Voltaire

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COURANTS LITTERAIRES

Cours de français de Mme De Vriendt- 6ème GTIK - Année 2023-2024

Klevi Ginollari – 6 GTI

Voltaire : Traité sue la tolérance (1763)


De "Il semble que..." à "...le conjura de pardonner à ses juges."

Analyse de l’extrait de L'Histoire abrégée de la mort de Jean Calas

Introduction

Voltaire, célèbre philosophe des Lumières, a écrit des contes philosophiques mais il est aussi un
écrivain engagé à la vie mouvementée (souvent condamné et exilé) mais célèbre et respecté dans
l'Europe entière.

Cet extrait de l'Histoire abrégée de la mort de Jean Calas se situe dans le chapitre 1 du Traité
sur la Tolérance, écrit par Voltaire en 1763, à l'occasion de l'affaire Calas.

Dans cet essai, Voltaire ne cherche pas seulement à obtenir la révision du procès mais aussi à
combattre l'intolérance et le fanatisme qui ont poussé les juges à condamner Calas par un procès
non impartial. Ce texte est donc à la fois un plaidoyer et un réquisitoire, dans lequel Voltaire
cherche à la fois à convaincre et persuader le lecteur (texte représentatif du combat des
Lumières).

Problématiques :
Quels sont les procédés argumentatifs utilisés par Voltaire pour défendre Jean Calas ?
Quels sont les armes et les cibles de ce texte ?
En quoi l'argumentation de ce texte est-elle particulièrement efficace ?
En quoi ce texte est-il engagé ?
En quoi ce texte est-il un essai ?

Texte étudié

Histoire abrégée de la mort de Jean Calas(extrait)

[...]

Il semble que, que quand il s’agit d’un parricide et de livrer un père de famille au plus
affreux supplice, le jugement devrait être unanime, parce que les preuves d’un crime si inouï
devraient être d’une évidence sensible à tout le monde : le moindre doute dans un cas pareil doit
suffire pour faire trembler un juge qui va signer un arrêt de mort. La faiblesse de notre raison et
l’insuffisance de nos lois se font sentir tous les jours ; mais dans quelle occasion en découvre-t-
on mieux la misère que quand la prépondérance d’une seule voix fait rouer un citoyen ? Il
fallait, dans Athènes, cinquante voix au delà de la moitié pour oser prononcer un jugement de
mort. Qu’en résulte-t-il ? Ce que nous savons très inutilement, que les Grecs étaient plus sages
1
et plus humains que nous.

Il paraissait impossible que Jean Calas, vieillard de soixante-huit ans, qui avait depuis
longtemps les jambes enflées et faibles, eut seul étranglé et pendu un fils âgé de vingt-huit ans,
qui était d’une force au-dessus de l’ordinaire ; il fallait absolument qu’il eut été assisté dans
cette exécution par sa femme, par son fils Pierre Calas, par Lavaisse, et par la servante. Ils ne
s’étaient pas quittés un seul moment le soir de cette fatale aventure. Mais cette supposition était
encore aussi absurde que l’autre : car comment une servante zélée catholique aurait-elle pu
souffrir que des huguenots assassinassent un jeune homme élevé par elle pour le punir d’aimer
la religion de cette servante ? Comment Lavaisse serait-il venu exprès de Bordeaux pour
étrangler son ami dont il ignorait la conversion prétendue ? Comment une mère tendre aurait-
elle mis les mains sur son fils ? Comment tous ensemble auraient-ils pu étrangler un jeune
homme aussi robuste qu’eux tous, sans un combat long et violent, sans des cris affreux qui
auraient appelé tout le voisinage, sans des coups réitérés, sans des meurtrissures, sans des
habits déchirés.

Il était évident que, si le parricide avait pu être commis, tous les accusés étaient également
coupables, parce qu’ils ne s’étaient pas quittés d’un moment ; il était évident qu’ils ne l’étaient
pas ; il était évident que le père seul ne pouvait l’être ; et cependant l’arrêt condamna ce père
seul à expirer sur la roue.

Le motif de l’arrêt était aussi inconcevable que tout le reste. Les juges qui étaient décidés
pour le supplice de Jean Calas persuadèrent aux autres que ce vieillard faible ne pourrait
résister aux tourments, et qu’il avouerait sous les coups des bourreaux son crime et celui de ses
complices. Ils furent confondus, quand ce vieillard, en mourant sur la roue, prit Dieu à témoin
de son innocence, et le conjura de pardonner à ses juges.

[...]

Voltaire, Traité sue la tolérance, Histoire abrégée de la mort de Jean Calas (extrait), 1763

Annonce des axes

I. Un plaidoyer à visée polémique (plaidoyer + réquisitoire)


1. Défense de Jean Calas
2. Défense de sa famille et amis
3. Le supplice de Jean Calas

II. Un essai qui cherche à convaincre et persuader


1. Voltaire s'adresse à la raison
2. Persuader
Commentaire littéraire

I. Un plaidoyer à visée polémique (plaidoyer + réquisitoire)


1. Défense de Jean Calas

Développements des arguments :


- " Il paraissait impossible [...] de l'ordinaire." relève de la logique et du bon sens pour être
compréhensible par tous et destiné à l'opinion publique.
2
- "vieillard", "soixante-huit ans", "jambes enflées et faibles" : Voltaire veut objectivement
démontrer la faiblesse de Jean Calas et susciter la pitié du lecteur.
- Le terme vieillard est utilisé 3 fois dans l'extrait.

- Contraste entre le père et le fils => symétrie de la syntaxe, répétition de subordonnées relatives,
l'âge du père et du fils est dit précisément, opposition de "faible" et "force" = antithèses.
- Argument supplémentaires en faveur de Jean Calas.

2. Défense de sa famille et amis

Argumentation rigoureuse fondée sur la logique et bon sens.


- "absurde" => pas logique.
- Hypothèse de la servante qui aurait aidé : étonnant car c'est elle qui a élevé la victime et
illogique car il a voulu se convertir dans sa religion.
- Lavaisse : il serait venu de très loin pour tuer son ami.
- La mère : (implicite) impossibilité physique de tuer son fils. / explicite : "tendre".
Questions rhétoriques Comment... ? => Absurdité mise en valeur. Il n'y a pas de réponses car
celles-ci sont évidentes.

3. Le supplice de Jean Calas

- Critique explicite de la justice.


- Premier paragraphe : progression vers l'affirmation "devrait" puis "devraient" puis "doit"
(conditionnel et présent de vérité générale).
- Hypothèse avec "il semble que" (= tournure impersonnelle) => ton péremptoire.
- Effet de chute : "mort".
- Manifestation physique de la peur : "trembler".
- Responsabilité des juges implicite + gravité.

- Premier paragraphe, deuxième partie : réflexion plus large.


- Réflexion humaine : référence à Athènes, Grèce Antique = argument d'autorité.
- La justice française est plus dure que celle de la Grèce Antique "plus sage et plus humaine".
- "oser" => montre la gravité de la peine de mort et montre que ceux qui la prononçaient dans la
Grèce Antique la prononçait avec difficulté.
- "Misère" = au sens moral.
- Gradation.

II. Un essai qui cherche à convaincre et persuader

1. Voltaire s'adresse à la raison

- Importance des arguments déjà évoqués.


- Dans le deuxième paragraphe : Voltaire reconstitue la scène à la manière d'une enquête
policière. Tout est vérifiable (pas de meurtrissures, ni de témoins, ni de traces) donc suicide.
- 4ème paragraphe : Synthèse, reprise de l'idée d'illogisme : " aussi inconcevable que tout le
reste".
- Connecteurs logiques.
- Ton affirmatif, pas de place au doute : présent de vérité générale : "on doit" = connotation
morale.
3
- Enonciation : "nous" qui inclut le lecteur + questions rhétoriques.
- "falloir" et "absolument" = Hyperboles.
- Texte logique sans faille.

2. Persuader

- Persuader avec le registre pathétique : Jean Calas = vieillesse et faiblesse, mère = tendresse,
thème de la mort : début et fin.
- Souffrance, torture et mort à la fois - Questions rhétoriques : "Comment..."
- Anaphore : "sans" (fin du deuxième paragraphe) : insiste sur l'absurdité de l'accusation.
- Anaphore de "Il était évident que..."
- Effet de contraste : rupture avec 3 imparfaits et le passé-simple "condamna" qui sonne comme
une fatalité.
- "Les juges qui étaient décidés pour le supplice de Jean Calas" : avec le verbe "décider",
Voltaire montre que la décision des juges a été prise sans raisonnement.
- Dernier paragraphe : une scène édifiante, pathétique. Même sous la torture, Jean Callas n'avoue
pas et pardonne à ses juges, prouvant ainsi son innocence et sa bonté d'âme.

Conclusion

Voltaire dénonce dans ce texte le disfonctionnement de la justice et l'intolérance religieuse à


partir d'un fait réel. Par un plaidoyer destiné en premier lieu à réhabiliter Jean Calas, il combat le
fanatisme qui aveugle les juges et leur fait prendre des décisions précipitées. Il mobilise dans cet
essai toutes les ressources argumentatives pour convaincre et persuader le lecteur (efficacité de
cet essai). En mettant son écriture au service de la justice, il montre qu'il est un écrivain engagé.
Ce texte est aussi représentatif du combat du philosophe des Lumières qui luttent contre toute
forme d'injustice, à commencer par l'intolérance religieuse de son époque, ce que montre la
conclusion du Traité sur la Tolérance : la "Prière à Dieu".
Un siècle et demi plus tard, Zola s'empare de l'affaire Dreyfus pour en démontrer aussi
l'incohérence et obtenir la réhabilitation de Dreyfus.

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