
dent vers zéro suivant une loi quelconque.” 85

Jordan, conscient des avancées de la théorie de l’intégration, et notamment au


courant des travaux de Darboux, notait que si la fonction intégrée avait été le sujet
de profondes études, ce n’était pas le cas du domaine d’intégration.

“Enfin, M. Darboux a fait voir que, quelle que soit la fonction bornée
P P
f , les deux sommes M dσ, mdσ, où M et m représentent le max-
imum et le minimum de f dans l’élément dσ, ont toujours une limite
parfaitement déterminée.
Ces résultats sont très nets et éclaircissent complètement le rôle que
joue la fonction dans l’intégrale.
L’influence de la nature du champ ne paraît pas avoir été étudiée avec
le même soin. Toutes les démonstrations reposent sur ce double postu-
latum, que chaque champ E a une étendue déterminée ; et que, si on
le décompose en plusieurs parties E1 , E2 , ..., la somme des étendues de
ces parties est égale à l’étendue totale de E. Or ces propositions sont
loin d’être évidentes si on laisse à la conception du champ toute sa
généralité.
Nous nous proposons de montrer dans les pages suivantes qu’à un
champ E quelconque correspondent deux nombres déterminés E 0 et E 00
qu’on peut appeler son étendue intérieure et son étendue extérieure.
Si ces deux nombres coïncident, nous dirons que E est mesurable...” 86

Jordan ne s’intéressait donc plus à l’ensemble de discontinuité des fonctions


intégrées, mais à l’aspect géométrique du domaine d’intégration.
Dans ses Remarques sur les intégrales définies [Jordan, 1892], il donna sa défi-
nition d’un ensemble mesurable.

À l’instar de Cantor et Peano, les travaux de Jordan sur les aires lui firent
introduire diverses notions topologiques.
85. Traité d’analyse, [Picard, 1891] p.93-94
86. Remarques sur les intégrales définies, [Jordan, 1892] p.69-70

50
Tout comme Peano, il définit ce que sont les points intérieurs à, extérieurs à,
et au bord d’un ensemble E donné.
Et tout comme Cantor, il définit ce qu’est un point limite et ce qu’est un
ensemble fermé :

“Nous appelerons avec M. Cantor :


1o Ensemble toute collection de points ;
2o Point limite d’un ensemble E tout point π tel, qu’on puisse, quel que
soit ε, déterminer dans E un point p différent de π, et dont l’écart à π
soit < ε ;
3o Dérivé de E l’ensemble E 0 formé par les points limites de E ;
4o Ensemble parfait tout ensemble qui contient son dérivé.
Si l’ensemble E ne contient pas tous les points possibles, les points qui
ne lui appartiennent pas forment un ensemble complémentaire E1 .
Soient respectivement E 0 , E10 les ensembles dérivés de E, E1 . Les points
du plan pourront être répartis en trois classes :
1o Les points intérieurs à E. Ce sont ceux qui appartiennent à E sans
appartenir à E10 . Pour chacun d’eux p pourra assigner une quantité ε
telle que tout point dont l’écart à p est < ε appartient à E et non à E1 .
2o Les points extérieurs, qui appartiennent à E1 sans appartenir à E 0 .
3o Les points frontières, qui appartiennent à la fois à l’un des ensembles
E, E1 , et au dérivé de l’autre.” 87

Nous pouvons noter que ces notions sont données en dimension n quelconque,
contrairement à Peano qui distinguait les cas (cf. 3.1).

Jordan définit ensuite les “étendues extérieures” et “étendues intérieures” d’une


façon similaire à celle de Peano :

“Cherchons, d’autre part, à préciser la notion de l’étendue de cet en-


semble.
Cette étendue sera une longueur, une aire, un volume, etc., suivant
que le nombre de dimensions de l’ensemble sera 1, 2, 3, .... Nous sup-
poserons, pour fixer les idées, que ce nombre soit égal à 2. Chaque point
87. Remarques sur les intégrales définies, [Jordan, 1892] p.71-72

51
(u, v) de E pourra être représenté géométriquement sur un plan par le
point dont u, v sont les coordonnées rectangles.
Décomposons ce plan par des parallèles aux axes en carrés de côté r.
L’ensemble de ceux de ces carrés dont tous les points sont intérieurs
à E forme un domaine S intérieur à E ; l’ensemble de ceux qui sont
intérieurs à E ou qui contiennent un point de sa frontière forment un
nouveau domaine S + S 0 , auquel E est intérieur. Ces domaines, étant
formés par la réunion de carrés, ont des aires déterminées, qu’on peut
également représenter par S et S + S 0 .
Faisons varier la décomposition en carrés, de telle sorte que r tende
vers zéro : les aires S et S + S 0 tendront vers des limites fixes.” 88

Jordan dit alors qu’un ensemble est mesurable si les deux étendues sont égales
(il utilise le terme quarrable en dimension 2). La valeur commune étant l’étendue
de l’ensemble (ou aire en dimension 2), que nous noterons c(E).

Il s’attarda ensuite sur les propriétés d’additivité de sa mesure : lorsque E est


union disjointe des Ep , les définitions d’étendues intérieure et extérieure donnent :
X X
ci (Ep ) 6 ci (E) 6 ce (E) 6 ce (Ep )
(la seconde inégalité provenant de ce (E) = ci (E) + ce (∂E)).
P
Ainsi la mesurabilité des Ep entraine celle de E, et l’égalité c(Ep ) = c(E).

Faisant le lien avec l’intégration, Jordan reprit les concepts d’intégrale par dé-
faut et intégrale par excès d’une fonction f .

“Soit f (x, y, ...) une fonction qui conserve une valeur bornée dans l’in-
térieur d’un domaine E, supposé mesurable.
Décomposons E en domaines élémentaires mesurables e1 , e2 , ....
Désignons par M, m le maximum et le minimum de la fonction f dans
E ; par Mk , mk son maximum et son minimum dans ek , et formons les
sommes
X X
S= Mk ek , s= mk ek .
Comme on a évidemment
88. Remarques sur les intégrales définies, [Jordan, 1892] p.76-77

52
= = =
m < mk < Mk < M,
S et s seront comprises entre
X X
M ek = M E et m ek = mE,
et leurs modules seront, au plus, égaux à LE, L désignant le plus grand
des deux modules |M | et |m| (ou le maximum de |f | dans le domaine
E).
M. Darboux a montré que, si l’on fait varier la décomposition de telle
sorte que les diamètres des éléments tendent vers zéro, S et s tendront
vers des limites fixes.
Ce nombre fixe T = lim S se nomme l’intégrale par excès de la fonction
f (x, y, ...) dans l’intérieur de E.
On démontre de même que les sommes s tendent vers leur maximum
t, qui sera l’intégrale par défaut de f (x, y, ...).
=
On a évidemment T > t. Si T = t, la fonction sera dite intégrable, et
T = t sera son intégrale, laquelle pourra être représentée par la notation
SE f (x, y, ...)de.” 89

Les deux limites T et t constituent donc une nouvelle définition de l’intégrale,


que Jordan étendit aux ensembles E non mesurables en considérant des ensembles
E1 ⊂ E2 ⊂ ... ⊂ E, où ∪En = E, lesZ En étant mesurables. L’intégrale de f sur E
se définissait alors par la limite des f (x, y)dEn , dont il montra la convergence.
En

“Nous avons admis, jusqu’à présent, que le domaine E est mesurable.


Nous pouvons maintenant supprimer cette restriction. On peut, en ef-
fet, le considérer comme une suite de domaines mesurables E1 , ..., En , ...
dont les étendues convergent vers une limite qui, par définition, est l’é-
tendue intérieure de E. L’intégrale (par excès ou par défaut) prise dans
En tend vers une limite ; car la différence entre les intégrales prises dans
En et En+p a son module au plus égal à

L(En+p − En ) < L(E − En ),


89. Remarques sur les intégrales définies, [Jordan, 1892] p.81-84

53
et tend vers zéro pour n = ∞. Nous considérerons cette limite de l’in-
tégrale prise dans En comme représentant la valeur de l’intégrale dans
E.” 90

La théorie de la mesure de Jordan a influencé les mathématiciens comme Borel


et Lebesgue, et a permis le développement de l’intégration à travers son lien avec
la théorie de la mesure.

“En osant incorporer certaines parties de la théorie des ensembles dans


son cours de l’École Polytechnique, Jordan réhabilitait en quelque sorte
cette théorie ; il affirmait qu’elle est une branche utile des mathéma-
tiques. Il faisait plus que l’affirmer, il le prouvait par ses recherches sur
la mesure des aires et des ensembles, sur l’intégration qui, comme ses
études sur la rectification des courbes, sur les séries trigonométriques,
sur l’analysis situs, ont si bien préparé certains travaux, les miens en
particulier.” 91

3.3 Fonctions analytiques et mesure

La notion de mesure introduite par Borel s’effectua lors de ses travaux sur les
fonctions à variable complexe, qui dès Riemann faisaient l’objet de controverses.
En 1851, Riemann se demandait 92 si les notions de fonction analytique et de
“fonction définie par une expression analytique” étaient équivalentes.

En 1880, Weierstrass se penchait 93 sur la fonction



X 1
f (z) =
n=0 zn + z −n
à l’expression analytique, mais qui représente deux fonctions analytiques dis-
tinctes : l’une pour |z| < 1 et l’autre pour |z| > 1. Constatant cela, Weierstrass
90. Remarques sur les intégrales définies, [Jordan, 1892] p.84
91. Notice sur les travaux scientifiques de M. Henri Lebesgue, [Lebesgue, 1922] p.16
92. cf. Grundlagen für eine allgemeine Theorie der Functionen einer veränderlichen complexen
Grösse, [Riemann, 1851]
93. cf. Zur Functionenlehre, [Weierstrass, 1880]

54
montra que la fonction f ne peut pas être prolongée de façon continue sur l’ensem-
ble {|z| = 1}, la fonction f lui fournissait donc un contre-exemple à l’hypothèse
de Riemann, et les deux notions ne pouvaient être équivalentes.

Des fonctions similaires - c’est-à-dire représentant une certaine fonction sur un


ensemble T , une autre sur un ensemble S, sans prolongement continu possible -
ont été découvertes par la suite : Paul Appell (1855-1930) en 1882, par exemple,
trouvait de telles fonctions avec pour ensemble T une réunion de cercles.

“... nous aurons, pour f (x), le développement en série suivant :

k=n
X ν=n 1 1 Z
A(k) Aν(k) (z−αk )ν−1 f (z)dz,
X
(4) f (x) = ν , =−
k=1 ν=1 (x − xk )ν 2πi Ck

développement valable pour tous les points de l’aire S.


» Mais il se présente, au sujet de la série (4), une remarque intéres-
sante. Imaginons que l’on décrive en entier les cercles auxquels appar-
tiennent les arcs C1 , C2 , ..., Cn ; désignons par T l’aire indéfinie située
à l’extérieur de tous les cercles. La série qui forme le second membre
de l’équation (4) est encore convergente si x est un point de l’aire T ;
mais alors la somme de cette série est égale à zéro. En effet, si x est un
1
Z
f (z)
point de l’aire T , l’intégrale (1) [ 2πi dz], étendue au contour de
z−x
l’aire S, est nulle ; d’ailleurs les développements (3) et (4) sont encore
convergents, car l’égalité (2) a toujours lieu.
» On a ainsi une série de fractions rationnelles qui est égale à f (x)
dans l’aire S et à zéro dans l’aire T . On pourrait de même former
une série de fractions rationnelles égale à une fonction holomorphe
ϕ(x) dans l’aire T et à zéro dans l’aire S. La somme de ces deux
séries représente f (x) dans S et ϕ(x) dans T . M. Weierstrass a déjà
obtenu par d’autres considérations des séries de fractions rationnelles
possédant des propriétés analogues.” 94

Henri Poincaré (1854-1912), en 1883 95 , donna même une méthode générale


pour construire de telles fonctions : il considère un contour convexe C, et S et T
les régions bornées et non bornées délimitées par C ; puis il introduit la série
94. note de M. Appell présentée par M. Bouquet, Comptes rendus hebdomadaires des scéances
de l’Académie des sciences, [Appell, 1882] p.1239
95. cf. Sur les fonctions à espaces lacunaires, [Poincaré, 1883]

55

X An
f (z) =
n=0 z − bn

où |An | converge et où les bn sont denses sur S ∪ C. Il montre alors que cette
P

série est analytique sur T , mais ne peut se prolonger analytiquement sur S.

Borel s’inspire de l’exemple de Poincaré et introduisit la série



X An
f (z) =
n=0 z − an

où les an sont tels que l’adhérence de l’ensemble {an } forme une courbe fermée

|An |1/2 converge.
X
C, et où les An sont tels que la série
n=0

Cette série f définit deux fonctions analytiques distinctes : l’une à l’intérieur


de C, l’autre à l’extérieur.

En 1895, Borel montra néanmoins que tout point à l’extérieur de C peut être
“connecté” à un point de l’intérieur de C par un arc de cercle, sur lequel la série
f va converger absolument :

“Cela posé, nous allons montrer qu’étant donnés deux points P et Q ne


coïncidant ni avec un point a, ni avec un point a0 , on peut toujours les
réunir par une ligne continue P M Q, telle que sur cette ligne la série
considérée soit absolument et uniformément convergente.
Remarquons d’abord que l’hypothèse faite sur les points P et Q revient
à celle-ci : il est possible de tracer deux cercles S1 et S2 ayant respec-
tivement pour centres P et Q et ne renfermant à leur intérieur aucun
point a.

Considérons maintenant les cercles C passant par P et Q et dont les


centres O sont situés sur un segment déterminé AB, d’ailleurs quel-
conque, de la perpendiculaire au milieu de P Q. Il est clair que C1 et
C2 étant deux de ces cercles, ayant pour centres les points O1 et O2 , si
M1 et M2 sont deux points pris respectivement sur C1 et C2 , et dont
l’un au moins est extérieur à S1 et à S2 , on a

M1 M2 > kO1 O2 ,

56
k étant un nombre fixe dépendant uniquement de la distance P Q, du
segment AB et des rayons des deux cercles S1 et S2 .
P
Désignons par l la longueur de AB ; la série un étant convergente,
nous pouvons choisir n de manière que l’on ait

X
2 ui < l.
n+1

Soient maintenant Mi l’affixe du point ai (i > n) et Oi le centre du


cercle Ci passant par les points P, Q, Mi . Prenons sur la droite AB,
de part et d’autre du point Oi , deux longueurs Oi Ai , Oi Bi égales à
ui , de telle sorte que le segment Ai Bi soit égal à 2ui ; la somme de
tous les segments (en nombre infini), tels que Ai Bi , tous situés sur le
segment AB ou sur son prolongement, est inférieure à la longueur l
de AB ; donc il existe sur AB une infinité non dénombrable de points
n’appartenant à aucun de ces segments ; soient ω un de ces points qui
ne coïncident avec aucun des points Oi d’indice inférieur à n, et Γ le
cercle de centre ω passant par les points P et Q ; je dis que ce cer-
P An
cle Γ a les propriétés requises, c’est-à-dire que la série (z−an )mn
est
96
uniformément convergente sur ce cercle.”

Borel considère le pire des cas : les an sur C rencontrent tous un des cercles
joignant P dans S à Q dans T . On peut donc considérer les On , centres de cer-
cles passant par P, an , Q, situés sur la médiatrice (AB) de [P Q] ; on peut ensuite
considérer des intervalles In contenant On et de longueur plus petite que 2un , où
96. Sur quelques points de la théorie des fonctions, [Borel, 1895] p.24-26

57
P P |An |
un est une suite telle que un et un
convergent (cette suite existe sous les
hypothèses de Borel).

X AB
Prenons alors l’indice N tel que , la réunion des intervalles In
un <
N +1 2
considérés à partir de cet indice N sera de longueur strictement plus petite que
AB, et il existera alors un nombre non dénombrable de points de AB à l’extérieur
de cette union. En enlevant ensuite les On d’indice plus petit que N , il reste tout
de même un ensemble non dénombrable de points de AB, et donc un ensemble
non dénombrable de points de C pour lesquels on peut prolonger la série entre S
et T .

La preuve de Borel repose sur le fait qu’un ensemble dénombrable, bien que
dense, peut être enfermé dans un intervalle de longueur arbitrairement petite. C’est
ici, pour la première fois, que l’on voit apparaître les prémisces de la σ-additivité :
une union dénombrable d’ensembles de mesure nulle reste de mesure nulle ; fait
qui montre que la densité et la mesure sont deux notions bien distinctes.
Borel n’employa pas tout de suite les termes “ensembles de mesure nulle”,
mais ses travaux l’ont encouragé à développer sa théorie de la mesure (selon Borel
lui-même, cf. Jubilé scientifique de M. Emile Borel, [Borel, 1940] p.391-394).

En 1898, Borel exposait cette théorie dans ses Leçons sur la théorie des fonc-
tions [Borel, 1898], sous une forme axiomatique.

Borel commença par un axiome intuitif concernant la mesure des intervalles ;


puis il introduisit un axiome concernant l’additivité de sa mesure, et finit par un
axiome à propos de la mesure d’un ensemble inclus dans un autre :

“Lorsqu’un ensemble est formé de tous les points compris dans une
infinité dénombrable d’intervalles qui ne se rencontrent pas et dont la
longueur totale est s, nous dirons que l’ensemble a pour mesure s.”
“Lorsque deux ensembles n’ont pas de point en commun et que leurs
mesures sont s et s0 , l’ensemble obtenu en les réunissant, c’est-à-dire
leur somme, a pour mesure s + s0 . Plus généralement, si l’on a une
infinité dénombrable d’ensembles qui n’ont deux à deux aucun point
commun et dont les mesures sont s1 , s2 , ..., sn , ..., leur somme [...] a
pour mesure
s1 + s2 + ... + sn + ...”
“Si un ensemble E a pour mesure s et contient tous les points d’un
ensemble E 0 dont la mesure est s0 , l’ensemble E − E 0 , formé par tous

58
les points de E qui n’appartiennent pas à E 0 , sera dit de mesure s − s0 .
[...] Les ensembles pour lesquels la mesure peut être définie à partir des
précédentes définitions seront pour nous appelés mesurables.” 97

Cette axiomatisation lui avait apparemment été inspirée par Drach, un de ses
étudiants à l’École Normale Supérieure, qui en 1895 avait publié un livre avec
Borel où il employait des approches similaires :

“I. Nous définirons tous les éléments sur lesquels nous raisonnerons
dans la suite, c’est-à-dire les nombres et les fonctions algébriques, les
différentielles et les dérivées de ces fonctions, et , d’une manière générale,
les fonctions d’une ou plusieurs variables qui vérifient des relations dif-
férentielles algébriques, par leurs liaisons avec les éléments d’un premier
système, dont nous allons d’abord préciser les propriétés.
Nous supposerons que ce système satisfait aux conditions suivantes :
I. Il existe un mode de composition qui permet de passer de deux élé-
ments quelconques du système à un troisième élément, bien déterminé,
du même système.
II. Ce mode de composition est associatif.
Si l’on représente par (u, v) le résultat de la compostion de l’élément u
avec l’élément v, on aura par conséquent, entre trois éléments quelcon-
ques du système, l’identité

(a, (b, c)) = ((a, b), c)


III. Un même élément composé avec des éléments qui diffèrent entre
eux donne encore des éléments qui diffèrent entre eux.
On peut donc conclure des identités

(a, u) = b, (a, v) = b
l’identité

u = v.
97. Leçons sur la théorie des fonctions, [Borel, 1898] p.46-48

59
IV. Tous les éléments du système sont obtenus, et chacun d’eux est
obtenu une seule fois, par une composition répétée de l’un d’eux, con-
venablement choisi, avec lui-même, c’est-à-dire en composant cet élé-
ment a avec lui-même, ce qui donne (a, a), puis avec l’élément (a, a),
ce qui donne (a, (a, a)) et ainsi de suite.” 98

Cette méthode reflétait l’esprit d’axiomatisation que possédaient les mathéma-


tiques allemandes en fin de XIX ème siècle. Les origines alsaciennes de Drach lui
permirent de cotoyer ces méthodes, qui parvinrent ensuite jusqu’à Borel grâce à
leurs travaux communs :

“Cette façon de procéder présente de grandes analogies avec les méth-


odes introduites par M. J. Drach, en Algèbre et dans la théorie des
équations différentielles. [...] Dans chaque cas, cela relève de la même
idée fondamentale : définir les nouveaux éléments qui sont introduits à
l’aide de leurs propriétés essentielles, c’est-à-dire celles qui sont indis-
pensables pour le raisonnement qui suit.” 99

Dans son axiomatisation, Borel mettait en exergue une propriété fondamentale


de sa mesure : les ensembles dénombrables sont de mesure nulle. Si en 1895 Borel
ne faisait qu’utiliser la σ-additivité, on constate qu’il la met maintenant clairement
en avant.

Néanmoins Borel n’était pas satisfait puisqu’avec cette définition de la mesure,


il ne pouvait pas connaître celle de l’ensemble des points où la série

X An
f (z) =
n=0 z − an

diverge (la même série qu’il introduisait en 1895).


Borel souhaiterait cet ensemble de mesure nulle. Aussi introduisit-il une remar-
que supplémentaire :

98. Essai sur une théorie générale de l’intégration et sur la classification des transcendentes,
[Drach, 1898], p.255-256
99. Leçons sur la théorie des fonctions, [Borel, 1898] p.48

60
“Si un ensemble E contient tous les éléments d’un ensemble E1 , de
mesure α, nous pouvons dire que la mesure de E est plus grande que
α, sans se soucier de la mesurabilité de E. Inversement, si E1 contient
tous les éléments de E, nous dirons que la mesure de E est plus petite
que α.” 100

Cet axiome supplémentaire permet à l’ensemble de divergence d’être de mesure


plus petite que 0, donc égale à 0 puisque la mesure de Borel n’est jamais négative
(il le souligna plus loin).

On peut remarquer que Borel ne fit pas de lien entre sa notion de mesure et
la théorie de l’intégration. Il fit toutefois allusion aux travaux de Jordan dans ses
Leçons sur la théorie des fonctions [Borel, 1898] :

“Il serait intéressant de comparer les définitions que nous avons don-
nées avec les définitions plus générales que M. Jordan donne dans son
Cours d’Analyse.” 101

La perception de la théorie de Borel chez Schoenflies

À la fin du XIX ème siècle, Arthur Schoenflies (1853-1928) fut chargé par le
Deutsche Mathematiker-Vereininung de préparer un rapport sur les courbes et
la théorie des ensembles. En 1900, il présentait son rapport, Die entwickelung
der lehre von den punktmannigfaltigkeiten, incluant la théorie de l’intégration, et
notamment les diverses notions de mesure des ensembles.
Concernant la mesure de Borel, Schoenflies considérait d’une part qu’il n’y
avait aucune application autre que celle à laquelle Borel faisait allusion (c’est-à-dire
P An
l’étude de z−a n
), et d’autre part que les propriétés sur les unions dénombrables
ne devaient pas être supposées, mais établies.

“Sie hat zunächst nur den Charakter eines Postulats, da ja die Frage,
ob eine Eigenschaft endlicher Summen auf unendlich viele Summanden
ausdehnbar ist, nicht durch Festsetzung erledigt werden kann, sondern
vielmehr der Untersuchung bedarf.” 102
100. Leçons sur la théorie des fonctions, [Borel, 1898] p.48-49
101. Leçons sur la théorie des fonctions, [Borel, 1898] p.46
102. Die entwickelung der lehre von den punktmannigfaltigkeiten, [Schoenflies, 1900] p.93

61
Aux yeux de Schoenflies, la notion de mesure dépendait donc principalement
des objectifs et des applications que pouvaient avoir l’introduction de cette notion,
aussi la théorie de la mesure de Borel ne paraissait pas importante aux yeux de
Schoenflies.
Apparemment, face aux théories de Cantor, Peano, Jordan et Borel, Schoenflies
attribuait un certain caractère subjectif à la notion de mesure, et considérait que
Borel définissait la sienne uniquement dans le but de faire ce qu’il voulait en
faire. Point de vue que partagea Lebesgue un peu plus tard, comme nous allons le
constater.
En revanche, dans les années 1900, Lebesgue s’intéressait aux travaux de Borel
sur la théorie de la mesure. En tant qu’étudiant de Borel, il s’en inspira pour
construire sa propre théorie.

62
4 La théorie de la mesure de Lebesgue

Lebesgue étudia les travaux d’analyse de Jordan à l’École Supérieure 103 , où


il eut Borel comme enseignant. Avec ce dernier, Lebesgue se lia d’une profonde
amitié. En effet, Borel et Lebesgue correspondèrent maintes fois entre 1901 et
1918, en particulier à propos de leurs théories respectives de la mesure 104 .
De 1899 à 1901, Lebesgue publiait cinq articles dans les Comptes rendus de
l’Académie des Sciences.

Sa deuxième note, Sur la définition de l’aire d’une surface [Lebesgue, 1899],


mit en commun les idées de Borel, de Peano et de Jordan.
Tout comme Borel, Lebesgue prenait un point de vue axiomatique sur les pro-
priétés de l’aire. Par exemple, à l’inverse de Schoenflies, il partageait le même
point de vue que Borel concernant l’additivité d’une union infinie dénombrable
d’ensembles. En effet, il considérait le problème de la mesure des surfaces comme
suit :

“Faire correspondre à chaque surface un nombre appelé aire, de façon


que deux surfaces égales aient des aires égales et que la surface donnée
par la réunion d’un nombre fini ou infini de surfaces, ayant des portions
de frontière communes et n’empiétant pas les unes sur les autres, ait
pour aire la somme des aires des surfaces composantes.” 105

Ensuite, lorsque Lebesgue définit l’aire d’un ensemble, il reprit les idées de
Peano en considérant l’ensemble comme la réunion de polygones deux à deux
disjoints :

“M. Peano a indiqué une définition de l’aire d’une surface dans laque-
lle intervient une division de la surface en morceaux, par des courbes.
Sa définition est donc analogue à celle que je viens de donner. Mais,
pour l’appliquer avec certitude, au moins sans nouvelles études, il faut
faire certaines hypothèses dont la méthode que j’ai indiquée permet de
s’affranchir.” 106
103. Lebesgue y étudia de 1894 à 1897
104. cf. La génèse de l’intégrale : lettres d’Henri Lebesgue à Émile Borel 1901-1918
[Lebesgue, 1901-1918]
105. Sur la définition de l’aire d’une surface, [Lebesgue, 1899] p.870
106. Sur la définition de l’aire d’une surface, [Lebesgue, 1899] p.872

63
Lebesgue reprend ensuite la notion de surface quarrable introduite par Jordan :
une surface est quarrable lorsque ses étendues intérieure et extérieure, que Lebesgue
appelle aires intérieure et extérieure, sont égales. L’étendue intérieure étant la
borne supérieure des aires obtenues après découpage de l’ensemble en carrés, en ne
prenant que les carrés intérieurs ; et l’étendue extérieure étant la borne inférieure
des aires obtenues en prenant les carrés intérieurs et rencontrant la frontière (cf.
figure 3.2).
Lebesgue nota que le problème qu’il posait ne pouvait être résolu que pour
des surfaces quarrables, en considérant un argument similaire à celui de Peano :
si deux surfaces quarrables D1 et D2 ont une portion de frontière C en commun
alors

ci (D1 ∪ D2 ) = ci (D1 ) + ci (D2 ) + ce (C)


donc l’additivité n’est possible que si ce (C) = 0, ce qui correspond à la Jordan-
mesurabilité de D1 ∪ D2 .

“Mais avec cette définition l’aire de la somme de deux surfaces pour-


rait être plus grande que la somme des aires de ces deux surfaces. Cela
n’arrive pas pour les surfaces telles que S = s 107 ; on les appelle sur-
faces quarrables. Le problème de la mesure des surfaces planes n’est
donc possible que pour les surfaces quarrables.” 108

Le concept de mesure de Borel n’était pas encore intégré dans la définition de


Lebesgue. Il y parvint dans le premier chapitre de sa thèse, Intégrale, longueur,
aire [Lebesgue, 1902], qu’il présenta en 1902.

Dans cette première partie, il exposait le problème de la mesure de façon ax-


iomatique. Dans un premier temps, il imposa sa mesure non nulle, c’est-à-dire qu’il
existe un ensemble E tel que m(E) 6= 0. Le deuxième axiome était la conservation
de la mesure par translation, c’est-à-dire que pour tout ensemble E et pour tout
réel a, on a m(E + a) = m(E). Enfin, Lebesgue mit en axiome la σ-additivité :

[ ∞
X
pour des ensembles En deux à deux disjoints, on a m( En ) = m(En ).
i=1 n=1

Ainsi, si par convention on prend m([0; 1]) = 1, on retrouve le premier axiome


de Borel : pour une union dénombrable d’intervalles In deux à deux disjoints,
107. aires extérieure et intérieure
108. Sur la définition de l’aire d’une surface, [Lebesgue, 1899]

64

[ ∞
X
m( In ) = L(In )
i=1 n=1

où L désigne la longueur de l’intervalle.


Le second axiome de Borel, la σ-additivité, est équivalent au troisième de
Lebesgue.

Ces axiomes imposent E ⊂ F ⇒ m(E) 6 m(F ), ainsi Lebesgue remarquait


que : si m(E) peut être défini et si E peut être recouvert par une union dénombrable
d’intervalles In , alors

X
m(E) 6 L(In )
n=1

Lebesgue définit alors la mesure extérieure comme la borne inférieure de ces


sommes, qu’il nota me (E). Cette définition généralisait celles de Peano et Jordan
(cf. l’aire extérieure de Peano, 3.1, et l’étendue extérieure de Jordan, 3.2).

Plutôt que de définir un contenu intérieur similaire à celui de Peano ou Jordan,


Lebesgue le définit axiomatiquement, en tant que contenu extérieur du complé-
mentaire : la mesure intérieure d’un ensemble E ⊂ [a; b] est alors définie par :

mi (E) = b − a − me ([a; b]E)


Lebesgue ayant certainement en tête la relation

m(E) + m([a; b]E) = b − a


qui était valable pour les étendues extérieures de Jordan.

Si m(.) satisfait les 3 axiomes et si on impose m([0; 1]) = 1, on a vu que


m(E) 6 me (E), mais la mesure intérieure donne d’un autre côté :

mi (E) = b − a − me ([a; b]E) 6 b − a − m([a; b]E) = m(E)


Ainsi, si E est mesurable (c’est-à-dire mi (E) = me (E)), sa mesure est unique
et vaut m(E). La mesure que recherche Lebesgue était donc bien définie pour les
ensembles mesurables.

Lebesgue montra ensuite qu’une union dénombrable d’ensembles mesurables


est mesurable, et que le troisième axiome, la σ-additivité, est satisfait. Ainsi cette
mesure, définie par mi = me , répond aux trois axiomes mis en place par Lebesgue,
et est valable pour tout ensemble mesurable.

65
Il déduit ensuite des axiomes quelques propriétés sur les ensembles mesurables,
notamment ce qui pour Borel était un axiome :

m(E1 E2 ) = m(E1 ) − m(E2 ) lorsque E2 ⊂ E1

Lebesgue nota en outre que

ci (E) 6 mi (E) 6 me (E) 6 ce (E)


Les ensembles Jordan-mesurables sont donc également Lebesgue-mesurables,
de mesure identique. La définition de Lebesgue prolonge donc celle de Jordan.
En ce qui concerne les notions de Borel, Lebesgue prouve le théorème suivant :

Si E est un ensemble mesurable au sens de Lebesgue, alors il existe des


ensembles mesurables au sens de Borel E1 et E2 tels que E1 ⊂ E ⊂ E2 et
m(E1 ) = m(E) = m(E2 ).

La mesure de Lebesgue peut donc aussi être vue comme un prolongement des
idées de Borel.

La seconde partie de la thèse de Lebesgue consistait en l’application de sa


théorie de la mesure à l’intégration. Il commença par rappeler les relations 109
Z b Z b
f = ce (E + ) − ci (E − ) et f = ci (E + ) − ce (E − )
a a
+ −
où E et E désignent les régions délimitées par f et l’axe des abscisses, lorsque
la courbe se trouve au-dessus et en-dessous de l’axe. Ces relations “suggèrent la
généralisation suivante” 110 :
Z b
f = m(E + ) − m(E − )
a
qui fut la définition géométrique de l’intégrale de Lebesgue. Ce dernier s’attela
ensuite à en donner une définition analytique.

Si Riemann définissait l’intégrale à partir des sommes de Cauchy pour des


subdivisions de [a; b], Lebesgue choisit de partitionner l’image de f : si m et M
sont les bornes inférieure et supérieure de f , Lebesgue considéra une partition
109. Ces relations n’ont jamais été énoncées aussi précisément, mais elles étaient déjà utilisées
par certains mathématiciens comme Harnack ou Peano
110. Intégrale, longueur, aire, [Lebesgue, 1902] p.250

66
P : m = a0 < a1 < ... < ai < ... < an = M
puis les ensembles

ei = {x, ai 6 f (x) < ai+1 }


qui forment une partition de [a; b].

Figure 4 – (un ensemble ei )

Pour justifier l’introduction de sa définition analytique, Lebesgue prit pour


simplifier une fonction positive, afin de ne considérer que E + = E. Tout comme
avec l’“aire sous la courbe” de Riemann (cf. 1.4), Lebesgue nota que la mesure de
E se situe entre
n−1
X n−1
X
ai m(ei ) et ai+1 m(ei )
i=0 i=0

qui sont les aires des rectangles entre lesquels la fonction f se situe. Or la
différence entre ces deux sommes est
n−1
X
(ai+1 − ai )m(ei ) 6 kP k(b − a)
i=0

et tend donc vers 0 quand la norme de la partition tend vers 0. Ainsi m(E) est
la limite des deux sommes :
n−1
X n−1
X
m(E) = lim ai m(ei ) = lim ai+1 m(ei )
kP k→0 kP k→0
i=0 i=0

67
Cependant, ce raisonnement n’est possible que si les ei sont mesurables, c’est
pourquoi Lebesgue introduisit la notion de fonction sommable, qu’il renomma fonc-
tion mesurable par la suite : une fonction f est dite mesurable si {x, c < f (x) < d}
est mesurable pour toutes valeurs de c et d. Cette définition rend les ei mesurables,
et Lebesgue définit alors l’intégrale comme
Z b n−1
X n−1
X
f = lim ai m(ei ) = lim ai+1 m(ei )
a kP k→0 kP k→0
i=0 i=0

Un des intérêts de la classe des fonctions mesurables est la stabilité par passage
à la limite simple, ce qui n’était pas le cas des fonctions Riemann-intégrables :

Si fn est une suite de fonctions mesurables définies sur [a; b] et si f (x) =


lim fn (x) existe pour tout x, alors f est aussi mesurable.
n→∞

Rappelons (cf. 1.3) que Dirichlet ne savait pas calculer l’intégrale des fonc-
tions telles que l’indicatrice des rationnels. Or, Lebesgue remarque que cette fonc-
tion, c’est-à-dire la fonction prenant la valeur 1 sur les rationnels et 0 ailleurs,
est mesurable ; ce qui constituait un deuxième intérêt : certaines fonctions non
intégrables au sens de Riemann pouvaient être mesurables au sens de Lebesgue.

Lebesgue donna ensuite une méthode générale pour construire de telles fonc-
tions. Il suffit de prendre deux fonctions f et g continues, avec g ne s’annulant
pas. Alors la fonction F , définie par F = f sur [a; b]E et F = f + g sur E
avec E dense sur [a; b] mais de mesure nulle 111 , ne sera pas intégrable au sens de
Riemann, car discontinue partout, mais sera mesurable au sens de Lebesgue, car
un ensemble de mesure nulle n’influence pas la mesurabilité.

On peut d’ailleurs remarquer une caractéristique fondamentale de l’intégrale


définie par Lebesgue. En effet, l’intégrale que définissait Riemann (cf. 1.4) ne
pouvait s’appliquer qu’à l’intégration sur des segments ; et jusqu’à présent, les
mathématiciens qui s’intéressaient au problème se focalisaient sur les propriétés que
possédait la fonction
Z intégrée sur ce segment. Or, avec la définition de Lebesgue,
on peut définir f pour tout ensemble E mesurable borné, sans se soucier de
E
l’ensemble des points de discontinuité de f .

De plus, les fonctions construites par Volterra (telles que leurs dérivées existent
partout mais ne sont pas Riemann-intégrables, cf. 2.5) empêchaient l’application
du deuxième théorème fondamental.
111. par exemple E = [a; b] ∩ Q

68
Lebesgue était au courant de l’existence de telles fonctions, il en parlait à Borel
dès sa première correspondance :

“J’ai dit dans ma note qu’il existait des fonctions dérivées non in-
tégrables au sens de Riemann. J’en étais certain, je le suis un peu
moins maintenant. Je sais qu’il existe un article de Volterra, Giornale
di Matematiche, tome 19, page 337, traitant du sujet.”

Lebesgue remarquait alors que la définition qu’il donnait de l’intégrale perme-


ttait de “restaurer” le second théorème pour les fonctions de Volterra, au moins
lorsque la dérivée est bornée. Il montra en effet le théorème suivant :

Si f 0 existe et est bornée sur [a; b], alors f 0 est mesurable et


Z b
f 0 = f (b) − f (a)
a

Lebesgue montre également un théorème sur les fonctions non bornées :

Si f est intégrable sur [a; b], alors pour tout ε > 0 ilZ existe un ensemble
mesurable E inclus dans [a; b] tel que f soit bornée sur E et |f | < ε.
[a;b]E

Ce théorème lui permit d’étendre quelques propriétés


Z x de l’intégrale aux fonc-
tions non bornées, notamment la continuité de x 7−→ f.
a

En 1903, l’année qui suivit la publication de sa thèse, Lebesgue fut choisi pour
présenter le Cours Peccot au Collège de France. Ce Cours avait été créé par Borel
en 1899, il y avait enseigné jusqu’en 1902 avant de laisser sa place à Lebesgue.
La préparation de ce cours lui permit d’aller plus loin dans sa théorie de l’inté-
gration. Il publiait notamment une note Sur les séries trigonométriques [Lebesgue, 1903],
qui reprenait les études de convergence en considérant les intégrales en son sens.

En 1904, il publia l’ensemble de ses lectures au Cours Peccot dans ses Leçons
sur l’intégration et la recherche de fonctions primitives [Lebesgue, 1904], qui con-
tiennent les nouveaux résultats établis depuis sa thèse. On y trouve notamment
une extension du second théorème fondamental aux dérivées de Dini.

69
5 Les premières applications

Si la théorie de l’intégration de Riemann a traversé deux siècles d’adaptations,


de vérifications et de corrections, il n’a fallu que dix années pour voir la théorie de
Lebesgue adoptée par tous les mathématiciens.
Lebesgue lui-même applique sa théorie à l’étude de la convergence des séries
trigonométriques (cf. Sur les séries trigonométriques, [Lebesgue, 1903]), liées depuis
Fourier à la théorie de l’intégration.
Pierre Fatou (1878-1929), connaisseur des travaux de Lebesgue, fut un des pre-
miers à utiliser l’intégrale de Lebesgue dans ses travaux. On peut signaler l’étroite
relation qui existait entre Fatou et Lebesgue, puisque dans le début de sa thèse
Fatou écrivait :

“Qu’il me soit permis de remercier ici les personnes qui ont bien voulu
m’encourager à entreprendre ce travail : MM. Painlevé et Borel et tout
particulièrement mon ami H. Lebesgue qui n’a cessé de s’intéresser à
mes recherches et dont les conseils m’ont été fort utiles.” 112

En 1906, il utilisait la théorie de la mesure de Lebesgue dans son étude sur


les Séries trigonométriques et séries de Taylor [Fatou, 1906]. Par exemple, dans le
but de montrer l’inégalité de Bessel
Z π ∞
1
f 2 6 a0 + (a2n + b2n )
X
−π 2 n=1

pour les fonctions f positives de carré sommable, il prouva le théorème suivant :

Si des fonctions positives, bornées sommables : f1 (x), f2 (x), ... tendent


vers une fonction bornée ou non f (x) et si
Z b
fn (x)dx
a

reste, quel que soit n, inférieur à un nombre fixe, la fonction f (x) est
intégrable, et l’on a :
Z b Z b
f (x)dx 5 lim . inf . fn (x)dx 113
a a

112. Séries trigonométriques et séries de Taylor, [Fatou, 1906] p.338

70
théorème portant aujourd’hui le nom de lemme de Fatou. On peut remarquer
qu’il s’agissait du premier résultat concernant l’intégrale de Lebesgue qui ne sup-
pose rien sur la fonction limite f .

La même année, Frygies Riesz (1880-1956) introduisait [Riesz, 1906] la classe de


Z 1/2
2
fonctions bornées et sommables sur un ensemble E muni de la distance (f − g) .
Z E
Il remarquait qu’en considérant les fonctions telles que |f | = 0 comme la fonc-
E
tion nulle, on pouvait obtenir un espace métrique. Cette remarque constituait les
débuts de la notion d’espace Lp , que Riesz introduisit et étudia lui-même plus tard
(Untersuchungen über Systeme integrirbarer Funktionen, [Riesz, 1910])

Les travaux sur l’intégrale double ont également évolué suite à la théorie de
Lebesgue.
En 1902, Lebesgue prouvait que si l’interversion
Z Z  Z Z 
dx f (x, y)dy = dy f (x, y)dx
est possible sur un rectangle, alors elle est possible sur tout ensemble mesurable
borné. En effet, si l’on cherche à valider l’interversion pour une fonction f définie
sur E mesurable, il suffit de considérer la fonction f˜ définie sur un rectangle R
contenant E, égale à f sur E et à 0 sur RE.
Ainsi, le fait que f soit mesurable sur E équivaut au fait que f˜ le soit sur R.

En 1907, Guido Fubini (1879-1943) établit le résultat pour un rectangle en


montrant 114 le théorème suivant :

Si f est mesurable sur le rectangle R défini par a 6 x 6 b, c 6 y 6 d, alors


les fonctions x 7−→ f (x, y) et y 7−→ f (x, y) sont mesurables pour presque toutes
Z b
les valeurs de y et x respectivement. De plus, les fonctions y 7−→ f (x, y)dx et
Z d a

x 7−→ f (x, y)dy sont mesurables, et


c
Z d "Z # "Z #
Z b Z b d
f (x, y)dR = dy f (x, y)dx = dx f (x, y)dy
R c a a c

Concernant les probabilités, Borel remarquait en 1905 que l’intégrale de Lebesgue


pouvait s’avérer plus judicieuse d’utilisation que sa propre intégrale. Il notait en
effet :
114. cf. Sugli intergrali multipli, [Fubini, 1907]

71
“Une fonction f (x) est définie pour toutes les valeurs de x comprises
entre 0 et 1 ; elle est égale à 1 si x est commensurable et à 0 si x est
incommensurable ; quelle est sa valeur moyenne ?
Cette question est évidemment équivalente à la suivante :
On sait que x est compris entre 0 et 1 ; quelle est la probabilité pour
que x soit commensurable ?
La réponse évidente aux deux questions précédentes est zéro. Cette
réponse peut-elle se déduire des formules que nous avons rappelées ?
Il ne le semble pas, si l’on se borne aux définitions classiques de l’inté-
grale. Considérons, en effet, une fonction f (x) égale à 0 pour x incom-
mensurable et à 1 pour x commensurable et une fonction F (x) égale à
1 pour x incommensurable et à 0 pour x commensurable ; les intégrales
Z 1 Z 1
f (x)dx, F (x)dx
0 0

sont toutes deux dépourvues de sens ; pour chacune d’elles l’intégrale in-
férieure, au sens de M. Darboux, est égale à zéro et l’intégrale supérieure
égale à un. Donc, quelle que soit la convention que l’on adopte, si cette
convention ne fait dépendre la valeur moyenne que des intégrales précé-
dentes, calculées au sens classique, on devra attribuer la même valeur
moyenne à f (x) et F (x). Or, cette conclusion est absurde, car la valeur
moyenne de f (x) est 0 et la valeur moyenne de F (x) est 1.
Mais, si l’on utilise la nouvelle définition de l’intégrale qui est due
à M. Lebesgue, on reconnaît que chacune des fonctions f (x) et F (x)
est intégrable au sens de M. Lebesgue ou, plus brièvement, intégrable
(L) et que leur intégrale (L) fournit la valeur correcte de la valeur
moyenne ou de la probabilité recherchée. Les méthodes de M. Lebesgue
permettent donc d’étudier des questions de probabilité qui paraissent
inaccessibles par les procédés d’intégration classiques. D’ailleurs, dans
les cas particuliers les plus simples, il suffira de se servir de la théorie
des ensembles que j’avais appelés mesurables et auxquels M. Lebesgue
a donné le nom de mesurable (B)...” 115

Par la suite, Borel continua ses travaux dans la théorie des probabilités, jugeant
que cette branche des mathématiques possédait plus d’applications pratiques.
Peut-être avait-il pris à cœur la remarque de Schienflies à propos du manque
115. Remarques sur certaines questions de probabilité, [Borel, 1905] p.125-126

72
d’applications de sa théorie, à moins qu’il n’y songeât que suite à la remarque que
lui fit Lebesgue en 1918 :
“Jusqu’ici la définition de M. Borel n’a d’ailleurs été utilisée par per-
sonne et, à cause de son caractère tout à fait artificiel, je crois qu’elle
ne le sera jamais”

“Il semble que M. Borel définisse pour le plaisir de définir, et parce qu’il
peut définir sans contradiction, mais que ces définitions n’ont aucun
but” 116
Nous pouvons noter qu’en 1918, Lebesgue et Borel s’étaient disputés suite à
un profond désaccord concernant les positions politiques qu’ils avaient prises lors
de la première guerre mondiale.

Il reste néanmoins que les probabilités furent une des plus importantes ap-
plications de la théorie de Lebesgue. Le lecteur pourra s’en convaincre en lisant
Le hasard, [Borel, 1914], que publiait Borel en 1914, ou les ouvrages retraçant les
travaux de Borel en probabilité, tels que Émile Borel as a probabilist [Knobloch],
The emergence of French Statistics : How mathematics entered the world of statis-
tics in France during the 1920s [Mazliak a] et Borel’s apprenticeship of randomness
[Mazliak b].

116. Remarques sur les théories de la mesure et de l’intégration, [Lebesgue, 1918] p.194 et 196

73
Conclusion
Comme on l’a vu, les années qui suivirent la thèse de Lebesgue virent un
développement sans précédent des études autour de l’intégration moderne et de
ses applications dans de multiples directions de l’analyse. En une vingtaine d’an-
nées, elle avait remporté un succès spectaculaire en s’imposant au monde math-
ématique. “Une généralisation faite non pour le vain plaisir de généraliser, mais
pour résoudre des problèmes antérieurement posés, est toujours une généralisation
féconde”, disait Lebesgue en 1926.
Depuis la définition qu’en avait donnée Cauchy, et depuis les problèmes relatifs
aux séries trigonométriques soulevés par Fourier, les mathématiciens - en partic-
ulier en France, en Allemagne ou en Italie, comme on l’a vu, bientôt rejoints par
leurs collègues des USA, de Russie ou d’ailleurs - n’avaient eu de cesse d’améliorer
ces définitions ou de s’intéresser à ces questions d’analyse. Que ce soit avec la déf-
inition de l’intégrale, de la continuité, de la dérivabilité, ou avec les problèmes de
l’intégration terme-à-terme et de l’intégrale double, c’est dans ce but que Riemann
introduisit ses deux critères, et ce fut dans le souci de généraliser ces critères que
les mathématiciens travaillèrent à faire avancer la théorie.
Les études de Peano, Jordan et Borel, changèrent la façon d’aborder la question.
Le problème topologique, associé à l’ensemble de discontinuité de la fonction inté-
grée, laissait place au problème de définition de l’aire que Lebesgue reprit comme
question centrale de l’intégration.
Il fut ansi le mathématicien qui ouvrit la voie décisive vers la synthèse de deux
siècles de raisonnements. Sa théorie généralisait à la fois les notions introduites
par Riemann, Peano et Jordan, et exploitait la nouvelle approche proposée par
Borel pour mesurer les ensembles. De nombreuses branches des mathématiques,
les mathématiques du hasard tout particulièrement, purent alors prendre appui
sur cette théorie et connaître au XX ème siècle la croissance que l’on sait.

74
Références
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[Du Bois-Reymond, 1875a] Du Bois-Reymond, Paul, “Beweis, dass die Coeffizien-

X
ten der trigonometrischen Reihe f (x) = (ap cos px + bp sin px) die Werthe
p=0

76
Z π Z π Z π
1 1 1
a0 = 2π
dαf (α), ap = π
dαf (α) cos pα, bp = π
dαf (α) sin pα
−π −π −π
haben, jedesmal wenn diese Integrale endlich und bestimmt sind”, 1875a,
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80

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