Et Ce Sera Justice (Roger Errera (Errera, Roger) )

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ROGER ERRERA

Et ce sera justice…

LE JUGE DANS LA CITÉ


Introduction

Cet essai est né d’une expérience et d’une réflexion. Mon activité


professionnelle m’a conduit à m’intéresser de près à la justice et aux institutions
judiciaires dans des situations et des contextes très divers. Membre du Conseil
d’État jusqu’en 2001, j’ai participé à la préparation et à la discussion de
beaucoup de textes concernant la justice et les magistrats et ai été témoin de la
façon de faire des gouvernements. Au Conseil supérieur de la magistrature
(CSM), lieu de décision et d’observation, j’ai contribué, de 1998 à 2002, à
l’application du statut des magistrats en matière de nominations et de
discipline ainsi qu’aux réflexions de cet organisme et ai participé à ses débats.
De 1988 à 1996, j’ai siégé au conseil d’administration de l’École nationale de
la magistrature (ENM) et ai pu mesurer son rôle. J’y ai dirigé, durant quinze
ans, une session de formation continue sur le droit des étrangers, ce qui m’a
permis de rencontrer des centaines de magistrats et de les écouter. Au ministère
de la Justice, j’ai fait partie de deux commissions créées par Robert Badinter,
garde des Sceaux de 1981 à 1986 : la commission de réforme du statut de la
magistrature et la commission presse-justice, que j’ai présidée. Deux années
passées à Londres et une aux États-Unis, jointes à des contacts réguliers avec
des magistrats étrangers, en Angleterre, en Europe centrale et orientale et en
Israël, au cours de rencontres régulières et de missions officielles, m’ont incité à
prendre quelque recul envers nos institutions judiciaires et à observer, ailleurs
aussi, le poids des cultures juridiques et judiciaires. Chemin faisant, plusieurs
écrits m’ont permis de faire le point sur quelques questions relatives à la justice.
Cette expérience nationale et internationale m’a conduit à suivre de près
l’évolution de la justice française et à réfléchir sur son état.
La justice française est dans une situation grave du fait de la combinaison de
plusieurs éléments :
— Une société dont les attentes et le niveau d’exigence sont accrus, qui
recourt de plus en plus à elle, et qui exprime de plus en plus son insatisfaction
devant son fonctionnement et la qualité insuffisante du service, notamment les
délais de jugement.
— Des ressources humaines et matérielles dont l’insuffisance notoire atteint
désormais l’institution. D’où des conditions de travail dont tous, magistrats,
fonctionnaires, avocats et usagers, souffrent quotidiennement et qui
l’empêchent de faire ce qui est attendu d’elle. Un communiqué de la
conférence des présidents de tribunaux de grande instance relevait récemment
« le désenchantement et la souffrance1 généralisée chez les acteurs de terrain,
qu’ils soient magistrats ou fonctionnaires2 ».
— Des responsables politiques qui la connaissent mal et qui, au fond, se
méfient d’elle. Depuis 2002, cette méfiance s’est transformée en hostilité et
s’est exprimée, de la part du pouvoir exécutif, par un mépris à peine déguisé.
En témoignent, d’une part, des tentatives de restriction du rôle du juge et
d’entraves de plus en plus visibles au fonctionnement de la justice ; d’autre
part, dans le domaine pénal, depuis 2002, le torrent ininterrompu de plus de
deux douzaines de lois3. Que constate-t-on à cet égard ? Aucune évaluation de
l’acquis ; des initiatives précipitées prises très souvent à la suite d’un drame
activement mis en scène ; des textes préparés à la hâte ; le Parlement sommé de
les adopter à marches forcées. La plupart de ces lois attestent, vis-à-vis de la
justice et de tous ceux qui la font fonctionner, magistrats, fonctionnaires et
avocats, d’un mélange d’ignorance et de mépris. Celui-ci ne se partageant pas,
le mépris pour le Parlement se double de celui qui est dirigé contre l’institution
judiciaire. Résultat : une institution maltraitée, un surcroît de travail souvent
vain ; un ministère réduit à la production intensive de textes de tout genre4.
Aucune institution ne peut sortir indemne d’une telle maltraitance.
La combinaison de ces éléments crée un climat malsain et une situation
dangereuse pour la justice comme pour la société. C’est en gardant cette
situation présente à l’esprit que j’ai entrepris cet essai.
Je dois aux lecteurs quelques explications sur ma démarche. Ce livre aborde
quatre grandes questions : la place du juge dans la société et l’ampleur de son
intervention ; les relations des responsables politiques avec les magistrats ; la
gouvernance de l’institution judiciaire ; enfin la responsabilité de la justice.
Je présente d’abord une réflexion sur trois mutations majeures de notre droit
au XXe siècle et un essai d’explication de la présence croissante du juge (chap. I).
J’analyse ensuite l’intervention du juge en ce qui concerne les personnes privées
de liberté (chap. II). Je traite, dans le chapitre suivant, de la présence du juge
dans cinq secteurs : le droit du travail et de la vie de travail du salarié, le droit
économique et des affaires, le droit des étrangers, celui de la discrimination,
enfin celui de la mémoire et de l’histoire (chap. III). Je m’interroge ensuite sur
les limites des pouvoirs et de l’intervention des juges (chap. IV).
J’aborde ensuite les relations des responsables politiques avec les magistrats
et la justice et pose la question : qui a véritablement autorité et influence,
aujourd’hui, sur les magistrats et la justice ? D’où l’examen de ce qui est,
aujourd’hui, un véritable partage du pouvoir (chap. V).
Les chapitres suivants sont consacrés à deux questions essentielles pour
l’avenir de la justice. La première est celle de la gouvernance de ce service
public, dont dépend la qualité de la justice rendue. J’aborderai deux problèmes
non résolus à ce jour : celui des chefs de juridiction, à travers la dyarchie et la
question de leur formation ; celui du statut du parquet, qui appelle des choix
(chap. VI). La seconde question est celle de la responsabilité, au sens large du
mot. Elle est l’objet d’une attention légitime : une institution dotée de
pouvoirs considérables et dont les décideurs, c’est-à-dire les magistrats,
possèdent un statut à juste titre protégé ne peut éluder cette question. À ces
conditions : que le problème soit correctement posé, c’est-à-dire en considérant
ce service public dans son ensemble et en y incluant l’exigence de rendre
compte de son activité, notamment au niveau des juridictions. Seront donc
étudiés le traitement des réclamations, la mise en cause de plus en plus
fréquente de la responsabilité de l’État devant les tribunaux, celle des
magistrats, enfin le sens, ici, de l’expression : rendre compte5.

Quelques remarques pour finir. La justice est un domaine dans lequel


l’actualité entrave et obscurcit parfois la réflexion. Comme la société française,
dont elle fait partie, l’institution judiciaire, tous acteurs confondus, a connu
depuis un demi-siècle une mutation très profonde. La justice du milieu du XXe
siècle ressemblait plus à celle du XIXe siècle qu’à celle d’aujourd’hui. S’il fallait
résumer cette évolution, je dirais que, quelles que soient les critiques qu’appelle
la situation actuelle et qu’on lira plus loin, l’affirmation de ce que l’on peut
nommer les « libertés judiciaires6 » a nettement progressé. J’ai estimé
nécessaire, chemin faisant, de prendre du recul afin de mieux expliquer la
situation.
J’ai été frappé par l’extrême lenteur de certaines réformes, lorsque réforme il
y a eu. Un signe clinique en est le temps écoulé entre le constat de la nécessité
d’une réforme, la décision et son application7. Le doit-on à l’indifférence des
responsables politiques ? à l’absence de demande sociale forte ? au
conservatisme de la société judiciaire, tous corps confondus ? Un peu de tout
cela, sans doute. Une variante de cet immobilisme est représentée par la
coexistence de l’affirmation répétée de principes de base et d’un certain
nombre de non-dits sur les réformes nécessaires : la reconnaissance, en privé,
qu’il y a un problème et qu’un changement s’impose, accompagnée des rituels :
« Mais cela, on ne peut pas le dire » ou « Ce n’est pas le moment ». D’autres
domaines de notre société ont connu ou connaissent aujourd’hui de telles
attitudes. Jamais à leur avantage. C’est aussi une part de ces demi-silences,
résignés ou attentistes, que cet essai entend bousculer, en contribuant à un
débat national légitime et en présentant des propositions de réforme.
J’ai eu constamment présente à l’esprit la préoccupation de l’institution
judiciaire, de sa finalité et des valeurs dont elle est porteuse, et aussi des devoirs
qu’elle impose à ceux qui en font partie. J’ai choisi, on le verra, de donner très
souvent la parole à des magistrats pour décrire certains aspects de la situation et
indiquer des réformes nécessaires : ils vivent de l’intérieur nombre des maux et
des vices de l’état actuel de la justice et ont su les dire. Leur lucidité, à l’opposé
du conformisme, est un exemple en même temps qu’une raison d’espérer.
Deux précisions enfin. L’essai permet de choisir ce dont on va traiter, en s’en
expliquant. Il s’agit ici essentiellement de la justice et des magistrats de l’ordre
judiciaire, et non de la justice administrative, même si elle est mentionnée à
plusieurs reprises. Par nécessité et à regret, je n’ai pu aborder nombre de sujets
dont je sais l’importance. Parmi eux, la carte judiciaire, la politique pénale, le
recrutement, le détail de la formation et de l’évaluation des magistrats, la place
et le statut des greffiers et les professions juridiques et judiciaires. Je suis
pleinement conscient du fait que, comme l’écrit Loïc Cadiet : « En somme, ce
sont tous les métiers de la justice qui font vivre l’institution judiciaire ; ce sont
tous les métiers de la justice qui sont requis de répondre aux attentes des
justiciables qui en sont les usagers8. »

1. Cf. Christophe DEJOURS, Travail vivant. 2 : Travail et émancipation, Payot, 2009 ; Dominique
MÉDA, « La dégradation du travail a gagné les cadres », Le Monde, 24 janvier 2012.
2. Nicole MAESTRACCI, première présidente de la cour d’appel de Rouen, allocution prononcée
le 10 janvier 2012 à l’occasion de la rentrée solennelle de cette cour, Les Annonces de la Seine,
6 février 2012, p. 8.
3. Dont les suivantes : lois du 29 août 2002 d’orientation et de programmation pour la sécurité
intérieure ; du 9 septembre 2002, dite Perben 1, d’orientation et de programmation pour la justice ;
du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ; du 9 mars 2004, dite Perben 2, portant adaptation de la
justice aux évolutions de la criminalité ; du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive ; du
23 janvier 2006 sur la lutte contre le terrorisme ; du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la
procédure pénale ; du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance ; du 10 août 2007 sur la récidive ;
du 25 août 2008 sur la rétention de sûreté ; du 2 mars 2010 sur les violences de groupe ;
du 10 mars 2010 sur la récidive criminelle ; du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la
sécurité intérieure 2, relative notamment à l’extension des peines planchers ; du 10 août 2011 sur la
participation des citoyens au fonctionnement de la justice et le jugement des mineurs ;
du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures
juridictionnelles ; du 26 décembre 2011 créant un « service citoyen » pour les mineurs délinquants. On
peut y ajouter la loi du 5 juillet 2011 sur l’hospitalisation sans consentement et celle du 27 mars 2012 sur
l’exécution des peines.
4. Pas moins de quatorze circulaires en cinq semaines, de décembre 2011 au début de janvier 2012,
note N. MAESTRACCI, alloc. citée, n. 2, p. 8.
5. Voir infra, chap. VII.
6. J’emprunte cette notion à Alain BANCAUD, « Le paradoxe de la gauche française au pouvoir :
développement des libertés judiciaires et continuité de la dépendance de la justice », Droit et société,
no 44-45, 2000, p. 61.
7. Deux exemples parmi d’autres : l’absence de création d’un système national de traitement des
réclamations concernant la justice et les années de débats qui ont précédé la création de l’ENM.
8. Loïc CADIET, « La justice face aux défis du nombre et de la complexité », Les Cahiers de la justice,
o
n 1, 2010, p. 17.
1
Le juge dans la société

La justice est une des composantes essentielles de l’État de droit, notion à préciser. Il faut dire pourquoi
et garder son rôle fondamental présent à l’esprit avant de débattre de la place de la justice au sein de nos
institutions et du rôle du juge dans notre société. Cette place et ce rôle ont été transformés par la
combinaison de trois mutations juridiques et politiques de fond : l’existence d’un juge constitutionnel de la
loi, l’influence du droit international et européen et l’invention, pour faire bref, du droit administratif
par le Conseil d’État. Il convient donc de prendre leur mesure exacte avant de réfléchir aux causes sociales
et juridiques d’une évolution plus générale.

L’État de droit1 comprend plusieurs éléments : la séparation des pouvoirs ; la


limitation du pouvoir ; la hiérarchie des normes juridiques ; la garantie des
droits fondamentaux ; l’existence, quand un droit est en cause, d’un recours
effectif devant un juge indépendant et impartial. D’où, pour les juges, un
pouvoir, celui de trancher le litige porté devant eux en appliquant la règle de
droit. En affirmant cette règle par sa jurisprudence et en interprétant, chaque
fois qu’il le faut – et il le faut très souvent –, les normes applicables, le juge
participe nécessairement à la création du droit. La spécificité de son rôle est là.
Ce rôle peut connaître – il connaît – des insuffisances, des lenteurs
scandaleuses, des bégaiements ou des phénomènes d’autolimitation. Mais il est,
en tant que tel, irremplaçable. L’attention, légitime, dont il est l’objet le montre
bien. Celle-ci se transforme vite en inquiétude, vigilante et intéressée, lorsque
cette fonction indispensable de contrôle conduit à mettre au jour des abus de
pouvoir, des comportements illégaux et des responsabilités. Et de sortir alors
du magasin des antiquités l’épouvantail inusable du « gouvernement des
juges ». Ceux qui le brandissent pensent probablement de lui ce que Flaubert
disait, en son temps, de la censure : « Utile, on a beau dire2. » Si l’on ne veut
pas de contrôle, si l’on veut « moins de juge », il faut avoir la franchise et le
courage de dire pourquoi, au nom de quoi, et par quoi on entend le remplacer.
Problème politique, au sens le plus élevé du mot, et non « technique », comme
il est dit parfois pour détourner du vrai débat.
L’intervention du juge ne peut être dissociée de celle des autres institutions
et acteurs sociaux, publics et privés : le Parlement, le gouvernement,
l’Administration, les autorités administratives indépendantes3, la presse et les
divers corps intermédiaires.
J’examinerai trois mutations juridiques de fond qui ont transformé le
pouvoir des juges, avant de présenter un essai d’explication d’une tendance
plus générale.

LE DROIT : TROIS MUTATIONS DE FOND

Dans trois domaines significatifs, depuis le XXe siècle, le rôle du juge a connu
une mutation décisive qui a des conséquences directes et durables sur les
pouvoirs des juges : l’avènement d’un juge constitutionnel, l’influence du droit
international et du droit communautaire et l’invention par un nouveau juge, le
Conseil d’État, d’un nouveau droit, le droit administratif.

La loi a un juge constitutionnel


ou la fin de la souveraineté parlementaire

La création d’un contrôle juridictionnel de la conformité de la loi à la


Constitution est l’aboutissement quelque peu inattendu, sinon paradoxal,
d’une histoire qui contient aussi des leçons.
Au départ, en 1789, on trouve le culte de la loi, un « légicentrisme »
conduisant à la négation du rôle du juge, réduit à une fonction de simple
exécution de la loi : « La loi sacralisée, le juge mécanisé4. » Au début du XXe
siècle, un débat s’engage sur l’institution d’un tel contrôle, soit en créant une
Cour suprême à l’américaine, soit en donnant à tout tribunal, au moyen de
l’exception d’inconstitutionnalité, le droit de ne pas appliquer une loi estimée
contraire à la Constitution. Il s’agit d’un débat entre universitaires, à la Société
de législation comparée, dans les revues et les manuels de droit, et non d’un
débat politique, aucun parti n’y étant favorable. Son contenu mérite d’être
rappelé, ne fût-ce que pour mesurer l’ampleur de l’évolution qui s’est produite.
La toute-puissance du Parlement est mise en cause au nom d’un besoin social
et politique : la nécessité de se prémunir contre les atteintes aux libertés venant
de la majorité du moment. En outre, contrôler la constitutionnalité de la loi est
nécessaire pour faire respecter la hiérarchie des normes juridiques, au sommet
de laquelle se trouve la Constitution5. À l’inverse, d’autres auteurs y sont
hostiles, y voyant un saut dangereux dans l’inconnu, et aussi pour une autre
raison, qu’un des maîtres du droit public de l’époque exprime ainsi :
[L]es tribunaux français, à l’exception du Conseil d’État, ne sont pas préparés à exercer ce contrôle ;
ils n’ont malheureusement qu’un prestige assez mince, à raison des conditions dans lesquelles s’opère
leur recrutement, et aussi à raison de la dépendance dans laquelle ils se trouvent, vis-à-vis des
députés et sénateurs, pour leur avancement. Il y a aussi une tradition séculaire de prosternation
envers le Gouvernement, tradition qui est très défavorable à l’organisation d’un contrôle
juridictionnel quelconque6.

D’autres soulignent que le silence de la Constitution de 1875 sur les droits


fondamentaux et l’absence (alors acceptée par tous) de valeur juridique de la
Déclaration de 1789 rendent l’exercice vain. Commentant, en 1938, une
décision du Conseil d’État excluant un tel contrôle, un autre juriste décrit
exactement la réalité en écrivant :
Qui niera que, fondées ou non en droit, heureuses ou regrettables, les idées qui prévalent en
France ne sont pas favorables au contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des dispositions
législatives, tout au moins que ce contrôle se heurte, sinon au droit public, du moins à l’esprit
public ; sinon à des règles juridiques, du moins à des opinions très fermement et très
traditionnellement établies ? S’il y a eu un mouvement en sa faveur, ce ne fut qu’un mouvement
d’école, de juristes, qui n’avait pas sa source dans le pays ni légal ni réel, et qui n’y a pas eu d’écho
sérieux7.

Le débat reprend brièvement en 1946 devant l’Assemblée constituante, mais


sans plus. Une innovation se produit toutefois : la Constitution de 1946 est
précédée d’un préambule. Ce texte réaffirme la Déclaration de 1789 en y
ajoutant les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République8 »
et, « comme particulièrement nécessaires à notre temps », une série de
« principes politiques, économiques et sociaux ». Nul n’y attache, sur le
moment, beaucoup d’importance. Vingt-cinq ans plus tard, en 1971, ce texte
et cette triple mention seront l’instrument d’un progrès décisif.
En 1958, la nouvelle Constitution crée le Conseil constitutionnel. Les
auteurs de ce texte, à commencer par le plus illustre d’entre eux, le général de
Gaulle, n’ont certainement pas en tête d’en faire un plein juge de la loi. Il doit
être une sorte de surveillant d’un Parlement tenu en lisière et un juge des
élections nationales. Les débuts sont plus que modestes, et beaucoup pensent
ou espèrent que cette modestie sera durable. Puis deux changements majeurs
ont lieu. En 1971, dans une décision déclarant inconstitutionnelle une loi qui
viole le droit d’association, le Conseil constitutionnel donne une valeur de
droit positif au préambule déjà cité et donc à la Déclaration de 1789 et aux
principes fondamentaux cités plus haut9. Voici d’un coup élargi le « bloc de
constitutionnalité » par rapport auquel le Conseil va contrôler la conformité
des lois. Trois ans plus tard, en 1974, une réforme constitutionnelle bienvenue
permet à soixante parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel. Jusque-là,
seuls le président de la République, le Premier ministre et les présidents des
Assemblées pouvaient le faire. Appartenant tous, alors, à la même majorité, ils
n’accablent par le Conseil constitutionnel de leurs recours.
En 2008, une nouvelle révision constitutionnelle crée la question prioritaire
de constitutionnalité (QPC). Devant toute juridiction, une partie peut
soulever, au cours d’un litige, une telle question à propos d’une loi applicable
au litige et estimée contraire à une liberté fondamentale garantie par la
Constitution10. Il faut que la question soit à la fois sérieuse et nouvelle et que le
Conseil constitutionnel n’ait pas déjà déclaré la loi conforme à la Constitution,
sauf changement des circonstances. Cette précision permet au Conseil
constitutionnel de statuer sur une loi même s’il l’a, dans le passé, déclarée
conforme à la Constitution. La Cour de cassation et le Conseil d’État décident
de la transmission de la question au Conseil constitutionnel. Cette réforme
permet désormais le plein respect de la hiérarchie des normes juridiques et
introduit – enfin – la nécessaire dimension constitutionnelle dans les débats
judiciaires et donc dans la formation des juristes, magistrats et avocats.
Entrée en vigueur le 1er mars 2010, la réforme a été immédiatement
appliquée. En deux ans, le Conseil constitutionnel a déclaré non conformes à
la Constitution plusieurs textes de loi contraires aux libertés fondamentales.
Exemples : la « cristallisation » des pensions des militaires des anciens territoires
d’outre-mer11, l’étendue des droits des salariés en cas de faute inexcusable de
l’employeur12, l’inéligibilité automatique des personnes condamnées pour
certains délits13, la garde à vue14, l’hospitalisation sans consentement et
l’absence d’intervention obligatoire du juge après quinze jours15, les conditions
de nationalité concernant les allocations versées aux anciens harkis16,
l’interdiction, en matière de diffamation, d’apporter la preuve de faits vieux de
plus de dix ans17, la loi concernant le recueil et la conservation des données
personnelles pour la délivrance du passeport et de la carte nationale
d’identité18, enfin l’article 222-33 du Code pénal relatif au harcèlement
sexuel19.
Cette réforme a entraîné une modification importante de la procédure
devant le Conseil constitutionnel, notamment des séances publiques – enfin –
au cours desquelles se déroule un débat.
Cette constitutionnalisation de l’ensemble de notre droit est une étape
décisive de l’évolution du droit et de la justice. Elle a permis au Conseil
constitutionnel d’édifier une jurisprudence considérable, non seulement en
censurant des dispositions contraires à la Constitution, mais aussi en
formulant, à l’occasion, des réserves d’interprétation20. Cette jurisprudence
s’impose à tous les autres juges et aux pouvoirs publics.
Pourquoi un tel contrôle, longtemps décrété impossible et contraire à nos
traditions, a-t-il fini par s’imposer ? Pourquoi le droit a-t-il changé du tout au
tout ? Outre la logique propre de l’institution, plusieurs éléments se sont
conjugués. Le droit international et communautaire était mieux protégé que la
Constitution, norme suprême, ce qui était paradoxal. Il fallait donc assurer la
suprématie de celle-ci. En Europe, la France était l’un des rares pays à ne pas
disposer d’un tel contrôle. Enfin l’esprit public avait évolué. La facilité avec
laquelle le Parlement a adopté la réforme de 2008 contraste singulièrement
avec l’hostilité déclarée qui avait empêché, au début des années 1990,
notamment au Sénat, la même réforme d’être adoptée. Conséquence de l’essor
du contrôle de constitutionnalité : c’est également à ce niveau que s’effectue la
nécessaire conciliation entre principes ou valeurs de même rang juridique.
Cela dit, le contrôle de la constitutionnalité des lois reste insuffisant.
Beaucoup de décisions sont sommairement motivées. Ainsi en va-t-il de la
décision relative à la loi adoptée en 2002 après l’affaire Perruche21. La décision
sur la loi interdisant le port de la burqa dans les lieux publics22 se borne à
résumer les arguments exposés au cours du débat parlementaire sans prendre
parti sur le fondement constitutionnel de la loi. La décision
du 28 février 2012 déclarant inconstitutionnelle la loi créant un délit de
contestation des génocides reconnus par une loi ne dit pas pourquoi cette loi
méconnaît la liberté d’expression23. Autre aspect : la timidité de certaines
décisions, comme celles qui se rapportent à la loi pénitentiaire de 200924 et à la
loi de 2011 sur les étrangers25. Enfin le mode de nomination et le choix des
membres ne correspondent pas à l’étendue des responsabilités du Conseil
constitutionnel et appellent des réformes profondes quant aux compétences et
à l’expérience juridiques à exiger des candidats26 et à leur mode de désignation.
Toute nomination devrait être subordonnée à l’accord des trois cinquièmes des
membres de chaque Assemblée, après audition publique en commission27.
L’anomalie que constitue l’appartenance de droit des anciens présidents de la
République au Conseil constitutionnel devrait être supprimée. Chaque
membre devrait disposer de collaborateurs personnels. L’expression d’opinions
individuelles dans le corps des décisions serait autorisée. Le respect des
obligations de réserve et de discrétion devrait être mieux assuré, et le régime
des incompatibilités renforcé. Une limite d’âge serait instituée.
Des leçons à en tirer ? Tant les textes fondamentaux, ici la Déclaration
de 1789 et le préambule de 1946, que les institutions nouvelles ont des destins
propres qui ne prennent forme décisive qu’après un certain temps et lorsque la
situation d’ensemble le permet.

L’influence du droit international


et du droit européen sur les pouvoirs du juge

Cette mutation historique du droit français a des conséquences directes sur


le rôle du juge. Prenons le droit international. L’article 55 de la
Constitution28 permet à tout juge de ne pas appliquer une loi contraire à un
traité. Il a fallu du temps à la Cour de cassation (1975) et au Conseil d’État
(1989) pour appliquer ce principe. Le droit international des droits de
l’homme et tout particulièrement la Convention européenne des droits de
l’homme sont un terrain d’application concrète de cette règle. Toute personne
mécontente d’une décision nationale, y compris d’un jugement définitif, peut
saisir la Cour européenne des droits de l’homme en vue de faire constater une
violation de la Convention. La jurisprudence de cette juridiction internationale
exerce une influence directe sur celle des juges français et augmente leur
pouvoir vis-à-vis des normes nationales, y compris de la loi29.
La France n’a ratifié la Convention qu’en 1974 et n’a accepté le droit de
recours individuel qu’en 1981, ce qui conduit à tempérer fortement le discours
officiel et satisfait sur la France « patrie des droits de l’homme ». S’agissant de
la justice, elle a été condamnée à maintes reprises à Strasbourg pour violation
du droit à un procès équitable devant un juge indépendant et impartial, du
droit à un recours effectif et du droit à obtenir un jugement dans un délai
raisonnable. Sur le premier point, on peut citer le droit de la garde à vue30. La
réforme du droit des écoutes téléphoniques, en 1991, est la conséquence
directe d’une condamnation par la Cour. En ce qui concerne le droit de la
presse, cette jurisprudence a conduit à l’abrogation d’un décret-loi
de 1939 permettant au ministre de l’Intérieur d’interdire toute publication
étrangère et de la loi de 1977 interdisant la publication des sondages d’opinion
à la fin de la campagne électorale.
Le droit communautaire et la façon dont son respect est assuré par une
coopération inédite entre le juge national et le juge supranational sont l’une
des inventions juridiques les plus remarquables et les plus originales de
l’Europe au XXe siècle. La Cour de justice de l’Union européenne, qui siège à
Luxembourg, a affirmé très tôt les bases de ce droit : son effet direct, sa
primauté par rapport aux normes nationales et l’uniformité de son application
dans les États membres. Elle a utilisé des notions telles que l’effet utile, et
affirmé des principes généraux du droit communautaire, comme le principe de
confiance légitime, élément de la sécurité juridique, et celui de
proportionnalité. La protection des droits fondamentaux est l’un d’entre eux31.
Les réactions des cours constitutionnelles d’Allemagne et d’Italie ont été ici
déterminantes. Les traités européens ont codifié la jurisprudence de la Cour sur
ce point32. Si la Cour a pu accomplir cette œuvre, c’est parce que le traité de
Rome (1957) a créé deux instruments : il lui a donné le monopole de
l’interprétation des traités et des autres normes communautaires (règlements et
directives), et il a inventé la procédure du renvoi préjudiciel. Tout juge national
peut et, dans certains cas, doit interroger la Cour de Luxembourg sur
l’interprétation d’un texte communautaire, non pas dans l’abstrait, mais à
propos d’une affaire portée devant lui. Les décisions de la Cour lient non
seulement le juge national qui lui a posé une question, mais l’ensemble des
autorités des États membres pour l’application du droit communautaire.
L’essentiel de la jurisprudence de la Cour vient de cette procédure inédite. Ce
dialogue des juges, sans précédent, s’est révélé très fécond. La jurisprudence de
la Cour européenne des droits de l’homme a directement influencé celle du
Conseil constitutionnel sur des points tels que la liberté du mariage, le droit au
respect de la vie privée, la dignité de la personne et, en matière de justice, le
droit à un recours effectif devant un juge indépendant et impartial33.
Il n’y a pas que le droit européen. En voici un exemple. Par une ordonnance
du 2 août 2005, le gouvernement crée le « contrat nouvelle embauche »,
contrat de travail à durée indéterminée auquel, par dérogation au droit
commun, l’employeur peut mettre fin pendant les deux premières années par
lettre recommandée non motivée et sans entretien préalable. Cette réforme
provoque un vaste mouvement de protestation, et l’affaire est portée devant les
tribunaux. Un salarié ainsi embauché et ainsi licencié estime que l’ordonnance
est contraire à un traité, la convention no 158 de l’Organisation internationale
du travail (OIT)34. Après le conseil de prud’hommes de Longjumeau et la cour
d’appel de Paris, la Cour de cassation lui donne raison. Conséquence : un tel
licenciement doit être considéré comme étant sans cause réelle ni sérieuse35.
Deux ans plus tard, en 2010, le tribunal administratif de Saint-Denis de La
Réunion a déclaré l’État responsable des conséquences dommageables d’une
telle loi adoptée en violation des engagements internationaux de la France36.
Les conséquences de cette présence du droit européen et international sur le
juge, sa démarche et ses pouvoirs sont considérables37. Son horizon intellectuel
et la nature des outils dont il dispose sont transformés et élargis. La loi n’est
plus son horizon ultime. Ces traités internationaux qu’il doit appliquer, il ne
peut les lire comme il lit les textes nationaux. Leurs travaux préparatoires ne
sont pas toujours accessibles. Surtout, il doit appliquer la jurisprudence,
directement accessible, des deux nouvelles cours, l’une internationale, la Cour
européenne des droits de l’homme, l’autre supranationale, la Cour de justice de
l’Union européenne. C’est ce que les juristes nomment le « contrôle de
conventionalité ». Ses pouvoirs changent : d’une part, les juges doivent
respecter cette jurisprudence, et l’on peut comprendre les réactions des cours
suprêmes que sont, en France, la Cour de cassation et le Conseil d’État et,
ailleurs, les cours constitutionnelles devant cette perte de souveraineté en
général et certains arrêts de la Cour de Strasbourg en particulier ; d’autre part,
et surtout, ses pouvoirs sont accrus par rapport à la norme ou à la décision
nationale.
Voici un exemple concret concernant les droits fondamentaux. La plupart
des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme ne
sont pas, sauf exception, absolus. Comment pourraient-ils l’être ? Ils peuvent
être restreints par les autorités publiques, mais en respectant certaines
conditions :
— Ces restrictions doivent être « prévues par la loi ». La Cour de Strasbourg
a traduit : une norme juridique publiée ou aisément accessible ou connaissable
et contenant des garanties suffisantes.
— La restriction doit se fonder sur l’un des motifs énumérés – largement –
par la Convention (protection de l’ordre public, de la santé, protection des
droits d’autrui, prévention des infractions, etc.).
— Cette restriction doit être « nécessaire, dans une société démocratique ».
Traduction : le juge, national et international, va devoir vérifier, dans chaque
cas, si la décision prise respecte le principe de proportionnalité. L’exercice n’a
rien d’une science exacte.
De là est né, chez beaucoup de parlementaires, un sentiment de
dépossession, dû à l’action d’acteurs extérieurs sur lesquels le Parlement n’a pas
de prise. Ce débat, encore très présent en Grande-Bretagne38, est dépassé pour
la communauté des juristes. La construction européenne repose non seulement
sur un grand marché, mais aussi sur un socle commun de droits fondamentaux
qu’il appartient aux juges nationaux de mettre en œuvre.

L’invention du droit administratif par le Conseil d’État

Quelques semaines après le coup d’État de Brumaire, la Constitution de l’an


VIII (1799) est proclamée. Selon son article 52 : « Sous la direction des
consuls, un Conseil d’État est chargé de rédiger les projets de loi et les
règlements d’administration publique, et de résoudre les difficultés qui
s’élèvent en matière administrative39. » C’est à partir de ce très modeste acte de
naissance que va s’édifier progressivement, dès le XIXe siècle et de façon décisive
à partir de son dernier quart, l’institution qui va créer le droit administratif en
France.
Au départ, pas de code (les grandes codifications napoléoniennes ne
concernent que le droit civil, pénal et commercial et la procédure), très peu de
lois, et un organisme dans la main du gouvernement. Il y restera longtemps, et
ses origines napoléoniennes nourriront la suspicion des penseurs libéraux, de
Benjamin Constant à Alexis de Tocqueville40. Tout au long du XXe siècle, le
Conseil d’État, et avec lui aujourd’hui les quarante-deux tribunaux
administratifs et les huit cours administratives d’appel, sans compter les
juridictions administratives spécialisées, comme la Cour nationale du droit
d’asile (CNDA)41, ont édifié et continuent d’édifier ce qui est devenu le droit
administratif français42. Ses deux piliers sont en premier lieu un contrôle de
plus en plus étendu de la légalité de tous les actes administratifs, quels que
soient leurs auteurs et leur domaine. Les instruments en ont été un accès élargi
au juge, l’utilisation de principes généraux du droit pour pallier le silence de la
loi, le contrôle approfondi des motifs des décisions de l’administration,
l’utilisation du droit international et l’extension des pouvoirs du juge. Le
second pilier est le droit de la responsabilité administrative, pour faute ou sans
faute, création de la jurisprudence. Une illustration en a été donnée par les
décisions concernant l’affaire du sang contaminé et la tragédie de l’amiante43.
Les juridictions administratives peuvent suspendre, par un jugement en référé,
l’exécution d’une décision, c’est-à-dire, selon une expression imagée, mais
exacte, « arrêter le bras de l’administration » ou lui adresser des injonctions. Les
grandes masses de ce contentieux administratif sont celui des étrangers, de la
fonction publique, de la fiscalité, de l’urbanisme et de la responsabilité.
L’examen de ces avancées du rôle du juge conduit à plusieurs réflexions. La
première porte sur les causes profondes de l’évolution du droit. Aucun de ces
changements n’a été décrété un jour par un Parlement amateur de grandes
réformes ou par des juges empressés d’accroître leur pré carré. Aucun n’a eu
lieu subitement. Tous ont pris place progressivement dans notre ordre
juridique. L’existence de textes dont on a découvert la valeur juridique et la
richesse a joué un rôle. La logique propre des institutions aussi, accompagnée
par les mutations de l’esprit des juges. L’avènement du droit international s’est
imposé, non sans réticences nationales parfois, apportant des instruments
nouveaux. Il y a eu enfin l’évolution de l’esprit public, qui a conduit les
responsables politiques à accepter bien des innovations.

À l’étranger, des évolutions comparables

Il n’en est pas allé autrement chez nos voisins, dans l’ensemble. En Grande-
Bretagne, le règne de la souveraineté absolue du Parlement, fruit d’une longue
tradition et de l’absence d’une constitution écrite comportant une déclaration
des droits fondamentaux, a été très longtemps inscrit dans la culture politique
et juridique nationale. Il a été très fortement atténué. Pourquoi ? Sous l’effet de
la suprématie du droit communautaire, du développement, à partir des
années 1980, du contrôle juridictionnel de l’administration, et de l’entrée en
vigueur, en 2000, du Human Rights Act adopté en 1998. Cette loi intègre la
Convention européenne des droits de l’homme dans le droit national et fait
obligation à toutes les autorités publiques de tenir dûment compte de la
jurisprudence de la Cour de Strasbourg44.
En Allemagne, la création, par la Constitution de 1949, d’une Cour
constitutionnelle fédérale, dont les membres sont élus par les deux chambres
du Parlement45, et qui est vite devenue, par son indépendance et la qualité de
ses décisions et de leur motivation, une institution puissante et respectée, a
permis l’affirmation des libertés fondamentales46. L’interprétation et
l’application par la Cour de deux articles de la Constitution en fournissent une
bonne illustration. Il s’agit des articles 1-1 (« La dignité de l’être humain est
intangible. Tous les pouvoirs publics ont l’obligation de la respecter et de la
protéger ») et 2-1 (« Chacun a droit au libre épanouissement de sa personnalité
pourvu qu’il ne viole pas les droits d’autrui ni n’enfreigne l’ordre
constitutionnel ou la loi morale »).
La transformation du rôle du juge pourrait s’intituler « Nouveaux juges,
nouveaux pouvoirs47 ». Une question la domine : celle du pouvoir créateur de
droit du juge. Il a toujours existé, à divers niveaux et sous des formes variées.
L’histoire de la common law l’atteste en Angleterre, de même que la
jurisprudence de la Cour suprême aux États-Unis ou de la Cour de cassation et
du Conseil d’État en France. Portalis l’avait dit, dès 1801, avec autant
d’élégance que de force :
[C]hez toutes les nations policées, on voit toujours se former, à côté du sanctuaire des lois, et sous la
surveillance du législateur, un dépôt de maximes, de décisions et de doctrine qui s’épure
journellement par la pratique et par le choc des débats judiciaires, qui s’accroît sans cesse de toutes
les connaissances acquises, et qui a constamment été regardé comme le vrai supplément de la
législation48.

L’un des instruments du juge, de tous les juges, est l’acte d’interprétation de
la norme à appliquer, quelle qu’elle soit49. Lorsque le Code civil énonce, à
l’article 4, que le « juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de
l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable
de déni de justice », il ouvre à deux battants les portes du temple de
l’interprétation. Il y a des lois bavardes, mais aussi des lois silencieuses, qui ne
disent rien de la question portée devant le juge, des textes obscurs, ambigus ou
contradictoires. La facilité ou le luxe du législateur ou des gouvernements,
consistant à ne rien faire et à reporter une réforme en attendant des jours
meilleurs, sont interdits au juge. Il doit statuer, ici et maintenant, avec les
outils à sa disposition. En les créant s’il le faut.
Ce rôle de création du droit tend à augmenter de nos jours. On le doit à
plusieurs éléments : l’existence de cours constitutionnelles, où le face-à-face du
juge et de la loi est direct ; la présence de juridictions internationales et
supranationales chargées d’interpréter des normes internationales ; la nécessité
d’apporter une réponse à des problèmes nouveaux nés de transformations
sociales (par exemple, le droit des personnes, de la filiation, de la procréation) ;
enfin les effets de la globalisation sur le droit, caractérisés par la multiplication
et la variété des normes applicables. Jean-Bernard Auby en mentionne trois
exemples caractéristiques : le droit des marchés financiers, celui de l’Internet et
celui des contrats publics. Il cite, parmi les domaines essentiels de la
globalisation du droit, le commerce, l’environnement, les droits fondamentaux
et la gouvernance nationale50. Dans des contextes politiques et juridiques
nationaux différents, des juges réfléchissent de façon variée, parfois dans des
articles, parfois dans leurs décisions mêmes, à des questions identiques : quelles
sont les limites de la fonction de juger face à celle de légiférer ? quelle est la
légitimité ultime de l’intervention du juge dans des domaines nouveaux ? En
voici trois exemples.
En 1973, la Cour constitutionnelle allemande s’apprête à statuer sur une
action en diffamation intentée par la princesse Soraya, ancienne épouse du
chah d’Iran, contre un journal qui avait publié une interview prétendument
accordée par elle et où elle révélait des détails de sa vie privée. Le Code civil
allemand (art. 823) ne prévoyait l’octroi d’une indemnité qu’en cas d’atteinte
« à la vie, au corps, à la santé, à la liberté, à la propriété ou à tout autre droit ».
La Cour suprême y avait inclus le droit à la personnalité. Mais le Code civil ne
prévoyait pas de dommages-intérêts pour les atteintes « non pécuniaires », sauf
si une loi le permettait, ce qui n’était pas le cas ici. Malgré cela, la Cour
suprême avait accordé une indemnité à la princesse Soraya, en se fondant
notamment sur l’article 2-1 de la Constitution, déjà cité, sur le « droit de
chacun au libre épanouissement de sa personnalité ». L’affaire fut portée devant
la Cour constitutionnelle, qui approuva la Cour suprême. Que dit-elle ? Elle
commença par citer l’article 20-3 de la Constitution : « Le pouvoir législatif est
lié par l’ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la
loi et le droit51 », distinction de grande portée. La Cour s’en explique. La loi et
le droit peuvent différer. Le droit n’est pas l’addition des lois. Il peut arriver,
dans certains cas, que le droit existe au-delà des lois et ait sa source dans l’ordre
constitutionnel en tant que système général. Il incombe aux juridictions de
trouver ce droit et d’en faire une réalité par leurs décisions. La Constitution ne
borne pas la mission des juges à l’application des lois aux litiges portés devant
eux. En effet, une telle conception suppose qu’il n’y ait pas de lacunes dans
l’ordre juridique écrit, ce qui ne peut exister en pratique. Ainsi le juge peut-il
avoir à formuler un jugement de valeur, c’est-à-dire à mettre à jour et à
appliquer des valeurs inhérentes à l’ordre juridique constitutionnel, mais qui ne
sont pas, ou qui sont imparfaitement, exprimées dans la loi écrite.
En accomplissant cette tâche, le juge doit se garder de l’arbitraire. La seule
question est donc celle des limites de ce pouvoir du juge de créer le droit.
Examinant l’affaire Soraya, la Cour a relevé que, lors des travaux préparatoires
du Code civil, son article 253, déjà cité, avait été critiqué. Depuis, la
reconnaissance du droit à la personnalité a renforcé ces critiques. Les tribunaux
ont eu raison de ne pas attendre une réforme législative. L’arrêt de la Cour
suprême a été confirmé52. Depuis lors, les droits de la personnalité53 ont été
reconnus et protégés à plusieurs reprises par la jurisprudence de la Cour.
En 2005, en Angleterre, Lord Steyn, membre de la Chambre des lords, a
souligné, dans un article, la mission constitutionnelle des juges de protéger les
citoyens contre les abus de pouvoir d’un exécutif tout-puissant qui domine le
Parlement. Il note que la common law est une création des juges. Le Human
Rights Act, déjà cité, a renforcé ici le rôle des juges. Réfléchissant aux limites
de l’intervention judiciaire, Lord Steyn remarque que l’autolimitation, la
« déférence », sujet sur lequel les juges eux-mêmes sont divisés, peut se révéler
nécessaire à une condition : les tribunaux ne doivent jamais abdiquer leurs
responsabilités démocratiques et constitutionnelles. Citant des exemples tirés
de la lutte contre le terrorisme et de la guerre d’Irak, il met en garde contre la
tentation d’accorder une immunité au pouvoir exécutif et contre toute forme
de connivence54.
Dans une étude publiée en 2007, Guy Canivet, premier président de la
Cour de cassation, remarque que ce débat sur les relations du juge avec les
deux autres pouvoirs existe dans beaucoup d’États. Il discute des sources de la
légitimité des juges et évoque l’apport propre des juridictions internationales55.
En plus de ces trois mutations de fond, et en liaison avec elles, l’extension de
l’intervention du juge dans l’ensemble des domaines de la vie sociale est un fait
marquant. Qu’il s’agisse de l’enfance, de la famille, de l’entreprise, du travail,
du logement, de la construction et de l’urbanisme, de l’environnement, de la
fiscalité, du droit des étrangers, des prisons ou de la responsabilité, un juge est
présent, doté de compétences et de prérogatives de plus en plus substantielles.
Des exemples précis en seront donnés aux chapitres II et III. Mais il convient
d’abord d’analyser l’évolution de la société et de l’opinion.

LA SOCIÉTÉ ET L’OPINION PUBLIQUE

L’institution judiciaire a très longtemps été perçue comme un monde


lointain et mystérieux. À son égard, l’ignorance le disputait au respect
inconditionnel et à l’acceptation résignée de ses décisions et de ses lenteurs.
Cette attitude est heureusement révolue. Lors d’un colloque organisé en 1965
par l’Association de la magistrature française sur le thème « Le juge dans la cité
française », Maurice Aydalot, premier président de la Cour de cassation, parlait
de l’« indifférence » et de la « désaffection » du monde moderne envers la
justice56. Quatre ans plus tard, en 1969, Robert Badinter et Jean-Denis Bredin
faisaient le même constat : « La triste vérité, et c’est le plus grand symptôme du
mal dont souffre notre justice, est l’indifférence qui l’entoure aujourd’hui, mis
à part l’écho limité de quelques grandes affaires pénales57. » Ce n’est plus le cas.
Le niveau d’attente et d’exigence de la société a augmenté : « La société
française manifeste une attente exigeante à l’égard d’une institution qu’elle
tient pour responsable de la sécurité publique, de la sûreté des rapports
juridiques, de l’équité des décisions, voire des équilibres économiques et
sociaux58. »
Cette attente et cette exigence peuvent fort bien coexister avec un déficit de
confiance. Selon le sondage réalisé en 2008 par l’Ifop pour le Conseil supérieur
de la magistrature, 63 % des personnes interrogées avaient confiance dans la
justice, mais elle n’arrivait qu’en sixième position, après les hôpitaux, l’école,
l’armée, la police et la fonction publique, sur l’échelle de confiance accordée
aux institutions59.
De plus, signe des temps, les études de toute nature sur la justice et le
monde judiciaire se sont multipliées. Beaucoup sont dues à l’action de la
Mission de recherche droit et justice, groupement d’intérêt public créé à
l’initiative du ministère de la Justice et du CNRS. Deux revues générales de
qualité doivent également être mentionnées : Justices, aujourd’hui disparue, et
Les Cahiers de la justice, publiée par l’ENM.

Des « consommateurs de justice » ?

L’attitude consumériste envers la justice est souvent évoquée. Qu’en est-il au


juste ? La justice est un service public, comme l’enseignement et la santé
publique, secteurs avec lesquels la comparaison se fait parfois, au point de
parler de production, de consommation et d’usagers. Certains s’en offusquent.
Des enseignants, et non des moindres : « L’école, qui était une institution, est
devenue un service […]. [Les parents] considèrent souvent l’école comme un
marché dans lequel ils cherchent le meilleur rapport qualité/prix60. » Des
médecins : un praticien hospitalier critique vivement « les changements
idéologiques qui ont déterminé l’évolution de notre vocabulaire et l’émergence
de la notion de “producteur de soins” et celle d’“usagers de la médecine” ». Il
ajoute : « La médecine n’est pas un bien de consommation, ni même un service
comme les transports ou la banque, d’où le caractère inadapté du terme
“usager” pour qualifier les patients qui consultent ou sont hospitalisés61. »
Ces comparaisons ont un sens, à condition de ne pas oublier des différences
essentielles : la justice est une fonction régalienne, monopole de l’État. Il n’y a
pas ici de « secteur privé ». Quelle que soit sa spécificité, l’arbitrage n’est pas
extérieur aux institutions judiciaires62. Surtout, la justice dispense un bien
radicalement différent, par sa nature, des autres services. Loïc Cadiet l’exprime
très bien : « La justice est le substitut réglé de la violence dont la première
efficacité est d’œuvrer à la paix civile63. » C’est en cela que l’attente et l’exigence
dont il est question sont plus que la somme des composantes de la qualité de la
justice.
Cela dit, il reste que toute participation à une procédure judiciaire, comme
demandeur ou défendeur, a un coût. Le plus évident est celui des honoraires à
verser aux divers auxiliaires de justice. Beaucoup d’acteurs sociaux n’ont pas le
choix : le salarié qui conteste son licenciement, la personne qui veut divorcer,
celle qui est mise en examen, mais aussi la victime d’une infraction qui
demande réparation. Pour une entreprise, par exemple, outre le coût financier,
il y a plus important et qui n’est guère quantifiable : les conséquences de la
durée d’une procédure sur des décisions différées ou fragilisées, en un mot
l’insécurité juridique64. Il est donc normal que chacun ici fasse ses comptes, au
propre et au figuré. Concrètement, l’immense majorité des personnes n’ont
affaire avec la justice qu’à propos de litiges concernant la vie familiale, le
logement et la construction (permis de construire, copropriété), le travail, le
droit des affaires, le droit pénal pour les auteurs et les victimes d’infractions,
enfin, pour les étrangers, le séjour et le travail en France.

Une société transformée

Beaucoup de mutations sociales et économiques ont eu des effets sur la


justice. Voici quelques-unes des plus significatives d’entre elles.
Nos concitoyens sont mieux informés sur le droit en général, mais aussi sur
leurs propres droits et leur exercice concret, notamment en justice. On le doit à
la presse, générale ou spécialisée (par exemple, le droit de la consommation),
aux associations et syndicats, ainsi qu’aux services publics nationaux, dont la
justice elle-même, et locaux, aux professions judiciaires et à Internet.
La famille a changé. Le droit suit avec délai et, par voie de conséquence, le
rôle du juge aussi65. L’allongement de la durée de la vie accroît l’éventualité des
changements et des ruptures et fait coexister plusieurs générations. Le
« démariage », fait massif (taux de divorce, baisse de la nuptialité,
augmentation de la proportion des enfants nés hors mariage), crée des
situations inédites. De nouvelles formes de filiation apparaissent, en plus de
l’adoption, du fait de la procréation médicalement assistée, et de nouvelles
formes de parenté voient le jour. La notion d’intérêt de l’enfant, confortée par
la convention de l’ONU sur les droits de l’enfant (1989), devient le « principe
structurant de l’autorité parentale66 ». D’où, devant les juges, nationaux et
internationaux, dont la Cour européenne des droits de l’homme, des
contentieux nouveaux, doublés d’enjeux affectifs et symboliques puissants,
comme le droit de connaître ses origines et ses limites (cas de l’accouchement
sous X et de l’insémination avec sperme de donneur anonyme). Comme le
note une sociologue, Sylvie Cadolle, le « droit se voit aujourd’hui conférer une
place sans précédent dans la gestion de la vie privée67 ».
D’autres domaines, comme l’entreprise (à propos des contrôles internes et
externes, des diverses obligations d’informer et des modes de gouvernance), le
travail ou l’exercice de la médecine ont connu de profondes mutations. Des
secteurs entiers, relevant autrefois d’un monopole étatique, la radio et la
télévision, les télécommunications, sont à la fois en partie privatisés et soumis à
un régime de concurrence dans le cadre du droit de l’Union européenne. D’où
des contentieux nouveaux68.

À propos de la presse

S’agissant d’une institution et d’un service public tels que la justice, la


presse, tous médias confondus, joue un triple rôle. Ce dernier concerne à la fois
l’information sur la justice, ce qu’elle est et ce qu’elle fait, son influence sur les
représentations que peut en avoir l’opinion et les réactions de celle-ci à ce qui
lui est présenté. C’est dire la responsabilité des organes d’information, celle de
leurs propriétaires, de leurs dirigeants et des journalistes, qui sont leurs salariés.
Quels que soient ses lacunes, ses défauts et ses excès – réels –, la presse offre un
regard extérieur, un moyen d’information, c’est-à-dire de contrôle, sur les
carences, les silences et les insuffisances de la justice, non moins réels.
Globalement, la place de la justice dans la presse a augmenté, en même
temps que la qualité de l’information dispensée. Je n’instruirai pas ici son
procès. Il a été fait cent fois, souvent avec raison, parfois à tort, souvent aussi
de façon intéressée afin de rechercher un alibi, de masquer une manipulation
ou d’occulter des connivences, inavouables et inavouées, qui peuvent exister et
sont souvent utiles entre pouvoirs, qu’ils soient publics ou privés. La presse en
est un. Il arrive, plus souvent qu’on ne le croit, qu’on s’arrange, qu’on s’entende
ou qu’on se rende des services, discrètement.
Une constante est l’attention quasi exclusive accordée au droit pénal69, en
particulier aux crimes et aux affaires politico-financières à grand spectacle, et
l’intérêt bien moindre pour deux domaines, en apparence plus prosaïques, il est
vrai : d’une part, les secteurs qui touchent à la vie quotidienne de la plupart des
personnes, comme le droit de la famille ou celui du travail ; d’autre part, les
questions institutionnelles, comme le recrutement et la formation des
magistrats ou le fonctionnement quotidien des juridictions.
La personnalisation extrême de l’attention donnée à divers acteurs du
procès, à commencer par les magistrats, est un fait marquant. Il arrive à
l’occasion que ceux-ci s’y prêtent ou s’y adonnent, à des fins variées. Jean-Denis
Bredin a su parler « des risques que court l’indépendance moderne si vite
séduite par l’image. Lire son nom, entendre parler de soi, regarder son image,
devenir spectacle, cela devient vite une tentation parfois irrésistible. Le plaisir
en vient, et aussi la vanité, et aussi parfois la compensation sociale70 ».
L’avertissement lancé par Robert Badinter en 2003, lors d’un dialogue avec
Stephen Breyer, juge à la Cour suprême des États-Unis, reste valable :
Il faut former les jeunes magistrats dans la conviction que ce n’est pas dans les médias que se trouve
la récompense et que le tribunal de l’opinion n’est pas celui qui juge les mérites de la magistrature.
Ce n’est pas parce qu’on parle de vous que vous êtes un meilleur juge. Il faut leur faire comprendre
que c’est dans la fonction elle-même qu’on doit trouver sa satisfaction, et pas dans la vanité
narcissique de la fonction. Le métier de magistrat n’est pas un métier où l’on doit s’intéresser à
l’opinion que les gens ont de vous. Les hommes et les femmes politiques, pour gagner les élections,
dépendent de leur image, mais pas le juge. Quel besoin a-t-il de devenir une star et d’avoir sa photo
dans les hebdomadaires ? Pourtant, certains membres de la magistrature pensent différemment : la
gloire d’apparaître comme un shérif justicier leur est une satisfaction considérable, narcissique, que
ne procure pas le fait d’être un bon professionnel, seulement un bon professionnel.
Stephen Breyer : Ils cherchent la gloire par la presse, mais celui qui vit par l’épée meurt par l’épée.
Robert Badinter : Oui, mais le juge n’en meurt pas. Ce sont les justiciables qui souffrent71.

Malgré des lacunes et des insuffisances, l’institution judiciaire, ici les


juridictions, a peu à peu appris à utiliser et à maîtriser sa communication avec
la presse. La justice est capable, lorsque ses responsables ont à la fois la volonté
requise et l’intelligence de la situation, et savent obtenir les moyens nécessaires,
de faire face à l’événement. Un bon exemple en est l’affaire d’Angers72. De mars
à juillet 2005, la cour d’assises du Maine-et-Loire eut à juger une importante
affaire de pédophilie mettant en cause soixante-six accusés. Deux points sont à
souligner. Le premier est que les responsables de la juridiction ont eu pour
objectif d’organiser un procès de masse qui garantisse la qualité du débat
judiciaire. Un comité de pilotage, dont faisait partie le bâtonnier de l’ordre des
avocats d’Angers, a fait édifier une salle d’audience spéciale au milieu de la salle
des pas perdus du palais de justice. La ville d’Angers, consciente de l’enjeu, a
apporté son appui, alors que l’ombre d’un autre procès, celui d’Outreau, pesait
sur celui-ci. La qualité du débat judiciaire a été assurée par tous ses acteurs. Le
second point important est que les relations avec la presse ont fait l’objet d’une
attention particulière. Le procureur général a désigné un référent presse,
interlocuteur unique, et des moyens techniques et matériels ont été mis à la
disposition de la presse. Celle-ci a reçu un dossier complet comprenant les
textes applicables, les peines encourues, les textes sur la protection des enfants
victimes, avec une liste de concordance de leurs prénoms.

Le recours au droit pénal et ses limites


Les victimes ou leurs ayants droit ont eu recours au droit pénal à l’occasion
de sinistres d’une particulière gravité : affaires de santé publique (sang
contaminé), accidents tels que la catastrophe aérienne du mont Sainte-Odile
(1992), l’incendie du tunnel du Mont-Blanc (1999) ou l’explosion de l’usine
AZF à Toulouse (2001). Quelle a été l’issue de ces procès ? Dans l’affaire du
mont Sainte-Odile (quatre-vingt-sept morts), tous les prévenus ont été relaxés
et aucune faute n’a été retenue contre Air France. Le jugement du tribunal de
grande instance date de 2006, quatorze ans après les faits, l’arrêt de la cour
d’appel de 2008 et celui de la Cour de cassation de 2009, dix-sept ans après
l’accident. L’action en responsabilité dirigée contre l’État pour durée excessive
de la procédure a été rejetée en 2011.
L’incendie du tunnel du Mont-Blanc a conduit à la condamnation de
plusieurs personnes par le tribunal de grande instance de Bonneville. En 2006,
un accord financier est intervenu au profit de deux cent trente-huit ayants
droit, en plus des sommes versées par la société. La cour d’appel de Chambéry
a confirmé, en 2007, la condamnation du responsable de la sécurité.
L’explosion de l’usine AZF à Toulouse (trente et un morts) a conduit à une
relaxe en première instance. Le procès en appel s’est ouvert en novembre 2011,
dix ans après l’accident. En septembre 2012, la cour d’appel de Toulouse a
déclaré l’exploitant de l’usine, la société Grande Paroisse et son ancien directeur
coupables d’homicide involontaire par négligence ou imprudence. La société a
été condamnée à 225 000 euros d’amende et son ancien directeur à trois ans
d’emprisonnement, dont deux avec sursis et 45 000 euros d’amende. Il a
« contribué, dit l’arrêt, à créer la situation qui a provoqué le dommage et n’a
pas pris les mesures permettant de l’éviter. Ces fautes ont exposé les salariés et
la population à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait pas
ignorer ». La société Total et son ancien président-directeur général ont été
relaxés.
Pour les victimes et leurs familles, recourir à la voie pénale est le plus souvent
le seul moyen de savoir ce qui s’est passé et d’obtenir un débat public
contradictoire, après instruction de l’affaire par un juge d’instruction – le juge
civil n’a pas les moyens de ce dernier –, afin de déterminer les responsabilités et
de décider des indemnisations. Hubert Dalle parle du « besoin de savoir,
d’identifier les causes et les auteurs, de prévenir les dommages futurs, de
stigmatiser les comportements, d’obtenir vengeance, de faire diligenter une
enquête, mais aux frais de l’État ». Il ajoute :
Le procès civil peut déterminer les responsabilités, mais il ne répond pas, dans sa forme actuelle,
aux attentes des victimes. Il se résume la plupart du temps à une discussion en majorité écrite entre
juristes spécialisés. Le débat dans les faits n’est pas public et ses termes sont généralement abscons, la
victime n’est jamais présente et sa présence guère souhaitée. Au contraire, dans le procès pénal, la
victime rencontre les présumés responsables, assiste et participe à un débat public et concret, peut
faire entendre sa douleur73.

Sans doute le procès civil est-il moins connu de l’opinion. Il permet une
transaction. En revanche, le juge civil statue essentiellement sur les écritures des
parties et la place de l’oralité dans les débats y est bien moindre. Mais on peut
sortir meurtri d’un procès pénal, indépendamment du verdict. Il arrive très
souvent que celui-ci n’apaise pas.
Cela dit, la durée de ces procès est excessive. Pourquoi ? En particulier à
cause de la longueur des expertises, de l’utilisation abusive des recours ou des
demandes de contre-expertise par la partie adverse ou de l’interprétation stricte
des qualifications pénales. Quelles que soient les difficultés de procédure, ces
délais excessifs ne sont pas une fatalité. Le coût des procès, pour tous, y
compris le service lui-même, a-t-il jamais été calculé ? Tant les relaxes
intervenues que la nature des condamnations prononcées conduisent aussi à
s’interroger sur le bien-fondé, dans certains cas, du choix de la voie pénale, en
raison de ses causes et de ses conséquences pour les personnes mises en cause et
les victimes et leurs ayants droit. Il y a bien, à la vérité, une tension, souvent
génératrice de frustration et d’amertume, l’inverse de ce que la justice doit
rechercher, entre le résultat final et tardif de ces procès et ce besoin légitime de
savoir, qu’il faut respecter. Deux interrogations subsistent, qui invitent à la
réflexion. La première a été formulée par deux avocats, d’une façon quelque
peu réductrice, mais qui met le doigt sur un problème réel : « En sommes-nous
arrivés à utiliser la scène judiciaire pour remplir une fonction essentiellement
explicative et pédagogique74 ? ». La deuxième interrogation naît de ce qu’écrit
Christian Morel. Est-il vrai que « [l]a procédure pénale, en rendant secrète
l’instruction et en interdisant de toucher aux preuves, s’oppose aux retours
d’expérience sur les accidents75 », et cela parce que « [l]’instruction judiciaire et
le retour d’expérience sont fondés sur deux principes antagonistes : le secret
pour la première, la publicité pour la seconde76 », que « [l]a crainte de la
pénalisation incite les acteurs à limiter les analyses des accidents et erreurs77 » et
« à réduire la formalisation des enquêtes internes78 » ?
Quelles que soient les difficultés de procédure, ces délais excessifs ne sont
pas une fatalité. Chaque échelon doit s’organiser pour ne pas s’y installer avec
passivité ou résignation.
Quelle que soit leur utilité, les autres moyens disponibles pour savoir ce qui
s’est passé – rapports administratifs ou parlementaires – ne peuvent aboutir aux
mêmes résultats. Mais ils possèdent une valeur certaine, sont une mine
d’informations et doivent être utilisés. Ainsi le rapport du Sénat sur
l’amiante79 ou celui de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur le
Médiator80. Le rapport de l’Igas de 1991 sur la transfusion sanguine n’a pas été
rendu public par l’administration. Pourquoi ?

L’ÉVOLUTION GÉNÉRALE DU DROIT

Les normes applicables se sont transformées en volume, en nombre et en


origine. Commençons par le plus visible : elles sont de plus en plus complexes
et détaillées. Pour les amateurs de données chiffrées, prenons deux codes qui
s’appliquent à une majorité de personnes : le Code du travail et le Code général
des impôts. Le premier comprend 15 100 articles, dont 7 800 pour la partie
législative et 7 300 pour la partie réglementaire. Le Code général des impôts et
ses quatre annexes, 3 247 articles. Le site Légifrance mentionne près de
soixante-dix codes, progrès considérable pour l’accès au droit par rapport à la
dispersion antérieure des textes81. À ces normes nationales, il faut ajouter celles
du droit communautaire (règlements, directives) et celles des conventions
internationales, notamment dans le domaine des droits de l’homme.
Ce comptage sommaire, dût-il conduire à un constat éploré, ne suffit
évidemment pas, et il faut pousser l’analyse plus loin. Comme l’a noté Loïc
Cadiet, la « dilatation de l’offre de droit » s’est accompagnée de l’« expansion
des droits » et de l’« ouverture de l’accès au droit », qu’il s’agisse de l’accès aux
tribunaux en général ou du développement des actions en justice pour
défendre un intérêt collectif82. Il ne suffit pas d’incriminer l’aveuglement ou la
perversité des administrations, acharnées à augmenter sans cesse l’arsenal des
textes, métaphore du reste inappropriée, quand on sait leur impuissance de fait
dans bien des situations et le nombre des textes inappliqués. Soyons sérieux :
beaucoup de textes nouveaux sont le résultat de revendications de tel ou tel
groupe social ou professionnel, transmises et appuyées, à l’occasion, par des
parlementaires dûment avisés et équipés. D’autres sont la conséquence de
l’intervention de normes communautaires ou internationales.
Les normes applicables sont souvent instables. Le principal responsable est
ici le gouvernement. S’il fallait établir une carte des principales zones sismiques
de notre droit, le niveau le plus élevé dans l’échelle de Richter irait sans doute
au droit des étrangers, au droit pénal et à la procédure pénale, au droit fiscal et
au droit social. Cette instabilité a un coût élevé, que nul n’a encore calculé,
mais que tous subissent : l’incertitude sur le contenu du droit est une source
d’insécurité juridique83, d’erreurs et de contentieux. La boucle se referme.
Ces normes contiennent de plus en plus de règles de procédure84 et de fond,
sources d’obligations pour les uns, de droits pour les autres et de pouvoirs pour
les juges. Couronnant le tout, un droit constitutionnel, garanti aussi par la
Convention européenne des droits de l’homme : le droit à un recours
juridictionnel effectif devant un juge indépendant et impartial et à un procès
équitable devant lui, et un accès facilité à ce juge.
Mais au moins, demandera un Persan ou un Huron85 revenu parmi nous –
ils se font rares –, sans doute ces fonctionnaires et législateurs, auteurs directs
ou indirects, apparents ou réels, de tous ces textes nouveaux se préoccupent-ils,
avant de laisser courir leur plume et de faire enfin « sortir » le texte tant désiré
par ses rédacteurs, des conséquences pour la justice et les justiciables, puisque
justiciables il y a, des réformes proposées et de l’évaluation de leurs effets. À la
vérité, non. Il existe depuis 1983 un Office parlementaire d’évaluation des
choix scientifiques et technologiques. La même institution n’existe pas pour les
choix législatifs. Elle est à créer.
Soit, notera avec tristesse notre Persan. Mais n’avez-vous pas inventé l’étude
d’impact, désormais obligatoire pour tous les projets de loi déposés depuis
le 1er septembre 2009 ? Elle a certainement été appliquée ici. Non. Qu’on en
juge : le Guide pour l’élaboration des textes législatifs et réglementaires préparé par
le secrétariat général du gouvernement consacre, dans sa deuxième édition
(2007), quelques lignes aux études d’impact, mais reste muet sur les effets
contentieux. Tout au plus y lit-on que « les effets juridiques et administratifs
sont en toute hypothèse à prendre en considération86 ». Voilà qui est bien dit. Il
en va de même, sur le même sujet, du rapport du Conseil d’État de 2006. C’est
dire, en bref, les fortes réticences des auteurs des textes et le bilan décevant des
études d’impact87.
Ce que l’on peut dire des études d’impact vaut aussi pour l’évaluation des
lois existantes lorsqu’une réforme est proposée. La succession quasi
ininterrompue, depuis 2002, des lois réformant la procédure pénale et le droit
pénal en est un exemple frappant. Leur rythme même et les conditions dans
lesquelles elles ont été décidées, préparées et discutées interdisaient l’évaluation
pourtant nécessaire de l’existant. Dernière illustration : la loi
du 13 décembre 2011 a élargi le champ d’application de la comparution sur
reconnaissance préalable de culpabilité. De quoi s’agit-il ? Avec l’accord de
l’auteur de l’infraction reconnaissant sa culpabilité, le procureur de la
République propose une peine, sous réserve de l’homologation par le juge.
L’étude d’impact jointe au projet de loi nous apprend qu’en 2008
55 092 procédures de cette nature ont été validées par une ordonnance du juge
et que 476 778 infractions relevaient de cette procédure. Son taux d’utilisation
a donc été de 12 %. Fort bien. Mais il aurait été au moins aussi intéressant,
voire plus, de connaître le taux d’homologation par le juge, c’est-à-dire les cas
où il se borne à ratifier la décision du procureur. Cela, on ne le saura pas en
lisant le rapport.

LE CORPS JUDICIAIRE :
UNE NOUVELLE IDENTITÉ

Les magistrats, eux aussi, ont changé. Après avoir longtemps stagné, leur
nombre a augmenté – pour atteindre plus de huit mille aujourd’hui –, et leur
recrutement social s’est diversifié. Surtout, au-delà des divisions internes et de
la diversité des métiers judiciaires, qui seront examinées au chapitre IV, une
identité nouvelle s’est affirmée88.
Le premier aspect de cette évolution concerne l’École nationale de la
magistrature. Dispenser au plus grand nombre des futurs magistrats une
formation initiale commune, ainsi qu’une formation continue, a été une
mutation de fond capitale dans l’histoire de la magistrature. La création de
l’École est récente (1958-1970). Pourquoi ? Pour deux raisons. Il y a d’abord
l’incurie intéressée des responsables politiques. Un concours, créé en 1876, est
abandonné dès 1879. Rétabli en 1906, il est supprimé en 1908 et remplacé par
un examen professionnel permettant aux recommandations politiques de jouer
à plein. Le mode de formation reste le stage au parquet et dans un cabinet
d’avocat et une première nomination comme juge suppléant. Cinquante ans
s’écoulent. À partir des années 1950, la crise de recrutement est telle qu’une
réforme s’impose. L’idée d’une école de la magistrature se fait jour, et un projet
de création d’un centre est rédigé en 1956. Il y eut aussi, deuxième raison,
l’inertie, voire l’opposition d’une grande partie du corps judiciaire à la création
d’une telle école, fondée sur l’attachement au mode traditionnel de formation.
Les facultés de droit et le barreau furent également très réticents. L’arrivée du
général de Gaulle au pouvoir permettra à Michel Debré de créer en 1958 le
Centre national d’études judiciaires, qui deviendra en 1970 l’École nationale
de la magistrature89. D’où deux conséquences : l’élévation du niveau de cette
formation, comme le montre l’exemple du droit économique et financier90 ;
l’apparition d’une conscience collective, d’un esprit de corps, et des liens
personnels renforcés entre magistrats91.
Le deuxième élément de changement est la naissance du syndicalisme
(1968)92. Longtemps impensable, il constitue un fait et un facteur d’identité.
Deux points sont à retenir ici. Le premier concerne son apport historique.
Comme le dit Jacques Krynen : « Sans la syndicalisation, la magistrature
judiciaire, longtemps une grande muette, le cadet des soucis de l’État, n’aurait
certainement pas connu autant d’améliorations statutaires93, de réelles garanties
de carrière, de meilleurs traitements, et l’indépendance de la justice en France,
via les réformes du Conseil supérieur de la magistrature, n’aurait pas connu un
presque total aboutissement94. » Le second point se rapporte au partage de
l’autorité sur les magistrats, du fait du poids des représentants des syndicats,
dont les deux principaux, l’Union syndicale de la magistrature et le Syndicat de
la magistrature, sont représentés au sein de la commission d’avancement et du
Conseil supérieur de la magistrature95.
Le troisième facteur est l’existence, au sein du corps judiciaire, de nouvelles
associations représentant la hiérarchie. Il existait des associations regroupant
des juges spécialisés (les juges d’instruction, les juges des enfants) ou bien les
membres du parquet. Voici qu’entrent en scène des associations représentant la
hiérarchie judiciaire : d’abord les premiers présidents de cour d’appel et les
procureurs généraux, puis les présidents de tribunaux de grande instance et les
procureurs de la République. Elles ont pris position à plusieurs reprises, et
vigoureusement, sur des problèmes de fond.
Le quatrième facteur d’évolution est la féminisation de la magistrature. Les
femmes ne peuvent être magistrates que depuis 1946. Représentant 10 % des
effectifs en 1970, elles sont aujourd’hui majoritaires96. Ici aussi les résistances
au sein du corps furent vives et s’exprimèrent ouvertement. Les présidents des
jurys de l’examen professionnel notèrent l’inaptitude des femmes aux fonctions
judiciaires à cause d’un « élément affectif », de l’absence fréquente « des
qualités d’autorité, de raisonnement, de présence d’esprit et de maîtrise de soi
indispensables à l’exercice des fonctions judiciaires »97. En 2012, 84,14 % des
inscrits aux trois concours d’entrée à l’ENM étaient des femmes. La proportion
était de 86,93 % pour le premier concours.
Le cinquième aspect est celui de la culture judiciaire. Le fait que 47 pays
d’Europe doivent appliquer la Convention européenne des droits de l’homme
et 27 le droit de l’Union européenne a rendu les contacts entre juridictions
nationales et internationales à la fois nécessaires et plus faciles. Les formes en
sont multiples : associations internationales de juges spécialisés ou de cours
suprêmes et constitutionnelles, rencontres bilatérales régulières entre
juridictions suprêmes, stages dans une juridiction étrangère, organisés, par
exemple, par le Réseau européen de formation judiciaire (créé par la
Commission), collaboration au sein d’organismes tels que la Commission
européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej), fondée par le Conseil de
l’Europe98.
Autant d’occasions, pour les magistrats, d’élargir leur horizon juridique et
institutionnel et de jeter un regard renouvelé sur leurs pratiques
professionnelles.
Le sixième élément est l’émergence progressive d’une nouvelle mentalité
attestant, face à des politiques tendant à entraver et à réduire le rôle du juge,
une prise de conscience des responsabilités propres de l’institution judiciaire,
une culture professionnelle.

CONCLUSION

Le contexte juridique, institutionnel, social et politique dans lequel s’exerce


la fonction de juger a subi de profondes transformations. En même temps que
la société, bien qu’à un rythme différent, l’institution judiciaire a changé. Nous
sommes désormais face à une justice désacralisée, exposée, dans les deux sens du
terme, dont on attend beaucoup, et face à des juges dont les pouvoirs se sont
accrus. Leurs responsabilités aussi ont grandi, car l’un ne va pas sans l’autre.
C’est dans ce nouveau contexte que s’exerce, à l’occasion de l’acte de juger, leur
fonction d’interprétation, voire de création du droit.

1. 1. Sur l’histoire et le contenu de cette notion, notamment en droit comparé, cf. Luc HEUSCHLING,
État de droit, Rechtsstaat, Rule of Law, Dalloz, 2002.
2. Dictionnaire des idées reçues.
3. Autorité de la concurrence, Autorité des marchés financiers, Commission nationale de
l’informatique et des libertés, Conseil supérieur de l’audiovisuel, etc.
4. Jacques KRYNEN, L’État de justice (France, XIIIe-XXe siècle), II, L’Emprise contemporaine des juges,
Gallimard, 2012, p. 12. Cf. aussi Renaud COLSON, La Fonction de juger. Étude historique et positive,
préface de G. Canivet, avant-propos de L. Cadiet, Presses universitaires de la faculté de droit de
Clermont-Ferrand, 2006.
5. Cf. Maurice HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, 2e éd., Librairie du Recueil Sirey, 1929 ;
réimpression Éd. du CNRS, 1965, pp. 266 sqq.
6. Gaston JÈZE, « Le contrôle juridictionnel des lois », Revue du droit public, 1924, p. 412.
7. Charles EISENMANN, commentaire de la décision du Conseil d’État, Arrighi, 6 novembre 1936,
Dalloz, Recueil périodique et critique, 1938, III, p. 6.
8. Les auteurs de cette adjonction pensaient à la liberté de l’enseignement.
9. Conseil constitutionnel, décision no 71-44, DC, 16 juillet 1971, p. 29.
10. Cette notion ne concerne pas seulement les droits des individus vis-à-vis de l’État, mais aussi les
rapports entre personnes. Il suffit de songer au droit du travail et au droit de la famille.
11. Conseil constitutionnel, décision no 2010-1, QPC, 28 mai 2010, p. 91 (voir infra, pp. 144 sqq).
12. Id., décision no 2010-8, QPC, 18 juin 2010, p. 117 (voir infra, pp. 120 sqq).
13. Id., décision no 6/7, QPC, 11 juin 2010, p. 111.
14. Id., décision no 2010-14/22, QPC, 30 juillet 2010, p. 179 (voir infra, pp. 67 sqq).
15. Id., décision no 2010-71, QPC, 26 novembre 2011, p. 343.
16. Id., décision no 2010-93, QPC, 4 février 2011 (voir infra, pp. 148 sqq).
17. Id., décision no 2011-131, QPC, 20 mai 2011.
18. Id., décision no 2012-652, QPC, 22 mars 2012.
19. Id., décision no 2012-240, QPC, 4 mai 2012 (voir infra, pp. 116 sqq).
20. Cf., par exemple, Id., décision no 99-419, DC, 9 novembre 1999, sur la loi relative au pacte civil
de solidarité, p. 116.
21. Id., décision no 2010-2, QPC, 11 juin 2010, p. 105.
22. Id., décision no 2010-613, DC, 7 octobre 2010, p. 276. Je l’ai commentée dans Public Law,
avril 2011, p. 429.
23. Id., décision no 2012-647, DC, 28 février 2012.
24. Id., décision no 2009-593, DC, 19 novembre 2009, p 196.
25. Id., décision no 2011-631, DC, 9 juin 2011 (voir infra, pp. 137 et 165).
26. Cf. Patrick WACHSMANN, « Sur la composition du Conseil constitutionnel », Jus politicum, no 5,
décembre 2010, p. 1.
27. C’est-à-dire qu’il faut aller beaucoup plus loin que la réforme constitutionnelle de 2008 et prendre
plus au sérieux ces nominations. Selon cette réforme, les propositions émanant du président de la
République ne peuvent être rejetées que si l’addition des votes négatifs dans chaque commission de
l’Assemblée nationale et du Sénat représente au moins les trois cinquièmes des suffrages exprimés dans ces
deux commissions (Constitution, art. 13, dernier alinéa).
28. « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité
supérieure à celle des lois. » La clause de réciprocité contenue dans cet article ne s’applique pas aux
conventions relatives aux droits de l’homme.
29. Pour le droit des étrangers, voir infra, pp. 128 sqq.
30. Voir infra, p. 67.
31. « Les droits fondamentaux sont compris dans les principes généraux de l’ordre juridique
communautaire » (Stauder, affaire 29-69, 12 novembre 1969, p. 419) ; « [L]e respect des droits
fondamentaux fait partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour de justice assure le
respect […] en s’inspirant des traditions constitutionnelles communes aux États membres […] dans le
cadre de la structure et des objectifs de la Communauté » (Internationale Handelsgesellschaft, affaire 11-70,
17 décembre 1970, p. 1125).
32. Cf. le préambule du traité sur l’Union européenne, alinéas 2 et 4, et son article 6, qui renvoie à la
Charte des droits fondamentaux, qui a la même valeur juridique que les traités : « Les droits
fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes
aux États membres font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux. »
33. Cf. Olivier DUTHEILLET DE LAMOTHE, « Le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des
droits de l’homme : un dialogue sans paroles », in Le Dialogue des juges. Mélanges en l’honneur du président
Bruno Genevois, Dalloz, 2009, p. 403.
34. L’OIT a remplacé après 1945 le Bureau international du travail créé par le traité de Versailles
en 1919. Cette organisation est chargée d’adopter des normes internationales du travail, notamment par
le moyen de conventions.
35. Cass. soc., 1er juillet 2008, COUR DE CASSATION, « Les discriminations dans la jurisprudence de la
Cour de cassation », Rapport 2008, La Documentation française, 2009, p. 218.
36. Tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion, 18 octobre 2010, SCM Gervais-Scemama.
Cette société avait licencié une salariée sans indiquer de motif, conformément à l’ordonnance de 2005. Le
conseil des prud’hommes la condamna à lui verser une indemnité de 3 000 euros, par application de la
jurisprudence de la Cour de cassation. La société a alors demandé que l’État soit déclaré responsable et
condamné à lui verser une indemnité égale à cette somme. C’est ce qu’a fait le tribunal administratif par
ce jugement définitif.
37. Pour une étude de droit comparé, cf. Mads ANDENAS et Eirik BJORGE, « L’application de la
Convention européenne des droits de l’homme. Quel rôle pour le juge interne ? », Revue internationale de
droit comparé, no 2, avril-septembre 2012, p. 383.
38. La Chambre des communes a refusé en 2011, par une majorité massive, toute exécution d’un
jugement de la Cour européenne des droits de l’homme condamnant le Royaume-Uni en raison de la
privation systématique du droit de vote des détenus (CEDH, Hirst c. Royaume-Uni, 6 octobre 2005), en
rejetant un projet de loi, très timide, n’accordant ce droit de vote qu’aux détenus condamnés à une peine
d’emprisonnement de moins de quatre ans. Par une décision du 22 mai 2012 (CEDH, Scoppola c. Italie),
la Cour a confirmé que les États disposaient, dans ce domaine, d’une marge d’appréciation. En
supprimant le droit de vote des détenus condamnés à une peine égale ou supérieure à cinq ans
d’emprisonnement, l’Italie n’a pas violé la Convention européenne des droits de l’homme.
39. Le projet préparé par Sieyès en prévoyait généreusement deux. Cf. Jean-Denis BREDIN, Sieyès. La
clé de la Révolution française, Éd. de Fallois, 1988, p. 471.
40. Sur les débats qui ont accompagné, au XIXe siècle, l’existence du Conseil d’État, et la naissance du
droit administratif et d’un contentieux propre, cf. l’excellente analyse de Lucien JAUME, L’Individu effacé,
ou le paradoxe du libéralisme français, Fayard, 1997, pp. 351-379.
41. Voir infra, p. 139.
42. Cf. Guy BRAIBANT et Bernard STIRN, Le Droit administratif français, Presses de Sciences Po et
Dalloz, 2012 ; Marceau LONG, Prosper WEIL, Guy BRAIBANT, Pierre DELVOLVÉ et Bruno GENEVOIS, Les
Grands Arrêts de la jurisprudence administrative, 18e éd., Dalloz, 2011 ; René CHAPUS, Droit administratif
général, 2 vol., 14e éd., Montchrestien, 2000 ; ID., Droit du contentieux administratif, 13e éd.,
Montchrestien, 2008. Pour une réflexion sur l’évolution récente, cf. « Dix ans de croissance du
contentieux », Revue française de droit administratif, nos 3, mai-juin 2011, et 4, juil.-août 2011.
43. Sur ce dernier point, voir infra, p. 122.
44. Un nom doit être cité ici, celui de lord Lester, avocat, qui a été, par son action devant les
juridictions britanniques et la Cour européenne des droits de l’homme, par ses nombreux articles et essais
et par son rôle à la Chambre des lords, l’avocat persévérant et résolu de cette incorporation auprès des
pouvoirs publics, des magistrats et de l’opinion publique.
45. Art. 94 de la Constitution.
46. Cf. Étienne FRANÇOIS, « La Cour constitutionnelle fédérale et la culture juridique allemande », Le
Débat, no 168, janvier-février 2012, p. 81 ; Dieter GRIMM, « L’interprétation constitutionnelle du
développement des droits fondamentaux par la Cour constitutionnelle fédérale », Jus Politicum, no 6,
octobre 2011.
47. Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs. Mélanges en l’honneur de Roger Perrot, Dalloz, 1996.
48. Jean Étienne Marie PORTALIS, « Discours préliminaire sur le projet de Code civil… », in Discours
et rapports sur le Code civil, Presses universitaires de Caen, 2010, p. 66.
49. Dès 1788, Hamilton, l’un des pères fondateurs de la nouvelle république américaine, avait
souligné l’importance de cette fonction d’interprétation de la loi par le juge : « Les lois sont lettre morte si
les tribunaux n’exposent et ne définissent pas leur signification véritable et application » (Alexander
HAMILTON, John JAY et James MADISON, The Federalist, no 22 [traduit par moi]). Il ajoutait :
« L’interprétation des lois est la fonction propre et particulière des tribunaux » (ibid., no 78).
50. Jean-Bernard AUBY, La Globalisation, le Droit et l’État, 2e éd., LGDJ, 2010, pp. 53 sqq.
51. Gesetz und Recht (souligné par moi).
52. Cour constitutionnelle fédérale, Princesse Soraya, 14 février 1973, BVerfGE, t. XXXIV, chap. IV,
p. 269.
53. Sur cette notion d’une grande fécondité, cf. Jean-Louis RENCHON (dir.), Les Droits de la
personnalité, Bruxelles, Bruylant, 2010 ; cf. aussi COUR DE CASSATION, « Le droit de savoir »,
Rapport 2010, La Documentation française, 2011, p. 264 : « Droits de la personnalité et droit de savoir
du public ».
54. Lord STEYN, « Deference : a Tangled Story » (la déférence : une affaire embrouillée), Public Law,
2005, p. 346 ; cf. aussi Jeffrey JOWELL, « Judicial Deference : Servility, Civility or Institutional Capacity »,
Public Law, 2003, p. 592, et l’article d’un autre juge, membre de la Cour d’appel, sir Terence ETHERTON,
« Liberty, the Archetype and Diversity : A Philosophy of Judging », Public Law, 2010, p. 727.
55. Guy CANIVET, « Activisme judiciaire et prudence interprétative », Archives de philosophie du droit,
t. L, « La création du droit par le juge », Dalloz, 2007.
56. Pour un compte rendu de ce colloque, cf. René SAVATIER, « Le juge dans la cité française. 1965-
1967 », Dalloz-Sirey, 1967, p. 195.
57. Le Monde, 30 octobre et 1er novembre 1969.
58. Guy CANIVET, « La préparation des magistrats de l’ordre judiciaire à l’exercice de leurs fonctions
de chef de juridiction et de parquet », rapport au garde des Sceaux, 14 février 2007, p. 16, § 57.
59. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Les Français et leur justice. Restaurer la confiance, La
Documentation française, 2008, p. 2.
60. Philippe MEIRIEU, « Contre l’idéologie de la compétence, l’éducation doit apprendre à penser »,
entretien croisé avec Marcel Gauchet, Le Monde, 3 septembre 2011.
61. Frédéric ROUILLON, « La médecine se meurt », Le Monde, 24 septembre 2011.
62. « L’arbitrage constitue un mode juridictionnel non judiciaire de règlement des différends,
caractérisé par son aspect hybride, à la fois conventionnel et décisionnel […]. [L]e pouvoir de juger dont
les arbitres sont investis trouve sa source dans une convention, un accord formalisé entre les parties au
différend […]. [L]’acte de résolution du litige, la sentence arbitrale, a la même nature juridique qu’une
décision rendue par une juridiction étatique, s’imposant aux parties, entre lesquelles elle a l’autorité de la
chose jugée » (Marie-Claire RIVIER, « Arbitrage », in Loïc CADIET [dir.], Dictionnaire de la justice, PUF,
2004, p. 52). L’arbitrage n’est possible que si les parties ont la libre disposition de leurs droits. Il inclut
soit le choix des arbitres par les parties, soit la désignation de ceux-ci par une institution. Un recours
devant la cour d’appel existe contre la sentence arbitrale. L’arbitrage s’applique surtout au droit des
affaires.
63. L. CADIET, « La justice face aux défis… », art. cité, p. 19.
64. En voici un exemple emblématique. Thierry Bert cite l’affaire dite des « Ciments français » où des
personnes étaient poursuivies pour délit d’initiés à la suite d’achat de titres non cotés : « ce n’est qu’au
bout de onze années, parsemées de malheurs individuels, et surtout marquée par une grande insécurité
juridique et donc économique, que la procédure s’est conclue à la cour d’appel de Paris par un aveu
d’impuissance du procureur général, suivi d’un non-lieu au motif que le délit n’était et n’avait jamais pu
être constitué ni en droit français ni en droit belge » (Thierry BERT, « L’intervention des juges dans
l’économie est-elle justifiée ? », in Antoine Garapon [dir.], Les Juges. Un pouvoir irresponsable ?, Nicolas
Philippe, 2000, p. 129).
65. Cf. Irène THÉRY, Couple, filiation et parenté aujourd’hui : le droit face aux mutations de la famille et
de la vie privée, rapport à la ministre de l’Emploi et de la Solidarité et au garde des Sceaux, ministre de la
Justice, Odile Jacob et La Documentation française, 1998 ; Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, Rénover le
droit de la famille. Propositions pour un droit adapté à la réalité et aux aspirations de notre temps, rapport au
garde des Sceaux, ministre de la Justice, La Documentation française, 1999 ; Isabelle CORPART (dir.),
« Filiations : nouveaux enjeux », Problèmes politiques et sociaux, no 914 (numéro thématique),
juillet 2005 ; SÉNAT, « Rapport d’information sur les nouvelles formes de parentalité et le droit », no 392,
14 juin 2006. Pour une étude historique d’ensemble, cf. André BURGUIÈRE, Christiane KLAPISCH-ZUBER,
Martine SEGALEN et Françoise ZONABEND (dir.), Histoire de la famille, préface de Cl. Lévi-Strauss, 3 vol.,
Armand Colin, 1986.
66. SÉNAT, « Rapport d’information sur les nouvelles formes de parentalité et le droit », art. cité,
p. 30. Selon l’article 3-1 de cette convention, « dans toutes les décisions qui concernent les enfants,
qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des
autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une
considération primordiale ».
67. Ibid., p. 22.
68. Cf. Jean-Louis GENARD, « La juridicisation de la société et les effets sur le droit », Regards sur
l’actualité, mai 2001, p. 37.
69. Il y a eu, dans le passé, un très grand chroniqueur judiciaire : Jean-Marc Théolleyre. Cf. Jean-Paul
JEAN, « Jean-Marc Théolleyre, l’observateur engagé (1945-1965) », in Sylvie HUMBERT et Denis SALAS
(dir.), La Chronique judiciaire. Mille ans d’histoire, La Documentation française, 2010, p. 119.
70. Jean-Denis BREDIN, « Déontologie et responsabilité du juge », in Le Service public de la justice,
Odile Jacob, 1998, p. 165.
71. Robert BADINTER et Stephen BREYER (à l’initiative de), Les Entretiens de Provence. Le juge dans la
société contemporaine, Fayard et Publications de la Sorbonne, 2003, pp. 378-379 (souligné par moi).
72. Je résume ici l’article d’Élisabeth LINDEN, première présidente de la cour d’appel d’Angers,
« Justice et opinion publique : réflexions après le procès d’Angers », Les Cahiers de la justice, no 2,
printemps 2007, p. 135.
73. Hubert DALLE, « Juger plus et juger mieux », in ID. et Daniel SOULEZ LARIVIÈRE (dir.), Notre
justice. Le livre-vérité de la justice, Robert Laffont, 2002, pp. 231 et 241-242.
74. Daniel SOULEZ LARIVIÈRE et Simon FOREMAN, « Comprendre ou juger », Le Monde,
5 juillet 2008. Cf. aussi l’interview de Me Bernard FAU « Sur la santé, la justice a échoué », entretien, Le
Monde, 21 juillet 2012.
75. Christian MOREL, Les Décisions absurdes II. Comment les éviter, Gallimard, 2012, p. 166.
76. Ibid, p. 167.
77. Ibid.
78. Ibid.
79. Voir infra, note 4, p. 122.
80. IGAS, Enquête sur le Médiator, rapport établi par Anne-Carole Bensadon, Étienne Marie et
Aquilino Morelle, La Documentation française, 2011.
81. Cf. Journées d’étude à l’occasion du bicentenaire du Code civil, t. I, Le rayonnement du droit codifié,
Éd. du Journal officiel, 2005.
82. Loïc CADIET, « Le spectre de la société contentieuse », Mélanges offerts à Gérard Cornu, PUF, 1994,
pp. 33 sqq.
83. CONSEIL D’ÉTAT, « Sécurité juridique et complexité du droit », in Rapport 2006, La
Documentation française, 2007, pp. 223 et 303 sqq.
84. Cf. Serge GUINCHARD et al., Droit processuel. Droit commun et droit comparé du procès équitable, 4e
éd., Dalloz, 2007 ; Alain SUPIOT, Homo juridicus. Essai sur les fonctions anthropologiques du droit, Éd. du
Seuil, 2006, pp. 198 sqq.
85. En 1962, il y a cinquante ans, un grand juriste, Jean RIVERO, publia un article qui fit un certain
bruit : « Le Huron au Palais-Royal ou réflexions naïves sur le recours pour excès de pouvoir », Dalloz,
1962, p. 37. C’est pour moi ici l’occasion de lui rendre hommage.
86. SECRÉTARIAT GÉNÉRAL DU GOUVERNEMENT, Guide pour l’élaboration des textes législatifs et
réglementaires, 2e éd. mise à jour, La Documentation française, 2007, p. 22.
87. Cf. ASSEMBLÉE NATIONALE, « Rapport d’information fait au nom du comité d’évaluation et de
contrôle des politiques publiques sur les critères de contrôle des études d’impact accompagnant les projets
de loi », no 2094, 19 novembre 2009. Le rapport contient une annexe V intitulée : « Référentiel proposé
pour examiner les études d’impact ». Son point 4-1-4 mentionne la sécurité juridique, l’intelligibilité et
l’accessibilité du droit, le droit européen et international et le contentieux. Le point 4-1-6 est relatif à
l’impact sur la justice et au contentieux.
88. Sur les attitudes et les comportements anciens, cf. Alain BANCAUD, « La réserve privée du juge »,
Droit et société, no 20-21, 1992, p. 255.
89. Cf. Anne BOIGEOL, « La formation des magistrats. De l’apprentissage sur le tas à l’école
professionnelle », Actes de la recherche en sciences sociales, no 76-77, mars 1989, p. 49 ; ID., « Histoire
d’une revendication : l’École nationale de la magistrature, 1945-1958 », Cahiers du Centre de recherche
interdisciplinaire de Vaucresson, no 7, 1990 ; Jean-Pierre ROYER, « Généalogie de l’École nationale de la
magistrature — à propos du mode de recrutement des magistrats depuis la Révolution », Les Cahiers de la
justice, no 1, 2010, p. 65.
90. Voir infra, p. 126.
91. Cf. Jean-Louis BODIGUEL, Les Magistrats. Un corps sans âme ?, PUF, 1991.
92. Cf. Jean-Pierre ROYER, Histoire de la justice en France, 4e éd., PUF, 2010, p. 114.
93. En toute justice, c’est à Michel Debré, ministre de la Justice du général de Gaulle en 1958, que
l’on doit le premier statut de la magistrature, modifié depuis à de très nombreuses reprises.
94. J. KRYNEN, L’Emprise contemporaine des juges, op. cit., p. 368.
95. Voir infra, p. 192.
96. Cf. Anne BOIGEOL, « Femme » [2004], in L. CADIET (dir.), Dictionnaire de la justice, op. cit.,
p. 515.
97. Cité par A. BOIGEOL, « La formation des magistrats », op. cit., p. 50.
98. Cf. Guy CANIVET, « Dialogue transjudiciaire dans un monde international », Les Cahiers de la
justice, no 2, 2010, p. 31. Cet article indique les sites Internet d’un très grand nombre d’organismes qui
organisent de tels échanges. Cf. aussi Le Dialogue des juges, op. cit.
2
Le juge et les personnes
privées de liberté

Une personne peut être privée de liberté de plusieurs façons et pendant des durées variées. La question
essentielle est celle de l’effectivité des contrôles qui s’exercent alors, à commencer par celui du juge. J’ai
choisi d’évoquer deux domaines : la garde à vue et la prison. Dans l’un comme dans l’autre, l’intervention
du juge est récente, et le droit a été modifié il y a peu dans des conditions qui méritent une attention
particulière.

Diverses raisons conduisent à priver une personne de liberté. Sa situation


varie selon la nature de l’autorité qui ordonne cette privation, la cause de celle-
ci, son régime et le caractère des contrôles exercés. Pendant une procédure
pénale, plusieurs régimes peuvent se succéder. La garde à vue, décidée par la
police judiciaire, dont la durée ne peut être prolongée, après un certain délai,
que par un juge et dont le déroulement n’était en fait, jusqu’à une date très
récente, contrôlé par personne. La détention provisoire, elle, ne peut être
décidée que par un juge, le juge des libertés et de la détention (JLD), sur
demande du juge d’instruction ou du parquet si le juge d’instruction ne la
demande pas. La mise en liberté relève de l’un ou de l’autre et, en appel, de la
chambre de l’instruction. À l’issue de la procédure, c’est un autre juge, le
tribunal correctionnel ou la cour d’assises en première instance, qui pourra, s’il
y a condamnation, infliger une peine d’emprisonnement à l’intéressé, peine
dont l’exécution sera contrôlée par un autre juge encore, celui de l’application
des peines1.
Les étrangers contre lesquels une mesure d’éloignement a été prise peuvent
être privés de liberté par une décision du préfet. Cette mesure peut être
prolongée après un certain délai par un juge, le JLD. Enfin, l’hospitalisation
d’office, à la demande d’un tiers, en cas de péril imminent ou sur décision du
préfet, fait intervenir un juge après un délai de quinze jours.
Au-delà de cette diversité des situations juridiques, il faut souligner l’unité
profonde du sujet. Celle-ci tient d’abord à la nature même de la privation de
liberté, mais aussi à la nature et surtout à l’efficacité des contrôles exercés et des
recours disponibles. Arrêtons-nous sur les contrôles. Jean-Marie Delarue,
contrôleur général des lieux de privation de liberté, a présenté en 2011 à leur
sujet des réflexions originales et pertinentes en mentionnant six critères :
— Sont-ils « inclus ou non dans la chaîne hiérarchique ? Il est clair que
l’inclusion oriente les travaux […], biaise la relation, limite l’expression des
professionnels interrogés et celle des contrôleurs, détermine l’audace des
conclusions (comme on le voit bien tous les jours) ».
— Il y a aussi « l’étendue de leur publicité […]. Les contrôles des
parquetiers donnent lieu à un rapport de politique pénal, mais tellement
synthétisé qu’il est limité à des considérations abstraites ».
— Un autre élément est « la nature des charges qui pèsent sur les contrôleurs
[…]. Naturellement, les magistrats sont ici particulièrement handicapés :
assommés d’urgences, pivots d’un certain nombre de mesures déterminantes
pour la privation de liberté, le contrôle même de cette privation leur apparaît,
tout à fait naturellement, très secondaire dans leurs priorités ».
— Il y a aussi « les autorités hiérarchiques, engoncées dans la bureaucratie,
très loin parfois des pratiques quotidiennes des agents d’exécution, qui, de
surcroît, dans ces métiers, disposent “au contact” d’une très large autonomie ».
— Il faut aussi considérer l’« objet de ces contrôles ».
— « [L]a procédure peut être compliquée ou filtrée. » Jean-Marie Delarue
mentionne deux points : « l’ignorance abyssale du droit et des procédures dans
lesquelles sont placées beaucoup trop de personnes privées de liberté » et le fait
que « les éventuels plaignants, privés de liberté, limitent eux-mêmes leurs
recours »2.
J’examinerai de façon approfondie deux domaines : la garde à vue et la
prison. La garde à vue parce qu’elle concerne plusieurs centaines de milliers de
personnes chaque année. La prison parce que l’entrée en scène du juge y est
une mutation historique.

LA GARDE À VUE :
LES JUGES DICTENT LA RÉFORME

Un bref rappel historique en dit long sur la place du droit coutumier dans
notre pays. Jusqu’au nouveau Code de procédure pénale, entré en vigueur
en 1958, aucun texte ne mentionnait ni ne réglementait la garde à vue, sa
durée et son régime. C’était une pratique. La situation actuelle offre une bonne
étude de cas rétrospective sur le thème : pourquoi et comment le droit change-
t-il à un moment donné ?

Le point de départ

Jusqu’à la réforme de 2011, le régime de la garde à vue était le suivant : un


officier de police judiciaire pouvait, pour les nécessités de l’enquête, placer en
garde à vue toute personne contre laquelle il existait une raison plausible de
soupçonner qu’elle avait commis ou tenté de commettre une infraction. Le
procureur de la République était informé. La durée maximale était de vingt-
quatre heures, avec une prolongation de vingt-quatre heures sur autorisation
écrite du parquet, qui pouvait à tout moment faire cesser la mesure. La
personne gardée à vue avait des droits : en bref, elle devait être informée de
l’infraction dont elle était suspectée et de ses droits. Elle pouvait faire prévenir
par téléphone un membre de sa famille ou son employeur et être examinée par
un médecin. Elle pouvait aussi demander à s’entretenir confidentiellement avec
un avocat dès le début de la garde à vue. Un registre permettait de vérifier le
respect de ces règles. L’interrogatoire des personnes gardées à vue pour crime et
celui des mineurs devaient faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel, sauf
dans les affaires de terrorisme, de trafic de stupéfiants et de criminalité
organisée.
Pour certaines infractions commises en bande organisée, l’entretien avec un
avocat ne pouvait intervenir qu’après quarante-huit heures. Ce délai était porté
à soixante-douze heures pour les infractions de trafic de stupéfiants et de
terrorisme. La durée maximale de la garde à vue était ici de six jours. Après
quarante-huit heures, seul le JLD pouvait la prolonger.
Ce droit a été profondément modifié en 2011 sous l’effet de critiques de la
pratique suivie et d’une série remarquable de décisions des juridictions
françaises et internationales concentrées sur une brève période.

Des critiques convergentes

Plusieurs critiques se conjuguaient. La première tenait à la place très réduite


de l’avocat, qui ne pouvait s’entretenir avec la personne gardée à vue que trente
minutes et ne pouvait ni assister aux interrogatoires ni accéder au dossier.
« Une visite de courtoisie », disaient des avocats. Dans la plupart des autres
pays européens, il possède ces deux droits, sauf dérogation fondée sur la nature
de certaines infractions graves (trafic de stupéfiants, délinquance organisée)3.
Une autre critique tenait aux conditions dans lesquelles elle se déroulait
souvent : état défectueux des locaux (saleté, absence d’hygiène4) et mesures
prises envers les personnes gardées à vue5. En voici une illustration, fournie par
le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue :
Le contrôle général s’est élevé (dès son premier rapport annuel6) contre cette habitude qu’on a
dans la plupart des commissariats d’enlever systématiquement leur soutien-gorge aux femmes
placées en garde à vue : 55 000 femmes par an, qui, lorsque nous les rencontrons, nous disent leur
humiliation d’être ainsi attifées ([note] je ne mentionne pas les remarques graveleuses dont cette
pratique peut être accompagnée : nous en avons eu pourtant des témoignages précis). On invoque la
privation nécessaire d’objets dangereux. Pourquoi alors la police ne peut fournir aucun chiffre
d’agressions [!] ou de suicide par cet étrange moyen7 ?

Depuis 2011, le Code de procédure pénale contient la disposition suivante :


« La personne gardée à vue dispose, au cours de son audition, des objets dont le
port ou la détention sont nécessaires au respect de sa dignité8. » Mais il y a
beaucoup plus grave. L’existence de sévices a abouti à la condamnation de la
France par la Cour européenne des droits de l’homme : en 1992, pour
traitements inhumains et dégradants9, en 1999, pour actes de torture10,
en 2006, pour un décès survenu pendant la garde à vue11.
On reprochait aussi aux décisions leur caractère discrétionnaire : placement
en garde à vue, modalités de son déroulement, durée. Le mode d’exercice d’un
tel pouvoir de contrainte appelait un contrôle : celui du parquet. Il n’existait
pas dans les faits.
La dernière critique, et non la moindre, portait sur l’augmentation
exponentielle du chiffre annuel des gardes à vue : 336 000 en 2001,
577 000 en 2008, 790 000 en 2009, fruit d’instructions officielles
depuis 2007 et d’une culture dite du « résultat », affirmée et proclamée en haut
lieu.

Les juges entrent en scène

Le coup d’envoi du Conseil constitutionnel


Trente-six étrangers poursuivis devant les tribunaux correctionnels pour
séjour irrégulier après avoir été placés en garde à vue soulèvent en 2010 devant
le tribunal la question de la conformité à la Constitution des règles concernant
la garde à vue (régime de droit commun). La Cour de cassation saisit le Conseil
constitutionnel, qui statue en juillet 2010.
Depuis 1993, la garde à vue est de plus en plus fréquemment utilisée,
explique ce dernier dans sa décision. « L’équilibre des pouvoirs et des droits »,
contenu dans le Code de procédure pénale, a été modifié. Par exemple, de
moins en moins d’affaires sont soumises à un juge d’instruction : moins
de 3 % en matière correctionnelle – pour les crimes l’instruction est
obligatoire. Le traitement en temps réel des infractions se développe.
Conséquence :
Même dans les procédures portant sur des faits complexes ou particulièrement graves, une
personne est le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant
l’expiration de la garde à vue, en particulier sur les aveux qu’elle a pu faire pendant celle-ci12.

Traduisons : la décision du parquet sur l’action publique est prise sur le


rapport (le plus souvent téléphonique) d’un officier de police judiciaire avant la
fin de la garde à vue et sans que le procureur ait même vu et entendu la
personne. Ce même procureur est censé contrôler la garde à vue. Conclusion
inévitable et démonstration des effets pervers, mais acceptés par tous les
acteurs, du développement du traitement en temps réel :
Le traitement en temps réel et la garde à vue sont donc étroitement liés : le traitement en temps
réel est, pour le ministère public, un outil de gestion des gardes à vue en cours et le recours à la garde
à vue est une garantie d’efficacité du traitement en temps réel […] la garde à vue est ainsi souvent
devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement de la
personne mise en cause13.

Autre élément relevé par le Conseil constitutionnel : de plus en plus de


membres de la police judiciaire ont le pouvoir de placer une personne en garde
à vue. De 1993 à 2009, le nombre d’agents civils ou militaires ayant la qualité
d’officier de police judiciaire a plus que doublé, passant de vingt-cinq mille à
cinquante-trois mille. Ajoutons, bien que le Conseil constitutionnel ne le dise
pas : sans que leur formation juridique se soit sérieusement améliorée.
Quelques années plus tôt, le rapport de la direction des affaires criminelles du
ministère de la Justice consacré à la politique pénale faisait état d’un constat
alarmant : « La grande majorité des parquets interrogés souligne la baisse de
qualité des procédures dressées par la police et la gendarmerie nationale. » Ces
mêmes parquets évoquent « les difficultés des enquêteurs à maîtriser certaines
règles procédurales fondamentales, notamment dans le domaine de la garde à
vue ». Le rapport notait comme une des causes de ce phénomène « les
insuffisances de la formation et de l’encadrement des agents de police
judiciaire14 ».
Le Conseil constitutionnel fait remarquer que le recours à la garde à vue s’est
banalisé, y compris pour les infractions mineures, et insiste sur l’importance
des droits de la défense et de la liberté individuelle. Au sujet du contrôle du
procureur de la République, il procède à plusieurs rappels opportuns qui
indiquent, « en creux », tout ce que le parquet ne fait pas le plus souvent : le
procureur, informé dès le début de la garde à vue, peut ordonner à tout
moment que la personne gardée à vue lui soit présentée ou soit remise en
liberté. Il doit apprécier si le maintien de la garde à vue et, le cas échéant, sa
prolongation sont nécessaires à l’enquête et proportionnées à la gravité des
faits. Traduisons ce langage policé : dans combien de cas ce contrôle, le seul qui
existe ici et qui est voulu par la loi, est-il effectif ?
Le Conseil fait enfin le procès du droit en vigueur. La garde à vue peut être
ordonnée et peut durer au moins vingt-quatre heures, quelle que soit la nature
de l’infraction ou la gravité des faits. Pendant l’interrogatoire, l’intéressé ne
peut bénéficier de l’assistance effective d’un avocat. La police ne lui notifie
même pas son droit de garder le silence, depuis une loi
du 18 mars 2003 supprimant cette notification, introduite par la loi
du 4 mars 2002. En matière de régression des droits, il n’y a pas de petits
détails. Lorsque le Conseil constitutionnel avait examiné la validité de cette loi,
il n’avait rien dit de cette suppression15. Son constat est aussi tardif que
bienvenu.
Conclusion de cette excellente décision, amplement et convenablement
motivée : les règles en vigueur ne contiennent pas les garanties appropriées et
sont donc contraires à la Constitution. Elles devront être abrogées au plus tard
le 1er juillet 201116.

Le verdict de la Cour européenne


des droits de l’homme
Quelques mois plus tard, on passe des bords de la Seine à ceux du Rhin.
En 2008, la Cour européenne des droits de l’homme avait jugé que le droit
d’une personne arrêtée d’accéder à un avocat et d’être assistée par lui existe dès
son premier interrogatoire par la police. Ce droit ne peut être restreint que si,
en raison des circonstances particulières de l’affaire, il existe des raisons
impérieuses à cette restriction17. Deux ans plus tard, en 2010, la France est
condamnée par cette Cour en raison des conditions de déroulement d’une
garde à vue. M. Brusco est arrêté et placé en garde à vue. Interrogé comme
témoin, il doit prêter serment, comme le prévoyait alors une loi, abrogée
ensuite en 200418. Il avoue sa participation à certaines infractions. Il n’a pu voir
son avocat que vingt heures après le début de la garde à vue et n’a pas été
informé de son droit de se taire. Il sera condamné sur la base des déclarations
faites pendant la garde à vue. La cour de Strasbourg y a vu une violation du
droit de ne pas participer à sa propre incrimination et du droit d’être informé
du droit de garder le silence19.

Le réveil de la Cour de cassation


Retour à Paris. Cinq jours plus tard – il arrive que la justice soit lente, mais
elle connaît parfois des accélérations –, la Cour de cassation rend plusieurs
arrêts. Dans une affaire, une personne placée en garde à vue pour trafic de
stupéfiants n’avait eu le droit de voir son avocat qu’après soixante-douze
heures, conformément à la loi. La Cour y voit une violation de la convention :
sauf exception justifiée par des raisons impérieuses tenant aux circonstances
particulières de l’affaire, et non à la nature de l’infraction, comme le dit la loi,
toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction doit, dès le début de
la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf
renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat. Dans une autre
affaire, une cour d’appel avait annulé un procès-verbal de garde à vue, car
l’intéressé avait bénéficié de la présence d’un avocat, mais non de son assistance
dans des conditions lui permettant de préparer pour lui les interrogatoires
auxquels cet avocat n’a pas pu participer. La Cour de cassation a approuvé cet
arrêt. Dans une troisième affaire, la cour d’appel avait annulé un procès-verbal
de garde à vue : l’intéressé avait été interrogé pour l’essentiel avant
l’intervention de son avocat, donc sans pouvoir se préparer avec lui à son
interrogatoire et n’avait pas été informé de son droit au silence. La Cour de
cassation l’a approuvée.
L’effet de ces trois arrêts a été reporté au 1er juillet 2011, afin de ne pas
porter atteinte à la sécurité juridique et à une bonne administration de la
justice20.

Retour à Strasbourg
Cinq semaines plus tard, par une décision du 23 novembre 2010, la Cour
européenne des droits de l’homme condamne la France dans une affaire où une
personne gardée à vue avait été présentée au parquet deux jours après son
arrestation et à un juge d’instruction plus de cinq jours après celle-ci. Selon
l’article 5-3 de la Convention européenne des droits de l’homme : « Toute
personne arrêtée ou détenue […] doit être aussitôt traduite devant un juge ou
un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». La
Cour a jugé que, du fait de leur statut, les membres du parquet ne
remplissaient pas l’exigence d’indépendance et d’impartialité inhérentes à la
notion de magistrat au sens de l’article 5-3 précité21.

La Cour de cassation emboîte le pas


Par un arrêt du 15 décembre 2010, la Cour de cassation adopte le même
raisonnement que la Cour européenne des droits de l’homme, en précisant que
le parquet est partie poursuivante22.

Épilogue : le triple rendez-vous du 15 avril 2011


Le 15 avril 2011 est une date importante, marquée par trois faits
concomitants, pour le droit de la garde à vue.
Premier fait : la loi du 14 avril 2011 réformant son régime est publiée. Elle
tire de façon spectaculaire les conséquences de cette jurisprudence sur six
points : aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur
le seul fondement des déclarations faites sans qu’elle ait pu s’entretenir avec un
avocat et être assistée par lui ; le principe du contrôle de l’autorité judiciaire sur
la garde à vue est réaffirmé ; le juge des libertés et de la détention et le
procureur de la République sont mentionnés ; le rôle de ce dernier est
souligné ; la décision de placement en garde à vue est encadrée par l’énoncé de
six objectifs ; elle doit être l’unique moyen de parvenir à l’un d’eux. La
personne placée en garde à vue est informée de son droit de se taire. Dès le
début de la garde à vue, la personne peut demander à être assistée par un
avocat pendant trente minutes. L’avocat peut consulter les procès-verbaux
d’audition et assister aux auditions si la personne le demande. À titre
exceptionnel, le procureur de la République ou le juge des libertés et de la
détention peuvent reporter de douze heures (vingt-quatre pour certaines
infractions) la présence de l’avocat aux auditions s’ils y voient des raisons
impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête. Après chaque
audition à laquelle il a assisté, l’avocat peut poser des questions. Il peut aussi
présenter des observations écrites. Sur le déroulement de la garde à vue, la loi
apporte – enfin – des précisions bienvenues. Elle doit se dérouler dans des
conditions assurant le respect de la dignité des personnes. Seules peuvent être
imposées des mesures de sécurité strictement nécessaires. La loi devait entrer en
vigueur au plus tard le 1er juillet 2011.
Deuxième fait : la Cour de cassation a rendu, ce même 15 avril 2011, quatre
arrêts. Quatre étrangers en situation irrégulière sont interpellés puis placés en
garde à vue, dont un pour vol et un autre pour infraction à la législation sur les
étrangers. Le préfet prend contre eux un arrêté de reconduite à la frontière,
puis les place en rétention administrative. Après vingt-quatre heures, il
demande au JLD leur maintien en rétention. Les étrangers contestent alors la
procédure : ils n’ont pu bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la
garde à vue et pendant leur interrogatoire. Que dit la Cour de cassation ? Elle
réaffirme ce qu’elle avait dit auparavant : l’article 63-4 du Code de procédure
pénale, qui ne prévoyait pas ces deux droits, est contraire à la Convention
européenne des droits de l’homme. Contrairement à ce qu’une de ses chambres
avait alors décidé, l’assemblée plénière, c’est-à-dire la plus haute formation de
la Cour, décide qu’il n’y a pas lieu de différer jusqu’au 1er
juillet 2011 l’application de cette jurisprudence. Pourquoi ? Parce que les États
parties à la Convention européenne des droits de l’homme sont tenus de
respecter les décisions de la Cour de Strasbourg sans attendre d’être attaqués
devant elle ni d’avoir modifié leur législation. Le communiqué de la Cour de
cassation – rien n’interdit aux juges d’expliquer leur décision, au contraire, cela
fait partie des bonnes pratiques et est une manière de rendre compte – le dit
clairement : « Les droits garantis par la Convention devant être effectifs et
concrets, le principe de sécurité juridique et les nécessités d’une bonne
administration de la justice ne peuvent être invoqués pour priver un justiciable
de son droit à un procès équitable23. »
Troisième fait, et fin de partie : le même jour une circulaire du ministère de
la Justice demande une application immédiate de ces arrêts, alors que la loi
du 14 avril 2011 prévoyait un délai de deux mois suivant sa publication.
Un an après cette réforme, un premier bilan peut être fait. Du 1er juin
au 30 novembre 2011, le nombre des gardes à vue a baissé de 23,2 % par
rapport à 2010. Le contrôle du parquet sur la régularité et la pertinence de la
mesure de garde à vue s’est accru. L’assistance de l’avocat est demandée dans un
peu plus du tiers des cas24. La réforme a mis en lumière l’inadaptation et
l’exiguïté des locaux dans lesquels se déroule la garde à vue et l’alourdissement
des tâches de la police et de la gendarmerie nationale25.
L’affaire n’est pas pour autant terminée, ni au plan national, ni au plan
européen. Au plan national, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question
prioritaire de constitutionnalité, a pris deux autres décisions. La première a
conduit à l’invalidation d’un article de la loi de 2011 : lorsque la personne était
gardée à vue pour une des infractions constituant un acte de terrorisme, le
JLD, saisi par le procureur ou le juge d’instruction, pouvait décider qu’elle
serait assistée par un avocat désigné par le bâtonnier sur une liste d’avocats
habilités établie par le Conseil national des barreaux, sur proposition des
conseils de l’ordre de chaque barreau. Cette restriction inédite au libre choix de
l’avocat n’était pas du tout encadrée : le juge n’était pas tenu de motiver sa
décision. La loi ne précisait pas les circonstances particulières ni les raisons
permettant d’imposer cette restriction aux droits de la défense, principe
constitutionnel. L’article 706-88-2 du Code de procédure pénale a été déclaré
contraire à la Constitution26. La seconde décision se rapporte à l’enregistrement
audiovisuel des gardes à vue et des interrogatoires des personnes mises en
examen par le juge d’instruction. Il s’agit d’une garantie essentielle, qui permet
de vérifier le respect effectif des règles et d’éviter la remise en cause ultérieure
des déclarations lors du procès. Il est obligatoire pour les mineurs depuis 2001.
Il n’avait pas été respecté dans plusieurs cas dans l’affaire d’Outreau. On en a
vu les conséquences. La loi du 5 mars 2007 l’avait étendu aux majeurs pour les
faits de nature criminelle, mais avec une exception, quand il s’agissait d’actes de
terrorisme ou d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, sauf si le
procureur de la République ou le juge d’instruction en décidaient autrement.
Sur renvoi d’une QPC par la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel a
décidé que cette exception était inconstitutionnelle. Certes ces crimes
nécessitent des mesures d’investigation spéciales, vu leur gravité et leur
complexité. Le Code de procédure pénale en contient plusieurs. Pour les
crimes en général, le Code prévoyait en outre que l’enregistrement pouvait ne
pas être effectué en raison du nombre de personnes devant être interrogées
simultanément ou en cas d’impossibilité technique. Dans ces conditions, le
Conseil constitutionnel a estimé que la discrimination ainsi instituée était
injustifiée27.

L’intervention de la Cour de justice


de l’Union européenne

L’entrée et le séjour irrégulier d’un étranger sont depuis longtemps des délits
punis d’emprisonnement28. Cela permet de placer en garde à vue une personne
soupçonnée d’avoir commis cette infraction. La garde à vue n’est en effet
possible que s’il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne a
commis ou tenté de commettre une infraction punie d’emprisonnement. Ici
aussi, le droit communautaire29 va conduire à modifier le droit et la pratique
français. Par deux décisions rendues en 201130, la Cour de justice de l’Union
européenne a jugé que la directive de 2008 s’opposait à ce que le droit national
prévoie une peine d’emprisonnement pour ce seul délit, si l’étranger n’avait pas
été préalablement soumis aux mesures coercitives prévues par elle. La Cour de
cassation en a tiré sans tarder les conséquences en matière de garde à vue, en
décidant qu’un étranger en situation irrégulière ne pouvait encourir, pour ce
seul motif, une peine d’emprisonnement et ne pouvait donc être placé en garde
à vue31. Il a été ainsi mis fin à la pratique consistant à placer un étranger en
garde à vue après un contrôle d’identité, non en vue de poursuites pénales,
mais afin de vérifier sa situation administrative et, en cas de séjour irrégulier, de
le placer en rétention administrative en vue de son éloignement.
Un autre point d’interrogation subsiste quant au droit communautaire. Il
concerne le respect par la France d’une directive de 201232. Ce texte fixe des
normes minimales concernant l’information des personnes arrêtées, avant leur
premier interrogatoire, sur l’accusation portée contre elles, la nature des faits
reprochés et le droit à l’assistance d’un avocat.
Une dernière question se pose au plan européen. La Cour européenne des
droits de l’homme estimera-t-elle compatible avec l’article 5-3 précité de la
Convention européenne des droits de l’homme le contrôle, prévu par la loi du
14 avril 201133, de la garde à vue par le procureur de la République pendant les
premières quarante-huit heures ? On peut en douter.

JUSTICE ET PRISONS.
QUAND LA PRISON COMPARAÎT EN JUSTICE

Vouloir que le juge qui prononce la peine soit, en même temps, l’exécuteur qui l’inflige, c’est en
vérité vouloir faire de Thémis un geôlier ; c’est vouloir substituer à sa balance une clef ; c’est vouloir
que l’organe de la loi en soit en même temps le fléau. Magistrats ! Restez impassibles et respectés sur
vos sièges et n’en descendez pas pour venir nous disputer le triste privilège d’appliquer physiquement
et matériellement, à vos condamnés, la peine prononcée par vos arrêts. Vos arrêts n’en seront que
mieux exécutés ; car, pour qu’ils le soient avec indépendance, avec impartialité, il faut surtout qu’ils
le soient en dehors de toute préoccupation des causes qui vous les font rendre ; et vis-à-vis des
coupables qui ne voient pas dans la main qui les nourrit, la main qui les a frappés34.

Parler du rapport entre la justice et la prison relève à la fois d’une évidence et


d’un paradoxe. Une évidence : les prisons dépendent du ministère de la Justice,
et non de celui de l’Intérieur, depuis 191135. On n’est incarcéré que sur
décision de justice et on n’en sort, avant la fin de la peine d’emprisonnement,
que par la décision d’un autre juge, sauf grâce ou amnistie. Un paradoxe :
impassibles envers la prison, les magistrats l’ont été longtemps. Jusqu’à une
date récente, la plupart d’entre eux ne s’intéressaient guère à ce qui s’y passait et
aux décisions concernant les détenus. Une fois une personne emprisonnée à
titre provisoire (pendant longtemps « préventif », le mot dit tout) ou
condamnée à une peine d’emprisonnement, elle relevait d’un autre univers, où
le juge n’avait pas de place et dont l’accès lui était plus que problématique.
Déposant en 1976 devant une commission parlementaire, Maurice Aydalot,
premier président honoraire de la Cour de cassation, déclarait : « [P]endant
plus d’un siècle, ce qui a caractérisé le problème pénitentiaire, c’est le
désintéressement [sic] total dont il était l’objet de la part de tout le monde […]
nous avons peut-être un peu trop considéré que notre rôle était fini lorsque la
sanction tombait, alors que notre mission consiste à accompagner l’homme
que nous avons condamné, jusqu’au bout du tunnel. » Parlant du juge de
l’application des peines, il ajoutait : « Nous l’avons laissé seul, la Chancellerie
aussi d’ailleurs »36.
En voici un témoignage datant de 2003 :
Ce qui manque en revanche beaucoup, c’est les contacts avec les prisons par la suite, en cours de
vie professionnelle. Moi, ce qui me frappe ici, c’est que je suis obligé de pousser les professionnels à
aller visiter la prison. Par exemple, certains présidents de juridictions correctionnelles n’ont pas mis
les pieds en prison depuis le début de leur prise de fonctions. Moi, j’y vais avec le président. J’y vais
tous les trimestres, parfois plus en cas de crise […]. Les juges d’instruction, il faut qu’ils y aillent,
entendre leurs propres mis en examen sur leurs conditions de détention. Il n’est pas admissible que
les juges d’instruction n’aient pas suffisamment conscience de ce qui se passe en prison pour laisser
des mis en examen sans audition pendant des mois. Ceci étant, c’est sûr qu’ils sont surbookés, mais
il faut y aller, les présidents de correctionnelle, il faut qu’ils y aillent, le président de la chambre de
l’instruction, il faut qu’il y aille, c’est ce qu’il fait d’ailleurs, on a beaucoup modifié ça37.

Plusieurs changements se sont produits. En bref : le regard de la société sur


la prison a changé ; la prison a changé ; le droit a changé, et le juge est de plus
en plus présent38.

Le regard de la société sur la prison a changé

Il est peu de milieux aussi opaques que l’univers pénitentiaire. On se résigna


longtemps à cette situation, les responsables politiques parce qu’elle était pour
eux la source d’un confort relatif, l’opinion publique parce qu’elle ne
s’intéressait guère, sauf par bouffées, à ce monde clos, les détenus parce qu’ils
n’y pouvaient rien. Cette situation s’est modifiée. Depuis le début des
années 1970, voilà quarante ans, les questions relatives aux prisons et aux
détenus, comme celles qui se rapportent du reste à la justice, ont commencé à
faire l’objet d’un débat public. La révolte de la maison centrale de Toul,
en 1971, en fut l’une des manifestations les plus spectaculaires. Depuis,
l’information et la réflexion sur la prison et les détenus n’ont cessé d’augmenter
et de circuler. Très longtemps zone de non-droit, la prison n’a jamais été une
zone d’ignorance, comme le montre l’impressionnante masse des travaux et des
rapports réalisés au XIXe siècle39. La nouveauté est qu’aujourd’hui les progrès du
droit s’accompagnent d’une plus grande diffusion des études de toute sorte
émanant d’historiens, de sociologues, de statisticiens, de philosophes, de
juristes, de médecins, de surveillants ou d’anciens détenus, sans parler des
constats dus au regard extérieur. Nul ne peut désormais se réfugier derrière le
doute circonspect ou l’ignorance, sauf à vouloir « couvrir », tentation dont
l’administration pénitentiaire n’a assurément pas le monopole.
Le contrôle des diverses institutions était notoirement insuffisant, y compris
celui de l’autorité judiciaire40. Cette passivité et ce silence étaient autant
d’autolimitations et n’avaient rien d’une fatalité. Ils ont commencé à reculer
devant diverses initiatives.
Au Parlement, les deux rapports sur l’état des prisons publiés en 2000 ont
été une étape importante d’une nouvelle prise de conscience politique41. À
l’origine de la création des deux commissions d’enquête, un événement
extérieur, la publication du livre du médecin-chef de la maison d’arrêt de la
Santé42. Les parlementaires peuvent, depuis la loi du 15 juin 2000, visiter à
tout moment les établissements pénitentiaires de leur circonscription.
La création de commissions chargées soit d’examiner un problème
particulier, comme celle que présidait Guy Canivet, soit de suivre l’application
des textes, comme la Commission du suivi de la détention provisoire créée
aussi en 2000, représente une avancée significative. Leurs rapports sont à
l’origine de plusieurs réformes.
Les rapports d’autorités indépendantes, comme la Commission nationale
consultative des droits de l’homme ou la Commission nationale de déontologie
de la sécurité (2000)43, méritent une place particulière. La création, en 2007,
d’un contrôleur général des lieux de privation de liberté constitue une étape
historique. Il a été créé parce que le protocole de la convention de l’ONU
contre la torture et les traitements inhumains ou dégradants, ratifié par la
France, oblige les États parties à instituer un mécanisme national de
prévention. Exemple concret de l’influence du droit international sur le droit
national.
Sa mission, très ample, concerne tous les lieux de privation de liberté :
prisons, établissements psychiatriques, cellules de garde à vue, zones d’attente,
centres de rétention administrative, centres d’éducation fermés. Le contrôleur
général peut, avec ses collaborateurs, les visiter à tout moment. Sa mission est
de constater l’état des lieux et les pratiques suivies afin de veiller au respect des
droits fondamentaux des intéressés, au-delà des prescriptions du protocole
précité. Il peut être saisi par toute personne de faits constituant une atteinte
aux droits fondamentaux dans ces lieux. Cette mission a donné lieu,
depuis 2008, à la publication d’un nombre impressionnant de documents
remarquables par leur qualité et leur précision : avis sur des problèmes
généraux tels que l’accès des détenus à l’informatique, l’exercice du droit des
détenus à la correspondance, l’usage du téléphone, la pratique du culte ;
rapports de visite d’un lieu précis ; recommandations ; rapport annuel
d’activité44. En outre, les interventions publiques du contrôleur général, Jean-
Marie Delarue, et la personnalité de celui-ci ont contribué à donner à cette
institution une autorité et une légitimité sans précédent dans ce domaine45.
L’exercice de sa mission l’a conduit à formuler des réflexions et des
recommandations générales. Ainsi, l’avis du 22 mai 2012 relatif au nombre des
personnes détenues46 souligne l’ampleur de la surpopulation pénale47 et
l’importance de sa croissance. Il s’interroge sur l’efficacité de l’emprisonnement
tel qu’il est pratiqué et invite à la réflexion sur la manière dont fonctionnent les
juridictions pénales, notamment le traitement à la chaîne des affaires réputées
banales, dans lesquelles sont en jeu pourtant des avenirs décisifs. Retenons
aussi cette recommandation : « La présence et aussi le contrôle des magistrats
en prison doivent être accrus. »
Il existe des associations qui, à l’image du Groupe d’intervention sur les
prisons (GIP) ou du Comité d’action des prisonniers (CAP) dans le passé,
aujourd’hui l’Observatoire international des prisons (OIP), contribuent à
l’information du public, des pouvoirs publics et des détenus et intentent des
actions en justice permettant des avancées de la jurisprudence48.
Inexistant il y a une génération, le regard international représente une
novation considérable49. J’en donnerai quelques exemples. La Cour européenne
des droits de l’homme est la source d’une jurisprudence concernant les droits
des détenus au titre des articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture et
des peines ou traitements inhumains ou dégradants), 8 (droit au respect de la
vie privée et familiale) et 13 (droit à un recours effectif ). Entre 2002 et
juillet 2012, la France a été condamnée quinze fois, dont cinq en 2011, en ce
qui concerne le traitement des détenus. Sombre bilan, à méditer par tous50. La
Convention européenne pour la prévention de la torture et des traitements
inhumains ou dégradants a créé un comité, le CPT51, habilité à visiter
librement tous les lieux de privation de liberté. Les visites des prisons françaises
ont conduit à la publication de rapports accompagnés de la réponse du
gouvernement. Ces rapports ont parfois permis de rendre public ce qui était
caché ou peu connu et de rompre la loi du silence. Enfin, les rapports du
commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à la suite de ses
visites contiennent des observations, des critiques et des recommandations
concernant les prisons.

La prison a changé

Le personnel de surveillance et de direction, sans la participation et l’adhésion


duquel aucune réforme ne peut être menée à bien52, a changé. Son niveau de
qualification a augmenté, et sa formation, dispensée par l’École nationale de
l’administration pénitentiaire, a été très substantiellement améliorée. Ensuite,
le nombre des intervenants extérieurs a lui aussi augmenté ainsi que sa variété.
Jean-Marie Delarue mentionne les acteurs suivants : associations (aide aux
détenus, associations socioculturelles) ; aumôniers ; médecine pénitentiaire,
autonome depuis 1994 ; enseignants ; avocats, notamment pour assurer la
défense des détenus poursuivis disciplinairement ; personnes chargées de la
gestion privée de divers services (restauration, nettoyage, travail, formation
professionnelle…)53.

Le droit a changé, le juge est présent

Des normes internationales ont conduit, on l’a vu, à des critiques ou à des
condamnations. Le droit applicable aux détenus a commencé à être modifié à
partir des années 1970-1980 : la presse, la radio, la télévision ont pénétré en
prison54. Le régime des visites et de la correspondance a été radicalement
modifié. Autant de nouveaux droits55. La procédure disciplinaire a été
libéralisée, et, depuis 2000, le détenu a le droit d’être défendu par un avocat,
réforme élémentaire longtemps décrétée impossible, sinon dangereuse pour
l’ordre public dans les prisons. Bien à tort : elle a été un progrès pour tous.
La loi pénitentiaire de 2009 a marqué une autre étape importante56. Elle
aurait pu être adoptée dès 2001, mais le gouvernement d’alors en décida
autrement. Si extraordinaire que cela paraisse, elle est la première loi
d’ensemble sur l’institution pénitentiaire, succédant à un bloc de décrets
« étayé pour l’essentiel par des circulaires […] produites par l’administration
pénitentiaire elle-même57 ». Elle met fin à une carence grave et prolongée :
Privés de reconnaissance législative, sans qu’il faille pour autant les confondre, personnels et
détenus souffrent d’une carence d’identité sociale, de reconnaissance professionnelle pour les
premiers, de statut juridique pour les seconds. Privée d’un socle de références, d’un cadre à la
hauteur de l’importance de sa mission, l’administration pénitentiaire se trouvait jusqu’à présent
confrontée à des enjeux et difficultés croissants – la surpopulation carcérale en tout premier lieu –
sans levier de réforme marqué du sceau de la représentation nationale58.

Un rapport parlementaire récent a fait le point sur les obstacles auxquels se


heurte sa mise en œuvre : surpopulation carcérale dans les maisons d’arrêt ;
insuffisance des moyens ; interprétation restrictive, par l’administration, des
dispositions marquant une novation par rapport aux pratiques habituelles
(fouilles, par exemple) ; adhésion « mitigée » des personnels de l’administration
pénitentiaire : « Les surveillants tendent à considérer, d’une manière générale,
que la loi n’est pas équilibrée et s’attache trop à la reconnaissance des droits des
détenus. Ces critiques ont pour arrière-plan les inquiétudes des personnels liées
en particulier à l’insuffisance des effectifs dans de nombreux établissements
confrontés à la surpopulation pénale […]. Ces préoccupations, conjuguées au
sentiment de manque de reconnaissance et de dégradation des conditions de
vie, ont nourri, dans la période récente, plusieurs mouvements sociaux59. »
Avant de scruter quelques aspects précis de cette intervention des juges, il
faut prendre la pleine mesure de cette mutation. Pour tous les acteurs sociaux
de l’institution pénitentiaire « en quelques années, des pans entiers du droit
pénitentiaire, des procédures et des pratiques, et, pour tout dire, une culture
professionnelle, se sont trouvés remis en question, interrogés à l’aune de ce
renforcement du principe de légalité en détention60 ».
L’évolution du droit pénitentiaire rappelle celle du droit des étrangers. Au
départ, l’héritage du passé : un droit assez sommaire, fait de peu de lois, de
rares décrets et de nombreuses circulaires non publiées donnant à
l’administration, nationale et locale, des pouvoirs très étendus, un droit « mal
ordonné » selon le rapport de la commission Canivet, source d’insécurité et
d’arbitraire. Aucune dimension de droit international. Personne ne pense que
la Convention européenne des droits de l’homme puisse être utilisée et
s’appliquer en prison. Des juges absents ou peu regardants, dans les deux sens
du mot. Une faible attention de l’opinion, sauf à l’occasion d’explosions, enfin
pas d’associations capables d’agir. Le résultat, pour le monde des prisons, est
connu : « l’exclusion pénitentiaire61 », un véritable « pouvoir pénitentiaire62 »,
des zones de non-droit, un « développement autarcique du monde
pénitentiaire63 », une opacité et un secret engendrant pire que le soupçon :
« [L]’opacité de l’administration pénitentiaire vis-à-vis de l’extérieur est une des
causes de la difficulté pour cette institution d’être reconnue à sa juste place par
la société64. » Onze ans plus tard, le rapport de la commission présidée par Guy
Canivet fait le même constat : « Souvent dénoncée, cette opacité de
l’administration pénitentiaire a été aggravée par la société, qui a rejeté non
seulement les détenus, mais l’institution pénitentiaire tout entière, au point
que l’on a parlé d’“exclusion pénitentiaire”, phénomène “d’exclusion globale,
affectant non seulement les bâtiments, mais aussi les hommes qui, derrière les
murs, y exercent une mission de service public”65. » S’agissant des causes du
changement, les mêmes facteurs ont joué dans les deux cas. Ainsi le droit
évolue-t-il.
Cet héritage a laissé des traces. L’institution pénitentiaire s’achemine
progressivement vers une « prison de droit66 ». Celle-ci ne peut que bénéficier
de l’affirmation du principe de légalité, dans sa dimension constitutionnelle et
législative, et d’un contrôle juridictionnel accru. Dans l’exercice de celui-ci, la
place du juge – de tous les juges – est primordiale. En voici trois illustrations
concrètes : la juridictionnalisation de l’application des peines ; l’indemnisation
pour détention provisoire non suivie de condamnation ; les recours devant la
juridiction administrative relatifs aux conditions de détention. Comme dans le
théâtre classique, l’unité de temps, d’action et de lieu est assurée : c’est la
prison. Je traiterai ici de la juridictionnalisation de l’application des peines et
des recours devant la juridiction administrative. L’indemnisation pour
détention provisoire non suivie de condamnation est examinée au chapitre VII.
La première novation est celle de la juridictionnalisation de l’application des
peines67. Qu’est-ce à dire ? Une fois une peine d’emprisonnement prononcée,
tout n’est pas terminé pour la justice. Pourquoi ? Parce que la vie du détenu
condamné et les modalités d’exécution de sa peine vont dépendre en partie des
mesures que seul le juge peut prendre : autorisation ou permission de sortie,
avec ou sans escorte ; semi-liberté (le détenu travaille à l’extérieur ou y suit une
formation professionnelle ou un traitement et rentre en prison dès que ces
activités cessent), placement à l’extérieur (le détenu est employé en dehors de
l’établissement pénitentiaire à des travaux contrôlés par l’administration),
fractionnement ou suspension de la peine, libération conditionnelle.
Depuis les lois du 15 juin 2000 et du 9 mars 2004, le principe est posé : les
peines prononcées par les juridictions pénales sont exécutées « sur décision ou
sous le contrôle des autorités judiciaires » (art. 307 du Code de procédure
pénale). Cela veut dire, concrètement, que les juges, désormais compétents
pour prendre ces décisions, le font en suivant les règles qui s’appliquent à
toutes les juridictions, c’est-à-dire, de façon générale, par une décision motivée
et après une procédure contradictoire.
Il aura donc fallu près d’un siècle pour tirer toutes les conséquences du
rattachement des prisons au ministère de la Justice en 1911 et remplacer ce que
l’on appelait des « mesures d’administration judiciaire », qui n’avaient pas de
juge, par des décisions juridictionnelles. Toute précipitation a été évitée.
Traduction : il y a des juridictions de l’application des peines, c’est-à-dire le
juge de l’application des peines (JAP) et le tribunal de l’application des peines
(TAP) en première instance, la chambre de l’application des peines en appel.

La prison devant la justice

Un autre juge va intervenir : le juge administratif. Telle la chauve-souris dans


la fable de La Fontaine68, l’institution pénitentiaire a une nature hybride. Elle
exécute les décisions des juges et d’autres juges sont chargés des modalités.
Mais ses responsables prennent tous les jours des décisions administratives qui
concernent une population de plus de 66 000 personnes69. Ces personnes,
l’administration doit assurer leur détention, les surveiller, leur permettre d’être
soignées si elles sont malades, de travailler si cela est possible, assurer leur
sécurité (la prison est un monde parfois violent et dangereux), les contacts avec
leur famille, prendre des sanctions à l’occasion, assurer le bon ordre à l’intérieur
de la prison, bref gérer leur existence vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Cette mission se traduit par un nombre très élevé de décisions, prises le plus
souvent au niveau de l’établissement : sanctions disciplinaires ; mise à
l’isolement d’office ; décisions concernant le travail, les visites, les fouilles, etc.
L’intervention du juge administratif aurait dû exister depuis longtemps, afin
d’assurer le contrôle de décisions administratives qui ont des conséquences
directes et immédiates sur la situation personnelle des détenus. Or, jusqu’à une
date très récente, il n’en a pas été ainsi. La raison à cela tenait à l’attitude du
Conseil d’État. Jusqu’à 1995, les sanctions prises contre les détenus étaient
considérées comme des « mesures d’ordre intérieur », qu’il était impossible
d’attaquer en justice. En clair, une autolimitation du juge, que rien ne justifiait
en droit, fondée sur un refus délibéré d’exercer son contrôle sur un monde qui
devait rester clos sur lui-même. Quant aux actions en responsabilité, elles se
heurtaient à l’exigence d’une faute lourde, création du juge, et barrage efficace.
Puis le droit changea progressivement dans deux directions à la fois, et un
contrôle du juge apparut.
Première direction : de plus en plus de décisions individuelles de
l’administration peuvent être attaquées. En 1995, le Conseil d’État se déclare
enfin compétent pour juger les recours contre les sanctions70. Ce n’est que
depuis 2003 que la mise à l’isolement, qui n’est pas une sanction et peut être
décidée d’office par l’administration, peut faire l’objet d’un recours et d’un
contrôle71. Il en va de même depuis 2007 pour le transfert d’un détenu d’un
établissement à un autre, par exemple dans le cadre de « rotations de sécurité ».
Aujourd’hui, le recours est également ouvert contre d’autres décisions, comme
le refus de communiquer une fiche d’écrou, l’inscription au répertoire des
détenus particulièrement signalés, les fouilles corporelles ou le choix du régime
de détention à l’intérieur d’un établissement.
Arrêtons-nous sur les fouilles corporelles. Il y a les textes et il y a les
pratiques. Avant 2009, le seul texte publié était celui d’un décret qui se bornait
à dire que les « détenus doivent être fouillés fréquemment et aussi souvent que
le chef d’établissement l’estime nécessaire » et qu’ils ne pouvaient l’être que
dans des conditions qui, « tout en garantissant l’efficacité du contrôle,
préserve[nt] le respect de la dignité inhérente à la personne humaine »72. Pas un
mot de l’essentiel, les fouilles corporelles. S’y ajoutait l’inévitable circulaire
(1986). Entre 2007 et 2011, la France a été condamnée trois fois par la Cour
européenne des droits de l’homme pour traitement inhumain et dégradant à
propos des fouilles corporelles : fouilles à corps intégrales à la maison d’arrêt de
Fresnes, y compris des inspections anales visuelles, appliquées selon des
modalités variées73 ; caractère répétitif de fouilles corporelles sur un détenu
présentant des signes d’instabilité psychiatrique et de souffrance
psychologique74 ; détenu soumis à des fouilles intégrales de quatre à huit fois
par jour, effectuées par des agents cagoulés, enregistrées par un caméscope et
réalisées le plus souvent en présence d’un agent du Groupe d’intervention de la
police nationale (GIPN)75. L’article 57 de la loi de 2009 est la conséquence
directe de ces condamnations et représente un progrès :
Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le
comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon
ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et
à la personnalité des personnes détenues. Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles
par palpation ou l’utilisation de moyens de détection électronique sont insuffisantes. Les
investigations corporelles internes sont proscrites, sauf impératif spécialement motivé. Elles ne
peuvent alors être réalisées que par un médecin n’exerçant pas au sein de l’établissement
pénitentiaire et requis à cet effet par l’autorité judiciaire.

Tout en notant cette avancée, le rapport d’activité du contrôleur général des


lieux de privation de liberté pour 2011 remarque que la circulaire
du 14 avril 2011 laisse le choix entre fouille par palpation et fouille de sécurité
et s’éloigne de ce fait de l’esprit de la loi76. Surtout, il retire des visites effectuées
qu’il y a eu ici peu d’évolutions. En voici un exemple.
En 2012, le tribunal administratif de Poitiers a rendu en référé deux
décisions notables. La première fait suite à un recours de l’Observatoire
international des prisons, section française. En application du règlement
intérieur du centre pénitentiaire de Vivonne-Poitiers, l’ensemble des détenus
de ce centre faisait l’objet de fouilles corporelles intégrales systématiques à
l’issue de chaque rencontre au parloir, soit en moyenne tous les mois et plus
fréquemment pour un nombre important d’entre eux. L’OIP a demandé au
directeur du centre l’abrogation de cette disposition. Le directeur a refusé.
L’association a alors saisi en référé le tribunal administratif en lui demandant
d’ordonner à l’administration de suspendre provisoirement l’application de
cette règle. Qu’a dit le juge des référés ? Il a d’abord déclaré que la condition
d’urgence, exigée ici par la loi77, était réunie. La suspension de l’exécution
d’une décision administrative ne peut être ordonnée que s’il existe un doute
sérieux sur sa légalité. Le juge, après avoir cité l’article 3 de la Convention
européenne des droits de l’homme78 et l’article 57 de la loi de 2009, a affirmé
qu’un régime de fouilles corporelles intégrales répétées ne peut être imposé à
un détenu qu’à deux conditions : il doit être justifié par l’existence de
suspicions fondées sur son comportement, ses agissements antérieurs ou les
circonstances de ses contacts avec des tiers, et les fouilles doivent se dérouler
selon des modalités adaptées. Il appartient donc à l’administration de justifier
de la nécessité de ces opérations et de la proportionnalité des modalités
retenues. Revenant aux fouilles, le juge a dit qu’elles portaient une atteinte
illégale au droit des détenus de ne pas subir de traitements inhumains et
dégradants et violaient l’article 57 de la loi de 2009, faute de justification des
conditions citées par lui. Le tribunal a donc annulé le refus du directeur du
centre d’abroger ces dispositions et lui a ordonné de suspendre provisoirement
leur application79.
Deux mois plus tard, le tribunal a statué sur un autre recours en référé,
intenté par un détenu et concernant les fouilles intégrales auxquelles il était
soumis après chaque parloir. Il a cité le texte des décrets pris pour l’application
de la loi80, repris le même raisonnement de principe que celui de la précédente
ordonnance et examiné le cas du requérant. Détenu depuis 2008 et se trouvant
depuis janvier 2010 au même centre pénitentiaire, il faisait l’objet, depuis
juillet 2011, d’une fouille corporelle intégrale systématique à l’issue de chaque
parloir où il rencontrait un ministre du culte des Témoins de Jéhovah, soit une
fois par semaine. Faute de justification tenant à son comportement ou à sa
dangerosité, le tribunal a ordonné la suspension de ces fouilles en ce qui le
concernait81.
Dans la réalité pénitentiaire de tous les jours, ces progrès du droit ont des
limites82. Pour faire valoir ses droits, il faut les connaître et pouvoir les exercer.
On en est encore loin. Les obstacles sont nombreux : la faible durée moyenne
de la détention (neuf mois), la longueur des délais de jugement au regard de la
brève durée d’application de beaucoup de mesures, la faible utilité d’une
annulation intervenant après la libération de l’intéressé83. Il existe d’autres
freins, réels. Voici ce qu’en dit le contrôleur général des lieux de privation de
liberté :
Gare même à celui qui a cherché à user à son profit des voies de recours que les textes lui
reconnaissent (recours au juge) : à supposer qu’il en ait les moyens matériels […] les « procéduriers »
ne sont pas très bien jugés […]. Il y a, dans tous les lieux de privation de liberté (à l’exception des
hôpitaux psychiatriques et souvent des gendarmeries), une réalité de la vengeance, source de
« vendetta », laquelle est à l’origine de comportements qui ajoutent à la loi des pratiques prohibées
(et le plus souvent indécelables), mais bien contraires aux droits fondamentaux84.

Deuxième direction : les actions en responsabilité contre l’État, qui, signe


des temps, sont de plus en plus nombreuses. L’exigence de la faute lourde a
disparu, et les condamnations sont de plus en plus fréquentes. En voici quatre
illustrations.
Les chiffres du suicide dans les prisons sont élevés : 115 en 2010. Une étude
publiée en 2009 par l’Institut national d’études démographiques (Ined) est
éloquente à cet égard :
Le taux de suicide augmente depuis cinquante ans en milieu carcéral en France métropolitaine,
passant de 4 suicides pour 10 000 détenus en 1960 à 19 en 2008 […]. Les prévenus se suicident
deux fois plus que les condamnés […]. Avec 20 suicides annuels pour 10 000 détenus en 2002-
2006, la France présente le niveau de suicide en prison le plus élevé de l’Europe des Quinze85.

D’où des actions en responsabilité intentées contre l’État par les familles des
détenus et un certain nombre de condamnations. Dans de tels cas, le juge
prend en considération plusieurs éléments : l’existence de tentatives antérieures
ou de menaces de suicide ; l’état dépressif ou la fragilité psychologique du
détenu et ce qu’en savait l’administration ; son placement à l’isolement ou en
cellule disciplinaire ; enfin le comportement des services et les modalités de
leur intervention. En un mot, le juge porte un nouveau regard sur le
fonctionnement de la prison. Les jugements condamnant l’État font ressortir
une combinaison d’absence de précautions et de surveillance adéquate alors
que l’état du détenu était connu, des négligences des services médicaux,
souvent la lenteur des secours en raison de l’organisation du service86, et la
lenteur des réactions, bref une somme de laisser-aller conduisant à des tragédies
qui auraient pu être évitées87. Il a fallu une loi pour dire que « [l]orsqu’une
personne détenue s’est donné la mort, l’administration pénitentiaire informe
immédiatement sa famille ou ses proches des circonstances dans lesquelles est
intervenu le décès et facilite, à leur demande, les démarches qu’ils peuvent être
conduits à engager88 », ce que la simple humanité et le respect des personnes
commandent. Il en allait parfois autrement.
En ce qui concerne les violences commises sur un détenu par un autre
détenu, plusieurs condamnations de l’État ont été prononcées. La loi de 2009 a
créé un régime de responsabilité sans faute :
Même en l’absence de faute, l’État est tenu de réparer le dommage résultant du décès d’une
personne détenue causé par des violences commises au sein d’un établissement pénitentiaire par une
autre personne détenue89.

Le Conseil d’État et les matelas


Dans une décision rendue sur recours de l’OIP, le Conseil d’État a rappelé
fermement et en détail à l’administration pénitentiaire l’étendue de ses
responsabilités. L’OIP lui reprochait de ne pas avoir pris les mesures suffisantes
pour protéger les détenus contre le risque d’incendie de leur matelas. Dans sa
réponse, le Conseil d’État commence par rappeler les principes90 :
[E]u égard à la vulnérabilité des détenus et à leur entière dépendance vis-à-vis de l’administration91,
il appartient tout particulièrement à celle-ci […] de prendre les mesures propres à protéger leur
vie92.

Après quoi il examine de près ce qu’a fait pour cela l’administration. Entrons
avec lui dans les détails.
En 2003, l’administration pénitentiaire a conclu avec une société un marché
portant sur la fourniture de deux catégories de matelas : les uns, destinés aux
quartiers ordinaires, sont recouverts d’une alèse ignifugée aisément amovible.
Les autres, plus chers et destinés aux quartiers disciplinaires et d’isolement,
comportent, sous l’alèse, une seconde housse ignifugée, plus épaisse et conçue
comme inamovible. Constat : les matelas des quartiers ordinaires répondent
aux normes de classement de résistance au feu les plus exigeantes. Malgré cela,
les détenus peuvent s’en servir pour allumer des incendies, dont le
déclenchement est facilité par le caractère amovible des housses, et dont la
gravité est amplifiée par le caractère combustible de la mousse qui les compose
et par la toxicité des fumées qui s’en dégagent.
Il n’est pas établi que les modèles de matelas équipant les quartiers
disciplinaires et d’isolement, et dont l’OIP demandait la généralisation,
garantiraient, dans les faits, une meilleure résistance au feu. En effet, leur
housse ignifugée externe n’est pas réellement inamovible, vu la légèreté de sa
texture, qui permet aisément de la déchirer ou de la découdre. C’est pourquoi
l’administration a décidé de commander pour ces quartiers de nouveaux
matelas dont la composition interne et l’enveloppe protectrice sont beaucoup
mieux sécurisées. Cela dit, ajoute le Conseil d’État, l’administration pourrait
être obligée de mettre à la disposition de certains détenus des quartiers
ordinaires les matelas utilisés dans les quartiers disciplinaires. Quand ? Si des
circonstances particulières, tenant notamment au comportement des détenus
ou à la configuration de leur cellule, le justifient. Si elle ne le faisait pas, sa
responsabilité pourrait être engagée pour faute. Ce qui vaut avertissement. Sur
un plan plus général, conclut le Conseil d’État, il appartient à l’administration,
à l’échelon approprié, de prendre les dispositions destinées à protéger la vie des
détenus. Après avoir examiné l’ensemble des mesures prises en 2006 et 2007, il
conclut ce court traité de gestion des matelas en prison que, dans ce cas,
l’administration n’a pas méconnu ses obligations93.
Innovation capitale : la réforme de la procédure de référé devant les
juridictions administratives permet notamment à un requérant de demander
au juge de désigner un expert pour constater sans délai les faits qui pourraient
donner lieu à un litige devant la juridiction administrative. Des détenus vont
donc demander au tribunal administratif de faire constater par un expert leurs
conditions de détention. Au vu de ce constat, ils intentent une action en
responsabilité contre l’administration. En voici deux sortes d’exemples
significatifs.
Premier exemple : un détenu incarcéré à la maison d’arrêt de Rouen
depuis 2002 demande, en 2005, au tribunal administratif de désigner un
expert afin de décrire ses conditions de détention, qu’il estime dégradantes.
Après avoir visité les lieux – encore un nouveau regard extérieur sur la prison –,
les deux experts désignés remettent leur rapport en 2005 et 2006. Le détenu
intente alors une action en responsabilité contre l’État. En 2008, le tribunal
administratif de Rouen statue. Voici la description des lieux : M. Douat a été
incarcéré pendant plus de quatre ans à la maison d’arrêt de Rouen dans
différentes cellules avec deux autres codétenus. Surface :
de 10,80 m2 à 12,36 m2. Pas de ventilation spécifique du cabinet d’aisances, ni
de cloisonnement véritable avec la pièce principale. Ces cabinets ne sont pas
munis d’occlusion de la cuvette et sont situés à proximité immédiate du lieu où
les détenus prennent leur repas. Conclusion du jugement : ces conditions de
détention constituent un manquement aux règles d’hygiène et de salubrité
définies par le Code de procédure pénale. Vu la longue durée de
l’encellulement dans de telles conditions et l’absence de respect de l’intimité du
requérant, M. Douat a été détenu dans des conditions n’assurant pas le respect
de la dignité inhérente à la personne humaine, en violation de la Déclaration
de 1789 et du Code de procédure pénale. L’administration pénitentiaire est
condamnée, pour faute, à lui verser 3 000 euros94. D’autres jugements
analogues ont été rendus95.
Détail intéressant, qui montre toute la valeur du regard extérieur sur la
prison, ici celui du contrôleur général des lieux de privation de liberté : un
détenu de la maison d’arrêt d’Évreux demande, en 2010, au tribunal
administratif de Rouen de désigner un expert pour constater ses conditions de
détention. Le tribunal refuse, le contrôleur général ayant déjà rédigé un rapport
spécial circonstancié constatant l’état des lieux. En appel, la cour administrative
d’appel de Douai a confirmé ce refus et l’inutilité, dans ces conditions, d’une
expertise96, rendant ainsi hommage à l’objectivité et à la précision des rapports
du contrôleur général.
Deuxième exemple : le 20 décembre 2011, par six ordonnances rendues en
référé, le tribunal administratif de Melun a condamné l’État à verser à six
détenus des provisions allant de 1 000 à 5 000 euros. Leur situation présentait
les points communs suivants : ils étaient handicapés et se déplaçaient en
fauteuil roulant ; ils partageaient, avec un autre détenu handicapé, une cellule
dont les dimensions variaient entre 9,82 m2 et moins de 10 m2, comprenant
deux lits motorisés ; la largeur du dégagement central ne permettait pas le
croisement des deux fauteuils, obligeant un des deux occupants à sortir pour
que l’autre puisse emprunter la porte ; les détenus en fauteuil éprouvaient de
très grandes difficultés pour accéder aux cellules médicalisées ; le module
aménagé en pièce de toilette présentait des insuffisances d’aération et de
ventilation ; l’installation électrique n’était pas conforme et comportait un
risque d’accident pour les personnes ; les autres locaux – parloir, locaux de
soins, bibliothèque, salle de culte, installations sanitaires de la salle de sport –
étaient inaccessibles pour ces détenus. Conclusion : ces conditions de
détention n’assuraient pas le respect de la personne humaine, d’où la
condamnation précitée97.

CONCLUSION
Plus personne ne peut dire aujourd’hui, au sujet des prisons : nous ne
savions pas, ou nous ne pouvions pas savoir, ou on ne peut rien faire. Ces
avancées juridiques sont importantes et appréciables. Encore faut-il noter, au
sujet de la vie quotidienne en prison, la quasi-impossibilité, pour la plupart des
détenus, de connaître les textes qui leur sont appliqués et donc leurs droits, et
la dégradation des conditions de travail des personnels, qui se répercute
nécessairement sur eux.

1. Voir infra, pp. 91-92.


2. Jean-Marie DELARUE, « Le contrôle des lieux de privation de liberté », allocution prononcée à
l’occasion de la rentrée solennelle de la cour administrative d’appel de Douai, le 22 septembre 2011, Les
Annonces de la Seine, 20 octobre 2011, p. 10.
3. Cf. « La garde à vue », Sénat, documents de travail, série Études de législation comparée, no 204,
décembre 2009 ; « La présence de l’avocat en garde à vue », ministère de la Justice, service des affaires
européennes et internationales, 2009. Cf. aussi Anne-Claire DUBOS, « La garde à vue et le droit de
bénéficier de l’assistance d’un avocat », Bulletin d’information de la Cour de cassation, 1er décembre 2010,
p. 6.
4. Les constats contenus dans les rapports du contrôleur général des lieux de privation de liberté sont
accablants.
5. Cf. Patrick KLUGMAN, Le Livre noir de la garde à vue. Parfait manuel de savoir-vivre en commissariat,
Nova Éditions, 2010.
6. Jean-Marie DELARUE, « Le contrôleur général des lieux de privation de liberté », rapport
d’activité 2008, chap. VI, « Le soutien-gorge et les lunettes (fable ?) », Dalloz, 2009, p. 89.
7. ID., « Le contrôle des lieux de privation de liberté », alloc. citée, p. 9.
8. Art. 63-6, 2e alinéa.
9. CEDH, Tomasi c. France, 27 août 1992 (sévices infligés pendant une quarantaine d’heures).
10. Id., Selmouni c. France, 29 juillet 1999. Le jugement décrit la procédure suivie, si l’on peut dire, en
France : un an s’écoule entre l’expertise médicale et l’audition du requérant par l’Inspection générale des
services de la préfecture de police ; un an encore avant l’ouverture d’une information judiciaire et une
parade d’identification des policiers mis en cause ; deux ans et plus de huit mois entre cette identification
et leur mise en examen ; cinq ans après les faits, aucune mise en examen n’était intervenue. Finalement,
les policiers ont comparu devant le tribunal sept ans après la garde à vue de l’intéressé.
11. Id., Taïs c. France, 1er juin 2006. Après avoir été placé en cellule de dégrisement, acte distinct de la
garde à vue, M. T avait été retrouvé mort. L’autopsie avait conclu à un décès par hémorragie consécutive
à une fissure de la rate et relevé des fractures des côtes et une perforation du poumon. La France a
également été condamnée pour absence d’enquête effective sur les circonstances ayant entraîné le décès.
12. Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel, § 16. Ce texte figure sur le site du
Conseil constitutionnel.
13. Ibid. Sur le traitement des affaires en temps réel, cf. Jacques BEAUME, procureur de la République
à Marseille, « Le parquet : après trois décennies, la nécessité d’un nouvel équilibre » [2008], in COUR DE
CASSATION (sous l’égide de la), Quel avenir pour le ministère public ?, Dalloz, 2008, p. 155.
14. Le Monde, 16 février 2007.
15. Conseil constitutionnel, décision no 2003-467, DC, 13 mars 2003, p. 211.
16. Id., décision no 2010-14/22, QPC, 30 juillet 2010, p. 179.
17. CEDH, Salduz c. Turquie, 27 novembre 2008.
18. La personne gardée à vue jurait de « dire toute la vérité, rien que la vérité ».
19. CEDH, Brusco c. France, 14 octobre 2010.
20. Cass. crim., 19 octobre 2010, Gazette du Palais, 24-26 octobre 2010 ; COUR DE CASSATION,
Rapport 2010, rapport cité, p. 424 ; Bull., 2010, no 207, note Bachelet.
21. CEDH, Moulin c. France, 23 novembre 2010.
22. Cass. crim., 15 décembre 2010.
23. Cass. plén., 15 avril 2011, in COUR DE CASSATION, « Le risque », Rapport 2011, La
Documentation française, 2012, p. 391.
24. Réponse du ministre de la Justice à la question écrite no 127362, JOAN, 1er mai 2012, faisant état
des constatations de la mission interministérielle de suivi de la réforme créée par le Premier ministre et
confiée aux ministères de la Justice et de l’Intérieur.
25. Cf. « Bilan de la garde à vue : un an après », Lexbase Hebdo, no 48, 12 avril 2012, et François
MORTELETTE, « Rapport de synthèse sur la garde à vue du 15 avril au 31 décembre 2011 », Les Annonces
de la Seine, supplément au no 26, 12 avril 2012, faisant état du résultat d’une enquête menée auprès des
barreaux.
26. Conseil constitutionnel, décision no 2011-223, QPC, 17 février 2012, Ordre des avocats au
barreau de Bastia. En conséquence, le décret du 13 avril 2012 a abrogé le décret
du 14 novembre 2011 relatif à cette désignation.
27. Id., décision no 2012- 228/229, QPC, 6 avril 2012.
28. Cf. article L.621-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et de l’asile.
29. Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008.
30. El Dridi, affaire C-61/11, 28 avril 2011, et Achughbabian, affaire C-329/121, 6 décembre 2011.
31. Cass. 1re civ., 5 juillet 2012.
32. Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à
l’information dans le cadre des procédures pénales.
33. Art. 62-3 CPP.
34. Louis Mathurin MOREAU-CHRISTOPHE, Code des prisons, 7 vol., 1845-1889, P. Dupont, t. 1,
1845, p. 5, cité par Jean FAVARD, Le Labyrinthe pénitentiaire, Le Centurion, 1981, p. 62. Cf. aussi, du
même auteur, Des prisons, Gallimard, 1987.
35. Le 100e anniversaire de ce rattachement a été mentionné dans Étapes, le magazine des personnels de
l’administration pénitentiaire, publié par la direction de l’administration pénitentiaire, no 184,
novembre 2011. À cette occasion, un colloque a été organisé à Agen par l’École nationale de
l’administration pénitentiaire.
36. ASSEMBLÉE NATIONALE, « Rapport de la commission spéciale chargée d’examiner les propositions
de loi sur les libertés », no 3455, 21 décembre 1977, III, auditions, pp. 100-101.
37. Philippe LEMAIRE, procureur de la République de Lille, cité par Catherine BLERVAQUE, « Monde
judiciaire et monde pénitentiaire : coopération ou cohabitation ? », mémoire de DEA, université de Lille-
III droit et santé, 2003, pp. 37-38.
38. Je traite de cette évolution dans Roger ERRERA, « Un nouveau domaine de responsabilité de l’État
du fait du service de la justice. La prison en justice », in Justices et droit du procès. Du légalisme procédural à
l’humanisme processuel. Mélanges en l’honneur de Serge Guinchard, Dalloz, p. 113.
39. Cf., entre autres, Michelle PERROT, L’Impossible Prison. Recherches sur le système pénitentiaire au XIXe
siècle, débat avec Michel Foucauld, Éd. du Seuil, 1980 ; du même auteur, Les Ombres de l’histoire. Crime
et châtiment au XIXe siècle, Flammarion, 2001.
40. Cf. à ce sujet le rapport de la commission présidée par Guy CANIVET, premier président de la
Cour de cassation, « Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires », 2 vol., La
Documentation française, 2000. J’ai présenté devant cette commission un exposé sur les leçons à tirer de
l’histoire, de 1982 à 1999, du projet de création d’un Conseil supérieur de déontologie de la sécurité et
quelques réflexions sur le contrôle extérieur de l’administration pénitentiaire (t. II, p. 262).
41. ASSEMBLÉE NATIONALE, « La France face à ses prisons », rapport de la commission d’enquête,
o
n 2521, 2 vol., 28 juin 2000 ; SÉNAT, « Prisons : une humiliation pour la République », rapport de la
commission d’enquête, no 449, 2 vol., 29 juin 2000.
42. Véronique VASSEUR, Médecin-chef à la prison de la Santé, Cherche-Midi, 2000. Des extraits en
avaient été publiés dans le Monde du 14 janvier 2000 ; le 15, l’administration pénitentiaire invitait la
presse à visiter la maison d’arrêt. Vertus de l’information.
43. Cf. notamment le rapport spécial sur les conditions dans lesquelles un détenu a été victime de
violences de la part d’autres détenus, le 12 juin 2006, à la maison d’arrêt de Nîmes, publié au Journal
officiel du 2 décembre 2008, et le rapport sur les conditions du suicide, le 2 février 2008, d’un mineur
détenu dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Meyzieu. Ces deux rapports sont éclairants sur
les pratiques suivies. Cf. aussi l’avis sur le placement d’un détenu à l’isolement pendant près de treize ans,
Le Monde, 18 décembre 2008. Une loi de 2011 a supprimé cette commission, très mal supportée par le
ministère de l’Intérieur et la police, en créant un Défenseur des droits. Sur l’histoire de la création de cette
commission, voir mon étude citée page précédente.
44. Le dernier rapport annuel, publié en février 2012, comprend une étude approfondie sur le travail
en prison. Elle souligne l’incertitude qui règne sur le taux et le nombre des détenus employés, l’absence de
qualification, en général, du travail et sa rareté, ce qui accroît le pouvoir de l’administration, le niveau très
bas des salaires et les aléas de leur perception. Sur le travail en prison, cf. aussi SÉNAT, « Rapport sur la
mission de contrôle sur le compte de commerce 904-11 de la Régie industrielle des établissements
pénitentiaires (RIEP) », no 330, 19 juin 2002.
45. Cf. notamment Jean-Marie DELARUE, Culture droit, entretien, juillet 2010, p. 16 ; « Prisons et
relations carcérales », Études, no 12, décembre 2010, p. 619 ; « Du contrôleur général des lieux de
privation de liberté et de ce qu’il en advient », Cahiers de la sécurité, no 12, avril-juin 2010, p. 69 ; « Le
contrôle des lieux de privation de liberté », alloc. citée ; « La loi et la pierre. Quelques considérations sur
la prison », Droit social, décembre 2011, p. 1145. Cf. également son intervention sur le thème « La
densification progressive de la règle de droit et de l’écart subsistant entre la règle et les pratiques », in
CONSEIL D’ÉTAT, Le Droit européen des droits de l’homme. Un cycle de conférences du Conseil d’État, La
Documentation française, 2011, p. 183. Le film de Stéphane Mercurio, À l’ombre de la République
(2012), rend compte des visites de Jean-Marie Delarue et de ses collaborateurs dans plusieurs lieux de
détention, et de leurs entretiens avec les détenus, les personnels et les responsables.
46. Journal officiel, 13 juin 2012.
47. Au 1er juin 2012, 66 915 détenus pour 57 000 places environ. Mais le taux de surpopulation est
« une moyenne vide de sens » : certains établissements ont des taux de 212 % ou 233 %.
48. Parmi les publications de l’OIP, cf. notamment le rapport annuel sur les conditions de détention,
mais aussi des guides tels que Le Guide du prisonnier, 2e éd., La Découverte, 2004, ou Le Guide du sortant
de prison, id., 2006, et les dix brochures publiées en 1998 sur la vie en prison et les droits des détenus.
49. Cf. Xavier RONSIN, « Pourquoi un regard international et européen sur la prison ? », Cahiers de la
sécurité intérieure, no 12, avril-juin 2010, p. 51 ; Jean-Paul CÉRÉ, « L’éveil des prisons françaises au droit
international et européen », ibid., p. 61 ; Christine CÉPÈDE et François FÉVRIER, « Règles pénitentiaires
européennes », ibid., p. 78.
50. La liste des sept premières condamnations se trouve dans mon étude, « Un nouveau domaine de
responsabilité de l’État du fait du service public de la justice », art. cité, pp. 113 et 116. De janvier 2011 à
juillet 2012, la France a été condamnée huit fois par les juges de Strasbourg pour traitements inhumains
ou dégradants ou pour violation de l’article 13 : El Shennawy c. France, 20 janvier 2011 ; Payet c. France,
même date ; Duval c. France, 26 mai 2011 ; Alboreau c. France, 20 octobre 2011 ; Cocaigne c. France,
3 novembre 2011 ; Plathey c. France, 10 novembre 2011 ; Z. G. c. France, 23 février 2012, détention
de 2005 à 2009, entrecoupée de sept hospitalisations d’office et de douze séjours au service médical
psychologique régional de l’établissement, d’une personne atteinte de psychose chronique de caractère
schizophrénique engendrant des troubles hallucinatoires ; Ketreb c. France, 19 juillet 2012 : détenu
souffrant de troubles graves de la personnalité correspondant à une prédisposition majeure à un geste
suicidaire, placé quinze jours en cellule disciplinaire et retrouvé pendu avec sa ceinture. Il s’agit d’une
violation de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif au droit à la vie, faute
de mesures de surveillance adéquates, et de son article 3, du fait de son placement en quartier
disciplinaire. Aucun pays occidental n’a fait l’objet d’autant de condamnations dans ce domaine pour ces
motifs. L’administration pénitentiaire en a-t-elle tiré les conséquences ?
51. Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou
dégradants.
52. « [T]oute réforme est vouée à l’échec si les personnels ne ressentent pas au même moment que le
ministre s’intéresse aussi à leur statut, à leurs conditions de travail, qu’il est le ministre des personnels
autant que celui des détenus. Leurs sorts sont liés, et qui veut améliorer la condition carcérale doit
prendre en considération ce lien indissoluble. » (Robert BADINTER, Les Épines et les roses, Fayard, 2011,
p. 115).
53. J.-M. DELARUE, « Prisons et relations carcérales », art. cité, p. 624.
54. Le téléphone portable aussi. Cf. Stéphane MARTEAU, « Mobile d’évasion », Le Magazine du
Monde, 8 septembre 2012, p. 69.
55. Cf. J. FAVARD, Le Labyrinthe pénitentiaire, op. cit., et Des prisons, op. cit.
56. Principe de l’aménagement des peines d’emprisonnement ferme qui, en matière correctionnelle et
hors les cas de récidive légale, ne doivent être prononcées qu’en « dernier recours » (art. 65) ; information
des détenus sur leurs droits lors de l’admission (art. 20) et par l’organisation de consultations juridiques
gratuites dans les établissements pénitentiaires (art. 24) ; présence d’un assesseur extérieur dans les
commissions de discipline ; Code de déontologie du service public pénitentiaire (décret
du 30 décembre 2010) ; création, pour le travail des détenus, d’un acte d’engagement (art. 33) ;
amélioration des contacts avec les familles par l’augmentation des permis de visite (art. 35), l’extension
des unités de vie familiale et les parloirs familiaux (art. 36) ; accompagnement social des mères détenues
(art. 38) ; meilleur accès au téléphone (art. 39).
57. François FÉVRIER, « Nécessité(s) de la loi pénitentiaire », Revue française de droit administratif,
o
n 1, janvier-février 2010, p. 15. Sur les surveillants, cf. notamment Antoinette CHAUVENET, Françoise
ORLIC et Georges BENGUIGUI, Le Monde des surveillants de prison, PUF, 1994 ; Jean-Charles FROMENT,
La République des surveillants de prison : ambiguïtés et paradoxes d’une politique pénitentiaire en France
(1958-1998), LGDJ, 1998 ; Dominique LHUILIER, « Surveillants de prison : identité professionnelle et
crise de légitimité », Cahiers de la sécurité intérieure, no 31, 1er trimestre 1998, p. 135 ; Philippe
COMBESSIE, « Surveillants de prisons : condamnés à l’obscurité ? », Informations sociales, no 82, 2000,
p. 64 ; Georges BENGUIGUI, « Les surveillants mal aimés », Regards sur l’actualité, no 261, mai 2000,
p. 21.
58. F. FÉVRIER, « Nécessité(s) de la loi pénitentiaire », art. cité.
59. SÉNAT, « Loi pénitentiaire : de la loi à la réalité de la vie carcérale », rapport d’information sur
l’application de la loi pénitentiaire no 2009-1436 du 24 novembre 2009, no 629, 4 juillet 2012, p. 18.
60. Ibid., p. 17 (souligné par moi). Cf. Corinne ROSTAING, « Processus de judiciarisation carcérale : le
droit en prison, une ressource pour les acteurs ? », Droit et société, no 67, 2003, p. 577.
61. Marco DARMON, « L’exclusion pénitentiaire », Droit social, 1974, p. 137.
62. Jean FAVARD, « Le détenu citoyen », Revue pénitentiaire et de droit pénal, no 3, juillet-
septembre 1989.
63. Jean Taittinger, ministre de la Justice, devant le Conseil supérieur de l’administration
pénitentiaire, 7 mars 1974.
64. Gilbert BONNEMAISON, La Modernisation du service public pénitentiaire, rapport au Premier
ministre et au garde des Sceaux, ministère de la Justice, février 1989, p. 46.
65. G. CANIVET, « Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires », rapport cité,
p. 14. Le passage relatif à l’exclusion pénitentiaire cité par le rapport renvoie à M. DARMON, « L’exclusion
pénitentiaire », art. cité.
66. Titre de l’article de Jean-Charles FROMENT, « Vers une “prison de droit” ? », Revue de science
criminelle, no 3, 1997, p. 537 ; cf. Martine HERZOG-EVANS, Droit pénitentiaire, 2e éd., Dalloz, 2012.
67. Cf. Xavier LAMEYRE, « L’avènement des tribunaux de l’application des peines », Le Journal des
procès, Bruxelles, no 482, mai 2004, p. 21 On trouvera des extraits de cet article sous le titre « La
juridictionnalisation de l’application des peines » dans Problèmes politiques et sociaux, « Prisons.
Permanence d’un débat », no 902, juillet 2004, p 39 ; cf. aussi Bruno LAVIELLE, Michael JANAS et Xavier
LAMEYRE, Le Guide des peines, Dalloz, 2012.
68. La Chauve-souris et les Deux Belettes, vers 13 et 27.
69. 66 748 au 1er août 2012, dont 24,7 % de prévenus (statistiques mensuelles de la direction de
l’administration pénitentiaire).
70. Conseil d’État, 17 décembre 1995, Marie, p. 83, concl. Frydman. Comme le même refus de
contrôle s’appliquait aux sanctions disciplinaires prises contre les militaires, le Conseil d’État n’a pas
voulu, avec raison, donner plus de droits aux détenus qu’aux militaires. C’est le même jour qu’une autre
décision, Hardouin, p. 82, concl. Frydman, reconnaît le même droit aux militaires.
71. Id., Garde des sceaux, ministre de la Justice, c. Remli, 30 juillet 2003, p. 366.
72. Code de procédure pénale, ancien art. D. 275, 1er et 3e alinéas.
73. CEDH, Frérot c. France, 12 juin 2007.
74. Id., Khider c. France, 9 juillet 2009.
75. Id., El Shennawy c. France, 20 janvier 2011.
76. Sur les fouilles, cf. SÉNAT, « Loi pénitentiaire : de la loi à la réalité de la vie carcérale », rapport
cité, pp. 18 et 43.
77. Art. L.521-1 du Code de justice administrative.
78. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
79. Tribunal administratif de Poitiers, ordonnance de référé du 24 janvier 2012, Section française de
l’Observatoire international des prisons.
80. « Les mesures de fouille des personnes détenues, intégrales ou par palpation, sont mises en œuvre
par le chef d’établissement pour prévenir les risques mentionnés au premier alinéa de l’article 57 de la loi
no 2009-1436 du 24 novembre 2009. Leur nature et leur fréquence sont décidées au vu de la personnalité
des personnes intéressées, des circonstances de la vie en détention et de la spécificité de l’établissement »
(art. R.57-7-79 du Code de procédure pénale). « Les personnes détenues sont fouillées chaque fois qu’il
existe des éléments permettant de suspecter un risque d’évasion, l’entrée, la sortie ou la circulation en
détention d’objets ou substances prohibés ou dangereux pour la sécurité des personnes ou le bon ordre de
l’établissement » (art. R.57-7-80 du même code). Voilà qui élargit les pouvoirs de l’administration
pénitentiaire.
81. Tribunal administratif de Poitiers, M. Mazaniello, ordonnance de référé du 22 mars 2012.
82. Cf. SÉNAT, « Loi pénitentiaire : de la loi à la réalité de la vie carcérale », rapport cité.
83. CONSEIL D’ÉTAT, Les Recours administratifs préalables obligatoires, La Documentation française,
2008, p. 13.
84. J.-M. DELARUE, « Le contrôle des lieux de privation de liberté », alloc. citée, p. 12.
85. Géraldine DUTHÉ, Angélique HAZARD, Annie KENSEY et Jean-Louis PAN KÉ SHON, « Suicide en
prison : la France comparée à ses voisins européens », Population et sociétés, no 462, décembre 2009, p. 3.
86. En voici un exemple : M. G., détenu, est atteint de troubles psychiatriques susceptibles d’entraîner
des comportements agressifs, suicidaires ou d’automutilation. Il a été hospitalisé d’office deux fois dans le
mois précédant son suicide à la maison d’arrêt de Rouen. Son état nécessitait un suivi médical et une
surveillance renforcée. Il est donc placé dans le service médico-psychiatrique régional de la maison d’arrêt.
La nuit où il va se suicider, il appelle un surveillant et parle avec lui. Arrive un autre surveillant, chargé
des rondes, à qui il dit qu’il va se pendre. Le rondier, qui n’a pas la clé de la cellule pour des raisons de
sécurité, va assister impuissant, par l’œilleton, au suicide du détenu. Il a prévenu à deux reprises un gradé
de service. L’équipe d’intervention arrive avec les clés entre cinq et sept minutes après le deuxième appel.
Elle était à l’autre extrémité du bâtiment, a dû prendre trois clés qui se trouvaient dans un coffre
verrouillé et franchir sept grilles de sécurité avant d’arriver à la cellule. Sur recours de la famille du détenu,
le tribunal administratif de Caen a déclaré l’État responsable pour défaut d’organisation du service
pénitentiaire et l’a condamné à lui verser une indemnité (tribunal administratif de Rouen, 21 juin 2012,
Mme P et autres).
87. Cf. R. ERRERA, « Un nouveau domaine de responsabilité de l’État du fait du service public de la
justice : la prison en justice », art. cité, p. 120.
88. Loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, art. 44, 3e alinéa.
89. Ibid., 2e alinéa.
90. Conseil d’État, 19 décembre 2008, Section française de l’OIP, p. 456.
91. Aucune juridiction n’avait jusque-là affirmé ces évidences.
92. Écho de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit à la vie.
93. Ibid., p. 456.
94. Tribunal administratif de Rouen, Douat, 27 mars 2008, jugement confirmé par la cour
administrative d’appel de Douai par arrêt du 24 juin 2008. Cf. Le Monde, 2 avril 2008.
95. Cour administrative d’appel de Douai, Garde des sceaux, ministre de la Justice c. MM. Paul T., Y. F
et M. K., 12 novembre 2009. Cf. Le Monde, 15-16 novembre 2009 ; tribunal administratif de Rouen,
M. H. Lévêque et autres, ordonnance du 11 octobre 2010. Par dix ordonnances rendues le 26 avril 2012,
la cour administrative d’appel de Douai a condamné l’État à verser à cent vingt-cinq détenus de la même
maison d’arrêt des provisions allant de 250 à 4 000 euros en réparation du préjudice moral causé par leurs
conditions de détention.
96. Cour administrative d’appel de Douai, M. Guyot, ordonnance du 9 mars 2011.
97. De même, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, statuant en référé, a condamné l’État à
verser des provisions à vingt-neuf détenus du centre pénitentiaire de Nouvelle-Calédonie vivant dans des
cellules de 10 m2 à 13 m2 pour quatre ou cinq personnes, dépourvues de ventilation du cabinet
d’aisances, situé à proximité immédiate du lieu de prise des repas. Ce manquement aux règles d’hygiène
et de salubrité, la promiscuité et l’absence de respect de l’intimité des détenus qui en résultaient ont été
jugés contraires au droit français (loi pénitentiaire de 2009 et Code de procédure pénale) et à l’article 3 de
la Convention européenne des droits de l’homme, interdisant les traitements inhumains ou dégradants
(tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, ordonnance du 31 juillet 2012, M. Boulango et autres). Cf.
Le Monde, 12-13 août 2012.
3
À la conquête
de nouveaux territoires

Dans d’autres domaines que le statut des personnes privées de liberté, l’intervention du juge, récente, a
eu un rôle novateur. J’ai choisi, parmi d’autres, quatre de ces domaines : le droit du travail et de la vie de
travail du salarié ; le droit économique et financier ; le droit des étrangers ; la lutte contre la
discrimination. Dans trois de ces domaines, l’intervention du juge a contribué à protéger des droits
fondamentaux. Dans le droit économique et financier, elle a été une nouveauté. J’y ai ajouté, parce qu’il
mérite réflexion, le rôle du juge face à l’histoire et à la mémoire collective, à partir de procès récents.

LE DROIT DU TRAVAIL

Jusqu’à une date assez récente, le principal sinon le seul juge était, en
première instance, le conseil des prud’hommes, juridiction paritaire dont les
membres sont élus et qui statue sur les litiges individuels concernant
l’exécution du contrat de travail (salaire, mutations, licenciement). En cas de
partage des voix, un magistrat professionnel préside la formation et permet de
décider. La cour d’appel est compétente en appel. Aujourd’hui, d’autres
juridictions statuent sur des litiges dont l’enjeu est considérable, notamment
pour les salariés. En voici quatre illustrations. Elles concernent les plans
sociaux, l’évaluation des salariés, le harcèlement et les maladies et les accidents
professionnels.

Le juge et les plans sociaux


Les plans sociaux, devenus plans de sauvegarde de l’emploi, se multiplient.
Le tribunal de grande instance a des pouvoirs étendus en ce qui concerne, en
clair, les licenciements collectifs. L’intervention du juge porte sur trois points :
la procédure d’élaboration du plan, le contenu des mesures et l’exécution du
plan.
— Procédure d’élaboration du plan. Le comité d’entreprise doit être informé
et consulté sur le plan de reclassement. Le non-respect des règles de procédure
conduit le tribunal de grande instance, sur demande du comité d’entreprise ou
d’un syndicat représentatif, à déclarer nulle la procédure de licenciement, et le
conseil de prud’hommes, sur demande du salarié, à condamner l’employeur au
versement d’une indemnité de licenciement.
— Contenu des mesures. Le plan doit renseigner clairement sur les
licenciements envisagés et indiquer concrètement et avec précision les mesures
envisagées. En cas d’insuffisance de celles-ci, le juge peut prononcer
l’annulation de la procédure de licenciement, ce qui conduit à la remise en
cause des licenciements individuels.
— Exécution du plan. Le juge la contrôle. En cas de non-respect des
mesures envisagées, le licenciement devient sans cause réelle et sérieuse, ce qui
conduit au versement d’une indemnité au salarié et à la mise en cause de la
responsabilité de l’employeur1.
En amont, le contrôle par le juge du caractère économique des licenciements
contestés est exclu et est réservé aux litiges individuels portés éventuellement en
aval devant le conseil des prud’hommes. Deux décisions ont esquissé un
changement de jurisprudence en 2011. Par un arrêt du 12 mai 2011, la cour
d’appel de Paris, saisie par le comité d’entreprise, a contrôlé, dans une affaire
concernant la société Viveo France, le motif économique du licenciement. Elle
a estimé qu’il ne reposait pas sur un motif économique réel, la société
appartenant à un groupe allemand en bonne santé, et que l’absence de motif
économique véritable vidait de sa substance la consultation des salariés et
privait de fondement légal le projet économique du chef d’entreprise. La
procédure de licenciement collectif se trouvant de ce fait viciée, le plan social a
été annulé2. Le tribunal de grande instance de Nanterre s’est prononcé dans le
même sens peu après3. La Cour de cassation a cassé, par un arrêt du
3 avril 2012, celui de la cour d’appel : le juge ne peut annuler un plan social
pour absence de motif économique.
Le contrôle des plans sociaux a d’autres aspects. En voici un exemple :
en 2007, la société SFR avait informé 1 877 de ses salariés, soit près de 20 %
de l’effectif total, d’un projet de sous-traitance de leur activité. Ils allaient donc
changer d’employeur. Une fois les contrats de travail transférés à celui-ci, un
plan de « départ volontaire » a été annoncé par lui. Les salariés ont attaqué ces
mesures individuelles devant le conseil des prud’hommes, qui leur a donné
raison, parlant de « collusion frauduleuse ». La cour d’appel de Toulouse a
confirmé ce jugement : la société SFR ne pouvait procéder à un licenciement
économique, vu sa bonne situation. Elle ne pouvait se débarrasser ainsi de ses
salariés en s’affranchissant de ses obligations4.
Voici donc un juge, le juge civil, conduit à contrôler la préparation, le
contenu et l’exécution de mesures décidées par l’employeur. Ce dispositif a
pour but de protéger les salariés. Mais il entraîne aussi, pour l’employeur, une
incertitude juridique et de nouveaux délais. Commentaire d’un responsable
d’entreprise :
Il en résulte que le temps et la sécurité juridique deviennent des monnaies d’échange et qu’un
chef d’entreprise préférera payer plutôt que de prendre le moindre risque ou de souffrir des retards
importants. On « achète » ainsi sa sérénité par la mise en place à peu près systématique de plans de
« départs volontaires », façon de monnayer une fausse volonté de départ des salariés contre une
somme d’argent en général comprise entre un an et demi et deux ans de salaire5.

Le même auteur note plusieurs autres effets pervers. Premier effet : « Les
entreprises sont ainsi conduites à voir partir leurs salariés les plus qualifiés et les
plus jeunes (ceux qui ont la capacité de rebondir facilement) au détriment de
toute gestion durable des compétences. » Deuxième effet : « éviter
d’embaucher », d’où le recours massif aux emplois précaires et « une course
folle à la productivité […]. L’adhésion des salariés au projet d’entreprise
diminue chaque année, sans parler de la souffrance au travail »6.

Le juge et les méthodes d’évaluation des salariés

Le sort professionnel du salarié dépend de son évaluation et des méthodes


utilisées à cet effet. Le Code du travail contient à ce sujet des règles précises.
L’employeur a trois obligations de procédure : il doit informer préalablement
les salariés de la mise en place d’un dispositif d’évaluation et des méthodes et
techniques mises en œuvre ; il doit informer et consulter le comité
d’entreprise ; il doit consulter le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions
de travail si la procédure d’évaluation est manifestement de nature à générer
une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de
travail. Sur le fond, les méthodes et techniques d’évaluation doivent être
pertinentes au regard de la finalité poursuivie. Les informations demandées au
salarié ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier ses aptitudes
professionnelles. Elles doivent présenter un lien direct et nécessaire avec
l’évaluation de ses aptitudes7.
En 2011, la cour d’appel de Toulouse a rendu un arrêt remarquable
concernant les cadres de la société Airbus Opérations. Ils devaient fixer des
objectifs répondant à certaines caractéristiques : « Spécifiques et contrôlables ;
mesurables ; acceptés ; réalistes et ambitieux ; temporels ». L’évaluateur devait
non seulement vérifier que l’objectif avait été atteint, mais aussi s’assurer que
les moyens mis en œuvre étaient conformes aux valeurs de la société, contenues
dans un document intitulé « TheAirbusWay » (sic)8. L’arrêt critique les notes de
service relatives à ces valeurs. Ainsi « agir avec courage » incluait « prendre des
décisions justes et courageuses dans l’intérêt d’Airbus et assumer la pleine
responsabilité de leurs conséquences », ce qui laissait entendre que l’évaluation
pouvait avoir une finalité disciplinaire étrangère à ses fins. Cette approche
disciplinaire, poursuit l’arrêt, se retrouve dans un autre document : relatif aux
low performers. Elle a une connotation morale qui rejaillit sur la sphère
personnelle. En conséquence, la procédure d’évaluation mise en place
en 2010 a été déclarée illicite et celle qui était en cours en 2011 a été
suspendue9.

Le juge et le harcèlement moral ou sexuel

Le harcèlement moral ou sexuel est une pratique répandue dont les effets,
longtemps sous-estimés ou passés sous silence, peuvent être graves. Les juges
ont eu à interpréter, dans ce domaine nouveau pour eux, des notions qui
relèvent à la fois du droit de la responsabilité, du droit pénal, du droit du
travail et, plus généralement, des droits de la personnalité, en tenant compte
des réalités et surtout en tirant toutes les conséquences juridiques du
comportement, actif ou passif, des personnes mises en cause.
Au-delà des comportements individuels, le harcèlement moral peut être le
résultat de l’organisation du travail et de la pression systématiquement exercée
sur les salariés, entraînant la souffrance au travail10. Ici aussi, l’apport de la
jurisprudence, essentiellement celle de la chambre sociale de la Cour de
cassation, a été décisif. Depuis 2008, elle contrôle la qualification, par les cours
d’appel, du harcèlement moral et notamment la recherche par elles de la preuve
de son existence, afin d’harmoniser leurs pratiques et de préciser les règles
applicables. Lesquelles ? Dès lors que le salarié établit des faits qui permettent
de présumer l’existence d’un harcèlement, il incombe à l’employeur, au vu de
ces éléments, de prouver que ces agissements ne constituent pas un tel
harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers
à tout harcèlement11. De plus, les faits doivent être appréciés dans leur
ensemble et non séparément. Peu importe ici l’intention de nuire ou
l’intention malveillante de l’auteur du harcèlement12. L’obligation de sécurité
de l’employeur en matière de protection de la santé et de la sécurité des
travailleurs dans l’entreprise s’applique au harcèlement moral. Son absence de
faute ne peut l’exonérer, sauf force majeure13. Pour affirmer cette obligation, la
Cour de cassation a interprété le droit national, ici l’article 1152-1 du Code du
travail, à la lumière du droit communautaire, la directive 89/391/CEE
du 12 juin 1989.
Le juge est ainsi conduit à mettre en cause des méthodes de gestion.
En 2007, la cour d’appel de Paris a jugé que le comportement managérial d’un
employeur pouvait constituer un harcèlement moral collectif et individuel14.
L’arrêt déjà cité rendu par la Cour de cassation le 10 novembre 2009 affirme
que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son
auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet
une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux
droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son
avenir professionnel. Lorsqu’une déclaration d’inaptitude résultant d’un
harcèlement moral conduit à un licenciement, ce licenciement est nul15.
Le harcèlement moral peut enfin être à l’origine du suicide d’un salarié.
Dans certains cas, le suicide et même sa tentative ont été reconnus comme
accidents du travail16. Sur le plan pénal, après une série de suicides survenus à
France Telecom, le parquet a ouvert en 2010 une information judiciaire contre
X pour harcèlement moral à la suite d’une plainte déposée en 2009 par le
syndicat SUD. L’inspection du travail avait remis au parquet un rapport
mettant en cause directement la politique de réorganisation et de management
menée par l’entreprise depuis 2006. En juillet 2012, France Telecom et trois de
ses anciens dirigeants ont été mis en examen.
Le harcèlement moral désigne « le fait de harceler autrui par des agissements
répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de
travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé
physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel17 ». En
voici trois exemples tirés de la jurisprudence récente.
En 2006, la Cour de cassation statue sur une affaire dans laquelle le
directeur salarié d’une association s’était livré envers ses subordonnés à des actes
de harcèlement moral. Plusieurs salariés engagèrent une action en réparation
du préjudice subi par eux contre lui et contre l’association. La cour d’appel
condamna le directeur à leur verser des dommages-intérêts. Elle déclara aussi
que l’employeur, c’est-à-dire l’association, ne pouvait être responsable dès lors
qu’il n’avait pas commis de faute. Devant la Cour de cassation, le directeur
affirmait que les fautes qui lui étaient reprochées n’étaient pas détachables de la
mission confiée par son employeur et que seul ce dernier, c’est-à-dire
l’association, pouvait être condamné. La Cour de cassation a confirmé sa
condamnation : les faits reprochés, d’une extrême gravité, car ils portaient
atteinte à la dignité des salariés, engageaient sa responsabilité personnelle,
même s’ils avaient été commis dans l’intérêt, voire sur l’ordre de l’employeur.
Quant à ce dernier, la Cour de cassation a affirmé qu’il était tenu envers ses
salariés d’une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la protection
de leur santé et de leur sécurité dans l’entreprise, notamment en matière de
harcèlement moral. Son absence de faute ne pouvait l’exonérer de sa
responsabilité18.
Un an plus tard, en 2007, la Cour de cassation a confirmé les conséquences
de l’abstention de l’employeur : un employeur, averti du harcèlement moral
auquel se livrait une salariée envers une subordonnée, s’était abstenu de mettre
fin à ce comportement et de garantir la santé physique et mentale de la victime
alors qu’il avait connaissance du danger encouru. La cour d’appel l’avait
condamné au paiement de dommages-intérêts pour exécution déloyale du
contrat de travail. La Cour de cassation a confirmé cette condamnation19.
Le dernier arrêt date de 2012. Une salariée avait été licenciée pour faute
grave pour avoir dénoncé sans fondement des faits de harcèlement moral dont
elle prétendait être victime. La cour d’appel avait jugé qu’ayant dénoncé des
faits qui n’étaient pas susceptibles de caractériser un harcèlement moral, la
salariée était de mauvaise foi. La Cour de cassation a cassé cette décision : la
mauvaise foi ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté
des faits qu’il dénonce, et non du seul fait qu’ils ne sont pas établis20.
Avant la loi du 6 août 2012, le harcèlement sexuel désignait « le fait de
harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle21 ».
En 2011, la Cour de cassation a précisé le champ d’application de cette notion.
Le superviseur d’une équipe de standardistes d’un centre d’appel d’une société
de taxis avait tenu des propos à caractère sexuel à deux de ses collègues
féminines lors de l’envoi de messages électroniques en dehors du lieu et du
temps de travail, notamment lors de soirées organisées après celui-ci. En outre,
il avait, sur son lieu de travail, fait des remarques déplacées à une autre salariée
sur son physique et suivi une troisième dans les toilettes. Il fut licencié pour
faute grave. La cour d’appel avait annulé son licenciement : les premiers faits
relevaient de sa vie personnelle et ne pouvaient donc constituer une faute dans
l’exécution du contrat de travail. Quant aux seconds, ils ne suffisaient pas à
caractériser des agissements de harcèlement sexuel.
Cet arrêt est très singulier, et les œillères sont visibles. La Cour de cassation
l’a cassé à juste titre : ces propos et ces attitudes à l’égard de personnes avec
lesquelles l’intéressé était en contact à raison de son travail ne relevaient pas de
sa vie personnelle22. Comme le note un commentateur, le juge « précise les
contours de [la] vie professionnelle […] considérée dans sa globalité […].
[Elle] comprend l’ensemble des faits dont la relation de travail constitue la
cause », d’où son extension23.
L’histoire de la loi sur le harcèlement sexuel révèle, jusqu’en 2012, beaucoup
de négligences et peu d’intérêt du Parlement et du gouvernement. En bref, elle
a connu trois versions successives, échelonnées de 1992 à 2002, et, en 2012,
une décision du Conseil constitutionnel déclarant le texte contraire à la
Constitution. Que s’est-il passé et comment en est-on arrivé là ? C’est
en 1992 que le nouveau délit de harcèlement sexuel est créé. En réalité, il l’est
deux fois : la première dans le Code pénal, la seconde dans le Code du travail.
Le texte du Code pénal mentionne, pour le définir, les moyens employés (« en
usant d’ordres, de menaces ou de contraintes »), l’objectif poursuivi (« obtenir
des faveurs de nature sexuelle »), enfin l’auteur (« une personne abusant de
l’autorité que lui confèrent ses fonctions »)24. Pour le Code du travail, il s’agit
de l’employeur « qui, abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, a
donné des ordres, proféré des menaces, imposé des contraintes ou exercé des
pressions de toute nature […] dans le but d’obtenir des faveurs de nature
sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers25 ».
En 1998, à l’article 222-33 du Code pénal, les mots « les pressions graves »
remplacent les « pressions de toute nature ». En 2002, la loi du 17 janvier
supprime toute référence aux moyens utilisés et à l’abus d’autorité, à la suite
d’un amendement provenant du Sénat. Résultat : la définition du délit
disparaît de l’article 222-33 : « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir
des faveurs sexuelles est puni… » Aucun débat de fond n’a eu lieu à ce sujet,
preuve de l’intérêt que le Parlement et le gouvernement attachaient à cette
question. Une directive communautaire du 23 septembre 200226, modifiant
une précédente directive de 1976, donne une meilleure définition, élargie, du
harcèlement sexuel :
[L]a situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s’exprimant
physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter
atteinte à la dignité d’une personne27 et, en particulier, de créer un environnement intimidant,
hostile, dégradant, humiliant ou offensant28.

Cette directive devait être transposée au plus tard le 5 octobre 2005. La


nouvelle définition du harcèlement sexuel ne l’a pas été avant l’expiration de ce
délai. Une autre directive de 200629 confirme sur ce point la précédente. La loi
du 27 mars 2008 la transposant fait, une fois de plus, le silence sur cette
définition, fruit d’une nouvelle abstention délibérée.
Le 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel, saisi d’une QPC par la Cour de
cassation, déclare cet article du Code pénal inconstitutionnel, car contraire au
principe de légalité des délits et des peines30. Celui-ci exige que le législateur
fixe lui-même le champ d’application de la loi pénale et définisse les infractions
en termes suffisamment nets et précis. Ainsi pendant dix ans,
entre 2002 et 2012, le gouvernement et le Parlement ont laissé subsister un
texte sur le harcèlement sexuel cumulant deux défauts majeurs : être à la fois
trop vague et trop restrictif et être contraire à la Constitution et au droit
communautaire, même si celui-ci n’impose pas aux États membres de
sanctionner pénalement le harcèlement.
La loi du 6 août 2012 a enfin donné une définition adéquate du
harcèlement sexuel31.

Le juge et les accidents


et maladies professionnels

Les juges ont fait évoluer le droit qui se rapporte aux accidents du travail et
aux maladies professionnelles. Quel est-il au départ ? En cas d’accident
professionnel ou de maladie réputée d’origine professionnelle, le salarié est
dispensé d’apporter la preuve de la faute de l’employeur. Mais il ne perçoit
qu’une indemnité limitée comprenant le remboursement des frais médicaux,
des indemnités journalières majorées et, en cas d’incapacité de travail
permanente, une rente calculée selon un barème. Le caractère forfaitaire et
limité de la réparation contraste avec le droit commun de la responsabilité
civile fondé sur l’indemnisation intégrale du préjudice, mais reposant sur la
faute.
Statuant en 2002 sur une trentaine de dossiers relatifs à l’amiante, la Cour
de cassation a affirmé un principe : l’obligation de sécurité de l’employeur née
du contrat de travail est une obligation de résultat. En d’autres termes, il doit
l’assurer « notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles
contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par
l’entreprise ». Cette obligation s’étend à la prévention, « notamment en évitant
les risques, en évaluant ceux qui ne peuvent être évités, en les combattant à leur
source et en planifiant la prévention32 ». L’origine de cette obligation se trouve
dans le droit communautaire33. Pour assurer son respect, le juge peut, dans
certains cas, suspendre l’exécution des décisions concernant l’organisation du
travail. En voici un exemple. Un employeur avait mis en place une nouvelle
organisation du travail de surveillance et de maintenance dans un site
industriel classé « Seveso »34. La cour d’appel avait suspendu l’exécution de
cette décision : le nouveau dispositif aggravait les risques inhérents aux
fonctions des travailleurs concernés. Les procédures d’assistance prévues ne
suffisaient pas à garantir leur sécurité. La Cour de cassation a approuvé cet
arrêt. La Cour a aussi donné une nouvelle définition de la faute inexcusable de
l’employeur : « [L]e manquement à cette obligation (de sécurité) a le caractère
d’une faute inexcusable […] lorsque l’employeur savait, ou aurait dû avoir
conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les
mesures nécessaires pour l’en prémunir. » La différence de traitement, pour le
salarié atteint d’une maladie professionnelle contractée dans ces conditions, est
considérable. Il peut percevoir une rente majorée et être indemnisé de certains
chefs de préjudice35.
Par une décision de 2010, le Conseil constitutionnel a jugé que,
indépendamment de ces majorations, la victime ou, en cas de décès, ses ayants
droit peuvent demander à l’employeur la réparation de l’ensemble des
dommages non couverts par le livre IV du Code de la Sécurité sociale36. Un an
plus tard, la Cour de cassation a appliqué ce principe37.
La tragédie de l’amiante
Son ampleur et ses causes sont connues, notamment grâce à plusieurs
rapports parlementaires38. Voici les conclusions de celui de 2005 :
35 000 décès peuvent être imputés à l’amiante entre 1965 et 1995. 60 000 à 100 000 sont
attendus dans les vingt à vingt-cinq ans à venir, en raison du temps de latence de trente à quarante
ans du mésothéliome, auquel il convient d’ajouter environ 10 % de cancers du poumon déclarés
chaque année. Les scientifiques jugent l’épidémie à venir inéluctable et irréversible et son ampleur
déterminée jusqu’à 203039.

Les victimes et leurs familles ont engagé plusieurs types d’actions en justice :
— Devant les tribunaux des affaires de Sécurité sociale (Tass), pour faire
reconnaître l’existence d’une maladie professionnelle.
— Devant les conseils de prud’hommes pour obtenir, en cas de démission,
en plus de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de
l’amiante, la réparation du préjudice lié à l’anxiété. La Cour de cassation a jugé
en 2010 que les salariés ayant travaillé dans un des établissements figurant sur
une liste officielle « pendant une période où y étaient fabriqués ou traités
l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante se trouvaient, par le fait de
l’employeur, dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de
déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante et étaient amenés à
subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse ». La
Cour a ainsi rejeté un pourvoi dirigé contre un arrêt de cour d’appel qui avait
indemnisé un tel préjudice40.
— Devant les juridictions administratives, pour faire reconnaître la
responsabilité de l’État du fait de la carence de l’administration en matière de
prévention des risques liés à l’exposition aux poussières d’amiante41, ou pour
contester la légalité de décisions du Fonds d’indemnisation des victimes de
l’amiante (Fiva) fixant des barèmes d’indemnisation ou du ministre du Travail
refusant d’inscrire une société sur la liste des établissements ouvrant droit au
dispositif de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante et au
versement de l’allocation précitée. Celle-ci est versée aux salariés ayant travaillé
dans une entreprise inscrite sur une liste établie par arrêté ministériel, si
l’exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l’amiante y
présente un « caractère significatif ». Le décret qui devait préciser les critères de
ce caractère n’ayant pas été publié – pourquoi ? –, c’est le juge qui, devant la
carence du gouvernement, l’a fait en retenant la fréquence des opérations de
fabrication des matériaux contenant de l’amiante et la proportion des salariés
qui y ont été affectés42.
— Devant les tribunaux judiciaires, contre les décisions individuelles des
deux fonds d’indemnisation créés à cette occasion43.
— Devant les juridictions pénales, enfin. Le bilan est maigre : les premières
plaintes avec constitution de partie civile datent de 1996. Aucune des
instructions ouvertes ne semble près d’aboutir. Le pôle santé publique du
tribunal de grande instance de Paris dispose de moyens très insuffisants : quatre
magistrats, quatre greffiers, deux assistants spécialisés (un médecin et un
vétérinaire), enfin des officiers de police judiciaire. Son fonctionnement s’est
heurté à plusieurs obstacles : difficulté des magistrats à travailler en pool avec
les fonctionnaires spécialisés mis à disposition du pôle, immobilisme des juges
d’instruction. En décembre 2011, la chambre de l’instruction de la cour
d’appel de Paris a annulé les mises en examen de six anciens responsables du
groupe d’amiante-ciment Eternit. En Italie, deux dirigeants de la société
Eternit ont été condamnés en 2012 à seize ans d’emprisonnement. Les
poursuites contre les employeurs se sont heurtées jusqu’ici à plusieurs
difficultés, recensées par le rapport de l’Assemblée nationale de 2009.
Beaucoup ont été éteintes par la prescription ou la mort de l’intéressé. La
responsabilité pénale des personnes morales, créée en 1994, ne peut jouer pour
des faits antérieurs à cette date. Elle suppose de plus la démonstration, souvent
complexe, de l’existence d’une faute d’une personne physique ayant un pouvoir
de décision et la preuve d’un lien certain de cause à effet entre le dommage et
la faute.
À la fin de 2011, quatre anciens responsables du comité permanent amiante,
qui fut, de 1982 à 1995, l’instrument très efficace du groupe de pression des
industriels de l’amiante en vue notamment de retarder l’application de mesures
de protection, ont été mis en examen pour homicides et blessures involontaires
et abstentions délictueuses. La mise en examen, en 2011, de la société Eternit
et de cinq de ses anciens responsables a été annulée en 2012 par la Cour de
cassation en partie pour des raisons de procédure44.
Qui aurait le front, dans toutes ces matières, de parler de judiciarisation et
de la déplorer ?

LE DROIT ÉCONOMIQUE ET FINANCIER

Plusieurs juridictions statuent ici. Les tribunaux de commerce statuent


notamment sur les procédures collectives : sauvegarde, règlement et liquidation
judiciaire45. Les tribunaux pénaux s’occupent du droit pénal des affaires (délit
d’initié, abus de biens sociaux, blanchiment d’argent, présentation de faux
bilans ou de comptes non sincères). Le contentieux des décisions prises par les
autorités administratives indépendantes (Conseil puis Autorité de la
concurrence, Autorité des marchés financiers) est partagé entre le Conseil
d’État et la cour d’appel de Paris.
Ce qu’il faut retenir ici, c’est la triple évolution, parallèle, du contexte
économique et financier national et international, des textes et des juges46.
Jusqu’au début des années 1960, le juge professionnel était à la fois peu
intéressé par le monde économique et financier et mal préparé à le
comprendre, n’ayant reçu aucune formation dans ce domaine. Le juge est alors
« effacé ». Au cours des années 1960, la situation commence à changer, comme
le montrent les premières réformes du droit des sociétés (loi du 24 juillet 1966)
et des procédures collectives (loi du 13 juillet 1967). À partir des années 1980,
les réformes s’accélèrent, qu’il s’agisse du droit des procédures collectives, du
droit de la concurrence, du droit boursier47 ou du droit du travail. Du coup,
voici le juge « consacré », au moment où sa formation et sa capacité de juger de
telles affaires s’améliorent grâce aux enseignements dispensés par l’ENM.
D’autres aspects de cette évolution ont été, au niveau national, les réflexions
sur l’évolution du droit des sociétés48 et sur le droit pénal des affaires49, et au
niveau international, le développement des études de droit comparé et
européen50. Le choix du droit applicable et celui de la juridiction compétente,
lorsqu’ils sont possibles, et la décision de recourir à l’arbitrage dépendent ici de
la qualité de la justice rendue en France. Les responsables politiques en sont-ils
conscients ?

LE DROIT DES ÉTRANGERS

La France est un ancien pays d’immigration depuis le milieu du XIXe siècle


environ, fait historique et social que notre enseignement et nos manuels
scolaires ont longtemps passé sous silence51. Gérard Noiriel a pu parler à ce
sujet d’un « non-lieu de mémoire52 ». Le droit applicable aux étrangers s’est
développé tardivement. Jusqu’en 1914 on ne note, outre la loi de 1849 sur la
naturalisation et le séjour des étrangers, que les lois de 1851 et 1889 sur
l’accession à la nationalité53, le décret de 1888 et la loi de 1893 sur leur
enregistrement ou leur immatriculation. Contrairement à une idée assez
répandue, l’accueil des nouveaux arrivants et leur installation ne se firent pas
sans tensions ni heurts, parfois violents54.
La Première Guerre mondiale et ses suites, notamment en matière
d’immigration, bouleversent le contexte. À partir des années 1930, la crise
économique, la montée de la xénophobie et de l’antisémitisme, alors liés55,
conduisent, sur la demande de certaines professions, en particulier les
médecins56 et les avocats57, à des lois restreignant l’accès au marché du travail et
intensifiant les contrôles et les mesures de police. C’est pour les étrangers que
s’ouvrent en 1938 les premiers camps d’internement58.

Genèse du contrôle du juge

L’administration prend chaque jour des milliers de décisions affectant la


situation des étrangers. Pour s’en tenir aux décisions défavorables : refus de visa
ou de titre de séjour, mesure d’éloignement, extradition, refus de naturalisation
ou d’acquisition de la nationalité ou refus de reconnaissance de la qualité de
réfugié. Ces décisions sont de plus en plus fréquemment attaquées devant les
juridictions administratives et y constituent aujourd’hui un contentieux de
masse.
Il n’en fut pas toujours ainsi, loin de là. C’est là un fait relativement récent,
qui date de la fin des années 1970. Il faut donc s’interroger sur cette évolution.
Jusque-là, le droit applicable aux étrangers avait deux caractéristiques
concernant ses sources et son contenu. Ses sources étaient quasi exclusivement
nationales, et le droit international y tenait une très faible place, à part la
convention de l’ONU de 1951 sur le statut des réfugiés. Le droit
communautaire commençait à s’affirmer, mais concernait surtout la libre
circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté. Quant à la
Convention européenne des droits de l’homme, signée en 1950, la France, l’un
des derniers pays à la ratifier (1973-1974), n’avait accepté le recours individuel
devant la cour de Strasbourg qu’en 1981. Le contenu de ce droit donnait de
très larges pouvoirs à l’administration, sur la procédure comme sur le fond. Les
décisions de celle-ci étaient rarement contestées devant les juridictions
administratives et peu contrôlées par elles quand elles l’étaient. Pourquoi ? Il
s’agissait d’une autolimitation du juge. L’état embryonnaire de la littérature
juridique consacrée au droit des étrangers est une illustration de cette situation.
À partir de la fin des années 1970, tout commence à changer : le droit
applicable et le nombre de recours. D’abord, le droit change souvent. À partir
de 1981, l’ordonnance de 1945 – aujourd’hui codifiée, d’où le Code de l’entrée
et du séjour des étrangers en France et du droit d’asile (Ceséda) – est modifiée
à chaque changement de majorité, voire plusieurs fois au cours d’une
législature. Les lois plus sévères ont été systématiquement déférées au Conseil
constitutionnel par l’opposition, faisant apparaître un aspect inédit de ce droit :
l’aspect constitutionnel, jusque-là inconnu ou estimé incongru. Le Conseil
constitutionnel va juger que, même compte tenu de leur situation particulière,
les étrangers bénéficient, comme chacun, d’un certain nombre de droits
fondamentaux que le législateur doit respecter. À la vérité, il n’a pas été le
premier à le dire. Dès 1978, le Conseil d’État avait affirmé un nouveau
principe général du droit, le droit à une vie familiale normale, qui comprend
notamment, pour un étranger, le droit au regroupement familial59. Le Conseil
constitutionnel le consacrera en 199360.
L’application de la Convention européenne des droits de l’homme va
modifier en profondeur le droit applicable. C’est, en un sens, un paradoxe
apparent. En effet au départ, en 1950, personne ne songe à parler des étrangers
et de leurs droits, sinon pour restreindre ces derniers61. Au fil du temps, c’est
progressivement, et par le biais de l’application d’articles généraux, que la
Convention va permettre au juge national de protéger les droits des étrangers.
L’explication du paradoxe est là : le propre des grands textes juridiques, nationaux
et internationaux, est de contenir des virtualités qui ne se révèlent qu’à terme. On
l’a vu pour la Déclaration de 1789 : presque deux siècles se sont écoulés avant
qu’une valeur constitutionnelle lui soit reconnue. Pour revenir à la Convention
européenne des droits de l’homme, voici trois exemples concrets de son apport
au droit des étrangers :
— Selon l’article 8, « [t]oute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Ce droit n’est pas absolu
et peut être limité pour des motifs tenant notamment à l’ordre public, à
condition de respecter le principe de proportionnalité. Beaucoup d’étrangers
contre lesquels une mesure d’éloignement a été prise ou à qui le préfet a refusé
un titre de séjour sont établis depuis assez longtemps en France, y ont fondé
une famille, ont des enfants français et n’ont plus guère de liens avec leur pays
d’origine. Ils vont contester la décision prise contre eux devant le juge
administratif en invoquant ce droit au respect de la vie familiale. Que va faire
ce juge ? Il va tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme et examiner si, par rapport à la situation personnelle et
familiale de l’étranger, la décision attaquée était proportionnée, compte tenu de
son motif. Cela ne s’est pas fait un en seul jour. Pendant très longtemps, un tel
contrôle n’existait pas. Ce n’est qu’en 1991 que le Conseil d’État a admis qu’un
étranger pouvait invoquer ce droit contre une mesure d’expulsion, mettant fin
à une autolimitation injustifiée. S’il n’est pas satisfait de la décision du juge,
l’étranger peut introduire un recours devant la cour de Strasbourg. Celle-ci a
jugé à plusieurs reprises que la France n’avait pas respecté l’article 8.
— Selon l’article 3 de la même Convention : « Nul ne peut être soumis à la
torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Il arrive
fréquemment que l’étranger à qui il est ordonné de quitter le territoire
soutienne qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risque, vu son passé,
d’être soumis à de tels traitements. Au juge, ici aussi, d’apprécier, en tenant
compte de la jurisprudence européenne et des informations dont il dispose, et
qu’il lui incombe de recueillir, sur le pays en question.
— La Cour européenne des droits de l’homme peut demander à un État
contre lequel un recours a été introduit de surseoir à la décision attaquée
jusqu’au règlement de l’affaire. Depuis un arrêt de 200562, l’État est tenu de
donner suite à cette demande et risque, en cas de refus, d’être condamné par la
Cour pour violation de la Convention. La Cour a utilisé ce pouvoir dans
beaucoup d’affaires concernant des pays tels que le Sri Lanka, l’Algérie ou la
Tunisie.
On voit ici comment ce nouveau contexte juridique international permet au
juge d’augmenter l’étendue de son contrôle. De façon générale, celui-ci s’est
beaucoup accru, prenant en compte la situation personnelle, familiale et
médicale de l’étranger.

Un nouvel acteur : les associations

La présence et l’action des associations ont transformé le contexte à la fois


social, politique et juridique relatif aux étrangers. Parmi les principales d’entre
elles, citons le Gisti, France Terre d’asile, la Cimade, l’Anafe et l’Assfam63. Leur
action prend plusieurs formes :
— Action sociale : accueil, assistance aux démarches individuelles, aide
sociale, où elles ont souvent précédé, et de loin, la présence de l’administration
pour assurer un service social indispensable. Aucune administration, nationale
ou locale, ne suffit ici, pour de multiples raisons, financières aussi bien
qu’humaines, et chacun le sait bien. Tel fut longtemps le cas du Service social
d’aide aux émigrants (SSAE), créé en 1924, jusqu’à ce que la suppression de la
subvention de l’État entraîne en 2005 sa disparition et l’intégration de
certaines de ses missions et d’une partie de son personnel au sein d’un
établissement public, l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Qui
a gagné à cette étatisation sans précédent d’une association reconnue d’utilité
publique qui assurait un service public à la satisfaction générale ? Certainement
pas ceux auxquels elle s’adressait.
— Présence dans les lieux où sont détenus les étrangers, en dehors des
prisons : centres de rétention administrative pour les étrangers contre lesquels
une mesure d’éloignement a été prise et zones d’attente pour ceux auxquels
l’entrée en France a été refusée. Cette présence est essentielle. En plus d’un
regard extérieur sur les conditions de détention, elle contribue à l’exercice
effectif, par les étrangers, des droits que la loi leur attribue64. Cet accès a été
reconnu par la directive du 16 décembre 2008 : « Les organisations et instances
nationales, internationales et non gouvernementales compétentes ont la
possibilité de visiter les centres de rétention65. » La loi prévoit des « actions
d’accueil, d’information et de soutien, pour permettre [aux étrangers] l’exercice
effectif de leurs droits et préparer leur départ ».
— Accomplissement de missions de service public. Ainsi l’association France
Terre d’asile gère-t-elle les centres d’accueil des demandeurs d’asile ou de
mineurs étrangers isolés.
— Information du public et des pouvoirs publics sur la condition des
étrangers.
— Participation au débat public sur les réformes du droit applicable.
— Actions en justice.
Les associations ont souvent attaqué des décrets et des circulaires relatifs aux
étrangers. De telles actions ont été à l’origine de décisions marquantes des
juridictions administratives. Je n’en donnerai que deux exemples, en plus de la
décision du Conseil d’État de 1978, déjà citée, sur le droit à une vie familiale
normale.
Premier exemple, en 1980, la Ville de Paris crée une allocation de congé
parental d’éducation pour les familles de plus de trois enfants. En 1984-1985,
elle en exclut notamment les familles dont aucun des parents n’est français. Sur
recours du MRAP, le tribunal administratif de Paris a annulé en 1986 cette
décision, annulation confirmée par le Conseil d’État en 198966.
Le deuxième exemple concerne le RMI. La loi prévoit son attribution aux
étrangers titulaires d’une carte de résident ou, depuis trois ans, d’une carte de
séjour temporaire et d’une autorisation de travail. En 2002, une circulaire de la
Caisse nationale d’allocations familiales la limite aux titulaires d’une carte de
séjour « salarié » ou « vie privée et familiale » et aux étrangers ayant résidé en
France trois ans sous couvert de ces titres de séjour. Sur recours du Gisti, le
Conseil d’État a jugé que cette circulaire était illégale et l’a annulée67.
Le résultat de l’ensemble de ces actions est considérable et positif. Les
différentes administrations (ministères, préfectures, collectivités territoriales)
ont, au fil du temps, noué des contacts réguliers avec les associations. Il arrive
que ces contacts ne soient pas toujours aisés. Pourquoi ? La liberté d’association
est une liberté constitutionnelle. En conséquence, les associations se forment et
définissent librement leur objet et leur action, leurs statuts, en un mot leur
identité. Leur parole est libre. Le moment de notre histoire auquel elles ont été
créées fait partie de cette identité et de leur mémoire. Elles n’ont pas le
« monopole du cœur », pour utiliser l’expression employée par Valéry Giscard
d’Estaing en 1974 lors du débat télévisé qui l’opposa à François Mitterrand, ni
du reste celui de l’erreur, si l’on en juge par le nombre de décisions
administratives annulées pour illégalité à la suite de leur action. Elles
s’expriment à leur façon, différente du style policé et lisse de l’administration,
qui sert parfois à taire les choses. D’où des tensions. À l’usage, les uns et les
autres ont fini par se connaître et même se comprendre, voire s’estimer, plus
que l’on ne veut bien le reconnaître, ce qu’aucune loi n’interdit.

Une régression

La loi du 16 juin 2011 a brutalement remis en question plusieurs aspects du


contrôle du juge sur les décisions de l’administration. En voici un exemple.
Selon l’article L.313-11-11 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du
droit d’asile :
Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant
la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit […] à l’étranger résidant
habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut
pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne
puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire.

La même protection existait pour les mesures d’éloignement. La


jurisprudence du Conseil d’État obligeait l’administration, depuis 2010, à
vérifier dans chaque cas si l’étranger pouvait ou non bénéficier effectivement du
traitement requis, c’est-à-dire en tenant compte notamment des conditions
d’accès, du coût ou de l’absence de prise en charge. Mécontent de cette
jurisprudence, le ministère de l’Intérieur a fait modifier le texte. Il suffit
désormais de vérifier si ce traitement existe, « sauf circonstance humanitaire
exceptionnelle » appréciée par l’administration. Le droit à un recours effectif a
été vidé de sa substance par le Parlement. Saisi, le Conseil constitutionnel n’a
rien trouvé à y redire. Il a affirmé que le législateur avait « entendu mettre fin
aux incertitudes et différences d’interprétation nées de l’appréciation des
conditions socio-économiques dans lesquelles l’intéressé pouvait effectivement
bénéficier d’un traitement approprié ». Bien médiocre motivation, qui consiste
à fermer les yeux sur la suppression d’une garantie de fond et d’un contrôle du
juge68.

Le droit des réfugiés et de l’asile

L’histoire et la situation actuelle du droit des réfugiés et de l’asile illustrent


deux faits : le rôle croissant du juge dans l’application et l’interprétation d’un
droit créé au départ sous la pression des circonstances et la diversification des
instruments juridiques dont il dispose.
Dans l’entre-deux-guerres, pour faire face à l’arrivée de réfugiés fuyant les
révolutions et les bouleversements politiques en Europe et ailleurs, une
nouvelle catégorie juridique, celle de réfugié, et un nouvel instrument, le
passeport Nansen, sont inventés. Ce passeport leur sert de titre d’identité et
leur permet de se déplacer. Quelques accords sont signés par une minorité
d’États, concernant des catégories particulières de réfugiés selon leur
provenance géographique (Russie, ancien Empire ottoman, Allemagne, etc.).
Aucun juge ne statue sur leur qualité. Leur condition très précaire les marquera
durablement69.
Entre 1945 et 1950, le sort des « personnes déplacées », invention
sémantique en forme de litote, est réglé tant bien que mal au cœur d’une
Europe en ruine. En 1950-1951, deux innovations apparaissent, dues à
l’ONU. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) est
créé. Sa mission est d’assurer la protection internationale des réfugiés. La
Convention de 1951 sur le statut des réfugiés est adoptée, première convention
internationale portant sur l’ensemble des réfugiés. Elle donne une définition
du réfugié fondée sur deux notions essentielles : une crainte de persécution
pour l’un des motifs qu’elle énonce70 et l’absence, pour cette raison, de
protection par l’État d’origine. Timide ou silencieux sur plusieurs points, ce
texte remarquable, élaboré en quelques mois, reste aujourd’hui la charte
internationale des réfugiés.
Sur sa base, la Cour nationale du droit d’asile71, juridiction administrative,
statue sur les refus de reconnaissance de la qualité de réfugié opposés à une
demande par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra),
organisme administratif. Une jurisprudence, celle de cette cour et du Conseil
d’État, se met en place. Des principes généraux sont affirmés : on ne peut
extrader un réfugié vers son pays d’origine ; les membres de la famille du
réfugié ont également droit à cette qualité, dans certaines conditions. La
Convention européenne des droits de l’homme ne dit rien sur l’asile et les
réfugiés. Mais la cour de Strasbourg, quant à elle, contrôle les conditions dans
lesquelles les demandeurs d’asile sont détenus et traités dans un pays donné (la
Grèce a été sévèrement condamnée à plusieurs reprises) et les conditions dans
lesquelles ceux qui ont été déboutés sont renvoyés vers leur pays d’origine.
Dernière étape : la « communautarisation » du droit des réfugiés et de l’asile,
c’est-à-dire l’inclusion de ce domaine, ainsi que celui de l’immigration, dans les
compétences de l’Union européenne. Elle a plusieurs conséquences,
notamment sur le rôle du juge. Elle entraîne d’abord la création de normes
européennes (directives et règlements) qui ont une force supérieure à celle de la
loi nationale. Le juge appliquant celle-ci va vérifier sa conformité et celle des
décisions individuelles avec les normes communautaires. Mais ces dernières ne
remplacent pas la Convention de Genève : elles s’ajoutent à elle et apportent
des précisions bienvenues sur les notions de base du droit de l’asile. Par
exemple, la directive de 2004 sur la qualification de réfugié72 précise la notion
clé de persécution. À partir de quel degré de gravité dans les actes y a-t-il
persécution ? Quels sont les comportements à prendre en considération ? La
persécution peut-elle être le fait d’acteurs non étatiques (milices, groupes
privés) ? Quant à l’autre notion de base, celle de protection, en quoi consiste-t-
elle au juste, ou plus exactement au minimum ? Peut-elle émaner d’organismes
internationaux ?
Dernier exemple : selon la Convention de 1951, la crainte de persécution
peut résulter de « l’appartenance à un certain groupe social ». Nous voici
renvoyés à une histoire souvent tragique, voire meurtrière, celle des membres
de telle ou telle minorité (religieuse, ethnique, nationale, sexuelle73, etc.),
persécutés en tant que tels. Les exemples abondent.
Deuxième conséquence : au juge national s’ajoute à présent un juge
supranational, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)74. Va-t-elle
donc décider si telle ou telle personne a droit au statut de réfugié ? Non. Elle va
statuer sur l’interprétation du droit communautaire, dont elle a le monopole,
et sur la validité des règlements et des directives. Comment ? À partir d’une
demande précise adressée par un juge national, selon la technique dite du
renvoi préjudiciel, déjà examinée75. L’interprétation donnée par la Cour dans
son arrêt va s’imposer non seulement au juge auteur de la demande, mais à
toutes les autorités des États membres. Innovation doublement remarquable :
pour la première fois dans l’histoire du droit de l’asile, un juge supranational
statue, et il le fait sur demande d’un juge national. Voici deux illustrations du
rôle de la Cour de Luxembourg :
— Une personne n’a pas la qualité de réfugié à vie. Lorsque les circonstances
qui ont justifié l’octroi initial de la protection et l’attribution du titre de réfugié
changent, cette protection cesse, à condition que ce changement de
circonstances soit suffisamment significatif et non provisoire pour que la
crainte d’être persécutée ne puisse plus être regardée comme fondée. Sur
demande d’une juridiction allemande, la CJUE a précisé le sens de cette notion
de changement de circonstances et mis en relief le respect et la garantie des
droits de l’homme76.
— Certaines catégories de personnes ne peuvent se voir accorder la qualité
de réfugié, par exemple celles dont il y a des raisons sérieuses de penser qu’elles
ont commis un crime de guerre ou un crime contre l’humanité. Mais où sont
définis de tels crimes ? Dans les statuts des juridictions pénales internationales
telles que le Tribunal militaire international, créé par l’accord de Londres
du 8 août 1945, celui des procès de Nuremberg, le Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le
Rwanda, tous deux créés par des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU
des 25 mai 1993 et 8 novembre 1994, et la Cour pénale internationale, créée
par un traité, le Statut de Rome du 17 juillet 199877, et leur jurisprudence78.
Ou bien s’il existe des raisons sérieuses de penser que ces personnes se sont
rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des
Nations unies. Sur ce point aussi un arrêt de la CJUE a apporté des
précisions79.
Troisième conséquence : pour la première fois depuis 1951, la directive
de 2004 a créé, fait remarquable dans une Europe où le climat politique est
défavorable aux réfugiés, un nouvel instrument de protection internationale en
matière d’asile, distinct de la qualité de réfugié : la protection subsidiaire.
Pourquoi ? Certaines personnes ne peuvent être reconnues comme réfugiés,
mais sont en danger grave et doivent donc être protégées. Lesquelles ? Il doit y
avoir des motifs sérieux et avérés de croire que, si elles étaient renvoyées dans
leur pays d’origine, elles courraient un risque réel de subir les atteintes graves
suivantes : la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou
sanctions inhumains ou dégradants ; enfin des menaces graves et individuelles
contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas
de conflit armé, interne ou international (art. 15).
Voici d’un seul coup l’horizon et les instruments juridiques de notre juge
considérablement élargis. Pour décider si une personne donnée, qui n’a pas
droit au titre de réfugié, se trouve dans une situation telle qu’elle a droit à la
protection subsidiaire, il va devoir examiner la nature du conflit qui se déroule
dans tel ou tel pays (Somalie, ex-Yougoslavie, Irak, Afghanistan, tel pays
d’Afrique) et ses conséquences sur le sort des populations civiles. Pour le faire,
le juge national, comme le juge communautaire80, vont devoir utiliser quatre
sortes de droit jusque-là distinctes et qui se sont formées à des époques
historiques différentes :
— Le droit international humanitaire, qui concerne la protection des
personnes en cas de conflit armé81. En un siècle, il s’est étendu de la protection
des seuls militaires en cas de guerre « classique » à la protection des populations
civiles en cas de conflits armés, internationaux ou internes. Ces derniers sont
de plus en plus nombreux.
— Le droit international des réfugiés et de l’asile.
— Le droit international des droits de l’homme, puisque toutes les
persécutions et les « atteintes graves » dont il s’agit renvoient à la violation des
droits fondamentaux. D’où la nécessité de se reporter aux conventions
internationales relatives aux droits de l’homme.
— Le droit pénal international. Né en 1945 avec le statut du Tribunal
international de Nuremberg, il a été complété par les statuts et la jurisprudence
des nouvelles juridictions pénales internationales déjà citées.
Conséquences concrètes : les jugements de la Cour nationale du droit d’asile
et les décisions du Conseil d’État citent souvent des jugements de ces
tribunaux pénaux, des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, les
conventions de Genève sur le droit humanitaire82 ainsi que les rapports
émanant d’organisations internationales ou d’associations spécialisées dans la
défense des droits de l’homme. Ici encore, un changement d’horizon
considérable s’est opéré.

SUR FOND DE DÉCOLONISATION,


DEUX PROCÈS DE LA DISCRIMINATION

Parmi les héritages de la décolonisation figure la situation juridique des


anciens colonisés ayant fait partie, d’une façon ou d’une autre, des armées
françaises. L’affaire des pensions et le sort des harkis montrent comment, sur
fond de décolonisation plus ou moins bien assumée, le recours au juge a été le
seul moyen de mettre fin à une discrimination illégale.

L’affaire des pensions, ou onze ans de contentieux

En Indochine, en Afrique noire et en Afrique du Nord, très nombreux ont


été ceux qui ont combattu dans nos armées ou ont servi dans l’administration.
Ils avaient droit, à ce titre, à diverses pensions civiles et militaires. Les anciens
pays colonisés devenus indépendants, voici nos anciens sujets devenus des
ressortissants étrangers. Un problème se pose alors : selon les textes en vigueur,
le droit à pension est « suspendu » en cas de perte de la nationalité due au
changement de souveraineté83. On aurait pu penser à modifier la loi pour eux,
vu les circonstances. Il n’en fut rien. Le ministère des Finances inventa une
réponse : elle consistait à ne pas priver les intéressés de tout versement tout en
faisant de substantielles économies à leur détriment. Une ordonnance
du 30 décembre 1958 transforma les pensions publiques de retraite ou
d’invalidité des nationaux de l’ancienne Indochine française en indemnité
annuelle viagère non réversible, privant la veuve de tout droit après la mort du
titulaire, et non indexée sur les traitements d’activité. La loi
du 26 décembre 1959 en fit de même pour les nationaux des pays ou
territoires ayant appartenu à l’Union française ou à la Communauté ou ayant
été placés sous le protectorat ou la tutelle de la France. Il en ira de même pour
les Sénégalais en vertu d’une loi de 1979 applicable à partir du 1er
janvier 1975. D’où le nom de « cristallisation » des pensions donné à ce
montage. Nous sommes loin de Stendhal84. Une bataille contentieuse s’engage.
Elle durera près d’une génération devant plusieurs types de juridictions.
Le 1er acte se joue devant une instance internationale, le Comité des droits
de l’homme de l’ONU, chargé de surveiller l’application par les États parties
du Pacte sur les droits civils et politiques de 1966, convention ratifiée par la
France en 1980. Ce comité, composé d’experts, n’est pas une juridiction. Saisi
d’une requête, il ne peut émettre qu’une « déclaration ». Saisi par plusieurs
centaines d’anciens militaires, il a estimé qu’une telle différence de traitement
était une violation de l’article 26 du Pacte, qui interdit toute discrimination,
fondée notamment sur l’origine nationale, en ce qui concerne les droits
garantis par cette convention85.
Le 2e acte se déroule devant le Conseil d’État, qui, sept ans plus tard,
en 1996, estime que les droits à pension ne figurent pas parmi les droits
garantis par le pacte86.
3e acte : les requérants utilisent une autre convention internationale, la
Convention européenne des droits de l’homme, dont l’article 14 interdit toute
discrimination, fondée notamment sur la nationalité, dans l’exercice des droits
qu’elle garantit. Or le droit à pension constitue une créance se rapportant à un
bien, et les biens sont protégés par la Convention87. En 2001, le Conseil d’État
juge donc que la « cristallisation » viole la convention88. Le demandeur était M.
Diop. Ancien sergent-chef de la gendarmerie, il termine sa carrière en 1959. Il
devient sénégalais en 1960, et la « cristallisation » lui est appliquée. En 1994, il
demande le versement d’une pension selon le droit commun. L’administration
ne lui répond pas. Le tribunal administratif de Paris rejette sa demande. Après
sa mort, sa veuve prend la suite, jusqu’à sa victoire posthume, en 1999, devant
la cour administrative d’appel de Paris puis, en 2001, devant le Conseil d’État,
dix-sept ans après sa demande initiale. Ainsi va parfois la justice.
4e acte : quelle conclusion financière exacte tirer de l’arrêt Diop ? Retour à la
case Bercy : le combat de tranchées continue. La loi du 30 décembre 2002 (art.
68) institue une « décristallisation » partielle. La revalorisation est calculée en
tenant compte du pouvoir d’achat dans le pays de résidence de l’intéressé.
Celle-ci est appréciée une seule fois, sans tenir compte d’un changement
ultérieur. De plus, ce texte ne s’applique pas aux Français résidant à l’étranger.
Le critère tiré de la nationalité subsiste donc. En 2006, le Conseil d’État juge
que cette loi n’est pas contraire, sur ces deux points, à l’article 14 de la
Convention européenne des droits de l’homme qui interdit les discriminations,
compte tenu de la marge d’appréciation dont disposent les États dans son
application89.
5e acte : sur initiative du président de la République, Jacques Chirac, la loi
de finances pour 2007 (art. 100) aboutit à la « décristallisation » complète,
mais seulement pour les pensions d’invalidité et de retraite du combattant,
dites « prestations du feu », et non pour les retraites civiles.
Le 6e acte, en 2010, se joue cette fois devant le Conseil constitutionnel. Saisi
par le Conseil d’État de la question de la conformité à la Constitution de
l’ensemble des lois adoptées depuis et des limitations qu’elles contiennent, le
Conseil constitutionnel censure, par une décision qui inaugure vigoureusement
la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité, les dispositions en
cause. Pourquoi ? D’abord parce qu’elles laissent subsister une différence de
traitement avec les Français résidant dans le même pays étranger. Une
deuxième censure porte sur l’exclusion des Algériens. Cette différence de
traitement fondée sur la nationalité a été jugée injustifiée au regard de l’objet
de la loi, qui était précisément de rétablir l’égalité entre les prestations servies
aux anciens combattants, français ou étrangers. Afin de permettre au Parlement
de remédier à cette inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel a jugé que
sa décision prendrait effet à compter du 1er janvier 2011. Pour préserver ses
effets utiles, il a ordonné aux juridictions saisies de surseoir à statuer dans les
affaires en cours et au Parlement de prévoir l’application de la loi nouvelle aux
instances en cours90.
7e et dernier acte : la loi du 30 décembre 2010 (art. 211) a abrogé toutes les
lois concernant la « cristallisation » et harmonisé le mode de calcul des
pensions (valeur du point et indices). Les pensions seront révisées à compter
du 1er janvier 2011, sur demande des intéressés, qui ont trois ans pour le
faire91. Ainsi se terminent onze années d’actions en justice92.

Les harkis : de l’abandon à la discrimination

1962 est l’an I du drame des harkis. Dès 1961, le gouvernement avait
commencé à réfléchir à leur sort futur : maintien en Algérie assorti d’une
protection ou rapatriement en France. Après les accords d’Évian (mars 1962),
il pense à un nombre limité de départs, canalisés et planifiés. Jusqu’au
printemps, un certain optimisme subsiste. Puis l’ampleur des massacres, des
tortures et des exactions de tous ordres commis contre eux en Algérie entraîne
un exode massif. Les autorités françaises sont débordées. À la vérité,
l’« hypothèse de retours massifs, tant des Français de souche que des Français
musulmans, n’a jamais été imaginée dans les proportions qui seront avérées à
partir de mai 196293 ». Près de 90 000 personnes réussissent alors à gagner la
France « dans un état psychologique lamentable, sans formation technique, ne
maîtrisant pas la langue française ; leur connaissance du monde s’arrêtant aux
collines limitant leurs villages94 ». Débordé et tiraillé entre plusieurs impératifs,
le gouvernement pare au plus pressé et les héberge dans des camps aux noms
variés (camps de transit, cités d’accueil, hameaux de forestage), gardés par des
militaires : Larzac, Saint-Maurice-l’Ardoise, Bias, Rivesaltes95. « On leur a
appliqué une gestion coloniale96. » Pour l’administration, ils sont des « Français
musulmans97 de souche nord-africaine » ou des « Français rapatriés de souche
nord-africaine ». Ces termes disent tout.
C’est alors que commence une des pages les plus tragiques de la
décolonisation. L’Algérie, qui les avait laissés massacrer, ne voulait rien savoir
de ces « traîtres ». La France ne voulait littéralement plus les connaître, ni les
voir, d’où leur mise à l’écart. À l’exclusion géographique et professionnelle
s’ajoutèrent la honte et le sentiment du rejet et du mépris. Plus de dix ans plus
tard, c’est après la révolte des jeunes que les camps s’ouvrent enfin. Vingt-cinq
ans après les accords d’Évian, le temps d’une génération, le Parlement adopte
en 1987 la première des lois qui, jusqu’en 2005, organisèrent le versement à
leur profit de diverses allocations.

Allocations : les mots et les choses


Ces versements prirent plusieurs formes. D’abord une allocation versée en
trois fois, de 1989 à 1991 (loi du 16 juillet 1987) ; puis une allocation
forfaitaire complémentaire versée en une seule fois (loi du 11 juin 1994) ;
ensuite une rente viagère (loi du 30 décembre 1999), nommée plus tard
« allocation de reclassement » (loi de finances pour 2002). Enfin un système à
option entre rente et capital (loi du 23 février 2005). Cette loi permettait, à
titre dérogatoire, l’octroi des aides spécifiques au logement aux anciens harkis
pouvant justifier d’un domicile connu en France ou dans un autre État
membre de la Communauté européenne et ayant acquis la nationalité française
avant le 1er janvier 199598.
Le demi-remords tardif et atténué des pouvoirs publics s’exprima de façon
variée au Parlement. En 1987, l’allocation est présentée comme destinée « à
leur permettre de vivre un peu mieux99 », à « indemniser les harkis du préjudice
moral spécifique qu’ils ont subi du fait de leur rapatriement100 ». Pas un mot
sur le fait que ce préjudice a été causé non par leur rapatriement – celui-ci leur
a sauvé la vie –, mais par la façon dont ils ont été traités en France. Selon un
autre parlementaire, l’allocation est destinée à « compenser le préjudice moral
subi par ceux qui ont combattu aux côtés de l’armée française et de faciliter
une insertion difficile dans la société française101 ». Les enfermer dans des
camps, en effet, ne la facilitait pas.
En 1994, le ton devient enfin digne. L’exposé des motifs de ce qui deviendra
la loi du 11 juin 1994 mentionne « les conditions extrêmement difficiles sinon
dramatiques » de leur départ d’Algérie et leur sentiment, en France, « d’être
devenus “les oubliés de l’Histoire” » :
À leur arrivée dans notre pays, ils furent installés dans des camps, des hameaux forestiers, des
ensembles immobiliers situés à la périphérie des grandes agglomérations. Ils attendent depuis plus de
trente ans que la République française rende solennellement hommage aux services et aux sacrifices
qu’ils ont consentis pour elle102.

Le texte mentionne enfin « l’occultation de leur histoire et notamment […]


celle des conséquences du choix qu’ils firent dans une période tragique de la vie
de notre pays ».
Tout s’enchaîne à présent. 1999 : l’objet est de conjuguer « une logique de la
réparation des préjudices subis par les anciens harkis en raison de leur
engagement pendant la guerre d’Algérie et un souci d’aider les plus vulnérables
socialement103 ». 2004, exposé des motifs de ce qui deviendra la loi
du 23 février 2005 :
La France, en quittant le sol algérien, n’a pas su sauver tous ses enfants ni toujours bien accueillir
ceux d’entre eux qui ont été rapatriés. Les massacres dont certains ont été les innocentes
victimes104 marquent durablement notre conscience collective105.

Des textes « mémoriels » sont intervenus. Un décret du 31 mars 2003 a créé


une journée nationale d’hommage aux harkis et autres membres des formations
supplétives. Elle a lieu le 25 septembre. La loi du 23 février 2005 a reconnu
« les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens
membres des formations supplétives et assimilés » (art. 1er)106. La loi
du 7 mars 2012 assimile aux forces armées, en ce qui concerne la diffamation,
les forces supplétives, permettant aux associations de défense d’intenter une
action en justice ayant trait aux délits d’injure et de diffamation107.
Le 14 avril 2012, le président de la République a reconnu, dans une allocution
prononcée à Perpignan, la responsabilité de la France dans l’abandon des harkis
à la fin de la guerre d’Algérie : « La France se devait de protéger les harkis de
l’histoire, elle ne l’a pas fait. La France porte cette responsabilité devant
l’histoire […]. Rien ne peut expliquer, rien ne peut excuser l’abandon de ceux
qui avaient fait le choix de la France108. »
Ici aussi, une discrimination illégale.
Au caractère tardif et partiel de l’indemnisation s’est ajoutée une
discrimination illégale, sans doute parce qu’il n’y a pas de petites économies
pour le ministère de l’Économie et des Finances. La condition de nationalité,
clairement discriminatoire, n’a été supprimée qu’après plusieurs actions en
justice.
Par des décisions de 2005 et 2007109, la seconde due à l’action persévérante
d’une association de défense, le Comité harkis et vérité, le Conseil d’État a jugé
que la condition de nationalité exigée pour bénéficier des trois allocations
précitées était une discrimination incompatible avec l’article 14 de la
Convention européenne des droits de l’homme. Une question préalable de
constitutionnalité sur la conformité à la Constitution de l’ensemble des lois
portant sur cette question posée par la même association a également conduit
le Conseil constitutionnel à statuer. Par une décision du 4 février 2011110, il a
jugé que la condition de nationalité concernant l’allocation de reclassement
était contraire au principe d’égalité. Il a précisé que cette décision avait un effet
immédiat et pouvait être invoquée dans les litiges en cours. Le critère de
résidence a été estimé conforme à la Constitution, la loi ayant pour but de
tenir compte des charges entraînées par leur départ d’Algérie et leur résidence
dans un État membre de l’Union européenne. Cette décision devrait bénéficier
à quinze mille personnes environ111.
Plusieurs leçons ressortent de ces deux affaires : la prédominance des
préoccupations budgétaires ; le long désintérêt politique des gouvernements ; la
lente prise en considération, par le droit français, de la discrimination. Enfin, il
a fallu une interminable série de recours devant la juridiction administrative
puis le Conseil constitutionnel pour venir à bout des discriminations établies et
maintenues par plusieurs majorités successives.

LE JUGE FACE À L’HISTOIRE ET À LA MÉMOIRE

Certains jugements ont une dimension historique et mémorielle, comme


l’attestent, en matière de droit pénal, les procès Barbie, Touvier et Papon.

Trois procès : Barbie, Touvier, Papon

Ces procès concernent tous des personnes accusées d’avoir commis des
crimes contre l’humanité pendant la période de Vichy et de l’Occupation112. À
l’arrière-plan de la responsabilité pénale de l’accusé, seul objet du procès, il y
avait tout un système politique et une idéologie. C’est pourquoi plusieurs
historiens – Jean-Pierre Azéma, Marc-Olivier Baruch, Philippe Burrin, Robert
Paxton et René Rémond – ont témoigné lors du procès Papon à la demande du
parquet ou des parties civiles. Sur quoi ? Ils n’étaient pas témoins des faits
reprochés et ne connaissaient pas personnellement l’accusé. Ils étaient là pour
éclairer la cour d’assises sur le contexte politique, institutionnel et idéologique
dans lequel de tels hommes, « commis de l’oppression113 », avaient commis
leurs crimes114.

Le Conseil d’État entre en scène


Le Conseil d’État s’est aussi prononcé à deux reprises. Il faut entrer ici dans
quelques détails juridiques.
En 1998, Papon est condamné par la cour d’assises de la Gironde à dix ans
de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’humanité et au
paiement de 719 559 francs aux parties civiles en réparation de leur préjudice.
Il demande alors à l’État de le garantir de cette dernière condamnation, c’est-à-
dire de payer à sa place ces sommes. Le ministre de l’Intérieur refuse. Papon
attaque cette décision. Il invoque la loi de 1983 sur la fonction publique selon
laquelle l’État doit garantir les fonctionnaires des condamnations prononcées
contre eux, sauf en cas de faute personnelle détachable de leurs fonctions. En
2002, le Conseil d’État rend une décision capitale sur deux points : la
responsabilité de Papon et celle de l’État. Celle de Papon d’abord.
Le Conseil d’État fait un triple constat : il a accepté que le service des
questions juives de la préfecture de la Gironde soit placé sous son autorité
directe en tant que secrétaire général, alors que ce rattachement ne découlait
pas de la nature de ses fonctions. Il a veillé de sa propre initiative, et en
devançant les ordres de ses supérieurs, à mettre en œuvre avec le maximum
d’efficacité l’arrestation et l’internement des Juifs. Il s’est attaché à donner la
plus grande ampleur possible aux quatre convois retenus contre lui par la cour
d’assises, en faisant notamment en sorte d’y inclure les enfants placés dans les
familles d’accueil à la suite de la déportation de leurs parents. Conclusion : ce
comportement ne peut s’expliquer par la seule pression de l’occupant. Vu la
gravité exceptionnelle des faits et de leurs conséquences, il a un caractère
inexcusable et constitue une faute personnelle détachable de ses fonctions.
La responsabilité de l’État : il y a eu, en plus de cette faute personnelle, une
faute de service. Imputable à qui ? À l’État. À quel titre ? Une loi de Vichy
du 4 octobre 1940115 permettait aux préfets de faire interner les étrangers dits
« de race juive ». Le camp de Mérignac, en Gironde, où furent internés, sur
ordre de Papon, les Juifs arrêtés également sur ses ordres, avant d’être déportés,
fut l’un de ces camps. C’est le gouvernement de Vichy qui créa, dans chaque
préfecture, un service des questions juives chargé d’établir et de tenir à jour un
fichier, qui ordonna à la police d’arrêter et d’interner les Juifs et aux préfectures
d’apporter leur concours à l’organisation des convois vers Drancy. Tous ces
actes, dit le Conseil d’État, ne résultaient pas directement d’une contrainte de
l’occupant et ont facilité les opérations préludant à la déportation.
Conclusion : il n’y a pas de régime d’irresponsabilité de l’État à raison des
actes de l’administration entre 1940 et 1944. En quelques lignes, le Conseil
d’État renverse une jurisprudence datant des années 1950 et niant précisément
une telle responsabilité. Conséquence : l’État est condamné à payer la moitié
des sommes mises à la charge de Papon par la cour d’assises116.
Ainsi change le droit. L’écoulement du temps, les progrès de la connaissance
historique117 et un changement de l’esprit public expliquent ce spectaculaire
revirement de jurisprudence.

La SNCF et l’État

Plusieurs années s’écoulent. En 2006, Mme Hoffman-Glemane demande à


la SNCF et à l’État la réparation du préjudice subi tant par son père, du fait de
son arrestation comme juif et de sa déportation, d’où il n’est pas revenu, que
par elle-même (elle est née en 1934), du fait des souffrances endurées durant et
depuis l’Occupation. La juridiction administrative n’étant pas compétente en
ce qui concerne la SNCF, restait la responsabilité de l’État. Le tribunal
administratif de Paris, saisi de cette demande, a demandé l’avis du Conseil
d’État. Cette procédure permet à ce dernier, sur une question de droit nouvelle
et importante, de dire le droit, afin d’éviter des jurisprudences discordantes.
Comme l’a dit à cette occasion Frédéric Lenica, commissaire du
gouvernement, il fallait ici « concevoir un droit de la responsabilité de l’État
qui rende compte de l’horreur […] d’avoir commis […] une illégalité contre
l’humanité, sombre reflet du crime contre l’humanité ».
L’affaire posait de difficiles problèmes juridiques concernant les modes de
réparation du préjudice invoqué et la question de savoir si une telle action en
responsabilité contre l’État était imprescriptible. Qu’a fait le Conseil d’État ? Il
a commencé par affirmer à nouveau, conformément à l’arrêt Papon, la pleine
responsabilité de l’État dans les agissements qui ont permis ou facilité la
déportation de personnes victimes de persécutions antisémites : les arrestations,
internements et convoiements vers des camps tels que Drancy, antichambre de
la déportation et de l’extermination. Ces persécutions antisémites ont
provoqué des dommages exceptionnels et d’une gravité extrême : 76 000 Juifs,
dont 11 000 enfants, ont été déportés. Moins de 3 000 ont survécu.
Le Conseil d’État a ensuite énuméré en détail l’ensemble des mesures prises
par l’État : pensions, indemnités, aides, mesures de réparation. Il a noté que ces
mesures étaient au départ réservées aux Français (alors que la majorité des Juifs
déportés étaient étrangers). Cette discrimination, une de plus, n’a cessé
complètement qu’en 2000. D’autres mesures ont été citées : l’indemnité versée
par le gouvernement aux orphelins dont les parents ont été déportés, la
création, avec l’aide des pouvoirs publics, de la Fondation pour la mémoire de
la Shoah et l’indemnisation des victimes de spoliations.
Le Conseil d’État a procédé ensuite à l’évaluation de l’ensemble de ces
mesures. Elles doivent être regardées comme ayant permis, « autant qu’il était
possible, l’indemnisation des préjudices de toute nature causés par les actions
de l’État qui ont conduit à la déportation ». L’argent n’est pas tout, notamment
ici. Il fallait aussi trois actes publics : la reconnaissance solennelle du préjudice
collectivement subi par ces personnes ; celle du rôle de l’État dans leur
déportation, enfin l’inscription de l’ensemble dans la « mémoire de la nation ».
Cela fut fait, affirme le Conseil d’État, par la déclaration, en 1995, du
président de la République, Jacques Chirac, lors de la commémoration de
l’anniversaire de la rafle du 16 juillet 1942.
La portée de cette décision du Conseil d’État118 est considérable. D’abord
par sa motivation, c’est-à-dire le rappel de ce que furent cette histoire et ce
crime et des mesures prises après la Libération, y compris les déclarations
publiques, essentielles ici. Ensuite par la conclusion : la fin des actions en
responsabilité dirigées contre l’État. Comme l’a dit Marc-Olivier Baruch, « Le
juge s’est fait historien ». Il souligne là un « retournement non seulement
juridique, mais aussi politique et moral »119.
En disant le droit, ce qui est sa mission, le juge a aussi apporté sa
contribution à la construction de la mémoire nationale.

CONCLUSION

Plusieurs points communs unissent entre eux les secteurs où l’intervention


du juge a été analysée dans ce chapitre et le précédent. Cette intervention y est
récente et a eu pour origine une série de changements juridiques et sociaux.
Plusieurs catégories de juridictions sont présentes. Trois au niveau national : le
Conseil constitutionnel, gardien de la Constitution, les juridictions judiciaires
et la juridiction administrative, et deux au niveau international, les deux
juridictions européennes que sont la Cour européenne des droits de l’homme
et la Cour de justice de l’Union européenne, dont la jurisprudence influence
directement celle du juge national. À la vérité, c’est moins de pluralisme que
d’interaction qu’il faut parler ici.
L’étendue de l’intervention judiciaire conduit à poser une question : quelles
sont ses limites ?

1. Cf. CIRAC (Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine), « Le plan social
et le juge : une approche comparative du pouvoir judiciaire face au plan social en droit du travail
allemand et français », Working Paper, no 7, 2004.
2. Le Monde, 14 juillet 2011.
3. Ibid., 10 novembre 2011.
4. Ibid., 11-12 mars 2012.
5. Bertrand MABILLE, « Les coûts cachés du travail », Les Échos, 11-12 mai 2012.
6. Ibid.
7. Code du travail, art. L.1222-2 et 3, L.2323-32 et L.4612-8.
8. Voici ces six valeurs : « Agir avec courage ; promouvoir l’innovation et livrer des produits fiables ;
générer de la valeur pour le client ; favoriser le travail d’équipe et l’intégration au niveau mondial ; faire
face à la réalité et être transparent ; développer mes talents et ceux des autres. »
9. Cour d’appel de Toulouse, Syndicat CGT Airbus Toulouse et Union générale des ingénieurs, cadres et
techniciens CGT c. SAS Société Airbus Opérations, 21 septembre 2011.
10. Cf. à ce sujet les ouvrages de Christophe DEJOURS, Travail, usure mentale. Essai de psychopathologie
du travail, nouvelle éd., Centurion-Bayard, 2008 ; ID., Souffrance en France. La banalisation de l’injustice
sociale, éd. augmentée, Éd. du Seuil, 2009 ; ainsi que Françoise CHAMPEAUX et Sandrine FOULON,
Dernier recours. Le monde du travail devant les tribunaux, Éd. du Seuil, 2012, pp. 159 sqq.
11. Cass. soc, 24 septembre 2008, COUR DE CASSATION, Rapport 2008, rapport cité, p. 234.
12. Id, 10 novembre 2009 : la cour d’appel avait rejeté la demande de la salariée en estimant que les
agissements dont elle se plaignait faisaient partie du pouvoir de direction de l’employeur, tant qu’il n’était
pas démontré par la salariée qu’ils relevaient d’une démarche « gratuite, inutile et réfléchie destinée à
l’atteindre » et permettant de présumer l’existence d’un harcèlement. Cet arrêt a été cassé (COUR DE
CASSATION, Rapport 2009, La Documentation française, 2010, p. 346). Voici un autre exemple : un
salarié se voit prescrire par son employeur, après une accumulation de procédures disciplinaires, un arrêt
de travail pour « asthénie, trouble du sommeil, situation conflictuelle ». La cour d’appel rejette sa
demande : les mesures disciplinaires relèvent du pouvoir de direction et l’employeur n’a pas de volonté de
nuire. La Cour de cassation casse cet arrêt : la cour d’appel devait rechercher si l’ensemble de ces éléments
n’était pas de nature à faire présumer un harcèlement moral (Cass. soc, 13 mai 2009, ibid.).
13. Cass. soc. 21 juin 2006.
14. Arrêt du 11 octobre 2007.
15. Cass. soc., 24 juin 2009 et 10 novembre 2009.
16. Bernard JOLY, « La prise en compte du suicide au titre des risques professionnels : regards croisés
sur la jurisprudence judiciaire et administrative », Droit social, mars 2010, p. 258.
17. Code pénal, art. 222-32, et Code du travail, art. L.1152-1 à 6.
18. Cass. soc., 21 juin 2006, COUR DE CASSATION, « La Cour de cassation et la construction juridique
européenne », Rapport 2006, La Documentation française, 2007, p. 280.
19. Cass. soc., 7 février 2007, ID., « La santé dans la jurisprudence de la Cour de cassation »,
Rapport 2007, La Documentation française, 2008, p. 135.
20. Cass. soc., Mme Boursinhac c. Société Hermès Sellier, 7 février 2012.
21. Code pénal, art. 222-33, et Code du travail, art. L.1153-1 à 6 (voir infra, p. 120).
22. Cass. soc., 19 octobre 2011, Bull., no 223 (cf. Le Monde, 30-31 octobre 2011).
23. Gaëlle DEHARD, Gazette du Palais, 21-22 décembre 2011, p. 10.
24. Loi du 22 juillet 1992.
25. Loi du 2 novembre 1992, ancien art. 122-46 du Code du travail.
26. Directive 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002.
27. Preuve et illustration supplémentaire de la signification juridique de cette notion.
28. Art. 2.2, quatrième tiret de la directive de 1976 révisée.
29. Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006.
30. Conseil constitutionnel, décision no 2012-240, QPC, 4 mai 2012.
31. « I. Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou
comportements à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère
dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. II.
Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans
le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de
l’auteur des faits ou au profit d’un tiers », art. 222-33 du Code pénal. Pour une étude juridique, cf.
SÉNAT, « Restaurer le délit de harcèlement sexuel », rapport du groupe de travail sur le harcèlement
sexuel, no 596, 15 juin 2012, et ID., « La définition du harcèlement sexuel », Étude de droit comparé,
no 225, juin 2012.
32. Commentaire de l’arrêt du 5 mars 2008, COUR DE CASSATION, Rapport 2008, rapport cité, p. 228.
33. La directive no 89/391/CE du 12 juin 1989, déjà citée.
34. Une directive de 1982, modifiée en 1996, impose aux États membres d’identifier les sites
industriels présentant des risques d’accidents majeurs. Elle comprend une série d’obligations concernant
notamment les études de danger, les plans de prévention, les plans d’urgence et l’information des
riverains. Les entreprises sont classées en fonction des quantités et des types de produits dangereux
qu’elles utilisent.
35. Cass. soc., 28 février et 11 avril 2002, COUR DE CASSATION, « La responsabilité », Rapport 2002,
La Documentation française, 2003, p. 391, et Pierre OLLIER, « La responsabilité de l’employeur en
matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Jurisprudence récente de la Cour de
cassation » [2003], in ibid., p. 109.
36. Conseil constitutionnel, décision no 2010-8, QPC, 18 juin 2010, p. 117. La décision est
commentée par Geneviève VINEY, « L’évolution du droit de l’indemnisation des victimes d’accident du
travail et de maladies professionnelles », Droit social, septembre-octobre 2011, p. 964, et par Xavier
PRÉTOT, « L’indemnisation de la faute inexcusable de l’employeur est-elle conforme à la Constitution ? »,
ibid., décembre 2011, p. 1208.
37. Cass. civ., 2e, 30 juin 2011, Bulletin d’information de la Cour de cassation, 15 novembre 2011,
p. 56.
38. ASSEMBLÉE NATIONALE, « L’amiante dans l’environnement de l’homme : ses conséquences et son
avenir », Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, rapport no 329,
16 octobre 1997, et SÉNAT, rapport d’information no 41 (1997-1998), 21 octobre 1997 ; SÉNAT, « Le
drame de l’amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l’avenir », rapport
d’information no 37 (2005-2006), 26 octobre 2005 ; ASSEMBLÉE NATIONALE, « Rapport fait au nom de la
Mission d’information sur les risques et les conséquences de l’exposition à l’amiante », no 2884,
22 février 2006 ; ID., « La prise en charge des victimes de l’amiante », rapport d’information no 2090,
18 novembre 2009.
39. SÉNAT, « Le drame de l’amiante en France », rapport cité, p. 10.
40. Cass. soc., Société Alsthom Labelpack, 11 mai 2010, COUR DE CASSATION, « Le droit de savoir »,
rapport cité, p. 318.
41. Cf. Conseil d’État, Ministre de l’emploi et de la solidarité nationale c. consorts Botella, 3 mars 2004,
p. 125, et trois autres décisions identiques du même jour.
42. Cf. Conseil d’État, M. Capdeville c. ministre du Travail ; Association départementale de défense des
victimes de l’amiante, 27 octobre 2011. Cf. aussi Sara BRIMO, « L’indemnisation des victimes de
l’amiante », Droit administratif, no 192, décembre 2011, no 102, p. 46.
43. Le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (2000) et le Fonds de cessation anticipée
d’activité des travailleurs de l’amiante (1998). Pour un exemple de réduction, en appel, du montant des
indemnités, cf. l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 1er mars 2012, Le Monde, 3 mars 2012.
44. Cass. crim., 26 juin 2012.
45. Cf. ASSEMBLÉE NATIONALE, « Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’activité et le
fonctionnement des tribunaux de commerce », no 2038, 3 juillet 1998 ; publié sous le titre Les Tribunaux
de commerce : une justice en faillite, Michel Lafon, 1998 ; AFHJ (Association française pour l’histoire de la
justice), Les Tribunaux de commerce. Genèse et enjeux d’une institution, La Documentation française, 2007,
en particulier les études de J.-P. Jean, « Le modèle français de tribunal de commerce peut-il (et doit-il)
être réformé ? », p. 187, et de Y. Chaput, « Les tribunaux de commerce, histoire locale et perspectives
européennes », p. 199. Je reviens sur eux au chap. VI.
46. Je résume ici une étude de Pierre BÉZARD, président de la chambre commerciale et financière de la
Cour de cassation, « Le nouveau visage du juge économique et financier », in Droit et vie des affaires.
Études à la mémoire d’Alain Sayag, Litec, 1997, p. 147.
47. Respectivement : lois des 15 octobre 1981, développant les pouvoirs du procureur de la
République devant les tribunaux de commerce, 1er mars 1984, sur la procédure d’alerte,
et 25 janvier 1985, sur les procédures collectives ; réformes du Conseil puis de l’Autorité de la
concurrence ; création de la Commission des opérations de Bourse et du Conseil des marchés financiers,
remplacés plus tard par l’Autorité des marchés financiers.
48. Cf. Philippe MARINI, « La modernisation du droit des sociétés », rapport au Premier ministre, La
Documentation française, 1996.
49. Jean-Marie COULON, premier président honoraire de la cour d’appel de Paris, « La dépénalisation
de la vie des affaires », rapport au garde des Sceaux, La Documentation française, 2008. Cf. aussi T.
BERT, « L’intervention des juges dans l’économie est-elle justifiée ? », art. cité, p. 121.
50. Pour une réflexion d’ensemble sur les juridictions économiques, cf. Yves CHAPUT et Aristide LÉVI
(dir.), Quelles juridictions économiques en Europe ? Du règne de la diversité à un ordre européen, préface de
R. Badinter, conclusion de G. Canivet, Litec, 2007 (cf. notamment le rapport de synthèse de L. Cadiet,
« Diversités, convergences et perspectives », p. 531, et la contribution de G. Canivet, « L’avenir des
juridictions économiques en Europe », p. 605) ; CENTRE DE RECHERCHE SUR LE DROIT DES AFFAIRES
(CREDA), « Pour une justice économique efficiente en Europe. Enjeux et perspectives d’une
harmonisation — l’harmonisation par les juges », colloque du 4 décembre 2007, Gazette du Palais, 20-
21 et 22-26 août 2008 ; ID. et UNION DES AVOCATS EUROPÉENS (UAE), Pour une justice économique
efficiente en Europe, Bruxelles, Bruylant, 2009. L’Association d’économie financière a publié de
nombreuses études sur le droit comparé des activités financières.
51. Cf. Gérard NOIRIEL, Le Creuset français. Histoire de l’immigration, XIXe-XXe siècle, Éd. du Seuil,
1988 ; ID., Population, immigration et identité nationale en France, XIXe-XXe siècle, Hachette, 1992 ; Patrick
WEIL, La France et ses étrangers. L’aventure d’une politique de l’immigration, de 1938 à 1991, préface de M.
Long, Calmann-Lévy, 1991 ; rééd. avec le sous-titre L’aventure d’une politique de l’immigration, de 1938 à
nos jours, Gallimard, coll. « Folio histoire », 2005 ; Ralph SCHOR, Histoire de l’immigration en France de la
fin du XIXe siècle à nos jours, Armand Colin, 1996 ; Yves LEQUIN (dir.), Histoire des étrangers et de
l’immigration en France, préface de P. Goubert, Larousse, 2006.
52. G. NOIRIEL, Le Creuset français, op. cit., titre du chap. I.
53. Cf. Patrick WEIL, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution,
Grasset, 2002 ; rééd. Gallimard, coll. « Folio histoire », 2005.
54. Cf. les exemples cités par G. NOIRIEL, Le Creuset français, op. cit., pp. 258-261, et dans Le
Massacre des Italiens. Aigues-Mortes, 17 août 1893, Fayard, 2010.
55. Cf. Jean-Charles BONNET, « Les pouvoirs publics et l’immigration dans l’entre-deux-guerres »,
thèse, université Lyon-II, Centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise, 1976 ; Ralph
SCHOR, L’Opinion française et les étrangers en France, 1919-1939, Publications de la Sorbonne, 1985 ; ID.,
L’Antisémitisme en France pendant les années trente, Bruxelles, Complexe, 1991.
56. Loi du 26 juillet 1935.
57. Loi du 19 juillet 1934. Cf. Robert BADINTER, Un antisémitisme ordinaire. Vichy et les avocats juifs
(1940-1944), Fayard, 1997, pp. 27 sqq : « En cela, le Barreau ne se différenciait guère du reste de la
société française. »
58. Cf. Denis PESCHANSKI, La France des camps. L’internement, 1938-1946, Gallimard, 2002.
59. CONSEIL D’ÉTAT, Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (Gisti), CFDT et
CGT, 8 décembre 1978, p. 493.
60. Conseil constitutionnel, décision no 93-325, DC, 13 août 1993, p. 224.
61. Cf. articles 5.1 f et 16.
62. CEDH, Mamatkulov et Askarov c. Turquie, 4 février 2005.
63. Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés) ; Cimade (Comité intermouvements
auprès des évacués), créé en 1939 ; Anafe (Association nationale d’assistance aux frontières pour les
étrangers) ; Assfam (Association de service social familial migrants).
64. Cf. les rapports annuels de la Cimade sur les centres de rétention administrative. Les cinq
associations présentes dans ces centres ont présenté en décembre 2011 leur premier rapport commun. De
même, les vingt associations présentes dans les zones d’attente présentent un rapport annuel commun.
65. Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, art. 16, § 4.
66. Conseil d’État, Ville de Paris et bureau d’aide sociale de Paris c. Lévy, 30 juin 1989, p 157.
67. Id., Gisti, 2 avril 2003.
68. Conseil constitutionnel, décision no 2011-631, DC, 9 juin 2011.
69. Cf., parmi d’autres, les témoignages d’Arthur KOESTLER, La Lie de la terre, Charlot, 1947 (cf. ID.,
Œuvres autobiographiques, éd. Ph. Casoar, Robert Laffont, 1994, p. 951), et de Hannah ARENDT, « Nous
autres, réfugiés », Écrits juifs, Fayard, 2011, p. 420 ; cf. aussi Vicky CARON, L’Asile incertain. La crise des
réfugiés juifs en France, 1933-1942, Tallandier, 2008 ; Rémy CAZALS, Lettres de réfugiées. Le réseau de
Boerieblanque : des étrangères dans la France de Vichy, préface de M. Perrot, Tallandier, 2003.
70. Le terme réfugié s’applique à « toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait
de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses
opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité » (art. 1er A 2).
71. Qui a succédé à la Commission de recours des réfugiés créée en 1952.
72. Qui sera remplacée à la fin de 2013 par la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011.
73. Je me permets de renvoyer ici à mon étude « Le droit des réfugiés et de l’asile concernant les
femmes : l’apport du droit international humanitaire, du droit international des droits de l’homme et du
droit pénal international », Mélanges en l’honneur de Renée Koering-Joulin, à paraître en 2013.
74. Nouvelle dénomination de la Cour de justice des communautés européennes créée par le traité de
Rome en 1957.
75. Voir supra, p. 26.
76. CJUE, Abdulla, 7 mars 2010.
77. Il s’agit d’une convention internationale et non plus d’une résolution du Conseil de sécurité. Les
États ont repris la main.
78. Cf. Jean-Paul BAZELAIRE et Thierry CRETIN, La Justice pénale internationale. Son évolution, son
avenir, de Nuremberg à La Haye, PUF, 2000 ; Philip SANDS (éd.), From Nuremberg to The Hague : The
Future of International Criminal Justice, Cambridge University Press, 2003.
79. CJUE, République fédérale d’Allemagne c. B et D, 9 novembre 2010.
80. Id., Elgafaji, I7 février 2009.
81. Les quatre conventions de Genève de 1949 complétées par les deux protocoles additionnels
de 1977. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), organisme privé suisse, a joué un rôle
essentiel dans leur élaboration.
82. Cf. Roger ERRERA, « Humanitarian law, Human Rights and Refugee Law. The Three Pillars », in
IARLJ (International Association of Refugee Law Judges), The Asylum Process and the Rule of Law, New
Delhi, Manak, 2006, p. 173 ; Hugo STOREY, « Armed Conflict in Asylum Law », Refugee Survey
Quarterly, vol. XXXI, no 2, 2012, p. 1.
83. Art. L.58 du Code des pensions civiles et militaires de retraite et L.107 des pensions militaires
d’invalidité.
84. « Aux mines de sel de Salzbourg, on jette dans les profondeurs abandonnées de la mine un rameau
d’arbre effeuillé par l’hiver ; deux ou trois ans après, on le retire couvert de cristallisations brillantes […].
Ce que j’appelle cristallisation, c’est l’opération de l’esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte
que l’objet aimé a de nouvelles perfections » (De l’amour, livre I, chap. II).
85. Comité des droits de l’homme, Gueye et autres, 3 avril 1989, Revue universelle des droits de
l’homme, 1989, p. 62.
86. Conseil d’État, Mme Doukouré, 15 avril 1996, p. 125.
87. Art. 1er du 1er protocole additionnel.
88. Conseil d’État, Ministre de la Défense c. Diop et ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie
c. Diop, 30 novembre 2001, p. 605.
89. Id., M. Ka, 18 juillet 2006, p. 349.
90. Conseil constitutionnel, décision no 2010-1, QPC, 28 mai 2010, p. 91.
91. Le Conseil d’État continue à statuer sur des recours concernant ces pensions : cf. Mme M’Rida,
13 mai 2011 ; Ministre des Anciens combattants c. M. Diémé ; M. Diémé, 5 octobre 2011 ; Mme Bettahar ;
M. Chenouf, 21 octobre 2011 ; M. Aiache, 14 décembre 2011.
92. Il y eut aussi la guerre d’Indochine, où des supplétifs combattirent aux côtés de l’armée française.
Trente ans, oui, trente ans après les accords de Genève, un décret du 1er mars 1984 leur a accordé certains
droits, à condition qu’ils possèdent la nationalité française. Depuis la décision précitée du Conseil
constitutionnel, cette condition est anticonstitutionnelle. On devine les obstacles de toute nature,
linguistiques, géographiques, administratifs et politiques auxquels se heurteront, dans le Vietnam
d’aujourd’hui demandes et démarches. Une réponse ministérielle à la question écrite d’un député nous
apprend que cette décision « sera prise en compte à l’occasion des travaux de refonte du Code des
pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre actuellement engagés » (réponse du secrétaire
d’État auprès du ministre de la Défense et des Anciens Combattants à la question écrite no 129504, JO.
AN, 1er mai 2012). Inutile de se presser, en effet.
93. Chantal MORELLE, « Les pouvoirs publics français et le rapatriement des harkis en 1961-1962 »,
in Raphaëlle Branche (présenté par), La Guerre d’indépendance des Algériens, 1954-1962, Perrin et Presses
de la FNSP, 2009, pp. 273 et 287.
94. Benjamin STORA, La Gangrène et l’Oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, 1998,
p. 261. Cf. aussi Jean-Pierre RIOUX, Les Harkis. Les oubliés de l’histoire, 1954-1991, La Découverte,
1991 ; Charles-Robert AGERON, « Le “drame des harkis”. Mémoire ou histoire ? », XXe siècle, oct.-déc.
2000, p. 3 ; Fatima BESNACI-LANCOU et Gilles MANCERON (dir.), Les Harkis dans la colonisation et ses
suites, Éd. de l’Atelier, 2008 ; ID. et Benoît FALAIZE (dir.), Les Harkis. Histoire, mémoire et transmission,
Éd. de l’Atelier, 2010 ; « Les harkis. Les mythes et les faits », Les Temps modernes, no 666, numéro spécial,
nov.-déc. 2011 ; Vincent CRAPANZANO, Les Harkis. Une blessure inguérissable, Gallimard, 2012.
95. Sur les conditions qui y régnaient, cf. Abderahmen MOUMEN, « Camp de Rivesaltes, camp de
Saint-Maurice l’Ardoise. L’accueil et le reclassement des harkis en France (1962-1964) », Les Temps
modernes, revue citée, p. 105.
96. Fatima Besnaci-Lancou, citée dans SÉNAT, « Rapport d’information sur les actes de la rencontre
Mémoires croisées », no 609, 22 juin 2012, p. 21.
97. La première apparition de cette expression dans un texte officiel se trouve dans l’ordonnance
du 7 mars 1944 relative au statut des Français musulmans d’Algérie. On en trouvera le texte dans le livre
d’Arlette HEYMANN-DOAT, Guerre d’Algérie. Droit et non-droit, Dalloz, 2012, p. 28.
98. Cahiers du Conseil constitutionnel, commentaire de la décision no 2010-93, QPC, 4 février 2011.
99. Jean Francou, rapporteur du projet de loi, au Sénat, séance du 17 juin 1987, p. 1143.
100. André Santini, secrétaire d’État aux Anciens Combattants, ibid.
101. ASSEMBLÉE NATIONALE, « Rapport fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi,
modifié par le Sénat, relatif au règlement de l’indemnisation des rapatriés », no 882, 19 juin 1987.
102. Assemblée nationale, projet de loi no 1152, 20 avril 1994, exposé des motifs, p. 2.
103. Id., Loi de finances rectificative pour 1999, 2e séance, intervention de Jean-Paul Dupré,
9 décembre 1999, p. 10834.
104. Langage étrange. Y aurait-il des victimes coupables ?
105. Id., projet de loi no 1499, 10 mars 2004.
106. Son article 5 interdit toute injure ou diffamation envers une personne ou un groupe de
personnes en raison de leur qualité de harki et toute apologie des crimes commis contre eux.
107. Lors de la discussion de la loi du 16 juillet 1987, le Parlement a rejeté des amendements créant
des délits d’apologie ou de contestation des crimes commis en Algérie contre les harkis après
le 16 mars 1962.
108. Le Monde, 17 avril 2012.
109. Conseil d’État, Bahri et Madani, 27 juin 2005, p. 252 ; Comité harkis et vérité, 6 avril 2007,
p. 639. Cf. Martine DENIS-LINTON, « Le juge et les harkis », in Le Dialogue des juges, op. cit., p. 351.
110. Conseil constitutionnel, décision no 2010-93, QPC, 4 février 2011.
111. Le Monde, 5 février 2011.
112. Cf. Jean-Paul JEAN et Denis SALAS (dir.), Barbie, Touvier, Papon : des procès pour la mémoire, Éd.
Autrement, 2002 ; Jean-Paul JEAN, « Comment la justice peut-elle contribuer à ce qu’un pays écrive
lucidement son histoire ? », in Simone Gaboriau et Hélène Pauliat (dir.), Justice et démocratie, Presses
universitaires de Limoges, 2003, p. 239 ; Christophe WILLMANN, « Contribution judiciaire au débat sur
la mémoire », Archives de philosophie du droit, t. L, 2006, p. 189 ; J.-P. ROYER, Histoire de la justice en
France, op. cit., pp. 1223 sqq.
113. Sous-titre du chap. IV du livre de Stéphane RIALS, Oppressions et résistances, PUF, 2008, p. 199.
114. Ces témoignages ont suscité un débat : cf. Jean-Noël JEANNENEY, « À quoi servent les
historiens ? », L’Histoire, no 222, juin 1998 ; François BÉDARIDA, « Les responsabilités de l’historien
expert », in Id., Histoire, critique et responsabilité, textes réunis par G. Muc et M. Trebitsch, présentation
de H. Rousso, Bruxelles, Complexe, 2003, p. 289 ; Henri ROUSSO, « L’expertise des historiens dans les
procès pour crimes contre l’humanité » [2002], in J.-P. JEAN et D. SALAS (dir.), Barbie, Touvier, Papon, op.
cit., p. 58.
115. Signée par un maréchal de France, Philippe Pétain, un haut fonctionnaire ancien secrétaire
général de l’Algérie, ancien résident général en Tunisie et au Maroc, devenu ministre de l’intérieur, Marcel
Peyrouton, un inspecteur des finances, ancien directeur du budget et ancien secrétaire général du
ministère des Finances, devenu ministre des Finances, Yves Bouthillier, et un ancien maître des requêtes
au Conseil d’État, devenu ministre de la Justice, Raphaël Alibert. De quoi donner à penser sur le
comportement de nos élites publiques en temps de crise.
116. Conseil d’État, Papon, 12 avril 2002, p. 139 ; Revue française de droit administratif, 2002, p. 582,
conclusions S. Boissard ; Fabrice MELLERAY, « Après les arrêts Pelletier et Papon : brèves réflexions sur une
repentance », Actualité juridique. Droit administratif, no 12, 30 septembre 2002, p. 837 ; Michel
VERPEAUX, « L’affaire Papon, la République et l’État », Revue française de droit constitutionnel, no 55,
juillet 2003, p. 513.
117. Cf. Michael R. MARRUS et Robert O. PAXTON, Vichy et les Juifs, Calmann-Lévy, collection
« Diaspora », 1981, et les travaux de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France présidée par
Jean Mattéoli (1997-2000).
118. Conseil d’État, Mme Hoffmann-Glemane, 16 février 2009, p. 43, conclusions Lenica.
119. Olivier BARUCH, « Réparer l’irréparable », Les Cahiers de la justice, no 1, 2010, pp. 121,
124 et 127.
4
Les limites des pouvoirs
et de l’intervention des juges

Le pouvoir des juges a-t-il des limites ? La question appelle une réponse affirmative. Lesquelles ?
Certaines limites sont inhérentes à l’activité juridictionnelle. D’autres découlent de l’intervention du
gouvernement, via le Parlement. Des exemples en seront donnés dans ce chapitre. Il faut aussi voir plus
loin. Le droit au juge ne veut pas dire que tout litige doive être immédiatement porté devant le juge et y
rester. Il arrive qu’en vertu de la loi, ou d’un commun accord, les parties puissent se passer, jusqu’à un
certain point, du juge et que le litige puisse être résolu à l’amiable. Ces techniques présentent des avantages
certains, mais aussi des limites, qu’il faut dire, parce que la justice est un bien public. J’examinerai
d’abord les limites des pouvoirs des juges, puis celles de son intervention.

LES LIMITES DES POUVOIRS DES JUGES

Les limites des pouvoirs des juges existent. Il arrive qu’elles soient exagérées,
ou sous-estimées, ou que l’on ne perçoive pas leur vraie nature. Certaines sont
inhérentes à l’activité juridictionnelle. D’autres lui sont extérieures.

Les limites inhérentes


à l’activité juridictionnelle

Il existe de nombreuses limites inhérentes à l’activité juridictionnelle. Le


juge ne peut statuer, sauf exception, que s’il est saisi, s’il est compétent et dans
les limites de sa compétence. Il doit respecter la hiérarchie des normes
juridiques1. Il est tenu d’appliquer des règles de procédure de plus en plus
strictes et détaillées : un droit au recours effectif, une procédure équitable,
c’est-à-dire le respect du contradictoire et des droits de la défense, l’égalité des
armes ; un délai raisonnable et l’exécution des décisions de justice2. Les sources
de ces règles sont nationales et internationales. Les premières se trouvent, pour
la procédure civile, dans les principes directeurs du procès, énoncés aux
articles 1 à 24 du nouveau Code de procédure civile. La principale source
internationale est ici la Convention européenne des droits de l’homme,
notamment ses articles 6-1 et 13. Voici un extrait du premier :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un
délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des
contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en
matière pénale dirigée contre elle.

L’article 13 concerne le droit à un recours effectif devant une instance


nationale. Ces deux articles sont à l’origine d’une abondante jurisprudence de
la Cour européenne des droits de l’homme qui a conduit à modifier des règles
ou des pratiques procédurales contraires à ces principes.
Une autre limite, d’une nature différente, est l’autolimitation du juge. Sans
doute inhérente à l’activité juridictionnelle, en quoi consiste-t-elle ? Le juge se
déclare incompétent, parce qu’il estime qu’il ne lui appartient pas de statuer sur
certaines questions. Il en résulte parfois l’absence de juge. Ou bien il limite
volontairement l’étendue de son contrôle, c’est-à-dire de son pouvoir. J’en ai
déjà mentionné plusieurs exemples.

Quand le gouvernement veut brider les juges

D’autres limites sont extérieures. Il s’agit de la modification par le


Parlement, sur initiative du gouvernement, du cadre juridique de l’intervention
du juge, afin de restreindre les effets de celle-ci. En voici trois exemples.
Premier exemple : mécontent d’une décision du Conseil constitutionnel, le
gouvernement provoque une révision de la Constitution. En 1993, le Conseil
constitutionnel déclara non conformes à la Constitution plusieurs articles
d’une loi sur les étrangers restreignant leurs droits. L’un d’eux concernait le
droit d’asile, droit en partie constitutionnel3, et les conditions dans lesquelles
l’administration pouvait s’opposer au dépôt d’une demande d’asile par un
étranger dépourvu de titre de séjour4. Il en résulta l’initiative, exceptionnelle,
d’une révision de la Constitution pour prendre le contre-pied de cette décision
sur ce point et introduire dans la Constitution un nouvel article 53-1.
Deuxième exemple : le gouvernement requiert du Parlement la modification
de la loi pour faire échec à une jurisprudence qui lui déplaît et pour restreindre
le contrôle du juge. La loi du 16 juin 2011 sur les étrangers en contient deux
illustrations significatives : l’une à propos de la protection des étrangers atteints
de certaines affections graves, contre une mesure d’éloignement5 ; l’autre, qui
semble, à tort, plus technique, mais qui est encore plus révélatrice, concernant
l’étranger contre lequel une mesure d’éloignement a été prise et que le préfet a
placé dans un centre de rétention administrative en attendant l’exécution de
cette mesure. Avant la loi de 2011, la situation était la suivante : quarante-huit
heures après ce placement, le préfet devait demander la prolongation de cette
rétention à un juge, le juge des libertés et de la détention (JLD), qui statuait
sur sa prolongation. Ce juge contrôlait aussi, en vertu d’une jurisprudence
remarquable et constante de la Cour de cassation datant de 1995, si l’étranger
soulevait ce moyen, la régularité de la procédure suivie immédiatement en
amont : interpellation, contrôle ou vérification d’identité, garde à vue, toutes
procédures réglementées par le Code de procédure pénale et la jurisprudence
de la Cour de cassation. Sur quels points ? Par exemple sur la notification et
l’exercice effectif de ses droits par l’étranger. En cas d’irrégularité, l’étranger
était remis en liberté. Ce contrôle normal d’un juge sur les conditions dans
lesquelles une personne est privée de liberté a fortement irrité le ministère de
l’Intérieur. Comment l’écarter ? Par deux moyens. D’abord en reportant à cinq
jours, et non plus à quarante-huit heures, la comparution devant le JLD.
Pendant ces cinq jours, nul ne contrôle la rétention et ce qui l’a précédée. Que
va-t-il se passer ? Le juge administratif pourra statuer sur la légalité de la
mesure d’éloignement, mais non sur les mesures qui ont précédé la rétention.
En cas d’absence de recours ou s’il est rejeté, la mesure pourra être exécutée
avant que le JLD n’intervienne. Un deuxième moyen a consisté à insérer dans
la loi un article selon lequel l’inobservation des formalités substantielles ne
pourra entraîner la mise en liberté de l’étranger que si elle a eu pour effet de
porter atteinte à ses droits. Deuxième verrou, au cas où le précédent ne suffirait
pas, afin d’empêcher tout contrôle du juge.
Sur ce point pourtant essentiel, le Conseil constitutionnel s’est borné à dire
que la loi avait « assuré, entre la protection de la liberté individuelle et les
objectifs à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et la
protection de l’ordre public, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée6 ». En
quelques lignes, qui révèlent le refus de trancher, un deuxième contrôle du juge
a disparu.
Troisième exemple, ou comment restreindre la liberté d’action du juge ? Il
s’agit de la protection, nécessaire, du secret de la Défense nationale. Deux
barrières ont été créées à cet effet. Première barrière : la loi prévoit la
classification des documents relevant de ce secret. Si une juridiction demande
la communication de ce type de document, elle doit au préalable demander sa
déclassification au ministre compétent. Celui-ci décide, sur avis de la
commission consultative du secret de la Défense nationale, dont trois des cinq
membres sont nommés par le président de la République. Une loi de 2011 a
voulu édifier une deuxième barrière. Après les documents, certains lieux ont été
eux-mêmes classifiés : ceux auxquels on ne peut accéder sans que cet accès
donne par lui-même connaissance d’un secret de la Défense nationale.
Lorsqu’une perquisition est envisagée dans un de ces lieux, elle ne pouvait avoir
lieu qu’en présence du président de la commission. Elle était, surtout,
subordonnée à une décision de déclassification temporaire de ce lieu prise par
le ministre. Une décision administrative pourrait donc soustraire une zone
géographique déterminée aux investigations de l’autorité judiciaire. Le Conseil
constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a jugé ce
dispositif contraire à la Constitution. Par contre, il a validé le précédent7. Le
magistrat pourra donc accéder au lieu, mais non aux documents qui s’y
trouvent, pour lesquels subsiste la réglementation précitée.
Un problème essentiel demeure : une décision d’un ministre interdit à un
juge d’accéder à un document. Elle ne doit pas constituer, comme cela a été le
cas jusqu’ici, le point final. La possibilité d’un recours doit exister. La
séparation des pouvoirs, le droit à un recours effectif et à un procès équitable
devant un juge indépendant l’exigent. Ces trois dernières règles figurent dans la
Convention européenne des droits de l’homme, et la Cour de Strasbourg aura
un jour à statuer à ce sujet8. Il convient donc de créer un contrôle
juridictionnel effectif sur la décision prise, tout en tenant pleinement compte
de la protection légitime de ce secret.

QUAND ON SE PASSE DU JUGE, OU PRESQUE

Il existe un droit au juge, plus exactement au recours juridictionnel effectif,


mais il n’est pas absolu : tout recours est subordonné à l’existence d’un intérêt à
agir. De plus, l’abus de procédure, c’est-à-dire le fait d’intenter une action en
justice de façon dilatoire ou abusive, peut être sanctionné par une amende.
Surtout, tout différend juridique, tout litige n’est pas, heureusement,
irrémédiablement voué à être immédiatement porté devant un juge et à y
demeurer pour être tranché par lui au terme d’une procédure. Il existe
plusieurs autres voies. Le terme de « déjudiciarisation », parfois employé, est
ambigu. Pris au pied de la lettre, il signifie que l’on peut parfois se passer,
totalement ou partiellement, du juge. Deux situations peuvent exister : la loi
intervient pour réglementer, dans cette matière, des domaines précis ; des
personnes en conflit utilisent volontairement des procédures de règlement
amiable des différends.
Voici deux exemples d’intervention du législateur : l’indemnisation d’un
dommage et le surendettement des particuliers.

Indemnisation d’un dommage

Dans le contentieux civil des accidents de la circulation, par exemple, la loi


du 5 juillet 1985 a créé un régime autonome d’indemnisation favorable aux
victimes et distinct du droit commun de la responsabilité civile. Pour les
dommages corporels, et sauf faute inexcusable de la victime ayant recherché
délibérément le dommage qu’elle a subi, l’assureur du propriétaire du véhicule
impliqué dans l’accident doit faire à la victime une offre d’indemnisation dans
les huit mois suivant l’accident9.
Autre exemple, concernant cette fois les accidents médicaux, affections
iatrogènes et infections nosocomiales : la loi du 4 mars 2002 a créé, en vue
d’une procédure facultative de règlement amiable des litiges, des commissions
régionales de conciliation et d’indemnisation (CRCI) et l’Office national
d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam). Si ces organismes déclarent
engagée la responsabilité d’un professionnel ou d’une institution de santé,
l’assureur de celui-ci doit adresser à la victime ou à ses ayants droit une offre
d’indemnisation visant à la réparation intégrale du préjudice subi. Le paiement
doit alors intervenir dans le délai d’un mois, l’Oniam s’en chargeant. Si la
victime refuse, elle peut saisir le juge10. Cette procédure est réservée aux
accidents médicaux graves. Les quatre autres critères sont un taux d’incapacité
permanente partielle supérieur à 24 %, un taux d’incapacité temporaire totale
d’au moins six mois sur un an ou un arrêt ou une gêne temporaire égaux ou
supérieurs à 50 %, l’inaptitude de la victime à exercer une activité
professionnelle ou des troubles particulièrement graves aux conditions
d’existence. Les avis des CRCI ne lient ni l’Oniam ni les assureurs, qui les
suivent en général11.

Le surendettement des particuliers

Placé devant ce qui est devenu un fait social de masse, le Parlement a tenté
de combiner, non sans mal, l’intervention d’une commission administrative et
celle du juge. Cette matière difficile est fertile en allers-retours. Le
surendettement résulte de deux causes : le recours généralisé au crédit pour
l’achat de biens de consommation et de logements et la multiplication des
« accidents de la vie » (perte d’emploi, divorce, maladie), d’où des situations de
surendettement sans emprunt, du fait de l’accroissement des charges. L’État est
intervenu depuis 1989 afin de favoriser un règlement amiable des conflits ainsi
engendrés. Les six lois adoptées depuis cette date sont, pour une fois, le signe
non d’une instabilité législative condamnable, mais de la recherche malaisée
d’une solution à apporter à une réalité sociale qui évolue.
Jusqu’en 1989, le créancier saisissait le juge à défaut de paiement. La loi créa
des commissions départementales du surendettement des particuliers chargées
d’aboutir à une conciliation, concrétisée par un plan de redressement approuvé
par tous. Peu de ces plans furent élaborés. Résultat : « [L]es tribunaux
d’instance croulaient sous le poids des procédures, les juges d’instance, saisis
dans 99 % des cas en 1992 (contre 55 % en 1990), se transformaient souvent
en écrivains publics aidant les débiteurs à présenter leur demande et à
constituer leur dossier12. » Le juge devenait gestionnaire de la dette privée.
En 1995, le rôle des commissions fut renforcé, « le juge civil – qui n’est plus le
tribunal d’instance, mais le juge de l’exécution – n’intervenant plus que comme
une instance de contrôle13 ». Depuis 2003, en cas de situation
irrémédiablement compromise, la commission peut saisir le juge en vue d’une
procédure de rétablissement personnel sorte de faillite civile, d’où une certaine
« rejudiciarisation ».
La commission Guinchard a contesté l’utilité de l’audience judiciaire et
critiqué « une procédure complexe, source d’insécurité juridique ». Elle a
formulé deux propositions :
— Redéfinir l’office du juge, pour mieux assurer la protection des intérêts
fondamentaux des personnes surendettées, c’est-à-dire donner une compétence
plus générale à la commission et offrir plus de souplesse dans le choix entre les
diverses mesures de traitement.
— Redéfinir la procédure, pour lui donner une meilleure cohérence. En
bref, le juge aurait les missions suivantes : homologuer, en l’absence de
contestation, les mesures recommandées par la commission, après avoir
contrôlé leur régularité et leur opportunité ; statuer sur les contestations ;
décider et contrôler les opérations de liquidation des biens du débiteur en
situation de rétablissement personnel, si cette mesure est recommandée par la
commission14.
La loi du 22 décembre 2010 a transféré la compétence au tribunal
d’instance. Un décret du 28 juin 2011 a précisé la procédure applicable. La
recherche d’un équilibre entre le rôle du juge et celui de la commission n’est
pas terminée15. Le nombre des dossiers de surendettement déposés à la Banque
de France a été de 218 000 en 2010 et de 232 493 en 201116.

Le règlement amiable des différends :


jusqu’où se passer du juge ?

Il s’agit de régler à l’amiable, en évitant un procès, un différend entre deux


ou plusieurs personnes. Sous des noms divers (transaction, conciliation,
médiation), cette pratique, ou plutôt ces pratiques sont de plus en plus
utilisées. Pourquoi ? En droit civil et commercial en raison du moindre coût et
du gain de temps pour les intéressés, mais aussi à cause des avantages
psychologiques et sociaux d’une solution négociée, contractuelle, consensuelle,
résultat de la participation active des personnes en cause, par rapport à la
« guerre » que devient souvent un procès et au sentiment de justice « imposée »
qui en est l’issue17. En droit pénal, le contexte est différent. Le développement
des mesures alternatives aux poursuites18 a eu pour origine le souci d’alléger la
charge des tribunaux, d’augmenter le taux de « réponse pénale » et de diminuer
celui des classements sans suite, bref de sanctionner plus vite et plus
efficacement les infractions considérées comme mineures.
L’évolution actuelle se fait selon deux tendances.
— Réintroduire le juge. Comment ? Soit au début de la procédure, lorsqu’il
effectue une conciliation ou désigne, avec l’accord des parties, un médiateur ;
soit en fin de course, lorsqu’il homologue, sur demande des intéressés, leur
accord. Il veille alors au respect de certaines règles de base : les parties avaient-
elles la libre disposition de leurs droits ? l’accord est-il conforme à l’ordre
public19 ?
En somme, le règlement judiciaire et le règlement amiable du litige ne sont pas exclusifs l’un de
l’autre. Loin d’être opposés, le contrat et le procès, la convention et la juridiction doivent, au
contraire, être conciliés et non pas opposés, car tous deux sont de nature à permettre la solution du
litige20.

— Encadrer par la loi le fonctionnement des procédures. Ainsi, à la faveur


de la transcription d’une directive européenne de 2008 sur la médiation en
matière civile et commerciale, l’ordonnance du 16 novembre 2011 donne une
définition de la médiation : « [T]out processus structuré, quelle qu’en soit la
dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un
accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers,
le médiateur, choisi par elles ou délégué, avec leur accord, par le juge saisi du
litige. » Le texte mentionne ensuite les obligations du médiateur : impartialité,
compétence, diligence et la possibilité pour le juge d’homologuer l’accord, ce
qui donne à celui-ci force exécutoire. En somme, face à la « contractualisation
de la justice », une « processualisation du contrat »21.
Autre exemple : une loi du 22 décembre 2010 a créé la convention de
procédure participative. Pour régler un différend qui n’a pas encore donné lieu
à la saisine d’un juge ou d’un arbitre, des parties s’engagent à œuvrer
conjointement et de bonne foi à sa résolution amiable. En cas d’accord, qui
doit être écrit, elles peuvent demander à un juge de l’homologuer. La présence
d’un avocat est indispensable22.
Qu’en conclure ? Le développement de ces modes de résolution des conflits
répond à un besoin social. Cela ne doit pas empêcher, au contraire, de
s’interroger sur leur contenu et leurs limites face à la justice « ordinaire ».
D’abord quant à la position respective des parties : un accord peut être aussi la
marque ou la consécration d’une inégalité ; une partie peut avoir plus de
ressources ou être moins pressée qu’une autre. Puis, et surtout, d’un point de
vue plus général, « la société dans son ensemble perd le bénéfice d’un véritable
jugement ». Le système juridique est privé « à la fois de l’activité interprétative
des juges et de la formulation officielle de valeurs communes »23.
Il peut aussi arriver qu’une recherche systématique de la déjudiciarisation
sans réflexion préalable sur son point d’application aboutisse à des errements
dangereux. En voici un exemple : en 2007, le conseil de modernisation des
politiques publiques proposa de confier aux notaires la constatation du divorce
par consentement mutuel, sans intervention du juge. La seule « idée » était
d’ordre comptable : économiser sur l’aide juridictionnelle. Le rapport de la
commission Guinchard a fait justice, si l’on peut dire, de cette « éviction du
juge garant traditionnel de la protection de l’intérêt des époux et notamment
du plus faible et des enfants […] le consentement au divorce et à l’ensemble de
ses effets patrimoniaux, extrapatrimoniaux et parentaux n’est pas un
consentement banal. C’est un consentement “qui s’élabore, se mûrit, se
densifie et qui mérite contrôle”24 ».
Lors d’un colloque organisé par l’université d’Orléans en 2011 sur la
déjudiciarisation, Loïc Cadiet a noté le caractère incertain des frontières entre
les modes alternatifs et la justice, les enjeux du recours à ceux-ci et l’existence
d’un marché des modes de règlement amiable des conflits. En un mot, il
convient de ne pas perdre de vue l’essentiel : c’est toujours, d’une façon ou
d’une autre, de justice qu’il s’agit, et de ne pas être obnubilé par l’allégement de
la charge des tribunaux. Le rapport Guinchard l’a dit avec force :
On ne peut pas tout ramener encore et toujours au temps à gagner en matière de justice ; parce
qu’elle est porteuse de sens, la mission du juge s’apprécie aussi par rapport aux autres critères, entre
autres les valeurs qui fondent le lien social et la réponse aux besoins exprimés par les justiciables25.

Dans un article significativement intitulé « L’égalité devant la justice », Jean-


Marie Coulon, premier président de la cour d’appel de Paris, et Me Tiennot
Grumbach ont souligné avec raison le caractère de « bien public » de la justice
et avancé la notion de « citoyenneté judiciaire ». Ils contestent avec raison la
notion de « contentieux de masse » et les conséquences qu’on en tire :
C’est, en définitive, la statistique qui détermine la procédure […]. Souvent dans ces fameux
contentieux de masse, l’une des parties vit l’un des moments les plus cruciaux de son existence,
comme en matière de divorce par exemple26.

La conclusion est double. Le juge a beau être puissant, il n’est pas tout-
puissant et il arrive que le Parlement et le gouvernement rognent ses pouvoirs
en mettant fin à telle ou telle jurisprudence. J’en ai cité plusieurs exemples.
Mais ce n’est pas toujours le point final. La nouveauté est que d’autres juges, le
Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des droits de l’homme, par
exemple, corrigent ou censurent la copie du Parlement. Les modes alternatifs
de règlement des litiges et, plus largement, les diverses formes de
déjudiciarisation, si utiles et légitimes soient-elles dans bien des domaines,
montrent qu’en fin de compte le juge est rarement entièrement absent et que
l’exigence de justice ne doit jamais l’être.
Voici donc située « l’emprise contemporaine des juges27 » dans la société. Il
est temps d’examiner leur face-à-face avec les responsables politiques et un
certain partage de l’autorité sur la justice entre eux.

1. Constitution, traités signés et ratifiés, lois, décrets.


2. Deux ouvrages essentiels : S. GUINCHARD et al., Droit processuel, op. cit. ; Loïc CADIET, Jacques
NORMAND et Soraya AMRANI-MEKKI, Théorie générale du procès, PUF, 2010.
3. « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les
territoires de la République », préambule de la Constitution de 1946, 4e alinéa. Cette définition est
distincte de celle qui figure dans la Convention de 1951 sur le statut des réfugiés, déjà citée.
4. Conseil constitutionnel, décision no 93-325, DC, l3 août 1993, p. 294, § 81 ; cf. Olivier
SCHRAMECK, « La décision du 13 août 1993. Impressions et leçons d’un tonnerre estival », Cahiers du
Conseil constitutionnel, no 25, 2008, p. 44.
5. Voir supra, p. 136.
6. Conseil constitutionnel, décision no 2011-631, DC, 9 juin 2011.
7. Id., décision no 3011-192, QPC, 10 novembre 2011.
8. L’attentat de Karachi (2002), au cours duquel onze Français ont trouvé la mort, a entraîné
l’ouverture de deux procédures judiciaires, relatives l’une à l’attentat, l’autre au volet financier de cette
affaire. Les parties civiles, dont l’action dans le second volet a été jugée recevable par la Cour de cassation
par arrêt du 4 avril 2012, ont introduit devant la Cour européenne des droits de l’homme un recours
contre le fait que la décision finale de déclassifier un document demandé par un juge appartienne au
pouvoir exécutif.
9. Pour un tableau résumant le contenu de cette loi cf. R. BADINTER, Les Épines et les Roses, op. cit.
10. Code de la santé publique, art. 1142-4 à 8 et 1142-14 sqq.
11. Cf. Farida ARHAB-GIRARDIN, « L’effectivité de la procédure de règlement amiable des accidents
médicaux », Revue de droit sanitaire et social, no 6, nov.-déc. 2011, p. 1093.
12. L. CADIET, J. NORMAND, S. AMRANI-MEKKI, Théorie générale du procès, op. cit., p. 503.
13. Ibid.
14. Serge GUINCHARD, « L’ambition raisonnée d’une justice apaisée », La Documentation française,
2008, p. 73.
15. Sur les étapes précédentes, cf. Guy CANIVET, « Rapport du comité de suivi de l’application des
dispositions relatives au surendettement de la loi no 2003-710 du 1er août 2003 », La Documentation
française, 2005 ; Vincent VIGNEAU, Guillaume-Xavier BOURIN et Cyril CARDINI, Droit du surendettement
des particuliers, Litec, 2007 ; S. GUINCHARD, et al, Institutions juridictionnelles, op. cit., pp. 947 sqq ; S.
GUINCHARD, « L’ambition raisonnée d’une justice apaisée », rapport cité, pp. 67 sqq.
16. Selon un communiqué de la Banque de France, le nombre de procédures dans lesquelles le juge
ordonne la vente des biens du ménage, s’il y en a, a été multiplié par près de dix entre 2010 et 2011. Le
nombre des recommandations homologuées par le juge a augmenté de 30 % (48 797). Je remercie
Marguerite Zauberman, chargée de mission auprès de la Banque de France, de m’avoir communiqué ces
informations.
17. Pour une réflexion d’ensemble, cf. Loïc CADIET, « Solution judiciaire et règlement amiable des
litiges : de la contradiction à la conciliation », Mélanges en l’honneur de Claude Champaud, Dalloz, 1997,
p. 123.
18. Voir infra, p. 250.
19. La juridiction administrative peut aussi, sous certaines conditions, homologuer une transaction
survenue entre des parties à une instance en cours. Cf. en ce sens la décision du Conseil d’État, Société
Krupp Hazemag, 11 juillet 2008, p. 273.
20. L. CADIET, « Solution judiciaire et règlement amiable des litiges », art. cité, p. 125.
21. Charles JARROSSON, « La contractualisation de la justice : jusqu’où aller ? », in Loïc CADIET et
Laurent RICHER (dir.), Réforme de la justice, réforme de l’État, PUF, 2003, p. 185. Cf. aussi deux rapports
du CONSEIL D’ÉTAT, Développer la médiation dans le cadre de l’Union européenne, La Documentation
française, 2010, et Le Contrat, mode d’action public de la protection des normes, La Documentation
française, 2008.
22. Cf. Natalie FRICERO, « Qui a peur de la procédure participative ? Pour une justice, autrement », in
Justices et droit du procès, op. cit., p. 145.
23. Florence G’SELL-MACREZ, « Vers la justice participative ? Pour une négociation “à l’ombre du
droit” », Dalloz, 2010, p. 2455. Un décret du 20 janvier 2012 a créé dans le nouveau Code de procédure
civile un livre consacré aux modes de résolution amiable des différends.
24. S. GUINCHARD, « L’ambition raisonnée d’une justice apaisée », rapport cité, pp. 87 sqq et
pp. 101 sqq. Les derniers mots de la citation citent les déclarations de Me Claude Lienhard devant la
commission.
25. Ibid., p. 47.
26. Jean-Marie COULON et Tiennot GRUMBACH, « L’égalité devant la justice », Justices, no 1, « Ce qui
a changé dans la justice depuis 20 ans », Dalloz, 1999, pp. 83 et 86. Sur les modes alternatifs de
règlement des différends, cf. notamment Pierre CHEVALIER, Yvon DESDEVISES et Philip MILBURN (dir.),
Les Modes alternatifs de règlement des litiges : les voies nouvelles d’une autre justice, avant-propos de P. Catala
et G. Flécheux, La Documentation française, 2003 ; L. CADIET, L. RICHER (dir.), Réforme de la justice,
op. cit ; L. CADIET, J. NORMAND, S. AMRANI-MEKKI, Théorie générale du procès, op. cit.
27. J. KRYNEN, L’État de justice, op. cit., titre du tome I.
5
Un partage de l’autorité

Singulier face-à-face que celui de la justice et des responsables politiques. Voyons-en les acteurs. Qui
rend aujourd’hui la justice ? Les magistrats professionnels formant le corps judiciaire, mais aussi beaucoup
d’autres juges, élus ou nommés, dont on parle moins. Face à eux se trouvent les responsables politiques, et
en particulier les titulaires du pouvoir exécutif. Derrière la proclamation rituelle du respect de
l’indépendance judiciaire, qu’y a-t-il au juste ? Une sensibilité à vif, alimentée par la conscience de la fin
des immunités et la perte de souveraineté juridique du Parlement, mais aussi un intérêt nouveau pour la
justice et ses missions. Si la justice a de plus en plus de pouvoirs, qu’en est-il de l’autorité sur les magistrats
et la justice ? Il y a ici une sorte de partage entre l’exécutif et les membres du corps judiciaire. Un de ses
lieux est le Conseil supérieur de la magistrature.

QUI REND LA JUSTICE EN FRANCE ?


LE CORPS JUDICIAIRE,
ET LES AUTRES

Qui rend la justice en France ? Les juges, dira-t-on. Quels juges ? Aux
magistrats professionnels s’ajoutent des juges non professionnels, dont il faut
parler1.

Les juges non professionnels

La seule règle est ici la diversité, fruit de l’histoire. Prenons le mode de


nomination : les uns sont élus, comme les membres des tribunaux de
commerce, ceux des conseils de prud’hommes2 et des tribunaux paritaires des
baux ruraux3. D’autres sont nommés, comme les assesseurs des tribunaux pour
enfants4 et des juridictions de sécurité sociale5. D’autres enfin sont tirés au sort
comme les jurés des cours d’assises et, depuis la loi du 10 août 2011, les
assesseurs des tribunaux correctionnels et des tribunaux de l’application des
peines. Jusqu’en 2011, l’échevinage, c’est-à-dire le fait qu’une juridiction soit
composée de magistrats professionnels et d’assesseurs non-magistrats, ne
s’appliquait, excepté la cour d’assises, qu’à certaines juridictions spécialisées
comme le tribunal pour enfants.
Ces juges non professionnels sont très nombreux. Ainsi, les membres des
conseils de prud’hommes sont plus de quinze mille, soit presque le double du
nombre des magistrats professionnels. Il y a plus de trois cents assesseurs de
tribunaux pour enfants, près de trois mille juges des tribunaux de commerce6.
De plus, certaines de ces institutions sont le fruit de la tradition et d’un
héritage historique, comme les tribunaux de commerce et les conseils de
prud’hommes, d’où l’attachement de leurs membres au maintien du statu quo
et la difficulté de les réformer7. En ce qui concerne la formation des juges élus,
pour ceux des tribunaux de commerce, une formation dispensée à l’École
nationale de la magistrature a été instituée8. Le Conseil national des tribunaux
de commerce, créé en 2005, est chargé de formuler des avis à ce sujet. Les
choses sont beaucoup moins avancées pour les membres des conseils de
prud’hommes, vu leurs réticences. C’est l’une des raisons du taux très élevé
d’appel de leurs jugements et d’annulation. Pour ce qui est, enfin, des
tribunaux de commerce, un projet préparé en 2000 prévoyait leur présidence
par un magistrat professionnel, des juges consulaires étant intégrés dans les
cours d’appel. L’idée avait été émise trente ans plus tôt. Ce projet n’a
finalement pas été déposé au Parlement par le gouvernement d’alors, ce qui est
regrettable : cette réforme aurait pu permettre de remédier à de graves
insuffisances.
Lesquelles ? Ouvrons le rapport de l’inspection générale des services
judiciaires pour 2008 :
Le pilotage des juridictions consulaires par les chefs de cour se caractérise souvent par un faible
suivi administratif de la juridiction. L’absence de dialogue approfondi sur la performance, le peu de
prise en compte de l’activité des parquets en matière de suivi des affaires commerciales, plus le
manque d’impulsion dans la maîtrise et le contrôle des frais de justice commerciaux, notamment au
niveau des services administratifs régionaux, sont des données souvent relevées.

À propos des parquets, on lit :


Les parquets présentent, dans le suivi des procédures collectives ainsi que dans le contrôle des
mandataires et des greffes, des organisations et des pratiques diverses, qu’il s’agisse de la présence du
ministère public aux audiences des procédures collectives ou de la politique de prévention ou de
sanctions commerciales. Le plus souvent, ils ne sont pas appuyés par une informatique et des
tableaux de bord adaptés.

Quant à la présidence des tribunaux de commerce, elle


se caractérise fréquemment par un faible niveau d’organisation dans le suivi de l’activité
juridictionnelle. Il en est ainsi pour la définition d’une politique de mise en état, le suivi des
procédures collectives anciennes ou la maîtrise des délibérés.

Suit cette phrase :


[E]st souvent constatée une absence de sensibilisation (sic) au contrôle du tarif du greffe ou des
divers prestataires de la juridiction, mandataires et administrateurs, huissiers, commissaires-priseurs,
journaux d’annonces légales.

On appréciera enfin ce que le même rapport dit des greffes (privés) :


S’agissant des greffes des tribunaux de commerce, les rapports mettent fréquemment en lumière
des facturations non conformes au tarif ou des pratiques inutiles, dont les juges consulaires ne
perçoivent pas souvent l’impact financier9.

Voilà qui est dit poliment.


Plus de six ans après sa création, en 2005, le Conseil national des tribunaux
de commerce n’a toujours pas publié le guide des bonnes pratiques alors
annoncé. Il serait pourtant bien utile. Installant, le 30 novembre 2011, ses
nouveaux membres, Michel Mercier, ministre de la Justice, a mentionné les
travaux engagés en 2010 et demandé au Conseil de lui faire des propositions
concernant la rédaction d’un recueil des obligations déontologiques des juges
consulaires et « l’installation d’un juge déontologue10 ». On attend.
En 1998, un rapport conjoint de l’inspection générale des services judiciaires
et de l’inspection générale des finances avait fait des constats inquiétants sur
cette juridiction composée exclusivement de juges élus, cas unique, et d’un
greffe privé. Il relevait en effet une diversité dans la pratique des procédures,
notamment au regard du principe du contradictoire et de la collégialité, une
insuffisance chez certains des connaissances juridiques et de la formation, un
défaut de disponibilité de certains juges, notamment pour contrôler les
mandataires de justice, et enfin un risque de conflits d’intérêts liés à la
proximité avec les justiciables juges. Ce rapport avait été à l’origine du projet
de loi précité. Quatorze ans plus tard, le 6 mars 2012, la Cour de cassation a
transmis au Conseil constitutionnel une question préalable de
constitutionnalité : les articles du Code de commerce relatifs à l’organisation et
au fonctionnement des tribunaux de commerce sont-ils conformes à la
Constitution « au regard des exigences qui s’attachent aux principes
constitutionnels de l’indépendance, de l’impartialité des magistrats ainsi que de
la capacité professionnelle pour l’accès aux emplois publics » ?
Elle ne l’a pas fait sans raison sérieuse. Par décision du 4 mai 2012, le
Conseil constitutionnel a estimé que, sur ces trois sujets essentiels, il n’y avait
rien à redire du point de vue constitutionnel11. L’affaire relève maintenant du
Parlement. Cela n’a jamais cessé d’être.

Le corps judiciaire : unité et diversité,


apparences et réalités
Le corps judiciaire comprend les magistrats du siège, qui jugent, ceux du
parquet et les magistrats affectés au ministère de la Justice, qui accomplissent
un travail de fonctionnaire d’administration centrale. Le statut de la
magistrature l’affirme12 et aussi le Conseil constitutionnel, qui, comme la
Constitution, parle de l’autorité judiciaire. Au-delà de l’unité proclamée et
revendiquée, un corps très divers, sinon divisé. Cette diversité prend des formes
multiples, et d’abord celle des fonctions. La magistrature comprend des métiers
très différents par leur nature et leur contenu. Quoi de commun, en effet, entre
le travail d’un juge d’instance, celui d’un président de tribunal correctionnel,
celui d’un juge d’instruction et celui d’un procureur de la République ou d’un
avocat général ? La disparité concerne aussi leur mode d’exercice. On rencontre
tantôt, et de plus en plus, un juge unique – juge d’instruction, juge des libertés
et de la détention, juge d’instance, juge de l’application des peines, juge aux
affaires familiales, juge des enfants, juge de l’exécution, juge des référés, sans
parler des nombreux cas où le tribunal de grande instance peut siéger à juge
unique et où la cour d’appel pratique le système du conseiller rapporteur, qui
est la négation de la collégialité –, tantôt une collégialité13.
S’y ajoute une distinction institutionnelle et juridique, inscrite à chaque
instant dans les textes : celle du siège et du parquet. Les juges sont inamovibles,
et pas les membres du parquet. Ceux-ci
sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des
Sceaux, ministre de la Justice. À l’audience, leur parole est libre14.

Pour eux, la faute « s’apprécie […] compte tenu des obligations qui découlent
de [leur] subordination hiérarchique15 ». Le Conseil supérieur de la
magistrature comprend deux formations, l’une pour les magistrats du siège,
l’autre pour ceux du parquet. Chaque juridiction a deux chefs, l’un pour le
siège, l’autre pour le parquet, dualisme que traduit le mot de dyarchie16.
Après le droit, le fait ou, si l’on préfère, le droit coutumier, présent ici
comme dans beaucoup d’autres institutions. D’autres distinctions internes,
connues et vécues comme telles, ont des conséquences sur le déroulement des
carrières : celle qui a cours entre les magistrats affectés dans les juridictions
parisiennes et celles de la « petite couronne » (Bobigny, Créteil, Nanterre) et de
Versailles, d’une part, et ceux des autres régions, d’autre part ; et celle qui
sépare les magistrats de l’administration centrale (MACJ) de ceux qui sont en
juridiction. D’autres éléments pèsent aussi : l’affiliation à un syndicat,
l’appartenance à un cabinet ministériel ou à l’entourage protecteur d’un haut
magistrat, forme de « parrainage hiérarchique17 ». Selon un rapport
parlementaire,
[p]lus que les interventions habituellement dénoncées du « pouvoir politique » dans les carrières des
magistrats, l’essentiel des influences que subissent les carrières judiciaires résulte de l’existence de
véritables « clans » au sein de la magistrature, qui opposent Parisiens et provinciaux, partisans de tels
ou tels hauts magistrats qui emportent dans leur sillage, selon qu’ils sont plus ou moins en cour, tout
un ensemble de « disciples » qui ont choisi de jouer leur carte. Compliquées par les interférences des
organisations professionnelles, ces stratégies sont complexes et leur influence sur le déroulement de
la carrière des juges qui ont quelque ambition ne doit pas être méconnue18.

LES RESPONSABLES POLITIQUES


ET LA JUSTICE

Deux anciens ministres de la Justice se confient

En 1999, la revue Justices publia dans son premier numéro un entretien avec
deux anciens ministres de la justice, Henri Nallet (1990-1992) et Jacques
Toubon (1995-1997) sur la réforme de la justice19. La concordance de leurs
réponses sur l’attitude des responsables politiques envers la justice mérite d’être
notée. Jacques Toubon cita « une grande indifférence des dirigeants politiques
à l’égard du droit et de la justice ». Henri Nallet fit état de « l’absence totale de
soutien des dirigeants politiques à tout projet de réforme substantielle de la
justice ». Il mentionna aussi « une méconnaissance profonde du monde
judiciaire, une volonté de ne pas le connaître et une relation qui s’alimente de
la défiance, voire du soupçon » et en donna l’explication suivante : « [I]ls en
sont restés à la figure révolutionnaire de la production du droit et de la justice.
Pour eux les élus font la loi et le juge l’applique20. » Trois ans plus tard, Me
Daniel Soulez Larivière parlait de « cette fureur rentrée du monde politique à
l’égard de ce nouvel acteur politique21 ». Hubert Haenel, sénateur, parle de
« certains de [s]es collègues parlementaires de tous bords politiques qui ont le
sentiment, à [s]on avis à tort, qu’il existe une sorte de conjuration des juges22 ».
Si ce constat reste exact, il faut le compléter et le nuancer en faisant état
d’éléments déjà présents en 1999 et encore plus visibles aujourd’hui : la
montée des affaires politico-financières et la fin de l’impunité, qui inquiète les
milieux politiques ; la fin de la souveraineté politique du Parlement, qui accroît
le sentiment de dépossession ; enfin les signes d’une nouvelle attitude, plus
attentive, mieux informée, des parlementaires envers l’institution judiciaire.

Les affaires politico-financières ou la fin de l’impunité

Le grand tournant est ici celui des années 1990, qui voient l’arrivée au grand
jour devant la justice d’une série d’affaires politico-financières : celles du
Carrefour du développement, des emplois fictifs de la Ville de Paris, du
financement illicite des campagnes électorales, ainsi que diverses affaires de
marchés publics et de corruption, de commissions et de rétrocommissions. Les
plus hauts personnages de l’État sont mis en examen : président de la
République, ancien Premier ministre, président du Conseil constitutionnel,
ministres et anciens ministres, parlementaires, élus locaux, hauts
fonctionnaires. En un mot, le début de la fin des immunités, de fait ou de
droit, dont bénéficiaient ou croyaient bénéficier les responsables publics.
La loi du 15 janvier 1990 sur la limitation des dépenses électorales et la
clarification du financement des activités politiques contenait une réforme
bienvenue du financement de la vie politique, mais aussi, au titre des
« dispositions diverses », pavillon qui recouvre parfois des marchandises
suspectes que l’on tente de dissimuler, une amnistie. Elle fut ressentie – avec
raison – par les magistrats comme un scandale mêlé au cœur même d’un aveu.
Henri Nallet, alors ministre de la Justice, écrit à ce sujet :
J’ai vécu au cœur de cet affrontement. J’ai pu en mesurer l’extraordinaire violence, découvrir la
profondeur de l’incompréhension et du mépris mutuel des deux autorités en lutte pour le pouvoir.
Dans le traitement de ces « affaires », je me suis heurté à la persistance d’une conception
monarchique du pouvoir d’État chez la plupart de nos responsables politiques, qui s’enracine dans
une culture juridique traditionnelle sur la place de la loi et sur la légitimité exclusive du suffrage
universel dans la démocratie républicaine23.

À cet égard, différents éléments se sont conjugués. Le premier est


l’application des nouveaux textes sur les marchés publics et le financement des
campagnes électorales. Vient ensuite la détermination des magistrats. Après
tout, le titre Ier du livre IV du Code pénal est : « Des atteintes aux intérêts
fondamentaux de la Nation », et divers articles y mentionnent des délits tels
que la corruption passive et le trafic d’influence commis par des personnes
exerçant une fonction publique, la prise illégale d’intérêts et le favoritisme.
Enfin, l’exigence politique et sociale envers les dérèglements du comportement
des responsables politiques s’est accrue.

La fin de la souveraineté juridique du Parlement

Les mutations examinées précédemment y ont conduit : le contrôle de la


constitutionnalité des lois ; l’influence du droit communautaire et du droit
international et, indirectement, la création du droit administratif. Leurs effets
se sont conjugués et, surtout, derrière chacune d’elles, il y a un juge, ou plus
exactement des juges extrêmement actifs, y compris des juges internationaux
sur lesquels le Parlement n’a pas de prise. De là est né, chez beaucoup de
parlementaires, un sentiment de dépossession.

Vers un nouvel intérêt du Parlement pour la justice ?

Le Parlement semble s’intéresser davantage à la justice et aux institutions


judiciaires. Trois types de rapports en témoignent.
2000 : l’Assemblée nationale et le Sénat publient deux rapports sur les
prisons24. Les informations qu’ils contenaient, les abus et les scandales
dénoncés ont conduit à une prise de conscience de l’opinion publique. Ces
rapports sont à l’origine indirecte de la création, en 2007 – toute hâte indue a
été évitée –, du contrôleur général des lieux de privation de liberté25 et de
l’adoption de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Ces deux réformes
auraient pu être adoptées dix ans plus tôt et un temps précieux a été perdu,
d’où, entre autres, la pluie des condamnations nationales et internationales déjà
évoquée. La dernière enquête d’ensemble du Parlement sur les prisons datait
de 187326. Il faut espérer que le rythme s’accélérera. Le renouveau d’intérêt des
parlementaires pour les prisons est illustré par l’accroissement du nombre des
questions écrites posées à ce propos et portant sur des sujets tels que les
conditions de détention, les suicides, le travail, la situation de certains
établissements, les statistiques ou les violences en prison27.

L’Assemblée nationale et l’affaire d’Outreau


2006. L’Assemblée nationale publie son rapport sur l’affaire d’Outreau28.
Cette enquête était légitime, de même que les auditions télévisées. Les
jugements rendus, le Parlement avait le droit d’enquêter sur la manière dont le
service public de la justice avait fonctionné. Son apport est double. Le texte
contient d’abord une foule d’informations précises, au-delà des particularités
de cette affaire, sur des questions générales telles que le signalement des
maltraitances et des abus sexuels, le recueil de la parole des enfants et son
traitement, le déroulement de l’instruction, le rôle des experts et la succession
des défaillances au cours de la procédure. L’autre apport est celui des
nombreuses propositions de réforme formulées sur des sujets tels que la garde à
vue, la détention provisoire, l’isolement des juges uniques, le fonctionnement
de la chambre de l’instruction, la gestion des juridictions, les relations entre les
magistrats du siège et ceux du parquet et la responsabilité des magistrats.
Une série de rapports de l’Assemblée nationale et du Sénat ont témoigné de
l’attention des deux Assemblées aux problèmes concrets du fonctionnement de
la justice, le Parlement étant appelé à voter chaque année les crédits de ce
service public.

UN PARTAGE DE L’AUTORITÉ ?

Les différents modèles de gestion des agents publics

Les magistrats ne sont pas les seuls agents publics. Avant de commenter le
mode de gestion qui leur est propre, il faut faire le point sur celui des autres
personnels de l’État.
Le principal modèle est celui de la fonction publique, caractérisé par
plusieurs éléments : un égal accès selon le mérite, le principe hiérarchique ; la
nomination aux emplois supérieurs à la discrétion de l’exécutif, c’est-à-dire du
président de la République et du Premier ministre ; la gestion des différents
corps fortement tempérée par divers facteurs juridiques et sociaux (un statut
général des fonctionnaires très protecteur29 – de 1946 à aujourd’hui, en passant
par les textes de 1959 et de 1983, la continuité est totale – renforcé par la
jurisprudence administrative) ; le rôle des commissions administratives
paritaires en matière de discipline et de mutations ; le poids de syndicats
puissants et agissants. Plusieurs variantes existent : l’une d’elles est représentée
par le statut des militaires, qui exclut le droit syndical et le droit de grève. À
l’extrême opposé, le statut des professeurs d’université repose sur une très forte
tradition d’autonomie30 et le choix effectué par les pairs au niveau national et
local. La cooptation à deux niveaux y est la règle générale : au niveau national,
inscription par le Conseil national des universités31 des titulaires d’un doctorat
sur la liste d’aptitude aux fonctions de maître de conférences et des titulaires
d’une habilitation à diriger des recherches sur la liste d’aptitude aux fonctions
de professeur. Au niveau local a lieu l’élection par des commissions
d’université32 à des postes dont la vacance a été publiée au Journal officiel. Pour
les disciplines juridiques et de sciences politique et économique ainsi que pour
la médecine et la pharmacie, les professeurs sont recrutés par un concours
d’agrégation et leur première affectation est décidée par le ministère, sans
élection locale. En revanche, les mutations ultérieures relèvent de la cooptation
locale.

Et les magistrats ?

L’héritage napoléonien a pesé très lourd : une structure quasi militaire et une
hiérarchie très centralisée au profit du ministère de la Justice et du parquet.
Selon l’article 57 de l’ancien Code d’instruction criminelle, « [l]e juge
d’instruction sera, quant aux fonctions de police judiciaire, sous la surveillance
du procureur général près la cour d’appel », qui pouvait lui infliger un
avertissement (cf. art. 280). Cet homme, tout puissant, selon Balzac,33 était
décidément bien surveillé. Ni cadre constitutionnel, ni statut de la
magistrature. La soumission tempérée par la tradition et la coutume34.
Jusqu’en 1946, rien ne changea. En 1946, la Constitution créa un Conseil
supérieur de la magistrature responsable de la nomination des magistrats du
siège. Il était l’émanation du Parlement, c’est-à-dire des partis politiques,
auxquels on faisait sa cour, et il se déconsidéra35.
À partir de 1958, plusieurs changements d’envergure prennent place. Un
statut de la magistrature est enfin adopté en 1958. Une école, l’École nationale
de la magistrature, est créée par étapes (1958-1970), réforme capitale. La
modification, en 1993, de la composition et des compétences du CSM en est
une autre. La tendance de fond est claire, pour qui veut bien mobiliser sa
mémoire – ce qui n’est interdit à personne – et considérer le sens général de
l’évolution au-delà de l’actualité : c’est celle de l’affirmation des « libertés
judiciaires »36, de l’émancipation progressive de la magistrature par rapport au
pouvoir exécutif et de la consolidation, dans l’ensemble, des moyens de son
indépendance. Au fond, derrière l’affirmation de leur attachement à
l’indépendance de la magistrature, c’est bien ce qui inquiète beaucoup de
responsables politiques de tous bords. On le vit bien en 1999, à propos du
parquet, lors de la discussion au Parlement et de l’adoption du projet de loi du
ministre de la Justice, Élisabeth Guigou, supprimant les instructions
individuelles du ministre de la Justice adressées au parquet. Les réticences
vinrent de tous les partis.
Restent des zones, substantielles, de maîtrise de l’exécutif : la nomination
discrétionnaire aux emplois de direction du ministère de la Justice ; la
mainmise sur les postes du parquet jugés « stratégiques » (notamment, mais
non exclusivement, ceux de procureur de la République et procureur général à
Paris, de procureur dans les tribunaux de la périphérie et de procureur général).
Quant au fonctionnement de la justice, notamment pénale, la portée des
moyens qui peuvent être utilisés pour retarder ou orienter le cours d’une
affaire – ils existent37 – est largement surestimée par l’opinion. Les croyances
dans ce domaine comme dans d’autres ont la vie dure, parce que certaines
interventions ne sont que trop visibles38. La pratique a varié, à gauche comme à
droite. La plupart des ministres de la Justice ont fait l’expérience, souvent à
leurs dépens, du caractère résiduel et vain de ces actions subalternes de
retardement. Mais la tentation et souvent l’injonction venue de très haut sont
là.
Au-delà de ces combats d’arrière-garde, souvent aussi spectaculaires que
dérisoires, demeure l’essentiel, c’est-à-dire l’acquis d’une émancipation
progressive de la magistrature par rapport aux deux autres pouvoirs.
Voici donc un corps de plus de 8 400 magistrats39. Qui va décider de leur
statut ? Comment vont-ils être recrutés, formés, affectés tout au long de leur
carrière ? Qui va décider de leur avancement, exercer au besoin des poursuites
disciplinaires, les sanctionner en cas de faute ? Pour eux, comme pour les
pouvoirs publics, pour les justiciables et pour la nation, l’enjeu est
considérable. Il s’agit en effet d’un service public essentiel. Les pouvoirs publics
ont l’obligation d’en assurer le bon fonctionnement. Comment ? En lui
assurant les moyens humains et matériels nécessaires ; en faisant en sorte que la
gestion des magistrats et celle des juridictions concourent à la qualité de la
justice à rendre, dans le respect des principes fondamentaux et de ce qu’on
pourrait nommer un ordre public judiciaire de base. Toute institution, et
notamment tout service public, possède son ordre public propre. Comment un
service public tel que la justice, qui concourt au maintien d’un ordre juste,
pourrait-il faire exception ? Autant le dire clairement : à l’heure du
consumérisme, la légitimité de l’institution judiciaire dépend comme jamais
auparavant, en dernier ressort, de la qualité de son fonctionnement et de ses
décisions. Tout ce qui y concourt doit être respecté et encouragé, tout ce qui lui
nuit évité et écarté.

Le partage du pouvoir :
anatomie et physiologie d’un concordat
Ce partage a une double origine : les textes (la Constitution, le statut de la
magistrature, la loi organique sur le CSM) et la pratique, qui a évolué. Il
implique plusieurs acteurs : le Parlement, le pouvoir exécutif, la commission
d’avancement et le Conseil supérieur de la magistrature, deux institutions dans
lesquelles le corps judiciaire est très largement représenté.

Le Parlement
À son pouvoir législatif et budgétaire s’ajoute un pouvoir de contrôle. Au
titre du premier, il vote le statut de la magistrature, contenu dans une loi
organique (l’ordonnance du 22 décembre 1958, modifiée très fréquemment
depuis un demi-siècle), ce qui déclenche automatiquement le contrôle du
Conseil constitutionnel. Il adopte chaque année le budget du ministère de la
Justice. Il vote les lois de réforme judiciaire issues le plus souvent des projets du
gouvernement. C’est à leur sujet que les débats les plus approfondis ont lieu.
Ses pouvoirs de contrôle s’exercent de plusieurs façons. D’abord par la
création de commissions d’enquête ou de missions d’information40. Elle a
conduit à la publication de rapports de qualité qui ont honoré le Parlement par
la richesse des informations, des auditions et des propositions41. Le Parlement
donne son avis sur la nomination par le président de la République et les
présidents de chaque Assemblée de deux membres du CSM. Enfin, les
questions écrites ou orales posées par les parlementaires peuvent être un moyen
de contrôle. Le nombre de celles qui concernent les prisons et la condition des
détenus augmente, on l’a vu, signe d’un intérêt accru des parlementaires. Ces
derniers ont, depuis la loi du 15 juin 2000, le droit de visiter les établissements
pénitentiaires de leur ressort. Ceci expliquerait-il cela ? Ce droit s’étend aux
zones d’attente et aux centres de rétention administrative. Il serait intéressant
de disposer de statistiques sur la fréquence de leurs visites.

Le président de la République : un « garant » ?


L’article 64 de la Constitution fait de lui le « garant » de l’« indépendance de
l’autorité judiciaire ». Il est « assisté » par le CSM. Cette situation est très
problématique pour plusieurs raisons.
L’indépendance de l’autorité judiciaire doit-elle avoir un garant ? Être garant
suppose un pouvoir, soit négatif, consistant à empêcher une atteinte à celle-ci,
soit positif, c’est-à-dire une compétence précise à cet effet42. Dans un État de
droit, la garantie en dernier ressort, ici, ne peut résider que dans les cours
suprêmes : Conseil constitutionnel, Conseil d’État et Cour de cassation dans
l’exercice de leurs compétences respectives. Il n’est donc pas nécessaire de
désigner un garant.
En supposant même qu’il faille en désigner un dans la Constitution, peut-il
être le président de la République, c’est-à-dire le chef réel de l’exécutif, doté de
très amples pouvoirs, en fait et en droit ? Non, pour ce motif même.
Commentant, en 2005, la recommandation de la commission présidée par
Édouard Balladur suggérant que le président de la République et le ministre de
la Justice ne fassent plus partie du CSM, Bertrand Louvel, premier président
de la cour d’appel de Bordeaux, déclarait :
On ne peut que se féliciter de cette appréciation qui combat directement la fiction selon laquelle
les représentants d’un pouvoir constitué pouvaient être les garants de l’indépendance de l’autre43.

À cette raison de principe s’ajoute une raison objective : les pouvoirs réels des
présidents de la République et l’utilisation qu’ils en font. Celle-ci ne date pas
d’aujourd’hui, loin de là. Si on en veut des preuves écrites, on se reportera,
pour la période immédiatement postérieure à 1981, à un article d’Alain
Bancaud44, où on lira dans le détail les interventions directes de l’un des
présidents de la République concernant trois domaines : d’abord les
nominations (parquet, certaines directions du ministère de la Justice, CSM).
On y mesure le poids des recommandations ; puis l’exécution des décisions de
justice par l’exercice du pouvoir de grâce et, par l’intermédiaire du ministre de
la Justice, la libération conditionnelle ; enfin les interventions dans les affaires
de toute nature, et jusqu’aux plus humbles, au moyen d’une conception
instrumentale habituelle du parquet. Il n’existe aucune raison de penser qu’il
en aille autrement depuis. La différence réside dans les limites que rencontrent
aujourd’hui de telles interventions. Ce qui reste réel, c’est le poids de l’Élysée,
en particulier pour les nominations au parquet du tribunal et de la cour
d’appel de Paris et celles des procureurs généraux.

Le ministre de la Justice
Son rôle est très étendu45. Il a l’initiative des projets de textes (lois et décrets)
concernant la justice. Cependant, ce ministère n’a jamais été le « grand
ministère du droit » : le droit fiscal et économique relève du ministère de
l’Économie, le droit social et celui du travail des ministères concernés, etc. La
procédure pénale, le droit pénal et le droit de la nationalité ont été de plus en
plus partagés, ces dernières années, avec le ministère de l’Intérieur du fait du
poids politique de ce dernier. Le ministère conserve la maîtrise du droit des
personnes et de la famille et du droit civil. Dans les pouvoirs du ministère, on
peut distinguer, trois ensembles.
Le premier concerne la gestion du service public de la justice. Le ministère
prépare son budget et assure son exécution, de plus en plus déconcentrée au
niveau des cours d’appel. Il décide de la répartition des moyens et des
ressources qui leur sont affectées. Les chefs des cours d’appel les répartissent
ensuite entre la cour et les juridictions de première instance46. Le ministère gère
directement deux directions parmi d’autres, aux effectifs considérables : celle de
la protection judiciaire de la jeunesse et celle de l’administration pénitentiaire
(près de 65 000 détenus et plus de 20 000 agents). C’est le ministère qui
décide de la carte judiciaire, de la nature, de la compétence et du ressort des
juridictions. Plusieurs écoles relèvent de lui : ENM, École nationale des greffes,
École nationale de l’administration pénitentiaire, École nationale de la
protection judiciaire de la jeunesse. Il nomme leurs directeurs et les enseignants
et décide du programme des études.
L’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ), directement rattachée
au ministre, appelle un commentaire particulier. Son importance n’a cessé de
croître. Son histoire, qui mérite d’être connue47, conduit à plusieurs constats,
dont celui-ci :
La justice, avec le ministère des Affaires étrangères, représente ainsi le département qui adopte le
plus tardivement et avec beaucoup d’aléas le système d’inspection générale48.

L’IGSJ comprend aujourd’hui, sous la direction d’un inspecteur général, une


trentaine de personnes, magistrats pour la plupart. Placée à la disposition
exclusive du ministre, elle constitue pour lui et les services du ministère la seule
institution, grâce à ses missions d’inspection et aux rapports établis à cette
occasion49, permettant d’avoir une vue d’ensemble sur le fonctionnement des
juridictions50 et capable d’informer le ministre sur des situations appelant une
décision rapide.
À son propos se pose la question suivante : ses travaux sont-ils suffisamment
connus et surtout convenablement exploités par les responsables chargés, à des
titres divers, de la gestion du corps judiciaire (chefs de cour, direction des
services judiciaires, commission d’avancement et CSM) ? En outre, le moment
est venu de passer de la notion d’inspection à celle d’évaluation du
fonctionnement des juridictions et des services judiciaires, déjà pratiquée
largement par l’IGSJ. Pour cela, il convient sans doute de doter ce service de
plus d’autonomie. Tout en restant à la disposition du ministre de la Justice, il
doit être maître de son programme, disposer des moyens nécessaires et avoir
une latitude suffisante dans la diffusion de ses rapports51. Ses trois missions
sont l’audit des juridictions, les enquêtes prédisciplinaires et l’établissement de
rapports sur des politiques publiques. Les deux premières sont distinctes, mais
il peut arriver qu’une enquête prédisciplinaire mette en lumière des problèmes
plus généraux liés au fonctionnement d’une juridiction. Enfin, son chef,
l’inspecteur général des services judiciaires, devrait être nommé après avis
conforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Le deuxième ensemble concerne le fonctionnement de la justice. Les
parquets, on l’a vu, sont placés sous l’autorité du ministre de la Justice. Celui-ci
peut leur adresser des instructions générales et ordonner au procureur général
d’engager ou faire engager des poursuites ou de saisir les juridictions de
réquisitions écrites52. Il est acquis qu’il ne peut leur ordonner de classer une
affaire. Par l’intermédiaire du parquet, le ministre peut retarder la saisine d’un
juge d’instruction par celui-ci en prolongeant la durée de l’enquête
préliminaire53 ou refuser d’élargir la saisine de ce juge, sauf existence d’une
plainte avec constitution de partie civile.
Dernier ensemble : la carrière des magistrats. Le ministre adresse au CSM
ses projets de nomination et d’avancement, sauf en ce qui concerne les
présidents de tribunaux de grande instance, les premiers présidents de cour
d’appel et les membres du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation, pour
lesquels le CSM fait directement des propositions. Pour les magistrats du siège
autres que ceux-ci, la nomination est subordonnée à un avis conforme du
CSM. Pour ceux du parquet, il s’agit d’un avis simple. Le ministre organise les
concours de recrutement, fixe leur programme et leur calendrier et nomme les
membres des jurys. Ces derniers sont souverains quant au résultat du concours.
Jusqu’en 2001, le ministre avait le monopole du déclenchement des poursuites
disciplinaires contre un magistrat, monopole malsain et source de soupçon.
Depuis 2001, les chefs de cour ont également ce pouvoir, en plus de celui de
décerner un avertissement à un magistrat. Ils n’en abusent pas.

La commission d’avancement
L’entrée dans la magistrature se fait en général très tôt. Les intéressés sortent
de l’ENM pour la plupart entre vingt-cinq et trente ans. Les autres modes
d’accès sont les concours de recrutement ouverts aux personnes possédant
certaines qualifications et l’intégration directe après avis conforme de la
commission d’avancement54. La carrière des magistrats va donc se dérouler
pendant une quarantaine d’années, au sein d’un corps judiciaire divisé en trois
catégories : 2e grade (début), 1er grade et hors hiérarchie55. L’exercice de
certaines fonctions est subordonné à des conditions liées à l’appartenance à un
grade donné et à une mobilité. Les magistrats du 2e grade ne peuvent avancer
que s’ils sont inscrits au tableau d’avancement, établi chaque année par la
commission d’avancement. Celle-ci a deux ordres de compétences. Elle établit
les listes d’aptitude à certaines fonctions. L’intégration directe dans la
magistrature (en dehors des concours) est subordonnée à son avis conforme.
Deux insuffisances sont à relever ici. La première concerne la procédure, qu’il
s’agisse de la qualité de l’instruction des candidatures par les parquets généraux
des cours d’appel ou de l’examen des dossiers – et des candidats – par la
commission. La seconde insuffisance a trait au niveau des postes offerts à ces
candidats. La commission comprend dix-neuf membres, dont seize magistrats
élus par leurs collègues56. Le corps judiciaire, par l’intermédiaire de ses
représentants et des syndicats qui ont contribué à leur élection, y joue donc un
rôle prépondérant. C’est une source de pouvoir.

Le Conseil supérieur de la magistrature


Il revient de loin. Son histoire, depuis sa création en 1946, illustre les
mutations de nos institutions judiciaires.
Première étape : le CSM de 1946. Il naît sous le double signe d’un paradoxe
et d’une ambiguïté. Un paradoxe : les magistrats y sont très minoritaires
(quatre sur quatorze), au sein d’un organisme doté de pouvoirs importants sur
la carrière des seuls magistrats du siège, pour lesquels il faisait des propositions.
Une ou plutôt deux ambiguïtés. Le CSM allait-il administrer les tribunaux,
comme le prévoyait l’article 83 de la Constitution de 1946 ? Le président de la
République le présidait, désignait deux de ses membres57, se considérait comme
son « chef » et estimait qu’il pouvait signer seul les nominations sans être
soumis au contreseing du président du Conseil et du ministre de la Justice. Sur
ces deux points, les choses rentrèrent vite dans l’ordre, aucun ministre de la
Justice n’acceptant, à juste titre, d’être ainsi dépossédé. Son histoire est celle
d’une double impuissance. La IVe République n’a pu adopter ni le statut de la
magistrature, présenté deux fois à l’Assemblée nationale, ni le texte relatif aux
pouvoirs du CSM. Celui-ci n’a pu assurer l’indépendance des magistrats, vu sa
perte d’autorité, l’élection de ses membres par l’Assemblée nationale et son
mode de fonctionnement58. Voici comment Alain Bancaud décrit ce dernier :
le secrétaire général, nommé par le président de la République,
gère […] le système politico-clientéliste des recommandations que Vincent Auriol perpétue […] [Il]
devient, par délégation, un nouveau parrain judiciaire auprès duquel on recommande et se
recommande59.

Deuxième étape : 1958, ou le retour du balancier. Le CSM de 1958 illustre


le retour en force de l’exécutif et de la Cour de cassation. Le président de la
République le préside et le ministre de la Justice en est le vice-président. Le
président de la République nomme aussi les neuf autres membres. Les six
magistrats sont nommés à partir d’une liste triple établie par le bureau de la
Cour de cassation. S’y ajoutent deux personnalités désignées par les présidents
de l’Assemblée nationale et du Sénat et un conseiller d’État, choisi sur une liste
triple établie par l’assemblée générale du Conseil d’État. Le CSM n’était
compétent que pour les magistrats du siège. Il faisait des propositions pour les
conseillers à la Cour de cassation et les premiers présidents de cour d’appel et
donnait son avis sur les autres nominations présentées par le ministre de la
Justice.
Troisième étape : 1993, ou la grande mutation. Plusieurs réformes
d’envergure ont alors lieu : les magistrats membres du CSM sont désormais
élus par leurs pairs. La compétence du CSM est doublement augmentée : pour
les nominations des magistrats du siège, il doit donner un avis conforme, sauf
pour les chefs de cour et de juridiction et les conseillers à la Cour de cassation,
pour lesquels il fait directement des propositions. Il devient, pour la première
fois, compétent pour les nominations de membres du parquet, sauf les
procureurs généraux. En conséquence, il comprend deux formations, l’une
pour le siège, l’autre pour le parquet. Il publie un rapport annuel, autre
nouveauté. Le premier président de la Cour de cassation et son procureur
général ne président que les formations disciplinaires. Chaque formation élit
son président.
Quatrième étape : 2008. Une réforme critiquable dans l’ensemble et
inachevée. La composition du CSM est modifiée sur plusieurs points : les
magistrats y sont désormais minoritaires à l’intérieur de chacune des deux
formations, là où les décisions sont prises, sept face à huit personnalités
extérieures60. C’est ce qu’avait proposé en 1999 un projet adopté par le
Parlement, que le président de la République refusa de présenter au Congrès.
Cette réforme est bienvenue en raison de l’importance des pouvoirs du CSM
en matière de nominations et de l’élection de ses membres magistrats, présentés
ou soutenus par des syndicats. Leur appartenance syndicale est donc connue.
L’un de ces syndicats, l’Union syndicale des magistrats, fut pendant longtemps
le seul dont les candidats avaient été élus, le mode de scrutin aidant. La
modification de celui-ci en 2001 et l’introduction de la représentation
proportionnelle ont mis fin à ce monopole et ont permis un certain pluralisme
depuis 2002. Il en résulte un pouvoir syndical réel, qu’il faut équilibrer. Le
président de la République cesse d’en être le président, réforme symbolique,
mais non moins nécessaire. Le ministre de la Justice n’en fait plus partie. Le
premier président de la Cour de cassation et son procureur général en sont
membres de droit et président respectivement la formation du siège et celle du
parquet. Le premier président de la Cour de cassation préside en outre la
formation plénière du CSM, qui, auparavant, élisait chaque année son
président.
La compétence du CSM s’en trouve élargie. Il donne désormais son avis sur
la nomination des procureurs généraux, bonne réforme. Il peut recevoir les
réclamations de personnes se plaignant d’un mauvais fonctionnement de la
justice, réforme erronée et en trompe-l’œil61. Mais sa compétence est restreinte
sur un point important et très significatif, qui éclaire les intentions réelles des
auteurs de cette réforme : le Conseil ne peut émettre d’avis en matière
d’indépendance de la magistrature, de déontologie des magistrats et de
fonctionnement de la justice que sur demande du président de la République
ou du ministre de la Justice. Priver un tel organisme constitutionnel de cette
faculté, dont il avait usé jusque-là avec modération et pertinence, indique assez
la méfiance dont il a été l’objet et la régression qui en résulte.
Enfin, son organisation et son mode de fonctionnement sont modifiés. La
formation plénière, qui comprenait jusque-là tous ses membres et où étaient
débattues les questions générales (rédaction du rapport annuel et des avis du
CSM, organisation des missions d’information, harmonisation des méthodes
de travail entre les deux formations), ne comprend plus désormais qu’une
partie de ses membres et sa composition change chaque année. Pourquoi cette
réforme ? De qui le pouvoir exécutif avait-il peur ?
La nomination des magistrats est un domaine sensible. Prenons les
magistrats du siège. Pour les nominations les plus importantes, déjà évoquées,
le CSM propose un nom au président de la République après un tri, l’audition
des candidats finalement retenus et un rapport sur eux. Le Conseil n’est pas lié
par la liste des candidats et peut proposer un magistrat qui n’était pas
initialement candidat, mais qui a fini par l’être. Tel a été le cas, en 1999, pour
la nomination du premier président de la Cour de cassation. Pour les autres
nominations, le ministère de la Justice présente un nom parmi les candidats au
poste en question. La liste comprenant les noms de tous les candidats (c’est-à-
dire des magistrats qui l’ont indiqué dans leurs souhaits) est préalablement
adressée à tous les magistrats ainsi qu’au CSM. Le ou les rapporteurs
examinent le dossier du candidat proposé, qui retrace sa carrière et contient
son évaluation, et prennent connaissance des observations que peuvent
présenter les autres candidats, non retenus par le ministère. Des informations
complémentaires peuvent être demandées à celui-ci. Un avis non conforme fait
obstacle à la nomination proposée, mais n’entraîne pas celle d’un autre
candidat. Il arrive qu’un tel avis soit accompagné du souhait de voir un autre
candidat retenu par le ministère lors du prochain mouvement. À l’occasion des
projets de nomination, des contacts informels très utiles ont lieu entre la
direction des services judiciaires et le CSM. La proportion d’avis non
conformes est faible, moins de 2,5 % en 200962.
Pour les magistrats du parquet, la procédure est identique63. Mais le CSM
émet ici un avis simple, auquel le ministre a le droit de passer outre. Ainsi
en 2007, la proportion des avis défavorables a été de 2,43 %. Le ministre n’a
pas suivi une majorité d’entre eux, neuf sur quatorze. En 2009, il a suivi tous
les avis défavorables, treize sur six cent cinquante-cinq projets, soit 2 %. En
2011, le ministre a retiré une proposition de nomination d’un procureur
général sur laquelle le CSM s’apprêtait à émettre un avis défavorable. Ces
retraits de l’ordre du jour conduisent à nuancer le taux des avis non conformes
ou défavorables.

RÔLE DU
CATÉGORIE POURCENTAGE D’AVIS NON CONFORMES OU NÉGATIFS
CSM

Magistrats Avis
2,5 % d’avis non conformes (2009)
du siège conforme
2,43 % d’avis défavorables en 2007 64 % d’avis négatifs non suivis par le
Magistrats Avis
(2 % d’avis défavorables en 2009 : garde des Sceaux (tous les avis négatifs
du parquet simple
13 sur 655) ont été suivis)

En 2000, le CSM a pris l’initiative d’indiquer succinctement, dans son


rapport annuel, les motifs des avis non conformes et défavorables. L’ensemble
de ces données révèle dans l’ensemble un mode finalement consensuel des
nominations, qui est un des aspects, et non le moindre, de ce partage du
pouvoir.
On ne peut cependant se satisfaire de ce constat et s’arrêter là. Le temps est
venu, après avoir souligné l’importance de l’acquis du CSM, de proposer les
réformes nécessaires.
Depuis 1995, la publication régulière d’un rapport annuel d’activité a
constitué un événement sans précédent dans l’histoire de la magistrature. Pour
la première fois, l’ensemble des magistrats et le public disposent désormais
d’un document accessible exposant comment les magistrats sont nommés, la
procédure suivie et le fonctionnement interne du CSM. Ce rapport contient
aussi les décisions disciplinaires rendues par le CSM. Pour les magistrats du
siège, le CSM est une juridiction et l’audience est donc publique, sur initiative,
ici aussi, du CSM avant que la loi ne consacre cette évolution en 2001,
mettant fin par là à un secret injustifié et injustifiable. Jusque-là, sur tous ces
points, il n’y avait rien. Il faut croire que ce silence et ce secret n’indisposaient
pas tout le monde et que beaucoup lui trouvaient même des avantages. On
doit aussi au CSM la publication d’un recueil contenant toutes les décisions
disciplinaires rendues depuis 195964, source d’information essentielle pour les
magistrats, les responsables de la gestion du corps judiciaire et le public. Le
CSM a aussi publié un texte sur les obligations déontologiques des
magistrats65. Ses rapports annuels contiennent enfin une série d’études
concernant le corps judiciaire et ses membres66.
Plusieurs réformes sont indispensables. Il faut dissiper toute équivoque. Le
but des réformes proposées est de permettre au CSM de mieux exercer ses
compétences, non de le transformer en un ministère bis de la Justice, serpent
de mer que l’on voit réapparaître de temps en temps. Ces réformes concernent
le mode de désignation de certains de ses membres, ses compétences et son
mode de fonctionnement.
Le mode de nomination de six des huit personnalités extérieures67 n’est pas
satisfaisant. Elles sont nommées après avis de la commission compétente de
chaque Assemblée, progrès par rapport à l’opacité et au secret total antérieurs,
mais progrès apparent : pour empêcher une nomination, il faut les trois
cinquièmes des suffrages exprimés dans la commission. Le président de la
République et la majorité au pouvoir dans chaque Assemblée ont donc les
mains libres. Or, dans la nouvelle composition du CSM, ces personnalités
extérieures sont majoritaires. Face à eux, des magistrats élus qui connaissent de
l’intérieur « la maison », ses coutumes et ses non-dits, et peuvent dire, comme
Acomat dans Bajazet : « Nourri dans le sérail, j’en connais les détours » (acte
IV, sc. VII). Il convient donc de s’assurer de la présence active de personnalités
compétentes, indépendantes, disposant du temps et des capacités nécessaires.
Le choix est ici entre deux systèmes. Le premier consiste à conserver aux trois
hautes personnalités précitées un pouvoir de nomination, mais en prévoyant
un contrôle suffisant du Parlement afin d’éviter la domination de la majorité
du moment, en subordonnant la nomination, après audition publique en
commission, à l’accord des trois cinquièmes des membres de chaque
Assemblée. Un autre système consisterait à confier la nomination de ces six
personnalités à un collège composé du premier président de la Cour de
cassation, du vice-président du Conseil d’État et du premier président de la
Cour des comptes agissant d’un commun accord68. À la réflexion, le premier
système est préférable. On n’aperçoit pas la légitimité de ce collège ici. De plus,
le second système interdirait au premier président de la Cour de cassation et à
son procureur général de faire partie du CSM.
Quant aux compétences, plusieurs réformes s’imposent. Il est contradictoire
avec la mission constitutionnelle du Conseil, et franchement inconvenant, de
le priver du pouvoir d’émettre, s’il le souhaite, des avis sur l’indépendance de la
magistrature et le fonctionnement de la justice destinés au président de la
République ou au ministre de la Justice. Le chef de l’IGSJ et le directeur de
l’ENM seraient nommés sur son avis conforme. Il donnerait un avis sur les
programmes de la formation dispensée par l’ENM. En matière disciplinaire, il
devrait, pour les magistrats du parquet, être une juridiction et prendre des
décisions, non rendre des avis. Cette réforme ne ferait qu’entériner la pratique,
les ministres de la Justice suivant en effet le plus souvent ses avis. Pour le
traitement des réclamations des justiciables, le système actuel serait remplacé
par un autre69. Le mode de nomination des membres du parquet serait aligné
sur celui des magistrats du siège70. Enfin, afin d’être pleinement éclairé sur les
choix à faire quant à la nomination d’un chef de juridiction et d’exercer ses
compétences en pleine connaissance de cause, le CSM devrait avoir le droit de
demander à l’IGSJ et d’obtenir d’elle tous renseignements pertinents sur la
situation d’une juridiction71.

Et la juridiction administrative ?

Ce chapitre serait incomplet sans une comparaison, même sommaire, avec le


mode de gestion des juridictions administratives : Conseil d’État, huit cours
administratives d’appel, quarante-deux tribunaux administratifs et Cour
nationale du droit d’asile. Voici d’abord quelques données comparatives
chiffrées datant de 2011 :

Effectifs

1 246 magistrats au total :


— 215 pour le Conseil d’État
— 267 pour les cours administratives d’appel
— 764 pour les tribunaux administratifs
Personnels administratifs :
— 1 737 agents de greffe
— 287 assistants de justice
Décisions rendues

— Conseil d’État : 9 801


— cours administratives d’appel : 29 314
— tribunaux administratifs : 186 49372
Depuis la mise en place de la loi organique sur les lois de finances (LOLF)
en 2006, le budget du Conseil d’État et des juridictions administratives est
rattaché au Premier ministre (Mission conseil et contrôle de l’État) et ne relève
plus du ministère de la Justice. Le Conseil d’État est devenu, depuis la loi
du 31 décembre 1987, l’« administrateur général de la juridiction
administrative73 ». Un service a été créé à cet effet au sein du secrétariat général.
Le secrétaire général des tribunaux administratifs et des cours administratives
d’appel, désigné par le Premier ministre sur proposition du Conseil supérieur
des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (CSTACAA)
et appartenant au corps des tribunaux administratifs et des cours
administratives d’appel, assure le secrétariat de ce conseil. Le Conseil d’État
assure la formation complémentaire, d’une durée de six mois, des magistrats
nouvellement recrutés, sortant de l’ÉNA ou ayant été reçus à un concours. Il
assure également l’inspection de ces juridictions au moyen d’une mission
permanente dirigée par un conseiller d’État.
Le CSTACAA, créé en 1966, est différent à tous égards du CSM,
notamment dans sa composition. Présidé par le vice-président du Conseil
d’État, il comprend en outre onze membres : le secrétaire général du Conseil
d’État et le chef de la mission d’inspection, cinq représentants élus des
membres du corps, le directeur des services judiciaires du ministère de la
Justice et trois personnalités extérieures désignées par le président de la
République et les présidents des Assemblées. Il en résulte une prépondérance
du Conseil d’État. Le Conseil émet des propositions concernant les tableaux
d’avancement et les listes d’aptitude et des avis sur les demandes de mutation
des magistrats, qui sont inamovibles74. Le Conseil d’État assure également la
gestion budgétaire des juridictions administratives, dont son vice-président est
l’ordonnateur principal.
Sans retracer ici l’histoire parallèle des deux ordres de juridiction depuis le
début du XIXe siècle jusqu’à nos jours, une question et une observation
s’imposent. La question est la suivante : la différence marquée entre le mode de
gestion et de gouvernance des deux ordres de juridiction est-elle
compréhensible et acceptable à terme ? Elle suscite alors une observation. La
dualité des ordres de juridiction fait partie de nos institutions et de notre
histoire. Mais il en est résulté, le temps passant, une dualité accentuée de
milieux professionnels et de cultures juridiques et juridictionnelles entre deux
catégories de magistrats recrutés au moyen de concours différents ou formés
dans des écoles distinctes, l’ENM et l’ÉNA, situées dans des villes différentes
(Bordeaux et Paris au début, Bordeaux et Strasbourg aujourd’hui), relevant de
ministères de tutelle différents (le ministère de la Justice pour l’ENM, le
ministre chargé de la fonction publique, qui est aujourd’hui également celui du
budget, pour l’ÉNA) et ayant peu de contacts réguliers.
S’y ajoutent deux autres éléments :
— L’absence, à l’ENM, d’un enseignement portant sur les notions
fondamentales du droit public et, à l’ÉNA, celle d’un enseignement sur les
aspects actuels de l’institution judiciaire.
— La rareté des contacts professionnels entre juridictions et magistrats des
deux ordres dans les villes où siègent les deux types de juridictions. Les sujets
d’intérêt commun ne manquent pourtant pas, par exemple dans les domaines
de plus en plus partagés tels que le droit des étrangers, celui de
l’environnement, de l’urbanisme et de la construction, les novations de fond
apportées par le droit constitutionnel et le droit international et européen, ou
la réflexion sur les pratiques professionnelles. Rien n’interdit aux chefs de
juridiction ou aux magistrats eux-mêmes d’en prendre l’initiative. C’est
rarement le cas, et aucune circulaire ne leur a jamais recommandé ou suggéré
de le faire.
Cette situation n’est pas satisfaisante. Au-delà des différences quant aux
compétences, au droit applicable et à la procédure, tous ces magistrats ont
souvent la même fonction : rendre la justice. Nul ne gagne à ce « chacun chez
soi, chacun pour soi », fait de distance, voire d’ignorance : ni le juge, ni le
justiciable, ni le pays. Le temps est donc venu de structurer ces contacts, à tous
les niveaux, le niveau national et celui des juridictions, avec le concours de
tous, en vue d’améliorer la qualité de la justice, bien public.
Dans ce face-à-face entre les responsables politiques d’une part, la justice et
les magistrats d’autre part, il n’est pas aisé de faire la part entre ce qui a changé
et ce qui ne change guère. Deux remarques à ce propos. Tout bien considéré, le
changement l’emporte bien sur ce qui ne bouge pas, même si les acteurs n’en
ont pas toujours clairement conscience. C’est pourquoi la réflexion sur les
institutions et leur nécessaire réforme importe tant. Cette réflexion doit porter
aussi sur le mode de gouvernance de l’institution judiciaire, objet du prochain
chapitre.

1. Je n’examine pas ici les juridictions administratives et les juridictions financières.


2. Cette juridiction est paritaire (employeurs et salariés). En cas de partage des voix, elle est présidée
par un magistrat professionnel.
3. Parité et échevinage se combinent ici, ces tribunaux étant présidés par un magistrat.
4. Les deux assesseurs sont désignés pour quatre ans par le ministre de la Justice sur une liste de
candidats établie par le premier président de la cour d’appel.
5. Assesseurs des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS), des tribunaux du contentieux de
l’incapacité et de la cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance et des accidents du
travail.
6. Ces chiffres peuvent être trompeurs : il ne s’agit pas d’emplois à plein-temps.
7. Pour une vue d’ensemble, cf. « Le juge non professionnel des juridictions civiles, commerciales et
sociales. Juge citoyen : quel avenir ? », colloque du 4 mai 2001, Rouen, Gazette du Palais, no 292-293,
19-20 octobre 2001.
8. Non sans mal. Après un refus initial, le Centre d’études et de formation des juges consulaires a
signé en février 2003 le projet de convention présenté par l’ENM, grâce à l’intervention d’un groupe de
travail créé par le ministère de la Justice au sein de la commission « qualité de la justice civile » et
composé de Gilbert Azibert, Natalie Fricero et Serge Guinchard. Son « Rapport sur la formation des juges
consulaires » a été publié dans Les Annonces de la Seine, supplément au no 29 du 12 mai 2003.
9. INSPECTION GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES, Rapport 2008-2009, pp. 29-30.
10. Michel MERCIER, « Un nouveau souffle », Les Annonces de la Seine, 1er décembre 2011, p. 13.
11. Conseil constitutionnel, décision no 2012- 241, QPC, 4 mai 2012.
12. Art. 1er-1.
13. Sur les risques de cette évolution, on retiendra la mise en garde d’un magistrat : « [S]ans céder à
une vision caricaturale, l’institution judiciaire est sans doute le dernier exemple de responsabilités
majeures prises par une personne isolée, que l’obligation de statuer impartie à peine de déni de justice
contraint en outre parfois à se prononcer dans des domaines qui ne lui sont pas familiers », Pierre
DELMAS-GOYON, « Maîtriser le nombre, affronter la complexité : l’analyse du praticien », Les Cahiers de la
justice, no 1, 2010, p. 39.
14. Ordonnance no 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la
magistrature (Statut de la magistrature), art. 5.
15. Ibid., art. 43, 3e alinéa
16. Voir infra, p. 232.
17. A. BANCAUD, « La réserve privée du juge », art. cité, p. 256.
18. SÉNAT, « Rapport de la commission de contrôle chargée d’examiner les modalités d’organisation et
les conditions de fonctionnement des services relevant de l’autorité judiciaire », no 357, 5 juin 1991,
2 vol., t. I, p. 65.
19. Henri NALLET et Jacques TOUBON, « Deux gardes des Sceaux face à la réforme de la justice »,
Justices, no 1, 1999, p. 13.
20. Cf. aussi ses réflexions, « L’expérience d’Henri Nallet », in Jean-Pierre ROYER (dir.), La Justice d’un
siècle à l’autre. Ultimes regards, premières projections, PUF, 2003, p. 203.
21. Daniel SOULEZ LARIVIÈRE et Hubert DALLE (dir.), Notre justice. Le livre vérité de la justice
française, Introduction, Robert Laffont, 2002, p. 12.
22. Au nom du peuple français, actes des entretiens de Saintes, 1999, p. 18.
23. Henri NALLET, « Quel ministère public dans la République ? Réflexions sur les rapports entre le
parquet et le pouvoir politique » [2008], in COUR DE CASSATION (sous l’égide de la), Quel avenir pour le
ministère public ?, op. cit., p. 67.
24. Voir supra, note 1, p. 82.
25. Voir supra, chap. II.
26. ASSEMBLÉE NATIONALE, Enquête parlementaire sur le régime des établissements pénitentiaires, t. VI,
rapport no 1676, Imprimerie nationale, 1873.
27. C’est grâce à la question écrite d’un député que l’on peut connaître les grandes lignes des rapports
de deux groupes de travail créés par le ministère de la Justice. L’un, présidé par Jean-Charles Toulouze,
directeur interrégional des services pénitentiaires, était consacré à la lutte contre les violences en
détention. L’autre, présidé par Philippe Lemaire, procureur de la République de Lille, portait sur les
violences contre les personnels pénitentiaires (cf. la réponse à la question écrite no 113540 de Frédéric
Cuvillier, JO. AN, 20 décembre 2011).
28. ASSEMBLÉE NATIONALE, « Rapport de la commission d’enquête chargée de rechercher les causes
des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau et de formuler des propositions pour
éviter leur renouvellement », no 3125, 6 juin 2006. On comparera ce texte avec celui de deux autres
rapports : celui, antérieur, du groupe de travail, présidé par Jean-Olivier Viout, procureur général près la
cour d’appel de Lyon, chargé de tirer les enseignements du traitement judiciaire de l’affaire dite
d’Outreau (ministère de la Justice, 2005), et celui de l’inspection générale des services judiciaires sur les
conditions du traitement judiciaire de l’affaire dite d’Outreau, mai 2006. Sur cette affaire, cf. aussi les
articles publiés dans Le Débat no 143, « Outreau : anatomie d’une aberration judiciaire », janvier-
février 2007 : Robert BADINTER, « De la demande de liberté à l’exigence de sécurité », p. 21 ; Denis
SALAS, « L’affaire d’Outreau ou le miroir d’une époque », p. 70 ; Robert MUCHEMBLED, « Outreau : un
procès en sorcellerie de notre temps », p. 63 ; Bénédicte VERGEZ-CHAIGNON, « L’affaire d’Outreau, 2000-
2006. Chronologie », p. 79.
29. Le statut de la magistrature y renvoie expressément, d’où l’intérêt de son examen.
30. Le Conseil constitutionnel a jugé que la garantie de l’indépendance des professeurs d’université
résultait d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République (décision no 83-165, DC,
20 janvier 1984, p. 30).
31. Dont les sections sont composées de membres élus et de membres nommés.
32. Dont les membres sont nommés par le président de l’université après avis du conseil scientifique
de celle-ci.
33. Splendeurs et misères des courtisanes, in La Comédie humaine, Bibliothèque de la Pléiade, t. V,
Gallimard, 1952, p. 936.
34. Voir « Bibliographie », section « Pour aller plus loin sur l’histoire de la magistrature et de la
justice », pp. 384-385.
35. Voir infra, pp. 205 sqq.
36. A. BANCAUD, « Le paradoxe de la gauche française au pouvoir », art. cité.
37. Par exemple le refus de communiquer un document à un juge d’instruction au nom du secret-
défense (voir supra, p. 166).
38. J. KRYNEN parle d’« une suspicion régulièrement attisée par de claires ou obscures (parfois
grotesques) incrustations (du pouvoir) dans les affaires politico-pénales sensibles » (L’Emprise
contemporaine des juges, op. cit., p. 353).
39. 8 442 au 1er janvier 2012.
40. Les commissions d’enquête « sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des
faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre
leurs conclusions à l’assemblée qui les a créées. Il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits
ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours »
(Ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des Assemblées parlementaires, art. 6).
Les missions d’information portent notamment sur les conditions d’application d’une législation
(Règlement de l’Assemblée nationale, art. 145-2 et règlement du Sénat, art. 21).
41. Tel a été le cas en 2000 des deux rapports sur les prisons (voir supra, note 1, p. 82), en 2006 du
rapport sur l’affaire d’Outreau (voir supra, note 1, p. 191), et des rapports suivants : SÉNAT, « Rapport de
la commission de contrôle chargée d’examiner les modalités d’organisation et les conditions de
fonctionnement des services relevant de l’autorité judiciaire », rapport cité ; ID., « Rapport de la mission
d’information chargée d’évaluer les moyens de la justice », no 49, 30 octobre 1996 ; ASSEMBLÉE
NATIONALE, « Rapport d’information sur les moyens et la réforme de la justice », no 2137,
3 février 2000 ; ID., « Rapport d’information sur l’évaluation de la loi du 15 juin 2000 », no 3501,
20 décembre 2001 ; SÉNAT, « Rapport de la mission d’information sur l’évolution des métiers de la
justice », no 345, 3 juillet 2002 ; ID., « La justice, de la gestion au management ? Former les magistrats et
les greffiers en chef », rapport d’information sur la formation des magistrats et des greffiers en chef à la
gestion, no 4, 4 octobre 2006 ; ID., « Un recrutement diversifié, une formation ambitieuse. Les impératifs
d’une justice de qualité », rapport d’information no 383, 11 juillet 2007 ; ID., « Rapport d’information
sur l’évolution du régime de l’enquête et de l’instruction », no 162, 8 décembre 2010 ; ID., « Loi
pénitentiaire : de la loi à la réalité de la vie carcérale », rapport cité.
42. La Constitution emploie ce terme une première fois dans son article 5 : le président de la
République « est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des
traités ». À cette notion correspondent des pouvoirs propres en cas de circonstances exceptionnelles (art.
16), en qualité de chef des armées (art. 15) et en matière de ratification des traités (art. 52).
43. Discours prononcé à l’occasion de la rentrée de la cour d’appel de Bordeaux, Les Annonces de la
Seine, 10 janvier 2008, p. 10.
44. A. BANCAUD, « Le paradoxe de la gauche française au pouvoir », art. cité, p. 61 ; cf. aussi Cécile
PRIEUR, « Des archives dévoilent comment François Mitterrand abusait des interventions individuelles »,
Le Monde, 23 juin 1999.
45. Cf. Christian VIGOUROUX, « Ministère de la justice » [2004], in L. CADIET, Dictionnaire de la
justice, op. cit., p. 889.
46. Cf. Marie-Luce CAVROIS, présidente du tribunal de grande instance de Chalons-en-Champagne,
« L’administration des tribunaux de l’ordre judiciaire en France », communication présentée
le 10 mars 2007 à Belfast, lors d’un colloque organisé par le Comité de coopération judiciaire franco-
britannique. La création en 2012 de budgets opérationnels interrégionaux au niveau d’une dizaine de
cours d’appel les plus importantes a modifié ce schéma au détriment des autres cours d’appel.
47. Alain BANCAUD et Jean-Paul JEAN, « Les juges en enquête : histoire de l’Inspection des services
judiciaires » [2000], in AFHJ, Juger les juges, op. cit., p. 185. La loi du 30 juillet 1947 l’a supprimée. Les
magistrats l’avaient demandé : elle leur paraissait incompatible avec leur indépendance… Le rapporteur
du projet de loi y voyait une mesure utile d’économies (Conseil de la République, séance du
22 juillet 1947, pp. 1055-1056). Le ministère ne l’a guère défendue.
48. A. BANCAUD, J.-P. JEAN, « Les juges en enquête », art. cité.
49. Contrôles de fonctionnement des tribunaux de grande instance et des cours d’appel ; audits de
contrôle interne comptable ; coordination des inspections des chefs de cour et centralisation de
l’exploitation des rapports d’inspection ; missions thématiques.
50. Sur le rôle de l’IGSJ en matière de contrôle du fonctionnement des juridictions, cf. Christian
RAYSSÉGUIER, « Le contrôle fonctionnel de gestion (2) », in Guy CANIVET, Mads ANDENAS et Duncan
FAIRGRIEVE (dir.), Independence, Accountability and the Judiciary, Londres, British Institute of
International and Comparative Law, 2006, p. 343.
51. J’emprunte ces trois notions à l’interview de Claude Thélot, ancien directeur de la statistique de
l’éducation au ministère de l’Éducation nationale (Le Monde, 13 décembre 2011).
52. Code de procédure pénale, art. 30.
53. Pour des illustrations, cf. C. PRIEUR, « Des archives dévoilent comment François Mitterrand
abusait des interventions individuelles », art. cité.
54. De 2001 à 2011, 2 058 magistrats ont été recrutés par la voie de l’ENM, 266 par celle de
concours et 369 par celle de l’intégration directe.
55. Au 1er janvier 2012, la répartition était la suivante : 2e grade, 30,90 % ; 1er grade, 57,7 % ; hors
hiérarchie, 11,4 %.
56. Deux pour la Cour de cassation, deux premiers présidents de cour d’appel, deux procureurs
généraux et dix magistrats des cours et tribunaux. Son président est le doyen des présidents de chambre
de la Cour de cassation, son vice-président le plus ancien des avocats généraux près cette cour. Elle
comprend en outre l’inspecteur général des services judiciaires et le directeur des services judiciaires.
57. Vincent AURIOL parle à ce sujet de ses « délégués », Journal du septennat, 1947-1954, version
intégrale établie, introduite et annotée par P. Nora, préface de R. Rémond, Armand Colin, 7 vol., 1970-
1978, t. I, 1947, p. 36.
58. A. BANCAUD, « Normalisation d’une innovation : le Conseil supérieur de la magistrature sous la
IVe République », Droit et société, no 63-64, 2006, p. 371 ; G. MASSON, Les Juges et le Pouvoir, op. cit.,
p. 183.
59. « Normalisation d’une innovation », art. cit., p. 386. En 1958, devant le Comité consultatif
constitutionnel chargé d’examiner le projet de Constitution préparé par le gouvernement, Pierre-Henri
Teitgen mentionnait « le spectacle affligeant de magistrats faisant antichambre auprès des membres du
Conseil » (Avis et débats du Comité consultatif constitutionnel, La Documentation française, 1960, p. 70).
60. Deux sont désignées par le président de la République et deux par le président de chaque
Assemblée. S’y ajoutent un conseiller d’État et, innovation, un avocat.
61. Voir infra, pp. 324 sqq.
62. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Rapport 2009, La Documentation française, 2010,
p. 25.
63. Jusqu’en 2011, le ministère de la Justice ne diffusait pas à l’ensemble des magistrats et ne
communiquait pas au CSM d’une part ses propositions de nomination aux fonctions de procureur
général, d’inspecteur général des services judiciaires, et de ses adjoints, et de substitut chargé du secrétariat
général d’une juridiction et, d’autre part, la liste des candidats à ces fonctions. En 2012, une circulaire de
Christiane Taubira, ministre de la Justice, a mis fin à ce dernier vestige, significatif, du secret.
64. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Recueil des décisions disciplinaires 1959-2005, La
Documentation française, 2009.
65. ID., Recueil des obligations déontologiques des magistrats, Dalloz, 2010. Il est également contenu
dans Rapport 2008-2009, p. 66.
66. ID., « Les magistrats et la déontologie », in Rapport 2008, La Documentation française, 2009,
p. 95 ; « Les Français et leur justice. Restaurer la confiance », in Rapport 2007, CSM, 2008, p. 83 ; « La
responsabilité des magistrats », in Rapport 2006, CSM, 2007, p. 65 ; « Quatre conseils de la justice en
Europe », in Rapport 2005, Éd. du Journal officiel, 2006, p. 87 ; « L’évaluation des magistrats », in
Rapport 2004, id., 2005, p. 65 ; « La formation des magistrats », in Rapport 2003, id., 2004, p. 77 ; « Le
statut du parquet », in Rapport 2001, id., 2002, p. 27.
67. Le conseiller d’État est élu par l’assemblée générale du Conseil d’État et l’avocat désigné par le
président du Conseil national des barreaux.
68. C’était ce que prévoyait le projet adopté par le Parlement en 1999 en ce qui concernait quatre des
onze personnalités extérieures membres du CSM.
69. Voir infra, p. 337.
70. Voir infra, p. 265.
71. Pour une évaluation du CSM, cf. Roger ERRRERA, « Sur le Conseil supérieur de la magistrature
français. Réflexions et perspectives », Revue suisse des juges, no 2, 2009.
72. Source : CONSEIL D’ÉTAT, Rapport 2011, La Documentation française, 2012.
73. Terme utilisé dans la brochure éditée par le Conseil d’État, La Justice administrative en bref.
74. Ces règles sont contenues dans le Code de justice administrative. Cf. Daniel CHABANOL, « Le
statut des magistrats administratifs » [2003], in L. CADIET, L. RICHER (dir.), Réforme de la justice, op. cit.,
p. 277. On se reportera aussi à Daniel CHABANOL, Code de justice administrative, Le Moniteur, 2010.
6
De la gouvernance
de la justice à l’amélioration
de la qualité

La qualité de la justice rendue dépend aussi d’une bonne gouvernance de ce service public. En dernier
ressort, la légitimité même de la justice, aux yeux de l’opinion publique, est liée à cette qualité. C’est dire
l’importance de l’enjeu. Or, pour des raisons historiques, l’idée de gouvernance de la justice est
relativement récente dans l’institution judiciaire, que ce soit à l’administration centrale, dans les
juridictions ou pour les magistrats. Tout se tient ici, de l’accueil des justiciables à l’exécution des décisions.
S’ils sont nécessaires, les indicateurs mis en place aujourd’hui sont aussi insuffisants. On examinera
d’abord la question des chefs de juridiction – leur formation et la dyarchie –, puis celle du statut des
membres du parquet.

UNE IDÉE NEUVE :


LA GOUVERNANCE DE LA JUSTICE

Récents, les impératifs d’une bonne gestion dans la culture de l’institution


judiciaire et de ses principaux acteurs le sont à trois niveaux : celui de
l’administration centrale, celui des juridictions et celui des magistrats.
Pourquoi ?

L’administration centrale du ministère de la Justice

Loïc Cadiet a très bien décrit deux raisons :


L’administration centrale de la justice n’a pas le dirigisme des autres administrations. Cela tient
principalement à son caractère récent. Lorsque l’État s’est trouvé en charge de l’ensemble des
juridictions, en 1987, l’administration centrale a dû composer avec une culture de l’autonomie des
juridictions, fondamentalement liée à l’indépendance de la fonction de juger. L’organisation du
ministère de la Justice lui-même porte d’ailleurs la marque de cette culture. Composée de magistrats,
l’administration centrale ne laisse qu’une place réduite aux préoccupations gestionnaires1.

Comme le note Hélène Pauliat, les magistrats de l’administration centrale


se sont toujours élevés contre la création d’un corps d’administrateurs judiciaires à l’instar des autres
administrations, comme inapte à comprendre leur spécificité2.

La troisième raison réside dans le partage incertain des compétences, dans le


passé, entre deux directions du ministère, celle des services judiciaires et celle
de l’administration générale et de l’équipement, auquel s’ajoutent les constats
de l’Inspection générale des services judiciaires3. Rattachée en 2006 au
secrétariat général du ministère de la Justice nouvellement créé, la deuxième de
ces directions a été supprimée en 2008.
D’autres constats complètent et renforcent cette appréciation. Il y a plus de
vingt ans, la mission relative à l’organisation des administrations centrales
rédigea, sur demande du ministre de la Justice, un rapport sur l’administration
centrale de ce ministère4. Elle y critiquait le cloisonnement et le
compartimentage, le centralisme excessif, l’absence de service de
documentation, la rétention de l’information, le travail solitaire, enfin « les
oppositions de corps, fondées sur le conservatisme, les jalousies et les stratégies
corporatives ». Le rapport contenait des propositions quant à la restructuration
du ministère. Arrivant place Vendôme en 1990, le nouveau ministre de la
Justice, Henri Nallet, fait un constat qu’il estime « accablant » et note
« l’incroyable archaïsme de la gestion de cette fonction essentielle de l’État
[…]. Comment a-t-on pu en arriver là5 ? » En 1999, un autre rapport officiel
dressait un tableau similaire et formulait les mêmes critiques6. Que s’est-il passé
depuis ? Rien qui soit de nature à remédier à ces défauts.
Les juridictions

Le poids de l’héritage et celui des mentalités se sont ajoutés à la nouveauté


de la tâche. L’héritage ? Voici ce qu’en dit le CSM :
La gestion budgétaire des juridictions prend, depuis quelques années, une dimension plus
importante que dans le passé. Jusqu’aux années 1980, en effet, les juridictions n’étaient pas dotées d’un
réel appareil administratif7. Pour que naisse et se développe un tel appareil, il a fallu successivement
que se produisent la fonctionnarisation des greffes, le transfert des collectivités à l’État de la charge
du budget des juridictions et la détermination de l’échelon pertinent de gestion de ces mêmes
juridictions8.

En 2003, lors d’un colloque franco-britannique organisé par la Cour de


cassation sur le thème « Rendre compte de la qualité de la justice », Philippe
Lemaire, procureur de la République à Lille, déclarait : « Au fond, l’objectif est
de construire l’administration territoriale de la dernière administration
régalienne qui n’en possède pas, LA JUSTICE9. »
Sur les mentalités, Loïc Cadiet note :
L’administration des juridictions n’est pas une question consensuelle pour les magistrats du siège
et les magistrats du parquet : les uns et les autres la revendiquent comme étant les mieux placés pour
en obtenir la responsabilité10.

C’est l’un des aspects du problème de la dyarchie, qui sera abordé plus loin.

Les magistrats

Il s’agit du contenu de leur formation, initiale et continue en matière de


gestion, et surtout celle des responsables de juridiction. À l’arrière-plan de cet
ensemble, il y a une culture et une attitude héritées du passé et qui n’ont pas
entièrement disparu. Hélène Pauliat les a analysées avec lucidité :
Les tâches d’administration, sans doute nécessaires, apparaissaient et apparaissent encore à
certains inutiles, pesantes, et surtout coupées de la réalité judiciaire […]. La dimension
administrative [est] oubliée, car considérée comme peu valorisante pour les magistrats, peu utile, et
surtout détournée de la mission première.
[…]
Le service public est donc, au mieux, reconnu, mais vécu comme un accessoire inutile, ou même
gênant, car l’indépendance ne peut se satisfaire de gestion administrative. Elle est soit nuisible, soit
inutile. Mais c’est au moment où la justice traverse une crise que les véritables questions de
l’administration de la justice vont se poser11.

C’est dans ce contexte – auquel il faut joindre le climat politique de ces dix
dernières années, marqué par le mépris affiché du pouvoir exécutif envers
l’institution judiciaire et plus particulièrement les magistrats – que les
questions relatives à la gouvernance de l’institution judiciaire se sont posées. La
coïncidence est fâcheuse.

QU’EST-CE QUE LA QUALITÉ DE LA JUSTICE ?

Pourquoi ces impératifs ?

Plusieurs raisons expliquent leur poids. La première est le besoin légitime du


Parlement et de l’opinion de savoir comment est utilisé l’ensemble des moyens
humains, matériels et financiers mis à la disposition de ce service public. C’est
là une préoccupation commune à tous les grands services publics de masse,
comme l’enseignement et la santé. S’ajoute à cela l’intérêt qu’il y a, pour tous
les acteurs de ce service public, de savoir exactement ce qu’ils font, comment ils
le font et avec quels résultats. Plusieurs magistrats l’ont exprimé clairement :
Les sociétés démocratiques modernes posent l’exigence légitime de juger l’institution qui se
permet de juger tous les autres. Tous les services publics doivent rendre leur fonctionnement plus
transparent. Nombre de professionnels en sont parfaitement conscients12.
Il est normal de mesurer les coûts, de demander à ceux qui engagent les deniers de l’État de
rechercher l’optimisation de la dépense et de rendre compte des résultats obtenus13.

La dernière question, et non la moindre, est celle de la légitimité :


[L]a légitimité du politique et celle de l’institution judiciaire sont en partie liées, même de manière
ambiguë. D’un côté, l’État est en effet susceptible d’être fortement remis en cause en cas de
dysfonctionnements majeurs de l’institution judiciaire (en matière de protection de l’ordre public,
de répression ou de réparation), dans la mesure où la justice est une fonction régalienne14.

Quels sont les objectifs ?

Ils ont été analysés dans plusieurs études15. Il s’agit de permettre aux
juridictions de s’évaluer, de faciliter les comparaisons et de fournir de meilleurs
outils au ministère de la Justice. Cette démarche inclut la qualité de chacune
des étapes du processus judiciaire, de l’accueil des justiciables à l’exécution des
décisions. Elle s’applique à l’ensemble des actes et des comportements relatifs à
l’institution judiciaire, ceux des magistrats, des personnels des greffes et des
auxiliaires de la justice. On en revient à l’essentiel : « La qualité est le meilleur
instrument de légitimation dans notre société démocratique, qui demande des
comptes à ses élites16. »
Il s’agit bien de la qualité de la justice, notion qui retient de plus en plus, à
juste titre, l’attention au niveau national et international, où les études
comparées se multiplient17.

Les instruments utilisés et les réactions suscitées

Tout changement suscite l’interrogation, l’inquiétude, voire l’anxiété chez


ceux qu’il est susceptible d’affecter. Étant donné l’état de la société judiciaire, le
devoir des responsables, au niveau national et à celui, capital, des juridictions,
était le suivant : comme pour toute conduite de changement, faire comprendre
par l’ensemble des acteurs la nécessité pour l’institution judiciaire de bien
connaître son activité ; les consulter sur les modalités de son évaluation et la
définition d’objectifs ; procéder, le cas échéant, par étapes, voire par
expérimentation. Il s’agissait en effet de modifier des comportements, des
habitudes et une culture, exercice qui exige écoute, temps et pédagogie, sources
de la vraie autorité. Puisque l’activité de la justice se déroule au sein des
juridictions, la démarche pratiquée dans celles-ci était vitale pour le succès.
Cela supposait un engagement actif des chefs de juridiction en direction de
leurs collègues et des fonctionnaires, un dialogue pouvant aboutir, au moins
dans un premier temps, à une prise de conscience gestionnaire des
recommandations, des recueils de bonnes pratiques18.
Il n’en a rien été.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi organique sur les lois de finances


de 2001 (LOLF), la mission « Justice » comprend, en ce qui concerne le
budget, les programmes suivants, au nombre de six : justice judiciaire,
administration pénitentiaire, protection judiciaire de la jeunesse ; accès au droit
et à la justice ; conduite et pilotage de la justice ; Conseil supérieur de la
magistrature. Chaque programme est divisé en actions, auxquelles sont associés
des indicateurs de performance ou de résultats.
Ouvrons à présent le document de 296 pages intitulé « Mission
ministérielle. Projets annuels de performance. 2012. Justice19 ». Prenons le
programme « Justice judiciaire ». Il récapitule des objectifs et des indicateurs de
performance. Les cinq objectifs sont : 1) rendre des décisions de qualité dans
des délais raisonnables en matière civile ; 2) même objectif en matière pénale ;
3) amplifier et diversifier la réponse pénale et améliorer l’exécution des
décisions pénales ; 4) maîtriser la croissance des frais de justice ; 5) développer
la communication électronique. Chaque objectif est accompagné d’un certain
nombre d’indicateurs, par exemple six en matière civile20. Pour chaque
indicateur, on trouve sept colonnes21.
Par voie d’injonction, le ministère de la Justice s’est borné à adresser ces
normes aux juridictions et, en premier lieu, à leurs chefs de juridiction. À ce
défaut de méthode s’est ajouté un vice de fond : les indicateurs de performance
étaient exclusivement quantitatifs et statistiques, il s’agissait de moyennes
composées sur la base de divers critères. Qu’en est-il de la qualité de l’acte de
juger et de la décision qui en est le résultat ? Elle est mentionnée, mais le
document fait ensuite le silence sur elle. Si les prescripteurs n’avaient rien à dire
à ce sujet, cela dénotait une carence inquiétante et grave. S’ils pensaient que les
nouvelles normes statistiques seraient sans influence sur l’acte de juger, c’est-à-
dire sur la qualité de la justice, c’était refuser d’affronter un aspect
fondamental. Comme l’a dit Nicole Maestracci, première présidente de la cour
d’appel de Rouen :
[L]a justice n’est pas une entreprise de services comme une autre et la gestion n’est qu’un outil et
non une fin en soi. Bien juger, ce qui est parfois contradictoire avec juger vite et beaucoup, doit
rester au cœur de nos préoccupations. Et, bien juger, ce n’est pas seulement écouler des stocks22.

À cela s’ajoute le climat politique détérioré par l’attitude publique, déjà


évoquée, de l’exécutif envers la justice en général et les magistrats en particulier.
Faut-il, dans ces conditions, s’étonner des résultats ? Même dans un contexte
général favorable, il y avait, au départ,
les réticences culturelles et professionnelles [des magistrats] à toute forme d’évaluation, vécue, à tort
ou à raison, comme un moyen de contrôle qui pourrait porter atteinte à leur indépendance23.

Une démarche purement quantitative incite le juge


à se replier sur des habitudes de travail ritualisées sans analyse réelle de leur utilité, par refus du
productivisme et des risques qu’il suscite, tant pour le juge que pour l’institution dont il dépend24.

De plus, et plus gravement, les relations entre les chefs de juridiction et les
autres juges en sont directement affectées. Écoutons un chef de juridiction :
Il est normal de mesurer les coûts, de demander à ceux qui engagent les deniers de l’État de
rechercher l’optimisation de la dépense et de rendre compte des résultats obtenus. D’ailleurs, cette
approche gestionnaire n’a pas pour inéluctable conséquence de nier la complexité de l’acte de juger
et de tout ramener à des abstractions simplificatrices. Elle met simplement en avant la nécessité de
mesurer les choses. Ce qui ne se mesure pas n’existe pas dans une approche gestionnaire. En réalité,
l’approche gestionnaire inquiète à l’heure actuelle, car elle n’en est qu’au stade de ses balbutiements.
En effet, les instruments d’analyse de la complexité de l’activité juridictionnelle n’existent pas
encore. La plupart des indicateurs de la qualité du jugement et de la charge de travail25 ne sont qu’à
l’état d’ébauche […]. En matière d’indicateurs de l’acte de juger, les indicateurs permanents restent à
construire26.
[…]
Le danger n’est pas tant les réformes en soi que l’illusion technocratique que l’on peut en
précipiter la mise en œuvre et en mesurer très rapidement les effets bénéfiques, sans craindre qu’elles
ne produisent d’autres effets pervers que ceux résultant d’une carence des gestionnaires de terrain ou
du corporatisme des magistrats […]. Si un risque de césure apparaît entre les « magistrats juges » et
les « magistrats administrateurs », c’est peut-être l’indice d’un manque de dialogue au sein des
juridictions et d’une insuffisante attention apportée par certains chefs de cour et de juridiction à la
qualité du jugement (au sens large) au sein de leur ressort. S’ils donnent le sentiment, à tort ou à
raison, qu’ils ne sont préoccupés que par l’aspect quantitatif et statistique de l’activité
juridictionnelle, ils envoient nécessairement un message mal ressenti par leurs collègues qui y voient
le signe qu’ils méconnaissent (ou qu’ils ont oublié) la complexité de l’acte de juger et qu’ils résument
leur vision du « bon juge » à celle d’un magistrat parvenant à « évacuer »27 un grand nombre
d’affaires28.

La conclusion de Nicole Maestracci est chirurgicale :


Faute de vision commune, faute de concertation préalable, faute de méthode d’association
systématique des magistrats et fonctionnaires aux décisions supposées améliorer l’efficacité de
l’institution, toutes les réformes entreprises courent le risquent de l’échec, associé à une aggravation
du climat social29.

Les voies d’une réforme

Les illusions technocratiques n’excluent pas, au contraire, les demi-


mensonges, les fictions, les équivalents statistiques des Âmes mortes de Gogol,
voire les villages à la Potemkine, pour rester dans le registre russe. En un mot,
quand rien ne change réellement, sinon que l’essentiel, la qualité de la justice,
se détériore. Sauf à penser, ou à laisser penser, que la bonne gouvernance de la
justice n’a rien à voir avec sa qualité, et qu’à un aveuglement ancien à base
d’archaïsme doit en succéder un autre, paré des plumes de la modernité, il faut
encourager, au sein des juridictions, sous la responsabilité, au premier rang, de
leurs chefs, le dialogue, la concertation, l’écoute et restaurer celle-ci au niveau
du ministère de la Justice.

LES CHEFS DE JURIDICTION

Une étrange « dyarchie »

Selon le Dictionnaire de la langue française de Littré, la dyarchie est un


« gouvernement de deux magistrats souverains, de deux rois qui sont collègues.
La dyarchie à Sparte ». Une des particularités de la gestion des juridictions
saute aux yeux. Toute juridiction a deux chefs : l’un pour le siège (président ou
premier président), l’autre pour le parquet (procureur ou procureur général de
la République). Cette dyarchie est triplement inscrite : dans les textes, les
traditions et les mentalités. Elle devient même triarchie si l’on y ajoute un
fonctionnaire, l’ancien greffier en chef, devenu directeur du greffe. Son statut
est ambigu :
Les chefs de juridiction exercent leur autorité et un contrôle hiérarchique sur le directeur du
greffe […] Ils ne peuvent toutefois se substituer à lui dans l’exercice de ses fonctions30.

Ce qui revient à dire que ces chefs de juridiction ne peuvent s’adresser aux
fonctionnaires du greffe que par l’intermédiaire du directeur du greffe. Quelle
est l’origine de ce système ? Pierre Joxe, premier président de la Cour des
comptes, explique :
L’attribution aux greffiers en chef de pouvoirs propres de gestion […] me paraît remonter pour
l’essentiel à l’époque antérieure à la fonctionnarisation des greffes initiée en 1965, lorsque le greffier
en chef était l’employeur privé du personnel administratif d’une juridiction31.

Certes, mais le texte précité, qui remonte à 1983, a été qualifié de « véritable
“Yalta” judiciaire entre les magistrats et les greffiers en chef » par Philippe
Lemaire, procureur de la République à Lille32. Sa rédaction, note-t-il, « est la
négation même du principe d’autorité ».
De la triarchie, on est passé à la tétrarchie avec le service administratif
régional (SAR) mis en place par une circulaire en 1996. Il a fallu douze ans
pour que le décret du 2 juin 2008 officialise enfin ses missions et le statut de
son directeur33. À l’arrière-plan, on décèle un problème de fond : l’absence de
définition des métiers et des missions du greffe des juridictions et donc des
relations des greffiers avec les magistrats et les fonctions juridictionnelles34.
Faut-il, d’ici qu’intervienne cette redéfinition, placer au fronton des cours
d’appel la statue du groupe des Tétrarques, qui se trouve aujourd’hui à la
basilique Saint-Marc de Venise et qui provient de Constantinople ?
Revenons à la dyarchie. Elle est critiquée depuis longtemps, à l’extérieur
comme à l’intérieur de l’institution judiciaire. Selon un rapport parlementaire,
elle est remise en cause de façon récurrente, dénoncée par les magistrats du
siège et revendiquée par ceux du parquet35. Le temps est venu de sortir de ce
système, et ce, pour différentes raisons. Tout d’abord, il est incompréhensible
de l’extérieur, notamment par les responsables des autres services publics de
l’État (préfet, etc.). Il brouille la perception de l’institution judiciaire, au
moment où elle a besoin d’être restaurée. De plus, aucun service public n’est
géré de la sorte. Cela n’empêche pas, dans les discours de rentrée judiciaire ou
d’installation des chefs de juridiction, son éloge rituel et convenu. En dehors
même de ce cadre, la conférence nationale des procureurs généraux a affirmé,
en 1999, que la dyarchie était « une école de sagesse, d’écoute et
d’honnêteté36 ». Si cette appréciation était exacte, il conviendrait de généraliser
d’urgence ce mode de gestion aux autres services publics, qui ignoraient
jusqu’ici ses vertus cachées. Or, bien souvent, la dyarchie est source de
tensions37, de lourdeurs, de désordres ou de délais, alors que la gestion des
juridictions requiert une attention particulière38. La dernière raison a été très
bien énoncée par Philippe Lemaire, procureur de la République à Lille, dans le
rapport déjà cité :
Fruit de notre histoire judiciaire, cette dyarchie est en réalité assez récente dans ses conséquences
de gestion […]. Cette dyarchie est au commencement purement judiciaire. Elle ne pose alors aucun
problème dans la mesure où les compétences des procureurs et des juges sont déterminées par les
Codes de procédure civile et pénale. En matière d’administration des juridictions, la dyarchie
n’existe pas jusqu’à la nationalisation des greffes en 1967, et surtout jusqu’au transfert des charges à
l’État. Jusqu’à ces dates, le président fait de l’administration judiciaire (les juges et les audiences), le
procureur administre son parquet pour lequel il est le seul à disposer de fonctionnaires de justice, et
le greffier, officier ministériel, gère son office ministériel. Les moyens budgétaires et les équipements
immobiliers sont gérés directement par les collectivités territoriales (départements et communes),
l’État n’ayant à sa charge que les cours d’appel et la Cour de cassation, qu’il gère directement depuis
les services de l’administration centrale du ministère de la Justice.

Il ajoute :
La notion de dyarchie devient importante en 1983 à partir du moment où l’État finance
désormais la globalité des dépenses du ministère de la Justice, avec ses procédures comptables et
financières et ses responsables locaux, le préfet, et le trésorier-payeur général. En matière de gestion, la
dyarchie est fille du transfert des charges39.

Si tradition il y a, elle est donc récente pour la gestion. Mais aucune


conclusion n’en a été tirée par les responsables politiques. Reste, bien entendu,
d’un point de vue psychologique, la valeur symbolique qui lui est attachée. Un
tel dualisme exprimerait – étrange paradoxe – l’unité du corps judiciaire. Si
respectable que soit l’attachement à une règle perçue comme une tradition, il
convient de passer outre quand le bien de l’institution l’exige. C’est le cas
aujourd’hui. Il faut donc faire un choix et s’y tenir. Il s’agit de juridictions. Le
Conseil constitutionnel a affirmé un principe : celui de l’indépendance des
juridictions40. La hiérarchie interne du parquet et sa subordination statutaire au
ministre de la Justice s’appliquent au procureur de la République et au
procureur général. Dans ces conditions, la seule solution est de confier la
fonction de chef de juridiction à un magistrat du siège, c’est-à-dire à son
président.
La possibilité et le succès d’une telle réforme sont subordonnés à plusieurs
conditions impératives : une action préalable d’information et d’explication
auprès de tous les intéressés ; la mise en place, à temps, des moyens nécessaires ;
le respect des compétences propres des chefs du parquet41 et des greffiers en
chef ; un accord devra être établi entre le nouveau chef de juridiction et le chef
de son parquet pour la gestion de services communs.

La formation des chefs de juridiction

Il existe une double hiérarchie dans les juridictions : celle des juridictions
entre elles et, à l’intérieur de chacune, celle qui est représentée par les chefs de
juridiction (président et procureur dans les tribunaux de grande instance,
premier président et procureur général dans les cours d’appel). Leur mode de
nomination, de formation et d’évaluation ne correspond pas à l’étendue de
leurs responsabilités. En 2007, un rapport de Guy Canivet a fait le point à ce
sujet. Le constat est clair :
À l’heure actuelle, la nomination des présidents et des procureurs intervient sans évaluation
méthodique de leur aptitude à la direction des services, tandis que leur formation spécifique n’est
dispensée qu’après leur nomination42.

De quelles informations disposent en effet les autorités compétentes,


direction des services judiciaires et CSM ? Les magistrats sont évalués tous les
deux ans, mais les premiers présidents de cour d’appel, les procureurs généraux
et les conseillers et les avocats généraux à la Cour de cassation ne le sont pas,
faute pour le statut de l’avoir prévu. C’est pourquoi il convient de prévoir que
les chefs de cour d’appel seront évalués par le chef de l’Inspection générale des
services judiciaires, doté au préalable d’un rang, à la Cour de cassation, lui
donnant toute légitimité pour le faire43. Cette lacune interdit « l’identification
des magistrats à haut potentiel »44. Résultat : lorsqu’un premier président de
cour d’appel ou un procureur général est candidat aux mêmes fonctions dans
une autre cour, plus importante, le CSM ne dispose, dans son dossier,
d’aucune évaluation de l’intéressé dans ces fonctions. Il se fonde sur des
évaluations très anciennes, ses intuitions, l’audition de l’intéressé et d’autres
sources informelles. C’est pourquoi il a été le premier à déplorer cette situation
et à demander « une conception dynamique et prospective de l’évaluation »,
notamment pour la sélection des futurs chefs de juridiction45.
Le CSM et l’IGSJ ont attiré publiquement l’attention sur les insuffisances de
la formation des chefs de juridiction. Dans son rapport pour 2008, le CSM a
bien posé le problème :
Les connaissances particulières requises pour leur exercice (il s’agit de ces fonctions) ne devraient-
elles pas conduire ceux qui y postulent à solliciter, dès lors qu’ils s’y portent candidats, leur
inscription à la formation appropriée, à laquelle l’école devrait, dans l’année, les inscrire, et à
continuer, selon les mêmes modalités, à suivre des sessions de mise à jour de ces connaissances s’ils
n’étaient pas immédiatement nommés […]. En tout état de cause, tout chef de juridiction
nouvellement nommé devrait suivre une telle formation46.

Le rapport de l’IGSJ pour 2008-2009 se préoccupe aussi de la formation des


magistrats candidats aux fonctions de président de tribunal de grande instance.
Il appelle à une réflexion
pour que puissent être tracées les lignes directrices d’une formation adaptée à destination des futurs
chefs de juridiction de façon à affirmer les aptitudes et les connaissances spécifiques indispensables à
l’exercice de leur mission47.

C’est bien indiquer la lacune existante.


Autre élément, relevé par le rapport Canivet : l’autorité chargée de la gestion
du corps judiciaire, le ministère de la Justice, n’est pas celle qui nomme aux
fonctions de chefs de juridiction, tâche du CSM. Enfin, la formation continue
relève de l’ENM. La formation des futurs chefs de cour d’appel et de tribunal
de grande instance souffre, en plus, de deux défauts. Elle n’intervient qu’après
leur nomination et n’est pas obligatoire, même si elle est en fait toujours suivie.
L’ENM dispense une série de formations à l’intention de ceux qui dirigent déjà
une juridiction comme de ceux qui s’apprêtent à le faire48. Encore faudrait-il
que cette formation soit pleinement intégrée et qu’une cohérence existe entre
elle et l’environnement professionnel du magistrat. Concrètement, cela renvoie
à deux éléments : la façon dont la DSJ et le CSM en tiendront compte pour les
nominations et, au retour en juridiction, sa traduction concrète dans les
relations professionnelles avec les collègues, la hiérarchie, le directeur du greffe
et le SAR.
Cette situation n’est pas adaptée aux impératifs actuels du management des
juridictions et du parquet, tels qu’ils résultent des éléments suivants : la
décentralisation ; les nouvelles attributions des chefs de cour depuis l’entrée en
vigueur de la loi organique relative aux lois de finances ; les nouvelles
politiques judiciaires en milieu urbain (accueil, accès au droit, traitement des
contentieux civils et pénaux de masse49) ; enfin
un environnement social et institutionnel sensiblement plus exigeant du point de vue de la qualité
du service public judiciaire et de l’efficience dans l’utilisation des moyens qui lui sont attribués50.

Lourd passif, en vérité.

Une radiographie éclairante :


les constats de l’Inspection générale
des services judiciaires
Les rapports de l’IGSJ pour 2008-2009 et 2009-2010 ont mis en relief un
certain nombre de carences imputables aux chefs de juridiction, dont
notamment : les relations des magistrats entre eux et leurs relations avec les
services administratifs ainsi que, pour les cours d’appel, les relations avec les
tribunaux de commerce. Entrons dans le détail concret.
Le déficit de concertation interne est patent. Pour les tribunaux de grande
instance, le rapport 2008-200951 suggère la tenue de réunions régulières entre
magistrats et fonctionnaires ainsi que la formalisation des décisions prises, en
vue d’harmoniser les pratiques et de développer la mémoire des juridictions et
des chambres. C’est bien indiquer, en clair, les effets et les méfaits du
cloisonnement et de l’absence de circulation de l’information. Pour les cours
d’appel, dans
certaines cours l’inspecteur a incité les présidents de chambre à se réunir à échéances régulières afin
d’engager une réflexion commune sur l’organisation et l’administration de leurs services et de
mutualiser les bonnes pratiques expérimentées par certains d’entre eux52.

Le rapport 2010 précise : « Il ressort des contrôles effectués qu’il n’existe pas
d’espaces de concertation interne autres que les assemblées générales annuelles
réunies, même si ce constat doit être modulé au regard de la taille des
juridictions contrôlées, ce qui permet, pour les moins importantes d’entre elles,
de privilégier les échanges informels53. » Un autre rapport constatait dans les
juridictions l’existence d’un
grave déficit dans le domaine des relations sociales et du dialogue social, phénomène général en
France. Magistrats et fonctionnaires vivent plutôt à côté les uns des autres qu’ensemble.
L’encadrement ne s’implique pas suffisamment, sauf exception, dans la gestion des ressources
humaines54.

C’est dire le poids considérable des « pesanteurs individualistes du métier de


magistrat55 » et de l’isolement qui en résulte. Cela vaut particulièrement, mais
pas seulement, pour les juges uniques. Le rapport de la commission Guinchard
l’a bien dit : « Le juge, même unique, ne doit pas être un juge isolé56 ». Comme
l’observe Pierre Delmas-Goyon :
Sans doute, l’institution judiciaire privilégie trop la recherche individuelle de l’efficacité, ce qui se
traduit, parfois dans un même tribunal, par une difficulté à mutualiser les méthodes de travail
innovantes et à adopter des pratiques cohérentes entre elles au sein d’une même unité de travail57.

Notant l’accroissement du recours au juge unique et les tempéraments


possibles, Didier Marshall, président du tribunal de grande instance de Créteil,
mentionne parmi ceux-ci l’intervision, qui permet à deux juges uniques de
confronter leurs pratiques en assistant aux audiences de l’autre58. Le jugement
de Loïc Cadiet prend ici toute sa valeur :
[Le management] doit être conçu comme un outil de gestion démocratique à tous les niveaux de
l’institution judiciaire, favorisant la délibération collective sur les objectifs à atteindre et les choix à
opérer, ainsi que l’action collective sur le terrain du partage des savoir-faire, des innovations
organisationnelles, des relations de travail. Le travail en équipe, les conférences de consensus, si elles
sont intelligemment conçues, font trop défaut à l’institution judiciaire, spécialement à la
magistrature du siège. La promotion de cette dimension collective, au rebours de la culture judiciaire
traditionnelle individualiste, semble une piste majeure d’évolution de l’institution judiciaire59.

Le problème est identique pour les tribunaux de commerce. Les cours


d’appel sont la juridiction d’appel de leurs jugements. Certains constats de
l’IGSJ ont déjà été cités. On lit, dans son rapport pour 2010, que le pilotage
des juridictions commerciales par les chefs de cour devrait faire l’objet d’une
attention renforcée, à travers la réunion régulière des présidents de juridictions commerciales et leur
participation au dialogue de gestion, permettant ainsi une analyse de leurs performances et
l’appréciation de leurs besoins. Par ailleurs, le suivi des délibérés de plus de deux mois devrait être
systématisé60… En outre, la cour d’appel pourrait développer utilement une politique de formation
continue des juges consulaires en liaison avec le président de la chambre commerciale, l’École
nationale de la magistrature et la conférence nationale des juges consulaires. En effet, dans certaines
juridictions, la formation reçue par les juges consulaires ne leur permet pas d’exercer complètement
et immédiatement leurs attributions juridictionnelles telles que la rédaction des décisions61, le
contrôle effectif des mandataires de justice et la surveillance du registre du commerce et des sociétés
[…]. Dans certaines juridictions inspectées, des prélèvements excessifs des associés ou du greffier
titulaire de la charge ont été mis au jour […]. Les constats effectués ont montré à quel point le bon
fonctionnement de la juridiction et de son greffe dépend de l’implication du parquet dans son
activité juridictionnelle comme dans le contrôle du fonctionnement de son greffe62.

Le sort du rapport Canivet :


de l’inertie à la précipitation
Remis en 2007 au nouveau ministre de la Justice, ce rapport traitant de la
sélection et de la préparation des cadres supérieurs à leurs fonctions ne fut pas
publié et n’eut aucune suite pendant quatre ans et demi. Ce délai aurait dû être
utilisé pour entreprendre, dans l’institution judiciaire et au-delà – car le
problème se pose aussi dans d’autres secteurs –, une enquête et une
consultation afin de recueillir l’avis des intéressés. Il n’en fut rien. Est-ce faute
d’intérêt pour ce sujet ? Pensait-on qu’il n’y avait pas urgence ? Comme il arrive
souvent, la précipitation succéda à l’inertie et se combina avec la facilité pour
aboutir à une démarche autoritaire. En 2010, brusquement, quelques jours
avant son départ du ministère, une circulaire de la ministre de la Justice
du 2 novembre demanda la création immédiate, à compter de janvier 2011,
d’un cycle supérieur d’administration de la justice. Inspiré des propositions du
rapport Canivet, il était destiné à préparer aux fonctions de management de la
justice. Quarante magistrats furent ainsi choisis. Par qui ? Par le ministère, sur
la base des candidatures accompagnées de l’avis des chefs de cour, et non par
une commission indépendante, comme cela s’imposait. Aucune concertation
ne fut menée avec l’ENM, responsable de la formation continue des
magistrats, ou le CSM, pourtant chargé de proposer la nomination des chefs
de juridiction. D’où des humeurs et des aigreurs qui n’ont pas entièrement
disparu aujourd’hui, mais qui ne sont plus de mise, vu l’enjeu. Ce mode de
sélection inapproprié entraîna la suspicion. Aux magistrats ainsi choisis
s’ajoutèrent une dizaine de hauts fonctionnaires et de représentants de la
société civile. Un programme fut élaboré, comprenant, de janvier à
décembre 2011, dix modules de trois jours chacun, dont quatre furent suivis
d’ateliers de gestion de crise63.
Il reste à tirer le bilan de cette expérience et à poursuivre la réflexion en
donnant une assise stable et en assurant une pleine légitimité à des réformes
nécessaires, en tenant compte des spécificités de l’institution judiciaire, en
résistant au besoin aux idées à la mode et à ceux qui en tiennent boutique et
aussi en s’informant des pratiques et des expériences des pays étrangers et
d’autres secteurs, ce qu’a fait le rapport Canivet64. L’objectif est double : d’une
part, faire comprendre aux magistrats, à la hiérarchie judiciaire et à l’opinion
l’importance de l’enjeu en apaisant les réticences ; d’autre part, créer des
institutions de qualité et autonomes, dotées de moyens adéquats, en vue
d’éclairer les choix et d’assurer la sélection et la formation des titulaires de
responsabilités, en vue d’une meilleure qualité de la justice.
Sans toucher aux compétences du CSM, le rapport Canivet proposait les
réformes suivantes. Un cycle préparatoire à la conduite des politiques
judiciaires serait créé. Il suppose de déceler à temps les magistrats aptes à
exercer des responsabilités managériales et à conduire le changement. Cette
tâche incombe aux chefs des cours d’appel, en liaison avec la direction des
services judiciaires du ministère de la Justice pratiquant – enfin – une politique
de gestion prévisionnelle des carrières. Il convient ensuite de confier à un jury
ou à une commission indépendante – et non au ministère – l’admission à ce
cycle65. Celui-ci serait assuré par l’ENM, en liaison avec une structure associée,
pendant un an, à raison de trois jours par mois. Elle associerait, à parts égales,
magistrats et non-magistrats. La formation à l’administration judiciaire
interviendrait après la nomination, serait obligatoire et durerait au moins deux
mois66.

LE PARQUET : L’HEURE DES CHOIX

Le rôle particulier du parquet dans notre système judiciaire, l’évolution de


ses missions et les conséquences à en tirer méritent une réflexion particulière.

Les missions du parquet

En matière pénale – la plus importante de ses prérogatives aux yeux de


l’opinion – le parquet est chargé de l’action publique, c’est-à-dire du traitement
des infractions. Avant l’ouverture d’une information judiciaire, c’est-à-dire
l’engagement de poursuites, il dirige l’enquête préliminaire, confiée à la police
judiciaire, placée sous sa direction, qui peut aussi agir d’elle-même. Il est
informé des mesures de garde à vue et a la charge de leur contrôle67. À l’issue
de l’enquête de police judiciaire, il décide, sous réserve des cas où la saisine
d’un juge d’instruction est obligatoire, c’est-à-dire des crimes, de la procédure à
suivre. Le procureur de la République peut poursuivre une personne en la
citant directement devant le tribunal correctionnel. Trois voies existent ici : la
comparution immédiate (anciens flagrants délits), la citation directe et la
comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité. Il peut aussi décider
de ne pas poursuivre, soit en classant purement et simplement l’affaire, soit en
utilisant la gamme des mesures alternatives aux poursuites, qui sera examinée
plus loin. Devant la juridiction pénale, il participe à l’audience et présente ses
réquisitions. C’est par l’intermédiaire du parquet et de la police judiciaire que
le ministre de la Justice et le pouvoir exécutif en général peuvent être et sont
informés à tout moment de l’état d’une affaire et du contenu du dossier. Henri
Nallet, ancien ministre de la Justice, déclarait en 1997 :
[Le] lien entre le ministre de l’Intérieur et la police judiciaire […] fait de ce membre du
gouvernement le contrôleur effectif de l’enquête préliminaire et le participant intéressé de
l’instruction68.

Le procureur de la République doit, comme le président de la chambre de


l’instruction et le juge de l’application des peines, visiter les établissements
pénitentiaires. Il y entend « les personnes détenues qui auraient des
réclamations à présenter69 ».
En outre, le parquet participe activement à l’élaboration et à l’exécution de
plusieurs politiques publiques au niveau territorial.
Il possède enfin un certain nombre de compétences dans des domaines
autres que le droit pénal. Il peut être présent devant toute juridiction civile. Il
joue un rôle important dans les affaires relatives à l’état civil et à la famille. Il
est chargé de la surveillance et du contrôle des professions juridiques et
judiciaires et des auxiliaires de justice.

Un métier transformé

Le métier de procureur a changé. D’où l’interrogation actuelle sur le statut


du parquet, ses relations avec le pouvoir exécutif et sa place au sein de
l’institution judiciaire70. Le premier aspect de cette évolution concerne la
procédure pénale, le second la participation du parquet aux politiques
publiques.
Le changement de la procédure pénale est triple : les réponses pénales à la
disposition du parquet pendant l’enquête préliminaire sont plus variées ;
durant cette même enquête, il a plus de pouvoirs. Le dernier élément est le
mode de traitement des affaires pénales en temps réel.
Va-t-on vers un parquet-juge ? L’expression surprend : elle est contraire au
principe fondamental de la séparation des autorités de poursuite et de
jugement. Et pourtant, les pouvoirs classiques du parquet concernaient le choix
de la procédure à suivre : classement, avec ou sans condition, contre lequel il
n’existe pas de recours juridictionnel ; ouverture d’une enquête préliminaire,
dont rien ne limite la durée ; en cas de poursuites, saisine d’un juge
d’instruction ou citation directe ou encore comparution immédiate. À ces
pouvoirs s’ajoutent aujourd’hui les mesures alternatives aux poursuites,
inventées par le parquet la plupart du temps avant d’être inscrites dans la loi :
la médiation pénale71, la composition pénale, et la comparution sur
reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).
Dans la composition pénale, l’intéressé a reconnu les faits. Le procureur de
la République peut lui proposer diverses mesures telles que le versement d’une
amende, l’immobilisation de son véhicule pour six mois, l’accomplissement
d’un travail non rémunéré pendant soixante heures, une injonction
thérapeutique, etc. Le pouvoir du juge se réduit à l’homologation72. De fait, il
ne juge plus.
Dans la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, la
personne reconnaît les faits délictuels. Le procureur lui propose alors une peine
d’emprisonnement (un an au plus) ou d’amende, avec ou sans sursis. Si la
personne accepte, elle comparaît devant le juge, en vue de l’homologation de la
décision. La loi du 13 décembre 2011 a doublement étendu le champ
d’application de cette procédure. D’une part, elle peut être mise en œuvre au
terme de l’instruction, permettant au parquet, avec l’accord de l’intéressé, de
réduire à néant le travail d’un juge, ce qui est très grave. D’autre part, elle peut
désormais s’appliquer à tous les délits, sauf aux délits de presse, aux homicides
involontaires, aux délits politiques et à ceux régis par une loi spéciale.
À côté des textes, il y a les réalités. Selon les textes, le juge doit vérifier la
qualification juridique des faits (c’est bien le moins, pour tout juge) et
s’interroger sur la justification de la peine au regard des circonstances de
l’infraction et de la personnalité de son auteur. Il peut refuser l’homologation
s’il estime qu’une audience correctionnelle ordinaire est justifiée ou si les
déclarations de la victime apportent un éclairage nouveau sur les conditions de
l’infraction ou la personnalité de son auteur. Dans la réalité, le juge homologue
le plus souvent. Le vrai débat public sur le fond est escamoté. D’où l’attrait de
cette procédure pour les auteurs de certaines infractions. Qu’on ne s’y trompe
pas : nous sommes ici devant des pouvoirs quasi juridictionnels – on a pu
parler de « parquet juge » – dont le but proclamé est d’apporter une « réponse
pénale » rapide et plus complète (le taux de réponse pénale fait partie des
indicateurs de performance). En 2008, plus de 55 000 procédures de CRPC
ont été homologuées par une ordonnance d’un juge, soit un taux d’application
de 12 % par rapport aux infractions auxquelles cette procédure pourrait
s’appliquer. On voit l’intérêt de cette procédure : la sanction est moindre, mais
la justice est plus rapide, le taux de réponse pénale en est amélioré et le nombre
d’affaires portées à l’audience est allégé.
Voici ce qu’en dit un procureur général :
Petit à petit se dessine donc un paysage judiciaire où le passage à l’audience publique de la
juridiction correctionnelle, avec tout le déroulement classique d’un procès, pourrait ne concerner
que les affaires contestées, ou nécessitant un débat public à raison de la gravité ou de la nature des
faits ou bien encore pouvant conduire à des réquisitions sévères73.

Un autre pouvoir doit être mentionné. Toute personne s’estimant victime


d’une infraction peut déposer plainte avec constitution de partie civile, ce qui
entraînait la saisine d’un juge d’instruction. Depuis 2007, le parquet dispose
d’un pouvoir de filtrage ou de retardement. La plainte n’est recevable que si le
parquet informe l’intéressé qu’il n’engagera pas des poursuites ou à l’expiration
d’un délai de trois mois74.
En matière d’enquête préliminaire, les pouvoirs du parquet et de la police
judiciaire ont considérablement augmenté. Cette enquête est la phase de la
procédure qui précède la saisine d’un juge d’instruction ou celle de la
juridiction de jugement. La règle était ici celle de l’absence de contrainte. Ce
n’est plus le cas aujourd’hui. Désormais, en cas de flagrant délit, la durée
maximum de l’enquête, fixée à huit jours en 1999, peut désormais être portée
jusqu’à seize jours dans certains cas par le procureur de la République75. Les
pouvoirs de la police judiciaire sont élargis en matière d’audition, d’arrestation,
de saisies, de perquisitions et de communication de tous documents. De
même, le parquet ou la police judiciaire peuvent maintenant contraindre une
personne convoquée par un officier de police judiciaire à comparaître76. Enfin,
sous réserve de l’autorisation du juge des libertés et de la détention, le parquet
et les officiers de police judiciaire placés sous ses ordres peuvent effectuer une
série d’actes tels que les perquisitions et saisies sans l’assentiment de la personne
concernée77, les perquisitions de nuit (en matière de lutte contre le
terrorisme)78, et il peut autoriser des opérations d’infiltration, des écoutes
téléphoniques, la sonorisation et l’enregistrement d’images dans certains lieux
ou véhicules (pour les quinze crimes et délits énumérés par le Code de
procédure pénale)79.
Ces pouvoirs sont d’autant plus importants que rien ne limite, comme on l’a
vu, la durée de l’enquête préliminaire et qu’au cours de celle-ci les personnes
entendues ou mises en cause ont le statut de témoin et ne peuvent ni accéder
au dossier, ni être assistées par un avocat.
Dans ce que l’on nomme le traitement des affaires pénales en temps réel, le
parquet apporte une réponse immédiate à une affaire qu’un officier de police
judiciaire lui transmet par téléphone, en pratique les affaires élucidées, l’auteur
de l’infraction étant identifié. Jacques Beaume, procureur de la République à
Marseille, en décrit les conséquences :
La dégradation continue de la qualité des enquêtes, liée à de nombreux facteurs, et sans doute
aussi certaines exigences du parquet, fait désormais du substitut du procureur de la République le
gestionnaire opérationnel de premier niveau de l’action de la police.

Il déplore le « manque de temps et de disponibilité qui en résulte pour


contrôler et décider convenablement et aussi le risque d’être peu à peu “ingéré”
par la police »80.
Enfin, le procureur de la République est un nouvel acteur des politiques
publiques. Depuis plus d’une vingtaine d’années, les procureurs de la
République sont directement et activement impliqués dans deux politiques
publiques : la prévention de la délinquance ainsi que la lutte contre l’insécurité
et la politique de la ville. Comment ? Au moyen de relations régulières et
organisées, de « partenariats », avec les préfets, les élus locaux (maire, conseil
municipal) et divers services publics (Éducation nationale, bailleurs sociaux,
entreprises de transport public). D’où, entre autres, les contrats locaux de
sécurité et les conseils communaux de prévention de la délinquance. En 2000,
un magistrat écrivait :
Il y a trente ans, un procureur sortait rarement de son palais sauf pour suivre certaines affaires
criminelles ou particulièrement signalées. La politique pénale se limitait à orienter les procédures ou
à les classer sans suite en application du principe d’opportunité des poursuites […]. Ce traitement
bureaucratique n’a pas résisté à l’explosion des contentieux pénaux […]. Dans le même temps, les
rapports entre justice et politique se sont transformés. Tout d’abord en raison de l’importance
politique croissante du thème de l’insécurité […]. Enfin, la politique de décentralisation, menée à
partir de 1982, a multiplié les niveaux de décision81.

Cette participation à des politiques publiques a eu plusieurs conséquences.


Voici comment Jacques Beaume, déjà cité, décrit l’une d’elles, notable :
Un éloignement (physique et intellectuel) des magistrats du parquet de l’institution judiciaire,
très vite excessif en nombre, en temps, mais aussi souvent en opportunité […]. La politique pénale a
pu compromettre ici ou là son âme, diluée dans les autres politiques publiques par manque
d’attention à son particularisme judiciaire82.

L’heure des choix

Le moment est venu de tirer clairement les conséquences de cette situation


en ce qui concerne la subordination hiérarchique des membres du parquet, les
instructions qui peuvent leur être données, et leur mode de nomination ainsi
que le déroulement de leur carrière.
La subordination hiérarchique, clairement affirmée par l’article 5 du statut
de la magistrature, est double :
Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques
et sous l’autorité du garde des Sceaux, ministre de la Justice. À l’audience, leur parole est libre.

Cette subordination est rappelée à l’article 43 du même texte, relatif à leur


régime disciplinaire. Enfin, contrairement aux magistrats du siège, ils ne sont
pas inamovibles. Ils peuvent être déplacés dans l’intérêt du service. Il faut
distinguer ici entre la hiérarchie interne du parquet, qui doit être maintenue,
ne serait-ce que pour éviter une « balkanisation » de l’action publique, et les
relations avec le ministre, qui concernent les instructions. Le ministre de la
Justice peut-il adresser des instructions aux membres du parquet ? Dans
l’affirmative, lesquelles ? Générales, dites de politique pénale ? Particulières,
relatives à une affaire donnée ? Le débat engagé à ce sujet depuis près de vingt
ans mérite d’être rappelé. Sur ce que pouvait être une pratique alors assez
répandue, voici le témoignage, aussi ancien qu’éclairant, d’un magistrat affecté
au ministère de la Justice :
Mais, si le procureur peut être légalement contraint de poursuivre, quand même il estimerait qu’il
n’y a pas matière, il ne peut en revanche lui être imposé de classer sans suite un dossier. Mon passage
au ministère de la Justice, de 1977 à 1985, me le fit bien voir lorsque, saisie d’un projet de poursuite
pénale, la Chancellerie préférait qu’une affaire n’ait pas de suite, optant pour l’inertie. Il n’était pas
question de l’exprimer brutalement. Une formule fleurie suggérait sans contraindre : « J’ai pris
connaissance de vos propositions tendant à l’exercice de poursuites dans ce dossier. Votre projet
n’appelle pas d’observations de ma part. Je ne puis toutefois que vous laisser le soin d’apprécier s’il
ne convient pas davantage de classer cette affaire sans suite. » Au cours de huit ans passés au
ministère, j’ai constaté qu’aucun de ces procureurs généraux ou procureurs de la République qui
envisageaient des poursuites n’avait persisté dans son projet initial83.

En 1990, Henri Nallet devient ministre de la Justice. Voici comment il


décrit, deux ans plus tard, une autre pratique :
Lorsque je suis arrivé place Vendôme, j’ai été surpris d’apprendre qu’une tradition voulait que,
lorsqu’on s’abstenait de répondre à la proposition d’un procureur, le silence signifiait le refus. Cette
absence de transparence, qui est aussi une absence de courage politique, nourrit le soupçon84.

En 1993, la loi est modifiée. Les instructions devront être écrites et versées
au dossier85. En 1996, Michel Jéol, ancien directeur des affaires criminelles au
ministère de la Justice et ancien procureur de la République de Paris, rappelle
la nécessité des instructions et leur pleine légitimité, refusant de distinguer
entre instructions générales et instructions particulières (« l’action publique ne
se divise pas ») et entre « ordre de poursuite et ordre de classement »86. La
même année, le ministre de la Justice, Jacques Toubon affirme devant les
procureurs généraux :
En matière pénale, il résulte […] de l’article 36 du Code de procédure pénale que le garde des
Sceaux a le pouvoir d’enjoindre l’exercice de poursuites et non celui d’y faire obstacle : avec la
majorité des juristes, j’estime qu’il m’est interdit en l’état de notre droit de donner à un parquet
l’ordre de ne pas poursuivre. En revanche, il est utile, et parfaitement conforme aux textes en
vigueur dans leur lettre et dans leur esprit, que le ministère de la Justice puisse, le cas échéant, faire
savoir à un parquet les raisons qui ne rendraient pas souhaitable, de son point de vue, l’exercice de
poursuites : mais cette information ne saurait s’interpréter comme un ordre auquel le parquet devrait
déférer87.

En 1997, le rapport de la commission de réflexion sur la justice présidée par


Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation, fait deux constats. Le
premier est ainsi formulé : « Il serait vain de contester que des instructions de
non-poursuite ont été données. » Le second concerne l’article 36 du Code de
procédure pénale :
[Il] rend mal compte de la complexité des relations […]. Le fait que le texte impose que les
instructions soient « écrites et versées au dossier de la procédure » ne saurait dissimuler l’existence de
relations moins formalisées du haut vers le bas88 qui s’apparentent souvent à des instructions ou sont
ressenties comme telles89.

Le rapport proposait d’inscrire dans les textes la notion de politique d’action


publique, que le gouvernement a le devoir d’exprimer et de communiquer aux
parquets, par exemple à l’occasion du commentaire d’une loi nouvelle, de
l’affirmation de priorités, ou afin d’harmoniser des pratiques. Il proposait la
suppression de l’article 36 du Code de procédure pénale, la suppression des
instructions individuelles, le maintien d’échanges réciproques, d’informations
et d’avis, y compris pour les affaires individuelles, entre les parquets et le
ministère de la Justice. Il suggérait enfin que le ministre puisse engager des
poursuites dans une affaire classée par le parquet. Il aurait alors un représentant
spécial devant la juridiction.
Quelques mois plus tard, la nouvelle ministre de la Justice, Élisabeth
Guigou, annonce la suppression des instructions individuelles, créant ainsi une
pratique nouvelle qui fut appliquée, sans aucune exception, jusqu’en 2002. Le
projet de loi déposé en 1998 par le gouvernement prévoyait en effet cette
réforme. Le ministre élaborerait des directives générales de politique pénale. Il
pouvait, à titre exceptionnel, engager des poursuites en saisissant directement
et personnellement une juridiction quand l’intérêt général le justifiait, même
en cas de passivité du parquet. Il incombait aux procureurs de la République
d’appliquer ces directives et d’informer les procureurs généraux, dont le rôle
était renforcé. Ils ne pouvaient pas faire obstacle à la mise en mouvement de
l’action publique et informaient le ministre. Ce projet, adopté par le
Parlement, n’eut pas de suites.
Dans son étude sur le statut du parquet, le CSM proposait le maintien de
l’article 36 du Code de procédure pénale
en y maintenant expressément l’interdiction faite au garde des Sceaux d’adresser des instructions
individuelles aux fins de classement dans le cadre d’une procédure judiciaire.

Il considérait que
les instructions individuelles peuvent présenter un intérêt dans le cadre de certaines affaires civiles,
commerciales ou pénales. En effet, le ministre de la Justice peut légitimement voir un intérêt à
veiller à l’application homogène de la loi dans des matières civiles90.

Il en allait de même, selon le CSM, en matière pénale, dans un certain


nombre de domaines, « de façon à faciliter la cohérence de l’application de la
loi et l’efficacité de la lutte contre la délinquance91 ».
À partir de 2002, on en revint à la pratique antérieure, autorisée par les
textes.
La réforme de 2004 s’inspire en partie des propositions émises
antérieurement : le rôle du ministre de la Justice dans la conduite de la
politique d’action publique, changement significatif de terminologie,
déterminée par le gouvernement, est affirmé. Il veille à la cohérence de son
application et adresse en conséquence aux parquets des instructions générales92.
Les instructions individuelles sont maintenues. Les compétences et les
responsabilités des procureurs généraux et des procureurs, notamment en
matière d’information, sont précisées.
Il faut aussi maintenir les instructions générales, inhérentes au rôle du
ministre de la Justice. Elles ont pour rôle de définir les lignes générales de la
politique pénale, et non de conduire la politique d’action publique, comme le dit,
à tort, depuis 2004, l’article 30 du Code de procédure pénale, qui devra être
modifié. La politique pénale fait partie des politiques publiques, ce qui inclut
une responsabilité politique et le pouvoir d’agir. Mais le ministre de la Justice
n’est pas et ne saurait être une sorte de « procureur en chef », sauf à dévoyer
l’institution. Quant aux instructions individuelles, le moment est venu de les
supprimer. Il le faut pour enlever au pouvoir exécutif un moyen d’entraver le
cours de la justice ou de s’y immiscer. Cela permettrait aussi de mettre fin au
soupçon généralisé, qui est un fait, pesant sur l’ensemble du parquet, et
restaurer la confiance nécessaire. Il y a enfin un constat incontesté : les
instructions individuelles ont été effectivement supprimées entre 1997 et 2002.
L’État a-t-il vacillé ? La cohérence de la politique pénale en a-t-elle souffert ? La
responsabilité politique du ministre de la Justice s’en est-elle trouvée
amoindrie ? Non. En contrepartie, en plus des instructions générales déjà
citées, le ministre de la Justice devra être pleinement informé de l’action des
parquets, et il faudra que l’information circule dans les deux sens. En outre,
comme il a déjà été dit, la hiérarchie interne du parquet serait maintenue, mais
l’interdiction pour le procureur général d’adresser au procureur de la
République des instructions faisant obstacle à l’exercice de l’action publique,
c’est-à-dire de classement, serait inscrite dans la loi.
En septembre 2012, une circulaire de Christiane Taubira, ministre de la
Justice, a décidé la suppression sans exception des instructions individuelles. Il
appartient au ministre, précise-t-elle, de définir la politique pénale, au moyen
d’instructions générales et impersonnelles, et aux magistrats du parquet
d’exercer l’action publique. Les instructions générales concerneront des
domaines particuliers (la délinquance financière, les stupéfiants, etc.), des
territoires donnés ou des événements. Les procureurs généraux devront
informer, de façon régulière, complète et en temps utile, le ministère des
procédures les plus significatives, en prenant position sur la conduite des
dossiers et en indiquant, le cas échéant, les instructions données par eux aux
procureurs. Il reste à modifier l’article 30 du Code de procédure pénale en
conséquence.
Par ailleurs, jusqu’en 1993, la nomination des membres du parquet n’était
pas soumise au CSM. De 1993 à 2008, le CSM donne un avis, que le ministre
de la Justice peut ne pas suivre, et qui ne porte pas sur la nomination des
procureurs généraux, nommés directement en Conseil des ministres. La
pratique des ministres a varié. Notons d’abord que la proportion des avis
défavorables est très faible (entre 1 et 3 %). En 1996, il a été passé outre aux
avis défavorables dans 46 % des cas, ce qui, note le CSM, « traduit une rupture
avec la pratique antérieure93 ». En 1997, Élisabeth Guigou, ministre de la
Justice, annonce qu’elle suivra les avis défavorables, anticipant sur la réforme à
venir. Elle tiendra parole94. Puis, la pratique ancienne est rétablie. En 2002-
2203, le ministre n’a pas suivi cinq des vingt-six avis défavorables du CSM95.
La proportion s’accroît ensuite, pour atteindre 58 % en 2003-220496. Pour la
période 2002-2005, la proportion est de 25 %97 ; elle est de 90 % en 200698.
En 2007, sur quatorze avis défavorables, neuf ne sont pas suivis par le
ministre99. 2008 et 2009 voient un nouveau changement de cap : tous les avis
défavorables sont suivis100. En 2011, le nouveau ministre de la Justice, Michel
Mercier, déclare qu’il ne passerait pas outre aux avis défavorables et préfère en
pratique retirer les projets de nomination au sujet desquels le CSM s’apprêtait
à émettre un avis défavorable. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le
CSM donne également son avis, après auditions, sur la nomination des
procureurs généraux.
La différence avec le mode de nomination des magistrats du siège est
notable, qu’il s’agisse des nominations en général, où un avis conforme est
requis, ou des postes les plus importants, où le CSM fait des présentations. Le
système actuel n’est plus acceptable. En effet, si l’on maintient la subordination
et le principe hiérarchique déjà mentionnés, il ne faut pas que la personne
placée au sommet de la pyramide, c’est-à-dire le ministre de la Justice, ait la
maîtrise de la carrière des membres du parquet : « Leur nomination et leur
carrière ne doivent pas être entre les mains de ceux qui leur donnent des
instructions101. » Par ailleurs, la mainmise visible et étroite de l’exécutif sur les
postes les plus importants du parquet, en particulier à Paris et dans les
juridictions périphériques, est une deuxième raison. De même, nombre
d’affaires, récentes et anciennes, ont mis crûment en lumière les conséquences
de la sujétion des membres du parquet, et notamment les affaires dites
« sensibles », c’est-à-dire celles auxquelles s’intéressent de près, pour des raisons
diverses, en général peu avouables, le pouvoir exécutif.
Enfin, au cours de ces dernières années, s’est instaurée une très forte reprise
en main, au besoin tatillonne et insistante, témoignant de très peu de
considération pour ceux à qui elle s’adresse. Les exemples ne manquent pas102.
En voici un exemple, qui a entraîné une protestation publique lors de la
conférence nationale des procureurs de la République. Nous sommes à Nancy,
le 27 août 2007, devant le tribunal correctionnel. Le vice-procureur, suivant les
instructions du procureur de la République, mentionne, dans ses réquisitions,
les gages exceptionnels de réinsertion que présente la personne mise en examen
et requiert donc une peine inférieure à la peine plancher, conformément à la loi
du 10 août 2007 qui vient d’être adoptée103. Il est suivi par le tribunal, qui
motive son jugement en ce sens. Le lendemain, un journal local affirme que ce
magistrat s’est affranchi de la loi et qu’il aurait déclaré en public : « Les
magistrats ne sont pas les instruments du pouvoir. Ce n’est pas parce qu’un
texte est voté qu’il doit être appliqué sans discernement ». Le vice-procureur
nie avoir prononcé ces mots, ce que confirment le greffier et l’ensemble des
magistrats présents. Qu’à cela ne tienne. Il est convoqué séance tenante à la
direction des services judiciaires, où on lui parle « déontologie », en présence
du procureur général et du procureur de la République. Au-delà du magistrat,
c’est la fonction qui a été ainsi volontairement humiliée. Dans un
communiqué du 29 août 2007, la conférence nationale des procureurs de la
République a condamné un tel comportement104.
Le temps d’une réforme profonde est venu. Deux systèmes sont
envisageables. Le premier consiste à soumettre toutes les nominations relatives
au parquet à l’avis conforme du CSM. Le second revient à aligner leur mode de
nomination sur celui des magistrats du siège : avis conforme pour l’ensemble
des nominations, sauf pour celles des procureurs et des procureurs généraux,
qui se feraient sur présentation du CSM. L’un et l’autre ont en commun
d’exiger une révision de la Constitution. Le premier système conserve au
ministre de la Justice un pouvoir d’initiative important105. Il figurait, en 1997,
parmi les propositions de la commission de réflexion sur la justice106 et dans le
projet de loi constitutionnelle adopté par le Parlement en 1999, qui ne fut pas
soumis au Congrès par le président de la République. Le second système est
aujourd’hui le seul qui soit à la mesure du redressement à accomplir pour
mettre fin à un lourd héritage et au soupçon qui affecte tant l’ensemble du
corps, parfois injustement, que l’opinion publique107. En 1988, un grand
parquetier, Georges Beljean, procureur général honoraire, écrivait à propos du
parquet les lignes suivantes :
[L]’opinion la plus répandue le tient pour prisonnier d’une hiérarchie quasi orthopédique. […]
C’est au ministère public que s’adresse aujourd’hui le grief majeur d’une soumission cynique au seul
pouvoir politique.

Il parlait de « cette terrible disponibilité, cette obéissance qui devance


l’ordre »108.
Le seul moyen d’assainir ce climat et de mettre fin au soupçon est d’aligner
entièrement le mode de nomination des magistrats du parquet sur celui de
leurs collègues du siège. Une telle réforme constituera une garantie pour eux,
pour l’ensemble de l’institution judiciaire, pour l’opinion publique et pour les
justiciables. Elle suppose au préalable une autre réforme constitutionnelle :
celle du mode de nomination des membres du CSM.

Le déroulement de la carrière :
une exception française
aujourd’hui remise en question
Les magistrats du siège et ceux du parquet font tous deux partie du corps
judiciaire109, de l’autorité judiciaire selon le Conseil constitutionnel110. Pour le
déroulement de leur carrière, ils peuvent librement passer du siège au parquet
et inversement, dès lors qu’ils satisfont aux conditions requises par le statut. La
France est, avec l’Italie et, en partie, la Belgique111, le seul pays européen où un
tel passage est possible. Il suscite l’étonnement. Cette faculté de passer d’une
fonction à une autre est aujourd’hui remise en question, et ce, pour plusieurs
raisons. D’une part, il s’agit de deux métiers de plus en plus différents, qui ne
sont pas soumis aux mêmes logiques. D’autre part, la possibilité de passer
d’une fonction à l’autre crée, aux yeux des justiciables et de l’opinion, un risque
de confusion propre à engendrer le soupçon. De ce problème d’intelligibilité
naît une question de crédibilité pour la justice. Enfin, un débat existe à
l’intérieur même du corps judiciaire. Certes, l’attachement à l’unité du corps
judiciaire est proclamé. Un magistrat a pu parler de « l’affirmation publique et
parfois compulsive de l’unité du corps judiciaire »112. À chacun de méditer ce
qu’en dit le CSM :
On peut penser que les magistrats, qui savent bien que l’unité du corps judiciaire est au départ
une fiction juridique – procédé consistant à supposer un fait ou une situation différents113 de la
réalité pour en déduire des conséquences juridiques –, en viennent désormais à se dire que c’est une
fiction tout court114.

Deux organisations professionnelles, la conférence des premiers présidents


de cour d’appel, en 1998, et celle des procureurs généraux, en 1997, ont sur ce
point des positions opposées. L’attachement aux symboles, ici comme ailleurs,
fait partie des réalités et il ne faut pas le sous-estimer. La conférence nationale
des procureurs généraux a fait état de la crainte des magistrats du parquet, en
cas d’atteinte à cette faculté, de perdre leur qualité de magistrats, d’être
« fonctionnarisés » et affaiblis tant vis-à-vis des services de police judiciaire
qu’en face du préfet et des élus locaux. Ces craintes sont respectables et il faut
savoir les écouter et les apaiser.
L’éventualité d’une séparation des carrières, selon des modalités à préciser, a
été évoquée à plusieurs reprises115. Il est temps de mener à son terme cette
réflexion et d’accomplir une réforme qui comprendrait les éléments suivants.
Les membres du parquet conserveraient, bien entendu, leur qualité de
magistrat. La formation dispensée par l’ENM resterait commune. Après avoir
choisi leur première affectation, les magistrats pourraient pendant une certaine
durée (dix ans par exemple) passer d’une fonction à une autre, afin de
permettre réflexion et évaluation. À l’issue de cette période, les magistrats en
fonction effectueraient un choix définitif à l’occasion de leur prochaine
mutation116. Le statut de la magistrature serait réformé en conséquence.
À la vérité, une telle réforme ne ferait que consacrer un état de fait connu de
tous, à savoir l’existence de filières et la stabilité, dans l’ensemble, des choix
faits en faveur du parquet, comme le montre une étude sur les procureurs de la
République :
Les carrières de procureurs qui se sont déroulées principalement au parquet sont largement
prédominantes : si l’on ne tient pas compte, pour l’évaluation, de la fonction de leur premier poste,
qui, loin d’être toujours choisi, est souvent tributaire d’autres critères, comme par exemple le
nombre et les caractéristiques des postes offerts aux jeunes magistrats117 ainsi que le rang de
classement au sortir de l’ENM, ce sont plus de 70 % des procureurs dont la carrière a été rythmée
quasi uniquement par une succession de postes au parquet, les autres ayant connu des périodes
d’exercice au parquet, au siège ou en détachement118.

Le même auteur ajoute :


Les choix de filières se sont effectués avant d’atteindre dix ans de présence dans le corps des
magistrats. Pour atteindre les plus hauts niveaux de responsabilité, il semble bien préférable de s’en
tenir à une des deux « filières » : siège ou parquet119.

Combinée avec les précédentes, cette réforme bénéficierait à l’ensemble de


l’institution judiciaire. En particulier, elle mettrait fin à l’habitude détestable
du ministère de la Justice de reclasser au siège les magistrats du parquet ayant
peu réussi dans leurs fonctions.
L’ensemble de ces réformes contribuerait à augmenter le niveau de
professionnalisation du parquet, déjà largement inscrit dans les faits par
l’existence de filières, à améliorer la position institutionnelle et morale des
membres de ce grand corps, dont le rôle est essentiel, à écarter le soupçon et à
accroître la légitimité du parquet au sein de l’institution judiciaire.

CONCLUSION

La culture des différentes composantes de l’institution judiciaire et le passé


de celle-ci font que l’idée d’une bonne gouvernance, indissociable de celle de la
qualité de la justice, n’y est pas encore pleinement reçue et acceptée, malgré des
progrès certains. Les quelques exemples cités l’attestent et indiquent l’urgence
de réformes de fond. Elles exigeront des méthodes et des instruments différents
de ceux qui ont été utilisés jusqu’ici, courage et pédagogie.

1. Loïc CADIET, Compte rendu de l’étude « La spécificité de l’administration française de la justice :


première approche », sous la direction de Marie-France Christophe-Tchakaloff, Thomas Deschamps et
Christian Mouhanna, Institut international d’administration publique, 2001, Lettre d’information de la
Mission de recherche droit et justice, no 12, janvier 2002, p. 2. Sur la gestion de l’ensemble des personnels
relevant de ce ministère (administration centrale et services judiciaires), on lira avec intérêt le rapport de
la COUR DES COMPTES, La Fonction publique de l’État. Deuxième rapport public particulier, JO, avril 2001,
pp. 311- 367.
2. Hélène PAULIAT, « L’administration de la justice dans les institutions françaises » [2001], in S.
GABORIAU et H. PAULIAT (dir.), L’Éthique des gens de justice, op. cit., pp. 75, 88.
3. Mentionnons aussi, pour faire bonne mesure, deux établissements publics : l’agence publique pour
l’immobilier de la justice, créée en 2001, et l’établissement français du palais de justice de Paris, créé
en 2004. Sur les péripéties du projet parisien, cf. les observations de la COUR DES COMPTES,
« L’établissement public du palais de justice de Paris », Rapport 2009, La Documentation française, 2009,
pp. 113-119.
4. Le Monde, 24-25 septembre 1989.
5. Henri NALLET, Tempête sur la justice, Plon, 1992, pp. 201-202.
6. « Adaptation de l’organisation et des méthodes de la Chancellerie à ses nouvelles missions », rapport
du groupe de travail, 1999.
7. La comparaison avec les universités mériterait de plus amples développements (souligné par moi).
8. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Rapport 2003, Éd. du Journal officiel, 2004, p. 115.
9. Philippe LEMAIRE, « Le contrôle fonctionnel de gestion (1) » [2006], in G. CANIVET, M. ANDENAS
et D. FAIRGRIEVE (dir.), Independence, Accountability and the Judiciary, op. cit., p. 342.
10. L. CADIET, Compte rendu de l’étude « La spécificité de l’administration française de la justice »,
doc. cité.
11. H. PAULIAT, « L’administration de la justice dans les institutions françaises », art. cité, pp. 78,
81 et 84.
12. Jean-Paul JEAN, « De quelques principes directeurs pour faire progresser le débat sur l’évaluation et
la qualité auprès des professionnels de la justice », in Marco FABRI, Jean-Paul JEAN, Philip LANGBROEK et
Hélène PAULIAT (dir.), L’Administration de la justice en Europe et l’évaluation de sa qualité, coordonné par
N. Rivero-Cabouat, Montchrestien, 2005, p. 409.
13. P. DELMAS-GOYON, « Maîtriser le nombre… », art. cité, pp. 35 et 43.
14. Cécile VIGOUR, « Justice : l’introduction d’une rationalité managériale comme euphémisation des
enjeux politiques », Droit et société, no 63-64, 2006, pp. 425 et 440.
15. Hubert DALLE, « Ministère de la Justice. Qualité de la justice et évaluation des tribunaux de
grande instance », in Comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics, La Mise en place
d’indicateurs de résultats dans trois ministères, rapport d’enquête et conclusions du comité, juin 2001, La
Documentation française, 2001 ; Jean-Paul JEAN et Hélène PAULIAT, « L’administration de la justice en
Europe et l’évaluation de sa qualité », Recueil Dalloz, 2005, p. 598.
16. Hervé ROBERT, « Magistrature », Commentaire, no 21, 2008, p. 108.
17. Cf. M. FABRI, J.-P. JEAN, P. LANGBROEK et H. PAULIAT (dir.), L’Administration de la justice en
Europe et l’évaluation de sa qualité, op. cit. ; Marie-Luce CAVROIS, Hubert DALLE et Jean-Paul JEAN (dir.),
La Qualité de la justice, La Documentation française, 2002 ; Jean-Paul JEAN, « La qualité de la justice face
aux attentes des justiciables » [2001], in S. GABORIAU, H. PAULIAT (dir.), L’Éthique des gens de justice, op.
cit., p. 149. Cf. aussi les travaux de la COMMISSION EUROPÉENNE POUR L’EFFICACITÉ DE LA JUSTICE
(CEPEJ), en particulier son rapport périodique sur les systèmes judiciaires européens et le rapport intitulé
Analyse des délais judiciaires dans les États membres du Conseil de l’Europe à partir de la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme, Éd. du Conseil de l’Europe, 2006 ; Hélène PAULIAT, « Qualité et
efficacité des systèmes judiciaires en Europe : une administration de la justice sollicitée par la
performance », Les Cahiers de la justice, no 2, printemps 2007, p. 89.
18. Cf. les réflexions de Pierre DELMAS-GOYON, « L’indépendance interne », Les Cahiers de la justice,
o
n 2, printemps 2007, p. 79.
19. Annexe au projet de loi de finances pour 2012.
20. Délai moyen de traitement des procédures, par type de juridiction. Pourcentage des juridictions
dépassant le délai seuil de traitement. Ancienneté moyenne de stock par type de juridiction. Taux de
cassation des affaires civiles. Nombre d’affaires civiles traitées par magistrat du siège ou par conseiller
rapporteur (en emploi équivalent temps plein travaillé). Nombre d’affaires traitées par fonctionnaire (id.).
21. Consacrées respectivement à l’unité (mois) et aux années 2009 à 2013 (cible).
22. Allocution prononcée le 22 septembre 2011 à l’occasion de son installation, Les Annonces de la
Seine, 29 septembre 2011, p. 5.
23. H. DALLE, « Qualité de la justice et évaluation des tribunaux de grande instance », art. cité, p. 9. Il
ajoute : « [E]lles se sont atténuées au profit d’une demande de transparence. »
24. P. DELMAS-GOYON, « L’indépendance interne », art. cité, p. 86.
25. L’inégalité de sa répartition entre les magistrats est l’un des grands non-dits de l’institution
judiciaire.
26. P. DELMAS- GOYON, « Maîtriser le nombre… », art. cité, p. 43.
27. Sur cette expression, je fais mienne la critique de Guy CANIVET, premier président de la Cour de
cassation : « Comment avons-nous pu, dans notre vocabulaire et nos principes de gestion si facilement, si
naturellement accepter l’expression d’évacuer les dossiers ? Évacuer de la première instance vers l’appel et de
l’instance d’appel vers la Cour de cassation. Évacuer en prolongeant le procès, évacuer en déplaçant le
contentieux », allocution prononcée à l’occasion de la rentrée solennelle de la Cour de cassation,
le 11 janvier 2001 (COUR DE CASSATION, Rapport 2000, La Documentation française, 2001, p. 34).
28. P. DELMAS- GOYON, « L’indépendance interne », art. cité, pp. 86-87.
29. Allocution prononcée le 10 janvier 2012 à l’occasion de la rentrée solennelle de la cour d’appel de
Rouen, Les Annonces de la Seine, 6 février 2012, p. 8. Cf. aussi le constat de Didier MARSHALL, premier
président de la cour d’appel de Montpellier : « [L]a chancellerie n’a pas su se doter d’indicateurs
permettant de mesurer si la justice rendue correspondait à la qualité attendue, et elle ne dispose pas
d’outil partagé pour évaluer la charge de travail des magistrats » (« Justice, LOLF et RGPP : des rendez-
vous manqués ? », Recherche Droit et Justice, no 36, mai 2011, p. 11).
30. Code de l’organisation judiciaire, art. R.123-3, 3e alinéa.
31. Intervention lors de la réunion annuelle des premiers présidents de cours d’appel
du 27 mars 1998, Bulletin d’information de la Cour de cassation, 15 juin 1998, p. 6. La loi
du 30 novembre 1965, entrée en vigueur le 1er décembre 1967, prévoyait une période transitoire de dix
ans. Tel est encore le cas des greffes des tribunaux de commerce (Code de l’organisation judiciaire, art.
L.821-1).
32. Ph. LEMAIRE, « Le contrôle fonctionnel de gestion », art. cité.
33. Selon l’article R.312-65 du Code de l’organisation judiciaire : « Par délégation du garde des
Sceaux, ministre de la Justice, le premier président de la cour d’appel et le procureur général près cette
cour assurent conjointement l’administration des services judiciaires dans le ressort de la cour d’appel. Ils
sont assistés dans cette mission par le directeur du service administratif régional, placé sous leur
autorité. » Ce directeur délégué à l’administration régionale est un magistrat dans deux cours d’appel, un
greffier en chef ailleurs. Sa compétence s’exerce sur la gestion administrative du personnel, sa formation (à
l’exception de celle des magistrats), la préparation et l’exécution des budgets ainsi que la passation des
marchés, la gestion des équipements informatiques, et enfin la gestion du patrimoine immobilier ainsi
que le suivi des opérations d’investissement. Sous quelle autorité sont-ils réellement ? Selon Didier
Marshall, premier président de la cour d’appel de Montpellier : « [L]es SAR sont, de fait, traités par
l’administration centrale comme ses services extérieurs. » (D. MARSHALL, « Justice, LOLF et RGPP », art.
cité, p. 11).
34. Il existe actuellement près de 11 000 greffiers en chef et greffiers. Sur cette question, cf.
notamment le rapport du groupe de travail présidé par Dominique Le Vert, Rapport sur la situation des
fonctionnaires des services judiciaires (1990), celui de la commission de réflexion sur l’évolution des métiers
des greffes (ministère de la Justice, 1998), le rapport d’information sur l’évolution des métiers de la justice
(SÉNAT, « Quels métiers pour quelle justice ? », rapport de la mission d’information sur l’évolution des
métiers de la justice, no 345, 3 juillet 2002, p. 70 : « Des fonctionnaires des greffes découragés »), ainsi
que le rapport d’information sur la formation des magistrats et des greffiers en chef à la gestion (SÉNAT,
« La justice, de la gestion au management ? Former les magistrats et les greffiers en chef », no 4,
4 octobre 2006).
35. SÉNAT, « Quels métiers pour quelle justice ? », rapport cité, n. 232, p. 107. L. CADIET fait le
même constat dans son compte rendu de l’étude « La spécificité de l’administration française de la
justice », doc. cité, p. 2.
36. Note de synthèse des travaux de la conférence nationale des procureurs généraux
des 22 et 23 mars 1999, p. 12.
37. Un exemple parmi d’autres : dans les tribunaux de grande instance, la liste des affaires inscrites à
une audience du tribunal correctionnel est fixée par décision conjointe du président du tribunal et du
procureur de la République, cela « sans préjudice des pouvoirs propres du procureur de la République »,
savante ambiguïté (Code de l’organisation judiciaire, art. 399). Lorsqu’il existe plusieurs chambres, il peut
en résulter un pouvoir supplémentaire du procureur de la République.
38. Il y a plus de vingt ans, deux rapports parlementaires avaient déjà attiré l’attention sur ce point :
Edgar TAILHADES, La Modernisation de la justice. Rapport au Premier ministre, La Documentation
française, 1985, p. 146 ; Jean ARTHUIS, « Examen des modalités d’organisation et des conditions de
fonctionnement des services relevant de l’autorité judiciaire (exposé général) », Sénat, rapport de la
commission d’enquête no 357 (1990-1991), 5 juin 1991, t. I, p. 125-126.
39. Ph. LEMAIRE, « Le contrôle fonctionnel de gestion », art. cité., p. 12 (souligné par moi).
40. Conseil constitutionnel, décisions no 80-119, DC, 22 juillet 1980, p. 46, § 6, et no 2007-551,
DC, 1er mars, 2007, p. 86, § 10.
41. E. TAILHADES, La Modernisation de la justice, op. cit., p. 146. Ce rapport proposait déjà que le
président de la juridiction devienne son chef.
42. G. CANIVET, « La préparation des magistrats de l’ordre judiciaire à l’exercice des fonctions de chef
de juridiction et de parquet », rapport cité, p. 2. Il s’agit dans ce rapport non de tous les chefs de
juridiction mais des cent soixante-six responsables des juridictions les plus importantes : premiers
présidents et procureurs généraux des cours d’appel, présidents et procureurs des tribunaux de grande
instance classés hors hiérarchie.
43. Président de chambre ou avocat général.
44. Ibid., p. 6.
45. Cf. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Rapport 2004, rapport cité, p. 122, qui contient
une étude d’ensemble sur l’évaluation des magistrats.
46. ID., Rapport 2008, La Documentation française, 2009, p. 11.
47. INSPECTION GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES, Rapport 2008-2009, p. 31. Le rapport Canivet
n’est pas mentionné.
48. Notamment la session « nouveaux chefs de juridiction », destinés à ceux qui vont exercer pour la
première fois les fonctions de président de tribunal de grande instance ou de procureur de la République,
le séminaire « chefs de cour » d’une durée de trois jours et, pour les fonctions managériales, le plan de
formation des cadres, en association avec l’École nationale des greffes. On en trouvera une analyse
détaillée dans le rapport Canivet (G. CANIVET, « La préparation des magistrats de l’ordre judiciaire à
l’exercice de leurs fonctions de chef de juridiction et de parquet », rapport cité, pp. 7-9, §§ 22-31).
49. Cf. SÉNAT, « La justice, de la gestion au management ? », rapport cité.
50. G. CANIVET, « Administrer le corps judiciaire », Les Annonces de la Seine, 15 février 2007, note de
synthèse, « La préparation des magistrats de l’ordre judiciaire à l’exercice de leurs fonctions de chef de
juridiction et de parquet », rapport cité, p. 16.
51. Qui fait suite à INSPECTION GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES, Rapport 2001-2002-2003, p. 4.
52. ID., Rapport 2008-2009, p. 26.
53. ID., Rapport 2010, p. 14. Ces assemblées ne peuvent être le lieu des actions mentionnées ici.
54. « Rapport de la commission du renouveau du dialogue social dans les juridictions », présidée par
Serge Vallemont, décembre 2006, p. 18. La commission a également constaté « globalement un désintérêt
des magistrats et des fonctionnaires pour les travaux des assemblées générales. Les AG apparaissent
souvent aux yeux des agents comme des chambres d’enregistrement », p. 13.
55. G. CANIVET, « La préparation des magistrats de l’ordre judiciaire à l’exercice de leurs fonctions de
chef de juridiction et de parquet », rapport cité, 32, § 116.
56. S. GUINCHARD, « L’ambition raisonnée d’une justice apaisée », rapport cité, introduction, p. 47.
57. P. DELMAS-GOYON, « Maîtriser le nombre… », art. cité, p. 39.
58. Didier MARSHALL, « L’évolution du métier de magistrat », Les Cahiers de la justice, no 2,
printemps 2007, p. 269. Le Rapport 2008-2009 (p. 13) et le Rapport 2010 (p. 14) de l’INSPECTION
GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES notent un déficit dans l’utilisation des nouveaux moyens de
communication.
59. L. CADIET, « La justice face aux défis… », art. cité, p. 29.
60. Traduisons, puisqu’il le faut : plusieurs mois après l’audience, le tribunal n’a pas rendu son
jugement et personne ne semble s’en préoccuper.
61. Qui donc les rédige ?
62. INSPECTION GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES, Rapport 2010, pp. 20-21.
63. Sur invitation de Jean Mazars, avocat général à la Cour de cassation et responsable de ce premier
cycle, j’ai présenté lors du premier module, le 18 janvier 2011, un exposé sur le thème « La justice dans
l’État ».
64. G. CANIVET, « La préparation des magistrats de l’ordre judiciaire à l’exercice de leurs fonctions de
chef de juridiction et de parquet », rapport cité, chap. III : « Le référentiel », pp. 18-22, § 60-100.
65. Il conviendrait de tenir compte, dès ce moment et plus tard, des périodes passées par les magistrats
en détachement et de leur mobilité à l’extérieur du corps en général.
66. Un projet de loi sur le statut de la magistrature déposé par le gouvernement il y a près de soixante
ans prévoyait la création d’un institut national des hautes études judiciaires destiné à assurer la formation
supérieure des magistrats (Assemblée nationale, no 6354, 26 juin 1953).
67. « Il apprécie si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette
mesure sont nécessaires à l’enquête et proportionnés à la gravité des faits que la personne est soupçonnée
d’avoir commis ou tenté de commettre. Il assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne
gardée à vue. Il peut ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou
remise en liberté » (Code de procédure pénale, art. 62-3, depuis la réforme de la garde à vue résultant de
la loi du 14 avril 2011).
68. Henri NALLET, Déposition [1997], in Rapport de la commission de réflexion sur la justice, présidée
par Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation, Annexes, La Documentation française,
1997, p. 37.
69. Code de procédure pénale, art. D. 178.
70. Pour une bibliographie sur le sujet, voir supra, « Bibliographie », section « Pour aller plus loin sur
le métier de procureur de la République », pp. 386 sqq.
71. Son but est d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble causé
par l’infraction ou de contribuer au reclassement de l’auteur des faits. Elle peut inclure, outre la
réparation du dommage, une mission de médiation aboutissant au versement de dommages-intérêts ou
l’orientation de l’auteur des faits vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle (Code de
procédure pénale, art. 41-1).
72. Ibid., art. 412-2.
73. Dominique LE BRAS, procureur général à la cour d’appel de Rouen, allocution prononcée
le 10 janvier 2012 à l’occasion de la rentrée solennelle de la cour d’appel de Rouen (Les Annonces de la
Seine, no 10, 6 février 2012, p. 4).
74. Code de procédure pénale, art. 85. Des exceptions sont prévues. Selon J.-M. Coulon, premier
président de la cour d’appel de Paris, la constitution de partie civile « constitue souvent une forme de
chantage pour forcer à transiger, et sert tout aussi fréquemment à paralyser un procès civil, commercial ou
prud’homal. Elle permet encore de recueillir des preuves à bon compte par le biais des expertises, etc., que
l’utilisation de la voie civile ou de la voie commerciale n’autorise pas. Le pôle financier de Paris est
alimenté à 75 % par des constitutions de partie civile, et 85 % des ordonnances rendues par les juges
d’instruction sont des ordonnances de non-lieu » (Jean-Marie COULON et Daniel SOULEZ LARIVIÈRE, La
Justice à l’épreuve, Odile Jacob, 2002, p. 122).
75. « Est qualifié crime ou délit flagrant le crime ou le délit qui se commet actuellement ou qui vient
de se commettre. » Il en va de même « lorsque, dans un temps très voisin de l’action, la personne
soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d’objets ou présente des
traces ou indices laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit » (Code de procédure pénale, art.
53).
76. Ibid., art. 78.
77. Ibid., art. 76, 3e alinéa.
78. Ibid., art. 706-89
79. Ibid., art. 706-93 (par exemple, une série de crimes et de délits commis en bande organisée, le
trafic de stupéfiants, la traite des êtres humains, le proxénétisme, le terrorisme, ou le blanchiment).
80. J. BEAUME, « Le parquet : après trois décennies, la nécessité d’un nouvel équilibre », art. cité,
pp. 160-161.
81. H. DALLE, « Juges et procureurs », Justices, numéro spécial « Ce qui a changé dans la justice depuis
vingt ans ? », 1999, pp. 56-57.
82. J. BEAUME, « Le parquet : après trois décennies, la nécessité d’un nouvel équilibre », art. cité,
p. 158.
83. É. de MONTGOLFIER, Le Devoir de déplaire, Michel Lafon, 2006, p. 40.
84. H. NALLET, Tempête sur la justice, op. cit., p. 137.
85. La nouvelle version de l’art. 36 du Code de procédure pénale permettait au ministre de « dénoncer
au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a la connaissance, lui enjoindre, par instructions
écrites versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la
juridiction compétente de toutes réquisitions écrites que le ministre juge opportunes ».
86. M. JÉOL, « Le parquet entre le glaive et la balance », Justices, no 3, janvier-juin 1996.
87. Jacques TOUBON, « Un ministère public au service de la Nation », allocution prononcée
le 5 juillet 1996 à l’occasion de la réunion des procureurs généraux.
88. Comme le dit Alceste, dans Le Misanthrope, acte I, sc. II : « Ah ! qu’en termes galants ces choses-là
sont mises ! »
89. Commission de réflexion sur la justice, op. cit., pp. 24-25.
90. Notamment l’adoption, la nationalité, la filiation. CSM, Rapport 2001, rapport cité, p. 48. Il avait
été précédemment d’un avis contraire (Rapport 1996, Éd. du Journal officiel, 1997, p. 48, et
Rapport 1998, id., 1999, p. 46).
91. Ibid.
92. Code de procédure pénale, art. 30, 1er et 2e alinéas.
93. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Rapport 1996, rapport cité, p. 21.
94. ID., Rapport 1999, Éd. du Journal officiel, 2000, p. 99.
95. ID., Rapport 2003, rapport cité, p. 13.
96. Soit sept sur douze (ID., Rapport 2004, Éd. du Journal officiel, 2005, p. 33).
97. ID., Rapport 2005, id., 2006, p. 41.
98. ID., Rapport 2006, id., 2007. Le rapport note le caractère exceptionnel de cette situation, sans
précédent dans l’histoire récente du CSM, p. 31.
99. ID., Rapport 2007, id., 2008, p. 31.
100. ID., Rapport 2008, id., 2009, p. 35, et Rapport 2009, id., 2010, p. 33.
101. H. DALLE, « Juges et procureurs », art. cité, p. 143.
102. Cf. Le Monde, 7-8 mars 2004.
103. Code pénal, art. 132-19-1.
104. Joël GUITTON, président de la conférence nationale des procureurs de la République, « Message
aux membres de la conférence nationale des procureurs de la République et à l’ensemble des chefs de
parquet ».
105. En 2012, Christiane Taubira, ministre de la Justice, a annoncé qu’elle ne passerait pas outre les
avis défavorables du CSM.
106. Rapport de la commission de réflexion sur la justice, rapport cité, p. 86.
107. Une résolution adoptée le 8 décembre 2011 par la conférence nationale des procureurs de la
République et signée par 126 procureurs sur 163 mentionne « le soupçon permanent qui pèse sur les
parquets » (Le Monde, 10 décembre 2011).
108. G. BELJEAN, « La condition des magistrats du ministère public », Revue politique et parlementaire,
o
n 937, 1988, p. 26.
109. Statut de la magistrature, art. 1er, I.
110. Conseil constitutionnel, décision no 93-923, DC, 5 août 1993, p. 213.
111. Le passage du parquet au siège est le plus fréquent. Le passage du siège au parquet est un peu
plus rare. Je remercie Guy Haarscher, professeur à l’université libre de Bruxelles, de m’avoir communiqué
cette précision.
112. H. DALLE, « Juges et procureurs », art. cité.
113. « Les fonctions du siège et du parquet se sont, plus que jamais, éloignées dans leurs pratiques »,
CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Rapport 2007, rapport cité, p. 111.
114. Ibid., p. 113.
115. Cf. Alain BACQUET, « La réflexion sur l’éthique et la déontologie du parquet » [2008], in COUR
DE CASSATION (sous l’égide de la), Quel avenir pour le ministère public ?, op. cit., p. 61, et J. BEAUME, « Le
parquet : après trois décennies, la nécessité d’un nouvel équilibre », art. cité, p. 165. Ce dernier ajoute en
note la remarque suivante : « Au demeurant se pose, à l’issue d’un certain nombre d’années
professionnelles, la question de l’aptitude et de la compétence suffisantes à exercer indifféremment de
multiples fonctions de la magistrature. »
116. Des dispositions particulières s’appliqueraient aux magistrats recrutés par la voie du concours et
de l’intégration directe.
117. Les auteurs de cette étude notent qu’à la sortie de l’ENM, 40 % des postes offerts sont des postes
du parquet, alors que celui-ci ne comprend qu’un cinquième de l’effectif total des magistrats.
118. F. AUDIER et al., Le Métier de procureur de la République, ou le paradoxe du parquetier moderne,
CNRS, Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, 2007, p. 16.
119. Ibid., p. 26.
7
Responsabilités :
une approche rénovée

L’institution judiciaire doit rendre compte de son action, mais il lui faut aussi protéger la fonction
juridictionnelle contre ce qui pourrait l’atteindre ou l’entraver. Les candidats ne manquent pas. Il
convient de prendre en considération l’ensemble de ce service public : ministre, magistrats et
fonctionnaires. La responsabilité de l’État en matière de justice peut aujourd’hui être mise en cause devant
les tribunaux. Le juge a joué, ici aussi, un rôle créateur dans le développement de ce droit de la
responsabilité conduisant à une indemnisation. Pour affermir le sens de la responsabilité des magistrats, il
faut mieux les former et les informer, et se donner les moyens d’une action disciplinaire cohérente. Le sens
des responsabilités possède aussi une dimension particulière au niveau des juridictions, on verra en quoi. Il
faut enfin créer un mode de traitement national homogène des réclamations concernant la justice.

Une institution dotée de pouvoirs très étendus, capable de mettre en cause la


responsabilité de tous les acteurs sociaux, et dont les membres possèdent un
statut protecteur, ne peut éluder la question de sa responsabilité dans une
société dont les attentes et le niveau d’exigence se sont accrus. Les magistrats
les plus lucides l’ont bien perçu :
La force avec laquelle notre institution est interpellée périodiquement sur la responsabilité des
juges montre clairement que nos concitoyens n’entendent pas considérer l’indépendance comme un
simple confort statutaire, assurant une protection qui évite les remises en cause et éloigne la
perspective de sanction des comportements portant atteinte à l’honnêteté, à l’impartialité ou au
respect d’autrui1.

De quelle responsabilité s’agit-il ? Il faut, d’abord, considérer le service


public de la justice comme un tout, non certes pour éluder le problème des
responsabilités individuelles des magistrats, lorsqu’elles existent, mais pour
permettre de les situer et de ne pas les séparer d’autres responsabilités. Par
ailleurs, le terme de « responsabilité » renvoie trop souvent à sa traduction
exclusivement juridique et indemnitaire, d’où l’examen rituel, dans les écrits
consacrés à ce sujet, de ses différents aspects (civils, disciplinaires, pénaux). Si
important que soit ce domaine, l’essentiel n’est pas uniquement là.
Il faut en effet sortir du carcan des mots et du rétrécissement de leur sens.
L’article 15 de la Déclaration de 1789 montre la voie à suivre : « La société a le
droit de demander compte à tout agent public de son administration. » La
discussion de cet article fut alors « expédiée »2, ce qui n’empêche pas, au
contraire, d’en faire aujourd’hui un instrument de la réflexion et un bon usage.
L’institution judiciaire doit donc rendre compte de ce qu’elle fait et de la
manière dont elle s’acquitte de sa mission. Rendre compte c’est, entre autres,
expliquer, justifier, accepter le débat. Il existe plus d’une façon de rendre
compte, notion que le terme anglais d’accountability exprime mieux que le mot
français de responsabilité3.
Autre remarque. Ce qui est propre à l’institution judiciaire, c’est
l’indépendance de l’autorité judiciaire constitutionnellement affirmée. Cette
notion s’applique exclusivement à son activité juridictionnelle. C’est l’intégrité
de cette fonction et donc de l’ensemble des garanties qui entourent son
exercice par les juges qu’il faut préserver. Contre quoi ? Contre qui ? Contre le
risque, réel, d’atteintes, de pressions, d’entraves qui peuvent être intéressées et
concertées, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’institution. Non pour le
confort individuel ou collectif des magistrats, mais pour protéger leur fonction
et, au premier rang, le principe d’impartialité, qui est un droit pour ceux qui se
présentent devant eux.
Enfin, le problème de la responsabilité est aujourd’hui souvent mal posé.
Devant l’opinion, il est évoqué quasi exclusivement à l’occasion d’affaires
pénales, à propos de décisions, soit de juges uniques (juge d’instruction ou
JLD, par exemple), soit de juridictions composées de plusieurs magistrats –
concernant, par exemple, la mise en liberté d’une personne regardée comme
dangereuse ou dont le caractère dangereux, non décelable à l’origine, se traduit
ensuite par un crime. Le souci de sécurité, pleinement légitime, le sentiment
diffus d’une anomalie (« ce n’est pas normal »), vite devenue scandale, la peur
et l’horreur suscitées par le crime submergent alors tout et risquent d’obscurcir
ou d’abolir le jugement. Le devoir des responsables politiques, et notamment
des plus élevés, est de ne pas suivre aveuglément – et encore moins d’attiser et
d’exploiter – ces sentiments et de s’abstenir de légiférer dans la précipitation
afin d’encaisser dans l’instant les dividendes de l’émotion collective. Or c’est
l’inverse qui s’est produit sous nos yeux, de façon répétée, depuis des années.
Des responsables de l’exécutif se sont contentés, dans les deux sens du mot, de
dire ou de faire dire, à bon marché et pour battre monnaie politique sur le
drame, que « le juge » devait « payer », sans se soucier du sens ou des suites de
tels propos.
En voici un exemple : en 1990, M. Gateau est condamné à la réclusion
criminelle à perpétuité pour le meurtre d’une femme. En 2003, le tribunal de
l’application des peines lui accorde la liberté conditionnelle, assortie d’une
obligation de suivi psychiatrique et de l’indemnisation des ayants droit de la
victime. En 2004, il quitte le Haut-Rhin pour la Seine-et-Marne, où il est suivi
par un juge de l’application des peines et un conseiller d’insertion et de
probation. Il observe ses obligations. En 2005, il est mis en examen pour
assassinat d’une femme. Le 22 juin 2005, le ministre de l’Intérieur déclare « le
juge doit payer ». Il en résulta deux rappels à l’ordre. Le ministre de la Justice
déclara que la décision avait été prise par un collège de trois magistrats et que le
parquet n’avait pas fait appel de sa décision. Guy Canivet, premier président de
la Cour de cassation, souligna qu’en dehors des cas de poursuites disciplinaires
engagées par le ministre de la Justice devant le CSM, « un membre du pouvoir
exécutif ne peut publiquement et a priori dénoncer la faute supposée d’un
juge4 ».
L’opinion croit volontiers, notamment après des sinistres judiciaires tels que
celui d’Outreau, que les magistrats sont irresponsables, dans les deux sens du
terme, et jouissent d’une immunité et d’une impunité. Ce qui est faux.
S’estimant mis en cause, le corps judiciaire tend alors, inévitablement, à
défendre les siens, y compris parfois l’indéfendable et à se replier sur lui-même,
réflexe de solidarité de groupe contre des accusations regardées comme injustes
ou trop générales, et qui le sont en effet souvent. En cela, le corps judiciaire ne
se différencie pas fondamentalement d’autres corps : qu’on songe à la police,
aux enseignants, aux militaires ou aux médecins. Ce réflexe naturel devient
malsain et nuisible lorsqu’il conduit à faire le silence et à accepter l’injustifiable.
Il arrive aussi qu’en d’autres occasions l’opinion éprouve une certaine
perplexité, vite devenue interrogation, sur l’absence de suites devant le
comportement public de certains magistrats cédant aux tentations
mentionnées par Dominique Commaret, avocat général à la Cour de cassation,
« celles du corporatisme, du vedettariat ou de la démagogie5 ». Ce propos est
encore valable aujourd’hui.
Dans un domaine où règne, pour toutes ces raisons, la confusion, il faut
mesurer le chemin parcouru avant de proposer les réformes qu’il reste à
accomplir. Comment met-on en cause aujourd’hui, devant les tribunaux, la
responsabilité de l’État en matière de justice ? Qu’en est-il de celle des
magistrats6 ? Ceux-ci exercent leurs fonctions dans des juridictions. Il faut donc
examiner aussi la manière dont celles-ci rendent compte de leur activité.
Comment, enfin, traiter convenablement et utilement les réclamations
concernant la justice ?

LA RESPONSABILITÉ DE L’ÉTAT :
DEUX ACQUIS ESSENTIELS
On peut aujourd’hui mettre en cause devant les tribunaux la responsabilité
de l’État en matière de justice et être indemnisé de deux façons : en cas de
détention provisoire non suivie de condamnation et pour mauvais
fonctionnement du service de la justice.

L’indemnisation pour détention provisoire


non suivie de condamnation :
de l’aumône à la reconnaissance d’un droit

En 1910, se préoccupant de la réparation du dommage causé par une


personne non condamnée après avoir été placée en détention alors dite
« préventive », le Parlement, faute de créer un droit à indemnisation, vota un
crédit de 10 000 francs intitulé « Secours aux individus relaxés ou acquittés ».
Une circulaire en précisa l’application. Il était recommandé aux magistrats
d’avancer de leur poche 5, 10 ou 20 francs au titre de secours immédiat. À
qui ? À ceux dont l’innocence était clairement reconnue7. En 1970, soixante
ans après, une loi reconnaît la possibilité d’une indemnisation. Ce n’est
qu’en 2000 que celle-ci deviendra un droit.
La détention provisoire est une pratique trop largement répandue. Elle est
ordonnée, depuis la loi du 15 juin 2000, non plus par le juge d’instruction,
mais par un autre juge, le juge des libertés et de la détention. Il peut y avoir, il
y a, à un moment donné, de bonnes raisons de l’ordonner ou de la maintenir.
Il peut aussi ne pas y en avoir. En fin de course, voici que l’intéressé bénéficie
d’un non-lieu décidé par le juge d’instruction ou d’une relaxe ou d’un
acquittement. Toute détention provisoire cause un préjudice personnel,
familial, professionnel à celui qui en est l’objet. Il est donc équitable de l’en
indemniser quand il n’est pas condamné, quelle qu’en soit la cause et sans que
cela implique un quelconque jugement sur les décisions du JLD ou, en appel,
de la chambre de l’instruction. En d’autres termes, il ne s’agit pas ici de réparer
les conséquences d’une faute de la justice, mais celles d’une détention non
suivie de condamnation.
L’idée était dans l’air et faisait progressivement son chemin. Non sans
réticences. Elles s’exprimaient notamment dans la pensée que l’intéressé devait
prouver son innocence, notion tenace déjà exprimée dans la circulaire déjà
citée. Jacques Léauté écrivait en 1966 : « Il faudrait, d’abord, que la victime
rapportât la preuve qu’elle n’est en rien coupable8 ». Trois ans plus tard,
en 1969, le tribunal de grande instance de Paris lui emboîte le pas et applique
cette singulière doctrine : « Attendu que X n’apporte pas la preuve de son
innocence9 ». C’était faire ouvertement très bon marché de la présomption du
même nom, proclamée par l’article 9 de la Déclaration de 178910. D’autres
craintes laissaient plus de place à l’imagination. Évoquant, dans l’affaire citée,
la possibilité d’une indemnisation, le représentant du parquet n’hésitait pas à
prophétiser bravement :
[N]ous aurons, n’en doutez pas, des candidats à la détention provisoire. Il leur suffira d’un peu
d’astuce, et, au besoin, de quelques comparses, pour se donner l’apparence provisoire d’une
culpabilité, passer le cap du mandat de dépôt, et faire ensuite la démonstration de leur éclatante
innocence11.

C’était surestimer l’attractivité de nos prisons.


Jusqu’en 1970, rien n’était prévu, malgré l’ampleur prise par la détention
alors préventive. En 1970, une loi ouvre pour la première fois la possibilité
d’une indemnisation. Avec quel luxe de précautions ! D’abord de fond.
L’indemnisation est une faculté, non un droit, et seulement en cas de préjudice
manifestement anormal et d’une particulière gravité. De procédure aussi : qui
décide ? Une juridiction civile rendant des décisions non motivées, sans recours
possible et ne siégeant pas publiquement, triple énormité contraire aux règles
procédurales de base consacrées par la Convention européenne des droits de
l’homme. Les débuts furent plus que modestes et l’idée d’avoir à prouver son
innocence eut la vie dure. Un magistrat notait en 1985, quinze ans après la
réforme, que la commission nationale n’accordait d’indemnités qu’« en cas
d’innocence manifeste12 ».
Aujourd’hui, tout est changé grâce à la réforme intervenue en 2000. Elle
consacre un droit à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel causé
par la détention, quelques exceptions mises à part. L’intéressé doit être informé
de son existence et de celle de la procédure d’indemnisation. Celle-ci se déroule
d’abord devant le premier président de la cour d’appel, puis devant une
commission nationale de réparation de la détention provisoire, rattachée à la
Cour de cassation (CNRDP). Ce droit peut se conjuguer avec la
reconnaissance de la responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux
de la justice13. L’intégralité du préjudice moral et matériel résultant de la
détention sera indemnisée, sur la base de la notion d’individualisation.
Le préjudice moral tient compte de plusieurs éléments. D’abord de la
situation familiale, par exemple du supplément de souffrance ressenti par un
détenu placé dans l’impossibilité d’apporter son aide à sa femme gravement
malade sur le plan psychiatrique et à leurs enfants. Ensuite des conditions de la
détention. Le « choc carcéral » en fait partie, notamment en cas d’absence
d’incarcération antérieure ou d’incarcérations antérieures anciennes et courtes,
et en tenant compte de l’âge de l’intéressé. Les conditions concrètes de la
détention sont prises en considération, d’où un nouveau regard du juge sur la
prison et sur les détenus, que les auteurs de la loi n’avaient certainement pas
prévu. Exemple : les violences des codétenus (sévices, insultes, brimades), les
automutilations, les tentatives de suicide, les transferts fréquents causant une
rupture des liens familiaux, le placement à l’isolement, enfin les conséquences
directes de la détention sur l’état de santé, notamment psychiatrique, du
détenu. Un fait atteste l’attention apportée par les juges à cet aspect : le premier
président de la cour d’appel de Paris a réuni un collège de psychiatres, chefs
d’un service médico-psychologique régional, afin d’aider la commission
précitée à évaluer l’étendue du préjudice moral lié aux conditions de détention.
Enfin le préjudice matériel. Il tient compte d’éléments tels que la réduction
ou la suspension de diverses prestations sociales (allocation d’adulte handicapé,
allocation Assedic), la perte de salaires, les frais d’avocat directement liés à la
détention et la privation d’une chance de percevoir un revenu et de retrouver
une activité professionnelle. Le rapport annuel de la Cour de cassation contient
des précisions sur le nombre des demandes, le montant des indemnités
accordées14 et les modalités de calcul du préjudice subi15.
Il convient maintenant d’assurer aux décisions de la commission nationale
de réparation des détentions et à celles de premiers présidents de cour d’appel
la diffusion et la publicité nécessaires. Les textes ne prévoient que leur envoi au
ministre de la Justice, à la commission du suivi de la détention provisoire et au
procureur général près la Cour de cassation. C’est insuffisant. Dominique
Commaret, avocat général à la Cour de cassation, demandait
[une] diffusion appropriée afin de renforcer la transparence et le contrôle démocratique du
fonctionnement général de l’institution judiciaire d’une part, de contribuer utilement au contrôle
interne et à la responsabilisation des magistrats.

Elle suggérait la diffusion des décisions aux chefs de cour et aux présidents de
chambres de l’instruction compétents, « pour faciliter l’exercice de leurs
pouvoirs d’évaluation, d’inspection, voire d’avertissement »16. En quelques
mots, tout était dit. Lydie Görgen, avocat général à la cour d’appel de Paris, a
constitué en 2010 une banque de données jurisprudentielles relative au
contentieux de cette réparation faisant le bilan de dix années d’application de
la loi du 15 juin 200017. Ces données ont été diffusées aux premiers présidents
de cour d’appel et aux procureurs généraux. Les ont-ils adressées à tous les
magistrats, et tout particulièrement aux présidents des chambres de
l’instruction, juges d’appel des décisions des JLD, à ces derniers, et au parquet ?
On aimerait le savoir.

La responsabilité de l’État
dans le fonctionnement défectueux
du service de la justice

Dans quelles circonstances l’État peut-il être tenu pour responsable du


fonctionnement défectueux de la justice ? À partir de la fin du XIXe siècle, le
Conseil d’État a créé un régime de responsabilité de l’État du fait du mauvais
fonctionnement de l’administration ayant causé un dommage, fondé en
général sur la faute. Pour la justice, le dogme de l’irresponsabilité de l’État fut
pendant très longtemps la règle, sauf pour quelques cas particuliers. En 1970,
on l’a vu, a été créé un régime d’indemnisation de la détention provisoire non
suivie de condamnation. Le mot de responsabilité n’est pas prononcé. Si les
choses ont changé, on le doit d’abord à la loi, puis aux juges.
Une loi de 1972 reconnaît enfin la responsabilité de l’État pour
fonctionnement défectueux du service de la justice, pris comme un tout.
Plusieurs décisions judiciaires avaient indiqué la voie. Cette responsabilité
s’applique donc aux actes de tous ceux qui y participent : ministre de la Justice,
magistrats et fonctionnaires placés sous leur autorité. Audace tempérée : la
responsabilité de l’État ne peut être engagée qu’en cas de déni de justice ou de
faute lourde, c’est-à-dire de faute d’une particulière gravité. Ici aussi, les débuts
furent décevants. Selon l’article 4 du Code civil, le déni de justice est le fait
pour un juge de refuser de juger « sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de
l’insuffisance de la loi ». À s’en tenir à cette définition, les tribunaux ne
risquaient pas d’être submergés sous les plaintes. Du reste, c’est
quotidiennement que les juges comblent le silence, l’obscurité ou les
insuffisances des lois en les interprétant. Quant à la faute lourde, la
jurisprudence la définissait comme « commise sous l’influence d’une erreur
tellement grossière ou inexcusable qu’un magistrat normalement soucieux de
ses devoirs n’y eût pas été entraîné18 », définition indigente qui ne permettait
guère d’avancer. Aussi la première condamnation de l’État date-t-elle de 1990,
dix-huit ans après la réforme de 1972. Puis un véritable « décollage » a lieu,
grâce à la jurisprudence. Comment ? En affirmant, à propos d’une affaire
particulière, quelques principes fondamentaux – c’est aussi le rôle du juge – et
en interprétant les notions contenues dans la loi. En voici deux exemples.
En 1994, le tribunal de grande instance de Paris affirme qu’il faut entendre
par déni de justice susceptible d’engager la responsabilité de l’État
plus largement tout manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu qui
comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai
raisonnable19.

La France avait été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne


des droits de l’homme pour violation de la règle du délai raisonnable. Celui-ci
s’apprécie en tenant compte de plusieurs critères : la nature de l’affaire et ses
difficultés, le comportement des parties et celui des autorités judiciaires.
Statuant en 2001 sur les suites de l’affaire Grégory, la Cour de cassation dit :
Constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant
l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi20.

Les deux verrous posés en 1972 avaient sauté. Comme le notait l’année
précédente le CSM,
À l’absence justifiée d’action directe de la victime contre le magistrat auteur d’une faute
personnelle […] doit correspondre un élargissement des conditions de mise en œuvre de la
responsabilité de l’État21.

En 2011, deux cent quatre-vingt-quatorze actions en responsabilité ont été


engagées contre l’État, soit une augmentation de 22,5 % par rapport à 2010.
Soixante condamnations ont été prononcées. L’État a été condamné à verser en
tout 1 174 109 euros. Ces condamnations ont concerné en majorité le
domaine civil22.
Voici quelques cas emblématiques dans lesquels les tribunaux ont déclaré
l’État responsable.
Un dysfonctionnement mortel : l’affaire Le Lay
M. Le Lay et sa compagne ont une petite fille, née en 1989. En 1994, le
père demande au juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de
Quimper de lui confier l’autorité parentale sur elle en raison de l’altération des
facultés mentales de la mère. En 1993, celle-ci a porté des coups mortels à un
tiers et a été internée dans un centre hospitalier. Par ordonnance
du 15 février 1994, le juge attribue au père l’exercice de l’autorité parentale,
fixe le lieu de résidence habituel de l’enfant chez lui et renvoie à un accord
entre les parents les modalités du droit de visite et d’hébergement. Un an
s’écoule. Le 28 mars 1995, la mère saisit le même juge. S’estimant guérie, elle
demande que l’exercice de l’autorité parentale sur sa fille lui soit rendu.
Le 2 mai, le président du conseil général signale au procureur de la République
de Quimper que la mère en est à une sortie d’essai d’hospitalisation et exprime
ses doutes sur son aptitude à reprendre en charge sa famille. Le 26 juin 1995, le
juge confie au père et à la mère, conjointement, l’exercice de l’autorité
parentale. L’enfant résidera chez sa mère. Le père, pêcheur en haute mer et
convoqué, n’a pas assisté à l’audience et n’a pas fait appel. Dix-huit mois plus
tard, la mère tue sa fille. Pourquoi ce juge a-t-il aussi rapidement changé d’avis
en un an ? Le procureur ne lui a pas transmis, alors qu’il aurait dû le faire, le
rapport du président du conseil général. Mais le juge avait l’obligation de
vérifier les dires de la mère, en interrogeant l’hôpital ou le parquet, ce qu’il n’a
pas fait. Enfin, le greffe a commis une erreur au sujet de l’information à donner
au père sur l’audience. M. Le Lay intente alors une action en responsabilité
contre l’État. La cour d’appel de Paris lui donne raison : prise isolément,
aucune des négligences ainsi constatées ne s’analyse en une faute lourde (ce
qu’on peut contester pour le procureur et le juge). Mais leur réunion constitue
une faute lourde. La cour lui a alloué 300 000 francs.

L’État responsable de fuites ou de déclarations


Nous sommes à Lyon, en 1994, en pleine affaire Noir. Le maire de Lyon et
plusieurs de ses adjoints font l’objet d’une enquête préliminaire au sujet du
financement de plusieurs associations de soutien au maire. Le 3 mars, L’Express
publie un article intitulé « Exclusif : affaire Noir, le rapport du parquet de
Lyon », mettant en cause la régularité des subventions accordées à ces
associations. Michel Noir exerce son droit de réponse. Le journal publie celle-ci
en la faisant précéder de la publication quasi intégrale de documents émanant
du parquet général de Lyon concluant, selon les investigations du service
régional de police judiciaire, à la mise en examen de Michel Noir et de deux de
ses adjoints. Ces trois personnes poursuivent alors le journaliste pour
diffamation. Le tribunal de Lyon le relaxe au bénéfice de sa bonne foi. Elles
demandent alors à l’État la réparation de leur préjudice. Que dit le tribunal de
grande instance de Paris ? Il s’agissait d’un document interne destiné à la
direction des affaires criminelles du ministère de la Justice. Sa divulgation
révèle un dysfonctionnement du service de la justice parce que seul ce service a
eu ce rapport en main. Sa divulgation ne peut donc provenir que d’une source
interne. Or l’État doit répondre des actes émanant de tous les collaborateurs de
ce service, quels qu’ils soient. Vu les circonstances et la nature de l’affaire,
l’auteur de la divulgation a eu nécessairement conscience d’accomplir un acte
contraire à ses devoirs professionnels. Il y a donc eu faute lourde. L’État a été
condamné à payer le coût de la publication, dans plusieurs journaux, d’un
communiqué faisant état du jugement23.

Quand les agents de la justice parlent trop


1988. La fin de l’année approche. Les services de la répression des fraudes
enquêtent sur des faits reprochés à une société productrice de foie gras. Ses
agents la dénoncent, en citant son nom, à l’AFP, qui diffuse un communiqué
donnant des précisions sur les faits incriminés, communiqué que la presse
reprend. La société estime avoir subi un préjudice et demande la
condamnation de l’État. La cour d’appel rejette sa demande, estimant qu’il
n’est pas établi que la campagne de presse dénigrante avait été déclenchée par
l’administration. La Cour de cassation en a jugé autrement. L’article L.781-
1 du Code de l’organisation judiciaire, devenu l’article L.141-1, s’applique à
tous les agents placés sous l’autorité ou le contrôle des magistrats, ceux de la
police judiciaire par exemple. Tel était le cas des agents en cause ici. La
divulgation d’informations permettant d’identifier les personnes mises en cause
à l’occasion d’une enquête constitue une faute lourde24.

L’affaire Esnault ou les suites d’un arrêt bâclé


Fougères, début des années 1980. M. et Mme Esnault sont locataires d’un
immeuble contenant un bar-restaurant. Un litige concernant des travaux les
oppose au propriétaire. En 1986, la cour d’appel de Rennes rejette leur
demande tendant à ce que les propriétaires paient le coût des travaux, estimant
que le bâtiment est « une ruine ». Un an plus tard, à l’occasion d’un sinistre, la
même cour condamne le propriétaire à payer les travaux. La Cour de cassation
casse cet arrêt parce qu’il a méconnu l’autorité de la chose jugée en 1986. Les
époux Esnault sont ruinés. Ils multiplient en vain les démarches à la cour
d’appel de Rennes et au ministère. En 1995, ils rencontrent le président de la
chambre de la cour d’appel dont émane l’arrêt de 1986. Il reconnaît son erreur
et leur écrit. Que dit-il ? Le réexamen des pièces du dossier lui laisse une
« impression désagréable d’arrêt plus ou moins loupé », pour ne pas dire
« bâclé », ainsi qu’il le précise dans une note manuscrite accompagnant la
lettre :
J’atteste donc, ayant conscience d’accomplir un douloureux devoir, que la décision dont il s’agit a
été rendue sous l’emprise d’un encombrement intolérable et des mesures qu’il a fallu prendre pour
résorber cet encombrement25.

Après avoir cité des exemples tirés du dossier, il ajoute :


Ces seuls exemples montrent que l’on a tenté – et réussi – de nous faire prendre des vessies pour
des lanternes et que nous n’avons pas pris et du reste pas eu le temps de procéder à des contrôles qui
eussent été révélateurs. Ce dysfonctionnement n’a pas été sans incidence, au moins probable, sur la
décision qui vous a été défavorable.

Au vu de cette lettre, M. et Mme Esnault demandent au ministère de la


Justice une indemnisation. Un accord est envisagé. En 1996, l’IGSJ adresse un
rapport au ministre. Finalement, le ministère refuse toute indemnisation,
estimant qu’aucun fonctionnement défectueux de la justice n’a pu être établi.
Au ministère, Élisabeth Guigou a remplacé Jacques Toubon. Le rapport de
l’IGSJ est, fait exceptionnel, communiqué aux époux Esnault. Ils y apprennent
que les deux autres magistrats membres de cette chambre se désolidarisent de
leur collègue et nient toute erreur. Tout en niant tout dysfonctionnement, le
rapport estime que la lettre du magistrat constitue pour les intéressés un moyen
fondé sur le caractère fautif du fonctionnement de la justice au cas où ils
envisageraient une action en justice contre l’État. En 1999, le ministère
confirme, après nouvel examen, son refus. Les époux Esnault demandent alors
à la justice de condamner l’État. L’affaire est sans précédent. Le tribunal de
grande instance de Rennes va leur donner raison. Il affirme d’abord un
principe important :
Une décision juridictionnelle peut donner lieu à une mise en œuvre de la responsabilité de l’État
si les conditions dans lesquelles elle a été rendue font apparaître l’existence d’un manquement grave
du magistrat à ses devoirs.

Examinant ensuite le détail de l’affaire et citant la lettre du magistrat, le


tribunal en a conclu à un fonctionnement défectueux du service de la justice et
à l’existence d’une faute lourde. Celle-ci a fait perdre à M. et Mme Esnault une
chance, estimée à 50 %, c’est-à-dire une réelle possibilité, d’obtenir gain de
cause. On indemnise en effet la perte d’une chance. L’État a été condamné à
leur verser 1,2 million de francs. Le jugement a été confirmé par la cour
d’appel d’Angers, devant laquelle le ministre de la Justice n’a pas contesté la
responsabilité de l’État, et qui a porté l’indemnité à 344 000 euros26.
Au-delà de sa singularité, cette affaire présente un intérêt pour différentes
raisons. D’abord, elle pose la question de la responsabilité de l’État du fait
d’une décision de justice devenue définitive, qui sera abordée plus loin. Elle est
aussi une illustration de l’indemnisation de la perte d’une chance27. Enfin, elle
montre les conséquences que peuvent avoir, dans certains cas, la pression du
nombre et le manque de temps pour juger convenablement. Qui pourrait
affirmer aujourd’hui que cette situation et cette pression n’existent pas ?

Les conséquences de la passivité et de l’incurie :


deux affaires tragiques
En novembre 1981, Mme D. est violée et poignardée par un individu à
Paris. Son mari dépose plainte dès le lendemain. Après une enquête sommaire,
le parquet classe le dossier en 1982. Seize ans s’écoulent. En 1998, Guy
Georges, le « tueur de l’Est parisien », soupçonné de plusieurs viols suivis
d’assassinats, est arrêté. Sa victime de 1981 le reconnaît. Le crime commis
en 1981 étant prescrit, aucune poursuite n’est possible. Mme D. demande alors
à l’État la réparation du préjudice subi par elle à cause de la façon dont
l’enquête a été menée. Par jugement du 21 février 2001, le tribunal de grande
instance de Paris déclare l’État responsable :
Le préjudice résulte à la fois de la perte d’une chance d’obtenir la condamnation de son agresseur
pour les faits de viol, torture et de violences physiques et morales dont il s’est rendu coupable […] et
de l’impact au plus profond, notamment au plan psychique, des dysfonctionnements qu’elle a pu
constater et qui ont pu lui faire douter du rôle et du sens de la justice.

Le jugement constate qu’aucune information judiciaire n’a été ouverte, c’est-à-


dire qu’un juge d’instruction n’a pas été saisi et qu’il n’a pas été procédé aux
investigations minimales, notamment les prises d’empreintes, l’établissement
d’un portrait-robot qui auraient permis la découverte de l’agresseur.
800 000 francs de dommages-intérêts ont été accordés.
Le 3 septembre 1999, à Orléans, de nuit, Mme Y est violée par M. X et trois
individus. En mars 2001, la cour d’assises des mineurs du Loiret condamne
M. X à quatorze ans de réclusion criminelle. Il fait appel. Le 13 avril, il
demande sa mise en liberté. Selon la loi alors en vigueur la chambre de
l’instruction devait statuer dans les vingt jours. Faute de décision à l’expiration
de ce délai, l’intéressé devait être remis en liberté. La chambre de l’instruction,
pour une raison inconnue, ne statue pas, et voici M. X remis en liberté
le 31 mai. On devine ce que peut ressentir sa victime. Elle intente une action
en responsabilité contre l’État, estimant qu’une faute lourde a été commise. Le
tribunal de grande instance de Paris rejette sa demande. La cour d’appel lui
donne raison : la justice a laissé s’écouler le délai imparti pour statuer sur la
demande de mise en liberté d’une personne condamnée à quatorze ans de
réclusion criminelle pour des faits d’une particulière gravité, sans que ce retard
soit imputable à une circonstance extérieure, imprévisible et insurmontable. Ce
fait traduit l’inaptitude du service public de la justice à remplir sa mission. Il y
a bien faute lourde. Mme Y a personnellement subi un préjudice directement
lié à cette faute : au crime commis en 1999 s’ajoute désormais « un sentiment
d’anxiété et d’insécurité, générateur d’une souffrance psychologique, liée à la
crainte de se trouver à tout moment en présence de son agresseur ». La cour lui
a alloué 20 000 euros28. La Cour de cassation a rejeté en 2006 le pourvoi de
l’agent judiciaire du Trésor29.
Ce droit à indemnisation est ouvert aux usagers du service de la justice,
notion créée par la Cour de cassation dans le silence de la loi et
progressivement élargie par la jurisprudence. Au départ, il s’agissait des
personnes directement concernées par la procédure au sujet de laquelle un
dysfonctionnement était allégué. En 2008, la Cour de cassation a étendu ce
droit aux victimes « par ricochet ». Voici dans quelles circonstances : dans une
première affaire, une personne s’était donné la mort trois jours après avoir été
mise en examen pour infraction à la législation sur les armes et placée en
détention provisoire. La Cour de cassation a annulé la procédure pour vice
grave de forme30. La veuve de la victime a alors demandé réparation, tant en
son nom propre et en celui de sa fille qu’en qualité d’héritière de son époux.
Les parents de celui-ci ont également intenté une action. Les juridictions saisies
avaient jugé qu’ils pouvaient intenter une telle action en tant qu’héritiers, mais
non à titre personnel, puisqu’ils n’étaient pas eux-mêmes usagers du service de
la justice. La Cour de cassation a censuré cet arrêt, estimant qu’ils le
pouvaient31. Dans une deuxième affaire, une personne mise en examen pour
complicité de vol à main armée et incarcérée pendant plus de neuf mois avait
été acquittée par la cour d’assises huit ans plus tard. Elle demande réparation à
l’État, ses parents aussi. Ils réclament l’indemnisation du traumatisme subi par
eux du fait de l’accusation injuste de leur fils et de son incarcération. Le
tribunal de grande instance et la cour d’appel l’indemnisent, car la durée
excessive de la procédure a constitué un déni de justice, mais rejettent la
demande de ses parents : ils ne sont pas partie à la procédure. La Cour de
cassation a également censuré cet arrêt, en mentionnant « un dommage causé
par ricochet32 ».
Ces quelques exemples, souvent dramatiques, montrent que
l’irresponsabilité recule et que la justice elle-même, qui peut, comme tous les
autres services publics, commettre des fautes aux conséquences graves, a appris
à reconnaître ses torts et à condamner l’État à indemniser les victimes.

Propositions de réforme

Elles concernent le régime juridique de cette responsabilité de l’État, le rôle


du parquet dans cette procédure, le problème de l’autorité de la chose jugée et
les suites données aux décisions condamnant l’État.
À partir d’un texte de loi très restrictif, les tribunaux judiciaires ont mis en
place un régime de responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux de
la justice. La lecture des décisions de condamnation, de plus en plus
nombreuses, indique que, grâce aux principes affirmés par les juges, on n’est
plus très loin dans les faits de la faute simple. Il est donc temps de l’affirmer
clairement, ce que faisait déjà un projet de loi déposé en 1999. Ici comme
ailleurs, la faute lourde n’a plus de place et la loi doit être modifiée.
Dans ces affaires, qui relèvent des tribunaux civils, l’État est obligatoirement
représenté par l’agent judiciaire du Trésor, devenu en 2012 l’agent judiciaire de
l’État. Qu’il cherche à défendre les deniers publics peut se comprendre. Ce qui
est moins naturel, c’est que le parquet, présent, prenne en plus, parfois, le parti
de l’État, même dans les cas les moins défendables, sauf à penser que l’État
aurait besoin de deux défenseurs. L’auteur d’un article publié en 2003 dans la
revue du ministère de l’Économie notait à juste titre :
Chaque assignation, et plus encore chaque condamnation sont lourdes de conséquences en termes
d’image de la justice française ; aussi il importe que l’État soit, dans ce type de contentieux, un
plaideur particulièrement exemplaire33.

Sage principe, à appliquer en tout temps.


Que décider quand l’action en responsabilité contre l’État est fondée sur le
contenu même d’un jugement définitif, qui a acquis autorité de chose jugée et
ne peut donc être remis en question ? Dans les affaires Le Lay et Esnault, les
tribunaux judiciaires ont déclaré l’État responsable du fait des conditions dans
lesquelles était intervenue une décision judiciaire. En 1989, tant la Cour de
cassation que la cour d’appel de Paris ont jugé qu’un acte juridictionnel, même
définitif, pouvait entraîner la mise en cause de la responsabilité de l’État34.
En 2006, le tribunal de grande instance de Paris l’a répété et a ajouté que
la pleine effectivité de l’action en responsabilité ouverte par cet article [article L141-1 du Code de
l’organisation judiciaire] implique la possibilité de mettre en cause le comportement du juge qui a
fait un acte juridictionnel, fût-il revêtu de l’autorité de la chose jugée35.
En 1978, le Conseil d’État avait exclu, dans un tel cas, toute action en
responsabilité devant la juridiction administrative36. Vingt ans plus tard, il a
jugé qu’une exception à ce principe existait : lorsqu’une décision
juridictionnelle est entachée d’une violation manifeste d’une norme de droit
communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers37.
Pourquoi ce revirement ? Parce que la Cour de justice de l’Union européenne,
dans une décision de 200338, avait affirmé une règle : l’État est responsable des
dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire
qui lui sont imputables, quel que soit l’organe étatique qui en est l’auteur
(Parlement, administration, juridiction). Les particuliers doivent avoir la
possibilité d’obtenir devant le juge national la réparation du dommage causé
par la violation des droits que leur confère le droit communautaire. La Cour a
souligné que le principe de l’autorité de la chose jugée, élément de la sécurité
juridique, notion fondamentale, ne s’opposait pas à la reconnaissance de la
responsabilité de l’État du fait d’une décision de justice définitive. Le contenu
de celle-ci reste acquis, la réparation de la faute incluse dans la décision
définitive est distincte de sa révision éventuelle. C’est un exemple
supplémentaire de l’influence du droit de l’Union européenne sur notre droit.
Quelle suite donner aux condamnations de l’État ? Dans toute collectivité
ou entreprise où un accident ou un sinistre, quel qu’il soit, a eu lieu, une règle
de bonne gestion consiste, le moment venu, à en tirer les leçons et à tenter d’en
éviter la répétition en réunissant après l’affaire tous les intéressés, puis à diffuser
aux échelons appropriés le fruit de ces travaux39. Cette démarche est essentielle
pour la bonne compréhension de ce qui s’est passé et de sa traduction
judiciaire, et pour la mémoire de l’institution. Elle est très inégalement
pratiquée. Qu’en est-il dans l’institution judiciaire ? Les condamnations de
l’État relatives au fonctionnement de la justice peuvent avoir plusieurs sources :
condamnation pour fonctionnement défectueux ou pour détention provisoire
non suivie de condamnation ; condamnation de la France par la Cour
européenne des droits de l’homme. Il importe donc de disposer d’un état ou
d’un recueil de toutes ces décisions, afin de les exploiter et de les comparer.
Cette tâche incombait au ministère de la Justice. Il ne l’a pas accomplie.
En 2007, deux réformes sont intervenues. D’une part, le Premier ministre doit
adresser, chaque année, au Parlement un rapport faisant état, pour l’année
écoulée, des actions en responsabilité engagées contre l’État, du fait du
fonctionnement défectueux du service de la justice, des décisions définitives
condamnant l’État à ce titre et du versement des indemnités qui en découlent,
ainsi que des suites réservées à ces décisions. D’autre part, le ministre est tenu
de communiquer aux chefs de cour intéressés toute décision définitive d’une
juridiction nationale ou internationale condamnant l’État pour
fonctionnement défectueux du service de la justice. Les magistrats intéressés
sont « avisés dans les mêmes conditions », dit sobrement le texte, et des
poursuites disciplinaires peuvent être engagées40. Que se passe-t-il en fait ? Ces
décisions sont adressées à la cour dans le ressort de laquelle les faits ont eu lieu.
Des réunions de service sont quelquefois organisées41 et des mesures générales
prises à l’occasion. Lorsque des magistrats sont en cause et qu’ils ne sont plus
affectés dans ce ressort, sont-ils avisés, comme la loi le prévoit ? On aimerait en
être certain.
Arrêtons-nous un instant sur les jugements de la Cour européenne des droits
de l’homme concernant la justice française et condamnant la France pour
violation de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme
relatif au droit au procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial
statuant dans un délai raisonnable.
En voici un exemple. Le deuxième et dernier jour d’un procès, la cour
d’assises des mineurs a siégé de 9 h 15 à 13 heures, de 14 h 30 à 16 h 40,
de 17 à 20 heures, de 21 heures à 0 h 13, puis jusqu’à 4 heures du matin.
L’audience a pris fin à 6 h 15 et le verdict a été rendu à 8 h 45. Au total,
17 h 15, dont 15 h 45 de débats. Tout commentaire est superflu. La Cour
européenne des droits de l’homme a condamné la France pour violation du
droit au procès équitable42.
Un deuxième arrêt, français celui-là, tire les conséquences de la
jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Une cour d’appel s’était bornée à
reproduire, sur tous les points du litige, les conclusions d’une partie. La Cour
de cassation a condamné cette façon paresseuse et expéditive de procéder, en
clair, une démission du juge, y voyant à juste titre une « apparence de
motivation pouvant faire peser un doute sur l’impartialité de la juridiction43 ».
Le catalogue consacré à la formation continue dispensée par l’ENM
en 2012 mentionne, dans le pôle « Humanités judiciaires », quatre journées
consacrées au traitement du fonctionnement défectueux du service de la
justice. Est-ce suffisant ? D’une façon générale, c’est l’exploitation systématique
de cette jurisprudence qui fait défaut. À commencer par la connaissance des
données de base. Dans un article publié en 2005, Jean-Claude Magendie,
premier président de la cour d’appel de Paris, relevait l’absence de relations
entre le ministère de la Justice et celui de l’Économie et des Finances pour
connaître le nombre d’actions, de transactions, de condamnations, le coût pour
l’État et la typologie des dysfonctionnements établis44.
Ces recueils établis45, il faut aller plus loin. En 1999, le rapport de synthèse
de l’atelier de formation continue sur la responsabilité des juges organisé par
l’ENM et dirigé par Dominique Commaret, avocat général à la Cour de
cassation, regrettait l’absence de lieux et de moments institutionnels d’échanges
sur ce sujet, alors qu’en face a lieu un débat public permanent dans la presse,
au Parlement et dans l’opinion. Conclusion du rapport : « Les magistrats ne
peuvent se tenir frileusement à l’écart d’un débat qui les concerne en premier
chef ». Depuis, rien ne semble avoir changé.
Pour toutes ces raisons, il serait nécessaire que le ministère de la Justice
communique systématiquement au CSM les décisions françaises et
européennes précitées.
Le moment est venu d’aller beaucoup plus loin. Des quatre recueils de
décisions cités, un seul existe aujourd’hui : celui des décisions prises en matière
disciplinaire. Il reste à établir, diffuser, en les mettant à jour, les trois autres46.
Ce travail considérable exige la collaboration de la Cour de cassation, du
ministère de la Justice, du ministère de l’Économie, des Finances et des
Concours extérieurs. Il n’a de sens que s’il est accompagné par deux mesures,
au niveau national (Cour de cassation, ENM, réunions des premiers présidents
de cours d’appel et des procureurs généraux), voire à celui des cours d’appel, les
conférences de consensus concernant la diffusion et le commentaire de
l’information, c’est-à-dire le sens des décisions et les conclusions à en tirer.
L’élaboration de guides de bonnes pratiques pourrait en être l’un des fruits,
ainsi que l’établissement, pour chaque affaire ayant donné lieu à condamnation
de l’État, d’une fiche relatant les faits, la juridiction concernée, le ou les
magistrats, ou encore le service concernés, l’attitude du responsable de la
juridiction et celle du ministère de la Justice, enfin les mesures prises.
À la vérité, ces instruments et ces procédures ne produiront leur effet que s’il
existe une volonté d’agir en ce sens. On en est loin. Le CSM a noté :
l’incapacité de l’institution judiciaire à reconnaître la réalité des problèmes puis à s’en emparer pour
éviter qu’ils ne se renouvellent, qui est à l’origine de la crise de confiance du public envers elle. Les
explications avancées par les magistrats, évoquant le manque de moyens et la complexité des lois et
de la procédure, la faillibilité des systèmes, sont souvent apparues comme décalées par rapport à la
gravité des « erreurs judiciaires » révélées. […] Les magistrats n’ont pas cette culture de la discussion
d’après crise47.

Et les magistrats en cause ? Derrière les comportements relevés par les


jugements de condamnation, il peut y avoir des actes ou des omissions d’agir,
imputables à des personnes déterminées, magistrats ou fonctionnaires, ou à un
service. Lorsque la faute provient d’une formation de jugement comportant
plusieurs magistrats, la loi interdit de connaître la décision de chacun d’entre
eux. Lorsqu’un magistrat déterminé peut être identifié, l’État, après avoir
indemnisé la victime de la faute, peut se retourner contre le magistrat en cas de
faute personnelle de ce dernier. Cette action récursoire n’a jamais été exercée.
Pourquoi ? Estelle vouée à figurer dans le cimetière des textes non appliqués ?
Si elle l’était un jour, verrait-on les magistrats recourir à une assurance
professionnelle ? L’un des syndicats, l’Union syndicale des magistrats (USM),
propose déjà à ses membres une assurance collective de responsabilité
professionnelle. Elle comprend deux garanties. La première concerne les
conséquences financières de l’exercice de l’action récursoire par l’État et les frais
d’avocat exposés à cette occasion par le magistrat. La seconde concerne les frais
d’avocat en cas de poursuites disciplinaires ou devant une juridiction civile ou
pénale. La garantie est exclue devant le CSM en cas de condamnation
définitive48.

Retour sur image :


le destin de deux lois
sur la responsabilité de l’État

Voici donc deux lois : celle de 1970, modifiée en 2000, sur l’indemnisation
pour détention provisoire non suivie de condamnation, et celle de 1972 sur la
responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux du service de la
justice, et aussi deux jurisprudences, par lesquelles les juges les ont interprétées
et appliquées. Ces deux textes se rapportent tous deux à la responsabilité, au
sens large du mot, de l’État du fait du fonctionnement de la justice. Leur
application a été influencée par la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme. Dans les deux cas, un juge civil statue et répare un
dommage, au-delà des personnes dont les actes ou les abstentions ont été à
l’origine de ce dernier. De quoi s’agit-il, à la vérité, sinon d’apprécier, au regard
de la loi, la qualité de la justice et d’en tirer les conséquences en matière de
responsabilité et d’indemnisation ? En cela, ces deux réformes et la
jurisprudence qui a suivi49 sont porteuses d’une novation profonde que leurs
auteurs ne soupçonnaient probablement pas.

DES MAGISTRATS MIEUX FORMÉS


ET INFORMÉS.
UNE ACTION DISCIPLINAIRE COHÉRENTE

Des magistrats mieux formés

Pour améliorer la qualité de la justice et prévenir les fautes, il faut renforcer


la formation des magistrats en amont. Former les magistrats à toute l’étendue
de leurs responsabilités, c’est prendre en compte deux composantes. La
première se rapporte à la mise en cause éventuelle de la responsabilité de l’État
pour fonctionnement défectueux de la justice. La deuxième concerne le respect
par les magistrats de leurs obligations déontologiques.
La tâche des formateurs consiste d’abord à montrer que, dans la plupart des
cas, la condamnation de l’État est le résultat de la combinaison de plusieurs
actions ou inactions dues à plus d’une personne, appartenant le plus souvent à
des services différents (siège et parquet, magistrats et greffe). C’est le cas
lorsque l’information circule mal ou qu’un contrôle interne n’a pas fonctionné.
Or la tendance naturelle, dans l’univers judiciaire comme ailleurs, est le
cloisonnement, la spécialisation des tâches, joints à un fort individualisme. En
veut-on des exemples ? Le rapport de l’IGSJ pour 1997-1998 relève une affaire
où il a fallu quatorze ans pour juger l’auteur de violences à enfants. Pourquoi ?
À cause d’anomalies et de difficultés « poussées à leur paroxysme » :
communication insuffisante entre le juge des enfants et le juge aux affaires
familiales, allant jusqu’à l’absence d’échange d’informations, absence, à
l’époque, de moyens juridiques de recherche d’un mineur en danger. Pour
couronner le tout, des « incohérences » (sic) résultant, pour le parquet, de
l’existence de deux dossiers concernant l’un la protection du mineur victime de
sévices, l’autre l’adulte auteur de ceux-ci. Au-delà de ce cas exceptionnel, Pierre
Delmas-Goyon note un fait inquiétant :
Le thème de la protection de l’enfance réunit rarement le parquet des mineurs, les juges des
enfants, les juges spécialisés en matière de mineurs, les juges aux affaires familiales et les juges
d’instance chargés des tutelles des mineurs50.

Autre exemple : lorsque l’État est condamné pour perte d’un dossier – cela
arrive –, il faut regarder du côté du greffe, mais aussi du magistrat chargé du
dossier. Le service public de la justice est un tout. À cette vérité juridique
correspond du reste la perception qu’en ont l’opinion en général et ses usagers
en particulier. C’est donc ce niveau institutionnel de responsabilité qu’il faut
mettre en relief, en utilisant la jurisprudence déjà citée.
En vue de mieux assurer le respect par les magistrats de leurs obligations
déontologiques, la formation initiale et continue doit leur fournir une
armature intellectuelle et des références utilisables par la suite, en exposant les
notions fondamentales avec clarté et fermeté. Tout indique la nécessité d’une
telle action. Il existe en effet chez les magistrats une forte demande et une
attente légitime à cet égard. Pourquoi ? Guy Canivet a répondu à cette
question en 2006, lors de la rentrée solennelle de la Cour :
[P]arce qu’il doit résister à toutes formes de pouvoirs et de puissance, parce qu’il est recruté très
jeune et investi très tôt des plus grandes responsabilités, parce qu’il n’est pas toujours armé pour se
protéger de la tentation du héros purificateur, ou, au contraire, parce qu’il est guetté par l’habitude,
le renoncement, le cynisme, la fatigue, la paresse ou l’encombrement, le juge a besoin de repères
éthiques précis, forts et solides51.

Il a fallu du temps à l’ENM pour en prendre pleinement conscience et agir


en conséquence. En voici une illustration, ancienne, mais révélatrice, tirée de la
meilleure source : le rapport du président du jury de classement des auditeurs
de justice, qui statue en fin de scolarité sur leur aptitude à exercer les fonctions
de magistrat :
[I]ls ont fait preuve, pour la plupart de ceux qui ont été interrogés sur ce point, de graves
insuffisances en matière de déontologie. Ainsi presque tous pensent qu’un magistrat peut donner des
conseils à une entreprise ou à une personne privée ; certains ne voient aucun inconvénient à être
rémunérés à ce titre, d’autres apportant des restrictions : le magistrat pourrait donner des conseils, à
condition qu’il ne s’agisse pas d’une personne physique ou morale résidant dans son ressort, ou à
condition de ne pas être rémunéré […]. Il paraît certain, là encore, qu’il serait nécessaire de leur
apporter des informations plus précises52.

En effet.
La même année, on doit à l’ENM une excellente initiative, la création d’un
atelier de formation continue, dirigé en 1998-1999 par Dominique
Commaret, avocat général à la Cour de cassation. Il en est résulté une étude de
très grande qualité, dont les constats et les conclusions restent valables
aujourd’hui53. Comment mener convenablement une telle action ? Didier
Boccon-Gibbod, avocat général à la Cour de cassation, et Christian Vigouroux,
président adjoint de la section du contentieux du Conseil d’État54 l’ont dit
dans deux exposés prononcés en 2011 lors de la première session du cycle
supérieur d’administration de la justice, déjà mentionné. Je résume : loin de
tout discours moralisant et du cours magistral, ils affirment que le métier de
magistrat est aujourd’hui un métier exposé, au double sens du terme, que le
respect par lui de la déontologie est un des éléments de sa légitimité, que ce
respect, au-delà de la lettre des textes, consiste d’abord à ne pas fermer les yeux,
à s’interroger, à être conscient à temps d’un problème, par exemple d’un risque
de confusion, même en deçà de la notion d’un conflit d’intérêts, tout cela au
nom des valeurs que les textes expriment. Ces obligations sont redoublées, il
faut malheureusement le redire, pour les chefs de juridiction, à commencer par
l’indispensable veille, déontologique, loin des tentations de l’attentisme et du
silence. Pour assurer une telle formation, la jurisprudence disciplinaire et celle
qui concerne la responsabilité de l’État ne manquent pas d’illustrations
concrètes.

Des magistrats mieux informés

L’objectif est simple : énoncer clairement les normes fondamentales dans des
textes accessibles à tous. Que trouvera, dans son paquetage, le nouveau
magistrat qui sort de l’ENM ? Il ouvrira le statut de la magistrature et y lira, à
l’article 6, le texte du serment qu’il prêtera lors de sa nomination à son premier
poste55. Il y constatera ensuite, à l’article 10, trois interdictions :
Toute délibération politique est interdite au corps judiciaire. Toute manifestation d’hostilité au
principe ou à la forme du gouvernement de la République56 est interdite aux magistrats, de même
que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs
fonctions.

Poursuivant sa lecture et souhaitant savoir en quoi pourrait consister, de sa


part, une faute disciplinaire, il apprendra que tel est le cas de « tout
manquement, par un magistrat, aux devoirs de son état, à l’honneur, à la
délicatesse et à la dignité » (art. 43). Depuis une réforme de 2010, un de ces
manquements est
la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie
essentielle des droits des parties, constatée par une décision de justice devenue définitive (ibid.).

C’est tout, et ce n’est pas assez. Pas un mot de l’impartialité, du devoir de


diligence et des comportements de nature à altérer la confiance en
l’indépendance et l’impartialité du magistrat57. Notre jeune magistrat
découvrira enfin un gros livre et une plaquette. Le premier est le recueil des
décisions disciplinaires rendues depuis 1959, déjà cité, sorte de recueil « en
creux » de la déontologie du corps judiciaire. Après sa publication, en 2006, le
CSM écrivit aux chefs de cour (premiers présidents et procureurs généraux)
pour leur demander la désignation dans chaque cour d’appel de deux référents
susceptibles d’organiser la consultation de leurs collègues sur ce sujet. En 2008,
l’un d’eux, Dominique Charvet, premier président de la cour d’appel de
Chambéry, faisait un constat attristé :
Force est de constater que l’engouement n’est pas, pour l’instant, au rendez-vous dans les
juridictions et que nombre de magistrats restent dubitatifs devant cette initiative comme ils le sont
d’ailleurs depuis plusieurs années pour tout ce qui concerne cette question58.

Il parlait de « blocage, qui, à première vue, paraît relever de


l’incompréhension ou du rendez-vous manqué, mais qui a, en fait, des racines
profondes et des explications contemporaines ». Ainsi la confusion entre
discipline et déontologie. Le pouvoir politique ne s’intéresse à cette dernière
que sous l’effet de scandales ou de sinistres judiciaires : le gouvernement crée,
en 2003, la commission Cabannes après la révélation de très graves
manquements de magistrats. L’affaire d’Outreau conduira la commission
d’enquête de l’Assemblée nationale puis le gouvernement à formuler des
propositions de réforme. Et de conclure à l’intention de ses collègues :
Reconnaissons là que nous avons du travail à faire. D’abord quant à notre positionnement.
Profession d’autorité, en charge de dire le juste et l’injuste, usant de savoirs et de formalismes
inaccessibles à beaucoup, nous devons prendre garde au risque d’un rapport, même involontaire, de
domination et créer les conditions d’une plus grande égalité avec nos concitoyens59.

Revenons au recueil en question. Convenablement utilisé au sein des


juridictions, il est de nature à réduire bien des incertitudes et des ignorances et
à jouer un rôle préventif. L’absence de connaissances ou d’informations peut en
effet engendrer l’ignorance et la confusion d’esprit, le retard à prendre
conscience d’une situation et l’insuffisance de mesures préventives.
Quant à la plaquette, il s’agit d’un recueil des obligations déontologiques des
magistrats60, énoncé des principes généraux accompagné de commentaires et de
recommandations. À ce sujet, plusieurs remarques s’imposent. Il aurait été
préférable que ce document émanât d’une instance autre que le CSM, qui
statue en matière disciplinaire. La loi du 5 mars 2007 a choisi la facilité en
confiant cette tâche au CSM. Il aurait été plus utile et plus pédagogique d’y
inclure des références aux écrits consacrés à ce sujet et à la jurisprudence,
comme l’a fait le recueil canadien61. Ce texte comprend six rubriques
(l’indépendance, l’impartialité, l’intégrité, la légalité, l’attention à autrui et les
obligations de discrétion et de réserve). Après un paragraphe introductif,
chaque rubrique est divisée en deux parties (niveau institutionnel et exercice
fonctionnel), chacune comprenant deux développements, consacrés
respectivement aux principes et aux commentaires et recommandations, ce qui
ne facilite ni la lecture ni la compréhension par le lecteur et futur usager. Ce
document de quarante-quatre pages, volontiers bavard, n’évite ni les longueurs
ni les répétitions62. On pourra le comparer à la charte de déontologie des
membres de la juridiction administrative, publiée par le Conseil d’État, qui
énonce une série de principes et de bonnes pratiques et contient des références
de jurisprudence nationale et européenne63.
Autant d’instruments essentiels. Deux autres, déjà cités, manquent à l’appel :
un recueil des jugements de la Cour européenne des droits de l’homme
condamnant la France en matière de justice pour délai excessif, manquement
aux principes d’impartialité et d’indépendance, à la règle du procès équitable et
au droit à un recours effectif, et un recueil des jugements condamnant l’État
pour mauvais fonctionnement de la justice. En 1999, un rapport officiel
souhaitait que la direction des services judiciaires du ministère de la Justice
devienne
le pôle fédérateur de l’ensemble des enseignements à tirer en matière de déontologie. Destinataire de
toutes les décisions rendues au civil, au pénal ou au disciplinaire, elle doit en tirer les enseignements
utiles en termes d’organisation des juridictions, de carrière ou de discipline de leurs membres. Elle a
vocation à assurer la diffusion pédagogique de ces informations aux corps concernés, à en faire
périodiquement rapport au garde des Sceaux pour alimenter le débat annuel sur l’état de la justice,
dont la responsabilité sera inéluctablement un des thèmes récurrents64.

Il incombait, d’évidence, au ministère de réaliser, d’exploiter et de diffuser


ces recueils. Il ne l’a pas fait. Pourquoi ? En attendant que cette lacune soit
comblée, il incombe d’abord aux chefs de cour, et ensuite à l’ENM de mettre
au point un mode d’emploi pertinent et accessible de ces sources d’information
à l’intention des magistrats. C’est par ce moyen que la nécessaire information
concrète et vivante sur la déontologie des magistrats et ses applications peut
être assurée.
Un exemple de telles initiatives en a été fourni en 2005. La Cour de
cassation a organisé une conférence de consensus sur l’éthique judiciaire à
l’occasion de la réunion des premiers présidents de cour d’appel. Ses actes ont
été publiés65. On peut y lire des rapports consacrés au respect des justiciables,
aux pouvoirs disciplinaires des premiers présidents et l’analyse détaillée des
manquements des magistrats sanctionnés disciplinairement. Cette conférence
ne concernait que les magistrats du siège et semble être restée un événement
isolé, ce que l’on peut doublement regretter. De telles conférences devraient
avoir lieu régulièrement et concerner ensemble tous les magistrats – sauf à
penser qu’il est nécessaire que ces deux composantes du corps judiciaire
doivent s’ignorer en même temps qu’elles s’observent. De telles réunions
seraient des chantiers « à haute valeur ajoutée », permettant une analyse
systémique des effets dommageables ou indésirables constatés, la mise en forme
de bonnes pratiques professionnelles et de rompre la loi du silence en ouvrant
la « boîte noire » des juridictions.66
Au-delà, une veille déontologique est nécessaire. Elle relève de la
responsabilité des chefs de juridiction. Le rappel de cette évidence par
l’inspection générale des services judiciaires67, par le CSM68, la commission
Cabannes69, Dominique Commaret, avocat général à la Cour de cassation70, et
la conférence de consensus général déjà citée71 indique une insuffisance. Je
résume. Les premiers présidents et procureurs généraux ont un pouvoir propre
d’inspection, d’investigation et de contrôle, en plus du pouvoir de notation et
de celui de décerner un avertissement à un magistrat, si cela est nécessaire. Ils
disposent des sources d’information diversifiées leur permettant de constater les
manquements aux règles de déontologie – concernant tant l’exercice par les
magistrats de leurs missions que leur comportement personnel – et de les
corriger à temps. Ils doivent exercer une action d’information et de prévention.

Une action disciplinaire cohérente

Une action disciplinaire cohérente est plus et autre chose que l’addition des
poursuites engagées et des décisions prises. Elle suppose, pour l’autorité qui
déclenche la poursuite et pour celle qui décide, une vue d’ensemble et les
moyens correspondants72. Ici aussi, la justice française revient de loin.
Jusqu’aux dernières années du XXe siècle, les audiences disciplinaires du CSM
n’étaient pas publiques, ses décisions n’étaient pas publiées et aucun document
public n’en faisait état. Héritage d’un temps où tout ce qui touchait à la
discipline était placé sous le signe de l’occulte, du secret, du silence et de la
dissimulation. Comme l’écrit Guy Canivet :
Le système était en réalité fondé sur le présupposé que l’autorité ou le crédit de la justice reposait
sur le silence gardé sur les fautes commises par les juges pour maintenir, par la dissimulation, le
mythe des juges irréprochables73.

Jusqu’en 2001, seul le ministre de la Justice pouvait déclencher des


poursuites disciplinaires contre un magistrat. Comme le notait le CSM dans
son rapport pour 2000, il maîtrisait discrétionnairement à la fois l’utilisation et
le contenu de l’action disciplinaire74. C’est grâce à l’action du CSM que cette
préhistoire a été effacée.
Le ministre de la Justice devrait disposer d’un service spécialisé doté de
moyens et d’une mémoire suffisants pour permettre une vue d’ensemble et non
parcellaire, garante d’une certaine cohérence afin d’éviter le soupçon de
sélectivité et d’inégalité, dans l’action comme dans l’inaction.
Depuis 2001, ce pouvoir appartient aussi aux chefs de cour. Ils en ont fait à
ce jour un usage plus que modéré. En 2005, la conférence de consensus
judiciaire, citée plus haut, a relevé plusieurs arguments en faveur d’un exercice
plus fréquent de cette capacité : il est de leur ressort d’évaluer les magistrats qui
dépendent de leur autorité. Ainsi, ils sont assez souvent les premiers informés
de faits ou de comportements justifiant l’ouverture d’une action disciplinaire.
La saisine du CSM peut être considérée comme plus indépendante de
l’autorité politique et donc mieux perçue. Elle permettrait enfin aux chefs de
cour, en liaison avec les chefs de juridiction, d’exercer une action de prévention
des manquements professionnels75.
L’utilité du recueil des décisions disciplinaires est particulièrement évidente
en ce qui concerne les obligations de l’institution judiciaire. Le rapport de
l’IGSJ pour 1993-1994 l’a dit :
Constat d’échec, la sanction disciplinaire n’est ni un objectif, ni une solution. L’observance des
règles déontologiques passe, d’abord et surtout, par le développement de la prévention dans laquelle
l’administration centrale comme les chefs de cour et de juridiction ont un rôle essentiel à jouer76.

Dix ans plus tard, Dominique Commaret, avocat général à la Cour de


cassation, le répète77. Rien n’avait-il donc changé ?

LA JURIDICTION FACE AUX CITOYENS

C’est au niveau de la juridiction que prennent place les perceptions et les


expériences de ceux qui, à des titres divers, ont affaire à la justice à un moment
de leur vie. De même que le service public de la justice au niveau national, la
juridiction est souvent perçue comme un tout indistinct. Or, pour les
magistrats et les fonctionnaires qui y sont affectés, elle se compose d’une série
de services et d’acteurs dont les compétences et les spécialisations sont
strictement définies. Mais cette collectivité n’est pas une confédération de
services. Elle a un chef, ou plus exactement deux, comme on l’a vu. La
responsabilité se décline ici à plusieurs niveaux.
Un premier niveau concerne ce que Guy Canivet rappelait en 2005 :
[C]e sont d’abord les normes objectives de bon fonctionnement des tribunaux qui sont à
déterminer. Comment accueille-t-on les usagers ? Comment organise-t-on les audiences, est-ce
qu’on convoque tout le monde à 14 heures pour que les derniers passent à 22 heures ? Comment
s’adresse-t-on à ceux qui comparaissent ? Comment assure-t-on la sécurité du palais de justice ?
Comment éviter que les témoins ou les victimes soient confrontés dans les couloirs aux auteurs des
infractions ? Comment communique-t-on le jugement aux intéressés ?

Il ajoutait :
Les normes à établir doivent répondre aux quatre besoins des justiciables : être accueilli, être
considéré, voir son litige traité avec attention, voir la décision exécutée78.

La conférence de consensus sur l’éthique judiciaire, exercice de lucidité et


d’analyse des comportements, décidément riche en enseignements, en
contenait plusieurs illustrations pertinentes. Les voici. Tout commence par
l’accès à la juridiction. Le rapport79 cite plusieurs points considérés comme
constituant autant de « difficultés concrètes ». Avant l’accueil matériel, il y a,
avec l’accueil téléphonique, « l’accueil papier […] l’acte qui invite le justiciable
à comparaître devant un juge. Là se pose un problème de lisibilité qui n’aura
échappé à personne, en particulier pour les actes d’huissier80 ». La conférence
proposait donc d’annexer à l’acte délivré une notice d’information succincte et
claire, répondant aux interrogations. Une concertation avec les professions de
justice s’imposera ici.
Entrons dans le palais de justice et passons à l’accueil. Malgré les efforts
accomplis, beaucoup reste à faire pour développer une « culture de l’accueil »
(lieux, locaux, personnels affectés). Sur les lieux de réception du public, voici ce
que dit le rapport :
Il faut avoir conscience que les rituels qui nous sont familiers suscitent chez le justiciable, et pas
seulement le plus modeste, inquiétude, voire angoisse, alliées au sentiment d’être « écrasé » et
totalement « hors jeu ».
Sur le traitement du courrier et des plaintes des justiciables, on note une
réaction significative :
Les cours d’appel se sont montrées très divisées et souvent réticentes sur certaines idées, comme la
transmission systématique aux chefs de juridiction et de cour des lettres de plainte81.

Autre domaine : l’audience de cabinet, celle qui se déroule devant un juge


unique (juge d’instruction, juge des enfants, juge aux affaires familiales, etc.),
en dehors du public. La presse n’en parle donc pas. « Justice de confidence, de
confiance », dit le rapport :
Le juge va y être dépositaire d’informations qui touchent à des sphères intimes et très chargées
d’affect de la vie des justiciables : leurs sentiments, leurs rapports à la parentalité, leur sexualité […].
Dès lors, le respect du justiciable va passer, en premier lieu, par la qualité de l’écoute.

Or, que se passe-t-il ?


La justice de cabinet […] est une justice solitaire, orpheline, sans témoin, sans public […] le greffier,
qui devrait être présent, l’est très rarement. Le justiciable est livré au juge sans témoin et le juge est
livré à lui-même, sans soutien. […] Le respect du justiciable passe par la rupture de la solitude du
juge et par le recours possible pour lui à une aide, à un étayage82.

Au sujet de l’audience pénale, le rapport souligne les insuffisances de la


procédure de comparution immédiate, les attentes imposées à tous (témoins,
prévenus, victimes, avocats). Les « exigences de qualité », souligne le rapport,
impliquent « une éthique du comportement qui est déclinée de diverses
manières : maîtrise du rapport dominant-dominé, combinaison de distance et
de proximité ; respect de la différence et de la dignité de chacun […]
impartialité à la fois réelle et apparente, comportement irréprochable,
modération dans les termes employés, réserve excluant tout propos
désobligeant »83.
Une affaire récente a montré les conséquences concrètes du défaut
d’attention aux justiciables et aux victimes. Le 25 août 2005, quatorze
personnes meurent dans l’incendie d’un hôtel vétuste où logeaient des
immigrés africains dans des conditions insalubres et dangereuses. Près de six
ans après, en mars 2011, s’ouvre à Paris le procès des prévenus, une association
et un entrepreneur. Les incidents s’enchaînent : micros défaillants, salle trop
petite (obligeant à en changer), interruptions prolongées, insuffisance du temps
prévu (deux demi-journées). L’affaire est finalement renvoyée au mois de
septembre. Était-il donc au-dessus des forces des responsables de l’organisation
de cette audience de s’assurer des moyens nécessaires à une affaire de cette
nature et de cette ampleur ? La « misère de la justice84 » fut, paraît-il, invoquée
par la présidente. D’autres audiences, relatives à des personnes de condition
plus élevée, n’ont pas eu à en pâtir.

Rendre compte

Puisque l’institution judiciaire doit rendre compte de son fonctionnement,


le niveau de la juridiction mérite une attention particulière. Une première
application concerne son chef, ou plutôt ses chefs85. Avant de quitter son poste,
chacun de ses responsables devrait avoir l’obligation de rédiger un rapport
contenant un bilan de l’activité de la partie de la juridiction placée sous son
autorité. Ce texte serait joint à son dossier et communiqué à son successeur86.
Il aiderait le CSM à faire des choix pertinents. La limitation de la durée des
fonctions de chef de cour et de juridiction à sept ans est de nature à faciliter la
préparation d’un tel rapport. Il y aurait là une illustration concrète de ce que
l’IGSJ nomme, à propos de chefs de juridiction, le « principe de
responsabilité87 ».
Une deuxième application se rapporte à la rédaction d’un rapport annuel
d’activité. De même que la Cour de cassation et le Conseil d’État, chaque
tribunal de grande instance et chaque cour d’appel devraient publier un
rapport annuel d’activité. Rédigé de façon à être accessible à un assez large
public, ce document rendrait compte de l’activité de la juridiction pendant
l’année écoulée. Cela suppose, en plus de fournir des données statistiques,
d’informer les lecteurs sur le mode de fonctionnement et les méthodes de
travail utilisées. Ce rapport pourrait commenter les décisions marquantes de
l’année, l’application des réformes, voire en suggérer. Les allocutions
prononcées lors des installations de nouveaux responsables et à l’occasion des
rentrées judiciaires (en janvier) indiquent que cette préoccupation est déjà
largement partagée par les chefs de juridiction88. En voici quelques exemples.
Nous sommes à la cour d’appel de Versailles, le 8 janvier 2008. Son premier
président, Alain Nuée, relève et critique
le trop grand nombre de juridictions spécialisées du premier degré et la trop grande complexité des
règles qui gouvernent la compétence de chacune d’entre elles. Cette multiplicité et cette complexité
rendent illisible l’organisation judiciaire pour le citoyen et même pour le professionnel, favorisent un
contentieux parasite, complexe et dilatoire et font peser sur le justiciable la charge de la recherche de
son juge.

Et d’énumérer :
tribunal de première instance, tribunal d’instance, tribunal paritaire des baux ruraux, tribunal de
commerce, conseil des prud’hommes, tribunal des affaires de Sécurité sociale, tribunal du
contentieux de l’incapacité, juridiction de proximité.

Dans la même allocution, il a commenté la réforme de la carte judiciaire et la


création de pôles de compétence, en souhaitant que l’on évite « d’accroître
encore l’illisibilité de notre organisation judiciaire »89.
Passons de Versailles à la grand’chambre du Parlement de Normandie où a
lieu la rentrée solennelle de la cour d’appel de Rouen. Son premier président,
Hubert Dalle, y parle, en janvier 2010, de l’office du juge pénal :
Le juge n’exécute pas une politique publique […]. La somme des décisions individuelles rendues
par le juge ne constitue pas une politique publique, mais une jurisprudence.

Commentant la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de


culpabilité, il indique un risque :
Le juge peut être tenté d’alléger son contrôle sur la base d’une confiance dans le travail
préparatoire effectué par le parquet. Progressivement, il valide et participe de fait à la conduite d’une
politique publique au détriment de l’appréciation de la singularité des dossiers ou des personnes qui
sont déférées ou qui demandent une mise en liberté.

D’où sa mise en garde :


La communauté de pensée – surtout quand elle devient corporatiste – des juges et des procureurs,
facilitée par leur appartenance à un même corps, peut se transformer sinon en connivence, du moins
en habitude90.

En 1998, Guy Canivet exprimait en ces termes l’idée qui guidait son
allocution de rentrée :
[F]aire publiquement rapport sur l’usage que, durant l’année écoulée, nous avons fait des moyens
mis à notre disposition pour le fonctionnement du service public de la justice, l’occasion d’en
exprimer les difficultés, de dire les préoccupations de ceux qui, toutes catégories associées dans la même
mission, y participent, c’est, enfin, le moment opportun d’esquisser nos lignes d’action pour le
proche avenir91.

De tels rapports, convenablement conçus et présentés, pourraient être un


des instruments de rapprochement entre la justice et une opinion qui n’arrive
plus à suivre le rythme des réformes et à en comprendre le sens et dont
l’attention est trop souvent requise par le spectacle des « affaires ». Comme l’a
écrit Antoine Garapon :
La responsabilité, c’est accepter d’être questionné, de comparaître, de voir ses décisions soumises à
l’examen critique, c’est s’exposer au regard public. C’est la possibilité même du regard et de la mise
en question qui fait la responsabilité92.

Quand un tribunal interroge ses usagers

Pour la première fois, un tribunal a utilisé un questionnaire mis au point par


la CEPEJ93 et visant à évaluer la qualité de la justice. Ses trente-quatre
questions portent sur la perception générale du fonctionnement de la justice,
l’accès aux locaux, l’accueil, l’orientation et l’information concrète des
justiciables, l’écoute de l’usager, la ponctualité des audiences, la clarté du
langage utilisé et les délais de traitement des affaires. Il s’agit du tribunal de
grande instance d’Angoulême94. La manière dont cette opération a été préparée
et effectuée, et ses résultats exploités, mérite d’être rappelée, car elle comporte
des enseignements significatifs95. La réalisation de l’enquête s’est inscrite dans
la suite de plusieurs actions du tribunal indiquant la préoccupation de ses
responsables et de ses membres pour la qualité de son fonctionnement.
Dès 1998, un guichet unique de greffe commun à quatre juridictions (tribunal
de grande instance, tribunal d’instance, conseil des prud’hommes, tribunal de
commerce) a été mis en place. À partir de 2004, le tribunal a appliqué une
charte comportant une série d’engagements envers les usagers, ce qui a permis,
en 2007, l’obtention de labels validant la qualité de l’accès aux services,
l’accueil et le traitement des demandes. En 2009, après un audit, l’AFNOR a
validé ces labels. En un mot, les esprits étaient préparés. La mise en œuvre du
questionnaire, en 2010, a associé magistrats et fonctionnaires, préalablement
informés. Les équipes composées de fonctionnaires volontaires, d’assistants de
justice et de stagiaires ont recueilli les réponses de deux cent quarante-cinq
personnes.
Trois points ressortent des réponses : une mauvaise perception, en général,
de la justice (lenteur, cherté, déficit de communication) ; des attentes portant
en priorité sur la sécurité et l’impartialité, l’attitude et la courtoisie des juges,
des greffiers et de l’ensemble des personnels (un bon taux de satisfaction a été
enregistré ici) ; enfin, des critiques inattendues concernant l’aide aux victimes
et la ponctualité aux audiences.
Conclusion des trois auteurs de l’article : on ne peut mener une démarche
de qualité au sein d’une juridiction sans associer les justiciables, vu l’écart
marquant entre le regard des professionnels et le ressenti des usagers. Cette
évaluation ne nécessite pas le recours à une société d’audit. Enfin, un tel
questionnaire est un outil pour la gouvernance de la juridiction. Une feuille de
route visant à remédier aux défauts relevés a été préparée.
Combien de juridictions suivront cet exemple ?

HISTOIRE D’UN SERPENT DE MER :


LE TRAITEMENT DES RÉCLAMATIONS

Le traitement des réclamations est une affaire sérieuse qui, après avoir été
longtemps négligée, a été traitée jusqu’ici avec légèreté. Il est donc instructif de
résumer cette longue marche inachevée et nécessaire de proposer une réforme.
La justice est un service public. Les attentes de tous ceux qui, à des titres
divers, sont concernés par son fonctionnement se sont accrues. Chaque année,
un nombre élevé de réclamations sont adressées à son sujet aux pouvoirs
publics : président de la République, ministre de la Justice, juridictions,
Médiateur de la République (devenu Défenseur des droits). Elles sont de
contenu et de valeur très divers : certains ont perdu le procès qui était l’affaire
de leur vie et ne s’en consoleront jamais ; d’autres sont des réclamants
d’habitude, qui écrivent à tous, sur tout et tout le temps. D’autres lettres
encore mettent le doigt sur un mauvais fonctionnement de la justice ou sur
une irrégularité grave. Pourquoi cette augmentation des réclamations ? La
réponse a été donnée par un magistrat averti et conscient de l’enjeu :
La justice, dès lors qu’elle abandonne son statut symbolique de pouvoir régalien pour être
considérée comme un service public, fait l’objet de pressantes sollicitations concernant son
fonctionnement. Les procédures comme les agents qui les diligentent tombent dans le statut de droit
commun d’une exigence de qualité relative à l’obligation de moyen comme à l’obligation de résultat.
Comme les autres services publics, la justice doit rendre compte de la qualité de ses processus et de
ses résultats. Pas seulement lors des audiences de rentrée, mais à tout moment, et à un public qui va
du plaignant d’habitude jusqu’à la représentation nationale, dont c’est précisément la mission de
contrôler les administrations. Les plaintes, dont la croissance est spectaculaire dans la période
récente, sont une manifestation significative de cette exigence nouvelle qui appelle parallèlement une
réflexion sur la responsabilité des magistrats et agents du service public de la justice96.

Un traitement systématique de ces réclamations s’impose donc. Dominique


Commaret, avocat général à la Cour de cassation, en a dit l’utilité et la
nécessité dans un texte remis à la commission d’enquête de l’Assemblée
nationale sur l’affaire d’Outreau :
Qu’elles soient adressées à un magistrat interpellé, à la hiérarchie judiciaire, au ministre de la
Justice, qu’elles concernent l’institution elle-même ou ses auxiliaires, il n’est pas certain qu’elles
fassent toujours et partout l’objet d’une réponse adaptée. Ceci cristallise les aigreurs et fabrique des
« grands brûlés » de la justice qui assiègent leur vie durant les antichambres et les prétoires pour
réclamer justice. Ces plaintes constituent de plus l’un des indicateurs de l’évolution de leurs
préoccupations et de leur perception du fonctionnement de la justice au quotidien, voire le
révélateur de dysfonctionnements ignorés de la hiérarchie judiciaire97.

Puisque les indicateurs sont à l’ordre du jour, celui-ci aurait dû faire l’objet
d’une attention particulière. Il n’en fut rien et tel est encore le cas aujourd’hui.
Il n’existe toujours pas de règles générales publiques sur le traitement
systématique, à l’échelle nationale, de ces réclamations (accusé de réception,
enquête, diffusion de ses résultats, suite donnée) et des conséquences à en tirer.
Voici ce qui s’est passé depuis presque vingt ans.

1999-2007 : les étapes d’une prise de conscience

Retracer ces étapes permet de saisir sur le vif le lent cheminement des idées,
la genèse des réformes et les enseignements à en tirer.
En 1993, déjà, le comité présidé par Georges Vedel avait proposé que le
CSM reçoive « dans la limite de ses attributions, toutes plaintes et doléances
relatives au fonctionnement de la justice »98. Vaste programme. En 1999,
l’avant-projet de loi préparé par le ministre de la Justice, Élisabeth Guigou,
prévoyait la création d’une commission nationale d’examen des plaintes des
justiciables. Elle comprenait trois membres, dont deux non-magistrats99. Elle
pouvait être saisie des plaintes de toute personne s’estimant lésée par un
dysfonctionnement du service public de la justice ou par un fait susceptible de
recevoir une qualification disciplinaire commise par un magistrat dans
l’exercice de ses fonctions. Elle s’informait auprès des chefs de cour, mais
l’IGSJ, curieusement, n’était pas mentionnée. Par une décision non susceptible
de recours, la commission pouvait soit ne pas donner suite à la plainte si elle
l’estimait infondée, soit la transmettre au ministre de la Justice ou aux chefs de
cour concernés. Elle informait l’auteur de la plainte de la suite réservée à celle-
ci, ainsi que tout magistrat personnellement visé. Le ministre pouvait ordonner
toutes investigations et engager des poursuites disciplinaires100. La commission
rendait public son rapport.
Ce projet avait deux mérites et comportait deux erreurs. Il était le premier à
émaner du ministère de la Justice. Il partait d’une intuition juste : la nécessité
de créer un organisme national exclusivement chargé du traitement des
réclamations. L’erreur, psychologique autant que juridique, était, d’une part, de
dire que les magistrats seraient minoritaires dans cette commission et, d’autre
part, d’affirmer le lien éventuel entre une réclamation et d’éventuelles
poursuites disciplinaires contre un magistrat. Les magistrats ne virent que ce
second motif de saisine. Il était aisé de prévoir, dans ces conditions, leurs
réactions. Elles ne se firent pas attendre. L’USM parla de « dispositif
d’intimidation des magistrats », d’« inacceptable surenchère de tous ceux qui
redoutent l’action de la justice », de « projet incompatible avec l’indépendance
de la magistrature, qui favorisera les manœuvres de déstabilisation ». Le
Syndicat de la magistrature évoqua « un moyen pour le politique de régler ses
comptes avec la magistrature ». L’Association professionnelle de la magistrature
ne fut pas en reste et parla de « nid à corbeaux, avec l’autorité et le prestige
d’un organisme national, un bureau des délateurs ». Le CSM se déclara hostile
à cette réforme. Selon lui, elle « était de nature à faire peser sur les magistrats
judiciaires une suspicion de comportement fautif que les données objectives ne
permettent pas de confirmer ». Elle permettrait de « tenter de disqualifier une
juridiction ou un magistrat » et comportait « des risques d’atteintes à
l’indépendance de l’autorité judiciaire ». Le CSM estimait que « d’autres voies
pourraient opportunément être recherchées pour concilier un traitement
efficace des réclamations des justiciables et ce principe d’indépendance »101.
Lors de la rentrée du tribunal de grande instance de Pontoise en 2000 son
président, Éric Varaut, critiqua vivement le projet :
En livrant la justice à la vindicte des plaideurs mécontents, ne va-t-on pas permettre une œuvre de
déstabilisation de certains magistrats et encourager la délation102 ?

Ce projet ne fut pas soumis au Parlement.


Quelques mois plus tard, en 2000, Christian Coste, dans le rapport déjà
cité, soulignait la nécessité d’un traitement systématique des plaintes. Lors de la
même conférence, Vincent Lamanda, premier président de la cour d’appel de
Versailles, présenta un rapport sur le traitement des réclamations dans cette
cour. Ce document donnait des indications précises sur le mode de traitement
des réclamations : 126 des 309 réclamations estimées cohérentes mettaient en
cause à juste titre le fonctionnement des juridictions : retards à rendre le
jugement, retards de procédure, dysfonctionnements du greffe. La procédure et
les suites données étaient analysées. 5 juges, toujours les mêmes, étaient à
l’origine de 54 réclamations portant sur des retards de délibéré. La conclusion
mérite d’être méditée :
Ce sont les insuffisances professionnelles involontaires (incapacité à décider, à utiliser ses
connaissances juridiques, à s’organiser dans son activité, à faire face à une masse importante de
travail) qui soulèvent en réalité difficulté103.

Fort bien vu, si l’on ose dire. Autant de points qui font précisément l’objet de
rubriques dans la fiche d’évaluation des magistrats. Quelqu’un va-t-il donc en
tirer les conséquences ? Non. Citons encore Vincent Lamanda :
Il existe une pratique consistant à taire les défauts constatés pour pouvoir plus facilement se
défaire, au besoin en avancement, d’un magistrat inefficace. C’est la technique dite du « coup de
pied ascensionnel ». Seules des attitudes harmonisées permettront de mettre fin à ces abus104.

Ce n’est qu’en 2003 que le CSM mentionne, dans une étude sur la
déontologie des magistrats, le traitement des réclamations des justiciables.
Affirmant, lui aussi, qu’elles constituaient « une source d’information très utile
dans la détection d’éventuels dysfonctionnements individuels », il estima
« indispensable la mise en place d’une procédure de traitement systématique
des réclamations des justiciables et de partenaires de l’institution ». Il souhaitait
la centralisation par les chefs de cour, à leur niveau, des réclamations
concernant leur ressort, et le recueil systématique des informations nécessaires
auprès du chef de la juridiction concernée. Pour les mises en cause
individuelles, le magistrat concerné devait être informé et pouvoir fournir tous
éléments d’explication. Sa réflexion s’arrêtait là105.
Le premier rapport de la Commission de réflexion sur l’éthique dans la
magistrature, créée en 2003, consacra au sujet les maigres lignes suivantes :
Le traitement des réclamations émanant des particuliers et visant les magistrats a été considéré par
la commission comme relevant des chefs de cour qui devront, à leur niveau, mettre en place un
service des requêtes106.

Au même moment, Guy Canivet mentionnait dans un article « le constat


quotidien des libertés prises avec des obligations évidentes et de
comportements dégradés107 ». En 2005, le rapport final de la commission est
muet108. Silence éloquent. La même année, une conférence de consensus sur
l’éthique judiciaire se tint à la Cour de cassation à l’occasion de la réunion des
premiers présidents de cour d’appel. Selon le rapport consacré au respect du
justiciable,
les cours d’appel se sont montrées très divisées et souvent réticentes sur certaines idées, comme la
transmission systématique aux chefs de juridiction et de cour des lettres de plainte, et encore plus
opposées à la création d’un poste de médiateur, au motif que la justice n’est pas comparable à une
administration109.
Un an plus tard, en 2006, devant la commission d’enquête de l’Assemblée
nationale sur l’affaire d’Outreau, les représentants de la conférence nationale
des premiers présidents de cour d’appel
ont justifié l’usage modéré de la saisine du CSM par l’impossibilité [sic] dans laquelle ils se
trouvaient [de] détecter les fautes éventuelles des magistrats susceptibles de poursuites
disciplinaires110.

Un tel aveu public de carence est étrange, troublant et inadmissible.


Après avoir examiné différents systèmes, la commission proposait de
développer les contrôles externes
en permettant à tout justiciable contestant le fonctionnement du service de la justice de déposer des
requêtes auprès des délégués du médiateur de la République, ce dernier saisissant, le cas échéant, le
CSM111.

L’idée fut reprise plus tard, mais ne prospéra pas. En 2007, le comité présidé
par Édouard Balladur proposa que la sélection des requêtes soit faite par la
direction des services judiciaires du ministère de la Justice.
Le gouvernement avait déposé devant l’Assemblée nationale un projet
modifiant la loi de 1973 sur le Médiateur de la République112. Celui-ci, saisi
d’une réclamation sur le fonctionnement de la justice mettant en cause le
comportement d’un magistrat, la transmettait au ministre de la Justice.
L’Assemblée nationale intégra ce projet au projet de loi organique modifiant le
statut de la magistrature. Le système retenu était le suivant : toute personne
estimant, à l’occasion d’une affaire la concernant, que le comportement d’un
magistrat était susceptible de constituer une faute disciplinaire pouvait adresser
une réclamation à un parlementaire. Celui-ci la transmettait au Médiateur si
elle lui paraissait relever de sa compétence. À son tour, le Médiateur pouvait
demander aux chefs de cour toutes informations utiles et transmettait la
réclamation au ministre de la Justice. Ce dernier était tenu de demander une
enquête aux services compétents avant de saisir éventuellement le CSM. Il en
informait le Médiateur. Toute décision de non-poursuite devait être motivée.
Le génie de la complication et du bricolage avait sans doute inspiré
l’invention de cette fusée à cinq étages. La commission des lois du Sénat la
remplaça par une commission nationale indépendante placée auprès du
ministre et composée d’une majorité de non-magistrats. Le gouvernement
refusa, à tort. Il en résulta un compromis bâclé et peu heureux : le Médiateur
pouvait être saisi directement. Pour l’examen de la réclamation, il était assisté
d’une commission présidée par lui et composée de cinq autres personnes113. S’il
estimait être en présence d’une faute disciplinaire, il transmettait la réclamation
au ministre de la Justice en vue de la saisine du CSM. Si le ministre ne saisissait
pas le CSM, il devait en informer le Médiateur. Le Conseil constitutionnel
déclara ce système non conforme à la Constitution : les pouvoirs attribués au
Médiateur, une autorité administrative, étaient contraires à la séparation des
pouvoirs et à l’indépendance de l’autorité judiciaire114. La décision du Conseil
contenait une précision essentielle sur la question suivante : le statut de la
magistrature peut-il étendre la responsabilité des magistrats à leur activité
juridictionnelle en cas de violation grave et délibérée d’une règle de procédure
constituant une garantie essentielle des droits des parties ? La réponse du
Conseil constitutionnel est double. Cela n’est interdit ni par l’indépendance de
l’autorité judiciaire ni par le principe de la séparation des pouvoirs et est donc
possible. Mais à une condition : que cette violation ait été préalablement
constatée par une décision de justice devenue définitive115, règle très
protectrice.
Puisque l’affaire tournait au concours Lépine, le CSM apporta sa
contribution. Dans son rapport pour 2007, il proposa la création d’une
commission de filtrage des plaintes composée de personnalités qualifiées
désignées par chacune de ses deux formations (siège et parquet). Le CSM
pouvait en outre se faire assister, en cas de besoin, par des « enquêteurs
magistrats » placés sous son autorité. Ils instruisaient les réclamations pour la
commission de filtrage et pouvaient procéder à des investigations à la demande
des rapporteurs du Conseil116.

2008 : une réforme manquée

Le projet de réforme de la Constitution117 ne comprenait aucune disposition


sur le traitement des réclamations. C’est au Sénat que l’on doit l’adjonction de
ce qui est devenu l’avant-dernier alinéa de l’article 65 de la Constitution :
Le Conseil supérieur de la magistrature peut être saisi par un justiciable dans les conditions fixées
par une loi organique.

La réforme conduit à critiquer l’attribution de cette nouvelle compétence au


CSM et à proposer un autre système d’examen des réclamations.
La réforme encourt plusieurs critiques. D’abord une critique
institutionnelle. Le CSM n’a pas le monopole de la réception et du traitement
des réclamations concernant la justice. Les autres institutions qui en reçoivent
ne les lui adresseront pas, continueront à les traiter chacune de son côté et à sa
manière et ne l’informeront même pas. De ce point de vue, rien n’est changé
par rapport à la situation antérieure, qui n’est pas satisfaisante. Le lien entre
une réclamation et d’éventuelles poursuites disciplinaires a été maintenu. Le
texte est formel : tout justiciable estimant qu’à l’occasion d’une procédure
judiciaire le concernant le comportement d’un magistrat dans l’exercice de ses
fonctions « est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire118 » peut
saisir le CSM. Une réclamation visant le dysfonctionnement d’un service n’est
donc pas recevable. Le CSM, qui ne l’examinera pas, va-t-il pour autant la
transmettre au ministère de la Justice ? Rien ne le dit. En tiendra-t-il compte
ultérieurement lorsqu’il statuera sur la nomination d’un magistrat dans ce
service ? Probablement pas. Ensuite une objection matérielle : les compétences
du CSM sont nombreuses, d’où la lourde charge de travail de ses membres119.
La formulation des avis et des propositions pour la nomination des magistrats
exige la consultation d’un nombre élevé de dossiers individuels, des auditions
et des délibérations. Les compétences disciplinaires incluent le temps nécessaire
à l’instruction des dossiers et aux audiences. Les visites des juridictions
conduisent les membres du CSM à s’absenter plusieurs jours. La préparation
du rapport annuel nécessite du temps. Ajouter l’examen des réclamations pose
un problème pratique de disponibilité. Qui les triera et les examinera ? La loi
organique sur le CSM prévoit la création d’une ou plusieurs commissions
d’admission des requêtes composées de quatre membres120. À la vérité, traiter
convenablement ces réclamations nécessite le concours actif d’institutions telles
que l’IGSJ et la direction des services judiciaires, dont la loi ne parle pas, et
celui des chefs de cour. Objection juridique enfin. Le CSM émet des avis et fait
des propositions en ce qui concerne la nomination des magistrats. Il est
également leur organe disciplinaire. Les membres du Conseil qui auront fait
partie des commissions d’admissions pourront-ils siéger avec leurs collègues
dans des affaires disciplinaires concernant le magistrat visé ? La loi répond par
la négative, que le CSM soit saisi par la commission, par le ministre, ou par un
chef de cour. Conséquence : la composition de l’organe disciplinaire sera
changée. Par ailleurs, que fera le CSM s’il est saisi d’une réclamation
concernant un magistrat faisant l’objet d’un projet ou d’une proposition de
nomination ? Va-t-il surseoir à statuer en attendant que cette plainte soit
instruite ? C’est ce qu’il a fait une fois en 2011 en différant l’émission de l’avis
relatif à la nomination d’un procureur de la République, dans l’attente du
résultat de l’instruction. Passera-t-il outre tout en gardant, nécessairement,
cette plainte en mémoire ? En un mot, la légalité des décisions disciplinaires,
voire de certaines nominations ne risque-t-elle pas d’être mise en cause ? C’est
là une affaire de sécurité juridique qu’on aurait tort de négliger.

La réforme nécessaire
Il faut en revenir à l’essentiel, qui dicte le contenu de la réforme. Tout
d’abord, un traitement systématique des réclamations relatives au
fonctionnement du service public de la justice s’impose. La justice ne peut se
soustraire plus longtemps à cette exigence, sauf à accroître le soupçon. Ce
traitement constitue en outre un instrument de connaissance et un outil de
gestion. Ensuite, il faut distinguer le problème général des réclamations de
l’exercice éventuel de poursuites disciplinaires contre les magistrats pour éviter
de répéter l’erreur commise en 1999 et en 2008. Un très grand nombre de
réclamations ne sont pas dirigées contre un magistrat déterminé, mais visent le
fonctionnement général d’une juridiction ou de l’un de ses services. L’essentiel
est là et il ne faut pas l’oublier. De plus, le traitement systématique de
l’ensemble des réclamations doit être confié à un organisme national
indépendant du ministère de la Justice et de toute autre institution, afin
d’éviter la confusion des rôles et de laisser à chacun ses responsabilités. Cela
exclut le CSM et l’Inspection générale des services judiciaires. Mais, pourra-t-
on objecter, aucun autre service public n’est doté d’un tel organisme. C’est
exact, mais c’est la spécificité des pouvoirs de la justice qui l’exige ici, en tenant
pleinement compte d’un fait : le métier de magistrat est, on le dit, un métier de
plus en plus exposé. Confier cette compétence au CSM, dont on restreint par
ailleurs les compétences et modifie le mode de fonctionnement, relève de la
facilité, de la démagogie, et conforte le statu quo. Enfin, la composition et les
pouvoirs d’une telle commission devraient être examinés avec soin afin d’éviter
un risque d’inconstitutionnalité, compte tenu de la décision du Conseil
constitutionnel du 1er mars 2007121. Elle devrait avoir un caractère judiciaire,
et non administratif, et donc être composée de magistrats. Elle examinerait les
réclamations avec le concours de l’IGSJ, de la DSJ et des juridictions, qui lui
serait expressément garanti. Elle transmettrait ses conclusions et
recommandations aux autorités compétentes (ministre, direction des services
judiciaires, IGSJ, CSM, chefs de juridiction). Elle publierait un rapport
annuel.
C’est sans doute à propos des différents aspects de la responsabilité que les
malentendus et les instrumentalisations ont été jusqu’ici les plus visibles, d’où
des préjugés largement répandus, sur fond d’ignorance parfois. Les faire reculer
exige de prendre en considération, il faut le répéter, l’ensemble de ce service
public, ainsi que ses différents acteurs, et de mieux faire connaître les
instruments juridiques qui existent. Des juges déclarent fréquemment l’État
responsable du mauvais fonctionnement de la justice et accordent des
indemnités en conséquence. Il faut aussi, s’agissant des instrumentalisations,
que les responsables politiques renoncent à la démagogie et mesurent mieux
l’enjeu et le danger de tels errements. Il est nécessaire enfin que le respect par
les magistrats des exigences de leur déontologie soit plus visible.
Dans tous ces domaines, la tâche des chefs de juridiction est capitale : de la
veille déontologique à la maîtrise de la communication, ils sont en première
ligne.

1. P. DELMAS-GOYON, « L’indépendance interne », art. cité, p. 80.


2. Stéphane RIALS, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Hachette, 1988, p. 252.
3. Antoine GARAPON, « Une justice “comptable” de ses décisions ? » [2006], in G. CANIVET, M.
ANDENAS et D. FAIRGRIEVE (dir.), Independence, Accountability and the Judiciary, op. cit., p. 241 ; Horatia
MUIR-WATT, « Quelques remarques d’ordre comparatif sur la notion d’accountability appliquée à la
justice » [2006], in ibid., p. 235 ; TERRA NOVA, La Justice, un pouvoir pour la démocratie, 2011,
pp. 80 sqq.
4. Guy CANIVET, « Le juge doit-il être un bouc émissaire ? », Le Monde, 1er juillet 2005.
5. Dominique COMMARET, « Responsabiliser les juges : un équilibre difficile à maintenir », entretien,
Le Figaro, 23 octobre 1998.
6. Cf. Roger ERRERA, « Le contrôle externe institutionnalisé » [2006], in G. CANIVET, M. ANDENAS
et D. FAIRGRIEVE (dir.), Independence, Accountability and the Judiciary, op. cit., p. 281 ; « Sur
l’indépendance et la responsabilité des magistrats », in Simone GABORIAU et Hélène PAULIAT (dir.), La
Responsabilité des magistrats, Presses universitaires de Limoges, 2008, p. 77.
7. Adolphe TOUFFAIT, Des principes applicables à l’allocation de l’indemnité réclamée à raison d’une
détention provisoire, Dalloz-Sirey, 1971, p. 190.
8. Jacques LÉAUTÉ, « Pour une responsabilité de la puissance publique en cas de détention préventive
abusive », Dalloz, 1966, pp. 61 et 63.
9. Tribunal de grande instance de Paris, Ouaoukorri c. Agent judiciaire du Trésor public,
15 octobre 1969, JCP, 1970, II.16153.
10. « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé
indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être
sévèrement réprimée par la loi ».
11. Y. Jégu, réquisitions dans l’affaire Ouaoukorri précitée.
12. Gilbert AZIBERT, « La commission nationale d’indemnisation en matière de détention provisoire »,
Revue de science criminelle, 1985, p. 577.
13. Code de procédure pénale, art. 149 sqq (voir infra, pp. 282 sqq).
14. En 2011, il s’est élevé à 2 279 429 euros. COUR DE CASSATION, Rapport 2011, rapport cité,
p. 594. Cf. Dominique KARSENTY, Betty BRAHMY, « Rationalisation de l’évaluation des préjudices
matériel et moral », Bulletin d’information de la Cour de cassation, 1er mars 2004, p. 14.
15. Cf. COUR DE CASSATION, Rapport annuel 2010, rapport cité, p. 556, et « La réparation de la
détention provisoire », Bulletin d’information de la Cour de cassation, 1er avril 2011, p. 5.
16. Dominique COMMARET, « La commission nationale d’indemnisation en matière de détention
provisoire », Revue de science criminelle, 1999, p. 850.
17. L. Görgen m’a très aimablement communiqué un certain nombre d’informations et de données
sur cette question et sur celle de la responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux de la justice.
Je tiens à la remercier de son aide.
18. Cour d’appel de Paris, 5 juillet 1996.
19. Cf. tribunal de grande instance de Paris, C. et A. de Jaeger c. Agent judiciaire du Trésor public,
6 juillet 1994, Gazette du Palais, 1994, II, p. 589 (souligné par moi).
20. Cass. plén., Consorts Bolle-Roche c. Agent judiciaire du Trésor, 23 février 2001, COUR DE
CASSATION, Rapport 2001, La Documentation française, 2002, p. 437.
21. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Rapport 1999, rapport cité, p. 116.
22. Rapport au Parlement en exécution de la loi organique du 5 mars 2007, année 2011.
23. Tribunal de grande instance de Paris, 3 avril 1996, Gazette du Palais, 21 novembre 1996, p. 1991.
24. Cour de cassation, Malaurie et autres c. Agent judiciaire du Trésor public, 9 mars 1999. Pour un
autre exemple concernant non le foie gras, mais les pâtes, cf. tribunal de grande instance de Paris, Zinsou
c. Agent judiciaire du Trésor public, 12 février 2001.
25. Dès 1982, un rapport parlementaire mentionnait déjà les graves difficultés du fonctionnement de
la justice dans le ressort de la cour d’appel de Rennes : SÉNAT, « Rapport d’information sur le
fonctionnement de la justice dans le ressort de la cour d’appel de Rennes », no 28, 12 octobre 1982 : « La
cour de Rennes donne l’impression d’hommes — juges, auxiliaires de justice et fonctionnaires
confondus — de plus en plus inquiets devant l’accroissement des affaires en cours et la gravité des
problèmes d’organisation et de personnel […]. L’âme du magistrat se partage douloureusement entre la
nécessité “d’évacuer” ces affaires et le souci de rester fidèle à sa mission traditionnelle. D’où une sorte de
malaise, d’angoisse latente » (pp. 7 et 13). Ce texte est révélateur.
26. Tribunal de grande instance de Rennes, 27 novembre 2000 et cour d’appel d’Angers,
11 septembre 2002.
27. « [L]a compensation de la perte d’une chance constitue bien souvent l’ultime secours accordé à la
victime d’attitudes indéniablement fautives, dont il serait intolérable de laisser en jachère la sanction civile
sous couvert de la difficulté de jauger leur incidence. Il n’est donc guère surprenant que la réparation de la
perte d’une chance ait prospéré en droit contemporain, unissant en une même aspiration les victimes de
défaillances médicales complexes, de carrières professionnelles évanouies, d’examens au résultat à jamais
mystérieux, mais aussi celle de procès non menés à un terme victorieux, sapant définitivement la chance
de gain attendue de l’action en justice » (Philippe PIERRE, « Perte d’une chance de gagner un procès »
[2004], in L. CADIET, Dictionnaire de la justice, op. cit., p. 981).
28. Cour d’appel de Paris, 14 juin 2004.
29. Cass. civ.1re, 4 juillet 2006.
30. Cass. civ. 1re, 4 juillet 2006.
31. Cass. civ. 1re, 16 avril 2008.
32. Id., même date. Sur ces deux décisions, cf. les deux arrêts cités dans Nicole PLANCHON, Karine
HOUEL, « Revirement de jurisprudence pour les victimes par ricochet des dysfonctionnements de la
jurisprudence », Courrier juridique des finances et de l’industrie, no 51, mai et juin 2008, p. 173.
33. Sophie COURTOIS, « Le point sur l’évolution du contentieux de la responsabilité du service public
de la justice judiciaire fondé sur l’article L.781-1 du Code de l’organisation judiciaire », Courrier juridique
des finances et de l’industrie, no 19, janvier 2003, p. 16.
34. Cass. 1re civ., 20 janvier 1989, Bull. 1989, I, no 131 ; cour d’appel de Paris, 21 juin 1989, Époux
Saint-Aubin c. État français.
35. Tribunal de grande instance de Paris, Debbasch, 20 décembre 2006.
36. Conseil d’État, Darmont, 29 décembre 1978, p. 542.
37. Id., Gestas, 18 juin 2008, p. 230.
38. CJUE, Köbler, 30 septembre 2003.
39. Retenons ce qu’en dit Christian Morel : « La plus importante des exigences de retour d’expérience
est l’énergie à s’y investir. C’est un principe qui demande que les responsables au sommet de l’organisation
s’y engagent fortement et y consacrent temps et ressources. Ce n’est pas une action qui s’effectue
spontanément au fil de l’eau » (Chr. MOREL, Les Décisions absurdes II, op. cit., p. 210).
40. Statut de la magistrature, art. 48-1. Cette réforme avait été proposée par le CSM dans son rapport
pour 1999 : CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Rapport 1999, rapport cité, p. 141. Il aura fallu
sept ans pour qu’elle soit décidée.
41. Exemple : les réunions des procureurs de la République du ressort de la cour d’appel de Paris
organisées par le parquet général.
42. CEDH, Makhfi c. France, 19 octobre 2004.
43. Cass. civ. 1re, 17 mars 2011.
44. Jean-Claude MAGENDIE, « La responsabilité des magistrats. Contribution à une réflexion
apaisée », Recueil Dalloz, no 35, 6 octobre 2005, p. 2414 ; cf. aussi, ID., « La responsabilité des
magistrats », ibid., no 18, 2003, p. 1177.
45. À titre d’exemple, le CSM publie dans son rapport annuel les décisions disciplinaires prises. Il a
également publié un recueil de ces décisions depuis 1959 : CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE,
Recueil des décisions disciplinaires 1959-2005, op. cit.
46. Rappelons-les. Il s’agit des décisions des juridictions françaises condamnant l’Etat pour mauvais
fonctionnement du service de la justice, des décisions accordant une indemnité pour détention provisoire
non suivie de condamnation, enfin des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme
condamnant la France en matière de justice.
47. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Rapport 2007, rapport cité, p. 125. Cf. également
Harold ÉPINEUSE, « La responsabilité de la justice dans une perspective organisationnelle », Les Cahiers de
la justice, no 3, hiver 2008, p. 17.
48. USM, Flash information, février 2012.
49. Pour une mise au point récente, cf. Jean-Paul BESSON, « Le dysfonctionnement du service public
de la justice », Courrier juridique des Finances et de l’Industrie, no 61, 3e trimestre 2010, p. 157. Pour une
vue d’ensemble cf. Maryse DEGUERGUE, La Responsabilité de l’État du fait du service public de la justice,
PUF, 2003.
50. P. DELMAS-GOYON, « Maîtriser le nombre… », art. cité, p. 40.
51. Allocution prononcée le 6 janvier 2006, Les Annonces de la Seine, 9 janvier 2006, et Le Monde,
7 janvier 2006.
52. Rapport du président du jury de classement des auditeurs de justice de la promotion 1998, p. 6.
53. ENM, La Responsabilité du juge. Travaux de l’atelier de formation continue dirigé par Mme
Dominique Commaret, 1999. Plusieurs autres sessions ont été consacrées aux thèmes suivants : le juge :
statut, pouvoirs et responsabilité (2000) ; éthique et pratiques professionnelles (2001) ; la déontologie du
magistrat : une approche européenne et internationale (2002). Cf. aussi Harold ÉPINEUSE, Denis SALAS,
L’Éthique du juge : une approche européenne et internationale, préface de G. Azibert, Dalloz, 2003, et
Justices, no 5, janvier-mars 1997, « La responsabilité des magistrats et la responsabilité de l’État du fait de
la justice ».
54. Pour l’indispensable élargissement de la réflexion et du débat, au-delà des spécificités de la justice,
cf. Christian VIGOUROUX, Déontologie des fonctions publiques, 3e éd., Dalloz, 2012.
55. « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des
délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ».
56. Bigre. Le prétendant serait-il aux frontières et les royalistes trameraient-ils des complots ? Il serait
temps d’abroger cette disposition héritée de la loi du 30 août 1883.
57. Ces notions étaient contenues dans l’avant-projet de loi organique préparé en 1999 par Élisabeth
Guigou, ministre de la Justice, et dans le rapport de la commission Cabannes. Dans un avis rendu
en 2003, le CSM s’était déclaré hostile à une modification des textes (cf. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA
MAGISTRATURE, Rapport 2003, rapport cité, p. 168). Qu’attend-on pour les inscrire dans le statut de la
magistrature ?
58. Dominique CHARVET, « Les magistrats français et la déontologie : une problématique à clarifier »,
Recueil Dalloz, no 24, 19 juin 2008, p. 1634.
59. Ibid., p. 1636.
60. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Recueil des obligations déontologiques des magistrats, op.
cit. ; cf. aussi Guy CANIVET, Julie JOLY-HURARD, La Déontologie des magistrats, Dalloz, 2004.
61. CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE, Principes de déontologie judiciaire, Ottawa, 2004.
62. Sur l’impartialité, cf., par exemple, pp. 7-12.
63. Ce texte se trouve sur le site Internet du Conseil d’État (2011). Sur les conditions de son
élaboration et son contenu, cf. Christian VIGOUROUX et Pascale GONOD, « À propos de la Charte de
déontologie des membres de la juridiction administrative », Actualité juridique. Droit administratif, no 16,
30 avril 2012, p. 875.
64. Rapport du groupe de travail « Adaptation de l’organisation et des méthodes de la Chancellerie à
ses nouvelles missions ».
65. Conférence de consensus sur l’éthique judiciaire, réunion des premiers présidents de cour d’appel
à la Cour de cassation le 28 juin 2005, Bulletin d’information de la Cour de cassation, 15 octobre 2005,
p. 3.
66. H. ÉPINEUSE, « La responsabilité de la justice dans une perspective organisationnelle », art. cité,
p. 17.
67. INSPECTION GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES, Rapport 1999-2000, p. 27.
68. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Rapport 2003, rapport cité, p. 172.
69. COMMISSION DE RÉFLEXION SUR L’ÉTHIQUE DANS LA MAGISTRATURE, « Rapport », ministère de la
Justice, novembre 2003.
70. « Rendre compte de la qualité de la justice », doc. cité, p. 2.
71. Jérôme BETOULLE, « Les pouvoirs disciplinaires des premiers présidents des cours d’appel », in
Conférence de consensus sur l’éthique judiciaire, réunion des premiers présidents de cour d’appel à la
Cour de cassation le 28 juin 2005, op. cit., p. 18.
72. Pour une étude générale, cf. Guy CANIVET, Julie JOLY-HURARD, La Discipline des juges judiciaires,
administratifs et des comptes, Litec, 2007.
73. Guy CANIVET, « La conception française de la déontologie des magistrats », Esprit,
novembre 2003, p. 17.
74. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Rapport 2000, Éd. du Journal officiel, 2001, p. 99. Le
rapport regrettait l’absence de « règles claires ».
75. J. BETOULLE, « Les pouvoirs disciplinaires des premiers présidents des cours d’appel », rapport
cité.
76. INSPECTION GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES, Rapport 1993-1994, p. 48.
77. Dominique COMMARET, « Rendre compte de la qualité de la justice. Le contrôle interne »,
communication, colloque, Cour de cassation, 2003. Cf. la distinction établie par Daniel LUDET entre
« responsabilité-sanction » et « responsabilité-action » dans « Quelle responsabilité pour les magistrats ? »,
Pouvoirs, no 74, 1995, p. 119 ; ID., « Les mécanismes actuels de la responsabilité des magistrats doivent-
ils être modifiés ? » [2008], in S. GABORIAU et H. PAULIAT (dir.), La Responsabilité des magistrats, op. cit.,
p. 207.
78. Guy CANIVET, « Les citoyens n’acceptent plus une justice sans contrôle », Le Monde,
22 avril 2005.
79. « Le respect du justiciable », rapport présenté par Claude Nocquet, Michèle Colin et Sylvie
Ménotti, Bulletin d’information de la Cour de cassation, no 627, 15 octobre 2005, pp. 4 sqq.
80. Ibid., p. 5.
81. « Le respect du justiciable », rapport cité, pp. 4, 5 et 6.
82. Ibid., p. 7.
83. Ibid., p. 9.
84. Le Monde, 13-14 mars 2011.
85. Président et procureur pour le tribunal de grande instance, premier président et procureur général
pour la cour d’appel, premier président et procureur général pour la Cour de cassation.
86. Dans « Rendre compte de la justice », p. 7, Dominique COMMARET, avocat général à la Cour de
cassation, notait que la commission d’avancement insistait « sur la nécessité d’établir contradictoirement
avant tout changement de juridiction ou de fonctions, un état du service quitté, état qui devrait être
adressé au chef de la cour dans laquelle le magistrat est nommé puis annexé à l’évaluation suivante ».
87. INSPECTION GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES, Rapport 1995-1996, p. 20.
88. Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, la justice a changé. Pour une étude historique, cf.
Jean-Claude FARCY, Magistrats en majesté. Les discours de rentrée aux audiences solennelles des cours d’appel.
XIXe-XXe siècles, CNRS Éd., 1998.
89. Les Annonces de la Seine, 10 janvier 2008, pp. 5-6.
90. Id., 11 janvier 2010, pp. 2-3.
91. Id., 19 janvier 1998, p. 4 (souligné par moi).
92. Antoine GARAPON, intervention devant l’atelier de formation continue « La responsabilité du
juge », 15 mai 1998 (cf. La Responsabilité du juge, op. cit., annexe III).
93. Commission européenne pour l’efficacité de la justice, rattachée au Conseil de l’Europe.
94. L’une des deux juridictions françaises, avec le tribunal de grande instance de Marseille, désignées
comme juridictions de référence par la CEPEJ.
95. Je résumé ici l’article publié sous la triple signature de Michaël JANAS, président du tribunal,
Nicolas JACQUET, procureur de la République, et Céline MUGERLI, directrice de greffe, « Une juridiction
dans le miroir », Gazette du Palais, 23-25 septembre 2012, p. 11.
96. Christian COSTE, sous-directeur de la magistrature à la direction des services judiciaires, « Plaintes
des justiciables et fautes disciplinaires des magistrats. Évolution et tendances », rapport présenté lors de la
réunion des premiers présidents de cour d’appel à la Cour de cassation, 2000, Bulletin de la Cour de
cassation, 15 juillet 2000, p. 7. Selon ce rapport, le ministère de la justice avait reçu quatorze mille cinq
cents lettres en 1999.
97. Dominique COMMARET, « Rapport de la commission d’enquête chargée de rechercher les causes
des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau et de formuler des propositions pour
éviter leur renouvellement », Assemblée nationale, déposition écrite, no 3125, 6 juin 2006, p. 470.
98. COMITÉ CONSULTATIF POUR UNE RÉVISION DE LA CONSTITUTION, présidé par le doyen Georges
Vedel, Propositions pour une révision de la Constitution, 15 février 1993, La Documentation française,
1993, pp. 73 et 128.
99. Le président était un magistrat hors hiérarchie de la Cour de cassation, désigné par l’ensemble des
magistrats de ce grade de la cour. Les deux autres membres étaient désignés l’un par le Médiateur de la
République, l’autre conjointement par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.
100. Il en avait alors le monopole. Depuis 2001, les chefs de cour ont également ce pouvoir.
101. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Rapport 1999, rapport cité, p. 142.
102. Éric VARAUT, allocution prononcée lors de l’audience solennelle de rentrée du tribunal de grande
instance de Pontoise de 2000, Les Annonces de la Seine, 24 février 2000, p. 5.
103. Vincent LAMANDA, « Les plaintes des justiciables à la première présidence de la cour d’appel de
Versailles », Bulletin d’information de la Cour de cassation, 15 juillet 2000, p. 5.
104. Ibid.
105. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Rapport 2003, rapport cité, p. 173.
106. La commission était présidée par Jean Cabannes, premier avocat général honoraire à la Cour de
cassation (COMMISSION DE RÉFLEXION SUR L’ÉTHIQUE DANS LA MAGISTRATURE, « Rapport », rapport
cité).
107. G. CANIVET, « La conception française de la déontologie des magistrats », art. cité, p. 16.
108. COMMISSION DE RÉFLEXION SUR L’ÉTHIQUE DANS LA MAGISTRATURE, « Rapport », rapport cité.
109. « Le respect du justiciable », rapport cité, p. 6.
110. « Rapport de la commission d’enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements
de la justice dans l’affaire dite d’Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur
renouvellement », rapport cité, p. 470.
111. Ibid., proposition no 71, p. 524.
112. Assemblée nationale, no 3391, 24 octobre 2006.
113. Quatre anciens membres du CSM, dont deux non-magistrats, désignés par le ministre de la
Justice et une personnalité qualifiée désignée en commun par le premier président et le procureur général
de la Cour de cassation. La commission élisait son président.
114. Conseil constitutionnel, décision no 2007-551, DC, 1er mars 2007, p. 86, § 10 et 11.
115. Ibid., § 7.
116. CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, Rapport 2007, CSM, 2008, p. 41.
117. Projet de loi constitutionnelle, Assemblée nationale, no 820, 23 avril 2008.
118. Statut de la magistrature, art. 50-3 et 63.
119. De janvier à décembre 2011 le CSM a enregistré quatre cent vingt et une plaintes. 79,5 % des
plaintes traitées ont été déclarées manifestement irrecevables et 20,5 % manifestement infondées. Une
requête a été rejetée au fond et une autre admise.
120. Loi organique du 22 juillet 2010 modifiant celle du 5 février 1994, nouvel art. 18.
121. Voir supra, note 1, p. 334.
Conclusion
Pour une nouvelle politique judiciaire

La justice tient aujourd’hui dans notre société une place considérable. Tout
indique que ce phénomène et la situation qui en résulte sont dans l’ensemble,
et sous réserve d’aménagements, irréversibles. D’où l’importance des réponses
qui seront apportées à la question : comment maîtriser et améliorer la qualité
de l’intervention judiciaire, et tout particulièrement celle du juge, telle qu’elle a
été analysée ici ? Tout dépendra de l’attitude et des relations de trois acteurs
collectifs : le service public de la justice et l’institution judiciaire, la société et
les responsables politiques.

Du service public de la justice à la société judiciaire

« Pouvoir » ou « autorité », on peut en débattre à l’infini, la justice est un


service public, à considérer comme tel. Mais elle n’est pas qu’un service public,
ni un service public comme les autres. La justice a une fonction constitutionnelle.
Qu’est-ce à dire ? Cette fonction constitutionnelle s’éclaire par rapport à la
notion d’État de droit, déjà citée, et notamment de deux de ses éléments : la
limitation de tout pouvoir et la garantie des droits fondamentaux. En d’autres
termes, le contenu de la mission du juge, de tous les juges, ne peut être dissocié
de ce que font ou ne font pas, non seulement le Parlement, le gouvernement,
l’administration, mais aussi, et au-delà, l’ensemble des acteurs sociaux. Chacun
voit aujourd’hui que les libertés fondamentales doivent être protégées, non
seulement contre certaines lois ou tel ou tel acte de l’administration, mais aussi
contre le comportement d’acteurs privés : le droit du travail, celui de la famille,
la protection de la vie privée, ou encore la lutte contre les discriminations, en
sont autant d’exemples concrets.
Il faut aller plus loin. Les droits fondamentaux ne sont pas absolus et
doivent parfois être limités, ne serait-ce que pour permettre à d’autres droits
d’être préservés. C’est pourquoi une conciliation est parfois nécessaire entre des
droits d’égale valeur. Cette opération et les motifs qui en seront donnés
appartiennent en propre au juge.
Ce service public doit être considéré dans son ensemble, c’est-à-dire dans
tous ses éléments. En d’autres termes, il convient ici de parler de la société
judiciaire et de toutes ses composantes : les magistrats, les fonctionnaires placés
sous leur autorité (dont il est rarement question : la presse ne parle jamais
d’eux et ils ne dînent pas en ville), et les professions judiciaires, au premier rang
desquelles les avocats. Le débat sur la justice s’est souvent réduit à celui sur les
magistrats, voire sur certains magistrats. La personnalisation de l’information,
née à la fois du penchant des commentateurs pour la facilité et du goût
immodéré de quelques magistrats pour le vedettariat, y a contribué. Double
errement, et nocif, car il empêche de voir l’ensemble, de prendre du recul et de
considérer les interactions.
Chacun des corps ou ensembles cités est lui-même très divers, voire divisé.
Ce fait s’accommode fort bien de l’affirmation, voire de la proclamation de
l’unité. La société judiciaire est traversée de courants variés, parfois
contradictoires, où se mêlent traditions, cultures, intérêts matériels et
symboliques, et idéologies professionnelles. Il y a, là comme ailleurs, les
rénovateurs et les conservateurs, mais chacun sait que ces derniers ne sont pas
seulement ceux qui se proclament tels. La représentation organisée de ces corps
est elle-même plurielle, voire éclatée.
Les membres de la société judiciaire savent se faire entendre, voire écouter.
Les capacités de temporisation, de blocage, de résistance à la réforme ou
d’immobilisme y sont réelles. Que l’on songe à l’échec du projet de réforme des
tribunaux de commerce en 2001, ou au retard avec lequel est intervenue
en 2011 la fusion des avocats et des avoués au niveau de la cour d’appel,
quarante ans après la fusion au niveau du tribunal de grande instance, ou
encore au feuilleton de la réforme de la carte judiciaire. Mais on y trouve aussi,
et on y voit à l’œuvre, nombre de personnalités lucides, de professionnels
novateurs, avertis des problèmes. Ils contribuent à une prise de conscience de la
nécessité des évolutions et des réformes et, le jour venu, à leur acceptation et à
leur mise en œuvre. C’est pourquoi je leur ai donné souvent la parole ici.
Au sein de la société judiciaire, les magistrats ont une place centrale. Ce
corps souvent taxé, à tort, de conservatisme est l’un de ceux qui se sont le plus
transformés depuis un demi-siècle, de l’intérieur1 comme de l’extérieur, au
point que son identité même a changé. Cette mutation est loin d’être achevée.
Une mise au point s’impose ici : le problème des relations avec le pouvoir
exécutif ne doit pas masquer d’autres problèmes aussi importants, voire plus,
mais, vu le rôle constitutionnel de la justice, il doit recevoir une réponse claire
et dépourvue d’arrière-pensées.
Quant à la société, les faits dominants sont ici le recours, de plus en plus
fréquent, au juge, un niveau d’exigence accru envers ce service public, et enfin
une désacralisation de la justice, conduisant souvent à une attitude
consumériste. Le mot clé est, ici encore, celui de la qualité du service rendu, du
début à la fin de tout parcours judiciaire. Que ressentent les usagers de la
justice face à l’institution judiciaire, c’est-à-dire aux services et aux organismes
auxquelles ils ont concrètement affaire ? Au risque de simplifier ou de
caricaturer : ils perçoivent un monde mystérieux, arbitraire dans son
fonctionnement comme dans ses décisions, et qui semble voué à la lenteur.
Une telle situation appelle, de la part des responsables politiques, des décisions
d’envergure, fondées sur une vision à long terme.
En ce qui concerne les responsables politiques, leur attitude envers la justice,
et d’abord les magistrats, est faite dans l’ensemble de méfiance, d’ignorance et
du ressentiment né d’un sentiment de dépossession. À première vue, cette
attitude n’est guère propice à des décisions qui entreprennent de réformer et de
restaurer ce qui doit l’être. De plus, si, comme l’écrit Loïc Cadiet, « le malaise
de la justice pose aujourd’hui la question plus générale de la place de la justice
au sein de l’État, dans l’architecture des pouvoirs étatiques2 », l’exigence qui
pèse sur les responsables politiques est plus grande encore. C’est une vision
d’ensemble du rôle de l’institution judiciaire dans notre société qui doit guider
les réformes à venir, au-delà de ce qui sera considéré, à tort ou à raison, comme
le plus urgent.
Soyons clairs : ici comme ailleurs, rien ne remplace les choix et les décisions
politiques, engageant la responsabilité de leurs auteurs, au gouvernement et au
Parlement. Aujourd’hui comme hier, c’est d’eux, et d’eux seuls, que peuvent
venir les impulsions indispensables, les réformes de fond qu’appelle l’état de
l’institution judiciaire, en un mot, une politique judiciaire digne de ce nom.
Dans le cas présent, responsabilité et légitimité vont de pair. En outre, nous
sortons d’une période au cours de laquelle les responsables du pouvoir exécutif
ont témoigné envers la justice en général et les magistrats en particulier d’une
attitude faite d’hostilité déclarée et de mépris ouvert sans précédent dont
l’exemple venait de haut. Ici aussi, un redressement concret et visible s’impose.
Concrètement, le ministre de la Justice, assuré de la durée et du soutien du
président de la République, du Premier ministre et du gouvernement, devra,
outre ses propres décisions, savoir faire preuve de pédagogie : traduire, à
destination de l’institution judiciaire, d’une part la nature de la demande
sociale et des attentes, d’autre part le contenu des choix effectués. En sens
inverse, il devra transmettre à l’ensemble des responsables politiques et à
l’opinion les préoccupations légitimes des magistrats et de l’ensemble des
membres de la société judiciaire. En un mot, accomplir une double œuvre
d’explication, faite de clarté et de fermeté, à l’inverse de la démagogie, de la
précipitation, de l’exploitation des tensions ou de l’inertie. Elle exige de
prendre son temps avant de décider, d’expérimenter, d’écouter, de se préparer
avec soin, bref de se donner tous les moyens de la réussite, en sachant que, le
plus souvent, c’est le successeur du ministre de la Justice qui récolte le fruit des
réformes.
Les grands chantiers sont connus : avant tout, améliorer la qualité de ce
service et lui en donner les moyens. Mais l’insuffisance de ceux-ci ne doit pas
être un alibi. Il faut réformer la gouvernance de cette institution en dissipant le
soupçon et en restaurant la confiance, et créer les conditions d’un exercice
normal de la responsabilité. Dans tous ces domaines, les diagnostics pertinents
existent et des solutions sont proposées. Il reste à décider et à exécuter sans
faiblir.

1. Cf. D. MARSHALL, « L’évolution du métier de magistrat », article cité, p. 269.


2. Loïc CADIET, Introduction [2003], in ID. et L. RICHER (dir.), Réforme de la justice, réforme de l’État,
op. cit., p. 12.
Appendice
Réformes proposées

Conseil constitutionnel

— nomination des membres : les propositions du président de la


République et des présidents des deux Assemblées devront être approuvées par
une majorité des trois cinquièmes des membres composant chaque Assemblée,
après audition publique en commission et vérification de leur compétence et
de leur expérience en matière juridique ;
— composition : les anciens présidents de la République n’en feront plus
partie de droit. Chaque membre sera doté de deux collaborateurs personnels
choisis par lui. Les membres du Conseil constitutionnel pourront exprimer des
opinions séparées dans le corps de la décision.

Conseil supérieur de la magistrature

— composition : les propositions de nomination concernant les membres


extérieurs, à l’exception du conseiller d’État et de l’avocat, émanant du
président de la République et des présidents des deux Assemblées, devront être
approuvées par une majorité des 3/5 des membres composant chaque
Assemblée, après audition publique en commission et vérification de leur
compétence en matière d’institutions judiciaires ;
— compétences : le CSM pourra, de son propre chef, adresser des avis au
président de la République et au ministre de la Justice sur toutes les questions
concernant l’indépendance de la magistrature. Il ne sera plus compétent en
matière de traitement des réclamations. Les conditions de nomination des
magistrats du parquet seront alignées sur celles des magistrats du siège. En
matière disciplinaire concernant les magistrats du parquet, le CSM rendra des
décisions et non plus des avis. La nomination du chef de l’Inspection générale
des services judiciaires et celle du directeur de l’ENM seront soumises à son
avis conforme. Il donnera son avis sur les programmes de la formation
dispensée par l’ENM ;
— organisation : la formation plénière comprend tous ses membres et élit
son président.

Statut de la magistrature

— déroulement des carrières : dix ans après leur sortie de l’ENM, les
magistrats effectuent un choix définitif entre le siège et le parquet. Les
magistrats en fonction effectuent ce choix à l’occasion de leur prochaine
nomination, des dispositions spéciales seront prévues pour les magistrats
recrutés par concours ou par la voie de l’intégration directe ;
— création d’une commission nationale d’examen des réclamations
composée de magistrats ;
— évaluation des premiers présidents de cour d’appel et des procureurs
généraux près celles-ci par l’inspecteur général des services judiciaires ou un
inspecteur général adjoint ayant le rang de président de chambre ou d’avocat
général à la Cour de cassation ;
— insertion de dispositions concernant les obligations déontologiques des
magistrats (impartialité, diligence, délai raisonnable, etc.) ;
— formation des chefs de tribunaux de grande instance et de cour d’appel
(création d’une formation préalable et d’une formation dispensée
immédiatement après la nomination).

Code de l’organisation judiciaire

— suppression de la dyarchie : le président du tribunal de grande instance et


le premier président de la cour d’appel deviennent chefs de juridiction. Les
procureurs et les procureurs généraux de la République conservent leur autorité
sur le parquet ;
— les chefs de juridiction et les chefs du parquet rédigent, avant de quitter
leurs fonctions, un rapport d’activité joint à leur dossier et communiqué à leur
successeur ;
— chaque juridiction publie, à l’occasion de la rentrée solennelle, un
rapport d’activité ;
— établissement de trois recueils contenant les décisions rendues par les
juridictions françaises en matière de responsabilité de l’État au sujet de la
justice, d’indemnisation pour détention provisoire non suivie de
condamnation, et par la Cour européenne des droits de l’homme en matière de
justice, concernant la France. Ce recueil, mis à jour régulièrement, est adressé
au CSM et à l’ensemble des magistrats ;
— remplacement de la faute lourde par la faute simple en ce qui concerne la
responsabilité de l’État pour mauvais fonctionnement du service public de la
justice (art. L.141, 2e alinéa).

Code de procédure pénale


— suppression des instructions individuelles adressées par le ministre de la
Justice aux procureurs généraux ;
— nouvelle rédaction de l’article 30 : le ministre de la Justice définit les
grandes lignes de la politique pénale ;
— le procureur général de la République ne peut adresser d’instructions de
classement au procureur de la République.

Code de l’entrée et du séjour des étrangers


et du droit d’asile

La rédaction antérieure à la loi du 16 juin 2011 sur l’immigration des


articles suivants sera rétablie :
— L.313-11-11o : prise en considération de l’état de santé de l’étranger pour
la délivrance d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » ;
— L.521-3-5o : idem en cas d’expulsion ;
— L.552-1 : délai dans lequel le JLD doit intervenir après le placement
initial de l’étranger dans un centre de rétention administrative ;
— L.222-3 et L.552-8 : possibilité d’invoquer en appel une irrégularité
antérieure à la première audience de maintien en zone d’attente (L.222-3) ou
en centre de rétention (L.552-8) ;
— L.222-8 et L.552-13 : sanction de l’inobservation des formalités
substantielles (zone d’attente : L.222-8 ; centre de rétention : L.552-13).

Code de la défense
Ajouter, après l’article L.2312-8 relatif à la décision du ministre refusant de
communiquer à une juridiction un document protégé au titre de secret de la
défense nationale, une disposition prévoyant un recours contre cette décision
permettant son contrôle, assortie d’une procédure spéciale de nature à protéger
ce secret.
REMERCIEMENTS

Irène Hoechstetter-Errera, mon épouse, a revu à plusieurs reprises avec soin


et attention l’ensemble du texte. Je lui dois beaucoup, de la genèse de ce livre à
son point final. Sans ses critiques et ses conseils, cet essai ne serait pas ce qu’il
est. Antoine et Vincent, nos deux fils, ont été aussi parmi mes premiers
lecteurs. Leur regard et leurs réactions m’ont été très précieux.
Jean-Paul Bazelaire, Jacques Buisson, Serge Guinchard et Annie Kensey ont
répondu à mes questions et m’ont fourni des informations et des explications
très utiles.
Loïc Cadiet, Guy Canivet, Dominique Commaret, Christian Coste, Marco
Darmon, Jean-Louis Gallet, Jacques Lautman, Aristide et Marie-Louise Lévi,
Jean-Michel Peltier, Christian Raysséguier, Pierre Saragoussi, Frédéric
Tiberghien et Christian Vigouroux ont accepté de lire le manuscrit de ce livre
et de me faire part de leurs critiques et de leurs suggestions. Je tiens à leur
exprimer toute ma reconnaissance.
Aux Éditions Gallimard, Pierre Nora a accueilli avec confiance le projet à
l’origine de ce livre. Olivier Salvatori et Constance Zoulim ont apporté en
outre tous leurs soins à l’établissement définitif du texte.
Aristide et Marie-Louise Lévi ont corrigé avec soin et attention les épreuves
de ce livre.
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VOLFF, Jean, Le Ministère public, PUF, 1998.
5, rue Gaston-Gallimard, 75328 Paris cedex 07
www.gallimard.fr

© Éditions Gallimard, 2013.


ROGER ERRERA

ET CE SERA JUSTICE…
LE JUGE DANS LA CITÉ

On la dit toute-puissante, mais on la voit parfois désarmée ou dépassée. On la


soupçonne de dépendre du pouvoir, mais on évoque le « gouvernement des
juges ». Les responsables politiques s’estiment dépossédés et sont tentés
d’intervenir. Le corps judiciaire, profondément renouvelé, est tiraillé entre des
exigences contradictoires.
Dans cet essai original, Roger Errera examine avec rigueur les principaux
problèmes qui se posent aujourd’hui à la justice. Il mesure aussi le chemin
parcouru : depuis un demi-siècle, tout a changé, le métier de juge, ses pouvoirs,
son statut, le droit applicable et notre société. Plus que jamais, le juge est dans
la cité. La justice est l’affaire de chacun.
Ce livre s’adresse donc aux citoyens, désormais plus exigeants et mieux
informés de leurs droits, aux décideurs politiques, rappelés à leurs
responsabilités, et aux membres de l’institution judiciaire.

Roger Errera est conseiller d’État honoraire et ancien membre du Conseil supérieur
de la magistrature. Il est l’auteur de nombreuses études sur les libertés et la justice.
DU MÊME AUTEUR

LES LIBERTÉS À L’ABANDON, 3e éd. révisée, Éd. du Seuil, 1975.

Contributions à des ouvrages collectifs

« LE RESPECT, CATÉGORIE JURIDIQUE », in Catherine Audard (dir.), Le


Respect. De l’estime à la déférence. Une question de limite, Autrement, 1993.

« EXTRADITION ET DROITS DE L’HOMME », in Collected Courses of the


Academy of European Law, Recueil des cours de l’académie de droit européen.
1995. The Protection of Human Rights in Europe, vol. VI, livre II, La
Haye/Boston/Londres, Martinus Nijhoff, 1997.

« GROUP LIBEL, HATE SPEECH AND OTHER FIGHTING WORDS :


CIVILITY AND THE USES OF LAW », in Basil Markesinis (dir.), Law
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« INTRODUCTION », in Open Society Institute, Monitoring the EU


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« FREEDOM OF SPEECH. EUROPE », in Georg Nolte (dir.), European and


US Constitutionalism, Cambridge (G.-B.), Cambridge University Press,
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« THE CONCEPT OF MEMBERSHIP OF A PARTICULAR SOCIAL


GROUP IN REFUGEE LAW », in Pierre-Marie Dupuy, Bardo Fassbender,
Malcolm N. Evans, Karl-Peter Sommermann (dir.), Völkerrecht als
Weltordnung. Common Values in International Law. Festschrift für/Essays in
Honor of Christian Tomuschat, Kehl/Strasbourg/Arlington (VA), N.P. Engel,
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« HUMANITARIAN LAW, HUMAN RIGHTS AND REFUGEE LAW :


THE THREE PILLARS », in International Association of Refugee Law
Judges, The Asylum Process and the Rule of Law, New Delhi, Manak, 2006.

« CONCLUSION », in Jacqueline Lalouette et Christian Sorrel (dir.), Les


Lieux de culte en France, 1905-2008, Letouzey et Ané, 2008.

« THE TWISTED ROAD FROM PRINCE ALBERT TO CAMPBELL AND


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« L’INTERNATIONALISATION DU DROIT DE L’EXTRADITION », in


Le Dialogue des juges. Mélanges en l’honneur du président Bruno Genevois,
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« LAW, MEMORY AND HISTORY : ON THE POLITICS OF


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« THE EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS AND INTERIM


MEASURES : SCOPE OF POWERS AND ISSUES FOR DOMESTIC
COURTS », in Asher D. Grunis, Eliezer Rivlin et Michael Karayanni (dir.),
The Shlomo Levin Festschrift, The Hebrew University of Jerusalem and Nevo
Publishing (à paraître en 2013).

« LE DROIT DES RÉFUGIÉS ET DE L’ASILE CONCERNANT LES


FEMMES : L’APPORT DU DROIT HUMANITAIRE
INTERNATIONAL, DU DROIT INTERNATIONAL DES DROITS DE
L’HOMME ET DU DROIT PÉNAL INTERNATIONAL », in Mélanges
en l’honneur de Renée Koering-Joulin (à paraître en 2013).
Cette édition électronique du livre Et ce sera justice... Le juge dans la Cité de Roger Errera a été réalisée le
25 octobre 2013 par les Éditions Gallimard.
Elle repose sur l'édition papier du même ouvrage (ISBN : 9782070134830 - Numéro d'édition :
184847).
Code Sodis : N49888 - ISBN : 9782072449444 - Numéro d'édition : 208491

Le format ePub a été préparé par ePagine


www.epagine.fr
à partir de l'édition papier du même ouvrage.
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