Et Ce Sera Justice (Roger Errera (Errera, Roger) )
Et Ce Sera Justice (Roger Errera (Errera, Roger) )
Et Ce Sera Justice (Roger Errera (Errera, Roger) )
Et ce sera justice…
1. Cf. Christophe DEJOURS, Travail vivant. 2 : Travail et émancipation, Payot, 2009 ; Dominique
MÉDA, « La dégradation du travail a gagné les cadres », Le Monde, 24 janvier 2012.
2. Nicole MAESTRACCI, première présidente de la cour d’appel de Rouen, allocution prononcée
le 10 janvier 2012 à l’occasion de la rentrée solennelle de cette cour, Les Annonces de la Seine,
6 février 2012, p. 8.
3. Dont les suivantes : lois du 29 août 2002 d’orientation et de programmation pour la sécurité
intérieure ; du 9 septembre 2002, dite Perben 1, d’orientation et de programmation pour la justice ;
du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ; du 9 mars 2004, dite Perben 2, portant adaptation de la
justice aux évolutions de la criminalité ; du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive ; du
23 janvier 2006 sur la lutte contre le terrorisme ; du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la
procédure pénale ; du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance ; du 10 août 2007 sur la récidive ;
du 25 août 2008 sur la rétention de sûreté ; du 2 mars 2010 sur les violences de groupe ;
du 10 mars 2010 sur la récidive criminelle ; du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la
sécurité intérieure 2, relative notamment à l’extension des peines planchers ; du 10 août 2011 sur la
participation des citoyens au fonctionnement de la justice et le jugement des mineurs ;
du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures
juridictionnelles ; du 26 décembre 2011 créant un « service citoyen » pour les mineurs délinquants. On
peut y ajouter la loi du 5 juillet 2011 sur l’hospitalisation sans consentement et celle du 27 mars 2012 sur
l’exécution des peines.
4. Pas moins de quatorze circulaires en cinq semaines, de décembre 2011 au début de janvier 2012,
note N. MAESTRACCI, alloc. citée, n. 2, p. 8.
5. Voir infra, chap. VII.
6. J’emprunte cette notion à Alain BANCAUD, « Le paradoxe de la gauche française au pouvoir :
développement des libertés judiciaires et continuité de la dépendance de la justice », Droit et société,
no 44-45, 2000, p. 61.
7. Deux exemples parmi d’autres : l’absence de création d’un système national de traitement des
réclamations concernant la justice et les années de débats qui ont précédé la création de l’ENM.
8. Loïc CADIET, « La justice face aux défis du nombre et de la complexité », Les Cahiers de la justice,
o
n 1, 2010, p. 17.
1
Le juge dans la société
La justice est une des composantes essentielles de l’État de droit, notion à préciser. Il faut dire pourquoi
et garder son rôle fondamental présent à l’esprit avant de débattre de la place de la justice au sein de nos
institutions et du rôle du juge dans notre société. Cette place et ce rôle ont été transformés par la
combinaison de trois mutations juridiques et politiques de fond : l’existence d’un juge constitutionnel de la
loi, l’influence du droit international et européen et l’invention, pour faire bref, du droit administratif
par le Conseil d’État. Il convient donc de prendre leur mesure exacte avant de réfléchir aux causes sociales
et juridiques d’une évolution plus générale.
Dans trois domaines significatifs, depuis le XXe siècle, le rôle du juge a connu
une mutation décisive qui a des conséquences directes et durables sur les
pouvoirs des juges : l’avènement d’un juge constitutionnel, l’influence du droit
international et du droit communautaire et l’invention par un nouveau juge, le
Conseil d’État, d’un nouveau droit, le droit administratif.
Il n’en est pas allé autrement chez nos voisins, dans l’ensemble. En Grande-
Bretagne, le règne de la souveraineté absolue du Parlement, fruit d’une longue
tradition et de l’absence d’une constitution écrite comportant une déclaration
des droits fondamentaux, a été très longtemps inscrit dans la culture politique
et juridique nationale. Il a été très fortement atténué. Pourquoi ? Sous l’effet de
la suprématie du droit communautaire, du développement, à partir des
années 1980, du contrôle juridictionnel de l’administration, et de l’entrée en
vigueur, en 2000, du Human Rights Act adopté en 1998. Cette loi intègre la
Convention européenne des droits de l’homme dans le droit national et fait
obligation à toutes les autorités publiques de tenir dûment compte de la
jurisprudence de la Cour de Strasbourg44.
En Allemagne, la création, par la Constitution de 1949, d’une Cour
constitutionnelle fédérale, dont les membres sont élus par les deux chambres
du Parlement45, et qui est vite devenue, par son indépendance et la qualité de
ses décisions et de leur motivation, une institution puissante et respectée, a
permis l’affirmation des libertés fondamentales46. L’interprétation et
l’application par la Cour de deux articles de la Constitution en fournissent une
bonne illustration. Il s’agit des articles 1-1 (« La dignité de l’être humain est
intangible. Tous les pouvoirs publics ont l’obligation de la respecter et de la
protéger ») et 2-1 (« Chacun a droit au libre épanouissement de sa personnalité
pourvu qu’il ne viole pas les droits d’autrui ni n’enfreigne l’ordre
constitutionnel ou la loi morale »).
La transformation du rôle du juge pourrait s’intituler « Nouveaux juges,
nouveaux pouvoirs47 ». Une question la domine : celle du pouvoir créateur de
droit du juge. Il a toujours existé, à divers niveaux et sous des formes variées.
L’histoire de la common law l’atteste en Angleterre, de même que la
jurisprudence de la Cour suprême aux États-Unis ou de la Cour de cassation et
du Conseil d’État en France. Portalis l’avait dit, dès 1801, avec autant
d’élégance que de force :
[C]hez toutes les nations policées, on voit toujours se former, à côté du sanctuaire des lois, et sous la
surveillance du législateur, un dépôt de maximes, de décisions et de doctrine qui s’épure
journellement par la pratique et par le choc des débats judiciaires, qui s’accroît sans cesse de toutes
les connaissances acquises, et qui a constamment été regardé comme le vrai supplément de la
législation48.
L’un des instruments du juge, de tous les juges, est l’acte d’interprétation de
la norme à appliquer, quelle qu’elle soit49. Lorsque le Code civil énonce, à
l’article 4, que le « juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de
l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable
de déni de justice », il ouvre à deux battants les portes du temple de
l’interprétation. Il y a des lois bavardes, mais aussi des lois silencieuses, qui ne
disent rien de la question portée devant le juge, des textes obscurs, ambigus ou
contradictoires. La facilité ou le luxe du législateur ou des gouvernements,
consistant à ne rien faire et à reporter une réforme en attendant des jours
meilleurs, sont interdits au juge. Il doit statuer, ici et maintenant, avec les
outils à sa disposition. En les créant s’il le faut.
Ce rôle de création du droit tend à augmenter de nos jours. On le doit à
plusieurs éléments : l’existence de cours constitutionnelles, où le face-à-face du
juge et de la loi est direct ; la présence de juridictions internationales et
supranationales chargées d’interpréter des normes internationales ; la nécessité
d’apporter une réponse à des problèmes nouveaux nés de transformations
sociales (par exemple, le droit des personnes, de la filiation, de la procréation) ;
enfin les effets de la globalisation sur le droit, caractérisés par la multiplication
et la variété des normes applicables. Jean-Bernard Auby en mentionne trois
exemples caractéristiques : le droit des marchés financiers, celui de l’Internet et
celui des contrats publics. Il cite, parmi les domaines essentiels de la
globalisation du droit, le commerce, l’environnement, les droits fondamentaux
et la gouvernance nationale50. Dans des contextes politiques et juridiques
nationaux différents, des juges réfléchissent de façon variée, parfois dans des
articles, parfois dans leurs décisions mêmes, à des questions identiques : quelles
sont les limites de la fonction de juger face à celle de légiférer ? quelle est la
légitimité ultime de l’intervention du juge dans des domaines nouveaux ? En
voici trois exemples.
En 1973, la Cour constitutionnelle allemande s’apprête à statuer sur une
action en diffamation intentée par la princesse Soraya, ancienne épouse du
chah d’Iran, contre un journal qui avait publié une interview prétendument
accordée par elle et où elle révélait des détails de sa vie privée. Le Code civil
allemand (art. 823) ne prévoyait l’octroi d’une indemnité qu’en cas d’atteinte
« à la vie, au corps, à la santé, à la liberté, à la propriété ou à tout autre droit ».
La Cour suprême y avait inclus le droit à la personnalité. Mais le Code civil ne
prévoyait pas de dommages-intérêts pour les atteintes « non pécuniaires », sauf
si une loi le permettait, ce qui n’était pas le cas ici. Malgré cela, la Cour
suprême avait accordé une indemnité à la princesse Soraya, en se fondant
notamment sur l’article 2-1 de la Constitution, déjà cité, sur le « droit de
chacun au libre épanouissement de sa personnalité ». L’affaire fut portée devant
la Cour constitutionnelle, qui approuva la Cour suprême. Que dit-elle ? Elle
commença par citer l’article 20-3 de la Constitution : « Le pouvoir législatif est
lié par l’ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la
loi et le droit51 », distinction de grande portée. La Cour s’en explique. La loi et
le droit peuvent différer. Le droit n’est pas l’addition des lois. Il peut arriver,
dans certains cas, que le droit existe au-delà des lois et ait sa source dans l’ordre
constitutionnel en tant que système général. Il incombe aux juridictions de
trouver ce droit et d’en faire une réalité par leurs décisions. La Constitution ne
borne pas la mission des juges à l’application des lois aux litiges portés devant
eux. En effet, une telle conception suppose qu’il n’y ait pas de lacunes dans
l’ordre juridique écrit, ce qui ne peut exister en pratique. Ainsi le juge peut-il
avoir à formuler un jugement de valeur, c’est-à-dire à mettre à jour et à
appliquer des valeurs inhérentes à l’ordre juridique constitutionnel, mais qui ne
sont pas, ou qui sont imparfaitement, exprimées dans la loi écrite.
En accomplissant cette tâche, le juge doit se garder de l’arbitraire. La seule
question est donc celle des limites de ce pouvoir du juge de créer le droit.
Examinant l’affaire Soraya, la Cour a relevé que, lors des travaux préparatoires
du Code civil, son article 253, déjà cité, avait été critiqué. Depuis, la
reconnaissance du droit à la personnalité a renforcé ces critiques. Les tribunaux
ont eu raison de ne pas attendre une réforme législative. L’arrêt de la Cour
suprême a été confirmé52. Depuis lors, les droits de la personnalité53 ont été
reconnus et protégés à plusieurs reprises par la jurisprudence de la Cour.
En 2005, en Angleterre, Lord Steyn, membre de la Chambre des lords, a
souligné, dans un article, la mission constitutionnelle des juges de protéger les
citoyens contre les abus de pouvoir d’un exécutif tout-puissant qui domine le
Parlement. Il note que la common law est une création des juges. Le Human
Rights Act, déjà cité, a renforcé ici le rôle des juges. Réfléchissant aux limites
de l’intervention judiciaire, Lord Steyn remarque que l’autolimitation, la
« déférence », sujet sur lequel les juges eux-mêmes sont divisés, peut se révéler
nécessaire à une condition : les tribunaux ne doivent jamais abdiquer leurs
responsabilités démocratiques et constitutionnelles. Citant des exemples tirés
de la lutte contre le terrorisme et de la guerre d’Irak, il met en garde contre la
tentation d’accorder une immunité au pouvoir exécutif et contre toute forme
de connivence54.
Dans une étude publiée en 2007, Guy Canivet, premier président de la
Cour de cassation, remarque que ce débat sur les relations du juge avec les
deux autres pouvoirs existe dans beaucoup d’États. Il discute des sources de la
légitimité des juges et évoque l’apport propre des juridictions internationales55.
En plus de ces trois mutations de fond, et en liaison avec elles, l’extension de
l’intervention du juge dans l’ensemble des domaines de la vie sociale est un fait
marquant. Qu’il s’agisse de l’enfance, de la famille, de l’entreprise, du travail,
du logement, de la construction et de l’urbanisme, de l’environnement, de la
fiscalité, du droit des étrangers, des prisons ou de la responsabilité, un juge est
présent, doté de compétences et de prérogatives de plus en plus substantielles.
Des exemples précis en seront donnés aux chapitres II et III. Mais il convient
d’abord d’analyser l’évolution de la société et de l’opinion.
À propos de la presse
Sans doute le procès civil est-il moins connu de l’opinion. Il permet une
transaction. En revanche, le juge civil statue essentiellement sur les écritures des
parties et la place de l’oralité dans les débats y est bien moindre. Mais on peut
sortir meurtri d’un procès pénal, indépendamment du verdict. Il arrive très
souvent que celui-ci n’apaise pas.
Cela dit, la durée de ces procès est excessive. Pourquoi ? En particulier à
cause de la longueur des expertises, de l’utilisation abusive des recours ou des
demandes de contre-expertise par la partie adverse ou de l’interprétation stricte
des qualifications pénales. Quelles que soient les difficultés de procédure, ces
délais excessifs ne sont pas une fatalité. Le coût des procès, pour tous, y
compris le service lui-même, a-t-il jamais été calculé ? Tant les relaxes
intervenues que la nature des condamnations prononcées conduisent aussi à
s’interroger sur le bien-fondé, dans certains cas, du choix de la voie pénale, en
raison de ses causes et de ses conséquences pour les personnes mises en cause et
les victimes et leurs ayants droit. Il y a bien, à la vérité, une tension, souvent
génératrice de frustration et d’amertume, l’inverse de ce que la justice doit
rechercher, entre le résultat final et tardif de ces procès et ce besoin légitime de
savoir, qu’il faut respecter. Deux interrogations subsistent, qui invitent à la
réflexion. La première a été formulée par deux avocats, d’une façon quelque
peu réductrice, mais qui met le doigt sur un problème réel : « En sommes-nous
arrivés à utiliser la scène judiciaire pour remplir une fonction essentiellement
explicative et pédagogique74 ? ». La deuxième interrogation naît de ce qu’écrit
Christian Morel. Est-il vrai que « [l]a procédure pénale, en rendant secrète
l’instruction et en interdisant de toucher aux preuves, s’oppose aux retours
d’expérience sur les accidents75 », et cela parce que « [l]’instruction judiciaire et
le retour d’expérience sont fondés sur deux principes antagonistes : le secret
pour la première, la publicité pour la seconde76 », que « [l]a crainte de la
pénalisation incite les acteurs à limiter les analyses des accidents et erreurs77 » et
« à réduire la formalisation des enquêtes internes78 » ?
Quelles que soient les difficultés de procédure, ces délais excessifs ne sont
pas une fatalité. Chaque échelon doit s’organiser pour ne pas s’y installer avec
passivité ou résignation.
Quelle que soit leur utilité, les autres moyens disponibles pour savoir ce qui
s’est passé – rapports administratifs ou parlementaires – ne peuvent aboutir aux
mêmes résultats. Mais ils possèdent une valeur certaine, sont une mine
d’informations et doivent être utilisés. Ainsi le rapport du Sénat sur
l’amiante79 ou celui de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur le
Médiator80. Le rapport de l’Igas de 1991 sur la transfusion sanguine n’a pas été
rendu public par l’administration. Pourquoi ?
LE CORPS JUDICIAIRE :
UNE NOUVELLE IDENTITÉ
Les magistrats, eux aussi, ont changé. Après avoir longtemps stagné, leur
nombre a augmenté – pour atteindre plus de huit mille aujourd’hui –, et leur
recrutement social s’est diversifié. Surtout, au-delà des divisions internes et de
la diversité des métiers judiciaires, qui seront examinées au chapitre IV, une
identité nouvelle s’est affirmée88.
Le premier aspect de cette évolution concerne l’École nationale de la
magistrature. Dispenser au plus grand nombre des futurs magistrats une
formation initiale commune, ainsi qu’une formation continue, a été une
mutation de fond capitale dans l’histoire de la magistrature. La création de
l’École est récente (1958-1970). Pourquoi ? Pour deux raisons. Il y a d’abord
l’incurie intéressée des responsables politiques. Un concours, créé en 1876, est
abandonné dès 1879. Rétabli en 1906, il est supprimé en 1908 et remplacé par
un examen professionnel permettant aux recommandations politiques de jouer
à plein. Le mode de formation reste le stage au parquet et dans un cabinet
d’avocat et une première nomination comme juge suppléant. Cinquante ans
s’écoulent. À partir des années 1950, la crise de recrutement est telle qu’une
réforme s’impose. L’idée d’une école de la magistrature se fait jour, et un projet
de création d’un centre est rédigé en 1956. Il y eut aussi, deuxième raison,
l’inertie, voire l’opposition d’une grande partie du corps judiciaire à la création
d’une telle école, fondée sur l’attachement au mode traditionnel de formation.
Les facultés de droit et le barreau furent également très réticents. L’arrivée du
général de Gaulle au pouvoir permettra à Michel Debré de créer en 1958 le
Centre national d’études judiciaires, qui deviendra en 1970 l’École nationale
de la magistrature89. D’où deux conséquences : l’élévation du niveau de cette
formation, comme le montre l’exemple du droit économique et financier90 ;
l’apparition d’une conscience collective, d’un esprit de corps, et des liens
personnels renforcés entre magistrats91.
Le deuxième élément de changement est la naissance du syndicalisme
(1968)92. Longtemps impensable, il constitue un fait et un facteur d’identité.
Deux points sont à retenir ici. Le premier concerne son apport historique.
Comme le dit Jacques Krynen : « Sans la syndicalisation, la magistrature
judiciaire, longtemps une grande muette, le cadet des soucis de l’État, n’aurait
certainement pas connu autant d’améliorations statutaires93, de réelles garanties
de carrière, de meilleurs traitements, et l’indépendance de la justice en France,
via les réformes du Conseil supérieur de la magistrature, n’aurait pas connu un
presque total aboutissement94. » Le second point se rapporte au partage de
l’autorité sur les magistrats, du fait du poids des représentants des syndicats,
dont les deux principaux, l’Union syndicale de la magistrature et le Syndicat de
la magistrature, sont représentés au sein de la commission d’avancement et du
Conseil supérieur de la magistrature95.
Le troisième facteur est l’existence, au sein du corps judiciaire, de nouvelles
associations représentant la hiérarchie. Il existait des associations regroupant
des juges spécialisés (les juges d’instruction, les juges des enfants) ou bien les
membres du parquet. Voici qu’entrent en scène des associations représentant la
hiérarchie judiciaire : d’abord les premiers présidents de cour d’appel et les
procureurs généraux, puis les présidents de tribunaux de grande instance et les
procureurs de la République. Elles ont pris position à plusieurs reprises, et
vigoureusement, sur des problèmes de fond.
Le quatrième facteur d’évolution est la féminisation de la magistrature. Les
femmes ne peuvent être magistrates que depuis 1946. Représentant 10 % des
effectifs en 1970, elles sont aujourd’hui majoritaires96. Ici aussi les résistances
au sein du corps furent vives et s’exprimèrent ouvertement. Les présidents des
jurys de l’examen professionnel notèrent l’inaptitude des femmes aux fonctions
judiciaires à cause d’un « élément affectif », de l’absence fréquente « des
qualités d’autorité, de raisonnement, de présence d’esprit et de maîtrise de soi
indispensables à l’exercice des fonctions judiciaires »97. En 2012, 84,14 % des
inscrits aux trois concours d’entrée à l’ENM étaient des femmes. La proportion
était de 86,93 % pour le premier concours.
Le cinquième aspect est celui de la culture judiciaire. Le fait que 47 pays
d’Europe doivent appliquer la Convention européenne des droits de l’homme
et 27 le droit de l’Union européenne a rendu les contacts entre juridictions
nationales et internationales à la fois nécessaires et plus faciles. Les formes en
sont multiples : associations internationales de juges spécialisés ou de cours
suprêmes et constitutionnelles, rencontres bilatérales régulières entre
juridictions suprêmes, stages dans une juridiction étrangère, organisés, par
exemple, par le Réseau européen de formation judiciaire (créé par la
Commission), collaboration au sein d’organismes tels que la Commission
européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej), fondée par le Conseil de
l’Europe98.
Autant d’occasions, pour les magistrats, d’élargir leur horizon juridique et
institutionnel et de jeter un regard renouvelé sur leurs pratiques
professionnelles.
Le sixième élément est l’émergence progressive d’une nouvelle mentalité
attestant, face à des politiques tendant à entraver et à réduire le rôle du juge,
une prise de conscience des responsabilités propres de l’institution judiciaire,
une culture professionnelle.
CONCLUSION
1. 1. Sur l’histoire et le contenu de cette notion, notamment en droit comparé, cf. Luc HEUSCHLING,
État de droit, Rechtsstaat, Rule of Law, Dalloz, 2002.
2. Dictionnaire des idées reçues.
3. Autorité de la concurrence, Autorité des marchés financiers, Commission nationale de
l’informatique et des libertés, Conseil supérieur de l’audiovisuel, etc.
4. Jacques KRYNEN, L’État de justice (France, XIIIe-XXe siècle), II, L’Emprise contemporaine des juges,
Gallimard, 2012, p. 12. Cf. aussi Renaud COLSON, La Fonction de juger. Étude historique et positive,
préface de G. Canivet, avant-propos de L. Cadiet, Presses universitaires de la faculté de droit de
Clermont-Ferrand, 2006.
5. Cf. Maurice HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, 2e éd., Librairie du Recueil Sirey, 1929 ;
réimpression Éd. du CNRS, 1965, pp. 266 sqq.
6. Gaston JÈZE, « Le contrôle juridictionnel des lois », Revue du droit public, 1924, p. 412.
7. Charles EISENMANN, commentaire de la décision du Conseil d’État, Arrighi, 6 novembre 1936,
Dalloz, Recueil périodique et critique, 1938, III, p. 6.
8. Les auteurs de cette adjonction pensaient à la liberté de l’enseignement.
9. Conseil constitutionnel, décision no 71-44, DC, 16 juillet 1971, p. 29.
10. Cette notion ne concerne pas seulement les droits des individus vis-à-vis de l’État, mais aussi les
rapports entre personnes. Il suffit de songer au droit du travail et au droit de la famille.
11. Conseil constitutionnel, décision no 2010-1, QPC, 28 mai 2010, p. 91 (voir infra, pp. 144 sqq).
12. Id., décision no 2010-8, QPC, 18 juin 2010, p. 117 (voir infra, pp. 120 sqq).
13. Id., décision no 6/7, QPC, 11 juin 2010, p. 111.
14. Id., décision no 2010-14/22, QPC, 30 juillet 2010, p. 179 (voir infra, pp. 67 sqq).
15. Id., décision no 2010-71, QPC, 26 novembre 2011, p. 343.
16. Id., décision no 2010-93, QPC, 4 février 2011 (voir infra, pp. 148 sqq).
17. Id., décision no 2011-131, QPC, 20 mai 2011.
18. Id., décision no 2012-652, QPC, 22 mars 2012.
19. Id., décision no 2012-240, QPC, 4 mai 2012 (voir infra, pp. 116 sqq).
20. Cf., par exemple, Id., décision no 99-419, DC, 9 novembre 1999, sur la loi relative au pacte civil
de solidarité, p. 116.
21. Id., décision no 2010-2, QPC, 11 juin 2010, p. 105.
22. Id., décision no 2010-613, DC, 7 octobre 2010, p. 276. Je l’ai commentée dans Public Law,
avril 2011, p. 429.
23. Id., décision no 2012-647, DC, 28 février 2012.
24. Id., décision no 2009-593, DC, 19 novembre 2009, p 196.
25. Id., décision no 2011-631, DC, 9 juin 2011 (voir infra, pp. 137 et 165).
26. Cf. Patrick WACHSMANN, « Sur la composition du Conseil constitutionnel », Jus politicum, no 5,
décembre 2010, p. 1.
27. C’est-à-dire qu’il faut aller beaucoup plus loin que la réforme constitutionnelle de 2008 et prendre
plus au sérieux ces nominations. Selon cette réforme, les propositions émanant du président de la
République ne peuvent être rejetées que si l’addition des votes négatifs dans chaque commission de
l’Assemblée nationale et du Sénat représente au moins les trois cinquièmes des suffrages exprimés dans ces
deux commissions (Constitution, art. 13, dernier alinéa).
28. « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité
supérieure à celle des lois. » La clause de réciprocité contenue dans cet article ne s’applique pas aux
conventions relatives aux droits de l’homme.
29. Pour le droit des étrangers, voir infra, pp. 128 sqq.
30. Voir infra, p. 67.
31. « Les droits fondamentaux sont compris dans les principes généraux de l’ordre juridique
communautaire » (Stauder, affaire 29-69, 12 novembre 1969, p. 419) ; « [L]e respect des droits
fondamentaux fait partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour de justice assure le
respect […] en s’inspirant des traditions constitutionnelles communes aux États membres […] dans le
cadre de la structure et des objectifs de la Communauté » (Internationale Handelsgesellschaft, affaire 11-70,
17 décembre 1970, p. 1125).
32. Cf. le préambule du traité sur l’Union européenne, alinéas 2 et 4, et son article 6, qui renvoie à la
Charte des droits fondamentaux, qui a la même valeur juridique que les traités : « Les droits
fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes
aux États membres font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux. »
33. Cf. Olivier DUTHEILLET DE LAMOTHE, « Le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des
droits de l’homme : un dialogue sans paroles », in Le Dialogue des juges. Mélanges en l’honneur du président
Bruno Genevois, Dalloz, 2009, p. 403.
34. L’OIT a remplacé après 1945 le Bureau international du travail créé par le traité de Versailles
en 1919. Cette organisation est chargée d’adopter des normes internationales du travail, notamment par
le moyen de conventions.
35. Cass. soc., 1er juillet 2008, COUR DE CASSATION, « Les discriminations dans la jurisprudence de la
Cour de cassation », Rapport 2008, La Documentation française, 2009, p. 218.
36. Tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion, 18 octobre 2010, SCM Gervais-Scemama.
Cette société avait licencié une salariée sans indiquer de motif, conformément à l’ordonnance de 2005. Le
conseil des prud’hommes la condamna à lui verser une indemnité de 3 000 euros, par application de la
jurisprudence de la Cour de cassation. La société a alors demandé que l’État soit déclaré responsable et
condamné à lui verser une indemnité égale à cette somme. C’est ce qu’a fait le tribunal administratif par
ce jugement définitif.
37. Pour une étude de droit comparé, cf. Mads ANDENAS et Eirik BJORGE, « L’application de la
Convention européenne des droits de l’homme. Quel rôle pour le juge interne ? », Revue internationale de
droit comparé, no 2, avril-septembre 2012, p. 383.
38. La Chambre des communes a refusé en 2011, par une majorité massive, toute exécution d’un
jugement de la Cour européenne des droits de l’homme condamnant le Royaume-Uni en raison de la
privation systématique du droit de vote des détenus (CEDH, Hirst c. Royaume-Uni, 6 octobre 2005), en
rejetant un projet de loi, très timide, n’accordant ce droit de vote qu’aux détenus condamnés à une peine
d’emprisonnement de moins de quatre ans. Par une décision du 22 mai 2012 (CEDH, Scoppola c. Italie),
la Cour a confirmé que les États disposaient, dans ce domaine, d’une marge d’appréciation. En
supprimant le droit de vote des détenus condamnés à une peine égale ou supérieure à cinq ans
d’emprisonnement, l’Italie n’a pas violé la Convention européenne des droits de l’homme.
39. Le projet préparé par Sieyès en prévoyait généreusement deux. Cf. Jean-Denis BREDIN, Sieyès. La
clé de la Révolution française, Éd. de Fallois, 1988, p. 471.
40. Sur les débats qui ont accompagné, au XIXe siècle, l’existence du Conseil d’État, et la naissance du
droit administratif et d’un contentieux propre, cf. l’excellente analyse de Lucien JAUME, L’Individu effacé,
ou le paradoxe du libéralisme français, Fayard, 1997, pp. 351-379.
41. Voir infra, p. 139.
42. Cf. Guy BRAIBANT et Bernard STIRN, Le Droit administratif français, Presses de Sciences Po et
Dalloz, 2012 ; Marceau LONG, Prosper WEIL, Guy BRAIBANT, Pierre DELVOLVÉ et Bruno GENEVOIS, Les
Grands Arrêts de la jurisprudence administrative, 18e éd., Dalloz, 2011 ; René CHAPUS, Droit administratif
général, 2 vol., 14e éd., Montchrestien, 2000 ; ID., Droit du contentieux administratif, 13e éd.,
Montchrestien, 2008. Pour une réflexion sur l’évolution récente, cf. « Dix ans de croissance du
contentieux », Revue française de droit administratif, nos 3, mai-juin 2011, et 4, juil.-août 2011.
43. Sur ce dernier point, voir infra, p. 122.
44. Un nom doit être cité ici, celui de lord Lester, avocat, qui a été, par son action devant les
juridictions britanniques et la Cour européenne des droits de l’homme, par ses nombreux articles et essais
et par son rôle à la Chambre des lords, l’avocat persévérant et résolu de cette incorporation auprès des
pouvoirs publics, des magistrats et de l’opinion publique.
45. Art. 94 de la Constitution.
46. Cf. Étienne FRANÇOIS, « La Cour constitutionnelle fédérale et la culture juridique allemande », Le
Débat, no 168, janvier-février 2012, p. 81 ; Dieter GRIMM, « L’interprétation constitutionnelle du
développement des droits fondamentaux par la Cour constitutionnelle fédérale », Jus Politicum, no 6,
octobre 2011.
47. Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs. Mélanges en l’honneur de Roger Perrot, Dalloz, 1996.
48. Jean Étienne Marie PORTALIS, « Discours préliminaire sur le projet de Code civil… », in Discours
et rapports sur le Code civil, Presses universitaires de Caen, 2010, p. 66.
49. Dès 1788, Hamilton, l’un des pères fondateurs de la nouvelle république américaine, avait
souligné l’importance de cette fonction d’interprétation de la loi par le juge : « Les lois sont lettre morte si
les tribunaux n’exposent et ne définissent pas leur signification véritable et application » (Alexander
HAMILTON, John JAY et James MADISON, The Federalist, no 22 [traduit par moi]). Il ajoutait :
« L’interprétation des lois est la fonction propre et particulière des tribunaux » (ibid., no 78).
50. Jean-Bernard AUBY, La Globalisation, le Droit et l’État, 2e éd., LGDJ, 2010, pp. 53 sqq.
51. Gesetz und Recht (souligné par moi).
52. Cour constitutionnelle fédérale, Princesse Soraya, 14 février 1973, BVerfGE, t. XXXIV, chap. IV,
p. 269.
53. Sur cette notion d’une grande fécondité, cf. Jean-Louis RENCHON (dir.), Les Droits de la
personnalité, Bruxelles, Bruylant, 2010 ; cf. aussi COUR DE CASSATION, « Le droit de savoir »,
Rapport 2010, La Documentation française, 2011, p. 264 : « Droits de la personnalité et droit de savoir
du public ».
54. Lord STEYN, « Deference : a Tangled Story » (la déférence : une affaire embrouillée), Public Law,
2005, p. 346 ; cf. aussi Jeffrey JOWELL, « Judicial Deference : Servility, Civility or Institutional Capacity »,
Public Law, 2003, p. 592, et l’article d’un autre juge, membre de la Cour d’appel, sir Terence ETHERTON,
« Liberty, the Archetype and Diversity : A Philosophy of Judging », Public Law, 2010, p. 727.
55. Guy CANIVET, « Activisme judiciaire et prudence interprétative », Archives de philosophie du droit,
t. L, « La création du droit par le juge », Dalloz, 2007.
56. Pour un compte rendu de ce colloque, cf. René SAVATIER, « Le juge dans la cité française. 1965-
1967 », Dalloz-Sirey, 1967, p. 195.
57. Le Monde, 30 octobre et 1er novembre 1969.
58. Guy CANIVET, « La préparation des magistrats de l’ordre judiciaire à l’exercice de leurs fonctions
de chef de juridiction et de parquet », rapport au garde des Sceaux, 14 février 2007, p. 16, § 57.
59. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Les Français et leur justice. Restaurer la confiance, La
Documentation française, 2008, p. 2.
60. Philippe MEIRIEU, « Contre l’idéologie de la compétence, l’éducation doit apprendre à penser »,
entretien croisé avec Marcel Gauchet, Le Monde, 3 septembre 2011.
61. Frédéric ROUILLON, « La médecine se meurt », Le Monde, 24 septembre 2011.
62. « L’arbitrage constitue un mode juridictionnel non judiciaire de règlement des différends,
caractérisé par son aspect hybride, à la fois conventionnel et décisionnel […]. [L]e pouvoir de juger dont
les arbitres sont investis trouve sa source dans une convention, un accord formalisé entre les parties au
différend […]. [L]’acte de résolution du litige, la sentence arbitrale, a la même nature juridique qu’une
décision rendue par une juridiction étatique, s’imposant aux parties, entre lesquelles elle a l’autorité de la
chose jugée » (Marie-Claire RIVIER, « Arbitrage », in Loïc CADIET [dir.], Dictionnaire de la justice, PUF,
2004, p. 52). L’arbitrage n’est possible que si les parties ont la libre disposition de leurs droits. Il inclut
soit le choix des arbitres par les parties, soit la désignation de ceux-ci par une institution. Un recours
devant la cour d’appel existe contre la sentence arbitrale. L’arbitrage s’applique surtout au droit des
affaires.
63. L. CADIET, « La justice face aux défis… », art. cité, p. 19.
64. En voici un exemple emblématique. Thierry Bert cite l’affaire dite des « Ciments français » où des
personnes étaient poursuivies pour délit d’initiés à la suite d’achat de titres non cotés : « ce n’est qu’au
bout de onze années, parsemées de malheurs individuels, et surtout marquée par une grande insécurité
juridique et donc économique, que la procédure s’est conclue à la cour d’appel de Paris par un aveu
d’impuissance du procureur général, suivi d’un non-lieu au motif que le délit n’était et n’avait jamais pu
être constitué ni en droit français ni en droit belge » (Thierry BERT, « L’intervention des juges dans
l’économie est-elle justifiée ? », in Antoine Garapon [dir.], Les Juges. Un pouvoir irresponsable ?, Nicolas
Philippe, 2000, p. 129).
65. Cf. Irène THÉRY, Couple, filiation et parenté aujourd’hui : le droit face aux mutations de la famille et
de la vie privée, rapport à la ministre de l’Emploi et de la Solidarité et au garde des Sceaux, ministre de la
Justice, Odile Jacob et La Documentation française, 1998 ; Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, Rénover le
droit de la famille. Propositions pour un droit adapté à la réalité et aux aspirations de notre temps, rapport au
garde des Sceaux, ministre de la Justice, La Documentation française, 1999 ; Isabelle CORPART (dir.),
« Filiations : nouveaux enjeux », Problèmes politiques et sociaux, no 914 (numéro thématique),
juillet 2005 ; SÉNAT, « Rapport d’information sur les nouvelles formes de parentalité et le droit », no 392,
14 juin 2006. Pour une étude historique d’ensemble, cf. André BURGUIÈRE, Christiane KLAPISCH-ZUBER,
Martine SEGALEN et Françoise ZONABEND (dir.), Histoire de la famille, préface de Cl. Lévi-Strauss, 3 vol.,
Armand Colin, 1986.
66. SÉNAT, « Rapport d’information sur les nouvelles formes de parentalité et le droit », art. cité,
p. 30. Selon l’article 3-1 de cette convention, « dans toutes les décisions qui concernent les enfants,
qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des
autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une
considération primordiale ».
67. Ibid., p. 22.
68. Cf. Jean-Louis GENARD, « La juridicisation de la société et les effets sur le droit », Regards sur
l’actualité, mai 2001, p. 37.
69. Il y a eu, dans le passé, un très grand chroniqueur judiciaire : Jean-Marc Théolleyre. Cf. Jean-Paul
JEAN, « Jean-Marc Théolleyre, l’observateur engagé (1945-1965) », in Sylvie HUMBERT et Denis SALAS
(dir.), La Chronique judiciaire. Mille ans d’histoire, La Documentation française, 2010, p. 119.
70. Jean-Denis BREDIN, « Déontologie et responsabilité du juge », in Le Service public de la justice,
Odile Jacob, 1998, p. 165.
71. Robert BADINTER et Stephen BREYER (à l’initiative de), Les Entretiens de Provence. Le juge dans la
société contemporaine, Fayard et Publications de la Sorbonne, 2003, pp. 378-379 (souligné par moi).
72. Je résume ici l’article d’Élisabeth LINDEN, première présidente de la cour d’appel d’Angers,
« Justice et opinion publique : réflexions après le procès d’Angers », Les Cahiers de la justice, no 2,
printemps 2007, p. 135.
73. Hubert DALLE, « Juger plus et juger mieux », in ID. et Daniel SOULEZ LARIVIÈRE (dir.), Notre
justice. Le livre-vérité de la justice, Robert Laffont, 2002, pp. 231 et 241-242.
74. Daniel SOULEZ LARIVIÈRE et Simon FOREMAN, « Comprendre ou juger », Le Monde,
5 juillet 2008. Cf. aussi l’interview de Me Bernard FAU « Sur la santé, la justice a échoué », entretien, Le
Monde, 21 juillet 2012.
75. Christian MOREL, Les Décisions absurdes II. Comment les éviter, Gallimard, 2012, p. 166.
76. Ibid, p. 167.
77. Ibid.
78. Ibid.
79. Voir infra, note 4, p. 122.
80. IGAS, Enquête sur le Médiator, rapport établi par Anne-Carole Bensadon, Étienne Marie et
Aquilino Morelle, La Documentation française, 2011.
81. Cf. Journées d’étude à l’occasion du bicentenaire du Code civil, t. I, Le rayonnement du droit codifié,
Éd. du Journal officiel, 2005.
82. Loïc CADIET, « Le spectre de la société contentieuse », Mélanges offerts à Gérard Cornu, PUF, 1994,
pp. 33 sqq.
83. CONSEIL D’ÉTAT, « Sécurité juridique et complexité du droit », in Rapport 2006, La
Documentation française, 2007, pp. 223 et 303 sqq.
84. Cf. Serge GUINCHARD et al., Droit processuel. Droit commun et droit comparé du procès équitable, 4e
éd., Dalloz, 2007 ; Alain SUPIOT, Homo juridicus. Essai sur les fonctions anthropologiques du droit, Éd. du
Seuil, 2006, pp. 198 sqq.
85. En 1962, il y a cinquante ans, un grand juriste, Jean RIVERO, publia un article qui fit un certain
bruit : « Le Huron au Palais-Royal ou réflexions naïves sur le recours pour excès de pouvoir », Dalloz,
1962, p. 37. C’est pour moi ici l’occasion de lui rendre hommage.
86. SECRÉTARIAT GÉNÉRAL DU GOUVERNEMENT, Guide pour l’élaboration des textes législatifs et
réglementaires, 2e éd. mise à jour, La Documentation française, 2007, p. 22.
87. Cf. ASSEMBLÉE NATIONALE, « Rapport d’information fait au nom du comité d’évaluation et de
contrôle des politiques publiques sur les critères de contrôle des études d’impact accompagnant les projets
de loi », no 2094, 19 novembre 2009. Le rapport contient une annexe V intitulée : « Référentiel proposé
pour examiner les études d’impact ». Son point 4-1-4 mentionne la sécurité juridique, l’intelligibilité et
l’accessibilité du droit, le droit européen et international et le contentieux. Le point 4-1-6 est relatif à
l’impact sur la justice et au contentieux.
88. Sur les attitudes et les comportements anciens, cf. Alain BANCAUD, « La réserve privée du juge »,
Droit et société, no 20-21, 1992, p. 255.
89. Cf. Anne BOIGEOL, « La formation des magistrats. De l’apprentissage sur le tas à l’école
professionnelle », Actes de la recherche en sciences sociales, no 76-77, mars 1989, p. 49 ; ID., « Histoire
d’une revendication : l’École nationale de la magistrature, 1945-1958 », Cahiers du Centre de recherche
interdisciplinaire de Vaucresson, no 7, 1990 ; Jean-Pierre ROYER, « Généalogie de l’École nationale de la
magistrature — à propos du mode de recrutement des magistrats depuis la Révolution », Les Cahiers de la
justice, no 1, 2010, p. 65.
90. Voir infra, p. 126.
91. Cf. Jean-Louis BODIGUEL, Les Magistrats. Un corps sans âme ?, PUF, 1991.
92. Cf. Jean-Pierre ROYER, Histoire de la justice en France, 4e éd., PUF, 2010, p. 114.
93. En toute justice, c’est à Michel Debré, ministre de la Justice du général de Gaulle en 1958, que
l’on doit le premier statut de la magistrature, modifié depuis à de très nombreuses reprises.
94. J. KRYNEN, L’Emprise contemporaine des juges, op. cit., p. 368.
95. Voir infra, p. 192.
96. Cf. Anne BOIGEOL, « Femme » [2004], in L. CADIET (dir.), Dictionnaire de la justice, op. cit.,
p. 515.
97. Cité par A. BOIGEOL, « La formation des magistrats », op. cit., p. 50.
98. Cf. Guy CANIVET, « Dialogue transjudiciaire dans un monde international », Les Cahiers de la
justice, no 2, 2010, p. 31. Cet article indique les sites Internet d’un très grand nombre d’organismes qui
organisent de tels échanges. Cf. aussi Le Dialogue des juges, op. cit.
2
Le juge et les personnes
privées de liberté
Une personne peut être privée de liberté de plusieurs façons et pendant des durées variées. La question
essentielle est celle de l’effectivité des contrôles qui s’exercent alors, à commencer par celui du juge. J’ai
choisi d’évoquer deux domaines : la garde à vue et la prison. Dans l’un comme dans l’autre, l’intervention
du juge est récente, et le droit a été modifié il y a peu dans des conditions qui méritent une attention
particulière.
LA GARDE À VUE :
LES JUGES DICTENT LA RÉFORME
Un bref rappel historique en dit long sur la place du droit coutumier dans
notre pays. Jusqu’au nouveau Code de procédure pénale, entré en vigueur
en 1958, aucun texte ne mentionnait ni ne réglementait la garde à vue, sa
durée et son régime. C’était une pratique. La situation actuelle offre une bonne
étude de cas rétrospective sur le thème : pourquoi et comment le droit change-
t-il à un moment donné ?
Le point de départ
Retour à Strasbourg
Cinq semaines plus tard, par une décision du 23 novembre 2010, la Cour
européenne des droits de l’homme condamne la France dans une affaire où une
personne gardée à vue avait été présentée au parquet deux jours après son
arrestation et à un juge d’instruction plus de cinq jours après celle-ci. Selon
l’article 5-3 de la Convention européenne des droits de l’homme : « Toute
personne arrêtée ou détenue […] doit être aussitôt traduite devant un juge ou
un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». La
Cour a jugé que, du fait de leur statut, les membres du parquet ne
remplissaient pas l’exigence d’indépendance et d’impartialité inhérentes à la
notion de magistrat au sens de l’article 5-3 précité21.
L’entrée et le séjour irrégulier d’un étranger sont depuis longtemps des délits
punis d’emprisonnement28. Cela permet de placer en garde à vue une personne
soupçonnée d’avoir commis cette infraction. La garde à vue n’est en effet
possible que s’il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne a
commis ou tenté de commettre une infraction punie d’emprisonnement. Ici
aussi, le droit communautaire29 va conduire à modifier le droit et la pratique
français. Par deux décisions rendues en 201130, la Cour de justice de l’Union
européenne a jugé que la directive de 2008 s’opposait à ce que le droit national
prévoie une peine d’emprisonnement pour ce seul délit, si l’étranger n’avait pas
été préalablement soumis aux mesures coercitives prévues par elle. La Cour de
cassation en a tiré sans tarder les conséquences en matière de garde à vue, en
décidant qu’un étranger en situation irrégulière ne pouvait encourir, pour ce
seul motif, une peine d’emprisonnement et ne pouvait donc être placé en garde
à vue31. Il a été ainsi mis fin à la pratique consistant à placer un étranger en
garde à vue après un contrôle d’identité, non en vue de poursuites pénales,
mais afin de vérifier sa situation administrative et, en cas de séjour irrégulier, de
le placer en rétention administrative en vue de son éloignement.
Un autre point d’interrogation subsiste quant au droit communautaire. Il
concerne le respect par la France d’une directive de 201232. Ce texte fixe des
normes minimales concernant l’information des personnes arrêtées, avant leur
premier interrogatoire, sur l’accusation portée contre elles, la nature des faits
reprochés et le droit à l’assistance d’un avocat.
Une dernière question se pose au plan européen. La Cour européenne des
droits de l’homme estimera-t-elle compatible avec l’article 5-3 précité de la
Convention européenne des droits de l’homme le contrôle, prévu par la loi du
14 avril 201133, de la garde à vue par le procureur de la République pendant les
premières quarante-huit heures ? On peut en douter.
JUSTICE ET PRISONS.
QUAND LA PRISON COMPARAÎT EN JUSTICE
Vouloir que le juge qui prononce la peine soit, en même temps, l’exécuteur qui l’inflige, c’est en
vérité vouloir faire de Thémis un geôlier ; c’est vouloir substituer à sa balance une clef ; c’est vouloir
que l’organe de la loi en soit en même temps le fléau. Magistrats ! Restez impassibles et respectés sur
vos sièges et n’en descendez pas pour venir nous disputer le triste privilège d’appliquer physiquement
et matériellement, à vos condamnés, la peine prononcée par vos arrêts. Vos arrêts n’en seront que
mieux exécutés ; car, pour qu’ils le soient avec indépendance, avec impartialité, il faut surtout qu’ils
le soient en dehors de toute préoccupation des causes qui vous les font rendre ; et vis-à-vis des
coupables qui ne voient pas dans la main qui les nourrit, la main qui les a frappés34.
La prison a changé
Des normes internationales ont conduit, on l’a vu, à des critiques ou à des
condamnations. Le droit applicable aux détenus a commencé à être modifié à
partir des années 1970-1980 : la presse, la radio, la télévision ont pénétré en
prison54. Le régime des visites et de la correspondance a été radicalement
modifié. Autant de nouveaux droits55. La procédure disciplinaire a été
libéralisée, et, depuis 2000, le détenu a le droit d’être défendu par un avocat,
réforme élémentaire longtemps décrétée impossible, sinon dangereuse pour
l’ordre public dans les prisons. Bien à tort : elle a été un progrès pour tous.
La loi pénitentiaire de 2009 a marqué une autre étape importante56. Elle
aurait pu être adoptée dès 2001, mais le gouvernement d’alors en décida
autrement. Si extraordinaire que cela paraisse, elle est la première loi
d’ensemble sur l’institution pénitentiaire, succédant à un bloc de décrets
« étayé pour l’essentiel par des circulaires […] produites par l’administration
pénitentiaire elle-même57 ». Elle met fin à une carence grave et prolongée :
Privés de reconnaissance législative, sans qu’il faille pour autant les confondre, personnels et
détenus souffrent d’une carence d’identité sociale, de reconnaissance professionnelle pour les
premiers, de statut juridique pour les seconds. Privée d’un socle de références, d’un cadre à la
hauteur de l’importance de sa mission, l’administration pénitentiaire se trouvait jusqu’à présent
confrontée à des enjeux et difficultés croissants – la surpopulation carcérale en tout premier lieu –
sans levier de réforme marqué du sceau de la représentation nationale58.
D’où des actions en responsabilité intentées contre l’État par les familles des
détenus et un certain nombre de condamnations. Dans de tels cas, le juge
prend en considération plusieurs éléments : l’existence de tentatives antérieures
ou de menaces de suicide ; l’état dépressif ou la fragilité psychologique du
détenu et ce qu’en savait l’administration ; son placement à l’isolement ou en
cellule disciplinaire ; enfin le comportement des services et les modalités de
leur intervention. En un mot, le juge porte un nouveau regard sur le
fonctionnement de la prison. Les jugements condamnant l’État font ressortir
une combinaison d’absence de précautions et de surveillance adéquate alors
que l’état du détenu était connu, des négligences des services médicaux,
souvent la lenteur des secours en raison de l’organisation du service86, et la
lenteur des réactions, bref une somme de laisser-aller conduisant à des tragédies
qui auraient pu être évitées87. Il a fallu une loi pour dire que « [l]orsqu’une
personne détenue s’est donné la mort, l’administration pénitentiaire informe
immédiatement sa famille ou ses proches des circonstances dans lesquelles est
intervenu le décès et facilite, à leur demande, les démarches qu’ils peuvent être
conduits à engager88 », ce que la simple humanité et le respect des personnes
commandent. Il en allait parfois autrement.
En ce qui concerne les violences commises sur un détenu par un autre
détenu, plusieurs condamnations de l’État ont été prononcées. La loi de 2009 a
créé un régime de responsabilité sans faute :
Même en l’absence de faute, l’État est tenu de réparer le dommage résultant du décès d’une
personne détenue causé par des violences commises au sein d’un établissement pénitentiaire par une
autre personne détenue89.
Après quoi il examine de près ce qu’a fait pour cela l’administration. Entrons
avec lui dans les détails.
En 2003, l’administration pénitentiaire a conclu avec une société un marché
portant sur la fourniture de deux catégories de matelas : les uns, destinés aux
quartiers ordinaires, sont recouverts d’une alèse ignifugée aisément amovible.
Les autres, plus chers et destinés aux quartiers disciplinaires et d’isolement,
comportent, sous l’alèse, une seconde housse ignifugée, plus épaisse et conçue
comme inamovible. Constat : les matelas des quartiers ordinaires répondent
aux normes de classement de résistance au feu les plus exigeantes. Malgré cela,
les détenus peuvent s’en servir pour allumer des incendies, dont le
déclenchement est facilité par le caractère amovible des housses, et dont la
gravité est amplifiée par le caractère combustible de la mousse qui les compose
et par la toxicité des fumées qui s’en dégagent.
Il n’est pas établi que les modèles de matelas équipant les quartiers
disciplinaires et d’isolement, et dont l’OIP demandait la généralisation,
garantiraient, dans les faits, une meilleure résistance au feu. En effet, leur
housse ignifugée externe n’est pas réellement inamovible, vu la légèreté de sa
texture, qui permet aisément de la déchirer ou de la découdre. C’est pourquoi
l’administration a décidé de commander pour ces quartiers de nouveaux
matelas dont la composition interne et l’enveloppe protectrice sont beaucoup
mieux sécurisées. Cela dit, ajoute le Conseil d’État, l’administration pourrait
être obligée de mettre à la disposition de certains détenus des quartiers
ordinaires les matelas utilisés dans les quartiers disciplinaires. Quand ? Si des
circonstances particulières, tenant notamment au comportement des détenus
ou à la configuration de leur cellule, le justifient. Si elle ne le faisait pas, sa
responsabilité pourrait être engagée pour faute. Ce qui vaut avertissement. Sur
un plan plus général, conclut le Conseil d’État, il appartient à l’administration,
à l’échelon approprié, de prendre les dispositions destinées à protéger la vie des
détenus. Après avoir examiné l’ensemble des mesures prises en 2006 et 2007, il
conclut ce court traité de gestion des matelas en prison que, dans ce cas,
l’administration n’a pas méconnu ses obligations93.
Innovation capitale : la réforme de la procédure de référé devant les
juridictions administratives permet notamment à un requérant de demander
au juge de désigner un expert pour constater sans délai les faits qui pourraient
donner lieu à un litige devant la juridiction administrative. Des détenus vont
donc demander au tribunal administratif de faire constater par un expert leurs
conditions de détention. Au vu de ce constat, ils intentent une action en
responsabilité contre l’administration. En voici deux sortes d’exemples
significatifs.
Premier exemple : un détenu incarcéré à la maison d’arrêt de Rouen
depuis 2002 demande, en 2005, au tribunal administratif de désigner un
expert afin de décrire ses conditions de détention, qu’il estime dégradantes.
Après avoir visité les lieux – encore un nouveau regard extérieur sur la prison –,
les deux experts désignés remettent leur rapport en 2005 et 2006. Le détenu
intente alors une action en responsabilité contre l’État. En 2008, le tribunal
administratif de Rouen statue. Voici la description des lieux : M. Douat a été
incarcéré pendant plus de quatre ans à la maison d’arrêt de Rouen dans
différentes cellules avec deux autres codétenus. Surface :
de 10,80 m2 à 12,36 m2. Pas de ventilation spécifique du cabinet d’aisances, ni
de cloisonnement véritable avec la pièce principale. Ces cabinets ne sont pas
munis d’occlusion de la cuvette et sont situés à proximité immédiate du lieu où
les détenus prennent leur repas. Conclusion du jugement : ces conditions de
détention constituent un manquement aux règles d’hygiène et de salubrité
définies par le Code de procédure pénale. Vu la longue durée de
l’encellulement dans de telles conditions et l’absence de respect de l’intimité du
requérant, M. Douat a été détenu dans des conditions n’assurant pas le respect
de la dignité inhérente à la personne humaine, en violation de la Déclaration
de 1789 et du Code de procédure pénale. L’administration pénitentiaire est
condamnée, pour faute, à lui verser 3 000 euros94. D’autres jugements
analogues ont été rendus95.
Détail intéressant, qui montre toute la valeur du regard extérieur sur la
prison, ici celui du contrôleur général des lieux de privation de liberté : un
détenu de la maison d’arrêt d’Évreux demande, en 2010, au tribunal
administratif de Rouen de désigner un expert pour constater ses conditions de
détention. Le tribunal refuse, le contrôleur général ayant déjà rédigé un rapport
spécial circonstancié constatant l’état des lieux. En appel, la cour administrative
d’appel de Douai a confirmé ce refus et l’inutilité, dans ces conditions, d’une
expertise96, rendant ainsi hommage à l’objectivité et à la précision des rapports
du contrôleur général.
Deuxième exemple : le 20 décembre 2011, par six ordonnances rendues en
référé, le tribunal administratif de Melun a condamné l’État à verser à six
détenus des provisions allant de 1 000 à 5 000 euros. Leur situation présentait
les points communs suivants : ils étaient handicapés et se déplaçaient en
fauteuil roulant ; ils partageaient, avec un autre détenu handicapé, une cellule
dont les dimensions variaient entre 9,82 m2 et moins de 10 m2, comprenant
deux lits motorisés ; la largeur du dégagement central ne permettait pas le
croisement des deux fauteuils, obligeant un des deux occupants à sortir pour
que l’autre puisse emprunter la porte ; les détenus en fauteuil éprouvaient de
très grandes difficultés pour accéder aux cellules médicalisées ; le module
aménagé en pièce de toilette présentait des insuffisances d’aération et de
ventilation ; l’installation électrique n’était pas conforme et comportait un
risque d’accident pour les personnes ; les autres locaux – parloir, locaux de
soins, bibliothèque, salle de culte, installations sanitaires de la salle de sport –
étaient inaccessibles pour ces détenus. Conclusion : ces conditions de
détention n’assuraient pas le respect de la personne humaine, d’où la
condamnation précitée97.
CONCLUSION
Plus personne ne peut dire aujourd’hui, au sujet des prisons : nous ne
savions pas, ou nous ne pouvions pas savoir, ou on ne peut rien faire. Ces
avancées juridiques sont importantes et appréciables. Encore faut-il noter, au
sujet de la vie quotidienne en prison, la quasi-impossibilité, pour la plupart des
détenus, de connaître les textes qui leur sont appliqués et donc leurs droits, et
la dégradation des conditions de travail des personnels, qui se répercute
nécessairement sur eux.
Dans d’autres domaines que le statut des personnes privées de liberté, l’intervention du juge, récente, a
eu un rôle novateur. J’ai choisi, parmi d’autres, quatre de ces domaines : le droit du travail et de la vie de
travail du salarié ; le droit économique et financier ; le droit des étrangers ; la lutte contre la
discrimination. Dans trois de ces domaines, l’intervention du juge a contribué à protéger des droits
fondamentaux. Dans le droit économique et financier, elle a été une nouveauté. J’y ai ajouté, parce qu’il
mérite réflexion, le rôle du juge face à l’histoire et à la mémoire collective, à partir de procès récents.
LE DROIT DU TRAVAIL
Jusqu’à une date assez récente, le principal sinon le seul juge était, en
première instance, le conseil des prud’hommes, juridiction paritaire dont les
membres sont élus et qui statue sur les litiges individuels concernant
l’exécution du contrat de travail (salaire, mutations, licenciement). En cas de
partage des voix, un magistrat professionnel préside la formation et permet de
décider. La cour d’appel est compétente en appel. Aujourd’hui, d’autres
juridictions statuent sur des litiges dont l’enjeu est considérable, notamment
pour les salariés. En voici quatre illustrations. Elles concernent les plans
sociaux, l’évaluation des salariés, le harcèlement et les maladies et les accidents
professionnels.
Le même auteur note plusieurs autres effets pervers. Premier effet : « Les
entreprises sont ainsi conduites à voir partir leurs salariés les plus qualifiés et les
plus jeunes (ceux qui ont la capacité de rebondir facilement) au détriment de
toute gestion durable des compétences. » Deuxième effet : « éviter
d’embaucher », d’où le recours massif aux emplois précaires et « une course
folle à la productivité […]. L’adhésion des salariés au projet d’entreprise
diminue chaque année, sans parler de la souffrance au travail »6.
Le harcèlement moral ou sexuel est une pratique répandue dont les effets,
longtemps sous-estimés ou passés sous silence, peuvent être graves. Les juges
ont eu à interpréter, dans ce domaine nouveau pour eux, des notions qui
relèvent à la fois du droit de la responsabilité, du droit pénal, du droit du
travail et, plus généralement, des droits de la personnalité, en tenant compte
des réalités et surtout en tirant toutes les conséquences juridiques du
comportement, actif ou passif, des personnes mises en cause.
Au-delà des comportements individuels, le harcèlement moral peut être le
résultat de l’organisation du travail et de la pression systématiquement exercée
sur les salariés, entraînant la souffrance au travail10. Ici aussi, l’apport de la
jurisprudence, essentiellement celle de la chambre sociale de la Cour de
cassation, a été décisif. Depuis 2008, elle contrôle la qualification, par les cours
d’appel, du harcèlement moral et notamment la recherche par elles de la preuve
de son existence, afin d’harmoniser leurs pratiques et de préciser les règles
applicables. Lesquelles ? Dès lors que le salarié établit des faits qui permettent
de présumer l’existence d’un harcèlement, il incombe à l’employeur, au vu de
ces éléments, de prouver que ces agissements ne constituent pas un tel
harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers
à tout harcèlement11. De plus, les faits doivent être appréciés dans leur
ensemble et non séparément. Peu importe ici l’intention de nuire ou
l’intention malveillante de l’auteur du harcèlement12. L’obligation de sécurité
de l’employeur en matière de protection de la santé et de la sécurité des
travailleurs dans l’entreprise s’applique au harcèlement moral. Son absence de
faute ne peut l’exonérer, sauf force majeure13. Pour affirmer cette obligation, la
Cour de cassation a interprété le droit national, ici l’article 1152-1 du Code du
travail, à la lumière du droit communautaire, la directive 89/391/CEE
du 12 juin 1989.
Le juge est ainsi conduit à mettre en cause des méthodes de gestion.
En 2007, la cour d’appel de Paris a jugé que le comportement managérial d’un
employeur pouvait constituer un harcèlement moral collectif et individuel14.
L’arrêt déjà cité rendu par la Cour de cassation le 10 novembre 2009 affirme
que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son
auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet
une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux
droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son
avenir professionnel. Lorsqu’une déclaration d’inaptitude résultant d’un
harcèlement moral conduit à un licenciement, ce licenciement est nul15.
Le harcèlement moral peut enfin être à l’origine du suicide d’un salarié.
Dans certains cas, le suicide et même sa tentative ont été reconnus comme
accidents du travail16. Sur le plan pénal, après une série de suicides survenus à
France Telecom, le parquet a ouvert en 2010 une information judiciaire contre
X pour harcèlement moral à la suite d’une plainte déposée en 2009 par le
syndicat SUD. L’inspection du travail avait remis au parquet un rapport
mettant en cause directement la politique de réorganisation et de management
menée par l’entreprise depuis 2006. En juillet 2012, France Telecom et trois de
ses anciens dirigeants ont été mis en examen.
Le harcèlement moral désigne « le fait de harceler autrui par des agissements
répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de
travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé
physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel17 ». En
voici trois exemples tirés de la jurisprudence récente.
En 2006, la Cour de cassation statue sur une affaire dans laquelle le
directeur salarié d’une association s’était livré envers ses subordonnés à des actes
de harcèlement moral. Plusieurs salariés engagèrent une action en réparation
du préjudice subi par eux contre lui et contre l’association. La cour d’appel
condamna le directeur à leur verser des dommages-intérêts. Elle déclara aussi
que l’employeur, c’est-à-dire l’association, ne pouvait être responsable dès lors
qu’il n’avait pas commis de faute. Devant la Cour de cassation, le directeur
affirmait que les fautes qui lui étaient reprochées n’étaient pas détachables de la
mission confiée par son employeur et que seul ce dernier, c’est-à-dire
l’association, pouvait être condamné. La Cour de cassation a confirmé sa
condamnation : les faits reprochés, d’une extrême gravité, car ils portaient
atteinte à la dignité des salariés, engageaient sa responsabilité personnelle,
même s’ils avaient été commis dans l’intérêt, voire sur l’ordre de l’employeur.
Quant à ce dernier, la Cour de cassation a affirmé qu’il était tenu envers ses
salariés d’une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la protection
de leur santé et de leur sécurité dans l’entreprise, notamment en matière de
harcèlement moral. Son absence de faute ne pouvait l’exonérer de sa
responsabilité18.
Un an plus tard, en 2007, la Cour de cassation a confirmé les conséquences
de l’abstention de l’employeur : un employeur, averti du harcèlement moral
auquel se livrait une salariée envers une subordonnée, s’était abstenu de mettre
fin à ce comportement et de garantir la santé physique et mentale de la victime
alors qu’il avait connaissance du danger encouru. La cour d’appel l’avait
condamné au paiement de dommages-intérêts pour exécution déloyale du
contrat de travail. La Cour de cassation a confirmé cette condamnation19.
Le dernier arrêt date de 2012. Une salariée avait été licenciée pour faute
grave pour avoir dénoncé sans fondement des faits de harcèlement moral dont
elle prétendait être victime. La cour d’appel avait jugé qu’ayant dénoncé des
faits qui n’étaient pas susceptibles de caractériser un harcèlement moral, la
salariée était de mauvaise foi. La Cour de cassation a cassé cette décision : la
mauvaise foi ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté
des faits qu’il dénonce, et non du seul fait qu’ils ne sont pas établis20.
Avant la loi du 6 août 2012, le harcèlement sexuel désignait « le fait de
harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle21 ».
En 2011, la Cour de cassation a précisé le champ d’application de cette notion.
Le superviseur d’une équipe de standardistes d’un centre d’appel d’une société
de taxis avait tenu des propos à caractère sexuel à deux de ses collègues
féminines lors de l’envoi de messages électroniques en dehors du lieu et du
temps de travail, notamment lors de soirées organisées après celui-ci. En outre,
il avait, sur son lieu de travail, fait des remarques déplacées à une autre salariée
sur son physique et suivi une troisième dans les toilettes. Il fut licencié pour
faute grave. La cour d’appel avait annulé son licenciement : les premiers faits
relevaient de sa vie personnelle et ne pouvaient donc constituer une faute dans
l’exécution du contrat de travail. Quant aux seconds, ils ne suffisaient pas à
caractériser des agissements de harcèlement sexuel.
Cet arrêt est très singulier, et les œillères sont visibles. La Cour de cassation
l’a cassé à juste titre : ces propos et ces attitudes à l’égard de personnes avec
lesquelles l’intéressé était en contact à raison de son travail ne relevaient pas de
sa vie personnelle22. Comme le note un commentateur, le juge « précise les
contours de [la] vie professionnelle […] considérée dans sa globalité […].
[Elle] comprend l’ensemble des faits dont la relation de travail constitue la
cause », d’où son extension23.
L’histoire de la loi sur le harcèlement sexuel révèle, jusqu’en 2012, beaucoup
de négligences et peu d’intérêt du Parlement et du gouvernement. En bref, elle
a connu trois versions successives, échelonnées de 1992 à 2002, et, en 2012,
une décision du Conseil constitutionnel déclarant le texte contraire à la
Constitution. Que s’est-il passé et comment en est-on arrivé là ? C’est
en 1992 que le nouveau délit de harcèlement sexuel est créé. En réalité, il l’est
deux fois : la première dans le Code pénal, la seconde dans le Code du travail.
Le texte du Code pénal mentionne, pour le définir, les moyens employés (« en
usant d’ordres, de menaces ou de contraintes »), l’objectif poursuivi (« obtenir
des faveurs de nature sexuelle »), enfin l’auteur (« une personne abusant de
l’autorité que lui confèrent ses fonctions »)24. Pour le Code du travail, il s’agit
de l’employeur « qui, abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, a
donné des ordres, proféré des menaces, imposé des contraintes ou exercé des
pressions de toute nature […] dans le but d’obtenir des faveurs de nature
sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers25 ».
En 1998, à l’article 222-33 du Code pénal, les mots « les pressions graves »
remplacent les « pressions de toute nature ». En 2002, la loi du 17 janvier
supprime toute référence aux moyens utilisés et à l’abus d’autorité, à la suite
d’un amendement provenant du Sénat. Résultat : la définition du délit
disparaît de l’article 222-33 : « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir
des faveurs sexuelles est puni… » Aucun débat de fond n’a eu lieu à ce sujet,
preuve de l’intérêt que le Parlement et le gouvernement attachaient à cette
question. Une directive communautaire du 23 septembre 200226, modifiant
une précédente directive de 1976, donne une meilleure définition, élargie, du
harcèlement sexuel :
[L]a situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s’exprimant
physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter
atteinte à la dignité d’une personne27 et, en particulier, de créer un environnement intimidant,
hostile, dégradant, humiliant ou offensant28.
Les juges ont fait évoluer le droit qui se rapporte aux accidents du travail et
aux maladies professionnelles. Quel est-il au départ ? En cas d’accident
professionnel ou de maladie réputée d’origine professionnelle, le salarié est
dispensé d’apporter la preuve de la faute de l’employeur. Mais il ne perçoit
qu’une indemnité limitée comprenant le remboursement des frais médicaux,
des indemnités journalières majorées et, en cas d’incapacité de travail
permanente, une rente calculée selon un barème. Le caractère forfaitaire et
limité de la réparation contraste avec le droit commun de la responsabilité
civile fondé sur l’indemnisation intégrale du préjudice, mais reposant sur la
faute.
Statuant en 2002 sur une trentaine de dossiers relatifs à l’amiante, la Cour
de cassation a affirmé un principe : l’obligation de sécurité de l’employeur née
du contrat de travail est une obligation de résultat. En d’autres termes, il doit
l’assurer « notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles
contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par
l’entreprise ». Cette obligation s’étend à la prévention, « notamment en évitant
les risques, en évaluant ceux qui ne peuvent être évités, en les combattant à leur
source et en planifiant la prévention32 ». L’origine de cette obligation se trouve
dans le droit communautaire33. Pour assurer son respect, le juge peut, dans
certains cas, suspendre l’exécution des décisions concernant l’organisation du
travail. En voici un exemple. Un employeur avait mis en place une nouvelle
organisation du travail de surveillance et de maintenance dans un site
industriel classé « Seveso »34. La cour d’appel avait suspendu l’exécution de
cette décision : le nouveau dispositif aggravait les risques inhérents aux
fonctions des travailleurs concernés. Les procédures d’assistance prévues ne
suffisaient pas à garantir leur sécurité. La Cour de cassation a approuvé cet
arrêt. La Cour a aussi donné une nouvelle définition de la faute inexcusable de
l’employeur : « [L]e manquement à cette obligation (de sécurité) a le caractère
d’une faute inexcusable […] lorsque l’employeur savait, ou aurait dû avoir
conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les
mesures nécessaires pour l’en prémunir. » La différence de traitement, pour le
salarié atteint d’une maladie professionnelle contractée dans ces conditions, est
considérable. Il peut percevoir une rente majorée et être indemnisé de certains
chefs de préjudice35.
Par une décision de 2010, le Conseil constitutionnel a jugé que,
indépendamment de ces majorations, la victime ou, en cas de décès, ses ayants
droit peuvent demander à l’employeur la réparation de l’ensemble des
dommages non couverts par le livre IV du Code de la Sécurité sociale36. Un an
plus tard, la Cour de cassation a appliqué ce principe37.
La tragédie de l’amiante
Son ampleur et ses causes sont connues, notamment grâce à plusieurs
rapports parlementaires38. Voici les conclusions de celui de 2005 :
35 000 décès peuvent être imputés à l’amiante entre 1965 et 1995. 60 000 à 100 000 sont
attendus dans les vingt à vingt-cinq ans à venir, en raison du temps de latence de trente à quarante
ans du mésothéliome, auquel il convient d’ajouter environ 10 % de cancers du poumon déclarés
chaque année. Les scientifiques jugent l’épidémie à venir inéluctable et irréversible et son ampleur
déterminée jusqu’à 203039.
Les victimes et leurs familles ont engagé plusieurs types d’actions en justice :
— Devant les tribunaux des affaires de Sécurité sociale (Tass), pour faire
reconnaître l’existence d’une maladie professionnelle.
— Devant les conseils de prud’hommes pour obtenir, en cas de démission,
en plus de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de
l’amiante, la réparation du préjudice lié à l’anxiété. La Cour de cassation a jugé
en 2010 que les salariés ayant travaillé dans un des établissements figurant sur
une liste officielle « pendant une période où y étaient fabriqués ou traités
l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante se trouvaient, par le fait de
l’employeur, dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de
déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante et étaient amenés à
subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse ». La
Cour a ainsi rejeté un pourvoi dirigé contre un arrêt de cour d’appel qui avait
indemnisé un tel préjudice40.
— Devant les juridictions administratives, pour faire reconnaître la
responsabilité de l’État du fait de la carence de l’administration en matière de
prévention des risques liés à l’exposition aux poussières d’amiante41, ou pour
contester la légalité de décisions du Fonds d’indemnisation des victimes de
l’amiante (Fiva) fixant des barèmes d’indemnisation ou du ministre du Travail
refusant d’inscrire une société sur la liste des établissements ouvrant droit au
dispositif de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante et au
versement de l’allocation précitée. Celle-ci est versée aux salariés ayant travaillé
dans une entreprise inscrite sur une liste établie par arrêté ministériel, si
l’exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l’amiante y
présente un « caractère significatif ». Le décret qui devait préciser les critères de
ce caractère n’ayant pas été publié – pourquoi ? –, c’est le juge qui, devant la
carence du gouvernement, l’a fait en retenant la fréquence des opérations de
fabrication des matériaux contenant de l’amiante et la proportion des salariés
qui y ont été affectés42.
— Devant les tribunaux judiciaires, contre les décisions individuelles des
deux fonds d’indemnisation créés à cette occasion43.
— Devant les juridictions pénales, enfin. Le bilan est maigre : les premières
plaintes avec constitution de partie civile datent de 1996. Aucune des
instructions ouvertes ne semble près d’aboutir. Le pôle santé publique du
tribunal de grande instance de Paris dispose de moyens très insuffisants : quatre
magistrats, quatre greffiers, deux assistants spécialisés (un médecin et un
vétérinaire), enfin des officiers de police judiciaire. Son fonctionnement s’est
heurté à plusieurs obstacles : difficulté des magistrats à travailler en pool avec
les fonctionnaires spécialisés mis à disposition du pôle, immobilisme des juges
d’instruction. En décembre 2011, la chambre de l’instruction de la cour
d’appel de Paris a annulé les mises en examen de six anciens responsables du
groupe d’amiante-ciment Eternit. En Italie, deux dirigeants de la société
Eternit ont été condamnés en 2012 à seize ans d’emprisonnement. Les
poursuites contre les employeurs se sont heurtées jusqu’ici à plusieurs
difficultés, recensées par le rapport de l’Assemblée nationale de 2009.
Beaucoup ont été éteintes par la prescription ou la mort de l’intéressé. La
responsabilité pénale des personnes morales, créée en 1994, ne peut jouer pour
des faits antérieurs à cette date. Elle suppose de plus la démonstration, souvent
complexe, de l’existence d’une faute d’une personne physique ayant un pouvoir
de décision et la preuve d’un lien certain de cause à effet entre le dommage et
la faute.
À la fin de 2011, quatre anciens responsables du comité permanent amiante,
qui fut, de 1982 à 1995, l’instrument très efficace du groupe de pression des
industriels de l’amiante en vue notamment de retarder l’application de mesures
de protection, ont été mis en examen pour homicides et blessures involontaires
et abstentions délictueuses. La mise en examen, en 2011, de la société Eternit
et de cinq de ses anciens responsables a été annulée en 2012 par la Cour de
cassation en partie pour des raisons de procédure44.
Qui aurait le front, dans toutes ces matières, de parler de judiciarisation et
de la déplorer ?
Une régression
1962 est l’an I du drame des harkis. Dès 1961, le gouvernement avait
commencé à réfléchir à leur sort futur : maintien en Algérie assorti d’une
protection ou rapatriement en France. Après les accords d’Évian (mars 1962),
il pense à un nombre limité de départs, canalisés et planifiés. Jusqu’au
printemps, un certain optimisme subsiste. Puis l’ampleur des massacres, des
tortures et des exactions de tous ordres commis contre eux en Algérie entraîne
un exode massif. Les autorités françaises sont débordées. À la vérité,
l’« hypothèse de retours massifs, tant des Français de souche que des Français
musulmans, n’a jamais été imaginée dans les proportions qui seront avérées à
partir de mai 196293 ». Près de 90 000 personnes réussissent alors à gagner la
France « dans un état psychologique lamentable, sans formation technique, ne
maîtrisant pas la langue française ; leur connaissance du monde s’arrêtant aux
collines limitant leurs villages94 ». Débordé et tiraillé entre plusieurs impératifs,
le gouvernement pare au plus pressé et les héberge dans des camps aux noms
variés (camps de transit, cités d’accueil, hameaux de forestage), gardés par des
militaires : Larzac, Saint-Maurice-l’Ardoise, Bias, Rivesaltes95. « On leur a
appliqué une gestion coloniale96. » Pour l’administration, ils sont des « Français
musulmans97 de souche nord-africaine » ou des « Français rapatriés de souche
nord-africaine ». Ces termes disent tout.
C’est alors que commence une des pages les plus tragiques de la
décolonisation. L’Algérie, qui les avait laissés massacrer, ne voulait rien savoir
de ces « traîtres ». La France ne voulait littéralement plus les connaître, ni les
voir, d’où leur mise à l’écart. À l’exclusion géographique et professionnelle
s’ajoutèrent la honte et le sentiment du rejet et du mépris. Plus de dix ans plus
tard, c’est après la révolte des jeunes que les camps s’ouvrent enfin. Vingt-cinq
ans après les accords d’Évian, le temps d’une génération, le Parlement adopte
en 1987 la première des lois qui, jusqu’en 2005, organisèrent le versement à
leur profit de diverses allocations.
Ces procès concernent tous des personnes accusées d’avoir commis des
crimes contre l’humanité pendant la période de Vichy et de l’Occupation112. À
l’arrière-plan de la responsabilité pénale de l’accusé, seul objet du procès, il y
avait tout un système politique et une idéologie. C’est pourquoi plusieurs
historiens – Jean-Pierre Azéma, Marc-Olivier Baruch, Philippe Burrin, Robert
Paxton et René Rémond – ont témoigné lors du procès Papon à la demande du
parquet ou des parties civiles. Sur quoi ? Ils n’étaient pas témoins des faits
reprochés et ne connaissaient pas personnellement l’accusé. Ils étaient là pour
éclairer la cour d’assises sur le contexte politique, institutionnel et idéologique
dans lequel de tels hommes, « commis de l’oppression113 », avaient commis
leurs crimes114.
La SNCF et l’État
CONCLUSION
1. Cf. CIRAC (Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine), « Le plan social
et le juge : une approche comparative du pouvoir judiciaire face au plan social en droit du travail
allemand et français », Working Paper, no 7, 2004.
2. Le Monde, 14 juillet 2011.
3. Ibid., 10 novembre 2011.
4. Ibid., 11-12 mars 2012.
5. Bertrand MABILLE, « Les coûts cachés du travail », Les Échos, 11-12 mai 2012.
6. Ibid.
7. Code du travail, art. L.1222-2 et 3, L.2323-32 et L.4612-8.
8. Voici ces six valeurs : « Agir avec courage ; promouvoir l’innovation et livrer des produits fiables ;
générer de la valeur pour le client ; favoriser le travail d’équipe et l’intégration au niveau mondial ; faire
face à la réalité et être transparent ; développer mes talents et ceux des autres. »
9. Cour d’appel de Toulouse, Syndicat CGT Airbus Toulouse et Union générale des ingénieurs, cadres et
techniciens CGT c. SAS Société Airbus Opérations, 21 septembre 2011.
10. Cf. à ce sujet les ouvrages de Christophe DEJOURS, Travail, usure mentale. Essai de psychopathologie
du travail, nouvelle éd., Centurion-Bayard, 2008 ; ID., Souffrance en France. La banalisation de l’injustice
sociale, éd. augmentée, Éd. du Seuil, 2009 ; ainsi que Françoise CHAMPEAUX et Sandrine FOULON,
Dernier recours. Le monde du travail devant les tribunaux, Éd. du Seuil, 2012, pp. 159 sqq.
11. Cass. soc, 24 septembre 2008, COUR DE CASSATION, Rapport 2008, rapport cité, p. 234.
12. Id, 10 novembre 2009 : la cour d’appel avait rejeté la demande de la salariée en estimant que les
agissements dont elle se plaignait faisaient partie du pouvoir de direction de l’employeur, tant qu’il n’était
pas démontré par la salariée qu’ils relevaient d’une démarche « gratuite, inutile et réfléchie destinée à
l’atteindre » et permettant de présumer l’existence d’un harcèlement. Cet arrêt a été cassé (COUR DE
CASSATION, Rapport 2009, La Documentation française, 2010, p. 346). Voici un autre exemple : un
salarié se voit prescrire par son employeur, après une accumulation de procédures disciplinaires, un arrêt
de travail pour « asthénie, trouble du sommeil, situation conflictuelle ». La cour d’appel rejette sa
demande : les mesures disciplinaires relèvent du pouvoir de direction et l’employeur n’a pas de volonté de
nuire. La Cour de cassation casse cet arrêt : la cour d’appel devait rechercher si l’ensemble de ces éléments
n’était pas de nature à faire présumer un harcèlement moral (Cass. soc, 13 mai 2009, ibid.).
13. Cass. soc. 21 juin 2006.
14. Arrêt du 11 octobre 2007.
15. Cass. soc., 24 juin 2009 et 10 novembre 2009.
16. Bernard JOLY, « La prise en compte du suicide au titre des risques professionnels : regards croisés
sur la jurisprudence judiciaire et administrative », Droit social, mars 2010, p. 258.
17. Code pénal, art. 222-32, et Code du travail, art. L.1152-1 à 6.
18. Cass. soc., 21 juin 2006, COUR DE CASSATION, « La Cour de cassation et la construction juridique
européenne », Rapport 2006, La Documentation française, 2007, p. 280.
19. Cass. soc., 7 février 2007, ID., « La santé dans la jurisprudence de la Cour de cassation »,
Rapport 2007, La Documentation française, 2008, p. 135.
20. Cass. soc., Mme Boursinhac c. Société Hermès Sellier, 7 février 2012.
21. Code pénal, art. 222-33, et Code du travail, art. L.1153-1 à 6 (voir infra, p. 120).
22. Cass. soc., 19 octobre 2011, Bull., no 223 (cf. Le Monde, 30-31 octobre 2011).
23. Gaëlle DEHARD, Gazette du Palais, 21-22 décembre 2011, p. 10.
24. Loi du 22 juillet 1992.
25. Loi du 2 novembre 1992, ancien art. 122-46 du Code du travail.
26. Directive 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002.
27. Preuve et illustration supplémentaire de la signification juridique de cette notion.
28. Art. 2.2, quatrième tiret de la directive de 1976 révisée.
29. Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006.
30. Conseil constitutionnel, décision no 2012-240, QPC, 4 mai 2012.
31. « I. Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou
comportements à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère
dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. II.
Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans
le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de
l’auteur des faits ou au profit d’un tiers », art. 222-33 du Code pénal. Pour une étude juridique, cf.
SÉNAT, « Restaurer le délit de harcèlement sexuel », rapport du groupe de travail sur le harcèlement
sexuel, no 596, 15 juin 2012, et ID., « La définition du harcèlement sexuel », Étude de droit comparé,
no 225, juin 2012.
32. Commentaire de l’arrêt du 5 mars 2008, COUR DE CASSATION, Rapport 2008, rapport cité, p. 228.
33. La directive no 89/391/CE du 12 juin 1989, déjà citée.
34. Une directive de 1982, modifiée en 1996, impose aux États membres d’identifier les sites
industriels présentant des risques d’accidents majeurs. Elle comprend une série d’obligations concernant
notamment les études de danger, les plans de prévention, les plans d’urgence et l’information des
riverains. Les entreprises sont classées en fonction des quantités et des types de produits dangereux
qu’elles utilisent.
35. Cass. soc., 28 février et 11 avril 2002, COUR DE CASSATION, « La responsabilité », Rapport 2002,
La Documentation française, 2003, p. 391, et Pierre OLLIER, « La responsabilité de l’employeur en
matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Jurisprudence récente de la Cour de
cassation » [2003], in ibid., p. 109.
36. Conseil constitutionnel, décision no 2010-8, QPC, 18 juin 2010, p. 117. La décision est
commentée par Geneviève VINEY, « L’évolution du droit de l’indemnisation des victimes d’accident du
travail et de maladies professionnelles », Droit social, septembre-octobre 2011, p. 964, et par Xavier
PRÉTOT, « L’indemnisation de la faute inexcusable de l’employeur est-elle conforme à la Constitution ? »,
ibid., décembre 2011, p. 1208.
37. Cass. civ., 2e, 30 juin 2011, Bulletin d’information de la Cour de cassation, 15 novembre 2011,
p. 56.
38. ASSEMBLÉE NATIONALE, « L’amiante dans l’environnement de l’homme : ses conséquences et son
avenir », Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, rapport no 329,
16 octobre 1997, et SÉNAT, rapport d’information no 41 (1997-1998), 21 octobre 1997 ; SÉNAT, « Le
drame de l’amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l’avenir », rapport
d’information no 37 (2005-2006), 26 octobre 2005 ; ASSEMBLÉE NATIONALE, « Rapport fait au nom de la
Mission d’information sur les risques et les conséquences de l’exposition à l’amiante », no 2884,
22 février 2006 ; ID., « La prise en charge des victimes de l’amiante », rapport d’information no 2090,
18 novembre 2009.
39. SÉNAT, « Le drame de l’amiante en France », rapport cité, p. 10.
40. Cass. soc., Société Alsthom Labelpack, 11 mai 2010, COUR DE CASSATION, « Le droit de savoir »,
rapport cité, p. 318.
41. Cf. Conseil d’État, Ministre de l’emploi et de la solidarité nationale c. consorts Botella, 3 mars 2004,
p. 125, et trois autres décisions identiques du même jour.
42. Cf. Conseil d’État, M. Capdeville c. ministre du Travail ; Association départementale de défense des
victimes de l’amiante, 27 octobre 2011. Cf. aussi Sara BRIMO, « L’indemnisation des victimes de
l’amiante », Droit administratif, no 192, décembre 2011, no 102, p. 46.
43. Le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (2000) et le Fonds de cessation anticipée
d’activité des travailleurs de l’amiante (1998). Pour un exemple de réduction, en appel, du montant des
indemnités, cf. l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 1er mars 2012, Le Monde, 3 mars 2012.
44. Cass. crim., 26 juin 2012.
45. Cf. ASSEMBLÉE NATIONALE, « Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’activité et le
fonctionnement des tribunaux de commerce », no 2038, 3 juillet 1998 ; publié sous le titre Les Tribunaux
de commerce : une justice en faillite, Michel Lafon, 1998 ; AFHJ (Association française pour l’histoire de la
justice), Les Tribunaux de commerce. Genèse et enjeux d’une institution, La Documentation française, 2007,
en particulier les études de J.-P. Jean, « Le modèle français de tribunal de commerce peut-il (et doit-il)
être réformé ? », p. 187, et de Y. Chaput, « Les tribunaux de commerce, histoire locale et perspectives
européennes », p. 199. Je reviens sur eux au chap. VI.
46. Je résume ici une étude de Pierre BÉZARD, président de la chambre commerciale et financière de la
Cour de cassation, « Le nouveau visage du juge économique et financier », in Droit et vie des affaires.
Études à la mémoire d’Alain Sayag, Litec, 1997, p. 147.
47. Respectivement : lois des 15 octobre 1981, développant les pouvoirs du procureur de la
République devant les tribunaux de commerce, 1er mars 1984, sur la procédure d’alerte,
et 25 janvier 1985, sur les procédures collectives ; réformes du Conseil puis de l’Autorité de la
concurrence ; création de la Commission des opérations de Bourse et du Conseil des marchés financiers,
remplacés plus tard par l’Autorité des marchés financiers.
48. Cf. Philippe MARINI, « La modernisation du droit des sociétés », rapport au Premier ministre, La
Documentation française, 1996.
49. Jean-Marie COULON, premier président honoraire de la cour d’appel de Paris, « La dépénalisation
de la vie des affaires », rapport au garde des Sceaux, La Documentation française, 2008. Cf. aussi T.
BERT, « L’intervention des juges dans l’économie est-elle justifiée ? », art. cité, p. 121.
50. Pour une réflexion d’ensemble sur les juridictions économiques, cf. Yves CHAPUT et Aristide LÉVI
(dir.), Quelles juridictions économiques en Europe ? Du règne de la diversité à un ordre européen, préface de
R. Badinter, conclusion de G. Canivet, Litec, 2007 (cf. notamment le rapport de synthèse de L. Cadiet,
« Diversités, convergences et perspectives », p. 531, et la contribution de G. Canivet, « L’avenir des
juridictions économiques en Europe », p. 605) ; CENTRE DE RECHERCHE SUR LE DROIT DES AFFAIRES
(CREDA), « Pour une justice économique efficiente en Europe. Enjeux et perspectives d’une
harmonisation — l’harmonisation par les juges », colloque du 4 décembre 2007, Gazette du Palais, 20-
21 et 22-26 août 2008 ; ID. et UNION DES AVOCATS EUROPÉENS (UAE), Pour une justice économique
efficiente en Europe, Bruxelles, Bruylant, 2009. L’Association d’économie financière a publié de
nombreuses études sur le droit comparé des activités financières.
51. Cf. Gérard NOIRIEL, Le Creuset français. Histoire de l’immigration, XIXe-XXe siècle, Éd. du Seuil,
1988 ; ID., Population, immigration et identité nationale en France, XIXe-XXe siècle, Hachette, 1992 ; Patrick
WEIL, La France et ses étrangers. L’aventure d’une politique de l’immigration, de 1938 à 1991, préface de M.
Long, Calmann-Lévy, 1991 ; rééd. avec le sous-titre L’aventure d’une politique de l’immigration, de 1938 à
nos jours, Gallimard, coll. « Folio histoire », 2005 ; Ralph SCHOR, Histoire de l’immigration en France de la
fin du XIXe siècle à nos jours, Armand Colin, 1996 ; Yves LEQUIN (dir.), Histoire des étrangers et de
l’immigration en France, préface de P. Goubert, Larousse, 2006.
52. G. NOIRIEL, Le Creuset français, op. cit., titre du chap. I.
53. Cf. Patrick WEIL, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution,
Grasset, 2002 ; rééd. Gallimard, coll. « Folio histoire », 2005.
54. Cf. les exemples cités par G. NOIRIEL, Le Creuset français, op. cit., pp. 258-261, et dans Le
Massacre des Italiens. Aigues-Mortes, 17 août 1893, Fayard, 2010.
55. Cf. Jean-Charles BONNET, « Les pouvoirs publics et l’immigration dans l’entre-deux-guerres »,
thèse, université Lyon-II, Centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise, 1976 ; Ralph
SCHOR, L’Opinion française et les étrangers en France, 1919-1939, Publications de la Sorbonne, 1985 ; ID.,
L’Antisémitisme en France pendant les années trente, Bruxelles, Complexe, 1991.
56. Loi du 26 juillet 1935.
57. Loi du 19 juillet 1934. Cf. Robert BADINTER, Un antisémitisme ordinaire. Vichy et les avocats juifs
(1940-1944), Fayard, 1997, pp. 27 sqq : « En cela, le Barreau ne se différenciait guère du reste de la
société française. »
58. Cf. Denis PESCHANSKI, La France des camps. L’internement, 1938-1946, Gallimard, 2002.
59. CONSEIL D’ÉTAT, Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (Gisti), CFDT et
CGT, 8 décembre 1978, p. 493.
60. Conseil constitutionnel, décision no 93-325, DC, 13 août 1993, p. 224.
61. Cf. articles 5.1 f et 16.
62. CEDH, Mamatkulov et Askarov c. Turquie, 4 février 2005.
63. Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés) ; Cimade (Comité intermouvements
auprès des évacués), créé en 1939 ; Anafe (Association nationale d’assistance aux frontières pour les
étrangers) ; Assfam (Association de service social familial migrants).
64. Cf. les rapports annuels de la Cimade sur les centres de rétention administrative. Les cinq
associations présentes dans ces centres ont présenté en décembre 2011 leur premier rapport commun. De
même, les vingt associations présentes dans les zones d’attente présentent un rapport annuel commun.
65. Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, art. 16, § 4.
66. Conseil d’État, Ville de Paris et bureau d’aide sociale de Paris c. Lévy, 30 juin 1989, p 157.
67. Id., Gisti, 2 avril 2003.
68. Conseil constitutionnel, décision no 2011-631, DC, 9 juin 2011.
69. Cf., parmi d’autres, les témoignages d’Arthur KOESTLER, La Lie de la terre, Charlot, 1947 (cf. ID.,
Œuvres autobiographiques, éd. Ph. Casoar, Robert Laffont, 1994, p. 951), et de Hannah ARENDT, « Nous
autres, réfugiés », Écrits juifs, Fayard, 2011, p. 420 ; cf. aussi Vicky CARON, L’Asile incertain. La crise des
réfugiés juifs en France, 1933-1942, Tallandier, 2008 ; Rémy CAZALS, Lettres de réfugiées. Le réseau de
Boerieblanque : des étrangères dans la France de Vichy, préface de M. Perrot, Tallandier, 2003.
70. Le terme réfugié s’applique à « toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait
de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses
opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité » (art. 1er A 2).
71. Qui a succédé à la Commission de recours des réfugiés créée en 1952.
72. Qui sera remplacée à la fin de 2013 par la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011.
73. Je me permets de renvoyer ici à mon étude « Le droit des réfugiés et de l’asile concernant les
femmes : l’apport du droit international humanitaire, du droit international des droits de l’homme et du
droit pénal international », Mélanges en l’honneur de Renée Koering-Joulin, à paraître en 2013.
74. Nouvelle dénomination de la Cour de justice des communautés européennes créée par le traité de
Rome en 1957.
75. Voir supra, p. 26.
76. CJUE, Abdulla, 7 mars 2010.
77. Il s’agit d’une convention internationale et non plus d’une résolution du Conseil de sécurité. Les
États ont repris la main.
78. Cf. Jean-Paul BAZELAIRE et Thierry CRETIN, La Justice pénale internationale. Son évolution, son
avenir, de Nuremberg à La Haye, PUF, 2000 ; Philip SANDS (éd.), From Nuremberg to The Hague : The
Future of International Criminal Justice, Cambridge University Press, 2003.
79. CJUE, République fédérale d’Allemagne c. B et D, 9 novembre 2010.
80. Id., Elgafaji, I7 février 2009.
81. Les quatre conventions de Genève de 1949 complétées par les deux protocoles additionnels
de 1977. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), organisme privé suisse, a joué un rôle
essentiel dans leur élaboration.
82. Cf. Roger ERRERA, « Humanitarian law, Human Rights and Refugee Law. The Three Pillars », in
IARLJ (International Association of Refugee Law Judges), The Asylum Process and the Rule of Law, New
Delhi, Manak, 2006, p. 173 ; Hugo STOREY, « Armed Conflict in Asylum Law », Refugee Survey
Quarterly, vol. XXXI, no 2, 2012, p. 1.
83. Art. L.58 du Code des pensions civiles et militaires de retraite et L.107 des pensions militaires
d’invalidité.
84. « Aux mines de sel de Salzbourg, on jette dans les profondeurs abandonnées de la mine un rameau
d’arbre effeuillé par l’hiver ; deux ou trois ans après, on le retire couvert de cristallisations brillantes […].
Ce que j’appelle cristallisation, c’est l’opération de l’esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte
que l’objet aimé a de nouvelles perfections » (De l’amour, livre I, chap. II).
85. Comité des droits de l’homme, Gueye et autres, 3 avril 1989, Revue universelle des droits de
l’homme, 1989, p. 62.
86. Conseil d’État, Mme Doukouré, 15 avril 1996, p. 125.
87. Art. 1er du 1er protocole additionnel.
88. Conseil d’État, Ministre de la Défense c. Diop et ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie
c. Diop, 30 novembre 2001, p. 605.
89. Id., M. Ka, 18 juillet 2006, p. 349.
90. Conseil constitutionnel, décision no 2010-1, QPC, 28 mai 2010, p. 91.
91. Le Conseil d’État continue à statuer sur des recours concernant ces pensions : cf. Mme M’Rida,
13 mai 2011 ; Ministre des Anciens combattants c. M. Diémé ; M. Diémé, 5 octobre 2011 ; Mme Bettahar ;
M. Chenouf, 21 octobre 2011 ; M. Aiache, 14 décembre 2011.
92. Il y eut aussi la guerre d’Indochine, où des supplétifs combattirent aux côtés de l’armée française.
Trente ans, oui, trente ans après les accords de Genève, un décret du 1er mars 1984 leur a accordé certains
droits, à condition qu’ils possèdent la nationalité française. Depuis la décision précitée du Conseil
constitutionnel, cette condition est anticonstitutionnelle. On devine les obstacles de toute nature,
linguistiques, géographiques, administratifs et politiques auxquels se heurteront, dans le Vietnam
d’aujourd’hui demandes et démarches. Une réponse ministérielle à la question écrite d’un député nous
apprend que cette décision « sera prise en compte à l’occasion des travaux de refonte du Code des
pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre actuellement engagés » (réponse du secrétaire
d’État auprès du ministre de la Défense et des Anciens Combattants à la question écrite no 129504, JO.
AN, 1er mai 2012). Inutile de se presser, en effet.
93. Chantal MORELLE, « Les pouvoirs publics français et le rapatriement des harkis en 1961-1962 »,
in Raphaëlle Branche (présenté par), La Guerre d’indépendance des Algériens, 1954-1962, Perrin et Presses
de la FNSP, 2009, pp. 273 et 287.
94. Benjamin STORA, La Gangrène et l’Oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, 1998,
p. 261. Cf. aussi Jean-Pierre RIOUX, Les Harkis. Les oubliés de l’histoire, 1954-1991, La Découverte,
1991 ; Charles-Robert AGERON, « Le “drame des harkis”. Mémoire ou histoire ? », XXe siècle, oct.-déc.
2000, p. 3 ; Fatima BESNACI-LANCOU et Gilles MANCERON (dir.), Les Harkis dans la colonisation et ses
suites, Éd. de l’Atelier, 2008 ; ID. et Benoît FALAIZE (dir.), Les Harkis. Histoire, mémoire et transmission,
Éd. de l’Atelier, 2010 ; « Les harkis. Les mythes et les faits », Les Temps modernes, no 666, numéro spécial,
nov.-déc. 2011 ; Vincent CRAPANZANO, Les Harkis. Une blessure inguérissable, Gallimard, 2012.
95. Sur les conditions qui y régnaient, cf. Abderahmen MOUMEN, « Camp de Rivesaltes, camp de
Saint-Maurice l’Ardoise. L’accueil et le reclassement des harkis en France (1962-1964) », Les Temps
modernes, revue citée, p. 105.
96. Fatima Besnaci-Lancou, citée dans SÉNAT, « Rapport d’information sur les actes de la rencontre
Mémoires croisées », no 609, 22 juin 2012, p. 21.
97. La première apparition de cette expression dans un texte officiel se trouve dans l’ordonnance
du 7 mars 1944 relative au statut des Français musulmans d’Algérie. On en trouvera le texte dans le livre
d’Arlette HEYMANN-DOAT, Guerre d’Algérie. Droit et non-droit, Dalloz, 2012, p. 28.
98. Cahiers du Conseil constitutionnel, commentaire de la décision no 2010-93, QPC, 4 février 2011.
99. Jean Francou, rapporteur du projet de loi, au Sénat, séance du 17 juin 1987, p. 1143.
100. André Santini, secrétaire d’État aux Anciens Combattants, ibid.
101. ASSEMBLÉE NATIONALE, « Rapport fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi,
modifié par le Sénat, relatif au règlement de l’indemnisation des rapatriés », no 882, 19 juin 1987.
102. Assemblée nationale, projet de loi no 1152, 20 avril 1994, exposé des motifs, p. 2.
103. Id., Loi de finances rectificative pour 1999, 2e séance, intervention de Jean-Paul Dupré,
9 décembre 1999, p. 10834.
104. Langage étrange. Y aurait-il des victimes coupables ?
105. Id., projet de loi no 1499, 10 mars 2004.
106. Son article 5 interdit toute injure ou diffamation envers une personne ou un groupe de
personnes en raison de leur qualité de harki et toute apologie des crimes commis contre eux.
107. Lors de la discussion de la loi du 16 juillet 1987, le Parlement a rejeté des amendements créant
des délits d’apologie ou de contestation des crimes commis en Algérie contre les harkis après
le 16 mars 1962.
108. Le Monde, 17 avril 2012.
109. Conseil d’État, Bahri et Madani, 27 juin 2005, p. 252 ; Comité harkis et vérité, 6 avril 2007,
p. 639. Cf. Martine DENIS-LINTON, « Le juge et les harkis », in Le Dialogue des juges, op. cit., p. 351.
110. Conseil constitutionnel, décision no 2010-93, QPC, 4 février 2011.
111. Le Monde, 5 février 2011.
112. Cf. Jean-Paul JEAN et Denis SALAS (dir.), Barbie, Touvier, Papon : des procès pour la mémoire, Éd.
Autrement, 2002 ; Jean-Paul JEAN, « Comment la justice peut-elle contribuer à ce qu’un pays écrive
lucidement son histoire ? », in Simone Gaboriau et Hélène Pauliat (dir.), Justice et démocratie, Presses
universitaires de Limoges, 2003, p. 239 ; Christophe WILLMANN, « Contribution judiciaire au débat sur
la mémoire », Archives de philosophie du droit, t. L, 2006, p. 189 ; J.-P. ROYER, Histoire de la justice en
France, op. cit., pp. 1223 sqq.
113. Sous-titre du chap. IV du livre de Stéphane RIALS, Oppressions et résistances, PUF, 2008, p. 199.
114. Ces témoignages ont suscité un débat : cf. Jean-Noël JEANNENEY, « À quoi servent les
historiens ? », L’Histoire, no 222, juin 1998 ; François BÉDARIDA, « Les responsabilités de l’historien
expert », in Id., Histoire, critique et responsabilité, textes réunis par G. Muc et M. Trebitsch, présentation
de H. Rousso, Bruxelles, Complexe, 2003, p. 289 ; Henri ROUSSO, « L’expertise des historiens dans les
procès pour crimes contre l’humanité » [2002], in J.-P. JEAN et D. SALAS (dir.), Barbie, Touvier, Papon, op.
cit., p. 58.
115. Signée par un maréchal de France, Philippe Pétain, un haut fonctionnaire ancien secrétaire
général de l’Algérie, ancien résident général en Tunisie et au Maroc, devenu ministre de l’intérieur, Marcel
Peyrouton, un inspecteur des finances, ancien directeur du budget et ancien secrétaire général du
ministère des Finances, devenu ministre des Finances, Yves Bouthillier, et un ancien maître des requêtes
au Conseil d’État, devenu ministre de la Justice, Raphaël Alibert. De quoi donner à penser sur le
comportement de nos élites publiques en temps de crise.
116. Conseil d’État, Papon, 12 avril 2002, p. 139 ; Revue française de droit administratif, 2002, p. 582,
conclusions S. Boissard ; Fabrice MELLERAY, « Après les arrêts Pelletier et Papon : brèves réflexions sur une
repentance », Actualité juridique. Droit administratif, no 12, 30 septembre 2002, p. 837 ; Michel
VERPEAUX, « L’affaire Papon, la République et l’État », Revue française de droit constitutionnel, no 55,
juillet 2003, p. 513.
117. Cf. Michael R. MARRUS et Robert O. PAXTON, Vichy et les Juifs, Calmann-Lévy, collection
« Diaspora », 1981, et les travaux de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France présidée par
Jean Mattéoli (1997-2000).
118. Conseil d’État, Mme Hoffmann-Glemane, 16 février 2009, p. 43, conclusions Lenica.
119. Olivier BARUCH, « Réparer l’irréparable », Les Cahiers de la justice, no 1, 2010, pp. 121,
124 et 127.
4
Les limites des pouvoirs
et de l’intervention des juges
Le pouvoir des juges a-t-il des limites ? La question appelle une réponse affirmative. Lesquelles ?
Certaines limites sont inhérentes à l’activité juridictionnelle. D’autres découlent de l’intervention du
gouvernement, via le Parlement. Des exemples en seront donnés dans ce chapitre. Il faut aussi voir plus
loin. Le droit au juge ne veut pas dire que tout litige doive être immédiatement porté devant le juge et y
rester. Il arrive qu’en vertu de la loi, ou d’un commun accord, les parties puissent se passer, jusqu’à un
certain point, du juge et que le litige puisse être résolu à l’amiable. Ces techniques présentent des avantages
certains, mais aussi des limites, qu’il faut dire, parce que la justice est un bien public. J’examinerai
d’abord les limites des pouvoirs des juges, puis celles de son intervention.
Les limites des pouvoirs des juges existent. Il arrive qu’elles soient exagérées,
ou sous-estimées, ou que l’on ne perçoive pas leur vraie nature. Certaines sont
inhérentes à l’activité juridictionnelle. D’autres lui sont extérieures.
Placé devant ce qui est devenu un fait social de masse, le Parlement a tenté
de combiner, non sans mal, l’intervention d’une commission administrative et
celle du juge. Cette matière difficile est fertile en allers-retours. Le
surendettement résulte de deux causes : le recours généralisé au crédit pour
l’achat de biens de consommation et de logements et la multiplication des
« accidents de la vie » (perte d’emploi, divorce, maladie), d’où des situations de
surendettement sans emprunt, du fait de l’accroissement des charges. L’État est
intervenu depuis 1989 afin de favoriser un règlement amiable des conflits ainsi
engendrés. Les six lois adoptées depuis cette date sont, pour une fois, le signe
non d’une instabilité législative condamnable, mais de la recherche malaisée
d’une solution à apporter à une réalité sociale qui évolue.
Jusqu’en 1989, le créancier saisissait le juge à défaut de paiement. La loi créa
des commissions départementales du surendettement des particuliers chargées
d’aboutir à une conciliation, concrétisée par un plan de redressement approuvé
par tous. Peu de ces plans furent élaborés. Résultat : « [L]es tribunaux
d’instance croulaient sous le poids des procédures, les juges d’instance, saisis
dans 99 % des cas en 1992 (contre 55 % en 1990), se transformaient souvent
en écrivains publics aidant les débiteurs à présenter leur demande et à
constituer leur dossier12. » Le juge devenait gestionnaire de la dette privée.
En 1995, le rôle des commissions fut renforcé, « le juge civil – qui n’est plus le
tribunal d’instance, mais le juge de l’exécution – n’intervenant plus que comme
une instance de contrôle13 ». Depuis 2003, en cas de situation
irrémédiablement compromise, la commission peut saisir le juge en vue d’une
procédure de rétablissement personnel sorte de faillite civile, d’où une certaine
« rejudiciarisation ».
La commission Guinchard a contesté l’utilité de l’audience judiciaire et
critiqué « une procédure complexe, source d’insécurité juridique ». Elle a
formulé deux propositions :
— Redéfinir l’office du juge, pour mieux assurer la protection des intérêts
fondamentaux des personnes surendettées, c’est-à-dire donner une compétence
plus générale à la commission et offrir plus de souplesse dans le choix entre les
diverses mesures de traitement.
— Redéfinir la procédure, pour lui donner une meilleure cohérence. En
bref, le juge aurait les missions suivantes : homologuer, en l’absence de
contestation, les mesures recommandées par la commission, après avoir
contrôlé leur régularité et leur opportunité ; statuer sur les contestations ;
décider et contrôler les opérations de liquidation des biens du débiteur en
situation de rétablissement personnel, si cette mesure est recommandée par la
commission14.
La loi du 22 décembre 2010 a transféré la compétence au tribunal
d’instance. Un décret du 28 juin 2011 a précisé la procédure applicable. La
recherche d’un équilibre entre le rôle du juge et celui de la commission n’est
pas terminée15. Le nombre des dossiers de surendettement déposés à la Banque
de France a été de 218 000 en 2010 et de 232 493 en 201116.
La conclusion est double. Le juge a beau être puissant, il n’est pas tout-
puissant et il arrive que le Parlement et le gouvernement rognent ses pouvoirs
en mettant fin à telle ou telle jurisprudence. J’en ai cité plusieurs exemples.
Mais ce n’est pas toujours le point final. La nouveauté est que d’autres juges, le
Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des droits de l’homme, par
exemple, corrigent ou censurent la copie du Parlement. Les modes alternatifs
de règlement des litiges et, plus largement, les diverses formes de
déjudiciarisation, si utiles et légitimes soient-elles dans bien des domaines,
montrent qu’en fin de compte le juge est rarement entièrement absent et que
l’exigence de justice ne doit jamais l’être.
Voici donc située « l’emprise contemporaine des juges27 » dans la société. Il
est temps d’examiner leur face-à-face avec les responsables politiques et un
certain partage de l’autorité sur la justice entre eux.
Singulier face-à-face que celui de la justice et des responsables politiques. Voyons-en les acteurs. Qui
rend aujourd’hui la justice ? Les magistrats professionnels formant le corps judiciaire, mais aussi beaucoup
d’autres juges, élus ou nommés, dont on parle moins. Face à eux se trouvent les responsables politiques, et
en particulier les titulaires du pouvoir exécutif. Derrière la proclamation rituelle du respect de
l’indépendance judiciaire, qu’y a-t-il au juste ? Une sensibilité à vif, alimentée par la conscience de la fin
des immunités et la perte de souveraineté juridique du Parlement, mais aussi un intérêt nouveau pour la
justice et ses missions. Si la justice a de plus en plus de pouvoirs, qu’en est-il de l’autorité sur les magistrats
et la justice ? Il y a ici une sorte de partage entre l’exécutif et les membres du corps judiciaire. Un de ses
lieux est le Conseil supérieur de la magistrature.
Qui rend la justice en France ? Les juges, dira-t-on. Quels juges ? Aux
magistrats professionnels s’ajoutent des juges non professionnels, dont il faut
parler1.
Pour eux, la faute « s’apprécie […] compte tenu des obligations qui découlent
de [leur] subordination hiérarchique15 ». Le Conseil supérieur de la
magistrature comprend deux formations, l’une pour les magistrats du siège,
l’autre pour ceux du parquet. Chaque juridiction a deux chefs, l’un pour le
siège, l’autre pour le parquet, dualisme que traduit le mot de dyarchie16.
Après le droit, le fait ou, si l’on préfère, le droit coutumier, présent ici
comme dans beaucoup d’autres institutions. D’autres distinctions internes,
connues et vécues comme telles, ont des conséquences sur le déroulement des
carrières : celle qui a cours entre les magistrats affectés dans les juridictions
parisiennes et celles de la « petite couronne » (Bobigny, Créteil, Nanterre) et de
Versailles, d’une part, et ceux des autres régions, d’autre part ; et celle qui
sépare les magistrats de l’administration centrale (MACJ) de ceux qui sont en
juridiction. D’autres éléments pèsent aussi : l’affiliation à un syndicat,
l’appartenance à un cabinet ministériel ou à l’entourage protecteur d’un haut
magistrat, forme de « parrainage hiérarchique17 ». Selon un rapport
parlementaire,
[p]lus que les interventions habituellement dénoncées du « pouvoir politique » dans les carrières des
magistrats, l’essentiel des influences que subissent les carrières judiciaires résulte de l’existence de
véritables « clans » au sein de la magistrature, qui opposent Parisiens et provinciaux, partisans de tels
ou tels hauts magistrats qui emportent dans leur sillage, selon qu’ils sont plus ou moins en cour, tout
un ensemble de « disciples » qui ont choisi de jouer leur carte. Compliquées par les interférences des
organisations professionnelles, ces stratégies sont complexes et leur influence sur le déroulement de
la carrière des juges qui ont quelque ambition ne doit pas être méconnue18.
En 1999, la revue Justices publia dans son premier numéro un entretien avec
deux anciens ministres de la justice, Henri Nallet (1990-1992) et Jacques
Toubon (1995-1997) sur la réforme de la justice19. La concordance de leurs
réponses sur l’attitude des responsables politiques envers la justice mérite d’être
notée. Jacques Toubon cita « une grande indifférence des dirigeants politiques
à l’égard du droit et de la justice ». Henri Nallet fit état de « l’absence totale de
soutien des dirigeants politiques à tout projet de réforme substantielle de la
justice ». Il mentionna aussi « une méconnaissance profonde du monde
judiciaire, une volonté de ne pas le connaître et une relation qui s’alimente de
la défiance, voire du soupçon » et en donna l’explication suivante : « [I]ls en
sont restés à la figure révolutionnaire de la production du droit et de la justice.
Pour eux les élus font la loi et le juge l’applique20. » Trois ans plus tard, Me
Daniel Soulez Larivière parlait de « cette fureur rentrée du monde politique à
l’égard de ce nouvel acteur politique21 ». Hubert Haenel, sénateur, parle de
« certains de [s]es collègues parlementaires de tous bords politiques qui ont le
sentiment, à [s]on avis à tort, qu’il existe une sorte de conjuration des juges22 ».
Si ce constat reste exact, il faut le compléter et le nuancer en faisant état
d’éléments déjà présents en 1999 et encore plus visibles aujourd’hui : la
montée des affaires politico-financières et la fin de l’impunité, qui inquiète les
milieux politiques ; la fin de la souveraineté politique du Parlement, qui accroît
le sentiment de dépossession ; enfin les signes d’une nouvelle attitude, plus
attentive, mieux informée, des parlementaires envers l’institution judiciaire.
Le grand tournant est ici celui des années 1990, qui voient l’arrivée au grand
jour devant la justice d’une série d’affaires politico-financières : celles du
Carrefour du développement, des emplois fictifs de la Ville de Paris, du
financement illicite des campagnes électorales, ainsi que diverses affaires de
marchés publics et de corruption, de commissions et de rétrocommissions. Les
plus hauts personnages de l’État sont mis en examen : président de la
République, ancien Premier ministre, président du Conseil constitutionnel,
ministres et anciens ministres, parlementaires, élus locaux, hauts
fonctionnaires. En un mot, le début de la fin des immunités, de fait ou de
droit, dont bénéficiaient ou croyaient bénéficier les responsables publics.
La loi du 15 janvier 1990 sur la limitation des dépenses électorales et la
clarification du financement des activités politiques contenait une réforme
bienvenue du financement de la vie politique, mais aussi, au titre des
« dispositions diverses », pavillon qui recouvre parfois des marchandises
suspectes que l’on tente de dissimuler, une amnistie. Elle fut ressentie – avec
raison – par les magistrats comme un scandale mêlé au cœur même d’un aveu.
Henri Nallet, alors ministre de la Justice, écrit à ce sujet :
J’ai vécu au cœur de cet affrontement. J’ai pu en mesurer l’extraordinaire violence, découvrir la
profondeur de l’incompréhension et du mépris mutuel des deux autorités en lutte pour le pouvoir.
Dans le traitement de ces « affaires », je me suis heurté à la persistance d’une conception
monarchique du pouvoir d’État chez la plupart de nos responsables politiques, qui s’enracine dans
une culture juridique traditionnelle sur la place de la loi et sur la légitimité exclusive du suffrage
universel dans la démocratie républicaine23.
UN PARTAGE DE L’AUTORITÉ ?
Les magistrats ne sont pas les seuls agents publics. Avant de commenter le
mode de gestion qui leur est propre, il faut faire le point sur celui des autres
personnels de l’État.
Le principal modèle est celui de la fonction publique, caractérisé par
plusieurs éléments : un égal accès selon le mérite, le principe hiérarchique ; la
nomination aux emplois supérieurs à la discrétion de l’exécutif, c’est-à-dire du
président de la République et du Premier ministre ; la gestion des différents
corps fortement tempérée par divers facteurs juridiques et sociaux (un statut
général des fonctionnaires très protecteur29 – de 1946 à aujourd’hui, en passant
par les textes de 1959 et de 1983, la continuité est totale – renforcé par la
jurisprudence administrative) ; le rôle des commissions administratives
paritaires en matière de discipline et de mutations ; le poids de syndicats
puissants et agissants. Plusieurs variantes existent : l’une d’elles est représentée
par le statut des militaires, qui exclut le droit syndical et le droit de grève. À
l’extrême opposé, le statut des professeurs d’université repose sur une très forte
tradition d’autonomie30 et le choix effectué par les pairs au niveau national et
local. La cooptation à deux niveaux y est la règle générale : au niveau national,
inscription par le Conseil national des universités31 des titulaires d’un doctorat
sur la liste d’aptitude aux fonctions de maître de conférences et des titulaires
d’une habilitation à diriger des recherches sur la liste d’aptitude aux fonctions
de professeur. Au niveau local a lieu l’élection par des commissions
d’université32 à des postes dont la vacance a été publiée au Journal officiel. Pour
les disciplines juridiques et de sciences politique et économique ainsi que pour
la médecine et la pharmacie, les professeurs sont recrutés par un concours
d’agrégation et leur première affectation est décidée par le ministère, sans
élection locale. En revanche, les mutations ultérieures relèvent de la cooptation
locale.
Et les magistrats ?
L’héritage napoléonien a pesé très lourd : une structure quasi militaire et une
hiérarchie très centralisée au profit du ministère de la Justice et du parquet.
Selon l’article 57 de l’ancien Code d’instruction criminelle, « [l]e juge
d’instruction sera, quant aux fonctions de police judiciaire, sous la surveillance
du procureur général près la cour d’appel », qui pouvait lui infliger un
avertissement (cf. art. 280). Cet homme, tout puissant, selon Balzac,33 était
décidément bien surveillé. Ni cadre constitutionnel, ni statut de la
magistrature. La soumission tempérée par la tradition et la coutume34.
Jusqu’en 1946, rien ne changea. En 1946, la Constitution créa un Conseil
supérieur de la magistrature responsable de la nomination des magistrats du
siège. Il était l’émanation du Parlement, c’est-à-dire des partis politiques,
auxquels on faisait sa cour, et il se déconsidéra35.
À partir de 1958, plusieurs changements d’envergure prennent place. Un
statut de la magistrature est enfin adopté en 1958. Une école, l’École nationale
de la magistrature, est créée par étapes (1958-1970), réforme capitale. La
modification, en 1993, de la composition et des compétences du CSM en est
une autre. La tendance de fond est claire, pour qui veut bien mobiliser sa
mémoire – ce qui n’est interdit à personne – et considérer le sens général de
l’évolution au-delà de l’actualité : c’est celle de l’affirmation des « libertés
judiciaires »36, de l’émancipation progressive de la magistrature par rapport au
pouvoir exécutif et de la consolidation, dans l’ensemble, des moyens de son
indépendance. Au fond, derrière l’affirmation de leur attachement à
l’indépendance de la magistrature, c’est bien ce qui inquiète beaucoup de
responsables politiques de tous bords. On le vit bien en 1999, à propos du
parquet, lors de la discussion au Parlement et de l’adoption du projet de loi du
ministre de la Justice, Élisabeth Guigou, supprimant les instructions
individuelles du ministre de la Justice adressées au parquet. Les réticences
vinrent de tous les partis.
Restent des zones, substantielles, de maîtrise de l’exécutif : la nomination
discrétionnaire aux emplois de direction du ministère de la Justice ; la
mainmise sur les postes du parquet jugés « stratégiques » (notamment, mais
non exclusivement, ceux de procureur de la République et procureur général à
Paris, de procureur dans les tribunaux de la périphérie et de procureur général).
Quant au fonctionnement de la justice, notamment pénale, la portée des
moyens qui peuvent être utilisés pour retarder ou orienter le cours d’une
affaire – ils existent37 – est largement surestimée par l’opinion. Les croyances
dans ce domaine comme dans d’autres ont la vie dure, parce que certaines
interventions ne sont que trop visibles38. La pratique a varié, à gauche comme à
droite. La plupart des ministres de la Justice ont fait l’expérience, souvent à
leurs dépens, du caractère résiduel et vain de ces actions subalternes de
retardement. Mais la tentation et souvent l’injonction venue de très haut sont
là.
Au-delà de ces combats d’arrière-garde, souvent aussi spectaculaires que
dérisoires, demeure l’essentiel, c’est-à-dire l’acquis d’une émancipation
progressive de la magistrature par rapport aux deux autres pouvoirs.
Voici donc un corps de plus de 8 400 magistrats39. Qui va décider de leur
statut ? Comment vont-ils être recrutés, formés, affectés tout au long de leur
carrière ? Qui va décider de leur avancement, exercer au besoin des poursuites
disciplinaires, les sanctionner en cas de faute ? Pour eux, comme pour les
pouvoirs publics, pour les justiciables et pour la nation, l’enjeu est
considérable. Il s’agit en effet d’un service public essentiel. Les pouvoirs publics
ont l’obligation d’en assurer le bon fonctionnement. Comment ? En lui
assurant les moyens humains et matériels nécessaires ; en faisant en sorte que la
gestion des magistrats et celle des juridictions concourent à la qualité de la
justice à rendre, dans le respect des principes fondamentaux et de ce qu’on
pourrait nommer un ordre public judiciaire de base. Toute institution, et
notamment tout service public, possède son ordre public propre. Comment un
service public tel que la justice, qui concourt au maintien d’un ordre juste,
pourrait-il faire exception ? Autant le dire clairement : à l’heure du
consumérisme, la légitimité de l’institution judiciaire dépend comme jamais
auparavant, en dernier ressort, de la qualité de son fonctionnement et de ses
décisions. Tout ce qui y concourt doit être respecté et encouragé, tout ce qui lui
nuit évité et écarté.
Le partage du pouvoir :
anatomie et physiologie d’un concordat
Ce partage a une double origine : les textes (la Constitution, le statut de la
magistrature, la loi organique sur le CSM) et la pratique, qui a évolué. Il
implique plusieurs acteurs : le Parlement, le pouvoir exécutif, la commission
d’avancement et le Conseil supérieur de la magistrature, deux institutions dans
lesquelles le corps judiciaire est très largement représenté.
Le Parlement
À son pouvoir législatif et budgétaire s’ajoute un pouvoir de contrôle. Au
titre du premier, il vote le statut de la magistrature, contenu dans une loi
organique (l’ordonnance du 22 décembre 1958, modifiée très fréquemment
depuis un demi-siècle), ce qui déclenche automatiquement le contrôle du
Conseil constitutionnel. Il adopte chaque année le budget du ministère de la
Justice. Il vote les lois de réforme judiciaire issues le plus souvent des projets du
gouvernement. C’est à leur sujet que les débats les plus approfondis ont lieu.
Ses pouvoirs de contrôle s’exercent de plusieurs façons. D’abord par la
création de commissions d’enquête ou de missions d’information40. Elle a
conduit à la publication de rapports de qualité qui ont honoré le Parlement par
la richesse des informations, des auditions et des propositions41. Le Parlement
donne son avis sur la nomination par le président de la République et les
présidents de chaque Assemblée de deux membres du CSM. Enfin, les
questions écrites ou orales posées par les parlementaires peuvent être un moyen
de contrôle. Le nombre de celles qui concernent les prisons et la condition des
détenus augmente, on l’a vu, signe d’un intérêt accru des parlementaires. Ces
derniers ont, depuis la loi du 15 juin 2000, le droit de visiter les établissements
pénitentiaires de leur ressort. Ceci expliquerait-il cela ? Ce droit s’étend aux
zones d’attente et aux centres de rétention administrative. Il serait intéressant
de disposer de statistiques sur la fréquence de leurs visites.
À cette raison de principe s’ajoute une raison objective : les pouvoirs réels des
présidents de la République et l’utilisation qu’ils en font. Celle-ci ne date pas
d’aujourd’hui, loin de là. Si on en veut des preuves écrites, on se reportera,
pour la période immédiatement postérieure à 1981, à un article d’Alain
Bancaud44, où on lira dans le détail les interventions directes de l’un des
présidents de la République concernant trois domaines : d’abord les
nominations (parquet, certaines directions du ministère de la Justice, CSM).
On y mesure le poids des recommandations ; puis l’exécution des décisions de
justice par l’exercice du pouvoir de grâce et, par l’intermédiaire du ministre de
la Justice, la libération conditionnelle ; enfin les interventions dans les affaires
de toute nature, et jusqu’aux plus humbles, au moyen d’une conception
instrumentale habituelle du parquet. Il n’existe aucune raison de penser qu’il
en aille autrement depuis. La différence réside dans les limites que rencontrent
aujourd’hui de telles interventions. Ce qui reste réel, c’est le poids de l’Élysée,
en particulier pour les nominations au parquet du tribunal et de la cour
d’appel de Paris et celles des procureurs généraux.
Le ministre de la Justice
Son rôle est très étendu45. Il a l’initiative des projets de textes (lois et décrets)
concernant la justice. Cependant, ce ministère n’a jamais été le « grand
ministère du droit » : le droit fiscal et économique relève du ministère de
l’Économie, le droit social et celui du travail des ministères concernés, etc. La
procédure pénale, le droit pénal et le droit de la nationalité ont été de plus en
plus partagés, ces dernières années, avec le ministère de l’Intérieur du fait du
poids politique de ce dernier. Le ministère conserve la maîtrise du droit des
personnes et de la famille et du droit civil. Dans les pouvoirs du ministère, on
peut distinguer, trois ensembles.
Le premier concerne la gestion du service public de la justice. Le ministère
prépare son budget et assure son exécution, de plus en plus déconcentrée au
niveau des cours d’appel. Il décide de la répartition des moyens et des
ressources qui leur sont affectées. Les chefs des cours d’appel les répartissent
ensuite entre la cour et les juridictions de première instance46. Le ministère gère
directement deux directions parmi d’autres, aux effectifs considérables : celle de
la protection judiciaire de la jeunesse et celle de l’administration pénitentiaire
(près de 65 000 détenus et plus de 20 000 agents). C’est le ministère qui
décide de la carte judiciaire, de la nature, de la compétence et du ressort des
juridictions. Plusieurs écoles relèvent de lui : ENM, École nationale des greffes,
École nationale de l’administration pénitentiaire, École nationale de la
protection judiciaire de la jeunesse. Il nomme leurs directeurs et les enseignants
et décide du programme des études.
L’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ), directement rattachée
au ministre, appelle un commentaire particulier. Son importance n’a cessé de
croître. Son histoire, qui mérite d’être connue47, conduit à plusieurs constats,
dont celui-ci :
La justice, avec le ministère des Affaires étrangères, représente ainsi le département qui adopte le
plus tardivement et avec beaucoup d’aléas le système d’inspection générale48.
La commission d’avancement
L’entrée dans la magistrature se fait en général très tôt. Les intéressés sortent
de l’ENM pour la plupart entre vingt-cinq et trente ans. Les autres modes
d’accès sont les concours de recrutement ouverts aux personnes possédant
certaines qualifications et l’intégration directe après avis conforme de la
commission d’avancement54. La carrière des magistrats va donc se dérouler
pendant une quarantaine d’années, au sein d’un corps judiciaire divisé en trois
catégories : 2e grade (début), 1er grade et hors hiérarchie55. L’exercice de
certaines fonctions est subordonné à des conditions liées à l’appartenance à un
grade donné et à une mobilité. Les magistrats du 2e grade ne peuvent avancer
que s’ils sont inscrits au tableau d’avancement, établi chaque année par la
commission d’avancement. Celle-ci a deux ordres de compétences. Elle établit
les listes d’aptitude à certaines fonctions. L’intégration directe dans la
magistrature (en dehors des concours) est subordonnée à son avis conforme.
Deux insuffisances sont à relever ici. La première concerne la procédure, qu’il
s’agisse de la qualité de l’instruction des candidatures par les parquets généraux
des cours d’appel ou de l’examen des dossiers – et des candidats – par la
commission. La seconde insuffisance a trait au niveau des postes offerts à ces
candidats. La commission comprend dix-neuf membres, dont seize magistrats
élus par leurs collègues56. Le corps judiciaire, par l’intermédiaire de ses
représentants et des syndicats qui ont contribué à leur élection, y joue donc un
rôle prépondérant. C’est une source de pouvoir.
RÔLE DU
CATÉGORIE POURCENTAGE D’AVIS NON CONFORMES OU NÉGATIFS
CSM
Magistrats Avis
2,5 % d’avis non conformes (2009)
du siège conforme
2,43 % d’avis défavorables en 2007 64 % d’avis négatifs non suivis par le
Magistrats Avis
(2 % d’avis défavorables en 2009 : garde des Sceaux (tous les avis négatifs
du parquet simple
13 sur 655) ont été suivis)
Et la juridiction administrative ?
Effectifs
La qualité de la justice rendue dépend aussi d’une bonne gouvernance de ce service public. En dernier
ressort, la légitimité même de la justice, aux yeux de l’opinion publique, est liée à cette qualité. C’est dire
l’importance de l’enjeu. Or, pour des raisons historiques, l’idée de gouvernance de la justice est
relativement récente dans l’institution judiciaire, que ce soit à l’administration centrale, dans les
juridictions ou pour les magistrats. Tout se tient ici, de l’accueil des justiciables à l’exécution des décisions.
S’ils sont nécessaires, les indicateurs mis en place aujourd’hui sont aussi insuffisants. On examinera
d’abord la question des chefs de juridiction – leur formation et la dyarchie –, puis celle du statut des
membres du parquet.
C’est l’un des aspects du problème de la dyarchie, qui sera abordé plus loin.
Les magistrats
C’est dans ce contexte – auquel il faut joindre le climat politique de ces dix
dernières années, marqué par le mépris affiché du pouvoir exécutif envers
l’institution judiciaire et plus particulièrement les magistrats – que les
questions relatives à la gouvernance de l’institution judiciaire se sont posées. La
coïncidence est fâcheuse.
Ils ont été analysés dans plusieurs études15. Il s’agit de permettre aux
juridictions de s’évaluer, de faciliter les comparaisons et de fournir de meilleurs
outils au ministère de la Justice. Cette démarche inclut la qualité de chacune
des étapes du processus judiciaire, de l’accueil des justiciables à l’exécution des
décisions. Elle s’applique à l’ensemble des actes et des comportements relatifs à
l’institution judiciaire, ceux des magistrats, des personnels des greffes et des
auxiliaires de la justice. On en revient à l’essentiel : « La qualité est le meilleur
instrument de légitimation dans notre société démocratique, qui demande des
comptes à ses élites16. »
Il s’agit bien de la qualité de la justice, notion qui retient de plus en plus, à
juste titre, l’attention au niveau national et international, où les études
comparées se multiplient17.
De plus, et plus gravement, les relations entre les chefs de juridiction et les
autres juges en sont directement affectées. Écoutons un chef de juridiction :
Il est normal de mesurer les coûts, de demander à ceux qui engagent les deniers de l’État de
rechercher l’optimisation de la dépense et de rendre compte des résultats obtenus. D’ailleurs, cette
approche gestionnaire n’a pas pour inéluctable conséquence de nier la complexité de l’acte de juger
et de tout ramener à des abstractions simplificatrices. Elle met simplement en avant la nécessité de
mesurer les choses. Ce qui ne se mesure pas n’existe pas dans une approche gestionnaire. En réalité,
l’approche gestionnaire inquiète à l’heure actuelle, car elle n’en est qu’au stade de ses balbutiements.
En effet, les instruments d’analyse de la complexité de l’activité juridictionnelle n’existent pas
encore. La plupart des indicateurs de la qualité du jugement et de la charge de travail25 ne sont qu’à
l’état d’ébauche […]. En matière d’indicateurs de l’acte de juger, les indicateurs permanents restent à
construire26.
[…]
Le danger n’est pas tant les réformes en soi que l’illusion technocratique que l’on peut en
précipiter la mise en œuvre et en mesurer très rapidement les effets bénéfiques, sans craindre qu’elles
ne produisent d’autres effets pervers que ceux résultant d’une carence des gestionnaires de terrain ou
du corporatisme des magistrats […]. Si un risque de césure apparaît entre les « magistrats juges » et
les « magistrats administrateurs », c’est peut-être l’indice d’un manque de dialogue au sein des
juridictions et d’une insuffisante attention apportée par certains chefs de cour et de juridiction à la
qualité du jugement (au sens large) au sein de leur ressort. S’ils donnent le sentiment, à tort ou à
raison, qu’ils ne sont préoccupés que par l’aspect quantitatif et statistique de l’activité
juridictionnelle, ils envoient nécessairement un message mal ressenti par leurs collègues qui y voient
le signe qu’ils méconnaissent (ou qu’ils ont oublié) la complexité de l’acte de juger et qu’ils résument
leur vision du « bon juge » à celle d’un magistrat parvenant à « évacuer »27 un grand nombre
d’affaires28.
Ce qui revient à dire que ces chefs de juridiction ne peuvent s’adresser aux
fonctionnaires du greffe que par l’intermédiaire du directeur du greffe. Quelle
est l’origine de ce système ? Pierre Joxe, premier président de la Cour des
comptes, explique :
L’attribution aux greffiers en chef de pouvoirs propres de gestion […] me paraît remonter pour
l’essentiel à l’époque antérieure à la fonctionnarisation des greffes initiée en 1965, lorsque le greffier
en chef était l’employeur privé du personnel administratif d’une juridiction31.
Certes, mais le texte précité, qui remonte à 1983, a été qualifié de « véritable
“Yalta” judiciaire entre les magistrats et les greffiers en chef » par Philippe
Lemaire, procureur de la République à Lille32. Sa rédaction, note-t-il, « est la
négation même du principe d’autorité ».
De la triarchie, on est passé à la tétrarchie avec le service administratif
régional (SAR) mis en place par une circulaire en 1996. Il a fallu douze ans
pour que le décret du 2 juin 2008 officialise enfin ses missions et le statut de
son directeur33. À l’arrière-plan, on décèle un problème de fond : l’absence de
définition des métiers et des missions du greffe des juridictions et donc des
relations des greffiers avec les magistrats et les fonctions juridictionnelles34.
Faut-il, d’ici qu’intervienne cette redéfinition, placer au fronton des cours
d’appel la statue du groupe des Tétrarques, qui se trouve aujourd’hui à la
basilique Saint-Marc de Venise et qui provient de Constantinople ?
Revenons à la dyarchie. Elle est critiquée depuis longtemps, à l’extérieur
comme à l’intérieur de l’institution judiciaire. Selon un rapport parlementaire,
elle est remise en cause de façon récurrente, dénoncée par les magistrats du
siège et revendiquée par ceux du parquet35. Le temps est venu de sortir de ce
système, et ce, pour différentes raisons. Tout d’abord, il est incompréhensible
de l’extérieur, notamment par les responsables des autres services publics de
l’État (préfet, etc.). Il brouille la perception de l’institution judiciaire, au
moment où elle a besoin d’être restaurée. De plus, aucun service public n’est
géré de la sorte. Cela n’empêche pas, dans les discours de rentrée judiciaire ou
d’installation des chefs de juridiction, son éloge rituel et convenu. En dehors
même de ce cadre, la conférence nationale des procureurs généraux a affirmé,
en 1999, que la dyarchie était « une école de sagesse, d’écoute et
d’honnêteté36 ». Si cette appréciation était exacte, il conviendrait de généraliser
d’urgence ce mode de gestion aux autres services publics, qui ignoraient
jusqu’ici ses vertus cachées. Or, bien souvent, la dyarchie est source de
tensions37, de lourdeurs, de désordres ou de délais, alors que la gestion des
juridictions requiert une attention particulière38. La dernière raison a été très
bien énoncée par Philippe Lemaire, procureur de la République à Lille, dans le
rapport déjà cité :
Fruit de notre histoire judiciaire, cette dyarchie est en réalité assez récente dans ses conséquences
de gestion […]. Cette dyarchie est au commencement purement judiciaire. Elle ne pose alors aucun
problème dans la mesure où les compétences des procureurs et des juges sont déterminées par les
Codes de procédure civile et pénale. En matière d’administration des juridictions, la dyarchie
n’existe pas jusqu’à la nationalisation des greffes en 1967, et surtout jusqu’au transfert des charges à
l’État. Jusqu’à ces dates, le président fait de l’administration judiciaire (les juges et les audiences), le
procureur administre son parquet pour lequel il est le seul à disposer de fonctionnaires de justice, et
le greffier, officier ministériel, gère son office ministériel. Les moyens budgétaires et les équipements
immobiliers sont gérés directement par les collectivités territoriales (départements et communes),
l’État n’ayant à sa charge que les cours d’appel et la Cour de cassation, qu’il gère directement depuis
les services de l’administration centrale du ministère de la Justice.
Il ajoute :
La notion de dyarchie devient importante en 1983 à partir du moment où l’État finance
désormais la globalité des dépenses du ministère de la Justice, avec ses procédures comptables et
financières et ses responsables locaux, le préfet, et le trésorier-payeur général. En matière de gestion, la
dyarchie est fille du transfert des charges39.
Il existe une double hiérarchie dans les juridictions : celle des juridictions
entre elles et, à l’intérieur de chacune, celle qui est représentée par les chefs de
juridiction (président et procureur dans les tribunaux de grande instance,
premier président et procureur général dans les cours d’appel). Leur mode de
nomination, de formation et d’évaluation ne correspond pas à l’étendue de
leurs responsabilités. En 2007, un rapport de Guy Canivet a fait le point à ce
sujet. Le constat est clair :
À l’heure actuelle, la nomination des présidents et des procureurs intervient sans évaluation
méthodique de leur aptitude à la direction des services, tandis que leur formation spécifique n’est
dispensée qu’après leur nomination42.
Le rapport 2010 précise : « Il ressort des contrôles effectués qu’il n’existe pas
d’espaces de concertation interne autres que les assemblées générales annuelles
réunies, même si ce constat doit être modulé au regard de la taille des
juridictions contrôlées, ce qui permet, pour les moins importantes d’entre elles,
de privilégier les échanges informels53. » Un autre rapport constatait dans les
juridictions l’existence d’un
grave déficit dans le domaine des relations sociales et du dialogue social, phénomène général en
France. Magistrats et fonctionnaires vivent plutôt à côté les uns des autres qu’ensemble.
L’encadrement ne s’implique pas suffisamment, sauf exception, dans la gestion des ressources
humaines54.
Un métier transformé
En 1993, la loi est modifiée. Les instructions devront être écrites et versées
au dossier85. En 1996, Michel Jéol, ancien directeur des affaires criminelles au
ministère de la Justice et ancien procureur de la République de Paris, rappelle
la nécessité des instructions et leur pleine légitimité, refusant de distinguer
entre instructions générales et instructions particulières (« l’action publique ne
se divise pas ») et entre « ordre de poursuite et ordre de classement »86. La
même année, le ministre de la Justice, Jacques Toubon affirme devant les
procureurs généraux :
En matière pénale, il résulte […] de l’article 36 du Code de procédure pénale que le garde des
Sceaux a le pouvoir d’enjoindre l’exercice de poursuites et non celui d’y faire obstacle : avec la
majorité des juristes, j’estime qu’il m’est interdit en l’état de notre droit de donner à un parquet
l’ordre de ne pas poursuivre. En revanche, il est utile, et parfaitement conforme aux textes en
vigueur dans leur lettre et dans leur esprit, que le ministère de la Justice puisse, le cas échéant, faire
savoir à un parquet les raisons qui ne rendraient pas souhaitable, de son point de vue, l’exercice de
poursuites : mais cette information ne saurait s’interpréter comme un ordre auquel le parquet devrait
déférer87.
Il considérait que
les instructions individuelles peuvent présenter un intérêt dans le cadre de certaines affaires civiles,
commerciales ou pénales. En effet, le ministre de la Justice peut légitimement voir un intérêt à
veiller à l’application homogène de la loi dans des matières civiles90.
Le déroulement de la carrière :
une exception française
aujourd’hui remise en question
Les magistrats du siège et ceux du parquet font tous deux partie du corps
judiciaire109, de l’autorité judiciaire selon le Conseil constitutionnel110. Pour le
déroulement de leur carrière, ils peuvent librement passer du siège au parquet
et inversement, dès lors qu’ils satisfont aux conditions requises par le statut. La
France est, avec l’Italie et, en partie, la Belgique111, le seul pays européen où un
tel passage est possible. Il suscite l’étonnement. Cette faculté de passer d’une
fonction à une autre est aujourd’hui remise en question, et ce, pour plusieurs
raisons. D’une part, il s’agit de deux métiers de plus en plus différents, qui ne
sont pas soumis aux mêmes logiques. D’autre part, la possibilité de passer
d’une fonction à l’autre crée, aux yeux des justiciables et de l’opinion, un risque
de confusion propre à engendrer le soupçon. De ce problème d’intelligibilité
naît une question de crédibilité pour la justice. Enfin, un débat existe à
l’intérieur même du corps judiciaire. Certes, l’attachement à l’unité du corps
judiciaire est proclamé. Un magistrat a pu parler de « l’affirmation publique et
parfois compulsive de l’unité du corps judiciaire »112. À chacun de méditer ce
qu’en dit le CSM :
On peut penser que les magistrats, qui savent bien que l’unité du corps judiciaire est au départ
une fiction juridique – procédé consistant à supposer un fait ou une situation différents113 de la
réalité pour en déduire des conséquences juridiques –, en viennent désormais à se dire que c’est une
fiction tout court114.
CONCLUSION
L’institution judiciaire doit rendre compte de son action, mais il lui faut aussi protéger la fonction
juridictionnelle contre ce qui pourrait l’atteindre ou l’entraver. Les candidats ne manquent pas. Il
convient de prendre en considération l’ensemble de ce service public : ministre, magistrats et
fonctionnaires. La responsabilité de l’État en matière de justice peut aujourd’hui être mise en cause devant
les tribunaux. Le juge a joué, ici aussi, un rôle créateur dans le développement de ce droit de la
responsabilité conduisant à une indemnisation. Pour affermir le sens de la responsabilité des magistrats, il
faut mieux les former et les informer, et se donner les moyens d’une action disciplinaire cohérente. Le sens
des responsabilités possède aussi une dimension particulière au niveau des juridictions, on verra en quoi. Il
faut enfin créer un mode de traitement national homogène des réclamations concernant la justice.
LA RESPONSABILITÉ DE L’ÉTAT :
DEUX ACQUIS ESSENTIELS
On peut aujourd’hui mettre en cause devant les tribunaux la responsabilité
de l’État en matière de justice et être indemnisé de deux façons : en cas de
détention provisoire non suivie de condamnation et pour mauvais
fonctionnement du service de la justice.
Elle suggérait la diffusion des décisions aux chefs de cour et aux présidents de
chambres de l’instruction compétents, « pour faciliter l’exercice de leurs
pouvoirs d’évaluation, d’inspection, voire d’avertissement »16. En quelques
mots, tout était dit. Lydie Görgen, avocat général à la cour d’appel de Paris, a
constitué en 2010 une banque de données jurisprudentielles relative au
contentieux de cette réparation faisant le bilan de dix années d’application de
la loi du 15 juin 200017. Ces données ont été diffusées aux premiers présidents
de cour d’appel et aux procureurs généraux. Les ont-ils adressées à tous les
magistrats, et tout particulièrement aux présidents des chambres de
l’instruction, juges d’appel des décisions des JLD, à ces derniers, et au parquet ?
On aimerait le savoir.
La responsabilité de l’État
dans le fonctionnement défectueux
du service de la justice
Les deux verrous posés en 1972 avaient sauté. Comme le notait l’année
précédente le CSM,
À l’absence justifiée d’action directe de la victime contre le magistrat auteur d’une faute
personnelle […] doit correspondre un élargissement des conditions de mise en œuvre de la
responsabilité de l’État21.
Propositions de réforme
Voici donc deux lois : celle de 1970, modifiée en 2000, sur l’indemnisation
pour détention provisoire non suivie de condamnation, et celle de 1972 sur la
responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux du service de la
justice, et aussi deux jurisprudences, par lesquelles les juges les ont interprétées
et appliquées. Ces deux textes se rapportent tous deux à la responsabilité, au
sens large du mot, de l’État du fait du fonctionnement de la justice. Leur
application a été influencée par la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme. Dans les deux cas, un juge civil statue et répare un
dommage, au-delà des personnes dont les actes ou les abstentions ont été à
l’origine de ce dernier. De quoi s’agit-il, à la vérité, sinon d’apprécier, au regard
de la loi, la qualité de la justice et d’en tirer les conséquences en matière de
responsabilité et d’indemnisation ? En cela, ces deux réformes et la
jurisprudence qui a suivi49 sont porteuses d’une novation profonde que leurs
auteurs ne soupçonnaient probablement pas.
Autre exemple : lorsque l’État est condamné pour perte d’un dossier – cela
arrive –, il faut regarder du côté du greffe, mais aussi du magistrat chargé du
dossier. Le service public de la justice est un tout. À cette vérité juridique
correspond du reste la perception qu’en ont l’opinion en général et ses usagers
en particulier. C’est donc ce niveau institutionnel de responsabilité qu’il faut
mettre en relief, en utilisant la jurisprudence déjà citée.
En vue de mieux assurer le respect par les magistrats de leurs obligations
déontologiques, la formation initiale et continue doit leur fournir une
armature intellectuelle et des références utilisables par la suite, en exposant les
notions fondamentales avec clarté et fermeté. Tout indique la nécessité d’une
telle action. Il existe en effet chez les magistrats une forte demande et une
attente légitime à cet égard. Pourquoi ? Guy Canivet a répondu à cette
question en 2006, lors de la rentrée solennelle de la Cour :
[P]arce qu’il doit résister à toutes formes de pouvoirs et de puissance, parce qu’il est recruté très
jeune et investi très tôt des plus grandes responsabilités, parce qu’il n’est pas toujours armé pour se
protéger de la tentation du héros purificateur, ou, au contraire, parce qu’il est guetté par l’habitude,
le renoncement, le cynisme, la fatigue, la paresse ou l’encombrement, le juge a besoin de repères
éthiques précis, forts et solides51.
En effet.
La même année, on doit à l’ENM une excellente initiative, la création d’un
atelier de formation continue, dirigé en 1998-1999 par Dominique
Commaret, avocat général à la Cour de cassation. Il en est résulté une étude de
très grande qualité, dont les constats et les conclusions restent valables
aujourd’hui53. Comment mener convenablement une telle action ? Didier
Boccon-Gibbod, avocat général à la Cour de cassation, et Christian Vigouroux,
président adjoint de la section du contentieux du Conseil d’État54 l’ont dit
dans deux exposés prononcés en 2011 lors de la première session du cycle
supérieur d’administration de la justice, déjà mentionné. Je résume : loin de
tout discours moralisant et du cours magistral, ils affirment que le métier de
magistrat est aujourd’hui un métier exposé, au double sens du terme, que le
respect par lui de la déontologie est un des éléments de sa légitimité, que ce
respect, au-delà de la lettre des textes, consiste d’abord à ne pas fermer les yeux,
à s’interroger, à être conscient à temps d’un problème, par exemple d’un risque
de confusion, même en deçà de la notion d’un conflit d’intérêts, tout cela au
nom des valeurs que les textes expriment. Ces obligations sont redoublées, il
faut malheureusement le redire, pour les chefs de juridiction, à commencer par
l’indispensable veille, déontologique, loin des tentations de l’attentisme et du
silence. Pour assurer une telle formation, la jurisprudence disciplinaire et celle
qui concerne la responsabilité de l’État ne manquent pas d’illustrations
concrètes.
L’objectif est simple : énoncer clairement les normes fondamentales dans des
textes accessibles à tous. Que trouvera, dans son paquetage, le nouveau
magistrat qui sort de l’ENM ? Il ouvrira le statut de la magistrature et y lira, à
l’article 6, le texte du serment qu’il prêtera lors de sa nomination à son premier
poste55. Il y constatera ensuite, à l’article 10, trois interdictions :
Toute délibération politique est interdite au corps judiciaire. Toute manifestation d’hostilité au
principe ou à la forme du gouvernement de la République56 est interdite aux magistrats, de même
que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs
fonctions.
Une action disciplinaire cohérente est plus et autre chose que l’addition des
poursuites engagées et des décisions prises. Elle suppose, pour l’autorité qui
déclenche la poursuite et pour celle qui décide, une vue d’ensemble et les
moyens correspondants72. Ici aussi, la justice française revient de loin.
Jusqu’aux dernières années du XXe siècle, les audiences disciplinaires du CSM
n’étaient pas publiques, ses décisions n’étaient pas publiées et aucun document
public n’en faisait état. Héritage d’un temps où tout ce qui touchait à la
discipline était placé sous le signe de l’occulte, du secret, du silence et de la
dissimulation. Comme l’écrit Guy Canivet :
Le système était en réalité fondé sur le présupposé que l’autorité ou le crédit de la justice reposait
sur le silence gardé sur les fautes commises par les juges pour maintenir, par la dissimulation, le
mythe des juges irréprochables73.
Il ajoutait :
Les normes à établir doivent répondre aux quatre besoins des justiciables : être accueilli, être
considéré, voir son litige traité avec attention, voir la décision exécutée78.
Rendre compte
Et d’énumérer :
tribunal de première instance, tribunal d’instance, tribunal paritaire des baux ruraux, tribunal de
commerce, conseil des prud’hommes, tribunal des affaires de Sécurité sociale, tribunal du
contentieux de l’incapacité, juridiction de proximité.
En 1998, Guy Canivet exprimait en ces termes l’idée qui guidait son
allocution de rentrée :
[F]aire publiquement rapport sur l’usage que, durant l’année écoulée, nous avons fait des moyens
mis à notre disposition pour le fonctionnement du service public de la justice, l’occasion d’en
exprimer les difficultés, de dire les préoccupations de ceux qui, toutes catégories associées dans la même
mission, y participent, c’est, enfin, le moment opportun d’esquisser nos lignes d’action pour le
proche avenir91.
Le traitement des réclamations est une affaire sérieuse qui, après avoir été
longtemps négligée, a été traitée jusqu’ici avec légèreté. Il est donc instructif de
résumer cette longue marche inachevée et nécessaire de proposer une réforme.
La justice est un service public. Les attentes de tous ceux qui, à des titres
divers, sont concernés par son fonctionnement se sont accrues. Chaque année,
un nombre élevé de réclamations sont adressées à son sujet aux pouvoirs
publics : président de la République, ministre de la Justice, juridictions,
Médiateur de la République (devenu Défenseur des droits). Elles sont de
contenu et de valeur très divers : certains ont perdu le procès qui était l’affaire
de leur vie et ne s’en consoleront jamais ; d’autres sont des réclamants
d’habitude, qui écrivent à tous, sur tout et tout le temps. D’autres lettres
encore mettent le doigt sur un mauvais fonctionnement de la justice ou sur
une irrégularité grave. Pourquoi cette augmentation des réclamations ? La
réponse a été donnée par un magistrat averti et conscient de l’enjeu :
La justice, dès lors qu’elle abandonne son statut symbolique de pouvoir régalien pour être
considérée comme un service public, fait l’objet de pressantes sollicitations concernant son
fonctionnement. Les procédures comme les agents qui les diligentent tombent dans le statut de droit
commun d’une exigence de qualité relative à l’obligation de moyen comme à l’obligation de résultat.
Comme les autres services publics, la justice doit rendre compte de la qualité de ses processus et de
ses résultats. Pas seulement lors des audiences de rentrée, mais à tout moment, et à un public qui va
du plaignant d’habitude jusqu’à la représentation nationale, dont c’est précisément la mission de
contrôler les administrations. Les plaintes, dont la croissance est spectaculaire dans la période
récente, sont une manifestation significative de cette exigence nouvelle qui appelle parallèlement une
réflexion sur la responsabilité des magistrats et agents du service public de la justice96.
Puisque les indicateurs sont à l’ordre du jour, celui-ci aurait dû faire l’objet
d’une attention particulière. Il n’en fut rien et tel est encore le cas aujourd’hui.
Il n’existe toujours pas de règles générales publiques sur le traitement
systématique, à l’échelle nationale, de ces réclamations (accusé de réception,
enquête, diffusion de ses résultats, suite donnée) et des conséquences à en tirer.
Voici ce qui s’est passé depuis presque vingt ans.
Retracer ces étapes permet de saisir sur le vif le lent cheminement des idées,
la genèse des réformes et les enseignements à en tirer.
En 1993, déjà, le comité présidé par Georges Vedel avait proposé que le
CSM reçoive « dans la limite de ses attributions, toutes plaintes et doléances
relatives au fonctionnement de la justice »98. Vaste programme. En 1999,
l’avant-projet de loi préparé par le ministre de la Justice, Élisabeth Guigou,
prévoyait la création d’une commission nationale d’examen des plaintes des
justiciables. Elle comprenait trois membres, dont deux non-magistrats99. Elle
pouvait être saisie des plaintes de toute personne s’estimant lésée par un
dysfonctionnement du service public de la justice ou par un fait susceptible de
recevoir une qualification disciplinaire commise par un magistrat dans
l’exercice de ses fonctions. Elle s’informait auprès des chefs de cour, mais
l’IGSJ, curieusement, n’était pas mentionnée. Par une décision non susceptible
de recours, la commission pouvait soit ne pas donner suite à la plainte si elle
l’estimait infondée, soit la transmettre au ministre de la Justice ou aux chefs de
cour concernés. Elle informait l’auteur de la plainte de la suite réservée à celle-
ci, ainsi que tout magistrat personnellement visé. Le ministre pouvait ordonner
toutes investigations et engager des poursuites disciplinaires100. La commission
rendait public son rapport.
Ce projet avait deux mérites et comportait deux erreurs. Il était le premier à
émaner du ministère de la Justice. Il partait d’une intuition juste : la nécessité
de créer un organisme national exclusivement chargé du traitement des
réclamations. L’erreur, psychologique autant que juridique, était, d’une part, de
dire que les magistrats seraient minoritaires dans cette commission et, d’autre
part, d’affirmer le lien éventuel entre une réclamation et d’éventuelles
poursuites disciplinaires contre un magistrat. Les magistrats ne virent que ce
second motif de saisine. Il était aisé de prévoir, dans ces conditions, leurs
réactions. Elles ne se firent pas attendre. L’USM parla de « dispositif
d’intimidation des magistrats », d’« inacceptable surenchère de tous ceux qui
redoutent l’action de la justice », de « projet incompatible avec l’indépendance
de la magistrature, qui favorisera les manœuvres de déstabilisation ». Le
Syndicat de la magistrature évoqua « un moyen pour le politique de régler ses
comptes avec la magistrature ». L’Association professionnelle de la magistrature
ne fut pas en reste et parla de « nid à corbeaux, avec l’autorité et le prestige
d’un organisme national, un bureau des délateurs ». Le CSM se déclara hostile
à cette réforme. Selon lui, elle « était de nature à faire peser sur les magistrats
judiciaires une suspicion de comportement fautif que les données objectives ne
permettent pas de confirmer ». Elle permettrait de « tenter de disqualifier une
juridiction ou un magistrat » et comportait « des risques d’atteintes à
l’indépendance de l’autorité judiciaire ». Le CSM estimait que « d’autres voies
pourraient opportunément être recherchées pour concilier un traitement
efficace des réclamations des justiciables et ce principe d’indépendance »101.
Lors de la rentrée du tribunal de grande instance de Pontoise en 2000 son
président, Éric Varaut, critiqua vivement le projet :
En livrant la justice à la vindicte des plaideurs mécontents, ne va-t-on pas permettre une œuvre de
déstabilisation de certains magistrats et encourager la délation102 ?
Fort bien vu, si l’on ose dire. Autant de points qui font précisément l’objet de
rubriques dans la fiche d’évaluation des magistrats. Quelqu’un va-t-il donc en
tirer les conséquences ? Non. Citons encore Vincent Lamanda :
Il existe une pratique consistant à taire les défauts constatés pour pouvoir plus facilement se
défaire, au besoin en avancement, d’un magistrat inefficace. C’est la technique dite du « coup de
pied ascensionnel ». Seules des attitudes harmonisées permettront de mettre fin à ces abus104.
Ce n’est qu’en 2003 que le CSM mentionne, dans une étude sur la
déontologie des magistrats, le traitement des réclamations des justiciables.
Affirmant, lui aussi, qu’elles constituaient « une source d’information très utile
dans la détection d’éventuels dysfonctionnements individuels », il estima
« indispensable la mise en place d’une procédure de traitement systématique
des réclamations des justiciables et de partenaires de l’institution ». Il souhaitait
la centralisation par les chefs de cour, à leur niveau, des réclamations
concernant leur ressort, et le recueil systématique des informations nécessaires
auprès du chef de la juridiction concernée. Pour les mises en cause
individuelles, le magistrat concerné devait être informé et pouvoir fournir tous
éléments d’explication. Sa réflexion s’arrêtait là105.
Le premier rapport de la Commission de réflexion sur l’éthique dans la
magistrature, créée en 2003, consacra au sujet les maigres lignes suivantes :
Le traitement des réclamations émanant des particuliers et visant les magistrats a été considéré par
la commission comme relevant des chefs de cour qui devront, à leur niveau, mettre en place un
service des requêtes106.
L’idée fut reprise plus tard, mais ne prospéra pas. En 2007, le comité présidé
par Édouard Balladur proposa que la sélection des requêtes soit faite par la
direction des services judiciaires du ministère de la Justice.
Le gouvernement avait déposé devant l’Assemblée nationale un projet
modifiant la loi de 1973 sur le Médiateur de la République112. Celui-ci, saisi
d’une réclamation sur le fonctionnement de la justice mettant en cause le
comportement d’un magistrat, la transmettait au ministre de la Justice.
L’Assemblée nationale intégra ce projet au projet de loi organique modifiant le
statut de la magistrature. Le système retenu était le suivant : toute personne
estimant, à l’occasion d’une affaire la concernant, que le comportement d’un
magistrat était susceptible de constituer une faute disciplinaire pouvait adresser
une réclamation à un parlementaire. Celui-ci la transmettait au Médiateur si
elle lui paraissait relever de sa compétence. À son tour, le Médiateur pouvait
demander aux chefs de cour toutes informations utiles et transmettait la
réclamation au ministre de la Justice. Ce dernier était tenu de demander une
enquête aux services compétents avant de saisir éventuellement le CSM. Il en
informait le Médiateur. Toute décision de non-poursuite devait être motivée.
Le génie de la complication et du bricolage avait sans doute inspiré
l’invention de cette fusée à cinq étages. La commission des lois du Sénat la
remplaça par une commission nationale indépendante placée auprès du
ministre et composée d’une majorité de non-magistrats. Le gouvernement
refusa, à tort. Il en résulta un compromis bâclé et peu heureux : le Médiateur
pouvait être saisi directement. Pour l’examen de la réclamation, il était assisté
d’une commission présidée par lui et composée de cinq autres personnes113. S’il
estimait être en présence d’une faute disciplinaire, il transmettait la réclamation
au ministre de la Justice en vue de la saisine du CSM. Si le ministre ne saisissait
pas le CSM, il devait en informer le Médiateur. Le Conseil constitutionnel
déclara ce système non conforme à la Constitution : les pouvoirs attribués au
Médiateur, une autorité administrative, étaient contraires à la séparation des
pouvoirs et à l’indépendance de l’autorité judiciaire114. La décision du Conseil
contenait une précision essentielle sur la question suivante : le statut de la
magistrature peut-il étendre la responsabilité des magistrats à leur activité
juridictionnelle en cas de violation grave et délibérée d’une règle de procédure
constituant une garantie essentielle des droits des parties ? La réponse du
Conseil constitutionnel est double. Cela n’est interdit ni par l’indépendance de
l’autorité judiciaire ni par le principe de la séparation des pouvoirs et est donc
possible. Mais à une condition : que cette violation ait été préalablement
constatée par une décision de justice devenue définitive115, règle très
protectrice.
Puisque l’affaire tournait au concours Lépine, le CSM apporta sa
contribution. Dans son rapport pour 2007, il proposa la création d’une
commission de filtrage des plaintes composée de personnalités qualifiées
désignées par chacune de ses deux formations (siège et parquet). Le CSM
pouvait en outre se faire assister, en cas de besoin, par des « enquêteurs
magistrats » placés sous son autorité. Ils instruisaient les réclamations pour la
commission de filtrage et pouvaient procéder à des investigations à la demande
des rapporteurs du Conseil116.
La réforme nécessaire
Il faut en revenir à l’essentiel, qui dicte le contenu de la réforme. Tout
d’abord, un traitement systématique des réclamations relatives au
fonctionnement du service public de la justice s’impose. La justice ne peut se
soustraire plus longtemps à cette exigence, sauf à accroître le soupçon. Ce
traitement constitue en outre un instrument de connaissance et un outil de
gestion. Ensuite, il faut distinguer le problème général des réclamations de
l’exercice éventuel de poursuites disciplinaires contre les magistrats pour éviter
de répéter l’erreur commise en 1999 et en 2008. Un très grand nombre de
réclamations ne sont pas dirigées contre un magistrat déterminé, mais visent le
fonctionnement général d’une juridiction ou de l’un de ses services. L’essentiel
est là et il ne faut pas l’oublier. De plus, le traitement systématique de
l’ensemble des réclamations doit être confié à un organisme national
indépendant du ministère de la Justice et de toute autre institution, afin
d’éviter la confusion des rôles et de laisser à chacun ses responsabilités. Cela
exclut le CSM et l’Inspection générale des services judiciaires. Mais, pourra-t-
on objecter, aucun autre service public n’est doté d’un tel organisme. C’est
exact, mais c’est la spécificité des pouvoirs de la justice qui l’exige ici, en tenant
pleinement compte d’un fait : le métier de magistrat est, on le dit, un métier de
plus en plus exposé. Confier cette compétence au CSM, dont on restreint par
ailleurs les compétences et modifie le mode de fonctionnement, relève de la
facilité, de la démagogie, et conforte le statu quo. Enfin, la composition et les
pouvoirs d’une telle commission devraient être examinés avec soin afin d’éviter
un risque d’inconstitutionnalité, compte tenu de la décision du Conseil
constitutionnel du 1er mars 2007121. Elle devrait avoir un caractère judiciaire,
et non administratif, et donc être composée de magistrats. Elle examinerait les
réclamations avec le concours de l’IGSJ, de la DSJ et des juridictions, qui lui
serait expressément garanti. Elle transmettrait ses conclusions et
recommandations aux autorités compétentes (ministre, direction des services
judiciaires, IGSJ, CSM, chefs de juridiction). Elle publierait un rapport
annuel.
C’est sans doute à propos des différents aspects de la responsabilité que les
malentendus et les instrumentalisations ont été jusqu’ici les plus visibles, d’où
des préjugés largement répandus, sur fond d’ignorance parfois. Les faire reculer
exige de prendre en considération, il faut le répéter, l’ensemble de ce service
public, ainsi que ses différents acteurs, et de mieux faire connaître les
instruments juridiques qui existent. Des juges déclarent fréquemment l’État
responsable du mauvais fonctionnement de la justice et accordent des
indemnités en conséquence. Il faut aussi, s’agissant des instrumentalisations,
que les responsables politiques renoncent à la démagogie et mesurent mieux
l’enjeu et le danger de tels errements. Il est nécessaire enfin que le respect par
les magistrats des exigences de leur déontologie soit plus visible.
Dans tous ces domaines, la tâche des chefs de juridiction est capitale : de la
veille déontologique à la maîtrise de la communication, ils sont en première
ligne.
La justice tient aujourd’hui dans notre société une place considérable. Tout
indique que ce phénomène et la situation qui en résulte sont dans l’ensemble,
et sous réserve d’aménagements, irréversibles. D’où l’importance des réponses
qui seront apportées à la question : comment maîtriser et améliorer la qualité
de l’intervention judiciaire, et tout particulièrement celle du juge, telle qu’elle a
été analysée ici ? Tout dépendra de l’attitude et des relations de trois acteurs
collectifs : le service public de la justice et l’institution judiciaire, la société et
les responsables politiques.
Conseil constitutionnel
Statut de la magistrature
— déroulement des carrières : dix ans après leur sortie de l’ENM, les
magistrats effectuent un choix définitif entre le siège et le parquet. Les
magistrats en fonction effectuent ce choix à l’occasion de leur prochaine
nomination, des dispositions spéciales seront prévues pour les magistrats
recrutés par concours ou par la voie de l’intégration directe ;
— création d’une commission nationale d’examen des réclamations
composée de magistrats ;
— évaluation des premiers présidents de cour d’appel et des procureurs
généraux près celles-ci par l’inspecteur général des services judiciaires ou un
inspecteur général adjoint ayant le rang de président de chambre ou d’avocat
général à la Cour de cassation ;
— insertion de dispositions concernant les obligations déontologiques des
magistrats (impartialité, diligence, délai raisonnable, etc.) ;
— formation des chefs de tribunaux de grande instance et de cour d’appel
(création d’une formation préalable et d’une formation dispensée
immédiatement après la nomination).
Code de la défense
Ajouter, après l’article L.2312-8 relatif à la décision du ministre refusant de
communiquer à une juridiction un document protégé au titre de secret de la
défense nationale, une disposition prévoyant un recours contre cette décision
permettant son contrôle, assortie d’une procédure spéciale de nature à protéger
ce secret.
REMERCIEMENTS
RÉFÉRENCES CITÉES
ET CE SERA JUSTICE…
LE JUGE DANS LA CITÉ
Roger Errera est conseiller d’État honoraire et ancien membre du Conseil supérieur
de la magistrature. Il est l’auteur de nombreuses études sur les libertés et la justice.
DU MÊME AUTEUR
Z-Access
https://wikipedia.org/wiki/Z-Library
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