Ateliers en Psychiatrie MASSON
Ateliers en Psychiatrie MASSON
Ateliers en Psychiatrie MASSON
Nelly DERABOURS
Olivier MANS
Delphine ROUSSEAU
V
Introduction
Ils sont animés par des personnels soignants qu’ils soient infir-
miers, ergothérapeutes, psychologues, médecins, aides-soignants,
psychomotriciens, éducateurs et parfois en collaboration avec des
professionnels de la médiation choisie. Ces professionnels n’ont pas le
statut de soignant.
Les infirmiers, pour leur part, sont autorisés à exercer ces activités
en vertu du Code de la santé publique 2.
L’article R.4 311-6 du Code de la santé publique (CSP) stipule que
l’infirmier peut, dans le cadre de son rôle propre :
• accomplir les actes et soins suivants : activités à visée sociothéra-
peutique individuelle ou de groupe ;
et dans le cadre de son rôle sur prescription :
• utiliser au sein d’une équipe pluridisciplinaire des techniques de
médiation à visée thérapeutique ou psychothérapique.
Ces actes sont inscrits dans la loi, mais en réalité très peu définis. À
nous donc de leur donner un sens et d’en élargir l’intérêt.
Être infirmier en psychiatrie, pour nous, ce n’est pas rester sur les
traces balisées d’actes répertoriés. C’est oser s’aventurer dans les coins
et recoins de ces espaces en friche. Oser inventer des moments
thérapeutiques.
Ce n’est pas non plus travailler seuls mais au sein d’une équipe
pluriprofessionnelle : une équipe, un collectif source de richesse pour
le soin.
Dans cet ouvrage, nous allons essayer de cerner ce que nous enten-
dons par « ateliers à médiations en psychiatrie », quels en sont les
préalables, quels fondamentaux devons-nous connaître avant de nous
lancer dans l’aventure, quelles sont les bases à leur mise en œuvre.
Dans sa deuxième partie, des professionnels, à travers la présenta-
tion de sept médiations, nous mènerons de la théorie à sa mise en
œuvre, sa mise en acte, sa mise en soins.
2. Code de la santé publique, Livre III – Auxiliaires médicaux, titre 1er, Profession
infirmier ou infirmière, chapitre 1er, exercice de la profession, section 1 : actes
professionnels.
2
Chapitre 1
Les préalables
L’institution
La question de la mise en place des ateliers à médiations doit être
posée en équipe pluriprofessionnelle. Si certaines activités sont du rôle
propre infirmier 3, la co-animation avec d’autres professionnels (ergo-
thérapeute, psychomotricien par exemple) pose la question de la
prescription médicale car ceux-ci n’exercent que sur prescription.
Néanmoins, si deux soignants même « autorisés » par un décret du
CSP décident de mettre en place une activité sans que cette activité soit
portée et reconnue par leurs collègues, quels que soient la qualité de
l’animation et le dynamisme des soignants, il y a fort à parier que les
effets seront limités. Il nous paraît nécessaire d’évaluer l’implication
de l’institution, du service, puis de l’équipe autour de ces activités.
L’activité doit être considérée par l’institution et par les profession-
nels comme un temps soignant. L’effet thérapeutique de l’activité n’est
pas réduit au temps de l’activité. Il dépend aussi de ce qui en est repris
en dehors du temps de l’activité lui-même. Il ne doit pas s’agir d’une
simple parenthèse dans la prise en charge, mais d’une partie d’un
travail pluriprofessionnel qui s’articule autour d’autres actions théra-
peutiques. Il est nécessaire lorsque l’on projette la mise en place d’un
atelier, de penser dès le départ aux nécessaires articulations avec
l’institution.
Pour que cette activité puisse être connue et reconnue, l’infirmier
devra prendre le temps de l’écriture. Écrire un projet permet de poser
ses idées, de les affiner, de les confronter au regard de l’autre. Il permet
aussi de laisser date dans l’histoire de l’institution et de pouvoir s’y
référer.
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ATELIERS EN PSYCHIATRIE
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DU PROJET À LA PRATIQUE
L’engagement
Pour proposer ces ateliers, il faut des soignants qui s’investissent
dans ce soin, qui y croient et qui présupposent au médiateur des vertus
thérapeutiques, sinon, les groupes ont de fortes chances de ne pas tenir
dans le temps.
Ces soignants sont considérés comme les référents institutionnels
de ces groupes. La notion de référent est importante. Elle en implique
une autre aussi fondamentale à ne jamais oublier ou nier : celle de la
responsabilité de garantir la faisabilité, la pérennité du projet.
Nous n’aborderons donc pas ici l’incontournable responsabilité
juridique proposée dans de nombreux ouvrages mais bien celle que les
soignants engagent devant l’institution, devant leurs collègues et
devant les patients :
• de cette responsabilité d’engagement pour que la médiation
s’installe dans une durée suffisamment importante pour qu’elle
prenne forme ;
• de la responsabilité d’engagement dans la continuité ;
• de la responsabilité d’engagement également par rapport aux
soins qui sont prodigués via cette médiation.
Si des objectifs généraux sont clairement énoncés à l’institution
lors de la mise en place d’une activité, il va de soi qu’ils ne constituent
qu’une trame à adapter, à discuter suivant l’indication, les objectifs
individualisés posés en fonction des besoins et de la volonté du patient.
7
Chapitre 2
Les fondamentaux
Ateliers
Le mot atelier est d’abord utilisé au XIVe siècle au sens d’« éclats de
bois », puis de « chantier, lieu où travaillent ensemble des artisans, des
ouvriers ». C’est aussi le lieu de travail d’un peintre, d’un sculpteur,
lieu de travail des beaux-arts. C’est donc un terme qui désigne tout lieu
de travail artisanal.
Artisanat, voilà le mot le plus adapté pour définir le travail minu-
tieux et quotidien de l’infirmier en psychiatrie.
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ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Groupe
Si comme nous l’avons vu, la médiation thérapeutique suppose au
minimum une interaction entre deux individus (un soignant et un
patient), elle est le plus souvent utilisée dans le cadre de groupes théra-
peutiques, un ou plusieurs soignants et un ou plusieurs patients.
Le terme de groupe vient de l’italien gruppo qui signifie « nœud,
assemblage ». Il a également une origine germanique signifiant
« arrondie ». Le groupe est un ensemble de choses ou de personnes.
C’est un mot assez récent, il semble qu’il fait sa première apparition
littéraire dans un poème de Molière sur le Val de Grâce. Au milieu du
XVIIe siècle, le mot de groupe désigne toute réunion de personnes
vivantes et à partir du XIXe siècle, il va subir une expansion prodigieuse
et va s’appliquer à tout ensemble, toute unité partageant un intérêt, un
but commun comme le groupe scolaire, le groupe électrogène, le
groupe sanguin…
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DU PROJET À LA PRATIQUE
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ATELIERS EN PSYCHIATRIE
11. Digonnet E., Friard D., Leyreloup A.-M., Rajablat M., Schizophrénie et soins
infirmiers, Masson, 2004.
12. Quenard O., « Approches groupales des situations de crise » in Les portes du
soin en psychiatrie sous la direction de Sassolas M., Erès, p. 177.
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DU PROJET À LA PRATIQUE
Création, créativité
Winnicott aborde la question de la créativité dans la perspective
d’un dégagement d’avec la réalité. « Il s’agit avant tout d’un mode
créatif de perception qui donne à l’individu le sentiment que la vie vaut
la peine d’être vécue 15 ».
Dans sa quête de soi, l’être humain passe par la création. Jouer pour
l’enfant est un acte créatif. Il n’est pas nécessaire ainsi que le dit
Winnicott que l’œuvre soit une réussite mais c’est le positionnement de
l’individu face à la réalité qui est intéressant.
La créativité, dans l’acception de Winnicott, serait ce qui permet à
un individu d’éprouver le sentiment d’une vie riche et intéressante.
L’environnement et ses exigences sont pris en compte dans la réalité
« objective » et ils sont « supportés » par la pulsion créative de l’indi-
vidu. Winnicott, dans son œuvre, ne rend pas compte d’une définition
de la pulsion créative 16.
13
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Espace transitionnel
Le jeu est considéré par Winnicott comme le processus essentiel de
l’humanisation. « C’est en jouant, et seulement en jouant, que l’indi-
vidu, enfant ou adulte, est capable d’être créatif et d’utiliser sa
personnalité toute entière. C’est seulement en étant créatif que l’indi-
vidu découvre le soi… » 18.
Cet espace de jeu est un espace paradoxal, parce qu’il se situe entre
la réalité extérieure et la réalité interne, entre le dedans et le dehors.
L’objet transitionnel favorise alors l’atténuation de la dissociation entre
le dedans et le dehors.
Si l’acceptation de la réalité se négocie dans cet espace de
l’entre-deux, tout en participant de la naissance du sujet, cela
perdure tout au long de la vie et reste, nous dit Winnicott, « une
tâche sans fin et que nul être humain ne parvient à se libérer de la
tension suscitée par la mise en relation de la réalité du dedans et de
la réalité du dehors ; nous supposons aussi que cette tension peut
être soulagée par l’existence d’une aire intermédiaire d’expérience,
qui n’est pas contestée (Arts, religion, vie imaginaire, création
scientifique)… »
Cet espace potentiel est le lieu des expériences positives qui vont
donner à la personne des sensations intenses.
La psychothérapie s’effectuerait selon Winnicott « là où deux aires
de jeu se chevauchent, celle du patient et celle du thérapeute. Si le
thérapeute ne peut jouer, cela signifie qu’il n’est pas fait pour ce
travail. Si le patient ne peut jouer, il faut faire quelque chose pour lui
permettre d’avoir la capacité de jouer, après quoi la psychothérapie
pourra commencer 19 »
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DU PROJET À LA PRATIQUE
Objet de relation
L’objet de relation s’oppose à l’objet transitionnel (qui est un objet
privé) dans le sens où il est partagé. Il « n’est médiateur que dans un
processus de médiation » 20. Cela dépendra du cadre et du dispositif mis
en place par l’équipe. Le journal est un moyen de se tenir informé de
l’actualité du monde ou d’un hobby, utilisé dans un groupe « presse »
en CATTP par exemple, il perd ce rôle de moyen d’information pour
devenir tiers dans un groupe. Prétexte à réunir le groupe, il est le
médium qui va permettre à chacun de s’exprimer sans se mettre en
danger comme dans une relation uniquement duelle.
« De par sa concrétude et son existence propre, l’objet de relation
permet de déplacer au dehors, d’externaliser, sur un objet concret, ce
qui se joue entre deux personnes ou plus : à travers l’objet, le patient
peut ainsi scénariser des facettes de la dynamique transférentielle, plus
facilement repérable et analysable. » 21
L’objet médiateur a une fonction d’autoreprésentation d’un lien
entre les participants d’un groupe.
Distanciation
L’utilisation d’une médiation, dans un atelier, permet au patient
d’aborder certaines problématiques par un biais symbolique. La distan-
ciation apporte un recul face à une difficulté et sa symbolisation qui va
permettre sinon de l’affronter directement, au moins de l’appréhender
d’une manière moins pénible.
Les groupes à médiations permettent une mise à distance des
angoisses, du vécu de la crise. « Certaines caractéristiques leur confè-
rent un aspect de jeu, de manipulation d’objets imaginaires autorisant
les participants à retrouver dans cette situation de soins une dimension
de plaisir dont leurs difficultés les tenaient éloignés 22 ».
Subjectivation
La subjectivation est un mouvement psychique qui marque plus
particulièrement l’adolescence. Il s’agit de se reconnaître comme sujet
15
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Communication
Il est souvent question dans les symptômes liés aux pathologies
mentales, de troubles de la communication. Que cela soit sous forme
de manque de communication, de communication inadéquate, de repli,
de rejet.
L’idée princeps qui soutient tout groupe ou atelier à médiation, est
celle de favoriser la communication, les liens et d’établir des relations
intersubjectives.
Depuis plusieurs décennies, le courant de pensée systémique 23 a
identifié que la communication humaine s’établit sur deux modes
fondamentaux : analogique et digital.
L’analogique correspond à tout ce qui est non-verbal (les signes
paralinguistiques, le ton, la posture, le geste). Le digital utilise les
signes conventionnels de la langue parlée. Aussi toute communication
a deux aspects : contenu et relation qui se complètent et coexistent
dans tout message. Le contenu est transmis sur le mode digital, la rela-
tion est essentiellement de nature analogique. Dans la relation
analogique, il n’existe pas de discriminants. Le comportement n’a pas
de contraire. Nous pouvons donc dire qu’on-ne-peut-pas-ne-pas-
communiquer. Tout retrait, silence, immobilité, est une forme de
communication.
Dans la pratique soignante, il est primordial de penser le non-verbal
comme une forme de communication, sur laquelle s’appuyer pour
construire la relation.
Ces messages analogiques sont aussi très présents dans l’aménage-
ment architectural du groupe : murs, chaises, décorations… sont des
messages dirigés vers le groupe auxquels il va réagir par d’autres
messages. Un cadre soigné va induire une attitude de respect des uns
16
DU PROJET À LA PRATIQUE
17
Chapitre 3
Les bases
Le cadre
Nous allons ici parler du cadre fonctionnel (mise en œuvre de
l’atelier) et du cadre psychique (conditions pour qu’il soit
thérapeutique).
C’est la conjonction de ces deux cadres, fonctionnel et psychique,
qui formeront le « cadre thérapeutique », qui différenciera l’atelier mis
en place dans le soin de la même activité réalisée dans un autre
contexte.
Lorsque l’on parle d’activité thérapeutique, il est fait référence au
cadre.
Le cadre thérapeutique signifie que nous ne nous trouvons pas dans
une relation amicale ou sociale. Le cadre est indispensable au déroule-
ment du soin, il est la signature du lieu de soin, c’est sa particularité. Il
est sans cesse à tenir, à structurer, à restaurer. Une fois posé, il est bien
entendu que tout reste à faire… car il est tout le contraire d’un
ensemble de consignes et de règles s’il n’est pas habité et investi par
les soignants.
Le cadre est énoncé dès le départ, il est également rappelé si néces-
saire. Il est ainsi intériorisé par les soignants et les patients. Il peut
redevenir explicite lors de moments de crise. Il ne doit pas être
d’emblée rigide, il doit se construire et s’ajuster en tenant compte des
spécificités de chaque groupe.
Ce cadre va être élaboré et se mettre en place comme une véritable
« fonction phorique » institutionnelle. Il s’agit de la création d’espaces
qui vont permettre aux patients de déposer leurs problématiques sous la
forme de transferts complexes avec les soignants (Delion).
La première fonction du cadre est une fonction de contenance.
Anzieu 25 l’a comparé à un « contenant maternel » qui a le rôle d’une
« seconde peau psychique ».
19
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Pour cela, son premier caractère est qu’il est permanent. Si le cadre
peut être attaqué, remis en cause, il ne doit pas être pour autant modifié
au gré des évènements. C’est sa permanence qui lui donne sa capacité à
contenir les attaques destructrices qui sont projetées non sur le groupe
ou sur les individus du groupe mais sur le cadre. Il est attaqué sans
cesse par la psychose (notion de clivage et de projection), par la crise,
par l’institution, par la vie au quotidien. Il se doit d’être contenant pour
supporter les projections. Il doit par ailleurs être souple pour les rece-
voir et les neutraliser. Un cadre vivant, c’est un cadre que l’on peut
attaquer, puisque l’attaquer c’est encore le reconnaître 26.
« Un tel cadre est fondamental car il possède, tant pour les patients
que pour l’équipe, une fonction organisatrice et déconfusionnante
essentielle. Et pour certains, la prise en charge institutionnelle des
psychotiques et le travail sur le cadre sont une seule et même chose. 27 »
Cette fonction de contenance du cadre est, dans un travail en
groupe, bien supérieure à celle du cadre que peut mettre en place le
thérapeute, lors d’entretiens individuels par exemple. Ajouté à la fonc-
tion de transitionnalité du cadre (ce qui permet au patient de dire
« l’objet est et n’est pas moi » l’autorisant à expérimenter le jeu, l’art et
la créativité ; voir Winnicott), le dispositif clinique qu’est le cadre dans
le travail de groupe permet de travailler avec des patients dits psychoti-
ques par exemple.
Le cadre est aussi l’outil qui va permettre la mise en œuvre de la
relation thérapeutique en délimitant les rôles que chacun va être amené
à jouer. Même si le soignant participe à l’activité et « produit » en tant
que membre du groupe, sa position n’est pas indistincte.
Le cadre peut être pensé comme « l’environnement immédiat qui
permet au praticien d’installer une situation susceptible de lui
permettre d’exercer son travail 28 ».
Le cadre correspond à l’espace temporel, matériel et psychique que
les soignants vont mettre en œuvre pour que l’activité puisse se
dérouler dans de bonnes conditions. Il faut l’imaginer comme une
instance tierce, à la fois matérielle et symbolique, qui sert de lieu,
d’organisation stable, de référence pour l’équipe soignante et pour les
26. Friard D., Jardel V., « Les manchots n’ont pas de bras », in Santé Mentale, n°
111, p. 64.
27. Jallade, in Le groupe soignant, des liens et des repères, sous la direction de M.
Sassolas, Erès, 1999, p. 19.
28. Jacobi B., Cent mots pour l’entretien clinique, Erès, 2002, p. 35.
20
DU PROJET À LA PRATIQUE
Choix du médiateur
Si comme nous l’avons vu, avant toute mise en œuvre d’une acti-
vité, il convient de s’interroger sur la manière dont on travaille dans
l’institution, sur les articulations possibles entre les groupes et le reste
du service, sur la reconnaissance institutionnelle et enfin sur ce que
l’on va mettre en place pour assurer des liens qui soient effectifs, le
médiateur va être choisi en fonction de son intérêt pour la personne en
souffrance.
22
DU PROJET À LA PRATIQUE
Post-groupe et synthèses
L’activité n’est thérapeutique encore une fois que si elle existe au-
delà du moment même de l’activité ; nous l’avons vu, dans la tête des
autres soignants, dans le projet de l’institution et surtout dans la pensée
du patient en dehors du groupe. Ce qui fera le lien entre le groupe et
l’institution (ou le service, le reste de l’équipe) c’est le travail de mise
en commun et d’analyse réalisé à l’issue du groupe par les soignants.
Le post-groupe comme lieu de parole, moment d’élaboration autour de
ce qui a été acté au cours du groupe est un moment de recul pour
analyser les interactions soignants/soignés et soignés/soignés.
Le retour qui en sera fait en synthèse ou en réunion clinique, parti-
cipe à l’effet thérapeutique de l’activité.
Dans l’idéal, les soignants mettront en place une supervision avec
un professionnel extérieur au groupe afin de travailler les phénomènes
inconscients qui échappent à leur analyse collective. Ce sera un « lieu
de parole pour les soignants où puissent se réfléchir les réactions
contre transférentielles, s’adapter les attitudes, s’infléchir les techni-
ques, se travailler les modèles théoriques 31 »
30. Chouvier B., « Un cadre pour les médiations », in Santé Mentale, n° 111,
octobre 2006, p. 30.
31. Gabbaï P., « Les médiations thérapeutiques », in Santé Mentale, n°111,
octobre 2006, p. 27.
23
Chapitre 4
27
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Holding, handling
Si nous nous appuyons sur la théorie de D. Anzieu, la peau remplit
une fonction de soutènement du squelette et des muscles et le Moi-
peau remplit une fonction de soutènement du psychisme.
La fonction biologique est exercée par ce que Winnicott a appelé le
holding, c’est-à-dire par la façon dont la mère soutient le corps du bébé.
« L’utilisation du cheval permet un retour aux relations primitives
mère-enfant. » 36 C’est au cours de la monte à cheval que le patient peut
expérimenter cette impression de portage et d’étayage physique qui
amènera ensuite la fonction psychique de maintenance.
28
LES MÉDIATIONS
Contexte
L’activité cheval a lieu dans un secteur de psychiatrie adulte de la
banlieue parisienne. Elle existe depuis 5 ans.
Elle a été au départ créée pour répondre aux besoins spécifiques de
certains patients hospitalisés au long court pour lesquels l’emprise
institutionnelle était importante et pour lesquels le bénéfice thérapeu-
tique était interrogé.
Il s’agissait d’élaborer du soin autour d’une activité régulière se
déroulant à l’extérieur de l’hôpital.
L’activité a été pensée et initiée dans le contexte de l’arrivée de
deux psychomotriciens. Cette nouvelle représentation professionnelle
sur le secteur a permis en équipe de réfléchir à la mise en place de
29
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Cadre et indications
Les indications pour cette activité sont multiples, elles s’appuient
sur le désir particulier de chacun, patients ou thérapeutes. Elles sont
affinées en fonction de l’évolution du patient au sein de l’activité.
Elles sont initiées de deux façons, par un membre de l’équipe
soignante ou par le patient lui-même. Leur pertinence est alors discutée
en réunion de synthèse en lien avec le projet de soin du patient.
Après quelques années de pratique, l’évolution du groupe par sa
constitution et du fait d’un changement de lieu ont amené des réajuste-
ments. Les indications ont été élargies ; le groupe est pensé à présent
pour des patients hospitalisés à court terme ou suivis en ambulatoire
afin de créer une nouvelle dynamique. Cela participe aux échanges
entre le milieu hospitalier et l’extérieur.
Comme dans toute activité à médiation, il nous a fallu établir un
cadre reconduit à chaque séance :
• Des horaires en lien avec le fonctionnement institutionnel : par
exemple, l’heure de retour coïncide avec l’heure du déjeuner.
• Des règles de sécurité externes à l’activité qui sont à respecter,
comme le port de la ceinture de sécurité dans le minibus.
• D’autres règles propres à l’activité sont travaillées de séance en
séance, en lien avec la codification équestre comme par exemple,
ne pas descendre de cheval à n’importe quel moment ou ne pas
fumer aux abords des écuries.
Il est important qu’un cadre soit établi pour constituer un contenant
rassurant à l’intérieur duquel pourra s’instaurer une certaine flexibilité
indispensable au travail thérapeutique.
31
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
32
LES MÉDIATIONS
Déroulement de l’activité
L’activité est hebdomadaire, elle se déroule sur une matinée. Le
transport se fait en minibus et il faut une demi-heure pour aller de
l’hôpital au centre équestre. La séance sur place dure une heure.
Chaque étape du déroulement de la séance a son importance. Elles
donnent l’opportunité aux soignants d’aborder différentes problémati-
ques avec le groupe ou individuellement.
Dans le service, avant le départ, les référentes vont voir individuel-
lement les patients du groupe. Le reste de l’équipe tient un rôle
important : elle positive leur participation à l’activité et veille au fait
que leur tenue vestimentaire soit appropriée à l’activité et au temps.
Nous quittons le service vers 10 heures. Le trajet en minibus permet
d’appréhender l’état psychique de chacun (surexcitation, apathie,
angoisse…) et se faire une idée de la tonalité émotionnelle du groupe.
C’est le moment où les patients évoquent leurs envies pour la
séance (balade, manège, calèche, choix des chevaux). Le trajet à l’aller
est un moment de tensions importantes où il nous faut contenir l’exci-
tation des patients, leurs appréhensions en lien avec la séance mais
aussi leurs angoisses.
L’arrivée au centre est souvent marquée par une pause cigarette et
une prise de contact progressive avec l’environnement. Nous allons
voir les animaux, saluons les personnels du centre. Avec la monitrice
33
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
d’équitation, les patients font le choix des chevaux dont ils vont
s’occuper.
Se déroule ensuite le pansage durant lequel nous sommes, avec la
monitrice, sollicitées par les patients pour des conseils pratiques ou par
besoin d’une présence rassurante.
Le pansage permet de travailler le rapport au corps et au soin du
corps. L’anatomie du cheval ainsi que l’appellation des différentes
parties de son corps sont très proches de celles de l’être humain. On
parle de jambes, de pieds… Cela permet un rapprochement avec son
propre corps. Le contact avec la chaleur et la douceur de la robe d’un
cheval éveille des sensations rappelant les premières attentions portées
à un nourrisson.
Ensuite nous apprêtons les chevaux avec tout le matériel nécessaire
à la monte : le filet, la selle… Toute cette préparation nécessite un repé-
rage de nouveaux objets, une intégration de l’entité du corps du cheval
et de ses nécessités.
Une fois le pansage réalisé et les chevaux sellés, les patients ont la
possibilité durant une demi-heure de monter à cheval en manège ou en
balade ou encore de se promener en calèche qu’ils vont diriger.
Certains préfèrent marcher à côté du cheval. Il va s’agir là d’un temps
particulier car il va nous falloir être tout à la fois attentives et disponi-
bles pour chacun des patients, en tenant compte du couple qu’ils
forment avec leur cheval.
Vient ensuite le temps de la séparation ; chacun raccompagne son
cheval dans son box après l’avoir dessellé et avoir rangé le matériel. Il
est de coutume de « remercier » les chevaux en leur donnant un
morceau de pain.
Avant de repartir en minibus, la transition se fait de nouveau par un
temps d’échanges autour d’une cigarette ou d’une boisson, permettant
d’initier la séparation avec le lieu, la monitrice et les animaux en se
projetant sur la séance suivante.
Le départ se fait vers 12 heures. Le trajet de retour en minibus est
un espace temps s’apparentant à un post-groupe informel. Les patients
peuvent s’en saisir pour réagir au déroulement de la séance plus spon-
tanément que dans un lieu et un temps établis et signifiés en tant que
tels. Ainsi, Bérénice peut y échanger avec le groupe au sujet de l’agres-
sivité dont elle fait preuve dans le service. Marius, un autre patient,
nous y livre l’appréhension qu’il ressent avant chaque séance.
De retour à l’hôpital, nous raccompagnons les patients dans leurs
unités, c’est l’heure pour eux d’aller prendre leur repas. C’est à ce
34
LES MÉDIATIONS
Z Éloïse
Éloïse est âgée de 40 ans, elle souffre de schizophrénie paranoïde.
Elle a connu un parcours abandonnique et maltraitant. Elle a été suivie
en ambulatoire pendant plusieurs dizaines d’années et est maintenant
hospitalisée depuis plusieurs années suite à une majoration de ses trou-
bles. Elle a perdu progressivement son autonomie, montrant au sein du
service des comportements d’agitation (cris, agitation, auto- et hétéro-
agressivité) en lien avec un sentiment de persécution. En même temps,
s’est mise en place une dépendance de plus en plus accrue aux
soignants. Éloïse cherche à instaurer une relation privilégiée avec les
uns puis les autres, relation passant de la fusion au rejet dès lors que
celle-ci prend de l’importance. Éloïse ne semble pas en capacité
d’investir de manière égale plusieurs soignants à la fois, il lui faut des
« bons » et des « méchants » ; des soignants qu’elle « aime » et
d’autres qu’elle « rejette ». Le clivage dont elle use est permanent. Son
attitude avec les patients de l’unité est assez semblable à ce qu’elle met
en place avec les soignants.
L’indication pour sa participation au groupe cheval est posée pour
lui permettre de rompre avec ce fonctionnement, d’utiliser les capacités
de holding et de handling de l’animal pour lui donner la possibilité de
créer avec le cheval une relation vécue comme moins risquée.
Dès la première séance, Éloïse fait le choix de se lier plus particu-
lièrement avec un poney avec lequel elle a mis rapidement en place un
comportement maternant.
35
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Z Bérénice
Bérénice, âgée de 48 ans, présente depuis l’enfance des conduites
impulsives et des troubles du comportement à type d’hétéro-agressi-
vité. Elle a été, jusqu’à ses 6 ans, élevée par son beau-père. Sa mère les
a quittés lorsqu’elle avait 2 ans.
36
LES MÉDIATIONS
Z Marius
Marius, âgé de 50 ans, souffre de troubles épileptiformes apparus
dès l’enfance. Il a été adressé à l’hôpital pour troubles caractériels en
famille à l’âge de 21 ans. Il a travaillé 10 ans en CAT d’horticulture
puis a de nouveau été hospitalisé suite à un passage à l’acte hétéro-
agressif envers une éducatrice du foyer dans lequel il vivait. Il ne peut
plus y retourner. Cette prise en charge, qui se déroule depuis 19 ans, a
été émaillée de tentatives de réinsertions plus ou moins durables qui se
solderont toutes par des réhospitalisations du fait de troubles du
comportement à type de kleptomanie et d’hétéro-agressivité dans des
moments d’angoisse. Au quotidien, Marius est courtois, jamais avare
d’une bonne parole. Il est souvent pris dans un monologue intérieur ou
une soliloquie qui le rendent parfois inaccessible à l’autre. Tout chan-
gement dans son cadre de vie engendre de l’angoisse qu’il régule plus
ou moins bien par des rituels (vérification incessante de l’heure par
exemple). Il bénéficie depuis presque deux ans d’un accueil en foyer de
jour ; il y est accueilli maintenant à raison de quatre demi-journées par
38
LES MÉDIATIONS
Conclusion
Par son objet, cette activité a une valeur de renarcissisation que les
patients trouvent dans le regard et les paroles de chacun, auprès des
autres patients dans le partage d’une même situation, auprès des
soignants dans la valorisation de leurs capacités personnelles et auprès
de la monitrice du centre équestre dans la valorisation de leur savoir-
faire auprès du cheval.
Cette activité avec le cheval nécessite un investissement important
du corps. La non-parole du cheval permet le renvoi d’un message
déchiffrable par le patient dans sa sensorialité. Les conflits psychiques,
les troubles de la personnalité viennent perturber la relation que le sujet
a de son propre corps et d’autrui. Ces perturbations se traduisent par
différents troubles : psychomoteurs, somatisations, idées délirantes…
Dans la majorité des cas l’image du corps est affectée. La restauration
et la formation d’une meilleure intégrité du corps permet d’accéder à la
notion de l’identité et de l’entité.
À travers l’activité cheval les patients ont la possibilité d’enrichir
leurs sensations et leurs perceptions, ce sont de nouvelles expériences
corporelles qui ont un sens et une valeur communicative avec cet autre
qu’est le cheval. C’est un support privilégié d’une circulation émotion-
nelle. Pour instaurer un cadre thérapeutique, il est essentiel que ces
sensations et émotions soient reprises et parlées afin que le patient
puisse les situer dans son histoire.
Z Bibliographie
D. ANZIEU, Le Moi-Peau, éd. Dunod, 1995.
I. AUBARD, « Mais en quoi le cheval peut devenir un médiateur
thérapeutique ? » http : //serpsy.org
J. C. BARREY, in Thérapie avec le cheval, sous la direction de R. de
Lubersac, éd. Fentac, 2000, p. 41.
Document de l’association TAC-IF, Thérapie avec le cheval en Ile
de France.
A. C. LEROUX, in Cheval, inadaptations et handicaps, sous la
direction de M. Jollinier, éd. Maloine, 2004.
40
Chapitre 5
L’importance du jeu
dans la vie de l’enfant
Le jeu est au premier plan dans la vie de l’enfant dont il favorise le
développement et la socialisation.
42
LES MÉDIATIONS
43
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
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LES MÉDIATIONS
45
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Le groupe thérapeutique
À la consultation, nous recevons des enfants qui souvent sont en
difficulté à être en relation avec les autres enfants, ce qui rejaillit sur
leur attitude vis-à-vis du jeu. Souvent ils ne savent pas jouer, parfois ils
s’oublient dans le jeu mais rarement ils sont en paix avec ce mode
d’expression.
Nous utilisons comme médiation le jeu, non pas pour nous inté-
resser à l’activité ludique en soi qui aurait une valeur pédagogique ou
d’apprentissage, mais à tout ce qui va se passer autour des jeux de
l’enfant, ce qu’il va manifester par ses jeux, ses dires ou son comporte-
ment, par sa relation aux autres enfants ou aux adultes, ce qu’il va jouer
de ses conflits internes, de ses difficultés et de ses symptômes. Ses
manifestations peuvent être questionnées par les autres enfants ou
soignants et des réponses diverses, des solutions nouvelles et insoup-
çonnées peuvent être mises en commun et partagées.
Le cadre
Z Lieu et matériel
Il est composé d’une vaste pièce occupée dans un de ses coins par
une structure en bois où les enfants peuvent monter par un escalier de
quelques marches et glisser sur des pans légèrement inclinés favorisant
les glissades et les jeux moteurs.
Nous avons aménagé un espace de regroupement autour d’une table
où la place de chacun est matérialisée même lorsque l’un des membres
du groupe est absent.
Nous avons laissé volontairement un grand espace libre au milieu,
occupé selon les jeux choisis.
46
LES MÉDIATIONS
Z Dispositif
Le groupe thérapeutique a lieu chaque semaine, à la même heure,
avec les mêmes soignants. Il dure 1 heure. Il s’agit ici d’un groupe
ouvert (possibilité d’arrivées et de départs d’enfants au cours de la
séance, durée non définie à l’avance). Nous insistons sur le cadre. Il est
en effet important de proposer aux enfants un cadre contenant. Pour ce
faire, il nous semble impératif que le groupe se déroule dans la même
pièce. L’enfant y trouvera progressivement ses repères et investira cet
espace à son rythme au fil des séances. Le facteur temps a également
son importance. Le groupe doit avoir lieu chaque semaine à la même
heure. Il suppose donc une régularité des enfants et des soignants. La
permanence des soignants est de toute importance, importance de la
continuité psychique, affective afin que les mouvements transférentiels
puissent se déployer en toute sécurité.
Les enfants connaissent les quelques règles énoncées au début de la
première séance de groupe. On s’écoute, on respecte l’autre, enfant ou
adulte, on ne fait pas mal à l’autre, on ne se fait pas mal à soi-même.
Ce sont des règles que nous avons établies et que les enfants respectent,
même si souvent il y a des transgressions. Les enfants savent que nous
interviendrons à chaque fois sur ces transgressions ou sur les difficultés
que l’enfant peut avoir face à ces règles. Nous sommes en quelque
sorte les garants du cadre que nous imposons, ce qui est rassurant pour
les enfants et ce qui leur permet de s’appuyer dessus pour s’affirmer et
se confronter aux autres. Nous devons en faisant respecter ses règles
amener l’enfant à être dans le « verbal » et non dans « l’agi ».
Même s’il n’y a pas d’accord commun, nous n’imposons pas un jeu
particulier.
C’est ainsi que d’emblée, ces enfants qui sont en difficulté dans leur
relation aux autres ne se retrouvent pas naturellement pour jouer
ensemble. Notre propos n’est pas de les obliger à le faire mais de les
amener à partager ensemble une expérience de groupe dans laquelle
peu à peu ils pourront mettre à profit ce travail, en fonction de leurs
problématiques personnelles.
L’enfant va progressivement s’approprier ce lieu en tant qu’espace
mais également s’appuyer sur ses pairs et sur les thérapeutes pour
pouvoir surmonter ses propres difficultés.
Le groupe d’enfants
Z Luc
Luc a six ans lorsqu’il intègre le groupe. C’est un enfant, grand de
taille pour son âge, dont le visage un peu anxieux révèle un regard
sérieux.
Luc a consulté au CMP car sa maman s’inquiétait beaucoup des
coups qu’il recevait à l’école et du fait qu’il ne se défendait pas. « C’est
la tête de turc, il est couvert de bleus et de bosses. Dernièrement, dans
la cour de récréation des filles ont voulu l’étrangler avec une
écharpe ».
Le médecin référent de Luc nous a demandé de l’intégrer dans le
groupe afin de comprendre ce qui peut se passer pour lui, « quelle est
l’attitude de Luc pour susciter autant d’agressivité à son égard ? Pour-
quoi se laisse-t-il ainsi malmener ? ».
Nous avons rencontré Luc et ses parents. Sa maman le décrivait
comme très passif lors des conflits, subissant terriblement, pleurant
pour un oui et un non mais par ailleurs pouvant passer par des moments
d’agressivité en se disputant notamment avec sa sœur aînée. Luc est le
deuxième enfant et le seul garçon de la fratrie de 3 enfants.
Madame nous parle de sa propre enfance. Ses parents sont
d’origine étrangère et se sont séparés lorsqu’elle était âgée de douze
ans. Elle a vécu avec son père et sa belle-mère nous relatant des rela-
tions difficiles avec cette dernière qui les tapait, son frère et elle,
reprochant à son père, d’avoir laissé faire. « J’ai souvent été punie
injustement…».
Le papa de Luc se présente comme un monsieur timide, effacé, qui
travaille dans un commerce avec des horaires de travail importants. Il
nous raconte un épisode qui fut pour lui difficile à l’école. En effet,
alors qu’il se montrait toujours très timide, il s’est défendu un jour de
moqueries répétitives, en tapant violemment sur un autre enfant. Il
s’est fait par la suite traiter de « fou » et a été maintenu dans un certain
isolement, ce dont il a beaucoup souffert.
L’expression de l’agressivité et la gestion des conflits semblent
pour le moins constituer une question pour chacun des parents. Que
renvoie à madame la violence dont son fils est l’objet et sa passivité ?
À l’instar de son père, Luc craint-il en se défendant de passer pour
« fou » et de se faire rejeter ?
Pendant ce temps, Luc dessine : un petit bonhomme, plutôt
souriant mais suspendu dans l’air et entouré de drapeaux français, de
taille différente, neuf au total mais dont la particularité est d’être de
49
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Z Victor
Lorsque ses parents prennent rendez-vous à la consultation, Victor
est un petit garçon de quatre ans et demi qui présente des difficultés
relationnelles intra et extra familiales. Très agité et très opposant, il se
trouve en conflit avec les adultes et les autres enfants de son âge. De ce
fait et malgré sa vive intelligence, il a une mauvaise adaptation scolaire
marquée par l’opposition et le manque de limites.
Victor est l’enfant d’un couple qui rencontre de grandes difficultés
conjugales, difficultés anciennes, préexistantes à la naissance de ce
dernier. Les parents de Victor nous semblent déprimés. Le papa a une
activité libérale dans laquelle il ne semble pas s’épanouir. Il semble
s’isoler à la maison en jouant beaucoup sur l’ordinateur.
La maman a également une activité professionnelle ainsi que de
multiples activités à l’extérieur le soir assez tardivement. Les grands-
parents maternels se sont séparés, de façon extrêmement conflictuelle
quand elle était adolescente et elle n’a revu son père que quelques fois,
une vingtaine d’années après. Les enfants ne connaissent pas leur
grand-père maternel. Elle raconte cela en mettant très à distance ses
affects mais sa colère et sa déception à l’égard de son propre père est
bien perceptible.
Victor est un petit garçon, dont le visage sérieux est souvent
marqué par des expressions boudeuses ou mécontentes mais pouvant
50
LES MÉDIATIONS
Z Antonin
Antonin a consulté alors qu’il était âgé de quatre ans et demi à la fin
de sa petite section de maternelle. L’institutrice avait alarmé les parents
parce qu’il présentait alors un problème de langage, était très en retrait
en classe, refusant de participer aux activités et ne restant pas une
minute en place. Antonin, jumeau d’un autre garçon, était dans la
même classe que son frère, lequel faisait la fierté de sa maîtresse.
L’histoire d’Antonin a été marquée par une dépression importante
de sa maman qui décrit une grande difficulté à investir ses bébés et plus
encore pour Antonin qui était « tranquille et gentil ».
Le trouble précoce relationnel mère-enfant persistait à l’époque de
la première consultation et inquiétait beaucoup la maman d’Antonin.
Il nous apparaissait qu’Antonin, contrairement aux apparences,
était le jumeau dominant par son opposition (parler sans être compris
avec la capacité parfois d’être compréhensible), sa non soumission aux
consignes, sa capacité de faire comme s’il n’entendait pas d’où
l’impression qu’il donnait d’être « dans sa bulle ».
Une prise en charge en groupe thérapeutique a donc été décidée,
prise en charge au cours de laquelle la première année, il y a eu
d’immenses changements pour Antonin, d’abord dans la relation avec
sa mère mais aussi du point de vue du langage, de l’investissement des
apprentissages, des relations avec les autres enfants, de son opposition
qu’il pût commencer à exprimer. Cependant, il était nécessaire de pour-
suivre ce travail.
Z François
François était âgé de quatre ans lors de la première consultation,
adressé par l’école pour son « comportement agressif et violent » mais
il était aussi présenté comme ayant du mal à contrôler ses émotions,
timide et très sensible aux séparations. Les parents de François sont
d’origine étrangère, le père est d’abord venu en France pour un travail
puis sa femme l’a rejoint. Le papa de François est issu d’une famille
dans laquelle il y a eu manifestement beaucoup de séparations. Il ne
veut pas trop évoquer son histoire, sûrement difficile.
François est né en France ainsi que son petit frère. À l’époque de la
première consultation, il existe de gros conflits conjugaux. Le père a
des difficultés pour trouver un emploi fixe et repart régulièrement dans
51
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Déroulement du groupe
Lorsque le groupe reprend en septembre, les retrouvailles se font
pour certains dès l’entrée dans la salle d’attente. Il y a une certaine
excitation de la part des enfants, notamment ceux qui se connaissent
pour avoir fait ce travail auparavant et une appréhension pour ceux qui
le commencent.
Pour Antonin et François, c’est une poursuite après une interruption
pendant les vacances scolaires d’été, ils sont contents de se retrouver
mais observent discrètement Luc, le nouveau !
En effet, l’arrivée ou le départ d’un enfant dans un groupe suscite
toujours beaucoup de réactions. Questionnements de chacun quant à la
place qu’il occupe, à la place que « l’autre » va occuper, inquiétudes
légitimes qui rappellent les bouleversements provoqués par une
nouvelle naissance dans une famille, le départ d’un aîné, etc.
Dans la salle d’attente, Luc est assis aux côtés de sa mère. Il regarde
du coin de l’œil ce qui se passe autour de lui. Antonin est près du tableau
noir. Son frère jumeau est avec lui. Ce dernier aimerait bien suivre son
frère dans la salle « pour jouer » avec lui. François, accompagné de sa
grand-mère maternelle, joue avec son petit frère. Il manque Victor.
« C’est l’heure, on commence ». Après avoir salué les mères ou les
grands-parents qui accompagnent les enfants, et après avoir pris quel-
ques nouvelles de la rentrée, nous nous avançons vers la porte du
jardin. François se précipite vers cette porte. Il se colle à celle-ci et
attend qu’on l’autorise à l’ouvrir pour traverser le jardin. La maman de
Luc prend à part une soignante. « Je voulais vous dire que la rentrée
s’est bien passée. La veille on est allé avec Luc voir la composition de
sa classe et on a vu qu’il était dans la même classe que « les filles ».
J’ai demandé au directeur, en lui expliquant ce qui s’était passé l’an
dernier, que Luc soit changé de classe, et le jour de la rentrée il a
intégré l’autre CP ». Luc est collé à sa mère. « Tu es content de ce
changement ? » Luc tout intimidé « Oui… »
Au moment où nous ouvrons la porte, Victor arrive en retard
accompagné de son papa. Nous ne prenons que quelques minutes pour
52
LES MÉDIATIONS
parler au père et nous invitons Victor à venir avec nous. Il est moins
inquiet que Luc parce qu’il connaît l’une d’entre nous qui l’a reçu
quelques fois l’an passé pour l’évaluation et la préparation à l’intégra-
tion dans le groupe. Nous ouvrons la porte ; François, Antonin et Victor
se précipitent sur le toboggan en bois situé dans la pièce. Luc nous aide
à installer les chaises autour de la table alors que les autres enfants
s’activent joyeusement en sautant sur le toboggan. Lorsque nous
demandons aux enfants de venir s’asseoir autour de la table pour se
donner mutuellement des nouvelles, Luc est le premier assis, specta-
teur des autres enfants qui ont déjà organisé un jeu autour du toboggan.
« Ils ne viennent pas s’asseoir, moi je suis assis ». Les autres enfants
arrivent, après maintes sollicitations, et nous nous retrouvons tous
autour de la table. Antonin s’empresse de prendre la parole.
Antonin a toujours beaucoup de choses à raconter, ses vacances,
son frère, l’école, etc. Il monopolise la parole provoquant un léger
agacement chez les autres garçons. Des soupirs, des sourires voire des
rires emplissent la pièce laissant imperturbable Antonin qui continue
son récit. Nous intervenons pour que la parole circule. « Nous allons
écouter ce que les autres enfants ont à nous dire… », « Oui, mais je
n’ai pas fini », « Peut-être mais il est important d’écouter aussi ce que
François, Victor et Luc ont à raconter ». François prend la parole et
raconte ses vacances avec son papa puis sa rentrée au CP. Antonin ne
supporte pas que l’attention se porte sur les autres. Il quitte la table et
se dirige vers le toboggan. Il accepte de revenir autour de la table après
plusieurs sollicitations.
Les règles telles que respecter la parole de l’autre, écouter ce que
l’autre a à raconter sont pour Antonin, les plus difficiles à respecter.
C’est une façon d’occuper tout l’espace, de capter toute notre attention,
quelque chose qui a sûrement à voir avec sa mère qu’il a dû partager
avec son jumeau. Nous pensons aussi au comportement du tout petit,
dans la toute puissance. « Le groupe thérapeutique va permettre l’expé-
rimentation du passage de l’omnipotence à l’illusion, en donnant la
possibilité de la symboliser et en permettant progressivement, la mise
en place d’une enveloppe collective. Sa fonction limitante, mais aussi
d’échangeur entre le dedans et le dehors, aménagera une véritable aire
transitionnelle, où pourra s’élaborer une activité groupale de
pensée. » 45
53
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Antonin qui peut alors dire « Non, non mais ils peuvent faire le mur
avec moi ». Tous les trois se précipitent alors sur le toboggan et glissent
sur celui-ci pour détruire le mur. Pendant qu’Antonin ensuite recom-
mence à construire le mur de briques, les deux garçons sont remontés
en haut du toboggan, prêts à le détruire, sans se soucier le moins du
monde des appels d’aide d’Antonin.
Nous tentons de susciter chez les enfants des représentations
concernant ce jeu ou de leur présenter des hypothèses. « Il y a eu un
tremblement de terre ? Les maisons sont détruites ? »
Parfois les briques de mousse délimitent des espaces (maison de
chacun, château fort du groupe), deviennent des skis ou des planches
de surf, un immense skate sur lequel les enfants descendent en une
joyeuse mêlée, des mitrailleuses contre les ennemis, etc.
Quand le jeu laisse éclater l’émergence pulsionnelle sans la lier, il
n’y a plus de pensée. L’intervention de l’adulte, en offrant une repré-
sentation, permet au jeu de retrouver une valeur de pare-excitation. Les
interventions des thérapeutes n’ont pas pour objet de supprimer l’exci-
tation mais de la rendre utilisable en favorisant l’expression créative et
partant l’accès à la symbolisation.
C’est la fin de la séance. À cette annonce Antonin se précipite à la
suite de François et de Victor sur le toboggan pour glisser. François et
Victor se précipitent dans les briques et les lancent en l’air. Luc termine
son dessin à notre demande car il est temps de ranger la salle.
Victor et François ne participent pas au rangement malgré nos
demandes réitérées. Antonin range les briques en regardant d’un œil
amusé Victor et François s’exciter sur le toboggan.
Les fins de séance, annonces de la séparation provoquent toujours
chez les enfants (et particulièrement pour certains d’entre eux en fonc-
tion de leur histoire) beaucoup d’excitation, des marques d’opposition,
des refus de quitter le jeu, de ranger, de remettre leurs manteaux.
L’excitation s’apaise lorsque nous convenons avec eux qu’il est diffi-
cile d’arrêter de jouer, mais surtout de se séparer, que nous nous
retrouverons tous ensemble la semaine prochaine, bref quand nous les
rassurons sur la permanence physique et affective de chacun d’entre
nous.
Enfin nous réussissons à quitter la salle. François retrouve sa grand-
mère maternelle et son petit frère. Elle s’empresse d’essuyer le front
dégoulinant de sueur de son petit-fils qui la repousse. Cette dame non-
francophone nous sourit et serre nos mains entre ses deux mains
comme pour nous remercier. Antonin va retrouver sa mère et son frère
jumeau. La maman tente de nous parler mais déjà Antonin la tire par le
55
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Z Le jeu de basket
Et pourtant le groupe change doucement. Luc lâche le crayon pour
observer les jeux de François et de Victor. Il semble moins « méfiant ».
Antonin se « plante » devant son mur et regarde également les deux
garçons avec un sourire sur le visage. Il semble moins inquiet quand le
ballon arrive dans sa direction et le renvoie très vite.
Au bout de quelques séances, Luc s’autorise à jouer. La séance a
commencé sur les nouvelles que l’on se donne. Luc ne répond que sur
56
LES MÉDIATIONS
Z Le jeu de foot
La semaine suivante, Luc demande à jouer au foot. Antonin est de
nouveau sur le toboggan, avec une brique à la main. François pousse
les deux chauffeuses de la pièce pour délimiter les buts et va spontané-
ment dans les buts. Victor attrape le ballon et le jeu des tirs au but
commence. Luc se colle à la porte face aux buts. Quand le ballon
arrive sur lui il le renvoie rapidement, évitant ainsi tout contact avec
un autre enfant venant lui aussi chercher le ballon. Victor marque un
but et pousse un grand cri de satisfaction. « Non y’a pas but ! » Fran-
çois n’est pas content. Il cherche appui auprès d’un adulte qui fera
l’arbitre. Victor accepte et le jeu peut reprendre. Luc reste près de la
porte. Victor marque à nouveau un but. François conteste mais le
soignant-arbitre valide le but « C’est pas du jeu ! », « Y’a poteau ! »
Nous matérialisons un peu mieux les buts, ce que François accepte et
c’est à son tour de tirer, Victor étant dans les buts. François tire mala-
droitement ce qui l’énerve. Il n’arrive pas à marquer et son visage se
crispe. Il y a de plus en plus de colère dans ses propos. Luc se fait
oublier. Il semble à nouveau plus inquiet. Le ballon arrive sur lui mais
déjà François l’attrape par le tee-shirt pour éviter qu’il le prenne. Il
faut qu’il marque un but ! « Madame, il m’a poussé ». Nous lui suggé-
57
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
60
LES MÉDIATIONS
Z Quant à François…
François s’est présenté dans le groupe comme un enfant attachant,
très intéressé par les dialogues possibles entre enfants et adultes. Ce
dialogue il va l’expérimenter peu à peu, notamment pour exprimer sa
tristesse de l’absence de son père et les difficultés à vivre les disputes
parentales. Il cherchait au début à prendre une place de leader et ses
relations avec les autres enfants étaient difficiles : il avait beaucoup de
difficultés à canaliser ses mouvements d’agressivité, montrant des
problèmes de « limites », n’écoutant pas et transgressant les interdits.
Nous avons observé au cours de ce travail que pour François, il est
fondamental d’être toujours le premier : premier à entrer dans la salle,
premier à commencer un jeu de société, premier à s’approprier les
buts… Savez-vous quel est en général le privilège du gardien de but ?
Et bien, théoriquement le gardien de but est celui qui entre le premier
lors d’un match !
Mais à quoi lui sert-il d’être le premier sinon peut-être penser à
séduire une mère qu’il ne pourra jamais satisfaire ? En effet, François,
en pleine période du conflit œdipien, ne cherchait-il pas à prendre une
place de « petit homme » auprès de sa mère ? Cette place pouvait
paraître plus accessible du fait des absences de son père et de la mésen-
tente conjugale comme si dans son fantasme il pourrait être mieux que
son père et satisfaire plus amplement sa mère. Ce fantasme est très
culpabilisant (car François est aussi très attaché à son père) et sa réus-
site impossible car il ne peut qu’échouer à satisfaire sa mère, d’où
l’exacerbation des conflits internes.
Il faut être le premier pour gagner, car gagner c’est effectivement
devenir un homme et, perdre, comme on a pu le voir lors d’une séance
de jeu de société, c’est un écroulement, un anéantissement de son être.
Notre intervention a permis à François, lors de ce jeu, de ne pas se
laisser complètement détruire par cet échec tout relatif et le fait que
62
LES MÉDIATIONS
nous n’ayons pas poursuivi le jeu sans lui, lui a permis de se restaurer
et de continuer « d’être » sans pour autant gagner.
Z Victor
Après une période d’observation où il était plutôt effacé dans le
groupe, il nous a surpris parfois par son attitude défensive à travers des
remarques déplaisantes à l’encontre de tous, adultes et enfants. Il lui
arrivait aussi d’être familier à notre égard comme s’il n’y avait pas de
différence de génération. Mais ses comportements nous apparaissent
comme une tentative désespérée pour masquer un grand manque de
confiance en lui et une dépression importante. Ainsi, Victor lorsqu’il
dessine décrète souvent que « c’est raté », barre son dessin, froisse la
feuille, la jette, recommence, « c’est raté encore » et barre à nouveau
son dessin. Ainsi en est-il de plusieurs de ses dessins ; nous lui deman-
dons de représenter sa famille, il commence par deux petits sapins qu’il
raye puis tourne la feuille pour dessiner un bonhomme à qui il manque
le bas du corps… il veut aussi dessiner un lion mais il se plaint que son
premier dessin est raté et recommence un second lion dont la gueule
est menaçante mais auquel il manque la queue. C’est toujours dans le
bas du dessin qu’il manque quelque chose.
Victor est en plein conflit œdipien, « collé » à sa mère et se décla-
rant plus fort que son père à… la course ! Il manifeste un
questionnement quant à la différence des sexes et des inquiétudes liées
à la reconnaissance de cette différence ! 47
Sa « dépression » d’emblée manifeste se traduisait par des réac-
tions de prestance et d’excitation 48.
Dans le groupe, Victor a pu se reconnaître dans les difficultés de
François et dans un mouvement identificatoire, il a centré son attention
sur ce dernier et a ainsi pu commencer à verbaliser ses émotions.
Même s’il est resté un peu marginal par rapport aux autres enfants, en
nouant une relation très privilégiée avec François, il semblait avoir
enfin trouvé un compagnon de jeu. L’appui sur ce « grand frère » lui a
permis d’améliorer notablement sa relation aux autres, en particulier
dans le milieu scolaire.
63
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Épilogue
« Tu joues ou quoi ? » Si cette question d’un enfant à un autre
s’adresse parfois indirectement (en venant le « titiller » dans son jeu
solitaire, par exemple) ou directement par une apostrophe verbale, elle
s’adresse aussi parfois aux thérapeutes. Selon les situations, lorsque
nous nous prêtons au jeu, nous provoquons souvent la surprise des
enfants qui dans le fond ne s’attendent qu’assez rarement à voir jouer
ces « grands enfants » que nous sommes, nous les adultes ! Comme le
souligne H. Chapelière 49 « c’est en effet toujours la psychosexualité
infantile du thérapeute qui est réveillée, remise en jeu, sollicitée par
l’émergence de celle des enfants dans le groupe ». Le plaisir régressif
voire jubilatoire suscité par le partage du jeu avec l’enfant ouvre un
espace ludique commun en articulation avec la problématique et le
matériel amené par les enfants. Ce faisant, en jouant nous-mêmes, nous
racontons aussi une histoire qui peut donner aux enfants des représen-
tations en lien avec les affects qu’ils éprouvent, transformant ainsi ce
qu’ils agissent défensivement ou projectivement.
Z Bibliographie
A. ANZIEU, C. ANZIEU-PREMMEREUR, S. DAYMAS, Le jeu en
psychothérapie de l’enfant, Dunod, Paris, 2003.
R. CHEMAMA, B. VANDERMERSCH, Dictionnaire de la Psychana-
lyse, Larousse, 1988.
F. DOLTO, Psychanalyse et pédiatrie, Seuil, Paris, 1965.
S. FREUD, Trois essais sur la théorie de la sexualité, Paris, Galli-
mard, 1962.
S. FREUD, Inhibition, symptôme, angoisse, Paris, PUF, 1993.
M. KLEIN, Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 1982.
J. LACAN, Séminaire sur l’angoisse, livre X, Seuil, Paris, 1963.
J.-B. PONTALIS ET COLL., L’enfant, Gallimard, 2001.
P. PRIVAT, D. QUÉLIN-SOULIGOUX, L’enfant en psychothérapie de
groupe, Dunod, Paris, 2000.
V. SMIRNOFF, La psychanalyse de l’enfant, Puf, Paris, 1968.
D. W. WINNICOTT, Jeu et réalité, Gallimard, Paris 1975.
H. CHAPELIÈRE, « De la violence à l’hyperactivité, jeu et groupe »,
Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 2004, vol. 52, no 4.
64
Chapitre 6
Cyber atelier
Marie RAJABLAT, infirmière de secteur psychiatrique
65
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
66
LES MÉDIATIONS
nous vous laissons imaginer les scénarios lorsque les appareils sont
tombés en panne… Monter une activité nécessite aujourd’hui une
volonté farouche de la part des acteurs ainsi qu’un savoir-faire acroba-
tique relevant parfois du grand art.
Indication
Nous avons évoqué un peu plus haut les objectifs de cet atelier. Il
s’adressait donc en priorité à toute personne isolée, rencontrant des
difficultés à entrer en contact avec l’extérieur et/ou les autres, que ce
soit passager ou plus structurel. Nous n’avons donc pas limité l’admis-
sion aux personnes souffrant de troubles psychotiques, même si elles
étaient beaucoup plus nombreuses.
Comme toutes les activités, le cyber atelier nécessite une prescrip-
tion médicale. Nous sommes toutefois toujours restés très souples,
acceptant qu’un patient se laisse apprivoiser avant de consulter un des
psychiatres du CMP.
Cadre de l’activité
Des « pro », patients ou soignants ont d’abord initié des néophytes,
patients ou soignants, à la manipulation de l’objet. Là était notre
premier impératif : construire cette activité et ce groupe sur un réel
échange de compétences et non sur un supposé savoir des soignants.
Nous étions donc à la création de l’atelier, trois animateurs (deux
patients et un infirmier) et cinq à dix apprentis (dont 3 infirmiers).
Un infirmier est l’élément « fil rouge », ce qui signifie qu’il co-
anime toutes les séances. Les trois autres alternent. En cas d’absence
du « fil rouge », les autres infirmiers animent systématiquement deux
séances de suite afin de faire le lien d’une semaine sur l’autre.
Fonctionnement de l’activité
Z Présentation de l’activité à ses différentes étapes
1re étape : initiation en dedans
Tous les patients venant déjà en consultation au CMP, nous avons
choisi de commencer l’atelier au même endroit, pour éviter aux plus
hésitants, les inquiétudes ou les angoisses liées à un nouveau trajet.
Tous les mercredis matins, nous nous retrouvions donc autour de trois
animateurs et trois ordinateurs pour apprivoiser cette nouvelle « bête ».
Toujours le même rituel pendant quelques séances : un volontaire
s’asseyait devant l’écran, un animateur à ses côtés pour le guider. Les
autres restaient debout tout autour. Chacun venait s’asseoir lorsqu’il se
67
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
sentait près. Il y avait ceux qui se lancent rapidement et ceux qui tour-
nent autour longtemps.
Les nouvelles allant bon train, le groupe a très rapidement grossi. Il
a fallu s’adapter à ce succès et c’est ainsi que nous avons instauré
3 plages d’1 heure où 3 personnes prenaient rendez-vous pour des
séances individuelles. Chacun a commencé à travailler seul sur son
ordinateur, tout en échangeant découvertes et/ou difficultés avec les
autres. Les animateurs allaient de l’un à l’autre, cherchant la bonne
distance pour permettre à chacun d’apprendre à son rythme et à sa
façon. Du solitaire dans du communautaire.
Très rapidement, les élèves se sont montrés aussi bons que les
maîtres et tous ont décidé, plus ou moins doucement, de passer à
l’étape suivante : se connecter au monde.
2e étape : ouverture au monde
Là encore, c’est tout aussi progressivement que nous avons quitté le
CMP. Rendez-vous était donné directement en ville pour les plus
hardis. Un animateur accueillait le groupe chez Mahmoud, propriétaire
de L’internaute café. Pour les plus anxieux, un autre groupe partait du
CMP pour faire un repérage collectif du trajet de bus, trouver des
points de rencontres communs sur le chemin afin de réussir à terme à
venir seul. Tous ont réussi le pari en moins de trois mois. Situé au cœur
de Toulouse, donc loin de notre quartier des Minimes, c’était là aussi
une occasion pour tous d’élargir leur cercle de connaissances et de
promenades. Dans la boutique, on échangeait avec les clients et le
patron. Dans la rue, on commentait les vitrines. À l’arrêt de bus, on
papotait avec les badauds. Bref, la vie. Sans compter que la découverte
d’Internet a été fabuleuse pour ceux qui, jusqu’alors, ne sortaient pas
de chez eux. Un peu moins solitaires dans un peu plus de
communautaire.
Le CMP restait cependant un lieu de retrouvailles, au moins une
fois par mois, pour faire le point. Chacun racontait le chemin qu’il
avait parcouru, que ce soit dans la manipulation de l’objet, dans ses
recherches ou dans sa vie de tous les jours.
3e étape : partage
L’idée de faire partager ses découvertes a germé tout doucement.
Ce groupe était un vivier d’échanges d’informations et d’émotions.
Chacun parlait de ses difficultés mais aussi et peut-être surtout de ses
intérêts et/ou passions, de ses rencontres, de ses coups de gueule ou de
cœur… Le groupe s’est aperçu qu’il avait plein de choses à dire et à
transmettre. C’est comme ça que l’idée d’un journal est née. C’était
68
LES MÉDIATIONS
69
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Z La préparation de l’atelier
Le temps de transport (15 minutes en voiture à partir du CMP)
permet aux infirmiers de préparer la séance : propositions à prévoir le
cas échéant, relance à faire, tel ou tel patient à accompagner d’un peu
plus près…
Z L’activité elle-même
Trois ordinateurs sur dix nous sont réservés. Le reste des postes est
occupé par des gens du quartier qui viennent apprendre l’informatique
ou se perfectionner à l’utilisation de tel ou tel logiciel.
70
LES MÉDIATIONS
Chacun des membres du groupe vient soit avec une idée précise de
ce qu’il va chercher soit sans aucune idée. Lors de la rédaction du
journal, une partie du groupe cherche des informations sur le Web ou
prépare la maquette du numéro en cours, l’autre partie travaille dans
une pièce voisine à la rédaction ou à la lecture d’articles des numéros
suivants.
Actuellement, suivant le nombre de participants chacun travaille
sur un poste en solo ou en petit groupe. Soignants et soignés se relaient
et s’entraident aux claviers à la recherche d’infos ou de trouvailles.
Le cadre est très clair : il est interdit de venir à cet atelier si l’on s’y
sent contraint. Il n’y a donc aucune obligation à venir chaque semaine,
ni à rester toute la séance. Chacun fait ce qu’il veut à son rythme et n’a
de compte à rendre à personne. Du coup, les uns et les autres sont
plutôt assidus, s’informent de ce qu’ils font et partagent les décou-
vertes. Nous nous sommes même créé une boîte à lettre afin de
correspondre avec les vacanciers ou les voyageurs du groupe…
Z Le post-groupe
Les 15 minutes de transport en sens inverse servent à faire le bilan
de la séance. Les infirmiers se racontent ce qu’ils ont repéré, comment
ils ont vécu la séance, les difficultés qu’ils ont rencontrées, les
moments forts, etc. Souvent l’arrivée au CMP coïncidant avec le temps
de pause déjeuner, nous échangeons tous ensemble à propos des diffé-
rentes séances d’un même atelier ou à propos d’un même patient
participant à plusieurs ateliers. Deux fois par semaine, la psychologue
mange avec nous avant ses consultations. Là encore c’est l’occasion de
réfléchir et d’avancer ensemble.
Z Des patients
Aucun de nous ne se connaissant, le premier groupe de cet atelier
s’est construit en même temps que l’activité. Fondé sur une gestion
mutuelle, toutes les grandes décisions passaient par un vote. Lorsqu’il
a été décidé de créer un journal, chacun a pris la responsabilité d’une
rubrique, soignants comme soignés, en fonction de ses passions ou
intérêts. Les patients ont tenu à embarquer un médecin dans l’aventure
pour une rubrique « molécule ». Eux choisissaient le médicament sur
lequel il devait plancher. Le cahier des charges était très clair : un texte
court, sans jargon, précisant les indications, les effets thérapeutiques
73
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
76
Chapitre 7
77
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Petit à petit, je lui pose des questions qui tournent autour de notre
relation.
« Préfères-tu faire autre chose que de la peinture ? Peut-être
penses-tu que je devrais t’attendre ? » Il fait « non » de la tête. S’auto-
rise-t-il à me le dire ? Peut-il me le dire ? Pense-t-il que je peux le
punir ? Le médecin va-t-il le savoir ?
Sa colère vient-elle du dehors ? De sa famille ? Teste-il mon
autorité ?
Lui aussi doit s’ajuster à moi, à nous. Je suis « étrangère » au
service, cet atelier est nouveau. Les enfants ont très bien repéré ma
présence, qui est d’être présente seulement une fois par semaine et
pour une activité bien précise. Je fais part à mes collègues de mes états
intérieurs : de la peine (parce qu’il est malheureux), de l’incompréhen-
sion (pourquoi fait-il cela ?), de la gêne pour les autres enfants, de la
colère (envers moi, de ne pas être à la « hauteur »).
Dans notre cheminement chacun a pris une place. Hakim a fait
l’expérience de peindre debout, assis. Seul assis à la table, il a pu
occuper une grande surface. À l’inverse, assis à côté d’un autre, il a
ressenti une gêne ou une complicité. Il s’approprie l’espace avant
d’aller vers l’adulte. Dans les peintures collectives qui ponctuaient le
trimestre, il a pu être présent en ménageant son anonymat.
Lorsqu’une peinture lui déplaisait, il la jetait. Par exemple, Steve
n’a jamais jeté la peinture qui lui déplaisait ; il l’éloignait en
grimaçant.
Exister à travers ses peintures, prendre une place, appartenir au
groupe, petit à petit dans l’atelier, il s’autorise à être.
J’ai accepté de Hakim qu’il ne m’appelle pas par mon prénom au
début de notre rencontre et au fur et à mesure que je m’approchais de
lui, il a pu me nommer. Je le reconnais comme une personne à part
entière et il a pu me différencier des autres. J’ai beaucoup d’affection
envers lui et le lui ai dit. Lorsqu’il est revenu d’un court séjour à la
montagne, il m’a raconté avec plaisir ses débuts à ski, ses chutes en
luge, le nez dans la neige. Nous avons ri dans l’atelier. J’étais heureuse
de le retrouver.
Mes investigations autour de la famille de Hakim m’apprennent
que l’ambiance familiale est bruyante, tendue et maltraitante. Je
l’informe de mes connaissances sur sa famille. Je lui fais part aussi de
la protection des autres et de lui-même dont je dois faire preuve. La
consigne que j’émets se fait dans ce sens. La colère est une chose, la
destruction en est une autre. Je lui verbalise qu’il peut exprimer sa
colère, et que la destruction que je perçois à chaque fois « lui fait du
83
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Z Les déchirures
Lorsque Hakim détrempe sa feuille au risque qu’elle se troue, je
pressens qu’il n’est pas prêt à supporter cet échec. Je propose à ce
moment-là qu’il range pots et pinceaux, activité qui lui plaît ; après
nous regardons ce qui vient de se passer. Je lui suggère de la laisser
sécher et de la reprendre ensemble plus tard.
Les déchirures du papier sont les métaphores des déchirures du
cœur et de l’esprit ou celles de la famille. Les déchirures du papier ne
me paniquent pas. Hakim l’a ressenti. La réparation de la déchirure
viendrait colmater l’insupportable de ma part, et non permettre à cet
enfant de faire ce long travail intérieur de la réparation si nécessaire à
son psychisme. La déchirure (dans ce que j’ai perçu) arrive à un
moment d’excitation qu’il ne peut plus contenir. J’avais été témoin de
cette réaction mais je n’avais pas pu intervenir. Au fur et à mesure mon
observation est devenue plus aiguë et plus sensible. J’avais cette désa-
gréable sensation que les traces qu’il laissait par le biais des peintures
devaient être automatiquement effacées. Devait-il à ce point ne pas
exister ? Pourquoi devait-il se faire détester ?
Je ne pouvais pas supporter et accepter qu’il se fasse du mal. Les
tables étaient rapprochées et nous nous asseyions autour. L’exploration
des outils et des couleurs demandait une concentration de nous tous.
J’avais remarqué que les peintures collectives faisaient la fierté de
Hakim. Les peintures collectives auxquelles je participais nous ont
sûrement rapprochés. Il y avait une sorte de légèreté qui nous permet-
84
LES MÉDIATIONS
Z Bibliographie
A. ANZIEU, L. BARBEY, J. BERNARD-NEZ, S. DAYMAS, Le travail
du dessin en psychothérapie de l’enfant, Dunod, 2002.
J. BROUSTRA, Abécédaire de l’expression, collection « Des travaux
et des jours », Erès, 2000.
V. KANDINSKY, Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en parti-
culier, Folio Essais.
J.-P. KLEIN, L’Art-thérapie, Que sais-je ?, Puf, 2007.
G. PANKOW, L’Homme et sa psychose, la chair et l’esprit, Aubier
Montaigne, 1992.
D. W. WINNICOTT, Agressivité, culpabilité et réparation, Payot,
2004.
D. W. WINNICOTT, Jeu et réalité, Gallimard, 2002.
86
Chapitre 8
Lecture de romans
à voix haute
« Que saurions-nous de l’amour et
De la haine sans la littérature »
Paul Ricœur
Isabelle AUBARD, infirmière de secteur psychiatrique
54. Collière M.-F., Promouvoir la vie. De la pratique des femmes soignantes aux
soins infirmiers, Masson, Paris, p. 155.
87
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Z Le langage
Je m’intéresserai aux concepts linguistiques et notamment ceux
élaborés par F. de Saussure. La langue est une structure qui se fonde
sur un ensemble d’éléments donnés : les signes. Mais si nous ne dispo-
sions que des signes linguistiques, nous n’aurions pas un système
structural. Nous n’aurions qu’un lexique. La langue est une structure
parce qu’en plus des éléments, elle suppose des lois qui gouvernent des
éléments entre eux.
Selon la théorie de F. de Saussure, l’unité linguistique unit un terme
à une chose. L’unité linguistique est donc « une entité psychique à
deux faces » qui unit un concept (signifié) à une image acoustique
(signifiant).
« Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un
concept et une image acoustique. Cette dernière n’est pas le son maté-
riel, chose purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son,
la représentation que nous donne le témoignage de nos sens ; elle est
sensorielle et si il nous arrive de l’appeler « matérielle », c’est seule-
ment dans ce sens et par opposition à l’autre terme de l’association, le
concept, généralement plus abstraits » 55.
Dans ce rapport, il n’y a nulle prééminence de l’un sur l’autre, ils
sont indissociables, «… dans la langue, on ne saurait isoler le son de
la pensée ni la pensée du son » 56.
La réalité du signe linguistique, nous dit F. de Saussure, n’existe
qu’en fonction de tous les autres signes de la chaîne parlée. Lorsque le
signe est isolé des autres signes, une image acoustique donnée ne
55. De Saussure F., Cours de linguistique générale, Payot, Paris, 1980, p. 98.
56. Ibid, p. 126.
88
LES MÉDIATIONS
57. Manguel A., Une histoire de la lecture, Actes Sud, Arles, 1998, p. 61.
89
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
90
LES MÉDIATIONS
Z La ponctuation
J. Drillon dans Traité de la ponctuation française loge la ponctua-
tion à l’enseigne de la transmission. Elle introduit le tempo, la
séquence, le rythme, l’intonation, la discontinuité. C’est un code dont
l’utilisation ne nous est pas libre.
« On dit en général que la ponctuation, telle qu’on peut l’admettre
aujourd’hui, sinon la lettre du moins l’esprit, remonte au
VIIIe siècle » 61.
Cette première ponctuation correspond au « blanc » que l’on glisse
entre les mots. Le code de ponctuation n’a cessé d’évoluer à travers le
temps. La virgule ne s’utilise plus au XXe siècle comme elle l’était au
XVIIe.
La ponctuation a pour fonction de structurer le texte et de permettre
une lecture structurée. À l’oral elle détermine les pauses à faire, à
l’écrit elle souligne ce qui est important.
« La ponctuation est un des ensembles de signes par lesquels un
lecteur prend connaissance d’un texte » 62. Elle fait lien entre l’auteur et
91
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
L’activité lecture
Cette activité est appelée communément au centre de jour : le
groupe lecture. Sa création remonte à la genèse de la première tentative
92
LES MÉDIATIONS
Z Les admissions
L’entrée dans le groupe lecture fait l’objet d’une prescription médi-
cale. C’est ce que nous nommons au centre de jour, un groupe fermé.
Lorsque le médecin et/ou l’infirmier référent et/ou le patient estime
que le groupe lecture pourrait être thérapeutique, ils nous font part de
leur demande. Un accord est donné en fonction du nombre de places
93
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Z Les post-groupes
Les post-groupes sont animés par la psychologue du centre de jour.
Ils ont lieu tous les deux mois. Au cours de cette réunion nous, la
psychologue et moi-même, évoquons les patients un à un. Je me remé-
more leurs attitudes dans le groupe ainsi que les souvenirs ou les
situations dont ils ont pu me parler, nous les relions au texte et au
contexte.
L’écoute que j’adopte pendant le groupe ne s’applique pas simple-
ment au discours. Je tiens compte des comportements et des actes des
patients : les transgressions de cadre comme les retards, les absences,
les départs non prévus… les alliances, les positions persécutives, les
phénomènes de miroir, les attitudes contre-transférentielles, les trans-
ferts co-latéraux qui émergent au sein du groupe. Les post-groupes me
permettent une position de recul et de mettre à jour, de part l’énoncé
que je fais, des résistances et des difficultés.
L’analyse que je fais lors de ces post-groupes est une reconstitution.
Le simple fait de reparler du groupe m’oblige à une élaboration en
présence d’un tiers.
Évoquant les patients au premier plan, cela nous amène à nous
centrer sur leurs problématiques, et non plus sur celle du fonctionne-
ment du groupe. Ce décodage, modifié par le regard de la psychologue,
me permet de faire une analyse transversale du groupe. L’envahisse-
ment ou le retrait d’un des participants peut être interprété
différemment et ceci peut nous proposer un autre mode d’approche.
Z Le déroulement
Le groupe lecture se déroule à jour fixe et à heure fixe toutes les
semaines, pendant une durée d’une heure. Il a une capacité d’accueil
de dix patients.
94
LES MÉDIATIONS
Z Le partage
La lecture à voix haute impose une « impitoyabilité ». Tout est lu, il
ne peut y avoir de modification du texte sans que le groupe ne s’en
aperçoive car chacun suit sur son propre texte. Dans la lecture à voix
haute il s’agit de mettre en scène une articulation sonore, mettre le ton
sur le graphisme des signes.
95
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
La place du roman
Mais comment peut-on utiliser les romans comme moyen thérapeu-
tique car, il est dit communément « qu’ils font perdre la tête » ?
Il était fréquemment dit avant le XXe siècle qu’il ne fallait pas faire
lire les jeunes filles au péril de leur mariage, et principalement des
romans. L’aventure qu’ils offraient, était un danger.
La crainte étant de se faire happer par la fiction de l’histoire,
d’aspirer aux mêmes choix que les héros.
Cet aspect m’intéressait particulièrement dans le choix de ce
médiateur. La possibilité de se coller aux personnages, à l’histoire, sans
se perdre dans l’identification. Ne pas glisser du fantasme au délire.
Outre l’aspect romanesque, la « belle lettre » intéresse le groupe
lecture. La beauté du texte, son intelligibilité, sa capacité à évoquer des
images, font la richesse du groupe. Il est nécessaire que le texte ait de
la « profondeur », comme si l’on pouvait « surfer » sur les mots des
phrases.
Lydia Le Colleter, professeur de lettres co-animant avec une infir-
mière un groupe de lecture pour adolescents dit : « Le récit est un
facteur organisateur des structures psychiques, mais il a la particula-
64. Rancher B., « Paroles à lire, écrits à entendre », texte fourni par l’auteur.
96
LES MÉDIATIONS
97
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
99
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Pauline rebondit sur les propos d’Anne, elle non plus n’a pas
compris qu’on lui demande d’embrasser son grand-père quand il était
mort.
Une identification latérale entre Pauline et Anne s’installe, elle est
possible grâce aux effets de partage de la lecture à voix haute.
jour j’ai senti un chat qui marchait sur mon lit, mais quand j’ai touché
les draps il n’y avait rien et pourtant je le sentais qui s’avançait
doucement. »
Lorsque Pauline décrit cette scène, elle la mime avec ses mains, son
regard est amusé. Elle ne semble plus avoir peur de cet épisode « du
chat ». Par contre quand elle parle du jour où elle faisait la vaisselle,
elle semble beaucoup plus touchée, une distance avec ce vécu délirant
n’a pas pu s’établir. Elle semble encore s’effrayer elle-même.
Les propos de Pauline rappellent à Mohamed des sensations
d’étouffement qu’il ressentait quand il était petit, comme si quelqu’un
était assis sur lui et essayait de lui couper la respiration. « Peut-être le
diable ? Moi aussi je suis schizo. J’ai une grande psychose mais ça ne
me fait pas comme dans le livre. »
Charles rebondit d’emblée sur les propos de Mohamed. Il dit qu’il a
eu la même chose étant petit. Il appelait « au secours » mais personne
jamais ne l’entendait. Et quand il demandait à ses frères pourquoi ils
n’étaient pas venus, ils répondaient « Mais tu n’as pas parlé ! » Il
pense que tout cela à un rapport avec le diable.
Ces échanges permettent aux patients de ne pas se sentir seuls ou
d’avoir ce sentiment que personne n’arrivera à les comprendre. Ils
évoquent leurs sensations qui sont singulières mais rappellent aussi des
choses à d’autres. Cette formalisation, cette mise en mots de leurs
symptômes leur permet de prendre du recul et d’y réfléchir. Ils retra-
vaillent ces éléments, comme me le dira Pauline, au cours de leurs
entretiens et de leurs psychothérapies.
La circulation de parole se fait essentiellement entre les patients,
mais ils adressent le plus généralement leurs propos vers l’intervenant.
Le groupe de lecture de par son dispositif permet ces discussions qui
seraient autrement vécues comme trop excitantes et angoissantes. La
place du soignant dans le groupe est celle d’organisateur psychique
évitant les débordements pulsionnels.
Une évolution et une maturation du groupe se sont produites, facili-
tant aux patients l’évocation de leurs troubles. Le détour par un auteur
leur a permis d’avancer dans la connaissance d’eux-mêmes.
Et pour conclure…
Dans le groupe lecture, l’activité d’imaginer n’est plus vécue
comme interdite ou dangereuse. Elle devient source de plaisir, d’asso-
ciations et de représentations. Cet atelier favorise une mise en action de
force psychique disponible chez les patients. Le groupe sollicite les
101
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Z Bibliographie
R. CHARTIER, Pratiques de la lecture, Payot, Paris, 1993.
M.-F. COLLIÈRE, Promouvoir la vie. De la pratique des femmes
soignantes aux soins infirmiers, Masson, Paris, p. 155.
J. DRILLON, Traité de la ponctuation française, Gallimard, Paris,
1991, p. 24.
L. LE COLLETER, « Lecture, communication et adolescence »,
Nervure, Septembre 1996, n° 86.
A. MANGUEL, Une histoire de la lecture, Actes Sud, Arles, 1998,
p. 61.
A. NADAUD, Ivre de livres, Balland, Paris, 1989, p. 34.
103
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
104
Chapitre 9
lancée par un des soignants référents du groupe, elle n’a pas réagi. Elle
a trouvé que c’était une bonne idée. Ce n’est que plus tard quand elle a
cherché à repérer la plage, la route qui y menait qu’elle s’est souvenue.
Elle avait vécu six mois de précarité sur cette plage. Tout est revenu. La
décompensation. Le contenu de son délire. L’hospitalisation qui a
suivi. Il fallait absolument qu’elle en parle à son infirmier référent qui
est aussi le référent du groupe. Malheureusement celui-ci était en
vacances à ce moment-là. Elle ne pouvait en parler à personne d’autre,
même pas à son médecin. Elle a rongé son frein pendant deux
semaines. Évidemment, tout le monde savait qu’elle avait des choses
importantes à dire qu’elle ne dirait qu’à lui. Transfert. Christine a un
certain sens du suspens. Et de la mise en scène. Quand l’infirmier est
rentré de vacances, chaque soignant lui a dit : « Il faut que tu vois
Christine, elle a des choses à te dire. » L’entretien a été extrêmement
riche. Christine a fait le récit d’un étonnant délire dont elle n’avait
jamais parlé jusque-là. Quelque chose de très « fou » qu’elle avait
depuis, toujours tenu à distance.
Juliette, quand elle ne fredonne pas, se relaxe. Elle est venue pour
acheter des souvenirs. Musiques du monde, au fond pour elle, c’est une
fabrique de souvenirs. Avant de monter dans le minibus, lorsque le
groupe a quitté Gap, elle a tenu à offrir à l’infirmier référent du groupe
un souvenir d’un autre voyage. Don, contre-don. C’est une des dimen-
sions mise en jeu par Juliette dans ce groupe.
Christine, Maxime, Juliette, chacun a quelque chose en lui qui
relève de la schizophrénie.
Le groupe s’interrompt après une chanson d’un groupe breton peu
connu découvert lors des soirées du kiosque organisées à Gap tous les
jeudis soirs pendant l’été. Maxime a acheté un cd que Christine a
gravé. C’est ainsi, aussi, que ça circule dans ce groupe.
« À l’eau… » chantonne Laetitia, l’infirmière, dont c’est la
première séance. À l’exception de Juliette qui garde le poste de radio,
tout le monde se retrouve à l’eau. À l’enveloppe sonore a succédé
l’enveloppe iodée qui porte les corps comme la musique porte et
chacun et le groupe. « Même pas froid », plaisante Dominique l’infir-
mier référent. Il faudrait prendre le temps de décrire le ballet aquatique.
On s’éloigne, on se rapproche, on s’évite. Chacun son tempo. Christine
est une ancienne nageuse. Elle se souvient qu’elle a fait de la compéti-
tion. Elle n’a rien perdu. Maxime est un métronome. Il contrôle. Il
n’arrive pas à faire la planche. Il faudrait qu’il se laisse aller dans l’eau,
qu’il cesse un peu de maîtriser. Avec l’aide de Christine et de Domi-
nique, oui, il flotte.
106
LES MÉDIATIONS
68. Tarentisme : dans ce traitement connu dès la fin du Moyen Âge, et encore actif
dans certains lieux aujourd’hui, certains troubles psychiques étaient considérés
comme ayant pour origine une morsure d’araignée (la tarentule). Le seul traitement
efficace dans ce cas était musical : un ou des musiciens jouaient jusqu’à ce que la
crise passe, délivrant ainsi le patient des états d’agitation ou de torpeur qui
l’assaillaient.
107
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
69. Lecourt E., « Musiques et parole », in Santé Mentale, n° 89, juin 2004, pp. 24-
29.
70. Ibid.
71. Lecourt E., op cit.
108
LES MÉDIATIONS
les séances. Il convient donc d’en percevoir les effets, de les prendre en
compte, de les réfléchir et de les énoncer au groupe d’une façon qui lui
soit acceptable.
Il ne s’agit pas pour le soignant de jouer à l’apprenti sorcier, de
faire de la psychanalyse sauvage, mais de repérer quand il incarne une
de ces figures du passé et laquelle. Il doit par ailleurs savoir qu’il ne fait
que se prêter à ce rôle. Cet écart doit permettre au patient de
progresser. Il s’agit également de lui permettre de se situer quant à ce
que le patient suscite en lui.
Le travail psychique du groupe se développe à partir de plusieurs
séries de transfert. Le premier d’entre eux est le transfert sur le groupe
en tant qu’objet, en tant que forme enveloppante commune, en tant que
peau. Ce transfert s’opère à partir de l’identification de chacun à l’objet
du groupe : écouter ensemble des musiques et se laisser pénétrer par
les éléments sensoriels que le groupe suscite.
Il existe un transfert sur la musique elle-même, en tant qu’objet
culturel commun qui nous enveloppe. Il existe enfin un transfert sur les
animateurs et plus particulièrement sur celui qui l’impulse depuis son
origine.
Les transferts latéraux sur les autres participants se manifestent
également de différentes façons : appui, évitement, élaboration.
Les soignants trouvent que les patients sont un peu trop passifs vis-
à-vis de ces groupes et de la structure de soin en général. Ils viennent
s’y nourrir. Rares sont ceux qui participent à la préparation ; la vais-
selle, comme dans une famille est un sujet de controverse et de conflits.
Face à ce constat un peu trop brut, différentes réponses ont été testées.
L’initiateur du groupe part d’une autre analyse : si les patients, essen-
tiellement psychotiques viennent se nourrir à ce groupe, dans tous les
sens du terme, c’est qu’ils ont en besoin. Il lui semble que plutôt que de
leur rendre le nourrissage plus difficile, il vaudrait mieux varier les
plaisirs. L’homme ne vit pas seulement de pain. Pourquoi ne pas les
nourrir aussi de musique ? Pourquoi ne pas effectuer un léger déplace-
ment ? Pourquoi ne pas proposer une activité où il n’y aurait rien
d’autre à faire que de mettre les pieds sous la table, et d’attendre que le
bon nanan tombe dans la bouche ou dans les oreilles ? Pourquoi ne pas
proposer au groupe un bain, non pas de nourriture, mais de sons ?
Le cadre de l’activité
Aucun des animateurs de ce groupe n’est musicothérapeute. Domi-
nique, l’initiateur du groupe, qui vient de la région parisienne, a
l’expérience de ce type de groupe. Cette activité est le troisième groupe
de musique réceptive qu’il anime. Il a également plusieurs années
d’expérience d’animation de musique active. À chaque fois, il a
travaillé avec une musicothérapeute ou avec une psychologue. Il a
participé à différents congrès de musicothérapie. Il est loin d’être
vierge en ce domaine. Les soignants essaieront d’amener le musicothé-
rapeute qui exerce en pédopsychiatrie à participer à leurs réflexions,
mais pour des raisons administratives, cela ne pourra se faire. Les
autres soignants qui vont se succéder à l’animation du groupe sont
dépourvus d’expérience en musicothérapie. Il devra les former. Le
turn-over chez les soignants (école des cadres, maternité, départ en
retraite) est tel qu’il se retrouve le seul point fixe de ce groupe dont il
est le garant, ce qui n’est pas indifférent en termes d’impact
transférentiel.
Chaque séance s’achève par un post-groupe d’une demi-heure où
sont travaillées les interactions à l’intérieur du groupe. Chaque séance
donne lieu à un compte-rendu écrit qui reste dans le groupe. L’évolu-
tion du groupe peut être travaillée dans le cadre d’une réunion
trimestrielle qui est consacrée aux activités proposées au CMP-CATTP.
Une réunion clinique hebdomadaire, réunion de régulation, animée par
un psychanalyste permet de mettre en travail la relation établie avec un
111
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Z Se déchausser
Le déchaussage est la première règle à laquelle les participants sont
confrontés. Cette règle est liée à la destination première de la pièce
(relaxation). D’autres étant susceptibles de s’allonger sur la moquette
pour l’autre activité, il est essentiel de ne pas la souiller avec des chaus-
sures boueuses. La règle peut être aménagée. La moquette récupérée
par la psychomotricienne ne couvre pas toute la pièce. À l’entrée de la
salle, une bande de plancher permet à la fois de se déchausser pour
ceux qui se plient à la règle, et de participer à la séance, assis sur une
chaise posée là exprès, sans ôter ses chaussures pour les autres.
Certains participants utilisent cette possibilité d’être présent sans trop
l’être, sans véritablement s’engager.
Le temps de déchaussage est important. Il fait partie du cadre de
l’activité. Il induit un mouvement, une forme de déshabillage qui vaut
également pour les soignants. Les chaussettes (leur forme, leur couleur,
leurs trous éventuels) prennent alors beaucoup d’importance. Elles
nourrissent des commentaires de pré-séance. Entrer à Musiques du
monde c’est un peu comme entrer dans une mosquée. On abandonne
quelque chose du monde extérieur pour se concentrer sur la musique. Il
n’est pas simple de se déchausser pour certains patients qui souffrent
de psychose, notamment pour ceux dont les troubles se manifestent par
un laisser-aller en matière d’hygiène. Là encore, les commentaires vont
bon train, ils ne viennent pas des soignants mais des pairs, des autres
patients. Certains diront changer de chaussettes le mercredi, et unique-
ment ce jour-là.
Ce temps premier introduit la question du corps (et de son odeur),
constamment présente dans cette activité. Le choix de la salle de
relaxation, avec tapis, agrès, moquette contribue également à mobiliser
le corps du patient et la perception qu’il en a, même si la musique en
soi implique plutôt de se centrer sur ses sensations.
113
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Z Choisir sa place
Le deuxième temps est celui de l’installation. Les infirmiers ont
préparé la salle en un désordre soignant. Tapis, bancs, chaises, coussins
sont à la fois prêts et disponibles. Dans un coin trône la table avec la
« console » (le poste de radio, puis la chaîne hi-fi – cadeau du mort –,
puis celle achetée par l’institution), avec la chaise de chef d’orchestre -
disc-jokey - animateur (il y a un peu de tout cela dans ce rôle que les
soignants ne remplissent pas forcément). Chacun choisit sa place avec
soin. Juliette s’installe dans un coin, couchée sur un tapis. Maxime
s’installe sur un tapis quasiment au milieu de la salle. Christine, elle, se
love dans une chauffeuse qui se transforme en lit, en quelque chose de
douillet qui épouse son corps. Certains se fabriquent une petite niche
dans un coin, d’où ils peuvent tout contrôler du regard. D’autres préfè-
rent être en hauteur sur une chaise, pour considérer tout ça de haut.
Certains ont élu une couverture dans laquelle ils s’enveloppent à même
la moquette. Au mitant de la séance, ils disparaîtront carrément dans la
couverture. Il y eut même quelques oreillers transitionnels. Certains
ont besoin de se rassembler en bande, d’autres se collent contre un
autre, un soignant souvent.
La place choisie est importante. Au fil des séances, on note
un mouvement qui va de la périphérie vers le centre, de la chaise de
plancher vers la chaise dans le cercle vers le tapis, du qui-vive vers le
contrôle puis la relaxation, le lâcher prise. Avec toutes les étapes inter-
médiaires possibles et tous les retours en arrière ponctuels observables.
Il est même permis de changer plusieurs fois de place au cours de la
même séance.
Les soignants s’installent en triangle s’ils sont trois ou face à face
s’ils sont deux, de telle sorte que chacun embrasse du regard tout le
groupe et notamment ceux qui sont proches de son collègue. Le
soignant qui a préparé la cassette s’installe à la console et présente la
séance, la thématique abordée. L’autre soignant, plus à distance, guette
les réactions des uns et des autres, essaie de déchiffrer les petits gestes,
les mimiques, les grimaces éventuelles et décentre les patients proches
du « consoleur » afin de limiter les apartés et que tout le groupe puisse
profiter des échanges.
Z La cassette « imposée »
Le troisième temps, le plus long, est constitué par l’écoute de la
cassette préparée par un soignant ou plus rarement par un patient (c’est
le cas des séances découverte d’une musique particulière, par exemple
114
LES MÉDIATIONS
L’évolution du groupe
Deux périodes distinctes caractérisent l’évolution de l’activité,
comme s’il y avait eu deux groupes successifs.
Dès la première séance, deux demi-groupes se constituent :
• un groupe « hommes » qui privilégie le discours technique, qui
d’une certaine façon réécoute les œuvres et les interprète à partir
d’une culture musicale étendue. Certains de ces participants ont
été disc-jockey ou animateurs radio plus ou moins
ponctuellement ;
• un groupe « femmes » qui essaie de privilégier la sensation,
l’émotion, qui tend à se dévaloriser par rapport à l’autre demi-
groupe perçu comme plus intellectuel.
Le premier demi-groupe se constitue à partir d’un leader vis-à-vis
duquel on se détermine, dont on quête l’approbation. Le deuxième
demi-groupe, moins homogène, s’étaie sur les soignants.
117
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
120
LES MÉDIATIONS
C’est dans ce contexte, après bien des péripéties, que trois ans plus
tard le groupe se décide d’écouter la musique face à la mer.
Conclusion
Proposer une alternative à un groupe cuisine perçu comme indui-
sant une trop grande passivité des patients, remplacer le nourrissage
réel par un nourrissage sonore, tels étaient les objectifs minimaux de
cette activité Musiques du monde.
Cinq ans plus tard, force est de constater, que ces objectifs volontai-
rement peu ambitieux ont été réalisés. Les patients suivis au CMP-
CATTP ne sont plus du tout dans cette dynamique-là.
L’activité a permis à des personnes qui ne verbalisaient pas ou peu
de trouver un champ d’expression et de partage d’émotions. Même s’il
apparaît difficile de dissocier une activité des autres, il est permis de
penser que la création de cette activité a contribué à bouleverser le
paysage soignant dans l’extrahospitalier local.
La musique réceptive favorise une certaine régression. Allongés sur
des tapis, ou assis sur une chaise les patients écoutent des musiques
qu’ils ont en général choisies. Ils verbalisent assez peu leurs ressentis
et se centrent essentiellement sur eux-mêmes, ce qui en fait une activité
difficile à animer (dans le sens de « mettre de la vie »). Les soignants
doivent d’abord compter sur leur propre dynamisme et sur leur capa-
cité à accepter les manifestations de la régression. Il faut supporter
qu’il puisse ne rien se passer (en apparence). L’expérience montre que
pendant ces périodes plus ou moins longues, selon les patients, quelque
chose est en travail, quelque chose qui s’exprimera au moment
opportun, quand le patient (ou le groupe) sera prêt à l’exprimer.
Le choix des musiques est relativement parlant. Le groupe choisit
pour l’essentiel des musiques des années 1980-1990, ce qui correspond
à l’âge moyen des participants. Il se tourne donc plutôt vers un passé
musical qu’il revisite. D’où l’expression d’une certaine nostalgie et le
retour vers des émotions plus anciennes. C’est en général autour de ces
musiques que se racontent parfois, se posent souvent des émotions, des
scènes de vie qui se partagent bribes après bribes. Le groupe écoute
aussi des musiques plus contemporaines amenées soit par les étudiants
en soins infirmiers, soit par des patients plus jeunes. Le groupe se
centre alors davantage sur les sons et sur les émotions qu’ils suscitent.
Cette activité, investie par les étudiantes des deux IFSI (Gap,
Briançon) est toujours support de mise en situation professionnelle
(MSP). À l’issue de leur stage, les étudiantes doivent être capables
121
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Z Bibliographie
D. ANZIEU, Le Moi-Peau, Dunod, 1995.
E. LECOURT, « Musiques et parole », in Santé Mentale, n° 89,
juin 2004, pp. 24-29.
122
Chapitre 10
Groupe écriture :
Madzine, un journal
« Vous êtes si jeune, si neuf devant les choses, que je voudrais vous prier, autant que
je sais le faire, d’être patient en face de tout ce qui n’est pas résolu dans votre cœur.
Efforcez-vous d’aimer vos questions elles-mêmes, chacune comme une pièce qui vous
serait fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère. Ne cherchez pas pour le
moment des réponses qui ne peuvent vous être apportées, parce que vous ne sauriez pas
les mettre en pratique, les « vivre ». Et il s’agit précisément de tout vivre. Ne vivez pour
l’instant que vos questions. Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer
insensiblement, un jour, dans les réponses. »
Rainer-Maria RILKE, Lettres à un jeune poète, Ed. Grasset, 1937.
du délire sont inscrites dans l’être homme ». Des conditions que André
Breton et Paul Éluard tenteront de (re)produire, dans leurs « essais de
simulation de délires psychotiques » (Éluard, Breton, in L’Immaculée
Conception). Un autre compagnon de route du surréalisme, Raymond
Queneau, se lance dès 1930 dans des recherches protéiformes sur « les
fous littéraires » qu’il intégrera ensuite dans son livre Les Enfants du
limon (1938).
Mais c’est sans doute autour de l’après-guerre et du mouvement de
désaliénation qui entoure la naissance des thérapies institutionnelles,
avec la construction des clubs thérapeutiques, que s’initient des prati-
ques telles que la mise en place de journaux institutionnels. Soit une
première tentative d’arrimer dans la relation transférentielle, dans la
construction de dispositifs contenants, ces tentatives langagières
diverses mais précaires de reconstruction de soi.
Du fanzine au madzine
« Ceci n’est pas un journal », pourrait-on inscrire en frontispice de
notre édifice. Car Le Journal des Beaux Barres, initié au printemps
2004 dans l’interface de deux secteurs psychiatriques dévolus aux
quatre premiers arrondissements de Paris, ne ressemble en rien à un
journal. Pas plus qu’à un bulletin, une revue ou un magazine. Tout au
plus retient-il de celui-ci son sens étymologique de « magasin », un
vaste entrepôt où l’on trouve tout à la fois à boire et à manger…
Il partage par contre un cousinage avec d’autres types de publica-
tions, des journaux créés en marge, en bordure des institutions, à
l’instar des journaux de lycées, mais plus particulièrement des
fanzines.
Contraction de FANatic magaZINE, littéralement « magazine de
fans », les fanzines naissent, aux États-Unis, puis en Angleterre, autour
du mouvement punk et de son mot d’ordre : « Do It Yourself »
(littéralement : « Faites-le vous-même »), paradigme du « bricolage ».
C’est dans une référence explicite à ce type de média alternatif que
nous créerons le néologisme angliciste de madzine, qui, comme le
fanzine, offre les moyens d’une communication démocratique à des
gens habituellement exclus de la production médiatique. Madzines et
fanzines, micro-institutions précaires et undergrounds, possèdent en
effet plusieurs caractéristiques qui les distinguent des média habituels :
- déprofessionnalisation : pas de séparation franche entre les fonc-
tions rédactionnelles, éditoriales et de distribution. Fanzines et
madzines se caractérisent par l’aspect interchangeable des différents
125
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
face à une telle ignorance des pratiques de chacun, nous nous proposons
alors de créer un objet qui pourrait circuler, relier les diverses unités,
libérer la parole, provoquer les échanges, décloisonner, démocratiser
le(s) service(s). En avril 2004, un tract baptisé « À l’abordage », en réfé-
rence au projet de construction d’un centre de jour sur un bateau devant
réunir les deux secteurs de Paris-Centre, lance un appel à la mise en
place d’un journal intersectoriel. Déjà, un équipage s’est dessiné, formé
d’une psychologue, d’une psychomotricienne, et de trois infirmier(e)s
travaillant dans des unités différentes (CMP, centre de jour et unité
d’hospitalisation). En avril, une première permanence hebdomadaire se
met en place sur l’unité temps-plein de l’hôpital Esquirol (Val-de-
Marne). Après avoir été pressentie dans un pub écossais jouxtant le
centre de jour, une seconde permanence se met en place quelques
semaines plus tard dans des locaux alloués par la mairie du 4e arrondisse-
ment, une ancienne officine électorale, sise rue des Barres. Soit un local
dépourvu de toute attache au monde du soin et en contact direct avec la
rue parisienne… Conjointement, une autre permanence hebdomadaire,
le vendredi après-midi, dans cette même petite échoppe, est chargée de la
création avec les patients des deux secteurs, d’une association loi 1901,
contingente à la mise en place d’un club thérapeutique.
À l’issue d’une série de votes aussi sérieux que farfelus, dans le
chaos de la mise en place de ces nouveaux lieux et de ces nouvelles
formes de soins, le journal se voit nommé Les Beaux Barres, référence
en forme de pied de nez aux Beaux-Arts, à notre nouvelle localisation
(la rue des Barres), à l’écriture comme savoir-fiction (raconter des bo-
bards) et à notre projet de fonder sur Paris-Centre un beau-bar auto-
géré. Quand au grain de folie qui nous anime, certains le souligneront
en s’évertuant à nommer le journal « les beaux barrés ».
73. Jean Oury définit le club comme une structure de médiation dans la vie quoti-
dienne et le collectif comme une tablature, une combinatoire de ce qui constitue le
symbolique. L’abord d’un patient dit psychotique ne peut se faire directement, il
faut créer des lieux, pour que quelque chose puisse se manifester. « Un lieu L, écrit-
il, est le produit de 2 fonctions : L = fonction collectif fois fonction club » (Jean
Oury, Le Collectif).
129
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Max’s Kansas City). Attirés par la rumeur, des dizaines de musiciens s’y
retrouvaient le soir et s’organisaient des jams. Des sessions d’improvisa-
tions d’où émergeaient parfois du chaos, du n’importe quoi mais aussi des
étincelles de créativité, de l’imprévu, de la rencontre.
Souvent, ça ressemble à un forum, à une tour de Babel phonatoire, et
puis, à un moment donné, on n’entend plus rien, les patients se mettent
à écrire, certains partent dans leur chambre avec une feuille et revien-
nent avec qui un poème, qui un morceau de délire brut de décoffrage,
qui un brûlot contre l’ordre psychiatrique, un morceau de rap ou de
slam, ou une lettre pour une grand-mère défunte, écrite à l’arraché, sur
un bout de papier, au moment de débarrasser. D’autre nous demandent,
ou nous leur proposerons, de les rencontrer un peu plus tard, ils ont des
difficultés à écrire, ou n’ont jamais appris. Alors interviendra notre fonc-
tion scribe 74 et nous prendrons la dictée. Ainsi nous tenterons de
reproduire sur la feuille un souffle, un fragment d’histoire, un style…
Site d’accueil, le groupe est aussi un lieu où l’on peut se poser, se
reposer, et déposer. Un lieu de recueil. Un lieu où se dessine une adresse.
Le groupe journal se veut d’abord un groupe où nous nous effor-
çons de renouer avec un art de la conversation, dans la salle de séjour
du pavillon. Dans notre boutique parigote, nous tenons salon et il n’est
pas rare qu’un patient s’exclame : « on se croirait à France Culture ! »
Ce faisant, mine de rien, nous créons une surface, une enveloppe limi-
tante, nous entrons dans le paysage de l’autre, en un entrecroisement
des énonciations singulières et du collectif. Il s’agit pour ses anima-
teurs d’inventer pour chaque personne un accueil singulier dans la
dynamique groupale, en une sorte d’aptitude gymnastique à se mettre à
(sa) disposition, à se laisser utiliser comme des « objets à investir »,
selon l’expression de Philippe Paumelle.
Matériau graphique, matériau sonore, chacun vient lire son texte au
groupe, ce qui était lettre morte devient mise en forme, récit narratif,
son énonciation le transforme en fiction. La production personnelle
ainsi adressée se fait en lien avec les autres, étayée par le groupe. Le
groupe devient un liant qui favorise et autorise la création.
Pour les trois premiers numéros nous avions confié la maquette du
journal au service de reproduction de l’hôpital. Mais le groupe était
74. Michel Balat décrit la fonction scribe moins comme un processus d’écriture que
comme une inscription, rendue possible par la création préalable, dans l’institution,
d’une surface d’inscription, par la mise en place de sites où pourront surgir de la
surprise, du hasard et de la rencontre, prémisses d’une fonction scribe (Jean Oury,
Le corps et ses entours : la fonction scribe).
131
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
132
LES MÉDIATIONS
Z L. ou l’écriture contenante
Chaque semaine, nous accueillons sur la permanence de la rue des
Barres une douzaine de personnes, toutes issues des deux secteurs que
nous représentons. La plupart nous sont adressées par les CMP, ou sont
issues du centre de jour ; certaines nous ont rencontré lors de la perma-
nence hospitalière et ont décidé de suivre cette aventure au-delà de leur
hospitalisation ; d’autres encore, hospitalisées sur une longue période,
sortent en permission pour se rendre à la permanence sur Paris-Centre,
un moyen pour eux de ne pas être totalement désinscrits de la vie de la
cité. Sur l’hôpital, la fréquentation du groupe nous échappe beaucoup
plus, elle est souvent liée au turn over vertigineux des hospitalisations
sur ce secteur, à l’ambiance du pavillon à un moment précis et à notre
faculté, plus ou moins acérée, d’habiter l’unité et d’être en lien avec le
mouvement inhérent à la vie institutionnelle.
L. est présent depuis la fondation du groupe sur l’unité Averroès.
Chaque semaine ou presque. Car il y a ces moments où, replié dans son
lit, mutique, mélancolique, il refuse de venir ou de nous parler, il grom-
melle des idées d’incurabilité et de vie foutue.
Sa mère, bibliophile, est décédée lorsqu’il avait 6 mois,
électrocutée.
Il fut élevé par une nourrice, qu’il nomme Melle Zelle, qui s’est
suicidée quand L. avait 18 ans.
Son père était un homme décrit comme solitaire, qui travaillait dans
la fabrication de fibres de verre pour les bateaux.
L. a lui aussi un bateau, qu’il a acheté en revendant un exemplaire
du Bestiaire d’Apollinaire, héritage de sa mère défunte. Navigateur au
long cours, il part en mer avec un ami, en 1985, mais les deux hommes
se séparent. Seul sur son bateau, L. se saborde, est recueilli par un
navire russe, accoste à Cuba avant d’être rapatrié. L. se marie, a un
enfant, mais il souffre de plus en plus de troubles bipolaires, comme on
dit. Il est régulièrement hospitalisé dans les années 90, et tente de se
suicider par pendaison, par une prise massive de lithium, puis en se
défénestrant, à deux reprises. Lorsque je le rencontre à l’atelier, c’est
un homme cassé en multiples morceaux, sur un vieux fauteuil roulant,
hospitalisé depuis plus de 10 ans.
Sa chambre ressemble à une cabine de bateau, avec son ordinateur,
ses instruments et ses carnets de bord, au-dessus desquels il est cons-
tamment plongé. Son placard est une cantine remplie de réserves, de
paquets de sucre et de café, comme s’il était en pleine mer. Un nuage
de fumée entoure toujours le fauteuil roulant sur lequel il se tient voûté
et tordu. Transgressant toutes règles hospitalières, L. ne renonce pas à
134
LES MÉDIATIONS
cloper dans sa cambuse. Il écrase ses mégots dans une vieille boite à
sardines et me dit : « je suis un gentleman » ; tant il est vrai que,
malgré ses os broyés et sa jambe amputée – comme les pirates dans les
livres de Stevenson – il conserve une allure de yachtman.
En outre, L. est abonné à plusieurs revues qu’il reçoit à l’hôpital ; et
l’une de ses idées récurrentes, serait de collaborer ou d’être reconnu
par Hubert Reeves au sein du magazine « Sciences & Vie ».
L. n’écrit pas pour le journal, il le fait souvent remarquer. C’est le
plus souvent via l’attention subtile d’une de mes collègues qu’un frag-
ment, qu’un croquis ou un édito à l’écriture précaire se retrouvent
publiés dans le journal. Mais il prend invariablement des notes sur un
calepin, ou sur un petit bout de papier à petits carreaux plié en huit
qu’il tire d’une de ses poches. Il y écrit la date et l’heure précise ; il
demande les noms des participants qu’il inscrit sur ses fiches. Comme
les « relations de voyages » des explorateurs, il fait un résumé de la
séance. Souvent, il s’excite sur son fauteuil, il répète une phrase que
l’un d’entre nous vient de prononcer, sur des tonalités différentes. Il
hausse progressivement le ton, il peut finir par crier, devient alors écar-
late et s’agite sur son fauteuil. Une intervention d’un des animateurs
peut alors faire un pli, un tiers qui lui permet aussi rapidement de
reprendre son calme et de revenir à ses notes.
Il y a dans cette pulsion de notes chez L. quelque chose d’assez
proche de ce que Micheline Enriquez 76 nomme l’écriture représenta-
tive. Une écriture compulsive qui consiste à tout noter, à tenter de tout
décrire : les choses autour de soi, les faits et gestes de chacun, dans le
but de se garder d’une angoisse brutale d’anéantissement. Une forme
de « représentation primaire » qui viendrait le garantir contre sa propre
disparition. Comme si, par cette écriture, il tentait de redonner un
contour au monde, et à le rendre de nouveau habitable. Comme si fixer
par les mots le monde intérieur donnait une assise à un sentiment
d’exister chez lui particulièrement vacillant. C’est par le mouvement
même de l’écriture que L. cherche à contrôler et à contenir une excita-
tion indomptable qui lui fait éprouver le risque de se désintégrer. Par
les formes qu’il crée, par les mots qu’il trace, le corps s’éprouve et
existe. « Ce type de repérage, écrit M. Enriquez, en dépit de sa fragi-
lité, assure néanmoins une première représentation de soi, sans miroir
ni parole, uniquement basée sur l’investissement de l’activité sensori-
motrice ».
135
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Z P. ou la route de l’originaire
À mon arrivée au centre de jour, P. est alors en passe d’avoir 60 ans
et s’interroge sur l’articulation de l’AAH avec la retraite. Armé d’une
longue pratique institutionnelle, il est suivi depuis 1968, année de sa
contre-révolutionnaire première décompensation. Il a traversé divers
services et idéologies du soin, et fréquente le centre de jour depuis
plusieurs années.
Dans l’espace de mon arrivée dans le service, je rencontre P. dans
un moment très douloureux, voire mortifère, de la vie institutionnelle.
P. critique le centre, tente de me rallier à sa cause, me parle de son
inquiétude concernant le devenir de certains patients, selon lui perdus
en chemin par les récentes modifications du fonctionnement du lieu,
dont il fustige l’entropie. Comme toujours, ce sont les patients eux-
mêmes qui nous apprennent notre métier, bien plus que tous les
manuels de conduite à tenir et autres cours magistraux. Très vite, P. me
tutoie, mais ce tutoiement n’a rien de transgressif, ou de condescen-
dant. Je repère chez cet homme ce que les Britanniques nomment un
je-ne-sais-quoi dans le regard, cette étincelle que l’on retrouve par
exemple dans le regard du dessinateur Cabu ou de son personnage du
Grand Duduche, soit quelque chose de juvénile qui transcende l’âge,
quelque chose qui a résisté à 35 ans de psychiatrie et de psychotropes.
Dans ce même mouvement qui préside à notre rencontre, il est suivi
depuis peu au CMP par le docteur Piel, médecin-chef du service, initia-
teur du projet Paris-Centre et dont le style s’apparente à la génération
68 dont P. est issu.
P. est présent et accompagne les premiers bredouillements du club
et du journal. C’est même autour de lui, et de plusieurs autres patients
du centre, que s’articule notre réflexion clinique présidant à la cons-
truction de ces nouveaux lieux.
Très vite, il me parle d’acheter une machine à écrire – à l’époque, je
tape moi-même mes textes sur une machine électrique désuète qui fait
la risée de mes camarades tous convertis à l’informatique haut débit. Il
fait l’acquisition d’une vieille bécane qu’Hemingway lui-même aurait
jugé obsolète, et nous apporte rapidement ses premiers textes.
P. n’avait rien écrit depuis plusieurs décennies ; il avait un jour détruit,
dans un moment critique, tous ses poèmes du haut d’une falaise. Il
136
LES MÉDIATIONS
138
LES MÉDIATIONS
Conclusion
Au-delà de la production de symptômes, de la production de soi, il
y a là tout un trajet, qui se tisse dans un pacte narratif qui reste toujours
à (re)construire, vers une production de fictions, d’un style et pourquoi
pas, vers la production d’inconscient. Cela passe par la création de
collectifs, d’objets tendant à circuler de manière horizontale et démo-
cratique, mais aussi par l’invention d’une nouvelle topographie
d’ambiances et de situations, visant, selon l’expression chère à Henri
Lefebvre, à « décoloniser la quotidienneté », à lui redonner sa richesse,
trop souvent dégradée, annihilée, par le poids meurtrier du savoir, de la
139
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
140
LES MÉDIATIONS
Z Bibliographie
Sur la question des fanzines, se rapporter à l’exhaustif travail de
Samuel ETIENNE, « First & Last & Always », Université Blaise-Pascal
Clermont-Ferrand II (Revue « Volume ! », 2003-1).
B. CADOUX, « Écritures de la psychose », Ed. Aubier, 1999.
G. DANA, « La route de l’originaire », Cahiers de l’Art Cru, N° 35,
2002.
M. HEIDEGGER, « Essais et conférences », Ed. Gallimard, Trad.
André Préau, Paris, Gallimard, 1958.
H. LEFEBVRE, « Critique de la vie quotidienne », L’Arche Editeur,
1946-1981.
C. STERNIS, « Du manque au mot : écriture et symbolisme »,
Cahiers de l’Art Cru.
141
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
Conclusion
De l’autre côté du miroir
La proposition d’assister à des ateliers du CATTP de ma ville m’a
été faite alors que j’étais encore hospitalisée. De prime abord, cette
suggestion ne m’a pas enthousiasmée. L’indifférence témoignée par les
soignants de mon pavillon, leur manière de me parler comme si le fait
d’être malade avait annihilé mes capacités intellectuelles, ne m’inci-
taient pas, a priori, à fréquenter une structure dont j’ignorais tout.
J’imaginais, dans mon ignorance, que j’allais « tresser des scoubi-
dous » en compagnie de grands altérés incapables d’aligner trois mots.
Les a priori ont la vie dure…
Mais comme il est dans ma nature d’essayer les choses, pour
décider par la suite si elles sont ou pas bonnes pour moi, j’ai
commencé par repérer les locaux. Situés à côté du CMP où j’allais être
suivie, c’était un point positif. Alors, un jour, après bien des atermoie-
ments, j’ai poussé la porte… couleurs pastel, fleurs, soignantes
aimables et accueillantes, cet ensemble d’éléments a contribué à me
donner confiance. J’ai eu un entretien avec le médecin responsable du
CATTP, qui allait devenir par la suite mon thérapeute. Les activités
annoncées étaient variées : atelier écriture, atelier théâtre, atelier pein-
ture, groupes à thème ; j’optais pour l’écriture et le théâtre. J’avoue que
mon choix n’était pas anodin : je lis et écris depuis toujours à profu-
sion, et j’ai fait du théâtre lorsque j’étais jeune. J’avançais donc, me
semblait-il, en terra cognita. J’ai choisi de parler de l’atelier théâtre
parce que c’est cette activité qui laisse le moins d’emprise au contrôle.
Je m’explique : la maîtrise totale, y compris par anticipation, est mon
principal mécanisme de défense. Il est possible de contrôler les mots,
les textes que l’on rédige. Par contre, il n’est pas envisageable de
prévoir son paralangage, mimiques, gestualisme, etc.
L’atelier théâtre est animé par une comédienne, qui est également je
crois, metteur en scène. Cette intervenante est remarquable en tous
points. Simple mais d’un grand professionnalisme, elle parvient à
mettre à l’aise son équipe tout en pointant du doigt nos réticences, nos
progrès, nos capacités inexploitées. Les soignantes participent avec
nous à cette activité. Et c’est pour moi très important, en ce sens qu’il
n’y a pas, durant la séance de travail, de regard extérieur, pour nous
juger ou nous jauger. Le rythme de l’atelier est d’une séance par
semaine. Le nombre de participants ne dépasse pas dix personnes,
142
CONCLUSION
Domi
Médiation thérapeutique ?
Nous avons décrit ce qui nous semblait être les bases de l’utilisa-
tion de médiations en psychiatrie. Nous l’avons illustré au travers de
sept expériences de professionnels auprès d’adultes et d’enfants.
Et pourtant dans ce dernier texte, Domi nous propose d’autres
pistes pour penser que les médiations peuvent être thérapeutiques.
Il s’agit de rencontre. Il s’agit pour le patient et pour le soignant de
se décaler un peu du quotidien. Il s’agit de moment dans un parcours
de soin, dans l’histoire de la maladie.
Il s’agit finalement de ces « petits riens » que nous ne maîtrisons
pas toujours mais que nous pouvons essayer d’identifier.
Une constante dans chaque texte semble être l’engagement indivi-
duel des soignants pour la mise en place mais aussi pour la pérennité
de « leur » activité.
Attendre en vain trois ordinateurs de l’administration pour
démarrer un groupe informatique, se conformer scrupuleusement à la
législation pour un groupe cuisine, quémander toutes les autorisations
avant d’organiser une sortie au musée, autant d’obstacles qui découra-
geraient plus d’un. Certes, il ne s’agit pas de faire n’importe quoi et
n’importe comment. Mais il est aussi question comme dans tout soin,
de prise de risque, d’engagement et de responsabilité.
Quant à être imaginatifs et créatifs, les soignants le seront d’autant
plus qu’autour d’eux existera un collectif, qui les soutiendra, les épau-
lera et partagera l’aventure du soin.
144
BIBLIOGRAPHIE
Bibliographie
ALI (S.), L’espace imaginaire, Gallimard, Paris, 1982.
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145
ATELIERS EN PSYCHIATRIE
148
Index
A J
Arts plastiques 77 Jeu 41, 42
Ateliers 9
L
C Langage 88
Cadre 19, 22 Lecture 87
– fonctionnel 19
– psychique 19 M
– thérapeutique 19 Média 9
Cheval 27 Médiateur 22, 88
Communication 16, 78 Médiation 9
Confidentialité 48 Médium 9
Contre-transfert 109 Musique 105
Couple thérapeutique 42
Création 13 O
Créativité 13 Objet de relation 15
D P
Dessin 77 Peinture 77
Distanciation 15 Petits groupes 12
Dynamique de groupe 11 Phénomène transitionnel 43
Post-groupe 23, 71, 111
E Prescription 33, 94, 112
Psychiatrie infanto-juvénile 41,
Écriture 123
77
Espace transitionnel 14
R
G
Responsabilité 7
Groupe 10, 46
– fermé 79 S
– semi-ouvert 30
Socialisation 45
Subjectivation 15
H
Subjectivité 43
Handling 28 Symbole 44
Holding 28 Symbolisation 42
Synthèses 23
I
Informatique 66 T
Institution 5 Transfert 109
149