Le Secret Médical (Lécu Anne)

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© Les Éditions du Cerf, 2016

www.editionsducerf.fr
24, rue des Tanneries
75013 Paris

EAN : 978-2-204-11835-4

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


Il n’y a que cette conscience d’un autre en nous,
cette absence étrangère, ce souvenir d’une
empreinte laissée, qui nous permette de donner
notre parole. Lorsque cette conscience étrange en
nous de l’étranger nous quitte, nous nous
détruisons, nous vendons le monde, nous nous
vendons.
VALÈRE NOVARINA,
Le théâtre des paroles.
Liminaire

Le secret sépare, c’est même là son étymologie, ce qui doit être su


de ce qui doit être tu. Il permet de mettre à jour ce qui en chaque
époque, y compris la nôtre, relève du sacré ou de l’absolu et nécessite
d’être protégé. En cela, ce dont nous privilégions le secret est aussi lié
au pouvoir et au savoir.
Le secret, selon le sociologue Georg Simmel, s’il demeure à
quantum constant dans chaque société, ne se montre pas moins
mouvant et changeant d’âge en âge. Ceci ressort d’autant plus vrai
aujourd’hui que les dispositions législatives prises à cet effet depuis
les années 2000 fragilisent et menacent les trois secrets
professionnels d’origine que sont celui du prêtre, celui de l’avocat,
celui du médecin. L’heure est à la transparence selon une mutation et
une accélération en rien étrangères à d’autres. Mais quelle
transparence ? Comment ? Pour quels effets ? Et à quel prix ?
Le secret demeure incompréhensible sans l’héritage religieux et
philosophique qui sous-tend notre culture. C’est cet héritage qui a
déterminé le secret médical, lequel est, des trois, celui qui touche le
plus immédiatement la vie personnelle de chacun, car il a trait au
vivant et au corps. En prison plus qu’ailleurs, on peut constater la
mise en danger de ce secret, et ce qui est abîmé quand il est délaissé,
à savoir la présomption d’innocence. Or, la prison est une loupe : ce
qui s’y passe arrive un jour ou l’autre à tous. D’où les deux bouts du
spectre qui anime ce livre : une enquête archéologique, une
investigation contemporaine. L’une éclaire l’autre car il est un seul et
même souci qui préside à l’ensemble : que risquons-nous de perdre
d’essentiel en laissant le secret professionnel des médecins, et les
autres, s’effacer ?
1.

Le secret dans tous ses états

NUDITÉS

Images

Un patient entre à l’hôpital et attend dans sa chambre. Une


infirmière vient lui remettre une chemise de nuit, uniforme imposé
pour le départ au bloc opératoire, et lui explique comment il devra au
matin se doucher à la Bétadine. Le lendemain, on le transporte dans
son lit, recouvert de cette courte chemise et d’un modeste drap. Au
bloc, on lui retire l’une et l’autre et on l’allonge, dévêtu, sur une table
dure, avant de l’endormir artificiellement. Sans doute à cette heure-
là, ne sait-il ni s’il se réveillera, ni comment. Nudité.
Un patient entre dans le cabinet de consultation de son médecin.
Il a ruminé pour savoir comment présenter le symptôme qui le
préoccupe. Il est inquiet. Le praticien l’invite à s’asseoir, lui demande
ce qu’il peut faire pour lui. Alors il se lance :
– « Voilà, depuis plusieurs semaines, je saigne.
– D’où saignez-vous ?
– Eh bien, quand j’urine, je crois bien que je saigne.
– Est-ce que vous avez mal ? Est-ce que vous vous sentez fatigué,
est-ce que vous avez maigri ?
– Euh, non, je ne crois pas, enfin, peut-être, mais non, je ne sais
pas.
– Bon, nous allons voir de quoi il s’agit. Si vous le voulez bien,
nous allons passer à côté, vous allez vous déshabiller et je vais vous
examiner. »
Alors, feuille à feuille, le patient enlève les habits qui sont sa
maison et son rempart pour se retrouver en chaussettes et slip devant
le médecin. Au regard du souci qui motive l’examen, encore faudra-t-
il qu’il retire aussi son sous-vêtement car, peut-être, le médecin
voudra pratiquer un toucher rectal afin de déterminer l’origine du
mal. Où l’on voit qu’ici, un geste à fin de diagnostic serait ailleurs
nommé un viol s’il perdait cette finalité, preuve que la médecine est
décidément transgressive. Nudité.
Un patient entre chez son psychanalyste. Il s’allonge sur le divan.
Dans le silence qui les enveloppe tous deux, il s’astreint à dire ce qui
lui passe par la tête, fil tenu, parfois brisé. La règle est de dire. Même
le mutisme est éloquent à sa façon. Et tout le corps, bien que vêtu,
parle. Nudité.
Un patient entre dans le laboratoire d’analyses de son quartier. Il
s’est vu prescrire par un spécialiste une identification de groupe
sanguin avant une opération bénigne. Le médecin suit par ailleurs le
père de ce jeune homme. Lorsque le résultat lui parvient, il découvre,
sans que personne ne lui en ait parlé, que le géniteur présumé ne
peut pas être père de son fils. Et il se tait. Nudité.
La relation du patient avec son thérapeute est absolument
asymétrique et inégale. On peut appeler cela du paternalisme
médical. On peut en souffrir. Et sans doute le médecin ne doit-il pas
majorer cette asymétrie foncière. Mais il n’empêche que c’est ainsi. Le
secret, qui peut être vécu par le patient comme l’octroi d’un pouvoir
supplémentaire, est précisément ce qui permet de tempérer cette
inégalité, de la taire, voire de l’oublier. À la fin des fins, et de quelque
façon que l’on s’en saisisse, le secret vient jeter un voile sur la nudité
et ce qu’elle signifie. Mais pour entendre ce dont il est question quand
on parle de nudité, il faut se tourner vers deux histoires dont nous
venons, l’une issue de la mythologie grecque, l’autre du récit biblique.

L’oubli d’Épiméthée

Dans la mythologie grecque, Zeus confie aux deux frères


Prométhée et Épiméthée la charge de distribuer leurs divers attributs
et qualités aux êtres vivants : instincts divers, plumes, ailes,
nageoires, force et agilité doivent être alloués selon le principe de
l’équité. Épiméthée insiste pour faire seul le travail. Mais,
imprévoyant, il calcule mal, vide trop vite sa besace à équiper les
divers animaux et se trouve démuni lorsqu’il en arrive à ce curieux
animal qu’est l’homme. C’est pourquoi l’homme se caractérise, nous
dit le mythe, par sa nudité intégrale, car il est dépourvu de tout. Les
bêtes, au contraire, étant vêtues par la nature, n’ont pas besoin
d’habits.
Prométhée le prévoyant découvre « les animaux bien pourvus,
mais l’homme nu, sans chaussures, ni couvertures, ni armes ». Il
décide alors de réparer l’erreur de son frère et de compenser cette
extrême vulnérabilité : il « vole à Héphaïstos et à Athéna la
connaissance des arts avec le feu ; car, sans le feu, la connaissance
des arts était impossible et inutile ; et il en fait présent à l’homme ».
Mais il n’a pas le temps de dérober à Zeus l’art politique.
Grâce au feu et à l’intelligence technique, la pénurie de l’homme
devient sa chance. Faute de nageoires, il bâtira des bateaux. Faute
d’ailes, il construira des avions. Mais la technique n’empêche pas les
hommes de s’entre-tuer puisque l’art politique leur fait défaut. C’est
alors que Zeus « craignant que notre race ne fût anéantie, envoya
Hermès porter aux hommes la pudeur et la justice pour servir de
règles aux cités et unir les hommes par les liens de l’amitié ». Mais,
contrairement aux autres arts, Zeus insiste auprès d’Hermès afin que
la pudeur et la justice soient réparties entre l’ensemble des hommes,
car « il faut que tout le monde ait part à la vertu civile ; autrement il
n’y a pas de cité 1 ».
La mythologie grecque, comme souvent, nous donne ici une
leçon. La raison technique, qui caractérise l’homo faber selon Hannah
Arendt, vient suppléer à la vulnérabilité humaine. Mais elle ne peut
suffire à la vie de l’homme si elle n’est pas soutenue par la raison
politique, laquelle s’appuie sur la pudeur (aidôs) et la justice (dikê),
qui seules rendent possible la vie commune dans la cité (polis) et
l’amitié (philia).
Pour autant, l’homme nu doit avoir auprès de lui des habits et des
armes. « Les porter, c’est pouvoir les déposer et les ôter, par exemple
pour dormir, parce que nous sommes en lieu sûr. Nous ne nous
mettons nus et ne nous désarmons qu’en sûreté 2 ». Puisse la
consultation médicale être le lieu d’une telle sûreté !

Transgression biblique

Il est une autre source à la sagesse dont nous sommes les


héritiers. C’est d’une autre façon que la Bible met en scène la nudité.
La lecture la plus commune de la « chute » d’Adam et Ève dans la
Genèse est d’en faire une chute de la chair, liée à la concupiscence.
Pourtant, dès les premiers siècles, des théologiens, plutôt dans le
monde grec 3, y ont lu une chute non pas de la chair mais de l’esprit.
Au premier chapitre du livre de la Genèse, l’homme est en effet créé
« à l’image et ressemblance de Dieu », donc innocent. Jamais la Bible
ne parle du péché en termes de perte définitive de cette innocence 4.
Dans les deux chapitres suivants qui racontent le jardin d’Éden,
l’homme ne ressent d’abord pas de réserve à avoir été créé nu par
Dieu mais, après avoir mangé du fruit de la connaissance du bien et
du mal, il se découvre dénudé et éprouve de la honte au point de se
cacher. La suite de l’histoire est surprenante : alors que l’homme
honteux se coud un pagne de feuilles de figuier, Dieu vient à sa
rencontre et le revêt d’une tunique de peau.
Des Pères comme Basile de Césarée ( † 379) expliquent que
manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal
représente une chute de l’esprit en ce que l’homme, séduit par ce
fruit, se trouve fasciné par une connaissance qui est déliée de la
rencontre et qui a pour ambition de violer le secret des choses, des
êtres, de Dieu 5. En régime biblique, il n’y a en effet de connaissance
que de quelqu’un, et non pas de quelque chose. Seule une
connaissance qui aime maintient le secret et elle est toujours, dans le
même temps, une non-connaissance qui préserve le mystère. La
pénétration du bien et du mal est une connaissance qui ambitionne
de juger de soi, du monde et des autres, hors relation. Elle désire
maîtriser tout, réduire les conduites humaines à un comportement
prévisible, au risque de se faire accusatrice, et des autres, et du
monde, et de soi. Elle veut se passer des limites, faire comme si elles
n’existaient pas, comme si le monde, le corps, le temps étaient
arraisonnables, comme si l’on pouvait sans dommage en percer
l’énigme. En recouvrant l’homme d’une tunique de peau, dans le texte
de la Genèse, Dieu recouvre l’homme et sa honte, réinstaure de la
discrétion et la possibilité de l’intimité, bref, réinstaure le secret,
condition nécessaire à la rencontre, à la parole partagée et à la vie
commune. Ce que confirme l’hébreu : la racine KPR, « recouvrir », est
aussi celle qui a donné Kippour, le « Grand Pardon », et Kappara, la
célébration principale de ce pardon. Pardonner, en régime biblique,
c’est recouvrir la faute au point qu’elle disparaît.
Il est une autre histoire que raconte la Genèse pour montrer ce
qu’est le contraire de cette discrétion. Après le déluge, Noé, ayant bu
du vin, se retrouve saoul et nu sous sa tente. Son fils cadet, Cham,
6
« voit la nudité de son père » et va l’annoncer à ses frères. C’est la
faute dans la faute, la faute par excellence qui est de la divulguer et
de la proclamer, qui est non pas la nudité, mais de découvrir la
nudité. Lorsque Noé se réveille, il est furieux et maudit Cham. La
racine hébraïque que l’on traduit par découvrir, GLH, signifie le plus
souvent « violer », mais aussi « être sans abri » ou encore « être
déporté » et « partir en exil ». Il est remarquable que l’interdit ne soit
pas exprimé en termes de relation sexuelle, mais d’impudicité. Or, la
fascination pour une connaissance qui ambitionne de tout maîtriser et
de tout connaître peut être pensée en termes d’impudicité.
Il existe donc là une tension dialectique : la faute par excellence,
ce serait « découvrir la nudité », la voir et la proclamer, ouvrir les
yeux et la bouche, et la discrétion par excellence, ce serait « couvrir la
nudité » et a fortiori, « couvrir la honte », clore les yeux et la bouche.

Pudeur et honte

La pudeur est nécessaire à la vie sociale. Mais si un regard


inopportun se pose sur ce qu’il n’a pas à voir, elle peut se transformer
en honte, laquelle abîme l’homme dans son intimité la plus secrète.
De façon heureuse, le français fait la différence entre honte et pudeur,
là où dans d’autres langues un même mot, shame en anglais, scham
en allemand, pudor en espagnol, confond les deux domaines. La
pudeur, d’une certaine manière, serait la bonne honte. Avec la honte,
quelque chose qui aurait dû rester caché (un sentiment, une action,
un lapsus, la chair) est dévoilé. « Tu me fais honte » dit l’adolescente
à sa mère en lui reprochant sa tenue. « Tu me fais honte » dit le père
à son fils en lui reprochant sa conduite devant ses amis. La honte
semble indiquer que l’être de l’autre, le corps de l’autre a des effets
sur le mien. L’impudique fait honte aux autres. Le pudibond a honte
de lui-même. Il sent dans le regard d’autrui une accusation
perpétuelle de ce qu’il est. Un viol perpétuel. Si la honte « craint le
7
blâme », la pudeur veut simplement mettre le jugement d’autrui à
distance. Elle est une façon d’être. « La pudeur apparaît alors comme
la condition de possibilité de la honte, comme une honte en
puissance […]. Il faut donc distinguer la pudeur et la honte, comme
on distingue la condition de possibilité d’une chose, et la chose elle-
8
même . »
Avant tout, la honte est une douleur. La douleur de la honte ne
peut se détacher de ce qui la fait souffrir. Elle est proche du remords,
qui est la faute toujours présente, irrémédiable, l’impossible retour en
arrière. Mais elle n’est pas le remord car elle a besoin du regard de
l’autre. « Avoir du remords, c’est après coup ne pas pouvoir défaire le
fait d’avoir fait, ne pouvoir faire qu’on n’ait pas fait ; mais c’est aussi
avoir pu faire et ne pas faire 9. »
Ensuite, elle ne s’éprouve que devant quelqu’un et dans son
regard. La honte surgit, nous dit Freud, « si un autre venait à
l’apprendre 10 ». On peut vivre avec le remords secret d’un acte dont
on est peu fier, mais que quiconque en soit avisé et tout se fige. Avoir
honte nous soumet au regard d’autrui, au jugement qu’on lui prête.
Avoir honte, c’est se regarder dans l’autre au lieu de regarder l’autre.
La honte n’existe que du reflet qu’elle provoque dans son regard.
Sartre remarque que cette douleur s’enracine en ce que le regard
d’autrui m’objective 11. Dans une sorte de mise en abîme, il prend
l’exemple de quelqu’un qui est surpris en train de regarder par le trou
de la serrure : je suis vu voyant. Je suis objectivé objectivant. Le
regard d’autrui dans la honte fait de moi un objet. Il fige ma liberté
parce qu’il me juge. Ou bien, je juge qu’il me juge. Je le regarde me
regardant. La honte est accusatrice. Elle surgit « lorsque le lien se
12
trouve détruit par la parole d’un autre ». La honte nous fait
confondre le jugement sur notre acte, réprouvable, avec un jugement
sur qui nous sommes. Elle produit du chaos. Elle glace. Elle
condamne.
Pourtant, il n’y a pas nécessairement de lien entre faute et honte.
On peut éprouver un sentiment de culpabilité sans honte, avec le
désir de réparer la faute que l’on vient de commettre. Mais celui qui
est frappé par la honte n’a qu’une envie, disparaître, s’enfoncer trois
pieds sous terre, n’avoir jamais été là, n’avoir jamais été. Il peut y
avoir une vraie honte sans faute, la honte d’exister de ceux qui ont
été salis, qui ne peuvent se détacher d’une sorte d’accusation prenant
la forme d’une illégitimité fondamentale : « Tu n’as pas le droit
d’exister. » La honte, quelle que soit son origine, tend toujours vers
cela.
La fonction du secret, quand l’autre est contraint d’être dénudé
parce qu’il confesse sa faute à un religieux, parce qu’il explique les
circonstances de son affaire à un avocat, parce qu’un médecin vient
chez lui, jusque dans son intimité la plus crue, c’est de respecter la
pudeur en recouvrant la possibilité de la honte afin de protéger
l’homme qu’elle pourrait détruire. C’est lui offrir un abri pour qu’il
puisse être touché avec tact. C’est respecter l’énigme, le mystère qu’il
est, y compris pour lui-même.
e
Avec la naissance des aliénistes à la fin du XVIII siècle, la question
se pose à nouveaux frais. Dans le terme « aliéné », il y a en effet alien,
« l’autre » ; or, « exister n’a jamais voulu dire coïncider avec soi, mais
au contraire, au sens étymologique, exister c’est être hors de soi :
l’intimité n’est pas l’identité 13 ». L’homme de tout temps, éprouve en
lui-même de la discordance. Il y a en lui de l’étrange, et même de
l’étranger 14. Il ne coïncide pas avec lui-même. Il manque à être et
c’est là sa précarité ontologique. Parfois cet étrange est manifeste,
comme chez ceux que l’on appelle les « malades mentaux », et les
« bien portants » peuvent trembler à l’idée, plus ou moins consciente,
qu’ils sont finalement comme eux. Leur rejet ne vient pas d’abord de
leur étrangeté, mais de ce que leur étrangeté ressemble tant à celle
que chacun porte en lui : « Le profane se voit là confronté à la
manifestation de forces qu’il ne présumait pas chez son semblable,
mais dont il lui est donné de ressentir obscurément le mouvement
dans des coins reculés de sa propre personnalité 15 ».
Dans un court texte de 1919, Freud s’est attelé à la tâche de
nommer cet intime étranger. Le mot allemand qui en fait le titre est
difficile à traduire, mais il nous rend ainsi le service d’avoir à
l’analyser. Das Unheimliche, l’inquiétante étrangeté, c’est quand le
plus familier surgit comme le plus inconnu. Mais que signifie
Heimlich ? La racine heim, qui est proche de l’anglais home, le chez
soi, l’abri, détermine un double sens : d’abord ce qui « fait partie de la
maison, est familier, apprivoisé, intime, propice au repos » ; ensuite,
ce qui est « secret, dissimulé ». Ce qui tourne autour du thème natal
et domestique (heimatlich), ce qui est soustrait aux regards étrangers,
doit donc rester caché et secret (geheim). Néanmoins, Freud note
avec intérêt que « parmi ses multiples nuances de signification, le
petit mot heimlich en présente une où il coïncide avec son contraire
unheimlich ». En effet, serait unheimlich « tout ce qui devait rester un
secret, dans l’ombre, et qui en est sorti ». Et Freud de commenter :
« Heimlich est donc un mot dont la signification évolue en direction
d’une ambivalence, jusqu’à ce qu’il finisse par coïncider avec son
contraire unheimlich. Unheimlich est en quelque sorte une espèce de
heimlich 16. » Lacan, plus tard, s’attachant à cette même énigme, la
formulera ainsi : il y a Das Ding, au centre, mais « au sens que [Das
Ding] est exclu ». « C’est-à-dire qu’en réalité, il doit être posé comme
extérieur […] sous la forme de quelque chose qui est entfremdet,
étranger à moi tout en étant au cœur de ce moi, quelque chose qu’au
niveau de l’inconscient seule représente une représentation 17. » Au
centre, il y a de l’excentré, quelque chose de familier et en même
temps tout autre chose, un secret.

CARTOGRAPHIE

Étymologie
e
Le mot français « secret » date du XVI siècle. Auparavant, on disait
« segret ». Il traduit le latin secretum, de l’adjectif secretus, lui-même
18
issu du verbe secernere, « séparer, mettre à part ». Le verbe secernere
est composé du préfixe se- et de cernere. Le préfixe se-, pronom
réflexif, marque le retour à soi après être parti de soi. Le verbe
cernere, au participe passé cretus, est polysémique. Son premier sens,
très concret, est « passer au crible ». Il renvoie au tamisage du grain
qui permet de séparer le bon grain de l’ivraie (ou la criblure,
excrementum). Les sens figurés vont se traduire par « cerner » quand
il s’agit de « séparer par la vue », « discerner » quand il s’agit de
séparer par l’intelligence et, par extension, trancher, juger. Le français
en garde une trace dans les verbes « concerner », « décerner »,
« concert », « déconcerter ».
Cernere est de la même famille que « certain » et se rattache à la
racine de forme °krei qui renvoie également à « séparer ». Il
s’apparente au grec krinein, « couper, décider » qui a donné krisis,
« crise », mais aussi « jugement, discrimination ». La racine °krei, se
retrouve en français dans « crible, crise, critique, critère » ou encore
dans « criminel, crête, décret, hypocrisie », et enfin dans « endocrine,
exocrine ». L’adjonction du préfixe ex- a donné excernere, qui met
l’accent sur le rejet et signifie « évacuer par criblage », la criblure, on
vient de le voir, se disant excrementum qui signifie aussi le déchet. Le
français en dérive dans deux directions, l’excrétion et l’excrément.
e
Aussitôt que le XIII siècle, les chambra segreta désignent les « lieux
19
d’aisance », les toilettes . Néanmoins, l’adjonction du préfixe se- met
l’accent non plus sur le rejet mais la conservation, et donne, outre
« secret », « sécrétion 20 ».
Quant à la famille à laquelle renvoie en français « occulter », elle
est autre et dérive de la racine indo-européenne °kel, qui a donné
« celer », au sens de « cacher, dissimuler, retenir », mais aussi
« cellule », ou encore en anglais hell, « l’enfer », et hull, « ce qui
couvre, la coque ». En quoi l’on voit bien que l’histoire du mot secret
n’est pas d’abord une histoire d’occultation, mais de séparation. « Le
secret évoque à la fois le processus de séparation, l’élément qui a été
21
séparé et la décision sur la séparation ». C’est ce qui fait la difficulté
d’une telle notion polysémique. Il faut séparer du reste ce qui est
voué au déchet. Séparer ce qui est potentiellement occasion de honte
de ce qui ne l’est pas. Le secret vient séparer la sphère publique de la
sphère privée, intime. La mise à part de l’intimité, c’est la possibilité
d’être vulnérable, sans s’exposer au danger et sans encourir de
violence.
C’est pourquoi le concept de secret est si compliqué à établir. Il ne
désigne pas seulement une chose ou une information, mais aussi le
moment de suspension qui précède la décision de dire ou de taire
ainsi que le geste qui consiste à voiler ou à montrer. Le secret du
médecin, ou de l’avocat, du prêtre, n’est pas uniquement un contenu.
Il n’est pas seulement un acte. Il est aussi une circonstance et surtout
un lieu. C’est un lieu non pas au sens de la géographie, mais d’une
topique. Car le secret organise les relations autour de lui et cet
agencement produit (ou pas) du sens.

Aux sources grecque et juive

L’Antiquité grecque sépare la polis, la Cité, lieu des citoyens libres


qui ont domestiqué l’art oratoire (le logos), et l’oikos, la maisonnée, le
domus des Latins, lieu d’un pouvoir « nu », tyrannique, d’une certaine
manière sacré en ce qu’il touche à la vie et à la mort. L’éthique et la
vie vertueuse sont réservées à l’homme de la Cité. L’oikos prépare à
l’existence politique ou citoyenne mais n’est pas gouverné par ses lois.
Il n’est pas question de dévoiler dans la Cité ce qui se passe dans la
maisonnée, lieu de l’origine, du rapport sexuel, de l’accouchement, de
la naissance mais aussi de l’agonie, du décès et de la fin. L’oikos
recouvre à la fois un lieu familier et inquiétant, car lieu de la venue
au monde et de la sortie du monde. Il n’y va pas seulement
d’informations factuelles, mais bien de l’ordre symbolique. Quand
quelque chose de ce domaine est dévoilé, voilà que surgit
l’inquiétante étrangeté. Quand on se rapproche trop près de ce centre
obscur, de l’insu qu’il ne faut pas dévoiler, le vent se lève. Il suffit
d’ailleurs, en prison, de voir l’hostilité contenue de toutes les femmes,
codétenues, surveillantes, soignantes, à l’égard des mères infanticides
pour comprendre que, d’un coup, sort de l’ombre le fait que toutes
sont « capables », quand les circonstances s’y prêtent, d’en arriver là.
Aussi, dans l’Antiquité, le médecin amené à entrer dans la
maisonnée est-il invité à fermer les yeux et la bouche, comme l’y
invite le serment d’Hippocrate. « Tout ce que je verrai ou entendrai au
cours du traitement, ou même en dehors du traitement, concernant la
vie des gens, si cela ne doit jamais être répété au dehors, je le tairai,
22
considérant que de telles choses sont secrètes [arrêta] ». Ce terme
arrêta peut aussi être traduit par « mystère », car il touche au sacré,
ce numineux qualifié de tremendum et fascinans, de « terrifiant » et de
23
« subjuguant », par Rudolf Otto .
Dès lors que le médecin pénètre dans l’oikos, il peut être amené à
voir, à comprendre ou savoir ce qui est inavouable à l’extérieur. Le
secret médical antique ne protège ni les maladies, ni un diagnostic,
mais l’intimité de la maisonnée. Le serment engage le médecin à ne
pas mettre en danger ce lieu et ce qu’il peut receler de trivial ou
d’inavouable, de honteux ou de criminel. C’est une éthique des yeux
fermés. Elle permet de jeter un voile sur ce que les personnes
extérieures à la maisonnée n’ont pas à connaître. Il s’agit de couvrir la
nudité, et indistinctement, couvrir « l’origine », le lieu du rapport
sexuel, le lieu de la naissance et du corps de la femme qui donne
naissance à l’enfant, couvrir ce qui relève du savoir de la sage-femme,
y compris en termes de décision sur la viabilité ou non de l’enfant à
naître, couvrir peut-être la tyrannie domestique, puisqu’elle doit être
cantonnée là.
Cette éthique prolonge le geste hippocratique qui, éminemment
moderne, sépare la médecine de la religion. Certes, le serment du
père et fondateur se prête en invoquant Apollon, Asclépios, Hygie et
Panacée. Mais Hippocrate a renoncé aux interprétations faisant
intervenir les dieux dans les maladies pour se cantonner à
l’observation. En cela, il est moderne. Et c’est probablement la raison
pour laquelle il invite le médecin à fermer les yeux sur ce qui n’est
pas la stricte observation médicale.
Dans l’autre poumon de la pensée occidentale, le monde biblique,
il n’est pas question de secret, mais de lieu sacré, inaccessible au
commun des mortels : le saint des saints. Ce lieu est mobile,
transporté sous une tente elle-même nomade, et abrite une parole, ou
plutôt dix paroles, le Décalogue que le peuple hébreu confesse avoir
reçu de Dieu par Moïse. Le lieu du secret, c’est à la fois le cœur de ce
qui deviendra le temple et dans lequel seul le Grand prêtre pourra
rentrer au temps prescrit (car qui voit Dieu face à face meurt), et à la
fois le corps de l’autre homme, en son inviolable nudité. Le texte
biblique, si prompt à représenter des hommes et femmes faillibles, est
toujours sévère vis-à-vis de celui qui accuse l’autre et met à nu sa
faute sur la place publique, la Bible ne cessant de mettre en scène
l’énigme existentielle de l’homme, communément partagée : d’où
vient que je ne fais pas le bien que je voudrais et que parfois je fais le
mal que je ne voudrais pas ?
Là où l’éthique grecque s’attache à la pratique de la vie vertueuse
pour combattre les passions, le texte biblique ne cesse de montrer
combien le pardon de Dieu est pour l’homme la possibilité de faire du
neuf et de n’être pas assujetti à un destin. La théologie catholique
romaine, héritière de l’une et l’autre source, en tentera la synthèse via
des penseurs comme Thomas d’Aquin. Ce n’est en rien anecdotique
puisque le secret professionnel des médecins et des avocats est
l’héritier du secret de la confession.

LA CONFESSION

Les premières communautés chrétiennes

La confession telle que nous la connaissons, privée et réitérable,


n’a pas existé d’emblée. Dans la tradition chrétienne des deux
premiers siècles, c’est le baptême seul, en vertu de la conversion qu’il
implique, qui remet les péchés. Au regard du contexte, nourri de
l’attente de la parousie sur fond des persécutions impériales,
l’engagement baptismal est profond. Mais, la fin du monde tarde à
venir, les communautés s’étoffent et, sous la menace ou le supplice,
certains fidèles apostasient.
C’est à ce moment-là que naît une institution pénitentielle autre
que le baptême, même si les plus intransigeants peinent à accepter le
retour à la communauté de celles ou ceux qui ont commis des fautes
graves. Une dernière chance leur est néanmoins offerte, qui est vécue
comme un second baptême, un « baptême de larmes » dira
Tertullien 24 ( † 220). Le nom de cette pénitence subsidiaire est
l’exomologèse qui signifie, au plus près, en grec, le « fait
d’homologuer ce que l’on manifeste au dehors par la parole ». Elle
consiste, par l’aveu, à faire naître le sentiment de repentir qui plaît à
Dieu. À partir du IVe siècle, l’Église va donc connaître trois formes de
pénitence : existentielle, qui aboutit au baptême en relation au péché
d’origine ; quotidienne, qui est faite d’aumône, de jeûne et de prière
au regard des péchés de faiblesse ; canonique, qui nécessite
l’intervention de l’instance ecclésiale pour les péchés graves. Ce dont
témoigne dans ses sermons Augustin († 430), auquel on rapporte par
ailleurs ce propos : « Ce que je sais par la confession, je le sais moins
que ce que je n’ai jamais su 25 ». Aussi, même s’il n’est pas encore
thématisé, le secret inhérent à la confession de la faute grave existe-t-
il.
Le système de la « pénitence canonique » s’étend jusqu’au
e
VII siècle et permet le pardon des fautes considérées comme très
graves. L’entrée en pénitence est un acte de communauté, accompli en
présence des chrétiens réunis. Il n’y a pas d’aveu public, mais un acte
liturgique public. Ce système laisse pourtant voir des inconvénients.
D’une part, certains pénitents réitèrent la faute alors que la pénitence
canonique n’est pas réitérable et, du coup, les pécheurs gravement
coupables ne la reçoivent pour la plupart que fort âgés, voire in
articulo mortis. D’autre part, diverses confessions publiques manquent
de retenue, voire cèdent à l’exaltation, ce dont s’inquiète le pape Léon
e
le Grand dès le V siècle :
Nous interdisons que soit lu en public un écrit sur lequel
figurent en détail les péchés des pénitents. Il suffit en effet
que les fautes soient indiquées à l’évêque seul, dans un
entretien privé. […] Il est en effet des péchés que ceux qui
demandent la pénitence ne voudraient pas voir publiés. On
supprimera donc cette coutume contestable de peur que
beaucoup ne s’écartent du remède de la pénitence par
honte ou parce qu’ils craignent que leurs agissements
soient connus de leurs ennemis qui pourraient alors les
poursuivre devant les tribunaux. On ne pourra inviter la
majorité des fidèles à venir se constituer pénitents que si le
secret des consciences n’est pas livré à la connaissance du
public 26.

Une pénitence personnalisée

L’impasse dans laquelle se trouve la pénitence canonique explique


le succès rapide de la pratique réitérable de la pénitence tarifée que
les moines de saint Colomban, venus d’Irlande, importent sur le
continent à partir de 580. Tous ne voient pas d’un bon œil cette
innovation et certains crient au laxisme, mais la pratique s’étend
d’autant plus aisément qu’elle n’est pas sans correspondre au droit
féodal germanique et à son indexation de tout tort ou désordre à une
amende compensatoire. Certes, il y a d’autres moyens de faire
pénitence comme entrer au monastère, faire un pèlerinage, ou se
confesser directement à Dieu. Néanmoins, les chrétiens peuvent
désormais accéder à la pénitence aussi souvent qu’ils le désirent. À la
fois catalogues moraux et tableaux comptables, des « pénitentiels »
sont mis à disposition des confesseurs et leur permettent
d’additionner les taxes correspondant à chaque péché, stipulant le
nombre de jours à jeûner ou le nombre de psaumes à lire puisque
« l’absolution », terme dont l’usage apparaît au même moment, ne
sera délivrée qu’une fois la pénitence réalisée. L’aveu n’est pas la pièce
maîtresse de ce système ; le plus important, c’est la peine expiatoire
qui procure la rémission des péchés. Mais, comme la durée des
pénitences peut se révéler interminable, on en vient à établir un
système d’équivalence financière qui permet d’en racheter, à prix fixé,
les jours programmés. Du coup, le système s’en trouve fragilisé,
avantageant les riches et accablant les pauvres. Aussi est-ce la
pénitence individuelle qui va finir par s’imposer.
Le nouveau système, qui sera consacré par le concile de Latran au
e
XII siècle, bouscule le principe même de la tarification en ce que
l’absolution n’est plus conditionnée par la complétion de la pénitence.
Désormais, sous la tutelle des travaux de Thomas d’Aquin, ce qui fait
le sacrement est l’ensemble organique que constituent la confession,
la contrition, la satisfaction et l’absolution. Selon la lettre De vera et
falsa paenitentia, attribuée à Augustin, « la honte inhérente à l’aveu
opère par elle-même une grande partie de la rémission 27 ». Du coup,
c’est sur l’acte de confession que l’on insiste, avec l’impératif qu’elle
soit circonstanciée et précise. Aux pénitentiels, abandonnés, se
substituent les « manuels des confesseurs ». En 1215, le canon 21 du
e
IV concile de Latran commande à tout fidèle de se confesser au
moins une fois l’an à son propre prêtre – procédure qui, pour rompre
la mécanicité de la tarification, n’en entraîne pas moins un certain
contrôle social.

En affirmant la sacramentalité de la pénitence, le concile de


Trente (1545-1563) constate que l’absolution est définie « comme un
acte judiciaire », ce qui veut dire que « comme la sentence en justice,
elle réalise ce qu’elle dit 28 ». La confession fait l’objet d’un double
usage par les fidèles : la confession annuelle d’obligation est exigée
de tous, tandis que la confession fréquente, pratiquée par une élite,
s’apparente à la direction spirituelle. À partir du XVIIe siècle, une
abondante littérature, richement fournie en casuistique, illustre ces
débats. C’est au même moment que s’impose le confessionnal. La
simple grille à destination des femmes qui était de mise jusque-là
devient un meuble isoloir qui traduit la privatisation de la pénitence
par le privilège accordé à l’intériorisation et à l’introspection au
détriment de la célébration liturgique.
Ainsi administré, ce sacrement flirte volontiers avec la métaphore
médicale. Le prêtre serait le « médecin des âmes » et la confession
« un remède ». Mais à une époque où la médecine apparaît peu
efficace, on comprend que ce n’est pas elle qui oriente le lieu de
l’intime, mais le pouvoir religieux.

Fondement théologique

Dès le XIIIe siècle, le concile de Latran IV en créant l’obligation


d’une pratique annuelle a également développé, dans le même
canon 21, une déontologie du confesseur encore pertinente
aujourd’hui 29. Ce que l’on appelle communément « le secret de la
confession » couvre en fait divers domaines : outre que le devoir de
discrétion après le sacrement s’applique aussi à la manière sobre et
prudente de le célébrer, le pouvoir qui en découle est limité afin que
for interne et for externe ne soient pas confondus et que la liberté de
conscience des personnes ne soit pas malmenée. Dès ce moment, par
exemple, le supérieur d’une communauté ne peut en confesser les
membres. Cette prévention ne cessera d’être renforcée,
particulièrement au regard de la possible immixtion des autorités
civiles : dans son bref apostolique intitulé Suprema omnium
Ecclesiarum et promulgué en juillet 1745, le pape Benoît XIV
condamne la dérive qui voit certains confesseurs s’enquérir auprès
des confessés de l’identité de leurs hypothétiques complices 30.

C’est sans conteste Thomas d’Aquin qui donne l’éclairage


théologique le plus pertinent sur la raison profonde du secret de la
confession, laquelle outrepasse la nécessaire confiance des pénitents.
En 1252, dans son commentaire des Sentences de Pierre Lombard,
Thomas s’attache à la question du sacrement de la pénitence et de
son indispensable condition 31. À la question : « Un prêtre est-il obligé
dans tous les cas de cacher ce qu’il a appris sous le secret de la
confession ? », il répond : « Le prêtre doit se conformer à Dieu dont il
est le ministre. Or, Dieu ne révèle pas les péchés qui sont dévoilés par
la confession, mais il les recouvre. Le prêtre non plus ne doit donc pas
les révéler 32. » Il explique ainsi sa réponse : « La confession par
laquelle quelqu’un se soumet à un prêtre est le signe de [la
confession] intérieure par laquelle il se soumet à Dieu. Or, Dieu
couvre le péché de celui qui se soumet à lui par la pénitence. Cela doit
donc être signifié dans le sacrement de pénitence. C’est pourquoi il
fait nécessairement partie du sacrement que l’on cache la confession
et celui qui la révèle pèche en violant le sacrement 33. »
Par la suite, à l’entour des années 1269-1270, Thomas y revient
dans les « Questions disputées » ou Quodlibet. À la demande « Est-il
permis de révéler une confession dans un cas particulier ? », il
réplique en rattachant à nouveau le secret à la constitution du
sacrement : « Il faut dire que non : ni par une parole, ni par un acte,
ni par un geste, ni par un signe il n’est permis de le faire, car c’est
sacrilège. Car il se fait que, pour ce qui est des sacrements de la loi
nouvelle, “ils réalisent ce qu’ils expriment”. Or, l’effet de la pénitence
est de cacher les péchés aux yeux de Dieu qui punit, et ce fait de
cacher est signifié par le secret de la confession 34. »
En effet, comme le rappelle le Dictionnaire de théologie
catholique : « Saint Thomas rattache le secret plus étroitement encore
à la constitution même du sacrement, toujours en vertu de ce
principe que les sacrements de la loi nouvelle opèrent ce qu’ils
signifient. Or, l’effet du sacrement de pénitence est de cacher les
péchés aux yeux même de Dieu, puisque, une fois remis par la
confession, ils sont comme s’ils n’avaient jamais été. Voilà ce qui nous
est marqué par le sceau qui les couvre et les rend invisibles : tel un
cachet qui tient clos le contenu d’une lettre 35. » Sans doute faut-il
insister sur la force du propos : Thomas dit tout simplement que le
secret de la confession du pénitent est la trace et la figure du secret
qui, en Dieu, abrite l’aveu, au point qu’aux yeux de Dieu lui-même la
faute est comme n’ayant pas existé. Le secret préserve l’innocence
retrouvée par le pénitent. Le ministre du culte n’est donc en rien
possesseur de quoi que ce soit, mais au contraire, comme en négatif,
il est le lieu de l’oubli de l’aveu, la possibilité que l’aveu soit
recouvert, que la faute soit « cachée aux yeux même de Dieu ». Le
secret, pour Thomas, c’est la fermeture des yeux, et de la bouche
pour que l’innocence seconde soit rendue au pénitent, au nom de ce
que Dieu lui-même clôt les yeux sur les actes de celui qui se repent.

Dans la génération suivante, Maître Eckhart ( † 1328) réitérera


cette interprétation théologique, avec peut-être plus de force encore,
quand il entretiendra ses jeunes frères du pardon :

En vérité, le péché qu’on a commis cesse d’être péché dès


lors qu’on s’en repent. […] Mais si l’homme se relève
complètement du péché et s’en détourne entièrement, alors
le Dieu fidèle fait comme si l’homme n’était jamais tombé
dans le péché, pas un seul instant il ne songe à lui faire
expier tous ses péchés ; égaleraient-ils en nombre ceux de
toute l’humanité, jamais Dieu ne lui en tiendrait rigueur,
jamais il ne cesserait de se montrer avec cet homme aussi
intime qu’il l’a jamais été avec une créature. Pourvu qu’à
cette heure il le trouve dans de bonnes dispositions, il ne
fait plus attention à ce que cet homme fut dans le passé.
Dieu est le Dieu du présent. Tel Il te trouve, tel Il te reçoit,
tel Il te prend ; non point tel que tu fus, mais tel que tu es
en ce moment 36.

Ce fondement, en raison, du secret de la confession mérite d’être


retenu en soi, mais aussi parce qu’il peut contribuer à fonder, non
moins en raison, le secret professionnel médical qui, de surcroît, s’est
façonné comme en miroir sur lui. Une telle approche ne saurait certes
prévenir les abus de pouvoir et il y en aura, de l’intrusion dans les
moindres détails de la vie privée jusqu’à la construction, selon la juste
appellation de Maurice Bellet, d’un « Dieu pervers » qui surveille tout,
juge de tout, menace du pire et de l’enfer. Un tel système de
culpabilisation n’aura, hélas, plus rien à voir avec le Dieu qui couvre
la faute, mais tout avec les structures mentales des confesseurs et
pénitents dont, bien plus tard, la psychologie et la psychanalyse
dévoileront les rouages.

MUTATIONS MODERNES

Métamorphose de l’héritage

Le secret médical, que nous croyons si important pour Hippocrate


et ses disciples, a disparu ou presque pendant le Moyen Âge en
Europe occidentale. Sa supposée transmission sans faille jusqu’à nos
jours est une légende que l’historien Mirko Grmek s’est employé à
démonter 37. L’avènement du christianisme explique-t-il cet effacement
à de rares mais notables exceptions ? Avec lui sont advenus le récit en
« je » qu’inaugurent les Confessions d’Augustin († 430), et la notion de
personne, que théorise Boèce ( † 524). Ce n’est plus l’oikos qu’il
convient de protéger par le secret, mais la conscience. On ne verra le
secret médical ressurgir qu’à la Renaissance, au moment où l’on
commencera à pratiquer autopsies et dissections. L’ouverture des
corps, éminemment transgressive, appelle-t-elle alors et en retour des
garanties pour protéger ce geste lui aussi inquiétant et fascinant ?
Dans tous les cas, le secret qui protège l’intime reste lié au domaine
e
du sacré. Inscrit dans le droit canonique au XIII siècle, il va voyager
dans le temps pour être inscrit en 1810 dans le Code pénal sous
forme de secret médical. Or, cette filiation renvoie à la tradition
romaine qui nous a légué l’art du droit, troisième source de la culture
occidentale, avec la philosophie grecque et la pensée biblique, dont
nous sommes les héritiers.

Le tournant de la Renaissance

La mutation anthropologique qui conduit à cette domination de la


transparence que nous connaissons et subissons commence à la
Renaissance. Le rapport au corps, au monde, au temps, change. Et le
rapport au secret est au cœur de cette mutation qui se produit selon
plusieurs axes à la fois concurrents et convergents.
La première révolution est galiléenne. L’idée que tout ce qui
apparaît dans le monde, y compris les astres, est mathématisable, se
voit formulée par Galilée († 1642). Mais ce faisant, tout ce qui n’est
pas mathématisable, dont la vie de l’esprit, les personnes et leurs
relations, disparaît. La physique galiléenne considère la nature
comme une matière inerte – Descartes dira une « substance étendue »
– soumise à des lois formalisables et universelles. Tout peut-être
décrit sous forme de coordonnées mathématiques ou géométriques.
Exit le corps existentiel. Exit la métaphysique. La loi qui venait
d’ailleurs, du Ciel ou de Dieu (hétéronomie), est désormais à
disposition entre les mains des hommes (autonomie). Le télescope
efface le mystère du monde et des étoiles. Il explique. Nous en
sommes toujours, et de plus en plus, là. Seul existe ce qui peut se
mesurer, s’évaluer, se calculer.
En même temps que l’invisible perd de son mystère, la chair de
l’homme aussi. À la même époque, on commence à ouvrir les corps,
pour en comprendre le fonctionnement. Une chance pour la
médecine, mais on ne fait pas impunément reculer les frontières de
l’ordre symbolique et la réapparition du secret médical signale la
volonté de limiter sa mise sous tension par la modernité naissante.
Le scientisme contemporain est l’héritier de Galilée, l’un de ceux
qui a le mieux anticipé les effets de cette révolution étant l’Anglais
Francis Bacon ( † 1626). L’utopie philosophique qu’il formule se
propose de pénétrer, par la science, le secret des choses, « de
connaître les causes, et le mouvement secret de la nature et des
êtres 38 », et d’ainsi transformer le monde. La science ainsi comprise a
besoin d’être « nourrie » par toutes les données mathématisables que
l’on pourra lui transmettre afin d’être plus précise, plus efficace et
plus totale. L’open data, l’accès libre à toutes sortes de données, est en
germe dans cette représentation utopique. La religion est réduite à la
dévotion et relève désormais de la sphère privée tandis que la
science, nouvelle religion, revendique publicité et transparence. Rien
que cela et quelle pulsion « épistémophilique » s’il en est !
Désacraliser l’homme au nom de la science, c’est finalement tout
mettre à nu. Mais cette mise à nu jusqu’au cœur de nos molécules et
gènes les plus reculés n’induit-elle pas aussi une forme de violence –
ou de viol ?
La deuxième révolution est luthérienne, à tout le moins pour
partie. Luther (1483-1546) veut remettre au centre de la foi
chrétienne la Bible tant la Réforme luthérienne demeure indissociable
de l’invention de l’imprimerie. Après la mort de Gutenberg (1468), le
rapport au texte change, chacun pouvant disposer chez soi des
Écritures. Il n’est plus besoin de magistère ni pour interpréter la
Révélation, ni pour se réconcilier avec Dieu. Du coup, le rapport au
secret médical va considérablement différer selon que les pays seront
de tradition catholique ou protestante, ce qui se vérifie encore
aujourd’hui. Si Chesterton a raison et si le monde est empli « d’idées
39
chrétiennes devenues folles », il est probable que la conception que
nos ancêtres avaient de l’absolu colore encore nos modes de vie y
compris les plus sécularisés.
Le point de rupture s’avère donc aussi théologique. Le débat sur la
justification, subtil chez Luther 40 et même chez Calvin, va parfois
devenir caricatural : on opposera un optimisme catholique, fondé sur
la conviction que la création est bonne et sur la possibilité d’une
innocence seconde offerte à l’homme pécheur par le sacrement de la
réconciliation, au pessimisme protestant, quitte à oublier qu’il y a des
théologies protestantes. Les Cinq Points, qui résument selon ses
héritiers la doctrine de Calvin et qu’ils codifient dans la décennie
1610, en présentent néanmoins une version maximaliste : « 1 – La
nature humaine est totalement corrompue par le péché. 2 – L’élection
divine est inconditionnelle. 3 – La réconciliation donnée par Dieu en
Jésus-Christ est effectivement restreinte au cercle des élus. 4 – La
grâce est irrésistible. 5 – Les élus persévéreront jusqu’au salut
final 41. » C’est ce calvinisme qui triomphera aux Pays-Bas et en
Écosse, qui rayonnera en Angleterre, qui participera des crises
e
religieuses et politiques du XVII siècle sur le Vieux-Continent et qui
s’exportera outre Atlantique au bénéfice de l’émigration puritaine et
s’étendra à l’Amérique du Nord. Parmi les Pères fondateurs du
Nouveau Monde, les Pilgrim fathers représentent en effet une secte
rigoriste dont la Couronne britannique n’a pas été mécontente de
s’alléger. Leur appareil théologique et leur expérience politique
contribueront de manière décisive à faire des États-Unis le pays de la
libre croyance et de la libre entreprise. Mais aussi du règne de la
transparence.
À l’instar de l’impulsion que la Réforme a pu exercer sur le
42
capitalisme naissant selon le sociologue Max Weber , cette forme
extrême de puritanisme n’a-t-elle pas infléchi le secret ? Le Pilgrim
father qui embarque sur le Mayflower croit en une forme radicale de
prédestination. Or, la conception qu’il s’en fait tend à s’articuler avec
la notion de dangerosité que le XIXe siècle nous a léguée lorsqu’elle est
pensée en termes de déterminisme social, psychique ou biologique.
Sous une telle mainmise, il sera hors de question d’accorder un
quelconque privilège au secret auriculaire et, par extension, au secret
médical.
Si la science et la religion sont dans un rapport dialectique qui fait
de la science une nouvelle religion et si la prédestination de la
personne est totale au point qu’elle coïncide avec la détermination de
la société, la transparence est requise puisque le secret, limité, ne
relève plus alors que de la protection de la vie privée, entendu
comme le right of privacy que le droit anglo-saxon déduit de la
Common Law, à savoir l’usage coutumier.
C’est le troisième axe qui anime la modernité. Une certaine
philosophie utilitariste nait sur ce même terrain. Dès lors que le
pluralisme religieux s’installe, le rapport à l’absolu n’est plus le même
pour les uns et les autres. Il faut donc imaginer une manière
commune de faire régner le plus grand bonheur pour le plus grand
nombre. Autrement dit, forger des dispositifs extérieurs à l’homme
pour lui imposer les normes morales que l’on ne peut plus lui imposer
de l’intérieur. Le panopticon de Jeremy Bentham ( † 1832), qui est
directement issu de l’utopie de Bacon et la complète, vise à inscrire
dans l’architecture notamment carcérale une mise en règles
contraignante du corps par une observation constante de tous faits et
gestes. Il découle du principe de prévention qu’il idéologise en
postulant qu’il faut surveiller le futur délinquant afin qu’il ne
délinquante pas. Celui qui est déjà passé à l’acte devient un
récidiviste potentiel parce qu’il est en quelque façon prédéterminé ou
prédestiné à le faire et, à le surveiller, il commettra en conséquence,
se convainc-t-on, moins d’actes délictueux. Parée des attributs de la
scientificité à coups de grilles empruntées à l’univers des statistiques
et des assurances, mêlant évaluations de risque et calculs actuariels,
cette idéologie imagine que parce qu’on voit, on peut savoir et que
parce qu’on sait, on peut prévoir, mais elle s’apparente par-là au
phénomène d’auto-persuasion qui caractérise la croyance. Sans
compter que l’hégémonie ainsi accordée à la surveillance finit par
s’imposer dans le domaine sanitaire en prescrivant l’identification
systématique des germes contaminants mais aussi des malades
contagieux au regard de leur dangerosité potentielle. De cette volonté
de tout classer en catégories infectieuses, ressort une certaine
psychiatrie qui s’emploie à protéger la santé mentale de la population
des aliénés forcément toxiques. Si le secret ne relève plus que de la
vie privée, ce qui est d’intérêt public, désormais, c’est la sécurité 43.

LES LIEUX DU SECRET

Le sacré
44
Les instances du pouvoir, du savoir et du sacré , toutes liées au
secret, étaient autrefois localisées de façon sinon visible, au moins
lisible. Est-ce encore le cas ? Pour s’être attaché à observer le
phénomène des sociétés secrètes, le sociologue Georg Simmel note
comme invariance que « la coexistence des hommes, dans des
circonstances par ailleurs égales, aurait besoin d’une certaine part de
secret, celui-ci changeant seulement d’objet, abandonnant ceci pour
45
s’emparer de cela ». À le suivre, il faut en déduire que, même en
notre temps où la transparence est élevée à la hauteur de valeur
incontournable, le secret se niche immanquablement quelque part.
Mais, plus simplement encore, il est aisé de constater que, chaque fois
que nous dévoilons un secret, nous en voilons simultanément un
autre. Davantage de transparence semble paradoxalement nous
conduire à davantage d’opacité. Enfin, le secret, longtemps à l’abri
des trois grands lieux qui l’ont classiquement institué, la confidence
au prêtre, la consultation auprès du médecin, l’entretien avec
l’avocat, se démultiplie aujourd’hui en secret des affaires pour les
entrepreneurs, secret des sources pour les journalistes, secret défense
ou secret d’État pour les gouvernants, qui supplantent les premiers à
considérer la sanctuarisation dont bénéficient rétrocommissions,
scoops et programmes d’armement. Les lieux où se loge le secret nous
disent quelque chose de ce qui, pour nous, a valeur d’absolu. Quitte à
en déduire que, désormais, le corps humain serait moins sacré que le
compte en banque, le laboratoire pharmaceutique ou la fabrique de
l’opinion.
Le pouvoir médical est lié au pouvoir de savoir, mais il est plus
encore un pouvoir de transgression. Il y a et il y a toujours eu du
sacré en médecine, cet art de danser sur les limites de la vie et de la
mort. À se conformer aux règles, l’infirmière qui fait une piqûre
n’encourt rien de la police et la justice. À poursuivre dans la rue un
anonyme, seringue à la main, pour lui administrer l’injection d’un
produit inconnu, elle est passible du délit de coups et blessures au
civil et au pénal. À opérer son patient au bloc, le chirurgien accomplit
son métier. À ouvrir arbitrairement un corps hors de ce cadre, le
même est justiciable d’acte de torture et de barbarie. À un surveillant
de prison qui lui demande de pratiquer un examen gynécologique sur
une détenue qui a peut-être dissimulé un téléphone portable dans son
vagin, le médecin doit expliquer qu’un tel toucher ne peut être posé
qu’à la condition impérative d’avoir une finalité clinique. Sinon, c’est
tout bonnement un viol.
La médecine est en soi ambivalente. Tout acte de soin est pris
dans une relation à la fois intersubjective et objective. « La profession
médicale est en tant que telle une profession à risques, dans la
mesure où la mise en œuvre du serment d’Hippocrate, qui voue le
médecin et le personnel médical aux seuls soins de la vie et de la
santé du patient, passe nécessairement et légitimement par des
techniques objectivantes, lesquelles confèrent aux professions de
santé un pouvoir sur le corps d’autrui paradoxalement dérivé du
souci même de faire vivre et de soigner 46 » rappelle opportunément
Paul Ricœur. Et c’est bien cette nécessaire objectivation du corps de
l’autre qui fonde la dimension transgressive du geste médical, car en
dehors de cette situation tout à fait originale, jamais l’autre homme
ne peut être ainsi réduit à un corps, lui qui est toujours une fin, une
destinée. L’art médical consiste donc à ne pas oublier, alors même que
s’ouvre la parenthèse de l’objectivation, que ce corps palpé, ouvert,
analysé, recousu, est avant tout un sujet, un être de parole, une
destinée, une liberté.
Le secret renforce le pouvoir médical lorsqu’il s’appuie sur le
savoir médical : « De ta maladie, je sais ce que tu ne sais pas ». Bien
qu’elle soit désormais inscrite dans la loi, et c’est une heureuse chose,
la nécessité d’informer les patients ne retire pas – le voudrions-nous –
l’asymétrie qui préside à la relation entre le médecin et le malade.
Tout autre est le secret qui protège la confidence du patient. Cette
confidence assigne au praticien une forme d’impuissance, un « je ne
peux rien dire à autrui de ce que je sais ». Afin de l’inciter à faire
confiance, le droit, en l’espèce, offre au patient comme une garantie
de non trahison. Mais jusqu’où cette garantie de la loi protège-t-elle
le secret du patient ? Et quel est donc le contenu de ce secret ?
Il n’est pas aisé de répondre à cette question. Disons, dès
maintenant, que si le geste médical est complexe, pris à la fois dans
l’intersubjectivité et dans l’objectivation, le secret qui s’y attache
reflétera cette ambivalence. Trop souvent l’on imagine qu’il a un
contenu positif, le nom de la maladie, ses conséquences et son
traitement. Mais non. Il est aussi façonné par toute la relation qui
existe entre le patient et son médecin. Si la médecine se tient
toujours, même à son insu, dans un rapport au sacré, le secret en-soi
a une dimension sacrée. Il vise à préserver l’intimité, le propre 47 du
sujet, son « enveloppe narcissique ». Il jette un voile sur ce que l’on
n’a pas à connaître, quelque chose comme la nudité, qui dit aussi bien
la vulnérabilité que la misère, voire la faute. Il préserve de la honte,
et protège l’homme de la menace que représente le curieux,
l’accusateur potentiel. Il préserve le mystère de l’autre homme de la
profanation.
Or, si la médecine occidentale insiste trop sur des techniques
objectivantes aux dépens de la relation intersubjective, les hommes
iront chercher ailleurs ce qui restaure le mystère de leur existence et
le secret qui les protège. Un des signes en réside dans le recours de
plus en plus répandu aux médecines alternatives ou
complémentaires. Ce qui conforte la thèse de Simmel : le quantum de
secret demeurant inchangé, s’il diminue ici, il faut qu’il croisse là.
Le savoir

Ce qui est séparé dans le secret n’est pas d’abord un contenu mais
un savoir supposé. « C’est le savoir de la chose et non la chose elle-
même qui constitue le secret. Tout secret est un savoir et rien qu’un
savoir 48 ». Ce savoir, mis à part, écarté de la publicité, peut l’être de
différentes façons : je peux le taire, refuser de le dire à qui
m’interroge, ou le dissimuler. « Au niveau de la parole, ce sont
respectivement le non-dit, le silence en réponse à la question, le
mensonge. Au niveau visuel, c’est ne pas montrer, refuser de montrer,
montrer un maquillage 49 ». La discordance entre ce qui est et ce qui
paraît, assez vite qualifiée de « mensonge », est sans doute au fond
plus complexe. Pierre Boutang distingue quatre formes de cette
discordance : Paraît ce qui n’est pas ; Est ce qui ne paraît pas ; Ne
paraît pas ce qui est ; N’est pas ce qui paraît 50. Illustrons-les.
– Un homme vient consulter pour un grain de beauté qui a
dégénéré. Il faut faire une biopsie et seul cet examen confirmera le
diagnostic. Inutile donc d’inquiéter le patient à l’avance. Pourtant, le
médecin tremble à l’idée qu’il s’agisse d’un mélanome malin, tumeur
cutanée très grave. Alors, il cherche à rassurer son patient, à
dissimuler sa propre inquiétude. Il sera suffisamment temps
d’annoncer une mauvaise nouvelle avec le retour de l’analyse. En fait,
le résultat sera bénin, mais il ne le sait pas encore. « Paraît ce qui n’est
pas. »
– Une femme vient consulter son gynécologue pour une
colposcopie qui vise à enlever le début d’un petit cancer du col de
l’utérus. C’est un geste plutôt anodin. Elle n’en a pas parlé à ses
enfants, ni autour d’elle. Elle n’a pas besoin d’arrêt de travail : « Est ce
qui ne paraît pas. »
– Un homme vient en consultation pour un contrôle d’un cancer
dont il a été opéré deux ans plus tôt. Il va bien. Mais à l’échographie
du foie, on trouve des métastases hépatiques : son cancer a récidivé.
« Ne paraît pas ce qui est. »
– Une femme est tombée dans l’escalier et vient consulter. Elle a
de multiples hématomes. Pourtant, un doute s’installe et le médecin
se demande si elle est vraiment « tombée ». Lorsque plusieurs mois
plus tard, la même chose arrivera, ils pourront ensemble parler de la
maltraitance dont elle est victime. Il ne s’agit pas de chutes mais de
coups. « N’est pas ce qui paraît. »
Toute la question est celle de la relation à l’autre. Le tri se fait
dans deux directions : Que vais-je dire ou taire ? À qui vais-je dire ou
taire ? À cela il convient d’ajouter une troisième question tout aussi
nécessaire et peut-être préalable : Qu’est-ce que je veux savoir et
qu’est-ce que je choisis d’ignorer ? Si le secret médical est lié à un
savoir, quel est son contenu ? Est-ce un diagnostic ? (« Vous avez une
sclérose latérale amyotrophique. ») Un pronostic ? (« Vous allez
mourir dans les deux ans, en ayant perdu toute autonomie. ») Une
impression, une intuition, un pressentiment, des papiers, des résultats
d’examen des connaissances, des certitudes ? On sait depuis Socrate
que le sage « sait qu’il ne sait pas ». Ce qui est sûr ? Que le secret
médical est lié à un art de parler, lequel est aussi un art de se taire.
Parler c’est mettre à nu, se taire c’est voiler, soi ou l’autre. Mais de
même que la pudeur sait articuler vêtement et nudité, parler est
savoir articuler la parole sur le silence et séparer ce qui doit être tu de
ce qui doit être dit.
Objection ? « Moi, docteur, je n’ai rien à cacher. Vous pouvez bien
leur dire que j’ai une entorse, aux surveillants ! » Combien de fois
avons-nous entendu des réflexions de la sorte ! Effectivement, le
patient qui marche avec deux cannes anglaises affiche sa foulure.
Quel sens peut avoir le secret médical quand le patient lui-même
raconte à son voisin de palier les multiples interventions qu’il a subies
ou qu’il doit subir ? Quand, diabétique, il s’injecte de l’insuline sur
son lieu de travail ? Quand, insuffisant rénal, il doit être dialysé trois
fois par semaine ? Pourquoi défendre le secret quand il est tellement
plus facile d’avoir un dossier médical partagé entre l’hôpital et la
prison afin de gagner du temps dans la prise en charge des patients ?
La réponse à cette objection peut se décliner à plusieurs niveaux.
Le premier est simple. Nous avons connu, dans les années 1990, les
pastilles rouges collées sur les dossiers des personnes porteuses du
VIH, prétendument pour prendre garde aux gestes invasifs qu’ils
étaient amenés à subir ; puis nous avons appris qu’il faut faire
attention à n’importe quel patient si l’on veut véritablement se
prémunir. Il en va de même pour le secret. Il n’est pas résumable à un
contenu objectif. Et pour protéger les informations les plus sensibles,
il faut simplement toutes les protéger. Les solutions de masquage
informatique imaginées pour taire telle ou telle information sont en
soi une information qui révèle qu’il y a un secret. Or, Monsieur X n’a
pas forcément envie que l’on sache les circonstances dans lesquelles il
s’est fait son entorse – et peut-être mieux vaut-il que son épouse
l’ignore. Monsieur Y n’a pas forcément envie que l’on sache qu’en plus
d’être diabétique, il est porteur du virus de l’hépatite C – et peut-être
ses collègues de travail le prendraient-ils mal en effet. Enfin,
Monsieur Z, incarcéré, n’a pas forcément envie que son voisin de
palier, qui travaille à l’hôpital et a accès au logiciel, sache qu’il est en
prison alors qu’officiellement il est en voyage pour trois mois – et
peut-être cela est-il préférable pour tous. Pour autant, sur le fond, le
secret médical ne tient pas d’abord dans le fait de taire ce que l’on
sait, mais de fermer les yeux sur ce que l’on n’a pas à savoir ; et ce,
afin de protéger ceux qui se confient à nous, mais de les protéger
aussi contre notre propre curiosité. En ce sens, c’est bien une limite
au pouvoir médical que le secret devrait garantir.
Mise en scène

Dans son Ontologie du secret, Pierre Boutang établit ce qu’il


appelle une « table du secret 51 », dans lesquels les verbes se
regroupent en trois opérations distinctes : les verbes qui maintiennent
la séparation fondée par le secret (taire), ceux qui ne la maintiennent
pas en révélant le secret (divulguer), et ceux qui la maintiennent tout
en déplaçant cette séparation du fait de la confidence volontaire
(confier). Andras Zempléni ajoute une quatrième opération,
inconsciente, liée au fait que le secret « transpire », « sécrète »
quelque chose (laisser échapper 52). Le médecin et son patient
occupent de multiples places dans cette cartographie du secret.
Quelques illustrations vont mettre en lumière la complexité de ces
situations.
Si l’on étudie de près les interactions dans la relation qui met en
jeu un secret, différentes figures vont apparaître : le détenteur qui l’a
(A), le dépositaire à qui il le confie (B), le destinataire à qui on veut
le dissimuler (C), le destinataire secondaire qui n’est pas concerné
par lui mais qui n’a pas non plus à l’apprendre (D). Ces figures
peuvent se présenter sous différentes configurations, et nous pouvons
chacun occuper différentes places.
Le médecin qui apprend une confidence de son patient (détenteur
A) en devient le dépositaire (B). Mais le médecin qui apprend un
diagnostic à son patient en est la source (A). Une fois le diagnostic
évoqué, il fait de son patient le détenteur et en devient le dépositaire
(B). Les proches peuvent être tour à tour dépositaires de la
confidence (B) ou au contraire destinataires (C) selon que le patient
souhaite ou non qu’ils y soient associés. Les agents des équipes
médicales, de qui prend le rendez-vous à qui donne les soins,
s’assimilent le plus souvent à des dépositaires secondaires (B). Mais
certaines confidences n’ont pas à leur être transmises et ils sont alors
destinataires (C). Le personnel administratif de l’assurance maladie
est également dans cette situation de dépositaire (B), au regard de
certaines informations confidentielles, et destinataire, au regard de
certaines confidences volontaires. Le danger vient de ce qu’à force
d’étendre le partage d’informations, des personnes qui étaient
initialement destinataires secondaires, non concernées par le secret
(D), se retrouvent à le partager d’une façon ou d’un autre et en
ressortent dépositaires (B). Du coup, la nécessité fait loi et on en
arrive à multiplier des formalisations législatives qui finissent par être
hasardeuses, quitte à conclure qu’il y a dérogation au secret dans cette
situation sous réserve de la garde du secret.
Le médecin, lui aussi, peut se trouver placé en position de
destinataire secondaire. Le cardiologue, à qui le psychiatre envoie un
patient afin de déterminer si son état est compatible avec un
traitement à visée psychotrope, n’a pas besoin de savoir que la
dépression dudit patient vient de ce que sa femme l’a quitté ! Il n’est
pas destinataire primaire (C), puisqu’il n’est pas explicitement mis à
l’écart, mais le secret n’apportant rien à son avis cardiologique, il
devient destinataire secondaire (D). Enfin, le médecin peut
délibérément choisir de ne pas poser certaines questions pour éviter
de se retrouver le dépositaire d’un secret qui ne le concerne pas : il se
place alors volontairement en situation de destinataire secondaire
(D) ; ainsi, dans l’univers carcéral, il n’est pas utile pour le
généraliste, contrairement au psychiatre, de demander au patient ce
qui l’a conduit en prison. Cette non-question délibérée appartient
résolument au champ du secret médical. Il s’agit là de fermer les yeux
sur ce que l’on n’a pas à connaître, moyen le plus sûr ni de le dévoiler,
ni de le laisser transpirer.

Cas de conscience et complications


Surgit alors la difficulté du maintien du secret au regard des
conséquences que ce maintien peut revêtir pour d’autres. Si la finalité
du secret est de protéger le patient mais que, dans le même temps, le
secret non divulgué met en danger un tiers, il y a conflit de devoir
pour le médecin – le cas évident de maltraitance n’étant qu’un parmi
une multitude. La question qui se pose alors à lui est de savoir 1 –
comment faire pour que le tiers mis en danger soit protégé et, s’il
faut déroger au secret médical, 2 – quoi dire, 3 – à qui ?
Un patient (A), porteur du VIH, refuse d’en informer son épouse.
Il en fait la destinataire (C) de ce secret, mais pour autant continue
d’avoir des relations sexuelles avec elle. Le médecin ne peut pas
révéler ce secret à l’épouse. Il peut chercher des subterfuges, proposer
au patient de le recevoir avec son épouse afin de l’aider à en faire à
son tour une dépositaire (B). D’autres paramètres interviennent,
comme la charge virale. Si elle est négative, le risque de
contamination d’un partenaire est très faible. Néanmoins, le médecin
est pris dans un étau. Il n’y a pas de bonne solution, dans de telles
circonstances, et à chacun de mesurer ce qu’il doit taire ou dire.
Un autre patient (A) vient un jour voir le médecin de prison pour
lui confier avec peine avoir été violé par son codétenu, mais il lui dit
aussi refuser de porter plainte car il a peur. Il se trouve que le
médecin sait que ledit codétenu est porteur du VIH. Le médecin se
retrouve alors dépositaire (B) d’un double secret. La situation reste
simple s’il réussit à convaincre la personne victime du viol de se faire
examiner à l’hôpital, ce qui déclenchera la procédure. Autrement, si
le médecin estime que l’emprisonnement crée une situation de
particulière vulnérabilité, en raison de l’impossibilité physique pour
l’agressé d’échapper à l’agresseur, il peut se sentir autorisé à passer
outre et à porter plainte lui-même. Or, difficulté dans la difficulté,
l’agresseur, qui est aussi un patient, verra sa pathologie dévoilée aux
destinataires secondaires (D) que sont les autorités judiciaires, mais
aussi la personne victime. En ce cas précis, des plus épineux, c’est
bien la justice, le devoir de protéger le faible, qui l’emporte sur le
secret. S’il doute sur la conduite à tenir, le médecin aura tout intérêt à
solliciter l’avis de ses collègues au Conseil de l’Ordre afin d’éclairer sa
décision.
Voilà cependant que sourdent trois complications, à tout le moins.
La première est que le patient place le médecin à qui il se confie en
position d’un « sujet supposé savoir ». Il y a un secret du secret : le
patient croit que le médecin sait quand le médecin sait qu’il sait et
qu’il ne sait pas, mais que cela précisément, il ne peut le dire au
patient. Dans ce qu’il ne peut dire au patient, il y a tout ce qu’il
perçoit à l’insu du patient, tout ce qu’il ignore du patient ou du reste
et que le patient imagine néanmoins qu’il sait. Il y a donc une
équivoque initiale qui est inhérente à la relation médecin-malade.
La deuxième complication est que le secret exsude. Le patient
« sent » ce que le médecin tait. De même que le médecin « sent » ce
que le patient tait. Mais l’on peut se tromper, des deux côtés, sur le
contenu de ce qui est tu. Les tiers, à leur tour, peuvent imaginer qu’il
y a un secret que le médecin est supposé garder. L’administration
pénitentiaire peut conjecturer qu’un patient a « confessé » au médecin
des choses qu’il n’a pas « avoué » à la justice, alors que le contenu du
secret peut bonnement tenir dans l’inquiétude que le patient éprouve
pour les siens ou, plus simplement encore, la relation singulière qu’il
ressent avec le praticien et dont est exclu le tiers pénitentiaire qui
n’en est pas destinataire. S’instille ainsi une équivoque seconde sur le
contenu du secret.
Enfin, la troisième complication est de l’ordre des révolutions de
l’information et de la technologie. Elle arrive quotidiennement. On
sort du colloque singulier pour se retrouver dans une relation à de
multiples termes : le médecin envoie la feuille de soins à la Sécurité
sociale et cette dernière, ainsi que la mutuelle, devient dépositaire du
secret. C’est déjà beaucoup mais, désormais, l’open data n’exclut pas
l’éventualité de retrouver quelqu’un malgré l’assurance de principe
des données anonymisées. Bien que le patient n’en ait pas claire
conscience, son secret peut donc se retrouver accessible à des
destinataires secondaires (D) et lui-même peut l’ignorer ! L’extension
du partage d’informations que nous connaissons revient à
transformer des destinataires secondaires en dépositaires secondaires.
Le consentement présumé du patient suffit-il à le légitimer ? Ou,
plutôt, y a-t-il vraiment consentement ?
À ce point, deux séries de questions se posent. La première
concerne le contenu : Qu’est-ce que je dis ? Qu’est-ce que je tais ?
Qu’est-ce que je renonce à savoir ? La seconde porte sur les personnes
dépositaires : À qui je dis ? À qui je tais ? Le médecin est concerné
par les deux. Sur le contenu de l’information qu’il va donner à son
patient et sur la forme qu’il va lui conférer, il fait le tri. Sur le partage
d’informations avec d’autres, alors que la déontologie s’efforce de le
catégoriser en partage interdit, autorisé, obligatoire, mais que le
second cercle ne cesse de s’élargir dans les faits, rien n’empêche le
médecin de le restreindre et d’opérer à nouveau un tri. C’est à cette
sagesse que l’invite le serment qu’il a prononcé. Or, les conditions en
sont-elles encore réunies ?

CRISE CONTEMPORAINE

Un marqueur de mutations

La figure de l’absolu à laquelle la société se réfère tend à


influencer la façon de comprendre le secret. Aujourd’hui, celle qui
nous rassemble consiste dans les droits de l’homme : alors que
divergent les représentations du sacré, postuler la « dignité »
intrinsèque de la personne humaine permet de laïciser la sacralité de
la vie humaine. On ne peut pour autant oblitérer le fait qu’il y a
plusieurs manières de les penser, particulièrement au regard du
contrat social. Soit l’on se référera à la sphère anglo-saxonne issue de
l’habeas corpus qui place l’individu et la propriété au fondement des
droits de l’homme et l’on insistera sur la nécessité du respect de la vie
privée. Soit l’on se tournera vers la tradition française, héritière du
rousseauisme, pour laquelle l’État est le grand protecteur des citoyens
qui lui aliènent leur personne : la notion de « démocratie sanitaire »
valorisera alors la transparence de même que la circulation des
personnes et des données, à la fois pour des motifs scientifiques (faire
avancer la recherche, éviter des catastrophes) et idéologiques
(garantir administrativement l’égalité). D’où le contraste, en France :
d’une part l’État, porté par le procureur, peut déclencher une action
sans plainte en cas d’enfreinte du secret professionnel et, d’autre part,
il peut modifier la loi sur le secret professionnel en y ajoutant des
dérogations quand bon lui semble. Aurions-nous, à notre insu,
sacralisé l’État ?
Aujourd’hui, le désir de tout connaître et de tout voir, en germe
dès les premières heures de la modernité, s’accompagne de plusieurs
changements notables qui tous affectent le secret. Afin qu’advienne le
« progrès », la technique ambitionne de percer n’importe quel mystère
et requiert d’être nourrie du moindre renseignement disponible. Ce
qui compte désormais n’est plus le secret, mais le « partage
d’informations ». Mais nous sommes également passés du serment, la
foi en la parole vive, au contrat où ne fait foi que ce qui est écrit,
visible, traçable. La conception française du secret, plus absolue
qu’ailleurs, et malgré tout singulière, tend pourtant à force
d’aménagements et de dispenses à se confondre avec les autres
conceptions européennes. La législation de l’Union et les droits
propres des pays membres font de plus en plus du secret
professionnel des médecins un droit du patient qui vise à protéger sa
vie privée. La tendance générale est d’inciter, voire de contraindre le
médecin à témoigner devant la justice si son patient l’accepte ou si
lui-même a connaissance d’une menace pour autrui.

Par-delà la médecine, la quête si ce n’est la revendication de


transparence est omniprésente. Des arènes de la vie publique aux
plateaux de téléréalité, de l’installation de caméras de
vidéosurveillance au privilège architectural accordé au verre jusque
dans certains confessionnaux, sans évoquer l’étonnante campagne
« Voisins vigilants » dont le logo s’orne d’un œil digne de Big Brother,
elle se retrouve partout. Scandales politico-financiers, risques
terroristes, affaires de pédophilie sont insupportables à l’opinion qui
réclame divulgation et justice, parfois en bordure du complotisme.
Aussi n’est-il pas surprenant que la pression se fasse plus forte sur les
professions gardiennes d’un secret multiséculaire.
Enfin, la révolution technologique que nous connaissons nous
donne les moyens de la transparence dont nous rêvions. Les utopies
deviennent réalité. Il est possible de surveiller la correspondance
informatique de quelqu’un, d’écouter ses conversations à distance ou
sur son téléphone. Il est possible de stocker de multiples
informations, anonymes ou non, de les croiser pour en tirer des
conclusions que, sans nos machines, nous n’aurions pas su calculer.
Cela ouvre des perspectives intéressantes pour la santé publique,
mais à quel prix ? Qui de nous, aujourd’hui, peut maîtriser les
questions de fond soulevées par la technique, et les risques qui sont le
revers de la fascination qu’elle exerce ? Notre pouvoir de faire n’a-t-il
pas définitivement excédé notre pouvoir de comprendre et de
penser ?
Or, la notion de contrat elle-même ne va pas sans affecter les
secrets professionnels qui voient leur assise peu à peu s’effriter. Ce qui
est vrai du prêtre, de l’avocat, du médecin.

Le prêtre

Le secret de la confession est en quelque façon la matrice des


autres secrets professionnels. Il est considéré comme général et
absolu dans le droit canon. Le Code pénal de 1992 précise toutefois,
à l’adresse de l’ensemble des professions liées par le secret, qu’une
dérogation existe particulièrement dans les cas de maltraitance
contre des enfants. Ce qu’entend la pratique de l’Église : « Ainsi, un
prêtre qui reçoit les confidences de l’auteur d’un crime ou d’un délit
doit tout mettre en œuvre pour que celui-ci assume ses
responsabilités tant à l’égard de la victime qu’à l’égard de la société,
53
et se confie donc à la justice ». Néanmoins, si le pénitent s’y refuse,
que doit faire le prêtre ?
Dès 1998, les évêques français en ont clairement pris acte : le
secret de la confession reste absolu, même si le « secret confié » ne
l’est pas. « Le secret de la confession tient une place à part. Reconnu
par le Code pénal français, il n’admet pas d’exceptions. […] Un prêtre
qui entendrait en confession un confrère lui confier ses agissements
pédophiliques ne saurait jamais divulguer ce secret. Il n’aurait de
choix que de l’inciter à entrer dans une démarche sacramentelle où
l’absolution implique pour le pénitent trois conditions : le regret
sincère des fautes commises, une ferme résolution de ne plus
recommencer, et enfin une réparation des torts commis. » On peut
espérer que cette « réparation des torts commis » consiste à aller se
dénoncer à la police.
Une telle acception du secret est sans doute difficilement audible
pour nos contemporains. Mais il faut rappeler qu’il y va du strict
cadre sacramentel. En revanche, tout secret confié n’est pas absolu.
Hors confession, ce même texte incite au contraire à lever le secret
lorsque cela semble opportun : « Quatre éléments principaux doivent
conduire à réfléchir à l’opportunité de le lever : le bien public, le bien
de celui qui a livré le secret, le bien d’un tiers innocent et enfin le
bien propre de celui qui a reçu la confidence 54 ». En 2003, dans le
livret Lutter contre la pédophilie, repères pour les éducateurs, les
évêques précisent : « Celui qui est tenu au secret professionnel a la
possibilité d’informer les autorités compétentes sans encourir la
sanction prévue. Mais il n’en a pas l’obligation, la loi reconnaissant
une option de conscience ». Le texte évoque directement l’article 226-
14 du Code pénal qui expose les cas dans lesquels la loi autorise la
divulgation d’un secret professionnel, notamment les privations et
sévices infligés à un mineur ou à une personne vulnérable.
Progressivement, le législateur a souhaité protéger de toute sanction
les professionnels dénonciateurs de mauvais traitements infligés à des
o
mineurs de moins de quinze ans. La loi n 2007-297 du 5 mars 2007
a modifié l’article 226.13 en précisant que « le signalement aux
autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent
article ne peut faire l’objet d’aucune sanction disciplinaire ». Depuis
novembre 2015, le texte de loi a encore été affiné. La personne qui
fait un signalement est non seulement protégée des sanctions
disciplinaires, mais ni sa responsabilité civile et ni sa responsabilité
pénale ne peuvent être engagées par un tel signalement. Au regard
de ces évolutions, il ressort évident que sera désormais sanctionnée la
garde du secret quand sa non-levée aura empêché la cessation des
sévices.
De plus, comme les médecins et les avocats, les ministres du culte
peuvent être soumis à une saisie de document pouvant intéresser les
enquêteurs et ce, depuis la loi Perben II de 2004. Le 11 août de la
même année, une circulaire relative au « secret professionnel des
ministres du culte et aux perquisitions et saisies dans les lieux de
culte » précise aux procureurs généraux de la République les
55
conditions de telles interventions , lesquelles ne sont pas
indifférentes aux circonstances dans lesquelles a été recueilli le
secret. Ainsi, en 2001, quand les juges condamnèrent Mgr Pierre
Pican, alors évêque de Bayeux et Lisieux, pour « non-dénonciation de
crimes et d’atteintes sexuelles sur mineur », ils motivèrent leur
décision du fait que l’évêque en avait été informé non pas dans le
cadre d’une confession, mais par l’intermédiaire d’une mère de
famille venue se plaindre au vicaire général.
Dans le même temps, la jurisprudence française, à la différence de
l’anglo-saxonne, continue de préserver le sens absolu du secret
confessé par le pénitent, lequel ne peut délier son confesseur. Ce que
souligne l’avis de la Cour de cassation rendu le 19 octobre 2004 au
sujet du témoignage d’un prêtre en faveur d’une personne qu’il avait
entendue en confession se déclarer victime d’agression sexuelle de la
part de son psychiatre. Ladite personne voulait affranchir le prêtre de
son obligation au secret, mais la Cour a jugé que pareille initiative
était contraire au droit : « les ministres des cultes sont
rigoureusement tenus au secret professionnel sans pouvoir être déliés
56
de cette obligation par leurs confidents ».
Le secret de la confession a ceci de particulier dans le catholicisme
qu’à la différence de la relation avec un avocat ou un médecin, il n’y a
pas de dossier instruit, mais un échange de parole vive, unique et
non-traçable. Qu’en est-il, toutefois, des autres cultes ? À quel
moment un entretien « spirituel » est-il considéré comme relevant du
secret professionnel ? À quel moment peut-il être écouté, surveillé,
notamment à une époque où le terrorisme se revêt de couleur
religieuse ?

L’avocat

Les ministres du culte ne sont pas les seuls à voir les limites de
leur secret professionnel progressivement reculer. En France, le
Règlement intérieur national de la profession d’avocat, en son
article 2.1 dispose : « L’avocat est le confident du client. Le secret
professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et
illimité dans le temps ».
Le secret des avocats est lui aussi issu du secret de la confession. Il
n’existe pas comme tel avant la Révolution française. Seule allusion
vaguement ressemblante, qui marque par ailleurs le passage du
confesseur au confident, une ordonnance de Colbert, en 1670, règle
la pratique des lettres monitoires qui ouvrent aux autorités judiciaires
la possibilité d’imposer, par la voix des prêtres et à leur seule
destination secrète, la divulgation de toute infraction connue. Le
10 septembre 1789, l’Assemblée constituante tente d’introduire le
régime du secret professionnel entre l’avocat et son client. C’est un
échec. Est cependant reconnu le droit d’être assisté d’une personne
compétente en matière juridique. Pourtant, le 10 juin 1794, à
l’instigation du citoyen Couthon, partisan de la Terreur, la Convention
vote la « loi de prairial » : pour accélérer la procédure du tribunal
révolutionnaire, il faut supprimer les avocats, car « les innocents n’en
57
ont pas besoin et les coupables n’y ont pas droit ». Une page sombre
du passé ? À voir, car qui n’a pas entendu, dans des conversations de
salon, l’exclamation : « Moi, je n’ai rien à cacher, la transparence ne
me gêne pas ! » ?
C’est à partir de 1810, dans la suite du nouveau Code pénal
promulgué par Napoléon Bonaparte, que le secret de l’avocat connaît
un premier déploiement par analogie au secret du médecin. Son
contour sera progressivement construit par la jurisprudence. Un arrêt
de 1872 précise que « seule la conscience de l’avocat doit l’aiguiller
dans ce qui est bon ou non de divulguer ». Aujourd’hui, il est
essentiellement garanti par la loi du 31 décembre 1971, laquelle
dispose dans son article 66.5 : « En toute matière, que ce soit dans le
domaine du conseil ou de celui de la défense, les consultations
adressées par l’avocat à son client sont couvertes par le secret
professionnel. » Son principe et son étendue, considérés comme
essentiels à la mission, sont décrits dans l’article 2.2 du Règlement
national des barreaux 58. Le secret est fondé sur l’intérêt général et
relève de la protection de l’ordre public. Voilà pour la théorie.
Néanmoins, c’est un secret absolu dans son principe et relatif dans
son étendue. Toute atteinte doit être justifiée par un intérêt
équivalent ou supérieur. Or, les affaires de blanchiment d’argent et de
fraude fiscale ont conduit à des dispositions législatives qui ont limité
le secret professionnel des avocats 59. En fait, il y va d’un équilibre
entre la règle particulière et la règle générale : la règle particulière
est le droit au secret, tandis que la règle générale est la protection de
l’ordre public. Jusqu’à la fin des années 1980 la règle particulière
primait sur la règle générale. Désormais, ce n’est plus le cas. Henri
Leclerc, haute figure du barreau, ne craint pas de dire : « Le secret
professionnel n’est pas sacré. C’est une norme nécessaire au bon
fonctionnement de la justice. Il permet de mieux aider les citoyens à
se défendre et à se débrouiller dans l’inextricable écheveau juridique
60
dans lequel ils se débattent . » La Cour européenne des droits de
l’homme incline dans la même direction. Saisie en 2013 par des
avocats français contestant la validité de la transcription de
conversations entre un conseil et son client, elle a, le 24 mai 2016,
donné raison à l’État et validé plus généralement la procédure dès
lors que lesdites transcriptions font présumer « que l’avocat a
participé à une infraction 61 ».
Ce n’est pas tout. Dans un arrêt du 31 janvier 2012, la Cour de
cassation a entériné le versement au dossier de la transcription des
enregistrements clandestins effectués par le majordome de Liliane
Bettencourt dans l’affaire éponyme et contenant, entre autres, une
conversation entre cette dernière et son avocat. La Cour a précisé
dans son arrêt que ces transcriptions sont « des moyens de preuve qui
peuvent être discutés contradictoirement » et ne relèvent pas des
actes pièces pouvant être annulés. Enfin, la loi sur le renseignement
prévoit de conserver diverses métadonnées, parmi lesquelles des
informations précises sur les courriels qui, même si leur contenu n’est
pas dévoilé, en disent déjà beaucoup sur l’identité des expéditeurs et
des destinataires ou encore l’existence de pièces jointes chiffrées ou
non, toutes choses que l’on pensait couvertes par le secret
professionnel. De manière significative, le Conseil constitutionnel n’a
pas remis en cause ce texte.
Le secret professionnel des avocats est censé servir le client en vue
d’un procès légitime. Il est bien un devoir de l’avocat, et non un droit.
Il vise à protéger la présomption d’innocence. Néanmoins, les
atteintes au secret de l’avocat risquent, à terme, de devenir des
atteintes à la présomption d’innocence.

Le médecin

Le début de l’année 2016 a vu le secret médical mis à mal par la


loi de modernisation du système de santé qui a étendu la notion
d’équipe aux professionnels non sanitaires, dont les travailleurs
sociaux, élargissant du coup considérablement le cercle de ceux qui
sont autorisés à connaître des éléments jusque-là réservés. Cette loi
incite à développer un dossier médical informatisé apte à procurer un
nombre important « d’informations partagées ». Enfin, elle crée une
« base patient » dont certaines données individuelles anonymisées
seraient accessibles à des financeurs privés.
Peu auparavant, à l’été 2015, la loi sur le renseignement a établi
une liste des professions prioritairement protégées des moyens
d’écoutes et d’enquêtes qui comprend les magistrats, les avocats, les
journalistes et les parlementaires. Devant le fort étonnement que n’y
figurent pas les médecins, Jean-Jacques Urvoas, rapporteur du texte,
a déclaré le 15 février 2015 : « Je m’en remets à la sagesse de
l’Assemblée, même si, instinctivement, je ne mets pas les journalistes
et les médecins sur le même plan au regard du fonctionnement de la
démocratie. » Christiane Taubira alors garde des Sceaux, renchérit ce
même jour en précisant que, à son sens, le secret médical est
62
suffisamment protégé pour qu’il soit nécessaire de l’inclure . Est-il si
sûr cependant que le secret des médecins importe moins que le secret
des journalistes pour le bon fonctionnement démocratique ? À suivre
Michel Foucault, le champ de la médecine ayant progressivement
colonisé des domaines qui lui étaient autrefois extrinsèques 63, le
secret médical et son effacement progressif intéressent bien au-delà
de la profession proprement dite.
Cet effacement n’est cependant pas nouveau. Il est concomitant
ou presque de l’inscription du secret médical dans la loi. Alors même
qu’à la fin du XIXe siècle, l’arrêt Watelet le qualifie de « général et
absolu », sont instaurées des dérogations afin de pouvoir le
contourner en cas de danger pour l’ordre public ou pour la santé
publique, dont l’astreinte à signaler les alcooliques dangereux ou
l’obligation à déclarer les maladies épidémiques est exemplaire. En
son article 226-13, le nouveau Code pénal de 1992 remplace le terme
de « secret médical » par celui de « secret professionnel ». Déjà, les
dérogations à l’article 226-14 qui lui sont accolées le limitent et ne
feront depuis lors que s’étendre. La loi 4 mars 2002, « relative aux
droits des malades et à la qualité du système de santé », en fait non
plus seulement un devoir du médecin, mais un droit du patient.
L’intention est de protéger le patient contre le paternalisme médical
qui a fait du secret un droit du médecin qui lui était opposable. Le
règne antérieur de ce pouvoir paternaliste au sein de l’exercice
médical nuit indéniablement, aujourd’hui, à fonder en raison le secret
médical. Pour autant, il y a bien un lien entre secret et pouvoir. Qui
détient un secret, détient un pouvoir. Comment défendre ce secret
autrement qu’en défendant un certain pouvoir médical ? Faut-il
même le défendre ? Nous disons que oui.

Au prisme de la prison

La prison contemporaine, construite depuis sa naissance au début


e
du XIX siècle selon le principe panoptique, principe de surveillance et
de prévention qui suppose de « tout voir », s’accommode mal du
secret qui lui est opposé. Elle demeure un lieu caché, dissimulé vis-à-
vis de l’extérieur, dérobé au regard de la multitude, hier par ses hauts
murs au cœur de la ville, aujourd’hui par sa situation périphérique
hors de la cité.
Celles et ceux qui fréquentent la prison savent combien elle est
une loupe qui met au jour les questions travaillant la société dont elle
est issue. Dans l’étrange laboratoire qu’elle constitue et qui n’est pas
le moindre de ses intérêts, on peut pressentir les forces qui sont à
l’œuvre de façon plus discrète dans le reste du corps social. C’est
aussi un lieu précurseur : ce qui advient en prison finit par arriver
partout ailleurs et par s’appliquer à tous. Des exemples ? Les mesures
biométriques réservées au XIXe siècle aux délinquants sont désormais
requises pour l’établissement d’un simple passeport. L’œilleton s’est
généralisé sous la forme de la caméra de vidéosurveillance, appelée
vidéoprotection pour agrémenter le dispositif. Le placement sous
surveillance électronique (PSE) pourrait être, demain, étendu aux
maisons de retraite au motif de retrouver les personnes égarées. Le
principe panoptique, de permanent en prison, devient ainsi usuel
dans les mœurs.
Or, il est certain que le secret médical est menacé en milieu
carcéral à la même mesure, extrême, qu’il l’est en milieu
psychiatrique : les lieux de privation de liberté, que sous-tend
la nécessité pour le plus grand nombre de se prémunir contre la
« dangerosité potentielle » de quelques-uns, notion vague s’il en est,
s’accommodent mal du secret. La prison, là encore laboratoire ?
Depuis longtemps déjà, la question qui domine les débats entre
l’administration sanitaire et l’administration pénitentiaire y est celle
du partage d’informations. Depuis longtemps déjà, les évolutions
législatives afférentes à ce partage y ont notablement élargi le cercle
des personnes susceptibles d’avoir accès à des informations
strictement médicales. Depuis longtemps déjà, l’utilisation de
l’informatique y a démultiplié de manière exponentielle l’accès et
l’usage dudit partage. Depuis longtemps déjà, le biais majeur
qu’induit le fait de mettre en avant le partage d’informations plutôt
que le secret professionnel redouble la confusion entre la
possession de l’information, l’obtention de l’information et la livraison
de l’information que l’ascèse à laquelle oblige le secret précisément
contredit en les distinguant et en les opposant. Aussi les difficultés
rencontrées en prison laissent-elles présager ce qu’il en sera des
difficultés auxquelles devra faire face dans un avenir proche
l’ensemble de la société. Ou, plutôt, est-ce déjà le cas puisque la
nouvelle loi de santé portée par Marisol Touraine et promulguée le
26 janvier 2016 n’a envisagé rien moins que le partage d’informations
pour tous !
Si ce qui gouverne la modernité panoptique est la présomption de
culpabilité, il n’est guère étonnant qu’en prison, où sont enfermés des
coupables, on ne prenne pas de gants avec l’intimité. La croyance
dominante selon laquelle « la surveillance renforce la contrainte à
bien se conduire » s’inscrit là dans la contenance et le corps des
personnes par la fouille du courrier, de la cellule et de la chair elle-
même, à nu. L’idée que le secret ne protège que ceux qui ont quelque
chose à se reprocher n’est pas loin. À quoi bon, dès lors, protéger le
secret médical des détenus ? Ce raisonnement méconnaît une
expérience commune à ceux qui, un jour, se retrouvent en prison
pour quelque raison que ce soit : le fait que la vie bascule peut arriver
à tous. Autrement dit, que les personnes détenues sont absolument
comme eux, à savoir comme nous. Le nier autorise à
momentanément oublier que « rien de ce qui est inhumain ne m’est
étranger », mais accroît le risque d’entraver le retour à la société de
quiconque en aura été, un temps, écarté.

VIATIQUE

Aux confins de ces mutations, naît un constat. La pensée


commune repose sur la conviction que le mystère serait un obstacle à
la science, et le secret un obstacle à la surveillance. Alors que nous
sommes désormais tous épiés, nous voilà tous des coupables
potentiels, à l’instar des détenus qui le sont plus que nul autre. Où se
cacher lorsque l’on est pris entre le contrôle généralisé, la vigilance
organisée et le big data sanitaire ? Où se cacher pour dire que l’on
n’est pas réductible à ce que les autres voient de nous, croient savoir
de nous, estiment comprendre de nous ? Comment prétendre encore
dire l’innocence ?
« Ce qui menace le plus l’intimité dans nos sociétés, écrivait Jean
Baudrillard, ce n’est pas tant la promiscuité que la transparence. […]
64
L’exhiber, exprimer la “vérité nue”, c’est la pornographie totale ». La
garde du secret permet de préserver un lieu de vérité, c’est un
antidote à cette pornographie, au nom de la présomption d’innocence
dont nous nous targuons sans la vivre, puisque tout nous porte à
croire que nous sommes des présumés coupables qu’il convient de
surveiller. Roland Gori assume avec panache son attachement au
secret, dans une pétition de principe que l’auteur du présent ouvrage
signe des deux mains : « Face à ces exigences de transparence et de
visibilité qui hantent nos sociétés modernes au nom d’une volonté de
vérité qui n’est que la revendication tyrannique d’une “prodigieuse
machinerie destinée à exclure”, je revendique désespérément et
65
mélancoliquement le droit au secret ».
Parce qu’il est obstacle à la transparence, le secret est lui-même
suspect de recouvrir la faute. Pour des motifs différents, le prêtre,
l’avocat, le médecin, sont parfois amenés à connaître ou percevoir des
éléments qui nuiraient à la présomption d’innocence de celui qui se
confie à eux, s’ils étaient sus de tous. Aussi, sous la pression actuelle,
les trois grands secrets professionnels évoluent-ils de conserve. La
possibilité de se présenter en vérité, sans danger, devant quelqu’un
habilité à cette fin est pourtant une nécessité pour le corps social. Le
fait que le secret soit illimité dans le temps est aussi essentiel : cela
permet de n’être pas lié par un destin, mais de recommencer « à
neuf », de construire une destinée. Le destin, ce serait croire que si
j’ai volé aujourd’hui, je volerai demain. La destinée, quand un jour j’ai
volé, c’est choisir de ne plus voler.
Qu’en sera-t-il demain de cette liberté, singulièrement au regard
du secret professionnel du médecin qui nous concerne tous et que
chacun de nous rencontre si habituellement ? Dès lors que le dossier
médical, informatisé, doit pouvoir être renseigné par des personnes
interchangeables, la continuité de relation, dans laquelle un secret
peut être tu, est remplacée par la traçabilité du dossier, dans lequel
n’est transmis que ce qui est écrit. Jusque dans la relation de soin, ce
qui était réservé autrefois aux seuls délinquants est généralisé à tous :
nous sommes sanitairement surveillés, car potentiellement coupables
d’une faute dont la traçabilité pourra permettre de déterminer la
responsabilité.

Cet essai défend donc l’idée que ce qui fonde le secret est bien la
présomption d’innocence. Nous ne pourrons arrêter le mouvement
qui dessine l’effacement des secrets professionnels et autres. La
seconde partie de cette étude s’attache à expliquer pourquoi et
comment, en s’appliquant au seul champ de la médecine car là se
joue, certes comme ailleurs et néanmoins plus communément,
quotidiennement, ordinairement qu’ailleurs, cette partie décisive. Ce
faisant, à démonter les mécanismes et biais de l’inquiétante dérive à
laquelle est soumis le secret médical, elle peut offrir quelque moyen
de résister et raison d’espérer.
Là où ils sont, chacun de celles et ceux qui auront pris soin de
garder du mieux qu’ils peuvent le secret de leurs patients, non
seulement en se taisant, mais aussi en fermant les yeux sur ce qui ne
les regarde pas, auront contribué, en effet, à enrayer les pires
conséquences de cette inquiétante dérive. Ils auront permis la vie
commune, auront aidé à la bonne marche de la démocratie, en
instillant cette vieille et indispensable vertu, la confiance, qui jamais
ne se contente d’un contrat.
À une époque où domine la présomption de culpabilité, il faut
retourner à l’éthique d’Hippocrate : restaurer du secret, c’est restaurer
de l’innocence, au sens du « hors-champ », hors incrimination. C’est
fermer les yeux sur l’ultime lieu qui reste à nos patients, leur intimité
la plus intime, leur corps et ses symptômes. Jeter un voile et décider
de ne pas savoir ou de ne pas comprendre ce qui ne nous concerne
pas. Et par là leur donner de l’air, restaurer du possible, de la liberté,
hors-destin.
2.

Un serment ou un contrat ?

NAISSANCE DU SECRET MÉDICAL

Nous avons reçu et conservé d’Hippocrate son serment par lequel


le médecin s’engage publiquement. Nous avons reçu de la République
un contrat social dans lequel s’inscrit le contrat entre le patient et son
médecin. Mais le second n’a pas gommé le premier. Le serment,
prononcé le jour de sa soutenance de thèse, est une parole publique
qui engage le médecin moralement. Il est performatif. Il est aussi une
parole vive qui fait ce qu’elle dit au moment même où elle le dit mais
engage également l’avenir, qui est promissoire et non seulement
assertoire.
Le serment d’Hippocrate avait un caractère religieux : « Je jure
par Apollon médecin ». Qui aujourd’hui prête un serment de cette
sorte et où ? Trois lieux se distinguent. D’abord, la nef de l’église
cathédrale ou conventuelle dans laquelle les candidats au presbytérat
ou à la vie religieuse prononcent leurs vœux, dont l’obéissance à leur
supérieur. Ensuite, l’enceinte professionnelle, lors de l’entrée dans le
métier des nouveaux médecin ou avocat, le prononcé de
l’engagement servant rituellement de passage initiatique. Enfin, la
salle de tribunal où les témoins jurent de dire la vérité de manière là
purement assertoire contrairement aux deux précédents, alors que les
juges font encore serment de garder « religieusement » le secret
confié.
De tous, le serment du médecin est le plus encadré par la
législation. L’article 109 du Code de déontologie médicale, en
parallèle de l’article R.4127-109 du Code de la santé publique,
dispose que : « Tout médecin, lors de son inscription au tableau, doit
affirmer devant le conseil départemental de l’Ordre qu’il a eu
connaissance du présent code et s’engager sous serment et par écrit à
le respecter. » Ce même Code de déontologie médicale est publié sous
forme de décret en Conseil d’État – en vertu de l’article L.4127-1 cette
fois du Code de la santé publique auquel il est intégré depuis
mars 2002. Il sert de référence à la juridiction professionnelle. Le
commentaire du Code de déontologie ajoute cette précision : « Le
nouveau médecin prête serment, lors de la soutenance de sa thèse de
doctorat ou au cours d’une cérémonie collective organisée par
l’Ordre. La prestation orale se double d’un engagement écrit lors de
son inscription au tableau de l’Ordre 1. »
Il existe plusieurs versions actualisées du serment d’Hippocrate.
Deux d’entre elles importent ici par la manière dont y est formulé de
ce qui relève du secret et de l’engagement. Une, assez longue,
proposée par le professeur Bernard Hoerni, commence ainsi :

Admis(e) dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets


qui me seront confiés. Reçu(e) à l’intérieur des maisons, je
respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira
pas à corrompre les mœurs. Je ferai tout pour soulager les
souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies.
Je ne provoquerai jamais la mort délibérément 2.
Une autre, plus courte mais plus détaillée sur la question du
secret, est proposée par la faculté de médecine de Paris V :

Je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et


de la probité dans l’exercice de la Médecine. Je donnerai
mes soins gratuits à l’indigent et n’exigerai jamais un
salaire au-dessus de mon travail. Admis dans l’intérieur des
maisons, mes yeux ne verront pas ce qui s’y passe ; ma
langue taira les secrets qui me seront confiés, et mon état
ne servira pas à corrompre les mœurs ni à favoriser le
crime. Respectueux et reconnaissant envers mes Maîtres, je
rendrai à leurs enfants l’instruction que j’ai reçue de leurs
pères. Que les hommes m’accordent leur estime si je suis
fidèle à mes promesses ! Que je sois couvert d’opprobre et
méprisé de mes confrères si j’y manque 3.

Le serment n’est pas un contrat. Le serment engage la parole et


l’honneur. Il est sans preuve et sans appui autre que la confiance dans
la parole donnée. Le serment relève de l’échange symbolique, là où le
contrat veut mesurer la symétrie du donnant-donnant et la fixer par
écrit. Le serment nous rappelle que le secret médical, tel que le
pensait Hippocrate, relève de la seule vertu, et que la vertu ne
s’inscrit pas dans une convention. On peut être scrupuleux et
observer la loi dans sa lettre, sans être pour autant vertueux.
Lorsque le médecin prononce son serment devant ses pairs,
persiste un reliquat de la puissance de la parole performative qui fait
ce qu’elle dit. Mais le Code de déontologie ne peut se satisfaire du
seul serment. Il veut aussi la preuve écrite, traçable, qui signifie au
nouveau médecin qu’il accepte les règles dictées par l’Ordre
professionnel, lesquelles sont désormais intégrées au Code de la santé
publique. Notre confiance en la parole aurait-elle tant faibli que nous
ayons absolument besoin du support de l’écrit pour vérifier nos
engagements ?

Hippocrate, le texte et son contexte

Que dit le texte originel, en grec, que la tradition attribue à


Hippocrate (460-377), qui figure de fait dans le recueil intitulé
Collection hippocratique et que les historiens datent du IVe siècle av. J.-
C. ? Parmi les diverses traductions existantes, voici celle qu’en donne
l’helléniste et spécialiste de la médecine antique Jacques Jouanna :

Je jure par Apollon médecin, par Asclépios, par Hygie et


Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les
prenant à témoin, de remplir, selon ma capacité et mon
jugement, ce serment et ce contrat ; de considérer d’abord
mon maître en cet art à l’égal de mes propres parents ; de
mettre à sa disposition des subsides et, s’il est dans le
besoin, de lui transmettre une part de mes biens ; de
considérer sa descendance à l’égal de mes frères, et de leur
enseigner cet art, s’ils désirent l’apprendre, sans salaire ni
contrat ; de transmettre les préceptes, les leçons orales et le
reste de l’enseignement à mes fils, à ceux de mon maître, et
aux disciples liés par un contrat et un serment, suivant la
loi médicale, mais à nul autre.
J’utiliserai le régime de l’utilité des malades, suivant mon
pouvoir et mon jugement ; mais si c’est pour leur perte ou
pour une injustice à leur égard, je jure d’y faire obstacle. Je
ne remettrai à personne une drogue mortelle si on me le
demande, ni ne prendrai l’initiative d’une telle suggestion.
De même, je ne remettrai pas non plus à une femme un
pessaire abortif. C’est dans la pureté et la piété que je
passerai ma vie et exercerai mon art. Je n’inciserai pas non
plus les malades atteints de lithiase, mais laisserai cela aux
hommes spécialistes de cette intervention. Dans toutes les
maisons où je dois entrer, je pénétrerai pour l’utilité des
malades, me tenant à l’écart de toute injustice volontaire,
de tout acte corrupteur en général et en particulier des
relations amoureuses avec les femmes ou les hommes,
libres ou esclaves. Tout ce que je verrai ou entendrai au
cours du traitement, ou même en dehors du traitement,
concernant la vie des gens, si cela ne doit jamais être répété
au dehors, je le tairai, considérant que de telles choses sont
secrètes [arrêta].
Eh bien donc, si j’exécute ce serment sans l’enfreindre, qu’il
me soit donné de jouir de ma vie et de mon art, honoré de
tous les hommes pour l’éternité. En revanche, si je le viole
et que je me parjure, que ce soit le contraire 4.

Il s’agit donc d’un serment, mot qui en français provient du latin


sacramentum, issu du verbe sacrare, « consacrer, rendre sacré » et de
l’adjectif sacer, « sacré ». Le terme grec arrêta, particulièrement lourd
de sens, n’a pas moins une connotation religieuse : il désigne les
secrets auxquels on doit être initié et que l’on ne saurait révéler à
n’importe qui. D’où la version d’autres traducteurs : « Je les tairai,
sachant que ces choses-là ont droit au secret des mystères 5 ». Dans
tous les cas, il y a bien, dès l’origine, une dimension sacrée à ce
serment.

Persistance de la dimension sacrée


Le secret revêt un double sens dans ce serment, un sens initiatique
et sacré, l’initiation aux mystères de la médecine, et un sens éthique,
l’apprentissage d’une science des limites, ce qu’il ne faut pas faire, ce
qu’il ne faut pas dire. Ces deux sens sont tangents l’un à l’autre.
Le sens initiatique est transmis entre hommes, de maître à élève,
la médecine étant dès son origine, on l’a dit, à la fois sacrée et
transgressive. Considérer qu’aujourd’hui elle ne serait plus ni l’un, ni
l’autre reviendrait à beaucoup s’avancer. Si, dans sa forme
contemporaine et technoscientifique, elle croit avoir renvoyé le
discours des mythes à une époque révolue, rien n’est moins sûr à y
regarder de près. Il suffit de se pencher sur la chronique des dieux, à
commencer par Asclépios, que le serment ne manque pas d’invoquer.
Le mythe relate qu’Athéna donne à Asclépios deux fioles du sang
de Méduse afin qu’il en use auprès des mortels : avec celui pris de la
veine gauche, il pourra leur assurer la vie ; avec celui pris de la veine
droite, il pourra leur administrer la mort. Mais Asclépios outrepasse
la prescription en tentant de rendre la vie non pas à un malade, mais
à un cadavre ! Hadès s’en plaint à Zeus et Asclépios périt foudroyé à
la suite de cet acte de démesure. C’est qu’il s’est rendu coupable
d’une double transgression. La première, cosmique, touche au sens de
l’univers : en abolissant la limite qui sépare les hommes mortels des
dieux immortels, il a causé du désordre dans l’ordre, du chaos dans
l’harmonie universelle. La seconde, éthique, touche au sens de la
médecine : « en négligeant la différence entre les mortels vivants et
les mortels morts, il a perverti la médecine en changeant son statut
d’entreprise de sauvetage en entreprise de salut 6 ». Asclépios,
complète le mythe, a eu deux fils, Machaon et Podalire. Machaon a
reçu de son père le don de guérir les plaies, d’extraire les flèches et de
pratiquer les incisions, tandis que son frère a appris l’art de guérir les
maladies. Manière de dire que la chirurgie et la médecine, si elles
sont sœurs jumelles, restent séparées. L’une ouvre le corps et en
connaît le secret, l’autre non.
Le désir d’efficacité ou de modernité ne saurait épuiser le souci de
sacralité. La leçon perdurera jusqu’au haut Moyen Âge. L’érudit
Cassiodore nous rapporte qu’au VIe siècle encore « les médecins sont
7
consacrés par des serments analogues à ceux des prêtres ». Certes,
pour Hippocrate les maladies ont une cause naturelle et non plus
surnaturelle que l’on peut étudier et comprendre. Dans ses propres
termes, « l’art se compose de trois termes : la maladie, le malade, le
médecin 8 ». Néanmoins, une initiation est indispensable pour
apprendre à naviguer si près de la frontière de la mort et, dans La Loi,
il ajoute : « Les choses sacrées ne se révèlent qu’aux hommes sacrés,
mais il n’est pas licite de les confier aux profanes avant qu’ils ne
9
soient initiés aux mystères de la science ». Platon, qui est
contemporain de l’auteur du serment, explique dans son traité quasi-
éponyme Les Lois qu’il y a effectivement deux sortes de médecins, et
que seuls les médecins « libres » bénéficient d’une véritable initiation,
ce qui les rend aptes à soigner les hommes de même condition. Les
seconds, libres ou esclaves, sont des assistants car ils n’ont pas été
initiés et « c’est en exécutant les prescriptions du maître, en le
regardant faire, et par routine, qu’ils acquièrent la pratique de
10
l’art ».
L’autre sens du secret que manifeste le mythe est la limite. Dans
une démonstration convaincante, Jean-Pierre Baud rappelle que
l’oikos antique est le « lieu de la domestication, c’est-à-dire [le]
premier stade d’humanisation permettant d’accéder ensuite à la
civilisation 11 ». Au sein de la maisonnée, qui comprend parents,
enfants, esclaves et animaux, règne le despote domestique. Mais la
gardienne du secret, qui veille sur la naissance et sur la mort, qui
connaît les lois, qui sait les nourritures, les remèdes, et même les
poisons, c’est la matrone, la femme initiée à l’écart des hommes par
12
les femmes qui l’ont précédée et initiatrice de celles qui la suivront .
Elle est la dépositaire de l’intimité dans laquelle le médecin est
autorisé à entrer sous condition, comme le serment l’y engage, de ne
13
pas la menacer . Au plus intime, au cœur des secrets de la
maisonnée, il y a en effet le « secret du secret », le corps de la femme,
son ventre. Il en va de la gestation comme de la chirurgie : il faut
laisser l’une comme l’autre à celles et à ceux qui savent. La femme est
sage en tant qu’elle est aussi sage-femme, mot qui habite la mémoire
du français même si nous en avons perdu le sens plénier : c’est elle
qui sait l’enfant viable, quoi faire et comment le faire. Le secret des
femmes est un savoir. Ce que Hippocrate en connaît et en transmet,
ce n’est que par ouï-dire.
En revanche, c’est bien la médecine scientifique, qui en tentant
d’arraisonner la profession de sage-femme, a mis la main sur le secret
que recèle le corps féminin. « L’apparition de l’obstétrique masculine
fut une des façons de reléguer aux fourneaux la maîtresse de la
vie 14 ». Soyons anachroniques un instant : la récente polémique
afférente au toucher vaginal et rectal sur des patients endormis par
anesthésie générale montre jusqu’où ce système de pouvoir médical a
pu aller dans sa grande et sidérante naïveté ; mais le corps des
femmes visité par les doigts des hommes pendant qu’elles dorment,
n’est-ce pas la vérification symbolique que le secret s’est effondré ?

Une éthique des yeux fermés

Les « choses secrètes » dont fait mention le Serment traduisent le


grec arrêta. Le mot arrêta vient de a- privatif, rêtos « déclaré, avoué ».
On ne sait si l’origine de ce mot est juridique ou religieuse. On
retrouve le terme arrêton chez les premiers penseurs chrétiens,
notamment au sein du courant apophatique, autrement dit de
théologie négative, qui choisit de définir Dieu par ce qu’il n’est pas
plutôt que par ce qu’il est afin de ne pas le réduire à nos schémas.
Ainsi le Pseudo-Denys, dans le traité Les noms divins, qualifie la
15
transcendance divine d’ineffable, arrêton .
L’irrécusable dimension de mystère dans l’indicible auquel doit se
tenir le médecin dépasse donc le simple fait de filtrer ce qu’il doit
e
taire. Parmi les traductions latines du VI siècle que cite Mirko Grmek,
l’une rend d’ailleurs arrêta par mysteria, l’autre par arcana 16. Or
« arcane » est aussi un terme utilisé dans le registre religieux.
Certains théologiens ont ainsi mis en avant la « discipline de
l’arcane » pour signifier la réserve nécessaire à la foi : à mesure que
l’on y entre, doit aussi grandir la retenue qui permet de ne pas
17
bavarder sur l’inconnaissable, ce qui serait une profanation . De
surcroît, le mot mystère vient du grec muô qui évoque non seulement
la fermeture de la bouche, mais aussi la fermeture des yeux.
L’éthique médicale que fonde le serment rapporté à Hippocrate est
essentiellement une éthique de la limite, au sens du grec peras 18 qui
permet de distinguer la forme de l’informe. Le médecin n’est pas dieu,
même si la médecine, par son accointance insoumise avec la vie et la
mort, pourrait le lui faire croire. Raison pour laquelle, parce qu’il y a
du sacré dans cet art, il doit apprendre à se taire et, surtout, à clore
son regard sur ce qu’il n’a pas à connaître.

Le rapport au corps « ouvert »

Si la médecine entretient un rapport certain au sacré, c’est encore


plus vrai de la chirurgie. Par la dimension immédiatement
transgressive qu’elle revêt, l’ouverture du corps a longtemps été
interdite ou, à tout le moins, ritualisée. Le phénomène a été tel que le
chirurgien Michel Caillol a pu y consacrer une thèse de philosophie
qui fait sa part à l’histoire. Aussi loin que l’Antiquité égyptienne, ceux
qui ont un savoir de l’anatomie du corps sont les embaumeurs, bien
plus que les médecins, et n’ont droit d’intervenir sur les cadavres que
dans un cadre religieux. A contrario, Hippocrate, et son école à sa
suite, ne dissèque pas. On ne lui attribue que peu de traités de
chirurgie, six exactement et exclusivement consacrés aux « fractures,
articulations et plaies de la tête ». La prévention subsiste à Rome où,
en 219 av. J.-C., s’illustre un dénommé Achagatos, lequel tombe
cependant vite en disgrâce sous le sobriquet de carnifex, « bourreau »
et « boucher », tant il est vrai que le chirurgien s’apparente aux deux
au point de se confondre avec eux s’il oublie la finalité de son geste.
Mais c’est au début de notre ère que l’œuvre de Galien (130-216 ?)
marque un tournant. Ce Grec, médecin des gladiateurs à Pergame
avant d’être appelé auprès des empereurs romains, dont Marc Aurèle,
pratique des vivisections animales, principalement sur des singes,
pour confirmer ses théories, ce qui le conduit à des erreurs sur
l’anatomie humaine. L’influence de sa physiologie ne va pas moins
s’étendre jusqu’au Moyen Âge.
La réprobation du christianisme latin à l’égard du corps charcuté
e
est nette. Elle prend un tour canonique au XII siècle. Déjà, en 1130, le
concile de Clermont a voué à l’excommunication les chevaliers qui se
livrent aux tournois pour la raison fondamentale que, à vouloir faire
couler le sang, ils ouvrent les corps. Dans la foulée, en 1163, le
concile de Tours se fait encore plus explicite et excommunie les
clercs, dont forcément les médecins, qui pratiqueraient la chirurgie
selon le principe que Ecclesia abhorret a sanguine, « l’Église hait le
sang ». Parue le 27 septembre 1299, la lettre décrétale du pape
Boniface VIII Detestande feritatis entérine la condamnation : le
dépeçage des cadavres et leur démembrement ne sont pas
compatibles avec la foi de l’Église. Son retentissement est tel qu’il
stoppe la pratique alors émergente de l’autopsie. L’Islam, à la même
époque, interdit aussi toute forme de dissection.
À partir de là, la séparation entre l’art des médecins, noble, et la
profession des barbiers-chirurgiens, souvent illettrés, parfois un brin
charlatans, voire barbiers de foire, est consacrée. Si les fractures
restent du domaine des premiers, tout ce qui a trait au sang et à son
anathématisation ressort des seconds. La confrérie des saints Côme et
Damien, jumeaux thérapeutes et thaumaturges, qu’institue Louis IX
en 1268 en faveur des maîtres chirurgiens-barbiers issus de
l’université n’y change rien. Le conflit entre les deux corporations est
e
appelé à perdurer jusqu’au XVI siècle. S’il a perdu sa virulence
aujourd’hui, la distinction néanmoins demeure.
Pour autant, pas plus qu’en médecine, le sacré n’a disparu en
chirurgie. Simplement, il se déguise. Michel Caillol décrit volontiers
la scène du bloc opératoire comme un rituel religieux 19 : sur l’autel
repose la victime, exposée, déshabillée, peinte (à la Bétadine), alors
qu’autour d’elle des grands prêtres se font habiller par des acolytes
(les infirmiers), glissent leurs mains dans une seconde peau (les
gants), s’emparent du couteau (le scalpel) et s’apprête au sacrifice
(ouvrir le corps du patient). À quoi il faudrait ajouter le rituel
parallèle de l’anesthésiste qui fait mourir (l’endormissement) et qui
fait ressusciter (le réveil). Traces matérielles du sacré, mais qui
peuvent être aussi immatérielles : à la différence du chirurgien, le
psychiatre n’opère pas, il n’a ni décor, ni instruments, mais n’arrive-t-
il pas que nous lui prêtions quelque peu le pouvoir de lire dans les
pensées ? Tout exercice thérapeutique participe inévitablement de ce
qu’Otto a nommé le « numineux 20 ».

Un héritage à éclipse
S’agissant de la notion de secret médical, y a-t-il pour autant
continuité entre la formulation inaugurale d’Hippocrate et
l’inscription légale de 1810 ? Au long des trois articles qu’il publie
dans le Concours médical courant 1963, Mirko Grmek s’attache à
montrer qu’elle n’est pas assurée. Le droit romain classique ne fait pas
mention de la nécessité de la discrétion et Galien, quoique lecteur de
la Collection hippocratique, n’aborde jamais la question. Tout juste
trouve-t-on une réflexion de Cicéron qui aurait écrit dans De Officiis :
« Les médecins qui pénètrent sous le toit et dans les chambres à
coucher d’autrui doivent cacher beaucoup de choses, même sous
21
l’offense, quoiqu’il soit difficile de se taire quand on pâtit . » Il s’agit
là encore de morale, de bonne conduite et en aucun cas de
prescription.
Il n’est pas surprenant que cette éthique ne s’inscrive pas dans ce
que nous appelons aujourd’hui le droit. Ce serait un anachronisme
que de la chercher dans un corpus de textes législatifs. Pour Aristote,
par ailleurs fils de médecin, le but de la justice est que « chacun ait le
sien », autrement dit que lui soit rendu ce qui lui revient ; il a fort
bien établi, en conséquence, la différence entre la justice générale –
l’observance de la moralité – et la justice particulière – la vertu du
jugement 22. Le légal n’est pas l’égal, encore moins la juste proportion.
Quant au droit, il ne se déduit pas des textes de loi, mais se nourrit
de la confrontation des opinions : il est jurisprudentiel. Vu sous cet
angle, ce qui relève des mœurs du médecin, spécialement le secret,
n’a donc rien à voir avec le droit, mais appartient à la sphère de la
moralité.
La discrétion d’Hippocrate n’a cependant pas été totalement
oubliée par les lettrés : saint Jérôme (347-520) l’évoque dans une
lettre qu’il écrit depuis Bethléem à Néponien, neveu d’Héliodore :
« Hippocrate adjure ses disciples avant de les instruire, puis il les
force à répéter son propre serment. Il exige qu’ils gardent le silence ;
23
leur langage, leurs attitudes, leurs mœurs, il décrit tout avec soin ».
Les manuscrits latins qui font état d’une nécessaire discrétion au
cours du Moyen Âge sont également rares. Il faut dire que la
médecine s’est réfugiée dans les monastères depuis les invasions
barbares et qu’elle tient, depuis, peu de place. De surcroît, les notions
d’individu et de vie privée ne sont pas celles que nous connaissons
aujourd’hui. Aussi, à l’instar des penseurs dominants du monde
chrétien, ne trouve-t-on rien à ce sujet dans les œuvres ni de
Maïmonide, ni d’Avicenne ou encore d’Averroès. Des traces s’en
trouvent chez certains de ces médecins juifs ou musulmans du Moyen
Âge qui ont gardé mais aussi enrichi les traditions grecques et
égyptiennes, permettant ainsi qu’elles arrivent jusqu’à nous. Au
e
VII siècle, Asaph de Tibériade rédige en hébreu, comme le souligne
Isidore Simon, une variation sur le serment hippocratique : « Vous ne
divulguerez aucun des secrets qu’on vous a confiés et n’accepterez à
aucun prix de nuire ou de détruire 24. » Au XIe siècle, Ahmad ibn
e
Muhammad Abu Jaafar al-Ghafiqi et, au XIV siècle, Ibrahim al-Misri
al-Shadhili font de même en arabe, comme le montre Grmek. Ce qui
là aussi, sans être rien, est peu.
En revanche, de multiples sources historiques signalent
l’obligation pour les praticiens de dénoncer les maladies
pestilentielles, voire les éclopés alors qu’aucune ne les dispensent de
témoigner en justice. Ainsi, « en 1281, le Grand Conseil de Venise
donne l’ordre à tous les médecins de la République d’avertir les
autorités de toute blessure soignée » 25. Simultanément, la même
littérature ne craint pas de décrire précisément et nommément les
pathologies de personnages connus. Pis, s’il existe bien un droit
médical au Moyen Âge, le ton des décisions produites, ainsi que le
note Jean-Pierre Baud, dépeint moins le médecin comme un héros
moral que, plus prosaïquement, comme « quelqu’un qui cherche à
26
faire de l’argent ». Mais il est pertinent de se rappeler, avec Sylvain
Missonnier, que « l’un des premiers sens du mot soignier renvoie au
fait de “pourvoir au besoin matériel de quelqu’un” et plus
trivialement, à la fréquentation des marchés pour se procurer des
marchandises… contre paiement. La réciprocité de l’échange
marchand est bien ici la matrice sémantique du soin 27 ». Enfin, le
secret médical n’apparaît pas dans les statuts de la Faculté de
médecine de Paris en 1270, ni dans leurs révisions successives
en 1281 et 1350. La question, de fait, concerne peu de monde, ladite
e
faculté ne comptant au XIV siècle que dix à quinze élèves. C’est
seulement en 1598 que l’on pourra lire dans les statuts rénovés :
« Que personne ne divulgue les secrets (arcana) des malades, ni ce
28
qu’il a vu, entendu ou compris . » Et ce, au moment même où le
corps a commencé de perdre de son mystère avec les « ouvertures »
faites par les barbiers.
Entre-temps, dans l’ensemble de la Christianitas, l’Occident
médiéval et latin qui a modelé la culture européenne, le lieu de
l’intime aura été pris en charge par l’Église. Pendant près d’une
dizaine de siècles, le secret aura été abrité par une autre instance, le
secret de la confession, qui l’aura fait voyager jusqu’à nous.

L’ESQUISSE RENAISSANTE DU CONTRAT

Réapparitions

Avec la Renaissance, si l’univers perd de son mystère, le corps


humain commence à être connu de l’intérieur sous la forme du
cadavre que l’on peut disséquer. Le mot « autopsie », littéralement
l’« action de voir de ses propres yeux », comportait dans l’Antiquité
un sens mystique désormais oublié, mais dont se souvenait encore
l’abbé Mallet dans l’Encyclopédie de 1751 : « un état de l’âme où l’on
avait un commerce intime avec les dieux 29 ». Sans doute faut-il voir
là, paradoxalement, la clé qui va ouvrir la médecine au retour du
secret et où il va servir d’antidote à la désacralisation du corps,
symptôme d’une modernité qui a transféré le regard qui s’adressait au
divin à l’examen de la dépouille humaine.
C’est à la Renaissance que réapparaît le secret médical porté,
selon Mirko Grmek, par la haute figure de l’Italien Gabriele Zerbi
(1445-1505). Ce médecin qui enseigne son art à l’université de
Bologne publie, en 1495, un Opus perutile de cautelis medicorum dans
lequel il donne le conseil explicite « de garder les secrets des malades
et de ne point parler des maladies traitées et des soins prodigués 30 ».
Il est aussi archiatre du pape, ce qui fait dire à Gmrek que « les
explications relatives au secret médical sont liées principalement aux
médecins à l’orientation catholique très accentuée ». L’idée se répand
par-delà ces frontières confessionnelles ou, à tout le moins, est dans
l’air du temps puisque, dans son propre serment, Amatus Lusitanus
(1511-1561), médecin juif qui a voyagé dans toute l’Europe, fait
profession « de n’avoir jamais divulgué à quiconque le secret qui [lui
a] été confié 31 ». Mais il revient à François Ranchin (1560-1641),
chancelier de la Faculté de médecine de Montpellier, de mettre en
parallèle les plaies du corps et les plaies de l’âme dans son Hippocratis
jusjurandum (1627) et d’ainsi comparer explicitement le secret
médical au secret de la confession.
Peu après, le praticien attaché à Madame la duchesse d’Orléans,
Jean Bernier (1622-1698), écrit dans ses Essais de Médecine : « Quand
le médecin a donc reçu le précieux dépost du cœur du malade, il faut
que son cœur et sa bouche l’ensevelissent dans le silence, et qu’ils luy
servent, pour ainsi dire, de tombeau ; ce n’est plus alors une matière
de conservation ; il n’est pas moins obligé à garder ce secret que le
confesseur à garder celui de son pénitent 32. » Bernier attache une
telle importance à ce secret qu’il parle de « péché mortel » si l’on en
vient à le trahir. Il précise, et c’est nouveau, qu’il faut veiller
absolument à le respecter, y compris dans les publications
scientifiques au sein desquelles les noms des patients ne doivent pas
apparaître. Pour lui, comme chez ces autres auteurs, il y a donc deux
médecines en quelque sorte : la médecine des âmes, déposée entre les
mains du confesseur, et la médecine des corps, remise entre les mains
du médecin qu’il qualifie de « confesseur des infirmités corporelles ».
Le secret médical est envisagé ici à partir du secret auriculaire.
Pourquoi et comment, toutefois, est réapparue, si l’on peut dire, la
notion de secret médical à partir la Renaissance ? Un rapide
panorama ici s’impose, aussi grossièrement brossé qu’il ressorte, à
travers quelques grands nœuds qui sont autant d’aperçus. Le premier
concerne l’institution universitaire. Au Xe siècle, l’école de médecine
de Salerne connaît un grand retentissement en Europe, notamment à
travers ses dépendances de Bologne et de Montpellier. La cité
française est alors un centre portuaire florissant, cosmopolite et
tourné vers l’Orient. L’enseignement y débute en 1137, y est
statutairement établi en 1220 et à partir de là, accueillant des
médecins juifs ou arabes, se tourne vers la redécouverte des sources.
La médecine occidentale sort ainsi des monastères pour gagner
l’université.
Le second se réfère au dénuement du corps, également
perceptible dans l’évolution parallèle de l’art pictural, lequel n’est
plus exclusivement religieux. Les dessins de nus ou de scènes de
dissection sont rendus possibles et, à voir le corps ouvert, c’est
l’ensemble des représentations qui change. Les croquis de Léonard de
Vinci (1452-1519) en sont une parfaite illustration. L’Église finit par
suivre. À la fin du XVe siècle, une bulle du pape Sixte IV entérine que
la connaissance de l’anatomie humaine ne peut se faire sur les seuls
33
animaux . Ce qui revient à permettre la méthode anatomo-
pathologique d’où va naître la médecine moderne Au XVIe siècle, des
« dissections mondaines » ont lieu, mais pour l’heure encore dans
« les lieux de culte, la table d’anatomie prenant alors la place du
maître-autel ». Sacré pour sacré, l’intime, délogé du corps ouvert,
privé de lieu, se réfugie dans le secret médical.

Un secret très relatif

Un verrou cependant existe. Depuis le XIIIe siècle, dans toute


l’Europe, diverses dispositions font injonction aux chirurgiens-
barbiers de signaler, on l’a vu, les blessés qu’ils soignent. Dès 1301, au
mois d’août, un règlement du Prévôt de Paris fait obligation aux
membres de la corporation qui auraient « étanché ou pansé un blessé,
34
de le faire savoir à la justice sous peine de corps et d’avoir ».
Sautons les siècles. Une circulaire du vendredi 2 mars 1736, inscrite
dans les registres du greffe de l’audience de la chambre de police du
Châtelet de Paris, énonce ce même principe : « Sentence de police qui
ordonne que, conformément aux ordonnances et règlements de
police, les chirurgiens seront tenus de déclarer au commissaire de
leur quartier les blessés qu’ils auront pansés chez eux ou ailleurs ; et
condamne le sieur Dumont à l’amende pour y avoir contrevenu 35. »
Le principe vaut face aux risques épidémiques. Ranchin, pourtant
défenseur du secret médical, précise, dans son traité De la Peste, les
contours de ce qui ressemble à la déclaration obligatoire de maladies
en santé publique :
Les médecins, chirurgiens et apothicaires sont obligés de
donner avis au Conseil de Santé du nombre et de la qualité
de leurs malades, et particulièrement de la condition des
maladies qui règnent, sans cacher le danger ou l’infection,
en cas qu’il y en eust, comme quelques uns ont parfois ou
par avarice ou par crainte d’estre décriez et chassez de la
Ville, en quoy ils peuvent être grandement coupables à
raison de la conséquence de l’infection qui s’allume comme
cela insensiblement. Or ce rapport des malades se doit faire
tous les jours afin que les Supérieurs sachent l’état de la
santé publique 36.

Pourtant, subrepticement, le secret médical réapparaît. À partir


de 1761, en France, les thèses de médecine sont systématiquement
imprimées avec, affichée en couverture, la désormais célèbre formule
Aegrorum arcana, visa, audita, intellecta, eliminet nemo, « Que
personne ne divulgue les secrets des malades, ni ce qu’il a vu,
entendu ou compris. » La Révolution advenue et battant son plein, le
18 août 1792 les facultés de médecine sont supprimées, en même
temps que celles de théologies et de droit 37, pour devenir le
27 novembre 1794 des « écoles de santé » rapidement rebaptisées
« écoles de médecine ». Le serment prononcé par les médecins semble
néanmoins être resté dans les habitudes, du moins à Montpellier.
L’époque, bien que troublée, est marquée par l’essor de
l’enseignement clinique « au lit du malade ». C’est à ce moment que
passe sur le pays un grand vent législatif qui porte le secret médical à
être inscrit dans le Code pénal de 1810.
De cette période, il faut retenir l’influence de l’Église sur ce qui
petit à petit s’en dégage. Pendant longtemps, le serment chrétien des
facultés a été le seul prêté par les médecins. Mais, progressivement, le
contenu du secret a changé. Alors que dans l’Antiquité le secret de
l’intimité protégeait l’ordre de la maisonnée, alors qu’au Moyen Âge
le secret de la confession jetait un voile sur l’aveu de la faute, c’est
essentiellement la « maladie honteuse » que le secret médical va
protéger. Les relations extraconjugales peuvent être révélées par des
maladies sexuellement transmissibles. La notion de « maladie
secrète » et celle, plus étonnante, de « rhume ecclésiastique »
apparaissent dans les écrits de Jean Verdier, docteur en médecine et
avocat à la cour du Parlement de Paris. Il publie en 1763 un essai sur
la Jurisprudence de la médecine en France, dans lequel il cite des
arrêts où le manque de discrétion a entraîné la condamnation de
praticiens du soin. Ainsi on y apprend que le 15 janvier 1704 un
chirurgien fut condamné pour avoir dévoilé la maladie vénérienne
d’un religieux, laquelle était indiquée sur sa demande d’honoraires 38.
L’argument développé par le docteur Verdier s’appuie sur la doctrine
théologique qui a permis de fonder la notion de secret professionnel à
l’intention des confesseurs :

Pour faire connaître toute la force de l’obligation du secret,


je m’arrêterai à une question que l’on a proposée, à savoir :
si elle dispense les médecins de déposer en justice ce que
leur profession leur a pu faire connaître.
Codronchius et Sylvaticus disent que le serment que le juge
fait prêter les astreint même à découvrir les secrets, mais la
plus grande et la plus saine partie des théologiens et des
canonistes d’un sentiment contraire disent après saint
Thomas que la conservation de la foi et du secret étant de
droit naturel, personne ne peut être tenu par le
commandement même d’un supérieur, à relever ce qui lui
est confié sous le secret, ce qu’ils appliquent avec juste
raison à la médecine.
Le droit même est conforme à cette décision : suivant la loi
[…] le médecin ainsi que l’avocat et le procureur ne
peuvent être contraints de rendre témoignage contre leurs
malades et leurs clients. […] C’est une maxime certaine
39
tenue constamment par tous les jurisconsultes .

Dont acte.

L’invention rationaliste du progrès

Afin de comprendre pourquoi et comment le secret médical


réapparaît au cœur de l’époque moderne et de la révolution
industrielle, il faut non seulement dessiner à gros traits le décor
historique, mais aussi le décor idéologique.
Le portrait est une invention du XVe siècle, celle de la singularité
en peinture et parce que telle Vierge n’est plus la reproduction d’un
type idéal, mais est unique, elle peut devenir le portrait de toutes les
femmes. Pierre Magnard, qui a passé sa vie avec Montaigne, Pascal et
quelques autres, aime à dire que le peintre a compris avant le
philosophe ce que peut être l’humanisme : « C’est l’affirmation de
cette expressivité universelle de tout visage humain. Il n’y a pas
d’altérité qui transcende cette identité. L’homme, chaque homme est
ce singulier universel 40 ». Cette façon de penser congédie les
classifications. Ce qui fait de l’homme un homme, ce n’est pas qu’il
ressemble à un autre homme, mais que, en lui, il porte toute
l’humanité. Non seulement rien d’humain ne m’est étranger, mais
encore, et surtout, « parce que je suis un homme, rien d’inhumain ne
m’est étranger 41 ». Il n’y a pas les uns et les autres, séparés, mais tous
nous sommes capables du pire et du meilleur. Le secret vient protéger
cette vulnérabilité-là : quand mes actes font honte à mon humanité, il
est bon qu’ils ne soient pas publiés.
Si l’homme est ce singulier universel, la naissance d’un homme est
toujours quelque chose d’absolument neuf qui modifie le monde, au
contraire de la naissance d’un mouton. Le singulier, c’est le non
multipliable. Or, c’est précisément l’expérience du médecin et ce,
depuis la nuit des temps. Aristote affirmait déjà : « Ce n’est pas
l’homme en effet, que guérit le médecin, sinon par accident, mais
Callias, ou Socrate, ou quelque autre individu ainsi désigné, qui se
trouve être, en même temps, un homme 42 ». La protection du secret
est la fine pointe de la protection de la singularité.
Cette insistance est le pendant dialectique d’un autre mouvement
qui naît peu après : la science expérimentale va au contraire viser
l’efficace et produire des objets et des techniques qui modifieront
durablement le rapport de l’homme au monde. Naît alors une idée
inconcevable pour les Anciens, l’idée de progrès.
Bacon (1561-1626), que nous avons déjà rencontré, est
contemporain de Shakespeare et de Galilée. Pour lui, il n’y a de
science qu’expérimentale. Le savoir tiré de la nature n’a pour intérêt
que le pouvoir sur la nature, utile au « bien être des hommes ». La
science se doit d’être utile et ne pas s’occuper de finalité. Là où les
causes finales étaient pour Aristote des plus réelles, le principe
directeur dans l’exercice d’un art, Bacon les qualifie de « vierges
43
stériles ». Nous sommes encore dans cette représentation et nous ne
savons plus penser la finalité. C’est pourquoi toute recherche sur le
secret médical est complexe car la question de sa finalité, qui est
davantage que sa raison d’être factuelle, mais concerne à la fois son
origine et son accomplissement, est rarement posée.
Il faut s’arrêter ici sur l’utopie que Bacon décrit dans la Nouvelle
Atlantide, fable dont le contenu n’est rien moins qu’un programme
pour la science médicale. L’intérêt vient de ce qu’il y annonce ce que
la société moderne va rendre possible. C’est nous, quatre siècles plus
tard. Le récit met en scène des voyageurs tombés par hasard sur une
île, Bensalem. Le directeur de l’Académie qu’elle abrite leur explique
qu’elle est entièrement dédiée à un projet scientifique de grande
ampleur : « connaître la nature pour pouvoir la dominer, et l’utiliser
aux fins de prolonger la vie, rendre la jeunesse, retarder le
vieillissement, augmenter et élever le cérébral, métamorphose d’un
corps dans un autre, fabriquer de nouvelles espèces, transplanter une
espèce dans une autre 44 ». En énumérant ainsi les projets inédits
qu’envisage cette cité de scientifiques, on comprend que le
programme de Bacon est l’exact inverse de celui d’Hippocrate. Le
geste d’Hippocrate avait été de séparer le sauvetage du salut. Le geste
de Bacon est de faire de la science médicale non seulement un
sauvetage illimité, mais un parfait salut et dès à présent sur cette
terre. C’est donc fondamentalement un projet théologique déguisé
sous le vernis rationaliste.
La Nouvelle Atlantide paraît en 1627, sept ans après le départ du
Mayflower et de la centaine des Pilgrim fathers pour le Nouveau
Monde, figure dans le puritanisme protestant d’un futur absolu de la
positivité et de la réussite que Dieu a providentiellement préservé et
qu’il destine à ses élus. L’île de Bacon s’en inspire. Au cœur de
Bensalem, se tient une sorte d’Académie des sciences qui se nomme
la Maison de Salomon, intitulé biblique qui souligne qu’elle est
désormais le lieu du religieux, tout comme les vêtements sacerdotaux
qui portent les savants. Cette maison est « l’œil même de ce
45
Royaume », car, pour « retrouver le droit sur la nature », il faut tout
expliquer et, donc, tout voir. « Notre Fondation a pour fin de
connaître les causes, et le mouvement secret des choses ; et de
reculer les bornes de l’Empire Humain en vue de réaliser toutes les
choses possibles 46. » Une des traductions sociales en est que les
mariages sont surveillés par le gouvernement, les fiancés ayant été au
préalable observés nus par leurs proches qui doivent s’assurer qu’ils
n’ont pas de défaut.
Rien que cela ! Le panopticon de Bentham est directement issu de
cette utopie. L’idée selon laquelle vue et connaissance sont liées, la
déclinaison de la pulsion scopique, la passion de voir, en pulsion
épistémophilique, la passion de savoir, sont là, inscrites noir sur
blanc, bien avant Freud. Il n’y a plus de singularité possible, mais
simplement des individus qui peuvent être étudiés, c’est-à-dire
assignés à un groupe, afin d’en établir les lois.
Inutile ici de parler de secret, sinon de secret industriel puisque
cette Académie, du fait de son caractère insulaire, y veille
jalousement. Inutile enfin de préciser que Bacon est un visionnaire et
que ses Merveilles Naturelles énoncent rien de moins que les
réalisations de la technique contemporaine 47 ! Quatre siècles à
l’avance, il nous annonce pêle-mêle le béton, les OGM, les greffes, la
chirurgie plastique, les anxiolytiques et autres régulateurs de
l’humeur, les techniques prédictives, la macrobiotique afin de
prolonger la vie 48. Et la fin du secret ?
La première tension dialectique de notre modernité se joue entre
deux pôles : une singularité irréductible qui poussera à l’émergence
d’un droit subjectif et un individu arraisonnable qui suscitera le règne
d’une indifférenciation objectivée. D’un côté le portrait du peintre, le
sujet biographique ; de l’autre, l’écorché des salles d’anatomie,
l’automate informatisé.

L’ÉMERGENCE DES DROITS


L’individu, sujet de droit

À cette révolution scientifique s’ajoute une révolution politique


qui voit naître la notion de contrat. En Angleterre, Hobbes (1588-
1679) a vu éclater la Guerre civile et en a déduit que le pluralisme
des opinions confessionnelles menace les fondations du royaume : la
seule façon de sauver l’autorité monarchique est de la séparer de la
religion afin d’assurer la paix sociale. Bon connaisseur de l’œuvre de
Galilée, il en adopte la méthode et la transpose : si en physique
l’élément singulier est l’atome, dans la société c’est l’individu. Hobbes
va ainsi opérer dans la sphère de la Cité la rupture avec la théologie
que Bacon a promue dans celle de la technoscience.
Pour sortir de la guerre de « chacun contre chacun » qui est selon
lui l’état de nature de l’homme, il faut se mettre en quête d’un autre
fondement à l’art politique que la loi d’inspiration divine. Ce sera la
« peur de la mort ». Parce qu’ils ont peur de mourir, les individus sont
prêts à fabriquer une association politique, via un contrat, qui sera
garante de la paix sociale par l’établissement d’une législation
contraignante. L’entité à laquelle aboutit ce montage, le Léviathan,
personnifié en la république ou règne du bien commun, civitas, est la
somme des pouvoirs concédés au souverain par les individus en
rançon de la conservation de la vie dont il est le garant. Le contrat
social selon Hobbes, va être le mouvement par lequel chacun,
librement et volontairement, cède à qui le représente sa liberté
naturelle contre sa paix et sa sécurité 49.
Ce droit que l’individu abandonne à la civitas n’est autre que le
droit à l’état de nature, la liberté illimitée dont dispose l’individu de
tout faire pour sa propre conservation. Le droit est originairement
pour l’individu, nous dit Hobbes, en consacrant ainsi la naissance du
droit subjectif. « Le droit de nature (right of nature) que les auteurs
appellent généralement jus naturale, est la liberté qu’a chacun d’user
comme il le veut de son pouvoir propre, pour la préservation de sa
propre nature, autrement dit de sa propre vie, et en conséquence de
faire tout ce qu’il considérera, selon son jugement et sa raison
propres, comme le moyen le plus adapté à cette fin 50 ».
Dans l’Antiquité, le droit, appliqué à l’individu, désignait la part
qui devait lui être attribuée par rapport aux autres et impliquant des
obligations vis-à-vis d’autrui. Désormais, le droit n’évoque plus le
devoir imposé par la loi morale (devoir), mais le contraire, une
permission, un avantage laissé par la loi morale d’agir, une licence.
L’individu est sujet de droit. Révolution.

À la racine des droits de l’homme

John Locke (1632-1704), héritier de Hobbes de sa théorie du


contrat social, fait un pas supplémentaire et fonde la notion de droits
de l’homme, au pluriel, là où dans le système de son prédécesseur il
n’y avait qu’un seul droit naturel – tout faire pour se préserver. Son
argumentation est mâtinée de théologie : si Dieu donne comme
devoir à l’homme de se conserver, de croître et de se multiplier, il lui
en accorde également les moyens, c’est-à-dire les droits. Le droit de
l’homme n’est plus seulement comme pour Hobbes le droit de faire en
sorte de se conserver, mais le droit à obtenir des choses.
Plutôt que la peur de la mort, Locke fonde en effet sa politique sur
le devoir de rester en vie et donc, avant tout, de se sustenter. L’homme
à l’état de nature part en quête de nourriture. À rencontrer des fruits
et à les manger, il se les approprie. Il en a « le droit » puisqu’il en a le
devoir, à moins de mourir, et se les approprier en les cueillant est son
travail. C’est parce qu’il est maître de lui-même, propriétaire de lui-
même en son corps (et non de son corps) qu’il l’est de son travail. Si
l’homme est maître, « propriétaire », de ses actes, de son travail, il est
aussi propriétaire des fruits de son travail, lequel détermine en
conséquence son rapport à la nature.
Ainsi, le droit de propriété est antérieur à l’institution de la
société. Pour autant, l’homme a le devoir de ne pas gaspiller : s’il a
cueilli trop de fruits et les laisse pourrir, il y va d’un manquement.
C’est pourquoi il peut échanger ce trop-plein de fruits périssables
contre de la monnaie impérissable. C’est une convention, une sorte
de contrat qui lui permet de ne pas perdre le fruit de son travail.
L’homme a aussi le devoir de ne pas priver l’autre homme de
nourriture. Mais comment ? La solution imaginée par Locke est de
faire de la terre le socle de la propriété : si je suis propriétaire de ma
terre, je vais, en la cultivant, lui faire produire plus que ce qu’elle
produirait spontanément, et lui donner de la valeur. « Le propre du
travail n’est pas de produire le droit de propriété, c’est de produire de
la valeur. Le propre de la propriété est de conserver cette valeur, de
51
l’empêcher de périr ou d’être gaspillée . »
Du coup, le sens du contrat social ne peut être que de permettre à
chacun de conserver sa propriété. Par-là, son contenu s’en trouve
changé. Puisqu’il existe un « droit naturel de propriété », le contrat
social n’aura pas pour terme d’abdiquer mes droits en faveur de l’État
afin de conserver mon existence, mais bien plutôt de lui déléguer le
droit de faire régner l’ordre par les lois, le pouvoir législatif, et la
contrainte, le pouvoir exécutif, afin qu’il assure la préservation de
mes propriétés. Quitte à oblitérer, à l’évidence, que cela revient à
favoriser ceux qui ont quelque chose sur ceux qui n’ont rien. La
formule ne sera pas moins reprise dans la Déclaration des Droits de
l’homme de 1789 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré,
nul ne peut en être privé ». La théorie de Locke va fonder la notion de
droits de l’homme telle que nous la connaissons, notamment le droit
à la vie privée.
Un rousseauisme du pouvoir sur le corps ?

En France, parmi les philosophes modernes, Jean-Jacques


Rousseau (1712-1778) est celui qui aura le plus d’influence sur notre
manière présente de vivre. Son approche du contrat social n’est pas
celle des Anglais, même s’il s’inspire d’eux. Selon lui, le « véritable
état de nature » est hors contexte historique et contingent. Chez
Aristote, l’homme était sociable par nature ; chez Rousseau, il n’est
sociable qu’en tant qu’il rompt avec la nature car, à l’état de nature,
l’homme est sans relation avec les autres. L’homme originellement
libre doit cependant veiller à sa propre conservation 52. Le besoin
d’autrui, et donc la dépendance, va marquer le début de la perte de la
liberté. Le contrat social que Rousseau propose et qu’il conçoit
comme un remède à l’inégalité se fonde subséquemment sur la
connaissance de l’homme à l’état de nature. Elle est le préalable à sa
construction politique. Toutefois, cette connaissance est largement
imaginaire puisqu’obtenue par soustraction de ce que la culture y
aurait supposément ajouté. C’est, autant dire, un mythe.
Une question domine ladite construction : comment faire pour
conserver la liberté 53 ? De même que, par rapport à ses
prédécesseurs, Rousseau a radicalisé l’homme à l’état de nature, de
même, il va radicaliser le contrat social. Il suppose « l’aliénation
totale de chaque associé, [sans réserve dira-t-il plus loin], avec tous
ses droits, à toute la communauté », principe qu’il reformule quelques
lignes plus loin : « Chacun de nous met en commun sa personne et
toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ;
et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible
du tout 54. »
Le premier paradoxe est de proposer une aliénation totale comme
solution à l’aliénation. Les sujets du contrat social façon Rousseau
n’ont pas de droits naturels, mais uniquement des droits civils. Ce
contrat n’est pas historique, mais lié au séjour sur le territoire. Pour
les contractants, à l’inverse de ce qui les définit chez Locke, il n’y a
plus de propriété privée. C’est la résidence qui vaut contrat, l’ultime
propriété privée étant l’espace occupé par le corps. Du coup, la liberté
telle que l’entend Rousseau est conservée : la loi provient de la
volonté générale, elle-même issue des individus. Donc, obéir à la loi
c’est s’obéir à soi-même, être libre.
Le second paradoxe du contrat rousseauiste est qu’on est obligé
d’être libre : « Quiconque refusera d’obéir à la volonté générale y sera
contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu’on
55
le forcera d’être libre . » Rousseau ne résout pas la contradiction,
mais s’attache à l’idée que convaincre persuasivement est le seul
moyen de contraindre « librement ». Chaque bénéficiaire du contrat
étant une « personne morale » et devant protéger la vie d’autrui pour
que la sienne le soit aussi, désobéir à la loi, c’est se placer hors
contrat, devenir « traître et rebelle à la patrie ». Tel est bien le
principe, mais quel mécanisme l’anime ?
Outre les lois qui régissent les relations de l’homme au contrat, il
en est une autre, d’un type différent, « la plus importante de toutes »,
dont le grand Législateur doit se préoccuper en premier lieu et « en
56
secret ». C’est la loi de l’opinion, dont Rousseau semble faire la clé
de voûte de son édifice. Bien qu’élaborée secrètement, elle requiert
que la transparence règne. Est-ce dire qu’il faudrait chercher le grand
Législateur, aujourd’hui, davantage du côté des Instituts de sondage,
des experts en communication, voire de la novlangue, que du
parlement ? Plus immédiatement, la protection du secret des sources
des journalistes trouve ici sa raison d’être.
Toutefois, le paradoxe persiste. Dans les Considérations sur le
Gouvernement de Pologne, écrites en 1770-1771, Rousseau vante sa
préférence pour les petits États parce que « tous les citoyens s’y
57
connaissent mutuellement et s’entre-regardent ». Il faut que
l’opinion publique règne :

Il me reste à développer ici celui [le moyen] que je crois


être le plus fort, le plus puissant, et même infaillible dans
son succès, s’il est bien exécuté. C’est de faire en sorte que
tous les citoyens se sentent incessamment sous les yeux du
public, que nul n’avance et ne parvienne que par la faveur
publique, qu’aucun poste, aucun emploi ne soit rempli que
par le vœu de la nation, et qu’en fin depuis le dernier
noble, depuis même le dernier manant jusqu’au Roi, s’il est
possible, tous dépendent tellement de l’estime publique,
qu’on ne puisse rien faire, rien acquérir, parvenir à rien
58
sans elle .

La différence avec le contrat social de Hobbes puis Locke fonde la


tradition libérale anglo-saxonne est immense. Chez eux, il a pour
fonction d’assigner des limites à l’individualisme possessif, de
dessiner des frontières aux zones de confrontation, d’instituer un tiers
capable de s’interposer dans les litiges et les résoudre afin protéger la
propriété et par extension la vie privée. D’une certaine manière, ce
contrat est porté par un acte de confiance, de trust. La question de
Rousseau est autre : il veut substituer une « égalité morale et légitime
à ce que la nature avait pu mettre d’inégalité physique entre les
hommes 59 ». La transparence nécessaire à l’établissement de cette
égalité est corrélée à une méfiance foncière envers tout ce qui
pourrait être une manifestation de l’inégalité.
Nous vivons donc sous un double héritage dont la médecine
contemporaine est tributaire. D’une part, la pensée scientifique,
mathématisable ayant désacralisé les conceptions du monde et du
corps, la religion s’est trouvée privatisée tandis que la foi s’est
échappée, par un effet dialectique et à notre insu, vers la science,
faisant d’elle non seulement un lieu de sauvetage mais aussi un lieu
de salut. Plus souvent qu’en Dieu, on croit désormais dans le progrès
de la science, croyance qui est régie par le même principe qui anime
la rationalité panoptique mise en avant par Bacon puis Bentham :
mesurer et comparer permet de prédire et prévenir. Le secret et son
opacité résistent mal à une telle mutation. D’autre part, au moins en
France, nous sommes héritiers de Rousseau. Les débats actuels sur le
partage d’informations et la collecte informatique des données de
santé à but épidémiologique restent en quelque façon marqués par sa
pensée : l’État peut sans difficulté accumuler des données qui déjà lui
« appartiennent » par le biais du contrat social que nous acceptons
tacitement.
Or, Michel Foucault a su repérer que les effets des théories de
Bentham et de Rousseau s’additionnaient, alors même qu’elles
partent de notions bien différentes :

Bentham est le complémentaire de Rousseau. Quel est en


effet le rêve rousseauiste qui a animé bien des
révolutionnaires ? Celui d’une société transparente, à la fois
visible et lisible en chacune de ses parties ; qu’il n’y ait plus
de zones obscures, de zones aménagées par les privilèges
du pouvoir royal ou par les prérogatives de tel ou tel corps,
ou encore par le désordre ; que chacun, du point qu’il
occupe, puisse voir l’ensemble de la société ; que les cœurs
communiquent les uns avec les autres, que les regards ne
rencontrent plus d’obstacles, que l’opinion règne, celle de
chacun sur chacun. […]
Bentham, c’est à la fois cela et tout le contraire. Il pose le
problème de la visibilité, mais c’est en pensant à une
visibilité organisée entièrement autour d’un regard
dominateur et surveillant. Il fait fonctionner le projet d’une
universelle visibilité, qui jouerait au profit d’un pouvoir
rigoureux et méticuleux. Ainsi, sur le grand thème
rousseauiste – qui est en quelque sorte le lyrisme de la
Révolution – se branche l’idée technique d’exercice d’un
pouvoir “omni-regardant”, qui est l’obsession de Bentham ;
les deux s’ajoutent et le tout fonctionne : le lyrisme de
Rousseau et l’obsession de Bentham 60.

Que nous ne soyons pas indemnes de la propagation de ces effets


combinés, les menaces qui pèsent actuellement sur le secret médical
ne le montrent que trop.

L’inscription française dans la loi

Qu’est-ce qui fait qu’une société éprouve soudainement le besoin


d’inscrire le secret dans le marbre de la loi ? Tout comme le geste de
dissection a paru suffisamment subversif pour qu’en retour il ait fallu
un contrepoids et qu’à l’ouverture du corps réponde la fermeture de
l’intériorité, la législation de 1810 correspond à l’esprit de son temps.
Avec le désir de transparence auquel confinent l’exaltation de la
volonté générale dont témoigne fabuleusement Rousseau et
l’abolition des privilèges que réclament ardemment les
révolutionnaires, cette nécessité d’un lieu pour le secret devient plus
forte. Or, comme l’a montré Michel Foucault, le pouvoir ne s’exerce
plus alors « sur la terre et ses produits » comme au Moyen Âge mais
sur le corps 61 et c’est lui qui, de surcroît, est au cœur du contrat social
à la française. En s’inspirant du Code de droit canonique et du secret
de la confession pour inscrire le secret professionnel des médecins
dans le Code pénal 62, le législateur semble bien avoir voulu ériger
une sorte de rempart pour signifier que l’intime ne peut être
arraisonné sans dommage.
En 1810, la France est ainsi le premier pays au monde à
introduire la protection du secret médical dans la loi. Elle double son
origine éthique, provenant du serment d’Hippocrate, d’un
commencement légal à partir duquel sera ultérieurement bâtie la
législation sur le secret professionnel. Alors que la notion de vie
privée, telle que nous la définissons, était étrangère tant à l’Antiquité
qu’au Moyen Âge, l’ère postrévolutionnaire en précipite la formation
en convenant qu’il faut la protéger au regard de la transparence que
l’on exige désormais de l’espace public. Ce qui fait dire à Dominique
Thouvenin que l’inscription du secret médical dans le Code pénal
« est la traduction de la séparation entre l’espace public et l’espace
63
privé ».
Cette légiférassions entraîne un changement radical : « Au
médecin, la loi prescrit le silence, et ainsi, presque paradoxalement, à
une obligation elle donne la valeur d’un droit, d’un privilège 64. » Le
débat voit alors s’opposer les partisans d’une conception absolue pour
qui le secret médical devient « une mystique », dit Grmek, en ce qu’il
dépasse l’intérêt du malade et, une fois confié, « n’appartient plus à
celui-ci » au point que le patient n’a pas le pouvoir de relever le
médecin de son obligation. De l’autre, l’essor de l’hygiène publique et
la nécessité de se prémunir contre des infections comme la
tuberculose ou la syphilis, récemment identifiées, entraînent des
dérogations au secret, telle l’obligation de dénoncer certaines
maladies épidémiques qui s’impose au médecin par la loi du
31 novembre 1892. Ainsi, le Dr Valentino trouve ce secret « néfaste à
la société » et écrit en 1903 : « Le malade n’apprécie le secret médical
que s’il y trouve son intérêt ; car, pour peu qu’il entrevoie un bénéfice
à déclarer sa maladie, comme le gain d’un procès ou l’obtention d’une
indemnité, le secret médical devient un gêneur dont il veut
s’affranchir. »
Telles donc les contradictions consécutives au contexte lui-même
déjà mêlé dans lequel le Code pénal de 1810 a été élaboré. Pour dire
vrai, elles l’ont précédé. C’est à la faveur de la Révolution de 1789
que l’université de Montpellier s’est attelée à rédiger une version
réactualisée du serment d’Hippocrate qui va devenir classique :
« Admis dans l’intérieur des maisons, mes yeux ne verront pas ce qui
s’y passe ; ma langue taira les secrets qui me seront confiés. »
Toutefois, rappelle Grmek, la tension est alors vive entre le pouvoir
exécutif et le corps médical. Tout ce qui relève du secret est perçu
comme un complot. D’un côté les pressions administratives, voire
policières sont fortes, de l’autre l’idée de la liberté individuelle et
donc professionnelle s’affirme. Il n’est en rien sûr que nous soyons
sortis de ce conflit.

ORGANISER LA MÉFIANCE ?

Si le contrat social est un contrat originaire, toute forme


contractuelle en découle, y compris pour le médecin qu’il s’agisse du
contrat qui le lie à la société ou du contrat « de soin » qui le lie au
patient. Ce qui fait trois niveaux de contractualisation. La notion elle-
même naît en droit en même temps que celle de consentement ainsi
que le définit l’article 1108 du Code civil de 1804 qui suppose
l’égalité des contractants : « Quatre conditions sont essentielles pour
la validité d’une convention : le consentement de la partie qui
s’oblige ; sa capacité de contracter ; un objet certain qui forme la
matière de l’engagement ; une cause licite dans l’obligation. » Le
contrat auquel s’engage le nouveau médecin l’intègre dans un lien
institutionnel, reconnu par la société. Le contrat qui se noue entre le
médecin et son malade est, depuis l’arrêt Mercier en 1936, réputé
« véritable ». Pour autant, le droit ne sait dire avec précision à quel
65
type contractuel il se rapporte .
Pourquoi ? Parce que « la relation médicale se ramène mal à une
banale relation contractuelle […] parce qu’elle touche au corps et à la
vie, aux mystères de l’être, là où le contrat est affaire d’avoir ; le
médecin ne peut pas être considéré comme un simple prestataire de
66
services ». Certes, le juge civil peut être amené à se prononcer sur le
67
« contrat de soins » implicite à la consultation médicale . Mais il y a
toujours du hors contrat, de l’au-delà du contrat dans une telle
relation. « Le contrat ne peut traduire les émotions qui se
construisent dans le regard porté sur l’autre, l’hospitalité, le don,
l’offrande, tous ces comportements auxquels un médecin peut
s’obliger seul, sans contrat, uniquement par sa propre morale : il
s’agit d’actes unilatéraux porteurs d’obligations sans réciprocité
68
juridique, mais non sans fondement humain ».
La difficulté fondamentale vient de ce que l’engagement dans un
contrat inclut simultanément et immanquablement un recours contre
l’éventuel manquement de la partie adverse. L’autre du contrat est
toujours un adversaire potentiel. La contractualisation des relations
est une façon d’organiser la méfiance, de l’encadrer. D’où le slogan
publicitaire du « contrat de confiance » dans lequel on entend bien
qu’elle ne va pas ou plus de soi. Or, il reste de la confiance dans la
relation médicale. Il reste, malgré le passage du serment au contrat,
du serment. Il reste ce que Lacan appelle un « pacte » symbolique
69
entre sujets . Quand un patient est en confiance avec son médecin,
cela ne lui pose pas de problème de signer les demandes de
consentement imposées par la loi avant de subir tel ou tel examen. En
revanche, lorsqu’il n’a pas confiance, de telles demandes augmentent
sa méfiance au lieu de le rassurer. C’est donc le pacte, et non pas le
contrat, qui sous-tend la relation de soin. Le contrat n’absorbe pas la
totalité du pacte. C’est pourquoi demeure la nécessité de garder le
secret.
Le passage du serment au contrat éclaire la lente évolution de nos
modes de relation. La parole donnée semble insuffisante pour fonder
la confiance. Néanmoins, c’est bien un serment que le nouveau
médecin prononce devant ses pairs. Le rituel qui ordonne ce moment
n’est pas seulement un vestige folklorique. Il s’enracine dans le fait
que le jeune médecin a bien été initié à un art et non pas seulement
formé à des techniques. Sa profession conserve une fonction sacrée
puisqu’elle demeure par essence transgressive. L’inscription du secret
dans la loi permet, en toute hypothèse, de nommer la limite au-delà
de laquelle la transgression autorisée et encadrée devient
profanation.
3.

Intérêt public ou intérêt privé ?

Ce n’est ni du serment ni du contrat que le secret tient ce qui lui


reste de force, mais de la loi : sa révélation constitue une infraction.
Alors que le secret n’existe pas comme tel en droit anglo-saxon qui ne
connaît que la protection de la vie privée, l’inscription du secret
médical dans le Code pénal en France a été accompagnée d’insistants
commentaires liant son respect à l’ordre public. Dans une perspective
rousseauiste, l’exercice du pouvoir de l’État se fait en effet sur les
corps des citoyens et, donc, tout ce qui intéresse le corps intéresse le
pouvoir. Les codes de déontologie successifs qui ont vu le jour au
cours du XXe siècle consécutivement à la création de l’Ordre des
médecins insistent pareillement sur la dimension publique du secret.
Le danger va cependant être, par glissement, que le devoir du
médecin qui protège un droit du patient ne se transforme en un droit
du médecin à ne pas dire ce qu’il sait de sa pathologie à son patient.
Parallèlement, le droit européen, davantage influencé par la
conception libérale du monde anglo-saxon, va pencher vers la
nécessaire préservation de la vie privée. À ce titre, le droit au secret
est un droit du patient, conception prédominante au sein de l’Union
et actée en France depuis la loi de mars 2002 qui rend au patient les
informations à caractère médical le concernant.
En fin de compte, comme aime à le dire le juriste Didier Truchet,
le droit du secret ressort comme un droit « en miettes 1 ». C’est qu’il
vise à ordonner les différentes acceptions du terme qui désigne tout à
la fois une obligation, correspondant au fait d’« être tenu au secret » ;
un état, qualifiant ce qui est « couvert par le secret » ; une
information, renvoyant au contenu afférent, « le secret que l’on ne
doit pas dévoiler ». Le secret, dès lors, est-il d’intérêt public ou
d’intérêt privé ?

En inventoriant l’état du droit, on découvre que le devoir qu’a le


médecin de se taire n’est pas lié à sa qualité de contractant, mais
vient de ce qu’il est membre d’une profession soumise à des
obligations légales : « Le secret est professionnel non en raison de la
spécificité de son contenu, […] mais parce que la loi le dit, parce
qu’elle considère que certaines informations doivent être exploitées
sous le sceau du secret du fait de la profession, état, fonction ou
mission exercée par celui les reçoit 2 ». La claire conséquence en est
que le jour où la loi dira autre chose, le secret professionnel médical
cessera d’exister. Dominique Thouvenin l’a instamment rappelé : il
« n’est pas protégé en soi ; seule sa révélation est punissable 3 ».
Or, la tendance générale est au partage d’informations sous l’effet
de mutations plus larges. Tout d’abord, la relation de soin n’est plus
seulement une relation duelle, mais en réseau. Il s’agit donc de
délimiter qui a accès à l’information à caractère médical, mais aussi
de quelle information on parle. Ensuite, de plus en plus de textes
dérogent à l’obligation du secret professionnel des soignants au nom
d’un bien commun qui peut être la protection de populations
vulnérables ou l’accroissement des connaissances scientifiques.
Jusqu’où ce partage d’informations peut-il aller sans remettre en
question le secret médical ? La ligne rouge n’a-t-elle pas déjà été
franchie ? Par ailleurs, ces questions sont majorées par le dispositif
informatique qui permet de stocker de multiples données de santé.
C’est déjà le cas de l’assurance maladie. Ne se peut-il pas que,
demain, l’open data offrira à ceux qui le veulent ou en ont les moyens
un accès aux données de santé anonymisées de la population ? Cet
anonymat est-il suffisamment pensé, suffisamment encadré ? Quel est
le statut ontologique de ces données de santé qui sont pour certaines
d’entre elles très identifiantes ? Sont-elles une image du corps ? Une
image de la personnalité ? Ont-elles une valeur marchande ? Qui en
est le possesseur ? Enfin, la technique remet en cause la notion de
corps même ainsi que le rapport du corps au temps. La génétique
permet de prévoir des maladies muettes au moment du diagnostic,
voire transmissibles à la génération suivante, avant même qu’elles
n’existent. Les organes peuvent être détachés du corps, que ce soit
dans le don du sang, mais aussi dans les greffes. Un organe ainsi
détaché est-il une chose ? Est-il une marchandise ? Y a-t-il un
propriétaire ? Et qu’en est-il lorsque des gamètes, pareillement
détachés du corps, induisent une discordance entre la paternité
biologique et la paternité symbolique ? Que dire et que taire dans
toutes ces circonstances ?
L’ensemble de ces questions trace une ligne de force arrimée à la
question du secret : la continuité de relation a été remplacée par la
continuité de dossier, par la traçabilité. La logique du partage
d’informations est finalement une logique de surveillance. Mais que
devient le pacte de parole dans ces circonstances, et comment le
préserver ?

Aujourd’hui
L’ÉTAT DU DROIT
Sans conteste, c’est la loi du 4 mars 2002 qui a entériné un
changement dans notre rapport secret professionnel des médecins.
Elle en a fait un droit du patient et non plus un droit du médecin, ce
que le devoir de se taire était devenu. La multiplicité des sources
juridiques impliquées invite cependant à clarifier plusieurs concepts
ou représentations, notamment la différence entre la déontologie et
le corpus pénal. Pour y procéder dans l’ordre, il faut d’abord
retourner au Code pénal de 1810 et à l’origine du secret médical
moderne fondé par l’article 378.

Devoir ou droit ? De l’article 378 à l’arrêt Watelet

Que dit l’article 378 du Code pénal de 1810 qui fait de la France
le premier pays où le secret médical est intégré à la loi et, de ce
même secret médical, le paradigme du secret professionnel ? Le voici
dans sa rédaction même :

Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi


que les pharmaciens, les sages-femmes, et toutes autres
personnes dépositaires, par état ou profession, des secrets
qu’on leur confie, qui, hors le cas où la loi les oblige à se
porter dénonciateurs, auront révélé ces secrets, seront
punis d’un emprisonnement d’un mois à six mois, et d’une
amende de cent francs à cinq cents francs.

Comme le remarque justement Raymond Villey, il faut prendre


garde aux non-dits de cet article : « Il ne dit pas qu’une plainte, un
préjudice ou l’intention de nuire soient nécessaires pour qu’un
médecin puisse être poursuivi en violation du secret. Le ministère
public, de son propre chef, peut intenter l’action. Il ne dit pas que le
malade puisse relever son médecin du secret. Il ne dit pas que le
secret disparaisse après la mort du patient 4. » Le Code pénal est un
texte répressif et non prescriptif. Fondé sur le principe de légalité, il
ne dit pas ce qu’il faut faire, ni ce qu’il est interdit de faire mais ce qui
est. Il décrit les conduites condamnables et informe le citoyen sur la
sanction conséquente de telle ou telle de ses actions. En l’état, cet
article 378 n’a pour but que de protéger les confidences des patients
faites à leur médecin afin qu’elles ne soient pas divulguées. Nous
sommes dans la situation simple du colloque singulier et d’un patient
détenteur d’un secret qui fait de son médecin son dépositaire. L’arrêt
Watelet va venir compliquer nettement la situation.

L’affaire se passe en 1885. Le docteur Watelet compte parmi ses


patients habituels un peintre réputé, Jules Bastien-Lepage, avec
lequel il entretient des liens d’amitié. Ce dernier se voit atteint d’un
cancer du testicule et les spécialistes convoqués autour de son cas,
sachant ne pouvoir le guérir, le laissent accomplir un dernier voyage
en Algérie « pour convalescence », au retour duquel il meurt. Le
journal Le Voltaire, dans sa nécrologie, suggère que l’artiste souffrait
d’une maladie vénérienne et qu’il a été mal soigné par Watelet, le
séjour algérois ayant hâté son décès. Pour se défendre contre la
calomnie et « réhabiliter la mémoire de son ami », le docteur Watelet
adresse une lettre au journal Le Matin dans laquelle il précise la
nature de la maladie de Jules Bastien-Lepage ainsi que le traitement
suivi. Il cite le nom des spécialistes consultés et assure que tous ont
approuvé le voyage. Sans que la famille n’intervienne, le docteur
Watelet est poursuivi par le parquet, de sa propre initiative, en
violation de l’article 378 du Code pénal, et condamné en première
instance par le tribunal correctionnel de la Seine, puis en appel à
Paris. Les arguments du docteur Watelet sont les suivants : 1 – les
faits avaient déjà été rendus publics par la presse, il n’a donc rien
révélé ; 2 – il n’a pas dévoilé une confidence de son patient, mais un
diagnostic ; 3 – il n’a eu aucune intention de nuire à son patient.
S’étant pourvu en cassation, il est débouté et l’affaire suscite le
célèbre arrêt du 18 décembre 1885 qui dispose :

La cour […]
Attendu que l’article 378 du Code pénal punit d’un
emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de 100 à
500 francs les médecins, chirurgiens, et autres officiers de
santé, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes et
toutes autres personnes dépositaires par état ou profession
des secrets qu’on leur confie, qui hors le cas où la loi les
oblige à se porter dénonciateurs auront révélé ces secrets ;
Attendu que cette disposition est générale et absolue et
qu’elle punit toute révélation du secret professionnel, sans
qu’il soit nécessaire d’établir à la charge du révélateur
l’intention de nuire ; […]
Attendu qu’en imposant à certaines personnes sous une
sanction pénale l’obligation du secret comme un devoir de
leur état, le législateur a entendu assurer la confiance qui
s’impose dans l’exercice de certaines professions et garantir
le repos des familles qui peuvent être amenées à révéler
leurs secrets par suite de cette confiance nécessaire ;
Que ce but de sécurité et de protection ne serait pas atteint
si la loi se bornait à réprimer les révélations dues à la
malveillance en laissant toutes les autres impunies ;
Que le délit existe dès que la révélation a été faite avec
connaissance, indépendamment de toute intention de
nuire. […]
Rejette le pourvoi du docteur Watelet contre l’arrêt de la
cour d’appel de Paris, chambre correctionnelle du 5 mai
1885 5.

Quelques années après cet arrêt, le professeur Émile Garçon note


d’ailleurs la mauvaise rédaction de l’article 378 et insiste sur le fait
que le secret professionnel n’est pas juste un « dépôt » privé comme le
serait un dépôt d’argent, mais bien qu’il y va de l’intérêt public. Il le
dit en ces termes :

Le secret professionnel a uniquement pour base un intérêt


social, sans doute sa violation peut créer un préjudice au
particulier, mais cette raison ne suffirait pas pour en
justifier l’incrimination. La loi la punit parce que l’intérêt
général l’exige, le bon fonctionnement de la société veut
que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur,
le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l’avocat,
ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les
confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un
secret inviolable. Il importe donc à l’ordre social que ces
confidents nécessaires soient astreints à la discrétion et que
le silence leur soit imposé, sans conditions ni réserves, car
personne n’oserait plus s’adresser à eux si on pouvait
craindre la divulgation du secret confié. Ainsi, l’article 378
a moins pour but de protéger la confidence d’un particulier
que de garantir un devoir professionnel indispensable à
tous, ce secret est donc absolu et d’ordre public 6.

Or, l’arrêt Watelet adossé à l’article 378 va permettre un


glissement de sens : « il s’agit moins de punir une indiscrétion que de
permettre à un médecin d’occulter une information qu’il est seul à
7
connaître ». Sa formulation, qui fait du secret médical une
disposition « générale et absolue », sera souvent reprise dans les
arrêts ultérieurs ayant trait au secret médical. On la retrouvera
en 1996, dans l’affaire Gubler lorsque le médecin de François
Mitterrand fera paraître un ouvrage à sensations huit jours après le
8
décès de son illustre patient . Le Grand Secret, puisque tel est son
titre, constitue comme une parabole des mutations en cours. L’auteur
y révèle que le président de la République était atteint d’un cancer à
la prostate depuis 1981 et que, depuis 1994, il n’aurait plus été
« capable d’assumer ses fonctions ». Le livre est interdit et saisi par le
juge des référés deux jours après sa parution, le 18 janvier 1996, au
titre d’une « intrusion particulièrement grave dans l’intimité de la vie
privée » mais est mis en libre circulation sur internet. Le 23 octobre,
le tribunal de grande instance de Paris confirme l’interdiction, les
peines et amendes, jugement entériné par les cours d’appel et de
cassation. Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme
condamne la France en mai 2004 au titre de la liberté d’expression, la
mauvaise santé d’un Chef d’État ne relevant pas à son sens du secret
médical, mais du droit de l’opinion à l’information.
L’arrêt Watelet a cependant pour suite majeure que la
jurisprudence va faire entrer dans l’article 378 l’ensemble des
professions dont l’exercice est attaché à la confidentialité : prêtre,
avocat, notaire, conseil juridique, banquier, ainsi que les acteurs
paramédicaux. C’est cette rédaction qui sera retenue ultérieurement
dans les codes de déontologie médicale. Aussi est-ce bien l’arrêt, plus
que l’article, qui consacre la dimension publique de la protection du
secret médical au service de l’intérêt général.
La Cour de cassation tend d’ailleurs à rendre ses avis au sujet du
secret médical dans les termes mêmes de l’arrêt Watelet. Le 8 avril
1998, elle donne raison à un médecin qui a refusé de communiquer
des informations sur son patient accusé de meurtre alors qu’il était
entendu comme témoin par la défense 9. Le 28 janvier 2010, un
médecin d’Angers ayant été condamné en appel à un an de prison
avec sursis pour non-dénonciation de mauvais traitements sur
personnes vulnérables, la Cour casse cette décision le 27 avril 2011 :
elle estime que, contrairement à ce qu’a déclaré la cour d’appel, le
secret médical ne concerne pas seulement les informations à
caractère confidentiel reçues de la personne protégée mais également
10
les actes dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions .
Enfin, des décisions de justice ont étendu la notion de secret par-delà
le huis clos de la consultation et la sphère de l’activité
professionnelle. Ainsi, le 17 janvier 1980, à Lyon, un médecin a été
condamné car il avait porté plainte contre le conjoint d’une de ses
patientes et l’avait qualifié sur ses dires de « malade mental à
tendance éthylique » sans l’avoir suivi.

Droit pénal et déontologie

Les ambivalences de la notion de secret médical dans l’état du


droit avant la loi du 4 mars 2002 sont avérées. Encore faut-il déblayer
ce champ encombré. C’est ce que fait opportunément Dominique
11
Thouvenin dès 1977 dans sa thèse qui a pour mérite non seulement
de mettre en évidence certaines confusions, mais aussi de clarifier les
concepts qu’elles impliquent.
La première distinction vise à ne pas confondre droit pénal et droit
disciplinaire (déontologique). Le droit pénal, applicable à tout citoyen
et gouverné par le principe de légalité, a pour seule fin de décrire les
peines auxquelles s’exposent les personnes lorsque leur conduite est
condamnable, tandis que le droit disciplinaire vise à imposer des
devoirs aux membres du groupe qui s’en réclame – ici les médecins.
e
Le terme déontologie a été emprunté à Bentham au XIX siècle. Il
signifie « la science des devoirs ». Toutefois, sous l’Ancien Régime
finissant, il existait déjà un système normatif muni de moyens
répressifs dont l’application relevait des facultés de médecine.
L’article 1 qui ouvre l’actuel Code de déontologie médicale (article
R.4127-1 du Code de la santé publique) précise que « les dispositions
du présent code s’imposent aux médecins inscrits au tableau de
l’Ordre », et que « les infractions à ces dispositions relèvent de la
juridiction disciplinaire de l’Ordre ». Il s’agit bien d’un droit qui
concerne les seuls médecins en établissant leurs devoirs, lesquels
seront sanctionnés en cas de manquement par leur Ordre au nom de
son code qui règle la déontologie disciplinaire. Les deux sont en effet
intrinsèquement liés : c’est l’Ordre qui écrit le code et en assure
l’observance.
Néanmoins il faut faire une seconde distinction entre la
déontologie comme morale à la déontologie comme discipline. Il est
indéniable que le secret médical hippocratique est de l’ordre de la
bienséance et de l’éthique, laquelle concerne le médecin dans sa
personne et sa conscience, mais n’est pas contraignante autrement
qu’en termes de vertu et d’honneur. En revanche, la déontologie
disciplinaire apparaît avec la fondation de l’Ordre des médecins et la
rédaction du Code de déontologie. Elle veut prescrire les devoirs des
médecins et ne relève plus de la simple éthique personnelle. D’une
certaine manière, la création de l’Ordre, par la loi du 7 octobre 1940
après plusieurs décennies d’atermoiement, est imposée pour qu’une
instance, de nature disciplinaire, s’assure que les prescriptions
déontologiques seront respectées.
Alors qu’un Code de déontologie ne devrait comprendre que des
devoirs pour les seuls professionnels concernés, celui des médecins
organise pourtant aussi des droits à leur intention. L’article 47 du
code de 2012 (article R.4127-47 du Code de la santé publique)
dispose ainsi : « Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses
devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour
des raisons professionnelles ou personnelles. » Il s’agit bien de clause
de conscience.
Jusqu’en 2002, le principal problème était que certains médecins
pensaient le secret médical opposable au malade. Après-guerre, pour
12
le professeur Portes , le patient, parce qu’il ne connaissait pas « toute
l’étendue de sa misère », ne pouvait délier son médecin « d’un secret
dont il ne mesurait pas toute l’importance ». C’était évidemment
gommer le risque qu’à se voir cacher sa maladie « pour son bien »
le patient soit mis sous tutelle d’un médecin paternaliste.
Ce problème se double du fait que l’article 378 de l’ancien Code
pénal entendait d’abord protéger les confidences de la personne
soignée des possibles indiscrétions de son médecin. Selon cette
acception, le patient était la source de l’information, il la confiait au
médecin qui en devenait le dépositaire et la loi protégeait cette
confidence contre des révélations indues. Pour autant, avec l’arrêt
Watelet, le contenu du secret s’est progressivement étendu à tout ce
que le médecin constate dans – ou par ? – son activité
professionnelle. C’est dire que le secret recouvre un autre type
d’information, celui dont le médecin est la source, le diagnostic et le
pronostic de ce dont souffre le patient, et que le médecin peut choisir
de communiquer ou non à son patient. C’est donc bien de la volonté
du médecin que dépend ce secret, comme s’il en était le détenteur.
« On aboutit ainsi à un très curieux élément matériel, sans précédent
dans le droit pénal, puisqu’il [le secret] est défini par celui-là même
[le médecin] qui est l’objet de la répression 13. » On comprend que le
pouvoir ainsi donné au médecin puisse apparaître excessif puisqu’il
devient maître de l’information qu’il délivre et, en quelque sorte,
propriétaire de l’information qui concerne son patient. Le problème
clé jusqu’en 2002, ce n’est pas l’indiscrétion du médecin, mais le refus
de donner au patient les informations qui le concernent.

Le nouveau Code pénal

Le premier changement législatif d’importance survient avec la


réforme du Code pénal en 1992. Il n’est plus question de
secret médical mais de secret professionnel : la matrice devient une
simple variété et, si l’obligation continue d’y figurer, c’est sous les
articles 226-13 et 226-14 consacrés à ce dernier titre, raison pour
laquelle le secret en France demeure d’ordre public et d’intérêt
général 14. La tension entre l’obligation et les dérogations est
néanmoins clairement mise en évidence dans la rédaction de ces deux
articles :

Article 226-13 : La révélation d’une information à caractère


secret par une personne qui en est dépositaire soit par état
ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une
mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et
de 15 000 euros d’amende.

Article 226-14 : L’article 226-13 n’est pas applicable dans les


cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En
outre, il n’est pas applicable :
1° À celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou
administratives de privations ou de sévices, y compris
lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a
eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à
une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en
raison de son âge ou de son incapacité physique ou
psychique ;
2° Au médecin qui, avec l’accord de la victime, porte à la
connaissance du procureur de la République ou de la
cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des
informations préoccupantes relatives aux mineurs en
danger ou qui risquent de l’être, mentionnée au deuxième
alinéa de l’article L.226-3 du Code de l’action sociale et des
familles, les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le
plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa
profession et qui lui permettent de présumer que des
violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute
nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur
ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en
raison de son âge ou de son incapacité physique ou
psychique, son accord n’est pas nécessaire ;
3° Aux professionnels de la santé ou de l’action sociale qui
informent le préfet et, à Paris, le préfet de police du
caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des
personnes qui les consultent et dont ils savent qu’elles
détiennent une arme ou qu’elles ont manifesté leur
intention d’en acquérir une.
Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les
conditions prévues au présent article ne peut engager la
responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur,
15
sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi .

LA LOI DE MARS 2002


« Relative aux droits des malades et à la qualité du système de
santé », la loi du 4 mars 2002 a ratifié l’interprétation faite par le juge
judiciaire civil et le juge administratif du secret professionnel des
médecins qu’ils déclarent, depuis les années 1970, non opposable au
patient car dans son intérêt. Ce secret n’est plus seulement une
obligation déontologique, mais il est devenu un droit, comme le
résume Piernick Cressard : « Le secret médical protège le patient, pas
16
le médecin . » La loi conserve cependant la notion de « secret
médical » et contribue à la préciser en incluant le Code de
déontologie dans le Code de la santé publique. Pour la première fois,
elle fixe les règles d’accès à l’information relative au patient et définit
les catégories de personnes qui peuvent légitimement y accéder dont,
nouveauté, la « personne de confiance 17 ». Désormais, le secret est
fondé sur le respect de la vie privée, en cohérence avec l’article 9 du
Code civil 18.

Le Code de la santé publique

L’article L.1110-4 du Code de la santé publique créé par la loi


o
n 2002-303 du 4 mars 2002 « relative aux droits des malades et à la
qualité du système de santé » vient préciser le contenu du secret
médical. Cet article, modifié en 2016, commence ainsi : « Toute
personne prise en charge par un professionnel de santé, un
établissement ou un des services de santé définis au livre III de la
sixième partie du présent code, un professionnel du secteur médico-
social ou social ou un établissement ou service social et médico-social
mentionné au I de l’article L.312-1 du Code de l’action sociale et des
familles a droit au respect de sa vie privée et du secret
des informations le concernant. » Le fait de mentionner ici « le droit
au respect de la vie privée et du secret des informations » introduit le
secret médical dans le droit du sujet tel qu’on le retrouve dans
l’article 9 du Code civil. Il faut ajouter à cela trois autres articles du
Code de la santé publique qui concernent l’information du patient.

L’article L.1111-2, al. 1 du Code de la santé publique dispose :

Toute personne a le droit d’être informée sur son état de


santé. Cette information porte sur les différentes
investigations, traitements ou actions de prévention qui
sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs
conséquences, les risques fréquents ou graves normalement
prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres
solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en
cas de refus.

L’article L.1111-2, al. 4 dispose néanmoins que le patient peut


choisir de ne pas être informé :

La volonté d’une personne d’être tenue dans l’ignorance


d’un diagnostic ou d’un pronostic doit être respectée, sauf
lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission.

Enfin, l’article L.1111-7, al. 1 du même code précise le contenu de


l’information accessible au patient :

Toute personne a accès à l’ensemble des informations


concernant sa santé détenues par des professionnels et
établissements de santé, qui sont formalisées et ont
contribué à l’élaboration et au suivi du diagnostic et du
traitement ou d’une action de prévention, ou ont fait l’objet
d’échanges écrits entre professionnels de santé, notamment
des résultats d’examen, comptes rendus de consultation,
d’intervention, d’exploration ou d’hospitalisation, des
protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en œuvre,
feuilles de surveillance, correspondances entre
professionnels de santé, à l’exception des informations
mentionnant qu’elles ont été recueillies auprès de tiers
n’intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou
concernant un tel tiers.

Les choses sont désormais plus claires : le secret médical n’est pas
opposable au patient en ce que le médecin ne peut lui refuser une
information légitime. Mais il lui reste opposable en ce que le patient
ne peut pas délier le médecin du secret en lui demandant par
exemple de transmettre une information le concernant à un tiers,
sauf exception 19. En prison, il n’est pas rare que des patients fassent
une telle demande à destination de l’avocat ou du juge. Ce qui n’est
pas possible. Mais, en revanche, il est aisé de donner au patient un
certificat descriptif de son état de santé, libre à lui de le transmettre à
qui il veut. Ainsi, ce n’est pas la nature de l’information médicale qui
est en jeu, mais sa modalité d’obtention. Cette distinction permet de
résoudre la plupart des problèmes de transmission d’informations en
mettant le patient au centre du dispositif. Ce n’est pourtant pas
toujours le cas, et certaines dérogations au secret ont pour finalité de
contourner le patient, notamment dans les situations de handicap ou
de minorité.

Le Code de déontologie médicale

Le Code de déontologie médicale a rang de décret et appartient


désormais au Code de la santé publique. Un certain nombre d’articles
concernent le secret professionnel des médecins. L’article 4 (R.4127-4
du Code de la santé publique) est le principal d’entre eux. Il dispose :
« Le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients, s’impose
à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre
tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de
sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais
aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ». Michel David, psychiatre et
vice-président du Syndicat des psychiatres hospitaliers (SPH) ajoute
20
volontiers, « y compris de travers ».
L’article 51 (R.4127-51) complète opportunément l’article 4 : « Le
médecin ne doit pas s’immiscer sans raison professionnelle dans les
affaires de famille ni dans la vie privée de ses patients. » Le secret
médical, c’est aussi fermer les yeux sur ce que l’on n’a pas à
connaître.
L’article 72 (R.4127-72) invite le médecin à faire en sorte que le
secret soit respecté par son équipe : « Le médecin doit veiller à ce que
les personnes qui l’assistent dans son exercice soient instruites de
leurs obligations en matière de secret professionnel et s’y conforment.
Il doit veiller à ce qu’aucune atteinte ne soit portée par son entourage
au secret qui s’attache à sa correspondance professionnelle 21 ».
L’article 73 (R.4127-73) demande à ce que les documents
médicaux soient protégés : « Le médecin doit protéger contre toute
indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu’il a
soignées ou examinées, quels que soient le contenu et le support de
ces documents. Il en va de même des informations médicales dont il
peut être le détenteur. »
L’article 104 (R.4127-104) applique les mêmes règles à la
médecine de contrôle : « Le médecin chargé du contrôle est tenu au
secret envers l’administration ou l’organisme qui fait appel à ses
services. Il ne peut et ne doit lui fournir que ses conclusions sur le
plan administratif, sans indiquer les raisons d’ordre médical qui les
motivent. Les renseignements médicaux nominatifs ou indirectement
nominatifs contenus dans les dossiers établis par ce médecin ne
peuvent être communiqués ni aux personnes étrangères au service
médical ni à un autre organisme. »
L’article 35 (R.4127-35) apporte une nuance à la nécessité
d’informer le patient : « Le médecin doit à la personne qu’il examine,
qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et
appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui
propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la
personnalité du patient dans ses explications et veille à leur
compréhension. Toutefois, lorsqu’une personne demande à être tenue
dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic, sa volonté doit être
respectée, sauf si des tiers sont exposés à un risque de contamination. »
L’article 50 (R.4127-50) règle la transmission d’informations à
l’assurance maladie, aux mutuelles et à tout organisme permettant au
patient d’avoir des droits, de l’accès aux Maisons départementales des
personnes handicapées (MDPH) aux certificats pour obtenir un
appartement thérapeutique : « Le médecin doit, sans céder à aucune
demande abusive, faciliter l’obtention par le patient des avantages
sociaux auxquels son état lui donne droit. À cette fin, il est autorisé,
sauf opposition du patient, à communiquer au médecin-conseil
nommément désigné de l’organisme de sécurité sociale dont il
dépend, ou à un autre médecin relevant d’un organisme public
décidant de l’attribution d’avantages sociaux, les renseignements
médicaux strictement indispensables. »

Le Code de la sécurité sociale

Le secret professionnel est également inscrit dans le Code de la


22
sécurité sociale à l’article 162-2 . Cependant, l’article L.161-29 sur
les régimes obligatoires prévoit que les professionnels de santé sont
tenus de communiquer certaines données de santé aux organismes
compétents, sans que le patient puisse refuser la transmission de
celles le concernant, fût-ce en invoquant le droit au respect de sa vie
privée 23. Cet article précise :

Le personnel des organismes d’assurance maladie est


soumis à l’obligation de secret dans les conditions et sous
les peines prévues à l’article 226-13 du Code pénal. Il peut
être dérogé à cette obligation pour transmettre des données
à des fins de recherche dans le domaine de la santé lorsque
les modalités de réalisation de ces recherches nécessitent
de disposer d’éléments d’identification directe ou indirecte
des personnes concernées. Ces éléments sont recueillis dans
le respect des dispositions de la loi no 78-17 du 6 janvier
1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Après utilisation des données, les éléments d’identification
des personnes concernées doivent être détruits.

De cela on peut retenir plusieurs éléments importants :


– Le secret médical partagé ne peut l’être qu’entre des personnels
de santé, le médecin étant responsable de la garde du secret par son
entourage.
– Le secret couvre bien l’ensemble des informations venues à la
connaissance des soignants, y compris et c’est une nouveauté, pour le
mineur qui peut demander le secret vis-à-vis de ses parents 24.
– La garde du secret est élargie à l’ensemble des participants au
système de soins, incluant les hébergeurs de données de santé, ce qui
soulève la question de l’informatisation des données médicales.
– Le secret médical ne s’oppose pas à ce que la famille et surtout
la personne de confiance désignée reçoivent, avec l’accord du patient,
les informations destinées à l’accompagnement. Le secret médical ne
peut pas être opposé au patient, même si ce dernier ne peut délier le
médecin vis-à-vis d’un tiers qui n’est pas un membre de sa famille ou
ladite personne de confiance.
– L’accès des ayants droit à des informations médicales concernant
le défunt est assoupli, sous certaines conditions 25.
– Il n’est pas dit qu’il faille une plainte de la personne lésée pour
intenter une action en justice : le ministère public peut intenter
l’action. Il n’est pas dit que le secret appartienne à quiconque, ni que
le malade puisse relever son médecin de ce secret. Il n’est pas dit que
le secret disparaisse avec la mort du patient.

Dérogations légales
26
Une fois ceci posé, viennent les dérogations, nombreuses . On
distingue les obligatoires et les facultatives, mais aussi les diverses
situations incidemment créées lorsque, dans des articles de loi, est
glissée une formule faisant exception à l’article 226-13 du Code
pénal.

• Dérogations obligatoires ou ordonnées par la loi


– Déclaration de naissance (art. 56 du Code civil).
– Déclaration de décès (art. L.2223-42 du Code général des
collectivités territoriales).
– Déclaration des maladies contagieuses (art. L.3113-1 du Code
de la santé publique) :
o Les maladies qui nécessitent une intervention urgente locale,
nationale ou internationale ;
o Les maladies dont la surveillance est nécessaire à la conduite et
à l’évaluation de la politique de santé publique. Les articles D.3113-6
et D.3113-7 du Code de la santé publique en dressent la liste.
– Admission en soins psychiatriques (art. L.3212-1 à L.3213-10 du
Code de la santé publique) :
o Admission en soins psychiatriques à la demande d’un tiers (art.
L.3212-1 à 3) ;
o Admission en cas de péril imminent (art. L.3212-1, II-2°) ;
o Admission sur décision du représentant de l’état (art. L. 3213-
1).
– La dérogation obligatoire concernant le signalement des
alcooliques présumés dangereux a été abrogée lors de la refonte des
articles sur la dépendance dans le Code de la santé publique, en
juin 2000 27.
– Sauvegarde de justice (art. 434 Code civil ; art. L.3211-6 du
Code de la santé publique).
– Accidents du travail et maladies professionnelles (art. L.441-6 et
L.461-5 du Code de la sécurité sociale).
– Pensions civiles et militaires de retraite et d’invalidité (art. L.31
du Code des pensions civiles et militaires de retraite).
– Procédures d’indemnisation (Transmission du HIV par
transfusion, exposition à l’amiante, victimes d’essais nucléaires
français…).
– Protection de la santé des sportifs et lutte contre le dopage (art.
L.232-3 du Code du sport).
– Sécurité, veille et alerte sanitaires, lors de risques pour la santé
humaine.

• Dérogations facultatives ou permises par la loi


– Sévices ou privations infligés à un mineur ou à une personne
incapable de se protéger (art. 226-14, 2° du Code pénal, article 223-
6, et article 434-3).
– Protection des mineurs en danger ou risquant de l’être (voir la
o
loi n 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de
l’enfance).
– Sévices permettant de présumer de la commission de violences
sur une personne majeure (art. 226-14, 2° du Code pénal).
– Dangerosité pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes
connues du médecin pour être détentrices d’une arme à feu ou ayant
manifesté leur intention d’en acquérir une (art. 226-14, 3° du Code
pénal).
– Évaluation et plan personnalisé de compensation du handicap
(selon l’article L.241-10 du Code de l’action sociale et des familles,
par exception à l’article 226-13 du Code pénal).
– Évaluation de l’activité des établissements de santé (art. L.6113-
7 du Code de la santé publique).
– Recherches dans le domaine de la santé (chapitre IX de la loi
no 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux
fichiers et aux libertés).
– Évaluation ou analyse des activités de soins et de prévention (la
loi no 2004-801 du 6 août 2004 a complété la loi informatique et
libertés du 6 janvier 1978 d’un chapitre X relatif au traitement des
données personnelles de santé à des fins d’évaluation ou d’analyse
des activités de soins et de prévention).
– Accès aux informations de santé nominatives par les médecins
inspecteurs de l’IGAS ou de l’ARS (art. L.1112-1 du Code de la santé
publique), les médecins-conseils des services du contrôle médical
(art. L.315-1, V du Code de la sécurité sociale), les médecins experts
de la Haute autorité de santé (art. L.1414-4 du Code de la santé
publique), et les inspecteurs, médecins, de la radioprotection (art.
L.1333-19 du Code de la santé publique).
Il existe par ailleurs, et depuis plus longtemps, une jurisprudence
particulière concernant les rentes viagères et les testaments. Le
médecin traitant du défunt peut, sans violer le secret professionnel
délivrer un certificat qui indique si l’affection ayant entraîné la mort
existait à la date de la signature du viager (civ., 12 février 1963), ou
si les facultés mentales du testateur étaient altérées lors de la
rédaction d’un testament contesté (civ. 1, 26 mai 1964). À la suite de
cette jurisprudence, la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 a prévu que
les héritiers puissent accéder aux informations médicales concernant
une personne décédée qui leur sont nécessaires pour faire valoir leurs
droits (art. L.1110-4 et R.1111-7 du Code de la santé publique).
À ces dérogations facultatives, il faut ajouter les situations où le
partage d’informations à caractère médical a été étendu au-delà du
strict partage entre professionnels de santé, comme dans le cas de la
protection de l’enfance ou de la prise en charge du handicap. Enfin, il
faut aussi citer les désormais nombreuses situations dans lequel le
partage d’informations est requis avec l’autorité judiciaire, dans le
cadre des injonctions de soin et du suivi socio-judiciaire.

Influences extérieures

Comment, toutefois, la législation française se mesure-t-elle à


l’influence dominante du droit anglo-saxon dans le cadre de la
mondialisation libérale et aux impératifs d’harmonisation au regard
de la construction européenne ? Pays source, l’Angleterre détermine
toute une tradition jurisprudentielle qui, sur la question du secret
médical comme sur tant d’autres, procède d’un cas éminemment
circonstancié. En 1769, Elizabeth Chudleigh, bien que mariée, obtient
du tribunal ecclésiastique d’être certifiée célibataire après avoir fait
déclarer fou son époux Augustus John Hervey. Elle peut ainsi
convoler en justes noces avec son amant, Evelyn Pierrepont, duc de
Kingston. Mais à la mort de celui-ci, en 1773, son neveu Evelyn
Medows conteste le testament et poursuit la veuve pour bigamie. Ce
dont la déclare coupable la Chambre des Lords en 1776. Appelé à la
barre, son chirurgien, M. Hawkins, rechigne à évoquer le premier
mariage de sa patiente et s’y voit forcé par Lord Mansfield en ces
termes : « Si un chirurgien révélait volontairement des secrets, bien
sûr, il serait coupable d’une violation de l’honneur et d’une grande
indiscrétion. Mais de donner cette information dans une Cour de
Justice, ce que par la loi de ce pays il est tenu de faire, ne lui sera
jamais imputé comme une quelconque indiscrétion 28. »
Cette décision fonde l’absence de privilège des médecins que
confirmeront les décisions ultérieures. Ainsi, en 1836, dans l’affaire
Greenlaw v. King (1836) où se pose la question de l’admissibilité des
communications entre un conseil et son client, Lord Langdale, maître
des rôles, se prononce in obiter : « Les cas de privilège sont limités
aux avocats et à leurs clients ; et les serviteurs, les parents, le
personnel médical, les membres du clergé et les personnes qui
jouissent de la plus étroite relation de confidence sont tenus de
divulguer les communications qui leur ont été faites 29. »
La violation du secret médical n’est pas punie pénalement, mais il
est pour autant une déontologie qui aura longtemps été dominée par
le traité Medical Ethics que Thomas Percival publie en 1803. Dans
cette sorte de manuel de savoir-vivre pour gentleman thérapeute qui
30
devient garant des bonnes pratiques professionnelles , Percival
conseille notamment d’interroger le malade « à voix basse et sans
témoin ». Quant au secret lui-même, il recommande de le garder,
quoique de manière très souple : « La discrétion doit être strictement
observée, si les circonstances particulières la demandent 31. » C’est
que ne sont pas moins nécessaires le recueil et le partage
d’informations et d’observations pour faire progresser les
connaissances. Cet échange, « amical et sans réserves », se fait « entre
les confrères qui sont tenus de se communiquer tous les cas
extraordinaires ou intéressants de leur pratique à l’hôpital 32 ». Enfin,
s’il est appelé comme témoin, le médecin doit, comme n’importe quel
autre citoyen, dire « la vérité, toute la vérité et rien que la vérité »
même si cela est en général « pénible » : l’« interruption des affaires »
qui est ainsi occasionnée n’empêche pas qu’il y aille d’« une dette
envers la communauté à laquelle le médecin ne doit pas se
soustraire 33 ».
Telle est donc la règle d’or que ne dément pas la législation
actuelle. Le respect de la vie privée est principalement intégré au
dispositif du Data Protection Act rédigé en 1998, qui se rapproche de
notre loi « informatique et liberté » du 6 janvier 1978. D’une certaine
manière, en Angleterre, la garde du secret médical ne relève pas du
droit mais de la moralité. Ce secret est plutôt bien respecté.
Ce corpus, dans son esprit et dans ses termes, vaut pour les pays
du Commonwealth mais aussi pour les États-Unis. Pareillement, le
secret médical ne figure pas dans le droit fédéral. La notion de vie
privée est en partie protégée par le Privacy Act de 1974 qui traite de
la protection des données à caractère personnel, mais la disposition
ne s’applique qu’aux dossiers hébergés par une Agency, et non pas à
ceux en possession des praticiens. Autant dire que le secret médical
n’est pas protégé par la loi. L’American Medical Association, qui a
adopté dès 1847 l’ouvrage de Percival comme charte, préconise à
l’alinéa 5.05 de son présent Code of medical ethics que « le médecin ne
doit pas divulguer des informations confidentielles sans le
consentement exprès du patient, sous réserve de certaines exceptions
qui sont éthiquement justifiées en raison de considérations
impérieuses 34 ». Parmi ces dernières, figurent la menace sur autrui et
le témoignage devant la justice, sous réserve que ne soit révélée que
« l’information minimale requise ».
Ce secret ou confidentiality fait donc l’objet, au mieux, de
recommandations par des instances plus ou moins représentatives de
la profession. De surcroît, la protection accordée au secret
professionnel devant les tribunaux varie considérablement selon les
États. En Californie, par exemple, le secret professionnel du médecin
s’accompagne d’un privilege, mais en faveur du patient ou de ses
ayants droit et reste inapplicable dans plusieurs situations : « 1 –
lorsque les services du médecin ont été sollicités en vue de
commettre une infraction ou un délit, 2 – lorsque le tribunal instruit
une plainte pénale contre le patient, 3 – lorsque le patient fait face à
une poursuite civile qui met en cause son état de santé, 4 – lorsque le
litige oppose des héritiers ou légataires du patient, 5 – lorsque le
procès porte sur la responsabilité l’un envers l’autre du patient ou du
médecin, 6 – qu’il concerne les dernières volontés du patient ou la
validité d’un testament, 7 – lorsqu’il s’agit d’une demande
d’interdiction ou d’internement, et ainsi de suite 35 ». Autant dire
qu’un tel privilege est très relatif.
Le droit américain se fonde en effet sur l’axiome qu’il est « […]
plus désirable de risquer la dissimulation de la vérité que de
36
perturber les valeurs que soutient le privilège ». Afin de déterminer
à quels moments cet axiome doit s’appliquer, le professeur John
Henry Wigmore (1863-1943), a établi, dans son ouvrage classique
Evidence in Trials at Common Law, une série de conditions au nombre
de quatre et connues depuis sous le nom de Wigmore criteria : « 1 –
les communications doivent avoir été transmises confidentiellement
avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées ; 2 – le caractère
confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et
satisfaisant des rapports entre les parties ; 3 – les rapports doivent
être de la nature de ceux qui, selon l’opinion de la collectivité,
doivent être entretenus assidûment ; 4 – le préjudice permanent que
subiraient les rapports par la divulgation des communications doit
être plus considérable que l’avantage à retirer d’une juste
37
décision ». Ces critères sont volontiers cités dans la jurisprudence
qui concerne la divulgation d’informations à caractère médical.
Toutefois, il est un sérieux défaut à cette approche libérale si l’on
en croit Albert R. Jonsen, figure dominante de la bioéthique au sein
de l’univers anglo-saxon. Dans A short history of medical ethics 38,
celui-ci regrette vivement que la déontologie de la profession
médicale se soit progressivement réduite à une question de
responsabilité fiduciaire, concept élaboré par le Common Law pour les
relations des professionnels qui engagent les intérêts d’un client, mais
qui n’a plus grand-chose à voir avec la déontologie hippocratique qui
faisait injonction de soigner tout le monde y compris ceux qui n’en
avaient pas les moyens.
Le courant dominant en Europe continentale va à rebours de la
conception libérale. Particulièrement dans les pays de tradition
catholique, ou qui le sont au moins en partie, le secret médical
demeure au contraire d’intérêt public : sa violation est sanctionnée
par les différents codes pénaux 39 et, dans le même temps, le médecin
est souvent contraint de témoigner en justice. C’est le cas par
40
exemple de l’Italie . L’Allemagne présente une sorte d’entre-deux : le
médecin peut témoigner si le patient le délie du secret, ce qui fait du
41
secret la propriété du patient . Autre particularité, en Espagne, le
pardon de la victime ou de son représentant légal éteint l’action
pénale ou la peine prononcée en cas de violation du secret
professionnel (article 201 du Code pénal espagnol, al. 3). La situation
belge est celle qui se rapproche le plus de la française avec
cependant, en cas d’infraction, une amende trente fois inférieure, soit
de 500 euros au lieu de 15 000 euros (art. 458 du Code pénal belge).
Ces législations doivent toutes se conformer aux règles
européennes. Celles-ci sont de deux sortes car elles proviennent de
deux institutions différentes : les unes émanent de l’Union
européenne, comme le règlement 2016/679 du Parlement européen
en date du 27 avril 2016 ou la directive européenne 95/46/CE sur les
données à caractère personnel ; les autres du Conseil de l’Europe,
comme l’article 8 de la Convention européenne des droits de
42
l’homme . Or, ces règles ne sont pas elles-mêmes harmonisées.
L’objet du règlement 2016/679 est la libre circulation des données de
santé, revendiquée comme telle au paragraphe 54 : « Le traitement
des catégories particulières de données à caractère personnel peut
être nécessaire pour des motifs d’intérêt public dans les domaines de
43
la santé publique, sans le consentement de la personne concernée »,
même si en est exclu l’usage « à d’autres fins par des tiers, tels que les
employeurs ou les compagnies d’assurances et les banques ». Or,
l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme
promeut, de son côté, la protection de la vie privée. Par son existence
même, le conflit sous-jacent entre circulation et protection incline le
futur du continent européen à se modeler sur le présent du monde
atlantique et libéral.

INTERPRÉTATION

En France, le secret médical ressort donc à la fois de l’intérêt


public, comme y insiste continûment la jurisprudence issue de l’arrêt
Watelet, et de l’intérêt privé car il est protégé, comme y invite à la
législation européenne, par le Code civil en son article 9 : « Chacun a
droit au respect de sa vie privée. » Quant à la relation entre le
médecin et son patient, elle relève d’une situation d’ordre privé que
résume ainsi Didier Truchet : 1 – le médecin est tenu au secret, 2 –
mais le malade a le droit d’être informé, 3 – sauf s’il refuse de l’être,
4 – et à moins d’un risque de transmission à un tiers 44.
La difficulté vient des dérogations à la loi qui prouvent, on l’a dit,
que le secret médical n’est pas protégé en soi, mais par le biais de sa
45
révélation constitutive d’une infraction . Il suffit donc que la
représentation parlementaire vote une nouvelle dérogation pour que
recule la limite du secret, selon la fâcheuse tendance française à la
proclamation de grands principes suivie immédiatement de l’édiction
d’exceptions.
Il faut redire ce qui va sans dire : les dérogations au secret
professionnel des médecins signifient tout simplement que la
révélation d’une information connue dans le cadre d’une consultation
médicale ne sera pas punissable si la loi l’impose ou l’autorise. Celles
qualifiées d’obligatoires touchent essentiellement à la naissance et la
mort, l’État étant devenu la grande « maisonnée » que l’Antiquité
concevait comme le foyer domestique, ou relèvent de compétences là
46
encore publiques, sanitaires et administratives : le médecin est
astreint de déclarer les maladies contagieuses, les accidents du travail
et maladies professionnelles, les maladies psychiatriques nécessitant
une hospitalisation sous contrainte, les déclarations de visites
obligatoires pour les enfants en bas âge, aucune de ces situations ne
souffrant débat.
En revanche, les dérogations permises par la loi peuvent entraîner
de véritables cas de conscience pour le médecin. Or, les idées et
représentations qui sont à leur racine réclament qu’elles soient mises
au jour avant même de pouvoir juger de leur pertinence.

La dénonciation ou le masque de la contrainte


Dans la conception classique, le secret professionnel du médecin
est fondé sur le principe de confiance que requiert nécessairement le
devoir qu’il a de soigner quiconque et tout le monde, y compris
quelqu’un qui aurait quelque chose à se reprocher. C’est cette
discrétion qui a été souvent mise en avant pour montrer en quoi ledit
secret revêt un intérêt public.
Or, le médecin peut être amené à connaître des situations dans
lesquelles une personne est mise en danger ou victime de violence. Il
n’est pas obligé de dénoncer le fait, mais il est incité à discerner à
quel moment il doit le divulguer et à quel moment il doit le taire.
L’alternative est compliquée car on ne lui reprochera jamais d’avoir
dénoncé des violences, alors qu’on pourra lui faire grief de son
silence. Pourtant, la dérogation que le Code de déontologie admet
relativement à une telle situation est facultative.
Émerge, avec ce problème, celui du tiers dont la présence, qu’il
soit maltraitant ou maltraité, ne déserte jamais la relation médicale, y
compris dans le colloque singulier. Là encore, il faudra avoir les idées
claires : le consentement de la victime à la maltraitance ne change
rien à la question de dénoncer ou non le délit. La question de la
vulnérabilité est en revanche essentielle : il est des situations où
l’absence de consentement n’apparaît pas à la victime, lorsque la
victime est mineure, incapable majeure, sous emprise, en état de
faiblesse à l’instar d’une personne âgée dépendante ou d’un malade
psychiatrique – à quoi l’on pourrait légitimement ajouter dans
certaines circonstances, on l’a vu, l’incarcération.
Lorsque la personne est majeure, c’est pour le médecin un choix
difficile que de décider d’informer le procureur de la République des
sévices qu’il a constatés et qui lui font présumer des violences alors
même que la victime, terrorisée, ne peut se résoudre à porter plainte.
Ainsi du praticien qui consulte dans un centre de mineurs délinquants
dont l’un est victime des violences d’un autre : doit-il dénoncer
47
l’agresseur qui est aussi l’un de ses patients ? Au regard de certaines
affaires très médiatisées, le droit de dénonciation n’est-il pas en train
de devenir une obligation de dénoncer sur le fondement de
l’article 434-3 du Code pénal ? La plupart des pays européens
affichent par ailleurs une législation qui va dans ce sens. D’ores et
déjà, les modifications de l’article 226-14 du Code pénal apportées à
o
cet article par la loi n 2015-1402 du 5 novembre 2015 visent à
pousser les soignants – mais sans doute aussi les ministres du culte –
à signaler les cas de maltraitance qu’ils pourraient découvrir dans le
cadre de leur exercice professionnel. Les législations des autres pays
membres de l’Union européenne vont par ailleurs, pour la plupart,
dans ce sens.

L’avis d’expert ou la magie de la prédiction

Outre le domaine du contrôle sanitaire, au sens administratif du


terme, les dérogations dans le cadre des obligations de soin se sont
essentiellement développées, ces dernières années, dans le domaine
de la psychiatrie. Selon un revirement dont nous n’avons pas fini de
tirer les conséquences, le discours sur la dangerosité, que l’on pensait
e
définitivement classé dans les archives médicales du XIX siècle, est
progressivement revenu sur le devant de la scène. Il s’est d’abord fixé
sur les figures du malade mental et du délinquant sexuel, avant de se
déplacer vers la figure du terroriste, vite qualifié de fanatique
religieux sous emprise sans que l’on ait pris la peine de s’interroger
sur la nature de cette emprise ou de ce fanatisme.
Dans chacun de ces cas, on est allé chercher le psychiatre et son
savoir supposément magique en estimant que, sachant
nécessairement ce qui se passe dans la tête d’un quidam dont on ne
comprend pas communément la conduite, il éclairerait de sa science
non pas l’état clinique d’un patient à un temps t, ce à quoi il est
formé, mais l’état à venir de ce même quidam. Est-il dangereux ou
non ? Demain comme aujourd’hui, ou non ? Va-t-il réitérer son acte,
ou non ?
Or le médecin traitant ne peut pas être en même temps médecin
expert, rappelle opportunément le Code de déontologie médicale. Il
arrive cependant que le juge ait besoin d’un point de vue qualifié et
précis sur la situation médicale ou psychiatrique d’une personne. Un
expert est alors mandaté pour délivrer une information de type
médical. Dans le cadre de cette mission, il est considéré comme un
auxiliaire de justice et payé à ce titre, quoique mal, pour accomplir
son difficile travail. Toute autre est la situation où l’on demande un
avis d’expert au médecin traitant. C’est le cas en prison où le
praticien est souvent sollicité pour des questions qui n’ont rien à voir
avec la clinique et tout à voir avec l’expertise, au risque parfois d’être
mis en cause s’il se tait et s’il parle. Enfin, le soin sous contrainte pose
par nature la question de l’interface entre médecine et justice.
Comme l’écrit joliment le Guide de l’injonction de soins, « la
concertation entre l’autorité judiciaire et le personnel de santé reste à
la discrétion des acteurs de terrain ». On ne saurait mieux dire le
caractère hasardeux, voire périlleux d’une telle « concertation ».

La santé publique ou le mirage du bien national

Au XIXe siècle, l’État prend de plus en plus conscience qu’il doit


protéger l’hygiène publique, et petit à petit, se fait jour l’idée qu’il
doit aussi protéger la santé publique. Ce qu’entérine, le 22 juillet
1946, la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) :
« La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre
constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain ». La
naissance de la Sécurité sociale est le résultat de cette prise de
conscience. Or, un tel droit crée nécessairement des obligations en
termes de prophylaxie et de contrôle au sein desquelles figurent,
entre autres, les visites médicales obligatoires pour les nourrissons et
les enfants, la médecine scolaire, la médecine du travail, le dépistage
de maladies à déclarations obligatoires, la prise en charge du
handicap.
On retrouve ici l’idée rousseauiste d’une « aliénation totale de
48
chaque associé, avec tous ses droits, à toute la communauté ». Si ce
n’est que cette idée est devenue un impératif, ainsi que le souligne
Dominique Thouvenin : « Dans le cadre des contrôles, l’individu a
toujours le devoir de s’y soumettre ; sur ce terrain on ne peut même
plus parler d’indiscrétion, car c’est à une véritable violation de la
49
personne privée qu’on a affaire ». Dès que l’on sort de la
consultation privée et qu’on entre dans la régulation des rapports du
citoyen à la société, le secret médical n’existe pas. On peut certes se
bercer de mots en rappelant que le médecin expert ou le médecin
contrôleur est lui aussi soumis au secret professionnel et, sans doute,
il veillera à ne divulguer que le strict nécessaire. Il n’empêche que
l’autorité dont il dépend attend de lui la révélation d’une information
impossible à obtenir sans son secours.
L’article L.161-29 du Code de la sécurité sociale cité plus haut
montre bien que le médecin est contraint de transmettre une
information médicale concernant son patient. Dérangeant ? Or, que
l’on sache, personne ne demande le consentement au patient, qui est
implicite s’il veut se faire rembourser. Le dossier médical non plus
personnel mais partagé repose sur la même idée. Ce qui ne laisse pas
d’interroger le statut de l’information à caractère médical, de son
accès et de son contrôle, quand se présenteront des intérêts financiers
considérables et des enjeux de pouvoir plus considérables encore.
Aujourd’hui, déjà, les laboratoires pharmaceutiques se préparent à
l’open data.

Le dossier informatisé ou le fantôme


de la traçabilité

La continuité des soins, pour nos aïeux, était assurée par une
continuité de relation avec le médecin de famille, parfois sur deux à
trois générations. Avec la multiplication grandissante des
intervenants et la centralisation toujours plus difficile des
informations, nous sommes passés d’une continuité de relation à une
continuité de dossier. Désormais, seule compte la traçabilité afin que
divers agents puissent prendre en charge à la suite un même patient.
Plusieurs dispositifs ont été tentés pour résoudre cette intermittence,
à commencer par la déclaration du « médecin traitant », lequel, hélas,
voit tellement les formulaires se multiplier qu’il n’est pas certain que
ce modèle survive en l’état bien longtemps. Désormais, l’espoir de
l’administration sanitaire réside dans le dossier médical « partagé »,
après avoir été « personnel ».
Faisons un peu de mauvais esprit pour tempérer un tel optimisme
technicien en relatant un fait divers pathétique. Aux États-Unis, un
homme souffrant soudainement de fièvre, vomissements et douleurs,
meurt à son domicile, muni du simple antibiotique que lui a prescrit
le médecin qu’il vient de consulter à l’hôpital, mais qui a jugé bon de
le renvoyer chez lui. L’enquête sanitaire montre que ledit médecin a
omis de lire, dans le dossier informatisé, l’information pourtant
cruciale qu’y a inscrite l’infirmière de garde, à savoir le séjour du
patient en zone d’endémie du virus Ebola. Morale de l’histoire : la
continuité de relation, quand prosaïquement on se parle, vaut parfois
mieux que la continuité de dossier !
Georg Simmel déjà, en se penchant sur le commerce épistolaire,
avait noté que l’écrit congédie le témoin. « Avant l’usage généralisé de
l’écriture, tout acte juridique, si simple fût-il, était conclu devant
témoins. La forme écrite se substitue à cela, puisqu’elle implique une
“publicité”, peut-être potentielle, mais néanmoins sans limites ; ce qui
signifie que tout le monde, et pas seulement les témoins, peut savoir
que telle affaire a été conclue ». Et de conclure : « L’écrit a donc une
50
existence objective, qui renonce à toute garantie de secret ». Au
moins sommes-nous prévenus.

Le partage ou l’illusion du mieux savoir, mieux agir

Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Comme l’écrit


Dominique Thouvenin, la voie des dérogations, de « modeste sentier
en 1810 » a tourné à l’« autoroute » au fur et à mesure que les
informations à caractère médical sont devenues précieuses et les
acteurs nombreux. Il suffit au législateur de s’assurer que le médecin
ne sera pas inquiété pour divulgation de secret professionnel.
« L’honneur paraît sauf, puisque l’infraction demeure, mais les
hypothèses où la prise en compte d’autres intérêts l’emporte sur la
protection de l’intimité de la personne sont si nombreuses que la
protection n’est plus que de façade 51 ». La manière de procéder est
sempiternelle : 1 – La loi détermine qui a le pouvoir d’accéder à
l’information couverte par le secret, 2 – puis elle oblige le
professionnel concerné à transmettre cette information, 3 – enfin elle
précise comme un mantra que les destinataires sont soumis « à
l’obligation de secret dans les conditions et sous les peines prévues à
l’article 226-13 du Code pénal », ou tout simplement que telle ou
telle disposition qui est une dérogation majeure au secret se fera
« dans le respect du secret ». Bel exemple d’injonction paradoxale que
l’on pourrait presque caricaturer ainsi : les informations à caractère
médical seront connues de qui veut, sous réserve que cette
52
divulgation préserve le secret médical – « Voilà pourquoi votre fille
est muette ».

Le partage au-delà de l’équipe de soins


Que veut la « démocratie sanitaire » ? Si détenir une information,
c’est détenir un pouvoir, son ambition est de partager les informations
à caractère médical afin que soit aussi partagé le pouvoir. Le secret
médical est évidemment un obstacle à sa réalisation. Aussi les
propositions de loi se multiplient-elles pour favoriser, plutôt
qu’encadrer, le partage d’informations à caractère médical. De la
confidence, nous sommes passés à la dissémination, puis au « patient-
53
traceur » et arrivons finalement, à l’open data, le libre accès à l’état
de santé de la société à partir de données médicales en théorie
anonymisées. Il n’est pas certain que les médecins aient vraiment
conscience de la révolution copernicienne qui se déroule sous leurs
yeux, ni qu’ils soient vraiment armés pour y faire face sur le plan
technique comme sur le plan juridique et éthique. Pourtant, si la
réflexion morale a pour fonction de rendre le tragique moins
tragique, mieux vaut un tant soit peu tenter d’y comprendre quelque
chose.
Le Bulletin numéro 39 de l’Ordre national des médecins, daté de
mai-juillet 2015, offre une fiche pratique sur la transmission
d’informations médicales. Il y est fait rappel des grands principes.
Tout d’abord, que le partage d’informations ne peut se faire qu’entre
professionnels de santé, à savoir et in extenso médecins, dentistes,
infirmiers, kinésithérapeutes, sages-femmes, orthophonistes,
pharmaciens, préparateurs en pharmacie, pédicures podologues,
ergothérapeutes, orthoptistes, audioprothésistes, opticiens-lunetiers,
prothésistes et orthésistes, diététiciens tandis que psychologues et
assistantes sociales en sont exclus. Ensuite, que les informations
partagées doivent être « nécessaires, pertinentes et non excessives ».
Enfin, que le patient doit être informé de ces échanges et ne pas s’y
être opposé, sans pour autant que son consentement écrit ait à être
recueilli.
La fiche est conçue pour être pédagogique car la transmission
d’informations est devenue une occupation en soi. Elle est obligatoire
entre médecins traitants d’un même patient dans les situations
prescrites par le Code de déontologie lorsque la continuité des soins
est en jeu (articles 45, 47 et 64). Elle est possible, si jugé nécessaire,
entre les médecins traitants (articles 55 et 78), au médecin conseil de
la caisse d’assurance sociale (article 50), au médecin inspecteur de la
santé (L.1112-1). Elle est interdite auprès d’un médecin de
compagnie d’assurances, d’un médecin expert judiciaire, d’un
médecin du travail, sauf si le patient le souhaite.
On ne s’étonnera pas, dès lors, que la question du partage
d’informations ait pris le pas sur celle de secret médical au point
qu’elle s’étende désormais au-delà du cercle des professionnels de
santé. Il suffit, on l’a vu, de « faire exception au secret professionnel
en le maintenant dans son intégrité » pour que le tour de passe-passe
soit joué et qu’il n’effraie pas le législateur. C’est aussi le cas de la
dernière loi de modernisation du système de santé qui a repris, en
janvier 2016, toutes les dispositions déjà effectives dans les domaines
o
de la protection de l’enfance et du handicap. Avec le décret n 2016-
994 du 20 juillet 2016, la fiche du Conseil de l’Ordre des médecins
est devenue caduque.

SECRET MÉDICAL ET ENFANCE


La difficulté d’appliquer la loi

La loi Kouchner de mars 2002 a renforcé la notion de secret


médical dans la prise en charge des patients mineurs. Désormais, un
enfant peut être reçu par le médecin sans que les parents soient
présents à l’entretien. Mais cette mesure s’accompagne de mutations
plus profondes dont Cécile Roche Dominguez, qui a mené sa thèse de
médecine sur le sujet, estime qu’elles sont mal connues ou
appréhendées par la profession. L’article L.1111-5 du Code de la santé
publique dispose :

Par dérogation à l’article 371-2 du Code civil, le médecin


peut se dispenser d’obtenir le consentement du ou des
titulaires de l’autorité parentale sur les décisions médicales
à prendre lorsque le traitement ou l’intervention s’impose
pour sauvegarder la santé d’une personne mineure, dans le
cas où cette dernière s’oppose expressément à la
consultation du ou des titulaires de l’autorité parentale afin
de garder le secret sur son état de santé. Toutefois, le
médecin doit dans un premier temps s’efforcer d’obtenir le
consentement du mineur à cette consultation. Dans le cas
où le mineur maintient son opposition, le médecin peut
mettre en œuvre le traitement ou l’intervention. Dans ce
cas, le mineur se fait accompagner d’une personne majeure
de son choix.
Lorsqu’une personne mineure, dont les liens de famille sont
rompus, bénéficie à titre personnel du remboursement des
prestations en nature de l’assurance maladie et maternité et
de la couverture complémentaire mise en place par la loi
no 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une
couverture maladie universelle, son seul consentement est
requis.

Le texte vise à préserver le secret tout particulièrement lors des


consultations pour prescription de contraceptifs ou pour demander
une interruption volontaire de grossesse, mais d’autres situations
peuvent se présenter. Cécile Roche Dominguez relate l’histoire d’un
adolescent venu consulter pour des brûlures de cigarette que lui
inflige son amie. Le praticien lui enjoint d’en parler à ses parents et,
du fait de la réticence qu’il rencontre, le fait lui-même. La mère ne
manifeste qu’indifférence, mais à la suite de cette intervention,
54
l’adolescent cesse de consulter . Les révisions de la loi sont
manifestement plus aisées que la réforme des mentalités.
En outre, cette loi va entraîner des conséquences auxquelles on
n’a pas nécessairement pensé. Ainsi des comptes rendus
d’hospitalisation des enfants qui sont adressés à leurs parents ou à
leur représentant légal. Que faire des informations qui recèlent et
peuvent révéler un secret ? Faut-il s’astreindre à ne pas les faire
figurer, au risque de perdre des indications précieuses – telle, par
exemple, une contamination par le virus de l’hépatite B ? Un autre
problème, structurel cette fois, est soulevé par le Conseil national du
sida qui, dans un avis de janvier 2015, demande la garantie effective
du droit au secret pour les mineurs séropositifs. La situation dont il a
été saisi est en effet exemplaire. Un jeune homme souhaite que son
médecin cèle sa séropositivité. Mais la caisse primaire d’assurance
maladie dont il relève indique être « dans l’impossibilité d’assurer
l’anonymat, pour une affection de longue durée, à un ayant droit
55
mineur rattaché à la couverture sociale de ses parents ». Avec
précision, le rapport note que « les pouvoirs publics n’ont ni prévu, ni
organisé le secret de la prise en charge financière des traitements et
interventions des personnes mineures ayant sollicité le secret sur leur
état de santé [Articles L.322-3 et D.322-1 du Code de la sécurité
sociale]. En conséquence, les organismes de Sécurité sociale n’ont pas
mis en œuvre de mesures spécifiques pour assurer le secret de la prise
en charge des personnes mineures ayants droit de leurs parents » !
Seuls ont été prévus les dispositifs d’anonymisation pour la prise en
charge de la contraception et de l’IVG. Or, les maladies sexuellement
transmissibles et les consultations psychiatriques, pour n’évoquer que
ces situations, mériteraient également discrétion. Plus généralement
encore, les mineurs de plus de 16 ans peuvent avoir une carte Vitale à
leur nom, mais sur quel compte apparaîtront les frais engagés ?

Partage et protection

Cécile Roche Dominguez rapporte une autre histoire, celle d’un


jeune homme de 17 ans suivi pour une hépatite B. Il vit en foyer,
s’applique à prendre correctement son traitement et reste discret,
persuadé qu’il est que seul le personnel soignant connaît sa maladie.
Quand il découvre que le directeur du foyer en a été informé, il
fugue.
Consécutivement à la loi no 2007-293 du 5 mars 2007 réformant
la protection de l’enfance, le Code de l’action sociale et des familles
organise le partage d’informations couvertes par le secret entre
professionnels de santé et professionnels du travail social. On aura
compris qu’il en résulte une certaine tension avec l’article L.1111-5
cité ci-dessus. L’article L.226.2.1 dudit Code dispose en effet :

Sans préjudice des dispositions du II de l’article L.226-4, les


personnes qui mettent en œuvre la politique de protection
de l’enfance définie à l’article L.112-3 ainsi que celles qui
lui apportent leur concours transmettent sans délai au
président du conseil départemental ou au responsable
désigné par lui, conformément à l’article L.226-3, toute
information préoccupante sur un mineur en danger ou
risquant de l’être, au sens de l’article 375 du Code civil.
Lorsque cette information est couverte par le secret
professionnel, sa transmission est assurée dans le respect de
l’article L.226-2-2 du présent code. Cette transmission a pour
but de permettre d’évaluer la situation du mineur et de
déterminer les actions de protection et d’aide dont ce
mineur et sa famille peuvent bénéficier. Sauf intérêt
contraire de l’enfant, le père, la mère, toute autre personne
exerçant l’autorité parentale ou le tuteur sont
préalablement informés de cette transmission, selon des
modalités adaptées.

Ce que complète ainsi l’article suivant L.226.2.2 :

Par exception à l’article 226-13 du Code pénal, les


personnes soumises au secret professionnel qui mettent en
œuvre la politique de protection de l’enfance définie à
l’article L.112-3 ou qui lui apportent leur concours sont
autorisées à partager entre elles des informations à caractère
secret afin d’évaluer une situation individuelle, de
déterminer et de mettre en œuvre les actions de protection
et d’aide dont les mineurs et leur famille peuvent
bénéficier. Le partage des informations relatives à une
situation individuelle est strictement limité à ce qui est
nécessaire à l’accomplissement de la mission de protection de
l’enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant
l’autorité parentale, le tuteur, l’enfant en fonction de son
âge et de sa maturité sont préalablement informés, selon
des modalités adaptées, sauf si cette information est
contraire à l’intérêt de l’enfant.

En fait, il faut quatre conditions pour que ce partage


d’informations soit autorisé. La première est de participer à la même
mission de protection de l’enfance. Une personne du service qui ne
s’occupe pas de l’enfant qui est évoqué n’a pas à entendre des
informations à son sujet. La deuxième condition est de s’en tenir au
cadre légal : il s’agit d’évaluer une situation individuelle afin de
déterminer et mettre en œuvre des actions de protection et d’aide. Il
n’est pas question de dévoiler des informations confidentielles hors
de cadre strict. La troisième est de veiller à ce que les informations
partagées soient « strictement limitées à ce qu’implique la mission de
protection ». Il faut réfléchir à la finalité du partage, à ses modalités
et à ses limites. Certaines informations concernant les parents sont
inutiles à la mission. Enfin, l’unique situation où les représentants
légaux ne sont pas informés du contenu des informations partagées
est lorsque l’intérêt de l’enfant est en jeu. Dans tous les autres cas, ils
doivent l’être. « Si une de ces conditions, même une seule, n’est pas
remplie, il s’agit d’une violation du secret professionnel et à ce titre
56
passible des peines prévues par le Code pénal ».
o
Le même 5 mars 2007, est votée une autre loi, n 2007-297, qui
est relative à la prévention de la délinquance et qui dispose :

Par exception à l’article 226-13 du même code, les


professionnels qui interviennent auprès d’une même
personne ou d’une même famille sont autorisés à partager
entre eux des informations à caractère secret, afin d’évaluer
leur situation, de déterminer les mesures d’action sociale
nécessaires et de les mettre en œuvre. Le coordonnateur a
connaissance des informations ainsi transmises. Le partage
de ces informations est limité à ce qui est strictement
nécessaire à l’accomplissement de la mission d’action
sociale.

Ce texte vise les professionnels de l’action sociale qui ne sont pas


également soumis au secret professionnel de la même manière.
Votées le même jour que le texte sur la protection de l’enfance, les
dispositions en sont proches à une exception majeure près :
l’information des intéressés n’est pas prévue. Elle n’est certes pas
interdite, selon l’utile précision qu’apporte la circulaire du 9 mai
2007, mais la loi ne la mentionne pas.

Sévices et privations

Depuis la loi de protection de l’enfance de mars 2007, le médecin


peut transmettre des informations au médecin de la Cellule de recueil
des informations préoccupantes (CRIP), mais elles doivent
uniquement concerner les faits qui lui font supposer que l’enfant
concerné encourt un danger.
Devant le peu de signalements de maltraitance effectués par les
médecins, la loi no 2015-1402 du 5 novembre 2015 a modifié
l’article 226-14 du Code pénal, qui traite des dérogations au secret
professionnel, et a renforcé le caractère protecteur contre toute
poursuite au plan pénal, civil ou disciplinaire en pareil cas. Cette
modification vise à encourager la démarche en neutralisant
l’argument des médecins qui craignaient de transgresser le secret
professionnel et de tomber sous le coup de l’article 226.13 du Code
pénal. C’est bien le défaut de dénonciation qui sera poursuivi et non
plus la violation du secret professionnel.
Désormais, l’interdiction de révéler des informations couvertes par
le secret professionnel ne s’applique ni au « médecin » ni « à tout
autre professionnel de santé » qui signale « les sévices ou privations
qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de
sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences
physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été
commises ».

HANDICAP ET DÉPENDANCE

Le droit a aussi assoupli la règle au regard de la prise en charge


o
des personnes handicapées. C’est l’objet de la loi n 2011-901 du
28 juillet 2011 en son article 9 qui porte sur les maisons
départementales des personnes handicapées (MDPH). Le partage
d’informations protégées par le secret professionnel, y compris
médical, est autorisé entre les membres de l’équipe, qui est de nature
pluridisciplinaire, dans la limite de leurs attributions et de ce qui est
strictement nécessaire à l’évaluation de la situation. L’article L.241-10
du Code de l’action sociale et des familles est complété par trois
alinéas ainsi rédigés :

Par exception à l’article 226-13 du même code, les


membres de l’équipe pluridisciplinaire peuvent, dans la
limite de leurs attributions, échanger entre eux tous éléments
ou informations à caractère secret dès lors que leur
transmission est strictement limitée à ceux qui sont
nécessaires à l’évaluation de sa situation individuelle et à
l’élaboration du plan personnalisé de compensation du
handicap visé à l’article L.114-1-1 du présent code.
Les membres de l’équipe pluridisciplinaire peuvent
communiquer aux membres de la commission mentionnée
à l’article L.146-9 tous éléments ou informations à caractère
secret dès lors que leur transmission est strictement limitée
à ceux qui sont nécessaires à la prise de décision.
Afin de permettre un accompagnement sanitaire et médico-
social répondant aux objectifs énoncés au 3° de l’article
L.311-3, les membres de l’équipe pluridisciplinaire peuvent
échanger avec un ou plusieurs professionnels qui assurent
cet accompagnement les informations nécessaires relatives
à la situation de la personne handicapée, dès lors que celle-
ci ou son représentant légal dûment averti a donné son
accord.

Un progrès ? Ce n’est pas l’avis du Conseil de l’Ordre des


médecins (CNOM) : « Nous regrettons notamment que la loi du
28 juillet 2011 sur les maisons départementales des personnes
handicapées ait autorisé l’échange d’informations à caractère secret
57
entre professionnels médicaux et non médicaux » écrit son
président dans l’éditorial du bulletin consacré au secret médical qui
paraît à l’automne 2012. Un numéro spécial, autant le préciser.

Recours à l’expérimentation

Le 2 décembre 2013, paraît le décret no 2013-1090 relatif à la


transmission d’informations entre les professionnels participant à la
prise en charge sanitaire, médico-sociale et sociale des personnes
âgées en risque de perte d’autonomie (PAERPA) et qui, pris en
application de l’article 48 de la loi de financement de la Sécurité
sociale pour 2013, institue à cet effet un cadre d’expérimentation
dans neuf régions.
En clair, le partage d’informations entre professionnels médicaux,
médico-sociaux et sociaux qui ont la charge des individus dépendants
de plus de 75 ans est rendu possible. De sérieuses précautions
semblent avoir été prises. La procédure est expérimentale et
territorialement limitée. Le consentement de la personne concernée
est expressément demandé et encadré. Selon la nature des
professionnels et des organismes concernés, l’accès à l’information est
différencié. Pour autant, l’expérience précisément enseigne que, dans
la logique étatique, nombre d’expérimentations ne tardent pas à
prendre force de loi.

Les conseils locaux de santé mentale

Depuis 2010, il revient aux municipalités d’organiser des conseils


locaux en santé mentale qui, le plus généralement, forment une
instance plurielle pouvant rassembler professions de la santé, services
de l’État, forces de l’ordre, associations sociales, médico-sociales,
culturelles, mais aussi de loisirs ou représentant les usagers.
Hétérogènes de constitution, variés en tailles et activités,
dépourvus de règlement national, ces conseils ont pour mission de
contribuer à élucider les situations des adultes en grande difficulté.
o
Pour les mineurs en danger, la loi n 2007-293 a institué, on l’a vu,
diverses conditions encadrant le partage d’information. Ce n’est pas le
cas ici. Peuvent y siéger et, dans les faits, y siègent des personnes qui
ne sont soumises au secret professionnel ni par profession, ni par
fonction, ni par état.
Informe-t-on la personne avant que sa situation ne soit
abordée en commission, lui demande-t-on son
autorisation ? Les échanges oraux utilisent-ils le nom
complet de la personne ou des abréviations que seuls les
professionnels concernés sont capables de décrypter ? Les
outils écrits utilisés sont-ils nominatifs et ont-ils une durée
58
d’existence programmée avant destruction ?

Aussi les professionnels de la santé émettent-ils régulièrement le


souhait d’avoir un cadre plus spécifique afin de réguler les échanges
et d’encadrer l’activité. La réponse tient pour l’essentiel en des chartes
qui ont pu être élaborées ici ou là et qui ont donc elles aussi un
caractère local. Doit-on déduire de l’existence et de la multiplication
de ces espaces de concertation qu’ils sont un modèle pour l’avenir et
qu’il faut généraliser à toute la population le partage d’informations
entre les personnels médicaux et sociaux comme l’a voulu la loi
portée par Marisol Touraine ? Cette loi pourtant ne résout pas le
partage d’informations avec des personnes non soumises au secret
professionnel, à commencer par les membres d’associations de
familles de malade qui peuvent être présents dans ces conseils locaux
de santé mentale.

LA LOI DE MODERNISATION DE NOTRE SYSTÈME DE SANTÉ

L’extension du partage d’informations à tout personnel médico-


o
social qu’acte la loi n 2016-41 du 26 janvier 2016, dite « de
modernisation de notre système de santé », place de fait l’entière
population dans les catégories dont relevaient jusque-là les seules
personnes vulnérables et, ce n’est pas le moins étrange, dans celles
relatives à la prévention de la délinquance. Nous voilà donc, tous, ou
des mineurs et handicapés potentiels, ou des coupables en puissance.
Big Mother veille et anesthésie la moindre velléité de critique puisque
c’est « pour le bien » d’autrui que nous sommes censés accepter cette
douce tyrannie.
Ainsi, le même schéma se répète, la même tendance se reproduit
et s’aggrave. Après avoir permis l’échange d’informations à caractère
médical lorsqu’il s’agit d’enfants, puis lorsqu’il s’agit de personnes
handicapées, après avoir judiciarisé une partie de la prise en charge
psychiatrique, voilà le partage d’informations à caractère médical
entre professionnels ne relevant pas tous du soin et qui concerne
chacun de nous. Plusieurs articles de la loi sont spécialement
inquiétants : l’article 96, qui élargit le partage d’informations au-delà
des seuls professionnels de santé ; l’article 107 qui traite des
groupements hospitaliers de territoire ; l’article 92 qui aborde la
médecine préventive ; l’article 193 qui ouvre la possibilité d’accès à
certaines « données de santé ». Ce qui fait beaucoup.

Élargissement de « l’équipe de soins »

L’exposé des motifs donne le ton de l’article 96 : « En premier lieu,


l’article promeut une prise en charge décloisonnée entre les
différents acteurs de la prise en charge, puisqu’il introduit la notion
d’équipe de soins en y intégrant les professionnels des secteurs
sanitaire et médico-social, entre lesquels l’échange et le partage de
données personnelles de santé est organisé ». Pour ce faire, l’article
modifie l’article L.1110-4 du Code de la santé publique. Jugeons sur
pièce, à partir d’un tableau utile pour suivre une à une les révisions
introduites.
Ancien article L.1110-4 Nouvel article L.1110-4

Toute personne prise en charge par un I.- Toute personne prise en charge par un
professionnel, un établissement, un réseau professionnel de santé, un établissement ou
de santé ou tout autre organisme participant un des services de santé définis au livre III
à la prévention et aux soins a droit au de la sixième partie du présent code, un
respect de sa vie privée et du secret des professionnel du secteur médico-social ou
informations la concernant. social ou un établissement ou service social et
médico-social mentionné au I de l’article
L.312-1 du Code de l’action sociale et des
familles a droit au respect de sa vie privée
et du secret des informations le concernant.

Excepté dans les cas de dérogation, Excepté dans les cas de dérogation
expressément prévus par la loi, ce secret expressément prévus par la loi, ce secret
couvre l’ensemble des informations couvre l’ensemble des informations
concernant la personne venues à la concernant la personne venues à la
connaissance du professionnel de santé, de connaissance du professionnel, de tout
tout membre du personnel de ces membre du personnel de ces
établissements ou organismes et de toute établissements, services ou organismes et de
autre personne en relation, de par ses toute autre personne en relation, de par ses
activités, avec ces établissements ou activités, avec ces établissements ou
organismes. Il s’impose à tout professionnel organismes. Il s’impose à tous les
de santé, ainsi qu’à tous les professionnels professionnels intervenant dans le système
intervenant dans le système de santé. de santé.

Deux ou plusieurs professionnels de santé II.- Un professionnel peut échanger avec un


peuvent toutefois, sauf opposition de la ou plusieurs professionnels identifiés des
personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même
informations relatives à une même personne prise en charge, à condition qu’ils
personne prise en charge, afin d’assurer la participent tous à sa prise en charge et que
continuité des soins ou de déterminer la ces informations soient strictement
meilleure prise en charge sanitaire possible. nécessaires à la coordination ou à la
Lorsque la personne est prise en charge par continuité des soins, à la prévention ou à
une équipe de soins dans un établissement son suivi médico-social et social.
de santé, les informations la concernant
sont réputées confiées par le malade à
l’ensemble de l’équipe.

Les informations concernant une personne III.- Lorsque ces professionnels


prise en charge par un professionnel de appartiennent à la même équipe de soins, au
santé au sein d’une maison ou d’un centre sens de l’article L.1110-12, ils peuvent
de santé sont réputées confiées par la partager les informations concernant une
personne aux autres professionnels de santé même personne qui sont strictement
de la structure qui la prennent en charge, nécessaires à la coordination ou à la
sous réserve : continuité des soins ou à son suivi médico-
– 1° Du recueil de son consentement exprès, social et social. Ces informations sont
par tout moyen, y compris sous forme réputées confiées par la personne à
dématérialisée. Ce consentement est valable l’ensemble de l’équipe.
tant qu’il n’a pas été retiré selon les mêmes
formes ;
– 2° De l’adhésion des professionnels
concernés au projet de santé mentionné aux
articles L.6323-1 et L.6323-3.

La personne, dûment informée, peut refuser Le partage, entre des professionnels ne


à tout moment que soient communiquées faisant pas partie de la même équipe de
des informations la concernant à un ou soins, d’informations nécessaires à la prise
plusieurs professionnels de santé. en charge d’une personne requiert son
consentement préalable, recueilli par tout
moyen, y compris de façon dématérialisée,
dans des conditions définies par décret pris
après avis de la Commission nationale de
l’informatique et des libertés.
IV.- La personne est dûment informée de
son droit d’exercer une opposition à
l’échange et au partage d’informations la
concernant. Elle peut exercer ce droit à tout
moment. Le fait d’obtenir ou de tenter
d’obtenir la communication de ces
informations en violation du présent article
est puni d’un an d’emprisonnement et de
15 000 euros d’amende.

Pour résumer, le seul changement de vocabulaire est par soi


significatif. Chaque fois que l’ancienne rédaction parlait de
« professionnel de santé », il est désormais fait mention de
« professionnel ». L’expression « établissement de santé » est
remplacée par celle de « service social ou médico-social ». Enfin,
« l’équipe de soins » est définie dans un nouvel article L.1110-12 qui
ne va pas sans poser également nombre de questions. Ledit article est
ainsi rédigé :

Pour l’application du présent titre, l’équipe de soins est un


ensemble de professionnels qui participent directement au
profit d’un même patient à la réalisation d’un acte
diagnostique, thérapeutique, de compensation du
handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention
de perte d’autonomie, ou aux actions nécessaires à la
coordination de plusieurs de ces actes, et qui :
1 – Soit exercent dans le même établissement de santé, au
sein du service de santé des armées, dans le même
établissement ou service social ou médico-social mentionné
au I de l’article L.312-1 du Code de l’action sociale et des
familles ou dans le cadre d’une structure de coopération,
d’exercice partagé ou de coordination sanitaire ou médico-
sociale figurant sur une liste fixée par décret ;
2 – Soit se sont vu reconnaître la qualité de membre de
l’équipe de soins par le patient qui s’adresse à eux pour la
réalisation des consultations et des actes prescrits par un
médecin auquel il a confié sa prise en charge ;
3 – Soit exercent dans un ensemble, comprenant au moins
un professionnel de santé, présentant une organisation
formalisée et des pratiques conformes à un cahier des
charges fixé par un arrêté du ministre chargé de la santé.

D’une part, pour obtenir la qualification d’« équipe de soins », une


personne soignante suffit. D’autre part, l’« équipe de soins » est
élargie à du personnel non plus strictement sanitaire, mais médico-
social ou même social qui participe en conséquence au « soin ».
Divers arguments sont avancés à l’appui dont, par exemple, que
l’assistante sociale a besoin de prendre connaissance des informations
médicales pour trouver l’hébergement spécialisé idoine. Or, outre que
les dossiers MDPH ont toujours deux volets, un volet social ouvert et
un volet médical cacheté, la loi de mars 2002 pourvoit à la résolution
de la quasi-totalité des problèmes, à commencer par le fait de donner
au patient ou à la personne de confiance qui l’accompagne les
courriers et certificats qui peuvent être utiles à l’assistante sociale afin
de l’aider dans ses démarches. Pourquoi donc légiférer à partir de
situations ultra-exceptionnelles, si ce n’est par volonté de mettre à
mal un supposé pouvoir médical qu’abriterait le secret ?
Cet article est précisé par trois décrets relatifs aux échanges
59
d’informations en matière de santé publiés le 20 juillet 2016 . Le
o
plus important est le décret n 2016-994 du 20 juillet 2016 relatif aux
conditions d’échange et de partage d’informations entre
professionnels de santé et autres professionnels des champs social et
médico-social et à l’accès aux informations de santé à caractère
personnel. Ce décret précise les catégories de professionnels du
champ social et médico-social habilitées à échanger et partager avec
les professionnels de santé ainsi que les modalités de ce partage. Le
décret étend considérablement les personnels concernés puisque
désormais, peuvent être amenés à recevoir des informations à
caractère médical, notamment les assistantes sociales, les
psychologues, les ostéopathes, les assistantes maternelles, les
accompagnants éducatifs et sociaux, les éducateurs et aides
familiaux, les particuliers recevant des personnes âgées ou
handicapées, les mandataires judiciaires à la protection des majeurs
et un certain nombre de personnes qui ne sont pas professionnels de
santé mais travaillent dans des établissements recevant des patients.
C’est dire que le champ est plus que vaste et que le secret médical
ressort, ici, dissout dans le partage d’informations.

Inquiétudes

Deux autres articles, au moins, ne laissent pas d’inquiéter. Le


premier, l’article 107, traite des groupements hospitaliers de territoire
(GHT). Ces groupements obligeront, au nom de la mutualisation des
moyens, à avoir un Département d’information médicale (DIM)
commun, géré « par l’établissement support ».

Art. L.6132-3. I.- L’établissement support désigné par la


convention constitutive assure les fonctions suivantes pour
le compte des établissements parties au groupement :
1 – La stratégie, l’optimisation et la gestion commune d’un
système d’information hospitalier convergent, en particulier
la mise en place d’un dossier patient permettant une prise
en charge coordonnée des patients au sein des
établissements parties au groupement. Les informations
concernant une personne prise en charge par un
établissement public de santé partie à un groupement
peuvent être partagées, dans les conditions prévues à
l’article L.1110-4. L’établissement support met en œuvre,
dans le cadre de la gestion du système d’information, les
mesures techniques de nature à assurer le respect des
obligations prévues par la loi no 78-17 du 6 janvier 1978
relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés,
notamment à son article 34 ;
2 – La gestion d’un département de l’information médicale
de territoire. Par dérogation à l’article L.6113-7, les
praticiens transmettent les données médicales nominatives
nécessaires à l’analyse de l’activité au médecin responsable
de l’information médicale du groupement ;

Or, l’article L.6113-7 du Code de la santé publique dispose :


« Dans le respect du secret médical et des droits des malades, ils [les
médecins] mettent en œuvre des systèmes d’information qui tiennent
compte notamment des pathologies et des modes de prise en charge
en vue d’améliorer la connaissance et l’évaluation de l’activité et des
coûts et de favoriser l’optimisation de l’offre de soins. » Dès lors, de
quelle dérogation est-il question ? Sinon qu’avec de tels groupements,
le nombre de données médicales nominatives circulantes est appelé à
considérablement augmenter et, avec, le risque de réidentification à
croître dangereusement.
L’article 92 s’intéresse à « des projets d’accompagnement sanitaire,
social et administratif pour les personnes souffrant d’une maladie
chronique ou étant particulièrement exposées au risque d’une telle
maladie ». À cet effet, il prévoit lui aussi une dérogation à l’article
L.1110-4 et considère que les « professionnels » engagés dans cet
accompagnement constituent une équipe de soins. Il y est notamment
question « d’éducation thérapeutique » et « d’évaluation » de ces
expérimentations : « Cette évaluation peut, sous réserve du respect de
l’anonymat et de l’absence de possibilité d’identification directe ou
indirecte, comporter un suivi clinique individualisé et croiser des
données relatives à la prise en charge sanitaire, sociale et médico-
sociale ». Claire Gekiere, psychiatre, relève l’aléa qui verrait les
intérêts privés des laboratoires et industries s’immiscer dans ce
dispositif et demande « des garanties sur les intervenants pour les
expérimentations prévues à l’article 92, excluant explicitement la
participation des firmes pharmaceutiques 60 ».
Le paradoxe de cet élargissement n’est pas mince : alors que la loi
de mars 2002 avait dessiné un dispositif qui replaçait le patient au
centre, il n’est guère plus question de lui si ce n’est pour obtenir son
consentement, y compris de manière « dématérialisée », à l’échange
d’informations le concernant. Qui peut imaginer s’attarder sur chaque
ligne d’une longue liasse de caractères portés en minuscules, à l’instar
des notices de smartphones dont on accepte les clauses le plus
souvent sans les lire ? Est-ce cela, réellement, un consentement ? Et
que dira-t-on au patient qui refuse, sinon « Débrouillez-vous sans
nous puisque vous ne voulez pas que le travailleur social ait accès à
vos informations médicales » ?
Les réactions n’ont été ni nombreuses, ni vigoureuses. Des
psychiatres surtout se sont émus, mais le Conseil national de l’Ordre
des médecins lui-même, pourtant offensif sur la question du secret un
peu plus tôt, est apparu d’un coup résigné. Il a fait quelques
propositions d’amendement au projet de loi de Marisol Touraine,
dont la 12, reproduite ci-dessous et issue de la délibération de son
Conseil national en date du 6 novembre 2014.

12. La qualité de ces services impose que les informations


nécessaires à la continuité des parcours de soins, tant dans
les secteurs de l’hospitalisation que dans le secteur
ambulatoire et entre ces deux secteurs, puissent être
échangées ou partagées selon les cas entre les
professionnels qui constituent d’une part l’équipe de soins
et d’autre part l’équipe médico-sociale lorsque cela est
nécessaire.
Ces échanges et ces partages doivent, d’une part, respecter
impérativement la volonté librement exprimée du patient
et, d’autre part, garantir le caractère secret des
informations qui ne doivent pas être accessibles en dehors
de ces équipes de professionnels autorisés par le patient 61.

Cette proposition du Conseil de l’Ordre entendait dissocier


l’équipe de soins et l’équipe médico-sociale afin d’éviter de nommer
« équipe de soins » une équipe médico-sociale. Elle n’a pas été
retenue.

Les « données de santé »


En 1995, le juriste Pierre Catala pouvait écrire : « L’information
médicale n’est pas une information puisqu’elle n’est pas, par
hypothèse, communicable. Impropre à la circulation, cette donnée
n’est pas transmissible, même à titre gratuit ; a fortiori est elle
absente des circuits commerciaux 62 ». Décidément, les temps
changent ! Si l’on parle désormais « d’information à caractère
médical » ou encore de « donnée de santé », c’est a contrario pour
signifier son caractère transmissible.
On peut tenter de se rassurer en apportant une précision
sémantique qui, certes, n’est pas inutile : une information personnelle
n’est pas forcément une information nominative. Personnelle, elle
peut être anonyme tandis que, nominative, elle permet l’identification
de la personne ou sa réidentification par croisement de fichiers. Mais
c’est se consoler à bon compte puisque cette distinction elle-même
participe d’un maquis législatif inextricable, ou presque.
La loi « informatique et liberté » du 6 janvier 1978 (modifiée par
la loi no 2004-801 du 6 août 2004) dispose en son article 55 que
« nonobstant les règles relatives au secret professionnel, [sic !] les
membres des professions de santé peuvent transmettre les données à
caractère personnel qu’ils détiennent dans le cadre d’un traitement
autorisé ». Ces données doivent être codées et « la présentation des
résultats du traitement de données ne peut en aucun cas permettre
l’identification directe ou indirecte des personnes concernées ». Cette
disposition rejoint l’article déjà cité L.161-29 du Code de la sécurité
sociale qui contraint les professionnels de santé à transmettre des
données à caractère médical aux organismes compétents. Ces
informations, communiquées quotidiennement sous forme de codage,
concernent le type d’acte effectué, le type de pathologie
diagnostiquée. L’ordonnance no 93-345 du 24 avril 1996 distingue les
catégories d’informations communicables selon les catégories de
personnels qui les reçoivent. Comme chaque fois qu’une dérogation
au secret médical est décidée, il est précisé que les destinataires de
ces informations sont « soumis à l’obligation de secret dans les
conditions et sous les peines prévues à l’article 226-13 du Code
pénal ».
Or, la Commission nationale de l’informatique et des libertés
(CNIL) avait été consultée sur le caractère nominatif des informations
transmises. Elle avait à l’époque estimé que « les assurés devaient
pouvoir s’y opposer sans perdre pour autant le bénéfice du
63
remboursement ». Le gouvernement avait dans un premier temps
suivi cet avis, pour rapidement revenir dessus et rendre obligatoire la
transmission d’informations nominatives.

LE DOSSIER MÉDICAL
L’évolution spectaculaire des systèmes informatiques et la
dépendance toujours plus grande de nos vies à leur égard aggravent
les mutations qu’implique la traçabilité des données. L’antique dossier
médical, sur papier et sous chemise, était enfermé dans un placard et
le médecin était garant de son dépôt comme de la sécurité de ses
patients quant à leur intimité. Mais la multiplication des supports
dématérialisés a engendré de nouvelles questions dont certaines, il
faut bien l’avouer, sont sans réponse.
Il faut insister d’emblée sur le fait que le secret professionnel n’a
pas pour seul contenu le dossier médical. Beaucoup de choses
peuvent être vues, entendues ou comprises sans être écrites, tracées.
Mais, de surcroît, la question du dossier médical, de son contenu et
des échanges d’informations potentielles qu’il permet est forcément
plurielle. Dans la réalité, il existe des dossiers médicaux pour un
même patient, puisque chaque professionnel de santé qu’il rencontre
consigne ou dispose principalement, voire uniquement des éléments
nécessaires à sa pratique professionnelle.

Contenu

Qu’il soit papier ou informatisé, le contenu du dossier est précisé


par la loi dans le chapitre qui expose les droits des patients,
notamment leur droit d’accès aux informations médicales les
concernant. L’article L.1111-7 du Code de la santé publique dispose :

Toute personne a accès à l’ensemble des informations


concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit,
par des professionnels et établissements de santé, qui sont
formalisées ou ont fait l’objet d’échanges écrits entre
professionnels de santé, notamment des résultats
d’examen, comptes rendus de consultation, d’intervention,
d’exploration ou d’hospitalisation, des protocoles et
prescriptions thérapeutiques mis en œuvre, feuilles de
surveillance, correspondances entre professionnels de
santé, à l’exception des informations mentionnant qu’elles
ont été recueillies auprès de tiers n’intervenant pas dans la
prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers.

Le contenu du dossier d’hospitalisation est précisé par décret du


6 février 2006 dans l’article R.1112-2 du Code de la santé publique. Il
s’agit de documents formalisés. L’arrêté du 5 mars 2004 « portant
homologation des recommandations de bonnes pratiques relatives à
l’accès aux informations concernant la santé d’une personne » précise
de son côté ce qu’est un document formalisé : « il s’agit des
informations auxquelles est donné un support (écrit, photographie,
enregistrement, etc.), avec l’intention de les conserver et sans lequel
elles seraient objectivement inaccessibles. » Le dossier médical a donc
une fonction d’archive et de mémoire.
À cela s’ajoute, pour les médecins libéraux, une « fiche
d’observation » sur chaque patient en référence à l’article 45 du Code
de déontologie médicale introduit par décret le 7 mai 2012 (R.4127-
45 du Code de la santé publique) :

I – Indépendamment du dossier médical prévu par la loi, le


médecin tient pour chaque patient une fiche d’observation
qui lui est personnelle ; cette fiche est confidentielle et
comporte les éléments actualisés, nécessaires aux décisions
diagnostiques et thérapeutiques. Les notes personnelles du
médecin ne sont ni transmissibles ni accessibles au patient et
aux tiers. Dans tous les cas, ces documents sont conservés
sous la responsabilité du médecin.
II – À la demande du patient ou avec son consentement, le
médecin transmet aux médecins qui participent à la prise
en charge ou à ceux qu’il entend consulter les informations
et documents utiles à la continuité des soins. Il en va de
même lorsque le patient porte son choix sur un autre
médecin traitant.

Cet article 45 a clarifié une situation compliquée concernant les


« notes personnelles » du médecin. La Haute autorité de santé (HAS)
a précisé en juin 2003 que lesdites notes sont celles prises par le
professionnel pour son seul usage, non transmises à des tiers,
professionnels ou non, détruites lorsque le professionnel cesse
d’intervenir dans la prise en charge et si elles n’ont pas contribué à
cette prise en charge. Elles « ne sont pas accessibles aux patients ni à
des tiers, hors procédure judiciaire ». L’arrêté du 5 mars 2004
confirme : « C’est dans la mesure où certaines des notes des
professionnels de santé ne sont pas destinées à être conservées,
réutilisées ou, le cas échéant, échangées parce qu’elles ne peuvent
contribuer à l’amélioration et au suivi des diagnostics, ou de
traitement ou à une action de prévention, qu’elles peuvent être
considérées comme “personnelles” et ne pas être communiquées :
elles sont alors intransmissibles et inaccessibles à la personne
64
concernée comme aux tiers, professionnels ou non ».
Les notes personnelles correspondent-elles strictement à
l’observation du médecin ? Le 30 septembre 2004, la cour d’appel
administrative de Paris a statué en condamnant le Centre hospitalier
d’Orsay qui, saisi d’une demande de communication de dossier
médical, n’avait transmis qu’un résumé des observations cliniques du
praticien traitant, établi a posteriori à partir de notes personnelles.
L’arrêt a confirmé le caractère non communicable au patient desdites
notes personnelles, à la différence des notes manuscrites qui « ont
contribué à l’élaboration et au suivi du diagnostic et du traitement de
l’intéressé et qui ont été conservées par l’hôpital » dont il se déduit
qu’elles « font partie du dossier médical » et que l’hôpital est à ce titre
dans l’obligation de communiquer.
Les dossiers médicaux informatisés, les fiches personnelles et
autres éléments établissent ce que la Lettre de la psychiatrie française
appelle à juste titre des « espaces à dimension médicale variable » que
l’article 45 a pour fonction de clarifier 65 : 1 – Le dossier médical
comme tel, qui comprend les courriers, les comptes rendus et autres
items explicités dans l’article L.1111-7 du Code de la santé publique,
nécessaire à la continuité des soins et communicable au patient ; 2 –
Le dossier à teneur administrative qui inclut les informations de
remboursement, les déclarations d’affection longue durée, les arrêts
de travail, les déclarations de maladie obligatoires, les certificats de
soins sous contrainte ; 3 – Le dossier médical personnel, ou partagé,
quand il existe, qui a pour visée présumée la coordination des soins ;
4 – La fiche d’observation personnelle du praticien dans laquelle
certaines informations non décisionnelles, mais confidentielles
peuvent être notées, relatives entre autres à la famille, au contexte où
aux questions du patient : par nature, elles n’ont ni à être
informatisées, ni à apparaître dans le dossier médical lorsque celui-ci
l’est. Toutefois, Carol Jonas, psychiatre et enseignant en médecine
légale, nous met néanmoins en garde à ce sujet, et sa remarque
perdure malgré les éclaircissements apportés par le Code de
déontologie :

Les notes manuscrites des professionnels de santé peuvent


être considérées comme non accessibles aux patients sous
la seule condition qu’elles ne soient pas destinées à être
conservées ou réutilisées, qu’elles ne puissent être
consultées par aucun autre professionnel de santé et
qu’elles n’aient pas contribué à l’élaboration et au suivi du
diagnostic, du traitement ou d’une action de prévention.
Une telle définition conduit à ce que dans un dossier
hospitalier, consulté par de nombreuses personnes, il ne
puisse pas y avoir de notes personnelles, et même que dans
un dossier de psychiatrie en pratique libérale, la plupart
des écrits ne puissent pas répondre à cette définition
restrictive 66.

De plus, à l’hôpital, les dossiers informatisés sont accessibles à un


plus grand nombre d’individus que les dossiers papier et le seront à
quasiment tout le personnel avec le système Orbis que l’APHP a
commencé d’installer dans plusieurs établissements. Est-on certain
que quelqu’un, muni de la date de naissance ou de l’adresse d’une de
ses connaissances, ne pourra pas avoir accès à son dossier médical
personnel ? Aujourd’hui déjà, simple exemple, dans certains centres
hospitaliers, il suffit de rentrer le nom d’une personne pour savoir
qu’elle est en unité sanitaire ; à savoir qu’elle a été admise en soins,
mais au sein d’une prison dont il arrive même que le nom apparaisse
en raison des jumelages administratifs.

Un stockage externalisé

Autre motif d’inquiétude pour le Conseil de l’Ordre des médecins,


qu’en est-il du stockage des données contenues dans le dossier
médical informatisé lorsqu’il est externalisé et opéré par un
hébergeur ? Intervenant lors de la journée des contrats organisée par
le CNOM le 14 octobre 2014, l’avocat Jean-Marie Job, qui s’est fait
une spécialité des secteurs de la santé, de la pharmacie et des
biotechnologies, a eu le mérite d’être clair sur cette question ainsi que
sur la capacité et les moyens du médecin d’en traiter.

Si le médecin a recours à un hébergement de données, il y


a des précautions à prendre. Le prestataire informatique va
stocker les données soit chez le médecin et chez le
prestataire, soit exclusivement sur son serveur et le
médecin aura par exemple un accès web. Le prestataire de
services doit avoir la qualification, et posséder un certificat
délivré après vérification par l’ASIP santé. […] Il appartient
au médecin de le vérifier. Ce dernier point est assez
théorique, puisque les textes d’application ne sont jamais
entrés en vigueur. Ce sont les dispositions de l’article
L.1110-4 et les textes d’application du Code de la santé
publique sur l’obligation d’avoir un système d’information
sécurisé et l’obligation d’utilisation d’une carte de
professionnel de santé (CPS). Le texte de la loi renvoie à un
décret qui a été adopté en 2008, mais ce décret renvoie lui-
même à des référentiels à publier. Tant que ces derniers ne
sont pas adoptés, la réglementation n’est pas applicable 67.

À sa manière, la presse se fait l’écho de l’impuissance grandissante


de la profession face à des systèmes toujours plus complexes en
rapportant de consternantes affaires de fuite. « De nombreuses
données médicales confidentielles se sont retrouvées sur le web, à
cause de failles de sécurité dans les systèmes informatiques de
plusieurs établissements de santé d’Île-de-France », titre la revue en
er 68
ligne ActuSoins le 1 mars 2013 . La même année, Le Monde, dans
son édition du 7 octobre, révèle un scandale similaire : à la suite
d’une procédure de contrôle effectuée au printemps, la CNIL a
engagé, le 25 septembre 2013, une mise en demeure à l’encontre du
Centre hospitalier de Saint-Malo : la Commission a en effet constaté
qu’un prestataire a pu accéder, de surcroît avec le concours de
l’établissement, aux dossiers médicaux et aux données sensibles
d’environ 950 patients, contrevenant de la sorte à une interdiction
69
majeure . On pourrait multiplier les exemples à l’infini ; retenons la
une du journal suisse Le Matin, qui le 8 avril 2015, relate non
seulement une nouvelle fuite massive, mais encore comment les
données médicales naufragées ont circulé pendant des semaines sur
internet 70.
L’affaire de Saint-Malo vaut qu’on s’y attarde car elle montre en
quoi les technologies, loin d’être neutres, suscitent et agitent
d’authentiques conflits de pouvoir. Un médecin, Jean-Jacques
Tanquerel, alors responsable du Département d’information médicale
(DIM) du Centre hospitalier, en est à l’origine par sa dénonciation du
grave manquement au secret professionnel que représente la
procédure de recouvrement retenue par la direction 71. Certes, c’est
avec la permission de l’Agence régionale de la santé (ARS) que le
cabinet Altao, une société privée, a été recruté comme prestataire de
service. Sa mission est de comptabiliser les actes qui, par oubli, n’ont
pas été codés et ainsi, en tarifiant l’activité omise, de permettre à
l’hôpital de rattraper le manque à gagner. Alteo est rétribué au
prorata des sommes récupérées, soit sensiblement 8 % d’un total de
2 millions d’euros. Le taux n’est pas prohibitif au regard du trou,
considérable. Une formule astucieuse ? Si ce n’est qu’une partie du
codage de l’activité des praticiens de l’établissement est de fait
déléguée à un intervenant extérieur. Or, « seules les personnes ayant
la qualité de professionnel de santé et qui participent à la prise en
charge des patients sont autorisées, sous réserve de la non-opposition
du patient, à accéder aux données de santé à caractère personnel. Les
techniciens d’une société externe ne sont pas autorisés à avoir accès
aux dossiers médicaux 72. »
À protester contre cet abus, le Dr Tanquerel va voir ses démêlés
avec la direction aller crescendo. Ayant dû quitter le DIM à la
demande de l’ARS, il publie, début mai 2014, un livre à charge
drôlement intitulé Le serment d’Hypocrite : secret médical, le grand
naufrage. L’hôpital assigne immédiatement le médecin polémiste et
son éditeur en référé pour « manquement au devoir de réserve,
manquement à la discrétion professionnelle et propos diffamatoires ».
Le 30 mai 2014, le tribunal de grande instance de Paris déboute le
Centre hospitalier de Saint-Malo. L’affaire ayant fait grand bruit, c’est
au tour de la CNIL d’entrer dans la ronde : après enquête, la
Commission met donc en demeure l’hôpital de veiller à la sécurité et
à la confidentialité des données ainsi qu’au respect de la vie privée et
des libertés individuelles 73, mais plus encore elle donne un tour
exemplaire à sa décision en lui assurant une large publicité.
Toutefois, outre les défauts ou faillites du système qui dépendent
des instances de contrôle, il y a le piratage qu’on ne saurait sous-
estimer. En avril 2016 se réunit au Mans le congrès de l’Association
pour la promotion de la sécurité des systèmes d’information en santé
(Apssis) dont l’existence même est significative. « Plus de
1 300 attaques informatiques contre des établissements ont été
74
signalées en 2015 » déclare à la tribune Philippe Loudenot, lui-
même fonctionnaire de la sécurité des systèmes d’information (FSSI)
au ministère des Affaires sociales. La liste, par définition, n’est pas
exhaustive, insiste-t-il, alors que les dispositifs sont « trop poreux » et
les responsables de la sécurité des systèmes d’information (RSSI) en
nombre insuffisant. Or, le secteur informatisé de la santé agrège
économie noire et activité maffieuse. Au point, conclut-il, que les
auteurs de ces attaques malveillantes peuvent séquestrer les données
piratées et réclamer une rançon à l’utilisateur qu’il doit acquitter pour
y avoir à nouveau accès. Lors de ce même congrès, Jimaan Sané,
spécialiste du cyber-risque et souscripteur chez l’assureur Beazley,
précisera qu’un dossier médical « est revendu 50 dollars en moyenne
sur le “Dark web”, contre 5 dollars pour le mot de passe d’une boîte
mail et de 5 à 30 dollars pour le code d’une carte bancaire ». À bon
entendeur, salut !

Le DMP, personnel ou partagé ?

Sous l’effet d’une énième réforme, le dossier médical personnel,


connu sous l’acronyme DMP, est donc devenu le dossier médical
partagé. La couleur est annoncée. C’est là l’aboutissement
momentané d’une longue histoire qui confine, pour l’heure, à un
échec répété, exemplaire des espoirs exagérés que nous portons à la
technique, aveuglés que nous sommes par une fascination qui nous
empêche de penser malgré les mises en garde que nous opposent les
plus simples réalités objectives. Ainsi du slogan que l’on peut lire sur
la page d’accueil du site http://www.dmp.gouv.fr, « plus on en sait,
mieux on se porte », qui devrait alerter n’importe quel esprit un peu
averti tant il ne va pas du tout de soi.
L’idée du dossier médical personnel naît avec la loi 2004-810 du
13 août 2004 relative à l’assurance maladie. Il faut cependant
attendre le 23 juin 2006 pour que la Haute autorité de santé, créée
un peu plus tôt, se saisisse d’une proposition d’étude concernant
« l’évolution de la fréquence des événements indésirables, hors
iatrogénie médicamenteuse dont la redondance, concomitants à la
mise en œuvre du DMP ». Ses premières conclusions méritent toute
notre attention :
Comme prévu par la loi du 13 août 2004 relative à
l’assurance maladie, le dossier médical personnel (DMP) se
met en place. Dans le respect du secret médical [sic !] et du
Code de la santé publique, ce dossier permettra le suivi des
actes et prestations de soins. Il visera à favoriser la
coordination, la qualité et la continuité de soins, mais aussi
la prévention. Les bénéfices attendus du DMP sont
nombreux et concernent à la fois le patient et le
professionnel. Les plus souvent cités sont : un respect accru
des bonnes pratiques ; un gain de temps sur la
communication d’informations ; une diminution du nombre
de prescriptions injustifiées (particulièrement dans le cas
de liens avec des systèmes d’aide à la prescription ou des
rappels informatiques) ; une diminution des actes
redondants ; une réduction des temps d’attente, des délais
de prise en charge ; une diminution de l’iatrogénie.
La littérature internationale est riche d’expériences de mise
en place de dossiers médicaux électroniques, mais celles-ci
75
incluent rarement une évaluation de leur efficacité .

Il y a donc une double finalité à ce dossier : une finalité de gains


d’informations au service du patient et une finalité de contrôle des
prescriptions injustifiées. Il n’est pas certain que le mélange des deux
soit source de clarté et de confiance pour le patient. Quant à la
dernière formule sur la comparaison entre l’abondance des
expériences et la rareté des évaluations à l’étranger, elle appellerait, à
elle seule, un long commentaire car, précisément, les États-Unis ont
mené les unes et les autres pour découvrir… l’absence d’efficacité
d’un tel dossier.
Mais l’affaire, débutée en 2004, recommencée en 2006, stagne à
nouveau. En 2008, une « mission de relance du projet de dossier
médical personnel » aboutit au rapport Gagneux qui établit diverses
recommandations à destination de Roselyne Bachelot, alors ministre
de la Santé 76. L’audit commandé par l’administration centrale l’année
précédente, en 2007, et qui a examiné les premières tentatives de
DMP a en effet conclu à une gestion « constamment précipitée,
souvent improvisée, parfois inconséquente ». La ministre en a retiré
qu’il faut « se donner du temps ». Le rapport Gagneux met le doigt
sur certaines ambivalences. Il questionne notamment la
dénomination « dossier médical personnel » qui pourrait incliner le
patient à s’en penser le propriétaire – ce qui ne saurait visiblement
être le cas, tout étant fait au contraire pour qu’il comprenne
l’inverse 77 ! Il remarque que la finalité n’est pas claire et prend soin
de préciser que « le DMP n’a pas été conçu comme un outil de
contrôle social ». Et de poursuivre en soulignant que « le DMP doit
être un outil au service du renforcement de la confiance entre le
médecin et le malade, non comme une source de défiance ou de
suspicion », quitte à laisser entendre, en creux, que la méfiance serait
a priori de mise.
Puis le rapporteur s’interroge sur la faisabilité du dispositif et sur
sa possible « lourdeur administrative » qui pourrait être dissuasive. Il
insiste sur l’opportunité que représente un tel dossier de recueillir de
multiples données de santé « pour les études et la recherche en santé
publique ». Ne craignant pas la contradiction, il souhaite, au risque de
complexifier à outrance le dispositif, en profiter pour y intégrer une
nouvelle finalité, à savoir les pratiques de télémédecine qui se
déclinent en télésurveillance pour les personnes âgées, téléassistance
pour les diabétiques et assimilés, téléconsultation pour les personnes
isolées. C’est là qu’il en revient à l’ambivalence du consentement qu’il
juge « réelle ». Il pourrait sembler certes, que l’ouverture du DMP
vaille consentement, cependant le législateur prévoit à la fois : a) que
« tout bénéficiaire de l’assurance maladie dispose d’un DMP », ce qui
sous-entend l’idée d’une ouverture sinon obligatoire du moins
automatique ; b) que cette mise à disposition s’effectue dans « les
conditions prévues à l’article L.1111-8 du Code de la santé
publique », article qui subordonne l’hébergement des données
individuelles de santé au consentement exprès de la personne
concernée ; c) que le niveau de prise en charge des prestations
d’assurance maladie est conditionné par l’autorisation donnée par le
patient à son médecin d’accéder à ses données de santé, ce qui limite
singulièrement sa liberté.
Enfin, le rapport traite du droit au masquage par le patient, lequel
s’avère plus compliqué qu’il n’y paraît. Parmi les institutions et
représentations consultées, les unes ne souhaitent pas l’autoriser,
prétextant la perte d’informations utiles ; les autres, dont le CNOM,
l’estiment inévitable. Mais, à la manière des poupées russes, la
complication s’étend au masquage du masquage, de manière à ce
qu’il ne soit pas repérable. Pour les opposants, ce doublon remet en
cause la notion même de dossier médical personnel. Faut-il en
conséquence exiger que le masquage se fasse en présence d’un
médecin ? Faut-il permettre au patient d’exercer un « droit de
remords » vis-à-vis du masquage et comment ? Faut-il organiser une
procédure de « démasquage d’urgence », mais quid alors de la réalité
du droit en question ?
Parallèlement à ce rapport, Roselyne Bachelot sollicite le Comité
consultatif national d’éthique (CCNE). L’avis 104 du CCNE, rendu le
29 mai 2008, n’est pas favorable au DMP : « Le DMP dans sa
conception actuelle ne peut être adopté pour chaque citoyen à
l’échelle nationale dans la mesure où il ne répond pas aux objectifs
poursuivis, alors que son coût de mise en œuvre est très élevé. » Le
CCNE insiste sur la nécessité d’un strict volontariat pour entrer dans
le dispositif.
En 2009, le GIP-DMP, le groupement d’intérêt public qui comprend
depuis 2005 le Ministère de la santé, l’Assurance-Maladie et la Caisse
des dépôts et consignations donne lieu à la création de l’Agence des
systèmes d’information partagées de santé (ASIP Santé). En 2010, le
marché public relatif à l’hébergement unique des DMP est attribué à
un consortium public-privé formé de La Poste et de Santeos, une
entreprise filiale de la multinationale Atos et qui a à tête Jean-Yves
Robin, lequel va faire divers allers-retours entre ce poste et la
direction d’ASIP Santé.
Un an plus tard, à la fin janvier 2011, les premières personnes
volontaires peuvent demander la création d’un dossier médical
personnalisé. Cependant, le 19 février 2013, la Cour des comptes
publie un rapport peu élogieux sur l’état du chantier. À la date
23 septembre 2012, sur les 204 180 dossiers créés, seuls 93 915 ont
été « alimentés 78 », mais contiennent en moyenne moins de deux
documents. Quant au coût réel de l’opération DMP, estimé à
210 millions d’euros en 2004, il « a vraisemblablement coûté plus
d’un demi-milliard d’euros à la fin 2011 79 ». Et la Cour d’enfoncer le
clou : « L’absence de suivi par l’administration de la santé des
dépenses en matière de systèmes hospitaliers de dossiers de patients
informatisés interdit un chiffrage précis. Cette défaillance de pilotage
est très anormale ».
C’est également l’avis de Daniel Solaret. Interrogé un peu plus tôt
80
dans Rue89 , cet ancien directeur des études informatiques à
l’Assurance maladie juge l’ensemble de la démarche erronée :
« L’hypercentralisation est un choix technique aberrant quand on a à
stocker des informations aussi confidentielles. Même le Pentagone se
fait pirater, on se dit qu’il y a un risque avec ce DMP de casser la
relation malade-médecin. » Si l’intérêt de la communication de
données, telles que les bilans biologiques entre partenaires médicaux
est légitime, « pourquoi ne pas avoir retenu l’idée d’une simple clé
USB qui serait en possession du patient ? Ou encore, la messagerie
médicale sécurisée Apicrypt initiée par Alain Caron, utilisée par
38 000 généralistes et 700 établissements de santé ? »
L’année 2013 s’achève ainsi sur l’évidence qu’il faut, s’il n’est pas
trop tard, reprendre le projet de bout en bout. Ce n’est qu’en 2015
toutefois que le DMP réapparaît sous l’effet du projet de loi de santé
de Marisol Touraine. Le voilà reconduit, mais changé. Il n’est plus
qualifié de « personnel » mais de partagé. Il ne sera plus confié à
l’ASIP Santé mais à l’Assurance maladie : « La Caisse nationale de
l’assurance maladie des travailleurs salariés assure la conception, la
mise en œuvre et l’administration du dossier médical partagé dans
des conditions prévues par décret en Conseil d’État pris après avis de
la Commission nationale de l’informatique et des libertés » (art. 96 de
o
la loi n 2016-41). Une fois le dossier créé, le patient peut consulter
« la liste des professionnels et des équipes qui ont [y] accès », qu’il est
libre de modifier s’il le souhaite, de même qu’il peut « prendre
connaissance des traces d’accès ». De leur côté, les professionnels de
santé libéraux et hospitaliers ont accès au DMP de leur patient et y
reportent « dans le respect des obligations définies par la Haute
autorité de santé, un résumé des principaux éléments relatifs à ce
séjour ». Le médecin traitant est également invité, « au moins une fois
par an », à y reporter « une synthèse dont le contenu est défini par la
Haute autorité de santé ». L’historique des remboursements de
médicaments y est également versé par l’Assurance maladie. Enfin, le
bénéficiaire du DMP est en droit de « masquer » certaines
informations, sauf à son médecin traitant.
Le DMP2 « partagé » ne supprime pas pour autant deux objections
majeures et anciennes. D’une part, les réserves émises dans l’avis 104
du CCNE ne sont en rien caduques. D’autre part, les expériences
similaires menées dans d’autres pays ont toutes abouti à un surcoût
pharamineux et à une efficience médiocre. Observateur critique des
mœurs médicales, Philippe Éveillard rappelle à cet effet une étude
des plus sérieuses qui invite à la prudence 81 : « Outre Atlantique, les
systèmes d’information de santé gèrent les données des patients mais
n’améliorent pas la qualité des soins. Ce constat est dressé par un
organisme très respectable (le National Research Council) dans un
rapport rendu public le 9 janvier 2009 et intitulé “Techniques
informatiques pour un système de santé performant : mesures
immédiates et orientations stratégiques”. » L’étude s’est intéressée à la
nature et à l’impact des systèmes d’information dans huit centres
médicaux, plutôt réputés pour être à la pointe de l’informatisation
médicale. Elle relève que ces dispositifs entraînent du temps perdu au
détriment de la relation « Les soignants passent beaucoup de temps à
entrer des données relatives à leurs patients, mais ils disent souvent
qu’ils le font pour respecter le règlement et se mettre à l’abri des
poursuites judiciaires plutôt que pour améliorer les soins délivrés aux
patients » et chercher à « les comprendre ». Les experts de
l’organisme d’enquête constatent que l’informatisation de l’exercice
professionnel des soignants n’induit pas une amélioration, mais une
dégradation qualitative 82 – Eh oui, ce qu’intuitivement nous sommes
nombreux à pressentir n’est pas une vue de l’esprit !
De surcroît, le décret no 2016-914 du 4 juillet 2016 relatif au
dossier médical partagé et qui a pour but d’en préciser le contour ne
dissipe en rien ces appréhensions. De quoi s’agit-il ? Le DMP est « un
dossier médical numérique destiné à favoriser la prévention, la
qualité, la continuité et la prise en charge coordonnée des soins des
patients ». Il peut être créé par le patient ou bien, avec son accord,
par un professionnel de santé, par un agent de l’assurance maladie,
par le personnel d’accueil des établissements de santé, des
laboratoires de biologie médicale ou des services sociaux et médico-
sociaux. Il peut contenir tout ce que le titulaire souhaite y voir
figurer, mais aussi ce que les professionnels de santé souhaitent y
inscrire. Le patient ne peut pas effacer ce qu’il n’y a pas lui-même
inséré. Le médecin traitant a accès à la totalité des données du DMP, y
compris celles que le patient souhaite masquer. En effet, le titulaire
pourra masquer certaines informations, et établir une liste des
professionnels à qui il souhaite interdire l’accès à son dossier mais ce
droit de masquage ne s’appliquera pas ni au médecin traitant qui
bénéficie d’une dérogation générale, ni à l’auteur des informations
concernées. Enfin, s’il souhaite clore son dossier, les données seront
néanmoins archivées pendant dix ans.
Autant dire que le prétendu titulaire exercera une titulature
honorifique plutôt qu’une tutelle effective sur ce dossier médical qui,
pour être réputé le sien, ne sera pour autant jamais à sa main.

L’OPEN DATA ET L’E-SANTÉ


Outre le dossier médical partagé, l’article 193 de la loi prévoit la
mise en place d’un « Système national des données de santé »
anonymisées (SNDS). Le titre VI, dans lequel sera inclus ce chapitre
au sein du Code de la santé publique, porte pour sa part : « Mise à
disposition des données de santé ». Dans tous les cas, cette banque
sera édifiée sous l’égide de la Sécurité sociale.

Le principe de l’e-santé
L’e-santé ne se réduit pas au dossier médical informatisé du
médecin et au dossier médical partagé du patient dont les contenus
par ailleurs ne coïncident pas. L’open data, comme le rappelle
opportunément le Comité de gestion des œuvres sociales (CGOS),
consiste en « la mise à disposition des données publiques à tous les
83
citoyens » . En ce qui concerne les données de santé, qui sont par
essence privées, « il s’agirait de mettre à disposition des données
statistiques anonymes recueillies par les administrations liées à la
santé à la disposition d’acteurs comme la Haute autorité de santé
(HAS), les autorités de veille sanitaire, les fédérations
professionnelles, les chercheurs en épidémiologie, mais aussi les
associations d’usagers, les entreprises privées, les médias ». Il faut
noter cependant que les données issues des feuilles de soins, du
codage des actes à l’hôpital, sont d’ores et déjà regroupées en totalité
dans le système national d’information inter-régimes de l’assurance
maladie (SNIIRAM). Le programme de médicalisation des systèmes
d’information (PMSI) offre également un fichier très étoffé puisqu’il
mesure l’activité et les ressources des établissements.
À son tour Marisol Touraine juge bon de s’appuyer sur un rapport,
celui de Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales
(IGAS) qui le lui rend en octobre 2013. Dans la première partie 84, ce
dernier constate la richesse exceptionnelle des données de santé qui
pourraient être mises à disposition et pourtant, même si ce risque ne
concerne qu’un petit nombre de personnes, il remarque qu’« en
croisant certaines informations, on peut identifier des personnes
connues par ailleurs ». Dès lors, il insiste sur le fait que ces données
« constituent un bien public qui ne peut être approprié par aucun des
acteurs du système ». Il préconise à cet effet la création d’une
nouvelle instance : le Haut conseil des données de santé. Enfin, il
insiste sur le fait que « dès lors que les données présentent un risque
de réidentification des patients, l’accès doit en être restreint ». Ce
risque est longuement exposé et ainsi apprécié :

Même si le risque de réidentification ne doit pas être majoré,


il est indéniable que ce risque existe et ne permet pas
d’envisager un accès libre à l’ensemble des données du système
d’information. Il ne fait aucun doute en particulier, au vu de
ce qui précède et aux dires des experts rencontrés par la
mission, que les données individuelles exhaustives du
système d’information, associant soins hospitaliers et
ambulatoires, permettent d’identifier une grande
proportion des personnes présentes dans la base pour qui
on connaît même approximativement l’âge, l’adresse, la
nature et la date de certains soins et éventuellement la date
du décès, de sorte qu’un tiers disposant de ces informations
peut apprendre pour quelles maladies ces personnes ont
reçu des soins [p. 29, nous soulignons].

À la suite du rapport Bras et des précautions qu’il appelle, Marisol


Touraine demande à Philippe Burnel, délégué à la stratégie des
systèmes d’information de santé, et à Franck Von Lennep, directeur
de recherche des études, de l’évaluation et des statistiques, de
85
constituer un groupe de travail sur l’open data en santé . Le nouveau
rapport qu’ils livrent, très technique, propose une réponse graduée en
trois axes afin de parer le risque de réidentification, non sans laisser
en dernier ressort à la CNIL le choix « des armes 86 ». Néanmoins, la
conclusion de la commission va dans le sens de l’open data et d’une
ouverture des données à tous. Elle « recommande qu’un principe
d’ouverture par défaut des données anonymes, sauf exception
motivée, soit appliqué. Forte de cette conviction, la commission
considère qu’il convient de donner accès sans restriction (open data)
aux données de santé, y compris la possibilité de les réutiliser, dès
lors qu’elles ne sont pas porteuses de risque de réidentification » et
ce, même si elles sont « considérées à l’origine comme indirectement
nominatives ». Avant de conclure : « Le risque de mésusage n’est pas
considéré comme un motif de non-publication ». Preuve que, à
l’instar des autres interrogations dans lesquelles nous plonge le règne
de la technique, le hiatus ne cesse de se creuser entre ce que nous
avons le pouvoir de faire et ce que nous pensons savoir de ce que
nous faisons.
Les promoteurs de l’ouverture défendent non sans raison une
certaine idée de la santé publique et promettent que le croisement
des données permettrait d’éviter des scandales comme celui du
Médiator. Il contribuerait en outre à mieux comprendre le poids de
chaque pathologie sur la population et le coût pour le système de
santé. C’est l’esprit de l’article 193 de la loi de modernisation. En
pratique, cela revient à regrouper dans le « Système national des
données de santé » les informations émanant des feuilles de soins
gérées par la CNAM, des données hospitalières, et d’un échantillon
des données provenant des organismes de garantie complémentaire,
ainsi que des actes de décès, et de les rendre anonymes sans
87
possibilité d’être identifiées afin qu’elles puissent être mises à
disposition du public, voire réutilisées par des établissements publics
ou des entreprises privées, à l’exception toutefois de celles relevant
du commerce d’assurance et de l’industrie pharmaceutique.
Trois cas de figure se présentent en l’espèce : 1 – les données
ouvertes au public sont agrégées au préalable pour ne pas permettre
de réidentification ; 2 – sur décret, les organismes ayant une mission
de service public ont un accès permanent à des données plus
précises ; 3 – au cas par cas, « pour des recherches, études et évaluation
d’intérêt public », ces mêmes données sont mises à disposition sur
l’autorisation de la CNIL qui, au regard du projet présenté, prend en
compte le double avis du Comité d’experts scientifiques (CES) quant
à sa pertinence et méthodologie et du collège de l’Institut national
des données de santé (INDS) quant à sa valeur d’intérêt général.
Bruno Toussaint, directeur de la revue Prescrire, se félicite de cette
ouverture, en espérant qu’elle favorise et multiplie les expertises
indépendantes notamment en termes de pharmacovigilance. En
revanche, Michel Chassang, président de la Confédération des
syndicats médicaux français (CSMF) redoute notamment que cette
même ouverture ne profite aux mutuelles et à leur volonté de
« constituer des réseaux de soin en choisissant les médecins ».

Une manne pour le marché

L’accès des compagnies d’assurances aux données de santé est la


première source de préoccupation. Dans Egora 88, le 17 septembre
2015, Philippe Rollandin alerte ses lecteurs du danger que
représentent les « consultations 2.0 » en appliquant à la tension entre
les préconisations législatives « dans le respect du secret médical » et
l’open data l’image du « château de sable » que nul n’a jamais vu
encore résister au « tsunami ». Il nous apprend ainsi que « l’assureur
Axa propose, dans le cadre de sa complémentaire santé d’entreprise,
un service de consultations online à ses 2,2 millions d’assurés. Au
bout du fil ou de la tablette, 29 généralistes urgentistes assurent des
consultations ne nécessitant pas d’examen clinique. Mais ils peuvent
prescrire des traitements, transmettre l’ordonnance à un pharmacien
et envoyer le tout au médecin traitant, lequel n’a d’autre choix que de
prendre acte de cette téléconsultation ».
Le même groupe Axa a investi 800 millions d’euros dans le
chantier du big data. « Avec de bons algorithmes, on récupère des
données très complexes comme les émotions ou les traits
psychologiques. Une mine d’or pour les marques et bien sûr les
assureurs », note Guillaume Bourdon, cofondateur de Quinten, une
entreprise de conseil stratégique en collecte et valorisation des
89
données numériques, interrogé par L’Expansion et qui ajoute : « Très
vite, des cas épineux se poseront. Par exemple, une personne est
atteinte d’un cancer du poumon. Or, sa mutuelle apprend en
décortiquant ses photos postées sur Facebook qu’elle fume.
Continuera-t-elle à financer son traitement ? ». De surcroît, si
l’assureur a connaissance du génome de l’assuré, comment calculera-
t-il les risques le concernant ? Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de
la CNIL, s’en inquiète dans ce même numéro spécial du magazine
d’économie : « Avec ce qui se passe autour du séquençage de l’ADN, il
va falloir blinder nos textes sous peine de voir certaines sociétés
d’assurance interdire des prêts car elles ont anticipé que le client
allait développer telle ou telle maladie dans le futur ».
Comme à l’habitude, l’anticipation est de mise dans le monde
anglo-saxon. Au Royaume-Uni, à Londres, le trust hospitalier de
référence qui regroupe les établissements historiques et majeurs que
sont Royal Free, Barnet et Chase Farm a ainsi conclu un accord avec
DeepMind, la filiale de Google dédiée à l’intelligence artificielle. Le
projet a pour but affiché de recueillir les données des patients atteints
de maladie rénale afin de construire une application facilitant leur
prise en charge. Dans les faits, DeepMind, et donc Google, se trouve
avoir accès à la totalité des données de santé des 1, 6 million de
patients traités dans ces trois centres. La direction du géant américain
s’en justifie sans vergogne : « Selon Google il n’existe pas de base de
données séparée ne recensant que les patients atteints d’insuffisance
rénale. Pour mettre au point l’appli Streams, Google a besoin d’avoir
90
accès aux données de tout le monde ». Non sans ajouter, comme
attendu, que les données étant anonymisées et chiffrées, la procédure
est sans danger. Ce que dément la revue New Scientist qui a soulevé le
lièvre : nombre de données contenant noms, numéros de sécurité
sociale, photos sont parfaitement identifiables. Nul ne sait à ce jour si
les patients pourront réclamer le retrait de ces informations.
Pareil arraisonnement ne saurait inquiéter Robert Madelin qui a
troqué, à la Commission européenne, son poste à la tête de la DG
Connect, la Direction générale des réseaux de communication, du
contenu et des technologies, contre la fonction encore plus influente
de Conseiller spécial sur les questions d’innovation. Au contraire. Lui
se demande s’il est éthique de refuser de partager des données
personnelles dans des domaines comme la recherche médicale. « Si le
stockage des mégadonnées, plus mon génome, plus le génome de
tout le monde peut sauver des vies, ai-je le droit de dire “non je ne
veux pas partager mon génome avec la société” ? ». Ni le masquage,
ni la dissimulation même partielle ne sont envisageables selon lui. En
revanche, il faut en appeler à davantage de solidarité, en imposant
des limites aux variations de prime d’assurance que l’accès aux
données de santé ne manquera pas de voir se développer. « Les
prestations sociales pourraient être augmentées pour aider à couvrir
les frais d’assurance supplémentaires que le marché ne fournira pas
91
pour certaines personnes ». Il est donc acquis que certaines
personnes pâtiront de ce que leurs assureurs connaissent leurs
données de santé !

QUESTIONS SANS RÉPONSE

Surveillance et contrainte
Alors que l’argent domine l’époque mais est réputé manquant, est-
il si difficile d’imaginer qu’un jour l’assurance maladie et les
mutuelles céderont à la tentation de trier les patients, d’en écarter
certains et de les priver de leurs droits ? Or, cela se voit déjà. Au titre
de l’observance et non des soins engagés. Le 4 février 2014, sur le site
Slate.fr 92, le médecin-journaliste Jean-Yves Nau confirme la mise en
place d’une telle mesure dont le Dr Nicolas Postel-Vinay a révélé
l’imminence dans une tribune publiée par Le Monde le 20 novembre
2013. De quoi s’agit-il ? En théorie, les personnes souffrant d’apnées
du sommeil sont remboursées du coût des machines respiratoires à
usage nocturne dites PCC, à « pression positive continue », qu’ils
louent à des prestataires privés, le contrôle s’exerçant deux fois l’an.
Or, selon un arrêté publié le 16 janvier 2013, seuls les patients
démontrant une stricte observance de leur utilisation continueront à
être pris en charge par l’assurance maladie. Ils seront sélectionnés par
« télé-flicage », prévient Nau. « La puissance publique leur laisse trois
mois pour parvenir à mieux respirer. Si ce n’est pas le cas, deux mois
supplémentaires sont pris en charge à 50 %. Puis l’appareil est retiré
au malade sauf s’il prend en charge le coût de son fonctionnement ».
Par une ordonnance du 14 février 2014, le juge des référés du Conseil
d’État, saisi par deux associations de malades, estime cependant qu’il
existe « un doute sérieux sur la légalité » de ces nouvelles conditions
de remboursement du dispositif PPC et les suspend provisoirement.
Le jugement de l’affaire au fond est rendu le 29 novembre 2014, que
93
Jean-Yves Nau publie derechef sur son blog :

Dans la décision lue ce jour, le Conseil d’État a statué au


fond sur le recours de plusieurs associations contre les
arrêtés du 9 janvier et du 22 octobre 2013. Le Conseil
d’État a rappelé qu’en vertu de l’article L.165-1 du Code de
la sécurité sociale, l’inscription d’un dispositif médical sur
la liste des produits remboursables par l’assurance maladie
peut être subordonnée au respect de « conditions
particulières d’utilisation ». Il a précisé qu’en posant cette
règle, le législateur avait entendu permettre que le
remboursement d’un dispositif médical soit subordonné au
respect de certaines modalités de mise en œuvre de ces
dispositifs médicaux et prestations, et non à une condition
d’observation de son traitement par le patient.
Il en a déduit que la loi n’avait pas donné compétence aux
ministres pour subordonner, par voie d’arrêté, le
remboursement du dispositif PPC à une condition
d’utilisation effective par le patient. Sans se prononcer sur
le bien-fondé de ce mécanisme, le Conseil d’État a donc
annulé, sur ce point, les deux arrêtés pour incompétence.

En arriverons-nous un jour à ce que les soins ne soient


remboursés que preuve faite de notre bonne observance ? Les
alcooliques devront-ils vivre abstinents ? Les obèses, faire du sport ?
Les cardiaques, cesser de fumer ? À la suite de cette affaire, Marisol
Touraine se sent obligée de passer commande à l’Inspection générale
des affaires sociales (IGAS) d’un rapport à l’intitulé tout en nuance :
« Pertinence et efficacité des outils de politique publique pour faciliter
l’observance » ; ce que l’on doit entendre, traduit en français
commun, par « Faut-il pénaliser l’inobservance ? » La réponse de
l’IGAS est claire : c’est non. « La mission recommande de ne pas lier
le remboursement des soins à l’observance du traitement, même pour
94
une faible part ». Il n’est pas dit que les assureurs privés s’alignent
sur cette décision.
Droit à l’oubli et prédiction

En matière de santé comme ailleurs, le droit à l’oubli est une


revendication légitime. Certains antécédents médicaux sont plus
connotés que d’autres. Nul n’a envie qu’un dispositif informatique
« ouvert » garde le souvenir de son passage aux urgences
psychiatriques, de son traitement pour maladie sexuellement
transmissible ou des soins qu’il a reçu en prison. Nul n’a envie que les
maladies génétiques associées à sa famille puissent figurer dans un tel
archivage. Or, nous disposerons toujours plus, dans le proche avenir,
d’informations de ce type, à caractère médical ou génétique, et tout
particulièrement des secondes. Le risque de développer telle ou telle
maladie intéressant le devenir de la personne, que va-t-on faire de ces
données ? « Lorsque l’on connaît la dépendance de nos équipes de
chercheurs à des financements privés, il n’est pas certain que puissent
être cloisonnées les informations comme on y aspirerait en théorie. À
l’épreuve du réel et dans un contexte de compétition internationale,
nos principes, nos résolutions comme nos lois apparaissent bien
précaires 95 » souligne à juste titre Emmanuel Hirsch.
D’ores et déjà, il n’est pas certain que le stockage en cours
réponde aux cinq principes clé de la CNIL 96 : 1 – la finalité ? Elle est
indéterminée ; 2 – la pertinence ? Elle est indéfinie ; 3 – la durée ?
Elle est illimitée ; 4 – la sécurité et la confidentialité ? Elles sont
mises en cause par les experts ; 5 – le droit de rectification et
d’opposition ? Il n’est pas fondé dès lors que le consentement n’est
pas toujours requis. Soit beaucoup de failles techniques qui ouvrent la
voie à une faillite de l’éthique.

Le consentement
Outre son rôle d’archive et de mémoire, le dossier médical a pour
fonction de mettre à disposition des professionnels de santé les
informations nécessaires à la prise en charge d’une personne. Comme
le stipule l’article 45 du Code de déontologie médicale, le
consentement du patient est requis. L’article L.1111-8 du Code de la
santé publique dispose pareillement que « l’hébergement de données,
quel qu’en soit le support, papier ou informatique, ne peut avoir lieu
qu’avec le consentement exprès de la personne concernée. » Dès lors,
on ne peut que s’étonner, entre autres découvertes occasionnées par
les débats sur la loi de modernisation, que l’Assurance maladie
collecte chaque année des données personnelles à partir des feuilles
de soins, mais aussi lors de chaque hospitalisation. Avons-nous donné
notre consentement ? Nous a-t-il été demandé ? Que fait-on de ces
données ?
Qu’est-ce que le consentement ? Est-ce cette compliance without
pressure, cette « soumission librement consentie » qui résulte de la
persuasion manipulatoire dont les business schools font la règle d’or
du marketing ? Pour Roland Gori, « il y a, reconnaissons-le, une
authentique hypocrisie sociale à qualifier la décision du patient de
“libre et éclairée”, lorsqu’il est déjà pris dans un réseau de pouvoir tel
qu’il ne peut penser son expérience de vie que dans une réification
97
qui la transforme en marchandise ». Comment justifier le
consentement quand tant d’éléments échappent à la décision ? À
moins qu’il ne s’agisse d’idéologie ? Sinon par le fait que le patient est
ramené à un « client » qui choisit un « produit », un « consommateur
de soins » ? Si le consentement dématérialisé que veut nous faire
signer Marisol Touraine ressemble tant aux formulaires d’acceptation
des cookies que nous cochons machinalement sur internet, n’est-ce
pas que le statut de « décideur éclairé » est un attribut de
l’individualité « rêvé par l’idéologie libérale 98 » ?
L’histoire nous rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, au début du
e
XX siècle, certaines catégories de la population étaient naturellement
destinées à l’expérimentation médicale. Les phrénologues
s’entraînaient à reconnaître les bosses du crâne sur les crânes des
guillotinés et ce, malgré le refus de certains condamnés qui
suppliaient l’employé de la salle de dissection pour « que ses restes
soient scrupuleusement recherchés et mis dans un panier 99 ». En
France, le BCG fut d’abord testé sur des mammifères puis sur, dans
l’ordre, « les enfants de l’Assistance publique, les singes et les
Africains de l’Armée française 100 ». De quelles expérimentations
comportementales risquons-nous de devenir les cobayes ? Sommes-
nous réellement consentants ?

Autres données connectées

« Ce ne sont pas les données qui importent, ce sont les services


d’accompagnement personnalisés que l’on va pouvoir créer avec »,
déclare au Monde 101 Caroline Blochet, docteur en pharmacie,
diplômée d’une école de commerce et fondatrice de Medissimo, une
société high tech qui fabrique en partenariat avec Bouygues Telecom
des piluliers connectés visant à mesurer l’observance des traitements.
C’est bien la vraie question, celle des multiples données de santé hors
du champ sanitaire, privées, issues de nos objets connectés dans les
champs du sport ou du bien-être ; des données que la loi ne protège
pas et que l’article 193 passe sous silence.
Pour le Bulletin de l’Ordre des médecins qui y consacre dans la
foulée un article 102, la quête de données chiffrées ferait partie d’une
nouvelle pratique, le quantified self, qui viserait à « mieux se
connaître, mieux comprendre son corps ». Cette « mesure de soi »,
Olivier Desbiey, chargé des études prospectives à la CNIL, la décrit
ainsi : « Il s’agit d’un mouvement dans lequel des individus
s’intéressent à retranscrire en chiffres un certain nombres de leurs
activités, généralement dans le domaine du sport, du bien-être et de
la santé. […] Ils vont par exemple calculer le nombre de pas qu’ils
effectuent par jour, évaluer la qualité de leur sommeil, suivre leur
poids, leur tension ». Est-ce que cela suffit à mieux se connaître ? Rien
n’est moins sûr.
Ce qui est sûr, c’est que les questions sont nombreuses ! Doit-on
considérer que les données issues du corps sont toutes des données
de santé ? Sinon, comment différencier données de santé et données
de bien-être ? Dans tous les cas, que deviendront ces données ? Qui
pourra y accéder et les utiliser ? Qui les expliquera et comment ? Par
qui et en quoi seront-elles protégées ? Plus prosaïquement, les
assureurs là encore conditionneront-ils les termes de leurs contrats à
la connaissance des comportements, qu’ils auront ainsi obtenue ?
Philippe Rollandin 103 renvoie à l’exemple de Malakoff-Médéric dont
Guillaume Sarkozy, par ailleurs membre du Haut Conseil pour
l’avenir de l’assurance maladie, a été le délégué général exécutif
jusqu’à fin 2015. Ce groupe propose à ses assurés de leur transférer
les données de santé les concernant, enregistrées par leur montre-
bracelet, balance, oreiller ou vélo connectés. « En échange de ces
informations, l’assureur donnera des conseils santé et fera, selon sa
propre expression, du coaching santé ». Moyennant quoi, l’assureur
recueille une quantité d’informations considérables sur l’assuré. Le
jour n’est peut-être pas si loin où il lui proposera un séquençage
gratuit de son génome afin de mieux le conseiller, au risque de lier les
garanties contractuelles au respect des conseils qu’il prodigue ! Une
blague classique sur internet dit volontiers « quand tout est gratuit,
c’est toi le produit ». À méditer.
Que retenir de cette évolution, sinon que l’emporte non pas la
protection de l’intimité, mais celle d’autres intérêts, notamment
financiers ? Demain, le patient sera sans doute davantage surveillé et,
au nom de la transparence, davantage contraint dans sa conduite. Y
a-t-il dans ces dispositions de la volonté mauvaise ? À voir. Il est
certain en revanche que la représentation de la science qui
commande ce mouvement n’est en rien neutre tout en étant
neutralisante. « L’uniformité statistique n’est en aucune façon un idéal
scientifique inoffensif ; c’est l’idéal politique désormais avoué d’une
société qui, engloutie dans la routine de la vie quotidienne, accepte la
104
condition scientifique inhérente réellement à son existence » disait
fort justement Hannah Arendt. C’est bien par-là que la traçabilité de
dossier s’est substituée à la continuité de relation.
La technique contre le secret
Si le secret médical protège originellement les limites biologiques
et existentielles de la naissance et de la mort au sein de la maisonnée
antique, la technique moderne s’attaque précisément à ces mêmes
limites de la vie jusqu’à brouiller les lignes quant à ce qu’il convient
de préserver ou de partager. Ainsi, la possibilité de greffer l’organe
d’un individu sur un autre individu questionne le statut du corps,
indécidé en droit français puisqu’il n’est ni chose ni personne. Ainsi,
la possibilité d’identifier des anomalies génétiquement transmissibles
questionne la nécessaire distinction entre prédiction et destin,
l’immédiateté des rapports entre générations, le bon sens proverbial
pour lequel tout est bon à connaître mais pas à dire. Ainsi, la
possibilité de recourir aux techniques de procréation médicalement
assistées questionne la filiation et l’explication de la filiation, la
parole juste à adresser par exemple à l’enfant dont le père n’est pas le
père biologique. Enfin, la possibilité récente de tirer des produits à
visée thérapeutique du corps humain questionne le sens même de
l’humanité : peut-on breveter le corps ? Une fois « modifiés », ces
produits sont-ils des choses ou sinon quoi ? Doit-on postuler
l’indisponibilité du corps, sa « non-patrimonialité », à moins
d’enfreindre essentiellement la dignité humaine ?
Qu’en est-il de ces mutations et quel rapport entretiennent-elles
avec le secret professionnel des médecins ? Le chantier est immense
au point que l’on se contentera ici de dessiner quelques lignes de
crête : la notion de secret des origines, toujours liée à la naissance ; la
difficulté à penser l’anonymat du greffon dans le don, souvent lié à la
mort ; la distorsion du rapport au temps et à la transmission
générationnelle désormais lié à la connaissance du génome et de ses
anomalies aux conséquences potentiellement pathogènes. À qui dire,
et à qui taire tout cela ? Il n’est plus question du secret gardé par une
personne, mais par une institution, quitte à ce que le secret n’en soit
plus un. Toutes questions qui se ramènent à une seule et même
interrogation, celle qui a uniment pour objet et sujet le corps humain.

LA QUESTION DES ORIGINES

Certitude quant à la mère

La question de l’origine ne se pose pas de la même façon pour le


père et la mère d’un enfant. En droit français, aujourd’hui, comme en
droit romain autrefois, mater semper certa est, « la mère est toujours
certaine ». Le seul cas où elle ne l’est pas, c’est quand l’enfant est né
« sous X ». Avec la possibilité de la gestation pour autrui (GPA) mise
en œuvre dans divers pays, l’évidence a pu paraître tanguer.
Néanmoins, le 3 juillet 2015, la Cour de cassation a accepté de
transcrire à l’état civil l’acte de naissance étranger d’un enfant issu
d’une GPA menée dans un autre pays, mais dont un des parents est
Français, en argumentant de la sorte en droit constant : le père est
celui qui reconnaît l’enfant ; la mère, celle qui a accouché 105. La
femme qui a porté l’enfant sera inscrite à l’état civil français comme
mère de l’enfant. La mère reste encore certaine.

Comme une présomption de paternité

Pour le père, c’est plus compliqué : est père celui qui reconnaît
l’enfant. C’est la mère qui nomme le père, lequel est désigné comme
géniteur sur la foi en la parole de la mère. La possibilité de faire
pratiquer des tests biologiques en recherche de paternité vient
violemment remettre en cause ce principe. Comme d’autres formes de
confiance, celle en la mère ne suffit plus : on peut mettre à nu un
secret par la technique. Certes, le père peut ne pas reconnaître
l’enfant, vouloir rester inconnu au nom du respect de sa vie privée et
en revendiquer légitimement le droit en se fondant sur l’article 9 du
Code civil. Mais la CIDE, la Convention internationale relative aux
droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unie
en 1989, défend que l’enfant, lui, doit pouvoir connaître ses
106
parents . Conflits de droits. L’adoption et avant tout les techniques
de procréatique viennent poser la question à nouveau frais : qu’est-ce
qu’être parents ? La parentalité se résume-t-elle à la transmission
d’un patrimoine génétique ? Jusqu’où peut-on dissocier filiation
biologique et filiation symbolique ?
La loi du 16 novembre 1912 a mis fin à l’interdiction de recherche
o
en paternité pour les enfants « naturels ». Depuis la loi n 55-934 du
15 juillet 1955, le père supposé d’un enfant né hors mariage, peut
« établir par l’examen des sangs » qu’il n’est pas le père biologique de
o
l’enfant. La loi n 72-3 du 3 janvier 1972 a accordé les mêmes droits
o
aux enfants légitimes et naturels. La loi n 93-22 du 8 janvier 1993
dispose : « La paternité hors mariage peut être judiciairement
déclarée. La preuve ne peut en être rapportée que s’il existe des
o
présomptions ou indices graves. » La loi du n 2001-1135 du
3 décembre 2001 « relative aux droits du conjoint survivant et des
o
enfants adultérins » ainsi que la loi n 2002-304 du 4 mars 2002
relative au nom de famille ont fait disparaître des enfants légitimes
en matière de succession. Enfin, l’ordonnance no 2005-759 du
o
4 juillet 2005, ratifiée par la loi n 2009-61 du 16 janvier 2009 a
effacé la distinction entre filiation légitime et filiation naturelle dans
le Code civil.
Entendue à l’Assemblée nationale en janvier 2013 lors de
l’élaboration de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de
même sexe, la sociologue Irène Théry rappelle la définition du juriste
Jean Carbonnier ( † 2003), spécialiste reconnu du régime
matrimonial : « Le cœur du mariage, ce n’est pas le couple mais la
présomption de paternité. » Or, note-t-elle, la filiation s’est
progressivement détachée du mariage, avant de conclure : « le cœur
du mariage, ce n’est plus la présomption de paternité, c’est le
107
couple ».

Le droit de l’enfant

La question se révélant moins simple que naguère, le droit pour


un enfant de connaître ses parents n’en est que plus marqué. Aussi le
titre VII afférent au premier livre du Code civil, « Des personnes »,
vise-t-il à clarifier le droit de la filiation.
Le secret de l’accouchement sous X est explicitement rendu
possible par l’article 326 du Code civil. Une procédure, non
108
automatique et facultative , a néanmoins été instaurée pour
permettre à l’enfant, à lui seul et jusqu’à l’âge de 28 ans, d’accéder à
ses origines personnelles sous réserve que sa mère ne s’y soit pas
opposée lors de son admission et accouchement. Un Conseil national
« pour l’accès aux origines personnelles » est créé. Pour que la
démarche soit satisfaite, il faut que le Conseil national créé à cet effet
en reçoive la demande écrite, que la mère (ou éventuellement le
père) ait livré par le passé des informations identifiantes et qu’elle
donne présentement son accord pour lever le secret qui les couvre. La
loi précise que « l’accès d’une personne à ses origines est sans effet
sur l’état civil et la filiation. Il ne fait naître ni droit ni obligation au
profit ou à la charge de qui que ce soit » (art. L.147-7).
La recherche en paternité, dont le délai est porté à dix ans, est
aussi réservée à l’enfant. Si la grossesse est issue d’une assistance
médicale à la procréation avec don de gamète, le consentement initial
qu’elle suppose interdit toute action en contestation de filiation et le
donneur reste inconnu. C’est là néanmoins une exception française.
Les législations étrangères, pour la plupart, ne maintiennent pas
strictement cet anonymat et prévoient au minimum l’accès à des
données non-identifiantes du donneur, comme ses motivations, son
âge, sa situation familiale, sa nationalité, quand ce n’est pas à son
identité. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) incline
dans ce sens. Le 13 juin 2006, elle a sanctionné la Suisse qui déniait à
un plaideur le droit à une identification génétique post-mortem 109.
Or, en France, au nom du respect de la vie privée et en vertu de
l’article 16-11 alinéa 2 du Code civil, chacun peut refuser un test
génétique dans le cadre d’une recherche de filiation et ce, de son
vivant comme après sa mort 110. Professeur de droit attaché aux
domaines de la famille et de la bioéthique, Jean-René Binet le
déplore 111 : pourquoi favoriser la vie privée du parent, surtout s’il est
décédé, et non pas celle de l’enfant ? De surcroît, si l’on redoute le
caractère spectaculaire d’une telle recherche, il est aujourd’hui des
moyens de disposer de matériel génétique sans exhumation.
Le secret n’est donc pas gardé de la même façon selon les
situations, accouchement sous X ou insémination avec un tiers
donneur. « Les textes qui encadrent l’assistance médicale à la
procréation traduisent l’existence d’une fiction structurante : dans la
mesure du possible, faire comme si l’enfant avait été conçu sans
assistance médicale, et surtout lui permettre d’y croire 112 ». Il s’agit
aussi, par l’anonymat du donneur, de prémunir la famille contre son
intrusion éventuelle. Lors des discussions de la loi de bioéthique
de 2011, il a été envisagé que l’enfant ait accès aux informations
« non identifiantes » à la condition expresse de l’accord du donneur.
Autrement dit, d’autoriser sans obliger. Mais cette hypothèse n’a pas
été retenue par le parlement. Faut-il le regretter ? Non, si l’on en
reste à assimiler les « origines » avec le matériel génétique. Oui, si
l’on tente de dépasser l’opposition trop rapide entre filiation
génétique et filiation symbolique.
Entre la possibilité d’identifier éventuellement la mère biologique
dans le cas de l’accouchement sous X et l’impossibilité catégorique
d’identifier le père biologique dans le cas du don de gamète,
l’asymétrie donc demeure. D’une part, le législateur l’explique par la
capacité d’adoption qu’induit le premier cas à la différence du second
et la fiction structurante qu’il maintient de la sorte peut se défendre.
D’autre part, l’accouchement sous X peut être compris et vécu comme
un abandon là où le don de gamète entretient l’image d’un geste à
connotation généreuse, tous deux n’impliquant probablement pas les
mêmes conséquences psychiques et existentielles. Il n’empêche que ce
« secret de famille » est avant tout entre les mains des parents –
comment faut-il les appeler ? – « biologiques ». Cependant, ne se
pourrait-il pas, que, les circonstances idoines réunies, le fait de
connaître des informations non-identifiantes aide l’enfant à se situer
dans ce maillage complexe ?

GREFFES ET DONS D’ORGANE


Deuxième domaine qui voit le secret mis en question, les dons
d’organe en France sont animés en principe par la gratuité et
113
l’anonymat à suivre l’article 16.8 du Code civil . Cependant, à y
regarder de près, ni l’une ni l’autre n’a force d’évidence. L’anonymat,
qui nous intéresse ici, invite d’ailleurs à distinguer plusieurs
situations.
Le donneur est mort

Lorsque le donneur est décédé, le don est anonyme. Cependant,


une disposition de la loi de modernisation de 2016 est venue
assouplir la législation. Jusqu’alors, les membres proches de la famille
du défunt étaient consultés et interrogés pour savoir si un
prélèvement pouvait être pratiqué sur le corps de leur parent en vue
d’une greffe. Désormais, ils seront seulement informés de la nature
du prélèvement effectué, sauf si le défunt a, de son vivant,
explicitement indiqué et consigné la volonté contraire dans un
« registre national informatisé des refus » administré par l’Agence de
biomédecine.

Le médecin informe les proches du défunt, préalablement


au prélèvement envisagé, de sa nature et de sa finalité,
conformément aux bonnes pratiques arrêtées par le
ministre chargé de la santé sur proposition de l’Agence de
la biomédecine.
Ce prélèvement peut être pratiqué sur une personne
majeure dès lors qu’elle n’a pas fait connaître, de son
vivant, son refus d’un tel prélèvement, principalement par
l’inscription sur un registre national automatisé prévu à cet
effet. Ce refus est révocable à tout moment [article 192,
prévoyant de modifier l’article L.1232-1 du Code de la
santé publique].

L’ancienne rédaction de l’article L.1232-1 du Code de la santé


publique, en vigueur jusqu’au 1er janvier 2017, dispose :

Ce prélèvement peut être pratiqué dès lors que la personne


n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel
prélèvement. Ce refus peut être exprimé par tout moyen,
notamment par l’inscription sur un registre national
automatisé prévu à cet effet. Il est révocable à tout
moment.
Si le médecin n’a pas directement connaissance de la
volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir auprès des
proches l’opposition au don d’organes éventuellement
exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen, et il
les informe de la finalité des prélèvements envisagés.
Les proches sont informés de leur droit à connaître les
prélèvements effectués.

D’autres manières de signifier le refus sont à l’étude et feront


l’objet d’un décret du Conseil d’État qui est prévu à l’horizon du
printemps 2017. Gérard Sebaoun, député PS et frondeur du Val
d’Oise, membre à l’Assemblée de la Commission des affaires sociales
et rapporteur du titre I du projet de loi de modernisation, fait d’ores
et déjà part de ses interrogations sur la validité de l’entière
démarche :

On ne peut pas présumer non plus que la parole de la


famille doive faire l’objet d’une suspicion. On peut donc se
trouver face à une véritable contradiction ou à un dilemme.
Personne ne prélèvera un organe si la famille n’y consent
pas. […] C’est une réalité vécue par l’ensemble des équipes
médicales. Quand on a dit cela, il ne doit demeurer aucune
zone d’ombre, ni aucune suspicion sur quiconque. […] je
suis aussi sensible à l’idée qu’à ce stade, nous avons besoin
de ce délai de réflexion 114.
Effectivement, le danger est de suspecter la famille d’un refus qui
n’aurait pas été manifesté du vivant du défunt. Mais comment
imaginer, dans le contexte traumatique d’une mort brutale, que l’on
puisse se passer du consentement de la famille ? Au regard des
directives anticipées que permet la loi Leonetti, où l’on consigne ses
volontés relativement à l’amplitude et à la durée des traitements de
fin de vie en cas d’incapacité à les exprimer, ne faut-il inciter chacun à
y inscrire aussi qu’il souhaite impérativement que sa famille soit
consultée dans l’hypothèse d’un prélèvement d’organe après son
décès ?
Une question grave affleure derrière ce débat : se passer du
consentement et se contenter d’une simple information des proches,
n’est-ce pas avoir déjà décidé que nos corps morts, ces « choses
sacrées », appartiennent à l’État ?

Le donneur est vivant

Une deuxième situation, plus complexe, se présente en cas de don


entre vivants. Confronté à une « demande » d’organes que ne suit pas
« l’offre », le législateur a élargi le champ des donneurs afin d’obtenir
davantage de greffons. Et ce, de deux façons.
À l’origine, dans la loi du 29 juillet 1994, le don n’était possible
qu’au sein du cercle familial entendu au sens le plus restreint du
terme et au seul profit de la parentèle immédiate, le père, la mère, un
fils, une fille, un frère, une sœur et, en cas d’urgence, le conjoint 115.
Par la suite, la loi du 6 août 2004 a étendu ce droit aux collatéraux
simples, cousins germains, oncles ou tantes, et aux « alliés »,
autrement dit le conjoint du père ou de la mère. Enfin, la loi no 2011-
814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique (art. 7, 1°, a.) a
parachevé l’élargissement en y incluant « toute personne pouvant
apporter la preuve d’un lien affectif étroit et stable depuis au moins
116
deux ans avec le receveur ». Exit, donc, le lien familial sans que
l’on sache pour autant ni ce qu’est un « lien affectif étroit », ni ce qui
est censé en attester.
Les dangers inhérents à une extension si large et si rapide du
cercle des donneurs n’ont pas manqué d’alerter. À commencer par le
risque d’« arrangements » non dépourvus d’intérêt. « Peut-être serait-
il possible, contre rémunération, de se trouver un bon ami
histocompatible pour un don de rein et de construire artificiellement
117
avec lui un lien affectif étroit et stable depuis au moins deux ans ».
Il n’y a évidemment pas d’anonymat dans de telles circonstances,
mais guère non plus d’intimité – sinon présumée dans l’impossibilité
que l’on est de démêler la cause, le moyen et la finalité.
L’autre disposition inscrite dans la loi de 2011 en vue d’obtenir
plus de greffons est le don croisé qui repose sur deux paires de
« donneurs-receveurs » compatibles entre elles alors que les membres
de chacune sont incompatibles l’un avec l’autre : le donneur A
pourvoit au receveur B tandis que le donneur B pourvoit au receveur
A. « En cas de mise en œuvre d’un don croisé, les actes de
prélèvement et de greffe sont engagés de façon simultanée
respectivement sur les deux donneurs et sur les deux receveurs.
118
L’anonymat entre donneur et receveur est respecté ». Parmi les
garde-fous que la loi dispose, le consentement du donneur est
recueilli devant le président du tribunal de grande instance ou le
magistrat qu’il désigne. De telles mesures suffisent-elles cependant à
supprimer l’éventualité d’arrangements intéressés, voire d’autres
dérives pour l’heure insoupçonnées ? L’avenir en jugera.
119
Question encore plus cruciale, comment porter la dette ,
forcément insolvable, et les difficultés à vivre avec cette dette lorsque
le don est croisé ? Le receveur est alors doublement obéré. Il l’est vis-
à-vis de « son » donneur qui lui est inconnu et vis-à-vis de son proche
qui a donné à un inconnu. De surcroît, comment vivre les
complications médicales d’un tel don, si elles surviennent ?
Enfin, le législateur a souhaité protéger les donneurs afin qu’ils ne
soient pas désavantagés par leurs assureurs ou leurs banques.
Désormais, l’article 225-3 du Code pénal sanctionne les
discriminations fondées sur la prise en compte « de tests génétiques
prédictifs » et « des conséquences sur l’état de santé d’un prélèvement
d’organe ». Cette protection indique bien, en creux, que les assureurs
et les banquiers pourraient être amenés à connaître ces informations.

Vers un don « obligé » ?

Outre la dette, une autre notion domine la question du don


d’organe, celle du sacrifice des corps. Bien plus tôt, en 1988, François
Dagognet livre cette considération étonnante, mais annonciatrice :
« [L’État] devrait s’exprimer sous la forme de prosopopée : “Je t’ai
permis de naître, je t’ai protégé, surveillé, éduqué, entouré.” À partir
du moment où tu cesses de vivre, abandonne-moi ton cadavre ! Et tu
faciliteras, à travers moi, la santé de tes “descendants” ». Pour cet
épistémologue qui a doublé son agrégation de philosophie d’un
doctorat en médecine avant de poursuivre des études de
criminologie, de neuropsychologie et de chimie, « les organismes
appartiennent à la puissance publique non à des fins possessives ou
dominatrices mais en raison des liens entre les générations qui
120
peuvent et sous doute doivent se secourir mutuellement ». À une
oreille avertie, la dénégation des « fins possessives ou dominatrices »
entre en forte résonance avec l’affirmation rousseauiste qui fait
prévaloir « l’aliénation totale de chaque associé, avec tous ses droits,
à toute la communauté 121 ». Pour le juriste Bernard Edelman, chez
Dagognet « l’État apparaît sous la forme la plus archaïque qui soit,
c’est-à-dire sous la forme du protecteur qui reprend ce qu’il a donné
pour le redistribuer. En d’autres termes, et assez paradoxalement, on
122
est en présence d’un don obligé ». Si tel est le cas, force est alors de
constater que plus s’efface la religion traditionnelle, plus affleure une
néo-ritualité. Que payons-nous en effet par ce sacrifice ? Que
rachetons-nous ? Quel dieu faut-il apaiser ? Jean-Pierre Baud a une
lecture quelque peu différente du phénomène 123. Il voit dans
l’assimilation du corps à une « chose commune » ou « sacrée », à
l’instar du temple antique, une transcription moderne de la sacralité.
Mais, sacrifice ritualisé ou sacralité commune, nous sommes dans le
même registre de l’anthropologie fondamentale. Or, de façon
constance, le droit a reconnu à la famille la propriété du cadavre.
L’inaliénable, n’est-ce pas précisément ce qui consacre les liens qui
nous unissent ?

SECRET ET GÉNÉTIQUE
La troisième situation initiée par le règne de la technique vient de
la possibilité de prédire, avec plus ou moins de certitude, des
maladies latentes. Alors que les performances décuplées de l’imagerie
ont permis à la médecine de scruter le corps humain, les révolutions
de la génétique vont l’autoriser à scruter l’histoire humaine. La facilité
avec laquelle on peut désormais analyser le génome d’un individu
pose de vastes questions, tant en termes de filiation que de pronostic
et finalement de devenir. La médecine peut lire le destin médical
d’une personne, ou à tout le moins, et c’est bien l’ambivalence, son
destin potentiel. La capacité d’accéder à ces informations suscite une
extrême tension. Parce qu’elles sont cruciales, comment ne pas les
partager avec les personnes concernées, au sein d’une même fratrie
par exemple ? Parce qu’elles sont sensibles, comment ne pas les
protéger, notamment contre la tentation de constituer de multiples
fichiers et de favoriser ainsi l’identification des personnes ?

L’obligation d’informer sa parentèle

Si l’on peut déchiffrer certains aspects du génome d’un être


humain, croire qu’il est possible d’y lire son destin serait de courte
vue et reviendrait à ignorer les multiples facteurs d’incertitude, dont
l’environnement. Néanmoins, lorsqu’il existe un « risque » de maladie
héréditaire, on peut demander des examens pour l’infirmer ou le
confirmer. Se pose alors la question d’informer la parentèle de celle
124
ou de celui chez qui a été découverte une anomalie génétique . Or
la famille concernée peut vivre cette révélation en se sentant frappée
par une malédiction venue du fond des âges et appelée à s’étendre
« de génération en génération ». Le prononcé d’un diagnostic
génétique, avec à la clé une maladie potentielle, ne s’apparente-t-il
pas à la parole auto-réalisatrice du malheur annoncé que la tragédie
antique prête aux oracles ? Ainsi, à instruire leur arbre généalogique
afin de nourrir le roman familial, « certains supposeront volontiers un
lien entre la maladie génétique dont souffre leur enfant et
l’alcoolisme du grand-père ou le décès resté inexpliqué d’une jeune
cousine 125 ».
La loi, pour sa part, n’est guère loquace à ce sujet. Or, la
particularité d’une consultation de ce type provient de ce qu’elle
dépasse le singulier que suppose habituellement une relation
interpersonnelle de soin. Un tiers est en jeu qui, pour être une
famille, n’en demeure pas moins tiers. De même, les qualificatifs
qu’elle emploie restent vagues : l’article L.1131-1-2 du Code de la
santé publique autorise les prélèvements en génétique médicale si
l’anomalie est « grave » et si ses « conséquences sont susceptibles de
mesures de prévention, y compris de conseil génétique ou de soins ».
Mais qui peut dire ce qu’est une maladie « grave », assurer qu’elle
sera également ressentie comme telle par les uns et les autres, et de
quelles mesures de prévention, surtout, parle-t-on 126 ?
L’ancien article L.1131-1 disposait : « Le fait pour un patient de ne
pas transmettre l’information relative à son anomalie génétique […]
ne peut servir de fondement à une responsabilité à son encontre ». La
loi no 2011-814 du 7 juillet 2011, dont est issue la nouvelle
codification, a pris le contre-pied de cette disposition. Désormais, la
personne chez laquelle on trouve une anomalie génétique grave est
« tenue » par l’article L.1131-1-2 « d’informer les membres de sa
famille potentiellement concernés », soit elle-même, soit par
l’intermédiaire de son médecin. Ce n’est pas ici le praticien qui est
concerné, mais bien le patient. Le médecin a donc la responsabilité
morale de lui expliquer l’enjeu des tests impliqués et la nécessité qui
lui incombe, dès après avoir pris connaissance du résultat et au cas
où il serait positif, d’informer ses proches du risque potentiel qu’ils
soient porteurs de la même anomalie. Cependant il doit aussi lui
déclarer que rien ne l’oblige à faire ces tests et qu’il peut parfaitement
être maintenu dans l’ignorance de leur issue. La loi ne limite pas la
parentèle à informer, c’est le médecin qui la détermine, selon
l’anomalie en cause 127.
Cette disposition rarissime, qui contraint un individu à informer
d’autres individus d’une anomalie qui le concerne et qui ne va pas
fatalement le rendre malade, découle du principe selon lequel,
toujours dans l’article L.1111-2, « toute personne a le droit d’être
informée sur son état de santé ». Aussi l’éminent spécialiste du droit
administratif qu’est Didier Truchet propose-t-il de ne tenir compte ni
de la gravité de l’anomalie découverte, ni des mesures de prévention
éventuelles, mais d’inciter en pareil cas tout patient à informer ses
proches au regard du cadre légal, par trop imprécis, et du risque
judiciaire, par trop imprévisible. L’unique possibilité d’échapper à
cette obligation est que le patient lui-même refuse d’être informé.
La loi dispose que l’information transmise se résume à l’anomalie
génétique en cause « à l’exclusion de toute autre information
couverte par le secret médical, et notamment de l’identité de la
personne chez qui l’anomalie génétique […] a été diagnostiquée »
(art. R.1131-20-4). Un modèle de lettre est à disposition du médecin
128
traitant de la « personne souche ». Qu’un tel courrier, on ne peut
plus angoissant pour la personne qui en est la destinataire, ne
garantisse que très théoriquement l’anonymat de la personne qui en
l’objet va malheureusement de soi.
Surprenante disposition législative, donc, puisque la révélation à
laquelle elle contraint n’est absolument pas dans l’intérêt du patient,
mais bien dans l’intérêt de la parentèle ; et d’autant plus étonnante
qu’il y va de médecine prédictive, laquelle n’a jamais prétendu fournir
des certitudes individuelles, mais établir une probabilité pour un
groupe donné. Néanmoins, la personne qui, après test, s’apprête à
prendre connaissance du résultat n’est pas un groupe statistique. Soit
elle sera malade, soit elle ne le sera pas. L’issue est binaire. Quant à
l’hypothèse de transmettre une anomalie génétique, avérée ou
latente, elle peut se révéler insidieuse et accablante, au moins par ce
qu’elle suggère d’inadéquation irrévocable entre descendance réelle
et descendance rêvée ? Il ne faut évidemment pas généraliser, ce que
font les statistiques, mais retrouver l’art médical dans son essence
même, toujours singulier et toujours complexe. La médecine
prédictive ne peut se passer de la médecine clinique, sauf à se
transformer en augure fatidique, « et à redoubler le terrorisme de la
souffrance par une souffrance du terrorisme de l’information et de la
129
transparence ». La clinique garde toute sa place quand elle permet
à une personne de décider de savoir ou d’ignorer l’information qui
touche à son « identité génétique », information si intime et si
étrangère à la fois.

Fichage, empreinte génétique et procédure


judiciaire

Informatique et génétique étant nées de la même mère, le revers


de l’information génétique est qu’il faut la protéger des excès de zèle
communs aux détenteurs de fichiers de toutes sortes. L’identification
d’une personne au moyen de son empreinte génétique est limitée à
trois circonstances par l’article 16-11 du Code civil : « 1 – dans le
cadre de mesures d’enquête ou d’instruction diligentées lors d’une
procédure judiciaire ; 2 – à des fins médicales ou de recherche
scientifique ; 3 – aux fins d’établir, lorsqu’elle est inconnue, l’identité
de personnes décédées ».
Dans la première situation évoquée, l’enquête judiciaire, l’individu
qui est gardé à vue peut refuser de se soumettre au prélèvement qui a
pour but d’enregistrer son empreinte génétique. Néanmoins, le Code
de procédure pénale se veut dissuasif et l’alinéa 3 de l’article 55-1
dispose :

Le refus, par une personne à l’encontre de laquelle il existe


une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a
commis ou tenté de commettre une infraction, de se
soumettre aux opérations de prélèvement, mentionnées
aux premier et deuxième alinéas ordonnées par l’officier de
police judiciaire est puni d’un an d’emprisonnement et de
15 000 euros d’amende.

Les alinéas 4, 5 et 6 de l’article 706-56 prévoient pour leur part :


Lorsqu’il n’est pas possible de procéder à un prélèvement
biologique sur une personne mentionnée au premier alinéa,
l’identification de son empreinte génétique peut être
réalisée à partir de matériel biologique qui se serait
naturellement détaché du corps de l’intéressé. Lorsqu’il
s’agit d’une personne condamnée pour crime ou déclarée
coupable d’un délit puni de dix ans d’emprisonnement, le
prélèvement peut être effectué sans l’accord de l’intéressé
130
sur réquisitions écrites du procureur de la République .

Selon l’article 706-54 du Code de procédure pénale, le Fichier


national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), créé
131
en 1998 , est placé sous l’autorité d’un magistrat. Il rassemble la
totalité desdites empreintes recueillies dans le cadre des enquêtes
policières, soit les traces d’ADN collectées sur les lieux d’infraction
ainsi que les échantillons prélevés sur les personnes mises en cause
ou condamnées. À la date du 1er septembre 2013, il contenait
2 547 499 profils répartis en trois catégories aux écarts
considérables : ceux de 1 911 675 individus mis en cause, conservés
pendant 25 ans ; ceux de 430 298 individus condamnés, conservés
pendant 40 ans ; ceux correspondant à 149 097 individus non
132
identifiés, conservés également pendant 40 ans . Les empreintes
sont par ailleurs complétées de données de filiation, concernant
ascendants et descendants, qui sont pour leur part conservées
pendant 25 ans. C’est dire que près de 3,8 % de la population
française est enregistrée dans ce fichier à l’évolution exponentielle au
regard des 2,65 % comptabilisés en 2010, soit une augmentation de
près de moitié en trois ans.
La nature même d’un fichier étant de s’étendre, la qualification
des faits autorisant ce fichage a été progressivement élargie. Aux
infractions à caractère sexuel pour lesquelles il a été créé, ont été
ajoutées les infractions contre les personnes, puis contre les biens et
la sûreté de l’État. Aux personnes condamnées ont été adjointes les
personnes soupçonnées. Certes, ces dernières peuvent demander à ce
que leurs empreintes soient effacées, mais elles le seront, dit
l’article 706-54, « sur instruction du procureur de la République
agissant soit d’office, soit à la demande de l’intéressé, lorsque leur
conservation n’apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du
fichier », ce qui est somme toute assez vague.
Le 17 juin 2010, le Conseil constitutionnel est saisi par la Cour de
cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité (QCP) au
sujet de cette extension. Dans sa décision, il émet deux réserves.
D’une part, il insiste sur la nécessité de limiter la liste à certains
crimes et délits définis par l’article 706-55 du Code de procédure
pénale et, d’autre part, il dénie « qu’une personne soupçonnée de
n’importe quel crime ou délit puisse l’être, via le “rapprochement des
fichiers”, de tous les crimes et délits dont le fichier conserve une
trace ». Doit-on en déduire qu’« il oppose la norme constitutionnelle à
la fascination pour la recherche technologique et généralisée de
preuves 133 » ? Mais le Conseil semble se dédire quelques lignes plus
loin : pour l’ensemble des infractions visées à l’article 706-55 du Code
de procédure pénale, toutes punies d’emprisonnement, il relève que
« les rapprochements opérés avec des empreintes génétiques
provenant des traces et prélèvements enregistrés au fichier sont aptes
à contribuer à l’identification et à la recherche de leurs auteurs ». Par
un curieux renversement logique, la liste des infractions se justifie de
la capacité technologique à rechercher et identifier leurs auteurs !
C’est la porte ouverte à l’élargissement du champ des
« rapprochements » entre fichiers, particulièrement si les
circonstances s’y prêtent, voire y précipitent comme dans le cas de
l’état d’urgence.

Vers une expropriation de soi ?


« Quel est donc le type de société, pourvu d’une organisation
sanitaire exploitant l’information la plus sophistiquée sur la
distribution et les corrélations des facteurs de maladies, qui
dispensera un jour le médecin de la tâche, peut-être désespérée,
d’avoir à soutenir des individus en situation de détresse dans leur
134
lutte anxieuse pour une guérison aléatoire ? » se demande le
philosophe Georges Canguilhem qui, dès l’après-guerre a su voir
l’hégémonie nouvelle du paradigme biologique.
La question du secret s’est transformée aujourd’hui en une
casuistique où les situations permettent ou non le partage
d’informations. La complexité des relations mises en jeu dans le soin,
en raison de la multiplication des équipes soignantes et des
informations circulantes, nous fait oublier le lieu du secret, la
maisonnée où se jouent, entre vie et mort, l’identité et l’intimité
existentielle de chaque être humain.
Toute la difficulté du secret professionnel des médecins vient de
ce que nous peinons à le définir. En droit français, il n’appartient
stricto sensu à personne, puisque le patient ne peut délier le médecin
du secret. Certes, le dossier médical du patient lui « appartient », et il
peut en faire ce qu’il veut, mais ce dossier ne recouvre pas le contenu
de l’information relevant du secret. Le patient ne peut contraindre le
médecin à révéler à un tiers ce qu’il a « vu, entendu, ou compris ».
Comment qualifier l’information à caractère médical que le secret
protège ? Cette information touche à « l’état des personnes ». Si elle
contient des informations sur le génome, elle concerne l’identité, le
genre, le statut civil, la filiation. Cet état-là, nul ne peut ni le posséder
ni le modifier car il est indisponible en droit, c’est-à-dire placé hors
des volontés individuelles. Cette indisponibilité, au sens juridique du
terme s’applique-t-elle à l’information à caractère médical 135 ? Ne
faut-il pas noter, au contraire, que les juristes ne s’accordent pas sur
136
la notion d’indisponibilité du corps humain ? Le « droit à disposer
de son corps » a été remis en question le 27 octobre 1995 dans
l’affaire des « lancers de nain ». Par l’arrêt Commune de Morsang-sur-
Orge, le Conseil d’État a considéré que le respect de la dignité de la
personne humaine devait être regardé comme une composante de
l’ordre public : personne ne peut consentir à la dégradation de sa
qualité d’homme. Un peu plus tôt, par sa décision du 27 juillet 1994,
le Conseil constitutionnel avait pareillement rappelé le « principe de
sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme
d’asservissement et de dégradation ». Ce qui revient, dans les deux
cas, à consacrer cette dignité comme un élément d’organisation du
système juridique.

La difficulté est redoublée dès lors qu’en droit français, le corps


n’est ni une chose, ni une personne. Le corps vivant est une personne.
La dépouille mortelle est une chose. Cependant le cadavre n’est pas
une chose ordinaire, mais une chose « sacrée » selon les catégories du
droit romain. Le respect ne cesse pas avec la mort et l’article 16-1-1
du Code civil est là pour le souligner. S’il n’est pas question dans la
lettre de la loi « d’indisponibilité » du corps humain, une partie des
lois dites de bioéthique y incline et la jurisprudence de la Cour de
cassation en fait mention explicite afin de motiver son rejet de la
gestation pour autrui 137. Toutefois, dès lors qu’il est possible de
donner son sang et ses organes, il paraît préférable de requalifier
l’indisponibilité en « non patrimonialité », en recourant là encore au
droit romain et à sa fameuse distinction entre les choses qui sont
dans le commerce et les choses qui sont hors du commerce, lesquelles
comprennent précisément, et en les associant, les temples et les
cadavres. Res extra commercium, le principe est repris tel que dans
l’article 1128 du Code civil : « Il n’y a que les choses qui sont dans le
commerce qui puissent être l’objet des conventions ».
Dans L’affaire de la main volée, Jean-Pierre Baud mène une
démonstration assez convaincante de la nécessité qu’il y a, en droit,
de considérer le corps humain comme une chose. « Tous les systèmes
juridiques fondés sur la distinction des personnes et des choses
devront reconnaître que le corps d’un homme vivant est une chose
parce que le cadavre et les parties détachées du corps sont des
choses. […] Il est tout à fait essentiel que le droit français soit, en la
matière, fondé sur une solide base doctrinale et législative, laquelle
devrait à mon sens, s’exprimer en deux temps : 1 – Le corps humain
est une chose. 2 – Le corps humain est une chose qui n’est pas une
marchandise 138. »
My body, my property : aux États-Unis, la formule n’est pas qu’un
slogan pour collectifs féministes mais renvoie à l’ambivalence du
droit anglo-saxon en la matière, marqué à l’origine par les réflexions
philosophiques de Locke et les régulations religieuses des Puritains
considérant que le corps ne saurait être une propriété. Ce qu’ont
toutefois remis en question l’idéologie libérale et le marché
pharmaceutique. D’où le cas de John Moore qui, traité massivement
pour une leucémie tricholeucyte au centre médical de l’Université de
Californie, s’est mis à produire des cellules inédites de premier intérêt
pour la recherche en immunologie. Entre 1976 et 1983, les
scientifiques réunis autour de lui décident d’exploiter collectivement
la ressource qu’il représente, lui ponctionnent peau, tissus, sang,
moelle osseuse, sperme, lui prélèvent la rate qu’ils se partagent à la
sortie du bloc opératoire, font breveter leurs découvertes et en cède
les licences à la multinationale Sandoz. Le tout sans rien lui dire, au
prétexte qu’ils sont seuls à détenir le savoir technique pour mener ces
analyses, seuls à pouvoir en tirer des produits médicamenteux et
seuls en conséquence à devoir en retirer les revenus financiers dans
un secteur dont le chiffre d’affaires est alors estimé à trois milliards
de dollars 139. John Moore, qui finit par prendre connaissance des
faits, intente une action for conversion, autrement dit accuse ses
médecins de dépossession et de détournement. Les avocats de ces
derniers répliquent qu’il ne saurait être le propriétaire de ces « choses
abandonnées » que sont « les déchets hospitaliers » et renvoient à la
formule classique res derelictae. Le 19 mars 1986, les juges du
Tribunal de Californie tranchent en faveur de Moore en plaçant le
corps sous le régime ordinaire du droit de propriété.
Pour autant, l’information médicale est-elle une chose ? Une
partie du corps ? Une image ? La considérer comme telle alors qu’elle
porte sur l’identité la plus profonde des personnes, leur code
génétique, n’est-il pas réducteur ? Comment peut-on la décréter
parfaitement indisponible et la déclarer conditionnellement
accessible ? Peut-on me la soustraire sans mon consentement comme
on a soustrait la rate de John Moore ? Ne faut-il pas distinguer le fait
de dérober une information à caractère médical, qui va sans intrusion
physique, du détournement matériel et par acte chirurgical qu’a subi
John Moore ? Peut-on parler alors d’intrusion symbolique ? Enfin, les
informations à caractère médical, si elles ne sont pas des « choses »
puisqu’elles sont « dématérialisées », ne sont-elles pas plutôt des
« valeurs », ce dont l’intérêt des mutuelles pour l’open data constitue
un indice fort ? Enfin, qui en est le propriétaire ? « La rate de
M. Moore qui contenait certaines cellules était quelque chose
(something) sur quoi il bénéficiait du droit discrétionnaire d’usage, de
contrôle et de disposition. Non pas une chose, mais quelque chose,
qui se situe approximativement entre la chose et l’autre chose, entre
le nommé et l’innommé, ce qui pourrait parfaitement définir l’argent
ou la valeur, à la fois matériel et immatériel, utile et imaginaire 140 ».
Aux États-Unis, le médecin est dans l’obligation de dénoncer une
femme enceinte dont il sait qu’elle prend des stupéfiants et ce, au
nom de l’enfant qu’elle porte comme si ce fait rendait illégitime, voire
annulait la protection de la vie privée que le droit lui garantit par
ailleurs. Quand il s’agit de gestation pour autrui, pleinement
libéralisée dans une dizaine d’États, les contraintes sont encore plus
fortes et atteignent « des proportions jamais vues en droit commun
des contrats ». Les femmes ne peuvent ni fumer du tabac, ni boire de
l’alcool, ni avoir, au début de leur grossesse, de relations sexuelles
avec leur conjoint ou compagnon. Elles doivent également « accepter
de se soumettre à des visites médicales régulières et approfondies ».
Le secret médical est balayé : les parents d’intention ont le droit
« d’assister à toutes les visites médicales, y compris les échographies,
de se faire remettre tous les documents et comptes rendus médicaux
de grossesse et aussi d’être présents à l’accouchement 141 ». Parce
qu’ils ont payé, ils ont donc accès à toutes les informations
concernant la gestation mais également la mère « porteuse » qui, par
le contrat même qu’elle a signé, a pareillement renoncé à son droit
légitime à la vie privée.
C’est bien de manière récurrente que nous butons sur la question
de la propriété dès qu’il s’agit du corps. Pour les scolastiques, homo
dominus sit suarum actionum, « l’homme est maître de ses actes ». Ce
que Locke rend par Every man has a Property in his own Person 142. La
locution anglaise property in renvoie au mot latin dominium qui
désigne en premier lieu la souveraineté comme détermination du
sujet, au sens de la tutelle de soi ; elle ne saurait être confondue avec
property on qui signifie la possession comme soumission de l’objet, au
sens du titre de propriété. Or, ce sera malheureusement souvent le
cas 143. Pour autant, Locke, ne dit pas que l’homme est propriétaire de
lui-même au sens où il le serait d’une chose : c’est le fait qu’il soit
maître de lui-même, premier responsable du devoir de se conserver,
qui fonde la propriété : « L’homme étant le maître et le propriétaire de
sa propre personne, de toutes ses actions, de tout son travail a
144
toujours en soi le grand fondement de la propriété . »
La propension à entretenir cette ambivalence fait rebondir le
questionnement. Sommes-nous encore maître de nous-mêmes ? Si
mon consentement est requis pour que je sois remboursé par
l’assurance maladie, est-ce encore un consentement ? Quel est le prix
à payer pour cette transparence érigée en principe absolu ? « La
manipulation est la face cachée de la transparence rêvée par les
philosophes libéraux. Comme si la force du libéralisme avait son côté
obscur. Mais c’est l’industrialisation des normes qui l’a rendue
145
possible » répond l’historien Fabrice d’Almeida . Les informations à
caractère médical deviennent des moyens sans que la fin affichée en
vue de leur utilisation, « la recherche scientifique » ou « la santé
publique », n’en soit vraiment une puisqu’elle ne sort de son
imprécision native que pour se justifier a posteriori. « L’homme ne
peut se rendre maître et possesseur de la nature que s’il nie toute
finalité naturelle et s’il peut tenir toute la nature, y compris la nature
apparemment animée, hors de lui-même pour un moyen 146 » : la
fulgurante démonstration de Georges Canguilhem n’invite-t-elle pas à
Kant et à sa maxime enjoignant à ne jamais considérer l’homme
« seulement comme un moyen mais toujours aussi comme une
fin 147 » ?
On peut craindre que la principale finalité de l’instrumentalisation
de notre corps et des données de santé qu’il peut fournir soit le
contrôle politique ou, plus précisément, policier. Le lent effacement
du secret professionnel des soignants dans des domaines comme celui
de la psychiatrie, de la prison et plus largement de la prévention de la
délinquance poussent dans ce sens. Si le secret médical a bel et bien
un intérêt public, le partage d’informations semble désormais revêtir
un intérêt public plus important encore : surveiller les pratiques,
façonner les comportements, rationaliser les dépenses. On peut y voir,
c’est vrai, des fins « possessives et dominatrices ».
4.

Secret ou sécurité ?

Bien souvent, les dérogations au secret sont imposées au nom de


la sûreté. Pourtant, la recherche effrénée de sécurité provoque une
paradoxale insécurité. Les années que nous traversons depuis
l’an 2000 sont dominées par la réémergence quasi-obsessionnelle
d’un arsenal théorique de défense sociale dédié à traquer toute
« dangerosité potentielle », ce prétendu concept qui sert à désigner en
premier lieu, parmi les individus suspects, ceux qui souffrent de
troubles psychiatriques et ceux qui se trouvent en prison. Les uns sont
toujours plus assimilés aux autres, et dans les deux cas, des
dispositions législatives sont instaurées pour justifier un partage
d’informations qui, pense-t-on, permettra de prévenir le passage à
l’acte. Or, l’on peinerait à vouloir camper la sacro-sainte notion de
prévention en attribut de la démocratie. Notre Code pénal ne
prévient rien, mais décrit les peines encourues lorsqu’un crime ou un
délit est commis.

Dans les régimes totalitaires, on prévient beaucoup plus


que l’on ne réprime. On encadre, on veille, on surveille, on
éduque, on soigne, on redresse. Les droits les plus
élémentaires sont suspendus à titre préventif. Dans les pays
dits démocratiques, la notion de répression est inhérente au
respect des droits de l’homme : elle ne vient qu’après le
délit ou le crime, et au terme d’un processus
minutieusement et contradictoirement organisé 1.

Encore s’agit-il, derrière la quête sécuritaire illimitée, d’identifier


le danger du scientisme. À la différence du scientifique, fils de
l’observation, le scientiste est un enfant de l’utopie qui se berce
d’illusions. Il est quatre fois menteur lorsqu’il promet de résoudre
l’énigme de l’existence : « Demain on expliquera tout, dit-il, demain
on comprendra tout, demain on fabriquera tout, demain, on jouira de
tout 2 ». À quoi, il faut désormais ajouter, cinquième mensonge,
« Demain, on prévoira tout ». Si le scientiste place le psychiatre au-
dessus de tout, en position de devin, de « sujet supposé savoir », c’est
qu’il attend de lui qu’il débrouille l’écheveau de l’irrationalité, dise
l’anomie et prédise l’avenir : y a-t-il danger, oui ou non ? Les lieux de
privation de liberté, les centres psychiatriques ou pénitentiaires, sont
soumis en permanence ou presque à ces questions. C’est pourquoi
nous conclurons sur la mise en danger du secret dans ces situations-là
qui sont le prisme de notre propre quotidienneté, présente ou future.
Étant entendu que le secret ultime à protéger est qu’aucune de nos
interrogations sur la vie et la mort n’a de réponse. Rien ne peut abolir
l’énigme, mais nous avons à la porter.

En psychiatrie
Dans l’imaginaire collectif, le malade mental est désormais un
personnage dangereux. On le sait pourtant : qui souffre de troubles
psychiatriques est plus souvent victime que coupable puisque ces
patients subissent sept à dix-sept fois plus de violences que les
personnes en bonne santé 3. Or, aujourd’hui, le psychiatre fait face,
lui, à deux chantiers majeurs qui sont ignorés ou minorés par
l’opinion mais où se décide le sens même de sa pratique.
Comme pour tout médecin, le premier de ces chantiers relève du
colloque singulier instauré pour et avec son patient. À la différence
de ses collègues, il travaille à mains nues et à voix nue. Il ne dispose
pas d’un attirail d’appareils ou d’examens complémentaires. Il a
certes à sa disposition un certain nombre de molécules, mais le
premier médicament c’est lui. Son plateau technique, ce sont les
personnels soignants. Dans le cadre de la consultation, il entend et
apprend beaucoup de choses que, sans doute, il ne portera pas dans
le dossier de son patient. Il y détaillera sa biographie et les faits
cliniques qu’il constate, mais aussi ceux qui sont absents et qui ne
sont pas moins nécessaires à l’orientation de la conduite à tenir.
Autant que faire se peut, il gardera toutefois par devers lui ce qu’il
aura vu, entendu ou compris, même « de travers » comme le dit
Michel David, et qu’il n’est pas besoin d’écrire. Pour autant, c’est à lui
qu’il revient également de rédiger les certificats d’hospitalisation et
d’instruire les programmes de soins sous contrainte qui font partie
intégrante de son exercice de clinicien.
Le second chantier est plus complexe. On attend du psychiatre un
rôle d’expert, par exemple judiciaire lorsqu’il s’agit de déterminer la
responsabilité d’une personne dans un délit selon la formule
classique : son discernement était-il aboli totalement, partiellement,
nullement au moment des faits ? En théorie, il doit se prononcer et
éclairer le juge sur la dangerosité potentielle d’une personne au
regard de dispositifs tels que la rétention de sûreté ou, s’il est
médecin coordonnateur, au regard des soins à ordonner pénalement.
Là on entre en zone trouble car on attend du psychiatre qu’il donne
ce qu’il ne peut donner. Diagnostiquer n’est pas juger, pronostiquer
n’est pas prédire et, que l’on sache, la faculté forme des médecins,
non pas des voyants.
Pour bien saisir la différence, il faut reprendre une à une ces trois
situations limites que sont la contrainte, l’obligation, l’expertise. Elles
impliquent pour le psychiatre trois rôles distincts qui ont pour scènes
l’hôpital, le poste de police, le tribunal, la prison, mais qui tous trois
lui font confronter l’impératif du secret aux réquisits de la loi.

SOUS LA CONTRAINTE

Alors que la règle ordinaire des soins est celle du consentement,


des soins non consentis peuvent être ordonnés légalement par la
psychiatrie. Pendant longtemps ils ont été subdivisés en soins sous
contrainte et placements d’office engagés à la demande de l’autorité
publique corroborant l’avis médical et le plus souvent déclenchée par
l’environnement familial ou la police de proximité. La loi du 5 juillet
2011, « relative aux droits et à la protection des personnes faisant
l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en
charge 4 », révise l’entier dispositif en l’étendant au-delà du milieu
hospitalier : elle fond les anciennes subdivisions dans l’unique
catégorie des soins sans consentement et introduit l’intervention du
juge. Or, cette loi tient du mariage de la carpe et du lapin en raison
même de sa poursuite contradictoire de deux finalités opposées.

La loi du 5 juillet 2011

La législation de 1838, reprise et continuée par celle de 1990,


plaçait au centre de la procédure le préfet de département et
s’appuyait sur la relation plutôt confiante qu’entretenait avec lui le
psychiatre d’hôpital au vu de la bonne suite généralement accordée à
son avis. Or, « à partir du moment où Nicolas Sarkozy a
personnellement imputé par avance au préfet les troubles qui
pourraient survenir du fait d’un malade dans son ressort, le système
français était condamné 5 ». La défiance a remplacé la confiance, à
tout niveau. Des préfets ont ainsi commencé à refuser
l’hospitalisation de patients détenus arguant de la possibilité
d’évasion. Pour les mêmes raisons, et souvent faute de moyens, les
services de psychiatrie ont eux-mêmes préféré ne pas prendre ce
risque. Dans les faits, les individus concernés, malgré leur état de
santé nécessitant une hospitalisation d’office, ont été confinés en
cellule d’isolement et soumis en conséquence à un régime encore plus
difficile.
Le « discours d’Antony », que l’ancien ministre de l’Intérieur
devenu chef de l’État prononce dans la sous-préfecture des Hauts-de-
Seine le 2 décembre 2008 est exemplaire de ce retournement
idéologique. Le lieu choisi, l’hôpital Érasme, est hautement significatif
puisqu’il s’agit du plus récent établissement public
psychothérapeutique construit en France, qu’il comporte un fort
département de recherche et regroupe de très nombreuses
institutions et associations d’Île-de-France. Les circonstances de la
visite sont, elles, dramatiques et font suite au meurtre d’un jeune
homme par un patient schizophrène en fugue qui sera ultérieurement
reconnu pénalement irresponsable. Que dit celui qui était alors
président de la République ? « L’espérance, parfois ténue, d’un retour
à la vie normale, ne peut pas primer en toutes circonstances sur
la protection de nos concitoyens. Les malades potentiellement
dangereux doivent être soumis à une surveillance particulière afin
d’empêcher un éventuel passage à l’acte ». Et Nicolas Sarkozy de
promettre un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques ainsi
qu’un nouvel encadrement des sorties de patients.
L’assimilation de la maladie mentale à la délinquance réveille le
souvenir d’une époque que l’on aurait pu croire révolue. Ce n’est rien
de dire que les psychiatres s’en émeuvent : l’histoire de la psychiatrie
française ne s’enracine-t-elle pas dans l’ambition de Philippe Pinel
(† 1826) qui, de Bicêtre à la Salpêtrière, œuvra à « délivrer l’aliéné de
ses chaînes » ? Ce contexte très sécuritaire infléchit néanmoins la
révision de la loi de 1990 sur les soins psychiatriques sans
consentement. Elle vise dans son intention première à restreindre la
liberté des malades mentaux. Elle instaure, entre autres, les soins
ambulatoires sous contrainte. Elle durcit enfin les règles applicables
aux patients hospitalisés d’office suite à une décision du représentant
de l’État ou de l’autorité judiciaire.
Mais, coup de théâtre, dans sa décision du 26 novembre 2010
consécutive à la question prioritaire posée par une patiente
hospitalisée sous contrainte à la demande d’un tiers, le Conseil
constitutionnel considère que le maintien au-delà de 15 jours d’une
telle mesure sur la seule base d’un simple certificat médical
méconnaît les termes de l’article 66 de la Constitution et déclare
inconstitutionnel l’article 337 du Code de la santé publique. Qu’est-ce
à dire ? Le premier, l’article 66, confie expressément à l’autorité
judiciaire la mission de gardienne de la liberté individuelle tandis que
le second, l’article 337, omet de requérir l’intervention d’un juge
ayant qualité de magistrat du siège 6. D’où la censure du Conseil qui
oblige à intégrer cette condition dans la rédaction de la loi qui, d’une
part, étend le domaine des soins sous contrainte au-delà de
l’hospitalisation et, d’autre part, introduit des garanties juridiques
pour le patient privé de liberté.
Au final, toutefois, la superposition de ces deux finalités produit
une tension contradictoire. Le contrôle du juge existe dans la plupart
des pays européens, et sans doute fallait-il y venir, mais plutôt que de
se précipiter il eut mieux valu réfléchir à une intégration plus
cohérente, soucieuse surtout des enjeux symboliques comme des
moyens matériels et prenant en compte le choix du lieu de l’audience
ou le surcroît de temps judiciaire impliqué afin d’assurer la bonne
marche de la procédure.
Le 20 avril 2012, une autre décision du Conseil constitutionnel
contraint le législateur à modifier une nouvelle fois la loi. Saisi d’une
question prioritaire de constitutionnalité par le Cercle de réflexion et
de proposition d’actions sur la psychiatrie (CRPA), le Conseil a jugé
contraires à la Constitution plusieurs dispositions du Code de la santé
publique remises à la décision du préfet et relatives à l’admission des
patients en unités pour malades difficiles (UMD) ainsi qu’à
l’hospitalisation sans consentement des personnes pénalement
irresponsables. Il a néanmoins différé l’effet de sa déclaration
er
d’inconstitutionnalité au 1 octobre 2013. C’est pourquoi, profitant
du délai, le législateur a proposé en juillet 2013 une loi « relative aux
soins sans consentement en psychiatrie » dans le but déclaré de
réviser la loi du 5 juillet 2011 deux années seulement après sa mise
en effet.
En effet, le changement produit, ressenti comme radical et
douloureux, est tout d’abord contesté. La mise à mal de la
confidentialité et de l’éthique soignante sont mises en avant :
audiences au tribunal pour des patients qui ne comprennent pas ce
qu’ils « ont fait de mal » ; vidéo-conférences pour des patients
délirants ; audiences publiques pour honorer l’égalité devant la loi
« garantie par la publicité des débats ». Quelles que soient les
améliorations apportées par cette loi, particulièrement après la
révision de 2013, il n’empêche que le contexte sécuritaire de sa
naissance est un contexte de soupçon généralisé. Elle se méfie en
effet doublement de l’institution psychiatrique qui à la fois retiendrait
de manière abusive le malade et cacherait le délinquant qui serait en
lui.

Extension du domaine

Le coup de baguette magique de la loi de juillet 2011 consiste à


troquer la formule « hospitalisation sous contrainte » contre « soins
7
sans consentement ». Claude-Olivier Doron décrypte lucidement ce
8
tour de passe-passe qui ne va pas sans poser problème . Alors que
l’hospitalisation sous contrainte est en soi violente et appelle à ce titre
un encadrement légal ainsi que des dispositifs de contrôle tels que le
Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), le soin
emporte une connotation de sympathie bienveillante qui fait
volontiers « réduire les obstacles » à sa mise en œuvre, fût-elle « sans
consentement » et sans que le juge des libertés ou le CGLPL aient à se
prononcer à son sujet. De même, alors que l’hospitalisation est limitée
dans le temps et dans l’espace, le soin peut prendre une forme
indéfinie, plus « liquide ». On n’en sort pas si aisément et la menace
d’être hospitalisé en cas de rupture l’apparente à une sorte de sursis.
Aussi Virginie Valtron, présidente de l’Union syndicale des magistrats
(USM) réclame-t-elle une judiciarisation des soins ambulatoires sous
contrainte dès lors qu’ils constituent une atteinte à la liberté
individuelle.
Claude-Olivier Doron montre en effet le parallélisme de
construction entre la loi pénitentiaire de 2009 et la loi sanitaire de
juillet 2011 : la notion de dangerosité potentielle est contenue dans
le premier et sous-entendue dans le second. La circulaire du 21 juillet
2011, adressée aux magistrats, l’explicite : « Le législateur a soumis à
un régime renforcé le contrôle de la nécessité de la mesure
contraignante à laquelle sont soumises certaines catégories de
patients dont l’état peut être présumé dangereux […] trois catégories
de malades font l’objet, eu égard à leur état de dangerosité
potentielle présumée, d’un dispositif particulier 9 ».
La notion de care, pour employer un terme à la mode, ne
comporte donc pas qu’un seul versant lumineux. En psychiatrie
comme en prison, les professionnels du soin sous contrainte en
connaissent la face sombre, instrumentalisée : le soin et le contrôle
du soin sont le prétexte de leur sujétion toujours plus grande :
toujours plus d’informations, toujours plus de transparence dans les
informations, toujours plus de partage d’informations, et ce, toujours
aux dépens de la préservation de l’intimité et de la liberté ! Des
personnes se retrouvent à subir des « soins sous contrainte », qui
n’auraient pas été « hospitalisées sous contrainte ». Des personnes se
retrouvent à porter un bracelet électronique, qui n’auraient pas été
incarcérées. « C’est pour ton bien ! » : une société au pouvoir
maternant 10 sait conjuguer soin et sécurité 11, le premier servant de
maquillage à la seconde et permettant de basculer en permanence de
l’une à l’autre de ces deux propositions : le malade est un délinquant
potentiel ; le délinquant est un malade potentiel.
Sans surprise, ce maquillage a trouvé son incarnation ultime dans
la figure du délinquant sexuel. Il n’est pas certain qu’il s’applique
aussi bien au terroriste islamique, mais la tentation de décoder le
terrorisme à travers les grilles de l’emprise sectaire ou de la
psychopathologie ne devrait pas manquer de justifier une nouvelle
mobilisation des psychiatres et de leur présumée boule de cristal 12.

Les difficultés de confidentialité


Au nom de l’équité, la loi de juillet 2013 maintient la publicité des
débats lorsque, dans les cas d’hospitalisation, les patients ont à passer
devant le juge. Ce n’est pas là qu’une question de formalité. La
mission parlementaire « santé mentale et avenir de la psychiatrie »
avait considéré comme préférable une audience restreinte, « en
chambre du conseil », sauf demande contraire de la personne
concernée ou de son avocat ; les députés en ont jugé autrement.
Là encore, l’étrangeté de l’argument surprend puisque la publicité
se fait « dans l’intérêt de la protection de la liberté individuelle dont
le juge est le gardien constitutionnel ». Or, en l’espèce, elle implique
que des éléments du dossier médical du patient, à commencer par le
contenu des expertises, soient rendus publics. En précisant que les
13
débats peuvent avoir lieu en chambre du conseil sous conditions , la
loi n’apporte qu’un faible bémol : il revient alors au juge de mesurer
entre « l’intérêt de la protection de la liberté individuelle » et
« l’atteinte à l’intimité de la vie privée ». Bizarre dilemme. Pourtant,
lors d’une enquête qualitative sur la mise en pratique de la loi
de 2011, il avait été relevé par les rapporteurs : « On retrouve, dans
de très nombreux entretiens, la notion d’atteinte au secret médical ou
à la vie privée lors de ces audiences publiques 14 ».
Enfin, si le secret médical n’est pas seulement taire ce que l’on
sait, mais aussi fermer les yeux sur ce que l’on n’a pas à savoir, les
autorités de santé ont-elles à connaître les problèmes de justice
auxquels ont pu se confronter les patients hospitalisés ? L’Agence
régionale de santé (ARS) d’Île de France demande aux services
psychiatriques des prisons de son ressort de lui transmettre la fiche
pénale des personnes admises dans les unités d’hospitalisation
15
spécialement aménagées (UHSA ). N’y a-t-il pas là atteinte à la vie
privée ? Le fait d’être une institution sanitaire légitime-t-il
d’apprendre des choses qui ne relèvent pas du soin ? Sauf à assimiler,
à nouveau, délinquance et maladie mentale ?
Ces dispositions amènent indéniablement une clarification des
droits des patients privés de liberté pour raison médicale. Cependant
le dispositif est incomplet, puisque des soins sans consentement
peuvent être organisés hors de l’hôpital en l’absence de contrôle par
le juge. De plus, le cadre thérapeutique est rendu incertain 16. La
personne malade ne comprend pas toujours bien pourquoi il lui faut
se présenter, assistée d’un avocat, devant un juge des libertés et de la
détention. Si la publicité de l’audience peut ne pas gêner des patients
satisfaits, dans l’instant, d’être entendus de façon solennelle, elle rend
néanmoins difficile, après coup, de les assurer que les confidences
qu’ils peuvent faire à leur médecin sont appelées à rester secrètes.

LES SOINS PÉNALEMENT ORDONNÉS

L’obligation de soins qui est ancienne, l’injonction de soins qui est


plus récente et qui a suscité la fonction hybride de médecin
coordonnateur, la rétention de sûreté qui a été introduite pour sa part
en 2008 forment le triptyque des soins pénalement ordonnés en
France. Ce qui laisse supposer une cohérence qui, pour autant, ne va
pas de soi.

L’obligation de soin

Née en 1958, non spécifique, c’est-à-dire indifférente à la nature


de l’infraction, l’obligation de soins n’implique pas l’organisation de
relations entre les autorités judiciaires et sanitaires puisque le juge
peut prononcer la mesure sans expertise médicale préalable. Elle peut
par ailleurs être antérieure ou postérieure au jugement. Avant le
jugement, l’obligation de soin est une des modalités du contrôle
17
judiciaire et trouve sa définition légale dans l’article 138-10° du
Code de procédure pénale : « Se soumettre à des mesures d’examen,
de traitement ou de soins, même sous le régime de l’hospitalisation,
notamment aux fins de désintoxication ». Après le jugement,
l’obligation de soin peut faire partie des obligations particulières
prévues par l’article 132-45 du Code pénal dont le point 3 reproduit
en son préambule les termes mêmes du Code de procédure. Praticien,
Michel David s’étonne de la notion de « soumission » et commente :
« La relation, plutôt rejetante, de la psychiatrie avec l’obligation de
soins, est peut-être due au fait que les psychiatres ont parfois
l’impression que la Justice voudrait que ce soit eux qui se soumettent
à la décision judiciaire 18 ».

L’injonction thérapeutique

Disposition du suivi socio-judiciaire apparue dans la loi du 17 juin


1998, l’injonction de soin est « relative à la prévention et à la
répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des
mineurs ». Le suivi socio-judiciaire constitue une peine
complémentaire à la peine d’emprisonnement ou de réclusion
criminelle. En matière délictuelle, il peut être prononcé à titre de
peine principale ou à titre de peine complémentaire. Il impose à la
personne condamnée « l’obligation de se soumettre, sous le contrôle
du juge d’application des peines, à des mesures de surveillance et
d’assistance, destinées à prévenir la récidive, éventuellement à l’issue
19
de la peine privative de liberté ». Les articles 763-1 à 763-9 du Code
de procédure pénale en précisent les modalités. Si les crimes de
violence sexuelle sur mineurs ont été à son origine, la mesure a été
assez vite étendue à de nombreux autres délits allant des actes de
torture et de barbarie à la destruction volontaire de bien par explosif
20 o
ou incendie , inscrits dans la loi n 2005-1549 du 12 décembre 2005
relative au traitement de la récidive des infractions pénales, puis dans
la loi no 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la
délinquance.
L’esprit de l’injonction thérapeutique est de créer une « occasion »
de soin pour les personnes qui, présumées avoir besoin de consulter
et ne le voulant pas ou ne sachant pas comment le faire, sont
rejointes par les équipes soignantes. Une fois ce contact établi, et là
repose la dimension d’assistance de la loi, ce suivi pourra tourner au
traitement, ce futur demeurant hypothétique car la contrainte ne peut
en soi permettre ce basculement ; seul le sujet peut en décider, si les
circonstances s’y prêtent 21.
Pour qu’il y ait injonction de soin, il faut 1 – que la personne ait été
condamnée pour une infraction encourant le suivi socio-judiciaire ;
2 – qu’une expertise médicale ait conclu à la possibilité d’un
traitement. Dès lors, elle peut être prononcée soit à l’arrêt de la peine
dans le cadre dudit suivi, soit dans le cadre d’un aménagement de
peine, soit dans le cadre d’une mesure de sûreté qui peut relever de la
surveillance ou de la rétention. Elle s’applique à la sortie de la
22
personne détenue condamnée à un suivi socio-judiciaire , implique
par-là l’organisation de relations entre les autorités judiciaires et
sanitaires et peut aboutir à une révocation de sursis, « lorsque le juge
de l’application des peines est informé, en application de l’article 717-
1, que le condamné ne suit pas de façon régulière le traitement qu’il
lui a proposé ». Elle requiert que les attestations de suivi soient
transmises au juge d’application des peines « au moins une fois par
trimestre », la loi no 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation
relative à l’exécution des peines ayant modifié l’article 717-1 du Code
de procédure pénale en y incluant cette disposition supplémentaire.
Par chance, le législateur, qui souhaitait initialement que les
certificats soient transmis par le médecin, est raisonnablement revenu
à une transmission par le patient, cohérente avec l’esprit de la loi de
mars 2002. Il ne s’agit évidemment pas de certificats descriptifs, mais
informatifs et factuels : « Je soussigné Dr Z, certifie que M. F. s’est
er
présenté à ma consultation trois fois entre le 1 janvier 2015 et le
31 mars 2015 ». Ces simples faits, relevant néanmoins de
l’information à caractère médical, étaient jusqu’alors protégés par le
secret professionnel des médecins. Ce n’est plus le cas.
La loi du 17 juin 1998 crée le médecin coordonnateur qui peut ne
pas être un psychiatre mais qui a cependant pour fonction de
convoquer la personne soumise à l’injonction afin de lui expliquer la
mesure et de l’inciter à choisir un thérapeute traitant, qu’il soit
praticien ou psychologue. Alors que ledit thérapeute est tenu au
23
secret professionnel, le médecin coordonnateur en est délié . Selon
l’article L.3711-2 du Code de la santé publique 24, il est en charge de
recevoir et de transmettre à la fois des informations judiciaires au
médecin traitant et des informations médicales au juge de
l’application des peines, particulièrement celles relatives à la
poursuite ou à l’arrêt des soins. Outre que la confidentialité soit
rompue, outre que le patient soit absent, prévaut la formule dont
nous sommes désormais coutumiers : « Sans que leur soient
opposables les dispositions de l’article 226-13 du Code pénal, les
praticiens chargés de dispenser des soins en milieu pénitentiaire
communiquent les informations médicales qu’ils détiennent sur le
condamné au médecin coordonnateur afin qu’il les transmette au
médecin traitant ». Or lui-même n’est ni un médecin traitant, ni un
médecin expert et le statut médico-administratif qui est le sien rend
son rapport à l’information à caractère médical, donc au secret, pour
le moins difficultueux.
La rétention de sûreté

S’il est une disposition qui modifie profondément le droit, c’est


celle-là : alors que le Code pénal dispose des peines relatives à des
infractions, mais en aucun cas ne juge de la conduite des personnes,
la rétention de sûreté s’appuie sur l’évaluation des personnalités et de
leur « potentielle dangerosité », laquelle est établie entre autres par
des psychiatres. Cette fois, cependant, on ne leur demande plus de se
prononcer sur l’état de la personne, sur son besoin de soin ou non
dans l’instant ou sur son discernement ou non au moment du délit,
mais sur sa nature même 25. De surcroît, bien qu’elle entretienne avec
l’injonction et l’expertise une sorte de continuum de la contrainte,
l’incertitude du principe ainsi que l’invariabilité de l’espace et
l’indéfinition du temps qui sont attachées à la rétention de sûreté
rendent encore plus aigu le questionnement qu’elle soulève.
C’est parce que la « dangerosité potentielle » est en soi
imprévisible et par soi imprévoyable que l’on cherche à la rendre
moins impondérable par le recueil d’une somme infinie
d’informations « au cas où ». Or, la dangerosité clinique, celle qui
commande ici et maintenant d’hospitaliser tel individu réel et nommé
pouvant se mettre en danger ou mettre en danger un autre, n’est pas
la dangerosité statistique, celle qui relève du nombre anonyme et
abstrait, de la moyenne chiffrée et figée. La foi en l’algorithme que
suppose cette démarche laisse rêveur. Mais il y a plus : au regard de
l’effet de massification qui en découle, face à l’impossibilité de savoir
qui se révélera dangereux ou non, il convient de répertorier
extensivement chaque personne saisie par la justice. Ce à quoi
conclut, en 2006, le rapport Garraud qui propose de créer un fichier
regroupant toute donnée de toute personne collectée dans le cadre de
toute procédure judiciaire, y compris les expertises et évaluations
médicales dont les hospitalisations d’office. Le projet est total : d’une
part, il s’applique « quelle que soit la personne visée ou la nature des
faits commis 26 » ; d’autre part, puisque « la disparition complète de la
dangerosité d’une personne n’est jamais certaine », il vaut « jusqu’au
décès de l’individu 27 ». Qu’il s’agisse du recueil, du contenu et de la
garde de l’information, prévaut l’illimitation.
Ce que peut être la traduction politique d’une telle vision, la
demande répétée de certains parlementaires après chaque attentat
terroriste que soient « préventivement » incarcérées, ou retenues, les
personnes pour lesquelles existent une fiche « S » en donne une
illustration 28. Pareillement, si les soins pénalement ordonnés ont pour
objet de prendre en charge sanitairement la délinquance, les soins
sans consentement montrent pour leur part l’envers du miroir qui
n’est autre que la judiciarisation de la maladie mentale.

L’EXPERT JUDICIAIRE

Stricto sensu, « l’expert judiciaire est le seul qui puisse se prévaloir


du titre d’expert 29 ». Outre le juge, il est le personnage clé des soins
sous contrainte et pénalement ordonnés et s’il peut bien sûr exercer
son expertise dans le domaine somatique, c’est dans le champ
psychiatrique qu’il se confrontera le plus fréquemment et le plus
âprement aux questions que pose sa pratique. L’expert intervient à la
demande de la justice quand une information médicale est nécessaire
à une décision judiciaire. À ce titre, il est mandaté par le juge, délié
du secret professionnel pour ce qui est de la question qui lui est
posée, mais non pour le reste. Il a pour mission d’objectiver et de
décrire, autant que faire se peut, la situation clinique du patient qu’il
examine à un temps t.
Au sein de l’institution judiciaire, le discours de l’expert, considéré
lui-même comme sujet supposé savoir, revêt un statut « scientifique »
en ce qu’il fonctionne comme « discours de vérité 30 ». L’expertise
classique, telle que définie dans l’article 64 du Code pénal de 1810,
engageait une simple question : l’individu inculpé était-il ou non en
état de démence au moment des faits ? La disposition change avec la
promotion, dans la seconde moitié du XIXe siècle, d’une nécessaire
organisation de la défense de la société contre ses ennemis présumés,
mouvement sous-tendu par le naturalisme scientiste qui ne craint pas
de montrer que les défauts « moraux » s’inscrivent dans des défauts
« physiques ». On en arrive ainsi à confondre délit, défaillance et
maladie. Michel Foucault montre combien les experts pouvaient céder
à cette tentation, lorsque leur examen inclinait à « montrer comment
31
l’individu ressemblait déjà à son crime avant de l’avoir commis ». Il
cite à cette fin la circulaire Chaumié qui, en 1905, spécifie que « le
rôle du psychiatre n’est évidemment pas – parce que c’est trop
difficile, parce qu’on ne peut pas le faire – de définir la responsabilité
juridique d’un sujet criminel, mais de constater s’il existe, chez lui,
des anomalies mentales qui puissent être mises en rapport avec
32
l’infraction en question ». Or, ce curieux concept qu’est l’anomalie
mentale continue de dominer et se distribue désormais en trois
questions : 1 – L’individu est-il dangereux en ce qu’il présente, selon
l’article 706-53-13 du Code de procédure pénale, « une particulière
dangerosité 33 caractérisée par une probabilité très élevée de récidive
parce qu’il souffre d’un trouble grave de la personnalité » ? 2 – Est-il
accessible à une sanction pénale ? 3 – Est-il curable ou réadaptable ?
Tant que l’expertise se limite à traduire dans l’univers judiciaire
un savoir médical constitué à l’hôpital, tant que les deux
représentations, langages et discours restent chacune dans son ordre,
il n’y a rien à redire. C’est même la noblesse de l’exercice que de
permettre ce que Daniel Zagury, expert reconnu, nomme un
34
« exercice de démonstration » : par une description adéquate,
montrer que l’accusé n’est pas un « monstre », qu’il demeure l’un de
nous, transmettre ce que l’on a pu comprendre et l’expliquer à ceux
dont ce n’est pas le métier.
Le désordre pointe quand l’expert ambitionne de juger et le
magistrat de soigner. Dans la Gazette du Palais en date du 24 mai
2016, Daniel Zagury s’alarme de la situation calamiteuse qui conduit
en France à produire de nombreuses expertises médiocres, voire
indignes, faute de moyens. C’est alors que le secret médical est en
danger, lorsque l’on statue d’une personne trop rapidement non
seulement sur les faits, mais aussi sur son passé et sa
« personnalité 35 », exposée par l’expert devant le juge. C’est en
quelque sorte le miroir de cet autre travers, lorsqu’un juge en vient à
se prononcer sur le fond de la pertinence médicale ou non d’une
hospitalisation sous contrainte 36.

Choisi sur une liste tenue par chaque tribunal de grande instance
(TGI), l’expert prête serment, à la suite de quoi il est inscrit pour trois
ans. Plusieurs articles (105-108) du Code de déontologie médicale
précisent son activité. Citons les principaux :

Article 105 : « Nul ne peut être à la fois médecin expert et


médecin traitant d’un même patient. Un médecin ne doit
pas accepter une mission d’expertise dans laquelle sont en
jeu ses propres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de
ses proches, d’un de ses amis ou d’un groupement qui fait
habituellement appel à ses services. »
Article 108 : « Dans la rédaction de son rapport, le médecin
expert ne doit révéler que les éléments de nature à
apporter la réponse aux questions posées. Hors de ces
limites, il doit taire tout ce qu’il a pu connaître à l’occasion
de cette expertise. Il doit attester qu’il a accompli
personnellement sa mission. »

L’expert ne doit donner que les seules informations qui lui sont
demandées et ne faire que répondre aux questions qui lui sont
posées 37. Pourquoi ces précautions ? Paul Ricœur, redisons-le, a
montré que la médecine est en soi ambivalente puisque, par sa nature
même, elle est contrainte d’objectiver le corps du patient. Or il peut
arriver, dans des circonstances particulières, que l’objectivation
devienne une « pratique à risque », glisse même vers ce que l’on peut
appeler de la torture quand le corps de l’autre est volontairement
meurtri pour une finalité autre que le soin. Ricœur cite les
circonstances « à haut risque », où ce glissement peut insidieusement
s’opérer, lorsque « les dérapages ne consistent pas simplement en des
fautes professionnelles évitables, mais sont en quelque sorte induits
par des structures sociales, juridiques et politiques où la violence
revêt des formes que l’on peut dire institutionnalisées ». Le haut
risque existe lorsque les normes « sont si incertaines que le jugement
moral en situation reste la seule ressource », et plus encore, lorsque
38
l’on sollicite le médecin dans la « médicalisation de la punition ».
Certes, objectiver est nécessaire et un excellent exemple en est le
cas du chirurgien qui opère : il ouvre une parenthèse d’objectivation
en ouvrant le corps du patient et la referme en le refermant. Mais
nombre de situations sont précisément grosses du risque que l’on
oublie de clore la parenthèse. Cette tentation de maintenir l’autre
dans un statut d’objet existe dans l’expertise judiciaire et Michel
Foucault en a relevé diverses illustrations au cours des années 1950-
1960. « Ce n’est plus un sujet juridique que les magistrats, les jurés
ont devant eux, mais un objet : l’objet d’une technologie et d’un
savoir de réparation, de réadaptation, de réinsertion, de correction.
En bref, l’expertise a pour fonction de doubler l’auteur, responsable
ou non, du crime, d’un sujet délinquant qui sera l’objet d’une
technologie spécifique 39 ».

L’affaire de Rennes

Le 13 février 2015, la Cour d’assises d’Ille-et-Vilaine condamne à


10 ans de prison un homme de 37 ans pour le meurtre de son amie
commis en 1998 à Rennes. L’affaire n’est pas banale. L’accusé, âgé de
20 ans au moment des faits, a toujours reconnu avoir tué sa jeune
compagne mais, immédiatement arrêté, a d’abord été unanimement
reconnu irresponsable par les psychiatres experts. En conséquence, il
a été hospitalisé selon les termes de l’article L.122.1 du Code pénal :
« N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au
moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant
aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».
En 2008, à la fin de son séjour qui aura donc duré dix ans, le chef
du service de psychiatrie dont il relève émet des doutes sur l’abolition
de son discernement au moment des faits et les communique au
procureur de la République de Rennes. La procédure est relancée
en 2010 et aboutit à un second procès en 2015. Cette fois, on
reconnaît à l’accusé une altération, et non pas une abolition, du
discernement. Condamné à 10 ans de réclusion, il ne souhaite pas
faire appel de sa condamnation.
Un de ses avocats confie à la presse : « Même si nous sommes
persuadés qu’il a des troubles graves de la personnalité, lui redoutait
beaucoup un retour en hôpital psychiatrique » 40. Plus surprenant
encore est le long témoignage que délivre devant la Cour le
psychiatre qui a remis en cause l’abolition du discernement et qui,
sans que personne ne s’en émeuve, ni le juge, ni le Conseil de l’Ordre
des médecins, a qualité de médecin traitant du patient et non pas de
médecin expert assermenté et désigné. Voici la relation qu’en donne
un journaliste présent aux débats :

Hier, le chef de service de l’hôpital psychiatrique de Saint-


Avé, près de Vannes, est venu s’expliquer. C’est ce
psychiatre qui a commencé le premier à douter de la réalité
de la schizophrénie de GC, en 2008. L’ancien marin avait
fugué, une nouvelle fois, pour se rendre en Hollande.
« Le mode opératoire de la fugue m’a d’abord fait douter,
explique le psychiatre. Sa capacité à accrocher le regard, à
serrer la main et d’écouter les autres n’était pas compatible
avec cette maladie. » Un an plus tard, le médecin écrit au
parquet pour exprimer ses doutes. « C’était une période
difficile. On avait le sentiment d’avoir commis des erreurs
pendant des années. » La procédure judiciaire est relancée.
Elle aboutit cinq ans plus tard au procès actuel.
L’explication est un peu courte pour la défense. « Vous avez
bien dit à GC que, s’il n’acceptait pas vos conditions, il
passerait toute sa vie dans un hôpital », interroge Me
Catherine Glon. « Oui, c’était dans l’intérêt du patient »,
répond, gêné, le chef de service. « Donc le choix, c’était
l’hôpital psychiatrique à vie ou la prison ? », insiste
l’avocate. « Oui, mais il a compris que c’était mieux pour
lui. » Dans le box, l’accusé ne semble pas d’accord.
« À votre avis, qu’est-ce qui a poussé les précédents experts
à estimer qu’il y avait une abolition du comportement ? »,
poursuit la défense. « Je ne sais pas, j’aurais peut-être fait
pareil », bafouille le psychiatre. « Immédiatement après le
meurtre, tous les experts sont unanimes, s’étonne Me Glon.
Et vous en quelques secondes, dix ans plus tard, vous
remettez tout en question… » « Oui, c’est vrai, j’ai
commencé à douter mais j’ai pris un an pour lever ce
doute », précise le psychiatre.
Un des experts, qui avait diagnostiqué la schizophrénie, a
répété hier matin « qu’au moment des faits, GC n’avait plus
la maîtrise du réel. Son discernement était aboli. » Pour le
praticien, l’accusé relève « d’une prise en charge longue à
l’hôpital psychiatrique, peut-être pas à temps complet, mais
longtemps. » D’autres psychiatres viennent déposer plus
tard et disent rigoureusement le contraire 41.

Comment est-il possible qu’un médecin traitant fasse un


signalement au procureur afin de remettre en cause une décision de
justice ? Comment est-il possible que ce même médecin traitant
intervienne, à la façon d’un expert, au procès de son patient ? Si le
patient va mieux, dix-sept ans après les faits, n’est-il pas tentant de
découvrir une altération du discernement là où une abolition totale
avait été reconnue initialement ? Est-ce à dire que, désormais, toute
expertise psychiatrique sanctionnée par un procès pourra être remise
en cause des années plus tard ? A-t-on, lors de ce second procès, jugé
de la situation au moment des faits ou de la personnalité de l’accusé ?
Ce n’est rien de dire que cette affaire est inquiétante pour l’expertise
psychiatrique et les patients dont le discernement est aboli. Elle
dénature le rapport légitime entre le praticien, le patient et la
maladie ou le trouble. Sachant qu’une personne ayant commis un
grave passage à l’acte sous l’emprise de sa pathologie risque une
peine de prison plus lourde lorsqu’elle est stabilisée plutôt que
lorsqu’elle paraît délirante, car il est plus difficile de se représenter le
trouble dont elle souffrait, les psychiatres traitant devraient-ils se
résoudre à la laisser souffrir afin d’impressionner le jury d’assises ?
Non, bien sûr. Mais qu’une telle hypothèse d’école puisse être
envisagée dit où nous en sommes.

Revenir à Freud ?

Freud lui-même témoigne de quelque méfiance envers les


expertises. Il exclut que sa théorie serve à ne plus examiner les faits
et que « le refoulement » soit systématiquement avancé aux dépens
de « tous les détails contestables de situation dans l’espace et dans le
temps ». Il veut surtout montrer en quoi l’emprunt d’une méthode de
la clinique dans le champ judiciaire pose problème 42. La première
vise l’acte thérapeutique au moyen du repérage des traumatismes du
sujet ; le second, l’aveu d’un crime. En surinterprétant les réactions
du patient, on risque de mésinterpréter :

Il arrive qu’un enfant à qui l’on reproche un méfait nie


carrément, tout en pleurant comme un pécheur qu’on a
confondu. Vous penserez peut-être que l’enfant ment […]
mais il se peut qu’il en aille autrement. L’enfant n’a
effectivement pas commis le méfait particulier dont vous le
chargez ; mais en revanche il en a commis un autre
semblable dont vous ne savez rien […] Le névrosé adulte
se comporte sur ce point – comme sur beaucoup d’autres –
comme un enfant 43.

Si secret il y a, il n’est pas de même nature chez le criminel et le


malade. Le criminel cache un secret qu’il connaît tandis que le
névrosé porte en lui un secret inconscient qu’il méconnaît. La
confusion des deux figures est délétère. Pour Freud, l’idée selon
laquelle l’expert devrait absolument poser un diagnostic, et si possible
rapidement, fait qu’« il ne s’agit plus de discerner des degrés de
44
responsabilité, le diagnostic tient lieu de preuve ». Or, l’évolutivité
de la pathologie dans le temps rend difficile tout diagnostic à un
moment donné.
Certes, l’expert doit se prononcer sur l’état du patient le jour où il
l’examine et son degré de responsabilité au moment des faits. Mais
cela demande du temps. Le certificat descriptif délivré en garde à vue
ne peut pas être l’égal d’une expertise judiciaire qui réclame des
quinzaines d’heure de travail, sauf à enfermer la personne examinée
dans un diagnostic posé à la va vite. Or, il est insupportable de « ne
pas savoir » et l’on attend de l’expert qu’il produise une évidence à la
manière dont l’on attend de l’enquêteur une preuve ou de l’inculpé
un aveu. L’expérience la plus banale dans l’exercice de la médecine
enseigne néanmoins que, bien souvent, nous ne savons ni ce dont
souffrent vraiment nos patients, ni pourquoi ils guérissent ou au
contraire, en dépit de tout, empirent. Sans doute un soin
« suffisamment bon » revient-il à accepter cela.

BIG MOTHER OU LA FACE OBSCURE DU CARE

Pour l’enfant qui constitue son self intime, « se cacher est un


plaisir, mais n’être pas trouvé est une catastrophe 45 ». Pour ce qui est
de la psychiatrie contemporaine, toute l’ambivalence du secret
professionnel des soignants tient dans cette formule de Donald
Winnicott. La politique sanitaire en santé mentale revendique en effet
de rejoindre ceux pour qui « n’être pas trouvé est une catastrophe »,
ceux qui échappent aux soins alors qu’ils en auraient besoin. À
première vue, l’ambition est louable. Sur le fond, elle manifeste une
grande naïveté.
Qu’est-ce qu’un État qui envisage de « prendre soin » de ses
concitoyens à la façon dont une mère prend soin de son enfant, sinon
un État intrusif ? Si la mère abusive s’autorise à entrer à tout moment
dans la chambre de l’enfant, la mère « suffisamment bonne » sait au
contraire, rappelle Winnicott, maintenir discrétion et distance. « Si
[…] elle sait trop bien ce dont l’enfant a besoin, c’est une
compréhension magique qui ne constitue aucunement une base à la
relation objectale 46 ».
Le glissement sémantique qui associe le soin, et non plus la seule
hospitalisation, à la contrainte se trouve au mieux résumé par la
formule lapidaire de Michel Foucault : « Le vilain métier de punir se
47
trouve ainsi retourné dans le beau métier de soigner ». Ce que l’on
envisage dès lors sous le vocable de « santé mentale » éprouve le
secret médical non pas comme une sécurité contre l’excès mais
comme un obstacle à son développement. Quand l’on étend les soins
sous contrainte jusqu’au domicile des patients, en obligeant les
personnes délinquantes à se soigner « pour leur bien », il y a bel et
48
bien intrusion bureaucratique. « Gouverner, c’est soigner » semble
dire le pouvoir maternant.
L’État orchestrant pareille intrusion, et peu importe qu’il le fasse
au nom de la prise en charge des plus démunis, du partage de
l’information ou de la prévention de la dangerosité, est-ce encore du
soin ? N’y va-t-il pas plutôt d’une « maintenance médico-
49
administrative », de la tyrannie douce qu’entrevoyait déjà
Tocqueville, au milieu du XIXe siècle à la suite de son séjour dans le
Nouveau Monde 50 ? Cette intrusion est d’autant plus tyrannique
qu’elle se fait « pour notre bien ». Or, « le bien peut être l’ennemi
mortel du domaine public » rappelait Hannah Arendt 51. Ou pour le
dire avec les mots de l’écrivain Michel Schneider : « Pour Big Mother,
tu n’as plus de secret. Les petits enfants n’ont pas de vie privée. Les
fous non plus 52 ».
Ce qui est réellement menacé n’est pas notre vie privée au sens où
nous en serions les propriétaires. Ce qui est menacé est l’intime en
tant qu’il est structurant. C’est « la propriété privée en tant que place
53
concrète dans le monde », le property in de Locke, le fait que je sois
« maître en ma demeure ». Winnicott en parle le mieux, une fois
encore, voyant au cœur de chaque être humain « un élément de non-
communication qui est sacré et dont la sauvegarde est précieuse »,
raison pour laquelle il faut entendre la mise en garde du
psychanalyste anglais à l’heure où la surveillance 24 heures sur 24
des détenus est de mise au prétexte qu’elle seule empêcherait les
tentatives d’évasion ou de suicide : « Être violé et mangé par des
cannibales, tout ceci n’est que bagatelle comparé à la violation du
noyau du self, à la modification des éléments centraux du self par une
54
communication qui se glisse à travers les défenses ».
Autant sinon plus que les autres médecins, les psychiatres sont
désormais contraints à la ruse s’ils veulent véritablement protéger les
confidences de leurs patients. Comment contourner le dispositif du
dossier médical informatisé en y inscrivant uniquement
l’incontournable ? Où inscrire le tour narratif du patient qui raconte à
sa façon sa pathologie ? Comment inventer des espaces « non
formatés » qui ne puissent être mis en danger par « le partage
d’informations 55 » ? Où trouver un lieu suffisamment sûr pour se
cacher sans crainte de n’être pas trouvé ? Ces enjeux si importants
sont à chaque fois dépendants de l’éthique personnelle, hippocratique
en somme, du médecin.
La prison et la tentation
du signalement
Ce qui arrive en prison arrive un jour partout et tel est le cas, on
l’a déjà dit, des fichiers biométriques qui, réservés aux délinquants au
début du XXe siècle, sont désormais obligatoires pour obtenir un
passeport 56. Persuadés qu’ils ont fonction de nous protéger, nous
oublions que leur destination ultime ne dépend pas de nous, mais du
pouvoir institué et de ce qu’il peut estimer être acceptable ou non
dans nos opinions et conduites. Ceux qui œuvrent à alerter l’opinion
publique sur ce danger, comme Virginie Gautron à l’université de
Nantes 57, se savent participer à des travaux de Sisyphe.
Or, les atteintes au secret médical en prison sont nombreuses.
Dans chacun de ses rapports depuis 2008, le Contrôleur général des
lieux de privation de liberté en mentionne divers exemples qui
touchent aux droits des détenus. S’y ajoutent les situations
spécifiques que les récentes modifications législatives favorisent, sans
oublier les dérogations plus générales qui, petit à petit, érodent le
principe du secret en son cœur.

PARADOXES ET CONTRADICTIONS

Les sanctions de la loi

Dans son rapport de 2010, Jean-Marie Delarue, alors Contrôleur


général des lieux de privation de liberté, souligne que, au regard de
la loi française, le secret médical est l’un des plus absolus parmi les
secrets professionnels. Il rappelle que la loi pénitentiaire de 2009, en
a reformulé la règle de façon claire dans son article 45 :
« L’administration pénitentiaire respecte le droit au secret médical des
personnes détenues ainsi que le secret de la consultation, dans le
respect des troisième et quatrième alinéas de l’article L.6141-5 du
Code de la santé publique ». De même que dans son article 48 : « Ne
peuvent être demandés aux médecins et aux personnels soignants
intervenant en milieu carcéral ni un acte dénué de lien avec les soins
ou avec la préservation de la santé des personnes détenues, ni une
expertise médicale ». Le Contrôleur constate de nombreuses entorses
au secret médical qu’il répertorie en cinq catégories : les soins
dispensés dans l’unité de soin ; les soins effectués à l’hôpital ; les
soins réalisés en urgence ; la distribution des médicaments ; la
protection des dossiers médicaux 58.
Il en ressort un inventaire à la Prévert, mais affligeant. Dans les
unités de soins, les personnels soignants parlent parfois sans réserve
devant les personnels de surveillance ou les détenus. Les surveillants
renseignent eux-mêmes le logiciel et indiquent qui est présent ou
non, voire qui vient rencontrer la personne détenue. Les dossiers
médicaux ne sont pas toujours déposés dans des armoires fermées à
clé, de même que les courriers de demande de consultation dans les
casiers également verrouillés dédiées à cet effet. À l’hôpital, les
consultations se font le plus souvent en présence des personnels de
l’escorte pénitentiaire qui parfois les annulent lorsque les médecins
s’en émeuvent. Le patient détenu hospitalisé en urgence peut rester
menotté en présence de l’escorte et au vu et su des autres patients,
car il n’y a pas partout des unités sécurisées pour les patients détenus.
Les médicaments sont parfois déposés en cellule en l’absence de la
personne concernée, au risque que le codétenu en prenne
connaissance ou les dérobe. Quand leurs pochettes sont opaques,
elles affichent néanmoins le nom du traitement et le codétenu pour
peu qu’il soit informé, peut reconnaître facilement un antirétroviral
utilisé en cas de VIH ou un produit de substitution prescrit en cas
d’addiction. Et ce ne sont que des exemples parmi d’autres, que la loi,
en théorie, sanctionne.

Les licences de la loi

C’est essentiellement dans le cadre des mesures de suivi socio-


judiciaire que sont apparues les dispositions limitant le secret
médical. Les sociétés de notre modernité tardive ont de plus en plus
de difficultés à supporter l’aléa des conduites humaines. Elles cèdent
donc à la tentation de la prédictibilité qui est aussi un leurre. Qui, en
effet, n’a jamais manifesté un jour ou l’autre, dans une affaire de
détail ou en une circonstance plus sérieuse, une conduite illogique et
imprévisible, y compris à ses propres yeux ?
L’injonction de soin inscrite dans le dispositif de suivi socio-
judiciaire de la loi du 17 juin 1998 était initialement destinée aux
auteurs de délits à caractère sexuel. Alors que l’intention qui la
guidait était de proposer une alternative à l’incarcération, elle est
venue s’ajouter aux peines d’enfermement. Si elle ne s’applique
officiellement qu’aux personnes non incarcérées, l’article L.721-1 du
Code de procédure pénale propose d’accorder des réductions de peine
supplémentaires si la personne détenue suit « une thérapie destinée à
59
limiter le risque de récidive ». Et ce, en dépit des nombreuses et
sérieuses réserves émises lors de l’audition publique sur la prise en
charge de la psychopathie organisée par la Haute autorité de santé
les 15 et 16 décembre 2005 60. Nul ne sait, en effet, ce que pourrait
être une thérapie de cette sorte et d’aucuns, qualifiés pour se
prononcer, y voient surtout une chimère.
Inévitablement le psychiatre ou le psychologue traitant devra
donc produire des certificats attestant non pas de la limitation du
risque de récidive, indevinable même pour qui s’improvise devin,
mais a minima de la fréquence des consultations. La question est
moins anodine qu’il n’y paraît. Il n’est pas rare que certains
conseillers d’insertion et de probation zélés estiment qu’un suivi sur
une année au rythme d’une consultation mensuelle représente une
garantie insuffisante pour « limiter le risque de récidive » et qu’ils
apportent un avis défavorable à une permission de sortie ou à un
aménagement de peine, alors même que, de l’avis du psychiatre, le
patient concerné ne nécessite pas d’être vu plus souvent. Ce qui
s’appelle juger sur le fond quand on n’en a pas la compétence !
Sur le secret professionnel des médecins lui-même, plusieurs des
lois votées depuis 2002 montrent, lorsque lues à la suite les unes des
autres, un recul encore plus général et qui, surtout, ressort constant.
Un rapide examen des traits saillants parmi les plus importantes
d’entre elles le met en évidence.
o
La loi n 2005-1549 du 12 décembre 2005 sur le suivi socio-
judiciaire modifie l’article L.3711-3 du Code de la santé publique.
Elle pose d’emblée problème en ce que le consentement du patient à
61
la transmission d’informations n’est pas recueilli .
La loi no 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de
sûreté et à l’irresponsabilité pénale pour cause de « trouble mental »
62
modifie à son tour certains articles du Code de la santé publique .
63
Dans la nouvelle rédaction de l’article L.3711-2 , le consentement du
patient préalable à l’échange d’informations n’est pas recueilli non
plus, ce qui entre en contradiction avec la loi de mars 2002 sur le
droit des patients. L’article L. 6141-5 est lui aussi miné :

Dès lors qu’il existe un risque sérieux pour la sécurité des


personnes au sein des établissements mentionnés au
premier alinéa du présent article, les personnels soignants
intervenant au sein de ces établissements et ayant
connaissance de ce risque sont tenus de le signaler dans les
plus brefs délais au directeur de l’établissement en lui
transmettant, dans le respect des dispositions relatives au
secret médical, les informations utiles à la mise en œuvre
de mesures de protection.
Les mêmes obligations sont applicables aux personnels
soignants intervenant dans les établissements
pénitentiaires.

L’inquiétude est alors si grande parmi les associations


professionnelles de santé que leurs représentants se rendent au
ministère de tutelle pour s’enquérir de la position exacte du
gouvernement sur le secret professionnel et sa mise à mal. Une
magistrate détachée qui a été chargée du dossier les reçoit et leur
répond : « En prison, le secret médical est aménagé ». Ce qui n’est pas
porté dans le texte. Mais que l’on puisse tenir un tel propos à la
Direction générale de la santé (DGS) confirme que l’inquiétante
formule dit tout haut ce que le législateur pense tout bas – ou
presque.
Certaines dispositions de cette loi contribuent ainsi à façonner un
univers de défiance repeuplé de monstres dangereux et
irrécupérables dont l’auteur d’actes pédophiles s’impose comme la
quintessence en cette première décennie du XXIe siècle. Un an et demi
plus tôt, au cours de la campagne pour l’élection présidentielle qui va
le mener à l’Élysée, Nicolas Sarkozy n’a pas craint de déclarer
publiquement : « J’inclinerais pour ma part, à penser que l’on naît
pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions
64
soigner cette pathologie » .
o
La loi n 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement
dispose en son article L.821-7 qu’« un parlementaire, un magistrat,
un avocat ou un journaliste ne peut être l’objet d’une demande de
mise en œuvre, sur le territoire national, d’une technique de recueil
de renseignement mentionnée au titre V du présent livre à raison de
l’exercice de son mandat ou de sa profession ». Mais du médecin, il
n’est pas fait mention. À ceux qui s’en étonnent, Jean-Jacques Urvoas,
rapporteur du projet de loi, répond : « Autant je comprends […] la
nécessité de protéger les professions comme celles de journaliste ou
d’avocat, autant il me semble que celle de médecin n’entre pas
exactement dans le même champ 65 ». Son argumentaire est double :
d’une part, les professions protégées qui sont mentionnées dans
l’amendement le seraient au titre de la « garantie du bon
fonctionnement de la démocratie » ; d’autre part, le secret médical
serait déjà suffisamment protégé. Est-ce si sûr ?
Le projet de loi prévoit également d’intégrer l’administration
pénitentiaire à la communauté du renseignement 66. Adeline Hazan,
Contrôleur général des lieux de privation de liberté, s’en émeut :
« C’est très préoccupant. Assimiler de facto l’administration
pénitentiaire à un service de renseignement à part entière est une
idée surtout dangereuse car elle change la nature de la mission de
l’administration pénitentiaire. Demander aux surveillants de se
transformer en agents de renseignement, c’est miner toute relation de
67
confiance entre les détenus et eux ». Christiane Taubira, garde des
Sceaux, en obtient le retrait de principe. Mais le 17 février 2016, à
l’occasion de l’examen en commission du projet de réforme de la
procédure pénale, les députés votent les amendements qui autorisent
l’administration pénitentiaire à recourir à des moyens techniques
relevant du renseignement, dont micros et caméras. Très
concrètement, la formule « de l’Intérieur et de la Justice » remplace
désormais la simple mention « de l’Intérieur » dans l’article L.811-4
68
cité plus haut .
C’est que, depuis les attentats de 2015, la dangerosité a pour
figure éminente l’auteur d’actes terroristes au nom de l’Islam.
Pathologie mentale, emprise sectaire, idéologie radicale ? Rien n’est
moins sûr que notre société ait les clés pour comprendre ce
phénomène. La tentation sécuritaire n’en ressort que plus forte. Dès
le 21 mai 2015, Marc Bétremieux, président du Syndicat des
psychiatres hospitaliers (SPH), écrit à Marisol Touraine, ministre de
la santé, s’inquiétant de ce que « plusieurs praticiens des secteurs de
psychiatrie publique aient été sollicités par les préfectures pour
participer à des cellules d’interventions relatives à la radicalisation
islamique ». Il redoute que, par ce biais, l’on en vienne à simplifier
précipitamment des situations complexes. La note que la Secrétaire
générale, Isabelle Montet, envoie aux membres du SPH précise que
« la rédaction des certificats légaux doit être motivée par une
démarche médicale et pour une description sémiologique qui ne doit
pas favoriser les dérives d’interprétations par les autorités
administratives ». Ce qui va sans dire va mieux encore en le disant.
Les ministres du culte sont aussi sollicités, quoique notre société
soit largement devenue inculte au sens strict du terme et la puissance
publique peu à même de comprendre le fait religieux et de
différencier entre appartenance confessionnelle, sectaire, idéologique
ou tout simplement opportuniste. Là également le secret
professionnel risque d’être mis sous tension, la confidence reçue étant
présumée apporter à son dépositaire un pouvoir qu’il se doit de
transmettre et remettre aux autorités, bien entendu pour « raison de
sécurité ».
Mais les nouveaux venus en détention, emprisonnés à la suite
d’un séjour en Syrie, ne sont-ils pas déjà plus surveillés que le lait sur
le feu ? Ils racontent volontiers comment le moindre de leurs faits et
gestes est passé au crible, de la longueur de la jupe pour les filles à
celle de la barbe pour les garçons. L’un d’entre eux s’en amuse : « Si tu
veux que les matons t’oublient, c’est facile : tu te rases et tu te mets à
écouter du rap à fond ! »

Au nom des droits du patient

La loi no 2014-528 du 26 mai 2014, modifie la loi du 30 octobre


2007 instituant un « Contrôleur général des lieux de privation de
liberté » (CGLPL), constitue dans cette suite de révisions législatives
un cas singulier. Les contrôleurs ayant la qualité de médecin sont
désormais autorisés à accéder aux informations couvertes par le
secret médical avec l’accord de la personne concernée, mais aussi en
cas d’atteintes à l’intégrité physique ou psychique commises sur un
mineur ou sur une personne qui n’est pas en mesure de se protéger
en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique. Il
s’agit cette fois de proposer un cadre législatif homogène pour les
instances garantes des droits des personnes pouvant être soumises à
des pratiques dégradantes : au comité de prévention de la torture et
au défenseur des droits, vient donc s’ajouter le CGLPL. On conçoit en
effet que le secret médical ne puisse pas servir de prétexte pour
dissimuler de telles pratiques, en protéger les auteurs ou nuire aux
investigations qui visent à révéler les unes et neutraliser les autres.
La difficulté vient de ce que, en accédant à des informations
médicales en vue de permettre à une victime vulnérable de défendre
ses droits, le contrôleur peut avoir accès à d’autres informations
médicales n’ayant rien à voir avec l’affaire. Les médecins inspecteurs
qui travaillent pour des instances garantes des droits des personnes
doivent eux aussi fermer les yeux sur ce qu’ils n’ont pas à connaître.

Des atteintes favorisées par la loi


Il faut sans doute envisager un dernier danger, plus insidieux :
l’érosion du secret médical que des lois récentes favorisent ou, pour le
dire avec Michel David, les « atteintes institutionnalisées au secret
69
professionnel ». Des dispositifs législatifs ont rendu plus nécessaire
que jamais la vigilance déontologique du médecin car la planche a
été un brin savonnée.
Avec la loi no 2009-1436 du 24 novembre 2009, dite « loi
pénitentiaire », sont apparues des instances de partage d’informations
dans la détention : des dispositifs informatiques ont remplacé les
anciens cahiers papiers afin de collecter toutes sortes d’informations
sur la vie des personnes détenues, lesquelles peuvent être partagées
lors des commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) créées à cet
effet. Ainsi, le cahier électronique de liaison (CEL) a vu le jour
en 2008, mais est désormais progressivement remplacé par le
métafichier GENESIS, acronyme pour « Gestion nationale des
personnes écrouées pour le suivi individualisé et la sécurité ».
GENESIS intègre à la fois l’ancien dossier judiciaire GIDE, de
« Gestion informatisée des détenus par établissement », et le nouvel
cahier CEL. Cette accumulation est constitutive de l’univers carcéral.
Michel Foucault a rappelé l’existence, dès les débuts de l’institution
pénitentiaire, du « compte moral », bulletin individuel uniforme sur
lequel le directeur, le gardien chef, l’aumônier ou encore l’instituteur
couchent leurs observations. « C’est en quelque sorte le vade-mecum
de l’administration de la prison qui la rend à même d’apprécier
chaque cas, chaque circonstance, et de s’éclairer par suite sur le
70
traitement à appliquer à chaque prisonnier individuellement . »
La loi du 24 novembre 2009 a reçu trois décrets d’application qui
règlent le partage d’informations dans les Commissions
pluridisciplinaires uniques (CPU), le cahier électronique de liaison
(CEL) puis le métafichier GENESIS.
o
Le décret d’application n 2010-1635, paru le 23 décembre 2010
institue les CPU qui participent à l’élaboration du parcours
d’exécutions des peines des personnes placées sous main de justice.
Ces instances se réunissent très régulièrement, le plus souvent une
fois par semaine, et comprennent des représentants des soignants
« désignés par l’établissement de santé de rattachement ». S’ils y sont
convoqués, comme en dispose le texte devenu l’article D. 90 du Code
de procédure pénale, cela ne signifie pas qu’ils doivent s’y rendre.
Le décret d’application no 2011-817 du 6 juillet 2011 règle le
contenu du CEL 71 dans lequel certaines données à caractère médical
peuvent être consignées, notamment : « Entretien avec les services
médicaux, sous la forme d’indication oui/non/ne se prononce pas ;
antécédents de placement SMPR (Service médicaux psychologiques
régionaux) ; antécédents de placement en UMD (Unité pour malades
difficiles) ; antécédents d’hospitalisation d’office (autrement dit tout
ce qui relève de la psychiatrie) ; nécessite un suivi somatique ; suivi
psychologique ou psychiatrique antérieur ou en cours ; régime
alimentaire particulier ; grève de la faim ou de la soif ; prescription
d’une douche médicale ; automutilations graves ; fumeur ;
addictions. ». Mais le dossier comporte aussi des « Données en
rapport avec le risque de suicide », parmi lesquelles : « Antécédents
de tentatives de suicide ; antécédents familiaux de suicide ou de
tentatives de suicides ; addictions ; signale des antécédents
psychiatriques ; antécédents d’automutilations ; signale un problème
de santé nécessitant des soins ; handicap ». Soit des informations
sensibles et une couverture pour le moins exhaustive.
Le décret d’application no 2014-558 du 30 mai 2014 règle le
contenu du fichier GENESIS, lequel est à peu de choses près le même
que celui du CEL pour ce qui est des informations à caractère médical
et de leur indexation. Cependant, l’habilitation de consultation ou
lecture est élargie à tous les membres de la commission
pluridisciplinaire unique, parmi lesquels les partenaires privés en
charge du travail pénal, tandis que les personnels de santé peuvent y
e
écrire (art. R. 57-9-20, 8 , d.). La gestion des requêtes est prévue
dans le logiciel, ce qui signifie à terme la fin des boites à lettres
dédiées à recueillir les courriers que les détenus destinent
exclusivement aux soignants. Rien n’empêche ces derniers d’exiger
qu’elles soient maintenues. Mais seront-ils entendus ?
La circulaire interministérielle du 21 juin 2012 a pour ambition de
72
régler la difficile question du partage d’informations . Son premier
article est le désormais fameux L.6141-5 du Code de la santé
publique relatif au « risque pour la sécurité des personnels ». Elle
prend acte du fait que les professionnels de santé participent à la
commission pluridisciplinaire unique. Puis elle dresse la liste des
informations à transmettre, ou pas, des professionnels de santé vers
les professionnels pénitentiaires et inversement. Divers points en rien
de détail ressortent problématiques. Pour ne donner qu’un exemple,
les professionnels de santé doivent signaler de façon urgente « les
principaux signes d’alerte à surveiller, en vue d’obtenir une demande
de surveillance renforcée ponctuelle pour un patient présentant un
problème psychiatrique ou somatique ». Ce qui revient à plonger tout
le monde dans l’embarras. D’une part, si un patient a besoin d’une
telle surveillance, sa place est à l’hôpital et non en prison. D’autre
part, demander à des personnels pénitentiaires, dont la plupart font
preuve d’une réelle bonne volonté, de surveiller un patient pour des
raisons médicales, c’est les requérir pour une tâche à laquelle ils n’ont
pas été formés et les placer dans une situation impossible, voire
dangereuse et pour le patient et pour eux-mêmes. Enfin, le médecin
qui entreprend une telle demande se met sans doute en danger lui-
même car il engage alors sa propre responsabilité.
Il en va pareillement pour le « risque de dangerosité, au sens
psychiatrique du terme », qualifié d’« information nécessaire aux
professionnels pénitentiaires ». Or, cette dangerosité est ambivalente.
Si elle est statistique, issue de grille de calculs actuariels, elle n’est
pas psychiatrique. Si elle est clinique, constatée à un moment donné,
le psychiatre est amené comme le médecin généraliste à faire
hospitaliser son patient.
Ce texte montre cependant combien la réalité est loin de la
circulaire : les personnes « bizarres » ou « dangereuses » sont le plus
souvent bien connues de tous et une information médicale
n’apportera rien de plus. On retrouve là le mythe selon lequel les
médecins sauraient de multiples choses que les autres ignorent. Or ce
sont les surveillants qui le plus souvent alertent les soignants qu’un
patient délire car il délire d’abord en détention.

LE PARTAGE D’INFORMATIONS

À la suite de la publication des décrets d’application et de la


circulaire encadrant le partage d’informations, les associations de
professionnels de santé exerçant en prison ont rappelé le cadre
déontologique nécessaire au bon exercice de la médecine en milieu
pénitentiaire. Invoquant l’article R.4127-5 selon lequel « le médecin
ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme
que ce soit », ils ont insisté sur le caractère irréductible de cette
indépendance, sur l’impossibilité de participer aux commissions
pluridisciplinaires uniques, sauf à mettre en danger le secret
professionnel, et sur la nécessité d’obtenir le consentement du patient
avant tout échange d’informations à caractère médical le concernant.

Les réponses de l’Ordre des médecins


À plusieurs reprises, le Conseil national de l’Ordre des médecins
(CNOM) a encouragé les médecins à rester vigilants. Sous la forte
impulsion de Piernick Cressard, alors président de la section « éthique
et déontologie », ses prises de position ont été particulièrement
claires dans les années qui ont suivi la loi pénitentiaire.
Le 9 juin 2004, le CNOM écrit au directeur départemental des
affaires sanitaires et sociales de la Haute-Garonne pour rappeler que
si le secret professionnel n’exclut pas la nécessaire collaboration avec
les autorités judiciaires et pénitentiaires, il doit et ne peut qu’être
respecté lors des réunions de travail avec les directions et les services
des centres de détention, notamment les services pénitentiaires
d’insertion et de probation (SPIP), qui servent de cadre à l’échange
d’informations. « La notion de “secret partagé” ne peut être utilement
invoquée […] Les médecins […] dont le rôle est de soigner la
population détenue ne peuvent, sans susciter une confusion fâcheuse
et risquer de perdre la confiance des patients, intervenir dans les
décisions du juge de l’application des peines ».
Le 22 août 2007, le Conseil répond à Rachida Dati, alors garde
des Sceaux. L’opinion vient d’être émue par le rapt et le viol à
Roubaix, une semaine plus tôt, d’un enfant de cinq ans par un
délinquant sexuel multirécidiviste. La ministre de la Justice demande
que l’Administration Pénitentiaire puisse avoir accès au dossier
médical des détenus. Par voie de communiqué cette fois, le CNOM
maintient les principes fondamentaux : « Tout en s’associant à
l’émotion suscitée par ce drame, douloureusement ressenti par tous et
notamment par la communauté médicale, le Conseil national de
l’Ordre tient à rappeler le caractère intangible du secret
professionnel, en toutes circonstances. À cet égard, il souhaite
rappeler que tous les médecins amenés à donner des soins à des
détenus doivent disposer d’un dossier médical comprenant les
antécédents médicaux qui pourraient figurer au dossier administratif
et ce, sans réciprocité de la part du médecin vis-à-vis de
l’administration. »
Dès le 19 janvier 2011, le CNOM tient bon de préciser au sujet de
la commission pluridisciplinaire unique que « l’article 45 de la loi
pénitentiaire du 24 novembre 2009 impose à l’administration
pénitentiaire de respecter le droit au secret médical des personnes
e e
détenues dans le respect des 3 et 4 alinéas de l’article L.6141-5 du
Code de la santé publique. En conséquence, il ne peut être demandé
aux praticiens de l’UCSA ou du SMPR 73 appelés à assister à la
réunion de la commission pluridisciplinaire unique ni attendu de leur
part qu’ils communiquent des informations sur la santé, le suivi
médical des personnes détenues qu’ils prennent en charge ». Enfin, il
faut citer un numéro entier de juillet 2011 du bulletin du CNOM
74
titré : « Prisons : menaces sur le secret médical » qui a eu lui aussi
le mérite d’encourager les médecins à maintenir une position
déontologique claire face aux pressions qu’ils subissent.

L’arrêt du Conseil d’État

Des associations comme l’Observatoire international des prisons


(OIP) ont déposé une demande d’annulation de la circulaire
interministérielle sur le partage d’informations. L’arrêt du Conseil
o
d’État n 362681 en date du 23 octobre 2014, en réponse à cette
demande requiert d’être lu attentivement : « Considérant […] qu’il
appartient au directeur de l’établissement, destinataire de
l’information en vertu de l’article L.6141-5 du Code de la santé
publique, de veiller à ce qu’elle soit communiquée, si elle est évoquée
au cours d’une réunion de la commission pluridisciplinaire unique ou
de l’équipe pluridisciplinaire, aux seuls professionnels ayant besoin
d’en disposer pour l’accomplissement de leurs missions ; que, dans
ces conditions, la circulaire n’apporte pas sur ces points une
restriction illégale au secret médical… ». Sachons lire et retenir
l’essentiel : le Conseil d’État suggère que dans la commission
pluridisciplinaire unique, le directeur de l’établissement fasse sortir
les personnes non concernées par une information que les soignants
auraient à donner. Or ceci remet en cause le concept même de
commission pluridisciplinaire unique et souligne, s’il y avait besoin, la
constitution problématique de cette instance.

Du CEL à GENESIS

C’est en janvier 2011 que la CNIL délibère au sujet du CEL qui a


d’ores et déjà été installé sur l’ensemble du territoire. Saisie a
posteriori, à rebours donc d’un processus normal de consultation, la
Commission délivre un avis des plus décevants. Elle considère que
« seules les prescriptions médicales devraient figurer dans le cahier
électronique de liaison sans pouvoir être consultables sans
habilitation spécifique du chef d’établissement et dans la seule
mesure où cela correspond à une nécessité » 75, ce qui est pour le
corps médical parfaitement impensable.
76
En décembre 2013 , à nouveau saisie lors de la mise en place du
logiciel GENESIS, l’Autorité indépendante qu’est la CNIL ne remet pas
en cause, malgré sa mission « de contrôle en matière de protection
des données personnelles », le fait que des soignants puissent
renseigner le logiciel. Or alimenter un tel dispositif pénitentiaire est
absolument inenvisageable sur le plan déontologique, de même qu’il
est inenvisageable de lire ce que les surveillants y ont écrit. De plus,
et par expérience, la façon la plus simple de comprendre la vie en
détention d’une personne est encore de le lui demander !
De son côté, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté
insiste à plusieurs reprises sur le secret médical. Dans son rapport
d’activité 2011, Jean-Marie Delarue conforte l’approche de l’Ordre
77
des médecins . Mais plus encore, il redit que « les données à
caractère médical ne doivent pas figurer dans le CEL » et s’inscrit en
faux contre l’avis de la CNIL de 2011 : « Compte tenu du fait que des
pressions peuvent s’exercer sur les personnels médicaux et soignants
afin de fournir des informations sur les personnes détenues, le
Contrôleur général estime que les limites ainsi posées par la CNIL
n’apportent pas les garanties suffisantes à la préservation nécessaire
78
du secret médical ».
Le 12 janvier 2012, Nora Berra, secrétaire d’État à la Santé
répond à son rapport sur la prison de Mont de Marsan qui pointe la
question du cahier électronique de liaison :

Le Contrôleur général souligne que les personnels


soignants et médicaux doivent veiller au respect du secret
médical lorsqu’ils font part de leurs observations à
l’administration pénitentiaire, notamment dans le cadre de
l’utilisation du cahier électronique de liaison. Les services
du ministère de la santé sont en contact avec ceux du
ministère de la justice sur le niveau de participation des
personnels au cahier électronique de liaison pour la partie
« sanitaire » et demeurent très réservés sur la nature ainsi
que l’étendue des informations demandées concernant
l’état de santé des personnes détenues. Par souci de respect
du secret médical, il a diffusé une instruction aux agences
régionales de santé (référents régionaux des chargés de la
santé des personnes détenues), rappelant que les
personnels des UCSA [Unités de consultation et de soins
ambulatoires, relatives aux soins somatiques] ne devaient
pas remplir la partie santé du cahier électronique de
liaison.

La « réserve » qu’exprime le ministère de la santé ne résistera pas


à l’arrivée de GENESIS.

GENESIS ou le métafichier

Le feuilleton du logiciel GENESIS mériterait un chapitre à lui tout


seul. Comme la plupart des fichiers démesurés, il coûte une fortune et
fonctionne mal dès son début, accumulant erreurs dans les calculs de
remise de peines et détenus « perdus ». Les magistrats 79 puis les
soignants 80 ont demandé un moratoire, mais sans succès. Outre les
« bornes requête » déjà mentionnées, il est prévu dans ce logiciel un
« agenda partagé » afin de faciliter les déplacements en détention.
Tous ceux qui ont l’habilitation requise et accès au fichier sauront
précisément non seulement quand la personne détenue se rend en
consultation, mais avec qui ! Des équipes ont réussi à contourner le
dispositif en indiquant non pas le nom du médecin consulté, mais la
salle où il consulte. Mais certaines n’y sont pas parvenues.
Jean-Marie Delarue se montre résolument défavorable à ce
métafichier. À la Cour des comptes qui a charge, en 2014, d’instruire
un rapport sur La santé des personnes détenues, il répond que
l’utilisation des bornes requête GENESIS, censées mieux organiser
l’emploi du temps des détenus, n’est pas souhaitable. « Je suis
personnellement réservé sur l’interopérabilité des deux systèmes
GIDE et GENESIS pour des questions de principe et parce que si l’on
veut éviter les chevauchements d’emploi du temps (parloir et rendez-
vous médical par exemple), le “manuel” suffit ; les surveillants savent
parfaitement le faire ; surtout, je crois que ces incompatibilités ont
tout à fait d’autres causes que des dysfonctionnements
81
involontaires ». Jugement pour le moins lucide !

Dans sa circulaire 2015-112 du 8 décembre 2015, le Conseil de


l’Ordre encourage pour sa part les médecins qui travaillent en prison
à ne rien inscrire dans le logiciel GENESIS.

Les données recueillies auprès des médecins et personnels


de santé sont très nombreuses. Si les limites de certaines
ont été précisées dans le décret, à la demande de la CNIL,
les observations des personnels de santé, les entretiens avec
les services médicaux, les données en rapport avec les
risques de suicide restent floues. […]
Les médecins qui exercent dans les établissements
pénitentiaires étant tenus au respect du secret médical, ils
n’ont pas à enregistrer dans le traitement GENESIS des
informations concernant la santé des personnes détenues.
Si l’article L.6141-5 du Code de la santé publique fait
obligation aux personnes de santé, dès lors qu’il existe un
risque sérieux pour la sécurité des personnes, de le signaler
dans les plus brefs délais au directeur de l’établissement en
lui transmettant dans le respect du secret médical, les
informations utiles à la prévention du risque, il ne les
autorise pas à enregistrer ailleurs que dans le dossier
médical les informations concernant la santé des personnes
82
détenues .

Mais hélas, tout autre est l’avis de la Direction générale de la


santé (DGS) et de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) :
GENESIS est un moyen d’échanger des informations avec
l’administration pénitentiaire parmi d’autres (commission
pluridisciplinaire unique, comité de coordination,
commission santé, contacts directs au quotidien, etc.). Il
peut être utilisé de manière complémentaire aux instances
de concertation, selon le choix des professionnels de santé
et dans l’intérêt de la personne détenue malade et de son
entourage […].
La non divulgation d’informations relatives à un risque
potentiel, dont la connaissance est nécessaire à la mise en
place par l’administration pénitentiaire de mesures
adaptées pour réduire ce risque, est en effet susceptible
d’engager la responsabilité du professionnel et/ou
l’établissement de santé qui l’emploie.

C’est peu dire que les professionnels de santé ont été déçus de
l’absence de soutien de la part de leur tutelle, laquelle semble
considérer que le secret médical doit être « aménagé » en prison et
que seul compte le partage d’informations. Ce positionnement a sans
doute été favorisé par les jugements de tribunaux administratifs qui
soulignent le manque d’échanges d’informations entre
l’administration pénitentiaire et l’administration sanitaire. Il ne
demeure pas moins que de si peu considérer la confidentialité est une
grave erreur, ne serait-ce qu’en termes de sécurité publique.

La vidéo surveillance continue

Avec l’arrivée de détenus mis en examen suite aux attentats


terroristes commis à Paris en novembre 2016, une nouvelle pratique
s’est subitement imposée : la vidéo surveillance continue. La
possibilité d’une telle procédure existait déjà dans le cadre de la
prévention du suicide, mais était limitée à 24 heures 83. Elle est
désormais étendue dans le temps et rendue possible par l’arrêté du
9 juin 2016 « portant création de traitements de données à caractère
personnel relatifs à la vidéoprotection de cellules de détention ».
Cet arrêté, pris avec l’aval de la CNIL, autorise une
vidéosurveillance continue des cellules de détention dans lesquelles
sont affectées certaines personnes, « dont l’évasion ou le suicide
pourraient avoir un impact important sur l’ordre public eu égard aux
circonstances particulières à l’origine de leur incarcération et l’impact
84
de celles-ci sur l’opinion publique ». C’est donc le sentiment de
l’opinion qui prime dans cette affaire. L’article 2 de cet arrêté
indique que « l’avis écrit du médecin intervenant dans l’établissement
peut être recueilli à tout moment, notamment avant toute décision de
renouvellement de la mesure ». C’est à nouveau faire porter aux
médecins une charge qui relève de l’expertise et non du soin. Pour
autant, il existe sans doute un moyen de contourner le mauvais rôle
que l’on veut leur faire jouer. Les personnes isolées doivent en effet
être vues deux fois par semaine par le médecin et l’avis médical, en
cas de prolongement de l’isolement, est déjà prévu par la loi 85. Rien
n’empêche le praticien de rédiger un certificat non descriptif du type :
« Je soussigné Dr X, certifie avoir vu en consultation ce jour Y.
L’isolement prolongé peut provoquer des troubles graves de la santé
somatique et psychique. La vidéosurveillance continue peut majorer
les risques de décompensation psychiatrique voire somatique. » Copie
de ce certificat sera donnée au patient, qui pourra, s’il le souhaite, le
transmettre au Défenseur des droits et au Contrôleur général des
lieux de privation de liberté.
Sur le fond, quelques voix n’ont pas manqué de s’inquiéter des
effets contre-productifs d’une telle surveillance. « C’est un principe
basique, tout être humain a besoin d’intimité. Être surveillé 24 heures
sur 24 toute une vie peut engendrer des comportements
d’hypervigilance, un sentiment de persécution chez des personnes qui
sont déjà paranoïaques, des passages à l’acte agressifs, des états
dépressifs » a ainsi prévenu Michel David, président de l’Association
86
des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) .
Demain, où seront installées ces caméras de vidéosurveillance
continue ? Dans les hôpitaux psychiatriques ? Dans les établissement
pour personnes âgées dépendantes ? Dans certains domiciles ? Et le
tout, au nom de quoi ?

Télémédecine ?

Le dernier dispositif informatique en date qui fascine les pouvoirs


publics est la télémédecine, mais il est aussi des praticiens qu’elle
enthousiasme. En mai 2015, à l’occasion du salon Santé-autonomie
qui se tient à Paris-Expo, le docteur Arnaud Depil-Duval fait l’éloge de
son usage en milieu pénitentiaire. Chef de service des urgences du
Centre hospitalier Eure-Seine, lui-même est responsable, à ce titre, de
l’unité de soins somatiques de la maison d’arrêt d’Évreux. Après avoir
vanté ce type de consultations qui a pour vertu principale, à ses yeux,
de limiter le nombre d’extractions médicales, le nombre de policiers
mobilisés et donc les coûts, il précise, ainsi que rapporté par la
presse : « À Évreux, le dispositif de télémédecine est utilisé pour la
réalisation à distance de consultations en dermatologie, en
psychiatrie et “surtout pour la télé-régulation des urgences”. L’enjeu
est d’éviter le déplacement d’un détenu pour de “petits actes” qui
pourraient être réalisés par le personnel médical de la maison d’arrêt
sur la base du diagnostic et de l’assistance du médecin urgentiste. »
Ce qui en outre, toujours selon lui, permet d’éviter les refus de
consultation. Les limites qu’il reconnaît à ce qu’il conçoit à l’évidence
comme un progrès est d’une part le risque médico-légal : « L’absence
de “cadre légal” peut conduire certains médecins à s’interroger sur la
“valeur médico-légale” d’une téléconsultation et la protection
juridique qu’elle leur confère en cas d’incident » ; à quoi il ajoute,
d’autre part : « l’absence de valorisation financière claire » des actes
87
de télémédecine en l’état actuel des politiques tarifaires .
Que dire ? Sinon que le rapport à l’efficacité et à la finance guide
ces considérations ? Comment ne pas remarquer surtout l’éclipse du
corps et particulièrement du corps du détenu ? C’est tellement facile
de n’avoir plus à le toucher. On en est ainsi venu à autoriser des
88
parloirs payants via Skype aux États-Unis. En soi, l’apparition de
Skype en prison pourrait être une bonne chose au regard de
l’enfermement carcéral, mais la mesure s’est immédiatement
accompagnée d’une plus grande difficulté à obtenir de véritables
parloirs.
Or, soigner quelqu’un en prison, c’est être dans la prison. La
relation de soin est d’abord et avant tout une rencontre entre deux
sujets incarnés, entre deux sujets en chair et en os, l’un en face de
l’autre, qui se parlent, s’écoutent, s’observent. Le secret prend sa
source dans cette rencontre. Serait-il dépassé de le souligner ? Que
devient le secret quand le corps n’est plus là ? Qui est garant de la
confidentialité de la télétransmission ?
Certes, il peut y avoir télémédecine si le médecin est dans la
prison et s’adresse à l’un de ses confrères pour un avis, par exemple
un dermatologue avec description et envoi de photos à l’appui par
messagerie sécurisée. À l’extrême, on peut éventuellement imaginer
une consultation préopératoire avec l’anesthésiste, le médecin étant
présent auprès du patient lors de la transmission de
l’électrocardiogramme du patient. Mais qui ausculte le patient en
pareil cas ? Une consultation psychiatrique de cette sorte pour une
personne détenue paraît en revanche impossible tant elle faillirait à la
déontologie. Sera-t-on néanmoins contraint d’en arriver là vue la
pénurie de psychiatres ? Enfin, qui devra s’affronter aux multiples
petits arrangements, faire passer en urgence un certificat à un patient
qui rencontre le juge, recevoir entre deux patients quelqu’un qui a
appris une mauvaise nouvelle, ce que permet la présence in situ du
médecin et qui facilite la vie de tous ?
Plus fondamentalement, au-delà de la prison, n’est-ce pas le signe
que le corps malade désormais nous gène ? Que demain, après avoir
fermé les hôpitaux de proximité, ce sera le corps malade de la
personne âgée, de la personne handicapée, de la personne isolée que
l’on maintiendra à distance derrière un écran ? L’argument contraire
est volontiers présenté : dans un proche avenir, quelqu’un qui vivra
en zone rurale pourra s’entretenir sans délai avec son endocrinologue
qui l’aidera à adapter son insuline. Certes. La technique est toujours
ambivalente. Mais alors qu’on la croit neutre, elle est neutralisante. Il
est à craindre que la télémédecine ne soit un nouvel eldorado que les
plus pauvres, dont les détenus font partie, paieront par une
diminution de l’offre de soin.

LA TENTATION DU SIGNALEMENT

Pour Giorgio Agamben : « L’État dans lequel nous vivons à présent


en Europe n’est pas un État de discipline, mais plutôt – selon la
formule de Gilles Deleuze – un “État de contrôle” : il n’a pas pour but
d’ordonner et de discipliner, mais de gérer et de contrôler. Il s’agit de
“gérer le désordre 89” ». La prison est un lieu exemplaire de ce rapport
de dénaturation entre sécurité et démocratie car, quitte à nous
répéter, ce qui advient entre ses murs annonce ce qui adviendra hors
de ses murs.
La « gestion du désordre » est notre lot commun. Le corollaire de
cet état de fait est la multiplication des circonstances où il devient
nécessaire de « signaler ». Mais afin d’établir un signalement, il faut
au préalable surveiller. Raison pour laquelle, bien au-delà des univers
carcéral et psychiatrique, les pratiques de surveillance se multiplient.
Les contrôleurs de la Sécurité sociale surveillent les prescripteurs. Les
prescripteurs peuvent surveiller leurs patients. Les pharmaciens
également. Et les usagers désormais, peuvent « évaluer » les uns et les
autres grâce à internet.
Pour autant, ce phénomène n’a pas commencé hier. Alors que le
secret semble être abrité dans les tréfonds de l’âme sous la haute
garde des confesseurs, les débuts de l’ère moderne, marqués par des
épidémies graves dont notamment la peste, voit naître les questions
d’hygiène et la sécurité collectives. Michel Foucault fait l’hypothèse
que le contexte épidémique d’alors conforme la structure de la santé
publique contemporaine : quadrillage de la ville, registre précis des
habitants mis en quarantaine, passage biquotidien d’un inspecteur
devant chaque maison. L’habitant devait se signaler à la fenêtre, pour
être vu, vivant. Tout était retranscrit dans un registre centralisé. « Il
s’agit de fixer, de donner son lieu, d’assigner des places 90 ».
Cette disposition est allée comme telle jusqu’au XIXe siècle, ou
presque. Peu à peu, en effet, l’affaire se complique car les autorités ne
demandent plus seulement de dénoncer les personnes porteuses de
91
maladies contagieuses, mais également les blessés , les femmes
92
enceintes non mariées , ou les personnes jugées indésirables. La
dénonciation, en 1668, des protestants de Bordeaux par les médecins
de la ville et à la demande du procureur du roi est significative de ces
actes précurseurs. Il y a en aura d’autres sous la Révolution et
l’Empire. Régulièrement, les défenseurs d’un secret médical absolu
s’en offusquent. Mais la situation atteint un point critique à la Belle
Époque. Il faut que les sommités se déclarent et se prononcent.
En 1891, le professeur Lefort tient le discours suivant à l’Académie de
médecine : « Le secret professionnel a des limites, et pour ma part je
crois que le médecin manquerait à ses devoirs si, par excès de
discrétion, il laissait un malade atteint de diphtérie libre de
communiquer une maladie trop souvent mortelle. […] Je n’admets
pas que le secret professionnel aille jusqu’à nous rendre complices
d’un homicide par imprudence ; et surtout à nous faire commettre
93
des homicides par discrétion ».
L’article 378 du Code pénal de 1810 prévoit d’ailleurs que les
médecins aient à rompre le silence puisqu’il punit ceux d’entre eux
qui transgresseraient le secret « hors le cas où la loi les oblige à se
porter dénonciateurs », à savoir selon les articles 103 et suivants les
situations de complot et crime contre la sûreté de l’État. La formule
est modifiée ultérieurement, à la fois étendue et assouplie en « hors
les cas où la loi les autorise à se porter dénonciateurs ». Début
juin 1832 toutefois, alors que la pandémie de choléra frappe la
France et qu’éclate l’insurrection républicaine, le préfet de police
Gisquet publie une ordonnance consécutive à la violente répression
qu’il a engagée, si sanglante qu’elle incitera Victor Hugo à embrasser
la cause du peuple 94. Cette ordonnance exige des médecins et
chirurgiens qu’ils dénoncent les blessés ayant participé aux émeutes.
On connaît la réponse de Guillaume Dupuytren le 12 juin 1832 : « Je
n’ai pas vu d’insurgés dans mes salles d’hôpital, je n’ai vu que des
blessés ». La réprobation de l’opinion est telle qu’elle jette un discrédit
définitif sur la Monarchie de juillet.
Progressivement, outre les malades contagieux, il va également
s’agir de déclarer les « malades mentaux », ces aliénés dont on ne sait
plus bien à la fin du XIXe siècle s’ils sont des délinquants en puissance
ou si, au contraire, les délinquants sont des aliénés qui s’ignorent
comme tels. L’étrangeté devient progressivement un écart par rapport
à une norme présumée, écart qu’il faut donc mesurer et norme qu’il
e
faut donc redresser. Les médecins phrénologues du XIX siècle,
fondateurs du courant de la « défense sociale » qui perdure
95
aujourd’hui, tout à leur ambition d’être des scientifiques , passent de
la psychiatrie à la « santé mentale » et du soin clinique à la
classification statistique et statique des comportements déviants. « La
psychiatrie n’a plus besoin de la folie, elle n’a plus besoin de la
démence, elle n’a plus besoin du délire, elle n’a plus besoin de
l’aliénation, pour fonctionner. La psychiatrie peut psychiatriser toute
conduite sans se référer à l’aliénation. La psychiatrie se désaliénalise.
[…] La psychiatrie voit s’ouvrir devant elle, comme domaine de son
ingérence possible, comme domaine de ses valorisations
symptomatologiques, le domaine tout entier de toutes les conduites
96
possibles ».
Or les revendications de sécurité ne sont jamais satisfaites. Le
taux de morts par assassinat en France n’a jamais été aussi bas, mais
lorsque l’on interroge la population, le sentiment d’insécurité est
profond. « L’homme civilisé a fait échange d’une part de bonheur
possible contre une part de sécurité » disait déjà Freud en 1929 97.
Nous n’en avons pas fini avec la question de la dénonciation.

La transmission à un élu

Parmi les évolutions de la loi qui incitent des professionnels de


santé à signaler des faits auparavant couverts par le secret médical
figure la transmission d’informations à un élu. Deux circonstances se
présentent, l’une déjà abordée, concerne la protection de l’enfance 98
et est à destination du Conseil général. Rappelons qu’elle n’est pas
une obligation et que son contenu doit toujours être pesé avec soin
afin de ne transmettre que le strict nécessaire. Ce qui est obligatoire,
en revanche, est de tout entreprendre pour que la situation ne
perdure pas.
La seconde circonstance de transmission d’informations à un élu
est plus problématique car elle est incluse dans le cadre de la
prévention de la délinquance issue de la loi 2007-297 du 5 mars
2007. L’article L.121-6-2 du Code de l’action sociale dispose :

Lorsqu’un professionnel de l’action sociale, définie à


l’article L.116-1 [social ou médico-social], constate que
l’aggravation des difficultés sociales, éducatives ou
matérielles d’une personne ou d’une famille appelle
l’intervention de plusieurs professionnels, il en informe le
maire de la commune de résidence et le président du
conseil départemental. L’article 226-13 du Code pénal n’est
pas applicable aux personnes qui transmettent des
informations confidentielles dans les conditions et aux fins
prévues au présent alinéa. […]
Par exception à l’article 226-13 du même Code, les
professionnels qui interviennent auprès d’une même
personne ou d’une même famille sont autorisés à partager
entre eux des informations à caractère secret, afin d’évaluer
leur situation, de déterminer les mesures d’action sociale
nécessaires et de les mettre en œuvre. Le coordonnateur
[nommé par le maire et lui-même soumis au secret
professionnel] a connaissance des informations ainsi
transmises. Le partage de ces informations est limité à ce
qui est strictement nécessaire à l’accomplissement de la
mission d’action sociale.
Le professionnel intervenant seul dans les conditions
prévues au premier alinéa ou le coordonnateur sont
autorisés à révéler au maire et au président du conseil
départemental, ou à leur représentant au sens des articles
L.2122-18 et L.3221-3 du Code général des collectivités
territoriales, les informations confidentielles qui sont
strictement nécessaires à l’exercice de leurs compétences.
Les informations ainsi transmises ne peuvent être
communiquées à des tiers sous peine des sanctions prévues
à l’article 226-13 du Code pénal.

Il faut donc distinguer ici entre l’information partagée et


l’information transmise. La première l’est, « partagée », au sein d’une
équipe prédéfinie, qui s’occupe d’une personne en particulier et dans
un contexte singulier. Elle n’équivaut en rien à l’information
« transmise » à un élu par, entre autres exemples, un travailleur
social, qui est pour sa part à sens unique. Le coordonnateur est
nommé par le maire parmi les professionnels qui interviennent
auprès de la personne concernée. Le partage d’informations ne
pourra se faire qu’au sein de ce groupe de professionnels et à la seule
fin de déterminer les mesures à mettre en œuvre. Quant à
l’information même de la personne concernée, si elle n’est pas prévue
par le texte, rien ne l’interdit. Les conséquences de ces nuances sont
de deux types. D’une part, il n’est pas possible d’admettre des
professionnels extérieurs au sein de ces équipes. Le cadre qui
organise le travail mais est extérieur au dossier n’a pas à connaître
« le fond du dossier 99 ». Si le chef de service demande à un de ses
subordonnés une information nominative, il doit expliquer pourquoi
afin que ledit subordonné puisse juger ce qui relève de l’information
nécessaire et ce qui n’en relève pas. Ce que la cour d’appel d’Orléans
ayant eu à traiter du cas d’une assistante sociale a justifié ainsi
en 1982 : « Attendu que si l’assistante sociale se trouve dans un
rapport de subordination et de dépendance vis-à-vis de ses supérieurs
hiérarchiques, elle doit être, sur le plan du secret professionnel
concernant ses activités, considérée comme complètement
indépendante à leur égard 100 ».
D’autre part, seconde conséquence, lorsque les travailleurs
sociaux sont invités à informer le maire et/ou le président du conseil
général de certaines situations, c’est de leur propre initiative. Cela
signifie que le maire n’a pas à avoir l’initiative de la demande
d’informations. Les juristes Pierre Verdier et Laure Dourgnon,
spécialistes de la famille et de l’enfance, regrettent à ce sujet la
formulation retenue « il en informe » plutôt que celle, plus conforme
au droit, « il peut en informer ». Quant au contenu de l’information, il
convient de le préciser. Si les difficultés sociales d’une famille
s’aggravent, le professionnel informe le maire non pas de la nature
des difficultés, mais de la nécessité d’une coordination. De même,
lorsqu’une information préoccupante relative à un enfant en danger
est transmise au président du conseil général, le maire est prévenu de
l’envoi de cette information, mais non de son contenu.

Dans le cadre de la prévention de la délinquance, une difficulté de


taille apparaît. Le maire est responsable de l’ordre public dans sa
commune. Il est officier de police judiciaire sous le contrôle du
procureur de la République. Il peut donc à ce titre diligenter des
enquêtes sur la situation des personnes poursuivies et même leur
personnalité, surtout quand il n’y a pas sur place d’officier de police
judiciaire. Cette confusion des pouvoirs, exécutifs et judiciaires
« trouve son paroxysme dans la combinaison entre la loi sur la
prévention de la délinquance et la loi Perben du 9 mars 2004 101 »
dont les articles 99-3 et 99-4 instituent un droit de communication au
bénéfice des agents de l’autorité publique. Consécutivement,
l’article 60-1 du Code de procédure pénale dispose que l’officier de
police judiciaire, en enquête de flagrance, « peut, par tout moyen,
requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé
ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles
de détenir des documents intéressant l’enquête, y compris ceux issus
d’un système informatique ou d’un traitement de données
nominatives, de lui remettre ces documents, notamment sous forme
numérique, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime,
l’obligation au secret professionnel. Lorsque les réquisitions
concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-3 102, la
remise des documents ne peut intervenir qu’avec leur accord 103 ».
Lors des discussions du projet de loi, il a été proposé d’amender la
fin de l’article en substituant aux mots « sans que puisse lui être
opposée l’obligation au secret professionnel » les mots « à l’exception des
personnes tenues au secret professionnel ». Le législateur, en préférant
sa rédaction, a clairement indiqué sa volonté d’avoir accès à des
documents couverts jusqu’alors par le secret professionnel.

L’organisation de la dénonciation

Quelle que soit la multiplicité des situations de signalement, il


faut absolument distinguer la dénonciation des faits délictueux qui
est autorisée par l’article 40 al. 1 du Code de procédure pénale, le fait
de « porter plainte », de la délation des personnes supposées
délinquantes. L’obligation de dénoncer un crime est fondée par les
articles 434-1 et suivants du Code pénal : « Le fait, pour quiconque
ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir
ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de
commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne
pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni
de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. » Sont
exceptés de ces dispositions les parents et la famille proche du
supposé coupable, sauf si la victime a moins de quinze ans, et les
personnes tenues par le secret professionnel au titre de l’article 226-
13 du Code pénal. Comme garde-fou, il existe un délit de
dénonciation calomnieuse que définit et explicite l’article 226-10 du
Code pénal.
o
La loi n 86-1020 du 9 septembre 1986 a introduit le statut de
repenti. Il est exempté de peine s’il dénonce un fait de terrorisme aux
autorités compétentes selon la disposition de l’article 422-1 du Code
pénal, et bénéficie d’une réduction s’il permet l’identification ou
l’arrestation des coupables selon l’article 422-2. La loi no 2004-204 du
9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité, dite « Perben II », a prévu d’organiser la sécurité des
repentis, en leur conférant entre autres une identité d’emprunt,
quoiqu’aucun décret ne soit intervenu à ce jour pour la mettre en
œuvre sur ce point. L’article 15-1 de la loi no 95-73 du 21 janvier 1995
d’orientation et de programmation relative à la sécurité prévoit de
pouvoir rétribuer les informateurs de la police. Quant à la loi
o
n 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité
quotidienne, elle organise la protection des témoins qui peuvent
rester anonymes. Bref, la loi tente de rendre plus facile la
dénonciation de délits.
À l’instar d’autres magistrats, Xavier Lameyre, qui fut juge de
l’application des peines, s’interroge :

Ce rapide examen des procédures pénales favorisant la


délation révèle l’existence d’un conflit incessant opposant
deux pôles de valeurs : celui de la vérité, vérité judiciaire
obtenue au moyen de la quête d’une transparence toujours
plus limpide ; celui de la défense des droits de l’homme,
qui implique notamment le respect des libertés
individuelles, de la vie privée et du secret professionnel.
Celui-ci, dans le mouvement utilitariste qui prédomine
désormais et qui soutient l’actuel développement des
institutions de dénonciation, voit son caractère général et
absolu de plus en plus réduit 104.

La mentalité du moment est à la recherche effrénée de la sécurité


et la transparence vaut recette magique pour y parvenir. La
proposition de Marisol Touraine d’interdire les vitres teintées des
voitures afin que l’on puisse voir si le conducteur fume ou non dans
son véhicule en présence d’enfants est à ce titre exemplaire. C’est
encore cette quête qui conduit les élus de tous bords à reprendre en
boucle un slogan lancé naguère par l’extrême droite : « La sécurité est
la première des libertés ». Parmi les voix peu nombreuses qui
contestent cette dérive, Jean-Marie Delarue reste fidèle à ses
convictions :

Je suis absolument opposé à ce discours. Je n’ai pas à


choisir dans les libertés qui me sont offertes, entre la liberté
d’aller et de venir, la liberté de me marier ou celle de ne
pas subir la torture. Notre démocratie est précisément
l’alliance de toutes les libertés de façon indistincte. Depuis
longtemps, la République est fondée sur cette alliance de
libertés indistinctes. Dire que l’une émerge des autres ne
me plaît pas du tout. […] Je regrette beaucoup les
105
glissements qui se sont opérés sur ce point .

Il va sans dire que nous le regrettons avec lui.


Le secret protège la sécurité
L’actualité nationale mais aussi internationale donne à réfléchir
sur la question du secret médical, sur sa protection, son érosion et sur
l’accélération que nous pouvons constater chaque jour ou presque de
l’emprise des représentations sécuritaires sur l’opinion. Les deux
affaires qui suivent ont leur part de tragédie humaine qui appelle
seulement le silence et la compassion. On les a retenues ici pour
l’émoi médiatique et populaire qu’elles ont suscitées, lequel traduit
lui-même une mutation de mentalité qui vaut, elle, d’être critiquée.
Pis, ces deux histoires pourraient sembler contrevenir à cette critique,
voire l’infirmer. Nous pensons au contraire que, bien comprises, elles
montrent pour la première que ce n’est pas le secret qui menace la
sécurité et, pour la seconde, que le secret pourrait bien être le
vrai garant de la sécurité.

Variation helvétique

Après la rétention de sûreté à la française, voici venir la


transparence médicale de sûreté à la suisse : les législateurs de la
Confédération ont à leur tour innové suite à un enchaînement
d’affaires ayant connu un fort retentissement dans l’ensemble du
pays. En mai et septembre 2013, deux jeunes femmes sont
assassinées par des condamnés pour délits sexuels en aménagement
de peine, le premier ayant été assigné à son domicile et équipé d’un
bracelet électronique, le second ayant été affecté à l’unité de soins
d’un centre de sociothérapie. Les médias et le monde politique
s’emparent de la question : le secret médical doit-il être levé en
prison ? La polémique enfle et dure. « L’intérêt privé des
condamnés » ne doit pas l’emporter sur « la protection de la
population » déclare à la presse au printemps 2014 le Conseiller
d’État Mauro Poggia 106. À la fin de l’automne, le 13 novembre, le
canton du Valais vote la modification des articles 28a et 28b de la loi
d’application du Code pénal et permet ainsi la levée du secret médical
pour les « détenus présumés dangereux » en se justifiant du même
raisonnement : « On doit inférer de ce principe qu’en présence d’un
condamné dangereux, l’objectif de sécurité publique assigné à la
peine privative de liberté l’emporte ». L’argumentaire souligne que la
nouvelle disposition s’applique seulement à la transmission des
informations utiles à l’évaluation du risque et qu’il ne s’agit pas de
délier les médecins de leur obligation au secret pour chacune de leurs
interventions. Mais à ouvrir la boîte de Pandore…
La Revue médicale suisse a immédiatement réagi en explicitant le
contexte de cette mesure : « On s’approche du non-dit de la démarche
anti-secret. Un détenu a tué une jeune thérapeute en un meurtre
d’autant plus horrible qu’il semblait évitable. Qui est responsable ? De
nombreux dysfonctionnements ont joué un rôle, révèle l’expertise,
mais pas le secret médical. Qu’importe. Le soupçon se porte sur les
médecins. Leur empathie serait exagérée. Entre eux et les détenus
existerait une forme de collusion. Le droit au secret représenterait au
mieux un prétexte, au pire un jeu par lequel les détenus narguent la
société 107 ». Et, ajoute l’auteur de l’article, « ici surgit cependant un
problème. Leur savoir, les soignants ne le reçoivent qu’au travers de
la relation de confiance qu’ils nouent avec leurs patients. Mais
surtout, dès le moment où le patient apprend que ces informations
peuvent servir à le juger, à le classer, le plus souvent à le rabaisser, il
cesse de les partager. Disparaissent en même temps la possibilité de
soins humanisés et celle d’un accès à l’intime ».
Cette modification a été validée uniquement dans le canton de
Vaux, pour l’heure. Il semble que les restrictions du législateur aient
été balayées dans les faits. En Suisse et ailleurs, on attend des
soignants en prison qu’ils deviennent auxiliaires de justice et récoltent
des informations à transmettre à l’autorité. Il ne s’agit plus de penser,
de mettre en lien, d’interpréter des signes cliniques. Seuls les faits
bruts comptent comme des items chargés de prédire, de façon
mécanique, une dangerosité statistique.

Quel crash ?

Le 24 mars 2015, le crash dans les Alpes françaises d’un Airbus de


Germanwings, la filiale low cost de la Lufthansa, engendre à son tour
une grande d’émotion. On pense d’abord à la piste terroriste qui est
vite écartée. C’est Andreas Lubitz, le copilote qui, par son acte
suicidaire, a entraîné dans la mort les 149 autres passagers. Les
interrogations fusent. En 2009, le copilote n’avait-il pas interrompu
sa formation pour raisons de santé ? Était-ce une dépression ? Sa
certification n’avait-elle pas été refusée par le centre aéromédical de
la Lufthansa avec la mention « Nécessité d’examens réguliers » ?
Comment, cinq ans plus tard, Germanwings a-t-elle pu l’embaucher à
la suite d’une visite médicale qui ne comprenait pas de test
psychologique ? Peu avant le drame, son médecin traitant ne lui a-t-il
pas prescrit un arrêt de travail dont il a déchiré l’avis ? Le médecin
devait-il signaler cet arrêt à la compagnie aérienne ? Pouvait-il
prévoir une telle éventualité ? Le cadre législatif est-il suffisant pour
éviter pareille catastrophe ? Quel système de détection et de
prévention faut-il instaurer pour en éviter de semblables dans
l’avenir ? Toutes ces questions, en fait, se ramènent à une : le secret
médical a-t-il facilité un tel drame ?
Cette affaire et ses suites mettent en tension deux impératifs que
l’on retrouve souvent opposés dans des contextes où menaces létales
et maladies psychiques sont intriquées. Pourtant, les psychiatres
connaissent bien cette situation. Une hospitalisation sans
consentement est possible en cas de péril imminent, ou de « risque
grave et imminent de mise en danger d’autrui ». Le droit allemand
dont relevait le copilote ne diffère guère sur ce point : si la loi
fédérale de 1990, qui reprend le Code civil de 1895, judiciarise le
placement d’office dont la décision incombe à un magistrat, c’est sous
les mêmes conditions. Andreas Lubitz les remplissait-il ?
La question du secret et celle de la sécurité sont-elles
véritablement antinomiques ? Il se pourrait que, contrairement aux
visions à courte vue, la protection du secret permette de ne pas briser
le lien ténu du soin et soit précisément un facteur de sécurité ! Les
patients porteurs de maladie psychique qui se retrouvent en prison
pour des faits graves sont bien plus souvent des personnes en rupture
de soins, pour mille raisons, et non des personnes suivies. La
préservation de la confiance, tant dans le soin psychiatrique que dans
le soin en prison, est véritablement un gage de sécurité. A contrario,
l’intrusion dans l’intimité des personnes, que ce soit par des questions
inopportunes, par un dévoilement sans pudeur d’informations à
caractère médical largement « partagées », ou par une
vidéosurveillance constante, est une forme de violence qui peut à son
tour produire de la violence.
Les personnes qui connaissent mal les pratiques de soin en
milieux privatifs de liberté pourront lire dans ce propos de la candeur
ou de la naïveté. Ce ne sera pas le cas de celles et ceux qui y
travaillent depuis longtemps. Eux, comme les représentants des
nombreuses associations de soutien aux personnes détenus ou des
instances publiques telles que le CGLPL, revendiquent une lucidité
ancrée dans la réalité des rencontres qu’ils font au quotidien. Lucidité
qui leur fait tenter, parfois difficilement, de convaincre l’opinion
publique qu’il faut freiner la surenchère sécuritaire parce qu’elle ne
peut, à moyen terme, que produire encore plus de tragédies.
Conclusion

« Admis dans l’intérieur des maisons, mes yeux ne verront pas ce


qui s’y passe ; ma langue taira les secrets qui me seront confiés ». Tel
est le secret médical et tel se présente-t-il encore dans le serment qui
a passé de génération en génération de praticiens jusqu’à nous.
Fermer les yeux et fermer la bouche afin que l’intime demeure à
l’abri : quand il n’est plus assez protégé par la loi, immanquablement
l’on en revient à l’éthique des origines, au fondement hippocratique.
Faut-il le regretter ou, au contraire, mobiliser notre force, notre
intelligence et notre ruse pour en préserver ce qui peut l’être, ce qui
doit l’être ?
La singularité de la rencontre au sein d’une consultation médicale
provient de ce qu’elle est avant tout une irruption. Elle tient dans ce
moment où le soignant perçoit que celui qui est là devant lui est
unique, que sa manière de vivre avec le trouble qui l’amène à
consulter ne se réduit pas à un code statistique ou à une liste de
symptômes. Il y va d’une intuition qui part du patient et y revient, qui
affleure dans son regard, dans sa voix, dans sa démarche, dans la
façon dont il se présente, tous ces éléments qui sont le fruit de
l’expérience et que les métadonnées n’indiqueront jamais. Il peut
arriver certains jours de fatigue que l’irruption n’ait pas lieu et que le
médecin soigne ses patients comme d’autres traitent des séries. Il
arrive d’autres jours qu’elle tarde. L’irruption, c’est aussi la petite
lumière qui soudainement s’allume, la sirène qui se déclenche, la
surprise qui permet d’entendre que cette fois n’est pas comme à
l’habitude. C’est encore un silence plus long, un coup d’œil appuyé
alors que la main est déjà sur la porte, un changement indicible
d’atmosphère qui ouvre une parenthèse dans laquelle le patient et le
médecin se retrouvent ensemble du même côté, du côté de la finitude
qui est parfois celui de l’effroi et parfois celui du soulagement.
Le médecin paternaliste qui préférait dissimuler ses propres
troubles « pour le bien » de son patient avait trouvé là une bonne
manière de ne pas avoir à affronter l’autre et ce, au prétexte de
garder le secret mais pour mieux l’enterrer. Car c’est cela que le secret
protège : l’autre homme, dans son altérité qui toujours échappe,
toujours mystérieuse, et en même temps si familière puisqu’elle est le
nom de ce qui, dans ma vie, m’échappe à moi-même. Jan Patoçka
appelle cela la « solidarité des ébranlés 1 » et y voit l’origine de la vie
spirituelle en ce qu’elle est l’art de poser des questions et non pas d’y
répondre.
Lorsque cette altérité devient une inquiétante étrangeté, il peut
être tentant de vouloir s’en protéger. Le reproche majeur fait à notre
médecine occidentale s’enracine dans la tentation qu’elle éprouve et à
laquelle trop souvent elle succombe de se retrancher derrière son
fabuleux appareillage technique afin d’éviter l’irruption et d’éluder la
relation. Aussi les patients vont-ils chercher ailleurs la reconnaissance
que, à tort ou à raison, ils ne trouvent pas là où espéré.
Il est frappant que la difficulté d’affronter la singularité de l’autre,
la mise à distance du corps et la relativisation de la notion de secret
professionnel aillent toujours plus de pair. Chosifier le corps ne
saurait suffire car à un moment où à un autre, le corps va se rebeller,
ne pas réagir comme prévu, guérir à l’insu du médecin ou, au
contraire, s’aggraver au moment même où tout a été entrepris pour
qu’advienne la guérison. Le corps vivant n’étant décidément pas
fiable, il faut le mettre à distance. La télémédecine y pourvoit et c’est
précisément dans les lieux de contrainte où l’étrangeté de l’autre est
la plus inquiétante, où le secret est le plus prompt à céder et où
l’exercice de la médecine est le plus en danger de chosifier, que l’on
proposera volontiers des consultations de télémédecine ou, mieux
encore, des consultations de psychiatrie par télémédecine comme si
la pratique psychiatrique n’était pas la toute première concernée par
le corps, puisque c’est lui qui parle, ou déparle, ou se tait ! Quand
nous laissons le secret s’étioler en psychiatrie ou en prison, soyons
sûrs que demain il s’effacera ailleurs.
La mise à distance du corps a débuté dans les amphithéâtres de
médecine où les apprentis carabins assistaient à des présentations de
malade, lequel était forcé d’offrir en spectacle sa pathologie réduite à
des symptômes face à des étudiants qui, de loin, apprenaient à
rédiger une « observation ». L’open data en est la version
contemporaine quoique la présentation soit devenue représentation
et le malade réduit à son corps, une image pixelisée, formatée,
mathématisée, un élément au sein d’une série scientifique infinie,
hors histoire et sans chair.
Ces innovations, protestera-t-on, ne sont-elles pas utiles ? Jamais
elles ne pourront remplacer l’irruption d’un être singulier qui porte
une plainte et la dépose auprès d’un autre être chargé par lui d’y
remédier. La mise à distance est aussi celle de la parole. Or, si la
capacité à supporter la plainte est une vieille question en médecine,
cette plainte qui crie sa finitude ne nous est-elle pas devenue
insupportable à tous ? Que faire du corps qu’annonce l’odeur et de la
parole qui annonce la douleur ? Le secret, c’est aussi jeter un voile sur
ce corps et sur cette plainte afin qu’il puisse se montrer et qu’elle
puisse se dire sans honte.
La façon la plus nette d’arraisonner le corps et la parole est de les
réduire à leur matérialité la plus élémentaire et la plus mécanique : le
corps par le chiffre et par la mesure, la parole par l’inscription et par
la trace. C’est pourquoi le secret, qui est par essence
incommensurable et incirconscriptible, vire progressivement au
« secret partagé » pour finalement tourner au « partage
d’informations ». La réduction est impérative. Il faut aujourd’hui que
le médecin puisse prouver ce partage puisqu’il sera mis en cause pour
sa discrétion plutôt que pour son indiscrétion. Sans que nul ne sache
où nous mènera, en médecine et par-delà la médecine, ce règne de
l’information et de la transparence.
C’est en 1996 que le Congrès des États-Unis a voté la loi fédérale
connue sous l’appellation de Megan’s Law en référence au prénom
d’une fillette violée et assassinée par l’un de ses voisins en 1994,
l’année même où avait été adopté le Wetterling act que cette nouvelle
disposition législative est venue systématiser. Là où le Wetterling act
autorisait à inscrire localement dans un registre public le nom, la
photo et l’adresse de personnes ayant été condamnées pour des délits
ou crimes sexuels dès après leur sortie de prison, la Megan’s Law a
rendu cette mesure obligatoire dans tous les États, a ordonné la
fusion de ces registres à l’échelle nationale, a requis la diffusion du
fichier résultant sur l’ensemble du territoire, les personnes y étant
inscrites devant signaler tout changement de domicile sur une
période minimale de dix ans le plus souvent étendue au terme de leur
existence. Ce registre national, libre de droits, est régulièrement
publié en tout ou partie dans les journaux ou sous forme d’ouvrages
imprimés. Il est également accessible en ligne de manière
permanente sur les divers sites internet qui lui sont consacrés. Vingt
ans plus tard, en 2016, un nouveau projet de loi envisage d’inscrire
un signe distinctif sur le passeport des personnes condamnées pour
délits ou crimes sexuels, ce qui revient à internationaliser leur
fichage 2.
À revendiquer la transparence totale, que désirons-nous
vraiment ? N’y a-t-il pas derrière cette volonté crue de savoir à tout
prix et cette apparente vertu morale un violent ressentiment qui se
repaît d’accusations, comme si la dénonciation des fautes des uns
dispensait les autres de s’interroger sur leurs propres manquements ?
Cette revendication croît à mesure que grandit la présomption de
culpabilité, laquelle submerge notre temps. Surveillés beaucoup,
souvent, nous sommes tous des coupables potentiels. Raison pour
laquelle il nous faut trouver un coupable, qui de fraude, qui de
scandale, qui de danger potentiel, puis, une fois trouvé, il nous faut le
charger comme on le faisait du bouc émissaire et l’envoyer au désert.
N’est-ce pas le prix à payer pour se supporter d’exister dans un
monde sans repos et, pour les plus vulnérables parmi nous, sans
pitié ?
Il faudrait donc tout dire et tout voir pour tout savoir et tout
prévoir. Il faudrait lever le voile – quitte à omettre que son retour
dans nos sociétés a peut-être un caractère moins religieux que
symbolique et signale une forme de résistance face au rouleau
compresseur de la transparence 3. Pourtant, la levée du voile
n’apporte rien car elle ne montre rien. Le voile du secret recouvre au
contraire un lieu « impossible plutôt qu’interdit, qui fait arrêt à la
représentation parce qu’elle y trouve son point d’origine 4 ». Il cache
non pas ce qu’il y aurait à voir, mais ce qui ne saurait être vu – et
peut-être n’y a-t-il rien à voir ?
L’établissement d’une vérité totale, sans reste, est inconcevable.
L’analyse exhaustive aboutit à l’autopsie d’un cadavre, mais la vie
vivante, entre-temps, s’en est allée. L’aveu lui-même ne peut jamais
être exhaustif. Dire « toute la vérité », ce n’est tout simplement pas
possible, s’il est vrai que la vérité n’est pas exactitude mais vérité de
relation. « Toute la vérité, c’est ce qui ne peut pas se dire. C’est ce qui
ne peut se dire qu’à condition de ne pas la pousser jusqu’au bout, de
5
ne faire que la mi-dire ».
Disons le tout net, la garde du secret protège la présomption
d’innocence alors que le règne de la transparence fait de nous des
coupables potentiels. La finalité du secret des avocats, des prêtres ou
des médecins est de jeter un voile, y compris sur des fautes, afin de
préserver en chacun la possibilité de l’innocence. La transparence, a
contrario, est accusatoire : « Tu n’es peut-être pas coupable, mais tu
pourrais l’être ». La tyrannie – fût-elle douce – joue sur des registres
préventifs en faisant de chacun de ses membres associés un suspect à
surveiller.
Notre droit, cependant, organise la répression des délits après
qu’ils ont eu lieu car il veut croire qu’ils pourraient ne pas avoir lieu,
qu’il n’y a pas de fatalité. Il ne punit pas des personnes pour des
crimes à venir, au nom d’une hypothétique dangerosité potentielle,
liée à leur personnalité, mais pour des faits commis. Pourtant, il se
pourrait que nous arrivions désormais dans une zone grise où le
despotisme se glisse dans la démocratie et prenne doucereusement
son visage, à l’instar de ce qu’est d’ores et déjà la « démocratie
sanitaire », pour contraindre nos conduites à sa main. Cette
nouveauté tyrannique est-elle une déviation mutante de la
démocratie ou bien l’un de ses fruits génériques ? C’est là une
question qu’il faudrait regarder de près.
« L’Aimée, à la fois saisissable, mais intacte dans sa nudité, au-delà
de l’objet et du visage, et ainsi au-delà de l’étant, se tient dans la
virginité » écrit Emmanuel Levinas 6. Si le respect est le degré zéro de
l’amour, un sentiment sans pathos pour parler comme Kant, il n’est
pas étranger à l’amour. Dans le respect du secret, la suspension du
jugement doit produire le même effet : le patient du médecin, le
client de l’avocat, le pénitent du prêtre ne peut être envisagé que
dans cette forme de virginité qu’est la présomption d’innocence : il
doit demeurer intact dans sa nudité. La connaissance qui survient
alors est d’un autre ordre que l’autopsie anatomopathologique, la
décomposition statistique, la traçabilité informatique. Elle s’apparente
à la connaissance amoureuse ou à la connaissance mystique qui sont
toujours, dans le même temps, une non-connaissance. La nudité de
l’aimé reste voilée dans le mystère qu’il est. Par analogie, dans toute
relation, c’est le mystère qu’est l’autre qui permet une parole vive,
une confidence ou un silence. En revanche, lorsque ce voile est nié, la
relation s’évanouit pour devenir violence, viol, profanation.
De quelle faute originelle nous croyons-nous si coupable qu’il
faille y sacrifier et l’intime et le corps ? Le secret de l’oikos, à
préserver coûte que coûte, disait pourtant fort bien ce qu’Emanuel
Levinas a su voir : « Le sensible – maternité, vulnérabilité,
appréhension – noue le nœud de l’incarnation dans une intrigue plus
large que l’aperception de soi, intrigue où je suis noué aux autres
7
avant d’être noué à mon corps ». Le corps que nous sommes est
toujours un corps de relation, un parlêtre en dette de la vie qu’il a
reçue. Cette dette est insolvable, et ne peut être supportée que dans
le don.
Le secret, si difficile à aborder et à conceptualiser tant il échappe
quel que soit le bout par lequel on tente de le saisir, se laisse dompter
quand on le pense au plus près du corps et du verbe. Il se conjugue
avec l’opacité du corps parlant, avec le mystère surprenant de
l’incarnation, toujours singulier, unique, non-reproductible – et qui ne
saurait être cloné puisque le jour où l’on clonera un homme, on ne
clonera ni son histoire ni ses amours. Hippocrate et les Grecs de son
école l’avaient saisi, en instituant le secret comme gardien des limites
du corps, là où se jouent la vie naissante et la mort. Les Hébreux
l’avaient compris, qui conjuguaient la racine GLH « dévoiler la
nudité », avec violer et exiler ! Quant aux chrétiens, si la quête
mystique a parfois pu être entendue comme fuite du corps, les plus
grands auteurs spirituels, tels qu’Irénée de Lyon, Grégoire de Nysse,
Thomas d’Aquin, l’ont toujours conjuguée avec l’incarnation et la
relation. Il n’y a pas de rencontre de Dieu hors du plus charnel et du
plus incarné, sauf à tomber dans la gnose.

Le 16 février 1966, Jacques Lacan participa à une conférence au


Collège de médecine à la Salpêtrière sur « la place de la psychanalyse
dans la médecine ». C’était il y a cinquante ans. Pourtant, Lacan
nomme exactement la question dans des termes qui sont les nôtres :
le médecin « n’a plus rien de privilégié dans l’ordre de cette équipe de
savants diversement spécialisés dans les différentes branches
scientifiques ». C’est de l’industrie, donc de l’extérieur de sa fonction,
qu’il reçoit les dispositifs diagnostiques et thérapeutiques. Alors,
« requis dans la fonction du savant physiologiste », quelle place peut-
il occuper ?

Qu’il le veuille ou non, le médecin est intégré à ce


mouvement mondial de l’organisation d’une santé qui
devient publique et de ce fait, de nouvelles questions lui
seront posées.
Il ne saura en aucun cas motiver le maintien de sa fonction
proprement médicale au nom d’un « privé », qui serait du
ressort de ce qu’on appelle le secret professionnel, et ne
parlons pas trop de la façon dont il est observé, je veux dire
dans la pratique de la vie à l’heure où on boit le cognac.
Mais ce n’est pas cela le ressort du secret professionnel, car
si c’était de l’ordre du privé, ce serait de l’ordre des mêmes
fluctuations qui socialement ont accompagné la
généralisation dans le monde de la pratique de l’impôt sur
le revenu. C’est d’autre chose qu’il s’agit ; c’est proprement
de cette lecture par laquelle le médecin est capable de
conduire le sujet à ce qu’il en est d’une certaine parenthèse,
celle qui commence à la naissance, qui finit à la mort et qui
comporte les questions que comportent l’une et l’autre 8.

Voilà qui est dit. Les médecins qui sont présents ce jour-là ne
comprennent pas le propos. Pourtant, ce que dit Lacan, c’est que le
secret médical touche à la demande du malade et à la jouissance du
corps. « Au nom de quoi, aurez-vous à parler, sinon précisément de
cette dimension de la jouissance de son corps et de ce qu’elle
commande de participation à tout ce qu’il en est dans le monde ? ».
Le secret n’a rien à voir avec le savoir scientifique. Il n’a rien à voir
avec l’information. Il touche à la vie et à la mort, à ce qui rend la vie
possible et à ce qui la tue, à ce qui rend le séjour de l’homme
habitable ou au contraire inhospitalier. Il a rapport avec la parole et
avec le silence, il se tient au plus près du corps. Ce qu’explique de
manière lumineuse le philosophe Claude Bruaire :

Il est nécessaire que le médecin soit marqué d’une


certitude. Certitude difficile, que le seul registre de la
science ignore, tant la biologie doit faire abstraction de ce
qui n’est pas matière, mouvement vérifiable, objet
expérimentable. Quand la science, par méthode nécessaire,
évacue tout secret, le médecin doit savoir que subsiste, en
chaque corps atteint, l’être indéchiffrable, illisible en
termes scientifiques, invisible par l’expérimentateur,
inaccessible à la plus fine investigation positive. Mais
certitude résolument gardée, faute de quoi tout est permis
et même tout scrupule est aboli par les exigences illimitées
de la technique médicale et chirurgicale. Peu importe à ce
niveau premier de la certitude, […] le type d’explication
philosophique ou religieuse. Précisément, la médecine
garde le seuil. […] Que cède ici la certitude et elle
9
s’éteindra ailleurs .

Gardien du seuil : tel est bien le nom du secret médical.


Notes

1. LE SECRET DANS TOUS SES ÉTATS

1. PLATON, Protagoras, 320-322d, Œuvres complètes, trad. d’Émile Chambry, t. II, Garnier,
1937.
2. Jean-Louis CHRÉTIEN, La voix nue, phénoménologie de la promesse, Éd. de Minuit, 1990,
p. 39.
3. Giorgio AGAMBEN, Nudités, trad. M. Rueff, Rivages poche, 2012, p. 116-117.
4. Ce que souligne l’épître aux Éphésiens, par exemple : « Il [Dieu] nous a élus en lui dès
avant la fondation du monde pour être saints et immaculés en sa présence dans l’amour »
(Ep 1, 4).
5. BASILE DE CÉSARÉE, Sur l’origine de l’homme, (Homélies X et XI sur l’Hexaéméron), trad.
A. Smets s.j. et M. Van Esbroeck s.j., Éd. du Cerf, coll. « Sources chrétiennes », no 160, 1970.
6. Genèse 9, 20-26.
7. THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, IIa Q. 144, a.1,2.
8. Éric FIAT, « Pudeur et intimité », Gérontologie et société, 2007/3 no 122, p. 32. Voir
également son beau livre d’entretiens avec Adèle Van Reeth, La pudeur, questions de caractère,
Plon-France Culture, 2016.
9. Vladimir JANKÉLÉVITCH, La mauvaise conscience, dans Philosophie Morale, Flammarion 1998,
p. 139.
10. Sigmund FREUD, Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense, (1896) dans
Névrose, psychose et perversion, trad. J. Laplanche, PUF, 1973, p. 61-81.
11. « La honte est appréhension honteuse de ce quelque chose et ce quelque chose est moi.
J’ai honte de ce que je suis. La honte réalise donc une relation intime de moi avec moi : j’ai
découvert par la honte un aspect de mon être. […] J’ai honte de moi tel que j’apparais à
autrui. Et par l’apparition même d’autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement sur
moi-même comme sur un objet, car c’est comme objet que j’apparais à autrui. […] La honte
est, par nature, reconnaissance. Je reconnais que je suis comme autrui me voit. » Jean-Paul
SARTRE, L’être et le néant (1943), Gallimard, 1976, p. 259-260.
12. Patrick MÉROT, « Si un autre vient à l’apprendre… », Introduction à la discussion sur le
rapport de Claude Janin, Revue française de psychanalyse, 2003/5 Vol. 67, p. 1749.
13. Jeanine HORTONÉDA, « Utopie et hétérotopie. En quête de l’intime », Empan 2010/1
(no 77), p. 71.
14. Gabriel LIICEANU parle de « fond intime étranger », De la limite, petit traité à l’usage des
orgueilleux, trad. A. Laignel-Lavastine, Michalon, 1994, p. 25.
15. Sigmund FREUD, L’inquiétante étrangeté et autres essais, trad. B. Féron, Gallimard, coll.
« Folio », p. 249.
16. Ibid., p. 221-223.
17. Jacques LACAN, Séminaire VII, L’éthique de la psychanalyse, Seuil, 1986, p. 87.
18. Alain REY, « Secret », dans Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert,
Tome III, p. 3434-3436.
19. Voir Arnaud LÉVY, « Évaluation étymologique et sémantique du mot “secret” », Nouvelle
revue de Psychanalyse, no 14, Paris, Gallimard, 1976, p. 117-129.
20. Toujours selon le Dictionnaire historique de la langue française, « secret » désigne aussi un
mécanisme de théâtre connu seulement de quelques-uns (1496) puis une cachette dans un
meuble, particulièrement un tiroir déguisé. Cette dernière acception donne, au XVIIIe siècle,
« secrétaire » pour désigner l’élément même de mobilier. Toutefois, le mot provient en
parallèle de secretarium, « lieu isolé », « salle d’audience » (IVe siècle), « sacristie » (VIe siècle),
« tabernacle » (v. 1180), sens que corrobore le moyen français segreier « lieu retiré où l’on vit
pour soi ». Secretarium substantivé en secretarius pour désigner le « sacristain » (Ve siècle)
puis par extension le secrétaire à la cour, prend, au XIIIe siècle, le sens de « confident, ami »,
puis de personne de confiance et enfin d’agent gouvernemental à la Renaissance, d’où
l’expression « secrétaire d’État ».
21. Alysia E. GARRISON, « Agamben’s Grammar of the Secret Under the Sign of the Law », Law
Critique, 20 (3), 2009. Accessible en ligne : https://escholarship.org/uc/item/4kr7c30b.
22. HIPPOCRATE, L’art de la médecine, trad. de J. Jouanna, Garnier Flammarion, 1999, p. 70-
71.
23. Rudolf OTTO, Du sacré. Sur l’irrationnel des idées du divin et de leur relation au rationnel,
(1917), trad. de A. Jundt, Payot, 1995.
24. Ou une « seconde planche de salut ». TERTULLIEN, La Pénitence, trad. C. Munier, Éd. du
Cerf, coll. « Sources chrétiennes », no 316, 1984.
25. Dans ses Sermones 351 et 352, dans MIGNE, Patrologia latina, t.39, col. 1538-1563. Quant
à la formule attribuée, elle est devenue une citation usuelle dans les traités modernes de
jurisprudence. Voir Raymond VILLEY, Histoire du secret médical, Paris, Seghers, 1986, p. 21.
26. LÉON LE GRAND, Lettre, 168, cité par Guy BEDOUELLE, « La loi du silence », dans Secrets
professionnels, Paris, Autrement, 1999, p. 121.
27. N° 10. Voir Il trattato de vera et falsa poenitentia, Guida alla lettura, testo e traduzione, ed.
Alessandra COSTANZO, Studia Anselmania 154, 2011.
28. « Pénitence », dans Dictionnaire critique de théologie, p. 885.
29. « Il prendra grandement garde de ne jamais trahir le pécheur par un mot, un signe ou de
quelque manière ; mais s’il a besoin d’un avis plus éclairé, il le demandera prudemment sans
rien révéler de la personne ; car si quelqu’un osait révéler un péché qui lui a été découvert au
tribunal de la pénitence, nous décrétons, non seulement qu’il doit être déposé du ministère
sacerdotal, mais encore qu’il soit voué, à perpétuité, à faire pénitence dans un monastère de
stricte observance », H. DENZINGER, Symboles et définitions de la foi catholique, Paris, Éd. du
Cerf, 1996, § 813-814, p. 298.
30. « Il y a peu de temps, est parvenu à nos oreilles que certains confesseurs […] ont
commencé à instituer une pratique faussé et pernicieuse en entendant les confessions des
fidèles du Christ et en administrant le sacrement très salutaire de la pénitence : à savoir que
lorsqu’à l’occasion ils se trouvent en présence de pénitents qui avaient un compagnon ou un
complice de leur forfait, ils demandent ordinairement à ces pénitents le nom de ce
compagnon ou de ce complice, et que ce n’est pas par la persuasion seulement qu’ils
s’efforcent de les amener à le leur révéler, mais que, ce qui est plus abominable, ils les
poussent et les contraignent véritablement en les menaçant du refus de l’absolution
sacramentelle s’ils ne le révèlent pas ; bien plus, ils exigent même que leur soit donné non
seulement le nom du complice, mais également le lieu où il habite. […] Nous voulons que
vous sachiez que la pratique mentionnée ci-dessus doit être réprouvée absolument, et que
par les présentes, sous la forme d’un Bref elle est réprouvée et condamnée par nous comme
scandaleuse et pernicieuse, comme dommageable pour la bonne réputation du prochain
aussi bien que pour le sacrement lui-même, comme tendant à la violation du très saint sceau
du sacrement, et comme éloignant les fidèles de l’usage si utile et si nécessaire du sacrement
de la pénitence. » Benoît XIV, Suprema omnium Ecclesiarum, 7 juillet 1745, H. DENZINGER,
Symboles et définitions de la foi catholique, Paris, Éd. du Cerf, 1996, § 2543-2544, p. 578-579.
31. THOMAS D’AQUIN, De Sentenciae, Livre IV, d. 21, Qu° 3. Voir
http://docteurangelique.free.fr/index.html
32. Ibid., Livre IV, d. 21. Qu° 3. a. 1 qc. 1 s. c. 2.
33. Ibid., Livre IV, d. 21. Qu° 3. a. 1 qc. 1 co. Nous soulignons. On peut lire des expressions
similaires dans la Somme Théologique. Le prêtre « ne connaît pas ces choses-là en tant
qu’homme mais en tant que Dieu » « Non scit ea ut homo sed ut Deus », Somme théologique
(ST) Suppl., q. 11, a. 3, ad. 2. ou encore ST Suppl., q. 11, a. 4, ad resp.
34. THOMAS D’AQUIN, Quodlibet XII, q. 11 a. 2 tit. 1. Voir
http://docteurangelique.free.fr/index.html
35. P. BERNARD, « Confession du concile de Latran au concile de Trente », Dictionnaire
théologique catholique, Tome III, p. 920 et suivantes. Nous soulignons.
36. MAÎTRE ECKHART, Traités et sermons, « Entretiens spirituels XII », trad. A. de Libéra, GF,
p. 97.
37. Mirko GRMEK, « L’origine et les vicissitudes du secret médical », Cahiers Laënnec, no 29,
1969.
38. Francis BACON, La Nouvelle Atlantide, trad. Michèle Le Doeuff et Margaret Llasera, GF-
Flammarion, 2000, p. 119.
39. Gilbert Keith CHESTERTON, Orthodoxie, trad. L. d’Azay, Climats, 2010. Pour l’exactitude
d’une citation souvent déformée : « Quand un certain ordre religieux est ébranlé (comme le
fut le christianisme à la Réforme), ce ne sont pas seulement les vices que l’on met en liberté.
Les vices, une fois lâchés, errent à l’aventure et ravagent le monde. Mais les vertus, elles
aussi, brisent leurs chaînes, et le vagabondage des vertus n’est pas moins forcené et les
ruines qu’elles causent sont plus terribles. Le monde moderne est plein d’anciennes vertus
chrétiennes devenues folles. Elles sont devenues folles, parce qu’isolées l’une de l’autre et
parce qu’elles vagabondent toutes seules. C’est ainsi que nous voyons des savants épris de
vérité, mais dont la vérité est impitoyable ; des humanitaires éperdus de pitié mais dont
la pitié (je regrette de le dire) est souvent un mensonge ».
40. Luther, moine augustinien, s’est opposé, à juste titre, à la papauté de son temps sur la
question des indulgences et du rachat y compris financier des péchés, en fondant son
argument sur l’épître aux Romains qui affirme explicitement que seule la foi sauve en tant
qu’elle est donnée par Dieu.
41. Alasdair HERON, « Calvinisme », Dictionnaire critique de théologie, p. 195. Il faut préciser
que ce débat entre catholiques et protestants est aujourd’hui beaucoup moins vif et pour une
part résolu. Voir La Doctrine de la justification, Déclaration commune de la Fédération
luthérienne mondiale et de l’Église catholique, Éd. du Cerf, Paris, 1999.
42. Max WEBER, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905), trad. J.-P. Grossein,
Gallimard, 2003.
43. Sur ce sujet, voir Anne LÉCU, La prison, un lieu de soin ?, Paris, Belles Lettres, 2013.
44. « Pouvoir, savoir et sacré, ces trois instances qui veillaient autrefois réunies au chevet
tranquille des familles, des sociétés et des États sont sorties de l’antre d’Éole ; elles
multiplient l’une par l’autre leurs facultés de faire du secret et leur impossibilité à le
maîtriser. » Pierre NORA, « Simmel, le mot de passe », Nouvelle revue de Psychanalyse, no 14,
1976, p. 308.
45. Georg SIMMEL, Secret et sociétés secrètes, traduit de l’allemand par Sibylle Muller, Paris,
Circé Poche, 1996 (3e édition 2009), p. 47.
46. Commission médicale de la section française d’Amnesty International, et Valérie
MARANGE, Médecins tortionnaires, médecins résistants, préface de Paul Ricœur, Paris, La
découverte, 1990, p. 5.
47. On peut entendre « propre » par opposition à « sale », par opposition à « étranger »
(moi / non-moi), par opposition à impropre (conforme / non conforme). Voir Arnaud LÉVY,
« Évaluation étymologique et sémantique du mot “secret” », p. 128.
48. Ibid., p. 120.
49. Ibid.
50. Pierre BOUTANG, Ontologie du secret, (1973), PUF, 1993, p. 75 et s.
51. Ibid., p. 131.
52. Andras ZEMPLÉNI, « La chaîne du secret », Nouvelle revue de psychanalyse, no 14, 1976,
p. 313-324.
53. Conférence des évêques de France, Lutter contre la pédophilie. Repères pour les éducateurs,
Bayard / Cerf / Fleurus-Mame, 2010.
54. Conférence des évêques de France, Bulletin, juillet 1998, p. 4.
55. « Il apparaît clairement que les qualités, voire les conditions dans lesquelles un ministre
du culte a appris une information ne sont pas indifférentes à la qualification de secret
professionnel de celle-ci, et, par voie de conséquence, à l’étendue de l’obligation de
révélation dudit ministre du culte. C’est pourquoi vous veillerez à ce que les procureurs de la
République fassent diligenter de manière systématique des enquêtes, dès lors qu’existe une
suspicion de non-révélation de crime (art. 434-1 du C.P.) ou de mauvais traitements ou de
privations infligés à des mineurs de 15 ans ou à une personne vulnérable (art. 226-14 du
C.P.), afin de pouvoir déterminer avec précision dans quel cadre le représentant du culte
concerné a eu connaissance des faits » (Circulaire du 11 août 2004, § B 2).
56. « Aux motifs que les déclarations de David Y… selon lesquelles il s’était confié à un
prêtre, Jean-Jacques Z…, au cours du pèlerinage d’août 1999, lequel l’avait encouragé à
parler à ses parents, étaient confirmées par l’intéressé qui, après avoir demandé à être délié
par le plaignant du secret de la confession, rapportait que David Y…, qui se grattait
continuellement le visage jusqu’au sang, lui avait dans un premier temps demandé si l’on
pouvait changer de peau et si c’était bien ou mal pour un jeune homme d’avoir des relations
sexuelles avec un adulte, évoquant une scène homosexuelle dans la campagne ; le prêtre
disait l’avoir questionné sur sa propre histoire et David Y… était resté évasif avant de lui
révéler qu’il vivait de tels actes avec son psychiatre à son cabinet, et il l’avait alors vivement
invité à en parler à sa mère et à ne plus consulter ce psychiatre ; alors qu’une décision de
mise en accusation ne saurait en aucun cas, même partiellement, reposer sur des preuves
obtenues de manière illicite ; que les ministres des cultes sont rigoureusement tenus au
secret professionnel sans pouvoir être déliés de cette obligation par leurs confidents et que la
chambre de l’instruction, qui a fondé sa décision relativement à l’existence des faits objet de
l’accusation sur les déclarations d’un prêtre ayant demandé à être délié par le plaignant du
secret de la confession, a méconnu le principe susvisé, élément essentiel du procès équitable
et encouru de ce chef l’annulation ». Cass. Crim., 19 octobre 2004, no 04-84928.
57. Jacqueline COIGNARD, « La société moderne a inventé le juge à tout faire », Libération,
15 juillet 2006. Article consultable en ligne sur le site de Libération :
http://www.liberation.fr
58. Décision à caractère normatif no 2007-001, AG du Conseil national du barreau du
28 avril 2007.
59. En application de la directive européenne du 4 décembre 2001, la loi no 2004-130 du
11 février 2004 lui impose une sorte de « déclaration de soupçon » : lorsqu’il réalise pour son
client une transaction financière ou immobilière ou qu’il y participe (art. L. 562-2-1 du code
monétaire et financier), il doit transmettre une déclaration à son bâtonnier, (qui appréciera
s’il faut ou non la porter à la connaissance du service Tracfin) pour de nombreux avocats,
cette loi a transformé l’avocat en « agent de la poursuite et délateur de son client ». Ce secret
est malmené une nouvelle fois par la loi 2004-204 du 9 mars 2004 (dite Perben II), en
permettant une saisie des documents intéressant l’enquête « sans que puisse être opposée,
sans motif légitime, l’obligation du secret professionnel » (art. 80).
60. Colloque « Le secret professionnel », organisé par la Conférence des bâtonniers à
l’Assemblée nationale le mercredi 22 novembre 2000. Discours de Raymond Forni (président
de l’Assemblée nationale) disponible en ligne : http://www.assemblee-
nationale.fr/presidence/discours/3eba0046.asp
61. Voir l’affaire Versini-Campinchi et Crasnianski. Arrêt disponible en ligne :
http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-163612
62. Compte rendu de la deuxième séance du mardi 14 avril 2015 de l’Assemblée nationale :
– « Christiane TAUBIRA, garde des Sceaux. Comme l’indique le rapporteur à juste titre, les
professions protégées mentionnées dans l’amendement du Gouvernement le sont au titre de
la garantie du bon fonctionnement de la démocratie. En matière de procédures judiciaires,
toutefois, les médecins font partie des professions protégées. Le secret médical est protégé.
– Jean-Yves L E BOUILLONNEC. Mais il peut être levé !
– Christiane TAUBIRA, garde des Sceaux. Je rappelle que notre amendement prévoit, non pas
une interdiction totale des écoutes administratives pour les professions citées, mais un
encadrement de leurs conditions. De même, il ne peut s’agir de protéger le secret médical de
façon absolue. Néanmoins, dans la mesure où nous voulons éviter les hiatus entre les
conditions d’encadrement en matière judiciaire et en matière administrative, nous nous en
remettons, sur la question de la protection des médecins, à la sagesse de l’Assemblée. »
Compte rendu disponible en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr
63. Michel FOUCAULT, Dits et Écrits, III, texte no 170, Gallimard, 1994.
64. « La sphère enchantée de l’intime », entretien avec Jean BAUDRILLARD, L’intime, revue
Autrement, no 81, juin 1986, p. 14.
65. Voir l’article de Roland GORI, « La tache aveugle de la transparence », dans Roland GORI,
Patrick BEN SOUSSAN (dir.), Peut-on se passer du secret ?, Paris, Érès, 2013, p. 57.

2. UN SERMENT OU UN CONTRAT ?
1. Voir l’article 109 (art. R.4127-109 du Code de la santé publique) sur le site du Conseil
national de l’Ordre des médecins : http://www.conseil-national.medecin.fr
2. Publiée dans le Bulletin de l’Ordre des médecins 4, avril 1996 : « Au moment d’être
admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de
la probité. Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans
tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. Je respecterai toutes les
personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou
leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou
menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage
de mes connaissances contre les lois de l’humanité. J’informerai les patients des décisions
envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance
et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences. Je
donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me laisserai pas
influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire. Admis(e) dans l’intimité des
personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu(e) à l’intérieur des maisons, je
respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à corrompre les mœurs. Je
ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne
provoquerai jamais la mort délibérément. Je préserverai l’indépendance nécessaire à
l’accomplissement de ma mission. Je n’entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je
les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront
demandés. J’apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu’à leurs familles dans l’adversité.
Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ;
que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j’y manque. »
3. Voir La Gazette du Groupe d’Étude en Orthopédie Pédiatrique 11, janv.-fév. 2004.
4. HIPPOCRATE, L’art de la médecine, p. 70-71.
5. M. RIQUET et DES PLACES, « Hippocrate », Cahiers Laënnec, no 2, 1937, p. 81.
6. Dominique FOLSCHEID, « La médecine et ses mythes », Éthique et santé, Elsevier Masson,
no 5, 2008, p. 219.
7. Dominique THOUVENIN, Le secret médical et l’information du malade, PUL, 1982, p. 24.
8. HIPPOCRATE, Les épidémies, I, 1, 5.
9. HIPPOCRATE, La Loi, § 3. Œuvres complètes d’Hippocrate, Tome IV, Paris, Baillière, 1844,
p. 643.
10. « Après avoir procédé à un examen du mal depuis son début et, à la fois, selon ce
qu’exige la nature d’un tel examen, entrant en conversation, tant avec le patient lui-même
qu’avec ses amis, ainsi, en même temps que du malade il apprend personnellement quelque
chose, en même temps aussi, dans toute la mesure où il le peut, il instruit à son tour celui qui
est en mauvaise santé ; bien plus, il n’aura rien prescrit qu’il n’ait auparavant de quelque
façon gagné sa confiance. N’est-ce pas alors que, ne cessant de préparer chez le malade un
état d’apaisement, il s’efforce d’achever son œuvre en le ramenant la santé ? », PLATON, Les
Lois, IV, 720 a-e, trad. de Léon Robin, Œuvres complètes II, Paris, Gallimard, coll. « Pléiade »,
p. 769.
11. Jean-Pierre BAUD, « Du secret de la maison au secret de l’hôpital », Cités 26, 2006/2,
p. 16.
12. Ibid. « Ce que dissimule la mise en scène du pouvoir patriarcal est que le pouvoir de vie
et de mort du mâle dominant n’est que le pouvoir de tuer – ou plutôt le pouvoir de gracier
puisque le pouvoir de tuer se détruit à l’usage – alors que le pouvoir biologique de la femme
touche à la maîtrise de la vie. »
13. Ibid. « Les choses honteuses ou criminelles que dissimulait le secret domestique étaient la
part d’inavouable que devait tolérer un système d’humanisation qui devait nécessairement
aboutir à l’instance civilisatrice du droit. »
14. Ibid.
15. Ce mystérieux auteur du Ve siècle emprunte l’identité du premier disciple de Paul à
Athènes pour marquer sa volonté de concilier philosophie grecque et révélation évangélique.
Voir PSEUDO-DENYS L’AREOPAGITE, Les Noms divins, trad. Y. d’Andia, t.I et II, Éd. du Cerf, coll.
« Sources chrétiennes », no 578-579, 2016.
16. Voir M. GRMEK, « Le secret médical », Concours médical no 26, 1963, p. 4177.
17. Voir par exemple Dietrich BONHOEFFER, Résistance et soumission, Lettre 139 du 5 mai
1944, trad. de B. Leuret et H. Mottu, Genève, Labor et Fides, 2006, p. 337.
18. À distinguer de oros, autre mot grec qui signifie limite, en ce qu’elle peut être franchie.
19. Voir Michel CAILLOL, « Sur les traces du sacré en chirurgie », Technique, promesses et
utopies, où va la médecine, Parole et Silence, 2015, p. 195 et suivantes.
20. Rudolf OTTO, Le sacré, Payot, 1995.
21. Cité par Raymond VILLEY, Histoire du secret médical, p. 17.
22. ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, V, trad. de J. Tricot, Vrin, 1979.
23. Raymond VILLEY, Histoire du secret médical, p. 27.
24. Isidore SIMON, Étude critique des serments médicaux et des prières médicales et leur
influence sur la conscience et la moralité professionnelles, Ier Congrès international de morale
médicale, Paris, Ordre national des médecins, 1955, t. II.
25. M. D. GRMEK, « Le secret médical », Concours médical no 26, p. 4179.
26. Jean-Pierre BAUD, « Chapitre 1. Le pouvoir médical et le statut juridique du corps humain
disloqué : les procès médicaux », Journal International de Bioéthique 12, ESKA, 2001/2,
p. 15-22.
27. Sylvain MISSONNIER, « Prolégomène à un consentement mutuellement éclairé », dans
Jean-Paul CAVERNI, Roland GORI (dir.), Le consentement. Droit nouveau du patient ou
imposture ?, Paris, Éd. In Press, coll. « Champs Libres », 2006, p. 176.
28. « Aegorum arcana visa, audita, intellecta, eliminet nemo », M. D. GRMEK, « Le secret
médical », Concours médical no 26, p. 4179.
29. Voir l’étymologie du mot « autopsie » sur le site du Centre national de ressources
textuelles et lexicales : http://www.cnrtl.fr
« C’est ainsi que dans les mystères d’Eleusis & de Samothrace, les prêtres nommoient la
dernière explication qu’ils donnoient à leurs prosélytes, & pour ainsi parler, le mot de
l’énigme. »
30. M. D. GRMEK, « Le secret médical », Concours médical no 26, p. 4179.
31. Cité par Raymond VILLEY, Histoire du secret médical, p. 35.
32. Jean BERNIER, Essais de Médecine. Où il est traité de l’Histoire de la Médecine et des
Médecins, du Devoir des Médecins à l’égard des malades et de celui des malades à l’égard des
Médecins, Paris, Langronne, 1689, p. 269.
33. Dès 1363, Guy de Chauliac écrivait : « Il est nécessaire aux chirurgiens de bien connaître
l’anatomie parce que, sans l’anatomie, on ne peut rien faire en chirurgie. […] Elle [cette
connaissance] est acquise par deux moyens : l’un est par la doctrine des livres [comprendre
“le dogmatisme de Gallien”], l’autre par l’expérience des corps morts », Guy de CHAULIAC,
Chirurgia Magna, Avignon, 1363, cité par Michel CAILLOL, Dieu n’est pas chirurgien, Un
cheminement éthique à la recherche des traces du sacré en chirurgie, Thèse de Philosophie
pratique, sous la direction du professeur Éric Fiat, Paris Est, soutenue le 18 décembre 2012,
p. 148.
34. Dominique THOUVENIN, Le secret médical et l’information du malade, p. 24
35. Cité par M.D. GRMEK, L’origine et les vicissitudes du secret médical, p. 30.
36. François RANCHIN, Opuscules ou traictés divers et curieux en médecine, Première Partie,
chapitre IX, Lyon, Ravaud, 1640, p. 19. Disponible en ligne sur le site de la BIU Santé :
http://www.biusante.parisdescartes.fr
37. Si le secret est traditionnellement celui des trois « robes noires », du prêtre, de l’avocat et
du médecin, on comprend que la suppression de ces trois facultés ait quelque chose à voir
avec le sentiment que le secret est sans doute suspect, et fondamentalement
antirévolutionnaire. Mais c’est une histoire dialectique, car les révolutionnaires eux-mêmes
doivent bien établir d’autres lieux de secret pour agir efficacement…
38. Jean VERDIER, La jurisprudence de la médecine en France, Alençon, Malassis, 1763, p. 714
(accessible sur le site Gallica). « Un chirurgien d’Évreux écrivit le 13 mars 1747 à Messire
Lucas, chanoine prébendé en l’Église cathédrale et président au siège présidial de cette ville,
une lettre à laquelle était joint un mémoire contenant un détail de visites, opérations,
pansements et médicaments, faits et fournis consécutivement pendant 5 mois à M. Labbé,
pour un rhume ecclésiastique cordé de grande conséquence. Montant 600 livres ».
Comme le chirurgien n’est pas payé, il renvoie la note et assigne son patient au tribunal, ce
qui a pour conséquence de dévoiler le « rhume ecclésiastique » à tout le monde. C’est à ce
titre que le malheureux chirurgien est condamné à une forte amende (1 000 livres), assortie
d’une interdiction d’exercer pendant 6 ans, qu’il est contraint de reconnaître qu’il a calomnié
le chanoine et de déclarer que ce dernier souffrait de scorbut !
39. Ibid., p. 718-719.
40. Séminaire 2015-2016, « Humanisme, transhumanisme, posthumanisme ». Intervention
de Pierre Magnard le 21 janvier 2015 disponible en ligne : http://media.
collegedesbernardins.fr/content/pdf/Recherche/3/recherche-
2015/2015_01_21_EB_Humanisme_CR.pdf
41. Pierre MAGNARD, Questions à l’humanisme, Paris, PUF, 2000, p. 146.
42. ARISTOTE, Métaphysique A, 1, 981 a 15-20, traduit par J. de Tricot, t. I, Paris, Vrin, 1991,
p. 3.
43. Francis BACON, Le Progrès et avancement aux sciences divines et humaines, éd. fr.
A. Maugars, Paris, 1624, livre III, chap. V, § 1 : « La recherche des causes finales est stérile et,
semblable à une vierge consacrée au Seigneur, elle n’engendre point ». Voir aussi, Francis
BACON, Novum Organum, I, aphorisme 48, trad. de Michel Malherbe et Jean-Marie Pousseur,
Paris, PUF, 2004, p. 115.
44. Francis BACON, « Magnalia naturae », La Nouvelle Atlantide, trad. Michèle Le Doeuff et
Margaret Llasera, Paris, GF-Flammarion, 2000, p. 133.
45. Francis BACON, La Nouvelle Atlantide, trad. de Michèle Le Doeuff et Margaret Llasera,
Paris, GF-Flammarion, 2000, p. 94.
46. Ibid., p. 119.
47. Ibid., p. 133 : « Prolonger la vie. Rendre, à quelque degré, la jeunesse. Retarder le
vieillissement. Guérir des maladies réputées incurables. Amoindrir la douleur. […]
Transformer le tempérament, l’embonpoint et la maigreur. […] Transformer les traits.
Augmenter et élever le cérébral. Métamorphose d’un corps dans un autre. Fabriquer de
nouvelles espèces. Transplanter une espèce dans une autre. […] Rendre les esprits joyeux, et
les mettre dans une bonne disposition. […] Forces de l’atmosphère et naissance des
tempêtes. […] Produire des aliments nouveaux, à partir de substances qui ne sont pas
actuellement utilisées. […] Prédictions naturelles. Illusions des sens. De plus grands plaisirs
pour les sens. Minéraux artificiels et ciments. »
48. Séminaire de recherche « Religion, éthique et médecine bio-tech », organisé par le
Collège des Bernardins. Intervention de Dominique Folscheid le 14 novembre 2012
disponible en ligne :
https://media.collegedesbernardins.fr/content/pdf/Recherche/3/recherche-2012-
2013/2012_11_14_crlong_eb_dominique_folscheid.pdf
49. Voir Thomas HOBBES, Leviathan, Livre I, Chap. XVII, trad. Fr. Tricaud, Paris, Dalloz, 1999,
p. 177-178.
50. Idem, Livre I, Chap. XIV, p. 128.
51. Pierre MANENT, Histoire intellectuelle du libéralisme, Hachette, 1987, p. 101.
52. Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, Paris, GF no 1058, 2001, p. 47 : « Cette liberté
commune est une conséquence de la nature de l’homme. Sa première loi est de veiller à sa
propre conservation, ses premiers soins sont ceux qu’il se doit à lui-même. »
53. Ibid., p. 56 : « “Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force
commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous
n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant ?” tel est le problème
fondamental dont le contrat social donne la solution. »
54. Ibid., p. 56-57.
55. Ibid., p. 60.
56. Ibid., p. 94 : « À ces trois sortes de lois [les lois politiques, civiles et pénales], il s’en joint
une quatrième, la plus importante de toutes ; qui ne se grave ni sur le marbre ni sur l’airain,
mais dans les cœurs des citoyens ; qui fait la véritable constitution de l’État ; qui prend tous
les jours de nouvelles forces ; qui, lorsque les autres lois vieillissent ou s’éteignent, les ranime
ou les supplée, conserve un peuple dans l’esprit de son institution, et substitue
insensiblement la force de l’habitude à celle de l’autorité. Je parle des mœurs, des coutumes,
et surtout de l’opinion ; partie inconnue à nos politiques, mais de laquelle dépend le succès
de toutes les autres : partie dont le grand Législateur s’occupe en secret, tandis qu’il paraît se
borner à des règlements particuliers qui ne sont que le cintre de la voûte, dont les mœurs,
plus lentes à naître, forment enfin l’inébranlable Clef. »
57. Jean-Jacques ROUSSEAU, « Considérations sur le Gouvernement de Pologne » (1770-
1771), dans Œuvres complètes III, Gallimard, coll. « Pléiade », 1964, p. 970-971.
58. Ibid., p. 1019.
59. Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, p. 64.
60. Michel FOUCAULT, « L’œil du pouvoir » (1977) Dits et écrits, Tome II, Gallimard, coll.
« Quarto », 2001, p. 195.
61. Ibid., p. 186 « Aux XVIIe et XVIIIe siècles, il s’est produit un phénomène important :
l’apparition – il faudrait dire l’invention – d’une nouvelle mécanique de pouvoir qui a des
procédures particulières, des instruments tout nouveaux, un appareillage très différent et
qui, je crois, est absolument incompatible avec les rapports de souveraineté. Cette nouvelle
mécanique de pouvoir, c’est une mécanique qui porte d’abord sur les corps ou sur ce qu’ils
font plutôt que sur la terre et ses produits ; c’est un mécanisme de pouvoir qui permet
d’extraire des corps du travail et du temps plutôt que des biens et de la richesse. »
62. « Si le droit est la seule discipline qui traite spécifiquement de l’aveu, en théorie comme
en pratique, il ne l’a pas conçu ex nihilo car le juridique s’inscrit en continuateur et héritier
du religieux. Il ne s’est constitué de droit profane que par différenciation du droit religieux,
fondé sur une théologie et appliqué par l’autorité religieuse directement ou par
l’intermédiaire d’une autorité politique qui lui était soumise. » Daniel HURVY, « Entre
répression et expression, l’aveu », Revue française de psychanalyse, 2001/1 Vol. 65, p. 215.
63. Dominique THOUVENIN, « Secret médical et loi du 4 mars 2002 : quels changements ? »
Revue Laennec, 2007/1 Tome 55, p. 24. M. D. GRMEK, « Le secret médical », Concours médical
no 27, p. 4287.
64. M. D. GRMEK, « Le secret médical », Concours médical no 27,p. 4287.
65. Voir la thèse d’Eric FAUCOMPRÉ, Permanence et mutations du secret médical, soutenue à
Paris VIII en décembre 2012, p. 171 et suivantes. http://1.static.e-
corpus.org/download/notice_file/2524941/FAUCOMPRE.pdf
66. Philippe MALAURIE, Laurent AYNÈS, Philippe STOFFEL-MUNCK, Les obligations, Paris,
Defrénois, 2004, no 321.
67. Avec cette subtilité française que constitue le dualisme juridictionnel : la consultation de
médecine libérale relève du contrat (et donc des règles civiles) et son contentieux du juge
judiciaire (avec au sommet, la Cour de cassation), tandis que la consultation de médecine
publique est de nature statutaire, (et donc du droit administratif) et son contentieux relève
du juge administratif (avec, au sommet, le Conseil d’État).
68. Francine DEMICHEL, « À la recherche de l’acte médical : voyage autour d’un
innommable », Revue générale de droit médical, no 40, Études hospitalières éditions, 2011,
p. 53-92.
69. « Quel usage faisons-nous du langage et de la parole dans le traitement ? Il y a dans la
relation analytique deux sujets liés par un pacte » ? Jacques LACAN, Séminaire I, Les écrits
techniques de Freud, Le Seuil, 1975, p. 283.

3. INTÉRÊT PUBLIC OU INTÉRÊT PRIVÉ ?

1. Didier TRUCHET, « Le secret médical, obligation obsolète ou exigence actuelle ? », Modernité


du droit de la santé (Mélanges en l’honneur du professeur Bélanger), Paris, LEH Édition, 2015,
p. 317.
2. Virginie PELTIER, « Révélation d’une information à caractère secret », Jurisclasseur pénal,
art. 226-13 et 226-14, fascicule 20, janvier 2005, p. 12.
3. Dominique THOUVENIN, « Secret médical et loi du 4 mars 2002 : quels changements ? »,
p. 38.
4. Raymond VILLEY, Histoire du secret médical, p. 61.
5. Cass. Crim. 19-12-1885, D.P., 86-1-86. Texte complet de la lettre du docteur Watelet et de
l’arrêt dans Raymond VILLEY, Histoire du secret médical, p. 174.
6. Émile GARÇON, Code pénal annoté, art. 378, no 7, tome II de l’édition de 1901.
7. Dominique THOUVENIN, Le secret médical et l’information du malade, p. 58.
8. Claude GUBER et Michel GONOD, Le Grand Secret, Plon, 1996.
9. Cour de cassation, chambre criminelle, 8 avril 1998, no 97-83656. « En effet, l’obligation
au secret professionnel, établie par l’article 226-13 du Code pénal, pour assurer la confiance
nécessaire à l’exercice de certaines professions ou de certaines fonctions, s’impose aux
médecins, hormis les cas où la loi en dispose autrement, comme un devoir de leur état ; que,
sous cette seule réserve, elle est générale et absolue ».
10. Cour de cassation, chambre criminelle, 27 avril 2011, arrêt no 10-82200. « Attendu qu’il
résulte de l’arrêt attaqué et du jugement qu’il confirme que M. X, médecin attaché au pôle
gérontologique N, alors qu’il avait eu connaissance à plusieurs reprises d’actes de
maltraitance physique et psychologique subis, entre 2001 et le 2 février 2005, par plusieurs
pensionnaires dépendants de l’hôpital B., membre du pôle, s’est abstenu de dénoncer ces
faits aux autorités judiciaires en invoquant, notamment, le respect du secret médical ;
Que, pour déclarer le prévenu coupable de non-dénonciation de mauvais traitements infligés
à des personnes vulnérables, les juges énoncent que le médecin a choisi de ne pas révéler ces
actes alors qu’ils ne pouvaient être couverts par le secret médical, ce dernier ne concernant
que des informations à caractère confidentiel reçues de la personne protégée ;
Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, par des motifs erronés relatifs à la portée du secret
médical, et sans rechercher si le prévenu avait reçu l’accord des victimes, condition imposée,
pour la levée du secret médical, par l’article 226-14 2° du Code pénal, dans sa rédaction
applicable à la date des faits, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. »
11. Dominique THOUVENIN, Le secret médical et l’information du malade.
12. Lucien PORTES, À la recherche d’une éthique médicale, Masson-PUF, 1954, p. 136.
13. Dominique THOUVENIN, Le secret médical et l’information du malade, p. 81.
14. Cour de cassation, chambre criminelle, 19 novembre 1985, no 83-92.813. Cet arrêt
précise « que ce que la loi a voulu garantir c’est la sécurité des confidences qu’un particulier
est dans la nécessité de faire à une personne dont l’état ou la profession dans un intérêt
général et d’ordre public fait d’elle un confident nécessaire. »
15. Avant la loi no 2015-1402 du 5 novembre 2015 qui l’a modifié, ce paragraphe était ainsi
rédigé : « Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au
présent article ne peut faire l’objet d’aucune sanction disciplinaire ».
16. Bulletin d’information de l’Ordre national des médecins, numéro spécial nov.-déc. 2012,
p. 4.
17. On ne manquera pas de noter que s’il faut une « personne de confiance », c’est que
domine la méfiance.
18. « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la
réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres,
propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures
peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé » (art. 9 du Code civil).
19. Par exemple pour les anomalies génétiques, voir art. R.1131-20-1 et suivants du Code de
la santé publique.
20. Michel DAVID, Soigner les méchants, Éthique du soin psychiatrique en milieu pénitentiaire,
Paris, L’Harmattan, 2015, p. 219.
21. Les atteintes au secret des correspondances sont sanctionnées par l’article 226-15 du
Code pénal lorsqu’elles sont commises par un particulier, par l’article 432-9 du même code
lorsqu’elles sont le fait d’un dépositaire de l’autorité publique.
22. « Dans l’intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté
d’exercice et de l’indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré
conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix, la liberté
de prescription, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la
liberté d’installation. »
23. « Dans l’intérêt de la santé publique et en vue de contribuer à la maîtrise des dépenses
d’assurance maladie, les professionnels et les organismes ou établissements dispensant des
actes ou prestations remboursables par l’assurance maladie à des assurés sociaux ou à leurs
ayants droit communiquent aux organismes d’assurance maladie concernés le numéro de
code des actes effectués, des prestations servies à ces assurés sociaux ou à leurs ayants droit,
y compris lorsque ces prestations sont établies à partir des données mentionnées aux articles
L.6113-7 et L.6113-8 du Code de la santé publique, et des pathologies diagnostiquées. Les
documents prévus au premier alinéa de l’article L.161-33 doivent comporter l’ensemble de
ces informations. Les personnels des établissements de santé chargés de la facturation des
prestations, les directeurs de ces établissements ou leur représentant ont connaissance, dans
le cadre de leur fonction et pour la durée de leur accomplissement, du numéro de code de
ces prestations. »
24. Article L.1111-5 du Code de la santé publique.
25. Ainsi un arrêt récent de la Cour de cassation a-t-il pu juger, alors qu’un médecin refusait
de communiquer le dossier médical de son patient décédé à l’expert judiciaire nommé dans
une affaire de succession, « qu’aux termes de l’article 901 du Code civil, pour faire une
donation, il faut être sain d’esprit ; que par l’effet de cette disposition qui vaut autorisation au
sens de l’article 226-14 du Code pénal, le professionnel est déchargé de son obligation
relativement aux faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de sa profession ; que la
finalité du secret professionnel étant la protection du non-professionnel qui les a confiés, leur
révélation peut être faite non seulement à ce dernier, mais également aux personnes ayant
un intérêt légitime à faire valoir cette protection », Cour de cassation, chambre civile, 22 mai
2002, arrêt no 707 (pourvoi no 00-16 305).
26. Le texte complet des dérogations est publié sur le site du Conseil de l’Ordre des médecins
http://www.conseil-national.medecin.fr
27. Ancien article L.355-2 du Code de la santé publique, abrogé par l’ordonnance 2000-548
2000-06-15 art. 4 JORF 22 juin 2000 : « Tout alcoolique présumé dangereux doit être signalé
à l’autorité sanitaire par les autorités judiciaires ou administratives compétentes dans les
deux cas suivants : Lorsque, à l’occasion de poursuites judiciaires, il résultera de l’instruction
ou des débats des présomptions graves, précises et concordantes permettant de considérer la
personne poursuivie comme atteinte d’intoxication alcoolique ; Sur le certificat d’un médecin
des dispensaires, des organismes d’hygiène sociale, des hôpitaux, des établissements
psychiatriques. L’autorité sanitaire peut également se saisir d’office à la suite du rapport d’une
assistante sociale, lorsque celle-ci se sera rendu compte du danger qu’un alcoolique fait
courir à autrui. »
28. « If a surgeon was voluntarily to reveal… secrets, to be sure, he would be guilty of a
breach of honor and of great indiscretion ; but to have that information in a court of justice,
which by law of the land he is bound to do, will never be imputed to him as any indiscretion
whatever. » Rex v. Duchess of Kingston, 20 How. St. Tr. 355, 572-73 (H.L. 1776).
29. Cité par Gregory J. ZUBACZ, Le secret sacramentel et le droit canadien, trad. de J. Pelletier
Montréal, Wilson et Lafleur, 2010, p. 108.
30. Avant lui, John Gregory (1724-1773), professeur à Édimbourg et médecin du roi, avait
rédigé une sorte de code des bonnes mœurs médicales, Observations on the duties and offices
of a physician, Londres 1770, dans lequel on pouvait lire qu’un médecin gentleman devait
être « discret, secret et honnête », cité par Raymond VILLEY, Histoire du secret médical, p. 46.
31. « The moral rules of conduct prescribed towards hospital patients should be fully
adopted in private or general practice. Every case committed to the charge of a Physician or
Surgeon should be treated with attention, steadiness, and humanity ; reasonable indulgence
should be grantted to the mental imbecility and caprices of the sick ; secrecy and delicacy,
when requirend by peculiar circumstances, should be strictly observed ; and the familiar and
confidential intercource, to which the Faculty are admitted in their professional visits, should
be used with discretion, and with the most scupulous regard to fidelity and honour. »
Thomas PERCIVAL, Medical Ethics, or a code of Institutes and Precepts, adapted to the
professional conduct of Physicians and Surgeons, Oxford, 1803 (citation tirée de l’édition
de 1849), Chapitre II, § 1, p. 47.
32. Ibid., Chapitre I, § 13, p. 32-33.
33. Ibid., Chapitre IV, § 18 et 19, p. 120-122.
34. Disponible en ligne sur le site de la American Medical Association : http://www.ama-
assn.org
35. Yves-Marie MORISSETTE et Daniel W. SHUMAN, « Le secret professionnel au Québec : une
hydre à trente-neuf têtes rôde dans le droit de la preuve », Les Cahiers de droit, vol. 25, no 3,
1984, p. 518. Disponible en ligne : http://id.erudit.org/iderudit/042610ar
36. Gregory J. ZUBACZ, Le secret sacramentel et le droit canadien, trad. J. Pelletier Montréal,
Wilson et Lafleur, 2010, p. 163.
37. John Henry WIGMORE, Evidence in Trials at Common Law, § 2285, Toronto, Little Brown,
1961. Ces critères seront notamment appliqués au Québec dans l’affaire Gruenke, en 1986.
38. Albert R. JONSEN, A Short History of Medical Ethics Oxford University Press, 2008, p. 95.
39. On peut se reporter au Conseil européen des Ordres des médecins, qui liste les différents
codes de déontologie professionnelle : http://www.ceom-ecmo.eu/codes-nationaux-98
40. Le médecin, en qualité de chargé du service public, est tenu de dénoncer l’infraction dont
il a connaissance en vertu de sa fonction et du compte rendu, c’est-à-dire de l’identification
de la personne à laquelle l’assistance a été prêtée et à la description du lieu, du temps, et des
circonstances de l’intervention. (voir les articles 331, 334 du Code de procédure pénale
italien, et articles 365 et 384 du Code pénal). Lorenzo CUOCOLO, « Le secret médical dans
l’ordre juridique italien », Le secret médical. Actes du XIe colloque du centre de droit de la santé
d’Aix-Marseille, dans Les Cahiers de droit de la santé du sud-est 15, Bordeaux, LEH Édition,
2012, p. 228.
41. L’article 53 du Code de procédure pénale allemand dispose qu’ont le droit de refuser de
témoigner au tribunal : « 1. Les ecclésiastiques pour les faits qui leur ont été confiés ou qui
ont été portés à leur connaissance en leur qualité de directeurs de conscience. 2. Les
défenseurs de l’inculpé, pour les faits qui leur ont été confiés ou qui ont été portés à leur
connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. 3. Les avocats, les conseils en brevets
d’invention, les notaires, les commissaires aux comptes, les experts-comptables assermentés,
les conseillers et experts fiscaux, les médecins, les dentistes, les psychologues,
psychothérapeutes, les psychothérapeutes spécialisés pour les enfants et les jeunes, les
pharmaciens et les sages-femmes, pour les faits qui leur ont été confiés ou qui ont été portés
à leur connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. « Il est précisé néanmoins que les
personnes mentionnées aux no 2 à 3b, (c’est-à-dire tous, exception faite des ecclésiastiques)
« ne sont pas autorisées à refuser de témoigner lorsqu’elles ont été relevées de leur obligation
de garder le secret professionnel ». Voir
http://www.juriscope.org/uploads/traductions/Allemagne/Droit%20processuel_Code%20all
emand%20de%20procedure%20penale_Allemagne_01%2001%201999%20(2000).pdf
42. « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa
correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce
droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une
mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté
publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des
infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits
et libertés d’autrui » (art. 8 de la convention européenne des droits de l’homme). Dans le
même esprit, il existe une Charte européenne des droits des patients. Le secret médical au
sixième point de cette charte, est compris dans le cadre de la protection de la vie privée.
« Chaque personne a droit à la confidentialité de ses informations personnelles, y compris
l’information concernant son état de santé et les procédures diagnostiques ou thérapeutiques
potentielles, aussi bien qu’à la protection de son intimité pendant l’exécution des examens,
des visites de spécialistes, et des traitements médicaux/chirurgicaux en général. » Cette
charte établie le 15 novembre 2002, par l’association de citoyens européens Active Citizenship
Network (ACN) a pour but d’harmoniser les droits des patients dans les États européens.
http://www.adexo.pt/internacional/EuropeanCharterinFrench.pdf
43. Voir le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016
relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à
caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive
95/46/CE (règlement général sur la protection des données). Disponible en ligne sur le site :
http://eur-lex.europa.eu
44. Didier TRUCHET, « Le secret médical, obligation obsolète ou exigence actuelle ? », p. 317.
45. Voir le curriculum vitae de Dominique Thouvenin sur le site https://www.univ-paris1.fr
46. « Il ne saurait y avoir de médecine des épidémies que doublée d’une police. […] Il
faudrait enfin créer un corps d’inspecteurs de santé qu’on pourrait distribuer dans différentes
provinces en confiant à chacun un département circonscrit. » Anonyme, Description des
épidémies qui ont régné depuis quelques années sur la généralité de Paris, Paris, 1783, p. 14-
17).
47. Une affaire exemplaire a eu lieu à Angers. Un médecin psychiatre, le Dr C., et d’autres
personnels (un éducateur, une assistante sociale, une assistante maternelle et un
psychologue) d’un service éducatif ont été condamnés à des peines de prison avec sursis et
des amendes pour avoir trop attendu avant d’alerter la justice au sujet du viol dont un enfant
de 7 ans, hébergé dans leur centre, avait été victime. Le viol avait été commis par un autre
jeune du centre, âgé de 18 ans, ils ne l’avaient pas dénoncé au nom du secret professionnel
et s’étaient contentés de l’éloigner pour empêcher la récidive. Ils avaient été relaxés en
première instance mais condamnés en appel à la demande du ministère public. La Cour de
cassation a approuvé la condamnation de ce médecin et des membres de son équipe pour
non-assistance à personne en danger et non dénonciation de sévices ou privations infligés à
un enfant de moins de quinze ans : « Le secret professionnel imposé aux membres d’un
service éducatif sur la situation d’un mineur confié à celui-ci par le juge des enfants est
inopposable à cette autorité judiciaire, à laquelle ils sont tenus de rendre compte de son
évolution et notamment de tous mauvais traitements, en vertu des articles 375 et suivants du
Code civil et de l’article 1199-1 du Code de procédure civile. »
48. Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, p. 56.
49. Dominique THOUVENIN, Le secret médical et l’information du malade, p. 140.
50. Georg SIMMEL, Secret et sociétés secrètes, p. 72-73.
51. http://www.univ-paris1.fr/fileadmin/UMRdroitcompare/thouvenin.pdf
52. C’est cette même technique à laquelle recourt la loi relative à la prévention de la
délinquance : après avoir proclamé dans l’exposé des motifs que ces nouvelles dispositions
permettront « la mise en œuvre, attendue depuis longtemps par les intéressés eux-mêmes, du
partage d’informations entre les acteurs sociaux et les professionnels de santé dans le respect
du secret professionnel », le projet prévoit de désigner un « travailleur social pivot » qui est le
coordonnateur désigné par le maire par l’intermédiaire duquel ce dernier « recevra celles des
informations qui sont nécessaires à l’exercice de ses compétences ». Et d’affirmer qu’« ainsi,
sera sauvegardé le principe de la confidentialité de l’information sans que pour autant l’autorité
administrative compétente ne soit réduite à une inaction justifiée jusqu’alors par la crainte de
transgresser le secret professionnel ». Projet de loi relatif à la prévention de la délinquance,
Sénat no 433, 28 juin 2006. Cité par Dominique THOUVENIN, « Secret médical et loi du 4 mars
2002 : quels changements ? », Laennec 55, 2007/1, note 38, p. 36.
53. Selon le titre du Guide méthodologique publié en octobre 2013 par la Haute autorité de
la santé : Le patient-traceur en établissement de santé. Méthode d’amélioration de la qualité et
de la sécurité des soins. Disponible en ligne sur le site http://www.has-sante.fr
54. Thèse de Cécile ROCHE, Difficultés de respecter le secret médical chez les mineurs chez les
médecins. Évaluation d’un document d’information (2013). Disponible en ligne.
55. http://www.cns.sante.fr/IMG/pdf/2015-01-15_avi_fr_prise_en_charge.pdf
56. Pierre VERDIER, Laure DOURGNON, « Le secret professionnel est-il opposable au maire et au
président du Conseil général ? Guide de l’accès aux informations sur la vie privée des
personnes à l’usage des élus et des chefs de services », Journal du droit des jeunes 284,
2009/4, p. 22.
57. Éditorial, « Le secret médical, entre droit des patients et obligation déontologique »,
Médecins, Bulletin d’information de l’Ordre national des médecins, numéro spécial novembre-
décembre 2012, p. 3.
58. Bernard TOPUZ, « Secret partagé, l’expérience des conseils locaux en santé mentale »,
L’information psychiatrique, Volume 91, no 7, août-septembre 2015, p. 593.
59. http://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2016/7/20/AFSZ1606470D/jo
60. Claire GEKIÈRE, « Projet de loi relatif à la santé, La fin de la confidentialité dans les
hôpitaux ? », Revue CPH (Confédération des Praticiens des Hôpitaux) no 4, janvier 2015.
61. http://www.conseil-national.medecin.fr/node/1525
62. Pierre CATALA, Propriété intellectuelle. Le marché de l’information (aspects juridiques), L.
p. aff. 24, 1995, p. 5, cité par Éric FAUCOMPRÉ, dans sa thèse, Permanence et mutations du
secret médical, p. 108.
63. Dominique THOUVENIN, « Secret médical et loi du 4 mars 2002 : quels changements ? »,
p. 34.
64. Arrêté du 5 mars 2004 portant homologation des recommandations de bonnes pratiques
relatives à l’accès aux informations concernant la santé d’une personne, et notamment
l’accompagnement de cet accès.
65. La Lettre de la psychiatrie française, no 208, mai 2012, p. 8.
66. Carol JONAS, « Dossier médical et secret professionnel dans les soins aux mineurs »,
Enfances & Psy 2008/2 (no 39), p. 82.
67. Bulletin de l’Ordre des médecins, no 40, juillet-août-sept 2015, p. 30.
68. Leila MINANO, « Enquête : des données médicales confidentielles accessibles sur le Web »,
ActuSoins, 1er mars 2013. Article disponible en ligne sur le site http://www.actusoins.com
69. Voir l’article « Confidentialité des données médicales personnelles : clôtures de la mise en
demeure », sur le site : http://www.net-iris.fr
Voir également l’article « La CNIL constate des failles dans la sécurité des dossiers de patients
de l’hôpital de Saint-Malo », Le Monde, 7 octobre 2013 : « Le centre a eu dix jours pour
s’assurer que “les dossiers des patients ne puissent pas être accessibles” à des tiers. À l’issue
de ce délai, il était prévu que la procédure serait “close” si le centre s’était conformé à la mise
en demeure. Dans le cas contraire le centre risquait une amende s’élevant à
1 500 000 euros ».
70. Raphaël POMEY, « Bilans de santé en balade sur le Net », Le Matin, 8 avril 2015 : « Tapant
le nom d’un proche sur Google, cet informaticien a eu la surprise de tomber sur les analyses
médicales de ce membre de sa famille, effectuées par les laboratoires Synlab, en accès libre
sur le Net. Et il y a plus : “En utilisant la première partie de l’adresse, j’ai découvert qu’il était
possible d’accéder via Google à une foule d’autres dossiers.” Vérifications faites par Le Matin,
ce lien débouchait sur pas moins de 8 300 entrées : résultats de dépistage sida par-ci, du
papillomavirus par-là, diagnostics d’une hépatite, le tout avec le nom des patients et leur
âge. » Article disponible sur le site http://www.lematin.ch
71. Jean-Jacques TANQUEREL, Le serment d’Hypocrite : secret médical, le grand naufrage, Max
Milo, 2014.
72. Courrier du Conseil national de l’Ordre des médecins en date du 17 juin 2013,
http://www.cphweb.info/IMG/pdf/Reponse_CNOM_2_pdf
73. http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/deliberations/D2013-
037_MED_CH_ST_MALO.pdf (décision no 2013-037 du 25 septembre 2013).
74. APM News, du 6 avril 2016.
75. Le rapport concluait : « Il semble difficile aujourd’hui, compte tenu des contraintes citées
en introduction, d’aller plus avant dans une proposition méthodologique. Ce protocole sera
donc revu en temps opportun pour finaliser ce qui pourrait être une évaluation extrêmement
utile et innovante ; innovante en termes d’approche méthodologique utilisée ; utile car
délibérément orientée sur la recherche d’une optimisation de l’impact de la mise en œuvre
du DMP. »
76. Disponible en ligne :
http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_DMP_mission_Gagneux.pdf
77. « La dénomination même du dossier, “dossier médical personnel”, tend symboliquement
à instiller l’idée patrimoniale d’un patient “propriétaire” de son dossier médical, aussi bien
que par son régime juridique qui ouvre au patient la possibilité de refuser l’ouverture d’un
dossier pourtant considéré comme nécessaire à la qualité des soins, lui en donne l’accès
direct, sans médiation médicale et lui permet de masquer des données », p. 20 et s. pour les
citations infra.
78. http://www.slideshare.net/fullscreen/esante_gouv_fr/rir20120925-5-deploiementdmp/
79.
http://www.ccomptes.fr/content/download/53668/1420602/file/rapport_cout_dossier_med
ical_personnel.pdf, p. 104.
80. Sophie CAILLAT, « Dossier médical personnel : gâchis et conflit d’intérêts à tous les
étages », Rue89, 4 octobre 2012. Disponible sur le site http://rue89.nouvelobs.com
81. Philippe EVEILLARD, « Informatique médicale, la déception aux États Unis », Concours
médical, Tome 131-4 du 24 février 2009, p. 142.
82. Computational technology for effective health care. Immediate steps and strategic directions,
Washington, The National Academies Press, 2009.
83. CGOS -le mag, premier trimestre 2014.
84. Pierre-Louis BRAS, Rapport sur la gouvernance et l’utilisation des données de santé,
sept. 2013. Disponible sur le site : http://www.drees.sante.gouv.fr
85. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/144000397.pdf,
remis le 9 juillet 2014 à la ministre de la santé.
86. « Il appartient à la CNIL de faire savoir quelle sera désormais son attitude concernant la
diffusion des données du PMSI, mais le groupe de travail recommande au ministère de la
santé de revoir sa politique de diffusion des données qui est jugée trop restrictive dans le cas
des données agrégées que chacun s’accorde à classer comme anonymes et trop laxiste dans le
cas des données du PMSI » (p. 30).
87. Valérie SEGOND, « Santé : le trésor des données », Le Monde, 6 avril 2015. Article
disponible sur le site http://www.lemonde.fr
88. Disponible pour les abonnés : http://www.egora.fr/sante-societe/e-sante/201617-big-
data-les-pleins-pouvoirs-aux-assureurs
89. L’Expansion, juillet-août 2015.
90. « Royaume-Uni. Google a accès aux dossiers médicaux de 1,6 million de patients »,
Courrier International, 4 mai 2016. Article disponible en ligne.
91. Frédéric SIMON, « L’inquiétude sur les données personnelles est-elle excessive ? »,
EurActiv.fr, 1er septembre 2015.
92. Jean-Yves N AU, « Apnée du sommeil : pour être remboursés, les malades devront
accepter le télé-flicage… », Slate.fr, 4 février 2014.
93. http://jeanyvesnau.com/2014/11/29/apnee-le-tele-flicage-est-contraire-a-la-loi-le-
gouvernement-desavoue-par-le-conseil-detat/
94. Éric FAVEREAU, « Santé, les soins sous surveillance », Libération, 9 septembre 2015.
95. Emmanuel HIRSCH, Huffington post, 13 avril 2015.
96. Voir CNIL, Le guide des professionnels de santé, 2011. Disponible en ligne sur
http://www.cnil.fr
97. Roland GORI, « Le nourrisson savant dans les logiques du consentement », dans Roland
GORI, Jean-Paul CAVERNI, Le consentement. Droit nouveau du patient ou imposture ?, p. 190.
98. Jean-Louis BEAUVOIS, « De l’interdiction de certaines recherches », dans Roland GORI,
Jean-Paul CAVERNI, Le consentement. Droit nouveau du patient ou imposture ?, p. 157.
99. H. LAUVERGNE, Les Forçats, Jérôme Million, 1991 (1re éd. 1841), présentation d’A.
Zysberg : « Dans ses “Souvenirs”, où il évoque assez crûment ses années de carabin à l’École
de Médecine de Toulon, Charles Pellarin raconte ce que devient parfois le corps d’un forçat
guillotiné : “nous faisions, en 1823, avec la pile Volta, des expériences sur son chef et son
tronc séparés l’un de l’autre et amenés en dix minutes de la place de l’exécution à
l’amphithéâtre, où un appareil était tenu prêt à fonctionner… En voyant les grimaces
excessives des diverses parties de la face sous l’excitation du courant électrique, en voyant
cette agitation, ces grands mouvements du corps se redressant presque sur son séant, on a
peine à se persuader que toute vie soit éteinte et qu’il ne reste plus dans cette tête aucune
faculté de sentir” ».
100. Jean-Pierre BAUD, « Le pouvoir médical et le statut juridique du corps humain disloqué :
les procès médicaux », Journal international de bioéthique 12, 2001/2, p. 20.
101. Valérie SEGOND, « Santé : le trésor des données », Le Monde.
102. Bulletin de l’Ordre des médecins, no 39 avril-juin 2015, p. 4-5.
103. Philippe ROLLANDIN, « e-santé : les connexions dangereuses », La lettre de Galilée, 10 juin
2016.
104. Hannah ARENDT, La condition de l’homme moderne, p. 82.
105. Voir le communiqué « Arrêts relatifs à l’inscription à l’état civil d’enfants nés à l’étranger
d’une GPA » du 3 juillet 2015. Disponible sur le site http://www.courdecassation.fr
106. Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, 20 nov. 1989, art. 7, § 1.
107. Voir l’avis présenté au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi
ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe par Mme Marie-Françoise
Clergeau sur le site http://www.assemblee-nationale.fr.
108. Loi codifiée aux articles L.147-1 et suivants du Code de l’action sociale et des familles.
109. CEDH, 13 juillet 2006, no 58757/00, Jâggi c/ Suisse : JCP G 2007, I, 137, no 23, chron.
C. Byk ; RTD civ 2006, p. 727, obs. J. Hauser.
110. Le Conseil constitutionnel explicite cette disposition ainsi : « En disposant que les
personnes décédées sont présumées ne pas avoir consenti à une identification par empreintes
génétiques, le législateur a entendu faire obstacle aux exhumations afin d’assurer le respect
dû aux morts. » Cons. Const., dec., 30 sept. 2011, no 2011-173 QPC : JCP G 2011, act. 1075 ;
JCP G 2012, doctr. 31, no 4.
111. Jean-René BINET, « Le secret des origines », La semaine juridique, supplément au no 47,
19 novembre 2012.
112. Ibid., p. 14.
113. « Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément
ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut
connaître l’identité du receveur ni le receveur celle du donneur. En cas de nécessité
thérapeutique, seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux
informations permettant l’identification de ceux-ci » (art. 16.8).
114. Jean-Yves N AU, « Don d’organes : la famille ne donnera plus son accord, mais sera
simplement “informée” des prélèvements », 11 avril 2015. Disponible sur le blog
http://jeanyvesnau.com.
115. Code de la santé publique, ancien article L.671-3.
116. Ibid., article L.1231-1, al. 1 : « Le prélèvement d’organes sur une personne vivante, qui
en fait le don, ne peut être opéré que dans l’intérêt thérapeutique direct d’un receveur. Le
donneur doit avoir la qualité de père ou mère du receveur. » ; al. 2 : « Par dérogation au
premier alinéa, peuvent être autorisés à se prêter à un prélèvement d’organe dans l’intérêt
thérapeutique direct d’un receveur son conjoint, ses frères ou sœurs, ses fils ou filles, ses
grands-parents, ses oncles ou tantes, ses cousins germains et cousines germaines ainsi que le
conjoint de son père ou de sa mère. Le donneur peut également être toute personne
apportant la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans avec le receveur ainsi que toute
personne pouvant apporter la preuve d’un lien affectif étroit et stable depuis au moins deux
ans avec le receveur. »
117. Jean-René BINET, « La gratuité à l’épreuve des utilisations médicales du corps humain »,
Technique, Promesses, et utopies, Où va la médecine ? Colloque de novembre 2014, Collège des
Bernardins, Paris, Parole et Silence, 2015, p. 242. Nora Berra, alors secrétaire d’État chargée
de la santé s’interrogeait lors du débat à l’Assemblée : « S’il n’y a pas de trafics en France,
c’est parce que la question ne se pose pas, la pratique du don d’organes hors du cercle
familial n’étant pas autorisée par la loi. Aux États-Unis, où un lien affectif étroit suffit à
autoriser le don entre vifs, un trafic organisé au sein de certains hôpitaux a été démantelé
par le FBI ; des sanctions pénales ont été prononcées. Donc, ne soyons pas naïfs et prenons
conscience du fait que des dérives peuvent se produire. » Séance du 10 février 2011.
118. Code de la santé publique, article L.1231-1, al. 3.
119. Voir Olga et Christian BAUDELOT, Une promenade de santé, Paris, Stock, 2008.
120. François DAGOGNET, La maîtrise du vivant, Paris, Hachette, 1988, p. 108 et 189.
121. Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, p. 56.
122. Bernard EDELMAN, La personne en danger, Paris, PUF, 1999, p. 346.
123. Jean-Pierre BAUD, L’affaire de la main volée, Paris, Seuil, 1993, p. 223 : « La loi du
22 décembre 1976, en reconnaissant le droit de prélever après la mort, à des fins
thérapeutiques, les organes d’une personne qui ne s’y est pas opposée de son vivant, a de ce
fait établi une certaine propriété commune du cadavre. Si l’on ajoute à ce texte la loi du
14 avril 1954 qui avait organisé une réquisition du sang pour deux classes militaires, et aussi
l’insistance avec laquelle est rappelée l’obligation morale de donner son sang, sa moelle et
ses organes, on en conclut que le corps se trouve être le type même de la chose hors
commerce en ce qu’il ajoute à une transcription moderne de la sacralité une évolution vers le
statut de chose commune. »
124. Voir Didier TRUCHET, « Découverte d’une anomalie génétique et information de la
parentèle », Laennec, 2014/3, Vol. 62, p. 18 et s.
125. Périne MALZAC, « Renoncer au secret dans l’intérêt d’un tiers ? » dans Roland GORI,
Patrick BEN SOUSSAN (dir.), Peut-on vraiment se passer du secret ?, Érès, 2013, p. 154.
126. Ces mesures sont censées être définies par un futur article R.1131-2-5 du Code de la
santé publique, qui n’a pas été proposé pour l’instant.
127. Art. R.1131-20-1 II, introduit dans le Code de la santé publique par un décret du
20 juin 2013.
128. « Madame, Monsieur, En ma qualité de médecin, j’ai été amené(e) à prendre en charge
un membre de votre famille. Les examens effectués sur cette personne ont mis en évidence
une anomalie génétique d’origine familiale qui peut faire l’objet de mesures de prévention ou
de soins. Appartenant à la même famille, il est possible que vous soyez également
concerné(e) par cette anomalie de façon directe ou indirecte. Cela ne signifie, ni que vous
êtes vous-même porteur de cette anomalie ni, si tel était le cas, que vous êtes ou serez atteint
d’une maladie. Tenu au respect de la loi, je ne peux vous révéler ni l’identité de cette
personne ni l’anomalie génétique concernée.
En revanche, il est de mon devoir de vous inviter à consulter un médecin généticien qui sera
à même de vous donner plus de précisions et de vous proposer les examens qu’il jugera
utiles. Ce médecin pourra prendre contact avec moi pour obtenir plus d’informations (1). À
titre indicatif, je vous transmets les coordonnées des consultations de génétique les plus
proches de votre domicile. Vous pouvez également consulter un autre médecin de votre
choix.
Je comprends que ce courrier puisse vous surprendre. D’autres membres de votre famille ont
probablement reçu le même courrier. Certains en parleront et d’autres préféreront se taire. Il
est souhaitable de respecter les choix de chacun. Vous pourrez évoquer également ces
aspects avec le médecin généticien que vous consulterez. Bien entendu, vous restez
totalement libre de donner suite ou non à ce courrier. Je vous prie d’agréer, Madame,
Monsieur, l’expression de ma considération distinguée. »
129. Roland GORI, Marie-José DEL VOLGO, La santé totalitaire : Essai sur la médicalisation de
l’existence, Paris, Flammarion, coll. « Champs Essais », 2014, p. 195.
130. Depuis la loi no 2016-731 du 3 juin 2016 « renforçant la lutte contre le crime organisé,
le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure
pénale » un article 706-56-1-1 a été ajouté : « – Lorsque les nécessités d’une enquête ou
d’une information concernant l’un des crimes prévus à l’article 706-55 l’exigent, le procureur
de la République ou, après avis de ce magistrat, le juge d’instruction, peut requérir le service
gestionnaire du fichier afin qu’il procède à une comparaison entre l’empreinte génétique
enregistrée au fichier établie à partir d’une trace biologique issue d’une personne inconnue et
les empreintes génétiques des personnes mentionnées aux premier et deuxième alinéas de
l’article 706-54 aux fins de recherche de personnes pouvant être apparentées en ligne directe
à cette personne inconnue. Le nombre et la nature des segments d’ADN non codants
nécessaires pour qu’il soit procédé à cette comparaison sont fixés par arrêté du ministre de la
justice et du ministre de l’intérieur. » Désormais, l’ADN de la parentèle pourra être prélevé
pour tenter d’identifier un criminel inconnu. Mais il ne sera pas inclus dans le Fichier
national automatisé des empreintes génétiques.
131. Loi no 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions
sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs.
132. « FNAEG : Fichier national automatisé des empreintes génétiques », 14 avril 2014.
Disponible sur le site de la CNIL : http://www.cnil.fr
133. Jean DANET, « Le FNAEG au Conseil constitutionnel : deux réserves, une confortation
générale », Actualité Juridique, Pénal, no 12, 2010, p. 545. Disponible en ligne.
134. Georges CANGUILHEM, Écrits sur la médecine (1978), Paris, Seuil, 2002, p. 88.
135. On distingue en droit les actes de conservation ou d’administration des biens (ex, la
location), des actes de disposition, plus graves car ils transfèrent la propriété à autrui (vente,
leg, donation).
136. Séminaire de recherche « Religion, éthique et médecine bio-tech », organisé par le
Collège des Bernardins. Intervention de Jean-René Binet le 21 mai 2014 disponible en ligne :
http://media.collegedesbernardins.fr/content/pdf/Recherche/3/recherche-
2013-/2014_05_21_ebm_medecine_bio-tech-sy.pdf
137. « Attendu que, la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à
concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe
d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des
personnes », Cass. Ass. plén., 31 mai 1991, pourvoi no 90-20.105, Bull. civ. 1991, no 4, p. 5.
138. Jean-Pierre BAUD, L’affaire de la main volée, p. 217.
139. L’affaire est rapportée par, entre autres, Bernard EDELMAN, Ni chose, ni personne. Le corps
humain en question, Hermann, 2009 et largement commentée par Irma ARNOUX, Les droits de
l’être humain sur son corps, PUB, 1994, p. 160-162.
140. Jean-Pierre BAUD, Ni chose, ni personne, p. 57.
141. Muriel Fabre MAGNAN, La gestation pour autrui, fictions et réalité, Fayard, 2013, p. 82.
142. À se contenter de reproduire la traduction certes pionnière mais approximative que le
protestant français David Mazel, passé par Londres, publie à Genève où il s’est réfugié
en 1724, les éditions Garnier-Flammarion contribuent à propager cette confusion : « Encore
que la terre et toutes les créatures inférieures soient communes et appartiennent en général
à tous les hommes, chacun pourtant a un droit particulier sur sa propre personne [every man
has a property in his own person], sur laquelle nul autre ne peut avoir aucune prétention. Le
travail de son corps et l’ouvrage de ses mains, nous pouvons le dire, sont son bien propre.
Tout ce qu’il a tiré de l’état de nature, par sa peine et son industrie, appartient à lui seul : car
cette peine et son industrie étant sa peine et son industrie propre et seule, personne ne
saurait avoir droit sur ce qui a été acquis par cette peine et cette industrie, surtout s’il reste
aux autres assez de semblables et d’aussi bonnes choses communes. » John LOCKE, Traité du
gouvernement civil, § 27, p. 163.
143. « Locke, avait fait de la propriété de soi-même (property in) un devoir issu de droit
naturel qui permet de fonder et justifier le droit de propriété sur les choses (property on), et
non un droit. La propriété de soi-même est donc exactement l’inverse d’un droit de s’aliéner
soi-même : ma vie, mes membres et mon corps sont aussi inaliénables que ma liberté »,
Dominique FOSLCHEID, Jean-Jacques WUNENBURGER, « Le champ de la médecine », Philosophie,
éthique et droit de la médecine, Paris, PUF, 1997, p. 125.
144. « Man, by being master of himself, and proprietor of his own person, and the actions or
labour of it, had still in himself the great foundation of property. » John LOCKE, Traité du
gouvernement civil, § 27, p. 176. Pour confirmer cette lecture, il suffit de lire le début du
§ 123 : « Si l’homme, dans l’état de nature, est aussi libre que j’ai dit, s’il est le seigneur
absolu de sa personne et de ses possessions… », p. 236.
145. Fabrice D’ALMEIDA, La manipulation, Paris, PUF, 2003, p. 4.
146. Georges CANGUILHEM, La connaissance de la vie, Vrin, 1971, p. 111.
147. « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la
personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement
comme un moyen. » Emmanuel Kant, Fondement de la métaphysique des mœurs, trad.
V. Delbos, LGF, 1993, p. 105.

4. SECRET OU SÉCURITÉ ?

1. Alain PEYREFITTE, Les chevaux du lac Ladoga, Plon, 1981, p. 293.


2. Marie-Jean SAURET, « L’intime et le privé », Empan 2010/1 (no 77), p. 53-57.
3. « Il s’agit d’actes de typologie multiple, du harcèlement au viol, à la maltraitance et à la
violence physique, dans tout lieu, y compris l’hôpital. La vulnérabilité particulière de ces
patients conduit à ce qu’ils ne signalent que rarement les atteintes dont ils sont victimes, en
particulier en institution ou dans le milieu familial ». Rapport de l’HAS sur la dangerosité
psychiatrique, mars 2011, p. 8, voir http://www.has-sante.fr.
4. Disponible en ligne sur le site http://www.legifrance.gouv.fr
5. Daniel ZAGURY, « La psychiatrie publique dévoyée », Journal français de psychiatrie 2010/3
(no 38), p. 34.
6. Pour l’analyse juridique de la loi du 5 juillet 2011, voir Isabelle ROME, « Pour un juge
garant de la liberté individuelle de chaque patient », L’information psychiatrique 2011/10
(Volume 87), p. 757-762.
7. C’est in extenso ce que dit l’avant projet de loi : « Il s’agit de substituer la notion de soins
sans consentement à la notion d’hospitalisation sans consentement ». Avant-projet de loi
relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et
aux modalités de leur prise en charge, no 2494, Assemblée nationale, 5 mai 2010, Exposé des
motifs, p. 6.
8. Claude-Olivier DORON, « Ce que “soin” veut dire. Quelques réflexions à propos d’une
substitution de mots dans la loi du 5 juillet 2011 », Journal français de psychiatrie 2010/3
(no 38), p. 19-21.
9. Circulaire du 21 juillet 2011 relative à la présentation des principales dispositions de la loi
no 2011-803 du 5 juillet 2011, Bulletin officiel du ministère de la justice et des Libertés.
10. Michel SCHNEIDER, Big Mother, Psychopathologie de la vie politique, Odile Jacob, 2002.
11. Gilles SAINATI, « La loi du 5 juillet 2011, une loi biopolitique ? » Médiapart, 23 mai 2012.
« La contrainte devient protéiforme sous les atours d’une bienveillante tolérance. Le danger
devient évident et repose sur l’énoncé de la loi : généraliser les soins sans consentement hors
l’hôpital transforme petit à petit la psychiatrie en une trame médico-administrative vouée à
distribuer dans le corps social les prises en charge juridiquement imposées. À cet égard, le
fait que les soins sans consentement aient vocation à se dérouler hors de l’hôpital et puissent
même englober le domicile du malade s’avère lourd de significations quant à un effacement
de nombre de séparations fondatrices de notre constitution sociale voire anthropologique :
liberté/contrainte, dedans/dehors, privé/public… »
12. La proposition no 103 du rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur
l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe
suggère « d’augmenter le nombre d’UHSA pour permettre une prise en charge adaptée des
détenus présentant des troubles mentaux engagés dans un processus de radicalisation ». Or
les unités hospitalières spécialement aménagées ont pour seule vocation d’être un lieu
d’hospitalisation psychiatrique pour les personnes détenues qui présentent une pathologie
mentale. Cf. Hospimédia 12 mai 2015.
13. « Art. L. 3211-12-2. – I. – Lorsqu’il est saisi en application des articles L.3211-12 ou
L.3211-12-1, le juge, après débat contradictoire, statue publiquement. Il peut néanmoins
décider que les débats ont lieu ou se poursuivent en chambre du conseil s’il doit résulter de
leur publicité une atteinte à l’intimité de la vie privée, si l’une des parties le demande ou s’il
survient des désordres de nature à troubler la sérénité de la justice. »
14. Gentiane CAMBIER et al., « Enquête qualitative sur la loi du 5 juillet 2011 en psychiatrie »,
Santé Publique 2013/6 (Vol. 25), p. 796.
15. Services de psychiatrie hospitalière dédiés aux personnes détenus et gardés par du
personnel de l’administration pénitentiaire. L’équivalent somatique existe : les UHSI, pour
unités d’hospitalisation sécurisées interrégionales.
16. « De multiples intervenants vont devoir donner leur avis : décisionnaires administratifs
(directeurs d’hôpitaux, préfets), magistrats, psychiatres (soignants, experts), autres soignants
(collège), avocats avec le risque de désaccord conduisant à des incertitudes majeures sur leur
sort pour les patients ». Michel DAVID, Soigner les méchants, p. 60.
17. L’injonction thérapeutique est une des modalités de l’obligation de soin, telle que prévue
par les articles L. 3413-1 à L. 3413-4 du Code de la santé publique, lorsqu’il apparaît que le
condamné fait usage de stupéfiants ou fait une consommation habituelle et excessive de
boissons alcooliques.
18. Michel DAVID, Soigner les méchants, p. 105.
19. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/guide_injonction_de_soins.pdf, (2009), p. 15.
20. Voir Claude-Olivier DORON, « Une volonté infinie de sécurité », Folie et justice : relire
Foucault, sous la direction de Philippe Chevalier et Tim Greacen Paris, éd. Erès, 2009, p. 181-
182. Les jeunes qui mettent le feu à une voiture lors du 14 juillet, comme cela peut arriver,
peuvent relever d’une injonction de soin, et donc d’une expertise psychiatrique, qui si elle
tarde à venir, ralentit d’autant leur aménagement de peine si ils sont incarcérés.
21. La contrainte pénale, cette nouvelle peine mise en œuvre par la réforme de Christiane
Taubira peut, elle aussi, contenir un important volet socio-judiciaire. Le temps nous dira si
cette nouvelle peine a un avenir.
22. Pendant l’incarcération, il s’agit d’incitation aux soins. Cette incitation, néanmoins, est
forte, puisque des permissions de sortie et des aménagements de peine peuvent être refusés
si le patient ne présente pas à son juge de l’application des peines des certificats attestant
d’un suivi psychologique ou psychiatrique : « Lorsque la personne a été condamnée pour un
crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru, une libération
conditionnelle ne peut lui être accordée si elle refuse pendant son incarcération de suivre le
traitement qui lui est proposé par le juge de l’application des peines en application des
articles 717-1 et 763-7 du Code de procédure pénale ». Guide de l’injonction de soin, op. cit.,
p. 22.
23. Ce médecin coordonnateur est inscrit sur une liste dédiée dans chaque tribunal de
grande instance et désigné par le juge de l’application des peines quand une mesure soit être
mise à exécution. Or il n’est pas aisé de trouver un thérapeute traitant si l’on habite dans une
zone déficitaire. Et la loi prévoit le retour en prison du patient qui n’a pas honoré son
injonction de soin, y compris si c’est non pas par manque de volonté, mais faute de
psychiatre ou psychologue disponible ! (article R. 3711 du Code de la santé publique. « Si le
juge de l’application des peines estime impossible de procéder à la désignation d’un médecin
ou d’un psychologue traitant, il peut ordonner en application des dispositions de
l’article 763-5 du Code de procédure pénale, la mise à exécution de l’emprisonnement
encouru ».
24. « Le juge de l’application des peines communique au médecin traitant, par l’intermédiaire
du médecin coordonnateur, copie de la décision ayant ordonné l’injonction de soins. Le juge
communique également au médecin traitant, à la demande de ce dernier ou à son initiative,
par l’intermédiaire du médecin coordonnateur, copie des rapports des expertises médicales
réalisées pendant l’enquête ou l’instruction, du réquisitoire définitif, de la décision de renvoi
devant la juridiction de jugement, de la décision de condamnation ainsi que des rapports des
expertises qu’il a ordonnées en cours d’exécution de la peine. Le juge peut, en outre, adresser
au médecin traitant toute autre pièce utile du dossier ».
25. Pour l’analyse précise de ce dispositif, voir par exemple Claude-Olivier DORON, « La
rétention de sûreté : vers un nouveau type de positivisme juridique ? », L’information
psychiatrique 2008/6 (Volume 84), p. 533-541.
26. J.-P. GARRAUD, Réponses à la dangerosité. Rapport de la mission parlementaire sur la
dangerosité. Paris : La Documentation Française, 2006, p. 73.
27. Ibid., p. 77.
28. Romain DURIEZ, « Peut-on incarcérer les islamistes radicaux avant le passage à l’acte ? »,
Midi Libre. « Eric Ciotti, député LR des Alpes-Maritimes, a notamment demandé la mise en
place de centre de rétention pour islamistes radicaux. Le but : incarcérer préventivement les
personnes à risque avant qu’elles ne passent à l’acte. » Article disponible sur le site de Midi
Libre : http://www.midilibre.fr
29. http://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/Dommage_Corporel.pdf Les
critères d’inscription ont été précisés par le décret no 2004-1463 du 23 décembre 2004.
30. Michel FOUCAULT, Les anormaux, Cours au Collège de France 1974-1975, Paris, EHESS-
Gallimard-Seuil, 1999, p. 7.
31. Ibid., p. 19.
32. Ibid., p. 23.
33. On lira avec profit Daniel LIOTTA, « Les raisons de la dangerosité », Criminocorpus, Le
SMPR de Marseille a 30 ans : Histoire et engagement, regards croisés, Communications, mis
en ligne le 17 octobre 2012, http://criminocorpus.revues.org/2048.
34. Flore THOMASSET, « Daniel Zagury, passion psy », La Croix, 15 mai 2016. Article
disponible en ligne.
35. Les expertises, sans doute caricaturales, citées par Foucault ne sont plus dans la clinique
quand elles se laissent aller à dire que Untel fait preuve de « paresse », « d’entêtement » et de
« méchanceté ». Michel FOUCAULT, Les anormaux, p. 30.
36. Dans son enquête sur la loi du 5 juillet 2011, Gentiane Cambier recense trois attitudes
des juges des libertés et de la détention. Certains ne jugent que sur la forme. D’autres ont un
regard sur le fond orienté par les certificats des médecins, d’autres enfin « se prononcent
parfois sur le fond, c’est-à-dire sur l’état clinique du patient ». Les juges interrogés dans
l’enquête reconnaissent que dans ces circonstances, il peut y avoir « un dévoiement » de leur
fonction, et que certains d’entre eux « peuvent tomber dans l’idéologie, ou l’affect ». Gentiane
CAMBIER et al., « Enquête qualitative sur la loi du 5 juillet 2011 en psychiatrie », Santé
Publique 2013/6 (Vol. 25), p. 796.
37. Le juge ne peut méconnaître l’exigence de respect du secret médical, ce que rappelle
l’arrêt Cass. Civ. 2e, 7 décembre 2004 no 02-12.539. « Si le juge civil a le pouvoir d’ordonner
à un tiers de communiquer à l’expert les documents nécessaires à l’accomplissement de sa
mission, il ne peut, en l’absence de disposition législative spécifique, contraindre un médecin
à lui transmettre des informations couvertes par le secret lorsque la personne concernée ou
ses ayants droit s’y sont opposés. Il appartient alors au juge saisi sur le fond d’apprécier si
cette opposition tend à faire respecter un intérêt légitime ou à faire écarter un élément de
preuve et d’en tirer toute conséquence quant à l’exécution du contrat d’assurance. »
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT 000007047575
38. Paul RICŒUR, Préface à l’ouvrage de la Commission médicale de la section française
d’Amnesty International, Médecins tortionnaires, médecins résistants, La découverte, 1990,
p. 6.
39. Michel FOUCAULT, Les anormaux, p. 20.
40. Le Figaro, 13 février 2015
41. Ouest France, 11 février 2015.
42. Brigitte GALTIER, « “La psychologie est une arme à double tranchant” : Sigmund Freud et
l’expertise judiciaire », Droit et cultures [En ligne], 60 | 2010-2. Disponible sur :
http://droitcultures.revues.org/2335
43. Sigmund FREUD, « L’établissement des faits par voie diagnostique et la psychanalyse »
(1906), dans L’inquiétante étrangeté et autres essais, p. 26.
44. Brigitte GALTIER, « “La psychologie est une arme à double tranchant” : Sigmund Freud et
l’expertise judiciaire ».
45. Donald Woods WINNICOTT, « De la communication et de la non-communication, suivi
d’une étude de certains contraires », (1963) dans Processus de maturation chez l’enfant, trad.
J. Kalmanovitch, Payot, 1980, p. 160.
46. D. W. WINNICOTT, De la pédiatrie à la psychanalyse, trad. J. Kalmanovitch, Payot, 1989,
p. 251.
47. Michel FOUCAULT, Les anormaux, p. 22.
48. Michel SCHNEIDER, Big Mother, Psychopathologie de la vie politique, p. 82.
49. « Généraliser les soins sans consentement hors l’hôpital transforme petit à petit la
psychiatrie en une trame médico-administrative vouée à distribuer dans le corps social les
prises en charge juridiquement imposées. À cet égard, le fait que les soins sans consentement
aient vocation à se dérouler hors de l’hôpital et puissent même englober le domicile du
malade s’avère lourd de significations quant à un effacement de nombre de séparations
fondatrices de notre constitution sociale voire anthropologique : liberté/contrainte,
dedans/dehors, privé/public. » Gilles SAINATI, « La loi du 5 juillet 2011, une loi
biopolitique ? », Mediapart.fr, 23 mai 2012.
50. « Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le
monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans
repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils remplissent leur
âme. […] Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul
d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant
et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de
préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche au contraire, qu’à les fixer
irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les concitoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne
songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique
agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite
leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions,
divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine
de vivre ? C’est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l’emploie du libre
arbitre ; qu’il renferme l’action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu
chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même ». Alexis de TOCQUEVILLE, De la démocratie en
Amérique, tome II, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1986, p. 434.
51. Hannah ARENDT, « Le domaine public et le domaine privé », Condition de l’homme
moderne (1958), trad. G. Fradier, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Pocket », 1983, p. 119.
52. Michel SCHNEIDER, Big Mother, p. 101. L’auteur poursuit plus loin, à la page 123 : « La
conversion de la politique en morale accompagne la transformation de la société en
nursery ».
53. Hannah ARENDT, Condition de l’homme moderne, p. 112.
54. D. W. WINNICOTT, « De la communication et de la non-communication, suivi d’une étude
de certains contraires », p. 162.
55. Paul MACHTO, La psychiatrie violentée, 2005 : « Même le dossier patient est l’objet d’une
mise aux normes, avec en arrière-plan la crainte d’éventuelles poursuites judiciaires par les
patients. L’introduction des “transmissions ciblées” pour les infirmiers dans ce dossier vise
explicitement à “un gain de temps”, à ne plus se perdre dans le narratif, à gommer toute
subjectivité, à aller à l’essentiel : une véritable novlangue est ainsi élaborée, une attaque du
discours clinique singulier est entreprise : le discours du patient doit être formaté pour être
consigné et réduit dans le dossier. » Disponible en ligne : http://www.psychanalyse-in-
situ.fr/boite_a/psyViolentee.html
56. « Les scanners optiques permettant de relever rapidement les empreintes digitales ainsi
que la structure de l’iris ont fait sortir les dispositifs biométriques des commissariats de
police pour les ancrer dans la vie quotidienne. Dans certains pays, l’entrée des cantines
scolaires est ainsi contrôlée par un dispositif de lecture optique sur lequel l’enfant pose
distraitement sa main […]. [La vidéosurveillance] a connu le même destin que les
empreintes digitales : conçu pour les prisons, il a été progressivement étendu aux lieux
publics. Or un espace vidéo surveillé n’est plus une agora, il n’a plus aucun caractère public ;
c’est une zone grise entre le public et le privé, la prison et le forum. » G. AGAMBEN,
« Comment l’obsession sécuritaire fait muter la démocratie », Le monde diplomatique,
janvier 2014.
57. Virginie GAUTRON, maître de conférences en droit pénal à l’université de Nantes, pilote
actuellement une recherche autour de « Réprimer et soigner ». http://repeso.hypotheses.org
58. Voir le rapport annuel 2010 du CGLPL, publié aux Éditions Dalloz et disponible en ligne
sur le site http://www.cglpl.fr
59. « Une réduction supplémentaire de la peine peut être accordée aux condamnés qui
manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment en passant avec succès
un examen scolaire, universitaire ou professionnel traduisant l’acquisition de connaissances
nouvelles, en justifiant de progrès réels dans le cadre d’un enseignement ou d’une formation,
en suivant une thérapie destinées à limiter le risque de récidive ou en s’efforçant d’indemniser
leurs victimes » (art. L.721-1 du Code de procédure pénale).
60. « La commission d’audition se montre réservée sur les dispositions visant à subordonner
des réductions de peine au suivi d’une thérapie en prison ». Communiqué de presse
disponible sur le site http://www.has-sante.fr
61. Le médecin traitant est habilité, sans que puissent lui être opposées les dispositions de
l’article 226-13 du Code pénal, à informer le juge de l’application des peines ou l’agent de
probation de l’interruption du traitement. Lorsque le médecin traitant informe le juge ou
l’agent de probation, il en avise immédiatement le médecin coordonnateur. Le médecin
traitant peut également informer de toutes difficultés survenues dans l’exécution du
traitement le médecin coordonnateur qui est habilité, dans les mêmes conditions qu’à l’alinéa
précédent, à prévenir le juge de l’application des peines ou l’agent de probation. Le médecin
traitant peut également proposer au juge de l’application des peines d’ordonner une
expertise médicale.
62. Pour une analyse plus approfondie de la rétention de sûreté, voir Anne LÉCU, La prison,
un lieu de soin ?, Belles Lettres, 2013.
63. Article L.3711-2 : « Sans que leur soient opposables les dispositions de l’article 226-13 du
Code pénal, les praticiens chargés de dispenser des soins en milieu pénitentiaire
communiquent les informations médicales qu’ils détiennent sur le condamné au médecin
coordonnateur afin qu’il les transmette au médecin traitant. – Le médecin traitant délivre des
attestations de suivi de traitement à intervalles réguliers, afin de permettre au condamné de
justifier auprès du juge de l’application des peines de l’accomplissement de son injonction de
soins. »
64. Michel ONFRAY, Nicolas SARKOZY, « Confidences entre ennemis », Philosophie Magazine 8,
avril 2007.
65. Propos rapportés par Hospimédia le 21 avril 2015.
66. Art. L.811-4 du Code de la sécurité intérieure. « Un décret en Conseil d’État, pris après
avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, désigne les
services, autres que les services spécialisés de renseignement, relevant des ministres de la
défense, de la justice et de l’intérieur ainsi que des ministres chargés de l’économie, du
budget ou des douanes, qui peuvent être autorisés à recourir aux techniques mentionnées au
titre V du présent livre dans les conditions prévues au même livre. »
67. Le Monde, 13 avril 2015.
68. Article 14 de la loi no 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime
organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la
procédure pénale : I. – Le livre VIII du Code de la sécurité intérieure est ainsi modifié : 1/ À
la première phrase de l’article L.811-4, les mots : « et de l’intérieur » sont remplacés par les
mots : «, de l’intérieur et de la justice » ; 2/ À la première phrase du premier alinéa de
l’article L.821-2, après le mot : « intérieur », sont insérés les mots : «, du ministre de la
justice ».
69. Michel DAVID, Soigner les méchants, p. 27.
70. E. DUCPÈTIAUX, Du système de l’emprisonnement cellulaire, 1847, p. 56, cité par Michel
FOUCAULT, Surveiller et punir, Gallimard, 2004, p. 254.
71. La CNIL note dans sa délibération no 2011-021 du 20 janvier 2011 que le cahier
électronique de liaison a été expérimenté « sans que son avis préalable ait été recueilli
comme le prévoit la loi du 6 janvier 1978 modifiée en août 2004 ». Disponible sur
http://www.legifrance.gouv.fr
72. http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2012/06/cir_35431.pdf
73. Les unités de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) ont jusqu’en 2012 représenté
les soins somatiques, tandis que le service médico-psychologique régional (SMPR) représente
les soins psychiatriques. Après la mise à jour de 2012 du Guide méthodologique qui règle les
soins en prison, le terme UCSA a été remplacé par celui d’unité sanitaire (US). Nous avons
donc perdu et la notion de soin, et la notion d’ambulatoire. C’est regrettable.
74. Prisons : menace sur le secret médical, dans Bulletin d’information de l’Ordre national des
médecins 18, juillet-août 2011. Numéro disponible en ligne sur le site du Conseil national de
l’Ordre des médecins.
75. Délibération no 2011-021 du 20 janvier 2011.
76. Délibération no 2013-405 du 19 décembre 2013.
77. « Dans le contexte de multiplication, à tout moment et dans toute instance, d’échange
d’informations autour de la personnalité des personnes détenues, il lui semble à la fois
légitime et nécessaire que le personnel soignant, à l’intérieur de l’UCSA ou du SMPR comme
en consultation à l’hôpital, et le cas échéant, en commission pluridisciplinaire unique s’il
choisit d’y assister, invoque le secret médical auquel il ne peut se soustraire ». Le Contrôleur
général des lieux de privation de liberté, Rapport d’activité 2011, Paris, Dalloz, 2012, p. 94.
Ce rapport est, comme les précédents, accessible en ligne : http://www.cglpl.fr
78. CGLPL, Rapport d’activité 2011, p. 210.
79. http://www.union-syndicale-magistrats.org/web/n741_deploiement-du-logiciel-
genesis.html
80. Association des Professionnels de Santé exerçant en Prison, « Communiqué demandant
un moratoire sur le déploiement du logiciel GENESIS », 17 juin 2015. Disponible sur le site
de l’Union syndicale de la psychiatrie : http://www.uspsy.fr
81. Cour des comptes, La santé des personnes détenues, 2014, p. 289.
82. Avis accessible en intégralité sur le site de l’Apsep : http://www.sante-
prison.com/upload/cnom_cir-15-12.pdf
83. Arrêté du 23 décembre 2014 portant création de traitements de données à caractère
personnel relatifs à la vidéoprotection des cellules de protection d’urgence.
84. Article 1 de l’arrêté. Journal Officiel de la République Française no 0136 du 12 juin 2016.
85. Articles R.57-7-64 et R. 57-7-73 du Code de procédure pénale.
86. À l’antenne de France 24, le 27 mai 2016.
87. APMNews.com, le 21 mai 2015.
88. Robin PANFILI, « Skype, le nouveau parloir », Slate.fr, 6 mai 2016.
89. G. AGAMBEN, « Comment l’obsession sécuritaire fait muter la démocratie », Le Monde
diplomatique, janvier 2014.
90. Michel FOUCAULT, Les anormaux, p. 43.
91. Raymond VILLEY cite de nombreux textes qui vont en ce sens. Remarquons l’édit de 1666,
signé de Louis XIV, qui disposait que les chirurgiens « seront tenus de tenir boutique ouvertes
et de déclarer au commissaire du quartier les blessés qu’ils auront pansés chez eux ou
ailleurs, à peine de 200 livres d’amende pour la première fois, en cas de récidive de
l’interdiction de la maîtrise pendant un an, pour la troisième de la privation de leur
maîtrise. » Cet édit, constamment réactualisé, se fit plus insistant encore pendant la
Révolution. Voir Raymond VILLEY, Histoire du secret médical, p. 51.
92. Parlement de Toulouse en 1537.
93. Cité par Raymond VILLEY, Histoire du secret médical, p. 84.
94. Il raconte cette insurrection dans Les Misérables.
95. Voir Marc RENNEVILLE, Crime et folie : deux siècles d’enquête médicales et judiciaires, Fayard,
2003.
96. Michel FOUCAULT, Les anormaux, p. 148.
97. Sigmund FREUD, Malaise dans la civilisation, trad. J. Cotet, (1929), PUF, 1986, p. 69.
98. La loi no 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance permet aux
professionnels concernés de produire une « information préoccupante » adressée au
président du Conseil général.
99. Pierre VERDIER, Laure DOURGNON. « Le secret professionnel est-il opposable au maire et au
président du conseil général ? », JDJ-RAJS no 284, avril 2009, p. 20-25. « Le simple fait qu’ils
soient chargés de l’organisation du travail ou du financement des actions ne les autorise pas
à connaître le fond du dossier. »
100. CA d’Orléans (en retour de cassation) 12 décembre 1982.
101. Pierre VERDIER, Laure DOURGNON. « Le secret professionnel est-il opposable au maire et
au président du conseil général ? »
102. Article 56-3 du Code de procédure pénale : « Les perquisitions dans le cabinet d’un
médecin, d’un notaire ou d’un huissier sont effectuées par un magistrat et en présence de la
personne responsable de l’ordre ou de l’organisation professionnelle à laquelle appartient
l’intéressé ou de son représentant. »
103. De fait, c’est la loi sur la prévention de la délinquance elle-même qui, en même temps
qu’elle donne la possibilité de communiquer au maire, élargit les possibilités de l’officier de
police judiciaire et modifie l’art. 60-1 du Code de procédure pénale qui avait été créé par la
loi Perben.
104. Xavier LAMEYRE, Maria CARDOSO, « La délation en droit pénal français, une pratique qui
ne dit pas son nom », dans Jean-Paul BRODEUR, Fabien JOBARD, Citoyens et Délateurs
, Autrement « Mutations », 2005, p. 153.
105. Antoine IZAMBARD, « Attentats de Paris : “Je ne reconnais plus la gauche dans ce pays” »,
Challenges, 27 novembre 2015.
106. La Tribune de Genève, 28 mars 2014.
107. Bertrand KIEFER, Revue médicale suisse, no 424, octobre 2014,
http://rms.medhyg.ch/numero-424-page-776.htm
CONCLUSION

1. Jan PATOÇKA, Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire, trad. de E. Abrams, Lagrasse,
Verdier poche, 1999, p. 213.
2. Marie-Caroline CABUT, « États-Unis : les délinquants sexuels bientôt fichés directement sur
leur passeport ? », Libération, 3 février 2016. L’information avait été livrée la veille dans le
magazine Vice par Beth Schwartzapfel du Marshall Project, un groupement d’investigation
sur les abus de justice, qui y voyait une nouvelle Scarlet Letter, « lettre écarlate » ou signe
d’infamie apposé au fer rouge, selon le titre du fameux roman de Nathaniel Hawthorne
(† 1864) dénonçant les dérives du monde puritain.
3. C’est ce que soutient Anne JURANVILLE, « Voile, féminin et inconscient », Adolescence 2004/3
(no 49), p. 523-532.
4. Ibid.
5. Jacques LACAN, mardi 20 mars 1973, Séminaire XX, Encore, Seuil, 1975, p. 85.
6. Emmanuel LEVINAS, Totalité et infini (1961) LGF, 1991, p. 289.
7. Emmanuel LEVINAS, Autrement qu’être, Dordrecht, 1988, p. 97.
8. Cahiers du Collège de Médecine 1966, p. 761-774, retranscription de Patrick Valas :
http://www.valas.fr/IMG/pdf/lacan_la_place_de_la_psychanalyse_dans_la_medecine_1966-
02-16.pdf. Nous soulignons.
9. Claude BRUAIRE, Une éthique pour la médecine, Fayard, 1978, p. 35.
Liste des abréviations
APSEP Association des professionnels de santé
exerçant en prison

ARS Agence régionale de santé

ASPMP Association des secteurs de psychiatrie en


milieu pénitentiaire

CCNE Comité consultatif national d’éthique

CEL Cahier électronique de liaison

CGLPL Contrôleur général des lieux de privation de


liberté

CNIL Commission nationale de l’informatique et


des libertés

CNOM Conseil national de l’Ordre des médecins

CPU Commission pluridisciplinaire unique

CRPA Cercle de réflexion et de proposition


d’actions sur la psychiatrie

DGOS Direction générale de l’offre de soins

DGS Direction générale de la santé

DIM Département d’information médicale

DMP Dossier médical partagé

FNAEG Fichier national automatisé des empreintes


génétiques

GENESIS Gestion nationale des personnes écrouées


pour le suivi individualisé et la sécurité

GHT Groupements hospitaliers de territoires

GIDE Gestion informatisée des détenus en


établissement

HAS Haute autorité de santé

IGAS Inspection générale des affaires sociales


INDS Institut national des données de santé

MDPH Maison départementale des personnes


handicapées

PAERPA Personnes âgées en risque de perte


d’autonomie

PMSI Programme de médicalisation des systèmes


d’information

SMPR Service médico-psychologique régional

SNIIRAM Système national d’information inter-


régimes de l’assurance maladie

SPH Syndicat des psychiatres hospitaliers

UCSA Unité de consultations et de soins


ambulatoires, désormais US pour « unités
sanitaires »

UHSA Unités d’hospitalisation spécialement


aménagées

UHSI Unités d’hospitalisation sécurisées


interrégionales

UMD Unités pour malades difficiles

USM Union syndicale des magistrats


Bibliographie succincte

ARENDT Hannah, « Le domaine public et le domaine privé », Condition


de l’homme moderne (1958), Paris, Calmann-Lévy, coll.
« Pocket », 1983.
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Margaret Llasera, Paris, GF-Flammarion, 2000.
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Cités, 2006/2, no 26.
BOUTANG Pierre, Ontologie du secret, Paris, PUF, coll. « Quadridge »,
1993.
BRUAIRE Claude, Une éthique pour la médecine, Paris, Fayard, 1978.
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—, Écrits sur la médecine (1978), Paris, Seuil, 2002.
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déontologique », Médecins, Bulletin d’information de l’Ordre
national des médecins, numéro spécial novembre-décembre 2012.
DAVID Michel, Soigner les méchants. Éthique du soin psychiatrique en
milieu pénitentiaire, Paris, L’Harmattan, 2015.
DORON Claude-Olivier, « Ce que “soin” veut dire. Quelques réflexions
à propos d’une substitution de mots dans la loi du 5 juillet 2011 »,
Journal français de psychiatrie 2010/3 (no 38).
EDELMAN Bernard, Ni chose, ni personne. Le corps humain en question,
Hermann, 2009.
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soutenue à Paris VIII, déc. 2012. Disponible en ligne.
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Le secret médical. Actes du XI colloque du centre de droit de la santé
d’Aix-Marseille, dans Les Cahiers de droit de la santé du sud-est 15,
Bordeaux, LEH Édition, 2012.
Remerciements

Ce travail est le fruit d’une longue réflexion débutée avec l’École


éthique de la Salpêtrière et poursuivie dans le cadre du département
d’éthique biomédicale du Collège des Bernardins. Mais c’est surtout
au quotidien, avec mes collègues de travail en prison et les membres
de nos associations professionnelles respectives qu’elle s’est affinée.
Ma reconnaissance est grande envers ceux qui ont pris le temps de
me conseiller et de me relire. Ma gratitude enfin va aux Éditions du
Cerf qui m’ont aidée à porter ce projet à son terme. Que chacun, ici,
soit vivement remercié !
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