Le Secret Médical (Lécu Anne)
Le Secret Médical (Lécu Anne)
Le Secret Médical (Lécu Anne)
www.editionsducerf.fr
24, rue des Tanneries
75013 Paris
EAN : 978-2-204-11835-4
NUDITÉS
Images
L’oubli d’Épiméthée
Transgression biblique
Pudeur et honte
CARTOGRAPHIE
Étymologie
e
Le mot français « secret » date du XVI siècle. Auparavant, on disait
« segret ». Il traduit le latin secretum, de l’adjectif secretus, lui-même
18
issu du verbe secernere, « séparer, mettre à part ». Le verbe secernere
est composé du préfixe se- et de cernere. Le préfixe se-, pronom
réflexif, marque le retour à soi après être parti de soi. Le verbe
cernere, au participe passé cretus, est polysémique. Son premier sens,
très concret, est « passer au crible ». Il renvoie au tamisage du grain
qui permet de séparer le bon grain de l’ivraie (ou la criblure,
excrementum). Les sens figurés vont se traduire par « cerner » quand
il s’agit de « séparer par la vue », « discerner » quand il s’agit de
séparer par l’intelligence et, par extension, trancher, juger. Le français
en garde une trace dans les verbes « concerner », « décerner »,
« concert », « déconcerter ».
Cernere est de la même famille que « certain » et se rattache à la
racine de forme °krei qui renvoie également à « séparer ». Il
s’apparente au grec krinein, « couper, décider » qui a donné krisis,
« crise », mais aussi « jugement, discrimination ». La racine °krei, se
retrouve en français dans « crible, crise, critique, critère » ou encore
dans « criminel, crête, décret, hypocrisie », et enfin dans « endocrine,
exocrine ». L’adjonction du préfixe ex- a donné excernere, qui met
l’accent sur le rejet et signifie « évacuer par criblage », la criblure, on
vient de le voir, se disant excrementum qui signifie aussi le déchet. Le
français en dérive dans deux directions, l’excrétion et l’excrément.
e
Aussitôt que le XIII siècle, les chambra segreta désignent les « lieux
19
d’aisance », les toilettes . Néanmoins, l’adjonction du préfixe se- met
l’accent non plus sur le rejet mais la conservation, et donne, outre
« secret », « sécrétion 20 ».
Quant à la famille à laquelle renvoie en français « occulter », elle
est autre et dérive de la racine indo-européenne °kel, qui a donné
« celer », au sens de « cacher, dissimuler, retenir », mais aussi
« cellule », ou encore en anglais hell, « l’enfer », et hull, « ce qui
couvre, la coque ». En quoi l’on voit bien que l’histoire du mot secret
n’est pas d’abord une histoire d’occultation, mais de séparation. « Le
secret évoque à la fois le processus de séparation, l’élément qui a été
21
séparé et la décision sur la séparation ». C’est ce qui fait la difficulté
d’une telle notion polysémique. Il faut séparer du reste ce qui est
voué au déchet. Séparer ce qui est potentiellement occasion de honte
de ce qui ne l’est pas. Le secret vient séparer la sphère publique de la
sphère privée, intime. La mise à part de l’intimité, c’est la possibilité
d’être vulnérable, sans s’exposer au danger et sans encourir de
violence.
C’est pourquoi le concept de secret est si compliqué à établir. Il ne
désigne pas seulement une chose ou une information, mais aussi le
moment de suspension qui précède la décision de dire ou de taire
ainsi que le geste qui consiste à voiler ou à montrer. Le secret du
médecin, ou de l’avocat, du prêtre, n’est pas uniquement un contenu.
Il n’est pas seulement un acte. Il est aussi une circonstance et surtout
un lieu. C’est un lieu non pas au sens de la géographie, mais d’une
topique. Car le secret organise les relations autour de lui et cet
agencement produit (ou pas) du sens.
LA CONFESSION
Fondement théologique
MUTATIONS MODERNES
Métamorphose de l’héritage
Le tournant de la Renaissance
Le sacré
44
Les instances du pouvoir, du savoir et du sacré , toutes liées au
secret, étaient autrefois localisées de façon sinon visible, au moins
lisible. Est-ce encore le cas ? Pour s’être attaché à observer le
phénomène des sociétés secrètes, le sociologue Georg Simmel note
comme invariance que « la coexistence des hommes, dans des
circonstances par ailleurs égales, aurait besoin d’une certaine part de
secret, celui-ci changeant seulement d’objet, abandonnant ceci pour
45
s’emparer de cela ». À le suivre, il faut en déduire que, même en
notre temps où la transparence est élevée à la hauteur de valeur
incontournable, le secret se niche immanquablement quelque part.
Mais, plus simplement encore, il est aisé de constater que, chaque fois
que nous dévoilons un secret, nous en voilons simultanément un
autre. Davantage de transparence semble paradoxalement nous
conduire à davantage d’opacité. Enfin, le secret, longtemps à l’abri
des trois grands lieux qui l’ont classiquement institué, la confidence
au prêtre, la consultation auprès du médecin, l’entretien avec
l’avocat, se démultiplie aujourd’hui en secret des affaires pour les
entrepreneurs, secret des sources pour les journalistes, secret défense
ou secret d’État pour les gouvernants, qui supplantent les premiers à
considérer la sanctuarisation dont bénéficient rétrocommissions,
scoops et programmes d’armement. Les lieux où se loge le secret nous
disent quelque chose de ce qui, pour nous, a valeur d’absolu. Quitte à
en déduire que, désormais, le corps humain serait moins sacré que le
compte en banque, le laboratoire pharmaceutique ou la fabrique de
l’opinion.
Le pouvoir médical est lié au pouvoir de savoir, mais il est plus
encore un pouvoir de transgression. Il y a et il y a toujours eu du
sacré en médecine, cet art de danser sur les limites de la vie et de la
mort. À se conformer aux règles, l’infirmière qui fait une piqûre
n’encourt rien de la police et la justice. À poursuivre dans la rue un
anonyme, seringue à la main, pour lui administrer l’injection d’un
produit inconnu, elle est passible du délit de coups et blessures au
civil et au pénal. À opérer son patient au bloc, le chirurgien accomplit
son métier. À ouvrir arbitrairement un corps hors de ce cadre, le
même est justiciable d’acte de torture et de barbarie. À un surveillant
de prison qui lui demande de pratiquer un examen gynécologique sur
une détenue qui a peut-être dissimulé un téléphone portable dans son
vagin, le médecin doit expliquer qu’un tel toucher ne peut être posé
qu’à la condition impérative d’avoir une finalité clinique. Sinon, c’est
tout bonnement un viol.
La médecine est en soi ambivalente. Tout acte de soin est pris
dans une relation à la fois intersubjective et objective. « La profession
médicale est en tant que telle une profession à risques, dans la
mesure où la mise en œuvre du serment d’Hippocrate, qui voue le
médecin et le personnel médical aux seuls soins de la vie et de la
santé du patient, passe nécessairement et légitimement par des
techniques objectivantes, lesquelles confèrent aux professions de
santé un pouvoir sur le corps d’autrui paradoxalement dérivé du
souci même de faire vivre et de soigner 46 » rappelle opportunément
Paul Ricœur. Et c’est bien cette nécessaire objectivation du corps de
l’autre qui fonde la dimension transgressive du geste médical, car en
dehors de cette situation tout à fait originale, jamais l’autre homme
ne peut être ainsi réduit à un corps, lui qui est toujours une fin, une
destinée. L’art médical consiste donc à ne pas oublier, alors même que
s’ouvre la parenthèse de l’objectivation, que ce corps palpé, ouvert,
analysé, recousu, est avant tout un sujet, un être de parole, une
destinée, une liberté.
Le secret renforce le pouvoir médical lorsqu’il s’appuie sur le
savoir médical : « De ta maladie, je sais ce que tu ne sais pas ». Bien
qu’elle soit désormais inscrite dans la loi, et c’est une heureuse chose,
la nécessité d’informer les patients ne retire pas – le voudrions-nous –
l’asymétrie qui préside à la relation entre le médecin et le malade.
Tout autre est le secret qui protège la confidence du patient. Cette
confidence assigne au praticien une forme d’impuissance, un « je ne
peux rien dire à autrui de ce que je sais ». Afin de l’inciter à faire
confiance, le droit, en l’espèce, offre au patient comme une garantie
de non trahison. Mais jusqu’où cette garantie de la loi protège-t-elle
le secret du patient ? Et quel est donc le contenu de ce secret ?
Il n’est pas aisé de répondre à cette question. Disons, dès
maintenant, que si le geste médical est complexe, pris à la fois dans
l’intersubjectivité et dans l’objectivation, le secret qui s’y attache
reflétera cette ambivalence. Trop souvent l’on imagine qu’il a un
contenu positif, le nom de la maladie, ses conséquences et son
traitement. Mais non. Il est aussi façonné par toute la relation qui
existe entre le patient et son médecin. Si la médecine se tient
toujours, même à son insu, dans un rapport au sacré, le secret en-soi
a une dimension sacrée. Il vise à préserver l’intimité, le propre 47 du
sujet, son « enveloppe narcissique ». Il jette un voile sur ce que l’on
n’a pas à connaître, quelque chose comme la nudité, qui dit aussi bien
la vulnérabilité que la misère, voire la faute. Il préserve de la honte,
et protège l’homme de la menace que représente le curieux,
l’accusateur potentiel. Il préserve le mystère de l’autre homme de la
profanation.
Or, si la médecine occidentale insiste trop sur des techniques
objectivantes aux dépens de la relation intersubjective, les hommes
iront chercher ailleurs ce qui restaure le mystère de leur existence et
le secret qui les protège. Un des signes en réside dans le recours de
plus en plus répandu aux médecines alternatives ou
complémentaires. Ce qui conforte la thèse de Simmel : le quantum de
secret demeurant inchangé, s’il diminue ici, il faut qu’il croisse là.
Le savoir
Ce qui est séparé dans le secret n’est pas d’abord un contenu mais
un savoir supposé. « C’est le savoir de la chose et non la chose elle-
même qui constitue le secret. Tout secret est un savoir et rien qu’un
savoir 48 ». Ce savoir, mis à part, écarté de la publicité, peut l’être de
différentes façons : je peux le taire, refuser de le dire à qui
m’interroge, ou le dissimuler. « Au niveau de la parole, ce sont
respectivement le non-dit, le silence en réponse à la question, le
mensonge. Au niveau visuel, c’est ne pas montrer, refuser de montrer,
montrer un maquillage 49 ». La discordance entre ce qui est et ce qui
paraît, assez vite qualifiée de « mensonge », est sans doute au fond
plus complexe. Pierre Boutang distingue quatre formes de cette
discordance : Paraît ce qui n’est pas ; Est ce qui ne paraît pas ; Ne
paraît pas ce qui est ; N’est pas ce qui paraît 50. Illustrons-les.
– Un homme vient consulter pour un grain de beauté qui a
dégénéré. Il faut faire une biopsie et seul cet examen confirmera le
diagnostic. Inutile donc d’inquiéter le patient à l’avance. Pourtant, le
médecin tremble à l’idée qu’il s’agisse d’un mélanome malin, tumeur
cutanée très grave. Alors, il cherche à rassurer son patient, à
dissimuler sa propre inquiétude. Il sera suffisamment temps
d’annoncer une mauvaise nouvelle avec le retour de l’analyse. En fait,
le résultat sera bénin, mais il ne le sait pas encore. « Paraît ce qui n’est
pas. »
– Une femme vient consulter son gynécologue pour une
colposcopie qui vise à enlever le début d’un petit cancer du col de
l’utérus. C’est un geste plutôt anodin. Elle n’en a pas parlé à ses
enfants, ni autour d’elle. Elle n’a pas besoin d’arrêt de travail : « Est ce
qui ne paraît pas. »
– Un homme vient en consultation pour un contrôle d’un cancer
dont il a été opéré deux ans plus tôt. Il va bien. Mais à l’échographie
du foie, on trouve des métastases hépatiques : son cancer a récidivé.
« Ne paraît pas ce qui est. »
– Une femme est tombée dans l’escalier et vient consulter. Elle a
de multiples hématomes. Pourtant, un doute s’installe et le médecin
se demande si elle est vraiment « tombée ». Lorsque plusieurs mois
plus tard, la même chose arrivera, ils pourront ensemble parler de la
maltraitance dont elle est victime. Il ne s’agit pas de chutes mais de
coups. « N’est pas ce qui paraît. »
Toute la question est celle de la relation à l’autre. Le tri se fait
dans deux directions : Que vais-je dire ou taire ? À qui vais-je dire ou
taire ? À cela il convient d’ajouter une troisième question tout aussi
nécessaire et peut-être préalable : Qu’est-ce que je veux savoir et
qu’est-ce que je choisis d’ignorer ? Si le secret médical est lié à un
savoir, quel est son contenu ? Est-ce un diagnostic ? (« Vous avez une
sclérose latérale amyotrophique. ») Un pronostic ? (« Vous allez
mourir dans les deux ans, en ayant perdu toute autonomie. ») Une
impression, une intuition, un pressentiment, des papiers, des résultats
d’examen des connaissances, des certitudes ? On sait depuis Socrate
que le sage « sait qu’il ne sait pas ». Ce qui est sûr ? Que le secret
médical est lié à un art de parler, lequel est aussi un art de se taire.
Parler c’est mettre à nu, se taire c’est voiler, soi ou l’autre. Mais de
même que la pudeur sait articuler vêtement et nudité, parler est
savoir articuler la parole sur le silence et séparer ce qui doit être tu de
ce qui doit être dit.
Objection ? « Moi, docteur, je n’ai rien à cacher. Vous pouvez bien
leur dire que j’ai une entorse, aux surveillants ! » Combien de fois
avons-nous entendu des réflexions de la sorte ! Effectivement, le
patient qui marche avec deux cannes anglaises affiche sa foulure.
Quel sens peut avoir le secret médical quand le patient lui-même
raconte à son voisin de palier les multiples interventions qu’il a subies
ou qu’il doit subir ? Quand, diabétique, il s’injecte de l’insuline sur
son lieu de travail ? Quand, insuffisant rénal, il doit être dialysé trois
fois par semaine ? Pourquoi défendre le secret quand il est tellement
plus facile d’avoir un dossier médical partagé entre l’hôpital et la
prison afin de gagner du temps dans la prise en charge des patients ?
La réponse à cette objection peut se décliner à plusieurs niveaux.
Le premier est simple. Nous avons connu, dans les années 1990, les
pastilles rouges collées sur les dossiers des personnes porteuses du
VIH, prétendument pour prendre garde aux gestes invasifs qu’ils
étaient amenés à subir ; puis nous avons appris qu’il faut faire
attention à n’importe quel patient si l’on veut véritablement se
prémunir. Il en va de même pour le secret. Il n’est pas résumable à un
contenu objectif. Et pour protéger les informations les plus sensibles,
il faut simplement toutes les protéger. Les solutions de masquage
informatique imaginées pour taire telle ou telle information sont en
soi une information qui révèle qu’il y a un secret. Or, Monsieur X n’a
pas forcément envie que l’on sache les circonstances dans lesquelles il
s’est fait son entorse – et peut-être mieux vaut-il que son épouse
l’ignore. Monsieur Y n’a pas forcément envie que l’on sache qu’en plus
d’être diabétique, il est porteur du virus de l’hépatite C – et peut-être
ses collègues de travail le prendraient-ils mal en effet. Enfin,
Monsieur Z, incarcéré, n’a pas forcément envie que son voisin de
palier, qui travaille à l’hôpital et a accès au logiciel, sache qu’il est en
prison alors qu’officiellement il est en voyage pour trois mois – et
peut-être cela est-il préférable pour tous. Pour autant, sur le fond, le
secret médical ne tient pas d’abord dans le fait de taire ce que l’on
sait, mais de fermer les yeux sur ce que l’on n’a pas à savoir ; et ce,
afin de protéger ceux qui se confient à nous, mais de les protéger
aussi contre notre propre curiosité. En ce sens, c’est bien une limite
au pouvoir médical que le secret devrait garantir.
Mise en scène
CRISE CONTEMPORAINE
Un marqueur de mutations
Le prêtre
L’avocat
Les ministres du culte ne sont pas les seuls à voir les limites de
leur secret professionnel progressivement reculer. En France, le
Règlement intérieur national de la profession d’avocat, en son
article 2.1 dispose : « L’avocat est le confident du client. Le secret
professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et
illimité dans le temps ».
Le secret des avocats est lui aussi issu du secret de la confession. Il
n’existe pas comme tel avant la Révolution française. Seule allusion
vaguement ressemblante, qui marque par ailleurs le passage du
confesseur au confident, une ordonnance de Colbert, en 1670, règle
la pratique des lettres monitoires qui ouvrent aux autorités judiciaires
la possibilité d’imposer, par la voix des prêtres et à leur seule
destination secrète, la divulgation de toute infraction connue. Le
10 septembre 1789, l’Assemblée constituante tente d’introduire le
régime du secret professionnel entre l’avocat et son client. C’est un
échec. Est cependant reconnu le droit d’être assisté d’une personne
compétente en matière juridique. Pourtant, le 10 juin 1794, à
l’instigation du citoyen Couthon, partisan de la Terreur, la Convention
vote la « loi de prairial » : pour accélérer la procédure du tribunal
révolutionnaire, il faut supprimer les avocats, car « les innocents n’en
57
ont pas besoin et les coupables n’y ont pas droit ». Une page sombre
du passé ? À voir, car qui n’a pas entendu, dans des conversations de
salon, l’exclamation : « Moi, je n’ai rien à cacher, la transparence ne
me gêne pas ! » ?
C’est à partir de 1810, dans la suite du nouveau Code pénal
promulgué par Napoléon Bonaparte, que le secret de l’avocat connaît
un premier déploiement par analogie au secret du médecin. Son
contour sera progressivement construit par la jurisprudence. Un arrêt
de 1872 précise que « seule la conscience de l’avocat doit l’aiguiller
dans ce qui est bon ou non de divulguer ». Aujourd’hui, il est
essentiellement garanti par la loi du 31 décembre 1971, laquelle
dispose dans son article 66.5 : « En toute matière, que ce soit dans le
domaine du conseil ou de celui de la défense, les consultations
adressées par l’avocat à son client sont couvertes par le secret
professionnel. » Son principe et son étendue, considérés comme
essentiels à la mission, sont décrits dans l’article 2.2 du Règlement
national des barreaux 58. Le secret est fondé sur l’intérêt général et
relève de la protection de l’ordre public. Voilà pour la théorie.
Néanmoins, c’est un secret absolu dans son principe et relatif dans
son étendue. Toute atteinte doit être justifiée par un intérêt
équivalent ou supérieur. Or, les affaires de blanchiment d’argent et de
fraude fiscale ont conduit à des dispositions législatives qui ont limité
le secret professionnel des avocats 59. En fait, il y va d’un équilibre
entre la règle particulière et la règle générale : la règle particulière
est le droit au secret, tandis que la règle générale est la protection de
l’ordre public. Jusqu’à la fin des années 1980 la règle particulière
primait sur la règle générale. Désormais, ce n’est plus le cas. Henri
Leclerc, haute figure du barreau, ne craint pas de dire : « Le secret
professionnel n’est pas sacré. C’est une norme nécessaire au bon
fonctionnement de la justice. Il permet de mieux aider les citoyens à
se défendre et à se débrouiller dans l’inextricable écheveau juridique
60
dans lequel ils se débattent . » La Cour européenne des droits de
l’homme incline dans la même direction. Saisie en 2013 par des
avocats français contestant la validité de la transcription de
conversations entre un conseil et son client, elle a, le 24 mai 2016,
donné raison à l’État et validé plus généralement la procédure dès
lors que lesdites transcriptions font présumer « que l’avocat a
participé à une infraction 61 ».
Ce n’est pas tout. Dans un arrêt du 31 janvier 2012, la Cour de
cassation a entériné le versement au dossier de la transcription des
enregistrements clandestins effectués par le majordome de Liliane
Bettencourt dans l’affaire éponyme et contenant, entre autres, une
conversation entre cette dernière et son avocat. La Cour a précisé
dans son arrêt que ces transcriptions sont « des moyens de preuve qui
peuvent être discutés contradictoirement » et ne relèvent pas des
actes pièces pouvant être annulés. Enfin, la loi sur le renseignement
prévoit de conserver diverses métadonnées, parmi lesquelles des
informations précises sur les courriels qui, même si leur contenu n’est
pas dévoilé, en disent déjà beaucoup sur l’identité des expéditeurs et
des destinataires ou encore l’existence de pièces jointes chiffrées ou
non, toutes choses que l’on pensait couvertes par le secret
professionnel. De manière significative, le Conseil constitutionnel n’a
pas remis en cause ce texte.
Le secret professionnel des avocats est censé servir le client en vue
d’un procès légitime. Il est bien un devoir de l’avocat, et non un droit.
Il vise à protéger la présomption d’innocence. Néanmoins, les
atteintes au secret de l’avocat risquent, à terme, de devenir des
atteintes à la présomption d’innocence.
Le médecin
Au prisme de la prison
VIATIQUE
Cet essai défend donc l’idée que ce qui fonde le secret est bien la
présomption d’innocence. Nous ne pourrons arrêter le mouvement
qui dessine l’effacement des secrets professionnels et autres. La
seconde partie de cette étude s’attache à expliquer pourquoi et
comment, en s’appliquant au seul champ de la médecine car là se
joue, certes comme ailleurs et néanmoins plus communément,
quotidiennement, ordinairement qu’ailleurs, cette partie décisive. Ce
faisant, à démonter les mécanismes et biais de l’inquiétante dérive à
laquelle est soumis le secret médical, elle peut offrir quelque moyen
de résister et raison d’espérer.
Là où ils sont, chacun de celles et ceux qui auront pris soin de
garder du mieux qu’ils peuvent le secret de leurs patients, non
seulement en se taisant, mais aussi en fermant les yeux sur ce qui ne
les regarde pas, auront contribué, en effet, à enrayer les pires
conséquences de cette inquiétante dérive. Ils auront permis la vie
commune, auront aidé à la bonne marche de la démocratie, en
instillant cette vieille et indispensable vertu, la confiance, qui jamais
ne se contente d’un contrat.
À une époque où domine la présomption de culpabilité, il faut
retourner à l’éthique d’Hippocrate : restaurer du secret, c’est restaurer
de l’innocence, au sens du « hors-champ », hors incrimination. C’est
fermer les yeux sur l’ultime lieu qui reste à nos patients, leur intimité
la plus intime, leur corps et ses symptômes. Jeter un voile et décider
de ne pas savoir ou de ne pas comprendre ce qui ne nous concerne
pas. Et par là leur donner de l’air, restaurer du possible, de la liberté,
hors-destin.
2.
Un serment ou un contrat ?
Un héritage à éclipse
S’agissant de la notion de secret médical, y a-t-il pour autant
continuité entre la formulation inaugurale d’Hippocrate et
l’inscription légale de 1810 ? Au long des trois articles qu’il publie
dans le Concours médical courant 1963, Mirko Grmek s’attache à
montrer qu’elle n’est pas assurée. Le droit romain classique ne fait pas
mention de la nécessité de la discrétion et Galien, quoique lecteur de
la Collection hippocratique, n’aborde jamais la question. Tout juste
trouve-t-on une réflexion de Cicéron qui aurait écrit dans De Officiis :
« Les médecins qui pénètrent sous le toit et dans les chambres à
coucher d’autrui doivent cacher beaucoup de choses, même sous
21
l’offense, quoiqu’il soit difficile de se taire quand on pâtit . » Il s’agit
là encore de morale, de bonne conduite et en aucun cas de
prescription.
Il n’est pas surprenant que cette éthique ne s’inscrive pas dans ce
que nous appelons aujourd’hui le droit. Ce serait un anachronisme
que de la chercher dans un corpus de textes législatifs. Pour Aristote,
par ailleurs fils de médecin, le but de la justice est que « chacun ait le
sien », autrement dit que lui soit rendu ce qui lui revient ; il a fort
bien établi, en conséquence, la différence entre la justice générale –
l’observance de la moralité – et la justice particulière – la vertu du
jugement 22. Le légal n’est pas l’égal, encore moins la juste proportion.
Quant au droit, il ne se déduit pas des textes de loi, mais se nourrit
de la confrontation des opinions : il est jurisprudentiel. Vu sous cet
angle, ce qui relève des mœurs du médecin, spécialement le secret,
n’a donc rien à voir avec le droit, mais appartient à la sphère de la
moralité.
La discrétion d’Hippocrate n’a cependant pas été totalement
oubliée par les lettrés : saint Jérôme (347-520) l’évoque dans une
lettre qu’il écrit depuis Bethléem à Néponien, neveu d’Héliodore :
« Hippocrate adjure ses disciples avant de les instruire, puis il les
force à répéter son propre serment. Il exige qu’ils gardent le silence ;
23
leur langage, leurs attitudes, leurs mœurs, il décrit tout avec soin ».
Les manuscrits latins qui font état d’une nécessaire discrétion au
cours du Moyen Âge sont également rares. Il faut dire que la
médecine s’est réfugiée dans les monastères depuis les invasions
barbares et qu’elle tient, depuis, peu de place. De surcroît, les notions
d’individu et de vie privée ne sont pas celles que nous connaissons
aujourd’hui. Aussi, à l’instar des penseurs dominants du monde
chrétien, ne trouve-t-on rien à ce sujet dans les œuvres ni de
Maïmonide, ni d’Avicenne ou encore d’Averroès. Des traces s’en
trouvent chez certains de ces médecins juifs ou musulmans du Moyen
Âge qui ont gardé mais aussi enrichi les traditions grecques et
égyptiennes, permettant ainsi qu’elles arrivent jusqu’à nous. Au
e
VII siècle, Asaph de Tibériade rédige en hébreu, comme le souligne
Isidore Simon, une variation sur le serment hippocratique : « Vous ne
divulguerez aucun des secrets qu’on vous a confiés et n’accepterez à
aucun prix de nuire ou de détruire 24. » Au XIe siècle, Ahmad ibn
e
Muhammad Abu Jaafar al-Ghafiqi et, au XIV siècle, Ibrahim al-Misri
al-Shadhili font de même en arabe, comme le montre Grmek. Ce qui
là aussi, sans être rien, est peu.
En revanche, de multiples sources historiques signalent
l’obligation pour les praticiens de dénoncer les maladies
pestilentielles, voire les éclopés alors qu’aucune ne les dispensent de
témoigner en justice. Ainsi, « en 1281, le Grand Conseil de Venise
donne l’ordre à tous les médecins de la République d’avertir les
autorités de toute blessure soignée » 25. Simultanément, la même
littérature ne craint pas de décrire précisément et nommément les
pathologies de personnages connus. Pis, s’il existe bien un droit
médical au Moyen Âge, le ton des décisions produites, ainsi que le
note Jean-Pierre Baud, dépeint moins le médecin comme un héros
moral que, plus prosaïquement, comme « quelqu’un qui cherche à
26
faire de l’argent ». Mais il est pertinent de se rappeler, avec Sylvain
Missonnier, que « l’un des premiers sens du mot soignier renvoie au
fait de “pourvoir au besoin matériel de quelqu’un” et plus
trivialement, à la fréquentation des marchés pour se procurer des
marchandises… contre paiement. La réciprocité de l’échange
marchand est bien ici la matrice sémantique du soin 27 ». Enfin, le
secret médical n’apparaît pas dans les statuts de la Faculté de
médecine de Paris en 1270, ni dans leurs révisions successives
en 1281 et 1350. La question, de fait, concerne peu de monde, ladite
e
faculté ne comptant au XIV siècle que dix à quinze élèves. C’est
seulement en 1598 que l’on pourra lire dans les statuts rénovés :
« Que personne ne divulgue les secrets (arcana) des malades, ni ce
28
qu’il a vu, entendu ou compris . » Et ce, au moment même où le
corps a commencé de perdre de son mystère avec les « ouvertures »
faites par les barbiers.
Entre-temps, dans l’ensemble de la Christianitas, l’Occident
médiéval et latin qui a modelé la culture européenne, le lieu de
l’intime aura été pris en charge par l’Église. Pendant près d’une
dizaine de siècles, le secret aura été abrité par une autre instance, le
secret de la confession, qui l’aura fait voyager jusqu’à nous.
Réapparitions
Dont acte.
ORGANISER LA MÉFIANCE ?
Aujourd’hui
L’ÉTAT DU DROIT
Sans conteste, c’est la loi du 4 mars 2002 qui a entériné un
changement dans notre rapport secret professionnel des médecins.
Elle en a fait un droit du patient et non plus un droit du médecin, ce
que le devoir de se taire était devenu. La multiplicité des sources
juridiques impliquées invite cependant à clarifier plusieurs concepts
ou représentations, notamment la différence entre la déontologie et
le corpus pénal. Pour y procéder dans l’ordre, il faut d’abord
retourner au Code pénal de 1810 et à l’origine du secret médical
moderne fondé par l’article 378.
Que dit l’article 378 du Code pénal de 1810 qui fait de la France
le premier pays où le secret médical est intégré à la loi et, de ce
même secret médical, le paradigme du secret professionnel ? Le voici
dans sa rédaction même :
La cour […]
Attendu que l’article 378 du Code pénal punit d’un
emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de 100 à
500 francs les médecins, chirurgiens, et autres officiers de
santé, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes et
toutes autres personnes dépositaires par état ou profession
des secrets qu’on leur confie, qui hors le cas où la loi les
oblige à se porter dénonciateurs auront révélé ces secrets ;
Attendu que cette disposition est générale et absolue et
qu’elle punit toute révélation du secret professionnel, sans
qu’il soit nécessaire d’établir à la charge du révélateur
l’intention de nuire ; […]
Attendu qu’en imposant à certaines personnes sous une
sanction pénale l’obligation du secret comme un devoir de
leur état, le législateur a entendu assurer la confiance qui
s’impose dans l’exercice de certaines professions et garantir
le repos des familles qui peuvent être amenées à révéler
leurs secrets par suite de cette confiance nécessaire ;
Que ce but de sécurité et de protection ne serait pas atteint
si la loi se bornait à réprimer les révélations dues à la
malveillance en laissant toutes les autres impunies ;
Que le délit existe dès que la révélation a été faite avec
connaissance, indépendamment de toute intention de
nuire. […]
Rejette le pourvoi du docteur Watelet contre l’arrêt de la
cour d’appel de Paris, chambre correctionnelle du 5 mai
1885 5.
Les choses sont désormais plus claires : le secret médical n’est pas
opposable au patient en ce que le médecin ne peut lui refuser une
information légitime. Mais il lui reste opposable en ce que le patient
ne peut pas délier le médecin du secret en lui demandant par
exemple de transmettre une information le concernant à un tiers,
sauf exception 19. En prison, il n’est pas rare que des patients fassent
une telle demande à destination de l’avocat ou du juge. Ce qui n’est
pas possible. Mais, en revanche, il est aisé de donner au patient un
certificat descriptif de son état de santé, libre à lui de le transmettre à
qui il veut. Ainsi, ce n’est pas la nature de l’information médicale qui
est en jeu, mais sa modalité d’obtention. Cette distinction permet de
résoudre la plupart des problèmes de transmission d’informations en
mettant le patient au centre du dispositif. Ce n’est pourtant pas
toujours le cas, et certaines dérogations au secret ont pour finalité de
contourner le patient, notamment dans les situations de handicap ou
de minorité.
Dérogations légales
26
Une fois ceci posé, viennent les dérogations, nombreuses . On
distingue les obligatoires et les facultatives, mais aussi les diverses
situations incidemment créées lorsque, dans des articles de loi, est
glissée une formule faisant exception à l’article 226-13 du Code
pénal.
Influences extérieures
INTERPRÉTATION
La continuité des soins, pour nos aïeux, était assurée par une
continuité de relation avec le médecin de famille, parfois sur deux à
trois générations. Avec la multiplication grandissante des
intervenants et la centralisation toujours plus difficile des
informations, nous sommes passés d’une continuité de relation à une
continuité de dossier. Désormais, seule compte la traçabilité afin que
divers agents puissent prendre en charge à la suite un même patient.
Plusieurs dispositifs ont été tentés pour résoudre cette intermittence,
à commencer par la déclaration du « médecin traitant », lequel, hélas,
voit tellement les formulaires se multiplier qu’il n’est pas certain que
ce modèle survive en l’état bien longtemps. Désormais, l’espoir de
l’administration sanitaire réside dans le dossier médical « partagé »,
après avoir été « personnel ».
Faisons un peu de mauvais esprit pour tempérer un tel optimisme
technicien en relatant un fait divers pathétique. Aux États-Unis, un
homme souffrant soudainement de fièvre, vomissements et douleurs,
meurt à son domicile, muni du simple antibiotique que lui a prescrit
le médecin qu’il vient de consulter à l’hôpital, mais qui a jugé bon de
le renvoyer chez lui. L’enquête sanitaire montre que ledit médecin a
omis de lire, dans le dossier informatisé, l’information pourtant
cruciale qu’y a inscrite l’infirmière de garde, à savoir le séjour du
patient en zone d’endémie du virus Ebola. Morale de l’histoire : la
continuité de relation, quand prosaïquement on se parle, vaut parfois
mieux que la continuité de dossier !
Georg Simmel déjà, en se penchant sur le commerce épistolaire,
avait noté que l’écrit congédie le témoin. « Avant l’usage généralisé de
l’écriture, tout acte juridique, si simple fût-il, était conclu devant
témoins. La forme écrite se substitue à cela, puisqu’elle implique une
“publicité”, peut-être potentielle, mais néanmoins sans limites ; ce qui
signifie que tout le monde, et pas seulement les témoins, peut savoir
que telle affaire a été conclue ». Et de conclure : « L’écrit a donc une
50
existence objective, qui renonce à toute garantie de secret ». Au
moins sommes-nous prévenus.
Partage et protection
Sévices et privations
HANDICAP ET DÉPENDANCE
Recours à l’expérimentation
Toute personne prise en charge par un I.- Toute personne prise en charge par un
professionnel, un établissement, un réseau professionnel de santé, un établissement ou
de santé ou tout autre organisme participant un des services de santé définis au livre III
à la prévention et aux soins a droit au de la sixième partie du présent code, un
respect de sa vie privée et du secret des professionnel du secteur médico-social ou
informations la concernant. social ou un établissement ou service social et
médico-social mentionné au I de l’article
L.312-1 du Code de l’action sociale et des
familles a droit au respect de sa vie privée
et du secret des informations le concernant.
Excepté dans les cas de dérogation, Excepté dans les cas de dérogation
expressément prévus par la loi, ce secret expressément prévus par la loi, ce secret
couvre l’ensemble des informations couvre l’ensemble des informations
concernant la personne venues à la concernant la personne venues à la
connaissance du professionnel de santé, de connaissance du professionnel, de tout
tout membre du personnel de ces membre du personnel de ces
établissements ou organismes et de toute établissements, services ou organismes et de
autre personne en relation, de par ses toute autre personne en relation, de par ses
activités, avec ces établissements ou activités, avec ces établissements ou
organismes. Il s’impose à tout professionnel organismes. Il s’impose à tous les
de santé, ainsi qu’à tous les professionnels professionnels intervenant dans le système
intervenant dans le système de santé. de santé.
Inquiétudes
LE DOSSIER MÉDICAL
L’évolution spectaculaire des systèmes informatiques et la
dépendance toujours plus grande de nos vies à leur égard aggravent
les mutations qu’implique la traçabilité des données. L’antique dossier
médical, sur papier et sous chemise, était enfermé dans un placard et
le médecin était garant de son dépôt comme de la sécurité de ses
patients quant à leur intimité. Mais la multiplication des supports
dématérialisés a engendré de nouvelles questions dont certaines, il
faut bien l’avouer, sont sans réponse.
Il faut insister d’emblée sur le fait que le secret professionnel n’a
pas pour seul contenu le dossier médical. Beaucoup de choses
peuvent être vues, entendues ou comprises sans être écrites, tracées.
Mais, de surcroît, la question du dossier médical, de son contenu et
des échanges d’informations potentielles qu’il permet est forcément
plurielle. Dans la réalité, il existe des dossiers médicaux pour un
même patient, puisque chaque professionnel de santé qu’il rencontre
consigne ou dispose principalement, voire uniquement des éléments
nécessaires à sa pratique professionnelle.
Contenu
Un stockage externalisé
Le principe de l’e-santé
L’e-santé ne se réduit pas au dossier médical informatisé du
médecin et au dossier médical partagé du patient dont les contenus
par ailleurs ne coïncident pas. L’open data, comme le rappelle
opportunément le Comité de gestion des œuvres sociales (CGOS),
consiste en « la mise à disposition des données publiques à tous les
83
citoyens » . En ce qui concerne les données de santé, qui sont par
essence privées, « il s’agirait de mettre à disposition des données
statistiques anonymes recueillies par les administrations liées à la
santé à la disposition d’acteurs comme la Haute autorité de santé
(HAS), les autorités de veille sanitaire, les fédérations
professionnelles, les chercheurs en épidémiologie, mais aussi les
associations d’usagers, les entreprises privées, les médias ». Il faut
noter cependant que les données issues des feuilles de soins, du
codage des actes à l’hôpital, sont d’ores et déjà regroupées en totalité
dans le système national d’information inter-régimes de l’assurance
maladie (SNIIRAM). Le programme de médicalisation des systèmes
d’information (PMSI) offre également un fichier très étoffé puisqu’il
mesure l’activité et les ressources des établissements.
À son tour Marisol Touraine juge bon de s’appuyer sur un rapport,
celui de Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales
(IGAS) qui le lui rend en octobre 2013. Dans la première partie 84, ce
dernier constate la richesse exceptionnelle des données de santé qui
pourraient être mises à disposition et pourtant, même si ce risque ne
concerne qu’un petit nombre de personnes, il remarque qu’« en
croisant certaines informations, on peut identifier des personnes
connues par ailleurs ». Dès lors, il insiste sur le fait que ces données
« constituent un bien public qui ne peut être approprié par aucun des
acteurs du système ». Il préconise à cet effet la création d’une
nouvelle instance : le Haut conseil des données de santé. Enfin, il
insiste sur le fait que « dès lors que les données présentent un risque
de réidentification des patients, l’accès doit en être restreint ». Ce
risque est longuement exposé et ainsi apprécié :
Surveillance et contrainte
Alors que l’argent domine l’époque mais est réputé manquant, est-
il si difficile d’imaginer qu’un jour l’assurance maladie et les
mutuelles céderont à la tentation de trier les patients, d’en écarter
certains et de les priver de leurs droits ? Or, cela se voit déjà. Au titre
de l’observance et non des soins engagés. Le 4 février 2014, sur le site
Slate.fr 92, le médecin-journaliste Jean-Yves Nau confirme la mise en
place d’une telle mesure dont le Dr Nicolas Postel-Vinay a révélé
l’imminence dans une tribune publiée par Le Monde le 20 novembre
2013. De quoi s’agit-il ? En théorie, les personnes souffrant d’apnées
du sommeil sont remboursées du coût des machines respiratoires à
usage nocturne dites PCC, à « pression positive continue », qu’ils
louent à des prestataires privés, le contrôle s’exerçant deux fois l’an.
Or, selon un arrêté publié le 16 janvier 2013, seuls les patients
démontrant une stricte observance de leur utilisation continueront à
être pris en charge par l’assurance maladie. Ils seront sélectionnés par
« télé-flicage », prévient Nau. « La puissance publique leur laisse trois
mois pour parvenir à mieux respirer. Si ce n’est pas le cas, deux mois
supplémentaires sont pris en charge à 50 %. Puis l’appareil est retiré
au malade sauf s’il prend en charge le coût de son fonctionnement ».
Par une ordonnance du 14 février 2014, le juge des référés du Conseil
d’État, saisi par deux associations de malades, estime cependant qu’il
existe « un doute sérieux sur la légalité » de ces nouvelles conditions
de remboursement du dispositif PPC et les suspend provisoirement.
Le jugement de l’affaire au fond est rendu le 29 novembre 2014, que
93
Jean-Yves Nau publie derechef sur son blog :
Le consentement
Outre son rôle d’archive et de mémoire, le dossier médical a pour
fonction de mettre à disposition des professionnels de santé les
informations nécessaires à la prise en charge d’une personne. Comme
le stipule l’article 45 du Code de déontologie médicale, le
consentement du patient est requis. L’article L.1111-8 du Code de la
santé publique dispose pareillement que « l’hébergement de données,
quel qu’en soit le support, papier ou informatique, ne peut avoir lieu
qu’avec le consentement exprès de la personne concernée. » Dès lors,
on ne peut que s’étonner, entre autres découvertes occasionnées par
les débats sur la loi de modernisation, que l’Assurance maladie
collecte chaque année des données personnelles à partir des feuilles
de soins, mais aussi lors de chaque hospitalisation. Avons-nous donné
notre consentement ? Nous a-t-il été demandé ? Que fait-on de ces
données ?
Qu’est-ce que le consentement ? Est-ce cette compliance without
pressure, cette « soumission librement consentie » qui résulte de la
persuasion manipulatoire dont les business schools font la règle d’or
du marketing ? Pour Roland Gori, « il y a, reconnaissons-le, une
authentique hypocrisie sociale à qualifier la décision du patient de
“libre et éclairée”, lorsqu’il est déjà pris dans un réseau de pouvoir tel
qu’il ne peut penser son expérience de vie que dans une réification
97
qui la transforme en marchandise ». Comment justifier le
consentement quand tant d’éléments échappent à la décision ? À
moins qu’il ne s’agisse d’idéologie ? Sinon par le fait que le patient est
ramené à un « client » qui choisit un « produit », un « consommateur
de soins » ? Si le consentement dématérialisé que veut nous faire
signer Marisol Touraine ressemble tant aux formulaires d’acceptation
des cookies que nous cochons machinalement sur internet, n’est-ce
pas que le statut de « décideur éclairé » est un attribut de
l’individualité « rêvé par l’idéologie libérale 98 » ?
L’histoire nous rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, au début du
e
XX siècle, certaines catégories de la population étaient naturellement
destinées à l’expérimentation médicale. Les phrénologues
s’entraînaient à reconnaître les bosses du crâne sur les crânes des
guillotinés et ce, malgré le refus de certains condamnés qui
suppliaient l’employé de la salle de dissection pour « que ses restes
soient scrupuleusement recherchés et mis dans un panier 99 ». En
France, le BCG fut d’abord testé sur des mammifères puis sur, dans
l’ordre, « les enfants de l’Assistance publique, les singes et les
Africains de l’Armée française 100 ». De quelles expérimentations
comportementales risquons-nous de devenir les cobayes ? Sommes-
nous réellement consentants ?
Pour le père, c’est plus compliqué : est père celui qui reconnaît
l’enfant. C’est la mère qui nomme le père, lequel est désigné comme
géniteur sur la foi en la parole de la mère. La possibilité de faire
pratiquer des tests biologiques en recherche de paternité vient
violemment remettre en cause ce principe. Comme d’autres formes de
confiance, celle en la mère ne suffit plus : on peut mettre à nu un
secret par la technique. Certes, le père peut ne pas reconnaître
l’enfant, vouloir rester inconnu au nom du respect de sa vie privée et
en revendiquer légitimement le droit en se fondant sur l’article 9 du
Code civil. Mais la CIDE, la Convention internationale relative aux
droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unie
en 1989, défend que l’enfant, lui, doit pouvoir connaître ses
106
parents . Conflits de droits. L’adoption et avant tout les techniques
de procréatique viennent poser la question à nouveau frais : qu’est-ce
qu’être parents ? La parentalité se résume-t-elle à la transmission
d’un patrimoine génétique ? Jusqu’où peut-on dissocier filiation
biologique et filiation symbolique ?
La loi du 16 novembre 1912 a mis fin à l’interdiction de recherche
o
en paternité pour les enfants « naturels ». Depuis la loi n 55-934 du
15 juillet 1955, le père supposé d’un enfant né hors mariage, peut
« établir par l’examen des sangs » qu’il n’est pas le père biologique de
o
l’enfant. La loi n 72-3 du 3 janvier 1972 a accordé les mêmes droits
o
aux enfants légitimes et naturels. La loi n 93-22 du 8 janvier 1993
dispose : « La paternité hors mariage peut être judiciairement
déclarée. La preuve ne peut en être rapportée que s’il existe des
o
présomptions ou indices graves. » La loi du n 2001-1135 du
3 décembre 2001 « relative aux droits du conjoint survivant et des
o
enfants adultérins » ainsi que la loi n 2002-304 du 4 mars 2002
relative au nom de famille ont fait disparaître des enfants légitimes
en matière de succession. Enfin, l’ordonnance no 2005-759 du
o
4 juillet 2005, ratifiée par la loi n 2009-61 du 16 janvier 2009 a
effacé la distinction entre filiation légitime et filiation naturelle dans
le Code civil.
Entendue à l’Assemblée nationale en janvier 2013 lors de
l’élaboration de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de
même sexe, la sociologue Irène Théry rappelle la définition du juriste
Jean Carbonnier ( † 2003), spécialiste reconnu du régime
matrimonial : « Le cœur du mariage, ce n’est pas le couple mais la
présomption de paternité. » Or, note-t-elle, la filiation s’est
progressivement détachée du mariage, avant de conclure : « le cœur
du mariage, ce n’est plus la présomption de paternité, c’est le
107
couple ».
Le droit de l’enfant
SECRET ET GÉNÉTIQUE
La troisième situation initiée par le règne de la technique vient de
la possibilité de prédire, avec plus ou moins de certitude, des
maladies latentes. Alors que les performances décuplées de l’imagerie
ont permis à la médecine de scruter le corps humain, les révolutions
de la génétique vont l’autoriser à scruter l’histoire humaine. La facilité
avec laquelle on peut désormais analyser le génome d’un individu
pose de vastes questions, tant en termes de filiation que de pronostic
et finalement de devenir. La médecine peut lire le destin médical
d’une personne, ou à tout le moins, et c’est bien l’ambivalence, son
destin potentiel. La capacité d’accéder à ces informations suscite une
extrême tension. Parce qu’elles sont cruciales, comment ne pas les
partager avec les personnes concernées, au sein d’une même fratrie
par exemple ? Parce qu’elles sont sensibles, comment ne pas les
protéger, notamment contre la tentation de constituer de multiples
fichiers et de favoriser ainsi l’identification des personnes ?
Secret ou sécurité ?
En psychiatrie
Dans l’imaginaire collectif, le malade mental est désormais un
personnage dangereux. On le sait pourtant : qui souffre de troubles
psychiatriques est plus souvent victime que coupable puisque ces
patients subissent sept à dix-sept fois plus de violences que les
personnes en bonne santé 3. Or, aujourd’hui, le psychiatre fait face,
lui, à deux chantiers majeurs qui sont ignorés ou minorés par
l’opinion mais où se décide le sens même de sa pratique.
Comme pour tout médecin, le premier de ces chantiers relève du
colloque singulier instauré pour et avec son patient. À la différence
de ses collègues, il travaille à mains nues et à voix nue. Il ne dispose
pas d’un attirail d’appareils ou d’examens complémentaires. Il a
certes à sa disposition un certain nombre de molécules, mais le
premier médicament c’est lui. Son plateau technique, ce sont les
personnels soignants. Dans le cadre de la consultation, il entend et
apprend beaucoup de choses que, sans doute, il ne portera pas dans
le dossier de son patient. Il y détaillera sa biographie et les faits
cliniques qu’il constate, mais aussi ceux qui sont absents et qui ne
sont pas moins nécessaires à l’orientation de la conduite à tenir.
Autant que faire se peut, il gardera toutefois par devers lui ce qu’il
aura vu, entendu ou compris, même « de travers » comme le dit
Michel David, et qu’il n’est pas besoin d’écrire. Pour autant, c’est à lui
qu’il revient également de rédiger les certificats d’hospitalisation et
d’instruire les programmes de soins sous contrainte qui font partie
intégrante de son exercice de clinicien.
Le second chantier est plus complexe. On attend du psychiatre un
rôle d’expert, par exemple judiciaire lorsqu’il s’agit de déterminer la
responsabilité d’une personne dans un délit selon la formule
classique : son discernement était-il aboli totalement, partiellement,
nullement au moment des faits ? En théorie, il doit se prononcer et
éclairer le juge sur la dangerosité potentielle d’une personne au
regard de dispositifs tels que la rétention de sûreté ou, s’il est
médecin coordonnateur, au regard des soins à ordonner pénalement.
Là on entre en zone trouble car on attend du psychiatre qu’il donne
ce qu’il ne peut donner. Diagnostiquer n’est pas juger, pronostiquer
n’est pas prédire et, que l’on sache, la faculté forme des médecins,
non pas des voyants.
Pour bien saisir la différence, il faut reprendre une à une ces trois
situations limites que sont la contrainte, l’obligation, l’expertise. Elles
impliquent pour le psychiatre trois rôles distincts qui ont pour scènes
l’hôpital, le poste de police, le tribunal, la prison, mais qui tous trois
lui font confronter l’impératif du secret aux réquisits de la loi.
SOUS LA CONTRAINTE
Extension du domaine
L’obligation de soin
L’injonction thérapeutique
L’EXPERT JUDICIAIRE
Choisi sur une liste tenue par chaque tribunal de grande instance
(TGI), l’expert prête serment, à la suite de quoi il est inscrit pour trois
ans. Plusieurs articles (105-108) du Code de déontologie médicale
précisent son activité. Citons les principaux :
L’expert ne doit donner que les seules informations qui lui sont
demandées et ne faire que répondre aux questions qui lui sont
posées 37. Pourquoi ces précautions ? Paul Ricœur, redisons-le, a
montré que la médecine est en soi ambivalente puisque, par sa nature
même, elle est contrainte d’objectiver le corps du patient. Or il peut
arriver, dans des circonstances particulières, que l’objectivation
devienne une « pratique à risque », glisse même vers ce que l’on peut
appeler de la torture quand le corps de l’autre est volontairement
meurtri pour une finalité autre que le soin. Ricœur cite les
circonstances « à haut risque », où ce glissement peut insidieusement
s’opérer, lorsque « les dérapages ne consistent pas simplement en des
fautes professionnelles évitables, mais sont en quelque sorte induits
par des structures sociales, juridiques et politiques où la violence
revêt des formes que l’on peut dire institutionnalisées ». Le haut
risque existe lorsque les normes « sont si incertaines que le jugement
moral en situation reste la seule ressource », et plus encore, lorsque
38
l’on sollicite le médecin dans la « médicalisation de la punition ».
Certes, objectiver est nécessaire et un excellent exemple en est le
cas du chirurgien qui opère : il ouvre une parenthèse d’objectivation
en ouvrant le corps du patient et la referme en le refermant. Mais
nombre de situations sont précisément grosses du risque que l’on
oublie de clore la parenthèse. Cette tentation de maintenir l’autre
dans un statut d’objet existe dans l’expertise judiciaire et Michel
Foucault en a relevé diverses illustrations au cours des années 1950-
1960. « Ce n’est plus un sujet juridique que les magistrats, les jurés
ont devant eux, mais un objet : l’objet d’une technologie et d’un
savoir de réparation, de réadaptation, de réinsertion, de correction.
En bref, l’expertise a pour fonction de doubler l’auteur, responsable
ou non, du crime, d’un sujet délinquant qui sera l’objet d’une
technologie spécifique 39 ».
L’affaire de Rennes
Revenir à Freud ?
PARADOXES ET CONTRADICTIONS
LE PARTAGE D’INFORMATIONS
Du CEL à GENESIS
GENESIS ou le métafichier
C’est peu dire que les professionnels de santé ont été déçus de
l’absence de soutien de la part de leur tutelle, laquelle semble
considérer que le secret médical doit être « aménagé » en prison et
que seul compte le partage d’informations. Ce positionnement a sans
doute été favorisé par les jugements de tribunaux administratifs qui
soulignent le manque d’échanges d’informations entre
l’administration pénitentiaire et l’administration sanitaire. Il ne
demeure pas moins que de si peu considérer la confidentialité est une
grave erreur, ne serait-ce qu’en termes de sécurité publique.
Télémédecine ?
LA TENTATION DU SIGNALEMENT
La transmission à un élu
L’organisation de la dénonciation
Variation helvétique
Quel crash ?
Voilà qui est dit. Les médecins qui sont présents ce jour-là ne
comprennent pas le propos. Pourtant, ce que dit Lacan, c’est que le
secret médical touche à la demande du malade et à la jouissance du
corps. « Au nom de quoi, aurez-vous à parler, sinon précisément de
cette dimension de la jouissance de son corps et de ce qu’elle
commande de participation à tout ce qu’il en est dans le monde ? ».
Le secret n’a rien à voir avec le savoir scientifique. Il n’a rien à voir
avec l’information. Il touche à la vie et à la mort, à ce qui rend la vie
possible et à ce qui la tue, à ce qui rend le séjour de l’homme
habitable ou au contraire inhospitalier. Il a rapport avec la parole et
avec le silence, il se tient au plus près du corps. Ce qu’explique de
manière lumineuse le philosophe Claude Bruaire :
1. PLATON, Protagoras, 320-322d, Œuvres complètes, trad. d’Émile Chambry, t. II, Garnier,
1937.
2. Jean-Louis CHRÉTIEN, La voix nue, phénoménologie de la promesse, Éd. de Minuit, 1990,
p. 39.
3. Giorgio AGAMBEN, Nudités, trad. M. Rueff, Rivages poche, 2012, p. 116-117.
4. Ce que souligne l’épître aux Éphésiens, par exemple : « Il [Dieu] nous a élus en lui dès
avant la fondation du monde pour être saints et immaculés en sa présence dans l’amour »
(Ep 1, 4).
5. BASILE DE CÉSARÉE, Sur l’origine de l’homme, (Homélies X et XI sur l’Hexaéméron), trad.
A. Smets s.j. et M. Van Esbroeck s.j., Éd. du Cerf, coll. « Sources chrétiennes », no 160, 1970.
6. Genèse 9, 20-26.
7. THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, IIa Q. 144, a.1,2.
8. Éric FIAT, « Pudeur et intimité », Gérontologie et société, 2007/3 no 122, p. 32. Voir
également son beau livre d’entretiens avec Adèle Van Reeth, La pudeur, questions de caractère,
Plon-France Culture, 2016.
9. Vladimir JANKÉLÉVITCH, La mauvaise conscience, dans Philosophie Morale, Flammarion 1998,
p. 139.
10. Sigmund FREUD, Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense, (1896) dans
Névrose, psychose et perversion, trad. J. Laplanche, PUF, 1973, p. 61-81.
11. « La honte est appréhension honteuse de ce quelque chose et ce quelque chose est moi.
J’ai honte de ce que je suis. La honte réalise donc une relation intime de moi avec moi : j’ai
découvert par la honte un aspect de mon être. […] J’ai honte de moi tel que j’apparais à
autrui. Et par l’apparition même d’autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement sur
moi-même comme sur un objet, car c’est comme objet que j’apparais à autrui. […] La honte
est, par nature, reconnaissance. Je reconnais que je suis comme autrui me voit. » Jean-Paul
SARTRE, L’être et le néant (1943), Gallimard, 1976, p. 259-260.
12. Patrick MÉROT, « Si un autre vient à l’apprendre… », Introduction à la discussion sur le
rapport de Claude Janin, Revue française de psychanalyse, 2003/5 Vol. 67, p. 1749.
13. Jeanine HORTONÉDA, « Utopie et hétérotopie. En quête de l’intime », Empan 2010/1
(no 77), p. 71.
14. Gabriel LIICEANU parle de « fond intime étranger », De la limite, petit traité à l’usage des
orgueilleux, trad. A. Laignel-Lavastine, Michalon, 1994, p. 25.
15. Sigmund FREUD, L’inquiétante étrangeté et autres essais, trad. B. Féron, Gallimard, coll.
« Folio », p. 249.
16. Ibid., p. 221-223.
17. Jacques LACAN, Séminaire VII, L’éthique de la psychanalyse, Seuil, 1986, p. 87.
18. Alain REY, « Secret », dans Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert,
Tome III, p. 3434-3436.
19. Voir Arnaud LÉVY, « Évaluation étymologique et sémantique du mot “secret” », Nouvelle
revue de Psychanalyse, no 14, Paris, Gallimard, 1976, p. 117-129.
20. Toujours selon le Dictionnaire historique de la langue française, « secret » désigne aussi un
mécanisme de théâtre connu seulement de quelques-uns (1496) puis une cachette dans un
meuble, particulièrement un tiroir déguisé. Cette dernière acception donne, au XVIIIe siècle,
« secrétaire » pour désigner l’élément même de mobilier. Toutefois, le mot provient en
parallèle de secretarium, « lieu isolé », « salle d’audience » (IVe siècle), « sacristie » (VIe siècle),
« tabernacle » (v. 1180), sens que corrobore le moyen français segreier « lieu retiré où l’on vit
pour soi ». Secretarium substantivé en secretarius pour désigner le « sacristain » (Ve siècle)
puis par extension le secrétaire à la cour, prend, au XIIIe siècle, le sens de « confident, ami »,
puis de personne de confiance et enfin d’agent gouvernemental à la Renaissance, d’où
l’expression « secrétaire d’État ».
21. Alysia E. GARRISON, « Agamben’s Grammar of the Secret Under the Sign of the Law », Law
Critique, 20 (3), 2009. Accessible en ligne : https://escholarship.org/uc/item/4kr7c30b.
22. HIPPOCRATE, L’art de la médecine, trad. de J. Jouanna, Garnier Flammarion, 1999, p. 70-
71.
23. Rudolf OTTO, Du sacré. Sur l’irrationnel des idées du divin et de leur relation au rationnel,
(1917), trad. de A. Jundt, Payot, 1995.
24. Ou une « seconde planche de salut ». TERTULLIEN, La Pénitence, trad. C. Munier, Éd. du
Cerf, coll. « Sources chrétiennes », no 316, 1984.
25. Dans ses Sermones 351 et 352, dans MIGNE, Patrologia latina, t.39, col. 1538-1563. Quant
à la formule attribuée, elle est devenue une citation usuelle dans les traités modernes de
jurisprudence. Voir Raymond VILLEY, Histoire du secret médical, Paris, Seghers, 1986, p. 21.
26. LÉON LE GRAND, Lettre, 168, cité par Guy BEDOUELLE, « La loi du silence », dans Secrets
professionnels, Paris, Autrement, 1999, p. 121.
27. N° 10. Voir Il trattato de vera et falsa poenitentia, Guida alla lettura, testo e traduzione, ed.
Alessandra COSTANZO, Studia Anselmania 154, 2011.
28. « Pénitence », dans Dictionnaire critique de théologie, p. 885.
29. « Il prendra grandement garde de ne jamais trahir le pécheur par un mot, un signe ou de
quelque manière ; mais s’il a besoin d’un avis plus éclairé, il le demandera prudemment sans
rien révéler de la personne ; car si quelqu’un osait révéler un péché qui lui a été découvert au
tribunal de la pénitence, nous décrétons, non seulement qu’il doit être déposé du ministère
sacerdotal, mais encore qu’il soit voué, à perpétuité, à faire pénitence dans un monastère de
stricte observance », H. DENZINGER, Symboles et définitions de la foi catholique, Paris, Éd. du
Cerf, 1996, § 813-814, p. 298.
30. « Il y a peu de temps, est parvenu à nos oreilles que certains confesseurs […] ont
commencé à instituer une pratique faussé et pernicieuse en entendant les confessions des
fidèles du Christ et en administrant le sacrement très salutaire de la pénitence : à savoir que
lorsqu’à l’occasion ils se trouvent en présence de pénitents qui avaient un compagnon ou un
complice de leur forfait, ils demandent ordinairement à ces pénitents le nom de ce
compagnon ou de ce complice, et que ce n’est pas par la persuasion seulement qu’ils
s’efforcent de les amener à le leur révéler, mais que, ce qui est plus abominable, ils les
poussent et les contraignent véritablement en les menaçant du refus de l’absolution
sacramentelle s’ils ne le révèlent pas ; bien plus, ils exigent même que leur soit donné non
seulement le nom du complice, mais également le lieu où il habite. […] Nous voulons que
vous sachiez que la pratique mentionnée ci-dessus doit être réprouvée absolument, et que
par les présentes, sous la forme d’un Bref elle est réprouvée et condamnée par nous comme
scandaleuse et pernicieuse, comme dommageable pour la bonne réputation du prochain
aussi bien que pour le sacrement lui-même, comme tendant à la violation du très saint sceau
du sacrement, et comme éloignant les fidèles de l’usage si utile et si nécessaire du sacrement
de la pénitence. » Benoît XIV, Suprema omnium Ecclesiarum, 7 juillet 1745, H. DENZINGER,
Symboles et définitions de la foi catholique, Paris, Éd. du Cerf, 1996, § 2543-2544, p. 578-579.
31. THOMAS D’AQUIN, De Sentenciae, Livre IV, d. 21, Qu° 3. Voir
http://docteurangelique.free.fr/index.html
32. Ibid., Livre IV, d. 21. Qu° 3. a. 1 qc. 1 s. c. 2.
33. Ibid., Livre IV, d. 21. Qu° 3. a. 1 qc. 1 co. Nous soulignons. On peut lire des expressions
similaires dans la Somme Théologique. Le prêtre « ne connaît pas ces choses-là en tant
qu’homme mais en tant que Dieu » « Non scit ea ut homo sed ut Deus », Somme théologique
(ST) Suppl., q. 11, a. 3, ad. 2. ou encore ST Suppl., q. 11, a. 4, ad resp.
34. THOMAS D’AQUIN, Quodlibet XII, q. 11 a. 2 tit. 1. Voir
http://docteurangelique.free.fr/index.html
35. P. BERNARD, « Confession du concile de Latran au concile de Trente », Dictionnaire
théologique catholique, Tome III, p. 920 et suivantes. Nous soulignons.
36. MAÎTRE ECKHART, Traités et sermons, « Entretiens spirituels XII », trad. A. de Libéra, GF,
p. 97.
37. Mirko GRMEK, « L’origine et les vicissitudes du secret médical », Cahiers Laënnec, no 29,
1969.
38. Francis BACON, La Nouvelle Atlantide, trad. Michèle Le Doeuff et Margaret Llasera, GF-
Flammarion, 2000, p. 119.
39. Gilbert Keith CHESTERTON, Orthodoxie, trad. L. d’Azay, Climats, 2010. Pour l’exactitude
d’une citation souvent déformée : « Quand un certain ordre religieux est ébranlé (comme le
fut le christianisme à la Réforme), ce ne sont pas seulement les vices que l’on met en liberté.
Les vices, une fois lâchés, errent à l’aventure et ravagent le monde. Mais les vertus, elles
aussi, brisent leurs chaînes, et le vagabondage des vertus n’est pas moins forcené et les
ruines qu’elles causent sont plus terribles. Le monde moderne est plein d’anciennes vertus
chrétiennes devenues folles. Elles sont devenues folles, parce qu’isolées l’une de l’autre et
parce qu’elles vagabondent toutes seules. C’est ainsi que nous voyons des savants épris de
vérité, mais dont la vérité est impitoyable ; des humanitaires éperdus de pitié mais dont
la pitié (je regrette de le dire) est souvent un mensonge ».
40. Luther, moine augustinien, s’est opposé, à juste titre, à la papauté de son temps sur la
question des indulgences et du rachat y compris financier des péchés, en fondant son
argument sur l’épître aux Romains qui affirme explicitement que seule la foi sauve en tant
qu’elle est donnée par Dieu.
41. Alasdair HERON, « Calvinisme », Dictionnaire critique de théologie, p. 195. Il faut préciser
que ce débat entre catholiques et protestants est aujourd’hui beaucoup moins vif et pour une
part résolu. Voir La Doctrine de la justification, Déclaration commune de la Fédération
luthérienne mondiale et de l’Église catholique, Éd. du Cerf, Paris, 1999.
42. Max WEBER, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905), trad. J.-P. Grossein,
Gallimard, 2003.
43. Sur ce sujet, voir Anne LÉCU, La prison, un lieu de soin ?, Paris, Belles Lettres, 2013.
44. « Pouvoir, savoir et sacré, ces trois instances qui veillaient autrefois réunies au chevet
tranquille des familles, des sociétés et des États sont sorties de l’antre d’Éole ; elles
multiplient l’une par l’autre leurs facultés de faire du secret et leur impossibilité à le
maîtriser. » Pierre NORA, « Simmel, le mot de passe », Nouvelle revue de Psychanalyse, no 14,
1976, p. 308.
45. Georg SIMMEL, Secret et sociétés secrètes, traduit de l’allemand par Sibylle Muller, Paris,
Circé Poche, 1996 (3e édition 2009), p. 47.
46. Commission médicale de la section française d’Amnesty International, et Valérie
MARANGE, Médecins tortionnaires, médecins résistants, préface de Paul Ricœur, Paris, La
découverte, 1990, p. 5.
47. On peut entendre « propre » par opposition à « sale », par opposition à « étranger »
(moi / non-moi), par opposition à impropre (conforme / non conforme). Voir Arnaud LÉVY,
« Évaluation étymologique et sémantique du mot “secret” », p. 128.
48. Ibid., p. 120.
49. Ibid.
50. Pierre BOUTANG, Ontologie du secret, (1973), PUF, 1993, p. 75 et s.
51. Ibid., p. 131.
52. Andras ZEMPLÉNI, « La chaîne du secret », Nouvelle revue de psychanalyse, no 14, 1976,
p. 313-324.
53. Conférence des évêques de France, Lutter contre la pédophilie. Repères pour les éducateurs,
Bayard / Cerf / Fleurus-Mame, 2010.
54. Conférence des évêques de France, Bulletin, juillet 1998, p. 4.
55. « Il apparaît clairement que les qualités, voire les conditions dans lesquelles un ministre
du culte a appris une information ne sont pas indifférentes à la qualification de secret
professionnel de celle-ci, et, par voie de conséquence, à l’étendue de l’obligation de
révélation dudit ministre du culte. C’est pourquoi vous veillerez à ce que les procureurs de la
République fassent diligenter de manière systématique des enquêtes, dès lors qu’existe une
suspicion de non-révélation de crime (art. 434-1 du C.P.) ou de mauvais traitements ou de
privations infligés à des mineurs de 15 ans ou à une personne vulnérable (art. 226-14 du
C.P.), afin de pouvoir déterminer avec précision dans quel cadre le représentant du culte
concerné a eu connaissance des faits » (Circulaire du 11 août 2004, § B 2).
56. « Aux motifs que les déclarations de David Y… selon lesquelles il s’était confié à un
prêtre, Jean-Jacques Z…, au cours du pèlerinage d’août 1999, lequel l’avait encouragé à
parler à ses parents, étaient confirmées par l’intéressé qui, après avoir demandé à être délié
par le plaignant du secret de la confession, rapportait que David Y…, qui se grattait
continuellement le visage jusqu’au sang, lui avait dans un premier temps demandé si l’on
pouvait changer de peau et si c’était bien ou mal pour un jeune homme d’avoir des relations
sexuelles avec un adulte, évoquant une scène homosexuelle dans la campagne ; le prêtre
disait l’avoir questionné sur sa propre histoire et David Y… était resté évasif avant de lui
révéler qu’il vivait de tels actes avec son psychiatre à son cabinet, et il l’avait alors vivement
invité à en parler à sa mère et à ne plus consulter ce psychiatre ; alors qu’une décision de
mise en accusation ne saurait en aucun cas, même partiellement, reposer sur des preuves
obtenues de manière illicite ; que les ministres des cultes sont rigoureusement tenus au
secret professionnel sans pouvoir être déliés de cette obligation par leurs confidents et que la
chambre de l’instruction, qui a fondé sa décision relativement à l’existence des faits objet de
l’accusation sur les déclarations d’un prêtre ayant demandé à être délié par le plaignant du
secret de la confession, a méconnu le principe susvisé, élément essentiel du procès équitable
et encouru de ce chef l’annulation ». Cass. Crim., 19 octobre 2004, no 04-84928.
57. Jacqueline COIGNARD, « La société moderne a inventé le juge à tout faire », Libération,
15 juillet 2006. Article consultable en ligne sur le site de Libération :
http://www.liberation.fr
58. Décision à caractère normatif no 2007-001, AG du Conseil national du barreau du
28 avril 2007.
59. En application de la directive européenne du 4 décembre 2001, la loi no 2004-130 du
11 février 2004 lui impose une sorte de « déclaration de soupçon » : lorsqu’il réalise pour son
client une transaction financière ou immobilière ou qu’il y participe (art. L. 562-2-1 du code
monétaire et financier), il doit transmettre une déclaration à son bâtonnier, (qui appréciera
s’il faut ou non la porter à la connaissance du service Tracfin) pour de nombreux avocats,
cette loi a transformé l’avocat en « agent de la poursuite et délateur de son client ». Ce secret
est malmené une nouvelle fois par la loi 2004-204 du 9 mars 2004 (dite Perben II), en
permettant une saisie des documents intéressant l’enquête « sans que puisse être opposée,
sans motif légitime, l’obligation du secret professionnel » (art. 80).
60. Colloque « Le secret professionnel », organisé par la Conférence des bâtonniers à
l’Assemblée nationale le mercredi 22 novembre 2000. Discours de Raymond Forni (président
de l’Assemblée nationale) disponible en ligne : http://www.assemblee-
nationale.fr/presidence/discours/3eba0046.asp
61. Voir l’affaire Versini-Campinchi et Crasnianski. Arrêt disponible en ligne :
http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-163612
62. Compte rendu de la deuxième séance du mardi 14 avril 2015 de l’Assemblée nationale :
– « Christiane TAUBIRA, garde des Sceaux. Comme l’indique le rapporteur à juste titre, les
professions protégées mentionnées dans l’amendement du Gouvernement le sont au titre de
la garantie du bon fonctionnement de la démocratie. En matière de procédures judiciaires,
toutefois, les médecins font partie des professions protégées. Le secret médical est protégé.
– Jean-Yves L E BOUILLONNEC. Mais il peut être levé !
– Christiane TAUBIRA, garde des Sceaux. Je rappelle que notre amendement prévoit, non pas
une interdiction totale des écoutes administratives pour les professions citées, mais un
encadrement de leurs conditions. De même, il ne peut s’agir de protéger le secret médical de
façon absolue. Néanmoins, dans la mesure où nous voulons éviter les hiatus entre les
conditions d’encadrement en matière judiciaire et en matière administrative, nous nous en
remettons, sur la question de la protection des médecins, à la sagesse de l’Assemblée. »
Compte rendu disponible en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr
63. Michel FOUCAULT, Dits et Écrits, III, texte no 170, Gallimard, 1994.
64. « La sphère enchantée de l’intime », entretien avec Jean BAUDRILLARD, L’intime, revue
Autrement, no 81, juin 1986, p. 14.
65. Voir l’article de Roland GORI, « La tache aveugle de la transparence », dans Roland GORI,
Patrick BEN SOUSSAN (dir.), Peut-on se passer du secret ?, Paris, Érès, 2013, p. 57.
2. UN SERMENT OU UN CONTRAT ?
1. Voir l’article 109 (art. R.4127-109 du Code de la santé publique) sur le site du Conseil
national de l’Ordre des médecins : http://www.conseil-national.medecin.fr
2. Publiée dans le Bulletin de l’Ordre des médecins 4, avril 1996 : « Au moment d’être
admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de
la probité. Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans
tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. Je respecterai toutes les
personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou
leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou
menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage
de mes connaissances contre les lois de l’humanité. J’informerai les patients des décisions
envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance
et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences. Je
donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me laisserai pas
influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire. Admis(e) dans l’intimité des
personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu(e) à l’intérieur des maisons, je
respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à corrompre les mœurs. Je
ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne
provoquerai jamais la mort délibérément. Je préserverai l’indépendance nécessaire à
l’accomplissement de ma mission. Je n’entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je
les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront
demandés. J’apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu’à leurs familles dans l’adversité.
Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ;
que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j’y manque. »
3. Voir La Gazette du Groupe d’Étude en Orthopédie Pédiatrique 11, janv.-fév. 2004.
4. HIPPOCRATE, L’art de la médecine, p. 70-71.
5. M. RIQUET et DES PLACES, « Hippocrate », Cahiers Laënnec, no 2, 1937, p. 81.
6. Dominique FOLSCHEID, « La médecine et ses mythes », Éthique et santé, Elsevier Masson,
no 5, 2008, p. 219.
7. Dominique THOUVENIN, Le secret médical et l’information du malade, PUL, 1982, p. 24.
8. HIPPOCRATE, Les épidémies, I, 1, 5.
9. HIPPOCRATE, La Loi, § 3. Œuvres complètes d’Hippocrate, Tome IV, Paris, Baillière, 1844,
p. 643.
10. « Après avoir procédé à un examen du mal depuis son début et, à la fois, selon ce
qu’exige la nature d’un tel examen, entrant en conversation, tant avec le patient lui-même
qu’avec ses amis, ainsi, en même temps que du malade il apprend personnellement quelque
chose, en même temps aussi, dans toute la mesure où il le peut, il instruit à son tour celui qui
est en mauvaise santé ; bien plus, il n’aura rien prescrit qu’il n’ait auparavant de quelque
façon gagné sa confiance. N’est-ce pas alors que, ne cessant de préparer chez le malade un
état d’apaisement, il s’efforce d’achever son œuvre en le ramenant la santé ? », PLATON, Les
Lois, IV, 720 a-e, trad. de Léon Robin, Œuvres complètes II, Paris, Gallimard, coll. « Pléiade »,
p. 769.
11. Jean-Pierre BAUD, « Du secret de la maison au secret de l’hôpital », Cités 26, 2006/2,
p. 16.
12. Ibid. « Ce que dissimule la mise en scène du pouvoir patriarcal est que le pouvoir de vie
et de mort du mâle dominant n’est que le pouvoir de tuer – ou plutôt le pouvoir de gracier
puisque le pouvoir de tuer se détruit à l’usage – alors que le pouvoir biologique de la femme
touche à la maîtrise de la vie. »
13. Ibid. « Les choses honteuses ou criminelles que dissimulait le secret domestique étaient la
part d’inavouable que devait tolérer un système d’humanisation qui devait nécessairement
aboutir à l’instance civilisatrice du droit. »
14. Ibid.
15. Ce mystérieux auteur du Ve siècle emprunte l’identité du premier disciple de Paul à
Athènes pour marquer sa volonté de concilier philosophie grecque et révélation évangélique.
Voir PSEUDO-DENYS L’AREOPAGITE, Les Noms divins, trad. Y. d’Andia, t.I et II, Éd. du Cerf, coll.
« Sources chrétiennes », no 578-579, 2016.
16. Voir M. GRMEK, « Le secret médical », Concours médical no 26, 1963, p. 4177.
17. Voir par exemple Dietrich BONHOEFFER, Résistance et soumission, Lettre 139 du 5 mai
1944, trad. de B. Leuret et H. Mottu, Genève, Labor et Fides, 2006, p. 337.
18. À distinguer de oros, autre mot grec qui signifie limite, en ce qu’elle peut être franchie.
19. Voir Michel CAILLOL, « Sur les traces du sacré en chirurgie », Technique, promesses et
utopies, où va la médecine, Parole et Silence, 2015, p. 195 et suivantes.
20. Rudolf OTTO, Le sacré, Payot, 1995.
21. Cité par Raymond VILLEY, Histoire du secret médical, p. 17.
22. ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, V, trad. de J. Tricot, Vrin, 1979.
23. Raymond VILLEY, Histoire du secret médical, p. 27.
24. Isidore SIMON, Étude critique des serments médicaux et des prières médicales et leur
influence sur la conscience et la moralité professionnelles, Ier Congrès international de morale
médicale, Paris, Ordre national des médecins, 1955, t. II.
25. M. D. GRMEK, « Le secret médical », Concours médical no 26, p. 4179.
26. Jean-Pierre BAUD, « Chapitre 1. Le pouvoir médical et le statut juridique du corps humain
disloqué : les procès médicaux », Journal International de Bioéthique 12, ESKA, 2001/2,
p. 15-22.
27. Sylvain MISSONNIER, « Prolégomène à un consentement mutuellement éclairé », dans
Jean-Paul CAVERNI, Roland GORI (dir.), Le consentement. Droit nouveau du patient ou
imposture ?, Paris, Éd. In Press, coll. « Champs Libres », 2006, p. 176.
28. « Aegorum arcana visa, audita, intellecta, eliminet nemo », M. D. GRMEK, « Le secret
médical », Concours médical no 26, p. 4179.
29. Voir l’étymologie du mot « autopsie » sur le site du Centre national de ressources
textuelles et lexicales : http://www.cnrtl.fr
« C’est ainsi que dans les mystères d’Eleusis & de Samothrace, les prêtres nommoient la
dernière explication qu’ils donnoient à leurs prosélytes, & pour ainsi parler, le mot de
l’énigme. »
30. M. D. GRMEK, « Le secret médical », Concours médical no 26, p. 4179.
31. Cité par Raymond VILLEY, Histoire du secret médical, p. 35.
32. Jean BERNIER, Essais de Médecine. Où il est traité de l’Histoire de la Médecine et des
Médecins, du Devoir des Médecins à l’égard des malades et de celui des malades à l’égard des
Médecins, Paris, Langronne, 1689, p. 269.
33. Dès 1363, Guy de Chauliac écrivait : « Il est nécessaire aux chirurgiens de bien connaître
l’anatomie parce que, sans l’anatomie, on ne peut rien faire en chirurgie. […] Elle [cette
connaissance] est acquise par deux moyens : l’un est par la doctrine des livres [comprendre
“le dogmatisme de Gallien”], l’autre par l’expérience des corps morts », Guy de CHAULIAC,
Chirurgia Magna, Avignon, 1363, cité par Michel CAILLOL, Dieu n’est pas chirurgien, Un
cheminement éthique à la recherche des traces du sacré en chirurgie, Thèse de Philosophie
pratique, sous la direction du professeur Éric Fiat, Paris Est, soutenue le 18 décembre 2012,
p. 148.
34. Dominique THOUVENIN, Le secret médical et l’information du malade, p. 24
35. Cité par M.D. GRMEK, L’origine et les vicissitudes du secret médical, p. 30.
36. François RANCHIN, Opuscules ou traictés divers et curieux en médecine, Première Partie,
chapitre IX, Lyon, Ravaud, 1640, p. 19. Disponible en ligne sur le site de la BIU Santé :
http://www.biusante.parisdescartes.fr
37. Si le secret est traditionnellement celui des trois « robes noires », du prêtre, de l’avocat et
du médecin, on comprend que la suppression de ces trois facultés ait quelque chose à voir
avec le sentiment que le secret est sans doute suspect, et fondamentalement
antirévolutionnaire. Mais c’est une histoire dialectique, car les révolutionnaires eux-mêmes
doivent bien établir d’autres lieux de secret pour agir efficacement…
38. Jean VERDIER, La jurisprudence de la médecine en France, Alençon, Malassis, 1763, p. 714
(accessible sur le site Gallica). « Un chirurgien d’Évreux écrivit le 13 mars 1747 à Messire
Lucas, chanoine prébendé en l’Église cathédrale et président au siège présidial de cette ville,
une lettre à laquelle était joint un mémoire contenant un détail de visites, opérations,
pansements et médicaments, faits et fournis consécutivement pendant 5 mois à M. Labbé,
pour un rhume ecclésiastique cordé de grande conséquence. Montant 600 livres ».
Comme le chirurgien n’est pas payé, il renvoie la note et assigne son patient au tribunal, ce
qui a pour conséquence de dévoiler le « rhume ecclésiastique » à tout le monde. C’est à ce
titre que le malheureux chirurgien est condamné à une forte amende (1 000 livres), assortie
d’une interdiction d’exercer pendant 6 ans, qu’il est contraint de reconnaître qu’il a calomnié
le chanoine et de déclarer que ce dernier souffrait de scorbut !
39. Ibid., p. 718-719.
40. Séminaire 2015-2016, « Humanisme, transhumanisme, posthumanisme ». Intervention
de Pierre Magnard le 21 janvier 2015 disponible en ligne : http://media.
collegedesbernardins.fr/content/pdf/Recherche/3/recherche-
2015/2015_01_21_EB_Humanisme_CR.pdf
41. Pierre MAGNARD, Questions à l’humanisme, Paris, PUF, 2000, p. 146.
42. ARISTOTE, Métaphysique A, 1, 981 a 15-20, traduit par J. de Tricot, t. I, Paris, Vrin, 1991,
p. 3.
43. Francis BACON, Le Progrès et avancement aux sciences divines et humaines, éd. fr.
A. Maugars, Paris, 1624, livre III, chap. V, § 1 : « La recherche des causes finales est stérile et,
semblable à une vierge consacrée au Seigneur, elle n’engendre point ». Voir aussi, Francis
BACON, Novum Organum, I, aphorisme 48, trad. de Michel Malherbe et Jean-Marie Pousseur,
Paris, PUF, 2004, p. 115.
44. Francis BACON, « Magnalia naturae », La Nouvelle Atlantide, trad. Michèle Le Doeuff et
Margaret Llasera, Paris, GF-Flammarion, 2000, p. 133.
45. Francis BACON, La Nouvelle Atlantide, trad. de Michèle Le Doeuff et Margaret Llasera,
Paris, GF-Flammarion, 2000, p. 94.
46. Ibid., p. 119.
47. Ibid., p. 133 : « Prolonger la vie. Rendre, à quelque degré, la jeunesse. Retarder le
vieillissement. Guérir des maladies réputées incurables. Amoindrir la douleur. […]
Transformer le tempérament, l’embonpoint et la maigreur. […] Transformer les traits.
Augmenter et élever le cérébral. Métamorphose d’un corps dans un autre. Fabriquer de
nouvelles espèces. Transplanter une espèce dans une autre. […] Rendre les esprits joyeux, et
les mettre dans une bonne disposition. […] Forces de l’atmosphère et naissance des
tempêtes. […] Produire des aliments nouveaux, à partir de substances qui ne sont pas
actuellement utilisées. […] Prédictions naturelles. Illusions des sens. De plus grands plaisirs
pour les sens. Minéraux artificiels et ciments. »
48. Séminaire de recherche « Religion, éthique et médecine bio-tech », organisé par le
Collège des Bernardins. Intervention de Dominique Folscheid le 14 novembre 2012
disponible en ligne :
https://media.collegedesbernardins.fr/content/pdf/Recherche/3/recherche-2012-
2013/2012_11_14_crlong_eb_dominique_folscheid.pdf
49. Voir Thomas HOBBES, Leviathan, Livre I, Chap. XVII, trad. Fr. Tricaud, Paris, Dalloz, 1999,
p. 177-178.
50. Idem, Livre I, Chap. XIV, p. 128.
51. Pierre MANENT, Histoire intellectuelle du libéralisme, Hachette, 1987, p. 101.
52. Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, Paris, GF no 1058, 2001, p. 47 : « Cette liberté
commune est une conséquence de la nature de l’homme. Sa première loi est de veiller à sa
propre conservation, ses premiers soins sont ceux qu’il se doit à lui-même. »
53. Ibid., p. 56 : « “Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force
commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous
n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant ?” tel est le problème
fondamental dont le contrat social donne la solution. »
54. Ibid., p. 56-57.
55. Ibid., p. 60.
56. Ibid., p. 94 : « À ces trois sortes de lois [les lois politiques, civiles et pénales], il s’en joint
une quatrième, la plus importante de toutes ; qui ne se grave ni sur le marbre ni sur l’airain,
mais dans les cœurs des citoyens ; qui fait la véritable constitution de l’État ; qui prend tous
les jours de nouvelles forces ; qui, lorsque les autres lois vieillissent ou s’éteignent, les ranime
ou les supplée, conserve un peuple dans l’esprit de son institution, et substitue
insensiblement la force de l’habitude à celle de l’autorité. Je parle des mœurs, des coutumes,
et surtout de l’opinion ; partie inconnue à nos politiques, mais de laquelle dépend le succès
de toutes les autres : partie dont le grand Législateur s’occupe en secret, tandis qu’il paraît se
borner à des règlements particuliers qui ne sont que le cintre de la voûte, dont les mœurs,
plus lentes à naître, forment enfin l’inébranlable Clef. »
57. Jean-Jacques ROUSSEAU, « Considérations sur le Gouvernement de Pologne » (1770-
1771), dans Œuvres complètes III, Gallimard, coll. « Pléiade », 1964, p. 970-971.
58. Ibid., p. 1019.
59. Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, p. 64.
60. Michel FOUCAULT, « L’œil du pouvoir » (1977) Dits et écrits, Tome II, Gallimard, coll.
« Quarto », 2001, p. 195.
61. Ibid., p. 186 « Aux XVIIe et XVIIIe siècles, il s’est produit un phénomène important :
l’apparition – il faudrait dire l’invention – d’une nouvelle mécanique de pouvoir qui a des
procédures particulières, des instruments tout nouveaux, un appareillage très différent et
qui, je crois, est absolument incompatible avec les rapports de souveraineté. Cette nouvelle
mécanique de pouvoir, c’est une mécanique qui porte d’abord sur les corps ou sur ce qu’ils
font plutôt que sur la terre et ses produits ; c’est un mécanisme de pouvoir qui permet
d’extraire des corps du travail et du temps plutôt que des biens et de la richesse. »
62. « Si le droit est la seule discipline qui traite spécifiquement de l’aveu, en théorie comme
en pratique, il ne l’a pas conçu ex nihilo car le juridique s’inscrit en continuateur et héritier
du religieux. Il ne s’est constitué de droit profane que par différenciation du droit religieux,
fondé sur une théologie et appliqué par l’autorité religieuse directement ou par
l’intermédiaire d’une autorité politique qui lui était soumise. » Daniel HURVY, « Entre
répression et expression, l’aveu », Revue française de psychanalyse, 2001/1 Vol. 65, p. 215.
63. Dominique THOUVENIN, « Secret médical et loi du 4 mars 2002 : quels changements ? »
Revue Laennec, 2007/1 Tome 55, p. 24. M. D. GRMEK, « Le secret médical », Concours médical
no 27, p. 4287.
64. M. D. GRMEK, « Le secret médical », Concours médical no 27,p. 4287.
65. Voir la thèse d’Eric FAUCOMPRÉ, Permanence et mutations du secret médical, soutenue à
Paris VIII en décembre 2012, p. 171 et suivantes. http://1.static.e-
corpus.org/download/notice_file/2524941/FAUCOMPRE.pdf
66. Philippe MALAURIE, Laurent AYNÈS, Philippe STOFFEL-MUNCK, Les obligations, Paris,
Defrénois, 2004, no 321.
67. Avec cette subtilité française que constitue le dualisme juridictionnel : la consultation de
médecine libérale relève du contrat (et donc des règles civiles) et son contentieux du juge
judiciaire (avec au sommet, la Cour de cassation), tandis que la consultation de médecine
publique est de nature statutaire, (et donc du droit administratif) et son contentieux relève
du juge administratif (avec, au sommet, le Conseil d’État).
68. Francine DEMICHEL, « À la recherche de l’acte médical : voyage autour d’un
innommable », Revue générale de droit médical, no 40, Études hospitalières éditions, 2011,
p. 53-92.
69. « Quel usage faisons-nous du langage et de la parole dans le traitement ? Il y a dans la
relation analytique deux sujets liés par un pacte » ? Jacques LACAN, Séminaire I, Les écrits
techniques de Freud, Le Seuil, 1975, p. 283.
4. SECRET OU SÉCURITÉ ?
1. Jan PATOÇKA, Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire, trad. de E. Abrams, Lagrasse,
Verdier poche, 1999, p. 213.
2. Marie-Caroline CABUT, « États-Unis : les délinquants sexuels bientôt fichés directement sur
leur passeport ? », Libération, 3 février 2016. L’information avait été livrée la veille dans le
magazine Vice par Beth Schwartzapfel du Marshall Project, un groupement d’investigation
sur les abus de justice, qui y voyait une nouvelle Scarlet Letter, « lettre écarlate » ou signe
d’infamie apposé au fer rouge, selon le titre du fameux roman de Nathaniel Hawthorne
(† 1864) dénonçant les dérives du monde puritain.
3. C’est ce que soutient Anne JURANVILLE, « Voile, féminin et inconscient », Adolescence 2004/3
(no 49), p. 523-532.
4. Ibid.
5. Jacques LACAN, mardi 20 mars 1973, Séminaire XX, Encore, Seuil, 1975, p. 85.
6. Emmanuel LEVINAS, Totalité et infini (1961) LGF, 1991, p. 289.
7. Emmanuel LEVINAS, Autrement qu’être, Dordrecht, 1988, p. 97.
8. Cahiers du Collège de Médecine 1966, p. 761-774, retranscription de Patrick Valas :
http://www.valas.fr/IMG/pdf/lacan_la_place_de_la_psychanalyse_dans_la_medecine_1966-
02-16.pdf. Nous soulignons.
9. Claude BRUAIRE, Une éthique pour la médecine, Fayard, 1978, p. 35.
Liste des abréviations
APSEP Association des professionnels de santé
exerçant en prison
Z-Access
https://wikipedia.org/wiki/Z-Library
ffi
fi