L'ombre de la brume: Polar
Par Gérard Chevalier
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À propos de ce livre électronique
Les monts d’Arrée. Lieu prestigieux bâti par une force naturelle puissante où la beauté, l’harmonie, le calme régénérateur ne sont perturbés que par la violence épisodique et habituelle des éléments. Après les grandes souffrances des siècles passés, les hommes qui vivent ici ont enfin trouvé un équilibre.
Rien ne semble pouvoir ébranler cet univers paisible et laborieux, habité de légendes miraculeusement héritées d’une culture orale disparue. Rien… sauf des petits vols insignifiants qui commencent à entamer la stabilité apparente d’une famille, et pas n’importe laquelle : celle du médecin du village. Rien… sauf des disparitions de personnes au sein de cette même famille, qui se fissure. Rien… sauf d’ignobles lettres anonymes qui font éclater un scandale plongeant dans l’angoisse le petit hameau de Saint-Cadou, jusque-là havre de quiétude.
Le comble est atteint lorsque l’on prétend que le monstre de l’Élorn, diable ou phénoménal sanglier carnivore, sort de sa retraite infernale pour établir la justice ! Alors la peur ancestrale de l’obscur, de l’inexplicable s’installe profondément chez les hommes des monts d’Arrée…
D'étranges disparitions et des lettres anonymes intriguent le médecin du village, qui décide de mener l'enquête. Dans une ambiance savamment construite, l'auteur nous immerge au coeur de la folie et de la peur des hommes.
EXTRAIT
Un jour, il était arrivé au village en demandant s’il n’y avait pas de vieille maison à vendre. L’adjoint au maire de Sizun, qui s’occupait de Saint-Cadou, en possédait une à moitié en ruine. Il la lui avait proposée dans l’espoir de le décourager car le bonhomme ne lui plaisait pas. Isolée, sans aucun confort, elle n’avait jamais intéressé un quelconque acheteur, pas même un membre de la famille du vendeur. Étienne ne discuta pas le prix, pourtant trop élevé, et l’affaire se conclut sur-le-champ. Cela se passait plus de deux ans auparavant. L’homme attaqua sans tarder la restauration de sa demeure, exécutant tous ses travaux lui-même, à la grande surprise des villageois. Ils l’observaient de loin car ils redoutaient son aspect sévère. Malgré sa personnalité bourrue, on avait fini par l’accepter. Surtout après l’accident du petit Pierre Quenhervé, le fils d’un postier de Sizun qui, à douze ans, se passionnait pour la pêche à la ligne. Un petit matin de l’été 2008, il était tombé dans le lac du Drennec et s’était assommé sur une grosse pierre.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Gérard Chevalier raconte à un rythme haletant une histoire qui semble défier toutes les lois de la raison ordinaire. Et pourtant, la vérité, simplement humaine, retombera au final sur ses pieds. Mais il faudra pour cela démêler l'écheveau de très sombres vengeances familiales. - Didier Gourin, Ouest-France
À PROPOS DE L'AUTEUR
Influencé toute sa vie par ses deux grands-pères, l’un, directeur du journal L’Évènement fondé par Victor Hugo, l’autre, héros de la guerre 14-18, Gérard Chevalier va être artiste peintre, décorateur, maquettiste, acteur, metteur en scène, scénariste.
Il devient auteur de romans policiers en 2008.
Son premier ouvrage Ici finit la terre remporte le Grand Prix du Livre Produit en Bretagne, le Prix du Roman Policier Insulaire à Ouessant, le 2e Prix du Goéland Masqué. Suivent L’ombre de la brume, La magie des nuages, Vague scélérate, Vivre… et revivre et la série humoristique Le chat Catia mène l’enquête qui rencontre également un véritable succès.
En savoir plus sur Gérard Chevalier
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Aperçu du livre
L'ombre de la brume - Gérard Chevalier
Retrouvez ces ouvrages sur www.palemon.fr.
Le site de l’auteur : www.gerard-chevalier.com
CE LIVRE EST UN ROMAN.
Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.
À mes enfants Christophe et Nausicaa,
en souvenir du beau mois de juillet 1969
La brume était si dense qu’on ne pouvait rien distinguer à terre, Quoique dans les profondeurs de cette mer de brouillard flottait, Comme un reste de lumière noyée, un livide halo de lune.
Anatole Le Braz
Contes du soleil et de la brume
Le guerrier ressentit le choc de la flèche sur son flanc gauche. Sans douleur. Tirée de trop loin, elle n’avait plus assez de puissance et ne fit que buter sur une côte, entamant la peau qui la recouvrait. Le danger augmentait singulièrement. Le duel à mort engagé contre l’étranger, venu sans doute dérober des fragments de pierre bleue, comme lui, devait se terminer immédiatement. Il redoubla les frappes avec sa lourde épée de fer et accula son adversaire contre l’énorme pierre dressée qui indiquait comme les autres le lever du soleil, marquant le début des jours qui s’allongeaient.
Mais l’homme se défendait astucieusement. Il se contentait de parer les coups afin d’épuiser son agresseur. Il avait bien remarqué la flèche qui signifiait un ennemi supplémentaire. Probablement un des gardiens du cercle des pierres bleues excitant les convoitises, même au-delà des mers. Leurs fragments pilés guérissaient nombre de maladies. Portés cousus dans les vêtements, leur charge tellurique protégeait des mauvais sorts, écartait les esprits malfaisants.
Bien calé contre le bloc colossal, l’étranger essayait d’amener l’épée de son rival à frapper la masse de pierre en se dérobant au dernier moment. C’était risqué, mais l’arme pouvait ainsi se briser ou se tordre. Ce qui lui donnerait un avantage décisif. Il était doublement à l’abri des tirs de l’archer invisible en étant le dos sur la pierre et l’assaillant faisant écran face à lui. D’où venait ce dernier ? D’après son accoutrement, ce devait être un Cimbre¹. Leur réputation de guerriers farouches était connue de tous les Celtes. Les récits de leurs incursions épouvantaient les populations de Brittons². Ils n’hésitaient pas à s’aventurer très loin, maîtrisant parfaitement la science de la navigation et faisant montre d’un courage exceptionnel qui leur permettait de dominer les mers les plus hostiles.
Cette fois, la flèche se planta profondément dans sa cuisse. Donc le tireur s’était rapidement rapproché. Surpris par l’impact, le Cimbre s’immobilisa une fraction de seconde, l’épée levée. Alors le Carnute³ prenant appui sur son support rocheux, d’un terrible mouvement tournant, lui trancha la tête. Laquelle roula jusqu’à une petite déclivité où elle s’immobilisa en position verticale, telle un monstrueux champignon. Les yeux fixés sur l’infini n’exprimaient qu’un étonnement dont toute souffrance était proscrite. Le Carnute ne s’attarda pas à savourer sa victoire. Sa besace pleine d’éclats de pierre bleue bien fixée sur son torse, il s’élança en zigzaguant entre les colonnes de l’immense cercle. Il abandonna sa masse de granit qui lui avait servi à fragmenter le bloc initial. Le druide en serait sûrement irrité car elle était élaborée avec soin. Mais le poids de cet outil devenait une gêne et la priorité était de rapporter les précieux minéraux. Il lui fallait franchir l’espace dénudé autour du lieu sacré pour rejoindre son cheval dissimulé dans la forêt.
Puis commencerait le retour de ce grand voyage portant les espoirs des habitants de son village. Se remémorant la direction de la flèche plantée dans la cuisse du guerrier cimbre, il courut à découvert dans l’axe opposé. Il atteignait presque l’orée de l’imposante futaie quand une pointe de silex lui perfora le poumon gauche. Une douleur sourde, abominable, le paralysa. Il comprit aussitôt que son expédition se terminait là. En homme brave, ce qu’il avait été toute sa courte vie, il fit face à l’archer le menaçant de son épée. Geste dérisoire que son honneur lui dictait. L’homme, de haute taille, se détachait à contre-jour en cette fin d’après-midi. Rassemblant les restes de son énergie, le blessé se dirigea sur lui le plus vite possible. Il projetait par sa bouche ouverte des bulles sanglantes qui éclataient sur son menton et le maculaient de gouttelettes sinistres.
Posément, l’archer l’ajusta et tira successivement trois projectiles qui se fichèrent dans la poitrine. Le Carnute finit son attaque au ralenti et s’écroula aux pieds de son exécuteur, face contre terre.
Plus rien ne bougea pendant quelques secondes. Puis le gardien des lieux suspendit son arc à son épaule. D’une main, il tira le cadavre à couvert sous les arbres et récupéra le cheval qu’il détacha. C’était une bête magnifique, d’une race inconnue dans cette contrée. Il l’offrirait au chef du village qui ainsi ne lui refuserait plus sa fille sous prétexte de ne recevoir aucun présent de valeur en échange. Par prudence, il l’emmena en le tirant par les rênes. Le chevaucher eût peut-être été dangereux. Le soir venait rapidement. Il n’y avait plus à craindre de pilleurs à cette heure-ci. Aucun homme sensé n’oserait défier dans le noir la magie de cet endroit gardé la nuit par des forces terrifiantes.
Le destin lui fut impitoyable. Il ne revint jamais car, le lendemain, il perdit la vie dans un combat stupide contre des guerriers du village voisin venus prendre une revanche sur une défaite qu’ils avaient subie peu de temps auparavant.
La tête tranchée du Cimbre fut oubliée dans la dénivellation de terrain où les corbeaux, les insectes, la pluie et le soleil la débarrassèrent rapidement de sa chair. Le crâne s’enfonça dans le sol jusqu’à une roche qui le bloqua au ras de la lande.
Trente-sept siècles s’écoulèrent sans que sa méditation soit interrompue.
Un matin, après une averse nocturne abondante, une monture, avec son cavalier sur le dos, buta dessus. Le son produit par le choc du sabot intrigua l’homme qui descendit du cheval et délivra de sa prison boueuse le crâne intact, aux os parfaitement polis. C’était un jeune militaire français en permission, visitant le site de Stonehenge, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Amateur d’ésotérisme, impressionné par sa découverte dont il suspecta l’ancienneté, il emporta avec lui sa trouvaille et, tout au long de son existence, l’installa dans ses bureaux successifs.
*
Revenant de Botmeur où il avait été appelé en urgence, le docteur Yvon Leguern quittait la D 42 pour emprunter le chemin du Tuchenn Kador. Nom d’un des points culminants des Monts d’Arrée que les cartes routières baptisaient inconsidérément « Signal de Toussaines ». Laissant ouverte la porte de sa 4L, il alla s’asseoir contre les puissants rochers, à sa place favorite, qui lui permettait de contempler à satiété ce paysage indispensable à son équilibre. La vue se perdait très loin vers le lac artificiel du Drennec, au nord, et, au sud-est, vers Brennilis et sa maudite centrale nucléaire. Un gâchis économique et écologique dont il n’avait jamais voulu s’approcher. Son démantèlement programmé depuis des années n’était toujours pas effectif. Heureusement, les lieux le séparant de ce désastre étaient suffisamment vastes et magnifiques pour gommer cette injure à la nature et ne pas le déranger dans sa quête de sérénité.
Il appuya sa tête contre le granit chauffé par le beau soleil de ce début juillet. La végétation rase exhalait une délicieuse fragrance renforcée par l’absence de brise. Ce qui était rare à cet endroit. Yvon resta ainsi quelques instants, s’efforçant de ne plus avoir de pensées précises. Puis le vague malaise qui rôdait dans sa tête depuis son réveil se réinstalla. Le dîner de la veille en était la cause. C’était une remise en question finalement importante. Ses relations, dites amicales, avec les trois couples d’invités, des gens considérés comme proches, s’avéraient superficielles. Après des années de fréquentation, leurs échanges tournaient toujours autour du résultat des matchs de football, des performances de leurs voitures et de leur prix, des bonnes adresses de restaurants et de leurs menus, et des problèmes au sein de leurs entreprises respectives. Liste exhaustive pour les hommes. Les femmes ne sortaient pas des questions de mode, de soins de beauté, des tracasseries domestiques, des études ou des maladies des enfants et, bien sûr, des ragots amoureux concernant leurs voisines.
Les efforts du médecin pour donner plus de profondeur à la conversation n’avaient pas abouti au moindre résultat. Il fallait capituler devant l’évidence : il ne les supportait plus. Que les mâles observent furtivement les jambes de Trifyn, jambes parfaites comme l’ensemble de son corps, cela paraissait normal. Mais qu’ils lui murmurent des propos si déplacés que sa femme, complaisante, lui jette des coups d’œil inquiets, c’était inadmissible. Et ceci ajouté à cela…
Il serra rageusement la poignée de sa vieille sacoche en cuir, héritée de son père, médecin comme lui, qu’il ne laissait jamais dans sa voiture, de peur qu’on la lui dérobe. Il se concentra sur le paysage, principalement sur son village : Saint-Cadou. Saint Cadou ou Cadoc, le Gallois fondateur de l’abbaye de Lancarvan, venu en Bretagne et ayant fini sa vie comme évêque en Italie. Ici, on le vénérait surtout comme étant un guérisseur des problèmes de surdité.
Son vieux village où il était né, où la famille Leguern s’était établie avant la Révolution et dont elle n’était plus sortie. Des médecins de père en fils. Saint-Cadou, défiant le temps, l’espace, les éléments, sauvage et civilisé à la fois. À quarante-quatre ans, Yvon ne s’en lassait pas. Sa clientèle s’étendait sur plusieurs communes et même des bourgades plus importantes réclamaient parfois ses soins sur recommandation de confrères débordés. Principalement en hiver.
Il aimait sa terre et sa population. Il ressentait profondément ses racines celtes. Sans être bêtement nationaliste, il était fier d’appartenir au peuple de Bretagne dont il possédait la langue. Une vraie langue. Riche. Forte. Poétique. Il n’était pas question de rejeter la France. Mais il regrettait que celle-ci n’admette pas toujours que les Bretons désirent maintenir leur culture ancestrale, dont le langage est un élément fédérateur. Surtout, les clichés provoquaient son irritation. Mais les « crétins en sabots arriérés », après pas mal de crises, de pauvreté, voire de brimades, avaient fait de leur région une des premières zones économiques de l’Hexagone. Et leur folklore, leurs coutumes attiraient aujourd’hui des centaines de milliers de touristes enthousiastes. Y compris à Saint-Cadou.
Son humeur vira de nouveau à la joie de vivre, son état naturel. Il scruta une dernière fois les merveilles de la Création à cet endroit qui, il en était persuadé, lui appartenait, et regagna sa Renault 4L neuve. Elle avait pourtant plus de trente ans. Comme elle n’était jamais tombée en panne, depuis ses études à la faculté de Brest jusqu’à l’année dernière, pour la remercier, il l’avait fait restaurer entièrement, mécanique et carrosserie. Yvon était un grand sentimental : il ne pouvait pas s’en séparer. Elle avait rendu tellement de services ! Y compris pour le transport d’un veau chez le vétérinaire, que des fermiers, malades eux aussi, étaient incapables d’effectuer. Pour la bonne raison qu’il leur avait interdit de sortir ! Leur bronchite était trop grave.
Leguern respira encore une dernière goulée d’air du Tuchenn Kador, littéralement « Le Tertre du Trône » en français, et démarra. Il devait effectuer sa dernière visite extérieure du matin chez Anne Stephan, veuve du capitaine Jean Stéphan, mort au Tchad en 1968 lors des troubles survenus sous la présidence de François Tombalbaye. Lequel avait appelé la France à la rescousse pour mater le soulèvement des populations musulmanes du Nord contre son pouvoir.
La mort du capitaine, dans une embuscade tendue par les rebelles, marqua le commencement d’une vie particulièrement tragique pour sa famille. À son retour en métropole, Anne perdait successivement sa mère, à laquelle elle était très liée, sa fille, victime d’un cancer du foie, résultat d’une hépatite B mal soignée, et enfin son fils qui s’était pulvérisé en voiture contre un mur, à huit jours de son mariage.
L’âme fêlée par le chagrin, elle se réfugia dans la maison de sa grand-mère, non loin de l’église de Saint-Cadou. Le souvenir d’une enfance heureuse lui permettait de continuer à vivre, sans l’empêcher de sombrer dans un délire quotidien dans lequel mysticisme, voyance, médecine occulte et rancœur perpétuelle s’imbriquaient. Avec des phases dominantes pour l’un ou l’autre de ces états. Seule la vénération de ses chers disparus demeurait constante. Elle leur parlait dès son réveil et ne doutait pas de leur présence fidèle à chaque seconde de la journée.
Sans frapper, Yvon poussa la porte de la demeure ancienne. Dans la grande pièce principale, la photo jaunie du capitaine Stéphan trônait sur un petit autel en bois d’origine bouddhique, encadrée de deux bougies allumées. Des pétales de roses blanches s’étalaient sur une chéchia en soie de même couleur, placée près du cadre protégeant le cliché. Dans un bol en bronze ouvragé, un bloc d’encens se consumait. Le tout se trouvait sur un guéridon aux pieds démesurés.
Dans sa solitude, Anne, peut-être par instinct de survie, n’accordait sa confiance et son estime qu’au docteur Leguern. Celui-ci la soignait avec dévouement, comme tous ses patients, et conservait, attendri, l’image qu’il avait d’elle lorsqu’elle s’était installée au village : nostalgie de sa convoitise cachée de jeune mâle pour celle qui était alors dans la plénitude de sa beauté.
Immobile, Yvon regarda la vieille dame quelques instants, pour s’habituer à la pénombre ambiante et aussi pour ne pas troubler son recueillement. Elle se tenait debout face à l’autel, le bout des doigts posés sur le bord du meuble, intensément concentrée ; elle communiquait avec le défunt.
Sans qu’elle en eût conscience, le médecin avait beaucoup de mal à la maintenir dans son fragile équilibre de vie. Ses visites étaient fréquentes, bien souvent non prévues. Une ruse lui permettait de ne pas percevoir d’honoraires : il lui avait demandé d’être son directeur de conscience et de lui prédire l’avenir. Au moins une fois par semaine. Ravie, flattée, Anne prenait son rôle très au sérieux. Ce qui créait parfois des tensions lorsque Yvon avait un emploi du temps chargé. Mais l’affection qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre, presque à leur insu, surmontait facilement ces heurts dérisoires.
Voyant qu’elle ne sortait pas de son dialogue occulte, Leguern frappa légèrement sur la porte. Un écho répercuta le bruit dans le salon aux murs de pierres jointoyées, au sol couvert de larges dalles de granit, impeccablement entretenues.
— Je sais que tu es là ! Assieds-toi. Je termine mon entretien, dit-elle sans s’interrompre.
Yvon s’assit en soupirant. Les rendez-vous à son cabinet allaient bientôt commencer. Or, il mettait un point d’honneur à respecter ses horaires. Ce qui n’était pas le cas de certains de ses confrères. Qu’importe : en milieu rural, le médecin est roi ! De son fauteuil, il admirait le beau visage maintenant buriné, sculpté par la lumière des bougies, empreint aujourd’hui d’une tranquillité inhabituelle. Machinalement, il chercha des yeux le crâne qui l’avait toujours fasciné. Il était bien là, à son emplacement sur l’étagère. Son attirance venait de la légende dont la veuve l’entourait. Jeune sous-lieutenant, engagé dans la deuxième division blindée du général Leclerc de Hauteclocque, Jean Stéphan l’avait découvert à Stonehenge, lors de sa première permission après la fin de la guerre. Il avait obtenu une autorisation spéciale pour revoir un officier anglais dont il avait sauvé la vie. L’homme habitait à Salisbury, près de l’extraordinaire monument mégalithique. Ne voulant pas manquer l’occasion de visiter un site aussi exceptionnel, Stéphan, au cours de son excursion, avait découvert par hasard ce crâne humain enfoui dans la terre. Dissimulant soigneusement sa trouvaille, il l’avait ramenée en France et ne s’en séparait plus. Un détail l’avait