Wasiolek
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Par : Encadrement :
Victor Wasiolek Laurent Mazliak
28 août 2010
Table des matières
1 Les prémices de l’intégrale 4
1.1 Intégration et séries trigonométriques . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.2 Continuité et définition analytique de l’intégrale . . . . . . . . . . . 10
1.3 De la France à l’Allemagne : convergence des séries de Fourier . . . 14
1.4 Critères d’intégrabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
2 La décennie post-Riemannienne 21
2.1 L’intégration terme-à-terme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
2.2 Un peu de topologie, et les confusions qui s’y rattachent . . . . . . 27
2.3 Les intégrales par excès et par défaut . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
2.4 L’intégration et la dérivabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
2.5 Étendre la théorie de Riemann . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
2.6 La notion d’aire : débuts de la théorie de la mesure . . . . . . . . . 40
3 Mesures et intégration 43
3.1 Définir précisément la notion d’aire . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
3.2 Intégrales doubles et étendues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
3.3 Fonctions analytiques et mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
1
Introduction
Le problème de l’estimation de la mesure des surfaces est extrêmement an-
cien. On possède des traces de tels calculs, souvent en liaison avec des pratiques
ésotériques et religieuses, dans des civilisations très anciennes de l’Antiquité, en
Inde ou en Mésopotamie.
Ce sont cependant les Élements d’Euclide qui nous restent comme témoignage
le plus vieux concernant ces interrogations, et c’est chez Archimède qu’on trouve
systématisées certaines techniques d’approximations, telles que celles consistant à
découper les aires en petits rectangles ou triangles, dont les aires deviennent de
plus en plus petites, et sommer ces aires.
L’apparition de la notion de fonction et d’intégrale au XV II ème siècle allait
établir un lien entre la question, géométrique, de la mesure des aires et celle,
analytique, du calcul des intégrales. Le travail qui suit veut suivre l’évolution
de ce lien entre la fin du XV III ème siècle et le début du XX ème siècle, où les
travaux révolutionnaires de Lebesgue changèrent l’approche de l’intégrale au point
de surmonter nombre des difficultés accumulées suite aux questions soulevées par
les recherches dans le courant du XIX ème siècle, au premier rang desquelles on
trouve les études sur les développements en séries trigonométriques, inaugurées
par Fourier.
Notre article se veut une étude historique. Elle se fonde sur les ouvrages et
articles des différents acteurs de cette histoire, afin de les commenter et de rendre
compte au mieux des multiples évolutions de cette théorie. Naturellement, un pro-
cessus historique s’inscrivant dans des temps et lieux donnés, nous aurons aussi
à évoquer les contextes dans lesquels cette trame a pu s’inscrire - contexte social
et politique dont l’intéraction avec notre sujet se montrera parfois plus présente
qu’on ne s’y attendrait en premier lieu. Nous prendrons également en compte un
certain nombre de sources secondaires traitant des sujets que nous considérons,
dont l’importance a naturellement attiré l’attention de nombreux historiens par
le passé. Plus particulièrement, cette étude s’appuie en grande partie sur le cours
du Master de Mathématiques de l’Université Pierre et Marie Curie (Paris), inti-
tulé “Histoire des mathématiques : construction d’un objet mathématique”, que
Laurent Mazliak a enseigné depuis l’année scolaire 2008-09.
Notre travail est organisé comme suit. Nous étudierons dans un premier temps
la manière dont la définition de l’intégrale s’est mise en place avec Cauchy, et les
différents problèmes que soulevaient ces définitions, notamment quand il s’agissait
de les faire fonctionner dans le cadre des études de Fourier et de ses successeurs,
au premier rang duquel Dirichlet. Nous étudierons les évolutions de ces définitions,
et en particulier les travaux fondateurs de Riemann. Puis, en évoquant les notions
qui ont permis aux mathématiciens de traiter des problèmes annexes, en partic-
ulier autour des questions fondant la théorie des ensembles et la topologie, nous
2
constaterons les bouleversements qu’engendrèrent les théories de Peano, Jordan et
Borel, et plus particulièrement ce dont s’est inspiré Lebesgue pour construire ce
qui deviendra la théorie de la mesure adoptée par les mathématiciens à partir du
XX ème siècle.
3
1 Les prémices de l’intégrale
Si Jean Baptiste Joseph Fourier (1768-1830) n’a pas consacré ses études mathé-
matiques à la théorie de l’intégration, sa Théorie analytique de la chaleur [Fourier, 1822]
fut un élément central pour le développement de cette théorie, ou plutôt de ces
théories. Son étude sur les séries trigonométriques favorisa l’émergence de nou-
veaux questionnements sur lesquels de nombreux mathématiciens du XIX ème siè-
cle allaient se pencher : nombre de travaux sur l’intégrale furent motivés par les
propriétés de convergence des séries de Fourier, et comme nous allons le voir tout
au long de cet article, les deux théories progressèrent simultanément.
Après avoir intégré l’École Normale en 1795 1 , Fourier eut l’occasion d’enseigner
à l’École Polytechnique en 1797, puis de faire partie de l’expédition d’Égypte en
1798. Remarqué pour ses qualités d’organisateur, il fut nommé à la préfecture
de l’Isère en 1801 2 , et c’est à Grenoble que Fourier s’intéresse à la théorie de
la propagation de la chaleur. Il présenta son mémoire à l’Académie des Sciences,
la Théorie analytique de la chaleur [Fourier, 1822], en 1807. Cette dernière sera
écartée pour manque de rigueur et pour son côté novateur. Néanmoins, ce même
mémoire recevra en 1811 le prix de l’Académie, et ne sera publié qu’en 1822.
Rappelons dans un premier temps que Fourier avait une approche des notions
de fonction, de continuité, de discontinuité, d’infini, ou d’aire, sensiblement dif-
férentes de la conception contemporaine.
Fourier ayant reçu son éducation au XV III ème siècle, il conservait la même
notion d’une fonction discontinue que Leonhard Euler (1707-1783), le plus grand
analyste de ce siècle. Apparemment, ce dernier voyait les fonctions discontinues
comme des fonctions qui se définissaient par morceaux, à l’aide de plusieurs for-
mules ; Fourier aurait gardé cette idée-là.
4
“On voit ici un second exemple d’une fonction d’une fonction
Z ∞
discon-
2 dq cos qx
tinue exprimée par une intégrale définie. Cette fonction π
0 1 + q2
−x x
équivaut à e lorsque x est positive, mais elle est e lorsque x est néga-
tive.” 3
5
où ∆ désigne le Laplacien.
En dimension 1, Jean Le Rond D’Alembert (1717-1783) avait prouvé 6 en 1747
grâce à l’étude de la corde vibrante - pour laquelle les ondes vérifiaient le même
type d’équation - que les solutions étaient de la forme :
1
T (x, t) = [f (x + t) + f (x − t)]
2
où f devait être continue pour D’Alembert, mais pouvait être discontinue pour
Euler (continue et discontinue au sens du XV III ème siècle).
Plus tard, Daniel Bernoulli (1700-1782) montrait que cette fontion f doit néces-
sairement être de la forme :
πx 2πx 3πx
f (x) = a1 sin( ) + a2 sin( ) + a3 sin( ) + ...
L L L
où L désigne la longueur de la corde vibrante. Bernoulli émit alors l’hypothèse
que n’importe quelle fonction “arbitraire” définie sur un intervalle fini de longueur
L peut s’écrire sous la forme d’une série trigonométrique. Il resterait à savoir ce
que Bernoulli entendait par fonction “arbitraire”, même s’il s’agissait probablement
de la même notion que celle de Fourier. Dans tous les cas, la nécessité de cette
forme n’était pas claire pour de nombreux mathématiciens, dont D’Alembert, qui
certes considérait que les fonctions de Bernoulli étaient solutions de l’équation de
la chaleur, mais ne pensait pas que ces fonctions étaient les seules.
Fourier s’est certainement inspiré des résultats de Bernoulli pour ses travaux,
puisqu’il cherchait à prouver que toute fonction bornée définie sur un intervalle de
longueur 2a peut s’écrire sous la forme
+∞
1 nπx nπx
X
f (x) = a0 + (an cos + bn sin )
2 n=1 a a
avec
1Z a nπx
an = f (x) cos dx
a −a a
1Z a nπx
bn = f (x) sin dx
a −a a
6
“Il faut en général, pour construire les valeurs des coëfficients a b c d e...
etc., imaginer que les courbes, dont les équations sont
1
πϕx = a sin .x + b sin .2x + c sin .3x + d sin .4x + etc.” 7
2
Si nous savons aujourd’hui que le résultat de Fourier n’est pas valable pour
toute fonction “arbitraire”, il reste que son raisonnement va mettre en exergue
les questions que vont se poser de nombreux mathématiciens dans les années qui
suivent.
La première preuve que Fourier donne de son résultat passe par une résolution
de systèmes linéaires. Il prend une fonction “arbitraire”, qu’il développe en série
entière, puis cherche à déterminer les coefficients de Fourier par identification avec
les coefficients de la série entière.
7
x2 00 x3 000 x4 iv x5
ϕx = xϕ0 0 + ϕ 0+ ϕ 0+ ϕ 0+ ϕv 0 + ... etc.
2 2.3 2.3.4 2.3.4.5
dans laquelle ϕ0 0, ϕ00 0, ϕ000 0, ϕiv 0, etc. désignent les valeurs que prennent
les coëfficients
x3 x5 x7 x9
ϕx = Ax − B +C −D +E − etc.
2.3 2.3.4.5 2.3.4.5.6.7 2.3.4.5.6.7.8.9
on aura ϕ0 = 0 et ϕ0 0 = A
ϕ00 0 = 0 ϕ000 0 = B
iv
ϕ 0=0 ϕv 0 = C
ϕvi 0 = 0 ϕvii 0 = D
etc. etc.
Si maintenant on compare l’équation précédente à celle-ci
ϕx = a sin .x + b sin .2x + c sin .3x + d sin .4x + e sin .5x + etc.
8
“On peut aussi vérifier l’équation précédente 9 en déterminant immé-
diatement les quantités a1 a2 a3 ...aj etc., dans l’équation :
S(φx. sin ixdx) =a1 S(sin x. sin ixdx) + a2 S(sin 2x. sin ixdx)+
...aj S(sin jx. sin ixdx) + ... etc.
PR
On peut remarquer que Fourier ne prête pas attention à l’interversion - (que
Fourier notait S), il faudra d’ailleurs attendre les années 1860 pour que Weierstrass
s’intéresse réellement à ce problème. Fourier omet également de se demander si les
intégrales S(φx. sin ixdx) existent pour n’importe quelle fonction φ.
9
C’est probablement parce que les fonctions auxquelles il songeait devaient cor-
respondre à une situation physique concrète que Fourier n’était pas préoccupé par
l’existence de fonctions qui ne seraient pas développables en séries trigonométriques.
Comme c’était le cas pour Fourier, Cauchy paraît avoir eu une notion de fonc-
tion assez générale. En effet, Cauchy disait que y était une fonction de x si une
valeur particulière de x détermine une valeur de y.
Cependant les notes de cours de 1821 et 1823 semblent indiquer que Cauchy
sépare les fonctions en deux catégories : celles définies par une unique formule,
et celles définies par le fait d’être solution d’une équation donnée. La notion de
fonction est donc généralisée, mais on ne peut toujours pas considérer ces fonctions
comme des fonctions quelconques au sens moderne.
10
“Cela posé, la fonction f (x) sera, entre les deux limites assignées à la
variable x fonction continue de cette variable, si, pour chaque valeur de
x intermédiaire entre ces limites, la valeur numérique de la différence
f (x + α) − f (x)
décroît indéfiniment avec celle de α. En d’autres termes, la fonction
f (x) restera continue par rapport à x entre les limites données, si, entre
ces limites, un accroissement infiniment petit de la variable produit
toujours un accroissement infiniment petit de la fonction elle-même.” 13
f (x + α) − f (x) −−→ 0
α→0
Par la suite, cette définition de la discontinuité n’a pas été adoptée. La plupart
des mathématiciens considèraient une fonction comme discontinue lorsqu’elle est
de la forme
13. Cours d’analyse algébrique, [Cauchy, 1821] p.43
14. Par exemple, si l’on considère la fonction :
1 p
q si x = q ∈ Q, p ∧ q = 1
f (x) =
0 sinon
On montre que f est continue sur les irrationnels et discontinue sur les rationnels ; elle
sera donc pour Cauchy discontinue partout, puisque chaque voisinage d’un point contient des
rationnels.
15. Cours d’analyse algébrique, [Cauchy, 1821] p.43
11
n
X
χIi (x)gi (x)
i=1
Par la suite, et notamment dans son Mémoire sur les fonctions discontinues
[Cauchy, 1849], Cauchy reprendra cette définition de la discontinuité, mais avec
les gi continues en son sens :
Dans ses notes de 1823 [Cauchy, 1823], Cauchy donne sa définition de l’intégrale
pour une fonction continue sur un intervalle [x0 ; X]. Il commence par partitionner
l’intervalle en x0 < x1 < ... < xn−1 < xn = X, puis considère la somme
16. Mémoire sur les fonctions discontinues, [Cauchy, 1849] p.123-124
17. Cours d’analyse algébrique, [Cauchy, 1849] p.123
12
n
X
S= (xi − xi−1 )f (xi−1 )
i=1
|S − S 0 | −−−−−
0
−→ 0
|P −P |→0
La série S est donc une série qui vérifie le critère de Cauchy (un des outils
fondamentaux introduit dans les travaux d’analyse de Cauchy), et qui converge
donc vers un nombre réel que Cauchy appelle l’intégrale définie de f entre x0 et
X.
Dans la suite de son Résumé des leçons sur le calcul infinitésimal [Cauchy, 1823],
Cauchy va introduire la fonction
Z x
F(x) = f (x)dx (notations de Cauchy)
x0
– Si π 0 (x) = 0 pour tout x dans [x0 ; X] alors π(x) reste constant sur cet
intervalle.
18. Résumé des leçons sur le calcul infinitésimal, [Cauchy, 1823] p.122-123
19. Résumé des leçons sur le calcul infinitésimal, [Cauchy, 1823] p.125
13
Les deux résultats en question, que nous appelerons “Théorèmes fondamentaux
de l’intégration” :
– Théorème 1 :
d Zx
f (t)dt = f (x)
dx a
– Théorème 2 : Z b
f 0 (t)dt = f (b) − f (a)
a
joueront par la suite un rôle essentiel, lorsque l’on cherchera à préciser sous
quelles hypothèses ils restent valables.
Dans le cas de Cauchy, celui-ci a prouvé le premier théorème fondamental pour
f continue, et le second théorème fondamental pour f et f 0 continues, où l’intégrale
doit être comprise au sens de Cauchy.
Cauchy a d’ailleurs remarqué que l’on peut étendre cette définition aisément
P
aux fonctions f discontinues (en son sens, c’est-à-dire χIi gi , avec les gi continues).
Il suffit simplement de remarquer qu’en une discontinuité c, les deux limites
Z c−ε
lim f
ε→0 x0
Z X
lim f
ε→0 c+ε
Les deux théorèmes fondamentaux peuvent alors se prouver pour les fonctions
discontinues en un nombre fini de points. C’est à Peter Gustav Lejeune-Dirichlet
(1805-1859) que reviendra quelques années plus tard le mérite de s’intéresser au
cas où les fonctions sont discontinues sur une infinité de points.
Comme nous allons le voir, Dirichlet fut le personnage qui réalisa le transfert en
Allemagne des résultats et méthodes de l’analyse française, et c’est en grande partie
grâce à Dirichlet que la théorie de l’intégration a pu se développer en Allemagne.
14
En 1820, on enseigne la Théorie de la chaleur [Fourier, 1822] à Dirichlet à Cologne.
L’anné suivante, il part à Paris dans le but de suivre de meilleures études. Il alla à
l’Université de Paris ainsi qu’au Collège de France, où il suivit les cours de Fourier.
En 1823 il devient tuteur des enfants du général Foy. La mort de ce dernier lui
fait quitter la France pour retourner en Allemagne fin 1825. Il enseignera par la
suite à l’université de Breslau (1827), au collège militaire de Berlin (1828), puis à
l’université de Berlin (1828-1843). Avec la présence de Dirichlet débute l’“âge d’or
des mathématiques” à Berlin.
En 1829, il publie un papier Sur la convergence des séries trigonométriques qui
servent à représenter une fonction arbitraire entre des limites données [Dirichlet, 1829],
contenant pour la première fois une étude complète sur la convergence des séries
de Fourier. L’article, publié en Français, s’adresse clairement à ses anciens maîtres
parisiens. Ce n’est que huit ans plus tard, en 1837, que Dirichlet publie une nouvelle
version de ses travaux en Allemand 20 .
Comme nous l’avons dit plus haut, la note de 1829 de Dirichlet fut la première
preuve rigoureuse de la convergence de la série de Fourier associée à une fonction f .
Les hypothèses sur f étaient différentes de celles de Fourier, mais il est intéressant
de voir que Dirichlet ne cherche plus à prouver que la série de Fourier converge
vers f (x), mais vers 22
20. Ueber die Darstellung ganz willkürlicher Functionen durch Sinus und Cosinusreihen,
[Dirichlet, 1837]
21. Sur la convergence des séries trigonométriques qui servent à représenter une fonction ar-
bitraire entre des limites données, [Dirichlet, 1829] p.159
22. notons que Dirichlet ne regarde plus les intervalles [−a; a] mais simplement l’intervalle
[−π; π], et que la formule suivante diffère aux points −π et π
15
1
(f (x+ ) + f (x− ))
2
(notations actuelles, Dirichlet utilise quant à lui les notations f (x + ε) et f (x −
ε)).
L’hypothèse faite sur la fonction f est qu’elle ait un nombre fini de maxima,
de minima, et de points discontinus (au sens “non continu”, et non au sens de
Cauchy) entre −π et π.
“Il est nécessaire qu’alors la fonction φ(x) soit telle que, si l’on désigne
par a et b deux quantités quelconques comprises entre −π et π, on
puisse toujours placer entre a et b d’autres quantités r et s assez rap-
prochées pour que la fonction reste continue dans l’intervalle de r à
s.” 23
La note qu’il promet, où cette extension devait être expliquée, ne paru jamais.
16
C’est cependant dans cette thèse que Lipschitz introduira pour la première fois
ce que l’on appelle la condition de Lipschitz, condition qui va lui servir à remplacer
l’hypothèse de Dirichlet sur le nombre de maxima et de minima.
“On aurait un exemple d’une fonction qui ne remplit pas cette condi-
tion, si l’on supposait ϕ(x) égale à une constante déterminée c lorsque
la variable x obtient une valeur rationelle, et égale à une autre constante
d, lorsque cette variable est irrationnelle. La fonction ainsi définie a des
valeurs finies et déterminées pour toutes valeurs de x, et cependant on
n’en saurait la substituer dans la série, attendu que les différentes in-
tégrales qui entrent dans cette série, perdroient toute signification dans
ce cas.” 25
Henri Léon Lebesgue (1875-1941) donnera pourtant une définition qui permet
ce calcul.
On peut remarquer par ailleurs que Dirichlet fut le premier à introduire les
fonctions intégrables comme une catégorie de fonctions.
Mais si Dirichlet s’impose des conditions sur ses fonctions f pour qu’elles soient
intégrables, il ne s’intéressera pas au fait de trouver des propriétés caractéristiques
de f garantissant son intégrabilité. Ce sera Bernhard Riemann (1826-1866), un de
ses étudiants, qui se penchera plus profondément sur la question.
C’est en effet Riemann, un des mathématiciens les plus inventifs du XIX ème
siècle, qui acheva d’autonomiser le concept de l’intégration.
Après avoir suivi les cours de Carl Friedrich Gauss (1777-1855) à Göttingen en
1846, c’est à Berlin, en 1847, que Riemann suivit les cours de Dirichlet et entra en
contact avec la théorie de l’intégration.
En 1849, il retourna à Göttingen pour préparer son doctorat sous la tutelle de
Gauss.
25. Sur la convergence des séries trigonométriques qui servent à représenter une fonction ar-
bitraire entre des limites données, [Dirichlet, 1829] p.169
17
Il présenta sa thèse, Grundlagen für eine allgemeine Theory der Functionen
einer veränderlichen complesen Grösse [Riemann, 1851], deux ans plus tard. Il
obtint alors un poste d’assistant à Göttingen, et commença à préparer sa thèse
d’habilitation.
Il présente cette dernière en 1854 : Über die Darstellbarkeit einer Function
durch eine trigonometrische Reihe (Sur la possibilité de représenter une fonction
par une série trigonométrique) [Riemann, 1867], où il poursuit les idées de Dirichlet
et donne ses propres conditions d’intégrabilité. Elle ne sera publiée qu’un an après
sa mort, en 1867, par un de ses étudiants de Göttingen : Dedekind. En effet,
Riemann mourut prématurément suite à une santé précaire. En 1863, suite à une
tuberculose, il partait en Italie, où il retrouvait Enrico Betti (1823-1892), Felice
Casorati (1835-1890) et Francesco Brioschi (1824-1897), mathématiciens italiens
qui l’avaient visités à Göttingen lors d’un voyage de 1858. Ces visites et ces relations
privilégiées italo-allemandes constituèrent un socle pour le futur développement
des mathématiques en Italie, comme nous le verrons ensuite.
“Riemann était lié à Dirichlet par une solide complicité reposant sur
une même façon de penser. Dirichlet aimait se rendre claires les notions
d’une façon intuitive ; en parallèle, il se livrait à des analyses logiques
fines de questions fondamentales et évitait les longs calculs autant qu’il
était possible. Sa démarche convenait à Riemann, qui l’adopta et tra-
vailla selon les méthodes de Dirichlet.” 26
Riemann était convaincu tout comme Dirichlet que toute fonction continue de
la variable réelle pouvait se développer en sa série de Fourier. De plus, il considérait
que “les fonctions qui ne sont pas du type considéré par Dirichlet n’arrivent pas
dans la nature” 27 . Pourtant, Riemann jugeait nécessaire de justifier les développe-
ments de Fourier pour des fonctions plus générales : d’une part parce que, selon lui
et Dirichlet, cette théorie peut s’avérer utile dans le calcul infinitésimal ; et d’autre
part car les mathématiques ne se limitent plus aux applications de la physique, mais
26. Development of mathematics in the Nineteenth century, [Klein, 1979] p.234-235
27. Gesammelte mathematische Werke und Wissenschaftlicher Nachlass, [Riemann, 1902]
p.237
18
peuvent servir à ce qu’il nommait les “mathématiques pures” 28 (ayant probable-
ment en tête ce que nous appelons aujourd’hui la théorie analytique des nombres).
Lorsqu’il parle de fonctions quelconques, Riemann suit l’idée de Dirichlet d’une
correspondance arbitraire x 7−→ f (x).
D1 δ1 + D2 δ2 + ... + Dn δn −−−→ 0
|P |→0
sup |f | − inf |f |
[xi−1 ;xi ] [xi−1 ;xi ]
Si Riemann prouve l’équivalence entre les deux critères, il ne montre pas l’équiv-
alence entre la définition de Cauchy de l’intégrale et le critère (R1 ). Pour lui, il
s’agit juste d’une reformulation de la définition de l’intégrabilité.
On pourra voir plus tard que ce critère (R2 ) est proche de la Jordan-mesurabilité,
et plus particulièrement de ce que Camille Jordan (1838-1922) appellera “mesure
extérieure”.
On peut remarquer que ces deux critères ne font pas intervenir la continuité de
la fonction f . D’ailleurs, Riemann va donner un exemple de fonction, discontinue
28. Gesammelte mathematische Werke und Wissenschaftlicher Nachlass, [Riemann, 1902]
p.238
19
“sur une infinité de points dans chaque intervalle”, et qui va tout de même vérifier
(R2 ). Il s’agit de la fonction :
1
Ω(x) = a0 + a1 cos(x) + b1 sin(x) + ... + an cos(nx) + bn sin(nx) + ...
2
où les an et bn deviennent quelconques. Riemann cherchera alors des conditions
nécessaires et suffisantes pour qu’une fonction soit représentée non plus par sa série
de Fourier, mais plus généralement par une série trigonométrique.
20
2 La décennie post-Riemannienne
Comme nous l’avons constaté grâce à Fourier et Cauchy, les débuts de la théorie
de l’intégration naissaient principalement en France.
Suite à Dirichlet et Riemann, les travaux mathématiques concernant l’intégra-
tion migraient en Allemagne. Et comme nous allons le voir, différents événements
ont permis aux Italiens de s’y intéresser à leur tour, et d’autres ont permis aux
Français de voir renaître cet intérêt.
Par exemple, en 1870, Heinrich Eduard Heine (1821-1881) joua comme nous
allons le voir un rôle précurseur dans la validité de l’intégration terme-à-terme.
PR
On peut rappeler que Fourier admettait l’interversion - sans se poser la
question de la validité. Plus tard, que ce soit avec Cauchy ou Gauss, on continuait
à admettre cette interversion :
Z X Z X Z X Z X Z X
(2) u0 dx, u1 dx, u2 dx, u3 dx, ..., un dx, ...
x0 x0 x0 x0 x0
21
THÉORÈME 1. - Supposons que, les deux limites x0 , X étant des quan-
tités finies, la série (1) soit convergente, non seulement pour x = x0 et
pour x = X, mais aussi pour toutes les valeurs de x comprises entre
x0 et X. La série (2) sera elle-même convergente ; et si l’on appelle s
la somme de la série (1), la série (2) aura pour somme l’intégrale
Z X
sdx.” 29
x0
22
Ce dernier aurait eu vent des idées de Weierstrass grâce à Georg Cantor (1845-
1918). Ce dernier partait de Berlin en 1867 pour aller à Halle, ville où enseignait
Heine.
Également au courant des travaux de Dirichlet, Heine s’était rendu compte que
la convergence ne pouvait être uniforme au voisinage des points où f (x+ ) 6= f (x− ),
c’est pourquoi il introduisit la notion de convergence uniforme “en général” : une
série converge uniformément “en général” s’il existe un ensemble P fini tel que sur
chaque intervalle de [a; b] ne rencontrant pas P , la convergence est uniforme. Heine
réduisait alors son problème d’unicité à :
+∞
1 X
a0 + an cos(nx) + bn sin(nx) = 0 =⇒ an = 0, bn = 0
2 n=1
dans le cas où la convergence est uniforme “en général” (avec P fini). Sa démon-
stration reprendra les idées de Riemann lorsqu’il distinguait séries trigonométriques
et séries de Fourier (cf. 1.4).
Heine savait que sa condition n’était que suffisante, aussi réussit-il à convaincre
Cantor de s’intéresser au cas où la convergence uniforme en général n’était plus
vérifiée. Ainsi, dans un papier de 1872 32 , Cantor s’intéresse à étendre la proposition
de Heine au cas où l’ensemble P deviendrait infini.
23
“Theorem. Wenn eine Gleichung besteht von der Form :
d0 = 0, cn = dn = 0.” 33
On peut remarquer que si Heine et Cantor ont prouvé l’unicité des coefficients,
ils ne se sont pas penchés sur la nature de ces coefficients. Ce furent deux Italiens,
Giulio Ascoli (1843-1896) et Ulisse Dini (1845-1918), qui se demandèrent si ces
coefficients sont bien ceux décrits par Fourier.
En outre, les mathématiques allemandes auront une grande influence sur les
mathématiques italiennes. En effet, comme nous l’avons déjà remarqué (cf. 1.4),
les Italiens auront des liens privilégiés avec les Allemands, et ce jusqu’à l’aube de
la première guerre mondiale. On l’a vu avec Riemann : Betti, Brioschi et Casorati
sont venus lui rendre visite à Göttingen en 1858 ; et Riemann a rejoint Betti en
1863 suite à ses problèmes de santé. Par ailleurs, ces trois Italiens sont également
passés à Paris et Berlin au cours de leur visite.
24
Aussi, entre 1872 et 1874, Ascoli et Dini se penchèrent à leur tour sur le prob-
lème de l’unicité des coefficients dans une série trigonométrique.
Ils prouvèrent non seulement l’unicité - dans le cas où l’ensemble des points
de discontinuité est fini pour Ascoli 36 , et dans le cas où le dérivé de cet ensemble
est fini pour Dini 37 - mais ils montrèrent de plus que ces coefficients étaient bel et
bien les coefficients introduits par Fourier :
1 Zb
an = f (x) cos(nx)dx
b−a a
1 Zb
bn = f (x) sin(nx)dx
b−a a
Là encore, leurs preuves sont basées sur les premiers résultats de Riemann sur
les séries trigonométriques (cf. 1.4).
Quant aux mathématiques françaises, ces dernières ont connu un certain déclin
suite à la défaite de 1870 contre la Prusse. Pasteur, par exemple, critiquait la faib-
lesse des sciences françaises, notamment de l’École Polytechnique, et les rendait
coupable de cette défaite. Cependant, les scientifiques français souhaitaient “re-
construire” leur renommée internationale :
“Je vous disais donc quand M. Chasles est venu que nous avons besoin
de refaire notre enseignement supérieur. Je pense que vous êtes du
même avis, les Allemands nous enfoncent par le nombre, là comme
ailleurs. Je crois que si cela continue les Italiens nous dépasseront avant
peu. Aussi tâchons avec notre Bulletin de réveiller ce feu sacré et de
faire comprendre aux Français qu’il y a un tas de choses dans le monde
dont ils ne se doutent pas, et que si nous sommes toujours la Grrrande
nation, on ne s’en aperçoit guère à l’étranger.” 38
36. cf. Ueber trogonometrischen Riehen, [Ascoli, 1873]
37. cf. La serie de Fourier, [Dini, 1874]
38. 1870, correspondance entre Darboux et Houël, cf. cours de Laurent Mazliak
25
C’est dans ce Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques, créé par
Jean Gaston Darboux (1842-1917) en 1869, que ce même Darboux publia la tra-
duction française de la thèse d’habilitation de Riemann, en 1873, permettant à la
France de se tenir au courant des avancées de la théorie de l’intégration.
Deux ans plus tard, en 1875, Darboux publia un Mémoire sur les fonctions
discontinues, ouvrage dôté d’une grande précision et d’une grande rigueur.
“Au risque d’être trop long, j’ai tenu avant tout, sans y réussir peut-
être, à être rigoureux. Bien des points, qu’on regardait à bon droit
comme évidents ou que l’on accorderait dans les applications de la sci-
ence aux fonctions usuelles, doivent être soumis à une critique rigoureuse
dans l’exposé des propositions relatives aux fonctions les plus générales.” 39
qui est convergente pour toute valeur de x. La série n’est pas égale-
ment convergente dans l’intervalle (0, 1). En effet, le reste Rn a pour
expression
2 x2
Rn = n2 x2 e−n ;
il tend vers 0 avec n1 , quelle que soit la valeur fixe donnée à x. Mais,
dans l’intervalle (0, 1), il y a toujours une valeur de x égale à n1 pour
39. Mémoire sur la théorie des fonctions discontinues, [Darboux, 1875] p.58
26
laquelle on a Rn = 1e . Donc Rn ne peut pas être rendu, quel que soit
x, plus petit que σ pour une valeur fixe donnée à n ; son maximum ne
tend pas vers zéro quand n augmente indéfiniment. Si l’on prenait la
série
2 x2 2 x2
[n2 xe−n − (n + 1)2 xe−(n+1)
X
],
le reste Rn tendrait bien vers zéro avec n1 , pour toute valeur fixe de x ;
mais la valeur maximum ne dans l’intervalle (0, 1), au lieu de tendre
vers zéro, croîtrait indéfiniment avec n.” 40
Depuis l’étude de Dirichlet sur les séries trigonométriques (cf. 1.3), les points de
discontinuité semblaient être le cœur du problème de l’intégrabilité d’une fonction.
Ainsi l’étude de l’ensemble de ces points paraissait naturelle, et notamment les
propriétés que cet ensemble devait vérifier.
C’est dans ce besoin d’étudier les ensembles que naquirent les premiers concepts
de topologie.
Pourtant, en 1875, Henri John Stephen Smith (1826-1883) donnait des exemples
et des méthodes de construction de tels ensembles 41 :
40. Mémoire sur la théorie des fonctions discontinues, [Darboux, 1875] p.77-78
41. Smith qualifiera les ensembles rares de “in loose order”
27
“Let m be any given integral number greater than 2. Divide the interval
from 0 to 1 into m equal parts ; and exempt the last segment from any
subsequent division. Divide each of the remaining m − 1 segments into
m equal parts ; and exempt the last segment of each from any subsequent
division. If this operation be continued ad infinitum, we shall obtain an
infinite number of points of division P upon the line from 0 to 1. These
points are in loose order [...]” 42
T
Si l’on note En le n-ième ensemble obtenu, alors En est l’ensemble rare décrit
par Smith.
1 1 1
x= + + ... + ,
a1 a2 as+1
where a1 , a2 , ..., as+1 are positive integers. Assuming (what has just been
proved for s = 2) that the system Ps is in loose order over the whole
42. On the integration of discontinuous functions, [Smith, 1875] p.145-146
28
interval from 0 to 1, we shall prove the same thing for the system Ps+1 .
Let x = L1 , x = L2 be any two consecutive points of the system Ps ;
and consider as before the interval ( µLµ+1 1 +L2
, L2 ). If the point Ps+1 , or
1 1 1
x = a1 + a2 + ... + as+1 , lies on this interval, we must have, besides the
inequality
1 1 1 µL1 + L2
+ + ... + = ,
a1 a2 as+1 µ+1
the s + 1 inequalities included in the formula
1 1 1 1
+ + ... + 5 L1 + ,
a1 a2 as+1 ai
because no point of the system Ps can be between L1 and L2 . These
inequalities give
µ+1
ai 5 , i = 1, 2, 3, ..., s + 1,
L2 − L1
whence we may infer, precisely as in the case in which s = 2, that the
points Ps+1 are in loose order over the whole of interval from 0 to 1. 43
Cependant Smith ne sera que peu lu, et il faudra attendre Vito Volterra (1860-
1940) en 1881 et Cantor en 1883 pour rendre ces exemples connus 44 .
Ainsi Hermann Hankel (1839-1873), en 1870 [Hankel, 1870], confondait les en-
sembles rares et les ensembles inclus dans des intervalles de longueur arbitraire-
ment petite (c’est-à-dire de mesure nulle). En fait, Hankel confondait les ensembles
“topologiquement négligeables” (appelés aujourd’hui ensembles rares) avec les en-
sembles négligeables du point de vue de la mesure.
29
Quant à Lipschitz, il prouvait [Lipschitz, 1864] le résultat de Cantor à propos
de la validité de l’intégration terme-à-terme pour P (n) fini 45 (il le prouvait pour
P 0 , mais son résultat peut s’étendre aux ensembles de première espèce), mais il
en concluait à tort que le résultat était vrai pour P rare. Il confondait donc les
ensembles rares et de première espèce.
Seul Dini, dans un papier de 1878 pourtant [Dini, 1878], ne confondait pas P de
première espèce et P rare. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que la plupart
des preuves dans l’article de Dini impliquant des ensembles P de première espèce
peuvent s’étendre aux ensembles P de mesure nulle.
C’est avec Cantor que les trois notions commencent réellement à se distinguer.
30
Emile Borel (1871-1956), dont nous parlerons plus tard, s’inspirera beaucoup
des notions topologiques de Cantor pour introduire sa notion de mesure.
Ce n’est qu’en 1875 que cette équivalence sera prouvée. Carl Johannes Thomae
(1840-1921), mathématicien allemand, introduisit 51 pour cela les sommes partielles
X X
Mi δi et mi δi
où les Mi et mi sont les extrema de la fonction. Puis il prouva que ces deux
sommes convergent toujours lorsque la fonction est bornée, qu’elle soit Riemann-
intégrable ou non. Il montra ensuite que l’égalité des deux limites équivaut à la
fois au critère (R1 ) et à la convergence des séries de Cauchy, ce qui achève la
démonstration.
Les termes “intégrale par excès” et “intégrale par défaut”, correspondants aux
limites des deux séries introduitesR par RThomae, seront introduits plus tard par
Volterra 52 , ainsi que les notations et .
31
“Nous formerons ainsi n intervalles, et nous désignerons par Mi , mi ,
∆i la limite maximum, la limite minimum et l’oscillation dans le ième
intervalle. Formons les trois sommes
M = M1 δ1 + M2 δ2 + ... + Mn δn ,
m = m1 δ1 + m2 δ2 + ... + mn δn ,
∆ = ∆1 δ1 + ∆2 δ2 + ... + ∆n δn ,
entre lesquelles existe la relation identique
∆=M −m
Je dis que, lorsqu’on prendra n suffisamment grand, et que tous les in-
tervalles δ tendront vers zéro, les trois sommes précédentes, quelle que
soit la fonction considérée, continue ou discontinue, tendront chacune
vers une limite finie et déterminée, ne dépendant que de la nature de
la fonction et des valeurs extrêmes a, b qui limitent l’intervalle consid-
éré.” 54
54. Mémoire sur la théorie des fonctions discontinues, [Darboux, 1875] p.65P
∞
55. Beweis, dass die Coeffizienten der trigonometrischen Reihe f (x) = p=0 (ap cos px +
1
R π 1 π
R 1 π
R
bp sin px) die Werthe a0 = 2π −π
dαf (α), ap = π −π dαf (α) cos pα, b p = π −π dαf (α) sin pα
haben, jedesmal wenn diese Integrale endlich und bestimmt sind, [Du Bois-Reymond, 1875a]
32
appelées aujourd’hui “fonctions en escaliers” ; puis il étendit la formule aux
fonctions f Riemann-intégrables, en utilisant le fait que les intégrales des fonctions
Z b
en escalier convergent vers f pour des mj bien choisis.
a
33
Ainsi le premier théorème fondamental ne peut s’appliquer sur F , et le raison-
nement de Cauchy, selon lequel le premier théorème implique le second, ne peut
pas non plus s’appliquer.
Weierstrass donna quant à lui, en 1872, un exemple de fonction continue dériv-
able nulle part 58 .
“Es sei x eine reelle Veränderliche, a eine ungrade ganze Zahl, b eine
positive Constante, kleiner als 1, und
∞
bn cos(an xπ);
X
f (x) =
n=0
so ist f (x) eine stetige Function, von der sich zeigen lässt, dass sie,
sobald der Werth des Products ab eine gewisse Grenze übersteigt, an
keiner Stelle einen bestimmten Differentialquotienten besitzt.” 59
Dans son Mémoire [Darboux, 1875], Darboux voulut en outre prouver le deux-
ième théorème fondamental indépendamment du premier, afin de contourner la
raisonnement de Cauchy. Il y parvint en utilisant le théorème des accroissements
finis, avec pour simple hypothèse le fait que f 0 soit intégrable.
58. Apparemment Bolzano avait déjà trouvé une telle fonction en 1861, mais cet exemple n’a
pas été publié avant 1930
59. Mathematische Werke, [Weierstrass, 1894-1927] p.72
60. Mémoire sur la théorie des fonctions discontinues, [Darboux, 1875] p.107
34
“Il semble difficile d’indiquer un caractère général qui permette de
reconnaître si une fonction f (x) a une fonction primitive, c’est-à-dire
si elle est la dérivée d’une autre fonction.
Dans le cas, toutefois, où f (x) est susceptible d’intégration, la solution
peut être donnée. En effet, s’il existe une fonction F (x) telle que
F 0 (x) = f (x),
on aura
F (x)−F (a) = F (x)−F (xn−1 )+F (xn−1 )−F (xn−2 )+...+F (x1 )−F (a),
ou, en appliquant le théorème des accroissements finis,
35
Dini, suite à ces découvertes sur la dérivabilité, souleva en 1877 le problème
suivant : étant donné les nombreux théorèmes qui se basent sur le fait que la
continuité entraine la dérivabilité, les mathématiciens se doivent soit d’étendre ces
théorèmes, soit d’étendre le concept de la dérivabilité.
C’est cette dernière solution que Dini envisagea, en introduisant les dérivées à
droite :
f (x + h) − f (x)
D+ f (x) = lim inf
h&0 h
f (x + h) − f (x)
D+ f (x) = lim sup
h&0 h
et les dérivées à gauche :
f (x − h) − f (x)
D− f (x) = lim inf
h&0 −h
f (x − h) − f (x)
D− f (x) = lim sup
h&0 −h
Ces notions avaient déjà été introduites par Ernest Lamarle (1806-1875) en
1855, et par Louis-Philippe Gilbert (1832-1892) en 1873 62 .
“Pour chacun des intervalles, dont il vient d’être fait mention, l’on a
généralement :
f (x + h) − f (x) f (x) − f (x − h)
lim = lim = f 0 (x)
h h
et la limite f 0 (x) est une fonction continue de la variable x. Néanmoins,
il est possible que, pour certaines valeurs particulières, xa , xb , xc , etc.,
comprises dans l’un quelconque de ces intervalles, les limites des deux
rapports f (x+h)−fh
(x) f (x)−f (x−h)
, h
cessent tout à coup d’être égales.” 63
Mais c’est Dini qui montra un théorème des plus intéressants : quelque soit l’in-
tervalle sur lequel on se place, ces quatre fonctions ont la même borne supérieure.
62. cf. Mémoire sur l’existence de la dérivée dans les fonctions continues, [Gilbert, 1873]
63. Étude approfondie sur les fonctions lim f (x+h)−f h
(x)
= f 0 (x) et dy = f 0 (x).∆x,
[Lamarle, 1885] p.52
36
Ce qui permit à Dini de montrer ensuite que si l’une des quatre dérivées est
Riemann-intégrable sur un intervalle, alors les trois autres aussi, et les quatre
ont la même intégrale.
C’est ainsi qu’en 1878 64 , Dini généralise le deuxième théorème fondamental de
la façon suivante : si F est continue et si l’une des dérivées DF (à gauche ou à
droite) est Riemann-intégrable, alors
Z b
DF = F (b) − F (a)
a
et ce pour les quatre dérivées DF .
Par ailleurs, Dini montra que la condition “DF est intégrable” est nécessaire,
même si sa preuve n’était pas constructive : il considérait une fonction F telle
Z β
que DF = 0 et telle que F (β) − F (α) 6= 0, mais il n’explicitait pas de telle
α
fonction. (en fait, pour prouver l’existence d’une telle fonction, Dini aurait eu
besoin de connaître des ensembles rares de mesure positive)
De plus, ZDini fit la remarque suivante : si f est une primitive de F , c’est-à-
x
dire F (x) = f , alors les quatres dérivées de Dini différent de f d’une fonction
a
“d’intégrale nulle”, c’est-à-dire que
37
Jusque là, les principaux problèmes de la théorie de Riemann étaient :
– L’intégrale de Riemann n’est définie que pour les fonctions bornées. Et bien
qu’on ait essayé de l’étendre aux fonctions non bornées il s’agit simplement
d’une extension a posteriori.
– L’exemple de Hankel de 1871 (cf. 2.4) fournit un contre-exemple au premier
théorème fondamental.
– Les ensembles de Smith-Volterra-Cantor vont fournir un contre-exemple au
deuxième théorème fondamental.
– Une suite bornée de fonctions intégrables ne converge pas forcément vers une
fonction intégrable.
– La validité de l’intégration terme-à-terme n’a été prouvée qu’avec des con-
ditions suffisantes, mais il s’avère difficile de trouver des conditions équiva-
lentes.
En outre, Harnack pensait pouvoir prouver que si f 2 est intégrable, alors f est
somme de sa série de Fourier “en général”. Cette remarque est intéressante car elle
se rapproche des idées de Lebesgue : il suffit de remplacer “en général” par presque
partout, et de voir les intégrales comme des intégrales de Lebesgue.
38
définition de l’intégrale en 1884 67 , qui cette fois englobe les fonctions où D est
dénombrable, et supprime le problème de l’unicité.
Cependant, si ces définitions paraissent intéressantes pour pallier le problème
des valeurs infinies, l’intégrale de Harnack ne se popularisera jamais, notamment
parce que l’on peut trouver des fonctions telles que
Z x
DF 6= F (x) − F (a) (intégrale de Harnack)
a
Il suffit pour cela de considérer l’escalier de Cantor, fonction croissante de 0 à
1, telle que f (0) = 0 et f (1) = 1, et dont la dérivée s’annule presque partout. On
Z 1
a alors f (1) − f (0) = 1 et DF = 0.
0
Le troisième point fait intervenir les ensembles de Smith (cf. 2.2), mais c’est
Volterra qui se rendit compte en 1881 que ces ensembles fournissaient un contre-
exemple au deuxième théorème fondamental.
L’ensemble que construisit Volterra, rare de mesure strictement positive, ressem-
ble à celui construit par Smith. Il servit d’une part à valider quelques conjectures
faites par Dini, et surtout à trouver une fonction g telle que g 0 existe partout
mais n’est pas Riemann-intégrable, le deuxième théorème fondamental étant alors
inutilisable.
Volterra utilisait ces termes : “dans certains cas, il peut arriver que la définition
habituelle de l’intégrale ne soit pas incluse dans la définition de Riemann” 68 .
i=1
où lesDi∗ sont toujours les oscillations de f , mais prises sans tenir compte des
discontinuités.
Il semblerait que Weierstrass ait toujours eu conscience des limites de la défini-
tion de Riemann. En 1885, il en faisait part à Du Bois-Reymond [Weierstrass, 1923],
probablement après avoir vu que ce dernier avait publié des ouvrages confirmant
ces limites. Du Bois-Reymond fit remarquer à Weierstrass que son extension ne
suffisait toujours pas, puisqu’elle ne prenait toujours pas en compte les fonctions
telles que celles de Volterra.
67. cf. Zur Theorie der trigonometrischen Reihen, [Hölder, 1884]
68. Sui principii del calcolo integrale, [Volterra, 1881] p.334
39
C’est pourquoi Weierstrass s’attela ensuite à donner sa propre définition de
l’intégrale (il écrivait alors à Du Bois-Reymond : “la définition de Riemann doit
être modifiée plus drastiquement que je ne l’ai fait”, Briefe von K. Weierstrass an
Paul Du Bois-Reymond, [Weierstrass, 1923]). En 1886, Weierstrass informa son
ancien étudiant Kowalewsky qu’il avait trouvé un moyen de définir correctement
l’intégrale pour toute fonction définie et bornée sur un ensemble dense. Lors d’une
correspondance avec Koenigsberger, il en parlait dans les termes suivants :
“Soit un intervalle (a...b) donné, tel que dans chaque partie de (a...b)
arbitrairement petite il existe des points où la fonction est définie. Alors
à chaque point où la fonction est définie, je regarde l’ordonnée. [...]
Nous prenons maintenant la définition suivante : imaginons chacune
des ordonnées entourées par un petit rectangle de base égale à δ. Alors
ces rectangles se recoupent. Si nous regardons maintenant l’ensemble de
points constitué par ces points qui sont à l’intérieur de tels rectangles,
on remarque facilement que cela forme un continuum. Ce continuum
possède une étendue Sδ qui est une fonction de δ. [...] On peut main-
tenant montrer que Sδ décroît avec δ, et ainsi s’approche d’une lim-
Z b
ite pour δ = 0. On définit alors d(x)dx = lim Sδ . Cette définition
a δ=0
est justifiée puisqu’elle coïncide avec celle connue pour les fonctions
continues, et puisque les propriétés essentielles de l’intégrale sont con-
servées.” 69
Bien que Weierstrass n’y fît pas allusion, sa nouvelle définition de l’intégrale
s’appuyait sur la notion de mesure extérieure, introduite par Cantor en 1884.
Notion dont s’inspirèrent Giuseppe Peano (1858-1932), Camille Jordan et Émile
Borel pour leurs théories de la mesure, comme nous le verrons plus tard.
C’est l’Allemand Otto Stolz (1842-1905) qui donna en 1884 70 la première déf-
inition de la mesure extérieure (sans la nommer). Motivé par ses travaux sur la
69. Briefe von K. Weierstrass an L. Koenigsberger, [Weierstrass, 1923] p.225
70. Ueber einen zu einer unendlichen Punktmenge gehörigen Grenzwerth, [Stolz, 1884]
40
longueur d’une courbe, Stolz s’était aperçu du lien entre l’aire et l’intégration. Sa
définition était énoncée en dimension 1 et 2 uniquement.
En dimension 1, il définissait un nombre L associé à un ensemble E ⊂ [a; b]
comme suit : pour tout ε > 0, il existe δ tel que pour toute partition P de [a; b]
de norme inférieure à δ, on ait |L(P ) − L| < ε. Où L(P ) désigne l’ensemble des
intervalles de la partition qui contiennent des points de E (c’est en cela que l’on
qualifiera le nombre L de mesure “extérieure”).
En dimension 2, il utilisa un procédé analogue pour les ensembles du plan
contenus dans un ensemble borné.
La même année, Cantor introduisit des définitions équivalentes, mais cette fois
en toute dimension.
41
la définition et la dimension (un disque sera de mesure positive en dimension 2,
mais de mesure nulle en dimension 3).
42
3 Mesures et intégration
Aussi en 1883, dans son ouvrage Sur l’intégrabilité des fonctions (Sull’ integra-
bilita delle funzioni [Peano, 1883]), Peano donna sa propre définition de l’aire.
Dans un premier temps, Peano définit les aires des polygones. Puis, considérant
un ensemble “de forme simple” inclus dans le plan, il appela aire de cet ensemble
la valeur commune de :
– La borne supérieure des polygones inclus dans l’ensemble
– La borne inférieure des polygones qui contiennent l’ensemble
Si ces deux valeurs diffèrent, alors l’aire ne peut pas être définie :
Il semblerait que cette définition de l’aire ait été inspirée par le critère (R1 )
de Riemann, ou tout du moins par la méthode qu’utilisait Thomae (cf. 2.3) pour
montrer l’équivalence entre le critère (R1 ) et l’intégrabilité d’une fonction, c’est-à-
dire l’introduction des sommes
X X
Mi δi et mi δi
On peut remarquer l’analogie entre le fait d’enfermer l’intégrale entre ces deux
sommes, et enfermer l’aire entre deux nombres réels.
74. Sull’ integrabilita delle funzioni, [Peano, 1883] p.446
43
Peano faisait ses études à Turin, où Genocchi enseignait depuis 1859. Ce dernier
travaillait sur le calcul infinitésimal depuis 1863, et en tant qu’assistant de Genoc-
chi (l’année 1882-1883), Peano a lui-même beaucoup travaillé dans ce secteur. L’in-
térêt que portait Peano à l’intégration lui serait donc venu de ses relations avec
Genocchi, et ses travaux sur le calcul infinitésimal lui firent publier en 1887 Appli-
cations géométriques du calcul infinitésimal (Applicazioni geometriche del calcolo
infinitesimale, [Peano, 1887]), qui poursuivait les notions mises en place en 1883.
Dans le souci de définir la notion d’aire pour des ensembles quelconques, Peano
fut amené à travailler sur la théorie des ensembles. Dans ce cadre, Peano fut
fortement influencé par les définitions de Cantor. En effet, Peano utilisait les mêmes
termes et la même définition d’un ensemble fermé que Cantor ; il reprit également
les notions de point extérieur, point intérieur, point frontière 75 .
On peut en revanche remarquer que Peano définira ces notions en dimension
1, 2 et 3 séparément, à l’inverse de Cantor.
En outre, Peano remarque que la frontière d’un ensemble peut être assez peu
intuitive. Pour étayer ses propos, il prit l’exemple des rationnels inclus dans [0; 1],
dont la frontière est [0; 1] tout entier.
Dans son Applicazioni geometriche del calcolo infinitesimale [Peano, 1887], Peano
considérait sa mesure comme une fonction additive sur les ensembles, fonctions
qu’il appella fonctions distributives. Ce fut la première fois que la mesure était
détachée de sa vision “géométrique” ; on se rapprochait alors des méthodes ax-
iomatiques, qu’utilisèrent plus tard Jules Drach (1871-1949) en 1895 et Borel en
1898.
44
“Una grandezza dicesi funzione distributiva d’un campo, se il valore di
quella grandezza corrispondente ad un campo è la somma dei valori di
essa correspondenti alle parti in cui si può decomporre il campo dato.” 77
Peano fit par ailleurs un bref lien entre sa mesure et la théorie de l’intégration,
en remarquant que pour une fonction f positive sur [a; b], on a :
Z b Z b
f = ci (E) et f = ce (E)
a a
R R
où E est l’ensemble sous la courbe que délimite la fonction f , et où et sont
les intégrales par excès et par défaut de Volterra. (On a donc f Riemann-intégrable
⇔ ce (E) = ci (E))
Z
Au début du XIX ème siècle, le calcul d’une intégrale double f (x, y)dE s’-
E
effectuait comme une intégrale simple : on découpe le plan en un quadrillage de
rectangles Ri,j au lieu d’une subdivision d’intervalles [xi ; xi+1 ], quadrillage qui va
découper l’ensemble E en Ei,j . Puis on choisit des points (xi , yj ) de Ei,j et on
somme
X
f (xi , yj )a(Ei,j )
i,j
45
Le premier problème rencontré fut le calcul de l’aire des Ei,j , qui la plupart du
temps ne sont pas des rectangles. Problème que contournèrent les mathématiciens
en sommant sur les Ri,j soit intérieurs, soit extérieurs à l’ensemble E (cf. figure
3.2).
Figure 3 – (Découpages de E)
X X
Le second problème fut l’interversion et , qui devient possible lorsque
i j
l’on remplace les Ei,j par les Ri,j .
Or, en 1827, Cauchy montrait qu’une telle interversion pouvait ne pas être
valable dans certains cas, en donnant un exemple de fonction non bornée qui ne
vérifiait pas l’égalité de
Z 1 Z 1 Z 1 Z 1
dy f (x, y)dx et dx f (x, y)dy
0 0 0 0
z
“Soit K = ϕ(x, z) = x2 +z 2
, et concevons que l’intégrale
∂K Z Z
dxdz
∂z
doive être prise entre les limites z = 0, z = 1, x = 0, x = 1. Si l’on
suppose les valeurs de z substituées avant celles de x, on aura
Z 1
∂K 1 Z 1Z 1
∂K Z 1
dx π
dz = , dxdz = = .
0 ∂z 1 + x2 0 0 ∂z 0 1+x 2 4
Mais, si l’on veut renverser l’ordre des substitutions, l’intégrale chang-
z
era de valeur ; car la fonction x2 +z 2 devient indéterminée, lorsqu’on
46
X = a0 = 0, Z = b0 = 0.
Par suite, la quantité qu’il faut ajouter à la première valeur de l’inté-
grale double pour obtenir la seconde sera
Z ε Z ε
ζ
A=− ϕ(ξ, ζ)dξ = − dξ,
0 0 ξ2 + ζ2
ζ devant être supposé nul après l’intégration relative à ξ. On a d’ailleurs,
en général,
Z
ζ ξ
dξ = arctang + const.,
ξ2 + ζ 2 ζ
arctang ζξ désignant le plus petit des arcs qui ont ξ
ζ
pour tangente. On
aura donc
Z ε
ζ ε
dξ = arctang .
0 ξ2 +ζ 2 ζ
Si, dans cette première expression, on fait ζ = 0, elle deviendra égale
à π2 . On a donc
Z ε
ζ π
A=− dξ = − ;
0 ξ2 +ζ 2 2
et, par suite,
Z 1Z 1
∂K π π
dxdz = + A = − ,
0 0 ∂z 4 4
lorsqu’on substitue les valeurs de x avant celles de z. Ce dernier résultat
peut être aisément vérifié de la manière suivante.
z ∂K x2 −z 2
K étant égal à x2 +z 2
, on a ∂z
= (x2 +z 2 )2
; et, par suite,
Z 1Z 1
∂K Z 1Z 1
x2 − z 2
dzdx = dzdx
0 0 ∂z 0 0 (x2 + z 2 )2
On a d’ailleurs, en général,
Z
x2 − z 2 x
2 2 2
dx = − 2 + const.
(x + z ) x + z2
Donc
47
Z 1
x2 − z 2 1
dx = − ;
0 (x2 + z 2 )2 1 + z2
et, par suite,
Z 1Z 1 Z 1
∂K dz π
dzdx = − 2
=− ,
0 0 ∂z 0 1+z 4
comme ci-dessus. ” 78
existe, mais telle que x 7−→ f (x, y) n’est pas Riemann-intégrable, excepté pour
une valeur de y,
Z 1 Z 1
dy f (x, y)dx
0 0
Par la suite, les cas où l’interversion est valable vont faire l’objet d’études plus
approfondies. Z
Harnack, en 1884, regardait la fonction η 7−→ f (x, η)dx, et se posait la
question de l’intégrabilité sur Gη = {y = η} ∩ E. Il commençait par imposer que la
ligne {y = η} ne coupe E qu’en deux points, de sorte que Gη soit un intervalle 81 .
78. Mémoire sur les intégrales définies, [Cauchy, 1827] p.394-6
79. Ueber bestimmte Integrale, [Thomae, 1878]
80. Ueber das Doppelintegral, [Du Bois-Reymond, 1883]
81. Lehrbuch der Differential- und Integralrechnung, [Harnack, 1884]
48
Puis en 1886 il étendait ses hypothèses à un nombre fini de points, de sorte que
Gη soit une union finie d’intervalles 82 .
Cesare Arzelà (1847-1912), quant à lui, mettait des hypothèses sur l’ensemble
E. En 1891, il s’intéressait aux ensembles E bornés, délimités par une courbe
fermée continue rectifiable 83 . Cependant l’interversion n’est pas vérifiée dans tous
les cas sous ces hypothèses. En fait, Arzelà considérait également les Gη comme
union d’intervalles, ce qui n’est pas forcément le cas.
Émile Picard (1856-1941), la même année 84 , considérait apparemment un en-
semble E quelconque, mais on peut se rendre compte qu’il suppose à tort que
chaque ligne du “quadrillage” rencontre le bord de E en un nombre fini de points :
“Prenons en effet, au lieu de l’aire d’un rectangle, une aire plane quel-
conque limitée par une courbe C (fig. 9), et traçons dans le plan une
succession de parallèles à Ox et à Oy. Nous rangeons encore, par ordre
croissant de grandeurs, la succession des abscisses des parallèles à Oy,
et des ordonnées des parallèles à Ox. Nous aurons ainsi un réseau de
rectangles : le rectangle (i, k) sera, comme plus haut, celui qui corre-
spond au point (xi , yk ) et qui aura pour côtés xi+1 − xi et yk+1 − yk .
Formons la somme
XX
(3) f (xi , yk )(xi+1 − xi )(yk+1 − yk ),
82. Bemerkung zur Theorie des Doppelintegrals, [Harnack, 1886]
83. Sugli integrali doppi, [Arzelà, 1891]
84. Traité d’analyse, [Picard, 1891]
49
en l’étendant à tous les points (xi , yk ) contenus à l’intérieur ou sur le
périmètre de l’aire. Certains de ces rectangles, tels que mnpq, pour-
ront sortir en partie de l’aire limitée par C ; ces rectangles irréguliers
figureront néanmoins dans notre somme. Nous allons montrer que la
somme précédente tend vers une limite quand tous les rectangles ten-
dent vers zéro suivant une loi quelconque.” 85
“Enfin, M. Darboux a fait voir que, quelle que soit la fonction bornée
P P
f , les deux sommes M dσ, mdσ, où M et m représentent le max-
imum et le minimum de f dans l’élément dσ, ont toujours une limite
parfaitement déterminée.
Ces résultats sont très nets et éclaircissent complètement le rôle que
joue la fonction dans l’intégrale.
L’influence de la nature du champ ne paraît pas avoir été étudiée avec
le même soin. Toutes les démonstrations reposent sur ce double postu-
latum, que chaque champ E a une étendue déterminée ; et que, si on
le décompose en plusieurs parties E1 , E2 , ..., la somme des étendues de
ces parties est égale à l’étendue totale de E. Or ces propositions sont
loin d’être évidentes si on laisse à la conception du champ toute sa
généralité.
Nous nous proposons de montrer dans les pages suivantes qu’à un
champ E quelconque correspondent deux nombres déterminés E 0 et E 00
qu’on peut appeler son étendue intérieure et son étendue extérieure.
Si ces deux nombres coïncident, nous dirons que E est mesurable...” 86
À l’instar de Cantor et Peano, les travaux de Jordan sur les aires lui firent
introduire diverses notions topologiques.
85. Traité d’analyse, [Picard, 1891] p.93-94
86. Remarques sur les intégrales définies, [Jordan, 1892] p.69-70
50
Tout comme Peano, il définit ce que sont les points intérieurs à, extérieurs à,
et au bord d’un ensemble E donné.
Et tout comme Cantor, il définit ce qu’est un point limite et ce qu’est un
ensemble fermé :
Nous pouvons noter que ces notions sont données en dimension n quelconque,
contrairement à Peano qui distinguait les cas (cf. 3.1).
51
(u, v) de E pourra être représenté géométriquement sur un plan par le
point dont u, v sont les coordonnées rectangles.
Décomposons ce plan par des parallèles aux axes en carrés de côté r.
L’ensemble de ceux de ces carrés dont tous les points sont intérieurs
à E forme un domaine S intérieur à E ; l’ensemble de ceux qui sont
intérieurs à E ou qui contiennent un point de sa frontière forment un
nouveau domaine S + S 0 , auquel E est intérieur. Ces domaines, étant
formés par la réunion de carrés, ont des aires déterminées, qu’on peut
également représenter par S et S + S 0 .
Faisons varier la décomposition en carrés, de telle sorte que r tende
vers zéro : les aires S et S + S 0 tendront vers des limites fixes.” 88
Jordan dit alors qu’un ensemble est mesurable si les deux étendues sont égales
(il utilise le terme quarrable en dimension 2). La valeur commune étant l’étendue
de l’ensemble (ou aire en dimension 2), que nous noterons c(E).
Faisant le lien avec l’intégration, Jordan reprit les concepts d’intégrale par dé-
faut et intégrale par excès d’une fonction f .
“Soit f (x, y, ...) une fonction qui conserve une valeur bornée dans l’in-
térieur d’un domaine E, supposé mesurable.
Décomposons E en domaines élémentaires mesurables e1 , e2 , ....
Désignons par M, m le maximum et le minimum de la fonction f dans
E ; par Mk , mk son maximum et son minimum dans ek , et formons les
sommes
X X
S= Mk ek , s= mk ek .
Comme on a évidemment
88. Remarques sur les intégrales définies, [Jordan, 1892] p.76-77
52
= = =
m < mk < Mk < M,
S et s seront comprises entre
X X
M ek = M E et m ek = mE,
et leurs modules seront, au plus, égaux à LE, L désignant le plus grand
des deux modules |M | et |m| (ou le maximum de |f | dans le domaine
E).
M. Darboux a montré que, si l’on fait varier la décomposition de telle
sorte que les diamètres des éléments tendent vers zéro, S et s tendront
vers des limites fixes.
Ce nombre fixe T = lim S se nomme l’intégrale par excès de la fonction
f (x, y, ...) dans l’intérieur de E.
On démontre de même que les sommes s tendent vers leur maximum
t, qui sera l’intégrale par défaut de f (x, y, ...).
=
On a évidemment T > t. Si T = t, la fonction sera dite intégrable, et
T = t sera son intégrale, laquelle pourra être représentée par la notation
SE f (x, y, ...)de.” 89
53
et tend vers zéro pour n = ∞. Nous considérerons cette limite de l’in-
tégrale prise dans En comme représentant la valeur de l’intégrale dans
E.” 90
La notion de mesure introduite par Borel s’effectua lors de ses travaux sur les
fonctions à variable complexe, qui dès Riemann faisaient l’objet de controverses.
En 1851, Riemann se demandait 92 si les notions de fonction analytique et de
“fonction définie par une expression analytique” étaient équivalentes.
54
montra que la fonction f ne peut pas être prolongée de façon continue sur l’ensem-
ble {|z| = 1}, la fonction f lui fournissait donc un contre-exemple à l’hypothèse
de Riemann, et les deux notions ne pouvaient être équivalentes.
k=n
X ν=n 1 1 Z
A(k) Aν(k) (z−αk )ν−1 f (z)dz,
X
(4) f (x) = ν , =−
k=1 ν=1 (x − xk )ν 2πi Ck
55
∞
X An
f (z) =
n=0 z − bn
où |An | converge et où les bn sont denses sur S ∪ C. Il montre alors que cette
P
où les an sont tels que l’adhérence de l’ensemble {an } forme une courbe fermée
∞
|An |1/2 converge.
X
C, et où les An sont tels que la série
n=0
En 1895, Borel montra néanmoins que tout point à l’extérieur de C peut être
“connecté” à un point de l’intérieur de C par un arc de cercle, sur lequel la série
f va converger absolument :
M1 M2 > kO1 O2 ,
56
k étant un nombre fixe dépendant uniquement de la distance P Q, du
segment AB et des rayons des deux cercles S1 et S2 .
P
Désignons par l la longueur de AB ; la série un étant convergente,
nous pouvons choisir n de manière que l’on ait
∞
X
2 ui < l.
n+1
Borel considère le pire des cas : les an sur C rencontrent tous un des cercles
joignant P dans S à Q dans T . On peut donc considérer les On , centres de cer-
cles passant par P, an , Q, situés sur la médiatrice (AB) de [P Q] ; on peut ensuite
considérer des intervalles In contenant On et de longueur plus petite que 2un , où
96. Sur quelques points de la théorie des fonctions, [Borel, 1895] p.24-26
57
P P |An |
un est une suite telle que un et un
convergent (cette suite existe sous les
hypothèses de Borel).
∞
X AB
Prenons alors l’indice N tel que , la réunion des intervalles In
un <
N +1 2
considérés à partir de cet indice N sera de longueur strictement plus petite que
AB, et il existera alors un nombre non dénombrable de points de AB à l’extérieur
de cette union. En enlevant ensuite les On d’indice plus petit que N , il reste tout
de même un ensemble non dénombrable de points de AB, et donc un ensemble
non dénombrable de points de C pour lesquels on peut prolonger la série entre S
et T .
La preuve de Borel repose sur le fait qu’un ensemble dénombrable, bien que
dense, peut être enfermé dans un intervalle de longueur arbitrairement petite. C’est
ici, pour la première fois, que l’on voit apparaître les prémisces de la σ-additivité :
une union dénombrable d’ensembles de mesure nulle reste de mesure nulle ; fait
qui montre que la densité et la mesure sont deux notions bien distinctes.
Borel n’employa pas tout de suite les termes “ensembles de mesure nulle”,
mais ses travaux l’ont encouragé à développer sa théorie de la mesure (selon Borel
lui-même, cf. Jubilé scientifique de M. Emile Borel, [Borel, 1940] p.391-394).
En 1898, Borel exposait cette théorie dans ses Leçons sur la théorie des fonc-
tions [Borel, 1898], sous une forme axiomatique.
“Lorsqu’un ensemble est formé de tous les points compris dans une
infinité dénombrable d’intervalles qui ne se rencontrent pas et dont la
longueur totale est s, nous dirons que l’ensemble a pour mesure s.”
“Lorsque deux ensembles n’ont pas de point en commun et que leurs
mesures sont s et s0 , l’ensemble obtenu en les réunissant, c’est-à-dire
leur somme, a pour mesure s + s0 . Plus généralement, si l’on a une
infinité dénombrable d’ensembles qui n’ont deux à deux aucun point
commun et dont les mesures sont s1 , s2 , ..., sn , ..., leur somme [...] a
pour mesure
s1 + s2 + ... + sn + ...”
“Si un ensemble E a pour mesure s et contient tous les points d’un
ensemble E 0 dont la mesure est s0 , l’ensemble E − E 0 , formé par tous
58
les points de E qui n’appartiennent pas à E 0 , sera dit de mesure s − s0 .
[...] Les ensembles pour lesquels la mesure peut être définie à partir des
précédentes définitions seront pour nous appelés mesurables.” 97
Cette axiomatisation lui avait apparemment été inspirée par Drach, un de ses
étudiants à l’École Normale Supérieure, qui en 1895 avait publié un livre avec
Borel où il employait des approches similaires :
“I. Nous définirons tous les éléments sur lesquels nous raisonnerons
dans la suite, c’est-à-dire les nombres et les fonctions algébriques, les
différentielles et les dérivées de ces fonctions, et , d’une manière générale,
les fonctions d’une ou plusieurs variables qui vérifient des relations dif-
férentielles algébriques, par leurs liaisons avec les éléments d’un premier
système, dont nous allons d’abord préciser les propriétés.
Nous supposerons que ce système satisfait aux conditions suivantes :
I. Il existe un mode de composition qui permet de passer de deux élé-
ments quelconques du système à un troisième élément, bien déterminé,
du même système.
II. Ce mode de composition est associatif.
Si l’on représente par (u, v) le résultat de la compostion de l’élément u
avec l’élément v, on aura par conséquent, entre trois éléments quelcon-
ques du système, l’identité
(a, u) = b, (a, v) = b
l’identité
u = v.
97. Leçons sur la théorie des fonctions, [Borel, 1898] p.46-48
59
IV. Tous les éléments du système sont obtenus, et chacun d’eux est
obtenu une seule fois, par une composition répétée de l’un d’eux, con-
venablement choisi, avec lui-même, c’est-à-dire en composant cet élé-
ment a avec lui-même, ce qui donne (a, a), puis avec l’élément (a, a),
ce qui donne (a, (a, a)) et ainsi de suite.” 98
98. Essai sur une théorie générale de l’intégration et sur la classification des transcendentes,
[Drach, 1898], p.255-256
99. Leçons sur la théorie des fonctions, [Borel, 1898] p.48
60
“Si un ensemble E contient tous les éléments d’un ensemble E1 , de
mesure α, nous pouvons dire que la mesure de E est plus grande que
α, sans se soucier de la mesurabilité de E. Inversement, si E1 contient
tous les éléments de E, nous dirons que la mesure de E est plus petite
que α.” 100
On peut remarquer que Borel ne fit pas de lien entre sa notion de mesure et
la théorie de l’intégration. Il fit toutefois allusion aux travaux de Jordan dans ses
Leçons sur la théorie des fonctions [Borel, 1898] :
“Il serait intéressant de comparer les définitions que nous avons don-
nées avec les définitions plus générales que M. Jordan donne dans son
Cours d’Analyse.” 101
À la fin du XIX ème siècle, Arthur Schoenflies (1853-1928) fut chargé par le
Deutsche Mathematiker-Vereininung de préparer un rapport sur les courbes et
la théorie des ensembles. En 1900, il présentait son rapport, Die entwickelung
der lehre von den punktmannigfaltigkeiten, incluant la théorie de l’intégration, et
notamment les diverses notions de mesure des ensembles.
Concernant la mesure de Borel, Schoenflies considérait d’une part qu’il n’y
avait aucune application autre que celle à laquelle Borel faisait allusion (c’est-à-dire
P An
l’étude de z−a n
), et d’autre part que les propriétés sur les unions dénombrables
ne devaient pas être supposées, mais établies.
“Sie hat zunächst nur den Charakter eines Postulats, da ja die Frage,
ob eine Eigenschaft endlicher Summen auf unendlich viele Summanden
ausdehnbar ist, nicht durch Festsetzung erledigt werden kann, sondern
vielmehr der Untersuchung bedarf.” 102
100. Leçons sur la théorie des fonctions, [Borel, 1898] p.48-49
101. Leçons sur la théorie des fonctions, [Borel, 1898] p.46
102. Die entwickelung der lehre von den punktmannigfaltigkeiten, [Schoenflies, 1900] p.93
61
Aux yeux de Schoenflies, la notion de mesure dépendait donc principalement
des objectifs et des applications que pouvaient avoir l’introduction de cette notion,
aussi la théorie de la mesure de Borel ne paraissait pas importante aux yeux de
Schoenflies.
Apparemment, face aux théories de Cantor, Peano, Jordan et Borel, Schoenflies
attribuait un certain caractère subjectif à la notion de mesure, et considérait que
Borel définissait la sienne uniquement dans le but de faire ce qu’il voulait en
faire. Point de vue que partagea Lebesgue un peu plus tard, comme nous allons le
constater.
En revanche, dans les années 1900, Lebesgue s’intéressait aux travaux de Borel
sur la théorie de la mesure. En tant qu’étudiant de Borel, il s’en inspira pour
construire sa propre théorie.
62
4 La théorie de la mesure de Lebesgue
Ensuite, lorsque Lebesgue définit l’aire d’un ensemble, il reprit les idées de
Peano en considérant l’ensemble comme la réunion de polygones deux à deux
disjoints :
“M. Peano a indiqué une définition de l’aire d’une surface dans laque-
lle intervient une division de la surface en morceaux, par des courbes.
Sa définition est donc analogue à celle que je viens de donner. Mais,
pour l’appliquer avec certitude, au moins sans nouvelles études, il faut
faire certaines hypothèses dont la méthode que j’ai indiquée permet de
s’affranchir.” 106
103. Lebesgue y étudia de 1894 à 1897
104. cf. La génèse de l’intégrale : lettres d’Henri Lebesgue à Émile Borel 1901-1918
[Lebesgue, 1901-1918]
105. Sur la définition de l’aire d’une surface, [Lebesgue, 1899] p.870
106. Sur la définition de l’aire d’une surface, [Lebesgue, 1899] p.872
63
Lebesgue reprend ensuite la notion de surface quarrable introduite par Jordan :
une surface est quarrable lorsque ses étendues intérieure et extérieure, que Lebesgue
appelle aires intérieure et extérieure, sont égales. L’étendue intérieure étant la
borne supérieure des aires obtenues après découpage de l’ensemble en carrés, en ne
prenant que les carrés intérieurs ; et l’étendue extérieure étant la borne inférieure
des aires obtenues en prenant les carrés intérieurs et rencontrant la frontière (cf.
figure 3.2).
Lebesgue nota que le problème qu’il posait ne pouvait être résolu que pour
des surfaces quarrables, en considérant un argument similaire à celui de Peano :
si deux surfaces quarrables D1 et D2 ont une portion de frontière C en commun
alors
64
∞
[ ∞
X
m( In ) = L(In )
i=1 n=1
65
Il déduit ensuite des axiomes quelques propriétés sur les ensembles mesurables,
notamment ce qui pour Borel était un axiome :
La mesure de Lebesgue peut donc aussi être vue comme un prolongement des
idées de Borel.
66
P : m = a0 < a1 < ... < ai < ... < an = M
puis les ensembles
qui sont les aires des rectangles entre lesquels la fonction f se situe. Or la
différence entre ces deux sommes est
n−1
X
(ai+1 − ai )m(ei ) 6 kP k(b − a)
i=0
et tend donc vers 0 quand la norme de la partition tend vers 0. Ainsi m(E) est
la limite des deux sommes :
n−1
X n−1
X
m(E) = lim ai m(ei ) = lim ai+1 m(ei )
kP k→0 kP k→0
i=0 i=0
67
Cependant, ce raisonnement n’est possible que si les ei sont mesurables, c’est
pourquoi Lebesgue introduisit la notion de fonction sommable, qu’il renomma fonc-
tion mesurable par la suite : une fonction f est dite mesurable si {x, c < f (x) < d}
est mesurable pour toutes valeurs de c et d. Cette définition rend les ei mesurables,
et Lebesgue définit alors l’intégrale comme
Z b n−1
X n−1
X
f = lim ai m(ei ) = lim ai+1 m(ei )
a kP k→0 kP k→0
i=0 i=0
Un des intérêts de la classe des fonctions mesurables est la stabilité par passage
à la limite simple, ce qui n’était pas le cas des fonctions Riemann-intégrables :
Rappelons (cf. 1.3) que Dirichlet ne savait pas calculer l’intégrale des fonc-
tions telles que l’indicatrice des rationnels. Or, Lebesgue remarque que cette fonc-
tion, c’est-à-dire la fonction prenant la valeur 1 sur les rationnels et 0 ailleurs,
est mesurable ; ce qui constituait un deuxième intérêt : certaines fonctions non
intégrables au sens de Riemann pouvaient être mesurables au sens de Lebesgue.
Lebesgue donna ensuite une méthode générale pour construire de telles fonc-
tions. Il suffit de prendre deux fonctions f et g continues, avec g ne s’annulant
pas. Alors la fonction F , définie par F = f sur [a; b]E et F = f + g sur E
avec E dense sur [a; b] mais de mesure nulle 111 , ne sera pas intégrable au sens de
Riemann, car discontinue partout, mais sera mesurable au sens de Lebesgue, car
un ensemble de mesure nulle n’influence pas la mesurabilité.
De plus, les fonctions construites par Volterra (telles que leurs dérivées existent
partout mais ne sont pas Riemann-intégrables, cf. 2.5) empêchaient l’application
du deuxième théorème fondamental.
111. par exemple E = [a; b] ∩ Q
68
Lebesgue était au courant de l’existence de telles fonctions, il en parlait à Borel
dès sa première correspondance :
“J’ai dit dans ma note qu’il existait des fonctions dérivées non in-
tégrables au sens de Riemann. J’en étais certain, je le suis un peu
moins maintenant. Je sais qu’il existe un article de Volterra, Giornale
di Matematiche, tome 19, page 337, traitant du sujet.”
Si f est intégrable sur [a; b], alors pour tout ε > 0 ilZ existe un ensemble
mesurable E inclus dans [a; b] tel que f soit bornée sur E et |f | < ε.
[a;b]E
En 1903, l’année qui suivit la publication de sa thèse, Lebesgue fut choisi pour
présenter le Cours Peccot au Collège de France. Ce Cours avait été créé par Borel
en 1899, il y avait enseigné jusqu’en 1902 avant de laisser sa place à Lebesgue.
La préparation de ce cours lui permit d’aller plus loin dans sa théorie de l’inté-
gration. Il publiait notamment une note Sur les séries trigonométriques [Lebesgue, 1903],
qui reprenait les études de convergence en considérant les intégrales en son sens.
En 1904, il publia l’ensemble de ses lectures au Cours Peccot dans ses Leçons
sur l’intégration et la recherche de fonctions primitives [Lebesgue, 1904], qui con-
tiennent les nouveaux résultats établis depuis sa thèse. On y trouve notamment
une extension du second théorème fondamental aux dérivées de Dini.
69
5 Les premières applications
“Qu’il me soit permis de remercier ici les personnes qui ont bien voulu
m’encourager à entreprendre ce travail : MM. Painlevé et Borel et tout
particulièrement mon ami H. Lebesgue qui n’a cessé de s’intéresser à
mes recherches et dont les conseils m’ont été fort utiles.” 112
reste, quel que soit n, inférieur à un nombre fixe, la fonction f (x) est
intégrable, et l’on a :
Z b Z b
f (x)dx 5 lim . inf . fn (x)dx 113
a a
70
théorème portant aujourd’hui le nom de lemme de Fatou. On peut remarquer
qu’il s’agissait du premier résultat concernant l’intégrale de Lebesgue qui ne sup-
pose rien sur la fonction limite f .
Les travaux sur l’intégrale double ont également évolué suite à la théorie de
Lebesgue.
En 1902, Lebesgue prouvait que si l’interversion
Z Z Z Z
dx f (x, y)dy = dy f (x, y)dx
est possible sur un rectangle, alors elle est possible sur tout ensemble mesurable
borné. En effet, si l’on cherche à valider l’interversion pour une fonction f définie
sur E mesurable, il suffit de considérer la fonction f˜ définie sur un rectangle R
contenant E, égale à f sur E et à 0 sur RE.
Ainsi, le fait que f soit mesurable sur E équivaut au fait que f˜ le soit sur R.
71
“Une fonction f (x) est définie pour toutes les valeurs de x comprises
entre 0 et 1 ; elle est égale à 1 si x est commensurable et à 0 si x est
incommensurable ; quelle est sa valeur moyenne ?
Cette question est évidemment équivalente à la suivante :
On sait que x est compris entre 0 et 1 ; quelle est la probabilité pour
que x soit commensurable ?
La réponse évidente aux deux questions précédentes est zéro. Cette
réponse peut-elle se déduire des formules que nous avons rappelées ?
Il ne le semble pas, si l’on se borne aux définitions classiques de l’inté-
grale. Considérons, en effet, une fonction f (x) égale à 0 pour x incom-
mensurable et à 1 pour x commensurable et une fonction F (x) égale à
1 pour x incommensurable et à 0 pour x commensurable ; les intégrales
Z 1 Z 1
f (x)dx, F (x)dx
0 0
sont toutes deux dépourvues de sens ; pour chacune d’elles l’intégrale in-
férieure, au sens de M. Darboux, est égale à zéro et l’intégrale supérieure
égale à un. Donc, quelle que soit la convention que l’on adopte, si cette
convention ne fait dépendre la valeur moyenne que des intégrales précé-
dentes, calculées au sens classique, on devra attribuer la même valeur
moyenne à f (x) et F (x). Or, cette conclusion est absurde, car la valeur
moyenne de f (x) est 0 et la valeur moyenne de F (x) est 1.
Mais, si l’on utilise la nouvelle définition de l’intégrale qui est due
à M. Lebesgue, on reconnaît que chacune des fonctions f (x) et F (x)
est intégrable au sens de M. Lebesgue ou, plus brièvement, intégrable
(L) et que leur intégrale (L) fournit la valeur correcte de la valeur
moyenne ou de la probabilité recherchée. Les méthodes de M. Lebesgue
permettent donc d’étudier des questions de probabilité qui paraissent
inaccessibles par les procédés d’intégration classiques. D’ailleurs, dans
les cas particuliers les plus simples, il suffira de se servir de la théorie
des ensembles que j’avais appelés mesurables et auxquels M. Lebesgue
a donné le nom de mesurable (B)...” 115
Par la suite, Borel continua ses travaux dans la théorie des probabilités, jugeant
que cette branche des mathématiques possédait plus d’applications pratiques.
Peut-être avait-il pris à cœur la remarque de Schienflies à propos du manque
115. Remarques sur certaines questions de probabilité, [Borel, 1905] p.125-126
72
d’applications de sa théorie, à moins qu’il n’y songeât que suite à la remarque que
lui fit Lebesgue en 1918 :
“Jusqu’ici la définition de M. Borel n’a d’ailleurs été utilisée par per-
sonne et, à cause de son caractère tout à fait artificiel, je crois qu’elle
ne le sera jamais”
“Il semble que M. Borel définisse pour le plaisir de définir, et parce qu’il
peut définir sans contradiction, mais que ces définitions n’ont aucun
but” 116
Nous pouvons noter qu’en 1918, Lebesgue et Borel s’étaient disputés suite à
un profond désaccord concernant les positions politiques qu’ils avaient prises lors
de la première guerre mondiale.
Il reste néanmoins que les probabilités furent une des plus importantes ap-
plications de la théorie de Lebesgue. Le lecteur pourra s’en convaincre en lisant
Le hasard, [Borel, 1914], que publiait Borel en 1914, ou les ouvrages retraçant les
travaux de Borel en probabilité, tels que Émile Borel as a probabilist [Knobloch],
The emergence of French Statistics : How mathematics entered the world of statis-
tics in France during the 1920s [Mazliak a] et Borel’s apprenticeship of randomness
[Mazliak b].
116. Remarques sur les théories de la mesure et de l’intégration, [Lebesgue, 1918] p.194 et 196
73
Conclusion
Comme on l’a vu, les années qui suivirent la thèse de Lebesgue virent un
développement sans précédent des études autour de l’intégration moderne et de
ses applications dans de multiples directions de l’analyse. En une vingtaine d’an-
nées, elle avait remporté un succès spectaculaire en s’imposant au monde math-
ématique. “Une généralisation faite non pour le vain plaisir de généraliser, mais
pour résoudre des problèmes antérieurement posés, est toujours une généralisation
féconde”, disait Lebesgue en 1926.
Depuis la définition qu’en avait donnée Cauchy, et depuis les problèmes relatifs
aux séries trigonométriques soulevés par Fourier, les mathématiciens - en partic-
ulier en France, en Allemagne ou en Italie, comme on l’a vu, bientôt rejoints par
leurs collègues des USA, de Russie ou d’ailleurs - n’avaient eu de cesse d’améliorer
ces définitions ou de s’intéresser à ces questions d’analyse. Que ce soit avec la déf-
inition de l’intégrale, de la continuité, de la dérivabilité, ou avec les problèmes de
l’intégration terme-à-terme et de l’intégrale double, c’est dans ce but que Riemann
introduisit ses deux critères, et ce fut dans le souci de généraliser ces critères que
les mathématiciens travaillèrent à faire avancer la théorie.
Les études de Peano, Jordan et Borel, changèrent la façon d’aborder la question.
Le problème topologique, associé à l’ensemble de discontinuité de la fonction inté-
grée, laissait place au problème de définition de l’aire que Lebesgue reprit comme
question centrale de l’intégration.
Il fut ansi le mathématicien qui ouvrit la voie décisive vers la synthèse de deux
siècles de raisonnements. Sa théorie généralisait à la fois les notions introduites
par Riemann, Peano et Jordan, et exploitait la nouvelle approche proposée par
Borel pour mesurer les ensembles. De nombreuses branches des mathématiques,
les mathématiques du hasard tout particulièrement, purent alors prendre appui
sur cette théorie et connaître au XX ème siècle la croissance que l’on sait.
74
Références
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∞
X
ten der trigonometrischen Reihe f (x) = (ap cos px + bp sin px) die Werthe
p=0
76
Z π Z π Z π
1 1 1
a0 = 2π
dαf (α), ap = π
dαf (α) cos pα, bp = π
dαf (α) sin pα
−π −π −π
haben, jedesmal wenn diese Integrale endlich und bestimmt sind”, 1875a,
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80