Ateliers en Psychiatrie MASSON

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Avec la relecture attentive de :

Nelly DERABOURS
Olivier MANS
Delphine ROUSSEAU

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est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproduc-
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L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle).

© 2007 - Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés


EAN : 978-2-294-70085-9

ELSEVIER MASSON SAS – 62, rue Camille-Desmoulins,


92789 Issy-les-Moulineaux Cedex 09
Avant-propos

Ateliers, activités, groupes, à deux, à trois, adroit ou non, de ses


mains ou pas, médiations, occupations, création, récréation, musique,
chant, jeux, crêpes, cheval, ruban, bouts de chiffons, bouts de ficelle,
promenade, contes, théâtre, marionnettes, cerfs-volants, masques,
poésie, écriture, cartes à jouer, cartes routières, un alphabet même écrit
par Prévert ne suffirait pas à décrire tous ces espaces propices au déco-
dage, à l’intervention, à la compréhension, à l’acceptation, au soin.

Une multitude de choix sémantiques pour parler (pourparler ?) de


ces moments particuliers où un ou plusieurs soignants, où un ou
plusieurs soignés se réunissent autour d’une activité favorisant la
médiation.

Jean Broustra qui est psychiatre et praticien d’ateliers thérapeuti-


ques d’expression, à ce sujet nous parle « d’espaces bricolés » 1.
Voilà la vérité, le cœur du sujet, des espaces où l’inventivité, la
création permettent des surprises, des « possibles ».

Voilà quel sera notre propos, une exploration du soin infirmier


psychiatrique au quotidien, une idée de ce qu’il peut proposer comme
autant d’activités, d’ateliers… à médiation.

1. Broustra J., « Contributions au traitement des psychotiques en atelier d’expres-


sion », L’Information psychiatrique, 1986, 62, chap. 6, pp 715-724.

V
Introduction

Dans la plupart des institutions de soins en psychiatrie, des activités


sont proposées aux personnes soignées dans le cadre d’une hospitalisa-
tion à temps complet, en hôpital de jour, en Centre médico-
psychologique, en Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel, voire
hors les lieux institutionnels, dans la cité.
Ces activités se déroulent dans différents cadres. De façon souple,
dans l’inspiration du moment ou de façon plus structurée, dans un
atelier. Ce travail croise ou vient à la rencontre du trajet thérapeutique
du patient.
Les activités sont repérées comme moyen thérapeutique depuis
l’antiquité. Dans l’Égypte ancienne les malades étaient invités à parti-
ciper à des activités récréatives. Une définition un peu courte des
activités thérapeutiques est proposée par le Guide de terminologie des
soins infirmiers en santé mentale « comme un ensemble d’actions
inscrites dans un projet thérapeutique individualisé placé sous la
responsabilité d’un psychiatre. Elles visent à conserver, développer ou
instaurer l’autonomie du patient et ses capacités relationnelles, physi-
ques, gestuelles et/ou créatrices ».
Ces activités sont mises en œuvre au sein d’ateliers qui selon la
majorité des auteurs, sont des espaces inventés et risqués pouvant ainsi
donner lieu à des engagements transférentiels. Ces ateliers sont diffé-
remment nommés selon les lieux, selon les soignants qui les animent,
selon leurs fonctionnements et leurs conceptions théoriques. Ils
peuvent être de loisirs, d’art-thérapie, de création, d’expression, à
médiations. Le terme de médiations est, lui, apparu il y a une dizaine
d’années. Il renvoie à toutes les méthodes qui utilisent des modalités
d’expression qui vont servir à redonner une dynamique entre
psychisme et relationnel, entre sujet et maladie.
L’atelier peut prendre le nom de la médiation utilisée : atelier
poterie, atelier chant, etc.
Ces ateliers sont proposés soit à un groupe de patients, soit à un
patient en individuel selon les projets thérapeutiques. Les médiations
sont extrêmement variées et font la démonstration de l’inventivité des
soignants et de la dynamique de l’institution : musique, chant, cheval,
promenade, contes, théâtre, marionnette, cerfs volants, masques,
poésie, écriture, etc.
1
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Ils sont animés par des personnels soignants qu’ils soient infir-
miers, ergothérapeutes, psychologues, médecins, aides-soignants,
psychomotriciens, éducateurs et parfois en collaboration avec des
professionnels de la médiation choisie. Ces professionnels n’ont pas le
statut de soignant.
Les infirmiers, pour leur part, sont autorisés à exercer ces activités
en vertu du Code de la santé publique 2.
L’article R.4 311-6 du Code de la santé publique (CSP) stipule que
l’infirmier peut, dans le cadre de son rôle propre :
• accomplir les actes et soins suivants : activités à visée sociothéra-
peutique individuelle ou de groupe ;
et dans le cadre de son rôle sur prescription :
• utiliser au sein d’une équipe pluridisciplinaire des techniques de
médiation à visée thérapeutique ou psychothérapique.
Ces actes sont inscrits dans la loi, mais en réalité très peu définis. À
nous donc de leur donner un sens et d’en élargir l’intérêt.
Être infirmier en psychiatrie, pour nous, ce n’est pas rester sur les
traces balisées d’actes répertoriés. C’est oser s’aventurer dans les coins
et recoins de ces espaces en friche. Oser inventer des moments
thérapeutiques.
Ce n’est pas non plus travailler seuls mais au sein d’une équipe
pluriprofessionnelle : une équipe, un collectif source de richesse pour
le soin.
Dans cet ouvrage, nous allons essayer de cerner ce que nous enten-
dons par « ateliers à médiations en psychiatrie », quels en sont les
préalables, quels fondamentaux devons-nous connaître avant de nous
lancer dans l’aventure, quelles sont les bases à leur mise en œuvre.
Dans sa deuxième partie, des professionnels, à travers la présenta-
tion de sept médiations, nous mènerons de la théorie à sa mise en
œuvre, sa mise en acte, sa mise en soins.

2. Code de la santé publique, Livre III – Auxiliaires médicaux, titre 1er, Profession
infirmier ou infirmière, chapitre 1er, exercice de la profession, section 1 : actes
professionnels.

2
Chapitre 1

Les préalables
L’institution
La question de la mise en place des ateliers à médiations doit être
posée en équipe pluriprofessionnelle. Si certaines activités sont du rôle
propre infirmier 3, la co-animation avec d’autres professionnels (ergo-
thérapeute, psychomotricien par exemple) pose la question de la
prescription médicale car ceux-ci n’exercent que sur prescription.
Néanmoins, si deux soignants même « autorisés » par un décret du
CSP décident de mettre en place une activité sans que cette activité soit
portée et reconnue par leurs collègues, quels que soient la qualité de
l’animation et le dynamisme des soignants, il y a fort à parier que les
effets seront limités. Il nous paraît nécessaire d’évaluer l’implication
de l’institution, du service, puis de l’équipe autour de ces activités.
L’activité doit être considérée par l’institution et par les profession-
nels comme un temps soignant. L’effet thérapeutique de l’activité n’est
pas réduit au temps de l’activité. Il dépend aussi de ce qui en est repris
en dehors du temps de l’activité lui-même. Il ne doit pas s’agir d’une
simple parenthèse dans la prise en charge, mais d’une partie d’un
travail pluriprofessionnel qui s’articule autour d’autres actions théra-
peutiques. Il est nécessaire lorsque l’on projette la mise en place d’un
atelier, de penser dès le départ aux nécessaires articulations avec
l’institution.
Pour que cette activité puisse être connue et reconnue, l’infirmier
devra prendre le temps de l’écriture. Écrire un projet permet de poser
ses idées, de les affiner, de les confronter au regard de l’autre. Il permet
aussi de laisser date dans l’histoire de l’institution et de pouvoir s’y
référer.

3. Il appartient à l’infirmier, après évaluation des besoins du patient, de prendre les


dispositions qui s’imposent et donc de mettre en œuvre des actions thérapeutiques
qui relèvent de son rôle propre telles que les activités à visée sociothérapeutique
individuelles ou de groupe. Par ailleurs, ces activités, au sein d’une équipe pluridis-
ciplinaire peuvent être mises en œuvre sur prescription médicale. Article du Code de
la Santé publique. Voir infra p. 2.

5
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

L’institution, outre son rôle de structuration des prises en charge,


est le lieu de « dépôt » de la part d’un certain nombre de patients, de
« petits morceaux » d’eux-même, de leur histoire, de leurs difficultés,
de leur maladie. Dépôts qui se feront au gré des rencontres avec des
soignants, au sein des groupes fréquentés. De tout cela, seul un fonc-
tionnement institutionnel cohérent arrivera à en faire du soin. Tout se
passe « comme si l’institution était un lieu de rassemblement pour
l’image du corps des personnes psychotiques. Et si la constellation
thérapeutique en est la conséquence instituante, la constellation trans-
férentielle en sera l’extracteur logique, la conséquence instaurante » 4.
La constellation transférentielle serait donc la réunion de tous les
porteurs de transferts dissociés.

Les soignants ou animateurs


Si la motivation pour mettre en place un groupe est importante, elle
est loin d’être suffisante. Les différents animateurs doivent développer
quelques qualités nécessaires à l’aventure du travail en groupe comme
la disposition à l’écoute, la réceptivité psychique, la disponibilité… Il
est également et fortement question d’engagement.
Le minimum est qu’au moins un des animateurs maîtrise la média-
tion qui est choisie (intériorisation des règles et des exigences de la
médiation).
Si l’un se sent compétent pour mettre en place un groupe cerfs-
volants ou informatique, il ne va pas se lancer dans l’animation d’un
groupe peinture ou terre. Il sera difficile d’être attentif aux difficultés, à
la dynamique du groupe, aux échanges entre patients, si l’on doit se
focaliser sur les problèmes techniques du médiateur. Il est important
que le soignant soit « à l’aise » avec la médiation utilisée. La créativité,
comme l’attirance et la conviction ne se décrètent pas, ni pour le
soignant, ni pour le patient 5.
Nous ne sommes pas moniteurs chargés d’enseigner une technique.
Nous sommes des soignants qui, par le biais d’une médiation, voulons
créer un espace de partage qui, nous l’espérons, aura des effets
thérapeutiques.
Animer un atelier par binôme (un infirmier avec un autre profes-
sionnel, un psychomotricien par exemple) apporte indéniablement un

4. Delion P., Corps, psychose et institution, Erès, 2002.


5. Chouvier B., « Un cadre pour les médiations », in Santé Mentale, n°111,
octobre 2006, p. 30.

6
DU PROJET À LA PRATIQUE

plus. La spécificité et la formation de chacun permettent de croiser des


regards et des analyses sur ce qui se passe dans un groupe.
La complémentarité du regard de chacun est essentielle : pour le
patient qui peut établir des relations différentes en fonction de son
interlocuteur, et pour les soignants qui échangeront autour de leur
vision différente du patient rencontré en hospitalisation ou bien juste à
l’occasion de cet atelier.

L’engagement
Pour proposer ces ateliers, il faut des soignants qui s’investissent
dans ce soin, qui y croient et qui présupposent au médiateur des vertus
thérapeutiques, sinon, les groupes ont de fortes chances de ne pas tenir
dans le temps.
Ces soignants sont considérés comme les référents institutionnels
de ces groupes. La notion de référent est importante. Elle en implique
une autre aussi fondamentale à ne jamais oublier ou nier : celle de la
responsabilité de garantir la faisabilité, la pérennité du projet.
Nous n’aborderons donc pas ici l’incontournable responsabilité
juridique proposée dans de nombreux ouvrages mais bien celle que les
soignants engagent devant l’institution, devant leurs collègues et
devant les patients :
• de cette responsabilité d’engagement pour que la médiation
s’installe dans une durée suffisamment importante pour qu’elle
prenne forme ;
• de la responsabilité d’engagement dans la continuité ;
• de la responsabilité d’engagement également par rapport aux
soins qui sont prodigués via cette médiation.
Si des objectifs généraux sont clairement énoncés à l’institution
lors de la mise en place d’une activité, il va de soi qu’ils ne constituent
qu’une trame à adapter, à discuter suivant l’indication, les objectifs
individualisés posés en fonction des besoins et de la volonté du patient.

7
Chapitre 2

Les fondamentaux
Ateliers
Le mot atelier est d’abord utilisé au XIVe siècle au sens d’« éclats de
bois », puis de « chantier, lieu où travaillent ensemble des artisans, des
ouvriers ». C’est aussi le lieu de travail d’un peintre, d’un sculpteur,
lieu de travail des beaux-arts. C’est donc un terme qui désigne tout lieu
de travail artisanal.
Artisanat, voilà le mot le plus adapté pour définir le travail minu-
tieux et quotidien de l’infirmier en psychiatrie.

Médiation, médium, média


Médiation est emprunté au latin médiatio, nom correspondant au
verbe mediare « être au milieu ». En ancien français, ce mot a le sens
de « division ». Il a pris sa valeur moderne « d’entremise destinée à
concilier des personnes, des partis » d’abord en religion dans une rela-
tion entre l’homme et Dieu puis surtout en droit et en diplomatie. Par
extension il s’applique au fait de servir d’intermédiaire dans des
emplois didactiques.
La médiation est donc un élément tiers qui met de la distance pour
mieux favoriser un futur dialogue.
La médiation nous protège de l’immédiat, elle nous protège d’un
contact direct. La médiation permet que l’on passe en quelque sorte de
deux (la relation duelle) à trois 6. Cette médiation va permettre de modi-
fier la relation intersubjective.
La diversité des médiations proposées peut permettre à chaque
participant de choisir le mode d’expression le plus adapté à son
système défensif du moment 7.

6. Chouvier B. et al : « Le médium symbolique » in Les processus psychiques de


la médiation, Dunod 2002, pp. 2 et 3.
7. Quenard O., « Approche groupale des situations de crise », in Les portes du soin
en psychiatrie sous la direction de M. Sassolas, Erès, 2002, p. 177.

9
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Les constantes de la médiation


René Kaës nous propose dans son article 8 sur les médiations des
récits desquels il extrait six constantes de la médiation que nous illus-
trerons ici.
On en retiendra essentiellement que toute médiation :
• interpose et rétablit un lien entre la force et le sens, irruption de la
parole et de l’échange symbolique ;
• implique une représentation de l’origine, qui relie le sujet à un
espace originaire, où il se situe entre deux termes (entre-eux-
deux) ;
• s’inscrit dans une problématique des limites, des frontières et des
démarcations, des filtres et des passages ;
• s’oppose à l’immédiat, dans l’espace et dans le temps ;
• suscite un cadre spatio-temporel, générant un espace tiers entre
deux ou plusieurs espaces et dans des limites et des passages ;
• s’inscrit dans une oscillation entre créativité et destructivité : de
cette oscillation dont témoignent de manière exemplaire les
phénomènes transitionnels.

Groupe
Si comme nous l’avons vu, la médiation thérapeutique suppose au
minimum une interaction entre deux individus (un soignant et un
patient), elle est le plus souvent utilisée dans le cadre de groupes théra-
peutiques, un ou plusieurs soignants et un ou plusieurs patients.
Le terme de groupe vient de l’italien gruppo qui signifie « nœud,
assemblage ». Il a également une origine germanique signifiant
« arrondie ». Le groupe est un ensemble de choses ou de personnes.
C’est un mot assez récent, il semble qu’il fait sa première apparition
littéraire dans un poème de Molière sur le Val de Grâce. Au milieu du
XVIIe siècle, le mot de groupe désigne toute réunion de personnes
vivantes et à partir du XIXe siècle, il va subir une expansion prodigieuse
et va s’appliquer à tout ensemble, toute unité partageant un intérêt, un
but commun comme le groupe scolaire, le groupe électrogène, le
groupe sanguin…

8. Kaës R., « Médiation, analyse transitionnelle et formations intermédiaires », in


Les processus psychiques de la médiation sous la direction de Bernard Chouvier.
Dunod, 2004, pp. 13 et 14.

10
DU PROJET À LA PRATIQUE

Le psychanalyste Didier Anzieu dans son livre Le groupe et


l’inconscient a beaucoup développé les différentes visions du groupe.
Il nous dit que c’est « à partir de 1930, (que) se constitue une science
des groupes, distincte de la psychologie individuelle et de la socio-
logie ». Il reprend dans cet ouvrage les différentes évolutions et
approches données du groupe. Pour Moreno, fondateur du psycho-
drame, c’est une mise en commun. Mayo, un des pères de la sociologie
du travail, dit qu’il existe une entité autonome au groupe qu’il nomme
mentalité commune, avec sa logique propre. Pour Lewin, à l’origine de
l’expression « dynamique de groupe », le groupe c’est l’interdépen-
dance tant pour les individus qui le constitue que pour la lecture que
l’on peut en faire. Bales, autre spécialiste de la dynamique de groupe,
dit que c’est une mise en commun des perceptions, que le groupe est un
être vivant qui est connu de part son contenu extérieur et dont les
échanges enrichissent l’individu dans sa vie du groupe. Ce sont ces
échanges qui différencient le groupe de l’agrégat humain. Le groupe
est une enveloppe qui fait tenir ensemble des individus. Tant que cette
enveloppe ne s’est pas constituée nous sommes dans l’agrégat et non
dans le groupe. La constitution du groupe est un phénomène de matu-
ration 9. Le groupe se pose en tiers entre les participants. « La neutralité
facilitant la bienveillance contre transférentielle maintient la cohé-
rence du groupe, garant de la fonction de contenance qui apparaît
alors comme une valeur à protéger » 10.
Plusieurs courants de pensée nous permettent d’analyser ce qui se
passe au sein du groupe.
Le premier, autour de la dynamique de groupe, centre son analyse
sur l’interprétation du rôle de chacun dans le groupe et sur les interac-
tions qui s’y déroulent, ainsi que sur les mouvements globaux qui
animent le groupe. Ce type de méthode facilite la prise de conscience
des attitudes relationnelles de chacun et des sentiments qui les sous-
tendent en s’appuyant sur l’image que renvoient au sujet les autres
membres du groupe.
Le second courant se réfère à la psychanalyse. Pour Freud, la cohé-
sion d’un groupe provient de l’identification de chacun de ses membres
au même « idéal du Moi », dont la représentation du réel est une des
fonctions.

9. Aubard I., « Activités, ateliers et soins », intervention à la journée Serpsy 2000,


Esquirol.
10. Quenard O., opus cité p.170.

11
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Mélanie Klein met en évidence l’existence dans les groupes d’une


double dimension symbolique et imaginaire. Il existe toujours dans un
groupe un fantasme latent, sous-jacent, à l’origine du « climat » du
groupe, mais aussi de ses productions. Dans l’optique psychanalytique,
où la dynamique générale du groupe n’est pas totalement négligée,
l’attention se porte bien évidemment sur l’analyse du transfert de
chacun des thérapeutes et sur les transferts latéraux (horizontaux) sur
les autres participants 11. Le soignant s’appuie sur la diversité au sein du
groupe, sa pluralité pour que chaque individu composant ce groupe
puisse, en s’appuyant sur le groupe, oser ce qu’il n’oserait pas en indi-
viduel face au thérapeute (associations par exemple). Le groupe et le
soignant sont garants de l’innocuité de la pensée ainsi projetée sans
que son auteur soit détruit.
Il existe également des effets thérapeutiques propres aux petits
groupes comme le sentiment d’appartenance qui s’exprime à travers
l’intimité, les émotions partagées, la reconnaissance de codes
communs et d’une histoire commune.
Dans un groupe où le résultat d’un temps passé en commun permet
de visualiser des réalisations concrètes, nous pouvons voir un « réinves-
tissement des capacités personnelles de chacun entamées par la crise,
restaurant ainsi une estime de soi » 12. C’est la fonction de holding du
groupe thérapeutique qui va permettre la mise en œuvre (ou en œuvres
au sens de production individuelle du groupe) de la créativité.
Une dimension essentielle de l’ambiance dans le groupe et donc du
climat qui favorisera l’expression de chacun est le rôle du plaisir. Le
plaisir de réaliser des choses, le plaisir de retrouver les membres du
groupe. Pour cela, les patients sont traités comme sujets, sujets
malades certes, mais patients citoyens que l’on souhaite accompagner
dans leur réappropriation d’une vie sociale voire dans la restauration
d’une vie psychique homogène.
Cela passe par la restauration de l’estime de soi, la valorisation des
toutes petites choses qui sont réalisées au fur et à mesure comme :
arriver à l’heure, venir rasé, dire bonjour avec un sourire, mais aussi
terminer ce que l’on a commencé, respecter le groupe, etc., autant
d’étapes qui semblaient parfois impossibles à repérer dans la répétition
monotone de la vie dans l’unité de soins.

11. Digonnet E., Friard D., Leyreloup A.-M., Rajablat M., Schizophrénie et soins
infirmiers, Masson, 2004.
12. Quenard O., « Approches groupales des situations de crise » in Les portes du
soin en psychiatrie sous la direction de Sassolas M., Erès, p. 177.

12
DU PROJET À LA PRATIQUE

Après Mélanie Klein, Bion 13 insiste sur la fonction de « détoxica-


tion » du groupe. « Non seulement ce qui est transféré l’est sur
plusieurs autres, mais également, le retour des éléments diffractés-
transférés se fait selon des variations suffisamment diverses et suffi-
samment nombreuses pour que le sujet puisse y trouver ou y retrouver
les parties de lui qui peuvent lui revenir sous une forme plus ou moins
détoxiquée par le groupe, et ainsi réappropriables par le sujet lui-
même » 14.
Ces transformations peuvent être favorisées par plusieurs éléments,
le changement de soignants ou le changement de lieu. La différencia-
tion des uns et des autres, acteurs du soin, est importante. En
institution, il faut penser à s’appuyer sur des distinctions en ce qui
concerne les registres : intime (dans la chambre individuelle), social
(en petit groupe), collectif (en grand groupe). Par exemple, avoir si
possible des interlocuteurs distincts pour la relation au corps vêtu ou
dévêtu.

Création, créativité
Winnicott aborde la question de la créativité dans la perspective
d’un dégagement d’avec la réalité. « Il s’agit avant tout d’un mode
créatif de perception qui donne à l’individu le sentiment que la vie vaut
la peine d’être vécue 15 ».
Dans sa quête de soi, l’être humain passe par la création. Jouer pour
l’enfant est un acte créatif. Il n’est pas nécessaire ainsi que le dit
Winnicott que l’œuvre soit une réussite mais c’est le positionnement de
l’individu face à la réalité qui est intéressant.
La créativité, dans l’acception de Winnicott, serait ce qui permet à
un individu d’éprouver le sentiment d’une vie riche et intéressante.
L’environnement et ses exigences sont pris en compte dans la réalité
« objective » et ils sont « supportés » par la pulsion créative de l’indi-
vidu. Winnicott, dans son œuvre, ne rend pas compte d’une définition
de la pulsion créative 16.

13. Geissmann N., Découvrir W. R. Bion, explorateur de la pensée, col Enfance et


psy, ed. Erès, 2001.
14. Vacheret C., Duez B., « Les groupes à médiations : variance, alternative ou
détournement du dispositif psychanalytique ? » in Revue de psychothérapie
psychanalytique de groupe, n° 42, Erès, 2004, p. 191.
15. Winnicott D. W., Jeu et réalité, ed. Gallimard, 1975.
16. Schmitt A., Le jeu et l’identification, http://tmtdm.free.fr/media/textes/Le-jeu-
et-l-identification-Andre-Schmitt.pdf

13
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

« Il est vraisemblable que nous ne serons jamais à même d’expli-


quer cette pulsion créative ; vraisemblablement aussi que nous ne
serons jamais tentés de le faire. En revanche, nous pouvons établir un
lien entre la vie créative et le fait de vivre, tenter de comprendre pour-
quoi cette vie qu’éprouve un individu, celui dont la vie est réelle et
riche de signification, peut disparaître » 17.

Espace transitionnel
Le jeu est considéré par Winnicott comme le processus essentiel de
l’humanisation. « C’est en jouant, et seulement en jouant, que l’indi-
vidu, enfant ou adulte, est capable d’être créatif et d’utiliser sa
personnalité toute entière. C’est seulement en étant créatif que l’indi-
vidu découvre le soi… » 18.
Cet espace de jeu est un espace paradoxal, parce qu’il se situe entre
la réalité extérieure et la réalité interne, entre le dedans et le dehors.
L’objet transitionnel favorise alors l’atténuation de la dissociation entre
le dedans et le dehors.
Si l’acceptation de la réalité se négocie dans cet espace de
l’entre-deux, tout en participant de la naissance du sujet, cela
perdure tout au long de la vie et reste, nous dit Winnicott, « une
tâche sans fin et que nul être humain ne parvient à se libérer de la
tension suscitée par la mise en relation de la réalité du dedans et de
la réalité du dehors ; nous supposons aussi que cette tension peut
être soulagée par l’existence d’une aire intermédiaire d’expérience,
qui n’est pas contestée (Arts, religion, vie imaginaire, création
scientifique)… »
Cet espace potentiel est le lieu des expériences positives qui vont
donner à la personne des sensations intenses.
La psychothérapie s’effectuerait selon Winnicott « là où deux aires
de jeu se chevauchent, celle du patient et celle du thérapeute. Si le
thérapeute ne peut jouer, cela signifie qu’il n’est pas fait pour ce
travail. Si le patient ne peut jouer, il faut faire quelque chose pour lui
permettre d’avoir la capacité de jouer, après quoi la psychothérapie
pourra commencer 19 »

17. Winnicot (D.W.), Jeu et réalité, ed. Gallimard, 1975


18. Idem.
19. Winnicott D. W., Jeu et réalité, ed. Gallimard, 1975.

14
DU PROJET À LA PRATIQUE

Objet de relation
L’objet de relation s’oppose à l’objet transitionnel (qui est un objet
privé) dans le sens où il est partagé. Il « n’est médiateur que dans un
processus de médiation » 20. Cela dépendra du cadre et du dispositif mis
en place par l’équipe. Le journal est un moyen de se tenir informé de
l’actualité du monde ou d’un hobby, utilisé dans un groupe « presse »
en CATTP par exemple, il perd ce rôle de moyen d’information pour
devenir tiers dans un groupe. Prétexte à réunir le groupe, il est le
médium qui va permettre à chacun de s’exprimer sans se mettre en
danger comme dans une relation uniquement duelle.
« De par sa concrétude et son existence propre, l’objet de relation
permet de déplacer au dehors, d’externaliser, sur un objet concret, ce
qui se joue entre deux personnes ou plus : à travers l’objet, le patient
peut ainsi scénariser des facettes de la dynamique transférentielle, plus
facilement repérable et analysable. » 21
L’objet médiateur a une fonction d’autoreprésentation d’un lien
entre les participants d’un groupe.

Distanciation
L’utilisation d’une médiation, dans un atelier, permet au patient
d’aborder certaines problématiques par un biais symbolique. La distan-
ciation apporte un recul face à une difficulté et sa symbolisation qui va
permettre sinon de l’affronter directement, au moins de l’appréhender
d’une manière moins pénible.
Les groupes à médiations permettent une mise à distance des
angoisses, du vécu de la crise. « Certaines caractéristiques leur confè-
rent un aspect de jeu, de manipulation d’objets imaginaires autorisant
les participants à retrouver dans cette situation de soins une dimension
de plaisir dont leurs difficultés les tenaient éloignés 22 ».

Subjectivation
La subjectivation est un mouvement psychique qui marque plus
particulièrement l’adolescence. Il s’agit de se reconnaître comme sujet

20. Kaës R. « Médiations, analyse transitionnelle et formations intermédiaires », in


Les processus psychiques de la médiation, sous la direction de B. Chouvier, Dunod
2004, p.11
21. Gimenez G. « Les objets de relation » in Les processus psychiques de la média-
tion, sous la direction de B. Chouvier, Dunod 2004.
22. Quenard O., op déjà cité. p.176.

15
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

et par là reconnaître l’autre comme sujet à part entière. Il s’agit, en


reconnaissant l’autre comme « alter », de s’appuyer sur cette altérité
pour se reconnaître soi comme sujet. Ce mouvement est un des enjeux
du travail en groupe qui doit permettre au sujet d’émerger, de se dire,
d’exister, face à l’objet (objet commun ou individuel réalisé via la
médiation utilisée), mais aussi « au milieu » des autres constituant le
groupe.

Communication
Il est souvent question dans les symptômes liés aux pathologies
mentales, de troubles de la communication. Que cela soit sous forme
de manque de communication, de communication inadéquate, de repli,
de rejet.
L’idée princeps qui soutient tout groupe ou atelier à médiation, est
celle de favoriser la communication, les liens et d’établir des relations
intersubjectives.
Depuis plusieurs décennies, le courant de pensée systémique 23 a
identifié que la communication humaine s’établit sur deux modes
fondamentaux : analogique et digital.
L’analogique correspond à tout ce qui est non-verbal (les signes
paralinguistiques, le ton, la posture, le geste). Le digital utilise les
signes conventionnels de la langue parlée. Aussi toute communication
a deux aspects : contenu et relation qui se complètent et coexistent
dans tout message. Le contenu est transmis sur le mode digital, la rela-
tion est essentiellement de nature analogique. Dans la relation
analogique, il n’existe pas de discriminants. Le comportement n’a pas
de contraire. Nous pouvons donc dire qu’on-ne-peut-pas-ne-pas-
communiquer. Tout retrait, silence, immobilité, est une forme de
communication.
Dans la pratique soignante, il est primordial de penser le non-verbal
comme une forme de communication, sur laquelle s’appuyer pour
construire la relation.
Ces messages analogiques sont aussi très présents dans l’aménage-
ment architectural du groupe : murs, chaises, décorations… sont des
messages dirigés vers le groupe auxquels il va réagir par d’autres
messages. Un cadre soigné va induire une attitude de respect des uns

23. P. Watzlawick, J. Helminck Beavin, Don D. Jackson, Une logique de la commu-


nication, Seuil, 1979.

16
DU PROJET À LA PRATIQUE

envers les autres. Un cadre anonyme, des réactions de dépersonnalisa-


tion. Un cadre chaleureux et confortable va inciter aux échanges.
De la même manière chacun va se présenter au groupe, se « tenir »
pendant le groupe, s’y exprimer ou non ; le soignant y lira quelque
chose de la tonalité du groupe mais aussi de celle de chacun.
Le bruit (de chaise, de bavardage, de toux…), l’ambiance sonore
liée au fait de réunir ensemble plusieurs personnes est également faite
de messages destinés au groupe et au soignant. Philippe Robert
propose de les classer en niveaux :
• le brouillage, équivalent à l’acte de résistance à la mentalisation ;
• la décharge, qui peut parfois en soi être l’ébauche d’un sens ou en
tout cas le précéder, une façon d’être ensemble comme un écho
groupal ;
• et enfin le message 24.
Autant de matériel non verbal qui doit être pris en compte.
L’écoute adoptée par les soignants ne s’applique donc pas unique-
ment au discours mais prend aussi en compte les comportements et les
actes des patients : les transgressions de cadre comme les retards, les
absences, les départs non prévus…, les alliances, les positions persécu-
tives, les phénomènes de miroir, les attitudes contre-transférentielles,
les transferts co-latéraux qui émergent au sein du groupe.

24. Robert P., « L’écoute active en médiation », in Revue de psychothérapie psycha-


nalytique de groupe, n° 41, « Groupes à médiation en pratique institutionnelle »,
Erès, 2004, p. 87.

17
Chapitre 3

Les bases
Le cadre
Nous allons ici parler du cadre fonctionnel (mise en œuvre de
l’atelier) et du cadre psychique (conditions pour qu’il soit
thérapeutique).
C’est la conjonction de ces deux cadres, fonctionnel et psychique,
qui formeront le « cadre thérapeutique », qui différenciera l’atelier mis
en place dans le soin de la même activité réalisée dans un autre
contexte.
Lorsque l’on parle d’activité thérapeutique, il est fait référence au
cadre.
Le cadre thérapeutique signifie que nous ne nous trouvons pas dans
une relation amicale ou sociale. Le cadre est indispensable au déroule-
ment du soin, il est la signature du lieu de soin, c’est sa particularité. Il
est sans cesse à tenir, à structurer, à restaurer. Une fois posé, il est bien
entendu que tout reste à faire… car il est tout le contraire d’un
ensemble de consignes et de règles s’il n’est pas habité et investi par
les soignants.
Le cadre est énoncé dès le départ, il est également rappelé si néces-
saire. Il est ainsi intériorisé par les soignants et les patients. Il peut
redevenir explicite lors de moments de crise. Il ne doit pas être
d’emblée rigide, il doit se construire et s’ajuster en tenant compte des
spécificités de chaque groupe.
Ce cadre va être élaboré et se mettre en place comme une véritable
« fonction phorique » institutionnelle. Il s’agit de la création d’espaces
qui vont permettre aux patients de déposer leurs problématiques sous la
forme de transferts complexes avec les soignants (Delion).
La première fonction du cadre est une fonction de contenance.
Anzieu 25 l’a comparé à un « contenant maternel » qui a le rôle d’une
« seconde peau psychique ».

25. Anzieu D., Les enveloppes psychiques, Dunod, 1987, p. 39.

19
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Pour cela, son premier caractère est qu’il est permanent. Si le cadre
peut être attaqué, remis en cause, il ne doit pas être pour autant modifié
au gré des évènements. C’est sa permanence qui lui donne sa capacité à
contenir les attaques destructrices qui sont projetées non sur le groupe
ou sur les individus du groupe mais sur le cadre. Il est attaqué sans
cesse par la psychose (notion de clivage et de projection), par la crise,
par l’institution, par la vie au quotidien. Il se doit d’être contenant pour
supporter les projections. Il doit par ailleurs être souple pour les rece-
voir et les neutraliser. Un cadre vivant, c’est un cadre que l’on peut
attaquer, puisque l’attaquer c’est encore le reconnaître 26.
« Un tel cadre est fondamental car il possède, tant pour les patients
que pour l’équipe, une fonction organisatrice et déconfusionnante
essentielle. Et pour certains, la prise en charge institutionnelle des
psychotiques et le travail sur le cadre sont une seule et même chose. 27 »
Cette fonction de contenance du cadre est, dans un travail en
groupe, bien supérieure à celle du cadre que peut mettre en place le
thérapeute, lors d’entretiens individuels par exemple. Ajouté à la fonc-
tion de transitionnalité du cadre (ce qui permet au patient de dire
« l’objet est et n’est pas moi » l’autorisant à expérimenter le jeu, l’art et
la créativité ; voir Winnicott), le dispositif clinique qu’est le cadre dans
le travail de groupe permet de travailler avec des patients dits psychoti-
ques par exemple.
Le cadre est aussi l’outil qui va permettre la mise en œuvre de la
relation thérapeutique en délimitant les rôles que chacun va être amené
à jouer. Même si le soignant participe à l’activité et « produit » en tant
que membre du groupe, sa position n’est pas indistincte.
Le cadre peut être pensé comme « l’environnement immédiat qui
permet au praticien d’installer une situation susceptible de lui
permettre d’exercer son travail 28 ».
Le cadre correspond à l’espace temporel, matériel et psychique que
les soignants vont mettre en œuvre pour que l’activité puisse se
dérouler dans de bonnes conditions. Il faut l’imaginer comme une
instance tierce, à la fois matérielle et symbolique, qui sert de lieu,
d’organisation stable, de référence pour l’équipe soignante et pour les

26. Friard D., Jardel V., « Les manchots n’ont pas de bras », in Santé Mentale, n°
111, p. 64.
27. Jallade, in Le groupe soignant, des liens et des repères, sous la direction de M.
Sassolas, Erès, 1999, p. 19.
28. Jacobi B., Cent mots pour l’entretien clinique, Erès, 2002, p. 35.

20
DU PROJET À LA PRATIQUE

patients (notion de temps, de lieu, de déroulement qui va donner le


rythme à l’activité).
L’activité constitue un espace-temps prévisible par la constance du
jour où elle a lieu, l’horaire et le lieu où elle se passe.
La régularité de l’activité est essentielle et fondamentale. Tout
arrêt, quelle qu’en soit la raison, se doit d’être annoncé et expliqué aux
participants.
La composition du groupe est elle aussi garantie par des règles
d’entrée et de départ. La permanence ou non des participants est posée
dès le début.
Nous pouvons faire une différence entre diverses modalités de
fonctionnement de groupe :
• groupe ouvert dont l’effectif peut changer à chaque rencontre ;
• groupe semi-ouvert avec un renouvellement progressif au fur et à
mesure des départs ;
• groupe fermé dont l’effectif est le même pour une séquence plus
ou moins longue.
Les intervenants sont réguliers et en nombre suffisant. Les
absences, les arrivées, les départs, sont parlés et expliqués.
Le lieu de l’activité n’est pas anodin, chaque structure de soins peut
être amenée à offrir un espace pour une activité. Chaque médiation de
par sa spécificité peut déterminer un lieu.
Cela semble évident, mais lors de la création de l’activité, il faut
penser le lieu et que celui-ci soit adapté à l’activité. Il faut aussi qu’il
soit investi par soignants et soignés. Ce lieu va devenir LE lieu de cette
activité. Il doit également être reconnu comme tel par l’institution.
Cet espace permettra aussi de travailler des aspects divers comme le
dedans et le dehors, la mobilité, le réinvestissement de l’extérieur ou la
sécurité de l’intérieur.
Pour certaines activités, les lieux sont dans la cité (piscine, terrain
de pétanque ou de foot, bibliothèque, et parfois des lieux associatifs de
quartier…).
Dans le groupe, un certain nombre de règles seront précisées valant
autant pour les patients que pour les soignants. Un exemple : la confi-
dentialité ; ce qui se passe et se dit dans le groupe appartient au groupe
et ne doit pas être rapporté en dehors. Les soignants sur ce sujet
devront être clairs sur les contraintes. Que va-t-il être rapporté au reste
de l’équipe que ce soit à l’oral ou par écrit ? Nous ne devons rapporter
que les éléments indispensables à une bonne cohérence des soins.
De même, doit être déterminé d’avance ce que vont devenir les
« productions » du groupe (poèmes, peintures, etc.). Seront-elles
21
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

remises à chacun, feront-elle l’objet d’une exposition, d’une publica-


tion, d’un carnet de recueil de poèmes ? Jean Boustra 29 rejette avec
force ces expositions en posant comme principe que ces productions
qui ont valeur de signifiants psychothérapeutiques, doivent être
protégées.
Cependant, nous pensons que si le but est posé d’entrée, il peut être
un prétexte ou un moteur de la dynamique du groupe : exposition,
participation à un festival, représentation théâtrale ou « printemps des
poètes » par exemple.
En tout cas, il n’est pas déontologiquement acceptable que les
productions d’un groupe soient utilisées « a posteriori » dans un autre
contexte que celui qui a prévalu à ces productions.
L’activité pour devenir thérapeutique va nécessiter un certain
nombre de dispositifs supplémentaires.
Tout d’abord la gestion rigoureuse des transitions. Il faut éviter les
ruptures dans les temps d’accompagnement avant et après l’activité.
L’activité n’est pas le « lieu bon » et le domicile ou l’unité de soin le
lieu « mauvais ». Il y a une cohérence entre l’un et l’autre et si possible
une continuité.
Pour que le cadre soit thérapeutique, il doit y avoir un garant de ce
cadre. Soignant, animateur ou personne extérieure au groupe, les parti-
cipants doivent sentir qu’il existe une protection par l’institution face à
la fragilité du groupe et face aussi à la fragilité du cadre. En effet, le
cadre va être régulièrement attaqué, c’est là l’une de ses fonctions. Il
faut savoir faire avec les provocations, la persécution et les attaques du
cadre qui font partie du processus thérapeutique normal (qui ont valeur
de symptômes).

Choix du médiateur
Si comme nous l’avons vu, avant toute mise en œuvre d’une acti-
vité, il convient de s’interroger sur la manière dont on travaille dans
l’institution, sur les articulations possibles entre les groupes et le reste
du service, sur la reconnaissance institutionnelle et enfin sur ce que
l’on va mettre en place pour assurer des liens qui soient effectifs, le
médiateur va être choisi en fonction de son intérêt pour la personne en
souffrance.

29. Boustra J., « Expression et groupes : transitionnalité entre soi et l’autre », in


Santé Mentale, n°111, octobre 2006, p. 44.

22
DU PROJET À LA PRATIQUE

Qu’en attendons-nous ? Qu’est-ce qui va être cliniquement priori-


taire ? Quels sont les objectifs espérés ?
L’objet médiateur n’est rien en lui-même ! C’est autour de la
parole, de ce qui sera repris, que va se permettre le passage entre le réel
et le signifiant. « L’objet a pour fonction essentielle de favoriser et de
faciliter l’ouverture à l’intersubjectivité 30. »

Post-groupe et synthèses
L’activité n’est thérapeutique encore une fois que si elle existe au-
delà du moment même de l’activité ; nous l’avons vu, dans la tête des
autres soignants, dans le projet de l’institution et surtout dans la pensée
du patient en dehors du groupe. Ce qui fera le lien entre le groupe et
l’institution (ou le service, le reste de l’équipe) c’est le travail de mise
en commun et d’analyse réalisé à l’issue du groupe par les soignants.
Le post-groupe comme lieu de parole, moment d’élaboration autour de
ce qui a été acté au cours du groupe est un moment de recul pour
analyser les interactions soignants/soignés et soignés/soignés.
Le retour qui en sera fait en synthèse ou en réunion clinique, parti-
cipe à l’effet thérapeutique de l’activité.
Dans l’idéal, les soignants mettront en place une supervision avec
un professionnel extérieur au groupe afin de travailler les phénomènes
inconscients qui échappent à leur analyse collective. Ce sera un « lieu
de parole pour les soignants où puissent se réfléchir les réactions
contre transférentielles, s’adapter les attitudes, s’infléchir les techni-
ques, se travailler les modèles théoriques 31 »

30. Chouvier B., « Un cadre pour les médiations », in Santé Mentale, n° 111,
octobre 2006, p. 30.
31. Gabbaï P., « Les médiations thérapeutiques », in Santé Mentale, n°111,
octobre 2006, p. 27.

23
Chapitre 4

Groupe cheval : en quoi le cheval


peut être un médiateur
thérapeutique ?
Karine INNOCENT, infirmière diplômée d’état
Anne-Laure SEBELLINI, psychomotricienne

Selon Xénophon, philosophe grec disciple de Socrate, le cheval


possède en lui-même un aspect thérapeutique. Il relate que « le cheval
est un bon maître, non seulement pour le corps mais aussi pour l’esprit
et pour le cœur ».
Aujourd’hui encore il évoque chez chacun de nous puissance,
vitesse, beauté et fierté. Ses vertus ont été reconnues tout au long de
l’histoire comme permettant une ouverture nouvelle dans la recherche
du bien-être, du plaisir, de la connaissance et de la reconnaissance de
soi.
Depuis 40 ans, le cheval est utilisé dans un but thérapeutique parce
qu’il mobilise psychiquement le patient simplement parce que c’est un
être vivant « qui éprouve des sensations, très certainement des
émotions et qui extériorise des comportements » 32.
Il demande de la part de l’homme qui souhaite entrer en communi-
cation avec lui une perception, une acceptation des signaux envoyés et
une bonne interprétation de ceux-ci impliquant du verbal et du non-
verbal. « À cheval, le geste devient communication, mais aussi expres-
sion d’un certain désir » 33.
Entrer en communication avec le cheval mobilise des ressources
que parfois n’utilisent plus les patients pour entrer en lien avec autrui.

32. J. C. Barrey, in Thérapie avec le cheval, sous la direction de R. de Lubersac, éd.


Fentac, 2000, p. 41.
33. A. C. Leroux, in Cheval, inadaptations et handicaps, sous la direction de M.
Jollinier, éd. Maloine, 2004.

27
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

L’ouïe, la vue, l’odorat et le toucher vont permettre une communi-


cation réciproque homme/cheval ; la vue de la position des oreilles du
cheval indiquera dans quelles dispositions l’animal se trouve ; le cheval
est attentif à la tonalité de la voix de l’homme ; pour entrer en contact,
le cheval flaire l’autre et enfin, le toucher est nécessairement mobilisé.
Dépourvu d’intentionnalité, le cheval devient un contenant capable
de recevoir les projections humaines qu’il renverra en miroir.
« Le cheval est un objet de soins, d’alimentation, de pansage, de
manipulations d’un espace à un autre. Il devient alors support possible
de projections des expériences vécues du sujet dans son propre corps et
dans sa relation à l’autre. Le cheval peut être pensé en terme de conte-
nant. En tant qu’être vivant, il est le support privilégié d’une circulation
émotionnelle. L’image du cheval contient une force, une puissance, une
liberté qui permettent la réactivation des images internes paternelles
mais elle peut aussi renvoyer au contenant maternel en terme de
chaleur, de portage, de bercements et d’odeurs… » 34.
Le médiateur cheval permet alors de travailler et de restaurer la
notion de « Moi-peau » par l’intermédiaire de deux principes
fondamentaux : le holding et le handling.
Selon Didier Anzieu, la peau est importante en ce qu’elle fournit à
l’appareil psychique les représentations constitutives du Moi et de ses
principales fonctions. Il définit le Moi-peau comme « une figuration
dont le Moi de l’enfant se sert au cours des phases précoces de son
développement pour se représenter comme Moi à partir de son expé-
rience de la surface de son corps » 35.

Holding, handling
Si nous nous appuyons sur la théorie de D. Anzieu, la peau remplit
une fonction de soutènement du squelette et des muscles et le Moi-
peau remplit une fonction de soutènement du psychisme.
La fonction biologique est exercée par ce que Winnicott a appelé le
holding, c’est-à-dire par la façon dont la mère soutient le corps du bébé.
« L’utilisation du cheval permet un retour aux relations primitives
mère-enfant. » 36 C’est au cours de la monte à cheval que le patient peut
expérimenter cette impression de portage et d’étayage physique qui
amènera ensuite la fonction psychique de maintenance.

34. Document de l’association TAC-IF, Thérapie avec le cheval en Ile de France.


35. D. Anzieu, Le Moi-Peau, éd. Dunod, 1995.
36. I. Aubard, « Mais en quoi le cheval peut devenir un médiateur
thérapeutique ? » http : //serpsy.org

28
LES MÉDIATIONS

L’utilisation du médiateur cheval permet au cours du pansage de


travailler autour de la fonction de contenance du Moi-peau. Le conte-
nant est formé de la peau qui recouvre la surface entière du corps et
dans laquelle sont insérés tous les organes. Cette fonction est exercée
par ce que Winnicott nomme le handling.
La sensation de la peau comme sac est éveillée chez le tout-petit
par les soins du corps que lui procure la mère et qui sont appropriés à
ses besoins. Avec le cheval la dimension de pansage prend sens par les
caresses, les soins que l’on va prodiguer au cheval. Le corps du cheval
est ainsi découvert dans sa globalité. Par le cheval, le patient pourra
transposer la notion de contenant sur son propre corps.
Le cheval permet une phase de régression, possible par les diffé-
rentes sensations corporelles ressenties. Le thérapeute par ses
verbalisations, aide le patient à les transposer en fonctions psychiques.
Nous voyons une illustration de cette régression face aux réactions de
Bérénice, patiente du groupe. Au contact du cheval elle retrouve instan-
tanément un vocabulaire et des attitudes de l’enfance, allant jusqu’à se
comporter comme une petite fille lorsqu’elle est à cheval, parfois ne
pouvant pas lâcher notre main au risque de tomber.
« Cet objet porteur permet de vivre une régression à un état
originel. » « Se laisser bercer par le cheval (…) évoque une attitude
affective régressive, une situation rappelant celle du maternage. Cette
régression peut être souhaitable et s’inscrire dans un processus
d’évolution » 37.

Contexte
L’activité cheval a lieu dans un secteur de psychiatrie adulte de la
banlieue parisienne. Elle existe depuis 5 ans.
Elle a été au départ créée pour répondre aux besoins spécifiques de
certains patients hospitalisés au long court pour lesquels l’emprise
institutionnelle était importante et pour lesquels le bénéfice thérapeu-
tique était interrogé.
Il s’agissait d’élaborer du soin autour d’une activité régulière se
déroulant à l’extérieur de l’hôpital.
L’activité a été pensée et initiée dans le contexte de l’arrivée de
deux psychomotriciens. Cette nouvelle représentation professionnelle
sur le secteur a permis en équipe de réfléchir à la mise en place de

37. A.C. Leroux in Cheval. Inadaptations et handicaps, sous la direction de M.


Jollinier, Maloine, 2004.

29
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

nouvelles formes de prises en charge faisant appel à leurs compétences


spécifiques.
Elle a été pensée dès le départ avec pour référents des soignants
ayant des approches de soins différentes de part la spécificité de leur
profession, dans une volonté de pluridisciplinarité et de
complémentarité.
Le fait que nous soyons psychomotricienne et infirmière, issues de
deux formations différentes pour animer ce groupe permet grâce à des
regards soignants différents et complémentaires d’enrichir nos
réflexions autour de cette activité. De plus, cela permet aux patients de
nous interpeller en fonction de nos spécificités.
La séance ne se tient que si l’une d’entre nous est présente. En cas
d’absence, un autre membre de l’équipe (aide-soignant, infirmier ou
ergothérapeute) prendra part à l’activité ceci afin de garantir l’existence
et la continuité du groupe…
Actuellement ce groupe a adopté le fonctionnement d’un groupe
semi-ouvert de cinq patients dont trois d’entre eux sont hospitalisés au
long court. Les deux autres places peuvent être occupées par des
patients ne restant hospitalisés que quelques semaines. Les indications
ne sont dans ce cas pas du même ordre, il s’agit par exemple de rendre
possible ou de maintenir, pour les premiers, un contact avec l’extérieur,
et pour les seconds, de faciliter le lien thérapeutique, et également
d’évaluer leurs capacités à interagir dans le groupe et vers l’extérieur.
La durée de l’engagement est discutée au cas par cas avec les
patients et leurs thérapeutes.
Autour des séances, gravitent différents intervenants dont on peut
dire que chacun a un rôle thérapeutique contribuant à la dynamique de
groupe et à faire vivre l’activité.
La fonction de psychomotricienne amène à être attentive au rapport
du patient à son schéma corporel ainsi qu’à son image du corps. La
psychomotricienne remarque aussi la manière dont le patient mobilise
son tonus, la façon dont tonus et émotions interagissent et donnent des
indications sur l’état psychique et émotionnel du patient.
L’infirmière quant à elle est plus attentive aux interactions du
patient dans le groupe, elle met en lien ce qui émerge lors des séances
avec le quotidien du patient. Elle est un interlocuteur que le patient
s’autorise à interpeller sur sa prise en charge ou à qui il demande de
restituer des éléments des séances au reste de l’équipe. Elle valorise
ainsi la participation du patient à ce groupe.
La monitrice du centre équestre a une place importante, elle est
perçue par les patients comme une intervenante rassurante, garante des
30
LES MÉDIATIONS

aspects techniques se rapportant à la discipline et à l’animal. Elle a une


fonction de tiers entre les patients et les chevaux ainsi qu’entre les
patients et les soignants et animateurs.
La participation ponctuelle de différents soignants du secteur faci-
lite l’inscription de l’activité au sein de l’institution et permet d’amener
dans ces moments une dynamique de groupe différente. Les patients
ont alors l’opportunité d’initier un nouveau soignant ce qui peut leur
permettre de montrer leur implication, leur savoir-faire.
Cette présence occasionnelle donne une réalité à cette activité pour
l’équipe. Elle facilite les échanges dans le service entre les différents
membres de l’équipe et les patients.
Ce type d’activité nécessite que les animateurs aient une connais-
sance en éthologie et en pratique équestre.

Cadre et indications
Les indications pour cette activité sont multiples, elles s’appuient
sur le désir particulier de chacun, patients ou thérapeutes. Elles sont
affinées en fonction de l’évolution du patient au sein de l’activité.
Elles sont initiées de deux façons, par un membre de l’équipe
soignante ou par le patient lui-même. Leur pertinence est alors discutée
en réunion de synthèse en lien avec le projet de soin du patient.
Après quelques années de pratique, l’évolution du groupe par sa
constitution et du fait d’un changement de lieu ont amené des réajuste-
ments. Les indications ont été élargies ; le groupe est pensé à présent
pour des patients hospitalisés à court terme ou suivis en ambulatoire
afin de créer une nouvelle dynamique. Cela participe aux échanges
entre le milieu hospitalier et l’extérieur.
Comme dans toute activité à médiation, il nous a fallu établir un
cadre reconduit à chaque séance :
• Des horaires en lien avec le fonctionnement institutionnel : par
exemple, l’heure de retour coïncide avec l’heure du déjeuner.
• Des règles de sécurité externes à l’activité qui sont à respecter,
comme le port de la ceinture de sécurité dans le minibus.
• D’autres règles propres à l’activité sont travaillées de séance en
séance, en lien avec la codification équestre comme par exemple,
ne pas descendre de cheval à n’importe quel moment ou ne pas
fumer aux abords des écuries.
Il est important qu’un cadre soit établi pour constituer un contenant
rassurant à l’intérieur duquel pourra s’instaurer une certaine flexibilité
indispensable au travail thérapeutique.
31
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Nous nous sommes appuyées sur ces concepts théoriques pour


proposer un cadre thérapeutique à l’activité cheval visant à répondre
aux indications posées et aux besoins repérés chez les patients partici-
pant au groupe.
Qu’en est-il des indications ?
• Permettre une mobilité physique et psychique : cette indica-
tion s’adresse, le plus généralement, à des patients hospitalisés au
long court, se présentant comme ritualisés et qui sortent difficile-
ment du cadre institutionnel rassurant.
• Évaluer la façon dont la pathologie et les problématiques des
patients interagissent. Voir quelle évolution le patient présente au
sein du groupe cheval dans un lieu qui n’est pas l’hôpital.
• Mettre en confiance le patient en vue de faciliter la communica-
tion avec les soignants. Créer une relation suffisamment
sécurisante pour permettre l’instauration d’un lien thérapeutique.
L’inscription à ce groupe doit donner l’opportunité à ses
participants :
• de prendre soin de l’autre ;
• d’assumer des responsabilités ;
• de les amener à s’engager dans le temps auprès d’un être vivant
dépendant d’eux (le cheval) ;
• de développer leur confiance en eux.
Une première phase d’observation est nécessaire pour permettre un
acclimatement 38, que chacun trouve ses marques, ses liens avec le
cheval, avec l’animatrice.
Ce qui va alors être mobilisé consciemment ou inconsciemment
chez le patient lors de l’activité (avec l’animal, les soignants de l’insti-
tution ou les personnes du centre équestre) déterminera son inscription
dans la continuité.
Une évaluation et un réajustement des indications et des objectifs
fixés sont réalisés si cela est nécessaire. Il y a un temps de reprise entre
les animatrices du groupe, le patient et son équipe référente. Le groupe
se modifie au gré des évolutions de chacun.
On ne peut penser le patient sans penser le groupe. En effet, il nous
faut être attentives lors de la participation de nouveaux patients à ce qui
se jouera individuellement et dans les interactions, influençant la dyna-
mique globale du groupe et son équilibre.

38. Acclimatement : le fait de s’habituer à un autre milieu (Micro Robert, nouvelle


édition).

32
LES MÉDIATIONS

Ceci se révèle également lors de la venue de soignants non


permanents.
Les premières séances permettent d’évaluer la pertinence de la
prise en charge, l’envie du patient et une éventuelle contre-indication
comme, par exemple une appréhension trop importante de l’animal.
La participation des patients est entérinée par le médecin qui établit
une prescription médicale au cours d’un entretien avec le patient en
présence d’une des référentes du groupe. Il est important que le
médecin effectue un entretien trimestriel avec le patient pour lui
permettre de verbaliser autour de l’activité et de l’intérêt qu’il y porte.
La participation des patients est encouragée mais non-obligatoire.
Lorsqu’un patient du groupe ne souhaite pas venir il nous paraît impor-
tant de reprendre avec lui, de verbaliser ce qui a empêché sa venue à la
séance.
Son appartenance au groupe n’est toutefois pas remise en question.
Le patient doit en être assuré. Il lui est donné rendez-vous pour la
séance suivante.

Déroulement de l’activité
L’activité est hebdomadaire, elle se déroule sur une matinée. Le
transport se fait en minibus et il faut une demi-heure pour aller de
l’hôpital au centre équestre. La séance sur place dure une heure.
Chaque étape du déroulement de la séance a son importance. Elles
donnent l’opportunité aux soignants d’aborder différentes problémati-
ques avec le groupe ou individuellement.
Dans le service, avant le départ, les référentes vont voir individuel-
lement les patients du groupe. Le reste de l’équipe tient un rôle
important : elle positive leur participation à l’activité et veille au fait
que leur tenue vestimentaire soit appropriée à l’activité et au temps.
Nous quittons le service vers 10 heures. Le trajet en minibus permet
d’appréhender l’état psychique de chacun (surexcitation, apathie,
angoisse…) et se faire une idée de la tonalité émotionnelle du groupe.
C’est le moment où les patients évoquent leurs envies pour la
séance (balade, manège, calèche, choix des chevaux). Le trajet à l’aller
est un moment de tensions importantes où il nous faut contenir l’exci-
tation des patients, leurs appréhensions en lien avec la séance mais
aussi leurs angoisses.
L’arrivée au centre est souvent marquée par une pause cigarette et
une prise de contact progressive avec l’environnement. Nous allons
voir les animaux, saluons les personnels du centre. Avec la monitrice
33
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

d’équitation, les patients font le choix des chevaux dont ils vont
s’occuper.
Se déroule ensuite le pansage durant lequel nous sommes, avec la
monitrice, sollicitées par les patients pour des conseils pratiques ou par
besoin d’une présence rassurante.
Le pansage permet de travailler le rapport au corps et au soin du
corps. L’anatomie du cheval ainsi que l’appellation des différentes
parties de son corps sont très proches de celles de l’être humain. On
parle de jambes, de pieds… Cela permet un rapprochement avec son
propre corps. Le contact avec la chaleur et la douceur de la robe d’un
cheval éveille des sensations rappelant les premières attentions portées
à un nourrisson.
Ensuite nous apprêtons les chevaux avec tout le matériel nécessaire
à la monte : le filet, la selle… Toute cette préparation nécessite un repé-
rage de nouveaux objets, une intégration de l’entité du corps du cheval
et de ses nécessités.
Une fois le pansage réalisé et les chevaux sellés, les patients ont la
possibilité durant une demi-heure de monter à cheval en manège ou en
balade ou encore de se promener en calèche qu’ils vont diriger.
Certains préfèrent marcher à côté du cheval. Il va s’agir là d’un temps
particulier car il va nous falloir être tout à la fois attentives et disponi-
bles pour chacun des patients, en tenant compte du couple qu’ils
forment avec leur cheval.
Vient ensuite le temps de la séparation ; chacun raccompagne son
cheval dans son box après l’avoir dessellé et avoir rangé le matériel. Il
est de coutume de « remercier » les chevaux en leur donnant un
morceau de pain.
Avant de repartir en minibus, la transition se fait de nouveau par un
temps d’échanges autour d’une cigarette ou d’une boisson, permettant
d’initier la séparation avec le lieu, la monitrice et les animaux en se
projetant sur la séance suivante.
Le départ se fait vers 12 heures. Le trajet de retour en minibus est
un espace temps s’apparentant à un post-groupe informel. Les patients
peuvent s’en saisir pour réagir au déroulement de la séance plus spon-
tanément que dans un lieu et un temps établis et signifiés en tant que
tels. Ainsi, Bérénice peut y échanger avec le groupe au sujet de l’agres-
sivité dont elle fait preuve dans le service. Marius, un autre patient,
nous y livre l’appréhension qu’il ressent avant chaque séance.
De retour à l’hôpital, nous raccompagnons les patients dans leurs
unités, c’est l’heure pour eux d’aller prendre leur repas. C’est à ce
34
LES MÉDIATIONS

moment-là que nous nous donnons rendez-vous pour la semaine


suivante.
Nous transmettons aux équipes soignantes les éléments significatifs
du déroulement de la séance pour chaque patient. Un écrit est produit
dans chaque dossier de soins.
Le temps a une valeur importante, il est articulé avec les différents
moments de l’activité : le transport, le pansage, la monte, la verbalisa-
tion et l’écrit. Pendant le temps de la monte le temps est aussi scandé
par le pas du cheval tel le balancier d’une horloge, le rythme du pas
venant s’inscrire dans le corps comme les minutes s’égrainant dans le
cadran.

Témoignages des effets de cette pratique


Illustration au travers de trois prises en charge de patients souffrant
de pathologies différentes.

Z Éloïse
Éloïse est âgée de 40 ans, elle souffre de schizophrénie paranoïde.
Elle a connu un parcours abandonnique et maltraitant. Elle a été suivie
en ambulatoire pendant plusieurs dizaines d’années et est maintenant
hospitalisée depuis plusieurs années suite à une majoration de ses trou-
bles. Elle a perdu progressivement son autonomie, montrant au sein du
service des comportements d’agitation (cris, agitation, auto- et hétéro-
agressivité) en lien avec un sentiment de persécution. En même temps,
s’est mise en place une dépendance de plus en plus accrue aux
soignants. Éloïse cherche à instaurer une relation privilégiée avec les
uns puis les autres, relation passant de la fusion au rejet dès lors que
celle-ci prend de l’importance. Éloïse ne semble pas en capacité
d’investir de manière égale plusieurs soignants à la fois, il lui faut des
« bons » et des « méchants » ; des soignants qu’elle « aime » et
d’autres qu’elle « rejette ». Le clivage dont elle use est permanent. Son
attitude avec les patients de l’unité est assez semblable à ce qu’elle met
en place avec les soignants.
L’indication pour sa participation au groupe cheval est posée pour
lui permettre de rompre avec ce fonctionnement, d’utiliser les capacités
de holding et de handling de l’animal pour lui donner la possibilité de
créer avec le cheval une relation vécue comme moins risquée.
Dès la première séance, Éloïse fait le choix de se lier plus particu-
lièrement avec un poney avec lequel elle a mis rapidement en place un
comportement maternant.
35
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Cette prise en charge a généré chez elle de l’angoisse pendant deux


mois avec dès le départ une ambivalence voire une réticence de sa part
dont on ne saurait préciser s’il s’agissait d’une appréhension induite
par la sortie du service ou par sa participation à une nouvelle activité.
Cette ambivalence a pu être amoindrie par les sollicitations rassu-
rantes des référentes de l’activité et des membres de l’équipe soignante
qui, au quotidien, incitaient de façon bienveillante sa participation.
Sur place, Éloïse manifeste une agressivité qu’elle projette à tour de
rôle sur les soignants qui l’accompagnent ; quels qu’ils soient, préser-
vant le personnel du centre équestre.
Elle use également d’un fonctionnement clivé, celui-ci lui permet-
tant de détourner cette agressivité d’un soignant à un autre.
De plus, à chaque séance, elle s’extrait du groupe systématique-
ment parfois par la fuite mais le plus souvent en se forgeant une
« bulle » qui n’englobe que le centre, le poney et elle. Elle ne permet
que rarement aux autres personnes d’y accéder et peut même devenir
agressive dans le verbe lorsque l’on tente d’y entrer en la sollicitant ou
en intervenant auprès de son poney.
On a l’impression que le poney n’est pas pour elle un animal mais
qu’il constitue plutôt un bon objet auquel elle s’identifie et qui n’est à
aucun moment contrariant. Elle peut donc avec lui exprimer sa folie
sans se confronter à la réalité. Le rôle des soignants va être de mettre
en mots ce qui se joue entre elle et le poney pour que progressivement
elle se confronte à la réalité.
Le constat le plus évident a été son apaisement au centre ; Éloïse
était moins dans un fonctionnement de clivage et semblait être rassurée
par un environnement connu. Au cours de quelques séances, nous
avons pu avoir accès à des éléments de biographie de son enfance,
Éloïse faisant le lien entre le fait de s’occuper de son poney en lui
prodiguant des soins de pansage et de nourriture et le fait de s’être
occupée dans sa famille d’accueil des animaux du foyer. Son investis-
sement pour l’activité et sa participation régulière permettent d’espérer
qu’une fois Éloïse sortie de l’hôpital l’activité pourra rester pour elle
un repère « ritualisé » rassurant.

Z Bérénice
Bérénice, âgée de 48 ans, présente depuis l’enfance des conduites
impulsives et des troubles du comportement à type d’hétéro-agressi-
vité. Elle a été, jusqu’à ses 6 ans, élevée par son beau-père. Sa mère les
a quittés lorsqu’elle avait 2 ans.
36
LES MÉDIATIONS

Elle a intégré un établissement spécialisé pour enfants et adoles-


cents, son maintien en milieu scolaire classique n’étant plus possible
du fait d’une instabilité psychomotrice.
Malgré cette prise en charge elle développe un retard scolaire,
n’atteignant à l’adolescence qu’un niveau de CM1. Ses troubles du
comportement s’aggravent.
À sa majorité, elle est hospitalisée pour la première fois dans notre
établissement pour syndrome dépressif et angoisses massives dans le
contexte de l’échec de son intégration en CAT. Le diagnostique de
psychose est alors posé.
Dès lors et pendant 17 ans, Bérénice ne sort de l’hôpital que pour
des périodes limitées à quelques semaines. Les tentatives de sorties
pour des structures alternatives échouent devant la répétition des crises
clastiques et des gestes hétéro-agressifs.
À 36 ans, elle parvient à assurer un travail régulier en CAT pendant
un an, ce qui lui permet d’intégrer un foyer dans le même temps.
Cependant, la situation se dégrade progressivement débouchant sur
une nouvelle hospitalisation puis l’arrêt de son travail en CAT.
L’indication pour sa participation à l’activité a été proposée dans un
temps où au sein du service, ses rapports aux autres patients et aux
soignants se dégradaient. Il s’agissait d’essayer de lui permettre en
prenant soin d’un « autre » de sortir d’un égocentrisme important, de
lui donner des outils lui permettant de verbaliser autrement que par des
passages à l’acte son mal-être et ses frustrations. En proposant à Béré-
nice un autre temps soignant particulier, nous répondions à un besoin
pour elle d’avoir une relation privilégiée. Elle a répondu favorablement
et avec enthousiasme à l’idée de cette activité, mettant en avant le fait
d’« aimer les animaux ».
Dans les premiers temps de sa participation à l’activité, presque
chaque début de séance est marqué par un moment d’angoisse au départ
du service, que nous pouvons apaiser en évoquant « son cheval ». Elle
arrive à ce moment-là à projeter un désir qui présumerait du plaisir à
venir. Lors du trajet, elle présente la plupart du temps une excitation se
manifestant par des cris de plaisir, des jeux avec les autres patients dans
le minibus. Elle prend, à ce moment-là, une voix fluette d’enfant.
Dès les premières séances, Bérénice prend plaisir dans le contact
avec les animaux (cheval, chiens, chèvres…). Elle manifeste un intérêt
pour leurs nom, âge, sexe… Au centre équestre, elle s’apaise et se
concentre sur le cheval, son pansage et son équipement. Elle est très
attentive aux consignes et conseils prodigués.
37
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Béatrice panse le cheval avec plaisir et application mais la monte ne


se fait pas d’emblée. Elle est assez impressionnée par la taille du cheval
et elle ne peut monter qu’un grand cheval du fait d’un surpoids. Elle
manifeste cependant rapidement le désir de monter à cheval, présumant
de ses capacités. Parfois elle parle de vouloir trotter alors qu’elle
commence tout juste à tenir en équilibre sur le cheval.
À cheval, sa position est plutôt naturelle mais l’angoisse peut se
trouver de nouveau au premier plan. Elle met alors en place des
défenses en compensant soit par une excitation désordonnée, soit par
des plaintes somatiques qui lui font faire des gestes risquant de la faire
chuter. Dans ce cas, Bérénice demande à descendre de cheval.
Il s’agit alors pour Bérénice de rapidement ramener son cheval au
box après quoi, elle va fumer une cigarette et s’offre un soda. Dès lors,
la séance prend fin pour Bérénice qui nous parle de son emploi du
temps à venir, de son médecin… Les deux espaces semblent clivés.
Il ne semble pas y avoir de possibilité pour Bérénice de rapporter le
bénéfice de ce qu’elle trouve pendant la séance, au sein du service.
Aujourd’hui, Bérénice est toujours demandeuse de participer à
cette activité. Au sein du service, la prise en charge s’ouvre d’avantage
sur l’extérieur avec des irrégularités de respect du planning et des
horaires. Elle partage ce qu’elle vit dans ce groupe avec l’équipe
(montre des photos des chevaux du centre), échange avec d’autres
patients en valorisant l’activité et sa participation en son sein.

Z Marius
Marius, âgé de 50 ans, souffre de troubles épileptiformes apparus
dès l’enfance. Il a été adressé à l’hôpital pour troubles caractériels en
famille à l’âge de 21 ans. Il a travaillé 10 ans en CAT d’horticulture
puis a de nouveau été hospitalisé suite à un passage à l’acte hétéro-
agressif envers une éducatrice du foyer dans lequel il vivait. Il ne peut
plus y retourner. Cette prise en charge, qui se déroule depuis 19 ans, a
été émaillée de tentatives de réinsertions plus ou moins durables qui se
solderont toutes par des réhospitalisations du fait de troubles du
comportement à type de kleptomanie et d’hétéro-agressivité dans des
moments d’angoisse. Au quotidien, Marius est courtois, jamais avare
d’une bonne parole. Il est souvent pris dans un monologue intérieur ou
une soliloquie qui le rendent parfois inaccessible à l’autre. Tout chan-
gement dans son cadre de vie engendre de l’angoisse qu’il régule plus
ou moins bien par des rituels (vérification incessante de l’heure par
exemple). Il bénéficie depuis presque deux ans d’un accueil en foyer de
jour ; il y est accueilli maintenant à raison de quatre demi-journées par
38
LES MÉDIATIONS

semaine afin de le préparer à une éventuelle admission en foyer de vie.


C’est dans cette perspective et pour compléter ce dispositif de prise en
charge que sa participation au groupe cheval lui a été proposée.
Dès les premières séances, Marius est très préoccupé par la saleté
du cheval et des autres animaux du centre. Il se positionne souvent en
observateur plutôt qu’acteur du groupe. Plusieurs séances d’observa-
tion lui ont été nécessaires avant qu’il n’accepte de monter à cheval.
Par moments, il s’isole du groupe soit physiquement en s’éloignant,
soit psychiquement par un mutisme ou un monologue qui peut le
rendre inaccessible voire agressif si l’on tente de le « ramener » dans la
séance. Ces moments semblent être assez en résonance avec des
tensions ou contrariétés vécues en famille ou dans le service.
Chaque geste lors du pansage ou de l’harnachement semble lui
demander une préparation mentale accompagnée d’une répétition
verbale et gestuelle ininterrompue jusqu’à la fin de l’action. À cheval,
il ne semble préoccupé que par le temps et ne fait que regarder sa
montre pour ponctuer la séance des minutes qui s’égrènent, toujours
dans un monologue quasi-incessant afin de nous signifier la fin de
celle-ci. Sa tenue à cheval dénote d’une négation du corps au profit de
cette obnubilation au sujet du temps ; Marius présente une absence de
tonus musculaire dont il n’a pas conscience, risquant de tomber à tout
moment. Il n’est capable de réajuster sa posture que lorsqu’on le lui
fait remarquer. Il nous faut alors désigner chaque geste à accomplir
pour corriger sa posture. Au bout de 6 mois de participation, Marius a
acquis une meilleure conscience de son corps qui se traduit par une
bonne tenue à cheval, un réajustement spontané de sa position. Il a
commencé à prendre conscience, également, que des outils (rênes,
jambes…) sont à sa disposition pour lui permettre de communiquer
avec le cheval, de ce fait, il devient actif sur celui-ci.
En parallèle à cela, Marius est demandeur de plus d’autonomie
dans le déroulement de sa séance. Il tient à retrouver seul les gestes
adéquats pour s’occuper du cheval. Nous avons constaté une diminu-
tion des répétitions verbales et gestuelles préalables aux gestes. Il
verbalise lui-même son désir de progresser et son plaisir dans cette
activité ainsi qu’une fierté à constater sa capacité à monter et à interagir
avec le cheval. Lorsque la séance est terminée et qu’il a fait le constat
de ces points positifs, sa première réaction est de les retransmettre à
son frère. Il nous demande également d’appuyer ses dires auprès de
celui-ci. C’est sur cette fierté que nous nous fondons pour relancer la
dynamique lorsque Marius est plus en retrait lors d’une séance en lui
faisant se remémorer le plaisir ressenti.
39
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Cette année, Marius n’a pas repris l’activité cheval, celle-ci se


déroulant maintenant sur une demi-journée passée au foyer de jour. Il
ne semble pas se préoccuper de ce qui se déroule en son absence,
n’interpelle pas les soignants.

Conclusion
Par son objet, cette activité a une valeur de renarcissisation que les
patients trouvent dans le regard et les paroles de chacun, auprès des
autres patients dans le partage d’une même situation, auprès des
soignants dans la valorisation de leurs capacités personnelles et auprès
de la monitrice du centre équestre dans la valorisation de leur savoir-
faire auprès du cheval.
Cette activité avec le cheval nécessite un investissement important
du corps. La non-parole du cheval permet le renvoi d’un message
déchiffrable par le patient dans sa sensorialité. Les conflits psychiques,
les troubles de la personnalité viennent perturber la relation que le sujet
a de son propre corps et d’autrui. Ces perturbations se traduisent par
différents troubles : psychomoteurs, somatisations, idées délirantes…
Dans la majorité des cas l’image du corps est affectée. La restauration
et la formation d’une meilleure intégrité du corps permet d’accéder à la
notion de l’identité et de l’entité.
À travers l’activité cheval les patients ont la possibilité d’enrichir
leurs sensations et leurs perceptions, ce sont de nouvelles expériences
corporelles qui ont un sens et une valeur communicative avec cet autre
qu’est le cheval. C’est un support privilégié d’une circulation émotion-
nelle. Pour instaurer un cadre thérapeutique, il est essentiel que ces
sensations et émotions soient reprises et parlées afin que le patient
puisse les situer dans son histoire.

Z Bibliographie
D. ANZIEU, Le Moi-Peau, éd. Dunod, 1995.
I. AUBARD, « Mais en quoi le cheval peut devenir un médiateur
thérapeutique ? » http : //serpsy.org
J. C. BARREY, in Thérapie avec le cheval, sous la direction de R. de
Lubersac, éd. Fentac, 2000, p. 41.
Document de l’association TAC-IF, Thérapie avec le cheval en Ile
de France.
A. C. LEROUX, in Cheval, inadaptations et handicaps, sous la
direction de M. Jollinier, éd. Maloine, 2004.
40
Chapitre 5

Le jeu comme médiation


dans un groupe thérapeutique
d’enfants : « tu joues ou quoi ? »
I. POUJOL, infirmière de secteur psychiatrique
M. PEYRE-MALEWSKI, éducatrice spécialisée

L’activité de groupe dont nous allons parler se déroule dans un


secteur de psychiatrie infanto-juvénile et plus particulièrement dans
une structure extra-hospitalière, une consultation médico-psycholo-
gique où peuvent être reçus des enfants de 0 à 12 ans qui rencontrent
des difficultés dans leur vie familiale, sociale ou scolaire. Il peut s’agir
de troubles graves de la personnalité ou de difficultés de type névro-
tique altérant plus ou moins le cours du développement et l’insertion
sociale.
Dans la petite enfance (0 à 4 ans), les signes pouvant motiver une
consultation sont de plusieurs ordres. Il peut s’agir de manifestations
somatiques telles que : problèmes alimentaires, vomissements répétés,
difficultés d’endormissement, propreté non acquise, ou de difficultés
d’ordre psychologique comme la non-acquisition du langage ou bien
des troubles du comportement (agressivité ou trop grande passivité)…
Dans l’enfance (4 à 12 ans), on retrouve les troubles du langage, le
désinvestissement scolaire et/ou échec scolaire, les difficultés
d’apprentissage, les troubles du sommeil, troubles du comportement,
troubles relationnels, tous les signes pouvant entraver un bon dévelop-
pement de l’enfant.
Les parents sont reçus avec leur enfant dans un premier temps par un
des médecins pédo-psychiatres de l’équipe. Après un ou plusieurs entre-
tiens avec l’enfant et/ou ses parents, le médecin propose une orientation
vers d’autres spécialistes de la consultation. L’équipe est pluriprofes-
sionnelle et comprend médecins pédo-psychiatres, secrétaires,
assistante sociale, cadre infirmier, psychologues, orthophonistes, éduca-
41
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

teurs, infirmiers, psychomotriciens. Des bilans spécifiques peuvent


venir compléter le diagnostic du médecin et lors des réunions de
synthèse, des projets thérapeutiques différents sont définis pour chaque
patient.
Suivant les difficultés ou les troubles que rencontre l’enfant, il lui
sera proposé un travail en individuel (thérapie, rééducation psycho-
motrice, orthophonique) ou un travail au sein d’un petit groupe
thérapeutique. Le cadre de référence des groupes thérapeutiques est
d’inspiration psychanalytique. L’échange verbal est privilégié, l’enfant
associe librement et l’analyse des mouvements transférentiels ainsi que
la dynamique de groupe sont prises en compte.
L’objectif des groupes est d’amener les enfants à la symbolisation
donc au langage, à la place de l’expressivité agie et souvent violente.
Ces groupes thérapeutiques sont animés par un ou plusieurs soignants
de même formation (infirmière) ou de formation différente (éducatrice,
infirmière, psychomotricienne, psychologue…).
L’animation des groupes par un ou deux soignants est fonction d’un
projet thérapeutique pour chaque enfant.
Travailler à deux soignants offre un cadre contenant, apporte un
soutien réciproque lors des phases difficiles du groupe et permet aussi
la relance des processus de pensée quand ceux-ci sont particulièrement
attaqués, notamment avec des enfants présentant des troubles graves de
la personnalité.
Cette notion de « couple thérapeutique » permet que l’un comme
l’autre puissent relever, suivant les cas, les moments ou les lieux de
projection, aussi bien de l’image maternelle que de l’image paternelle.
Le travail avec deux soignants de formation différente est aussi enri-
chissant, il apporte une dynamique différente au groupe, une
disponibilité plus riche aux enfants et peut parfois permettre une écoute
individuelle. Cela permet après-coup l’élaboration commune d’une
réflexion clinique et théorique, en s’appuyant sur les expériences et les
formations de chacun.
Différentes médiations peuvent être utilisées dans les groupes
thérapeutiques : la peinture, les contes… ainsi que le jeu, médiation qui
est la nôtre dans le travail que nous souhaitons présenter.

L’importance du jeu
dans la vie de l’enfant
Le jeu est au premier plan dans la vie de l’enfant dont il favorise le
développement et la socialisation.
42
LES MÉDIATIONS

Si Montaigne écrivait déjà à son époque que le jeu devrait être


considéré comme l’activité la plus sérieuse des enfants, celui-ci n’a
pourtant pris toute son importance que très tardivement, grâce à
Sigmund Freud et ses disciples.
Freud fut le premier à voir le jeu comme un outil thérapeutique,
suivi par les premières psychanalystes d’enfants, Hermine Von Hug-
Hellmuth et Mélanie Klein qui firent du jeu de l’enfant un élément
essentiel en le considérant comme l’équivalent de l’association libre de
l’adulte. Mélanie Klein a beaucoup insisté sur l’importance de laisser
libre cours au développement des associations ludiques de l’enfant,
espérant atteindre les racines du processus névrotique en interprétant le
transfert. « Devant les difficultés de la communication verbale,
Mélanie Klein chercha une voie par laquelle l’enfant puisse s’exprimer
et qui puisse se prêter à une interprétation analytique. Le jeu, en tant
qu’activité naturelle de l’enfant, lui parût le moyen idéal, d’autant que
c’est à travers le jeu, poursuivi en présence de l’analyste, que
s’exprime la vie fantasmatique » 39.
D. Winnicott définira le jeu « comme un phénomène transitionnel,
entre objectivité et subjectivité », en le reliant « au plaisir et la créati-
vité ». « Le fait que l’enfant soit capable de jouer revient ainsi à
questionner ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue » 40.
Winnicott fera une distinction entre le game (jeux de société ou
éducatifs à la fonction réglée et donc limitée) et le playing qui recouvre
l’activité même de jouer : un acte créateur.
Le jeu donc est l’activité fondamentale de l’enfant. Plusieurs
auteurs se sont intéressés aux différentes sortes de jeux et ont essayé de
proposer un classement comme Piaget qui a établi une classification en
trois stades : les jeux d’exercices, les jeux symboliques, les jeux à
règles (vers 5-6 ans).
Dès la naissance, le bébé explore son corps et celui de sa mère.
« Jeux de regards, jeux d’accompagnements sonores et de langage, les
premiers jeux sont d’incorporation orale » 41. On connaît l’intérêt du
nourrisson pour tout ce qu’il peut mettre à sa bouche ; sein ou biberon
d’abord puis tout ce qu’il trouve à portée de main. Le suçotement qui
satisfait d’abord un besoin physiologique procure au bébé un plaisir
auto-érotique qu’il n’a de cesse de renouveler. C’est le stade oral décrit

39. Victor Smirnoff, La psychanalyse de l’enfant, Puf, Paris, 1968, p. 212.


40. D. W. Winnicott, Jeu et réalité, Gallimard, Paris, 1975.
41. C. Anzieu-Premmereur, Le jeu dans la psychothérapie de l’enfant, Paris, Dunod,
2003, p. 41.

43
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

par S. Freud où le plaisir sexuel est lié à l’excitation de la cavité


buccale et à la succion. Lui succédera le stade anal, le stade phallique
et enfin le stade génital. Tous les moments de sensations de plaisir
(bain, toilette, bercement) sont liés à la présence de la mère, par la vue,
le son, le toucher. La mère devient un objet d’amour et peu à peu
l’enfant s’identifie à elle selon un premier mode de relation qui subsis-
tera d’ailleurs toute sa vie, alors même que d’autres apparaîtront.
L’enfant se développe incorporant mots, sons, images, sensations, dans
un échange de plus en plus partagé avec sa mère et son entourage.
Dans la deuxième année, l’enfant adore les jeux d’exploration
motrice, les jeux d’emboîtement, tout ce qui se construit, se vide, se
détruit, se superpose, se traîne, se remplit, signe de l’investissement de
la motricité et de l’analité.
Découvrant un monde inconnu qu’il ne comprend pas et sur lequel
il n’a aucun pouvoir, le jeu constitue pour l’enfant un moyen de repro-
duire une scène passée, de l’extérioriser et d’opérer une certaine
distanciation. C’est vers dix-huit mois quand le tout-petit commence à
pouvoir donner à l’objet une valeur de représentation qu’apparaissent
les jeux symboliques, moyens de prendre possession du monde, de se
l’approprier, de se familiariser avec lui.
Le symbole implique la représentation d’un objet absent par un
signe présent plus ou moins matériel. L’enfant accorde à celui-ci un
rôle déterminé ; il joue à monter à cheval, la chaise deviendra le cheval.
S. Freud en observant son petit-fils de dix-huit mois a décrit ce
moment où l’enfant tente de symboliser la présence-absence de sa
mère, à travers le jeu du Fort-Da ; Fort : « elle est partie » ; Da : « la
revoilà » ! Le petit garçon, seul dans son lit, envoyait une bobine atta-
chée par un long fil au bout de la pièce puis tirait de nouveau la bobine,
la faisant ainsi réapparaître. À travers cette expérience, l’enfant qui
était passif, à la merci de l’évènement, en répétant ce jeu, jouait alors
un rôle actif, se rendant maître de la situation. « L’enfant se comporte
de la même manière face à toutes les impressions qui lui sont pénibles
en les reproduisant dans le jeu : par cette façon, de la passivité à
l’activité, il cherche à maîtriser psychiquement ses impressions de
vie » 42. Avec l’exemple du jeu de la bobine, Freud a montré la valeur du
jeu symbolique avec une représentation de l’objet. Mais il est néces-
saire que la mère accepte ce substitut trouvé par l’enfant, qu’elle
accepte que l’enfant puisse se passer d’elle, l’autorisant ainsi à jouer.

42. S. Freud, Inhibition, symptôme, angoisse, Paris, PUF, 1993, p.79.

44
LES MÉDIATIONS

Les jeux de faire-semblant font appel à l’imagination de l’enfant, libè-


rent ses angoisses et lui apprennent le monde des adultes. Très tôt, l’enfant
imite les grandes personnes, d’abord les plus proches, pour élargir ensuite
son champ d’action. Ces jeux permettent aussi d’apprivoiser la réalité en la
reproduisant comme dans les jeux de docteur, les jeux de maîtresse
d’école. Mais il ne faut pas oublier la composante auto-érotique, l’orienta-
tion vers les plaisirs de l’oralité par exemple avec les jeux de dînette.
Puis, les garçons et les filles selon leurs mouvements identifica-
toires vont choisir des jeux plus différenciés. Les garçons investissent
les moteurs, voitures, trains, soldats et épées, objets phalliques, sources
de sentiment de puissance. Balles et billes permettent des jeux
d’échanges et la confrontation avec les premières règles du jeu. Les
filles vont prendre plaisir aux jeux rythmés de corde à sauter, d’élasti-
ques, et de balancements dans les rondes et les danses, sources de
sensations internes féminines. Elles jouent à la poupée, objet de scéna-
rios œdipiens ou bien d’identification maternelle.
L’entrée dans la période œdipienne est associée au « jeu pour de
faux » et son effet de merveilleux. Les relations amicales et sociales
enfin possibles, vers la troisième et la quatrième années, permettent les
jeux de groupe, les histoires inventées ensemble, les déguisements,
pièces de théâtre ou de marionnettes dans des scénarios et des créations
sans cesse recomposés.
Dans les jeux de socialisation, l’enfant apprend aussi à se soumettre
à des règles qui organisent sa relation aux autres, partenaires ou
adversaires.
Winnicott évoque le jeu comme étant « une expérience créative qui
s’inscrit dans le temps et dans l’espace et qui est intensément réelle
pour le patient » 43. Winnicott envisage le jeu comme pouvant être une
simple dramatisation du monde interne, procurant alors du plaisir,
expérience qui serait du côté de la « normalité ». Mais à l’autre extré-
mité, le jeu peut être un déni de l’existence du monde interne, il est
alors compulsif et excité, produit par l’angoisse ; il n’y a dans ce cas
pas de recherche de plaisir et pas de satisfaction possible. Le jeu, pour
Winnicott, est un signe de (bonne) santé chez l’enfant lorsque celui-ci
prend plaisir à jouer à la fois seul et avec d’autres enfants.
« Toute la valeur du jeu infantile comme médiation thérapeutique
va donc s’appuyer sur cette capacité à témoigner du monde interne de
l’enfant, par un étayage dans la réalité, et être l’expression d’un

43. D. W. Winnicott, « Jouer » et « L’activité créatrice et la quête du soi », in Jeu


et réalité, 1975, p. 76.

45
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

travail psychique apte, dans certaines conditions à produire du sens.


Parmi ces conditions, il revient au thérapeute de favoriser une sécurité
transférentielle suffisante pour rendre possible ce niveau de contact
avec l’enfant. Autrement dit, il ne s’agit pas seulement d’accompagner
le jeu mais de contribuer à sa création. Ce que souligne le concept de
Winnicott concernant la séance de jeu définie comme une rencontre qui
va du savoir jouer de l’analyste au pouvoir jouer de l’enfant. » 44

Le groupe thérapeutique
À la consultation, nous recevons des enfants qui souvent sont en
difficulté à être en relation avec les autres enfants, ce qui rejaillit sur
leur attitude vis-à-vis du jeu. Souvent ils ne savent pas jouer, parfois ils
s’oublient dans le jeu mais rarement ils sont en paix avec ce mode
d’expression.
Nous utilisons comme médiation le jeu, non pas pour nous inté-
resser à l’activité ludique en soi qui aurait une valeur pédagogique ou
d’apprentissage, mais à tout ce qui va se passer autour des jeux de
l’enfant, ce qu’il va manifester par ses jeux, ses dires ou son comporte-
ment, par sa relation aux autres enfants ou aux adultes, ce qu’il va jouer
de ses conflits internes, de ses difficultés et de ses symptômes. Ses
manifestations peuvent être questionnées par les autres enfants ou
soignants et des réponses diverses, des solutions nouvelles et insoup-
çonnées peuvent être mises en commun et partagées.

Le cadre
Z Lieu et matériel
Il est composé d’une vaste pièce occupée dans un de ses coins par
une structure en bois où les enfants peuvent monter par un escalier de
quelques marches et glisser sur des pans légèrement inclinés favorisant
les glissades et les jeux moteurs.
Nous avons aménagé un espace de regroupement autour d’une table
où la place de chacun est matérialisée même lorsque l’un des membres
du groupe est absent.
Nous avons laissé volontairement un grand espace libre au milieu,
occupé selon les jeux choisis.

44. L. Bouvet-Brusset, D. Chaulet, « Faire jeu de tout bois », Neuropsychiatrie de


l’enfance et de l’adolescence, 2004, vol. 52, n o 4, p. 230.

46
LES MÉDIATIONS

Nous avons choisi également de ne pas mettre à portée de vue les


différents jeux (ballons, jeux de société, jeux de construction) mais ils
sont à la disposition des enfants du groupe, selon les propositions qui
se dégagent des discussions.

Z Dispositif
Le groupe thérapeutique a lieu chaque semaine, à la même heure,
avec les mêmes soignants. Il dure 1 heure. Il s’agit ici d’un groupe
ouvert (possibilité d’arrivées et de départs d’enfants au cours de la
séance, durée non définie à l’avance). Nous insistons sur le cadre. Il est
en effet important de proposer aux enfants un cadre contenant. Pour ce
faire, il nous semble impératif que le groupe se déroule dans la même
pièce. L’enfant y trouvera progressivement ses repères et investira cet
espace à son rythme au fil des séances. Le facteur temps a également
son importance. Le groupe doit avoir lieu chaque semaine à la même
heure. Il suppose donc une régularité des enfants et des soignants. La
permanence des soignants est de toute importance, importance de la
continuité psychique, affective afin que les mouvements transférentiels
puissent se déployer en toute sécurité.
Les enfants connaissent les quelques règles énoncées au début de la
première séance de groupe. On s’écoute, on respecte l’autre, enfant ou
adulte, on ne fait pas mal à l’autre, on ne se fait pas mal à soi-même.
Ce sont des règles que nous avons établies et que les enfants respectent,
même si souvent il y a des transgressions. Les enfants savent que nous
interviendrons à chaque fois sur ces transgressions ou sur les difficultés
que l’enfant peut avoir face à ces règles. Nous sommes en quelque
sorte les garants du cadre que nous imposons, ce qui est rassurant pour
les enfants et ce qui leur permet de s’appuyer dessus pour s’affirmer et
se confronter aux autres. Nous devons en faisant respecter ses règles
amener l’enfant à être dans le « verbal » et non dans « l’agi ».

Z Déroulement des séances


Pendant les séances, après avoir accueilli les enfants dans la salle
d’attente, nous nous retrouvons tous ensemble autour de la table pour
nous donner des nouvelles sous la forme d’échanges spontanés. Ce
moment que nous qualifions de « retrouvailles » est un moment où le
groupe cimente son unité. Chaque enfant nous parle ou non de sa
semaine, de sa relation aux autres, de ses difficultés. Ensuite, nous
discutons ensemble du choix des jeux, pour la suite de la séance.
47
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Même s’il n’y a pas d’accord commun, nous n’imposons pas un jeu
particulier.
C’est ainsi que d’emblée, ces enfants qui sont en difficulté dans leur
relation aux autres ne se retrouvent pas naturellement pour jouer
ensemble. Notre propos n’est pas de les obliger à le faire mais de les
amener à partager ensemble une expérience de groupe dans laquelle
peu à peu ils pourront mettre à profit ce travail, en fonction de leurs
problématiques personnelles.
L’enfant va progressivement s’approprier ce lieu en tant qu’espace
mais également s’appuyer sur ses pairs et sur les thérapeutes pour
pouvoir surmonter ses propres difficultés.

Z Confidentialité et travail avec les familles


Les enfants savent que ce qui se « joue » et se dit pendant les
séances reste au sein du groupe. En effet, pour que l’enfant puisse faire
sienne cette expérience de groupe où il a la possibilité d’expérimenter
sa place de sujet, avec ses conflits, ses désirs, sa solitude aussi, il est
important que ce qui s’y passe appartienne à l’enfant. Cela laisse une
place entière à l’enfant et il sait que ses propos ne seront pas répétés à
ses parents. Libre à lui, après la séance, d’en dire quelque chose ou pas
à ses parents.
Lorsqu’une indication de groupe pour un enfant est envisagée, nous
rencontrons l’enfant et ses parents pour un premier contact et pour
évaluer le travail possible de l’enfant au sein du groupe. Tout au long
de l’année, nous sommes à la disposition de la famille qui si elle le
souhaite peut nous solliciter. Cependant, à chaque fin d’année scolaire,
nous rencontrons à nouveau l’enfant et sa famille pour évoquer ou non
la poursuite du travail.
Le travail avec les parents est mené parallèlement par un médecin
de l’équipe qui les reçoit régulièrement. En effet, le travail mené avec
l’enfant peut avoir des répercussions qui bouleversent le système fami-
lial qui a été inconsciemment mis en place. Ainsi, la famille trouve un
lieu où elle peut exprimer ses inquiétudes, ses questions, les régres-
sions possibles transitoires… Ceci lui permet d’être entendue et
soutenue. De plus, ce travail de consultation familiale permet de
préserver l’espace thérapeutique de l’enfant. Lorsque ce travail ne peut
se faire, il peut compromettre le suivi de l’enfant soit par des tentatives
d’envahissement des parents du suivi de l’enfant, soit par des ruptures
brutales de prises en charge.
48
LES MÉDIATIONS

Le groupe d’enfants
Z Luc
Luc a six ans lorsqu’il intègre le groupe. C’est un enfant, grand de
taille pour son âge, dont le visage un peu anxieux révèle un regard
sérieux.
Luc a consulté au CMP car sa maman s’inquiétait beaucoup des
coups qu’il recevait à l’école et du fait qu’il ne se défendait pas. « C’est
la tête de turc, il est couvert de bleus et de bosses. Dernièrement, dans
la cour de récréation des filles ont voulu l’étrangler avec une
écharpe ».
Le médecin référent de Luc nous a demandé de l’intégrer dans le
groupe afin de comprendre ce qui peut se passer pour lui, « quelle est
l’attitude de Luc pour susciter autant d’agressivité à son égard ? Pour-
quoi se laisse-t-il ainsi malmener ? ».
Nous avons rencontré Luc et ses parents. Sa maman le décrivait
comme très passif lors des conflits, subissant terriblement, pleurant
pour un oui et un non mais par ailleurs pouvant passer par des moments
d’agressivité en se disputant notamment avec sa sœur aînée. Luc est le
deuxième enfant et le seul garçon de la fratrie de 3 enfants.
Madame nous parle de sa propre enfance. Ses parents sont
d’origine étrangère et se sont séparés lorsqu’elle était âgée de douze
ans. Elle a vécu avec son père et sa belle-mère nous relatant des rela-
tions difficiles avec cette dernière qui les tapait, son frère et elle,
reprochant à son père, d’avoir laissé faire. « J’ai souvent été punie
injustement…».
Le papa de Luc se présente comme un monsieur timide, effacé, qui
travaille dans un commerce avec des horaires de travail importants. Il
nous raconte un épisode qui fut pour lui difficile à l’école. En effet,
alors qu’il se montrait toujours très timide, il s’est défendu un jour de
moqueries répétitives, en tapant violemment sur un autre enfant. Il
s’est fait par la suite traiter de « fou » et a été maintenu dans un certain
isolement, ce dont il a beaucoup souffert.
L’expression de l’agressivité et la gestion des conflits semblent
pour le moins constituer une question pour chacun des parents. Que
renvoie à madame la violence dont son fils est l’objet et sa passivité ?
À l’instar de son père, Luc craint-il en se défendant de passer pour
« fou » et de se faire rejeter ?
Pendant ce temps, Luc dessine : un petit bonhomme, plutôt
souriant mais suspendu dans l’air et entouré de drapeaux français, de
taille différente, neuf au total mais dont la particularité est d’être de
49
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

deux bleus différents ! À ces neuf drapeaux se rajoutent un tout petit


drapeau (un peu à l’image de son bonhomme dont on peut imaginer
qu’il s’agit d’une représentation de lui-même) qui n’a pas de
couleur ! À travers ce dessin, Luc questionne-t-il les pays d’origine
de ses parents, la différence de couleur de peau ? Ou questionne-t-il
l’histoire familiale ?
En effet, nous apprendrons alors que nous évoquions la grande
différence d’âge entre Luc et sa sœur aînée que cette dernière n’a pas
le même père. Le père de la sœur aînée de Luc ne donne plus de
nouvelles depuis longtemps ; « elle ne porte pas le même nom que
son frère et sa petite sœur mais ils ne sont pas au courant » dit sa
maman alors que Luc, impassible, continue tranquillement à
dessiner !
Nous expliquons aux parents le fonctionnement du groupe et le
travail que nous faisons au sein de celui-ci.
Luc intègrera le groupe la semaine suivante. Il ne sera pas le seul
« nouveau », Victor commence aussi le groupe.

Z Victor
Lorsque ses parents prennent rendez-vous à la consultation, Victor
est un petit garçon de quatre ans et demi qui présente des difficultés
relationnelles intra et extra familiales. Très agité et très opposant, il se
trouve en conflit avec les adultes et les autres enfants de son âge. De ce
fait et malgré sa vive intelligence, il a une mauvaise adaptation scolaire
marquée par l’opposition et le manque de limites.
Victor est l’enfant d’un couple qui rencontre de grandes difficultés
conjugales, difficultés anciennes, préexistantes à la naissance de ce
dernier. Les parents de Victor nous semblent déprimés. Le papa a une
activité libérale dans laquelle il ne semble pas s’épanouir. Il semble
s’isoler à la maison en jouant beaucoup sur l’ordinateur.
La maman a également une activité professionnelle ainsi que de
multiples activités à l’extérieur le soir assez tardivement. Les grands-
parents maternels se sont séparés, de façon extrêmement conflictuelle
quand elle était adolescente et elle n’a revu son père que quelques fois,
une vingtaine d’années après. Les enfants ne connaissent pas leur
grand-père maternel. Elle raconte cela en mettant très à distance ses
affects mais sa colère et sa déception à l’égard de son propre père est
bien perceptible.
Victor est un petit garçon, dont le visage sérieux est souvent
marqué par des expressions boudeuses ou mécontentes mais pouvant
50
LES MÉDIATIONS

être aussi très séductrices, notamment à l’égard de sa mère. Il nous


semble lui aussi déprimé.

Z Antonin
Antonin a consulté alors qu’il était âgé de quatre ans et demi à la fin
de sa petite section de maternelle. L’institutrice avait alarmé les parents
parce qu’il présentait alors un problème de langage, était très en retrait
en classe, refusant de participer aux activités et ne restant pas une
minute en place. Antonin, jumeau d’un autre garçon, était dans la
même classe que son frère, lequel faisait la fierté de sa maîtresse.
L’histoire d’Antonin a été marquée par une dépression importante
de sa maman qui décrit une grande difficulté à investir ses bébés et plus
encore pour Antonin qui était « tranquille et gentil ».
Le trouble précoce relationnel mère-enfant persistait à l’époque de
la première consultation et inquiétait beaucoup la maman d’Antonin.
Il nous apparaissait qu’Antonin, contrairement aux apparences,
était le jumeau dominant par son opposition (parler sans être compris
avec la capacité parfois d’être compréhensible), sa non soumission aux
consignes, sa capacité de faire comme s’il n’entendait pas d’où
l’impression qu’il donnait d’être « dans sa bulle ».
Une prise en charge en groupe thérapeutique a donc été décidée,
prise en charge au cours de laquelle la première année, il y a eu
d’immenses changements pour Antonin, d’abord dans la relation avec
sa mère mais aussi du point de vue du langage, de l’investissement des
apprentissages, des relations avec les autres enfants, de son opposition
qu’il pût commencer à exprimer. Cependant, il était nécessaire de pour-
suivre ce travail.

Z François
François était âgé de quatre ans lors de la première consultation,
adressé par l’école pour son « comportement agressif et violent » mais
il était aussi présenté comme ayant du mal à contrôler ses émotions,
timide et très sensible aux séparations. Les parents de François sont
d’origine étrangère, le père est d’abord venu en France pour un travail
puis sa femme l’a rejoint. Le papa de François est issu d’une famille
dans laquelle il y a eu manifestement beaucoup de séparations. Il ne
veut pas trop évoquer son histoire, sûrement difficile.
François est né en France ainsi que son petit frère. À l’époque de la
première consultation, il existe de gros conflits conjugaux. Le père a
des difficultés pour trouver un emploi fixe et repart régulièrement dans
51
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

son pays d’origine pour des périodes indéterminées à l’avance. Les


enfants n’ont jamais été dans le pays d’origine des parents. La maman
a entamé une formation d’un haut niveau d’étude, elle travaille énor-
mément, voyant peu ses enfants et manifeste à leur égard d’aussi
grandes exigences que pour elle-même. Il lui est difficile d’identifier la
tristesse de François de ne pas voir son père régulièrement et sa sensi-
bilité aux séparations.

Déroulement du groupe
Lorsque le groupe reprend en septembre, les retrouvailles se font
pour certains dès l’entrée dans la salle d’attente. Il y a une certaine
excitation de la part des enfants, notamment ceux qui se connaissent
pour avoir fait ce travail auparavant et une appréhension pour ceux qui
le commencent.
Pour Antonin et François, c’est une poursuite après une interruption
pendant les vacances scolaires d’été, ils sont contents de se retrouver
mais observent discrètement Luc, le nouveau !
En effet, l’arrivée ou le départ d’un enfant dans un groupe suscite
toujours beaucoup de réactions. Questionnements de chacun quant à la
place qu’il occupe, à la place que « l’autre » va occuper, inquiétudes
légitimes qui rappellent les bouleversements provoqués par une
nouvelle naissance dans une famille, le départ d’un aîné, etc.
Dans la salle d’attente, Luc est assis aux côtés de sa mère. Il regarde
du coin de l’œil ce qui se passe autour de lui. Antonin est près du tableau
noir. Son frère jumeau est avec lui. Ce dernier aimerait bien suivre son
frère dans la salle « pour jouer » avec lui. François, accompagné de sa
grand-mère maternelle, joue avec son petit frère. Il manque Victor.
« C’est l’heure, on commence ». Après avoir salué les mères ou les
grands-parents qui accompagnent les enfants, et après avoir pris quel-
ques nouvelles de la rentrée, nous nous avançons vers la porte du
jardin. François se précipite vers cette porte. Il se colle à celle-ci et
attend qu’on l’autorise à l’ouvrir pour traverser le jardin. La maman de
Luc prend à part une soignante. « Je voulais vous dire que la rentrée
s’est bien passée. La veille on est allé avec Luc voir la composition de
sa classe et on a vu qu’il était dans la même classe que « les filles ».
J’ai demandé au directeur, en lui expliquant ce qui s’était passé l’an
dernier, que Luc soit changé de classe, et le jour de la rentrée il a
intégré l’autre CP ». Luc est collé à sa mère. « Tu es content de ce
changement ? » Luc tout intimidé « Oui… »
Au moment où nous ouvrons la porte, Victor arrive en retard
accompagné de son papa. Nous ne prenons que quelques minutes pour
52
LES MÉDIATIONS

parler au père et nous invitons Victor à venir avec nous. Il est moins
inquiet que Luc parce qu’il connaît l’une d’entre nous qui l’a reçu
quelques fois l’an passé pour l’évaluation et la préparation à l’intégra-
tion dans le groupe. Nous ouvrons la porte ; François, Antonin et Victor
se précipitent sur le toboggan en bois situé dans la pièce. Luc nous aide
à installer les chaises autour de la table alors que les autres enfants
s’activent joyeusement en sautant sur le toboggan. Lorsque nous
demandons aux enfants de venir s’asseoir autour de la table pour se
donner mutuellement des nouvelles, Luc est le premier assis, specta-
teur des autres enfants qui ont déjà organisé un jeu autour du toboggan.
« Ils ne viennent pas s’asseoir, moi je suis assis ». Les autres enfants
arrivent, après maintes sollicitations, et nous nous retrouvons tous
autour de la table. Antonin s’empresse de prendre la parole.
Antonin a toujours beaucoup de choses à raconter, ses vacances,
son frère, l’école, etc. Il monopolise la parole provoquant un léger
agacement chez les autres garçons. Des soupirs, des sourires voire des
rires emplissent la pièce laissant imperturbable Antonin qui continue
son récit. Nous intervenons pour que la parole circule. « Nous allons
écouter ce que les autres enfants ont à nous dire… », « Oui, mais je
n’ai pas fini », « Peut-être mais il est important d’écouter aussi ce que
François, Victor et Luc ont à raconter ». François prend la parole et
raconte ses vacances avec son papa puis sa rentrée au CP. Antonin ne
supporte pas que l’attention se porte sur les autres. Il quitte la table et
se dirige vers le toboggan. Il accepte de revenir autour de la table après
plusieurs sollicitations.
Les règles telles que respecter la parole de l’autre, écouter ce que
l’autre a à raconter sont pour Antonin, les plus difficiles à respecter.
C’est une façon d’occuper tout l’espace, de capter toute notre attention,
quelque chose qui a sûrement à voir avec sa mère qu’il a dû partager
avec son jumeau. Nous pensons aussi au comportement du tout petit,
dans la toute puissance. « Le groupe thérapeutique va permettre l’expé-
rimentation du passage de l’omnipotence à l’illusion, en donnant la
possibilité de la symboliser et en permettant progressivement, la mise
en place d’une enveloppe collective. Sa fonction limitante, mais aussi
d’échangeur entre le dedans et le dehors, aménagera une véritable aire
transitionnelle, où pourra s’élaborer une activité groupale de
pensée. » 45

45. P. Privat, Les psychothérapies de groupe, Dunod, Paris, 1989, p. 47.

53
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Pour autant, ce n’est pas du tout un enfant insensible aux autres.


Mais à l’école, son refus des contraintes le met en difficulté dans
l’abord des apprentissages. En effet, penser suppose la capacité de se
donner des limites et certaines difficultés rencontrées à ce niveau
peuvent être liées à une certaine incapacité à supporter des contraintes.
Renoncer à son omnipotence en intériorisant des limites est à l’origine
de tout travail de pensée.
François finit son histoire. Victor n’a pas de nouvelles à donner ! Il
observe, fait des commentaires sur ce que les autres enfants ont à dire,
leur pose des questions. Quant à Luc il ne répond que par oui ou non à
nos sollicitations.
Après ce temps d’échange, les enfants sont très impatients de jouer.
Nous leur proposons de discuter ensemble de ce qu’ils aimeraient faire
pendant cette séance. François propose un jeu de ballon, un foot. Victor
adhère à cette proposition. Antonin est déjà reparti s’isoler vers le
toboggan. Il attrape des briques de mousse qu’il installe au pied du
toboggan. Son idée est de construire un mur. Il installe les briques
méthodiquement les unes sur les autres. Quant à Luc il préfère rester
près de l’adulte et demande à dessiner. Victor et François s’aident de
deux chauffeuses pour délimiter les buts. François est dans les buts.
« Je suis goal et toi t’essayes de marquer des buts ». Cela semble
convenir à Victor. Luc commence à dessiner des drapeaux bleu, blanc,
rouge. « Ils représentent quoi ces drapeaux ? » « C’est le drapeau
français ». Il continue de dessiner plusieurs drapeaux sans perdre une
miette de ce qui se passe autour de lui. Il s’arrête pour observer Victor
et François se chamailler sur un but marqué ou pas. « Y’a but » dit
Victor, « Non y’a poteau ». Le ton monte entre les deux garçons. Fran-
çois ne semble pas vouloir « lâcher » sa place de goal. Nous
intervenons pour mieux délimiter les buts qui semblent se rétrécir
suivant la volonté de François. Une demande est faite par Victor pour
qu’un adulte arbitre le jeu et fasse respecter les règles définies par les
deux garçons. Il s’avère très vite que François modifie les mesures du
but selon s’il est le goal ou le tireur. Le ballon est lancé avec beaucoup
plus de force et va un peu partout dans la pièce. Antonin qui continue
de construire son mur se met à crier sur François et Victor « Attention à
mon mur ! » et se met devant ce mur comme pour le protéger. Cela
amuse beaucoup François et Victor qui très vite vont tout faire pour
détruire ce mur. Antonin se met en colère mais il peut maintenant
l’exprimer avec force voix ! L’une d’entre nous propose comme hypo-
thèse à Antonin qu’ils ont sûrement envie de jouer avec lui « Tu ne
veux pas jouer au ballon avec eux ? » ce qui a pour effet de surprendre
54
LES MÉDIATIONS

Antonin qui peut alors dire « Non, non mais ils peuvent faire le mur
avec moi ». Tous les trois se précipitent alors sur le toboggan et glissent
sur celui-ci pour détruire le mur. Pendant qu’Antonin ensuite recom-
mence à construire le mur de briques, les deux garçons sont remontés
en haut du toboggan, prêts à le détruire, sans se soucier le moins du
monde des appels d’aide d’Antonin.
Nous tentons de susciter chez les enfants des représentations
concernant ce jeu ou de leur présenter des hypothèses. « Il y a eu un
tremblement de terre ? Les maisons sont détruites ? »
Parfois les briques de mousse délimitent des espaces (maison de
chacun, château fort du groupe), deviennent des skis ou des planches
de surf, un immense skate sur lequel les enfants descendent en une
joyeuse mêlée, des mitrailleuses contre les ennemis, etc.
Quand le jeu laisse éclater l’émergence pulsionnelle sans la lier, il
n’y a plus de pensée. L’intervention de l’adulte, en offrant une repré-
sentation, permet au jeu de retrouver une valeur de pare-excitation. Les
interventions des thérapeutes n’ont pas pour objet de supprimer l’exci-
tation mais de la rendre utilisable en favorisant l’expression créative et
partant l’accès à la symbolisation.
C’est la fin de la séance. À cette annonce Antonin se précipite à la
suite de François et de Victor sur le toboggan pour glisser. François et
Victor se précipitent dans les briques et les lancent en l’air. Luc termine
son dessin à notre demande car il est temps de ranger la salle.
Victor et François ne participent pas au rangement malgré nos
demandes réitérées. Antonin range les briques en regardant d’un œil
amusé Victor et François s’exciter sur le toboggan.
Les fins de séance, annonces de la séparation provoquent toujours
chez les enfants (et particulièrement pour certains d’entre eux en fonc-
tion de leur histoire) beaucoup d’excitation, des marques d’opposition,
des refus de quitter le jeu, de ranger, de remettre leurs manteaux.
L’excitation s’apaise lorsque nous convenons avec eux qu’il est diffi-
cile d’arrêter de jouer, mais surtout de se séparer, que nous nous
retrouverons tous ensemble la semaine prochaine, bref quand nous les
rassurons sur la permanence physique et affective de chacun d’entre
nous.
Enfin nous réussissons à quitter la salle. François retrouve sa grand-
mère maternelle et son petit frère. Elle s’empresse d’essuyer le front
dégoulinant de sueur de son petit-fils qui la repousse. Cette dame non-
francophone nous sourit et serre nos mains entre ses deux mains
comme pour nous remercier. Antonin va retrouver sa mère et son frère
jumeau. La maman tente de nous parler mais déjà Antonin la tire par le
55
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

bras l’invitant à partir. Manifestement Antonin n’a pas envie que sa


maman nous parle. Luc va se coller à sa mère qui reste debout dans la
salle d’attente cherchant à attirer notre attention. Nous disons au revoir
à Luc et sa maman s’empresse de nous demander « Alors comment ça
c’est passé ? », « Qu’est-ce qu’ils ont fait ? »… Nous la rassurons, car
elle laisse pointer une certaine inquiétude dans ses propos, sans pour
autant dévoiler le contenu de la séance, moment qui appartient à
chaque enfant. Victor, quant à lui attend que l’un de ses parents vienne
le chercher. Il ne sait pas si c’est sa mère ou son père. Sa maman arrive
un quart d’heure plus tard sans pour autant s’excuser de son retard.
Nous lui rappelons les horaires du groupe et insistons sur l’importance
d’arriver à l’heure et d’être là pour la fin du groupe. C’est rassurant
pour l’enfant de commencer tous ensemble les séances et surtout de ne
pas attendre ensuite. « Je n’ai jamais de montre, il le sait Victor ».
Les séances suivantes se déroulent sur le même mode, à savoir Luc
qui dès son entrée dans la salle va s’asseoir, écoute ce que les autres
enfants expriment sans pour autant prendre part à la conversation. On
ne peut pas dire qu’il soit « absent », il attend. Il observe beaucoup ce
qui se passe mais refuse de participer aux jeux proposés par les autres.
Il se réfugie dans son activité dessin, dessin qu’il termine ou pas et/ou
qu’il reprend. Les productions de chaque enfant (dessins, pliages,
découpages, constructions en papier) sont conservées dans la pièce, ce
qui permet à l’enfant de pouvoir les retrouver. Luc dessine toujours les
mêmes choses : des drapeaux bleu blanc rouge, de temps en temps il
dessine un bonhomme, il raconte peu sur ses dessins.
Antonin, quant à lui, continue de s’isoler dans ses jeux. Il construit
son mur et passe une bonne partie du temps à le protéger des attaques
de François et de Victor qui eux depuis la première séance restent sur la
même activité, les jeux de ballon. Une certaine complicité se fait entre
les deux garçons aussi bien dans les jeux que dans les échanges
verbaux. Ils se liguent contre Antonin lorsque celui-ci prend la parole
et interviennent sur le même mode vis-à-vis de l’adulte.

Z Le jeu de basket
Et pourtant le groupe change doucement. Luc lâche le crayon pour
observer les jeux de François et de Victor. Il semble moins « méfiant ».
Antonin se « plante » devant son mur et regarde également les deux
garçons avec un sourire sur le visage. Il semble moins inquiet quand le
ballon arrive dans sa direction et le renvoie très vite.
Au bout de quelques séances, Luc s’autorise à jouer. La séance a
commencé sur les nouvelles que l’on se donne. Luc ne répond que sur
56
LES MÉDIATIONS

sollicitation et toujours par l’affirmative ou la négative. Ce jour-là,


François propose de jouer au basket. Nous installons le panier à son
emplacement, près du toboggan. Antonin tique un peu… Cela se
rapproche fortement de son mur. Luc demande à dessiner puis très vite
nous demande « Madame, je peux jouer avec eux ? ». Le jeu
s’organise : celui qui a le ballon va marquer un panier, le ballon allant
ensuite au plus rapide des garçons. François et Victor se débrouillent
très bien. Luc se colle au mur à côté du panier. Il essaye désespérément
d’attraper le ballon mais François et Victor sont plus rapides ou plutôt
mieux positionnés pour l’attraper. Luc ne décolle pas du mur. Le mur
semble le protéger. Il bouge peu et se protège en mettant ses bras
devant son corps lorsqu’un autre enfant va vers lui à la conquête du
ballon. Antonin observe le jeu, amusé. Il en a oublié de finir de cons-
truire son mur. Il est perché sur le toboggan suivant de près le ballon.
Peut-être qu’il va pouvoir lui aussi l’attraper ? Le ballon arrive sur lui.
Antonin s’en empare prestement et le garde avec lui tout excité d’avoir
enfin pu l’attraper. Nous l’invitons à le lancer vers le panier, ce qu’il
fait avec un réel plaisir. Luc l’attrape et essaye de marquer tout en
restant collé au mur.
Un vrai jeu collectif s’est installé.

Z Le jeu de foot
La semaine suivante, Luc demande à jouer au foot. Antonin est de
nouveau sur le toboggan, avec une brique à la main. François pousse
les deux chauffeuses de la pièce pour délimiter les buts et va spontané-
ment dans les buts. Victor attrape le ballon et le jeu des tirs au but
commence. Luc se colle à la porte face aux buts. Quand le ballon
arrive sur lui il le renvoie rapidement, évitant ainsi tout contact avec
un autre enfant venant lui aussi chercher le ballon. Victor marque un
but et pousse un grand cri de satisfaction. « Non y’a pas but ! » Fran-
çois n’est pas content. Il cherche appui auprès d’un adulte qui fera
l’arbitre. Victor accepte et le jeu peut reprendre. Luc reste près de la
porte. Victor marque à nouveau un but. François conteste mais le
soignant-arbitre valide le but « C’est pas du jeu ! », « Y’a poteau ! »
Nous matérialisons un peu mieux les buts, ce que François accepte et
c’est à son tour de tirer, Victor étant dans les buts. François tire mala-
droitement ce qui l’énerve. Il n’arrive pas à marquer et son visage se
crispe. Il y a de plus en plus de colère dans ses propos. Luc se fait
oublier. Il semble à nouveau plus inquiet. Le ballon arrive sur lui mais
déjà François l’attrape par le tee-shirt pour éviter qu’il le prenne. Il
faut qu’il marque un but ! « Madame, il m’a poussé ». Nous lui suggé-
57
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

rons de s’adresser à François qui déjà s’offusque « C’est pas vrai ! »,


« Madame, il a tiré sur mon tee-shirt ! ». François s’énerve de plus en
plus sur le ballon. Est-ce les propos de Luc qui l’agacent ou le fait
qu’il ne marque pas de but, ou peut-être les deux ? Pour François,
gagner c’est important, tout comme arriver le premier dans la salle…
Il tire violemment en direction du but. Victor, devant la force de
frappe, ne cherche pas à arrêter la balle. François est heureux, il vient
de marquer un but ! mais avec une telle rage, à la limite de l’agressi-
vité. Nous reprenons cela avec François car Luc et Victor ont été très
surpris de la violence de son jeu. François ne comprend pas « Qu’est-
ce que j’ai fait ? », « J’ai rien fait », « J’ai marqué un but c’est tout ».
Il ne comprend réellement pas, il n’a pas vu toute cette agressivité. Il
est épuisé.
François a gagné mais il a déployé une énergie considérable et il est
en nage. Quand il perd ou qu’il craint d’échouer, François crie « C’est
pas du jeu ! » et on le sent complètement en perdition. Dans cette façon
particulière qu’il a de s’engager dans les jeux, quel est l’enjeu pour
François ? Nous nous interrogeons sur l’origine de cette très grande
tension qu’il manifeste dans ses jeux. Ne veut-il pas être toujours le
premier pour séduire sa mère ? François n’est-il pas en difficulté pour
s’identifier à son père ? Pour exister aux yeux de sa mère, François ne
doit-il pas gagner à tout prix ?
Pour les séances suivantes, une activité autour du ballon est
d’emblée retenue par tous les enfants. Antonin nous surprend à y parti-
ciper « Moi aussi je veux jouer au ballon ». Le jeu de tirs au but se
transforme en une partie de foot mais où il n’y a qu’un gardien. Celui
qui marque prend la place de goal. François va dans les buts sans
laisser le choix aux autres enfants. Luc est de plus en plus à l’aise dans
les jeux collectifs. Au fil des séances il s’est « décollé » du mur ou de la
porte utilisant tout l’espace que la pièce peut offrir. Il va chercher le
ballon et ne semble plus effrayé par un éventuel contact physique avec
l’adversaire. Il provoque même ce contact en bousculant Victor par
derrière, ce dernier a du mal à maîtriser son langage envers Luc « Tu ne
me pousses pas » tout en s’avançant menaçant vers lui. « J’ai rien
fait ». Un soignant s’interpose entre les deux garçons pour reprendre
les règles de groupe. Antonin est très excité par ce jeu et dans son exci-
tation il en oublie les règles du foot. Très vite, à vouloir garder le
ballon, comme il peut garder la parole, il bouscule ses adversaires. À
vouloir protéger ce ballon, comme il protège « son mur », pour qu’il ne
tombe pas entre les pieds de ses camarades, il confond football et
rugby ! L’excitation laisse place à de l’agressivité, agressivité qui
58
LES MÉDIATIONS

semble l’inquiéter. Il bégaie, crie, ne s’occupe plus du ballon mais des


autres enfants qui l’entourent. Il bouscule un peu tout le monde et nous
devons interrompre le jeu pour le calmer. Est-ce cette agressivité qui
l’effraie lorsqu’il s’isole du groupe ? Les rivalités en jeu lui rappellent-
elles la rivalité fraternelle ?

Z Les jeux de société


Au fil des semaines, le groupe est bien soudé. Les enfants se
mettent d’accord ensemble sur un jeu qu’ils désirent faire et arrivent à
instaurer des jeux collectifs en établissant leurs propres règles.
C’est ainsi qu’à une séance, ils vont proposer un jeu de société. Ils
choisissent un jeu qui consiste à installer un circuit de voiture et à
faire avancer des pions représentant les voitures de courses à l’aide de
pichenettes. Ce jeu se joue sur trois tours de circuit. François veut
jouer le premier, Victor le deuxième, Luc le troisième et enfin
Antonin. À notre surprise, aucun enfant ne s’est disputé la première
place. François fait avancer son pion. Il n’est pas content de lui et
demande à recommencer. Nous lui expliquons que ce n’est pas très
important, nous sommes au début du jeu… puis les autres enfants
jouent. Luc prend la première place. Antonin se place derrière Fran-
çois mais ne semble pas affecté par cette dernière position. Victor est
deuxième. Luc est très content « Je suis premier ». Victor le calme très
vite « C’est le premier coup, ça veut rien dire… » C’est à nouveau au
tour de François de faire avancer son pion. Il a le visage fermé. Il ne
supporte pas la réflexion de Luc : « Attends je joue et tu ne seras plus
premier ». Il fait avancer son pion avec une telle rage que ce dernier
sort du circuit. La règle veut que lorsque le pion sort du circuit le
joueur doit le remettre à sa position d’origine. François ne supporte
pas. Il quitte le jeu et part s’asseoir plus loin sur une chauffeuse en
croisant les bras et baissant la tête « C’est pas du jeu ! ». Nous l’invi-
tons à revenir dans le groupe pour continuer la partie. « Ça arrive
quelquefois de rater. Est-ce vraiment important de ne pas réussir ? »
François se bouche les oreilles et s’effondre en larmes. Il ne veut pas
revenir jouer, il souhaite recommencer la partie. Les autres enfants ne
sont pas d’accord. Antonin lui rappelle qu’il n’est pas le dernier
puisque c’est lui ! L’une d’entre nous va tenter de le calmer mais plus
on lui parle plus il couvre nos voix de ses pleurs. C’est une grande
blessure narcissique. Il n’a pas la possibilité de changer les règles et
semble démuni face à son « échec ».
Les autres garçons s’impatientent en soupirant fortement « Tu
joues ou quoi ! ». Luc fait allusion au temps qu’il reste « On n’aura
59
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

pas le temps de finir la partie ! », « Je m’en fous, c’est nul comme


jeu ! ». Luc propose de continuer de jouer sans lui. Victor est
d’accord. Il nous semble important de tout faire pour que François
reprenne la partie et de ne pas le laisser avec cette tristesse et cet
« échec ». François se calme peu à peu. Il veut bien revenir jouer si on
recommence la partie. Nous lui proposons de continuer sur celle-ci et
qu’ensuite ils pourront ou non refaire une autre partie s’ils le désirent.
Finalement, François revient dans le groupe en essuyant ses larmes et
reprend la partie…

Ainsi, à travers ces quelques séances de groupe esquissées ici, nous


avons pu percevoir comment le groupe s’est peu à peu constitué,
modifié, les échanges et les jeux se sont enrichis, les places de chacun
ont évolué… Elles nous ont aussi permis de mieux comprendre les
problématiques des enfants et leurs enjeux.

Qu’en est-il de ces « en-jeux » pour les enfants


du groupe ?
Z Luc
Luc est venu à la consultation parce qu’il se faisait agresser et il
nous semblait être dans une « position masochiste » 46.
Nous avons vu que Luc, lorsqu’il a intégré le groupe se montrait au
début extrêmement « méfiant », s’exprimant peu, plutôt sur sollicita-
tions. Au début, il ne voulait pas participer aux jeux proposés par les
autres enfants, cherchant à se réfugier dans une activité de dessin, acti-
vité qu’il menait de façon répétitive et qui nous paraissait très
défensive, refuge pour ne pas s’adresser aux autres enfants. Mais à
travers ces dessins de drapeaux ne se posait-il pas la question suivante :
à qui s’identifier, si on n’est même pas sûr que ce sont nos parents ?
Rappelons que le père de sa sœur aînée est inconnu de lui et a fait
l’objet d’un secret dans la famille. S’est-il imaginé que sa mère, toute
puissante pouvait fabriquer les enfants, seule ? Luc lorsqu’il observe le
groupe et reste à nos côtés est dans une tentative de séduction à notre

46. Pour S. Freud, le masochisme résultait d’une transformation du sadisme, cette


transformation se faisant sur la base du sentiment de culpabilité. Plus tard, il admit
qu’il existait un masochisme primaire – tendance primaire organique à l’auto-
destruction – et un masochisme secondaire : retournement contre le sujet lui-même
d’une agression dirigée d’abord contre le monde extérieur, s’ajoutant au primaire.

60
LES MÉDIATIONS

égard. Un peu plus tard et plus en confiance, il nous a montré qu’il


s’adressait uniquement aux adultes, même lorsqu’il participait (enfin !)
à un jeu avec les autres enfants, pour se plaindre : « Madame, il m’a
tiré sur le tee-shirt ! Madame, il m’a poussé, il m’a fait mal…
Madame, il m’a dit un gros mot !… » Il nous a fait alors penser au
« rapporteur » des cours d’école, nous donnant à comprendre ainsi ce
que son comportement pouvait susciter d’exaspération chez « l’autre »,
enfant ou adulte, conduisant à l’école, à de la maltraitance. Dans sa
problématique de séduction, ne cherche-t-il pas là à mettre sans cesse
en défaut les autres enfants ?
De plus, toute son attitude corporelle manifestait une grande peur et
un besoin de protection. En effet, lorsqu’il s’insérait dans des jeux
collectifs tels que le foot ou le basket, il restait toujours en retrait, près
du mur, le dos collé à ce dernier, ne se déplaçant pas et attendant que le
ballon arrive jusqu’à lui pour immédiatement le renvoyer. Peu à peu, il
a pu se déplacer dans l’espace, s’adresser directement aux enfants,
manifester son agressivité, de façon parfois assez violente ! Il a pris
goût à s’exprimer et à échanger avec les autres, sensible à l’humour de
l’un ou de l’autre. Nous l’avons vu participer aux jeux de façon de plus
en plus active, en y prenant un réel plaisir. Sa position s’est sensible-
ment modifiée.
Vers la fin de l’année, il nous a fait part de son désir d’arrêter ce
travail de groupe, se sentant maintenant « capable de se défendre » en
ayant lui-même fixé l’échéance, échéance sur laquelle nous étions tout
à fait d’accord puisqu’elle prenait en compte le temps de la séparation !

Z Antonin : « mon frère est malin, moi je suis costaud ».


Il nous est apparu que dans sa famille, Antonin était inscrit d’une
façon particulière et notamment sur le plan scolaire. Sa maman a fait
sans difficulté des études supérieures, alors que son papa, qui est main-
tenant chef d’entreprise, a eu une scolarité très difficile… Antonin était
identifié à son père (ressemblance physique avec lui « grand et
costaud », difficultés à l’école occasionnant des soucis à ses parents…)
alors que son frère était identifié à sa mère. Lors d’un entretien, sa
maman reconnaît qu’elle ne lui fait pas suffisamment confiance. Il est
parfois difficile de ne pas répondre à l’image inconsciente attendue !
C’est ainsi qu’Antonin nous déclare un jour que « dans le monde, il y a
les costauds et les malins, mon frère est malin, moi je suis costaud » !
En est-il vraiment sûr pour avoir besoin de construire sans cesse un
mur ? Contre qui, contre quoi ? À notre époque on voit fleurir des
murs, à quoi servent-ils ? Servent-il à protéger, isoler, endiguer, calfeu-
61
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

trer ? Antonin le sait-il ? Toujours est-il qu’il a besoin de construire


quelque chose entre lui et le monde qui paraît être menaçant. Ce monde
menaçant, est-ce son frère jumeau ? Sont-ce les autres ?
Dans le groupe, Antonin a pu s’appuyer sur les autres enfants et au fil
des séances, il a pu se rassurer quant à la dangerosité supposée de l’autre.
L’autre n’est pas obligatoirement objet de destruction et d’anéantisse-
ment et Antonin peut maintenant être costaud et aussi malin !
Antonin peut aussi laisser la parole aux autres, écouter ce qu’ils ont
à dire et rebondir à bon escient ! Il peut aussi partager les jeux tout en
acceptant les règles et en manifestant du plaisir.

Z Quant à François…
François s’est présenté dans le groupe comme un enfant attachant,
très intéressé par les dialogues possibles entre enfants et adultes. Ce
dialogue il va l’expérimenter peu à peu, notamment pour exprimer sa
tristesse de l’absence de son père et les difficultés à vivre les disputes
parentales. Il cherchait au début à prendre une place de leader et ses
relations avec les autres enfants étaient difficiles : il avait beaucoup de
difficultés à canaliser ses mouvements d’agressivité, montrant des
problèmes de « limites », n’écoutant pas et transgressant les interdits.
Nous avons observé au cours de ce travail que pour François, il est
fondamental d’être toujours le premier : premier à entrer dans la salle,
premier à commencer un jeu de société, premier à s’approprier les
buts… Savez-vous quel est en général le privilège du gardien de but ?
Et bien, théoriquement le gardien de but est celui qui entre le premier
lors d’un match !
Mais à quoi lui sert-il d’être le premier sinon peut-être penser à
séduire une mère qu’il ne pourra jamais satisfaire ? En effet, François,
en pleine période du conflit œdipien, ne cherchait-il pas à prendre une
place de « petit homme » auprès de sa mère ? Cette place pouvait
paraître plus accessible du fait des absences de son père et de la mésen-
tente conjugale comme si dans son fantasme il pourrait être mieux que
son père et satisfaire plus amplement sa mère. Ce fantasme est très
culpabilisant (car François est aussi très attaché à son père) et sa réus-
site impossible car il ne peut qu’échouer à satisfaire sa mère, d’où
l’exacerbation des conflits internes.
Il faut être le premier pour gagner, car gagner c’est effectivement
devenir un homme et, perdre, comme on a pu le voir lors d’une séance
de jeu de société, c’est un écroulement, un anéantissement de son être.
Notre intervention a permis à François, lors de ce jeu, de ne pas se
laisser complètement détruire par cet échec tout relatif et le fait que
62
LES MÉDIATIONS

nous n’ayons pas poursuivi le jeu sans lui, lui a permis de se restaurer
et de continuer « d’être » sans pour autant gagner.

Z Victor
Après une période d’observation où il était plutôt effacé dans le
groupe, il nous a surpris parfois par son attitude défensive à travers des
remarques déplaisantes à l’encontre de tous, adultes et enfants. Il lui
arrivait aussi d’être familier à notre égard comme s’il n’y avait pas de
différence de génération. Mais ses comportements nous apparaissent
comme une tentative désespérée pour masquer un grand manque de
confiance en lui et une dépression importante. Ainsi, Victor lorsqu’il
dessine décrète souvent que « c’est raté », barre son dessin, froisse la
feuille, la jette, recommence, « c’est raté encore » et barre à nouveau
son dessin. Ainsi en est-il de plusieurs de ses dessins ; nous lui deman-
dons de représenter sa famille, il commence par deux petits sapins qu’il
raye puis tourne la feuille pour dessiner un bonhomme à qui il manque
le bas du corps… il veut aussi dessiner un lion mais il se plaint que son
premier dessin est raté et recommence un second lion dont la gueule
est menaçante mais auquel il manque la queue. C’est toujours dans le
bas du dessin qu’il manque quelque chose.
Victor est en plein conflit œdipien, « collé » à sa mère et se décla-
rant plus fort que son père à… la course ! Il manifeste un
questionnement quant à la différence des sexes et des inquiétudes liées
à la reconnaissance de cette différence ! 47
Sa « dépression » d’emblée manifeste se traduisait par des réac-
tions de prestance et d’excitation 48.
Dans le groupe, Victor a pu se reconnaître dans les difficultés de
François et dans un mouvement identificatoire, il a centré son attention
sur ce dernier et a ainsi pu commencer à verbaliser ses émotions.
Même s’il est resté un peu marginal par rapport aux autres enfants, en
nouant une relation très privilégiée avec François, il semblait avoir
enfin trouvé un compagnon de jeu. L’appui sur ce « grand frère » lui a
permis d’améliorer notablement sa relation aux autres, en particulier
dans le milieu scolaire.

47. S. Freud appelle complexe de castration le sentiment inconscient de menace,


éprouvé par l’enfant, lorsqu’il constate la différence anatomique des sexes.
48. Chez le jeune enfant, le tableau clinique de la dépression est souvent rendu
méconnaissable, du fait des mécanismes de défense tels que la réaction maniaque,
l’annulation et le déni qui peuvent conduire à des manifestations d’allure
paradoxale.

63
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Épilogue
« Tu joues ou quoi ? » Si cette question d’un enfant à un autre
s’adresse parfois indirectement (en venant le « titiller » dans son jeu
solitaire, par exemple) ou directement par une apostrophe verbale, elle
s’adresse aussi parfois aux thérapeutes. Selon les situations, lorsque
nous nous prêtons au jeu, nous provoquons souvent la surprise des
enfants qui dans le fond ne s’attendent qu’assez rarement à voir jouer
ces « grands enfants » que nous sommes, nous les adultes ! Comme le
souligne H. Chapelière 49 « c’est en effet toujours la psychosexualité
infantile du thérapeute qui est réveillée, remise en jeu, sollicitée par
l’émergence de celle des enfants dans le groupe ». Le plaisir régressif
voire jubilatoire suscité par le partage du jeu avec l’enfant ouvre un
espace ludique commun en articulation avec la problématique et le
matériel amené par les enfants. Ce faisant, en jouant nous-mêmes, nous
racontons aussi une histoire qui peut donner aux enfants des représen-
tations en lien avec les affects qu’ils éprouvent, transformant ainsi ce
qu’ils agissent défensivement ou projectivement.

Z Bibliographie
A. ANZIEU, C. ANZIEU-PREMMEREUR, S. DAYMAS, Le jeu en
psychothérapie de l’enfant, Dunod, Paris, 2003.
R. CHEMAMA, B. VANDERMERSCH, Dictionnaire de la Psychana-
lyse, Larousse, 1988.
F. DOLTO, Psychanalyse et pédiatrie, Seuil, Paris, 1965.
S. FREUD, Trois essais sur la théorie de la sexualité, Paris, Galli-
mard, 1962.
S. FREUD, Inhibition, symptôme, angoisse, Paris, PUF, 1993.
M. KLEIN, Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 1982.
J. LACAN, Séminaire sur l’angoisse, livre X, Seuil, Paris, 1963.
J.-B. PONTALIS ET COLL., L’enfant, Gallimard, 2001.
P. PRIVAT, D. QUÉLIN-SOULIGOUX, L’enfant en psychothérapie de
groupe, Dunod, Paris, 2000.
V. SMIRNOFF, La psychanalyse de l’enfant, Puf, Paris, 1968.
D. W. WINNICOTT, Jeu et réalité, Gallimard, Paris 1975.
H. CHAPELIÈRE, « De la violence à l’hyperactivité, jeu et groupe »,
Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 2004, vol. 52, no 4.

49. H. Chapelière, « Groupe d’enfants, groupes de thérapeutes : quel jeu ? »,


Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 2004, vol. 52, n o 4, p. 245.

64
Chapitre 6

Cyber atelier
Marie RAJABLAT, infirmière de secteur psychiatrique

Mise en place de l’activité


Z Contexte institutionnel de création des ateliers
Lorsque l’usine AZF de Toulouse a explosé (21 septembre 2001), le
centre hospitalier G. Marchant a été soufflé tout comme le réseau de
soin de la psychiatrie publique toulousaine. Les patients comme les
équipes se sont retrouvés sur le carreau et il a fallu inventer rapidement
pour faire face au démantèlement de l’accès aux soins.
Objectifs
Les personnes décompensant ne pouvant être prises en charge de
manière satisfaisante, nous avons dû renforcer le soutien en amont et
en aval. Accueils thérapeutiques à temps partiel, accueils temporaires
de crise, hospitalisation à domicile… Et surtout, il a fallu faire
confiance aux autres… : s’appuyer d’une part beaucoup plus sur les
ressources des patients et de leurs familles (parfois dans des conditions
très difficiles) ; d’autre part, sur celles des collectivités, des associa-
tions et institutions de quartier. C’est dans ce contexte tout à fait
particulier que se sont intensifiés et diversifiés les accueils du CMP des
Minimes 50 pour se transformer petit à petit en Ateliers (ou Accueils)
thérapeutiques à temps partiels (ATTP).
Choix du médiateur
Nombre de patients s’interrogent sur ces nouvelles bêtes qui ont
envahi notre environnement : les ordinateurs.
• Que peut-on donc raconter de leur vie à ces machines ? Que
peuvent-elles en comprendre ? Quelle part prennent-elles dans
leurs soins ?…

50. Les Minimes: un quartier de Toulouse.

65
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

• « Mettre en forme », « Couper/coller », « Se connecter ». « Créer


des liens ». « Moteur de recherche »…
• Comment ? Pourquoi faire ? Avec qui ?…
En écoutant et/ou regardant les patients tourner auprès des secré-
taires face à leur écran du centre, quatre infirmiers ont eu l’idée de
monter un atelier informatique. C’est donc comme toutes les autres
activités que celle-ci est née : d’un besoin repéré par des soignants et/
ou d’une demande formulée par des patients.
Montage du projet
La suite est assez classique : déplier le projet, trouver le matériel et
lancer l’activité. Nous avons proposé à un certain nombre de patients
de penser autour de cette idée. La première rencontre fut un peu décon-
certante pour tout le monde, la plupart d’entre nous n’ayant pas encore
l’habitude de travailler ensemble à ce stade de la construction d’un
projet. Les patients sont donc restés un peu en retrait et les soignants
un peu sur leur faim. Il a fallu deux ou trois réunions pour que chacun
entrevoie sa participation tant dans le montage du projet que dans sa
réalisation.
Une fois la proposition écrite, nous l’avons présentée en conseil de
service et adoptée pour une durée expérimentale d’une année (et plus si
affinités !).
Les objectifs, à ce stade, restaient encore assez flous. Nous
n’imaginions pas encore toutes les conséquences d’une telle activité.
L’objectif principal de notre petit groupe était de rompre la solitude des
patients les plus isolés en les aidant à tisser des liens humains à l’inté-
rieur de notre atelier mais aussi avec le monde, via Internet. Sur un
plan beaucoup plus pratique, nous cherchions également à élargir les
périmètres de circulation de ces patients qui, pour la plupart, sortaient
de chez eux uniquement pour des raisons utilitaires (courses,
consultations).
La question du matériel fut beaucoup plus complexe… à la hauteur
des lourdeurs institutionnelles et si nous avions attendu d’obtenir le
matériel nécessaire, l’activité n’aurait jamais vu le jour. L’initiation à
l’outil informatique s’est d’abord faite sur deux ordinateurs portables,
l’un appartenant à l’un d’entre nous et l’autre, prêté par l’hôpital de
Laragne (05) pour une recherche commune avec l’Anaes 51. Ces deux
appareils n’appartenant pas au parc informatique de notre institution,

51. Projet Anaes: « Écriture infirmière et qualité des soins », 2001.

66
LES MÉDIATIONS

nous vous laissons imaginer les scénarios lorsque les appareils sont
tombés en panne… Monter une activité nécessite aujourd’hui une
volonté farouche de la part des acteurs ainsi qu’un savoir-faire acroba-
tique relevant parfois du grand art.
Indication
Nous avons évoqué un peu plus haut les objectifs de cet atelier. Il
s’adressait donc en priorité à toute personne isolée, rencontrant des
difficultés à entrer en contact avec l’extérieur et/ou les autres, que ce
soit passager ou plus structurel. Nous n’avons donc pas limité l’admis-
sion aux personnes souffrant de troubles psychotiques, même si elles
étaient beaucoup plus nombreuses.
Comme toutes les activités, le cyber atelier nécessite une prescrip-
tion médicale. Nous sommes toutefois toujours restés très souples,
acceptant qu’un patient se laisse apprivoiser avant de consulter un des
psychiatres du CMP.
Cadre de l’activité
Des « pro », patients ou soignants ont d’abord initié des néophytes,
patients ou soignants, à la manipulation de l’objet. Là était notre
premier impératif : construire cette activité et ce groupe sur un réel
échange de compétences et non sur un supposé savoir des soignants.
Nous étions donc à la création de l’atelier, trois animateurs (deux
patients et un infirmier) et cinq à dix apprentis (dont 3 infirmiers).
Un infirmier est l’élément « fil rouge », ce qui signifie qu’il co-
anime toutes les séances. Les trois autres alternent. En cas d’absence
du « fil rouge », les autres infirmiers animent systématiquement deux
séances de suite afin de faire le lien d’une semaine sur l’autre.

Fonctionnement de l’activité
Z Présentation de l’activité à ses différentes étapes
1re étape : initiation en dedans
Tous les patients venant déjà en consultation au CMP, nous avons
choisi de commencer l’atelier au même endroit, pour éviter aux plus
hésitants, les inquiétudes ou les angoisses liées à un nouveau trajet.
Tous les mercredis matins, nous nous retrouvions donc autour de trois
animateurs et trois ordinateurs pour apprivoiser cette nouvelle « bête ».
Toujours le même rituel pendant quelques séances : un volontaire
s’asseyait devant l’écran, un animateur à ses côtés pour le guider. Les
autres restaient debout tout autour. Chacun venait s’asseoir lorsqu’il se
67
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

sentait près. Il y avait ceux qui se lancent rapidement et ceux qui tour-
nent autour longtemps.
Les nouvelles allant bon train, le groupe a très rapidement grossi. Il
a fallu s’adapter à ce succès et c’est ainsi que nous avons instauré
3 plages d’1 heure où 3 personnes prenaient rendez-vous pour des
séances individuelles. Chacun a commencé à travailler seul sur son
ordinateur, tout en échangeant découvertes et/ou difficultés avec les
autres. Les animateurs allaient de l’un à l’autre, cherchant la bonne
distance pour permettre à chacun d’apprendre à son rythme et à sa
façon. Du solitaire dans du communautaire.
Très rapidement, les élèves se sont montrés aussi bons que les
maîtres et tous ont décidé, plus ou moins doucement, de passer à
l’étape suivante : se connecter au monde.
2e étape : ouverture au monde
Là encore, c’est tout aussi progressivement que nous avons quitté le
CMP. Rendez-vous était donné directement en ville pour les plus
hardis. Un animateur accueillait le groupe chez Mahmoud, propriétaire
de L’internaute café. Pour les plus anxieux, un autre groupe partait du
CMP pour faire un repérage collectif du trajet de bus, trouver des
points de rencontres communs sur le chemin afin de réussir à terme à
venir seul. Tous ont réussi le pari en moins de trois mois. Situé au cœur
de Toulouse, donc loin de notre quartier des Minimes, c’était là aussi
une occasion pour tous d’élargir leur cercle de connaissances et de
promenades. Dans la boutique, on échangeait avec les clients et le
patron. Dans la rue, on commentait les vitrines. À l’arrêt de bus, on
papotait avec les badauds. Bref, la vie. Sans compter que la découverte
d’Internet a été fabuleuse pour ceux qui, jusqu’alors, ne sortaient pas
de chez eux. Un peu moins solitaires dans un peu plus de
communautaire.
Le CMP restait cependant un lieu de retrouvailles, au moins une
fois par mois, pour faire le point. Chacun racontait le chemin qu’il
avait parcouru, que ce soit dans la manipulation de l’objet, dans ses
recherches ou dans sa vie de tous les jours.
3e étape : partage
L’idée de faire partager ses découvertes a germé tout doucement.
Ce groupe était un vivier d’échanges d’informations et d’émotions.
Chacun parlait de ses difficultés mais aussi et peut-être surtout de ses
intérêts et/ou passions, de ses rencontres, de ses coups de gueule ou de
cœur… Le groupe s’est aperçu qu’il avait plein de choses à dire et à
transmettre. C’est comme ça que l’idée d’un journal est née. C’était
68
LES MÉDIATIONS

aussi une volonté de se montrer sous un autre jour, une manière de


« retrouver une dignité » 52. Mais pour faire un journal, nous n’étions
pas assez calés.
Dans le même temps, dans le cadre du réseau « santé-ville », nous
rencontrions régulièrement différents partenaires des champs médico-
sociaux, mais aussi les associations de quartier, les foyers, etc. C’est
ainsi que la responsable d’une association de réinsertion s’est inté-
ressée à notre démarche, se trouvant parfois démunie devant la détresse
de certaines personnes fréquentant leur centre. Elle nous a ouvert ses
portes et nous sommes convenus d’un troc de compétences : initiation
à la PAO (Publication assistée par ordinateur) contre santé mentale
communautaire. Nous avons dès lors déserté le CMP.

Déroulement des séances


Z Le lieu
Fini le cybercafé de Mahmoud. Nous nous retrouvons donc désor-
mais tous les mercredis matin, de 9 h 30 à 12 h 30 dans cet espace
associatif de réinsertion. Situé au cœur de notre secteur, aucun patient
n’a de difficulté pour s’y rendre seul, à pied ou en bus.
En dehors de nous, des gens du quartier y viennent pour surfer,
s’initier ou se perfectionner en informatique. Rapidement, notre groupe
a été repéré comme un groupe « dissipé », mais apportant beaucoup de
bonne humeur. Les gens s’approchaient pour voir ou écouter ce qui
nous faisait tant rire et aujourd’hui notre groupe est complètement
fondu dans le lieu. On nous a proposé un lieu. Nous avons ouvert un
espace.
En fait, nous ne sommes pas complètement fondus dans le lieu
puisque certains usagers de l’association ont repéré chez nous une
forme d’écoute particulière sans pour autant différencier usagers ou
soignants de notre groupe. De fait, certaines personnes viennent nous
parler de leur voisin ou de « leur vieille tante » et évoquent des diffi-
cultés variées et variables sans que nous n’émettions d’avis. À ce
stade-là, il importe juste d’écouter. Il a pu nous arriver d’orienter plus
tard, si besoin était.
Le bouche à oreille fonctionne bien. Un monsieur vient un jour
consulter au CMP pour son fils psychotique. On lui a parlé de cette
activité à l’association de quartier et comme on lui a dit aussi que cela

52. Boris, un des animateurs du groupe.

69
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

nécessitait une prescription médicale, le voilà. Dépassé par les troubles


de son fils, il nous demande de le prendre dans le groupe sans lui dire
que nous sommes des « psy ». Sans dire ni oui, ni non, nous attendons
de voir comment se présentera ce jeune garçon. Très méfiant au début,
Ahmed sera toujours présent le jour des rendez-vous, mais ne nous
adressera jamais la parole. Nous restons alentour et respectons sa posi-
tion. Il est sur son poste et nous sur les nôtres. Il ne fait pas partie du
groupe mais un peu tout de même. C’est lui qui viendra me chercher un
jour pour regarder les informations sur une chaîne étrangère qui parlait
d’un pays où j’allais régulièrement. De fil en aiguille, nous avons pu
tricoter ensemble un cadre qui soit acceptable par tous. Aujourd’hui, il
accepte de consulter un psychiatre. Le père est moins inquiet et relâche
un peu la pression. Du coup, Ahmed peut exprimer un certain nombre
d’angoisses et d’inquiétudes pour l’avenir.
Il y a ensuite des cas où nous ne pouvons rien faire d’autre
qu’épauler nos collègues locaux. Camille, la directrice de l’association
a en effet été « choisie » par un homme semble-t-il très délirant pour
qu’elle lui apprenne à se servir d’un ordinateur. Il en reste à des rudi-
ments et rumine les mêmes exercices sans pouvoir décoller. Nous le
sentons parasité par des hallucinations auditives. Le moindre regard
semble le persécuter. Nous ne pouvons absolument pas l’aborder au
risque de le faire fuir. Nous aidons Camille à aborder la situation de cet
homme. Nous lui donnons des adresses où chercher des traces de son
passage. Elle retrouve un éducateur qui le connaît et nous apprenons
qu’effectivement il est malade depuis de longues années et vit désor-
mais à la rue sans se laisser approcher. Il semble donc extraordinaire
qu’il ait élu domicile ici et notre travail actuellement, consiste unique-
ment à soutenir Camille, qui elle-même le soutient visiblement sans
savoir comment.

Z La préparation de l’atelier
Le temps de transport (15 minutes en voiture à partir du CMP)
permet aux infirmiers de préparer la séance : propositions à prévoir le
cas échéant, relance à faire, tel ou tel patient à accompagner d’un peu
plus près…

Z L’activité elle-même
Trois ordinateurs sur dix nous sont réservés. Le reste des postes est
occupé par des gens du quartier qui viennent apprendre l’informatique
ou se perfectionner à l’utilisation de tel ou tel logiciel.
70
LES MÉDIATIONS

Chacun des membres du groupe vient soit avec une idée précise de
ce qu’il va chercher soit sans aucune idée. Lors de la rédaction du
journal, une partie du groupe cherche des informations sur le Web ou
prépare la maquette du numéro en cours, l’autre partie travaille dans
une pièce voisine à la rédaction ou à la lecture d’articles des numéros
suivants.
Actuellement, suivant le nombre de participants chacun travaille
sur un poste en solo ou en petit groupe. Soignants et soignés se relaient
et s’entraident aux claviers à la recherche d’infos ou de trouvailles.
Le cadre est très clair : il est interdit de venir à cet atelier si l’on s’y
sent contraint. Il n’y a donc aucune obligation à venir chaque semaine,
ni à rester toute la séance. Chacun fait ce qu’il veut à son rythme et n’a
de compte à rendre à personne. Du coup, les uns et les autres sont
plutôt assidus, s’informent de ce qu’ils font et partagent les décou-
vertes. Nous nous sommes même créé une boîte à lettre afin de
correspondre avec les vacanciers ou les voyageurs du groupe…

Z Le post-groupe
Les 15 minutes de transport en sens inverse servent à faire le bilan
de la séance. Les infirmiers se racontent ce qu’ils ont repéré, comment
ils ont vécu la séance, les difficultés qu’ils ont rencontrées, les
moments forts, etc. Souvent l’arrivée au CMP coïncidant avec le temps
de pause déjeuner, nous échangeons tous ensemble à propos des diffé-
rentes séances d’un même atelier ou à propos d’un même patient
participant à plusieurs ateliers. Deux fois par semaine, la psychologue
mange avec nous avant ses consultations. Là encore c’est l’occasion de
réfléchir et d’avancer ensemble.

Animation des séances


Z Des soignants
Animer un groupe n’est pas inné. Cela s’apprend. Co-animer est
encore plus difficile mais aussi bien plus passionnant. Chaque infirmier
a son style, son talent et ses limites. Les limites de l’un correspondent
parfois au talent de l’autre et du coup, travailler en duo offre une
grande richesse d’intervention. À condition toutefois de se faire
confiance. Plus les soignants ont de plaisir à travailler ensemble plus ils
vont entraîner loin le groupe.
Pendant la première étape de cet atelier, certains soignants étaient
apprentis en informatique sans perdre pour autant leur fonction
71
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

soignante. De leur côté, les patients découvraient soit de nouveaux


rôles face aux soignants (pour les animateurs) soit de nouvelles facettes
à ces infirmiers.
Cette forme particulière de relation soignant/soigné nécessite des
calages permanents et une grande confiance mutuelle dans l’équipe
soignante. Il est arrivé parfois que nous ne soyons pas tous d’accord
avec l’autonomie que prenaient certains patients. Boris en est un excel-
lent exemple. C’est un jeune garçon de 20 ans, très doué mais oscillant
entre des phases de grande exaltation et des moments de repli quasi
autistique. Il vit par moment de terribles angoisses de dépersonnalisa-
tion, de déréalisation. Petit à petit il s’est complètement isolé du monde
en général et de sa famille en particulier, en inversant son rythme
nycthéméral et ne sortant plus que pour les consultations mensuelles au
CMP. C’est par ailleurs un colosse de près de 2 mètres qui sait qu’il en
impose par sa stature et en joue parfois. Rejeté de nombreuses struc-
tures pour avoir franchi les limites acceptables, Boris avait réussi à
fermer toutes les portes possibles. Petit génie de l’informatique, nous
avons proposé à son médecin référent qu’il intègre l’atelier pour le co-
animer avec Stéphanie, une autre patiente et moi-même. Lui, d’ordi-
naire si bruyant, avait trouvé un rôle à sa mesure. Il guidait avec une
patience étonnante chacun dans la découverte de l’outil, laissant
l’espace pour s’aventurer seul, guidant très discrètement ces essais.
Bien que très jeune, il était un excellent pédagogue. Ses explications
étaient très claires. Il n’hésitait pas à employer les métaphores pour
nous aider à comprendre les circuits les plus complexes. Lui, peut-être
plus que les autres, tenait à la création d’un journal. Il voulait crier au
monde : « Nous, qu’on déclare incapables majeurs, nous ne sommes
pas des tarés ou les monstres assassins ou violents qu’on montre à la
télé ! ». La place de Boris dans le groupe a été source de beaucoup de
discussions chez les soignants, parfois même de tensions. Jamais chez
les patients. Certains pensaient que nous lui laissions trop d’espace
d’expression, d’initiatives, craignaient qu’il ne prenne trop d’espace
aux autres…
Plus les soignants sont à l’aise dans une activité, plus ils seront
ouverts à l’initiative des patients. Plus ils font confiance aux ressources
des patients, plus ils seront contenants et soutenants. Outre ces capa-
cités individuelles, il faut aussi quelques petites doses de théorie pour
comprendre ce qui se passe et ce que l’on fait. Nourris par les courants
de l’anti-psychiatrie et la psychothérapie institutionnelle, certains
d’entre nous se réjouissaient du tour que prenait notre aventure. Mais
nous savions aussi qu’il est essentiel dans un tel projet de ne négliger
72
LES MÉDIATIONS

personne. La théorie sert à penser nos relations de soin et nous devons


prendre le temps d’en débattre à la lumière de la clinique, c’est-à-dire
ce que nous raconte le patient, sa famille, ce que constatent les
soignants… Les « post-groupes », les temps « entre-deux », comme les
repas, le moment du café, les réunions de synthèse, la supervision, sont
autant d’espaces où travailler toutes ces questions.
Le spectateur d’un tel atelier pourrait croire que les soignants ne
font pas grand-chose et il n’aurait pas tort. Pourtant, savoir faire aussi
peu de choses, cela s’apprend car cela demande une qualité de
présence extrême. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, sauf excep-
tion, nous animons l’atelier à deux soignants (et les deux animateurs
ressortent vidés !). Pendant chaque séance, nous jonglons entre singu-
lier et collectif. Nous avons chacun des patients à l’œil afin de repérer
et faire émerger leurs dons sans jamais perdre de vue le groupe, sans
oublier sa partition, pour ceux dont le rôle est d’apprendre à se servir
d’un clavier. Nous devons être vigilants aux interactions en laissant
suffisamment d’espace aux plus audacieux sans pour autant laisser les
plus repliés dans l’ombre. Si nous sentons qu’un patient flanche un
peu, ou à l’inverse, empiète un peu trop sur l’espace des autres, l’un de
nous l’épaule et l’accompagne d’un peu plus près tout en s’alliant
toutes les ressources du groupe.
Nous clôturons chaque séance en remerciant chacun pour sa parti-
cipation, son idée lumineuse, sa bonne humeur, bref, ce qui l’a
caractérisé pendant la séance. Chacun se sent important et acteur de la
dynamique de groupe.
Nous en profitons également avant de nous séparer pour rappeler le
rendez-vous de la semaine suivante ou nos autres rendez-vous avec
chacun (consultation, autre atelier…). Nous traçons ainsi un « pont
invisible » pour traverser l’absence. Nous rappelons enfin que nous
sommes joignables au CMP si besoin est.

Z Des patients
Aucun de nous ne se connaissant, le premier groupe de cet atelier
s’est construit en même temps que l’activité. Fondé sur une gestion
mutuelle, toutes les grandes décisions passaient par un vote. Lorsqu’il
a été décidé de créer un journal, chacun a pris la responsabilité d’une
rubrique, soignants comme soignés, en fonction de ses passions ou
intérêts. Les patients ont tenu à embarquer un médecin dans l’aventure
pour une rubrique « molécule ». Eux choisissaient le médicament sur
lequel il devait plancher. Le cahier des charges était très clair : un texte
court, sans jargon, précisant les indications, les effets thérapeutiques
73
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

recherchés, les inconvénients. Le texte était lu en « comité de lecture et


de rédaction » avant publication afin de s’assurer de la clarté du
propos. Le médecin était invité à participer à la discussion, qui bien
entendu débordait toujours des limites de la simple publication.
Les patients se sont emparés de leur outil de soin. De fil en aiguille,
ils l’ont modelé selon leurs besoins et leurs désirs. Ils ont eu envie de
voir, écouter, toucher, sentir et goûter ce dont on parle sur la toile et du
coup, ce sont eux qui ont initié une nouvelle activité : Ballades et
découvertes en tous genres. Tous ne s’y sont pas inscrits. De nouveaux
sont arrivés. Des liens réguliers se sont créés entre le CMP des citadins
et celui des ruraux. Tantôt on va à la grande ville, tantôt on va à la
campagne…
Aujourd’hui, le cyber atelier fonctionne toujours. Restent deux
patients fondateurs. Tous les autres sont nouveaux. Les patients partent
d’eux-mêmes, pour la plupart d’entre eux, soit car l’activité ne leur
convient pas, soit car ils ont atteint les objectifs qu’ils s’étaient fixés
avec nous et/ou leur médecin. Nous fixons d’entrée de jeu un cadre
temps plus restreint pour les personnes souffrant de névroses. La
plupart d’ailleurs utilisent l’atelier de manière très courte et ponctuelle.
Une seule patiente, sévèrement déprimée a participé une année
complète à l’atelier. Nous avons dû évoquer les premiers la fin de cette
partie des soins car nous ne sentions aucune amélioration de son état.
Les patients souffrant de troubles psychotiques sont plus rapides à
savoir si l’activité ne leur convient pas (ils ne reviennent pas ou ne
viennent que quelques fois) mais lorsqu’elle leur convient, ils ont
besoin de plus de temps pour atteindre leurs objectifs. Pour ceux-ci,
nous n’avons jamais eu à poser la fin de cette partie des soins.
Comme dans tous les autres ateliers, ils vont, ils viennent puis
repartent. L’espace ainsi créé semble suffisamment contenant pour
donner envie et confiance, suffisamment souple, pour pouvoir s’en
extraire et trouver son propre chemin.

Quelques parcours de vie et effets de cette


pratique
Paul, l’ancien du groupe, vivait très isolé depuis des années, hési-
tant à sortir de son antre, écoutant seul en boucle ses vinyles et CD de
Berlioz. Il a découvert des tonnes de merveilles sur son auteur favori
mais il s’est mis aussi à écouter du reggae avec Jean-Philippe. Puis il
s’est ouvert à plein d’autres choses. Il était de toutes les sorties au
Stadium ou au Stade avec Jean-Pierre, Jean-Philippe, Jacques et
74
LES MÉDIATIONS

Patrick ou Christine. Toujours timide, il s’est lancé à faire des blagues.


Cet homme qui avait passé dix ans de sa vie entre l’hôpital psychia-
trique et la citadelle de son appartement, part aujourd’hui en vacances
dans sa famille et étonne tout le monde par cette joie de vivre
retrouvée.
Jean-Pierre, lorsqu’il n’allait pas à l’hôpital de jour, passait ses
journées, allongé sur son lit sans rien faire. Avec l’atelier informatique,
une étonnante amitié est née entre lui et Paul, entre un vieux monsieur
très réservé et très cultivé et un homme, très discret lui aussi et tout
aussi passionné mais par le « TéFéCé » (Toulouse Football Club).
D’ailleurs, qui, en dehors de nous, aurait pu imaginer que Jean-Pierre
avait une passion ? Fasciné par ce fabuleux outil Internet, il a appris à
une vitesse étonnante. Très rapidement il a eu envie de savoir utiliser
d’autres logiciels. Il s’est donc inscrit à des cours de perfectionnement
et revenait tout seul une à deux fois par semaine dans ce centre de réin-
sertion. Dans le même temps, il a demandé à sa tutrice éberluée,
d’envisager d’acheter un ordinateur.
Jean-Philippe vivait entre les jupons de sa maman et de ses sœurs,
sans réussir vraiment à trouver une place satisfaisante. Une passion
pour Bob Marley le rapprochait de son père resté dans les îles. Avec
nous, il s’est découvert un intérêt grandissant pour le foot en écoutant
Jean-Pierre en parler. Puis pour d’autres musiques que le reggae. Il a
découvert un nouvel univers entre hommes. Lui qui arrivait systémati-
quement en retard car « il se perdait en route », nous disait-il, ce qui
avait le don d’exaspérer sa mère, il a fini par arriver à peu près à l’heure
pour ne rien manquer de la séance.
Thierry jusqu’alors errait dans la ville en proie à toutes sortes de
persécutions. Dans ce groupe, il naviguait en solitaire au milieu de
nous tous. Il est venu régulièrement pendant un temps se mêler à notre
bande bruyante. Toujours silencieux, il écoutait amusé les uns et les
autres. Nous avons réussi à créer un espace suffisamment rassurant
pour qu’il nous raconte parfois des souvenirs de randonnées, des
retours au gîte, des nuits à la belle étoile. Chacune de ses rares inter-
ventions était saluée par beaucoup d’émotion dans le groupe. Il a fait
lui aussi beaucoup de découvertes sur Internet, a nourri sa curiosité.
Puis il n’est plus venu. Nous le croisons de loin en loin. Il sait qu’il a sa
place parmi nous.
Boris a été hospitalisé puis suivi au CHU et nous avons perdu sa
trace pendant un moment.
Du côté des filles, elles ont toujours été moins nombreuses. Peut-
être accrochent-elles moins à cette activité. La plus assidue a été
75
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Marie-Claire qui enveloppait toujours le groupe dans sa bonne humeur


et ses facéties.
Avant le cyber atelier nous connaissions surtout Stéphanie pour ses
frasques et ses débordements. Dans le groupe, elle a tenu son rôle de
pédagogue à la perfection. Avec beaucoup de patience elle a enseigné
les rudiments informatiques à chacun. Elle a quitté le groupe
lorsqu’elle a terminé l’initiation. Elle est actuellement en formation
dans un centre de réinsertion. Muriel, régulièrement envahie par son
délire, avait demandé à son psychiatre de participer à cet atelier « pour
arriver à se taire et à se concentrer ». Avec Marie-Claire, elles éclu-
saient les sites de cuisine ou de gym douce. Marie-Claire sortait parfois
vidée de ces séances même si nous nous relayions auprès de Muriel
mais elles s’épaulaient l’une l’autre. Catherine n’a fréquenté le groupe
que quelques semaines comme beaucoup d’autres. Rassurée quant à
ses capacités d’apprentissage, elle a décidé de suivre un stage
d’anglais.
Pour réinsérer ou réhabiliter, comme vous voudrez, les protocoles
ne suffisent pas. Cela passe d’abord par le désir des soignants de créer
et de découvrir. C’est la manière dont ils utilisent leur outil, et non pas
l’outil lui-même, qui fait qu’ils embarquent les patients dans une aven-
ture quelle qu’elle soit.
C’est également à peu près à cette période que l’équipe du CMP a
été scindée en deux : une centrée sur la consultation (CMP) et l’autre
sur les activités (CATTP). Une petite parenthèse pour expliquer la
logique administrative… Notre équipe était la seule de toutes les struc-
tures extrahospitalières de l’hôpital Marchant, à animer les différents
ateliers dans des espaces préexistants, comme deux bibliothèques
municipales, un foyer du troisième âge, un centre social, une associa-
tion de réinsertion, la salle des sports… N’ayant pas de « lieu »
institutionnel reconnu par l’hôpital, les « espaces » que nous avions
ouverts n’existaient pas. De fait toute cette partie de notre activité
n’était pas codifiable, donc pas quantifiable donc inexistante aussi ! Ce
qui avait été un parti pris pour une meilleure insertion dans le tissu
social local devenait un obstacle pour obtenir des moyens…
Aujourd’hui, le CMP a déménagé pour se recentrer au cœur d’un
des trois quartiers toulousains du secteur. Une grande pièce a été
réservée au CATTP… mais soignants/soignés y passent assez peu de
temps, privilégiant toujours les activités en ville.

76
Chapitre 7

Médiation arts plastiques :


dessin et peinture avec les enfants
Dominique JOUBIN, infirmière de secteur psychiatrique,
thérapeute familiale et art-thérapeute

Le cadre dans lequel se déroule cette médiation est un hôpital de


jour pour enfants souffrant de psychose infantile, situé dans un secteur
de psychiatrie infanto-juvénile du secteur public de la banlieue nord de
Paris.
L’équipe de ce secteur est une équipe pluridisciplinaire, compre-
nant des infirmiers, une assistante sociale, des éducateurs, des
psychiatres, une psychomotricienne, une orthophoniste. À l’intérieur
de cette institution, les activités à visée thérapeutique ont toutes un
caractère ludique. Elles sont proposées par les membres de l’équipe.
L’orthophoniste propose un « atelier conte », la psychomotricienne
anime un atelier « expression du corps-danse », un infirmer musicien-
amateur organise un atelier « percussions ». La peinture n’est pas
proposée. Les activités extérieures sont encadrées par des profession-
nels du sport et deux soignants (éducateurs et/ou infirmiers) comme
l’activité « escalade ».
Cela fait un an, qu’autour d’une situation familiale et une prise en
charge d’enfant, nous travaillons ensemble, l’équipe de pédopsychia-
trie et moi-même, infirmière de secteur psychiatrique. Au départ, il
s’est agi du cas d’une enfant prise en charge quatre jours pleins à
l’hôpital de jour, et largement aussi en ambulatoire. Mon collègue et
moi (de l’UAPF 53) formons l’équipe des thérapeutes familiaux. Nous
recevons la famille une fois par mois, pour des difficultés relationnelles
liées à l’ampleur des symptômes de leur petite fille. Ponctuellement,
tous les trois mois, une réunion organisée par l’hôpital de jour réunit

53. UAPF : Unité d’accueil de psychothérapie familiale de la Société parisienne


d’aide à la santé mentale (SPASM).

77
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

tous les thérapeutes qui gravitent autour de l’enfant et de sa famille.


Notre intervention (mon collègue et moi) a consisté, avec le regard
systémique, à dénoncer les surenchères institutionnelles et ensuite à
clarifier les différentes interventions.
Notre regard était tourné vers le fonctionnement et les relations que
la famille et l’institution établissaient avec cet enfant et entre elles.
Chaque famille communique grâce à des codes en partie implicites
sur un mode verbal (la parole, les mots) ou non verbal (sourires, clins
d’œil, etc). Ces codes peuvent être éventuellement parasités par du
bruit. Ce mode de communication répété peut produire de la souffrance
qui finit par se traduire par des symptômes que l’on nomme la folie, la
délinquance, la maladie psychosomatique, la toxicomanie.
Les thérapeutes familiaux avec la famille dénoncent ces règles de
communication aliénantes et en co-produisent d’autres qui agiront sur
les comportements. On pourra alors observer, sur le plan des relations
familiales de nouvelles définitions de la communication. Dans nos
échanges professionnels, le médecin-chef du secteur enfant découvre
ma formation en cours d’art-thérapie et mon souhait d’approfondir mes
connaissances dans le milieu de l’enfance. Il suggère à l’équipe
soignante de l’hôpital de jour de me proposer la création d’un atelier
d’expression plastique pour la rentrée de septembre. Il souhaite intro-
duire un intervenant extérieur pour permettre aux enfants de faire
d’autres investissements que ceux qu’ils réalisent à l’intérieur de
l’institution. Je suppose maintenant, que le médecin-chef pressentait
qu’il était possible pour certains enfants, qu’un intervenant extérieur
puisse être un « élément de changement ». L’équipe elle aussi acceptait
la venue d’un collègue ayant une autre formation qu’eux. L’institution
dans son ensemble s’ouvrait sur l’extérieur. L’axe général de la
thérapie est un axe relationnel et l’accent est mis sur les problèmes de
séparation-individuation sans négliger ce qu’ils impliquent de travail
intra-psychique.
Nous sommes milieu juin et j’ai trois mois pour lui présenter mon
projet suivant : proposer un temps d’expression en utilisant comme
médiateur la gouache. Je fais cette supposition que ce moyen d’expres-
sion peut nous permettre de poser un autre regard par l’emploi des
couleurs, les formes, l’utilisation dans l’espace de la feuille, les asso-
ciations qui sont faites dans l’imaginaire.
Je souhaite que cette activité ait lieu une demi-journée par semaine.
Toutes les activités de cette institution ont lieu en sous-sol. Le bâti-
ment est construit de telle sorte, que le dit sous-sol est largement
éclairé par la lumière naturelle.
78
LES MÉDIATIONS

Expérience d’un groupe fermé


La connaissance et la compétence professionnelle de mes collègues
me paraissent indispensables, leur association au projet ne peut que
tous nous enrichir. Ils ont une formation d’éducateur et d’infirmier.
Voici pourquoi, pendant toute l’année, nous avons été parfois trois,
quatre à encadrer l’atelier.
La prescription de ce groupe pour les enfants est faite par l’équipe
de pédopsychiatrie. Je souhaite que les soignants ainsi que les enfants
qui s’engagent dans cette nouvelle activité soient fixes. Ce groupe a
lieu tous les lundis matin.
Je n’avais aucune idée du déroulement de cette expérience. Le
médecin-chef nous (mes nouveaux collègues et moi) confiait quatre
enfants nouveaux dans cette institution. Ils souffraient tous de graves
troubles de la personnalité. Je faisais absolument confiance à la profes-
sionnalité de l’équipe, à l’improvisation et la spontanéité. Faire dans
« l’ici et maintenant » me convient bien. Pourtant j’ai organisé les
premières séances, en préparant en premier lieu le papier.
Proposer un format peut sembler contradictoire avec une possible
improvisation ou la spontanéité. Certes, le cadre que je propose sert à
se poser, à habiter cet espace nouveau. Ce cadre offre aux enfants une
sécurité. Le cadre délimite un champ de travail pour les thérapeutes. La
liberté est permise dans ce cadre défini.
Accueillir tous les lundis matin les enfants après le week-end, était
pour moi une façon d’apprécier l’état dans lequel ils se trouvaient.
Commencer la journée par une activité peinture était également
nouveau pour eux. Ils étaient disponibles et réceptifs à ce que je leur
proposais. Au fur et à mesure, j’ai eu du plaisir à les retrouver.
Nous avons fait cet exercice de reconnaître au toucher les limites de
la feuille. Le toucher du papier même fugitif nous renvoie à des souve-
nirs mnésiques. Prendre son temps dans ce toucher c’est s’imprégner
de sensations. J’ai découvert moi-même d’autres sensations en explo-
rant cette feuille lors de cet exercice. Les limites du papier s’imposent
à moi. Les représentations mentales qui me viennent à ce moment-là
peuvent paraître trop petites ou alors largement déborder ! J’ai retrouvé
ce geste que je ne faisais plus depuis très longtemps.
Deux semaines avant de commencer l’atelier à Gennevilliers nous
avons commandé et choisi les couleurs. Les gouaches sont en litre,
prêtes à l’emploi et en libre-service. Les pots de peinture et les
pinceaux sont rangés dans un meuble étagère.
79
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Avant l’arrivée des enfants, je prépare des feuilles de différents


formats. Dans nos premières rencontres je propose à tous une feuille de
papier. Je les incite à l’explorer en la touchant pour s’imprégner du
format. Il me paraît important qu’ils découvrent (enfants et adultes)
leurs sensations (par exemple, grâce au toucher, les limites). Assise
avec eux autour de la table nous faisons ensemble le même exercice. Je
les invite à devenir silencieux. Je baisse d’un ton ma voix. Soudain,
c’est un moment de tranquillité, de silence. Je les accompagne en les
aidant par les phrases suivantes : « Cette feuille est douce, ou rugueuse,
ou froide… » J’ai renouvelé cet exercice pendant les deux premiers
mois. Ce rituel nous « conditionne » à quitter l’extérieur, à « habiter
l’atelier », à être dans le temps présent. Les enfants sont (pendant ce
temps-là) à l’abri du regard des adultes absorbés par ce qu’ils font.
Grâce à cette exploration, je découvre la préférence des enfants pour
les grands formats (format raisin). J’ai disposé pour chacun dans des
pots en verre toutes les couleurs que nous avons. Je les encourage à
explorer la feuille avec une couleur de leur choix.
Je souhaitais vivement que l’espace que je proposais aux enfants
soit un lieu de liberté, donc les enfants avaient cette possibilité de ne
rien faire. Je pose ce premier postulat que l’écoute sans rien faire est
une participation active.
Dans ce lieu de soin, mon souhait était que l’atelier ne soit pas un
lieu de passage, le groupe une fois constitué restait défini jusqu’à la fin
de l’année.
L’atelier est un trait d’union entre la mère et « quelque chose de
l’extérieur de séparé ». C’est-à-dire un lieu suffisamment sécurisant
pour qu’il s’y passe quelque chose. Sa place dans l’institution nous
protège de l’extérieur. Il est au sous-sol, seule l’équipe en a les clefs,
comme tous les autres ateliers dans cette institution. Sa disposition
dans l’institution ne le différencie pas des autres ateliers.

Z Jeux des couleurs


Les premières peintures ne sont pas spontanées. Je les aide en asso-
ciant la couleur à une image, un objet, un animal, etc. J’utilise comme
« moteur » mes propres associations : le bleu comme le ciel, la mer, le
jean d’un enfant, le marron c’est la couleur du chocolat, de la terre, etc.
Nous avons continué ainsi en y ajoutant deux couleurs sans les
mélanger, puis d’autres encore. Je suis particulièrement attentive aux
gestes des enfants lorsqu’ils emploient plusieurs couleurs. « Elles
peuvent être juxtaposées sans qu’elles se mélangent » leur ai-je dit.
Chaque couleur est unique et différenciée. Métaphore de ce qu’est
80
LES MÉDIATIONS

chaque enfant, unique, différent et pourtant nous sommes dans un


groupe, nous partageons chacun avec notre singularité une activité
commune.
Ces différentes expériences avec les couleurs ont pris une séance à
chaque fois.
Les adultes ont expliqué pourquoi ils avaient choisi cette couleur. À
quoi nous fait-elle penser ? Où la trouve-t-on ?
Ces questions nous font imaginer la nature, les objets qui nous
entourent, parfois les jouets des enfants.
Par exemple le bleu employé par Naïm lui a permis de nous parler
de la voiture familiale, les longs voyages jusqu’au bateau lorsqu’il part
en vacances. Pensait-il à sa famille ? Lui manquait-elle ? Avait-il envie
de partir ?
Sofian reste « sourd » à mes questions. Il y répondra bien plus tard
alors que je n’y pensais plus ! Le jaune de Sofian, ce sont les citrons
dans la boutique de ses parents ou une petite voiture jaune qu’il avait
dans sa poche !
Nous aussi, nous associons les couleurs avec nos souvenirs, le réel
qui nous entoure, la mer, la campagne, les animaux.
Hakim reprendra à son compte ce petit jeu de questions presque
toute l’année seulement envers les adultes !
Les toutes premières fois, la peinture de Steve est « coincée » dans
le bas de la feuille, Sofian dessine des rues. Naïm s’endort sur la table.
Steve n’a jamais mélangé les couleurs, à l’inverse de Sofian pour
qui j’ai remarqué qu’au-dessus de trois couleurs, il mélange tout pour
aboutir à une couleur verdâtre. Je lui ai dit. Par la suite, je suis restée
attentive à l’emploi des couleurs, comment et pourquoi il en venait à
faire un tel mélange. Il se balançait parfois sur sa chaise, sourd à ce que
je lui disais. Je le percevais inquiet malgré l’envie qu’il avait de
fréquenter l’atelier. Autour de Noël, ses peintures ont changé. Il
emploie une seule couleur et « joue » avec les différents outils. Il se
déplace dans l’espace de l’atelier.
Je demande aux enfants de choisir seul une couleur qui correspond
à une possible association. Ils me montrent à plusieurs reprises qu’ils
s’animent autour d’un souvenir personnel. Le choix pertinent qu’ils
font m’amène dans les chemins de leur univers. Je peux grâce à ce
moyen m’approcher d’eux. Nous commençons à faire connaissance
avec des mots. Steve est le plus silencieux de tous. Le choix de ses
couleurs (très souvent la couleur marron ou l’ocre) me font penser aux
couleurs de sa terre natale. Il m’écoute et me regarde, il sourit aussi.
81
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Je me suis servie des reproductions de Malevitch lorsque nous


avons exploré les couleurs juxtaposées. Steve a employé spontanément
la couleur marron. J’ai déposé sur la table un Géo traitant des voyages
des Touaregs. Grâce à ces documents, la couleur marron est devenue
« vivante », « habitée ». Originaire d’Afrique, je l’ai aidé et j’ai trouvé
avec lui ce qui lui rappelait ses origines.
D’abord indifférents à cela, ils devenaient gourmands de
nouveauté.

Z Les colères de Hakim


Au début de la mise en place de l’atelier, Hakim arrive très en
retard. Son père et sa famille ont du mal à accepter la maladie de
Hakim. Les activités qui n’ont, pour eux, pas de caractères éducatifs
sont vécues comme inutiles. Il est très en colère aussi. Il bouscule les
chaises, crie très fort. Je l’aide à se calmer en m’asseyant auprès de lui.
Il refuse de peindre.
Que se passe-t-il pour lui ? Pour les autres ? Pour moi ? Sont-ils
perturbés ? En colère ? Déçus ? Est-il en colère contre lui ? Contre
moi ? Contre les autres ? Contre qui ? Comment vais-je faire pour qu’il
peigne ?
Puis, un jour il déchire les peintures des autres enfants. C’est à ce
moment-là que je vais être « questionnée » sur l’importance du cadre.
Le cadre de l’atelier est-il suffisamment contenant ? Dois-je être
plus ferme ? Suis-je suffisamment sûre de moi pour être
« contenante » ?
Mes hypothèses nous conduisent à ce qu’une loi soit émise. Celle
du respect des productions, de soi-même et des autres sera dite.

Hakim refuse de peindre. Il nous crie : « C’est pas beau ! ». Je ne


suis pas troublée par son refus de peindre. Par contre son comporte-
ment agressif me tourmente dans la mesure où il perturbe le reste du
groupe.
Lorsque qu’il surgit dans l’atelier très en colère, les limites que je
lui impose font qu’il doit « trouver » une place. Notre rencontre à tous
les deux est sur mode particulier : lui avec sa colère, son mécontente-
ment et moi d’abord sur une réserve, puis un accueil qui lui permet de
ne pas peindre. Je lui fais part de la peine que j’ai lorsqu’il est dans ce
genre d’état. J’ai remarqué que Sofian se bouchait les oreilles, s’agitait
sur sa chaise.
J’essaie de comprendre avec lui ce qui se passe. Est-ce l’ambiance
de l’atelier ? son retard ? Il reste silencieux.
82
LES MÉDIATIONS

Petit à petit, je lui pose des questions qui tournent autour de notre
relation.
« Préfères-tu faire autre chose que de la peinture ? Peut-être
penses-tu que je devrais t’attendre ? » Il fait « non » de la tête. S’auto-
rise-t-il à me le dire ? Peut-il me le dire ? Pense-t-il que je peux le
punir ? Le médecin va-t-il le savoir ?
Sa colère vient-elle du dehors ? De sa famille ? Teste-il mon
autorité ?
Lui aussi doit s’ajuster à moi, à nous. Je suis « étrangère » au
service, cet atelier est nouveau. Les enfants ont très bien repéré ma
présence, qui est d’être présente seulement une fois par semaine et
pour une activité bien précise. Je fais part à mes collègues de mes états
intérieurs : de la peine (parce qu’il est malheureux), de l’incompréhen-
sion (pourquoi fait-il cela ?), de la gêne pour les autres enfants, de la
colère (envers moi, de ne pas être à la « hauteur »).
Dans notre cheminement chacun a pris une place. Hakim a fait
l’expérience de peindre debout, assis. Seul assis à la table, il a pu
occuper une grande surface. À l’inverse, assis à côté d’un autre, il a
ressenti une gêne ou une complicité. Il s’approprie l’espace avant
d’aller vers l’adulte. Dans les peintures collectives qui ponctuaient le
trimestre, il a pu être présent en ménageant son anonymat.
Lorsqu’une peinture lui déplaisait, il la jetait. Par exemple, Steve
n’a jamais jeté la peinture qui lui déplaisait ; il l’éloignait en
grimaçant.
Exister à travers ses peintures, prendre une place, appartenir au
groupe, petit à petit dans l’atelier, il s’autorise à être.
J’ai accepté de Hakim qu’il ne m’appelle pas par mon prénom au
début de notre rencontre et au fur et à mesure que je m’approchais de
lui, il a pu me nommer. Je le reconnais comme une personne à part
entière et il a pu me différencier des autres. J’ai beaucoup d’affection
envers lui et le lui ai dit. Lorsqu’il est revenu d’un court séjour à la
montagne, il m’a raconté avec plaisir ses débuts à ski, ses chutes en
luge, le nez dans la neige. Nous avons ri dans l’atelier. J’étais heureuse
de le retrouver.
Mes investigations autour de la famille de Hakim m’apprennent
que l’ambiance familiale est bruyante, tendue et maltraitante. Je
l’informe de mes connaissances sur sa famille. Je lui fais part aussi de
la protection des autres et de lui-même dont je dois faire preuve. La
consigne que j’émets se fait dans ce sens. La colère est une chose, la
destruction en est une autre. Je lui verbalise qu’il peut exprimer sa
colère, et que la destruction que je perçois à chaque fois « lui fait du
83
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

mal », mais n’est pas obligatoire. Je peux l’aider à trouver comment la


destruction qui le dépasse peut être canalisée. Nous cherchons entre
collègues, le moyen de dévier cette destruction, de la contenir ou tout
au moins de l’aider à pouvoir la réparer. Mes collègues dans notre
réunion trimestrielle avec le médecin-chef soulignent qu’il est difficile
pour eux d’empêcher Hakim de détruire, il est trop rapide. De mon
côté, je soutiens que la « réparation » viendra au moment où Hakim
aura vérifié que l’ensemble de l’atelier est contenant qu’il aura éprouvé
la dimension de solidité et de capacité des soignants à protéger
l’ensemble des enfants et ce qui s’y passe. Accepter le temps qu’il met
pour la construction de son intérieur. Le sens de ma démarche n’est pas
de l’empêcher de détruire, mais de repérer à quel moment cela va se
passer afin qu’il puisse affronter ce danger interne. À partir de là
l’aider à vivre la montée de ses pulsions destructrices et l’aider à
réparer. C’est ce travail de collaboration (avec mes collègues) et de
contenance que je mets en place petit à petit.

Z Les déchirures
Lorsque Hakim détrempe sa feuille au risque qu’elle se troue, je
pressens qu’il n’est pas prêt à supporter cet échec. Je propose à ce
moment-là qu’il range pots et pinceaux, activité qui lui plaît ; après
nous regardons ce qui vient de se passer. Je lui suggère de la laisser
sécher et de la reprendre ensemble plus tard.
Les déchirures du papier sont les métaphores des déchirures du
cœur et de l’esprit ou celles de la famille. Les déchirures du papier ne
me paniquent pas. Hakim l’a ressenti. La réparation de la déchirure
viendrait colmater l’insupportable de ma part, et non permettre à cet
enfant de faire ce long travail intérieur de la réparation si nécessaire à
son psychisme. La déchirure (dans ce que j’ai perçu) arrive à un
moment d’excitation qu’il ne peut plus contenir. J’avais été témoin de
cette réaction mais je n’avais pas pu intervenir. Au fur et à mesure mon
observation est devenue plus aiguë et plus sensible. J’avais cette désa-
gréable sensation que les traces qu’il laissait par le biais des peintures
devaient être automatiquement effacées. Devait-il à ce point ne pas
exister ? Pourquoi devait-il se faire détester ?
Je ne pouvais pas supporter et accepter qu’il se fasse du mal. Les
tables étaient rapprochées et nous nous asseyions autour. L’exploration
des outils et des couleurs demandait une concentration de nous tous.
J’avais remarqué que les peintures collectives faisaient la fierté de
Hakim. Les peintures collectives auxquelles je participais nous ont
sûrement rapprochés. Il y avait une sorte de légèreté qui nous permet-
84
LES MÉDIATIONS

tait de jouer. La légèreté était-elle due à « l’habitation » de l’espace ?


Nous étions tous debout, tournant autour de la table, échangeant nos
places au fur et à mesure de nos associations. Dans ce moment-là, il y
avait de nombreux échanges.
Petit à petit, il a accepté les traces qu’il laissait. Les peintures
pouvaient ainsi s’afficher. Il a pu s’inscrire de manière anonyme dans
un groupe avant d’accepter de se regarder. La peinture individuelle
était une sorte de boîte de Pandore, inquiétante, le laissant à découvert.
La peinture groupale, là où son nom n’apparaît pas exactement, où ses
traces se diluent avec celles des autres lui a permis de porter un vête-
ment qu’il peut quitter par la suite. Passer de la peinture collective à la
peinture individuelle, tel a été son chemin.
Les déchirures du papier de Hakim ne sont pas des déchirures
« accidentelles » comme j’ai pu le remarquer chez Sofian. Ces déchi-
rures arrivaient après un moment d’excitation. J’aurai espéré avoir à
ma disposition d’autres matériaux qui auraient pu supporter les atta-
ques de destruction. J’ai imaginé de la construction à l’aide de
matériaux durs comme le fer, des boulons, des écrous, pouvoir scier,
joindre à l’aide de vis, clouter.
J’en suis restée à cette idée, pour plusieurs raisons : l’absence
d’outils supplémentaires, la lenteur de l’administration et ma présence
limitée dans le temps.
L’idée du modelage par la terre m’est venue également, vite aban-
donnée par mon manque d’expérience. À ce moment-là, je n’avais pas
encore lu l’article de R. Rousillon sur l’objet malléable. J’ai poursuivi
avec ma première idée. J’ai proposé un papier plus solide résistant
« aux attaques ».
Pour Hakim, je m’étais attachée à ne regarder que sa violence et le
processus de réparation qu’il nous a montré dans une expression pictu-
rale. Tout ce qui s’est passé autour, mes craintes (au début les colères
de Hakim me désorientaient), les siennes (il devait être très inquiet par
ce nouveau dispositif), nos tâtonnements réciproques (le bon format du
papier, la grosseur des pinceaux, la place autour de la table, peindre
debout ou assis, parler fort ou chuchoter), notre sincérité ont contribué
à tout ce travail de rencontre.
Avec le recul, maintenant je peux supposer que la réparation dont je
parle a pu avoir lieu parce que précisément c’est un lieu distinct,
respectueux du temps de chacun, lieu où peuvent s’élaborer les mouve-
ments transférentiels et contre transférentiels. La réparation peut avoir
lieu lorsqu’il y a une confiance réciproque. Est-ce dû à la mise en place
85
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

du cadre ? La réparation peut-elle avoir lieu parce que c’est un groupe


fermé ?
Après mon inquiétude du début, l’apprentissage et la connaissance
de chacun m’ont depuis mis à l’aise.

Z Bibliographie
A. ANZIEU, L. BARBEY, J. BERNARD-NEZ, S. DAYMAS, Le travail
du dessin en psychothérapie de l’enfant, Dunod, 2002.
J. BROUSTRA, Abécédaire de l’expression, collection « Des travaux
et des jours », Erès, 2000.
V. KANDINSKY, Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en parti-
culier, Folio Essais.
J.-P. KLEIN, L’Art-thérapie, Que sais-je ?, Puf, 2007.
G. PANKOW, L’Homme et sa psychose, la chair et l’esprit, Aubier
Montaigne, 1992.
D. W. WINNICOTT, Agressivité, culpabilité et réparation, Payot,
2004.
D. W. WINNICOTT, Jeu et réalité, Gallimard, 2002.

86
Chapitre 8

Lecture de romans
à voix haute
« Que saurions-nous de l’amour et
De la haine sans la littérature »
Paul Ricœur
Isabelle AUBARD, infirmière de secteur psychiatrique

Le groupe thérapeutique dont je vous conte l’histoire, le déroule-


ment et la finalité a vu le jour au sein d’un hôpital de jour d’un secteur
de psychiatrie générale adulte de la banlieue parisienne, que nous
nommons le plus fréquemment : le centre de jour.
L’axe principal de l’activité soignante au centre de jour est basé sur
les groupes thérapeutiques. Il existe de nombreux groupes utilisant
diverses médiations comme la cuisine, l’écriture, l’équitation, le
théâtre, la lecture…
Ces groupes se déroulent pour la plupart dans les locaux du centre
et pour d’autres dans des salles prêtées par la municipalité.
Toutes les activités (ou groupes thérapeutiques, les deux appella-
tions sont utilisées) sont animées par au moins un(e) infirmier(e). Ainsi
chaque infirmier est le référent de plusieurs patients mais également le
référent de plusieurs activités thérapeutiques. Nous travaillons à
l’instauration d’une relation « privilégiée ». « C’est cette relation qui
devient le pivot des soins en ce sens qu’elle est à la fois le moyen de
connaître le malade et de comprendre ce qu’il a, en même temps
qu’elle détient elle-même un pouvoir thérapeutique. Elle devient
source d’informations pour évaluer l’aide à apporter et elle amène à
réfléchir sur ses propres émotions et attitudes qui accompagnent les
soins apportés » 54

54. Collière M.-F., Promouvoir la vie. De la pratique des femmes soignantes aux
soins infirmiers, Masson, Paris, p. 155.

87
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Tout groupe suscite un post-groupe animé par la psychologue du


centre ou une psychologue du CMP.

La lecture de romans à voix haute :


un médiateur thérapeutique
La lecture suppose la capacité de comprendre le langage et de
décrypter le texte. Elle renvoie au fonctionnement de la pensée et au
fondement du langage.
Mais alors, qu’est-ce que le langage ? Que nous apporte la lecture à
voix haute et ses effets sonores ? Quand est-il de la ponctuation ?

Z Le langage
Je m’intéresserai aux concepts linguistiques et notamment ceux
élaborés par F. de Saussure. La langue est une structure qui se fonde
sur un ensemble d’éléments donnés : les signes. Mais si nous ne dispo-
sions que des signes linguistiques, nous n’aurions pas un système
structural. Nous n’aurions qu’un lexique. La langue est une structure
parce qu’en plus des éléments, elle suppose des lois qui gouvernent des
éléments entre eux.
Selon la théorie de F. de Saussure, l’unité linguistique unit un terme
à une chose. L’unité linguistique est donc « une entité psychique à
deux faces » qui unit un concept (signifié) à une image acoustique
(signifiant).
« Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un
concept et une image acoustique. Cette dernière n’est pas le son maté-
riel, chose purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son,
la représentation que nous donne le témoignage de nos sens ; elle est
sensorielle et si il nous arrive de l’appeler « matérielle », c’est seule-
ment dans ce sens et par opposition à l’autre terme de l’association, le
concept, généralement plus abstraits » 55.
Dans ce rapport, il n’y a nulle prééminence de l’un sur l’autre, ils
sont indissociables, «… dans la langue, on ne saurait isoler le son de
la pensée ni la pensée du son » 56.
La réalité du signe linguistique, nous dit F. de Saussure, n’existe
qu’en fonction de tous les autres signes de la chaîne parlée. Lorsque le
signe est isolé des autres signes, une image acoustique donnée ne

55. De Saussure F., Cours de linguistique générale, Payot, Paris, 1980, p. 98.
56. Ibid, p. 126.

88
LES MÉDIATIONS

permet pas d’avoir une signification donnée. Saussure nous donne


comme exemple d’image acoustique :
Je la prends
Je l’apprends
Dans cet exemple, seul le contexte de la chaîne parlée permet de
délimiter la signification du signe linguistique.
L’écriture renvoie à la représentation des choses et des mots.
Le langage doit avoir une valeur de communication avec autrui
pour être investi. Au cours de la lecture à voix haute nous rencontrons,
dans le groupe, des lapsus, des modifications de mots ou de temps de
conjugaison, des inadéquations entre le ton et le contenu du texte. Il est
évident que de pareilles déformations se retrouvent chez des lecteurs
« non-psychotiques », mais à un degré moindre.

Z La lecture à voix haute


Alberto Manguel dans Une histoire de la lecture a retracé suivant
les siècles « la bonne manière » de lire. Au Ve siècle Saint Augustin,
nous dit-il, dans Les confessions parle de Saint Ambroise comme d’un
lecteur extraordinaire : « Quand il lisait, ses yeux parcouraient la page
et son cœur examinait la signification, mais sa voix restait muette et sa
langue immobile… nous le trouvions occupé à lire ainsi en silence, car
il ne lisait jamais à voix haute » 57.
De par l’étonnement de Saint Augustin, nous pouvons déduire que
la méthode usuelle de lecture à cette époque est la lecture à voix haute.
Ce n’est pas avant le Xe siècle que la lecture silencieuse devient habi-
tuelle en Occident. Lire en silence prouvait que l’on faisait un effort de
concentration, le fait de prononcer les mots constituant une distraction
pour la pensée. Actuellement peu de gens lisent à voix haute.
Le fait de lire à voix haute permet un partage, mais cela entraîne
une mobilisation bien plus importante de notre être. La lecture à voix
haute marque la limite entre le monde interne et le monde externe. Le
langage va être exploité dans la langue même, au niveau du son mais
également au niveau de la pensée. C’est un exercice de contrainte de la
pensée qui peut se révéler difficile chez des patients psychotiques, car
c’est un temps où la pensée est accaparée par les mots d’un autre.
La lecture à voix haute n’est plus très fréquente. On la pratique
pour les déclarations, dans les églises, dans les ateliers de conteurs…

57. Manguel A., Une histoire de la lecture, Actes Sud, Arles, 1998, p. 61.

89
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Selon Roger Chartier 58, au XVIIe et XVIIIe siècles, la lecture reste


souvent orale, elle est volontiers collective et essentiellement répéti-
tive. Récitation et lecture à voix haute se confondent.
La lecture à voix haute entraîne une enveloppe sonore, certains
patients viennent dans le groupe entendre et ouvrir leurs oreilles. C’est
comme le dit Pennac 59 « une lecture cadeau ». Lire devient un acte où
l’on fait entendre sa voix aux autres, à l’autre. C’est également oraliser
un discours de l’autre, se permettre d’entrer dans un texte, le goûter, le
mâcher et le digérer. Lire à voix haute nous offre la possibilité de nous
mettre les mots en bouche avant de nous les mettre en tête. On peut y
mettre du goût, de la musique, de la sensation. Au travers du son des
mots, leur sens apparaît et le sens ça se prononce.

Z Les effets sonores


Au cours de la lecture à voix haute des achoppements, des
problèmes de syntaxe voient le jour. Ils rendent le texte hachuré voire
chaotique, cependant il semble que ce n’est pas un problème de
décryptage mais un problème de sens qui intervient à ce moment-là. En
ignorant le sens, certains patients psychotiques ôtent au texte ce qui
correspond à une colonne vertébrale de l’écrit. Mais effectivement
comment peut-on anticiper le texte (au travers ou grâce à la ponctua-
tion) lorsque les mots ne renvoient pas à une signification ?
C’est ainsi que, Mohamed, après une interruption de plus de trois
mois du groupe lecture, a du mal à se centrer sur le groupe et le livre. Il
a des rires immotivés et fait des phrases saugrenues. Pendant la lecture
faite par les autres, il se détend et fait mine de dormir. Au cours des
quinze lignes qu’il demande à lire, est évoqué une voiture : la D.S.
Lors de la discussion Mohamed dit : « Ça parle d’Artémis une déesse
grecque ». Je lui réponds qu’effectivement ce sont deux mots que nous
entendons de la même manière mais qu’ils ne représentent pas du tout
la même chose. Mohamed me répond : « Moi les mots je ne sais pas
quel sens ils ont. J’ai un complexe qui est là. ». En même temps il met
sa main en boule sur son cœur.
La lecture a également à voir avec la musique. Lire à voix haute
c’est rendre au texte son rythme, son intensité, son timbre, sa hauteur,
c’est le faire sonner, le faire résonner.

58. Chartier R., Pratiques de la lecture, Payot, Paris, 1993.


59. Pennac D., Comme un roman, Gallimard, Paris, 1992.

90
LES MÉDIATIONS

« Le visuel est subordonné à un code sonore. Quand on lit des mots,


on part toujours de traces sonores, fussent-elles muettes, et confinées
dans la mémoire » 60.
Pauline présente de façon quasi permanente des mouvements
d’impatience au niveau des jambes. Albert présente aussi ces signes
d’akathisie. Sont-ils dus aux traitements neuroleptiques, ou liés à
l’angoisse massive de la psychose ?
Ce que nous pouvons constater c’est qu’au cours de ce qu’ils lisent
ou de l’écoute du texte lu, ils ne présentent plus ces mouvements.
La lecture à voix haute fait ici fonction d’étayage et de contenant.
Pendant les temps de lecture, nous pouvons noter que les corps se
redressent, les personnes ne sont pas affalées sur leur siège, une
concentration et une attention se font jour. Les mots erronés par le
lecteur sont le plus généralement repris par une personne du groupe.
Tous sont attentifs. Nous pouvons constater que l’attention des partici-
pants se relâche pendant les temps de discussion.
Les corps sont réceptifs à ce bain sonore, à cette écoute qui se veut
collective, à ce moment de partage.

Z La ponctuation
J. Drillon dans Traité de la ponctuation française loge la ponctua-
tion à l’enseigne de la transmission. Elle introduit le tempo, la
séquence, le rythme, l’intonation, la discontinuité. C’est un code dont
l’utilisation ne nous est pas libre.
« On dit en général que la ponctuation, telle qu’on peut l’admettre
aujourd’hui, sinon la lettre du moins l’esprit, remonte au
VIIIe siècle » 61.
Cette première ponctuation correspond au « blanc » que l’on glisse
entre les mots. Le code de ponctuation n’a cessé d’évoluer à travers le
temps. La virgule ne s’utilise plus au XXe siècle comme elle l’était au
XVIIe.
La ponctuation a pour fonction de structurer le texte et de permettre
une lecture structurée. À l’oral elle détermine les pauses à faire, à
l’écrit elle souligne ce qui est important.
« La ponctuation est un des ensembles de signes par lesquels un
lecteur prend connaissance d’un texte » 62. Elle fait lien entre l’auteur et

60. Pludermacher G., « L’ouie de l’œil » in La Nouvelle Revue de Psychanalyse,


PUF, Tome LX, 1996, pp. 199 à 213.
61. Drillon J., Traité de la ponctuation française, Gallimard, Paris, 1991, p. 24.
62. Ibid, p. 66.

91
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

le lecteur, « elle n’est plus de la pensée de l’auteur, ni même de son


style ; elle n’est encore de la pensée du lecteur : elle est un code inter-
médiaire, un outil, un pont entre deux esprits » 63.
Mohamed a tendance à lire très rapidement sans aucune ponctua-
tion et en avalant la moitié des mots. Il tient une lecture coordonnée sur
les quinze premières lignes, puis il accélère son rythme et saute des
ponctuations. Cependant sa lecture reste vivante.
Ne marquant aucune ponctuation, il se trouve très vite essoufflé, il
semble courir après les mots, avalé par eux.
Il fait des rajouts de mots dans le texte comme « Je me promenais à
deux heures – du matin–, en plein soleil… ». Il transforme les mots et
les temps de conjugaison.
Pauline ne marque, elle non plus, aucune ponctuation. Elle lit vite,
cependant de façon distincte. Elle s’arrête pour reprendre sa respiration
parfois de façon impromptue. Sa lecture donne l’impression d’une
course de vitesse.
Je demande aux personnes ayant une lecture trop rapide ou trop
hachurée de limiter leur temps de lecture et de tenter de lire plus
lentement.
La ponctuation nécessite que l’on soit à l’écoute de l’autre. C’est
aussi pour l’auditoire que l’on marque les temps. C’est une acceptation
des codes et des règles pour se rendre audible à l’autre. Ainsi j’entends
souvent dans le groupe Charles rappeler à Mohamed, quand celui-ci
s’emballe dans sa lecture : « Ne lis pas trop vite, on ne comprend
rien ». Au cours des lectures posées et respectueuses du temps du texte,
diverses personnes du groupe émettent leurs appréciations : « C’était
agréable, on comprend mieux ».
Le groupe est là pour rappeler au lecteur qu’il n’est pas seul dans
cette aventure.
Il me semble alors que le fait de transformer les mots, de ne pas
mettre le ton, d’« avaler » le texte est une façon de se rendre inintelli-
gible à l’autre. C’est une mise à distance. C’est aussi la difficulté à
reconnaître le langage et ses codes et à l’accepter comme valeur de
communication avec autrui.

L’activité lecture
Cette activité est appelée communément au centre de jour : le
groupe lecture. Sa création remonte à la genèse de la première tentative

63. Ibid, p. 67.

92
LES MÉDIATIONS

d’implantation d’un centre d’accueil sur le secteur dans les années


1980.
Il a tout d’abord été animé par deux infirmiers qui avaient pour
support de lecture, des textes de l’histoire de France. Quand j’ai repris
ce groupe je ne me sentais pas du tout à l’aise avec cette histoire
d’Histoire. J’ai proposé des poèmes, mais ceci n’a suscité aucun
enthousiasme. Les patients du groupe m’ont dit : « Moi, je n’arrive pas
à lire. Mais je me souviens avant j’aimais ça ! Avant ma maladie !
Mais lire, lire des livres !!»
Leur demande était de lire un livre dans son intégralité, du début à
la fin. De cette réflexion a émergé que l’envie était de lire une histoire,
de se prolonger dans une histoire singulière et particulière, comme est
l’histoire de vie de tout un chacun.
Proust dit que la lecture est ce qui met en mouvement sa mémoire,
son imagination, sa mémoire imaginaire. La lecture nous porte ailleurs,
au plus intime et au plus étranger de soi, elle réveille des désirs secrets,
en fait naître d’inattendus et donne à désirer.
La lecture pratiquée dans le groupe est une lecture à voix haute, ce
n’est donc pas une activité privée. Le choix des livres, des romans doit
être accepté par tous.

Z Le fonctionnement de l’activité lecture


L’aménagement du cadre du groupe doit se concevoir aussi au
niveau architectural. Murs, chaises, décorations sont des messages
dirigés au groupe auquel il va réagir par d’autres messages. Un cadre
soigné va induire une attitude de respect les uns envers les autres. Un
cadre anonyme, des réactions de dépersonnalisation. Un cadre chaleu-
reux et confortable va inciter aux échanges.
Ce groupe se déroule dans la pièce la plus spacieuse et la plus lumi-
neuse du centre de jour. Nous disposons les chaises en cercle en début
de groupe. Sur les murs sont accrochées des cartes du monde et de la
France. Elles nous permettent de repérer les lieux dans lesquels se
déroulent les romans que nous lisons.

Z Les admissions
L’entrée dans le groupe lecture fait l’objet d’une prescription médi-
cale. C’est ce que nous nommons au centre de jour, un groupe fermé.
Lorsque le médecin et/ou l’infirmier référent et/ou le patient estime
que le groupe lecture pourrait être thérapeutique, ils nous font part de
leur demande. Un accord est donné en fonction du nombre de places
93
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

disponibles ainsi que de la stabilité du groupe à ce moment-là. Nous


n’accueillons généralement pas de nouveaux patients lorsque nous
sommes en fin de lecture d’un roman.
La prescription d’admission dans le groupe se fait au cours d’un
entretien médical. Avant son entrée dans le groupe, le patient est reçu
par le référent du groupe, nous lui indiquons au cours de cet entretien
les modalités de fonctionnement, mais nous ne parlons jamais du
contenu du groupe. Ceci intéresse le groupe dans son entier et non
simplement l’intervenant.
Le renouvellement de prescription est discuté en post-groupe puis
avec les référents et le patient après chaque fin de livre.

Z Les post-groupes
Les post-groupes sont animés par la psychologue du centre de jour.
Ils ont lieu tous les deux mois. Au cours de cette réunion nous, la
psychologue et moi-même, évoquons les patients un à un. Je me remé-
more leurs attitudes dans le groupe ainsi que les souvenirs ou les
situations dont ils ont pu me parler, nous les relions au texte et au
contexte.
L’écoute que j’adopte pendant le groupe ne s’applique pas simple-
ment au discours. Je tiens compte des comportements et des actes des
patients : les transgressions de cadre comme les retards, les absences,
les départs non prévus… les alliances, les positions persécutives, les
phénomènes de miroir, les attitudes contre-transférentielles, les trans-
ferts co-latéraux qui émergent au sein du groupe. Les post-groupes me
permettent une position de recul et de mettre à jour, de part l’énoncé
que je fais, des résistances et des difficultés.
L’analyse que je fais lors de ces post-groupes est une reconstitution.
Le simple fait de reparler du groupe m’oblige à une élaboration en
présence d’un tiers.
Évoquant les patients au premier plan, cela nous amène à nous
centrer sur leurs problématiques, et non plus sur celle du fonctionne-
ment du groupe. Ce décodage, modifié par le regard de la psychologue,
me permet de faire une analyse transversale du groupe. L’envahisse-
ment ou le retrait d’un des participants peut être interprété
différemment et ceci peut nous proposer un autre mode d’approche.

Z Le déroulement
Le groupe lecture se déroule à jour fixe et à heure fixe toutes les
semaines, pendant une durée d’une heure. Il a une capacité d’accueil
de dix patients.
94
LES MÉDIATIONS

Notre première action consiste en l’installation de la salle ; quand


celle-ci est perturbée, le groupe le restera tout le long de sa durée sous
différentes formes. Je suis vigilante à ce que tout le monde s’installe en
cercle afin qu’aucun ne tourne le dos à l’autre. Le risque est que
l’ensemble mette à l’écart celui qui se sera positionné différemment. Je
m’installe auprès des patients qui semblent le plus perturbés à ce
moment-là.
Une fois que nous sommes installés, l’heure va se décomposer en
temps de lecture et en temps de parole.
Nous lisons un roman dans son intégralité. Chaque participant
prend un exemplaire en s’installant. Les patients lisent à haute voix. Ce
sont eux qui se proposent pour être lecteurs. Le temps de lecture est
variable. Une règle est à respecter lorsque l’on s’arrête de lire : il
convient de s’arrêter au point et non au milieu d’une phrase. J’aurais
l’occasion de reprendre cette idée, un peu plus loin dans le texte.
En début de séance nous indiquons les présents et les absents. Nous
nous remémorons ensemble le passage que nous avons lu la semaine
précédente. Cette reconstruction se fait à partir des bouts de souvenirs
de chacun. C’est un travail de mise en mémoire et de mise en histoire
par lequel se constituent, un temps passé et un temps présent. Nous
tentons, ensemble avec les fragments d’histoires qui nous restent en
tête, de reconstituer l’histoire que nous avions laissée la semaine précé-
dente. Nous construisons une histoire du groupe à travers l’histoire du
roman. Nous reconnaissons tous les membres du groupe comme co-
auteurs de l’histoire du groupe.
Il existe une histoire du groupe mais également une histoire pour
chacun, comme s’entrecroise l’histoire familiale et l’histoire individuelle.
Lorsque le groupe a été interrompu pour une période de quelques
semaines (par exemple la période des congés), en début de séance nous
faisons une restitution de la lecture du livre. Elle peut se faire égale-
ment lors de l’accueil d’un nouveau patient. Celle-ci se fait avec les
souvenirs de tous. En tant qu’animatrice du groupe je ne lis pas mais je
participe activement à cette remise en mémoire.

Z Le partage
La lecture à voix haute impose une « impitoyabilité ». Tout est lu, il
ne peut y avoir de modification du texte sans que le groupe ne s’en
aperçoive car chacun suit sur son propre texte. Dans la lecture à voix
haute il s’agit de mettre en scène une articulation sonore, mettre le ton
sur le graphisme des signes.
95
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Lorsqu’on lit devant un auditoire qui lit en même temps à voix


basse, on ne peut ni sauter de passages, ni revenir en arrière. Cela
confère au texte versatile, un caractère, une identité marquée dans le
temps et l’espace, par son lecteur. La lecture solitaire est, elle, beau-
coup plus fantaisiste. La lecture à voix haute implique un effet de
chœur silencieux, les auditeurs deviennent une sorte de chorale.
Le fait de lire à voix haute implique la reconnaissance de la
présence consistante de l’autre, des participants constituant le groupe.
« Le corps et l’attention des autres font limite au glissement du
délire, ils forment en quelque sorte un écran. Nous sommes tous un
public pour l’autre et les commentaires entament, restituent le jeu des
positions énonciatives. Enfin, ils permettent de réguler les effets laté-
raux des identifications. » 64
Le rappel que je fais pour ramener les membres du groupe vers le
texte que nous venons de lire ensemble, tant au niveau des mots que du
rythme, font limite au glissement vers une construction délirante du
texte.

La place du roman
Mais comment peut-on utiliser les romans comme moyen thérapeu-
tique car, il est dit communément « qu’ils font perdre la tête » ?
Il était fréquemment dit avant le XXe siècle qu’il ne fallait pas faire
lire les jeunes filles au péril de leur mariage, et principalement des
romans. L’aventure qu’ils offraient, était un danger.
La crainte étant de se faire happer par la fiction de l’histoire,
d’aspirer aux mêmes choix que les héros.
Cet aspect m’intéressait particulièrement dans le choix de ce
médiateur. La possibilité de se coller aux personnages, à l’histoire, sans
se perdre dans l’identification. Ne pas glisser du fantasme au délire.
Outre l’aspect romanesque, la « belle lettre » intéresse le groupe
lecture. La beauté du texte, son intelligibilité, sa capacité à évoquer des
images, font la richesse du groupe. Il est nécessaire que le texte ait de
la « profondeur », comme si l’on pouvait « surfer » sur les mots des
phrases.
Lydia Le Colleter, professeur de lettres co-animant avec une infir-
mière un groupe de lecture pour adolescents dit : « Le récit est un
facteur organisateur des structures psychiques, mais il a la particula-

64. Rancher B., « Paroles à lire, écrits à entendre », texte fourni par l’auteur.

96
LES MÉDIATIONS

rité de n’être pas soumis aux règles de cohérence de la pensée


scientifique, explicative d’une causalité, mais à celle de l’élaboration
narrative productrice de sens. Il n’apporte pas une stérile explication
mais génère une dynamique psychique.
La fiction narrative, en outre, a partie liée avec la temporalité…
dont l’absence empêche toute élaboration psychique.
Le récit narratif fabrique du temps. C’est une temporalité en
mouvement. La narration fait naître un désir du futur : Et après, que se
passe-t-il ?
Shéhérazade recule ainsi le moment de sa mort. La narration
permet-elle d’échapper à la mort psychique comme la belle conteuse
échappe à la mort physique ? » 65
À la fin de la lecture du roman Le champ de personne de
D. Piccouly, Pauline s’est montrée une lectrice très assidue. Elle lisait
beaucoup car elle voulait connaître la fin de l’histoire. Pauline se mobi-
lise. Elle est dans l’investissement de l’objet que représente ce roman ;
cela a comme effet de la sortir de son repli. Cet aspect en soi est un
effet thérapeutique.
Chaque livre contient un nombre infini de fables, de chroniques des
temps passés, futurs et présents, d’aveux, de confidences qui fournis-
sent au lecteur le pouvoir de créer une histoire et fait supposer à
l’auditoire, lorsque la lecture est faite à voix haute, qu’il est présent au
moment de la création.
« Romans d’aventures et histoires d’amour nous éveillent à des
aspirations hors du commun. Par procuration, ils nous apprennent que
d’autres vies sont possibles ; non seulement celles que nous venons de
côtoyer le temps d’une lecture, mais aussi la notre, qui n’est elle aussi
qu’une fiction, dont il nous appartient de faire varier les données. Ce
dont nous souhaitons nous saisir à travers ces différents personnages
n’est autre que l’énigme que nous sommes pour nous-mêmes et que
nous tentons, par leur intermédiaire, de déchiffrer » 66.
Les romans induisent des narrations alternatives de notre propre
histoire. Ils nous donnent la possibilité de faire une autre lecture et une
autre construction de ce que nous vivons.

65. Le Colleter L., « Lecture, communication et adolescence », Nervure,


Septembre 1996, n° 86.
66. Nadaud A., Ivre de livres, Balland, Paris, 1989, p. 34.

97
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Z Le roman dans le groupe lecture


Divers romans ont traversé le groupe. J’ai pu constater que lorsque
l’histoire relatée était trop proche du vécu des patients, aucune discus-
sion n’émergeait. Lire était parfois pénible. Le pigeon de Süskind a été
une rude épreuve. Le héros de l’histoire, dans cette crainte qui amène
sa déchéance sociale a réveillé chez les patients des impressions de
déjà connu, écrites presque comme s’ils les vivaient. La métaphore,
opérée dans ce roman, du pigeon et de la société, cette société qui
faisait peur au héros et le paralysait dans les gestes de sa vie quoti-
dienne, a eu comme effet de paralyser le groupe. Peu de discussions
émergeaient, le temps de lecture dans le groupe était beaucoup plus
important que le temps de parole.
Tout ce qui a touché à la cruauté animale ou à des contrées étran-
gères a pu être discuté dans son horreur, ainsi que la difficulté que nous
pouvions éprouver vis-à-vis des mœurs, comme dans Croc-Blanc de
J. London ou Le vieux qui lisait des romans d’amour de J. Sepùlveda.
Dans ces deux romans des scènes fortes, sanguinolentes et meurtrières
se jouent. Il existe peu de réticence dans le groupe à en parler, les asso-
ciations sont riches.
L’écriture par métaphore a également un effet surprenant sur la
liberté de parole qu’elle produit dans le groupe. Lorsque nous avons lu
Vendredi ou les limbes du Pacifique de M. Tournier, le groupe s’est
trouvé logorrhéique. Nous avons mis quasi une année pour lire le livre.
Lorsque nous avons lu Les douze travaux d’Hercule adapté par
R. Graves, le groupe a été fasciné par ce héros, fils bâtard de Zeus, qui,
fragile, s’est protégé d’une seconde peau, pour accomplir de façon
exemplaire ses travaux. Les patients évoqueront souvent cette « peau
du lion de Némée » disant : « Ça serait bien si cela existait ».
La lecture de Zazie dans le métro de R. Queneau a été au départ très
critiquée dans le groupe. « Il écrit n’importe comment, c’est plein de
fautes. » Beaucoup butaient sur les mots « mal » orthographiés, la
lecture nécessitait une forte concentration. Nous avons beaucoup fait
marcher notre imagination durant cette lecture. Régulièrement je
suggérais que nous évoquions la façon dont nous nous représentions
les personnages. Certaines personnes du groupe ont eu la curiosité
d’aller découvrir le film qui passait encore dans quelques
cinémathèques.
Les lectures sont généralement chargées d’un bout de notre
histoire. Que ne se souvient-on !
As-tu lu tel livre ? Ah oui je m’en souviens ! Que d’émotions,
d’images, de souvenirs contiennent ces mots !
98
LES MÉDIATIONS

Et les romans nous rappellent notre propre histoire. Anne dit du


Champ de personne de D. Picouly : « L’histoire est simple, cela nous
replonge dans les souvenirs de notre enfance. » Mohamed l’associe
également avec son enfance et sa famille, « J’ai la même histoire que
Picouly avec les bidonvilles, les cités et plein de frères et sœurs ». Il y a
là de la part de Mohamed une identification avec une possibilité de ne
pas se coller à cette identification.
« Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si
pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre,
ceux que nous avons passés avec un livre préféré. » 67
La majorité des livres que les patients évoquent dans le groupe
lecture sont rattachés à leur enfance, à leur adolescence ou « avant que
je tombe malade ». Cela va du Petit Prince à San Antonio en passant
par Maupassant, Gide, Camus…
Les lectures anciennes sont évoquées lors des changements de
roman mais très peu pendant la lecture d’un livre.
Il arrive à Mohamed de confondre ou de mélanger deux histoires, il
fait son propre « melting-pot ». Généralement c’est un autre patient du
groupe qui intervient pour ramener Mohamed dans le contexte présent.
Lorsque nous lisons un roman nous nous centrons sur l’histoire. La
restitution en début de chaque séance du groupe nous y contraint. Nous
faisons une histoire de cette histoire. Les patients vont associer leur
histoire à la narration. Lors d’une séance où nous lisions Les champs
d’honneur de J. Rouaud, et où il était question du coma puis de la
démence sénile d’un des personnages, une vieille tante, Anne nous dit :
« Je n’aime pas cette ambiance d’hôpital, ça me donne envie de vomir.
J’ai du mal avec ces mots : les bras diaphanes sur les draps. J’ai
l’impression qu’elle n’a plus de vie. »
Puis Anne nous parle de sa grand-mère qu’elle avait visité à
l’hôpital quand elle avait 7 ans, il y avait de grandes salles que l’on
fermait avec des rideaux blancs pour isoler les gens ou « quand il y
avait un problème ». Elle nous dit avoir eu peur de sa grand-mère à ce
moment-là et ne comprenait pas pourquoi on l’obligeait à aller la voir.
Ce passage du roman a permis à Anne d’établir un retour dans son
histoire et de la questionner, elle conflictualise son passé et nous espé-
rons que cette démarche va lui permettre de relancer un processus, qui
apparaissait bloqué, et ainsi pouvoir parler de la mort de son compa-
gnon, chose qui lui était pour le moment impossible.

67. Proust M., Sur la lecture, Acte Sud, Paris, 1988, p. 9.

99
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Pauline rebondit sur les propos d’Anne, elle non plus n’a pas
compris qu’on lui demande d’embrasser son grand-père quand il était
mort.
Une identification latérale entre Pauline et Anne s’installe, elle est
possible grâce aux effets de partage de la lecture à voix haute.

Z Le roman comme aliment de la discussion


La lecture de la nouvelle de G. de Maupassant, Le Horla, a suscité
dans le groupe de nombreuses discussions autour du délire, de la
maladie. Éric dit en parlant du personnage principal : « Il hallucine. Il
se sous-estime car il dit qu’il n’a pas de courage ». Cette interprétation
faite par Éric du personnage est une identification avec résonance de sa
propre histoire et du vécu de ses troubles hallucinatoires.
Albert pense, lui, que c’est un concours de circonstances, il (le
héros) associe des éléments qui n’ont pas de rapports directement entre
eux, « comme moi parce que je suis schizophrène ». Il est persuadé que
tout cela vient du bateau brésilien et qu’un esprit s’en est échappé.
« Moi aussi il m’arrive de croire certaines choses mais ce n’est que
moi qui le croit parce que j’associe des évènements qui n’ont pas de
rapports entre eux. Parfois je m’invente des histoires. Après je sais que
c’est faux mais ça peut toujours se reproduire sans que je ne m’en
aperçoive. »
La lecture permet ici à Albert une perte de l’adhésion à son délire.
Le processus délirant est respecté mais une mise à distance s’opère. Il
m’a semblé à ce moment-là, qu’Albert souhaitait pouvoir soigner le
« Horla ».
Au départ Mohamed pensait que l’homme du livre était possédé par
les forces du mal. Puis il nous dit : « Je crois que ça parle de l’au-delà
et aussi de la maladie ». Il y a là une ébauche de prise de conscience
pour Mohamed de ses propres troubles, mais il persiste toujours une
forte ambivalence.
Pauline partage cette idée de la possession. « Il croit qu’il y a
quelqu’un en lui. Moi aussi ça me fait cela, j’avais un dédoublement de
la personnalité. La première fois j’étais dans mon lit et je me voyais
ouvrir la porte de ma chambre et je me suis mise à hurler mais
personne ne m’a répondu. Quand j’en ai reparlé avec mes parents, ils
disent ne pas m’avoir entendu. Je crois qu’il n’y avait aucun son qui
sortait de ma bouche.
Une autre fois comme dans l’histoire, je faisais la vaisselle et j’ai
senti ma mère derrière moi. Je la sentais respirer mais ce n’était pas
vrai. Je me suis retournée brusquement et il n’y avait personne. Un
100
LES MÉDIATIONS

jour j’ai senti un chat qui marchait sur mon lit, mais quand j’ai touché
les draps il n’y avait rien et pourtant je le sentais qui s’avançait
doucement. »
Lorsque Pauline décrit cette scène, elle la mime avec ses mains, son
regard est amusé. Elle ne semble plus avoir peur de cet épisode « du
chat ». Par contre quand elle parle du jour où elle faisait la vaisselle,
elle semble beaucoup plus touchée, une distance avec ce vécu délirant
n’a pas pu s’établir. Elle semble encore s’effrayer elle-même.
Les propos de Pauline rappellent à Mohamed des sensations
d’étouffement qu’il ressentait quand il était petit, comme si quelqu’un
était assis sur lui et essayait de lui couper la respiration. « Peut-être le
diable ? Moi aussi je suis schizo. J’ai une grande psychose mais ça ne
me fait pas comme dans le livre. »
Charles rebondit d’emblée sur les propos de Mohamed. Il dit qu’il a
eu la même chose étant petit. Il appelait « au secours » mais personne
jamais ne l’entendait. Et quand il demandait à ses frères pourquoi ils
n’étaient pas venus, ils répondaient « Mais tu n’as pas parlé ! » Il
pense que tout cela à un rapport avec le diable.
Ces échanges permettent aux patients de ne pas se sentir seuls ou
d’avoir ce sentiment que personne n’arrivera à les comprendre. Ils
évoquent leurs sensations qui sont singulières mais rappellent aussi des
choses à d’autres. Cette formalisation, cette mise en mots de leurs
symptômes leur permet de prendre du recul et d’y réfléchir. Ils retra-
vaillent ces éléments, comme me le dira Pauline, au cours de leurs
entretiens et de leurs psychothérapies.
La circulation de parole se fait essentiellement entre les patients,
mais ils adressent le plus généralement leurs propos vers l’intervenant.
Le groupe de lecture de par son dispositif permet ces discussions qui
seraient autrement vécues comme trop excitantes et angoissantes. La
place du soignant dans le groupe est celle d’organisateur psychique
évitant les débordements pulsionnels.
Une évolution et une maturation du groupe se sont produites, facili-
tant aux patients l’évocation de leurs troubles. Le détour par un auteur
leur a permis d’avancer dans la connaissance d’eux-mêmes.

Et pour conclure…
Dans le groupe lecture, l’activité d’imaginer n’est plus vécue
comme interdite ou dangereuse. Elle devient source de plaisir, d’asso-
ciations et de représentations. Cet atelier favorise une mise en action de
force psychique disponible chez les patients. Le groupe sollicite les
101
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

patients dans leurs capacités à lire, à mémoriser, à construire, à


échanger. Les échanges produits enrichissent tant l’individu que la vie
du groupe.
Pour qu’un groupe soit thérapeutique, il doit avoir un fonctionne-
ment clairement explicité, respecté et « ritualisé » afin de créer un
cadre rassurant. Cette notion de cadre est essentielle. Le groupe oscille
sur deux pôles opposés, excitant et apaisant. L’effet du groupe permet
une perméabilité avec l’inconscient mais le cadre sert de pare-excita-
tion. Ainsi des échanges de point de vue peuvent naître entre les
différents participants et amener une certaine forme de « conflictualisa-
tion ». Le cadre rassurant du groupe produit l’émergence d’émotions
anciennes sans débordements pulsionnels. C’est un contenant qui
permet d’éviter le glissement du fantasme au délire.
La lecture est une expérience singulière et communautaire. La
lecture à voix haute met en scène la musicalité d’un texte. Elle favorise
l’introduction d’une limite symbolisant cette séparation souvent diffi-
cile chez les personnes psychotiques, des espaces interne et externe.
Par le bain sonore, apaisant et contenant qu’elle produit, elle induit,
un phénomène de partage et une reconnaissance consistante des autres
participants du groupe. La contrainte de la ponctuation et celle du
langage ont une fonction de contenant. Le langage prend ici toute sa
valeur de communication avec autrui. Cette contrainte favorise la
concentration du lecteur et de son auditoire.
Le récit du roman fabrique du temps. En absence de temporalité
toute élaboration est empêchée et ramène à la mort psychique. C’est le
temps en mouvement qui fait naître le désir.
La temporisation est introduite dans le cadre même du groupe en
respectant les lieux et les temps, mais également en nous remémorant
systématiquement l’histoire au début de chaque séance. Nous construi-
sons un temps passé et un temps présent.
Les patients établissent des liens entre l’histoire du roman et leur
propre histoire. Le roman résonne dans leur histoire mais cette réso-
nance n’est pas persécutrice et n’invite pas à une intrusion délirante.
Elle permet une élaboration.
Les narrations rencontrées dans les romans rendent possible une
autre lecture et une autre construction de leur histoire.
Le roman ouvre, permet, voire construit un espace imaginaire. La
confrontation aux divers personnages offre un espace imaginaire
souvent abrasé dans la psychose.
Les héros des romans sont des objets d’identification. Ils permet-
tent aux patients de parler de leurs envies, de leurs sentiments…
102
LES MÉDIATIONS

L’écriture est un tissage savant des lettres et la lecture, sa parente et


sa finalité. C’est un tissage, une trame à l’idée d’un bout d’étoffe. Et ce
tissage, ce raccommodage vient combler un bout de notre histoire.
C’est un bout de notre passé (lointain ou proche) qui comble pour un
temps une déchirure.
La lecture de romans permet des allers-retours entre soi et les
autres, ces autres nos semblables. En tant que semblables, ils sont aussi
différents que proches de nous. Elle favorise les pertes, les séparations,
les remplissages.
La lecture va favoriser nos « pensées-images » et faire que nous
conservions des images mentales comme celles d’un pays ou d’un lieu
que nous avons visité.
La mise en commun de ces « images-pensées » concède au groupe
une sorte de patrimoine partagé.
Un livre c’est peu de chose.
C’est un objet dont la couverture lui procure
Une sorte de carapace,
Mais celle-ci ne nous oppose aucune résistance.
Ouvrir un livre, rien n’est plus facile.
C’est ce qu’il contient qui fait que nous ne pouvons
le considérer comme un objet inerte.
À l’intérieur sous formes de caractères typographiques
Une vie l’anime.
Nous pouvons à l’intérieur d’un livre
Puiser matière à notre imagination.
Mais nous pouvons puiser et encore puiser
Rien ne viendra, lui, l’épuiser.
Lire une histoire c’est lui redonner corps.

Z Bibliographie
R. CHARTIER, Pratiques de la lecture, Payot, Paris, 1993.
M.-F. COLLIÈRE, Promouvoir la vie. De la pratique des femmes
soignantes aux soins infirmiers, Masson, Paris, p. 155.
J. DRILLON, Traité de la ponctuation française, Gallimard, Paris,
1991, p. 24.
L. LE COLLETER, « Lecture, communication et adolescence »,
Nervure, Septembre 1996, n° 86.
A. MANGUEL, Une histoire de la lecture, Actes Sud, Arles, 1998,
p. 61.
A. NADAUD, Ivre de livres, Balland, Paris, 1989, p. 34.
103
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

D. PENNAC, Comme un roman, Gallimard, Paris, 1992.


G. PLUDERMACHER, « L’ouie de l’œil » in La Nouvelle Revue de
Psychanalyse, PUF, Tome LX, 1996, pp. 199 à 213.
M. PROUST, Sur la lecture, Acte Sud, Paris, 1988, p. 9.
B. RANCHER, « Paroles à lire, écrits à entendre », texte fourni par
l’auteur.
F. DE SAUSSURE, Cours de linguistique générale, Payot, Paris,
1980, p. 98.

104
Chapitre 9

Groupe musique : une séance


de musicothérapie réceptive
Dominique FRIARD, infirmier de secteur psychiatrique

Face à la mer, sur une plage de Lalonde dans le Var, un petit


groupe est rassemblé autour d’un poste de radio. Ils sont six, allongés
en cercle, comme les branches d’une étoile de mer. Le clapotis tran-
quille de la Méditerranée accompagne la musique. Juliette, une petite
poupée brune de bientôt quarante ans, fredonne une chanson de
Renaud pendant que l’hélicoptère de la sécurité civile passe au-dessus
du groupe. Dès que le vent soufflera, on repartira… Christine, la
brune Walkyrie, fière dans le maillot de bain qu’elle a acheté pour
l’occasion, prend des poses. L’été indien enveloppe chacun d’une
douce tiédeur.
« J’ai aimé » dit Juliette qui s’est redressée comme tout le groupe
dès la fin de la chanson. « Ça me rappelle mon père. Quand j’ai
dispersé ses cendres dans la mer. Mais je vous ai déjà raconté ça. »
Maxime sourit. Peut-être pense-t-il à l’interruption des séances de
musique au mois d’août. Peut-être est-il soulagé d’être là. Un mois
sans Musiques du monde. Un mois sans cette douce chaleur qui
rassemble les participants. Il se souvient de l’idée farfelue née après
l’écoute de Passi et Calogero : « Et si nous faisions en septembre une
séance au bord de la mer. La première séance de l’année. » Il a dû
guetter, comme chacun de nous les bulletins météo. Lui qui a tant de
mal à choisir ses dates de vacances habituellement, les a posées sans
l’ombre d’une hésitation. Une semaine pour une séance de musique au
bord de la mer. Il en a profité pour aller, mardi, à Grenoble renouveler
son stock de partitions.
Christine, elle, s’est mise en travail. Elle s’est souvenue que c’est à
Lalonde qu’elle a décompensé il y a quelque quinze ans. Elle avait
soigneusement oublié cet épisode de sa vie qui ne colle pas avec
l’image qu’elle veut donner d’elle aujourd’hui. Lorsque l’idée a été
105
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

lancée par un des soignants référents du groupe, elle n’a pas réagi. Elle
a trouvé que c’était une bonne idée. Ce n’est que plus tard quand elle a
cherché à repérer la plage, la route qui y menait qu’elle s’est souvenue.
Elle avait vécu six mois de précarité sur cette plage. Tout est revenu. La
décompensation. Le contenu de son délire. L’hospitalisation qui a
suivi. Il fallait absolument qu’elle en parle à son infirmier référent qui
est aussi le référent du groupe. Malheureusement celui-ci était en
vacances à ce moment-là. Elle ne pouvait en parler à personne d’autre,
même pas à son médecin. Elle a rongé son frein pendant deux
semaines. Évidemment, tout le monde savait qu’elle avait des choses
importantes à dire qu’elle ne dirait qu’à lui. Transfert. Christine a un
certain sens du suspens. Et de la mise en scène. Quand l’infirmier est
rentré de vacances, chaque soignant lui a dit : « Il faut que tu vois
Christine, elle a des choses à te dire. » L’entretien a été extrêmement
riche. Christine a fait le récit d’un étonnant délire dont elle n’avait
jamais parlé jusque-là. Quelque chose de très « fou » qu’elle avait
depuis, toujours tenu à distance.
Juliette, quand elle ne fredonne pas, se relaxe. Elle est venue pour
acheter des souvenirs. Musiques du monde, au fond pour elle, c’est une
fabrique de souvenirs. Avant de monter dans le minibus, lorsque le
groupe a quitté Gap, elle a tenu à offrir à l’infirmier référent du groupe
un souvenir d’un autre voyage. Don, contre-don. C’est une des dimen-
sions mise en jeu par Juliette dans ce groupe.
Christine, Maxime, Juliette, chacun a quelque chose en lui qui
relève de la schizophrénie.
Le groupe s’interrompt après une chanson d’un groupe breton peu
connu découvert lors des soirées du kiosque organisées à Gap tous les
jeudis soirs pendant l’été. Maxime a acheté un cd que Christine a
gravé. C’est ainsi, aussi, que ça circule dans ce groupe.
« À l’eau… » chantonne Laetitia, l’infirmière, dont c’est la
première séance. À l’exception de Juliette qui garde le poste de radio,
tout le monde se retrouve à l’eau. À l’enveloppe sonore a succédé
l’enveloppe iodée qui porte les corps comme la musique porte et
chacun et le groupe. « Même pas froid », plaisante Dominique l’infir-
mier référent. Il faudrait prendre le temps de décrire le ballet aquatique.
On s’éloigne, on se rapproche, on s’évite. Chacun son tempo. Christine
est une ancienne nageuse. Elle se souvient qu’elle a fait de la compéti-
tion. Elle n’a rien perdu. Maxime est un métronome. Il contrôle. Il
n’arrive pas à faire la planche. Il faudrait qu’il se laisse aller dans l’eau,
qu’il cesse un peu de maîtriser. Avec l’aide de Christine et de Domi-
nique, oui, il flotte.
106
LES MÉDIATIONS

Le groupe court se sécher en riant.


Les histoires fusent et les souvenirs aussi. Souvenirs de colonies de
vacances. Souvenirs de vacances en famille. Émotions retrouvées, enri-
chies par des musiques d’époque. Le groupe s’achève avec « La mer
qu’on voit danser le long des golfes clairs. »
Des moules et des frites au restaurant de la plage. Un long inter-
mède souvenir sur le port pour Juliette, quelques cartes postales.
C’est un mercredi exceptionnel.
Le groupe Musiques du monde a aussi un certain nombre de
routines. Il a une histoire qui remonte à quatre ans. Histoire dans
laquelle cette virée au bord de la mer s’inscrit.

Généralités sur la musicothérapie réceptive


La musique a été utilisée à des fins thérapeutiques quasiment dès
son origine. Elle est trop intimement liée au corps de l’interprète et des
écoutants pour que les hommes passent à côté de ses vertus bienfai-
santes. La musique est d’abord un phénomène collectif qu’on
l’interprète ou qu’on l’écoute. Le progrès technique qui rend l’écoute
musicale individuelle est finalement assez récent. Les vertus thérapeu-
tiques de la musique ont été identifiées dans toutes les cultures et à
toutes les périodes historiques. L’efficacité de la musique, dans ces
différents contextes, est située à un triple niveau :
• corporel (elle soigne certaines maladies – le « tarentisme » 68 par
exemple, elle est aussi utilisée en odontologie pour soulager la
douleur) ;
• comportemental (elle stimule les apathiques ou calme les agités –
voir par exemple le récit biblique de David jouant de la harpe
pour traiter la mélancolie du roi Saül) ;
• spirituel (elle permet d’entrer en relation avec l’harmonie
cosmique, avec le rythme de l’univers, elle accompagne les
prières et permet d’entrer en communication avec la divinité,
etc.).

68. Tarentisme : dans ce traitement connu dès la fin du Moyen Âge, et encore actif
dans certains lieux aujourd’hui, certains troubles psychiques étaient considérés
comme ayant pour origine une morsure d’araignée (la tarentule). Le seul traitement
efficace dans ce cas était musical : un ou des musiciens jouaient jusqu’à ce que la
crise passe, délivrant ainsi le patient des états d’agitation ou de torpeur qui
l’assaillaient.

107
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Sur un plan strictement thérapeutique, la culture médicale occiden-


tale psychiatrique s’intéresse à la musique en tant que technique
thérapeutique, dès son origine. Pinel, dans sa thèse de 1801, propose
d’utiliser des activités artistiques dont la musique pour aider les
patients à se réinscrire dans leur histoire propre et à développer des
capacités relationnelles et de socialisation. Il expérimente avec ses
disciples l’audition de musiques par l’intermédiaire de concerts
réalisés avec les premiers élèves du conservatoire nouvellement créé
(musicothérapie réceptive) et par la mise en place de cours de musique,
de chorales et de fanfares (musicothérapie active) 69.
La musicothérapie est définie comme « une forme de psychothé-
rapie ou de rééducation, selon la technique employée, qui utilise le son
et la musique – sous toutes leurs formes – comme moyen d’expression,
de communication, de structuration et d’analyse de la relation » 70.
Derrière la grande diversité des pratiques, on distingue deux
méthodes principales, que traditionnellement, on qualifie d’active et de
réceptive. Les modalités du choix musical, l’ordre des séquences
varient selon les différentes techniques.
Le groupe Musiques du monde est un groupe de musicothérapie
réceptive qui propose aux patients des auditions de musiques suivies
d’un moment de verbalisation. L’objectif de l’activité est de favoriser
une forme d’introspection. Chaque participant est invité à exprimer à la
suite de l’écoute :
• ce qu’il a ressenti (sensations, émotions, affects),
• ce que la musique lui a évoqué (images, impressions générales,
voire récits).
Réalisée en groupe, elle offre des possibilités d’ouverture à l’autre,
d’échange et d’identification très riches. Édith Lecourt 71, la plus impor-
tante théoricienne de la musicothérapie, note que le choix des
musiques est dans ce cas, très difficile car très inducteur. La subjecti-
vité des réactions de chacun à une musique fait que le soignant lui-
même s’expose par ses choix et doit pouvoir travailler cette dimension
contre-transférentielle.
Il sera beaucoup question dans ce texte des éléments transférentiels
et contre-transférentiels de la relation au sein de l’activité de musico-
thérapie réceptive. Arrêtons-nous un instant sur ces concepts.

69. Lecourt E., « Musiques et parole », in Santé Mentale, n° 89, juin 2004, pp. 24-
29.
70. Ibid.
71. Lecourt E., op cit.

108
LES MÉDIATIONS

Dans le cadre du soin, le transfert est un lien affectif intense qui


s’instaure de façon automatique et actuelle d’un sujet en position de
patient à un professionnel en position d’interprète. L’instauration de ce
lien affectif est automatique, incontournable et indépendante de tout
contexte de réalité. Le transfert est omniprésent dans les relations
professionnelles, hiérarchiques, amoureuses, commerciales, etc. Il est
donc présent également dans cette relation asymétrique que constitue
le soin.
Que transfèrent donc les patients ? Des sentiments archaïques,
positifs ou négatifs (soumission, vénération, crainte, révolte) qui repré-
sentent une réactivation des sentiments infantiles éprouvés à l’égard
des parents ou des personnalités marquantes de l’expérience infantile.
Ils déplacent ces vécus affectifs liés à des proches marquants, sur un ou
des soignants qui ne doivent que se prêter à ce rôle.
Freud, parlant du transfert distingue le transfert positif et le trans-
fert négatif. Cette distinction repose sur la constatation que le transfert
peut devenir la plus forte résistance opposée au traitement. Le transfert
positif se compose de sentiments amicaux et tendres conscients, et
d’autres dont les prolongements se trouvent dans l’inconscient et qui
s’avèrent avoir constamment un fondement érotique. Le transfert
négatif concerne l’agressivité à l’égard de l’analyste, la méfiance, etc.
Le transfert sur la personne de l’analyste ne joue le rôle d’une résis-
tance que dans la mesure où il s’agit d’un transfert négatif, ou bien
d’un transfert positif composé d’éléments érotiques refoulés.
Le transfert est donc un processus à double tranchant : d’un côté il
permet au patient de se sentir en confiance et d’avoir envie de parler, de
chercher à découvrir et à comprendre ce qui se passe en lui, et, de
l’autre il peut être le lieu des résistances les plus obstinées au progrès
de l’analyse ou du traitement. Ce n’est qu’en travaillant sur ces résis-
tances, qu’on peut amener le patient à les contourner, à les dépasser. En
ce sens, elles sont nécessaires au traitement.
Le contre-transfert est l’ensemble des effets inconscients reçus par
l’analyste à partir du transfert de l’analysant, notamment sur l’analyste
lui-même. Il implique pour l’analyste de repérer quels affects son
patient suscite chez lui et à savoir en tenir compte dans sa façon
d’interpréter le transfert de son patient. Cela suppose que l’analyste
soit à même d’analyser ce qui constitue son contre-transfert de telle
façon que celui-ci ne vienne pas interférer dans le fonctionnement de
l’analyse du patient.
Bien que les séances de musicothérapie ne soient pas des cures
analytiques, nous retrouvons les mêmes phénomènes à l’œuvre dans
109
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

les séances. Il convient donc d’en percevoir les effets, de les prendre en
compte, de les réfléchir et de les énoncer au groupe d’une façon qui lui
soit acceptable.
Il ne s’agit pas pour le soignant de jouer à l’apprenti sorcier, de
faire de la psychanalyse sauvage, mais de repérer quand il incarne une
de ces figures du passé et laquelle. Il doit par ailleurs savoir qu’il ne fait
que se prêter à ce rôle. Cet écart doit permettre au patient de
progresser. Il s’agit également de lui permettre de se situer quant à ce
que le patient suscite en lui.
Le travail psychique du groupe se développe à partir de plusieurs
séries de transfert. Le premier d’entre eux est le transfert sur le groupe
en tant qu’objet, en tant que forme enveloppante commune, en tant que
peau. Ce transfert s’opère à partir de l’identification de chacun à l’objet
du groupe : écouter ensemble des musiques et se laisser pénétrer par
les éléments sensoriels que le groupe suscite.
Il existe un transfert sur la musique elle-même, en tant qu’objet
culturel commun qui nous enveloppe. Il existe enfin un transfert sur les
animateurs et plus particulièrement sur celui qui l’impulse depuis son
origine.
Les transferts latéraux sur les autres participants se manifestent
également de différentes façons : appui, évitement, élaboration.

Genèse de Musiques du monde


Le groupe Musiques du monde est créé le 23 janvier 2002. Il entre,
en ce premier mercredi de septembre, dans sa cinquième année de
fonctionnement. Il naît dans un CMP-CATTP classique qui propose
différentes activités sportives et culturelles. Il est jumelé d’emblée avec
le groupe de cuisine qui est animé par un des cadres de santé de la
structure. Ce cadre qui est une ancienne enseignante en IFSI a souhaité
garder un contact direct avec les étudiants en soins infirmiers qui
doivent impérativement co-animer ce groupe. Cette activité permet à ce
cadre d’éviter de tourner le dos à la clinique et à l’enseignement qui a
structuré une partie importante de sa carrière professionnelle. L’infir-
mier, initiateur du groupe, ne vit pas très bien cette obligation faite aux
étudiants. Lui-même formateur, il tolère mal ce qu’il vit comme une
dépossession. Le groupe est d’abord proposé comme une alternative à
la cuisine pour les étudiants. Sa faisabilité est testée autour d’un repas à
thème qui associe une culture, des musiques et une gastronomie.
Devant le succès rencontré par cette formule, un projet de groupe est
élaboré.
110
LES MÉDIATIONS

Les soignants trouvent que les patients sont un peu trop passifs vis-
à-vis de ces groupes et de la structure de soin en général. Ils viennent
s’y nourrir. Rares sont ceux qui participent à la préparation ; la vais-
selle, comme dans une famille est un sujet de controverse et de conflits.
Face à ce constat un peu trop brut, différentes réponses ont été testées.
L’initiateur du groupe part d’une autre analyse : si les patients, essen-
tiellement psychotiques viennent se nourrir à ce groupe, dans tous les
sens du terme, c’est qu’ils ont en besoin. Il lui semble que plutôt que de
leur rendre le nourrissage plus difficile, il vaudrait mieux varier les
plaisirs. L’homme ne vit pas seulement de pain. Pourquoi ne pas les
nourrir aussi de musique ? Pourquoi ne pas effectuer un léger déplace-
ment ? Pourquoi ne pas proposer une activité où il n’y aurait rien
d’autre à faire que de mettre les pieds sous la table, et d’attendre que le
bon nanan tombe dans la bouche ou dans les oreilles ? Pourquoi ne pas
proposer au groupe un bain, non pas de nourriture, mais de sons ?

Le cadre de l’activité
Aucun des animateurs de ce groupe n’est musicothérapeute. Domi-
nique, l’initiateur du groupe, qui vient de la région parisienne, a
l’expérience de ce type de groupe. Cette activité est le troisième groupe
de musique réceptive qu’il anime. Il a également plusieurs années
d’expérience d’animation de musique active. À chaque fois, il a
travaillé avec une musicothérapeute ou avec une psychologue. Il a
participé à différents congrès de musicothérapie. Il est loin d’être
vierge en ce domaine. Les soignants essaieront d’amener le musicothé-
rapeute qui exerce en pédopsychiatrie à participer à leurs réflexions,
mais pour des raisons administratives, cela ne pourra se faire. Les
autres soignants qui vont se succéder à l’animation du groupe sont
dépourvus d’expérience en musicothérapie. Il devra les former. Le
turn-over chez les soignants (école des cadres, maternité, départ en
retraite) est tel qu’il se retrouve le seul point fixe de ce groupe dont il
est le garant, ce qui n’est pas indifférent en termes d’impact
transférentiel.
Chaque séance s’achève par un post-groupe d’une demi-heure où
sont travaillées les interactions à l’intérieur du groupe. Chaque séance
donne lieu à un compte-rendu écrit qui reste dans le groupe. L’évolu-
tion du groupe peut être travaillée dans le cadre d’une réunion
trimestrielle qui est consacrée aux activités proposées au CMP-CATTP.
Une réunion clinique hebdomadaire, réunion de régulation, animée par
un psychanalyste permet de mettre en travail la relation établie avec un
111
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

patient différent chaque semaine. Lorsque le patient participe à Musi-


ques du monde, son investissement de l’activité, des autres patients, du
soignant et de la médiation sont travaillés. Chaque année, un bilan
global de ce groupe est rédigé. Il prend place au sein du rapport d’acti-
vité global de l’établissement.
Au cours de ces quatre ans, le cadre a connu de nombreuses modifi-
cations. Initialement, l’activité se déroulait chaque mercredi de 10 h 30
à 12 heures dans la salle de relaxation. Elle s’interrompait au mois
d’août, non pas en raison des vacances des animateurs mais afin d’en
réaliser un bilan et de susciter du manque.
Le lieu a changé. Le CMP-CATTP est devenu un centre de santé
mentale situé dans un immeuble de verre sans ombre ni aspérité.
L’activité a toujours lieu dans la salle de relaxation, mais plus étroite et
plus lumineuse, celle-ci ne permet plus la même régression.
L’horaire a changé. En raison d’aménagements horaires propre à
l’institution, il se déroule depuis quelques mois, le mercredi de
17 heures à 19 heures.
Les soignants, nous l’avons vu, ont changé. L’infirmier initiateur
est resté le seul point stable.
Enfin, le matériel d’écoute a été renouvelé, et ces changements ont
impliqué de nombreuses modifications dans la vie du groupe.
Il n’existe pas de censure. Du moment qu’elle émane d’un groupe
humain, toute musique est bonne à écouter. Nous avons ainsi écarté
pour cette raison le chant des baleines que Juliette avait amené.
À Musiques du monde, vient qui veut pour la durée qu’il veut.
L’absence de censure a pour corollaire que des musiques difficiles ou
des textes trop évocateurs, ou trop agressifs pour un ou des participants
peuvent être proposés. Chacun a donc la possibilité de quitter la salle et
d’y revenir ensuite.
Un psychiatre peut recommander à un patient de venir au groupe
mais il n’est pas besoin de prescription médicale pour y participer. Il
est licite de venir se poser le temps d’une chanson et de repartir
ensuite. Il est permis de sortir fumer une cigarette et de revenir. Les
seules contraintes en ce domaine sont de ne pas perturber l’écoute.

Description d’une séance


Décrire une séance ne va pas de soi. Il faut choisir. Si l’ennui
naquit, un jour, de l’uniformité, le projet de l’activité prévoit des
moments exceptionnels : associer peinture collective et musique,
parfums et musique, consacrer une séance à la danse, séance en habits
112
LES MÉDIATIONS

de pirate, etc. Il faut résister à la tentation afin de présenter une séance


de routine. En quatre ans, la routine s’est modifiée pour toutes les
raisons décrites.
S’il est question des musiques dès l’accueil, si chacun parle de la
cassette ou du cd qu’il a ramené de chez lui, l’activité débute réelle-
ment par l’entrée dans la salle de relaxation qui devient salon de
musique et le déchaussage.

Z Se déchausser
Le déchaussage est la première règle à laquelle les participants sont
confrontés. Cette règle est liée à la destination première de la pièce
(relaxation). D’autres étant susceptibles de s’allonger sur la moquette
pour l’autre activité, il est essentiel de ne pas la souiller avec des chaus-
sures boueuses. La règle peut être aménagée. La moquette récupérée
par la psychomotricienne ne couvre pas toute la pièce. À l’entrée de la
salle, une bande de plancher permet à la fois de se déchausser pour
ceux qui se plient à la règle, et de participer à la séance, assis sur une
chaise posée là exprès, sans ôter ses chaussures pour les autres.
Certains participants utilisent cette possibilité d’être présent sans trop
l’être, sans véritablement s’engager.
Le temps de déchaussage est important. Il fait partie du cadre de
l’activité. Il induit un mouvement, une forme de déshabillage qui vaut
également pour les soignants. Les chaussettes (leur forme, leur couleur,
leurs trous éventuels) prennent alors beaucoup d’importance. Elles
nourrissent des commentaires de pré-séance. Entrer à Musiques du
monde c’est un peu comme entrer dans une mosquée. On abandonne
quelque chose du monde extérieur pour se concentrer sur la musique. Il
n’est pas simple de se déchausser pour certains patients qui souffrent
de psychose, notamment pour ceux dont les troubles se manifestent par
un laisser-aller en matière d’hygiène. Là encore, les commentaires vont
bon train, ils ne viennent pas des soignants mais des pairs, des autres
patients. Certains diront changer de chaussettes le mercredi, et unique-
ment ce jour-là.
Ce temps premier introduit la question du corps (et de son odeur),
constamment présente dans cette activité. Le choix de la salle de
relaxation, avec tapis, agrès, moquette contribue également à mobiliser
le corps du patient et la perception qu’il en a, même si la musique en
soi implique plutôt de se centrer sur ses sensations.

113
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Z Choisir sa place
Le deuxième temps est celui de l’installation. Les infirmiers ont
préparé la salle en un désordre soignant. Tapis, bancs, chaises, coussins
sont à la fois prêts et disponibles. Dans un coin trône la table avec la
« console » (le poste de radio, puis la chaîne hi-fi – cadeau du mort –,
puis celle achetée par l’institution), avec la chaise de chef d’orchestre -
disc-jokey - animateur (il y a un peu de tout cela dans ce rôle que les
soignants ne remplissent pas forcément). Chacun choisit sa place avec
soin. Juliette s’installe dans un coin, couchée sur un tapis. Maxime
s’installe sur un tapis quasiment au milieu de la salle. Christine, elle, se
love dans une chauffeuse qui se transforme en lit, en quelque chose de
douillet qui épouse son corps. Certains se fabriquent une petite niche
dans un coin, d’où ils peuvent tout contrôler du regard. D’autres préfè-
rent être en hauteur sur une chaise, pour considérer tout ça de haut.
Certains ont élu une couverture dans laquelle ils s’enveloppent à même
la moquette. Au mitant de la séance, ils disparaîtront carrément dans la
couverture. Il y eut même quelques oreillers transitionnels. Certains
ont besoin de se rassembler en bande, d’autres se collent contre un
autre, un soignant souvent.
La place choisie est importante. Au fil des séances, on note
un mouvement qui va de la périphérie vers le centre, de la chaise de
plancher vers la chaise dans le cercle vers le tapis, du qui-vive vers le
contrôle puis la relaxation, le lâcher prise. Avec toutes les étapes inter-
médiaires possibles et tous les retours en arrière ponctuels observables.
Il est même permis de changer plusieurs fois de place au cours de la
même séance.
Les soignants s’installent en triangle s’ils sont trois ou face à face
s’ils sont deux, de telle sorte que chacun embrasse du regard tout le
groupe et notamment ceux qui sont proches de son collègue. Le
soignant qui a préparé la cassette s’installe à la console et présente la
séance, la thématique abordée. L’autre soignant, plus à distance, guette
les réactions des uns et des autres, essaie de déchiffrer les petits gestes,
les mimiques, les grimaces éventuelles et décentre les patients proches
du « consoleur » afin de limiter les apartés et que tout le groupe puisse
profiter des échanges.

Z La cassette « imposée »
Le troisième temps, le plus long, est constitué par l’écoute de la
cassette préparée par un soignant ou plus rarement par un patient (c’est
le cas des séances découverte d’une musique particulière, par exemple
114
LES MÉDIATIONS

le rap). Si c’est un patient qui a préparé la cassette, il s’installe évidem-


ment à la console. Christine est particulièrement à l’aise dans cet
exercice.
Lors de séances à thème (le printemps, Johnny Hallyday, etc.) les
participants se succèdent à la console, chacun présente le cd ou la
cassette qu’il a amené.
On écoute morceau par morceau. Après chaque audition, le groupe
réagit. Un temps de silence plus ou moins long ponctue la musique.
Certains ne supportent pas ce silence et le brisent par un « C’est
super », « J’ai bien aimé », etc. À cette étape, les jugements négatifs
ne s’expriment pas, il faudrait expliquer, or il s’agit d’occuper l’espace
sonore, le groupe, d’y marquer sa place en quelque sorte. Donc pas de
longs discours. Dans un deuxième temps, les réflexions plus ciblées se
font entendre. Les réactions peuvent porter sur la musique elle-même,
sur les émotions qu’elle suscite, sur le texte des chansons ou sur la
place de l’œuvre dans l’histoire de la musique ou des variétés. Des
anecdotes peuvent être partagées avec le groupe. Les soignants régu-
lent le groupe, donnent la parole à l’un et à l’autre, soutiennent
l’expression individuelle en essayant de s’adapter au rythme et aux
possibilités de chacun. Lorsqu’un patient est à la console, une double
animation s’organise, les soignants n’intervenant que lorsque le
« consoleur » est en difficulté ou pour quitter l’aspect strictement
technique.
Chaque cassette comprend en général sept morceaux. Le tout d’une
durée d’environ une demi-heure. La cassette commence et finit par un
morceau musical, le premier introduit la séance, le dernier ramène le
groupe à un tempo plus calme, plus harmonieux. Entre ces deux
bornes, une thématique se dessine progressivement, thématique qui
s’exprime essentiellement dans le quatrième morceau. Les deuxième et
troisième morceaux préparent le chemin en un crescendo émotionnel et
les cinquième et sixième préparent le retour au calme intérieur en un
mouvement de decrescendo émotionnel. Ainsi des thématiques ou des
émotions telles que la fête, l’enfance, la famille, la joie, la tristesse, la
colère, la solitude, etc. sont-elles mises en travail.
La cassette est un tout fermé sur lui-même, préparé par un soignant
et parfois un participant. Il n’est pas possible d’intervenir sur ce tout.
La cassette devra être écoutée sans que l’on puisse y changer quoi que
ce soit. On aime, on n’aime pas, on préfèrerait entendre telle ou telle
chose. Peu importe. C’est une figure imposée préparée par le soignant
chez lui en référence aux émotions vécues antérieurement dans le
groupe, aux goûts musicaux des participants, à ses propres goûts musi-
115
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

caux, à la richesse de sa discothèque. La cassette est évidemment


l’expression de son contre-transfert sur le groupe, sur les participants
pris individuellement. Ainsi choisit-il en référence aux attentes d’un
des plus jeunes d’introduire dans la cassette un rap ou un raï, unique
genre musical écouté par Mohamed qu’il espère fidéliser. Lorsque le
groupe lui semble prêter un peu trop attention aux textes, et mettre les
émotions à distance, il propose des musiques sans texte ou chantées
dans une langue étrangère. Les choix sont également discutés entre
soignants lors du post-groupe qui prend ainsi toute son importance. La
cassette est donc aussi le fruit de l’intertransfert entre les soignants.
Ce tout qu’est la cassette préparée par un soignant permet égale-
ment l’expression d’éléments transférentiels chez tel ou tel participant
voire au sein du groupe. Ainsi se moquera-t-on des choix musicaux du
soignant, entre « ringard » et « farfelu ». Ainsi tel ou tel participant
défendra-t-il mordicus le choix d’un morceau, jouant le rôle de défen-
seur du soignant. On pourra repérer des alliances, des oppositions, des
consensus.
Ces figures imposées vont disparaître lorsque l’appareil ne
permettra plus d’écouter que des CD. Le groupe inventera une autre
façon de jouer la même chose.

Z Les figures libres


À ce temps très riche, à cette vie et à ce travail de groupe succède
l’écoute des cassettes et des cd amenés par les participants. À chaque
séance, les participants ont la possibilité de ramener une cassette ou un
cd de chez eux. En moyenne, deux musiques « libres » sont écoutées
par séance. C’est une forme de régulation, de correction du groupe vis-
à-vis des soignants et de leur contre-transfert. Les soignants peuvent
ainsi repérer plus finement les goûts musicaux des patients et en tenir
compte dans l’élaboration de la cassette imposée. Ces musiques libres
nourrissent souvent le choix du thème à venir. C’est une façon d’anti-
ciper la séance à venir. Le choix se fait par association d’idées, de
rythmes, de genre. Ainsi, certains, tels Juliette ou Christine, annoncent
une semaine à l’avance : « La semaine prochaine, j’emmènerai la Star
Academy ». Pour des patients qui souffrent de psychose, il s’agit d’un
repère important. Ils peuvent ainsi plus facilement supporter le
manque, vérifier la pérennité de l’activité. Certains n’y parviennent
qu’après plusieurs séances.
Cette musique qui vient de chez eux est souvent un cadeau au
groupe qui en est le principal destinataire. Elle peut être également un
cadeau au soignant, le groupe étant trop complexe à appréhender ou
116
LES MÉDIATIONS

une manifestation du transfert sur le soignant. Juliette est coutumière


du fait : « Je t’ai amené une cassette de Tino Rossi. C’est un cadeau de
mon père. On l’écoutait tout le temps à Noël. » Le CD ou la cassette
peut être laissé en dépôt dans la salle, dans le placard réservé à l’acti-
vité. Quelque chose d’eux reste là, en attente rendant le manque
supportable. L’interruption d’août voit se multiplier ce genre de dépôt.
On vérifie lors de la première séance de septembre que le cd est
toujours là où on l’avait laissé et on peut le reprendre. Il a rempli sa
fonction.
Chez les participants qui relèvent de la névrose le choix des musi-
ques est lié au vécu du groupe et dans le groupe. Les musiques sont
choisies en référence à une certaine image que l’on se fait de soi ou de
ce qui se fait, de ce qui s’écoute comme si le groupe devait confirmer
que c’est de la bonne musique, écoutable, qu’ils sont « in » d’une
certaine façon. Le choix peut aller jusqu’à prendre la forme d’une
compétition interne. Les choix les plus intellectuels, les plus marqués
culturellement semblent alors les meilleurs.
Si les figures imposées mobilisent la relation aux soignants, celle
des figures libres mobilise le groupe de pairs.
La séance s’achève par un bilan (un rappel des titres écoutés et des
mouvements du groupe) et par la préparation des prochaines séances.
Les séances à thème sont annoncées deux semaines à l’avance afin de
permettre à chacun de se mobiliser et de chercher dans son
audiothèque.

L’évolution du groupe
Deux périodes distinctes caractérisent l’évolution de l’activité,
comme s’il y avait eu deux groupes successifs.
Dès la première séance, deux demi-groupes se constituent :
• un groupe « hommes » qui privilégie le discours technique, qui
d’une certaine façon réécoute les œuvres et les interprète à partir
d’une culture musicale étendue. Certains de ces participants ont
été disc-jockey ou animateurs radio plus ou moins
ponctuellement ;
• un groupe « femmes » qui essaie de privilégier la sensation,
l’émotion, qui tend à se dévaloriser par rapport à l’autre demi-
groupe perçu comme plus intellectuel.
Le premier demi-groupe se constitue à partir d’un leader vis-à-vis
duquel on se détermine, dont on quête l’approbation. Le deuxième
demi-groupe, moins homogène, s’étaie sur les soignants.
117
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Face à ces deux demi-groupes et à cette opposition entre affect et


cognition, les soignants vont réagir dans trois directions :
• choisir des musiques moins connues, plus variées qui mobilisent
davantage les affects et sur lesquelles il est plus difficile de tenir
un discours théorique. Il s’agit en quelque sorte de surprendre le
groupe, et notamment le demi-groupe ;
• soutenir l’expression des affects et des émotions, valoriser le
demi-groupe qui se dévalue ;
• proposer aux uns et aux autres de fabriquer leur cassette, ce qui
revient d’une certaine façon à « prescrire le symptôme », les
« intellectuels » pouvant se servir de cette opportunité pour tenir
un discours théorique et musical encore plus élitiste.
À l’opposition « affect/intellect » va s’en superposer une autre :
« soignant/soigné ». Les cassettes des uns et des autres vont être le
support à une critique en règle des soignants, à fleurets mouchetés
d’abord, puis plus franche ensuite. Cette critique émane de patients
toujours à la limite, souvent proches de la transgression. La musique
n’est pas entendue pour elle-même mais davantage par ce qu’elle
suscite d’opposition ; cependant considérée comme légitime, cette
critique prend place dans l’activité. Il n’y a pas de transgression des
règles. Il suffirait que ces « blousons noirs » sifflent la cassette imposée
pour que le groupe devienne plus complexe à gérer. Il faudrait alors
considérer les sifflets comme des passages à l’acte. Plus intéressant, en
préparant « leur » cassette, ils deviennent susceptibles d’être objet de
critique des autres « intellectuels ». La préparation d’une cassette va
prendre progressivement une autre valeur. Elle va constituer une étape,
l’accession à une autre fonction, à un autre rôle, comme si, d’une
certaine façon, ils prenaient la place des soignants. Le groupe, « intel-
lectuels » et « affectifs », va s’interroger :
• faut-il ou non préparer une cassette ?
• avec quelle légitimité ? N’est-ce pas la fonction des soignants ?
• comment s’y prendre techniquement ?
• est-ce qu’on ne risque pas de révéler sa personnalité profonde par
le choix des musiques retenues ? Est-ce que le groupe et surtout
les soignants ne risque pas d’analyser les « consoleurs » non
soignants ?
• s’il est possible de préparer une cassette, de la présenter et
d’animer comme le font les soignants, devient-on soignant en le
faisant ? Et dans ce cas, à quoi servent les soignants dans ce
groupe ?
118
LES MÉDIATIONS

Ces interrogations passionnantes ne les empêchent pas d’avancer,


de préparer les cassettes, de présenter leurs musiques, leurs auteurs et
leurs interprètes, bref d’animer les séances, les soignants n’ayant plus
alors qu’un rôle de régulateurs.
Les participants vont donc accepter de prendre des places, de jouer
des rôles jusqu’alors interdits. Ils vont surtout :
• pour les uns accepter de laisser filtrer les émotions (au moins
celles liées à la préparation de la cassette), de retrouver des
souvenirs de jeunesse, de voyage ; chaque musique appelant une
rencontre et donc un récit minimal ;
• pour les autres se montrer compétents, affronter les problèmes
techniques posés par l’enregistrement, sortir du « j’aime, j’aime
pas », et tenir un discours sur les musiques qu’ils proposent,
accepter donc d’être valorisés à minima.
À partir de juin, ces habitués vont prendre progressivement congé.
Ils poursuivent ou se lancent dans des démarches d’insertion ou de
réinsertion avec une sûreté d’eux rétablie, entre autre, par le travail
dans ce groupe. À la rentrée de septembre, ils seront, à peu près tous,
passés, à une autre étape de leur évolution. Ils ne reviendront plus dans
ce groupe. Quelques « affectifs » restent.
Ils vont être rejoints par les patients plus régressés, moins dynami-
ques qui participent au groupe Cuisines du monde. Rappelons que le
projet initial de Musiques du monde était d’offrir une alternative au
nourrissage favorisé par les groupes centrés sur la nourriture.
Tout va commencer par un repas. Afin de tenter d’intégrer Nourre-
dine un patient marocain qui se tient à l’écart des activités mais qui est
resté « scotché » sur sa chaise lors de la lecture à haute voix d’un livre
de Elias Canetti Les voix de Marrakech, nous proposons d’associer raï,
couscous et découverte de la culture du Maghreb. Les « anciens » et les
« futurs » se retrouvent réunis autour d’un repas. Les uns cuisinent
pour les autres qui préparent le programme musical. Chacun a amené
un produit nécessaire à la réalisation du repas. Le CMP-CATTP est
décoré d’images de désert, de Touaregs. Les spécialistes du raï expli-
quent aux béotiens les subtilités de cette musique sous le regard ravi de
Nourredine qui précise un point ou un autre.
Les cuisiniers vont commencer à intégrer doucement Musiques du
monde. Lorsqu’à la rentrée Cuisines du monde doit s’interrompre en
raison de l’arrêt maladie du cadre qui anime l’activité, ils vont naturel-
lement s’intégrer à Musiques du monde.
Le modèle n’est plus celui d’une « discussion de salon » mais celui
des séances de relaxation organisées dans une unité d’hospitalisation
119
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

auxquelles la plupart des nouveaux ont participé. Les nouveaux ont


plus souvent été hospitalisés, et plus longtemps. Ils s’allongent plus
facilement sur les tapis. Il arrive qu’ils s’endorment. Les discours de
type intellectuel sont beaucoup plus rares.
Il faut d’abord écouter, laisser la musique entrer en soi, ce qui n’est
pas simple lorsque l’on est colonisé par des voix. Un de ces nouveaux
amène un livre, qu’il feuillette, fait semblant de lire, apparemment très
concentré, comme s’il fallait une médiation supplémentaire pour que
l’émotion provoquée par la musique et le groupe et la tension qu’il
suscite soient supportables. Ce patient hospitalisé au long cours deux
ans plus tard, demandera à sortir pour participer aux séances de
musique (avec les repas seule activité qui le mobilise). D’autres utilise-
ront des objets transitionnels (couverture, oreiller, etc.).
Le concept d’enveloppe psychique, et notamment d’enveloppe
sonore, développé par Didier Anzieu 72, décrit bien la dimension
centrale de ce travail auprès de ces nouveaux participants.
Il faut ensuite s’écouter les uns les autres. Nombreux sont les
moments de cacophonie. On ne s’écoute pas lors du temps de
verbalisation.
Le soignant est vécu d’une toute autre façon. Il ne s’agit plus de
s’affronter à lui, de prendre sa place. Le soignant est vécu comme le
professionnel, comme celui qui tranche, dont il faut capter l’attention,
quitte à se caler quasiment contre lui. C’est à lui qu’il faut amener les
musiques. Le groupe est constamment à construire. Ce mouvement est
favorisé par le départ à l’école des cadres de l’infirmière qui co-animait
l’activité. Elle est remplacée par une jeune infirmière dépourvue
d’expérience en matière de groupe et de musicothérapie. L’infirmier
« survivant » est vécu comme repère aussi bien par le groupe que par
sa collègue.
Il n’est plus question de préparer une cassette.
Le corps est davantage présent. Le groupe chante, danse (ce qui
était inconcevable avec le premier groupe), tape dans les mains. Les
participants se lèvent davantage. Certains ont du mal à rester une
séance entière sans fumer. Ils se lèvent, partent et reviennent. La dyna-
mique est celle d’un apprivoisement de la médiation et de la création
d’un groupe mais petit à petit, au fil des séances, les uns et les autres se
laissent aller et prennent confiance. Ils s’ouvrent à la musique et aux
autres.

72. Anzieu D., Le Moi-Peau, Dunod, 1995.

120
LES MÉDIATIONS

C’est dans ce contexte, après bien des péripéties, que trois ans plus
tard le groupe se décide d’écouter la musique face à la mer.

Conclusion
Proposer une alternative à un groupe cuisine perçu comme indui-
sant une trop grande passivité des patients, remplacer le nourrissage
réel par un nourrissage sonore, tels étaient les objectifs minimaux de
cette activité Musiques du monde.
Cinq ans plus tard, force est de constater, que ces objectifs volontai-
rement peu ambitieux ont été réalisés. Les patients suivis au CMP-
CATTP ne sont plus du tout dans cette dynamique-là.
L’activité a permis à des personnes qui ne verbalisaient pas ou peu
de trouver un champ d’expression et de partage d’émotions. Même s’il
apparaît difficile de dissocier une activité des autres, il est permis de
penser que la création de cette activité a contribué à bouleverser le
paysage soignant dans l’extrahospitalier local.
La musique réceptive favorise une certaine régression. Allongés sur
des tapis, ou assis sur une chaise les patients écoutent des musiques
qu’ils ont en général choisies. Ils verbalisent assez peu leurs ressentis
et se centrent essentiellement sur eux-mêmes, ce qui en fait une activité
difficile à animer (dans le sens de « mettre de la vie »). Les soignants
doivent d’abord compter sur leur propre dynamisme et sur leur capa-
cité à accepter les manifestations de la régression. Il faut supporter
qu’il puisse ne rien se passer (en apparence). L’expérience montre que
pendant ces périodes plus ou moins longues, selon les patients, quelque
chose est en travail, quelque chose qui s’exprimera au moment
opportun, quand le patient (ou le groupe) sera prêt à l’exprimer.
Le choix des musiques est relativement parlant. Le groupe choisit
pour l’essentiel des musiques des années 1980-1990, ce qui correspond
à l’âge moyen des participants. Il se tourne donc plutôt vers un passé
musical qu’il revisite. D’où l’expression d’une certaine nostalgie et le
retour vers des émotions plus anciennes. C’est en général autour de ces
musiques que se racontent parfois, se posent souvent des émotions, des
scènes de vie qui se partagent bribes après bribes. Le groupe écoute
aussi des musiques plus contemporaines amenées soit par les étudiants
en soins infirmiers, soit par des patients plus jeunes. Le groupe se
centre alors davantage sur les sons et sur les émotions qu’ils suscitent.
Cette activité, investie par les étudiantes des deux IFSI (Gap,
Briançon) est toujours support de mise en situation professionnelle
(MSP). À l’issue de leur stage, les étudiantes doivent être capables
121
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

d’animer une séance, en amenant leurs propres musiques et en


travaillant les interactions avec les participants. En plus d’un effet
thérapeutique, Musique du Monde existe donc en tant qu’activité
formatrice, qui suscite une certaine exigence chez les animateurs habi-
tuels. Ils doivent transmettre et expliquer le fonctionnement de
l’activité.

Ce texte est dédié à Laurence Ruitor (cadre de santé à l’origine


du projet), récemment décédée. Elle n’a pas fini de nous manquer.

Z Bibliographie
D. ANZIEU, Le Moi-Peau, Dunod, 1995.
E. LECOURT, « Musiques et parole », in Santé Mentale, n° 89,
juin 2004, pp. 24-29.

122
Chapitre 10

Groupe écriture :
Madzine, un journal
« Vous êtes si jeune, si neuf devant les choses, que je voudrais vous prier, autant que
je sais le faire, d’être patient en face de tout ce qui n’est pas résolu dans votre cœur.
Efforcez-vous d’aimer vos questions elles-mêmes, chacune comme une pièce qui vous
serait fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère. Ne cherchez pas pour le
moment des réponses qui ne peuvent vous être apportées, parce que vous ne sauriez pas
les mettre en pratique, les « vivre ». Et il s’agit précisément de tout vivre. Ne vivez pour
l’instant que vos questions. Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer
insensiblement, un jour, dans les réponses. »
Rainer-Maria RILKE, Lettres à un jeune poète, Ed. Grasset, 1937.

Arnaud VALLET, infirmier de secteur psychiatrique

Écriture et psychiatrie, un peu d’histoire


Il n’existe pas de critères absolus de la création. Pas plus que de
critères absolus de la mise en place d’ateliers à vocation thérapeutique
dans les institutions psychiatriques. Mais il y a des idéologies histori-
ques de la création, tout comme l’on trouvera des idéologies du soin
psychiatrique et de l’approche de la folie. Et la mise en place d’ateliers,
de dynamiques groupales médiatisées, nécessite de nommer et d’inter-
roger les critères qui la guident. Faire l’économie de cette réflexion,
c’est rester dans la confusion et même risquer de produire des effets
contraires à ceux recherchés.
Il faudrait se livrer à une archéologie des journaux institutionnels…
Quand sont-ils apparus dans les lieux de soins, quels rapports entre-
tiennent-ils avec la presse traditionnelle, de quelles manières
continuent-ils à essaimer dans les secteurs de psychiatrie, quels liens
nouent-ils avec la cité, la culture et la quotidienneté ?
S’il n’est pas aisé de repérer avec exactitude la date de naissance
des premiers journaux réalisés par des fous, on peut tracer quelques
jalons…
123
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Avec la naissance de la psychiatrie au début du XIXe siècle, l’idéo-


logie du traitement moral prônée par les pionniers aliénistes encourage
« l’occupation active » ; s’il y a écriture, elle ne doit être qu’un « prin-
cipe de diversion » (Falret), sinon un corset orthopédique et rééducatif.
Les écrits personnels des patients n’en sont considérés au mieux
que comme des déchets indignes d’un quelconque intérêt, au pire
comme les indices, les preuves accablantes de la dangerosité et la
perversion des malades mentaux, autant de pièces à conviction dans
une psychiatrie judiciarisée. C’est dans cet esprit que le Dr Trélat
publie en 1861 La Folie lucide, un des premiers recueils de récits
d’aliénés, où l’écriture non seulement s’oppose au soin mais vient
prouver l’état d’incurabilité du patient, préfigurant la nosographie déli-
rante des « pathologies scribophiles ».
Au début du vingtième siècle, quelques voix dissonantes s’élèvent.
D’abord timidement.
C’est pour éviter l’ire de ses collègues que le psychiatre P.G.
Meunier publie sous le pseudonyme de Marcel Réja L’Art chez les
fous, dans lequel, à partir notamment de journaux de patients internés,
il tente d’énoncer qu’il y a là, dans ces créations, quelque chose à
repérer : « Il n’y a là aucun métier : tant pis, il y a mieux, il y a une
“âme” ».
Hans Prinzhorn, médecin assistant à la clinique de Heidelberg,
mais également philosophe, chanteur, historien d’art, à la tête d’une
collection de près de 5000 œuvres de patients internés, publie en 1922
« Bildnerei der Geiteskranken », où il définit son concept de Gestal-
tung comme un ensemble de pulsions, une nécessité vitale pour
l’homme, au plus profond de sa détresse, de former des formes… « La
Gestaltung est un processus commun à tous les hommes (…) Dans son
essence, celui-ci serait le même dans le plus magistral des tableaux de
Rembrandt que dans le plus pitoyable gribouillis d’un paralytique, à
savoir l’expression de faits psychiques ». Et surtout, il est le premier à
affirmer que ces capacités expressives peuvent avoir une valeur théra-
peutique, pourvu qu’on leur prête une oreille attentive.
Si son discours mettra longtemps avant de raisonner dans nos insti-
tutions (le livre ne sera traduit en français qu’en 1984, sous le titre
Expression de la folie), il deviendra l’une des références du mouve-
ment allemand du Blaue Reiter, et diffusera auprès des rangs
surréalistes, via Max Ernst… Ceux-ci ont également lu Freud avec
attention, et retenu cette idée que le délire est un mouvement créatif,
une tentative de guérison. Comme l’énoncera plus tard Henry
Maldiney « si l’homme est capable de délirer, c’est que les conditions
124
LES MÉDIATIONS

du délire sont inscrites dans l’être homme ». Des conditions que André
Breton et Paul Éluard tenteront de (re)produire, dans leurs « essais de
simulation de délires psychotiques » (Éluard, Breton, in L’Immaculée
Conception). Un autre compagnon de route du surréalisme, Raymond
Queneau, se lance dès 1930 dans des recherches protéiformes sur « les
fous littéraires » qu’il intégrera ensuite dans son livre Les Enfants du
limon (1938).
Mais c’est sans doute autour de l’après-guerre et du mouvement de
désaliénation qui entoure la naissance des thérapies institutionnelles,
avec la construction des clubs thérapeutiques, que s’initient des prati-
ques telles que la mise en place de journaux institutionnels. Soit une
première tentative d’arrimer dans la relation transférentielle, dans la
construction de dispositifs contenants, ces tentatives langagières
diverses mais précaires de reconstruction de soi.

Du fanzine au madzine
« Ceci n’est pas un journal », pourrait-on inscrire en frontispice de
notre édifice. Car Le Journal des Beaux Barres, initié au printemps
2004 dans l’interface de deux secteurs psychiatriques dévolus aux
quatre premiers arrondissements de Paris, ne ressemble en rien à un
journal. Pas plus qu’à un bulletin, une revue ou un magazine. Tout au
plus retient-il de celui-ci son sens étymologique de « magasin », un
vaste entrepôt où l’on trouve tout à la fois à boire et à manger…
Il partage par contre un cousinage avec d’autres types de publica-
tions, des journaux créés en marge, en bordure des institutions, à
l’instar des journaux de lycées, mais plus particulièrement des
fanzines.
Contraction de FANatic magaZINE, littéralement « magazine de
fans », les fanzines naissent, aux États-Unis, puis en Angleterre, autour
du mouvement punk et de son mot d’ordre : « Do It Yourself »
(littéralement : « Faites-le vous-même »), paradigme du « bricolage ».
C’est dans une référence explicite à ce type de média alternatif que
nous créerons le néologisme angliciste de madzine, qui, comme le
fanzine, offre les moyens d’une communication démocratique à des
gens habituellement exclus de la production médiatique. Madzines et
fanzines, micro-institutions précaires et undergrounds, possèdent en
effet plusieurs caractéristiques qui les distinguent des média habituels :
- déprofessionnalisation : pas de séparation franche entre les fonc-
tions rédactionnelles, éditoriales et de distribution. Fanzines et
madzines se caractérisent par l’aspect interchangeable des différents
125
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

postes de fabrication : le concepteur est tour à tour lecteur, rédacteur,


éditeur, imprimeur, distributeur. Pas de date limite de remise des arti-
cles (deadline), pas de relecture systématique, faible niveau de
corrections orthographiques. Pas de méthodes, pas de règles : « Do it
yourself » reste bien le maître mot.
- décapitalisation : ils peuvent émerger en l’absence de tout capital
économique et leur publication est basée sur l’absence de profit. Édito-
rial du fanzine Abus Dangereux, n° 79 : « budget éternellement ric-rac,
chroniqueurs bénévoles, retards quasi-systématiques, et parfois de
belles boulettes – précipitation du bouclage oblige… ».
- désinstitutionnalisation : leur conception et leur distribution pren-
nent place en dehors du circuit traditionnel, ou tangentiellement à
celui-ci. Ils possèdent un fort potentiel de reflet de la vie quotidienne,
décentralisé, (directement) démocratique et autogéré.
Fanzines et madzines se distinguent de la presse traditionnelle par
leur statut illégal : dépôt légal à parution jamais effectué, inscription de
la parution dans le cadre d’une association loi 1901 dans le meilleur
des cas.
Leur caractéristique essentielle est qu’ils représentent un mode de
communication horizontal.
Idée d’un projet unissant plusieurs personnes, cristallisation d’un
réseau de connivence autour d’un projet rédactionnel, leur contenu
fourmille de clins d’œil, de références, incompréhensibles pour un
lectorat extérieur, et destinées quelquefois à une ou deux personnes. Ils
ne s’adressent pas à une masse anonyme mais à des personnes bien
identifiées, à un cercle restreint, à une « tribu ».
À l’inverse de la presse traditionnelle, où seules une à deux pages
sont des espaces d’expression, ces journaux ouvrent de manière perma-
nente leurs colonnes, œuvrant pour une démocratie participative.
L’utilisation de pseudonymes plus ou moins heureux, l’absence de
hiérarchie dans l’ours traduisent une attitude désintéressée sur le plan
personnel, un investissement pour la cause commune.
Les madzines sont généralement des irrégulomadaires. Ces apério-
diques entretiennent donc constamment le suspens sur leur durée de
vie : chaque sortie est un aboutissement, un accouchement dans la
douleur, et rien ne permet de savoir s’il ne s’agit pas du dernier
numéro. Le précaire et l’éphémère sont donc les caractéristiques
fondamentales du madzine.
Dans sa conception, dans sa construction, et par la place qu’il se
donne vis-à-vis des médias ordinaires, Les Beaux Barres, comme
nombres des journaux issus des institutions de secteur psychiatrique et
126
LES MÉDIATIONS

des clubs thérapeutiques attenants, est donc un cousin germain des


fanzines. Toutefois, sa vocation, ses objectifs, et la manière dont il
s’inscrit dans la vie institutionnelle et dans notre travail clinique diffè-
rent largement…

Contexte institutionnel : la construction


du groupe journal dans le projet Paris-Centre
Pas plus qu’à Hiroshima, nous n’avons rien vu à Paris-Centre.
Lorsque nous commençons à traîner nos guêtres dans le centre de jour
innommable (on ne sait plus guère s’il s’agit d’un CATTP ou d’un
hôpital de jour, ça n’a aucune appellation d’origine contrôlée, on peine à
y entrer, il faut par trois fois montrer patte blanche, on vient faire son
atelier et l’on repart, certains appellent ça « La Tour d’Ivoire », d’autres
« Le Musée »,…), il y règne une atmosphère d’abandon et de solitude.
Notre seul contact avec le reste du service est le téléphone, encore ne
nous appelle-t-on guère que pour des dépistages du Sida ou nous
confond-on avec le centre des impôts voisin, tant l’imprécision concer-
nant la nomination des lieux, la confusion quand au travail qui s’y
déroule, et l’isolement du reste du secteur confine à l’entropie mortifère.
Bientôt, le centre fermera ses portes, fusionnera avec un autre hôpital de
jour, dont nous serons quelques mois plus tard expulsés, pour être reloca-
lisés provisoirement dans des locaux chatoyants mais provisoires, en
attendant des lendemains qui chantent et un avenir radieux.
Autour de nous la guerre fait rage… Fermeture de l’hôpital Perray-
Vaucluse, redéploiement et fermeture de lits sur l’hôpital Esquirol,
hospitalisation exsangue (dans une unité, une liste égrène chronologi-
quement, sous le regard de tous, les coups et blessures reçus par
l’équipe, on dénombre 14 incendies de chambres en un an,…), fusion
plus ou moins programmée de deux services (dans un contexte de
crétaion depôles dictés par la nouvelle-1
gouvernance) ; difficile de dire si nous accompagnons ou si nous anti-
cipons le mouvement. Quant à parler de résistance…
L’on se souviendra également des paroles de Jean Oury lors des
13es journées de psychothérapie institutionnelle à Marseille en 1999 :
« Il faut soigner l’hôpital en même temps que l’on soigne les gens. Si
on se figure qu’on va améliorer les choses en faisant de la psychothé-
rapie de groupe ou individuelle dans un hôpital sans tenir compte de
l’ensemble, c’est à mon avis de l’imposture ! »
Face à une telle balkanisation des diverses unités des deux services
que nous représentons, face à un tel déficit de re-connaissance de l’autre,
127
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

face à une telle ignorance des pratiques de chacun, nous nous proposons
alors de créer un objet qui pourrait circuler, relier les diverses unités,
libérer la parole, provoquer les échanges, décloisonner, démocratiser
le(s) service(s). En avril 2004, un tract baptisé « À l’abordage », en réfé-
rence au projet de construction d’un centre de jour sur un bateau devant
réunir les deux secteurs de Paris-Centre, lance un appel à la mise en
place d’un journal intersectoriel. Déjà, un équipage s’est dessiné, formé
d’une psychologue, d’une psychomotricienne, et de trois infirmier(e)s
travaillant dans des unités différentes (CMP, centre de jour et unité
d’hospitalisation). En avril, une première permanence hebdomadaire se
met en place sur l’unité temps-plein de l’hôpital Esquirol (Val-de-
Marne). Après avoir été pressentie dans un pub écossais jouxtant le
centre de jour, une seconde permanence se met en place quelques
semaines plus tard dans des locaux alloués par la mairie du 4e arrondisse-
ment, une ancienne officine électorale, sise rue des Barres. Soit un local
dépourvu de toute attache au monde du soin et en contact direct avec la
rue parisienne… Conjointement, une autre permanence hebdomadaire,
le vendredi après-midi, dans cette même petite échoppe, est chargée de la
création avec les patients des deux secteurs, d’une association loi 1901,
contingente à la mise en place d’un club thérapeutique.
À l’issue d’une série de votes aussi sérieux que farfelus, dans le
chaos de la mise en place de ces nouveaux lieux et de ces nouvelles
formes de soins, le journal se voit nommé Les Beaux Barres, référence
en forme de pied de nez aux Beaux-Arts, à notre nouvelle localisation
(la rue des Barres), à l’écriture comme savoir-fiction (raconter des bo-
bards) et à notre projet de fonder sur Paris-Centre un beau-bar auto-
géré. Quand au grain de folie qui nous anime, certains le souligneront
en s’évertuant à nommer le journal « les beaux barrés ».

Les Beaux Barres : une triade topographique


Le journal n’est en aucun cas un fétiche et l’on veille à ce qu’il ne
le devienne jamais. Il est à la fois présent et absent. C’est ce qui nous
réunit mais ce n’est pas pour ça qu’on est là. C’est plus un moyen
qu’un but. Ne s’agit-il pas toujours de n’investir ni trop, ni trop peu le
média, comme une mère suffisamment bonne ?. Il nous faut rappeler
que lorsque nous avons bâti cet espace-temps, ce praticable, il n’y avait
aucun, ou il n’y avait plus aucun lieu, temps, où des patients et des
soignants se rencontraient, juste pour boire le même café, et casser la
même graine. Notre projet est avant tout de mettre en place des
espaces-temps d’accueil, de rencontre, de liberté de circulation et
128
LES MÉDIATIONS

d’horizontalité… De distiller dans le service quelque chose qui tien-


drait de la fonction club 73…
Deux permanences du journal naissent quasi-simultanément, l’une
à l’hôpital et l’autre sur Paris. Mais très rapidement, l’absence de lien
entre les deux groupes provoque de l’incompréhension, de l’angoisse,
de la confusion. Il faut que l’un d’entre nous participe aux deux perma-
nences et fasse le lien physiquement, mais aussi dans la circulation des
personnes et des textes, leur préservation et leur inviolabilité ; via le
rôle primordial de la pochette contenant les textes – j’y reviendrais.
La première fois que je me suis rendu à l’hôpital pour co-animer le
groupe journal, ce devait être en octobre ou novembre 2004. Je me suis
perdu en sortant de Paris, en vélo, dans le bois de Vincennes. Il faisait
froid. Il y avait de la brume et de la bruine. J’étais anxieux. C’était la
première fois que j’allais travailler à l’asile proprement dit, et je
m’égare dans le bois. Je cherche mon chemin, je me renseigne et
tombe successivement sur : une cohorte de femmes africaines quasi-
dévêtues (il est 9 heures et demie du matin !!!), des policiers à cheval,
et un type dans un costume irréprochable qui sort d’une Jaguar pour se
rendre au turf – à l’hippodrome de Vincennes. Dans le brouillard du
petit matin. Une expérience onirique et surréaliste. Quasi hallucinée.
J’arrive enfin à l’hôpital, transi et confus et surtout en retard. On
m’accueille, goguenard, mais on m’accueille, et on m’offre un café.
Surgit un patient, qui demande à son tour un café. Et on lui répond non,
le café c’est après le repas de midi. Et là, d’emblée, je me dis qu’il y a un
souci. Je sors d’un moment surréaliste et onirique et j’ai besoin d’un
café. Et peut-être que lui aussi sort d’un moment onirique et surréaliste,
peut-être que lui aussi est encore plongé dedans et qu’il a besoin d’un
café. Et je ne vais pas lui parler de faire un journal, avec ma tronche tout
droit sortie d’un film de Buñuel, il faut qu’on boive un café ensemble et
qu’on se raconte nos expériences surréalistes, après peut-être qu’on
pourra parler journal. Et peut-être qu’on est déjà en train d’en parler.
Alors s’il y a une réussite dans ce groupe, ce n’est pas que nous
sortions un numéro par trimestre, ou qu’on ait une pochette bourrée à
craquer de textes de quoi faire deux numéros coup sur coup ; c’est que

73. Jean Oury définit le club comme une structure de médiation dans la vie quoti-
dienne et le collectif comme une tablature, une combinatoire de ce qui constitue le
symbolique. L’abord d’un patient dit psychotique ne peut se faire directement, il
faut créer des lieux, pour que quelque chose puisse se manifester. « Un lieu L, écrit-
il, est le produit de 2 fonctions : L = fonction collectif fois fonction club » (Jean
Oury, Le Collectif).

129
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

chaque jeudi à l’hôpital, il y ait, et c’est peut-être le seul moment de la


semaine, un patient qui entre dans la cuisine dite des soignants, et qui
prépare le café, avec du vrai café, et qui le sert dans le salon, où il y a
déjà une dizaine de personnes en train de discourir, de tchatcher, de
slamer, bref de se réapproprier l’art de la conversation. Une construc-
tion d’espaces où quelque chose de la fonction club se manifeste.
Sur le local parisien, la configuration est différente. Les gens vien-
nent de chez eux, ou de l’hôpital, mais il y a déjà à l’œuvre une
ébauche de désir sinon de subjectivation, dans le mouvement même de
se rendre au club, dans un cadre associatif qu’ils ont bâti eux-mêmes,
où ils ont passé de longs mois à débattre sur chaque article des statuts,
etc. Et ce qui est chaque semaine très surprenant et très émouvant, c’est
qu’il y en a toujours quelques-uns qui amènent des trucs. Des trucs à
manger, des trucs à boire, des trucs à lire : des trucs à partager.
Co-animer le groupe journal dans ces deux lieux constitue deux exer-
cices de style très différents. Soit la création de deux ambiances
singulières, bien que tendues vers les mêmes objectifs, qui sont d’inter-
roger la place, la présence de chacun, de faire surgir de la circulation, de
l’imprévu, de la rencontre, du discours, de l’histoire, du sujet, du vivant. À
l’hôpital, l’un d’entre nous fait le tour des chambres, avant de commencer
le groupe, et on va découvrir chaque semaine de nouvelles têtes, des gens
de toute obédience, de toute nationalité, de toute langue (Paris-Centre : ça
peut être des « sans papiers », des gens en errance convergeant vers le
ventre de Paris, des chefs d’entreprise nippons qui décompensent pendant
un colloque, des types qui vivent dans le quatrième sous-sol d’un parking,
toute une population bigarrée tant au niveau de l’origine sociale, cultu-
relle, géographique ou clinique qui n’est quelquefois absolument pas
inscrite dans le secteur, comme on dit, et une foultitude de H.O., des gens
qu’on va chercher dans des chambres d’isolement…). Mis à part certains
habitués, hospitalisés de longue date, les patients de l’hôpital ne viennent
pas directement référer à cette question du journal. C’est d’abord l’accueil,
cette permanence du jeudi matin qu’ils viennent trouver. Soit l’un des
rares moments de la semaine où ils savent qu’ils vont trouver des
soignants dans la salle de séjour, pendant deux heures, juste là, en avant de
leur présence, sans autre objet que de se tenir là, avec eux. Ils peuvent
venir et repartir, s’asseoir ou rester sur le côté, ou même rester dans le
couloir. Ils savent que nous sommes là, que nous assurons cette perma-
nence. Un groupe se constitue, chaque jeudi matin, forcément différent
chaque semaine. Il s’agit avant tout de faire connaissance, de se re-
connaître. On pourrait tisser un parallèle avec les petits clubs new-yorkais
d’où furent issus les fanzines de la fin des années 70 (Le CBGB ou le
130
LES MÉDIATIONS

Max’s Kansas City). Attirés par la rumeur, des dizaines de musiciens s’y
retrouvaient le soir et s’organisaient des jams. Des sessions d’improvisa-
tions d’où émergeaient parfois du chaos, du n’importe quoi mais aussi des
étincelles de créativité, de l’imprévu, de la rencontre.
Souvent, ça ressemble à un forum, à une tour de Babel phonatoire, et
puis, à un moment donné, on n’entend plus rien, les patients se mettent
à écrire, certains partent dans leur chambre avec une feuille et revien-
nent avec qui un poème, qui un morceau de délire brut de décoffrage,
qui un brûlot contre l’ordre psychiatrique, un morceau de rap ou de
slam, ou une lettre pour une grand-mère défunte, écrite à l’arraché, sur
un bout de papier, au moment de débarrasser. D’autre nous demandent,
ou nous leur proposerons, de les rencontrer un peu plus tard, ils ont des
difficultés à écrire, ou n’ont jamais appris. Alors interviendra notre fonc-
tion scribe 74 et nous prendrons la dictée. Ainsi nous tenterons de
reproduire sur la feuille un souffle, un fragment d’histoire, un style…
Site d’accueil, le groupe est aussi un lieu où l’on peut se poser, se
reposer, et déposer. Un lieu de recueil. Un lieu où se dessine une adresse.
Le groupe journal se veut d’abord un groupe où nous nous effor-
çons de renouer avec un art de la conversation, dans la salle de séjour
du pavillon. Dans notre boutique parigote, nous tenons salon et il n’est
pas rare qu’un patient s’exclame : « on se croirait à France Culture ! »
Ce faisant, mine de rien, nous créons une surface, une enveloppe limi-
tante, nous entrons dans le paysage de l’autre, en un entrecroisement
des énonciations singulières et du collectif. Il s’agit pour ses anima-
teurs d’inventer pour chaque personne un accueil singulier dans la
dynamique groupale, en une sorte d’aptitude gymnastique à se mettre à
(sa) disposition, à se laisser utiliser comme des « objets à investir »,
selon l’expression de Philippe Paumelle.
Matériau graphique, matériau sonore, chacun vient lire son texte au
groupe, ce qui était lettre morte devient mise en forme, récit narratif,
son énonciation le transforme en fiction. La production personnelle
ainsi adressée se fait en lien avec les autres, étayée par le groupe. Le
groupe devient un liant qui favorise et autorise la création.
Pour les trois premiers numéros nous avions confié la maquette du
journal au service de reproduction de l’hôpital. Mais le groupe était

74. Michel Balat décrit la fonction scribe moins comme un processus d’écriture que
comme une inscription, rendue possible par la création préalable, dans l’institution,
d’une surface d’inscription, par la mise en place de sites où pourront surgir de la
surprise, du hasard et de la rencontre, prémisses d’une fonction scribe (Jean Oury,
Le corps et ses entours : la fonction scribe).

131
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

toujours insatisfait… Le club qui se constituait souhaitait se démarquer


d’une vieille tradition d’allégeance envers l’asile, les auteurs étaient
mécontents de la forme du journal, ils s’en sentaient dépossédés. Et il
n’y avait pas moyen de créer une quelconque collaboration entre le
groupe et ces imprimeurs : ces gens-là sont au service d’une adminis-
tration, et non des patients.
Rapidement, nous avons donc mis en place un troisième temps,
escamotable, sis au centre de jour. Un temps dit rédactionnel, où se
joue la construction même de chaque numéro du journal. C’est un site
difficile à tenir, car c’est le lieu de la fabrication, de la construction
matérielle du journal, de la transformation des textes afin de permettre
leur circulation, de la mise en page, de l’articulation des écrits et des
illustrations, de l’archivage des anciens numéros, des maquettes et des
documents originaux. C’est le lieu ultime du questionnement de la
technique, au sens où l’entend Heidegger 75.
C’est un dernier pont, le moment difficile entre le passage des
textes partagés dans un groupe défini vers un ailleurs étranger, impal-
pable, angoissant. Mais c’est en même temps un moment de
symbolisation, un moment où l’on inscrit de la temporalité. C’est le
moment de l’historicité, du chronos. Avec ses deadlines, ses relectures,
ses retours sur les numéros précédents (au fil du temps, nous avons créé
une dialectique entre des exemplaires numérotés et des hors série, des
numéros spéciaux, construisant une chronologie, un repérage temporel
complexe, nous obligeant à revisiter l’histoire du collectif de façon
incessante).
Seule la couverture est confiée à un imprimeur, une connaissance
d’un des patients, un artiste infographique loufoque, qui œuvre dans
une boutique du quartier. Cette couverture a pris un rôle important,
c’est un enjeu pour beaucoup de patients, c’est devenu une enveloppe,
un contenant qui devra supporter et soutenir tous les textes, quand ils
seront mis en circulation. C’est également le moyen de définir une
ouverture vers d’autres types de mouvements transférentiels, à travers

75. Selon Heidegger, questionner la technique, ou l’essence de la technique, c’est


travailler un chemin, le construire. La technique est alors un moyen, un dispositif
(un instrumentum). La chose produite ne cesse pas avec la fin (de la production)
mais commence à partir d’elle. L’objet est un faire-apparaître, il émerge dans la non-
occultation. La technique devient un mode du dévoilement. Pro-duire, c’est « placer
debout, devant », une exposition qui peut, si elle n’est pas questionnée, s’avérer
dangereuse, mais qui, commise dans la constellation, nous dit Heidegger, peut
sauver (Martin Heidegger, La question de la technique).

132
LES MÉDIATIONS

notre collaboration avec des professionnels de la profession (impri-


meur, artistes, sérigraphistes…).
Entre les trois différents temps du journal, la permanence au club,
celle de l’hôpital et le comité éditorial du centre de jour, un objet
circule. C’est une énorme pochette achetée par un patient qui se subdi-
vise en de multiples strates, un mille-feuilles de pochettes gigognes,
contenant la maquette du prochain numéro en cours d’élaboration, des
textes manuscrits, des projets pour les numéros à venir, des illustrations
(dessins, peintures, photos…), des fragments, des textes qui nous sont
déposés, mais qui doivent être décantés, des trucs griffonnés sur un
bout de table, sur un lit d’hôpital, dans une chambre d’isolement…
Souvent, des patients nous sollicitent pour revoir un texte écrit anté-
rieurement, par d’incessantes demandes de vérification, ils s’assurent
de la fiabilité du dépôt, et nous investissent peu à peu comme destina-
taires potentiels. Tout un jeu s’organise entre les originaux, les copies
photocopiées, les textes tapuscrits, en un lent travail de symbolisation
où pointent par instant de l’angoisse, de la persécution, dans ce chemi-
nement où se construit de la différenciation et de la distanciation. Et
parfois des points d’achoppement : certains patients nous demanderont
de ne pas publier leur texte, nous priant de les conserver dans nos
pochettes… L’un d’entre eux, en passe d’être rapatrié en Hollande, me
proposait récemment de ne pas le publier avant 6 mois, le temps qu’il
se mette à l’abri des services secrets étrangers…
Là où les ateliers d’expression à visée psychothérapique ont le plus
souvent une fonction de formations de formes, de concrétion de
psychisme, qui a son importance mais dont les œuvres produites
demeurent souvent des objets internes, incorporés ; nous nous effor-
çons, avec le groupe journal, de décloisonner les institutions. De les
amener au plus près de la vie quotidienne. De constituer cette ultime
interface entre le dedans institutionnel et le dehors de la cité, entre la
clinique et la socialité.
À travers ce jeu de pochettes et de journaux qui circulent, comme
nous le faisons nous-mêmes, entre les différents sites du service, à
travers ces trois temps différenciés, à l’hôpital, au centre de jour, et
dans l’espace municipal du club, puis avatars de ce dernier, les rendez-
vous chez l’imprimeur, ou dans l’esquisse d’autres collaborations, si
nous ne nous montrons pas trop frileux et refusons de nous enfermer
dans une confortable routine institutionnelle par trop souvent stéréo-
typée ; nous sillonnons encore et toujours dans la suite des pionniers de
la sectorisation.
133
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Z L. ou l’écriture contenante
Chaque semaine, nous accueillons sur la permanence de la rue des
Barres une douzaine de personnes, toutes issues des deux secteurs que
nous représentons. La plupart nous sont adressées par les CMP, ou sont
issues du centre de jour ; certaines nous ont rencontré lors de la perma-
nence hospitalière et ont décidé de suivre cette aventure au-delà de leur
hospitalisation ; d’autres encore, hospitalisées sur une longue période,
sortent en permission pour se rendre à la permanence sur Paris-Centre,
un moyen pour eux de ne pas être totalement désinscrits de la vie de la
cité. Sur l’hôpital, la fréquentation du groupe nous échappe beaucoup
plus, elle est souvent liée au turn over vertigineux des hospitalisations
sur ce secteur, à l’ambiance du pavillon à un moment précis et à notre
faculté, plus ou moins acérée, d’habiter l’unité et d’être en lien avec le
mouvement inhérent à la vie institutionnelle.
L. est présent depuis la fondation du groupe sur l’unité Averroès.
Chaque semaine ou presque. Car il y a ces moments où, replié dans son
lit, mutique, mélancolique, il refuse de venir ou de nous parler, il grom-
melle des idées d’incurabilité et de vie foutue.
Sa mère, bibliophile, est décédée lorsqu’il avait 6 mois,
électrocutée.
Il fut élevé par une nourrice, qu’il nomme Melle Zelle, qui s’est
suicidée quand L. avait 18 ans.
Son père était un homme décrit comme solitaire, qui travaillait dans
la fabrication de fibres de verre pour les bateaux.
L. a lui aussi un bateau, qu’il a acheté en revendant un exemplaire
du Bestiaire d’Apollinaire, héritage de sa mère défunte. Navigateur au
long cours, il part en mer avec un ami, en 1985, mais les deux hommes
se séparent. Seul sur son bateau, L. se saborde, est recueilli par un
navire russe, accoste à Cuba avant d’être rapatrié. L. se marie, a un
enfant, mais il souffre de plus en plus de troubles bipolaires, comme on
dit. Il est régulièrement hospitalisé dans les années 90, et tente de se
suicider par pendaison, par une prise massive de lithium, puis en se
défénestrant, à deux reprises. Lorsque je le rencontre à l’atelier, c’est
un homme cassé en multiples morceaux, sur un vieux fauteuil roulant,
hospitalisé depuis plus de 10 ans.
Sa chambre ressemble à une cabine de bateau, avec son ordinateur,
ses instruments et ses carnets de bord, au-dessus desquels il est cons-
tamment plongé. Son placard est une cantine remplie de réserves, de
paquets de sucre et de café, comme s’il était en pleine mer. Un nuage
de fumée entoure toujours le fauteuil roulant sur lequel il se tient voûté
et tordu. Transgressant toutes règles hospitalières, L. ne renonce pas à
134
LES MÉDIATIONS

cloper dans sa cambuse. Il écrase ses mégots dans une vieille boite à
sardines et me dit : « je suis un gentleman » ; tant il est vrai que,
malgré ses os broyés et sa jambe amputée – comme les pirates dans les
livres de Stevenson – il conserve une allure de yachtman.
En outre, L. est abonné à plusieurs revues qu’il reçoit à l’hôpital ; et
l’une de ses idées récurrentes, serait de collaborer ou d’être reconnu
par Hubert Reeves au sein du magazine « Sciences & Vie ».
L. n’écrit pas pour le journal, il le fait souvent remarquer. C’est le
plus souvent via l’attention subtile d’une de mes collègues qu’un frag-
ment, qu’un croquis ou un édito à l’écriture précaire se retrouvent
publiés dans le journal. Mais il prend invariablement des notes sur un
calepin, ou sur un petit bout de papier à petits carreaux plié en huit
qu’il tire d’une de ses poches. Il y écrit la date et l’heure précise ; il
demande les noms des participants qu’il inscrit sur ses fiches. Comme
les « relations de voyages » des explorateurs, il fait un résumé de la
séance. Souvent, il s’excite sur son fauteuil, il répète une phrase que
l’un d’entre nous vient de prononcer, sur des tonalités différentes. Il
hausse progressivement le ton, il peut finir par crier, devient alors écar-
late et s’agite sur son fauteuil. Une intervention d’un des animateurs
peut alors faire un pli, un tiers qui lui permet aussi rapidement de
reprendre son calme et de revenir à ses notes.
Il y a dans cette pulsion de notes chez L. quelque chose d’assez
proche de ce que Micheline Enriquez 76 nomme l’écriture représenta-
tive. Une écriture compulsive qui consiste à tout noter, à tenter de tout
décrire : les choses autour de soi, les faits et gestes de chacun, dans le
but de se garder d’une angoisse brutale d’anéantissement. Une forme
de « représentation primaire » qui viendrait le garantir contre sa propre
disparition. Comme si, par cette écriture, il tentait de redonner un
contour au monde, et à le rendre de nouveau habitable. Comme si fixer
par les mots le monde intérieur donnait une assise à un sentiment
d’exister chez lui particulièrement vacillant. C’est par le mouvement
même de l’écriture que L. cherche à contrôler et à contenir une excita-
tion indomptable qui lui fait éprouver le risque de se désintégrer. Par
les formes qu’il crée, par les mots qu’il trace, le corps s’éprouve et
existe. « Ce type de repérage, écrit M. Enriquez, en dépit de sa fragi-
lité, assure néanmoins une première représentation de soi, sans miroir
ni parole, uniquement basée sur l’investissement de l’activité sensori-
motrice ».

76. Micheline Enriquez, « L’individu et l’écriture », Repères n° 21, mars 1978.

135
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

C’est à partir du moment où elle est prise dans la rencontre avec


l’autre, dans un système d’adresse et de dépôt, que l’écriture permet
d’accéder à une véritable subjectivation… Même si pour L., ce chemin
reste toujours à refaire, de séance en séance…

Z P. ou la route de l’originaire
À mon arrivée au centre de jour, P. est alors en passe d’avoir 60 ans
et s’interroge sur l’articulation de l’AAH avec la retraite. Armé d’une
longue pratique institutionnelle, il est suivi depuis 1968, année de sa
contre-révolutionnaire première décompensation. Il a traversé divers
services et idéologies du soin, et fréquente le centre de jour depuis
plusieurs années.
Dans l’espace de mon arrivée dans le service, je rencontre P. dans
un moment très douloureux, voire mortifère, de la vie institutionnelle.
P. critique le centre, tente de me rallier à sa cause, me parle de son
inquiétude concernant le devenir de certains patients, selon lui perdus
en chemin par les récentes modifications du fonctionnement du lieu,
dont il fustige l’entropie. Comme toujours, ce sont les patients eux-
mêmes qui nous apprennent notre métier, bien plus que tous les
manuels de conduite à tenir et autres cours magistraux. Très vite, P. me
tutoie, mais ce tutoiement n’a rien de transgressif, ou de condescen-
dant. Je repère chez cet homme ce que les Britanniques nomment un
je-ne-sais-quoi dans le regard, cette étincelle que l’on retrouve par
exemple dans le regard du dessinateur Cabu ou de son personnage du
Grand Duduche, soit quelque chose de juvénile qui transcende l’âge,
quelque chose qui a résisté à 35 ans de psychiatrie et de psychotropes.
Dans ce même mouvement qui préside à notre rencontre, il est suivi
depuis peu au CMP par le docteur Piel, médecin-chef du service, initia-
teur du projet Paris-Centre et dont le style s’apparente à la génération
68 dont P. est issu.
P. est présent et accompagne les premiers bredouillements du club
et du journal. C’est même autour de lui, et de plusieurs autres patients
du centre, que s’articule notre réflexion clinique présidant à la cons-
truction de ces nouveaux lieux.
Très vite, il me parle d’acheter une machine à écrire – à l’époque, je
tape moi-même mes textes sur une machine électrique désuète qui fait
la risée de mes camarades tous convertis à l’informatique haut débit. Il
fait l’acquisition d’une vieille bécane qu’Hemingway lui-même aurait
jugé obsolète, et nous apporte rapidement ses premiers textes.
P. n’avait rien écrit depuis plusieurs décennies ; il avait un jour détruit,
dans un moment critique, tous ses poèmes du haut d’une falaise. Il
136
LES MÉDIATIONS

semble reprendre là où il s’était arrêté. Ses textes retracent d’abord de


manière elliptique ses longues périodes d’errance ; des fragments de la
route et du délire, des arrêts sur image, des moments de sidération, sur
l’asphalte, au passage d’un escargot…
« Plus jeune, je pensais que les soucoupes volantes, c’était le
communisme qui voulait nous envahir. Des extra-terrestres ? Cela c’est
la thèse officielle. “Plus de vent, plus de désirs”. Mais il est possible
que ce soit une vision, une hallucination ; un rêve ; psychique. Une
manifestation de notre inconscient. C’est plus probable. » (« Sur la
route »).
Longtemps, P. semble confus devant notre organisation, il nous
pose de multiples questions sur les dates, les horaires, intervertit les
animateurs de l’un ou l’autre des temps du journal. À plusieurs
reprises, il manque de nous entraîner dans sa confusion. Un temps,
nous avions même fini par penser qu’il avait un problème d’ordre
neurologique. Lui-même, en doutant, était allé passer un scanner…
Nous sommes alors dans le chaos, le bruit et la fureur de la fondation
du club et de nouvelles (micro-) institutions et peinons à organiser la
circulation entre les différents lieux et liens…
Ses textes, d’abord oniriques et poétiques, s’étoffent rapidement.
Parcourus de nombreuses et subtiles références à Nerval, Rimbaud,
Apollinaire ou Bob Dylan, il les transforme en triptyques, comme ces
peintures de la Renaissance qui s’ouvrent sur trois volets et offrent une
circulation du regard… Étonnamment, il ne s’inscrira pas au sein du
bureau et des instances associatives de notre club thérapeutique. Il
adopte une sorte de positionnement transversal, tangentiel, ouvre et
ferme la boutique, s’occupe des clefs, prépare le café. De même,
malgré ses critiques, il continuera à rester, au-delà des déménagements
et des réagencements du centre de jour, inscrit dans l’institution, via
une activité hebdomadaire d’écoute musicale à laquelle il participe
depuis plusieurs années.
« En tant que simple membre de l’association, je n’ai pas voix au
chapitre en ce qui concerne l’administration et je ne suis pas assez
qualifié pour l’orienter philosophiquement. Juste le désir de répondre
présent je suis là. Et comme la chanson de G. Manset “Y a une route”.
Plutôt une piste (piste qui peut-être nous traverse tous). C’est cela que
je veux suivre au sein du club. Être vivant. Être vivant dans un monde
de vivants. Et non pas un robot, un pion ou une machine qu’on mani-
pule suivant les besoins. C’est sûrement l’avis de beaucoup de gens.
Mais dans ce temps où la presse est contrôlée par de gros groupes
137
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

financiers, Moi j’ai la chance de formuler ce désir grâce au club et au


journal. Sans cela ce serait le gouffre. » (« Lettre à un homard »).
On n’est pas très loin de Deleuze : « La santé comme écriture,
consiste à inventer un peuple qui manque. But ultime de l’écriture,
dégager dans le délire cette création d’une santé, ou cette invention
d’un peuple, c’est-à-dire la possibilité de vie » 77.
Puis, peu à peu, alors qu’il nous adresse de plus en plus souvent ses
textes, il nous annonce qu’il s’est mis parallèlement à écrire des récits.
Des récits de vie. De longs textes de plusieurs centaines de pages qu’il
écrit la nuit.
Quelques mois plus tard, cet homme qui n’est plus sorti de Paris,
sinon de son arrondissement, depuis des lustres, nous déclare qu’il part
en voyage. Retrouver des amis. Il part une première fois, puis une
deuxième. À chaque voyage, il nous adresse une carte postale. Petit à
petit, il nous déclare qu’il y va retrouver une femme, une amie
d’enfance qu’il a retrouvée, et qu’ils se rendent ensemble à Barcelone.
Dans ce mouvement où P. s’éprouve comme sujet, il a besoin de nous
pour que cela s’étaye. Rituellement, il continue de nous envoyer une ou
deux cartes postales à chacun de ses périples. Nous prenons soin, tout
aussi rituellement, de noter sur un tableau blanc, au local associatif, ses
dates d’absence et de retour. Comme des lests.
« Depuis 3 ans, déclarait-il récemment, je suis passé d’un stade
végétatif à l’action ; j’ai l’impression de ne plus être étranger à ma
vie ».
Dans un article intitulé « La route de l’originaire », le psychana-
lyste Guy Dana s’interrogeait sur la manière dont le secteur, considéré
comme un territoire, et non comme une série de différents lieux de
soins, pouvait devenir un espace thérapeutique, c’est-à-dire comme un
espace de subjectivation possible. En transformant le système binaire
dedans/dehors, intra/extra, soignant/soigné, en un système plus
complexe, ternaire, où se révèle un véritable parcours, une circularité,
rendant possible une relance de l’être du sujet. Le club, et son avatar
qu’est le journal, s’est proposé d’emblée comme un objet qui, privilé-
giant les liens plutôt que les lieux, diffuse dans tous les pseudopodes
du secteur (et en ce qui nous concerne des deux secteurs constituant
Paris-Centre). Sans doute cette création a permis qu’il y ait une véri-
table circulation qui transcende les lieux et les personnes… Non plus la
succession de différentes institutions acronymiques (HP, CMP, CATTP,

77. Gilles Deleuze, Critique et Clinique, Minuit, 1999.

138
LES MÉDIATIONS

CAC, HDJ…), où l’on passe de l’une à l’autre ou d’une équipe à


l’autre de façon indifférenciée, tout juste accompagné par une lettre du
docteur ou un vague compte-rendu d’hospitalisation, mais « un enve-
loppement dans un mouvement concerté (…) créant une grammaire du
côté du symbolique ».
C’est cette pérégrination contenante au travers des différents lieux
d’adresse du patient, avec sa gamme différenciée de nuances et de
tonalités ; à travers la géographie sectorielle que nous instituons
comme bordure, comme une clinique des bords, qui permet à P. cette
relance dans ce qui achoppait structurellement tant au niveau du
symbolique qu’au niveau de l’imaginaire. Notamment, me semble-t-il,
à partir d’une série d’identifications nouvelles qui ont produit chez lui
de l’inédit.
« Ce soir,
Je ne beurre pas ma Chevelure,
Mais me réchauffe la flamme dure,
Dansant dans la cheminée-
Peinture descriptive pour sûr.
Jetée sur le papier
Mots
VERBE
Ressuscite. »
(« Socrate d’automne »)
« Nouveau corps
Nouveau langage
Nouveaux mots
Une dialectique en naissance
S’unit au sein de la Lyre »
(« L’orgue »)

Conclusion
Au-delà de la production de symptômes, de la production de soi, il
y a là tout un trajet, qui se tisse dans un pacte narratif qui reste toujours
à (re)construire, vers une production de fictions, d’un style et pourquoi
pas, vers la production d’inconscient. Cela passe par la création de
collectifs, d’objets tendant à circuler de manière horizontale et démo-
cratique, mais aussi par l’invention d’une nouvelle topographie
d’ambiances et de situations, visant, selon l’expression chère à Henri
Lefebvre, à « décoloniser la quotidienneté », à lui redonner sa richesse,
trop souvent dégradée, annihilée, par le poids meurtrier du savoir, de la
139
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

technique, de l’homogénéité, de la fragmentation et de la


hiérarchisation.
Ces dispositifs n’ont de sens que s’ils sont repris dans une dyna-
mique d’analyse institutionnelle au sein du service. Au niveau
microcosmique du groupe journal, des reprises hebdomadaires de
chaque séance et des réunions trimestrielles réunissant l’ensemble des
animateurs de l’atelier, ainsi que des stagiaires psychologues qui enri-
chissent notre réflexion nous permettent de questionner de façon
permanente notre dispositif, de le malaxer et de le maintenir en équi-
libre précaire.
Il y a, à Troyes, cette formidable librairie tenue par Jean-Luc Rio et
José Moliner, qui se nomme Les Passeurs de Textes. Ce signifiant de
« passeurs » nous paraît au plus juste de notre rôle auprès des patients,
dans ce type d’installations.
Serge Daney, des Cahiers du cinéma à sa participation au journal
Libération et jusqu’au lancement de sa revue Trafic, n’a eu de cesse de
travailler et d’être travaillé par ce concept de « passeur » :
« “Passeur”, je suis resté au milieu du gué, en attendant que d’une rive
ou de l’autre quelqu’un m’appelle ou me tende la main, et comme ça
n’arrivait jamais, je me suis mis à donner de la voix et à passer de
petits messages, oraux et écrits, pour donner des nouvelles d’une rive à
l’autre sans appartenir moi-même à aucune des rives (…) J’ai attendu
que quelques-uns s’aventurent de mon côté (…), et dès qu’ils se poin-
taient, je les accablais de tout ce que je n’avais réussi à dire à
personne 78. »
Notre but était tout à la fois de mettre en place avec les patients du
service un objet dont ils auraient la possibilité de bâtir avec nous le
dispositif, dont ils auraient à débattre ensemble, dont l’avis de chacun
compterait dans sa construction au quotidien ; un objet qui opère de la
circulation et du décloisonnement entre les différentes unités du
secteur – soit un objet qui tenterait de questionner tant l’aliénation
psychique que l’aliénation institutionnelle – et de nous installer au-delà
des murs des institutions, dans des locaux municipaux, au contact
direct avec la population, en lien constant avec la municipalité et de ce
fait dans une possible collaboration constante avec des intervenants
extérieurs, si minime soit-elle.
Dans la quotidienneté, dans la mise en place de ce type de sites,
avec le style de chacun, avec le média que nous choisirons, ou qui,

78. Serge Daney, Persévérance , POL, 1994.

140
LES MÉDIATIONS

dans la rencontre, nous choisira, nous avons ce rôle de passeur. Nous


jetons des ponts. Entre le conscient et l’inconscient, entre la réalité
interne et la réalité externe, entre l’intime et l’ex-time, entre l’auteur et
sa production, entre le dedans et le dehors, entre le manifeste et le
latent, entre éprouvés sensoriels et vécus psychiques, entre l’institution
et la vie-même, entre le thérapeutique et le social, entre le singulier et
le collectif…
« C’est le passage du pont qui seul fait ressortir les rives comme
rives (…) Avec les rives, le pont amène au fleuve l’une et l’autre
étendue de leur arrière-pays. Il unit le fleuve, les rives et le pays dans
un mutuel voisinage (…) que les eaux suivent leur cours gaiement et
tranquillement, ou que les flots du ciel, lors de l’orage et de la fonte
des neiges, se précipitent en masses rapides sous les arches, le pont est
prêt à accueillir les humeurs du ciel et leur être changeant. Le pont
laisse au fleuve son cours et en même temps il accorde aux mortels un
chemin, afin qu’à pied ou en voiture, ils aillent de pays en pays ».
Martin Heidegger,

Z Bibliographie
Sur la question des fanzines, se rapporter à l’exhaustif travail de
Samuel ETIENNE, « First & Last & Always », Université Blaise-Pascal
Clermont-Ferrand II (Revue « Volume ! », 2003-1).
B. CADOUX, « Écritures de la psychose », Ed. Aubier, 1999.
G. DANA, « La route de l’originaire », Cahiers de l’Art Cru, N° 35,
2002.
M. HEIDEGGER, « Essais et conférences », Ed. Gallimard, Trad.
André Préau, Paris, Gallimard, 1958.
H. LEFEBVRE, « Critique de la vie quotidienne », L’Arche Editeur,
1946-1981.
C. STERNIS, « Du manque au mot : écriture et symbolisme »,
Cahiers de l’Art Cru.

Remerciements à C. AZZAZ, C. FOGLER, N. VERDON, Linda de


ZITTER et tous les rédacteurs réguliers ou occasionnels des Beaux-
Barres.

141
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

Conclusion
De l’autre côté du miroir
La proposition d’assister à des ateliers du CATTP de ma ville m’a
été faite alors que j’étais encore hospitalisée. De prime abord, cette
suggestion ne m’a pas enthousiasmée. L’indifférence témoignée par les
soignants de mon pavillon, leur manière de me parler comme si le fait
d’être malade avait annihilé mes capacités intellectuelles, ne m’inci-
taient pas, a priori, à fréquenter une structure dont j’ignorais tout.
J’imaginais, dans mon ignorance, que j’allais « tresser des scoubi-
dous » en compagnie de grands altérés incapables d’aligner trois mots.
Les a priori ont la vie dure…
Mais comme il est dans ma nature d’essayer les choses, pour
décider par la suite si elles sont ou pas bonnes pour moi, j’ai
commencé par repérer les locaux. Situés à côté du CMP où j’allais être
suivie, c’était un point positif. Alors, un jour, après bien des atermoie-
ments, j’ai poussé la porte… couleurs pastel, fleurs, soignantes
aimables et accueillantes, cet ensemble d’éléments a contribué à me
donner confiance. J’ai eu un entretien avec le médecin responsable du
CATTP, qui allait devenir par la suite mon thérapeute. Les activités
annoncées étaient variées : atelier écriture, atelier théâtre, atelier pein-
ture, groupes à thème ; j’optais pour l’écriture et le théâtre. J’avoue que
mon choix n’était pas anodin : je lis et écris depuis toujours à profu-
sion, et j’ai fait du théâtre lorsque j’étais jeune. J’avançais donc, me
semblait-il, en terra cognita. J’ai choisi de parler de l’atelier théâtre
parce que c’est cette activité qui laisse le moins d’emprise au contrôle.
Je m’explique : la maîtrise totale, y compris par anticipation, est mon
principal mécanisme de défense. Il est possible de contrôler les mots,
les textes que l’on rédige. Par contre, il n’est pas envisageable de
prévoir son paralangage, mimiques, gestualisme, etc.
L’atelier théâtre est animé par une comédienne, qui est également je
crois, metteur en scène. Cette intervenante est remarquable en tous
points. Simple mais d’un grand professionnalisme, elle parvient à
mettre à l’aise son équipe tout en pointant du doigt nos réticences, nos
progrès, nos capacités inexploitées. Les soignantes participent avec
nous à cette activité. Et c’est pour moi très important, en ce sens qu’il
n’y a pas, durant la séance de travail, de regard extérieur, pour nous
juger ou nous jauger. Le rythme de l’atelier est d’une séance par
semaine. Le nombre de participants ne dépasse pas dix personnes,
142
CONCLUSION

infirmières comprises. Les patients sont en majorité des femmes, ce qui


nous pose parfois problème en terme de distribution des rôles.
La séance débute toujours par de la relaxation. Point essentiel à mes
yeux car cela nous permet de dénouer les tensions avec lesquelles nous
arrivons. Cela constitue en quelque sorte une transition entre le monde
extérieur et nous. Une fois cette phase franchie, nous entamons un
travail sans parole, individuel de surcroît. C’est-à-dire que Véronique
nous donne un thème, sur la base du mime, et nous devons improviser
sur ce thème. C’est très difficile. L’improvisation demande de se
« lâcher », ce qui n’est vraiment pas évident pour des patients de
psychiatrie. Et puis, par-dessus tout, il y a le regard des autres…
Laisser parler mon corps, sans me dissimuler derrière des mots, et plus
encore, réussir à faire dire des choses à ces bras, ces jambes, cette tête,
que j’ai tendance à recroqueviller, à gommer, me demande un effort
considérable. La troisième partie de la séance est constituée de
saynètes, extraites de pièces de théâtre diverses. L’animatrice choisit
parfois de nous attribuer des rôles à contre-emploi… Pour ne citer
qu’un exemple, jouer un personnage vulgaire m’a vraiment mise dans
l’embarras. J’avais beau m’entraîner devant mon miroir, tout en
mâchant du chewing-gum la bouche ouverte, je ne parvenais pas à
trouver les accents, les expressions du visage et du corps inhérents à
ma vision de la vulgarité. J’ai rapidement compris que ce choix déli-
béré visait à nous faire sortir, l’espace d’un jeu, de l’image dans
laquelle nous sommes figés, parfois même enchaînés. Véronique est
très exigeante, en tant que metteur en scène. Elle nous fait reprendre, et
reprendre encore, l’intonation, les déplacements, le langage corporel,
tout en étant extrêmement positive dans son approche de nos progrès.
Que m’a apporté ma participation aux activités du CATTP depuis
deux ans ? Ayant repris mon activité professionnelle, c’est réellement
une bouffée d’oxygène dans ma semaine de travail. Le centre d’accueil
est un lieu où l’on sait que je suis « malade », où l’on m’accepte en tant
que telle, où je n’ai pas besoin de faire semblant que tout va bien. Il
constitue un repère, à la fois dans l’espace et dans le temps. S’appro-
prier un lieu où l’on puisse tomber le masque, pouvoir s’y réfugier le
cas échéant constituent, en terme de sécurité psychique, un atout non
négligeable. Pour ce qui concerne le repère dans le temps, l’alternance
de périodes de travail où je dois « assurer » et d’activités thérapeuti-
ques où le « je » et le « on » travaillent de concert pour que le « je »
puisse exprimer sa souffrance, me permet de lâcher prise, de souffler en
quelque sorte. Le bénéfice des activités ne s’arrête pourtant pas là. Le
confort d’être « tutorée » par les activités, en association avec la
143
ATELIERS EN PSYCHIATRIE

thérapie et les médicaments, est indiscutable. Mais le bien-être apporté


va au-delà. Se sentir capable d’être, l’espace d’un moment, quelqu’un
d’autre insuffle, insidieusement et avec le temps, l’idée que, peut-être,
dans la vie quotidienne, on peut également changer, ou, pour être plus
précis, s’améliorer. Pas à pas, jour après jour, avec des périodes de
régression souvent, puis des bonds en avant, je démolis consciencieu-
sement un personnage figé dans sa souffrance, peut-être pour
construire, un jour, un être, non pas neuf, mais libéré.

Domi

Médiation thérapeutique ?
Nous avons décrit ce qui nous semblait être les bases de l’utilisa-
tion de médiations en psychiatrie. Nous l’avons illustré au travers de
sept expériences de professionnels auprès d’adultes et d’enfants.
Et pourtant dans ce dernier texte, Domi nous propose d’autres
pistes pour penser que les médiations peuvent être thérapeutiques.
Il s’agit de rencontre. Il s’agit pour le patient et pour le soignant de
se décaler un peu du quotidien. Il s’agit de moment dans un parcours
de soin, dans l’histoire de la maladie.
Il s’agit finalement de ces « petits riens » que nous ne maîtrisons
pas toujours mais que nous pouvons essayer d’identifier.
Une constante dans chaque texte semble être l’engagement indivi-
duel des soignants pour la mise en place mais aussi pour la pérennité
de « leur » activité.
Attendre en vain trois ordinateurs de l’administration pour
démarrer un groupe informatique, se conformer scrupuleusement à la
législation pour un groupe cuisine, quémander toutes les autorisations
avant d’organiser une sortie au musée, autant d’obstacles qui découra-
geraient plus d’un. Certes, il ne s’agit pas de faire n’importe quoi et
n’importe comment. Mais il est aussi question comme dans tout soin,
de prise de risque, d’engagement et de responsabilité.
Quant à être imaginatifs et créatifs, les soignants le seront d’autant
plus qu’autour d’eux existera un collectif, qui les soutiendra, les épau-
lera et partagera l’aventure du soin.

144
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Index

A J
Arts plastiques 77 Jeu 41, 42
Ateliers 9
L
C Langage 88
Cadre 19, 22 Lecture 87
– fonctionnel 19
– psychique 19 M
– thérapeutique 19 Média 9
Cheval 27 Médiateur 22, 88
Communication 16, 78 Médiation 9
Confidentialité 48 Médium 9
Contre-transfert 109 Musique 105
Couple thérapeutique 42
Création 13 O
Créativité 13 Objet de relation 15

D P
Dessin 77 Peinture 77
Distanciation 15 Petits groupes 12
Dynamique de groupe 11 Phénomène transitionnel 43
Post-groupe 23, 71, 111
E Prescription 33, 94, 112
Psychiatrie infanto-juvénile 41,
Écriture 123
77
Espace transitionnel 14
R
G
Responsabilité 7
Groupe 10, 46
– fermé 79 S
– semi-ouvert 30
Socialisation 45
Subjectivation 15
H
Subjectivité 43
Handling 28 Symbole 44
Holding 28 Symbolisation 42
Synthèses 23
I
Informatique 66 T
Institution 5 Transfert 109
149

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