Existence de Dieu

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L’existence de Dieu

Somme théologique, Prima Pars, Question II.

De Deo, an Deus sit L’existence de Dieu

Quia igitur principalis intentio huius L’objet principal de la doctrine sacrée est
sacræ doctrinæ est Dei cognitionem tradere, de transmettre la connaissance de Dieu : non
et non solum secundum quod in se est, sed pas seulement ce qu’il est en lui-même, mais
etiam secundum quod est principium rerum aussi selon qu’il est le principe et la fin de
et finis earum, et specialiter rationalis toutes choses, spécialement de la créature
creaturæ, ut ex dictis est manifestum ; ad raisonnable, comme on l’a montré dans ce qui
huius doctrinæ expositionem intendentes, précède. Nous devrons donc, ayant à exposer
primo tractabimus de Deo ; secundo, de cette doctrine, traiter premièrement de Dieu
motu rationalis creaturæ in Deum ; tertio, de (première partie) ; deuxièmement du mouve-
Christo, qui, secundum quod homo, via est ment de la créature raisonnable vers Dieu
nobis tendendi in Deum. (deuxième partie) ; troisièmement du Christ,
Consideratio autem de Deo tripartita qui, comme homme, est pour nous la voie qui
erit. Primo namque considerabimus ea quæ mène à Dieu (troisième partie). Notre étude de
ad essentiam divinam pertinent ; secundo, ea Dieu comprendra trois sections. Nous considé-
quæ pertinent ad distinctionem persona- rerons premièrement ce qui concerne l’essence
rum ; tertio, ea quæ pertinent ad processum divine (qq. 2-26) ; deuxièmement ce qui
creaturarum ab ipso. concerne la distinction des Personnes (qq. 27-
Circa essentiam vero divinam, primo 43) ; troisièmement ce qui concerne la manière
considerandum est an Deus sit ; secundo, dont les créatures procèdent de Dieu (qq. 44-
quomodo sit, vel Potius quomodo non sit ; 119). Touchant l’essence divine, il y a lieu de se
tertio considerandum erit de his quæ ad demander premièrement si Dieu existe ;
operationem ipsius pertinent, scilicet de deuxièmement comment il est, ou plutôt
scientia et de voluntate et potentia. comment il n’est pas (qq. 3-13) ; troisièmement
il faudra étudier en outre ce qui concerne son
Circa primum quæruntur tria. Primo :
opération, à savoir sa science, sa volonté et sa
utrum Deum esse sit per se notum. Secundo :
puissance (qq. 14-26).
utrum sit demonstrabile. Tertio : an Deus sit.
Articulus primus Article 1

Utrum Deum esse sit per se notum L’existence de Dieu


est-elle évidente par elle-même ?

Ad primum sic proceditur. Videtur quod


Deum esse sit per se notum.
– 1. Illa enim nobis dicuntur per se nota, – Objection 1. Nous disons évident ce dont la
quorum cognitio nobis naturaliter inest, connaissance est en nous naturellement,
sicut patet de primis principiis. Sed, sicut comme celle des premiers principes. Or, dit
dicit Damascenus in principio libri sui, saint Jean Damascène au début de son livre,
omnibus cognitio existendi Deum naturaliter « la connaissance de l’existence de Dieu est
est inserta. Ergo Deum esse est per se naturellement infuse dans tout être ». Il y a
notum. donc évidence.
– 2. Præterea, illa dicuntur esse per se nota, – Objection 2. On déclare encore évidentes
quæ statim, cognitis terminis, cognoscuntur, les propositions dont la vérité apparaît dès que
quod Philosophus attribuit primis les termes en sont connus, comme le
demonstrationis principiis, in I Poster., scito Philosophe le dit des premiers principes de la
enim quid est totum et quid pars, statim démonstration dans ses Derniers Analytiques.
scitur quod omne totum maius est sua parte. Dès qu’on sait, par exemple, ce que sont le tout
Sed intellecto quid significet hoc nomen et la partie, on sait que le tout est toujours plus
Deus, statim habetur quod Deus est. grand que sa partie. Or, dès qu’on a compris ce
Significatur enim hoc nomine id quo maius que signifie ce mot Dieu, aussitôt on sait que
significari non potest, maius autem est quod Dieu existe. En effet, ce mot signifie un être tel
est in re et intellectu, quam quod est in qu’on ne peut en concevoir de plus grand ; or,
intellectu tantum, unde cum, intellecto hoc ce qui existe à la fois dans la réalité et dans
nomine Deus, statim sit in intellectu, l’esprit est plus grand que ce qui existe
sequitur etiam quod sit in re. Ergo Deum uniquement dans l’esprit. Donc, puisque, le
esse est per se notum. mot étant compris, Dieu est dans l’esprit, il est
aussi dans la réalité. L’existence de Dieu est
donc évidente.
– 3. Præterea, veritatem esse est per se – Objection 3. Il est évident que la vérité
notum, quia qui negat veritatem esse, existe, car celui qui nie que la vérité existe
concedit veritatem esse, si enim veritas non concède par le fait même qu’elle existe ; car si la
est, verum est veritatem non esse. Si autem vérité n’existe pas, il est du moins vrai que la
est aliquid verum, oportet quod veritas sit. vérité n’existe pas. Or, si quelque chose est vrai,
Deus autem est ipsa veritas, Ioann. xiv, ego la vérité existe. Or Dieu est la vérité même,
sum via, veritas et vita. Ergo Deum esse est selon ce que dit Jésus en Jean (Jo. xiv, 6) : « Je
per se notum. suis la voie, la vérité et la vie. » Donc l’existence
de Dieu est évidente.
 Sed contra, nullus potest cogitare  En sens contraire, personne ne peut penser
oppositum eius quod est per se notum ut l’opposé d’une vérité évidente, comme le
patet per Philosophum, in Iff Metaphys. Et prouve le Philosophe en ce qui concerne les

Saint Thomas d’Aquin. L’existence de Dieu. Page 2


I Poster., circa prima demonstrationis premiers principes de la démonstration. Or, on
principia. Cogitari autem potest oppositum peut penser le contraire de cette proposition
eius quod est Deum esse, secundum illud Dieu existe, puisque, d’après le psaume
Psalmi lii, dixit insipiens in corde suo, non (Ps. lii, 1), « L’insensé a dit dans son cœur : il
est Deus. Ergo Deum esse non est per se n’y a pas de Dieu ». Donc l’existence de Dieu
notum. n’est pas évidente par elle-même.
 Respondeo dicendum quod contingit  Réponse : Une chose peut être évidente de
aliquid esse per se notum dupliciter, uno deux façons : soit en elle-même, mais non pas
modo, secundum se et non quoad nos ; alio pour nous ; soit à la fois en elle-même et pour
modo, secundum se et quoad nos. Ex hoc nous. En effet, une proposition est évidente par
enim aliqua propositio est per se nota, quod elle-même du fait que le prédicat y est inclus
prædicatum includitur in ratione subiecti, ut dans l’idée du sujet, comme lorsqu’on dit
homo est animal, nam animal est de ratione L’homme est un animal ; car l’animalité fait
hominis. Si igitur notum sit omnibus de partie de l’idée d’homme. Si donc la définition
prædicato et de subiecto quid sit, propositio du sujet et celle du prédicat sont connues de
illa erit omnibus per se nota, sicut patet in tous, cette proposition sera évidente pour tous.
primis demonstrationum principiis, quorum C’est ce qui a lieu pour les premiers principes
termini sunt quædam communia quæ nullus de la démonstration, dont les termes sont trop
ignorat, ut ens et non ens, totum et pars, et généraux pour que personne puisse les ignorer,
similia. Si autem apud aliquos notum non sit comme être et non-être, tout et partie, etc.
de prædicato et subiecto quid sit, propositio Mais s’il arrive chez quelqu’un que la définition
quidem quantum in se est, erit per se nota, du prédicat et celle du sujet soient ignorées, la
non tamen apud illos qui prædicatum et proposition sera évidente de soi ; mais non
subiectum propositionis ignorant. Et ideo pour ceux qui en ignorent le sujet et le prédicat.
contingit, ut dicit Bœtius in libro de Pour cette raison, dit Boèce, il y a des
hebdomadibus, quod quædam sunt conceptions communes de l’esprit qui sont
communes animi conceptiones et per se évidentes seulement pour ceux qui savent,
notæ, apud sapientes tantum, ut incorporalia comme celle-ci : les choses immatérielles n’ont
in loco non esse. pas de lieu.
Dico ergo quod hæc propositio, Deus est, Je dis donc que cette proposition Dieu existe,
quantum in se est, per se nota est, quia est évidente de soi, car le prédicat y est
prædicatum est idem cum subiecto ; Deus identique au sujet ; Dieu, en effet, est son être
enim est suum esse, ut infra patebit. Sed même, comme on le verra plus loin. Mais
quia nos non scimus de Deo quid est, non comme nous ne connaissons pas l’essence de
est nobis per se nota, sed indiget Dieu, cette proposition n’est pas évidente pour
demonstrari per ea quæ sunt magis nota nous ; elle a besoin d’être démontrée par ce qui
quoad nos, et minus nota quoad naturam, est mieux connu de nous, même si cela est, par
scilicet per effectus. nature, moins connu, à savoir par les œuvres de
Dieu.
 Ad primum ergo dicendum quod  Solution 1. Nous avons naturellement
cognoscere Deum esse in aliquo communi, quelque connaissance générale et confuse de
sub quadam confusione, est nobis naturaliter l’existence de Dieu, à savoir en tant que Dieu
insertum, inquantum scilicet Deus est est la béatitude de l’homme ; car l’homme
hominis beatitudo, homo enim naturaliter désire naturellement la béatitude, et ce que

Saint Thomas d’Aquin. L’existence de Dieu. Page 3


desiderat beatitudinem, et quod naturaliter naturellement il désire, naturellement aussi il le
desideratur ab homine, naturaliter cogno- connaît. Mais ce n’est pas là vraiment connaître
scitur ab eodem. Sed hoc non est simpliciter que Dieu existe, pas plus que connaître qu’une
cognoscere Deum esse ; sicut cognoscere personne vient n’est connaître Pierre, même si
venientem, non est cognoscere Petrum, c’est Pierre qui vient. En effet, beaucoup
quamvis sit Petrus veniens, multi enim estiment que la béatitude, ce bien parfait de
perfectum hominis bonum, quod est l’homme, consiste dans les richesses, d’autres
beatitudo, existimant divitias ; quidam vero dans les plaisirs, d’autres dans quelque autre
voluptates ; quidam autem aliquid aliud. chose.
 Ad secundum dicendum quod forte ille  Solution 2. Il n’est pas sûr que tout
qui audit hoc nomen Deus, non intelligit homme qui entend prononcer ce mot Dieu,
significari aliquid quo maius cogitari non l’entende d’un être tel qu’on ne puisse pas en
possit, cum quidam crediderint Deum esse concevoir de plus grand, puisque certains ont
corpus. Dato etiam quod quilibet intelligat cru que Dieu est un corps. Mais admettons que
hoc nomine Deus significari hoc quod tous donnent au mot Dieu la signification
dicitur, scilicet illud quo maius cogitari non qu’on prétend : celle d’un être tel qu’on n’en
potest ; non tamen propter hoc sequitur puisse concevoir de plus grand ; il s’ensuit que
quod intelligat id quod significatur per chacun pense nécessairement qu’un tel être est
nomen, esse in rerum natura ; sed in dans l’esprit comme appréhendé, mais
apprehensione intellectus tantum. Nec nullement qu’il existe dans la réalité. Pour
potest argui quod sit in re, nisi daretur quod pouvoir tirer de là que l’être en question existe
sit in re aliquid quo maius cogitari non réellement, il faudrait supposer qu’il existe en
potest, quod non est datum a ponentibus réalité un être tel qu’on ne puisse pas en
Deum non esse. concevoir de plus grand, ce que refusent
précisément ceux qui nient l’existence de Dieu.
 Ad tertium dicendum quod veritatem  Solution 3. Que la vérité soit, en général,
esse in communi, est per se notum, sed cela est évident ; mais que la vérité première
primam veritatem esse, hoc non est per se soit, c’est ce qui n’est pas évident pour nous.
notum quoad nos.

Articulus secundus Article 2

Utrum Deum esse sit demonstrabile L’existence de Dieu


est-elle démontrable ?

Ad secundum sic proceditur. Videtur quod


Deum esse non sit demonstrabile.
– 1. Deum enim esse est articulus fidei. – Objection 1. L’existence de Dieu est un
Sed ea quæ sunt fidei, non sunt article de foi ; mais les articles de foi ne se
demonstrabilia, quia demonstratio facit démontrent pas : car la démonstration
scire, fides autem de non apparentibus est, ut engendre la science, mais l’objet de la foi est ce
patet per Apostolum, ad Hebr. xi. Ergo dont la vérité n’apparaît pas, selon l’épître aux
Deum esse non est demonstrabile. Hébreux (Heb. xi, 1).

Saint Thomas d’Aquin. L’existence de Dieu. Page 4


– 2. Præterea, medium demonstrationis est – Objection 2. Le moyen d’une démonstra-
quod quid est. Sed de Deo non possumus tion est la définition du sujet, qui fait connaître
scire quid est, sed solum quid non est, ut ce qu’il est. Or, ce Dieu, nous ne pouvons pas
dicit Damascenus. Ergo non possumus savoir ce qu’il est, mais seulement ce qu’il n’est
demonstrare Deum esse. pas, dit le Damascène. Donc nous ne pouvons
pas démontrer Dieu.
– 3. Præterea, si demonstraretur Deum – Objection 3. Si l’on pouvait démonter Dieu,
esse, hoc non esset nisi ex effectibus eius. ce ne pourrait être que par ses œuvres ; or les
Sed effectus eius non sunt proportionati ei, œuvres de Dieu ne lui sont pas proportionnées.
cum ipse sit infinitus, et effectus finiti ; finiti Elles sont finies, lui-même est infini ; et il n’y a
autem ad infinitum non est proportio. Cum pas de proportion entre le fini et l’infini.
ergo causa non possit demonstrari per Comme on ne peut démontrer une cause par
effectum sibi non proportionatum, videtur un effet hors de proportion avec elle, il semble
quod Deum esse non possit demonstrari. qu’on ne puisse démontrer l’existence de Dieu.
 Sed contra est quod Apostolus dicit, ad  En sens contraire, l’Apôtre dit
Rom. i, invisibilia Dei per ea quæ facta sunt, (Rom. i, 20) : « Les perfections invisibles de
intellecta, conspiciuntur. Sed hoc non esset, Dieu sont rendues visibles à l’intelligence par le
nisi per ea quæ facta sunt, posset moyen de ses œuvres ». Mais cela ne serait pas
demonstrari Deum esse, primum enim quod si, par ses œuvres, on ne pouvait démontrer
oportet intelligi de aliquo, est an sit. l’existence même de Dieu ; car la première
chose à connaître au sujet d’un être, c’est qu’il
existe.
 Respondeo dicendum quod duplex est  Réponse : Il y a deux sortes de
demonstratio. Una quæ est per causam, et démonstrations : l’une par la cause, qu’on
dicitur propter quid, et hæc est per priora nomme propter quid ; elle part de ce qui est
simpliciter. Alia est per effectum, et dicitur antérieur, en réalité, par rapport à ce qui est
demonstratio quia, et hæc est per ea quæ démontré. L’autre, par les effets, qu’on nomme
sunt priora quoad nos, cum enim effectus démonstration quia ; elle part de ce qui est
aliquis nobis est manifestior quam sua causa, premier dans notre connaissance. Chaque fois
per effectum procedimus ad cognitionem qu’un effet nous est plus manifeste que sa
causæ. Ex quolibet autem effectu potest cause, nous recourons à lui pour connaître la
demonstrari propriam causam eius esse (si cause. Or, de tout effet, on peut démontrer que
tamen eius effectus sint magis noti quoad sa cause propre existe, si du moins les effets de
nos), quia, cum effectus dependeant a causa, cette cause sont pour nous plus connus qu’elle-
posito effectu necesse est causam même ; car, les effets dépendant de la cause,
præexistere. Unde Deum esse, secundum dès que l’existence de l’effet est établie, il suit
quod non est per se notum quoad nos, nécessairement que la cause préexiste. Donc, si
demonstrabile est per effectus nobis notos. l’existence de Dieu n’est pas évidente à notre
égard, elle peut être démontrée par ses effets
connus de nous.
 Ad primum ergo dicendum quod Deum  Solution 1. L’existence de Dieu et les
esse, et alia huiusmodi quæ per rationem autres vérités concernant Dieu, que la raison

Saint Thomas d’Aquin. L’existence de Dieu. Page 5


naturalem nota possunt esse de Deo, ut naturelle peut connaître, comme dit l’Apôtre
dicitur Rom. i non sunt articuli fidei, sed (Rom. i, 19), ne sont pas des articles de foi,
præambula ad articulos, sic enim fides mais des vérités préliminaires qui nous y
præsupponit cognitionem naturalem, sicut acheminent. En effet, la foi présuppose la
gratia naturam, et ut perfectio perfectibile. connaissance naturelle, comme la grâce
Nihil tamen prohibet illud quod secundum présuppose la nature, et la perfection le
se demonstrabile est et scibile, ab aliquo perfectible. Toutefois, rien n’empêche que ce
accipi ut credibile, qui demonstrationem non qui est, de soi, objet de démonstration et de
capit. science ne soit reçu comme objet de foi par
celui qui ne peut saisir la démonstration.
 Ad secundum dicendum quod cum  Solution 2. Quand on démontre une cause
demonstratur causa per effectum, necesse est par l’effet, il est nécessaire d’employer l’effet au
uti effectu loco definitionis causæ, ad lieu de la définition de la cause, pour en
probandum causam esse, et hoc maxime prouver l’existence. Et cela se vérifie surtout
contingit in Deo. Quia ad probandum lorsqu’il s’agit de Dieu. En effet, pour prouver
aliquid esse, necesse est accipere pro medio qu’une chose existe, on doit prendre comme
quid significet nomen non autem quod quid moyen non sa définition, mais la signification
est, quia quæstio quid est, sequitur ad qu’on lui donne car, avant de se demander ce
quæstionem an est. Nomina autem Dei qu’est une chose, on doit se demander si elle
imponuntur ab effectibus, ut postea existe. Or, les noms de Dieu lui sont donnés
ostendetur, unde, demonstrando Deum esse d’après ses effets, (nous le montrerons) ; d’où,
per effectum, accipere possumus pro medio pour démontrer Dieu par ses effets, nous
quid significet hoc nomen Deus. pouvons prendre comme moyen ce que signifie
ce nom Dieu.
 Ad tertium dicendum quod per effectus  Solution 3. Par des effets disproportionnés
non proportionatos causæ, non potest à leur cause, on ne peut obtenir de cette cause
perfecta cognitio de causa haberi, sed tamen une connaissance parfaite ; mais, comme nous
ex quocumque effectu potest manifeste nobis l’avons dit, il suffit d’un effet quelconque pour
demonstrari causam esse, ut dictum est. Et démontrer manifestement que cette cause
sic ex effectibus Dei potest demonstrari existe. Ainsi, en partant des œuvres de Dieu,
Deum esse, licet per eos non perfecte on peut démontrer l’existence de Dieu, bien
possimus eum cognoscere secundum suam que par elles nous ne puissions pas le connaître
essentiam. parfaitement quant à son essence.

Articulus tertius Article 3

Utrum Deus sit Dieu existe-t-il ?

Ad tertium sic proceditur. Videtur quod


Deus non sit.
– 1. Quia si unum contrariorum fuerit – Objection 1. De deux contraires, si l’un est
infinitum, totaliter destruetur aliud. Sed hoc infini, l’autre est totalement aboli. Or, quand
intelligitur in hoc nomine Deus, scilicet on prononce le mot Dieu, on l’entend d’un bien

Saint Thomas d’Aquin. L’existence de Dieu. Page 6


quod sit quoddam bonum infinitum. Si ergo infini. Donc, si Dieu existait, il n’y aurait plus
Deus esset, nullum malum inveniretur. de mal. Or l’on trouve du mal dans le monde.
Invenitur autem malum in mundo. Ergo Donc Dieu n’existe pas.
Deus non est.

– 2. Præterea, quod potest compleri per – Objection 2. Ce qui peut être accompli par
pauciora principia, non fit per plura. Sed des principes en petit nombre ne se fait pas par
videtur quod omnia quæ apparent in des principes plus nombreux. Or, il semble bien
mundo, possunt compleri per alia principia, que tous les phénomènes observés dans le
supposito quod Deus non sit, quia ea quæ monde puissent s’accomplir par d’autres
sunt naturalia, reducuntur in principium principes, si l’on suppose que Dieu n’existe
quod est natura ; ea vero quæ sunt a pas ; car ce qui est naturel a pour principe la
proposito, reducuntur in principium quod nature, et ce qui est libre a pour principe la
est ratio humana vel voluntas. Nulla igitur raison humaine ou la volonté. Il n’y a donc
necessitas est ponere Deum esse. nulle nécessité de supposer que Dieu existe.

 Sed contra est quod dicitur Exodi iii,  En sens contraire, Dieu lui-même dit : « Je
ex persona Dei, ego sum qui sum. suis Celui qui suis » (Ex. iii, 14).

 Respondeo dicendum quod Deum esse  Réponse : Que Dieu existe, on peut
quinque viis probari potest. prendre cinq voies pour le prouver.
Prima autem et manifestior via est, quæ La première et la plus manifeste est celle qui se
sumitur ex parte motus. Certum est enim, prend du mouvement. Il est évident, nos sens
et sensu constat, aliqua moveri in hoc nous l’attestent, que dans ce monde certaines
mundo. Omne autem quod movetur, ab alio choses se meuvent. Or, tout ce qui se meut est
movetur. Nihil enim movetur, nisi mû par un autre. En effet, rien ne se meut
secundum quod est in potentia ad illud ad qu’autant qu’il est en puissance par rapport au
quod movetur, movet autem aliquid terme de son mouvement, tandis qu’au
secundum quod est actu. Movere enim nihil contraire, ce qui meut le fait pour autant qu’il
aliud est quam educere aliquid de potentia est en acte ; car mouvoir, c’est faire passer de la
in actum, de potentia autem non potest puissance à l’acte, et rien ne peut être amené à
aliquid reduci in actum, nisi per aliquod ens l’acte autrement que par un être en acte,
in actu, sicut calidum in actu, ut ignis, facit comme un corps chaud en acte, tel le feu, rend
lignum, quod est calidum in potentia, esse chaud en acte le bois qui était auparavant chaud
actu calidum, et per hoc movet et alterat en puissance, et par là il le meut et l’altère. Or il
ipsum. Non autem est possibile ut idem sit n’est pas possible que le même être, envisagé
simul in actu et potentia secundum idem, sous le même rapport, soit à la fois en acte et en
sed solum secundum diversa, quod enim est puissance ; il ne le peut que sous des rapports
calidum in actu, non potest simul esse divers ; par exemple, ce qui est chaud en acte ne
calidum in potentia, sed est simul frigidum peut pas être en même temps chaud en
in potentia. Impossibile est ergo quod, puissance ; mais il est, en même temps, froid en
secundum idem et eodem modo, aliquid sit puissance. Il est donc impossible que sous le
movens et motum, vel quod moveat même rapport et de la même manière quelque
seipsum. Omne ergo quod movetur, oportet chose soit à la fois mouvant et mû, c’est-à-dire
ab alio moveri. Si ergo id a quo movetur, qu’il se meuve lui-même. Il faut donc que tout
moveatur, oportet et ipsum ab alio moveri ce qui se meut soit mû par un autre. Donc, si la

Saint Thomas d’Aquin. L’existence de Dieu. Page 7


et illud ab alio. Hic autem non est chose qui meut est mue elle-même, il faut
procedere in infinitum, quia sic non esset qu’elle aussi soit mue par une autre, et celle-ci
aliquod primum movens ; et per consequens par une autre encore. Or, on ne peut ainsi
nec aliquod aliud movens, quia moventia continuer à l’infini, car dans ce cas il n’y aurait
secunda non movent nisi per hoc quod sunt pas de moteur premier, et il s’ensuivrait qu’il n’y
mota a primo movente, sicut baculus non aurait pas non plus d’autres moteurs, car les
movet nisi per hoc quod est motus a manu. moteurs seconds ne meuvent que selon qu’ils
Ergo necesse est devenire ad aliquod sont mus par le moteur premier, comme le
primum movens, quod a nullo movetur, et bâton ne meut que s’il est mû par la main.
hoc omnes intelligunt Deum. Donc il est nécessaire de parvenir à un moteur
premier qui ne soit lui-même mû par aucun
autre, et un tel être, tout le monde comprend
que c’est Dieu.

 Secunda via est ex ratione causæ  La seconde voie part de la notion de cause
efficientis. Invenimus enim in istis efficiente. Nous constatons, à observer les
sensibilibus esse ordinem causarum choses sensibles, qu’il y a un ordre entre les
efficientium, nec tamen invenitur, nec est causes efficientes ; mais ce qui ne se trouve pas
possibile, quod aliquid sit causa efficiens sui et qui n’est pas possible, c’est qu’une chose soit
ipsius ; quia sic esset prius seipso, quod est la cause efficiente d’elle-même, ce qui la
impossibile. Non autem est possibile quod supposerait antérieure à elle-même, chose
in causis efficientibus procedatur in impossible. Or, il n’est pas possible non plus
infinitum. Quia in omnibus causis efficien- qu’on remonte à l’infini dans les causes
tibus ordinatis, primum est causa medii, et efficientes ; car, parmi toutes les causes
medium est causa ultimi, sive media sint efficientes ordonnées entre elles, la première est
plura sive unum tantum, remota autem cause des intermédiaires et les intermédiaires
causa, removetur effectus, ergo, si non fuerit sont causes du dernier terme, que ces
primum in causis efficientibus, non erit intermédiaires soient nombreux ou qu’il n’y en
ultimum nec medium. Sed si procedatur in ait qu’un seul. D’autre part, supprimez la cause,
infinitum in causis efficientibus, non erit vous supprimez aussi l’effet. Donc, s’il n’y a pas
prima causa efficiens, et sic non erit nec de premier, dans l’ordre des causes efficientes, il
effectus ultimus, nec causæ efficientes n’y aura ni dernier ni intermédiaire. Mais si l’on
mediæ, quod patet esse falsum. Ergo est devait monter à l’infini dans la série des causes
necesse ponere aliquam causam efficientem efficientes, il n’y aurait pas de cause première ;
primam, quam omnes Deum nominant. en conséquence, il n’y aurait ni effet dernier, ni
cause efficiente intermédiaire, ce qui est
évidemment faux. Il faut donc nécessairement
affirmer qu’il existe une cause efficiente
première, que tous appellent Dieu.

 Tertia via est sumpta ex possibili et  La troisième voie se prend du possible et


necessario, quæ talis est. Invenimus enim in du nécessaire, et la voici. Parmi les choses, nous
rebus quædam quæ sunt possibilia esse et en trouvons qui peuvent être et ne pas être la
non esse, cum quædam inveniantur generari preuve, c’est que certaines choses naissent et
et corrumpi, et per consequens possibilia disparaissent, et par conséquent ont la
esse et non esse. Impossibile est autem possibilité d’exister et de ne pas exister. Mais il

Saint Thomas d’Aquin. L’existence de Dieu. Page 8


omnia quæ sunt, talia esse, quia quod est impossible que tout ce qui est de telle nature
possibile est non esse, quandoque non est. existe toujours ; car ce qui peut ne pas exister
Si igitur omnia sunt possibilia non esse, n’existe pas à un certain moment. Si donc tout
aliquando nihil fuit in rebus. Sed si hoc est peut ne pas exister, à un moment donné, rien
verum, etiam nunc nihil esset, quia quod n’a existé. Or, si c’était vrai, maintenant encore
non est, non incipit esse nisi per aliquid rien n’existerait ; car ce qui n’existe pas ne
quod est ; si igitur nihil fuit ens, impossibile commence à exister que par quelque chose qui
fuit quod aliquid inciperet esse, et sic modo existe. Donc, s’il n’y a eu aucun être, il a été
nihil esset, quod patet esse falsum. Non impossible que rien commençât d’exister, et
ergo omnia entia sunt possibilia, sed oportet ainsi, aujourd’hui, il n’y aurait rien, ce qu’on
aliquid esse necessarium in rebus. Omne voit être faux. Donc, tous les êtres ne sont pas
autem necessarium vel habet causam suæ seulement possibles, et il y a du nécessaire dans
necessitatis aliunde, vel non habet. Non est les choses. Or, tout ce qui est nécessaire, ou
autem possibile quod procedatur in bien tire sa nécessité d’ailleurs, ou bien non. Et
infinitum in necessariis quæ habent causam il n’est pas possible d’aller à l’infini dans la série
suæ necessitatis, sicut nec in causis des nécessaires ayant une cause de leur
efficientibus, ut probatum est. Ergo necesse nécessité, pas plus que pour les causes
est ponere aliquid quod sit per se neces- efficientes, comme on vient de le prouver. On
sarium, non habens causam necessitatis est donc contraint d’affirmer l’existence d’un
aliunde, sed quod est causa necessitatis aliis, Être nécessaire par lui-même, qui ne tire pas
quod omnes dicunt Deum. d’ailleurs sa nécessité, mais qui est cause de la
nécessité que l’on trouve hors de lui, et que tous
appellent Dieu.

 Quarta via sumitur ex gradibus qui in  La quatrième voie procède des degrés que
rebus inveniuntur. Invenitur enim in rebus l’on trouve dans les choses. On voit en effet
aliquid magis et minus bonum, et verum, et dans les choses du plus ou moins bon, du plus
nobile, et sic de aliis huiusmodi. Sed magis ou moins vrai, du plus ou moins noble, etc. Or,
et minus dicuntur de diversis secundum une qualité est attribuée en plus ou en moins à
quod appropinquant diversimode ad aliquid des choses diverses selon leur proximité
quod maxime est, sicut magis calidum est, différente à l’égard de la chose en laquelle cette
quod magis appropinquat maxime calido. qualité est réalisée au suprême degré ; par
Est igitur aliquid quod est verissimum, et exemple, on dira plus chaud ce qui se rapproche
optimum, et nobilissimum, et per davantage de ce qui est suprêmement chaud. Il
consequens maxime ens, nam quæ sunt y a donc quelque chose qui est souverainement
maxime vera, sunt maxime entia, ut dicitur vrai, souverainement bon, souverainement
II Metaphys. Quod autem dicitur maxime noble, et par conséquent aussi souverainement
tale in aliquo genere, est causa omnium quæ être, car, comme le fait voir Aristote dans la
sunt illius generis, sicut ignis, qui est Métaphysique, le plus haut degré du vrai
maxime calidus, est causa omnium coïncide avec le plus haut degré de l’être.
calidorum, ut in eodem libro dicitur. Ergo D’autre part, ce qui est au sommet de la
est aliquid quod omnibus entibus est causa perfection dans un genre donné, est cause de
esse, et bonitatis, et cuiuslibet perfectionis, cette même perfection en tous ceux qui
et hoc dicimus Deum. appartiennent à ce genre : ainsi le feu, qui est le
chaud suprême, est cause de la chaleur de tout

Saint Thomas d’Aquin. L’existence de Dieu. Page 9


ce qui est chaud, comme il est dit au même
livre. Il y a donc un être qui est, pour tous les
êtres, cause d’être, de bonté et de toute
perfection. C’est lui que nous appelons Dieu.
 Quinta via sumitur ex gubernatione  La cinquième voie est tirée du
rerum. Videmus enim quod aliqua quæ gouvernement des choses. Nous voyons que des
cognitione carent, scilicet corpora naturalia, êtres privés de connaissance, comme les corps
operantur propter finem, quod apparet ex naturels, agissent en vue d’une fin, ce qui nous
hoc quod semper aut frequentius eodem est manifesté par le fait que, toujours ou le plus
modo operantur, ut consequantur id quod souvent, ils agissent de la même manière, de
est optimum ; unde patet quod non a casu, façon à réaliser le meilleur ; il est donc clair que
sed ex intentione perveniunt ad finem. Ea ce n’est pas par hasard, mais en vertu d’une
autem quæ non habent cognitionem, non intention qu’ils parviennent à leur fin. Or, ce
tendunt in finem nisi directa ab aliquo qui est privé de connaissance ne peut tendre à
cognoscente et intelligente, sicut sagitta a une fin que dirigé par un être connaissant et
sagittante. Ergo est aliquid intelligens, a intelligent, comme la flèche par l’archer. Il y a
quo omnes res naturales ordinantur ad donc un être intelligent par lequel toutes choses
finem, et hoc dicimus Deum. naturelles sont ordonnées à leur fin, et cet être,
c’est lui que nous appelons Dieu.
 Ad primum ergo dicendum quod, sicut  Solution 1. À l’objection du mal, saint
dicit Augustinus in enchiridio, Deus, cum Augustin répond : « Dieu, souverainement bon,
sit summe bonus, nullo modo sineret ne permettrait aucunement que quelque mal
aliquid mali esse in operibus suis, nisi esset s’introduise dans ses œuvres, s’il n’était
adeo omnipotens et bonus, ut bene faceret tellement puissant et bon que du mal même il
etiam de malo. Hoc ergo ad infinitam Dei puisse faire du bien ». C’est donc à l’infinie
bonitatem pertinet, ut esse permittat mala, bonté de Dieu que se rattache sa volonté de
et ex eis eliciat bona. permettre des maux pour en tirer des biens.
 Ad secundum dicendum quod, cum  Solution 2. Puisque la nature ne peut agir
natura propter determinatum finem en vue d’une fin déterminée que si elle est
operetur ex directione alicuius superioris dirigée par un agent supérieur, on doit
agentis, necesse est ea quæ a natura fiunt, nécessairement faire remonter jusqu’à Dieu,
etiam in Deum reducere, sicut in primam première cause, cela même que la nature réalise.
causam. Similiter etiam quæ ex proposito Et de la même manière, les effets d’une libre
fiunt, oportet reducere in aliquam altiorem décision humaine doivent être rapportés au-
causam, quæ non sit ratio et voluntas delà de la raison ou de la volonté humaine, à
humana, quia hæc mutabilia sunt et une cause plus élevée ; car ils sont variables et
defectibilia ; oportet autem omnia mobilia faillibles, et tout ce qui est variable, tout ce qui
et deficere possibilia reduci in aliquod peut faillir, doit dépendre d’un principe
primum principium immobile et per se immobile et nécessaire par lui-même, comme
necessarium, sicut ostensum est. on vient de le montrer.

Saint Thomas d’Aquin. L’existence de Dieu. Page 10

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