M. Fabre-Magnan - Introduction Au Droit - Col. (AD)
M. Fabre-Magnan - Introduction Au Droit - Col. (AD)
M. Fabre-Magnan - Introduction Au Droit - Col. (AD)
et le secret du Sphinx
Exode, 7 : 10-13
1
LA TOMBE DE LA TERREUR
***
***
***
Indy venait à peine de fermer les yeux quand la porte de sa
cabine s’ouvrit brusquement sur une baïonnette qui précédait
un fusil et un soldat japonais.
Celui-ci parla très fort et très rapidement à l’Américain, tout
en faisant des mouvements secs avec sa baïonnette. Jones ne
comprenait rien à ce qu’il disait, mais manifestement il voulait
que le dormeur se lève.
Indy balança les pieds par-dessus le rebord de la couchette,
mais il fut aussitôt pris d’un étourdissement si violent qu’il
s’écroula de tout son long sur le plancher. Le médecin apparut
sur le seuil de la cabine, contourna le soldat et aida Jones à se
recoucher.
— Glouglou, fit-il en mimant quelqu’un qui boit à une
bouteille.
Le soldat éclata de rire.
Derrière lui apparut un sergent, lequel ne semblait pas du
tout amusé par la situation.
Il voulut savoir ce qui n’allait pas chez l’Américain. Le
médecin lui expliqua dans un japonais torturé par un lourd
accent néo-zélandais que le marin était australien et non
américain, qu’il s’était enivré la nuit précédente et avait
commis l’erreur de se trouver du mauvais côté d’un couteau
tenu par un Malais de cent cinquante kilos.
Le sergent cracha au sol.
— Pour moi, tous les gaijin se ressemblent, dit-il en
retroussant son pantalon. Leurs pieds sont trop grands, ils
parlent trop fort et ils sentent tous le hamburger avarié. Nous
avons ordre de fouiller tous les bateaux qui appareillent cette
nuit pour trouver un grand Américain très laid blessé par balle,
une magicienne et son assistante qui ressemble à un singe.
— Lui a été blessé par un couteau, pas par balle, dit le
médecin. Il s’appelle Smith, et j’étais à l’Orchidée quand la
bagarre a commencé. D’ailleurs, si je n’avais pas été présent, il
n’aurait pas été là pour m’injurier ce matin.
Le sergent passa la main dans la chemise déboutonnée
d’Indy et s’apprêtait à soulever le bandage quand un autre
soldat poussa Faye dans la coursive et la cabine. Le capitaine
Snark était sur leurs talons.
— Ramenez-la, ordonna-t-il.
— Non ! s’écria Faye. Faites-moi descendre de ce rafiot. Ce
pirate m’a kidnappée et il a l’intention de me vendre comme
prostituée…
Le sergent la frappa d’un revers de main, assez violemment
pour lui ouvrir la lèvre inférieure. Un instant la jeune femme
vacilla, et les bretelles de sa robe en soie glissèrent de ses
épaules. Indy crut qu’elle allait s’évanouir. Mais elle se reprit,
essuya le sang à sa bouche et lança un sourire froid au Japonais.
— J’espérais que vous étiez ici pour me secourir, dit-elle.
— Toi la fermer, dit le sergent. Toi femme pour réconfort.
Nous pas t’emmener.
— Domo arrigato, dit Snark, et il gratifia le Nippon d’une
courbette presque imperceptible.
Le sergent saisit la mâchoire d’Indy dans le creux de sa main
et tourna son visage vers la gauche, puis la droite, pour
inspecter les entailles et les ecchymoses. Indy refusa de
regarder ses petits yeux de cochon, mais il ne put éviter son
haleine fétide.
— Ce n’est pas le gaijin que nous recherchons, déclara le
sergent en japonais. Celui-là empeste le gin et il est visiblement
trop stupide pour s’être échappé d’une prison.
Il repoussa Indy en arrière sur la couchette, pivota vers la
porte et d’un geste fit sortir les soldats. Soudain il fit halte, saisit
Faye par la taille et l’attira à lui avec brusquerie. Il l’embrassa
rudement sur la bouche, avant de la lâcher et de lui appliquer
une claque sur le postérieur.
Indy avait quitté sa couchette et était arrivé au milieu de la
cabine quand le médecin le stoppa.
— Ce combat ne vaut pas qu’on meure pour lui, mon vieux,
murmura-t-il tout en écoutant les pas des soldats qui
s’éloignaient dans la coursive. Laissez-les partir. Quand ce
rustre mourra dans une quelconque tranchée, de la main d’un
seigneur de guerre chinois, ou qu’il deviendra aveugle après
avoir attrapé la syphilis parce qu’il aura voulu goûter à une
source de réconfort empoisonnée par ses camarades, nous
serons en train de siroter un verre à sa mémoire puante à
l’international de Tokyo. Vous connaissez cet hôtel ?
— Oui.
— De l’autre côté de la rue se trouve le palais aux murs
blancs de l’Empereur, dit le médecin. Des canards et des cygnes
nagent paisiblement dans les fossés. De temps à autre, vous
pouvez apercevoir Hirohito en personne. C’est un petit homme
avec un grand chapeau et une redingote qui préférerait être
jardinier, à mon humble avis. Pas très ambitieux pour un dieu
vivant, vous ne pensez pas ?
Indy considérait le Néo-Zélandais avec admiration pour sa
capacité à le calmer de sa seule voix et son appréciation de la
beauté au cœur du chaos.
— Étonné ? Je n’ai pas toujours été cette épave avec les dents
gâtées et le cuir cyanosé, continua-t-il en se tournant vers Faye
pour examiner sa lèvre fendue. J’ai eu plusieurs carrières :
journaliste, avocat, médecin. Enfin, pas vraiment médecin, mais
sous ces latitudes je peux faire illusion. J’aimais m’installer au
bar de l’International. Je buvais du saké dans ces petites tasses
en porcelaine et je me félicitais de ma bonne éducation. Et bien
sûr je contemplais le monde qui sombrait doucement. Un peu
comme l’Empereur.
— Comment ça ?
— Le Japon est une île magnifique, et regardez dans quelles
mains il est tombé. Mais nous nous le sommes infligé, n’est-ce
pas ? Vous savez, les Japonais ont même rendu les armes, après
que les Portugais les ont apportées il y a quatre cent ans. Mais
les Nippons ont réussi à devenir aussi modernes et assoiffés de
sang que nous. Le monde est en guerre une fois de plus, mais
les gens ne le savent pas encore. Tout a commencé ici, il y a
deux ans, et personne ne s’en soucie. Mais bientôt ils
comprendront, mon vieux.
Il sortit de sa sacoche de l’antiseptique et des tampons de
coton.
— Ça va piquer un peu, mais mieux vaut ne pas prendre de
risque, dit-il en nettoyant la lèvre de Faye.
— Que vous est-il arrivé ? lui demanda Indy.
— Je me suis réveillé. Et je n’ai pas pu supporter ce que je
voyais autour de moi. Je sais ce qui se prépare, parce que j’ai
appris à recoudre des gens quand j’étais dans le service de
santé, pendant la Grande Guerre. Alors je me suis mis à boire, et
maintenant je passe mon temps à prétendre que je pratique la
médecine sur un rafiot rouillé commandé par un trafiquant
japonais. Je soigne des orphelins de guerre en Mandchourie
pendant que Snark va à la recherche d’une quelconque
cargaison illicite.
— Vous prétendez ? fit Indy en effleurant sa blessure. Allons
donc.
— Bah, une grande partie de ce que j’avais appris m’est
revenue, admit le médecin.
Il termina de soigner la lèvre de Faye en y appliquant un peu
de teinture d’iode.
— Comment vous appelez-vous ? s’enquit Indy.
— Bryce, répondit le Néo-Zélandais, qui parut se redresser
un peu en prononçant son nom. Montgomery Bryce, Oxford,
classe de 1923.
— Jones.
Ils se serrèrent la main.
— Oui, je sais, dit Bryce. J’avais déjà vu votre trombine dans
les journaux. Mais un gentleman ne se permet pas de
commentaires tant que les présentations n’ont pas été faites
dans les règles.
Il y eut une secousse, et Bryce sourit.
— Ah, nous venons de larguer les amarres. Les remorqueurs
vont nous conduire hors du port. Bientôt nous serons loin de cet
endroit puant.
— Quel est le chargement de Snark pour ce voyage ?
— Il ne me fait pas ce genre de confidences, répondit le
médecin.
Il s’accroupit, referma sa sacoche, et quand il leva la tête vers
Indy ses yeux étaient emplis d’un mélange indicible d’horreur
et de culpabilité.
— Vous savez, Jones, c’est absolument vrai, ce que je vous ai
dit. Mais ce n’est pas tout. Pendant que je fermais les yeux sur le
viol de la Mandchourie, je suis tombé amoureux de la
concubine d’un seigneur de guerre médiocre qui collaborait
avec l’armée impériale. La fille s’appelait Si Huang, elle avait
dix-sept ans, et c’était la personne la plus douce que j’aie jamais
connue. Mais l’honneur la liait à sa situation, et elle ne pouvait
pas fuir avec moi pour être en sécurité. Bien entendu, le
seigneur de guerre a fini par savoir. Avez-vous une idée de ce
qu’il a fait ?
Indy ferma les yeux.
— Il l’a tuée. Ensuite il a pris son cœur, il l’a fait cuire et il l’a
mélangé au curry de porc dont je me suis régalé ce soir-là.
Bryce eut un sourire sans joie.
— Je n’ai plus avalé un morceau de viande depuis ce jour, dit-
il en fermant sa sacoche. Et la nuit venue, juste avant de
m’endormir quand je suis sobre, bien sûr – je décèle comme un
parfum de curry dans l’air. Alors je sais que les terreurs
nocturnes suivront.
***
***
Sokai portait une tenue noire. Ses pieds étaient ramenés sous
lui, les gros orteils croisés, et ses mains étaient posées à plat sur
ses cuisses. Il inclina sa tête bandée jusqu’à toucher le parquet
et resta dans cette position respectueuse pendant trente
secondes.
Quand il revint au sezen, la position assise, la flamme des
bougies placées de l’autre côté de l’autel vacilla. Cette
modification de la lumière se refléta sur l’étui noir laqué du
sabre de samouraï placé à portée de main devant lui, et dans les
portraits sous verre de ses ancêtres qui décoraient les murs du
dojo. Le reflet alluma une lueur fugace dans l’iris couleur
amande de l’œil droit de Sokai.
L’autre œil, toujours sous un pansement suintant, était
maintenant inutile. Les pointes du casse-noix avaient également
arraché en partie son oreille et sa joue gauches. Ajoutées aux
sutures maladroites effectuées par le médecin de Luchow, ces
blessures avaient ruiné la beauté froide de Sokai pour le
transformer en une sorte de créature qui n’était pas sans
rappeler Boris Karloff dans ses rôles de monstre au cinéma.
Des heures durant Sokai était resté assis sans bouger devant
l’autel, dans la salle d’entraînement enténébrée. Il cherchait le
boon ki – la raison, l’essence, le sens véritable – de ce qui était
arrivé. Il avait scruté les visages des maîtres du Bushido qui
s’alignaient sur les murs, de son propre maître d’Okinawa
jusqu’à la face édentée et féroce de Dharuma, le fondateur au
VIe siècle du bouddhisme zen, qui avait également apporté les
arts martiaux aux moines du monastère shaolin de Song Shan.
On disait qu’après avoir atteint ce lieu, Dharuma était resté
neuf années plongé dans la contemplation silencieuse de la
paroi d’une caverne, à écouter le son des fourmis qui criaient.
Un des moines témoins de cette prouesse de maîtrise de soi
avait été tellement ému qu’il s’était coupé une main et l’avait
offerte à Dharuma en signe de sympathie.
D’après certains, cette histoire était conçue pour défier toute
interprétation, selon un autre précepte zen qui veut qu’on
puisse réfléchir à une chose mais jamais en saisir toute
l’étendue. La compréhension intellectuelle était une
impossibilité. Le mieux qu’il pouvait espérer était une sorte
d’acceptation contemplative.
Mais alors que Sokai laissait ses doigts toucher le pansement
sur son œil mort, il crut avoir compris le message. La nuit
profonde de sa vie venait d’être illuminée, comme un éclair
révèle les secrets d’une nuit d’été.
Le son des fourmis qui criaient avait un nom.
— Jones, gronda Sokai.
Et le nom était devenu une imprécation.
***
***
Dans ses rêves, il cherchait.
Peut-être fallait-il y voir l’influence de sa relecture de
l’Ancien Testament avant de s’endormir, ou la centaine de
moments d’angoisse vécus lors de ces derniers jours, ou le fait
de savoir qu’il se trouvait au fond de la terre. Quoi qu’il en soit,
il se retrouvait dans un paysage biblique de pyramides et
d’idoles, de sable et de soleil, et il parcourait des couloirs
interminables et des passages souterrains incroyablement
tortueux pour apercevoir une ombre qui toujours venait de
tourner le coude suivant du chemin.
Souvent il arrivait assez près d’elle pour reconnaître le
timbre de sa voix, et parfois même il avait une vision fugitive de
son visage, mais jamais il n’était assez proche pour la toucher.
Sa frustration était amoindrie parce qu’une partie de lui-même
savait que ce n’était qu’un rêve et que jamais il ne pourrait la
rattraper.
— Qui est Alecia ? lui demanda Faye quand il s’éveilla.
— Pardon ?
Elle était assise et mangeait un petit déjeuner composé de
fruits apportés par Pascal.
— Vous avez parlé dans votre sommeil. Je ne voudrais pas
me montrer indiscrète, mais elle paraissait terriblement
importante. Est-ce votre femme ?
— Je n’ai jamais été marié.
— Votre petite amie, alors.
— Non.
Il s’assit et se frotta les yeux.
— Quelle heure est-il ?
— Le soleil vient de se lever. Je suis sortie tout à l’heure. C’est
très joli ici, maintenant que la tempête est passée.
— Et où est votre fille ?
— Elle dort encore. Tout comme Musashi.
— Et pourquoi pas vous ?
— Je n’ai jamais pu dormir à l’intérieur, répondit-elle. Alors,
vous allez m’en parler ?
— Vous parler de quoi ?
— D’Alecia.
— Pourquoi le ferais-je ? s’étonna-t-il.
— Parce que nous sommes amis. Parce que nous avons
traversé ensemble une épreuve où nous avons risqué notre vie.
Parce que nous sommes heureux d’être toujours vivants, Parce
que je veux savoir, et parce que vous avez envie d’en parler.
— Pas du tout.
— Êtes-vous amoureux d’elle ?
— Je l’ai été, avoua-t-il.
— Mais plus maintenant ?
— Écoutez, fit Indy, je vais vous donner la version brève,
d’accord ? Jadis j’ai connu une femme prénommée Alicia. Nous
nous sommes mutuellement rendus malheureux. Ensuite elle
est morte.
Faye garda le silence.
— Satisfaite ?
— Non, dit-elle. Vous ne pouvez pas en parler sans vous
mettre en colère ?
— C’est vous qui me mettez en colère.
— Je ne le pense pas. Vous êtes en colère à propos de cette
femme, et cette colère dure depuis très longtemps. Jusqu’à
maintenant, je ne savais pas contre quoi vous étiez en colère.
— Écoutez, tout ça ne me concerne plus du tout…
— Au contraire, ça vous concerne en plein, interrompit la
jeune femme. Réfléchissez-y. Les gens n’abandonnent pas tout
et ne partent pas à l’étranger à moins qu’ils soient malheureux
ou insatisfaits. Je le sais, je parle d’expérience.
— Kaspar était malheureux ? devina Indy.
— Il ne m’a pas demandé de le suivre.
— Alors pourquoi le recherchez-vous ?
— Parce que je l’aime. Parce que Mystery a besoin de son
père, ou au moins de savoir ce qu’il est advenu de lui. Et parce
que je suis assez forte et maligne pour le retrouver, et que je ne
me le pardonnerais jamais si je n’essayais pas.
Indy toussota. Elle posa sur lui un regard perçant.
— Cette conversation vous met mal à l’aise.
— Ce n’est pas le genre de sujets que les amis abordent entre
eux, admit-il.
— Alors nous allons arrêter là, fit-elle.
— Très bien.
Elle se pencha et ramassa la Bible.
— Vous faisiez vos prières ?
— Je me renseignais sur le Bâton d’Aaron, expliqua-t-il. Je
comprends la fascination de Kaspar pour cet objet. C’est la
baguette magique originelle. Le Bâton permettait de trouver de
l’eau, d’abattre des calamités diverses sur les ennemis… Tant
qu’il a été en la possession de Moïse, les Hébreux ne pouvaient
pas perdre la bataille.
Faye sourit.
— Quand j’étais petite, dit-elle, je fermais les yeux, j’ouvrais
la Bible et je lisais un verset au hasard. Aujourd’hui, ça a l’air
assez puéril. Mais à l’époque les versets semblaient toujours
s’accorder à la situation.
— Plus maintenant ?
— Non.
— Et, d’après vous, qu’est-ce qui a changé ?
— Moi. Je suis devenue adulte.
— Les enfants ont un penchant pour la pensée magique.
— Vous ne croyez pas à la magie, docteur Jones ?
— Tout dépend de la définition que vous en donnez. Si vous
parlez du genre de distraction qui nécessite la crédulité
volontaire d’un public, alors la réponse est oui, cette magie-là
me plaît.
— Non, dit-elle, je faisais allusion à la magie véritable.
— Si la science nous a enseigné quelque chose, répondit
Jones, c’est qu’une telle chose n’existe pas. La magie comme la
superstition sont des errements du passé.
— La science n’est qu’un autre système de croyance,
argumenta Faye. C’est un bon système, mais ce n’est pas le seul.
D’ailleurs elle n’explique pas tout. Croyez-vous en Dieu, docteur
Jones ?
— Oui.
— Bien. Au moins c’est quelque chose. Vous mettez donc
entre parenthèses votre croyance en la science pour faire place
à la foi en une entité dont vous ne pouvez pas prouver
l’existence, mais que vous cautionnez à cause d’une conviction
qui dépasse votre rationalité. Serait-il si difficile d’admettre que
la magie puisse elle aussi exister ?
— S’il y avait des preuves…, fit Indy.
Elle sourit de cette réflexion.
— C’est ce que Kaspar recherchait. D’autres personnes
convoitent peut-être le Bâton pour les richesses et le pouvoir
qu’il peut apporter, mais Kaspar était après tout autre chose. Il
voulait obtenir la confirmation que la magie est effective, et que
les miracles peuvent toujours se produire.
— La baguette magique originelle, résuma Indy.
— Exactement.
— Mais le Bâton a été égaré durant l’Antiquité, sans espoir de
réapparition. En admettant bien sûr qu’il ait existé. Ce n’était
peut-être qu’une légende.
— Si tel est le cas, c’est une légende très bien détaillée.
L’Ancien Testament y fait souvent référence. Dans l’Exode, il se
transforme en un serpent qui avale ceux invoqués par les
magiciens de Pharaon. Il aide à déclencher les dix plaies
d’Egypte.
— L’eau qui se change en sang, les pluies de grenouilles, des
nuées de moustiques, des nuages de mouches, récita Indy. La
peste, les ulcères, la grêle, des nuages de sauterelles, les
ténèbres qui s’abattent sur le pays, le décès des premiers-nés…
Mais même si vous le trouviez, comment sauriez-vous que c’est
bien le Bâton d’Aaron ? Aujourd’hui, ce ne serait plus qu’un
vieux morceau de bois desséché.
— Vous voulez dire : Comment pourrais-je le reconnaître ? La
Bible le décrit comme une verge en bois d’amandier, qui porte
le nom d’Aaron. Et puis, bien sûr, combien de vieux bâtons
desséchés peuvent accomplir des miracles ?
— Vous n’êtes pas sérieuse ? fit Indy.
Faye lui retourna son regard.
— Eh bien, reprit-il, s’il fonctionnait, je suppose que ça
réglerait la question de la magie une fois pour toutes.
La jeune femme sourit, et elle allait ajouter autre chose
quand Mystery fit irruption dans la pièce.
— Docteur Jones ! s’écria-t-elle. Maman ! Venez, vite : il y a un
avion dans le lagon.
***
***
***
Ils trouvèrent la maison dans une rue étroite. Ils étaient déjà
passés deux fois devant quand Mystery remarqua les petits
chiffres surmontant la porte peinte en rouge fade : 707. La porte
s’ouvrait sur un escalier fatigué qui donnait sur une autre
porte, en meilleur état celle-là, au deuxième étage. Elle était en
chêne, avec une plaque de cuivre soigneusement polie qui
annonçait : Jadoo ; Magicien de renommée mondiale. Sur rendez-
vous uniquement.
— Comment prend-on rendez-vous ? s’étonna Mystery.
— Nous allons le savoir, fit Indy, qui tambourina
vigoureusement sur le panneau.
Après un moment, un judas coulissa au centre de la porte, et
deux yeux rougis regardèrent les intrus.
— Nous sommes venus voir Jadoo, déclara Indy. Je suis
Indiana Jones, et ce sont…
— Désolé, fit une voix fluette dans un anglais approximatif.
Sur rendez-vous uniquement.
Le judas se referma.
Indy frappa de nouveau à la porte, un peu plus fort que la
première fois.
Le judas s’ouvrit.
— Vous ne comprenez pas, dit-il en s’efforçant de conserver
un ton aimable. Nous avons besoin de voir Jadoo le Magicien au
sujet d’une affaire de la plus haute importance. Nous n’avons
pas le temps de prendre rendez-vous.
— Sur rendez-vous uniquement.
Le judas se ferma.
Indy se caressa le menton pensivement, contempla la porte
close, puis la cogna brutalement du poing.
Aucune réaction.
Il martela encore le panneau, assez fort pour que des
morceaux de plâtre tombent du plafond en piteux état.
— Arrêtez, lui dit Faye.
— Je pensais que vous vouliez voir ce plaisantin ?
— En effet, mais pas en démolissant sa maison.
Elle s’approcha du judas, qu’elle tapota légèrement.
— Excusez-moi, nous sommes terriblement désolés de vous
importuner ainsi, je comprends fort bien que tous les visiteurs
doivent prendre rendez-vous. Toutefois, si vous aviez la
gentillesse de dire à Jadoo que les Maskelyne sont là pour…
Le judas s’ouvrit subitement.
— Quel nom avez-vous dit ?
— Les Maskelyne, répéta la jeune femme. Je suis Faye
Maskelyne, l’épouse du grand magicien Kaspar Maskelyne, et
voici notre fille, Mystery.
— Bonjour, dit cette dernière.
Le judas se ferma une fois de plus, puis il y eut un
cliquètement de chaînes et de verrous. La porte s’ouvrit, et un
Indien très mince en veste blanche les pria d’entrer d’un geste
de la main.
— Je suis le serviteur du maître, annonça-t-il. Vous pouvez
m’appeler Pasha.
— Merci, lui dit Faye.
Ils se trouvaient à présent dans une entrée spacieuse, à la
décoration extravagante, encombrée de souvenirs accumulés
sur plusieurs dizaines d’années de magie. Des rayonnages
étaient surchargés d’ouvrages traitant de la magie dans diverses
langues, d’accessoires et d’autres bibelots. Le serviteur referma
la porte derrière eux et la verrouilla avec le plus grand soin.
— Je suis désolé, déclara-t-il, mais le maître est sorti. Il sera
de retour très bientôt, et je suis certain qu’il voudra s’entretenir
avec vous. Si vous voulez bien l’attendre.
— Nous attendrons, dit Faye.
— Très bien. Puis-je vous servir un rafraîchissement ? Du thé,
peut-être ?
— Ce serait très aimable de votre part.
— Très bien, répéta Pasha, qui joignit les mains et s’inclina
légèrement avant de quitter la pièce.
— Cet endroit ressemble à un musée, fit Mystery, qui
examinait les tranches poussiéreuses des livres. Je comprends
pourquoi papa a pu être attiré ici… Regardez ça…
Elle prit une coupe faite dans un crâne humain monté sur un
pied en argent. Le crâne était renversé et avait été coupé en
deux au niveau de la mâchoire supérieure, de sorte que la boîte
crânienne ouverte formait la coupe proprement dite. Les
orbites et les fosses nasales avaient été comblées avec de l’or
martelé, l’os blanchi et poli jusqu’à obtenir la patine de l’ivoire,
quoique les dents fussent d’un jaune beaucoup plus commun.
Une des molaires était enveloppée d’or.
— C’est un vrai ? demanda la jeune fille.
Indy lui prit l’objet des mains. L’intérieur était gravé des très
fines rigoles laissées par les vaisseaux sanguins qui avaient
alimenté le cerveau du vivant de l’individu.
— J’en ai bien peur, dit-il.
— Beurk, lâcha Mystery avec une grimace, avant d’essuyer
ses mains sur son jean. Qui peut avoir l’esprit assez tordu pour
désirer boire dans un crâne humain ?
— C’est utilisé pour un rituel magique, expliqua Jones. Une
pratique assez répandue chez les peuplades primitives, un peu
partout dans le monde. L’idée était que si vous transformiez le
crâne de votre ennemi en coupe, chaque fois que vous y buviez
vous ingériez symboliquement sa puissance. Ce n’est très
certainement qu’une pièce de collection.
Faye tendit la main, et Indy lui donna l’étrange coupe.
— Chez certaines tribus, c’est un symbole de respect et même
de vénération envers le défunt, ajouta-t-elle. Plus grand est
votre ennemi et plus grand vous êtes vous-même.
— C’est vraiment barbare, jugea Mystery.
— Hmm… cet objet n’est pas aussi poussiéreux que les
autres.
— Vous ne suggérez quand même pas…, fit Indy, sans
terminer sa phrase.
La jeune femme passa le majeur à l’intérieur du crâne, puis
le goûta.
— Du vin, déclara-t-elle. Du vin blanc. Et ce n’est pas très
vieux, à mon avis.
— Génial, soupira Jones.
Faye replaça la coupe sur l’étagère.
— Espérons que le propriétaire de ce crâne était déjà mort
quand Jadoo a eu l’idée de le transformer en récipient, dit-elle.
— Je me demande si cet inconnu avait un rendez-vous,
surenchérit Indy.
— Nous poserons la question.
Pasha revint, porteur d’un plateau. Il versa du thé anglais
très fort dans trois tasses. Faye prit celle qu’il lui tendait, mais
Jones déclina l’offre.
— Moi non plus, déclara Mystery.
— Oh ? fit Pasha. Peut-être la jeune dame préférerait un peu
de lait, et le gentleman du vin ?
— Non, merci, répondit Indy en souriant. Je n’ai pas soif.
— Comme vous voudrez, dit le serviteur. Je pense que le
maître rentrera très bientôt. En attendant, y a-t-il autre chose
que je puisse faire pour vous être agréable ?
Jones ne laissa pas passer l’occasion :
— Eh bien, oui. Nous attendons un télégramme des États-
Unis cet après-midi. Pourriez-vous téléphoner au bureau de la
Western Union pour leur demander de le faire apporter ici ?
— Nous n’avons pas le téléphone, dit Pasha. Mais je vais
envoyer un messager au bureau du télégraphe. À quel nom ce
télégramme sera-t-il adressé ?
— Le mien, répondit Indy.
— Très bien, docteur Jones.
Indy scruta les yeux du serviteur, mais celui-ci ne trahit
aucune gêne.
— Vous devez avoir une mémoire phénoménale, dit
l’Américain.
— Je vous demande pardon, monsieur ?
— Je ne me souviens pas vous avoir dit que j’avais le titre de
docteur.
— Nous recevons des nouvelles du monde entier, même ici, à
Calcutta, rétorqua Pasha d’un ton placide. Celui qui ne
connaîtrait pas le nom du célèbre archéologue serait un citoyen
de l’Empire très mal informé.
Sur ces mots, l’Indien se retira.
— Vous ne lui faites pas confiance, remarqua Faye.
— Il n’y a pas beaucoup de gens en qui j’ai confiance,
expliqua Indy, qui s’empressa d’ajouter : Vous êtes deux
exceptions, bien sûr.
Une porte se referma quelque part dans la maison, et un
murmure de voix fut suivi du bruit de pas qui approchaient. Un
homme de grande taille aux cheveux blancs, coiffé d’un turban
et vêtu d’une veste entra dans la pièce. Sa peau était couleur
noisette, mais ses yeux étaient d’un bleu perçant.
— Chers visiteurs, veuillez me pardonner de vous avoir fait
attendre, dit-il. Si j’avais su que vous étiez ici, je me serais hâté
de revenir. Je vous en prie, passons dans mon bureau.
— Merci, répondit Faye.
Ils le suivirent dans une pièce sombre au sol couvert de tapis,
avec un ventilateur qui tournait paresseusement au plafond. Le
magicien s’assit dans un fauteuil tendu d’une étoffe luxueuse et
prit un cigare dans un coffret en bois qu’il présenta ensuite à
Indy.
— Non, merci. Je ne fume pas.
— Moi, si, dit Faye.
Jadoo la laissa choisir un cigare. Il alluma le sien avec une
allumette et tendit la boîte à la jeune femme. Elle arracha
l’extrémité du cigare d’un coup de dents et aspira la flamme à
l’autre bout.
— Je ne savais pas que tu fumais, maman.
— J’ai été contrainte d’arrêter, précisa-t-elle tandis que la
fumée s’étirait en volutes molles autour de sa tête et montait
vers le ventilateur. Il est difficile de trouver des cigarettes
américaines, et les produits locaux qu’ils fument sentent trop
mauvais. Ce cigare est très fort…
Jadoo sourit.
— Docteur Jones, je vous connais de réputation. Et quant à
vous, madame, Pasha m’a dit que vous êtes l’épouse de mon
pair, Kaspar Maskelyne. Comment puis-je vous aider ?
— C’est justement à cause de mon mari que nous sommes ici,
expliqua Faye. On nous a dit qu’il vous avait peut-être rendu
visite avant sa disparition, il y a quatre ans.
Jadoo tira longuement sur son cigare.
— Oui, lâcha-t-il enfin. Bien sûr, je me souviens de lui. Il a
passé une journée avec moi, en 1930, je crois. Il a disparu, dites-
vous ? Je suis navré de l’apprendre.
— Nous espérions que vous accepteriez de partager avec
nous le sujet de votre conversation avec lui, fit Indy, ce qui nous
permettrait de mieux orienter nos recherches.
— Ah, c’était il y a si longtemps… Et, j’ai le regret de devoir le
reconnaître, ma mémoire n’est plus ce qu’elle était. Ce qui m’a
le plus marqué concernant cet entretien, c’est à quel point il a
été agréable. Nous avons discuté de l’histoire de la magie,
comme vous vous en doutez, et il a pris des notes pour un livre
qu’il m’a confié être en train de rédiger.
— Un livre ? répéta Faye. Il ne m’a jamais parlé d’un livre.
— Attendez, laissez-moi réfléchir, dit Jadoo en fermant les
yeux pour mieux se concentrer. Il me semble bien qu’un livre
faisait partie de la discussion. Mais nous avons abordé un si
grand nombre de sujets…
— Kaspar n’était pas du genre à se lancer dans l’écriture d’un
livre, affirma Faye. Par tempérament, il était plus aventurier
qu’érudit. En réalité, je n’ai reçu que trois lettres de lui avant sa
disparition, et toutes trois étaient d’une brièveté regrettable.
Bien des fois j’ai souhaité qu’il soit plus enclin à se documenter
sur ses activités, parce qu’il aurait semé des indices et aurait été
plus facile à retrouver.
— Ah, ça me revient, déclara soudain Jadoo. Non, il ne
rédigeait pas un ouvrage sur la magie ancienne, il en
recherchait un. Le sujet ne m’était pas très familier, parce qu’il
semblait plus verser dans la religion que dans la magie.
— Lui avez-vous donné un conseil ? demanda Indy.
— Oui. Il m’a questionné sur les anciens textes hindous, et
j’ai pu le renseigner un peu sur le sanskrit. Nous avons aussi
discuté de cette croyance quasi universelle dans les religions du
monde, l’existence d’un livre ou de tablettes qui contiendraient
l’histoire de chaque personne à venir.
— Le Livre de l’Omega, dit Faye.
— C’est le titre que certaines cultures lui donnent, en effet.
Les anciens Égyptiens, par exemple, croyaient que dans la cité
d’Héliopolis, près du Caire, se trouvait un immense pilier sacré
nommé Annu qui aurait été là avant la naissance de la
civilisation et qui contiendrait un savoir secret couché sur
36 535 rouleaux de parchemin cachés à l’intérieur. Ce savoir ne
pourrait être révélé qu’à qui le mérite, et pour le bien de
l’humanité.
Indy eut un petit rire sarcastique.
— C’est une métaphore, expliqua-t-il. Les 36535 manuscrits
représentent les 365 jours de l’année, plus une fraction de
journée, et selon certaines interprétations le savoir ne se trouve
pas dans le pilier, mais dans le ciel. En d’autres termes, dans les
étoiles.
— Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pontifia
Jadoo, citant une maxime occulte très répandue. On dit que
Platon aurait visité le temple de Neith où se trouvent des
couloirs secrets contenant des archives historiques conservées
là depuis plus de neuf mille ans. L’historien Manetho, qui a
établi la chronologie des pharaons et des dynasties encore en
usage aujourd’hui, aurait tiré ces connaissances de certains
piliers creux découverts dans des lieux souterrains, et sur
lesquels Hermès avait inscrit les lettres sacrées.
— J’ai entendu ces légendes, dit Indy. Y compris celle d’Edgar
Cayce, le soi-disant prophète du sommeil, qui prédisait qu’une
« Salle des Archives » contenant l’histoire d’une civilisation
disparue serait découverte sous les pattes du Sphinx.
— Oui, bien sûr, approuva Jadoo. Nous avons également
parlé de certaines des grandes découvertes archéologiques, et
du fait que bon nombre d’entre elles semblent devoir plus à la
magie qu’à la science. N’est-il pas étrange que tant de
découvertes impliquent trois personnes – un archéologue
solitaire, son mécène et la fille à peine adolescente de l’un des
deux ?
— La tombe de Toutankhamon, répondit aussitôt Indy, ou le
crâne de cristal de Lubantuun.
— Précisément. À n’en pas douter il y a là à l’œuvre un
pouvoir mystérieux que la science ne pourra jamais
appréhender dans son intégralité. Après tout, la chance joue un
rôle énorme dans les fouilles, ne pensez-vous pas ?
— Lors de votre conversation avec Kaspar concernant ce
livre, reprit Indy, a-t-il été fait mention du recours à autre chose
que la seule chance pour le trouver ?
— Oui, dit Jadoo. Le Bâton d’Aaron.
— Pour quelle raison Kaspar croyait-il que le Bâton pourrait
l’aider à trouver ces archives ? demanda Jones. Il n’existe aucun
lien entre ces différents éléments.
— Parce que le Bâton peut trouver n’importe quoi. Il a aidé
les Hébreux à trouver de l’eau dans le désert, par exemple. Il
suffisait d’en frapper un rocher, et une source jaillissait. Kaspar
croyait qu’une telle intervention divine était nécessaire pour
définir le bon endroit où creuser dans le sable. Après tout, c’est
un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin,
comme vous dites.
— La croyance à la réalité du Bâton appartient à la tradition
dans l’islam, le judaïsme et le christianisme, rappela Indy.
Aaron aurait eu cent vingt-trois ans quand il est mort et a été
enterré sur le mont Hor. Quant à la localisation finale de son
Bâton, les textes n’en disent rien.
— Pas tous les textes, corrigea Jadoo.
— Vous détenez certaines informations dont vous aimeriez
nous faire profiter ?
Le vieux magicien haussa les épaules.
— Courir après les rumeurs et les légendes, c’est comme
essayer de mettre le vent en cage, dit-il. Mais il existe une
rumeur persistante selon laquelle le Bâton serait toujours
vénéré par une tribu d’adorateurs du mal en Irak, les Yezidi.
Des adorateurs du mal ? intervint Mystery. Pourquoi
vénéreraient-ils un objet en aussi étroite corrélation avec
l’histoire biblique de l’Exode ?
— Parce qu’Aaron et sa sœur, une sorcière du nom de
Miriam, ont perdu la foi alors que leur frère Moïse se trouvait
sur la montagne et recevait de Dieu les Dix Commandements,
expliqua Indy. Ils ont poussé les Hébreux à créer le Veau d’Or et
à le vénérer.
— Les Yezidi forment une peuplade très atypique, reprit
Jadoo. On situe leur habitat dans une zone montagneuse
reculée, au nord de Bagdad, et il est strictement interdit aux
étrangers d’y pénétrer. J’ai conseillé à Kaspar de se montrer de
la plus grande prudence s’il entrait en contact avec eux, car ils
s’emportent aisément et ne sont pas sensibles à la raison. Ils
vous tranchent la gorge pour un regard mal interprété.
— Kaspar avait dont le projet de se rendre en Irak ?
— Oui, je crois que c’était ce qu’il avait en tête. Mais je n’en ai
aucune certitude, puisque je n’ai plus jamais eu de ses nouvelles
par la suite. Il n’a pas non plus expliqué comment il comptait
atteindre cette région.
Faye fit tomber la cendre de son cigare dans un cendrier.
— Merci, dit-elle. Vous nous avez fourni le premier indice
valable sur l’endroit où mon mari pourrait se trouver.
— Je regrette de n’avoir pu être plus précis, fit poliment
Jadoo.
— J’ai une dernière question, ajouta la jeune femme.
— Je vous écoute.
— Dans la pièce voisine, votre collection d’artefacts comporte
une coupe faite avec un crâne humain. Nous avons remarqué
qu’il n’était pas poussiéreux comme les autres objets, et qu’il
s’en dégageait une odeur de vin.
L’Indien eut un large sourire.
— Ah, vous vous demandez donc si, en accord avec ma
renommée, je bois dans cette coupe. Non, je suis désolé de vous
décevoir. J’ai acquis cette curiosité il y a des années, au Tibet, et
par négligence j’ai laissé une famille de souris s’installer à
l’intérieur. Quand je m’en suis rendu compte, la semaine
dernière, j’ai demandé à Pasha de le nettoyer. Il utilise du
vinaigre, ce qui explique l’odeur.
— En effet, approuva Faye.
— Que voulez-vous dire par « en accord avec ma
renommée » ? demanda Mystery.
Le magicien eut soudain l’air quelque peu gêné. C’est Indy
qui éclaircit le sujet :
— Jadoo signifie Magie noire.
— Un simple nom de scène, tint à préciser l’Indien.
On frappa à la porte, et Pasha entra. Il portait un plateau sur
lequel était posée une épaisse feuille de papier jaune repliée et
collée pour former enveloppe.
— Excusez-moi, dit le serviteur, un message pour le docteur
Jones.
Indy le remercia, ouvrit le télégramme et le lut.
— C’est de Marcus Brody, annonça-t-il d’une voix
curieusement enrouée. Il dit qu’il est étonné d’apprendre que je
me trouve en Inde et non en Chine, mais qu’il a ordonné un
transfert de fonds à la succursale de la British Mercantile Bank,
ici. Il me suffit de me rendre à cet établissement et de donner
notre mot de passe habituel.
— Vous paraissez surpris d’avoir des nouvelles de votre vieil
ami, remarqua Faye.
— Pas surpris. Simplement nostalgique.
— Vous avez un mot de passe ? dit Mystery.
Indy dissimula mal sa fierté.
— Oui. C’est un système mnémotechnique que nous avons
mis au point. Très utile.
— Mais si quelqu’un le devine ?
— Oh, il n’y a pas de risque, répliqua-t-il. Le mot fait partie
d’une phrase, et nous passons au suivant chaque fois que nous
employons ce stratagème. Oh, non…
— Docteur Jones ? dit Faye, soudain inquiète. Que se passe-t-
il ? Vous n’avez pas l’air bien du tout.
— Je ne me souviens plus où nous en sommes dans la phrase,
avoua-t-il dans un murmure penaud.
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Cher Indy,
Désolée que maman et moi ne soyons pas là pour vous dire au
revoir, mais nous sommes superstitieuses avec ce genre de
situations. Merci pour toute l’aide que vous nom avez apportée
afin de découvrir ce qui est arrivé à mon père. J’ai été très triste
d’apprendre qu’il était mort, mais je suis heureuse de connaître
enfin la vérité.
Maman dit que même si la magie fonctionne, elle le fait selon
ses propres lois et ne peut se substituer à la réalité : ainsi elle ne
peut pas ramener à la vie les êtres chers qui nous ont quittés. Je
pense pour ma part que toute vraie magie vient de Dieu, dont les
lois nous font travailler pour les choses que nous désirons, ce qui
nous évite d’être trop gâtés.
Nous allons en Oklahoma, où maman veut que je termine mes
études. Beurk ! Comment pourrai-je retourner en classe alors que
je me suis tenue sur le Sphinx, que j’ai survécu à deux naufrages,
manqué de peu être transformée en momie, et vu de mes propres
yeux de vrais miracles ? Le pire, c’est que personne ne me croira
jamais si je parle du Livre de l’Omega, de la pluie de grenouilles
et de sang, et de tout le reste. Bah, tant pis. Au moins, nous
savons que c’est vrai, n’est-ce pas ?
Prenez soin de vous. Je ne sais pas quelle sera votre prochaine
adresse, mais si j’arrive à vous joindre à l’université de Princeton,
est-ce que vous voudrez bien répondre ?
Votre amie,
Mysti
P.-S. : J’avais un petit béguin pour vous, mais j’ai surmonté
cette faiblesse.
Le Bâton d’Aaron
À l’instar de l’Arche d’Alliance, le Bâton est un artefact
biblique qui continue à évoquer le pouvoir, le mystère et parfois
l’esprit vengeur et belliqueux du Dieu de l’Ancien Testament.
Dans les Saintes Écritures, il est aussi appelé le Bâton de Dieu, et
la culture populaire en fait parfois à tort l’attribut de Moïse.
Quoique le Bâton ait été l’objet grâce auquel les dix plaies
bibliques s’abattirent sur l’Egypte, et qui permit
mystérieusement aux Hébreux de gagner dans les batailles (tant
que Moïse le brandissait), cet instrument miraculeux
appartenait en fait à Aaron. L’histoire de Moïse – qui libéra son
peuple de l’esclavage imposé par les Egyptiens et établit
l’indépendance d’Israël en tant que nation aux alentours de
1440 avant J.-C. – serait incomplète si l’on en excluait Aaron, son
frère aîné, et leur sœur Miriam.
Né trois ans avant l’édit de Pharaon qui ordonnait de tuer
tous les nouveau-nés mâles, Aaron était donc le frère aîné de
Moïse. En hébreu, son prénom signifie « incertain », et cet
adjectif semble très bien le décrire : il se montrait parfois faible
de caractère, et jaloux. Quand Moïse gravit le mont Sinaï pour y
recevoir les Dix Commandements directement de Dieu, Aaron
aida les Hébreux récidivistes à retourner à l’idolâtrie en créant
le Veau d’Or. Avec sa sœur qui était une prophétesse, il critiqua
durement le mariage de Moïse avec une femme couchitique.
Pourtant il bénéficia toujours des faveurs du Seigneur. C’est lui,
et non Moïse, qui fut le guide religieux suprême des Hébreux.
Lorsque son autorité de grand prêtre fut défiée, son bâton
fleurit miraculeusement et donna des fruits, soulignant ainsi
l’origine divine de son autorité. Cette position devint
perpétuelle lorsque le Bâton fut inclus dans l’Arche d’Alliance,
avec la seconde paire des tables de pierre (Moïse avait brisé la
première dans un accès de colère) qui contenait les Dix
Commandements. L’Arche devint le centre du sanctuaire
itinérant des Hébreux, sanctuaire qui, selon les Écritures, avait
la désagréable habitude de foudroyer ceux qui osaient trop s’en
approcher.
Lorsque Moïse fut choisi pour délivrer la parole divine à son
peuple, et qu’il douta de sa capacité à commander – peut-être à
cause d’un bégaiement ou d’un défaut de prononciation, selon
certains –, Dieu se rabattit sur Aaron pour être son porte-
parole. Ce qui précède semble contredire d’autres passages de
l’Ancien Testament où il est dit que Moïse était un orateur
talentueux et un chef naturel. Moïse, on s’en souviendra, passa
les quarante premières années de son existence en tant que
membre privilégié de la cour royale égyptienne. Il fut trouvé
par la fille de Pharaon dans les ajoncs, au bord du Nil, où on
l’avait caché afin qu’il ne soit pas massacré comme tous les
autres bébés mâles, suivant Ledit de Pharaon.
Quand Moïse alla voir Pharaon pour lui demander la
libération des Hébreux, Aaron l’accompagna. Selon l’Exode c’est
Aaron et non Moïse qui laissa tomber son bâton, lequel se
transforma en un serpent qui avala ceux invoqués par les
magiciens de Pharaon.
Comme Moïse, Aaron ne fut pas autorisé à entrer dans la
Terre promise à la fin des quarante années d’errance. Après
avoir remis ses habits de prêtrise à son fils Eleazar, Aaron
mourut à l’âge de cent vingt-trois ans et fut enterré sur le mont
Hor. Du moins si l’on en croit les Nombres. Selon le
Deutéronome, il fut enseveli à Moséra. Dans les deux cas, il n’est
fait aucune mention du Bâton. Fut-il enterré avec Aaron,
transmis à Eleazar, ou se trouve-t-il toujours dans l’Arche
d’Alliance ?
J’ai déjà parlé de la version chrétienne de l’histoire, telle que
relatée par la tradition et la version anglaise de la Bible publiée
en 1611. La raison, bien sûr, n’est pas à chercher dans un
préjugé personnel, mais parce que c’est très logiquement la
tradition culturelle et littéraire prédominante pour Indiana
Jones. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas oublier que Moïse et ses
frères et sœurs furent des personnages importants dans l’islam
autant que dans le judaïsme et le christianisme. De plus
l’histoire de Moïse prit une importance particulière quand
Israël devint pour la seconde fois une nation indépendante, le
14 mai 1948.
Le Livre de l’Omega
Bien qu’il soit un pur produit de mon imagination, le Livre de
l’Omega m’a été inspiré par une croyance très ancienne et quasi
universelle : quelque part, peut-être dans cette zone d’ombres
entre ce monde et l’autre, existent des archives soigneusement
tenues qui disent tout de nos vies.
Le Sphinx
À travers la tradition, le Grand Sphinx de Gizeh symbolise
depuis longtemps d’insondables mystères. Le terme « sphinx »
est grec et désigne un monstre imaginaire et malveillant, à tête
de femme et avec le corps d’un lion ailé, qui était enclin à tuer
les étrangers s’ils ne pouvaient pas donner la réponse correcte à
ses énigmes. Le plus fameux de tous les sphinx grecs est sans
nul doute celui qui apparaît dans l’histoire d’Œdipe. Les sphinx
égyptiens sont très comparables, mais ils pouvaient avoir une
tête humaine ou animale.
Dans la mythologie, tous les sphinx semblent être associés à
des énigmes ou d’anciens secrets, avec toujours la terreur en
arrière-plan. Dans la littérature, les sphinx ont également servi
à personnifier des horreurs futures. Ainsi, dans La Machine à
remonter le temps, le classique d’H.G. Wells, les redoutés
Morlocks émergent de leur monde souterrain à travers une
structure rappelant un sphinx, pour dévorer les Eloi.
Récemment, l’ancienneté du Grand Sphinx de Gizeh et sa
signification culturelle ont été le sujet de nombreux livres de
vulgarisation et d’émissions télévisées avec les égyptologues
assermentés de service. Dans Le Message du Sphinx, par
exemple, Graham Hancock et Robert Bauval affirment que ce
monument énigmatique n’a pas été construit aux alentours de
2500 avant J.-C., comme l’affirment les égyptologues, mais
quelque dix mille ans plus tôt.
Les auteurs se réfèrent aux travaux de John West, qui estime
que l’érosion très prononcée du Sphinx et du cadre avoisinant
n’a été causée ni par le vent ni par le sable, mais par l’eau. Cette
dégradation, dit West, a dû se produire avant la fin de l’âge de
glace. Il est bien évident que, si elle était prouvée, cette théorie
révolutionnerait le consensus scientifique sur l’apparition de la
civilisation.
Hancock et Bauval pensent que le Sphinx est la création non
pas des Égyptiens mais d’une civilisation antérieure et
technologiquement plus développée. L’idée n’est pas neuve, et il
existe une longue tradition qui veut que le Sphinx soit un
monument édifié par une civilisation avancée et maintenant
oubliée qui aurait prospéré avant le Déluge. Edgar Cayce, le
« prophète du sommeil », avait prédit que les registres de
l’Atlantide seraient découverts sous les pattes du Sphinx. Cette
Salle des Archives, a dit Cayce, serait redécouverte durant le
XXe siècle, ou vers sa fin…
Les auteurs Hancock et Bauval semblent d’accord avec cette
théorie, et ils manient faits détaillés, chiffres et conjectures de
façon très similaire à ce que font certains spécialistes des
pyramides depuis des générations.
« Il y a ici quelque chose d’une importance capitale »,
écrivent-ils, qui attend sa découverte – par des relevés
sismiques, des forages et des fouilles, en bref par une
redécouverte et une nouvelle exploration des passages et des
chambres dissimulés [sous le Sphinx]… Il pourrait s’agir là de la
découverte ultime. »
On notera au passage qu’Edgar Cayce croyait être la
réincarnation d’un prince atlantéen nommé Ra-Ta.
Le docteur Mark Lehner, expert incontesté du Sphinx, est
aussi le porte-parole le plus prestigieux et le plus éloquent de
l’égyptologie traditionnelle. Dans une lettre adressée à Hancock
et Bauval, après avoir lu des extraits du manuscrit du Message
du Sphinx, il a écrit :
« J’ai commencé à suggérer aux adeptes de Cayce qu’ils
étudient l’histoire de l’Egypte et de l’Atlantide comme un mythe
tel que Joseph Campbell la popularisé, ou dont Cari Jung s’est
servi pour poser sa psychologie des archétypes. Quoique le
mythe ne soit pas littéralement vrai, il peut d’une certaine
manière être littéralement vrai. Les “interprétations” de Cayce
elles-mêmes disent, à leur manière, que le monde des symboles
et des archétypes est plus “réel” que les détails du monde
physique. J’ai comparé la Salle des Archives de Cayce au
Magicien d’Oz. Oui, nous désirons tous que “la fureur et le
fracas” et la sorcellerie toute-puissante soient réels, sans avoir à
prêter attention au petit homme qui se cache derrière le rideau
(nous-mêmes). En archéologie, bien des dilettantes et des
adeptes du New Age veulent se lancer sur la piste d’une
civilisation disparue, des extraterrestres ou des “dieux”, sans
avoir à se soucier des vrais gens derrière le rideau du temps, et
sans prendre en compte les sujets difficiles sur lesquels les soi-
disant chercheurs “orthodoxes” fondent leur vision des
choses. »
Dans une de ces ironies dont l’archéologie regorge, il faut
souligner que Lehner – l’expert mondial le plus « orthodoxe »
qui soit – commença son étude du Sphinx parce qu’il avait été
inspiré par la prophétie de Cayce, et avec le soutien d’une
organisation d’adeptes de Cayce. Mais, comme le dit Lehner lui-
même, plus il étudiait et plus il devint convaincu qu’il fallait
croire aux preuves empiriques plutôt qu’aux prophéties.
Un dernier mot
Cette série d’aventures inédites d’Indiana Jones n’aurait
jamais vu le jour, on s’en doute, sans les personnages
merveilleux et les situations captivantes que Les Aventuriers de
l’Arche Perdue nous ont offerts. Merci aux créateurs George
Lucas et Steven Spielberg pour ces univers de ravissement, et à
tous les acteurs des quatre Indiana Jones pour avoir aidé à créer
des personnages aussi aisément identifiables. On ne peut écrire
sur Indy – ni, je crois, lire ses aventures – sans imaginer
Harrison Ford.
Je dois des remerciements particuliers à mon éditeur chez
Bantam, Tom Dupree, qui a longtemps souffert et pourtant
infailliblement guidé les trois premiers volets jusqu’à leur
publication, et à son successeur, Pat Lobrutto, qui a souffert un
peu moins parce qu’il avait seulement à se soucier d’un de mes
livres ; à Robin Rue, mon agent, parce qu’elle a cru en moi et
m’a toujours soutenu ; à mon ami Fred Bean, d’Austin, pour ses
contributions créatives. Un remerciement spécial aussi au
regretté Gene DeGruson, bibliothécaire spécialiste des
collections à la Pittsburgh State University du Kansas, pour ses
contributions désintéressées qui ont enrichi ces romans et bien
d’autres livres.
Il est encore de nombreuses personnes que je devrais
remercier ici, dont un bon nombre de bibliothécaires et de
chercheurs dans tout le pays, mais malheureusement leur liste
serait trop longue. Alors un grand et sincère merci à tous.
Cela dit, il est temps que je passe le feutre et le fouet.
Max McCoy est une personnalité aux multiples talents :
écrivain, scénariste et reporter d’investigation. Il vit
actuellement à Pittsburgh au Kansas après avoir arpenté la
planète en tous sens.
Indiana Jones et le secret du Sphinx ™ est une œuvre de fiction. Les noms, lieux et
événements sont les produits de l’imagination de l’auteur ou utilisés de manière
fictive.
Titre original :
Indiana Jones and the Secret of the Sphinx ™
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