Etudes Critique Des Sources Merovingiennes

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ÉTUDES CRITIQUES

SUR LES SOURCES

DE

L'HISTOIRE MÉROVINGIENNE

PAR

M. GABRIEL MONOD
"
DIRECTEUR ADJOINT A L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES

ET PAR LES MEMBRES DE LA CONFÉRENCE D'HISTOIRE

PREMIÈRE PARTIE

INTRODUCTION GRÉGOIRE DE TOURS

MARIUS D'AVENCHES
PAR M. GABRIEL MONOD

PARIS

LIBRAIRIE A. FRANCK
F. VIEWEG , PROPRIÉTAIRE
RUE RICHELIEU , 67
1872

K
TABLE DES MATIÈRES .

AVANT-PROPOS , P. 1 .
INTRODUCTION . Caractère général de l'historiographie à l'époque méro-
vingienne, p. 3-4; - Vies de Saints , p. 5 ; -Histoires ecclésiastiques ,
p. 5-6; Chroniques , p . 7-10 ; - Le chronographe de 354, p . 11-12 ;
- Documents juridiques , lettres , poésies , p. 13-15 ; - Principes gé-
néraux et utilité de l'histoire critique des sources, p . 16–20 .
GRÉGOIRE DE TOURS . Importance de l'Historia Francorum, p. 21-
22; - Travaux sur Grégoire de Tours, p . 23-24 .
Chapitre I. VIE DE GRÉGOIRE DE Tours . Sources de sa biographie , p. 25;
--- sa famille, p. 26-27 ; - sa naissance , p . 27-28 ; son éducation ,
-- son
p. 28-29; - son élévation à l'épiscopat de Tours , p . 30-31 ;
-- son rôle sous Chil debe rt , p . 34-36 ;
rôle sous Chilpéric, p . 32-34 ;
son prétendu voyage à Rome , p. 37 ; - sa mort , p . 38.
Chapitre II. ÉCRITS DE GRÉGOIRE DE TOURS . MANUSCRITS ET ÉDITIONS DE
L'HISTOIRE DES FRANKS . Euvres de Grégoire , p. 39-41 ; composition
de ses œuvres hagiographiques , p. 41-44 ; - composition de l'Histoire
des Franks, p. 45-50 ; -- manuscrits de l'Histoire des Franks , p . 50-
54; - éditions de l'Histoire des Franks, p . 55-57.
Chapitre III . DE L'AUTHENTICITÉ DU TEXTE DE L'HISTOIRE DES FRANKS .
Opinions des historiens postérieurs sur l'Histoire des Franks , p . 57-
-
58; -objections de Lecointe contre son authenticité, p. 59 ; - réponses
de Ruinart, p. 60 ; — argume nts nouvea ux contre l'opini on de Lecointe,
p. 61.63; - réfutati on des objecti ons de M. Kries contre l'authe nti-
cité du 31 ch. du Livre X, p. 64-72.
-

Chapitre IV . SOURCES DE L'HISTOIRE DES FRANKS. Sóurces écrites du pre-


mier livre, p . 73-78 ; - sources écrites des livres suivants, p . 79-89 ;
sources poétiques et légendaires , p . 90-101 ; - renseignements
oraux, p. 101-104 ; - Grégoire témoin oculaire, p. 104-108 .
Chapitre V. CARACTÈRE DE GRÉGOIRE . BUT DE SON OUVRAGE . AUTORITÉ
DE SON TÉMOIGNAGE. Instruction de Grégoire, p. 109-114 ; son intel-
ligence, p . 114-120 ; - sa foi, p. 121 ; - · but de son ouvrage , p . 121-
122 ; - son caractère passionné, p. 123 ; influence de son époque
sur son caractère, p . 124-125 ; - partialité de ses jugements, p. 126-
133 ; - sincérité de ses récits, p. 134-135 ; - son courage , p . 136 ;
sa bonté , p . 137 ; -sa sévérité morale, p. 138-141 ; - portrait
résumé de Grégoire , p . 142 ; ses moyens d'information , p . 143 ;
-- son autorité, conclusion, p. 144-146.

MARIUS D'AVENCHES , p. 147-148.


Chapitre I. VIE DE MARIUS, p . 149-153.
Chapitre II. CHRONIQUE DE MARIUS . Son contenu , p . 154-156 ; ses
sources, p. 157-162 ; sa chronologie, p . 162-163 .
ADDITIONS ET RECTIFICATIONS .

Nous n'avons pas employé pour les noms Franks les formes primitives.
Nous l'eussions fait si nous avions écrit un livre d'histoire. Dans un livre
de critique des sources, nous avons préféré nous en tenir aux formes
reçues et ne point soulever la question délicate de la forme vraie des
noms barbares .

P.
7, 1. 30 , au lieu de Πανταβίβλον ; lisez : Πεντάβιβλον .
P. 7, 1. 32 , au lieu de de sa Chronographia; lisez : dans sa .
P. 12, n. 2, lisez p . 157 .
P. 15, 1. 40, au lieu de Zeitschr. für Geschischtsw.; lisez : für
Geschichtsw .
P. 23 , 1. 33 , au lieu de : Ampère, Hist. de la litt . fr. , etc. , lisez :
Ampère, Hist. littéraire de la France avant Charlemagne ; 2º
éd. Paris, 1870. T. II , p. 256-290 .
P. 29, 1. 35 , au lieu de V.PP. V. 12 ; lisez : II, 12.
P. 35 , l . 11 , 17 , 31 ; p . 37, 1. 7, au lieu de Reims ; lisez Rheims .
P. 42, 1. 36. On pourrait admettre aussi pour date de la mort de
Gontran 594 (28 mars) . Voy. notre étude sur Marius, p. 151
| et 153. Le raisonnement de M. Giesebrecht n'en conserve
pas moins sa valeur. C'est entre le 28 mars 594 et le 17 no-
vembre , date de sa mort , que Grégoire aurait fait la dernière
révision de ses œuvres .
P. 51 , 1. 36, au lieu de Nazrianus ; lisez Nazarianus.
P. 55 , 1. 30 et n. 2. - L'édition est bien réellement de 1512 , comme
l'ont fait remarquer Struve et M. Bordier. On ne peut
admettre un intervalle de dix ans entre le permis d'imprimer
donné pour trois ans et l'édition . Il y aura eu un X ajouté
par erreur , MDXXII pour MDXII .
P. 64 , l . 21, au lieu de : 1º ; lisez : I. 1º .
P. 64 , 1. 39, au lieu de : M. Giesebreckt ; lisez M. Giesebrecht.
P. 65, 1. 37, au lieu de II ; lisez : II . 1 .
P. 65, 1. 25, au lieu de xre s .; lisez Ixe s.
P. 67 , 1. 8, au lieu de miracularum ; lisez : miraculorum .
P. 71 , 1. 3, au lieu de : accorder ; lisez concorder .
P. 71 , 1. 39, au lieu de : p . 19 ; lisez p. 49 .
P. 112, l . 43 , au lieu de jour de Thór ; lisez jour de Tyr ou de Zio .
P. 113, l . 11 , au lieu de sa Vie ; lisez : ses Miracles.
P. 117 , l . 13 , au lieu de il parle de Théodoric , roi d'Italie en 822 ;
lisez : il parle, en 522, de Théodoric , roi d'Italie.
P. 117 , l . 17 , au lieu de : Jornandès ; lisez : Jordanes.
P. 125 , 1. 39 , au lieu de Clotaire ; lisez : Clothaire.
P. 127, l . 4, au lieu de Roccolon ; lisez : Roccolen.
P. 134, 1. 6 et 7 , effacez au commencement du siècle suivant ; et au
lieu de mettra ; lisez avait mis . --- La collection de canons
faite par Denys le Petit dans la première moitié du vie siècle
ne devint d'un usage général en Gaule qu'au commencement
du vii'. - Cf. p . 9, n . 2 .
P. 148 , 1. 8 , au lieu de : t. XXII ; lisez : t . LXXII . Cette indication
doit être rangée parmi les éditions de Marius, non parmi les
ouvrages à consulter . - Ajoutez aussi l'édit. de Roncalli , II ,
399-418 .
P. 148, l. 10, au lieu de Notice sur les plus anciens, etc.; lisez ; sur le
plus ancien, etc.
P. 160, 1. 1 , au lieu de : Idacius ; lisez : Idatius .
L

AVANT- PROPOS .

STANFORD
Le volume que nous offrons au public contient sous une forme
abrégée les travaux de la conférence d'Histoire du moyen-âge à
l'École pratique des Hautes Études pendant l'année 1869. La
conférence avait pour objet l'étude critique des sources de l'His-
toire de France à l'époque mérovingienne. Tous les élèves pre-
naient part à ce travail . Chacun se chargeait d'en étudier un
point spécial, et rendait compte dans nos réunions hebdoma-
daires du résultat de ses recherches, qui était aussitôt discuté et
commenté par le répétiteur et par les autres membres de la con-
férence. Les exercices de ce genre ne font point partie du pro-
gramme de l'École normale ni de celui de l'École des chartes . La
section d'Histoire de l'École pratique peut, en les inaugurant,
apporter un concours utile à nos études d'enseignement supé-
rieur .
Il a semblé qu'il pourrait être de quelque utilité de réunir ces
travaux en un court volume . Les études critiques sur les sources
de notre Histoire se trouvent chez nous dispersées en tête des
éditions des divers auteurs ou dans de grands recueils où il n'est
pas toujours aisé de les rechercher : l'Histoire littéraire de la
France , l'Histoire et les Mémoires de l'Académie des Inscriptions ,
la Bibliothèque de l'École des chartes . L'ouvrage de M. Watten-
HIST. MÉROVINGienne. 1
2
bach sur les sources de l'Histoire 1 d'Allemagne est le seul qui
nous offre une étude suivie des sources mérovingiennes et carolin-
giennes, et pour les temps postérieurs de notre histoire , nous ne
possédons aucun ouvrage analogue . Nous croyons rendre service
aux jeunes gens de notre pays qui s'occupent d'histoire en essayant
un travail du même genre pour les temps mérovingiens . Nous
n'avons pas la prétention d'apporter des lumières nouvelles sur
le sujet, et nous n'avons pu en un semestre (janvier-juin) , nous
occuper que des textes les plus importants 2. Nous laissons de côté
tous les documents antérieurs à l'établissement des Franks en

Gaule, la plupart des Vies de Saints , les poèmes , les lois , les di-
-
plômes, les lettres . Grégoire de Tours , Marius, la chronique
BIYMLOKI

dite de Frédégaire et ses continuateurs, les Gesta regum Fran-


corum, les Gesta Dagoberti regis, les débuts des premières
annales et un petit nombre de Vies de Saints , tels ont été les divers
textes étudiés par la conférence . Nous serons satisfaits si nous
avons pu donner une idée précise de chaque écrit , montrer les
liens qui unissent entre eux les divers documents , indiquer les
questions critiques qu'ils font naître, en élucider quelques détails ,
et faciliter ainsi les recherches de ceux qui s'occupent de notre
histoire.
Les élèves de l'École des Hautes Études qui ont le plus parti-
culièrement contribué aux travaux réunis dans le présent volume
sont MM. Courajod , de Coutouly , Fagniez, Longnon et Roy. Le
répétiteur s'est chargé de résumer et de mettre en œuvre le
travail de la conférence .
G. MONOD .

1. Deutschlands Geschichtsquellen im Mittelalter bis zur Mitte des dreizehnten


Jahrhunderts, v. W. Wattenbach. 1re éd. 1858. - 2º éd. augmentée 1866.
Berlin, in-8.
2. Nous indiquons aussi exactement que possible les auteurs que nous
avons consultés, et la provenance des opinions que nous avons adop-
tées. Mais voulant faire un livre facile à consulter, nous n'avons pas
voulu le surcharger de notes, et nous n'avons pas cité pour chaque
point les opinions de tous nos devanciers . Nous avertissons une fois
pour toutes que notre travail est en grande partie un résumé de tra-
vaux antérieurs .
INTRODUCTION .

Avant d'aborder l'étude des sources de l'histoire mérovin-


gienne, il importe de nous rendre compte d'une manière générale
de la nature des documents fournis à l'historien par les premiers
temps du moyen-âge ; il importe de savoir où les écrivains de
cette époque puisaient leurs inspirations , où ils choisissaient leurs
modèles, quel but ils se proposaient . Grâce aux souvenirs tou-
jours vivants de l'unité romaine , grâce à l'unité nouvelle et plus
vaste que le christianisme avait fait triompher, grâce à la langue
latine seule employée dans les Écoles et dans l'Eglise , la littéra-
ture du moyen-âge forme dans son ensemble un tout parfaitement
organique, et la littérature de chaque pays n'est qu'un rameau
du tronc commun . Prise isolément , chacune de ces littératures
serait difficile à comprendre et à expliquer ; il faut étudier depuis
l'origine leur formation successive et leurs rapports réciproques .
Cela est particulièrement vrai pour la littérature historique ;
l'uniformité d'éducation et d'idées , la rareté des livres, le manque
de loisirs, la barbarie croissante de la langue obligent ceux qui
ont encore le courage d'écrire à travailler à peu près sur le même
plan, à prendre deux ou trois modèles qu'ils se contentent de
copier, d'imiter et de continuer. Aussi peut-on marquer comme
une filiation entre les diverses œuvres et retrouver souvent tous
les documents où les auteurs ont puisé. C'est par la manière
dont ils ont usé de ces documents, dont ils ont contribué pour
ainsi dire au travail commun , que nous pouvons le mieux juger
de la portée de leur esprit et de la valeur de leur témoignage.
- 4--

La décadence de la puissance romaine, l'établissement du


christianisme, l'introduction progressive des barbares dans l'em-
pire amenèrent au ve siècle la chute des grandes écoles laïques
qui avaient fait la gloire de la Gaule, celles de Bordeaux , de
Vienne, d'Arles, de Lyon, d'Autun, de Trèves ¹ . Elles cèdent la
place à des écoles moins brillantes dirigées par les évêques ou
par les abbés des nouveaux monastères ; telles les écoles de Poi-
tiers , de Clermont , d'Arles , de Vienne, de Lérins . Dans ces temps
malheureux et troublés, c'est dans l'Église que se réfugie ce qui
reste encore de goût pour l'étude et pour les travaux de l'esprit.
La littérature devient tout entière non-seulement chrétienne , mais
ecclésiastique. Les membres du clergé seuls ont l'instruction, le
temps , l'argent nécessaire pour consigner par écrit leurs pen-
sées sur le parchemin , devenu rare ; seuls ils peuvent trouver
dans le sein de leurs églises et de leurs monastères , des audi-
teurs et des lecteurs . Aussi tandis que les homélies , les instruc-
tions pastorales , les commentaires sur les livres saints rempla-
cent les exercices de rhétorique et de grammaire des écoles
profanes, tandis que la poésie après avoir conservé jusqu'à
Ausone 2 (309. + vers 394) un parfum d'antiquité et de paga-
nisme chante avec Prudence 3 (+ v. 410) et Sedulius¹ (vº s.)
les mystères de la foi et les vertus des Saints, l'histoire subit
une transformation analogue . Bien qu'on lise encore dans les
écoles ecclésiastiques quelques-uns des historiens antiques, bien
qu'on y commente parfois le code Théodosien , le monde et l'his-
toire sont envisagés sous un aspect tout nouveau . Au lieu des inté
rêts politiques et profanes dont se nourrissait l'esprit des histo-
riens païens jusqu'à Eutrope (2º moitié du rvs . ) , les intérêts de
la religion et de l'Église paraissent seuls dignes d'occuper l'âme
des chrétiens . Ce n'est plus la vie des grands personnages poli-
tiques qu'on prend à tâche de raconter et de célébrer, c'est la
vie et la mort des Saints . Les passions des martyrs, voilà les
batailles et les triomphes où se plaisent les historiens nouveaux .
Le premier monument de ce genre que nous possédions pour la

1. V. Bernhardy, Grundriss der roemischen Litteratur. I Abth . Braun-


schweig. 1855, p . 325-326. - Monnard, de Gallorum oratorio ingenio, rheto-
ribus et rhetoricae, Romanorum tempore, scholis. Bonn. 1848. - Ampère, Hist.
litt. de la France. Paris, 1839. T. I , II.
2. Ed. princeps. Venise 1472, in-f .
3. Ed. Th. Obbarius . Tubingen, 1845.
4. Ed. Arevalo. Rome, 1794 , in-4°.
5. Eutrope. Ed . R. Dietsch . Leipsig. Teubner, 1868 , in- 12.
5 -

Gaule est la lettre écrite par les Eglises de Vienne et de Lyon


aux Eglises d'Asie sur le martyre de saint Pothin et de ses
47 compagnons ( 177 ap . J.-C. ) . La plus ancienne vie de saint
Gallo-Romain qui nous ait été conservée est celle de saint
Martin de Tours par son disciple et ami Sulpice Sévère² (fin
du Iv s.). Au ve et au viº s . ces vies de Saints deviennent nom-
breuses et nous y trouvons d'abondants renseignements histori-
ques pour une époque où l'Eglise, seule puissance restée debout
parmi les ruines du monde romain , se trouve mêlée à tous les
événements politiques . C'est ainsi par exemple que la vie de Saint
Séverin , l'apôtre du Haut-Danube († 482), par l'abbé Eugip-
pius, son élève , qui vivait à la fin du v° et au commencement
du vr s. est un des documents les plus curieux pour l'histoire
du sud de la Germanie à l'époque de l'invasion des barbares 3.
Quand plus tard les évêques ou les moines deviendront auprès
des chefs mérovingiens des conseillers , des ministres , ou lorsque ,
opposant puissance à puissance , ils entreront en lutte avec eux ,
lorsque la force militaire des Franks sera mise au service de la
propagande chrétienne , les vies de Saints deviendront une des
sources les plus importantes de notre histoire¹ .
Mais le plus souvent les événements historiques n'avaient
qu'une valeur bien secondaire aux yeux des auteurs des vies de
Saints. Leur but unique était l'édification des fidèles et la glori-

1. Eusèbe, Hist. Eccl. V, 1-3 . Ed . Heinichen. Leipsig , 1868. V. dans


Ruinart, Acta Martyrum sincera , tous les documents de ce genre. 1689 ,
in-4°.
2. Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum : Sulpicii Severi opera ex
rec. C. Halmii . Vindob. 1866. - Acta SS. Bolland . 2 juin . I. p. 162-168.
3. Ed . Ant. Kerschbaumer. Schaffouse, 1862, in-16. et A. SS. B. 6 janv.
I. p. 484-497.
4. Les éditions de Vies de Saints dans Mabillon, Acta Sanctorum Ordinis
S. Benedicti collegit D. Luc d'Achery, ediderunt J. Mabillon et D. Ruinart,
Saeculum. I-VI. Lut. Paris. , 1668-1701 , 9 v. in -fol. , valent généralement
mieux pour le texte que celles des Bollandistes, Acta SS. quotquot toto
orbe coluntur collegit... Joh. Bollandus, op. et stud . contulerunt God . Hen-
schen et Dan. Papebroch. Antverp . Bruxellis et Tongerloe, 1643-1794; Bru-
xellis, 1845-1861 . 57 v . in-f ; mais celles-ci ont l'avantage d'être accom-
pagnées de dissertations critiques instructives hien que d'une valeur
inégale . Le recueil des Bollandistes comprend d'ailleurs toutes les vies
de Saints ; Mabillon ne reproduit que celles des Saints qui , de près ou
de loin, se rattachent à l'ordre de saint Benoît . Le recueil des Bollan-
distes s'arrête à la fin d'octobre . Pour les mois de novembre et décem-
bre nous avons Surius († 1578, Cologne), De Probatis SS. Historiis . Colon.
Agripp . 1570-1575 , 6 v . in-f ; 5° éd . Col. 1618. 12 v . in-fº .
- 6

fication des miracles pieux . Aussi les faits étrangers à la vie


religieuse sont-ils souvent entièrement passés sous silence ou
rapportés avec la plus grande inexactitude . Si quelques écrivains
ecclésiastiques s'élèvent à un point de vue plus général et cher-
chent à embrasser une période étendue de l'histoire , ou même
l'histoire universelle dans son ensemble, ils sont toujours gui-
dés néanmoins par des préoccupations religieuses . C'est moins
l'histoire des peuples que l'on écrit que l'histoire de la Religion .
Quelle que pût être l'étroitesse et la fausseté de ce point de vue ,
surtout tel que le conçurent les premiers historiens chrétiens , il
n'en avait pas moins sa grandeur ; il avait même une véritable
valeur philosophique. Au lieu de compilations sans ordre comme
celle de Diodore de Sicile où tous les peuples sont passés en revue
sans qu'aucun lien réel les rattache les uns aux autres , nous
trouvons ici la première conception, encore mal définie , il est
vrai , d'une histoire universelle et d'une philosophie de l'histoire .
Toute l'humanité est considérée dans son ensemble ; son développe-
ment a une raison d'être, un centre, une explication : la Rédemp-
tion . Avant J. C. tous les événements tendent à ce but suprême ;
après lui tous en découlent avec cette logique entremêlée de
coups de surprise qui est le caractère propre de l'action divine .
Un fil conducteur permettait désormais de se retrouver dans
le dédale de l'histoire . Cette théorie n'expliquait qu'une bien
petite partie des faits , mais elle suffisait à éclairer l'horizon borné
que pouvaient embrasser les hommes du moyen-âge .
Cette conception religieuse inspire même les écrivains qui
s'intéressent encore aux événements profanes , les auteurs
d'annales et de chroniques, même ceux qui ne racontent que
l'histoire d'un seul peuple ou d'une seule époque . Appartenant
tous au clergé , ils donnent tous une importance exception-
nelle aux événements ecclésiastiques . L'Eglise d'ailleurs domine
toute la société de cette époque par sa forte organisation ,
comme par son ascendant moral. Aussi Bède le vénérable intitule-
t-il son histoire des Anglo-Saxons : Histoire ecclésiastique ;
Grégoire de Tours, et plus tard Frédégaire , Réginon , Adon de
Vienne, et une foule d'autres chroniqueurs commencent le récit
des événements de leur temps par un résumé de l'histoire du
monde depuis sa création, ou du moins depuis la venue du
Christ. Eusèbe et Paul Orose furent les maîtres et les guides dans
cette nouvelle manière de comprendre et d'écrire l'histoire . C'est
dans le bizarre ouvrage de Paul Orose († v . 420) que les hommes
du moyen-âge puisèrent presque toutes leurs connaissances
- 7-

sur l'histoire de l'antiquité . Ses Historiarum libri VII adversus


paganos ont pour but de prouver que le monde a toujours été
accablé des plus grandes calamités , et que l'on ne peut par consé-
quent rendre le christianisme responsable des maux qui ont
accompagné son triomphe. C'est dans l'intérêt de cette étrange
apologie qu'il passe en revue tous les événements de l'histoire au
milieu desquels la Foi chrétienne et l'Eglise apparaissent comme
l'unique espoir de salut et de repos . Eusèbe, évêque de Césarée
(† 340) , bien supérieur à Paul Orose par l'étendue et la portée
de son esprit, exerça une influence plus grande encore . Il fut le
vrai créateur de l'Histoire ecclésiastique . L'ouvrage qu'il nous
a laissé sous ce titre prend le Christ pour point de départ, mais il
résume rapidement les événements qui avaient préparé sa venue ,
et montre ainsi l'unité des desseins de Dieu manifestée dans l'his-
toire. Le livre d'Eusèbe fut l'autorité universellement acceptée
au moyen-âge pour l'histoire des origines du christianisme . Tan-
dis qu'en Orient les historiens de l'Histoire Tripartite se font ses
continuateurs , en Gaule Sulpice Sévère l'imite dans sa Chro-
nica sacra (ab 0. C. -400) , mais en donnant un développement
complet de la préparation comme des conséquences de la venue
du Christ. C'est dans ces auteurs qu'il faut chercher les rensei-
gnements les plus authentiques sur l'établissement du christia-
nisme en Occident .
Eusèbe exerça une influence plus considérable encore sur les com-
positions historiques du moyen-âge par sa chronique dite llavτoda
ἱστορία οι Χρονικά συγγράμματα , 3 sorte de chronologie comparée
de tous les peuples connus . Josèphe, le premier, dans ses Anti-
quités judaïques (v . 220) , avait cherché à fixer l'âge du monde .
Sextus Julius Africanus, après lui , avait fait un essai de chrono-
logie universelle : Πανταβίβλον χρονολογικόν (quinque libri de
temporibus) dont des fragments seuls nous ont été conservés
par Georges le Syncelle († v. 800) de sa Chronographia 4.
Hippolyte , dit à tort de Porto (saint Hippolyte) , avait composé
en grec un essai du même genre, qui fut également perdu 5 .

1. 2 éd . d'Havercamp , Lyon, 1767, in-4° .


2. Ed . Heinichen . Leipsig, 1868. Ce n'est pas le texte grec d'Eusèbe ,
mais la traduction latine de Rufinus (v. 400) , qui fut répandue en Occident.
3. Eusebii chronicorum canonum quae supersunt, éd. A. Schoene. Berlin ,
1866, in-4°.
4. Georgius Syncellus et Nicephorus. Ed. G. Dindorf. Bonn. 1829. 2 v. in-8.
(Corpus historiae Byzantinae. )
5. M. Mommsen a cru le retrouver dans le recueil connu sous le nom
- 8 -

L'ouvrage d'Eusèbe eut une plus heureuse fortune ¹ . Sa chro-


nique, écrite à l'imitation de Jules Africain, est divisée en deux
livres . Dans le premier : Xpovoypaçía , par la comparaison des
diverses opinions des historiens anciens, il cherche à établir la
chronologie exacte de chaque peuple pris séparément ; dans le
second : Xpovixés xavóv , il présente en tableaux synoptiques la
concordance des diverses chronologies ( chronologie biblique ,
années égyptiennes et assyriennes , olympiades, ans de Rome),
et les listes des rois des divers pays. Les événements les plus
importants sont brièvement indiqués en marge . C'est dans ces
tableaux chronologiques contenant une sèche énumération de
noms propres et quelques faits parcimonieusement choisis que
l'histoire nous apparaît pour la première fois considérée dans
son ensemble et groupée autour d'un centre unique . Car l'idée
religieuse apparaît vivante sous cette froide chronologie. La
Bible devient la règle normale pour la supputation des années .
Les années écoulées depuis Abraham , telles qu'on peut les cal-
culer d'après l'Ancien Testament , tiennent le premier rang dans
la liste ; l'histoire juive est le point de départ de l'histoire de tous les
peuples , et les ans de Rome, les années des empereurs , l'ère
même de Diocletien , sont subordonnés à la chronologie biblique 2 .
Les événements ecclésiastiques, la mort des martyrs ou la nomi-

de Chronographe de 354 et l'identifie avec le Liber generationum de Fré-


dégaire (v. plus loin, p . 12, n. 1) .
1. Il eut pourtant à subir bien des vicissitudes. Le texte grec se per-
dit d'assez bonne heure , et nous n'en connaissons que les fragments
donnés par Georges Le Syncelle . L'Occident ne connut que le second
livre traduit et continué par saint Jérôme. Mais en Orient la chronique
complète, qui jouissait d'une grande autorité, fut traduite en arménien.
Cette traduction , longtemps inconnue , fut apportée en 1787 de Jérusalem
à Constantinople et fut publiée en 1818 à Venise , par I. B. Aucher,
moine méchithariste , et à Milan la même année par Zohrab et Maï. Voy.
la réédition dans Maï, Scriptorum veterum nova collectio . T. VIII . Rome ,
1833.
2. «Opportunum duxi, immo perutile ac necessarium , breviter haec
omnia disponere ; praetereaque sanctis Hebraeorum litteris contentas
hebraicas antiquitates atque chronologiam sermoni meo adjungere : sci-
licet ut possimus apprime intelligere, quanto tempore ante salutarem
Dei manifestationem Moses exstiterit, nec non qui post eum Hebraeo-
rum prophetae divino spiritu afflati vaticinati sunt; atque ut facile cognos-
camus, Graecorum vel barborum insignes homines, quo tempore occur-
rerint celebribus illis veteribus apud Hebraeos , prophetis videlicet ,
iisque singulis qui eidem genti cum imperio profuerunt. » Eusèbe :
Chronographia : Préface.
-9 -

nation des évêques sont notés avec autant de soin que l'avène-
ment ou la mort des empereurs . Au vir s . on fera un pas de
plus ; l'humanité régénérée comptera les années à partir de l'In-
carnation du Christ, et la chronologie moderne sera fondée .
L'intérêt que trouvaient les chrétiens à marquer le rapport et
la subordination de l'histoire profane à l'histoire sacrée , la
nécessité de déterminer exactement l'année de la naissance et
celle de la passion du Christ , enfin le désir de calculer l'époque
de l'accomplissement des prophéties et de la venue du règne de
Dieu, donnaient une grande importance à ces travaux de chro-
nologie. Aussi pouvons-nous dire sans exagération que si nous
devons au christianisme la première conception philosophique
de l'histoire, nous lui devons aussi le développement de la
science chronologique . Il remplace les chronologies particu-
lières des divers peuples par une chronologie vraiment catholique
faite pour l'humanité entière , et il s'efforce de ramener toutes
les autres supputations à une règle universelle et unique 2.
Le Xpovixés xavóv ne conduisait que jusqu'en 329. Saint
Jérôme en fit une traduction latine et la continua jusqu'en 378.
Cette traduction, universellement répandue en Occident, y devint
avec Orose la base des connaissances et des travaux historiques .
Partout on la copie, et aux ve et vrº s . , ceux qui veulent conser-

1. Sans doute les historiens anciens s'étaient aussi préoccupés de chro-


nologie, et Eusèbe nous cite tous ceux qu'il a consultés sur ce sujet :
Bérose, Alexandre Polyhistor, Abydenus, Manéthon , Diodore , Castor, Cèpha-
lion, Josèphe , Porphyre, Cassius Longinus, Phlegon, Thallus ; mais ces
auteurs n'avaient donné que des indications sur la chronologie séparée de
chaque peuple, tandis qu'Eusèbe le premier établit la concordance de
toutes les chronologies, en les rapportant à celle que nous donne la
Bible des années écoulées depuis la Création et depuis l'entrée d'Abra-
ham en Canaan. Sans doute Eusèbe suppute encore d'après les années
des empereurs et d'après les consuls ; ses continuateurs indiqueront les
années d'après la méthode romaine . Mais la grande unité romaine tou-
jours vivante est néanmoins ramenée à une unité plus vaste, celle du
monde, et les continuateurs d'Eusèbe auront toujours soin de s'arrêter
de temps à autre dans leurs chroniques pour établir le rapport chrono-
logique des événements profanes avec les grands faits de l'histoire reli-
gieuse, surtout avec l'incarnation et la passion du Christ.
2. La nécessité d'avoir dans tous les monastères et dans toutes les
églises l'indication des fêtes mobiles pour chaque année et de suivre à
cet égard une règle unique, surtout pour la grande fête de Pâques,
donnait un puissant intérêt aux recherches de ce genre. Ce fut Diony-
sius Exiguus († v. 556) qui le premier compta les années à partir de l'In-
carnation. Ce système ne devint d'un usage général qu'au viii s.
10-

ver par écrit la mémoire des événements importants dont ils ont
été les témoins se font les continuateurs de saint Jérôme . Toute
une famille de chroniques sort ainsi du modèle donné par
Eusèbe. A saint Jérôme se rattachent la chronique du Comte
Marcellin, chancelier de Justinien († 534) , qui s'étend de 379
à 534, celle d'Idatius, évêque espagnol (de Lemica ? Lemicen-
sis), qui va de 379 à 468, et qui s'occupe surtout des Wisigoths
et du midi de la Gaule, enfin la chronique de Prosper, dont
nous possédons des versions diverses , mais dont le fonds est le
même. On en distingue ordinairement deux principales : l'une
est connue sous le nom de Chronicon consulare, parce qu'elle
désigne les années par les noms de consuls ; on l'attribue à un
Prosper Aquitanicus (saint Prosper, évêque de Riez ?) , elle
reproduit saint Jérôme jusqu'en 379 et continue jusqu'en 455 ;
l'autre est dite Chronicon imperiale, parce qu'elle indique aussi
les années du règne des empereurs , ou Pithoeanum, du nom du
premier éditeur ; elle aurait pour auteur un Prosper Tiro¹ ;
elle s'étend de 379 à 455. Ces chroniques sont précieuses pour
les événements qui se passent dans la Gaule méridionale pendant
la première moitié du vº s . A la chronique de Prosper se ratta-
chent la chronique de Marius, évêque d'Avenche 2 , qui com-
prend la période de 445 à 581 , et celle de Victor, évêque de
Tunis, qui s'étend de 444 à 566. Jean, abbé de Biclar , au pied
des Pyrénées , continue Victor de 566 à 590 , et Cassiodore,
Isidore de Séville et Bède³ , reprennent cette série de chroni-

1. Cette distinction de noms semble arbitraire, car certains manus-


crits attribuent les deux chroniques à Tiro Prosper Aquitanicus. Jusqu'ici
le meilleur recueil de toutes ces chroniques est celui de Roncalli : Vetus-
tiora latinorum scriptorum chronica. 2 parties. Padoue , 1787. - Voyez
sur ce sujet Wattenbach , op. cit. p . 40-46. - Baehr, Gesch . der ræmis-
chen Litteratur. Suppl. Band, p. 98-102. Waitz, Nachrichten der Gælt.
Gesellschaft der Wissenschaften . 1865, p. 61-114. Hist. litt. de la France,
p. II , 325 sq., 389 sq. Les éditions de la chronique impériale ont été
faites sur des manuscrits qui ne contenaient pas la transcription de la
chronique de saint Jérôme et ne donnaient pas les noms des consuls.
(V. Roncalli , II .) Mais le manuscrit du Bristish Museum (n° 16974) con-
tient la chronique de Prosper Tiro avec les fastes consulaires et les
années de règne des empereurs. C'est à cette dernière chronique qu'est
jointe celle de Marius qui désigne les années par les noms des consuls .
(Je dois cette indication à l'obligeance de M. Arndt. - N. du R. ) L'édition
de Prosper que promettent les Monumenta Germaniae éclaircira sans
doute les obscures questions que soulève cette double chronique.
2. Nous lui consacrons une étude spéciale .
3. La Chronique de Bède, De sex mundi aetatibus ab. O. C. - 726, ne
11--

ques depuis la création , et poursuivent leur œuvre, le premier


jusqu'en 519 , le second jusqu'en 627 , et le dernier jusqu'en 726 .
D'autres se feront à leur tour les continuateurs de Bède ou d'Isidore .
Le trait caractéristique de ces divers écrits , c'est la persistance
du souvenir et de l'influence de l'empire romain à côté de l'in-
fluence nouvelle du christianisme . L'Eglise devenue triom-
phante par Rome regardait ses destinées comme étroitement
unies à celles de l'Empire . Même en dehors de l'Italie , et
lorsque la puissance impériale est déchue, les clercs continuent
de croire à la perpétuité de l'Empire . Ils sont presque tous
sortis en effet des races depuis longtemps unies au monde
romain , et que les barbares viennent de conquérir. Jusqu'au
VIII s. ils conservent comme un honneur le nom de Romains ¹ .
Aussi les chroniqueurs ecclésiastiques jusqu'à Marius ( fin du
vre s. ) , comptent-ils les années d'après la durée du règne des
empereurs ou d'après les noms des consuls, et prêtent- ils plus
d'attention à ce qui se passe à Rome ou même en Orient , qu'aux
affaires du pays où ils vivent . Ce mélange de la tradition
romaine avec les nouveaux intérêts religieux se retrouvera dans
presque tous les écrits du moyen-âge . Nous en avons un exemple
ancien et des plus curieux dans un recueil qui eut une influence
considérable et dont une copie se trouve à la Bibliothèque de
Vienne . On le nomme le Chronographe de 354. C'est un
calendrier officiel de Rome pour l'année 354. Il contient :
1. Un calendrier purement civil et romain, avec l'indication
des jeux publics, des jours du sénat , etc.
2. Des annales depuis César jusqu'à 539. (V. Roncalli , IX . )
3. Les fastes consulaires jusqu'à 354 ; dits Anonymus Nori-
sianus . (V. Eckhard p . 25-38 . ) 3
4. Des tables de Pâques calculées depuis 312 pour cent ans .
(V. Eckhard p . 38-40 . )
5. La liste des préfets de la ville de 258-354 . (V. Eckhard
col. 17-22 . )

se trouve pas dans Roncalli. V. Joh. Smith , Bedae opera historica collecta.
Cambridge , 1722 , in-fol. p. 1-34. Le sixième.âge a été réédité dans les
Monumenta historica Britannica, 1848. I, p. 83-102.
1. V. Frédégaire, passim. Il distingue les Burgundiones, Franci, Romani.
2. N° 3416. Cod. cart. Les nº 1 , 9 et 10 sont publiés dans le remarquable
ouvrage de M. Mommsen , Ueber den Chronograph des Jahres 354. Leipsig,
1850. - Pallmann, Gesch. der Voelkerwanderung, 11 , 196-201 et 224-248.
Wattenbach , p. 43.
3. Eccard, Corpus Historicorum medii aevi. Leipsig, 1723.
- 12 -

6. L'indication de la mort des évêques romains et des mar-


tyrs. (V. Eckhard col . 23-24 . )
7. Le catalogue des papes jusqu'à Liberius , 352–369 . (V.
Eckhard col. 25-28 . )
8. Des annales depuis César jusqu'à 403 et de 455 à 496.
(V. Roncalli VIII . )
9. Une chronique universelle¹ (dite Chronicon Horosii.)
10. Une chronique de la ville de Rome jusqu'en 334. (V. Ron-
calli XI. )
11. La description des régions de Rome. (Ed . Preller. Iéna
1846.)
Des copies complètes ou partielles de ce calendrier se retrou-
vent dans divers endroits où elles servaient à inscrire les événe-
ments importants . On y faisait des additions successives , et nous
voyons des écrits d'une certaine valeur historique sortir de ce
recueil primitif. Le manuscrit de Vienne contient des indications
annalistiques (nº 8) écrites à Ravenne et connues sous le nom
d'Anonyme de Cuspinien (p . 496) . Elles ont servi de source à
Cassiodore, au Chroniqueur Anonyme dit de Valois , à l'évê-
que Maximien2 . Les listes d'évêques de Rome ont été le premier
noyau des biographies pontificales dites d'Anastase le Bibliothé
caire. Les mentions de morts d'évêques et de martyrs ont été
développées et ont formé les martyrologes si communs au moyen-
âge (Martyr. Hieronymi , Gellonense , Bedae , Usuardi ,
Notkeri³) . Enfin c'est sur les tables de Pâques déposées dans
les monastères que furent écrites plus tard les premières
annales .
La chronique de saint Jérôme et ces courtes indications de
calendrier, voilà le point de départ de presque tous les écrits
historiques du moyen-âge. Même les auteurs de véritables his-
toires, comme Grégoire de Tours ou Frédégaire, s'y rattachent
et s'en font les copistes ou les continuateurs . Lorsque la pre-
mière renaissance des lettres latines au VIII et au Ix° s . ranimera
l'étude des historiens anciens , on recopiera encore et on con-
tinuera les ouvrages de saint Jérôme , d'Isidore, de Grégoire .
L'esprit timide et routinier des clercs restera attaché à cette tra-
dition à la fois historique et ecclésiastique . Malheureusement

1. C'est cette chronique que M. Mommsen regarde comme l'ouvrage


de chronologie de saint Hippolyte, dit de Porto-Romano ; et qu'il identifie
au Liber Generationum de Frėdėgaire . ( Ueb. de Chr. p . 585-598 .)
2. V. plus loin, p . •
3. Wattenbach, p. 45-48.
- 13 -

nous ne possédons pas tous les anneaux de la chaîne . Il y a des


périodes pour lesquelles nous ne possédons que des fragments
disséminés , de sèches indications ; d'autres où les sources con-
temporaines manquent même absolument ; l'écho seul des événe-
ments nous parvient à travers des légendes et des traditions
orales. C'est là surtout qu'il importe d'appliquer une critique
sévère aux témoignages qui nous sont parvenus , de les classer,
et de bien déterminer leur degré d'authenticité et d'autorité.
Mais l'étude des sources de notre histoire ne comprend pas
seulement les écrits contenant des récits d'événements , Vies de
Saints, Chroniques et Histoires . Ce n'est là qu'une partie des
matériaux offerts aux recherches du critique et de l'historien .
Nous possédons heureusement d'autres documents qui com-
plètent les textes spécialement historiques et jettent souvent une
vive lumière sur des époques qui sans eux demeureraient obs-
cures. Au premier rang se placent les pièces officielles , lois ,
formules , canons des conciles , diplômes ou inscriptions. C'est
dans les lois et les formules juridiques des premiers temps du
moyen-âge que nous apprenons le mieux à connaître l'esprit et
les mœurs des barbares ; les formules de Marculf¹ , la loi sali-
que ² , la loi ripuaire³ , les lois wisigothiques ¹ , la loi des Bur-
gundes 5, et les lois romaines conservées à côté des lois bar-
bares , le Brevarium Alarici et le Papiani responsum ,
présentent comme un résumé sous forme précise et juridique de
l'histoire des divers peuples qui se partagèrent la Gaule . Nous
devons toujours les avoir sous les yeux en lisant les historiens et
nous en servir comme d'un commentaire et d'un contrôle perpé-
tuels . Les canons des conciles n'ont pas une moindre importance,
car la société religieuse qu'ils nous font connaître exerce une
puissante influence sur la société politique . Les conciles d'Agde

1. E. de Rozière , Recueil général des formules usitées dans l'empire des


Francs du Ve au X s. Paris, 1859.
2. Lex Salica, éd . Merkel. Berlin , 1850, in-8°; et Pardessus, Commen-
taires sur la Loi Salique. Paris, 1843. In-4°.
3. V. dans Walther, Deutsche Rechtsquellen. I, 4. 238 .
4. Die Westgothische antiqua. Ed . F. Blume, 1847. Haenel , Lex Romana
Wisigothorum. Leipsig, 1869. In-fol.
5. Lex Burgundionum. Ed . Bluhme. Mon. Germ. Leges III, avec le
Papiani responsum .
6. V. Walther.
7. Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio. Florence et
Venise, 1737. 31 vol. in-fol. et Sirmond, Concilia antiquae Galliae. Paris,
1629. In-fol.
- 14--

(506) , d'Orléans (511 ) , et d'Yenne ( Epaône 517 ) , ont une véri-


table portée politique , et le dernier , en particulier, nous montre
avec une vigueur remarquable le caractère essentiellement
catholique du règne de Sigismond. Le deuxième concile de Tours
(566), le quatrième de Valence (584) , le deuxième de Mâcon
(585) , ne sont pas moins instructifs , tant sur l'organisation inté-
rieure de l'Eglise que sur ses rapports avec l'Etat . — Les diplô-
mes sont rares à l'époque mérovingienne ¹ . Nous pouvons pour-
tant y trouver des enseignements ou des confirmations utiles ;
nous y voyons les prescriptions légales passées en pratique, nous
y trouvons d'une manière particulière et frappante les actes et
pour ainsi dire la main même des rois mérovingiens ou des per-
sonnages les plus importants de cette époque. Enfin une der-
nière source d'informations officielles qu'il ne faut pas négliger,
ce sont les inscriptions . La Gaule chrétienne nous en fournit un
grand nombre qui peuvent souvent nous servir utilement à
contrôler les historiens 2.
Nous ne devons pas nous contenter d'éclairer les textes histo-
riques par les documents officiels ; nous devons y joindre la con-
naissance précise de tous les documents littéraires , ouvrages
religieux, lettres ou poésies. C'est ainsi que nous vivons avec les
hommes d'un autre âge, et que nous arrivons à les connaître et
à les comprendre . Dans ces écrits d'ailleurs , ce sont des événe-
ments précis qui sont l'occasion de prédications , de lettres ou de
vers , et l'on y trouve à glaner un grand nombre de renseigne-
ments exacts et précieux . Les homélies et les lettres de saint Avit,
le grand évêque de Vienne († v . 525) , l'ami de Gondebaud , le
maître de Sigismond , sont le plus utile commentaire de l'his-
toire de ces deux rois ³ . Les lettres de C. S. Sidoine Apolli-
naire (†v. 488 ou 89) , gendre de l'empereur Avitus et évêque de
Clermont, nous offrent un tableau animé du centre de la Gaule
au moment où la puissance romaine y expire entre les Wisigoths
et les Burgundes 4. Enfin les lettres de Cassiodore († ap. 563) ,

1. Bréquigny et La Porte du Theil, Diplomata , chartae, epistolae, leges.


Parisiis, 1791. Nouv. édit. , par J. M. Pardessus . Paris, 1843-1863 . 7 v. in-fol.
2. V. Le Blant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule. 3 vol . in-fol . Paris, 1856-
1865. De Boissieu , Inscriptions de Lyon. Lyon, 1846-1854 . In -4°.
3. Aviti opera. Ed. J. Sirmond . Paris, 1643. -- V. sur Avitus : Binding,
Das burgundisch-romanische Koenigreich, pars I. Passim . ― Leipsig, 1868.
4. Lettres de Sidoine Apollinaire avec trad . française, par Grégoire et
Collombet. Lyon, 1836. In-8°, 3 v. - V. sur Sidoine, Hist. litt. de la France.
T. II, p. 550 sq., et G. Kaufmann , Die Werke des C. Sollius Apollinaris
- 15 -

l'ami, le ministre de Théodoric, sont un véritable recueil histo-


rique contenant des lettres royales , des diplômes , des pièces
officielles de tout genre, d'un prix inestimable pour l'histoire du
vre s. en Italie et dans le sud de la Gaule¹ . Les lettres authenti-
ques qui nous ont été conservées des papes , des rois ou des évê-
ques, doivent être mises au premier rang parmi les documents
historiques , puisqu'elles ont l'avantage d'être un témoignage à
la fois direct et absolument contemporain .
Moins importantes que les lettres, les poésies nous apportent
souvent un écho des événements et nous pouvons presque tou-
jours y recueillir des traits précieux sur les mœurs ou sur l'es-

prit du temps où elles ont été écrites . C'est ainsi que Fortu-
nat († v. 600) , cet Italien devenu le favori de Sigebert , puis
l'ami de sainte Radegonde , nommé par son influence évêque de
Poitiers, nous a laissé dans ses vers une vive image de la vie du
VI° siècle, et a même chanté des événements politiques impor-
tants , tels que la chute du royaume de Thuringe et les noces de
Chilpéric avec Galeswinthe 2 .
Malheureusement la société barbare des temps mérovingiens
ne nous est connue que par les écrits des chrétiens gallo-
romains . Ils ne nous ont presque rien conservé des légendes , des
récits , des chants répandus parmi les Franks . Ils ne nous disent
presque rien de leur religion 3 ; quant à leurs chants , c'est à
grand peine qu'on en peut retrouver quelques traces dans les
récits de Grégoire de Tours ( II . 40-42) , dans le prologue de la
loi salique qui paraît reproduire un chant en l'honneur des
Franks4 , et dans quelques vers sur la victoire de Clothaire II sur
les Saxons en 622 conservés par la Vie de saint Fare, évêque
de Meaux 5.
Après avoir consulté tous les documents qui se rattachent
directement à la Gaule mérovingienne, l'historien devra encore
rechercher chez les écrivains des autres peuples ce qui peut se
rapporter aux Franks et à leur histoire . Procope, Agathias,

Sidonius. Goettingen , Dissert, 1864.


1. Cassiodori opera. Studio F. Garetii. Venise , 1729. In-fol.
2. Fortunati opera. Ed. Luchi. Rome, 1786. In-4°. - V. Aug. Thierry,
Récits mérovingiens, passim .
3. Grégoire de Tours parle des Franks comme s'ils avaient cru aux
fables païennes (II , 29).
4. V. Bethmann-Hollweg dans Schmidt, Zeitschrift für Geschischtsw. IX, 49.
Wattenbach, Deut. Geschichtsquellen, p. 67.
5. Mabillon, Acta SS. O. S. B. II. 617.
- 46 -

Menander Protector, Théophylacte Simocatta , Jordanes ,


Cassiodore, Isidore de Séville, plus tard Paul Diacre, ne
lui seront pas inutiles . Les écrivains étrangers , en effet , non-
seulement jugent un peuple à un autre point de vue que les his-
toriens nationaux, mais souvent rectifient des faits que ceux-ci
par négligence ou par partialité ont défigurés ou omis .
Pour écrire une histoire complète des sources mérovingiennes ,
il faudrait tenir compte de tous ces éléments divers , les examiner
chacun en détail et assigner à chacun la place et l'autorité qui
lui appartiennent . Nous ne pouvons prétendre exécuter un tra-
vail aussi considérable . Nous étudierons seulement les plus impor-
tantes parmi les sources spécialement historiques de l'époque
mérovingienne, histoires , chroniques , annales ou Vies de Saints.
Après avoir élucidé et classé les documents les plus importants
et montré les liens qui les unissent, il sera plus aisé de grouper
autour d'eux les sources secondaires, et d'envisager dans leur
ensemble tous les renseignements que nous possédons sur cette
période difficile de notre histoire ¹ .
C'est donc un essai d'histoire critique des sources que nous
entreprenons, préparation indispensable à la critique même des
faits, sans laquelle il n'est pas possible d'écrire l'histoire.
En effet , quand nous entreprenons l'étude d'une période histo-
rique, nous nous trouvons en présence d'un certain nombre de
documents écrits à diverses époques , dans des endroits différents ,
par des auteurs dont les caractères, les positions , les idées étaient
dissemblables . Trop souvent, l'historien superficiel, se fiant à
leur antiquité relative , accepte d'emblée tout ce qu'ils nous rap-
portent et y puise au hasard , se contentant de son bon sens
pour repousser les invraisemblances trop évidentes ou pour
résoudre les contradictions trop choquantes. Mais l'historien sé-
rieux a aujourd'hui d'autres devoirs à remplir, il doit soumettre
les textes mêmes à un travail minutieux de critique avant d'en-
treprendre le récit des événements . Son premier soin sera de
classer ses documents , de déterminer avec autant de précision
que possible à quel auteur ils sont dus , à quelle époque ils ont
été écrits , quel est leur degré exact d'authenticité et d'autorité .
Ce premier travail une fois accompli , il devra soumettre de nou-

1. Pour suppléer autant que possible à l'insuffisance de notre travail


et tracer au moins le cadre d'une histoire complète des sources de
l'époque mérovingienne, nous donnerons en appendice une liste rai-
sonnée des documents historiques qui se rapportent à cette période .
-- 17 -

veau chaque fait à une critique du même genre, comparant les


témoignages entre eux, tenant plus de compte de leur valeur que
de leur nombre, se rappelant surtout qu'au moyen-âge les écrivains
se copient les uns les autres et que très-souvent la mention d'un
même fait dans deux auteurs n'ajoute rien à son autorité. Ce second
travail sera comme la contre-partie et la vérification du premier.
En effet, après avoir étudié le contenu des ouvrages pour les
classer et en fixer la valeur , l'historien l'étudiera de nouveau
avec plus de détail encore , guidé par les conclusions de son pre-
mier travail . Alors seulement , ayant examiné l'autorité de chaque
texte et la vérité de chaque fait , il pourra coordonner dans un
récit suivi les résultats de ses recherches , et même suppléer aux
lacunes des documents par des hypothèses appuyées sur des faits
certains .
S'il fallait que chaque historien refît pour lui-même tout ce
travail de critique, il en résulterait une perte considérable de
temps et d'efforts ; mais la première partie éminemment positive
et toute scientifique de ce travail peut être faite d'avance par
d'autres ; on peut préparer les matériaux que l'historien mettra
en œuvre ; on peut sinon les classer définitivement , du moins
faire un classement partiel et provisoire qui rendra ensuite les
recherches plus faciles . C'est l'œuvre de ceux qui s'occupent de
l'histoire critique des documents . C'est ce que nous entrepre-
nons aujourd'hui pour les sources de l'époque mérovingienne .
La méthode que nous suivons est indiquée par la nature même
de notre étude. Il suffira d'en marquer brièvement les traits
généraux .
Nous nous efforçons d'abord de déterminer par la comparaison
1
des éditions et des manuscrits quel est le meilleur texte du
document que nous avons à étudier . Nous réunissons ensuite
tout ce qu'il est possible de savoir sur l'auteur auquel il est
attribué, sur l'époque où il l'a écrit, sur l'éducation qu'il a reçue ,
sur les situations diverses où il a pu se trouver , et d'où doivent
dépendre en partie la vérité de ses informations ainsi que l'indé-
pendance de ses jugements . Nous consultons enfin les témoi-
gnages contemporains qui peuvent nous éclairer soit sur l'auteur
soit sur son œuvre.

1. Cette recherche ne peut pas toujours être faite, même à Paris, de


première main. Heureusement d'excellents travaux allemands, ceux sur-
tout de l'Archiv der Gesellschaft für æltere deutsche Geschichts Kunde, 11 v.
in-12, et les préfaces des grands recueils historiques nous fournissent à
cet égard des renseignements précieux .
HIST. MÉROVINGIENNE. 2
- 18 -

Ces questions préliminaires , et pour ainsi dire extérieures,


une fois résolues , nous abordons le document lui-même . Notre
premier soin est d'en analyser le contenu , d'examiner si le texte
ne renferme pas des contradictions, des difficultés qui soulève-
raient des doutes sur son authenticité ou du moins sur sa pureté.
Si le texte résiste à cet examen, si son authenticité est prouvée,
nous recherchons les sources auxquelles l'auteur a puisé . Quels
sont les événements qu'il a connus par des sources écrites ?
Quelles étaient ces sources? De quelle manière les a-t-il em-
ployées ? L'a-t-il fait avec jugement , avec intelligence ? Quel
rôle au contraire jouent dans son ouvrage la tradition orale , les
récits populaires ou même les légendes poétiques ? Se montre-t-il
à leur égard défiant ou crédule ? Enfin à quel moment de son
récit devient-il témoin contemporain ? De quels faits est-il témoin
oculaire ? Quels moyens d'information a-t-il possédés pour con-
naître ceux qu'il n'a pas vus ?
Cette analyse des sources d'un document est la partie la plus
importante du travail de la critique . Il ne reste plus , pour ainsi
dire, qu'à tirer les conclusions générales qui en découlent , et à
définir le caractère de l'œuvre . Nos recherches sur la vie de
l'auteur ont dû nous apprendre s'il était placé de façon à être
bien informé ; nous pouvons dire maintenant par la comparaison
de sa vie et de son œuvre s'il a été un témoin intelligent et un
témoin sincère, quel a été son but en écrivant et en général quel
est son caractère, quelles sont ses qualités et ses défauts , en un
mot quel est pour l'histoire la valeur de son témoignage, l'éten-
due de ses informations .
Le travail de la critique purement historique s'arrête là .
Toutefois il est nécessaire pour avoir une idée complète des docu-
ments qu'on étudie, d'en apprécier le style et la valeur littéraire .
La critique historique doit appeler ici à son aide la critique phi-
lologique . Le style nous révèle le degré d'instruction ou même
d'intelligence de l'écrivain ; il peut nous apprendre quels auteurs
il a imités et connus . Les différences de style peuvent faire recon-
naître la main de deux auteurs différents dans un même ouvrage ,
comme les analogies de style peuvent faire attribuer au même
auteur deux ouvrages différents . Le style est donc un des éléments
les plus importants pour la critique des documents historiques.
Nous avons sans doute tracé au critique un cadre bien vaste ,
et il est rare qu'il soit possible de donner une réponse à toutes
les questions que nous avons posées . Souvent on ignore quel est
l'auteur d'une œuvre , à quelle époque elle fut écrite, quelle est
- 19 -
l'origine des renseignements qu'elle renferme. Il faut souvent
tirer de l'œuvre elle-même tout ce que nous pouvons savoir sur
elle, et il est parfois impossible en pratique de suivre exacte-
ment la marche logique que nous venons d'indiquer . Mais il
n'en est pas moins vrai qu'en présence d'un document histori-
que quelconque le critique doit poser successivement les ques-
tions suivantes : Quel en est l'auteur ? A quelle date se rap-
porte-t-il ? Offre-t-il toutes les garanties de l'authenticité ? A
quelle source ont été puisés les faits qu'il mentionne ? Quelle
est l'autorité de son témoignage?
Si ces questions pouvaient toujours être sûrement résolues , l'his-
torien pourrait apprécier sans peine le degré de certitude de n'im-
porte quel événement . Il saurait d'avance quelle est l'authenticité ,
l'autorité générale de l'écrit où il le trouve rapporté, si l'auteur
l'a vu ou connu de source certaine, si cet auteur était contempo-
rain, et s'il habitait le pays où le fait s'est passé . Malheureuse-
ment la critique reste muette sur bien des points , il faut souvent
se contenter de vraisemblance à défaut de certitude et d'hypo-
thèses au lieu de faits. Mais le critique aura déjà rendu un
grand service à l'historien en préparant et en déblayant le ter-
rain, en classant provisoirement les matériaux , en fixant une
fois pour toutes les points acquis à la science .
Ces travaux d'érudition et de critique rebutent quelquefois
par une apparence de sécheresse et de monotonie ceux qui ne les
ont point encore abordés . Aucune étude pourtant ne fait péné-
trer plus profondément dans la connaissance des temps passés .
Le critique est obligé de vivre avec les historiens dont il analyse
les ouvrages ; il cherche à surprendre leur vie de tous les instants ,
leur manière de travailler, les mobiles cachés de leurs idées et de
leurs paroles . Il assiste à la composition de leurs écrits , il voit les
manuscrits déposés sur leur table et les sources qu'ils consultent ,
il va parfois jusqu'à découvrir quels passages ils ont mal lus ,
quels autres ils ont mal compris. Et lorsque le critique étend
cette étude à toute une époque, lorsqu'il marque les liens qui
unissent entre elles les diverses sources historiques , lorsqu'il
découvre comment elles se copient ou s'imitent les unes les
autres , comment les mêmes idées , les mêmes sentiments se répé-
tent ou se transforment d'âge en âge , n'est-ce pas à l'histoire
même de l'esprit humain qu'il travaille ? Ne pénétre-il pas dans
l'âme humaine bien plus profondément que s'il se contentait de
raconter les événements de l'histoire politique ou militaire ? C'est
le récit des événements au contraire qui est sec et froid si l'on
20 -

ignore de quelles idées et de quels sentiments ils sont la consé-


quence et l'expression .
Aussi un véritable historien sera-t-il toujours en même temps
un critique . Il se servira sans doute des résultats obtenus par la
critique avant lui, mais il reprendra en sous-œuvre les mêmes
recherches . Il y a mille détails où le critique est guidé par son
intelligence seule, par son tact, par sa pénétration psycholo-
gique. Les documents les plus connus révélent souvent des
choses toutes nouvelles à l'écrivain doué du sens historique. Ce
n'est qu'en se soumettant à ce travail minutieux , lent et parfois
aride en apparence, qu'il arrivera à comprendre le sens vérita-
ble des textes , à s'en servir comme s'ils étaient éclairés par la
lumière de la réalité et de la vie.
Nous serons heureux si l'essai bien imparfait que nous publions
peut faciliter aux travailleurs jeunes et zélés l'étude des docu-
ments de notre histoire, et surtout les exciter à entreprendre ces
travaux d'érudition et de critique qui pourront seuls leur donner
une vue claire et une intelligence complète du passé.
GRÉGOIRE DE TOURS .

Pour toute la période qui s'étend entre la première apparition


des Franks au centre de la Gaule parmi les alliés d'Aétius contre
Attila et l'établissement définitif de leur puissance sous les fils de
Clovis, nous ne possédons presque aucune source historique con-
temporaine. L'Histoire de Renatus Frigeridus , citée par Grégoire
de Tours (II, 8) ne nous est point parvenue, et d'ailleurs elle ne
devait guère s'étendre au delà de la mort d'Aétius , puisque c'est
du XIIe livre qu'est tiré le portrait du général romain transcrit
par Grégoire. Les lettres d'Avitus et de Sidoine Apolinaire, très-
importantes pour l'histoire de la Burgundie et de l'Arvernie , ne
nous apprennent presque rien sur les Franks . Elles peuvent
d'ailleurs servir de commentaire à l'histoire , plutôt qu'elles ne
peuvent y suppléer. Les chroniques d'Idatius (j . en 468) , et de
Cassiodore (j . en 519) , importantes pour l'Espagne et l'Italie ,
pour les Wisigoths et les Ostrogoths, ne touchent qu'en passant
aux affaires du nord de la Gaule. En dehors des actes des con-
ciles , qui nous permettent de suivre les progrès et la vie de
l'Eglise, nous ne possédons à cette époque en Gaule , en fait de
monuments historiques, que quelquesVies de Saints , par ex . celles
de saint Romain († v. 460) , de saint Lupicin³ († v . 480) , de
saint Séverin d'Agaune 4 († 506) , de saint Maixent.5 († 515) , de

1. Die Chronik des Cassiodorus senator. Hersggb. v. Th . Mommsen . Leipsig,


1861, in-8.
2. AA. SS. Boll. 28 fév. III , p . 740-746.
3. AA. SS. Boll. 21 mars, III , p . 263-264.
4. AA. SS. Boll. 11 fév. II, p. 547-551 , avec interpolation du ix• s. Mab.
A. O. S. B. Saec. I. App. p. 568-570.
5. AA. SS. Boll. 26 juin, V, p. 169-175. Écrite au temps de Childebert.
- 22 -
1
saint Eptadius († vr° s . ) , de saint Jean de Réomé² († v. 545) ,
et les Vies de Saints écrites par Grégoire de Tours et par For-
tunat ; mais ces écrits , précieux pour l'histoire des mœurs , ne
nous fournissent que bien peu d'indications pour l'histoire poli-
tique . Ils sont même si indifférents sur ce sujet qu'on ne peut
guère se fier à leur exactitude. Les premiers documents histori-
ques importants que nous possédions pour l'histoire des Franks
sont l'Histoire de Grégoire de Tours et la Chronique de Marius
d'Avenches . Le premier est mort en 594 , le second en 593 , c'est
d'après leur seul témoignage que nous pouvons connaître toute
la période de l'histoire de la Gaule , qui s'étend de la mort d'Aẻ-
tius et de Valentinien en 455 à la fin du vr s.
Grégoire de Tours est la seule source abondante que nous
possédions pour le ve et le vr° s . de notre histoire . Tout ce que
nous savons sur l'origine de la puissance des Franks , sur leur
établissement en Gaule , sur leurs conquêtes au vrº s . , c'est par lui
que nous l'apprenons . La triple mention de Faramond , Clodion
et Mérovée dans la chronique de Prosper Tiro a toutes les appa-
rences de l'interpolation , car elle ne se trouve pas dans le plus
ancien et le meilleur manuscrit et n'a d'ailleurs aucun lien avec
le reste du texte. Grégoire de Tours nous parle (II, 8 , 9) de deux
historiens qui ont raconté avant lui les événements dont la Gaule
a été le théâtre , Sulpicius Alexander et Renatus Profu-
turus Frigeridus . Mais nous ne les connaissons que par lui .
D'ailleurs, d'après les citations qu'il nous a conservées , il ne paraît
pas que le récit de Sulpice Alexandre s'étendît jusqu'à l'arrivée
des Franks en Gaule , et tout porte à croire que l'histoire de Fri-
geridus³ ne dépassait pas le milieu du ve s . Les dix livres de Gré-

1. AA. SS. Boll . 24 août, IV, p . 728-781 .


2. AA. SS. Boll. 28 janv. II , p . 856-862 . Mab . A. S. O. S. B. Saec . I. App.
p. 633-638. - Ecrite primitivement par un contemporain, mais refondue
au vir s. par Jonas, le biographe de Colomban. La seule vie de Saint
contemporaine qui soit vraiment importante pour l'histoire est celle
d'Epiphane, évêque de Pavie († 496) par son disciple Ennodius . Elle est
très-instructive pour le règne de Gundobad . V. Binding, op . cit.
3. « D'après J. Grimm, Ueber Jornandes, p . 17, ce nom est gothique.
Schirren, De ratione, quae inter Jordanem et Cassiodorum intercedat com-
mentatio. Dorpat, 1858. p. 7, identifie l'historien avec le Profuturus, év.
de Braga, à qui est adressée une lettre du pape Vigile de 538. V. dans
Ammien Marcellin , XXXI , 7. » - Wattenbach, op. cit. p. 71 , n. 1.- Le ms.
de Cambrai donne la forme Frigiretus. C'est sans doute la bonne leçon,
et non la forme Frigeridus, généralement adoptée , bien qu'elle ne soit
fournie que par le ms. de Corbie, dont la valeur est médiocre .
- 23

goire de Tours sont donc notre source presque unique ; seuls du


moins ils offrent un récit suivi et développé des événements . Une
époque, un auteur, un livre aussi important, méritent une étude
attentive et détaillée . Adrien de Valois regardait à juste titre
cette œuvre comme « le fonds même de notre histoire » ¹ .
De nombreux travaux sur Grégoire de Tours ont paru tant en
Allemagne qu'en France, et ne laissent guère de découvertes à
faire à la critique. Venant les derniers , nous espérons être plus
complets que nos prédécesseurs , et offrir du moins un résumé
lucide des questions critiques que soulève le texte de l'Histoire
des Franks . D'ailleurs , aussi longtemps que n'aura point paru
l'édition de Grégoire promise, il y a plus de trente ans , par
les Monumenta Germaniae, édition entreprise d'abord par
M. Bethmann, reprise aujourd'hui par M. Arndt , la critique ne
pourra pas prononcer un jugement définitif. L'étude des manus-
crits peut amener à des résultats inattendus .
Voici quels sont les principaux écrits à consulter sur Grégoire
de Tours :

Travaux français.

Hadr . Valesius , Rerum Franciarum libri 8 ; Paris , 1646-


1658. 3 v . in-fº . T. II . Préface .
Ant. Dadin. de Alteserra (de Hautserre) , Notae et observa-
tiones in historiam Francorum Gregorii Turonensis et
supplementum Fredegarii ; Tolosae, 1679. In-4° . (Commen-
taire suivi du texte de Grégoire . )
Histoire et Mémoires de l'Académie des Inscriptions ,
Mémoires de Foncemagne . T. VIII , p . 278 ; Bonamy , T. XXI ,
p. 96-100 ; Lévesque, T. XXI , p . 598-637 ( Vie de Grégoire
de Tours); Lebeuf, T. XXVII, p . 176-179.
Lecointe, Annales ecclesiastici, T. I , ad ann . 417, 544 ,
545, 555 ; II , ad ann . 567-585 ; IV, ad ann . 681 .
Histoire littéraire de la France, T. III, p . 372.
Ampère, Histoire de la littérature française au moyen-
âge, T. II , p. 275-311.
Guizot, Histoire de la civilisation en France, T. II , p . 52.
A. Jacobs, Géographie de Grégoire de Tours et de Fré-
dégaire, en Appendice à la trad . de Grégoire de Tours de la
collection Guizot, et séparément ; Paris , 1858. In-8° .

1. « Fundus historiae nostrae. » Hadr. Valesii Rerum Francicarum libri


octo. T. II, praef., p. 4.
24 -

Lecoy de la Marche, De l'autorité de Grégoire de Tours ;


Paris, 1861.
H. Bordier, De l'autorité de Grégoire de Tours, en
réponse à M. L. de la Marche ; en appendice à la trad. de
Grégoire de Tours , par M. Bordier ; Paris , 1861 .
Lecoy de la Marche, Réponse à M. Bordier ; Paris , 1862.
Des Francs, Etudes sur Grégoire de Tours ; Chambéry,
1861. In-8°.
Ponton d'Amécourt, Essai sur la numismatique mérovin-
gienne comparée à la géographie de Grégoire de Tours ;
Paris , 1864.
Travaux allemands.

Fabricius , Bibliotheca mediae et infimae latinitatis , T. VII ,


p. 292-308.
Schüz, Commentarius criticus de scriptis et scriptoribus
historicis ; Ulm, 1763, p. 219-222.
Struve, Bibliotheca historica. Ed . Meusel, 1782 , t . VII , p.
266-271 .
L. Haeusser, Ueber die teutschen Geschichtschreiber, p . 8 .
Baehr, Die Christlichen Dichter u. Geschichtschreiber,
Carlsrhue, 1836 , p . 138-165.
Kries, De Gregorii Turonensis episcopi vita et scriptis ;
Breslau, 1859. In-8°.
Loebell, Gregor v. Tours und seine Zeit ; Leipsig, 1839 .
Nouv . éd. 1868. In-8° . (Ces deux ouvrages sont les meilleurs
guides pour l'étude de l'Histoire des Franks . )
Waitz, dans les Goettingische gelehrte Anzeigen, 1839, p .
781-793 , et dans Schmidt's Zeitschrift für Geschichte , II , 44.
Archiv für æltere deutsche Geschichtskunde, hersggbn
v. Pertz, V, 50; VII, 246.
Koepke, Gregor von Tours in : Kieler allgemeine Monats-
chrift, 1852, p . 775-800.
Junghans, Die Gesch. Childerichs u . Chlodovechs kri-
tisch untersucht ; Goettingen , 1857. In-8°.
Voyez encore les préfaces et les notes des éditions de Gré-
goire, par Ruinart ; Paris , 1699. In-f° ; par dom Bouquet , dans
le Recueil des Hist . de France ; T. II ; par Guadet et Taranne ;
Paris , 1836-37; avec trad . 1836-38 . Voyez aussi les traduc-
tions de l'Histoire des Franks, par M. W. Giesebrecht ; Berlin,
1851 (allemande) ; et par M. H. Bordier ; Paris , 1855-61 (fran-
çaise).
25 -

CHAPITRE I.

VIE DE GRÉGOIRE DE TOURS .

Ce sont presque exclusivement les œuvres mêmes de Grégoire


de Tours qui nous font connaître sa vie. Les nombreuses pièces
de vers que le poète Fortunat , son ami, lui a adressées , ne ren-
ferment que bien peu de traits à ajouter à ce que nous savons
par Grégoire lui-même (Fort. Carm. I. epistola praefixa ; V , 3–
5, 9-20 ; VIII , 15-23, 25, 26 ; IX , 6, 7 ; X , 5, 6 , 11-13 , 18 ,
19 ; prologue de la vie en vers de saint Martin) . La Vie de Gré-
goire , composée à Tours dans la première moitié du xª s . et
attribuée à Odon de Cluny¹ , est tirée des œuvres de notre Évêque ,
sauf pour les trois derniers chapitres . Elle passe d'ailleurs entiè
rement sous silence ce qui touche aux événements politiques .
Elle a un but purement religieux ; elle veut prouver que Grégoire
mérite d'être considéré comme un Saint , bien qu'il ait fait peu
de miracles (Préf. c . 26) 2. Mais il en a fait pourtant (c . 16) , et
d'ailleurs il a sauvé des âmes , plus précieuses que des corps
(c. 13) ; le pape saint Grégoire l'avait en grande vénération
(c. 24) ; le peuple de Tours doit , sous peine d'ingratitude , l'hono-
rer à côté de saint Martin , sans pourtant le faire son égal (c . 26) .
« Quem videlicet nos vel apud Deum , vel apud beatum
Martinum advocatum quemdam atque sequestrem habere
confidamus . »
Georgius Florentius (nommé Gregorius en l'honneur de
saint Grégoire de Langres), était issu d'une famille sénatoriale

1. V. Ruinart, Gregorii opera, à la suite de la préface. Aucun des mss.


de cette vie ne porte à notre connaissance le nom d'Odon ( Paris, Bibl .
imp. 5308 ; Montpellier, Université , n. 1. Vitae SS. vol. IV , f. 93. - Dijon,
Univ. n . 383, AA. SS. vol. V. 2, saec. XIII. - Bruxelles, 5397-5407) . Dans
ce dernier ms. la vie de Grégoire fait suite à celle d'Odon . Ruinart avait
trouvé dans un ms. de Saint-Serge d'Angers la mention Prologus domni
Odonis abbatis. -- Odon , né dans le Maine vers 879, fut chanoine de Saint-
Martin de Tours en 899, et devint en 927 abbé de Cluny ; il mourut en
942. Il cite plusieurs fois Grégoire dans ses écrits. L'édition de Surius,
AA. SS. 17 nov. VI, p. 419, attribue simplement la Vita Gregorii aux «< cle-
ricis Turonensibus auctoribus » ce qui est plus sage.
2. La vie ne le nomme encore que Beatus, tandis que le pape Grégoire
est dit Sanctus.
- 26-

de la cité des Arvernes (auj . Clermont-Ferrand) . Son père ,


Florentius , était fils du sénateur Georgius (Vitæ Patrum
XIV , 3) ¹ . Georgius avait un autre fils Gallus (Vit . PP . VI . 1 ) qui
fut évêque des Arvernes (532-554 . Historia Francorum IV , 5 et V.
PP. VI. 3) . La femme de Georgius était Leocadia, issue d'une
famille sénatoriale de Bourges . Leocadius , un de ses ancêtres ,
fut le premier disciple de saint Ursin, et sa maison fut la pre-
mière église de la cité (H. F. I. 29) . Le fils de Leocadius , Lusor
(saint Ludre), enterré à Déols , fut vénéré comme un saint (Glo-
ria Confessorum , 92) . Léocadius descendait de Vettius Epaga-
thus, un des quarante-huit chrétiens qui, avec saint Pothin ,
furent en Gaule les premiers martyrs de la foi (à Lyon , vers 177.
H. F. I, 27) . Ce n'est donc pas sans raison que Grégoire dit de
sa famille paternelle : « In Galliis nihil invenitur esse gene-
rosius ac nobilius . » ( V. PP. VI . 1. )
Sa famille maternelle n'était pas moins illustre . Florentius
en effet avait épousé Armentaria , qui était comme lui de famille
sénatoriale , et dont l'aïeul maternel était le sénateur Florentius
(de Genève ?) , mari d'Artemia (V. PP . VIII . 1 ) . Les frères de
sa mère étaient , l'un saint Nicetius (Nizier) , évêque de Lyon,
dont Grégoire a raconté avec enthousiasme la vie et les miracles
(V. PP. VIII) , et l'autre le duc Gundulf, qui reconquit Mar-
seille pour Childebert en 581. (H. F. VI . 11 ) Sacerdos le pré-
décesseur de saint Nicetius sur le siège épiscopal de Lyon, était
de la même famille (V. PP. VIII , 3) . L'aïeul paternel d'Armenta-
ria était saint Grégoire de Langres , issu d'une des plus grandes
familles sénatoriales , d'abord comte d'Autun , puis évêque de
Langres (486-536), après la mort de sa femme Armentaria (V.
PP. VII . 1 ; H. F. V. 5). Un des fils de saint Grégoire, Tetri-
cus , lui succéda comme évêque de Langres (539-572. H. F. V.
5) . Un de ses petits-fils, Euphronius , fut le prédécesseur de
Grégoire de Tours sur le siége épiscopal de cette ville (H. F. IV . 15;
X. 31). De tous les évêques de Tours , il n'y en avait eu que
cinq qui n'eussent pas été unis à la famille Grégoire par des
liens de parenté (H. F. V. 50) .
Ainsi dans toutes les parties de la Gaule, à Lyon, à Genève ,
à Clermont, à Bourges , à Tours , à Langres , à Dijon, Grégoire

1. Levesque de La Ravalière fait de Georgius un fils de Grégoire de


Langres, hypothèse qu'aucun texte ne justifie. Georgius aurait épousé
sa cousine germaine , ce qui est contraire aux canons. MM. Guadet et
Taranne ont copié La Ravalière.
- 27 -

était allié à ce qu'il y avait de plus illustre par la naissance


comme par la piété .
Son père avait eu deux autres enfants , Pierre, l'aîné de ses
fils (Miracula S. Juliani . 24) , diacre à Langres , qui mourut assas-
sinė ( H. F. V. 5) , et une fille qui épousa un certain Justinus,
de Besançon (Miracula S. Martini II . 2 ; Gloria Martyrum, 71 ) .
Celle-ci eut deux filles : Heustenia , mariée à Nicetius (le duc
d'Arvernie ? H. F. V. 14 ; VIII , 18) , et Justina, élève de sainte
Radegonde (Fortunati Carm. lib. VIII , 17 , 18 ; IX. 7) .
Voici le tableau généalogique de toute la famille de Grégoire :

Vettius Epagathus
Grégoire de Langres, Florentius, sénateur (à Genève?) martyrå Lyon 177
marié à Armentaria. marié à Artémia.
I Leocadius,
sénat, de Bourges .
Tetricus, N. fils. N. fils épouse N. fille. Nicetius, Gundulf, Georgius,
év. deLangres. év. de Lyon. duc. sénat. arverne, marié à Léocadie.
Euphronius,
év. de Tours.
Armentaria épouse Florentius. Gallus,
1 év. d'Arvernie.

Petrus, Georgius Florentius, N. fille,


diacre à Langres. év. de Tours sous le mariée à Justinus,
nom de Gregorius. 1

Justina, Heustenia,
élève de Ste Radegonde. mariée à Nicetius.

Georgius Florentius naquit le 30 novembre, jour de saint


André (Miracula Sancti Andreae , ch . 38). La date de sa nais-
sance n'est pas absolument certaine . La vie de Grégoire dit qu'il
fut consacré « ferme tricennalis » , et comme il devint évêque
en 573, il serait donc né en 542 ' . Mais le biographe qui ne
semble pas avoir connu sur ce point de date précise, peut bien
avoir cédé au désir de le faire arriver à l'épiscopat avant l'âge
canonique de trente ans . Grégoire nous dit (Mir . S. Mart . III . 10)
que sa mère vint le voir à Tours « post ordinationem meam »,
et fut guérie d'une maladie qui durait depuis trente-quatre ans
et datait de la naissance de son fils . Si ces mots « post ordinatio-

1. M. Bordier, trad. fr. de l'Hist. des Franks , p . xxxvii , n. 2, soutient


l'opinion du biographe, et dit que Grégoire naquit en 543; mais Grégoire
est élu évêque au milieu de 573, ferme tricennalis, et aurait eu trente ans le
30 nov. 573. Il serait donc né dans cette hypothèse le 30 nov. 542 et non
543.
- 28

nem meam » signifient : « aussitôt après mon ordination », la date


de la naissance doit être reportée à 538 ou 539. Cela est plus
naturel. Grégoire place une visite qu'il fit à saint Nizier à l'âge
de huit ans , entre l'ordination de son oncle comme prêtre en 543,
et son élection à l'évêché de Lyon (V. PP . VIII . 2) en 551. Les
dates s'accordent ici parfaitement et donnent 546-547 ; tandis
que d'après le biographe il n'aurait eu huit ans qu'en 552 .
Grégoire parle encore d'une maladie qu'il eut du vivant de Gallus
« in adolescentia » ce qui suppose au moins une dizaine d'années.
Mais d'après le biographe, Grégoire aurait à peine atteint dix
ans à la mort de Gallus arrivée en 554. Enfin Grégoire nous dit
(M. S. M. I. 32) qu'il était diacre la seconde année du roi
Sigebert (563) . Or on ne devenait diacre qu'à 25 ans . Nous
devons donc accepter pour la naissance de notre auteur la date
du 30 novembre 538 .
Nous ne savons presque rien du père de Grégoire . Il semble
avoir eu une assez mauvaise santé, dont son fils paraît avoir
hérité (Gl . Conf. 40; V. PP. XIV. 3; Vit. Grég. 2, 4) . Il mou-
rut sans doute de bonne heure, car nous ne voyons auprès de
Grégoire que sa mère et son oncle Gallus , évêque des Arvernes
(V. PP. II. 2) , au moment où une forte maladie dont il fut
guéri par l'intercession de saint Illidius ( saint Allyre), détermina
sa vocation ecclésiastique. Au ch. 84 du De gloria Martyrum ,
Grégoire nous dit que son père s'était marié à l'époque où Théo-
debert emmena des otages d'Arvernie (à la mort de Thierry sans
doute, 534) . Puis il parle de reliques que sa mère conserva après
la mort de son père . « Longtemps après » , ces reliques le sau-
vèrent à une époque où la « juvenilis fervor » agissait encore
en lui . Nous voyons donc que son père était mort depuis long-
temps lorsque Grégoire était encore un jeune homme.
D'après le biographe (ch . 1) , ce fut Gallus qui s'occupa
le premier de son éducation . A la mort de Gallus (554) ,
Avitus son successeur se chargea de l'instruction de Grégoire ,
qui témoignait d'ailleurs peu de goût pour les études profanes et
se livrait avec ardeur à la lecture des livres religieux (V. PP . VI .
Préf. ) . On a remarqué que les hommes éminents ont souvent reçu
fortement l'empreinte de l'influence maternelle ; Grégoire fut de
ce nombre . Il nous a conservé le souvenir de la tendresse et de la
piété de sa mère (Gloria Martyrum 51 ; Gl . C. 3 , 85) ¹ . Son auto-

1. Voyez ce que Grégoire nous dit du voyage qu'entreprit sa mère


pour venir à Tours : « Vel ad occursum antistitis sancti, vel causa desiderii
29 -

rité et son influence sur son fils demeurèrent très-grandes ,


puisque dans le songe qui le décida à entreprendre le récit des
miracles de saint Martin, c'est sa mère qui le blâme de son
silence, et par de fermes et intelligentes paroles répond à tous
ses scrupules ¹.
C'est à sa mère, qui était née en Burgundie et y possédait des
terres, près de Cavaillon, que Grégoire dut de connaître aussi
bien cette partie de la Gaule . Tout enfant, en 546 , il alla à Lyon
voir son grand oncle saint Nizier (V. PP. VIII . 2) . Il y retourna
plusieurs fois dans la suite, tant pour voir son grand oncle que
pour visiter sa mère, qui paraît avoir séjourné en Burgundie
après la mort de son mari (Gl. C. 62 ; M. S. M. I , 36 ; III , 60 ;
M. S. J. 2 ; Gl . M. 84).
Vers la fin de 563, quand il eut atteint l'âge de 25 ans , il dut
être ordonné diacre 2 , car c'est en cette qualité qu'il fit peu après
le voyage de Tours . Atteint subitement d'une maladie terrible,
il alla chercher la guérison au tombeau de saint Martin (M. S.
M. I. 32) . Il y vécut auprès de l'évêque Euphronius , cousin de
sa mère , et l'église de Tours , qui devait bientôt le choisir pour
chef, put apprendre à le connaître et à admirer sa piété.
Quelque temps après il alla en Burgundie (M. S. M. I. 36) , et
nous le retrouvons à Lyon remplissant les fonctions de diacre
auprès de saint Nizier (V. PP . VIII . 3) .
Ses voyages, les miraculeuses guérisons dont il avait été plu-
sieurs fois favorisé, son amour exclusif des choses religieuses ,
son austérité, et aussi l'illustration de sa famille, avaient fait de
bonne heure connaître Grégoire et le destinaient à une position
éminente dans l'église de Gaule. Le roi d'Austrasie, Sigebert,
sous la domination duquel se trouvaient l'Arvernie et la Touraine,
avait pour lui la même vénération affectueuse que Thierry
avait témoignée à son oncle saint Gall . Aussi est-ce auprès du roi
d'Austrasie, à Rheims , que se trouvait Grégoire lorsque le clergé

mei (M. S. M. III, 10) », et les tendres paroles d'Armentaria à son enfant
malade : « Moestum hodie, dulcis nate, sum habitura diem, cum te talis attinet
febris. » (V. PP. V. 12.)
1. Mir. S. M. I. , Prologus : « Quare segnis es ad haec scribenda quae
› prospicis ? — .. Nescis quia nobiscum propter intelligentiam populorum si
» quis loquitur, sicut tu loqui potens es, eo habetur magis præclarum ? Itaque
» ne dubites, et haec agere non desistas : quia crimen tibi erit si ea tacueris. »
2. Le biographe nous dit qu'il fut diacre « tempore praestituto » , ce qui
est en contradiction formelle avec l'hypothèse de 542 pour la date de la
naissance.
30 -

et le peuple de Tours , à la mort de l'évêque Euphronius , le choisi-


rent à l'unanimité pour son successeur¹ . Malgré les scrupules que
mit en avant la modestie du jeune prêtre, le roi confirma l'élec-
tion et le contraignit à accepter l'honneur qui lui était fait . Il le
fit consacrer à Rheims même par l'évêque Egidius , et non à Tours ,
comme l'aurait voulu la règle canonique 2. Grégoire était alors
dans sa trente-cinquième année, car il fut élu , d'après son propre
témoignage, la douzième année du règne de Sigebert , c . -à-d . en
5733. Fortunat , alors chapelain du couvent de Sainte-Croix ,
fondé à Poitiers par sainte Radegonde, célébra en termes pom-
peux l'arrivée à Tours du nouvel évêque (Carm. V. 3) .

Plaudite, felices populi, nova vota tenentes,


Praesulis adventu ; reddite vota Deo.

Quem patris AEgidii Domino manus alma sacravit

1. Le passage du biographe est intéressant en ce qu'il nous représente


fidèlement ce qu'était une élection d'évêque au vr s. : « Cum igitur B.
Euphronius obiisset, Turonici de ejus successore tractaturi conveniunt.
Sed facili discrimine suasum est cunctis Gregorium in electione praefe-
rendum... Clericorum turma nobilibus viris conserta, plebsque rustica
simul et urbana, pari sententia clamant Gregorium decernendum ...
Legatio ad regem dirigitur.... Quem (Gregorium) statim Egidius Remensis
archiepiscopus ordinavit . » — (Ch . 11.)
2. Mummolus et Clovis, fils de Chilpéric, se disputaient alors la pos-
session de Tours. Il eut sans doute été difficile d'y célébrer la consé-
cration.
3. M. Waitz (Gottinger gelehrte Anzeigen. 1839 , p . 790), place la mort de
Clothaire avant le 1 septembre 561 , d'après Marius qui le fait mourir
Indiction IX ; et il pense que Grégoire a été nommè évêque au com-
mencement de la 12° année de Sigebert, c'est-à-dire en septembre 572.
Il suppose que la nomination eut lieu en août 572. Sigebert de Gem-
bloux, qui place l'élection de Grégoire en 572 , aurait donné la date vraie.
L'opinion de M. Waitz est une simple hypothèse sur laquelle il est diffi-
cile de se prononcer. Nous avons relevé le fait que Grégoire était diacre
la 2° année de Sigebert (M. S. M. I. 32) . Si cette deuxième année se ter-
mine le 31 août 563, comme on ne devenait diacre qu'à 25 ans, Grégoire
aurait dû naître en 537 ; il nous dit que sa mère vint à Tours après son
ordination et 34 ans après sa naissance, ce qui supposerait en effet que
le voyage eut lieu en 572. Cela ne change rien d'ailleurs à l'ensemble
de la chronologie de la vie de notre évêque. L'erreur du biographe,
au sujet de son âge au moment de l'élection , devient dans cette hypo-
thèse plus considérable encore . Toutefois , je suis d'avis de conserver
la date traditionnelle de 573, qui seule permet d'expliquer l'épilogue du
livre X. Grégoire nous dit en effet que la 21 année de son ordination
était la 5º du pape Grégoire et la 19 de Childebert. Ces données ne
peuvent s'appliquer qu'à l'année 594.
- 31 -
Ut populum recreet, quem Radegundes amet ;
Huic Sigebertus ovans favet et Brunechildis honori,
Judicio regis, nobile culmen adest.

C'était sans doute dans un précédent voyage à Tours que Gré-


goire avait passé par Poitiers , et s'était concilié l'affection de la
veuve de Clothaire et de son ami , le poète Trévisan. Cette affec-
tion dura autant que leur vie. Fortunat ne perdit pas une occasion
d'envoyer à l'évêque de Tours des pièces de vers ou des lettres
écrites dans les termes les plus flatteurs, et où se trouvent plu-
sieurs fois des salutations amicales envoyées par Radegonde et
par sa fille Agnès (Carm. V. 12 ; VIII . 17 ; IX , 7) . Grégoire lui
envoyait des fruits (V. 16) ; des peaux blanches pour se faire des
souliers (VIII . 28) ; il lui donna un champ (VIII . 25) ; il lui
communiquait même, semble-t-il , des vers de sa composition
(V. 11 ) ; il flattait son amour-propre de poète en le priant de
composer à son intention des strophes saphiques (IX . 6 , 7).
Tous deux d'ailleurs jouissaient de l'amitié de Sigebert ; peut-
être s'étaient-ils trouvés ensemble auprès de lui ¹ . Tours et Poi-
tiers , de même que l'Arvernie , faisaient partie des possessions du
roi d'Austrasie 2 , dont Grégoire fut toujours un sujet fidèle et
même, semble-t-il , un partisan passionné .
Il était important pour Sigebert d'avoir à Tours un serviteur
aussi dévoué et aussi éminent. Tours était à cette époque le cen-
tre religieux de la Gaule . C'est dans la basilique de saint Martin
que Clovis avait revêtu les insignes honorifiques envoyés par
l'empereur Anastase ( H. F. II . 38 ) ; c'est à saint Martin que
la reine Clothilde avait demandé un asile pour sa vieillesse
(IV. 1 ) ³ . Clothaire , par vénération pour saint Martin , avait
exempté la ville de tout impôt, et avait enrichi la basilique de
ses dons (IV. 20 ; X. 31 ) . De tous les sanctuaires de la Gaule,
celui de saint Martin était le plus célèbre, le plus fréquenté . Trois
livres ne suffisent pas à Grégoire pour raconter tous les miracles
qui s'y sont passés sous ses yeux ; ils nous montre des pèlerins
et des malades y accourant de toutes parts , du Vermandois (M.
S. M. II , 9) , de Vienne (id . II . 18) , de Lisieux (id . II . 54) , de Sens
(id . II . 55) , d'Avranches (id. III, 19) , d'Albi (id . III . 30) , de

1. Ce fut vers 567 que Fortunat quitta Sigebert pour venir à Poitiers.
2. Tours et Poitiers faisaient partie du lot de Charibert († 570). Après
sa mort ces deux villes avec leur territoire passèrent à Sigebert.
3. Les chiffres sans autre indication marquent toujours une citation
de l'Historia Francorum .
32 -
Châlons (id. III , 38) , de Biscaye (id . IV . 40) . Au point de vue
politique la situation de Tours était aussi importante qu'au point
de vue religieux . Située au milieu d'un pays riche et fertile, la
ville appartenait encore à l'Aquitaine, tout entière peuplée de
Gallo-Romains (Romani) , et touchait cependant au pays d'au-
delà la Loire , où dominait la barbarie franke. Elle était située
sur le passage des ambassades qu'échangeaient les rois des
Franks avec ceux des Wisigoths (V. 44 ; VI . 18 ; M. S. M.
III. 8) . Elle était un véritable centre dont chacun des chefs
franks enviait la possession .
Aussi son importance même était-elle une source de contiuuels
dangers. Isolée à l'extrémité occidentale des possessions du roi
d'Austrasie, elle était la première envahie et ravagée par ses
frères ; elle était sans cesse prise et reprise (IV. 46, 48) . Au
moment où Grégoire y arriva, Clovis , fils de Chilpéric , et Mum-
molus , chef des troupes de Sigebert, se la disputaient . Le nouvel
évêque montra au milieu de toutes ces luttes une fermeté iné-
branlable ; il sut préserver de toute atteinte les droits de son
église et commander le respect même à ses ennemis .
Les premières années de son épiscopat furent difficiles et ora-
geuses . En 575 il perdit son protecteur Sigebert , et Tours resta
pendant dix ans sous la domination de Chilpéric. Partisan zélé
de l'Austrasie, Grégoire avait tout à redouter du roi de Paris et
de sa femme Frédégonde. Il avait heureusement pour le protéger
sa dignité épiscopale et la majesté de saint Martin . C'est pour
la défense du sanctuaire qu'il eut d'abord à combattre ; malgré
les violences du comte Leudaste , naguère établi à Tours par
Charibert (IV. 49) , et rétabli par Chilpéric, il refusa avec une
invincible fermeté de livrer Gontran-Boson et Mérovée ¹ , qui
avaient cherché dans la basilique de saint Martin un asile contre
la colère du roi (V. 14) . En même temps , il défendait les posses-
sions de son diocèse contre Félix , évêque de Nantes . Il le fit
même avec une énergie qui allait jusqu'à la violence (V. 5) .
Il n'apporta pas une fermeté ni une passion moins grandes
dans sa défense de Prétextat, évêque de Rouen, accusé d'avoir
marié Mérovée et Brunehaut, et d'avoir fait passer de l'argent

1. Nous n'entrons pas dans le détail des événements. Il allongerait inu-


tilement ce récit. Nous ne faisons que noter la part qu'y prit Grégoire,
afin de bien marquer les diverses périodes et la chronologie de sa vie.
Rappelons seulement que Gontran-Boson était poursuivi comme meur-
trier de Théodebert, fils de Chilpéric, et Mérovée, autre fils du même
roi, comme mari de Brunehaut.
- 33 --

aux ennemis de Chilpéric . Celui-ci convoqua un concile à Paris


(577) pour juger l'évêque infidèle . Grégoire seul eut le cou-
rage de le défendre devant les évêques assemblés et contre le roi
lui-même. Sa partialité en faveur des amis de l'Austrasie l'aveu-
glait peut-être, car il ne put empêcher Prétextat d'être déposé de
l'épiscopat et envoyé en exil (V. 19) ¹ .
Rentré dans son diocèse, il eut encore à lutter contre Leudaste
qui se livrait aux dernières violences , faisait garrotter les
prêtres , frapper les soldats à coups de bâton et piller le peuple
confié à sa garde (V. 49) . Grégoire réussit à le faire remplacer
par Eunomius (V. 48) . Mais Leudaste se vengea en le faisant
accuser par le diacre Riculf d'avoir prononcé des paroles outra-
geantes contre Frédégonde . Un synode fut réuni à la villa royale
de Braine ( 580) pour juger ce crime de lèse-majesté, et Grégoire
se justifia par un simple serment de l'accusation portée contre
lui , le roi ayant déclaré qu'il fallait s'en rapporter à sa bonne
foi. Leudaste fut obligé de s'enfuir et se réfugia en Berri avec tous
ses trésors (V. 50) 2. Grégoire séjourna quelque temps auprès
de Chilpéric qui cherchait à lui faire oublier ses éclats de bruta-
lité en lui prodiguant des témoignages de vénération et d'amitié .
Il aimait passionnément les discussions théologiques, avait même
des prétentions de novateur en théologie comme en grammaire ,
et il trouvait en Grégoire un adversaire toujours prêt à com-
battre en faveur de l'orthodoxie (voy. V. 45 ; et la curieuse dis-
cussion avec Agila , envoyé de Léovigilde , V. 44 )3 . Après le concile
de Braine , nous retrouvons l'évêque de Tours à Nogent (aujour-
d'hui Saint-Cloud) auprès du roi qui lui prodigue les témoi-

1. Il ne semble pas que Grégoire ait assisté au concile de Chalon (579)


où furent déposés les évêques Salonius et Sagittaire . Mais il s'intéressa
beaucoup à cette affaire, sans doute à cause de ses relations avec l'Eglise
de Lyon (V. 21 , 28) . Les actes de ce concile sont perdus.
2. Voyez les détails dans l'Historia Francorum . Nous ne faisons que
résumer ce qui se rapporte à Grégoire même et mettre en lumière ce
qui pourra nous servir à apprécier son autorité.
3. Il est difficile de préciser les dates de ces deux discussions . Elles
sont racontées entre le concile de Paris (577) et celui de Braine ( fin de
580); mais après la mort d'Austrechilde (sept . 580. V. Marius . Ind . XIV).
La discussion avec Agila eut probablement lieu en 580 et il la fit suivre
de celle avec Chilpéric , guidé par l'analogie du sujet plus que par l'iden-
tité des dates. Celle-ci dut avoir lieu pendant ou après le concile de
Braine, puisque saint Sauve de Bourges arriva auprès du roi peu de
jours après (V. 45) ; et nous savons qu'il était à Braine (V. 51 ), où il prédit
à Grégoire que le glaive de Dieu allait frapper la maison de Chilpéric .
HIST . MÉROVINGIENNE . 3
- 34 -

gnages d'affection . Il lui montre ses trésors (VI . 2) , lui demande


sa bénédiction (VI . 5) , et peu de temps après, sur une lettre de
Grégoire, fait grâce de la vie à deux voleurs (VI . 10) . Mais
l'évêque ne pardonna pas à celui qui avait arraché Tours à
l'Austrasie, frappé ses sujets d'impôts oppressifs (V. 29) , et
accusé de lèse-majesté Prétextat et Grégoire lui-même .
Rentré dans son diocèse , il n'y fut pas longtemps en paix. La
guerre reprend en 581 (VI . 12) entre Chilpéric et Gontran , et
le diocèse de Tours est de nouveau ravagé en 583 (VI. 31 ).
Grégoire paraît avoir été effrayé par tous ces malheurs et par
les accusations dont il avait failli être victime, car lorsque Leu-
daste vient lui demander l'absolution et la communion , il con-
sulte d'abord la vindicative Frédégonde et sur son ordre refuse
au comte ce qu'il implore. Leudaste, malgré ses conseils, voulut
aller trouver la reine pour la fléchir et périt assassinė (VI . 32) .
Mais Grégoire devait bientôt être délivré d'une domination
qu'il regardait comme une odieuse tyrannie . Un meurtrier
inconnu mit fin l'année suivante (584) , au règne de Chilpéric
(VI. 48) , et la basilique de Saint-Martin , qui tant de fois avait
servi de refuge aux ennemis du roi, fut l'asile du chambrier
Eberulf , accusé par Frédégonde d'être l'auteur du crime¹
(VI . 21) .
La mort du roi ne mit pas fin à tous les troubles qui agitaient
la ville de Tours ; la même année en effet des querelles de
famille suscitèrent une guerre civile que Grégoire apaisa en
payant avec les fonds appartenant à l'église le wehrgeld imposé
par le tribunal (VII . 46) ; mais du moins l'évêque eut la satis-
faction de voir sa cité revenir sous la domination de l'Austrasie ,
la seule légitime à ses yeux . A la mort de Chilpéric , Gontran
s'en était d'abord emparé ( VII . 12) , mais en 585 il adopta son
neveu Childebert, le fit son héritier , et lui restitua Tours et
Poitiers (VII . 33) .
Grégoire fut récompensé de sa fidélité et consolé des épreuves
qu'il avait subies par l'amitié et la confiance que lui témoigné-
rent les deux rois d'Austrasie et de Burgondie . Lorsque Gontran
vint à Orléans pendant l'été de 585 , Grégoire s'y rendit aussi .
Mais ce fut le roi qui alla trouver l'évêque dans la basilique de
Saint-Avit . Il l'accompagna ensuite chez lui pour y communier,
puis l'invita à un repas où il consentit à admettre Bertchramn ,
évêque de Bordeaux , et Palladius , évêque de Saintes , compromis

1. Il fut tué pourtant par Claudius, émissaire de Gontran (VII. 29) .


35 ―

dans la révolte de Gondovald . Il alla jusqu'à faire grâce à Gara-


chaire, comte de Bordeaux , et à Bladaste , tous deux complices
de Gondovald, réfugiés alors à Saint-Martin de Tours ( VIII .
1-6) .
Ce fut surtout Childebert qui paraît avoir recherché les con-
seils et les services de Grégoire . Peu de temps après l'entrevue
avec Gontran, nous voyons l'évêque de Tours à Coblentz auprès
du roi d'Austrasie, et celui-ci , sur sa demande , s'interpose auprès
du roi de Burgondie en faveur de Théodore, évêque de Mar-
seille , et ami de Gondovald (VIII . 12) . C'est dans ce même voyage
sans doute que Grégoire alla à Reims voir l'évêque Egidius et
Siggon, ancien référendaire de Sigebert (M. S. M. III . 17 ) . En
quittant Coblentz pour revenir à Tours , il passa par Ivoy (auj .
Carignan, Ardennes , à 21 kil . de Sedan) pour voir le mission-
naire Wulfilaïc , qui lui raconta sa vie (VIII . 15) .
En 588 il retourna auprès de Childebert , qui était à Metz , en
passant de nouveau par Reims (IX . 13) . Le roi d'Austrasie le
choisit pour son envoyé auprès de Gontran , et Grégoire se rendit
en son nom à Chalon-sur- Saône pour obtenir la confirmation du
traité conclu l'année précédente à Andelot ( IX . 20) . Ce fut sans
doute dans ce même voyage qu'il alla voir sa mère à Cavaillon ,
comme il nous le raconte au ch . 60 des Miracula S. Martini.
L'année suivante (589) , Childebert et Brunehaut montrèrent
leur respect pour Grégoire en accordant sans difficulté à la cité
de Tours l'exemption d'impôts que réclamait l'évêque ( IX . 30) .
Pour célébrer cet acte de bienveillance, celui-ci offrit un festin
aux officiers royaux dans la basilique de Saint-Martin (Fortu-
nat, Carm . X. 12) .
En 591 , il retourna encore une fois en Austrasie auprès de
Childebert et y séjourna quelque temps (M. S. M. IV . 26 , 28) .
Nous ignorons s'il avait assisté en 590 au concile de Reims ,
où l'évêque Egidius fut déposé pour avoir trahi quelques années
auparavant le parti austrasien et reçu de l'argent de Chilpéric ;
mais il ne nous le dit pas (X. 19) , et il est peu probable qu'il
ait voulu contribuer à la punition de celui qui l'avait consacré et
dont il était resté l'ami.
D'ailleurs pendant ces deux années 589-590 il fut très-occupé
par le soin de son diocèse dont les intérêts furent toujours sa
première pensée . Les troubles civils qu'il avait réussi à apaiser
en 584 recommencèrent en 588, et il fallut que l'autorité royale
employât la force pour y mettre fin (IX . 19) . Dans le sein même
de l'église de Tours, les intrigues d'Ingeltrude qui avait établi
36

un monastère de filles dans l'aître de la basilique de Saint-


Martin, suscitèrent à l'évêque des difficultés qui ne se termi-
nèrent qu'en 590 après la mort de l'abbesse (IX . 33; X. 12) .
Enfin Grégoire s'employa pendant quatre années à apaiser une
sédition qui avait éclaté dans le monastère de femmes de Poi-
tiers , et à la tête de laquelle se trouvaient Chrodielde, prétendue
fille de Charibert, et Basine, fille de Chilpéric . Nous savons
qu'il s'était rendu à Poitiers en 587 pour les obsèques de sainte
Radegonde, il y alla encore en 590 pour le concile qui mit fin à
tous ces scandales ( IX . 39-43 ; X. 15-17) . Nous voyons com-
bien son influence était grande par les vers où Fortunat invoque
son appui (Carm. VIII . 16) .

Tu tamen, alme pater, pietatis amore labora


Ut sacer antistes culmina cujus habes,
Unde repraesentes Martinum in tempore sacrum
Cursibus atque fide dando salutis opem.

En même temps, Grégoire ne négligeait rien pour la prospé-


rité et l'embellissement du diocèse qui lui était confié . C'est par
ses conseils que la reine Ingoberge, veuve de Charibert , répara
les maux que son mari avait causés aux églises (M. S. M. I. 29) ,
en léguant ses biens à celles de Tours et du Mans (589. IX . 26) .
En 590 , il fit reconstruire et orner de peintures murales (X. 31) ,
la basilique de Saint-Martin incendiée en 558 par Williachaire
(IV. 20) , et qui d'ailleurs tombait de vétusté, comme nous le dit
Fortunat dans les vers où il célèbre l'œuvre magnifique de son
ami (Carm. X. 6) :

Invida subrueret quam funditus ipsa vetustas


Ut paries liquidis forte solutus aquis :
Quam pastor studuit renovare Gregorius aedem
Nec cecidisse dolet quae magis aucta favet ' .

Il fit encore agrandir l'oratoire de Saint-Etienne (Gl. M. 34),


et construire à Artone une église sous le vocable de Saint-
Gabriel (Fortun . Carm . X. 5 ) .
L'activité de Grégoire était vraiment prodigieuse et l'on est
étonné du nombre de voyages qu'il entreprit , malgré les diffi-
cultés et les périls qu'il était assuré d'y rencontrer . Nous savons
par ses écrits, que, sans parler de l'Arvernie et de la Touraine,

1. V. le remarquable mémoire sur la Restitution de la basilique de Saint-


Martin de Tours, par M. Jules Quicherat, extrait de la Revue archéologique .
1869.
37--

où il avait passé sa vie ¹ , il connaissait pour y avoir séjourné Poi-


tiers (Gl . M. 5 ; M.S. M. IV . 30 ; Gl . C. 106) ; Saintes (M. S. M.
III. 51 ; id. IV . 31 ) ; Blaye et Bordeaux ( Gl . C. 46) ; Riez ( Gl .
C. 83) ; Cavaillon (M. S. M. III . 60 ) ; Vienne (M. S. J. 2) ;
Lyon (Gl . M. 84 ; M. S. J. 2 ; M. S. M. I. 36 ; Gl . C. 62 ; V.
PP . VIII . 2) ; Chalon- sur-Saône (Gl . C. 85) ; Autun (Gl . C.
74) ; Châlons-sur-Marne (Gl . C. 66) ; Reims (M. S. M. III , 17 ;
id . IV. 21 ) ; Soissons (Gl . C. 95) ; Metz (Hist . F. IX. 13) ;
Coblentz (VIII . 12) ; Ivoy (VIII . 15 ) ; Braine (V. 50) ; Paris
(V. 19) ; Orléans (VIII . 23) ² .
S'il fallait en croire son biographe, il aurait même été à Rome ,
où le pape saint Grégoire le Grand aurait admiré sa piété et son
humilité (Vit . Greg . 24) , et lui aurait fait présent d'un siège en
or pour la basilique de Tours. Mais le biographe ne nous dit pas
que ce siége existât encore de son temps , et nous savons qu'il ne
se trouvait point parmi les reliques détruites par les protestants
en 1562 3. Rien ne nous autorise à admettre ce récit . Nous
savons que Grégoire reçut des nouvelles de la mort du pape
Pelage (janv . 590) et de l'élection de son successeur par un
diacre de Tours qui avait entrepris un pèlerinage au tombeau des
apôtres (X. 1 ) , mais il ne dit nulle part qu'il ait été à Rome ni
même qu'il eut l'intention d'y aller . En 591 il était auprès de
Childebert (V. plus haut , p . 35) , il n'aurait donc pu accomplir
ce voyage que dans les années 592-593 , et pourtant il n'en dit
rien dans son IV 1. des Miracles de saint Martin , auquel il
travaillait encore après la mort de Gontran (593–594 . M. S.
M. IV . 37) , ni dans sa notice sur les évêques de Tours (31º chap .
du X® 1. ) , où il cite l'écrit précédent et qui doit être son avant-
dernier ouvrage ¹ . Il aurait mentionné un fait aussi important

1. Il avait souvent parcouru ces deux pays, et fait le voyage de Cler-


mont à Tours et de Tours à Clermont (v. Gl . M. 9 ; Mir. S. Juliani , 25, 35;
45 ; M. S. M. I. 32 ; V. PP. XI . 3 ; Gl . C. 21.86).
2. D'après Adhémar, Chron. Aquitanicum († après 1029) I. 30 , et les Gesta
episcoporum Encolismensium (écrits v. 1159) , Grégoire , alors évêque de
Tours, aurait accompagné saint Germain de Paris à Angoulême pour y
consacrer la basilique de Saint- Eparchius (S. Cybard) et Saint- Martin.
Mais cette consécration eut lieu en 568-569, du vivant de Charibert, quatre
ans avant l'épiscopat de Grégoire . Ce fait doit être rejeté.
3. V. Bordier, Greg. Tur. Op. min . IV, p . 210 , n . 2.
4. Si cet épilogue n'est pas de Grégoire, l'argument est plus fort encore,
car ce silence prouve que la légende du voyage n'était pas encore
formée quand cet écrit apocryphe aurait été composé. -- La préface du
de Vita Patrum fut sans doute le dernier écrit de Grégoire. Voy. p . 44.
38 -

parmi les indications qu'il nous donne sur les actes de son épisco-
pat . D'un autre côté il n'est pas possible qu'il ait accompli le
voyage après 593¹ , car il mourut le 17 novembre 594.
Il est impossible de fixer une autre date pour sa mort . Nous
savons par une lettre du pape Grégoire à son successeur Pèlage
que celui-ci était évêque de Tours en 596. L'épilogue de l'His-
toire des Franks est écrite la vingt et unième année de son ordi-
nation (593-594) . Les Miracles de saint Martin, qui sont
inachevés , et qu'il écrivait pour ainsi dire au jour le jour (M. S.
M. II . 60) ² , n'ont pas été poursuivis au-delà de 593. Enfin le
biographe qui devait savoir exactement par les obituaires et par
l'épitaphe de Grégoire combien d'années avait duré son épisco-
pat, nous dit qu'il mourut : « Vigesimo et primo episcopatus
sui anno, tanquam septenario annorum numero ter in fide
sanctae Trinitatis completo .... decimo quinto kalendas
decembris . » Si nous acceptons 573 comme date de l'élévation
de Grégoire au siége épiscopal, nous devons fixer comme date
de sa mort le 17 novembre 594. Suivant le biographe (ch . 26) ,
il fut d'abord humblement enseveli , d'après sa propre volonté,
sous une dalle de la basilique . Au vir siècle, saint Ouen lui
construisit un riche mausolée à la gauche du tombeau de saint
Martin . Renversé par les Normands au x siècle , ce mausolée
fut reconstruit au xrº par les soins d'Hervé, trésorier de l'église
de Tours . Enfin , en 1562 , les Huguenots le détruisirent entière-
ment 4 .

1. Nous verrons, ch . II, p . 43 , que les dernières années de sa vie furent


toutes consacrées à la composition de ses œuvres littéraires .
2. « In quo cum quinquaginta novem virtutes descripsissem, sexagesimam
adhuc attentius praestolarer. »
3. Ruinart adopte 595 pour date de sa mort, sans en donner d'autres
raisons que la nécessité de placer en 593 le voyage à Rome .
4. Voy. Bordier, trad. de l'Hist. Eccl. des Franks, I , p . xxxix, n . 2.
- 39 —

CHAPITRE II.

ÉCRITS DE GRÉGOIRE DE TOURS . - MANUSCRITS

ET ÉDITIONS DE L'HISTOIRE DES FRANKS .

Dans le dernier chapitre de l'Histoire des Franks , Grégoire


de Tours nous apprend lui-même quels ouvrages il avait com-
posés « Decem libros historiarum, septem miraculorum,
unum de Vitis Patrum scripsi in Psalterii tractatum
librum unum commentatus sum : de Cursibus etiam eccle-
siasticis unum librum condidi . » Nous possédons tous ces
ouvrages, excepté le Commentaire sur les Psaumes , dont il ne
nous reste que la préface et les titres des chapitres ' . Le de
Cursibus ecclesiasticis a été longtemps perdu . Il n'est indiqué
ni par Sigebert de Gembloux2 , ni par Tritheim 3 , dans leurs
catalogues des œuvres des écrivains ecclésiastiques . M. Fré-
déric Haase, de Breslau, a retrouvé cet opuscule dans un ma-
nuscrit de la Bibliothèque de Bamberg (coté H. J. IV, 15 ) et l'a
publié en 18534. Nous savons de plus par Grégoire lui-même
qu'il avait traduit , grâce à un interprète syrien , la Passion
des Sept Dormants d'Ephèse ( Gl . M. 95) . Il n'a pas jugé
ce travail assez original pour le citer parmi ses œuvres .
Il en est probablement de même des Miracula Sancti Andreae,
remaniement de la Vie de saint André , œuvre prétendue d'un
certain Abdias, dont l'original hébraïque aurait été mis en latin
au ш siècle par Julius Africanus . Ruinart a mis en doute que
cet écrit fût de Grégoire ; mais nous n'avons aucun motif pour
en contester l'authenticité. La préface et l'épilogue sont bien
dans les habitudes de style et de pensée de l'évêque de Tours 5 ,

1. Voy. l'édition des Opera minora de Grégoire, publiée par M. Bordier,


t . III , p . 401 et sq.
2. De Scriptoribus ecclesiasticis , 49. Il attribue d'ailleurs à Grégoire l'His-
toria epitomata.
3. De scriptoribus ecclesiasticis, 220. Il répète Sigebert, en omettant le de
Vita Patrum que Sigebert comprenait sous ce titre duos libros de vita vel
memoria quorumdam confessorum.
4. Voy. les Opera Minora de Grégoire, publiés par Henri Bordier,
t. IV, p. 1 sq.
5. ... Indignus ore, sermone rusticus... Deprecor autem ejus misericor-
- 40 -

et l'épilogue de cette vie nous donne seule le jour précis de sa


naissance . Quant au Liber de Passione, virtutibus et
gloria Sancti Juliani martyris, à l'Historia septem Dor-
mientium Majoris Monasterii , à la Vita sancti Aridii, il
n'y a pas d'autre motif pour les lui attribuer que les titres de cer-
tains manuscrits . Mais ce motif perd sa valeur quand on voit avec
quelle facilité on mettait , au moyen-âge , des noms illustres en
tête d'ouvrages sans valeur et surtout quand on sait que le nom
de Grégoire se trouve à tort sur une foule d'écrits de l'époque
mérovingienne, ou même en tête d'écrits postérieurs ¹ . D'ailleurs
la lettre à Sulpice de Bourges, qui précède l'Histoire des Dor-
mants de Marmoutiers , donne à cet évêque le titre d'archevêque
encore inusité au vr° siècle ; elle est écrite dans un style fleuri
qui ne rappelle nullement celui de Grégoire , mais bien plutôt
celui qu'Alcuin mit à la mode à la fin du vire siècle .
Grégoire (Hist. II, 22) nous apprend qu'il avait encore écrit
une préface au livre de Missis de Sidoine Apollinaire ; mais ni
l'ouvrage ni la préface n'ont été conservés . Nous pouvons
aisément nous consoler de cette perte ainsi que de celle du
Commentaire sur les Psaumes , qui n'avait sans doute rien
d'original et ressemblait aux nombreuses œuvres contemporaines
du même genre. Les fragments de discussions théologiques que
nous rencontrons dans l'Histoire des Franks peuvent nous en
donner une idée ( II , 10 ; V, 44) .

diam, ut sicut in illius natale processi ex matris utero, ila ipsius obtentu
eruar ab inferno... » Natale doit être une faute . C'est le jour de la mort
(in die passionis, comme le dit la phrase suivante) de saint André que
l'Eglise célèbre le 30 novembre.
1. Voy.de Foncemagne , Dissertationpour prouver que saint Grégoire de Tours
n'estpas l'auteur de la vie de saint Yriez. dans les Mém. de l'Ac. des Inscript.
VII, p. 278. Nous ne pouvons entrer ici dans de longs détails sur les Opera
Minora de Grégoire, qui ne rentrent pas directement dans le cadre de
notre étude. Nous ne pouvons mieux faire que de renvoyer à l'édition que
M. H. Bordier en a donnée pour la Société d'Histoire de France , 4 v. in-8,
1857-1864 . Ses judicieuses préfaces et ses précieux appendices donnent
tous les renseignements désirables sur les œuvres apocryphes ( IV,
p. 29-32), et sur les manuscrits consultés pour cette édition ( IV , 277-280) .
On y trouve aussi une excellente bibliographie des éditions de Grégoire
de Tours.
2. Quod in praefatione libri, quem de missis ab eo compositis con-
junximus, plenius declaravimus. » La construction barbare de cette
phrase peut faire croire que Grégoire avait composé un livre et une
préface, joints au de Missis de Sidoine : mais s'il s'était agi d'un livre , il
l'eût cité dans le catalogue du dernier chapitre de son histoire .
44 -
Nous avons donc eu la bonne fortune de conserver dans leur
intégrité les œuvres les plus importantes de l'évêque de Tours .
Nous possédons les libri decem Historiarium ; c'est l'Histoire
des Franks , objet de notre étude . Nous possédons aussi les libri
septem Miraculorum , c'est-à- dire : les quatre livres de Miracles
de saint Martin ; le de Gloria Martyrum qui raconte en
cent-sept chapitres les choses extraordinaires accomplies par
les martyrs ou par leurs reliques depuis les apôtres jusqu'à l'épo-
que de Grégoire ; le de Miraculis sancti Juliani ; le de Gloria
Confessorum où sont rapportés en cent-douze chapitres les
miracles les plus remarquables opérés par les saints de l'Eglise
de Gaule ¹ . Nous possédons enfin le de Vitis Patrum ou plutôt
de Vita Patrum qui contient la vie de vingt-trois abbės ,
évêques ou reclus gallo-romains ³.
Nous n'entrerons pas dans l'étude des œuvres hagiographi-
ques de Grégoire, et nous n'y aurons recours que pour éclairer
son grand ouvrage historique. Mais il était important de mon-
trer l'étendue de son activité littéraire , et il ne le sera pas moins
de déterminer à quelle époque de sa vie se place la composition
de chacune de ses œuvres . C'est , en effet, la seule manière de
savoir à quel moment et de quelle manière il a composé l'Histoire
des Franks 4.
Le premier ouvrage entrepris par Grégoire fut son recueil des
miracles de saint Martin . Il raconte dans la préface du livre Ier ,
la vision qui le décida à surmonter la timidité que lui inspirait
son ignorance et à célébrer les merveilles accomplies par le
saint depuis sa mort , comme Sulpice Sévère et Paulin avaient
célébré celles qu'il accomplit durant sa vie . Le premier livre

1. Saint Eusèbe de Verceil (c . 3) est le seul de ces confesseurs qui ne


soit pas un Gaulois transalpin.
2. Voy. V. PP. préf.
3. Saint Lupicin , saint Romain, saint Allyre , saint Abraham , saint Quintien ,
saint Portien, saint Gall , saint Grégoire de Langres, saint Nizier de Lyon ,
saint Patrocle, saint Friard, saint Calupan , saint Emilien , saint Brachion ,
saint Lupicin de Lubié , saint Mars, saint Senoch , saint Vénant, saint
Nizier de Trèves, saint Ours, saint Leubasse, sainte Monégunde , saint
Liphard.
4. Ne pouvant séparer de la biographie de Grégoire cette étude sur
l'époque où il a composé ses divers écrits, nous nous servons du texte
de l'Histoire des Franks , comme si nous étions sûr d'avance de son inté-
grité et de son authenticité. Nous renvoyons au chapitre suivant la
discussion des objections élevées contre l'authenticité de certaines par-
ties de l'ouvrage.
- 42 -

comprend les miracles antérieurs à l'épiscopat de Grégoire ; les


trois autres renferment ceux dont il a été lui-même le témoin.
Il travailla toute sa vie à cette œuvre , car chaque année
apportait des témoignages nouveaux de la puissance et de la
sainteté du patron de Tours 1. Les deux premiers livres
furent écrits entre 573 et 581. En effet, Fortunat qui mit en
vers la vie de saint Martin par Sulpice Sévère avant 5762,
envoya son poème à Grégoire avec une lettre où il lui demandait
son ouvrage pour le mettre également en vers 3. L'œuvre était
donc déjà avancée à cette époque ; le premier livre peut-être fini .
Mais le second livre fut composé un peu plus tard . Au cha-
pitre 12, nous voyons que Ragnimode était déjà évêque de
Paris ; au chapitre 58, Leudaste n'est plus comte de Tours 5 .
La première partie du livre est donc certainement postérieure
à 576, et la fin à 580. Le dernier chapitre du livre II est écrit
en 581. Il nous raconte, en effet , un miracle dont Grégoire fut
l'objet après avoir terminé les 59 autres chapitres , huit ans
après le miracle raconté dans le chapitre premier et qui remon-
tait à 5736. C'est donc dans les huit premières années de l'épis-
copat de Grégoire, de 573 à 581 , que se place la composition des
deux premiers livres des miracles de saint Martin ; celle du
premier livre vers 574-575 , celle du second entre 577 et 581 .
Les Miracula S. Juliani furent écrits après le second livre
des miracles de saint Martin, puisqu'il y est cité au chapitre 40.
Ils ne furent terminés qu'après 585 , car la Vie de saint Nizier , de

1. ... Cum quinquaginta novem virtutes descripsissem, et sexagesimam


adhuc attentius praestolarer... Multa quidem sunt et alia ... quae insequi longum
est. Tamen si adhuc meremur videre miracula, placet ea alteri conjungi
libello. » (M. S. M. II , 60) .
« Sufficiant ergo haec huic libello quae indita sunt. Tamen si adhuc mira-
cula cernere meremur, placet ea alteri libello inseri. » (M. S. M. III, 60) .
2. Il y parle de saint Germain de Paris, mort en 576, comme étant encore
vivant.
3. « Cum jusseritis autem ut opus illud, Christo praestante, intercessionibus
domni Martini quod de suis virtutibus explicuisti versibus debeat digeri, id
agite ut ipsum mihi relatum jubeatis transmitti » (Prologus in versificatam
vitam S. Martini. - Fortunati carmina , ed . Christ . Browerus. Moguntiæ ,
1603, in-4) .
4. Il succéda à saint Germain en 576.
5. Il fut remplacé par Eunomius en 580.
6. « Spes autem mihi erat me non frustrari a voto, quod in octo annis
Domino jubente complevi, ipso scilicet libro a virtute super me facta coepto,
ad me iterum sum regressus... In quo cum quinquaginta novem virtutes des-
cripsissem, et sexagesimam adhuc attentius praestolarer... » ( M. S. M. II , 60).
- 43 ―

Lyon, citée au chapitre 50 , parle de l'expédition contre Comminge


de 585¹ .
Le de gloria Martyrum fut composé peu après . Les Mira-
cula S. Juliani s'y trouvent cités au chapitre 65. L'ouvrage
fut écrit ou du moins terminé entre 586 et 588, car il est cité par
le de Gloria confessorum, composé avant 588 , et la révolte
de Gundovald de 585 y est mentionnée au chapitre 105.
Le troisième livre des Miracles de saint Martin fut terminé
probablement vers la même époque, en 587 peut-être . Il raconte
des faits survenus entre 582 et 588. Au chapitre 8, Grégoire
parle de l'ambassade de Florent et d'Exsupère en 5822. Au
chapitre 17 , il raconte un voyage à Reims qui eut lieu proba-
blement en 586, lors de sa visite à Coblenz 3. D'ailleurs le
Ive livre des Miracula S. Martini s'ouvre à l'année 5884, et le
de Gloria Confessorum où les trois premiers livres des
Miracles de saint Martin sont expressément mentionnés comme
seuls composés à cette époque 5 , est écrit ou du moins terminé
à la fin de 587. Le chapitre 106 , en effet, parle de la mort de
sainte Radegonde, arrivée le 13 août 587 , et le chapitre 95 ,
nous dit que Charimer était alors référendaire de Childebert 6 .
Nous savons qu'en 588 , il devint évêque de Verdun 7 .
Le Ive livre des Miracles de saint Martin ne fut composé que
dans les dernières années de la vie de Grégoire. Il commence à 588
et s'étend jusqu'à 593. Le chapitre 37 parle de la mort de Gontran
qui arriva au printemps de 593. Grégoire travaillait donc encore
à cette œuvre dans la dernière année de sa vie , et il a sans doute
été arrêté par la mort , car le livre s'arrête brusquement au
chapitre 47. S'il l'avait pu , il lui aurait sans doute donné soixante
chapitres comme aux deux livres précédents, et aurait ajouté en
épilogue quelques réflexions morales et religieuses .
Il est difficile de marquer exactement à quelle époque Grégoire
a composé les biographies de Saints intitulées de Vita Patrum . Il
semble les avoir écrites d'abord séparément et à diverses époques ,

1. Vitae Patrum , VIII , 11.


2. Voy. Hist. Franc. , VI , 18.
3. Id., VIII, 12,
4. Mir. S. Marl., c. 5.
5. « Et quia tertium de ejus (S. Martini) operibus libellum scripsimus. »
(Glor. Conf. c. 6).
6. « ... Charimeris, qui nunc referendarius Childeberti regis habetur... »
(id. 95).
7. Voy. Hist. Franc. IX, 23.
-- 44 -

puis les avoir réunies plus tard en un seul ouvrage . La vie de


saint Nizier¹ de Lyon fut composée vers 586 , puisqu'elle est
citée dans les Miracula S. Juliani (ch . 50) écrits avant 587,
et qu'elle mentionne le siège de Comminges (ch . 11 ) de 585 .
Les Vies de saint Brachion , saint Senoch, saint Venant , sainte
Monegunde, furent écrites avant 588 , car elles sont citées dans
le de Gloria confessorum 2. La vie de saint Liphard n'a pu
être composée qu'après 592 , date de sa mort .
Vers la fin de sa vie, Grégoire fit une révision de ses ouvrages ,
y ajouta peut-être de nouveaux chapitres 3 , et composa des pré-
faces pour le de Gloria confessorum et pour le de Vita
Patrum . Celle du de Gloria confessorum nous donne la liste
de ses huit livres de Miracles . Le titre du de Vita Patrum
n'était pas encore fixé . Il l'appelle : De quorumdam felicio-
sorum vila. La préface du de Vita Patrum paraît être sa
dernière œuvre ; il y discute le titre de cet ouvrage , qui même
dans le dernier chapitre de son histoire était encore appelé de
Vitis Patrum , ce qu'il déclare incorrect ¹ .
Nous classerons donc les œuvres hagiographiques de Grégoire
dans l'ordre suivant :
1. Ier livre de Miracles de saint Martin, vers 574-575 .
2. II entre 577-581 .
3. Miracles de saint Julien , entre 582-586 .
4. De la Gloire des Martyrs , vers 586-587.
5. IIIe livre des Miracles de saint Martin , entre 582-587.
6. De la Gloire des Confesseurs , vers 587-588 . - La préface
ne dut être écrite qu'en 594.
7. IVe livre des Miracles de saint Martin , entre 591-594 .
8. Les Vies des Pères, écrites à diverses époques , réunies
par Grégoire à la fin de sa vie . La préface doit être aussi

1. Vit. Patr. c. VIII.


2. Vit. Patr. c. XII , XV, XVI , XIX . Gl . Conf. c. 39, 25, 15, 24.
3. Cette révision est évidente . La préface du de Gloria confessorum parle
de quatre livres des Miracles de saint Martin , le chapitre 6 n'en mentionne
que trois. La préface du de Vita Patrum cite le de Gloria confessorum où
plusieurs des vies des Pères sont citées. Il est possible que quelques-uns
des renvois ou des faits sur lesquels nous nous sommes appuyés pour la
chronologie des œuvres de Grégoire aient été ajoutés au moment de
la révision . Aussi n'avançons-nous nos conclusions que sous toutes
réserves.
4. Unde manifestum est melius dici Vilam Patrum quam vitas, » ( Vit.
Patr. Préface).
45 -

de 594 , et postérieure à celle du de Gloria confessorum ¹ .


Nous n'avons pas encore parlé de l'Histoire des Franks . Il
est impossible en effet de déterminer d'une manière précise l'épo-
que où elle fut écrite . Grégoire y travailla toute sa vie , et la
remania à diverses reprises .
Il ne dut la commencer que quelque temps après son arrivée à
Tours, après avoir déjà mis la main aux Miracles de saint
Martin. Ce qu'il nous raconte, en effet , dans la préface de cet
ouvrage, sur la timidité qu'il ressentait à prendre la plume, nous
prouve qu'il n'avait encore entrepris aucun travail littéraire. Il
fallut un ordre divin et le sentiment d'un impérieux devoir pour
vaincre ses scrupules . C'est également parce que personne ne
pouvait le remplacer dans cette tâche, qu'il entreprit de raconter
l'histoire des Franks.
L'ouvrage se divise en dix livres . Les quatre premiers parais-
sent former à eux seuls un ensemble complet. Le quatrième se
termine par une récapitulation chronologique des diverses pé-
riodes écoulées depuis le déluge et racontées par Grégoire , récapi-
tulation semblable à celle qui termine le X livre . Nulle part dans
ces quatre livres, le récit ne semble écrit au fur et à mesure des
événements . Au contraire, les faits y sont rapportés pêle-mêle
sans une exactitude chronologique bien rigoureuse , au hasard de
ses souvenirs . Ces quatre premiers livres contiennent le récit
des événements arrivés avant l'époque où Grégoire commença
d'écrire, c'est-à-dire jusqu'à la mort de Sigebert ( 575) . C'est
en effet vers 576 qu'il composa ses quatre premiers livres , après
le premier livre des Miracles de saint Martin , qui est de
574-575 , avant le deuxième livre qui fut écrit entre 577-581 . Au
chapitre 50 de son livre IV , Grégoire mentionne en effet un mi-
racle dont il dit qu'il reparlera , et il le raconte plus en détail
dans les chapitres 5 , 6 et 7 du IIe livre des Miracula S. Martini .
Ce sont les malheurs des guerres civiles qui lui ont inspirẻ
l'idée de conserver, au milieu du naufrage de la civilisation
Gallo-romaine, le souvenir des grands événements qu'il avait
entendu raconter ou vus de ses yeux 3. Dans le premier livre il

1. Voy. pour cette classification chronologique : Ruinart, Gregorii opera.


Praef. 83. Hist. litt. de la France, III , 382-85 . Kries , p. 34-37, 40-41 . Giese-
brecht, préf. XXV-XXX .
2. Ainsi le chap. 31 du liv. IV se rapporte à l'année 571 , le ch . 38 à 567, le
ch. 39 à 565, le ch . 41 aux années 569-572 , le ch . 45 à 575, le ch . 46 à 570.
3. « Decedente atque immo potius pereunte ab urbibus gallicanis liberalium
cultura litterarum, cum... feritas gentium desaeviret, regum furor acueretur... »
46 -
résume l'histoire universelle et l'histoire de l'Eglise jusqu'à
l'apostolat de saint Martin ; dans le second, il raconte l'origine
et les conquêtes des Franks jusqu'à la mort de Clovis ; le troi-
sième nous conduit jusqu'à la mort de Théodebert, et le quatrième
jusqu'à celle de Sigebert .
Un certain nombre de chapitres, relatifs à l'histoire religieuse ,
et absents de quelques manuscrits ' , ont dû être ajoutés par
Grégoire postérieurement à la première rédaction des quatre
premiers livres ; nous avons vu, en effet, que le IVe livre était
terminé vers 577 , et au chapitre 36 du même livre , est citée la
Vie de saint Nizier qui ne fut terminée , comme nous l'avons vu ,
qu'après 585 2. Ce fut sans doute vers la fin de sa vie qu'il ajouta
tous ces chapitres nouveaux à son ouvrage.
Les livres V et VI commencent pour ainsi dire un nouvel
ouvrage. Le livre V s'ouvre par un prologue où Grégoire
s'adresse aux rois dont les querelles déchiraient alors la Gaule ³ .
Il écrivait donc avant la mort de Chilpéric (584) et pendant les
luttes de ce roi avec son fils Mérovée , son frère Gontran et son
neveu Childebert . A partir du livre V, le récit suit la marche
chronologique des événements , qui est indiquée d'après les ans
de règne de Childebert 4. Grégoire doit avoir noté chaque année
les faits les plus importants , mais il n'a rédigé que plus tard ces
deux livres, car au troisième chapitre du livre V , il annonce le
récit de la mort de Rauching , qui arriva en 587 5. On pourrait
donc placer vers 587-589, la rédaction des livres V et VI . Ils
étaient écrits avant 591 , car Grégoire parle de Sulpice de
Bourges (591 ) comme vivant encore, au chapitre 36 du livre VI .

(Hist. Franc., praef.).


1. Ce sont d'après les indications de l'Archiv. de Pertz, les manuscrits
de Cambrai, de Beauvais, de Corbie , de Leyde 63, les deux mss. de
Bruxelles et les mss . de Paris 9765 et 5921. Voy. sur ces mss . le chap. III.
2. Voy. plus haut, p. 44. Les chapitres qui manquent aux mss. de
Corbie et de Cambrai sont les suivants : L. I, 26, 27, 29, 31-35 , 39-42 ; II ,
1, 14-17, 21-23 , 26 , 36, 39 ; IV, 5-7, 11 , 12 , 15, 19, 32-37, 49. Les Vies des
Pères sont citées dans les chapitres, I , 40 ; II , 21 , 36 ; IV, 36-37. Voyez
sur l'insertion de ces chapitres dans le texte de Grégoire , le chapitre
suivant.
3. « Taedet me bellorum civilium diversitates, quae Francorum gentem et
regnum valde proterunt, memorare... Consurgit pater in filium, filius in pa-
trem, frater in fratrem, proximus in propinquum .. Si te, o rex, bellum civile
delectat... »
4. Grégoire était sujet du roi d'Austrasie . Voy. L. II, 14 , 26, 28 , etc.
5. Voy. L. IX, 9.
- 47
Comme pour les quatre livres précédents, il y a un certain nom-
bre de chapitres qui manquent à quelques manuscrits et qui ont
dû être ajoutés après coup , mais peu après, car ils sont étroite-
ment rattachés au fil du récit , bien qu'ils se rapportent presque
tous à la vie de personnages ecclésiastiques ¹ .
Grégoire avait été arrêté quelque temps dans ses travaux
historiques au moment de la mort de Chilpéric en 585, s'il
faut en juger par les premiers mots du livre VII : « licet sit

1. Les manuscrits où ces chapitres manquent sont ceux de Cambrai,


de Corbie, de Paris 9765 et 5921 , auxquels il faut ajouter, d'après Pertz ,
ceux de Leyde 63 et de Bruxelles. Le ms . du Vatican 1056 qui paraissait
de la même famille , est perdu , ainsi que celui du cardinal Dubois. Les
chapitres absents sont, au livre V, 5-7 , 9-11 , 21 , 33, 38, 41 , 43, 46 , 47, 49,
50; et au livre VI, 7-11 , 13 , 15, 34, 36-39. Tandis que pour les quatre pre-
miers livres, les lacunes s'expliquent très-bien par des additions postė-
rieures et ne troublent en rien la suite du récit et la logique du style ,
pour les livres V et VI il en est tout autrement . Il manque au récit des
faits indispensables et certaines phrases du texte des manuscrits incom-
plets font allusion à quelques-uns des chapitres absents. Ils étaient donc
déjà composés et faisaient partie de l'ouvrage dans l'esprit de l'écrivain .
Ainsi toute l'histoire de Leudaste et du concile de Braine ( V, 49, 50) est
absente des mss . incomplets . Pourtant le chapitre 51 y commence par
ces mots : et licet de beati Salvii episcopi conlocutione superius memorare
debueram... Igitur cum, vale post synodum memoratam regi jam dicto....» Ce
synode est celui de Braine . Les mêmes manuscrits ne racontent pas les
luttes entre Gontran et Childebert au sujet de la possession de Marseille
(VI, II) , et pourtant le chapitre 12 commence par ces mots : « Igitur Chilpe-
ricus rex cernens has dissensiones inter fratrem et nepotem suum pullu-
lare » qui font précisément allusion à ces luttes. La même observation
peut être faite à propos des chapitres 15 et 16, 34 et 35. (Voy. les notes
de l'éd . Guadet et Taranne, I, p. 406-407, 435-436) . La division des chapi-
tres n'est pas non plus toujours la même dans les mss. incomplets que
dans les mss. complets pour les livres V et VI. Il y a des phrases qui
manquent dans l'intérieur des chapitres. Pour expliquer ces divergences,
nous sommes contraints de supposer que les manuscrits incomplets cités
plus haut, représentent pour les livres I-IV, la première rédaction de
Grégoire dans son intégrité ; mais que pour les livres V et VI , ils repré-
sentent la copie des notes écrites par lui, année après année, copie faite
avant qu'il eut revu ces notes et arrêté la rédaction définitive. C'est ainsi
qu'on peut expliquer l'absence de passages nécessaires à l'intelligence du
texte, déjà écrits au moment où la copie a été faite , mais que Grégoire
n'avait pas encore classés à leur véritable place . C'est ainsi qu'on peut
aussi expliquer dans les manuscrits de Beauvais et de Corbie la présence
à la suite du livre IV des chapitres 7 et 8 du livre VII . Ainsi , tandis que
pour les quatre premiers livres nous possédons dans ces manuscrits une
première rédaction complétée plus tard , pour les deux suivants nous
possédons une rédaction réellement incomplète, inachevée et fautive,
œuvre trop hâtive des scribes qui travaillaient avec Grégoire.
- 48 --

studium historiam prosequi , quam priorum librorum


ordo reliquit. » Il ne dut pourtant pas rester longtemps sans
continuer son œuvre, car au chapitre 23 du livre VII , c'est-à-
dire en cette même année 584 , il dit : Praesenti anno , ce qui
semble bien indiquer un récit absolument contemporain . Comme
pour les livres précédents , il consigna par écrit le récit des
événements à mesure qu'ils se présentaient et ne fixa que plus
tard la rédaction définitive . Aussi les événements sont-ils racontés
avec plus ou moins de développement, suivant que sa vie était
plus ou moins agitée . Les livres VII et VIII sont très-développés .
Ils racontent la fin de l'année 584 et les années 585 et 586. Les
années 587 , 588 , 589 , 590 , 591 au contraire sont renfermées
tout entières dans le livre IX et les trente chapitres du livre X.
Durant les années 587-588 , en effet , Grégoire fut constamment
occupé à voyager en Austrasie et en Burgundie ¹ . De plus il était
à cette époque très-occupé de ses écrits hagiographiques 2 , et
d'ailleurs les événements n'avaient plus le même intérêt que
ceux des années précédentes . Gundovald était vaincu et la piété
de Gontran, la modération de Childebert , n'offraient pas à l'histo-
rien matière à de longs récits .
L'Historia Francorum s'arrête à 591. Elle devait sans
doute être continuée ; le Xº livre lui-même , beaucoup plus court
que les autres ³ , ne paraît pas terminé . Ce fut vers l'époque où
il écrivait le livre X , que Grégoire révisa les six premiers livres
pour y ajouter des chapitres nouveaux 4. Nous avons en effet des
manuscrits qui contiennent les neuf premiers livres ou même
une partie du Xe et où les six premiers sont encore incomplets 5 .
Ce fut donc vers cette époque 590-591 , que Grégoire donna
leur forme définitive aux dix livres de son histoire , tant aux six
premiers qu'aux quatre derniers . Dans ce travail de révision ,
il avait ajouté à son histoire de courtes notices sur divers saints

1. Voy. plus baut , p. 35.


2. Voy. plus haut, p. 44.
3. Il n'a en réalité que 30 chapitres assez courts. Les autres en ont
tous plus de 40 sauf le livre III qui en a 37.
4. Voy. plus haut, p. 46.
5. Ainsi les deux manuscrits de Bruxelles (voy. le chap . III) , le ms. de
Paris 9765. Le numéro 5921 de la Biblioth . imp . représente le travail de
Grégoire à une époque où les récits des deux derniers livres étaient
déjà écrits, mais pas encore définitivement classés. Les chapitres des
livres IX et X se trouvent en effet réunis un peu pêle- mêle en un seul
livre. Les six premiers livres s'y trouvent encore sous leur forme
primitive, mais les livres VII et VIII , sont déjà complétement composés .
49 -

personnages, sur les évêques d'Avernie et sur les premiers


évêques de Tours . La première rédaction contenait déjà l'his-
toire des évêques de Tours depuis Licinius 2. Ces premières indi-
cations ne lui parurent sans doute pas assez exactes ou assez
complètes, car il se mit aussitôt à composer un opuscule sur les
évêques de Tours , qui forme le 31 chapitre de son X livre 3,
mais qui est en réalité comme l'épilogue de ses œuvres complètes ,
et, j'oserais dire, son testament littéraire. Après avoir passé en
revue toute la série des évêques, en notant aussi exactement que
possible la durée de leur épiscopat , Grégoire nous dit quels
ouvrages il a composés et supplie ceux qui les copieront
de respecter l'intégrité de leur contenu . Il termine en indiquant
la durée chronologique des diverses périodes de l'histoire reli-
gieuse écoulées depuis la création . Ce fut probablement en 592
qu'il écrivit cet épilogue , avant la mort de Gontran dont il ne
fait mention à aucun passage de son histoire . Il revit et corrigea
sans doute encore une fois son grand ouvrage vers 594 , à l'époque
où il terminait son quatrième livre des Miracula S. Martini,
et où il écrivait les préfaces du de Gloria confessorum et du
de Vita Patrum 4.

Nous possédons de nombreux manuscrits de l'Histoire des


Franks . Ruinart en eut à sa disposition treize 5 , pour son édi-
tion de 1699. Dom Bouquet en connut trois de plus ; mais il ne

1. Evêques d'Arvernie ; I , 39, 40, 41 ; II, 16, 21 , 22, 23, 36 ; IV, 7, 35.
Evêques de Tours : II , 1 , 14 , 26, 39, 43.
2. Voy. III , 2, 17 ; IV, 3 , 4, 36.
3. « De episcopis Turonicis licet in superioribus libris quædam scripsisse
visus sim, tamen propter ordinationem eorum... reciprocare placuit. »
4. Voy. plus haut, p. 44. Nous plaçons la composition de l'épilogue,
avec M. Giesebrecht, en 592, à cause de ces mots de l'épilogue : A tran-
situ sancti Martini usque ad memoratum superius annum, id est, ordinationis
nostræ primum et vicesimum, qui fuit Gregorii papæ Romani quintus, Gunt-
chramni trigesimus primus, Childeberti junioris decimus nonus... Toutes
ces dates s'accordent avec l'année 594 sauf la 31 ° de Gontran qui est 592 .
Comment en 594, Grégoire aurait-il pu avoir l'idée de donner l'année du
règne de Gontran mort en 593. Il est vraisemblable qu'il aura écrit ces
lignes en 592, puis que revoyant deux ans après son ouvrage, il aura
avancé de deux ans toutes les dates , sauf celle du règne de Gontran, qui
ne comptait plus, puisqu'il était mort depuis un an.
5. Douze en réalité, car le ms. dit du cardinal Ottoboni que Ruinart
prétend avoir été collationné à Rome par D. Estiennot. n'est qu'un
exemplaire des Gesta regum Francorum (V. Pertz, Archiv . , IV, 497) .
HIST . MÉROVINGIENNE. 4
- 50

put collationner celui de Cambrai assez tôt pour s'en servir . Sept
des manuscrits de Ruinart et de D. Bouquet, sont aujourd'hui
perdus et ne nous sont connus que par leurs notes . MM . Guadet
et Taranne, les derniers éditeurs de Grégoire , ont pu se servir du
manuscrit de Cambrai et d'un nouveau manuscrit de Paris,
(Bibl. imp . fond . lat . 9765) . Enfin les recherches faites pour la
future édition des Monumenta Germaniæ, ont mis en lumière
quatorze textes inconnus jusqu'ici . Nous possédons en outre des
fragments importants à Paris, à Leyde , à Wolfenbuttel , à Mont-
pellier et à Madrid .
Les manuscrits aujourd'hui connus sont les suivants¹ :
PARIS : I. - Bibl . imp . lat . 5920 (Codex Colbertinus M), écrit
vers 1000 ap . J.-C. , dit Sancti Michaelis . Dix cahiers ont été
perdus . (2. Transition entre la première et la seconde classe) .

II. 5921 (Cod . Colbertinus A) ; XI -XIIe siècle, venant
de l'abbaye de Saint- Arnoul à Metz, commence au chapitre 7
du livre II . Le IX livre est un mélange des livres IX et X
fondus en un seul . La chronique dite de Frédégaire forme le
X® livre (3) 2.
III . 5922 (Cod. Regius A) ; XII -XIe siècle ; Sanctæ
Mariæ in Ottenburg 3 , contient les trois premiers livres et les
seize premiers chapitres du livre IV. (3) .

1. Les renseignements que nous fournissent les éditions et les ma-


nuscrits de Paris ne nous suffisent pas à établir leur classement et leur
généalogie . M. Pertz ( Archiv. V, 50-61 ) a donné un classement provisoire
qui peut faciliter les recherches. Il distingue trois classes . La première
comprend les manuscrits possédant les six premiers livres complets ; la
seconde les manuscrits auxquels il manque les chapitres 32-37 du livre IV,
bien qu'ils possèdent les autres chapitres relatifs à l'histoire religieuse
(V. plus haut, p. 46) et absents des manuscrits de la troisième classe.
Nous nous sommes abstenu de classer les manuscrits , mais nous indi-
quons par les chiffres 1 , 2 , 3 , la place assignée par M. Pertz à ceux qu'il
a classés. Prochainement d'ailleurs, paraîtra l'édition des Monumenta
Germaniæ qui nous donnera des renseignements complets sur toutes ces
questions. D'abord entreprise par M. Bethmann, elle est maintenant
confiée à M. Arndt. Je dois à son obligeance de nombreuses et précieuses
indications sur les manuscrits de Grégoire . Je le prie d'en accepter ici
tous mes remercîments, [ N. du R.]
2. Nous ne donnons pas pour chaque manuscrit l'indication de tous les
chapitres qui lui manquent. Nous renvoyons sur ce point aux préfaces
et aux notes de Ruinart, de D. Bouquet, de MM. Guadet et Taranne,
et aux renseignements donnés par l'Archiv. de M. Pertz . Notre but n'est
pas de préparer une édition, mais seulement d'indiquer les points qui
peuvent soulever des questions de critique .
3. Diocèse de Mayence.
51

IV . - 132 (Cod. Corbeiensis) ; VII° siècle ; contient les six


premiers livres et les chapitres 7 et 8 du livre VII placés à la fin
du livre IV ; écriture dite cursive mérovingienne (3) .
V. — 132 bis (Cod . Bellovacensis) ; vir° -vur siècle, con-
tient un texte mutilė allant du chapitre 3 du livre II au chapitre
15 (23 des éditions ) du livre V, écrit en lettres unciales . Les cha-
pitres 7 et 8 du livre IV se trouvent aussi dans ce ms . à la fin
du livre IV. (3) .
VI. ― 9765 (Cod . Regius B. ) ; xr° siècle . Le X livre man-
que. La chronique dite de Frédégaire le remplace . (3).
BRUXELLES I¹.- VIII-IX siècle ; trois cahiers ont été arrachés .
Il commence comme le ms . de Beauvais , au troisième chapitre du
livre II et va jusqu'au chapitre 28 du livre X. Il a de grandes
analogies avec le manuscrit de Cambrai . (3) .
II. - N° 936. XI , XIIe siècle (Liber sancti Laurentii in
Leodio) . Le livre X manque ; il est remplacé par la chronique
dite de Frédégaire . Ce manuscrit ressemble à ceux de Paris 5921
et 9765. (3 ) .
CAMBRAI Bibl . de la ville, n° 624. Les six premiers livres
sont écrits en unciales du vir° siècle . Les quatre derniers livres
sont du vir ou du 1x siècle. Ce manuscrit se rapproche beau-
coup de celui de Beauvais et du plus ancien des deux mss. de
Bruxelles . (3).
LEYDE : I. - n° 63. vir° siècle ; commence au chapitre 9 du
livre I et va jusqu'au milieu du livre V ; il a appartenu à Alexan-
dre Pétau. (3) .
II. N° 39. XIe siècle, comprend les six premiers livres
complets . Il a été écrit par Frère Hervard avec la chronique
d'Adon de Vienne . Il a appartenu à Claude Fauchet et à Alexan-
dre Pétau. (1).
HEIDELBERG I. - Cod. Palatinus, a servi à l'édition de
Marquard Freher . Ce manuscrit fut transporté peu de temps
après à Rome avec beaucoup d'autres mss . de la Bibliothèque
Palatine ; il vint à Paris sous l'Empire et fut restitué à Heidel-
berg en 1815 (3)2.
II. - Cod. Laureshamensis seu Nazrianus (de Lorsch) ,
récemment retrouvé par M. Arndt .
ROME : Vatican 556 (Ms. de la reine Christine) . xe siècle ;

1. L'Archiv. de M. Pertz indique ce manuscrit sans en donner la cote.


2. Si nous jugeons ce manuscrit d'après l'édition de Freher, il devrait
être mis dans la seconde classe, non dans la troisième.
52 —

venant de Saint- Lomer de Blois . Ce manuscrit a une grande


lacune, 11 , 30-44 . Le copiste a mis en note : hic desunt folia
nescio quot. La préface et le dernier chapitre du livre X man-
quent également. (2).
MONT-CASSIN 275. xe-xre siècle. La fin du livre X a été
ajoutée au XVIe siècle . (1 ) .
MONTPELLIER Ecole de Médecine , 31. XIIe siècle ; assez sem-
blable au manuscrit perdu de Cluny . Il ne contient ni la préface
ni la fin du dernier chapitre depuis inlibataque permaneant.
La chronique dite de Frédégaire lui fait suite avec ce titre :
Incipiunt Gregorii Turonensis chronica . (1) .
CLERMONT-FERRAND : nº 202. XIe siècle ; outre la lacune
IV, 32-37 , les chapitres 25-26 , sont confondus dans ce ma-
nuscrit comme dans celui du Bec aujourd'hui perdu . Tout le texte
entre Crassatus ( 25) et Leontio mille aureis (26) est omis.
Mais tous les chapitres sont exactement numérotés et les tables
des chapitres complètes . Ce manuscrit a donc été copié sur un
texte complet, mais d'où un feuillet aura été arraché . Il possède
toute la fin du livre X. (Il rentrerait dans la deuxième classe de
M. Pertz ).
SAINT-OMER : nos 697-706 que M. Pertz range dans la troi-
sième classe à cause de ses nombreuses lacunes, mais ces lacunes
ne correspondent pas toutes à celles des autres manuscrits de
cette famille . Il se rapproche pourtant beaucoup du ms. de
Paris 5921 .
AUTUN Séminaire 40. XIIe siècle. Ce manuscrit contient les
quatre premiers livres et une partie du Ve. Les trois premiers
livres sont complets ; le quatrième a de nombreuses lacunes , plus
considérables que celles des manuscrits de la deuxième classe et
qui proviennent certainement de ce qu'il a été copié sur un texte
mutilé, car les tables des chapitres sont complètes . (Appartien-
drait à la première ou à la deuxième classe de M. Pertz) .
BERNE Manuscrit sur papier de 1546 .
GENÈVE nº 21. Ixe siècle . Provient de l'abbaye de Murbach .
FLORENCE Bibl . Laurentienne , nº 35. xe siècle.
LA HAYE nº 920. Ecrit en 720.
NAMUR : n° 11. xe siècle .
Nous ne possédons plus les manuscrits suivants qu'a connus
Dom Bouquet :
1. Cod. Duboisianus ; IXe siècle ; ayant appartenu au car-
dinal Dubois. (3) .
2. Cod. Beccensis, du cloître du Bec ; xe siècle . La préface
- 53 -

manquait, ainsi que les chapitres 32-37 du livre IV ; mais la


table des chapitres était complète . (2) .
3. Cod . Regiomontensis, de Royaumont ; x1° siècle ; avait
la même lacune que le manuscrit du Bec au livre IV, et comme
lui avait une table des chapitres complète. Il lui manquait en
outre la fin du dernier chapitre du livre X depuis inlibataque
permaneant. (2).
4. Cod . Cluniacensis ; xre siècle. Il lui manquait le 33° cha-
pitre du livre IV et la fin du livre X, chapitre 31 , depuis inliba-
taque permaneant . (1) .
5. Ms. des Bénédictins de Vendôme , sur papier; xve siècle.
Il contenait les cinq premiers livres complets , sauf la préface (1 ) .
6. Ms. de Saint- Trond en Hasbaye.
Nous possédons encore un certain nombre de fragments :
PARIS . I.
livre I. - Biblioth . imp. lat . 7906 , IXe siècle . Contient le

II . -
Biblioth . imp . lat . 1048; Ixe siècle : De episcopis
Turonicis . C'est le 31º chapitre du livre X.
III. - Biblioth . imp . lat. 1451 ; xe siècle, les livres V et VI .
IV. -
Biblioth. imp . lat . 5924 ; xe siècle .
MONTPELLIER . Bibl . de l'Ec . de Médecine , 305 : contient la
fin du livre X, jusqu'à inlibataque permaneant . M. Pertz croit
y retrouver un reste mutilé du ms . de Royaumont .
BRUXELLES . N° 5387-5396 : De episcopis Turonicis ; c'est
le chapitre 31 du livre X.
MADRI
D. A. 76 : De episc Turon
Enfin o opis icis ; (L. X, c. 31 ).
n a retrou à LEYDE et au VATIC , des fragmen
ayant appa vé AN ts
rtenu à un manuscr du vire siècle . Les numér d
chapit it os es
res prouv m
appart ent que le anuscrit auquel ces fragments ont
enu, était compl e posséd l c o p l
manusc et t ait es hapitres mis ar es
rits de la trois c l a s s . A L e y d e s e t r o u vent s cha-
l e
ième e
pitres 43 et 4 d li
7 u vre V ; les fragmen de Rome vont du cha-
pitre 27 du li ts
vre IX : ab eo loco quasi millia XXXV au
chapi
tre31 : Thol
osanis illuc direxit ; et du chapitre 33 du
même liv
re : domu ejus omnes res illius au chapit 37 :
m re
ut liceret ei ingr . C'est là le seul passag des quatre dernie
livres e d i e rs
(à l'excep des ch . 7-8 , du livre VII ' ), que nous possé-
dions d t i o n
ans un manus
crit du viie siècle .
incomplètes
Voici les remarques que peuvent suggérer ces indications
sur les manuscrits de Grégoire.

1. Voy. plus haut, p. 51 .


54 -

1. Les plus anciens manuscrits, suivis par quelques textes


postérieurs , ne contiennent que les six premiers livres et ces six
premiers livres sont incomplets . Les fragments de Leyde et de
Rome représentent seuls un manuscrit du viie siècle complet . On
a vu comment nous avons cherché à expliquer ces lacunes , par
la manière même dont Grégoire a composé son histoire¹ .
2. Deux manuscrits , ceux de Corbie et de Beauvais , placent
deux chapitres du livre VII à la fin du livre IV. Nous avons
cherché à expliquer cette anomalie d'une manière analogue2.
3. Toute une famille de manuscrits , complets d'ailleurs , ne
possèdent pas les chapitres 32-37 du livre IV , qui ne se trou-
vent que dans les manuscrits de Cluny, du Mont-Cassin, de
Leyde 39 et de Montpellier 31 .
Ce fait ne peut s'expliquer de la même manière que les précé-
dents : car les manuscrits de la seconde classe, s'ils ne possèdent
pas ces chapitres , en possèdent du moins les titres dans l'index .
Ils doivent donc provenir d'un manuscrit rendu incomplet par la
négligence d'un copiste ou par une mutilation accidentelle .
4. Le livre X ne nous est parvenu que dans un petit nombre
de manuscrits . Parmi ceux dont nous possédons la description,
il n'y a que les mss . du Mont-Cassin, du Bec et de Clermont,
qui nous aient fait connaître la fin du chapitre 31 , à partir de
inlibataque permaneant ; et encore est-ce au XVIe siècle que
ces dernières lignes ont été ajoutées au ms. du Mont-Cassin . La
première partie de ce chapitre 31 nous a été conservée seule-
ment par les mss . de Royaumont , de Paris 5920 , de Cluny , de
Montpellier 31 et par les trois mss . que nous venons de citer. De
plus nous possédons ce chapitre entier comme opuscule séparé à
Bruxelles (5387-5396) , à Madrid (A. 76) , et à Paris (1048).
Dans les mss . de Bruxelles 936 et de Paris 9765, le Xe livre
e
manque tout entier bien que le IX livre s'y trouve complet ; et
dans le ms . de Paris 5921 , il n'y a que quelques chapitres du
livre X fondus avec le livre IX . Dans ces trois mss . la chronique
dite de Frédégaire forme le Xe livre. Nous avons tâché d'expli-
quer comment le Xe livre était absent de certains manuscrits et
comment s'était formé le IXe livre du ms . de Paris 5921 3. Nous
examinerons dans le chapitre suivant les autres questions criti-
ques que soulève le chapitre 31 du livre X.

1. Voy. plus haut, p : 46-47.


2. lbid. n. 1.
3. Voy. plus haut, p. 48 n. 5.
-- 55 ―

Le titre de l'ouvrage de Grégoire de Tours n'a jamais été celui


qu'on lui donne presque toujours aujourd'hui : Historia eccle-
siastica Francorum . Ces mots expriment une idée assez com-
pliquée , et, ont été évidemment employés par imitation du titre
de l'Histoire de Bède : Historia ecclesiastica gentis Anglorum.
Les Mss . de Corbie et de Paris 9765, portent le titre de Histo-
ria ecclesiastica, sans doute à cause du premier livre qui est
un résumé de l'Histoire sainte , et à cause du point de vue reli-
gieux auquel se plaçaient toujours les historiens du moyen âge.
Mais les autres mss . ont pour titre : Gesta Francorun (Paris
5922 et 5920 , La Haye, Clermont-Ferrand , Berne) ; Historia
Francorum (Montpellier 31 , Bruxelles 936) ; et encore : Histo-
ria regum Francorum (Montpellier 305) ; Historia (Leyde) ;
Chronica (Genève) . Les écrivains du moyen âge emploient les
mêmes expressions . Sigebert de Gembloux et Tritheim , qui
citent la liste de tous les ouvrages de Grégoire, ont adopté le
nom d'Historia Francorum , reproduit par toutes les éditions
jusqu'à D. Bouquet . Ce titre nous semble aussi le plus vrai et le
plus simple.
Les premières éditions de Grégoire de Tours ont été faites sur
des mss . analogues à ceux de Clermont ¹ , du Bec et de Royau-
mont . Il leur manque les chapitres 32-37 du livre IV . Mais elles
connaissent les rubriques des chapitres . Elles contiennent la fin
du Xe livre tout entière .
Les éditions antérieures à celle de Duchesne sont les suivantes :
B. Gregorii Turonensis ep. Historiarum præcipue Galli-
carum libri decem, (avec le de vita Patrum, le de Gloria
confessorum et la chronique d'Adon), venundantur ab im-
pressore Jodoco Badio et Joanne Parvo et Joanne Confluentino .
Paris , 1522, in-fol . Le privilège est de 1511 , l'épître dédicatoire
à Guillaume Petit est de 15122.
Gregori Turonici Historiae Francorum libri X, (avec
Adon). Parisiis apud Guil . Morelium , 1561 , in-8 .
Gregorii Turonici Historiae Francorum libri X, (avec
Adon) . Basileae per Petrum Pernam, 1568 , in-8 . (Cura MATH .
FLACCI ILLYRICI) .

1. Le ms. de Clermont et celui du Bec ont seuls pour début du ch . 32


(38) du 1. IV : Eo namque tempore. Toutes les éditions antérieures à
Ruinart ont cette même expression , tandis que Ruinart donne avec les
autres mss. Ergo ut ad historiam recurramus.
2. Cette triple date est cause que souvent on indique des éditions de
1511 , 1512, qui en réalité n'existent pas .
- 56 -

Historia christiana veterum patrum, R. LAURENTII DE


LA BARRE labore et industria . Parisiis apud Michaelem Sonnium,
1583. P. 232 : Historiae Francorum.
Bibliotheca veterum Patrum et antiquorum Scripto-
rum ecclesiae, (ed . MARGUERIN DE LA BIGNE) . Paris,
1576 et 1589, 9 v. in-f. , t . VII , Hist . Francorum (le t . VI de la
Coll . des PP . de Cologne , ( 1618-1622) et le t . XI de celle de
Lyon ( 1677) , contiennent aussi l'Histoire des Franks) .
Gregorii Turonensis episcopi Historia Francorum
libri X. Ex. Bibliothèque LAUR . BOCHELLI . Parisiis , Petri Che-
valerii , 1610 , in-8 .
Le manuscrit de la bibliothèque Palatine a servi de texte à :
MARQ. FREHER : Corpus Historiae Francicae . Hanoviae,
1613, inf. Greg. Tur. Historia Francorum , p . 240. Il a aussi
la lacune, IV , 32-37 , ainsi que l'édition de :
DUCHESNE Scriptores rerum Francicarum . Paris, 1636-
1649. Greg. Tur. Hist . Francorum , t . I , p . 251-59 . Il a eu à
sa disposition les mss . de Beauvais, de Corbie , de Saint-Michel,
de Metz, de Sainte-Marie d'Otterburg , auxquels manquaient ces
mêmes chapitres du 1. IV . C'est d'après les mss . de Duchesne ,
qu'Hadr . Valois et Lecointe ont critiqué le texte de Grégoire
de Tours .
La première édition complète et vraiment critique a été celle
du bénédictin
THEOD . RUINART Gregorii Turonensis ep. opera et
Fredegarii chronica . Parisiis , 1699, in-f. Avec une préface
et des notes excellentes . Ruinart avait consulté, outre les mss .
connus par Duchesne et Freher, ceux du Bec, de Royaumont ,
de la Bibliothèque du roi Regius A, du Mont-Cassin , de la reine
Christine, du Vatican, des Bénédictins de Vendôme et de Saint-
Trond en Hasbaye .
L'édition des Historiens de France , t . II , p . 75-390 , ne
fit que reproduire Ruinart en y ajoutant les variantes des mss .
de Cluny et du cardinal Dubois .
MM . GUADET ET TARANNE : Sancti G. F. Gregorii Tur. ep.
Historiae ecclesiasticae Francorum libri X. Parisiis, Jules
Renouard, 1836-37 , 2 v . in-8 ; reproduisent l'édition des Histo-
riens de France en ajoutant quelques variantes des mss . de
Cambrai et de Paris 9765 .
La plus ancienne traduction française de l'Histoire des Franks
est celle de CLAUDE BONNET, gentilhomme dauphinois . Paris ,
1610 , in-8. - En 1668 , parut celle de M. DE MAROLLES , 2 v . ,
- 57

1668. - La Collection des Mémoires de Guizot, t . I et II .


Paris, 1823, publia la première traduction à peu près satisfai-
sante. MM. Guadet et Taranne donnèrent , en même temps que
leur édition de l'Historia Ecclesiastica , une traduction, 1836-
1838, 4 vol . in-8, avec le texte en regard . M. Bordier en a publié
une nouvelle en 2 vol . in- 12 , 1859-1861 .
La traduction allemande de M. W. GIESEBRECHT , 2 vol .
in-12, Berlin, 1851 , est excellente et enrichie d'une préface et
de notes précieuses .
Nous attendons avec impatience l'édition de Grégoire de
Tours, promise par les Monumenta Germania . Elle fixera
sans doute le texte d'une manière définitive, grâce à une étude
complète et minutieuse de tous les manuscrits de l'Historia
Francorum
.

CHAPITRE III

DE L'AUTHENTICITÉ DU TEXTE DE L'HISTOIRE


DES FRANKS .

L'Histoire des Franks fut de bonne heure répandue dans tout


l'Occident
, ainsi que les ouvrages hagiographiques de Grégoire .

Tous les écrivains postérieurs la consultèrent , la citèrent et la


transcrivirent. Du vivant même de Grégoire , Marius d'Avenches
eut connaissance du commencement de l'œuvre.
suivant Au siècle
, l'auteur de l'Historia Epitomata fit un abrégé des six
premiers livres
; au vine siècle, l'auteur des Gesta regum fran-

corum , tira de l'histoire des Franks le récit de la même période .


Paul Diacre à la fin du VIIIe siècle connaissait l'œuvre entière ,
les dix livres ; il les cite comme une autorité
pour l'histoire
des Lombards et de leurs expéditions en Gaule 3. Le nom de
Grégoire est constamment cité, et son autorité invoquée ;

1. Voir plus loin notre étude sur Mariu .


s
Italicarum
2. Paul Diacre,
T. I. 1. p. 405-511Langobardoru
Historia .) L. IIIc. 27, m.
cf. (Muratori, Scriptores
Grég. IX, 25; c. 30, cf. Rerum
Grég.
X. 3 .

3. Id. ibid. III, 3, 4, 6, 8 ; cf. Grég. IV, 42, 43, 45 .


58 -

toujours les plus grands éloges lui sont décernés , tantôt comme
miraculorum curiosus indagator ac studiosissimus editor¹ ,
tantôt comme historicus ... insignis2 ..., clarus in omnibus³ .
Au XVIe siècle Grégoire fut le premier historien latin du
moyen âge imprimé en France 4.
Claude Fauchet 5 qui, le premier parmi les érudits d'alors ,
apporta un peu de critique dans ses recherches , reconnut
immédiatement l'importance de l'histoire des Franks . Il appelle
Grégoire « le père de notre histoire 6. » - « C'est dans sa
fontaine, dit-il , qu'il faut puiser nos vieilles mœurs et cous-
tumes françoises , comme chez le plus ancien auteur François-
Gaulois que nous ayons 7. » L'ouvrage de Grégoire de Tours
fut édité neuf fois en un siècle, depuis Guillaume Petit jusqu'à
Marq. Freher . La dixième édition, celle de Duchesne, faite
d'après des manuscrits auparavant inconnus, apporta des
éléments nouveaux à la critique , et fut l'origine de vives
discussions sur l'autorité de l'Histoire des Franks .
Jusqu'alors les historiens , plus soucieux de l'intérêt narratif
que d'une scrupuleuse exactitude , avaient accepté sans examen
non-seulement tous les récits de Grégoire, mais encore ceux
de l'Historia Epitomata et des Gesta regum Francorum.
Adrien de Valois , le premier, appliqua une critique rigoureuse
à l'étude de l'époque mérovingienne 8. Il admire Grégoire de
Tours, il appelle son ouvrage « le fonds même de notre his-
toire 9 »; mais il censure avec une sévérité presque exagérée
la rudesse de son style, les erreurs, les omissions , les répétitions ,
les contradictions , les fautes de chronologie où il est tomb鹺 .

1. Miracula S. Germani autissiodorensis, auctore Herico monacho († 881 )


Acta SS. Boll. 31 Jul . VII, p. 255-283.
2. Vita sancti Medardi anon, AA. SS . Boll . 8 juin II , p. 82.
3. Sigebert de Gembloux, Chronographia, ad . ann. 572. ap . Pertz SS. VI,
p. 300-535 . - Voir dans l'édition des Libri miraculorum, par Bordier, IV, p.
238-276 , le recueil des témoignages sur Grégoire de Tours du vie au
XVIe siècle.
4. Voir au chap. précédent, p . 55 .
5. Antiquilez françoises et gauloises, par Claude Fauchet, Parisien , Pre-
mier Président de la Cour des Monnoyes, 1579. - Ses œuvres com-
plètes ont été publiées à Paris en 1610, 2 vol . in-4° .
6. Id. OEuvres I, feuillet 147, verso.
7. Id . ibid . I, feuillet 103, recto.
8. Had. Valesius, Rerum Francicarum libri VIII. Paris, 1646-1658 , 3 v. in- f.
9. Historiae nostrae fundus. » Préface, T. II .
10. « Non solum ineleganter et inculte, sed etiam sordide, trivialibus et non-
nunquam barbaris verbis historiam scripsit, ac ne grammaticae quidem leges
- 59 --

Il est vrai que de Valois en jugeait uniquement d'après des ma-


nuscrits incomplets ou mutilés . Lecointe dans ses Annales
ecclesiastici Francorum reprit les objections de de Valois ,
en ajouta de nouvelles, et tira de l'étude de ces mêmes ma-
nuscrits tout un système sur la formation du texte de l'His-
toire des Franks . Il prit les deux plus anciens manuscrits
connus, ceux de Corbie et de Beauvais, pour le texte original
de Grégoire, et il considéra tous les chapitres fournis seule-
ment par les manuscrits postérieurs comme des interpolations .
Il en vint même à parler de l'Interpolator comme d'un
auteur distinct, dont il aurait pu analyser l'esprit , les idées ,
les intentions , en opposition avec Grégoire . Grâce à ce système ,
Lecointe débarrassait facilement l'Histoire des Franks de toute
contradiction, éclaircissait les confusions, redressait les erreurs ,
en mettant tout ce qui le gênait sur le compte de l'Interpolateur .
C'est ainsi qu'il repoussait le récit scandaleux des vices de
Salonius et de Sagittaire 2 , impossible à concilier , pour lui ,
avec la sainteté nécessaire du clergé ; c'est ainsi qu'il niait la
réalité des querelles entre Grégoire et Félix de Nantes 3
querelles contraires, à ses yeux, à la dignité épiscopale . Les
quatre derniers livres sont un embarras pour Lecointe . Il n'ose
pas les mettre explicitement à la charge de l'interpolateur, et
cependant, pour rester fidèle à son système, il ne devrait pas
les considérer comme l'œuvre de Grégoire . - Il les accepte
pourtant sur la foi du ms . de Saint-Michel (Colbertinus M. auj .
Bibl . imp . nº 5920) , dont les dix premiers cahiers sont perdus ,
mais il rejette le témoignage des derniers livres toutes les fois
qu'il est en contradiction avec d'autres documents qui lui
plaisent davantage . Il rejette aussi entièrement la fin du cha-
pitre 31 du livre X depuis « Hos autem libros, » préten-
dant que Grégoire ne pouvait citer en 593 « anno vicesimo
primo ordinationis nostrae » le de Vita Patrum et le de
Gloria Confessorum , terminés après les miracles de Saint-
Martin auxquels il travaillait encore en 595. Lecointe cher-

plerumque servavit. » — « Gregorii nimia securitas et negligentia, dictorum


oblivio interdum etiam errores, nunc de eadem re duobus in locis aliter atque
aliter scribentis, nunc secum aperte pugnantis, quandoque et rerum ordinem
turbantis et temporum. » Id . ibid.
1. Paris, 1665-1679. 8 vol . in-f.
2. Hist. Franc. V, 21 .
3. V, 5.
4. Lecointe a commis de nombreuses erreurs dans son classement
60 -

chait en outre à diminuer l'autorité du texte de Grégoire en rele-


vant après de Valois les contradictions et les erreurs qu'il
contient, l'inexactitude des indications chronologiques et leur
manque de concordance.
Ruinart, dans la préface de son édition de Grégoire, publiée
en 1699 , répondit aux objections de Lecointe . Appuyé sur de
nouveaux manuscrits, il soutint que ceux dont Lecointe avait
invoqué l'autorité étaient des copies incomplètes et inexactes du
texte primitif de Grégoire , et prétendit tirer de leur texte même
la preuve que les chapitres qu'ils ne possédaient pas leur
étaient connus , et avaient été omis par eux soit à dessein
soit par erreur . Par exemple le ms . de Corbie ne donne pas
la lettre de l'évêque Eugenius , bien qu'il contienne ces mots :
« epistolam ..... hoc modo transmisit . » ( II , 3 ) . Au ch .
13 du livre IV les mots « Juxta institutionem sancti Galli
sicut supra scripsimus » présents dans le ms . de Corbie ,
font allusion au ch, 5 qu'il a omis . Les mots « Saccones iterata
insania » (IV, 14) se trouvent dans les mss . Regius A et
S. Arnulfi Mettensis et font allusion au ch . 10 que ces mss .
ne contiennent pas . Les mêmes mss . omettent le ch . 13 auquel
ils renvoient pourtant par ces mots du ch. 16 : « diversa, ut
diximus, exercebat mala . » Le chapitre 28 du livre V suppose
le ch . 21 en disant « iteratur antiqua calamitas . » Pourtant
les mss . de Corbie et de Beauvais possèdent le ch . 28 sans avoir
le ch. 21. Au ch. 51 , Grégoire nous parle du concile de Braine
« post synodum memoratam ; » le ms . de Corbie contient
ce chapitre sans avoir le ch . 50 où le concile de Braine est
raconté. Ruinart applique les mêmes remarques aux chapitres
11 et 12 , 15 et 16 , 11 et 24, 34 et 35 du livre V, aux
chapitres 15 et 16 du livre VI ; il fait de plus observer que
les faits rapportés au ch. 11 du livre V se retrouvent dans
l'Historia Epitomata qui , d'ordinaire, laisse de côté les
chapitres omis par le ms . de Corbie et par ceux de la même famille .
Ce chapitre existait donc dans des ms . de Grégoire au milieu du
vຠsiècle , époque où l'Epitome fut composé .
Nous pouvons aujourd'hui opposer à Lecointe un argu-
ment plus direct et plus décisif que ceux de Ruinart ; c'est
l'existence des fragments de Leyde et de Rome ; ils nous prou-

chronologique des œuvres de Grégoire . Nous renvoyons sur ce sujet à


notre précédent chapitre . La date de 595, donnée ici , vient d'une fausse
interprétation des Mir. S. Mart. IV, 5.
61 -

vent qu'un manuscrit aussi ancien que celui de Corbie possé-


dait les passages absents de ce dernier, et attribués par Lecointe
à un interpolateur. Pourtant l'argumentation de Ruinart n'est
pas en réalité aussi forte qu'elle le paraît au premier abord .
Elle montre bien que les chapitres rejetés par Lecointe trou-
vent naturellement leur place dans l'œuvre de Grégoire , qu'ils
sont même nécessaires pour qu'elle soit complète ; mais elle ne
prouve pas que ces chapitres fussent connus du copiste du ma-
nuscrit de Corbie , ni même qu'ils n'aient pas pu être omis par
Grégoire et ajoutés après sa mort . Nous trouvons en effet
deux autres renvois analogues à ceux que cite Ruinart, sans
qu'on puisse trouver les passages auxquels ces renvois font
allusion . Au ch. 16 du livre IV nous lisons « Tetricus, cujus
in superiori libello memoriam fecimus ..... » Il n'est nulle
part fait mention de Tetricus dans l'Histoire des Franks, et ce
renvoi ne peut s'appliquer qu'au de vita Patrum (v , 9) où il
est parlé de Tetricus . Le ch . 36 du livre VI commence par ces
mots Aetherius , Luxoensis episcopus, de cujus supra
meminimus ..... » et ce passage est pourtant le seul où Aethe-
rius de Lisieux soit mentionné . D'ailleurs la théorie même
de Ruinart est invraisemblable . D'après lui, on aurait fait des
copies des premiers livres de Grégoire en négligeant systémati-
quement les chapitres relatifs à l'histoire religieuse pour ne
conserver que ce qui intéresse l'histoire politique des Franks ..
D'où vient alors qu'on en ait conservé un certain nombre
qui traitent d'affaires ecclésiastiques , tout le premier livre
d'abord, puis au livre II les chapitres 2-6 , 10 , 13 ; au livre III
les chapitres 2, 17 , 19 , ainsi que plusieurs passages relatifs
aux évêques de Tours mêlés au récit des événements poli-
tiques ; au livre V les chapitres 8 , 11 ; au livre VI , les chapitres
6 et 16. Et comment se fait-il d'autre part qu'un chapitre
aussi important, au point de vue historique , que le chapitre
50 du livre V, qui traite du concile de Braine, ait pu être
omis par ces mêmes manuscrits . Le ch . 10 du livre IV qui
parle d'une guerre contre les Saxons , et le ch . 13 qui raconte
la conduite de Chramne en Arvernie manquent aussi aux mss .
Regius et S. Arnulfi Mettensis sur lesquels s'appuie également
Lecointe. - Il faut donc chercher une autre explication aux
divergences que nous présentent les divers manuscrits .
Nous croyons avoir expliqué l'origine de ces divergences
en montrant comment Grégoire travaillait, ayant à la fois sur
le métier trois ou quatre ouvrages , écrivant chaque chapitre
62 -

séparément, sans se préoccuper d'avance de quelle manière


il les réunirait pour en faire un livre , sans savoir toujours dans
lequel de ses ouvrages rentrerait le chapitre qu'il écrivait.
Ainsi, lorsque parlant de Tetricus au ch . 16 du livre IV , il
ajoutait cujus in superiori libello meminimus, il pen-
sait non au troisième livre de l'Histoire des Franks , mais à la vie
de Saint-Nizier (V. PP . vш ) , qu'il venait sans doute de ter-
miner . Il n'avait point conçu d'avance le plan d'après lequel
il réunit plus tard ses ouvrages, et il n'aurait pas pu le faire,
puisqu'il écrivait au fur et à mesure des événements , soit les
vies des Pères , soit les miracles de Saint-Martin , soit les querelles
des rois Franks . Chaque livre existait pour lui séparément , et
faisait partie de l'ensemble de ses œuvres, où il n'avait pas
encore nettement distingué chacun des recueils auxquels il
a plus tard donné des titres, et ajouté des préfaces . Lorsqu'il
fit ou fit faire pour la première fois copie des quatre , puis des
six premiers livres de son Histoire , cet essai de rédaction
se trouva très-incomplet et défectueux . Il avait voulu laisser
de côté pour ses ouvrages hagiographiques ce qu'il avait écrit
sur les saints et les grands personnages ecclésiastiques , tout en
conservant pourtant ce qui avait quelque intérêt pour l'histoire
générale, et en particulier tout ce qui était relatif aux églises
d'Arvernie et de Tours . Les quatre premiers livres comprenant
le récit des événements antérieurs au moment où il avait
commencé d'écrire, se trouvaient assez complets et bien composés
malgré des lacunes évidentes ¹ . Les deux livres suivants sont
beaucoup plus défectueux . L'absence du récit du concile de
Braine (V. 50) ne peut s'expliquer qu'en supposant que Gré-
goire n'avait pas encore complétement terminé et classé son
travail au moment où la copie de ces deux livres a été faite
pour la première fois .
Ainsi nous ne pouvons pas admettre avec Ruinart que les
manuscrits incomplets des six premiers livres représentent des
copies faites d'après le texte complet et où ce qui est relatif à
l'histoire religieuse a été systématiquement supprimé , puisque
ces manuscrits conservent des chapitres relatifs à l'histoire

1. Par exemple au chapitre II, 3, la lettre d'Eugenius; et le ch . 5 du livre


IV. - Ce que nous disons ici s'applique seulement aux mss. de Cambrai ,
de Beauvais, de Corbie et de Paris 9765. Les mss . Regius A (5922) et Col-
bert A (Saint Arnulfi Mettensis, 5921 ) représentent une copie tout à fait
défectueuse ; l'omission des chapitres 10 et 13 du livre IV ne peut
s'expliquer que par une erreur.
- 63 -

religieuse et en omettent d'autres relatifs à l'histoire politique .


Nous ne pouvons pas non plus admettre que ces manuscrits
représentent une première rédaction de l'œuvre , considérée
d'abord comme complète et définitive par Grégoire et augmentée
plus tard, puisqu'il manque des passages et des chapitres néces-
saires à l'intelligence du récit, et dont d'autres chapitres suppo-
sent l'existence . Nous devons donc regarder ces manuscrits
comme représentant un premier essai de rédaction , une pre-
mière réunion de chapitres écrits isolément par Grégoire . Cette
rédaction primitive a naturellement été riche en erreurs et en
omissions , Grégoire l'a alors revue, corrigée , complétée , et
a ainsi composé son histoire sous sa forme définitive et com-
plète . Il a surtout ajouté de nombreux passages relatifs à
l'histoire religieuse ; il a marqué quelles places occupent dans
la série chronologique des événements , les saints dont il avait
ailleurs raconté la vie ; il a ajouté des traits qui n'avaient point
trouvé leur place, ou qu'il avait oublié dans ses œuvres hagio-
graphiques 2.
Quelle que soit d'ailleurs l'opinion qu'on admette sur la
formation de la rédaction abrégée des six premiers livres ,
l'hypothèse des interpolations ne saurait être admise . La réponse
de Ruinart était déjà péremptoire . La découverte des fragments
de Leyde et de Rome a été un argument direct contre l'hypothèse
de Lecointe . Enfin pour supposer une interpolation, il faut pou-
voir indiquer les raisons de la supercherie , et montrer une
difference entre l'œuvre de l'auteur et celle de l'interpolateur .
Or, dans Grégoire, les chapitres rejetés par Lecointe , sont
parfaitement en harmonie pour le style comme pour les faits
avec son histoire ainsi qu'avec ses œuvres hagiographiques .
Il est impossible de deviner dans l'intérêt de quel personnage ,
de quelle église , de semblables interpolations auraient pu •être
faites . Enfin il suffit de lire le chapitre 50 du livre V, cet
admirable récit du concile de Braine, pour se convaincre que
nous avons là sous les yeux l'œuvre de Grégoire , ses pas-

1. Seul, le passage sur Aetherius de Lisieux est resté sans explica-


tion. Peut-être y a-t-il eu un chapitre perdu : peut-être aussi dans un
moment d'inattention , le nom de Aetherius a-t-il rappelé à Grégoire
celui d'Aetherius de Lyon dont il avait parlé longuement ailleurs (V. P.
VIII , 8 ; H. F. IX , 41 , X, 28) . Il pouvait dire en parlant des derniers livres
supra, car les additions à la première rédaction ont été faites assez tard.
V. plus haut p. 48.
2. Voyez surtout IV, 32-37.
- 64 -

sions, sa vie même, sa personnalité tout entière . C'est lui


que nous entendons et voyons ; c'est bien le même homme
qui nous a laissé une si vive peinture du procès de Prétextat
au concile de Paris . (V , 19) . Rapprochez les deux récits ;
cette simple comparaison suffit à renverser tout le système
de Lecointe .
De nos jours un critique allemand , M. Kries , a élevé de
nouvelles objections contre l'autorité et l'authenticité du texte
de l'Histoire des Franks . Il n'a pas rejeté , comme Lecointe , les
chapitres omis par les manuscrits incomplets ; mais , poussé
par un patriotisme rétrospectif, il a voulu mettre en suspicion
les récits que fait Grégoire sur la brutalité et les vices des
Franks . Pour cela il a cherché à ébranler le crédit qu'on
accorde généralement au témoignage de l'évêque de Tours .
Enfin, s'attachant en particulier au chapitre 31 du livre X ,
il en a nié l'authenticité en relevant des contradictions entre
son contenu et le reste de l'œuvre . L'autorité de Grégoire sera
appréciée dans la suite de notre travail . Bornons-nous ici à
examiner les objections de M. Kries contre le dernier chapitre
de l'Histoire des Franks ¹.
1º M. Kries ne trouve pas que ce chapitre soit la fin natu-
relle de l'ouvrage. En effet le livre X ne paraît pas terminé.
Il est beaucoup plus court que les autres , et aurait dû sans
doute s'étendre jusqu'à la mort de Gontran, qui n'est nulle
part mentionnée , bien que l'épilogue ait été écrit après cet
événement . D'ailleurs rien ne relie ce dernier chapitre aux
précédents. Rien n'annonce ni ne justifie sa présence .
- Ce que nous avons dit dans le précédent chapitre sur
la manière dont Grégoire a composé son histoire répond à
cette objection. En effet, le Xe livre n'est pas terminé . Le
chapitre 31 a été écrit en 592 pour servir d'épilogue non- seule-
ment à l'Histoire des Franks , mais à toutes les œuvres de
Grégoire, qu'il considérait comme faisant partie d'un même
ensemble . En 594 il a revu cet épilogue et il a fait concorder
avec cette année toutes les indications chronologiques , sauf
celle du règne de Gontran , mort en 593. Mais il n'a pas eu le
temps de combler la lacune qui sépare cet épilogue du point où il
avait laissé son récit en 591. C'est ce qui explique le manque

1. M. Giesebreckt dans l'appendice de sa remarquable traduction de


l'Historia Francorum, a répondu à la plupart des arguments de Kries.
Nous n'avons ajouté que peu de chose à sa réfutation .
- 65

de lien entre le dernier chapitre et les chapitres précédents .


Un interpolateur aurait cherché à combler la lacune.
2º Examinant le chapitre 31 en lui-même, M. Kries y trouve
des contradictions inexplicables et qui doivent faire croire ou
que le texte des livres précédents a été altéré ou que ce dernier
chapitre est apocryphe. - Les manuscrits les plus anciens ne
-
le contiennent pas . Les uns l'omettent tout entier , les
autres laissent du moins de côté la fin depuis inlibataque
permaneant. Aussi l'authenticité de la première partie doit-
elle être fortement suspectée , et celle de la seconde est-
elle inadmissible .
- Il est parfaitement vrai que les seuls manuscrits possé-
dant le chapitre 31 complet sont ceux du Mont -Cassin , du Bec
et de Clermont ; sans compter les copies séparées de cet opus-
cule qui se trouvent à Bruxelles, à Madrid et à Paris , et que
M. Kries ne connaissait pas . Les seuls qui possèdent le chapitre
31 jusqu'à inlibataque permaneant sont ceux de Royaumont,
de Colbert M, de Cluny et de Montpellier . Mais quand on a vu par
quelles vicissitudes a passé l'Histoire des Franks pendant sa
composition et combien peu de manuscrits représentent sa
rédaction définitive , on n'accordera pas à cette objection une
trop grande importance . Remarquons d'ailleurs que les trois
manuscrits où se trouve l'épilogue complet sont parmi les
meilleurs ¹ , et que l'exemplaire séparé du chapitre 31 qui se
trouve à Paris est du xre siècle, qu'il est par conséquent un
des plus anciens manuscrits ; enfin que tous les manuscrits qui
contiennent les 30 chapitres du livre X contiennent aussi
le chapitre 31 , du moins en partie . On n'a pourtant jamais
suspecté l'authenticité des 30 premiers chapitres ; il serait éton-
nant si le 31° avait été postérieurement ajouté qu'aucun manus-
crit ne nous représentât le texte du X livre sous sa forme
primitive. Ce n'est donc pas la composition des manuscrits ,
c'est le contenu même du chapitre 31 qui peut nous permettre
de juger de son authenticité . Nous examinerons successi-
vement les objections élevées par M. Kries contre les deux
parties de l'épilogue .
II. « Grégoire, dit M. Kries , conjure ceux qui copieront son
ouvrage de n'y rien changer ² , comme s'il avait pu prévoir les

1. Disons pourtant que la fin depuis inlibataque permaneant n'a été


ajoutée qu'au xvI° siècle au ms. du Mont-Cassin.
2. « Conjuro omnes sacerdotes Domini ..., per adventum Domini nostri Jesu
HIST . MÉROVINGIENNE . 5
66 -
mutilations et les interpolations que son histoire devait subir
plus tard . Cette phrase a été évidemment écrite à une époque
où le texte de Grégoire avait déjà été modifié et altéré . »
- Il est bien étrange que ce soit un interpolateur qui s'in-
digne contre les interpolations, et surtout qui prononce des
anathèmes contre ceux qui devaient toucher à un texte qu'il
altère lui-même . - Mais sans tenir compte de cette invraisem-
blance morale, Grégoire n'a fait qu'imiter ici l'exemple de ses
devanciers . Il y avait longtemps que l'on était accoutumé à mu-
tiler les textes . Rufin , dans la préface de la traduction du
Пlept 'Apzov d'Origène, avait prononcé de terribles imprécations
contre quiconque oserait changer le texte de son livre ¹ , et il
avait écrit tout un opuscule : De Origenis librorum adultera-
tione . Eusèbe cite dans son histoire ecclésiastique (V. 20 , ) lat
prière adressée par saint Irénée à ceux qui copieront ses ou-
vrages, de n'y rien ajouter et de n'en rien retrancher . Cette
adjuration se trouve en tête de plusieurs manuscrits de la chro-
nique d'Eusèbe traduite par saint Jérôme ; elle est reproduite
en grec et en latin 2. Comme nous savons que Grégoire s'est

Christi, ac terribilem reis omnibus Judicii diem, si nunquam confusi de ipso


Judicio discedentes cum diabolo condemnandi estis, ut numquam libros hos
abolere faciatis, aut rescribi, quasi quaedam legentes, et quasi quaedam
praetermittentes, sed ita omnia vobiscum integra inlibataque permaneant. »
1. « Illud sane omnem qui hos libros descripturus est vel lecturus, in cons-
pectu Dei Patris et Filii et Spiritus Sancti contestor atque convenio per futuri
regni fidem, per illum qui praeparatus est diabolo et angelis ejus aeternum
ignem... ne addat aliquid scripturae, ne auferat, ne inserat, ne immutet, sed
conferal cum exemplaribus unde scripserit, et emendet ad litteram et distin-
guat, et inemendatum vel non distinctum codicem non habeat ; ne sensuum
difficultas, si distinctus codex non sit, majores obscuritates legentibus generel.»
- V. Origenis opera, Venise, 1514 inf.
2. « Ορκίζω σε τον μεταγραψόμενον τὸ βίβλιον τοῦτο κατὰ τοῦ κυρίου ἡμῶν Ἰησοῦ
Χρίστου καὶ κατὰ τῆς ἐνδόξου παρουσίας ἀυτοῦ, ῆς ἔρχεται κρῖναι ζῶντας καὶ νεκρούς,
ἵνα ἀντιβάλης ὅ μέταγράψω, καὶ κατορθώσης αυτὸ πρὸς ἀντίγραφον τοῦτο, ὅθεν
μετεγράψω , ἐπιμελῶς , καὶ τὸν ὅρκον τοῦτον ὁμόιως μεταγράψης, καὶ θήσης ἐν τῷ
— ((
ἀντιγράφῳ . V. Migne, Patrologiae cursus, t . XXVII : Hieronymi opera,
t. VIII, col. 39.
Voici la traduction de saint Jérôme : « Adjuro te, quicumque hos des-
cripseris libros , per Dominum nostrum Jesum Christum, et gloriosum ejus
adventum, in quo veniet judicare vivos et mortuos, ut conferas quod scripseris,
et emendes ad exemplaria ea, de quibus scripseris, diligenter et hoc adjura-
tionis genus transcribas, et transferas in eum codicem, quem descripseris. » --
Saint Jérôme décrit dans sa préface de la Chronique d'Eusèbe les muti-
lations qu'on faisait déjà à cette époque subir aux manuscrits : "<« Nec
ignoro mullos fore, qui solita libidine omnibus detrahendi (quod vitare non
67--

servi de cette chronique pour composer son livre I ¹ , la présence


dans l'épilogue d'une formule d'adjuration tout à fait semblable à
celle de saint Jérôme doit être pour nous une présomption en
faveur de son authenticité.
2. 14 L'épilogue parle de sept livres de Miracula , tandis
que la préface du De gloria confessorum en cite huit. »
— C'est une erreur . Dans le De gloria confessorum , le titre
général de Libri miracularum n'est pas mentionné ; le De vita
patrum figure à côté de sept autres opuscules sous le titre de :
De quorundam feliciosorum vita . Dans l'épilogue, ces sept
opuscules s'appellent : libri miraculorum et le De vita patrum
est mentionné à part . Dans les deux préfaces, il y a huit
ouvrages hagiographiques cités ; elles s'accordent donc parfai-
tement .
3. - L'épilogue nomme le livre des Vies des Pères De Vitis
Patrum , tandis qu'il explique dans la préface de cet ouvrage
pourquoi il a choisi le titre De Vita Patrum comme plus
correct. »
-
La préface du De Vita Patrum a été écrite après l'épi-
logue . Il n'avait sans doute pas encore en écrivant le chapitre
31 réfléchi à la différence entre Vita et Vitae, ni donné la
préférence à Vita . Il faudrait d'ailleurs savoir au juste si la leçon
Vitis est celle de tous les manuscrits .
-
4. - « La série des évêques de Tours contenue dans l'épi-
logue ne concorde pas avec celle que donnent les premiers
livres de l'histoire des Franks . L'épilogue ne compte pas
Justinianus et Armentius dans la liste des évêques, Theo-
dorus et Proculus sont placés entre Licinius et Dinifius au
lieu de l'être entre Leo et Francilio ; la durée de leur épiscopat
n'est plus que de deux ans au lieu de trois, tandis que celle de
l'épiscopat d'Ommatius est de quatre ans et six mois au lieu de
trois ans . Enfin la somme des années écoulées du pontificat de
Gatien à celui de Grégoire n'est pas la même dans l'épilogue
et dans le corps de l'ouvrage ; il y a une année de différence . »
- Les divergences des deux listes d'évêques sont au fond de
bien peu d'importance . Pour la question de chronologie, il fau-

potest, nisi qui omnino nil scribit), huic volumini geminum dentem infigant.
Calumniabuntur tempora, convertent ordinem, res arguent, syllabas eventila-
bunt; et, quod accidere plerumque solet, negligentiam librariorum ad auctores
referent. Eusebii chronicorum canonum quae supersunt, éd. Schoene ,
p. 2.
1. Voy. plus loin, ch . IV, p. 74.
- 68 -

drait être sûr de posséder le vrai texte de Grégoire ; il est bien


rare que les manuscrits ne commettent pas d'erreurs dans la
reproduction des chiffres . D'ailleurs , une différence d'une année
dans le total est bien légère . L'histoire de Justinianus et d'Ar-
mentius est la même dans l'épilogue (§ 4 ) que dans le livre second
(ch. I) : on pouvait indifféremment leur donner ou leur refuser
un numéro d'ordre dans la liste des évêques, puisqu'ils avaient
occupé le siége de Tours par une sorte d'usurpation pendant
l'épiscopat de Briccius ; le livre II les compte comme les premier,
second et troisième évêques après saint Martin , et Eustochius
comme le quatrième, tandis que l'épilogue reprend l'histoire des
. évêques à Gatien , et dresse sa liste différemment .
Premier évêque = Gatien .
2€ = Litorius .
3€ = Martin .
4€ Briccius .
5º Eustochius .

Quant à Theodorus et Proculus , Grégoire a évidemment voulu


rectifier ce qu'il avait dit au livre III , ch . 17. D'ailleurs s'il a
écrit cet épilogue, c'est , comme il le dit lui-même, parce qu'il
n'était pas satisfait de ce qu'il avait précédemment écrit sur les
évêques de Tours , parce qu'il voulait déterminer avec plus de
précision l'époque de leur ordination , la durée de leur épiscopat
et le nombre d'années écoulées depuis Gatien ¹ . Il ne faut donc
pas s'étonner s'il est parfois ici en contradiction avec les livres
précédents , d'autant plus que d'après son propre avis il lui a été
impossible d'arriver à une exactitude absolue . Il n'aura pas eu
le temps de mettre d'accord les premiers livres avec l'épilogue ,
de même qu'il n'a pas eu le temps de terminer le dixième
livre .
III. C'est surtout la fin de l'épilogue qui paraît suspecte à
M. Kries . Nous avons déjà répondu à l'objection tirée des
manuscrits . Mais il croit trouver dans le texte même des diffi-
cultés insolubles .
1. - « Grégoire parle de l'étude des sept arts libéraux et
donne à Martianus Capella la qualification de noster 2. Mais à

1. De episcopis Turonicis licet in superioribus libris quaedam scripsisse visus


sim, tamen propter ordinationem eorum et supputationem, quo tempore pri-
mum praedicator ad Turonicam accessit urbem, reciprocare placuit, »
2. « Quod si te, sacerdos Dei, quicumque es, Martianus noster septem disci-
- 69--

cette époque Martianus Capella n'était pas répandu en Gaule , et


Grégoire en particulier se souciait assez peu des sept arts libé-
raux. Il nous dit lui-même dans le De gloria Confessorum :
« sum sine litteris rhetoricis et arte grammatica . »
Il est , au contraire, probable que Martianus Capella était à
cette époque employé dans la plupart des écoles de Gaule . Son
Satyricon fut écrit à la fin du iv° siècle, ou au plus tard au
commencement du ve 1 ; Boëce s'en inspira à la fin du ve siècle
dans ses traités sur l'arithmétique et la musique . Au 1x° siècle ,
Martianus Capella est employé dans toutes les écoles , nous
avons plusieurs manuscrits du Satyricon de cette époque ; Scot
Erigène et Remi d'Auxerre le commentaient . Théodulfe, tout
aucommencement du siècle , parle de l'arbre des sept arts libéraux
comme d'une chose que tout le monde connaît , et sans même
nommer Martianus Capella 2. C'est donc du ve au vir siècle que
Martianus Capella s'est répandu dans les écoles de Gaule . Il est
bien probable qu'au vre siècle il était connu dans la plus illustre
des églises Gallo-Romaines , celle de Tours , dont le chef était en
rapport d'amitié avec l'Italien Fortunat . Grégoire, tout ignorant
qu'il pût être des élégances du langage avait pourtant appris
d'Avitus quelque chose des lettres païennes 3. D'ailleurs ici
même, il fait allusion à la rusticité de son style « ut stilus
noster sit rusticus » , et le noster appliqué à Martianus Capella ,
ne veut pas dire « le Martianus qui m'est familier , » mais « le
Martianus qu'on enseigne dans l'école de Tours . C'est en effet
aux « sacerdotes » de Tours qu'il s'adresse .
Cette allusion à la rusticité de son style n'a pu être faite que
par Grégoire lui-même, et elle nous rappelle les passages analo-
gues de la préface des Miracles de Saint Martin (1. I), et de celle
De gloria Confessorum . Nous reconnaissons aussi Grégoire
aux paroles qui suivent : « Si tibi in his quiddam placuerit
salvo opere nostro, te scribere versu non abnuo . » Nous

plinis erudiit, id est, si te in grammaticis docuit legere, in rhetoricis..., in


geometricis..., in astrologicis ..., in arithmeticis..., in harmoniis...: si in
his omnibus ita fueris exercitatus, ut tibi stilus noster sit rusticus, nec sic
quoque, deprecor , ut avellas quod scripsi.
1. Voy. la préface de la dernière édition de Martianus Capella par Fr.
Eyssenhardt (Leipzig, Teubner, 1866) . Capella dit p . 231 : « Carthago in-
clita pridem armis, nunc felicitate reverenda, » paroles écrites certainement
avant 439, époque de la prise de Carthage par les Vandales.
2. Theodulfi Carmina IV, 2 , dans la Bibliotheca maxima Patrum XIV .
3. Vitae PP. VI , préf.
- 70 -

savons en effet que Grégoire avait aussi voulu faire mettre en


vers par Fortunat ses Miracula sancti Martini ¹ .
――
2. « Grégoire a toujours compté les années d'après les ans
de règne des rois d'Austrasie . A la fin de l'épilogue nous lisons :
<< hos autem libros in anno vicesimo primo ordinationis
nostrae perscripsimus . » Jamais jusqu'ici les années de son
épiscopat n'avaient été indiquées .
-
Il ne raconte plus ici des événements politiques . Il vient de
dresser la liste et de résumer l'histoire des évêques . Il a raconté
son propre épiscopat , et il termine par des considérations toutes
personnelles . Il est naturel que , parlant de lui , de ses travaux
littéraires, il dise en quelle année de son épiscopat il y a mis la
dernière main. Or, il ajoute d'ailleurs un peu plus loin que la
vingt et unième année de son épiscopat correspond à la dix-
neuvième année du roi d'Austrasie, Childebert .
3. - << Après avoir dit au début de l'épilogue qu'il voulait
marquer avec exactitude l'époque de l'ordination de chaque
évêque, il avoue ici qu'il n'est pas toujours possible de déter-
miner l'époque de ces ordinations 2. Il y a contradiction entre
ces deux passages . »
Il n'y a là aucune contradiction ; il a dit au commencement
qu'il voulait refaire la liste des évêques de Tours , et rechercher
l'époque de leur ordination 3 et la durée de leur épiscopat ; il
avoue en terminant qu'il n'a pas pu arriver à une complète
exactitude . C'est précisément ce qui explique les divergences
entre les renseignements donnés par les premiers livres et ceux
que fournit l'épilogue ; nous avons là une preuve de la sincérité
de l'auteur , et de l'authenticité de ce dernier chapitre .
-
4. « La trente et unième année de Gontran ne correspond
pas à la dix-neuvième de Childebert, à la cinquième de Gré-
goire le Grand , et à la vingt et unième de Grégoire de
Tours 4. >>
Nous avons déjà cherché à résoudre cette difficulté, grâce à

1. Voy. le prologue de Fortunat à sa vie en vers de saint Martin dans


Fortunali carmina, ed. Chr. Brower, Moguntiæ, 1603 et 1616, in-4.
2. « ...licet in superioribus libris de episcopis Turonicis scripserimus, anno-
tantes annos eorum, non tamen sequitur ac supputatur numerus chronicalis,
quia intervalla ordinationum integre non potuimus reperire. »
3. ...propter ordinationem eorum..... reciprocare placuit. »
4. « ...Annum... ordinationis nostrae primum et vicesimum, qui fuit Gregorii
papae Romani quintus , Guntchramni regis trigesimus primus , Childeberti
junioris decimus nonus... »
- 71 —

l'ingénieuse hypothèse de M. Giesebrecht ¹ . Grégoire aurait


écrit l'épilogue en 592 ; puis il l'aurait revu et corrigé en 594 ;
il aurait fait accorder avec cette date toutes les indications
chronologiques ; sauf la mention de l'an de règne de Gontran ,
qui n'avait plus de valeur, puisque le roi de Burgundie était
mort en 593.
- « D'après l'épilogue, cent soixante-huit ans se sont
5. —
écoulés depuis la mort de saint Martin jusqu'à 594, tandis
qu'en suivant les calculs de la fin du livre, on arrive à un total
de cent quatre-vingt-dix-sept .
Je n'essaierai point avec M. Giesebrecht 2 de résoudre la con-
tradiction en proposant des hypothèses sur la manière dont les
copistes ont pu altérer les chiffres primitifs . Nous devons
attendre pour cela d'avoir un texte bien constitué. Les chiffres
des supputations chronologiques varient presque avec chaque
manuscrit , et il est impossible d'en tirer ni de fortes objections
ni des explications satisfaisantes.
Lecointe avait déjà appuyé sur l'incohérence de la chrono-
logie de Grégoire de Tours une partie de ses objections contre
la pureté du texte de l'histoire des Franks . Il serait bien
difficile de discuter cette question avec le texte que nous
possédons aujourd'hui ; j'ignore si elle sera jamais complètement
élucidée.
Malgré les objections de Lecointe et de Kries , nous nous
rangerons donc à l'opinion de Ruinart . Il est possible que le
texte de l'histoire des Franks ait subi des altérations légères et
partielles ; mais nous possédons bien l'œuvre de Grégoire telle
qu'il l'a composée . - Les chapitres dont l'authenticité a été
suspectée ont existé dans des manuscrits aussi anciens que ceux
où ils sont omis ; leur contenu ne révèle en aucune façon une
main étrangère ; il est impossible de trouver quel motif aurait pu
donner lieu à des interpolations ; leur présence enfin est né-
cessaire à l'intelligence du reste de l'œuvre . Le chapitre 31 du
livre X en particulier porte en soi les preuves de son authen-
ticitė ; il est parlé de l'épiscopat de Grégoire , de ses travaux,
avec une précision et une simplicité qui seraient bien surpre-
nantes chez un interpolateur . Le caractère, la personne même
de l'évêque s'y laissent clairement apercevoir .

1. Voy. plus haut p. 19, n . 4.


2. Voy. Zehn Bücher fraenkischer Geschichte, übersetzt v . W. Giesebrecht
(collection des Geschichtschreiber der deutschen Vorzeit) , Berlin, 1851 , 2 vol .
in-12. T. II, appendice .
- 72 -

Convaincus que nous possédons un texte sincère et authen-


tique, nous pouvons rechercher à quelles sources Grégoire a
puisé la connaissance des faits qu'il nous rapporte , et quelle
autorité nous devons accorder à son témoignage ¹ .

1. Il y a quelques années, une nouvelle tentative a été faite par


M. Lecoy de la Marche pour ébranler l'autorité de l'Historia Francorum .
Son opuscule De l'Autorité de Grégoire de Tours, reproduit toutes les
objections de Lecointe et de Kries . Le grand défaut de cette dissertation
vient d'une confusion perpétuelle entre la question d'authenticité et la
question d'autorité . M. Lecoy mêle constamment les arguments qui doi-
vent nous faire croire à une corruption du texte à ceux qui doivent nous
faire suspecter l'intelligence ou l'impartialité de Grégoire . M. Lecoy en
effet se trouvait entre deux alternatives également dangereuses. Il
n'osait pas reprendre la thèse de Lecointe et voir des interpolations
partout où il était en désaccord avec l'Histoire des Franks ; et il ne
voulait pas, d'autre part, élever des doutes injurieux contre le témoi-
gnage d'un grand évêque . De même en effet que M. Kries met en doute
l'autorité de l'Histoire des Franks à cause du fâcheux tableau qu'elle
fait des mœurs des Germains, M. Lecoy la met en doute à cause de la
triste idée qu'elle donne du clergé catholique au viª siècle (Voy. Revue
Critique, 1867, n° 2 , p . 23-26) . Il réfute Grégoire avec les Gesta episco-
porum Cameracensium et avec Roricon, c'est- à-dire avec des amplifica-
tions de l'Histoire des Franks écrites plusieurs siècles plus tard . - Nous
aurons occasion plus loin, en traitant de l'autorité de Grégoire , de
parler de la plupart des erreurs relevées par M. Lecoy de la Marche.
Mais quand on étudie les écrivains du Moyen-Age, on voit que les
erreurs les plus grossières , et même parfois les contradictions, ne sont
pas des arguments contre l'authenticité d'un texte . M. H. Bordier a
refuté les objections les plus importantes de M. Lecoy de la Marche
dans l'Appendice de sa traduction de l'Histoire des Franks , T. II ,
p. 405 et suiv. Voyez aussi la réponse de M. Lecoy, dans la Correspon-
dance littéraire 1862, 25 mars, et à part : De l'Autorité de Grégoire de
Tours, réponse à M. Bordier. Paris, 1862 , in-8°, 19 pages.
- 73 .-

CHAPITRE IV .

SOURCES DE L'HISTOIRE DES FRANKS .

L'histoire des Franks se compose d'éléments très-divers . Le


premier livre est un résumé de l'histoire universelle et princi-
palement de l'histoire ecclésiastique depuis la création jusqu'à
la mort de saint Martin, composé d'après des sources écrites .
Les livres II et III qui embrassent toute la période écoulée entre
la mort de saint Martin et celle de Théodebert (400-547) ont
emprunté de nombreux renseignements et même des chapitres
entiers à des sources écrites , mais ils doivent plus encore à la
tradition orale. Les sept autres livres qui racontent les événe-
ments accomplis de 547 à 591 contiennent le récit de ce que
Grégoire
a vu ou de ce qu'il a appris de la bouche de ses
contemporains . Il faut cependant remarquer que dans le livre
IV, Grégoire écrit de souvenir après 575 les faits qui s'étaient
passés entre la mort de Théodebert et celle de Sigebert (547-
575) , tandis que les six derniers livres sont de véritables
mémoires écrits pour ainsi dire au jour le jour . Nous examine-
rons successivement ce que Grégoire doit à des sources écrites ,
ce qu'il a emprunté aux traditions populaires, ce qu'il a connu
par des témoignages oraux contemporains, enfin ce qu'il a vu
de ses yeux ; nous étudierons en même temps de quelle manière
il s'est servi de ces diverses sources d'information .

Le premier livre de l'histoire des Franks est une introduction


où Grégoire s'est proposé de déterminer dans une revue rapide
de l'histoire universelle le nombre des années écoulées entre la
création du monde et la passion du Christ, puis entre la passion
et l'époque qu'il entreprend de raconter. Il a en vue la chrono-
logie plutôt que l'histoire¹ . Il veut rassurer ainsi ceux qui

1. « Scripturus bella regum... Illud etiam placuit propter eos, qui adpropin-
quante mundi fine desperant, ut collecta per chronicas vel per historias ante-
riorum annorum summa , explanetur aperte quot ab exordio mundi sint anni...»
De supputatione vero hujus mundi evidenter chronicae EUSEBII Caesariensis
episcopi ac HIERONYMI presbyteri proloquuntur, et rationem de omnium anno-
rum serie pandunt. Nam et OROSIUS diligentissime haec inquirens, omnem
- 74 -

tremblent à l'idée que la fin du monde est proche . Il nous dit


lui-même dans le prologue quels ouvrages il a eu pour guides ;
ce sont des chroniques et des histoires « per chronicas vel per
historias, » les chroniques d'Eusèbe et de saint Jérôme ¹ , les
histoires d'Orose 2. Il a également connu et consulté les calculs
de Victorius pour la fixation de la fête de Pâques 3. Enfin,
c'est naturellement la Bible qui lui fournit le fond de son récit .
Voulant déterminer l'époque de l'incarnation et de la passion
du Christ, il s'attache d'abord aux événements de l'histoire
juive qui ont précédé , préparé et prédit la venue du Messie ,
puis aux souffrances et aux victoires de l'Église. Les événements
de l'histoire profane n'apparaissent pour ainsi dire que pour
marquer le rapport synchronique des histoires profanes et de

numerum annorum ab initio mundi usque ad suum tempus in unum collegit.


Hoc etiam et VICTORIUS, cum ordinem paschalis sollemnitatis inquireret, fecit.
Ergo et nos scriptorum supra memoratorum exemplaria sequentes, cupimus a
primi hominis conditione, si Dominus dignabitur suum commodere auxilium,
usque ad nostrum tempus cunctam annorum congeriem computare. Quod fa-
cile adimplebimus, si ab ipso Adam sumamus exordium » ( I, prologue).
C'est cette même pensée qui avait inspiré à Jules Hilarion (IVe siècle) sa
Chronologia sive De mundi duratione. Voy. Maxima collectio Patrum, Lyon,
VI, 373.
1. Voy. plus haut, p . 7-10. Le mot chronique était encore pris à cette
époque dans son sens étymologique ouvrage de chronologie ; mais
bientôt il devient synonyme du mot annales, qui désigne une histoire
où les événements sont racontés année par année. --- C'est Eusèbe et
saint Jérôme qu'il a le plus constamment sous les yeux. Il marque le
moment où il cesse de les avoir pour guides ; ch . 34 : « Usque hoc tem-
pus historiographus in chronicis scribit Eusebius. A vicesimo primo enim ejus
(Constantini) imperii anno, Hieronymus presbyter addidit... » ; ch . 37 : « Hu-
cusque Hieronymus : ab hoc vero tempore Orosius presbyter plus scripsit. >>
2. Voy. plus haut p. 7.
3. Victorius n'a d'ailleurs rien fourni de nouveau à Grégoire , car il suit
la chronologie d'Eusèbe. - Victor, Victorius, ou Victorinus (Marianus) , né
en Aquitaine , était clerc de l'église de Rome . En 454, une vive contes-
tation s'éleva entre l'église d'Orient et celle d'Occident propos de la
célébration de la fête de Pâques. Les Orientaux la plaçaient le 24 avril,
les Occidentaux le 17. Saint Hilaire, prié par le pape Léon de composer
un cycle nouveau pour la fixation du canon paschal, chargea de ce
travail Victorius qui détermina la date de Pâques en remontant jusqu'à
la création . Au VIe siècle , Victor de Capoue renversa son système , qui
fut abandonné partout, sauf en Gaule, où le concile d'Orléans l'avait
adopté en 541 et où il fut suivi encore quelque temps. Au Xe siècle ,
Abbon de Fleury écrivit un commentaire sur le canon de Victorius.
V. Hist. litt. de la France, II, 424-428. - De doctrina temporum, sive com-
mentarius in Victorii Aquitani et aliorum canones paschales, par Gilles Bou-
cher, jésuite . Anvers, 1633 ou 34.
- 75 --

l'histoire sacrée. Comme nous l'avons déjà dit ¹ , la chronologie


à cette époque a une grande importance religieuse . Appuyée sur
la Bible elle cherche la date de la création, de la passion du
Christ, elle voudrait même calculer celle de la fin du monde.
Généralement Grégoire suit, transcrit ou résume les textes
qu'il a sous les yeux avec une assez grande exactitude 2 .
Pourtant il cite souvent de mémoire plutôt qu'il ne copie littéra-
lement , résumant le sens de la citation sans s'attacher aux
mots 3 ; les noms propres peu connus sont transcrits par lui avec
négligence 4 , il s'est embrouillé dans les tableaux synchroniques
d'Eusèbe 5 , et a commis des méprises et des contre-sens assez
graves 6.
Outre la Bible , saint Jérôme et Orose qu'il avait constamment
sous les yeux, Grégoire possédait de nombreux documents sur
l'histoire religieuse . Les vies de saints , les actes des martyrs ,
les martyrologes abondaient en Gaule dès cette époque , et
Grégoire, tant en Auvergne qu'à Tours, a dû en connaître un

1. V. introd. p . 8.
2. La Bible : passim ; Eusèbe et Jérôme : ch . 7, 16 , 25, 34, 36, 37; Orose :
ch . 6, 24, 26 , 38.
3. V. ch . 13 : Rois III , c . 12, v. 13 ; et la citation d'Orose au ch . 6 : « et
cum tanta fuisset honestas aedificii, attamen victa atque subversa est » , tandis
qu'il y a dans Orose 11 , 6 : « et tamen magna illa Babylon, illa prima post
reparationem humani generis condita, nunc pene etiam minima mora victa,
capta, subversa est. »
4. V. ch. 16 : Tropas pour Triopas, Agatadis pour Ascatades. Festus doit
être une erreur, par suite d'une mauvaise lecture des mots de saint
Jérôme « Ephesus condita » l'an 55 d'Acaste .
5. Grégoire établit le synchronisme d'Amon (pour Amos), Argeus et
Gygès. Il aurait dû mettre Manassé à la place d'Amos, car si celui-ci est
bien contemporain d'Argeus, le roi qui règne en Lydie pendant qu'il
règne en Palestine n'est pas Gygès , mais Ardis. Le second synchronisme :
Vafrès, Nabuchodonosor , Servius Tullius, est de soixante ans postérieur.
6. La légende sur la sépulture d'Adam à Hébron (ch . 4) vient de la
Vulgate même, dont le texte contient un contre-sens (Josué XIV, 15) . A
la dix-neuvième année d'Auguste ( 11 av . J.-C. ) , Eusèbe parle de Muna-
tius Plancus «< qui dum Galliam regeret comatam , Lugdunum condidit. » Cette
fondation remontait à l'an 43 av. J.-C. , mais Grégoire écrit : « Cujus (Au-
gusti) nono decimo imperii anno, Lugdunum Galliarum urbem conditam ma-
nifestissime reperimus. » - Au ch. 36, Grégoire appelle le fils de la matrone
romaine Mélanie Urbanus, tandis que saint Jérôme nous dit a. 377 :
« unico praetore tunc urbano filio derelicto. » - Après Servius Tullius ,
Grégoire ajoute (c. 17) : « Post hos, imperatores » , c'est qu'en effet, dans
les tableaux chronologiques de saint Jérôme , la colonne de souverains
de Rome ne porte plus aucun nom pour toute la période républicaine ,
entre les rois et les empereurs .
- 76 -

grand nombre. Il cite Sulpice Sévère (1. I , 7 , et II Prol . ) dont il


avait certainement entre les mains la Chronica sacra et la vie
de saint Martin, mais nous ne retrouvons pas dans les œuvres
de Sulpice Sévère le passage sur le sacrifice d'Isaac auquel
Grégoire fait allusion au chapitre 7. - Il cite encore (c. 20 et
23) les Gesta Pilati , lettre de Ponce-Pilate à Tibère sur la
mort du Christ , que le pape Gélase I en 494 avait déjà rangée
parmi les livres apocryphes 2. Enfin il nous parle encore (c. 27)
des Passionum historiae , c'est-à-dire des actes des martyrs
où il a lu le récit des premières persécutions contre les chrétiens
à Lyon. Ces récits, composés souvent par des témoins oculaires
de la mort du martyr et dans l'église même à laquelle il apparte-
nait, étaient les documents les plus authentiques sur l'histoire
religieuse, en même temps que les plus éloquents des livres
d'édification . Nous en possédons encore un assez grand nombre 3 ,
mais bien peu sans doute comparativement à ce qu'il en devait
exister au temps de Grégoire . Nous n'avons pas la relation dont
il paraît s'être servi pour l'histoire des martyrs de Lyon. La
lettre adressée par les églises de la Viennoise et de la Lugdu-
naise aux églises d'Asie sur la mort de Pothin et de ses compa-
gnons , conservée par Eusèbe dans son histoire ecclésiastique
(V. 1 , 2) , n'est pas tout à fait d'accord avec Grégoire . Elle ne
donne pas le chiffre des quarante huit martyrs qu'il mentionne
dans l'histoire des Franks (c . 27) et dont il cite les noms dans
le De gloria martyrum (c . 49) 4. Il paraît de plus avoir fait

1. Grégoire dit que ce fut sur le Calvaire qu'Abraham alla sacrifier


Isaac, image prophétique du Christ. Tous les pères qui ont parlé d'Isaac
l'ont comparé au Christ ; mais je n'ai pu retrouver chez aucun de ceux
qui ont précédé Grégoire cette confusion du Calvaire et du mont Moriah .
-
- Les dialogues sur la vie de saint Martin par Sulpice Sévère ont dû
servir à Grégoire ; mais le récit de la mort du grand évêque ne s'y trouve
pas. Grégoire l'aura emprunté aux traditions locales du pays de Tours.
2. Justin (Apolog. 2) cite les Gesta Pilati comme un récit très-répandu
de son temps. Est-ce le même que la lettre écrite à Tibère par Pilate et
dont parlent Eusèbe (Hist. eccl. II, 2) et Orose (VII , 2) ? Le texte de Gré-
goire le ferait croire. Pierre de Blois dans son Contra perfidiam Judaeorum
(Max. coll. Patrum t. XXIV) nous a conservé une lettre de Pilate à Tibère
qui répond bien à ce que dit Grégoire des Gesta Pilati au c. 23.
3. V. Ruinart, Acta primorum martyrum sincera et selecta ... Parisiis, 1689,
in-4. Nouvelle édition , Ratisbonne , 1859, in-8.
4. Il en nomme seulement quarante-cinq ; il omet Attale, cité par
Eusèbe. Les martyrologes donnent encore d'autres noms : Rogata, Apol-
lonius, Geminianus, Julianus, Ausonia, Domna. - C'est par erreur que
77

une confusion. Tandis que dans le De gloria martyrum , il fait


mourir les quarante-huit martyrs avec saint Pothin , ce qui est
exact ; dans l'histoire des Franks il les fait mourir avec Irénée ,
successeur de Pothin sur le siège épiscopal de Lyon. Grégoire
d'ailleurs est le seul auteur qui mentionne le martyre d'Irénée .
Eusèbe , qui parle longuement de lui , n'en dit rien ¹ . La citation
de l'Historia passionis S. Saturnini faite au ch . 28 se trouve
littéralement dans les actes que nous possédons sur la vie et la
mort de ce saint 2. Mais ils ne contiennent pas les noms des
évêques apôtres des Gaules indiqués par l'histoire des Franks ,
ni les paroles qu'elle met dans la bouche de saint Saturnin mar-
chant au martyre 3 .
A côté des sources citées par Grégoire , il en est d'autres qu'il
ne nomme pas , mais auxquelles il a fait des emprunts faciles à
reconnaître . Depuis la fin du ve siècle, l'esprit humain semblait
frappé de stérilité. Les écrivains ne trouvaient plus une seule
idée nouvelle, pas même une comparaison ou une expression
poétique ; ils copiaient leurs devanciers ou se faisaient les échos
fidèles des inventions spontanées de l'imagination populaire . Si
un pareil travail n'était pas fastidieux et sans utilité réelle, il
serait possible de retrouver dans des écrivains antérieurs à
Grégoire, presque tout ce que contient son premier livre, sans
en excepter les réflexions pieuses et les explications allégoriques
des récits de la bible ..
Grégoire ne cite nulle part l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe .
Mais il devait l'avoir constamment sous les yeux, en même
temps que la chronique; nous venons de voir qu'il y fait allusion
à l'occasion des martyrs de Lyon . Il lui emprunte les termes

Ruinart et M. Bordier mettent une virgule entre Vectius et Epagathus, et


comptent dans Grégoire quarante-six martyrs . Vectius Epagathus est un
seul personnage, ancêtre de Grégoire . V. plus haut p. 27.
1. Peut-être faut-il lire « beatum Photinum » au lieu de « beatum Ire-
neum » à l'avant-dernière ligne du ch. 27. Les actes de saint Irénée
étaient d'ailleurs perdus à la fin du VIe siècle. Saint Grégoire-le - Grand
se plaint de n'avoir pu les trouver (ep. XI, 56).
2. V. Ruinart, Acta... martyrum... p. 109.
3. On sait comment les vies de saints et les récits de martyres étaient
modifiés et amplifiés à mesure qu'on les transcrivait. Les sèches men-
tions des martyrologes primitifs deviennent avec les siècles de longues
légendes. Grégoire pouvait avoir un manuscrit des actes de S. Saturnin
plus développé que le texte qui nous est parvenu et semblable pour-
tant en quelques parties. - V. aussi sur S. Saturnin le De gloria Mar-
tyrum, c. 48.
78 -

dont il se sert pour parler de saint Polycarpe . Enfin , ce qu'il


dit d'Hérode est une confusion des deux récits d'Eusèbe (ch . 12)
sur Hérode l'Ascalonite qui fit massacrer les enfants de Bethleem
et sur Hérode Agrippa qui persécuta les apôtres 2 .
Nous trouvons déjà , dans le premier livre , à l'occasion de la
mort de la femme et du fils de Constantin, une indication em-
pruntée à Sidoine Apollinaire, dont il invoquera plusieurs fois
le témoignage au livre second 3.
Grégoire avait certainement entre les mains un grand
nombre de vies de Saints , mais nous avons conservé bien peu
des plus anciens monuments de ce genre. Les ouvrages hagio-
graphiques de Grégoire lui-même, en les faisant oublier, ont
contribué à leur disparution . Il n'est pas douteux cependant
qu'il a eu sous les yeux la vie de saint Quirinus , écrite au ve
siècle et que nous possédons encore 4 , ainsi que les vies de saint
Hilaire par Sulpice Sévère et par Fortunat 5 .
Certains écrits théologiques des Pères de l'Église étaient fa-
miliers à Grégoire ; c'est à eux qu'il emprunte les allégories et
les prophéties bizarres qu'il prétend retrouver dans l'Ancien

1. « Beatissimus Polycarpus... velut holocaustum purissimum, per ignem


Domino consecratur. » Hist. Fr. I , 26. - « ...acceptabile holocaustum omni-
potenti oblatus est Deo. » Eusèbe , Hist. eccl. IV, 15 .
2. « Herodes rex, dum in apostolos Domini saevit, percussus divinitus ob
tanta scelera intumescens ac scatens vermibus, accepto cultro ut malum pur-
garet, propriae in se manus ictum libravit. » Hist. Franc . I, 23. - « Verenda
...scatentia vermibus horrescebant..... malo accepto cultrum poposcit (solebat
...purgatum sic pomum ... comedere) tunc... elevavit in semetipsum dexteram,
ictumque libravit. » Eus. Hist. eccl. I, 8, 9. - « ...percussit eum angelus Dei
.....et scatens vermibus expiravit. » Id . ibid. II , 10 .
3. « ...Crispum filium veneno. Faustam conjugem calente balneo interfecit
(Constantinus)... » Hist. Fr. I , 34. - « ...iisdem fere temporibus exstinxerat
conjugem Faustam calore balnei, filium Crispum frigore veneni. » Sid. Apoll .
ep. V, 8. Sidoine est le seul auteur qui nous dise que Crispus soit mort
par le poison ; il a peut-être inventé ce détail pour mieux balancer
l'antithèse calore... frigore. Tous les historiens disent simplement que
Constantin le fit périr. Voy. Eutrope X, 6 ; Chronique de saint Jérôme ad
ann. Abraham 2342, 2344 ; Aurelii Vict. epitome; Orose VII , 28 ; Zosime,
ap . Script. hist. Augustae, Francfort, 1590. II, p. 685 , 6.
4. Le récit du miracle qui le sauva lorsqu'il fut jeté dans le Danube
(H. F. I, 33) est tout à fait semblable à celui de la vie du saint. AA. SS.
Boll. 4 juin, I , p . 381-383.
5. Celle de Sulpice Sévère est contenue dans le deuxième livre de son
histoire ecclésiastique . Celle de Fortunat était écrite avant 559, et Gré-
goire , ami du poète , devait la connaître. Voy. AA . SS . Boll . 13 janv. I,
788-795.
79

Testament ¹ ; par exemple la comparaison de l'Église avec Ève


et avec l'arche de Noé , de Jésus-Christ avec Noé et avec Isaac2 . Il
emploie des expressions prises textuellement à saint Prosper de
Riez 3. Nous trouvons dans les Recognitiones faussement
attribués à saint Clément de Rome, un passage tout à fait
analogue à celui qui identifie Chus fils de Cham avec Zoroastre 4 .
Avec le second livre, Grégoire commence en réalité un nouvel
ouvrage ; son abrégé de l'histoire universelle jusqu'à saint
Martin est terminé ; il ne se contente plus de résumer briève-
ment deux ou trois auteurs en les suivant pas à pas ; il abandonne
ses précédents guides pour composer une histoire originale ,
l'histoire des Franks, cherchant partout ses matériaux, tantôt

1. « ...me... beati patris Aviti Arverni pontificis studium ad ecclesiastica


sollicitavit scripta. » V. PP. II , préf.
2. Ces comparaisons étaient des lieux communs de la littérature ecclé-
siastique. Voy. les commentaires de saint Jérôme sur l'Ancien Testa-
ment, le commentaire apocryphe de saint Euchère sur la Genèse, les
homélies d'Eusèbe , et surtout l'ouvrage de saint Prosper, évêque de
Riez: De promissionibus et praedictionibus Dei. Ces écrits se trouvent dans
toutes les grandes collections des Pères .
3. « ...ipsa (arca) enim inter fluctus et scopulos hujus sæculi transiens... »
H. F. I, 4. « ...quae in scopulis saeculi, atque in gurgite flagitiorum... mergun-
tur….. » S. Prosper, De promissionibus atque praedictionibus Dei, I, 7.
4. Hic fuit totius artis magicae... adinventor.... qui et stellas et ignem de
coelo cadere, falsa virtute, hominibus ostendebat... Hunc Persae vocitaverunt
Zoroastrem, id est, viventem stellam. Ab hoc etiam ignem adorare consueti,
ipsum divinitus igne consumtum ut deum colunt. » H. F. I , 5. Les doctrines
religieuses des Perses préoccupaient vivement les Pères de l'Église . Clé-
ment d'Alexandrie (Stromata V) , saint Augustin (de Civitate Dei XXI, 14),
Paul Orose (I, 4) , font de Zoroastre l'inventeur de la magie . Une des fausses
homélies clémentines (IX , 3) l'identifie à Nemrod descendant de Misraïm ,
fils de Cham, et raconte avec détail le fait mentionné par Grégoire . Zoro-
-astre invoque au nom de l'art magique l'étoile qui dirige le monde
pour qu'elle lui donne l'empire. Elle lui communique en effet le feu
qui assure l'empire, mais il en est foudroyé . « 'Ex távtng oùv tñs éž dupa-
τοῦ χαμαὶ πεσόυσης ἀστραπῆς ὁ μάγος ἀναιρεθεὶς Νεβρώδ ἐκ τοῦ συμβάντος πράγ
ματος Ζωροάστρης μετωνομάσθη , δια τὸ τὴν τοῦ ἀστέρος κατ ' αυτοῦ ζῶσαν ἐνεχθῆναι
pońv. » Le feu du ciel précieusement conservé assura l'empire à ses
successeurs et lui-même fut adoré comme un Dieu . Les Recognitiones,
conservées dans la traduction de Rufin d'Aquilée († 410), rapportent les
mêmes faits, mais en identifiant Zoroastre à Misraïm lui-même. Grégoire
avait certainement ce texte entre les mains : « .....hunc (Misraim) gentes
quae tunc erant Zoroastrem appellaverunt, admirantes primum magicae artis
auctorem. » Il tire des étincelles des étoiles et meurt foudroyé. « Hinc
et nomen post mortem ejus Zoroaster, hoc est vivum sidus appellatum est. »
Recognitiones IV, 27.
80 -
dans des documents écrits, tantôt dans la légende , tantôt dans
la tradition orale ¹ .
Il cite encore une fois Paul Orose, mais sans l'avoir bien
compris (ch. 9) ; car il rapporte à Stilicon ce qu'Orose avait dit
des Germains . Pour l'histoire ecclésiastique, les documents
consultés par Grégoire sont semblables à ceux dont il avait fait
usage dans le premier livre ; c'étaient des nécrologes , des chro-
niques des monastères et d'églises , des récits de la vie et de la
mort des saints 3. Le plus souvent il ne cite pas ses sources . Il
ne nous dit point par exemple d'où il tire tout ce qu'il rapporte
sur les évêques de la cité arverne et de Tours , dont il connais-
sait certainement l'histoire par des documents écrits conservés
dans les églises de ces deux villes . - Pour l'histoire de la
persécution des Vandales (1. II , ch . 2 et 3) au contraire Gré-
goire cite les Martyrum passiones auquel il emprunte son
récit 4. On pourrait croire qu'il s'agit ici des deux ouvrages de
Victor Vitensis , évêque de Vite en Byzacène , d'où il fut chassé
par les Vandales et se réfugia à Constantinople en 483. Nous
possédons en effet de lui l'Historia persecutionis vandalicae
en trois livres , et les Acta S. Eugenii episcopi Carthagi-
niensis († 505 Albigae in Occitania) 5. Mais, si Grégoire a eu
ces écrits sous les yeux , il s'en est bien mal servi . Il fait une
complète confusion dans la série des rois Vandales 6. On retrouve

1. « Sic et Eusebius, Severus, Hieronymusque in Chronicis, atque Orosius,


et bella regum et virtutes martyrum pariter texuerunt..... Venientes ergo per
ante dictorum historias, ea quae in posterum acta sunt, Domino adjuvante,
disseremus. » II , Prologus .
2. « Excitatae per Stiliconem gentes Alanorum , ut dixi, Suevorum, Wan-
dalorum, ...Francos proterunt, Rhenum transeunt, Gallias invadunt, directo-
que impetu Pyrenaeum usque perveniunt. » P. Orose VII, 40. « Stilico
congregatis gentibus Francos proterit, Rhenum transit, Gallias pervagatur, et
ad Pyrenaeos usque perlabitur. » Hist. Franc . II , 9. - Grégoire fait encore
une citation de P. Orose dans le prologue du 1. V; mais ce n'est plus
comme autorité historique qu'il le cite. Il parle des résultats funestes
de la discorde et rappelle les paroles d'Orose sur Carthage : « Quae res
tamdiu servavit ? concordia. Quae res eam post tanta destruxit tempora ?
discordia. » P. Orose IV.
3. Nous devons sans doute à des documents de cette nature les ch.
1-7, 13-17, 21-24, 26, 36, 39 du livre II ; 2, 17, 19, 34, 35 du livre III ; 4 du
livre IV.
4. « Legimus tamen quorumdam ipsorum martyrum passiones, ex quibus
quaedam replicanda sunt, ut ad ea quae spopondimus veniamus. » H. F. II , 3 .
5. Dans Ruinart, Acta martyrum sincera.
6. Grégoire donne la série suivante : Gundéric, Trasamund, Hunéric,
84

bien dans ces deux ouvrages la mention des sept martyrs , d'Eu-
genius envoyé en exil, de Cyrola ou Cyrila , de Vindemialis ;
mais les événements sont racontés d'une manière toute différente ,
et surtout nous n'y trouvons pas la lettre d'Eugenius dont il
eût été si curieux de comparer le texte à celui de Grégoire .
J'incline à penser que l'évêque de Tours aura eu entre les mains
un autre récit des mêmes événements .
La citation de Paulin sur les évêques gallo-romains de l'époque
de Vénérand au ch . 13 du 1. II , ne se retrouve pas dans les œuvres
de Paulin de Nole ; pas plus que la lettre citée au cinquième
paragraphe du ch . 31 du 1. X. Il s'agit pourtant évidemment ici
de Paulin de Nole, le seul que paraisse avoir connu Grégoire ,
puisqu'il lui attribue à deux reprises (M. M. I , 2 ; Gl . C. 110 )
la Vie en vers de saint Martin par Paulin de Périgueux ¹ . Nous
voyons d'ailleurs par le chapitre que Grégoire a consacré à
Paulin de Nole dans le De gloria Confessorum ( c . 110) qu'il le con-
naissait mal et seulement par des récits plus ou moins inexacts .
Sa mort seule lui était connue par un document écrit 2. Cet
exemple nous montre à quel point les documents précis man-
quaient aux écrivains de cette époque, et avec quelle réserve on
doit ajouter foi à leur témoignage .
Les seuls renseignements détaillés que Grégoire ait pu avoir
sur Clovis devaient se trouver dans les Vies de Saints . Il cite la
Vie de saint Remi de Reims (II . 31 ) 3 dont Fortunat a fait un
abrégé qui nous a été conservé , mais qui ne contient guère que des
récits de miracles . Le baptême de Clovis n'y est pas mentionné.
La Vie originale de saint Remi fut d'ailleurs perdue de bonne
heure , et au IXe siècle Hincmar, pour suppléer à cette perte ,
composa sur saint Remi une sorte de roman religieux sans
valeur historique 4. Dans le même chapitre, Grégoire cite le début
d'une lettre de saint Remi que nous possédons encore . Il a bien

Hildéric, Gélésimir, au lieu de Gundéric , Genséric, Hunéric, Guntamund,


Trasamund , Hildėric, Gėlėsimir.
1. Paulin, né à Bordeaux en 353, évêque de Nole en 409, mort en 431 ,
peut très-bien avoir parlé de Vénérand qui vivait au commencement
du Ves. Le passage cité par Grégoire semble tout à fait d'un con-
temporain : « Si enim hos videas... videbis profecto... » et ne peut être de
Paulin de Périgueux, mort à la fin du vº siècle, 476-478.
2. Et quia de hujus beati vita nihil legeramus, idcirco ea quae per rela-
tionem fidelium cognovimus, ..memoravimus. De transitu autem ejus est apud
nos magna lectio ... » Gl . C. 110.
3. Est enim nunc liber vitae ejus, qui eum narrat mortuum suscitasse. »
4. Voy. AA. SS . Boll . 1 Oct. I. p. 128-131 et 131-166 .
HIST . MÉROVINGIENNE . 6
82 —

conservé le sens des paroles , mais sans les reproduire littéra-


lement¹ .
Nous possédons aussi la Vie de saint Maixent , composée au
temps de Childebert , et nous y trouvons en effet la légende que
cite Grégoire ( II . 37 ) 2 . Nous avons également conservé les Actes
de saint Aignan d'Orléans , où Grégoire peut avoir puisé une
partie de ses récits sur Attila (II , 7) 3. Il existe une Vie de
saint Clodoald, écrite semble-t-il par un contemporain ; elle est
complètement d'accord avec l'histoire des Franks dans le récit
qu'elle fait de la mort des enfants de Clodomir ; mais il n'y a
aucune ressemblance de style entre les deux textes, aussi est-il
difficile de décider lequel des deux a servi de source à l'autre.
Un accord aussi complet sur les événements est bien rare dans
deux récits complètement indépendants l'un de l'autre , et je
serais disposé à croire que c'est Grégoire qui s'est servi de la
Vie de saint Clodoald 4 ; nous voyons en effet que dans le récit
qu'il a tiré de la Vie de saint Maixent, il a complètement changé
le texte tout en racontant fidèlement les faits , tandis que toutes
les Vies de Saints écrites d'après Grégoire reproduisent exacte-
ment ses paroles mêmes . Nous en avons des exemples dans les
Vies de saint Privat 5 , de saint Didier de Langres , de sainte
Clotilde 7, etc.

1. Voy. Duchesne , Hist. Franc. script. , I , 849. « Angit me et satagit vestrae


causae tristitia, quod gloriosae memoriae germana vestra transiit Albochledis.
Sed consolari possumus, quia talis de hac luce discessit, ut recordatione magis
suscipi debeat quam lugeri. » Le texte de Grégoire est un peu différent :
« Angit me et satis me angit vestrae causa tristitiae, quod bonae memoriae
germana vestra transiit Albofledis. Sed de hac re consolari possumus, quia
talis de hoc mundo migravit, ut suscipi magis debeat quam lugeri, »
2. « Multasque et alias virtutes operatus est, quas si quis diligenter inquiret,
librum vitae illius legens, cuncta reperiet. Voy. AA. SS. Boll . , 26 juin. V,
p. 169-175.
3. Beatissimus Anianus... cujus virtutum gesta nobiscum fideliter retinen-
tur. Voy. Duchesne, Hist. Franc. script. , I, p. 521 ,
4. AA. SS. Boll . 7 Sept. , III , 98-103.
5. AA. SS. Boll . 21 Aug. IV, p. 438-441 . Voy. Grég. H. F. I , 30.
6. AA. SS. Boll . 23 Mai . V, p . 244-246. Voy. Grég. , ibid.
7. AA. SS. O. S. B. I. 98. Grégoire connaissait un nombre considérable
de Vies de Saints, comme nous le voyons par ses ouvrages hagiogra-
phiques. Il cite une Vie en vers de l'abbé Maxime (G. C. 22) ; une relation
des Clercs de Bordeaux sur saint Séverin (ibid . 45) ; des écrits sur saint
Romain ( ibid . 58) ; une Vie de saint Vivien (ibid. 58); une Vie de saint
Marcel, évêque de Paris (ibid . 89); un livre des miracles de saint Médard
(ibid. 95); la Vie de saint Aubin par Fortunat (ibid . 96); une Vie de saint
Nizier (V. PP. VIII, 12).
83 -

Malheureusement , ces ouvrages hagiographiques dont Gré-


goire doit avoir fait un assez fréquent usage, n'ont pour la
plupart qu'une médiocre valeur historique . Les auteurs de ces
écrits pieux cherchent avant tout l'édification des fidèles , l'exalta-
tion des mérites d'un saint ; les faits historiques ne sont qu'un cadre
où la légende et la réalité s'unissent et se confondent ; chaque Vie
de Saint cherche à faire jouer un rôle à son héros dans les
événements qui ont le plus frappé l'imagination des contem-
porains ; c'est ainsi que Chrocus, Attila, Clovis , les divers rois
Franks apparaissent dans l'histoire de la plupart des Saints
illustres du ve et du vre siècle pour y jouer un rôle terrible ou
bienfaisant, mais toujours plus ou moins légendaire ¹ . Grégoire
connaissait pourtant quelques sources plus strictement historiques.
et plus dignes de foi , mais dont les plus importantes ne s'éten-
daient guère au delà de la première moitié du v° siècle . Il
possédait en effet deux ouvrages aujourd'hui perdus , mais qui
devaient être de la plus grande valeur pour l'histoire des
invasions barbares et des derniers temps de l'empire romain .
Autant que nous pouvons en juger par les fragments contenus
dans les chapitres 8 et 9 du livre II de l'histoire des Franks ,
Sulpicius Alexander et Renatus Profuturus Frigeridus
ou Frigiretus 2 écrivaient l'un dans la première, l'autre dans la
seconde moitié du ve siècle . Le fragment du livre III de Sulpicius
Alexander parle de la guerre de Quintinus et Nannenus , géné-
raux du tyran Maxime, contre les Franks ; les fragments du
livre IV parlent d'Arbogaste, de Valentinien , du rhéteur Eugène
et de leurs relations avec les Franks . Ces citations ne dépassent
donc pas la fin du Iv° siècle . Nous ignorons jusqu'où s'étendait
cette histoire , mais il est vraisemblable qu'elle s'arrêtait vers cette
époque, car c'est dans Renatus Frigeridus que Grégoire va
chercher ensuite des indications sur l'histoire des Franks sous les
tyrans Constantin et Jovin . - L'ouvrage de Frigeridus devait
s'étendre jusqu'à la seconde moitié du v° siècle, au moins jusqu'en
455 ; le portrait d'Aetius cité au livre II, chapitre 8 , de l'Histo-
ria Francorum , était tiré du XII livre . Autant que nous pouvons
en juger par ces citations , Sulpicius Alexander n'était pas sans
talent littéraire ; son récit de la lutte de Quintinus contre les

1. Vies de S. Privat, S. Antidius de Besançon, S. Didier de Langres,


Sie Geneviève , S. Aignan , S. Maximin de Micy, S. Vaast , S. Césaire
d'Arles, S. Melanius , S. Arnulf, etc.
2. Frigeridus (ms. de Corbie), Frigiretus (ms. de Cambrai).
- 84 -

Franks est pittoresque et animé ; mais il est déparé par une


prétention de style et une recherche poussée jusqu'à l'obscurité
qui rappellent Sidoine Apollinaire ¹ . Frigeridus écrit plus
simplement, mais il n'a pas la vigueur pittoresque de Sulpicius
Alexander, et son style se ressent davantage, tant pour le choix
des mots que pour la syntaxe , du rapide envahissement de la
barbarie 2. Pourtant son portrait d'Aetius n'est point dépourvu
d'un certain art laborieux, et montre que la tradition antique
des portraits à la Suétone et à la Tacite, n'était point encore
entièrement perdue . Il est probable que Sulpicius Alexander et
Renatus Frigeridus étaient tous deux gallo- romains . Ils
connaissent mieux qu'aucun autre historien contemporain ce
qui s'est passé au Ive et au v° siècle sur les frontières de la
Gaule et de la Germanie ; les épisodes de la lutte des Romains
contre les barbares cités par l'histoire des Franks ne se
retrouvent nulle autre part . De plus , Frigeridus, quoique sévère
pour Constantin 3 , montre pour les partisans de Jovin en
Arvernie une sympathie qui semble décéler une origine gallo-
romaine . S'il était Arverne il serait tout naturel que Grégoire
ait connu et possédé son ouvrage . La perte de son histoire est
peut-être plus digne encore de regrets que celle de l'œuvre de
Sulpice Alexandre . Le quatrième siècle en effet est relativement
bien connu , tandis que Renatus Frigeridus nous aurait seul fait
connaître d'une manière détaillée la vaste et obscure question
des invasions du v° siècle ; il aurait suppléé à la brièveté des
chroniques, nos seules sources à cette époque ; il nous aurait
surtout fait savoir la vérité sur la campagne d'Attila qui reste
jusqu'ici enveloppée de tant d'incertitude.
A côté de ces ouvrages importants , Grégoire possédait encore
d'autres documents moins développés , mais précieux pour l'his-
toire, semblables à ces chroniques dont nous avons déjà parlé 5,

1. « Itaque universis domibus exustis, in quas saevire stoliditas ignava


victoriae consummationem reponebat, noctem sollicitam milites sub armorum
onere duxerant. » II , 9.
2. « Qui (Constantius) praemissis agminibus, dum cum patre resideret, ab
Hispania nuntii commeant, a Gerontio Maximum, unum e clientibus suis,
imperio praeditum, atque in se comitatu gentium barbararum accinctum
parari. » II , 9.
3. Constantinus gulae et ventri deditus. » ibid.
4. « Decimus Rusticus, Agroetius ex primicerio notariorum Jovini, multique
nobiles apud Arvernos capti a ducibus Honorianis, et crudeliter interempti
sunt. » ibid.
5. Voy. p . 10.
85

et qui ajoutent à l'indication des consuls de chaque année la


mention des événements les plus remarquables . Telles sont les
chroniques de Prosper, de Marcellin , d'Idace , de Marius . Celles
que cite Grégoire en les appelant Consulaires (Consulares ,
Consularia - fasti, chronica) , ne nous sont pas connues . Elles
rapportaient des événements de la fin du ve siècle , relatifs aux
Franks et aux Romains du Nord de la Gaule¹ . Si , comme cela est
vraisemblable, ce que Grégoire dit de Clodion est également tiré
de ces chroniques, on peut conclure des expressions « ultra
Ligerim » et « trans Rhodanum » pour indiquer le sud de la
Loire et le sud-est du Rhône , qu'elles ont été écrites dans le
pays entre la Somme et la Loire, resté romain jusqu'à la fin du
Ve siècle .
Ce passage n'est pas le seul où Grégoire ait fait usage de
sources de cette nature . Nous remarquons en plusieurs endroits
l'usage d'annales et de chroniques . On reconnaît l'emploi
des documents de ce genre à trois caractères : l'indication
exacte d'une date , de l'an de règne d'un roi ; la mention
de phénomènes physiques , qui s'oublient lorsqu'ils ne sont pas
notes sur le champ ; le manque de liaison entre les faits , rapportés
sèchement, sans détail et sans explication , chaque phrase conte-
nant un fait . — Ce dernier caractère est frappant dans les
chapitres 18 et 19 du livre II , où Grégoire rapporte les événe-
ments du règne de Childeric, peut-être d'après cette chronique
qui l'avait déjà renseigné sur les premiers rois Franks 2. On ne
peut méconnaître l'usage de documents analogues dans les
chapitres 20, 27, 30, 37 , 43 du livre II ; 20, 30, 37 3 du livre

1. Nam et in Consularibus legimus Theodomerem regem Francorum, ...et


Aschilam matrem ejus, gladio interfectos. Ferunt etiam tunc Chlogionem...
regem Francorum fuisse... In his autem partibus, id est ad meridionalem
plagam , habitabant Romani usque Ligerim fluvium. Ultra Ligerim vero
Gollhi dominabantur. Burgundiones quoque... habitabant trans Rhodanum . »>
H. F. II , 9. sub fine.
2. « Igitur Childericus Aurelianis pugnas egit ; Adouacrius vero cum
Saxonibus Andegaros venil. - Magna tunc lues populum devastavit. Mor-
tuus est autem Aegidius, et reliquit filium , Syagrium nomine. Quo defuncto,
Adovacrius de Andegavo et aliis locis obsides accepit. - Britanni de Biturica
a Gotthis expulsi sunt, multis apud Dolensem vicum peremtis..... » Ch . 18 ,
etc. « .... Eo anno mense nono terra tremuit. Adouacrius cum Childerico
foedus iniit... » Ch . 19. Voy. pour l'explication de ces deux chapitres :
Junghans, Die Geschichte Childerichs und Chlodovechs kritisch untersucht,
p. 13-16.
3. Gravem eo anno et solito asperiorem hyemem fecit, ita ut torrentes
concatenati gelu pervium populis iter, tanquam reliqua humus, praeberent.
86 -

III ; 8 du livre IV. - Nous pouvons en conclure que si le détail


des événements du règne de Clovis et de ses fils , a été fourni à
Grégoire par la tradition orale, il possédait pourtant dans des
documents historiques , précis et dignes de foi , la mention sèche
et sommaire des faits principaux , et la date exacte de quelques-
uns d'entre eux . Nous pouvons par conséquent accorder notre
confiance à l'ensemble de son récit.
Ce ne sont pas là les seules sources écrites où Grégoire de
Tours ait puisé. Il a su trouver des matériaux pour son ouvrage
dans des écrits purement littéraires, ou qui du moins n'avaient
point pour but le récit des événements passés . En cela , il s'est
montré véritablement historien . C'est ainsi qu'il cite à plusieurs
reprises les lettres de Sidoine Apollinaire . Non-seulement il lui
emprunte des expressions qu'il trouve remarquables¹ ; mais il
cherche dans ses lettres la confirmation de certains faits histo-
riques. L'anecdote sur Ecdicius (H. F. II , 24) se trouve aussi
racontée par Sidoine Apollinaire (ep . III , 3. ) Grégoire avait
encore sur ce point d'autres témoignages que celui de Sidoine,
car leurs récits diffèrent dans les détails, et il dit que plusieurs
personnes ont rapporté le même fait 2. Il mentionne la lettre où
Sidoine Apollinaire parle du dévouement de Patiens , évêque de
Lyon, pendant la famine ( Sid . Apoll . ep . VI , 12)³ ; et la lettre à
l'évêque Basilius au sujet des persécutions d'Euric ( Sid . Apoll .
ep . VII , 6 ) 4 . Né dans la cité des Arvernes, élevé pour ainsi
dire dans l'Eglise dont Sidoine avait été évêque au siècle pré-
cédent , Grégoire avait eu dès sa jeunesse entre les mains les

Aves quoque rigore affectae vel fame, absque ullo hominum dolo, cum magnae
essent nives, manu capiebantur... Mortuo ergo Theudoberto quarto decimo
regni sui anno, regnavit Theodobaldus... » — Ce froid rigoureux paraît
bien n'avoir pu se produire qu'au nord de la Gaule: Les annales que
Grégoire transcrit ici auraient donc été écrites dans la même région
que celles qui nous ont fait connaître Chlodion . Il se pourrait pourtant
aussi que nous eussions ici un fragment d'annales arvernes.
1. Voy. IV, 12 : « Quibus et a quibus, ut Sollius noster ait, nec dabat pretia
contemnens, nec accipiebat instrumenta desperans. - Sid. Apoll., ep. I, 2,
ad Ecdicium. - Cette phrase est d'ailleurs à peu près inintelligible.
2. « Quem Ecdicium mira velocitate fuisse, multi commemorant. »
3. Exslat exinde hodie apud nos beati Sidonii epistola in qua eum
(Patientem) declamatorie conlaudavit. » II, 24.
4. « Exstat hodieque, et pro hoc causa, ad Basilium episcopum nobilis
Sidonii ipsius epistola, quae haec ita loquitur. » II, 25.
5. C. Sollius Apollinaris Sidonius était né à Lyon vers 430 , avait été
préfet de Rome , et avait épousé la fille de l'empereur Avitus. Il devint
évêque d'Arvernie en 472 et mourut en 489.
87 -

œuvres du Saint , si intéressantes pour la connaissance de l'état


intérieur de la Gaule à la veille de l'invasion des Franks . Aussi
l'appelle-t-il « noster » (IV, 12) et lui consacre-t- il un long
chapitre de son histoire (II , 23) .
Un autre recueil de lettres , analogue à celui de Sidoine Apol-
linaire , mais aujourd'hui perdu , le recueil des lettres de
Saint Férréol , évêque d'Uzès , a pu également être utile à
Grégoire ¹ .
Enfin, Grégoire a su tirer des écrits de saint Avit des détails
intéressants sur le rôle de l'illustre évêque de Vienne dans le
royaume burgunde, auprès de Gondebaud . Dans ses nombreux
voyages en Burgundie et par son oncle saint Nizier de Lyon, il
avait pu apprendre quel rôle important Avitus avait joué dans les
événements politiques et religieux de la fin du ve et du commence-
ment du vi° siècle . Il avait probablement rapporté en Arvernie
ou à Tours un exemplaire de ses œuvres , car il les énumère et les
admire avec une visible complaisance ( II, 34) : il cite un grand
discours d'Avitus à Gondebaud , dont le texte ne se retrouve
pas dans les œuvres de l'évêque de Vienne , mais qui est parfai-
tement conforme pour le fond des idées avec la première lettre
d'Avitus à Gondebaud ; il parle enfin avec détail d'une homélie
sur les Rogations que nous avons conservée . Nous possédons
également les lettres dont parle Grégoire et qui sont dirigées
contre l'hérésie d'Eutychès et de Sabellius 3 .

1. « Qui (Ferreolus) libros aliquos epistolarum, quasi Sidonium secutus,


composuit. D H. F. VI, 7.
2. Alcimus Ecdicius Avitus, consacré évêque de Vienne en 490, mort en
525, sut, par l'énergie de son caractère et par son habileté , exercer une
influence prépondérante sur Gondebaud et surtout sur son fils Sigis-
mond. Ses lettres nous le montrent mêlé à tous les événements poli-
tiques et religieux, écrivant à l'Empereur au nom du roi des Burgundes
(v. ep. 7, 84), saluant dans Clovis le défenseur de l'orthodoxie (ep . 41 ),
et faisant peu à peu triompher le catholicisme au milieu des Burgundes
ariens. - Voy. Binding, Das Burgundisch Romanische Koenigreich, p. 168
et suiv. - Aviti opera ed . Sirmond . Paris, 1643, in-8°. - L. Delisle et
Rilliet de Candolle , Etudes paléographiques et historiques sur des papyrus du
VI' siècle.
3. a Magnae enim facundiae erat tunc temporis beatus Avitus : namque
insurgente haeresi apud urbem Constantinopolitanam, tam illa quam Eutyches,
quam illa quam Sabellius docuit, id est nihil divinitatis habuisse Dominum
nostrum Jesum Christum, rogante Gundobado rege, ipse contra cos scripsit.
Exstat exinde nunc apud nos epistolae admirabiles, quae sicut tunc haeresim
oppresserunt, ita nunc Ecclesiam Dei aedificant. Scripsit enim Homiliarum
librum unum de mundi principio ; et de diversis aliis conditionibus libros sex,
-- 88 -

Cette intelligence historique , ce goût pour les documents


intéressants et exacts se retrouvent encore dans les derniers
livres de l'histoire des Franks . Nous avons vu que Grégoire cite
les ouvrages où il a puisé les faits qu'il raconte ; nous verrons
tout à l'heure qu'il indique souvent à quels personnages il doit
les témoignages oraux qu'il rapporte. Il fait plus , il a soin à
plusieurs reprises de transcrire textuellement des pièces officielles
qui sont pour l'histoire d'une très-grande valeur . Il nous est
difficile malheureusement de contrôler l'exactitude de ces trans-
criptions . C'est par l'histoire des Franks seule que nous
connaissons la lettre d'Eugène, évêque de Carthage, à son Eglise
(II, 3) ; le traité d'Andelot, si important pour l'histoire et la
géographie de l'époque Mérovingienne (IX , 20) ; la lettre écrite
par les évêques du nord de la Gaule à sainte Radegonde lors-
qu'elle fonda le monastère de Sainte-Croix (IX , 10 ) ; et la
réponse de sainte Radegonde (IX , 42) ; la lettre écrite par les
évêques réunis auprès de Gontran à Gondegisile de Bordeaux ,
Nicaise d'Angoulême et Saffarius de Périgueux sur les troubles
de Poitiers ( IX , 41 ) ; enfin le discours prononcé par saint
Grégoire le Grand à Rome pendant la peste provoquée par une
inondation du Tibre en 589 (X , 1 ) , et le jugement de
Chrodielde et de Basine (X , 16) .- Il est vrai que Grégoire était
admirablement placé pour connaître la plupart de ces pièces ;
il avait lui-même été chargé de faire ratifier le traité d'Andelot ¹ ;
il était ami de saínte Radegonde , et avait été appelé à Poitiers
pour y apaiser les troubles suscités par Chrodielde 2. Enfin , un
diacre de l'église de Tours s'était trouvé à Rome au moment de
l'élection de Grégoire , l'avait entendu parler au peuple , et

versu compaginatos ; epistolarum libros novem, inter quas supradictae conti-


nentur epistolae. Refert enim in quadam homilia, quam de Rogationibus
scripsit..... » II, 34. -- Les lettres contre Eutychès et Sabellius sont les
lettres 2, 3, 28 , du recueil de Sirmond . Les hérésiarques niaient, non la
divinitė, mais l'humanité du Christ. Il faudrait « nihil humanitatis
habuisse Dominum , » etc. - Nous ne possédons plus la collection com-
plète de tous les écrits dont parle ici Grégoire. Nous n'avons que quatre-
vingt-quatre lettres, les six livres de vers, l'homélie sur les Roga-
tions et des fragments de ses écrits théologiques et de ses autres
homélies. Grégoire a peut-être confondu les lettres où Avitus attaque
Eutychès qui niait l'humanité du Christ et les écrits où il attaquait les
Ariens qui niaient sa divinité . Voy. surtout : Collatio episcoporum praeser-
tim Avili Viennensis episcopi coram rege Gundobado adversus Arianos.
1. Voy. p. 35.
2. Voy. p . 36 .
- 89 -

avait rapporté à Tours ce discours immédiatement après qu'il


avait été prononcé . - Nous possédons ce dernier texte dans
plusieurs ouvrages . Paul Diacre à la fin du VIIIe siècle l'a cité
dans sa Vie de saint Grégoire le Grand ( ch . 11 ) mais en suppri-
mant la fin depuis « Clerus igitur egrediatur.... » Il a
simplement copié l'histoire des Franks depuis les premières
lignes du livre X « tanta inundatione Tiberis fluvius » ; il ne
peut donc nous servir à le contrôler . Jean Diacre qui a écrit à la
fin du Ix° siècle une vie beaucoup plus développée de saint
Grégoire a également cité ce discours . La fin seule diffère du
texte de Grégoire de Tours; celui de Jean Diacre ajoute quelques
lignes au texte de l'histoire des Frankset indique un autre
ordre pour les processions (liv . I , ch. 42) . Aucun manuscrit anté-
rieur à l'époque de Jean Diacre ne nous a conservé le texte et ne
nous permet de décider quelle est la meilleure version . Lepassage
omis par Grégoire de Tours peut l'avoir été par mégarde , ou
parce qu'il ne présentait pas grand intérêt . Mais pour l'ordre
des processions, le témoignage de l'histoire des Franks , tout à
fait contemporain, doit être préféré . Jean Diacre a pu confondre
les processions ordonnées en 589 avec d'autres processions
postérieures ou même reproduire simplement l'ordre des proces-
sions suivi au temps où il vivait .
Le soin que Grégoire a pris de nous conserver ces pièces
officielles est une preuve de la conscience qu'il apportait à la
composition de son œuvre .

S'il est parfois difficile de savoir quels documents écrits Grẻ-


goire a consultés pour composer son histoire, il est bien plus
difficile encore de déterminer l'origine et la valeur des renseigne-
ments oraux qui lui sont parvenus . Il n'a pas connu par lui-

1. Vers la fin, au milieu de la phrase : Proinde, fratres carissimi,


contrilo corde il ajoute : « devota ad lacrimas mente veniamus ; nullus
vestrum ad terrena opera in agros exeat, nullus quod libet negotium agere
praesumat, quatenus ad sanctae genitricis Domini ecclesiam convenientes, qui
simul omnes peccavimus, simul omnes mala quae fecimus deploremus, ut
districtus judex, etc. »
2. Voy. la Praefatio in libros moralium de l'édition bénédictine des
œuvres de Grégoire -le-Grand . Paris, 1705, 4 v. in-f" .
90 -
-
même tous les événements contemporains qu'il raconte ; quelques
uns lui ont été rapportés par des témoins oculaires ; d'autres récits
avaient déjà passé par plusieurs bouches avant d'arriver jusqu'à
lui . Pour l'époque antérieure, les traditions et les anecdotes popu-
laires se mêlent au témoignage des contemporains ; enfin Gré-
goire a dû certainement se faire l'écho de certaines légendes et
traditions poétiques . Distinguer nettement les légendes poétiques
des simples récits populaires et ceux-ci des témoignages oraux
contemporains , serait une tâche impossible , car ces éléments
divers se mêlent et se confondent ; et si même on parvenait à les
séparer parfaitement, il faudrait encore discerner la part de vérité
qui s'y trouve contenue et qui peut varier pour chaque légende ,
pour chaque tradition , pour chaque témoignage . Nous devons
donc nous borner à donner les exemples les plus remarquables
de ces divers genres d'informations orales, et laisser à ceux qui
écrivent l'histoire critique de cette époque le soin de déterminer
dans le détail l'origine et la valeur de chaque récit .
Grégoire ne fait nulle part allusion à des chants populaires
qui auraient pu servir à la composition de son ouvrage , et pour-
tant il est plus que probable que l'histoire des premiers chefs
franks lui était parvenue sous une forme légendaire et poétique .
Nous en sommes malheureusement sur ce point réduits aux
conjectures ; les éléments d'une recherche scientifique nous
manquent par l'absence de points de comparaison . Le prologue
de la loi salique, les vers sur la victoire de Clotaire II ne nous
suffisent pas, et , par malheur, le recueil de chants germains
composé par ordre de Charlemagne ne nous a pas été conservé .
Pourtant il nous est possible, par le simple examen du texte de
Grégoire, de retrouver l'écho de poèmes et de chants , productions
spontanées de l'imagination populaire .
Clovis , le fondateur de la puissance franke, a naturellement
dû être le principal héros de ces compositions épiques, aussi
trouvons-nous dans les récits dont il est l'objet les exemples les
plus frappants de traditions poétiques. Nous avons montré ³
que les courtes indications sur les guerres de Childéric , données
par Grégoire, sont tirées d'annales contemporaines . Ce sont de
sèches et brèves mentions de faits , sans lien , sans explication .
Ce sont des notes prises par un contemporain à qui un mot

1. Voy. plus haut, p. 15.


2. Voy. Einhard , Vita Karoli, 29.
3. Voy. plus haut, p. 85.
- 91 -
suffit pour fixer le souvenir d'un événement important et connu
de tous. Il n'y a là ni composition littéraire, ni mise en scène
dramatique, ni recherche de style . Au contraire, le récit du
début du règne de Childeric, de son expulsion, de sa fuite en
Thuringe, de son mariage avec Basine et de la naissance de
Clovis , forme un absolu contraste avec les fragments d'annales
dont nous venons de parler . M. Junghans a montré que l'origine
de ce récit devait être un poème sur la naissance de Clovis 2.
Au point de vue historique, les plus grandes invraisemblances
y sont accumulées. Quelle apparence y a-t-il que les Franks
aient pris un Romain pour roi, contrairement à toutes les habi-
tudes germaniques ? Le retour de Childéric n'est pas mieux
expliqué, et , bien qu'il y ait eu réellement un roi de Thuringe,
du nom de Basinus ou Bisinus 3 , la fuite de Basine tient plus du
roman que de l'histoire . La forme du récit, surtout si on la com-

1. H. F. II, 12. « Childericus vero cum esset nimia in luxuria dissolutus,


et regnaret super Francorum gentem , coepit filias eorum stuprose detrahere.
Illi quoque ob hoc indignantes, de regno eum ejiciunt. Comperto autem quod
eum interficere vellent. Thoringiam petiit, relinquens ibi hominem sibi carum,
qui virorum furentium animos verbis lenibus mollire possit ; dans etiam
signum quando redire possit in patriam : id est, diviserunt simul unum
aureum, et unam quidem partem secum detulit Childericus, aliam vero
amicus ejus retinuit, dicens : « Quandoquidem hane partem tibi misero, par-
tesque conjunctae unum effecerint solidum, tunc tu securo animo in patriam
repedabis. » Abiens ergo in Thoringiam, apud regem Bisinum uxoremque
ejus Basinam latuit. Denique Franci hoc ejecto, Aegidium sibi, quem superius
magistrum militum a republica missum diximus, unanimiter regem adscis-
cunt. Qui cum octavo anno super eos regnaret, amicus ille fidelis, pacatis
occulte Francis, nuntios ad Childericum, cum parte illa divisi solidi quam
retinuerat, mittit . Ille vero certa cognoscens indicia, quod a Francis deside-
raretur, ipsis etiam rogantibus, a Thoringia regressus, in regno suo est resti-
lutus. His ergo regnantibus simul, Basina illa, quam supra memoravimus,
relicto viro suo, ad Childericum venit. Qui cum sollicite interrogaret, qua de
causa ad eum de tanta regione venisset, respondisse fertur. : « Novi, inquit,
utilitatem tuam quod sis valde strenuus ; ideoque veni ut habilem tecum; nam
noveris, si in transmarinis partibus aliquem cognovissem utiliorem te, expe-
tissem utique cohabitationem ejus. » At ille gaudens, eam sibi in conjugio
copulavit. Quae concipiens peperit filium , vocavitque nomen ejus Chlodove-
chum . Hic fuit magnus, et pugnator egregius. »
2. Junghans, Die Geschichte Childerichs und Chlodovechs..., p. 6-12. -
Nous reproduisons ici les principaux points de l'argumentation de
Junghans.
3. Il était le grand-père de sainte Radegonde : « Beatissima igitur Rade-
gundis, natione barbara, de regione Thoringa, avo rege Bassino, patruo
Hermenfrido, patre rege Birethario. » Vie de S Radegonde, dans les Acta
SS. Ordinis S. Benedicti, 1, p. 319, citée par Junghans.
92 -

pare aux notes annalistiques qui racontent la suite du règne de


Childeric, décèle mieux encore son origine poétique . Il est com-
posé comme un poème ; les causes de la chute de Childéric sont
exposées avec ampleur et une certaine emphase ; l'histoire de la
pièce d'or et de l'union de Basine et du roi frank est rapportée
avec ces détails minutieux , personnels et dramatiques qu'aime
la légende ; des paroles empreintes d'une poétique exagération
sont mises dans la bouche de Basine . Enfin , la naissance de
Clovis forme comme le couronnement de ce chant épique, et sa
gloire future est entrevue dans l'avenir : « Hic fuit magnus,
et pugnator egregius . » Nous ne saurions donc voir dans le
récit de Grégoire autre chose que l'écho d'une légende
populaire, et il nous serait impossible de déterminer dans
quelle mesure la vérité historique s'y trouve mêlée . Cette
légende continue à se développer après Grégoire , et dans
l'Historia epitomata et les Gesta regum Francorum2,
nous la retrouvons avec des additions importantes qui en
font ressortir mieux encore le caractère tout poétique . L'ami,
de Childéric, Wiomade, conseille à Aegidius de traiter les
Franks avec dureté, afin que ceux-ci regrettent leur ancien
roi . Childéric s'en va à Constantinople, et Maurice lui prête
secours pour rentrer dans son royaume . Enfin , la nuit de ses
noces, Childéric a une vision où il entrevoit toutes les destinées
futures de sa race 3 .

1. Ch. 11, 12.


2. Ch. 6, 7.
3. M. Junghans va plus loin ; il croit trouver un élément mythique
dans l'histoire de Childéric. Je me contente de citer ce qu'il dit à ce
sujet, et j'abandonne la question aux mythologues. « La religion et la
mythologie des anciens Germains ont dû influer sur la formation d'un
poème tel que celui- ci, et le récit de Grégoire, emprunté à des tradi-
tions populaires contemporaines, ne devra être admis par l'historien
comme véridique , même partiellement, qu'après avoir été examiné et
jugé d'après les règles de critique de la mythologie comparée. —
L'histoire de la fuite et du retour de Childéric rappelle en plusieurs
points et de fort près une série de légendes dont la tradition a perpétué
le souvenir dans toutes les parties de l'Allemagne , et que l'on s'accorde
à regarder comme les formes diverses d'un mythe odinique, mythe qui,
dans des temps comparativement peu éloignés de nous, a été souvent
rattaché à de grands personnages historiques, rois, princes ou héros
célèbres. Il y a sans doute , dans les récits auxquels nous faisons allu-
sion , une circonstance caractéristique du mythe d'Odin qui ne se
retrouve pas dans l'histoire de Childéric : le héros ou le roi qui, d'après
ces traditions, se rend en Orient, est marié, et sa femme le trompe
- 93 -

Le récit des meurtres politiques de Clovis qui termine le second


livre de l'Histoire des Franks, quoique reposant évidemment sur
une donnée historique , semble aussi avoir pour source immédiate
des chants populaires . Nous y retrouvons les mêmes caractères
que nous avons signalés à propos de l'histoire de Childéric : une
grande abondance de détails personnels et dramatiques 2 , des
discours développés, des conversations animées 3 , une certaine
emphase poétique de style , une régularité et une logique dans
la marche des événements qui décèle le travail de composition
et d'arrangement de toute création poétique, même des créations
spontanées de l'imagination populaire 5. Chacun des trois cha-
pitres forme un tout bien coordonné qui finit par une sorte

durant son absence. Mais Childéric, lui aussi, lorsqu'il est expulsé par
les Franks, se dirige vers l'Orient, c'est-à-dire vers la Thuringe (on
voit qu'en faisant séjourner Childéric à Constantinople , au fond de
l'Orient, l'Historia epitomata reste tout à fait dans l'esprit de la légende),
et, pendant son absence, un autre règne à sa place. Il reste éloigné
pendant huit années, puis il revient dans sa patrie , à l'instigation d'un
ami. La pièce d'or partagée joue au fond, dans cette histoire, le même
rôle que l'anneau divisé dans les traditions dont nous parlons .
Quant au mariage de Childéric avec Basine, mariage dont il est question
dans la seconde partie du poème, on peut hésiter à le rapprocher de
l'incident du héros qui retrouve sa compagne après avoir été séparé
d'elle. Ce mariage , en effet, a son importance propre, en dehors du
chant sur la naissance de Clovis. Un mythe odinique est-il venu , ici
encore, s'implanter sur le terrain de l'histoire . C'est ce que nous n'avons
pas à rechercher en ce moment. Il nous suffira d'avoir montré que si,
en nous plaçant au point de vue historique, nous avons dû signaler
comme invraisemblables et inadmissibles certaines circonstances du
récit de Grégoire, ces mêmes circonstances se trouvent pleinement
justifiées et s'expliquent tout naturellement quand on se place au
point de vue de la légende. » P. 11 , 12.
1. II. 40, 41 , 42. Voy. Junghans, Geschichte, etc. , p . 111-116.
2. Voy. la promenade du boiteux Sigebert dans la forêt Buconia, le
détail du meurtre de Chlodéric, l'anecdote des boucliers en or faux.
3. Voy. le discours de Clovis aux sujets de Sigebert, les paroles du fils
de Chararic à son père, celles de Clovis à Ragnachaire et à Richaire.
4. Voy. les paroles du fils de Chararic : « In viridi ligno hae frondes
succisae sunt, » etc. , et plus loin : Quod verbum sonuit in aures Chlodovechi
(c. 41) , et l'exclamation de Clovis « Vae mihi, qui tanquam peregrinus
inter extraneos remansi... » V. Junghans, p . 115 , n . 2.
5. Junghans fait remarquer que ces récits, avec une curieuse unifor-
mitė , attribuent tous ces meurtres au même motif : la vengeance d'un
crime ou d'une offense. Clovis punit Chlodéric de sa conduite envers
son père, Chararic du refus de marcher contre Syagrius, Ragnachaire de
ses violences envers ses sujets, Ragnachaire et Richaire de la honte
dont ils ont couvert la race royale. P. 116.
- 94
de refrain : « et c'est ainsi que Clovis s'empara de son royaume
et de ses trésors ¹ ; » le premier se termine même par un accès
d'enthousiasme religieux : « Et Dieu prosternait tous les jours
ses ennemis sous sa main et augmentait son royaume , parce qu'il
marchait devant lui d'un cœur droit et faisait les choses qui
étaient agréables à ses yeux² . » Historiquement, il est vraisem-
blable que Clovis a cherché à se débarrasser de tous les petits
chefs qui gênaient son pouvoir ; tout d'ailleurs dans ce triple
récit est parfaitement conforme aux antiques institutions et aux
mœurs des Germains, mais il est peu vraisemblable que Clovis ait
accumulé tous ces crimes dans les deux ou trois dernières années
de sa vie et surtout qu'il ait terminé la série de ses meurtres par
la scène de tragi-comédie politique que nous rapporte Grégoire 3 .
Il est très-naturel au contraire que l'imagination populaire,
frappée par l'énergie mêlée de ruse avec laquelle Clovis détruisit
toutes les petites souverainetés franques pour les souder dans
son empire, ait pris les deux ou trois faits les plus importants
et les ait ornés, arrangés sous une forme épique et dramatique.
Clovis y est dépeint sous de vives couleurs , unissant à une
énergie sauvage une duplicité à laquelle il semble se complaire
en artiste ; le discours invraisemblable où il se désole de la mort
de tous les siens pour savoir s'il ne lui restait pas quelque parent
à tuer montre avec une grande force et d'une manière toute
pittoresque l'impression produite par son caractère sur l'esprit
de ses contemporains . Grégoire a mis ces chants populaires
en prose latine, en les entremêlant de quelques réflexions per-
sonnelles .

1. a Regnumque Sigeberti acceptum cum thesauris ... » ch . 40 ; « Quibus


mortuis, regnum eorum cum thesauris et populo adquisivit, » ch . 41; « Quibus
mortuis, omne regnum eorum et thesauros Chlodovechus accepit, » ch. 42.
2. « Prosternebat enim quotidie Deus hostes ejus sub manu ipsius, et augebat
regnum ejus, eo quod ambularet recto corde coram eo, et faceret quae placita
erant in oculis ejus, » ch . 40.
3. « Interfectisque et aliis multis regibus, vel parentibus suis primis, de
quibus zelum habebat, ne ei regnum auferrent, regnum suum per totas Gallias
dilatavit. Tamen congregatis suis, quadam vice, dixisse fertur de parentibus
quos ipse perdiderat : « Vae mihi, qui tanquam peregrinus inter extraneos
remansi : et non habeo de parentibus, qui mihi, si venerit adversitas, possit
aliquid adjuvare. » Sed hoc non de morte horum condolens , sed dolo dicebat,
si forte potuisset adhuç aliquem reperire, ut interficeret.
4. Sur Chlodéric , ch . 4 : « Sed , judicio Dei, in forcam quam patri hosti-
liter fodit incidit; » sur les boucliers dorés, ch . 24 : « erat enim aereum
deauratum sub dolo factum. »
95 -
Le récit de la guerre de Thuringe (III , 7) ; celui de la guerre
de Clotaire contre les Saxons ont aussi le caractère de compo-
sitions poétiques (IV, 14) ¹ .
On trouve dans l'histoire des Franks d'autres récits ,
empruntés évidemment à la tradition orale et en partie légen-
daires , mais où l'on ne peut reconnaître la trace de chants et de
poèmes . L'exemple le plus remarquable est l'histoire de Chrocus ,
ce chef des Alamans qui dévasta la Gaule, pilla un temple des
Arvernes et qui, après avoir martyrisé saint Privat, évêque de
Javouls, fut fait prisonnier à Arles , et mis à mort 2. Grégoire
place ces événements au milieu du Ie siècle , sous Valérien et
Gallien (253-268) . Il semble les emprunter à la tradition popu-
laire de l'Arvernie ; c'est sur le pillage du temple arverne de
Vasso qu'il insiste le plús , et il emploie les expressions « fertur,
ut aiunt... » , qui indiquent presque toujours des informations
orales et qui se rencontrent aussi dans les récits sur Childéric et
sur Clovis 3. Grégoire n'est pas seul à nous parler de Chrocus .
Les Actes de saint Privat¹ suivent la même tradition et l'emprun-
tent peut-être à l'Historia Francorum; ils rapportent aussi que
le Saint périt martyrisé par les Alamans conduits par Chrocus.
D'après une autre tradition , rapportée par le chroniqueur connu
sous le nom de Frédégaire et suivie par presque tous les chroni-
queurs après lui , Chrocus aurait été roi des Vandales au ve s.
Sa légende se mêle à celle d'Attila : comme lui 5 , il passe le

1. Voy. Ampère , Hist. litt. de la France av. Charlem. t. II, p . 286 ; et


la trad. de l'Hist. Grég. de Tours par Bordier, t. I , p. 161 , n .
2. H. F. I, 30 : « Horum (Valeriani et Gallieni) tempore et Chrocus ille
Alamannorum rex, commoto exercitu , Gallias pervagavit. Hic autem Chrocus
multae adrogantiae fertur fuisse. Qui cum nonnulla inique gessisset, per con-
silium, ut aiunt, matris iniquae, collectam, ut diximus, Alamannorum gentem,
universas Gallias pervagatur, cunctasque aedes, quae antiquitus fabricatae
fuerant, a fundamentis subvertit. Veniens ergo Arvernis... » Vient alors la
destruction du temple de Vasso.— Au chapitre 32, après avoir raconté le
martyre de saint Privat, l'Histoire des Franks ajoute : Chrocus vero apud
Arelatensem, Galliarum urbem, comprehensus, diversis adfectus suppliciis,
gladio verberatus interiit, non immerito poenas quae sanctis Dei intulerat
luens. On voit par l'expression « et Chrocus ille, ce célèbre Chrocus , >>
que Grégoire rapporte ici un fait universellement connu et partout
raconté.
3. L. II , ch. 14 : « Qui (Childericus) ... respondisse fertur : » ch . 41 :
« ...filius ejus (Chararici) dixisse fertur : » ch . 42 : ...ille (Chlodovechus)
respondisse fertur : » ibid . : « ... quadam vice dixisse fertur (Chlodovechus) . >>
4. AA. SS . Boll. 21 août, IV, 438-441 .
5. Voy. Paul Diacre, Gesta episcoporum Mettensium, ch.
96 ―
Rhin à Mayence, prend Metz grâce à la chute du mur de la ville,
épargne Trèves et se précipite sur la Gaule . Il vient , comme dans
l'Histoire des Franks, à Arles où il est pris et mis à mort par
un soldat nommé Marius ¹ . Les Actes de saint Didier de Langres
(martyr du Ie siècle) suivent à la fois les deux traditions 2. Ils
reproduisent assez exactement le récit de l'histoire des Franks,
mais en faisant, comme Frédégaire, Chrocus chef des Vandales.
Au fond, Chrocus , tel que nous le connaissons , n'a aucune

1. Si le récit de Frédégaire avait été réellement, comme le manuscrit


le ferait croire, tiré de la chronique d'Idace ou d'une autre chronique
du ve siècle, nous pourrions le regarder comme la source où Grégoire
a puisé. Mais ce récit ainsi que ceux qui l'accompagnent a été composé
au vir siècle, d'après des traditions populaires, par un écrivain qui
connaissait l'Histoire des Franks. Pourtant il semble bien qu'il repro-
duise ici une des formes de l'antique légende que suivait Grégoire.
Nous pouvons donc juger par lui de ce que devait être la tradition popu-
laire dont s'est servie l'Histoire des Franks en l'abrégeant et en y ajou-
tant le fait purement arverne de la destruction du temple de Vasso .
Nous avons en particulier l'explication des paroles de Grégoire : « per
consilium, ut aiunt, matris iniquae. » C'est ce qui m'engage à donner le texte
de Frédégaire, d'après le manuscrit de Clermont (Bibl . Par. lat. n° 10910
f. 76 vº) . Bien qu'écrit postérieurement à Grégoire , ce texte nous apprend
ce qu'a dû être la tradition orale qu'il avait entendu raconter ou
chanter. Chrocus rex Uuandalorum cum Suaeuis et Alanis egressus de
sedibus, Galleas (corr. Gallias) adpetens, consilium matris nequissimam utens,
dum ei dixisset se (corr. si) nouam uolueris facere et nomen adquirere,
quod alii aedificauerunt, cuncta distruae, et populum quem superas totum
interfice : nam nec aedificium meliorem a praecessorebus (corr. praecessoribus)
facere non potes neque plus magnam rem per quem ( corr . quam) nomen
tuum eleuis (corr. eleues). Qui Renum Magoncia ponte ingeniosae transiens
primum, ipsamque ciuitatem et populum uastauit : deinde cunctasque ciuitatis
(corr. ciuitates) Germania uallans, Mellis pervenit, ubi murus civitatis diuino
noto (corr. nutu) per nocte ruens , capta est ciuetas (corr . ciuitas) , a Uuandalis.
Treuarici uero in arenam huius ciuitatis quem munierant, liberati sunt. Post
haec cunctas Galleas (corr. Gallias) Chrocus cum Uuandalis, Suaeuis et Alanis
peruagans, alias ubsidione deliuit, aliasque ingeniosae rumpens uastauit. Nec
ulla ciuetas (corr. ciuitas), aut caster (corr. castellum) ab eis in Galliis libe-
rata est. Cumque Arelato obsederint (corr. obsederent) , Chrocos (corr. Chrocus)
a Mario quaedam militae captus et uinculis constrictus est, qui ductus ad poe-
nam per uniuersas ciuitates, quas vastauerat, impia uita digna morte finiuit. »
Les corrections sont l'œuvre d'une main très-ancienne , peu postérieure
au manuscrit qui est du vII-VIIIe siècle . Elles sont faites sur les lettres
ou au-dessus des lettres et en encre pâle . Les Suèves et Alains de Fré-
dėgaire sont les Alamanni de Grégoire . Les copistes ont d'ailleurs bien
souvent confondu les Alani et les Alamani. (Voy. Hist. Fr. II , 9, les va-
riantes des mss.).
2. AA. SS. Boll. 23 Mai, V, 246. - Dans Laurent de Liége, Gesta episco-
porum Virdunensium, c'est Attila qui prend Langres.
97 -
réalité historique. Il flotte entre le me et le v° siècle ; il est
tantôt à la tête des Alamans, tantôt à la tête des Vandales ; on
revendique, tantôt pour un Saint , tantôt pour un autre, l'honneur
d'avoir été victime de ses fureurs ; tandis que l'histoire ne nous
fait connaître qu'un seul Chrocus, un roi des Alamans , qui avait
accompagné Constance en Grande-Bretagne et qui aida Constantin
à s'emparer du pouvoir à la mort de son père . Aussi , M. Ana-
tole de Barthélemy a-t-il reconnu avec raison dans le Chrocus
de Grégoire de Tours, « le héros d'une de ces vieilles légendes ,
peut-être chantées , qui passèrent dans le domaine de l'histoire,
et qui, suivant le siècle où elle était rappelée, y ajoutait , en chan-
geant de date, les événements qui frappaient le plus vivement
l'imagination des masses »

1. Voy. aussi les Actes de S. Antidius. AA. SS . Boll. 25 juin , V, p. 41 ; -


-
les martyrologes d'Usuard et d'Adon aux noms de S. Didier, S. Antho-
lianus (6 février), S. Liminaeus (29 mars), SS. Florentin et Hilaire (27
septembre). - Sigebert de Gembloux dit (anno 411 ) que les Saints Anti-
dius, Didier, Florentin et Hilaire furent victimes de Chrocus et des
Vandales, et que le chef barbare fut mis à mort a Mariano praeside, le
préfet Marianus.
2. « Quo (Constantio) mortuo, cunctis qui aderant adnitentibus, sed praeci-
pue Croco ( ou Eroco) Alemannorum rege auxilii gratia Constantium comi-
tato, imperium capit (Constantinus). » Excerpta Aurelii Victoris : Constan-
tinus.
3. Revue des Questions historiques, 4° année , 16 livraison , p. 387. Dans
ce remarquable article sur la campagne d'Attila , auquel nous devons
une grande partie de nos observations sur la légende de Chrocus , M. de
Barthélemy dit encore : « Les invasions des barbares dans la Gaule
formèrent, la tradition populaire aidant, une légende dans laquelle les
événements se mêlèrent pendant plusieurs siècles. Les invasions des
Franks et des Vandales et la campagne d'Attila formèrent une sorte
d'épopée dans laquelle chaque chroniqueur, chaque hagiographe vint
prendre des matériaux à son gré. Quant au souvenir de l'expédition de
Chrocus, attribuée par Grégoire de Tours au règne de Valérien et qui
ensuite vient se placer à des dates postérieures, je ne puis m'empêcher
de penser aux invasions germaines qui, au milieu du ve siècle , déso-
lèrent les Gaules. Les généraux romains qui purent opposer une digue
à cette inondation de barbares, Postume , Marius, Lélien, Victorin,
Tétricus, prirent la pourpre et fondèrent un empire romain dans les
Gaules pendant quinze années ; leurs monnaies célèbrent leurs victoires
sur les Germains. Il y a même un rapprochement à faire entre le nom
de l'un d'eux et celui du préfet d'Arles qui s'empara de Chrocus . Je ne
crois donc pas être trop hardi en avançant que Chrocus est un person-
nage complètement légendaire, autour duquel, pendant plusieurs
siècles, vinrent se grouper toutes les dévastations qui causèrent les
invasions germaines sur le sol gaulois. » P. 369-90.
HIST . MÉROVINGIENNE . 7
98 -
A côté de récits presque entièrement légendaires comme parais-
sent l'être l'histoire de Chrocus et celle de l'exil de Childéric, il
en est d'autres dont le fonds est véritable, mais qui , transmis de
bouche en bouche, ont été en partie transformés et arrangés par
la tradition populaire . Ils ont reçu une forme plus dramatique,
presque littéraire. Des détails précis , personnels, des discours
sortis de l'imagination du peuple excitée par l'impression de
grands événements, parfois des épisodes entiers, sont venus
s'ajouter au fonds historique primitif. Tout ce que Grégoire
raconte du règne de Clovis porte ce caractère : les événements,
les traits principaux du récit sont exacts ; mais les détails , la
forme ont été créés par la tradition . On peut se rendre compte
de la manière dont se forment ces récits, à demi-historiques, à
demi-légendaires, en comparant les récits de l'Historia Fran-
corum à ceux de l'Historia epitomata et à ceux des Gesta
regum Francorum . On voit comment du vi au vir siècle ,
puis du vir au virº, la tradition se développe par une sorte de
végétation spontanée , ajoutant des éléments nouveaux et trans-
formant les anciens 1.
Les récits de Grégoire , écrits à une époque plus rapprochée
des événements, contiennent évidemment une plus grande part
de vérité ; mais lorsqu'on voit quelles transformations ont subi
les faits de Grégoire à Frédégaire, c'est-à-dire en soixante ou
soixante-et-dix ans , malgré l'existence d'une histoire écrite, on
peut juger à quel point ils avaient dû être altérés pendant les
soixante dix années qui séparent ces événements de la composi-
tion de l'Histoire des Franks . - Ces traditions ne sont pas
toutes de même nature ; les unes , nous l'avons vu , sont de vrais
poèmes où il est très-difficile de saisir la réalité précise sous le
voile de la légende 2 ; d'autres, tels que le récit de la guerre de
Clovis contre les Romains et de ses premières conquêtes 3 , les
récits du mariage de Clotilde et de la guerre de Burgundie¹ ,
sont des souvenirs d'un caractère beaucoup plus sérieux et
authentique quoique transmis par la tradition du peuple frank.
Mais il s'y mêle des anecdotes auxquelles on ne peut accorder
une grande confiance, bien qu'elles soient très-intéressantes et

1. Voyez surtout l'histoire du mariage de Clotilde . Le fait seul du


mariage reste certain . Tous les détails varient avec l'époque et la con-
trée où le récit a pris naissance .
2. Voy. plus haut, p. 90 et suiv.
3. II, 27.
4. II, 28, 32 , 33.
99 -

utiles pour déterminer le caractère des événements et de l'époque .


Ainsi l'histoire du vase enlevé à une église et refusé à Clovis , qui
se venge un an après en tuant au champ de Mars le soldat
rebelle à ses volontés , peut bien être apocryphe ; elle nous
enseigne cependant le rôle protecteur joué dès l'origine par
Clovis envers l'Eglise , et la terreur qu'il sut inspirer à ses soldats
indisciplinės¹ . De même l'anecdote d'Aridius feignant de trahir
Gondebaud pour entraîner Clovis hors de la Burgundie , inspire
bien peu de confiance, mais elle nous montre la ruse et la sou-
plesse du Romain triomphant sans combat de la simplicité du
barbare . Enfin une autre partie de ces traditions orales est
due, non plus au peuple frank acteur dans les événements , mais
à la population gallo-romaine au milieu de laquelle les événe-
ments se sont accomplis, ou au clergé qui en a profité . Le récit
de la conversion de Clovis , l'étrange discours où Clotilde pour
le convaincre attaque la mythologie païenne, la mort du premier
enfant baptisé, la guérison du second par les prières de la reine ,
la prière de Clovis au milieu de la bataille contre les Alamans ,
sont d'invention chrétienne, gallo-romaine et ecclésiastique ³ . Il
en est de même du baptême du roi . Nous pouvons même remar-
quer ici une exagération poétique du style ; la peinture emphatique
de la basilique ornée pour la cérémonie, l'antithèse bien balancée
mise dans la bouche de saint Remi 4 , tous les détails portent la
trace d'une composition littéraire , et je ne serais pas étonné que
Grégoire ait eu sous les yeux quelque poëme pieux en vers latins
sur le baptême de Clovis . La guerre wisigothique est également

1. II. 27.
2. Cette anecdote me paraît marquer le moment où la troupe barbare
dont le chef n'est que le premier parmi des égaux se change en l'armée
d'un roi qui entend exercer l'autorité à la romaine. La tradition gallo-
romaine a même exagéré ce caractère en faisant tenir aux soldats de
Clovis ce langage invraisemblable dans des bouches germaines : « Om-
nia gloriose rex, quae cernimus tua sunt : sed et nos ipsi tuo sumus dominio
subjugati, etc. » II , 27.
3. II, 32.
4. II. 29, 30.
5. II, 31 Velis depictis adumbrantur plateae, ecclesiae cortinis albentibus
adornantur, baptisterium componitur , balsama diffunduntur, micant flagrantes
odore cerei, totumque templum baptisterii divino respergitur ab odore; talem-
que ibi gratiam adstantibus Deus tribuit, ut aestimarent de paradisi odoribus
conlocari. Rex ergo prior proponit se a pontifice baptizari. Procedit novus
Constantinus ad lavacrum, deleturus leprae veteris morbum, sordentesque
maculas gestas antiquitus recenti latice deleturus. Cui ingresso ad baptismum
sanctus Dei sic infit ore facundo : « Mitis depone colla Sicamber: adora quod
100

racontée par Grégoire d'après une tradition à demi-cléricale , à


demi-populaire , recueillie à Tours et à Poitiers . C'est Tours qui
forme comme le centre du récit . C'est dans une île de la Loire, près
de Tours, qu'Alaric et Clovis se rencontrent . C'est saint Martin
qui promet à Clovis la victoire . C'est à Tours que le roi revient
célébrer sa victoire et reçoit les insignes honorifiques envoyés
par l'empereur d'Orient¹ . Nous ne devons pas oublier pourtant
en montrant dans l'histoire de Clovis tous ces éléments empruntés
à la tradition orale que la charpente du récit est composée
d'indications chronologiques précises empruntées à des annales2.
Le premier livre de l'Histoire des Franks, bien qu'extrait
presque entièrement d'écrits antérieurs, contient pourtant
quelques traditions orales, sans compter la légende de Chrocus
dont nous avons déjà parlé : elles ont ce caractère à la fois
ecclésiastique et populaire que nous indiquions tout à l'heure.
Telle est la tradition sur le vœu fait par saint Jacques de ne rien
manger jusqu'à ce qu'il eût vu le Seigneur ressuscité 3 ; celle sur
saint Jean qui attend vivant dans son tombeau le retour du
Christ 4 ; l'admirable histoire d'Injuriosus et de sa fiancée qui eut
la patrie de Grégoire pour théâtre 5; enfin le récit plus ou moins

incendisti, incende quod adorasti. » ___ M. Gaston Paris me fait remarquer


ces deux fins d'hexamètres : ore facundo, colla Sicamber. — Il serait bien
possible que tous ces détails sur le mariage, la conversion et le bap-
tême de Clovis fussent empruntés à la Vie de saint Remi , aujourd'hui
perdue et dont Grégoire parle quelques lignes plus loin . (Voyez plus
haut, p. 81 ). Il n'était pas rare d'ailleurs que ces Vies de Saints fus-
sent mises en vers , comme Fortunat le fit pour la Vie de saint Martin.
En tout cas le récit du baptême est vrai dans ses traits principaux,
quelque embellis que puissent être certains détails. Nous en avons la
preuve dans un passage de la lettre que saint Avitus écrivit à cette
occasion à Clovis (D. Bouquet, IV, 50 A) : « Conferebamus namque nobis-
cumque tractabamus, quale esset illud, cum adunatorum numerus pontificum
manus sancti ambitione servitii membra regia undis vitalibus confoveret, cum
se Dei servis inflecteret timendum gentibus caput, cum sub crasside crines
nutritos salutaris galea sacrae unctionis indueret. » Le fait que le récit de
Grégoire ne parle que de saint Remi au lieu de « adunati pontifices » que
mentionne saint Avitus, semblerait prouver qu'il a bien pour source la
Vie perdue de saint Remi . - Sur les sources de Grégoire pour le
règne de Clovis , voy. Junghans, appendice, 8.
1. II, 35, 37, 38.
2. Voy. plus haut, p. 85.
3. I, 21 « Fertur Jacobus apostolus... »
4. 1, 24 : « Hic fertur non gustare mortem... »
5. 1, 42 « Hos usque hodie, duos Amantes vocilare loci incolae volue-
runt. »
- 401 -

véridique de la dispute entre les habitants de Poitiers et ceux de


Tours au sujet du corps de saint Martin , fait passé sous silence
par Sulpice Sévère et que notre évêque avait entendu raconter
dans son diocèse¹ .
On peut attribuer en général à cette source à demi-légendaire
de la tradition ecclésiastique et populaire tout ce que rapporte
Grégoire sur les martyrs, les saints , les anciens évêques et
surtout les miracles . Quand même il a eu sous les yeux des
sources écrites, ces sources elles-mêmes reproduisent le plus
souvent des traditions orales où l'illusion se mêle dans une forte
proportion à la réalité 2.
A partir du livre III, Grégoire raconte des événements assez
récents pour qu'il ait pu les tenir de témoins oculaires ou du
moins de contemporains , et il arrive bientôt à l'époque où il est
lui-même contemporain . Mais ici encore il faut examiner quels
moyens d'information il a eu à sa portée, et distinguer ce qu'il a
su par le bruit public et par des rapports plus ou moins vagues de
ce qu'il a su par des témoins bien renseignés et dignes de foi .

ANFORD
Grégoire ne nous dit pas souvent à qui il doit la connaissance de
ce qu'il raconte et, quand il le dit , c'est à l'occasion de détails
anecdotiques, non d'événements importants où de semblables
indications seraient si précieuses . Il se contente d'ordinaire des
vagues formules « ferunt, adserunt, fertur » 3.

1. I, 43.
2. Il serait impossible de désigner tous les chapitres où ces traces de
traditions orales se retrouvent. Il suffit d'indiquer d'une manière géné-
rale quelle autorité l'origine des renseignements fournis par Grégoire
permet de leur attribuer, et laisser aux historiens le soin d'appliquer à
chaque détail une critique plus précise .
Une tradition , dont il est bien difficile de marquer l'origine, est celle
qui fait venir les Franks de Pannonie (H. F. II , 9). Est-ce une trace de
la légende savante sur la descendance troyenne des Franks racontée
par l'Historia Epitomata et les Gesta? Est-ce une opinion populaire ? On
ne saurait le décider.
3. II, 6 a Quae a quibusdam audivi, narrare non distuli . » — II, 9 : « Tra-
dunt enim multi eosdem ( Francos) de Pannonia fuisse digressos. » - II, 21 :
« Ferunt etiam... » Fondation du monastère de Chantoin par saint Epar-
chius (S. Cybard) . -— 11 , 39 : « Hic fertur in Oriente fuisse... » Voyage de
Licinius à Jérusalem . - III, 8 : « ... multi tamen adserunt... » Meurtre
d'Hermenfrid par Thierry I. — IV, 46 : « Hic fertur quadam vice dixisse. »
Tradition sur la mort du Poitevin Léon, ami de Chramne . W IV, 34 :
■ ... ut a fidelibus viris cognovimus... » Légende sur un moine de Randans.
Voyez aussi plus haut, p. 95.
Quant aux indications précises données par Grégoire sur les témoins
qu'il a consultés, voici celles que nous avons remarquées : - IV, 12.
- 102 -

Il est toutefois possible , grâce à ce que nous savons sur la vie


de Grégoire, de déterminer avec une assez grande certitude
quelles ont été ses sources d'information et quels événements il
a pu le mieux connaître. C'est l'histoire de sa vie en effet qui
nous permet d'apprécier pour chaque événement la valeur de son
témoignage. Bien qu'il s'intéresse à peu près à tout et qu'il tâche
de connaître ce qui se passe au loin , même en Espagne ou en
Italie , il s'attache surtout aux faits qu'il a le mieux connus , et il
mesure la longueur de ses récits non à l'importance des événe-
ments, mais à l'abondance de ses informations . Son autorité
dépend des lieux où il a vécu et des personnages qu'il a
connus .
Nous pouvons examiner à part le III livre et les vingt-et-un
premiers chapitres du IV qui contiennent le récit des événements
arrivés dans les vingt-sept années qui ont précédé sa naissance
et pendant son enfance et son adolescence . Le III livre est écrit
tout entier d'après des renseignements oraux, comme en témoi–
gnent l'absence de chronologie et le manque de liaison entre les
faits . Ce sont des récits isolés mis bout à bout . Grégoire a pu
naturellement être particulièrement bien informé sur les deux
pays où il a passé ses premières années : l'Arvernie et la Bur-
gundie¹ . Son oncle saint Gall , que le roi Thierry avait eu en
grande amitié et avait même emmené à Trèves et à Cologne ,
avait dû lui raconter l'histoire de l'Arvernie sous Thierry 2 , son

Persécutions de Cautinus contre le prêtre Anastase racontées d'après le


propre témoignage de ce dernier : « ... ut ipse referre erat solitus. » — VI, 6 :
Miracles de saint Hospice racontés par un sourd-muet qu'il avait guéri.
—- VI, 8 : Miracle opéré par saint Eparchius, raconté par le comte
d'Angoulême qui en avait été témoin : « Haec ego ab ipsius comilis ore
cognovi... VII, 1 : Histoire de l'évêque Salvius (saint Sauve) « ... ut
ipse referre erat solitus... » — VIII, 12 Récit sur l'évêque Théodore de
Marseille , fait à Grégoire par Magnéric , évêque de Trèves.- X, 1. Détails
sur Grégoire le Grand et son élévation au pontificat rapportés par un
diacre de Tours revenant de Rome. X , 24 : Evènements d'Orient
racontés par l'évêque Simon . - Il faut enfin remarquer les étranges
idées sur l'Egypte et sur le Nil, que notre auteur avait puisées dans les
relations de voyageurs plus ou moins véridiques , « multi locorum per-
lustratores. » I, 10.
1. Evénements d'Arvernie : III , 2, 9, 12, 13 , 16 , 21 , 26. -- Evénements
de Burgundie : III, 5 , 6, 11. Nous voyons Grégoire recevoir des ren-
seignements sur le lac Léman d'un prêtre Suisse (G. M. 76) , probablement
lors d'un voyage en Burgundie. C'est à une source analogue qu'est dû
le récit de l'éboulement du mont Tauredunum (IV, 31).
2. « ... Quem (Gallum) dicto citius arcessitum tanta dilectione excoluit
- 103 -

oncle saint Nizier la conquête de la Burgundie . Il avait dû voir


en outre dans la cité Arverne et à Lyon un grand nombre des
témoins oculaires ou même des acteurs de ces événements . Dans
la première partie du IV livre , les renseignements deviennent
plus nombreux et plus précis encore, et des souvenirs personnels
se mêlent aux récits qu'il a entendus dans son enfance. Il serait
difficile de les distinguer les uns des autres . Il s'étend longuement
sur les luttes qui signalèrent l'épiscopat de Cautinus , et nous
avons vu qu'il en connaissait les détails de la bouche même d'une
des victimes de l'évêque¹ . Il donne également une place consi-
dérable au récit des révoltes de Chramne 2 , et nous savons qu'il
connut Wiliachaire, plus tard devenu prêtre, et qui , partisan de
Chramne, s'était réfugié dans l'église de Saint-Martin de Tours
qu'il incendia . Il nous raconte dans ses Miracles de saint Martin³
une conversation qu'il eut plus tard avec lui sur ce qui
s'était passé à Tours avant l'époque où il y vint ; il avait pu être
non moins bien renseigné par les nombreux témoins des faits
qu'il raconte et en particulier par l'évêque Eufronius ¹ . C'est de
sainte Radegonde qu'il tenait sans doute ce qu'il nous dit des
guerres de Thuringe et de Saxe et de la vie privée de Clothaire.5
Les fils de Clothaire, Chilpéric , Sigebert et Gontran ont pu
également lui faire connaître les actions de leur père, et il a pu
apprendre, à la cour même des rois franks , la fin tragique des
enfants de Clodomir 6. Sur l'Austrasie les récits de Grégoire sont
peu complets et peu précis 7. C'est une série d'anecdotes sans.
lien qu'il avait pu apprendre en partie de son oncle Gallus , en
partie d'autres témoins tels que Sigebert, ou l'évêque de Rheims
Egidius, dans son premier séjour en Austrasie.
Les affaires de Bretagne semblent avoir été assez bien connues
de l'évêque de Tours . Le siège épiscopal de cette ville était en
rapports assez fréquents avec celui de Nantes ; l'évêque de

(Theodericus) ut eum proprio filio plus amaret. » V. PP. VI , 2. Theudebert


vint souvent aussi en Arvernie ( III , 21-27) . Le souvenir de ses actions
était tout récent et très-vivant dans la ville natale de Grégoire pendant
sa jeunesse .
1. IV , 5 , 6, 7, 11 , 12 , 13. Voy. page 101 , n. 3.
2. IV, 13, 16 , 17, 20.
3. M. S. M. I, 23.
4. III , 17, 28 ; IV, 1 , 2, 15 , 18.
5. Thuringe III , 4 , 7, 8. - Clothaire IV, 3, 21. -- Saxe IV, 10, 14
16, 17.
6. III, 18.
7. III, 3, 14, 27, 33, 34, 35, 36.
104 --
Nantes Félix , avait été mêlé, comme conciliateur , aux luttes
des comtes bretons¹ . Grégoire , qui le connaissait et eut même
plus tard à se plaindre de lui2, put entendre de sa bouche le
récit de ces événements ainsi que la fin tragique de Chramne 3.
Grégoire s'occupe aussi des pays du Midi , surtout dans leurs
rapports avec le royaume frank. Il connaît assez bien ce qui
touche l'Espagne et les rois wisigoths , autant comme habitant
de l'Arvernie que comme habitant de la Touraine¹ . L'histoire de
l'Arvernie est en effet intimement unie à celle de la Septi-
manie qui y confinait presque, et où les 'Goths d'Espagne et les
Franks étaient continuellement en lutte 5. Tours était sur le
chemin des ambassades qui étaient constamment échangées entre
le Nord de la Gaule et l'Espagne, et nous voyons Grégoire
s'entretenir avec les envoyés 6. Il connaît moins bien les affaires
d'Italie et il raconte très-inexactement tout ce qui s'y est passé.
Il ne pouvait en effet être renseigné que d'une manière indirecte
sur les affaires de ce pays .
Nous indiquerons enfin parmi les récits que Grégoire emprunte
à des relations orales, la charmante et curieuse anecdote de
l'évasion d'Attales qu'il avait évidemment entendu raconter
dans sa famille .
A partir de la mort de Clothaire, Grégoire est un témoin
contemporain . Il a vingt-trois ans, il va bientôt être consacré

1. IV, 4.
2. V, 5.
3. IV, 20.
4. III, 10, 29, 30 ; -- IV, 8.
5. III, 21-23.
6. V, 44 ; VI , 40 ; IX , 16.
7. III , 31 , 32 ; IV, 9. - Grégoire dit qu'Amalasonte épousa l'esclave
Traguilan, et que les Italiens appelèrent Théodat, roi de Toscane , qui
la fit périr ; ce fut au contraire Eutharic qu'épousa Amalasonte ; elle
gouverna après la mort de Théodoric pour son fils Athalaric , et à la mort
de celui-ci, elle appela Théodat qui l'exila. Il n'est donc pas vrai que
Théodat ait eu à payer aux rois franks une composition pour ce meur-
tre. - Il n'est pas exact non plus que Buccelin se soit emparé de la
Sicile ; il demeura en Italie et y fut tué par Narsès.
8. III , 15.
9. C'est en réalité à partir du 1. V que Grégoire se met à écrire au fur
et à mesure des événements. Les quatre premiers livres forment un
ensemble terminé par un résumé chronologique , ce qui n'existe pas
pour les livres suivants. Il y a pourtant plus de précision à partir de 561 ,
et déjà il avait l'intention de poursuivre son œuvre : « quod in sequenti-
bus libris, Domino juvante, disserimus » (IV, 50).
- 405 -
diacre, et il commence une vie d'activité religieuse et même
politique qui le mêle à tous les grands événements de son temps .
Le récit offre dès lors moins de lacunes et de désordre . Nous
avons sous les yeux , non pas une histoire composée avec art,
mais des mémoires à la fois personnels et politiques où rien
d'essentiel n'est omis . L'intérêt que Grégoire porte aux faits
historiques est toujours proportionné moins à leur importance
qu'à la part qu'il y a prise . Aussi s'étend-il avec une complai-
sance toute particulière sur les événements dont il a été témoin
oculaire . Nous examinerons au chapitre suivant quelle con-

1. Nous ne voulons pas refaire encore ici la biographie de Grégoire


en énumérant tous les événements auxquels il a assisté . Mais nous
croyons être utile à ceux qui étudieront Grégoire en donnant la liste
des chapitres où sont racontés les faits dont nous sommes sûrs qu'il a
été témoin.
Livre IV 30. Expédition du comte Firmin contre Arles ; 31. Peste en
Arvernie ; 32. Le moine Julien ; 33. L'abbé Sunniulf; 35. Luttes pour
l'évêché d'Arvernie ; 36. Saint-Nizier de Lyon. - Grégoire qui
était à la cour de Sigebert en 572-573, puis à Tours en 573-575, a dû
voir de près une partie des luttes entre les fils de Clothaire
dont l'Aquitaine et l'Austrasie furent les principaux théâtres.
(C. 48-52).
Livre V : 1 , 2. Guerre en Touraine . Mérovée à Tours ; 4. Gontran Boson
à Tours ; 6. Miracle dans l'église de Saint-Martin ; 7. Saint Senoch;
13. Leudaste en Touraine ; 14. Mérovée et Gontran Boson ; 19 Affaire
de Prétextat et de Mérovée ; 22. Le comte Winnoch à Tours; 24. Pro-
diges à Tours ; 25. Gontran Boson à Tours ; 44. Agila à Tours ; 45 et
48. Grégoire auprès de Chilpéric à Braine.
Livre VI : 3. Alliance de Chilpéric et de Childebert; Grégoire à Novigen-
tum ; 5. Discussion entre Chilpéric et un Juif ; 10. Vol à Saint-Martin
de Tours ; 12. Guerre entre Chilpéric et Gontran ; 13. Lupus et Am-
brosius ; 32. Leudaste ; 40. Oppila à Tours.
Livre VII : 12, 13. Guerre en Touraine et en Poitou ; 21 , 22. Ebérulf à
Tours ; 23. Assassinat du juif Armentarius ; 29. Meurtre d'Ebérulf;
47. Troubles civils à Tours.
Livre VIII : 1-7. Gontran à Orléans ; 13-14 . Grégoire à Coblentz ; 15-17. Gré-
goire auprès de Wulfilaïc ; 26. Affaires de Touraine et de Poitou;
34. L'enfant Anatolius; 40. Pelagius à Tours.
Livre IX 6. Imposteurs à Tours ; 7. Ennodius à Tours ; 13-14. Grégoire
à Rheims; 16. Ambassade espagnole; 20. Grégoire à Metz et à Chalon;
25. Troubles civils à Tours ; 26. Mort d'Ingoberge ; 30. Tours exempté
d'impôts ; 33. Ingeltrude et sa fille à Tours ; 39-44 . Troubles à Sainte-
Croix de Poitiers.
Livre X 5. Violences de Cuppa à Tours ; 11. Offrandes faites à saint
Martin par Frédégonde ; 12. Ingeltrude et Berthegonde ; 13. Prêtre
hérétique à Tours ; 15, 17, 19. Troubles à Ste-Croix de Poitiers ; 31 .
Episcopats d'Eufronius et de Grégoire .
- 106

fiance nous pouvons avoir dans sa clairvoyance et sa sincérité


lorsqu'il raconte des faits auxquels il a assisté . D'ailleurs le fait
même de sa résidence à Tours, au centre de la lutte entre les
fils de Clothaire , plus tard le rôle politique important qu'il joua
auprès de Childebert et de Gontran , le rendaient précisément
spectateur des événements historiques les plus considérables , et
qui méritaient le mieux le développement et les détails avec les-
quels il les raconte . Il n'en est point partout ainsi , il est vrai ;
les troubles civils de la ville de Tours , les intrigues monas-
2
tiques d'Ingeltrude et de Chrodielde 3 n'intéressent en rien
l'histoire générale . Mais ces récits nous sont précieux pour la
connaissance des mœurs de l'époque .
A côté de ce qu'il a connu par lui-même , Grégoire a cherché à
rendre son récit le plus complet possible , et a recueilli de tous
côtés des informations pour ne rien omettre de ce qui intéresse
l'histoire des royaumes franks . Nous avons vu dans sa biographie
quelle était l'importance de Tours comme centre religieux de la
Gaule ; Grégoire nous montre les pèlerins y affluant des provinces
les plus éloignées . Il a pu avoir par eux un grand nombre de
renseignements oraux . - Mais surtout la position éminente de
l'évêque de Tours le mit en relations avec tous les plus grands
personnages de son temps, avec tous ceux qui y jouèrent un
rôle, et il put connaître les événements politiques par ceux
mêmes qui en avaient été les principaux acteurs . Il connut quatre
rois Sigebert, Chilpéric , Childebert et Gontran¹ , quatre
reines Radegonde , Brunehaut , Frédégonde, et Ingoberge
femme de Charibert 5 ; Chrodielde et Bertheflède , filles de Chari-
bert ; Agnès, fille de Clothaire ; Basine , fille de Chilpéric 6 .

1. VII, 47 ; - IX, 25.


2. IX, 32 ; X, 12.
3. IX, 39-44 ; X , 15, 17, 19.
4. Nous le voyons auprès de Sigebert en 572-573 (Voy. plus haut, p. 29).
Il est auprès de Chilpéric aux synodes de Paris et de Braine (V, 19, 45,
48; VI, 3, 5), auprès de Childebert à Coblentz (VIII , 13-14; IX, 20), auprès
de Gontran à Orléans et à Chalon (VIII, 1-7; IX, 20).
5. Nous avons vu (plus haut, p. 31 ) ses rapports avec Radegonde; il
connut Brunehaut à la cour de Sigebert et à celle de Childebert, Frėdė-
gonde à celle de Chilpéric, Ingoberge dans sa retraite après la mort de
Charibert (IX, 26) . C'est par ces femmes sans doute qu'il connut tous
les détails qu'il nous donne sur la vie privée des rois franks : Clothaire
(IV, 3); Charibert ( IV, 26) ; Chilpéric (IV, 28); Gontran (IV, 25).
6. Chrodielde et Bertheflède (IX, 33, 39; X, 15, 17, 19); Basine (IX, 39, 43;
X, 15, 16). - Agnès était avec Radegonde à Poitiers, et les vers de For-
- 107 -

L'affaire de Mérovée et de Gontran Boson, qui eut tant d'im-


portance sous le règne de Chilpéric, se passa en partie sous les
yeux de Grégoire . Il sait le reste par les trois principaux acteurs
de ce drame, Mérovée et Gontran , dont il était le protecteur
naturel pendant qu'ils étaient réfugiés à Saint-Martin de Tours ,
et Prétextat, évêque de Rouen , dont il fut le défenseur au synode
de Paris ¹ . Ce même Gontran Boson joua un rôle important dans
la révolte de Gondovald 2 , mais nous ne savons si Grégoire eut
occasion de le revoir après cette prise d'armes ; les détails en
furent probablement racontés à l'évêque de Tours par Bladaste et
Garachaire, complices de Gondovald , qui s'étaient réfugiés dans
l'église de Saint- Martin et dont Grégoire obtint la grâce 3 .
Par ses voyages à Paris, à Rheims , en Austrasie, à Chalon , en
Burgundie, en Aquitaine , il avait dû se trouver en rapport avec
un grand nombre des acteurs des événements qu'il raconte, et
concevoir une idée claire de l'état politique des royaumes franks .
Aussi paraît-il également bien renseigné sur chacun d'eux et ne
néglige-t-il ni le Midi ni la Bretagne qui dans les premiers.
livres n'étaient mentionnés que rarement4 . Les nouvelles ecclésias-
tiques lui sont toutes rapportées fidèlement , soit par écrit soit de
vive voix. Tours est véritablement un point central où Grégoire
est admirablement bien placé pour tout observer et tout entendre ;
et s'il ne donne pas toujours aux événements leur importance
relative, du moins paraît-il n'en omettre aucun .
Sur les pays voisins de la Gaule ses renseignements paraissent
les mêmes pour la période dont il est contemporain que pour la
période précédente. La Germanie n'y apparaît pour ainsi dire
pas . Un seul chapitre parle des Suèves à propos d'Alboin 5. Sur
l'Espagne, les ambassadeurs franks et wisigoths qui passent par
Tours apportaient des informations nombreuses et précises . Sur
l'Italie au contraire , sauf en ce qui concerne l'élection de Grégoire

tunat, adressés à Grégoire, nous montrent qu'elle était, comme sa mère,


amie de l'évêque de Tours.
1. Mérovée : IV, 28; V, 2, 3 , 13 , 14, . 19 , 49 ; Gontran Boson : V, 4, 14,
19, 25, 26 ; Prétextat : V, 19; VII, 16.
2. VI, 26; VII , 14, 32, 36; VIII , 21 ; IX , 8, 10, 23.
3. VI , 24; VII , 10, 26 , 27, 28 , 30-39, 43; VIII, 6.
4. Midi IV, 30, 42-45 ; V, 21 , 36; VI , 1 , 11 , 12; VII , 9; VIII, 12, 30 ; IX, 7,
21 , 22, 24, 31 ; X, 22. -
— Bretagne V, 16, 22, 27, 30, 32 ; VIII , 34 ; IX, 18;
X, 9.
5. V, 15.
6. IV, 38 ; V, 39, 42 ; VI, 18, 29, 33 , 34, 40, 43, 45 ; VIII, 28, 35 , 38, 46 ;
IX, 1 , 15, 16, 28.
- 108

le Grand, vue et racontée par Agiulf, diacre de l'église de Tours ,


que notre évêque avait envoyé en Orient et à Rome¹ , les rensei-
gnements sont beaucoup plus vagues et parfois erronés .
L'Historien des Franks les a recueillis probablement en Bur-
gundie , ainsi que les indications peu exactes qu'il donne sur ce
qui se passe dans l'empire d'Orient 2. Nous voyons en effet par
Marius d'Avenches que les Gallo-Romains de Burgundie se
croyaient encore en quelque manière sujets de l'Empire , et atta-
chaient une grande importance à ce qui se passait en Italie et en
Orient 3.
D'ailleurs les invasions fréquentes des Franks en Italie + et
des Lombards en Gaule 5 apportaient dans ce dernier pays
quelque connaissance des contrées d'au-delà des Alpes . Mais
on sait ce que des soldats peuvent apprendre sur les pays
qu'ils ont traversés en envahisseurs . Aussi les informations de
Grégoire ont-elles peu de valeur , sauf pour les expéditions de
Childebert qu'il avait pu connaître par le roi lui-même .
Distinguer dans la dernière partie de l'œuvre de Grégoire tout
ce qu'il a vu de ses propres yeux de ce qu'il a connu par des
témoignages oraux; séparer dans ces témoignages tout ce qu'il a
appris de témoins oculaires de ce qu'il a su par des rapports de
seconde et de troisième main , serait une entreprise presque
impossible. Nous nous sommes contentés de déterminer d'une
manière générale les divers groupes de renseignements qu'il
a pu mettre en œuvre . Les résultats auxquels nous sommes
arrivés vont nous permettre d'apprécier le degré d'autorité que
nous devons accorder aux diverses parties de son œuvre .

1. V. PP. VIII , 6 ; Gl . M. 83 ; H. F. X, 1 .
2. Italie IV, 41 ; V, 20 ; VI , 42; IX , 25, 29 ; X, 3. - Orient IV, 39; V,
20, 31 ; VI, 2 , 30; X, 2, 24. ― L'histoire d'Alboin est remplie d'erreurs.
(Voy. Paul Diacre , Hist. Lang . I, 27; II , 28 , 29) . Grégoire fait succéder à
Autharis un roi inconnu , Paul , au lieu d'Agilulf (X, 3) . - Justin régna
dix-huit ans, tandis que Grégoire le fait régner de 565 à 578. Enfin il
attribue à Tibère une guerre que Justin fit contre les Perses.
3. Voy. notre étude sur Marius.
4. VI , 42; VIII, 18 ; X, 3.
5. IV, 45; V, 21 .
6. VI, 42; VIII , 18 ; IX , 25, 29; X, 3.
- 409 -

CHAPITRE V.

CARACTÈRE DE GRÉGOIRE . BUT DE SON OUVRAGE .


AUTORITÉ DE SON TÉMOIGNAGE .

Après avoir bien déterminé la nature de l'œuvre que nous


avons sous les yeux, après avoir écarté les doutes qui pouvaient
être soulevés au sujet de son authenticité , après avoir déterminé
les sources auxquelles ont été puisées les informations qu'elle
contient , et connaissant d'ailleurs avec autant de précision que
possible la vie de son auteur , nous pouvons maintenant pous-
ser notre examen plus loin , et chercher à fixer, par la connais-
sance comparative et intime de l'écrivain et du livre, le degré
d'autorité que nous devons attribuer au témoignage de Grégoire
de Tours .
A-t-il été un témoin intelligent et instruit ? A-t-il été
un témoin sincère ? A-t-il été un témoin bien informé ?
L'éducation de Grégoire avait été de bonne heure tournée vers
les choses religieuses où son goût le portait de préférence aux
lettres profanes . Son oncle Gallus qui l'aimait tendrement¹ avait
lui-même abandonné le siècle pour l'Eglise et avait dû le détour-
ner de l'étude de l'antiquité païenne . Avitus, le successeur de
Gall sur le siége épiscopal d'Arvernie , paraît avoir été son
principal maître. Nous le voyons souvent auprès de lui et il lui
donne le titre de père 3.
C'est l'influence d'Avitus qui , plus que toute autre, semble
avoir poussé Grégoire vers l'étude exclusive de la littérature
ecclésiastique . Aussi est-il resté à demi instruit 5 , et il semble ,

1. V. PP. I. 2.
2. M. M. III , 60. - G. C. 41. - V. PP. XI, 3.
3. V. PP. II, Préf.
4. « Me... beati patris Aviti Arverni pontificis studium ad ecclesiastica solli-
citavit scripta. Si mihi non ad judicium contingerent quae ipso praedicante
audivi, vel cogente relegi, quia ea nequeo observare, qui me post Davidici
carminis cannas, ad illa evangelicae praedicationis dicta, atque apostolicae
virtutis historias epistolasque perduxit, etc. » V. PP. II . Préf.
Fortunat, chantant les louanges d'Avitus sur la demande de Grégoire,
dit à son ami (Carmina, V, 5) :
Non fuit in vacuum , quod te provexit alumnum,
Si cui mente, fide, reddis amore vicem.
Annuat omnipotens, longo memoraliter aevo,
Ut tu laus illi, laus sit et ille tibi.
5. « Sed prius veniam a legentibus precor, si aut in litteris, aut in syllabis,
― 110

à la fin de sa vie, avoir éprouvé quelque regret de son ignorance


des belles-lettres en voyant l'universelle décadence intellec-
tuelle de la Gaule et les progrès de la barbarie¹ . Il se console en
se disant que son langage rustique sera mieux approprié à
l'intelligence de ses contemporains et par suite mieux compris 2.
Mais, malgré lui , son impuissance à écrire correctement lui
arrache des plaintes 3. Et il a raison de s'en affliger, car son
style irrégulier, mélangé de tournures classiques, de locutions
ecclésiastiques et de langage populaire¹ , s'il a été mieux compris

grammaticam artem excessero, de qua adplene non sum imbutus. » H. F. I. ,


Prol.
1. « Decedente alque immo potius pereunte ab urbibus gallicanis liberalium
cultura litterarum, nec reperiri possit quisquam peritus in arte dialectica
grammaticus, ... ingemiscebant saepius plerique..., etsi inculto affatu, nequivi
tamen obtegere vel... etc. » H. F. Praef.
2. « ... Philosophantem rhetorem intelligunt pauci, loquentem rusticum
multi. » H. F. Praef.
« Et ait mihi (Martinus) : Et nescis quia nobiscum propter intelligentiam
populorum si quis loquitur, sicut tu loqui potens es, eo habetur magis prae-
clarum? » M. S. M. I. Prol.
3. Sed timeo ne cum scribere coepero, quia sum sine litteris rhetoricis et
arte grammatica, dicat mihi aliquis : Ausu rustico et idiota , ut quid nomen
tuum inter scriptores indi aestimas? Aut opus hoc a peritis accipi putas, cui
ingenium artis non suppeditat, nec ulla litterarum scientia subministrat? Qui
nullum argumentum utile in litteris habes, qui nomina discernere nescis;
saepius pro masculinis feminea , pro femineis neutra, et pro neutris mascu-
lina commutas ; qui ipsas quoque praepositiones, quas nobilium dictatorum
observari sanxit autoritas, loco debito plerumque non locas. Nam pro
ablativis accusativa, et rursum pro accusativis ablativa ponis. » G. C.
Praef.
Fortunat, plus lettré pourtant que Grégoire, fait entendre les mêmes
plaintes. De Vita S. Martini, v. 26-28 :
... ego sensus inops...
Faece gravis, sermone levis, ratione pigrescens,
Mente hebes, arte carens, usu rudis, ore nec expers.
Il y a là sans doute quelque affectation de modestie ; mais aussi
le sentiment profond et amer de la décadence et de l'impuissance.
4. L'influence du langage populaire qui, à cette époque, laissait
presque complètement tomber les syllabes qui suivaient l'accent to-
nique, se fait surtout sentir chez Grégoire dans les fautes de désinence .
Il déclare lui-même (v. note précédente) qu'il ne sait plus les règles
d'accord et termine les mots au hasard. Il y aurait une intéressante
étude philologique à faire sur le style de Grégoire . Il serait à désirer
que les manuscrits de Cambrai, Corbie et Beauvais fussent étudiés
au point de vue philologique. On y trouve des faits intéressants pour
l'histoire du latin vulgaire. Les transmutations de voyelles y sont très-
nombreuses.
- 414 -

des contemporains que ne l'aurait été un latin correct , l'est moins


bien de la postérité . Ses fautes de grammaire nuisent parfois à
la clarté de ses phrases , et il est impossible que la barbarie de
son langage n'ait pas jeté quelque trouble dans sa pensée .
Pourtant il ne faut peut-être pas trop regretter la rusticité de
Grégoire . Elle est bien préférable aux raffinements d'un Sidoine
Apollinaire ou d'un saint Avit , que leurs prétentions littéraires ,
leur affectation de bel esprit rendent souvent incompréhen-
sibles. Il faut toujours se méfier au Moyen-Age des écrivains
trop versés dans l'antiquité latine . Ils sont capables de fausser
ou d'inventer un fait pour placer une belle antithèse ou quelque
phrase tirée d'un auteur ancien . Nous n'avons rien de tel à
craindre avec Grégoire . Si parfois l'incorrection de son style le
rend obscur, il n'est presque jamais du moins prétentieux et
affecté . Il n'est pas tout à fait exempt du mauvais goût de son
temps et de la littérature ecclésiastique en particulier, mais la
simplicité de son cœur et de son esprit se retrouvent dans ses
écrits , et rien n'est plus juste que ces paroles, simples aussi , de
Sigebert de Gembloux : « Gregorius Turonensis episcopus ,
vir magnae nobilitatis et simplicitatis, scripsit multa sim-
plici sermone ' . » Cette simplicité inspire de la confiance en la
véracité de l'auteur ; on y sent de l'honnêteté . Elle donne un
charme exquis à certains récits de Grégoire, et comme une
grâce naïve et populaire . L'histoire d'Injuriosus et de son
amie , l'aventure d'Attale 3 , une foule de récits dans ses Vies
de Saints¹ , captivent et émeuvent par leur originalité, leur fraî–
cheur, leur sincérité. Ils ont un véritable mérite littéraire, qu'ils
doivent à cette noble simplicité .
On aurait tort d'ailleurs de prendre au pied de la lettre ce que

1. De scriptoribus ecclesiasticis, 49.


2. H. F. I, 42.
3. H. F. III , 15.
4. Les Vies des Pères en particulier sont pleines de choses exquises,
admirables d'ingénuité , de tendresse et de piété . Telle cette phrase de
la vie de saint Gall (V. PP . VI , Préf.) : « Sunt qui se de his nexibus, tan-
quam aves de muscipulis evolantes et ad altiora tendentes, mentis alacrioris
ingenio absolverunt, ac relictis exosisque terrenis facultatibus, totis se viribus
ad illae quae sunt coelestia aptaverunt. » Il n'y a que les Fioretti de
saint François qui puissent être comparès aux écrits hagiographiques
de Grégoire de Tours.
5. Parfois même cette simplicité n'est pas sans grandeur. Voyez par
exemple la vision de saint Sauve (H. F. V; 51 ) qui montre à Grégoire
le glaive de Dieu suspendu sur la maison de Chilpéric .
112 -

Grégoire dit de son ignorance. Il était instruit pour un homme


de son temps , et Fortunat a pu dire de lui « florens in stu-
diis . Malgré sa modestie et tout en protestant qu'il ne
connaît rien et ne veut rien connaître en dehors des choses de Dieu ,
il fait tout un étalage d'érudition virgilienne après avoir rappelé
que saint Jérôme fut durement châtié pour avoir trop souvent
fait sa lecture des arguties de Cicéron et des faussetes de Vir-
gile 2. Il cite Virgile à trois reprises 3 dans son histoire ; il le fait
même citer par Clotilde dans l'étrange discours qu'elle tient à
Clovis pour le convertir 4 , et dans lequel Grégoire a voulu , au
mépris des vraisemblances historiques 5 , faire montre de sa
science mythologique, qui sait ? utiliser peut-être un écrit ou un
discours de polémique contre les païens . Nous avons vu tout à
l'heure qu'il connaissait Cicéron , du moins de nom. Il parle de
Pline et d'Aulu-Gelle comme s'il les avait lus 6. Il cite un mot de
Salluste 7. Il avait connaissance du Code Théodosien 8. Quant à

1. Fortunati Carmina, V , 15.


2. Le passage est curieux et mérite d'être cité : « Non enim oportet
fallaces commemorare fabulas... ne in judicium aeternae mortis... cadamus.
Quod ego metuens, ... non me iis retibus vel vinciri cupio , vel involvi. Non
ego Saturni fugam, non Junonis iram, non Jovis stupra, non Neptuni inju-
riam, non Aeoli sceptra, non Aeneada bella, naufragia, vel regna comme-
moro taceo Cupidinis emissionem ; non Ascanii dilectionem , hymenaeosque,
lacrymas. vel exitia saeva Didonis; non Plutonis triste vestibulum, non Pro-
serpinae stuprosum raptum , non Cerberi triforme caput : non revolvam
Anchisae colloquia, non Ithaci ingenia, non Achillis argutias, non Sinonis
fallacias : non ego Lacoontis consilia, non Amphitryonidis robora, non Jani
conflictus, fugas, vel obitum exitialem proferam ; non Eumenidum variorum-
que monstrorum formas exponam non reliquarum fabularum commenta,
quae hic auctor aut finxit mendacio, aut versu depinxit heroico : sed ista
omnia tanquam super arenam locata et cito ruitura conspiciens, ad Divina
et Evangelica potius miracula revertamur. » G. M. Préf.
Grégoire semble avoir eu également la prétention d'être bon contro-
versiste, car il cite tout au long, non sans une certaine complaisance ,
les argumentations qu'il soutint à diverses reprises contre des Ariens,
V, 44; VI, 40 ; contre un Juif, VI , 5 ; contre Chilpéric, V, 45; contre un
prêtre qui niait la résurrection, X, 13.
3. H. F. II , 29 ; IV, 30, 47.
4. H. F. II , 29.
5. Remarquons pourtant que les Germains devaient être déjà accou-
tumés par l'Eglise à identifier leurs Dieux aux Dieux romains, car il est
probable que les noms germains des jours : jour de la lune (Montag);
jour de Thor (Dienstag), etc., sont une imitation des noms latins : Lunae
dies, Martis dies, etc.
6. V. PP. Prol. 7. H. F. IV, 13.
8. Il en parle à propos d'Andarchius (IV, 47) : « De operibus Virgilii,
113

la littérature ecclésiastique et historique, nous avons vu en


étudiant ses sources qu'il pouvait passer pour instruit en cette
matière . Il cite un long passage de Prudence sur saint Dioclé-
tien et l'appelle «
<< notre Prudence 2. » Il rappelle les poésies de
Sedulius à propos de celles de Chilpéric 3. Toutefois il fait une
complète confusion entre Paulin de Nole (431 ) , auteur de poésies
et d'homélies , et Paulin de Périgueux (mort dans la seconde
moitié du vre siècle) , auteur d'une Vie en vers de saint
Martin 4. Il se regardait sans doute comme incapable d'écrire
des vers , mais il aimait la poésie , car il fit mettre en vers par
Fortunat sa Vie de saint Martin 5 , et dans l'épilogue de son his-
toire il invite ceux qui le désireront à versifier ce qu'il a écrit 6.
Il s'y connaissait d'ailleurs assez pour juger et critiquer sévè–
rement les vers de Chilpéric 7 .
Grégoire ne savait pas le grec ; il emploie à plusieurs reprises
un mot grec energia (inspiration 8 ) ; mais ce mot était passé
dans la langue de l'église ; les mots grecs que lui cite Fortunat
dans le prologue de sa vie en vers de saint Martin , sont égale-
ment des mots d'école que tout homme instruit connaissait 9 .
Grégoire savait certainement lire le grec, comme Chilpéric qui
ajouta des lettres grecques aux latines pour représenter certains
sons compliqués 10 , mais il ne le comprenait pas , puisqu'il eut
besoin d'un interprète pour traduire en latin l'histoire des Sept
Dormants d'Éphèse 11 .

legis Theodosianae libris, arteque calculi adplene eruditus est. » Comme il


est peu probable qu'il sut exactement ce qu'avait étudié Andarchius, il
est vraisemblable que Virgile représente pour lui la poésie latine , et le
Code Théodosien les études juridiques.
1. Voy. le chapitre précédent.
2. G. M. 41 , 93, 106.
3. H. F. VI , 46 .
4. « Paulinus quoque beatus, Nolanae urbis episcopus, post scriptos versus
de virtutibus ejus... quinque libros, etc. » M. S. M. I , 2. Cf. H. F. II, 13; X,
31 ; et surtout G. C. 110 .
5. Voyez le Prologue de Fortunat à sa Vie en vers de saint Martin .
6. « Si tibi in his quiddam placuerit, salvo opere nostro, te scribere versu
non abnuo, H. F. X, 31.
7. Confecitque duos libros, quasi Sedulium meditatus, quorum versiculi
debiles nullis pedibus subsistere possunt, in quibus, dum non intelligebat, pro
longis syllabas breves posuit, et pro brevibus longas statuebat . » H. F. IV, 47 .
8. H. F. IV , 11 ; IX, 21 , etc.
9. « Επιχειρήματα , λέξις, διαίρεσις, παραίνεσις. »
10. H. F. VI , 45.
11. ... passio eorum, quam Syro interpretante, in Latinum transtulimus. »
HIST . MÉROVINgienne . 8
- 144 -

Quant aux sciences enseignées dans les écoles du temps , il ne


les a pas étudiées, d'après son propre témoignage¹ ; mais il
connaissait pourtant assez l'astronomie pour écrire le De cur-
sibus ecclesiasticis .
Grégoire de Tours, on le voit , n'était point un ignorant ,
comme il le prétend dans son humilité, mais il n'était pas non
plus un savant. Sa connaissance de l'antiquité profane se réduit
à deux ou trois ouvrages , et s'il est plus versé dans les écrits
ecclésiastiques, il lui échappe cependant des erreurs graves,
comme la confusion de Paulin de Nole avec Paulin de Péri-
gueux. Il est évident que nous ne nous appuierons pas sur son
autorité pour tous les événements sur lesquels nous possédons le
témoignage d'écrivains plus rapprochés du lieu et de l'époque où
ils se sont passés . Mais, pour toute la période qui s'étend de la
chute de l'empire romain à la mort de Clothaire, et en particulier
pour l'histoire ecclésiastique de la Gaule, nous savons que Gré-
goire a possédé un grand nombre de sources écrites , perdues
pour la plupart . Ses informations étaient nombreuses . A-t- il su
les mettre à profit avec intelligence ? Dans quelle mesure pou-
vons-nous nous fier à son témoignage ? C'est ce que nous pouvons
juger en examinant s'il a su se bien servir des sources écrites
que nous possédons encore et par lesquelles nous pouvons le
contrôler, et s'il possédait les qualités d'esprit , l'exactitude , la
clarté, la mémoire nécessaires à un historien .
Nul ne contestera que Grégoire était un homme d'une intelli-
gence remarquable ; le rôle qu'il a joué et les œuvres qu'il a
laissées sont là pour nous en convaincre . Nul écrivain de l'époque
mérovingienne ne peut lui être comparé . M. Ampère l'a nommé
<< l'Hérodote de la barbarie » et il est certain qu'il rappelle à
bien des égards l'historien grec . Comme lui , curieux de toutes
choses, il rapporte avec ingénuité ce qu'il a pu connaître, et son
récit, sans prétentions, a un air de vérité, une vie qui captivent

G. M. 95. M. Bordier traduit, à tort je crois : « L'histoire de leur passion ,


que nous avons mise en latin, d'après la version d'un certain Syrien .
Qu'était cette version ? L'original devait être en grec. Le sens me paraît
être : « ... que j'ai traduite en latin, un Syrien me servant d'interprète . »
Si Grégoire avait su le grec , il s'en serait certainement vanté . — Si le
texte de la Passio était en syriaque , ce passage peut encore moins être
invoqué pour prouver que Grégoire savait le grec.
1. V. plus haut, p . 68, n . 2.
2. J. J. Ampère; Histoire littéraire de la France avant Charlemagne, 3º
éd . 2 vol . in- 12. Paris, 1870. - Préface, p. 8.
- 445 -

invinciblement le lecteur. L'évêque de Tours a conquis autant


par son intelligence que par son caractère , l'amitié des hommes
les plus éminents de son temps , et il a été chargé par Childebert
de la mission délicate d'ambassadeur ¹ .
Il aime l'exactitude ; il indique le plus souvent les sources où
il a puisé ; il cite textuellement soit des passages d'historiens
antérieurs, tels que Renatus Frigiredus et Sulpicius Alexander²,
soit des documents historiques, tels que la lettre de saint Remi à
Clovis, le traité d'Andelot , la lettre des évêques à sainte Rade-
gonde, sa réponse , le rescrit des évêques , le discours de Grégoire-
le-Grand ou le jugement porté contre Chrodielde et Basine³ . Il
n'affirme que ce qu'il croit savoir 4 , et il s'efforce même en un ou
deux endroits de démêler la vérité au milieu de témoignages
contradictoires . Il distingue les témoignages précis des simples
traditions indiquées par les mots « fertur, ferunt . » Ces
scrupules montrent qu'il avait vaguement l'idée des devoirs de
l'historien, de même que la conception générale de son œuvre
témoigne, malgré le manque de proportions et l'inégalité de
l'exécution, d'une certaine largeur de vues et d'une incontestable
vigueur d'esprit .
Ainsi non-seulement Grégoire a été capable de composer une
œuvre de longue haleine, non-seulement il a été en possession
d'un nombre considérable de documents, surtout ecclésiastiques ,
non-seulement il avait assez d'intelligence pour les transcrire ou
les résumer fidèlement , mais il était même capable , en une cer-
taine mesure , de les comparer , de les juger et de choisir l'opinion
la plus vraisemblable . Quand on compare les renseignements
précis et circonspects qu'il rapporte au sujet de l'origine des
Franks, avec les fables de l'Historia epitomata ou des Gesta
regum Francorum , on voit quelle distance sépare notre histo-
rien de simples compilateurs 6 .

1. Voy. plus haut, p . 35 .


2. H. F. II, 9.
3. H. F. 11 , 31 ; IX, 20, 41 , 42; X, 1 , 16.
4. Voy. H. F. III , 8, la mort d'Hermenefrid précipité du haut des murs
de Tolbiac : « si quis eum exinde ejecerit, ignoramus. »
5. Voyez le curieux chapitre 9 du livre II, les témoignages qu'il
cite pour savoir si les chefs franks doivent être nommés duces ou reges,
et ses doutes sur l'origine des Franks.
6. Il est facile de réunir dans les dix livres de Grégoire un nombre
assez considérable d'erreurs , de contradictions et d'obscurités, et de
s'écrier après cela : « Quelle confiance peut-on accorder à son témoi-
gnage? » Mais on pourrait en dire autant de presque tous les écrivains
116

Mais si Grégoire mérite le nom d'historien, nous ne devons


pas oublier qu'il est un historien du vre siècle, qu'il vit dans un
pays livré aux barbares depuis plus d'un siècle, que non-seule-
ment ses moyens d'informations sont restreints et son instruction
incomplète, mais que son esprit se ressent du trouble et de la

du Moyen-Age . M. Lecoy de la Marche , qui a recueilli soigneusement


toutes ces fautes, et qui même a fait à Grégoire quelques reproches
immérités (par exemple il s'étonne du nom d'Octavian donné à Auguste ,
au lieu d'Octave), a le tort de ne pas distinguer les erreurs que l'histo-
rien ne pouvait éviter de celles qui proviennent de son ignorance ou d'un
manque d'intelligence . Qu'importe que Grégoire ait emprunté la des-
cription de Babylone à Paul Orose et non au romancier Quinte- Curce,
dont M. Lecoy paraît faire grand cas ? Grégoire avait des moyens d'in-
formations très-limitės ; il faut prouver qu'il s'en est mal servi ou qu'il
aurait pu avoir de meilleurs renseignements. Malgré tout, on peut
avoir confiance dans l'Historia Francorum partout où elle est la source
unique ou du moins la plus ancienne, et rien n'autorise à lui opposer,
comme le fait M. Lecoy, le témoignage de Baldéric de Noyon ou de
Roricon, compilateurs du xr et du XIIe siècle. - Nous devons donc,
pour juger les faits rapportés par Grégoire et pour lesquels nous man-
quons de documents contemporains, nous contenter de la critique
interne du texte de l'Historia Francorum. Un excellent exemple de cette
critique nous est offert par l'ouvrage de M. Junghans : Die Geschichte
Childerich's und Chlodovech's kritisch untersucht, dont la Bibliothèque de
l'École des Hautes-Études publiera prochainement une traduction.
La préface de la vie de saint Nizier de Trèves montre que Grégoire
ne prenait pas ses informations au hasard, mais pesait la valeur des
témoignages qu'il recueillait. « Non omnia quae in scripturis leguntur,
obtutibus propriis cerni potuerunt : sed quaedam ipsius scripturae relatione
firmata, quaedam aliorum auctorum testimonio comprobata, quaedam vero
proprii intuitus auctoritate creduntur..... Reprehendi ab aliquibus vereor,
dicentibus mihi : « Tu cum sis junior , quomodo seniorum gesta poteris scire?
qualiter ad te eorum facta venerunt? Nempe non aliud nisi conficta a te haec
quae scripta sunt decernuntur. » Qua de causa relatorem hujus operis in
medio ponere necesse est... Noverint igitur a beato Aredio abbate vrbis Lemo-
vicinae, qui ab ipso Nicetio antistite enutritus et clericatus ordinem sortitus
est, haec quae subjecta sunt me audisse : quem in hoc non credo fefellisse,
cum per eum Deus eo tempore, quando mihi ista retulit, et caecorum oculos
illuminavit... Nec credendum est eum mendacii nube obumbrari posse, quem
Deus saepius ab imbrium nube obtectum protexit ... Denique si de tali relatore
dubitatur, de beneficiis Dei diffiditur. Aiebat ergo memoratus sacerdos de
antedicto antistite : Multa equidem , dulcissime frater, de sancto Nicetio bono-
rum virorum testimonio divulgata cognovi, sed plura meis oculis propriis
inspexi, vel etiam ab eo vix elicila cognovi . » V. PP . XVII , Préf. - Grégoire ,
on le voit, sait distinguer les témoignages écrits des témoignages oraux ,
et ceux-ci des faits qu'un auteur connaît par ses propres yeux. Il sait
chercher des témoins bien informés, et à qui leur caractère moral donne
une autorité exceptionnelle.
- 117 -

barbarie du temps où il vit , et qu'enfin son caractère ecclésias-


tique et épiscopal imprime à son œuvre une empreinte toute
particulière .
Nous avons vu dans le chapitre précédent les erreurs qu'il a
commises en transcrivant ou en résumant les sources écrites
qu'il avait sous les yeux.
En étudiant les objections soulevées contre l'authenticité de
l'Historia Francorum, nous avons remarqué également des
contradictions et des omissions nombreuses . Nous pourrions encore
en relever d'autres ¹ . Il nomme Marcien à la place de Majorien
comme successeur de l'empereur Avitus ( II , 11 ) ; il écrit Gemi-
nae Germaniae (II , 25) , au lieu de Geminae Aquitaniae . Il
parle de Théodoric , roi d'Italie en ' 822, comme s'il était déjà
mort (III , 5 ) , tandis qu'il mourut seulement en 526 2. Pour les
affaires d'Italie sous Théodat et Vitigès (III , 31 , 32) , il n'a eu
que des renseignements faux et incomplets , car il est en contra-
diction constante avec Jornandès et les écrivains byzantins3 .
Sur les Lombards il n'a pas de meilleurs renseignements que
sur les Goths . Il prétend qu'Alboin pilla sept ans l'Italie (IV, 41 ) ;
or il y arriva en 568-569 et mourut vers 572-5734 . Il donne
pour successeur à Autharis un Paul que Warnefried ne men-
tionne pas. Il en est de même pour l'empire d'Orient ; Grégoire
fourmille d'erreurs. Il fait régner Justin dix-huit ans (V, 31 ),
tandis que nous savons par les écrivains byzantins qu'il n'en
régna que treize . Il fait faire par Tibère une guerre contre les
Perses (V, 31 ) , qui en réalité fut l'oeuvre de Justin . Il dit (VII,
36) que Gondovald apprit à Constantinople la mort de Chilpéric
et auparavant (VI , 24) qu'il arriva à Marseille la vingt-et-
unième année du règne de Chilpéric 5 .

1. Voy. l'Opuscule de M. Lecoy qui relève toutes ces erreurs, et même


en exagère le nombre et l'importance.
2. La seconde femme de Sigismond accuse Sigiric de vouloir dépos-
séder son père et conquérir le royaume « quod avus ejus Theudericus
Italiae tenuit. » Il faudrait « tenet. »
3. Voy. plus haut, p. 104, n. 6.
4. Voy. plus haut, p. 108 , n . 2.
5. Il est vrai que c'est Gondovald lui-même qui, dans un discours
plein d'impostures, dit avoir appris à Constantinople la ruine de la
maison de Chilpéric . Beaucoup des contradictions attribuées à Grégoire
trouvent leur explication dans une étude attentive du texte. (Voyez la
réponse de M. Bordier à M. Lecoy citée plus haut, p. 72, n. 1). - Ainsi,
tous les critiques de Grégoire pensent qu'au livre V, ch . 2 et 3, le pas-
sage suivant renferme une contradiction : « Assumto secum rex Meroveo,
- 118 -

C'est surtout, on le voit, dans ce qu'il rapporte sur les pays


lointains , sur les Goths , les Lombards, les Byzantins , que Gré-
goire tombe dans de graves erreurs , imputables plutôt à l'insuf-
fisance de ses informations qu'aux défaillances de son esprit .
Sur l'histoire même des Franks , il est rarement contredit , il
n'est que complété et expliqué par les documents contempo-

Suessionas rediit. Cum autem ibidem commorarentur, collecti aliqui de Cam-


pania Suessionas urbem aggrediuntur, fugataque ex ea Fredegunde regina ac
Chlodoveo filio Chilperici, volebant sibi subdere civitatem. Quod ut Chilpe-
ricus rex comperit, cum exercitu illuc direxit., ... fugatisque..... Suessionas
ingreditur. » Évidemment il ne faut pas prendre la première fois le mot
Suessionas dans le sens de Suessionas urbem, mais dans celui de Suessio-
nensem pagum. Les rois mérovingiens résidaient peu dans les villes, et
l'on sait que Brennacum, un des séjours favoris de Chilpéric , faisait
partie du territoire de Soissons. - · Lecointe , Valois, M. Lecoy - repro-
chent aussi à Grégoire d'avoir montré Gondovald d'abord à Bordeaux,
auprès de l'évêque Bertchramne (VII, 31 ), puis traversant la Garonne
pour se réfugier à Comminges (VII, 34). Mais ces deux faits sont séparés
l'un de l'autre. Gondovald pouvait très-bien avoir fait une démonstration
armée sur la rive droite de la Garonne , puis se voyant abandonné par
le duc Desiderius et menacé par les troupes de Gontran, avoir repassé
le fleuve pour s'enfuir à Comminges. Les mêmes critiques s'étonnent
aussi que les soldats de Gontran , après avoir passé la Garonne et se
rendant vers Comminges, viennent à Agen qui est sur la rive droite du
fleuve. - Mais ils ne passent pas à Agen même, ils arrivent « ad basili-
cam S. Vincentii, quae est juxta terminum Agennensis urbis. » D'ailleurs, la
voie la plus courte pour aller de Bordeaux à Comminges était
la voie romaine qui , partant de Bordeaux, passait sur la rive droite de
la Garonne, à Ussubium (Urs) , et traversait Agen , puis retraversait le
fleuve et conduisait à Comminges en passant par Auch . - Adrien Valois
trouve une contradiction entre le chapitre 5 du livre VII où Frédégonde
confie son jeune fils Clothaire à Gontran, et le chapitre 9 du livre VIII
où Gontran se plaint de n'avoir pas vu l'enfant. - - Il est vrai qu'au
livre VII, ch . 5, 6, nous voyons Gontran à Paris avec Frédégonde :
« Fredegundam patrocinio suo fovebat, ipsamque saepius ad convivium evo-
cans. Valois en conclut que Gontran devait aussi voir l'enfant. Mais
Grégoire ne dit pas que Clothaire fut à Paris. Il dit au contraire (VI , 41)
que Chilpéric le faisait élever dans la villa de Vitry , « dicens : Ne forte
dum publice videtur, aliquid mali incurrat et moriatur. » Frédégonde s'était
réfugiée scule à Paris, dans la basilique de Saint-Vincent (VI, 46) . Les
leudes, avec Ansoald, se réunirent auprès de Clothaire, à Vitry probable-
ment, pendant que Gontran et Frédégonde étaient à Paris (VII, 7) , et le
conduisirent dans les différentes villes pour le faire reconnaître . Mais ils
ne vinrent pas à Paris. Voilà pourquoi Gontran se plaint un peu plus
tard que les « nutritores » de l'enfant ne le lui aient pas amené et craint
que cette éducation secrète ne cache quelque supercherie. « Unde,
quantum intelligo, nihil est quod promittitur; sed , ut credo, alicujus ex leu-
dibus nostris sit filius. » VIII, 9.
- 119 -

rains¹ ; pour les événements qui se sont passés en Gaule de son


temps , son récit est parfaitement suivi et cohérent ; pour les der-
nières années du roi Gontran en particulier nous trouvons une
confirmation précieuse des renseignements qu'il nous donne dans
la Chronique dite de Frédégaire qui n'a connu que les six
premiers livres de l'Historia Francorum et qui rapporte les
événements depuis 584 d'après des sources exclusivement bur-
gundes .
S'il a laissé échapper des erreurs et des contradictions sur des
faits qu'il était à même de bien connaître, par exemple sur
l'histoire des évêques d'Arvernie et de Tours , nous ne devons
pas oublier quelles difficultés matérielles il fallait vaincre à cette
époque pour la composition d'un ouvrage historique aussi consi-
dérable . Il possédait sans doute de nombreux documents , mais
c'étaient des documents isolés , sans lien entre eux, écrits à des
époques diverses , et renfermant peut-être des inexactitudes.
Lui-même devait à son tour travailler sur une matière devenue
chère et rare, le parchemin, sur lequel on écrivait avec lenteur
et difficulté . Toute addition , toute correction devait être faite sur
la feuille même où la première rédaction avait été écrite , et si
l'on recopiait le texte, ces surcharges étaient une cause cons-
tante d'erreurs. Grégoire , occupé non-seulement de l'adminis-
tration d'un important diocèse, mais encore mêlé aux affaires
politiques, fréquemment dérangé par des voyages , commençait ,
abandonnait , puis reprenait tour à tour ses travaux littéraires,
et n'eut jamais le loisir de faire une révision complète et une
copie définitive de son histoire . S'étonnera-t-on des lacunes , des
erreurs , des contradictions même qui peuvent s'y rencontrer? Ce
qu'on admirera bien au contraire , c'est que Grégoire ait eu l'idée
de tirer des documents qu'il possédait une histoire suivie des
évêques d'Arvernie et de Tours, et, à la fin de sa vie , d'étudier
encore une fois les documents relatifs à l'Église de Tours pour
rectifier et compléter dans son épilogue ce qu'il avait dit dans le
corps même de son ouvrage .
Malgré ces remarquables efforts pour atteindre la vérité
historique, malgré le désir de ne rien avancer qu'il n'ait appris
par des témoignages dignes de foi , Grégoire de Tours n'en reste.
pas moins un Gallo-Romain du vi° siècle ; il partage les préjugés
de son temps, et ne peut échapper à la décadence intellectuelle

1. Voy. Junghans, op. cit. passim.


2. Voy. p. 68 .
120 -

de toute son époque . Il sait bien en théorie qu'il faut peser et


comparer les témoignages pour arriver au vrai , mais il n'est
pas capable en pratique d'exercer une critique aussi délicate . Il
accepte les informations de toutes mains et ne paraît pas avoir
moins confiance dans les récits étranges que des voyageurs lui
ont faits sur l'Égypte que dans les textes de Sulpicius Alexander
ou de Renatus Frigiredus . Il mêle dans son histoire des pre-
miers rois franks ce qu'il sait par des documents écrits et ce qu'il
emprunte à des traditions poétiques. Il n'hésite pas à inventer des
discours qu'il met dans la bouche des personnages historiques , à
l'imitation des auteurs anciens . Il proportionne l'ampleur de
ses récits non à l'importance des événements , mais à l'abondance
de ses informations. Il raconte des faits historiques importants ,
tels que la guerre de Chilpéric et de Sigebert, ou les expéditions
de Childebert en Italie³ , avec une brièveté qui nuit à la clarté ,
tandis qu'il entre dans les moindres détails des révoltes du cou-
vent de Poitiers . Bien qu'on ne trouve pas chez lui les légendes
extravagantes que recueille , un siècle plus tard , la compilation
attribuée à Frédégaire , il abonde néanmoins en récits merveil-
leux ; il est soumis aux illusions d'une imagination sensible à
l'excès , comme il arrive fatalement à une époque où la foi est
vive et où la science est morte . Il vit dans un monde surnaturel,
et tous les événements prennent dans son esprit un caractère
surnaturel 5. Cette tendance à voir partout le merveilleux , à
ajouter par l'imagination quelque chose de surhumain aux faits
réels, est peu faite sans doute pour inspirer confiance dans

1. A côté de choses justes , telles que la distinction des deux Baby-


lones, celle d'Égypte (Le Caire) et celle de Mésopotamie, il y a des
détails complètement erronés sur le cours du Nil et une fable bizarre sur
les empreintes, visibles encore , que les roues des chars égyptiens et
israélites firent au fond de la mer Rouge, quod a sapientibus, et certe
illis hominibus, qui in eodem loco accesserant, verum cognovimus. » H. F.
I, 10.
2. Voyez les discours de Clotilde, II, 29: de Clovis , II, 30 , 40; d'Aredius,
II, 32, etc.
3. H. F. IV, 50-52; VI, 42; VIII , 18; IX, 25.
4. H. F. IX, 39-43.
5. Grégoire parle même sans blâme, et comme s'il y croyait, des
Sortes sanctorum , interdits pourtant par les lois canoniques. (Voy. H. F.
IV, 16 ; et V. PP. IX, 2). On appelait ainsi une sorte de divination au
moyen de Livres de l'Écriture Sainte qu'on plaçait sur l'autel d'une
église et qu'on ouvrait au hasard. Le passage sur lequel on tombait
prédisait l'avenir ou indiquait la conduite à suivre. Cette superstition
s'est reproduite chez la secte protestante dite des Frères Moraves.
- 121 -

l'autorité du témoignage de Grégoire , mais , s'il est capable


d'illusions, son ingénuité, sa candeur , sa piété même le rendent
incapable d'exagérer à dessein et d'altérer sciemment la
vérité.
Nous ne devons jamais oublier en effet qu'il est prêtre, qu'il
est évêque, qu'il mérite par ses vertus d'être appelé saint ; sa
valeur , comme historien , est à la fois diminuée et augmentée
par ce caractère essentiellement religieux . Nul n'était mieux
placé que lui pour tout voir et tout savoir, nul homme de son
temps ne pouvait juger les faits avec plus de sincérité et plus de
noblesse ; mais il conserve toujours son caractère épiscopal , et il
est à craindre que le désir de faire servir les événements histo-
riques à l'édification des âmes , ne l'amène, sinon à modifier
malgré lui les faits , du moins à les arranger en vue du but qu'il
se propose . Ce but n'est pas seulement de conserver à la posté-
rité la mémoire d'événements importants, mais aussi de tirer de
ces événements des leçons pour les contemporains . Sa première
préoccupation, quand il commence à écrire, est d'affirmer sa foi
et de rejeter loin de lui les hérésies d'Arius¹ . S'il commence par
un résumé de l'histoire universelle , c'est surtout pour rassurer
par des calculs chronologiques ceux qui s'effraient à l'idée que le
monde va finir. Aussi ce premier livre est-il presque exclusive-
ment consacré à l'histoire du peuple hébreu , puis aux progrès de
l'Église chrétienne . L'histoire profane n'y apparaît que pour
fournir quelques synchronismes sans intérêt et assez peu exacts² .
On voit que, pour Grégoire comme pour tous les écrivains ecclé-
siastiques , c'est l'histoire religieuse qui forme le centre de l'his-
toire universelle et lui donne pour ainsi dire un sens . Aussi , à
l'exemple de la Bible , d'Eusèbe , de Sévère , de Jérôme, d'Orose,
continue-t-il, pour les époques plus récentes, à mêler le récit des
vertus des saints à celui des luttes des peuples 3. Il veut que

1. Scripturus bella regum cum gentibus adversis , martyrum cum paganis,


ecclesiarum cum haereticis, prius fidem meam proferre cupio, ut qui legerit,
me non dubitet esse catholicum , etc... » H. F. I , Prol . Il fait de nouveau
une profession de foi orthodoxe à la fin du Prologue du livre III.
2. Après avoir donné le synchronisme d'Amon, Argeus, Gygès, Vafres,
Nabuchodonosor, Servius Tullius , il continue « post hos, imperatores... »,
non qu'il crût que les empereurs avaient succédé à Servius Tullius ,
mais parce que le temps de la République ne lui fournissait plus de
synchronismes de souverains. H. F. I , 16, 17.
3. « Mixte confuseque tam virtutes sanctorum , quam strages gentium
memoramus. » H. F. II, Prol. -- Ceci prouve bien l'erreur des critiques
qui ont prétendu que les chapitres appartenant à l'histoire ecclésias-
- 122 -

l'édification se mêle à l'histoire , et il prétend ramener les âmes à


l'orthodoxie en montrant les maux qui ont toujours frappé les
hérétiques . Entraîné par le désir de prouver cette thèse , il dit
que Godegisèle, Gondebaud et Godomar sont tombés misérable-
ment parce qu'ils étaient ariens¹ . Au moment de reprendre le
monotone et désolant récit des guerres intestines qui déchiraient
les royaumes franks, il s'arrête pour rappeler aux rois l'exemple
de Clovis leur aïeul , et les supplier de mettre fin à leurs dis-
cordes . Dans la Préface générale, écrite probablement à la fin
de sa vie , Grégoire dit avoir pris la plume pour conserver à la
postérité le souvenir des événements passés , ou plutôt le souve-
nir des crimes des méchants et des vertus des gens de bien ; et
l'on voit que parmi ces événements, ceux qui touchent l'Église
occupent pour lui la place la plus importante 3 .
Ces préoccupations religieuses et morales, cette soif de faire
tourner au bien des âmes les enseignements de l'histoire, ne
devaient point assurément préparer Grégoire à voir exactement
les faits et à les reproduire fidèlement . Mais en même temps il
était trop consciencieux et trop simple de cœur pour combiner et
arranger l'histoire au gré de ses désirs . Il n'a pas l'habileté
nécessaire pour transformer l'histoire en plaidoyer ou en prédi-
cation , comme le feront plus tard un Benzo ou un Bernold de Saint-
Blaise . Il entremêle son récit de réflexions et d'exhortations
religieuses, mais ces enseignements ressortent rarement des
faits eux-mêmes, qui conservent toute leur barbarie naïve . Peut-
être, pour les époques plus anciennes , les événements se sont-ils

tique ne faisaient pas partie du plan primitif de Grégoire, et auraient


pu être interpolės.
1. « Velim, si placet, parumper conferre quae Christianis beatam confiten-
tibus Trinitatem prospera successerint, et quae haereticis eamdem scindentibus
fuerint in ruinam... Probavit hoc Godegiseli, Gundobadi atque Godomari
interitus, qui et patriam simul et animas perdiderint. » H. F. III , Prol . —
Interitus veut ici dire simplement chute , et il faut traduire : « la ruine
de Godegisèle , de Gondebaud et de Godomar, qui perdirent leur pays
et leurs propres âmes. » Tous les traducteurs rendent interitus par mort
et accusent gratuitement Grégoire d'une grossière erreur.
2. H. F. V, Prol.
3. « ...Cum nonnullae res gererentur vel recte, vel improbe, ac feritas gen-
tium desaeviret, regum furor acueretur, ecclesiae impugnarentur ab haereticis,
a catholicis tegerentur; ferveret Christi fides in plurimis, refrigesceret in non-
nullis, ipsae quoque ecclesiae vel ditarentur a devotis, vel nudarentur a
perfidis ; ... pro commemoratione praeteritorum, ut notitiam adtingerent
venientium,... nequivi tamen obtegere vel certamina flagitiosorum vel vitam
recte viventium. » H. F. Praef.
423---

parfois arrangés, colorés involontairement dans l'imagination de


Grégoire ; mais pour toute la période dont il est contemporain ,
son récit a tout à fait le caractère de mémoires écrits au jour le
jour, et où il peint les hommes de son temps et se peint lui-même
avec une sincérité parfaite. Combien n'est-il pas précieux d'avoir
sur l'histoire franke du vr° siècle le témoignage d'un évêque, du
plus illustre et du plus saint évêque qui fut alors en Gaule !
Nous avons examiné quelle autorité nous devions accorder à
ce témoignage d'après ce que nous savons sur l'instruction ,
l'intelligence, les idées de Grégoire ; examinons maintenant quel
degré de confiance son caractère doit nous inspirer . Nous avons
cherché à déterminer dans quelle mesure il peut être regardé
comme un témoin éclairé, cherchons maintenant s'il est un
témoin sincère.
Nous ne devons pas nous attendre à trouver en lui la froide
impartialité d'un savant de profession . Nous avons vu qu'il ne
s'était point préparé par l'étude aux travaux littéraires ; il fut
d'ailleurs trop constamment mêlé à la vie publique et aux affaires
de son temps pour ne pas y prendre parti. Il avait une âme
ardente, impressionnable , passionnée . Son imagination toujours
surexcitée lui faisait voir dans tous les événements de sa vie.
l'intervention surnaturelle de la volonté divine ; il rencontre à
chaque pas des miracles, des visions , des prodiges¹ . Tout jeune
encore , c'est un miracle au tombeau de saint Allyre qui déter-
mine sa vocation ecclésiastique . Plus tard c'est une vision qui
le force pour ainsi dire à prendre la plume et à écrire les mira-
cles de saint Martin 3. Son incessante et multiple activité
témoigne d'une ardeur que rien ne peut lasser . Malgré son igno-
rance, malgré le malheur des temps , malgré des agitations et des
occupations infinies, il s'impose encore comme un devoir de
composer dix livres d'histoire et huit livres de vies et de miracles
de saints pour l'édification de ses frères et l'instruction de la
postérité.

1. Tous ses écrits hagiographiques, et en particulier les Miracula


sancti Martini sont remplis du récit des miracles dont il a été l'objet.
M. S. M. IV, 1 , 2 , etc. Dans son histoire , les faits merveilleux reviennent
presque à chaque page . Dans le seul livre IV, je note des miracles dans
les chapitres 5, 16, 17, 19, 25, 26, 28, 29, 31 , 32, 33, 34, 36 , 37 , 45 , 49, 50, 52 .
2. V. PP. II , 2.
3. Voyez M. S. M. Préf. -- Sa mère lui apparut en songe et lui dit
d'écrire les Miracles de saint Martin. Il obéit à cet avertissement comme
à un ordre de Dieu « Domino jubente. »
- 124

L'ardeur passionnée qui remplissait l'âme de Grégoire s'était


de bonne heure tournée tout entière vers les choses religieuses .
Les intérêts de l'Église étaient le centre de toutes ses pensées et
la règle de toutes ses actions . Au milieu du trouble que l'invasion
des barbares avait apporté dans la société gallo-romaine, l'Église
seule représentait l'ordre et la moralité . Les lois , à peine obser-
vées , reposaient sur le principe immoral de la compensation
pécuniaire ; et dans la société laïque , la débauche, la violence ,
le meurtre, les rapines étaient devenus si universels que l'on ne
songeait même plus à s'en indigner . Les âmes les plus pures
subissaient involontairement l'influence de cette démoralisation
générale . Nous ne devons point l'oublier si nous voulons com-
prendre et apprécier avec justesse les jugements que Grégoire
porte sur les hommes et les événements de son temps . Il y était
trop mêlé pour ne pas avoir ressenti les atteintes du trouble que
l'invasion avait jeté dans toutes les consciences, de même que
son esprit avait subi le contre-coup de la décadence intellectuelle
où était tombée la Gaule . Quand il juge des hommes d'Église , il
les juge avec toute la sévérité des lois ecclésiastiques ; il dénonce
les vices de Caton et de Cautinus, de Salonius et de Sagittaire
avec une énergie et une franchise de langage qui nous surpren-
nent aujourd'hui de la part d'un évêque parlant d'autres évêques¹ .
Mais quand il parle des laïques , des chefs barbares surtout, il
ne peut pas leur appliquer les mêmes règles . Qui donc alors
aurait trouvé grâce devant ses yeux ? N'étaient-ils pas tous
débauchés et violents ? En voyons-nous un seul qui n'ait pas sur
la conscience quelque homicide ou quelque trahison ? Et d'ailleurs
ce n'est pas impunément que Grégoire a vécu dans cette société
grossière et corrompue. Il semble que la vue quotidienne de tant
de brutalités et de tant de crimes ait émoussé sa délicatesse , et
que, tout Gallo-Romain qu'il est , il y ait un peu de barbare en
lui . Il raconte avec admiration , presque avec édification , l'his-
toire d'une jeune fille martyrisée par les Vandales ariens et qui ,
contrainte par eux de subir un nouveau baptême , souilla gros-

1. H. F. IV, 6, 7, 11 , 13. - V, 21, 28.


M. Lecoy de la Marche dit que l'on a peine à reconnaître « la plume
d'un prélat dans le tableau des orgies de Sagittaire et de Salonius. Nul
autre, il me semble , n'était mieux placé qu'un prélat pour flėtrir les
vices de ses frères ; il le fait avec la vertueuse rudesse d'un homme
simple et franc, vivant à une époque où l'Église était assez forte pour
chercher , non à étouffer les scandales, mais à les réprimer publi-
quement.
125

sièrement l'eau du bassin où on la plongeait ¹ . Non-seulement il


est parfois grossier , mais encore il semble qu'au milieu de tant
de vices, il soit devenu indulgent au mal et qu'il en ressente
plus de découragement encore que d'indignation ³ .
Après avoir raconté les embûches que Thierry dresse à son
frère Clothaire et la ruse qu'il emploie pour recouvrer un cadeau
qu'il lui avait fait , il ajoute simplement : « In talibus enim
dolis Theudericus multum callidus erat¹ . » Parfois il rap-
porte les faits les plus atroces ou les plus scandaleux sans
aucune réflexion , sans même ajouter aucun mot qui exprime le
blâme ou l'horreur 5. Il faut des crimes effroyables comme ceux
de Rauching pour qu'il s'indigne et les flétrisse . Il n'est pas
indifférent au mal , mais les actes de violence ou de débauche
reviennent si souvent sous sa plume qu'il ne pouvait s'arrêter à
les flétrir, et que son âme avait dû s'endurcir à la longue. Il ne
peut juger les hommes d'après leurs actes, car ils sont presque
tous également souillés et mauvais ; aussi dans cet ébranlement
de toutes choses , dans ce désordre des mœurs , Grégoire se
rattache-t-il passionnément à l'Église , au Christ , fin suprême
où tendent tous les Chrétiens 7 ; il est indulgent ou sévère pour
les hommes dont il raconte l'histoire , suivant qu'ils ont été amis
ou ennemis de l'Église, croyants ou infidèles. Le dévoûment à
l'Eglise et à la foi chrétienne suffit à ses yeux à couvrir tous les
péchés . Rien n'est plus naturel chez un évêque et à une époque
où il fallait à tout prix défendre l'Église, la seule force morale
quirestât debout .
Quand on connaît ainsi la règle des jugements de Grégoire , on
peut mieux les comprendre et les rectifier. On s'explique alors

1. « ... ad rebaptizandam invita deducitur. Cumque in illud coenosum


lavacrum vi cogeretur immergi, ... digno aquas unguine cunctas infecit, id est
fluxu ventris adspersit. » 11, 2. - Voyez aussi les détails repoussants sur
la gloutonnerie de Parthenius . III, 36.
2. Voyez Ampère, Histoire littéraire de la France avant Charlemagne.
II, 6, 279-282 . Il accuse Grégoire d'être dans ses récits « totalement
abandonné de sentiment moral » , ce qui est injuste.
3. Taedet me bellorum civilium diversitates..... memorare. » H. F. III, Prol.
4. H. F. III , 7.
5. Voy. les crimes de Gondebaud (II, 28) ; l'énumération des femmes
de Clotaire (IV, 3) ; de Gontran (IV, 25) ; de Charibert (IV , 26) ; de Chilpéric
(IV, 28).
6. H. F. V, 3.
7. « Noster vero finis, ipse Christus est, qui nobis vitam aeternam, si ad
eum conversi fuerimus, larga benignitate praestabit. » H. F. I , Prol .
- 126

pourquoi ses jugements sont rarement impartiaux et toujours ou


trop indulgents ou trop sévères . Dans l'ardeur de son zèle reli-
gieux , il est bien rare qu'il apprécie avec justesse les caractères
et les actions des hommes . Il ne permet et ne pardonne aucune
attaque, non-seulement contre l'Église ou contre la foi , mais
même contre son diocèse . Félix , évêque de Nantes , eut l'impru-
dence de réclamer pour son diocèse une terre du diocèse de Tours .
Grégoire défendit les droits de son église avec une violence
inouïe ; il accuse Félix d'avidité et d'orgueil ¹ , et quand il ra-
conte la douloureuse maladie dont mourut l'évêque de Nantes, il
ne laisse pas échapper un mot de pitié ou de regret 2. Il est im-
pitoyable envers ceux qui n'ont pas respecté les prêtres ou
les églises , Chramne 3 , Leudaste 4 , Charibert 5 , Chilpéric et
Frédégonde . Chilpéric surtout, qui si souvent a envahi le diocèse
de Tours pour l'arracher à ses légitimes possesseurs , Sigebert et
Childebert, est traité par lui avec la dernière rigueur . Il l'appelle
<< le Néron et l'Hérode de notre temps » ; il nous le représente
<< adonné à la gloutonnerie et n'ayant pour dieu que son ventre? » .
Il dit enfin qu'on ne peut imaginer aucun genre de luxure auquel
Chilpéric ne se soit livrés . Quant à Frédégonde , elle est une

1. « Villam ecclesiae concupivit (Felix) : quam cum dare nollem, evomuit


in me,... opprobria mille. Cui... ego respondi : « ... O si te habuisset Massilia
sacerdotem, nunquam naves oleum, aut reliquas species detulissent, nisi tan-
tum chartam , quo majorem opportunitatem scribendi ad bonos infamandos
haberes... » Immensae enim erat cupiditatis atque jactantiae. » H. F. V, 5.
Pourtant nous voyons ailleurs Grégoire en rapports d'amitié avec
Félix, et nous savons par lui qu'une grande intimité unissait Félix à
saint Friard . Voy. G. C. 78 et V. PP. X, 4. - Voyez aussi les éloges que
Fortunat (Carmina, III , 8) adresse à Félix .
2. H. F. VI, 15.
3. « Chramnus vero apud Arvernis diversa exercebat mala, semper adver-
sus Cautinum episcopum invidiam tenens. » H. F. IV, 16) .
4. « Qui (Leudastes) adsumto, ut diximus, comitatu, in tali levitate elatus
est, ut in domo ecclesiae cum thoracibus atque loricis..... ingrederetur.....
Presbyteros manicis jubebat extrahi... » H. F. V, 49 .
« Sed ... veniamus ad illud qualiter me voluit iniquis ac nefariis calumniis
supplantare... Post multa mala quae in me meosque intulit, post multas
direptiones rerum ecclesiasticarum... etc. Omnes thesauros quos de spoliis
pauperum detraxerat suum tulit. » H. F. V, 50.
5. « Charibertus rex, cum exosis clericis , ecclesias Dei negligeret, despec-
tisque sacerdotibus, magis in luxuriam declinasset... » M. S. M. I , 29.
6. « Nero nostri temporis et Herodes. » H. F. VI , 46 .
7. « Erat enim gulae deditus, cujus deus venter fuit. » H. F. VI, 46.
8. Jam de libidine atque luxuria non potest reperiri in cogitatione, quod
non perpetrasset in opere.» Ibid.
- 127

ennemie de Dieu et des hommes ' , et il n'est pas de crime dont


Grégoire ne croie capable celle qui a fait périr son ami , l'évêque
de Rouen Prétextat 2. C'est que jamais Chilpéric n'avait respecté
l'église de saint Martin . Roccolon avait menacé en son nom de
brûler la basilique de Tours si on ne lui livrait pas Gontran
Boson 3. Lorsque Mérovée s'y réfugia , Chilpéric fit dévaster tout
le pays de Tours sans épargner les biens de saint Martin 4. Con-
trairement aux immunités ecclésiastiques, il frappa d'amende
des pauvres et des serviteurs de l'église de Tours qui n'avaient
pas marché avec son armée contre les Bretons 5. Enfin il blas-
phémait constamment contre les prêtres du Seigneur et prenait
plaisir à railler les évêques 6 .
C'est surtout lorsqu'il parle des hérétiques que Grégoire se
laisse emporter à une grande violence de sentiments et de lan-
gage . Non-seulement il peint sous les couleurs les plus noires les
rois ariens persécuteurs , mais le nom des hérétiques ne peut
pas se trouver sous sa plume sans qu'il l'accompagne de quelque
épithète infamante . Il les accuse de lâcheté ; il prétend qu'ils

1. Inimicam Dei atque hominum Fredegundem. » IX, 20.


2. Elle fait assassiner Sigebert, IV, 52; Leudaste , VI , 32; Mummolus,
VI, 35; Prétextat, VIII, 31 ; Beppolen, X, 11 ; elle cherche à faire périr
Mérovée, V, 14; Clovis, V, 40 ; Ebérulf, VII , 29; Gontran, VIII , 44 ; sa
propre fille Rigonthe , IX , 34. Elle dresse deux fois des embûches à
Childebert et à Brunehaut, VII, 20; VIII, 28, 29; X, 18. Enfin Grégoire
laisse peser sur elle le soupçon d'avoir fait tuer Chilpéric, VI, 46; VII , 21 .
3. V, 4.
4. « Exercitus autem Chilperici regis usque Turonis accedens, regionem
illam... devastat : nec rebus sancti Martini pepercit ; sed quod manu tetigit,
sine ullo Dei intuitu aut timore diripuit. » V, 14.
5. « Chilpericus rex de pauperibus et junioribus ecclesiae vel basilicae ban-
nos jussit exigi, pro eo quod in exercitu non ambulassent. Non enim erat
consuetudo, ut hi ullam exsolverent publicam functiorem. » V, 27.
6. Sacerdotes Domini assidue blasphemabat, nec aliunde magis, dum
secretus esset, exercebat ridicula vel jocos, quam de ecclesiarum episcopis. »
VI, 46.
7. Voy. sur Trasamond et Hunéric, II , 3. Il dit qu'Hunéric « arreptus
a daemone, propriis se morsibus laniabat : in quo etiam cruciatu vitam
indignam justa morte finivit. » Sur Athanaric , voy. II , 4; sur Euric, II, 25.
8. Voy. livre III. Prol. où il veut montrer que tous les hérétiques
sont malheureux dans ce monde et damnés dans l'autre. L. II , ch . 2 :
« perfidiam arianae sectae. » Dans le De G1. C. ch. 48, il montre les Goths
consacrant l'église de Rions « ad suam sectae immunditiam. » Lorsque
Amalasonte empoisonne sa mère dans le calice de l'Eucharistie, Gré-
goire dit que le diable est présent dans l'eucharistie arienne, car celui
qui croit à la Trinité pourrait boire dans un calice empoisonné sans en
ressentir aucun mal . III , 31. Voy. aussi G. M. 82.
9. « Ille (Alaricus) metuens... ut Gotthorum pavere mos est. » II, 27.
128 -

ont la coutume d'assassiner leurs rois ¹ , comme si le régicide eût


été inconnu chez les Franks orthodoxes ; enfin dans une discus-
sion avec un arien , il lui lance à la face pour dernier argument
les noms de chien et de pourceau2 .
Mais si sa sévérité morale est extrême envers ceux qui ont
abandonné la foi ou attaqué l'Église , si même il s'emporte contre
eux à des violences qui peuvent paraître injustes , il est sujet à
une partialité non moins grande , bien que tout opposée , envers
ceux qui ont défendu la foi et protégé l'Eglise . La foi les sauve à
ses yeux, et quand Grégoire les juge , il ne veut pas être plus
sévère que Dieu qui leur a pardonné. Aussi raconte-t-il le plus
souvent leurs fautes ou même leurs crimes sans joindre à son
récit aucune expression de blâme.
Constantin empoisonne son fils et étouffe sa femme ; Grégoire
l'excuse en disant qu'ils voulaient le trahir 3. Constantin n'a-t-il
pas en effet rendu la paix à l'Église 4 ? Clovis tend des embûches
aux chefs des diverses tribus frankes , et les fait tous périr
successivement . Non-seulement Grégoire ne le blâme pas , mais
il voit dans la réussite de ces entreprises le signe manifeste de la
protection divine 5. C'est que les victoires de Clovis profitaient à

« Cumque secundum consuetudinem Gotthi terga vertissent. » II , 37.


1. « Sumserant enim Gotthi hanc detestabilem consuetudinem, ut si quis eis
de regibus non placuisset, gladio eum adpeterent. III , 30 .
2. Grégoire termine sa discussion avec Agila, l'ambassadeur de Léovi-
gilde, par cette apostrophe : « Nec nostram Dominus religionem sive fidem
ita tepescere faciat, ut distribuamus sanctum ejus canibus, ac pretiosarum
margaritarum sacra porcis squalentibus exponamus. » V, 44.
3. Scilicet quod proditores regni ejus esse voluissent. » H. F. I , 34.
4. « Pax reddita fuisset ecclesiis. » Ibid .
5. V. II, 40. « Prosternebat enim quotidie Deus hostes ejus sub manu ipsius
et augebat regnum ejus, eo quod ambularet recto corde coram eo, et faceret
quae placita erant in oculis ejus. >> et II, 41 , 42.
Ceux qui s'étonnent d'entendre ce langage dans la bouche d'un évêque
peuvent lire la lettre qu'Avitus de Vienne écrivit à Gondebaud après la
mort de ses frères (Voy. Revue Critique, 1869, n° 43 ; art. 210. p . 265).
L'un d'eux, Chilpéric avait été tué par Gondebaud lui-même ; ce qui
n'empêche pas Avitus d'écrire : « Flebatis quondam pietate ineffabili funera
germanorum, sequebatur flelum publicum universitatis afflictio, et occulto
divinitatis intuitu, instrumenta moestitiae parabantur ad gaudium. Minuebat
regni felicitas numerum regalium personarum , et hoc solum servabatur
mundo, quod sufficiebat imperio . Illic repositum est quicquid prosperum fuit
catholicae veritati. Experto credite, quidquid hic nocuit, hic profecit, quicquid
tunc flevimus, nunc amamus. » — Aviti opera, éd. Sirmond , in-12, 1643.
P. 41. Ep. 5 .
Cette conception de la Providence divine qui fait tourner toutes les
actions humaines, bonnes ou mauvaises, à l'accomplissement de ses
- 129 -

`la foi catholique ¹ . Il représentait en Gaule l'orthodoxie contre


les Burgundes et les Goths hérétiques et contre les chefs ger-
mains encore païens . Il avait toujours témoigné le plus profond
respect pour les biens des églises et en particulier pour ceux de
Saint-Martin de Tours 2. On ne pouvait pas espérer qu'il désap-
prît les mœurs des chefs barbares de son temps ; mais du moins
il avait courbé la tête devant l'autorité divine , et Dieu l'avait fait
réussir dans des entreprises qui devaient amener le triomphe de
l'Église et de la foi catholiques ³.
Clothaire, le meurtrier de ses neveux et de son fils , est peut-être
le plus brutal et le plus farouche de tous les rois mérovingiens .
Mais Clothaire se montra toujours respectueux envers les évêques .
Sur leurs instances , il se sépara de Vuldetrade , veuve de Théo-

desseins, et entre les mains de qui les hommes ne sont que des instru-
ments, se retrouve chez les Juifs à l'époque héroïque et barbare de leur
histoire . Le livre des Juges nous dit, ch . III , verset 15 : « Suscitavit Do-
minus eis salvatorem vocabulo Aod. » Or Aod tue Eglon , roi de Moab , par
trahison. Il l'attire en lui disant qu'il lui apporte un message de la part
de Dieu . De même quand Jahel a fait perfidement entrer Sisera sous
sa tente et l'a assassiné en lui enfonçant un clou dans la tempe , Débora
la prophétesse chante : Benedicta inter mulieres Jahel et benedicetur in
tabernaculo suo. » Juges. IV, 21. - Grégoire cite lui-même ( II , 10) le
massacre des Moabites par Phinée , et ajoute avec les Psaumes (105 , 31 ) :
« et reputatum est illi ad justitiam. »
Des circonstances analogues ont produit des sentiments semblables,
sans parler de l'action directe de l'Ancien Testament sur les idées et le
langage des Chrétiens. Pour comprendre l'histoire, il faut admettre et
comprendre les différences de sentiments et de pensées qui résultent
de la diversité des époques et des circonstances.
1. Avitus le dit expressément dans sa lettre à Clovis : « quotiescumque
illic pugnatis, vincimus. » Ep . 41 .
2. « Quoniam pars hostium ( l'armée de Clovis, l'host) per territorium
Turonicum transibat, pro reverentia beati Martini dedit edictum ut nullus de
regione illa aliud, quam herbarum alimenta aquamque praesumeret. » H. F.
II, 37.
3. Ce point de vue n'a rien qui doive nous surprendre chez un évêque
qui au milieu des terribles luttes du christianisme contre les hérésies
et le paganisme, ne songe qu'à l'issue sans juger les moyens qui ont
amené le triomphe de la bonne cause . Un éminent historien allemand
contemporain a repris à son tour la pensée de Grégoire et voit dans les
conquêtes de Clovis l'intervention directe de Dieu pour faire triompher
non plus l'Église , mais l'élément germanique « Er erscheint, dit- il de
Clovis, wie Gregor es sagt, als ein Werkzeug Gottes, in dessen waltendem
Rathe bestimmt war , dass, wie der Roemischen Welt durch die Germanen ein
neues Leben eingehaucht, so dem Deutschen Volk von dort her die Elemente
weiterer Entwickelung zugetragen werden sollten. » - Waitz, Deutsche
Verfassungs Geschichte . 2º éd . Vol . II, ch . 1 , p . 70.
HIST . MÉROVINgienne . 9
- 430 -

debald, dont il avait fait sa concubine, et la donna au duc


Garivald¹ . Il ensevelit saint Mėdard avec les plus grands hon-
neurs 2. Il fit recouvrir d'étain la basilique de Saint-Martin qui
avait été incendiée 3 , et fit remise à la ville de Tours des impôts
qu'elle devait au roi 4. Enfin , avant de mourir , il vint à Tours
avec des présents magnifiques pour invoquer la miséricorde de
Dieu sur le tombeau du grand évêque 5. Aussi Grégoire n'a-t-il
point prononcé une seule parole sévère contre lui. Il loue même
l'élévation de son esprit 6. Le récit de l'effroyable massacre des
enfants de Clodomir avec leurs esclaves et leurs gouverneurs ,
n'est accompagné d'aucune réflexion, et se termine par ces froides
paroles Après les avoir tués , Clothaire monta à cheval et
partit , sans plus songer au meurtre de ses neveux 7. » Il raconte
tout aussi simplement comment Clothaire eut en même temps pour
femmes deux sœurs , Ingonde et Arégonde , et dit seulement qu'il
était trop voluptueux8 . » Enfin , quand Clothaire fait brûler vifs
Chramne, sa femme et ses filles , loin de s'indigner, Grégoire le
compare à David marchant contre Absalon et nous le montre
prenant Dieu à témoin de la justice de sa cause 9. Il semble
qu'aux yeux de notre évêque, les crimes de Clothaire aient été
commis par négligence et par manque de réflexion 10.
Son jugement sur Théodebert varie avec la conduite de celui-
ci à l'égard des églises . Dans un passage il le juge sévèrement , car
leroi viole les lois ecclésiastiques en entrant dans une église avec des

1. H. F. IV , 9.
2. IV, 19.
3. IV, 20.
4. IX, 30.
5. « Rex vero Chlotacharius... cum multis muneribus limina beati Martini
expetiit, et adveniens Turonis ad sepulcrum antedicti antistitis, cunctas ac-
tiones quas fortasse negligenter egerat replicans, et orans cum grandi
gemitu, ut pro suis culpis beatus confessor Domini misericordiam exoraret, et
ea quae inrationabiliter commiserat, suo obtentu dilueret. » IV, 21 .
6. Rex altioris ingenii. » M. S. M. 1 , 23.
7. « Quibus interfectis, Clotacharius ascensis equitibus abscessit, parvipen-
dens de interfectione nepotum. » III , 18.
8. « Quae autem causa fuerit, ut uxoris suae sororem acciperet, dicamus...
Cum esset nimium luxuriosus... » IV, 3. - Il faut lire tout le récit ; il
montre admirablement la naïveté de l'époque barbare .
9. « Ibatque Chlotacharius rex tanquam novus David contra Absalonem
filium pugnaturus, plangens atque dicens : Respice, Domine, de coelo, et
judica causam meam, quia injuste a filio injurias patior. » IV, 20.
10. Voy. la page précédente ... « actiones quas fortàsse negligenter egerat...
ea quae inrationabiliter commiserat. » H. F. IV, 21 .
131 -
gens excommuniés . Ailleurs Théodebert est « grand, illustre
et bon, » car il révère les prêtres et fait remise des impôts aux
églises d'Arvernie2 .
Cette partialité pour les rois amis de l'Église éclate surtout
lorsqu'il parle des possesseurs légitimes et des protecteurs du
diocèse de Tours, les rois d'Austrasie et de Burgundie, Sigebert ,
Childebert et Gontran . L'affection personnelle , ses devoirs de
sujet, les intérêts de son diocèse et ceux de la religion , tout
s'unit pour lui faire regarder d'un œil favorable la conduite de
ces rois . Il attribue à Chilpéric le rôle agressif dans la dernière
guerre contre Sigebert³ , tandis que l'Historia Epitomata dit
que ce dernier fut l'agresseur 4. Grégoire , il est vrai , était mieux
placé que le compilateur du vir° siècle pour savoir la vérité , mais
n'oublions pas aussi que Sigebert avait toujours protégé l'évêque
de Tours et n'avait jamais frappé son diocèse d'aucun impôt 5 .
Childebert imita son père et empêcha la levée des impôts à Tours
par respect pour saint Martin 6. Il combla Grégoire de marques
de respect, le prit pour conseiller7 , et l'évêque semble lui avoir
porté une affection presque paternelle . Brunehaut elle-même qui
épousa Mérovée son neveu « contra fas legemque canoni-
cam 8
», mais qui avait traité Grégoire avec de grands égards
et qui resta fidèle à la foi catholique 10 , est peinte dans l'His-
toria Francorum sous des couleurs favorables 11 qui contras-
tent avec le portrait que nous font d'elle l'Historia epitomata¹²,
la Chronique dite de Frédégaire 13 , et la Vie de saint Columban

1. « ... multa inique exerceret... rex cum his qui ab hoc sacerdote commu-
nioni abesse jussi fuerant, ecclesiam est ingressus. » V. PP . XVII , 2.
2. « At ille... magnum se atque in omni bonitate praecipuum reddidit . Erat
enim regnum cum justitia regens, sacerdotes venerans... etc. » H. F. I , 25 .
3. H. F. IV, 51.
4. Hist. epit., ch . 71.
5. H. F. IX, 30. Aussi , lorsque Sigebert achète la paix à prix d'or,
Grégoire prend- il sa défense : « idque magis ad laudem, quam ad aliquod
pertinere opprobrium, justa ratione pensatur. » IV, 29.
6. Ibid. - 7. H. F. VIII , 12 ; IX, 13 ; M. S. M. IV, 26 , 28 .
8. H. F. V, 2.
9. Voy. plus haut, p. 30-31 .
10. « Chrismata est, quae in nomine Christi catholica perseverat. » H. F.
IV, 27.
11. « Elegans opere, venusta adspectu, honesta moribus atque decora, pru-
dens consilio, et blanda conloquio. » Ibid.
12. « Tanta mala et effusiones sanguinum a Brunichildis consilio in Fran-
cia facta sunt... etc. »> - Hist. epit. 59.
13. Ch. 31-36.
132 -
par Jonas de Bobbio ¹ . Mais c'est surtout Gontran qui trouve en
Grégoire un admirateur passionné au lieu d'un juge . Dès qu'il
devient roi , il est déjà décoré du titre de « bonus » , au début du
chapitre où nous apprenons quelles furent ses femmes ou concu-
bines 2. A la fin de sa vie il nous apparaît comme un saint , il fait
des miracles ³ , et Grégoire laisse voir pour lui une vénération
émue et enthousiaste . « O roi admirable et éclatant de sagesse¹ » ,
s'écrie-t-il. Toujours il parlait de Dieu , de la construction
d'églises , de la défense des pauvres 5. On l'aurait pris « non-
seulement pour un roi , mais encore pour un prêtre du Seigneur ,
mettant toute sa confiance dans la miséricorde de Dieu . »
Gontran aimait l'évêque de Tours , il le comblait de présents 7 ; il
lui fit même à Orléans l'honneur de venir dans sa maison pour
y prendre la communion 8. Aussi l'évêque juge-t-il avec indul-
gence les actes où le roi montra que la religion n'avait pas fait
disparaître en lui le barbare . Quand Gontran fait périr, sur la
demande de sa femme Austrechilde , les deux médecins qui
l'avaient soignée , Grégoire termine son récit par ces mots :
« quod non sine pecccato factum fuisse multorum censet
prudentia . » De même quand Chundo, cubiculaire de Gontran,
est lapidé pour avoir osé chasser dans les Vosges, Grégoire
ajoute : « Multum se ex hoc deinceps rex poenitens, ut sic
eum ira praecipitem reddidisset, ut, pro parvulae causae
noxa, fidelem sibique necessarium virum tam celeriter

1. AA. SS. O. S. B. Saec. II , p. 5-29.


2. « Guntchramnus autem rex bonus, primo Venerandam... pro concubina
thoro subjunxit. » H. F. IV , 25.
3. IX , 21.
4. « O regem admirabili prudentia clarum. » VIII, 1 .
5. « Semper enim rex de Deo, de aedificatione ecclesiarum, de defensione
pauperum sermone habens. » IX. 20.
6. « Ipse autem rex, ut saepe diximus, in eleemosynis magnus, in vigiliis
atque jejuniis promtus erat..... eleemosynis largius solito praecurrentibus.....
jam tunc non rex tantum , sed etiam sacerdos Domini putaretur. » IX, 20 .
7. « Dulci nos adfectu fovens, ac muneribus onerans. » IX, 20 .
8. VII , 2.
9. V, 26. Il est vrai qu'il avait dit plus haut de Gontran « oppressus
iniquae conjugis juramento, implevit praeceptum iniquitatis. » D'après les
idées du temps, Gontran ne pouvait violer sans crime le serment fait à
Austrechilde d'exécuter ses dernières volontés, de sorte que la respon-
sabilité de l'ordre lui-même retombait sur celle qui l'avait donné plutôt
que sur celui qui l'avait exécuté . Néanmoins cette distinction même et la
réflexion prudente de Grégoire décèlent un certain obscurcissement de
la pensée et de la conscience.
133 -

interemisset¹ . » Il ne blâme nettement Gontran que lorsqu'il


ose mettre la main sur un évêque, Théodore, qui pourtant avait
livré Marseille à Gundulf, l'envoyé de Childebert 2. Lorsque
Théodore est arrêté une seconde fois pour avoir fourni des
secours à l'usurpateur Gondovald³ , l'Historia Francorum
nous montre Gontran frappé par Dieu d'une grave maladie et
contraint, par crainte de la mort , à relâcher l'évêque de Marseille" .
Tous les membres de l'Église sentaient alors la nécessité de
se défendre les uns les autres, de ne pas permettre que la puis-
sance temporelle portât atteinte aux priviléges de la puissance
spirituelle . S'ils n'avaient pas maintenu leur indépendance , la bar-
barie et la force brutale eussent bientôt tout envahi . L'Église était
sévère pour ses membres indignes, nous le voyons par la manière
dont Grégoire parle de Priscus , de Salonius et de Sagittaire 6.
de Caton et de Cautinus 7 , de Félix , de Badegisil 9 , d'Egidius 10 ;
mais elle prétend avoir seule qualité pour les juger . Quand Chil-
debert fait arrêter Egidius, accusé de haute trahison , les évêques
commencent par obliger le roi à relâcher l'évêque de Reims ,
puis ils jugent celui-ci et le condamnent 11. Grégoire portait dans
la défense de ces priviléges ecclésiastiques ce zèle ardent qu'il
mettait à toutes choses , et se laissait peut-être entraîner au- delà
des limites de la modération et de la justice. Le procès de Pré-
textat nous en offre un exemple frappant 12. Prétextat avait béni
le mariage de Brunehaut et de Mérovée, contrairement aux lois
canoniques ; il avait reçu en dépôt des objets précieux apparte-
nant à Brunehaut et en avait distribué une partie pour acheter
des partisans à Mérovée et provoquer à l'assassinat de Chilpéric .

1. X, 10. Voyez encore VII , 29. Gontran envoie Claudius pour assassiner
Bbėrulf, mais lui recommande de ne pas violer la basilique de Saint-
Martin.
2. a Ile (Guntchramnus)….. jubet contra fas religionis ut pontifex... artatus
vinculis sibi exhiberetur. » VI , 11 .
3. VI, 24.
4. ■ Guntchramnus rex graviter aegrotavit..... Quod credo, providentia
Dei fecisset. Cogitabat enim multos episcoporum exsilio detrudere. » VIII, 20.
5. IV, 36.
6. V, 21.
7. IV, 11 , 12.
8. V, 5.
9. VIII, 39.
10. X , 19.
11. Ibid.
12. V, 19.
- 434 -

Cela n'empêche pas Grégoire de le défendre devant les évêques


et devant le roi avec une extraordinaire véhémence , non point
parce qu'il le croit innocent , mais parce que Prétextat est évêque
et qu'il n'y a pas de canons d'après lesquels on puisse prononcer
contre lui de condamnation . Quand on apporte les nouveaux
canons apostoliques que Dionysius Exiguus , au commencement
du siècle suivant, mettra en tête de sa collection , l'évêque les
rejette comme apocryphes et refuse seul de ratifier le jugement
prononcé par ses quarante-cinq collègues .
Mais de même que son ingénuité d'esprit donne un caractère
de vérité à tout ce qu'il écrit, sa candeur et sa simplicité de
cœur le rendent incapable de dénaturer les faits qu'il a vus ; et
l'impartialité de ses récits corrige la partialité de ses jugements .
S'il admire et respecte Clovis, il ne nous raconte pas moins ses
crimes et ses ruses sans rien atténuer de leur barbarie . Il ne fait
pas entendre une seule parole de blâme contre Clothaire, mais le
récit du massacre de ses neveux et de la mort de Chramme nous
émeuvent si profondément, peut-être par leur froideur même ,
que Clothaire passe aux yeux de la postérité pour un monstre,
bien qu'il ne soit connu que par Grégoire . Il s'attendrit sur la
bonté du roi Gontran , mais il nous raconte deux actes de sauva-
gerie qu'il aurait pu aisément passer sous silence et qui permet-
tent de corriger l'indulgence excessive de son jugement . Enfin
s'il prend avec tant de véhémence le parti de Prétextat , il ne
cherche pas un seul instant à le faire passer pour innocent . Il
prétend qu'on n'a pas le droit de le condamner, mais après avoir
lu son récit, il est impossible de ne pas être convaincu de la
culpabilité de l'évêque de Rouen.
De même, s'il prononce une terrible condamnation contre
Chilpéric, il nous donne lui-même le moyen de corriger ce que
son jugement peut avoir d'excessif. Il nous le montre plein de
respect et de déférence envers lui, le traitant avec douceur même

1. « Adhibete ei (regi) consilium sanctum atque sacerdotale, ne exardescens


in ministrum Dei , pereat ab ira ejus..... Unum tantum polliceor, quod ea
quae ceteri secundum canonum statuta consenserint, sequar. » V, 19.
2. « Canones quasi apostolicos ». Grégoire ne reconnaît pas les canons
apostoliques qui ne furent universellement répandus que par le recueil
de Dionysius Exiguus, au commencement du vir siècle . Jusque-là on
avait deux collections gallo -romaines des canons des Conciles dont il
nous reste encore divers manuscrits. (Bibl . Paris. Mss. latins, nº 3838 ,
12197, 12444. Voyez Maassen, Geschichte der Quellen und der Literatur des
canonischen Rechts, I Vol. , pp. 28 et 100).
135

au moment où Grégoire lui résistait le plus ouvertement¹ . Chil-


péric se met à genoux devant l'évêque de Tours pour lui demander
sa bénédiction 2. Il fait, sur sa demande , grâce de la vie à des
voleurs, et prend grand soin des objets précieux qui appartenaient
à la basilique de Saint Martin³ . A la naissance de son fils Théo-
doric il fait mettre tous les détenus en liberté, et fait remise de
toutes les amendes dues au fisc¹ . Il refuse de croire les calom-
nies alléguées contre Ethérius, évêque de Lisieux 5. Enfin, lors
de la dyssenterie de l'année 580 , Chilpéric et Frédégonde, voyant
leurs enfants frappés de la maladie , se repentent, brûlent les
registres d'impositions et font de grandes largesses aux églises
et aux pauvres 6 .
Lorsque Grégoire reproduit des paroles qu'il a entendues, il y
apporte la même fidélité scrupuleuse que dans le récit des faits .
La discussion avec Agila nous en offre une preuve frappante. Il
le déclare dénué de toute habileté à trouver des idées ou à les
disposer avec art, stupide, insensé ; mais il met dans sa bouche
des raisonnements beaucoup plus forts que ceux qu'il présente
lui-même ; il abandonne le premier le calme et la modération
pour attaquer violemment son adversaire, et tandis qu'il l'ac-
cable de grossières injures , il nous montre Agila lui répondant
avec douceur par une admirable profession de foi de tolérance
universelle7 .
Ces exemples suffisent à montrer quelle confiance nous pou-
vons avoir dans la sincérité de ses récits ; quand il juge, sa
passion l'emporte ; quand il raconte, il a une impartialité presque

1. V, 19. Il l'invite à partager son repas au moment même où Grẻ-


goire le menace du jugement de Dieu . Voy. aussi V, 45 ; VI , 2.
2. VI , 5. Voy. encore la modération et la sagesse avec laquelle le roi
juge Grégoire accusé de lèse-majesté par Bertchramne , évêque de Bor-
deaux. V , 50.
3. VI, 10.
4. VI, 23.
5. VI, 36.
6. Grégoire met dans la bouche de Frédégonde des paroles pleines
d'éloquence : « Ecce jam perdimus filios : ecce jam eos lacrymae pauperum,
lamenta viduarum, suspiria orphanorum interimunt... Thesaurizamus, nes-
cientes cui congregemus ea. Ecce thesauri remanent a possessore vacui, rapi-
nis ac maledictionibus pleni. » V. 33.
7. « Legem quam non colis blasphemare noli : nos vero quae creditis, etsi
non credimus, non tamen blasphemamus, quia non deputatur crimini, si et
illa et illa colantur. Sic enim vulgato sermone dicimus, non esse noxium si
inter gentilium aras et Dei ecclesiam quis transiens; utraque veneretur. »
Grégoire ajoute : « Cujus ego stultitiam cernens... etc. » V, 44.
- 136 -

objective à laquelle un historien de nos jours , si froid et si


impartial qu'il fût , pourrait difficilement atteindre .
Tous les traits de son caractère concourent d'ailleurs à
donner à son témoignage une valeur inappréciable . C'était un
homme d'une nature exceptionnellement forte et noble . L'histoire
de ses luttes avec Chilpéric est un des plus beaux exemples de la
résistance que l'autorité religieuse et morale de l'Église opposait
alors aux instincts déréglés de la barbarie . Il ne permit jamais
que le sanctuaire de Saint- Martin fût violė ; ni Gontran Boson ,
ni Mérovée¹ ne purent en être arrachés ; pour en tirer Ebérulf,
il fallut profiter de l'absence de Grégoire 2. Le langage qu'il tient
à Chilpéric dans l'affaire de Prétextat est d'une hardiesse
extraordinaire ; on sent qu'il parle au nom d'une puissance
supérieure à laquelle les puissances de la terre doivent obéir. Le
roi lui reproche de ne pas vouloir lui rendre justice , et le menace
de soulever contre lui le peuple de Tours . - « Si je suis injuste ,
répond l'évêque, tu n'en sais rien ; celui-là seul connaît ma
conscience, qui peut lire les secrets des cœurs . Quant au peuple,
s'il vocifère faussement contre moi quand tu m'attaques, peu
importe ; tout le monde saura que tu es l'instigateur . C'est donc
toi et non moi que ces cris déshonoreront . D'ailleurs , tu as la
loi et les canons ; tu n'as qu'à les étudier avec soin, et si tu
n'observes pas ce qu'ils ordonnent , sache que le jugement de
Dieu est suspendu sur ta tête³ . »
Cet homme si énergique pour défendre les droits de l'Église
contre les chefs barbares a en même temps la tendresse et la
douceur d'une femme . Le christianisme avait donné l'essor à tous
les sentiments affectueux de l'âme humaine, et produit des raffi-
nements et jusqu'à des excès de dévoûment et de charité inconnus
à l'antiquité païenne . Rien n'est plus touchant et plus beau que
de rencontrer dans cette société rude et violente ces effusions
d'amour qui se répandent sur toute la nature 4. La vie

1. V , 14.
2. VII , 29.
3. « Quod sim injustus, tu nescis. Scit enim ille conscientiam meam, cui
occulta cordis sunt manifesta. Quod vero falso clamore populus te insultante
vociferatur, nihil est, quia sciunt omnes a te haec emissa . Ideoque non ego,
sed potius tu in adclamatione notaberis. Sed quid plura ? Habes legem et ca-
nones ; haec te diligenter rimari oportet : et tunc quae praeceperint, si non
observaveris, noveris tibi Dei judicium imminere . » V, 19.
4. Voyez le livre VIII des Moines d'Occident de M. de Montalembert :
les Moines et la Nature.
- 137

des Saints tout entière n'est qu'une manifestation de la bonté


de Dieu qui, par eux , corrige les maux déchaînés sur la
terre par les démons . Ils ont réalisé le précepte du Christ qui
veut que ses disciples aient la simplicité de cœur des petits enfants .
Les livres de Miracles de Grégoire sont tout pénétrés de cette
piété enfantine et tendre. Lisez le récit de la maladie du neveu
de saint Allyre¹ , ou celui de la maladie de Grégoire lui-même
lorsque, tout jeune encore , il fut miraculeusement guéri au tom-
beau du même saint . L'amour maternel est exprimé par quelques
simples mots dans ces deux récits avec une éloquence que l'art
le plus consommé pourrait difficilement atteindre .
L'évêque de Tours aimait ses ouailles comme un père aime ses
enfants . Quand il raconte l'épidémie de 580 , il s'arrête dans son
récit pour pleurer « les doux et chers petits enfants qu'il avait
réchauffés dans son sein ou portés dans ses bras, ou qu'il avait
nourris de sa propre main avec tant de sollicitude³ . »
Cette tendresse de cœur se manifestait dans sa vie par des
actes de charité où il mettait strictement en pratique les pré-
ceptes de l'Évangile . Attaqué un jour par des brigands dans une
forêt, il invoqua la protection de saint Martin et ses agresseurs
prirent la fuite, Se rappelant aussitôt ce que dit l'Apôtre , qu'on
doit rassasier la faim et étancher la soif de ses ennemis, il leur
fit offrir à boire . Une autre fois , il demanda à Chilpéric la grâce
de voleurs qui avaient enlevé des objets précieux dans la basi-
lique de Saint Martin³ . C'est chez lui , à sa table, que l'évêque de
Bordeaux Bertchramne, qui l'avait accusé de lèse-majesté, vient
implorer le pardon du roi Gontran pour l'appui qu'il avait prêté

1. « Cumque plausum ales ille lucis nuntius repercussis alis, altius protu-
lisset, puer qui valde exanimis projectus fuerat, convaluit ; et gaudia cordis
risu praecedente patefaciens, aperto divinitus ore , evocat matrem, dicens :
« Accede huc. » At illa cum tremore et gaudio accedens, quae nunquam
adhuc filii vocem audierat, stupens : « Quid vis, inquit, dulcissime nate. »
V. PP. II, 4. Ce lever de l'aurore, ce chant d'oiseau auquel se mêle le
bégaiement miraculeux d'un enfant de dix mois guéri par l'intercession
de saint Allyre , cette mère inquiète et joyeuse, tout cela ne fait-il
point, malgré les imperfections de la langue, un tableau d'une beauté
exquise et touchante?
2. Voy. plus haut, p. 28, n. 1 .
3. Perdidimus dulces et caros nobis infantulos, quos aut gremiis fovimus,
aut ulnis bajulavimus, aut propria manu ministratis cibis ipsos studio saga-
ciore ministravimus . » V, 35.
4. " Sed ego non immemor apostoli dicentis, inimicos nostros potu ciboque
debere satiari, potum eis offerre praecipio. » M. S. M. J , 36.
5. H. F. VI, 10.
- 138 -
à Gondovald¹ . Il avait déjà obtenu la grâce de Riculf, qui l'avait
aussi calomnié , et cherché à sauver Leudaste, son plus violent
ennemi³ . Il est fidèle à l'esprit de l'Église , qui est à la fois
d'une austérité inflexible , lorsqu'elle promulgue la loi du Dieu
dont les yeux sont trop purs pour voir le mal, et d'une indul-
gence infinie lorsqu'elle parle aux pécheurs des miséricordes
célestes . Elle est le recours des affligės , des opprimés , même des
criminels ; elle fait de l'esclave l'égal de l'homme libre . Elle est
la protectrice des biens des pauvres .
Grégoire unit , comme l'Église , la sévérité à la mansuétude .
Évêque , il était réellement le surveillant et le modèle de son dio-
cèse. Inébranlable dans sa foi , inépuisable dans sa charité, il
maintient en même temps les prescriptions morales de l'Église
dans toute leur pureté ascétique . Il pouvait être indulgent pour
les laïques et surtout pour les barbares dont la conscience était
obscurcie par la corruption universelle 5 , mais il n'en avait pas
moins pour règle immuable cet idéal de chasteté que le christia-
nisme avait révélé à l'Occident, et qui était poussé jusqu'au
désintéressement de toutes les choses terrestres , parfois jusqu'au
mépris de toutes les affections humaines . Cet excès de sainteté
qui nous surprend aujourd'hui et nous semble presque dénaturé ,
était nécessaire à une époque où la barbarie et la dépravation
eussent envahi l'Église, si elle n'avait mis son idéal moral à
l'abri des atteintes du monde, par des efforts surhumains et par
des paradoxes de vertu . C'est ainsi que saint Rétice et le bien-
heureux Simplicius vécurent toujours avec leurs femmes dans
une absolue continence , que sainte Monegonde, après la mort
de ses deux filles , abandonna son mari pour ne plus se soucier
que des choses de Dieu 7. Saint Venant quitta subitement ses

1. VIII, 2.
2. « Pro cujus (Riculfi) vita vix obtinui. » V, 50.
3. « Timui ne interficeretur (Leudastem) : accersitoque socero ejus, haec ei
innotui, obsecrans ut se cautum redderet, donec reginae animus leniretur. »
VI, 32.
4. V. II . 37; IV, 20; VI, 46 : « causas pauperum exosas habens; » V, 50 « Leu-
dastes... thesauros quos de spoliis pauperum detraxerat... » VII, 22 « equi ejus
per segetes pauperum dimittebantur » et passim.
5. Voy. plus haut, p. 125.
6. « Uxorem... sortitus est (Riticius) cum quo spiritalis dilectionis conhiben-
tia, non luxuria copulatur. » G. C. , 75. - « Beata soror, quae prius fuerat
non libidine sed castitate viro conjuncta. » Ibid. 76.
7. « Contemplo mundi ambitu, spreto viri consortio, soli Deo in quo erat
confisa vacabat. » V. PP . XIX , 1 .
— 139 -

parents et sa fiancée pour se consacrer à la prière . Nous pour-


rions tirer des œuvres de Grégoire une foule d'exemples ana-
logues . Parmi les vertus des Saints , c'est la chasteté qu'il admire
par dessus toutes les autres . Il n'admet pas la moindre infraction
à la loi du célibat que l'Église, malgré ses prescriptions réitérées ,
ne parvenait pas à faire partout observer 2. Il va jusqu'à admirer

1. V. PP. XVI, 1.
2. Il est vraiment étrange que tous les critiques de Grégoire se soient
trompés sur un point aussi important. M. Kries va jusqu'à dire « exper-
tus non ... eorum (clericorum) libidinem coerceri posse, ut saltem prudentia
quadam peccata admitterent... suasit. » - De Greg. Tur. scriptis, p . 25.
M. Giesebrecht va moins loin , il dit seulement : « Die Ehelosigkeit der
Geistlichen wurde damals noch nicht unbedingt gefordert, es kann demnach
hier nur von der Frauen die Rede sein , mit denen die Geistlichen in gesetzlicher
Ehe lebten. » — Zehn Bücher fraenkischer Geschichte, t. II , p. 79, n . 1 .
M. Bordier imite la réserve de M. Giesebrecht : « Certains évéques, dit- il ,
gardaient leurs femmes : les plus pieux s'en séparaient. Trad. française
de Grég. de Tours. t . I , p. 185. Et il cite à l'appui de cette doctrine
vague les ch. 12 et 36 du livre IV et le ch . 19 du livre VIII.
La doctrine de l'Église occidentale et en particulier de l'Église des
Gaules sur le célibat des prêtres était au contraire parfaitement fixée
depuis le rv siècle. - Voy. les Conciles de Nicée , Can. 3 (325) ; de Van-
nes, c. 11 (465); d'Agde , c . 9-11 , 16 (506); d'Épaône, c . 20 (517) ; II d'Orléans ,
c. 8 (533) ; de Clermont, c. 13 , 16 (535) ; III d'Orléans, c. 2, 4, 7 (538) ; IV
d'Orléans, c. 17 ( 541) ; V d'Orléans, c . 4 (549); II de Tours, c . 10, 12-14, 19
(566-567); III de Lyon , c. 1 (583) ; I de Mâcon, c. 1 , 3, 11 (582) ; d'Auxerre
c. 20-22 (578). Thomassin, Discipline ancienne et nouvelle de l'Église.
1º partie, livre II , ch . 62.
Il eût été étrange que Grégoire ignorât les canons des conciles de
Tours et de Clermont, lui, si fidèle aux lois ecclésiastiques . La doctrine
de l'Église à cette époque exigeait le célibat pour tous les clercs, depuis
le sous-diacre (III concile d'Orléans, c. 7) . Il était permis aux hommes
mariés d'entrer dans les ordres , mais à la condition expresse de vivre
entièrement séparés de leurs femmes. Le Concile d'Agde , can. 16, avait
prescrit « Si conjugati juvenes consenserint ordinari, etiam uxorum volun-
tas ita requirenda est ut sequestrato mansionis cubiculo, religione praemissa
postquam conversi fuerint, ordinentur. » Le Concile de Clermont renou-
velle ces prescriptions, c. 13; celui d'Orléans de 538 les étend aux sous-
diacres « Nullus clericorum, a subdiacono et supra..., misceatur uxori. Quod
si fecerit, deponatur. » c. 2. - Mêmes prescriptions dans le canon 17 du
IV Concile d'Orléans , dans les canons 12 et 13 du II Concile de Tours ,
dans le c. 21 du Concile d'Auxerre . Celui de Lyon en 583 va plus loin
encore. Le canon 1 porte : « Si quicumque uxoribus juncti ad Diaconatus
aut Presbyteratus ordinem quoquo modo pervenerint, non solum lecto, sed
etiam frequentia quotidiana debeant de uxoribus suis sequestrari. » -- Gré-
goire fait plusieurs fois allusion à ces canons. L'évêque Urbicus d'Ar-
vernie vivait séparé de sa femme, " quae, juxta consuetudinem ecclesiasti-
cam, remota a consortio sacerdotis religiose vivebat. » I , 39. Susanne , femme
de Priscus, évêque de Lyon, entrait dans sa chambre quoique « diu
140 -

saint Nizier de Lyon qui redoutait les aiguillons de la concupis-


cence au point de s'envelopper les mains dans son vêtement pour
ne pas toucher de ses doigts le corps de son neveu , âgé de huit
ans, en le prenant dans ses bras ¹ .

multoque tempore observatum fuisset ab anterioribus pontificibus, ut mulier


domum non ingrederetur ecclesiae. » IV, 36. Félix de Nantes raconta à
Grégoire la vision miraculeuse de la femme d'un évêque qui « cum ad
honorem sacerdotii accessisset, lectulum juxta ordinem institutionis catholicae
sequestravit. » G. C. 78.
Le Concile de Tours de 567 avait ordonné (can. 14) aux évêques de
faire coucher leurs clercs dans leur propre chambre pour écarter d'eux
tout soupçon. Nous voyons dans l'Hist. Francorum qu'Ethérius de Lisieux
mettait cette règle en pratique : « ... in stratu suo quievit, habens circa
lectum suum multos lectulos clericorum . » VI . 36.
Enfin les clercs ne devaient laisser entrer dans leur maison aucune
femme étrangère. Ils ne pouvaient avoir de rapports qu'avec leur mère,
leur sœur ou leur fille. Le Concile de Nicée était un peu moins sévère :
« Nec alicui omnino qui in clero est, licere subintroductam habere mulierem,
ouveíoaxtov, nisi forte aut matrem , aut sororem, aut amitam , vel eas tantum
personas, quae suspicionem effugiunt. » Can. 3. -- Mais celui de Tours (567)
dit expressément : « Nullus deinceps Clericorum pro occasione necessitatis
aut causa ordinandae domus, extraneam mulierem in domo sua habere
praesumat... Quid opus est in domo serpentem includere ? Nullus ergo Cleri-
corum, non episcopus, non presbyter, non diaconus , non subdiaconus, quasi
sanctimonialem aut viduam, vel ancillam propriam pro conservatione rerum
in domo sua stabilire praesumat ; quae et ipsa extranea est, dum non est
mater, aut soror, aut filia. » Can. 10. - - Le Can. 13 permet aux clercs
« qui episcopo serviunt et eum custodire debent... extraneas mulieres de
frequentia cohabitationis ejicere. » Voy. aussi le can. 16 du Concile de Cler-
mont. Grégoire fait directement allusion à ces canons dans le passage
qui lui a été le plus souvent imputé à crime , et qui au contraire
montre le mieux la rigueur avec laquelle il exigeait l'observance des
règles ecclésiastiques. « Ideoque documentum sit haec causa clericis, ne,
contra Canonum statuta, extranearum mulierum consortio patiantur, cum
haec et ipsa lex canonica et omnes scripturae sanctae prohibeant, praeter has
feminas, de quibus crimen non potest aestimari. » VIII , 19. M. Bordier tra-
duit : « Que cette affaire soit un avertissement pour les Clercs de ne pas se
permettre de jouir de la compagnie des femmes d'autrui, quand la loi cano-
nique et toutes les saintes Écritures le défendent ; mais qu'ils se contentent
des femmes dont on ne peut pas leur faire de crime. » Tandis qu'il faut tra-
duire Soit un avertissement... de n'avoir point de rapports avec des
femmes étrangères, mais seulement avec celles qu'ils peuvent voir sans etre
l'objet d'aucun soupçon », c'est-à-dire leurs mères, leurs sœurs ou leurs
filles. Il ne s'agit nullement ici d'autoriser leur commerce avec leurs
femmes légitimes, comme l'ont cru tous les critiques. Il ne met pas les
Clercs en garde seulement contre l'adultère , mais même contre tout
rapport avec des « mulieres extraneae »> c'est-à-dire avec toute femme
« quae non est mater, soror aut filia >> comme dit le Concile de Tours.
1. Ab infantuli artubus, in quo nulli adhuc esse poterant stimuli concu-
- 141 -

Cette recherche passionnée de la pureté , cet amour exclusif


des choses célestes , lorsqu'elle n'étouffait pas les affections
humaines, leur donnait au contraire une beauté et une profon-
deur que l'antiquité n'avait pas connues. Il en est ainsi chez
Grégoire . Il ne méprisait pas les affections permises . Nous avons
vu en quels termes émus il parle de sa mère, de ses oncles , du
roi Gontran. Le chapitre qu'il consacre à la mémoire de Rade-
gonde dans le De Gloria Confessorum, est un admirable
témoignage de la douleur que lui causait la perte de cette noble
femme qu'il chérissait comme amie et qu'il vénérait comme
sainte¹ . Il nous fait admirer son oncle saint Nizier , soumis à sa
mère comme s'il eût été son serviteur . Il nous montre les époux
vivant dans la chasteté, unis en Dieu par les liens d'un amour
surnaturel, amour si puissant et si indissoluble que leurs corps
mêmes ne peuvent être séparés par la mort³ . La foi pour lui ,
bien loin de proscrire les sentiments humains , les ennoblit et les
sanctifie .

piscentiae, nulla incitamenta luxuriae, ita se ne ab ejus artubus tangeretur,


abstinuit. » V. PP. VIII , 2.
1. « Tantus moeror pectus meum obsederat, ut a lacrymis non desisterem,
nisi scirem beatam Radegundem ablatam monasterio corpore non virtute ; et
assumptam a mundo, collocatam in coelo. » G. C. 106. Il faut lire tout le
chapitre.
2. « Matri ita erat subditus, ut qnasi unus ex famulis obaudiret. » V. PP .
VIII , 2.
3. La touchante légende des Deux Amants était si chère à Grégoire
qu'il l'a répétée deux fois, dans son Histoire , I, 42, et dans le de Gloria
Confessorum , 32. Convaincu par les prières de sa jeune femme , Inju-
riosus vit avec elle dans la plus parfaite chasteté. Elle meurt. Au
moment où il la dépose au tombeau , il s'écrie : « Je te rends grâce ,
Seigneur Éternel notre Dieu , de ce que je te restitue ce trésor sans tache,
tel que tu me l'as confié . » La morte sourit et dit : « Pourquoi parles-
tu sans être interrogé ? » Après la mort d'Injuriosus, bien qu'il eût été
enseveli loin d'elle , leurs corps se rejoignirent miraculeusement, et le
peuple les nomma les Deux Amants. - Rétice, évêque d'Autun , avait
également vécu avec sa femme comme avec une sœur. Elle demanda
en mourant à son mari la faveur d'avoir un jour le même tombeau que
lui a ut quos unius castitatis dilectio conservavit in toro, unius retineat se-
pulcri consortium. » Lorsque Rétice mourut, on le déposa dans le tom-
beau de sa femme et l'on vit les ossements de la vierge remuer pour
faire place au corps de son époux . G. C. 75. — Un miracle analogue eut
lieu quand la femme du sénateur dijonnais Hilaire fut déposée dans le
sépulcre où reposait déjà son mari . On le vit lever tout à coup le bras
droit et le mettre autour du cou de sa femme . « Quod admirans populus,
...cognovit quae eis castitas, qui timor in Deum , quae etiam inter ipsos dilectio
fuisset in saeculo, qui se ita amplexi sunt in sepulchro. » G. C. 42.
- 442 --

Tel était Grégoire de Tours ; il s'est involontairement peint


lui-même dans ses écrits . Nous possédons en lui un type admi-
rable d'évêque du vre siècle . Les rapides progrès de la barbarie
n'ont pas été sans obscurcir son esprit et émousser en quelque
façon sa délicatesse morale, mais ils n'ont pu détruire pourtant
la rectitude de son esprit ni la noblesse de sa nature. Il n'a qu'une
teinture superficielle des lettres païennes, et il écrit comme parle
le vulgaire , mais aussi est-il à peu près exempt des afféteries et
des subtilités de la décadence latine . Il trouve parfois , grâce à
cette simplicité , des accents touchants et même éloquents . Cré-
dule comme tous les hommes de son temps, il l'est pourtant sans
excès, et conserve d'ordinaire, même dans le récit des événements
anciens , de la lucidité, de la fermeté et du bon sens . Le rôle
qu'il a joué dans les événements de son temps , ainsi que le
respect dont il était entouré par tous ses contemporains , sa
remarquable activité intellectuelle unie à son incessante activité
pratique, décèlent en lui , quoi qu'il prétende dans son humilité,
une intelligence supérieure pour l'époque où il vivait . Mais c'est
par le caractère surtout qu'il commande notre respect . Il n'est
point exempt des faiblesses humaines ; il prend part aux passions
religieuses et aux passions politiques de son temps , et n'est pas
toujours équitable ni impartial dans ses actes ni dans ses paroles .
Mais il a l'âme trop pure pour altérer sciemment la vérité ; il est
assez sincère pour ne taire ni les fautes des hommes qu'il aime le
mieux , ni les bonnes actions de ceux qu'il hait le plus . L'inten-
tion qui le guide est toujours droite ; il n'a qu'une seule pensée ,
un seul but servir Dieu et l'Église . Évêque dévoué aux intérêts
de son diocèse et à ceux de toute l'Église catholique, il puise dans
sa foi un courage intrépide pour résister aux violences et aux
injustices des barbares, et une noblesse morale, un esprit de cha-
rité et de désintéressement qui lui a valu à bon droit le titre de
saint . Cœur chaleureux et tendre , nature aimable, sentant cette
poésie des choses intimes où le monde cherchait alors la consola-
tion de ses grandeurs disparues , il reste vraiment homme, et n'a
point cette vertu outrée et paradoxale que lui-même admire chez
quelques Saints . Il est un représentant accompli de l'Église , qui
seule représentait alors dans le monde l'intelligence et la mora-
lité . C'est pour nous une singulière fortune que de connaître les
origines de notre histoire par le témoignage d'un pareil
homme.
Ce n'est pas seulement le caractère de Grégoire qui donne de
la valeur à son témoignage , c'est aussi la position exceptionnel-
- 143 -

lement favorable où il se trouvait pour recueillir des informations


nombreuses et dignes de foi . Nous l'avons déjà fait remarquer en
cherchant à déterminer les sources auxquelles il a puisé . Ses
rapports intimes avec l'Arvernie, la Burgundie et la Touraine ¹ ,
où il a tour à tour résidé , et ses nombreux voyages dans tout le
nord et le centre de la Gaule 2 ; la situation de Tours³, sanctuaire
religieux où les pèlerins affluaient de tous les côtés, et qui en-
voyait au loin ses prêtres en mission , asile respecté où tous les
criminels illustres venaient tour à tour chercher refuge , et
passage inévitable de ceux qui se rendaient en Espagne ou dans
le sud-ouest de la Gaule ; enfin la part active qu'il prit lui-
même aux événements politiques , la faveur dont il jouit auprès
des rois barbares , les rapports personnels qu'il eut avec quatre
rois 5 , quatre reines , quatre filles et un fils de rois , avec
presque tous les personnages célèbres de son temps , Williachaire ,
l'ami de Chramne, Mérovée , Gontran Boson, Leudaste , Bladaste
et Garachaire, complices de Gondovald , et avec les évêques de la
Gaule entière ; tout était réuni pour faire de Grégoire un témoin
exceptionnellement bien informé . Il a beaucoup vu , il a pu beaucoup
apprendre de la bouche des témoins oculaires , et même des
acteurs des événements historiques ; il était enfin mieux placé
que personne pour obtenir les documents et les informations
écrites qu'il pouvait désirer .
En rapprochant ce que nous venons de dire sur l'éducation ,
l'intelligence, le caractère, la position de Grégoire, de ce que
nous avons dit dans les chapitres précédents sur sa vie , sur ses
ouvrages et sur les sources où il a puisé, nous pouvons tirer des
conclusions générales sur l'autorité de l'Historia Francorum.

1. Voy. plus haut, p . 28-29, etc.


2. Voy. p. 36-37. On voit (G. M. 76) un prêtre lui donner des détails sur
le lac Léman. Ce fut probablement dans ses voyages en Burgundie
qu'il obtint de la sorte des renseignements précis sur l'histoire du pays.
3. Voy. p. 31-32.
4. Voy. V. PP. VIII, 6. Il parle de deux clercs de Tours , Aigulf et Jean
qui étaient allés l'un à Rome, l'autre à Marseille .
5. Chilpéric, Sigebert, Gontran, Childebert.
6. Frédégonde , Brunehaut, Radegonde, Ingoberge , femme de Cha-
ribert.
7. Agnès, fille de Radegonde , Chrodielde et Bertheflède , filles de
Charibert, Basine, fille de Chilpéric, Mérovée , fils de Chilpéric. -
connut probablement encore d'autres personnes royales ; mais nous ne
citons que celles avec lesquelles il dit expressément avoir eu des rap-
ports personnels.
- 144 -

Celui qui voudra écrire l'histoire des premiers rois mérovingiens


devra naturellement soumettre chaque fait particulier à une
nouvelle critique ; mais on peut trouver dans une appréciation
générale une base utile et un point de départ pour la critique de
détail .
D'après ce que nous savons sur l'instruction de Grégoire ,
d'après les erreurs qu'il commet en transcrivant ou en résumant
des ouvrages antérieurs, nous ne pouvons pas avoir en lui une
confiance absolue, même lorsqu'il a eu sous les yeux des docu-
ments écrits . Mais il est pourtant supérieur par l'intelligence et
les lumières aux hommes de son temps et surtout à ceux de
l'époque postérieure jusqu'à la Renaissance du Ix siècle ; pour
tous les faits que nous ne connaissons point par des sources
antérieures , c'est à lui que nous devons avoir recours . Lui seul
nous donne par exemple sur les origines du christianisme en
Gaule des informations dignes de foi, quelque incomplètes, obs-
cures et insuffisantes qu'elles soient . Mais du moins elles ne sont
pas surchargées d'additions légendaires , et ne décèlent pas
encore la préoccupation de donner aux églises de Gaule une
antiquité fabuleuse , comme ont voulu le faire les hagiographes
postérieurs. Grégoire possédait certainement ce qui subsistait alors
de documents anciens , et les détails ajoutés plus tard par les Vies de
Saints sont dues le plus souvent, non à la connaissance de sources
qu'il ignorait, mais au développement de la légende chrétienne . Il
en est de même pour les origines des royaumes franks . Presque
tout ce que nous connaissons de vraisemblable sur ce sujet se
trouve dans Grégoire ; les écrivains postérieurs ne nous font con-
naître que la transformation progressive des éléments légendaires
de cette histoire , mais aucun fait nouveau tiré de sources
authentiques . Il ne semble pas que ses successeurs aient connu
aucun document écrit qui lui ait échappé . Nous sommes donc
contraints de nous contenter de critiquer en elles-mêmes les
informations de Grégoire , et par une analyse minutieuse, de
séparer les faits vraiment historiques des traditions populaires
ou poétiques .
Grégoire n'a pas du reste surchargé son histoire de traditions
de ce genre ; il s'est efforcé, nous l'avons vu , de démêler la vérité
au milieu de renseignements contradictoires ; les scrupules qu'il

1. Nous reviendrons sur ce fait dans nos études postérieures sur


l'Historia Epitomata, les Gesta regum Francorum, Aimoin , Roricon .
2. Voy. plus haut, p. 115.
- 145 -

témoigne sont une garantie du soin qu'il a apporté dans l'emploi


de ses sources. Ses connaissances sont incomplètes , confuses et
parfois même erronées ; mais il ne cherche pas à colorer son
ignorance ; il rapporte ce qu'il sait, comme il le sait . Il ne con-
naît pas toujours le vrai, il n'est pas toujours capable de le
discerner, mais il le cherche toujours de bonne foi .
Lorsqu'il est contraint d'avoir recours à la tradition orale, il
s'efforce également de trouver des témoins dignes de foi¹ qui
réunissent certaines garanties d'intelligence et de moralité . Mais
lui-même était d'une époque trop barbare pour juger avec impar-
tialité et compétence la valeur réelle d'un témoin . Un homme
pieux, fût-il exalté et visionnaire , sera toujours pour lui un
témoin, non-seulement sincère, mais éclairé ; la présence de
détails miraculeux qui nous mettent en garde contre l'exactitude
d'un récit , sera pour lui la preuve de sa vérité . En douter serait
douter des bienfaits de Dieu . Il fallait d'ailleurs qu'il remplît
son cadre ; à défaut de documents écrits, il consulte des tradi-
tions orales ; à défaut de témoignages incontestables , il en
accepte de douteux ; et naturellement il n'indique pas toujours à
quelle source il a puisé. C'est donc ici encore une étude attentive
du texte lui-même qui nous permet seule de dégager la certitude
ou du moins la vraisemblance historique .
Du reste, pour toute la partie de l'Histoire des Franks où il
n'est pas témoin oculaire, et où il se sert presque exclusivement
de témoignages oraux, Grégoire était , nous l'avons vu , mieux
placé que personne pour connaître les faits par des témoins véri-
diques ; et ses renseignements , malgré les erreurs qu'ils renfer-
ment certainement, sont pour nous d'une valeur inappréciable .
Il a pu voir des hommes qui avaient vécu du temps de Clovis ;
dans sa famille même se trouvaient des personnages éminents
qui avaient connu de près les fils du fondateur du royaume
gallo-frank . Enfin il a eu des relations personnelles avec tous
ceux qui, de son temps , ont joué un rôle historique , et sa situa-
tion d'évêque de Tours le mettait en rapport même avec les pays.
éloignés du lieu où il résidait . Ses informations sont naturelle-
ment plus ou moins dignes de foi selon qu'elles se rapportent à
une contrée plus ou moins éloignée des pays où il a vécu . Sur la
Touraine et l'Arvernie , il est abondant et précis ; sur la Bur-
gundie, il est également bien renseigné³ . Pour les événements

1. Voyez plus haut, p. 116, note. - 2. Voy. plus haut, ibid.


3. Sur ce point d'ailleurs, nous pouvons le contrôler par la chronique
HIST . MÉROVINGienne. 10
- 446 -

qui se sont passés au nord-est et au sud de la Gaule, il donne


des détails moins nombreux, mais encore véridiques . Ses con-
naissances sont plus vagues et plus fragmentaires sur ce qui
s'est passé au-delà des Pyrénées et au-delà des Alpes . Enfin sur
l'Orient il a été renseigné d'une manière tout à fait incomplète et
fausse.
Mais une grande partie des événements contemporains se sont
passés sous ses propres yeux . Il en a été à la fois témoin et
acteur . Il a eu une intelligence assez lucide et une âme assez
sincère pour les raconter tels qu'ils se sont passés , sans fausses
couleurs et sans réticences . Les passions religieuses et politiques
ont plus d'une fois influencé ses jugements ; elles ne l'ont pas
poussé à dénaturer les faits , et c'est par l'impartialité de ses
propres récits que nous corrigeons la partialité de ses apprécia-
tions . Nous pouvons accorder une confiance presque absolue à
son témoignage sur tous les événements qu'il a vus et auxquels
il a pris part . Il eût été difficile, disons mieux , impossible de
trouver à cette époque, en Gaule , un homme mieux qualifié que
Grégoire pour nous conserver le souvenir de cette curieuse et
importante période de notre histoire . Nous pouvons regretter
qu'aucune autre source contemporaine ne nous fournisse le
moyen de le contrôler et de le compléter, mais nul autre n'aurait
pu parler avec une autorité égale à la sienne .
Le zèle que Grégoire a mis à recueillir les matériaux de son
histoire, l'intelligence , la simplicité et la sincérite avec laquelle
il les a mis en œuvre , la vie dont ses récits sont animés , leur
caractère de vérité , de réalité , enfin le rôle important qu'il y joue
lui-même, font de l'Historia Francorum un livre exceptionnel
où l'auteur lui-même n'est pas le moins intéressant des grands
personnages qu'il met en scène . Tous les historiens du Moyen-
Age l'ont lu, continué, copié, citė, imité ; il offre encore
aujourd'hui une base solide pour l'étude de l'époque franke , et
c'est avec raison que Claude Fauchet lui a décerné au XVI° siècle
le titre de « Père de notre histoire » .

de Marius qui nous confirme sur presque tous les points ses récits. Voy.
notre étude sur cette chronique.
1. Entr'autres : la compilation dite de Frédégaire, les Gesta regum
Francorum , Paul Diacre, la Chronique de Moissac, Adon de Vienne ,
Aimoin, Hermann de Reichenau , Adam de Brême, Roricon, Sigebert de
Gembloux, etc.
MARIUS D'AVENCHES . '

A côté de l'œuvre de Grégoire de Tours , nous possédons sur


les premiers temps de l'histoire des Franks une courte et sèche
chronique écrite par l'évêque d'Avenches , Marius, qui vivait
dans la seconde moitié du vi° siècle . Cette chronique se rattache
directement aux chroniques de l'Italie, en particulier de Ravenne,
et du sud de la Gaule 2. Ce qu'elle contient d'original se compose
d'un petit nombre d'indications annalistiques et chronologiques,
importantes en ce qu'elles nous permettent de contrôler une
partie des récits de Grégoire, mais qui nous apportent peu de
faits nouveaux .
L'unique manuscrit de Marius est au British Museum
(n° 16974) parmi les papiers des Bollandistes . La Chronique
de Marius s'y trouve à la suite de la Chronique de saint Jérôme
continuée par la Chronicon imperiale de Prosper 3 .
La première édition fut donnée par CHIFFLET, dans Duchesne,
Historiae Francorum Scriptores, I, p . 210.

1. C'est par une bizarrerie orthographique récente qu'Avenches (Aven-


ticum) a pris une s . Au siècle dernier on écrivait encore Avenche.
2. Il serait à désirer qu'une nouvelle édition , accompagnée d'une
étude critique, fût faite de toutes ces chroniques dont nous possédons
un seul recueil, celui de Roncalli, Vetustiora latinornm scriptorum chro-
nica, 2 vol . in-4. Padoue , 1787.
3. Voy. p. 10, n. 1 , et Schoene, Eusebii chronici canones, p . xiv.
- 148 -

Elle fut reproduite par :


BOUQUET Recueil des Historiens de France, t . II , p . 12.
GALLAND : Bibliotheca veterum Patrum antiquor. eccle-
siastica. Venet . 1765-1768, t . XII , p . 313.
RICKLY Mémoires et Documents de la Suisse romande,
t. XIII, p . 19-56¹ .

On peut consulter sur Marius :


MIGNE Patrologiae lat. cursus , t . XXII , 793.
Histoire littéraire de la France , t. III, p . 400.
De Zurlauben, Notice sur les plus anciens Chroniqueurs
français ; dans l'Histoire de l'Académie des Inscrip-
tions, t. XXXIV , p . 138-147 .
Gallia Christiana, t . XV, p . 327.
Mémoires et Documents de la Suisse romande, t . VI . Car-
tulaire du Chapitre de Notre-Dame de Lausanne . Chronique
des Évêques, p . 29-32.
Baehr, Geschichte der christlichen Dichter u. Geschichts-
schreiber Rom's , p . 160 .
Binding, Das Burgundisch-romanische Koenigreich, t . I.
Excurs. I, p . 274.
Mommsen, Chronik des Cassiodor , p . 570 .
Pallmann, Geschichte der Voelkerwanderung, t . II, p . 211 .
Waitz, Die Ravennatischen Annalen , dans les Nachrichten
v . der Goettingischen Gesellschaft der Wissenschaften,
1865 , p . 81-114 .
Wattenbach , Deutschland's Geschichtsquellen, p. 44 , n. 1 ,
et p. 76.

1. Cette édition nous donne des notes inédites sur Marius, conser-
vées à la Bibliothèque de Berne et recueillies au siècle dernier par le
professeur Abraham Ruchat (Hist. de Suisse, ms. t. V), et par le profes.
seur Walther (Collectio hist. mss. Hist. Helveticae, III, 71).
- 149 -

CHAPITRE 1 .

VIE DE MARIUS .

Nous n'avons que peu de renseignements précis sur la vie de


Marius . Nous trouvons sa souscription parmi celles des Evêques
présents au Concile réuni à Mâcon en 585 par le roi Gontran :
Marius Aventicensis episcopus subscripsi¹ . Avenches avait
eu assez d'importance au temps de la domination romaine pour
compter parmi les civitates et devenir le siége d'un évêché. Mais
au Ive siècle, d'après le témoignage d'Ammien Marcellin , elle
était déjà en complète décadence, et les invasions des barbares
avaient achevé sa ruine . Aussi le siége épiscopal fut-il transporté
à la fin du vi° siècle à Lausanne, probablement par Marius .
C'est par le Cartulaire de l'église-cathédrale de cette ville que
nous possédons quelques indications sur la vie de Marius³ . - Ce
cartulaire fut rédigé en 1235 par Conon d'Estavayer d'après
un cartulaire ancien aujourd'hui perdu , d'après un calendrier de
Notre-Dame de Lausanne contenant la liste des anciens évêques ,

1. Sacrosancta Concil. éd. Labbe , t . V, col. 988.


2. Amm. Marcellin , éd . Erfurdt. Leipsig, 1808. XV, 11 , 12 : « Habent
Aventicum, desertam quidem civitatem, sed non ignobilem quondam , ut aedi-
ficia semiruta, nunc quoque demonstrant. » D'après la chronique dite de
Frédégaire (1. II , ad . ann. 283) parmi les extraits de saint Jérôme on lit :
« [Alamanni] vastatum Aventicum preventione vobile (ms. de Berne wibili)
cognomento [et plurima parte Gallearum in Italia transierunt] . Les mots [ ]
sont de saint Jérôme , le reste de Frédégaire, d'après une source incon-
nue. On lit d'ordinaire : « Aventicum pervenerunt, inaestimabili nocumento
plurimam. » MM. Forel et Roth (Anzeiger für schweizerische Geschichte,
1860, pp. 57-76) ont proposé de conserver : « praeventione Wibili cogno-
mento (par la surprise d'un nommé Wibil) , ce qui expliquerait le nom
de Wiflisburg qu'Avenches porta de très-bonne heure. Le ms. de Cler-
mont (Paris, 10910) porte la même leçon que le ms. de Berne, ce qui
met hors de doute la justesse de la conjecture de MM. Forel et Roth.-
Cf. Eutrope, 9; 7, 8. V. Mommsen , Ueber den Chronograph, 354, p . 587.
3. Mémoires et Documents publiés par la Société pour l'Histoire de la
Suisse romande. T. VI. Cartulaire de Notre-Dame de Lausanne. Lau-
sanne, 1857. - C'est d'après une copie manuscrite de ce cartulaire que
M. de Zurlauben fit sa notice sur Marius. (Histoire de l'Ac. des Inscript.
t. XXXIV, p. 138-147) .
4. Estavayer est une paroisse du doyenné d'Avenches.
- 450 -

enfin d'après quelques chroniques et le témoignage d'hommes


dignes de foi . Ce cartulaire contient (p . 29-32) une Chronique
des évêques de Lausanne dont un assez long passage est consacré
àMarius . Nous y apprenons qu'il était né dans le diocèse d'Autun ,
de race noble, « nobilis genere, sed nobilior moribus . » Élu
évêque d'Avenches , il donna à son église un domaine << de
alodio suo, in quadam villa prope Divionem quae dicitur
Marcennai ? » , Marsannay-la-Côte, village du département
de la Côte-d'Or (arrondissement et canton de Dijon, à sept
kilomètres de cette ville ) , à trois lieues de la limite du diocèse
d'Autun ; ce qui permet de supposer que Marius est né dans la
partie septentrionale du vaste territoire des Edui. Ce don ne
fut pas le seul acte de munificence de Marius envers l'Eglise
dont il était devenu le chef. Il construisit sur une de ses pro-
priétés la villa Paterniaca (de Payerne), et une église en
l'honneur de « sainte Marie, mère du Seigneur » . - Il dota
cette église de terres « apud Paterniacum et Corsales et
Dampeiro » (Payerne , Corcelles et Dompierre ³) . Il fut enterré
à Lausanne , dans l'église de saint Thyrs ' qui fut placée plus
tard sous l'invocation de saint Maire (sanctus Marius), car
les vertus et les bienfaits de Marius l'avaient fait mettre au rang
des Saints . Conon le qualifie toujours de beatus ou de sanctus .
Voici l'épitaphe de Marius telle que Conon nous l'a con-
servée :

Mors infesta ruens, quamvis ex lege parentis,


Moribus instructis nulla nocere potest.
Hoc ergo Marii tumulantur membra sepulcro ,
Summi pontificis cui fuit alma fides.
5 Clericus officio primaevis tonsus ab annis,
Militia exacta dux gregis egit oves.
Nobilitas generis radians et origo refulgens,
De fructu meriti nobiliora tenet.
Ecclesiae ornatus vasis fabricando sacratis,

1. « Quaedam sicut in eo scripta invenit in libro quodam domini episcopi


Lausannensis et in quibusdam aliis libris et Kalendario beatae Mariae lausan-
nensis, et in quibusdam cronicis, redegit in scriptis ad memoriam futurorum,
et etiam quaedam quae ab honestis viris fide dignis audivit. »
2. M. de Zurlauben dit à tort : « On ne trouverait sur la carte de
Bourgogne aucun endroit du nom de Marcennai. »
3. Payerne, prieuré du doyenné d'Avenches ; Corcelles et Dompierre,
paroisses du même doyenné.
4. Saint Thyrs, martyr en Asie , sous Decius. V. A. SS . Boll . 23 janv.
II, p. 813-832.
- 154 -
10 Et manibus propriis praedia justa colens.
Justiciae cultor, civium fidissima virtus,
Norma sacerdotum pontificumque decus.
Cura propinquorum, justo bonus arbiter actu ,
Promptus in obsequiis corpore casto Dei .
15 Humanis dapibus fixo moderamine fultus,
Pascendo inopes se bene pavit ope.
Jejunando cibans alios, sibi parens edendo ,
Horrea composuit quomodo pastor alit.
Pervigil in studiis, domini exorando fidelis,
20 Nunc habet inde requiem unde caro fessa fuit ' ;
Quem pietate patrem, dulcedinis arma tuentem,
Amissis terris credimus esse polis .

Ces vers, médiocres d'ailleurs et obscurs, doivent être peu


postérieurs à la mort de Marius. L'éloge fait de ses vertus ne va
pas encore jusqu'à lui accorder le titre de saint, et les vers 9-10 ,
qui nous le représentent fabricant les vases destinés au culte et
cultivant ses terres de ses propres mains, n'ont pu être inventés
après coup. C'est le naïf témoignage d'une époque où les travaux
manuels n'étaient point dédaignés par les hommes revêtus des
plus hautes dignités de l'Église .
Voilà tout ce que nous savons sur Marius , et par malheur les
indications chronologiques fournies par Conon d'Estavayer pour
ce petit nombre de faits, offrent bien peu de certitude . Les voici
rapprochées les unes des autres : il devint évêque en 581 de
Jésus-Christ et le demeura pendant vingt ans et huit mois . Il
mourut âgé de 64 ans, en 601 , la même année que Gontran qui
régna vingt-six ans . Il dédia l'Église de Payerne le 8 des Ca-
lendes de juillet (23 juin) , indiction V, la quatorzième année de
son épiscopat . Ainsi, d'après Conon , Marius serait né en 537 ,
serait devenu évêque en 581 , aurait dédié l'église de Payerne le
23 juin 595 , et serait mort en 601 , la même année que Gontran
qui serait monté sur le trône en 575. - Mais ces dates ne peu-
vent être exactes ; nous savons avec certitude, par Grégoire de
Tours et par Frédégaire, que Gontran mourut en 593 ou 594 , dans
la trente-deuxième ou trente-troisième année de son règne . « Regna-
vitautem annis XXVI » doit donc être une erreur de copie pour
XXXI. De plus VIII K. Julii Ind . V tombe le 23juin 587 et non 595.

1. Il faut dans ce vers élider les e d'inde et d'unde, et ne pas élider


em devant unde.
2. Conon parle par ouï-dire d'une vie de Marius conservée à Autun .
Il est regrettable qu'elle soit perdue . Elle nous aurait peut-être donné
des détails intéressants sur la Burgundie du vi siècle .
- 152 -

Il est donc impossible de s'appuyer sur les dates de l'ère


chrétienne fournies par ce cartulaire ; elles ne s'accordent même
pas entre elles , car plus haut nous lisons que Clovis mourut en
517, et que l'an XI du règne de Clothaire coïncidait avec 532 , ce
qui rapporterait la mort de Clovis à 522. Nous savons d'ailleurs
que ces dates , si discordantes entre elles, n'ont pu être fixées
que longtemps après les événements auxquels elles se rappor-
tent. Nous savons en effet que la coutume de dater d'après l'an
de l'Incarnation , proposée au vi° siècle par Denys le Petit , ne
fut adoptée en Gaule qu'au vin ° siècle et ne devint universelle
qu'au xº.
Le prieur de Lausanne s'est donc trompé dans ses calculs ,
mais un certain nombre des indications chronologiques qu'il nous
donne devaient être empruntées à des documents anciens et
exacts . Nous pourrons en déduire les autres dates . Les points
sur lesquels il a pu être renseigné avec précision sont :
1º La date de la consécration de l'église de Payerne
fixée d'après l'indiction . - Pour que Conon ait indiqué l'in-
diction pour ce fait unique, il faut qu'il l'ait trouvée dans un
ancien document. Il devait exister un acte public , une mention
précise de la donation . Nous verrons que Marius , dans sa chro-
nique, avait adopté la coutume grecque des indictions . L'Église
se conforma de bonne heure à cette coutume. Le huitième jour
des Calendes de juillet , indiction V , est le 23 juin 587¹ . Cette
année est, d'après Conon , la quatorzième de l'épiscopat de Marius .
Il est donc devenu évêque en 573-574.
2º Le nombre d'années que dura l'épiscopat de Marius.
- Les listes d'évêques de l'Église de Lausanne , le calendrier de
Sainte-Marie, dont parle Conon , devaient fixer ce point avec
exactitude . Conon dit que cet épiscopat dura vingt ans huit mois .
Marius , devenu évêque en 573-574, mourut donc en 593-594.
3º Le synchronisme de la mort de Marius et de celle de
Gontran. Nous trouvons ici la confirmation de nos calculs .
Si Gontran meurt le 28 mars 593 (Art de vérifier les Dates , p .
524) , Marius mourut aussi en 593, le 31 décembre , jour qui lui
fut consacré par l'Église de Lausanne . Sachant qu'il a été évêque
vingt ans huit mois , nous pouvons donc fixer l'époque précise
de son élection en avril-mai 573. Mais alors le 23 juin tombe la
xv et non la xive année de son épiscopat . Il faut admettre une

1. L'indiction grecque alors en usage courait du 1 septembre au


31 août.
- 453

erreur (légère, de deux mois) sur ce point ou peut-être accepter


la date de 594 pour la mort de Gontran et pour celle de Marius ,
et celle de 574 pour son élection ¹ .
4° Enfin le nombre d'années que récut Marius. - La
liste des anciens évêques l'indiquait sans doute. Il avait vécu 64
ans . Il serait donc né en 529-530 .
Voici donc les événements connus de la vie de Marius dans
leur ordre de dates :
529-530 . Naissance de Marius dans le diocèse d'Autun , d'une
famille noble. Il est destiné à la prêtrise dès son enfance .
(573 ?) 574. Mai . Marius élu évêque d'Avenches . Il fait don à son
église de son domaine de Marsannay .
585. Il assiste au Concile de Mâcon.
587. 23 Juin. Il consacre à la Vierge une église à Payerne et la
dote en biens fonds .
(593 ?) 594. 31 Décembre 2. Mort de Marius , l'année même de la
mort du roi Gontran³.
Le seul argument en faveur de la date de 581 pour l'élévation
de Marius à l'épiscopat serait le fait que sa chronique se termine
en 581. Elle serait alors une sorte de revue rapide de l'histoire
de Burgundie antérieure à son établissement à Avenches . A partir
de ce moment ses souvenirs personnels lui auraient suffi . Quelque
sérieuse que soit cette considération , elle ne peut tenir , je crois,
contre l'ensemble de déductions et de preuves que nous avons
établies plus haut .

1. Clothaire mourut à la fin de 561. Gontran mourut le 28 mars, dans


sa 33 année de règne. Cela donne bien 594. (Voyez Frédégaire,
Chr. c. 14).
2. La fête de Marius était célébrée le 31 décembre . Pridie K. Jan. - Voy.
D. Bqt. Hist. de Fr. II, p . 12.
3. Nous n'avons pas cru devoir entrer dans la discussion des opinions
antérieurement émises sur la chronologie de la vie de Marius, n'en
ayant pas tenu compte pour nos propres calculs, et nous étant con-
tenté des données fournies par le Cartulaire.
- 154

CHAPITRE II.

LA CHRONIQUE DE MARIUS .

La Chronique de Marius est la suite de la Chronique de


Prosper, qui est elle-même , comme nous l'avons dit, la repro-
duction de celle de saint Jérôme avec une continuation jusqu'en
455¹ . Marius a poursuivi la sienne jusqu'en 580-581 . Il est
impossible de dire à quelle époque il a composé cet ouvrage. Il
ne paraît pas l'avoir écrit au fur et à mesure des événements ,
bien qu'à partir de 559-560 nous trouvions la mention des phé-
nomènes naturels , éclipses, pestes, faits qui n'ont d'intérêt que
pour ceux qui en ont été les témoins . Mais Marius peut néan-
moins les avoir extraits avec leur date exacte d'annales
antérieures . Partout l'énoncé des faits est précédé de la même
formule : << hoc anno, eo anno . »
D'un bout à l'autre de la Chronique nous n'avons que des
notes brèves , sèches, sans lien entre elles , une sorte de memento
chronologique.
La mention des indictions pour désigner les années à partir de
522-523 n'est le signe d'aucun changement dans la composition
de l'ouvrage, pas plus que le point d'arrêt marqué en 566-567
par la supputation des années écoulées depuis la Création jusqu'à
la mort de Justinien . Je serais donc disposé à croire que Marius
a composé sa Chronique dans les dernières années de sa vie ,
d'après des sources écrites ; car nulle part il ne fait mention des
rapports oraux et n'emploie les expressions consacrées de
« fertur ou traditur » . Peut-être a-t-il ajouté quelques traits
d'après ses souvenirs personnels . Depuis l'année 550 environ
nous pouvons le considérer comme un témoin contemporain des
événements qu'il rapporte, puisqu'il était né en 529 ou 530 .
Ce qui frappe tout d'abord dans la Chronique de Marius, c'est
l'importance attachée à tout ce qui concerne l'empire romain.
Les années sont indiquées par le nom des consuls ² ; et c'est à

1. V. Introd. p. 10. « Usque hic Prosper ; quae sequuntur, Marius epis-


copus. » Tels sont les premiers mots de Marius. Nous avons vu plus
haut, p. 147 , que c'est de la chronique impériale que Marius est le
continuateur.
2. Consuls d'Occident ou consuls d'Orient, d'ailleurs; peu lui importe .
- 455 -

l'imitation des Grecs de Constantinople qu'il y ajoute les indic-


tions à partir de 522-523 ; il note avec soin l'avènement et la
mort des empereurs, tandis qu'il ne donne pas exactement la
série des rois franks . Les événements d'Italie et d'Orient tien-
nent à eux seuls autant de place que toute l'histoire des rois
burgundes et franks . Il va jusqu'à mentionner un massacre du
cirque à Constantinople . On croirait , à le lire, que l'empire n'a
subi aucun échec et que la Gaule est encore soumise à sa puis-
sance . Marius marque toutes ses vicissitudes , semble enregistrer
avec joie tous ses triomphes¹ . Ce point de vue lui est naturel , à
la fois comme membre du clergé gallo-romain et comme habitant
de la Burgundie . Issu d'une famille noble, c'est-à-dire gallo-
romaine, il regarde les nouveaux dominateurs de la Gaule comme
des usurpateurs barbares, et sa foi pour ainsi dire religieuse dans
l'éternité de l'empire romain n'en est pas ébranlée . L'Empire est
pour lui, comme pour tout le Moyen-Age, la quatrième mo-
narchie de Daniel qui ne sera renversée que lorsque le monde
même finira . Les rois barbares eux-mêmes ne s'étaient-ils pas
reconnus ses inférieurs et comme ses délégués , les rois burgundes
en acceptant le titre de magistri militum², Clovis en revêtant
les insignes honorifiques envoyés par Anastase , Sigismond en
prenant devant l'Empereur l'humble attitude d'un sujet devant
son souverain³? La Burgundie d'ailleurs avait conservé des
relations étroites avec l'Italie . Un échange perpétuel se faisait
entre ces deux pays par la vallée du Rhône et même par les
passages des Alpes . Les Burgundes avaient plus qu'aucun autre
peuple barbare su se mêler aux Romains et imiter leurs mœurs ;
le roi frank Gontran , devenu possesseur de la Burgundie, avait
subi cette influence et se distinguait de ses frères par une douceur
qui lui mérita la faveur des Gallo-Romains et le titre de saint.

1. On ne saurait pourtant voir dans les notes si sèches de Marius la


trace bien vive de ses antipathies ou de ses sympathies. Il ne paraît
pas avoir plus de préférence pour les Franks que pour les Burgundes.
Theudebert pourtant reçoit de lui l'épithète de magnus prise sans doute
à Grégoire (III, 25) « Magnum se atque in omni bonitate praecipuum red-
didit. » Comme presque tous les clercs de ce temps, Marius ne considère
pas comme une patrie le royaume barbare où il vit. Il appartient à
l'Eglise Universelle et à l'Empire Romain qui devait être universel et
éternel comme l'Église .
2. Gundiok, Chilpéric et Gondebaud .
3. Vester quidem est populus meus, sed me plus servire vobis quam illi
praeesse delectat . » — Avitus. ep. 83. Lettre écrite au nom de Sigismond
à l'Empereur d'Orient.
- 156 -

Les événements politiques avaient dû accroître encore l'intérêt


que l'Italie avait conservé aux yeux des Burgundes ; d'abord les
expéditions de Thierry et de Théodebert, puis les victoires de
Justinien, la délivrance de l'Afrique et de l'Italie qui avait
réveillé les souvenirs et les espérances de ceux qui croyaient
encore à l'Empire . Marius était de ceux-là ; aussi est-ce à la fin
du règne si brillant de Justinien qu'il s'arrête pour jeter un
regard en arrière et calculer combien d'années se sont écoulées
depuis la Création jusqu'à la mort du grand empereur.
Quelque instructifs que soient ces passages relatifs à l'Italie ,
en nous faisant toucher du doigt l'étrange illusion politique où
vivaient les Gallo-Romains du vr siècle, ils n'apportent aucun
fait nouveau à l'histoire . Il en est de même de quelques indica-
tions relatives aux Wisigoths dans la première partie de la
chronique, de la rapide mention des guerres contre les Saxons et
de la révolte de Chramne . Le témoignage de Marius n'a point ici
de valeur propre ; ce qui donne une véritable importance histo-
rique à sa chronique, ce sont les renseignements relatifs à la
Burgundie . Sur le v siècle Marius est à peu près muet ; il
}
indique seulement en 456 un partage de terres entre les Gallo-
Romains et les Burgundes ¹ . Mais à partir de la première guerre
avec les Franks , en 500, il devient beaucoup plus complet, sans
cesser d'être bref et concis . Écrivant en Burgundie peu de temps
après la ruine du premier royaume, il confirme ou complète de la
manière la plus utile le témoignage de Grégoire de Tours .
Jusqu'à 533-534 , il ne diffère pas essentiellement de Grégoire,
mais à partir de cette époque il nous rapporte plusieurs faits et
de nombreux détails que nous ne possédons que par lui . C'est là
ce qui fait le prix de son œuvre . Pour en apprécier l'exacte
valeur , il faut nous demander comment il l'a composée, à quelles
sources il a puisé.
Grâce aux relations fréquentes de la Burgundie et de l'Italie ,
Marius put connaître l'histoire de ce dernier pays par des
sources italiennes . Il concorde presque complètement avec la
Chronique connue sous le nom d'Anonymus Cuspiniani pour

1. Voyez sur toute la question de l'établissement des Burgundes le


premier chapitre du remarquable ouvrage de M. Binding.
2. Publiée à Bâle en 1553, d'après un ms. de Vienne, par Johannes
Cuspinianus (Spiesshammer), « De Consulibus Romanorum commentarii. In-f.
-Voy. Mommsen : Ueber den Chronographen vom J. 354, et notre Introd.
p. 12. L'Anonymus Cuspiniani, dit aussi Chronicon Cuspinianum , Fasti
Ravennates ou Chronicon Ravennae va de la fondation de Rome à 495-496.
- 157 -

les années 454-455 , 455-456 , 460-461 , 466-467, 472-473, 473-


474, 475-476, 489-490 , 492-493 .

MARIUS . AN. CUSPINIANI.


Consule suprascripto levatus est Levatus est imperator in Gallis
Avitus imperator in Gallias . Avitus.

Joanne et Varana . His consulibus His coss . depositus est Majo-


dejectus est Majorianus de Imperio rianus imp. a patricio Ricimere
in civitate Dertona a Ricimere Pa- Dertona III non . Aug. et occisus
tricio, et interfectus est super Ira est ad fluvium Ira VII Id. Aug.
fluvio...

Ce n'est pourtant pas cette chronique qui a dû servir à


Marius . Il est plus complet (sur Avitus , 455-456 ; sur Majorien ,
459-460 ; sur Sévère , 460-461 ) , et il s'en écarte pour la mort
d'Odoacre.

MARIUS . AN. CUSP .


Albino et Eusebio . - His consu- Albino U. C.¹ consule . - Hoc
libus occisus est Odouacer rex a consule ingressus est Ravennam
rege Theuderico in Laureto. Theodoricus III non. Martis et oc-
cisus est Odoacer rex a rege Theo-
dorico in palatio cum commilito-
nibus suis.

Cette indication : in Laureto se retrouve dans une autre chro-


nique dite Anonymus Valesianus² (p . 480, 1. 15) , ainsi que la
mort d'Odoin . (Marius : Patricio et Hypatio coss. - An . Val.
p. 482 , 1. 26) , et celle de Boëce (Marius , Indictio II . An . Val . ,
p. 485 , 1. 30-35) . Or on a démontré que ces deux chroniques de
Cuspinian et de Valois , écrites probablement à Ravenne, sont
unies par un lien étroit avec celle de Cassiodore, avec Jordanès ,
avec Agnellus Liber Pontificalis³. Ce dernier nous dit avoir
puisé ses renseignements dans l'ouvrage de Maximien , arche-
vêque de Ravenne ( 546–552) . Celui-ci avait sans doute compile
toutes les chroniques antérieures et les avait continuées jusqu'au
milieu du vr° siècle .

1. U. C. = Unico Consule.
2. Publiée pour la première fois par Henri Valois à la fin de son édit .
d'Ammien Marcellin . Paris, 1636, in-4.
3. Ap. Muratori , Scriptores rerum Italicarum, II, p . 1-187. - V. Waitz :
Nachrichten der Gott. Ges. der Wiss. 1865, p . 81 .
4. Post B. Hieronymum et Orosium , vel alios Historiographos, iste in
- 458 -

En comparant les récits d'Agnellus tirés de la Chronique de


Maximien avec l'Anonym. Valesii , on y reconnaît des ressem-
blances frappantes¹ . C'est un texte de ce genre , peut-être la
Chronique même de Maximien, que Marius aura eu sous les
yeux.
En 522-523, une manière nouvelle de désigner les années , les
indictions ajoutées au nom des consuls , semble indiquer que de
nouveaux documents ont été employés par Marius à partir de
cette époque. En effet, l'indiction n'était alors en usage que
dans l'empire d'Orient, et nous trouvons précisément pour les
affaires d'Italie, de 523 à 552, de nombreux rapports entre la
chronique de Marius et celle de Marcellin , comte d'Illyrie, chan-
celier de Justinien (v . 534 ) , continuée par une main anonyme
jusqu'en 552. Cf. les années 531-532 , 533-534, 534-535 ,
538-539, 539-540, 546-547 , 551-552 . Ce n'est que dans un
auteur byzantin que Marius a pu recueillir le fait du massacre
du cirque en 532, qui n'avait d'intérêt que pour les habitants de
l'empire d'Orient . Les noms des consuls dans les deux chro-
niques s'accordent d'ailleurs parfaitement . Quelques exemples
rendront plus sensible le rapport des deux textes .

MARIUS . CONTIN. MARCELLINI.


Indictio II. - Hoc consule Ind. II. - Theudibertus Fran-
Theudebertus rex Francorum Ita- corum rex cum magno exercitu
liam ingressus , Liguriam Emi- adveniens, Liguriam, totamque
liamque devastavit, ejusque exer- depraedat Æmiliam ... Exercito de-
citus loci infirmitate gravatus, valde hinc suo morbo laborante, ad Gal-
contribulatus est. lias revertitur.
Ind. III. - Hoc consule Persi Ind. III. Parthi in Syriam in-
Antiochiam vastaverunt, univer- gressi multas urbes subvertunt ...
samque Syriam depopulantes . Antiochia magna depraedata demo-
Eo anno Belesarius Patricius litur a Persis.
Wittegis regem Gothorum, de Belisarius Ravennam ingreditur ,
Ravenna captivum abductum , regem Vitigem et reginam cunc-
Constantinopoli cum uxore et tasque opes, Gothosque nobiliores
thesauris, Justin(ian)o Augusto tollens secum ad Imperatorem
praesentavit. revertitur.

Chronicis laboravit, et ipsos secutus per diversos libros nobiliorum principum,


non solum priorum imperatorum, sed et Regum et Praefectorum suam pro-
priam chronicam exaravit. » Agnellus. Liber pontificalis : Pars II. Vita
Maximiani, c. 5.
1. M. Waitz (ibid. ) va jusqu'à croire que l'Anon. Val. pourrait bien
être un fragment de la Chronique de Maximien.
- 459 --

Ces rapprochements nous paraissent indiquer un rapport évi-


dent entre Marius et le continuateur de Marcellin, soit qu'il l'ait
réellement eu entre les mains, soit qu'ils aient tous deux puisé à
une source commune . L'usage des indictions, la mention du
massacre du cirque rendent plus probable la première hypo-
thèse . Cela est d'autant plus vraisemblable que nous voyons ,
quelques années auparavant, Marcellin et son continuateur
servir de sources pour d'autres ouvrages historiques , puisque
Jordanès les reproduit parfois textuellement dans son << De
regnorum successione . » 2
A partir de la mort de Totila , nous ne savons plus l'origine
des renseignements de Marius pour l'histoire d'Italie . L'accord de
son témoignage avec celui de Procope ( IV, 33, 35) et d'Agathias
(1. T. II) garantit l'exactitude des faits . Mais quelques erreurs
de chronologie nous permettent de croire qu'il n'a pas eu pour
cette époque de sources écrites aussi complètes que pour les
années antérieures , que peut-être il s'est contenté de ses souve-
nirs ou de renseignements recueillis en Burgundie .
Nous ne pouvons pas non plus dire exactement d'où Marius a
tiré les quelques détails relatifs à l'histoire de l'Espagne et du
royaume wisigoth . Il a dû posséder une chronique contemporaine
écrite au Midi de la France , car les événements sont relates
avec une précision remarquable, même au point de vue géogra-
phique 3.

1. La continuation de Marcellin a probablement été écrite en Italie.


Voudrait-on y voir aussi des extraits de la chronique de l'évêque Maximien?
Cela permettrait de réduire à une seule les sources italiennes de Marius.
Cette hypothèse serait bien hasardée. Remarquons pourtant que la con-
tinuation de Marcellin, telle que nous la possédons , s'arrête en 552 (l'an-
née de la mort de Maximien ; car ce qui suit de 553-558 est tiré de la
chronique d'Hermannus Contractus . Voy. Mon. Germ. V, 7-133). Cuspinian
s'était servi de ces passages pour combler les lacunes laissées par le
continuateur de Marcellin, et Onofrio Panvinio les prit et les réédita
comme faisant partie du texte même : Onuph . Panvinii, Fasti Venet.
1558, inf.
2. Jordanes s'est également servi des Annales de Ravenne, soit sous
leur forme primitive fragmentaire, soit d'après la chronique de Maxi-
mien (V. Waitz, N. d . G. G. d . W. loc. cit. ) . Cela semble bien rattacher
la continuation de Marcellin à tout ce groupe de documents et d'an-
nales qui eut Ravenne pour centre.
3. Les premiers mots relatifs aux Wisigoths Ingressus est Theode-
ricus, rex Gothorum Alelato cum fratribus suis in pace. Poseo et Joanne
Coss. ne se trouvent que dans Marius. Il s'agit sans doute d'une
réunion des trois frères Théodoric, Frédéric et Euric, après la mort de
160 -

Idacius , dont le témoignage confirme tout ce qu'il avance


(v . Idat. Ol . 310 et 311 ) , est loin de donner des détails aussi
exacts . Là où il nous dit que les navires de Majorien furent
enlevés par les Vandales sur le rivage de Carthagène, Marius
nous dit que ce fut << ad Elecem¹, juxta Carthagine Spartaria
(Magno et Apollonare coss) . » Idatius dit que Frédéric, le frère
de Théodoric, après un soulèvement en Armorique, fut tué par
Ægidius ; Marius dit : « inter Ligere et Ligerecino, juxta
Aurelianis. » (Basilio et Bibiano coss).
Il nous reste à examiner où Marius a puisé ce qu'il dit sur les
Burgundes et sur les Franks , et dans quel rapport il se trouve
avec Grégoire de Tours , le seul écrivain de cette époque où nous
trouvions le récit des mêmes événements .
Un lien étroit unit Grégoire et Marius . Non-seulement leur
témoignage concorde presque absolument sur tous les faits qu'ils
rapportent, mais les ressemblances de texte sont nombreuses et
frappantes .
En voici les exemples les plus remarquables :

MARIUS . GRÉGOIRE DE TOURS.


Patricio et Hypathio coss . - Eo Post haec resumtis viribus,
anno Gundobagaudus resumtis viri- Godegiselum apud Viennam civi-
bus Viennam cum exercitu circum- tatem inclusam obsedit (Gundoba-
dedit. dus) . (II, 33).
Id. Plures Seniores , Burgundio- ... interfectis senatoribus Bur-
nesque, qui cum ipso (Godegeselo) gundionibusque qui Godegiselo
senserant, ... morte damnavit . consenserant (ibid .).
Ind. XII. -- Fugato Godomaro ... cunctam fugato Godomaro
rege, regnum ipsius diviserunt . Burgundiam occupaverunt. (III,
Ind. IV. Eo anno iterum rebel- 11).
lantibus Saxonibus , Chlothacarius Eo anno rebellantibus Saxonibus,
rer pugnam dedit, ibique maxima Chlotacharius rex, commoto contra
pars Saxonum cecidit . Eo anno eos exercitu, maximam eorum par-
Franci totam Thoringiam pro eo tem delevit, pervagans totam Tho-
quod cum Saxonibus conjuraverat, ringiam ac devastans , pro eo quod
vastaverunt . Saxonibus solatium praebuissent.
(IV, 10).

Thorismund et avant l'expédition d'Espagne.


1. Elche, sur l'Elda, petit fleuve qui se jette dans la Méditerranée, au
N. de la Ségura.
2. Marius a placé par erreur une autre guerre contre les Saxons en
554-555. Celle qu'il raconte ici eut lieu en 555. Il a passé sous silence
celle de 556, où les Franks furent défaits (IV, 14).
- 164 -

La comparaison des récits de la révolte de Chramne (Marius ,


Ind . VIII ; Grég. IV, 20) , de la chute du mont Tauredunum
(Mar. Ind . XII ; Grég . IV, 31 ) , de la déposition des évêques
Salonius et Sagittaire (Mar. Ind . XII ; Grég . V, 28 ) confirme la
relation des deux textes établie par ces rapprochements .
Est-ce Grégoire qui s'est servi de Marius ou Marius qui s'est
servi de Grégoire ? La seconde hypothèse est seule admissible¹ .
Comment Grégoire aurait-il pu emprunter à Marius précisément
le récit de la guerre contre les Saxons , fait complètement
étranger à l'histoire burgunde ? On peut admettre que Marius,
faisant de courts extraits de Grégoire, ait laissé de côté de nom-
breux détails , mais comment Grégoire , s'il avait eu Marius sous
les yeux, aurait-il négligé des noms propres , des particularités
qui devaient l'intéresser, lui qui écrivait une histoire complète et
développée? Ainsi l'invasion de Mammo (Importuno cons. 509) ,
l'indication précise de la dévastation de la Ligurie et de l'Émilie
par Théodebert (Ind . II , 538-539 ) , la mort du duc Lanthacarius
(Ind . XI, 547-548) , le nom de l'assassin d'Alboin , Hilmegis
(Ind. V , 571-572) , celui du roi Cleph (Ind . VI , 572-573) , le
nom des médecins d'Austregilde, Nicolaus et Donatus (Ind . IV,
580-581 ) , sont mentionnés par Marius sans l'être par Grégoire.
Enfin nous avons vu que Grégoire a dû écrire les quatre premiers
livres de son histoire vers 573-5772. Il lui a donc été impossible .
de chercher ses renseignements dans Marius . Mais celui-ci a
très-bien pu avoir entre les mains sinon tout l'ouvrage de
l'évêque de Tours , du moins les quatre ou les six premiers livres
qui paraissent avoir été souvent copiés séparément. Grégoire de
Tours allait souvent en Burgundie³ ; les deux évêques connais-
saient le roi Gontran , peut-être se trouvèrent-ils tous deux au
Concile de Chalon en 5794 ; rien en un mot ne s'oppose à l'hypo-

1. M. Binding ( p. 155, n . 52) veut que Grégoire se soit servi de Marius


uniquement parce que l'ablatif Divione qui se trouve dans Marius (Pa-
tricio et Hypatio coss. ) se retrouve , à propos du même fait, employé à
tort dans Grégoire comme nominatif (II, 32). Cette erreur prouverait qu'il
a copié sans se rendre compte de la forme grammaticale. Mais il fau-
drait être bien sûr que les manuscrits que nous possédons reproduisent
exactement le texte de Grégoire ; et encore l'indice serait bien faible.
Grégoire savait mal le latin; il pouvait employer la forme popu-
laire, et le cas oblique l'avait peut-être déjà emporté dans l'usage sur
le nominatif régulier : Dijon, Divione.
2. V. Ch . 2, p. 45.
3. V. Ch . 1 , p. 29.
4. V. Hist. Fr. V, 28. Pourtant rien n'autorise à affirmer que Grégoire
HIST. MÉROVINGIENNE . 14
- 162 -

thèse d'une relation entre Marius et Grégoire . Tout s'accorde au


contraire à prouver que l'Évêque d'Avenches s'est servi de
l'histoire de l'Évêque de Tours pour composer sa chronique.
Ce n'est pas à dire cependant que Grégoire ait été sa source
unique pour l'histoire burgunde. Au contraire, les détails précis
qu'il ajoute aux récits de Grégoire de Tours et que nous venons
de citer, les faits locaux qu'il rapporte seul, tels que la révolte
des moines d'Agaune contre leur évêque (Ind . XIII , 564-565)
et certains phénomènes naturels (Ind . VIII , 559-560 ; XIV ,
III , IV, XIV , 580-581 ) , prouvent qu'il connaissait d'une ma-
nière exacte, probablement par une source écrite , par quelque
annale de cloître , d'Agaunum peut-être¹ , les événements
arrivés en Burgundie .
La Chronique de Marius, sans apporter à l'histoire beaucoup
de faits nouveaux, est remarquable par son exactitude ; elle peut
servir à contrôler et à confirmer le témoignage des historiens
contemporains, ceux que Marius n'a pas connus, tels que Pro-
cope et Agathias , comme ceux qu'il a connus et parfois rectifiés ,
tels que Grégoire de Tours et les annales italiennes .
Les deux seules erreurs qu'on puisse relever chez lui sont la
fausse mention d'une guerre de Saxe , et son silence sur la
participation de Théodebert à la troisième guerre de Burgundie .
Sa chronologie même, qu'il est d'usage d'attaquer depuis D. Bou-
quet, est généralement exacte. Ses seules erreurs chronologiques
bien avérées sont la date de la mort de Buccelin (553) placée
deux ans trop tard, celle de Cleph (575 ) placée un an trop tôt .
On croit d'ordinaire qu'à partir de 533-534 il a avancé tous les
événements d'une année, fait mourir Justinien en 566 , Sigebert
en 576, Justin en 579 ; fait venir Alboin en Italie en 569 , etc.
Mais on prend pour les dates de Marius celles que D. Bouquet a
placées en marge de la chronique . Marius indique les années par
les Indictions grecques qui courent du 1er septembre au 31 août .

y alla. Mais il vint à Chalon en 588 (IX, 13) ; il alla vers la même époque
voir sa mère à Cavaillon (M. S. M. III , 60) . Ses relations avec la Bur-
gundie furent toujours très-suivies. (V. le ch. 1. Vie de Grégoire) . Il
avait des renseignements précis sur le lac Léman (G. M. 76) , et parle
d'un prêtre de Genève qu'il avait connu .
1. La précision des détails sur les moines d'Agaune (ad ann. 565), sur
l'invasion des Lombards dans la haute vallée du Rhône (ad ann. 574),
sur l'inondation du Valais (ad ann. 580), peut rendre cette hypothèse
vraisemblable . Mais ce n'est qu'une hypothèse .
2. V. plus haut, p . 160 , n . 2 .
163

Justinien est mort, comme le dit Marius, Indiction XIV : le 14


novembre 565 ; Justin est mort Indiction XII : le 5 novembre
578. C'est en indiquant leur mort une année plus tôt que Marius
se serait trompé. Les dates données par Marius pour la mort de
Théodebert et de Théodebald sont également exactes . Grégoire
de Tours dit (IV, 52) : « A transiti Theudeberti usque ad
exitum Sigeberti, anni viginti novem . » Sigebert est mort
en 575 , Theudebert serait mort en 547¹ . Il dit aussi (III, 37) :
« A transitu Chlodovechi usque in transitum Theudeberti,
computantur anni triginta septem . -- Nous arrivons ainsi
à 547-548 . Il dit enfin que Thierry mourut la 23° année de son
règne (III , 23) , c'est-à-dire en 534 ; Théodebert, la 14 , c'est-
à-dire en 547-548 . Or Marius fait mourir Théodebert Indiction
XI, ce qui donne l'année 547-548 . Son indication nous
permet de concilier les trois dates de Grégoire et d'affirmer que
Théodebert est mort à la fin de 547 ou au commencement de
548. De même Théodebald est mort, d'après Marius , Indiction
III ; d'après Grégoire , dans la 7º année de son règne, c'est-à-dire
à la fin de 554 ou au commencement de 555. Ces quelques
exemples suffisent à prouver que les indications chronologiques
de Marius sont d'ordinaire exactes et peuvent être 'prises pour
règle toutes les fois qu'il s'agit d'événements qu'il a été à même
de bien connaître ou de bien vérifier . Cela est vrai particulière-
ment pour tout ce qui concerne l'histoire de la Burgundie . Pour
l'histoire burgunde , en effet, nous n'avons à côté de lui aucune
autre source originale que quelques chapitres de Grégoire de
Tours. La vie de saint Sigismond est une compilation du vire
siècle .
Si nous nous sommes étendus aussi longuement sur Marius ,
c'est que la rareté des documents à cette époque donne au plus
secs une grande importance, et que la possibilité d'analyser cette
chronique en entier et d'examiner en détail son autorité et ses
sources nous permettait de donner d'une manière précise et
presque complète un exemple de la méthode que nous essayons
d'appliquer à tous les textes historiques .

1. Il faut faire entrer dans la supputation l'année 575 et l'année 547,


à la manière romaine , III K. était le 2° jour avant les Calendes.

Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.


BIBLIOTHÈQUE

DE L'ÉCOLE

DES HAUTES ÉTUDES

PUBLIÉE SOUS LES AUSPICES

DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

SCIENCES PHILOLOGIQUES ET HISTORIQUES

NEUVIEME FASCICULE

LE BHAMINI-VILASA , TEXTE SANSCRIT , PUBLIÉ AVEC UNE TRADUCTION ET DES


NOTES PAR ABEL BERGAIGNE, RÉPÉTITEUR A L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES .

F.V
ORSU
RETR

PARIS

LIBRAIRIE A. FRANCK
F. VIEWEG, PROPRIÉTAIRE
RUE RICHELIEU, 67
1872


1
LE

BHAMINI - VILASA

RECUEIL DE SENTENCES DU PANDIT DJAGANNATHA

TEXTE SANSCRIT

PUBLIÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS EN ENTIER

AVEC UNE TRADUCTION EN FRANÇAIS ET DES NOTES

PAR

ABEL BERGAIGNE

RÉPÉTITEUR A L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES

F.V UM
ORS
RETR

PARIS

LIBRAIRIE A. FRANCK

F. VIEWEG , PROPRIÉTAIRE
67, RUE RICHELIEU
1872

K

AVANT-PROPOS.

Les stances du Bhâminivilâsa, texte et traduction , devaient


paraître dès le milieu de l'année dernière . On sait ce qui en a
retardé la publication . Le choix du texte était indiqué par plu-
sieurs circonstances . Il n'est pas seulement écrit dans la langue
classique ; il renferme sous une forme abrégée la plupart des
tours et des idées que les Hindous aiment à retrouver dans la
poésie . C'est apparemment à ce titre qu'il a été étudié avec
curiosité par ceux qui , les premiers , dans l'Inde et en Europe,
en ont traduit ou publié quelques extraits . Et puis , personne
jusqu'ici n'avait fait usage du manuscrit que possède la Biblio-
thèque Nationale, bien que ce soit un des plus beaux du fonds
sanscrit . Enfin il a semblé aussi que ces stances offraient une
suite ou un complément naturel à la précieuse collection publiée
par M. Bohtlingk sous le nom d'Indische Sprüche.
M. Bergaigne, en consacrant une partie de ses loisirs à élu-
cider un texte classique avant d'aborder les hymnes du Vėda ,
n'a fait que se conformer à un précepte des maîtres , qu'on prend
et qu'on suit à la lettre à l'École des Hautes-Études ; et son
travail , qui a déjà un pendant moins sévère et plus abordable
dans une publication faite par un élève de l'École¹ , contribuera
sans doute à maintenir cet usage en facilitant les débuts des
commençants et en leur ouvrant la voie.

HAUVETTE-BESNAULT .
Novembre 1871 .

1. Etude sur Bhartrihari, par M. Regnaud . Paris, Maisonneuve et C , in-12.


:
AVERTISSEMENT.

Le Bhâmini- Vilása (le Livre, littéralement le Jeu de la


Belle) du Roi des Pandits Djagannâtha appartient à ce genre de
littérature gnomique et érotique dont les principaux spécimens
ont été recueillis par Bohtlingk dans les Indische Sprüche. Il
est divisé en quatre parties . La première (prastâvika-vilâsah)
contient des sentences morales sur la vie sociale et pourrait
s'appeler le livre de la niti ; la plupart de ces sentences étant
allégoriques , elle est aussi désignée sous le nom de anyokti-
vilâsah . La seconde partie (çrngâra-vilâsah) renferme des
stances érotiques . La troisième (karuna-vilâsah , le Livre du
Pathétique) est une élégie sur la mort d'une épouse . La qua-
trième enfin (çânti-vilasah , le Livre de l'Apaisement) traite du
renoncement au monde et de l'absorption finale en Krichna iden-
tifié avec l'Ame Suprême .

Des fragments de cet ouvrage ont été depuis longtemps , soit


publiés dans le texte original , soit traduits dans une des langues
de l'Europe . Galanos a traduit 98 stances du Livre I dans l'ou-
vrage intitulé Ἰνδικῶν Μεταφράσεων Πρόδρομος et publié après sa
mort , à Athènes , en 1845. Sa traduction , quoique un peu
négligée pour quelques stances , est généralement fidèle.
Bohlen a donné le texte et la traduction du Livre III à la suite
de son édition du Rtu-samhâra ; mais son texte est extrêmement
corrompu et sa traduction par suite est à peu près sans valeur .
Hoefer, dans son Sanskrit Lesebuch, publié à Hambourg en
1850 , a donné ( sans traduction ) un texte beaucoup plus correct
du même Livre III , et de plus le texte de 25 stances choisies du
Livre I. Enfin Aufrecht, dans le Catalogue des manuscrits sans-
VIII -

crits de la Bibliothèque Bodléienne d'Oxford , sous le n° 236 , a


communiqué le texte de huit stances prises au commencement
des Livres I et II.
Quand le texte de la présente édition a été imprimé, c'est-à-
dire il y a dix-huit mois , j'ignorais encore l'existence d'une édi-
tion du Bhaminî- Vilâsa publiée en 1862 par Yadunâthatar-
karatna, professeur à Calcutta . Cette édition n'est cependant
pas complète ; elle ne donne pour le Livre II que 101 stances au
lieu de 182. Elle n'est d'ailleurs pas très-correcte . Je crois inu-
tile de relever ici les fautes d'impression qui sont assez nom-
breuses, surtout dans la seconde moitié, et les mauvaises
variantes qui détruisent le mètre de certaines stances . On
trouvera pourtant dans la note sur la stance 13 du Livre I
l'indication des stances âryas qui sont ainsi corrompues . Au
texte sont jointes des notes en sanscrit, généralement conformes
au commentaire dont je vais parler , et qui paraissent même
lui être empruntées en partie .
Le Bhamini-vilása a fait l'objet d'un commentaire perpétuel
composé en sanscrit par Manirâma , fils de Ramacandra.
Ce commentaire comprend , après l'indication du sens général,
l'interprétation du texte mot par mot, puis l'explication des
figures de Rhétorique, et enfin, pour les points difficiles , le
renvoi aux autorités , soit en Grammaire, soit en Lexicographie.
Il a été écrit en 1802 (sadvarshe'shta-çarashta -candra-
kalite¹); c'est l'auteur qui nous le dit lui-même dans la seconde des
stances qu'il a composées pour servir d'épilogue à son travail.
D'après Galanos ?, qui ne cite pas du reste ses autorités , l'au-
teur du Bhamini-vilasa avait reçu son surnom (Pandita-raja)
de l'empereur Akbar dont il était le conseiller et le commensal³.
Aufrecht dit également que d'après Venkata , Djagannatha
vivait sous l'empereur Akbar, et que cette opinion est assez
vraisemblable . Mais de quel Venkata s'agit-il ? Est-ce de l'au-
teur du cabdartha-kalpa-taruh, qui vivait à Madras au
commencement de ce siècle, ou de l'auteur du viçva-gunâ-
darçah qui écrivait à la fin du xvr° siècle , et aurait été par
conséquent contemporain de Djagannâtha , ou enfin de quelque

1. Littéralement : « dans l'année désignée par la Lune ( 1 ), 8 , les


flèches (de l'Amour, 5) et 8, c'est-à-dire samvat 1858 correspondant à
l'année de notre ère 1802.
2. Loc. cit., p . 127.
3. On sait qu'Akbar régna de 1556 à 1605.
4. Loc. cit.
IX -

autre écrivain du même nom ? Je n'ai pas à ma disposition les


moyens de contrôler et de compléter l'assertion d'Aufrecht, non
plus que celle de Galanos . Le Commentateur ne nous apprend
rien de son auteur , et celui-ci se borne à nous dire (Livre IV ,
st . 45) qu'il a passé sa jeunesse près du Maître de Dehli , ce qui
peut s'appliquer à Akbar, mais aussi à bien d'autres princes .
Le nom de Djagannâtha (jagan-nátha , Maître du monde ,
l'un des noms de Vichnou) n'est pas rare dans la Littérature
Indienne , soit comme nom d'auteur , soit comme nom de copiste .
Mais je ne connais pas d'autre ouvrage attribué à Jagan-nátha
pandita-raja.
Je me suis servi , pour la présente édition, de trois manuscrits .
Le premier que je nomme A est le n° 1396 de la Bibliothèque de
l'East-India-House . Il comprend avec le texte le Commentaire
de Manirâma . Les premiers feuillets manquent jusqu'à la stance
21 du Livre I. Après le dernier feuillet (163 ) il en manque aussi
au moins un ; car dans son état actuel le manuscrit finit au
milieu de la stance 6 de l'épilogue composé par le Commentateur .
Je n'ai donc pas la date du manuscrit ; mais il ne serait pas
impossible qu'il fût de la main de l'auteur du Commentaire lui-
même . Il est en tout cas très-lisible et soigneusement corrigé .
Le manuscrit que je nomme B appartient à M. Fitzedward
Hall, ancien bibliothécaire de l'India- House, qui a bien voulu
le confier pour moi à M. Hauvette-Besnault . Il contient égale-
ment le commentaire, mais il ne comprend que les deux pre-
miers livres, le premier en 74 , le second en 83 feuillets . Ce
manuscrit n'a pas de valeur indépendante, les seules variantes
qu'il présente relativement au manuscrit A étant des fautes de
copie . Il est en effet fort incorrect . Mais il m'a été indispensable
pour combler la lacune du ms . A.
Enfin mon ms . C est le n° 244 Dév . de la Bibliothèque Na-
tionale de Paris , contenant 34 feuillets . Ce manuscrit est anté-
rieur au Commentaire de Manirâma. Il est daté de samvat
1827 , çâke 1692 , c'est-à-dire 1771 de notre ère . L'ordre des
stances y est un peu différent, surtout dans le Livre I , et il con-
tient quelques stances de plus que A et B.
Comme il n'est pas impossible que le Commentateur ait
changé l'ordre des stances (quoiqu'il puisse aussi s'être servi
d'une recension différente du texte), j'aurais volontiers pris
pour base le ms . C comme le plus ancien . Mais, outre qu'il est
assez fautif, le feuillet 2 manque je ne pouvais donc déter-
miner l'ordre des stances après la stance 103 dont le commen-
- X-
cement se trouve au bas du feuillet 10 , et avant la stance 117 .
dont la fin se trouve en haut du feuillet 12. Ainsi je n'avais
er ion u
guère d'autrre parti à prendre que d'adopt la recens d
n t a t eu r é m e n t s
Com m e , sauf à reje t e s
dan un Supp l les stance
pro p r e s i
au ms. C. J'a aus s i sui v i les le ç o n s de A et B, tou s t e
a g e t uire
i
les fois queje n'a pas cru vo un ava i r n t éviden à introd

celles de C. vé es leçons e es manuscrits que


Je n'ai rele parmi les divers d m
e s e ou ouvant u oins suggérer une leçon
s
les variant correct p a m
gées au-
correcte. Pour cette raison les leçoenusrde B ont été négli t
n t a t s i e ssémen
delà de la stance 20. Le Comme donne aus expr
ntes Quelquefois ace sans
un certain nombre de varia . il rempl
s e m e n t nte
averti s la leçon du texte par une autre qu'il comme :
é te ous orme dubitative . J'ai
j'ai dans ce cas présent la varitan s f
e c h
s i é
aus not les leç o n s d'A u f r , de Hofer et de Bohlen pour
s ères du
les stances qu'ils ont publiée , et même les fautes grossi
s s
te correcte de l'édition de Calcutta , qui
dernier . Les varian
n t s es
n'avaie pas été fournie déjà par les mss . , ont été relevé
s
dan les Not . e s

Le n° 236 de la Bibliothèque Bodléienne d'Oxford , que je n'ai


pu consulter pour cette publication , ne comprend que le Livre I
et les 117 premières stances du Livre II . Ce n'est du reste qu'une
autre copie de la recension avec commentaire de Manirâma .
Il me reste à faire une observation sur la disposition particu-
lière des Pâdas qu'on remarquera dans le texte de certaines
stances ; j'ai adopté cette disposition pour distinguer les stances
du genre comprenant les mètres vaitaliya et aupacchanda-
sika des stances à quatre Pàdas égaux. Les stances écrites dans
les mètres âryâ et anushtubh sont imprimées sur deux lignes .

1. L'ordre des stances des manuscrits A et B est d'ailleurs à peu de


chose près celui de l'Édition de Calcutta et de la Traduction de Galanos .
ABRÉVIATIONS .

B. et R. - Bæhtlingk und Roth . - Sanskrit Warterbuch.


Bf. Voll. Gr. - Benfey. - Vollstændige Grammatik.
Bohl . - Bohlen . - Karuna-Vilasa à la suite de l'édition du Rtu-
Samhâra .
Calc. Le Bhâmini-Vilâsa. - Édition de Calcutta .
Hof. - Hæfer. Sanskrit Lesebuch .
S. Scoliaste .

ERRATA.

DANS LE TEXTE :
I. b . Au lieu de daçadiçaç
30 lisez daça diçaç .
b.
82 kâramkaram karam karam .
92
b. marmaryatham - gharmavyathâm
122
c. â bhûmî- -- ábhûmî-
II. 29
a. - purahsthitam
purah sthitam
39 b . - itah param
itahparam
40 b. â niçam âniçam
60 d . bamûva babhuva
134 d. -vidála- -bidala-
IV . 23 b .
-caranâni -hrdayâni
38 b. ta te
39 c .
-patar -pater
DANS LES VARIANTES :
I. 46 c . -
saroruhasya (sic) saroruhasya
II. 150 c. ―
guhâna grhâna
nápam tâpam
DANS LA TRADUCTION ET DANS LES NOTES.
P. 68 , n. 1 - L'Himalaya
L'Himalaya
P. 74, I. 38 l'amour - l'Amour
P. 75, l . 7 moëlleux - moelleux
P. 94, 1. 15 l'Oucira l'Ouçira
P. 98 , 1. 1
allanguie alanguie
P. 112,1.40 diçah diçaç
P. 114, 1.6 vârtika vârttika
॥ भामिनीविलासः
I
॥ श्रीगणेशाय नमः ॥

॥ श्रथ प्रास्ताविको विलासः ॥

दिगन्ते श्रूयन्ते मदमलिनगण्डाः करटिनः

करिण्यः कारुण्यास्पदमसमशीलाः खलु मृगाः।

इदानों लोकेऽस्मिन्ननुपमशिखानां पुनरयं

नखानां पाण्डित्यं प्रकटयतु कस्मिन्मृगपतिः ॥ १ ॥

पुरा सरसि मानसे विकचसारसालिस्खल-

त्यागसुरभीकृते पयसि यस्य यातं वयः ।

स पल्वलजले धुना मिलदनेकभेकाकुले

मालकुलनायकः कथय रे कथं वर्तताम् ॥ २ ॥

तृष्णालोलविलोचने कलयति प्राचीं चकोरीगणे

मौनं मुञ्चति किं च कैरवकुले कामे धनुर्धन्वति ।

माने मानवतीजनस्य सपदि प्रस्थातुकामे धुना

धातः किं नु विधौ विधातुमुचितो धाराधराडम्बरः ॥ ३ ॥


8

श्रयि दलदरविन्द स्यन्दमानं मन्दं

तव कमपि लिहन्तो मञ्जु गुञ्जन्तु भृङ्गाः ।

4.
FT
.
दिशि दिशि निरपेक्षस्तावकीनं विवृण्व-

परिमलमयमन्यो बान्धवो गन्धवाहः ॥ ४ ॥

समुपागतवति देवादवहेलां कुटज मधुकरे मा गाः ।

मकरन्दतुन्दिलानामरविन्दानामयं महामान्यः ॥ ५॥

तावत्कोकिल विरसान्यापय दिवसान्वनान्तरे निवसन् ।

यावन्मिलदलिमालः कोऽपि रसालः समुछासति ॥ ६ ॥

कमलिनि मलिनीकरोषि चेतः

किमिति वरवलितानभिज्ञेः ।

परिणतमकरन्दमार्मिकास्ते

जगति भवन्तु चिरायुषो मिलिन्दाः ॥ ७ ॥

नितरां नीचो ऽस्मीति त्वं खेदं कूप मा कदापि कृथाः ।

श्रत्यन्तसरसहृदयो यतः परेषां गुणग्रहीतासि ॥ ८॥

येनामन्दमरन्दे दनदरविन्दे दिनान्यनायिषत ।

कुटजे खलु तेनेव्हा तेने हा मधुकरेण कथम् ॥ १ ॥

विमलय महिमायं कस्य गिरामस्तु विषयस्ते ।

उहिरती बहरलं फणिनः पुनासि परिमलोहारः ॥ १० ॥

पाटीर तव पटीयान्कः परिपाटीमिमामुरीकर्तुम् ।

यत्पिंषतामपि नृणां पिष्टोऽपि तनोषि परिमलैः पुष्टिम् ॥ ११ ॥

नीरक्षीरविवेके हंसालस्यं वमेव तनुषे चेत् ।

विश्वस्मिन्नधुनान्यः कुलवतं पालयिष्यति कः ॥ १५ ॥


પ્

उपरि करबालधाराक्रूरभुजगपुंगवाकाराः ।

अन्तः साक्षाद्राक्षादीक्षागुरवो जयन्ति के ऽपि जनाः ॥ १३ ॥

स्वच्छन्दं दलदरविन्द ते मरन्दं

विन्दन्तो विदधतु गुञ्जितं मिलिन्दाः ।

श्रामोदानथ हरिदन्तराणि नेतुं

नैवान्यो जगति समीरणात्प्रवीणः ॥ १४ ॥

याते मव्यचिरान्निदाघमिव्हिरज्वालाशतैः शुष्कतां

गन्ता कं प्रति पान्थसंततिरसौ संतापमालाकुलता ।

एवं यस्य निरन्तराधिपटलैर्नित्यं वपुः क्षीयते

धन्यं जीवितमस्य मार्गसरसो धिग्वारिधीनां जनुः ॥ १५ ॥

श्रपेदिरे ' म्बरपथं परितः पतंगा

भृङ्गा रसालमुकुलानि समाश्रयन्ते ।

संकोचमञ्चति सरस्वयि दीनदीनो

मीनो नु हन्त कतमां गतिमभ्युपैतु ॥ १६ ॥

मधुप इव मारुते । स्मिन्मा सौरभलोभमम्बुजिनि मंस्थाः ।

लोकानामेव मुद्दे महितोऽप्यात्मामुनार्थितां नीतः ॥ १७ ॥

गुञ्जति मञ्जु मिलिन्दे मा मालति मौनमुपयासीः ।

शिरसा वदान्यगुरवः सादरमेनं वहन्ति सुरतरवः ॥ १८ ॥

यैस्त्वं गुणगणवानपि सतां द्विजिह्वैरसेव्यतां नीतः ।

तानपि वहसि पढीरज किं कथयामस्त्वदीयमौन्नत्यम् ॥ ११ ॥

गाहितमखिलं गहनं परितो दृष्टाश्च विटपिनः सर्वे ।

सहकार न प्रपेदे मधुपेन तवोपमा जगति ॥ ५० ॥



श्रपनीतपरिमलान्तरकथे पदं न्यस्य देवतरुकुसुमे ।

अं
श्री

.
पुष्पान्तरेऽपि गन्तुं वाञ्छसि चेद्रमर धन्यो ऽसि ॥ २१ ॥

तटिनि चिराय विचार विन्ध्यभुवस्तव पवित्रायाः ।

शुष्यन्त्या श्रपि युक्तं किं खलु रथ्योदकादानम् ॥ ५५ ॥

पत्त्रफलपुष्पलक्ष्म्या कदाप्यदृष्टं वृतं च खलु शूकैः ।

उपसर्पेम भवन्तं बर्बुर वद कस्य लोभेन ॥ ३३ ॥

एकस्त्वं गहने ऽस्मिन्कोकिल न कलं कदाचिदपि कुर्याः ।

.1
साजात्यशङ्कयामी न त्वां निघ्नन्ति निर्दयाः काकाः ॥ ५४ ॥

तरुकुलसुषमापहरां जनयन्तीं जगति जीवज्ञातार्तिम्।

केन गुणेन भवानीतात हिमानीमिमां वहसि ॥ ३५ ॥

कलभ तवान्तिकमागतमलिमेनं मा कदाप्यवज्ञासीः ।

श्रपि दानसुन्दराणां द्विपधुर्यीणामयं शिरोधार्यः ॥ २६ ॥

श्रमरतरुकुसुमसौरभसेवनसंपूर्णकामस्य ।

पुष्पान्तरसेवेयं भ्रमरस्य विडम्बना महती ॥ २७ ॥

पृष्टाः खलु परपुष्टाः परितो दृष्टाश्च विटपिनः सर्वे ।

माकन्द न प्रपेदे मधुपेन तवोपमा जगति ॥ २८ ॥

तोरल्यैरपि करुणाया भीमभानौ निदाघे

मालाकार व्यरचि भवता या तरोरस्य पुष्टिः ।

सा किं शक्या जनयितुमिह प्रावृषेण्येन वारां

धारासारानपि विकिरता विश्वतो वारिदेन ॥ १॥

श्रारामाधिपतिर्विवेकविकलो नूनं रसा नीरसा

वात्याभिः परुषीकृता दशदिशश्चण्डातपो दुःसह।।


एवं धन्वनि चम्पकस्य सकले संहारहेतावपि

त्वं सिञ्चन्नमृतेन तोयद कुतोऽप्याविष्कृतो वेधसा ॥ ३० ॥

यत्र स्थेमानं दधरतिभयभ्रान्तनयना

गलदानोद्रेकभ्रमदलिकदम्बाः करटिनः ।

लुठन्मुक्ताहारे भवति परलोकं गतवती

हरेर दारे शिव शिव शिवानां कलकलः ॥ ३१ ॥

दधानः प्रेमाणं तरुषु समभावेन विपुलां

न मालाकारो ऽसावकृत करुणां बालबकुले ।

श्रयं तु द्रागुत्कुसुमनिकराणां परिमले-

दिगन्तानातेने मधुपकुलकंकारभरितान् ॥ ३३ ॥

मूलं स्थूलमतीव बन्धनदृढं शाखाः शतं मांसला

वासी दुर्गमहीधरे तरुपते त्रास्ति भीतिस्तव ।

एकः किं तु मनागयं जनयति स्वान्ते ममाधिज्वरं

ज्वालालीवलयीभवन्नकरुणो दावानलो घस्मरः ॥ ३३ ॥

ग्रीष्मे भीष्मतरेः करेर्दिनकृता दग्धो ऽपि यश्चातक-

स्त्वां ध्यायन्घन वासरान्कथमपि द्राघीयसो नीतवान्।

देवालोचनगोचरेण भवता तस्मिन्निदानीं यदि

स्वीचक्रे करकानिपातनकृपा तत्कं प्रति ब्रूमहे ॥ ३४ ॥

दवदनजटालज्वालजालाकृतानां

परिगलितलतानां म्लायतां भूरुहाणाम् ।

श्रयि जलधर शेलश्रेणिद्वेष तोयं

वितरति बहु को ऽयं श्रीमदस्तावकीनः ॥ ३५ ॥


शृण्वन्पुरः परुषगर्जितमस्य कृत्त

रे पान्थ विह्वलमना न मनागपि स्याः ।

विश्वार्तिवारणासमर्पितजीवनी यं

नाकर्णितः किमु सखे भवताम्बुवाहः ॥ ३६ ॥

सौरभ्यं भुवनत्रयेऽपि विदितं शैत्यं तु लोकोत्तरं

कीर्तिः किं च दिगङ्गनाङ्गागता किं वेतदेकं शृणु ।

सर्वानेव गुणानियं निगिरति श्रीखण्ड ते सुन्दरा-

नुक्कन्ती खलु कोटरेषु गरलज्वालां द्विजिह्वावली ॥ ३७ ॥

नापेक्षा न च दाक्षिण्यं न प्रीतिर्न च संगतिः ।

तथापि हरते तापं लोकानामुन्नतो घनः ॥ ३८ ॥

समुत्पत्तिः स्वच्छे सरसि हरिहस्ते निवसति

:पद्मायाः सुहृदयहारी परिमलः ।।


विलासः

गुणैरेतैरन्यैरपि च ललितस्याम्बुज तव

द्विजोत्तंसे हंसे यदि रतिरतीवोन्नतिरियम् ॥ ३१॥

साकं यावगोर्लुठन्ति मायस्तीरे बिम्बोपमा

नीरे नीरचरेः समं स भगवान्निद्राति नारायणः ।

एवं वीक्ष्य तवाविवेकमपि च प्रौढिं परामुन्नतेः

किं निन्दान्यथ वा स्तवानि कथय क्षीरार्णव त्वामहम् ॥ ४० ॥

किं खलु खैरेतैः किं पुनरभ्रायितेन वपुषा ते ।

सलिलमपि यन्न तावकमर्णव वदनं प्रयाति तृषितानाम् ॥ ४१॥

इयत्यां संपत्तावपि च सलिलानां त्वमधुना

न तृलामातीनां हरसि यदि कासार सहसा ।


निदाघे चण्डांशी किरति परितोऽङ्गारनिकरं

कृशीभूतः केषामहरु परिहर्तासि खलु ताम् ॥ ४५ ॥

श्रपि रोषमुरीकरोषि नो चे-

त्किमपि त्वां प्रति वारिधे वदामः ।

जलदेन तवार्थिना विमुक्ता-

न्यपि तोयानि महान्न हा जहासि ॥ ४३ ॥

न वारयामो भवतीं विशत्तीं

वर्षानदि स्रोतसि जनुजायाः ।

न युक्तमेतत्तु पुरो यदस्या-

स्तरंगभङ्गान्प्रकटीकर
ोषि ॥ ४४ ॥

पौलोमीपतिकानने विलसतां गीर्वाणभूमीरुहां

येन प्रातसमुक्कितानि कुसुमान्याजधिरेनिर्जरः ।

तस्मिन्न मते विधिवशान्माधीकमाकाङ्गति

त्वं चेदञ्चसि लोभमम्बुज तदा किं त्वां प्रति ब्रूमहे ॥ ४५ ॥

भुक्ता मृणालपटली भवता निपीता-

न्यम्बूनि पत्र नलिनानि निषेवितानि ।

रेराजहंस वद तस्य सरोवरस्य

कृत्येन केन भवितासि कृतोपकारः ॥ ४६ ॥

प्रारम्भे कुसुमाकरस्य परितो यस्योलसन्मञ्जरी-

पुजे मलगुञ्जितानि रचयंस्तानातनीरुत्सवान् ।

तस्मिन्नच रसालशाखिनि दशां देवात्कृशामञ्चति

त्वं चेन्मुञ्चसि चञ्चरीक विनयं नीचस्वदन्यो ऽस्ति कः ॥ ४० ॥


2
१०

रणीगणेषु गुरुगर्वनिमीलिताक्षः

किं कृतसार खन्तु खेलसि काननेऽस्मिन् ।

सीमामिमां कलय भिन्नकरीन्द्रकुम्भ-

मुक्तामयीं हरिविहारवसुंधरायाः ॥ ४८ ॥

जठरज्वलनज्वलताप्यपगतशङ्कं समागतापि पुरः 1

करिणामरिणा हरिणा हरिणाली हन्यतां नु कथम् ॥ ४१ ॥

येन भिन्नकरिकुम्भविस्खल-

न्मौक्तिकावलिभिरचिता मही ।

तेन हरिणान्तिके कथं

कथ्यतां नु हरिणा पराक्रमः ॥ ५० ॥

स्थितिं नो रे दव्याः क्षणमपि मदान्धक्षण सखे

गतश्रेणीनाथ त्वमिह जटिलायां वनभुवि ।

सौ कुम्भिभ्रान्त्या खरनखरविद्रावितमहा-

गुरुग्रावग्रामः स्वपिति गिरिगर्भे हरिपतिः ॥ ५१ ॥

गिरिगह्वरेषु गुरुगर्वगुम्फितो

: ।
गजराजपीत न कदापि संचरे

यदि बुध्यते हरिशिशुः स्तनंधयो

भविता करेणुपरिशेषिता मही ॥ ५२ ॥

निसर्गादाराने तरुकुलसमारोपसुकृती

कृती मालाकारो बकुल्लमपि कुत्रापि निदधे ।

इदं को जानीते यदयमिह कोणान्तरगती

जगज्जालं कर्ता कुसुमभरसौरभ्यभरितम् ॥ ५३ ॥


११

यस्मिन्खेलति सर्वतः परिचलत्कल्लोलकोलाहले-

मन्याभ्रिमणभ्रमं हृदि हरिद्दन्तावलाः पेदिरे ।

सोऽयं तुङ्गतिमिंगिलाङ्गकवलीकारक्रियाकोविदः

कोडे क्रीडतु कस्य केलिकल्लहत्यक्तार्णवी राघवः ॥ ५४ ॥

:
लूनं मत्तगजेः कियत्कियदपि च्छिन्नं तुषारार्दितेः

शिष्टं ग्रीष्म भीष्मभानुकिरोर्भस्मीकृतं काननम्।

एषा कोणागता मुङः परिमलेरामोदयन्ती दिशो

हा कष्टं ललिता लवङ्गलतिका दावाग्निना दह्यते ॥ ५५ ॥

स्वर्लोकस्य शिखामणिः सुरतरुग्रामस्य धामाडुतं

पौलोमीपुरुहूतयोः परिणतिः पुण्यावलीनामसि ।

सत्यं नन्दन किं विदं सहृदयेर्नित्यं विधिः प्रार्थते

त्वत्तः खाण्डवरङ्गताण्डवनटी दूरेऽस्तु वैश्वानरः ॥ ५६ ॥

स्वस्वव्यापतिमग्रमानसत्या मत्तो निवत्ते जने

चञ्चूकोटिविपाठितारपुटी यास्याम्यहं पञ्जरात्।

एवं कीरवरे मनोरथमयं पीयूषमास्वादय-

त्यन्तः संप्रविवेश वारणकराकारः फणिग्रामणीः ॥ ५७ ॥

रे चाञ्चल्यषो मृगाः श्रितनगाः कल्लोलमालाकुला-

मेतामम्बुधिकामिनीं व्यवसिताः संगाहितुं वा कथम्।

श्रत्रैवोच्छ्लदम्बुनिर्भरमहावर्तैः समावर्तितो

यद्वावेव रसातलं पुनरसौ यातो गजग्रामणीः ॥ ५८ ॥

पिब स्तन्यं पोत वमिद मददन्तावलधिया

दृगन्त्तानाधत्से किमिति हरिदत्तेषु परुषान् ।


१३

"
त्रयाणां लोकानामपि हृदयतापं परिव्हर-

नयं धीरं धीरं धनति नवनीलो जलधरः ॥ ५ ॥

धीरधनिभिरलं ते नीरद मे मासिको गर्भः ।

उन्मदवारणबुड्या मध्येजठरं समुच्छलति ॥ ६० ॥

वेतण्डगण्डकण्डूतिपाण्डित्यपरिपन्थिना ।

हरिणा हरिणालीषु कथ्यतां कः पराक्रमः ॥ ६१ ॥


"
नीरान्निर्मलतो निर्मधुरता रामामुखस्पर्धिनी

वासी यस्य हरेः करे परिमलो गीर्वाणचेतोहरः।

सर्वस्वं तदही महाकविगिरां कामस्य चाम्भोरुह

त्वं चेत्प्रीतिमुरीकरोषि मधुये तवां किमाचक्ष्महे ॥ ६२ ॥

लीलामुकुलितनयनं किं सुखशयनं समानुषे ।

परिणामविषमहरिणा करिनायक वर्धते वैरम् ॥ ६३ ॥

विदुषां वदनाद्वाचः सहसा यान्ति नो वहिः ।

याताश्चेन्न पराञ्चन्ति द्विरदानां रदा इव ॥ ६४ ॥

श्रदार्य भुवनत्रयेऽपि विदितं संभूतिरम्भोनिधे-

वीसी नन्दनकानने परिमलो गीवाचेतोव्हरः।

एवं दातृग गुणाः सूरतरी सर्वे ऽपि लोकोत्तराः

स्यादर्थिप्रवरार्थितार्पणविधावेको विवेको यदि ॥ ६५ ॥

एको विश्वसतां हराम्यपघृणः प्राणानहं प्राणिना-

मित्येवं परिचिन्त्य मा स्म मनसि व्याधानुतापं कृथाः ।

भूपानां भवनेषु किं च विमलक्षेत्रेषु गूढाशयाः

साधूनामरयो वसन्ति कति न बत्तुल्यकक्षाः खल्लाः ॥ ६६ ॥


१३

विश्वास्य मधुरवचनैः साधून्ये वञ्चयन्ति नम्रतमाः ।

तानपि दधासि मातः काश्यपि यातस्तवापि च विवेकः ॥ ६७ ॥

श्रन्या जगतिमयी मनसः प्रवृत्ति-

स्यैव कापि रचना वचनावलीनाम् ।

लोकोत्तरा च कृतिराकृतिरार्तकृया

विद्यावतां सकलमेव गिरां दवीयः ॥ ६८ ॥

श्रापद्गतः किल महाशयचक्रवर्ती

विस्तारयत्यकृतपूर्वमुदारभावम्

कालागरुर्दव्हनमध्यगतः समन्ता-

लोकोत्तरं परिमलं प्रकटीकरोति ॥ ६१ ॥

विश्वाभिरामगुणगौरवगुम्फितानां

रोषोऽपि निर्मलधियां रमणीय एव ।

लोकंपूणैः परिमलैः परिपूरितस्य

काश्मीरम्य तापि नितान्तरया ॥ ७० ॥

लीलालुष्ठितशारदापुरमहासंपद्राणां पुरो

विश्वासाविनिर्गलत्कणमुषो वल्गन्ति चेत्यामराः ।

श्रव श्वः फणिनां शकुन्तशिशवी दत्तावलानां मृगाः

सिंहानां च सुखेन मूर्धसु पदं धास्यन्ति शालावृकाः ॥ ७१ ॥

गोर्भिर्गुणां परुषाक्षराभि-

स्तिरस्कृता यान्ति नरा महत्वम् ।

श्रलब्धशाणोत्कषणा नृपाणां

न जातु मौलौ मणयो वसन्ति ॥ ७२ ॥


१४

वहति विषधरान्पटीरजन्मा

शिरसि मसीपटलं दधाति दीयः ।

विधुरपि भवतेतरां कलङ्कं

पिशुनजनं खलु बिभ्रति क्षितीन्द्राः ॥ ७३ ॥

सत्पूरुषः खलु हिताचरणैरमन्द-

मानन्दयत्यखिललोकमनुक्त एव ।

श्राराधितः कथय केन करेरुदारे-

रिन्दुर्विकासयति कैरविणीकुलानि ॥ ७४ ॥

कृतमपि महोपकारं पय इव पीवा निरातङ्कम् ।

प्रत्युत हन्तुं यतते काकोदरसोदरः खल्लो जगति ॥ ७५ ॥

पाण्डित्यं परिष्कृत्य यस्य हि कृते वन्दिवमालम्बितं

:
दुष्प्रापं मनसापि यो गुरुतरं क्लेशः पदं प्रापितः ।

स्तत्र स चेन्निगीर्य सकलां पूर्वीपकारावलीं

दुष्टः प्रत्यवतिष्ठते तदधुना कस्मै किमाचक्ष्महे ॥ ७६ ॥

परार्थव्यासङ्गापनहृदय स्वार्थपरता-

मभेदैकवं यो वहति गुणभूतेषु सततम् ।

स्वभावास्यात्तः स्फुरति ललितोदात्तमहिमा

‫ي‬
समर्थ यो नित्यं स जयतितरां को ऽपि पुरुषः ॥ ७७ ॥

वंशभवी गुणवानपि सङ्गविशेषेण पूज्यते पुरुषः ।

नहितम्बीफलविकल्ली वीणादण्डः प्रयाति महिमानम् ॥७८॥

श्रमितगुणोऽपि पदार्थों दोषेणैकेन निन्दिती भवति ।

निखिलरसायनमहितो गन्धेनोग्रेण लशुन इव ॥ ७१ ॥


૧૫

उपकारमेव तन्ते विपरतः सदृणी नितराम् ।

मूहीं गतो मृतो वा निदर्शनं पारदो ऽत्र रसः ॥ ८० ॥

वनाते खेलती शशकशिशुमालोक्य चकिता

भुजप्रान्तं भर्तुर्भजति भयहर्तुः सपदि या ।

हो सेयं सीता दशवदननीता हलरंदेः

परीता रक्षोभिः श्रयति विवशा कामपि दशाम् ॥ ८१ ॥

पुरो गीवीणानां निजभुजबलाहोपुरुषिका-

मही कारंकारं पुरभिदि शरं संमुखयतः ।

स्मरस्य स्वबलानयनशुभमालार्चनपदं

"I
वपुः सद्यो भालानलभसितजालास्पदमभूत् ॥ ८३

पुक्तं सभायां खलु मर्कटानां

शाखास्तत्रूणां मृडुलासनानि ।

सुभाषितं चीत्कृतिरातिथेयी

दन्तैर्नखाश्च विपाटितानि ॥ ८३ ॥

किं तीर्थ हरिपादपद्मभजनं किं रत्नमच्छा मतिः

किं शास्त्रं श्रवणेन यस्य गलति द्वैतान्धकारोदयः।

किं मित्रं सततोपकाररसिकं तथावबोधः सखे

कः शत्रुर्वेद खेददानकुशलो दुवीसनासंचयः ॥ ८४ ॥

नितातो ऽपि च वेदान्ते साधुवं नैति दुर्जनः ।

चिरं जलनिधौ मनो मैनाक इव मार्दवम्॥ ८५ ॥

नैर्गुण्यमेव साधीयीधिगस्तु गुणगौरवम् ।

शाखिनो ऽन्ये विराजते खण्ड्यन्ते चन्दनद्रुमाः ॥ ८६ ॥


१६

परोपसर्पणानन्तचित्तानलशिखाशतेः ।

चुम्बितान्तःकरणाः साधु जीवन्ति पादपाः ॥ ८७ ॥

शून्ये ऽपि च गुणवत्तामातन्वानः स्वकीयगुणजालैः ।

विवराणि मुद्रयन्द्राणीयुरिव सुजनो जयति ॥ ८८॥

खलः सज्जनकापीसरक्षणेकडताशनः ।

परदुःखाग्निशमने मारुतः केन वर्ण्यताम् ॥ ८१ ॥

परगुह्यगुप्तिनिपुणं गुणमयमखिलैः समीहितं नितराम्।

ललिताम्बरमिव सज्जनमाखव इव दूषयन्ति खलाः ॥ १० ॥

यशःसौरभ्यलशुनः शान्तिशैत्यङ्गताशनः ।

कारुण्यकुसुमाकाशः खलः सज्जनदुःखद्ः ॥ ११ ॥

धत्ते भरं कुसुमपत्त्रफलावलीनां

मर्मव्यथां स्पृशति शीतभवां रुजं च ।

यो देहमर्पयति चान्यसुखस्य हेतो-

स्तस्मै वदान्यगुरवे तरवे नमो अस्तु ॥ १५ ॥

हालाहलं खलु पिपासति कौतुकेन

कालानलं परिचुचुम्बिषति प्रकामम् ।

व्यालाधिपं च यतते परिरब्धुमहा

यो दुर्जनं वशयितुं कुरुते मनीषाम् ॥ १३ ॥

दीनानामिह परिहार शुष्कसस्या-

न्यौदार्य प्रकटयतो महीधरेषु ।

श्रन्नत्यं परममवाप्य दुर्मदस्य

ज्ञातो ऽयं जलधर तावको विवेकः ॥ १४ ॥


गिरयो गुरवस्तेभ्यो ऽप्युर्वी गुर्वी ततो ऽपि जगदण्डम्।

तस्मादप्यतिगुरवः प्रलये ऽप्यचला महात्मानः ॥ १५ ॥

व्योमनि शम्बाकुरुते चित्रं निर्माति यत्नतः सलिले ।

नृपयति सलिलैः पवनं चरति खते यस्तु सत्कारम् ॥ १६ ॥

हारं वक्षसि केनापि दत्तमज्ञेन मर्कटः ।

लेट निघति संक्षिप् करोत्युन्नतमाननम् ॥ १७ ॥

मलिने पिरागपूर्णां विकसितवदनामनल्पजल्ये ऽपि ।

त्वयिचपत्ते ऽपि च सरसां भ्रमर कथं वा सरोजिनीं त्यजसि ॥ १८॥

स्वार्थ धनानि धनिकात्प्रतिगृह्णतो य

दास्यं भजेन्मलिनतां किमिदं विचित्रम् ।

गृहपरार्थमपि वारिनिधेः पयो ऽपि

मेघो sयमेति सकलो ऽपि च कालिमानम् ॥ ११ ॥

जनकः सानुविशेषो जातिः काष्ठं भुजंगमेः सङ्गः ।

स्वगुणैरेव पटीरज यातो ऽसि तथापि महिमानम् ॥ १०० ॥

कस्मै हन्त फलाय सज्जन गुणग्रामार्जने सज्जसि

स्वात्मोपस्करणाय चेन्मम वचः पथ्यं समाकर्णय |

भावा हृदयं हरन्ति नितरां शोभाभरेः संभृता-

स्तैरेवास्य कलेः कलेवरपुषो दैनंदिनं वर्तनम् ॥ १०१ ॥

धूमायिता दश दिशो दलितारविन्दा

देहं दहन्ति दहना इव गन्धवाहाः ।

वामन्तरेण मृडुताम्रदलाम्रमञ्जु-

गुतन्मधुव्रत मधो किल्ल कोकिलस्य ॥ १०५ ॥


3
१८

भिन्ना महागिरिशिलाः करजाग्रजाय-

डुद्दामशौर्यनिकरैः करटिभ्रमेण ।

देवे पराचि करिणामरिणा तथापि

कुत्रापि नापि खलु हा पिशितस्य लेशः ॥ १०३ ॥

गर्जितमाकर्ण्य मनाङ्के मातुर्निशार्धजातोऽपि ।

हरिशिशुरुत्पतितुं द्रागङ्गान्याकुच्य लीयते निभृतम् ॥ १०४ ॥

किमहं वदामि खल दिव्यमतं

गुणपक्षपातमभितो भवतः ।

गुणशालिनी निखिलसाधुजना-

न्यदहर्निशं न खलु विस्मरसि ॥ १०५ ॥

रे खल तव खलु चरितं विदुषां मध्ये विविच्य वक्ष्यामि ।

थवालं पापात्मन्कृतया कथयापि ते कृतया ॥ १०६ ॥

श्रानन्दमृगदावाग्निः शीलशाखिमदद्विपः ।

ज्ञानदीपमहावायुरगं खलसमागमः ॥ १०७ ॥

खलास्तु कुशलाः साधुहितप्रत्यूहकर्मणि ।

निपुणाः फणिनः प्राणानपतु निरागसाम् ॥ १०८ ॥

वदने विनिवेशिता भुजंगी

पिशुनानां रसनामिषेण धात्रा ।

नया कथमन्यथावलीढा

न हि जीवति जना मनागमन्त्राः ॥ १०१ ॥

कृतं वयोन्नतं कृत्यमर्जितं चामलं यशः ।

यावज्जीवं सखे तुभ्यं दास्यामो विपुलाशिषः ॥ ११० ॥


१६

श्रविरतं परकार्यकृतां सतां

मधुरिमातिशयेन वचोऽमृतम्।

श्रपि च मानसमम्बुनिधिर्यशो

विमलशारदपार्वणचन्द्रिका ॥ १११ ॥

एत्य कुसुमाकरो मे संजीवयिता गिरं चिरं मनाम्।

इति चिन्तयती हृदये पिकस्य समधायि शौनिकेन शरः ॥ ११५ ॥

निर्गुणः शोभते नैव विपुलाडम्बरो ऽपि ना ।

श्रापातरम्यपुष्यश्रीशोभिता शाल्मलिर्यथा ॥ ११३ ॥

पर्विना सरो भाति सदः खलजनेर्विना ।

कटुवर्णैर्विना काव्यं मानसं विषयैर्विना ॥ ११४ ॥

तवं किमपि काव्यानां जानाति विरलो भुवि ।

मार्मिकः को मरन्दानामन्तरेण मधुव्रतम् ॥ ११५ ॥

सरजस्कां पाण्डुवणी कण्टकप्रकरान्विताम् ।

केतकी सेवसे हन्त कथं रोलम्ब निस्त्रपः ॥ ११६ ॥

यथा तानं विना रागो यथा मानं विना नृपः।

यथा दानं विना हस्ती तथा ज्ञानं विना यतिः ॥ ११७ ॥

सन्तः स्वतः प्रकाशन्ते गुणा न परतो नृणाम् ।

श्रामोदो न हि कस्तूयः शपथेन विभाव्यते ॥ ११८ ॥

वित गुरुगर्व मास्म कस्तूरि यासी-

रखिलपरिमलानां मौलिना सौरभेण ।

गिरिगहनगुहायां लीनमत्यन्तदीनं

स्वजनकममुनेव प्राणहीनं करोषि ॥ १११ ॥


२०

दूरीकरोति कुमतिं विमलीकरोति

चेतश्चिरत्तनमधं चुलुकीकरोति ।

भूतेषु किं च करुणां बहुलीकरोति

सङ्गः सतां किमु न मङ्गलमातनोति ॥ १५० ॥

परोपकारकरणव्ययीभवद्मलचेतसां महताम्।

श्रापातकाटवानि स्फुरति वचनानि भेषजानीव ॥ १३१ ॥

व्यागुञ्जन्मधुकरपुञ्जमञ्जुगीता-

न्याकर्ण्य श्रुतिमदजालयातिरेकात् ।

या भूमीतलनतकंधराणि मन्ये

येऽस्मिन्नवनिरुद्धां कुटुम्बकानि ॥ १२२ ॥

मृतस्य लिप्सा कृपणस्य दित्सा

विमार्गगायाश्च रुचिः स्वकान्ते ।

सर्पस्य शान्तिः कुटिलस्य मैत्री

विधातृसृष्टौ न हि दृष्टपूर्वा ॥ १३३ ॥

उत्तमानामपि स्त्रीणां विश्वासो नैव विद्यते ।

राजप्रियाः कैरविण्यो रमते मधुपैः सह ॥ १३४ ॥

श्रयाचितः सुखं दत्ते याचितश्च न यच्छति ।

सर्वस्वं चापि हरते विधिरुच्छृङ्खलो नृणाम् ॥ १३५ ॥

दोर्द उदयकुण्डलीकृतलसत्कोदण्डचण्डधनि-

धस्ताद्दण्डविपक्षमण्डलमय वां वीक्ष्य मध्येरणम्।

वल्गगाण्डिवमुक्तकाण्डवलयडवालावलीताण्डव-

भ्रश्यत्खाण्डवरुष्टपाण्डवमहो को न क्षितीश स्मरेत्॥ १२६ ॥


३१

खण्डितानेत्रकंजालिम सुरञ्जनपण्डिताः ।

मण्डिताखिलदिकूप्रान्ताश्चण्डांशीः पान्तु भानवः ॥ १५७ ॥

॥ इति श्रीमत्पण्डितराजजगन्नाथविरचिते भामिनी-

विलासे प्रास्ताविकः प्रथमो विलासः ॥

॥ श्रथ शृङ्गारवर्णनो विलासः ॥

न मनागपि राजरोषशङ्का

न कलङ्कानुगमो न पाण्डुभावः ।

उपचीयत एव कापि शोभा

परितो भामिनि ते मुखस्य नित्यम् ॥ १ ॥

नितरां परुषा सरोजमाला

पेशलानि ।
न मृणालानि विचार

यदि कोमलता तवाङ्गकाना-

मथ का नाम कथापि पल्लवानाम् ॥ २ ॥

तन्मञ्जु मन्दहसितं श्वसितानि तानि

साव कलङ्कविधुरा मधुराननश्रीः ।

श्रद्यापिमे हृदयमुन्मदयन्ति हन्त

सायन्तनाम्बुजसहोदरलोच
नायाः ॥ ३ ॥
स्वेदाम्बुसान्द्रकणशालिकपोलपालि-

दोलायितश्रवणकुण्डल्लवन्दनीया
२२

श्रानन्दमङ्करयति स्मरणेन कापि

रम्या दशा मनसि मे मदिरेक्षणायाः ॥ ४ ॥


5
कस्तूरिकातिलकमालि विधाय सायं

स्मेरानना सपदि शीलय सौधमौलिम् ।

प्रौढिं भजन्तु कुमुदानि मुदामुदारा-

मुलासयन्तु परितो हरितो मुखानि ॥ ५ ॥

प्रातस्तरां प्रणमने विहिते गुत्रूणा-

माकर्ण्य वाचममलां भव पुत्रिणीति ।

नेदीयसि प्रियतमे परमप्रमोद-

पूर्णी दरं दयितया दधिरे दृगन्ताः ॥ ६ ॥

गुरुजनभयमद्विलोकनान्त
:-

समुदयदाकुलभावमावहन्त्याः ।

दरदलदरविन्दसुन्दरं हा

हरिणदृशो नयनं न विस्मरामि ॥ ७ ॥

बदरामलकाम्रदाडिमान-

मपहृत्य श्रियमुन्नतां क्रमेण ।

श्रधुना हरणे कुचौ यतेते

दयिते ते करिशावकुम्भलक्ष्म्याः ॥ ८ ॥
A
कपोलपालिं तव तन्वि मन्ये

लावण्यधन्ये दिशमुत्तराख्याम् ।

श्राभाति यस्यां ललितालकायां

मनोहरा वै श्रवणस्य लक्ष्मीः ॥ १ ॥


३३

नीवीं नियम्य शिथिलामुषसि प्रकाश-

मालोक्य वारिजदृशः शयनं जिव्हासोः ।

नैवावरोहति कदापि च मानसान्मे

नाभेः प्रभा सरसिजोदरसोदरायाः ॥ १० ॥

arry केलीरभसेन बाला ‫ין‬

मुहुर्ममालापमुपालपन्ती ।

श्रारावाकार्य गिरं मदीयां

सौदामिनीयां सुषमामयासीत् ॥ ११ ॥

मुधैव मत्तुं परिकल्प्य गन्तुं

मृषैव षाडुपजल्पतो मे ।

उदश्रुचञ्चन्नयना नताङ्गी

गिरं न कां कामुररीचकार ॥ १२ ॥

तदवधि कुशली पुराणशास्त्र-

स्मृतिशतचारुविचारजी विवेकः ।

यदवधि न पदं दधाति चित्ते

हरिणकिशोरदृशो दृशोर्विलासः ॥ १३ ॥

श्रागतः पतिरितीरितं जनैः

शृण्वती चकितमेत्य देहलीम् ।

कौमुदीव शिशिरीकरिष्यते

लोचने मम कदा मृगेक्षणा ॥ १४ ॥

अवधी दिवसावसानकाले

भवनद्वारि विलोचने दधाना ।


अवलोक्य तदा समागतं मा-

मथ रामा विकसन्मुखी बभूव ॥ १५ ॥

वक्षोजाग्रं पाणिनामृश्य दूरं

यातस्य द्रागाननाब्तं प्रियस्य ।

शोणाग्राभ्यां भामिनी लोचनाभ्यां

जोषं जोषं जोषमेवावतस्थे ॥ १६ ॥

गुरुभिः परिवेलितापि गएड-

स्थलकण्डूयनचारुकैतवेन ।

दरदर्शितहेमबाहुनाला

मयि बाला नयनाञ्चलं चकार ॥ १७ ॥

गुरुमध्यगता मया नताङ्गी

निहता नीरजकोरकेण मन्दम् ।

दरकुण्डलताण्डवं नतभ्रू-

लतिकं मामवलोक्य घूर्णितासीत्॥ १८ ॥

विनये नयनारुणप्रसाराः
21

प्रणती वृत्त निरन्तराश्रधाराः ।


.

fe जीवितसंशयः प्रयाणे
PF

न हि जाने हरिणाक्षि केन तुष्येः ॥ ११ ॥

करुण मृषाभाषासिन्धो विमुञ्च ममाञ्चलं

तव परिचितः स्नेहः सम्यद्मयेत्यभिधायिनीम् ।

अविरलगलद्वाष्यां तन्वीं निरस्तविभूषणां


कै

क इव भवतीं भद्रे नि विना विनिवेदयेत् ॥ ५० ॥


३५

तीरे तरुण्या वदनं सहासं

नीरे सरोजं च मिलद्विकासम् ।

श्रालोक्य धावत्युभयत्र मुग्धा

मरन्दलुब्धालिकिशोरमाला ॥ २१ ॥

वीक्ष्य वक्षसि विपक्षकामिनी-

हारलक्ष्म दयितस्य भामिनी ।

संसदेशविनिवेशितां क्षणा-

दाचकर्ष निजबाहुवल्लरीम् ॥ ५३ ॥

दरानमत्कंधरबन्धमीष-

निमीलितस्निग्धविलोचनाब्जम् ।

अनल्पनिःश्वासभरालसाङ्ग

स्मरामि सङ्गं चिरमङ्गनायाः ॥ २३ ॥

रोषावेशान्निर्गतं यामयुग्मा-

देत्य द्वारं कांचिदाख्यां गृणन्तम्।

मामाज्ञायवाययौ कातराक्षी

मन्दं मन्दं मन्दिरादिन्दिरेव ॥ २४ ॥

हृदये कृतशेवलानुषङ्गा

मुङरङ्गानि यतस्ततः क्षिपती ।

प्रियनामपरे मुखे सखीना-

मतिदीनामियमादधाति दृष्टिम् ॥ २५ ॥

इत एव निजालयं गताया

वनिताया गुरुभिः समावृतायाः ।


4
२६

परिवर्तितकंधरं नतश्रु

स्मयमानं वदनाम्बुजं स्मरामि ॥ २६ ॥

कथय कथमिवाशा जायतां जीविते मे

मलयभुजगवान्ता वान्ति वाताः कृतान्ताः ।

यमपि खलु गुञ्जन्म माकन्दमौली

चुलुकयति मदीयां चेतनां चञ्चरीकः ॥ २७ ॥

निरुध्य यान्तीं तरसा कपोतीं

कूजत्कपोतस्य पुरो दधाने ।

मयि स्मिता वदनारविन्दं

सा मन्दमन्दं नमयां बभूव ॥ २८ ॥

तिमिरं हरन्ति हरितां पुरः स्थितं

तिरयति तापमथ तापशालिनाम् ।

वदनविषस्तव चकोरलोचने

परिमुद्रयन्ति सरसीरुरुश्रियः ॥ २१ ॥

कुचकलशयुगान्तमीमकीनं नखाऊं

सपुलकतनु मन्दं मन्दमालोकमाना ।

विनिहितवदनं मां वीक्ष्य बाला गवाक्षे

चकितनतनताङ्गी सद्म सही विवेश ॥ ३० ॥

विधाय सा मदनानुकूलं

कपोलमूलं हृदये शयाना ।

तन्वी तदानीमतुलां बलारेः

सांराज्यलक्ष्मीमधरीचकार ॥ ३१ ॥
২৩

मुहरर्थितया निद्रया मे

वत यामे चरमे निवेदितायाः ।

चिबुकं सुदृशी मृशामि याव

न्मयि तावन्मिहिरो ऽपि निर्दयो भूत् ॥ ३३ ॥

श्रुतिशतमपि भूयः शीलितं भारतं वा

विरचयति तथा नो हन्त तापस्य शान्तिम् ।

श्रपि सपदि यथायं केलिविश्रान्तकान्ता-

वदनकमल्तनालात्क्रान्तिसान्द्रो नकारः ॥ ३३ ॥

लवलीं तव लीलया कपोले

कवलीकुर्वति कोमलविषा ।

परिपाण्डुरपुण्डरीकखण्डे

परिपेतुः परितो महाधयः ॥ ३४ ॥

यौवनोद्रमनितान्तशङ्किताः

शीलशौर्यबलकान्तिलोभिताः ।

संकुचन्ति विकसन्ति राघवे

जानकीनयननीरजश्रियः ॥ ३५ ॥

अधिरोप्य हरस्य हन्त चापं

परितापं प्रशमय्य बान्धवानाम् ।

परिणेष्यति वा न वा युवायं

निरपायं मिथिलाधिनाथपुत्रीम् ॥ ३६ ॥

भजपञ्जरे गृहीता नवपरिणीता वरेण रहसि वधूः ।

तत्कालजालपतिता बालकुरङ्गीव वेपते नितराम् ॥ ३७ ॥


उपनिषदः परिपीता गीतापि च हन्त मतिपथं नीता।

तदपि " न हा विधुवदना मानससदनाद्वहिति ॥ ३८॥

करुणहृदय प्रियतम मुञ्चामि वामितः परं नाहम्।

इत्यालपति कराम्बुजमादायालीजनस्य विकला सा ॥ ३१ ॥

लोभादराटिकानां विक्रेतुं तक्रमा निशमयन्त्या ।

लब्धी गोपकिशोर्या मध्येरथ्यं महेन्द्रनीलमणिः ॥ ४० ॥

पारुचिं निरसितुं रसयन्त्या हरिमुखस्य लावण्यम् ।

सुदृशः शिव शिव सकले जाता सकलेवरे जगत्यरुचिः ॥ ४१ ॥

किं जल्पसि मुग्धतया हत्त ममाङ्गं सुवर्णवर्णमिति ।

यदि पतति ताशे तदा हताशे तुलां तवारोहेत् ॥ ४५ ॥

श्रौत्सुक्यात्परिमिततां त्रपया संकोचमञ्चतां च मुहुः।

नवसंगमयोर्यनीर्नयनानामुत्सवी जयति ॥ ४३ ॥

गरिमाणमर्पयित्वा लघिमानं कुचतटात्सरोजदृशाम् ।

स्वीकुर्वते नमस्ते यूनां धैर्याय निर्विवेकाय ॥ ४४ ॥

न्यञ्चति वयसि प्रथमे समृदखति तरुणिमनि सुदृशः ।

दधति स्म मधुरिमाणं वाचो गतयश्च विभ्रमाश्च भृशम् ॥ ४५ ॥

निःसीमशोभासौभाग्यं नताङ्ग्या नयनद्वयम्।

श्रन्योऽन्यालोकनानन्दविरहादिव चञ्चलम् ॥ ४६ ॥

गुरुमध्ये हरिणाक्षी मार्त्तिकशकलेर्निहन्तुकामं माम् ।

रदयन्त्रितरसनायं तरलितनयनं निवारयां चक्रे ॥ ४० ॥

नयनाञ्चलावमर्श न या कदाचित्पुरा सेहे ।

श्रालिङ्गितापि जोषं तस्थौ सा गन्तुकेन दयितेन ॥४८ ॥


मानपराग्वदनापि प्रिया शयानेव दयितकरमूले ।

उलदुजमलसग्रीवाबन्धं कपोलमाधत्ते ॥ ४३ ॥

लोचनफुल्लाम्भोजयत्तोभान्दोलितैकमनाः ।

कस्तूरीतिलक मिषादयमलिके लिः समुल्लसति ॥ ५० ॥

धिरजनि प्रियसविधे कथमपि संवेशिता गुरुभिः ।

किं भवितेति सशङ्कं पङ्कजनयना परामृशति ॥ ५१ ॥

चितामीलितमानसो मनसितः सख्यो विहीनप्रभाः

प्राणेशः प्रणयाकुलः पुनरसावास्तां समस्ता कथा |

तवां प्रतिवेदयामि मम चेडक्तिं हितां मन्यसे

मुग्धे मा कुरु मानमाननमिदं राकापतिर्देष्यति ॥ ५३ ॥

श्रलंक का भृशमनुभवन्त्या नवरु

ससीत्कारं तिर्यग्वलितवदनाया मृगदृशः ।

कराब्जव्यापारानतिसुकृतसारात्रसयतो

जनुः सर्वश्लाघ्यं जयति ललितोत्तंस भवतः ॥ ५३ ॥

श्रायातेव निशा निशापतिकोः कीर्ण दिशामन्तरं

भामिन्यो भवनेषु भूषणगणैरङ्गान्यलंकुर्वते ।

मुग्धे मानमपाकरोषि न मनागद्यापि रोषेण ते

हा हा बालमृणालतो ऽप्यतितरां तन्वी तनुस्ताम्यति ॥ ५४ ॥

वाचो माङ्गलिकीः प्रयाणसमये जल्पत्यनत्यं जने

केलीमन्दिरमारुतायनमुखे विन्यस्तवक्ताम्बुना ।

निःश्वासग्लपिताधरं परिपतद्वाष्यार्द्रवतीरुहा

बाला लोलविलोचना शिव शिव प्राणेशमालोकते ॥ ५५ ॥


३०

यदवधि दयितो विलोचनाभ्यां

सहचरि देववशेन हरतो भूत् ।

तदवधि शिथिलीकृतो मदीयै-

रथ करणेः प्रणायी निजक्रियासु ॥ ५६ ॥

निखिलां रजनीं प्रियेण दूरा-

डुपयातेन विबोधिता कथाभिः ।

अधिकं न व्हि पारयामि वक्तुं

सखि मा जल्प तवायसी रसज्ञा ॥ ५७ ॥

निपतद्वाष्यसंरोधमुक्तचाञ्चल्यतारकम्

कदा नयननीलाब्जमालोकय मृगीदृशः ॥ ५८ ॥

यदि लक्ष्मण सा मृगेक्षणा

न मदीक्षासरणिं समेष्यति ।

श्रमुना जडजीवितेन मे

जगता वा विफलेन किं फलम् ॥ ५१ ॥

भवनं करुणावती विशन्ती

गमनाज्ञालवलाभलालसेषु ।

तरुणेषु विलोचनाब्जमाला-

मथ बाला पथि पातयां बमूव ॥ ६० ॥

पापं हन्त मया कृतेन विहितं सीतापि यचापिता

सा मामिन्दुमुखी विना वत वने किं जीवितं धास्यति ।

लोकेय कथं मुखं सुकृतिनां किं ते वदिष्यन्ति मां

राज्यं यातु रसातलं पुनरिदं न प्राणितुं कामये ॥ ६१ ॥


३१

उषसि प्रतिपक्षकामिनी-

सदनादन्तिकमञ्चति प्रिये ।

सुदृशो नयनाबुकोणयो-

रुदियाय वारुणघुतिः ॥ ६५॥

क्षमापनेकपदयोः पदयोः पतति प्रिये ।

शेमुः सरोजनयनानयनारुणकान्तयः ॥ ६३ ॥

निवासयन्तीं धृतिमङ्गनानां

शोभां हरेरेणदृशोधयन्त्याः ।

चिरापराधस्मृतिमांसलो ऽपि

रोषः क्षणप्राघुणिको बभूव ॥ ६४ ॥

राज्ञो मत्प्रतिकूलान्मे महद्भयमुपस्थितम् ।

बाले वारय पान्थस्य वासदानविधानतः ॥ ६५ ॥

मलयानिल नलीयति मणिभवने काननीयति क्षणतः ।

विरहेण विकलहृदया निर्जलमीनायते महिला ॥ ६६ ॥

कालागुरुद्रवं सा हालाहलवद्विजानती नितराम् ।

श्रपि नीलोत्पलमालां बाला व्यालावलिं किलामनुत ॥ ६७ ॥

विधिवञ्चितया मया न घातं

सखि संकेतनिकेतनं प्रियस्य ।

अधुना वत किं विधातृकामी

मयि कामी नृपतिः पुनर्न जाने ॥ ६८ ॥

विरहेण विकलहृदया विलपत्ती दयित दयितेति ।

श्रागतमपि मां सविधे परिचयहीनेव वीक्षते बाला ॥ ६१ ॥


३५

दारिद्र्यं भजते कलानिधिरयं राकाधुना म्लायति

स्वैरं कैरवकाननेषु परितो मालिन्यमुन्मीलति ।

घोतते हरिदन्तराणि सुहृदां वृन्दं समानन्दति

त्वं चेदञ्चसि काञ्चना िवदनाम्भोजे विकासश्रियम् ॥ ७० ॥

पाटीरहुभुजंगपुंगवमुखायाता इवातापिनो

वाता वान्ति दहन्ति लोचनममी ताम्रा रसालद्रुमाः ।

एते कृत्त किरन्ति कूजितमयं हालाहलं कोकिला

बाला बालमृणालकोमलतनुः प्राणान्कथं रक्षतु ॥ ७१ ॥

श्रायातेव निशा मनो मृगदृशामुत्कण्ठितं तन्वती

मानो मे कथमेष संप्रति निरातङ्कं हृदि स्थास्यति ।

ऊहापोहमिमं सरोजनयना यावद्विधत्तेतरां

तावत्कामनृपातपत्रसुषमं बिम्बं बभासे विधीः ॥ ७३ ॥

प्रभातसमयप्रभां प्रणयनिलवाना रसा-

दमुष्य निजपाणिना दृशममीलयं लीलया ।

यं तु खलु पद्मिनीपरिमलालिपाटचरै

वेरुदयमध्यगादधिकचारुतैमारुतैः ॥ ७३ ॥

विद्वरादाश्चर्यस्तिमितमथ किंचित्परिचया-

इदञ्चच्चाञ्चल्यं तदनु परितः स्फारितरुचि ।

गुणां संघाते सपदि मयि याते समजनि

त्रपाघूर्णत्तारं नयनमिह सारङ्गजदृशः ॥ ७४ ॥

कपोलावुन्मीलन्नवपुलकपाली मयि मनाङ्

मृशत्यन्तः स्मेरस्तवकितमुखाम्भोरुहरुचः ।
३३

कथंकारं शक्याः परिगदिनुमिन्दीवरदशी

दलद्राक्षानिर्यद्रसभरसपक्षा भणितयः ॥ ७५ ॥

राजानं जनयां बभूव सहसा त्रैवातृक वां तु यः

सो ऽयं कुण्ठितसर्वशक्तिनिकरो जाती जरातो विधिः ।

संप्रत्युन्मदखञ्जरीटनयनावक्त्राय नित्यश्रिये

दाता राज्यमखण्डमस्य जगतो धाता नवो मन्मथः ॥ ७६ ॥

श्राविर्भूता यदवधि मधुस्यन्दिनी नन्दसूनोः

कान्तिः काचिन्निखिलनयनाकर्षणे कार्मणज्ञा ।

श्वास दीर्घस्तदवधि मुखे पाण्डिमा गण्डमूले

शून्या वृत्तिः कुलमृगदृशां चेतसि प्रादुरासीत् ॥ ७७ ॥

प्रसङ्गे गोपानां गुरुषु महिमानं यडपते-

रुपाकर्ण्यस्विचत्पुलकितकपोला कुलवधूः ।

विषज्वालाजालं कठिति वमतः पन्नगपतेः

फणायां साश्चर्य कथयतितरां ताण्डवविधिम् ॥ ७८ ॥

कैशोरे वयतिक्रमेण तनुतामायाति तन्व्यास्तना-

वागामिन्यखिलेश्वरे रतिपतौ तत्कालमस्याज्ञया ।

श्रास्ये पूर्णशशाङ्कता नयनयोस्तादात्म्यमम्भोरुहां

किंचासीदमृतस्य भेदविगमः साचिस्मिते ताचिकः ॥ ७१ ॥

शयिता शेवलशयने सुषमाशेषा नवेन्दुलेखेव ।

प्रियमागतमपि सविधे सत्कुरुते मधुरवीक्षणैरेव ॥ ८० ॥

श्रधरघुतिरस्तपलवा

मुखशोभा शशिकान्तिलङ्गिनी ।
5
३४

तनुरप्रतिमा च सुभ्रुवो

न विधेरस्य कृतिं विवक्षति ॥ ८१ ॥

व्यत्यस्तं लपति क्षणं क्षणमहो मौनं समालम्बते

सर्वस्मिन्विदधाति किं च विषये दृष्टिं निरालम्बनाम्।

श्वासं दीर्घमुरीकरोति न मनागङ्गेषु धत्ते धृतिं

वैदेहीविरहव्यथाविकलितो हा हन्त लङ्केश्वरः ॥ ८५॥

उदितं मण्डलमिन्दी रुदितं सद्यो वियोगिवर्गेण ।

मुदितं च सकलललनाचूडामणिशासनेन मदनेन ॥ ८३ ॥

प्रादुर्भवति पयोदे कज्जलमलिनं बभूव नभः ।

रक्तं च पथिकहृदयं कपोलपाली मृगीदृशः पाण्डुः ॥ ८४ ॥

इदमप्रतिमं पश्य सरः सरसिजेर्वतम् ।

सखे मा जल्प नारीणां नयनानि दहन्ति माम् ॥ ८५ ॥

मुञ्चसि नायापि रुषं भामिनि मुदिरालिरुदियाय ।

इति सुदृशः प्रियवचनेरापि नयनाब्जकोणशोणरुचिः ॥ ८६ ॥

बालीका सुन्दरि मुखं तव मन्दहासं

नन्दत्यमन्दमरविन्दधिया मिलिन्दाः ।

किं चासिताक्षि मृगलाञ्छनसंभ्रमेण

चञ्चपुढं चटुलयन्ति चिरं चकोराः ॥ ८० ॥

स्मितं नैतत्किं तु प्रकृतिरमणीयं विकसितं

मुखं ब्रूते को वा कुसुममिदमुचत्परिमलम् ।

स्तनद्वन्द्वं मिथ्या कनकनिभमेतत्फलयुगं

लता रम्या सेयं भ्रमरकुलनम्या न रमणी ॥ ८८ ॥


રૂપ

संग्रामाङ्गणसंमुखाकृतकियद्विश्वंभराधीश्वर-

व्यादीकृितमध्यभागविवरोन्मीलन्नभोनीलिमा ।

श्रङ्गारप्रखरेः करेः कवलयन्नेतन्महीमण्डलं

मार्तण्डो ऽयमुदेति केन पशुना लोके शशाङ्कीकृतः ॥ ८१ ॥

श्यामं सितं च सुदृशो न दृशोः स्वत्रपं

किं तु स्फुटं गरलमेतदथामृतं च ।

नो चेत्कथं निपतनादनयोस्तदेव

मोहं मुदं च नितरां दधते युवानः ॥ १० ॥

श्रलिर्मृगो वा नेत्रं वा यत्र किंचिद्विभासते ।

अरविन्दं मृगाङ्गी वा मुखं वेदं मृगीदृशः ॥ ११ ॥

सुविरलमौक्तिकतार धवलांशुकचन्द्रिकाचमत्कारे ।

वदनपरिपूर्णचन्द्रे सुन्दरि राकासि नात्र संदेहः ॥ १५॥

उपजला चलनयना नाभ्यावती कचावलिभुजंगा ।

मज्जन्ति यत्र सन्तः सेयं तरुणी तरंगिणी विषमा ॥ १३ ॥

शोणाधरांशुसंभिन्नास्तन्वि ते वदनाम्बुजे ।

केसरा इव काशन्ते कान्तदन्तालिकान्तयः ॥ ३४ ॥

दयिते रदनविषां मिषा-

दयि ते मी विलसति केसराः ।

श्रपि चालकवेषधारिणी

मकरन्दस्पृहयालवी ऽलयः ॥ १५ ॥

तथा तिलोत्तमीयन्त्या मृगशावकचक्षुषा ।

ममायं मानुषो लोको नाकलोक इवाभवत्॥ १६ ॥


३६

श्रङ्कायमानमलिके मृगनाभिपङ्कं

पङ्केरुहाक्षि वदनं तव वीक्ष्य बिभ्रत्।

उल्लासपल्लवितकोमलपक्षमूला-

पुढं चलयन्ति चिरं चकोराः ॥ १७ ॥

शिशिरेण यथा सरोरुहं

दिवसेनामृतरश्मिमण्डलम्।

न मनागपि तन्वि शोभते

तव रोषेण तथेदमाननम् ॥ १८ ॥

चलङ्गमिवाम्भोजमधीरनयनं मुखम् ।

तदीयं यदि दृश्येत कामः क्रुद्धो ऽस्तु किं ततः ॥ ११ ॥

शतकोटिकठिनचित्तः सो ऽहं तस्याः सुधेकमयमूर्तेः ।

येनाकारिषि मित्रं स विकलहृदयो विधिवच्यः ॥ १०० ॥

श्यामलेनाङ्गितं भाले बाले केनापि लक्ष्मणा ।

मुखं तवान्तराप्तभृङ्गफलाम्बुजायते ॥ १०१ ॥

द्वितीयं रुचात्मानं मत्वा किं चन्द्र हृष्यसि ।

भूमण्डलमिदं मूढ केन वा विनिभालितम् ॥ १०२ ॥

नीलाञ्चलेन संवृतमाननमाभाति हरिणनयनायाः ।

प्रतिबिम्बित इव यमुनागभीरनीरान्तरेणाङ्कः ॥ १०३ ॥

स्तनाभोगे पतन्भाति कपोलात्कुटिलो ऽ लकः ।

शशाङ्कबिम्बतो मेरी लम्बमान इवोरगः ॥ १०४ ॥

यथा लतायाः स्तवकानतायाः

स्तनावन नितरां समासि ।


३৩

तथा लता पल्लविनी सगर्वे

शोणाधरायाः सदृशी तवापि ॥ १०५ ॥

इदं लताभिः स्तवकानताभि-

र्मनोहरं हन्त वनान्तरालम्।

सदैव सेव्यं स्तनभारवत्यो

न चेवत्यो हृदयं हरेयुः ॥ १०६ ॥

सा मदागमनबृंहिततोषा

जागरेण गमिताखिलदोषा ।

बोधतापि बुबुधे मधुपेर्न

प्रातराननजसौरभलुब्धैः ॥ १०७ ॥

श्रविचिन्त्यशक्तिविभवेन सुन्दरि

प्रथितस्य शम्बररिपोः प्रभावतः।

विधुभावमञ्चतितमां तवाननं

नयने सरोजदलनिर्विशेषताम् ॥ १०८ ॥

मीनवती नयनाभ्यां करचरणाभ्यां प्रकुलकमलवती।

शैवालिनी च केशैः सुरसेयं सुन्दरी सरसी ॥ १०१ ॥

पान्थ मन्दमते किं वा संतापमनुविन्दसि ।

पयोधरं समाशास्व येन शान्तिमवाप्नुयाः ॥ ११० ॥

संपश्यतां तामतिमात्रतन्वीं

शोभाभिराभासितसर्वलोकाम्।

सौदामिनी वा सितयामिनी वे-

त्येवं जनानां हृदि संशयो भूत् ॥ १११ ॥


३८

सपलवा किं नु विभाति वारी

संकुलपद्मा किमियं नु
न पद्मिनी ।

समुल्लसत्पाणिपदां स्मितानना-

मितीक्षमाणैः समलम्भि संशयः ॥ ११२ ॥

नेत्राभिरामं रामाया वदनं वीक्ष्य तत्क्षणम् ।


.
A
सरोजं चन्द्रबिम्बं वेत्यखिलाः समभेरत ॥ ११३ ॥

कनकद्रवकान्तिकान्तया

मिलितं राममुदीक्ष्य कान्तया ।

चपलायुतवारिदभ्रमा-

ननृते चातकपोतकैर्वने ॥ ११४ ॥

वनितेति वदन्त्येतां लोकाः सर्वे वदन्तु ते ।

यूनां परिणता सेयं तपस्येति मतं मम ॥ ११५ ॥

स्मयमानाननां तत्र तां विलोक्य विलासिनीम्।

चकोराश्चञ्चरीकाश्च मुदं परतरां ययुः ॥ ११६ ॥

वदनकमलेन बाले स्मितसुषमालेशमावहसि ।

जगदिह तदेव जाने दशार्धबाणेन विजितमिति ॥ ११७ ॥

कलिन्दजानीरभरे ऽर्धमग्ना

बकाः प्रकामं कृतभूरिशब्दाः ।

धान्तेन वेराद्विनिगीर्यमाणाः

क्रोशन्ति मन्ये शशिनः किशोराः ॥ ११८ ॥

परस्परासङ्गसुखान्नतभ्रुवः

पयोधरी पीनतरी बभूवतुः ।


३१

तयोरमृष्यन्नयमुन्नतिं परा-

मवैमि मध्यस्तनिमानमेति ॥ १११ ॥

जनमोहकरं तवालि मन्ये

चिकुराकारमिदं घनान्धकारम्।

वदनेन्डरुचामिहाप्रचारा-

दिव तन्वङ्गि नितान्तकान्तिकान्तम् ॥ १२० ॥

दिवानिशं वारिणि कण्ठदने

दिवाकराराधनमाचरन्ती ।

वक्षोजताये किमु पक्ष्मलाक्ष्या-

स्तपश्चरत्यम्बुजपङ्क्तिरेषा ॥ १३१ ॥

वियोगवन्निकुण्डे ऽस्मिन्हृदये ते वियोगिनि ।

प्रियसङ्गसुखायेव मुक्ताहारस्तपस्यति ॥ १३२ ॥

निधिं लावण्यानां तव खलु मुखं निर्मितवतो

महामोहं मन्ये सरसिरुहसूनीरुपचितम् ।

उपेक्ष्य त्वां यस्माद्विधुमयमकस्मादिह कृती

कलाहीनं दीनं विकल इव राजानमकरोत् ॥ १३३ ॥

स्तनान्तर्गतमाणिक्यवपूर्वहिरुपागतम्।

मनो ऽनुरागिते तन्वि मन्ये वल्लभमीक्षते ॥ १५४ ॥

जगदन्तरममृतमयेरंशुभिरापूरयन्नितराम्।

उदयति वदनव्याजात्किमु राजा हरिणशावनयनायाः ॥ १३५ ॥

तिमिरशारदचन्दिरचन्द्रिकाः

कमलविद्रुमचम्पककोरकाः ।
४०

यदि मिलन्ति कदापि तदाननं

खलु तदा कलया तुलयामहे ॥ १२६ ॥

प्रिये विषादं जहिहीति वाचं

प्रिये सरागं वदति प्रियायाः ।

वारामुदारा विजगाल धारा

विलोचनाभ्यां मनसश्च मानः ॥ १५७ ॥

राज्याभिषेकमाज्ञाय शम्बरासुरवेरिणः ।

सुधाभिर्जगतीमध्यं लिम्पतीव सुधाकरः ॥ १३८ ॥

श्राननं मृगशावाच्या वीक्ष्य लोलालकावृतम्।

भ्रमरसंभारं स्मरामि सरसीरुहम् ॥ १३१ ॥

यान्ती गुरुजनैः साकं स्मयमानाननाम्बुजा ।

तिर्यग्ग्रीवं यदद्राक्षीत्तन्निष्पुत्र्यकरोज्जगत् ॥ १३० ॥

नयनानि वहन्तु खञ्जनाना-

मिह नानाविधमङ्गभङ्गभाग्यम् ।

सदृशं कथमाननं सुशोभं

सुदृशो भङ्गुरसंपदाम्बुजेन ॥ १३१ ॥

मृणालमन्दानिलचन्दनानা-

मुशीरशैवालकुशेशयानाम्।

वियोगदूरीकृतचेतनाন

विनैव शैत्यं भवति प्रतीतिः ॥ १३५ ॥

विबोधयन्करस्पर्शेः पद्मिनीं मुद्रिताननाम् ।

परिपूर्णो अनुरागेण प्रातर्जयति भास्करः ॥ १३३ ॥


છેલ્

ग्राम्य वल्गुवचनेर्विनिवारिते पि

रोषात्प्रयातुमुदिते मयि हरदेशम् ।

बाला कराङ्गुलिनिदेशवशंवदेन

क्रीडाविडालशिशुनाशु रुरोध मार्गम् ॥ १३४ ॥

श्रभूदप्रत्यूहः कुसुमशरकोदण्डमहिमा

विलीनो लोकानां सह नयनतापो ऽपि तिमिरैः।

तवास्मिन्पीयूषं किरति परितस्तन्वि वदने

कुतो हेतोः श्वेतो विधुरयमुदेति प्रतिदिनम् ॥ १३५ ॥

विनेव शस्त्रं हृदयानि यूनां

विवेकभाजामपि दारयन्त्यः ।

अनल्पमायामयवल्गु
लीला

जयन्ति नीलाब्जदलायताक्ष्यः ॥ १३६ ॥

यदवधि विलासभवनं यौवनमुदियाय चन्द्रवदनायाः ।

दहनं विनेव तदवधि यूनां हृदयानि दान्ते ॥ १३७ ॥

न मिश्रयति लोचने सहसितं न संभाषते

कथासु तव किं च सा विरचयत्यालां भ्रुवम् ।

विपक्षसुदृशः कथामिति निवेदयन्त्यापर

प्रियस्य शिथिलीकृतः स्वविषयो ऽनुरागग्रहः ॥ १३८ ॥

वडवानलकालकूटव-

अकख्यालगणेः सहेधितः ।

रजनीरमणो भवेन्नृणां

न कथं प्राणवियोगकारणम् ॥ १३१ ॥


6
लभ्येत पुण्येगृहिणी मनोज्ञा

तया सुपुत्राः परितः पवित्राः|

स्फीतं यशस्तैः समुदेति नित्यं

तेनास्य नित्यः खलु नाकत्लोकः ॥ १४० ॥

प्रभुरपि याचिकामी भनेत वामोरु लाघवं सहसा ।

यदहं वयाधरार्थी सपदि विमुख्या निराशतां नीतः ॥ १४१ ॥

जलकुम्भमुम्भितरसं सपदि सरस्याः समानयत्त्यास्ते।

तटकुञ्जगूढसुरतं भगवानेको मनोभवो वेद ॥ १४५ ॥

वमिव पथिकः प्रियो मे विटपिस्तोमेषु गमयति लेशान् ।

‫ی‬
किमितो यत्कुशलं मे संप्रति यत्पान्थ जीवामि ॥ १४३ ॥

किमिति कृशासि कृशोदरि किं तव परकीयवृत्तात्तेः ।

कथय तथापि मुदे मम कथयिष्यति पान्थ तव जाया ॥ १४४ ॥

तुलामनालोका निज़ामखर्व

गौराङ्ग गर्व न कदापि कुर्याः ।

लसन्ति नानाफलभावत्यो

लताः कियत्यो गहनान्तरेषु ॥ १४५ ॥

इयमुल्लसिता मुखस्य शोभा

परिफुलं नयनाम्बुजद्वयं ते ।

जलदालिमयं जगद्दितन्व-

फलितः क्वापि किमालि नीलमेघः ॥ १४६ ॥

श्री सायं सलिले स्मिन्सवितारमुपास्य सादरं तपसा ।

अधुनाब्जेन मनाक्तव मानिनि तुलना मुखस्यापि ॥ १४७ ॥


४३

श्रमिन्दस्मितमधुरं वदनं तन्वङ्गि यदि मनाक्कुरुषे ।

धुनैव कलय शमितं राकारमणस्य हन्त सांराज्यम् ॥ १४८ ॥

मधुरतरं स्मयमानः स्वस्मिन्नेवालपच्छनैः किमपि ।

कोकनदयंस्त्रिलोकीमालम्बनशून्यमीक्षते क्षीवः ॥ १४१ ॥

मधुरसान्मधुरं हि तवाधरं

तरुणि मदने विनिवेशय ।

मम गृहाण करेण कराम्बुजं

प प पतामि ह हा भ भ भूतले ॥ १५० ॥

शतेनोपायानां कथमपि गतः सौधशिखरं

सुधाफेनस्वच्छे रहसि शयितां पुष्पशयने ।

विबोध्य क्षामाङ्गी चकितनयनां स्मेरवदनां

सनिःश्वासं श्लिष्यत्यहह सुकृती राजरमणीम् ॥ १५१ ॥

गुञ्जन्ति मञ्जु परितो गत्वा धावन्ति संमुखम् ।

श्रावर्तते निवर्तन्ते सरसीषु मधुव्रताः ॥ १५२ ॥

यथा यथा तामरसेक्षणा मया

पुनः सरागं नितरां निषेविता ।

तथा तथा तवकथेव सर्वतो

विकृष्य मामेकरसं चकार सा ॥ १५३ ॥

हरिणीप्रेक्षणा यत्र गृहिणी न विलोक्यते ।

सेवितं सर्वसंपद्भिरपि तद्भवनं वनम् ॥ १५४ ॥

लोलालकावलिचलन्नयनारविन्द-

लीलावशंवदितलोकवित्सोचनायाः ।
88

सायाहनि प्रायिनो भवनं व्रजत्या-

श्वेतो न कस्य हरते गतिरङ्गनायाः ॥ १५५ ॥

दत्तांशुकान्त्तमरविन्दरमापहारि

सान्द्रामृतं वदनमेणाविलोचनायाः ।

वेधा विधाय पुनरुक्तमिवेन्दुबिम्बं

दूरीकरोति न कथं विदुषां वरेण्यः ॥ १५६ ॥

सानुकम्पाः सानुरागाश्चतुराः शीलशीतलाः ।

हरन्ति हृदयं हन्त कान्तायाः स्वान्तवृत्तयः ॥ १५७ ॥

अलकाः फणिशावतुल्यशीला

नयनान्ताः परिपुङ्खितेषुलीलाः ।

चपलोपमिता खलु स्वयं या

वत लोके सुखसाधनं कथं सा ॥ १५८ ॥

वचने तव यत्र माधुरी सा

हृदि पूर्ण करुणा च कोमले भूत |

अधुना हरिणाक्षि हा कथं वा

गतिरन्यैव विलोक्यते गुणानाम् ॥ १५१ ॥

श्रनिशं नयनाभिरामया

रमया संमदिनी मुखस्य ते ।

निशि निःसरदिन्दिरं कथं

तुलयामः कलयापि पङ्कजम् ॥ १६० ॥

श्रङ्गैः सुकुमारतरैः सा कुसुमानां श्रियं हरति ।

विकलयति कुसुमबाणी बाणालीभिर्मम प्राणान् ॥ १६१ ॥


પ્

खियति सा पथि ग्रान्ती कोमलचरणा नितम्बभारेण ।

विद्यामि हन्त परितस्तद्रूपविलोकनेन विकली ' हम् ॥ १६३ ॥

मथुरागमनोन्मुखे मुरारा-

वसुभारार्तिभृतां व्रजाङ्गनानाम् ।

प्रलयज्वलनायते स्म राका

भवनाकाशमजायताम्बुराशिः ॥ १६३ ॥

केलीमन्दिरमागतस्य शनकैरालीरपास्येङ्गितैः

'
सुप्तायाः सरुषः सरोरुहदृशः संवीजनं कुर्वतः

ज्ञानत्याप्यनभिज्ञयेव कपटव्यामीलिताक्ष्या सखि

श्रान्तास्मीत्यभिधाय वक्षसि तया पाणिर्ममासञ्जितः ॥ १६४ ॥

मान्यर्यमाय गमनं सह शैशवेन

रक्तं सदैव मनसाधरबिम्बमासीत् ।

किं चाभवन्मृगकिशोरदृशो नितम्बः

सर्वाधिको गुरुरयं सह मन्मथेन ॥ १६५ ॥

श्वासो ऽनुमानवेधः शीतान्यङ्गानि निश्चला दृष्टिः ।

तस्याः सुभग कथेयं तिष्ठतु तावत्कथान्तरं कथय ॥ १६६ ॥

पाणीकृतः पाणिरिवासुतायाः

सस्वेदकम्पो रघुनन्दनेन ।

हिमाम्बुकञ्चानिलविह्वलस्य

प्रभातपद्मस्य बभार शोभाम् ॥ १६७ ॥

श्ररुणमपि विद्रुमहं मृडुलतरं वापि किशलयं बाले ।

धरीकरोति नितरां तवाधरो मधुरिमातिशयात् ॥ १६८ ॥


દ્

सुदृशो जितरत्नजालया

सुरतान्तश्रमविन्दुमालया ।

श्रलिकेन च हेमकान्तिना

विदधे कापि रुचिः परस्परम् ॥ १६६ ॥

परपुरुषदृष्टिपातवत्रा

दतिभीता हृदयं प्रियस्य सीता ।

श्रविशत्परकामिनीभुजंगी-

भयतः सत्वरमेव सो ऽपि तस्याः ॥ १७० ॥

जम्बीरश्रियमतिलक्ष्य लीलयैव

व्यानम्रीकृतकमनीयहेमकुम्भी ।

नीलाम्भोरुहनयनेऽधुना कुचौ ते

स्पर्धेते कि कनकाचलेन सार्धम् ॥ १७१ ॥

श्रङ्गानि दवा हेमाङ्गि प्राणान्क्रीणासि चेनृणाम्


युक्तमेतन्न तु पुनः कोणं नयनपद्मयोः ॥ १७२ ॥

जितरत्नरुचां सदा रदानां

सहवासेन परां मुदं दधानाम् ।

धरीकुरुते रुषेव नासा-

मधुना साहसशालि मौक्तिकं ते ॥ १७३ ॥

विलसत्याननं तस्या नासाग्रस्थितमौक्तिकम् ।

वालक्षितवृधाशेषं राकेन्दोरिव मण्डलम् ॥ १७४ ॥

निभालय भूयो निजगौरिमाणं

मा नाम मानं सहसैव यासीः ।


४७

गृहे गृहे पश्य तवावर्णा

मुग्धे सुवर्णाीवलयो लुठन्ति ॥ १७५ ॥

करिकुम्भतुलामुरोजयोः

क्रियमाणां कविभिर्विशृङ्खलैः ।

कथमालि शृणोषि सादरं

विपरीतार्थधियो हि योषितः ॥ १७६ ॥

परिष्वजन् रोषवशात्तिरस्कृतः

प्रियो मृगाच्या शयितः पराङ्मुखः ।

किं दुःखितोऽसाविति कान्दिशीकया

कयाचिदाचम्ब्य चिराय सस्वजे ॥ १७७ ॥

नाननशीतरश्मिं
चैलाञ्चले

संवृण्वतीनां हरिदश्वरीणाम् ।

व्रजाङ्गनानां स्मरजातकम्पा-

दकाण्डसंपातमियाय नीवी ॥ १७८ ॥

अधरेण समागमाद्रदाना-

मरुणिम्ना पिहितो ऽपि शुक्तभावः ।

हसितेन सितेन पदमलाक्ष्याः

पुनरुखासमवाप जातपक्षः ॥ १७१ ॥

सरसिरुहोदरसुरभावधरितबिम्बाधरे मृगानि तव ।

वद वदने मरिदने ताम्बूलं केन लक्षयेम वयम् ॥ १८० ॥

शयिता सविधे ऽप्यनीश्वरा

सफलीकर्तुमहो मनोरथान्।
४८

दयिता दयिताननाम्बुजं

दरमीलन्नयना निरीक्षते ॥ १८१ ॥

वदनारविन्दसौरभलोभादिन्दिन्दिरेषु निपतत्सु।

मय्यधरार्थिनि सुदृशी दृशी जयन्त्यतिरुषा परुषाः ॥ १८५ ॥

॥ इति श्रीमत्पण्डितराजजगन्नाथविरचिते भामिनीवि

लासे शृङ्गारवर्णनो नाम द्वितीयो विलासः॥

॥ श्रथ करुणविलासः ॥

"
देवे पराग्वदनशालिन कृत्त जाते

याते च संप्रति दिवं प्रति बन्धुने ।

कस्मे मनः कथयितासि निजामवस्थां

कः शीतलैः शमयिता वचनैस्तवाधिम् ॥ १ ॥

प्रत्युता सविनयं सहसा पुरेव

स्मेरेः स्मरस्य सचिवैः सरसावलोकैः ।

मामा मञ्जुरचनेर्वचनेश्च बाले

हा लेशतोऽपि न कथं शिशिरीकरोषि ॥ २॥

सर्वे ऽपि विस्मृतिपथं विषयाः प्रयाता

विद्यापि खेदकलिता विमुखीबभूव ।

सा केवलं हरिणशावकलोचना मे

नैवापयाति हृदयादधिदेवतेव ॥ ३ ॥

निर्वाणमङ्गलपदं वरया विशन्त्या

मुक्ता दयावति दद्यापि किन त्वयासी ।

यन्मां न भामिनि निभालयसि प्रभात-

नीलारविन्दमदभङ्गमदेः कटाक्षेः ॥ ४ ॥

धृत्वा पदस्खलनभीतिवशात्करं मे

यात्रुवत्यसि शिलाशकलं विवाहे ।

सा मां विहाय कथमय्य विलासिनि या

मारोहसीति हृदयं शतधा प्रयाति ॥ ५ ॥

निर्द्वषणा गुणवती रसभावपूर्ण

सालंकृतिः श्रवणकीमलवर्णराजिः ।

सा मामकीनकवितेव मनोऽभिरामा

रामा कदापि हृदयान्मम नापयाति ॥ ६ ॥

चिन्ता शशाम सकत्वापि सरोरुहाणा-

मिन्दोश्च बिम्बमसमां सुषमामयासीत् ।

अभ्युतः कलकलः किल कोकिलानां

प्राणप्रिये यदवधि त्वमितो गतासि ॥ ७ ॥

सौदामिनीविलसितप्रतिमानकाण्डे

दवा कियत्यपि दिनानि महेन्द्रभोगान् ।

मन्त्रोकितस्य नृपतेरिव राज्यलक्ष्मी-

भीग्यच्युतस्य करतो मम निर्गतासि ॥ ८ ॥

केनापि मे विलसितेन समुद्रतस्य

कोपस्य किं नु करभोरु वशंवदाभूः ।


7
५०

यन्मां विहाय सहसैव पतिव्रतापि

यातासि मुक्तरमणीसदनं विदूरम् ॥ १ ॥

काव्यात्मना मनसि पर्यणमन्पुरा मे

पीयूषसारसरसास्तव ये विलासाः ।

तानन्तरेण रमणीरमणीयलीले

चेतोहरा सुकविता भविता कथं नः ॥ १० ॥

या तावकीनमधुरस्मितकान्तिकान्ते

भूमण्डले विफलतां कविषु व्यतानीत्।

सा कातराक्षि विलयं त्वयि यातवत्यां

राकाधुना वहति वैभवमिन्दिरायाः ॥ ११ ॥

मन्दस्मितेन सुधया परिषिच्य या मां

नेत्रोत्पलैर्विकसितैरनिशं समीते ।

सा नित्यमङ्गलमयी गृहदेवता मे

कामेश्वरी हृदयतो दयिता न याति ॥ १२ ॥

'भूमौ स्थिता रमण नाथ मनोहरेति

संबोधनेर्यमधिरोपितवत्यसि च ।

स्वर्गं गता कथमिव क्षिपसि त्वमे -

शावाक्षि तं धरणिधूलिषु मामिदानीम् ॥ १३ ॥

लावण्यमुज्ज्वलमपास्ततुलं च शीलं

लोकोत्तरं विनयमर्थमयं नयं च ।

एतान्गुणानशरणानथ मां च हिवा

हा हन्त सुन्दर कथं त्रिदिवं गतासि ॥ १४ ॥


૫૧

कान्त्या सुवर्णपरया वरया च शुद्ध्या

नित्यं स्विकाः खलु शिखाः परितः क्षिपन्तीम् ।

चेतोदरामपि कुशेशयत्नोचने वां

जानामि कोपकलुषो दहनो ददाह ॥ १५ ॥

कर्पूरवर्तिरिव लोचनतापहन्त्री

फुल्लाम्बुजस्रगिव कण्ठसुखैकहेतुः ।

चेतश्चमत्कृतिपदं कवितेव रम्या

नम्या नरीभिरमरीव हि सा विरंजे ॥ १६ ॥

स्वप्नान्तरे ऽपि खलु भामिनि पत्युरन्यं

या दृष्टवत्यसि न कं च न साभिलाषम् ।

सा संप्रति प्रचलितासि गुणेर्विहीनं

प्राप्तुं कथं कथय हन्त परं पुमांसम् ॥ १७ ॥

दयितस्य गुणाननुस्मरन्त्ती

शयने संप्रति या विलोकितासीत् ।

अधुना किल हन्त सा कुशाड़ी

गिरमङ्गीकुरुते न भाषितापि ॥ १८ ॥

रीतिं गिराममृतवृष्टिकिरां तदीयां

तां चाकृतिं कविवरैरभिनन्दनीयाम्।

लोकोत्तरामथ कृतिं करुणारसाही

स्तोतुं न कस्य समुदेति मनःप्रसादः ॥ ११ ॥

॥ इति करुणविलासः ॥
५५

॥ अथ शान्ताख्यो विलासः ॥

विशालविषयाटवीवलयलनदावानल-

प्रसृवर
शिखावलीविकलितं मदीयं मनः ।

श्रमन्दमितदिन्दिरे निखिलमाधुरीमन्दिरे

मुकुन्दमुखचन्दिरे चिरमिदं चकोरायताम् ॥ १ ॥

ये जलधिनन्दिनीनयननीरजालम्बन

ज्वलज्ज्वलनजिवरज्वरभरवराभङ्गरम्।

प्रभातजलजोन्नमहरिमगर्वसर्वकर्षे-

जगत्रितयरोचनैः शिशिरयाशु मां लोचनेः ॥ ३ ॥

स्मृतापि तरुणातपं करुणया हरती नृणा-

मभङ्गरतनुविषां वलयिता शतैर्विद्युताम्।

कलिन्दगिरिनन्दिनीतटसुरडुमालम्बिनी

मदीयमतिचुम्बिनी भवतु कापि कादम्बिनी ॥ ३ ॥

कलिन्दगिरिनन्दिनीतटवनान्तरं भासय-

सदा पथि गतागतश्रमभरं हरन्प्राणिनाम् ।

लतावलिशतावृतो मधुरया रुचा संभृती

ममाशु हरतु श्रमानतितरां तमालद्रुमः ॥ ४ ॥

जगज्जालं ज्योत्स्नामयनवसुधाभिर्जटिलय-

जनानां संतापं त्रिविधमपि सद्यः प्रशमयन् ।


પ્રૅ

श्रिती वृन्दारण्यं नतनिखिलवृन्दारकवृती

मम स्वान्तधान्तं तिरयतु नवीनो जलधरः ॥ ५ ॥

ग्रीष्मचण्डकरमण्डलभीष्म-

ज्वालसंसरणतापितमूर्तेः ।

प्रावृषेण्य इव वारिधरो मे

वेदनां हरतु वृतिवरेण्यः ॥ ६ ॥

पारे संसारे विषमविषयारण्यसरणौ

मुडश्रीमं भ्रामं विगलितविरामं जडमतेः ।

परिश्रान्तस्यायं तरणितनयातीरनिलये

समन्तात्संतापं हरिनवतमालस्तियतु ॥ ७ ॥

श्रालिङ्गितो जलधिकन्यकया सलीलं

लग्नः प्रियङ्गुलतयेव तरुस्तमालः ।

देहावसानसमये हृदये मदीये

देवश्चकास्तु भगवानरविन्दनाभः ॥ ८ ॥

नयनानन्दसंदोकृन्दिलीकरणक्षमा ।

तिरयवाशु संतापं कापि कादम्बिनी मम ॥ १ ॥

वाचा निर्मलया सुधामधुरया यां नाथ शिक्षामदा-

स्तां स्वप्ने ७ पि न संस्पशाम्यहमहंभावावृतो निखपः ।

इत्यागःशतशालिनं पुनरपि स्वीयेषु मां बिभ्रत-

स्वत्तो नास्ति दयानिधिर्यदुपते मत्तो न मत्तो ऽपरः ॥ १० ॥

पातालं व्रज्ञ याहि वा सुरपुरीमारोह मेरोः शिरः

पारावारपरंपरां तर तथाप्याशा न शान्ता तव ।


૫૪

श्राधिव्याधिपराहतो यदि सदा क्षेमं निजं वाञ्छसि

श्रीकृलेतिरसायनं रसय रे शून्यैः किमन्यैः श्रमः ॥ ११ ॥

गणिकानामिल्तमुख्यानवता भवता वतामपि ।

सीदन्भवमरुगर्ते करुणामूर्ते न सर्वथोपेक्ष्यः ॥ १३ ॥

सरस्रोतस्विन्याः पुलिनमधितिष्ठन्नयनयो-

विधायान्तमुद्रामय सपदि विद्राव्य विषयान् ।

विधूतान्तधान्तो मधुरमधुरायां चिति कदा

निमग्नः स्यां कस्यांचन नवनभस्याम्बुदरुचि ॥ १३ ॥

मृद्वीका रमिता सिता समशिता स्फीतं निपीतं पयः

स्वर्यतिन सुधाप्यधायि कतिधा रम्भाधरः खण्डितः।

सत्यं ब्रूहि मदीयजीव भवता भूयो भवे भ्राम्यता

कृतेत्यक्षरयोरयं मधुरिमोहारः क्वचिल्लक्षितः ॥ १४ ॥

वयं पापमहीभृतां भवगदोकस्य सिद्धौषधं

मिथ्याज्ञाननिशाविशालतमसस्तिग्मांशुबिम्बोदयः ।

क्रूरः क्लेशमहीरुहामुरुतरज्वालाजटालः शिखी

द्वारं निर्वृतिसद्मनो विजयते कृतेति वर्णद्वयम् ॥ १५ ॥

रे चेतः कथयामि ते हितमिदं वृन्दावने चारय-

वृन्दं को ऽपि गवां नवाम्बुदनिभो बन्धुर्न कार्यस्वया ।

सौन्दर्यामृतमुद्रिरद्विरभितः संमोका मन्दस्मिते-

रेष वां तव वल्लभांश्च विषयानाशु क्षयं नेष्यति ॥ १६ ॥

व्याख्यां वितरति परां प्रीतिमन्तर्निमना

कण्ठे लग्ना हरति नितरां यान्तरध्धान्तजातम् ।


1

૧૫

तां द्राक्षाद्यैरपि बहुमतां माधुरीमुदिरन्तीं

कृतेत्याख्यां रसय रसने ययसि त्वं रसज्ञा ॥ १७ ॥

सत्येवास्मिञ्जगति बहवः पक्षिणो रम्यन्त्रपा-

स्तेषां मध्ये मम तु महती वासना चातकेषु 1

वैरध्यनेरथ निजसखं नीरदं स्मारयद्वि-

चित्तानं भवति किमपि ब्रह्म कृताभिधानम् ॥ १८ ॥

विधीच्या भुवनमखिलं भासते यस्य भासा

सर्वासामप्यकृमिति विदां गूढमालम्बनं यः ।

तं पृच्छन्ति स्वहृदयमलावेदिनो विलुमन्या-

नन्यायो ऽयं शिव शिव नृणां केन वा वर्णनीयः ॥ ११ ॥

सेवायां यदि साभिलाषमसि रे लक्ष्मीपतिः सेव्यतां

चिन्तायामथ सस्पृहं यदि तदा चक्रायुधश्चिन्त्यताम् ।

श्रालापं यदि काङ्गति स्मररिपोगीथा तदालप्यतां

स्वायं वाञ्छसि चेन्निरर्गलसुखं चेतः सुखे सुप्यताम् ॥ २० ॥

भवग्रीष्मप्रौढातपनिवसंतप्तवपुषो

बलादुन्मूल्य हाङ्गिगडमविवेकव्यतिकरम् ।

विशुद्धे ऽस्मिन्नात्मामृतसरसि नैराश्यशिशिरे

विगाहते हरीकृतकलुषजालाः सुकृतिनः ॥ ५१ ॥

बन्धमुक्त किल मखमुखान्कुर्वते कर्मपाशा-

नलःशान्त्ये मुनिशतमतानल्यचित्तां भजन्ति ।

तीर्थ मज्जन्त्यशुभजलधेः पारमारोठुकामाः

सर्व प्रामादिकमिह भवभ्रान्तिभाजां नराणाम् ॥ २३ ॥


યદ્

प्रथमं चुम्बितचरणा जङ्गाजानूरुनाभिचरणानि ।

श्राश्लिष्य भावना मे खेलतु विलोर्मुखाब्जशोभायाम् ॥ २३ ॥

मलयानिलकालकूटयो

रमणीकुन्तलभोगिभोगयोः ।

श्वपचात्मभुवोर्निरन्तरा

मम भूयात्परमात्मनि स्थितिः ॥ ५४ ॥

निखिलं जगदेव नश्वरं

पुनरस्मिन्नितरां कलेवरम्।

अथ तस्य कृते कियानयं

क्रियते हन्त जनैः परिश्रमः ॥ ३५ ॥

प्रतिपलमखिललोकान्मृत्युमुखं प्रविशतो निरीक्ष्यापि ।

हा न्त चित्तमेतद्विरमति नाद्यापि विषयेभ्यः ॥ २६ ॥

सपदि विलयमेत राज्यलक्ष्मी-

रुपरिपतन्वथवा कृपाणधाराः ।

पहरतुतरां शिरः कृतान्तो

मम तु मतिर्न मनागपैतु धर्मात् ॥ २७ ॥

श्रपि तु बहुदनजालं मूर्ध्नि रिपुर्मे निरन्तरं धमतु ।

पातयतु वासिधारामहमणुमात्रं न किंचिदाभाषे ॥ २८ ॥

तरणोपायमपश्यन्नपि मामकजीव ताम्यसि कुतस्त्वम्।

चेतःसरणावस्यां किं नागन्ता कदापि नन्दसुतः ॥ ५१ ॥

श्रियो मे मा सन्तु क्षणमपि च माय्यजघटा-

मदभ्राम्यद्गङ्गावलिमधुरकंकारसुभगाः ।
५७

निमग्नानां यासु द्रविणमदिराघूर्णितदृशां

सपर्यासौकर्यं हरिचरणयोरस्तमयते ॥ ३० ॥
1
D
किं निःशङ्कं शेषे शेषे वयसः समागतो मृत्युः ।

अथवा सुखं शयीथा निकटे जागर्ति जालवी जननी ॥ ३१ ॥ 1

संतापयामि किमहं धावं धावं धरातले हृदयम्।

श्रस्ति मम शिरसि सततं नन्दकुमारः प्रभुः परमः ॥ ३३ ॥

रेरे मनो मम मनोभवशासनस्य

पादाम्बुजद्वयमनारर्तमानमन्तम्।

किं मां निपातयसि संसृतिगर्तमध्ये

नैतावता तव गमिष्यति पुत्रशोकः ॥ ३३ ॥

मरकतमणिमेदिनीधरो वा

तरुणतरस्तरुरेष वा तमालः ।

रघुपतिमवलोक्य तत्र द्वरा


-

दृषिनिकरैरिति संशयः प्रपेदे ॥ ३४ ॥

तरणितनया किं स्यादेषा न तोयमयी हि सा

मरकतमणिज्योत्स्ना वा स्यान्न सा मधुरा कुतः।

इति रघुपतेः कायच्छायाविलोकनकौतुके-

र्वनवसतिभिः कैः कैरादी न संदिदिहे जनैः ॥ ३५ ॥

चपला जलदाच्युता लता वा

तरुमुख्यादिति संशये निमग्रः ।

गुरुनिश्वसितेः कपिर्मनीषी

निरणैषीदथ तां वियोगिनीति ॥ ३६ ॥


५८

भूतिनिचिगृहेषु विप्रसदने दारिद्र्कोलाहलो

नाशो हन्त सतामसत्पथजुषामायुः समानां शतम् ।

नीतिं तव वीक्ष्य कोपदहनज्वालाजटालो ऽपि स-

किं कुर्वे जगदीश यत्पुनरहं दीनो भवानीश्वरः ॥ ३७ ॥

या मूलारत्नसानोर्मलयवलयितादा च कूलात्ययोधे-

यवन्तः सन्ति काव्यप्रणयनपटवस्त विशङ्कं वदन्तु ।

मृद्वीकामध्यनिर्यन्मसृणरसकरीमाधुरीभाग्यभाजां

वाचामाचार्यतायाः पदमनुभवितुं को ऽस्ति धन्यो मदन्यः ॥ ३८


गिरां देवी वीणागुणरपानहीनादरकरा

यदीयानां वाचाममृतमयमाचामति रसम् ।

वचस्तस्याकार्य श्रवणसुभगं पण्डितपत-

रधून्वन्मूधीनं नृपशुरथवायं पशुपतिः ॥ ३१ ॥

मधु द्राक्षा साक्षादमृतमथ वामाधरसुधा

कदाचित्केषांचिन्न खलु विदधीरन्नपि मुदम्।

ध्रुवं ते जीवन्तो ऽप्यहह मृतका मन्दमतयो

न येषामानन्दं जनयति जगन्नाथभणितिः ॥ ४० ॥

निर्माणे यदि मार्मिकोऽसि नितरामत्यन्तपाकद्रव-

न्मृदीकामधुमाधुरीमदपरीहारोडुराणां गिराम् ।

काव्यं तर्हि सखे सुखेन कथय वं संमुखे मादृशां

नो चेद्दुष्कृतमात्मना कृतमिव स्वात्तादहिमा कृथाः ॥ ४१ ॥

महाणि मा कुरु विषादमनादरेण

मात्सर्यमग्रमनसां सहसा खलानाम्।


५१

काव्यारविन्दमकरन्दमधुव्रताना-

मास्येषु धास्यसि मां कियतो विलासान् ॥ ४५ ॥

विद्वांसो वसुधातले परवचः


श्लाघासु वाचंयमा

भूपालाः कमलाविलासमदिरोन्मीलन्मदाघूर्णिताः।

श्रास्ये धास्यति कस्य लास्यमधुना धन्यस्य कामालस-

स्ववमाधरमाधुरीमधरयन्वाचां विपाको मम ॥ ४३ ॥

धुर्यैरपि माधुर्यैद्राक्षाक्षीरेक्षुमाक्षिकसुधानाम् ।

वन्यैव माधुरीयं पण्डितराजस्य कवितायाः ॥ ४४ ॥

शास्त्राण्याकलितानि नित्यविधयः सर्वे ऽपि संभाविता

दिल्लीवल्लभपाणिपल्लवतले नीतं नवीनं वयः ।

संप्रत्युक्कितवासनं मधुपुरीमध्ये हरिः सेव्यते

सर्व पण्डितराजराजितिलकेनाकारि लोकाधिकम् ॥ ४५ ॥

दुर्वत्ता जारजन्मानो हरिष्यन्तीति शङ्कया ।

मदीयपचरत्नानां मञ्जूषैषा कृता मया ॥ ४६ ॥

॥ इति श्रीमत्पण्डितराजजगन्नाथविरचिते भामिनीवि-

लासे शान्ताख्यश्चतुर्थो विलासः समाप्तः ॥


60

Stances du ms. Comises dans les mss . A et B.

LIVRE I.

माधुर्यपरमसीमां सारस्वतजलधिसंभूताम् ।

पिवतामनन्यसुखदां वसुधायां मम सुधाकविताम्॥ १॥

खतः कापव्यदोषेण दूरेणैव विसृज्यते ।

श्रपायशङ्किभिर्लोकैर्विषेणाशीविषो यथा ॥ ७७ ॥

LIVRE II.

प्राणापहरणेनासि तुल्यो हालाहलेन मे ।

शशाङ्क केन मुग्धेन सुधांशुरिति भावितः ॥ ५१ ॥

दर्पणे च परिभोगशङ्किनी

पृष्ठतः प्रणयिनी निषेडुषः ।

वीक्ष्य बिम्बमनु बिम्बमात्मनः

कानि कान्यपि चकार लज्जया ॥ ११३ ॥

नयने वहतां नु खञ्जनाना-

मिह नानाविधमङ्गभङ्गभाग्यम् ।

मुखमेत तुलां कथं सुशोभ

सुदृशो भङ्गुरसंपदो ऽम्बुजस्य ॥ १७५ ॥


61

VARIANTES.

LIVRE I.

2. b. C. वीतं pour यातं. 4. b. S. Aufrecht. किमपि. - 7.


- 13. a. b. B. धाराकाराः
c. Hof. मर्मिकास्. d. S. जयन्तु pour भवन्तु.
:. --- 15. d. C. जीवनम्
क्रूरा भुजंगमपुंगवात्. C. id. sauf कुरा (sic) et पुंगवा .
- 18. b. S. मानम् . --- 20. d. C. भवत्समं pour तवोपमा. -- 21. d.

C. चेन्मधुप. - 24. d. C. निघ्वन्त. ु - 25. b. S (?) जनयित्रीं. C. श्रार्तीः.


- 26. b. Höf एवं pour एनं. d. C. द्विपवर्याणाम्. Hof. ' दुर्गा' (sic).
― -
29. d. C. वितर ता. 31. C. C. मुक्कामारे. d. S (? ) कलरवः. 34.
d. C. कर्काभिघातन' ( sic). S (?) विधि: pour कृपा. --- 35. b. C. उपरिवित
(sic) रसेनमा. ― 37. d. C. वालं. - 38. a. Höf. नोपेक्षा. d. C.
- 40. a. C.
उघतो. - 39. a. S (? ) Hof. निवसनं. b. S (? ) निवासः.
S. मायो बालार्क'. - 41. b. Höf. श्रभ्रापितेन (sic). - 45. a. S. विवसतां

b. A. C. चतिघिरे (sic). - 46. c. C. सरोरुहस्य (sic). - 47. c. C.


एव pour अद्य. - 48. d. S (?) affamia . 50. b . S. (? ) श्रर्चिता.
- - - 57.
51. d. S. गिरियाव. 55. a. A. लूनं मन्त्रमतङ्गजैः कियदपि.
b. C. विघट्टिता. c. C. इत्यं pour एवं. - 58. c. C. निर्कर° pour

निर्भर • 59. 6. C. किमिह. - 62. d. C. किं त्वां प्रति ब्रूमहे. - 63 .


d. Höf. anfurian (sic) . - 65. c. C. दातृगुपौर्गुणाः. 66. a. C.

श्रपां b. S (? ) स्वमनसि - 67. a. S (?) साधुवचनैः. - 68. c. C.श्रार्यहृद्या.


- - 71. a. C. °gfuza°.
69. a. C. खलु pour किल. c. S (?) कालागुरु.·
- 73. b. C. मष · – - 74.
c. C. शशाः pour मृगाः. d. C. मुर्द्धनि (sic).
- 75. b. C. निरातङ्कः. d. C. S.
d. A. विकाशयति. C. विकाङ्क्षयति ( sic) .
62

जयति. - 76. a. C. पाण्डित्यं चरितं च c. C. श्रावलिं d. C. रुष्टः pour


- 77. -
दुष्ट
:. C. C. ललितोदार. - 80. b. A. सज्जनो pour सगुणो.
- 83. b. Höf.
81. a. S (? ) वनान्तः. 82. c. C. 'सुख' pour शुभ ..
लालनानि d. A. C. विपाटितानि Hof विपादनानि (sic) . - 84. c. C.
― 87. a.
निरतं pour रसिक. S. सखा. d. C. रसिको pour 'कुशलो.
S. परापसर्पण . - 88. d. A. C. S. सज्जनो. - 89. a. C. andra . b.
O -
C. ध(sic. धु)क्षपण pour रक्षण. c. C. शमनमारुतः. 91. A. a. et
- 92. b. A. S. मर्मव्यथां • C. धर्मव्यथां (sic). C. S (?)
c. transposés.
- 96. a. S. वासं कुरुते. b. A.
Höf. वहति pour स्पृशति. S. शान्तिभवां.
सुन्दरं पवने pour यततः सलिले. C. A रचयति रेखाः सलिले. c. d. Hof. पवनं
सलिलैर्यस्तु खले चरति सत्कारम्. 97. d. S. श्रासनम् pour श्राननम्. -
101 d. C. कलेवरजुषो C. S. वर्तते. A. वर्धनम्. - 102. a. Höf.

धूमापिता (sic). b. A. हरन्ति. 103. b. S. निकरा . C. A. C. S. पराचि.


d. C. वत pour खलु. - 104. C. C. करिपति ( sic). - 105. d. C.
किं स्मरति ( sic). - 106. b. C. विदुषामग्रे. - 107. c. C. महाबाहुर ( sic).
― 108. a. C. स्वीय pour साधु . - - 111.
110. a. A. महोतं.
- 112 d. C. समाधायि S. अधायि. C.
d. C. 'चन्दिर '.
pour 'पापा
शौभिकेन. 113. d. S. शोभितो. -- 121. a. A. S. अनवरतपरोपकारव्यग्री.

C. नवरतपरोपकारकर पाव्यग्री. 122. b. C. स्तुति pour श्रुति.

LIVRE II.

9. b. S. नरेन्द्रकन्ये . C. C. विभाति - 10. a. S. प्रकामम्


. c. C.

कदा च न. 16. a. C. पाणिनास्पृश्य 6. C. श्राननाब्जे. - 17. a. C.


--- 22. C. S. वलयीकृतां pour -
परिवेष्टिता c. S. मूला pour ' नाला.
निवेशितां. 23. c. A. C. निशास
.. 29. a. C. नितरां pour हरितां.
- 31. c. d. S. चिराय चित्रे
6. A. मथयन्ति ( sic). C. कलयन्ति (sic).
लिखितेव तन्वीन स्पन्दितुं मन्दमपि क्षमासीत्. - 32. a. C. नितरां हितयाय. c. S.

श्रधरं pour चिवुकं. d. S. मुदिरो pour मिहिरो c. d. S. सुदृशो वचनं शृणोमि


यावन्मयि तावत्प्रचुकोप वारिवाह―― 34.
:. 33. b. A. संताप pour तापस्य. -
- 41. b. S. मुखेन्दु pour मुखस्य -
aug °
b. S (?) पाण्डुर्° pour कोमल • .
44. b. S (?) कुरङ्गदृशाम्. 47. c . C. S. दर° pour रद
°. S. रशना
― 48. a. A. S. श्रवमर्ष. ―
49. 6. C. °कमले pour भूले. C. C.
63

- - 53. c. C.
उद्वेल. लसद् · 52. a. C. S. लोचनो pour मानसो.
साराब्जनयतो (sic) . d. C. सर्व pour सर्व - 54. a. C. निशाकर pour
निशापति. - 55. c. A. C. S. निशास · 58. d. C. श्रालोकेयं.
60. b. c. d. S. °लालसाय | तरुणाय ..... • बाला विनिवेदयां बभूव. 61.
c. C. बालोकेयमहं. 66. a. A. C. S. मलयानिलमनलीयति, ― 72. a.
S(?) उन्निद्रमा pour उत्कण्ठितं. - 75. b. A. रुहदृशः. 77. c. S (?)
pour मूले. 78. d. A. फणायामाश्चर्य. - 81. c. d. S. श्रकृतप्र-
तिमा तनुः कृता विधिना कस्य कृते मृगीदृशः. 82. a. C. श्रत्यस्तं. ― 88. b.

$ (?) मूढः pour को वा. c. S (? ) मयम् pour निभम्. d. A. C. रम्या


- 91. 6. C. विभाव्यते. -
pour 'म्या. 97. d. S (?) चपलयन्ति.
104. b. C. कुटिलालकः . ― 108. a. A. S. °विभवस्य. C. क्ति' pour '
शक्ति
'.
- 113. b. S (?) तत्क्षणे. - 115 d. S (?) मतिर pour मतं. 116 .

C. C. चञ्चरीकाचकोराच. 120 d. C. वह pour इव. 121. 6. C.


- 122. c. C. एव pour इव 124. d. C.
श्वावन्तो pour श्वाचरन्ती
. .
- 130 .
ईन्तितुम् pour ईक्षते. – 126. a. S (?) तारकाः pour 'चन्द्रिकाः.
b. S (? ) श्रम्बुजम्. 131. 6. C. मन्द pour भङ्ग'. -- 134. c. S. (?)
कराम्बु . - 139. a. A. C. S. लक्ष्मी au lieu de ― 146 .
दू.
d. A. C. कलितः pour फलितः. 147. d. C. श्राता pour श्रपि.
149. d. S. क्लीवः. - 150. c. C. मम करेपा गुहापा. d. C. शमय नापमहो
मम भूतले. - 151. c. A. S. सनिशासं C. सनिस्वासं ( sic) . - 153. b.
C. निवेशिता. - 155. 6. C. लोल' pour 'लोक '. - 156. a. C. ° स°

pour मा. d. C. विदुषां न कथं. 158. a. A. शीलाः (sic ) . C. लीलाः

(sic) pour शीला . 161. 6. C. वहति pour हरति 164. c . A.


C. S. ज्ञानन्त्या. - 167. c. A. C. fenig°. - 168. 6. C. चापि pour
वापि. - - 177. a. A. रोषवशा ति. C. तो-
176. d. S (?) अर्थविदो.
पत्रना (sic ) . 178. a. C. चेल pour चैल
'.

LIVRE III.

1. a. Bohl. देव pour देवे. -


2. a. Bohl . afand (sic). b .
Bohl. स्मरय. Bohl. et Höf. सहसा pour सरस .• ― 3. a. Hof. प्रायाता (sic).

b. Bohl. fauts fa (sic). 4. c . Bohl . et Hof. प्रभाते. d. C. मयैः

pour मदैः. Bohl . et Höf. पदैः. 5. a. Bohl. भाति pour भौति


64

(sic) . 6. Bohl . या दैवत्यसि ( sic) शिवाशकलं (sic) . ― 6. a. A. रसवती


-- 7. b. Bohl.
गुपाभावपूर्णा · 6. Bohl . et Höf. 'मङ्गल pour 'कोमल'.
इदोश्च (sic) . c. C. म्रुत्युडुतः ( sic) . Bohl. अयुद्रतः (sic). 8. a. C.

°प्रतिभानू. Bohl . अकापड ( sic) pour कापडे. c. Bohl मन्त्रोज्जितस्य (sic).


- 10. a. Bohl. काव्यत्मना ( sic) .
— 9. d. A. C. S. मुक्ति pour मुक्त .

c. A. S. त्वाम् . C. ताम् pour तान्. A. C. Bohl. Hof शीले pour


'लीले. - 12. a. A. C. परिषिच्य Bohl परिषिज्य ( sic). 13. c. Bohl.
क्षपसि (sic) . 14. a. Bohl. श्रयास्ततुलं ( sic). - 15. a. Bohl. et
Hof सुवर्णवरया परया. C. या पया. 17. a. Bohl. पत्युरन्य ( sic).
--
19. a. C. वृष्टिकरां (sic) . S. करी. 6. Bohl कृति pour कवि.
c. Bohl. et Höf. च सुधा pour करुणा · Bchl. (सन्द्रां ( sic) . d. A.
प्रसारः.

LIVRE IV.

10. 6. C. संस्पृशनहम्. - 17. b. C. 'तालम् pour 'जातम्. -― 20.

d. C. निरर्गलसुखे चेतः सखे. 26. a. C. °पदम् pour 'पलम्. -- 27. d.


-
A. श्रपैति pour श्रपैतु. 28. a. A. हल° pour बहु. C. श्रपि बहुनालं
(sic) . 6. C. भ्रमतु. d. C. श्रवभाषे. - कलित pour मधुर
30. b. S (?) '
-
33. b. S (?) श्राश्रयन्तम् pour श्रानमन्तम्. c. C. गर्भ pour . -

36. c. A. C. कविर pour कपिर.


- 38. c. A. मधु° pour रस -

39. a. A. C. S. गान pour पान. d. A S. अधुन्वन् A. नृपति


- 42. d. C. धास्यसि नृणां - 43. d. C. विलासो pour
pour नृपशुर्.
विपाको. 45. c. S. संप्रत्यन्धकशासनस्य नगरे तत्त्वं परं चिन्त्यते.
TRADUCTION.

LIVRE I.

1. Les cris des éléphants mâles , aux joues souillées de Mada ' ,
retentissent aux extrémités du monde, où ils se sont enfuis à
son approche; les femelles ne sont pour lui que des objets de
pitié; les autres animaux lui sont trop inférieurs ; contre quel
être en ce monde ce lion déploiera-t-il maintenant l'adresse de
ses ongles acérés ?
2. Après une vie passée dans le lac Mânasa , au sein des flots
parfumés par le pollen qui tombe des lotus épanouis, comment ,
dis-moi, le chef du troupeau des flammants pourrait-il vivre au-
jourd'hui dans l'eau d'une mare où pullulent les grenouilles ?
3. Alors que la troupe des Tchakoras femelles contemple
l'Orient, en roulant les yeux de désir, quand les lotus de nuit
s'épanouissent , que l'amour agite son arc, et que l'orgueil des
beautés cruelles est près de céder, en un tel moment convient-il ,
ô Créateur ! que le nuage déploie tout cet appareil contre la
lune ?
4. O lotus épanoui ! qu'en savourant une goutte des sucs que tu
distilles, les abeilles fassent entendre un doux murmure, il n'y a
rien là que de naturel; mais quel autre ami c'est pour toi

1. Liqueur qui coule des tempes de l'éléphant à l'époque du rut. Il est


alors plus terrible.
2. Oiseau qui, selon les poètes, se nourrit des rayons de la lune.
3. Littéralement : « rompent le silence » (en s'ouvrant comme des
lèvres ).
20

5
66 -
que ce vent , répandant en tous sens tes parfums sans rien
demander en retour !
5. Ne méprise pas , ô Koutadja ! cette abeille que le destin
t'envoie; les lotus tout gonflés de sucs font grand cas d'elle.
6. Demeure à l'intérieur du bois , ô Kokila ! 2 menant de tristes
jours, en attendant que quelque manguier resplendisse, couronné
d'un essaim d'abeilles .
7. O étang de lotus que méprisent des grues ignorantes ! pour-
quoi tomber dans la mélancolie ? Puisse une longue vie être
accordée en ce monde aux abeilles qui savent apprécier tes sucs
parvenus à leur maturité !
8. « Je suis bien bas ! » Que jamais cette pensée , ô puits ! ne
te cause de tristesse, puisque doué d'un cœur d'une sensibilité
exquise (ayant l'intérieur tout rempli d'eau) , tu sais apprécier
les qualités des autres (tu reçois les cordes dont les autres se
servent pour puiser ton eau).³
9. Après des jours passés sur les fleurs du lotus aux sucs
abondants , quel désir le Koutadja a-t-il pu inspirer à cette
abeille ?
10. O sandal ! qui pourrait chanter dignement ta magnani-
mité? Ces serpents qui répandent du venin , tu les délectes en
répandant des parfums .
11. Qui serait capable , ô sandal ! de t'imiter et de rendre.
comme toi le bien pour le mal ? Au moment même où tu es
broyé, tu charmes de tes parfums ceux qui te broient .
12. Si toi-même, ô flammant ! tu ne t'appliques plus à discerner
l'eau du lait , quel autre dans cet univers observera les lois de
sa race ?
13. Vivent les hommes rares qui au dehors sont pareils à des
lames d'épée , ou à des serpents fiers et cruels, et au dedans se
montrent plus doux que le jus du raisin !
14. Qu'à leur aise , ô lotus épanoui ! en recueillant le suc de
tes fleurs , les abeilles fassent entendre un doux murmure : il n'y

1. Arbre dont la fleur est sans sucs .


2. Coucou indien.
3. Jeux de mots.
4. L'arbre de sandal , croissant principalement sur le mont Malaya,
dans les Ghâts occidentaux, est constamment présenté dans la poésie
indienne comme servant de refuge aux serpents.
5. Les poètes attribuent au Hansa (flammant?) le don de séparer de
l'eau le lait qui y est mêlé , pour en faire leur nourriture. Allusion à
un roi dont le devoir est de discerner le vrai et le faux .
· 67

a au monde que le vent qui puisse porter tes parfums jusqu'aux


extrémités de la terre.
15. « Bientôt , quand je serai desséché par les mille flammes
du soleil d'été, quel sera le refuge de tous ces voyageurs acca-
blės par une chaleur intense ? C'est sous l'empire de ces soucis
continuels que la masse de cet étang banal diminue sans cesse ¹ :
sa vie est donc riche en mérites ! Mais fi des océans dont l'exis-
tence 2 est inutile aux autres !
16. Les oiseaux ont pris dans tous les sens le chemin des airs ;
les abeilles noires se réfugient sur les boutons du manguier ; mais
le malheureux poisson , où cherchera-t- il une retraite , mainte-
nant, ô lac ! que ton lit se resserre ?
17. Ne crois pas que le vent soit avide de tes parfums comme
l'abeille , ô étang de lotus ! C'est seulement pour la joie des
autres que, malgré sa dignité, il est descendu à se faire sup-
pliant.
18. Ne te ferme pas , ô jasmin ! pour l'abeille qui bourdonne
doucement les arbres des Dieux , vénérables entre tous les bien-
faiteurs, lui prodiguent les marques de respect 3 .
19. Ces serpents 4 , qui , malgré toutes tes vertus, ont écarté
de toi les bons , tu les portes encore, ô sandal ! Comment vante-
rons-nous ta magnanimité?
20. Après avoir fouillé en tous sens la forêt et visité tous
les arbres, ô manguier ! l'abeille n'a pas trouvé ton pareil en
ce monde .
21. Toi qui as posé le pied sur la fleur de l'arbre des Dieux ,
dont le parfum fait oublier tous les autres , si tu désires encore
visiter d'autres fleurs, ô abeille ! tu es riche en mérites 6 !
22. O rivière ! réfléchis longuement à ceci : toi qui es née du
mont Vindhya , toi qui es pure, te convient-il , même quand tu
te dessèches , d'admettre dans ton lit les eaux des grandes
routes ?
23. Jamais on ne t'a vu des feuilles , des fruits ni des fleurs en
abondance, et tu es couvert d'épines dis-moi , ô Barboura ,
quel désir pourrait nous attirer vers toi ?
24. Seul dans cette forêt épaisse , ô Kokila ! ne fais jamais

1. Littér. « que son corps dépérit. »


2. Littér. « la naissance ».
3. Littér. « la portent avec respect sur leur tête. >»
4. Et peut-être avec jeu de mots : « ces trompeurs. >>
5. Littér. « qui écarte la mention des autres parfums. »
6. Ironiquement .
68 -

entendre ton doux chant : c'est parce qu'ils te croient de leur


race que ces corbeaux sans pitié t'épargnent .
25. Ces neiges qui ravissent aux arbres leur magnificence , et
qui causent dans ce monde tant de souffrances aux vivants , quel
mérite leur trouves-tu pour les porter ainsi , ô père de Bhavânî¹ ?
26. O jeune éléphant ! ne méprise jamais cette abeille qui
s'approche de toi : elle mérite l'estime 2 des premiers d'entre les
éléphants qu'embellit la liqueur du Mada dégouttant de leurs
tempes.
27. Quand elle a satisfait ses désirs en savourant les parfums
que répandent les fleurs de l'arbre des Dieux , c'est pour l'abeille
une grande honte que ces hommages adressés par elle à d'autres
fleurs .
28. Après avoir interrogé tous les Kokilas , et visité tous
les arbres, ô manguier ! l'abeille n'a pas trouvé ton pareil en ce
monde .
29. Le bien qu'avec si peu d'eau, ô jardinier ! tu as , dans ta
pitié, fait à cet arbre, pendant la saison chaude au soleil dévo-
rant, maintenant, dans la saison des pluies , le nuage pourra-t-il
le faire en versant des torrents d'eau de toutes parts ?
30. Le jardinier est inintelligent , le sol est desséché, les dix
points cardinaux sont désolés par les ouragans, l'ardeur du soleil
est insupportable : alors que dans cette terre aride tout menaçait
de mort l'arbre Tchampaka , le créateur t'a fait sortir on ne sait
d'où, ô nuage, pour l'arroser de ton eau.
31. Là où , sous l'empire de la frayeur qui égarait leurs yeux ,
n'osaient s'arrêter des éléphants dont les tempes toutes dégout-
tantes de Mada attiraient des essaims d'abeilles voltigeantes , là
où roulent sur le sol les colliers de perles des éléphants
vaincus, à cette porte du lion , parti aujourd'hui pour l'autre
monde , hélas ! hélas ! on entend les hurlements des chacals .
32. Partageant également son affection à tous les arbres , ce
jardinier n'a point eu d'égards particuliers pour la jeune tige du
Bakoula ; et voilà que celui-ci , grâce aux parfums de ses fleurs
innombrables qui viennent de s'épanouir , a rempli le monde de
bourdonnements d'abeilles .
33. Ta racine est forte et assez résistante pour servir de
lien ; tes mille branches sont puissantes ; tu habites une montagne

1. L'Himalaya.
2. Littér. « elle mérite d'être portée sur leur tête. » L'abeille va sucer
la liqueur du Mada.
- 69 -

inaccessible , ô roi des arbres ! d'où te viendrait la crainte ?


Et pourtant une chose, une seule , éveille dans mon cœur quelque
inquiétude pour toi c'est l'incendie dévorant et sans pitié qui
entoure la forêt comme d'un bracelet de flammes .
34. Dans la saison chaude, brûlé par les rayons dévorants du
soleil , c'est en pensant à toi , ô nuage ! que le Tchâtaka¹ a
traîné , non sans peine, de trop longs jours ; et maintenant que
le destin te fait paraître à ses yeux , si c'est par de la grêle que
tu lui témoignes ta pitié, à qui nous en prendrons-nous de ce
malheur, sinon à toi.
35. Sans égard pour ces arbres atteints par le réseau des
flammes ondoyantes que jette l'incendie de la forêt , et qui se
dessèchent dégarnis de leurs lianes , ô nuage! c'est sur les sommets
des chaînes des montagnes que tu verses tes eaux en abondance :
quel orgueil insensé t'inspire la richesse !
36. En entendant devant toi ces mugissements terribles, ô
voyageur, tu ne dois pas ressentir le plus léger trouble dans ton
cœur ne reconnais-tu pas , ami ! le nuage , donnant ses ondes
pour apaiser les souffrances de tout l'univers?
37. Ton parfum est connu dans les trois mondes ; ta fraîcheur
n'a pas d'égale ; ta renommée a pénétré jusqu'à la cour des
belles qu'on appelle les régions célestes ; mais écoute seulement
ceci, ô sandal ! toutes ces belles qualités, les serpents cachés
dans tes trous et vomissant un venin dévorant , les détruisent .
38. Sans vues intéressées , sans aucun sentiment de bienveil-
lance ou d'affection pour se déterminer, sans commerce habi-
tuel avec les hommes, le nuage magnanime apaise cependant
leurs souffrances .
39. Tu es né dans un étang parfaitement pur, tu habites dans
la main de Vichnou , tu es la récréation de Lakchmî , ton parfum
ravit le cœur des Dieux ; brillant de ces qualités et de mille autres
encore, ô lotus ! si tu sais aimer le flammant , cette perle des
oiseaux (le Soleil, qu'honorent les Brahmanes ) , c'est là pour toi
la grandeur suprême.
40. Sur ton rivage les pierres précieuses semblables au
disque du soleil roulent avec les tas de pierres ; sur tes flots le
bienheureux Narayana 3 repose avec les poissons ; en voyant à
la fois ton manque de discernement et l'élévation suprême de ta

1. Oiseau qui, selon les poètes, ne boit que l'eau de la pluie .


2. Jeu de mots.
3. Vichnou.
- 70 -

dignité, dis-moi, Océan de lait , dois-je te blâmer ou te louer?


41. A quoi bon ces perles , à quoi bon cette masse sombre
comme le nuage , ô Océan ! puisque ton eau ne peut rafraî-
chir la bouche de ceux qui ont soif!
42. Si tu n'apaises pas les tourments de la soif chez ceux qui
en souffrent , maintenant , ô étang ! que tu as de l'eau en
si grande abondance , qui pourras-tu soulager dans la saison
chaude, alors que le soleil versant de toutes parts ses flammes
comme des tisons ardents , tu seras toi-même desséché !
43. Si tu veux ne pas t'irriter, nous te dirons un mot, ô
Ocean ! Eh quoi ! toi si grand , tu ne dédaignes pas de reprendre
les eaux tombées de ce nuage qui les a reçues de toi en
suppliant !
44. Nous ne t'interdisons pas, ô torrent ! de te mêler au cou-
rant du Gange; mais il est inconvenant de briser devant lui tes
flots avec un tel fracas.
45. Les Dieux ont respiré les parfums des fleurs des arbres
célestes qui brillent dans le bois d'Indra , alors qu'ils avaient
été respirés , puis délaissés, par cette abeille ; et maintenant
que le sort l'a contrainte à rechercher tes sucs , si tu t'en montres
avare, ô lotus ! en quels termes assez forts t'exprimerons-nous
notre blâme?
46. Tu as mangé les racines du lotus et joui de ses fleurs ;
l'eau t'a servi de breuvage, ô flammant ! Comment, dis-moi, ren-
dras-tu à ce lac ses bienfaits ?
47. Au commencement du printemps , faisant entendre en tous
sens de doux murmures, quels jours de fête tu as passés sur le
manguier dont les grappes de fleurs s'épanouissaient en abon-
dance ! Si donc , maintenant que le destin l'a réduit à un état
misérable, tu perds pour lui tout respect , ô abeille ! est-il un
être aussi méprisable que toi?
48. Entouré de la troupe des biches , les yeux à demi-fermés
par excès d'orgueil , pourquoi donc , ô cerf¹ ! viens-tu jouer dans
ce bois? Songe que c'est ici la limite du domaine où le lion prend
ses ébats , et qu'elle est faite des perles qu'il a arrachées en le
brisant au front des rois des éléphants 2.
49. Quoiqu'il soit dévoré par la faim , et qu'elles s'approchent de

1. Les mots cerf » et « biche » sont ici employés comme termes


génériques, pour la gazelle ou l'antilope mâle et femelle .
2. Les poètes imaginent que la tête de l'éléphant renferme des perles
d'un grand prix . (Note de Galanos .)
- 71 -

lui sans crainte, comment le lion, l'ennemi des éléphants , s'abais-


serait-il à tuer cette troupe de gazelles ?
50. Comment le lion , qui a décoré le sol de rangées de perles
tombées du front brisé des éléphants , irait-il aujourd'hui vanter
son héroïsme devant des gazelles?
51. Chef du troupeau des éléphants , toi dont la vue est obs-
curcie par l'orgueil , ô ami ! ne séjourne pas un instant sur le sol
de ce bois épais celui qui, croyant s'attaquer à des éléphants ,
disperse de ses ongles acérés des amas de pierres énormes et
pesantes, le roi des lions sommeille dans le sein de la mon-
tagne.
52. Plein d'un orgueil immense , ne va jamais , ô fils du
roi des éléphants ! dans les halliers de la montagne; car si le
petit lion, encore à la mamelle, s'en apercevait, la terre serait
bientôt vide d'éléphants femelles ' .
53. Le jardinier qui s'est acquis des mérites en plantant dans
le jardin avec son habileté naturelle les différentes espèces d'ar-
bres, a donné aussi au Bakoula sa place en un lieu quelconque :
qui se doute que celui-ci , relégué dans un coin , remplira le monde
entier du parfum de ses fleurs innombrables ?
54. Ce poisson Râghava², dont les jeux agitent les ondes avec
un tel fracas, que les éléphants des points cardinaux ont cru
dans leur cœur à un nouvel ébranlement de la montagne qui a
servi d'instrument pour baratter la mer , lui qui est capable
de ne faire qu'une bouchée des membres énormes du poisson
Timingila 2 , maintenant qu'à la suite d'une querelle engagée
par plaisanterie il a quitté l'Océan, quel autre élément lui
offrira son sein pour y prendre ses ébats ?
55. Une partie de la forêt a été arrachée par les éléphants
furieux; les hommes tourmentés par les frimas en ont coupé une
partie; une autre a été réduite en cendres par les rayons du
soleil implacable de la saison chaude ; enfin cette charmante liane
Lavanga qui , reléguée dans un coin , parfumait sans cesse les
régions célestes , ô malheur ! elle est consumée par l'incendie de
la forêt.
56. Tu es le précieux joyau du monde céleste , le merveilleux
séjour des arbres des Dieux , le fruit mûr de tous les mérites
acquis par Indra et Paulomî³ , tout cela est vrai , ô bois Nandana!

1. Et ainsi la race entière des éléphants disparaîtrait.


2. Animaux fabuleux.

3. Epouse d'Indra.
72 -

et pourtant les cœurs compatissants font constamment pour toi


une prière au destin : c'est que le feu qui exécute sa danse sau-
vage sur la scène du bois Khandava puisse être toujours écarté
de toi.
57. << Pendant que mes maîtres , l'esprit absorbé tout entier
par leurs affaires , seront éloignés de moi , élargissant de la
pointe de mon bec la fente de la porte , je m'échapperai de la
cage : » dans l'instant où le perroquet goûtait l'ambroisie d'une
telle espérance, le roi des serpents , faisant obstacle à ses des-
seins, (pareil à une trompe d'éléphant ¹ , ) est entré dans sa
prison.
58. O inconstantes gazelles, habitantes de la montagne ! com-
ment pouvez-vous vous résoudre à pénétrer dans cette rivière
troublée par des vagues innombrables , lorsqu'ici même , enve-
loppé dans des gouffres immenses pleins d'eaux jaillissantes ,
ce roi des éléphants a été précipité comme une pierre dans les
abîmes de l'enfer.
59. Suce le lait de ta mère, ô lionceau ; pourquoi ces regards
farouches que tu jettes sur l'horizon , croyant entendre un élé-
phant furieux ? C'est le nuage nouveau , le nuage sombre qui
résonne sourdement et va calmer les peines des trois mondes .
60. Assez de sourds mugissements, ô nuage ! Mon fruit d'un
mois s'agite dans mon sein , croyant entendre un éléphant
furieux2.
61. Lequel de ses exploits le lion , l'ennemi des éléphants
furieux, voudrait-il vanter devant les troupeaux de gazelles?
62. Tu es né dans une eau pure, tu rivalises de douceur avec
le visage de la bien-aimée , ta demeure est la main de Vichnou ,
ton parfum ravit le cœur des immortels ; tu composes à toi seul
le trésor des vers des grands poètes et de l'amour , ô lotus ! Si de
plus tu te montres bienveillant pour l'abeille, que pourrons-nous
te dire pour te louer dignement?
63. Pourquoi , les yeux voluptueusement fermés , t'abandonnes-
tu à un sommeil paisible, ô roi des éléphants ! La haine que le
lion te porte grandit, et à la fin il sera terrible.
64. Les paroles ne sortent pas inconsidérément de la bouche
des sages; mois une fois sorties, pareilles aux dents des éléphants,
elles n'y rentrent pas.
65. Ta générosité est connue dans les trois mondes ; tu es né

1. Jeu de mots.
2. C'est une lionne qui parle .
- 73 ---

de l'océan ; ton séjour est le bois Nandana , ton parfum ravit le


cœur des immortels ; ainsi , ô arbre des Dieux ! le plus vénérable
des bienfaiteurs, tous tes attributs seraient d'une grandeur sur-
naturelle , s'il s'y ajoutait une seule chose , le discernement
dans la dispensation de tes faveurs aux plus méritants d'entre
ceux qui les implorent .
66. « Moi seul , sans pitié, je prends la vie des êtres qui se
fient à moi » Qu'une telle pensée n'éveille pas des remords dans
ton âme, ô chasseur ! Dans les palais des rois et dans les lieux
consacrés, cachant leur pensée, habitent bien des méchants,
ennemis des gens vertueux , et tout pareils à toi .
67. Ces hypocrites, qui trompent les bons en leur inspirant
confiance par des paroles mielleuses , tu les portes encore, ô terre,
notre mère ! Toi aussi , tu as perdu le jugement !
68. Les sages diffèrent en tout des autres hommes autre
est l'activité de leur esprit qui ne tend qu'au bien du monde ;
autre est le tour inexprimable de leurs discours ; leurs œuvres
sont surhumaines ; leur extérieur même ravit le cœur des affligės ;
tout en eux est trop élevé pour que nos louanges y puissent
atteindre .
69. Tombé dans l'adversité, un souverain magnanime déploie
une grandeur qu'il n'avait jamais montrée; l'aloès noir, jeté
dans le feu , répand en tous sens un parfum divin .
70. Ornés de hautes qualités qui font les délices de l'univers,
les hommes au cœur pur plaisent même dans leur colère ; ils
sont comme le safran , exhalant des parfums qui ravissent le
monde, et dont l'amertume même est pleine de charme.
71. Devant des hommes chargés du fardeau des immenses
richesses qu'ils ont conquises en se jouant dans la ville de Sa-
rasvatî¹ , si des misérables qui ont volé quelques grains tombés
du grenier de la science osent s'enorgueillir , alors , aujourd'hui
ou demain, nous verrons les petits oiseaux poser le pied tout à
leur aise sur la tête des serpents , les gazelles sur la tête des
éléphants , les chiens sur la tête des lions .
72. C'est quand leurs maîtres les ont réprimandés par de
dures paroles que les hommes atteignent à la grandeur . Tant
que les pierres fines n'ont pas été usées par le polissoir, elles
n'habitent pas sur la tête des rois .
73. Le sandal porte des serpents , la lampe porte à son sommet
un amas de noir de fumée , la lune elle-même a de grandes

1. Déesse de l'éloquence.
74--

taches, les rois enfin souffrent auprès d'eux des calomniateurs .


74. Sans en avoir été prié, l'homme de bien , par ses œuvres
charitables , comble de joie le monde entier : à quelles supplica-
tions la lune cède-t-elle , dis-moi , quand de ses rayons célestes
elle fait épanouir les lotus de nuit ?
75. Le méchant en ce monde est le frère du serpent; il reçoit
tranquillement un important service , comme le serpent boit le
lait qu'on lui offre, et cherche en retour à faire périr son
bienfaiteur.
76. Pour lui , renonçant à la science , nous avons fait le métier
de donneurs de louanges ; par de laborieux efforts nous l'avons
élevé à une situation d'une telle grandeur que la pensée même a
peine à y atteindre; si , une fois parvenu à ce rang , oubliant tous
les services passés, ce méchant se retourne contre nous , alors
que dirons-nous de lui , et à qui adresserons - nous nos
plaintes, si ce n'est à lui ?
77. Par son attachement aux intérêts des autres , oubliant ses
propres intérêts, regardant tout homme vertueux comme un
autre lui-même, vive à jamais l'homme rare dans le cœur
duquel brille naturellement une grandeur suprême et pleine
de charme , et qui est toujours à la hauteur de toutes les
entreprises ¹.
78. Même lorsqu'il est de famille noble , et plein de mérites.
de belles relations honorent encore un homme : (quoiqu'il soit de
bambou, et muni de cordes , ) 2 le manche du luth , sans le fruit de
la courge, ne conquiert pas l'estime du monde .
79. Un objet, quoique doué de qualités inestimables , encourt
le blâme pour un seul défaut , comme l'ail , bien qu'il soit le plus
estimé des remèdes , l'encourt pour sa mauvaise odeur.
80. Même en proie à l'adversité , quiconque a de bonnes qua-
lités ne rend que de bons offices . Tel est le vif-argent , quand il
est calciné³ , et comme mort.
81. Cette Sîtâ qui en jouant au milieu des bois , effrayée par la
vue d'unjeune lièvre , se jetait précipitamment dans le sein de son
époux qui dissipait sa crainte , enlevée aujourd'hui par le géant
aux dix visages , entourée de Ràkchasas aux dents pareilles à
des socs de charrue, subit par force une destinée inouïe .
82. Dans l'instant où en présence des Dieux, l'amour confiant,

1. Pour les jeux de mots, voir les Notes, à la fin du volume.


2. Jeux de mots.
3. C'est en cet état que les métaux sont employés comme remèdes.
- 75 -

hélas ! dans la force de ses bras , dirigeait une flèche contre le


destructeur des villes¹ , son corps auquel rendent hommage les
vierges célestes dont les yeux forment autour de lui comme une
brillante couronne, a été tout-à - coup réduit en cendres par le
feu du front de Civa 2.
83. Il sied bien sans doute à l'assemblée des singes que les
tapis moëlleux y soient des branches d'arbres , l'affabilité des
cris discordants , l'hospitalité des coups de dents et d'ongles .
84. Quel est l'Etang sacré ? - Le culte rendu aux pieds de
Vichnou pareils à des lotus . Quel est le Joyau précieux ?
La pureté du cœur . - Quel est le Livre ? Celui dont l'étude
dissipe les ténèbres de la notion de dualité . - Quel est l'Ami qui
se plaît toujours à rendre service ? - O mon ami ! c'est la con-
naissance de la vérité . - Quel est , dis-moi , l'Ennemi habile à
causer des peines ? - C'est la cohorte des mauvais penchants .
85. Plongé même dans le Vedanta 3 , le méchant n'en devient
pas meilleur , de même que le mont Mainâka ne s'amollit pas
pour avoir été longtemps plongé dans l'Océan.
86. Mieux vaut être sans mérites . Fi de la considération que
procurent les vertus ! Les autres arbres prospèrent tandis qu'on
coupe le sandal.
87. Heureux les arbres ! Leur cœur n'est pas enveloppé
par les mille flammes brûlantes des soucis infinis que cause
la mendicité .
88. Vive l'homme de bien ! Grâce à ses nombreuses qualités ,
il prête des mérites même à celui qui n'en a pas , et cache ses
défauts, comme l'araignée , avec les fils qu'elle tire d'elle-
même, tend des réseaux dans le vide et bouche les trous¹.
89. Qui peindra le méchant, cet être qui est par excellence ,
pour le salut de l'homme de bien , ce qu'est le feu pour la pré-
servation du coton , et pour le soulagement de la douleur des
autreş, ce que le vent est pour l'apaisement du feu?
90. Les méchants calomnient l'homme habile à cacher les
défauts des autres , qui est lui-même rempli de qualités et chéri
de tous, comme les rats gâtent un beau vêtement , propre à
cacher les parties principales et secrètes du corps, com-
posé de fils et désiré de tout le monde 5.

1. Çiva.
2. Çiva a un œil au milieu du front.
3. Système philosophique .
4. Jeux de mots.
5. Jeux de mots.
76 -

91. La gloire du méchant qui afflige les gens de bien est


comme le parfum de l'ail , l'apaisement de son âme comme la
fraîcheur du feu, sa pitié comme les fleurs de l'atmosphère ¹ .
92. Il porte le fardeau de ses fleurs , de ses feuilles et de ses
fruits ; il endure les tourments de la chaleur et du froid , il donne
son corps, et tout cela pour le bien des autres : honneur à cet
arbre, le plus respectable des bienfaiteurs !
93. Certes il a un violent désir de boire du poison, il est impa-
tient d'embrasser le feu de la mort universelle , il cherche à
saisir le roi des serpents , celui qui s'applique à rendre le mẻ-
chant soumis .
94. Abandonnant, ici les moissons desséchées des pauvres gens,
et déployant ta munificence sur les montagnes , nous le connais-
sons ce discernement dont tu uses, ô nuage ! enivré comme tu l'es
de ta grandeur !
95. Les montagnes sont imposantes 2 ; la terre l'est davan-
3
tage ; l'œuf de Brahmâ ³ l'est plus que la terre, et plus imposant
encore est l'homme magnanime qui reste inébranlable dans le
temps même de la dissolution du monde .
96. Il fait passer et repasser la charrue dans l'air, il s'efforce
de tracer dans les flots une image , il emploie l'eau à laver le
vent, celui qui fait du bien à un méchant .
97. Le singe orné d'un collier qu'un ignorant a placé sur sa
poitrine, le lèche, le flaire , le jette en l'air et lève la tête pour le
recevoir dans sa bouche.
98. Malgré tes taches , l'étang de lotus t'était dévoué ;
malgré ton bavardage, il te faisait bon visage ; il t'aimait malgré
ton humeur inconstante ; ô abeille ! comment peux-tu l'aban-
donner ?
99. Si l'on voit s'obscurcir le visage de celui qui reçoit pour
son propre compte de l'argent d'un riche , quoi d'étonnant à
cela? Le nuage qui ne prend que l'eau de l'océan , et cela pour le
bien des autres , devient sombre aussi , et dans toute son
étendue .
100. Tu as pour père certain plateau de montagne , de ton
espèce tu es du bois , et tu n'as commerce qu'avec des serpents ;
et malgré tout, par tes seules qualités, ô sandal ! tu es parvenu
aux honneurs.

1. C'est-à-dire qu'elle n'existe pas .


2. Et « pesantes » (jeu de mots) .
3. Le monde. 4. Rougir.
77

101. Dans l'espoir de quel avantage , ô homme de bien !


t'attaches-tu à acquérir tant de qualités ? Si c'est pour ton profit
personnel, écoute ces utiles paroles les manières brillantes
et qui ravissent les cœurs, voilà, dans cet âge Kali , ce qui
procure à l'homme son entretien de chaque jour.
102. Sans toi, ô printemps , saison où les abeilles murmurent
doucement sur le manguier aux feuilles tendres et rouges , il
semble au Kokila que les dix régions célestes s'assombrissent ,
et que les vents parfumés qui ont entr'ouvert les lotus lui brûlent
le corps comme des flammes .
103. Le lion, autrefois, croyant s'attaquer à des éléphants , a
fendu les grandes pierres des montagnes , avec cette force
héroïque qui ne connaît pas de frein , et qui est toujours active à
l'extrémité de ses ongles et maintenant que le destin lui est
contraire, il ne trouve nulle part un lambeau de chair .
104. Sous le sein de sa mère , le lionceau né à minuit ¹ , ayant
entendu un faible coup de tonnerre, rassemble aussitôt ses mem-
bres, et se tient secrètement prêt à bondir.
105. Que dirai-je , ô méchant ! de ce tour d'esprit si louable
qui partout te prédispose en faveur des belles qualités , puisque
jour et nuit tu penses à tous les honnêtes gens qui les pos-
sedent ??
106. Fi ! méchant ! Je découvrirai ta conduite en présence des
sages, si tu ne cesses pas , ô toi dont l'âme est corrompue ! cet
indigne discours que tu tiens.
107. Le commerce des méchants est pour le bonheur ce que
l'incendie de la forêt est pour les animaux ; il est pour la vertu ce
qu'un éléphant furieux est pour les arbres ; il est pour la science
ce qu'un grand vent est pour une lampe .
108. Les méchants sont adroits à créer des obstacles au bon-
heur des honnêtes gens , comme les serpents à ôter la vie aux
êtres inoffensifs .
109. C'est la femelle d'un serpent, et non une langue que le
créateur a placée dans la bouche des calomniateurs ; sinon, pour-
quoi ceux qui en sont effleurés périssent-ils à l'instant , à moins
que des formules de conjuration ne les sauvent ?
110. Tu as accompli une noble action ; tu as acquis une gloire
pure; toute notre vie, ô ami, nous te bénirons .

1. Ou « âgé d'un quart de jour. »


2. Cette stance , bien entendu , doit être prise dans un sens ironique .
Le méchant pense aux bons, mais pour en médire.
- 78 -

111. Les hommes vertueux qui s'occupent sans cesse de faire


le bien des autres, ont des paroles que leur extrême douceur
rend semblables à l'ambroisie; leur pensée est un océan par
sa profondeur; leur gloire est pareille aux purs rayons d'une
pleine lune d'automne .
112. << Quand le printemps sera venu , il me rendra ma voix
longtemps éteinte . » C'est au moment où le Kokila formait cet
espoir, que le chasseur a dirigé une flèche contre son cœur .
113. Quand il est sans vertus , l'homme ne brille pas d'un
éclat solide , quelque appareil pompeux qu'il déploie , non plus
que l'arbre Câlmali , quelque splendeur que lui prête au premier
aspect l'abondance de ses fleurs charmantes .
114. Ce qui fait l'éclat d'un lac, c'est l'absence de boue , d'une
assemblée, l'absence de méchants, d'un poème, l'absence de sons
durs, de l'esprit , le détachement des objets sensibles .
115. Certaines qualités qui font l'essence des poèmes ne sont
comprises ici-bas que de bien peu de gens ; quel autre que
l'abeille sait apprécier le suc des fleurs ?
116. Comment peux-tu , ô abeille ! courtiser ainsi sans pudeur
cet arbre Ketakî , dont les fleurs sont pleines de pollen , et
blanches, et qui est tout hérissé d'épines¹ .
117. Comme un mode musical sans le ton , comme un roi sans
la fierté, comme un éléphant sans la liqueur du Mada , tel est un
Yati 2 sans la science .
118. Les bonnes qualités des hommes se manifestent d'elles-
mêmes et non par le témoignage des autres. Ce n'est pas par le
serment que se constate le parfum du musc .
119. Hélas ! ne t'enorgueillis pas , ô musc ! de ton odeur, qui
est le plus suave de tous les parfums : c'est par ce parfum même
que sur la montagne, dans le fourré mystérieux où il se tient
caché , tu causes la mort du malheureux animal qui te produit .
120. Quel bien le commerce des bons ne produit-il pas? Il
corrige la sottise, il purifie l'esprit , il efface des fautes longtemps
accumulées , il augmente la pitié pour les êtres vivants .
121. Amères d'abord comme les remèdes , les paroles des
hommes magnanimes dont la pensée toujours pure n'est préoc-
cupée que des secours à porter aux autres , sont dignes d'admi-
ration 3 .

1. Voir les Notes à la fin du volume.


2. Un Brahmane dans la quatrième phase de la vie brâhmanique.
3. Littér. « brillent » .
- 79 -

122. C'est sans doute parce qu'ils entendent les doux accords
de cet essaim d'abeilles bourdonnantes, et par l'effet de la tor-
peur voluptueuse où les plonge l'ivresse produite par ce concert ,
que les arbres de toute espèce croissant dans ce bois inclinent
leurs branches jusqu'à terre.
123. L'avidité chez un mort, la libéralité chez un avare,
l'amour de son époux chez une femme galante , l'apaisement
chez un serpent , l'amitié chez un homme perfide , c'est ce qu'on
n'a pas vu jusqu'à présent dans le monde émis par le Créateur .
124. Il ne faut pas se fier aux femmes , même de haute nais-
sance; les touffes de lotus aimées de la lune (les femmes du roi) ,
folâtrent avec les abeilles (les ivrognes) ¹ .
125. La destinée donne le bonheur sans qu'on l'en prie, et,
quand on l'en prie, ne le donne pas ; elle peut même enlever à
l'homme tout ce qu'il possède . Elle ne connaît pas de frein.
126. En te voyant dans la mêlée, entouré de l'élite de tes
ennemis tombés sous les flèches que lance avec un bruit terrible
l'arc vibrant, tendu en cercle par tes deux bras comme par deux
tiges rigides, qui ne songerait, ô Roi ! au fils de Pandou 2 , tour-
nant sa fureur contre le bois Khandava , qui s'effondre sous la
danse sauvage des tourbillons de flammes allumés par les flèches³
de l'arc 4 frémissant d'Ardjouna ?
127. Puissent les rayons du soleil protéger le monde! Eux
qui savent colorer d'une rougeur charmante les yeux , sembla-
bles à des lotus , des femmes offensées 5, et qui font resplendir
tous les points du ciel.

1. Jeux de mots.
2. Ardjouna.
3. Littér. « le bracelet de flèches . »
4. Le nom de cet arc est Gândiva .
5. En leur faisant découvrir les preuves de l'infidélité de leurs époux.
LIVRE II.

1. Ton visage, ô belle ! n'a pas comme la lune à redouter la


colère de Râhou¹ ; il est sans tache et ne pâlit point ; chaquejour
quelque chose s'ajoute à l'éclat dont brillent tous ses traits .
2. Au prix de la douceur de tes membres, les lotus réunis en
guirlandes semblent rudes , les fibres de leur tige, si l'on y
réfléchit, paraissent sans charme; que dirons-nous donc de leurs
bourgeons ?
3. Ce charmant sourire, ces soupirs , la beauté sans tache de
ce doux visage, aujourd'hui encore , hélas ! ils enivrent mon
cœur, ces attraits de la jeune femme dont les yeux sont pareils
au lotus de nuit .
4. La joie naît dans mon cœur au souvenir d'une certaine atti-
tude charmante de la belle aux yeux de lavandière affolée, dans
laquelle ses pendants d'oreille se balançaient sur le bord de ses
joues luisant d'épaisses gouttes de sueur .
5. Avec le musc , fais , quand vient le soir , un signe sur ton
front, ô amie ! puis, va aussitôt, le visage souriant , orner de ta
présence la terrasse du palais; et qu'alors , comme au lever de
la lune , les lotus goûtent une joie immense , et que de tous
côtés les régions célestes se découvrent aux regards !
6. De grand matin, au moment même où, après s'être inclinée
devant les personnes qui ont droit à son respect , elle entendait
leur voix pure lui dire : « Puisses-tu avoir des fils ! » , son bien-
aimé étant près d'elle , la belle a jeté discrètement sur lui un
coup d'œil oblique où brillait la plus vive joie.
7. Je revois sans cesse, hélas ! l'œil de la belle au regard de
gazelle, cet œil charmant comme le lotus à peine entr'ouvert , où
se peignaient à la fois une timidité causée par la présence de ses
parents, et le trouble que ma vue faisait naître dans son cœur.

1. Démon qui cause les éclipses.


2. S'épanouissent.
81

8. Après avoir successivement ravi leur éclat aux fruits du


jujubier, du myrobolanier, du manguier et du grenadier , main-
tenant tes deux seins , ô belle ! cherchent à dérober leur opulente
beauté aux deux bosses du front du jeune éléphant .
9. O trésor de beauté, le bord de ta joue est sans doute la
Région du Nord , puisqu'on y voit briller entre de jolies tresses
(dans la charmante ville d'Alakâ) , la grâce ravissante de ton
oreille (l'opulence si enviée de Kouvėra) .¹
10. Les charmes de la belle aux yeux de lotus , lorsqu'à
l'aurore, apercevant la lumière , elle rajustait sa ceinture déta-
chée, prête à quitter la couche , ne sortent pas de ma pensée .
11. Au milieu de ses amies, et dans l'ardeur de ses jeux, la
jeune fille avait parlé de moi à plusieurs reprises , lorsque
entendant de loin ma voix elle a disparu comme un éclair
brillant .
12. Me croyant à tort offensé, dans ma colère, mais sans y
songer sérieusement, je parlais déjà de partir; alors , roulant les
yeux à travers ses larmes, quelle est celle de mes demandes à
laquelle la belle n'a pas consenti ?
13. Nous conservons intact le discernement dû à l'étude des
Pourânas , des Câstras et des cent livres de la Smriti, tant que
le regard amoureux de la femme aux yeux de jeune gazelle ne
s'empare pas d'une place dans notre pensée .
14. « Ton époux revient ! » Entendant ces paroles , quand la
belle aux yeux de gazelle viendra-t-elle tremblante sur le seuil ,
rafraîchir mes yeux comme un clair de lune?
15. A la chûte du jour, au moment du rendez-vous , les yeux
fixés sur la porte de la maison , la belle m'a vu arriver, et aussitôt
son visage s'est épanoui.
16. Ayant blessé le bouton de son sein , il s'était aussitôt
éloigné d'elle ; fixant alors obstinément des yeux rouges de
colère sur le visage de son bien-aimé , pareil à un lotus , la belle
a gardé le silence .
17. Bien qu'entourée de ses parents , sous le charmant prétexte
d'une démangeaison à la joue, la jeune belle m'a discrètement
montré, en clignant de l'œil , son bras d'or semblable à une tige
de lotus.
18. Doucement frappée par moi avec une jeune pousse de
lotus, alors qu'elle était au milieu de ses parents , la belle a fait

1. Jeux de mots.
2. Splendor umbilici ejus qui loti intimæ partis similis est.
6
82

un mouvement qui a légèrement agité ses pendants d'oreille , et


m'a regardé en fronçant ses sourcils pareils à de petites lianes .
19. Si je me tiens dans une réserve discrète, tes yeux sont
rouges de colère ; si je t'implore en suppliant, hélas ! tu verses
des torrents de larmes ; et si je m'éloigne, ta vie même est en
péril ; je ne sais plus, ô belle aux yeux de gazelle , comment te
contenter !
•20 . « Cruel , océan de mensonge, lâche le bord de mon vête-
ment, je connais bien ton amour ! » Ainsi parlant et versant des
larmes abondantes , dépouillée de ses ornements , quel autre que
toi, ami Sommeil ! pourrait si bien me montrer la belle¹ ?
21. En voyant sur le bord de l'étang le visage souriant de la
jeune fille , et dans l'eau le lotus épanoui , le fol essaim des jeunes
abeilles avides de sucs voltige de l'un à l'autre.
22. En voyant sur la poitrine du bien-aimé la trace du collier
de sa rivale , la belle a soudain détaché le bras qu'elle avait
passé comme une liane autour de son cou .
23. Je ne puis oublier le plaisir que j'ai goûté près de cette
belle ces liens autour de mon cou légèrement ployé , ces yeux
de lotus à demi-fermés et exprimant l'amour , ces membres
accablés sous le poids d'une oppression violente .
24. Sorti de ma demeure après la seconde veille de la nuit,
j'arrivais à sa porte et disais un mot pour m'annoncer; alors,
m'ayant reconnu , et irritée de mon retard, la belle à l'œil
timide , sortant de la chambre , s'avança lentement , pareille à
Lakchmî .
25. Se frottant la poitrine de Caivala pour éteindre le feu
qui la brûle, et s'agitant sans relâche en tous sens , elle jette des
regards d'une tristesse profonde sur ses amies qui n'ont à la
bouche que le nom de son bien-aimé³.
26. Retournée d'ici à sa demeure et entourée de ses parents , je
ne puis oublier le visage de lotus de la belle , au moment où tour-
nant le cou elle me fit voir ses sourcils froncés et son sourire.
27. Comment , dis-moi , pourrais-je espérer de vivre? Les vents
parfumés du mont Malaya 4 , soufflent pour moi comme des

1. Ces paroles sont mises dans la bouche d'un amant en voyage qui
a vu en rêve sa maîtresse désolée de son absence.
2. Plante aquatique et sorte de drogue .
3. Ces paroles sont adressées par une messagère d'amour à un amant
séparé de sa maîtresse.
4. Littéralement « vomis par les serpents du mont Malaya (où croît le
sandal) . >>
- 83 -

vents de mort, et cette abeille même , qui bourdonne agréa-


blement sur le faîte du manguier, m'ôte la conscience de moi-
même ¹ .
28. Arrêtant la colombe qui s'enfuyait en toute hâte , je la
plaçai en face du mâle qui roucoulait ; en me voyant faire , la
belle inclina lentement et en souriant son visage de lotus .
29. Les rayons de ton visage, ô belle aux yeux de Tchakora !
dissipent devant eux comme ceux de la lune l'obscurité
qui couvrait les régions célestes , ils calment les souffrances de
ceux qu'une ardeur brûlante dévorait , ils ferment les superbes
lotus de jour.
30. Elle considérait lentement et avec un frémissement par
tout le corps la trace de mes ongles entre ses seins pareils à
deux vases , quand elle m'a vu le visage appliqué à l'œil-de-
bœuf; alors la jeune belle est rentrée aussitôt dans sa demeure, le
corps incliné et toute tremblante .
31. Reposant sur mon cœur, et plaçant sa joue 2 contre ma
bouche, la belle a exercé alors un empire qui surpasse la royauté
suprême d'Indra .
32. Au moment où dans la dernière veille de la nuit le som-
meil venait enfin d'accorder à mes demandes réitérées la vue de
la belle , au moment où je caressais son menton, le soleil , se
levant , a été sans pitié pour moi et a mis fin à mon rêve .
33. Nos tourments ne sont pas apaisés par l'étude de cent
Croutis, ou du Mahâbhârata , comme ils le sont , et en un instant,
par ce « non » que la bien-aimée, fatiguée de ses jeux , prononce
d'une voix amoureuse et tire du fond de sa gorge, racine
du lotus de sa bouche.
34. Ta joue pâlie par les ennuis de la séparation , a si
bien, et avec si peu de peine , effacé de son tendre éclat la blan-
cheur de la liane Lavalî, que les soucis ont fondu de tous côtés
sur le pétale du lotus blanc qui craint que ta blancheur
n'efface aussi la sienne³.
35. D'une timidité extrême à cette aurore de la jeunesse , mais
aussi séduits par les vertus, l'héroïsme, la force et la beauté de
son époux , les yeux brillants de Sîtâ , pareils à des lotus , se fer-
ment , puis se rouvrent, en présence de Râma .

1. Impression produite par le printemps sur un amant séparé de sa


belle.
2. Littér. « la racine de sa joue ».
3. Ces paroles sont mises dans la bouche d'une amie.
84 -
36. Tendant l'arc de Civa , et mettant un terme aux peines
de ses parents, ce jeune homme va-t-il, oui ou non , épouser sans
obstacle la fille du roi de Mithilà ¹ .
37. Enfermée dans un lieu secret, et prise dans les bras de son
époux comme dans une cage , la nouvelle mariée tremble de tous
ses membres , ainsi qu'une jeune gazelle qui vient de tomber dans
un filet .
38. Je me suis abreuvé des Oupanichads ; j'ai ouvert à la
Bhagavad-Gîtâ le chemin de mon esprit ; et cependant la belle ,
dont le visage est semblable à la lune , ne sort point de la demeure
qu'elle a dans ma pensée.
39. « O bien-aimé ! toi dont le cœur est sans pitié, je ne te
lâche plus . » Telles sont les paroles qu'elle adresse dans son
trouble à ses amies en saisissant leurs mains de lotus .
40. En marchant jusqu'à la nuit pour vendre du lait de beurre
au prix de quelques coquillages , la fille du vacher a trouvé au
milieu de la route une pierre d'une valeur inestimable (le divin
Krichna) .
41. C'est pour renoncer à son indifférence ³ naturelle que la
belle a voulu goûter les attraits du visage de Vichnou , et voilà,
hélas ! que le monde matériel tout entier lui est devenu indiffe-
rent.
42. Pourquoi , folle enfant , dis-tu dans ta naïveté que ton
corps a la couleur de l'or ? Il faudrait que l'or tombât dans le feu5
pour devenir semblable à toi .
43. Quelle fête pour les yeux de ce jeune homme et de cette
jeune femme depuis un instant réunis ! Le désir les fait se ren-
contrer et la pudeur les ferme tour à tour.
44. Honneur à toi, vertu des jeunes gens , étrangère aux
calculs intéressés du monde , qui pour prix de tes hommages
au sein des belles dont les yeux sont pareils au lotus, perds
toi-même toute considération 6 .
45. Le premier âge passé et la jeunesse commençant , ses
paroles, sa démarche, ses coquetteries, tout chez la belle a pris
une douceur suprême .

1. Paroles des habitants de Mithilâ au moment ou Râma se présente


au Svayamvara (choix d'un époux) de Sîtâ.
2. Servant de menue monnaie.
3. Proprement « dégoût ».
4. Littér. « toi dont l'attente est trompée » .
5. Et acquît ainsi plus d'éclat. Comparez st. 114.
6. Voir les Notes à la fin du volume.
85 --

46. Si ces deux yeux de la belle au corps penché, ces yeux


doués d'un éclat infini sont si mobiles, c'est sans doute parce
qu'ils sont privés du bonheur de se voir l'un l'autre .
47. La belle aux yeux de gazelle, comme je voulais lui jeter
des boules de terre, pendant qu'elle était au milieu de ses parents,
m'a retenu en mordant le bout de sa langue et en clignant de l'œil .
48. La belle qui tout à l'heure ne souffrait pas que son bien-
aimé la regardât du coin de l'œil , maintenant qu'il montre le
dessein de partir , garde le silence ¹ , même quand il l'embrasse .
49. La bien-aimée , quoique ayant détourné le visage dans un
mouvement d'orgueil, et tout en feignant de dormir dans les bras
de son bien-aimé, étend le bras , enlace nonchalamment son cou ,
et touche sa joue.
50. N'ayant qu'un désir , mais balançant entre les deux lotus
épanouis de tes yeux , sous l'apparence d'un signe de musc, c'est
une abeille , o ma belle ! qui brille sur ton front .
51. La nuit venue , introduite à grand'peine par ses parents
auprès de son époux : « Que va-t-il arriver ? » se demande avec
crainte la belle aux yeux de lotus.
52. Grâce à ton orgueil , l'Amour a le cœur serré par le
chagrin, tes amies sont privées de l'éclat qui rejaillirait de toi
sur elles, ton bien-aimé se tourmente à chercher les moyens
de te satisfaire; mais laissons là tout ce discours , et si tu crois
mon conseil utile , je te dirai ceci : « O folle enfant ! renonce à cet
orgueil; sinon l'éclat de ce beau visage sera faute d'un sourire
effacé par celui de la pleine lune .
53. Gloire à toi, ô charmant pendant d'oreille ! chacun doit
proclamer ton existence heureuse , et tu goûtes le fruit exquis de
mérites suprêmes 2 , quand tu tiens occupées les mains de lotus de
la belle aux yeux de gazelle, qui se soumet, pour orner ses
oreilles, à la vive sensation d'une douleur nouvelle , et dont la
bouche se contracte avec un petit cri .
54. La nuit est venue , les rayons de la lune emplissent les
espaces célestes; les femmes orgueilleuses sont vaincues et
s'occupent dans leurs demeures à parer leurs membres d'une
multitude d'ornements , et maintenant encore, ô folle enfant !
tu ne sacrifies rien de ton orgueil ! Par l'effet de ta colère ,
hélas ! ton corps , plus mince que la tige d'un jeune lotus , se
dessèche.

1. Ne se récrie pas .
2. Acquis dans une autre existence .
- 86 -

55. Au moment du départ de son bien-aimé , tandis que tout


le monde lui fait mille souhaits , appliquant son visage de lotus à
la fenêtre de la chambre, les lèvres flétries par les soupirs, les
seins mouillés de torrents de larmes , la jeune belle, l'œil inquiet,
hélas ! hélas ! regarde le maître de sa vie .
56. Depuis le jour , ô mon amie ! où la volonté du sort a en-
traîné mon bien-aimé loin de mes yeux , je n'ai plus aucun goût
aux choses de ce monde ¹.
57. J'ai passé toute la nuit éveillée à m'entretenir avec mon
bien-aimé revenu d'un lointain pays ; je ne puis t'en dire davan-
tage, ô amie ! tais-toi , ta langue est de fer .
58. Quand verrai-je les yeux , pareils à des lotus bleus , de la
belle au regard de gazelle , qui tiendra ses prunelles immobiles
pour retenir des larmes prêtes à couler ?
59. Si je ne dois plus , ô Lakchmana , rencontrer sur le chemin
de mes yeux la belle aux yeux de gazelle , qu'ai-je à faire de
cette vie insipide et de ce monde stérile ? 2
60. Au moment d'entrer dans sa demeure, la compatissante
jeune fille se retournant sur les jeunes gens qui la suivaient et
souhaitaient d'elle la légère faveur d'un congé reçu de sa propre
bouche, laissa ses regards tomber sur eux dans le chemin , ainsi
qu'une guirlande de lotus .
61. Hélas ! égaré par le destin , j'ai commis une grande faute
en amenant Sîtâ dans ce bois . Sans moi pourra-t-elle y vivre,
la belle au visage brillant comme la lune ? Comment oserai-je
regarder en face les gens vertueux ? Que me diront-ils ? Périsse
ma dignité royale ! Je ne tiens plus à la vie.3
62. A l'approche de son bien-aimé revenant à l'aurore de la
demeure de sa rivale, une vive rougeur a coloré à l'instant le
coin des yeux de la belle , semblables à des lotus.
63. Son bien-aimé tombant à ses pieds, à cette place qui est
par excellence celle où s'implore un pardon , la vive rougeur des
yeux de la belle s'est éteinte.
64. En s'abreuvant de la beauté de Krichna, de cette beauté
qui bannit la constance des résolutions des femmes , la belle aux
yeux de gazelle a vu sa colère , bien que longtemps accrue par le
souvenir d'une offense , devenir un hôte prêt à partir à l'ins-
tant.

1. Littér. « le goût de mes organes pour l'accomplissement de leurs


fonctions est devenu languissant. »>
2. Plaintes de Râma. - 3. Id.
- 87 -

65. Je suis voyageur et j'ai grand'peur du roi (de l'Amour) ,


qui est mon ennemi ; ô jeune belle ! éloigne cette crainte en pra-
tiquant envers moi les devoirs de l'hospitalité.
66. Pour une femme dont le cœur est troublé par les tourments
de l'absence , le vent parfumé du mont Malaya est comme un
feu, un palais enrichi de pierreries devient à l'instant comme une
forêt; elle-même est comme un poisson hors de l'eau .
67. La jeune femme séparée de son bien-aimé a pris le suc
de l'aloès noir pour un poison violent , et une guirlande de lotus
bleus pour une nichée de serpents .
68. Egarée par un mauvais destin, je ne suis pas allée, ô
amie ! au rendez-vous convenu avec mon bien-aimé ; et mainte-
nant je ne sais ce que le roi Amour va faire pour m'en punir.
69. Le cœur troublé par les tourments de l'absence , et répé-
tant en gémissant : « Mon bien-aimé , Mon bien-aimé ! » la
jeune belle , alors que je suis arrivé en sa présence, me regarde
comme si elle ne me connaissait pas .
1
70. La lune perd son charme , Râkâ ¹ se flétrit, de tous côtés
les touffes de lotus semblent d'elles-mêmes se couvrir de souil-
lures , les espaces célestes resplendissent , et la foule de tes amis
est dans l'allégresse, ô belle aux membres d'or ! si tu laisses
s'épanouir dans toute sa beauté le lotus de ta bouche 2 .
71. Les vents soufflent, dévorants comme s'ils sortaient de la
gueule des serpents superbes cachés dans les arbres de sandal ;
les manguiers rouges brûlent les yeux ; ces Kokilas versent un
poison avec leur doux murmure; comment la jeune femme au
corps délicat comme la tige d'un jeune lotus pourrait - elle
sauver sa vie?
72. « La nuit est arrivée, remplissant de désirs le cœur des
belles aux yeux de gazelle ; comment maintenant mon orgueil
restera-t-il intact dans mon coeur? » Tandis que la belle aux
yeux de lotus réfléchissait ainsi , le disque de la lune apparut ,
brillant et pareil au parasol du roi Amour.
73. Sous l'empire du désir je niais la clarté du jour naissant,
et dans mon ardeur folâtre je lui fermais les yeux avec la main ;
mais lui , a reconnu le lever du soleil aux doux zéphirs qui répan-
daient des parfums dérobés aux étangs de lotus .
74. En me voyant de loin , l'œil de la belle au regard de gazelle
est d'abord demeuré fixe d'étonnement , puis , commençant à me

1. Le génie féminin de la nuit de la pleine lune .


2. En souriant.
- 88 -

reconnaître, il est devenu mobile , ensuite son éclat s'est accru


et a jeté des rayons de toutes parts; et quand d'un mouvement
rapide je fus arrivé au milieu de ses parents, sa prunelle trem-
blante a exprimé la pudeur .
75. Comment pourrais-je dépeindre les paroles de la belle aux
yeux de lotus , paroles semblables aux sucs abondants qui
dégouttent des raisins pressés, alors que je touche légèrement ses
deux joues dont le bord éprouve un frissonnement soudain ,
et qu'un sourire discret étale en bouquet avec tout leur éclat les
lotus de sa bouche.
76. Quand il s'est tant hâté de te faire roi , ô Lune¹ !
la vieillesse avait épuisé toutes les forces du créateur ; et voilà
qu'aujourd'hui l'Amour, nouveau créateur, va donner la royauté
sans partage du monde au visage de cette belle aux yeux de
lavandière affolée , dont l'éclat est constant et ne s'évanouit pas
périodiquement comme le tien.
77. Dès que la beauté ineffable de Krichna , cette beauté d'où
découle l'ambroisie, et qui a un charme magique pour attirer
tous les regards, leur est apparue , on voit aussitôt de profonds
soupirs s'échapper des lèvres des femmes de noble race, la pâleur
envahir leurs joues, la langueur s'emparer de leur âme.
78. Entendant par hasard célébrer la grandeur de Krichna
telle qu'elle éclatait au milieu des plus vénérables d'entre les
bergers, la belle de noble race , les joues enflammées et frémis-
santes raconte aussitôt avec une admiration enthousiaste la
danse du dieu sur la crète du roi des serpents qui vomit son
venin comme un réseau de flammes .
79. Tandis que la taille de la jeune belle encore dans l'enfance
s'amincit peu à peu, déjà par l'ordre du maître du monde, du
dieu d'Amour dont la venue est proche, son visage est devenu
semblable à la lune dans son plein , ses yeux aux lotus , et le sou-
rire qui tire obliquement le coin de sa bouche est vraiment
pareil à l'ambroisie.
80. Etendue sur une couche de Caivala et n'ayant, comme le
croissant de la lune nouvelle , gardé intact que l'éclat de sa
beauté, ce n'est que par de doux regards qu'elle peut faire fête à
son bien-aimé revenu auprès d'elle .
81. Cette vive fraîcheur d'une lèvre plus douce qu'un bour-
geon, cet éclat du visage qui l'emporte sur l'éclat de la lune , ce

1. Mot masculin en sanscrit.


2. Littér. « couvertes de sueur. »
89
corps sans égal de la belle aux beaux sourcils , ne révèlent pas la
main de celui qu'on appelle le Créateur¹ .
82. Dévoré du regret de ne pouvoir posséder Sîtâ , le maître de
Lanka tantôt hélas ! prononce des paroles sans suite , et tantôt
se renferme dans le silence; il porte sur toutes choses des regards
errants, et pousse de profonds soupirs ; toute la vigueur de ses
membres est abattue.
83. Le disque de la lune est levé ; aussitôt commencent les
pleurs des amants séparés de l'objet aimé, et la joie de l'Amour
dont les préceptes sont reçus de toutes les femmes avec les
mêmes égards qu'on montre à une pierre précieuse portée
sur le sommet de la tête.
84. A l'apparition du nuage chargé d'eau , le ciel a pris la
couleur sombre d'un corps frotté de collyre , le cœur du voya-
geur a ressenti le trouble de la passion ³ , et le bord de la joue
de la belle aux yeux de gazelle a pâli .
85. Vois cet étang incomparable, tout plein de lotus ! — Ami,
ne parle pas ainsi , ce sont des yeux de femmes , ils me
brûlent !
86. Tu ne renonces pas encore à ta colère, ô belle! et cepen-
dant voilà des nuages qui s'élèvent¹ . » A ces paroles du bien-
aimé s'efface la rougeur qui colorait le coin des yeux de la jeune
femme .
87. En voyant ton visage souriant , ô belle ! les abeilles qui le
prennent pour un lotus se réjouissent, et croyant au lever de la
lune, ô jeune fille aux yeux bruns ! les Tchakoras agitent long-
temps leurs becs ouverts.
88. Ce n'est pas là un sourire , mais un charmant épanouisse-
ment. Qui donne le nom de bouche à cette fleur d'où s'échappent
des parfums ? Ce ne sont pas là des seins, mais deux fruits dorés .
C'est là une liane charmante prête à recevoir la cour des essaims
d'abeilles, ce n'est pas une femme .
89. Laissant apparaître la couleur sombre du ciel à travers le
trou 5 qu'ont fait , en le déchirant par le milieu , des rois frappés

1. Tout cela contrarie l'ordre que celui-ci n'aurait pas manqué


d'établir.
2, Râvana.
3. Il y a ici une équivoque, le même mot signifiant à la fois « pas-
sionné » et « rouge. »
4. Voyez stance 84.
5. Ce prétendu trou est la figure de lièvre dont les Hindous font le
90

en face sur le champ de bataille , c'est le soleil qui se lève là ,


dévorant le disque de la terre de ses rayons brûlants comme des
charbons ; quelle est en ce monde la brute qui l'a pris pour
la lune?
90. Ce n'est pas de brun et de blanc que sont faits les yeux de
la femme; mais bien de poison et d'ambroisie ; sinon , pourquoi
les jeunes gens, quand ces yeux se baissent sur eux , sont-ils à
la fois au comble de l'égarement et de la joie?
91. Cet objet sur lequel brille une abeille, ou peut-être une
gazelle , ou peut-être un œil , est- ce un lotus, est-ce la lune¹ , ou
bien encore le visage d'une belle ?
92. Tu es Ràkà 2 , je n'en puis douter, ô belle ! toi qui portes
des perles éparses comme ses rares constellations , dont le vête-
ment blanc répond à la splendeur du clair de lune , et dont le
visage est la lune elle-même dans son plein.
93. Sa beauté est l'onde, ses yeux sont les poissons frétil-
lants , son nombril est le tourbillon , les tresses de ses cheveux
sont les serpents : cette jeune fille est une rivière dangereuse
où se noient les sages.
94. Sur le lotus de ton visage , ô jeune fille , unissant leur éclat
à celui de tes lèvres d'un rouge vif, tes dents brillantes et ali-
gnées resplendissent comme des étamines .
95. O ma bien-aimée , sous l'apparence de dents éclatantes , ce
sont des étamines qui brillent dans la fleur de ta bouche; et
sous ce déguisement de boucles de cheveux se cachent des
abeilles avides des sucs de cette fleur.
96. Grâce à cette belle aux yeux de jeune gazelle , pareille 3
l'Apsaras Tilottamâ , ce monde des hommes est devenu pour
moi semblable au monde des Dieux .
97. En voyant, ô belle aux yeux de lotus ! ton visage orné
d'une tache de musc qui fait sur ton front l'effet de la tache de la
lune, laissant voir dans leur joie les délicates attaches de leurs
ailes qu'ils enflent, les Tchakoras agitent longtemps leurs
becs entr'ouverts.

signe distinctif de la lune et que l'amant séparé de sa maîtresse , sen-


tant plus vivement ses peines au lever de cet astre, refuse de recon-
naître . Sur la légende à laquelle il est fait allusion , voir les Notes à la
fin du volume.
1. La lune est ici désignée par un mot signifiant : qui a pour signe
(non plus un lièvre, mais) une gazelle .
2. Voir st. 70.
3. Littér. « qui s'assimile elle-mème » .
94 -

98. Comme le lotus sous les frimas , comme le disque de la


lune pendant le jour, ton visage , ô jeune fille ! perd tout son éclat
sous l'empire de la colère .
99. A la vue de ce visage aux yeux mobiles , semblable à un
lotus où voltigent des abeilles , qu'adviendra -t-il de la colère de
l'Amour?
100. Le Créateur , il faut le dire, agit sans discernement , lui
qui de moi, dont le cœur endurci est pareil à la foudre d'Indra ,
a fait l'ami de cette belle dont tout le corps n'est qu'ambroisie¹ .
101. Ton visage , ô jeune fille, marqué au front d'un signe
noir, ressemble à un lotus épanoui dans lequel s'est endormie
une abeille 2 .
102. Pourquoi te réjouir , ô Lune ! dans la pensée que ton éclat
est sans pareil ? Insensée , qui donc a passé en revue la terre tout
entière 3 ?
103. Enveloppé dans un voile sombre, le visage de la belle aux
yeux de gazelle brille comme la lune réfléchie dans les eaux
profondes de la Yamounâ .
104. Tombant de ta joue sur le globe de ton sein , cette tresse
ondoyante ressemble à un serpent qui, attaché au disque de la
lune, pendrait sur le mont Mérou .
105. Si tu ressembles tant , ô belle qui fléchis sous le poids de
tes seins ! à une liane qui plie sous les bouquets de fleurs , avec
ses bourgeons, ô belle orgueilleuse dont les lèvres brillent d'un
rouge vif! la liane aussi te ressemble .
106. Ce bois , retraite charmante où les lianes plient sous les
bouquets de fleurs , mériterait hélas ! d'attirer nos pas , si un tel
spectacle ne livrait nos cœurs à ces jeunes femmes courbées sous
le poids de leurs seins , dont il évoque le souvenir.
107. Comblée de joie par mon retour , et après une veille de
toute une nuit, son sommeil , le matin , n'a pu être interrompu
par les abeilles qui venaient, attirées par les parfums de sa
bouche, lui sonner le réveil.
108. Grâce au pouvoir de l'ennemi de Cambara , célèbre
dans le monde par une puissance que l'esprit ne peut compren-

1. Ces paroles sont mises par le Scoliaste dans la bouche de Råma.


2. L'abeille noire.
3. Pour savoir s'il n'est pas une femme (ma bien- aimée) dont l'éclat
est pareil au tien.
4. L'Amour.
92 -

dre , ton visage, ô belle ! devient pareil à la lune, et tes yeux aux
pétales du lotus .
109. Ses yeux mobiles sont les poissons, ses mains et ses
pieds les lotus épanouis, ses cheveux les herbes aquatiques : la
belle est un étang plein d'eau (plein d'amour) .¹
110. O voyageur ! faible esprit ! pourquoi te laisser ainsi brûler
par l'ardeur du soleil (de l'Amour) ? Appelle de tes vœux le
nuage (le sein de la bien-aimée 2) pour obtenir le soulagement
de tes maux .
111. En la voyant si svelte, et illuminant de son éclat tous
ceux qui l'approchent , on se demande si c'est un éclair ou un
clair de lune .
112. A la vue de cette belle un doute s'élève : Qui brille ainsi?
Est-ce une liane couverte de bourgeons , ou un étang plein de
lotus épanouis ? Car son visage est souriant comme ceux-ci, et
ses mains et ses pieds sont brillants comme ceux-là.
113. En voyant le visage, si charmant au regard , de la
belle , chacun se demande aussitôt si c'est un lotus ou la face de
la lune .
114. En voyant Rama dans les bras de sa bien-aimée qu'em-
bellit un éclat pareil à celui de l'or liquide, croyant à l'appari-
tion d'un nuage sillonné d'éclairs , les jeunes Tchâtakas ont
sauté de joie dans la forêt.
115. Tout le monde l'appelle « femme » ; soit ! Mais mon avis
à moi est qu'il faut l'appeler « la pénitence des jeunes gens par-
venue à sa maturité 3.
116. A la vue de la belle au visage souriant, les Tchakoras et
les abeilles ont été remplis de joie.*
117. Pour peu que l'éclat de ton sourire apparaisse , ô jeune
fille ! sur ton visage de lotus , le monde, j'en suis sûr, est aussitôt
vaincu par l'Amour.
118. A demi plongés dans les eaux abondantes de la Yamounâ ,
et jetant des cris perçants, ces hérons sont , je suppose , les petits
de la Lune 5 qui gémissent , engloutis par l'Obscurité , leur
ennemie.

1. Jeu de mots. - 2. Id .
3. C'est-à-dire qu'elle est la récompense des mérites religieux acquis
par les austérités dans une vie antérieure.
4. Ils prennent ce visage, les uns pour un clair de lune , les autres
pour un lotus.
5. Les différents croissants de la lune comprenant chacun un seizième
de sa surface .
93 -

119. C'est le plaisir d'être l'un près de l'autre qui a enflé les
seins de la belle, et c'est, je pense , par jalousie de leur prospérité
que sa taille s'amincit à l'excès .
120. O belle ! sous la forme de ta chevelure, c'est sans doute
l'Obscurité profonde qui cause à ta vue l'égarement des hommes ;
elle n'a cet éclat charmant et sombre que parce qu'elle est sous-
traite aux rayons de la lune de ton visage.
121. Jour et nuit plongés dans l'eau jusqu'à la gorge et adres-
sant leurs hommages au soleil, est-ce que ces lotus font pénitence
pour devenir les seins d'une belle aux longs cils ?
122. Sur ton cœur , vase où brûle le feu des tourments de
l'absence, ô belle ! comme pour mériter la joie d'être pressé par
le bien- aimé dont tu es séparée , ce collier de perles fait
pénitence .
123. Le Dieu né du lotus qui a créé ton visage, ce trésor de
beauté, était sans doute en proie à un profond égarement quand,
pareil à un insensé , lui d'ordinaire si sage, il a, sans songer à
toi et sans raison aucune , donné la royauté du monde à cette
misérable lune qui perd tous les mois son éclat .
124. Prenant pour corps le rubis qui brille entre tes seins , et se
montrant ainsi au grand jour, c'est sans doute ton âme enamou-
rée ( rouge 2) , ô belle ! qui regarde ton bien-aimé.
125. Remplissant abondamment le monde de ses rayons faits
d'ambroisie , sous l'apparence de cette belle aux yeux de jeune
gazelle , est- ce la lune qui se lève?
126. Si jamais les ténèbres, la lune d'automne et le clair de
lune s'unissent au lotus, à des bourgeons de plantes et aux bou-
tons du Tchampaka 3 , alors nous comparerons le visage de la
belle à un seizième de ce mélange.4
127. « O ma bien-aimée ! renonce à ta colère . » A ces mots
prononcés avec passion par son bien-aimé , un torrent de larmes
s'échappa des yeux de la belle, et l'orgueil sortit de son cœur .
128. C'est parce qu'elle a appris le sacre prochain de l'ennemi5

1. Brahmâ.
2. Jeu de mots .
3. Arbre à fleurs jaunes.
4. Allusion au croissant de la lune qui ne comprend qu'un seizième
de sa superficie et qui est pour les Hindous la forme la plus charmante
de cet astre. Les objets énumérés correspondent dans l'ordre aux che-
veux, au visage, aux yeux, aux prunelles , aux lèvres de la femme, et
enfin à la couleur jaune de la pâte de sandal dont elle se couvre.
5. L'Amour.
94

de l'Asoura Çambara, que la lune semble faire à la terre une


onction d'ambroisie .
129. En voyant le visage de la belle aux yeux de jeune gazelle
entouré de boucles mobiles , je me rappelle le lotus avec son
essaim d'abeilles voltigeantes .
130. Comme elle marchait avec ses parents , pour avoir tourné
le cou et regardé derrière elle , avec un sourire sur son visage
de lotus, elle a dépeuplé le monde ' .
131. Que les yeux des lavandières jouissent des divers avan-
tages capables d'inspirer à ces oiseaux un orgueil qui
se trahit dans leurs attitudes 2 ! Mais comment le visage bril-
lant de la belle peut-il être comparé au lotus dont l'éclat est si
passager?
132. La racine du lotus , un doux vent, le sandal, la racine
de l'Oucîra ³ , le Çaivala , le lotus , ne procurent à ceux dont l'es-
prit est égaré par les tourments de l'absence , aucune sensa-
tion de fraîcheur .
133. Gloire au soleil, lorsque le matin , brillant de rouges
lueurs , il fait épanouir en le touchant de ses rayons l'étang dont
les lotus étaient fermés ! (Vive l'amant pareil au soleil , lors-
que le matin, brûlant de passion , il éveille en la touchant de la
main la belle qui s'était endormie la bouche close , en signe de
colère 4. )
134. Bien qu'elle fût tombée à mes pieds, et eût cherché à me
retenir par de douces paroles , je m'étais levé dans ma colère
pour partir et m'éloigner d'elle ; la folâtre enfant alors , faisant
vite du doigt un signe auquel obéit le jeune chat compagnon de
ses jeux, m'interdit le passage .
135. Grâce à l'ambroisie que répand de tous côtés ton visage,
ô jeune femme ! la puissance de l'arc de l'Amour s'exerce sans
entrave, et le tourment des yeux s'évanouit pour les hommes
avec les ténèbres qui en étaient la cause : à quoi bon cette
lune blanche qui se lève tous les jours ?
136. Déchirant sans le secours du glaive les cœurs des jeunes
gens, de ceux même qui avaient la sagesse en partage , vivent les

1. En faisant mourir d'amour tous les hommes (! ).


2. A cause de la ressemblance de ces yeux avec ceux de la femme.
3. Racine odorante.
4. Jeux de mots.
5. Le chat lui barra le chemin.
6. Ce sont là les effets ordinaires du lever de la lune.
95

belles aux grands yeux pareils aux pétales du lotus bleu , dont
les jeux charmants sont pleins d'une puissante magie !
137. Depuis que pour cette belle au visage pareil à la lune ,
l'astre de la jeunesse s'est levé , apportant avec lui les jeux char-
mants, depuis ce jour, sans qu'il soit besoin d'autre feu , les
cœurs des jeunes gens se consument .
138. Elle ne sait ni plonger ses regards dans ceux du
bien-aimé, ni causer avec le sourire aux lèvres , et quand tu
prends la parole , elle fronce le sourcil » : en représentant ainsi au
bien-aimé la conduite de sa rivale , elle a refroidi la passion qu'il
ressentait pour elle-même.¹
139. Grandie dans le même lieu que le feu sous-marin et le
poison Kalakoûta , en compagnie des monstres de la mer et des
serpents d'eau, comment la lune ne serait-elle pas une cause de
mort pour les hommes 2.
140. Par les mérites religieux on obtient une femme aimable ,
par la femme de bons fils, parfaitement purs ; les fils donnent
une gloire grande et durable , la gloire donne à l'homme le monde
éternel du ciel.
141. Un maître (un roi) même, quand il consent à demander,
tombera aussitôt dans le mépris , ô belle ! puisque moi , ton
maître (ton époux) , implorant un baiser de tes lèvres , je t'ai
vue aussitôt me tourner le visage et m'ôter l'espérance .
142. L'amour seul a été témoin du plaisir secret que tu as
goûté sous le berceau de feuillage, au bord de l'étang, d'où tu
rapportais rapidement un vase plein d'eau .
143. Comme toi , mon bien-aimé voyage et chasse ses soucis
dans les arbres de la route; et je vis encore , ô voyageur ! Que
pourrais-je souhaiter de mieux ?
144. Pourquoi es-tu si maigre, ô belle à la taille fine ? - Pour-
quoi t'occuper des affaires des autres ? - Dis-le-moi cependant
pour m'ètre agréable . - O voyageur, ta femme te le dira.
145. Ne conçois pas un trop grand orgueil, ô belle dont les
membres sont jaunis de sandal ! parce que tu ne vois pas ta
pareille : au fond des forêts brille , chargée de fruits , plus d'une
liane qui te ressemble .
146. Ton visage brille d'un vif éclat , les deux lotus de tes
yeux sont épanouis . O amie ! est-ce que quelque part un nuage

1. Il interprète comme des marques de pudeur toutes les fautes


qu'elle croit avoir relevées chez sa rivale .
2. Pour les amants dont son lever ravive les peines .
- 96 -
sombre, enveloppant le monde de ses vapeurs , aurait porté des
fruits¹ ?
147. Après avoir jusqu'au soir respectueusement honoré le
soleil par la pénitence qu'il fait dans ces ondes, maintenant le
lotus ressemble un peu à ton visage, ô belle orgueilleuse ! 2.
148. O belle à la taille fine ! si ton visage ébauche seulement
un doux sourire, sache bien qu'à l'instant l'époux 3 de Râkâ sera
déchu de sa royauté universelle .
149. Souriant doucement , murmurant quelques mots qu'il
s'adresse à lui-même, et voyant les trois mondes colorés comme
le lotus rouge , l'homme ivre laisse flotter son regard sans plus
distinguer rien.
150. O belle ! applique sur ma bouche ta lèvre humide de
liqueur, prends avec ta main ma main pareille à un lotus , je
tombe, hélas ! sur le sol 4 .
151. Arrivé à grand'peine , et à l'aide de cent expédients , au
faîte du palais , oh ! l'homme heureux ! il éveille et il embrasse en
soupirant, l'épouse du roi , couchée dans un lieu secret sur un
lit de fleurs blanc comme l'écume de l'ambroisie, la belle à la
taille fine dont les yeux tremblent et dont le visage sourit .
152. Arrivées de tous côtés au bord des étangs où croît le
lotus , les abeilles bourdonnent doucement , s'approchent , vont et
viennent sans cesse .
153. A mesure que, plein d'amour , j'ai joui des charmes de la
belle aux yeux de lotus , elle m'a détourné de tous les autres
objets et m'a attaché à un seul, comme l'enseignement de la
vérité nous fait trouver toute notre joie en Brahma .
154. La maison où l'on ne voit pas une épouse aux yeux de
gazelle , fût-elle d'ailleurs comblée de tous les biens , est une forêt.
155. Quand la belle dont les yeux pareils à des lotus , s'agi-
tant sous les boucles mobiles de sa chevelure, subjuguent dans
leurs jeux les yeux de tous les hommes , se rend au déclin du jour
dans la demeure de son bien-aimé, quel est celui dont ses manières
ne ravissent pas le cœur?

1. Voir les Notes à la fin du volume.


2. C'est-à-dire qu'il se referme, de même que la beauté orgueilleuse
s'interdit le sourire.
3. La Lune.
4. Il y a ici une imitation puérile du langage balbutiant de l'homme
ivre. Il faut mettre aussi sur le compte de l'ivresse l'application qu'il
fait à sa propre main d'une comparaison réservée d'ordinaire à celle de
la femme.
97

- 156. Comment le sage par excellence, après avoir fait ce


visage de la belle aux yeux de gazelle, brillant de l'éclat des
dents , dérobant aux lotus leur splendeur, et tout pétri d'am-
broisie, comment le créateur ne rejette-t-il pas comme une super-
fétation le disque de la lune?
157. Pleines de compassion , d'amour , d'adresse ou d'une
froideur que la pudeur commande , ah ! toutes les façons de la
belle ravissent le cœur.
158. Ses cheveux sont pareils à de jeunes serpents , les coins
de ses yeux ont des passe-temps semblables à ceux des flèches
empennées; elle est elle-même pareille à l'éclair qui réduit tout
en cendres ; comment serait - elle en ce monde une cause de
joie ?
159. Il y avait dans ta voix tant de douceur , dans ton tendre
cœur une compassion si profonde; pourquoi donc aujourd'hui , ô
belle aux yeux de gazelle ! voit-on toutes tes qualités changées ?
160. Ton visage étale orgueilleusement une splendeur qui
charme sans cesse les regards ; comment pourrions-nous com-
parer même à une partie de ce visage le lotus qui ne s'épanouit
que la nuit ?
161. C'est elle dont les membres charmants dérobent aux
fleurs leur éclat , et c'est moi , innocent de ce larcin, que le
dieu qui prend des fleurs pour ses flèches frappe à coups
redoublés et prive de la vie !
162. Elle souffre en marchant le long du chemin, car ses pieds
délicats ne peuvent porter le poids de ses hanches ; et moi je
souffre aussi hélas ! du trouble profond où me jette un tel
spectacle .
163. Au moment où Krichna se dispose à quitter Mathourâ,
les vachères , supportant péniblement le fardeau de la vie, ne
voient plus dans la pleine lune que le feu de la destruction uni-
verselle , et dans l'espace limité de leur demeure qu'un océan
sans fond.
164. Arrivé dans sa chambre, et après avoir de mes gestes
écarté doucement ses amies, j'éventais moi-même pendant son
sommeil la belle orgueilleuse ; me reconnaissant alors , mais simu-
lant l'ignorance et feignant de tenir ses yeux fermés : « Amie ,
je suis fatiguée , dit-elle , et en même temps elle attira ma main
sur sa poitrine .
165. La démarche de la belle aux yeux de jeune gazelle s'est

1. L'Amour.
7
- 98

allanguie en même temps que se terminait son enfance; ses


lèvres se sont colorées en même temps que son cœur s'est ému¹;
ses hanches superbes ont pris leur ampleur en même temps que
l'amour a grandi dans son âme.
166. « Son souffle est imperceptible 2 , ses membres sont gla-
cés , son regard est fixe » : cesse, ô mon cher, ce discours que tu
me tiens sur elle ; parle un autre langage³ .
167. La main de Râma , quand il la mit tremblante et baignée
de sueur dans la main de Sîtâ, avait l'éclat du lotus qui fleurit
le matin et qu'agite un grand vent accompagné d'une fraîche pluie.
168. Ta lèvre, ô jeune femme, surpasse infiniment en douceur
l'arbre Vidrouma¹ , bien qu'il soit rouge aussi , et les plus tendres
bourgeons .
169. Cette guirlande de gouttes de sueur , signe de la fatigue.
qui suit le plaisir , plus pure qu'un collier de pierres fines , et ce
front de la belle, brillant comme l'or, se renvoient réciproque-
ment leur éclat .
170. Effrayée par les regards d'un autre homme tombés sur
elle comme la foudre , Sîtâ s'est réfugiée dans le sein de son bien-
aimé, et lui, reculant devant toute autre femme comme devant
un serpent , s'est hâté aussi de chercher un refuge sur le cœur
de Sîtâ .
171. Après avoir surpassé sans peine les fruits du citronnier,
après avoir effacé l'éclat de deux vases d'or charmants, mainte-
nant, ô belle aux yeux de lotus bleu ! tes seins rivalisent avec
une montagne d'or .
172. Si tu achètes la vie des hommes au prix de ton corps, ô
toi dont les membres sont d'or, le marché est équitable , mais
non si tu ne les paies qu'avec le coin de tes yeux de lotus.
173. Ton nez se félicitait de son voisinage avec les dents dont
l'éclat efface celui des pierres fines; et maintenant , il semble que
dans sa colère cette perle 5 veuille l'abaisser pour satisfaire sa
vengeance 6.

1. Jeu de mots.
2. Littér. « ne peut être reconnu que par le raisonnement. »
3. Ces paroles sont mises dans la bouche d'un voyageur auquel un
messager dépeint l'état de langueur où son absence laisse sa maîtresse.
4. Le corail.
5. Il s'agit de la perle ou du petit chapelet de perles que les femmes
Hindoues suspendent à leur narine.
6. Elle veut se venger des dents dont l'éclat a effacé le sien, et s'at
taque à leur allié ( ! ) .
99 .-
174. Son visage orné d'une perle fixée à l'extrémité du nez
brille comme le disque de la pleine lune au moment du phéno-
mène de sa conjonction avec Mercure .
175. En contemplant sans cesse la couleur jaune de tes mem-
bres, ne t'enorgueillis pas trop vite, ô folle enfant ! mais vois que
dans bien des maisons roulent des tas d'or qui ont la même
couleur.
176. Cette comparaison de tes seins avec les bosses du front
des éléphants , œuvre des poètes à l'imagination sans frein, com-
ment peux-tu l'entendre avec plaisir, ô amie ! Certes ! les femmes
comprennent bien mal l'intérêt de leur gloire !
177. Rebuté , au moment où il l'embrassait, par la belle
irritée, le bien-aimé s'était endormi en détournant la tête : « Est-
il donc si affligé ? » se dit-elle , et pressée par la crainte , elle le
saisit et le tint longtemps embrassé .
178. Pendant que les vachères contemplent Vichnou en voi-
lant du bord de leur vêtement leur visage pareil à la lune, le
tremblement de leurs membres , causé par l'amour, a tout à coup
fait tomber leur ceinture.
179. La blancheur des dents , bien que cachée par les lèvres
rouges qui les recouvrent, a triomphé quand elle a trouvé un
allié dans le blanc sourire de la belle aux longs cils .
180. Dis-nous, ô belle aux yeux de gazelle ! à quel signe nous
pourrons reconnaître la présence du bétel¹ dans ta bouche , aux
dents pareilles à des pierres fines ? Car cette bouche a naturelle-
ment les parfums qu'exhale le cœur du lotus et des lèvres plus
rouges que le fruit nommé Bimba .
181. Couchée auprès de son époux, mais ne pouvant, hélas !
satisfaire ses désirs, retenue qu'elle est par la pudeur , la
bien-aimée contemple, en fermant à demi les yeux , le visage de
lotus de son bien-aimé .
182. Gloire aux regards cruels que la belle me jette dans sa
colère, au moment où j'implore un baiser de ses lèvres , tandis
que les abeilles , avides de parfums , s'abattent sur le lotus de sa
bouche !

1. Les Hindous mâchent du bétel pour se parfumer la bouche et se


rougir les lèvres.
LIVRE III .

1. Maintenant que le destin, hélas ! m'est devenu contraire ,


et que la perle des amies est partie au ciel , à qui , ô mon âme!
conteras-tu ta misère ? Qui calmera tes peines avec des paroles
de consolation ?
2. T'approchant tout à coup d'un air modeste, pourquoi ne
viens-tu pas , aujourd'hui comme autrefois, ô belle ! me rafraîchir
un peu, hélas ! avec tes sourires , compagnons de l'amour , tes
regards charmants et tes douces paroles .
3. Tous les objets ont pris le chemin de l'oubli ; la science elle-
même, que j'avais acquise à grand' peine, s'est effacée; elle seule ,
la belle aux yeux de jeune gazelle, comme ma divinité protectrice,
ne sort pas de mon cœur .
4. En entrant précipitamment dans cet état de félicité qu'on
appelle le Nirvâna , ô toi , pleine de pitié autrefois ! tu t'es sans
doute affranchie même de cette pitié, puisque tu ne me regardes
plus , ô belle ! de ce coup d'œil oblique qui s'enorgueillissait
d'humilier la fierté du lotus bleu , du lotus du matin.
5. « Toi qui, à notre mariage, pour monter sur une pierre, as
pris ma main par crainte de trébucher , comment aujourd'hui, ô
belle ! peux -tu sans moi monter au ciel ? » Telle est la pensée qui
vient sans cesse tourmenter mon cœur .
6. Sans défauts et riche de qualités , pleine d'amour et de
sentiment (comme mon talent poétique de Rasas et de Bhâvas ¹),
d'ornements (comme lui de figures) , féconde en paroles (comme
lui en groupes de lettres) agréables à l'oreille, de même que
ce talent ne m'abandonne jamais , jamais cette femme char-
mante ne sort de ma pensée .
7. L'inquiétude jalouse des lotus s'est entièrement apaisée, le
disque de la lune a retrouvé un éclat incomparable , et les Kokilas

1. Termes de rhétorique . L'auteur joue sur ces mots et sur les


suivants.
- 101 -

ont repris avec succès leur doux chant, depuis que tu es partie
d'ici, ô toi qui m'étais plus chère que la vie !
8. Après m'avoir donné pendant quelques jours un bonheur
inespéré, pareil à celui du grand Indra, mais court comme l'appa-
rition de l'éclair , tu t'es échappée de mes mains, me laissant déchu
de mon heureux sort, comme la fortune s'éloigne du royaume
d'un prince qui est privé de conseils .
9. O belle est-ce sous l'empire d'une colère provoquée par
quelque badinage, que tu m'as abandonné soudain, toi fidèle
cependant à ton époux, pour te réfugier dans la lointaine demeure
des belles délivrées (pour t'en aller bien loin du gynécée 2) .
10. Autrefois tes jeux qui avaient la saveur du suc de l'am-
broisie se transformaient en poésie dans ma pensée ; sans eux
maintenant, dis-moi , toi que rendait si charmante l'humeur
folâtre de la femme, comment resterai-je un bon poète, capable
de ravir les cœurs?
11. La pleine lune , sur toute cette terre qu'illuminait l'éclat
de ton doux sourire , ne suggérait aux poètes que l'idée de sa
propre inutilité ; maintenant que tu t'es évanouie , ô belle à l'œil
timide ! elle est au comble de la splendeur .
12. Celle qui, m'arrosant de nectar avec son doux sourire ,
me rendait un culte perpétuel avec ses yeux épanouis , pareils à
des lotus , ma divinité domestique portant toujours le bonheur
avec elle , la reine de l'amour , ma bien-aimée enfin ne sort pas de
mon cœur .
13. Moi que pendant ton séjour sur la terre tu as transporté
au ciel en m'appelant des noms d'amant, de maître, de bien-
aimé, comment peux-tu maintenant , ô belle aux yeux de jeune
gazelle ! en montant au ciel , me rejeter ainsi dans la poussière du
sol ?
14. Une beauté éclatante , une vertu sans égale, une modestie
comme il n'en est pas au monde , une prudence féconde en profits ,
toutes ces qualités , hélas , hélas ! comment as-tu pu les laisser
sans refuge³ ainsi que moi-même, ô belle ! pour monter au plus
haut du ciel?
15. C'est, je n'en doute pas , dans le trouble de la colère , ô
belle aux yeux de lotus ! que le feu t'a brûlée , toi qui sans cesse

1. Littér. « toi dont les cuisses étaient pareilles à la trompe de


l'éléphant. »
2. Jeu de mots.
3. Elle était le dernier refuge de ces qualités.
- 102

et en tous lieux humiliais ses flammes par ton éclat plus brillant
que celui de l'or et par ta pureté suprême, et qui ravissais les
cœurs .
16. Dissipant la douleur des yeux comme un collyre de cam-
phre, et, comme une guirlande de lotus épanouis , source unique
de plaisir pour le cou qu'elle tenait embrassé , excitant comme
la poésie l'admiration de l'esprit, charmante et ayant droit aux
respects de toutes les femmes, elle brillait comme une immor-
telle .
17. Toi qui , même dans ton sommeil , ô beauté cruelle ! n'as
jamais regardé avec désir un autre homme que ton époux, com-
ment, dis-moi , as-tu pu maintenant partir, hélas ! pour aller
trouver l'Etre Suprême (un homme étranger¹ ) , dépourvu de
qualités ?
18. Elle que je voyais il n'y a qu'un instant sur sa couche,
tout entière à la pensée des qualités de son bien -aimé, mainte-
nant hélas ! la belle à la taille fine , quand je lui parle , n'entend
plus ma voix .
19. Quel est celui qui ne louerait volontiers son parler qui
répandait une pluie de nectar, ses formes qui méritaient d'être
célébrées par les plus grands poètes, enfin ce chef-d'œuvre incom-
parable tout imprégné de pathétique ?

1. Jeux de mots , de même que sur les mots suivants : l'Être Suprême
est exempt des qualités de bonté, de passion, et d'obscurité, qui appartien-
nent à l'âme incorporée .
LIVRE IV .

1. Que mon esprit , troublé par les torrents de flammes de


l'incendie qui embrasse comme un anneau la vaste forêt des sens ,
boive à longs traits comme le Tchakora les rayons du visage de
Vichnou, pareil à la lune, de ce visage qui réunit mille beautés,
et qui est le séjour de toutes les douceurs !
2. O toi qui es comme l'asile des yeux de lotus de Lakchmî,
sans cesse fixés sur toi , je t'en supplie, de tes regards qui
charment les trois mondes, et qui humilient l'orgueil du lotus
du matin , fier de sa haute dignité, rafraîchis-moi , brisé que je suis
par l'oppression violente d'une fièvre plus brûlante que le feu .
3. Puisse certain nuage¹ miséricordieux, dont le souvenir
seul soulage l'ardeur qui dévore les hommes , qu'entourent ,
comme des éclairs , des centaines de bergères dont le corps est
doué d'un éclat impérissable, et qui ne se suspend qu'aux arbres
des Dieux , sur la rive de la Yamounâ, puisse ce nuage enve-
lopper toute ma pensée !
4. Que l'arbre Tamala (Krichna) me délivre bien vite de
toutes mes peines, lui qui embellit l'intérieur du bois situé sur la
rive de la Yamounâ, lui qui toujours sur le chemin (dans ce
monde de la transmigration ) soulage les êtres de la fatigue
accablante des renaissances , lui qu'entourent cent rangs de
lianes (de bergères) et qui brille d'un doux éclat !
5. Pénétrant tout le réseau du monde d'une ambroisie nou-
velle faite du clair de lune, et apaisant aussitôt le triple³ tour-
ment des hommes, puisse le nuage nouveau qui flotte sur le bois
de Vrindas 4 , et que tous les immortels entourent en s'inclinant,
dissiper l'obscurité de mon âme!

1. Le nuage désigne allégoriquement Krichna, à cause de sa couleur


noire.
2. Arbre dont l'écorce est noire.
3. Sur les trois peines cf. Sankhya-Kârikâ, vers 2.
4. Basilic sacré.
404
6. Puisse le héros des Yâdavas mettre fin à ma peine , comme
un nuage, dans la saison des pluies, soulage celui dont le corps est
brûlé par les torrents de flammes terribles que répandait le
disque du soleil d'été !
7. Fatigué pour avoir erré sans repos ni trève , insensé que
j'étais ! dans ce monde sans fin de la transmigration, sur la route
malaisée de la forêt des choses , puisse Vichnou , pareil à un jeune
arbre Tamâla, apaiser toutes mes souffrances sur cette rive de
la Yamounâ qui est son séjour!
8. Voluptueusement embrassé par Lakchmî, et pareil ainsi à
l'arbre Tamâla auquel s'enlace la liane Priyangou , puisse le
dieu bienheureux qui a pour nombril un lotus être présent²
dans mon cœur au moment de ma mort!
9. Puisse certain nuage qui fait les délices des yeux dissiper
bien vite mes tourments !
10. Les préceptes que tu m'as donnés , Seigneur ! d'une voix
pure et douce comme l'ambroisie, moi , homme sans pudeur et
dominé par l'égoïsme , je ne les suis pas , même en rêve; et ainsi
souillé de cent fautes tu me ramènes encore parmi les tiens ! Non,
il n'y a pas de trésor de miséricorde pareil à toi , ô roi des
Yadavas ! ni de fou tel que moi !
11. Descends dans les enfers, va dans la ville des Dieux , ou
monte au sommet du mont Mérou , traverse l'un après l'autre
les sept océans ; tes désirs cependant ne seront pas apaisės : si ,
accablé par les tourments de l'âme et du corps , tu désires pour
toi-même un repos éternel, goûte le remède renfermé dans ces
deux mots « Vénérable Krichna » ; pourquoi tant d'efforts
inutiles?
12. Tu montres de la bienveillance à la courtisane , à Adjâ-
mila, et à bien d'autres êtres dégradés ; il est donc impossible,
ô toi qui n'es que miséricorde ! que tu me dédaignes dans ce
désert du monde où je languis comme dans un fossé.
13. Debout sur le bord du Gange, ayant posé un sceau sur
mes yeux et aussitôt écarté les objets des sens , puis enfin dissipé
les ténèbres de mon esprit , quand pourrai-je me dissoudre dans
l'âme ineffable de Krichna , trésor de douceur , dont l'éclat est
pareil à celui d'un nuage nouveau dans le mois de Nabhasya ³ ?
14. Tu as savouré les sucs du raisin et de la canne, tu as bu

1. Vichnou.
2. Littér. « briller. »>
3. C'est un mois de la saison des pluies .
- 405

le lait à longs traits ; habitante du ciel, tu as goûté même l'am-


broisie, et tu as plus d'une fois blessé de morsures amoureuses
la lèvre de Rambhâ¹ ; dis donc la vérité, ô mon âme ! Dans ce
monde de la transmigration où tu as si longtemps erré, as-tu
jamais connu un excès de douceur pareil à celui de ces deux syl-
labes « Krichna » ?
15. Gloire aux deux syllabes « Krichna » qui sont pour les
péchés ce que la foudre est pour les montagnes , pour la transmi-
gration ce qu'un remède efficace est pour une maladie terrible ,
pour l'erreur ce que le lever du soleil est pour les ténèbres pro-
fondes de la nuit , pour les douleurs ce qu'est pour les arbres un
feu horrible , aux flammes immenses et échevelées , pour le bon-
heur suprême ce qu'une porte est pour une maison !
16. O ma pensée , je te donne ce conseil salutaire : ne fais pas
ton ami de certain berger 3 qui , pareil à un nuage nouveau,
conduit son troupeau de vaches dans le bois de Vrindâs : il t'éga-
rerait par ses sourires qui répandent leur charme comme une
ambroisie, et il t'anéantirait bientôt ainsi que les objets des sens ,
tes favoris, en me réunissant à lui.
17. O langue, si vraiment tu es langue 4 , goûte ce nom de
Krichna, nom qui médité dans le cœur procure une satisfaction
suprême, inexprimable , qui prononcé dans la gorge , dissipe
entièrement l'amas des ténèbres intérieures, nom qui distille l'am-
broisie, et auquel rendent hommage le raisin et mille autres
sucs qui s'avouent vaincus par lui.
18. Il y a en ce monde bien des oiseaux charmants , mais je
préfère à tous les autres les Tchâtakas qui , dès leur naissance ,
pensant à leur ami le nuage, ont dans leur esprit un Brahma
qui a pour nom Krichna 7 .
19. Ce Vichnou dont l'éclat, en pénétrant tout , illumine le
monde entier, et qui est l'objet caché de toute perception du Moi, 8

1. Nom d'une Apsaras.


2. Ma conscience individuelle.
3. Krichna.
4. Le second mot employé pour « langue » signifie : « qui connaît les
sucs ».
5. Littéralement « plongé ».
6. Littéralement « attaché à » .
7. Krichna toujours comparé au nuage , et identifié avec l'âme suprême
Brahma .
8. Parce que Je suis en réalité Brahma, ou Vichnou qui est ici iden-
tifié à Brahma. C'est l'idée vėdantique .
106

les hommes s'adressent à leur voisin pour le connaître , révélant


ainsi les souillures de leur cœur : qui donc hélas ! pourra dépein-
dre leur folie !
20. Si tu veux faire ta cour à quelqu'un , ô mon âme ! fais-la à
1
l'époux ¹ de Lakchmî; si tu veux méditer , médite sur le Dieu qui
a pour arme un disque 2 ; si tu veux parler, récite les louanges de
l'ennemi 3 de l'Amour ; si tu veux dormir, endors-toi en goûtant
un bonheur sans mélange dans l'Ame Suprême qui n'est que
bonheur.
4
21. Les hommes pieux , tourmentés par les renaissances ,
comme des éléphants par l'ardeur dévorante de la saison chaude ,
et par un effort soudain et violent , déracinant de leur esprit
l'ignorance profonde, comme ceux-ci brisent la chaîne qui les
retient par le pied , se plongent dans l'Ame Suprême , comme
dans un étang d'ambroisie parfaitement pur et devant sa fraîcheur
a l'absence des désirs , et s'y délivrent de toutes les impuretés ,
comme les éléphants de leurs souillures .
22. Pour s'affranchir des liens de la transmigration , ils se
créent eux-mêmes des liens sous la forme des œuvres telles que
les sacrifices ; pour obtenir l'apaisement intérieur , ils s'imposent
la peine infinie de méditer les opinions de cent sages ; pour sortir
de l'océan du péché , ils se plongent dans un étang sacré : tout
est folie dans les actions des hommes en proie ici-bas aux illusions
du monde des renaissances.
23. Après avoir baisé d'abord les pieds , puis les jambes ,
les genoux , les cuisses , le nombril , le sein de Vichnou ,
que ma pensée se joue sur son visage éclatant , pareil à un
lotus !
24. Cessant de faire aucune différence entre le vent du mont
Malaya et un poison, entre la chevelure d'une femme et la crète
d'un serpent , entre un Tchândâla et un Brâhmane, puisse ma
pensée se fixer sur l'Ame Suprême !
25. Le monde entier est périssable ; ce qu'il renferme de moins
durable est le corps humain; pourquoi donc les hommes prennent-
ils pour leur corps tant de peine ?
26. Bien qu'il voie à chaque instant tous les hommes engloutis

1. Vichnou .
2. Id.
3. Civa.
4. Littér. « ayant le corps brûlé » .
5. Littér. « pour atteindre la rive opposée ».
6. Voir les Notes à la fin du volume.
- 407 -

dans la gueule de la mort , hélas ! hélas ! mon esprit ne se


détache pas encore des objets des sens !
27. Que l'éclat de ma puissance soit soudainement détruit ,
que des lames d'épée tombent sur moi , que la mort prenne
ma tête , mais que ma pensée ne s'écarte jamais en rien du
devoir !
28. Que l'ennemi souffle incessamment sur ma tête un feu
immense, qu'il abatte sur elle une lame d'épée , je ne dirai pas
un mot.
29. Bien que tu ne voies aucun moyen de traverser l'océan
du monde , ô mon âme ! pourquoi te décourager ? Le fils de
1
Nanda ne viendra-t-il pas un jour vers toi sur ce chemin de la
pensée ?
30. Puissé-je ne pas goûter même un instant cette prospérité
charmante, pareille au doux son des essaims d'abeilles attirés
par un troupeau d'éléphants dont les joues dégouttent de Mada ,
mais qui pour ceux qui y sont plongés , et qui roulent des yeux
égarés par la richesse comme par une boisson enivrante , rend
si difficile le culte des pieds de Vichnou !
31. Comment peux-tu , à la fin de ta vie , dormir ainsi sans
crainte ? La mort est proche ! Mais que dis-je ? repose en paix :
la fille 2 de Djahnou , ta mère , veille près de toi.³
32. Pourquoi me tourmenter à courir çà et là sur la terre ,
alors que le fils de Nanda , le maître suprême, est sans cesse sur
ma tête ?
33. Fi ! mon cœur, pourquoi , tandis que j'adore sans relâche
les deux pieds, pareils à des lotus , du Dieu qui a châtié l'Amour ,
me fais-tu retomber au milieu du fossé du monde ? Ce n'est pas
ainsi que ta douleur paternelle pourra prendre fin .
34. Est-ce une montagne d'émeraudes , ou un jeune arbre
Tamâla ? Tel est le doute qui saisit la foule des solitaires quand
ils aperçurent de loin dans ce bois le roi descendant de
Raghou .
35. Serait-ce là la Yamounâ ? Mais non , car la Yamounâ a des

1. Krichna.
2. Le Gange.
3. Cette stance paraît s'adresser à un ascète retiré sur les bords ou
aux sources du Gange.
4. Il y a dans cette stance un jeu de mots portant sur le nom de
l'Amour qui signifie « né dans le cœur ». Le cœur devrait au contraire
honorer Çiva pour obtenir de lui la résurrection de l'Amour, brûlé par
le feu des regards de ce Dieu (!) .
108 -
flots . Serait-ce une brillante émeraude? Pas davantage : comment
en effet serait-elle si douce au toucher? Tels furent d'abord les
doutes de tous les habitants de la forêt dont la curiosité s'éveillait
en contemplant l'éclat du corps de Râma .
36. Est-ce un éclair parti d'un nuage , ou une liane détachée
d'un arbre superbe ? Comme il était plongé dans ce doute, le singe
prudent conclut de ses profonds soupirs que c'était une épouse
séparée de son bien-aimé 2 .
37. Dans les maisons des hommes vils, la prospérité , et dans la
demeure du Brâhmane , les cris de misère! Une mort prématurée
pour les bons , hélas , hélas ! et une vie de cent années pour ceux
qui suivent la voie du mal ! Quand je vois ton étrange gouverne-
ment, le feu de la colère m'enveloppe de ses flammes : mais qu'y
puis-je faire , ô maître du monde ! puisque je ne suis qu'un misé-
rable et que tu es le Seigneur !
38. Du pied du mont Mérou au rivage de l'Océan bordé par
le mont Malaya, que tous ceux qui savent composer des poèmes
répondent hardiment à cette question : « Quel heureux mortel,
si ce n'est moi-même, mérite de passer pour maître dans ce doux
langage pareil au liquide délicieux que le raisin distille à
flots ? »
39. Cet être qui entend sans remuer la tête les discours du
Roi des savants , ces discours si charmants à l'oreille que Saras-
vatî, pour en savourer l'ambroisie, cesse de faire résonner sous
ses doigts les cordes de la lyre , est-ce une brute parmi les
hommes, ou est-ce le Roi des brutes (Civa) 3 ?
40. J'admets que des hommes restent insensibles au goût du
miel, du raisin , de l'ambroisie descendue à portée de leur bouche ,
du nectar des lèvres d'une femme ; mais je l'affirme, ce sont ,
hélas ! des cadavres vivants, ces êtres stupides que la poésie
de Djagannatha (la Bhagavad-Gîtâ 4 ) ne remplit pas de joie.
41. Si tu es très-habile à composer des discours capables
d'humilier l'orgueil des sucs délicieux que distillent les raisins
mûrs, alors , mon cher ! récite tes poèmes tout à ton aise en pré-
sence de mes pareils ; sinon, renferme-les en toi-même ainsi que
tes vieux péchés .

1. Hanoumat.
2. Sîtâ séparée de Râma.
3. Çiva ( le roi des animaux) y serait insensible à cause de sa dignité
suprème.
4. Jeu de mots.
109

42. O ma poésie ! ne te décourage pas trop vite sous le mépris


des méchants dont l'esprit est plongé dans l'égoïsme ; quelle ex-
pression joyeuse tu provoqueras sur le visage de ceux qui sont
pour les poèmes ce que les abeilles sont pour le suc des lotus !
43. Les savants , sur cette terre, observent le vœu du silence
quand il s'agit de louer les discours des autres , les rois sont
bercés par l'ivresse que produit la faveur de Lakchmî pareille à
une liqueur forte quel est donc maintenant le mortel fortuné
qui laissera la joie se peindre sur son visage en goûtant le fruit
mûr¹ de mes discours , plus doux que les lèvres des beautés célestes ,
languissantes d'amour.
44. Les saveurs les plus douces , celles du raisin , du lait , de la
canne à sucre , du miel et de l'ambroisie, doivent le respect à la
douceur du talent poétique du Roi des savants .
45. Celui qui est l'ornement de la troupe entière des rois des
savants , a dans son premier âge étudié les livres et observė
tous les rites obligatoires ; il a passé sa jeunesse auprès 2 du
maître de Dehli ; maintenant, affranchi de toutes les impressions
des actions passées , il adore Vichnou dans la ville de
Mathourâ toutes ses actions le distinguent du commun des
hommes .
46. De méchants fils d'adultères me les déroberont : >>
c'est dans cette crainte que j'ai fait cette corbeille de mes vers
pareils à des pierres précieuses.

1. Littér. « la maturité »,
2. Littér. « sur la paume de la main pareille à un bourgeon » .
SUPPLÉMENT. '

LIVRE I.

Qu'on savoure ma poésie pareille à l'ambroisie, limite extrême


de la douceur, produit de l'océan de Sarasvatî, qui procure un
plaisir sans égal sur la terre.
Redoutant d'eux quelque dommage, on fuit de loin le méchant
à cause de sa fausseté , comme le serpent à cause de son venin.

LIVRE II.

Tu es semblable pour moi à un poison mortel , ô Lune ! Quel


est l'insensé qui voit en toi l'Astre aux rayons d'ambroisie ??
Même dans le miroir, redoutant son contact , quand elle a vu
sa propre image unie à celle de son époux assis derrière elle ,
elle a fait par pudeur divers mouvements qui ont produit
plusieurs images nouvelles ³ .

1. Stances du ms. C omises dans les mss. A et B.


2. Nom de la Lune.
3. Traduction tout à fait conjecturale . Le texte est peut-être corrompu.
- La dernière stance du Supplément ne diffère que par quelques mots
de la stance 131 (existant aussi dans le ms. C). La traduction serait
identique .
NOTES .

LIVRE I.

3. dhanvati = kampayati . S.— âdambarah =garjana-malinîkaranâdi-


laxanârabhati. S. J'ai pris passivement l'expression vidhâtum ucitah .
4. anyah · loka-vilaxanah, avec cette explication : idam tu (mitram)
=
âçcaryáspadam . S.
7. L'édition de Calcutta a mármikâs comme mes mss . et le S. Les
dictionnaires ne donnent que marmika. - milindah = bhramarâh . S.
11. urikartum = angîkartum (S.) , littér . « s'approprier » . - paripâtî
= anukrama (S. ) , « succession , paraît désigner ici le bienfait en retour
du mauvais traitement .
13. Calc . a la même leçon que mes mss. pour le 1er hémistiche. Le
mètre de l'âryâ n'y est plus reconnaissable . Je l'avais rétabli , non
sans hésitation , en transportant âkâra ( âkârâs dans le possessif) à la
fin du 2e pâda , pour en faire le dernier membre d'un composé
comprenant l'hémistiche entier, sauf le premier mot , de sorte que
krûrá(h) devient krûra , et enfin en changeant bhujamgama en
bhujaga. Cette correction me semble moins téméraire depuis que j'ai
eu connaissance de l'édition de Calcutta. Un bon nombre de stances
âryâs, parfaitement régulières dans mes mss. , y sont maltraitées de
toutes les façons au point de vue de la métrique, par ex . les stances I.
8. a; 12. b. - II. 44 (43) . c, 45 ( 44 ) . b , 49 (48) . a . b, 50 (49) . b, 84 (70) .
d, 168 (87) . a. IV . 28. a . b , 29. c . d. Quelque corruption de ce
genre se sera glissée dans celle-ci. — - drâxâ-dixâ-guravah = mrdvîkâyâh
mâdhuryopadeshtarah. S. dirá est proprement la consécration qui pré-
cède certains sacrifices , mais dîxâ-guru ne parait guère avoir ici d'autre
sens que celui du simple guru. L'idée est que les hommes en question
sont les maîtres du raisin pour la douceur.
14. harid-antarâni = dik-prântâni. ― samiranât = mârutât. S.
15. dhanyam freshtham. S. cf. st . 21. — januh janma. S.
16. Calc. -- c. dina-dine.
17. lobham = dána-kârpanyam ; mâ mamsthâh mâ kârshîh . S. J'ai
adopté l'interprétation beaucoup plus simple de Galanos. Voyez pour-
tant st. 45 .
18. maunam upayâsîh . cf. st . 3. - vadánya-guravah = dátrshu çresh-
thah . S.
442 -
19. patîra-ja que B. et R. ne donnent pas, est avec patîra dans le
même rapport que pâtîra.
21. dhanyo' si : viruddha-laxanaya... adhanyo ' sity arthah. S. dhanya
ne paraît pas avoir ici son sens ordinaire d' « heureux » dont l'inverse
n'impliquerait pas un blâme; (mahad-âçrayanam krtvá nîca-janam áçra-
yantam purusham kaçcin madhupâpadeçena nindati. ) Cf. st. 15.
27. Calc. - b. sampûrna-sakala-kâmasya. — vidambanâ = — nindâ. S.
28. Le S. fait observer que cette stance n'est pas une répétition de la
stance 20, l'un des deux hémistiches étant différent.
30. Séparez dans le texte daça diçah réunis à tort. - candâtapa - sû-
rya. S.
31. luthan-muktâ-hâre. Le S. rend ainsi compte de ce détail : nânâ-
vidha-sahára-gajarâja-nibarhanât.- Il s'agirait donc ici de colliers dont
les éléphants étaient ornés. Peut- être aussi est-ce une allusion à la
fiction rapportée par Galanos et reproduite dans une note au bas de la
traduction de la st . 48.
32. Calc. --- a. vipulam.
33. bandhana-drdham bandhane, hasty-âdi-bandhane, drdham. S.
34. tat tarhi, brûmahe = upâlabhâmahe ( tad-yogyo bhavad-anyah
ko' pi nástiti bhával ) . S.
35. Calc. c. api. - Sur l'emploi du génitif « anádare » voyez På-
nini. II. 3. 38. - çri-madah = dhana-garvah. S.
36. Calc. - c. -samarcita-jívito . - — jívana = jala. S.
37. Calc. b. diganganangana-gatá.- Sur dig-anganá cf. Bohtl. Ind.
Spr. st. 1778 , 1re éd .
39. uttamsa « couronne » , par suite ce qui se porte sur la tête, ce 14
qu'on honore, etc. »
41. Le sens du dénominatif abhráy est ici « se comporter comme un
nuage, ressembler à un nuage » (jalada-sámya-kathanena dátrtvábhimáno
vyajyate. S. ) . Je suppose qu'il faut chercher la ressemblance dans la
couleur sombre, parce que c'est le nuage sombre qui répand son eau .
Il ne peut être ici question de donner à abhray le sens indiqué par
Panini. III . 1. 17 , cf. Bf. Voll . Gr. 225. 3. (abhram karoti. ) Dans ce
sens il est védique, et se dit du ciel qui se couvre de nuages.
45. lobham makaranda -dána- kárpanyam . Ce sens que j'ai cru devoir
rejeter st. 17 est ici nécessaire .
46. patali grand nombre » féminin. V. Amara - kosha. 3. 4. 26 .
203 .
52. svlya-stana-pánam viháya prativanam sarváh karenûr gaveshya
mûla-nibarhana - dvárd bhavat -kulam eva nâçayishyati (hari-çiçuh) . S.
53. nisargát = svabhávát. S. On ne voit pas bien à quoi il rattache
ce mot ; mais ce ne peut être à taru , d'après le sens général de la
phrase.
57. J'ai cru voir un jeu de mots dans le composé várana-karákárah
que le S n'explique pas . Cette stance forme à elle seule une petite fable .
Cf. st. 97.
58. Calc. - b. ambudhi-gáminim .
59. mada-dantávala-dhiyd matta-matanga-buddhyá. S. Il est pour-
- 113

tant bien difficile d'admettre que mada soit pris adjectivement. Peut-
être faut-il voir là un composé ( de juxtaposition) de mada et dantávala-
dhiyd, « dans la pensée que c'est un éléphant , pensée qui est une folie »?
61. vetandánám = gajánám, ganda-kandûti- sambandhi- pánditye (= cá-
turye), paripanthiná = çatrund ; tad-ganda-vidáraka-tvát . S. L'éditeur de
Calc. donne à peu près la même explication , en interprétant expressé-
ment kandûti par gharshana, et en prenant pánditya dans le sens de
l'instrumental . Le sens serait donc : « ennemi des éléphants, par son
habileté à déchirer leurs joues » .
62. Calc. — a . vámá- pour rámá- . Remarquez nirmalatah jouant le rôle
d'ablatif et construit avec nîrát. - Le S. voit dans la conclusion un
éloge , et non un blâme comme Galanos qui prend madhupa dans le
double sens d' « abeille » et d' « ivrogne » . Je ne m'explique pas com-
ment ce dernier a pu traduire mahá-kavi-girám par xatà toùs яointàc . Il
rappelle que l'arc de l'Amour est de lotus. Je suppose que le lotus est
appelé en même temps le trésor des poètes à cause du grand usage
qu'ils en font dans leurs comparaisons .
64. paráncanti nivartante. S.
65. Calc. - c. dátr-guror... sura-taroh. - audâryam = dátrtvam :
arthitárpana-vidhau arthitasya dhanáder dána-vidhau. S.
66. Calc. b. sva-manasi. d. kati no . - kaxa paraît avoir ici le
même sens que çíla , « caractère , conduite » . C'est là un sens moderne
qui semble familier aux commentateurs . L'éditeur de Calc . explique
asama-çilah (st. 1 ) par asama- kaxáh .
69. Calc. c. kâlâgurur . La leçon de mes mss . me parait justifiée
par l'existence de agaru à côté de aguru.
70. lokam-prnaih jana-mano-vinodakaih . S. prna est formé avec
le suffixe khaç (Pánini . III . 2. 28 et suiv . Bf. Voll. Gr . 373, 374) ,
c'est-à-dire avec le suffixe a joint au thème des temps spéciaux , et la
première partie du composé reçoit l'augment mum, c'est-à-dire m . Tou-
tefois les règles citées ne justifient cette formation que par analogie ;
car les grammairiens ne comprennent pas la racine par, prî, parmi
celles qui peuvent prendre le suffixe khaç.
71. Calc. c. vrkâh pour mrgáh. - vidya-sadman « la demeure de la
science » peut s'entendre, selon le S. , du livre qui la renferme ou de
l'homme qui la possède.
73. patira-janman , cf. patira-ja, st . 19. bhajatetarám, V. Bf. Voll .
Gr. 568, 574.
74. Calc. - d. vikâçayati. — vikásayati est la leçon du S. Les
racines káç et kas sont souvent confondues dans l'orthographe des ma-
nuscrits .
76. Calc. - b. gurutaraih. - Si l'on adopte la leçon de C il faut
traduire : « Pour lui nous avons déployé notre habileté, etc. »
77. Calc. - a. api pour atha. - b. guru-bhuteshu. Le S explique
guna- bhûteshu par guna - svarûpeshu, guna-prápteshu vâ, et samarthah
par sarva-kárya-sampâdana-patuh . Puis il tire du même texte, par des
jeux de mots, quatre autres sens . - 10 « Gloire au composé tatpurusha
(tel que nishkauçâmbi) , qui par suite de sa dépendance d'un autre mot n'a plus
pour sens principal celui de son dernier terme, qui n'exprime qu'un seul sens
8
414 -
avec le mot subordonné (tel que nih) qu'il renferme , à l'intérieur duquel se
montre, en vertu de sa nature même, la dignité d'un agréable accent
aigu, et qui est indissoluble . » Tous ces caractères sont ceux d'un
composé bahuvrihi. Ils appartiennent exceptionnellement au tatpurusha
« nishkauçâmbi » « sorti de kauçâmbi » , dont le second terme est upa-
sarjana (Pánini. I. 2. 44) , qui est un nitya-samâsa (vártika 9 sur Pânini,
II. 2. 18 ) , et qui est accentué sur la particule , au lieu de l'être sur la
finale comme la plupart des tatpurusha (Pânini . VI. 2. 2 ) . - Samar-
thah dans ce sens est commenté par sâmarthyâdhinaḥ. --- 2º & Gloire à
l'âme qui , par son attachement à la fin suprême, se détachant des
objets des sens, reconnaît qu'elle n'est pas distincte des êtres subor-
donnés (ou des éléments doués des trois qualités ?) , dans laquelle brille ,
par la puissance de l'Illusion (qui trompe encore les autres âmes) , une
grandeur suprême et charmante , et qui est pour toujours indépendante
du monde.» Il s'agit d'unjivan-mukta . - guna- bhuteshu yauna-prânishu ;
svabhâvât = mâyâ-svabhâvât; asamarthah = mâyâ-kárya- samsâra-jâta-
sambandha-rahitah . S. Pour lire asamarthah , il ne faut plus tenir
compte de la séparation des pâda. 3º En prenant seulement ko'pi
pour sujet de la proposition principale, en donnant purushah (= para-
mâtma) pour sujet à sphurati ( ! ) et en continuant à lire asamarthah,
mais pour en faire le dernier terme d'un composé qu'il explique ainsi :
lalitodâtta-mahimayâ mâyaya, asamarthah = kârya-vidhâtum asvâ-
dhînah, le S. arrive à ce sens , conforme au précédent pour le premier
hémistiche : « Gloire à celui qui par son attachement , etc. , dans
l'organe interne duquel brille par sa nature l'Ame Suprême que l'Illu-
sion rend impuissante (?) . » asamarthah aurait ici un sens presque opposé
à celui qu'il avait dans l'explication précédente. L'ensemble est peu
satisfaisant. C'est sans doute cette fois un raffinement du S. — 4º « Gloire
à Vichnou qui, par dévoùment à l'intérêt des autres, renonçant à ses
propres richesses pour les donner à ses fidèles, ne fait qu'un éternellement
avec les êtres qui lui sont subordonnés , dans lequel brille naturellement
la Sainteté, et qui s'est montré secourable aux dieux dont la grandeur est
suprême et charmante . » - yasyântah svabhȧvât svasattâ ( sous- entendu ?)
sphurati; yah, lalitah udáttah mahimâ yâsâm tâdrçyah indrádi- devatáh ,
tásám samarthah hitah. Le S. admet ici que mahiman peut devenir à
la fin d'un possessif mahima, et mahimâ au féminin . Il suffirait d'ailleurs ,
pour échapper à la difficulté , de recourir au mot mahimâ fém . — Au
résumé, nous avons pour cette stance, outre le sens vulgaire , un sens
grammatical, un sens Védantique, sous deux formes, et un sens
Vichnouite.
79. — nikhila-rasayana-mahitah = sakalaushada-çreshthah . S.
81. bhuja-prântam 1 krodam. S.
82. On peut séparer dans le texte kâram kâram (absolutif en am de
kr, répété) ; c'est ce que j'ai fait ailleurs pour des formations analogues .
bhâlânala-bhasita-jáláspadam = hara-nayanâgni-bhasma-samgha-
sthânam . S.
83. lásanâni = âstarâni S. Le S. lit vipâtanâni, mais sans pré-
senter cette forme comme une variante ; c'est sans doute une simple
glose . Calc. a vipâtitâni comme mes mss. Cf. Pánini. III . 3. 114. Les
- 145 -

ouvrages modernes offrent plus d'un exemple de cet emploi d'un parti-
cipe passé, au neutre , comme nom d'action .
88. La correction sujano pour sajjano, que j'avais hasardée pour ré-
tablir le mètre, est confirmée par la leçon de Calc. Selon le S. la
stance aurait un troisième sens : l'homme de bien serait aussi comparé
au peintre « qui , par ses nombreux talents , donne une valeur artistique
à une surface qui n'avait pas encore reçu de peinture . >>
89. La leçon corrompue de C. est évidemment pour dhurana (de
dhux « allumer » ) , mot par lequel le S. commente l'antiphrase contenue
dans raxana .
91. Sens littéral : « Le méchant est de l'ail en ce qui concerne la
gloire comparée à un parfum, etc. » J'ai suivi l'interprétation du S.
Celle de Galanos ne convient pas au 3e pâda. L'expression « fleur de
l'athmosphère » , comme cette autre « corne de lièvre » , est des plus
usitées, surtout en philosophie, pour rendre l'idée d'une chose qui
n'existe pas . - L'ordre des pâda est aussi celui qu'a suivi le S.
92. Remplacez dans le texte marma-vyatham (= namanádi-rûpám
taru-pîdâm. S. ) par gharma-vyathâm , leçon de Hofer, évidemment meil-
leure, et dont celle de C (dharma- ) n'est qu'une altération graphique .
C'est aussi celle qu'a dù suivre Galanos . Calc. a marma- .
93. kautuka = kutûhala (dans le sens de désir violent) . S. -– prakâ–
mam = atiçayena.
94. Calc . a. çushka-çasyâny.
95. L'ablatif construit avec guru lui donne la valeur d'un comparatif.
- Peut-être y a-t-il un second jeu de mots dans le choix de acała
« inébranlable » et « montagne » .
96. Calc . - a. vyomni sa vâsam kurute. - çamba-kurute. Cf. Pânini.
V. 4. 58, et la scolie (anuloma-krshtam xetram pratilomam karshati),
où toutefois la forme parasm . est seule indiquée .
97. Cette stance , comme la st. 57, forme à elle seule une petite fable .
La moralité en est à peu près la même que celle de la fable de La
Fontaine Le coq et la perle .
98. bhramara étant masculin, et sarojinî féminin , c'est de l'incons-
tance d'un amant qu'il s'agit dans cette allégorie . Je n'ai pu traduire
les jeux de mots : malina « noir » et « impur » , râga-pûrna « coloré »
et « aimant » , vikasita « épanoui » et par suite « ouvert » (au figuré),
sa-rasa plein d'eau » et « amoureux » , capala « mobile » et « incons-
tant. Le S. n'indique que la première de ces équivoques .
101. kalevara-pushah - çarîrinah, purushasya . S. Le génitif asya
kaleh porte sur vartanam plutôt que sur kalevara-pushah .
103. Ma correction paráci pour parânci est confirmée par la leçon de
Calc.
110. Calc . - a. mahonnatam . Selon le S. cette stance peut être prise
ironiquement.
112. J'ai introduit ici cette stance qui manque dans A et B (et aussi
dans Calc. ) , parce que le S. la commente à cette place. J'ai substitué
samadhayi aux leçons de C et du S. qui rompaient le mètre toutes les
deux .
113. âdambara. V. st. 3.
- 116 -
116. Calc. - d. nistrapa . - Jeux de mots : sarajaskâ " plein de
pollen » et « femme dans le temps de la menstruation » ; pându-varna
« de couleur blanche » , et « sans caste, méprisable » ( cf. la légende de
Pandou) ; kantaka « épine » et « horripilation » . De plus rolamba est
masc. et ketaki fém.
119. mauli çreshtha . S.
121. Le premier pâda est faux dans A, B, et dans Calc . qui a la
même leçon ; dans C il a quatre pieds : anavarata-paropakâra-karana .
J'ai cherché à le corriger en conservant du ms . C le dernier mot qui
manque dans les autres, et en supprimant le premier sauf la syllabe a
que je joins à para (apara) dans le même sens que para. kâtava =
katu . S.
122. Joignez dans le texte â et bhûmî- , séparés à tort. -- vyagun-
jantah = viçeshena samantâc chabdam kurvantah . — laya preman.-
kamdhara = çâkhâ. S.
126. Calc. a. -- candâçuga --d. xitîçah. uddanda udbhata. S.

LIVRE II .

1. Calc. - a. râhu-rodha-.
2. vicâra-peçalâni = vicâre rucirâni. S. anubhûyate s. -entendu avec
yadi . S.
4. Calc. - a . páli -.
5. çîlaya = sthityâ bhâsaya. S. Dernier pâda : svânanâni lokebhyo
darçayantu, ou : jyotsnâbhisârikânâm âsyâni saharshâni kurvantu . S.
« Qu'elles fassent exprimer la joie au visage des femmes qui vont au
rendez-vous à la clarté de la lune. >> -- mudâm g . pl . de mud.
6. Le génitif gurûnâm porte à la fois sur pranamane et sur vâcam
« kâkâxi-golaka-nyâyena » , (on dit ordinairement kâkâxi-nyâyena).
7. Calc. - b. udvahantyah. - — d. nayane. — samudayat, de i conjugué
sur la le classe.
8. Calc. --- b. unnatau.
9. Calc . - a. - pâlîm. - Il faut bien entendu lire vaiçravanasya
en un seul mot dans le second sens .
12. Calc . - a. naktam au lieu de mantum .
15. Calc. --- c. samâgatam tadâ. - avadhau = âgamanâvadhi-bhûte
sandhya-kále, samketita-samaye iti yavat. S.
16. josham josham = sevitvâ sevitvá, drshtvá drshtveti yâvat . S. -
josham avec sthâ. cf. josham avec âs (B. et R. ) .
17. J'ai gardé parivellitâ ( = veshtitâ. S. ) . pariveshtitâ adopté par
Calc . est dans C une correction d'une autre main.
18. Les deux accusatifs des pâda c d sont pris adverbialement.
a. - - prasârah . -
19. Calc. c. api. ―― vinaye = nâyikântara-
sambhogâdi-rúpa- viparîtácarane . S. Interprétation contraire au sens de
vinaya et absurde eu égard à la conclusion .
20. Calc . - a. mrsha vâcam brûshe.
21. milad-vikâsam prapta-vikásam . S.
117
23. Les trois composés de a b c sont des possessifs qui se rapportent
à sangam . - La leçon niçvâsa que Calc . donne aussi bien que mes
manuscrits , et que j'ai corrigée comme fautive (v . B. et R. niçvâsa) ,
aurait pu être maintenue (v . B. et R Supp .) . Toutefois le S. a une fois
nihçvása.
24. mandira = keli-sadana. S.
25. anushanga - = samparka.
26. Les composés de c sont des possessifs qui se rapportent à vada-
námbujam .
27. malaya-bhujaga-vántâs : anena saugandhyam alpatvam ca sûcyate.
S. - culukay. cf. culukî- krta (B. et R. Suppl. ) .
28. Calc. d. : ramayam babhûva .
29. Calc . -a. purah-sthitâs . -- purah- sthitam doit être lu en un
seul mot. - tirayanti tiras-kurvanti. S. - pari-mudrayanti = ni-
milayanti . S.
30. Calc. d: cakita-tanu. Elle sort sans doute de la maison de
son amant.
31. Variante du S.: « La belle est restée longtemps comme une
figure peinte, sans avoir la force de faire le plus léger mouve-
ment. »
32. Calc . – d: mudiro comme S. C'est alors un coup de tonnerre qui
le réveille (mudira = megha) .
34. Mélange de deux pâda de Vaitálîya avec deux pâda d'Aupac-
chandasika.
36. adhiropya = trotayitvá. S. L'arc a été en effet brisé par excès de
tension (cf. Raghuvamça . XI . 46) . Mais adhi-ropay signifie seulement
« tendre ( cf. ibid. XI . 84 ) .
39. Séparez dans le texte itah param réunis à tort .
40. Calc.- b. aviratam atantyâ. —â-niçam doit être lu en un seul mot
comme composé adverbial , niç n'étant pas usité , selon Pânini, dans les
cas forts . La double interprétation de mahendra-nîla-manih (çrî- krshnah
anarghya- ratnam vâ) , donnée par le S. , est adoptée par l'Editeur de
Calcutta. C'est sans doute dans le mot nîla qu'il faut chercher l'allusion
à krshna.
41. rûpârucim rûpena, svabhâvena, arucim. S.
42. Calc . - c. tapyati au lieu de tad yadi , rapporté à hutâçe, et régi
avec lui par patati locatif absolu avec suvarne sous- entendu. - Outre
l'interprétation que j'ai donnée, le S. en propose une autre : « ( La
jeune femme) : Pourquoi dis - tu dans ta folie que mon corps a la cou-
leur de l'or . - (L'amie , s'excusant) : S'il tombait dans le feu , dans le
feu qui ravage toutes les régions (hatâçe), alors seulement il deviendrait
semblable à toi. »>
44. Calc . - b. kuranga -drçâm . Le S. est trop peu explicite sur cette
stance. J'entrevois un jeu de mots sur garimânam « pesanteur » et
laghimânam «légèreté » . Mais je crains de renchérir sur la subtilité des
Hindous eux-mêmes . J'ai tâché de choisir le sens le moins ridicule (?) .
--L'édition de Calcutta a aussi teshâm au lieu de te, leçon meilleure
grammaticalement (l'emploi de te avec un datif remplaçant le vocatif
est assez singulier ) , mais qui détruit le mètre de l'âryâ.
-- 118 -
45. nyancati = nihçeshena gacchati sati ; samudancati = âvir-bhavati
sati. S.
46. Sur la régularité métrique de a voyez Gildemeister (Anthol.
Sanscr. p. 119) .
48. Calc . - b. katham ajouté avant sehe. d. sâgantukena sans sépara-
tion . Mais âgantukena est le contraire de ce que demande le sens . -
gantuka = deçântaram jigamishu. S. - nayanâncala . cf. B. et R. sous
le mot ancala.
49. udvellat = udgacchat . S. Deux composés pris adverbialement .
Calc.a. b. mâna-parâncad-vadanâpi sâ priyâ çayânaiva karakamale.
Impossible de retrouver là l'hémistiche d'une âryâ.
51. Calc . - b. balád ajouté avant gurubhih. - c. nu çankâm .
52. Calc . - c. pratibodhayâmi . - pranayakulah = = priti-sampattyai
ákulah tat-prakâra-gaveshanaya vyakulah . S. Le sens est peut-être sim-
plement tourmenté par le désir. »
53. Calc. - a. nava-rujám. b . sa-çîtkâram. d. sarvam .
54. Calc . - - b. samskurvate.
55. Calc. ― a. vâcam mângalikîm . c. nihçvása , leçon qui confirme
ma correction .
58.mukta tyakta. S.
60. Lisez dans le texte babhûva au lieu de bamûva.
63. zamapana. cf. xamápay (B. et R. ) .
64. zanena saundarya- vîxana-xana-mâtrena , prâghunikah = abhyâ-
gatah, babhûva . anena gamanonmukhatvam vyajyate. - La dernière
syllabe de c est brève contre l'usage.
66. La leçon malayânila (pour malayânile, au locatif), outre qu'elle
est nécessaire pour le sens, m'était indiquée par la leçon primitive de
A malayânile (sans Sandhi) , remplacé par la correction malheureuse
malayânilam. - Je regarde mahilâ comme le sujet des trois verbes; sur
le sens des deux premiers V. Bf. Voll. Gr . 224. 2 ; et sur le sens du
troisième 225. 1 .
69. Calc . - c. priyam âgatam api savidhe.
71. Calc . ― a. - mukhâd yâlâ.
72. Calc. a. - unnidram âtanvatî. c . unnîyoham . - vidhatte tvarâm .
73. Calc. - b. amîlayal (sans anunásika : c'est alors une 3e pers . ) .
74. Calc. b. parivisphârita-ruci.
75. Calc.—a. pulaka-nikurambau. - b. ruceh. d . lasad- drâxâ. -
antah-smera, cf. antar-hâsa ( B. et R. ) . - sapaxa = sádrçya -bháj. S.
76. Calc . - b. jarártto.
77. çûnyâ = âlambana-rahitâ. S. Je traduis « langueur » d'après la
cause attribuée à tous les effets : tâdrça- kânti-mat-purusha-lâbhâbhâvât .
78. Calc. - b. svidat, leçon doublement fautive (svid ne se conjugue
sur la première classe qu'à l'âtman . , et de plus le mètre est détruit ) . —
c. dhagiti (?). - d. áçcaryam . - — sthagayatitarám . - Je me suis
écarté de l'interprétation du S. qui rapporte directement le génitif
yadupateh à tândava-vidhim (! ) et joint alors gopânâm à mahimânam en
sous-entendant kâryeshu avec gurushu mahatsu.
79. Remarquez l'emploi, contraire à l'usage, de tanu comme
masculin .
119 -
80. Calc. - d. madhura supprimé .
81. asta-pallavâ = nirasta-pallavá. S. - langhini = ullanghana-
kartrî. S. - Le sens de la variante du S. est : « Pour qui le Créateur
a- t-il fait, etc. >>
88. Calc . - d. seyam ramyâ. - kula-namya. Cette dernière leçon
est celle que j'avais adoptée d'après le S.
89. Calc.a. samgrâmângana . - b. madhyamanga . Remarquez
angana (— ajira . S. ) employé avec samgrâma comme ajira avec rana .
Les rois tombés dans le combat, et frappés en face , arrivent à la
délivrance par une route qui traverse le disque du soleil. C'est ce qu'en-
seignent les citations suivantes faites par le S. et dont la dernière paraît
être tirée de la Kaushîtaki -Bráhmana- Upanishad (cf. Weber, Indische
Studien. I. p . 400 ; cf. aussi II . p. 58, note 5) : uktaç ca dhârâ- tîrthe
« dharani-patayah kilbisham râlayanti » ityâdau sammukhâhatânâm
moxah. sa ca sûrya-mandala-bhedanam antarânupapannas . « tam gama-
gati . sa adityam âgacchati . âgacchati virajâm ( sic ) nadîm . tâm mana-
saivâtyeti. tatah sukrta - dushkrte vidhûnute . tasya priyâ jnâtayah sukrtam
upayanty, apriyâ dushkrtam. » ityâdiçrutau moxa-mârga-gâminah sûrya-
mandala-bhedana- kathanât .
91. Sur la régularité métrique de a, V. Gildemeister. Anthol . Sanscr.
p. 119 (in fine) .
93. Le S. admet que mîna est sous- entendu dans le deuxième com-
posé. cała suffit sans doute après jala pour en suggérer l'idée . Cf.
st. 109.
96. Le dénominatif tilottamiy ne pourrait signifier d'après Bf. Voll .
Gr. 224 (cf. Pânini . III . 1. 10 ) que « traiter commo Tilottamà » ; il fau-
drait donc lui donner le sens réfléchi . C'est ce que veut le S .: tilotta-
mâm ivâtmônan acarantyd .
97. pallavita prâdur-bhâvita (laxanaya ) . S.
109. kara-caranâbhyâm est le duel du dvandva singulier neutre :
kara-carana.
110. Tous les manuscrits donnent samâçâsva avec un seul s ; cf. âsva
de ás (B et R) .
111. sarvá lokah - pârçva- vartinojanâh. -— sita- yâminî (nuit blanche)
= jyotsnî. S.
113. Voyez la note de la st. 91 .
116. Remarquez le Comparatif paratara, cité d'ailleurs par B. et R.
d'après Hemacandra.
117. J'ai supprimé à la fin de b . l'antécédent yadâ que donnent tous
les manuscrits, peur rendre au vers sa régularité métrique . L'utilité de
ce mot pour le sens explique précisément qu'il ait été ajouté par un
copiste . Cf. la note sur la stance I. 13 .
118. çaçinah = candrasya , kiçorâh H — çâvakâh, kalâ-paryavasitâh . S.
119. Mélange de trois pâda de Vamçastha et d'un pâda d'Upajâti.
122. Le S. veut trouver un sens mystique à cette stance, mais il n'y
parvient qu'en accordant un adjectif masculin muktâhârah (qu'il décom-
pose en mukta et âhâra = vásanâ ! ) avec un nom neutre hrd (linga-
viparinâmena! ) Il fait de aye (de hrdaye) une interjection , explique
viyogini par viçeshena yogini c'est-à- dire yoga-kartri, et enfin décompose
- 120 -

ainsi le premier mot de la stance : viçeshena yogah ( citta-vrtti-nirodhaḥ)


sa eva vahni-kundam (akhila- durvâsanâ- dâhaka-camatkâra-viçesha-pâtram)
tasmin . priya devient bien- entendu parameçvara, et on arrive à ce sens :
« O femme qui pratiques le Yoga, pour te mériter la joie d'être réunie
au maître suprême, ton cœur fait pénitence , laissant toutes les im-
pressions des vies antérieures dans le vase où est contenu le feu qui
les brûle, et qui n'est autre que le Yoga lui-même . »
127. vishâda = rosha : S. - Sur jahihi v. Pânini . VI. 4. 117.
128. Je n'ai pas osé substituer rájábhishekam à la leçon uniforme de
tous les manuscrits. Le S. fait remarquer qu'il y a équivoque sur le
mot sudha, signifiant aussi la poudre ou farine ( cûrnaka) dont on frotte
le palais au sacre d'un roi.
130. nishputry-akarot, imparfait du verbe nishputri-kr.
131. Le composé énigmatique anga-bhanga-bhágyam est ainsi expli-
qué par le S. garva- sûcaka-çarîra- sammotana -prayojaka-daivam.
Calc. nayane vahato nu khanjanânâm iha nânâvidham angane bhayam
te - mukham etu tulâm katham suçobham sudrço bhangura- sampado
'mbujasya. - La traduction devient facile ; mais, faute d'opposition , on
ne comprend plus la liaison des deux hémistiches. Le 2e hémistiche est
celui de la stance 172 du ms . C donnée au Supplément.
134. Lisez bidala dans le texte, selon l'orthographe de B. et R.
139. Le mélange d'un pâda (a) d'Aupacchandasika avec trois pâdas de
Vaitâlîya, quoique rare, a à peu près son analogue dans le mélange,
plus symétrique pourtant , de la st . 34. Mais comme de plus le mot
laxmi qui termine le pàda a dans tous les manuscrits est inattendu
dans une énumération de fléaux (laxmîr apy atra márakatvenaiva kaver
vivaxitâ! S. ) , je me suis décidé à le supprimer et à le remplacer, faute
de mieux, par -vat , de façon à rentrer dans la forme régulière de la
stance Vaitálîya . Le mot laxmi pu être facilement introduit par un
copiste dans une énumération des objets sortis de la mer de lait ; mais
il est difficile de deviner ce qu'il remplace .
142. La fatigue qui suit le plaisir est ici implicitement comparée à
celle d'une marche rapide exécutée en portant un fardeau. S.
143. Réponse à la question : api kuçalam bhavatyáh . S.
144. Calc . - d. pathika pour pântha.
145. akharvam = mahântam. S.
146. c. Littér. « rendant le monde fait (plein) d'une série de nuages. 30
— phalitah = samjâta-phalah. S. Les yeux seraient comparés au nuage
(nila, avec jeu de mots sur pariphulla et phalita) : praphulla-netra-
yugalasya phalita-nîla - meghatvenotprexanâd ityâdi . S. Mais quel est le
fruit du nuage? L'eau? Alors l'auteur n'entend-il pas plutôt qu'un nuage
a dû verser ses eaux pour faire épanouir ces lotus ? On arriverait au
même sens, et plus simplement, avec la leçon des mss . kalitah dans le
sens de a vu » .
149. Kokanaday. Voyez Bf. Voll . Gr. ¿ 213. 2. - âlambana-çünyam
est pris adverbialement : alaxita-vishaya-viçesho yathâ syât tathâ.
150. Variante de C ( corrigez tapam, et grhâna dans la première ) :
Fais cesser le tourment que j'endure , étendu sur le sol. »
- 421
153. tattva-kathâ = sâra-vârttâ. S. Par le mot tattva l'auteur entend
sans doute la grande sentence : tat tvam (asi).
155. sâyâhani est cité dans les Scolies sur Panini. VI. 3. 110.
160. Calc . - b. samvadino . - sammadinah == garva-bhájah. S.
161. vikalay, dénominatif de vikala ( Bf. Voll . Gr . 213. 2).
163. Le dénominatif pralaya-jvalanây est régulièrement formé (Bf.
Voll. Gr. § 225. 1) .
164. Calc. - c. jânantyâpy, comme tous mes mss . J'ai cru devoir
corriger cette leçon et y substituer la forme jânatyâ seule régulière
d'après Benfey (Voll. Gr . § 888. et 754. 1. Ausn . 2) . Les irrégularités
dans la formation du féminin des participes présents, fréquentes dans
la poésie épique (V. Bohtlingk . Chrestomathie, p . 288) , ne semblent pas
devoir être admises chez un auteur aussi moderne que le nôtre .
165. Calc. d. sa manorathena . - mântharyam = mandatâm. S.
Je suppose que ce terme, en tant qu'appliqué à çaiçava (l'enfance), en
indique la « diminution » , c'est-à- dire la fin .
167. Calc . - c. sangânila. - ilâ-sutâsîtâ. S. Ilâ , fille de Manou ,
est l'aïeule de sa race. - himâmbu-jhanjhânila-vihvalasya = tushâra-
jala-mahad-vâyubhyâm, etc. S.
168. Calč . b. kisalayam .
169. Calc . - a. mâlayâ. - c. alakena ca nîla-kântinâ .
172. Calc . d. nayana-yugmayoh . Cette leçon détruit le jeu d'es-
prit qui résulte de l'opposition de padma à hema .
173. Calc. ―― b. dadânâm. c . viçadâd adharîkaroti násâm. - Je
prends adharîkaroti (= nîcîkaroti . S. ) au propre, quoiqu'il ait d'ordi-
naire le sens de « surpasser » . La leçon de Calc. , si elle signifie « sur-
passer en blancheur » (viçada n'est qu'adjectif) ne parait répondre à
rien dans les idées familières aux versificateurs hindous.
176. Calc. - d. arthavido .
177. Calc. a. parishvajan et tiraskrtas déplacés. kândiçîkaya =
bhaya -drutayâ . S. à quoi Calc. ajoute : çankitayeti yâvat .
179. Calc. b. çuddha-bhávah .
180. Je regarde adharita comme le participe d'un dénominatif équi-
valent à adharî-kr .

LIVRE III.

1. La traduction que Bohlen a donnée de ce livre, d'après le texte


très-corrompu publié à la suite de son édition du Rtu-samhâra, est
pleine d'erreurs. Je crois inutile de les relever ici stance par stance .
4. Calc. -- c. prabhâte. - d. padaih . Ces leçons sont celles de
Bohlen et de Hoefer. Je n'avais pas cru nécessaire d'introduire la pre-
mière à la place de prabhâta que me donnaient mes deux manuscrits et
le S. , la dernière syllabe du pâda de la vasanta- tilakâ étant ad libitum,
contre l'usage suivi pour les autres stances , et l'enjambement d'un
composé étant chose assez ordinaire . - Le composé terminé par madaih
est ainsi expliqué par le S. : prâtalıkâlika-çyâma-kamala-garvasya bhange
9
- 122 -

náçe madah = abhimâno yeshâm taih . - Calc. explique sa leçon


padaih par áspadaih.
5. Sur la cérémonie à laquelle il est ici fait allusion , cf. Colebrooke.
Miscellaneous Essays . 1 ( 1re éd . ) , pp. 214 et 218 .
6. Calc. - b. cravana-mangala .
7. Calc. - c. apy udgatah. C'est peut-être la bonne leçon . abhy-
ud-gam signifie « se répandre » , et se dit de la renommée qui se ré-
pand. En combinant les leçons de A et de C on pourrait aussi proposer
aty-ud-gatah.
8. C'est akande, littér. « sans cause, sans préparation » que je tra-
duis par inespéré » .
9. Calc. d . a la leçon mukta-ramanî comme Bohlen et Hæfer.
J'avais déjà adopté cette leçon, contre l'autorité de mes manuscrits et
du S. dont l'explication (muktil morah saiva ramanî = strî tasyah
sadanam = grham) ne serait pleinement satisfaisante que si ramanî
« bien-aimée » pouvait s'entendre d'une amie de la femme, et au be-
soin d'une entremetteuse. - Calc. regarde le composé comme un pos-
sessif pris adverbialement : tyakta- nârî-bhavanam yatha tatha. J'ai
adopté ce sens , et de plus , avec jeu de mots, un autre sens où le
composé devient simplement un composé de dépendance .
10. Calc . ---- b. sâraçadrçás (sic).
11. Calc. commente viphalatâm par anâdaram. L'emploi de vyatânît
(= vitastâra, ce qui n'explique rien), restant toujours assez étrange,
j'ai préféré garder au moins à viphalatâ son sens connu. Le sens géné-
ral est d'ailleurs parfaitement clair.
14. açaranan = bhavad-anya-çarana-rahitân . S.
15. svika svîya.
17. Calc. c. mâ, sans doute faute d'impression pour sâ.
18. Stance interpolée sans doute. Elle manque dans Bohlen , dans
Hofer et dans l'édition de Calcutta. C'est la seule de ce livre qui ne
soit pas écrite dans le mètre vasantatilakâ.
19. Calc. - a. tvadîyâm.

LIVRE IV .

1. prasctvara = prasarana-çîla . S. Ce mot, qui ne se trouve pas


dans B. et R., est régulièrement formé (Bf. Voll. Gr. § 422) . Cf. jitvara
(stance 2) . Pour le dénominatif cakorây , Voyez Bf. Voll. Gr.
§ 225. 1 .
2. Calc. a. âlambaja. ― bhangura = vyagra. S. Selon le S. le pre-
mier composé implique l'idée d'un étang (séjour des lotus), d'où le
verbe çiçiraya ; mais alors que vient faire là locanaih (= katâxaih, à
cause du pluriel) ?
3. tarunâlapa candasamtâpa . S. Ce sens s'explique par celui de
« vif » , (en parlant d'un sentiment . B. et R. ) .
4. Calc. - a. naga pour giri.
5. jatilayan = vyápnuvan . S.
- 123
10. Calc . d. mattah parah .
12. Calc. - d. sarvato' pexyah . --- ajâmilah etan-nâmnâ prasiddho
bhagavato bhakta-viçeshah. S. cf. Bhag. Pur. 6. 1. 21 .
13. Calc. a. viditvedam drçyam vishama-ripu-dushtam nayanayor,
c'est-à-dire « ayant appris à connaître ce monde visible plein de dange-
reux ennemis, etc. » . - d. rucau. - sura-srotasvinyâh gangâyâh. S.
- madhura-madhurâyâm : plus douce que le sucre . S. Je crois plutôt à
une répétition servant à renforcer l'idée .
15. Calc. - c. sphûrjat-kleça .
16. Calc. - c. saundaryâdbhutam.
17. Calc. -- b. jâlam pour játam . - c. drâxaughair. - d. kathaya
pour rasaya.
18. vâsanâ = prîti -paryavasâyinî- ceto-vrttih ; adhyaxaih = pratyaxa-
vishayi-bhutain ; atha pratyaxa- bhavanânantaram . S.
19. Calc. - a. bhuvanam abhito. — b. sarveshâm apy aham-iti-vi dâm
mûdham etc. - c. svahrdayam ato vedino. - vid est dans la leçon de
mes manuscrits un nom féminin signifiant « pensée » .
-d. nirargala-sukhe cetas tadâ . C'est peut- être la meilleure
20. Calc. —
leçon . Elle m'était fournie en partie par le ms . C. Mais sakhe au lieu
de tadâ était une difficulté, appliqué à un nom neutre. - Dans la
leçon que j'ai suivie sukhe = âtmânande (S) . Dans celle de Calc. c'est
nirargala-sukhe qui désigne l'Ame Suprême.
21. Calc. - d. vihangás te pour vigâhante . - Ils seraient, d'après
cette leçon, comparés explicitement à des oiseaux . La comparaison im-
plicite avec des éléphants m'a été indiquée par le S. vyatikara =

samûha. S.
22. Calc. - d. bhave au lieu de bhava.
23. Remplacez dans le texte, à la fin du pâda b , caranâni par
hrdayâni, leçon de Calc . C'est faute de ne rien trouver que j'avais gardé
la leçon de mes mss. Le S. en expliquant séparément chacun des
membres du composé, donnait pour le dernier kanthah = grîvâ-
pradeçah, sans s'inquiéter de se mettre d'accord avec le texte qu'il
donnait lui-même. - kanthân n'aurait d'ailleurs pas fait le vers.
24. Calc . - d . paramâtma-niccitih . - âtmabhû = vipra . S.
26 pratipalam = pratixanam . S. (pala, mesure de temps) .
28. Calc . a-b. api bahulabalam mûrdhni ripur eva me nirantaram
bhramatu. Hémistiche faux. -- d. apabâshe.
29. Calc. ― a. taranopâyam pacyann. - c. d. cetah-saranîm kim te
náyatah, etc. Hémistiche faux .
30. Calc . - b. hunkára. ― c. dravina- raya-paryâkula-dhiyâm. -
d. manah sevâkárye haricaranayor naiva ramate.
32. Calc.a. samtâpam kim kalayasi . - b . hrdaya.
33. Calc. ―a. çâtanasya (?) . —b. anâratam âmana (manati.Vop . ) tvam.
- manobhava-câsanasya kandarpa- dâhakasya. S. cf. st. 45.
34. Calc.a. medini-prarohas (épithète de tamalah) . - d. tadâpi
(tadâ âpi) au lieu de prapede.
35. Calc . -- b . sâmadhurâkrtih (så amadhura-âkrtih) .
36. J'ai gardé ici niçvasitaih que donnent les mss . et le S. - Calc.
id. - Voy. B. et R. niçvása (supplément).
- 124 -
37. Calc. - b. asat-phala-jushâm .
-
38. b . Remplacez dans le texte ta, faute d'impression , par te.
Calc. - a. âtra (â atra) au lieu de â ca. - c. mada-dhurî (sic) au lieu de
rasa-jharî.
39. Après pandita- remplacez -patar, faute d'impression , par -pater.
40. Calc. -- b . khalu hi au lieu de na khalu . - Selon cette leçon,
l'auteur oppose à des sucs que goûtent seulement un petit nombre
d'hommes, sa poésie qui doit être goûtée de tous. — J'ai peut-être dans
ma traduction trop insisté sur le sens de sârât ( = pratyaxam . S. ) -- -
Le jeu de mots sur jagannatha-bhanitih (jagannâtha = krshna) m'est
indiqué par le S.
41. Calc: - d. má ced. - — parîhâra = nirâsa, uddhura = samartha. S.
42. - Calc. - C. madhuvratams tvam . - Le S. veut voir un jeu
de mots dans visháda (visha plus áda) = visha-bhaxana.
43. Calc . - d. svar-vámá-bhrça -mádhurîm vidhurayan vácảm viláso
mama. - J'ai pensé pour vipáka au sens de « digestion » ; mais il ne
m'a pas paru convenir à mâdhurîm adharayan.
44. Calc, a. mâdhuryair api dhuryair. - b. máxikádînám .
45. Calc. — c. ujjhitam ásanam (= dilli- vásah) . C'est alors une phrase
à part . - dilli-vallabhah = hastinapura -prabhuh . S. - La variante du
S. signifie « Maintenant, dans la ville de l'ennemi d'Andhaka, il
médite sur la vérité suprême. » Andhaka est le nom d'un Asoura tué
par Çiva, et cette ville de Civa est, d'après le S. , Kâçi ou Bénarès. -
Sur çúsana dans le sens d'ennemi , cf. st . 33 .

Nogent-le -Rotrou , imprimerie de A. Gouverneur.


and Zool.
sie
For litte page & pre face

EXERCICES CRITIQUES

DE LA

CONFÉRENCE DE PHILOLOGIE GRECQUE

ARE LIVRAISON

1er Août 1872

K
!
TABLE DES PASSAGES CORRIGÉS .

APOLLONIUS DE RHODES. I, 870 (exercice 17) ; II , 774 (44).


ARISTOPHANE, Guêpes, 914-948 ( 4) . Scholiaste, Guêpes , 926 (15) .

ATHÉNÉE (Posidippe chez) , XIII , p. 596 (33) .


DEMOSTHENE , Olynth. I, ch. 1 , page 9 (29) ; 11 , 12 ( 30) ; 20 , 14 ( 12) .
-- Symmor.
- Phil. I, 45 , 44 (27) ; 27, 47 (23) ; 43 , 52 ( 14) . –
--
37, 188 (32) . - Mégalop . 12 , 205 (9) ; 16 , 206 (25); 34 , 240
- Androt. 36, 604 ( 10) . ·- Timoc. 15 , 704 (26) ;
(20 et 1 ) .
57, 718 (28) ; 80 , 726 (24) .
EURIPIDE , Hippolyte , 288-292 (34) ; 379 et suivants (22) ; 431 (19) ;
449 (6). ― Erechthée (Fragment d ') chez Lycurgue, p . 464 ,
vers 10 (7) .
HYPÉRIDE, Euxén. colonne 30 (2) ; 31-32 ( 31 ) . - Fragment 240

Blass (24) .

MUSÉE, Hér. et L. , 81 (8) .


NONNUS , Dion. III , 123 (5) .
PLATON, Phédon, ch. 13 ; p . 68 (3) .

THÉOGNIS , 674-677 (18).


THUCYDIDE, II, 8 (13) ; ib . 14 (16) .

AVIS .

Il paraît une livraison d'une feuille par trimestre , à savoir le 1er


des mois de Novembre , Février , Mai et Août.
Chaque livraison forme un tout, et se vend séparément .
Les dernières livraisons du volume contiendront, outre le titre ,
une introduction et deux tables , l'une renfermant la liste des pas-
sages corrigés , dans leur ordre naturel , l'autre, où les mêmes
passages seront classés selon les genres de fautes et les procédés de

correction employés .
EXERCICES CRITIQUES

DE LA

CONFÉRENCE DE PHILOLOGIE GRECQUE .

1. Démosthène, Pour les Mégalopolitains, ch. 31 ;


page 210 ( Reiske . )

Les Athéniens seuls peuvent sauver les Arcadiens :


Πανταχῆ συμφέρει μήτε προέσθαι τοὺς Ἀρκάδας , μήτε δι᾽ αὑτοὺς,
ἂν ἄρα σωθῶσι , περιγεγονέναι δοκεῖν , μήτε δι᾿ ἄλλους τινὰς , ἀλλὰ
δ' ὑμᾶς .

Pour rendre l'idée qui était évidemment dans l'esprit de Dé-


mosthène , il manque deux mots à côté de περιγεγονέναι : un
sujet , désignant les Arcadiens , lequel ne peut guère être que
αὐτούς , et la particule v . L'omission de ces deux mots s'expli-
quera tout naturellement , si l'on rétablit : Μήτε δι' αὑτοὺς ἂν
(αὐτοὺς , ἂν ἄρα σωθῶσι , περιγεγονέναι δοκεῖν .

2. Hypéride, Pour Euxénippe, colonne 30.

Hypéride vient de dire à son adversaire : Tu as rédigé un


décret qui condamne deux puλaí à restituer un territoire usurpé
sur les domaines du temple d'Amphiaratis ; et un peu plus bas ,
dans le même décret , tu ajoutes , par une contradiction singu-
lière, que ces deux quλaí seront indemnisées par les autres . Il
continue :
Καίτοι εἰ μὲν ἴδιον ἂν τῶν φυλῶν ἀφᾑροῦ τὸ ὄρος, πῶς οὐκ ὀργῆς
ἄξιος εἶ ; Εἰ δὲ μὴ προσηκόντως εἶχον αὐτὸ , ἀλλὰ τοῦ θεοῦ ὂν , διὰ
τί τὰς ἄλλας φυλὰς ἔγραφες αὐταῖς προσαποδιδόναι τἀργύριον ;
Αγαπητὸν γὰρ ἦν αὐταῖς εἰ τὰ τοῦ θεοῦ ἀποδώσουσι καὶ μὴ προσ-
αποτίσουσιν ἀργύριον .

Προσαποδιδόναι est impropre : car l'argent en question était


tout ce qui pouvait être restitué aux deux quλaí, et devait l'être
aux termes du décret. D'autre part , προσέγραφες vaudrait bien
mieux que ἔγραφες : car plus haut , Porateur a distingué soi-
gneusement les deux parties du décret, pour en montrer la con-
tradiction ; et c'est de la seconde qu'il s'agit ici. (Cf. Démosthène,
1
2

Contre Timocrate, ch . 55 , page 718 : Ὁ δ᾽ ἔγραψε τοῖς προέ


δροις ἐπάναγκες , ἐάν τις καθιστῇ , προσάγειν , καὶ προσέγραψεν
«ὁπότ᾽ ἄν τις βούληται . ») Nous concluons de la qu' Hyperide
avait écrit : Διὰ τί τὰς ἄλλας φυλὰς προσέγραφες αὐταῖς ἀποδι-
δόναι ταργύριον . Le copiste a omis la préposition devant εγραφες,
ce qui est arrivé souvent dans les verbes composés , par une
raison facile à comprendre : il est naturel , en effet , que l'at-
tention de celui qui transcrit se fixe de préférence sur la der-
nière partie du mot qu'il a sous les yeux, surtout quand elle est
en même temps , comme ici, la plus significative . Un autre fait
non moins fréquent , c'est qu'un copiste ait réparé après coup
un oubli de ce genre , en insérant le mot omis au premier endroit
qu'il jugeait convenable . C'est ce qui paraît s'être passé ici :
ou bien la transposition provient de ce que πρός , rétabli à la
marge par un collationneur , a été ensuite inséré dans le texte
hors de sa place .

3. Platon, Phédon , ch. 13 ; p . 68 B-C.

Pour plus de clarté , nous divisons en quatre alinéas le texte


dont il s'agit :
Οὐκοῦν ἱκανόν σοι τεκμήριον, ἔφη, τοῦτο ἀνδρὸς ὃν ἂν ἴδῃς ἀγανα
κτοῦντα μέλλοντα ἀποθανεῖσθαι , ὅτι οὐκ ἄρ᾽ ἦν φιλόσοφος , ἀλλά τις
φιλοσώματος ; ὁ αὐτὸς δέ που οὗτος τυγχάνει ὢν καὶ φιλοχρήματος
καὶ φιλότιμος , ἤτοι τὰ ἕτερα τούτων ἢ ἀμφότερα.
Πάνυ , ἔφη , ἔχει οὕτως ὡς λέγεις . — Ἆρ' οὖν , ἔφη , ὦ Σιμμία,
οὐ καὶ ἡ ὀνομαζομένη ἀνδρεία τοῖς οὕτω δια κειμένοις μάλιστα
προσήκει ;
Πάντως δήπου , ἔφη . Οὐκοῦν καὶ ἡ σωφροσύνη , ἣν καὶ οἱ
πολλοὶ ὀνομάζουσι σωφροσύνην, τὸ περὶ τὰς ἐπιθυμίας μὴ ἐπτοῆσθαι ,
ἀλλ᾽ ὀλιγώρως ἔχειν καὶ κοσμίως , ἆρ᾽ οὐ τούτοις μόνοις προσήκει ,
τοῖς μάλιστα τοῦ σώματος ὀλιγωροῦσί τε καὶ ἐν φιλοσοφίᾳ ζῶσιν ; --
Ανάγκη, ἔφη. Εἰ γὰρ ἐθελήσεις, ή δ
' ός, ἐννοῆσαι κτλ .

1. L'expression τοῖς οὕτω διακειμένοις , au second alinéa, n'est


pas susceptible de deux explications : d'après ces mots , la
pensée de Socrate aurait été que le courage , ou ce que l'on
appelle communément de ce nom , est principalement la vertu
des hommes qui aiment leur corps, l'argent, les honneurs . Par
la, le courage serait opposé à la tempérance (σωφροσύνη) , repre-
sentée dans la phrase suivante comme l'attribut spécial de ceux
qui dédaignent le corps , des philosophes . Or , loin de vouloir
opposer l'une de ces vertus à l'autre , Socrate les fait marcher
3 -

côte à côte , pour ainsi dire , dans toute la suite de sa démon-


stration . Ce qu'il s'attache à mettre en opposition , c'est , d'une
part , la tempérance et le courage selon le vulgaire , d'autre
part, la tempérance et le courage des philosophes .
Il faut rétablir, en intervertissant simplement l'ordre de deux
alinéas :
1. Οὐκοῦν ἱκανόν σοι τεκμήριον , ἔφη , τοῦτο ἀνδρὸς ὃν ἂν ἴδῃς
ἀγανακτοῦντα μέλλοντα ἀποθανεῖσθαι , ὅτι οὐκ ἄρ᾽ ἦν φιλόσοφος,
ἀλλά τις φιλοσώματος ; ὁ αὐτὸς δέ που οὗτος τυγχάνει ὢν καὶ
φιλοχρήματος καὶ φιλότιμος , ἤτοι τὰ ἕτερα τούτων ἢ ἀμφότερα .
ΙΙ. Πάντως δήπου , ἔφη . Οὐκοῦν καὶ ἡ σωφροσύνη , ἣν καὶ οἱ
πολλοὶ ὀνομάζουσι σωφροσύνην, τὸ περὶ τὰς ἐπιθυμίας μὴ ἐπτοῆσθαι,
ἀλλ᾽ ὀλιγώρως ἔχειν καὶ κοσμίως , ἆρ᾽ οὐ τούτοις μόνοις προσήκει,
-
τοῖς μάλιστα τοῦ σώματος ὀλιγωροῦσί τε καὶ ἐν φιλοσοφίᾳ ζῶσιν ;
ΙΙΙ. Πάνυ , ἔφη , ἔχει οὕτως ὡς λέγεις . - Ἆρ' οὖν , ἔφη ,
Σιμμία , οὐ καὶ ἡ ὀνομαζομένη ἀνδρεία τοῖς οὕτω διακειμένοις
μάλιστα προσήκει ; --
IV. Ανάγκη, ἔφη. Εἰ γὰρ ἐθελήσεις , ἦ δ
' ὃς, ἐννοῆσαι κτλ .
La ressemblance de Πάντως δήπου , ἔφη (commencement de
l'alinéa II) avec Пlávu , ep7 (commencement de l'alinéa III) a
induit un copiste à omettre l'alinéa II ; puis , s'apercevant de
son erreur , il a rétabli II à la suite de III . En effet , si l'on
classe les quatre alinéas dans l'ordre suivant , I, III , II , IV, on
retrouve la vulgate.

2. Les mots καὶ ἡ σωφροσύνη ( alinéa II) nous paraissent avoir


été introduits dans le texte consécutivement à la transposition
signalée le nom du courage restant précédé de xaí (xai î
ὀνομαζομένη ἀνδρεία) , alors qu'il était passé au premier rang,
celui de la tempérance , relégué dès lors à la seconde place,
appelait auprès de lui la même particule , et accessoirement le
nominatif ἡ σωφροσύνη . Au reste, cette remarque ne touche en
rien au fond de la question traitée plus haut .

4. Aristophane, Guépes , v. 914918 .

Labès est accusé par un autre chien d'avoir volé un fromage,


et de l'avoir gardé pour lui seul . Xanthias , qui parle . au nom
du plaignant par-devant le vieux juge Philocléon , expose
comme il suit le grief principal de son client :
.. Κοὐ μετέδωκ' αὐτοῦντί μοι.
Καίτοι τίς ὑμᾶς εὖ ποιεῖν δυνήσεται,
ἢν μήτι καμοί τις προβάλλῃ τῷ κυνί ;
1*
4

Alors seulement , Philocléon prendrait la parole pour relever


la première phrase :
ΦΙΛ. Οὐδὲν μετέδωκεν ; οὐδὲ τῷ κοινῷ γ᾽ ἐμοί .
Θερμὸς γὰρ ἁνὴρ οὐδὲν ἧττον τῆς φακῆς .
1. Il nous parait probable que l'avant-dernier vers faisait suite
au premier, et que le voisinage des mots κού μετέδωκε , qui res-
semblent fort à οὐδὲν μετέδωκεν , a fait omettre par un copiste le
vers qui commence ainsi . Le vers omis a ensuite été rétabli
dans le texte , précisément à l'endroit où Philocléon reprend la
parole . En conséquence, nous aurions :
914. ΞΑΝΘΙΑΣ . . Κοὐ μετέδωκ᾽ αὐτοῦντί μοι .
917. ΦΙΛΟΚΛΕΩΝ . Οὐδὲν μετέδωκεν ; οὐδὲ τῷ κοινῷ γ' ἐμοί .
915. Ξ . Καίτοι τίς ὑμᾶς εὖ ποιεῖν δυνήσεται,
916. ἢν μήτι καμοί τις προβάλλῃ τῷ κυνί ;
918 . Φ. Θερμὸς γὰρ ἁνὴρ οὐδὲν ἧττον τῆς φακῆς .
2. Dans ce dernier vers , nous croyons qu'il faut substituer
γ
' ὅδ' & γάρ , de telle façon que ανήρ désigne Xanthias , et non
le chien Labès. Il est assez naturel qu'en entendant l'apo-
strophe pathétique Καίτοι τίς ὑμᾶς .....
. le vieux juge fasse
remarquer à quel point Xanthias est échauffé par la lutte,
θερμός (τῷ ἀγῶνι) .

5. Nonnus, Dionysiaques, III , 123 .

Ὣς φαμένη σφρήγισσε λάλον στόμα μάρτυρι σιγῇ .


Si l'on se reporte au contexte , on verra que les mots μάρτυρι
σιγῇ ne peuvent avoir aucun sens en cet endroit. Il faut
corriger :
Ὣς φαμένῃ σφρήγισσε λάλον στόμα μάρτυρι Σιγή , « le Silence
ferma la bouche à ce témoin indiscret. » Cf. ld . ib . XIV , 283:
Τοῖα λίθον βοόωντα πάλιν σφρηγίσσατο Σιγή .

6. Euripide, Hippolyte, v. 449.


Il s'agit de Cypris :
Ηδ᾽ ἐστὶν ἡ σπείρουσα καὶ διδοῦσ᾽ ἔρον .
Nous n'hésiterons pas à rétablir ici κανδιδοῦσ᾽ (καὶ ἀναδιδοῦσα) ,
«faisant croitre. On trouve de même ἀνδαίοντες pour ἀναδαίοντες
au vers 305 de l'Agamemnon d'Eschyle ; et Guillaume Dindorf
a introduit , avec toute apparence de raison , cette forme apo-
copée de ává dans plusieurs passages des tragiques : ainsi
ἐπανδίπλαζε pour ἐπαναδίπλαζε au vers 817 de Prométhée pour
- 5

ne citer que des cas où l'apocope a lieu devant ) . En ce qui


concerne la crase κἀν . . . pour καὶ ἀνά , il suffit de renvoyer aux
exemples rassemblés par Ellendt dans son Lexicon Sophocleum
(I, 895 , article xaí) .

7. Euripide , Erechthée, fragment 362 Dindorf,


v. 8-10 (et chez Lycurgue, p. 161 ) .

Αὐτόχθονες δ᾽ ἔφυμεν · αἱ δ᾽ ἄλλαι πόλεις,


πεσσῶν ὁμοίως διαφοραῖς ἐκτισμέναι,
ἄλλαι παρ᾽ ἄλλων εἰσὶν εἰσαγώγιμοι .
Pour faire disparaître le non-sens du dernier vers , il suffit
de substituer ἄλλοι Ὦ ἄλλαι . Ἄλλοι s'expliquera soit par un
anacoluthe, soit par la figure καθ᾽ ὅλον καὶ μέρος : «Les citoyens
de ces villes proviennent , les uns d'un pays , les autres d'un
autre» ; ou «Ces villes sont composées de citoyens provenant.... »

8. Musée, Héro et Léandre, v . 81 .

Ημετέρην παράκοιτιν ἔχων ἐνὶ δώμασιν Ηρώ.


Le sujet auquel se rapporte ἔχων étant ἐγώ , ἡμετέρην est au
moins inutile . Nous rétablirons ἡμετέροις : la faute s'explique tout
naturellement par le voisinage de παράκοιτιν. [P. Bourget, élève . ]

9. Démosthène, Pour les Mégalopolitains,


ch. 12 ; p . 205 .

Menacer les Athéniens de l'inimitié de Lacédémone , s'ils


portent secours aux Arcadiens , cela peut être permis à tout le
monde , excepté à ceux qui , dans d'autres circonstances , ont
déterminé les Athéniens à secourir les Lacédémoniens . L'ora-
teur ajouterait, à en croire la vulgate :
Οἱ γὰρ ταῦτα λέγοντες ἔπεισαν ὑμᾶς , πάντων Πελοποννησίων
ἐλθόντων ὡς ὑμᾶς καὶ μεθ᾽ ὑμῶν ἀξιούντων ἐπὶ τοὺς Λακεδαιμονίους
ἰέναι, τοὺς μὲν μὴ προσδέξασθαι (καὶ διὰ τοῦθ᾽ , ὅπερ ἦν ὑπόλοιπον
αὐτοῖς , ἐπὶ Θηβαίους ἦλθον) , ὑπὲρ δὲ τῆς Λακεδαιμονίων σωτηρίας
καὶ χρήματ᾽ εἰσφέρειν καὶ τοῖς σώμασι κινδυνεύειν .
1. Nous avions conjecture Οὐ γὰρ ταῦτα λέγοντες , avant de
savoir que telle est la legon du ms . Σ. On s'explique difficile-
ment que Voemel, qui cite en note cette variante , ne l'ait pas
insérée dans son texte . En effet , la phrase de la vulgate ne
fait pas faire un pas à la pensée que développe ici l'orateur.
Avec où , le sens sera : «Car ce n'est pas en vous tenant un tel
6

langage , en vous avertissant que , secourir les Lacédémoniens ,


c'était vous engager pour l'avenir à subir docilement tous leurs
caprices (idée sur laquelle Démosthène insistera dans la phrase
qui suit immédiatement celle -ci ) , ce n'est pas en vous tenant un
tel langage , qu'ils vous ont déterminés à prendre la défense
des Lacédémoniens attaqués .
2. Quand nous ignorions encore la confirmation décisive ap-
portée par le ms, Σ à notre conjecture , le mot xaitot, qui , dans
la vulgate , commence la phrase suivante , ne laissait pas de
nous embarrasser . Nous aurions dû comprendre que c'était là
une simple intrusion ( 1 ) , consécutive au changement de où en
oi. En effet , le même manuscrit Σ porte en cet endroit où ' , et
non καίτοι οὐδ᾽ .

10. Démosthène, Contre Androtion , ch. 36 ;


page 604.
Le refus du peuple, de décerner au Conseil une couronne en
récompense de ses services , n'est humiliant que pour ceux qui ,
comme Androtion , ont joué un rôle actif et important dans les
délibérations de cette assemblée :
Τῷ γάρ ἐστιν ὄνειδος , εἰ σιωπῶντος αὐτοῦ καὶ μηδὲν γράφοντος,
ἴσως δ᾽ οὐδὲ τὰ πόλλ᾽ εἰς τὸ βουλευτήριον εἰσιόντος , μὴ λάβοι ἡ
βουλὴ τὸν στέφανον ; Οὐδενὶ δήπουθεν , ἀλλὰ τοῦ γράφοντος καὶ
πολιτευομένου καὶ πείθοντος ἃ βούλοιτο τὴν βουλήν .
Corrigez : ἀλλ᾽ αὐτοῦ.

11. Apollonius de Rhodes , Argonautiques , II , 771 .

Ὁ δ᾽ ἑξείης ἐνέποντος
θέλγετ᾽ ἀκουῇ θυμόν · ἄχος δ᾽ ἕλεν Ἡρακλῆϊ
λειπομένῳ ·
Corrigez : ἄχος δ᾽ ἕλ᾽ ἐφ᾽ Ἡρακλῆϊ .

1. Peut-être y aurait-il avantage à substituer ce mot , dans beaucoup


de cas , à «interpolation» qui est susceptible, chez nous de deux acceptions
notablement différentes d'autant plus que la seule de ces acceptions
qui soit indiquée tant par l'Académie que par Littré , ne correspond nul-
lement au sens constant du latin « interpolare » , soit dans les auteurs an-
ciens, soit chez les philologues modernes . «Intrusion» , au contraire , au-
rait l'avantage d'être parfaitement clair pour tout le monde . Pourquoi ne
dirait-on pas aussi «mot intrus, phrase intruse» ? L'usage aurait bientôt
fait oublier ce que ces expressions peuvent avoir de bizarre. - Au reste,
dans l'exemple particulier dont il s'agit , le mot «interpolation, » en quel-
que sens qu'on le prenne, serait parfaitement à sa place.
7

12. Démosthène, Olynth. I , ch. 20 , p. 14.

Démosthène regrette manifestement que l'argent destiné dans


le principe , sous le nom de χρήματα στρατιωτικά , à subvenir aux
dépenses de l'armée , ait reçu depuis un emploi tout différent .
Mais s'il le fait entendre , il ne le dit pas ouvertement : à plus
forte raison ne hasarde-t-il aucune proposition formelle . Aussi
Madvig (Adversaria) a-t-il eu bien raison de considérer comme
une glose le mot oτpatiwτixá , par lequel cet argent est qualifié
un peu plus haut (ch . 19 ) dans la vulgate . Cela posé , ce n'est
pas sans étonnement qu'on lit , au chapitre qui nous occupe ,
ainsi que dans l'argument de Libanius :
Τί οὖν , ἄν τις εἴποι, σὺ γράφεις ταῦτ᾽ εἶναι στρατιωτικά ;

Zo pápets signifierait ici «tu proposes par décret» , et nous


avons vu que Démosthène ne propose aucun décret . Mais
comme le sens , à peine déguisé de ses paroles , est qu'il faut
rendre l'argent en question à sa destination première , il sup-
pose qu'un de ses adversaires , voulant lui tendre un piége , lui
adresse l'interpellation suivante : Τί οὖν , ἄν τις εἴποι , οὐ γράφεις
(ou bien οὐ σὺ γράφεις ) ταῦτ᾽ εἶναι στρατιωτικά ; A quoi il se hate
de répondre : «Je m'en garderai bien» , µà Al' oВx ¤ywyɛ.
«Non evitare Demosthenes solebat vocalium concursionem in
>pausa» (Vomel , Prolégomènes , page 3) ; et il y a évidemment
une pause après enot, bien que Schaefer, approuvé par Væmel ,
nie qu'il y en ait une après τί οὖν .

13. Thucydide, II , 8 .

Il s'agit de préparatifs auxquels tout le monde concourait


avec activité :
Ἐν τούτῳ τε κεκωλῦσθαι ἐδόκει ἑκάστῳ τὰ πράγματα ᾧ μή τις
αὐτὸς παρέσται .

Le parfait κεκωλύσθαι concorde mal avec le futur παρέσται .


Il faut rétablir le futur antérieur : xexwλúseαι .

14. Démosthène, Phil. I, ch . 43 ; p. 52 .

Εἶτα τοῦτ᾽ ἀναμενοῦμεν , καὶ τριήρεις κενὰς καὶ τὰς παρὰ τοῦ
δεῖνος ἐλπίδας ἂν ἀποστείλητε , πάντ᾽ ἔχειν οἴεσθε καλῶς ;
La phrase est évidemment irrégulière. Nous corrigerions :
oinseous . [Jules Nicole , de Genève , élève . ]
15. Scholiaste d'Aristophane, Guêpes , v. 926.
Λέγεται καὶ γῆ σκιρρὰς , λευκή τις ὡς γύψος , καὶ Ἀθηνᾶ Σκιρρὰς ,
ὅτι τῇ λευκῇ χρίεται .
Corrigez : γῇ λευκή . Pour le sens de cette expression , cf.
Thesaurus Didot , au mot λευκός. Dioscoride livre V, ch . 176)
emploie le verbe ἐπιχρίεσθαι en parlant de la γή Κιμωλία , en
général) . [ Émile Chatelain , élève. ]

16. Thucydide, II , 11 .

Πᾶσι γὰρ ἐν τοῖς ὄμμασι καὶ ἐν τῷ παραυτίκα ὁρᾶν πάσχοντάς


ἄηθες ὀργὴ προσπίπτει .
Corrigez : ἀηδές. Charles Graux , élève .] Cette conjecture
ne remédie certainement qu'à une des moindres altérations du
texte ci -dessus : elle nous paraît néanmoins tout à fait digne
d'être signalée .

17. Apollonius de Rhodes, Argonautiques , I , 870 .


Οὐδέ τι κῶας
αὐτόματον δώσει τις ἑλων θεὸς εὐξαμένοισιν .
Ελών est très-faible ici ; et, ce qui est plus grave , αὐτόματον
δώσει n'offre aucun sens raisonnable. Nul doute qu'il ne faille
corriger : δώσει τις ἑλεῖν. [Jules Lecoultre, élève . ]

18. Théognis, v. 674 et suivants.

Η μάλα τις χαλεπῶς


σώζεται , οἷ᾽ ἕρδουσι · κυβερνήτην μὲν ἔπαυσαν
ἐσθλὸν , ὅ τις φυλακὴν εἶχεν ἐπισταμένως ·
χρήματα δ᾽ ἁρπάζουσι βίῃ
Nous rétablirons : κυβερνήτην γὰρ ἔπαυσαν. Les manuscrits
portant oi d' , et non of (au second vers ) , cette fausse leçon peut
être l'origine de pév substitué à ráp. Si l'on suppose, en effet, tout
le passage écrit sans accents et sans ponctuation , comme il a
dû l'être primitivement , on comprendra qu'il était naturel de
voir dans Ol le pronom relatif, et de rattacher of d'épòovot sans
interruption aux mots suivants . [Paul Bourget, élève . ]

19. Euripide , Hippolyte, 431 .


Φεῦ φεῦ · τὸ σῶφρον ὡς ἁπανταχοῦ καλὸν
καὶ δόξαν ἐσθλὴν ἐν βροτοῖς καρπίζεται .
Si l'on admet pour un moment que , au lieu de ἐν βροτοῖς,
Euripide avait écrit ἐν κακοῖς (ce qui peut être le datif de κακοί,
9

aussi bien que de xaxá) , on comprendra sans peine qu'un co-


piste ait cru devoir substituer βροτοῖς ἢ κακοῖς. Remarquons
d'ailleurs que le mot άnavτayoù ne peut signifier ici «en tous
lieux , » mais bien «en toutes circonstances , » dans la situation la
plus malheureuse , au milieu des plus terribles épreuves , comme
celle que Phèdre traverse en ce moment .

20. Démosthène, Pour les Mégalopolitains ,


ch. 31 ; p . 210 .

Ἂν μὲν τοίνυν καταπολεμηθῶσιν οἱ Θηβαῖοι , ὥσπερ αὐτοὺς δεῖ,


οὐκ ἔσονται μείζους τοῦ δέοντος οἱ Λακεδαιμόνιοι τούτους ἔχοντες
ἀντιπάλους, τοὺς Ἀρκάδας ἐγγὺς οἰκοῦντας .
" опeρ aúτous dεi se comprend d'autant moins que Démo-
sthène , à ce qui résulte de tout son discours , souhaite évidem-
ment la victoire des Thébains . Cette phrase absurde ne peut
avoir d'autre origine qu'une glose marginale , ep auτoùs deł,
afférente à tou déovτos . (On sait que os et sont très-fréquem-
ment confondus . ) [Paul Bourget, élève . ]

21. Hypéride, fragment 210 (éd . Blass) .

Δεῖ τὸν ἀγαθὸν ἐπιδείκνυσθαι ἐν μὲν τοῖς λόγοις å


ἃ φρονεῖ , ἐν δὲ
τοῖς ἔργοις ἃ ποιεῖ .
On ne reconnaît guère dans cette pensée la finesse d'esprit
qui paraît avoir caractérisé Hypéride ; et nous aurions peine à
comprendre qu'on eût fait à une telle maxime l'honneur de la
citer . Le texte original portait peut-être : Asi tov ayadov éñɩ–
δείκνυσθαι ἐν μὲν τοῖς λόγοις å
ἃ ποιεῖ, ἐν δὲ τοῖς ἔργοις ἃ φρονεῖ .
«La vie de l'honnête homme doit se peindre dans ses discours ,
et ses principes , dans sa vie . » [Jules Nicole, élève . ]
Le secours du contexte faisant défaut , toute tentative , soit
d'interprétation , soit de restitution , aura ici quelque chose
d'arbitraire . C'est ce qui nous empêche de recommander avec
une parfaite confiance cette conjecture intéressante .

22. Euripide, Hippolyte, 379 et suivants .

La vulgate met dans la bouche de Phèdre l'étrange disser-


tation que voici :
379. Τὰ χρήστ᾽ ἐπιστάμεσθα καὶ γιγνώσκομεν,
380. οὐκ ἐκπονοῦμεν δ᾽ , οἱ μὲν ἀργίας ὅπο ,
381. οἱ δ᾽ ἡδονὴν προθέντες ἀντὶ τοῦ καλοῦ
10 -

382. ἄλλην τιν' . Εἰσὶ δ᾽ ἡδοναὶ πολλαὶ βίου,


383. μακραί τε λέσχαι καὶ σχολὴ, τερπνὸν κακὸν,
384. αιδώς τε . Δισσαὶ δ᾽ εἰσὶν, ἡ μὲν οὐ κακὴ,
385. ἡ δ᾽ ἄχθος οἴκων · εἰ δ᾽ ὁ καιρὸς ἦν σαφὴς,
386. οὐκ ἂν δύ᾽ ἤστην ταὔτ᾽ ἔχοντε γράμματα .
387. Ταῦτ᾽ οὖν ἐπειδὴ τυγχάνω φρονοῦσ᾽ ἐγώ ,
388. οὐκ ἔσθ᾽ ὁποίῳ φαρμάκω διαφθερεῖν
389. ἔμελλον , ὥστε τούμπαλιν πεσεῖν φρενῶν .

1. Personne , apparemment , n'approuvera un tel enchaine-


ment d'idées. Pour nous, nous attribuons l'incohérence que l'on
remarque aujourd'hui dans ce passage à l'intrusion de deux
sentences absolument étrangères au sujet . La première con-
cerne les plaisirs : Εἰσὶ δ᾽ ἡδοναὶ πολλαὶ βίου Μακραί τε λέσχαι
καὶ σχολὴ , τερπνόν κακόν (382-383) . La seconde concerne la
honte : Δισσαὶ δ᾽ εἰσὶν , ἡ μὲν οὐ κακὴ , Ἡ δ᾽ ἄχθος οἴκων · εἰ
δ᾽ ὁ καιρὸς ἦν σαφής , Οὐκ ἂν δύ᾽ ἤστην ταῦτ᾽ ἔχοντε γράμματα
(384-386) .
Nous croyons qu'il est parfaitement légitime de réduire ces
onze vers aux six que voici :
379. Τὰ χρήστ᾽ ἐπιστάμεσθα καὶ γιγνώσκομεν ,
380. οὐκ ἐκπονοῦμεν δ᾽ , οἱ μὲν ἀργίας υπο,
381. οἱ δ᾽ ἡδονὴν προθέντες ἀντὶ τοῦ καλοῦ
384 et 387. αἰδοῦς τ᾽ · ἐπεὶ δ᾽ εὖ τυγχάνω (οι τύγχανον)
φρονοῦσ᾽ ἐγώ ,
388. οὐκ ἔσθ᾽ ὁποίῳ φαρμάκῳ διαφθερεῖν
389. ἔμελλον, ὥστε τούμπαλιν πεσεῖν φρενῶν .
Abstraction faite des deux derniers vers , qui, en aucune hy-
pothèse, ne peuvent, croyons-nous , rester tels qu'ils sont (peut-
être Οὐκ ἔσθ᾽ ὁποίῳ φαρμάκῳ ποτ᾽ ἀσθενεῖν Ἔμελλον , ὥστε
τοἔμπαλιν πεσεῖν φρενών) , la suite des idées est maintenant
satisfaisante. Il reste à justifier nos corrections . Outre les deux
maximes dont l'introduction constitue l'altération principale ,
nous avons retranché ἄλλην τιν ' au vers 382 et ταῦτ᾽ οὖν au
vers 387 , comme deux remplissages destinés à permettre l'in-
sertion des deux passages importés de la marge . Cette inser-
tion devait nécessairement avoir pour conséquence la substitu-
tion de αιδώς et de ἐπειδή ἡ αἰδοῦς et ἐπεὶ δ᾽ εὖ , que nous avons
rétablis . De sorte que notre supposition se réduit à ceci : Quel-
qu'un avait écrit à la marge d'un exemplaire d'Euripide deux
citations empruntées à un poëte dramatique , probablement à
Euripide hi-même, l'une afférente au mot ήδονήν, du vers 381 ,
- 11

l'autre au mot aldous du vers 384 ; quelqu'un s'avisa ensuite


de faire entrer ces deux citations dans le texte.
La citation concernant la honte paraît avoir été empruntée à
la tragédie d'Euripide intitulée Érechthée . A cette pièce , en
effet , appartiennent deux vers (Euripide , fragment 367 Din-
dorf) , qui peuvent être rattachés comme on va le voir à la
sentence en question :
Αἰδοῦς δὲ καὐτὸς δυσκρίτως ἔχω πέρι ·
καὶ δεῖ γὰρ αὐτῆς κἄστιν αὖ κακὸν μέγα . (Euripide, Erechthée .)
(Μάλλον δὲ δισσαί γ᾽ εἰσὶν, ἡ μὲν οὐ κακὴ ,
ἡ δ᾽ ἄχθος οἴκων · εἰ δ᾽ ὁ καιρὸς ἦν σαφής,
αν δύ᾽ ἤστην ταῦτ᾽ ἔχοντε γράμματα. (Euripide , Hippo-
οὐκ ἂν
lyte , 384-386 .)
Quant aux vers sur les plaisirs , s'il faut absolument leur as-
signer une place , on peut les réunir , de la manière suivante , à
un fragment cité par Stobée (Flor . 63 , 1 ) de l'Éole d'Euripide
(fragm. 26 Dind. ) :
Εἰσὶ δ᾽ ἡδοναὶ πολλαὶ βίου,
μακραί τε λέσχαι καὶ σχολὴ, τερπνὸν κακόν . (Hipp. 382-383 . )
Τη δ᾽ Ἀφροδίτη πόλλ᾽ ἔνεστι ποικίλα
τέρπει τε γὰρ μάλιστα καὶ λυπεῖ βροτούς ·
τύχοιμι δ᾽ αὐτῆς ἡνίκ᾽ ἐστὶν εὐμενής. Euripide , fragment
26 Dindorf. )

2. Le rapprochement qui a été fait plus haut entre le frag-


ment d'Erechthée et les vers 384-386 , nous permet de faire
disparaître une faute qu'il avait été jusqu'ici impossible , sinon
d'apercevoir , au moins de corriger . Les mots al ' ó xaipòs žv
says ne présentent aucun sens satisfaisant , pas plus si on les
laisse dans Hippolyte que si on les rend à Érechthée. Nous
croyons ne pas nous tromper en rétablissant el dè xal tóo' v
sapés, «et si cela même était clair. » Voici, en effet , la marche
des idées dans les cinq vers , considérés comme appartenant à
un même morceau : «Je ne sais que penser de la honte . En
effet , elle est bonne , et d'autre part , elle est mauvaise . Ou
plutôt il y a deux hontes , l'une bonne et l'autre mauvaise.
Mais ceci même n'est pas clair , n'est pas de nature à me tirer
de mon embarras . En effet , s'il était clair et évident que la
bonne honte et la mauvaise sont deux choses différentes , l'une
et l'autre ne porteraient pas le même nom . »>

23. Démosthène, Philippique I, ch. 27 ; p . 47.

Οὐ γὰρ ἐχρῆν , ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι , ταξιάρχους παρ᾽ ὑμῶν,


12 -

ἱππάρχους παρ᾽ ὑμῶν ἄρχοντας οἰκείους εἶναι , ἵν᾽ ἦν ὡς ἀληθῶς τῆς


πόλεως ἡ δύναμις ; ἀλλ᾽ εἰς μὲν Λήμνον τὸν παρ᾽ ὑμῶν ἵππαρχον
δεῖ πλεῖν , τῶν δ᾽ ὑπὲρ τῶν τῆς πόλεως κτημάτων ἀγωνιζομένων
Μενέλαον ἱππαρχεῖν ;

1. Il faut évidemment changer ἀλλ' , qui commence la seconde


phrase, en εἴγ' , et supprimer les deux points-virgules :
Οὐ γὰρ ἐχρῆν , ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι , ταξιάρχους παρ᾽ ὑμῶν , ἱπ-
πάρχους παρ᾽ ὑμῶν ἄρχοντας οἰκείους εἶναι , ἵν᾽ ἦν ὡς ἀληθῶς τῆς
πόλεως ἡ δύναμις , εἴ γ᾽ εἰς μὲν Λῆμνον τὸν παρ᾽ ὑμῶν ἵππαρχον
δεῖ πλεῖν , τῶν δ᾽ ὑπὲρ τῶν τῆς πόλεως κτημάτων ἀγωνιζομένων
Μενέλαον ἱππαρχεῖν ;
Οὐ γὰρ ἐχρῆν devra , des lors , être interprété , non «Ne fail-
lait-il pas... ? mais «Il n'y avait pas besoin que... » ; ou encore ,
de manière à mieux justifier la construction de iva avec l'indi-
catif (voir Krüger , 54 , 8 , 8) , «Il n'y avait pas lieu de désirer
que. . . . »
2. Ajoutons une dernière observation tout à fait accessoire :
Au lieu de Μενέλαον ἱππαρχεῖν, Démosthène n'aurait-il pas écrit
plutôt Μενέλαος ἱππαρχει ?

24. Démosthène, Contre Timocrate, ch. 80 ; p. 726 .

Τίς γὰρ ἀρχὴ παραδώσει τὸν ὀφλόντα ; τίς τῶν ἕνδεκα παρα
λήψεται ; κελεύοντος μὲν τοῦ νόμου τούτου ἐν τῷ δήμῳ καθιστάναι
τοὺς ἐγγυητὰς , ἀδυνάτου δ᾽ ὄντος αὐθημερὸν ἐκκλησίαν ἅμα καὶ
αν
δικαστήριον γενέσθαι , οὐδαμοῦ δ᾽ ἐπιτάττοντος φυλάττειν ἕως ἂν
καταστήσῃ τοὺς ἐγγυητάς .
Οὐδαμοῦ ἐπιτάττοντος , ainsi séparé de του νόμου τούτου , de-
vient inintelligible. Il faut certainement corriger : Ἀδύνατον δ᾽
ἂν αὐθημερὸν ἐκκλησίαν ἅμα καὶ δικαστήριον γενέσθαι , οὐδαμοῦ
ἐπιτάττοντος φυλάττειν κτλ . La faute ἀδυνάτου ὄντος devait ne-
cessairement avoir pour conséquence l'insertion de dé après
οὐδαμοῦ .
Οὐδαμοῦ ne fait pas hiatus devant ἐπι. (Voir Vœmel , Prole-
gomènes , page 13. )

25. Démosthène, Pour les Mégalopolitains,


ch. 16 ; p. 206 .
Νῦν γάρ φασιν ἐκεῖνοι δεῖν Ἠλείους μὲν τῆς Τριφυλίας τινὰ
κομίσασθαι , Φλιασίους δὲ τὸ Τρικάρανον , ἄλλους δέ τινας τῶν Ἀρ
κάδων τὴν αὑτῶν , καὶ τὸν Ὠρωπὸν ἡμᾶς , οὐχ ἵν᾿ ἑκάστους ἡμῶν
ἴδωσιν ἔχοντας τὰ αὑτῶν . . . . . , ἀλλ᾽ ἵνα πᾶσι δοκῶσι συμπράττειν .
-- 13 -

Dans une phrase où quac signifie les Athéniens , par oppo-


sition aux Éléens , aux Phliasiens , et à certains peuples de l'Ar-
cadie, il serait étrange que uov signifiât tous les Grecs . Hâtons-
nous de rétablir : ἵν᾽ ἑκάστους Ελλήνων.

26. Démosthène, Contre Timocrate, ch . 15 ; p . 704 .


Ἦν μὲν γὰρ Σκιροφοριών μὴν ἐν ᾧ τὰς γραφάς ἥττηντ᾽ ἐκεῖνοι
τὰς κατὰ τοῦ Εὐκτήμονος , μισθωσάμενοι δὲ τοῦτον καὶ οὐδὲ παρ-
εσκευασμένοι τὰ δίκαια ποιεῖν ὑμῖν , κατὰ τὴν ἀγορὰν λογοποιοὺς
καθίεσαν , ὡς ἁπλᾶ μὲν ἕτοιμοι τὰ χρήματ᾽ ἐκτίνειν , διπλᾶ δὲ, οὐ
δυνήσονται .
L'alteration est manifeste. Peut-être faut-il corriger : Μισθω
· σάμενοι δὲ τοῦτον , ὡς οὐδέπω παρεσκευασμένοι τὰ δίκαια ποιεῖν
ὑμῖν , κατὰ τὴν ἀγορὰν λογοποιοῦν τα καθίεσαν , ὡς ἁπλᾶ μὲν
ἕτοιμοι τὰ χρήματ᾽ ἐκτίνειν , διπλᾶ δὲ , οὐ δυνήσονται .
La confusion de os et de xaí est connue comme très-fréquente ;
et πω a pu facilement être omis devant παρ . La troisième cor-
rection nous paraît impérieusement exigée par le sens . En ce
qui concerne έτοιμοι , il n'y a pas besoin de faire observer que
ce mot a par lui-même, dans ce passage, comme dans beaucoup
d'autres , la valeur verbale : εἰσί , que portent plusieurs manu-
scrits de moindre autorité , est d'autant plus manifestement une
glose, que, parmi ces manuscrits, les uns le placent après ἁπλᾶ
μέν, les autres après ἐκτίνειν .

27. Démosthène, Phil. I , ch. 15 ; p. 44 .


Démosthène a dit qu'il croit pouvoir indiquer au peuple les pré-
paratifs à faire en vue de la guerre contre Philippe . Il ajoute :
Η μὲν οὖν ὑπόσχεσις οὕτω μεγάλη, τὸ δὲ πρᾶγμα ἤδη τὸν ἔλεγχον
δώσει · κριταὶ δ᾽ ὑμεῖς ἔσεσθε.
Démosthène ne songe pas à se prévaloir de la grandeur de
ses promesses , ce qui résulterait , si nous ne nous trompons ,
des mots οὕτω μεγάλη. Η avone qu'elles sont grandes : réus-
sira-t-il à les tenir ? C'est ce que montrera l'évènement seul ,
et dont le peuple jugera . En conséquence , nous corrigerons :
Η μὲν οὖν ὑπόσχεσις αὕτη μεγάλη ( nonobstant la citation
d'Hermogene) .

28. Démosthène, Contre Timocrate, ch. 57 ; p . 718 .


Démosthène s'attache à justifier la disposition légale qui
abolit les actes des Trente tyrans :
14
Ειπέ μοι, τί δεινότατον πάντες ἂν ἀκούσαντες φήσαιτε καὶ μάλιστ᾽
ἂν ἀπεύξαισθε ; Οὐχὶ ταῦτα τὰ πράγματα, ἅπερ ἦν ἐπὶ τῶν τριάκοντα ,
μὴ γενέσθαι ;
N'était un yevéodat , la seconde phrase répondrait aux deux
questions posées dans la première. Telle qu'elle est , elle ne
répond qu'à une seule . My revέodat est donc plus qu'inutile.
D'autre part , on peut remarquer que ces deux mots qui,
placés à la fin de la première phrase , en altèrent le sens , ter-
min eraient bien la première ; et la ressemblance de a et
de e dans la prononciation ayant pu les faire omettre après
aneúkatode , l'hypothèse d'une transposition serait parfaitement
legitime. On aurait alors : καὶ μάλιστ᾽ ἂν ἀπεύξαισθε μὴ γενέσθαι .
Cf. Aristog. I, 31. Mais comparer, d'autre part, Cherson. , ch .
51 , ἀπεύχεσθαι δήπου [μὴ γενέσθαι] , οἱ ces derniers mots , qui
manquent dans Σ , ne sont évidemment qu'une glose importée
de la marge. En serait-il de même ici ?

29. Démosthène, Olynth . I, ch . 1. p. 9 .


Il faut écouter attentivement tous les orateurs :
Οὐ γὰρ μόνον εἴ τι χρήσιμον ἐσκεμμένος ἥκει τις , τοῦτ᾽ ἂν
ἀκούσαντες λάβοιτε , ἀλλὰ κτλ .
Au lieu de xet , le sens demande un mot qui puisse justi-
fier l'emploi de λáßotte dans le membre de phrase suivant.
Parmi les verbes qui signifient « donner» ou « offrir» , nous ne
voyons guère que ooet qui puisse , dans ce passage , être sub-
stitué avec quelque probabilité à xe . On sait que K a souvent
la forme IC dans les vieux manuscrits . [Paul Bourget, élève . ]
À supposer cette conjecture admissible , on désirerait trouver,
à la place du participe axeuuévos , un mot qui caractérisât
l'action marquée par le verbe , de façon à correspondre à la
locution adverbiale ἐκ τοῦ παραχρῆμα , du membre de phrase
suivant . La substitution de ἐσκεμμένος ἡ ἐσκεμμένως s'explique-
rait assez bien comme une conséquence de l'introduction de xe
dans le texte . C'est ainsi qu'un manuscrit , cité par Voemel,
porte soxεuμévws , avec la correction os , de seconde main , et
la note : τὸ ἥκω μετὰ μετοχῆς πάντοτε συντάσσεται .

30. Démosthène, Olynth . I, ch . 11 , p . 12 .


Ἂν μὲν γὰρ ὅσα ἄν τις λάβῃ καὶ σώσῃ , μεγάλην ἔχει τῇ τύχῃ τὴν
χάριν · ἂν δ᾽ ἀναλώσας λάθη , συνανήλωσε καὶ τὸ μεμνῆσθαι τὴν
χάριν .
15

Déjà , grâce au secours du manuscrit Σ , la vulgate, qui por-


tait μεμνῆσθαι τῇ τύχῃ τὴν χάριν , a été débarrassée de la glose
τῇ τύχη . Elle ne sera tout-à-fait saine que lorsqu'on en aura
exclu pareillement τὴν χάριν , glose plus ancienne , qui , avant
Finsertion de τῇ τύχῃ, avait du servir à expliquer μεμνῆσθαι .
La répétition d'un mot est souvent l'indice de l'introduction
d'une glose dans le texte. Voir Revue critique d'Histoire et
de Littérature (7 août 1869 : Des répétitions de mots dans les
tragédies d'Euripide) .

31. Hypéride, Pour Euxénippe, col . 31-32.

Δεῖ δὲ , ὦ βέλτιστε, μὴ ἐπὶ τῷ Ὀλυμπιάδος ὀνόματι καὶ τῷ Ἀλεξάν


ὅρου τῶν πολιτῶν τινα ζητεῖν κακόν τι ἐργάσασθαι , ἀλλ᾽ , ὅταν
ἐκεῖνοι πρὸς τὸν δῆμον τὸν Ἀθηναίων ἐπιστέλλωσι μὴ τὰ δίκαια
μηδὲ τὰ προσήκοντα , τότε ἀναστάντα ὑπὲρ τῆς πόλεως ἀντι-
λέγειν .

Corrigez : μήτε δίκαια μήτε προσήκοντα . La première faute


(μὴ τὰ) devait inevitablement amener la seconde.

32. Démosthène , Sur les Symmories , ch. 37 ; p . 188 .

Φυλάττεσθαί φημι δεῖν μὴ πρόφασιν δῶμεν βασιλεῖ τοῦ τὰ δίκαια


ὑπὲρ τῶν ἄλλων Ελλήνων ζητεῖν .
Ce dernier mot nous est suspect , ainsi qu'à Dobree .
D'autre part , on a remarqué que ζητεῖν et ἀπαιτεῖν sont quel-
quefois confondus (Vollgraff, Studia palæographica , p . 80. ) .
Faudrait-il rétablir ici ἀπαιτεῖν ?

33. Posidippe, chez Athénée, ΧΠΙ , p. 596 .

Σαπφῷαι δὲ μένουσι φίλης ἔτι καὶ μενέουσιν


ᾠδῆς αἱ λευκαὶ φθεγγόμεναι σελίδες .
Αἱ λευκαί est absurde . Αἱ λευκὰ φθεγγόμεναι , proposé par
Meineke , avec l'interprétation « clara et perspicua voce loquen-
»tes ,» n'est guere plus vraisemblable. Nous conjecturons : Aio-
λικὰ φθεγγόμεναι .

34. Euripide, Hippolyte, v. 288 et suivants .

288. Αγ᾽ ὦ φίλη παῖ, τῶν πάροιθε μὲν λόγων


289. λαθώμεθ᾽ ἄμφω , καὶ σύ θ᾽ ἡδίων γενοῦ
290. στυγνὴν ὀφρὺν λύσασα καὶ γνώμης ὁδὸν,
16

291. ἐγώ θ᾽ ὅπη σοι μὴ καλῶς τόθ' εἱπόμην


292. μεθεῖσ᾽ ἐπ᾽ ἄλλον εἶμι βελτίω λόγον .
Le quatrième vers est en quelque sorte inintelligible ; et un
mis pour où ne saurait se justifier.
Admettons qu'il y eût dans un texte plus ancien :
Καὶ γνώμης ἐγὼν
μεθεῖσ᾽ ἐπ᾽ ἄλλον εἶμι βελτίω λόγον,
«renonçant à mon dessein , je passerai à un autre sujet moins
pénible. >> Toutes les difficultés disparaîtront. La construction
de uɛdeo ' avec le génitif est un homérisme , qu'Euripide a
imité ailleurs (cf. 333 : dettas
δεξιᾶς t'
τ᾽ suns
ἐμῆς μédes.
μέθες. Ainsi H. Weil ,
avec tous les bons manuscrits) , et que Dawes a eu tort de con-
damner dans le texte d'Aristophane ( Grenouilles, 830 : Oux av
μεθείην τοῦ θρόνου) . Quant à ἐγών , le pronom de la première
personne se rencontre écrit ainsi , à tort ou à raison , deux fois
chez Eschyle, dont une fois à la fin d'un vers ( Suppliantes, 740 ;
Perses, 931) .
La ressemblance des deux mots syv et ódóv dans l'ancienne
écriture , d'autre part , la rareté même de cette construction de
Mediqui , que condamnaient , nous le savons , dans l'antiquité
même, certains grammairiens , enfin , sans doute , une rémini-
scence du vers 390 , qui se termine par les mots váμns ódóv,
ont pu concourir à faire substituer ódóv à èyov. L'auteur de
cette substitution pensait apparemment que la phrase pouvait
se passer ici du pronom è , qui est si fréquemment sous-en-
tendu . Plus tard , un autre lecteur en a jugé différemment. Il
pensa qu'un vers avait été omis ; et , afin de combler cette la-
cune imaginaire , il prit sur lui de fabriquer un supplément, où
il s'appliqua, d'une part , à rétablir le pronom omis , de l'autre,
à éclaircir l'expression obscure váμns ódóv. On eut alors :
Καὶ γνώμης ὁδὸν
ἔγωγ' (ou ἐγ ὼν ὅπη σοι μὴ καλῶς τόθ᾽ εἱπόμην
μεθεῖσ᾽ , ἐπ᾽ ἄλλον εἶμι βελτίω λόγον.
La leçon actuelle y ' doit être venue , en dernier lieu,
sous la plume d'un copiste qui lisait le vers 290 conformément
à la ponctuation de la vulgate actuelle , c'est à dire du texte
reproduit en tête de cet exercice.
En résumé, nous rétablirons :
288. ῎Αγ᾽ , ὦ φίλη παῖ, τῶν πάροιθε μὲν λόγων
289. λαθώμεθ᾽ ἄμφω, καὶ σύ θ᾽ ἡδίων γενοῦ
290. στυγνὴν ὀφρὺν λύσασα , καὶ γνώμης ἐγὼ
292. μεθεῖσ᾽ , ἐπ᾿ ἄλλον εἶμι βελτίω λόγον .
17

35. Sophocle , Antigone, 1178.

Ω μάντι , τοὔπος ὡς ἄρ᾽ ὀρθὸν ἤνυσας .

Ηνυσας est suspect. On comprend que Sophocle ait pu repre-


senter ailleurs le dieu Apollon comme réalisant lui-même ses
oracles . Mais il est clair qu'un simple devin, un mortel , comme
Tirésias , ne pouvait être investi d'un semblable pouvoir. Nous
conjecturons : ήνεσας . Cf. Philoct. 1380 : ὦ δεινὸν αἶνον αἰνέσας .
La phrase , des lors , devra se résoudre ainsi : Ὡς ἄρ᾽ ὀρθὸν
ἤνεσας τούπος (ὃ ήνεσας) . Les exemples de cette construction
sont trop nombreux et trop connus pour qu'il soit utile de la
justifier .

36. Sophocle, Électre, 1301-1302 .

Ἀλλ᾽ ὦ κασίγνηθ᾽ , ὧδ᾽ ὅπως καὶ σοὶ φίλον


καὶ τοὐμὸν ἔσται τῇδε .
Toe devait sans doute désigner Électre d'où il résulte que
τοὐμόν parait avoir pris la place d'un mot synonyme de φίλον,
signifiant , par conséquent , « volonté , désir » . Ce mot ne peut
guere etre que θυμός , qu'on trouve employé de même au vers
1319 : ῎Αρχ ' αὐτὸς ὥς σοι θυμός .
On comprend aisément que douós ait pu devenir , dans un
manuscrit, οὗμός , puis , par correction, τοὐμόν .

37. Sophocle, Edipe à Colone, 1000-1004 .

Σὺ δ᾽ , εἶ γὰρ οὐ δίκαιος , ἀλλ᾽ ἅπαν καλὸν


λέγειν νομίζων, ῥητὸν ἄρρητόν τ' ἔπος,
τοιαῦτ᾽ ὀνειδίζεις με τῶνδ᾽ ἐναντίον .
Καί σοι τὸ Θησέως ὄνομα θωπεῦσαι καλόν
καὶ τὰς Ἀθήνας ὡς κατῴκηνται καλῶς .

Wecklein fait remarquer avec raison que καλόν , à la fin du


vers 1003 , peut provenir de l'infuence de καλῶς , qui termine le
vers suivant. Il aurait pu ajouter : Ou de καλόν , qui finit le
vers 1000 .
Quant au mot qu'il convient de rétablir ici , le sens ne s'ac-
commode bien ni de μέλον ni de μέλει , que propose le même
critique , mais bien plutôt de pílov (« tu trouves bon de , tu te
plais à ») , employé de la sorte , sans ἐστί , dans plusieurs pas-
sages de Sophocle.
2
18

38. Sophocle, Électre, 316 .

Ὡς νῦν ἀπόντος ιστόρει τί σοι φίλον.

Les exemples réunis par Schneidewin ne justifient qu'impar-


faitement un tel emploi de tí chez Sophocle . Ainsi en a jugé
sans doute O. Jahn , qui suppose une lacune après φίλον. Pre-
cédemment , Matthiae avait proposé τό σοι φίλον : nous nous
arreterions à cette conjecture , si τά σοι φίλον (c'est-à-dire
σοι φίλον ἐστὶν ἱστορεῖν) ne nous paraissait encore plus vrai-
semblable.

39. Thucydide , II , 41 .

Τοῖς τε νῦν καὶ τοῖς ἔπειτα θαυμασθησόμεθα , οὐδὲν προστ


δεόμενοι οὔτε Ὁμήρου ἐπαινέτου οὔτε ὅστις ἔπεσι μὲν τὸ αὐτίκα
τέρψει, τῶν δ᾽ ἔργων τὴν ὑπόνοιαν ἡ ἀλήθεια βλάψει .
Au mot inintelligible ὑπόνοιαν nous substituerons ἐποποιίαν .
La gloire que donne l'épopée est nécessairement une gloire
passagère , puisque tôt ou tard l'histoire dévoile les mensonges
des portes , et , par là , dissipe le prestige de leurs récits . Les
monuments de gloire éternels (aïdia) , ce sont ceux dont il est
question dans le membre de phrase suivant : πᾶσαν μὲν θάλασσαν
καὶ γῆν ἐσβατὸν τῇ ἡμετέρᾳ τόλμη καταναγκάσαντες γενέσθαι,
πανταχοῦ δὲ μνημεῖα κακῶν τε κἀγαθῶν ἀίδια ξυγκατοικίσαντες .
Si l'on remplace mentalement εποποιΐαν par l'expression sy-
nonyme ἐπῶν ποίησιν , on verra que la place donnée à ce mot,
entre τῶν δ᾽ ἔργων et ή ἡ ἀλήθεια, ne nuit point à la clarté ; qu'elle
contribue , au contraire , à faire ressortir l'opposition marquée
par l'écrivain entre les faits et les vers , entre les inventions
et la vérité.

40. Thucydide, II , 53 .

Καὶ τὸ μὲν προσταλαιπωρεῖν τῷ δόξαντι καλῷ οὐδεὶς πρόθυμος


ἦν, ἄδηλον νομίζων εἰ πρὶν ἐπ' αὐτὸ ἐλθεῖν διαφθαρήσεται .
Corrigez : τῷ δόξοντι καλῷ. (Se donner de la peine pour faire
des choses qui seraient jugées honorables ou glorieuses) .

41. Thucydide, II, 40 .

Οὐ γὰρ πάσχοντες εὖ, ἀλλὰ δρῶντες κτώμεθα τους φίλους.


Peut- être : ἀλλ' εὖ δρῶντες. Sinon , il semble que Thucydide
aurait écrit : οὐ γὰρ εὖ πάσχοντες . Ainsi construit Libanius dans
19 -

sa Lettre 330 , ou il rappelle cette phrase de Thucydide (ἐκεί


νους τε γὰρ ὁ Θουκυδίδης φησὶν εὖ ποιοῦντας , οὐ πάσχοντας, κτᾶσθαι
τοὺς φίλους) . Aristide , qui fait allusion dans deux endroits au
même passage , construit comme Libanius , et cependant répète
εὖ : Εὖ γὰρ ποιεῖν , οὐκ εὖ πάσχειν πεφυκότες (Panath. 252) . Ως
οἱ μὲν πρεσβύτατοι τῶν Ἀθηναίων εὖ ποιοῦντες , οὐκ εὖ πάσχοντες ,
τοὺς φίλους ἐκτῶντο (Contre Leptine , p . 46 Morell .) . Graux ,
élève . ]

42. Lysias, Discours VII, ch. 5 .

Ἡγοῦμαι τοίνυν , ὦ βουλὴ , ἐμὸν ἔργον ἀποδεῖξαι ὡς , ἐπειδὴ τὸ


χωρίον ἐκτησάμην , οὔτ᾽ ἐλάα οὔτε σηκὸς ἐνὴν ἐν αὐτῷ. Νομίζω γὰρ

τοῦ μὲν προτέρου χρόνου , οὐδ᾽ εἰ πάλαι ἐνῆσαν μυρίαι , οὐκ ἂν
δικαίως ζημιοῦσθαι .

La seule legon bien autorisée est : οὐδ᾽ εἰ πάλαι ἐνῆσαν μορίαι .


Mais πάλαι , inutile après του προτέρου χρόνου , et qui peut ne
devoir son introduction dans le texte qu'au voisinage de ces
mots , est sans doute une corruption de πολλαί , que οὐδ' εἰ ap-
pelle naturellement . C'est même , sans doute, cette exigence du
sens , qui a fait remplacer μορίαι par μυρίαι , dans les manu-
scrits, lorsque une fois πολλαί fut devenu πάλαι .
Μυρίαι , qui conviendrait fort bien ici , à supposer que la
phrase précédente füt οὐκ ἐλάα ἐνὴν ἐν αὐτῷ , s'accorde mal avec
οὔτ᾽ ἐλάα οὔτε σηκός : d'autant plus que, dans cette phrase, c'est
le substantif masculin σηκός qui exprime l'idée essentielle.
Nous corrigerons done : Οὐδ᾽ εἰ πολλαὶ ἐνῆσαν μορίαι . Graux,
élève . ]

43. Euripide, Hippolyte, 213-214.

Οὐ μὴ παρ' ὄχλῳ τάδε γηρύσει


μανίας ἔποχον ῥίπτουσα λόγον .
Nous proposons : μανίας ἔνοχον. L'emploi parfaitement cor-
rect , mais relativement un peu rare , du génitif avec ἔνοχος,
peut être l'origine de la faute . [Graux , élève. ]

44. Lucien, De la Manière d'écrire l'Histoire , ch. 6 .

Α μὲν οὖν κοινὰ πάντων λόγων ἐστὶν ἁμαρτήματα , ἔν τε φωνῇ καὶ


ἁρμονίᾳ καὶ διανοίᾳ καὶ τῇ ἄλλῃ ἀτεχνία, μακρόν τε ἂν εἴη ἐπελθεῖν ,
καὶ τῆς παρούσης ὑποθέσεως οὐκ ἴδιον .
Corrigez : καὶ τὴν ἄλλην ἀτεχνίαν . [Graux, élève.]
20

45. Platon, Gorgias, page 527 C.

D'après la vulgate , Socrate dirait , en finissant , à Callicles,


dont il vient de réfuter longuement les sophismes :
Ἐμοὶ οὖν πειθόμενος ἀκολούθησον ἐνταῦθα , οἱ ἀφικόμενος εὐδαι
μονήσεις καὶ ζῶν καὶ τελευτήσας , ὡς ὁ σὸς λόγος σημαίνει .
Heindorf et Bekker ont cru pouvoir supprimer oós , sur la foi
de quelques manuscrits d'importance secondaire . D'autres ont
essayé de justifier la leçon autorisée en alléguant que , si la
thèse (λόγος) dont il s'agit represente en réalité Popinion de
Socrate , elle a fini par devenir , en un sens , la thèse de Cal-
liclès , puisque Socrate, par son argumentation , a réduit ce der-
nier à la reconnaître pour vraie . Mais Calliclès a soutenu pré-
cédemment d'autres thèses qui pourraient être appelées les
siennes à bien plus juste titre de sorte que l'expression de la
vulgate manque , tout au moins , de clarté . Ο ημέτερος λόγος
(notre discussion) se comprendrait ; ὁ σὸς λόγος ne se comprend
pas à moins qu'on n'y voie (avec K. F. Hermann ) une ironie,
qui serait ici tout à fait forcée , et en désaccord avec le ton
général de cette conclusion du Gorgias .
Nous proposons : ὁ σῶς λόγος . Cette conjecture s'expliquera
d'elle-même , pour peu que l'on se reporte à ce qui a été dit
quelques lignes plus haut (page 527 B) : Αλλ' ἐν τοσούτοις λόγοις
τῶν ἄλλων ἐλεγχομένων μόνος οὗτος ἠρεμεῖ ὁ λόγος. [Graux, élève. ]

46. Aristote, Politique, livre I , ch . 8 .

Ἓν μὲν οὖν εἶδος κτητικῆς κατὰ φύσιν τῆς οἰκονομικῆς μέρος


ἐστίν · ὃ δεῖ ἤτοι ὑπάρχειν ἢ πορίζειν αὐτὴν ὅπως ὑπάρχῃ , ὧν ἐστι
θησαυρισμὸς χρημάτων πρὸς ζωὴν ἀναγκαίων .

Voir la Revue critique du 27 janvier 1872 .


Nous proposons : ᾗ δεῖ ἤτοι ὑπάρχειν.

47. Démosthène, Philippique I , ch. 37 ; p. 50 .

Οἱ δὲ τῶν πραγμάτων οὐ μένουσι καιροὶ τὴν ἡμετέραν βραδυτῆτα


καὶ εἰρωνείαν . Ας δὲ τὸν μεταξὺ χρόνον δυνάμεις οἰόμεθ᾽ ἡμῖν
ὑπάρχειν , οὐδὲν οἶαί τ᾽ οὖσαι ποιεῖν ἐπ᾿ αὐτῶν τῶν καιρῶν ἐξελέγ
χονται. (Texte de 2 et de Voemel .)
Au présent οἰόμεθ' , il faut probablement substituer l'imparfait
ψόμεθ' . [Chatelain, élève .]
21 -

48. Démosthène, Pour les Mégalopolitains ,


ch. 20 ; p . 207 .

Les orateurs qui rappellent sans cesse les anciens démêlés des
Athéniens et des Mégalopolitains semblent désirer que ceux-ci
préfèrent de nouveau une autre alliance à celle d'Athènes .
Ταῦτα μέν ἐστι δεύτερον ἀνθρώπων βουλομένων ἑτέρων ποιῆσαι
τούτους συμμάχους .

Si l'on se rappelle que súpuayos se construit avec le datif aussi


bien qu'avec le génitif , on verra que Démosthène n'a pu pré-
férer ici cette seconde construction à la première : autrement,
il faudrait admettre qu'il a embrouillé sa phrase de propos dé-
libéré . Nous rétablirons donc érépots. Les deux génitifs qui
précèdent expliquent la faute . [ Chatelain et Bourget, élèves . ]

49. Démosthène, Olynthienne III, ch. 19 ; p . 33 .

Ἀλλ' , οἶμαι , μέγα τοῖς τοιούτοις ὑπάρχει λόγοις ἡ παρ᾽ ἑκάστου


βούλησις , διόπερ ῥᾷστον ἁπάντων ἐστὶν αὐτὸν ἐξαπατῆσαι . Ο γὰρ
βούλεται , τοῦθ᾽ ἕκαστος καὶ οἴεται .

La suite des idées devait être , ce semble : « De tels discours


trouvent un puissant appui dans le désir secret de chacun ; et
voilà pourquoi ils font si aisément des dupes : en effet , chacun
croit ce qu'il désire.» On obtiendra ce sens en substituant autoi
ἢ αὐτόν .

50. Démosthène, Olynthienne III, ch. 28 ; p. 36 .

L'orateur termine comme il suit un tableau des malheurs im-


putables au gouvernement des démagogues :
Οὓς δ᾽ ἐν τῷ πολέμῳ συμμάχους ἐκτησάμεθα , εἰρήνης οὔσης
ἀπολωλέκασιν οὗτοι , ἐχθρὸν δ᾽ ἐφ' ἡμᾶς αὐτοὺς τηλικοῦτον ἠσκή
καμεν .
Dans toute l'énumération qui précède , Démosthène s'est borné
à exposer les faits sans les rapporter à leurs auteurs . L'impu-
tation dirigée contre les démagogues a été le point de départ
du développement, et doit en être la conclusion . Mais elle n'in-
tervient , Sauppe l'a remarqué , dans le développement même ,
que par l'expression ἀπολωλέκασιν οὗτοι. A ce mot, ἀπολωλέκασιν ,
qui interrompt la suite des idées et affaiblit par là l'effet du
discours , nous proposons de substituer ánoλoλastv . Cf. Ambas-
sade, ch. 97 ; p. 372 : μηδ' ἀπωλώλει τῶν ξυμμάχων μηδείς . Et
22

ibid. ch. 100 ; p. 373 : τοῖς ἀπολωλόσι συμμάχοις. Les formes


ἀπολώλεκα et ἀπόλωλα ont été confondues ailleurs par les co-
pistes ; par ex . Cherson. ch. 10 fin , pag. 92 ; et ch . 20 fin, p . 95.
Du dernier membre de phrase , il peut n'être pas inutile de
rapprocher deux imitations de Dion Cassius : XLV, 35 : τηλι
κοῦτον ἐφ' ἡμᾶς αὐτοὺς τύραννον ἀσκοῦμεν . L , 20 : οἵτινες οὐκ
αἰσθάνονται μόναρχον αὐτὸν ἐφ' ἑαυτοὺς ἀσκοῦντες .

51. Lucien , Manière d'écrire l'Histoire , ch. 22.

Εἶτα μεταξὺ οὕτως εὐτελῆ ὀνόματα καὶ δημοτικὰ καὶ πτωχικὰ


πολλὰ παρενεβέβυστο , τὸ « ἐπέστειλεν ὁ στρατοπεδάρχης τῷ κυρίῳ »,
καὶ « οἱ στρατιῶται ηγόραζον τὰ ἐγχρήζοντα » , καὶ ἤδη λελουμένοι
περὶ αὐτοὺς ἐγίγνοντο », καὶ τὰ τοιαῦτα .
Il est impossible de comprendre en quoi pouvait prêter à la
critique une phrase aussi insignifante que ἤδη λελουμένοι περὶ
αὐτοὺς ἐγίγνοντο : d'autant plus que le seul de ces mots qui
semble s'éloigner un peu de l'usage attique , λελουμένοι , a été
employé par Lucien lui - même dans un passage cité par
Fritzsche. Nous conjecturons : περὶ σίτους . La forme attique
étant σῖτα (ου σιτία , que Lucien parait avoir préféré) , on s'ex-
pliquerait dès lors en quoi la phrase citée contrevenait aux
règles du beau langage.

52. Lucien, Manière d'écrire l'Histoire , ch . 53 .


C
Οπόταν δὲ καὶ φροιμιάζηται , ἀπὸ δυοῖν μόνον ἄρξεται, οὐχ ὥσπερ
οἱ ῥήτορες ἀπὸ τριῶν , ἀλλὰ τὸ τῆς εὐνοίας παρεὶς προσοχὴν καὶ
εὐμάθειαν ἐμποιήσει τοῖς ἀκούουσι . Προσέξουσι μὲν γὰρ αὐτῷ , ἢν
δείξῃ ὡς περὶ μεγάλων ἢ ἀναγκαίων ἢ οἰκείων ἢ χρησίμων ἐρεῖ ·
εὐμαθῆ δὲ καὶ σαφὴ τὰ ὕστερα ποιήσει , τὰς αἰτίας προεκτιθέμενος
καὶ προορίζων τὰ κεφάλαια τῶν γεγενημένων .
Bien que l'adjectif εὐμαθής puisse avoir la signification pas-
sive , cependant la suite des idées , et l'emploi du mot εὐμάθειαν,
quelques lignes plus haut , dans le sens actif , paraissent de-
mander que l'on restitue : εὐμαθεῖς δὲ , καὶ σαφὴ τὰ ὕστερα ποιήσει .

53. Euripide, Hippolyte, 702-703.

Phèdre refuse d'entendre les excuses de sa nourrice :


Ἦ καὶ δίκαια ταῦτα κἀξαρκοῦντά μοι,
τρώσασαν ἡμᾶς εἶτα συγχωρεῖν λόγοις .
23 -

A la place de εἶτα συγχωρεῖν , qui fait un faux sens , comme


Ta remarqué Weil, nous proposons εἶθ᾽ ὁμόσε χωρεῖν , legon que
paraît avoir eue sous les yeux l'auteur d'une scholie citée par
le même éditeur. Cf. Oreste, 921 : χωρεῖν ὁμόσε τοῖς λόγοις .
Les tribraques d'un seul mot , au quatrième pied , sont rares
même chez Euripide , au moins dans ses plus anciennes pièces .
(Voir G. Dindorf , Poet. scen. ed . 1869 , page 34. ) Un gram-
mairien peu instruit a pu remplacer ὁμόσε χωρεῖν par συγχωρεῖν,
dans le dessein d'améliorer la forme du vers , sans s'apercevoir
qu'il en altérait le sens .

54. Babrius , XXIV (Le Mariage du Soleil) , 4-5 .

Οὐχὶ παιάνων
τοῦτ' ἐστὶν ἡμῖν , φροντίδων δὲ καὶ λύπης .
On a proposé τοῦτ' ἔργον ἡμῖν , ὥρα ' στιν ἡμῖν . Nous préfére-
rions de beaucoup :
Ταῦτ᾽ ἄξι ἡμῖν.

55. Lucien, Manière d'écrire l'Histoire , ch . 59 .

Lucien menace l'historien médisant du discrédit encouru par


Theopompe.
Τὴν αὐτὴν Θεοπόμπῳ αἰτίαν ἕξεις φιλαπεχθημόνως κατηγοροῦντι
τῶν πλείστων καὶ διατριβὴν ποιουμένῳ τὸ πρᾶγμα , ὡς κατηγορεῖν
μᾶλλον ἢ ἱστορεῖν τὰ πεπραγμένα .
Corrigez : ὡς κατηγορών (οι κακηγορῶν ?) μᾶλλον ἢ ἱστορῶν .

56. Démosthène, Contre Timocrate, ch. 56 ; p. 718 .

Démosthène interrompt la lecture d'un texte de loi pour faire


remarquer la contradiction qui existe entre ce texte et la pro-
position de Timocrate . Puis il ordonne au greffier de continuer
sa lecture :

Οὐ φησι Τιμοκράτης , οὔκουν οπόσοις γ᾽ ἂν δεσμοῦ προστιμηθῇ .


Λέγε .
Les éditeurs paraissent avoir aujourd'hui renoncé à repro-
duire la ponctuation si peu naturelle de Reiske : Οὔ , φησὶ
Τιμοκράτης , οὔκουν...... Mais d'autre part , la vulgate donne
une phrase assez embrouillée , et d'apparence suspecte.
Peut-être y aurait-il lieu de corriger : 03
Ο φησι Τιμοκράτης
« οὔκουν ὁπόσοις γ᾽ ἂν δεσμοῦ προστιμηθῇ » (λέγων) . Λέγε.
24

Il n'y a pas d'objection à tirer du rapprochement de λéywv et


de la formule λέγε . Cf. Ambassade , ch. 161 ; p . 391 : ἀλλὰ
μὴν ὅτι ταῦτ᾽ ἀληθῆ λέγω, λέγε πρῶτον μὲν τὸ ψήφισμα .

57. Lucien, Manière d'écrire l'Histoire, ch . 9.

Ὅσοι δ᾽ οἴονται καλῶς διαιρεῖν ἐς δύο τὴν ἱστορίαν .


ὁρᾷς ὅσον τἀληθοῦς ἡμαρτήκασι .
« Ceux qui croient agir sagement en divisant » pourrait se
rendre en grec par "Οσοι οἴονται καλῶς ποιεῖν διαιροῦντες. « Ceux
qui pensent qu'il est bon de diviser » se traduirait bien par "Ooot
οἴονται καλὸν εἶναι διαιρεῖν. La phrase ci-dessus n'exprime pas
du tout la seconde de ces idées , et ne rend qu'imparfaitement
la première.
Lucien avait sans doute écrit : ὅσοι δ᾽ οἴονται καλῶς (ἔχειν)
διαιρεῖν . . . Cf. ch. 4 : καλῶς ἔχειν ὑπέλαβον , ὡς δυνατόν μοι,
κυλῖσαι τὸν πίθον.

58. Nonnus, Dionysiaques, XLVIII, 302.

Καί ποτε θηρεύουσα κατ' οὔρεα δεσπότις ἄγρης .


Corrigez : δεσπότις Αὔρης .
En effet l'histoire d'Aura, nymphe de la suite d'Artemis , est
le sujet de l'épisode auquel appartient ce vers .

59. Lucien, Manière d'écrire l'Histoire , ch. 37 .

Καὶ τοίνυν καὶ ἡμῖν τοιοῦτός τις ὁ μαθητὴς νῦν παραδεδόσθω,


συνεῖναί τε καὶ εἰπεῖν οὐκ ἀγεννὴς , ἀλλ᾽ ὀξὺ δεδορκώς , οἷος καὶ
πράγμασι χρήσασθαι ἄν , εἰ ἐπιτραπείη , καὶ γνώμην στρατιωτικὴν ,
ἀλλὰ μετὰ τῆς πολιτικῆς καὶ ἐμπειρίαν στρατηγικὴν ἔχειν , καὶ νὴ
Δία καὶ ἐν στρατοπέδῳ γεγονώς ποτε , καὶ γυμναζομένους ἢ ταττο-
μένους στρατιώτας ἑωρακώς .
Ainsi , d'après Lucien , l'apprenti historien devrait posseder
les qualités nécessaires pour diriger les affaires de l'État, si par
hasard il s'en trouvait chargé . Il devrait avoir acquis préalable-
ment l'expérience d'un homme d'État et d'un général. Il devrait
même (car telle est la force de καὶ νὴ Δία καὶ) avoir été quel-
quefois dans un camp , avoir vu des soldats s'exercer et ma-
nœuvrer. Il est clair que la seconde partie de la phrase ne
saurait s'accorder ni avec la première ni avec la troisième . Les
corrections essayées jusqu'ici ou ne remédient qu'imparfaitement
à cette incohérence, ou portent uniquement sur l'irrégularité de
25

la construction Oἷος . . . χρήσασθαι . . . . καὶ γνώμην στρατιωτικὴν,


ἀλλὰ μετὰ τῆς πολιτικῆς καὶ ἐμπειρίαν στρατηγικὴν ἔχειν.
Ces derniers mots (à partir de και γνώμην doivent provenir
d'une scholie afferente aux mots Καὶ ἐν στρατοπέδῳ γεγονώς ποτε,
et congue en ces termes : Ὡς γνώμην στρατιωτικὴν , ἀλλ᾽ οὐ (ou
ἀλλὰ μὴ μετὰ τῆς πολιτικῆς καὶ ἐμπειρίαν στρατηγικὴν ἔχειν .
La confusion de os et de xai est signalée dans tous les traités
de paléographie comme une des plus fréquentes ; celle de àààá
et de ἀλλ' οὐ n'aurait rien que de très-naturel ; et on peut en
dire autant de l'omission de μή entre ἀλλά et μετά .

60. Lucien, Manière d'écrire l'Histoire, ch. 10 fin .

Εωρακέναι γάρ σέ που εἰκὸς γεγραμμένον τῇ Ομφάλη δουλεύοντα ,


πάνυ ἀλλόκοτον σκευὴν ἐνεσκευασμένον , ἐκείνην μὲν τὸν λέοντα αὐτοῦ
περιβεβλημένην καὶ τὸ ξύλον ἐν τῇ χειρὶ ἔχουσαν ὡς Ἡρακλέα δῆθεν
οὖσαν , αὐτὸν δὲ ἐν κροκωτῷ καὶ πορφυρίδι ἔρια ξαίνοντα καὶ παιό-
μενον ὑπὸ τῆς ᾿Ομφάλης τῷ σανδαλίῳ · καὶ τὸ θέαμα αἴσχιστον ,
ἀφεστῶσα ἡ ἐσθὴς τοῦ σώματος καὶ μὴ προσιζάνουσα , καὶ τοῦ θεοῦ
τὸ ἀνδρῶδες ἀσχημόνως καταθηλυνόμενον .
L'altération principale de ce passage résulte , selon nous , de
l'intrusion de deux scholies marginales , l'une concernant κρο-
κωτῷ , à savoir Ἢ πορφυρίδι (devenu , par un changement dont
les exemples abondent, καὶ πορφυρίδι , en passant dans le texte) ;
l'autre ayant rapport à τοῦ θεοῦ τὸ ἀνδρῶδες ἀσχημόνως κατα-
θηλυνόμενον, à savoir Ἀφεστῶσα ἡ ἐσθὴς τοῦ σώματος καὶ μὴ προσ-
ιζάνουσα. L'introduction d'un membre de phrase fabriqué comme
καὶ τὸ θέαμα αἴσχιστον était nécessaire après l'insertion de ces
derniers mots , pour conserver à la phrase une apparence de
régularité grammaticale . Cela pose, nous corrigerons :
Αὐτὸν δὲ ἐν κροκωτῷ ἔρια ξαίνοντα καὶ παιόμενον ὑπὸ τῆς Ὀμφάλης
τῷ σανδαλίῳ · καὶ τοῦ θεοῦ τὸ ἀνδρῶδες ἀσχημόνως καταθῆλυνόμενον .
Wieland, averti par son goût , a omis dans sa traduction tout
ce qui suit καὶ τὸ θέαμα. Rudolph , qui signale cette omission,
ajoute : «Mihi editori vero hoc non licere putavi . » Nous croyons
que les éditeurs ont maintenant ce droit , au moins en ce qui
regarde les mots signalés plus haut , et qu'ils feront bien d'en
user.

61. Lucien, Manière d'écrire l'Histoire , ch . 54 .

Τοιούτοις προοιμίοις οἱ ἄριστοι τῶν συγγραφέων ἐχρήσαντο, Ἡρό


δοτος μὲν , ὡς μὴ τὰ γενόμενα ἐξίτηλα τῷ χρόνῳ γένηται , μεγάλα
26

καὶ θαυμαστὰ ὄντα , καὶ ταῦτα νίκας Ἑλληνικὰς δηλοῦντα καὶ ἥττας
βαρβαρικάς · Θουκυδίδης δέ, μέγαν τε καὶ αὐτὸς ἐλπίσας ἔσεσθαι καὶ
ἀξιολογώτατον καὶ μείζω τῶν προγεγενημένων ἐκεῖνον τὸν πόλεμον ·
καὶ γὰρ παθήματα ἐν αὐτῷ μεγάλα ξυνέβη γενέσθαι .
08
Nous croyons avoir démontré dans les deux nos qui précèdent
que des scholies très-anciennes ont envahi de bonne heure le
texte de ce traité de sorte que l'œuvre de Lucien est aujour-
d'hui confondue avec celle de son commentateur. Quel est le
véritable auteur du centon ci-dessus , c'est ce que nous lais-
serons maintenant à d'autres le soin de décider .

62. Démosthène , Olynthienne III , ch. 13 ; p . 31–32 .

C'est à ces courtisans du peuple qui lui ont fait voter des lois
funestes , d'en proposer l'abrogation à leurs risques et périls,
lorsque le danger qu'il y aurait à les maintenir est devenu ma-
nifeste :

Οὐ γάρ ἐστι δίκαιον τὴν μὲν χάριν , ἡ πᾶσαν ἔβλαπτε τὴν πόλιν , τοῖς
τότε θεῖσιν ὑπάρχειν , τὴν δ᾽ ἀπέχθειαν , δι᾿ ἧς ἂν ἅπαντες ἄμεινον
πράξαιμεν, τῷ νῦν τὰ βέλτιστ᾽ εἰπόντι ζημίαν γενέσθαι .
Phrase inintelligible . Il faut évidemment rétablir , dans le
premier membre de phrase , ἃ πᾶσαν ἔβλαπτε τὴν πόλιν , et , dans
le second , δι᾿ ἂν ἅπαντες ἄμεινον πράξαιμεν. De telle sorte qu'on
aura : Οὐ γάρ ἐστι δίκαιον τὴν μὲν χάριν ἃ πᾶσαν ἔβλαπτε τὴν πόλιν
τοῖς τότε θεῖσιν ὑπάρχειν , τὴν δ᾽ ἀπέχθειαν, δι᾿ ἂν ἅπαντες ἄμεινον
πράξαιμεν , τῷ νῦν τὰ βέλτιστα εἰπόντι ζημίαν γενέσθαι .
La première faute s'explique par le voisinage du nom féminin
τὴν χάριν ; la seconde provient de ce que la crase âv n'a pas
été comprise par un copiste , qui , pensant avoir simplement sous
les yeux la particule v, a cru devoir inserer le relatif ἧς .

63. Lucien, Manière d'écrire l'Histoire , ch. 7.

Lucien vient de dire qu'il ne parlera pas des défauts com-


muns à tous les genres d'écrits (ἃ κοινὰ πάντων λόγων ἐστὶν
ἁμαρτήματα) . Arrivant ensuite à ceux qui sont propres au genre
historique , il les désignerait, selon la vulgate, par les mots :
Α δὲ ἐν ἱστορίᾳ διαμαρτάνουσι .

On est surpris de ne pas trouver ici l'adjectif ôta , que fait


attendre κοινὰ πάντων λόγων ἁμαρτήματα. Nous corrigerons : ἴδια
ἁμαρτάνουσι . L'iota aserit pouvait manquer , comme il arrive
- 27

souvent , à la fin de ἱστορία : on comprend des lors que l . initial


du mot suivant ait été rapporté à ce datif. Quant à l'a final de
ίδια , il a pu être soit omis, soit supprimé volontairement, devant
ἁμαρτάνουσι .

64. Démosthène, Olynthienne III , ch . 17 ; p . 33 .

Οὐδὲ γὰρ ἐν τοῖς τοῦ πολέμου κινδύνοις τῶν φυγόντων οὐδεὶς


ἑαυτοῦ κατηγορεῖ , ἀλλὰ τοῦ στρατηγοῦ καὶ τῶν πλησίον καὶ πάντων
μᾶλλον, ἥττηνται δ᾽ ὅμως διὰ πάντας τοὺς φυγόντας δήπου .
Ηττηνται demande un autre sujet que οἱ φυγόντες . Nous pro-
posons ἥττηνται δ' ὅμως ( ἅπαντες) διὰ πάντας . La conjecture de
Reiske , ὅμως πάντες διὰ τοὺς φυγόντας , a été bien réfutée par
Schaefer.

65. Démosthène, Olynthienne III , ch. 6 ; p . 30 .

Εἰ γὰρ μὴ βοηθήσετε παντὶ σθένει κατὰ τὸ δυνατὸν , θεάσασθε ὃν


τρόπον ὑμεῖς ἐστρατηγηκότες πάντ᾽ ἔσεσθ᾽ ὑπὲρ Φιλίππου .
Κατὰ τὸ δυνατόν parait être une glose de παντί σθένει . [Bour-
get, élève . ]

66. Démosthène, Sur les Symmories , ch. 35 ; p . 188 .

Ἡγοῦμαι τοίνυν ἐγὼ ταύτην τὴν τάξιν τοῦ δικαίου , καὶ τοὺς μετ᾿
αὐτῆς ὄντας κρείττους τῶν προδοτῶν καὶ τοῦ βαρβάρου ἔσεσθαι πρὸς
ἅπαντας .

Le passage du discours pour Phormion (ch . 50) qui a suggéré


à Schaefer la conjecture πρὸς ἅπαντα , approuvée exceptionnel-
lement par Vœmel lui-même , n'a avec celui-ci qu'un rapport
apparent. Que Démosthène , dans le discours cité , dise à son -
adversaire «Ton père qui était meilleur et plus sage que toi à tout
égard» σοῦ πολλῷ βελτίων ὢν καὶ ἄμεινον σοῦ φρονῶν πρὸς ἅπαντα,
rien de plus naturel : et les mots ici ne font que traduire exacte-
ment la pensée de l'orateur. Mais dans la phrase qui nous oc-
cupe , il ne s'agit point de surpasser l'ennemi en toutes choses :
il s'agit seulement de le surpasser en force , ou de le vaincre .
Cela pose , πρὸς ἅπαντα ne saurait se justifier. C'est une de ces
corrections que l'on appelait autrefois « prudentes , » et que
l'on appelle aujourd'hui « téméraires , » avec plus de raison : car
la témérité , en matière de science , ne peut être que le défaut
de méthode.
28

Remarquons d'abord que τῶν προδοτών est inadmissible. En


effet Démosthène s'est efforce plus haut (ch . 31) de combattre
cette idée qu'il pourrait y avoir des traîtres parmi les Grecs.
De plus , la place de ces mots varie selon les manuscrits , dont
plusieurs portent τῶν προδοτῶν κρείττους : d'ou l'on peut induire
avec quelque probabilité qu'ils ont passé par la marge . Enfin
la rencontre de voyelles βαρβάρου ἔσεσθαι parait avoir choque
Vamel , puisqu'il a cru devoir mettre les mots καὶ τοῦ βαρβάρου
entre virgules , contrairement à toutes les règles de la ponctuation.
Cela posé , nous supprimerons τῶν προδοτών , et nous écrirons
κρείττους καὶ τοὺς βαρβάρους ἔσεσθαι πρὸς ἅπαντας ce qui revient
au même , pour le sens, que καὶ τῶν βαρβάρων ἁπάντων) . C'est
καί , pris à tort dans le sens de « et, qui a fait inserer τῶν προ-
δοτῶν devant ce mot. Cobet (Oratio de arte interpretandi,
page 154) explique de même l'intrusion du vers 61 de la fable
95 de Babrius, rejeté du texte par Dubner : « Confictum arbitror
»ab eo , qui haeserit in ἀλλά, quo inchoari sententiam mirabatur.»
La correction qui précède nous a été suggérée par un manu-
scrit sans autorité, le Gothanus , qui porte , au dire de Væmel :
Κρείττους τῶν προδοτῶν καὶ τοὺς βαρβάρους ἔσεσθαι πρὸς ἅπαντας.

67. Sophocle, Edipe Roi, 984988 .

ΟΙΔ. Καλῶς ἅπαντα ταῦτ᾽ ἂν ἐξείρητό σου


εἰ μὴ κύρει ζῶσ᾽ ἡ τεκοῦσα · νῦν δ᾽ ἐπεὶ
ζῇ , πᾶσ᾽ ἀνάγκη , κεὶ καλῶς λέγεις , ὀκνεῖν .
ΙΟΚ. Καὶ μὴν μέγας γ᾽ ὀφθαλμὸς οἱ πατρὸς τάφοι .
ΟΙΔ. Μέγας, ξυνίημ᾽ · ἀλλὰ τῆς ζώσης φόβος .
Le quatrième vers est faux dans les manuscrits . La particule
γ' (après μέγας) est un supplément inséré par Porson.
Οφθαλμός (même vers) nous parait, ainsi qu'a Wecklein (Ars
Sophoclis emendandi) , employé ici d'une manière tout à fait
insolite. Nous proposons : Καὶ μὴν μέγ᾽ ὄκνῳ θάλπος (« fomen-
tum ») ; et , au vers suivant : μέγα , ξυνίημα (la seconde fante
devant être considérée comme une conséquence inévitable de la
première) .

68. Thucydide, II , 10 .

Οἱ δὲ Λακεδαιμόνιοι μετὰ τὰ ἐν Πλαταιαῖς εὐθὺς περιήγγελλον


κατὰ τὴν Πελοπόννησον καὶ τὴν ξυμμαχίαν στρατιὰν παρασκευάζεσθαι
ταῖς πόλεσι , τά τε ἐπιτήδεια οἷα εἰκὸς ἐπὶ ἔξοδον ἔκδημον ἔχειν , ὡς
29

ἐσβαλοῦντες ἐς τὴν Ἀττικήν . Ἐπειδὴ δὲ ἑκάστοις ἑτοῖμα γίγνοιτο


κατὰ τὸν χρόνον τὸν εἰρημένον , ξυνήεσαν τὰ δύο μέρη ἀπὸ πόλεως
ἑκάστης ἐς τὸν Ἰσθμόν .

Qu'on veuille bien faire attention à la force de l'optatif dans


ἐπειδὴ δὲ ἑκάστοις ἑτοιμα γίγνοιτο. Ἐπειδὴ ἦν ἑτοιμα pourrait
signifier «tout étant prêt . » Ἐπειδὴ ἑτοῖμα γίγνοιτο équivant à peu
près au français « A mesure que tout était prêt . >»
Ou chacun des peuples en question mit son armée en route à
un moment fixé d'avance (κατὰ τὸν χρόνον τὸν εἰρημένον) ; ou il
la mit en route des qu'il fut pret (ἐπειδὴ ἑκάστοις ἑτοιμα γίγνοιτο) .
Une seule chose nous paraît sûre , c'est que l'historien ne peut
avoir rapporté , dans une même phrase , à deux époques dis-
tinctes, le départ de chaque armée.

69. Euripide, Iphigénie à Aulis, 968-969 .

Νῦν δ᾽ οὐδέν εἰμι παρά γε τοῖς στρατηλάταις ,


ἐν εὐμαρεῖ τε δρᾶν τε καὶ μὴ ὁρᾶν καλῶς .
Au lieu de καλῶς, Kirchhoff a proposé κακώς. Mais il y a, ce
nous semble, une autre alteration. Nous corrigerions :
Νῦν δ᾽ οὐδέν εἰμι · πάρα τε τοῖς στρατηλάταις
ἐν εὐμαρεῖ με δρᾶν τε καὶ μὴ ὁρᾶν κακῶς .

70. Démosthène, Pour les Mégalopolitains,


ch . 25 ; p . 208 .

Ἵνα τοίνυν μὴ τοῦτ᾽ ἐμποδὼν γένηται τῷ Θηβαίους γενέσθαι


μικροὺς , τὰς μὲν Θεσπιὰς καὶ τὸν Ὀρχομενὸν καὶ τὰς Πλαταιὰς
κατοικίζεσθαι φῶμεν δεῖν , καὶ συμπράττωμεν αὐτοῖς καὶ τοὺς ἄλλους
ἀξιῶμεν τὴν δὲ Μεγάλην πόλιν καὶ τὴν Μεσσήνην μὴ
προώμεθα τοῖς ἀδικοῦσι , μηδ᾽ ἐπὶ τῇ προφάσει τῇ Πλαταιῶν καὶ
θεσπιῶν τὰς οὖσας καὶ κατοικουμένας πόλεις ἀναιρεθείσας περιί-
δωμεν .
Quiconque lira cette phrase avec attention ne manquera pas
de retrouver, après Reiske, la vraie leçon , qui est indubitable-
ment : συμπράττωμεν αὐτοί. Cf. Olynth. I , 24 : Καὶ στρατευο
μένους αὐτοὺς καὶ παροξύνοντας τοὺς ἄλλους ἅπαντας.
Dans le dernier membre de phrase , peut-être est- il permis
de soupçonner que Démosthène avait écrit : Μηδ᾽ ἐπὶ τῇ προφάσει
τῆς Πλαταιῶν καὶ Θεσπιῶν κατοικίσεως. La paléographie ex-
pliquerait assez bien le changement de ts en t , et même celui
- 30 -

de κατοικίσεως en καὶ τὰς οὖσας : d'ou , par une correction pour


ainsi dire inevitable, τὰς οὖσας καί.

71. Démosthène , Olynth . I , ch. 15 ; p . 13 .

Δέδοικα , ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι , μὴ τὸν αὐτὸν τρόπον ὥσπερ οἱ


δανειζόμενοι ῥᾳδίως ἐπὶ τοῖς μεγάλοις τόκοις , μικρὸν εὐπορήσαντες
χρόνον , ὕστερον καὶ τῶν ἀρχαίων ἀπέστησαν , οὕτω καὶ ἡμεῖς ἐπὶ
πολλῷ φανῶμεν ἐρραθυμηκότες , καὶ ἅπαντα πρὸς ἡδονὴν ζητοῦντες
πολλὰ καὶ χαλεπὰ ὧν οὐκ ἐβουλόμεθα ὕστερον εἰς ἀνάγκην ἔλθωμεν
ποιεῖν, καὶ κινδυνεύσωμεν περὶ τῶν ἐν αὐτῇ τῇ χώρα .
Πολλὰ καὶ χαλεπὰ ὧν , «beaucoup de choses pénibles parmi
celles que» , ne rend pas l'idée que Démosthène doit avoir eue
dans l'esprit. Comment, en effet, les Athéniens auraient- ils pu
être effrayés de cette prédiction , que , faute de faire en temps
utile tous les efforts conseillés par l'orateur , ils se verraient
forcés quelque jour de faire une partie , non la moins considé-
rable ni la moins pénible , il est vrai , mais , une partie enfin,
de ces mêmes efforts ? Les interprètes ne peuvent dissimuler ce
non-sens qu'en traduisant ἐβουλόμεθα par le conditionnel « vel-
lemus» , c'est-à-dire en attribuant à ce mot une signification
qu'il ne peut avoir, au moins ici.
D'autre part, nous trouvons chez Stobée , qui cite ce passage ,
la variante πολλὰ καὶ χαλεπὰ ὧν ἐβουλόμεθα . On se rendra
compte plus aisément des deux leçons , si l'on admet que ov , å
L'origine , était précédé d'un comparatif , ou d'un mot analogue
aux comparatifs tant pour le sens que pour la construction.
Supposons , par exemple , que le texte authentique ait porté
πολλὰ καὶ χαλεπώτερα , οι πλείω και χαλεπώτερα , οι ἄλλα πολλῷ
χαλεπώτερα, ou enfin πολλαπλάσια (auquel cas πολλὰ καὶ χαλεπά
n'aurait été à l'origine qu'une glose des mots πολλαπλάσια ὧν
οὐκ ἐβουλόμεθα ) : les deux variantes , des lors , s'expliqueront :
« Des efforts plus nombreux (ou plus pénibles) que ceux que
nous refusions de faire » , ou «que ceux que nous consentions à
faire» .

72. Démosthène , Contre Leptine , ch . 88 ; p. 483 .

Ἵνα τοίνυν εἰδῆτε , ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι , ὅτι ὡς ἀληθῶς ἐπὶ πᾶσι


δικαίοις ποιούμεθα τοὺς λόγους πάντας , οὓς λέγομεν πρὸς ὑμᾶς, καὶ
οὐδέν ἐσθ᾽ ὅ τι τοῦ παρακρούσασθαι καὶ φενακίσαι λέγεται παρ᾽
ἡμῶν ἕνεκα , ἀναγνώσεται τὸν νόμον ὑμῖν ὃν παρεισφέρομεν.
31 -

Les mots οὓς λέγομεν πρὸς ὑμᾶς n'ajoutent absolument rien au


sens de la phrase . D'autre part, on ne peut ici comme ailleurs
(par ex. Symmories , ch. 1 ; cf. la note de Weil) , attribuer à
une recherche d'effet oratoire le rapprochement des mots de
même famille λόγους , λέγομεν et λέγεται . Enfin le désaccord
des manuscrits , dont les uns portent οὕς et les autres ὅσους ,
nous autorise peut-être à considérer le relatif comme un sup-
plément arbitrairement inséré . S'il en est ainsi , λέγομεν πρὸς
ὑμᾶς ne peut être qu'une glose des mots ποιούμεθα τοὺς λόγους
πάντας. De toute façon , le membre de phrase parasite οὓς
λέγομεν πρὸς ὑμᾶς nous parait être à supprimer.

73. Démosthène, Sur la Paix, ch. 8 , p . 58-59.


Καίτοι τοῦτό γ᾽ ὑμᾶς οἶμαι νῦν ἅπαντας ᾔσθῆσθαι , ὅτι τὴν τότ'
ἄφιξιν εἰς τοὺς πολεμίους ἐποιήσατο , ὑπὲρ τοῦ τἀκεῖ χρήματ᾽
ὀφειλόμενα , ὡς ἔφη , κομίσας δεῦρο λειτουργεῖν , καὶ τούτῳ τῷ λόγῳ
πλείστῳ χρησάμενος ὡς « δεινὸν εἴ τις ἐγκαλεῖ τοῖς ἐκεῖθεν ἐνθάδε
τὰς εὐπορίας ἄγουσιν » , ἐπειδὴ διὰ τὴν εἰρήνην ἀδείας ἔτυχεν , ἣν
ἐνθάδ᾽ ἐκέκτητ᾽ οὐσίαν φανερὰν , ταύτην ἐξαργυρίσας πρὸς ἐκεῖνον
ἀπάγων οἴχεται .
Le texte primitif de Σ, οἱ ἐποιήσατο n'a été inséré qu'au XII
siècle , est absolument inadmissible , quoi qu'on en ait dit . Celui
de la vulgate , s'il a l'avantage d'être intelligible , ne saurait
passer néanmoins pour satisfaisant. A la place de ἐποιήσατο,
écrivez ποιησάμενος : et vous aurez une période vraiment digne
de Démosthène.

74. Babrius , VII , 7 .


Ὁ δ᾽ « οὐ προάξεις ; » εἶπε « μηδ᾽ ἐνοχλήσῃς . »
Corrigez : μηδ' ἐνοχλήσεις ; Cf. Sophocle, Ajax , 75 : οὐ σίγ
ἀνέξει , μηδὲ δειλίαν ἀρεῖ ; (et la note de Schneidewin et Nauck) .

75. Babrius , IX, 9 (Le Pêcheur qui joue de


la Flûte).

Ἄναυλα νῦν ὀρχεῖσθε · κρεῖσσον ἦν ὕμας


πάλαι χορεύειν , ἡνίκ᾽ εἰς χοροὺς ηὔλουν .
Corrigez : κρείσσον ἦν δ᾽ ὅμας .
Nous accentuons ce dernier mot comme Bergk, afin de satis-
faire à la règle qui veut que tous les vers de Babrius aient l'ac-
cent sur la pénultième . Les passages , nombreux chez ce fabu-
liste , où des cas divers de usis ou de busis forment le dernier
pied , nous paraissent démontrer qu'il faut de même écrire ήμιν,
32

ύμιν (et non ἡμίν , ὑμίν) chez les tragiques , partout ou le métre
ne peut s'accommoder de ἡμῖν, ὑμῖν.
76. Babrius, XXIII , 3—5 .
Ἔθηκε δ᾽ εὐχὴν ταῖς ὀρεινόμοις νύμφαις ,
Ἑρμῇ νομαίῳ, Πανί , τοῖς πέριξ , ἄρνα
λοιβὴν παρασχεῖν , εἰ λάβοι γε τὸν κλέπτην .
Le second vers , qui a donné lieu à bon nombre de con-
jectures , doit avoir été inséré par un interpolateur , en vue de
placer ici le mot apva , comme pendant à ẞoùs du vers 8 .
Dans une autre version de la fable ésopique ( 83 , éd . Halm) ,
il était question non d'une libation , ni d'une brebis , mais d'un
chevreau.
Par la correction qui précède , se trouve diminué d'un le
nombre des vers de Babrius terminés par une voyelle brève.
(Voir A. Eberhard , Observationes Babrianæ.)

77. Babrius, LVI , 1—4 .


Εὐτεκνίης ἔπαθλα πᾶσι τοῖς ζώοις
ὁ Ζεὺς ἔθηκε, πάντα δ᾽ ἔβλεπεν κρίνων .
Ἦλθεν δὲ καὶ πίθηκος, ὡς καλὴ μήτηρ
πίθωνα γυμνὸν σιμὸν ἠρμένη κόλποις .
Nous écrirons : ὡς καλὴν μήτηρ Πίθωνα γένναν. Le mot γέννα
se trouve CVI , 22 .
78. Babrius , XXXI, 22 .
Les aigrettes des généraux de l'armée des rats servent de
trophées aux belettes victorieuses :
Νίκη δ᾽ ἐπ᾿ αὐτοῖς καὶ τρόπαιον εἱστήκει
γαλῆς ἑκάστης μῦν στρατηγὸν ἑλκούσης .
Au premier vers , on écrit généralement νίκης , d'après Dubner.
Mais personne ne parait avoir songé à corriger ἑλκούσης, qui est
pourtant inadmissible , le sens demandant un aoriste . Il faut
rétablir :
Νίκῃ δ᾽ ἔπ᾽ αὖθις καὶ τρόπαιον εἱστήκει
γαλῆς ἑκάστης μῦν στρατηγὸν εὑρούσης .
Ευρούσης est ici le mot propre , puisque les généraux dont il
s'agit avaient été arrêtés au moment où ils s'efforçaient de
regagner leurs trous , et que tout indique qu'ils s'étaient laissé
prendre sans résistance . Le nom au génitif qui accompagne
τρόπαιον est quelquefois celui du vaincu , mais plus souvent
celui du vainqueur (Voir Thesaurus.) L'expression ἐπὶ νίκῃ
equivaut à ἐπινίκιον .
33

79. Babrius , LIX , 16-18 .

Τί οὖν ὁ μυθός φησιν ἐν διηγήσει ;


πειρῶ τι ποιεῖν, τὸν φθόνον δὲ μὴ κρίνειν .
Ἀρεστὸν ἁπλῶς οὐδέν ἐστι τῷ μώμῳ .
Probablement : Τον φθόνον δ᾽ ἔα κρίνειν. Les mots S'Ea ont pu facile-
ment devenir δὲ οὐ , et , par correction , δὲ μή .

80. Babrius, L, 7—10.

Ἦλθεν κυνηγὸς , καὶ τὸν ἄνδρ᾽ ἐπηρώτα


μὴ τῇδ᾽ ἀλώπηξ καταδέδυκεν ἢ φεύγει .
« Οὐκ εἶδον , » εἶπε, τῷ δὲ δακτύλω νεύων
τὸν τόπον ἐδείκνυ᾽ οὗ πανοῦργος ἐκρύφθη .
L'article est nécessaire devant πανούργος . Corrigez : ἡ πανοῦργος
οὗ κρύφθη .

81. Fables ésopiques , éd . Halm , fable 291


(Les Rats et les Belettes . )
Οἱ δὲ βουλόμενοι ἐπισημότεροι τῶν ἄλλων εἶναι , κέρατα κατασκευάσαν
τες, ἑαυτοῖς συνήψαν.
Corrigez : ἀνῆψαν.

82. Sophocle , Antigone, 519 .


Antigone prétend que Polynice doit être enseveli aussi bien
qu'Étéocle ; Créon soutient le contraire :
Α. Οὐ γάρ τι δοῦλος , ἀλλ᾽ ἀδελφὸς ὤλετο .
Κ. Πορθῶν δὲ τήνδε γῆν · ὁ δ᾽ ἀντιστὰς ὕπερ .
Α. Ὅμως ὅ γ᾽ Αιδης τους νόμους ἴσους ποθεῖ.
Ἴσους , au dernier vers, provient d'une scholie : γρ . τοὺς νόμους
ἴσους. Au lieu de ce mot , le manuscrit principal (Laurentianus A
porte τούτους. Le rapprochement des deux variantes nous conduit à
conjecturer : Όμως ὅ γ᾽ Αιδης ἰσονόμους τούτους ποθεῖ . D'une telle legon ,
en effet , a pu provenir facilement le vers de sept pieds Ὅμως ὅ γ᾽ Αιδης
τοὺς ἴσους νόμους τούτους ποθεῖ. (Cf. la legon d'OEd . Col. 1148 dans le
Laurentianus A. ) Puis , de ce vers faux , Ὅμως ὅ γ᾽ Αιδης τοὺς ἴσους
νόμους (ou même τοὺς νόμους ἴσους) ποθεῖ , dans certains manuscrits ;
et dans d'autres , Όμως ὅ γ᾽ Αιδης τοὺς νόμους τούτους ποθεῖ : d'ou la
dualité actuelle des leçons .
Il ya , sur le même passage , une autre scholie : τὸ θάπτειν. Ou
elle se rapportait à & Αιδης , ou , ce qui est plus vraisemblable , elle
est postérieure par son origine à l'altération du texte .
3
- 34 -

83. Babrius , CVI , 7—8 .


Ὁ δ ' εἱστία τε κἀφίλει νόμῳ ξείνων ,
ἁλίην τιθεὶς ἅπασι δαῖτα θυμήρη .
A la place de ἁλίην , Boissonade a conjecturé άδην, G. Hermann,
λίην, Bergk, ἅλις. Un exemplaire de l'édition Lachmann que nous
avons eu sous les yeux porte à cet endroit, écrite au crayon , la note
marginale MIHN. En effet, soit de pin seul, soit du même mot
avec un a écrit au-dessus par un correcteur , en vue de rétablir
la vraie forme μίαν, a pu résulter la legon ἁλίην. Et μίαν nous parait
etre le mot qu'avait écrit Babrius .

84. Sophocle , Antigone , 11111112 .


Ἐγὼ δ᾽ ἐπειδὴ δόξα τῇδ᾽ ἐπεστράφη ,
αὐτός τ᾽ ἔδησα καὶ παρὼν ἐκλύσομαι .
W. Dindorf juge absurdes les mots αὐτὸς... ἔδησα , venant après
ἐπειδὴ δόξα τῇδ᾽ ἐπεστράφη . Il nous semble qu'on ferait droit , dans
une juste mesure , à cette observation , en remplaçant autós par
αυτός : « Le meme homme qui l'a fait emprisonner sera celui qui la
fera mettre en liberté (ou simplement « celui-là la fera mettre en
» liberté ») sous ses yeux ; ou encore : « Je la ferai mettre en liberté,
moi , ce même homme qui l'ai fait emprisonner . »
Ajoutons, en ce qui regarde le premier vers, que la concordance
du texte du Laurentianus (δόξαι τῇδ᾽ ἐπεστράφην) avec la scholie
(δοκήσει μετεστράφην) rend assez douteuse la legon de la Vulgate ,
ἐπεστράφη .
85. Alexis , chez Athénée , VI , p . 226 .
..... Τίθησι ..... νόμον
τῶν ἰχθυοπωλῶν ὅστις ἂν πωλῶν τιν
ἰχθὺν ὑποτιμήσας ἀποδῶτ᾽ ἐλάττονος
ῆς εἶπε τιμῆς , εἰς τὸ δεσμωτήριον
εὐθὺς ἀπάγεσθαι τοῦτον , ἵνα δεδοικότες
τῆς ἀξίας ἀγαπῶσιν, ἢ τῆς ἑσπέρας
σαπροὺς ἅπαντας ἀποφέρωσιν οἴκαδε.
Au vers 6 , Meineke a conjecturé τῆς ἀξίας πωλῶσιν , puis τὰς ἀξίας
ἀγαπῶσιν. Peut-être suffrait- il d'écrire au vers précédent δεδωκότες ,
dont dépendrait le génitif de prix τῆς ἀξίας.

86. Euripide , Hippolyte , 1228–1229 .

Προὐφαίνετ᾽ εἰς τοὔμπροσθεν ὥστ᾽ ἀναστρέφειν


ταῦρος φόβῳ τέτρωρον ἐκμαίνων ἔχον.
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Il faut certainement remplacer εἰς τοὔμπροσθεν par ἐκ τοῦ ἔμπροσθεν ,
ce qui, paléographiquement, revient au même.

87. Denys d'Halicarnasse , Lettre I à Ammæus , ch . 9 .

Ὡς δηλοῖ Φιλόχορος ἐν ἕκτῃ βίβλῳ τῆς Ἀτθίδος .


Après ev, il faut rétablir l'article τῇ , dont l'omission peut s'expli-
quer, soit par le voisinage de Extn, soit par le procédé abréviatif qui
consiste à écrire un au-dessus de èv , pour représenter le datif de
l'article. Voir Bast, Comm. Pal . p. 808. [Graux, élève . ]

88. Thucydide , II , 65 .

Ἐξ ὧν ἄλλα τε πολλὰ ὡς ἐν μεγάλη πόλει καὶ ἀρχὴν ἐχούσῃ ἡμαρ


τήθη , καὶ ὁ ἐς Σικελίαν πλοῦς [ ὃς] οὐ τοσοῦτον γνώμης ἁμάρτημα ἦν πρὸς
οὓς ἐπῄεσαν , ὅσον οἱ ἐκπέμψαντες οὐ τὰ πρόσφορα τοῖς οἰχομένοις ἐπιγι
γνώσκοντες, ἀλλὰ κατὰ τὰς ἰδίας διαβολὰς περὶ τῆς τοῦ δήμου προστασίας ,
τά τε ἐν τῷ στρατοπέδῳ ἀμβλύτερα ἐποίουν καὶ τὰ περὶ τὴν πόλιν πρῶτον
ἐν ἀλλήλοις ἐταράχθησαν .
Le mot ὅς , après πλοῦς , a été mis entre crochets par Bekker.
L'observation que nous avons à faire concerne une autre partie de
la même phrase . Après les mots οὐ τοσοῦτον γνώμης ἁμάρτημα ἦν πρὸς
1
οὓς ἐπήεσαν , ὅσον ( « ce ne fut pas tant une faute en ce que les Athéniens
ignoraient quels ennemis ils allaient attaquer, que.... , » ) on s'atten-
drait à trouver : nous proposons de substituer ce mot à ci , qui
ne convient nullement ici .

89. Lucien , Manière d'écrire l'Histoire , ch . 8 .

Ἀλλὰ κἂν Αγαμέμνονα ἐπαινέσαι θέλωσιν , οὐδεὶς ὁ κωλύσων Διὶ μὲν


αὐτὸν ὅμοιον εἶναι τὴν κεφαλὴν καὶ τὰ ὄμματα , τὸ στέρνον δὲ τῷ ἀδελφῷ
αὐτοῦ τῷ Ποσειδῶνι , τὴν δὲ ζώνην τῷ Ἄρει · καὶ ὅλως σύνθετον ἐκ πάντων
θεῶν γενέσθαι δεῖ τὸν Ατρέως καὶ ᾿Αερόπης .
Bien que Zeus eut un autre frère , nous tenons τῷ Ποσειδῶνι pour
une glose (Cf. nos 59, 60, 61 ) . Dans la dernière ligne, Rudolph a
proposé la suppression du mot det , qui surcharge inutilement la
phrase. Si de provient simplement de la corruption d'un autre mot,
nous conjecturerions on, de préférence à el déo , qui a été proposé
par Fritzsche.

90. Euripide , Oreste , 1211-1213 .

Oreste et Pylade n'ont pu s'empêcher d'exprimer l'admiration que


leur inspire le stratagème imaginé par Electre. Mais le moment d'agir
36
est arrivé. Oreste arrête les transports du fiancé de sa sœur, en lui
rappelant qu'il s'agit avant tout de s'emparer d'Hermione ; et il
ajoute aussitôt après :
Ὡς τἄλλα γ᾽ εἶπας , εἴπερ εὐτυχήσομεν ,
κάλλισθ ' , ἑλόντες σκύμνον ἀνοσίου πατρός .
Au lieu de saç , on s'attendrait au moins à trouver ici la première
personne du pluriel, εἴπαμεν. Mais le mot exigé par le sens nous parait
étre εἰπεῖν : « Car , quant aux autres choses que nous pourrions dire, le
mieux est de les réserver pour le moment où nous aurons réussi ,
(si nous y réussissons, ) à nous emparer, etc. »

91. Euripide , Hippolyte, 799 .

Οἴμοι · τέκνων μοι μήτι συλᾶται βίος ;


On dit bien συλώμαι τοῦτο, mais non τοῦτο συλᾶται με . Par consé-
quent , le vers ci- dessus , dans son état actuel , ne peut signifier :
<< Est- ce que l'existence a été ravie à un de mes enfants? » On est
force d'interpréter μήτι par num forte , et d'entendre : « Est-ce que
par hasard l'existence a été ravie à mes enfants (ou à quelques-
uns de mes enfants ?) » Mais , si Thésée peut craindre qu'un de ses
enfants ne soit mort, il ne peut lui venir à la pensée que tous , ou
seulement plusieurs , aient eu le même sort. Et ce n'est pas la cer-
tainement ce qu'il a du demander, mais bien plutôt : Τέκνων μοι μήτι
συλᾶται βίον (ου βίου) ;

92. Euripide , Hippolyte , 990-991 .

Ὅμως δ᾽ ἀνάγκη , συμφορᾶς ἀφιγμένης


γλῶσσάν μ᾿ ἀφεῖναι .
Nous préférerions ἐφιγμένης. Ainsi Pindare ( Isthmique IV, 47) :
Εἴ σε τούτων μοῖρ᾽ ἐφίκοιτο καλῶν. Heyne a proposé d'écrire ἐφίκετο
dans ce vers de l'Iliade (XVIII , 395) : Ὅτε μ᾿ ἄλγος ἀφίκετο τῆλε
πεσόντα .

93. Euripide , Hippolyte, 10161018 .

..... Ἀγῶνας μὲν κρατεῖν Ἑλληνικοὺς


πρῶτος θέλοιμ᾽ ἂν , ἐν πόλει δὲ δεύτερος
σὺν τοῖς ἀρίστοις εὐτυχεῖν ἀεὶ φίλοις .
Le sens deviendrait plus net, si on lisait au dernier vers :
ὢν τοῖς τ᾿ ἀρίστοις εὐτυχεῖν ἀεὶ φίλος .
Il n'en est pas de la vie ordinaire comme de ces concours , de ces
37 -

jeux, où il faut disputer le premier rang . Occuper la seconde place


dans la cité (dεútepog eïvat) et être uni d'amitié avec ce qu'elle renferme
de plus grand et de meilleur (tois àpíotots..... piños) , voilà ce que
souhaite Hippolyte, en y joignant encore ces bienfaits de la Fortune
(EUTUXETV ) sans lesquels on ne saurait se flatter d'être heureux , fût-on
d'ailleurs placé dans les conditions les plus favorables au bonheur.

94. Euripide , Hippolyte, 1090-1091 .

Αραρεν, ὡς ἔοικεν · ὦ τάλας ἐγώ ·


ὡς οἶδα μὲν ταῦτ᾽ , οἶδα δ᾽οὐχ ὅπως φράσω .
Taut ' est extrêmement vague ici . Ce mot ne peut faire allusion
qu'à ce qui s'est passé entre Hippolyte et Phèdre. Mais , à ne consi-
dérer que la liaison naturelle des phrases, on serait porté à y voir
un équivalent de a apape . Nous proposons : ús (ou mieux peut-être
bs, sinon ay ') oïda pèv tapy ' ( les faits, la vérité) .

95. Euripide , Hippolyte , 986 .

Ἐγὼ δ᾽ἄκομψος εἰς ὄχλον δοῦναι λόγον ,


εἰς ἥλικας δὲ κωλίγους σοφώτερος .
Aouvat λéyov signifie généralement , soit « donner la parole » , ce
qui ne peut, ici , être le sens , soit « rendre ses comptes » acception
qui se concilierait mal avec axoutos. Nonobstant la citation de Plu-
tarque , Hippolyte disait sans doute en cet endroit qu'il s'entendait
mal à flatter les oreilles du peuple par de beaux et élégants discours .
Au lieu de δοῦναι , on pourrait conjecturer soit θεῖναι , soit τεῖναι.

96. Euripide, Hippolyte , 99 et 103 .


Πῶς οὖν σὺ σεμνὴν δαίμον᾽ οὐ προσεννέπεις ;

Σεμνή γε μέντοι κἀπίσημος ἐν βροτοῖς .


C'est la déesse Cypris que le serviteur d'Hippolyte qualifie dans
ces deux vers par l'épithète oeuvý . Mais , quelques vers plus haut
(94-95) , le même personnage a dit que les hommes haïssent to
ceuvov , l'orgueil , et Hippolyte en est tombé d'accord . En d'autres
termes , voici le raisonnement que la Vulgate prête au serviteur :
« Tout le monde hait to ceμvóv. Comment se fait-il donc que tu
n'adores pas une déesse ceµvý . » Un tel changement d'acception est
inadmissible. Voir la Revue critique du 7 août, 1869.
Nous pensons qu'il faut substituer, à σεμνήν et σεμνή , σεπτήν el
σεπτή.
- 38 -

97. Euripide , Hippolyte , 29-33 .

Καὶ πρὶν μὲν ἐλθεῖν τήνδε γῆν Τροιζηνίαν


πέτραν παρ᾽ αὐτὴν Παλλάδος κατόψιον
γῆς τῆσδε ναὸν Κύπριδος ἐγκαθείσατο ,
ἐρῶσ᾽ ἔρωτ᾽ ἔκδημον · Ἱππολύτῳ δ᾽ἔπι
τὸ λοιπὸν ὠνόμαζεν ἱδρῦσθαι θεάν .
Ce dernier vers a beaucoup embarrassé les critiques. Meineke a
propose ὠνόμαζον. Mais Weil fait remarquer avec raison que le sens
demanderait un futur. D'un autre colé , παρὰ πέτραν ἐγκαθείσατο α
paru douteux à Nauck.
Si l'on examine de près ces cinq vers , chargés de détails histo-
riques , et plus dignes d'un scholiaste que d'un poëte , on arrivera à
croire qu'Euripide avait peut-être écrit simplement ce qui suit :
Καὶ ναὸν ἡμῖν ( c'est Cypris qui parle) τῆσδε γῆς κατόψιον,
ἐρῶσ᾽ ἔρωτ᾽ ἔκδημον ἐγκαθείσατο .
Ainsi rapproché de ἔκδημον, ἐγκαθείσατο (ou ἐγκαθίσατο , forme pre-
férée par Nauck) vaudra mieux que tout autre mot .
Au dernier vers , l'interpolateur avait sans doute écrit ce même
mot ὠνόμαζον qu'on a voulu , a tort, preter au poële.

98. Démosthène , Olynthienne III , ch . 16 ; p . 32 .

Τίνα γὰρ χρόνον ἢ τίνα καιρὸν , ὦ ἄ . Α. , τοῦ παρόντος βελτίω ζητεῖτε ;


ἢ πότε ἃ δεῖ πράξετε , εἰ μὴ νῦν ; οὐχ ἅπαντα μὲν ἡμῶν προείλησε τὰ
χωρί᾽ ἄνθρωπος , εἰ δὲ καὶ ταύτης κύριος τῆς χώρας γενήσεται , πάντων
αἴσχιστα πεισόμεθα ; [οὐχ οὓς , εἰ πολεμήσαιεν , ἑτοίμως σώσειν ὑπισχνού
μεθα , οὗτοι νῦν πολεμοῦσιν ; οὐκ ἐχθρός ; οὐκ ἔχων τὰ ἡμέτερα ; οὐ
βάρβαρος ; οὐχ ὅ τι ἂν εἴποι τις ;] Ἀλλὰ πρὸς θεῶν πάντ᾽ ἐάσαντες καὶ
μόνον οὐχὶ συγκατασκευάσαντες αὐτῷ , τότε τοὺς αἰτίους οἵτινες τούτων
ζητήσομεν.
Il nous semble que le passage mis entre crochets interrompt
la suite des idées , et qu'il n'y a ni liaison grammaticale, ni gradation
de sens, entre les petites phrases dont il se compose.
La tradition du nombre de tiyot que renfermait, au temps des
Alexandrins, chaque discours de Démosthène, s'est conservée jusque
dans le ms. et dans le Bavaricus. Il est impossible aujourd'hui de
vérifier si ce nombre se retrouve dans les textes que nous avons.
Toutefois il est permis de supposer que la négligence des copistes
dut produire çà et là des lacunes , par suite desquelles le nombre réel
des i : cessa de correspondre au chiffre traditionnel . Certains
libraires ont pu alors charger des rhéteurs de suppléer, sauf à les
- 39 ---

fabriquer au besoin, autant de στίχοι qu'il s'en était perdu . Telle doit
être , si nous ne nous trompons, l'origine d'une partie des intrusions
dont le texte de Σ même n'est pas exempt, selon Cobet (Voir Væmel ,
Prolég. p . 236) . Ici , l'interpolateur paraît s'être souvenu du ch. 50
de la Ire Philippique .

99. Démosthène , Philippique I , ch . 49 ; p . 54 .

Ἐγὼ δ᾽ οἶμαι μὲν, ὦ ἄ. Α . , νὴ τοὺς θεοὺς ἐκεῖνον μεθύειν τῷ μεγέθει


τῶν πεπραγμένων καὶ πολλὰ τοιαῦτα ἐνειροπολεῖν ἐν τῇ γνώμῃ , τήν τ '
ἐρημίαν τῶν κωλυσόντων ὁρῶντα καὶ τοῖς πεπραγμένοις ἐπηρμένον , οὐ
μέντοι γε μὰ Δί ' οὕτω προαιρεῖσθαι πράττειν ὥστε τοὺς ἀνοητοτάτους τῶν
παρ ' ἡμῖν εἰδέναι τί μέλλει ποιεῖν ἐκεῖνος · ἀνοητότατοι γάρ εἰσιν οἱ λογο-
ποιοῦντες.
C'est avec raison, selon nous , que Dobree a proposé la suppression
des mots ἀνοητότατοι γάρ εἰσιν οἱ λογοποιοῦντες. Mais nous ne pensons
pas que ce retranchement suffise pour ramener le passage citéà sa forme
authentique. Le membre de phrase μεθύειν τῷ μεγέθει τῶν πεπραγμέ
νων , admiré par Hermogène , et cité par Pline le Jeune comme un
exemple de hardiesse oratoire, jugé moins favorablement par Eustathe
(sur l'Iliade , P , v. 340) , ou par les critiques dont il était l'écho ,
a le défaut, en toute hypothèse, d'interrompre sensiblement la suite
des idées , de faire que la mention des projets ambitieux attribués à
Philippe se trouve précédée et suivie de deux explications identiques
de son ambition . De plus , la gradation qu'on s'attendrait à trouver
dans les expressions est renversée : car μεθύειν τῷ μεγέθει τῶν πεπραγ
μένων est plus fort que τοῖς πεπραγμένοις ἐπηρμένον. Enfin la répéti-
tion de mots πεπραγμένων ..... πεπραγμένοις ..... est un autre motif
de suspicion.
Nous voyons encore dans ce membre de phrase une interpolation
de rhéteur (voir au n° précédent) , occasionnée peut-être par le mot
και qui precede ὀνειροπολεῖν (voir au n ° 66) .

100. Lysias, VII , 2 ; p . 109 .

Ἐπειδὴ δ᾽ ἐκ τούτου τοῦ τρόπου ἀδικοῦντά με οὐδὲν εὑρεῖν ἐδυνήθησαν ,


νυνί με σηκόν φασιν ἀφανίζειν , οἰόμενοι ἐμοὶ μὲν ταύτην τὴν αἰτίαν ἀπορω-
τάτην εἶναι ἀπελέγξαι , αὑτοῖς δὲ ἐξεῖναι μᾶλλον ὅ τι ἂν βούλωνται
λέγειν .
C'est à l'origine , et lorsqu'ils conçurent le dessein de lui intenter
un procès , que les ennemis de l'accusé devaient chercher le grief le
plus difficile à repousser, ἀπορωτάτην ἀπελέγξαι . Mais , une fois
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détrompés quant à la valeur du grief imaginé par eux, ils durent s'ap-
pliquer à en trouver un autre d'un effet plus certain , ἀπορωτέραν
ἀπελέγξαι .
La nécessité du changement que nous indiquons est d'ailleurs
prouvée par le dernier membre de phrase, où est exprimée au
moyen du comparatif paλov une idée absolument parallèle à celle
qui est rendue ici par le superlatif.

101. Lucien, Songe ou Coq, ch. 14 .

Τὸ δὲ μέγιστον ἤδη , καὶ ἐρῶσιν αὐτοῦ αἱ γυναῖκες, ὁ δὲ θρύπτεται πρὸς


αὐτὰς καὶ ὑπερορᾷ , καὶ τὰς μὲν προσίεται καὶ ἵλεώς ἐστιν , αἱ δὲ ἀπειλοῦσιν
ἀναρτήσειν ἑαυτὰς ἀμελούμεναι .
La particule xa est omise devant repopa dans le ms. G (Guelfer-
bytanus 2 ) . Le peu de valeur que Fritzsche attribue à ce ms. ne nous
permet pas d'attacher une grande importance à l'indice dont il s'agit.
Mais il est sur que les mots καὶ ὑπερορᾷ sont en désaccord avec ce qui
suit immédiatement , à savoir καὶ τὰς μὲν προσίεται καὶ ἵλεώς ἐστιν.
Cela posé , nous voyons dans ὑπερορᾷ une glose de θρύπτεται , et dans
la particule qui précède ce mot , un supplément. [ Ém . Chatelain ,
élève. ]

102. Lucien , Songe ou Coq, 18 .

Διὰ τοῦτο καινοποιεῖν εἰλόμην , ἀπόρρητον ποιησάμενος τὴν αἰτίαν .


Il s'agit ici d'une innovation déterminée (la défense de manger
des fèves) , dont Pythagore, dans ce qui précède, a fait connaitre les
motifs. En conséquence , nous corrigerons : Διὸ τοῦτο καινοποιεῖν
εἱλόμην . [Chatelain, élève .]

103. Euripide, Hippolyte , 836-837 .

Τὸ κατὰ γᾶς θέλω, τὸ κατὰ γᾶς κνέφας


μετοικεῖν σκότῳ θανὼν ὁ τλάμων,
ou plutôt , selon Enger , approuvé par Weil (Addenda),
μετοικεῖν θανὼν ὁ τλάμων σκότῳ .
Σκότῳ n'a point de sens. Reiske a conjecturé σκέτῳ συνών : mais
on s'attendrait plutôt à trouver ici le futur, συνεσόμενος . Em. Chate-
lain nous propose σκότου ( Cf. Bacchantes, 510 : σκότιον κνέφας) . Nous
préférerions :
Τὸ κατὰ γῆς κνέφας , τὸ κατὰ γᾶς θέλω
μετοικεῖν θανὼν ὁ τλάμων σκότος .
- 44 -

104. Démosthène , Olynthienne III , ch . 13 ; p . 32 .

Πρὶν δὲ ταῦτ᾽ εὐτρεπίσαι , μηδαμῶς , ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι , μηδέν' ἀξιοῦτε


τηλικοῦτον εἶναι παρ᾽ ὑμῖν , ὥστε τοὺς νόμους τούτους παραβάντα μὴ
δοῦναι δίκην , μηδ᾽ οὕτως ἀνόητον ὥστ᾽ εἰς προΰπτον κακὸν αὑτὸν ἐμβα-
λεῖν.

Teùs vóuous Toutous est choquant. Car les lois dont il s'agit ne
peuvent être celles dont Démosthène vient de parler, les lois qui
concernent le théoricon et l'organisation de l'armée, mais bien celles
qui limitent la liberté des orateurs, en défendant de rien insérer dans
un décret qui soit contraire aux lois existantes , ou même , selon
Libanius, en interdisant expressément , sous peine de mort, de pro-
poser la suppression du théoricon . Ce sont ces lois qu'on enfreindrait
en attaquant le théoricon, et non la loi même qui a établi cette insti-
tution car ce n'est pas enfreindre une loi que d'en demander ,
légalement ou illégalement, l'abrogation .
Nous nous bornerons à faire observer qu'en supprimant toutous
(τοὺς νόμους..... τούτους se trouve quelques lignes plus haut) , on
obtiendrait un sens tout à fait clair et satisfaisant à la condition,
toutefois, de prendre acute dans le sens de velitis , et non , avec
Voemel, dans celui d'existimate. [Ch . Graux , élève . ]

105. Musée (et son Scholiaste) , v . 160 .

..... Ἐπὶ χθόνα πῆξεν ἐπωπήν (Scholie : Ἔξες πρὸς τὴν γῆν.)
L'hémistiche cité se retrouve dans Colluthus (v . 296) , à l'exception
de 70éva , remplacé par x0cví , qui nous paraît préférable , et qu'il
faudrait peut-être rétablir ici .
En ce qui concerne la scholie , Rover , dans les Addenda de son
édition , propose de changer ἔξεε en είχε ou en ἔβλεπε : exemple
curieux du genre de méthode que pratiquaient certains critiques du
siècle dernier .
La scholie a été déplacée. Elle a rapport au vers 162 (xxl xlovòs
ἔξεεν ἄκρον ὑπ᾽ ἴχνεσιν) , et doit être corrigée : ἔξες ποσὶ τὴν γῆν .
[Graux , élève. ]

106. Sophocle, Edipe à Colone , 813-814 .

Μαρτύρομαι τούσδ᾽ , οὐ σέ . Πρὸς δὲ τοὺς φίλους


οἷς ἀνταμείβει ῥήματ ', ήν σ᾿ ἕλω ποτέ .
Ces vers si défectueux sont encore à restituer . Nous proposons :
- 42 -

Μαρτύρομαι · τούσδ᾽ αὖ σὺ προσδέχου φίλους,


οἷς ἀνταμείβει ῥήματ᾽ , ἤν σ᾿ἕλω ποτέ.
Μαρτύρομαι , sans régime , est la formule usitée en pareil cas : voir,
par exemple , Aristophane , Paix, 1119 : d'où la coupe un peu rare
du vers . Toucde désigne Créon lui-même, sa suite et les Thébains en
général . Prise dans son entier , la phrase signifie : « Et après cela ,
après les réponses que tu me fais (cf. l'expression homérique ?
ἀγορεύεις) , compte sur notre amitié, nos bons traitements, si jamais
tu tombes entre mes mains. »
La scholie Τιμωρήσομαι γὰρ τούσδε témoigne, ce semble, en faveur
de notre conjecture . Son auteur pouvait avoir sous les yeux le texte
même que nous proposons , et le ponctuer ainsi : Μαρτύρομαι · τούσδ᾽αὖ ,
σὺ προσδέχου , φίλους Οι ἀνταμείβει ῥήματ ' , ἤν σ᾿ἔλω ποτέ (avec une
suspension après Toτé , ce qui lui permettait de sous-entendre, comme
les éditeurs modernes , le verbe τιμωρήσομαι) .

107. Sophocle , Edipe à Colone, 263–269 .

263. Κἄμοιγε ποῦ ταῦτ᾽ ἐστὶν , οἵτινες βάθρων


264. ἐκ τῶνδέ μ᾽ ἐξάραντες , εἶτ᾽ ἐλαύνετε ,
265. ὄνομα μόνον δείσαντες ; οὐ γὰρ δὴ τόγε
266. σῶμ᾽ οὐδὲ τἄργα τἄμ ' · ἐπεὶ τά γ᾽ ἔργα μου
267. πεπονθότ᾽ ἐστὶ μᾶλλον ἢ δεδρακότα ,
268. εἴ σοι τὰ μητρὸς καὶ πατρὸς χρείη λέγειν,
269. ὧν οἵνεκ᾽ ἐκφοβεῖ με.
Les mots ἐπεὶ τά γ ' ἔργα μου.... , à supposer qu'ils aient un sens,
ne sauraient signifier autre chose que « Dans les faits qu'on me
reproche , j'ai joué un role passif plutôt qu'actif » : ce qui est vrai ,
mais appartient à un autre ordre d'idées. En effet , les actes de
Jocaste , tout au moins , sinon ceux de Laius (τὰ μητρὸς καὶ πατρὸς)
ne sont pour rien dans la fatalité qui a rendu OEdipe criminel malgré
lui. C'est plus loin, aux vers 273-274 , qu'OEdipe dira que ses crimes
ont été involontaires . Ici , la scholie porte : Μᾶλλον ἔπαθον ἤπερ
ἐποίησα , en d'autres termes « On m'a fait plus de mal que je n'en ai
fait moi-même » . En substituant τά γ ' ἀμά (= εγώ) που à τάγ᾽ ἔργα
μου, qui peut n'étre qu'une mauvaise glose de τά γ' αμά, nous obtien-
drons le sens, au moins , du texte que l'auteur de cette scholie avait
sous les yeux .
Dans le méme vers, οὐδὲ τἄργα τἄμ ' doit certainement être rem-
placé par οὐδὲ τάργα τάν , qui se trouvera ainsi en concordance avec
εἴ σοι ..... χρείη du vers 268. En résumé , nous aurons :

263. Κἔμοιγε ποῦ ταῦτ᾽ ἐστὶν , οἵτινες βάθρων


43 -
264. ἐκ τῶνδέ μ᾿ ἐξάραντες , εἶτ᾽ ἐλαύνετε
265. ὄνομα μόνον δείσαντες; οὐ γὰρ δὴ τόγε
266. σῶμα · οὐδὲ τἄργα τἂν — ἐπεὶ τά γ᾽ἀμά που
-
267. πεπονθότ᾽ ἐστὶ μᾶλλον ἢ δεδρακότα
268. — εἴ σοι τὰ μητρὸς καὶ πατρὸς χρείη λέγειν
269. ὧν οἵνεκ᾽ ἐκφοβεῖ με .

Cette phrase, qui pouvait être parfaitement claire à la scène, grâce


au jeu de l'acteur, nous parait aujourd'hui fort embrouillée. Pour
l'expliquer, il faut la ramener à l'ordre grammatical, comme il suit :
Οὐδὲ τἄργα τἂν (δείσειας) , ὧν (ἔργων) οὕνεκ᾽ ἐκφοβεῖ με , εἴ σοι τὰ μητρὸς
καὶ πατρὸς χρείη λέγειν ; ἐπεὶ τά γ᾽ ἀμά που πεπονθότ᾽ ἐστὶ μᾶλλον ἢ
δεδρακότα ( c'est-à-dire πεπονθώς εἰμι μᾶλλον ἢ δεδρακώς , ou , pour
parler comme la scholie , μᾶλλον ἔπαθον ἤπερ ἐποίησα) .

108. Sophocle, Edipe Roi , 408-411 .

Εἰ καὶ τυραννεῖς , ἐξισωτέον τὸ γοῦν


ἴσ᾽ ἀντιλέξαι · τοῦδε γὰρ κἀγὼ κρατῶ .

Au second vers , le mot ' nous paraît devoir céder la place à


ἴσθ ' « sache » , qu'il n'y aura pas besoin , croyons- nous , de mettre
entre virgules .

109. Sophocle , Edipe à Colone , 277.

Καὶ μὴ θεοὺς τιμῶντες , εἶτα τοὺς θεοὺς


μοίραις ποιεῖσθε μηδαμῶς · ἡγεῖσθε δὲ
βλέπειν μὲν αὐτοὺς πρὸς τὸν εὐσεβῆ βροτῶν ,
βλέπειν δὲ πρὸς τοὺς δυσσεβεῖς.

On a essayé vainement tant d'interpréter que de restituer le second


vers . Nous proposons : μοίρας τίθεσθε μηδαμοῦ ( comme ἐν μηδεμιᾶ
μοίρα τίθεσθε) · ποιεῖσθε δέ .
Une glose marginale , ou une faute de copie facile à expliquer ,
avait amené le remplacement de ποιεῖσθε (peut-être écrit ποεῖσθε par
ἡγεῖσθε. Le commencement du vers fut ensuite remanié , en vue de
faire disparaitre Thiatus : de telle façon que l'on eut , soit tout
d'abord , soit par suite de quelque alteration nouvelle , μοίραις τίθεσθε
μηδαμώς. Cependant certains manuscrits avaient conservé la leron
originelle toe . Écrite à la marge d'un manuscrit sans signe de
renvoi suffisamment clair, cette leçon fut ensuite rétablie au second
pied, au lieu de l'étre au cinquième. Telle est notre hypothese .
- 44

110. Sophocle , Edipe & Colone , 1658–1662 .

Οὐ γάρ τις αὐτὸν οὔτε πυρφόρος θεοῦ


κεραυνὸς ἐξέπραξεν οὔτε ποντία
θύελλα κινηθεῖσα τῷ τότ᾽ ἐν χρόνῳ,
ἀλλ᾽ ἤ τις ἐκ θεῶν πομπός, ἢ τὸ νερτέρων
εὔνουν διαστὰν γῆς ἀλύπητον βάθρον .
Le dernier vers a choqué justement plusieurs critiques , et en par-
ticulier Madvig, qui propose : Ἢ τὸ νερτέρων Εὔνουν , διϊστὴν γῆς
ἀλύπητον βάθρον . Nous objecterons à cette conjecture que le sens
paraît demander un participe aoriste plutôt qu'un participe présent.
En second lieu , l'interprétation « inferorum benevolentia , aperta
sine dolore terræ sede » ne nous paraît pas justifier suffisamment
ἀλύπητον. Nauck parait être de notre avis sur ce point , puisqu'il se
demande si la variante de seconde main ἀλάμπετον ( laquelle peut,
d'ailleurs , n'être qu'une conjecture) ne serait pas préférable à la
Vulgate.
Nous proposons : Ἢ τὸ νερτέρων Εὔνουν , διοῖξαν γῆς ἀτυμβεύτῳ
βάθρον. Ce n'est , en effet , que par une faveur spéciale des dieux
infernaux, que l'accès des enfers pouvait être ouvert à un homme non
enseveli , ἀτυμβεύτῳ, comme OEdipe.

111. Sophocle, Trachiniennes , 935 .

Ὄψ᾽ ἐκδιδαχθεὶς τῶν κατ᾽ οἶκον οὔνεκα


ἄκουσα πρὸς τοῦ θηρὸς ἔρξειεν τάδε .
Les mots πρὸς τοῦ θηρός ne peuvent être rattachés grammaticale-
ment ni à ἄκουσα , ni à ἔρξειεν. Nous écririons : ἀκουστὰ πρὸς τοῦ
θηρός, « suggérées par le Centaure . »

112. Démosthène , Olynthienne III , ch . 20 ; p . 34 .


Οὗτοι σωφρόνων οὐδὲ γενναίων ἐστὶν ἀνθρώπων , ἐλλείποντάς τι , δι
ἔνδειαν χρημάτων , τῶν τοῦ πολέμου , εὐχερῶς τὰ τοιαῦτ᾽ ἐνείδη φέρειν ,
οὐδ᾽ ἐπὶ μὲν Κορινθίους καὶ Μεγαρέας ἁρπάσαντας τὰ ὅπλα πορεύεσθαι ,
Φίλιππον δ᾽ ἐᾶν πόλεις Ελληνίδας ἀνδραποδίζεσθαι δι᾿ ἀπορίαν ἐφοδίων
τοῖς στρατευομένοις.
Στρατεύεσθαι signifie « faire campagne » . Il faut done , au lieu de
στρατευομένοις , écrire στρατευσομένοις. [Ch. Graux , élève.]

113. Sophocle , dipe Roi , 622-629 .


622. ΚΡΕΩΝ. Τί δῆτα χρήζεις ; ἢ με γῆς ἔξω βαλεῖν;
- 45

623. ΟΙΔΙΠΟΥΣ . Ηκιστα · θνήσκειν , οὐ φυγεῖν σε βούλομαι .


624. ΚΡ. Ὅταν προδείξῃς οἷόν ἐστι τὸ φθονεῖν .
625. ΟΙΔ. Ὡς οὐχ ὑπείξων οὐδὲ πιστεύσων λέγεις.
626. ΚΡ. Οὐ γὰρ φρονοῦντά σ ' εὖ βλέπω . ΟΙΔ. Τὸ γοῦν ἐμόν.
627. ΚΡ. Ἀλλ᾽ ἐξ ἴσου δεῖ καμόν. ΟΙΔ . Ἀλλ᾽ ἔφυς κακός .
628. ΚΡ. Εἰ δὲ ξυνίης μηδέν. ΟΙΔ. Αρκτέον γ᾽ ὅμως.
629. ΚΡ. Οὗτοι κακῶς γ᾽ ἄρχοντος. ΟΙΔ . Ὦ πόλις πόλις .
On a fait observer que le vers 523 est en contradiction formelle
avec le vers 641 , où Créon dit à Jocaste qu'OEdipe lui a donné le
choix entre la mort et l'exil. Ici , OEdipe tient un langage tout diffé-
rent : « Je ne veux pas que tu ailles en exil , je veux que tu meures »;
et nulle part il ne revient sur ces dernières paroles .
Pour faire disparaître cette contradiction, une première correction
toute simple se présente d'abord à l'esprit , celle de M. Schmidt :
Ηκιστα · θνήσκειν ἢ φυγεῖν σε βούλομαι , qu'on pourrait interpréter ,
soit « Non , je veux que tu choisisses entre la mort et l'exil », soit
encore « Non , j'aime mieux que tu meures que de te voir exilé . »
Nous croyons qu'en effet le vers a passé par cette forme ; mais ce
n'est pas là sans doute ce que Sophocle avait écrit. Étant donnée la
pensée qu'il avait à rendre, on ne voit pas qu'il ait pu , pour la faire
entrer dans un vers ïambique, lui donner une autre expression que
la suivante : Μάλιστα θνήσκειν σ᾽ , εἰ δὲ μή , φεύγειν θέλω . L'omission
de s ' a pu suffire pour donner lieu au remaniement : Μάλιστα θνήσ
κειν, ἢ φυγεῖν σε βούλομαι . Puis un autre copiste, ou un grammairien,
qui attribuait à μάλιστα le sens de la réponse « oui », a pris sur lui d'y
substituer ἥκιστα : d'ou la legon de Schmidt , et plus tard la vulgate.
Quant aux vers 624-626 , qui ont tant exercé la patience des
interprètes ainsi que des critiques , ils ne souffrent , suivant nous ,
que d'une lacune, et du dérangement à peu près inévitable qui en
est résulté dans la distribution du dialogue. Nous écririons tout le
passage comme il suit :

622. ΚΡ. Τί δῆτα χρήζεις ; ή με γῆς ἔξω βαλεῖν ;


623. ΟΙ . Μάλιστα θνήσκειν σ᾽ , εἰ δὲ μή , φεύγειν θέλω .
624. ΚΡ . Οταν προδείξῃς ..... ΟΙ . Οϊόν (exclamatif) ἐστι τὸ φθονεῖν .
625. ΚΡ . Ὡς οὐχ ὑπείξων οὐδὲ πιστεύσων λέγεις ;
ΟΙ . Lacune d'un vers
626. ΚΡ. Οὐ γὰρ φρονοῦντά σ᾽ εὖ βλέπω. ΟΙ . Τὸ γοῦν ἐμόν .
627. [ΚΡ. Ἀλλ᾿ ἐξ ἴσου δεῖ καμόν . ΟΙΔ. Ἀλλ᾿ἔφυς κακός . ]
628. ΚΡ. Εἰ δὲ ξυνίης μηδέν . ΟΙΔ. Αρκτέον γ᾽ὅμως.
629. ΚΡ . Οὗτοι κακῶς γ᾽ ἄρχοντος . ΟΙ . Ὦ πόλις πόλις.
Nous avons mis entre crochets le vers 627 , dont le sens ne nous
46 -

paraît pas satisfaisant , mais que , cependant , nous n'oserions pas


bannir du texte. D'autre part, il convient de rappeler que, au vers
628, Henneberger , cité par Nauck , a proposé extéov pour remplacer
ápиtéov , qui a l'inconvénient d'être équivoque.

114. Sophocle , Edipe Roi, 577-580 .

ΚΡΕΩΝ. Τί δήτ ' ; ἀδελφὴν τὴν ἐμὴν γήμας ἔχεις ;


ΟΙΔΙΠΟΥΣ . Αρνησις οὐκ ἔνεστιν ὧν ἀνιστορεῖς .
K. Αρχεις δ᾽ ἐκείνῃ ταὐτὰ γῆς ἴσον νέμων ;
0. Αν ᾖ θέλουσα (Hartung θελούσῃ) πάντ᾿ ἐμοῦ κομίζεται .
Le troisième vers a justement embarrassé les commentateurs . Il
serait facile de corriger :

Αρχῆς δ᾽ ἐκείνῃ ταῦτ᾽ ἄγεις ἴσον νέμων ;


Ταῦτ᾽ ἄγεις serait ici la même chose que ἄγεις ταύτην τὴν πόλιν,
οι πολιτείαν , « hæc » ou « hanc civitatem regis . » Cf. Τήνδ ' ἄξω πόλιν
(correction de Morstadt au vers 191 d'Antigone) , dont on peut
rapprocher Platon , Lois, VI , 774 B ; Thucydide , I , 127 : žywv tùy
TOATEíaν . Mais cette leçon ne saurait passer elle-même pour satisfai-
sante ; et návτa, que l'on pourrait songer à substituer à tauta , n'est
pas non plus le mot qu'on s'attendrait à trouver ici . Ce mot nous
paraît être nóλv, que Sophocle emploie presque toujours sans article,
même lorsqu'il s'agit d'une ville déterminée (Ellendt , Lexicon
Sophocleum , II , p . 237 ) . Le dactyle du troisième pied n'a rien que de
conforme aux habitudes du même poëte. Enfin , paléographiquement,
la faute peut s'expliquer de la manière suivante. Un copiste avait écrit
Exɛívŋ sans ascrit , omission dont les exemples sont si nombreux
qu'on ne saurait dire s'ils constituent une exception. Le copiste
suivant a pris le premier jambage du II pour un I , et l'a rattaché à
èxsívŋ . Ce qui restait du mot év n'offrant plus aucun sens, on y a
substitué le supplément banal tauta . Nous croyons donc pouvoir con-
jecturer que Sophocle avait écrit :
Αρχῆς δ᾽ ἐκείνῃ πόλιν ἄγεις ἴσον νέμων .
Disons cependant que Heimsoeth, approuvé par Nauck, a proposé
de remplacer ταὐτὰ γῆς par τοῦ κράτους ; Η . Weil (Revue critique du
16 mai 1868) , par tou téλous .

115. Sophocle, Edipe à Colone , 495-496 .

Ἐμοὶ μὲν οὐχ ὁδωτά · λείπομαι γὰρ ἐν


Τῷ μήτε σωκεῖν μήθ᾽ ὁρᾶν , δυοῖν κακοῖν .
47 -

Μήτε σωκεῖν (pour μὴ δύνασθαι) est une correction de W. Dindorf,


adoptée par Meineke et par Nauck.
Quant à ce qui regarde le premier vers , « notandum articulos et
>> præpositiones..... non solere in fine senarii poni , quod perraro sibi
» permiserunt poetæ antiquiores » (W. Dindorf, Poet. Scen. 1869 ,
page 38) . De plus , év est ici , tout au moins , superflu . Cf. Euripide ,
Hippolyte, 1243-1244 : ὑστέρῳ ποδὶ Ἐλειπόμεσθα , « nous ne pou-
vions l'atteindre , parce que nos pieds restaient en arrière, parce que
notre marche était trop lente » (exemple où le datif seul remplit le
même office que è suivi du datif dans le passage en question) . Aussi
plusieurs critiques ont-ils déjà essayé de corriger cette fin de vers .
Si l'on se rappelle combien est fréquente , chez les Tragiques, l'oppo-
sition de es et de dúo , on sera disposé à croire , avec nous , que
Sophocle avait écrit Aɛíñoµx yàp sis..... « Je souffre à la fois , en
même temps, de deux maux qui me l'interdisent. »>

116. Sophocle, Edipe à Colone , 587-589 .

Thésée vient de dire à OEdipe : Ἀλλ᾿ἐν βραχεῖ δὴ τήνδε μ᾿ἐξαιτεῖ


Záptv, c'est-à-dire « Il ne te faut pas un long temps pour solliciter et
obtenir de moi cette faveur » ; en d'autres termes « Je ne te ferai pas
attendre plus longtemps ce que tu me demandes, je t'accorde sur- le-
champ la promesse que tu sollicites » : car telle est, ici et ailleurs , la
signification de ţaιtoupat , méconnue par le Scholiaste et les commen-
tateurs modernes .
Ensuite vient un dialogue fort obscur dans l'état actuel du texte :
ΟΙΔ. Ορα γε μήν · οὐ σμικρὸς, οὐκ , ἀγὼν ὅδε .
ΘΗΣ . Πότερα τὰ τῶν σῶν ἐκγόνων, ἢ μοῦ λέγεις ;
ΟΙΔ. Κεῖνοι κομίζειν κεῖσ᾽ ἀναγκάζουσί με.
Nous pensons que le commencement des deux premiers vers était
devenu illisible dans un ancien manuscrit, par suite de quelque acci-
dent. Le premier commençait peut-être par 'Apxeï ye urv, le second,
par Τίς ; πότερα τῶν σῶν. Les lecons actuelles seraient alors de
simples suppléments , provenant d'un correcteur . Au dernier vers ,
il nous paraît évident que zivot doit céder la place à xɛívots.
De la promesse faite par Thésée d'ensevelir OEdipe, résulte pour
lui l'obligation de le défendre contre quiconque voudrait s'emparer
de sa personne. Il est donc naturel qu'OEdipe, au moment où il reçoit
cette assurance , témoigne sa joie en disant que , désormais, il ne
sera pas facile aux Thébains de l'emmener par force dans leur
pays. Tel est le sens qui résultera de la restitution proposée :
Θ. Ἀλλ᾽ ἐν βραχεῖ δὴ τήνδε μ ' ἐξαιτεῖ χάριν .
- 48 -

Ο. Αρκεῖ γε μήν · οὐ σμικρὸς, οὐκ , ἀγὼν ὅδε .....


Θ . Τίς ; πότερα τῶν σῶν ἐκγόνων , ἢ μοῦ λέγεις ;
Ο. κείνοις κομίζειν κεῖσ᾽ ἀναγκάζουσί με .
La question de savoir s'il faut , avec Hartung, substituer ἐγγενῶν
ἐκγόνων, est indépendante de celle que nous avons traitée.

117. Sophocle, Antigone, 465-468 .

Οὕτως ἔμοιγε τοῦδε τοῦ μόρου τυχεῖν


παρ᾽ οὐδὲν ἄλγος · ἀλλ᾽ ἂν , εἰ τὸν ἐξ ἐμῆς
μητρὸς θανόντ᾽ ἄθαπτον ἠνσχόμην νέκυν,
κείνοις ἂν ἤλγουν · τοῖσδε δ᾽ οὐκ ἀλγύνομαι .
Au second vers , Nauck, avec toute apparence de raison, a reporté
le point en haut après παρ᾽ οὐδέν. Nous pensons que Sophocle avait
écrit : παρ᾽ οὐδέν · ἄλγος δ᾽ἣν ἂν εἰ τὸν ἐξ ἐμῆς.....
Au vers suivant , la forme Ανσχόμην est regardée généralement
comme inadmissible ; et on s'explique difficilement que , dans un
vers οὐ θανόντ ' a pu trouver place auprès de νέκυν , πατρός τε manque
à côté de μητρός . Nous écririons Μητρὸς πατρός τε μὴ ταφέντ᾽ ἡνεσα
χόμην : en d'autres termes , nous voyons deux gloses dans les mots
ἄθαπτον et νέκυν , et dans θανόντ ' une autre glose afférente à νέκυν , et
d'origine postérieure à l'introduction de ce mot dans le texte.
La restitution πατρός τε est empruntée à Nauck . Nous n'écrivons
pas ἄθαπτον ὄντ᾽ avec Wecklein , parce que l'insertion de ces mots
entre μητρὸς πατρός τ ' et ἠνεσχόμην ferait un trimètre coupé en trois
parties égales .
Quant au dernier vers, il nous paraît avoir été fabriqué, par suite
de l'altération du premier . Débarrassé de cette intrusion , et restitué
conformément à ce qui a été dit plus haut, le passage serait :
Οὕτως ἔμοιγε τοῦδε τοῦ μόρου τυχεῖν
παρ᾽ οὐδέν · ἄλγος δ᾽ ἣν ἂν, εἰ τὸν ἐξ ἐμῆς
μητρὸς πατρός τε μὴ ταφέντ᾽ ἀνεσχόμην .
[Κείνοις ἂν ἤλγουν · τοῖσδε δ᾽ οὐκ ἀλγύνομαι . ]

118. Démosthène , Olynthienne III , 7 ; p . 30 .

Ἐπράξαμεν ἡμεῖς κἀκεῖνοι πρὸς ἡμᾶς εἰρήνην .


Vmmel traduit : « Fecimus nos et illi pacem inter nos . » Il serait
singulier, cependant, que, dans une même phrase, le mot et dési
gnat les Athéniens seuls , d'une part, et , d'autre part , les Athéniens
et les Olynthiens réunis . (Cf. n° 25.)
Nous regardons ἡμεῖς κἀκεῖνοι comme une glose explicative.
49 —

119. Platon , Gorgias , ch. 83 ; p . 527 C-D .

Καὶ ἔασόν τινά σου καταφρονῆσαι ὡς ἀνοήτου καὶ προπηλακίσαι , ἐὰν


βούληται , καὶ καὶ μὰ Δία σύγε θαρρῶν πατάξαι τὴν ἄτιμον ταύτην
πληγήν.
Πάταξαι (ainsi accentué) , préféré par certains éditeurs à l'infinitif
πατάξαι , qui s'explique mal, ne s'explique pas du tout. Il y a done
lieu de chercher une autre correction .
On admet que le passif de natacco est étranger au dialecte attique.
En faut- il dire autant des formes moyennes du même verbe? Si elles
paraissent inusitées , la raison en est sans doute qu'il se présentait
tres-peu d'occasions d'en faire usage . Nous pensons que Platon a pu
employer ici πατάξει , comme futur moyen pris dans le sens passif.

120. Euripide , Hippolyte , 932-933 .

Ἀλλ᾽ ἤ τις εἰς σον οὖς με διαβαλὼν ἔχει


φίλων , νοσοῦμεν δ᾽ οὐδὲν ὄντες αἴτιοι .
Le mot rejeté ofλwv nuit au sens plutôt qu'il ne le complète. D'autre
part , bien que vocouμev se prenne souvent au moral , suivant la
remarque de Weil, on aimerait à trouver ici auprès du verbe un
complément qui en précisat la signification. Nous proposons : φήμη
νοσοῦμεν δ ' .

121. Sophocle , Antigone , 512-513 .

ΚΡΕΩΝ. Ούκουν ὅμαιμος χώ καταντίον θανών ;


ΑΝΤΙΓΟΝΗ. Ομαιμος ἐκ μιᾶς τε καὶ ταὐτοῦ πατρός .
Nous préférerions : Ομαιμος , ἐκ μιᾶς γε ( conjecture de Blaydes)
καὶ ταὐτοῦ γεγώς .

122. Sophocle, Edipe à Colone , 250—251 .

Πρός σ᾿ὅτι σοι φίλον ἐκ σέθεν ἄντομαι ,


ἢ τέκνον, ἢ λέχος , ἢ χρέος, ἢ θεός.
Scholies : Λείπει ἐκείνου , ἵν᾽ ᾖ ὑπὲρ ἐκείνου σε ἄντομαι , ὃ ἐκ σέθεν
τίμιόν ἐστί σοι . Ἀντὶ τοῦ , ὁ ἐκ σῆς προαιρέσεως τίμιόν σοί ἐστιν .
Ces deux scholies supposent pareillement une legon πρός σ᾿ὅτι σοι
τίμιον ἐκ σέθεν. Retranchons σοι , qui peut être ici une simple glose
de ἐκ σέθεν : nous aurons un vers parfaitement clair (car ἐκ σέθεν
τίμιον équiraut à ὑπὸ σοῦ τιμώμενον) , et, comme tel , bien préférable à
celui de la Vulgate.
50

123. Sophocle , Edipe a Colone , 328 .

ΟΙΔ. Τέκνον , πέφηνας ;


ΙΣΜ. Οὐκ ἄνευ μόχθου γέ μοι.
Le Laurentianus paraît avoir porté à l'origine pov , et non μοι
pot . Nous
rétablirions : Οὐκ ἄνευ μόχθου γ᾽ ἐμοῦ .

124. Babrius, LI , 7—10 .

Ἀλλ᾽ εἰ κρεῶν , δέσποινα, τῶν ἐμῶν χρήζεις,


ἔστιν μάγειρος , ὅς με συντόμως θύσει ·
εἰ δ᾽ εἰρίων πόκου τε κοὐ κρεῶν χρήζεις ,
πάλιν ἔστι κουρεὺς, ὃς κερεῖ με καὶ σώσει .
Au lieu de καὶ σώσει , il faut vraisemblablement écrire κοὐ τρώσει ,
qui rappellera κοὐ κρεῶν du vers précédent.

125. Priscus , fragment I (Fragmenta Historicorum


Græcorum) , éd . K. Müller-Didot , tome V, page 24.

Ἐς τὰς ἐπάλξεις τοὺς παῖδας τῶν αἰχμαλώτων ἱστῶντες , τὴν τῶν


ἐναντίων βελῶν ἐπεῖχον φοράν · φίλοι γὰρ <ὄντες> τῶν Ρωμαϊκῶν παί-
δων οἱ στρατιῶται οὔτε ἔβαλλον εἰς τοὺς ἐπὶ τοῦ τείχους οὔτε ἠκόντιζον.
Nous avons substitué εἰς τοὺς à ἐπὶ τοὺς , qui , dans le texte de
Müller, ne peut provenir que d'une erreur matérielle. La leçon de
Wescher , εἰς τοὺς , est conforme , nous l'avons vérifié , à celle du
manuscrit.
L'insertion du supplément övres est arbitraire. Si l'on tient compte
de l'iotacisme, de la ressemblance du A et du A, et enfin des pro-
cédés abréviatifs employés pour représenter , à tous les cas, la termi-
naison des participes en μενος (voir Bast , Comm . Palmog. p . 848) ,
on verra que Priscus doit avoir écrit φειδόμενοι γὰρ τῶν Ῥωμαϊκῶν
παίδων. [L'abbé Duchesne, élève .]

126. Aristodeme (Fragmenta Historicorum Græco-


rum , éd . K. Müller-Didot, tome V, p . 1 et suiv . ) , I , 4 et
XI, 2.

1, 4. Λαβὼν δὲ Ἀριστείδης ἐπέδη εἰς τὴν Ψυττάλειαν , καὶ πάντας τοὺς


βαρβάρους ἐφόνευσε , καὶ μέγιστον τοῦτο τὸ ἔργον ἐπεδείξατο ὑπὲρ τῶν
Ἑλλήνων.
ΧΙ , 2. Καὶ ἐναυμάχησαν Φοίνιξι καὶ Πέρσαις , καὶ λαμπρὰ ἔργα ἐπεδεί
ξαντο .
51 --
Ἐπιδείκνυσθαι , qui signifie « faire montre de , exhiber » , n'est de
mise ni dans l'un ni dans l'autre de ces passages . Il faut écrire :
ἀπεδείξατο , ἀπεδείξαντο. [L'abbé Duchesne, élève .] .

127. Aristodème (ibid . ) , II , 4 .

Γενομένης δὲ τῆς συμβολῆς τῶν Περσῶν.....


Corrigez : Τῆς ἐμβολῆς, « l'altaque, la charge» . Cf. Hérodote, IX , 59 .

128. Aristodème (ibid . ) , III , 1 .

Ἐπειδὴ δὲ ἔπεσεν ὁ Μαρδόνιος , οἱ Πέρσαι ἔφυγον εἰς τὰς Θήβας , οἱ δὲ


Ἕλληνες ἐπελθόντες δώδεκα μυριάδας αὐτῶν ἐφόνευσαν · ἑξάκις δὲ μυρίων
ἐπιστρεφόντων ἐπὶ τὴν οἰκείαν , Αλέξανδρος ὁ Μακεδών πάντας αὐτοὺς
γενομένους κατὰ Μακεδονίαν ἐφόνευσεν .
Επιστρέφειν , proprement « tourner vers » , peut se traduire quel-
quefois par « faire (ou « faire faire » ) volte-face » , mais non par
<< retourner » . Or , il ne s'agit pas ici du moment où les Perses fai-
saient volte-face, mais bien d'un temps où ils étaient en pleine retraite
vers leur pays . Ἐπιστρεφόντων doit donc etre remplacé par ὑποστρε
φόντων , « retournant, battant en retraite » . Cf. XI, 4 : Τῶν δὲ ἀνδρῶν
οἱ μὲν πλείους διεφθάρησαν , ὀλίγοι δὲ παντάπασιν ὑπέστρεψαν εἰς τὴν
οἰκείαν . Pourquoi , dans ce dernier passage , Aristodeme a employe
εἰς, et non ἐπί comme dans le premier, c'est ce que le sens général
des deux phrases fait suffisamment comprendre. [ L'abbé Duchesne ,
élève.]

129. Aristodème (ibid . ) , X , 1 .

Παρεγένοντο εἰς Κέρκυραν , κἀκεῖθεν εἰς Μολοσσοὺς πρὸς Ἄδμητον


βασιλεύοντα , καί <τοι> ἐχθρὸν αὐτῷ πρότερον .

L'insertion du supplément tot est arbitraire, et ne remédie qu'im-


parfaitement au vice du passage. Il faut corriger : Πρὸς Ἄδμητον
βασιλέα , ὄντα [καὶ] ἐχθρὸν αὐτῷ πρότερον . La faute βασιλεύοντα devait
nécessairement avoir pour conséquence l'intrusion de xxi .

130. Aristodeme (ibid . ) , Χ , 3 .

Ὁ δὲ Θεμιστοκλῆς , οὐκ ἔχων ὅπου ὑποστρέψει , ἐπὶ τὴν Περσίδα ἔπλει .


Ὅπου ὑποστρέψει est d'une grécité évidemment inférieure à celle
d'Aristodeme , et , d'ailleurs , ne va pas au sens . Peut-être : ὅπου
ἀποστρέψει ( « ubi deversaretur » , ὅπου ἕξει ἀποστροφήν) .
52

131. Aristodeme (ibid . ) , ΧΙΧ .

Τετάρτη αἰτία φέρεται ἡ καὶ ἀληθεστάτη .


Nous préférerions : Τετάρτη αιτία φέρεται , ἢ καὶ ἀληθεστάτη .

132. Aristodeme (ibid . ) , XI , 3 .

Ἔπλευσαν δὲ καὶ κατὰ Κύπρον καὶ ἐπ᾽ Αἴγυπτον . Ἐβασίλευσε δὲ τῆς


Αἰγύπτου Ινάρως υἱὸς Ψαμμητίχου , ὃς ἀποστὰς Ἀρταξέρξου βοηθούς
ἐπηγάγετο αὑτῷ τοὺς Ἀθηναίους.
Corrigez : ἐβασίλευε . [L'abbé Duchesne, élève. ]

133. Clément d'Alexandrie , Protrepticon , ch . 2 , § 16 ;


p. 14 Potter.

Κύει καὶ ἡ Φερέφαττα παῖδα ταυρόμορφον · ἀμέλει φησί τις ποιητὴς


εἰδωλικὸς, ταῦρος πατὴρ δράκοντος καὶ πατὴρ ταύρου δράκων ἐν ὄρει τὸ
κρύφιον βουκόλος τὸ κέντρον , βουκολικὸν , οἶμαι , τὸ κέντρον τὸν νάρθηκα
ἐπικαλῶν , ὃν δὴ κάλον ἀναστρέφουσιν οἱ βάκχοι .
Avec Klotz, nous commencerons par mettre entre crochets les mots
πατήρ (entre ταῦρος et δράκοντος et καλον (autres mss . κάλων entre
ὃν δή εἰ ἀναστρέφουσιν . La première suppression est parfaitement
justifiée par la citation suivante que l'on trouve chez Firmicus Mater-
nus (ch . 26) : Ταύρος δράκοντος καὶ ταύρου δράκων πατήρ. En effet , une
faute de métrique à laquelle il est facile de remédier au moyen d'une
simple transposition de mots , ne nous empêche pas de reconnaître
dans cette citation , d'une part le fragment que nous a conservé
Clément d'Alexandrie , de l'autre un certain « senarius » dont parle
Arnobe (V, 24) , et qu'il traduit ainsi : « Taurus draconem genuit et
» taurum draco. » C'est done avec raison que Lobeck a retranché
le mot πατήρ .
En ce qui regarde xáλov, Viger a pensé que ce mot pouvait prove-
nir du voisinage de ἐπικαλῶν . Peut-être vaudrait-il mieux encore y
voir une correction marginale de la variante ἐπιτελῶν, qui occupe,
dans quelques manuscrits , la place de ἐπικαλῶν . Quoi qu'il en soit,
la suppression de κάλον ou κάλων nous parait aussi legitime que celle
de πατήρ .
Mais ces deux corrections , quelque plausibles qu'elles soient , ne
sauraient être regardées comme suffisantes . La première difficulté ,
c'est de retrouver l'ïambique trimètre , qui, dans la citation de Clément ,
devait faire suite à ταῦρος δράκοντος καὶ πατὴρ ταύρου δράκων . D'abord,
53 -
quel est le sens de ce premier vers ? L'interprétation d'Arnobe , citée
plus haut, ne concorde, croyons-nous , avec le témoignage d'aucun
autre écrivain ; elle concorde mieux, mais non absolument , à ce qu'il
semble, avec la légende, rapportée par Arnobe lui -même, dont voici
le résumé : Sous la forme d'un taureau , Jupiter s'était un à Cérès
(sa mère, suivant une tradition) , et en avait eu Proserpine. Ensuite le
même dieu, métamorphosé en dragon , s'unit à sa fille Proserpine : et
de ce commerce naquit un taureau . Faut-il maintenant entendre comme
Arnobe ce vers, qui , à l'en croire, était célèbre et fréquemment cité,
ou interpréter simplement « le taureau fils du dragon, et le dragon
père du taureau » , en admettant que la première partie de la légende
rapportée par Arnobe provient simplement de ce qu'il entendait mal
les expressions du poëte? Quoi qu'il en soit , nous pensons que le
commencement du second vers pouvait être : ἂν ὄρεσι κρύφιον βουκολῶ .
Ce qui suit n'offre plus aucune apparence de mètre : cependant il est
vraisemblable que le sens ne se complétait qu'à la fin du vers ; et
ainsi Clément a dû , selon toute apparence, citer le vers entier. C'est
l'indice d'une lacune , que nous comblerions , en supposant une
omission très-facile à expliquer, par les mots xévτpov gépшv . Dans
cette hypothèse, le poëte aurait fait dire à un personnage chargé de
veiller sur l'enfance du dieu : « Le taureau fils du dragon , et le
dragon père du taureau (ou « un taureau a engendré un dragon , et
le dragon un taureau ») sur lequel je veille , à la façon d'un bouvier,
l'aiguillon en main , dans les montagnes où il est caché ».
Reste le petit commentaire, fort embrouillé, qui suit cette citation .
Selon nous , l'auteur, après évtpov çépwv, avait écrit ces seuls mots :
κέντρον τὸν νάρθηκα ἐπικαλῶν , ὃν δὴ ἀναστρέφουσιν οἱ βάκχοι . Cette
explication , plausible en un sens , mais incomplète (car, en rappro-
chant les mots κέντρον et βουκολῷ , le poëte songeait évidemment à
l'aiguillon des bouviers) , paraît avoir induit un lecteur à écrire en
marge la note rectificative κέντρον βουκολικὸν , οἶμαι ( « le κέντρον dont
il est question dans ce vers est , je pense , l'aiguillon des bouviers ») ,
note qui fut ensuite insérée dans le texte par un copiste.
La suppression de l'article té en deux endroits , devant le mot
xévτpov , reste encore à justifier . Té , à ces deux places, nous paraît
n'avoir d'autre origine qu'une petite croix destinée à renvoyer le
lecteur du texte à la marge de telle sorte que le texte, selon nous,
portait + κέντρον τὸν νάρθηκα ἐπικαλῶν , et la marge , + κέντρον
Bouxoλixbv, cipat . Des deux croix , un copiste aurait fait ensuite deux
articles . Notons en passant que , dans les manuscrits d'Eusèbe conser-
vés à la Bibliothèque Nationale , sauf un , où le passage ne se trouve
pas , ainsi que dans l'ancien ms . de Clément d'Alexandrie coté 451 , τό
- 54 -
manque devant κέντρον τὸν νάρθηκα : c'est même, avec κάλων , la seule
variante à relever dans les mss . d'Eusèbe , qui ne sont ici d'aucun
secours pour la correction des fautes les plus graves, et ne servent
qu'à en démontrer l'antiquité .
En résumé, nous aurions : Κύει καὶ ἡ Φερέφαττα παῖδα ταυρόμορφον ·
ἀμέλει φησί τις ποιητὴς εἰδωλικός ·
Ταῦρος δράκοντος καὶ πατὴρ ταύρου δράκων ,
ὃν ὄρεσι κρύφιον βουκολῶ <κέντρον φέρων> ,
κέντρον τὸν νάρθηκα ἐπικαλῶν , ὃν δὴ ἀναστρέφουσιν οἱ βάκχοι .

134. Démosthène , Olynthienne II , 21 ; p . 24.

Ὥσπερ γὰρ ἐν τοῖς σώμασιν, ἕως μὲν ἂν ἐρρωμένος ᾖ τις , οὐδὲν ἐπαι-
σθάνεται τῶν καθ᾿ ἕκαστα σαθρῶν , ἐπὰν δ᾽ ἀρρώστημά τι συμβῇ , πάντα
κινεῖται , κἂν ῥῆγμα κἂν στρέμμα κἂν ἄλλο τι τῶν ὑπαρχόντων σαθρὸν ᾖ,
οὕτω καὶ τῶν πόλεων καὶ τῶν τυράννων , ἕως μὲν ἂν ἔξω πολεμῶσιν ,
ἀφανῆ τὰ κακὰ τοῖς πολλοῖς ἐστιν , ἐπειδὰν δ᾽ὅμορος πόλεμος συμπλακῇ ,
πάντ᾽ ἐποίησεν ἔκδηλα.

Les mots τῶν καθ᾿ ἕκαστα σαθρῶν , qui manquent dans E , mais qui
se trouvent dans les autres manuscrits , comme aussi dans la Réponse
à la Lettre de Philippe , ch. 44 , et dans le Florilegium de Stobée
(C , 9) , nous paraissent indispensables : et nous ne voyons pas ce
que Vœmel a pu y trouver de choquant « molestum » . Le sens est
évidemment : « Lorsque l'ensemble du corps est en santé , on n'a
aucun sentiment des infirmités dont peuvent être atteintes , isolément ,
les diverses parties dont il se compose. »
Au contraire , le membre de phrase κἂν ῥῆγμα κἂν στρέμμα κἂν
ἄλλο τι τῶν ὑπαρχόντων σαθρον ᾖ , qui existe dans tous les manuscrits,
ainsi que chez les deux auteurs cités , est aussi inutile que mal
écrit. Car ἄλλο τι τῶν ὑπαρχόντων , qui ne peut signifier ici qu'une
chose, à savoir toute autre partie du corps » , ne peut s'opposer à
ῥῆγμα , ni à στρέμμα ; et d'autre part ; quel pourrait être le sens
de ῥῆγμα οι στρέμμα σαθρόν ? Les mots dont il s'agit doivent pro-
venir d'un annotateur qui avait présent à la mémoire une phrase du
Discours sur la Couronne (au ch . 198) .

135. Démosthène, Olynthienne II , 26 ; p . 25 .

Πολὺ γὰρ ῥᾷον ἔχοντας φυλάττειν ἢ κτήσασθαι πάντα πέφυκεν .


Dans cette phrase , ἔχοντας fait corps avec φυλάττειν : de telle façon
que le sens est « conserver lorsqu'on a . »
Ce point admis , nous croyons qu'il est légitime de lire pov ' au
55 -
lieu de fior , en faisant du mot πάντα , difficile à construire dans le
texte ci-dessus, le sujet de la phrase.

136. Démosthène , Olynthienne II , 14 ; p . 22 .

Ὅλως μὲν γὰρ ἡ Μακεδονικὴ δύναμις καὶ ἀρχὴ , ἐν μὲν προσθήκῃ , μερίς
ἐστί τις οὐ μικρὰ , οἷον ὑπῆρξε ποθ᾽ ὑμῖν ἐπὶ Τιμοθέου πρὸς Ὀλυνθίους ·
πάλιν αὖ πρὸς Ποτίδαιαν Ολυνθίοις ἐφάνη τι τοῦτο συναμφότερον · νυνὶ
Θετταλοῖς στασιάζουσι καὶ τεταραγμένοις ἐπὶ τὴν τυραννικὴν οἰκίαν
ἐβοήθησεν · ὅποι τις ἂν , οἶμαι , προσθῇ κἂν μικρὰν δύναμιν , πάντ᾽ ὠφελεῖ ·
αὐτὴ δὲ καθ᾽αὑτὴν ἀσθενὴς καὶ πολλῶν κακῶν ἐστι μεστή .
Nous ne voyons pas que les mots ἐφάνη τι τοῦτο συναμφότερον aient
été expliqués nulle part d'une manière satisfaisante : il nous sera
donc permis de les tenir pour inintelligibles . On peut conjecturer :
Ἐφάνη τι τἀπὸ τὰ ἀπὸ συναμφοτέρων, « les efforts combinés , les
forces réunies, des deux alliés, parurent quelque chose, produisirent
quelque effet, en faveur des Olynthiens ; les forces des Macédo-
niens unies aux leurs purent quelque chose pour les Olyn-
thiens. » Il n'est pas hors de propos de noter ici que ἐβοήθησαν est
peut-être mieux autorisé que ἐβοήθησεν . (Voir Vœmel. )
Plus bas , dans la parenthese , les mots κἂν μικρὰν δύναμιν nous
paraissent devoir être retranchés comme une glose ; la construction
serait alors : Πάντ᾽ ὠφελεῖ (τοῦθ᾽ ὅποι τις ἂν προσθῇ, « le moindre
appoint est utile à la chose à laquelle on l'ajoute. »

137. Démosthène, Olynthienne II , 16 ; p . 22 .

Κοπτόμενοι δ᾽ἀεὶ ταῖς στρατείαις ταύταις ταῖς ἄνω κάτω λυποῦνται


καὶ συνεχῶς ταλαιπωροῦσιν , οὔτ᾽ ἐπὶ τοῖς ἔργοις οὔτ᾽ ἐπὶ τοῖς αὐτῶν ἰδίοις
ἐώμενοι διατρίβειν , οὔθ᾽ ὅσ᾽ ἂν ποιήσωσιν οὕτως ὅπως ἂν δύνωνται , ταῦτ᾽
ἔχοντες διαθέσθαι , κεκλειμένων τῶν ἐμπορίων τῶν ἐν τῇ χώρᾳ διὰ τὸν
πόλεμον .
Que les Macédoniens ne pussent pas vendre « toutes » leurs denrées ,
il n'y a rien là d'étonnant , rien qui soit propre à la situation carac-
térisée , une ligne plus loin, par les mots κεκλειμένων τῶν ἐμπορίων.
Ils ne pouvaient vendre « leurs denrées » : voilà ce que disait certai-
nement ici Démosthène. Οὔθ᾽ ὅσ᾽ ἂν ποιήσωσιν doit donc être remplacé
par cὔθ᾽ ἃ ἂν (ou plutôt οὔθ᾽ ἂν) ποιήσωσιν .

138. Démosthène , Sur la Paix , 3 ; p . 57 .

Οὐ μὴν ἀλλὰ, καίπερ τούτων οὕτως ἐχόντων , οἴομαι ..... ἕξειν καὶ
λέγειν καὶ συμβουλεύειν δι᾽ ὧν καὶ τὰ παρόντ᾽ ἔσται βελτίω καὶ τὰ προει
56 -
μένα (Σ : προειρημένα , ρη substitué récemment à deux lettres graltées)
σωθήσεται .
Comme le fait remarquer Weil , les mots τὰ προειμένα σωθήσεται
sont en contradiction avec le § 1 et avec tout le reste du discours.
On a proposé τὰ περιλελειμμένα . Τὰ μὴ προειμένα nous paraitrait une
conjecture plus vraisemblable.

139. Démosthène , Olynthienne III , 14 ; p . 32 .

Οὐ μὴν οὐδ᾽ ἐκεῖνό γ᾽ ὑμᾶς ἀγνοεῖν δεῖ , ὦ ἄ . Α . , ὅτι ψήφισμ᾽ οὐδενὸς


ἄξιόν ἐστιν, ἂν μὴ προσγένηται τὸ ποιεῖν ἐθέλειν τάγε δόξαντα προθύμως
ὑμᾶς.
Le dernier mot de cette phrase , ὑμᾶς , est tout à fait inattendu , et
plus qu'inutile , puisqu'il ôte à la pensée exprimée par l'orateur le
caractère de vérité générale qui en fait toute la force . Les dernières
lettres du mot προθύμως en sont vraisemblablement l'origine.

140. Démosthène , Olynthienne III , 27 ; p . 35-36 .

Νυνὶ δὲ πῶς ἡμῖν ὑπὸ τῶν χρηστῶν τῶν νῦν τὰ πράγματ᾽ ἔχει ; ἆρά γ᾽
ὁμοίως καὶ παραπλησίως ; οἷς τὰ μὲν ἄλλα σιωπῶ , πόλλ᾽ ἂν ἔχων εἰπεῖν,
ἀλλ᾽ ὅσης ἅπαντες ὁρᾶτ᾽ ἐρημίας ἐπειλημμένοι , καὶ Λακεδαιμονίων μὲν
ἀπολωλότων , Θηβαίων δ᾽ ἀσχόλων ὄντων , τῶν δ᾽ἄλλων οὐδενὸς ὄντος
ἀξιόχρεω περὶ τῶν πρωτείων ἡμῖν ἀντιτάξασθαι , ἐξὸν δ᾽ ἡμῖν καὶ τὰ
ἡμέτερ᾽ αὐτῶν ἀσφαλῶς ἔχειν καὶ τὰ τῶν ἄλλων δίκαια βραβεύειν , ἀπε
στερήμεθα μὲν χώρας οἰκείας κτλ.
Rehdantz a vu que οἷς (devant τὰ μὲν ἄλλα σιωπῶ) peut être con-
serve, à la condition que l'on substitue ἐπειλημμένοις aux deux mots
ἐπειλημμένοι καί , dont le premier ne saurait aller avec οἷς (dépendant
de év) , et dont le second a justement choqué Dobree . Mais il faudrait
aussi supprimer δ᾽ ἡμῖν ἡμῖν seul chez Denys d'Halicarnasse , suivi
par Bekker et Dindorf) , qui doit avoir été inséré par un interpolateur,
lorsque ἐπειλημμένοις fut devenu ἐπειλημμένοι καί . (Nous avons lieu
de croire que c'est par suite d'une confusion qu'un éditeur a attribué
cette dernière conjecture à Rehdantz en même temps que la première.)

141. Démosthène , Olynthienne III , 34 .

Οὐκοῦν σὺ μισθοφοράν λέγεις , φήσει τις . Καὶ παραχρῆμά γε τὴν αὐτὴν


σύνταξιν ἁπάντων , ὦ ἄ. Α . , ἵνα τῶν κοινῶν ἕκαστος τὸ μέρος λαμβάνων ,
ὅτου δέοιθ᾽ ἡ πόλις , τοῦθ᾽ ὑπάρχοι · ἔξεστιν ἄγειν ἡσυχίαν · οἴκοι μένων
βελτίων, τοῦ δι᾿ ἔνδειαν ἀνάγκῃ τι ποιεῖν αἰσχρὸν ἀπηλλαγμένος · συμβαίνει
τι τοιοῦτον οἷον καὶ τὰ νῦν · στρατιώτης αὐτὸς ὑπάρχων κτλ.
- 57-

Οἴκοι μένων βελτίων a paru inadmissible à Dindorf, qui met entre


crochets le dernier de ces mots . Nous croyons qu'il faut se borner à
écrire μὲν ὤν au lieu de μένων , ce qui donnera le sens : « En étant
plus vertueux chez soi , dans la vie ordinaire. » L'emploi de μέν, sans
dé qui lui corresponde, est tout naturel dans une phrase ainsi cons-
truite.

142. Démosthène , Sur l'Ambassade , 213 ; p . 407.

Ἀλλὰ μὴν , ἄν γέ τι ἔξω τῆς πρεσβείας βλασφημῇ περὶ ἐμοῦ , κατὰ


πόλλ᾽ οὐκ ἂν εἰκότως ἀκούοιτ᾽ αὐτοῦ . Οὐ γὰρ ἐγὼ κρίνομαι τήμερον ,
οὐδ᾽ ἐγχεῖ μετὰ ταῦθ᾽ ὕδωρ οὐδεὶς ἐμοί .
Probablement μετὰ τοῦθ ' ( s.ment . τὸ ὕδωρ) .

143. Démosthène , Pour les Mégalopolitains , 16—17 ;


p. 206.

Si les Lacédémoniens feignent de vouloir faire droit aux préten-


tions des divers peuples grecs , ce n'est pas dans une pensée de justice ,
mais bien par un calcul intéressé : ἵνα πᾶσι δοκῶσι συμπράττειν ὅπως
ἂν (Σ : ὅπως ἕκαστοι κομίσωνται ταῦθ᾽ ἅ φασιν αὑτῶν εἶναι , ἵν᾽, ἐπειδὰν
ἴωσιν ἐπὶ Μεσσήνην αὐτοί , συστρατεύωνται πάντες αὐτοῖς οὗτοι καὶ βοηθῶσι
προθύμως.
Nous pensons qu'il faut corriger : ὅπως ἕκαστοι κομιοῦνται . Mais ,
de plus , la répétition du mot ïvz , au commencement de deux propo-
sitions dépendantes l'une de l'autre, embrouille bien inutilement la
phrase. On peut admettre que Démosthène avait écrit : εἶτ᾽, ἐπειδὰν
ἴωσιν , et que, εἶτ᾽ ayant été omis devant ἐπειδάν, par une faute que
la paléographie explique aisément , le supplément "v ' fut ensuite inséré
devant ce même mot ἐπειδάν . Nous écririons done : ἅ φασιν αὑτῶν
εἶναι , εἶτ᾽ ἐπειδὰν ἴωσιν . — La legon de certains manuscrits , qui
portent , non ἵν᾽ ἐπειδάν , mais ἐπειδὰν δέ (voir Vamel) , parait appuyer
notre hypothese.

144. [ Démosthène] , Sur l'Halonnèse , 33 ; p . 85 .

Οὕτως ἀναιδής ἐστιν ὁ ἐν ἐπιστολῇ γεγραφώς, ἡ ἐστι νῦν ἐν τῷ βουλευ


τηρίῳ , ὅτ᾽ ἐπιστομιεῖν ἡμᾶς ἔφη τοὺς αὐτῷ ἀντιλέγοντας , ἐὰν ἡ εἰρήνη
γένηται , τοσαῦτα ὑμᾶς ἀγαθὰ ποιήσειν , ἃ γράφειν ἂν ἤδη , εἰ ᾔδει τὴν
εἰρήνην ἐσομένην .
Nous avons conjecture : ὅσ᾽ ἐπιστομιεῖν ἡμᾶς , ἔφη , τοὺς αὐτῷ ἀντι-
λέγοντας..... , τοσαῦτα κτλ. Voir la note explicative de Weil.
58 -

145. Euripide , Hippolyte, v. 1313-1316 .

Δάκνει σε , Θησεύ, μῦθος ; Ἀλλ᾽ ἔχ᾽ ἥσυχος,


τοὐνθένδ᾽ ἀκούσας ὡς ἂν οἰμώξης πλέον .
Αρ᾽ οἶσθα πατρὸς τρεῖς ἀρὰς ἔχων σαφεῖς ;
ἂν τὴν μίαν παρεῖλες .....
Αρ᾽ οἶσθα ..... ἔχων, « ne sais-tu pas que tu as » , ne convient
aucunement au sens général du passage , puisque , au moment où Ar-
temis prononce ces paroles , Thésée ne dispose plus que de deux ἀραί :
c'est même ce que le vers suivant a pour objet de rappeler . Nous
n'hésitons pas à croire qu'il faut corriger : Αρ᾽ ἦσθα.

146. Démosthène , Sur les Symmories , 1 ; p . 178.

Περὶ γὰρ πραγμάτων ἐγχειροῦντες λέγειν ὧν οὐδ᾽ ἂν εἷς ἀξίως ἐφικέσθαι


τῷ λόγῳ δύναιτο , αὐτοὶ μὲν τοῦ δοκεῖν δύνασθαι λέγειν δόξαν ἐκφέρονται ,
τὴν δ᾽ ἐκείνων ἀρετὴν ἐλάττω τῆς ὑπειλημμένης παρὰ τοῖς ἀκούουσι φαί-
νεσθαι ποιοῦσιν.

Ἐφικέσθαι τῷ λόγῳ dirait tout autant que ἀξίως ἐφικέσθαι τῷ λόγῳ.


Il faut, ce semble, ou supprimer l'adverbe qui surcharge inutilement
cette phrase, ou le remplacer par ἀξίῳ : « dont aucun orateur ne
saurait atteindre le niveau par une éloquence digne du sujet. » Pour
ce qui regarde la rencontre de l'o final de dio et de è ', il suffit de
renvoyer à l'exercice 24 .

147. Démosthène , Sur les Symmories , 1 ; p . 178.

Ἐγὼ δ᾽ ἐκείνων μὲν ἔπαινον τὸν χρόνον ἡγοῦμαι μέγιστον , οὗ πολλοῦ


γεγενημένου μείζω τῶν ὑπ᾽ ἐκείνων πραχθέντων οὐδένες ἄλλοι παραδείξασθαι
δεδύνηνται .
Παραδείξασθαι n'est pas le mot qu'on s'attendrait à trouver ici.
(Voir la note de Weil . ) D'un autre coté , la glose que porte un manus-
crit, ἀντὶ ἐνδείξασθε τέθεικεν , peut avoir pour origine une variante
ἐνδείξασθαι . En partant de là , on arriverait assez naturellement, par
le rapprochement des deux leçons, à conjecturer παρενδείξασθαι.

148. Démosthène, Pour les Megalopolitains , 4 ;


p . 202-203 .

Οὐκοῦν οὐδ᾽ ἂν εἷς ἀντείποι ὡς οὐ συμφέρει τῇ πόλει καὶ Λακεδαιμονίους


ἀσθενεῖς εἶναι καὶ Θηβαίους τουτουσί .
Que l'on voie , ou non, dans τουτουσί , un terme de mépris ana-
- 59

logue au latin <«< iste » , il est singulier que ce démonstratif soit joint
au nom des Thébains, qui ne paraissent pas avoir envoyé d'ambas-
sadeurs à Athènes, comme pour les opposer aux Lacédémoniens,
qui , d'après l'argument de ce discours, en avaient envoyé .
Ou l'auteur de l'argument s'est trompé , ou il faut écrire : καὶ
Θηβαίους ἀσθενεῖς εἶναι καὶ Λακεδαιμονίους τουτουσί . Αu point de vue
même de l'enchaînement naturel des idées, ce dernier ordre paraît
préférable . Car, comme le prouve la suite du discours , en disant
qu'il faut que les Thébains soient faibles , Démosthène fait une conces-
sion aux idées de son auditoire ; en disant la même chose des Lacédé-
moniens , il exprime son opinion personnelle, celle que son discours
a pour objet d'établir . [ Ch . Graux , élève . ]

149. Démosthène , Philippique I , 28 ; p . 47 .

Χρήματα τοίνυν , ἔστιν μὲν ἡ τροφή , σιτηρέσιον μόνον , τῇ δυνάμει ταύτῃ ,


τάλαντ᾽ ἐνενήκοντα καὶ μικρόν τι πρός .
L'impératif et conviendrait mieux que l'indicatif estiv à l'évalua-
tion anticipée et approximative que fait ici Démosthène.

150. Démosthène, Philippique I , 30 ; p . 48 .

Ἐπειδὰν δ᾽ ἐπιχειροτονῆτε τὰς γνώμας, ἂν ὑμῖν ἀρέσκῃ , χειροτονήσετε.


Ἐπιχειροτονεῖν veut dire tantot « mettre aux voix » , tantot
« approuver par un vote, émettre un vote affirmatif » . La première
de ces deux interprétations est évidemment la seule qui soit admis-
sible dans le passage ci-dessus . Mais ἐπιχειροτονῆτε est moins naturel
que ne serait ἐπιχειροτονήσῃ : « Quand il c'est-à-dire celui qui pre-
side) aura mis la question aux voix . » C'est ainsi que l'on dit , sans
sujet exprimé : ἐκήρυξε (sous-ent. ὁ κήρυξ) , ἐσάλπιγξε (s . -ent . ὁ σαλ
πιγκτής) .

151. Démosthène , Pour la Liberté des Rhodiens ,


15 ; p . 194 .

Εἰ οἷόν τε τοῦτ᾽ εἰπεῖν τῷ συναγορεύοντι τῇ σωτηρίᾳ αὐτῶν .


L'hiatus τῇ σωτηρίᾳ αὐτῶν est inadmissible : on le fera disparaitre
en écrivant : εἰ οἷόν τε τοῦτ᾽ εἰπεῖν αὐτῶν συναγορεύοντι τῇ σωτηρία .

152. Démosthène , Olynthienne II , 27 ; p . 26 .

Φημὶ δὴ δεῖν εἰσφέρειν χρήματα , αὐτοὺς ἐξιέναι προθύμως , μηδέν


αἰτιᾶσθαι πρὶν ἂν τῶν πραγμάτων κρατήσητε, τηνικαῦτα δ᾽ ἀπ ' αὐτῶν τῶν
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ἔργων κρίναντας τοὺς μὲν ἀξίους ἐπαίνου τιμᾶν , τοὺς δ᾽ ἀδικοῦντας κολά-
ζειν, τὰς προφάσεις δ᾽ ἀφελεῖν καὶ τὰ καθ᾽ ὑμᾶς ἐλλείμματα .
Tηxaŭтa annonce que l'orateur va quitter le présent pour parler
de l'avenir. Dans le dernier membre de phrase, un mot devrait indi-
quer, ce semble, qu'il revient au présent. Nous proposons d'insérer
ἤδη entre τὰς προφάσεις δ᾽ἀφελεῖν et καί .

153. Démosthène , Olynthienne II, 29 ; p . 26.

Πρότερον μὲν γὰρ , ὦ ἄ . Α . , εἰσεφέρετε κατὰ συμμορίας , νυνὶ δὲ πολι-


τεύεσθε κατὰ συμμορίας · ῥήτωρ ἡγεμὼν ἑκατέρων , καὶ στρατηγὸς ὑπὸ
τούτῳ, καὶ οἱ βοησόμενοι τριακόσιοι .
On ne comprend guère comment deux partis (Exaτépwv) peuvent
être assimilés aux vingt symmories entre lesquels étaient répartis
les contribuables. Il nous parait probable que éxatépov a pris la place
de ἑκάστων .
La fin de la phrase est encore plus difficile à expliquer les nom-
breux commentaires auxquels elle a donné lieu n'ont guère fait qu'en
rendre l'obscurité plus manifeste. En l'absence d'une interprétation
vraiment satisfaisante, nous écririons volontiers : xal Borloŭµev of
Tрlaxócio , « et nous leur venons en aide , nous arrivons en sous-
ordre , nous, les Trois cents . » L'orateur a en vue les trois cents
citoyens les plus riches, qui , à ce titre, occupaient la tête de la liste
des contribuables : la fortune de ces hommes devait leur assurer une
influence politique prépondérante au sein de chaque parti . Comp-
taient-ils parmi eux Démosthène ? Nous le pensons , et notre conjec-
ture le suppose .

154. Eschyle (Scholiaste d') , Suppliantes, v . 299 .

Τὴν διὰ τὴν γενομένην ὑπὸ Διὸς μεταμόρφωσιν τῆς Ἰοὺς τῇ θεᾷ προσῆψας .
Pour rendre à cette phrase le sens qu'elle avait évidemment (cf.
la note de Weil) , avant d'être ainsi altérée , il suffit de changer à
Thy en d'authy (« à cause d'elle , d'Héra » ) [ Chatelain et Graux], et
προσήψας en προσήψεν ( « le poëte a attribué ») . Pour la confusion de
dià Thy et de di ' autý , voir Bast, Com. pal. , pages 705-706 ; et pour
celle de ev et de aç, id . ib. , pages 761-762 ; Grégoire de Corinthe , éd .
Schæfer, p. 443.

155. Eschyle , Suppliantes , 267–268 .

Ἄπιστα μυθεῖσθ᾽ , ὦ ξέναι , κλύειν ἐμοὶ ,


ὅπως τόδ᾽ ὑμῖν ἐστὶν Αργεῖον γένος.
61 ―

C'est justement, selon nous, que tóde , (qu'on est réduit à inter-
préter <<id quod dicitis » , ) a choqué Meineke . Mais , au lieu de changer
avec ce critique τόδ ' en ποθ ' , nous préférerions substituer ἡμῖν à ὑμῖν.
Le sens serait alors : « Que nous avons sous les yeux une famille
argienne. » [ Émile Chatelain , élève. ]

156. Eschyle , Suppliantes , 529-530 .

Λίμνᾳ δ᾽ ἔμβαλε πορφυροειδεῖ


τὰν μελανόζυγ᾽ ἄταν .
Le dernier vers désignait certainement, ou le vaisseau sur lequel
les fils d'Égyptus avaient traversé la mer, ou les fils d'Égyptus eux-
mêmes, en faisant allusion à leur couleur. Mais il nous paraît diffi-
cile de tirer ce sens du texte ci-dessus . Au contraire, on comprendrait
parfaitement τὸν μέλανα ζυγίταν (le singulier pour le pluriel) . Ζυγίταν
peut très-bien avoir été écrit (uyeitav dans un manuscrit : d'où la
leçon actuelle.

157. Eschyle , Suppliantes , v . 560 .

Ὕδωρ (Weil : γάνος) τὸ Νείλου νόσοις ἄθικτον .


Appliqués à l'Égypte, les mots vócots 0xτov ne se comprendraient
guère car on est malade dans ce pays comme partout ailleurs.
Appliqués à l'eau du Nil, ils se comprennent encore moins. Peut-être
Eschyle avait-il écrit spécots auxτov : il ne pleut que rarement dans
la vallée du Nil ; et Hérodote (III , 10) cite même, comme un fait
unique en son genre, une pluie tombée dans la Haute-Égypte.

458. Eschyle, Suppliantes , 561-564 .

Μαινομένα πόνοις ἀτί


μοις οδύναις τε κεντροδα
λήτισι θυιὰς Ἥρας.
Il faut écrire probablement : Révols ȧúπvolg.

159. Eschyle , Suppliantes , 536-537 .

Δίας τοι γένος εὐχόμεθ᾽ εἶναι


γᾶς ἀπὸ τᾶσο᾽ ἔνοικοι .
« Planius µétotxot » , dit Weil . Nous pensons qu'il est légitime de
rétablir ici ce mot, au moyen de la transposition : tãcò ' ảnd yãs
pétoixo . D'autre part , il nous paraît nécessaire , pour la suite des
idées , que les Danaïdes, qui viennent d'invoquer Zeus, lui rappellent,
- 62 -

dans le premier vers , qu'il est le père de leur race. En conséquence,


nous écririons les deux vers comme il suit :
Δῖαί τοι γένος εὐχόμεθ᾽ εἶναι
τασο᾽ ἀπὸ γᾶς μέτοικοι .
« Nous sommes des descendantes de Zeus, qui avons quitté ce pays
pour aller en habiter un autre. »
>

160. Eschyle , Suppliantes , 538-539 .

Παλαιὸν δ᾽ εἰς ἴχνος μετέσταν


ματέρος ἀνθονόμους ἐπωπάς ,
λειμῶνα βούχιλον , ἔνθεν Ἰώ.....
Les uns interprètent επωπάς « specula, loca edita » ; les autres,
« Ionis inspectiones » , en d'autres termes , « les lieux où lo était
surveillée par Argus » . Ni l'une ni l'autre de ces explications ne nous
parait satisfaisante. Faut-il écrire ἐπαύλεις ?

161. Eschyle , Suppliantes , 329-331 .

Ἐπεὶ τίς ηὔχει τήνδ᾽ ἀνέλπιστον φυγὴν


κέλσειν ἐς (ms . κέλσειεν) Αργος κῆδος ἐγγενὲς τὸ πρὶν,
ἔχθει μεταπτοιοῦσαν εὐναίων γάμων .
Κέλσειν ἔμ᾿ Αργος s'éloignerait moins que la Vulgate de la legon
du manuscrit. La construction serait alors : ἐμὲ κέλσειν Ἄργος (que
je terminerais , proprement « que je ferais débarquer » , à Argos) τήνδ
ἀνέλπιστον φυγήν . Cf. v. 46 : κέλσαι δ ' Αργους γαῖαν ( sans ἐς) . La
forme emphatique pé s'expliquerait par le rapprochement antithé-
tique de "Αργος et du pronom. Μεταπτοιοῦσαν , qu'on rapporte par
syllepse à κήδος, s'accorderait , naturellement, avec ἐμέ .
Εὐναίων γάμων n'a rien de choquant en soi , puisque le même pléo-
nasme se rencontre ailleurs . Cependant, il nous semble qu'ici le sens
général de la phrase pourrait faire préférer ἐγγαίων .

162. Eschyle , Suppliantes , 241-242 .

Κλάδοι γε μὲν δὴ κατὰ νόμους ἀφικτόρων


κεῖνται παρ᾽ ὑμῖν πρὸς θεοῖς ἀγωνίοις.
Probablement : παρ ' ὑμῶν . On sait que κείμαι , chez les Attiques ,
a la force d'un parfait passif, et tient la place de τέθειμαι . [Em. Cha-
telain, élève.]

163. Eschyle , Suppliantes , 381-384.

Τὸν ὑψόθεν σκοπὸν ἐπισκόπει ,


φύλακα πολυπόνων
63 -

βροτῶν οἱ τοῖς πέλας προσήμενοι


δίκας οὐ τυγχάνουσιν ἐννόμου .
C'est Zeus protecteur des suppliants dont il est question dans ce
passage. Mais , à défaut du vers suivant où il est nommé , on aurait
peine à le reconnaître. Nous ne pensons pas, du moins , que l'expres-
sion τοῖς πέλας προσήμενοι suffise pour désigner clairement les
suppliants : dans dipe Roi, 15-16, προσήμεθα βωμοῖσι τοῖς σοῖς
signifie simplement « nous sommes assis au pied de tes autels. »
Nous écririons τοὺς πέλας προσιγμένοι , « ayant supplie autrui . »

164. Démosthène , Pour les Mégalopolitains , 32 ;


p . 210.

Ἐγὼ μὲν οὖν, ὦ ἄ. Α . , μὰ τοὺς θεοὺς , οὔτε φιλῶν οὐδετέρους οὔτε


μισῶν ἰδίᾳ εἴρηκα , ἀλλ᾽ ἃ νομίζω συμφέρειν ὑμῖν .
La conjecture de Dobree εἴρηκα ä ἃ εἴρηκα , ἀλλὰ νομίζων , améliore
certainement la phrase, en ce qui regarde le sens . Mais elle a, d'une
part, l'inconvénient de supposer une double faute , en second lieu ,
celui de laisser subsister l'hiatus idía eipua, et même d'en intro-
duire un nouveau (â sïprxz) . Le même critique propose subsidiaire-
ment d'insérer cὐδέν devant οὔτε φιλών (en conservant & νομίζω). Nous
aimerions mieux substituer obdév au mot inutile día.

165. Babrius , LIII , 7—8 .

Τρίτον δ᾽ ἐπ᾽ αὐτοῖς εἴθε μὴ σύγ᾽ εἰς ὥρας


ἵκοιο , μηδέ μοι πάλιν συναντήσαις.
Ce texte est celui de Lachmann . Ahrens a proposé xoto , pyjðè máλiv
poi , sans doute parce que ce deuxième vers lui a paru mal coupé.
Mais la conjecture d'Ahrens , aussi bien que la vulgate, a le défaut
de faire dire au Renard quatre vérités , alors qu'il lui suffit d'en dire
trois pour obtenir sa grâce.
Nous inclinons à croire que Babrius avait écrit : Ικοι᾽ , ὅπως μοι
μὴ πάλιν συναντήσεις. On s'expliquerait facilement l'omission de μή
après pot, et, par suite , le remaniement du second vers . Pour ce qui
regarde nos entre deux optatifs, on peut rapprocher, par exemple ,
Sophocle, Ajax, v. 1217 et suivants.

166. Aristophane, Guêpes , 838.

Τροφαλίδα τυροῦ Σικελικὴν κατεδήδοκεν .


L'auteur de la scholie « Kuplwg & xúxλog toũ tрoxoũ » avait proba-
blement sous les yeux une autre leçon que popaλída , peut-être
- 64 -

τροχαλίδα (?) , mot d'ailleurs inconnu. Au surplus, τροφαλὶς τυροῦ se


trouve textuellement chez Pollux ( VI , 48) , et dans Athénée (IV,
p. 149 F) . [Jules Nicole , répétiteur . ]

167. Denys d'Halicarnasse, Lettre I à Ammæus , ch . 9 .

Τῶν Ὀλυνθίων πρέσβεις ἀποστειλάντων εἰς τὰς Αθήνας, καὶ δεομένων


μὴ περιιδεῖν αὐτοὺς καταπολεμηθέντας , ἀλλὰ πρὸς ταῖς ὑπαρχούσαις
δυνάμεσι πέμψαι βοήθειαν , ἔπεμψεν αὐτοῖς ὁ δῆμος.....
Nous écririons : πρὸς τὰς ὑπαρχούσας δυνάμεις, « en raison des
forces dont ils pouvaient disposer. »

168. Triphiodore , Prise d'Ilion , 152-153 .

Ως φάμενος βουλῆς ἐξῴχετο · τοῖο δὲ μύθοις


πρῶτος ἐφωμάρτησε Νεοπτόλεμος θεοειδής.
Corrigez : βουλῆς ἐξήρχετο. (Cf. Odyssée, XII , 339 : κακῆς ἐξήρχετο
βουλής .)
Ulysse ne sort point à ce moment du conseil : il attend qu'un
certain nombre de ses compagnons d'armes aient adhéré à sa propo-
sition , et soient venus se ranger autour de lui. Ce n'est qu'au vers
185 qu'ils partent tous ensemble, après avoir adressé leur prière à
Athéné.

169. Dion Cassius , fragment 20 , ed . Gros et Boissée ,


pages 626-7 .

Εἰ δὲ πάντως ἀποθανὼν συμβαλοῦμαι τι πρὸς τὴν κοινὴν σωτηρίαν ,


ἑτοίμως ἔχω τελευτᾶν. Κτήσασθαι γὰρ ἰδίῳ δίῳ n'est qu'une faute
d'impression) θανάτῳ τὴν δημοσίαν εὔνοιαν καλόν .
Naber a vu que le mot votav est inadmissible ici . Nous avions
pensé d'abord à εὔσοιαν : mais il est peu vraisemblable que ce mot
rare , et peut-être exclusivement poétique , ait été employé par Dion
Cassius. Selon toute apparence, le nom à rétablir est εὕροιαν , que les
auteurs de la décadence emploient dans le sens pur et simple de
« prosperité » .

170. Euripide , Hippolyte , 1305-1309 .

Τροφοῦ διώλετ᾽ οὐχ ἑκοῦσα μηχαναῖς ,


ἡ σῷ δι᾽ ὅρκων παιδὶ σημαίνει νόσον .
Ὁ δ᾽ ὥσπερ οὖν δίκαιον οὐκ ἐφέσπετο
λόγοισιν , οὐδ᾽ αὖ πρὸς σέθεν κακούμενος
ὅρκων ἀφεῖλε πίστιν , εὐσεβὴς γεγώς.
65 -
A la vulgate mal autorisée ὁ δ᾽ ὥσπερ οὖν δίκαιον , les derniers
éditeurs substituent , d'après les bons manuscrits , ὥσπερ ὢν δίκαιος .
Mais cette dernière leçon ne saurait guère elle-même passer pour
définitive. Au lieu de ὥσπερ , c'est ἅτε que l'on attendrait : ὥσπερ ὢν
δίκαιος signifierait plutôt , à ce que nous croyons , « comme s'il était
(ou avait été » ) juste » . Nous proposons : ὥσπερ ἦν δίκαιος, « comme
il devait (le faire) , comme c'était son devoir . »>

171. Plutarque , Vie de Sylla , page 454 .


1
Ἔτι δὲ καὶ δι᾽ ὧν φησι πρὸς τύχην εὖ πεφυκέναι μᾶλλον ἢ πρὸς πόλεμον ,
τῇ τύχῃ τῆς ἀρετῆς πλέον ἔοικε νέμειν καὶ ὅλως ἑαυτὸν τοῦ δαίμονος
ποιεῖν .

Nous ne voyons pas bien ce que peut signifer πρὸς τύχην εὖ πεφυ
κέναι . Plutarque aurait- il écrit πρὸς σχολήν ? La faute, alors, aurait
son explication dans le sens général du passage , où domine l'idée
de τύχη, ou encore dans le voisinage de ce mot même, qui se trouve
une ligne plus loin .

172. Sophocle, Trachiniennes , 157-160 .


Λείπει παλαιὰν δέλτον ἐγγεγραμμένην
ξυνθήμαθ᾽, ἁμοὶ πρόσθεν οὐκ ἔτλη ποτέ ,
πολλοὺς ἀγῶνας ἐξιών , οὔπω φράσαι ,
ἀλλ᾿ ὥς τι δράσων είρπε κοὐ θανούμενος .
Au quatrième vers , on est forcé d'attribuer le sens de « réussir »><
à l'expression δρᾶν τι , qui signifie ordinairement « faire quelque
chose d'important , d'utile ou de remarquable . » Nous proposons :
ἀλλ᾽ ὡς περάσων εἶρπε ( sous - entendu τοὺς ἀγῶνας : comme on dit
περᾶν κίνδυνον) .

173. Sophocle , Trachiniennes , 714 718 . P

Τὸν γὰρ βαλόντ᾽ ἄτρακτον οἶδα καὶ θεὸν


Χείρωνα πημήναντα , χώνπερ ἂν θίγῃ
φθείρει τὰ πάντα κνώδαλ ' · ἐκ δὲ τοῦδ᾽ ὅδε
σφαγῶν διελθὼν τὸς αἵματος μέλας
πῶς οὐκ ὀλεῖ καὶ τόνδε ; δόξῃ γοῦν ἐμῇ.
Au troisième vers, la conjecture de Wecklein , φθείροντα πάντα , ou
φθείρονθ᾽ ἅπαντα , nous parait plausible. Quant à la suite, nous pen-
sons qu'elle doit être restituée ainsi : εἰς δὲ τοὔνδοθεν Σφαγῶν διελθὼν
τὸς αἵματος μέτα Πῶς οὐκ ὀλεῖ καὶ τόνδε ;
Εἰς δὲ τοῦνδοθεν n'est pas contraire aux habitudes de Sophocle, qui
attribue souvent aux formes en Oev le sens des formes correspondantes
5
66
en θι . (Cf. v . 938 : πλευρόθεν πλευρὰν παρείς . Electre, 1058, avec la
note de W. Dindorf. ) Le sens du passage ainsi corrigé sera : « Com-
ment le venin dont était imprégnée la flèche, confondu avec le sang
des blessures de Nessus , ne ferait- il pas mourir Hercule aussi , une
fois qu'il se sera insinué dans l'intérieur de son corps ? » Πῶς δὲ ὁ ἰὸς
οὐκ ὀλεῖ καὶ τόνδε, διελθὼν εἰς τοὔνδοθεν μετὰ τοῦ αἵματος τῶν σφαγῶν;

174. Sophocle , Trachiniennes , 723—724 .

Ταρβεῖν μὲν ἔργα δείν᾿ ἀναγκαίως ἔχει ,


τὴν δ᾽ ἐλπίδ᾽ οὐ χρὴ τῆς τύχης κρίνειν πάρος .
Le sens parait demander ταρβεῖν μὲν ἔργ᾽ ἄδηλ ' : « Il est naturel
d'éprouver de la crainte en présence des actes obscurs (c'est-à-dire,
dont la portée et les conséquences sont encore inconnues) ; mais il ne
faut pas donner tort ou raison à l'espérance ( se l'interdire absolument,
ou s'y livrer en toute confiance) avant l'événement, (qui seul en est
juge . ) »

175. Sophocle , Trachiniennes , 927931 .

Κἀγὼ δρομαία βᾶσ᾽ ὅσονπερ ἔσθενον ,


τῷ παιδὶ φράζω τῆς τεχνωμένης τάδε.
Κἐν ᾧ τὸ κεῖσε δεῦρό τ᾽ ἐξορμώμεθα,
ὁρῶμεν αὐτὴν ἀμφιπλῆγι φασγάνῳ
πλευρὰν ὑφ᾽ ἧπαρ καὶ φρένας πεπληγμένην .
Le membre de phrase κἂν ᾧ τὸ κεῖσε..... dépend évidemment de
πεπληγμένην , et exprime une action antérieure à celle que marque le
verbe de la proposition principale , ὁρῶμεν. Cependant , dans Télat
actuel du texte, la seule interprétation possible parait être : « Et pen-
dant que nous allons et revenons, nous voyons .... » . La clarté gagne-
Le
rait au remplacement d ' ἐξορμώμεθα par l'imparfait ἐξωρμώμεθα.
Scholiaste , d'ailleurs , interprète : Καὶ ἐν ὅσῳ διετρέχομεν πρὸς τὸν
Ὕλλον , εἶτα πάλιν πρὸς τὴν Δηϊάνειραν , ἔφθασεν ἑαυτὴν ἀνελοῦσα.

176. Démosthène , Pour la Liberté des Rhodiens, 15 ;


p . 194 .

Καὶ παρὸν αὐτοῖς Ἕλλησι καὶ βελτίοσιν αὐτῶν ὑμῖν ἐξ ἴσου συμμαχεῖν,
βαρβάροις καὶ δούλοις , οὓς εἰς τὰς ἀκροπόλεις παρεῖνται , δουλεύουσιν .
Isolé du texte, le mot ὑμῖν, qui l'embrouille aujourd'hui , en serait
un bon commentaire . Si l'on considère de plus que ce mot précède
αὐτῶν dans certains manuscrits , et le suit dans d'autres, on sera
disposé à croire qu'il provient de la marge.
- - 67 -

177. Sophocle , Trachiniennes, 938-942 .

..... Ἀλλὰ πλευρόθεν


πλευρὰν παρεὶς ἔκειτο πόλλ᾽ ἀναστένων
ὥς νιν ματαίως αἰτία βάλοι κακῇ,
κλαίων ὁθούνεχ ' εἷς δυοῖν ἔσοιθ᾽ ἅμα
πατρός τ᾿ ἐκείνης τ᾽ ὠρφανισμένος βίου .
Le vers 944 , corrigé comme ci-dessus par Nauck , renferme ,
ce semble, encore une faute . Κλαίων parait dépendre du participe
précédent ἀναστένων , tandis que , en réalité , il est question , d'abord
des remords d'Hyllus , puis , en second lieu , de la douleur qu'il
éprouve à la pensée de se voir orphelin . Nous n'hésiterions pas à
écrire : κλαίων δ᾽ἐθούνεχ ' .

178. Démosthène , Olynthienne I , ch . 15 ; p . 13 .

Le texte est celui du nº 74 , où la question a été posée , mais non


résolue .
Pour remédier à l'altération de ce passage , il suffit de remplacer
οὐκ par οὐδέν. Cf. Paix, 23, p. 63 : Εὑρήσεθ᾽ ἕκαστον πολλὰ προηγμέ
νον, ὧν οὐδὲν ἐβούλετο , πρᾶξαι . La faute originelle parait avoir été
l'omission de la terminaison év devant les lettres 6. O3 , n'offrant
aucun sens ici , a été changé en eux d'où la vulgate . Quant à l'omis-
sion signalée chez Stobée , elle peut s'expliquer par le voisinage du
groupe de lettres ουλ (dans ἐβουλόμεθα) .

179. Plutarque , Vie de Sylla, p . 455 .

Τρίτην δὲ Κλοιλίαν , ἣν ἀπεπέμψατο μὲν ὡς στεῖραν ἐντίμως καὶ μετ᾿


εὐφημίας, καὶ δῶρα προσθεὶς, ὀλίγαις δὲ ὕστερον ἡμέραις ἀγαγόμενος τὴν
Μέτελλαν, ἔδοξε διὰ τοῦτο τὴν Κλοιλίαν οὐ καλῶς αἰτιάσασθαι .
Corrigez : οὐκ ἄλλως . « Il parut pour cette raison ne l'avoir pas
accusée sans motif. >>

180. Sophocle , Edipe Roi , 936-937 .

.....Τὸ δ᾽ἔπος ούξερῶ τάχ᾿ἂν


ἥδοιο μὲν, πῶς δ᾽ οὐκ ἄν ; ἀσχάλλοις δ᾽ἴσως .
Les exemples qu'on peut citer de doua construit avec l'accusatif
ne sont pas véritablement analogues à celui- ci . Mais la phrase de-
viendra tout à fait conforme à l'usage, si l'on corrige : Tò (équivalent
de ὃ) δ᾽ἔπος ἐξερῶ . En effet, rien n'empêchera de sous-entendre τῷ
ἔπει après ἥδοιο μέν.
--- 68 -

181. Sophocle , Trachiniennes, 371-374 .

Καὶ ταῦτα πολλοὶ πρὸς μέσῃ Τραχινίων


ἀγορᾷ συνεξήκουον ὡσαύτως ἐμοὶ ,
ὥστ᾽ ἐξελέγχειν · εἰ δὲ μὴ λέγω φίλα,
οὐχ ἥδομαι , τὸ δ᾽ ὀρθὸν ἐξείρηχ᾽ ὅμως.
On interprète ὥστ᾽ ἐξελέγχειν « ita ut illum arguere possint » . Mais
le texte grec n'a aucun mot qui réponde soit à «< illum » soit à
« possint » . Nous pensons que Sophocle avait écrit : οὓς ἔστ᾽ ἐλέγχειν,
« qu'on peut interroger » .

182. Aristodeme , IV, 4 (Historicorum Græcorum fragmenta,


éd . Müller-Didot , tome V) ' .

Il s'agit de Pausanias : Συντεθειμένος γὰρ ἦν Ξέρξη προδώσεσθαι


αὐτῷ τοὺς Ἕλληνας ἐπὶ τῷ λαβεῖν θυγατέρα παρ᾽ αὐτοῦ πρὸς γάμον · ὃς
(ms. ὡς) ἐπηρμένος τῇ τε (ms. τε τῇ ἐλπίδι ταύτῃ καὶ τῷ εὐτυχήματι
τῷ ἐν Πλαταιαῖς οὐκ ἐμετριοπάθει .
Corrigez : ὥστε ἐπηρμένος.

183. Aristodeme , III , 3 .

Ἐστρατήγει δὲ < ἐπὶ > τῆς Μυκάλης Λακεδαιμονίων μὲν Λεωτυχίδης


ὁ βασιλεὺς, Ἀθηναίων δὲ Ξάνθιππος ὁ Ἀρίφρονος ὁ Περικλέους πατήρ .
Au lieu d'intercaler avec Müller le supplément ní , peut - être
vaudrait-il mieux substituer τῶν Μυκάλη à la legon τῆς Μυκάλης. Cf.
οἱ Μαραθῶνι (Platon, Ménexène , 240 et 244 ) . Si nous ne connaissons
pas d'exemples de Μυκάλη employé seul comme locatif, nous voyons
du moins qu'on disait fréquemment ἐν Μυκάλῃ , en parlant de la
bataille dont il s'agit ici (Pape, Eigennamen , éd . 1863) .

184. Aristodeme, VII .

Ἐκ τῆς Δήλου τὰ συναχθέντα μετεκόμισαν εἰς τὰς Αθήνας , καὶ κατὰ


ἔθεντο ἐντὸς ἐν <τῇ> Ακροπόλει .
Le mot inutile evτóg doit provenir d'une digraphie 2 de la fin

1. L'article critique de Mæhly sur Aristodème (dans les Jahrbücher de


Fleckeisen, 1871) nous avait d'abord échappé. Nous en avons eu connais-
sance assez tôt pour retrancher de cette page une correction de l'abbé
Duchesne (ἐν δὲ τῷ αὐτῷ ἔτει τούτῳ, au lieu de ούτω, ch . XV) , mais non pour
supprimer nos nº 126 et 131 , où nous nous sommes pareillement rencon-
trés avec Mæhly.
2. Par ce mot, analogue pour le sens et pour la forme à διλογία, dont
- 69

du mot précédent xaté Evto . C'est ainsi que, plus bas (VIII , 1 ) , le
ms . offre la leçon yevoμevouevos , au lieu de yɛvóuevos , qu'a rétabli
Wescher.
C'est à tort que Müller a inséré τῇ devant Ακροπόλει . Cf. par
exemple Démosthène , Phil . III , 44 , p . 121 : eiç 'Axρóñoλiv . De même
Dinarque , contre Dém. 96 ; contre Aristog. 24. [ Charles Graux ,
élève . ]

185. Aristodème, XII , 2 - XIII , 1 .

Παραταξάμενοι δὲ πάλιν (s . - ent. οἱ ᾿Αθηναῖοι ἐν Οινοφύτοις , στρατη


γοῦντος αὐτῶν Τολμίδου καὶ Μυρωνίδου , ἐνίκησαν Βοιωτοὺς καὶ κατέσχον
Βοιωτίαν. Εὐθὺς ἐστράτευσαν ἐπὶ Κύπρον .
D'après Müller , Aristodème aurait commis ici une faute grave
contre la chronologie , en faisant succéder immédiatement ( 06 ) à la
bataille d'OEnophytes l'expédition contre Chypre , alors qu'en réalité
sept années ont séparé ces deux événements. Mais il est plus vraisem-
blable que vous a pris ici la place de a30tę , « puis » , d'autant plus
que ce dernier mot suffit , sans dé, pour empêcher l'asyndète. [Charles
Graux , élève .]
Un manuscrit antérieur, sinon celui de l'auteur même, portait sans
doute Toλuídou seul , à l'endroit où on lit aujourd'hui Toλµíècu xai
Mupwvidou . Le dernier de ces noms doit provenir d'une note rectifi-
cative , destinée à mettre le passage ci-dessus d'accord avec le récit de
Thucydide (I , 108 ; IV, 95) . Quant à la question de savoir s'il faut
écrire dans le texte στρατηγοῦντος αὐτῶν Τολμίδου , οι στρατηγοῦντος
αὐτῶν Μυρωνίδου , nous ne prendrons pas sur nous de la trancher.

186. Aristodème , XI , 1 .

Οἱ δὲ Ἕλληνες, <οὐ> γνόντες ταῦτα , ἐξεδίωκον τὸν στρατὸν τὸν ἅμα


τῷ Θεμιστοκλεῖ , [καὶ] παραγενόμενοι δὲ ἔγνωσαν , καὶ ἀντεπεστράτευον τῷ
Αρταξέρξῃ , εὐθέως τε τὰς Ἰωνικὰς καὶ τὰς λοιπὰς πόλεις Ελληνίδας
ἠλευθέρουν ᾿Αθηναῖοι .
Kai ( après Ototoxλet) peut n'avoir d'autre origine que la syllabe
précédente xλsĩ : et nous pensons que Müller a eu raison de mettre
ce mot entre crochets, quelques exemples que l'on puisse citer d'ail-

on trouve des exemples , nous désignons la faute qui consiste à copier


deux fois la même lettre ou le même groupe de lettres . « Dittographie »> ,
qui vient immédiatement du grec , a le défaut d'être équivoque. La prédi-
lection , d'ailleurs naturelle , des philologues pour les mots empruntés
directement soit au grec soit au latin, a eu cette conséquence , que leur
terminologie est peut-être la moins précise qui existe.
- 70 ―

leurs de la locution και .... δέ, soit chez les écrivains attiques , soit
chez Aristodeme lui-même. Mais l'insertion de co devant γνόντες nous
parait gater le sens. En effet, l'idée qu'on attend est « A cette nou-
velle » , et non << Ignorant la mort de Thémistocle »
. Nous laisserions
le premier membre de phrase tel qu'il est , et nous corrigerions ainsi
la suite : περιγενόμενοι δὲ ἔγνωσαν καὶ ἀντεπιστρατεύειν : « et , vain-
queurs, ils résolurent d'aller plus loin (καί) , à savoir de rendre à
Artaxerce attaque pour attaque . »

187. Aristodème , X , 2 .

Ἡ γυνὴ τοῦ ᾿Αδμήτου ὑπέθετο Θεμιστοκλεῖ ἁρπάσαι τὸν τοῦ βασιλέως


παῖδα , καὶ καθεσθῆναι ἐπὶ τῆς ἑστίας ἱκετεύοντα . Πράξαντος δὲ τοῦ Θεμισ
τοκλέους, ὁ Αδμητος κατελεήσας αὐτὸν οὐκ ἐξέδωκεν .

Il faut probablement corriger : πράξαντος δὲ <τοῦτο > τοῦ Θεμισο


τοκλέους . Cf. V, 3 : πραξάντων δὲ τοῦτο τῶν Ἀθηναίων . [L'abbé Duchesne,
élève .]

188. Aristodeme , IV, 1 .

Ἀπὸ δὲ τῆς Περσικῆς στρατείας ἐπὶ τὸν Πελοποννησ <ιακὸν πόλεμον


> ἐπράχθη τάδε .
Après Πελοποννησ, il manque de vingt-cing a trente lettres, selon
Müller. Précédemment , Wescher avait compté trente lettres environ :
l'abbé Duchesne, après avoir examiné à son tour le manuscrit, par-
tage l'avis de ce dernier éditeur. Nous proposons de rétablir les mots
ἔτη διεγένετο (cf. VIII , 1 : πολλοῦ δὲ χρόνου διαγενομένου ) ν ' , ἐν οἷς :
lesquels, ajoutés au supplément , reproduit ci-dessus , de Wescher,
donneront un total de trente lettres.

189. Aristodème , II , 1 .

Μαρδόνιος , υἱὸς Γωβρύου τοῦ καὶ αὐτοῦ ἐπιθεμένου τοῖς <μά>γοις ,


συμ <πεπει>κὼς καὶ αὐτὸς Ξέρξην στρατεῦσαι ἐπὶ τὴν Ἑλλάδα .
Suivant l'abbé Duchesne, qui a vu le manuscrit , la première syllabe
du mot payors est si peu endommagée qu'il n'y avait pas lieu de la
mettre entre crochets .
A la place de καὶ αὐτοῦ , qui ne se comprend guère ici , nous pro-
posons d'écrire ἑβδόμου (ου ζ΄) αὐτοῦ , « lui septieme » . Le voisinage
de καὶ αὐτός peut être l'origine de la faule . Ajoutons qu'une des
abréviations les plus fréquentes de xxí se rapproche beaucoup , quant
à la forme, d'un ζ .
- 71 -

190. Platon, Gorgias , p . 523 C.

Sous Cronos , et dans les premiers temps du règne de Zeus ,


raconte Socrate , les hommes comparaissaient , le jour de leur mort,
devant un tribunal chargé de condamner les méchants aux supplices
du Tartare , et de récompenser les bons en les envoyant aux Iles des
Bienheureux . Mais les arrêts de ce tribunal n'étant pas toujours con-
formes à l'équité, Pluton et ses ministres viennent se plaindre à Jupiter:
Ο τε οὖν Πλούτων καὶ οἱ ἐπιμεληταὶ ἐκ μακάρων νήσων ἰόντες ἔλεγον
πρὸς τὸν Δία ὅτι φοιτῷέν σφιν ἄνθρωποι ἑκατέρωσε ἀνάξιοι .
Pluton et les peλytaí, qui viennent des Iles des Bienheureux ,
peuvent bien savoir ce qui s'y passe ; mais , pour parler des hommes
qui arrivent dans les deux régions (Exaτépwσe) , il faut qu'ils aient
visité aussi le Tartare. Il semble qu'il y ait là une lacune, et que les
mots portopév aptv Exaτépwce ne puissent venir qu'après une mention
expresse de l'un et de l'autre séjour. Remarquons, d'autre part, que
Plutarque, dans la citation qu'il fait de ce passage, écrit ci èmpeλntai
of Ex panáρwv výsov. En tenant compte de cette variante , on arrive
naturellement à conjecturer : ὅ τε οὖν Πλούτων καὶ οἱ ἐπιμελητ <αὶ , οἵ
τε ἐκ Ταρτάρου κ> αἱ οἱ ἐκ μακάρων νήσων , ἰόντες ἔλεγον πρὸς τὸν Δία
ὅτι φοιτῷέν σφιν ἄνθρωποι ἑκατέρωσε ἀνάξιοι . Il faut noter d'ailleurs
que Stobée (Eclog. phys . p . 143 éd . Viger) , et, sauf la variante
indiquée, Plutarque ( Consolation à Apollonius , p . 120) , ne parais-
sent pas avoir eu sous les yeux un texte plus complet que la Vulgate .
[Communiqué par Jules Nicole , répétiteur . ]

191. Platon, Gorgias , p . 483 A.

Φύσει μὲν γὰρ πᾶν αἴσχιόν ἐστιν ὅπερ καὶ κάκιον, τὸ ἀδικεῖσθαι , νόμῳ
δὲ τὸ ἀδικεῖν .
Selon la nature, commettre l'injustice est plus honteux que la
souffrir, en tant que plus mauvais . La loi, au contraire, juge que la
honte est plus grande pour qui commet l'injustice . Le sens général
n'est pas douteux : mais la construction de la phrase est évidemment
illogique. Peut-être, au lieu de av , faut-il écrire 'tav , « mon ami,
mon cher » . Cette apostrophe ironique serait bien d'accord avec le
mouvement et le ton général du discours de Calliclès .
[Communiqué par Jules Nicole , répétiteur . ]

192. Clément d'Alexandrie , Protrepticos , II , p . 16

(Potter).
Ἀλωμένη γὰρ ἡ Δηὼ κατὰ ζήτησιν τῆς θυγατρὸς τῆς Κόρης περὶ τὴν
-
Ἐλευσῖνα — τῆς Ἀττικῆς ἐστι τοῦτο χωρίον — ἀποκάμνει .....
72 -

Cobet propose de supprimer τῆς θυγατρός ( Ἑρμῆς λόγιος , tome I ,


p. 493) : il semble qu'il serait plus naturel d'éliminer τῆς Κόρης.
Τῆς Ἀττικῆς ἐστι τοῦτο χωρίον (τοῦτο τὸ χωρίον dans Eusèbe, Prép.
Evang. II , 3 , 34 , éd. Dindorf) est une intrusion manifeste. Ce n'est
pas Clément d'Alexandrie qui peut se croire obligé de donner une
telle explication . En effet, quatre pages plus haut (p . 12 Pott. ) , en
parlant de Déméter et de Perséphone , il s'exprime ainsi : καὶ τὴν
πλάνην καὶ τὴν ἁρπαγὴν καὶ τὸ πένθος αὐταῖν Ἐλευσὶς δαδουχεῖ. Les
lecteurs qui pouvaient comprendre cette allusion n'avaient pas besoin
qu'on leur dit qu'Eleusis est une localité de l'Attique.
[Communiqué par l'abbé Duchesne , élève. ]

193. Argument anonyme du plaidoyer d'Isée au


sujet de l'Héritage d'Aristarque ; ligne 20 (Scheibe) .

Ἔτι δὲ παῖς ὢν ἐκεῖνος τελευτῶν κληρονόμον κατὰ διαθήκας ἐνεστήσατο


τὸν ἴδιον ἀδελφὸν Ξεναίνετον .
Le mineur, à Athènes , ne pouvait, en aucun cas, faire une insti-
tution d'héritier (v . ce même argum. 1. 30 , et Isée, au chap. 10 du
discours en question) . Or , on n'attaque pas ici le testament d'Aris-
tarque pour cause d'incapacité du testateur, mais parce que le testa-
teur a disposé de biens qui ne lui appartenaient pas , ἃ γὰρ μὴ
δικαίως ἐκτήσατο , πῶς ἄλλῳ παραπέμπειν ἐδύνατο ; (argum. , 1. 35) Cf.
Isée , chap. 22 du même discours : οἶμαι δεῖν κυρίας εἶναι τὰς διαθήκας ,
ἃς ἂν ἕκαστος διαθῆται περὶ τῶν ἑαυτοῦ , περὶ μέντοι τῶν ἀλλοτρίων οὐ
κυρίας εἶναι τὰς διαθήκας, ὥσπερ ἂς ἂν ἕκαστος περὶ τῶν αὑτοῦ διαθῆται .
Donc , le testateur n'était pas un mineur ; et l'auteur de l'argument
n'a pu dire : ἔτι δὲ παῖς ὢν ἐκεῖνος τελευτῶν κληρονόμον κατὰ διαθήκας
ἐνεστήσατο .
Du reste, nous apprenons , dans le corps du discours (ch. 22) ,
qu'Aristarque ἀνὴρ ὢν ἀγαθὸς ἐν τῷ πολέμῳ τέθνηκε.
Il est évident que l'auteur de l'argument avait écrit : ἔτι δ᾽ ἄπαις
ὢν ἐκεῖνος τελευτῶν κληρονόμον κτλ . - La qualité d 'άπαις était une
des conditions à défaut desquelles on ne pouvait disposer de sa
fortune par testament. Voir, au sujet de cette loi de Solon , Caillemer,
Le droit de tester à Athènes, III .
[Communiqué par Ch. Graux , élève . ]

194. Isocrate , A Démonique , 46 ; p . 12 B.

Μάλιστα δ᾽ ἂν παροξυνθείης ὀρέγεσθαι τῶν καλῶν ἔργων , εἰ καταμάθοις


ὅτι καὶ τὰς ἡδονὰς ἐκ τούτων μάλιστα γνησίως ἔχομεν .
Μάλιστα γνησίως ἔχομεν donne à la phrase le sens suivant : « Les
- 73 -

plaisirs qui viennent de la vertu sont ceux que nous possédons le


plus véritablement . » Mais cette idée s'accorde mal avec le contexte ,
et particulièrement avec la phrase suivante, où les plaisirs purs que
procure la vertu sont opposés aux plaisirs mélangés de peine qui sont
le partage du vice . Isocrate a dû dire : « Les plus vrais de tous les
plaisirs sont ceux que donnent les bonnes actions » , τὰς ἡδονὰς ἐκ
τούτων μάλιστα γνησίας ἔχομεν . [Charles Graux , élève.]

195. Aristophane , Nuées, 591-594 .

Ἢν Κλέωνα τὸν λάρον δώρων ἑλόντες καὶ κλοπῆς


εἶτα φιμώσητε τούτου τῷ ξύλῳ τὸν αὐχένα,
αὖθις ἐς τἀρχαῖον ὑμῖν , εἴ τι κἀξημάρτετε ,
ἐπὶ τὸ βέλτιον τὸ πρᾶγμα τῇ πόλει συνοίσεται .
Le troisième vers , qui ne comporte pas une explication satisfai-
sante, doit être , si nous ne nous trompons , écrit et ponctué comme
il suit : Αὖθις , οὔτ᾽ (pour ὅ ἐστι , comme ούγώ pour ὃ ἐγώ ἀρχαῖον ὑμῖν,
εἴ τι κἀξημάρτετε, ἐπὶ τὸ κτλ.
<< Bien que vous ayez commis une faute ( en choisissant Cléon pour
général) , votre acte , en définitive , tournera , comme ont fait de
tout temps vos folies , au profit de la ville . » En d'autres termes :
« Si l'élection de Cléon a pour effet indirect de précipiter sa chute , vous
n'aurez plus lieu de regretter cette élection , mais bien de vous en
applaudir. » Ainsi restitué , le texte n'aura plus besoin d'autre com-
mentaire que ce passage de l'Assemblée des Femmes, 473-475 :
Λόγος γέ τοί τις ἔστι τῶν γεραιτέρων,
ὅσ᾽ ἂν ἀνόητ᾽ ἢ μωρα βουλευσώμεθα,
ἅπαντ᾽ ἐπὶ τὸ βέλτιον ἡμῖν συμφέρειν .

196. Sophocle , Philoctete , 38–39 .

Ἰοὺ ἰού · καὶ ταῦτά γ᾽ ἄλλα θάλπεται


ῥάκη , βαρείας του νοσηλείας πλέα.
Entre autres interprétations de νοσηλείας, le scholiaste donne voco-
κομίας , la seule que ce mot paraisse comporter, au moins chez les
écrivains attiques. S'il en est ainsi , πλέα ne peut être conservé : nous
croyons qu'il faut y substituer ὅπλα , « les instruments. »

197. Sophocle , Philoctete , 41-42 .

..... Πῶς γὰρ ἂν νοσῶν ἀνὴρ


κῶλον παλαιᾷ κηρὶ προσβαίη μακράν ;
Dans Edipe Roi, v. 16-17 , les enfants sont désignés par la péri-
phrase Οἱ μὲν οὐδέπω Πτέσθαι σθένοντες . Ici , la legon προσβαίη , qui a
- 74

justement choqué les critiques, et à laquelle Herwerden a proposé de


substituer προστείχοι , a peut-être pris la place de προπταίη, mot dont
on ne cite d'ailleurs aucun exemple classique.
Il est à propos de faire observer que le mot xλov ne désigne pas
seulement la jambe, mais un membre quelconque.

198. Sophocle, Philoctete , 54-55 .

.....Τὴν Φιλοκτήτου σε δεῖ


ψυχὴν ὅπως λόγοισιν ἐκκλέψεις λέγων.
Au lieu de λéywv, nous pensons qu'il faut écrire xλúsv . L'origine
de la faute serait alors l'omission du K (IC) initial de xλúɛtv , faisant
suite à un mot terminé par les deux lettres IC ¹ .

199. Sophocle , Philoctète, 81 .

Ἀλλ᾽ ἡδὺ γάρ τι κτῆμα τῆς νίκης λαβεῖν.


M. Seyffert a rétablit , d'après le Laurentianus , à la place de la
vulgate to..
Les interprètes ont cru pouvoir rendre compte de la construction
de ce vers, en disant que le sujet est sous-entendu . Mais les exemples
cités, notamment par G. Hermann , se rapportent exclusivement à un
emploi particulier du mot χρῆμα . Comme d'autre part χρῆμα et κτῆμα
sont fréquemment confondus (voir , par exemple, Bast, Comm. Pal.
p. 857. Voemel sur Démosthène, Olynthienne I , 44 ; Ambassade , 89),
nous écririons ici même t xpña . Du vers de Sophocle ainsi corrigé,
on pourra rapprocher, avec d'autres exemples qu'on trouvera dans le
Thesaurus-Didot , la phrase suivante de Platon , Théétète , 209 E :
Ἡδὺ χρῆμ᾽ ἂν εἴη τοῦ καλλίστου τῶν περὶ ἐπιστήμης λόγου . La construc
tion du vers dont il s'agit, sera : Χρῆμα τῆς νίκης (c. -a-d . ἡ νίκη )
ἐστὶν ἡδύ τι λαβεῖν . Ou encore : (τὸ χρῆμα) τῆς νίκης ἐστὶ χρῆμά τι
ἡδὺ λαβεῖν.
200. Hérodote , II , 1 .

Τῆς προαποθανούσης Κῦρος αὐτός τε μέγα πένθος ἐποιήσατο καὶ τοῖσι


ἄλλοισι προεῖπε πᾶσι τῶν ἦρχε πένθος ποιέεσθαι .

1. Précédemment, W. Dindorf a proposé éxxλéɛiç ópāv . Gedike : uxv


öлw dóλolov. Cette dernière conjecture nous fournit l'occasion d'en faire
connaître une autre toute semblable, qui a pour auteur André Grégoire,
élève de deuxième année à l'École Normale. Elle a rapport aux vers
1268-1269 de la même tragédie , où la substitution de dóλois à λóyos suffit
pour faire disparaître une imperfection choquante : ..... Kai tà æpèv yàp êx
λόγων Καλῶν κακῶς ἔπραξα , σοῖς πεισθεὶς δόλοις. La legon λόγοις doit provenir de
l'influence de óywv, qui termine le vers précédent.
75 -
-

Ποιέεσθαι suffrait parfaitement sans πένθος, qui doit être une glose .
[L'abbé Duchesne . ]
Peut-être faut-il aller plus loin, et supprimer du même coup ποιέ
εσθαι . Les exemples suivants , bien que tous empruntés à un auteur
fort different d'Hérodote , Démosthène , paraitront peut-être donner
quelque vraisemblance à cette dernière conjecture. Olynth . I , 24 , p .
16 : Καὶ στρατευομένους αὐτοὺς καὶ παροξύνοντας τοὺς ἄλλους ἅπαντας
(sous-entendu στρατεύεσθαι) . Pour les Mégalopolitains, 25 , p . 208 :
Καὶ συμπράττωμεν αὐτοὶ [correction de Reiske] καὶ τοὺς ἄλλους ἀξιῶμεν
( s. -ent. συμπράττειν) . Chersonese , 46 : Χρήματα δ᾽ εἰσφέρειν καὶ τοὺς
συμμάχους ἀξιοῦν. De même encore Ambassade, 98 , p . 372.

201. Hérodote , II , 5 .

Πρῶτα μὲν προσπλέων ἔτι καὶ ἡμέρης δρόμον ἀπέχων ἀπὸ γῆς, κατεὶς
καταπειρητηρίην πηλόν τε ἀνοίσεις καὶ ἐν ἕνδεκα (variante : καὶ ἐν δέκα)
ὀργυιῇσι ἔσεαι .
« Si tu jettes la sonde, tu retireras du limon , et tu seras dans un
endroit profond de onze brasses » n'offre pas un sens satisfaisant.
Il faudrait au moins : κατείς τε καταπειρητηρίην πηλὸν ἀνοίσεις καί .....
Car l'emploi de la sonde n'augmente ni ne diminue en rien la pro-
fondeur des eaux : il sert seulement à faire connaître cette profon-
deur . Mais il est plus probable qu'Hérodote avait écrit : πηλόν τε
ἀνοίσεις καὶ ἐὼν ἐν δέκα ὀργυιῇσι εἴσεαι . I a pu suffire qu'un copiste
substituat par inadvertance ἔτεαι au mot moins usité εἴσεαι , pour que
l'on crût devoir ensuite corriger le commencement de la phrase , en
vue de faire disparaitre la tautologie ἐν..... ἔσται . Dans l'une des
deux familles de mss . (voir l'édition critique de Stein) , cette correc-
tion s'est faite par la suppression de ἐών (d'ou la variante ἐν δέκα) ; dans
l'autre, par la substitution de ἐν à ἐών (d'ou la legon ἐν ἕνδεκα) .

202. Hérodote , II , 7 .

Ἔστι δὲ ὁδὸς ἐς Ἡλίου πόλιν ἀπὸ θαλάσσης ἄνω ἰόντι παραπλησίη τὸ


μῆκος τῇ ἐξ Ἀθηνέων ὁδῷ τῇ ἀπὸ τῶν δυώδεκα θεῶν τοῦ βωμοῦ φερούσῃ
ἔς τε Πίσαν καὶ ἐπὶ τὸν νηὸν τοῦ Διὸς τοῦ Ὀλυμπίου . Σμικρόν τι τὸ διάφορον
εὕροι τις ἂν λογιζόμενος τῶν ὁδῶν τουτέων τὸ μὴ ἴσας μῆκος εἶναι , οὐ
πλέον πεντεκαίδεκα σταδίων · ἡ μὲν γὰρ ἐς Πίσαν ἐξ Αθηνέων καταδεῖ
πεντεκαίδεκα σταδίων μὴ εἶναι πεντακοσίων καὶ χιλίων, ἡ δὲ ἐς Ἡλίου
πόλιν ἀπὸ θαλάσσης πληροῖ ἐς τὸν ἀριθμὸν τοῦτον .
L'asyndète de la seconde phrase , qui a choqué justement Abicht ,
s'explique, suivant nous , de la façon la plus naturelle. La phrase dont
il s'agit (σμικρόν τι τὸ διάφορον εὕροι τις ἂν λογιζόμενος τῶν ὁδῶν τουτέων
76 -

τὸ μὴ ἴσας μῆκος εἶναι , οὐ πλέον πεντεκαίδεκα σταδίων) n'ajoute absolu-


ment rien au sens : elle ne fait que reproduire la précédente sous
une autre forme, et anticiper sur la suivante. Ce ne peut être qu'une
scholie afferente à παραπλησίη τὸ μῆκος .

203. Eschyle , Suppliantes, 147–150 .


Παντὶ δὲ σθένει διω
γμοῖσι τοῖσδ᾽ ἀσφαλῶσ᾽
ἀδμήτας ἀδμήτα
ῥύσιος γενέσθω .
Nous reproduisons ici le texte de Weil , dont la correction dtwypłat
ToTod' (Mediceus : diwypotat d ') nous paraît préférable à toute autre.
'Aoyaλão ' est une conjecture de G. Hermann, au lieu de dopaλéas,
leçon fautive qui provient certainement, comme Weil l'a fait remar-
quer, de la fin du vers 146 , à¤qaλés. Mais , au mot un peu faible
ἀσχαλῶσ ' , nous préférerions ἐκφανεῖσ ' , « te manifestant à cette pour-
suite », en d'autres termes, « à ceux qui nous poursuivent. >>

204. Eschyle, Suppliantes , 204.

Πάτερ , φρονούντως πρὸς φρονοῦντας ἐννέπεις.


Ppovoúvτws est une correction de seconde main dans le Mediceus,
qui portait d'abord ppovouvτos. Un vers d'OEdipe à Colone (74), "O '
ἂν λέγωμεν πάνθ᾽ ὁρῶντα λέξομεν , dont on peut rapprocher Philoctete,
1045-4046 , φάτιν..... οὐχ ὑπείκουσαν κακοῖς , nous fait penser
la
qu'Eschyle avait peut-être écrit ppovoūvta , « des paroles sensées » ,
confusion de A et de OC étant d'ailleurs une des plus fréquentes et
des plus faciles à expliquer . (Voir Bast, Commentatio Palæogra-
phica, page 773.)
Aux mots pès povouvτas qui viennent ensuite, les éditeurs mo-
dernes croient devoir substituer povoutav, sans doute parce que la
règle suivant laquelle une femme, parlant d'elle-même au pluriel, se
qualifie au masculin, n'est pas applicable à plusieurs femmes réunies,
telles que sont en cet endroit les Danaïdes , représentées dans le dia-
logue par le coryphée . Mais il est manifeste qu'on a affaire ici à une
espèce de dicton ou de proverbe ; et la leçon du ms . nous paraît
devoir être conservée.

205. Eschyle , Suppliantes , 238–240 .

Ὅπως δὲ χώραν οὔτε κηρύκων ὕπο


ἀπρόξενοί τε , νόσφιν ἡγητῶν , μολεῖν
ἔτλητ᾽ ἀτρέπτως , τοῦτο θαυμαστὸν πέλει .
77 -

L'étonnement du Roi a trois causes : 1 ° que les Danaïdes soient


venues sans se faire annoncer par un héraut ; 2º qu'elles soient
venues sans avoir dans le pays un hôte attitré ; 3° qu'elles soient
venues sans guide. Ce dernier fait ayant lui-même la valeur d'un
motif, Eschyle a dû le distinguer des motifs qui précèdent au moyen
de la conjonction te. En conséquence, nous pensons qu'il faut écrire
véopi ' nτwv. Ce passage renferme d'ailleurs , selon le Thesaurus-
Didot, le seul exemple de vést ou vócqiv que l'on rencontre dans la
poésie attique.

206. Eschyle , Suppliantes, 77-81 .

Ἀλλὰ, θεοὶ γενέται , κλύετ᾽ εὖ τὸ δίκαιον ἰδόντες ·


ἢ καὶ μὴ τέλεον δόντες ἔχειν παρ᾽ αἶσαν ,
ὕβριν δ᾽ ἐτύμως στυγοῦντες ,
πέλοιτ᾽ ἂν ἔνδικοι γάμοις .
Ce texte, à vrai dire , est inintelligible : et, d'autre part, il paraît
malaisé de le restituer avec certitude. On pourrait écrire, en com-
blant, à la fin du troisième vers , la lacune d'une syllabe signalée
par Heath :
Ἀλλὰ, θεοὶ γενέται , κλύετ᾽ , εὖ τὰ δίκαια νέμοντες,
οἱ καὶ μήτι πλέον δόντες ἔχειν παρ᾽ αἶσαν ·
ὕβριν δ᾽ἐτύμως στυγοῦντες <ἂν>,
πέλοιτ᾽ ἂν ἐνδίκοις ἄρος .
<< Dieux, pères de notre race (c'est de Jupiter spécialement qu'il
»
s'agit) , écoutez-nous et faites justice , vous qui n'avez pas permis
» (proprement qui êtes allés jusqu'à ne pas permettre » ) qu'aucun
» être eût au-delà de la part qui lui revient (Tλéov пap ' aïcav ) : si
» véritablement vous haïssez l'insolence, vous serez un appui pour
» ceux qui ont la justice de leur côté . »
La substitution de τὸ δίκαιον ἰδόντες ἢ τὰ δίκαια νέμοντες s'explique-
rait par le voisinage de dévtes (au vers suivant) .
Le mot ǎpoc se trouve au vers 885 de la même pièce , cité par
Eustathe, qui interprète : opeλoç . E. A. J. Ahrens et Kruse ont proposé
de le substituer à ápñs, dans le vers 83.

207. Eschyle , Suppliantes , 228-229 .

..... Οὐδὲ μὴ ἐν Ἅδου θανών


φύγῃ μάταιον αἰτίας πράξας τάδε.
Au lieu de páratov , qui ne se comprend pas , on écrit généralement
ματαίων avec Schütz . Nous préférerions ματαίους . L'emploi de cette
forme au féminin , et , d'autre part, la ressemblance, trop peu remar-
78

quée par les paléographes , de YC et de N , ont pu tromper le


copiste à qui nous devons le Mediceus , ou un des copistes précédents ,
et lui faire croire qu'il avait sous les yeux le neutre μάταιον , construit
avec le génitif αἰτίας.
L'expression φεύγειν αἰτίαν , qui signifie ailleurs « se dérober à une
accusation » , devra être interprétée ici de la même manière que
φεύγειν δίκην, φεύγειν γραφήν.

208. Eschyle, Suppliantes, 924 .

Ἄγοιμ᾽ ἂν, εἴ τις τάσδε μή 'ξαιρήσεται .


A cette lecon , ainsi qu'à la conjecture de Boissonade , ἢ τις τάσδε
μ᾿ ἐξαιρήσεται ; nous préférerions ἤ τις..... μ᾿ἐξαιρήσεται .

209. Eschyle , Suppliantes, 1006-1009 .

Πρὸς ταῦτα μὴ πάθωμεν ὧν πολὺς πόνος ,


πολὺς δὲ πόντος οἵνεκ ' ηρέθη δορί ,
μηδ' αἴσχος ἡμῖν, ἡδονὴν δ᾽ἐχθροῖς ἐμοῖς
πράξωμεν .
Le sens du premier vers devait être, d'après la suite des idées :
« Ainsi veillons soigneusement sur ce bien pour lequel ..... » C'est
dire que πάθωμεν a pris la place d'un autre mot. Nous avions d'abord
conjecture ποθοῖμεν : « Puissions- nous ne pas regretter, ne pas avoir
à regretter , la perte de ce bien pour lequel..... » Mais il nous semble
maintenant que le mot cherché est προώμεθ ' , « ne laissons pas
l'abandon . >>

210. Eschyle , Suppliantes , 855-858 .

Μήποτε πάλιν ἴδοιν


ἀλφεσίβοιον ὕδωρ
ἔνθεν ἀεξόμενον
ζώφυτον αἷμα βροτοῖσι θάλλει .
Pour éclaircir ces deux derniers vers , les commentateurs rappellent
que Strabon et Élien attribuent au Nil , non-seulement la fertilité du
sol de l'Égypte, mais encore la vigueur de la population et des races
d'animaux qui habitent ce pays. Il semble toutefois qu'Eschyle, écri-
se
vant pour des Athéniens, a dû désigner le Nil par une périphra
moins obscure et plus caractéristique . Nous conjecturons :
Ἔνθεν ἀεξομένη
ζώφυτος αἷα βροτοῖσι θάλλει .
79
Ce serait alors une allusion au limon, charrié par le Nil, qui ex-
hausse chaque année le sol de l'Égypte .

211. Eschyle, Suppliantes , 565–568 .

Βροτοὶ δ᾽ , οἳ γᾶς τότ᾽ ἦσαν ἔννομοι ,


χλωρῷ δείματι θυμὸν
πάλλοντ᾽ ὄψιν ἀήθη,
μιξόμβροτον ἐσορᾶν τι δυσχερὲς βοτόν.
Texte de Weil. A la place de ἐσορᾶν τι (dernier vers) , le Mediceus
porte ἐσορῶντες . On s'éloignerait moins de cette lecon en écrivant
ἐσορῶντι , mot qui , joint à δυσχερές , signifierait « odieux à qui le con-
sidère » . Sur cet emploi du participe au datif, sans article, voyez
Krüger , Griechische Sprachlehre , 48 , 5 , 2. Quant à l'accusatif ὄψιν
ἀήθη , il dépendrait de χλωρῷ δείματι θυμὸν πάλλοντο , périphrase
équivalente à ἐφοβοῦντο .

212. Eschyle , Suppliantes, 635-636 .

..... μάχλον Αρη


τὸν ἀρότοις θερίζοντα βροτοὺς ἐν ἄλλοις.
Le mot αρότοις ne peut guère signifier ici que « champs » ; mais
cette acception paraît étrangère à l'usage . Nous pensons que le vers
été remanié par suite de la substitution fautive , dans un manus-
crit , de ἐν ἄλλοις à un mot unique, et nous proposons : Τὸν ἀροτοὺς
θερίζοντα βροτῶν ἐναίμους . Le mot ἀροτός, de quelque façon qu'il
faille l'accentuer, se rencontre çà et là , avec l'acception de « produit
du labourage, production d'une terre labourée, moisson sur pied » .
Ainsi , dans Sophocle, OEd. Roi, 264 (270) : Μήτ᾽ ἀροτὸν αὐτοῖς γῆς
ἀνιέναι τινά . Et , au figure, chez Euripide, Médée, 1280-1281 : ἅτις
τέκνων ὃν ἔτεκες Αροτὸν αὐτόχειρι μοίρᾳ κτενεῖς. Dans le passage
d'Eschyle, la métaphore ἀροτοὺς βροτῶν ἐναίμους , « de sanglantes
moissons d'hommes , » paraitrait toute naturelle à côté de θερίζοντα .

213. Eschyle , Suppliantes , 663-665 .

Ηβας δ᾽ ἄνθος ἄδρεπτον


ἔστω , μηδ᾽ Αφροδίτας
εὐνάτωρ βροτολοιγὸς -
ρης κέρσειεν ἄωτον.
Κέρσειεν ἄωτον exprime absolument la même idée qui a été rendue
plus haut par ἄνθος ἄδρεπτον ἔστω . D'autre part , bien que le mot
ἄωτον ne soit pas très- commun , on comprend que le voisinage d'une
80 -

expression synonyme ait pu le faire substituer à une leçon peu diffé-


rente dans l'écriture . Nous pouvons done, sans témérité, conjecturer
ἄωρον . [Emile Chatelain , élève . ]

214. Eschyle, Suppliantes, 670-673 .

Τὼς πόλις εὖ νέμοιτο


Ζήνα μέγαν σεβόντων ,
τὸν ξένιον δ᾽ ὑπέρτατον
ὃς (Mediceus ὡς) πολιῷ νόμῳ αἶσαν ὀρθοῖ .
Il est clair , comme le fait remarquer Weil, que le grand Jupiter
ne peut être opposé au Jupiter Hospitalier, surtout lorsque celui-ci
est qualifié d'autre part ὑπέρτατον. Nous pensons qu'il suffit de cor-
riger : τὸν ξένιόν θ᾽ ὑπέρτατόν θ᾽ ὅς ..... L'omission du second θ ' peut
avoir causé le remplacement du premier par d ' .

245. Démosthène , Ambassade , 197 ; p . 403 .

Ηκεν οἰκέτης ἔχων ῥυτῆρα , καὶ πεπωκότων , οἶμαι , καὶ μικρῶν ὄντων
τῶν παροξυνόντων , εἰπούσης τι καὶ δακρυσάσης ἐκείνης , περιρρήξας τὸν
χιτωνίσκον ὁ οἰκέτης ξαίνει κατὰ τοῦ νώτου πολλάς.
La formule dubitative οἶμαι ne se comprend pas à côté de πεπωκό-
των , qui exprime un fait certain, et déjà rapporté par l'orateur au
ch. 496 : ἐπειδὴ δ᾽ἧκον εἰς τὸ πίνειν . D'autre part, à côté du καί qui
précède μικρῶν avec le sens de « et », il semble qu'il en faudrait un
autre ayant le sens de « même » . Tel qu'il est , en effet, ce membre
de phrase n'offre qu'un sens louche, et pourrait tout aussi bien être
interprété « les choses qui les mettaient en colère étant petites , sans
gravité » .
Nous proposons : καὶ πεπωκότας . La construction serait alors καὶ
καὶ μικρῶν ὄντων τῶν παροξυνόντων πεπωκότας (en d'autres termes καὶ
ἐπεὶ καὶ μικρά ἐστι τὰ παροξύνοντα πεπωκότας) , « et comme les moindres
choses suffisent pour irriter des hommes qui ont bu . » On sait que,
dans ce genre de locutions, le participe accompagné de l'article se
traduit comme s'il était attribut . (Exemple : οὐδ᾽ ὁ κωλύσων παρῆν ,
<< et personne ne se trouvait là pour l'empêcher. )

216. Démosthène , Chersonese , 17 ; p . 93-94 .

Ἂν μὲν τοίνυν ἢ τὸ συνεστηκὸς στράτευμα , καὶ τῇ χώρα βοηθῆσαι


δυνήσεται , καὶ τῶν ἐκείνου τι κακῶς ποιῆσαι .
Une phrase analogue , qui se trouve au chapitre 46 (ὅπως τὸ συν-
εστηκὸς τοῦτο συμμενεῖ στράτευμα) nous conduit à conjecturer : ἂν
τοίνυν μένῃ τὸ συνεστηκὸς στράτευμα.
81

En effet, un copiste a pu considérer MENHI comme formant deux


mots la transposition de pév était une conséquence en quelque sorte
inévitable de cette erreur.

217. Démosthène , Chersonèse, 50 ; p . 102 .

Εἰ δὲ μηδενὶ τοῦτο μήτε δοκεῖ, τοὐναντίον τε πρόϊσμεν ἅπαντες κτλ .


C'est la legon de Σ , défendue par Funkhænel et Vœmel . Nous
croyons pourtant qu'il est nécessaire d'intervertir l'ordre des mots
μηδενί et μήτε, de la manière suivante : Εἰ δὲ μήτε τοῦτο μηδενὶ δοκεῖ .
Pour se rendre compte de la faute, il suffit d'admettre qu'un
copiste, qui avait omis d'abord les mots μήτε τοῦτο devant μηδενί,
s'est aperçu de sa faute à temps pour les rétablir à la place qu'ils
occupent maintenant .
En pareil cas , le lecteur était quelquefois averti de la transposition
au moyen de signes de renvoi mais il arrivait souvent que ces
signes ou manquaient absolument , ou finissaient par disparaître , ou
étaient négligés par les copistes suivants.

218. Démosthène , Chersonèse , 69 ; p . 106 .

Ὅστις μὲν γὰρ, ὦ ἄ . Α . , παριδών 2 συνοίσει τῇ πόλει , κρίνει , δημεύει ,


δίδωσι , κατηγορεῖ , οὐδεμιᾷ ταῦτ᾽ ἀνδρείᾳ ποιεῖ , ἀλλ᾽ ἔχων ἐνέχυρον τῆς
αὑτοῦ σωτηρίας τὸ πρὸς χάριν ὑμῖν λέγειν καὶ πολιτεύεσθαι , ἀσφαλῶς
θρασύς ἐστιν .
Κατηγορεί n'est pas la même chose que κρίνει : témoin la phrase
connue du Discours sur la Couronne (45 , p . 230) : Κατηγορεῖ μὲν
ἐμοῦ , κρίνει δὲ τουτονί . Cependant l'ordre des mots parait ne pas cor-
respondre ici à l'ordre des idées , suivant la remarque de plusieurs
critiques : et peut-être y a-t-il lieu de voir dans κατηγορεί , avec
Dobree et Westermann , une glose de κρίνει .
Quoi qu'il en soit, δίδωσι , que l'on interprète « faire des largesses
au peuple , des distributions » (comme χαρίζεσθαι au ch . 71) , nous
paraît, à vrai dire , inintelligible : et nous n'hésiterions pas à y substi-
tuer δίθησι , « emprisonne » . Διδέασι se trouve chez Xénophon ,
Anabase, V, 8 , 24.

219. Démosthène , Philippique II , 17 ; p . 70 .

Λογίζεσθε γάρ · ἄρχειν βούλεται , τούτου δ᾽ ἀνταγωνιστὰς μόνους ὑπεί


ληφεν ὑμᾶς . Ἀδικεῖ πολὺν ἤδη χρόνον , καὶ τοῦτ᾽ αὐτὸς ἄριστα σύνοιδεν
αὑτῷ · οἷς γὰρ οὔσιν ὑμετέροις ἔχει , τούτοις πάντα τἄλλ᾽ ἀσφαλῶς κέ-
κτηται .

Le sens exige absolument : τούτου δ᾽ἀνταγωνιστὰς μόνους ὑπείληφεν


6
- 82 -

ὑμᾶς. < Ὑμᾶς > ἀδικεῖ πολὺν ἤδη χρόνον . La répétition du même mot
a causé l'omission .

220. Démosthène , Philippique II , 15 ; p . 69.

Ὁ δὲ ταῦτα μὲν μέλλει καὶ μελλήσει γε , ὡς ἐγὼ κρίνω , τοῖς Μεσση


νίοις δὲ καὶ τοῖς Αργείοις ἐπὶ τοὺς Λακεδαιμονίους συμβάλλειν οὐ μέλλει ,
ἀλλὰ καὶ ξένους εἰσπέμπει καὶ χρήματ᾽ ἀποστέλλει , καὶ δύναμιν μεγάλην
ἔχων αὐτός ἐστι προσδόκιμος .
L'interprétation « Combattre les Lacédémoniens dans l'intérêt des
Messéniens et des Argiens » nous paraît forcée et inadmissible .
D'ailleurs , οὐ μέλλει ne saurait s'entendre que d'une guerre actuelle,
et non simplement d'envois de secours ou de préparatifs d'expédition ,
comme ceux dont il s'agit dans la suite de la phrase.
Au lieu de συμβάλλειν , on doit probablement écrire συμβαίνειν . Cf.
Thucydide, V, 84 : Καὶ οἱ Μαντινῆς , τὸ μὲν πρῶτον ἀντέχοντες , ἔπειτ
οὐ δυνάμενοι ἄνευ τῶν ᾿Αργείων , ξυνέβησαν καὶ αὐτοὶ τοῖς Λακεδαιμονίοις,
καὶ τὴν ἀρχὴν ἀφεῖσαν τῶν πόλεων.
Whiston , dans sa note sur ce passage , a bien réfuté la leçon
συμβάλλειν ; mais il a eu tort , croyons-nous , d'adopter la lecon des
manuscrits d'autorite inférieure, συνεισβάλλειν.

221. Démosthène , Philippique I , 35 ; p . 50 .

Καίτοι τί δήποτ᾽, ὦ ἄ . '


Α . , νομίζετε τὴν μὲν τῶν Παναθηναίων ἑορτὴν
καὶ τὴν τῶν Διονυσίων ἀεὶ τοῦ καθήκοντος χρόνου γίγνεσθαι , ἄν τε δεινοί
λάχωσιν ἄν τ᾿ ἰδιῶται οἱ τούτων ἑκατέρων ἐπιμελούμενοι , [ εἰς ἃ τοσαῦτ᾽
ἀναλίσκετε χρήματα ὅσ᾽ οὐδ᾽ εἰς ἕνα τῶν ἀποστόλων , καὶ τοσοῦτον ὄχλον
καὶ παρασκευὴν ὅσην οὐκ οἶδ᾽ εἴ τι τῶν ἁπάντων ἔχει , ] τοὺς δ᾽ ἀποστόλους
πάντας ὑμῖν ὑστερίζειν τῶν καιρῶν , τὸν εἰς Μεθώνην , τὸν εἰς Παγασὰς ,
τὸν εἰς Ποτίδαιαν .
Les mots que nous avons mis entre crochets allongent le premier
des deux membres de phrase opposés l'un à l'autre , au point de
rompre tout à fait l'équilibre de la période ; et cela, sans aucun profit
pour l'argumentation , qu'ils ne font au contraire qu'affaiblir . Car, si
les Athéniens attachent à ces fêtes une si grande importance, il n'est
pas étonnant que ceux qu'ils chargent de les organiser, montrent
beaucoup d'exactitude et de zèle à s'acquitter de leur fonction .

222. Démosthène , Paix, 17 , p . 61 .

Οὐκ ἄχρι τῆς ἴσης ἕκαστός ἐστιν εὔνους οὔθ᾽ ἡμῖν οὔτε Θηβαίοις , ὥστ᾽
εἶναι καὶ κρατεῖν τῶν ἄλλων · ἀλλὰ σῶς μὲν εἶναι πάντες ἂν βούλοινθ'
ἕνεχ᾽ αὑτῶν , κρατήσαντας δὲ τοὺς ἑτέρους δεσπότας ὑπάρχειν αὑτῶν (Σ :
αὐτῶν) οὐδὲ εἰς.
- 83 -

Sauf la variante indiquée, ce texte est celui de Σ : on le regarde


généralement comme inintelligible. D'autre part , les corrections pro-
posées ne sauraient guère passer pour satisfaisantes . La conjecture
que nous allons émettre à notre tour suppose deux fautes indépen-
dantes l'une de l'autre . Ce ne peut être, néanmoins , une raison suffi-
sante pour l'écarter à priori .
Nous voyons, d'abord , dans le second mot ἄχρι , une glose de cὐ
πέρα, glose substituée ensuite dans le texte non à ces deux mots,
mais au second seulement. C'est ainsi que, dans Sophocle (Antigone,
927) , la legon μὴ πλείω parait n'avoir d'autre origine qu'une glose
πλείω , destinée à expliquer μὴ μείω [conjecture de Vauvilliers , et
introduite plus tard à la place du dernier , seulement , de ces mots.
En second lieu , ὥστ᾽ εἶναι nous parait être une corruption de ὥστ᾽
ἐᾶν. Nous proposons , en conséquence : Οὐ πέρα τῆς ἴσης ἕκαστός ἐστιν
εὔνους οὔθ᾽ ἡμῖν οὔτε Θηβαίοις , ὥστ᾽ ἐᾶν καὶ κρατεῖν τῶν ἄλλων . « Ni
nos amis , ni les amis des Thébains , ne poussent l'amitié par delà les
limites de ce qui est juste , raisonnable et naturel , au point de per-
mettre soit à nous , soit aux Thébains , de devenir des maîtres pour
les autres peuples de la Grèce. »

223. Denys de Byzance (publié par C. Wescher , Paris ,


1874) . V, page 4 , lignes 4-5 .

Κόλπος οὗτος ὑπὸ τὴν Βοσπόριον ἄκραν . Βαθὺς μὲν πλέον ἢ καθ᾽ ὅρμον ·
ἑξήκοντα γὰρ ἀνακέχυται σταδίοις · ἀσφαλὴς δὲ ὅσα λιμήν.
Le point qui suit xpav doit être remplacé par une virgule ; et
σταδίοις , par σταδίους .

224. Denys de Byzance , VI , p . 5 , l . 3 .

Παρέρχεται δὲ κόλπου μὲν μέγεθος , ὡς προείρηται (V, p . 4 , 1. 4-5 ) ,


λιμένος δὲ εὐκαιρίαν .
Corrigez : παρέχεται (cf. XXI , p . 9 , 1. 12) .

225. Denys de Byzance, VI , p . 5 , l . 7—8 .

Καὶ τὰ μὲν καθόλου , βουλομένοις μὴ μακρὰν περιάγειν · ταὐτὰ τὰ δὲ


ἐπὶ μέρους ἤδη λεκτέον .
Rétablissez ταῦτα, leron du manuscrit , et ponctuez : βουλομένοις
μὴ μακρὰν περιάγειν , ταῦτα · τὰ δὲ κτλ .

226. Denys de Byzance , VII , p . 5 , 1. 13—14 .

Οὐ γὰρ ἄν μοι δοκῇ τοσοῦτον ἐπικρατῆσαι το


τὸ ἐπιχώριον πάθος ὥστε κτλ .
Corrigez : δοκεῖ .
--- 84 -

227. Denys de Byzance , VIII , p . 5 , l . 17 .

Μικρὸν δὲ ὑπὲρ αὐτὴν , Εκβασίου βωμὸς Ἀθηνᾶς · ἔνθεν ἐκβάντες οἱ


τὴν ἀποικίαν στολαγωγήσαντες εὐθὺς ὡς ὑπὲρ ἰδίας ἠγωνίζοντο τῆς γῆς.
La traduction de Gilles, faite sur un manuscrit aujourd'hui perdu,
rend les deux premiers mots de la seconde phrase par «< ad quem
egressi ». Nous conclurons de là que Gilles avait sous les yeux non
ἔνθεν , mais ἔνθα , qui est d'ailleurs exigé par le sens. Le voisinage de
ἐκβάντες explique la faute.

228. Denys de Byzance, XII , p . 6 , 1. 14 sqq .

Τὸν δὲ ἔνθεν παραμειψάμενοι κατὰ βάθος κείμενον πύργον , περιφερῆ μὲν


τὸ σχῆμα , πολὺν δὲ ἐπὶ πᾶν μέγεθος , συνάπτοντα δὲ πρὸς τὴν ἤπειρον τὸ
τεῖχος · πρῶτον μὲν πεδίον τοῦ διείργοντος τὸ μὴ νῆσον εἶναι τὴν πόλιν
αὐχένος.... , ἔπειτα κτλ .
Ecrivez τὸ δὲ ἔνθεν ( cf. 11 , 4 ) παραμειψαμένῳ (cf. 13, 14) , οι παρα-
μειψαμένοις (cf. 14 , 3, avec notre note) , et remplacez par une virgule
le point en haut qui précède πρῶτον μέν. Gilles a traduit : « Præter-
» euntibus..... primus occurrit campus. »

229. Denys de Byzance , CXII , p . 35 , 1. 3—4 .

Ἔστω δὲ τέρμα τῷ λόγῳ , ταὐτὸν δὲ καὶ τοῖς ἐπιοῦσι τὸν Βόσπορον τῆς
ἱστορίας .
Corrigez : Ταὐτὸν ὁ καὶ τοῖς ἐπιοῦσι τὸν Βόσπορον τῆς πορείας .

230. Denys de Byzance , XIV, p . 7 , 1. 11-12 .

Τὸν δὲ τοῦ Πλούτωνος ὁ Μακεδὼν Φίλιππος , ἡνίκα προεκαθέζετο τῇ


πόλει , χρείᾳ τῆς ὕλης καθεῖλε .
Ecrivez : προσεκαθέζετο.

231. Denys de Byzance , XIX , p . 9 , 1. 3-4.

Ἐπὶ δὲ αὐτῷ, τὸ καλούμενον Αψασιεῖον · ὠνόμασται δὲ οὕτως ἀπὸ


(substitué dans le ms. méme à ὑπὸ τῶν ἀπὸ Ἀρκαδίας , καὶ Ζεὺς
Αψάσιος ἐν τούτῳ τετίμηται .
Pour ce qui regarde les noms propres Αψασεῖον, Αψάσιος, nous
nous bornerons à renvoyer au commentaire critique de Wescher. La
question de savoir s'il faut écrire ἀπό ου ὑπό est plus facile à résoudre :
le sens demande ὑπό.

232. Denys de Byzance , XXI , p . 10 , 1. 2—3 .

Μέσον δὲ ἀμφοῖν Κιττὸς , ὑπό τε πλήθους καὶ εὐτροφίας τοῦ φυομένου


κιττοῦ .
- 85 .-

Ici, au contraire, ὑπό doit, certainement, être remplacé par ἀπό .

233. Denys de Byzance , XXIII , p . 10 , l . 8-11 .

Ὠνόμασται δὲ , οὐκ οἶδα εἴτε κατὰ τὴν ἐκείνων γειτνίασιν.... , εἴτε καὶ
πρὸς τὸ ἀκίνητον καὶ ἀπαθὲς ὑπὸ πνευμάτων · δύναιτο δ᾽ἂν μᾶλλον ὑπὸ τῆς
προχώσεως τῶν ποταμῶν .
Ecrivez : ἀπὸ τῆς προχώσεως.

234. Denys de Byzance , XLII , p . 17 , l . 9 ; et CXI , p . 35 ,


1. 2 .

Κιθαρῳδὸς οὐδενὸς τῶν ἄκρων ἀποδεέστερος. - Τέμενος καὶ χρηστή-


ριον.... , οὐδενὸς τῶν ἄκρων ἀποδεέστερον .
Corrigez : ὑποδεέστερος , ὑποδεέστερον. Cf. 33 , 3 : παρὰ πολὺ δὲ
ὑποδεέστερος .

235. Denys de Byzance , XXIII , p . 10 , l . 6—8 .

Ἔνθεν ἡ καλουμένη Σαπρὰ θάλασσα , πέραν μὲν τοῦ παντὸς κόλπου


(κεῖται γὰρ ἐν τῷ πυθμένι τοῦ Κέρατος) , ἀρχὴ δὲ τῶν καταδιδόντων εἰς
αὐτὴν ποταμῶν.
Corrigez : πέρας (cf. 2 , 9) μὲν τοῦ , et καταδιδόντων εἰς αὐτόν. La
traduction de Gilles porte « finis » et « in sinum » .

236. Denys de Byzance , XXIII , p . 10 , l . 15—16 .

Τρίτον Βλαχέρνας , ὄνομα βαρβαρικὸν ἀφ᾽ ἑνὸς τῶν ταύτης βασιλέων .


Le féminin tautas ne représente rien : il faut le remplacer par
l'adverbe ταύτῃ , d'autant plus que Gilles interprète « ibi » .

237. Denys de Byzance , LIII , p . 21 , l . 6—7 .

Καὶ πολλὰς οἶδα ναῦς μεστὰς οὐριοδρομούσας τοῖς ἱστίοις ὑποφερομένας


εἰς τοὀπίσω , μαχομένου τῷ πνεύματι τοῦ ῥοῦ .
Au lieu de μεστάς , nous écririons μεταξύ : « dans le temps qu'un
vent favorable enflait leurs voiles. >>

238. Denys de Byzance , XXIV , p . 12 , l . 6—9 .

Ἰὼ γὰρ, ἐπὶ μηχαναῖς μὲν Διός, ὀργῇ δὲ Ηρας , πτερωτὸν οἶστρον


ἄφετος ἐν μορφῇ βοὸς ἐπὶ πολλὴν ἐπτοήθη γῆν κατὰ τοῦτον μάλιστα τὸν
τόπον ἐπειγομένη , καὶ ὠδῖσι (θείας γὰρ γονῆς ἔμπλεως ἦν ἀπερείδεται
θῆλυ βρέφος .
Cette phrase inintelligible ne nous paraît pas très-difficile à resti-
tuer . D'abord , la traduction latine porte ici « lo enim, quum Jovis ,
- 86 -

etc. » : ce qui parait indiquer que le ms. dont Gilles s'est servi avait,
en cet endroit , ἐπεί et non ἐπί . Ensuite, il faut évidemment mettre
une virgule après ἐπὶ πολλὴν ἐπτοήθη γῆν , et écrire ἐπειγομένη ταῖς
ὠδῖσι . De ἐπτοήθη , pris comme equivalent de ἐφοβήθη , dépendra
directement l'accusatif πτερωτὸν οἶστρον (cf. 32 , 7 : πτοούμενοι γὰρ
δὴ τὴν ὄψιν) . L'expression άφετος est appliquée à Io même dans
Eschyle, Promethée, 666. On peut trouver que les mots πτερωτὸν
οἶστρον ἄφετος ἐν μορφῇ βοός ne se suivent pas dans un ordre bien
naturel : peut-être y a- t-il lieu de faire observer qu'ils forment un
vers ïambique .

239. Denys de Byzance , CXI , p . 34 , 1. 8—9 .


Μετὰ δὲ τὴν Βοῦν, Ἡραγόρα κρήνη , καὶ τέμενος ἥρωος Εὐρώστου · μεθ᾿
ὃν αἰγιαλὸς ὕπτιος.... , καὶ ἐν αὐτῷ τέμενος Αφροδίτης .
Ecrivez : μεθ᾽ ὁ αἰγιαλός . Le nom qui précède immédiatement est
masculin : d'où la faute.

240. Denys de Byzance , XXXVIII, p . 16 , 1. 8 .


Ἐκδέχεται δὴ τὴν Ὀστρεώδη τὸ καλούμενον Μέτωπον .
Le contexte exige ἐκδέχεται δέ. La faute peut s'expliquer, soit par
1η de τήν, soit par la dernière syllabe de Ὀστρεώδη .

241. Denys de Byzance , LV, p . 22—23 .


Χηλαὶ δὲ μετὰ τὰς Ἑστίας..... · τούτων αἱ μὲν μείζονες , αἱ δὲ βραχύ
τεραι · λιμένες δὲ ἀμφότεροι .
Gilles traduit : « Ambæ vero portus exsistunt . » Nous corrigerons :
ἀμφότεραι .

242. Denys de Byzance , XXVI , p . 13 , l . 8—10 .


Μετὰ δὲ Βουκόλον , Μάνδραι καὶ Δρῦς · αἱ μὲν παρὰ τὸ ἡσύχιον τοῦ
χωρίου καὶ σκεπανόν .... · Δρῦς δὲ , ἄλσει . Τοῦτο δὲ , τέμενος Απόλλωνος.
Probablement : δρᾶς δ᾽ , ἐπ ' (οι δὲ , ἐπ᾽ ἄλσει · τοῦτο δὲ κτλ . « Le lieu
appelé Apus doit son nom à un bois , lequel bois est consacré à
Apollon . »

243. Denys de Byzance , XXIV , p . 12 , l . 12-13 .


Σημύστρα γε μὴν ἐκινδύνευσε παρ᾽ ὀλίγον πόλιν εἶναι · ἐν ταύτῃ γὰρ
κτλ.
Corrigez : πόλις .

244. Denys de Byzance , XXIX , p . 14 , 1. 34 .


Παρεξισοῦσι δὲ τὴν ᾿Ακτίνα φύσις (ms . φύσιν) καὶ τοὔνομα. Περὶ δ᾽αὐτὸν
Κάνωπος, Κύβοι , Κρηνίδες .
- 87 -

Corrigez : Παρεξιοῦσι δὲ τὴν ἀκτὴν δ ..... τοὔνομα . Nous avons laissé


en blanc un nom propre , qu'il appartient à un géographe de rétablir.

245. Denys de Byzance , XXXVI , p . 15–16 .

Τέμενος ..... Αφροδίτης Πραείας , ᾗ κατ᾽ ἔθος θύουσι Βυζάντιοι .


Peut-être : κατ᾽ ἔτος , « annuellement » .

246. Denys de Byzance , XLII , p . 17 , l . 9—12 .


Ἐπὶ τοῦτον ὁπότε τὴν σκευὴν ἀμπισχόμενος τὸν ὄρθιον ἀείδοι νόμον ,
δελφὶν ἐκ τοῦ πελάγους κάτεισι , πρὸς δὲ τὸ ἐπίφορον τῆς ᾠδῆς ἐκκλίνων
τὰς ἀκοὰς, καί .... , καὶ τὴν ὄψιν μετέωρος .
Ecrivez : Ἐκ τοῦ πελάγους κατῄει , πρός τε τὸ ἐπίφορον .....

247. Denys de Byzance, XLV , p . 18 , l . 12—13 .

Σκύθην γάρ φασι μετανάστην ἐκ τῆς αὐτοῦ , προσορμίσασθαι Ταῦρον ὄνομα .


Il faut écrire et ponctuer : μετανάστην ἐκ τῆς αὑτοῦ προσορμίσασθαι ,
Ταῦρον ὄνομα .

248. Denys de Byzance , LIII , p . 21 , 1. 14 .

Ἐν τῷ χρῷ (ms . ἐν τῷ ῥῶς τῆς ἀποβάσεως .


L'expression ἐν χρῷ τῆς πέτρας, qui se trouve dans la même page , a
suggéré à Wescher la correction ci- dessus . Il y aurait analogie par-
faite entre les deux passages , et la faute deviendrait encore plus facile
à expliquer , si on lisait ici même év ypp sans article, conformément
à l'usage.

249. Denys de Byzance , LIII , p . 21 , l . 1—3 .

- Καθ᾿ ὃ μὲν γὰρ πρὸς τὴν δύσιν ὑποστρέφει . ( ἡ ἄκρα) , μεγέθει τε


διαρκεῖ καὶ πνευμάτων σκεπανὸν παρέχει τὸν ὅρμον · τῷ δὲ προσέχοντι
πολλὴν καὶ θρασεῖαν ἐκδέχεται τοῦ ρεύματος τὴν βίαν.
Corrigez : μεγέθει τε διαρκὴ et τῷ δὲ προέχοντι (cf. 9 , 7) .

250. Denys de Byzance , XXIV , p . 12 , 1. 14-16 .

Λαμπομένων δὲ τῶν ἱερῶν , κόραξ ἁρπάσας ἐκ μέσης τῆς φλογὸς ἔνια


τῶν μηρίων καὶ εἰς ὕψος ἀφεὶς , ἐπὶ τὴν Βοσπόριον ἄκραν ἐφέρετο .
Probablement : εἰς ὕψος ἀρθείς . Peut-être aussi y aurait-il lieu
d'inserer εἶτ ' devant ἐπί.

251. Denys de Byzance , XVI , p . 8 , l . 8—9 .

Παρ᾿ ὃ καὶ βωμὸς Σκεδ < ασίου> Ἀθηνᾶς , αινιττόμενος (ms . αἰνιττό-
μενον) τὸν ἐκ τῆς κυκλώσεως τοῦ πλήθους σκεδασμόν.
88 --
Il faut certainement écrire αινιττομένων . ( Cf. , par exemple, p. 43 , 1 .
6 : ὠνόμασται δὲ Βουκόλος, εὐχαρίστου μνήμης τὸν μηνυτὴν ἀξιωσάντων) .

252. Denys de Byzance, XXXIV, p . 15 , 1. 10-11 .

Σχοινίκλου τέμενος ἐντεῦθεν , Μεγαρόθεν αὐτῷ (ms . αὐτὸ) Βυζαντίων καὶ


μνήμην καὶ τιμὴν ἐνεγκαμένων .
Au lieu de αὐτῷ , écrivez αὐτοῦ. L'article manque devant les substan-
tifs dont ce pronom dépend , comme p. 17 , 1. 4-5 : μεγαλοφροσύνης τε
αὐτοῦ καὶ τιμῆς τῆς περὶ τὴν πόλιν ἀπολαύσαντες .

253. Denys de Byzance , XLII , p . 18 , l . 4—5 .

Ἔθετο δὲ τοῖς χωρίοις ονόματα Δελφίνα καὶ Καράνδας , τὸν μὲν τιμῶν
τῆς μνήμης, τὸν δὲ ἀμυνόμενος.
Ecrivez : Καράνδων (cf. même chapitre , au commencement : τὸ δὲ
ἑξῆς χωρίον Δελφίν λέγεται καὶ Καράνδας , et la traduction de Gilles
« Delphinum et Charandam ») , sinon Χαράνδαν (variante d'orthographe
déjà indiquée dans une note de Wescher) . D'autre part , τῆς μνήμης
doit céder la place à τῇ μνήμῃ .

254. Thucydide , II , 37 .

Χρώμεθα γὰρ πολιτείᾳ οὐ ζηλούσῃ τοὺς τῶν πέλας νόμους , παράδειγμα


δὲ μᾶλλον αὐτοὶ ὄντες τινὶ ἢ μιμούμενοι ἑτέρους .
S'il faut considérer les deux membres de cette phrase comme
opposés l'un à l'autre, l'opposition serait mieux marquée dans le
second par aλλá que par dé , à cause de la négation où qui précède
ζηλούσῃ : d'autant plus que οὐ ζηλούσῃ n'est pas accompagné de μέν.
En écrivant παράδειγμα δὴ μᾶλλον, on remédierait au défaut qui
vient d'être signalé, en même temps qu'on ferait disparaître une
irrégularité de construction vraiment choquante , même chez Thucy-
dide.
255. Thucydide , II , 52 .

Ὁ φθόρος ἐγίγνετο οὐδενὶ κόσμῳ , ἀλλὰ καὶ νεκροὶ ἐπ᾽ ἀλλήλοις


ἀποθνήσκοντες ἔκειντο καὶ ἐν ταῖς ὁδοῖς ἐκαλινδοῦντο καὶ περὶ τὰς κρήνας
ἁπάσας ἡμιθνῆτες τοῦ ὕδατος ἐπιθυμίᾳ .
Νεκροί ..... ἀποθνήσκοντες ne se comprend pas. Nous proposons :
Ἀλλὰ καὶ νεκροὶ ἐπ᾽ ἀλλήλοις <καὶ > ἀποθνήσκοντες ἔκειντο , « mais et
morts et mourants gisaient les uns sur les autres . »
On sait que xxí est souvent représenté par sa première lettre seule
(K ou IC) , à peine modifiée. Il n'y a pas besoin d'expliquer comment
cette abréviation a pu être omise , venant après les deux dernières
lettres du mol ἀλλήλοις. [L'abbé Duchesne , élève .]
89 -

256. Thucydide , II , 53 .

Ρᾷον γὰρ ἐτόλμα τις ἃ πρότερον ἀπεκρύπτετο μὴ καθ᾽ ἡδονὴν ποιεῖν .


Ainsi placé, καθ᾽ ἡδονήν n'offre pas un sens satisfaisant . On amé
liorerait notablement la phrase, à notre avis, si l'on écrivait et ponc-
tuait comme il suit : Ρᾷον γὰρ ἐτόλμα τις , ἃ πρότερον ἀπέκρυπτε (οι
ἀπεκρύπτετο) τὸ μὴ , καθ᾽ ἡδονὴν ποιεῖν.

257. Thucydide , II , 59 .

Ὁ δὲ ὁρῶν αὐτοὺς πρὸς τὰ παρόντα χαλεπαίνοντας καὶ πάντα ποιοῦντας


ἅπερ αὐτὸς ἤλπιζε, ξύλλογον ποιήσας..... ἐβούλετο θαρσῦναί τε καί.....
Nous écririons ἤλπισε. En effet , le pressentiment dont il s'agit
avait nécessairement précédé l'action marquée par le participe ¿ pov :
et cette dernière est représentée ici comme contemporaine de celle
qu'exprime limparfait ἐβούλετο .

258. Thucydide , II , 64 .
Γνῶτε δέ ..... αὐτὴν δύναμιν μεγίστην δὴ μέχρι τοῦδε κεκτημένην ,
ἧς ἐς ἀἴδιον τοῖς ἐπιγιγνομένοις, ἢν καὶ νῦν ὑπενδῶμέν ποτε ( πάντα γὰρ
πέφυκε καὶ ἐλασσοῦσθαι) μνήμη καταλελείψεται .
Ὑπενδῶμεν est inadmissible . Ce n'est pas au moment ou Périclès
s'efforce de relever le courage abattu des Athéniens, qu'il peut leur
promettre que leur gloire sera immortelle, quand bien même ils vien-
draient à faiblir un peu ὑπενδιδόναι) : il ne parlerait pas autrement ,
s'il les engageait à demander la paix.
Thucydide avait sans doute écrit ὑποδῶμεν, « quand bien même
notre puissance devrait décliner . » La leçon actuelle doit provenir
d'une variante, conjecture ou mauvaise glose , ἐν , écrite au-dessus
de ύπο .
259. Thucydide , II , 65 .

Οἱ δὲ ὕστερον (ses successeurs , les successeurs de Périclès) ἴσοι


αὐτοὶ μᾶλλον πρὸς ἀλλήλους ὄντες καὶ ὀρεγόμενοι τοῦ πρῶτος ἕκαστος
γίγνεσθαι , ἐτράποντο καθ᾽ ἡδονὰς τῷ δήμῳ καὶ τὰ πράγματα ἐνδιδόναι .
Αὐτοί ne s'explique pas. Nous proposons : Οἱ δὲ ὕστερον , ἴσοι οὗτοι
μᾶλλον .....
260. Thucydide , II , 54 .

Περὶ μὲν οὖν τοῦ χρηστηρίου τὰ γιγνόμενα εἴκαζον ὁμοῖα εἶναι · ἐσβεβλη
κότων δὲ τῶν Πελοποννησίων ἡ νόσος ἤρξατο εὐθύς · καὶ ἐς μὲν Πελοπόν
νησον οὐκ ἐσῆλθεν κτλ .
Par l'oracle dont il s'agit, Apollon avait promis aux Lacédémoniens
- 90 -
de leur venir en aide. La peste déchaînée sur l'Attique , alors que le
Péloponnèse était épargné, parut alors être le secours annoncé : c'est
ce qu'exprime la première des phrases ci-dessus . La seconde devait
nécessairement commencer par éσ66λrxótwv yáp (et non dé) . C'est à
tort qu'on a prétendu , ici, attribuer à Thucydide cette manière de
parler, assez fréquente d'ailleurs chez les poëtes , notamment Homère,
qui consiste à coordonner, au moyen de dé, des phrases dont la
liaison logique exigerait l'emploi de yap .

261. Euripide , Hippolyte, 1051–1052 .

Οἴμοι , τί δράσεις ; οὐδὲ μηνυτὴν χρόνον


δέξει καθ᾿ ἡμῶν , ἀλλά μ᾿ ἐξελᾶς χθονός ;
Ka0v a une apparence suspecte. Nous proposerions volontiers
xx0αρov, condemnans . » Telle est , en effet , la signification de ce
verbe dans la locution xa0αpoα ñpos (Lysias , XIII , 37 ) , « le vote
de condamnation ».
La phrase signifierait alors : « Et tu me condamneras si vite que
tu me chasseras de ce pays sans attendre les révélations du temps. »

262. Euripide , Hippolyte , 1210 et suivants .

Κάπειτ᾽ ἀνοιδῆσαν ( s. - ent . τὸ κύμα) .....

χωρεῖ πρὸς ἀκτὰς, οὗ τέθριππος ἦν ὄχος.


Αὐτῷ δὲ σὺν κλύδωνι καὶ τρικυμία
κῦμ᾽ ἐξέθηκε ταῦρον , ἄγριον τέρας .
Αὐτῷ, devant σὺν κλύδωνι , laisse désirer un mot plus utile. Nous
proposons auto , « là même, à l'endroit même où se tenaient les
chevaux. » [L'abbé Duchesne, élève .]
D'autre part , la répétition du mot xp. ' dans le dernier vers est
absolument superflue ; et le voisinage de pixupía la rend tout à fait
invraisemblable. Nous pensons qu'il faut rétablir ici o oldu ' (ou
τοΐδμ ', comme on dit φροίμιον pour προοίμιον ?) . Si l'on admet la possi-
bilité de cette synizèse, on comprendra en même temps qu'un copiste
ait pu être dérouté par ce qu'elle a d'insolite .

263. Euripide, Hippolyte, 1344-1346 .

Ὦ πόνος οἴκων, οἷον ἐκράνθη


δίδυμον μελάθροις
πένθος θεόθεν καταληπτόν .
de
Le sens s'accommoderait beaucoup mieux de xaτaλτois que
xataλtóν , dont la signification a paru incertaine à Weil ; et la
- 91 --
substitution d'un N au groupe ΙΣ (ou plutôt IC) n'aurait rien d'extra-
ordinaire , d'autant plus que le substantif le plus voisin est πένθος .

264. Euripide , Hippolyte , 1363 et suivants .

.....Ζεύ, Ζεῦ, τάδ᾽ ὁρᾶς ;


Οδ᾽ ὁ σεμνὸς ἐγὼ καὶ θεοσέπτωρ ,
ὅδ᾽ ὁ σωφροσύνῃ πάντας ὑπερσχὼν
προΰπτον ἐς Αδαν στείχω κατὰ γᾶς,
ὀλέσας βίοτον · μόχθους δ᾽ ἄλλως
τῆς εὐσεβίας
εἰς ἀνθρώπους ἐπόνησα .
Εἰς ἀνθρώπους ne peut convenir ici , soit que l'on rattache ces mots
ὰ τῆς εὐσεβίας, soit qu'on les fasse dépendre de ἐπόνησα. Nous écri-
rions : εἷς ἀνθρώπων ἐπόνησα . « Seul entre tous les hommes j'ai en
vain pratiqué la piété (contrairement à la loi providentielle qui veut
que les méchants soient toujours punis , et les bons toujours récom-
pensés) . » [Ém. Chatelain , élève . ]

265. Euripide , Hippolyte , 1416-1422 .

Ἔασον · οὐ γὰρ οὐδὲ γῆς ὑπὸ ζόφον


θεᾶς ἄτιμοι Κύπριδος ἐκ προθυμίας
ὀργαὶ κατασκήψουσιν εἰς τὸ σὸν δέμας,
σῆς εὐσεβείας κἀγαθῆς φρενός χάριν ·
ἐγὼ γὰρ αὐτῆς ἄλλον ἐξ ἐμῆς χερός
ὃς ἂν μάλιστα φίλτατος κυρῇ βροτῶν
τόξοις ἀφύκτοις τοῖσδε τιμωρήσομαι .
On fera disparaître l'absurdité relevée par Weil dans le texte ci-
dessus en conservant , au premier vers , la leçon la mieux autorisée,
ζόφον , et en substituant à οὐδέ (dans le méme vers) ὧδε, qu'il faudra
alors rattacher à ἐκ προθυμίας , de sorte que le sens soit « si libre-
ment, tellement au gré de son caprice. » (Pour cette acception de
προθυμία, cf. v. 1329.) Quant à l'ensemble , nous l'interpréterions
comme il suit : « Quitte ces pensers : car la colère inspirée à la déesse
Cypris par ton refus de lui rendre hommage (cf. 1402 : τιμῆς ἐμέμφθη) ,
cette colère ne se déchaînera plus si librement , si elle prétend
s'acharner sur toi jusque dans les enfers . » (On sait que , dans la
théologie homérique, les supplices du Tartare sont réservés aux
ennemis des dieux .) L'idée sous-entendue sera : « Car si , entre dieux ,
nous nous abandonnons mutuellement nos ennemis (cf. 1328-1330)
tant qu'ils sont en vie , il n'en est pas de même une fois qu'ils sont
morts . »
92 -

Quant à la dernière phrase , èyà yàp autñç xtλ . , elle exprimera la


conduite qu'Artémis se promet de tenir, à supposer que Cypris pré-
tende persécuter Hippolyte jusque dans les enfers : « Car, si elle agit
ainsi, moi , de mon côté, etc. » Ainsi on sera dispensé de rechercher
à quel personnage tué par Artémis , et cher à Cypris , le poëte a voulu
faire allusion dans ce passage .
Le sens de l'ensemble ainsi rétabli , il nous reste un doute sur
l'authenticité de autñjs (v. 1420) , ainsi que sur celle de l'un des mots
θεᾶς et Κύπριδος (1447) .

266. Euripide, Hippolyte, 1428—1430 .

Αεὶ δὲ μουσοποιὸς εἰς σὲ παρθένων


ἔσται μέριμνα , κοὐκ ἀνώνυμος πεσὼν
ἔρως ὁ Φαίδρας εἰς σὲ σιγηθήσεται .
Au dernier vers , nous voyons dans les mots inutiles eis é un
supplément, emprunté au vers 1428 , en vue de rétablir le mètre,
détruit par suite de quelque accident. S'il en est ainsi , il nous paraît
vraisemblable que le mot remplacé aujourd'hui par els σé était mací,
« les jeunes garçons , » opposé à Taρ0évшv du vers 1428. Ce n'étaient
pas , en effet, les jeunes filles seulement, mais encore les jeunes
garçons, qui prenaient part, à Trézène, aux fêtes instituées en l'hon-
neur d'Hippolyte . (Voir Pseudo-Lucien , de Syria dea , ch . 60) .
Rien de plus facile à concevoir que la perte de la dernière syllabe
de παισί devant σιγηθήσεται . Restait παῖ, qui faussait le vers, et ne
pouvait manquer, pour cette raison , d'être changé par les gram-
mairiens.

267. Euripide, Hippolyte, 1459-1461 .

Ὦ κλείν᾽ ᾿Αθηνῶν Παλλάδος θ᾽ὁρίσματα ,


οἷου στερήσεσθ᾽ ἀνδρός . Ὦ τλήμων ἐγώ ·
ὡς πολλὰ, Κύπρι , σῶν κακῶν μεμνήσομαι .
Weil a vu que la legon des meilleurs manuscrits, ὦ κλείν᾽ Ἀθῆναι ,
condamne la vulgate, et que, par conséquent, 'A0ñvat devant être
rétabli , ' ¿píopata ne saurait être conservé. Faut-il y substituer
θράσματα (de θράζειν, pris dans le sens de sedere ?
D'autre part , les trois vers ci-dessus, les derniers du rôle de Thésée ,
et les derniers de la pièce, si l'on fait abstraction des anapestes du
chœur, paraissent n'avoir eu d'autre objet que d'annoncer pathéti-
quement le dénouement de la tragédie , en d'autres termes , la mort
d'Hippolyte. Le futur otepec0 ' , là où l'on attendrait plutôt un passé
comme ' Tepot ' (pour éoteph0nte) , nous parait donc non-seulement
93 -

froid , mais tout à fait déplace . Tout au moins faudrait-il écrire :


Οἵου στερήσεσθ᾽ ἀνδρός .

268. Euripide , Hippolyte, 350-352 .

ΤΡΟΦΟΣ . Τί φής ; ἐρᾶς , ὦ τέκνον ; ἀνθρώπων τίνος ;


ΦΑΙΔΡΑ. Ὅστις ποθ᾽ οὗτός ἐσθ᾽ ὁ τῆς Ἀμαζόνος.....
ΤΡΟΦΟΣ . Ἱππόλυτον αὐδᾷς ;
Φ. Σου τάδ ', οὐκ ἐμοῦ κλύεις .
Pour entendre le deuxième vers , il est nécessaire de suppléer le
mot οἶσθα . Mais une telle réticence ne concourt en rien à l'objet que
s'est proposé évidemment l'auteur, qui est de marquer l'embarras de
Phedre.
D'autre part , l'effet de ce second vers , tel que les manuscrits nous
le donnent , est compromis par une équivoque. A première vue , en
effet , on comprend « Qui que puisse être ce fils de l'Amazone » , et
non « Tu connais ce fils de l'Amazone ? » , comme a traduit Racine.
Nous pensons qu'il faut écrire Ὅστις ποθ᾽ οὗτος οἶσθ᾽ ὁ τῆς
Αμαζόνος ; ou plutôt , en mettant une virgule après οἶσθ᾽ : Ὅστις ποθ᾽
οὗτος οἶσθ᾽, ὁ τῆς Ἀμαζόνος ;

269. Euripide , Hippolyte, 462—465 .

Πόσους δοκεῖς δὴ κάρτ᾽ ἔχοντας εὖ φρενῶν


νοσοῦνθ᾽ ὁρῶντας λέκτρα μὴ δοκεῖν ὁρᾶν ;
πόσους δὲ παισὶ πατέρας ἡμαρτηκόσιν
συνεκκομίζειν Κύπριν ;
Συνεκκομίζειν Κύπριν ne s'explique pas : faut-il écrire συνεισκομίζειν
Κύπριν (en quelque sorte « faciliter l'introduction chez eux de Cypris » ,
assimilée ici à une marchandise prohibée) ?

270. Euripide, Hippolyte, 1076-1077 .

Εἰς τοὺς ἀφώνους μάρτυρας φεύγεις σαφῶς ·


τὸ δ᾽ ἔργον οὐ λέγον σε μηνύει κακόν .
Avec quelques-uns des plus récents éditeurs, nous adopterions ,
au premier vers , la variante mentionnée par le scholiaste , σοφῶς .
Mais nous mettrions ce mot entre deux signes de ponctuation : Εἰς
τοὺς ἀφώνους μάρτυρας φεύγεις · σοφῶς · Τὸ δ᾽ ἔργον κτλ .

271. Euripide, Hippolyte , 1002-1003 .

Ἑνὸς δ᾽ ἄθικτος, ᾧ με νῦν ἑλεῖν δοκεῖς ·


λέχους γὰρ ἁγνὸν εἰς τόδ᾽ ἡμέρας δέμας.
Au premier vers , le datif , qui ne comporte aucune interprétation
94 -
raisonnable, doit nécessairement être remplacé par ou . Le sens sera :
<< La chose , le vice , dont tu crois m'avoir convaincu » (c'est-à-dire
le libertinage) .

272. Euripide , Hippolyte, 1115-1117 .

ῥᾴδια δ᾽ἤθεα τὸν αὔριον


μεταβαλλομένα χρόνον ἀεὶ
βίον συνευτυχοίην .
Au mot inintelligible αὔριον, il faut certainement substituer ὥριον .
On connait la locution τὴν ὥραν , « à propos » . Τὸν ὥριον χρόνον y
équivaut exactement . [Ém. Chatelain, élève . ]

273. Démosthène , Philippique I , 5 ; p . 44 .

Ἀλλ᾽ εἶδεν (Cobet : ᾔδειν) , ὦ ἄ. Α . , τοῦτο καλῶς ἐκεῖνος , ὅτι ταῦτα


μέν ἐστιν ἅπαντα τὰ χωρία ἆθλα τοῦ πολέμου κείμεν᾽ ἐν μέσῳ .
L'enjeu de la guerre, aux yeux de Démosthène , ce ne sont pas
seulement les places dont il a pu être question précédemment, ce sont
les places en général , et non-seulement les places , mais encore beau-
coup d'autres avantages, par exemple, les alliances , que nous trou-
vons rapprochées des conquêtes au chap . 6 : Τὰ μὲν ὡς ἂν ἑλών τις
ἔχοι πολέμῳ , τὰ δὲ σύμμαχα καὶ φίλα ποιησάμενος.
Les mots τὰ χωρία doivent vraisemblablement être considérés
comme une glose. [Charles Graux , élève . ]

274. Démosthène , Philippique I , 20 ; p . 45 .

Καὶ ὅπως μὴ ποιήσεθ᾽ ὁ πολλάκις ὑμᾶς ἔβλαψεν · πάντ᾽ ἐλάττω νομί


ζοντες εἶναι τοῦ δέοντος , καὶ τὰ μέγιστ᾽ ἐν τοῖς ψηφίσμασιν αἱρούμενοι ,
ἐπὶ τῷ πράττειν οὐδὲ τὰ μικρὰ ποιεῖτε · ἀλλὰ τὰ μικρὰ ποιήσαντες καὶ
πορίσαντες , τούτοις προστίθετε, ἂν ἐλάττω φαίνηται .
Il est étrange que les deux présents , πάντ᾽ ἐλάττω νομίζοντες et ἐπὶ
τῷ πράττειν οὐδὲ τὰ μικρὰ ποιεῖτε , désignent deux époques differentes,
le temps où les Athéniens font leurs préparatifs , et celui où ils sont
en guerre. Pour remédier à ce défaut, il suffit , croyons-nous, d'in-
serer devant ἐπὶ τῷ πράττειν le supplément εἶτ᾽, dont la perte , à cette
place, n'a rien que de vraisemblable , et de remplacer par une virgule
le point en haut qui termine le premier membre de phrase . Nous
aurons alors : Καὶ ὅπως μὴ ποιήσεθ᾽ ὁ πολλάκις ὑμᾶς ἔβλαψε , πάντ '
ἐλάττω νομίζοντες εἶναι τοῦ δέοντος , καὶ τὰ μέγιστ᾽ ἐν τοῖς ψηφίσμασιν
αἱρούμενοι , <εἶτ᾽> ἐπὶ τῷ πράττειν οὐδὲ τὰ μικρὰ ποιεῖτε .
Ποιεῖτε tiendra la place de ποιοῦντες , par une espèce d'anacoluthe
assez ordinaire, et dont on pourrait rendre compte, ici , en substituant
Ἡ νομίζοντες l'expression équivalente οἳ νομίζετε .
95 -

275. Démosthène , Paix, 10 ; p . 59 .


L'orateur ne s'est associé à aucune des fausses assurances au
moyen desquelles les autres députés ont fait illusion au peuple
d'Athènes :
Οὐδὲν τούτων οὔτ᾽ ἐξαπατήσας οὔτε σιγήσας ἐγώ φανήσομαι , ἀλλὰ
προειπὼν ὑμῖν, ὡς οἶδ᾽ ὅτι μνημονεύετε , ὅτι ταῦτ᾽ οὔτ᾽ οἶδ᾽ οὔτε προσω
δοκῶ , νομίζω δὲ τὸν λέγοντα ληρεῖν .
Οὐδὲν τούτων ἐξαπατήσας se comprend : « N'ayant dit aucun de ces
mensonges . » Mais que peut signifier ici οὐδὲν τούτων σιγήσας ?
Nous proposons οὐδὲν τούτων σίγ᾽ ἐάσας , « n'ayant toléré en silence,
laissé passer sans rien dire aucun de ces mensonges » . A σyî , qu'on
trouve chez Platon ( Lois, 854 C) à côté de xv , Démosthène a pu
préférer, en vue d'éviter l'hiatus , l'adverbe ciya , bien qu'employé
plutôt, ce semble , en poésie.

276. Démosthène , Paix, 11 ; p . 59 .

Ταῦτα ..... οὐ προσποιήσομαι δι᾿ οὐδὲν ἄλλο γιγνώσκειν καὶ προαισθά


νεσθαι πλὴν δι᾽ ἃ ἂν ὑμῖν εἴπω δύο , ἓν μὲν κτλ.
C'est en vain que Funkhænel a essayé d'expliquer les mots d ' &
>
ἂν ὑμῖν εἴπω δύο. On attendrait δι᾽ ἃ ὑμῖν ἐρῶ δύο , οι δι᾽ ἃ ὑμῖν εἴποιμ
av dúo , ou plutôt encore, dià dúo , sans rien de plus . Si, à ces deux mots,
l'orateur a jugé à propos d'ajouter quelque chose, c'était sans doute
une formule de modestie ou d'hésitation , afin d'atténuer le mauvais
effet des éloges qu'il allait se décerner à lui-même.
Nous proposons : ' â ãρ'úµïv εïñш ; dúo , « propter duo, quæ dicen-
» dane mihi sunt ? » L'hiatus causé par la rencontre des deux mots
à et ap' pourrait alors être justifié de la manière suivante. Après d '
% , l'òrateur , qui paraissait sur le point de dire piv épõ võv , ou quel-
que chose de semblable, s'arrête, comme s'il hésitait à se louer lui-
même , et substitue une formule interrogative à la fin de phrase
qu'attendaient ses auditeurs . De là, entre les deux mots à p ' , une
pause, qui rend l'hiatus légitime , et que Démosthène ne pouvait mar-
quer autrement que par cet hiatus même, lorsqu'il écrivit son discours
pour le publier.
On pourrait encore écrire et ponetuer : πλὴν διὰ , ἆρ᾽ ὑμῖν εἴπω ;
δύο . (Rehdantz a proposé : πλὴν διὰ , ἂν ὑμῖν εἴπω , δύο .)

277. Démosthène , Philippique III , 61 ; p . 126 .

Μετὰ ταῦθ᾽ οἱ μὲν ἐπ᾿ ἐξουσίας ὁπόσης ἐβούλοντο ἔπραττον ὅπως ἡ


πόλις ληφθήσεται καὶ κατεσκευάζοντο τὴν πράξιν .
Nous avons cherché à faire disparaître la tautologie, à notre avis ,
- 96 -

intolerable , qui résulte de l'équivalence des termes ἔπραττον et κατα


εσκευάζοντο την πρᾶξιν : mais aucune correction n'a réuni tous les
suffrages . On a proposé , en premier lieu , de supprimer les mots
ἔπραττον et καί , celui-ci comme provenant d'une digraphie du com-
mencement de κατεσκευάζοντο , l'autre , comme inséré par conjecture,
à la suite de cette première faute. L'abbé Duchesne aimerait mieux
transposer le mot και entre ἔπραττον et ὅπως : en effet, on s'explique-
rait assez bien l'omission de cette particule entre ἔπραττον et ὅπως,
qui paraissent étroitement unis l'un à l'autre par le sens ; et, une
fois omise, on comprendrait qu'elle eût été rétablie par un copiste
devant κατεσκευάζοντο , plutôt qu'à sa place véritable. Enfin, Charles
Graux voudrait qu'on se bornat a remplacer πρᾶξιν par πρᾶσιν.

278. Démosthène , Phil . III , 65-66 ; p . 128.

Καλήν γ᾽ οἱ πολλοὶ νῦν ἀπειλήφασιν Ὠρειτῶν χάριν , ὅτι τοῖς Φιλίππου


φίλοις ἐπέτρεψαν αὑτοὺς , τὸν δ᾽ Εὐφραῖον ἐώθουν . Καλήν γ᾽ ὁ δῆμος ὁ
Ἐρετριέων , ὅτι τοὺς μὲν ὑμετέρους πρέσβεις ἀπήλασεν , Κλειτάρχῳ δ '
ἐνέδωκεν αὑτόν . Δουλεύουσί γε μαστιγούμενοι καὶ σφαττόμενοι .
La dernière de ces trois phrases n'est nullement la continuation de
l'énumération commencée dans les deux premières, mais une simple
explication afférente à celle qui précède immédiatement . En consé-
quence , au lieu de δουλεύουσί γε , nous proposons δουλεύουσι γάρ . Οι
s'expliquerait facilement qu'un copiste , venant d'écrire καλήν γε
au commencement de deux phrases consécutives, eût cru lire ici
même γε , alors qu'il y avait γάρ . [Ch . Graux, élève .]

279. [Démosthène] , περὶ Συντάξεως, 17 ; p . 171 .

Οὐ γὰρ τὸ ψηφίσασθαι τοῖς ἐν τοῖς ὅπλοις ποιήσει τὸ νικᾶν , ἀλλ᾽ οἱ


μετὰ τούτων κρατοῦντες τοὺς ἐχθροὺς καὶ ψηφίζεσθαι καὶ ἄλλο ὅ τι ἂν
βούλησθε ποιεῖν ὑμῖν ἐξουσίαν καὶ ἄδειαν παρασκευάζουσι · δεῖ γὰρ ἐν μὲν
τοῖς ὅπλοις φοβεροὺς, ἐν δὲ τοῖς δικαστηρίοις φιλανθρώπους εἶναι .
La phrase δεῖ γὰρ … .... φιλανθρώπους εἶναι , οὐ Dobree a reconnu une
réminiscence du Discours sur la Chersonèse (ch . 33), n'a avec le
sujet qu'un rapport fort éloigné. Elle parait provenir d'un lecteur plu-
tôt que de l'auteur, quel qu'il soit, de ce discours . [Ch . Graux , élève . ]

280. Aristodème , I , 1 .

Ἔπεμψε κρύφα Σίκιννον .... πρὸς Ξέρξην, .....δηλῶν τὸν μέλλοντα


δρασμὸν ἀπὸ Σαλαμῖνος . Ὁ δὲ Ξέρξης , νομίσας τὸν Θεμιστοκλέα μηδίζοντα
ταῦτα ἀπεσταλκέναι, ἔπεμψε τὰς ναῦς ἐπὶ Σαλαμῖνα.
Corrigez : ἐπεσταλκέναι . Le mot suivant, dans le ms . , est διέπεμψε , que
porte l'éd . Wescher, la seule où les leçons soient notées exactement.
- 97 -

281. [Démosthène , ] περὶ Συντάξεως, 26 ; p . 173 174 .

Σκέψασθε δ᾽ ἅ τις κεφάλαι᾽ ἂν ἔχοι τῶν πραγμάτων εἰπεῖν , ἵν᾿ ἀκού


σαντες τῶν τ᾿ἐκείνοις πεπραγμένων καὶ τῶν ὑμῖν , ἂν ἄρ᾽ ὑμῶν αὐτῶν ἀλλ᾽
ἐκ τούτων γε δύνησθε γενέσθαι κρείττους .
Pour qu'il y eût analogie réelle entre cette phrase et celle du
discours contre Zénothémis (ch . 27), qu'en a rapprochée Voemel, il
faudrait qu'elle se terminât par un membre de phrase signifiant :
« Et que, si vous le pouvez , vous, elc. » C'est vainement, suivant
nous , qu'on essaierait d'expliquer la vulgate. Nous ne pensons pas
non plus qu'il faille s'arrêter à la variante, ou plutôt , à la conjecture,
qu'une main plus moderne que celle du copiste a insérée ici entre
les lignes du ms. Σ . Ἂν ἄρα μὴ ἀφ᾽ ὑμῶν αὐτῶν, et, de méme, ἂν μὴ
ἀφ᾽ ὑμῶν αὐτῶν , aurait le double inconvénient d'êter toute valeur au
mot δύνησθε, et de faire disparaître la relation qui devait exister entre
ὑμῖν, d'une part , et ὑμῶν αὐτῶν, de l'autre,
Weil considère comme une glose le mot ?> ' , dont on pourrait encore
attribuer l'origine à une digraphie des deux dernières lettres de
εἰπεῖν. Nous croyons qu'il faut supprimer, en outre , le membre de
phrase explicatif ἀκούσαντες τῶν τ᾽ ἐκείνοις πεπραγμένων καὶ τῶν ὑμῖν .

282. Démosthène , Phil . IV , 20 ; p . 136 .

Ἐπεὶ νῦν γε γέλως ἔσθ᾽ ὡς χρώμεθα τοῖς πράγμασι , καὶ Φίλιππον


δ᾽ αὐτὸν οὐδὲν ἂν ἄλλ᾽ οἶμαι μὰ τοὺς θεοὺς εὔξασθαι ποιεῖν τὴν πόλιν ἢ
ταῦτα · ἃ ὑστερίζετε , ἀναλίσκετε , ὅτῳ παραδώσετε τὰ πράγματα δυσχε
ραίνετε, ἀλλήλους αἰτιᾶσθε .
Pour lier convenablement les deux phrases , et , en même temps ,
pour faire disparaitre l'hiatus ( ἃ ὑστερίζετε) , négligence qui parait
avoir été évitée par l'auteur de ce discours , il convient de changer &
non en ' (correction qui est venue à l'esprit de Vomel) , mais
plutôt en oi (οἷα) . Cf. l'expression homérique οἷ᾽ ἀγορεύεις , « à en-
tendre ce que tu dis. >>

283. Démosthène , Phil . IV, 45 .

Ὡς μὲν οὖν εἴποι τις ἂν , ἃ παρ᾽ ἑκατέρων εἶναι δεῖ , ταῦτ᾽ ἴσως ἐστὶν ,
ὡς δὲ καὶ γένοιτ᾽ ἂν ἐν νόμῳ , διορθώσασθαι δεῖ .
Tel est le texte de Voemel , qui ne diffère en rien de celui de Σ.
Voici maintenant la traduction de cet éditeur : « Quia igitur dixerit
quidem aliquis , « quæ ab utrisque præstanda esse videantur , [hæc
» fere sunt, sed quo pacto rite etiam fieri queant, distincte est ex-
» plicandum » (scitote hæc) . »
7
98 -
L'addition arbitraire des mols « scitote hæc » , mis ainsi entre
parenthèses par le traducteur, suffit pour faire voir le vice du pas-
sage. Nous pensons qu'on remédierait à tout, en intervertissant , dans
la première ligne , l'ordre des mots og et & , et en plaçant devant èv
νόμῳ , avec Reiske, la virgule dont Vamel fait suivre ces mots :
Ἃ μὲν οὖν εἴποι τις ἂν ὡς παρ᾽ ἑκατέρων εἶναι δεῖ , ταῦτ᾽ ἴσως ἐστὶν ,
ὡς δὲ καὶ γένοιτ᾽ ἂν , ἐν νόμῳ διορθώσασθαι δεῖ. « Voilà , si je ne me
trompe, ce qu'on peut demander aux riches et aux pauvres . Quant
aux moyens , c'est par une loi qu'il faut y pourvoir . » La construction
du premier membre de phrase aura son pendant exact dans l'Olyn-
thienne III , 14 : Τηνικαῦτα τὸν γράψονθ᾽ ἃ πάντες ἴσθ᾽ ὅτι συμφέρει ,
ζητεῖτε. Le verbe διορθώσασθαι est de méme employé absolument dans
le discours Contre Apaturios (ch . 14 ) , et aussi dans la III Philip-
pique, ch. 6.
Nous voyons que Weil est revenu , avant nous , à la ponctuation de
Reiske . Le même éditeur interprète comme il suit le texte de la
vulgate « Pour indiquer les devoirs réciproques des deux classes de
la société, il suffit sans doute de ce que je viens de dire ; pour que
ces devoirs soient remplis en effet, il faut une réforme légale . »

284. Démosthène, Phil. IV , 51 ; p . 144.

Πότε μάλιστ᾽ ἐν ταραχῇ τὰ τῶν Ἑλλήνων γέγονε πράγματα ; οὐδένα


γὰρ χρόνον ἄλλον ἢ τὸν νυνὶ παρόντα οὐδ᾽ ἂν εἷς εἴποι . Τὸν μὲν γὰρ ἄλλον
ἅπαντα, κτλ .
Γάρ (devant χρόνον) peut provenir de la ligne suivante : Τὸν μὲν γὰρ
ἄλλον ἅπαντα , κτλ. Quant à la correction , au lieu de retrancher γάρ,
comme Schafer l'a proposé , on pourrait songer soit à οὐδένα γε, soit
ἃ οὐδένα γ᾽ ἄν, soit, enfin , ἃ οὐδέν , οἶμαι .

285. Démosthène , Sur la Liberté des Rhodiens, 21 ;


p. 196.
Δεῖ γὰρ τοὺς εὐτυχοῦντας περὶ τῶν ἀτυχούντων ἀεὶ φαίνεσθαι τὰ βέλτιστα
βουλευομένους , ἐπειδήπερ ἄδηλον τὸ μέλλον ἅπασιν ἀνθρώποις.
On lit dans l'index grammatical de Rehdantz , au mot ὑπέρ :
« Υπέρ avec le génitif se rapproche tout à fait de περί , sauf cette
réserve que, aux endroits où il s'agit de marquer un intérêt pris à la
chose, ὑπέρ est préféré . »
Cette remarque nous paraît juste, et nous nous en autorisons pour
proposer ici : ὑπὲρ τῶν ἀτυχούντων . Avec περὶ τῶν ἀτυχούντων, le sens
serait plutôt « Dans les questions qui concernent les malheureux ,
délibérer toujours le plus sagement qu'il est possible . » Ὑπὲρ τῶν
99
ἀτυχούντων τὰ βέλτιστα signifiera « ce qui vaut le mieux dans l'intérêt
des malheureux. »

286. Démosthène , Pour les Mégalopolitains, 8 ;

p. 204 .
i
Εἰ δ᾽ ἅπαντες ἐπίστασθ᾽ ὅτι , ταύτην ἂν ἕλωσιν , ἴασιν ἐπὶ Μεσσήνην ,
φρασάτω τις ἐμοὶ τῶν νῦν χαλεπῶν τοῖς Μεγαλοπολίταις , τί τέθ᾽ ἡμῖν
συμβουλεύσει ποιεῖν . Ἀλλ᾿ οὐδεὶς ἐρεῖ. Καὶ μὴν πάντες ἐπίστασθε ὡς καὶ
παραινούντων τούτων καὶ μὴ, βοηθητέον .
Nous corrigerions comme il suit la deuxième phrase : Ἀλλ᾿ « οὐδὲν »
ἐρεῖ ; « Rien , » dira -t-il ? (Pour l'explication de la faute , cf. 263 ; et
pour cet emploi de αλλά, Matthiæ, § 613 ; Krüger, 69, 4 , 4. )

287. Démosthène , Contre Leptine , 71 ; p . 478 .

Οὐκοῦν αἰσχρὸν, ὦ ἄ. Α. , εἰ αἱ μὲν παρὰ τοῖς ἄλλοις δωρεαὶ βέβαιοι


μένουσιν αὐτῷ , τῆς δὲ παρ᾽ ὑμῶν μόνης τοῦτ᾽ ἀφαιρεθήσεται .
Cobet et Vœmel remplacent οὐκοῦν par οὔκουν , les éditeurs de
Τ
Zurich, par οὐκ οὖν ; les uns comme les autres, d'ailleurs, font suivre
la phrase d'un point d'interrogation. De toute manière , nous pensons
qu'il y a lieu de substituer le futur μενούσιν au présent μένουσιν . En
effet, avec αἰσχρόν , il est difficile de sous-entendre un autre mot que
ἔσται .

288. Démosthène , Contre Leptine , 115 ; p . 492 .

Λυσιμάχῳ δωρεάν , ἑνὶ τῶν τότε χρησίμων, ἑκατὸν μὲν ἐν Εὐβοίᾳ πλέθρα
γῆς πεφυτευμένης ἔδοσαν , ἑκατὸν δὲ ψιλῆς , ἔτι δ᾽ ἀργυρίου μνᾶς ἑκατὸν ,
καὶ τέτταρας τῆς ἡμέρας δραχμάς . Καὶ τούτων ψήφισμ᾽ ἔστιν Αλκιβιάδου ,
ἐν ᾧ ταῦτα γέγραπται .
Que l'on maintienne, avec Schafer et Vamel, la vulgate καὶ τούτων
ψήφισμα , ou qu'on insère περὶ entre καὶ et τούτων , d'après une conjec-
ture de H. Wolf, approuvée par Reiske, dans l'une et l'autre hypo-
thèse, le complément de pioux n'exprimera pas autre chose que les
mots , qui arrivent ensuite , ἐν ᾧ ταῦτα γέγραπται , et ne sera , par
conséquent , qu'une lautologie. Nous proposons : Καὶ τούτῳ ψήφισμ
ἔστιν Αλκιβιάδου , ce qui aura le méme sens que si le participe
ψηφισθέν était joint à ψήφισμα : « Il existe un décret d'Alcibiade en sa
faveur . >>
289. Eschyle , Perses, 834-836 .

..... Πάντα γὰρ


κακῶν ὑπ᾽ ἄλγους λακίδες ἀμφὶ σώματι
- 100 -

στημορραγοῦσι ποικίλων ἐσθημάτων.


Pour remettre en bon état ce passage évidemment altéré, nous
pensons qu'il faut écrire ποικίλων τἀσθημάτων (τὰ ἐσθημάτων, ce qui
compose ses vêtements) , et prendre στημορραγούσι (mot dont nous ne
voyons pas que l'on cite un autre exemple) comme un verbe transitif
ayant pour sujet λακίδες : « Les déchirures rompent (ou ont rompu)
le tissu de ses vêtements . >>
Λακίς désigne proprement l'action de déchirer. Ainsi , dans la même
pièce, au vers 125 : βυσσίνοις δ᾽ ἐν πέπλοις πέσῃ λακίς. Et Suppliantes,
903 : λακὶς χιτῶνος ἔργον οὐ κατοικτιεῖ .

290. Eschyle , Perses , 161-162 .

Κἀμὲ καρδίαν ἀμύσσει φροντίς · ἐς δ᾽ ὑμᾶς ἐρῶ


μῦθον , οὐδαμῶς ἐμαυτῆς οὔσ᾽ ἀδείμαντος , φίλοι ,
μὴ μέγας κτλ .
Si nous ne nous trompons , la ponctuation doit être modifiée comme
il suit :
..... φροντίς , — ἐς δ᾽ ὑμᾶς ἐρῶ ,
μῦθον οὐδαμῶς ἐμαυτῆς οὔσ᾽ ἀδείμαντος , φίλοι , —
μὴ μέγας κτλ .
Μή devra être rattaché à ἀμύσσει φροντίς , suivant une observation
de Weil . Quant à la parenthese , il faudra l'interpréter : « Je vais
vous le dire, effrayée moi-même de mes paroles (du mauvais présage
qu'elles renfermeront) . »

291. Eschyle , Perses , 253-255 .

Ὤμοι , κακὸν μὲν πρῶτον ἀγγέλλειν κακά -


ὅμως δ᾽ ἀνάγκη πᾶν ἀναπτύξαι πάθος,
Πέρσαι · στρατὸς γὰρ πᾶς ἔλωλε βαρβάρων .
C'est bien à tort qu'on a voulu remplacer le vocatif qui commence
le second vers soit par Πέρσαις , soit par ὑμῖν . Mais il est certain que
Πέρσαι parait bien faible , si on y voit un rejet . Nous pensons qu'il
suffit de ponctuer :
..... πᾶν ἀναπτύξαι πάθος ·
Πέρσαι , στρατὸς γὰρ πᾶς ἔλωλε βαρβάρων .
La particule yap (prise ici dans le sens de « à savoir, c'est à savoir
que ») est rejetée à cause du vocatif qui commence la phrase. Ce
cas se présente assez souvent , au moins pour dé voir plusieurs
exemples dans Ellendt, Lexicon Sophocleum, tome 1 , p . 398. [L'abbé
Lebarq , élève . ]
- 101

292. Eschyle, Perses , 274-277.

Οτοτοτοῖ , φίλων
ἁλίδονα μέλεα παμβαφῆ
κατθανόντα λέγεις φέρεσθαι
πλαγκτοῖς ἐν διπλάκεσσιν .
Probablement : πλαγκτοῖς εἰνὶ πλάκεσσιν , sur les plaines errantes
ou flottantes, « in campis natantibus. »

293. Eschyle, Perses , 603 ..

Tout est sujet d'épouvante pour les malheureux , dit Atossa , tandis
que le bonheur inspire une confiance exagérée . Puis elle ajoute :
Ἐμοὶ γὰρ ἤδη πάντα μὲν φόβου πλέα.
La suite des idées exige , ce semble : Ἔμοιγ᾽ ἄρ᾽ ἤδη .

294. Eschyle , Suppliantes, 405 406 .

Τί τῶνδ᾽ ἐξ ἴσου ρεπομένων μεταλ -


γεῖς τὸ δίκαιον ἔρξαι ;
Peut-être y aurait-il lieu de bannir des lexiques le mot μεταλγεῖς :
car il ne se rencontre , croyons-nous , que dans ce passage , et on ne
voit pas clairement ce qu'il y peut signifier , à considérer les éléments
dont il se compose . Nous proposons μ᾿ ἔτ᾽ ἀργεῖς : on trouve ἀργεῖν
τινος dans le sens de « négliger quelque chose » .

295. Anthologie Palatine (Apollonidès dans l ') , VI ,


ép . 238 .

Εὔφρων οὐ πεδίου πολυαύλακός εἰμ᾽ ὁ γεραιός ,


οὐδὲ πολυγλεύκου γειομόρος βότρυος ,
ἀλλ᾿ ἀρότρῳ βραχύβωλον ἐπικνίζοντι χαράσσω
χέρσον , καὶ βαιοῦ πίδακα ῥαγὸς ἔχω .
Εἰμὶ δ᾽ ἐξ ὀλίγων ὀλίγη χάρις · εἰ δὲ διδοίης
πλείονα, καὶ πολλῶν , δαῖμον , ἀπαρξόμεθα .
Le cinquième vers est faux et inintelligible. Voici , à notre con-
naissance, les corrections qui ont été proposées pour remplacer sipi
δ᾽ἐξ : Ηνίδε δ᾽ ἐξ, σοὶ νῦν δ᾽ἐξ , ἢ μὴν ἐξ , εἰμὶ δ᾽ ἴδ᾽ ἐξ , οὗ μὲν ἴδ᾽ ἐξ , σοὶ
μὲν ἴδ᾽ ἐξ, ἤ μου δ᾽ ἐξ , οἶμαι δ᾽ ἐξ , Ἑρμῇ δ᾽ ἐξ , εἴη δ ' ἐξ , enfin εἴμ
ἡ δ᾽ ἐξ (en écrivant ἔχων à la fin du vers précédent) . Van Geel , auteur
de la conjecture pov , nous paraît avoir indiqué le sens exigé par le
contexte . Mais on ne voit pas pourquoi il n'a pas proposé plutot ἡμὴ
ου ἡ 'μὴ (ἡ ἐμή) , ce qui s'éloignerait moins de la legon εἰμί (dans
- 102

certains manuscrits εἰ μή) . D'autre part , δέ nous parait inadmissible


ici. Nous écririons : Ἡμὴ δὴ ἐξ ὀλίγων ὀλίγη χάρις.

296. Euripide , Médée , 74-77 .


ΤΡΟΦΟΣ . Καὶ ταῦτ᾽ Ἰάσων παῖδας ἐξανέξεται
πάσχοντας, εἰ καὶ μητρὶ διαφορὰν ἔχει ;
ΠΑΙΔΑΓΩΓΟΣ . Παλαιὰ καινῶν λείπεται κηδευμάτων ,
κοὐκ ἔστ᾽ ἐκεῖνος τοῖσδε δώμασιν φίλος .
Ce dernier vers ne fait que reproduire sous une forme beaucoup
moins délicate et moins heureuse l'idée exprimée dans le précédent.
Ἐκεῖνος désignerait-il Créon , comme le veulent divers éditeurs ? Mais
il n'a pas été question de Créon dans les paroles de la Nourrice. Et
le Gouverneur n'a pas besoin de dire ici que Créon est ennemi de
Médée et de sa famille, après ce qu'il a dit plus haut du projet d'ex-
pulsion attribué à ce roi.
Euripide doit avoir écrit ici : « Et son ancienne famille n'est pas
aimée de sa famille actuelle , »
κοὐκ ἔστ᾽ ἐκεῖνα τοῖσδε δώμασιν φίλα.

297. Euripide , Médée , 271-276 .

Σὲ τὴν σκυθρωπὸν καὶ πόσει θυμουμένην ,


Μήδειαν, εἶπον τῆσδε γῆς ἔξω περᾶν
φυγάδα , λαβοῦσαν δισσὰ σὺν σαυτῇ τέκνα,

καὶ μήτι μέλλειν · ὡς ἐγὼ βραβεὺς λόγου
τοῦδ᾽ εἰμὶ , κοὐκ ἄπειμι πρὸς δόμους πάλιν ,
πρὶν ἄν σε γαίας τερμόνων ἔξω βάλω.
On ne voit pas ce que peut signifier βραβεὺς λόγου , « juge de la
question , » puisque ces vers sont les premiers que prononce Créon,
et que , dans ce qui précède , il n'y a eu aucune discussion. Au con-
traire, βραβεὺς τόπου conviendrait bien ici pour caracteriser le roi de
la contrée , investi , comme tel , du droit d'en chasser qui bon lui
semble.

298. Euripide , Médée, 294–297 .

Χρὴ δ᾽ οὔποθ᾽ ὅστις ἀρτίφρων πέφυκ᾽ ἀνὴρ


παῖδας περισσῶς ἐκδιδάσκεσθαι σοφούς ·
χωρὶς γὰρ ἄλλης ἧς ἔχουσιν ἀργίας
φθόνον πρὸς ἀστῶν ἀλφάνουσι δυσμενή .
Au troisième vers , ἀργίας nous parait avoir pris la place de αἰτίας.
Ce n'était sans doute, à l'origine, qu'une glose , destinée à expliquer
que , par le mot αἰτίας , le poële avait entendu parler du reproche
- 103 --

'ἀργία. On y vit plus tard une variante , d'autant plus aisément


qu'il y avait une certaine ressemblance de forme entre les deux mots.
Avec αἰτίας, le sens sera : « Sans parler des reproches qu'on leur fait
d'ailleurs. » Pour la signification de ἄλλης , voir la note de Weil.
[L'abbé Duchesne, élève . ]

299. Lucien, Alexandre, 2 , p . 209 .

..... ἐμαυτοῦ δὲ σπουδὴν ποιουμένου ἐπὶ τοιαύτῃ ἱστορίᾳ καὶ πράξεσιν


ἀνθρώπου ὃν οὐκ ἀναγιγνώσκεσθαι πρὸς τῶν πεπαιδευμένων ἦν ἄξιον , ἀλλ᾽
ἐν πανδήμῳ τινὶ καὶ μεγίστῳ θεάτρῳ ὁρᾶσθαι ὑπὸ πιθήκων ἢ ἀλωπέκων
σπαραττόμενον .
Nous ne voyons pas qu'on ait dit αναγιγνώσκειν τινά dans le sens
de « Lire la vie de quelqu'un » . On peut conjecturer : ὃν οὐ μὰ Δία
γιγνώσκεσθαι .
D'autre part , la particule xaí manque , dans la plupart des manu-
scrits, devant μεγίστῳ . Peut-être ce dernier mot n'est-il qu'une mau-
vaise glose de πανδήμῳ .

300. Lucien, Alexandre , 34-35 ; p . 342 .

Ὁ δ᾽ ἑβδομηκοντούτης ἀπέθανε μελαγχολήσας , οὐ περιμείνας τὴν τοῦ


θεοῦ ὑπόσχεσιν . Καὶ οὗτος ὁ χρησμὸς τῶν αὐτοφώνων ἦν.
Le sens nous parait exiger καίτοι οὗτος : pour s'expliquer la suppres-
sion de tot , il suffit d'admettre que, à une époque ancienne, un
copiste ou un lecteur avait divisé les deux mots de la manière sui-
vante : καὶ τοιοῦτος.

301. Lucien , Sur les Familiers à gages , 1 , p . 652 .

..... τὰς τρικυμίας καὶ ζάλας καὶ ἀκρωτήρια καὶ ἐκβολὰς καὶ ἱστοῦ
κλάσεις καὶ πηδαλίων ἀποκαυλίσεις διεξιόντες .
Corrigez : καὶ ἀκρωτηρίων ἐκβολάς . Pour l'emploi du mol ἀκρωτήρια
comme terme de marine , voir les exemples rassemblés dans le
Thesaurus-Didot .

302. Lucien , Sur les Familiers à gages, 27 , p . 686 .

Τοῖς μὲν γὰρ τὰ ἐρωτικὰ ταῦτα διακονουμένοις καὶ γραμματίδια ὑπὸ


κόλπου διακομίζουσι πόθεν σύ γ ' ἰσότιμος ;
Corrigez : τὰ ἐρωτικά τ᾽ αὐτῷ διακονουμένοις. Au sujet de la place
donnée ici à τε , on peut consulter Krüger, Griech. Sprachl. 69 ,
59, 2.
- 404 -

303. Lucien, Sur les Familiers à gages , 27,, p . 686.

Σεαυτὸν οἰκτείρεις καὶ αἰτιᾶ τὴν τύχην, οὐδ᾽ ὀλίγα σοι τῶν χαρίτων
ἐπιψεκάσασαν .
Corrigez : οὐδ᾽ ὀλίγας σοι . [Ch. Graux , élève. ]

304. Xénophon, Mémorables, I , 3 , 1 .

Ὡς δὲ δὴ καὶ ὠφελεῖν ἐδόκει μοι τοὺς ξυνόντας τὰ μὲν ἔργῳ δεικνύων


ἑαυτὸν οἶος ἦν, τὰ δὲ καὶ διαλεγόμενος, τούτων δὴ γράψω ὁπόσα ἂν
διαμνημονεύσω .
Qe ne peut ici , à ce que nous croyons , servir de corrélatif à
τούτων. Nous proposons de remplacer ce mot par οἷς , « au moyen
desquelles (actions ou paroles) . » [Communiqué par Jules Nicole ,
répétiteur. ]

305. Diodore de Sicile , XVIII , 70 , 4.

Κατασκευάσας δὲ πύργους ξυλίνους..... προσῆγε τῇ πόλει .... , καὶ βέλη


παντοδαπὰ καὶ τοὺς ἀγωνιζομένους ἐπιστήσας ἀνέστελλε τοὺς ἐπὶ τῶν
ἐπάλξεων ἀντιτεταγμένους .
Corrigez : Τοὺς ἀγωνισαμένους. Cf. , pour la construction , le même,
ΧΧ , 85 , 3 : ἐνέθετο μὲν τῶν τρισπιθαμων ὀξυβελῶν τοὺς πορρωτάτω
βάλλοντας καὶ τοὺς τούτοις κατὰ τρόπον χρησομένους. Le mot βέλη
désigne, comme ici , des machines , dans cette autre phrase (XVIII,
74 , 3) : ἐκ δὲ τῶν πλαγίων ἔταξε πλῆθος ἀκοντιστῶν καὶ τοξοτῶν καὶ τῶν
καταπελτικῶν βελῶν. Et de même dans plusieurs passages de Philon
de Byzance. [Communiqué par Ch. Graux , élève. ]

306. Aristophane , Grenouilles , 1393 .

ΔΙΟΝΥΣΟΣ. Μεθεῖτε , μεθεῖτε · καὶ τὸ τοῦδέ γ᾽ αὖ ῥέπει


Θάνατον γὰρ εἰσέθηκε βαρύτατον κακόν .
ΕΥΡΙΠΙΔΗΣ . Ἐγὼ δὲ πειθώ γ᾽ , ἔπος ἄριστ᾽ εἰρημένον.
Ἔπος ne signifie pas ici « mot » , mais bien « vers » , le vers que
précédemment Euripide a mis dans la balance, à savoir : οὐκ ἔστι
Πειθοῦς ἱερὸν ἄλλο πλήν λόγος . Autrement, que voudrait dire la qua-
lification ἄριστ᾽ εἰρημένον ? Mais , d'autre part , πειθώ est un mol , et
non pas un vers. Il y a donc apparence que le texte est altéré.
Au lieu de πειθώ γ ' , le poète avait sans doute écrit soit πολλῷ γε
soit πάντων γ ' . Le mot πειθώ fut ensuite écrit à la marge par un
commentateur, qui voulait expliquer l'allusion renfermée dans nos
ἄριστ᾽ εἰρημένον . On l'insera plus tard au seul endroit du vers ou il
- 105
pût trouver place sans rompre le mètre ni détruire manifestement le
sens .
Si quelqu'un voulait voir dans πειθώ γ ' un quolibet analogue à
ceux que Dionysos , dans la première partie de cette scene (vers 4378-
1440) , lance tour à tour aux deux poëtes rivaux , il suffrait de
répondre que ce genre de plaisanterie n'aurait rien de comique
dans la bouche d'Euripide , et répugnerait absolument au caractère
que lui prête Aristophane.

307. Aristophane, Grenouilles , 15101514 .

Pluton vient de congédier Eschyle en lui donnant diverses com-


missions , en lui recommandant , notamment, d'envoyer au plus vite
dans le séjour des morts tel et tel personnage. Il ajouterait , à en
croire la vulgate :

Κἂν μὴ ταχέως ἥκωσιν, ἐγὼ


νὴ τὸν Ἀπόλλω στίξας αὐτοὺς
καὶ συμποδίσας
μετ᾿ Αδειμάντου τοῦ Λευκολόφου
κατὰ γῆς ταχέως ἀποπέμψω .
Le poëte ne peut avoir mis ces mots dans la bouche de Pluton , qui
habite les Enfers , et n'en sort jamais . Il doit les avoir attribués à
Dionysos, qui, dans tout le cours de la pièce , ne cesse de parler et
d'agir en citoyen d'Athènes .

308. Démosthène , Contre Midias, 15 ; p . 519 .

Οὐ γὰρ ἀγνοῶ τοῦθ᾽ , ὅτι τῷ μὲν ἐπηρεαζομένῳ τότ᾽ ἐμοὶ καὶ ὑβριζομένῳ
τὴν αὐτὴν ὀργὴν ἕκαστον τούτων ἥνπερ ἄλλ᾽ ὁτιοῦν τῶν δεινοτάτων παρίστη ,
ὑμῖν δὲ τοῖς ἄλλοις , ἔξω τοῦ πράγματος οὖσιν , οὐκ ἂν ἴσως ἄξια ταῦτα
καθ᾽ αὖτ᾽ ἀγῶνος φανείη .
Au lieu de ἄλλ᾽ ὁτιοῦν , Reiske a proposé ἄλλῳ ὁτιοῦν : correction
inadmissible, ne fût- ce qu'en raison de l'hiatus. Mais ce n'est pas à
dire que le texte de la vulgate puisse demeurer sans changement :
nous croyons qu'il faut écrire ἂν ὁτιοῦν. Sinon, Démosthène avouerait
implicitement, au grand dommage de sa cause, avoir subi d'autres
traitements comparables à celui que lui a infligé Midias, à cette insulte
qu'il s'attache partout ailleurs à représenter comme inouïe .

309. Aristodème , II , 2 .

Λαβὼν δὲ ὁ Μαρδόνιος ἔπεμψε πρῶτον πρὸς Αθηναίους Ἀλέξανδρον τὸν


Μακεδόνα.... , ὑπισχνούμενος δώσειν αὐτοῖς μύρια τάλαντα καὶ γῆν ὅσην
ἂν αὐτοὶ βούλοιντο τῆς Ἑλλάδος .
106 -
Le manuscrit porte ὅσην αὐτοὶ βούλονται . Si l'on juge une correc-
tion nécessaire, il faudra écrire , non pas avec K. Müller, ὅσην ἂν αὐτοὶ
βούλοιντο , mais bien ὅσην ἂν αὐτοὶ βούλωνται .

310. Aristodème , IV , 2 .

Τῶν δὲ ὑποτεταγμένων αὐτῷ πικρῶς ἦρχε καὶ τυραννικῶς , τὴν μὲν


Λακωνικὴν δίαιταν ἀποτεθειμένος , ἐπιτετηδευκὼς δὲ τὰς τῶν Περσῶν
ἐσθῆτας φορεῖν καὶ Περσικὰς τραπέζας παρατεθειμένος πολυτελεῖς, ὡς
ἔθος ἐκείνοις .
Les mots πολυτελεῖς , ὡς ἔθος ἐκείνοις nous paraissent étre une glose
de Περσικάς . (Ch . Graux , élève .]

311. Aristodème , V, 1 .

Κατὰ δὲ τοῦτον τὸν χρόνον ᾿Αθηναῖοι , ἐμπεπρησμένης αὐτῶν τῆς πόλεως


ὑπὸ Ξέρξου καὶ Μαρδονίου , ἐβουλεύοντο τειχίζειν αὐτήν · οἱ δὲ Λακεδαι-
μόνιοι οὐκ ἐπέτρεπον αὐτοῖς , πρόφασιν μὲν ποιούμενοι ὁρμητήριον εἶναι
τὰς ᾿Αθήνας τῶν ἐπιπλεόντων βαρβάρων , τὸ δὲ ἀληθὲς φθονοῦντες καὶ μὴ
βουλόμενοι πάλιν αὐξηθῆναι . Ὁ δὲ Θεμιστοκλῆς συνέσει διαφέρων κατε-
στρατήγησεν αὐτῶν τὸν φθόνον .
Ὁ δέ, au commencement de la dernière phrase , est une correction
conjecturale de K. Müller. Le manuscrit porte οὕς , qu'il n'y a aucune
raison de changer : car le sens est évidemment , non pas comme
interprète Müller, « Invidiam istorum insignis Themistoclis sollertia
» elusit » , mais , pour traduire littéralement « Quos Themistocles
» sollerter demoratus elusit eorum invidiam . » Rien n'empéche , en
effet, que ous ne dépende uniquement du participe διαφέρων : ( voir
Krüger , Griech. Sprachl . 51 , 9 , 2) . Mais , d'autre part , l'infinitif
αὐξηθῆναι peut difficilement se passer d'un sujet. Nous proposons :
μὴ βουλόμενοι πάλιν αὐξηθῆναι <τοὺς Ἀθηναί> ους . <Οὓς> Θεμι
στοκλῆς συνέσει διαφέρων κτλ.
Les syllabes τοὺς Αθηναί ayant été omises par suite du voisinage
de αὐξηθῆναι , οὓς fut supprimé devant Θεμιστοκλῆς , comme provenant
d'une digraphie. [Ch . Graux, élève .]

312. Eusebe (Fragmenta Historicorum Græcorum,


éd . K. Müller - Didot , tome V, pages 24 et suivantes) , 1 .

Οἱ δὲ Θεσσαλονικέες οὔτε ἐν τῷ τοιούτῳ ἀδρανέες εὑρέθησαν , ἀλλά.....


Le mot cute n'aura plus rien qui lui corresponde, si l'on remplace
un peu plus loin la leçon du ms. οὐχ ὅτε par οὔκω τε , suivant une
conjecture très-plausible de Louis Dindorf, au lieu d'y substituer
407 1
οὔτ᾽ ὅτε , lecon de l'édition K. Müller . Nous proposons : οὐδὲ ἐν τῷ
τοιούτῳ . [Ch . Graux , élève .]

313. Eusèbe (ib. ib .) , 1 .

Τούς τε βιωμένους ἐσθέειν ἀπέρξαν , καὶ ἐν τῇ ταραχῇ αὐτῇ τῶν βαρβάρων


τινὰς συναρπάζουσιν · τὸ δὴ πολλοῖς τῶν ἀπὸ τῆς πόλιος ἐζωγρημένοις
πρόφασιν τῆς ἀνακομιδῆς παρεχόμενον · οἱ γὰρ δὴ βάρβαροι ὑπὲρ τοῦ
κομίσασθαι τοὺς σφετέρους , πολλοὺς τῶν εἶχον λαβόντες ἀπέδοσαν .
Le manuscrit ne porte point παρεχόμενον · οἱ γάρ , mais παρεχόμενοι
γάρ . La conjecture de Müller nous parait inadmissible , attendu que
τό, ici , est évidemment pronom relatif , et demande , comme tel , à
être suivi d'un verbe à un mode personnel. Nous proposons παρέχον
ἦν · οἱ γάρ..... Sur l'emploi de εἰμί avec un participe chez Hérodote
(écrivain qu'Eusèbe paraît avoir pris pour modèle) , voir Krüger ,
Gr. Sprachl. , II ' partie, 56 , 4 , 2.

314. Eusèbe (ib . ib . ) , 2 .

« Quum ad bellica , quibus in puerilibus ludis excellebat , præsto


ipsi esset eximia in destinandis ictibus dexteritas » . C'est ainsi que
Müller interprète le membre de phrase suivant : Ἐς τὰ ᾿Αρηϊα , τοῖς
ἐν τοῖς παιδηίοις ἀθύρμασιν ἠρίστευεν, ἑωυτῷ παρεούσης εὐστοχίης.
Mais , là οὐ Müller écrit ἠρίστευεν , le manuscrit porte ευρισκες .
D'autre part , Louis Dindorf a soupçonné dans τοῖς ἐν τοῖς une alte-
ration de τῆς ἐν τοῖς. En mettant à profit son observation , il sera
facile de retrouver la leçon originale : τῆς ἐν τοῖς παιδηίοις ἀθύρμασιν
(ou plutôt ἀθύρμασι ) εὑρήκες , « (dexteritate) quam in puerilibus ludis
comparaverat) . »

315. Eusèbe (ib . ib . ) , 9 .

Καταφλεχθεισέων σφι πολλέων μηχανημάτων .


C'est par un lapsus évident que Müller a substitué μηχανημάτων
la legon fautive du manuscrit, μηχανήσασθαι . Le mot à rétablir parait
etre μηχανήσεων. Μηχανήσεσιν se trouve avec ce même sens de
« machines » chez Polybe, I, 22, 7.

316. Musée , Hér. et L. , 172-173 .

Ὀψὲ δὲ Λειάνδρῳ γλυκερὴν ἀνενείκατο φωνὴν ,


αἰδοῦς ὑγρὸν ἔρευθος ἀποστάζουσα προσώπου .
Nous préférerions πρόσωπον. La différence est celle qui existerait en
français entre << Son visage distille la rougeur de la honte » et « Elle
-- 408 -

distille de son visage la rougeur de la honte. » Emile Chatelain,


élève.]
317. Musée , Hér. et L. , 180–181 .

..... Ην δ᾽ ἐθελήσης
ὡς ξεῖνος πολύφοιτος ἐμὴν ἐς πατρίδα μίμνειν ,
οὐ δύνασαι σκοτόεσσαν ὑποκλέπτειν Αφροδίτην .
Nous croyons que is, au second vers, a pris la place de κατά : non
par suite d'une confusion paléographique ; car l'origine de la leçon
ἐς, que portent tous les manuscrits, ne semble pas pouvoir être cher-
chée dans l'écriture , relativement récente, que l'on désigne par le nom
d'écriture minuscule ; et, d'autre part, dans l'écriture dite onciale,
les sigles qui représentent les prépositions paraissent propres, ou peu
s'en faut , aux annotations des marges . Mais on peut admettre que,
le mot xará ayant disparu par suite de quelque accident matériel , un
copiste a rétabli conjecturalement êç.

318. Musée , Hér. et L. , 300-304.

Ἀλλ᾿ οὐ χειμερίης σε φόβος κατέρυκε θαλάσσης ,


·
καρτερόθυμε Λέανδρε διακτορίη δέ σε πύργου
ἠθάδα σημαίνουσα φαεσφορίην ὑμεναίων,
μαινομένης ώτρυνεν ἀφειδήσαντα θαλάσσης,
νηλειὴς καὶ ἄπιστος .
Il ya sans doute une lacune d'un vers à la suite du mot θαλάσσης.
A ce propos, on peut faire observer que les omissions , et, par consé-
quent, aussi, les transpositions , sont extrêmement fréquentes chez
Nonnus et ses imitateurs : ce qu'il est facile de s'expliquer, pour peu
que l'on connaisse les procédés de style et de versification familiers
à ces poëles.

319. Scholiaste de Sophocle, Antigone, 14 .

Διπλῇ χερί : τῇ ὑπ᾽ ἀλλήλων · τοῦτο γὰρ δηλοῖ τὸ διπλῇ , οἷον , ὑπ᾿
ἀλλήλων ἀναιρεθέντων τῶν ἀδελφῶν .
Ecrivez τῇ [ὑπ ] ἀλλήλων . Le mot ὑπ᾽ se rencontre un peu plus
loin devant ἀλλήλων : de la provient la faute. Ch. Graux , élève.]

320. Scholiaste de Sophocle, Antigone , 33-34 .

Νεῖσθαι : ἀντὶ τοῦ ἡγεῖσθαι .


La scholie doit être séparée du lemme, et reportée au vers suivant,
oi se trouve le mot ἄγειν pris dans le sens de ἡγεῖσθαι . On se rendra
compte de la transposition , si l'on observe que, au lieu de ἄγειν,
109

d'autres manuscrits paraissent avoir porté une variante ἔχειν, à en


juger du moins par la scholie suivante : Οὐχ ὡς παρ᾽ οὐδέν : οὐχ ὡς
ἔτυχεν ἔχειν τὸ πρᾶγμα , ἀντὶ τοῦ , οὐκ εὐτελῶς καὶ ὡς πάρεργον , ἀλλ
ὡς μέγα .
Ajoutons que cette variante avait évidemment son origine dans
les derniers mots du vers 32 , κηρύξαντ᾽ ἔχειν, et que les éditeurs
n'ont point, par conséquent , à en tenir compte.

321. Scholiaste de Sophocle, Antigone , 64 .

Λείπει ὥστε ἀκούειν ταῦτα , καὶ τὰ τούτων χείρονα .


Si l'on s'en rapportait aveuglément à ce témoignage , il faudrait
retrancher du texte de Sophocle tout le vers 64 , Καὶ ταῦτ᾽ ἀκούειν
κάτι τῶνδ᾽ ἀλγίονα , comme fabriqué d'après cette scholie même ,
ainsi qu'il est arrivé quelquefois. Ce serait se tromper gravement .
La phrase dont il s'agit est défigurée par une lacune . Le commen-
tateur avait sans doute écrit : λείπει <ὥστε , ἵν᾽ ᾖ , > ὥστε ἀκούειν
ταῦτα καὶ τὰ τούτων χείρονα , ou plutôt , καὶ ἄλλα (κ ἄλλα) τούτων χεί-
pova. La scholie ainsi restituée est absolument analogue , pour la
rédaction , à la suivante (sur le vers 38) : Ἐσθλῶν : λείπει γονέων , ἵν᾿
ᾖ, ἐσθλῶν γονέων . [Emile Chatelain , élève. ]

322. Scholiaste de Sophocle , Antigone, 69.

Φησὶν , οὔτε σε ἀναγκάσω · ἀλλ᾽ οὔτ᾽ , ἂν θέλῃς ( var . θέλοις) , ἡδέως


ἕξομαί ( var. ἀνέξομαι) σου τὴν ἐπικουρίαν .
Ni ἕξομαι , ni ἀνέξομαι (dont la première syllabe peut provenir sim-
plement de la particule qui précède θέλῃς ου θέλοις, ou , pour mieux
dire, de l'idée de condition marquée par cette particule) ne conviennent
au sens indiqué par le vers même du poëte. Il faut évidemment
rétablir δέξομαι , dont le à peut avoir été omis par suite du voisinage
de ἡδέως. [Ch . Graux , élève .]
D'autre part , il y aurait peut-être lieu d'écrire : οὔτε σε αναγκά
σαιμ᾽ ἂν, οὔτ᾽, ἂν θέλῃς , κτλ .

323. Sophocle et son Scholiaste , Antigone, 80-81 .

Σὺ μὲν τάδ᾽ ἂν προὔχοι · ἐγὼ δὲ δὴ τάφον


χώσουσ᾽ ἀδελφῷ φιλτάτῳ πορεύσομαι .
La scholie porte Ἐγὼ δὲ δὴ τάφον : τοῦτο ἤδη ( faute, selon toute
apparence, pour τοῦτο τὸ ἤδη) τῆς προθυμίας αυξητικόν . En d'autres
termes, si le lemme de la scholie est conforme au texte de la vulgate
actuelle, la scholie elle-même parait attester l'existence d'une ancienne
- 440 -

varianten. Nous pensons qu'il y a lieu d'introduire cette leçon


dans le texte du poëte. [Ém . Chatelain , élève. ]

324. Dinarque , Contre Aristogiton, 9 , p . 106 .

Διὰ μὲν πονηρίαν εἰς τὸ δεσμωτήριον ἐνέπεσεν , ἐκεῖ δ᾽ὢν παρὰ τοῖς ἐκ
τῶν ἄλλων ἀνθρώπων κακούργοις ἀπηγμένοις , οὕτως εἶναι πονηρὸς ἔδοξεν ,
ὥστε μηδ᾽ ἐκεῖ τῶν ἴσων ἀξιοῦσθαι τοῖς ἄλλοις .
Ce texte, bien qu'amélioré déjà en deux endroits par les éditeurs
de Zurich et par Dobree , nous paraît exiger encore une correction :
l'insertion du mot ὡς devant κακούργοις .

325. Dinarque , Contre Aristogiton, 19 , p . 107 .


Ἁπλῶς δ᾽ εἰπεῖν , ἐναντία τοῖς νόμοις ἅπασι πράττων διατετέλεκε , καὶ
τοῦτον μόνον ἡ ἐξ ᾿Αρείου πάγου βουλὴ αὐτοῖς (correction de Blass, pour
τοῖς ἐζητηκόσι καὶ εἰδόσιν ἀποπέφαγκεν .
Nous conjecturons : αὐτοῖς ἐξητακόσι . [Ch. Graux , élève.]

326. Dinarque , Contre Philoclès , 8 , p . 109 .


Ἆρ᾽ ἴστε ὅτι ἐπὶ μὲν τῶν ἄλλων ἀδικημάτων σκεψαμένους ἀκριβῶς δεῖ
μεθ᾽ ἡσυχίας καὶ τἀληθὲς ἐξετάσαντας , οὕτως ἐπιτιθέναι τοῖς ἠδικηκόσι
τὴν τιμωρίαν , ἐπὶ δὲ ταῖς φανεραῖς καὶ παρὰ πάντων ὡμολογημέναις
προδοσίαις πρώτην τετάχθαι τὴν ὀργὴν καὶ τὴν μετ᾿ αὐτῆς γιγνομένην
τιμωρίαν .
Il faut évidemment écrire , en transposant καὶ : σκεψαμένους ἀκριβῶς
δεῖ καὶ μεθ᾿ ἡσυχίας τἀληθὲς ἐξετάσαντας. [Ch. Graux , élève .]

327. Dinarque , Contre Philoclès, 18 ; p . 110 .


Καὶ οἷς πρότερον ἔφη διαφέρεσθαι , πρὸς τούτους ἔταξεν αὑτόν .
On préférerait : πρὸς τούτων . L'exemple de Thucydide (III , 86) ne
nous paraît pas décisif.

328. Dinarque, Contre Démosthène , 7 ; p . 91 .


Ναί · κατέψευσται γὰρ ἡ βουλὴ Δημοσθένους · τουτὶ γάρ ἐστιν ὑπερβολὴ
τοῦ πράγματος . Σοῦ κατέψευσται καὶ Δημάδου ; καθ᾽ ὧν οὐδὲ τἀληθὲς
εἰπεῖν , ὡς ἔοικεν, ἀσφαλές ἐστιν .
Nous pensons qu'il faut écrire et ponctuer : τουτουί γ᾽ ἄρ᾽ ἔστιν
ὑπερβολὴ τοῦ πράγματος ; « Ya-t-il moyen de surpasser cela ? y a-t-il
rien au-dessus de cela, qui soit plus fort que cela ? »

329. Dinarque , Contre Démosthène , 17 ; p . 92 .


Ὁ τοιοῦτος , ὦ Δημόσθενες, πολίτης , ὃς δικαίως ἂν καὶ συγγνώμης καὶ
- 444 -

χάριτος ἐτύγχανε παρὰ τῶν ἐν ἐκείνοις τοῖς χρόνοις συμπεπολιτευμένων ,


οὐ λόγοις , ἀλλ᾽ ἔργοις , μεγάλα τὴν πόλιν ἀγαθὰ ποιήσας , καὶ διαμείνας
ἐπὶ τῆς αὐτῆς πολιτείας καὶ οὐκ ἄνω καὶ κάτω μεταβαλόμενος ὥσπερ σὺ ,
ἐτελεύτησεν οὐ τηλικαύτας τὸν δῆμον αἰτήσας δωρεὰς ὥστε τῶν νόμων
εἶναι κρείττων , οὐδ᾽ οἰόμενος δεῖν τοὺς ὀμωμοκότας κατὰ τοὺς νόμους οἴσειν
τὴν ψῆφον ἄλλο τι προυργιαίτερον ποιεῖσθαι τῆς εὐσεβείας , ἀλλ᾽ ὑπομένων
κατακρίνεσθαι , εἰ δόξειε τοῖς δικασταῖς , καὶ οὐ καιροὺς λέγων , οὐδ᾽ ἕτερα
φρονῶν καὶ δημηγορών .
Ἐτελεύτησεν n'est pas du tout le mot qu'on attendrait : car ce n'est
pas à mourir que Timothée avait été condamné, mais seulement à
payer cent talents . Si l'on songe que le mot ἑκατόν pouvait être
représenté par une lettre unique ( anciennement H , puis P) , on ne
jugera pas trop éloignée de la leçon traditionnelle la conjecture que
* nous proposons : ἑκατὸν τάλαντ᾽ ἔτισεν .
La fin de cette même période (καὶ οὐ καιρούς κτλ. ) parait absolu-
ment déplacée. Nous pensons qu'elle a été insérée ici pour combler
une lacune présumée , ou remplacer une phrase illisible, et alléger
ainsi une chute de phrase qui , sans cela , fût restée trop lourde
et trop brusque. L'interpolateur n'a eu qu'à en emprunter le sens ,
sinon les termes, aux chapitres 31 et 47 , où on lit , d'une part ,
πλείστοις καιροῖς ἐν ταῖς δημηγορίαις χρώμενος, d'autre part, ἕτερα μὲν
λέγων, ἕτερα δὲ φρονῶν .

330. Dinarque, Contre Démosthène , 20 ; p . 92 .

Καὶ τοῦ στρατηγοῦ αὐτῶν Ἀστύλου ὠνίου ὄντος, ὥσπερ καὶ Στρατοκλῆς
εἶπε, καὶ δέκα τάλαντα αὐτοῦντος ὥστε ἀγαγεῖν τὴν βοήθειαν τοῖς Θηβαίοις ,
καὶ τῶν πρεσβευτῶν ὡς τοῦτον ἐλθόντων , ὃν ᾔδεσαν ἔχοντα τὸ βασιλικὸν
χρυσίον , καὶ δεομένων καὶ ἱκετευόντων δοῦναι τὰ χρήματα εἰς τὴν τῆς
πόλεως σωτηρίαν , οὐκ ἐτόλμησεν ὁ μικρὸς οὗτος καὶ ἀσεβὴς καὶ αἰσχρο
κερδὴς ἀπὸ τῶν πολλῶν χρημάτων ὧν εἶχε δέκα μόνον τάλαντα δοῦναι ,
τοσαύτας ὁρῶν ἐλπίδας ὑποφαινούσας εἰς τὴν Θηβαίων σωτηρίαν , ἀλλὰ
περιεῖδεν ἑτέρους δόντας τοῦτο τὸ ἀργύριον , ὥσπερ καὶ Στρατοκλῆς εἶπεν ,
ὑπὲρ τοῦ πάλιν ἀπελθεῖν οἴκαδε τοὺς ἐξεληλυθότας Αρκάδων καὶ μὴ
βοηθῆσαι τοῖς Θηβαίοις .
Nous croyons qu'il faut mettre une virgule devant les mots els
τὴν Θηβαίων σωτηρίαν , de façon a les faire dépendre de δέκα μόνον
τάλαντα δοῦναι . [Ch. Graux , élève.]

331. Dinarque , Contre Démosthène , 31 ; p . 94 .


Τοσοῦτον ἐδέησεν ὁ δημαγωγὸς καὶ χρήσιμος αὐτίκα φήσων ὑμῖν γεγε-
νῆσθαι πρᾶξίν τινα προφέρειν , ὥστε καὶ τοὺς πράττοντας ὑπὲρ ὑμῶν τι τῆς
αὑτοῦ τύχης ἀνέπλησεν .
- 442

Nous conjecturons : င်ὁ δημαγωγός, δὁ χρήσιμος.....

332. Dinarque, Contre Démosthène, 40 ; p . 95 .


Καὶ νῦν εἰλημμένοι δῶρα καθ᾽ ὑμῶν εἰληφότες , παρακρούονθ᾽ ὑμᾶς , καὶ
ἀξιοῦσι τοιοῦτοι γεγενημένοι περὶ τῆς ἑαυτῶν πλεονεξίας παραγγέλλειν.
Παρακρούονθ ' , legon du manuscrit d 'Oxford , préférée par Blass à la
vulgate παρακρούονται , parait provenir simplement d'une fantaisie de
copiste : une telle élision ne se concevrait, en effet, que chez un au-
teur constamment attentif à éviter l'hiatus ; or , Dinarque est loin de
se montrer aussi scrupuleux .
La fin de la phrase ne paraît pas avoir été expliquée d'une manière
satisfaisante. Peut-être suffirait-il de substituer ὑπέρ à περί. Le sens
serait alors : « Solliciter en faveur de leur avarice , de leur vénalité. »

333. Dinarque , Contre Démosthène, 41 ; p . 95 .


Οὐκ ἴστε τοῦτον αὐτοὶ δωροδόκον ὄντα καὶ κλέπτην καὶ προδότην τῶν
φίλων καὶ τῆς πόλεως ἀνάξιον καὶ αὐτὸν καὶ τὴν περὶ τοῦτον τύχην γεγε-
νημένην ;
Nous préférerions : τὴν παρὰ τοῦτον τύχην γεγενημένην . On peut
rapprocher, pour l'expression , Παρὰ τί οἴεσθε τὰς πόλεις τοτὲ μὲν εὖ ,
τοτὲ δὲ φαύλως πράττειν (ch . 72, p . 99 ) ; et , pour la pensée, le chapitre
34 (p . 94) . (Wolf a proposé παρὰ τούτου . )

334. Dinarque , Contre Démosthène , 70 ; p . 99 .


Καὶ ποῦ τοῦτ᾽ ἐστὶ δίκαιον ἢ κοινὸν ἢ δημοτικὸν, τοὺς μὲν ἐργαζομένους
εἰσφέρειν, σὲ δὲ ἁρπάζειν καὶ κλέπτειν.
Au mot unique εἰσφέρειν répondent , dans le second membre de
phrase , les deux mots ἁρπάζειν καὶ κλέπτειν , tandis que rien ne
correspond a ἐργαζομένους. Peut-être Dinarque avait-il écrit σὲ δ᾽ἐν
ἀργίᾳ ζῆν καὶ κλέπτειν . On comprendrait facilement que σὲ δ᾽ἐν ἀργία
ζῆν füt devenu , dans un premier manuscrit , σὲ δ᾽ ἐναρπάζειν , puis par
correction , dans un second exemplaire, σὲ δὲ ἁρπάζειν οι σὲ δ᾽ ἁρπάζειν.
L'omission de καὶ κλέπτειν dans tous les manuscrits , sauf le prin-
cipal , s'explique par la ressemblance des verbes ἁρπάζειν et κλέπτειν ,
non-seulement quant à la désinence , mais encore quant à la signifi-
cation.

335. Euripide, Hippolyte, 394396 .


Γλώσσῃ γὰρ οὐδὲν πιστὸν, ἢ θυραῖα μὲν
φρονήματ᾽ ἀνδρῶν νουθετεῖν ἐπίσταται,
αὐτὴ δ᾽ ὑφ᾽ αὑτῆς πλεῖστα κέκτηται κακά.
Le sens nous parait exiger : αὐτοὶ δ᾽ ὑπ᾽ αὐτῆς πλεῖστα κέκτηνται
κακά.
- 113 -

336. Sophocle, Trachiniennes , 1216-1217 .

Ἀλλ᾿ ἀρκέσει καὶ ταῦτα · πρόσκειμαι δέ μοι


χάριν βραχεῖαν πρὸς μακροῖς ἄλλοις διδούς .
On fera disparaitre le moyen πρόσκειμαι , qui ne saurait convenir
ici, en écrivant προσνεῖμαι : ( le Laurentianus portait d'abord προνεῖμαι . )
Pour l'emploi de l'infinitif comme equivalent de l'impératif , il suffit
de renvoyer à Matthiæ (Grammaire grecque, § 546) , qui cite plu-
sieurs exemples de Sophocle.

337. Xénophon, Anabase, I , 1 , 5 .

Ὅστις δ᾽ ἀφικνεῖτο τῶν παρὰ βασιλέως πρὸς αὐτὸν , πάντας οὕτω διατι
θεὶς ἀπεπέμπετο , ὥστε αὐτῷ μᾶλλον φίλους εἶναι ἢ βασιλεῖ .
A l'indicatif ἀφικνεῖτο nous préférerions , avec Kühner , l'optatif
ἀφικνοῖτο , legon de plusieurs manuscrits. Un peu plus loin, διατιθείς
parait devoir ceder la place à διαθείς. On dirait en français : « Il ne
les renvoyait qu'après s'en étre fait des amis. »

338. Xénophon, Anabase , I , 3 , 5-6.

Ἐπεὶ δὲ ὑμεῖς οὐ βούλεσθε συμπορεύεσθαι , ἀνάγκη δή μοι ἢ ὑμᾶς


προδόντα τῇ Κύρου φιλία χρῆσθαι ἢ πρὸς ἐκεῖνον ψευσάμενον μεθ᾽ ὑμῶν
εἶναι .
Au lieu de μεθ᾽ ὑμῶν εἶναι , Porson a conjecturé μεθ᾽ ὑμῶν ἰέναι , et
Cobet a adopté cette correction . Nous ne savons pourtant s'il ne
vaudrait pas mieux écrire : μεθ᾽ ὑμῶν μεῖναι .

339. Xénophon, Anabase , I , 3, 18 .

Καὶ ἐὰν μὲν ἡ πρᾶξις ή παραπλησία οἵαπερ καὶ πρόσθεν ἐχρῆτο τοῖς
ξένοις ἕπεσθαι καὶ ἡμᾶς καὶ μὴ κακίους εἶναι τῶν πρόσθεν τούτῳ συνανα
βάντων.
On dit bien χρῆσθαί τινί τι , « employer quelqu'un ou quelque chose
à un certain usage » . Mais peut - on dire de méme χρῆσθαί τινι
πρᾶξίν τινα , « employer quelqu'un à une entreprise » ? Nous aimerions
mieux lire : παραπλησία οἴάπερ καὶ πρόσθεν ἐχρῆτο τοῖς ξένοις, « du
même genre que les services auxquels il employait précédemment les
mercenaires ».

340. Xénophon , Anabase, I , 6 , 6 .

Παρεκάλεσα ὑμᾶς , ἄνδρες φίλοι , ὅπως σὺν ὑμῖν βουλευόμενος ὅ τι


δίκαιόν ἐστι καὶ πρὸς θεῶν καὶ πρὸς ἀνθρώπων , τοῦτο πράξω περὶ Ὀρόντα
τουτουί .
- 114 -

Le contexte parait exiger βουλευσάμενος . Cf. Thucydide , I , 87 :


..... ψῆφον ἐπαγαγεῖν , ὅπως κοινῇ βουλευσάμενοι τὸν πόλεμον ποιῶνται ,
ἢν δοκῇ .
341. Xénophon, Anabase, I , 8 , 10 .

Πρὸ δὲ αὐτῶν ἅρματα διαλείποντα συχνὲν ἀπ᾽ ἀλλήλων τὰ δὴ δρεπανη


φόρα καλούμενα · εἶχον δὲ τὰ δρέπανα ἐκ τῶν ἀξένων εἰς πλάγιον ἀποτε
ταμένα .
De même que Cobet , un peu plus haut (I , 5 , 1 ) , a remplacé ἅπαντα
ἦσαν εὐώδη par ἅπαντα ἦν εὐώδη , de méme ici , à εἶχον , parait devoir
être substitué eixe , qui a pu se trouver dans un manuscrit sous la
forme εἶχεν .
342. Xénophon, Anabase , I , 9 , 27.

Οπου δὲ χιλὸς σπάνιος πάνυ εἴη , αὐτὸς δ᾽ ἐδύνατο (variante : δὲ


δύναιτο) παρασκευάσασθαι .... , διαπέμπων ἐκέλευε τοὺς φίλους τοῖς τὰ
ἑαυτῶν σώματα ἄγουσιν ἵπποις ἐμβάλλειν τοῦτον τὸν χιλόν.
Peut-être : αὐτὸς δὲ δεδυνῇτο .

343. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte , 35


(éd . W. Dindorf) .

Πάλλαντος ἐπιθέσθαι ταῖς Ἀθήναις διανοουμένου καὶ τὴν Σφηττίαν ὁδὸν


προφανῶς διαπορευομένου ἐπὶ τὸ ἄστυ μετὰ τῆς δυνάμεως αὐτοῦ , οἱ τούτου
παῖδες κατὰ βούλησιν τοῦ πατρὸς Γαργηττοῖ ἐγκαθίζουσι μετὰ τῶν
ἡλικιωτῶν, ἵν᾽ , ὅταν ἐπεξέλθωσι τοῖς Αθηναίοις καὶ ὁ Πάλλας συμβάλῃ ,
ἐξ ἐφόδου προσπεσόντες λάβωσι τὴν πόλιν .
Il faut probablement corriger : ὅταν ἐπεξελθοῦσι τοῖς Ἀθηναίοις
[καὶ] ὁ Πάλλας συμβάλῃ .
344. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte , 35 .

Λόγος οὖν τὸν Θησέα, ἀνεψιόν ὄντα τῶν Παλλαντιδῶν παίδων , ἵνα αὐτὸν
ἀντιποιούμενον τῆς βασιλείας ἀνελεῖν .
Corrigez : ἵνα αὐτῶν. [Jules Nicole , répétiteur. ]

345. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte , 58 .

Αλλήλους προτρέπονται οἱ ἀπὸ τοῦ χοροῦ , ἤγουν οἱ συνεπόμενοι τῷ


Ἱππολύτῳ κυνηγέται . Αλλοι δέ εἰσί τινες περὶ τὸν χορόν · ὁ γὰρ χορός,
ὡς εἴρηται , ἐκ Τροιζηνίων γυναικῶν ἐστιν .
Ecrivez : ἄλλοι..... παρὰ τὸν χορόν .

346. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte, 73 .

Φιλόχορος δέ φησι τῷ μὲν ξοάνω πλεκτὸν στέφανον προσφέρειν , τῇ δὲ


θεῷ τὸν ὕμνον .
- 115
Nous proposons : προσφέρεσθαι . Pour la confusion des terminaisons
ειν et εσθαι , voir une note de Pierron dans son édition de l'Iliade,
tome II , p. 534 .

347. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte, 73 ( page 86 ,


lignes 3-5) .
Πλεκτὸν τοίνυν στέφανον λέγει τὸν ὕμνον , δίκην πλοκῆς συντεθέντας
τοὺς λόγους ἀποτελεῖν τὸν ὕμνον .
Probablement : <διὰ τὸ> δίκην πλοκῆς .....

348. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte, 159 .

Διὰ τὰ πάθη συνδέδεται αὐτῆς ἡ ψυχὴ τῇ εὐναίᾳ λύπῃ , ἀντὶ τοῦ εἰς
εὐνὴν αὐτῇ κατακλινούσῃ .
On pourrait conjecturer que aut a pris la place de Xú cepen-
dant le sens nous parait demander plutôt : αὐτὴν κατακλινούσῃ . (A la
ligne suivante, il faut mettre un point devant τουτέστιν . ) [Jules Nicole ,
répétiteur . ]

349. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte, 276 .

Πότερον ὑπ᾽ ἄτης : βλάβης παραφροσύνης καὶ τῆς ὀδύνης τῆς κακώσεως .
Il faut écrire, selon toute apparence : βλάβης , παραφροσύνης · ἢ τῆς
ὀδύνης , τῆς κακώσεως.

350. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte , 316 .


Ἁγνὰς μὲν, ὦ παῖ , χεῖρας αἵματος φέρεις . Scholie : Οἶμαι ὅτι τοῦτον
οὐκ ἐφόνευσεν .
La même note se retrouve parmi les scholies sur le vers 310 , avec
la variante ἐφόνευσας , qui doit prendre place ici même.

351. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte, 380 .

Από τινος γὰρ ἀργίας καὶ ἔκνου τοῦ ἐκπονεῖν τὰ καλὰ τὰ κακὰ μετέρ
χονται .
Nous écririons : ὑπό τινος.

352. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte, 384 .


Μακραί τε λέσαι καὶ σχολὴ , τερπνόν κακόν . Scholie : Καὶ σχολὴ
ῥαθυμία, ἀεργία.
Le lemme de la scholie, et la scholie même , ont été confondus. Il
faut ponctuer Καὶ σχολή : ῥαθυμία , ἀεργία .

353. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte , 386 .

Οὐκ ἂν δύ᾽ ἤστην ταῦτ᾽ ἔχοντε γράμματα . Scholie : οἷον ἑνὶ ὀνόματι
καὶ τόνῳ καὶ φθόγγῳ προσαγορευομένας.
- 416 -
La syntaxe demande évidemment προσαγορευόμεναι οι προσαγορευο
μένα.

354. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte , 461 .

Εἰ μὴ ἔμελλες καὶ αὐτὴ κατὰ τὸ λοιπὸν ἅπαντας ἀνθρώπους ὑποκεῖσθαι


καὶ βουλεύειν τοῖς θεοῖς πᾶσιν .... , ἐχρῆν τὸν γεννῶντά σε πατέρα ἐπὶ
ὡρισμένοις τισί σε παραγαγεῖν .
Nous proposons : κατὰ τοὺς λοιποὺς ἅπαντας ἀνθρώπους ὑποκεῖσθαι
καὶ δουλεύειν.

355. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte, 464 .

Πόσους δὲ οἴει πατέρας τοῖς παισὶν ἡμαρτηκόσι δι᾿ ἔρωτα συμβαστάζειν


αὐτοῖς τὴν παρὰ τῆς ᾿Αφροδίτης νόσον .
Ecrivez : συμβαστάζειν αὐτούς .

356. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte , 469—470 .

..... Εἰς δὲ τὴν τύχην Πεσοῦσ᾽ ὅσην σύ , πῶς ἂν ἐκνεῦσαι δοκεῖς. Scholie :
Εἰς δὲ τὴν τύχην : εἰς δὲ πέλαγος ἄδηλον τῆς τύχης ἐκκολυμβῆσαι.
Corrigez : εἰς δὲ πέλαγος ἄδηλον τῆς τύχης. — < Εκνεῦσαι : >
ἐκκολυμβῆσαι . Un lemme a été omis, comme il arrive fréquemment.
Ici , la faute est d'autant plus facile à expliquer, que les deux mots
ἐκνεῦσαι εἰ ἐκκολυμβηται commencent et finissent de même.

357. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte, 469 .


Ἐν γὰρ τοῖς σοφοῖς τῶν ἀνθρώπων τοῦτο ὑπάρχει , τὸ λανθάνειν ἑαυτὸν ,
καὶ προσποιεῖσθαι τῶν πλησίων τὰ μὴ καλὰ ἁμαρτήματα .
Si l'on rapproche cette scholie du vers 466 , auquel elle se rapporte
en réalité , on verra qu'il faut écrire τὸ λανθάνειν ἑαυτοὺς προσποιεῖσθαι .
Ajoutons que, dans un texte de l'époque classique, il ne faudrait
pas hésiter à remplacer τῶν πλησίων par τῶν πλησίον .

358. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte , 518.

Ἐπειδὴ μεσότης ἐστὶ καὶ ὑπερβολὴ καὶ ἔλλειψις, καὶ ἡ μὲν μεσότης
ἐστὶ φρόνησις, ἡ δὲ ἔλλειψις ἀφροσύνη , ἡ δὲ διαβολὴ πονηρία .....
Il faut nécessairement corriger : ἡ δὲ ὑπερβολὴ πονηρία .

359. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte , 628 .

Ὁ δὲ τεκὼν αὐτὴν καὶ ἀναθρέψας προσδίδωσι πρᾶγμα , ὥστε ἀπαλλα


γῆναι αὐτὸν τοῦ κακοῦ .
Αὐτόν nous est suspect : on pourrait conjecturer θᾶττον. Quant à
πράγμα , ce mot doit probablement céder la place à προῖκα .
- 147 ―

360. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte , 785 .

Τὸ πολλὰ πράττειν : οὐκ ἔστιν ἀσφαλῆς ὁ βίος τῶν ἐκβαλόντων ἑαυτοὺς


εἰς πολλὰ πράγματα.
Il faut certainement écrire soit εἰσβαλλόντων , soit ἐμβαλλόντων.

361. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte, 881 .

Στόματος δὲ πύλαις περιφραστικῶς ἐν τῷ στόματι .


Nous proposons : περιφραστικῶς ἀντὶ τοῦ τῷ στόματι . Sur la manière
de représenter abréviativement ἀντὶ τοῦ , voir Bast , Comm. Pal. ,
pages 792-793 . Ici , le v écrit au-dessus de av peut avoir été pris pour
un esprit doux . Rapprocher la scholie presque identique de la ligne 44 :
Στόματος δὲ πύλαις περιφραστικῶς τῷ σώματι .

362. Scholiaste d'Euripide , Hippolyte , 987 .

Αναιδῶν γάρ ἐστιν ἐν ὄχλῳ δημηγορεῖν εἰς ἥλικας , ἤτοι εἰς ὁμήλικας
καὶ σοφούς .
Ponctuez : Αναιδῶν γάρ ἐστιν ἐν ὄχλῳ δημηγορεῖν . - Εἰς ἥλικας :
ἤτοι εἰς ὁμήλικας καὶ σοφούς .
363. Lucien, Manière d'écrire l'Histoire , 10 ;

Ρ . 13-14.
Ἔτι κἀκεῖνο εἰπεῖν ἄξιον , ὅτι οὐδὲ τερπνὸν ἐν αὐτῇ τὸ κομιδῆ μυθῶδες
καὶ τὸ τῶν ἐπαίνων μάλιστα πρέσαντες παρ᾽ ἑκάτερον τοῖς ἀκούουσιν .
Pour rendre ce texte complétement satisfaisant , il suffit , si nous
ne nous trompons , d'insérer le supplément v après ἑκάτερον . Le sens
sera : « Dans l'Histoire , ce qui ressemble trop à la Fable n'a pas
même l'avantage de plaire , surtout si ce sont des éloges qui sont
ainsi exagérés : car des éloges fabuleux (μυθώδεις) choquent double-
ment (παρ ' εκάτερον) , proprement « par l'une et l'autre raison » , (c'est
à dire « en tant qu'éloges et en tant qu'exagérations ou que fables » , )
les auditeurs . »

364. Lucien , Manière d'écrire l'Histoire , 21 ; p . 29 .

Ἔτι ὁ αὐτὸς οὗτος περὶ τῆς Σεουηριανοῦ τελευτῆς ἔγραψεν ὡς οἱ μὲν


ἄλλοι πάντες ἐξηπάτηνται , οἰόμενοι ξίφει τεθνάναι αὐτὸν , ἀποθάνοι δὲ ὁ
ἀνὴρ σιτίων ἀποσχόμενος .
On peut conjecturer : ἐξηπατηντο . Cf. ex . 342.

365. Lucien , Manière d'écrire l'Histoire , 24 ; p . 32 .

Τὸ δὲ καὶ περὶ τοὺς τόπους αὐτοὺς ψεύδεσθαι , οὐ παρασάγγας μόνον ,


ἀλλὰ καὶ σταθμοὺς ὅλους, τίνι τῶν καλῶν ἔοικεν ;
448 -
C'est à tort , croyons-nous , que plusieurs éditeurs ont préféré à la
vulgate περί la lecon , d'ailleurs mieux autorisée , παρά . Il est bien vrai ,
comme on la fait remarquer, que la substitution de παρά à περί est
beaucoup plus rare que la confusion inverse. Mais, ici , la faute des
bons manuscrits peut s'expliquer par l'influence du mot voisin
παρασάγγας . Ajoutons que l'exemple emprunté par Fritzsche à la fin
du chapitre 20 ( παρὰ τὰ γεγραμμένα εψεύσατο) n'est pas analogue au
passage qui nous occupe.
D'autre part, les mots παρασάγγας ..... σταθμοὺς ὅλους nous parais-
sent devoir etre remplacés par παρασάγγαις ..... σταθμοῖς ὅλοις . Ces
datifs dépendront de súdes0x , par un emploi analogue à celui de
πολλῷ dans πολλῷ βελτίων . Nous dirions en français : « Mentir de
plusieurs lieues. >>
Charles Graux nous avait proposé οὐ <παρὰ> παρασάγγας.

366. Lucien , Manière d'écrire l'Histoire , 25 ;


p. 33-34 .
Un des historiens que Lucien met en scène racontait , dit- il , que
Sévérien , déterminé à mourir , n'avait voulu (ἐθελῆσαι) ni se frapper
d'une épée , ni s'empoisonner, ni se pendre , tous ces genres de mort
lui paraissant trop vulgaires : qu'il avait brisé un vase précieux , et
s'était servi d'un des éclats du cristal pour se couper la gorge. D'après
le texte actuel , Lucien terminerait ce chapitre par la réflexion sui-
vante : Οὕτως οὐ ξιφίδιον , οὐ λογχάριον εὗρεν , ὡς ἀνδρεῖός γε αὐτῷ καὶ
ἡρωϊκὸς ὁ θάνατος γένοιτο .
Au lieu de supev, le sens général demanderait plutôt un mot signi-
fiant << il ne chercha » ou «< il n'employa » . Mais il est plus probable
que cette dernière phrase ne provient pas de Lucien lui - même.
Cf. exercices 59 , 60 , 61 , 89. [ Charles Graux , élève. ]

367. Lucien, Manière d'écrire l'Histoire , 26 ; p . 34 .

Θάψας οὖν τὸν Σεουηριανὸν μεγαλοπρεπῶς , ἀναβιβάζεται ἐπὶ τὸν τάφον


Αφράνιόν τινα Σίλωνα ἑκατόνταρχον , ἀνταγωνιστὴν Περικλέους , ὃς τοιαῦτα
καὶ τοσαῦτα ἐπερρητόρευσεν αὐτῷ , ὥστε με νὴ τὰς Χάριτας πολλὰ πάνυ
δακρῦσαι ὑπὸ τοῦ γέλωτος , καὶ μάλιστα ὁπότε ὁ ῥήτωρ ὁ Αφράνιος ἐπὶ
τέλει τοῦ λόγου δακρύων ἅμα σὺν οἰμωγῇ περιπαθεῖ ἐμέμνητο τῶν πολυ
τελῶν ἐκείνων δείπνων καὶ προπόσεων .
L'absence de l'article devant ῥήτωρ , dans les meilleurs manuscrits,
provient sans doute d'un simple lapsus . Quant aux deux mots sui-
vants (5 Αφράνιος) , nous pensons qu'ils doivent être supprimes ,
comme inutiles au sens de la phrase et nuisibles à son effet. [Charles
Graux , élève .]
- 119 -

368. Lucien, Manière d'écrire l'Histoire , 37 ; p . 49 .


Entre autres choses faisant partie de l'art de la guerre , l'historien
doit savoir : πῶς οἱ λόχοι , πῶς οἱ ἱππεῖς καὶ πόθεν καὶ τί ἐξελαύνειν ἢ
περιελαύνειν .
Aux verbes εξελαύνειν et περιελαύνειν , Cobet a proposé de substituer
les termes techniques ἐξελίττειν et περιελίττειν . Mais les mots précé-
dents demeurent inintelligibles , ainsi que Fritzsche l'a fait remarquer.
Nous conjecturons : πῶς οἱ λόχοι , πῶς οἱ ἱππεῖς ἐπίοιεν < ἂν>, καὶ
τί ….... Une digraphie des deux dernières lettres de ἱππεῖς devrait alors
être considérée comme l'origine première de la faute ; et la perte de
ἂν, comme une conséquence nécessaire du remplacement de ἐπίοιεν
par καὶ πόθεν.

369. Lucien , Manière d'écrire l'Histoire , 50 ; p . 61 .


..... ῥᾳδίως ἀπολυέσθω · καὶ στήσας ἐνταῦθά που ταῦτα ἐπ᾿ ἐκεῖνα μετα
βαινέτω , ἣν κατεπείγῃ · εἶτα ἐπανίτω λυθεὶς, ὁπόταν ἐκεῖνα καλῇ .
Nous écririons : εἶτα ἐπανίτω , ὁπόταν αὖθις ἐκεῖνα καλῇ .
Le voisinage de ánokυécow parait avoir induit un copiste à écrire
λυθείς au lieu de αὖθις : le mot ainsi défigure fut ensuite transpose
par un correcteur .

370. Lucien, Manière d'écrire l'Histoire , 51 ; p . 62 .


Οὐ γὰρ ὥσπερ τοῖς ῥήτορσι γράφουσιν , ἀλλὰ τὰ μὲν λεχθησόμενα ἔστι
καὶ εἰρήσεται · πέπρακται γὰρ ἤδη . Δεῖ δὲ τάξαι καὶ εἰπεῖν αὐτά .
Le sens s'accommoderait bien de la restitution suivante : Οὐ γὰρ
ὥσπερ τοῖς ῥήτορσι γράφου <σιν ἱστορίαν ποιητέον περὶ τὴν εὕρε >
σιν · ἀλλὰ τὰ μὲν λεχθησόμενα ἔστιν οὗ εὖ ρήσεται · πέπρακται γάρ.
Δεῖ δ᾽ ἤδη τάξαι καὶ εἰπεῖν αὐτά . Nous ne pouvons , d'ailleurs , affirmer
que εὑρήσεται ait jamais élé pris dans le sens passif.

371. Lucien , Manière d'écrire l'Histoire , 51 ; p . 62 .


Οὐδὲ γὰρ οὐδ᾽ ἐκεῖνοι χρυσὸν ἢ ἄργυρον ἢ ἐλέφαντα ἢ τὴν ἄλλην ὕλην
ἐποίουν · ἀλλ᾽ ἡ μὲν ὑπῆρχε καὶ προϋπεβέβλητο , Ἠλείων ἢ Αθηναίων ἢ
Αργείων πεπορισμένων, οἱ δὲ ἔπλαττον μόνον καὶ ἔπριον τὸν ἐλέφαντα καὶ
ἔξεον καὶ ἐκόλλων καὶ ἐρρύθμιζον καὶ ἐπήνθιζον τῷ χρυσῷ , καὶ τοῦτο ἦν
ἡ τέχνη αὐτῶν, ἐς δέον οἰκονομήσασθαι τὴν ὕλην .
Les mots τὸν ἐλέφαντα (après καὶ ἔπριον) et τῷ χρυσῷ (après καὶ
ἐπήνθιζον ) nous paraissent devoir être supprimés .

372. Lucien , Manière d'écrire l'Histoire , 51 ;


p. 62-63 .
Τοιοῦτο δή τι καὶ τὸ τοῦ συγγραφέως ἔργον , εἰς καλὸν διαθέσθαι τὰ
- 420 -

πεπραγμένα , καὶ εἰς δύναμιν ἐναργέστατα ἐπιδεῖξαι αὐτά · καὶ ὅταν τις
ἀκροώμενος οἴηται μετὰ ταῦτα ὁρᾶν τὰ λεγόμενα καὶ μετὰ τοῦτο ἐπαινῇ ,
τότε δὴ τότε ἀπηκρίβωται καὶ τὸν οἰκεῖον ἔπαινον ἀπείληφε τὸ ἔργον τῷ
τῆς ἱστορίας Φειδία .
Καὶ μετὰ τοῦτο ἐπαινῇ doit être une simple glose, destinée à
expliquer les mots τὸν οἰκεῖον ἔπαινον ἀπείληφε .
Une variante , afférente à cette glose une fois insérée dans le texte,
nous parait être l'origine des mots μετὰ ταῦτα , qui précèdent
aujourd'hui ὁρᾶν τὰ λεγόμενα. D'ailleurs , tout en retranchant ces
mots , avec Bekker et Cobet, il peut y avoir lieu d'insérer devant ópav,
à l'exemple de Fritzsche , le mot αὐτά, dont l'intrusion de μετὰ ταῦτα
a pu causer la perte.

373. Sophocle , Edipe à Colone , 263269 .

Meme texte qu'au n° 187.


Il y a lieu , croyons -nous , d'ajouter une observation critique à
celles que nous a suggérées ce passage. Au lieu de εκφοβεῖ με, peut-
être devrait-on écrire εκφοβεῖς με : le Chcur ne fuit pas OEdipe , il le
chasse .

374. Sophocle , Edipe à Colone, 1424-1426 .

ΑΝΤ . Ὁρᾶς τὰ τοῦδ᾽ οὖν ὡς ἐς ὀρθὸν ἐκφέρει (Tyrwhitt : ἐκφέρεις)


μαντεύμαθ᾽ , ὃς σφῶν θάνατον ἐξ ἀμφοῖν (Blaydes : αὑτοῖν)
θροεῖ. (Nauck supprime tout le vers .)
ΠΟΛ. Χρήζει γάρ · ἡμῖν δ᾽ οὐχὶ συγχωρητέα .
Dans le Laurentianus , les deux dernières lettres de pet (au
troisième vers) sont substituées à deux autres . L'incertitude du
copiste peut avoir eu pour cause la présence dans le texte de quelque
expression rare qu'il n'a pas su comprendre. Elmsley voulait que
χρήζει eut ici le sens de « fatale est » . Cette idée, qui ne parait pas
avoir été jamais exprimée par χρήζει , était peut- être , dans le texte
authentique , par χρῆστιν ου χρή 'στιν , forme rétablie conjecturale-
ment par Sauppe au vers 806 de Théognis , et vraisemblablement
connue de Sophocle, à en juger par le futur χρῆσται , qui se trouve
au vers 504 d'œdipe à Colone. Voir la note de Schneidewin sur ce
vers, et Ellendt , Lexicon Sophocleum, au mot χρή .

375. Sophocle, Edipe Roi , 1074-1076 .

.....Δέδοιχ᾽ ὅπως
μὴ ἐκ τῆς σιωπῆς τῆσδ᾽ ἀναρρήξει κακά.
ΟΙΔ. Ὁποῖα χρήζει ῥηγνύτω.....
124 -

Ὁποῖα χρήζει s'explique mal ; ὁποῖα χρῆστι , au contraire , convien-


drait parfaitement au sens.

376. Sophocle, Philoctète , 268-269 .

Ξὺν ᾗ μ᾿ ἐκεῖνοι , παῖ, προθέντες ἐνθάδε


ᾤχοντ᾽ ἔρημον .
Le mot προθέντες , qui est tout à fait à sa place un peu plus bas, au
vers 274 (ράκη προθέντες βαιά) , nous parait impropre iei . Il faut sans
doute écrire προδόντες ( cf. vers 944) .

377. Sophocle, Philoctete , 621—626 .

ΦΙΛ. Οἴμοι τάλας · ἦ κεῖνος , ἡ πᾶσα βλάβη ,


ἔμ᾽ εἰς Ἀχαιοὺς ὤμοσεν πείσας στελεῖν;
Πεισθήσομαι γὰρ ὧδε και Αδου θανών
πρὸς φῶς ἀνελθεῖν ( Nauck : ἂν ἐλθεῖν) ὥσπερ οὐκείνου πατήρ .
ΕΜΠ . Οὐκ οἶδ᾽ ἐγὼ ταῦτ᾽ · ἀλλ᾽ ἐγὼ μὲν εἶμ᾽ ἐπὶ
ναῦν , σφῶν δ᾽ ὅπως ἄριστα συμφέροι θεός .
On ne voit pas nettement ce que peut designer le mot ταῦτα , dans la
phrase par laquelle commence la réponse du Marchand. Nous pro-
posons Οσ᾽ οἶδ᾽ ἐγὼ ταῦτ᾽ , ce qui équivaut pour le sens à τοσαῦτ᾽
οἶδ᾽ ἐγώ , « J'ai dit tout ce que je sais, Voilà ce que je sais » .

378. Sophocle , Philoctete, 1387.

Ὦ τᾶν, διδάσκου μὴ θρασύνεσθαι κακοῖς .


Apparemment : μὴ θρασύνεσθαι ν κακοῖς . Θρασύνεσθαι va pu faci-
lement devenir θρασύνεσθ᾽ ἐν , et , par correction , θρασύνεσθαι (sans ev) .
L'interprétation du Scholiaste (Μάνθανε , φησί , μὴ ἐν τοῖς κακοῖς
ἐπαίρεσθαι ) parait d'ailleurs se rapporter à la vulgate : autrement, on
ne verrait pas la raison d'être de cette remarque .
Nous avions pensé d'abord ἃ μὴ ᾽νθρασύνεσθαι .

379. Sophocle , Trachiniennes , 1129 .

Hyllus vient de demander avec instances à son père mourant la


permission de lui parler de Déjanire. D'après la vulgate , Hercule
répondrait :
Λέγ᾽ · εὐλαβοῦ δὲ μὴ φανῆς κακός γεγώς.
Au mot superflu γεγώς, peut-être y aurait-il lieu de substituer
λέγων.
380. Sophocle, Antigone , 4—6 .

Οὐδὲν γὰρ οὔτ᾽ ἀλγεινὸν οὔτ᾽ ἄτης άτερ


οὔτ᾽ αἰσχρὸν οὔτ᾽ ἄτιμόν ἐσθ᾽ , ὁποῖον οὐ
τῶν σῶν τε κἀμῶν οὐκ ὄπωπ᾽ ἐγὼ κακῶν .
122 -

C'est une opinion presque universellement accréditée, que la néga-


tion cute ne peut être employée au second membre, si elle n'a trouvé
place dans le premier . Cependant l'autorité du principal manuscrit
de Sophocle contredit , en plusieurs endroits , cette affirmation des
grammairiens (par exemple , dans Électre, 1497 , 1412 ; Ajax, 428 ;
Edipe à Colone, 451 , 496) . Ajoutons que , dans la plupart de ces
passages, les corrections proposées en vue de redoubler outε, ont
quelque chose d'artificiel , ou même gâtent sensiblement le texte
traditionnel . Un autre argument contre la prétendue règle dont il
s'agit , pourrait être tiré des passages corrompus qu'il devient possible
de corriger, si on la considère comme non avenue. Les vers ci-dessus ,
par exemple, sont regardés , pour ainsi dire, unanimement comme
altérés. Cependant, aucune des nombreuses conjectures auxquelles
ils ont donné lieu n'a obtenu l'approbation générale . Nous pensons
qu'il faut écrire :
Οὐδὲν γὰρ οὐκ ἀλγεινὸν οὔτ᾽ ἄτης άτερ
οὐδ᾽ αἰσχρὸν οὔτ᾽ ἄτιμόν ἐσθ᾽ ὁποιονοῦν
ὃ σῶν τε κἀμῶν οὐκ ἔπωπ᾽ ἐγὼ κακῶν .
<< Nihil enim (nobis) non triste ( est) aut infortunii expers ; neque
turpe aut indignum est quidquam quod in tuis meisque non viderim
ego malis . >>
Au troisième vers , % devait nécessairement céder la place à tōv ,
du moment que ὁποιονοῦν était devenu ὁποῖον οὐ.

381. Sophocle , Antigone, 15 .

Ἐπεὶ δὲ φροῦδός ἐστιν Αργείων στρατός .


Sophocle ne dit jamais ppoudós doti , ppoñdoí elo!, l'adjectif ppoŭdog
ayant par lui-même la valeur verbale. Ici , il avait probablement écrit :
яpoūdos v. (Pour l'accentuation de ce dernier mot , voir exercice 75. )
[Ém . Chatelain , élève. ]

382. Sophocle , Antigone , 23-25 .

Ἐτεοκλέα μὲν, ὡς λέγουσι , σὺν δίκη


χρησθεὶς δικαίᾳ καὶ νόμῳ κατὰ χθονός
ἔκρυψε τοῖς ἔνερθεν ἔντιμον νεκροῖς .
Wunder a vu que le second de ces vers provient d'un interpola-
teur. Mais il eût élé essentiel de faire remarquer, en même temps,
que c'est la substitution , dans le vers suivant, de la glose vexpoïç à
x0oví , qui a été l'origine de l'interpolation . Il faut écrire , en biffant
le deuxième vers :
Ετεοκλέα μὲν, ὡς λέγουσι , σὺν δίκῃ
ἔκρυψε τοῖς ἔνερθεν ἔντιμον χθονί.
423 -

383. Sophocle, Antigone , 29-30 .

Ἐᾶν δ᾽ ἄκλαυτον , άταφον , εἰωνοῖς γλυκὺν


θησαυρὸν εἰσορῶσι πρὸς χάριν βορᾶς.
Au lieu de εἰσορῶσι , Dindorf a écrit εἰσερμῶσι : nous préférerions
ἧς ἐρῶσι . La construction serait alors : γλυκὺν θησαυρὸν βορᾶς ἧς ἐρῶσι
πρὸς χάριν οἰωνοῖς , littéralement « Agréable provision de la nourri
ture qu'ils aiment, offerte à l'appétit des oiseaux de proie. »

384. Sophocle, Antigone , 51-52 .

Πρὸς αὐτοφώρων ἀμπλακημάτων διπλᾶς


ἔψεις ἀράξας αὐτὸς αὐτουργῷ χερί .
Nous conjecturons : ἐπ᾿ αὐτοφώρων . Pour cet emploi de ἐπί , on peut
citer, par exemple, Theognis , 203 : Οὐ γὰρ ἐπ᾿ αὐτοῦ Τίνονται μάκαρες
πρήγματος ἀμπλακίας. L'origine de la faute peut être la perte , dans
un ancien manuscrit, de l'è par lequel commençait le premier mot
du vers .

385. Sophocle , Antigone , 61—62 .

Ἀλλ᾽ ἐννοεῖν χρὴ τοῦτο μὲν γυναῖχ᾽ ὅτι


ἔφυμεν, ὡς πρὸς ἄνδρας οὐ μαχουμένα.
Au premier abord , le sens du membre de phrase ὡς πρὸς ἄνδρας οὐ
μαχουμένα parait ne donner lieu à aucune incertitude. Cependant, on
ne sait comment le construire , ni , par conséquent , l'expliquer.
Sophocle avait peut- être écrit : αἷς πρὸς ἄνδρας οὐ μάχης μέτα .

386. Sophocle, Antigone , 77.

Τὰ τῶν θεῶν ἔντιμ᾽ ἀτιμάσασ᾽ ἔχε .


La scholie τὰ παρὰ θεοῖς τίμια ἀτίμαζε nous suggere la conjecture
τὰ τοῖς θεοῖς ἔντιμ ”. Cf. ib. vers 25 : τοῖς ἔνερθεν ἔντιμον .

387. Sophocle, Antigone , 93–94 .

Εἰ ταῦτα λέξεις , ἐχθαρεῖ μὲν ἐξ ἐμοῦ ,


ἐχθρὰ δὲ τῷ θανόντι προσκείσει δίκη .
Προσκείσει ne comporte guère une explication plausible : aussi le
second de ces vers est-il considéré généralement comme altéré . Nous
avions conjecturé d'abord
ἐχθρὰ δὲ τῷ θανόντι πρὸς κάσει Δίκῃ ,
vers dont la construction serait Ἔσει δὲ πρὸς ἐχθρὰ τῷ θανόντι καὶ
Δίκῃ . Cf. , pour la place donnée à καί , Callimaque , épigramme 3 éd.
Meineke (4 , ed . O. Schneider) : ἴσον ἐμοὶ χαίρειν κἄστι (conjecture de
- 124

Haupt, adoptée par Meineke , à la place de ἐστί , legon des mss .) τὸ


μή σε πελᾶν . Mais peut-être y aurait-il lieu de préférer :
Εχθρὰ δὲ τῷ θανόντι , πρὸς δ᾽ἔσει Δίκῃ .

388. Sophocle, Antigone , 175-177.

Αμήχανον δὲ παντὸς ἀνδρὸς ἐκμαθεῖν


ψυχήν τε καὶ φρόνημα καὶ γνώμην , πρὶν ἂν
ἀρχαῖς τε καὶ νόμοισιν ἐντριβὴς φανῇ.
On ne voit pas bien ce que peut signifier ici νόμοισιν ἐντριβής . Nous
conjecturons : θρόνοισιν . Cf. 166 : θρόνων..... κράτη . 173 : κράτη.....
καὶ θρόνους .

389. Sophocle, Antigone , 178–181 .


Ἐμοὶ γὰρ ὅστις πᾶσαν εὐθύνων πόλιν
μὴ τῶν ἀρίστων ἅπτεται βουλευμάτων ,
ἀλλ᾽ ἐκ φόβου του γλῶσσαν ἐγκλήσας ἔχει ,
κάκιστος εἶναι νῦν τε καὶ πάλαι δοκεῖ .
Si l'on observe que ce texte fait suite à celui du nº précédent , on
verra que γάρ , au premier vers, loin de marquer l'enchainement des
idées, ne sert qu'à en troubler l'ordre. Il faut écrire ἐμοὶ μὲν. Voir le
vers 498 de la même tragédie , où pév est employé absolument
comme ici , et les nombreux exemples analogues qui sont réunis dans
le Lexique d'Ellendt , tome II , page 78 .

390. Sophocle , Antigone , 182-183 .

Καὶ μείζον᾽ ὅστις ἀντὶ τῆς αὐτοῦ πάτρας


φίλον νομίζει , τοῦτον οὐδαμοῦ λέγω.
Corrigez : κεί μείζονός τις .

391. Sophocle , Antigone , 220 .


ΧΟΡΟΣ . Οὐκ ἔστιν οὕτω μῶρος ὃς θανεῖν ἐρᾷ .
On s'attendrait à trouver ici Τίς ἐστιν (ou mieux ἔστιν) οὕτω μῶρος.... ;
Et il n'est pas impossible que telle ait été , en effet , la première forme
de ce vers . Les deux lettres I ou plutôt IC peuvent avoir été prises
pour un K (cf. ex . 198 et 255) ; le T pour un Y; l'O, enfin, peut pro-
venir du nom de personnage XO. (XOPOZ) écrit à la gauche du vers.

392. Sophocle , Antigone, 280-281 .

Παῦσαι , πρὶν ὀργῆς καί με corr. de Seidler] μεστῶσαι λέγων,


μὴ 'φευρεθῇς ἄνους τε καὶ γέρων ἅμα.
Nous pensons qu'il convient d'insérer δ ' après μὴ 'φευρεθῇς, et de
modifier la ponctuation comme il suit :
- 125 -
Παῦσαι , πρὶν ὀργῆς καί με μεστῶσαι , λέγων ·
μὴ 'φευρεθῇς δ᾽ ἄνους τε καὶ γέρων ἅμα .

393. Sophocle , Antigone , 726-729 .

ΚΡΕΩΝ . Οἱ τηλικοίδε καὶ διδαξόμεσθα δὴ


φρονεῖν ὑπ᾽ ἀνδρὸς τηλικοῦδε τὴν φύσιν .
ΑΙΜΩΝ . Μηδὲν τὸ μὴ δίκαιον · εἰ δ᾽ ἐγὼ νέος,
οὐ τὸν χρόνον χρὴ μᾶλλον ἢ τἄργα σκοπεῖν .
Scholie sur le troisième vers : Μηδὲν διδάσκου , ὁ μὴ δίκαιόν ἐστί σοι
· μανθάνειν · ἢ μηδὲν ἔστω , ὃ μὴ δίκαιον .
Au lieu de μηδὲν τὸ μὴ δίκαιον , qui ne s'explique pas , nous écririons
sans hésiter : μηδέν γ᾽ ὁ μὴ δίκαιον. Au sujet de cet emploi de γε , on
peut voir G. Hermann , sur Viger, note 296 (« Γε frequens est in
» responsionibus , rei cum aliqua accessione vel limitatione confir-

» mandæ caussa ») .
D'autre part , μηδέν parait incorrect , venant après l'indicatif
διδαξόμεσθα . Peut-être objectera -t- on que cet indicatif tient ici la
place du subjonctif διδασκώμεσθα . Mais , alors , il resterait à se demander
pourquoi Sophocle n'a pas employé de préférence , ou plutôt , s'il n'a
pas dû employer ici cette dernière forme elle-même . Dans ce cas ,
une première faute , διδασκόμεσθα , aurait été l'origine de la legon
actuelle .

394. Sophocle , Antigone , 988–990 .

Θήβης ἄνακτες , ἥκομεν κοινὴν ὁδὸν


δύ᾽ ἐξ ἑνὸς βλέποντε · τοῖς τυφλοῖσι γὰρ
αὕτη κέλευθος ἐκ προηγητοῦ πέλει .
L'idée « Car les aveugles ne peuvent voyager que grâce à un guide,
conduits par un guide » doit , si nous ne nous trompons , avoir été
exprimée comme il suit par Sophocle : Τοῖς τυφλοῖσι γὰρ Αὕτη κέλευθος ,

ἢ ἐκ προηγητοῦ πέλει .
La conjecture de Blaydes, ἡ ἐκ προηγητοῦ , ne differe pas très-sen-
siblement de la nôtre.

395. Sophocle , Antigone , 1168–1171 .

Πλούτει τε γὰρ κατ᾽ οἶκον , εἰ βούλει , μέγα,


καὶ ζῆ τύραννον σχῆμ᾽ ἔχων · ἐὰν δ᾽ ἀπῇ
τούτων τὸ χαίρειν , τἄλλ᾽ ἐγὼ καπνοῦ σκιᾶς
οὐκ ἂν πριαίμην ἀνδρὶ πρὸς τὴν ἡδονήν .
Nous croyons qu'il faut écrire à l'avant-dernier vers , τἄλλ᾽ ἄγω
καπνοῦ σκιᾶς , et supprimer le dernier comme fabriqué par un inter-
polateur , après que έγώ eut pris la place de άγω.
- 126 --

396. Sophocle , Antigone , 1183–1185 .

Ὦ πάντες (Nauck : παρόντες) ἀστοί , τῶν λόγων ἐπῃσθόμην


πρὸς ἔξοδον στείχουσα, Παλλάδος θεᾶς
ὅπως ἱκοίμην εὐγμάτων προσήγορος.
Nous écririons τοῦ λόγων, et ferions suivre προσήγορος d'un point
d'interrogation .

397. Denys de Byzance , XIX , p . 9 , 1. 3—5 .

Ἐπὶ δὲ αὐτῷ , τὸ καλούμενον Αψασιεῖον..... Παρέχει δὲ τῶν ἰχθύων τὴν


καταγωγήν .
L'avant-dernier mot, τὴν , parait avoir pris la place de τισὶν ou τισὶ :
« Ce lieu sert de séjour à certaines espèces de poissons . »

398. Denys de Byzance , XXIII , p . 10 , l . 11—12 .


Δύναιτο δ᾽ ἂν μᾶλλον ἀπὸ (voir exercice 233) τῆς προχώσεως τῶν
ποταμῶν , οἱ συνεχῆ καὶ μαλθακὴν καταφέροντες ἰλύν , ἐλαφρὰν καὶ τενα
γώδη παρέχονται τὴν θάλασσαν.
Συνεχή ..... ἰλύν ne peut signifier qu'une chose , « un lit de fange
non interrompu ». Nous pensons que Denys avait écrit plutôt :
συνεχῶς μαλθακὴν καταφέροντες λύν.

399. Denys de Byzance , XXIII , p . 11 , l . 12—14 .

Ιχθύων τε ὅσον ἐπίμικτον θαλάσσῃ καὶ ποταμοῖς ὑποφωλεύει τῇ τοῦ


Κέρατος ἡσυχία , νωθρὸν ἅμα καὶ ἀργὸν ἐπ᾽ εὐτροφίας λιχνεύει τὴν κατὰ
βυθοῦ ῥίζαν.
Nous proposons : ὑπ᾽ εὐτροφίας . La faute a élé déjà signalée par
Miller (Journal des Savants, mars 1874) .

400. Denys de Byzance , XXVIII , p . 14 , l . 1—2 .


Ἐπὶ δὲ τούτῳ , Νικαίου βωμὸς ἥρωος · καὶ περιαγὲς ἠρέμα χωρίον ,
ἰχθύων θήρας ἐκδόχιον, καὶ Νέος βόλος ὡς εὕρηται λεγόμενος .
La traduction de Gilles « Et locus qui dicitur Neosbolos » n'est
exacte que si cet interprète a eu sous les yeux une variante xal 5
Νέος βόλος. Cette variante serait d'ailleurs inadmissible pour plusieurs
raisons : d'abord , la parenthese ὡς εὕρηται aurait , des lors , quelque
chose de singulier ; secondement , il est peu vraisemblable que Denys
de Byzance, contrairement à ses habitudes, ait mentionné ici un lieu
sans en dire le nom ; enfin , on ne saurait admettre qu'il ait nommé
un autre lieu, le Νέος βόλος , sans dire si c'était une plage, un golfe, ou
un promontoire. Il y a pourtant une faute dans le ms . de Paris :
c'est λεγόμενος , que la syntaxe ordonne de remplacer par λεγόμενον.
- 127 ---

401. Denys de Byzance, XXXII , p . 15 , l . 3—5 .


Καθ᾽ ὁ δὴ λήγει μὲν τὸ Κέρας , ἄρχεται δὲ ὁ τοῦ Πόντου προκείμενος
ἰσθμὸς , εἰς ἀναπεπταμένην ἤδη καὶ πολλὴν τὴν Προποντίδα βλέπον ἀκρω
τήριον .
Ἐστίν étant nécessairement sous-entendu à côté de ἀκρωτήριον , il
faut écrire καθ᾿ ὃ δέ ( cf. p . 12 , 1. 3) au lieu de καθ᾽ ὁ δή , pour que
la phrase se rattache bien au contexte . Le voisinage de la syllabe
λη explique la faute . Cf. 240 .

402. Denys de Byzance , XLIX , page 19 , lignes 15–16 .


Μετὰ δὲ τὸ Ἀρχεῖον , πολὺς καὶ εἰς βάθος διερρωγὼς ἀπανίσταται
κρημνός.
Vraisemblablement : ἐπανίσταται. Cf. quelques lignes plus haut
(1. 8-9 de la même page) : τοῖς ἐπανισταμένοις..... λόφοις συγκλειόμενον.

403. Denys de Byzance , L , p . 20 , I. 8—9 .


Γείτων δ᾽ αὐτῷ Παράβολος , ἀπὸ τῆς ἀνωμαλίας του πελάγους κινδυνευ-
ομένης άγρας.
L'altération est évidente : mais on peut hésiter entre plusieurs
corrections . Nous avions conjecture d'abord : ἀπὸ τῆς ἀνωμαλίᾳ τοῦ
πελάγους κινδυνευομένης ἄγρας. (Pour l'absence de l'article τῇ devant
ἀνωμαλία , voir exercice 252. Mais peut-être vaudrait-il mieux écrire :
ὑπὸ τῆς ἀνωμαλίας του πελάγους κινδυνευομένης <τῆς ἄγρας. Cf.
CVII , p. 33 , 1. 4-2 : Ἄκραι Ροιζοῦσαι λεγόμεναι , τοῦ περὶ αὐτὰς ἀγνυμέ
νου καὶ ῥοιζοῦντος κύματος .

404. Denys de Byzance , LI , p . 20 , 1. 12—13 .


Ἔνθεν Κάλαμος καὶ Βυθίας · ὁ μὲν ἀπὸ τοῦ πλήθους · ὁ δὲ ..... ἀπὸ τοῦ
βυθοῦ κατὰ περιτροπὴν ὠνόμασται .
Corrigez : κατὰ παρατροπήν , « par dérivation » .

405. Denys de Byzance, LIII , p . 20 , 1. 17—18 ; et XLIX,


pages 19-20 .
Μεθ᾿ ὃν ἄκρα προτενής , πολὺν ἐγκολπιζομένη λιμένα , καὶ παχεῖ τῷ
προσπίπτοντι κρημνῷ τὰς βορείους τῆς θαλάττης πληγὰς ἀμυνομένη .
Μετὰ δὲ τὸ ᾿Αρχεῖον , πολὺς καὶ εἰς βάθος διερρωγὼς ἐπανίσταται
(voir ex . 402) κρημνός · προσπίπτων δὲ τῇ τῆς ἄκρας ὑπεροχῇ, πρῶτος
ἀθρέαν ἐκδέχεται τοῦ πελάγους τὴν ὕβριν , ῥοώδει κοπτόμενος θαλάσσῃ .
Ecrivez , dans le premier passage : τῷ προπίπτοντι κρημνῷ . Et dans
le second : πρεπίπτων δὲ τῇ τῆς ἄκρας ὑπεροχῇ πρῶτος κτλ. Cf. p. 3,
1. 45 : ( άκρα) ..... προπίπτουσα..... τῆς πόλεως. Ρ. 16 , 1. 46 : προπίπτων
κρημνός . Ρ. 19 , 1. 9 : τοῖς ἐπανισταμένοις καὶ προπίπτουσιν ἐπὶ τὴν
θάλατταν λόφοις . Ρ . 33 , 1. 47 : ἄκρα προπίπτει .
- 128 -

406. Denys de Byzance , C ; p . 34 , l . 13 .


Μεθ᾿ ὃν ἄλλος ὅρμος Φιέλα Χαλκηδονίων τῶν μέγα δυνηθέντων ἀνδρῶν.
Nous proposons : Φιέλα, Χαλκηδονίων ( ου Χαλκηδονίου ?) τῶν μέγα
δυνηθέντων ἀνδρός. Le sens serait : « Ensuite vient une autre rade, la
rade dite de Phiélas , lequel fut un puissant personnage parmi les
Chalcédoniens . >>

407. Denys de Byzance , CIX ; p . 33 , l . 13—14 .


..... διανοούμενον ἐς Ταύρους εἰς Ἰφιγένειαν περαιοῦσθαι τὴν ἀδελφήν.
La répétition de eiç ou és a déjà par elle-même quelque chose de
suspect. Mais il y a plus : εἰς , devant les noms qui , comme Ιφιγέ-
νειαν , désignent une personne unique , n'est admissible , du moins
avec ce sens, que chez les poëtes. Nous proposons : ἐπ᾽ Ἰφιγένειαν ,
<< pour aller chercher Iphigénie. »

408. Denys de Byzance , CX ; p . 34 , 1. 2—7 .


Καὶ κίων λίθου λευκού , καθ᾿ ἧς βοῦς, Χάρητος Αθηναίων στρατηγού
παλλακὴν Βοΐδιον ἐνταῦθα καμοῦσαν ἀποκηδεύσαντος · σημαίνει δὲ ἡ
ἐπιγραφὴ τοῦ λόγου ταληθές · οἱ μὲν γὰρ εἰκαίαν καὶ ἀταλαίπωρον ποιού-
μενοι τὴν ἱστορίαν , οἴονται τῆς ἀρχαίας λήξεως εἶναι τὴν εἰκόνα , πλεῖστον
ἀποπλανώμενοι τἀληθοῦς .
Sans doute : οἴονται τῆς ἀρχαίας νήξεως εἶναι τὴν εἰκόνα , « 115
croient que cette image représente l'antique passage à la nage (du
Bosphore par une vache : cf. VII , p . 5 , l . 10-14 ) . »
Il est permis de supposer que ceux qui n'avaient pas vu l'inscrip-
tion, n'avaient pas vu non plus l'image , ou l'avaient mal regardée ' .

1. Voici encore quelques observations concernant Denys de Byzance.


Elles ont toutes rapport aux pages 3 et 4 (ch. III - VI) , dont plusieurs pas-
sages ont déjà été discutés soit dans ce fascicule même , soit dans la
Revue Critique du 13 juin 1874 : - Τοῦτ ' ἔστιν αὖθις (W. εὐθὺς) ἀρχή (?). Η
αὖθις ἀρχή est dans Platon, Timée , p. 48 E. — Φέρεται δὲ ὁ ῥοῦς ἕλικα πορείαν,
καὶ καθ᾿ ὃ πρῶτον ἐφίησι τῶν χωρίων ἡ φύσις , ἀθροῦς ἐλαυνόμενος σχίζεται περὶ τὴν
Βοσπόριον ἄκραν. Le sens parait demander que l'on transporte le mot
πρῶτον devant ἀθρούς, en le faisant suivre de δέ. — Ασφαλὴς δὲ ὅσα λιμήν· ἐν
κύκλῳ μὲν, ὄρεσι καὶ λόφοις ἀπὸ ( ? W. & πρὸ τῶν πνευμάτων (en conservant à
la ligne suivante ποταμοῖς au lieu de ποταμοί, legon du ms. signalée par
Miller. Par le limon dont il s'agit, les navires étaient préservés des chocs
dangereux). - Ἔστι δ' αὕτη τῇ θαλάττη πᾶσα est à corriger. - Εννένευκε
δὲ ἐπὶ τὴν θάλατταν. Sans doute νένευκε , ou ἐπινένευκε : peut- être ἐπινένευκε δὲ
πρὸς. — Πλὴν οὐκ ἀθρόως ἀπὸ τοῦ Θρᾳκίου τείχους ἠρέμα... ἀποκλίνεται. Nous
proposons : Πλὴν οὐκ ἀθρόως <ἀλλ'> ἀπό.... - Καὶ τοὐντεῦθεν ἐπ' ἀμφοτέραν
πεδία γῆς τὴν θάλατταν . Faut-il écrire ἐπ' ἀμφότερον πεδιὰς εἰς τὴν θάλατταν?
Les mots suivants, Ηδε πᾶσαν περιρρεῖ τὴν πόλιν, empêchent qu'on n'écrive
ἐπ' ἀμφοτέραν πεδιώδης τὴν θάλατταν.
Nous conjecturons encore : P. 6 , 1. 5-6, πρὸς τὴν εὐτέλειαν. - 15, 7-8 : καὶ
κάλλους τοῦ φυτοῦ . -
— 18 , 15 : καὶ τῆς ἐξαισίου γενέσεως.
129 -

409. Hérodote , I , 82¹ .

Ἔς τε δὴ ὧν τὰς ἄλλας ἔπεμπε συμμαχίας καὶ δὴ καὶ ἐς Λακεδαίμονα .

1. La plupart des conjectures sur Hérodote qui vont suivre , soit dans le
texte ci-dessus, soit dans cette note additionnelle , ont trouvé place dans
mes Morceaux choisis d'Hérodote à l'usage des classes (Paris , Hachette,
1874). Je regrette de ne pouvoir donner à la justification de ces conjec-
tures, desquelles je me suis engagé à rendre compte ici même , autant
de développement que je voudrais . Plusieurs paraîtront peut-être aux
bons juges des expédients d'éditeur, plutôt que des corrections propre-
ment dites. J'ai voulu que ce recueil, destiné à de tout jeunes lecteurs ,
ne contînt rien que je ne comprisse ou ne crusse comprendre moi-même
parfaitement : que ce soit là mon excuse. Livre I, ch . 27, ligne 10 de
l'édition critique de Stein : j'ai retranché, dans l'intérêt des élèves , le
mot inintelligible ἀρώμενοι . Je vois que Gobet, dans l'appendice conside-
rable qu'il a joint à ses Variae Lectiones (2º édition , Leyde, 1873), travail
que j'ai pu consulter seulement alors que mon édition, faite pendant
les vacances, était presque entièrement imprimée, a entrepris de faire
disparaître le même mot au moyen d'une correction méthodique. — Livre
I, ch . 30, lignes 15-16 : καὶ σοφίης [εἵνεκεν τῆς σῆς] καὶ πλάνης . - 1 , 35, 7 : καθάρ
σιος ἐδέετο ἐπικυρῆσαι ? - 1 , 41 , 25 : κλῶπες [κακοῦργοι] ἐπὶ δηλήσι. 1, 44, 24-
25 : [τὸν αὐτὸν τοῦτον ὀνομάζων θεόν] . — Ι , 51 , 7-9 : τῶν τῷ χρυσέῳ ἐπιγέγραπται ,
Λακεδαιμονίων φαμένῳ εἶναι ἀνάθημα , οὐκ ὀρθῶς λεγόμενα · ἔστι γάρ κτλ. Cobet
corrige autrement . — I , 71 , 14-15 : [Πέρσησι γὰρ, πρὶν Λυδοὺς καταστρέψασθαι ,
ἦν οὔτε ἁβρὸν οὔτε ἀγαθὸν οὐδέν .] - 1, 77, 23 : ἐνένωτο, que j'ai cru devoir
retrancher dans l'intérêt des élèves , ne peut-il provenir d'un grammai-
rien qui faisait dépendre directement παρεῖναι ἐς χρόνον ῥητόν de ἐν νόῳ
ἔχων ? - 1 , 77, 3 . ὅσος ἦν αὐτοῦ ξεινικός ? — 1 , 78 : ἐς τῶν Ἐξηγητέων Τελμησσέων
(pour l'emploi de l'article dans cette locution, cf. I , 113 , 6 : ἐς τοῦ Ἁρπάγου.
V, 51 : ἐς τοῦ Κλεομένεος. Quant à Ἐξηγητέων , nous voyons dans ce mot
un adjectif ethnique , destiné à déterminer de quels Telmessiens il s'agit.
-- 1 , 80 , 20 : προέταξε τῆς ἄλλης στρατιῆς [προϊέναι ] πρὸς τὴν Κροίσου ἵππον.
1, 81 , 17-18 : οἱ μὲν γὰρ πρότεροι διεπέμποντο . - 1 , 82 , 23-1 : περὶ χῶρον καλεό
μενον Θυρέας · τὰς γὰρ Θυρέας ταύτας κτλ . Une première faute , χώρου καλεομέ-
vou , a produit la vulgate . - — 1 , 83 , 9 : τοιούτων δὴ . - 1 , 84 , 21 : κατὰ τοῦτο
(devant τῆς ἀκροπόλιος) parait être une glose empruntée à la ligne suivante.
– 1 , 85, 21-23 : ἁλισκομένου δὲ τοῦ τείχεος,... Κροῖσος μέν μιν ὁρέων ἐπιόντα . --
1, 89 , 9-11 . J'ai omis, dans l'intérêt des élèves, le membre de phrase καὶ
σύ τέ σφι ..... τὰ χρήματα , qui dérange évidemment la suite des idées : le
retranchement de και et la transposition de σύ τε σφι ..... τὰ χρήματα après
ἑκόντες προήσουσι rendraient le passage completement satisfaisant. ---- I,
90, 14-15 : ἀναρτημένου σε ἀνδρὸς βασιλέος χρηστὰ [ἔργα καὶ ἔπεα] ποιέειν. Je me
suis rencontré avec Dobree en ce qui concerne la première correction ;
la seconde m'en parait un complément nécessaire . - 1 , 91 , 17 : Παραγα-
γεῖν Μοίρας (de faire prendre le change aux déesses de la destinée). Avec
μοίρας , nom de chose , Particle serait nécessaire . -- 1 , 91 , 19 : καὶ οὕτω
ἐπιστάσθω ? -– 1 , 96 , 8 : ὅτι τῷ ἀδίκῳ τὸ ἄδικον πολέμιόν ἐστι ? I, 97, 2-3 :
οὐδὲ ὑπ᾽ ἀνομίης ἀεὶ ἄστατοι ? ἔτι ἄστατοι ? - — Ι , 110, 19-20 : οὔνομα δὲ τῇ γυναικὶ
ἦν [ τῇ συνοίκεε] . — 1 , 111 , 14-15 : ὅ τι οὐκ ἐωθός (leçon primitive du ms. A) ?
9
--- 130 --

Τοῖσι δὲ καὶ αὐτοῖσι τοῖσι Σπαρτιήτῃσι κατ᾿ αὐτὸν τοῦτον τὸν χρόνον συν
επεπτώκεε ἔρις ἐοῦσα πρὸς Ἀργείους.

ὅτι οὐκ ἐωθώς ? - - 1, 120 , 23-24 : οἳ τὸ ἐνύπνιόν οἱ τότε ἔκριναν. -· 1, 120, 6 : έτε-
λέωσε · ποιήσας [ καὶ] γὰρ δορυφόρους. — Ι , 132, 4-5 : ἑωυτῷ μὲν δὴ [τῷ θύοντι]
ἰδίῃ μούνῳ οὐκ [οἱ] ἐγγίνεται . 1 , 132 , 9 : τὸ peut provenir du commence-
ment du mot suivant τρίφυλλον. — 1 , 137, 16-17 : μηδὲ αὐτὸν τὸν βασιλέα
μηδένα φονεύειν, μήτε..... ( Pour la justification , voyez notre exercice critique
380) . - 1 , 137, 1. Le sens demanderait, ce semble , ἤτοι ὑποβολιμαίων ἐόντα
ἢ μοιχιδίων. -- 1, 194 , 13-14 : καὶ καλάμης πλήσαντες πᾶν τὸ λοιπὸν , οὕτω ἀπιεῖσι.
– 1 , 204 , 15-16 : καὶ ἐποτρύνοντα ἦν τὸ δοκέειν πλέον τι εἶναι ἀνθρώπου , πρῶτον
μὲν ἡ γένεσις, δεύτερα δέ..... - 1 , 205, 5 : διαπορθμευσόντων . -- 1 , 206, 12 : σὺ δὴ
εἰ μεγάλως ..... -— 1 , 207, 11-12 : ὅσον < ἂν, supplément du à Gobet> εἰ διαβὰς
ἐς τὴν ἐκείνων νικῶν , [Μασσαγέταις] ἔποιο φεύγουσι. - 1 , 207 , 17. Διεξίωσι ne
saurait se défendre, quoi qu'en ait dit Dobree ; et ὑπεξίωσι, proposé par
Stein, serait une correction téméraire. Peut- être Hérodote avait-il employé
ici le verbe (inconnu d'ailleurs) διεσίωσι (cf. pour l'accent, ἀπίῃ , de ἀφίημι) ,
ou plutôt, pour suivre Forthographe de Stein, διεσιέωσι (de διεσίημι ) . — 1 ,
207, 19-20 : ἀγαθῶν τε Περσικῶν [ἄπειροι] καὶ καλῶν μεγάλων ἀπαθέες , « étrangers
aux aisances de la vie des Perses et à leur grand luxe » . — 1 , 209, 8 : ἔλθω ,
ἐκεῖ σύ μοι .
11 , 77 , 14-15 : εἰσὶ μέντοι καὶ ἄλλως. --· 11 , 77 , 16-17 : τῶν ὡρέων..... είνεκεν ,
ὅτι οὐ μεταλλάσσουσι [ αἱ ὧραι] . -- 11, 80, 4 : καὶ ἐσιοῦσι ἐξ ἕδρης..... -- - II , 83 , 4 :
Λητοῦς ἐν Βουτοῖ πόλι [ ἐστί] . - 11 , 118 , 9-10 : οὕτω δὴ πιστεύσαντες [ τῷ λόγῳ
τῷ πρώτῳ] . -— ΙΙ , 141 , 9-10 : ἔχειν , παραχρησαμένων τῶν μαχίμων Αἰγυπτίων ,
ὡς..... (?) .
ΙΙΙ , 14 , 25 : ἡγεόμενον <τὴν> ἐπὶ θάνατον. ΙΙΙ , 14 , 20-22 : καὶ ταῦτα ὡς
ἀπενειχθέντα ὑπὸ τούτου εὖ δοκέειν σφι εἰρῆσθαι , ἤδη λέγεται ὑπ᾽ Αἰγυπτίων δακρύειν .
- - ΙΙΙ, 14 , 25-1 : ἀπολευμένων ? - ΙΙΙ, 28, 23-24 . Cobet écrit ἄγειν d'après un
ms .: la legon la mieux autorisée , ἀπάγειν , pourrait conduire encore
à conjecturer ἀγαγεῖν. - 111, 52, 14. Je tiens ἐν αὐτοῖσι pour altéré. -– 111 ,
53, 6 : οὐ νόον ὥρα (voir les variantes) ? - III, 77, 19 : [τοὺς ἔσχοντας] . – 111,
79, 9-10 : κατ ' οίκους [ἑωυτοὺς οἱ Μάγοι] ἔχουσι τὴν ἡμέρην ταύτην. Cf. VI, 39, 19.
- - 111 , 80 , 5 : διαβολάς γε ου δή) ? ΙΙΙ , 130 , 6 : ἐνθαῦτα δὴ ἐὼν. III, 130 ,
17-18 : φιάλη τοῦ χρυσοῦ ἐν θήκῃ ? -- — III, 136, 12 : τὰ πολλὰ αὐτῆς <καὶ καλὰ>
καὶ ὀνομαστὰ ? Ou bien faut-il se borner à supprimer τὰ ? — 111, 136, 13-14 :
ἐκ ῥηστώνης τῆς ἐς Δημοκήδεα ? — - 111 , 140 , 7 : ἔξω δὲ χρέος, εἴ τι , ἦν οὐδὲν ἀνδρὸς
Ἕλληνος ? (ἔξω rappellerait alors les campagnes de Darius à l'époque ou il
n'était pas encore roi , par conséquent , le temps qui avait précédé son
avénement au trône .) — - 111, 160, 8-9 : [οὐδὲ τῶν ὕστερον γενομένων] οὐδὲ τῶν
πρότερον.
IV , 94 , 5-6 : [ἐντελλόμενοι] . - 1V , 95 , 16-17 : ὧδε δὲ ἐγὼ πυνθάνομαι ? (Voir
pourtant, dans Stein, les exemples qui paraissent confirmer la vulgate).
– IV, 96 , 14-15 : [περὶ μὲν τούτου καὶ τοῦ καταγαίου οἰκήματος] ? -1V, 127, 10-11 :
ἔφυγον [οὔτε πρότερον] οὔτε νῦν σὲ φεύγω. ( Voyez notre exercice critique 380).
– 1V, 129, 14 : τὸ δὲ τοῖσι Πέρσησί τε εἶναι (ou ἐν ?) σύμμαχον. - 1V, 132, 16-17.
J'ai inséré ἱπταμένῳ devant ἵππῳ dans l'intérêt du sens , en ayant soin
d'ajouter que l'attribution de cette forme au dialecte d'Hérodote est
hasardée.
V, 29, 9-10 : ἴδοιεν <ἅμα> ἀνεστηκυίῃ τῇ χώρῃ ? -V, 91 , 9-10. Il ne manque
131 -

Les mots τοῖσι Σπαρτιήτησι ne doivent être qu'une glose de τοῖσι .....
καὶ αὐτοῖσι , expression parfaitement suffisante, après ἐς Λακεδαίμονα ,
pour désigner les Lacédémoniens.

à la leçon du ms. d'Urbin , une fois admis l'amendement d'Eltz, que d'être
mieux autorisée . J'ai essayé d'améliorer la vulgate en substituant ἐπ-
ικόμενοι ἢ ἀπικόμενοι. - V, 92 α, 23-1 : τύραννον καταστησάμενοι [παρὰ σφίσι
αὐτοῖσι] . Voir la note de Stein.
VI , 13, 1-3 : οἱ Σάμιοι ὧν ὁρέοντες ἅμα μὲν ἐοῦσαν ἀταξίην πολλὴν ἐκ τῶν Ἰώνων
ἐδέκοντο τοὺς λόγους , ἅμα δὲ κατεφαίνετό σφι εἶναι ἀδύνατον τὰ βασιλέος πρήγματα
ὑπερβαλέσθαι , εὖ τε ἐπιστάμενοι..... Telle est la leçon de la famille PRz , qui
nous parait ici, par exception , devoir etre préférée, si ce n'est qu'il faut
peut- être retrancher κατεφαίνετο. Pour la construction de ὁρᾶν avec
le participe et l'infinitif successivement , cf. I , 209 , 16-18 et 2-4. - VI ,
109, 14 : ἔλπομαί τινα τάραξιν (d'ou, par corruption, τάξιν, puis, par correc-
tion, στάσιν) ? - VI , 111 , 9-14 : ἔχοντες τὸ εὐώνυμον κέρας Πλαταιέες. [ Ἀπὸ ταύτης
γάρ σφι ..... ἐν τῷ Μαραθῶνι] . Ἐγένετο < δέ > τοιόνδε τι . — VI, 115 , 2 : αἰτίη δὲ
ἔσχε ἐν Ἀθηναίοισι . Voir les variantes. - VI, 116 , 11 : ἀνοκωχεύσαντες.
VII, 101 , 15 : [μὴ ἐόντες ἄρθμιοι] ? - VII, 103, 16 (εἰ τὸ πολιτικὸν ὑμῖν πᾶν ἐστι
τοιοῦτον οἷον σὺ διαιρέεις) , et 18-21 (εἰ γὰρ κείνων ἕκαστος..... ὁ παρὰ σέο λεγό-
μενος) . C'est dans l'intérêt des élèves qu'ont été retranches ces deux
membres de phrase , qui font allusion à des conversations antérieures ,
non rapportées par Hérodote. Il me semble d'ailleurs que la suite des
idées gagne, plutôt qu'elle ne perd , à cette suppression. - VII, 103, 24 :
ἐπεὶ φέρε ἴδω πάλιν [τῷ οἰκότι] ? -— VII, 103 , 8-9 : καὶ ἂν ἰσωθέντας (legon com-
mune aux deux familles de mss.) - VII , 103, 10. J'écrirais aujourd'hui,
avec Stein, παρ᾽ ἡμῖν μὲν μούνοισι τοῦτό ἐστι, bien que les mots μὲν μούνοισι
manquent dans la famille principale . - VII, 104 , 5-6 : ἐλεύθεροι γὰρ ἐόντες
οὐκ [πάντα] ἐλεύθεροί εἰσι · ἔπεστι γάρ σφι δεσπότης νόμος . -— VII, 104 , 6-7 : ὑπερ-
δειμαίνουσι ? (cf. V, 19 , 25 : cependant ὑποδειμαίνειν se rencontre , employe
comme ici, chez des écrivains de l'époque romaine). — VII , 139, 12-13 :
τἀληθές peut provenir d'une note approbative, ἀληθές, écrite en marge par
un lecteur, et précédée du signe de renvoi +. - VII, 157, 5 : τὰ γὰρ ἐπιόντα .
VII , 158 , 23-24 : λόγον <μὲν δίκαιον , νόον δ'> ἔχοντες πλεονέκτην. -- VII ,
158, 4 : ὧν représente ici , non les εμπόρια dont il est question dans la
phrase précédente , mais les ἐμπόρια , en général . Si je n'ai pas trouvé
d'abord la solution de cette difficulté, on me saura gré du moins d'avoir
été (sauf erreur) le premier à la signaler. -— VII , 158 , 7-8 : ἀλλὰ (εὖ γὰρ
ἡμῖν καὶ ἐπὶ τὸ ἄμεινον κατέστη) νῦν δὴ ἐπείτε …… .. Δή, écrit par un correcteur
au-dessus de dé, peut avoir été substitué ensuite , non à ce dernier mot,
mais à τε. On pourrait encore songer à supprimer νῦν δέ. —VII, 160, 9-10.
Nous avons ponctué : ἡμεῖς τι ὑπείξομεν [τοῦ ἀρχαίου λόγου] , εἰ τοῦ μὲν πεζοῦ ὑμεῖς
ἡγέοισθε , τοῦ δὲ ναυτικοῦ ἐγώ ( nous vous ferons une concession , à savoir que
vous commandiez.....) . Τοῦ ἀρχαίου λόγου est inadmissible à cause de ὁ
λόγος, qui précède. ― VII, 161 , 8 : οὐκ ὄνειδος οὐδὲ ἀτιμίη ἐστὶ λέγειν ταῦτα . -
VII, 209, 13-14 : πρὸς βασίλειάν τε [καὶ καλλίστην] πόλιν ( « reginam urbem »).
- VII , 217, 5-7 : [ἡ μὲν γὰρ κάτω ἐσβολή..... Λεωνίδῃ ἐφύλασσον] . — VII, 220,
12 : ταύτῃ δὲ καὶ μᾶλλον. — VII, 220, 24 (oracle) : ἄστυ τρικυδές (mot d'ailleurs
inconnu) ? – VII , 221 , 15 : ἀπέλειπε. — VII, 223, 8-9 : τὸ μὲν γὰρ ἔρυμα τοῦ
τείχεος <τέως> ἐφυλάσσετο , οἱ δὲ [ἀνὰ τὰς προτέρας ἡμέρας ] προεξιόντες ἐς τὰ
- 132 -

440. Hérodote , I , 91 .

Τὸν δὲ πρὸς ταῦτα χρῆν εὖ μέλλοντα βουλεύεσθαι ἐπείρεσθαι πέμψαντα


κότερα τὴν ἑωυτοῦ ἢ τὴν Κύρου λέγοι ἀρχήν . Οὐ συλλαβὼν δὲ τὸ ῥηθὲν
οὐδ᾽ ἐπανειρόμενος ἑωυτὸν αἴτιον ἀποφαινέτω .
Au lieu du présent éπavelρóµevoç , le sens demande un aoriste. Nous
pensons qu'il faut rétablir avspóp.evos. Il est vrai qu'on ne cite
pas d'exemples de cet aoriste second dans Hérodote . Mais Homère,
chez qui le présent est sipop.at , comme chez Hérodote, emploie les
formes popa , èpoíuny, épéσ0αt . La correction arbitraire d'un gram-
mairien peut être l'origine de la faute que nous supposons.

411. Hérodote , I , 91 .

Τῷ καὶ τὸ τελευταῖον χρηστηριαζομένῳ εἶπε τὰ εἶπε Λοξίης περὶ ἡμιόνου ,


OûdÈ TOŬTO GUvéλa6e. (Cette phrase fait suite au texte de l'exercice pré-
cédent. )
Stein , qui a rétabli la vraie ponctuation de ce passage , a eu tort
de supprimer les mots à eine , sur la foi d'un seul manuscrit d'im-
portance secondaire, alors que l'omission de ces mots à la suite de
εe n'est, selon toute apparence, dans ce manuscrit, qu'un lapsus
des plus faciles à expliquer. Le sens nous paraît exiger : Tò dè xai tò

στεινόπορα ἐμάχοντο . - VII , 228 , 5-6 : ěžw † tòv µávtiv ? Il faudrait voir alors
dans les mots remplacés une glose afférente au commencement de la
phrase suivante τὸ δὲ τοῦ μάντιος Μεγιστίεω.
VIII, 52, 19-21 . Je me bornerais aujourd'hui à insérer une virgule devant
καὶ τοῦ φράγματος προδεδωκότος , de telle façon que le sens soit « Meme
quand ce rempart leur eut manqué ». VIII, 65, lignes 12-13 (de la page
- VIII , 70, 17 : ἐπεγίνετο . —
311 ) : γενέσθαι νέφος , τὸ μεταρσιωθὲν φέρεσθαι . — - VIII,
74, 19-20 : περὶ [τῶν] αὐτῶν (au sujet de la situation, des affaires présentes) ?
VIII , 80, 1-2 : καὶ οὐ πείσω [ὡς οὐ ποιεύντων τῶν βαρβάρων ταῦτα] . — VIII ,
85, 5 : xai xúpn ¿dwpńîn πoday (leçon d'un ms .) .— VIII , 86. Voyez exerc. 420.
- VIII, 87, 16 : οὐκ ἔχω <ἔξω ἢ> μετεξετέρους εἰπεῖν. -VIII, 90, 19 : ἅτε δὲ
(se trouve à la marge d'un ms. , et a été proposé , avec hésitation , par
Schweighæuser) : o provient de te on , qui se lit deux lignes plus haut.
- VIII, 92, 14-15 : ἐμβάλλουσα .
J'ai mentionné ici tous les passages que j'ai corrigés par conjecture
dans le petit travail dont il s'agit, sans me juger, d'ailleurs, tenu de
citer mes conjectures mêmes, lorsque j'ai cru pouvoir y substituer, après
plus mûre réflexion , quelque chose de plus plausible ; encore moins les
suppressions ou modifications que j'ai cru devoir faire pour des raisons
étrangères à la philologie. En revanche , quelques-unes des remarques
qui précèdent portent sur des passages où le texte de mon édition ne
diffère en rien de celui de la vulgate.
E. T.
- 133 -

τελευταῖον χρηστηριαζομένῳ εἶπε [τὰ εἶπε Λοξίης περὶ ἡμιόνου] , οὐδὲ τοῦτο
συνέλαβε . Les mots τὸ τελευταῖον dépendront de χρηστηριαζομένῳ.

412. Hérodote , I , 97.

Ἐούσης ὧν ἁρπαγῆς καὶ ἀνομίης ἔτι πολλῷ μᾶλλον ἀνὰ τὰς κώμας ἢ
πρότερον ἦν , συνελέχθησαν οἱ Μῆδοι ἐς τωὐτὸ καὶ ἐδίδοσαν σφίσι λόγον ,
λέγοντες περὶ τῶν κατηκόντων . Ὡς δ᾽ ἐγὼ δοκέω , μάλιστα ἔλεγον οἱ τοῦ
Δηιόκεω φίλοι . « Οὐ γὰρ δὴ τρόπῳ τῷ παρεόντι χρεόμενοι δυνατοί εἶμεν
οἰκέειν τὴν χώρην , φέρε στήσωμεν ἡμέων αὐτῶν βασιλέα . »
Ponctuez : Καὶ ἐδίδοσαν σφίσι λόγον, λέγοντες περὶ τῶν κατηκόντων
(ὡς δ᾽ ἐγὼ δοκέω , μάλιστα ἔλεγον οἱ τοῦ Δηιόκεω φίλοι) · « Οὐ γὰρ δὴ,
κτλ. »
4.13 . Hérodote , 1 , 98 .

Τοῦ μὲν δὴ πρώτου κύκλου οἱ προμαχεῶνές εἰσι λευκοί , τοῦ δὲ δευτέρου


μέλανες , τρίτου δὲ κύκλου φοινίκεοι , τετάρτου δὲ κυάνεοι , πέμπτου δὲ
σανδαράκινοι . Οὕτω πάντων τῶν κύκλων οἱ προμαχεῶνες ἀνθισμένοι εἰσὶ
φαρμάκοισι · δύο δὲ οἱ τελευταῖοί εἰσι ὁ μὲν καταργυρωμένους , ὁ δὲ κατα
κεχρυσωμένους ἔχων τοὺς προμαχεῶνας .
Au lieu de οὕτω πάντων τῶν κύκλων, Stein fait observer , avec raison ,
que le sens demanderait plutôt soit τούτων πάντων τῶν κύκλων , soit
οὕτω τῶν πέντε κύκλων . Pour notre part , nous considérons tout ce
membre de phrase comme une glose afférente au passage entier.

4.14 . Herodote , I , 109 .

Ἡ δὲ πρὸς αὐτὸν λέγει · « Νῦν ὧν τί σοὶ ἐν νόῳ ἐστὶ ποιέειν ; » Ὁ δὲ


ἀμείβεται · « Οὐ τῇ ἐνετέλλετο Αστυάγης , οὐδ᾽ εἰ παραφρονήσει τε καὶ
μανέεται κάκιον ἢ νῦν μαίνεται , οὐ οἱ ἔγωγε προσθήσομαι τῇ γνώμη οὐδὲ
ἐς φόνον τοιοῦτον ὑπηρετήσω. Πολλῶν δὲ εἵνεκα οὐ φονεύσω μιν , καὶ ὅτι
αὐτῷ μοι συγγενής ἐστι ὁ παῖς, καὶ ὅτι Αστυάγης μέν ἐστι γέρων καὶ
ἄπαις ἔρσενος γόνου · εἰ δὲ κτλ .
Nous écririons : Οὐδὲ ἐς φόνον τοιοῦτον ὑπηρετήσω, πολλῶν δὴ εἵνεκα
[οὐ φονεύσω μιν] , καὶ ὅτι ..... La substitution d'un point à la virgule
qui devait suivre ὑπηρετήσω , et celle de δέ ά δή peuvent suffire a
rendre compte de l'intrusion .

415. Hérodote , I , 111 .

Ὦ γύναι , εἶδόν τε ἐς πόλιν ἐλθὼν καὶ ἤκουσα τὸ μήτε ἰδεῖν ὄφελον μήτε
κοτὲ γενέσθαι ἐς δεσπότας τοὺς ἡμετέρους.
L'emploi de opeλov comme mot invariable, équivalant pour le sens
au latin utinam, ne saurait être attribué à un écrivain aussi ancien
134 -

qu'Hérodote . On est donc forcé de suppléer , avec Stein , la troisième


personne ὄφελε devant γενέσθαι . Il nous parait plus vraisemblable
que ὄφελον doit céder la place à ἤθελον . Cf. I , ch . 32 : Πολλὰ μὲν ἔστι
ἰδεῖν τὰ μή τις ἐθέλει .

416. Hérodote , I , 115 .

Οἱ μέν νυν ἄλλοι παῖδες τὰ ἐπιτασσόμενα ἐπετέλεον , οὗτος δὲ ἀνη-


κούστεέ τε καὶ λόγον εἶχε οὐδένα , ἐς ὃ ἔλαβε τὴν δίκην .
Stein reconnait que le sens qu'on est forcé d'attribuer aux trois
derniers mots diffère complètement de l'acception usuelle : il se borne
d'ailleurs, pour justifier la vulgate, à en rapprocher l'expression
ironique τὸν μισθὸν λαβεῖν , qui est employée ailleurs (III , 45 , VIII ,
90) par Hérodote , pour signifier « Recevoir sa punition » . Cela prouve-
t-il qu'une expression qui veut dire partout « punir » ait pu être
prise exceptionnellement dans le sens de « être puni » ? Et ne vaut-il
pas mieux voir dans τὴν δίκην une glose de τὸν μισθόν .

417. Herodote, 1 , 116 .

Ἐπεὶ δὲ ὑπελέλειπτο ὁ βουκόλος , μοῦνος μουνωθέντα τάδε αὐτὸν εἴρετο


ὁ Ἀστυάγης κόθεν λάβοι τὸν παῖδα .
La lecon μουνωθέντα nous parait , comme à Stein, devoir etre pre-
férée à la variante μουνόθεν. Mais il y a lieu de modifier la ponclua-
tion ainsi qu'il suit, en rejetant le mot parasite αὐτόν : Ἐπεὶ δὲ
ὑπελέλειπτο ὁ βουκόλος μοῦνος , μουνωθέντα τάδε [αὐτὸν] εἴρετο ὁ Ἀστυά-
γης. En effet, Poffice que remplit ici le participe μουνωθέντα est
précisément de suppléer l'accusatif du pronom de la troisième
personne . Cf. par exemple , I , 120 : Ἐκάλες τοὺς αὐτοὺς τῶν Μάγων οἱ
τὸ ἐνύπνιον ..... ἔκριναν · ἀπικομένους δὲ εἴρετο ὁ ᾿Αστυάγης τῇ ἔκριναν οἱ
τὴν ὄψιν . VI , 125 : Καί μιν Κροῖσος ..... μεταπέμπεται ἐς Σάρδις,
ἀπικόμενον δὲ δωρέεται .

418. Hérodote , I , 207 .

Τούτοισι ὢν τοῖσι ἀνδράσι τῶν προβάτων ἀφειδέως πολλὰ κατακόψαντας


καὶ σκευάσαντας προθεῖναι ἐν τῷ στρατοπέδῳ τῷ ἡμετέρῳ δαῖτα , πρὸς δὲ
καὶ κρητῆρας ἀφειδέως οἴνου ἀκρήτου καὶ σιτία παντοῖα .
Τῶν προβάτων ἀφειδέως κατακόψαντας suffit pour exprimer l'idée
<< ayant égorgé du petit bétail en grande quantité , une quantité
considérable de petit bétail » . Le mot inutile λλá nous parait devoir
étre supprimé.
135 -

419. Hérodote , I , 212 .

Απληστε αἵματος Κῦρε , μηδὲν ἐπαερθῇς τῷ γεγονότι τῷδε πρήγματι ,


εἰ ἀμπελίνῳ καρπῷ , τῷπερ αὐτοὶ ἐμπιπλάμενοι μαίνεσθε οὕτω ὥστε κατ-
ιόντος τοῦ οἴνου ἐς τὸ σῶμα ἐπαναπλώειν ὑμῖν ἔπεα κακὰ , τοιούτῳ φαρμάκῳ
δολώσας ἐκράτησας παιδὸς τοῦ ἐμοῦ, ἀλλ᾽ οὐ μάχῃ κατὰ τὸ καρτερόν .
Les mots τοῦ οἴνου , venant à la suite de la périphrase ἀμπελίνῳ
καρπῷ , ne peuvent être d'Hérodote. D'autre part , κατιόντος , employé
sans substantif qui s'y rapporte, ne pouvait guère manquer d'être
commenté ainsi par un grammairien .

420. Hérodote , II , 25 , et VIII , 86 .

ΙΙ , 25. Ὁ δὲ Νεῖλος ἐὼν ἀνομβρος, ἑλκόμενος δὲ ὑπὸ τοῦ ἡλίου , μοῦνος


ποταμῶν τοῦτον τὸν χρόνον οἰκότως αὐτὸς ἑωυτοῦ ῥέει πολλῷ ὑποδεέστερος
ἢ τοῦ θέρεος .
VIII , 86. Καίτοι ἦσαν γε καὶ ἐγένοντο ταύτην τὴν ἡμέρην μακρῷ ἀμεί
νονες αὐτοὶ ἑωυτῶν ἢ πρὸς Εὐβοίῃ , πᾶς τις προθυμεόμενος καὶ δειμαίνων
Ξέρξην , ἐδόκεε τε ἕκαστος ἑωυτὸν θηήσεσθαι βασιλέα.
Ἢ τοῦ θέρεος, dans la première phrase , dans la seconde , ἢ πρὸς
Εὐβοίῃ , ne peuvent être que des gloses destinées à expliquer αὐτὸς
ἑωυτοῦ , αὐτοὶ ἑωυτῶν .
Ajoutons que, dans la phrase du VIIIe livre , les mots γε καὶ ἐγένοντο
paraissent provenir simplement d'une indication de variante, ainsi
congue : γρ. (c.-à-d . γράφεται ) καὶ ἐγένοντο . Hérodote dit plus souvent
ἀγαθὸν γίνεσθαι que ἀγαθὸν εἶναι , dans le sens de « se conduire brave-
ment . » De là une glose qui fut prise ensuite pour une variante.
Nous écririons donc : Καίτοι ἦσαν ταύτην τὴν ἡμέρην .....

421. Hérodote , II , 115 .

Εἰρώτα τὸν ᾿Αλέξανδρον ὁ Πρωτεὺς τίς εἴη καὶ ὁκόθεν πλώοι . Ὁ δέ


οἱ καὶ τὸ γένος κατέλεξε καὶ τῆς πάτρης εἶπε τὸ οὔνομα, καὶ δὴ καὶ τὸν
πλέον ἀπηγήσατο ὁκέθεν πλώοι .
Nous voyons dans les deux derniers mots de cette seconde phrase
une glose empruntée à la fin de la première.

422. Hérodote , II , 175 .

Αὕτη (à savoir ἡ στέγη) τοῦ ἱροῦ κέεται παρὰ τὴν ἔσοδον · ἔσω γάρ
μιν ἐς τὸ ἱρόν φασι τῶνδε εἵνεκα οὐκ ἐσελκύσαι . Τὸν ἀρχιτέκτονα αὐτῆς
ἑλκομένης τῆς στέγης ἀναστενάξαι , οἷά τε χρόνου ἐγγεγονότος πολλοῦ καὶ
ἀχθόμενον τῷ ἔργῳ , τὸν δὲ Ἄμασιν , ἐνθυμιστὸν ( Cobet et Stein : ἐνθύμιον)
ποιησάμενον , οὐκ ἐᾶν ἔτι προσωτέρω ἑλκύσαι .
136 -

Il faut apparemment écrire : Τὸν ἀρχιτέκτονα αὐτῆς , ἑλκομένης [τῆς


στέγης] , ἀναστενάξαι .

423. Hérodote , III , 50 .

Τέλος δέ μιν περὶ θυμῷ ἐχόμενος ὁ Περίανδρος ἐξελαύνει ἐκ τῶν οἰκίων.


Il ne saurait suffire, pour corriger cette phrase , de substituer ,
avec Schæfer , πέρι (ainsi accentué à περί . Nous pensons qu'un
copiste avait écrit ici , par anticipation , les premières lettres du mot
Περίανδρος ; et que ces lettres , bien qu'elles fussent vraisemblablement
ponctuées, furent transcrites à tort par les copistes suivants .
Les deux passages de Procope , cités par Stein , semblent venir à
l'appui de notre conjecture .

424. Hérodote , III , 51 .

Ὁ δὲ ὅκως ἀπελαυνόμενος ἔλθοι ἐς ἄλλην οἰκίην , ἀπηλαύνετ᾽ ἂν καὶ


ἀπὸ ταύτης , ἀπειλέοντός τε τοῦ Περιάνδρου τοῖσι δεξαμένοισι καὶ ἐξέργειν
κελεύοντος · ἀπελαυνόμενος δ᾽ ἂν ἤιε ἐπ᾽ ἑτέρην τῶν ἑταίρων · οἱ δὲ ἅτε
Περιάνδρου ἐόντα παῖδα, καίπερ δειμαίνοντες, ὅμως ἐδέκοντο .
Τῶν ἑταίρων est absurde . Pour s'expliquer l'introduction de ces
mots dans le texte , on peut admettre qu'un copiste avait écrit εταίρην
au lieu de ἑτέρην : d'ou la glose τῶν ἑταίρων, destinée à expliquer que
le mot ἑταίρην n'était pas pris ici dans son sens ordinaire , et signi-
fiait << une maison appartenant à ses amis. » Dans cette hypothèse ,
le rétablissement de la vraie leçon étépry aurait été une conséquence
de l'intrusion. Peut- être encore les mots τῶν ἑταίρων proviennent-ils,
par corruption , d'une glose τὴν ἑτέρων , « la maison habitée par
d'autres personnes » , glose écrite au-dessus de ἑτέρην , en vue de
justifier le sujet pluriel ci dé , par lequel commence la phrase suivante..
De toute façon , il faut certainement corriger : ἐπ᾽ ἑτέρην [ τῶν ἑταίρων] .

425. Hérodote , III , 53 .

Ὁ δὲ ὑποκρινάμενος ἔφη οὐδαμὰ ἥξειν ἐς Κόρινθον , ἔστ᾽ ἂν πυνθάνηται


περιεόντα τὸν πατέρα . Απαγγειλάσης δὲ ταύτης ταῦτα , τὸ τρίτον Περίαν
δρος κήρυκα πέμπει βουλόμενος αὐτὸς μὲν ἐς Κέρκυραν ἥκειν , ἐκεῖνον δὲ
ἐκέλευε ἐς Κόρινθον ἀπικόμενον διάδοχον γίνεσθαι τῆς τυραννίδος . Καται
νέσαντος δὲ ἐπὶ τούτοισι τοῦ παιδὸς , ὁ μὲν Περίανδρος ἐστέλλετο ἐς τὴν
Κέρκυραν , ὁ δὲ παῖς οἱ ἐς τὴν Κόρινθον .
Si le fils de Périandre avait déclaré qu'il ne reviendrait pas à
Corinthe , tant qu'il saurait περιεόντα τὸν πατέρα , son père n'aurait pu
lui donner satisfaction , et obtenir son retour, qu'à la condition de
s'ôter la vie. Nous voyons cependant que Périandre se borna à s'éloi-
- 137 -

gner de Corinthe : donc , Hérodote avait écrit παρεόντα τὸν πατέρα ,


« que son père fut présent » (en ce lieu , c. -à-d . , habitât Corinthe . )

426. Hérodote , III , 75 .

Καὶ δὴ ἔλεγε τὸν μὲν Κύρου Σμέρδιν ὡς αὐτὸς ὑπὸ Καμβύσεω ἀναγκα
ζόμενος ἀποκτείνειε , τοὺς Μάγους δὲ βασιλεύειν. Πέρσῃσι δὲ πολλὰ ἐπαρη-
σάμενος εἰ μὴ ἀνακτησαίατο ὀπίσω τὴν ἀρχὴν καὶ τοὺς Μάγους τισαίατο ,
ἀπῆκε ἑωυτὸν ἐπὶ κεφαλὴν φέρεσθαι ἀπὸ τοῦ πύργου κάτω .
Ce ne sont point les deux Mages , mais seulement celui des deux
qui s'appelait Smerdis, que les Perses avaient jusque-là confondu
avec Smerdis , fils de Cyrus : outre que c'était à lui seul qu'apparte-
nait le titre de roi. Il faut done, dans la première phrase, substituer
τὸν Μάγον à la vulgate τους Μάγους. Le voisinage des mots καὶ τοὺς
Μάγους τισαίατο peut avoir contribué , ainsi qu'une confusion déjà
signalée (exercice 207) , à induire le copiste en erreur.

427. Hérodote , III , 130 .

Τοὺς ἀποπίπτοντας ἀπὸ τῶν φιαλέων στατῆρας ἑπόμενος ὁ οἰκέτης ,


τῷ οὔνομα ἦν Σκίτων , ἀνελέγετο , καί οἱ χρῆμα πολλόν τι χρυσοῦ συν-
ελέχθη .
Il n'a pas été question de ce domestique dans ce qui précède. Le sens
exige donc, aussi bien que la syntaxe, que l'on retranche ó, comme
provenant d'une digraphie de la première lettre d'οἰκέτης. Ajoutons
que le texte pouvait porter , antérieurement : Επόμενος οἰκέτης <τις>.

428. Hérodote , III , 142 .

Un Samien répond à Méandrios , qui vient d'abdiquer la tyrannie:


Ἀλλ᾿ οὐδ᾽ ἄξιος εἰς σύ γε ἡμέων ἄρχειν , γεγονώς τε κακῶς καὶ ἐὼν
ὄλεθρος · ἀλλὰ μᾶλλον ὅκως λόγον δώσεις τῶν μετεχείρισας χρημάτων.
Εἶς n'est sans doute qu'une faute diotacisme pour ἧς : ce qui ne
veut pas dire que lui-même ne puisse avoir été substitué par un
grammairien à čas, à supposer que telle soit , dans le dialecte d'Héro-
dote, la vraie forme de cette seconde personne .

429. Hérodote , III , 157.

Οἱ δὲ Βαβυλώνιοι ὁρέοντες ἄνδρα τὸν ( variante : τῶν ἐν Πέρσῃσι


δοκιμώτατον ῥινός τε καὶ ὤτων ἐστερημένον.....
Hérodote n'a dit nulle part que Zopyre fût l'homme le plus consi-
dérable qu'il y eût alors en Perse. Il s'est borné à l'appeler en passant
ἄνδρα δοκιμώτατον, expression dont on aura ici l'équivalent , si l'on
rétablit ἄνδρα τῶν ἐν Πέρσῃσι δοκιμωτάτων .
- 138 www

430. Hérodote , IV , 134 .

Gobryès conseille à Darius de renoncer à son expédition contre les


Scythes , qui se sont dérobés par la fuite à toutes ses attaques , et
qui viennent en dernier lieu de rompre leurs rangs , sous les yeux
de l'armée perse , pour se mettre à la poursuite d'un lièvre.
Ὦ βασιλεῦ , ἐγὼ σχεδὸν μὲν καὶ λόγῳ ἐπιστάμην τούτων τῶν ἀνδρῶν
τὴν ἀπορίην, ἐλθὼν δὲ μᾶλλον ἐξέμαθον , ὁρέων αὐτοὺς ἐμπαίζοντας ἡμῖν.
Corrigez : ρέω δὲ αὐτοὺς ἐμπαίζοντας ἡμῖν .

431. Hérodote, V , 92 ß .

Καὶ οὗτοι Βακχιάδαι καλεόμενοι ἔνεμον τὴν πόλιν , ἐδίδοσαν δὲ καὶ


ἤγοντο ἐξ ἀλλήλων.
Stein fait remarquer avec raison que l'expression consacrée par
l'usage pour signifier « donner en mariage » n'est pas διδόναι , mais
bien ἐκδιδόναι (οι ἐκδίδοσθαι) , qu'Hérodote lui-même a employé dans
deux passages (I , 496 ; IV, 143) . L'omission de la préposition ΕΞ
est ici assez facile à expliquer, pour qu'il y ait lieu de rétablir
ἐξεδίδοσαν .

432. Hérodote , V, 92 y.

Καὶ δοκέουσά σφεας φιλοφροσύνης τοῦ πατρὸς εἵνεκεν αἰτέειν , φέρουσα


ἐνεχείρισε αὐτῶν ἑνί.
Φιλοφροσύνης τοῦ πατρός est au moins equivoque . Pour exprimer
l'idée qu'il avait certainement dans l'esprit, Hérodote aurait pu dire
ὥστε φιλοφρονέεσθαι τὸν πατέρα : s'il a mieux aimé la rendre au moyen
d'un substantif, on peut croire qu'il avait écrit : φιλοφρονήσιος τοῦ
πατρὸς εἵνεκεν .

433. Hérodote , VI , 129 .

Ὡς δὲ ἀπὸ δείπνου ἐγίνοντο , οἱ μνηστῆρες ἔριν εἶχον ἀμφί τε μουσικῇ


καὶ τῷ λεγομένῳ ἐς τὸ μέσον . Προϊούσης δὲ τῆς πόσιος κατέχων πολλὸν
τοὺς ἄλλους ὁ Ἱπποκλείδης ἐκέλευσέ οἱ τὸν αὐλητὴν αὐλῆσαι ἐμμελείην ,
πειθομένου δὲ τοῦ αὐλητέω ὠρχήσατο .
Au lieu de κατέχων , qu'on interprète detinens , « tenant sous le
charme » , le sens demande un mot qui signifie « éclipsant » ou
« surpassant » : car c'est d'une lutte (ἔρις) qu'il s'agit. On ne peut
guere songer àa ὑπερέχων : car l'archétype des manuscrits qui nous
ont conservé le texte d'Hérodote , manuscrits dont un , au moins ,
remonte au dixième siècle , devait être écrit, selon toute apparence,
en onciale ; et nous avons déjà vu (exercice 317) que l'emploi des
- 139 -
sigles pour représenter les prépositions est généralement borné, dans
cette écriture , aux annotations marginales. Il nous parait plus vrai-
semblable qu'Hérodote avait écrit κρατέων πολλόν , « l'emportant de
beaucoup sur » . Cf. même livre , ch. 14 : πολλὸν ἐλασσωθήσεσθαι .

434. Hérodote , VII , 136 .

Πρῶτα μὲν τῶν δορυφόρων κελευόντων καὶ ἀνάγκην σφι προσφερόντων


προσκυνέειν βασιλέα προσπίπτοντας , οὐκ ἔφασαν ὠθεόμενοι ὑπ᾽ αὐτῶν ἐπὶ
κεφαλὴν ποιήσειν ταῦτα οὐδαμά .
Οὐκ ἔφασαν ὠθεόμενοι , sans οὐδέ , a choqué Valckenaer ; et il a fait
observer que l'insertion de cette particule entre ἔφασαν et ὠθεόμενοι
remédierait au vice du passage . On obtiendra le même sens en rem-
placant οὐκ ἔφασαν par οὐδ᾽ ἔφασαν.

435. Hérodote , VII , 139 .

Νῦν δὲ Ἀθηναίους ἄν τις λέγων σωτῆρας γενέσθαι τῆς ῾Ελλάδος οὐκ ἂν


ἁμαρτάνοι ..... Οὗτοι γὰρ ἐπὶ ὁκότερα τῶν πρηγμάτων ἐτράποντο , ταῦτα
ῥέψειν ἔμελλε .
Corrigez : ἐπὶ ὁκότερα τῶν πρηγμάτων τράποιντο .

436. Hérodote, VII, 161 .

Μάτην γὰρ ἂν ὧδε πάραλον Ἑλλήνων στρατὸν πλεῖστον εἴημεν έκτη


μένοι , εἰ Συρηκοσίοισι ἐόντες Ἀθηναῖοι συγχωρήσομεν τῆς ἡγεμονίης ,
ἀρχαιότατον μὲν ἔθνος παρεχόμενοι , μοῦνοι δὲ ἐόντες οὐ μετανάσται
Ἑλλήνων .
Ἔθνος nous parait avoir pris la place de γένος. Il est possible que
le mot vos fût écrit comme glose entre les lignes d'un manuscrit. Et
il n'était pas absolument nécessaire que le copiste l'eût sous les yeux
pour l'avoir présent à la pensée , au moment où il transcrivait les
mots ἀρχαιότατον γένος παρεχόμενοι .

437. Hérodote , VII , 210 .

Ὡς δ᾽ ἐσέπεσον φερόμενοι ἐς τοὺς Ἕλληνας οἱ Μῆδοι , ἔπιπτον πολλοὶ ,


ἄλλοι δ᾽ ἐπεσήισαν , καὶ οὐκ ἀπελαύνοντο (variantes moins bien auto-
risées : ἀπηλαύνοντο , ἀπήλαυνον) καίπερ μεγάλως προσπταίοντες . Δῆλον
δ᾽ ἐποίευν παντί τεῳ καὶ οὐκ ἥκιστα αὐτῷ βασιλέϊ , ὅτι πολλοὶ μὲν ἄνθρωποι
εἶεν , ὀλίγοι δὲ ἄνδρες .
Stein a bien vu qu'il y a non-seulement incohérence , mais contra-
diction, entre la première phrase et la seconde. Il croit se tirer de
cette difficulté en supposant que la dernière partie de la première
- 140 -
phrase a été insérée par Hérodote , postérieurement à la première
rédaction de son histoire. Mais , comment il a pu échapper à Hérodote
que cette addition le mettait en contradiction avec lui- même , c'est
ce qu'il n'eut pas été superflu d'expliquer .
Il nous paraît plus naturel d'admettre que l'historien avait écrit
καὶ οὐκ ἀπεπαύοντο , « et cet envoi de renforts ne discontinuait pas ».

438. Hérodote, VII , 220 .

Λέγεται δὲ ὡς αὐτός σφεας ἀπέπεμψε Λεωνίδης , μὴ ἀπόλωνται κηδέ


μενος · αὐτῷ δὲ καὶ Σπαρτιητέων τοῖσι παρεοῦσι οὐκ ἔχειν εὐπρεπέως
ἐκλιπεῖν τὴν τάξιν ἐς τὴν ἦλθον φυλάξοντες ἀρχήν.
Ce passage nous paraît défectueux en deux endroits . D'abord , on
ne voit pas bien à quoi peut servir ἐς (devant τὴν ἦλθον φυλάξοντες) ,
si ce n'est à rendre la phrase moins régulière en dépossédant φυλά-
ξοντες de son complément naturel. D'autre part , l'auteur avait di
indiquer que l'idée exprimée par οὐκ ἔχειν εὐπρεπέως était celle de
Leonidas et de ses compagnons. Nous proposons : Αὐτῷ δὲ καὶ Σπαρ
τιητέων τοῖσι παρεοῦσι οὐκ ἔχειν εὐπρεπέως < δοκέειν> ἐκλιπεῖν τὴν
τάξιν [ἐς] τὴν ἦλθον φυλάξοντες ἀρχήν. Δοκέειν serait ici un présent de
narration équivalant à l'aoriste dé ; la faute s'expliquerait par
l'accumulation des infinitifs à désinence identique.

439. Hérodote, VIII , 53 .

Ταύτῃ ἀνέβησαν τινες κατὰ τὸ ἱρὸν τῆς Κέκροπος θυγατρὸς Ἀγλαύρου ,


καίτοι περ ἀποκρήμνου ἐόντος τοῦ χώρου .
Nous écririons : καίπερ ἀποκρήμνου ἐόντος. On peut admettre que
καίτοι , mot fréquemment employé pour καίπερ dans la basse grécité ,
ayant pris la place de la leçon authentique, ep fut ensuite rétabli
entre les lignes ou à la marge.
Nous voyons que καίπερ ( sans τοι ) est la legon du Romanus, legon
qui , d'ailleurs, doit être elle-même purement conjecturale : du
moins , la part de la tradition nous parait très-faible , ainsi qu'à
Stein, dans les variantes propres à ce manuscrit.

440. Hérodote, VIII, 83 .

Προηγόρευε εὖ ἔχοντα μὲν ἐκ πάντων Θεμιστοκλέης , τὰ δὲ ἔπεα ἦν πάντα


κρέσσω τοῖσι ἥσσοσι ἀντιτιθέμενα , ὅσα δὴ ἐν ἀνθρώπου φύσι καὶ καταστάσι
ἐγγίνεται. Παραινέσας δὲ τούτων τὰ κρέσσω αἱρέεσθαι , καὶ καταπλέξας
τὴν ῥῆσιν , ἐσβαίνειν ἐκέλευε ἐς τὰς νέας .
Nous conjecturons : Τὰ δὲ ἔπεα ἦν πάντα < περὶ τὰ> κρέσσω , τοῖσι
ἥσσοσι ἀντιτιθέμενα ὅσα δὴ κτλ. Proprement : « Et son discours roulait
- 141 -

tout entier sur la vertu , sur les résolutions viriles, opposées aux
faiblesses qui sont inhérentes à la nature humaine » .

441. Hérodote , VIII , 84 .

Οἱ μὲν δὴ ἄλλοι Ἕλληνες ἐπὶ πρύμνην ἀνεκρούοντο καὶ ὤκελλον τὰς


νέας.
C'est arbitrairement , ce semble , que Bekker a supprimé le mot
ἐπί : car la locution connue πρύμνην ἀνακρούεσθαι n'avait que faire
d'une telle glose. On comprendrait mieux qu'un grammairien, ayant .
sous les yeux l'expression plus brève et moins explicite ἀνεκρούοντο
οι ἀνέκρουόν τε [conjecture d'Eltz] , eut cru devoir en éclaircir le sens
au moyen des mots ἐπὶ πρύμνην .

442. Hérodote , VIII , 96 .

Ὥστε ἀποπλησθῆναι (Dietsch : ἀποπεπλῆσθαι) τὸν χρησμόν τόν τε


ἄλλον πάντα τὸν περὶ τῆς ναυμαχίης ταύτης εἰρημένον Βάκιδι καὶ Μουσαίῳ ,
καὶ δὴ καὶ κατὰ τὰ ναυήγια τὰ ταύτῃ ἐξενειχθέντα τὸ εἰρημένον πολλοῖσι
ἔτεσι πρότερον τούτων ἐν χρησμῷ Λυσιστράτῳ Ἀθηναίῳ ἀνδρὶ χρησμο-
λόγῳ, τὸ ἐλελήθες πάντας τοὺς Ἕλληνας.
La suppression des mots καὶ Μουσαίῳ , proposée par Stein , ne
fait disparaitre , comme il l'a vu lui-même , qu'une des difficultés de
ce passage. On peut bien admettre que καὶ Μουσαίῳ provient d'une
glose ἢ Μουσαίῳ ; mais il faudrait , du même coup , attribuer une
origine analogue aux mots πολλοῖσι ἔτεσι πρότερον τούτων ἐν χρησμῷ
Λυσιστράτῳ Ἀθηναίῳ ἀνδρὶ χρησμολόγῳ . Cette conjecture supposerait
que l'oracle de Bacis cité plus haut par Hérodote (VIII , 77) n'a été
reproduit par lui qu'incomplétement .
Il vaut mieux, pensons-nous , en conservant καὶ Μουσαίῳ , admettre
que l'article év a été inséré à tort dans le premier membre de phrase,
et qu'il faut écrire [τον] χρησμόν [τόν] τε ἄλλον πάντα [τὸν] περὶ τῆς
ναυμαχίης ταύτης εἰρημένον . L'hypothese serait invraisemblable , si les
trois intrusions devaient nécessairement être imputées à la même
main. Elle cesse de l'étre , si l'on suppose qu'un copiste avait d'abord
inséré tov, par inadvertance, à une seule des trois places indiquées :
en effet, il n'en fallait pas davantage pour qu'un grammairien
introduisît ensuite le même mot aux deux autres endroits .

443. Hérodote , IX , 78 .

Lampon exhorte Pausanias à venger sur le cadavre de Mardo-


nius loutrage fail autrefois a celui de Léonidas : « Λεωνίδεω γὰρ
ἀποθανόντος ἐν Θερμοπύλησι Μαρδόνιός τε καὶ Ξέρξης ἀποταμόντες
!

442 -

τὴν κεφαλὴν ἀνεσταύρωσαν · τῷ σὺ τὴν ὁμοίην ἀποδιδοὺς ἔπαινον ἕξεις


πρῶτα μὲν ὑπὸ πάντων Σπαρτιήτεων , αὖτις δὲ καὶ πρὸς τῶν ἄλλων
Ἑλλήνων · Μαρδόνιον γὰρ ἀνασκολοπίσας τετιμωρήσεαι ἐς πάτρων τὸν
σὸν Λεωνίδην . »
Nous corrigeons : Τοῖσι τὴν ὁμοίην ἀποδιδούς.
Dans le dernier membre de phrase , la leçon des manuscrits, τετι-
μώρησαι , nous parait devoir etre rétablie ; le sens est , si nous ne
nous trompons : « Tu t'es vengé (c'est-à-dire ici , tu te seras vengé :
cf. Sophocle , Philoctete, v . 76) de lui , en ce qui regarde ton oncle. »

4.44 . Hérodote, IX , 79 .

Ἐξαείρας γάρ με ὑψοῦ καὶ τὴν πάτρην καὶ τὸ ἔργον , ἐς τὸ μηδὲν κατά
έβαλες (ou plutôt κατέβαλλες, conjecture de Stein) παραινέων νεκρῷ
λυμαίνεσθαι .
Nous conjecturons : μεν ὑψοῦ .

445. Euripide , Hippolyte , 261-263 .


Βιότου δ᾽ ἀτρεκεῖς ἐπιτηδεύσεις
φασὶ σφάλλειν πλέον ἢ τέρπειν
τῇ θ' ὑγιείᾳ (Nauck : τ᾽ εὐσοίᾳ) μᾶλλον πολεμεῖν .
Au génitif βιότου , nous pensons qu'il y a lieu de substituer l'accu-
satif βίοτον , qui dépendra des verbes σφάλλειν et τέρπειν .
Ajoutons que ἐπιτηδεύσεις parait se rapprocher , ici , pour le sens
d'une des acceptions de l'adjectif ἐπιτήδειος . Nous interpréterions :
« Les attachements, les affections . >>

446. Thucydide , I , 36 .

Βραχυτάτῳ δ᾽ ἂν κεφαλαίῳ ..... τῷδ᾽ ἂν μὴ προέσθαι ἡμᾶς μάθοιτε ·


τρία μὲν ὄντα λόγου ἄξια τοῖς Ἕλλησι ναυτικὰ , τὸ παρ᾽ ὑμῖν καὶ τὸ
ἡμέτερον καὶ τὸ Κορινθίων , τούτων δ᾽ εἰ περιόψεσθε τὰ δύο ἐς ταὐτὸν
ἐλθεῖν καὶ Κορίνθιοι ἡμᾶς προκαταλήψονται , Κερκυραίοις τε καὶ Πελοποννή
σίοις ἅμα ναυμαχήσετε · δεξάμενοι δὲ ἡμᾶς ἕξετε πρὸς αὐτοὺς πλείοσι
ναυσὶ ταῖς ἡμετέραις ἀγωνίζεσθαι .
Boehme, dont nous reproduisons ici la ponctuation , fait remarquer
que cette phrase embarrassée se continuerait très-régulièrement, sans
les mots τούτων δ ' ; et il en rapproche Xénophon, Cyropédie, V, 4 ,
54 : τρία ὄντα τῶν Σύρων φρούρια , ἓν μὲν αὐτῶν ἔλαβε . IV , 5 , 37 : καινὰ
γὰρ ἡμῖν ὄντα τὰ παρόντα , πολλὰ αὐτῶν ἐστιν ἀσύντακτα. Ces exemples
mêmes nous paraissent suggérer la correction dont le passage a
besoin. Ce n'est pas τούτων δ ' qui est de trop , mais seulement le
dernier de ces mots.
- 143

447. Thucydide , I , 37 .

Κἂν τούτῳ τὸ εὐπρεπὲς ἄσπονδον οὐχ ἵνα μὴ ξυναδικήσωσιν ἑτέροις


προβέβληνται , ἀλλ᾽ ὅπως κατὰ μόνας ἀδικῶσι .
On verra par la note de Poppo que les mots καν τούτῳ ont été
diversement expliqués : c'est qu'en réalité ils ne sont pas susceptibles
d'une interprétation à la fois grammaticale et raisonnable. Il nous
parait très-probable que Thucydide avait écrit κἀπὶ τούτῳ , expression
où il faudrait voir alors un antécédent de tva . Cf. par exemple, Xéno-
phon , Anabase, VII , 6 , 16 : Ἀλλ᾽, οἶμαι , εἰ ἐδίδου , ἐπὶ τούτῳ ἄρ᾽
ἐδίδου , ὅπως ἐμοὶ δοὺς μεῖον μὴ ἀποδοίη ὑμῖν τὸ πλεῖον .

448. Thucydide , I , 43 .

Ἡμεῖς δὲ περιπεπτωκότες οἷς ἐν τῇ Λακεδαίμονι αὐτοὶ προείπομεν ,


τοὺς σφετέρους ξυμμάχους αὐτόν τινα κολάζειν , νῦν παρ᾽ ὑμῶν τὸ αὐτὸ
ἀξιοῦμεν κομίζεσθαι .
Οἷς ἐν τῇ Λακεδαίμονι αὐτοὶ προείπομεν se rattache mal à περιπεπτω
κότες. De ce dernier mot dépendait sans doute , à l'origine, un membre
de phrase aujourd'hui perdu . Nous écririons : Ἡμεῖς δὲ περιπεπτω
κότες < οἶσπερ ὑμεῖς τότε> , ὃ καὶ ἐν τῇ Λακεδαίμονι αὐτοὶ προείπομεν .... ,
νῦν παρ᾽ ὑμῶν τὸ αὐτὸ ἀξιοῦμεν κομίζεσθαι , « nous trouvant aujourd'hui
dans une situation pareille à celle où vous étiez alors , nous vous
demandons de tenir à notre égard la conduite que nous avons con-
seillée nous-mêmes dans l'assemblée des Lacédémoniens (alors qu'il
s'agissait de vous) . » La substitution de οἷς ὁ ὃ καί s'expliquerail,
d'un côté, par la ressemblance de KAI et de IC , dans une certaine
écriture onciale , de l'autre , par l'omission du membre de phrase
dépendant de περιπεπτωκότες .
Ajoutons que la conjecture de Dobree et de Cobet , tendante à sup-
primer τοὺς σφετέρους ξυμμάχους αὐτόν τινα κολάζειν (cf. ib . ch . 40) ,
nous semble tout à fait plausible.

449. Thucydide , I , 73 .

Τὰ δὲ Μηδικὰ καὶ ὅσα αὐτοὶ ξύνιστε , εἰ καὶ δι᾽ ὄχλου μᾶλλον ἔσται ἀεὶ
προβαλλομένοις, ἀνάγκη λέγειν . Καὶ γὰρ ὅτε ἐδρῶμεν , ἐπ᾽ ὠφελίᾳ ἐκιν
δυνεύετο , ἧς τοῦ μὲν ἔργου μέρος μετέσχετε, τοῦ δὲ λόγου μὴ παντὸς, εἴ
τι ὠφελεῖ, στερισκώμεθα .
La conjecture de Classen , ἀεὶ προβαλλόμενα , ne nous parait point
methodique. Faut-il écrire δι᾿ ὄχλου μᾶλλον <τις> ἔσται ἀεὶ προβαλ
λόμενος ? Ce qui nous parait sur , c'est que ὅτε ἐδρῶμεν , au commen-
cement de la phrase suivante, doit être remplacé par ὅ τι ἐδρῶμεν ,
<< les choses, quelles qu'elles soient, que nous avons faites . >>
444 -

450. Thucydide , I , 124 .

Ἀλλὰ νομίσαντες ἐς ἀνάγκην ( variante ἐπ᾽ ἀνάγκην ἀρῖχθαι , ὦ ἄνδρες


ξύμμαχοι , καὶ ἅμα τάδε ἄριστα λέγεσθαι , ψηφίσασθε τὸν πόλεμον .
L'expression ἐπ᾿ ἀνάγκην ἀφῖχθαι ne parait point admissible : mais,
d'autre part, on ne voit pas comment ἐς ἀνάγκην aurait pu donner
naissance à la variante ἐπ᾽ ἀνάγκην . I appartient à la conjecture de
trouver une troisième leçon dont les deux variantes puissent égale-
ment provenir . Nous proposons : ἔς τ᾿ ἀνάγκην .

451. Thucydide , I , 125 .

Ὅμως δὲ καθισταμένοις ὧν ἔδει ἐνιαυτὸς μὲν οὐ διετρίβη , ἔλασσον δὲ,


πρὶν ἐσβαλεῖν ἐς τὴν Ἀττικὴν καὶ τὸν πόλεμον ἄρασθαι φανερῶς .
Boehme a rapproché de ce passage Hérodote , VII , 39 , 3 : Tǹv µèv
ἀξίην οὐ λάμψεαι , ἐλάσσω δὲ τῆς ἀξίης. Néanmoins on ne peut
qu'approuver Poppo , lorsqu'il dit : « Velis..... scriptum οὐ πολλῷ
ἔλασσον δέ . »
Nous croyons qu'il suffit de rétablir , à la suite de ἔλασσον δέ , le
mot τι , qui a pu facilement disparaitre , comme identique dans l'écri-
ture à la lettre initiale du mot suivant πρίν .

452. Xenophon , Anabase , I , 1 , 11 .

Πρόξενον δὲ τὸν Βοιώτιον ξένον ὄντα ἐκέλευσε λαβόντα ἄνδρας ὅτι


πλείστους παραγενέσθαι , ὡς εἰς Πισίδας βουλόμενος στρατεύεσθαι , ὡς
πράγματα παρεχόντων τῶν Πισιδῶν τῇ ἑαυτοῦ χώρα .
Le membre de phrase ὡς εἰς Πισίδας βουλόμενος στρατεύεσθαι est
certainement à retrancher, d'autant plus qu'on lit, au paragraphe
suivant : Τὴν μὲν πρόφασιν ἐποιεῖτο ὡς Πισίδας βουλόμενος ἐκβαλεῖν
παντάπασιν ἐκ τῆς χώρας · καὶ ἀθροίζει ὡς ἐπὶ τούτους τό τε βαρβαρικὸν
καὶ τὸ Ἑλληνικόν . [ Ch . Graux , répétiteur . ]

453. Xénophon, Anabase , I , 2 , 15 .

Ἐκέλευσε δὲ τοὺς Ἕλληνας ὡς νόμος αὐτοῖς εἰς μάχην οὕτω ταχθῆναι


καὶ στῆναι , συντάξαι δ᾽ ἕκαστον τοὺς ἑαυτοῦ .
Nous écririons : εἰς μάχην οὕτω [ ταχθῆναι ] καταστῆναι .

454. Diodore de Sicile , I , 2 , 1 .

Καθόλου δὲ διὰ τὴν ἐκ ταύτης (à savoir τῆς ἱστορίας) ἐπ᾽ ἀγαθῷ


μνήμην οἱ μὲν κτισταὶ πόλεων γενέσθαι προεκλήθησαν , οἱ δὲ νόμους εἰσω
ηγήσασθαι περιέχοντας τῷ κοινῷ βίῳ τὴν ἀσφάλειαν .
Corrigez : παρέχοντας. [ Communiqué par Ch . Graux , répétiteur. ]
145

, p . 62 A.
455. Platon , Phédon,

Ἴσως μέντοι θαυμαστόν σοι φανεῖται , εἰ τοῦτο μόνον τῶν ἄλλων ἁπάν
των ἁπλοῦν ἐστι καὶ οὐδέποτε τυγχάνει τῷ ἀνθρώπῳ , ὥσπερ καὶ τἄλλα ,
ἔστιν ὅτε καὶ οἷς βέλτιον τεθνάναι ἢ ζῆν · οἷς δὲ βέλτιον τεθνάναι , θαυ
μαστὸν ἴσως σοι φαίνεται , εἰ τούτοις τοῖς ἀνθρώποις μὴ ὅσιόν ἐστιν αὐτοὺς
ἑαυτοὺς εὖ ποιεῖν .
Nous ne nous arrêterons pas à discuter toutes les interprétations
qu'on a données de ce passage. Bornons-nous à dire que celles qui
sont raisonnables ne s'adaptent nullement au texte ci-dessus ; et que
celles qui en suivent la lettre sont en contradiction , non- seulement
avec le bon sens , mais encore avec la doctrine exprimée ailleurs par
Platon , notamment dans ce même dialogue (page 72 D-E : τὰς τῶν
τεθνεώτων ψυχὰς εἶναι , καὶ ταῖς μέν γ᾽ ἀγαθαῖς ἄμεινον εἶναι , ταῖς δὲ
κακαῖς κάκιον . Cf. ib . 107 C-D ; Lois , page 959 B) .
Nous écririons : Ἴσως μέντοι θαυμαστόν σοι φανεῖται , ( εἰ «οὐ> τοῦτο
μόνον τῶν ἄλλων ἁπάντων ἁπλοῦν ἐστι καὶ οὐδέποτε τυγχάνει τῷ ἀνθρώπῳ,
ὥσπερ καὶ τἄλλα ἔστιν ὅτε καὶ οἷς , βέλτιον τεθνάναι [ ἢ ζῆν] , ) οἷς [ δὲ]
βέλτιον τεθνάναι θαυμαστὸν ἴσως σοι φαίνεται εἰ τούτοις τοῖς ἀνθρώποις
μὴ ὅσιόν ἐστιν αὐτοὺς ἑαυτοὺς εὖ ποιεῖν . Ce qui signifiera , pour traduire
presque littéralement : « ll te paraitra peut- être étonnant , (étant
admis qu'il n'est pas vrai de dire que cette chose -là , par exception,
a un caractère absolu et invariable , de dire que la mort ne peut
jamais être un avantage pour l'homme , à la différence des autres
choses qui sont toutes des biens en certains cas et pour certaines
personnes ,) il te paraîtra peut-être étonnant, dis-je , qu'il ne soit pas
permis à ceux des hommes pour qui la mort serait un bien de se
rendre service à eux- mêmes. »
Ou, pour simplifier la proposition autant que possible , afin de la
rendre plus claire : « Il te paraitra peut-être étonnant , (étant admis
que la mort, comme toute chose, est , en certains cas , un bien ,) qu'il
ne soit pas permis , dans ces cas-là , de se tuer . »
Où a pu facilement se perdre devant la syllabe to . L'intrusion de
δέ s'explique d'elle-même dans une phrase ainsi construite. Enfin ,
les mots βέλτιον τεθνάναι ne pouvaient guère manquer d'être expli-
qués au moyen de la glose ή ζήν .
Pour l'emploi de cù après ei, pris dans un sens voisin de celui de
ἐπεί , voyez Krüger, Griech. Sprachl. 67 , 4 , 1 .

456. Aristote , Rhétorique , II , 2 , p . 1378 B , l . 11—13 .

Καὶ γὰρ τὰ κακὰ καὶ τἀγαθὰ ἄξια οἰόμεθα σπουδῆς εἶναι , καὶ τὰ συντεί
νοντα πρὸς αὐτά · ὅσα δὲ μηδέν τι ἢ μικρὸν , οὐδενὸς ἄξια ὑπολαμβάνομεν.
40
446 -
Nous conjecturons : μηδὲν ἤ τι μικρόν . La ressemblance de ἤ et de
Tɩ dans l'écriture onciale expliquerait la transposition.

457. Aristote , Rhétorique , II , 2 , p . 1379 A , 1. 21—22 .

Προωδοποίηται γὰρ ἕκαστος πρὸς τὴν ἑκάστου ὀργὴν ὑπὸ τοῦ ὑπάρχοντος
πάθους.
Le mot vide de sens ἑκάστου nous parait devoir céder la place à
ἑκάστοτε, de telle façon que le sens soit : « Chaque fois que chacun
de nous se met en colère , il y a été prédisposé par la passion qui le
possédail . » Ou : « C'est toujours la passion dont nous sommes ac-
tuellement possédés qui nous prédispose à la colère. »

458. Aristote , Rhétorique, II , 2 , p . 1379 A, 1. 25—28 .

Διὸ καὶ ὧραι καὶ χρόνοι καὶ διαθέσεις καὶ ἡλικίαι ἐκ τούτων φανεραί ,
ποῖαι εὐκίνητοι πρὸς ὀργὴν καὶ ποῦ καὶ πότε , καὶ ὅτι ὅτε μᾶλλον ἐν τού
τοις εἰσὶ μᾶλλον καὶ εὐκίνητοι .
Est-il possible qu'Aristote se soit vanté d'avoir répondu clairement
à la question que voici : « En quel temps (πότε) un temps (χρόνος)
est-il εὐκίνητος πρὸς ὀργήν ? Et cette absurdité n'est que la plus mani-
feste de celles qu'on peut relever dans le texte ci-dessus .
Pour ramener à un sens raisonnable tout ce galimatias , le chan-
gement d'une lettre suffit : au lieu de ποῖαι εὐκίνητοι , il faut écrire
ποῖοι εὐκίνητοι , « quels hommes sont faciles à émouvoir. »
Ajoutons que ἐν τούτοις devra etre interprété : « Dans les conditions
(de temps, d'age , etc. ) qui ont été déterminées . »
La lecon du manuscrit A de Paris , ὅτι μᾶλλον (au lieu de ὅτι ὅτε
μᾶλλον) ne nous parait point admissible , quelle que soit d'ailleurs
l'importance de ce manuscrit.

459. Aristote , Rhétorique , II , 2 ; p . 1379 A— B .

Ταῦτα δὲ πολλῷ μᾶλλον ἐὰν ὑποπτεύσωσι μὴ ὑπάρχειν αὑτοῖς ἢ ὅλως


ἢ μὴ ἰσχυρῶς, ἢ μὴ δοκεῖν · ἐπειδὰν γὰρ σφόδρα οἴωνται ὑπάρχειν ἐν τού
τοις ἐν οἷς σκώπτονται , οὐ φροντίζουσιν .
Ecrivez : σφόδρα οἴωνται ὑπερέχειν . La faute provient de la ligne
précédente.

460. Aristote , Rhétorique , II , 2 , p . 1379 B ; l . 2—4 .

Καὶ τοῖς φίλοις μᾶλλον ἢ τοῖς μὴ φίλοις · οἴονται γὰρ προσήκειν μᾶλλον
ὑπ᾽ αὐτῶν εὖ πάσχειν ἢ μή.
Il faut nécessairement retrancher les deux derniers mots , à moins
- 147

qu'on ne préfère écrire ἢ <τῶν> μή , ου ἢ <ὑπὸ τῶν> μή , comme


nous le propose Charles Graux.

461. Aristote , Rhétorique , II , 3 ; p . 1380 A, 1. 31—33 .

Καὶ οὓς φοβοῦνται ἢ αἰσχύνονται , ἕως ἂν οὕτως ἔχωσιν, οὐκ ὀργίζονται .


(Ἕως non suivi de γάρ est la lecon du ms. principal , justement pre-
férée à la vulgate par Spengel . )
Dans son état actuel , cette phrase signifie : « Ceux qu'ils craignent
ou respectent ne se mettent pas en colère . » La suite des idées
demande : καὶ οἷς φοβοῦνται . [Charles Graux , répétiteur ' . ]

462. Aristote, Rhétorique , II , 23 ; p . 1397—1398 .

Καὶ πάλιν πρὸς τὸ Θηβαίους διεῖναι Φίλιππον εἰς τὴν Ἀττικὴν, ὅτι
« Εἰ πρὶν βοηθῆσαι εἰς Φωκεῖς ἠξίου , ὑπέσχοντο ἄν · ἄτοπον οὖν εἰ , διότι
προεῖτο καὶ ἐπίστευσε , μὴ διήσουσιν. »
Au lieu de προεῖτο , qui s'explique mal , on s'attendrait à trouver
ici un mot exprimant l'idée d ' « obliger » , ou , plutôt encore ,
d' « obliger le premier » . Nous pensons qu'il faut écrire : διότι πρὸ εὖ
ποιήσας (forme à laquelle un copiste peut avoir substitué ποήσας)
ἐπίστευσε , « parce qu'il leur a montré de la confiance , en les obligeant
avant d'avoir reçu d'eux aucun service. »
On rencontre assez souvent ἀντ᾽ εὖ ποιεῖν pour ἀντιποιεῖν εὖ . Il est
permis de supposer que προποιέω était susceptible de la même tmèse.

463. Callimaque , épigramme XIV (et dans l'Anthologie


Palatine , VII , 524) .

Α. Η ῥ᾽ ὑπὸ σοὶ Χαρίδας ἀναπαύεται ; - Β. Εἰ τὸν Ἀρίμμα


τοῦ Κυρηναίου παῖδα λέγεις , ὑπ᾽ ἐμοί . -
-
Α . Ὦ Χαρίδα , τί τὰ νέρθε ; - Γ . Πολὺς σκότος . Α . Αἱ δ᾽ ἄνοδοι , τί ; —
Γ. Ψεύδος . -Α . Ὁ δὲ Πλούτων ; - Γ . Μύθος . —Α . Απωλόμεθα.-

1. Voici d'autres conjectures du même sur ce même livre de la Rhé-


torique. II, 1 , p. 1377 B, l . 29-31 . Retrancher comme provenant d'un lec-
teur la phrase τὸ μὲν οὖν ποιόν τινα..... εἰς τὰς δίκας, que Charles Thurot (Revue
archéologique , 1861 ) met entre parenthèses . - II , 2 , p. 1379 B , l. 17.
Supprimer ταῖς ἀτυχίαις (ἐπιχαίρειν ayant par lui- même le sens d' « insulter
au malheur »). — - II, 5 , p . 1383 A , 1. 1. Au lieu de ὄντες καὶ δοκοῦντες, écrire
ὄντες ἢ δοκοῦντες (autrement il faudrait , ce semble , καὶ οἱ δοκοῦντες) . -
Ajoutons enfin que le même inclinerait à rejeter du texte la remarque
suivante, assurément peu digne d'Aristote : " Οτι δὲ πρὸς τοὺς ταπεινουμένους
παύεται ἡ ὀργὴ, καὶ οἱ κύνες δηλοῦσιν οὐ δάκνοντες τοὺς καθίζοντας (ΙΙ , 3, p. 1380
A, 1. 23-25).
448 -

Γ. Οὗτος ἐμὸς λόγος ὕμμιν ἀληθινός · εἰ δὲ τὸν ἡδὺν


βούλη , πελλαίου βοῦς μέγας εἶν ᾿Αΐδη.
I
Commençons par rétablir l'ancienne distribution du dialogue aux
vers 4 et 5 , distribution abandonnée aujourd'hui , nous ne savons
pourquoi , par les éditeurs . Il faut évidemment écrire :

Ψεύδος. - Α . Ὁ'O δὲ Πλούτων ; -· Γ . Μῦθος . Απωλόμεθα ·


Οὗτος ἐμὸς λόγος ἔμμιν ἀληθινός · εἰ δὲ κτλ.
Ajoutons que, au vers 3 , une raison d'euphonie peut faire préférer
à la vulgate où axétos, leçon de l'Anthologie de Planude. Mais c'est
dans le dernier vers que réside la grande difficulté de cette épi-
gramme. Un passage d'Oppien (Cynėg. II , 107 ) , où il est question
d'une belle race de taureaux originaire de Pella , a fait croire à Sca-
liger qu'il suffisait , pour corriger le texte , de substituer Пeλλaĩos à
Пleλλatov . Hecker pense confirmer cette conjecture , en faisant voir, par
deux passages du poëte comique Alexis (chez Athénée , IV, 161 B et
165 D) , qu'il existait au temps de ce poëte un pythagoricien nommé
Charidas, fameux pour sa gourmandise ; et voici quelle est en résumé,
suivant lui, la signification de l'épigramme : « Helluo , omnibus cum
>> vita amissis , relictum sibi in Orco esse fatetur genus nobile tauro-
>> rum Pellæorum , quorum carne vesci possit. »
Nous corrigerions de préférence :
.....Εἰ δὲ τὸν ἡδὺν
βούλῃ , γενναῖ᾽ , οὐ βοῦς μέγας εἶν ᾿Αΐδῃ.
En d'autres termes : « Mais si tu aimes mieux que je te parle en
complaisant, apprends , mon cher , que les morts n'ont aucun intérêt
à cacher la vérité. »
L'expression proverbiale Boug péyaç est suffisamment connue ,
notamment par un vers (36) de l'Agamemnon d'Eschyle , pour qu'il
soit inutile de l'expliquer . L'acception que nous croyons pouvoir lui
attribuer ici ne diffère pas essentiellement de celle que lui prête la
tradition : elle est seulement un peu plus générale .
Quant à la place donnée dans le pentamètre au mot atone củ, on
peut la justifier , si nous ne nous trompons , d'abord en disant que
cette négation pouvait prendre l'accent en pareil cas , tout comme
elle le prenait à la fin des phrases , peut-être aussi à la fin des vers
(par ex . dans Antigone , 96-97 : Πείσομαι γὰρ οὐ Τοσοῦτον οὐδὲν ὥστε
µǹ où xaλws Oaveïv) ; en second lieu , en rappelant ce vers du même
poëte, cité avec blâme par Héphestion (XV , 8 , p . 97 , Gaisford) , où
un mot composé, Alooxoupídew, est coupé en deux par la césure du
pentamètre.
149

464. Anthologie Palatine (Léonidas dans l ' ) , VI , ep . 226 .

Τοῦτο Κλείτωνος ἐπαύλιον , ἵ τ᾽ ὀλιγῶλαξ


σπείρεσθαι , λιτός θ᾽ ὁ σχεδὸν ἀμπελεὼν ,
τοῦτό τε ῥωπεύειν ὀλιγόξυλον · ἀλλ᾽ ἐπὶ τούτοις
Κλείτων ὀγδώκοντ᾽ ἐξεπέρησ᾽ ἔτεα .
C'est en vain que plusieurs philologues très-distingués , entre autres
Lobeck et Meineke , ont essayé de restituer le texte de cette épi-
gramme, dont le premier vers est faux , et dont l'ensemble ne présente
aucune idée nette à l'esprit. La raison en est sans doute que , trompés
par la place qu'elle occupe dans l'Anthologie Palatine, au milieu des
ἀναθηματικά, ils ont voulu y voir tout autre chose que ce qu'elle est
réellement. A notre avis , si on veut la restaurer d'une manière
satisfaisante , il faut partir de l'hypothèse que c'était une épitaphe .
Nous restituerions d'abord :
Τούτου τὸ Κλείτωνος ἐπαύλιον ἦν ὀλιγῶλαξ ,
« le domaine de Cliton , l'homme qui repose ici , comprenait peu
de sillons » . La première correction n'a pas besoin d'être justifiée.
Nous hésiterions à proposer la seconde, si nous ne pouvions invo-
quer l'autorité de Meineke , qui a conjecturé ἐπαύλιόν ἐστ᾽ ὀλιγῶλαξ.
(Cf. Krüger, Gr. Sprachl. , I , 22 , 12 , 1 , et II , 22 , 9 , 3. Πεδίου
πολυαύλακος , qui se trouve dans le texte de notre exercice 295 , n'est
pas complétement analogue) . Peut-être , d'ailleurs, y aurait-il lieu de
préférer al᾽ ὀλιγώλαξ .
Au troisième vers , nous pensons qu'il faut rétablir :
Τούργον , ῥωπεύειν ὀλίγον ξύλον ,
« son métier , c'était de ramasser quelques branches d'arbre » .
Ὀλίγον ξύλον a déjà été proposé par Meineke. Pour l'asyndète, résul-
tant de l'absence de dé après τοὔργον , on peut comparer , par exemple ,
Anthol. Palat. XI , 70 : Γρηὸν ἔγημε Φιλίνος , ὅτ᾽ ἦν νέος · ἡνίκα
πρέσβυς , Δωδεκέτιν · Παφίη δ᾽ὥριος οὐδέποτε .
En résumé , nous aurons :
Τούτου τὸ Κλείτωνος ἐπαύλιον ἦν ὀλιγώλαξ
σπείρεσθαι , λιτός θ᾽ ὁ σχεδὸν ἀμπελεών .
Τούργον , ῥωπεύειν ὀλίγον ξύλον · ἀλλ᾽ ἐπὶ τούτοις
Κλείτων ὀγδώκοντ᾽ ἐξεπέρησ᾽ ἔτεα . '

1. Pour ramener à l'isopséphie les deux distiques de l'épigramme 350


du IX livre de l'Anthologie Palatine , il faut nécessairement remplacer
la legon barbare ἀτονώδεα par χιονώδεα , conjecture de Toup , que Brunck
avait admise , mais qu'ont rejetée à tort les derniers éditeurs , notam-
- 150 ---

465. Homère , Odyssée , I , 236–240 .


.....· Ἐπεὶ οὔ κε θανόντι περ ὧδ᾽ ἀκαχοίμην ,
εἰ μετὰ οἷς ἑτάροισι δάμη Τρώων ἐνὶ δήμῳ,
ἠὲ φίλων ἐν χερσὶν ἐπεὶ πόλεμον τολύπευσεν .
Τῷ κέν οἱ τύμβον μὲν ἐποίησαν Παναχαιοί ,
ἠδέ κε καὶ ᾧ παιδί μέγα κλέος ἤρατ᾽ ὀπίσσω .
Si Ulysse était mort dans les bras des siens , après la fin de la
guerre, ce seraient les siens qui lui auraient élevé un tombeau, et
non les Παναχαιοί , expression qui doit s'entendre des Grecs réunis
sous les murs de Troie.
Le vers 238 ( ή φίλων ἐν χερσὶν ἐπεὶ πόλεμον τολύπευσεν) parait
devoir être supprimé.

466. Homère , Odyssée , XI , 142—144 .

Ἡ δ᾽ ἀκέουσ᾽ ἧσται σχεδὸν αἵματος , οὐδ᾽ ἑὸν υἱὸν


ἔτλη ἔσαντα ἰδεῖν οὐδὲ προτιμυθήσασθαι .
Εἰπὲ , ἄναξ, πῶς κέν με ἀναγνοίη τὸν ἐόντα .
si
On fera disparaître l'hiatus qui défigure le dernier de ces vers,
l'on écrit : πῶς καί κέ μ᾿ ἀναγνοίη τὸν ἐόντα . On sait que la particule
xxí est d'un emploi fréquent dans les interrogations . Quant à la caco-
phonie qui résulte pour notre oreille de la rencontre des mots xa et
κε, elle parait n'avoir pas existé pour les Grecs . (Voir , au mol και ,
le lexique de Duncan , éd . Rost , où sont énumérés une trentaine de
vers d'Homère renfermant καί κε . )

467. Homère , Odyssée , XI , 204–205 .

Ὣς ἔφατ ', αὐτὰρ ἔγωγ᾽ ἔθελον φρεσὶ μερμηρίξας


μητρὸς ἐμῆς ψυχὴν ἑλέειν κατατεθνηκυίης.
Ἔγωγ', ου ἐγώ γ ' , comme écrivent d'autres éditeurs , ne signife
rien ici. Il faut corriger : ἐγών.

468. Hésiode , Travaux et Jours , 54—58 .

Ἰαπετιονίδη , πάντων πέρι μήδεα εἰδὼς,


χαίρεις πῦρ κλέψας καὶ ἐμὰς φρένας ήπεροπεύσας ,
σοί τ᾽ αὐτῷ μέγα πῆμα καὶ ἀνδράσιν ἐσσομένοισι

ment Dübner, qui s'est trompé dans ses additions. La correction de Toup
donne pour total des lettres , prises comme chiffres , dans chacun des
deux distiques , le nombre 8035 (l': souscrit compté) . [Communiqué par
Charles Graux , répétiteur .]
- 454 -

τοῖς δ᾽ ἐγὼ ἀντὶ πυρὸς δώσω κακὸν ᾧ κεν ἅπαντες


τέρπωνται κατὰ θυμὸν ἑὸν κακὸν ἀμφαγαπώντες .
A considérer le sens , ce sont les trois derniers de ces vers , et non
les deux derniers seulement qui s'opposent aux précédents . Pour
mettre l'expression d'accord avec la pensée, il suffira de supprimer
la particule adversative d'au commencement de l'avant-dernier vers ,
en sorte que tots devienne relatif, de démonstratif qu'il était.

469. Théognis, v . 19-22 .

Κύρνε, σοφιζομένῳ μὲν ἐμοὶ σφρηγὶς ἐπικείσθω


τοῖσδ᾽ ἔπεσιν, λήσει δ᾽ οὔποτε κλεπτόμενα .
Οὐδέ τις ἀλλάξει κάκιον τοῦ ἐσθλοῦ παρεόντος ·
ὧδε δὲ πᾶς τις ἐρεῖ · Θεύγνιδος ἔστιν ἔπη .
Le poëte parait avoir voulu dire ici que le nom de Cyrnus serait
pour ses vers comme un sceau , qui les protégerait contre les entre-
prises des plagiaires , d'une part , et , d'autre part , contre celles des
faussaires et le fait est que, encore aujourd'hui , on considère les
morceaux du recueil attribué à Théognis où se rencontre l'apostrophe
Κύρνε , comme ceux dont l'authenticité est le moins sujette à contes-
tation. Mais le texte actuel laisse deviner cette idée plutôt qu'il ne
l'exprime. Nous pensons qu'il faut corriger :
Κύρνε, σοφιζομένῳ μενέον σφράγισμ᾽, ἐπίκεισο
τοῖσδ᾽ ἔπεσιν .....

« Cyrne , excogitanti mihi (datif commodi) obsignationem stabilem,


» adhære (c . à d . « nomen tuum adhæreat » ) his versibus . »

470. Théognis , 87-92 .

Μή μ᾿ ἔπεσιν μὲν στέργε, νόον δ᾽ ἔχε καὶ φρένας ἄλλας,


εἴ με φιλεῖς καί σοι πιστὸς ἔνεστι νέος ·
ἀλλὰ φίλει καθαρὸν θέμενος νόον , ἤ μ.᾿ ἀποειπὼν
ἔχθαιρ᾽, ἀμφαδίην νεῖκος ἀειράμενος .
Ὃς δὲ μιῇ γλώσσῃ δίχ᾽ ἔχει νόον , οὗτος ἑταῖρος
δεινός (Bekker et Bergk : δειλός) , Κύρν᾽, ἐχθρὸς βέλτερος ἢ
φίλος ὤν.

On ne voit pas ce que peut signifier μιῇ γλώσσῃ, ainsi placé à côté
de δίχ᾽ ἔχει νόον. On donnera à ce datif la valeur d'un instrumental ,
en d'autres termes , on en justifiera l'emploi , si on écrit : "Os
μιῇ γλώσσῃ δίχ᾽ ἔχει λόγον , « celui dont la langue profere tour à tour
des paroles contradictoires . » Λόγος se trouve chez Théognis au vers
254 , et a été confondu avec νέος par les copistes au vers 448. Ici , la
- 152 -

faute s'explique d'autant plus facilement, que le mot vóos est répété
trois fois dans les quatre vers précédents .
Remarquons, en outre, que les vers qui font suite immédiatement
à ceux dont il s'agit, peuvent être considérés comme une simple
paraphrase des mots Ὃς .. μιῇ γλώσσῃ δίχ᾽ ἔχει λόγον :
Ἤν τις ἐπαινήσῃ σε τόσον χρόνον ὅσσον ὁρῴης,
νοσφισθεὶς δ᾽ ἄλλῃ γλῶσσαν ἱῇσι κακήν.....

471. Théognis , 453-456 .

Ἄνθρωπο , εἰ γνώμης ἔλαχες μέρος ὥσπερ ἀνοίης ,


καὶ σώφρων οὕτως ὥσπερ ἄφρων ἐγένου ,
πολλοῖς ἂν ζηλωτὸς ἐφαίνεο τῶνδε πολιτῶν ,
οὕτως ὥσπερ νῦν οὐδενὸς ἄξιος εἶ.
Au second vers , οὕτως ὥσπερ veut dire « aussi ..... que » . Dans le
premier , au lieu de μέρος ὥσπερ , on s'attendrait à trouver une expres-
sion signifiant « autant ..... que », ou encore « une aussi grande
portion que » . On obtiendra ce sens en écrivant μέρος ὅσσον . La faute
s'explique par la ressemblance qui existe , pour le sens aussi bien
que pour la forme , entre ce vers et le suivant, où la fonction de relatif
est remplie par ὥσπερ .

472. Théognis , 461-462 .

Μήποτ᾽ ἐπ᾽ ἀπρήκτοισι νόον ἔχε, μηδὲ μενοίνα,


χρήμασι , τῶν ἄνυσις γίνεται οὐδεμία.
Le compilateur du recueil auquel ces vers sont empruntés a dû
nécessairement , pour faire coïncider la fin de chaque fragment avec
la fin d'un distique, ajouter en maint passage au texte du poëte. Le
pentamètre du distique ci-dessus parait n'avoir pas d'autre origine ;
et peut-être faut-il en dire autant des deux derniers pieds de l'hexa-
metre.

473. Aristophane , Guêpes , 5-7 .


ΞΑΝΘΙΑΣ · Ἐπιθυμῶ σμικρὸν ἀπομερμηρίσαι .
ΣΩΣΙΑΣ . Σὺ δ᾽ οὖν παρακινδύνευ᾽ , ἐπεὶ καὐτοῦ γ᾽ ἐμοῦ
κατὰ τοῖν κόραιν ἤδη τι καταχεῖται γλυκύ .
Au lieu de σὺ δ᾽ οὖν , qui ne convient pas ici , Richter a proposé σὺ
μὲν οὖν. Nous écririons : Σύ νυν .

474. Aristophane , Guêpes, 52-53 .

Εἶτ᾽ οὐκ ἐγὼ δοὺς δύ᾽ ὀβολώ μισθώσομαι


οὕτως ὑποκρινόμενον σαφῶς ὀνείρατα ;
153

Van Geel et Bergk ont conjecturé οὕτω σ᾽ ὑποκρινόμενον, et Richter


a admis cette correction dans son texte . Il est bien vrai , comme l'a
fait remarquer cet éditeur, que le pronom de la seconde personne
est nécessaire ici , à défaut de l'article tóv : mais sa place nous paraît
être au premier vers plutôt qu'au second . Aristophane avait sans
doute écrit : Εἶτ᾽ οὔ σ᾽ ἐγὼ δοὺς δύ᾽ ὀβολὼ μισθώσομαι Οὕτως ὑποκρινό
μενον σαφῶς ὀνείρατα .

475. Aristophane , Guipes , 646-649 .

Τὴν γὰρ ἐμὴν ὀργὴν πεπᾶ-


ναι χαλεπὸν
μὴ πρὸς ἐμοῦ λέγοντι .
Πρὸς ταῦτα μύλην ἀγαθὴν ὥρα ζητεῖν σοι καὶ νεόκοπτον ,
ἢν μή τι λέγῃς , ἥτις δυνατὴ τὸν ἐμὸν θυμὸν κατερεῖξαι .
Ἂν μή τι λέγῃς ne convient pas ici , non plus que ἤν μοί τι λέγῃς,
conjecture de Bergk . Nous proposons : ἣν ἀντιλέγης . En effet , ΑΝΤΙ
a pu facilement devenir , dans un manuscrit, MITI , puis , par cor-
rection , MHTI .

476. Aristophane , Guêpes, 1040 .


Κατακλινόμενοί τ᾽ ἐπὶ ταῖς κοίταις ἐπὶ τοῖσιν ἀπράγμοσιν ὑμῶν.....
On fera disparaitre une répétition choquante, en écrivant ἐν ταῖς
κοίταις. La faute provient du voisinage de ἐπὶ τοῖσιν .

477. Aristophane , Grenouilles , 467 468 .

Ὃς τὸν κύν᾿ ἡμῶν ἐξελάσας τὸν Κέρβερον


ἀπῇξας ἄγχων κἀποδρὰς ᾤχου λαβών .
Ecrivez : εἰσελάσας, « ayant fait irruption chez nous » .

478. Alcée , fragments 40 et 41 (Bergk) . Dans Athénée , I ,


22 F ; X , 430 C et XI , 481 A.

Fr. 40. Πίνωμεν, τὸ γὰρ ἄστρον περιτέλλεται .


Fr. 44. Πίνωμεν · τί τὸ λύχνον μένομεν.
On ne voit pas pourquoi Bergk n'a pas rétabli dans ces deux pas-
sages la forme éolienne πώνωμεν . Cf. id . ib. fragments 20 et 52.

479. Théocrite , Idylle I , 150 ( 148 , 137) .

Ὡρῶν πεπλύσθαι νιν ἐπὶ κράναισι δοκησεῖς .


Corrigez : ἐνὶ (cf. Idylle XIV , v. 49) κράναισι . [Charles Graux , re-
pétiteur. ]
- 154 -

480. Théocrite , Idylle XI , v . 52-53 (50-51 ) .

Καιόμενος δ᾽ ὑπὸ τοῦς καὶ τὰν ψυχὰν ἀνεχοίμαν


καὶ τὸν ἕν᾿ ὀφθαλμόν , τῷ μοι γλυκερώτερον οὐδέν .
L'expression καιόμενος τὴν ψυχάν a déjà par elle-même quelque
chose de fort extraordinaire . Que dire de Καιόμενος .......... καὶ τὰν
ψυχὰν καὶ τὸν ὀφθαλμόν ? Nous pensons qu'il faut écrire : Καιόμενος δ᾽
ὑπὸ τεῖς κε κατὰ ψυχὰν ἀνεχοίμαν Καὶ τὸν ἕν᾿ ὀφθαλμόν : le complément
κατὰ ψυχάν , equivalent de l'expression homérique κατὰ θυμόν , servi-
rait alors à marquer qu ' ἀνεχοίμαν doit être entendu d'une résistance
morale et non physique, de la résignation, de la patience . Ajoutons
que la correction proposée aurait l'avantage d'introduire la particule
conditionnelle dans une des phrases , relativement assez rares , οὐ
elle manque , alors que le sens parait l'exiger. Quant à l'origine de
la faute , on peut supposer que la perte , facile à comprendre , de xe
devant κατὰ, a induit un correcteur à remplacer κατὰ par καὶ τάν, en
vue de rétablir le mètre.

481. Théocrite , Idylle XV, 145-146 (144-145 ).

Πραξινόα , τὸ χρῆμα σοφώτερον & θήλεια .


Ολβία , ὅσσα ἴσατι , πανολβία , ὡς γλυκὺ φωνεῖ .
La leçon et la ponctuation du premier vers ont été modifiées de
diverses façons par les éditeurs et les critiques . A notre tour , nous
proposons :
Πραξινόα, τὸ χρῆμα σοφώτερον ἢ θήλεια ·
ce qui revient à dire τὸ χρῆμα σοφώτερον ἢ κατὰ θήλειαν : « Cette
créature-là a plus de talent qu'il n'appartient à une femme. » L'ex-
clamation paraîtra assez piquante , si l'on songe que c'est une femme
qui la prononce .

482. Pindare , Olympique I , v. 25-27 (éd . Tycho


Mommsen) .

Τοῦ μεγασθενὴς ἐράσσατο Γαιάρχος


Ποσειδῶν , ἐπεί νιν καθαροῦ λέβητος ἔξελε Κλωθὼ
ἐλέφαντι φαίδιμον ὦμον κεκαδμένον .
Pindare ne peut avoir dit que Pélops inspira , dès sa naissance , à
Posidon , le sentiment dont il s'agit. Nous pensons qu'il faut rem-
placer κεκαδμένον par κεκαδμένου , et faire dépendre de ce dernier mot
le membre de phrase ἐπεί νιν καθαρού κτλ. , de telle façon que le sens
soit « De Pélops , qui avait une épaule d'ivoire au moment où il vint
au monde. » Le premier membre de la phrase ainsi restituée sera
- 455
consacré à exprimer l'opinion personnelle du poëte , le second , à
démentir la tradition , contraire, suivant lui , à la majesté des dieux ,
qui concernait l'origine de cette épaule d'ivoire . - On choisira entre
la conjecture précédente , et l'interprétation proposée par Rauchen-
stein et adoptée par Schneidewin , laquelle attribue au dernier
membre de phrase le sens suivant : « Attendu qu'il avait une
épaule blanche comme l'ivoire. »
Disons, en passant, que les mots xx0αpou λéénτos, comme suffirait
à le faire voir la fonction attribuée ici à la Parque Clotho , désignent
le sein de la mère de Pélops , et non , comme on interprète générale-
ment , le bassin où l'on baignait les enfants nouveau- nés . Le choix
de l'expression métaphorique λé67s et l'épithète xa0apo s'expliquent
également par une allusion à la chaudière, instrument d'uu homi-
cide abominable , où avaient été jetés , suivant la légende, les membres
de Pélops . L'emploi proleptique de paídov n'a rien que de conforme
à l'usage des poëtes .

483. Pindare , Olympique I , v . 36–40 .

Υἱὲ Ταντάλου , σὲ δ᾽ , ἀντία προτέρων , φθέγξομαι ,


ὁπότ᾽ ἐκάλεσε πατὴρ τὸν εὐνομώτατον
ἐς ἔρανον φίλαν το Σίπυλον ,
ἀμοιβαία θεοῖσι δεῖπνα παρέχων,
τότ᾽ Ἀγλαοτρίαιναν ἁρπάσαι .
Au troisième vers , le mot inutile te nous parait devoir céder la
place au mot utile & (ou Fe) , qui représentera Ayλaoτpiaivav. (Pour
cet emploi de xaλsiv avec un nom de lieu à l'accusatif sans préposi-
tion , cf. Homère , Iliade, X, 195 : boot xexλýαto Bouλýv .)
Dans le vers précédent , tòv eůvoµútatov , « que le crime ne souilla
point >> [ Boissonade] , nous est suspect , notamment à cause de l'article .
Nous conjecturons τὸν εὐθρονώτατον , expression qui caracteriserait
parfaitement un banquet de dieux . Cf. Pythique III , 94 : Kai Kpóvou
παῖδας βασιλῆας ἴδον χρυσέαις ἐν ἕδραις .

484. Pindare , Olympique I , 88-89 .

Ἕλεν δ᾽ Οινομάου βίαν παρθένον τε σύνευνον ,


ἃ τέκε λαγέτας ἐξ ἀρεταῖσι μεμαότας υἱούς .
Mommsen tient pour suspecte la leçon à réxe, la seule qui soit
vraiment autorisée, attendu qu'il est difficile d'admettre, dit-il , jus-
qu'à preuve du contraire, que le féminin & ait pu avoir jamais la
valeur d'une brève , même dans le dialecte éolien . Nous conjecturons :
παρθένου τε σὺν εὐνῇ Ἔτεκε κτλ. , « et, grâce à son mariage avec la
jeune fille, engendra .... »
- 156 -

485. Pindare , Olympique I , 99-100 .

.....Τὸ δ᾽ αἰεὶ παράμερον ἐσλὸν


ὕπατον ἔρχεται παντὶ βροτῶν .
Obscure en elle-même , l'expression τὸ δ᾽ αἰεὶ παράμερον ἐσλόν
devient tout à fait inintelligible , si on la rapproche de ce qui précède.
Il ne s'agit pas , en effet, d'une succession de biens qui se renouvellent
chaque jour, mais d'un bien unique et durable, l'immortelle gloire
qu'assurent les victoires Olympiques : et c'est ce qui justifie l'inter-
prétation de Dissen , « quod semper præsens est et manet » , traduc-
tion conforme au sens général de la phrase, plutôt qu'appropriée à
la signification du mot παράμερον pris en lui-meme. Nous conjectu-
rons : παρήμενον . Cf. Pythique, III , 86 : Αἰὼν δ᾽ ἀσφαλῆς Οὐκ ἔγεντ᾽
οὔτ᾽ Αἰακίδα παρὰ Πηλεῖ Οὔτε παρ᾽ ἀντιθέῳ Κάδμῳ . La substitution,
par quelque grammairien , d'un α a à l'η de παρήμενον , peut être l'ori-
gine de la faute.

486. Pindare , Olympique I , 108-111 .

..... Εἰ δὲ μὴ ταχὺ λίποι ,


ἔτι γλυκυτέραν κεν ἔλπομαι
σὺν ἅρματι θοῷ κλείξειν ἐπίκουρον εὑρὼν ὁδὸν λόγων,
παρ᾽ εὐδείελον ἐλθὼν Κρόνιον .
A côté de γλυκυτέραν , les uns ont proposé de suppléer νίκην , d'autres
ἀοιδήν , d'autres μέριμναν . D'autres, enfin , ont jugé, avec raison , que
ce comparatif ne peut se rapporter qu'à ὁδὲν λόγων. Mais, ce point
admis , on ne voit pas davantage comment doit être construit l'en-
semble de la phrase . Nous pensons qu'il convient de modifier comme
il suit le texte du troisième vers :

Σὺν ἅρματι θοῷ κλέει , ξεῖν᾽ , ἐπίκουρον εὑρεῖν ὁδὸν λόγων.


Dès lors le sens serait : « J'espère trouver des chants encore plus
doux pour rehausser la gloire acquise par toi à la course des chars » ,
en d'autres termes , j'espère que tu remporteras à la course des
chars une victoire plus brillante encore » . Ξεῖν désigne ici l'hôte du
poëte, ou de celui que le poëte envoie pour diriger le chœur à sa
place , en d'autres termes , le vainqueur lui-même. Cf. ib . v. 103 ;
Pythique III , 69.

487. Pindare , Olympique II , 35-37 .

Οὕτω δὲ Μοῖρ᾽ , ἅ τε πατρώϊον


τῶνδ᾽ ἔχει τὸν εὔφρονα πότμον , θεόρτῳ σὺν ἔλβῳ,
ἐπί τι καὶ πῆμ᾽ ἄγει παλιντράπελον ἄλλῳ χρόνῳ .
157
Peut-être y aurait-il lieu de substituer παλιντράπελος & παλιντρά
πελον : mais la n'est point la principale difficulté de cette phrase .
Tycho Mommsen croit trouver dans une scholie la trace d'une vieille
legon perdue τὸ πατρώϊον , οὐ il voit une locution adverbiale. Mais
l'insertion de cette variante dans le texte est loin de le rendre plus
intelligible. Nous écririons :

Οὕτω δὲ Μοῖρ᾽ , ᾧτε πατρώϊον


τῶνδ᾽ ἔχειν τὸν εὔφρονα πότμον θεόρτῳ σὺν ἔλβῳ,
ἐπί τι καὶ πῆμ᾽ ἄγει . . .
« Ainsi la Parque mêle quelques maux à la prospérité de l'homme
que sa naissance a fait héritier de l'heureux destin de cette famille,
en même temps que des richesses dont les dieux l'ont gratifiée. »
Πατρώϊον équivaut ici au latin « patrium est ».

488. Pindare , Olympique II , v . 53-56 .

Ὁ μὲν πλοῦτος ἀρεταῖς δεδαιδαλμένος φέρει τῶν τε καὶ τῶν


καιρὸν, βαθεῖαν ὑπέχων μέριμναν ἀγροτέραν .
Il est plus que douteux , en dépit de l'interprétation généralement
admise , que ἀγροτέραν ( proprement « sauvage ») puisse jamais
signifier chasseresse » . C'est pourtant sur cette hypothèse que
reposent toutes les explications qu'on a données de ce passage. Peut-
être y aurait-il lieu d'examiner si Pindare n'avait pas écrit plutôt
Ὁ μὰν πλοῦτος ἀρεταῖς δεδαιδαλμένοις φέρει τῶν τε καὶ τῶν
καιρὸν, βαθεῖαν ἀπέχων μέριμναν ἀργοτέρων :
ce que l'on pourrait traduire , ou plutôt paraphraser, comme il suit :
« A ceux qui ont des talents et des vertus , la richesse donne les
moyens d'acquérir toutes sortes de biens , par cela même qu'elle
écarte de leur vie , moins occupée (que celle des hommes sans for-
tune) , les soucis profonds . >>
Le membre de phrase dépendant de celui-la , εἰ δέ νιν ἔχων τις οἶδεν
τὸ μέλλον, a été diversement interprété et corrigé. Nous croyons qu'il
faut le conserver tel qu'il est , à l'exemple de Mommsen , et entendre
comme s'il y avait : καὶ τούτῳ ὅστις νιν ἔχων οἶδεν τὸ μέλλον . Il suffra
de dire, pour expliquer cette construction , que év est sous-entendu
devant δεδαιδαλμένος (ου δεδαιδαλμένοις , si l'on admel notre conjec
ture).

489. Pindare , Olympique II , 61-63 .

Ἴσαις δὲ νύκτεσσιν αἰεὶ ,


ἴσαις δ᾽ ἁμέραις ἀέλιον ἔχοντες , ἀπονέστερον
ἐσλοὶ δέχονται βίοτον .
- 158 -

Le texte ci-dessus est , de beaucoup , le mieux autorisé pour ce qui


regarde le commencement des deux premiers vers , si ce n'est que,
dans tous les manuscrits de quelque valeur , èv est intercalé entre
det άuépais. Comme cats d'èv détruit le mètre, il est naturel de
rechercher si l'obscurité de la phrase entière ne provient pas juste-
ment de cette faute manifeste . Ainsi ont procédé, en effet , les plus
récents éditeurs . Mommsen a écrit, au second vers, icats d'áuépais ,
et Bergk, oats 0' άuépais. Pour notre part , nous proposerons :
Ἴσαις δὲ νύκτεσσιν αἰεὶ
ἴσον ἐν ἁμέραις ἀέλιον ἔχοντες ,
ce qui devra se construire : ἔχοντες αἰεὶ ἀέλιον ἴσον ἐν ἁμέραις ἴσαις
VUXTECTIV, « jouissant du soleil autant que nous , durant des journées
égales aux nuits (d'ici-bas) , durant des journées qui coïncident avec
les nuits d'ici -bas. » Cf. pour le sens le vers suivant, cité par
Mommsen, d'un thrène du même poëte :
Τοῖσι λάμπει μὲν μένος ἀελίου τὰν ἐνθάδε νύκτα κάτω .
Ajoutons que , si l'on admet cette restitution , il y aura solution de
l'arsis au commencement du second vers , comme partout, dans cet
hymne, aux places correspondantes . (Voir, au surplus , sur cette
question , l'Adnotatio critica de T. Mommsen , p. 17. )

490. Pindare , Olympique II , 95–98 .

Ἀλλ᾽ αἶνον ἐπέβα κόρος


οὐ δίκα συναντόμενος , ἀλλὰ μάργων ὑπ᾽ ἀνδρῶν ,
τὸ λαλαγῆσαι θέλων κρύφον τε θέμεν ἐσλῶν καλοῖς
ἔργοις.
Tout d'abord , il faut insérer au troisième vers l'excellente correc-
tion de Godefroid Hermann , tt0épev , de telle façon que le sens soit
« voulant faire de son bavardage un voile aux belles actions des
hommes vertueux » , « ayant recours au bavardage pour obscurcir
(pour dénigrer) les belles actions des hommes vertueux. »
Pindare paraît opposer ici l'une à l'autre deux sortes de jalousie ,
l'une , identique à l'émulation , et qui produit les concurrences loyales ,
ding cuvavτóuevos, l'autre , voisine de l'envie , et qui n'enfante que du
mal. C'est le sens du morceau bien connu où Hésiode (Travaux et
Jours, v. 11 et suivants) distingue deux espèces d'epig . Mais, en
dépit du rapprochement que l'on peut établir entre ce passage de la
Ire Olympique et les vers 82 et suivants de la Ire Pythique, où se
trouve aussi le mot xópos, nous ne pensons pas que ce mot puisse
jamais avoir le sens de <« jalousie » . Les deux vers qui terminent le
159

passage d'Hésiode précédemment cité, nous suggèrent la correction


que réclame le texte de Pindare :

Καὶ κεραμεὺς κεραμεῖ κοτέει καὶ τέκτονι τέκτων ,


καὶ πτωχὸς πτωχῷ φθονέει καὶ ἀοιδὸς ἀοιδῷ (vers 25-26) .
Nous écririons : Ἀλλ᾽ αἶνον ἐπέβα κότος .
Au vers suivant , une scholie ancienne offre une très- intéressante
variante, qui paraît avoir échappé à Mommsen , à moins qu'il n'y ait
vu , comme Bergk , une simple altération de μάργων : c'est ἀργῶν,
forme plus moderne de ἀεργῶν , qu'il y a lieu , croyons-nous, de
rétablir chez Pindare , comme s'opposant beaucoup mieux que μάργων
ὰ δίκα συναντόμενος. Nous corrigerions done ἀλλ' ἀεργῶν ὑπ᾽ ἀνδρῶν.
Quant à ces deux derniers mots , ils nous paraissent dépendre de
ἐπέδα , pris comme equivalent d'un verbe passif qui signifierait
<< immissus est. >>

491. Pindare , Olympique III , 13—18 .

..... ἐλαίας • τάν ποτε


Ἴστρου ἀπὸ σκιαρᾶν παγᾶν ἔνεγκεν Ἀμφιτρυωνιάδας ,
μνῆμα τῶν Οὐλυμπία κάλλιστον ἀέθλων.
Δᾶμον Ὑπερβορέων πείσαις Απόλλωνος θεράποντα λόγῳ,
πιστὰ φρονέων Διὸς αἰτεῖ πανδόκῳ
ἄλσει σκιαρόν τε φύτευμα ξυνὸν ἀνθρώποις στέφανόν τ᾿ ἀρετᾶν .
La seconde phrase de ce texte n'est pas liée à la première ; elle ne
l'est pas davantage dans les éditions où le point est transporté après
λόγῳ (à la fin du 4 vers) . Pour remédier à ce défaut, il suffit de
couper en deux le mot Διός à l'avant-dernier vers , en ponctuant
comme il suit :

.....κάλλιστον ἀέθλων,
δῆμον Ὑπερβορέων πείσαις Απόλλωνος θεράποντα λόγῳ ·
πιστὰ φρονέων Δὶ ὃς αἰτεῖ πανδόκῳ
ἄλσει κτλ.

Construisez : ὃς , φρονέων πιστὰ Δι , αἰτεῖ ..... Ni la place assignée au


relatif (voir par ex . O1. II , 8 et 23 ; V, 12) , ni l'emploi du mono-
syllabe long Δί pour Διί ( cf. par ex . Pyth. VIII , 99) , ni la brève
résultant de la rencontre d'une voyelle finale longue avec un mol
commençant par une voyelle (voir T. Mommsen , Adnot. crit. , pages
194-192 ; et la note du même sur la Pythique VIII , v. 96) ne sont
contraires aux habitudes de la diction ni de la versification pinda-
rique.
- 160 --

492. Pindare , Olympique V, 12-14 .

Καὶ σεμνοὺς ὀχετοὺς , Ιππαρις οἷσιν ἄρδει στρατὸν ,


κολλᾷ τε σταδίων θαλάμων ταχέως ὑψίγυιον ἄλσος,
ὑπ᾽ ἀμαχανίας ἄγων ἐς φάος τόνδε δᾶμον ἀστῶν .
Les uns donnent pour sujet à xoλλ le nom du vainqueur
Psaumis ; les autres, le sujet du verbe précédent , Ἵππαρις . La vérité
est que κολλά est inadmissible ici . Nous écririons :
....Ἵππαρις οἷσιν ἄρδει στρατῷ
κολλατᾷ σταδίων θαλάμων ταχέως ὑψίγυιον ἄλσος .
La substitution , facile à comprendre , de ΚΟΛΛΑΤΕ & ΚΟΛΛΑΤΑΙ
aurait , alors , eu pour conséquence le remplacement de pat par
στρατόν. Le sens de la phrase entière , ainsi restituée , serait : a Ces
canaux au moyen desquels le fleuve Hipparis arrose une forêt prompte
à grandir pour l'usage des charpentiers , et sauve par là ce peuple de
la misère. »

493. Pindare , Olympique VI, 82-84 .

Δόξαν ἔχω τιν᾽ ἐπὶ γλώσσα ἀκόνας λιγυρᾶς ,


ἅ μ᾽ ἐθέλοντα προσέρπει καλλιρόοισι πνοαῖς ·
ματρομάτωρ ἐμὰ Στυμφαλὶς , εὐανθὴς Μετώπα .
Selon Mommsen (Adnotatio critica , p . 166) et Bergk ( sur l'Olym-
pique III , 30) , Pindare ne considérait pas l'a et l'o finals des datifs
comme faisant hiatus devant les voyelles . Mais l'obscurité des vers
ci-dessus est, par elle - même, une raison suffisante de les croire
altérés .
Nous pensons qu'on dissiperait complétement cette obscurité , en
écrivant ἐπὶ γλώσσας ἀκόνα λιγυρᾶς : « On dit de moi une chose qui
revient d'elle-même ( proprement « portée » ou « poussée par un bon
vent » ) , comme pour raviver ma verve près de s'épuiser (propre-
ment pour l'aiguisement de ma langue harmonieuse ») à ma
mémoire charmée . C'est que je compte la Stymphalienne Métopé
au nombre des ancêtres de ma patrie » . La transition s'expli-
quera d'elle-même, si l'on se rappelle que le vainqueur célébré dans
cette Olympique était citoyen de Stymphale , et que Pindare destinait
son hymne à être chanté dans cette ville : ( voy. l'Introduction de
Dissen . ) Le sens ainsi obtenu est , d'ailleurs , conforme à une des in-
terprétations que nous ont conservées les scholies anciennes , à savoir :
Ἢ οὕτως · ἡ δόκησις ἀκόνη μου . Ο δοκῶ παρὰ τῶν ἀνδρῶν (corrigez :
ἀνθρώπων) , τοῦτό μοι ἀκόνη ἐστὶν ἡ παροξύνουσά με καὶ παρορμῶσα .
Nous n'avons rien dit de la variante προσέλκει dont d'anciennes
- 161 ―

scholies attestent l'antiquité . En la rejetant, nous sommes d'accord


avec T. Mommsen, qui y voit une conjecture , fondée sur la construc-
tion insolite de πроséρжε avec un nom de personne à l'accusatif.
D'ailleurs cette construction , quelque insolite qu'elle soit , n'a rien
d'anormal . Que l'on se reporte à la langue d'Homère , où la prépo-
sition restait encore distincte et séparable du verbe auquel elle devait ,
plus tard , être indissolublement unie : on verra dans l'emploi de
l'accusatif avec pоcéρmetv la construction primitive et poétique de ce
verbe, dans celui du datif, une construction d'origine postérieure et
prosaïque, sans qu'on puisse dire que l'une des deux soit grecque à
l'exclusion de l'autre . C'est ainsi qu'on a dit simultanément , à
l'époque classique même , εἰσέρχεται , ἐπέρχεται με, et εἰσέρχεται , ἐπέρ-
χεταί μοι .

494. Pindare , Olympique VII , 45–46 .

..... Ἐν δ᾽ ἀρετὰν
ἔβαλεν καὶ χάρματ᾽ ἀνθρώποισι Προμαθέος αιδώς .

La plupart des commentateurs , tant anciens que modernes , qu'ils


voient un nom propre, ou non , dans le mot pouяbéos , veulent que
l'idée exprimée dans ce passage obscur ait été celle de prévoyance .
Ceux dont il s'agit s'étaient montrés, en effet, imprévoyants , en
n'apportant pas avec eux tout ce qui était requis pour sacrifier.
Mais , si l'on songe que c'est le feu qui avait été oublié, on compren-
dra que Prométhée ait pu être mentionné ici comme le dieu qui
communiqua le feu aux hommes , et qui , par là , contribua puissam-
ment à développer chez eux l'activité, l'industrie , la civilisation
(apɛtáv) , en même temps qu'il rendait leur vie plus facile et plus
heureuse , plus abondante en plaisirs (zápµata) . Nous pensons que
Pindare avait écrit :
..... Ἐν δ᾽ ἀρετὰν
ἔβαλεν καὶ χάρματ᾿ ἀνθρώποισι Προμαθέος & δώς.
En d'autres termes : « Certes l'octroi du feu fut un grand bienfait » ;
ce qui se liera assez bien aux vers suivants , dont le sens est : « Ce-
pendant , dans la conjoncture dont il s'agit, le feu fut oublié » .
Rien n'empêche, au surplus, d'admettre que Pindare , en désignant
le feu par la periphrase Προμαθέος & δώς, a voulu faire allusion à la
signification étymologique du nom de Prométhée .

495. S. Grégoire de Nazianze , Éloge funèbre de Césaire .


Édition Migne (réimpression de celle des Bénédic-
11
- 162

tins) , aux pages 756 et suivantes du tome XXXV de


la Patrologie grecque . Page 756 A—B .

Ἦμεν..... περὶ λόγους φιλότιμοι , πρὶν ἀναβλέψαι πρὸς τὸν ἀληθῆ λόγον
καὶ ἀνωτάτω .
L'idée exprimée par S. Grégoire était évidemment celle que lui
altribue la traduction latine des Bénédictins « priusquam ad verum
» et supremum sermonem oculos sustulissemus . » En effet, ἀνωτάτω
se rencontre souvent chez les écrivains de la décadence , employé
comme adjectif avec le sens de « sublime » . Mais , telle qu'elle est,
la phrase grecque ne peut avoir cette signification . Pour la lui
donner, il faut nécessairement, ou supprimer λóyov comme une glose,
ou rejeter ce mot après καὶ ἀνωτάτω .

496. S. Grégoire de Nazianze , Éloge de Césaire ,


p. 765 B.

Τὸν δὲ τὰ πρῶτα τῆς παιδεύσεως ἀναθέντα τῇ ἑαυτοῦ πατρίδι ..... μετὰ


τοῦτο δόξης ἐπιθυμία καὶ τοῦ προστατεύειν τῆς πόλεως..... τοῖς βασι-
λείοις δίδωσιν , οὐ πάνυ μὲν ἡμῖν φίλα ποιοῦντα καὶ κατὰ γνώμην..........
οὐ μὴν ἄξιός γε μέμψεως .
Corrigez : οὐ μὴν ἄξιά γε μέμψεως.

497. S. Grégoire de Nazianze , Éloge de Césaire , p . 776 ,


Α-Β .

Ἐρρέτωσάν μοι καὶ ἀγῶνες Ελληνικοὶ καὶ μῦθοι , δι᾽ ὧν ἔφηβοι δυσ-
τυχεῖς ἐτιμήθησαν, μικρῶν ἀγωνισμάτων προτιθέντες τὰ ἔπαθλα · καὶ ὅσα
διὰ χοῶν τε καὶ ἀπαργμάτων , ἢ στεμμάτων τε καὶ ἀνθέων νεοδρέπτων,
ἀφοσιοῦνται τοὺς ἀπελθόντας ἀνθρώπους , νόμῳ πατρίῳ μᾶλλον καὶ ἀλογίᾳ
πάθους ἢ λόγῳ δουλεύοντες . Τὸ δὲ ἐμὸν δῶρον λόγος , ὃ τάχα καὶ ὁ μέλλων
ὑπολήψεται χρόνος , ἀεὶ κινούμενον καὶ οὐκ ἐῶν (Migne : ἐὸν εἰς τὸ
παντελὲς ἀπελθεῖν τὸν ἐνθένδε μεταχωρήσαντα , φυλάσσον δὲ ἀεὶ καὶ ἀκραῖς
καὶ ψυχαῖς τὸν τιμώμενον , καὶ πινάκων ἐναργεστέραν προτιθεὶς τὴν εἰκόνα
τοῦ ποθουμένου .
Commençons par débarrasser la première phrase des mots zał
μῦθοι , qui en rendent l'explication absolument impossible . La signi-
fication ordinaire de Ελληνικός chez les Peres est celle de « paien » :
on comprend done que les mots ερρέτωσαν ἀγῶνες Ελληνικοί aient
pu provoquer de la part d'un lecteur chrétien cette autre exclamation :
Καὶ μῦθοι , « et aussi leur mythologie ! » On trouvera , en plusieurs
endroits des Varia Lectiones (2e édition) de Cobel, notamment aux
pages xxix-xxx , 287 et suivantes , et 480 , plusieurs exemples de
- 463 -

réflexions semblables , qui , de la marge, ont passé dans le texte.


Le commencement de la seconde phrase doit être modifié comme
il suit : Τὸ δὲ ἐμὸν δῶρον λόγος , ὃ τάχα καὶ ὁ μέλλων ὑπολήψεται χρόνος
ἀεὶ κοινούμενον , καὶ οὐκ ἐῶν κτλ. A la dernière ligne , il faudra
substituer προτιθεὶς ἂ προτιθὲν : la faute provient vraisemblablement
d'une réminiscence du nominatif masculin λόγος , qui est le mot
principal de la phrase.

498. S. Grégoire de Nazianze , Éloge de Césaire, p . 781 A.

Τί με δεῖ μνημονεύειν τῶν ἄλλων ; Ἀλλὰ ταῦτα δὴ τὰ τίμια πᾶσι καὶ


περισπούδαστα · οὐ παραστήσεται γαμετήν ; οὐ παῖδας ; Ἀλλ᾽ οὐδὲ θρηνήσει
τούτους, ἢ θρηνηθήσεται ὑπὸ τούτων .
L. de Sinner, dans l'édition spéciale qu'il a donnée de ce discours
(Paris, Gaume, 4836) met aussi un point en haut après περισπούδαστα ,
ce qui donne une phrase inintelligible. Il faut évidemment ponc-
tuer : Ἀλλὰ ταῦτα δὴ , τὰ τίμια πᾶσι καὶ περισπούδαστα, οὐ παραστήσεται
γαμετὴν , οὐ παῖδας . Le premier αλλά annonce lὑποφορά , le second
sert à introduire l' ἀνθυποφορά. (Voy . Matthiæ, Gr. grecque , p . 1319.)

499. S. Grégoire de Nazianze , Éloge de Césaire, p . 785 A.

Ἐκεῖνο δὲ οὐ δέδοικα , μή μοι τὸ σῶμα τοῦτο , διαρρυὲν καὶ διαφθαρὲν ,


παντελῶς οἰχήσηται · ἀλλὰ μὴ τὸ τοῦ Θεοῦ πλάσμα τὸ ἔνδοξον (ἔνδοξον
γὰρ κατορθοῦν , ὥσπερ ἄτιμον ἁμαρτάνον) , ἐν ᾧ λόγος , νόμος , ἐλπὶς, τὴν
αὐτὴν τοῖς ἀλόγοις ἀτιμίαν κατακριθῇ, καὶ μηδὲν πλέον ᾗ μετὰ τὴν διά-
ζευξιν · ὡς ὄφελόν γε τοῖς πονηροῖς καὶ τοῦ ἐκεῖθεν πυρὸς ἀξίοις .
Il n'est pas besoin d'étre théologien pour affirmer que la seconde
partie de cette phrase renferme une grave hérésie , ou pour le moins
un doute tout à fait extraordinaire de la part d'un Docteur tel que
S. Grégoire de Nazianze . Cette proposition , en effet , revient à dire :
« Je crains que l'homme , après sa mort , n'ait le sort des brutes , et
ne soit en rien mieux partagé qu'elles (μηδὲν πλέον ᾖ) , en d'autres
termes , qu'il ne soit complétement anéanti . » Veut-on que l'expres-
sion τὸ τοῦ Θεοῦ πλάσμα τὸ ἔνδοξον désigne ici , non l'étre humain tout
entier, mais l'âme seulement? Il n'importe guère. De quelque façon
qu'on interprète ce membre de phrase, on doit s'étonner qu'il ne
paraisse avoir choqué , jusqu'ici , aucun de ceux qui l'ont traduit ou
commenté. Au besoin , une simple analyse des chapitres qui précèdent
suffirait pour faire voir que S. Grégoire ne peut avoir rien dit de
pareil . Mais , cette fois , nous n'en sommes pas réduits aux conjec-
tures. Nous avons des scholies de Basile le Petit sur ce discours ;
voici , en entier , celle qui concerne ce passage :
- 164 -
Ἐκεῖνο δὲ οὐ δέδοικα . Ποιον ; Μή μοι τὸ σῶμα τοῦτο διαρρυὲν καὶ
διαφθαρὲν παντελῶς οἰχήσεται . Τοῦτο γὰρ , φησίν, οὐ δέδοικα · οὐδὲ γὰρ , εἰ
διαρρυέν τε καὶ διαλυθὲν ἤδη , καὶ παντελῶς οἰχήσεται , πλάσμα ὑπάρχον
τοῦ Θεοῦ . Οὐδὲ γὰρ οἷόντε τὴν αὐτὴν τοῖς ἀλόγοις κατακριθῆναι ἀτιμίαν ,
καὶ μηδὲν πλέον ἐκείνων ἔχειν μετὰ τὸν θάνατον , ἀλλ᾽ εἰς παντελῆ ἀνυπαρ
ξίαν χωρῆσαι . Καὶ εἴθε , φησί , τοῦτο ἦν τοῖς πονηροῖς , καὶ τοῦ αἰωνίου
πυρὸς ἀξίοις. Χεῖρον γὰρ κακὸν εἶναί τινα καὶ πυρὸς ἔνοχον, ἢ τὸ μηδόλως
εἶναι .
Dans cette paraphrase disparaît entièrement l'opposition établie
par la conjonction aλλá entre le premier et le second membre de la
phrase de S. Grégoire. Basile le Petit avait sous les yeux , non deux
propositions , la première négative , la seconde affirmative , opposées
l'une à l'autre (οὐ δέδοικα μή ..... ἀλλὰ μὴ ... ) ; mais deux propositions
également négatives , dont la seconde n'était que la continuation ,
sous la même forme, de la première. Si maintenant nous cherchons
le mot qui , dans le texte que Basile avait sous les yeux , tenait la
place occupée aujourd'hui par ἀλλά , nous verrons que c'était οὐδέ :
à la paraphrase οὐδὲ γὰρ οἷόντε ..... κατακριθῆναι , correspondait chez
S. Grégoire, οὐδὲ μὴ ..... κατακριθῇ : ce qui donne un sens à tous
égards irréprochable.
L. de Sinner , à qui on doit la première publication des scholies
de Basile sur cette Oraison funèbre, y a relevé quelques variantes
utiles . Nous pourrions en signaler d'autres , abstraction faite de celle
qui nous a fourni la correction ci-dessus . Ainsi , sans aller plus loin
que la première phrase du discours , il y a lieu de substituer le par-
fait ὑποδεδέχθαι , qui parait avoir été sous les yeux du scholiaste , à la
vulgate ὑποδέχεσθαι , qui peut en provenir par l'intermédiaire d'une
première faute ὑποδεχθαι 1 .

1. Page 764 B, Maurice Albert et Edouard Droz , élèves de l'École Nor-


male , ont conjecture , le premier , ὥσπερ <συν> εξέπεμψεν ἀμφοτέρους , le
second , ὥσπερ ἐξέπεμψεν <ἅμ '> ἀμφοτέρους. (Ch. Graux préférerait ἐξέπεμψε
<συν> αμφοτέρους) . - Page 768 A , Henri Durand , aussi élève de l'Ecole
Normale, propose d'écrire Ἄμισθον δὲ τὴν τῆς τέχνης φιλανθρωπίαν τοῖς ἐν πενία
(au lieu de ἐν τέλει) προτίθησιν. Peut-être supposerait-on une confusion
plus vraisemblable , en conjecturant τοῖς εὐτελέσι , qui donnerait , d'ail
leurs, à peu près le même sens. - A la page 769, on ne peut qu'ad-
hérer sans réserve à la correction suivante , trouvée par le même :
Τοὺς μὲν χρήμασι , τοὺς δὲ ἀξιώμασι , τοὺς δὲ ὑποσχέσεσι , τοὺς δὲ παντοίαις τέχναις
(au lieu de τιμαῖς ὑφελκόμενος, ὃς οὐδὲ βασιλικῶς προσῆγεν, ἀλλὰ καὶ λίαν δουλο-
πρεπῶς ἐν ταῖς ἁπάντων ὄψεσι . - Page 773 C , Dulac , de l'École des Hautes
Études , a proposé : Αὗται τῶν ἐμῶν λόγων αἱ ἀπαρχαὶ , οὓς κρυπτομένους
πολλάκις μεμψάμενος (πεμψάμενος , dans l'éd . Migne , parait être une faute
d'impression) , ἐπὶ σεαυτῷ ( au lieu de ἐπὶ σεαυτὸν) γυμνώσειν ἔμελλες. (On
pourrait songer encore à ἐπὶ σεαυτοῦ , ου & εἰς σεαυτόν, « en ton honneur »).
- 165 -

500. Décret du peuple athénien conférant l'isotélie à


Euxénidès (Ussing, Inscriptions grecques inédites ,
nº 57 ; Journal archéologique d'Athènes , n° 1059) ,
lignes 14-15 .
... xa
] ΝΥΝΕΙΣ ΤΟΥΣ ΚΑΤΑΠΑΛ [ ταςαν
8] ΡΑ ΣΕΠΕΔΩΚΕΝ
Il fallait restituer νευράς , et non pas ἄνδρας.
Neupá est le terme dont Héron d'Alexandrie se sert pour désigner
la corde qu'on enroulait , dans la construction des catapultes, autour
des cadres en charpente, et dont la torsion produisait toute la force
motrice de ces machines ( Bélopée , p . 126 des Mathematici
veteres ; p. 81 , 13 Wescher) . D'autre part , la corde qui , dans la
détente de l'arme, chassait le projectile devant elle , est appelée chez
les auteurs techniques ἡ τοξῖτις νευρά (ou , simplement, ἡ τοξῖτις) .
[Communiqué par Charles Graux , répétiteur . ] ¹

1. J'use de la seule place qui reste à ma disposition pour mentionner


une correction tout à fait heureuse de L. Ganderax, élève de l'École
Normale. Au livre I , ch. 8, de la Rhétorique d'Aristote, le membre de
phrase ' A ' of μetažù toútwv ( page 1385 B, ligne 32) doit être transposé
deux lignes plus bas, après les mots πρὸς τῷ οἰκείῳ πάθει .
TABLES .

I. TABLE ALPHABÉTIQUE

DES GENRES DE FAUTES , DES PROCÉDÉS DE CORRECTION , ET DES


OBSERVATIONS GÉNÉRALES CONCERNANT LA CRITIQUE DES TEXTES .

N. B. Les chiffres que n'accompagne aucune autre indication renvoient aux


n du présent recueil qu'on a jugés particulièrement propres à faire connaître
les principales fautes et les moyens de les corriger. Ceux qui sont compris entre
crochets et précédés d'un C désignent par leurs nº d'ordre les vers dont le texte
est discuté dans le 3 fascicule (Notes critiques sur Colluthus) de la Bibliothèque
de l'École des Hautes Études.

A. 269. 172. 15. 121. 393. 137. 296. 360.


154. 350. 169. 398. 496. - de mots.
ABRÉVIATIONS étrangères à la grande
onciale les confusions qui en pro- A et OI. 282. AAA et AN 308. AYOIE
Εἰ ΑΥΘΕΙΣ. 369. ΒΑΙΝΕΙΝ et ΒΑΛΛΕΙΝ.
viennent ne peuvent être supposées 220. ΒΟΥΛΕΥΕΙΝ et ΔΟΥΛΕΥΕΙΝ.
chez tous les auteurs indistinclement. 354. EICI et HEI. 246. EПEI et EIII.
433-317. 238. ΕΣΘ et ΟΙΣΘ . 268. ἱστορίας et
ACCENT ou Esprit à changer. 287. πορείας . 229. καί et ζ΄ . 189. - et .
336. 339. 84. 131. 60. 349. --- - et xel. 390. - εἰ ὡς. 59.
AMPLIFICATION du texte original. 97. KTHMA et XPHMA. 199. ΛΟΓΟΣ
ANONYMES (CONJECTURES) à la marge et AOAOE. 198 note. et ΝΟΟΣ.
des livres. 83. 470. et ΤΟΠΟΣ. 297. ΟΥΚΑΛΩΣ
ANTICIPATION. 423. 495 .
APOSTROPHE à rétablir. 135. 267. el ΟΥΚΑΛΛΩΣ . 179. ΤΗΝ et TICIN.
397. τῷ ῥῷ et χρῳ . 248. φίλοι et
B. φειδόμενοι (οι φειδοί ?) . 125. γρ . (γρά
φεται οι γραπτέον) et γε. 420. Voy.
BARBARISME rétabli par conjecture Prépositions.
dans Lucien. SI . CONJECTURES négligées , quoique bon-
nes, par les éditeurs. 490. confir-
C. mées après coup par un témoignage de
-
ms. [C. vers 338. 212. 225. ] · démen-
CITATIONS marginales insérées dans ties par la découverte de règles parti-
le texte . 22 . culières au langage de l'écrivain ,
CONFUSIONS de lettres. IC et N. 263 . l'absence de l'hiatus, par exemple. 164.
286. 115. TC et N. 207. 426. Ev et 308. nombreuses sur un même
εobat. 346. Autres plus connues , passage. 277. 295 .
signalées notamment dans la Commen- CRASES méconnues. 6. 94. 136. 195 .
tatio Palæographica de Bast : 86. 289. 394. 397.
168 -
D. perfectionner. 76. sans raison
apparente. 465.
DEMOSTHENE. Le ms. Σ de cet auteur IOTACISME c'est l'origine de cer-
ne donne pas toujours la meilleure taines fautes. 114. 208. 295. 74. 145 .
leçon . 134. ISS . 249. 428.
DIALOGUE DRAMATIQUE (ALTÉRATION ISOPSÉPHIE. 464 note.
DANS LA DISTRIBUTION DU). 307. · par
suite de la perte d'un vers. 113. J. K. L.
DIASCEVE (ou Interpolation, au sens
latin de ce mot, qui a pris une autre LACUNES provenant d'accidents ma-
acception dans notre langue : voy. page tériels (tels que taches, trous , déchi-
6, note). 92. 24. 34. 36. 212. 442. rures, effacement), actuellement visibles
[C. vers 334] - vient souvent à la sur les monuments ou les manuscrits
suite d'une première faute. 382. 395. conservés. 500. 188. attribuées par
DIGRAPHIE. Définition pages 68-69 conjecture à l'archétype : voy. Omis-
note. Exemples : 427. 139. 343 (KAI , sions. anciennement comblées au
ou plutôt Kou IC, après 1C). moyen de mauvais suppléments. 73
DITTOGRAPHIE. Mot équivoque : p. [ cf. C. vers 52-53 . 278] 317 (C. v. 196.
69 note. Voy. Digraphie, Variantes Cf. 131-132.] 116.
(Juxtaposition de). LEÇONS (BONNES) d'excellents mss.
DIVISION DES MOTS méconnue. 293 . négligées par les éditeurs. 9. - de
63. 141. 491. 256. 329. 129. [ C. vers première main corrigées dans les mss.
77-78. ] 123. - fournies ou suggérées par des
mss. sans autorité. 66.
E. LUCIEN. Des scholies ont envahi de
très-bonne heure le texte de son Traité
ESPRIT. Voy. Accent. de la Manière d'écrire l'Histoire. 61 .
F. M.
FAUTES signalées, non corrigées. 68. MARGINALES (Lettres) indiquant les
71 (mais cf. 178). noms des personnages, confondues
avec le texte. 391. Cf. Citations, Gloses,
G. Scholies, Observations de lecteurs.
GLOSES AJOUTÉES au texte. 28. 30 . N.
89. 409. 118. 176. 452. 200. 273. 310.
372. 417-422 . 101. 20. -- dans le corps NONNUS et ses imitateurs. Le style
d'un mot. 258. GLOSES SUBSTITUÉES . de leurs poëmes rend compte des
416. 298. 121. 222. 306. [ C. vers 176. ] omissions et des transpositions fré-
GRAMMATICALES (CORRECTIONS) sans quentes dans les manuscrits qui nous
fondement paléographique . 478. 243 . les ont conservés . 318 .
410.
0.
H.
OBSERVATIONS DE LECTEURS intro-
HÉRÉSIE chez un Père de l'Eglise, duites dans le texte. 497. Page 131
imputable à une faute de copiste. 499. note (sur Hérodote, VII, 139).
HIATUS. Dans certains orateurs , OMISSION d'une lettre ou d'un
c'est l'indice d'une altération . 151 . groupe de lettres devant une lettre ou
282.
un groupe semblable. 321. 219. 1. 255.
I. 303. 444. 448. 451. 311. 347. 363. 250.
274. causée par la répétition d'un
INFLUENCE des mots voisins . 400. groupe de lettres à quelque distance.
48. 171. 198 note . 239. 240. 401. 278. 56. 190. d'un mot devant un mot
319. [C. v. 79. ] - de l'idée dominante ayant les mêmes lettres initiales et
d'un passage . 171. 471. - d'une finales. 356. 440. - d'une ligne. 370.
- signalée, non réparée . 318 [ C. v.
préoccupation du copiste. [ C. vers
311.] .- cause du remanie-
63-66. 214-216) .-:
INTERPOLATION. Voy. Diascève. ment d'un vers . 266.
INTRUSION involontaire. Voy. Cita- P.
tions marginales, Gloses ajoutées,
Scholies insérées, Marginales (Lettres), PARENTHÈSE méconnue. 412 .
Observations de lecteurs. - volontaire, PONCTUATION (Mauvaise) . 225. 247.
en vue de compléter le texte ou dé 270. 290. 291. 330. 352. 362. 498.
l'allonger. 66. 99. 472. Voy. Sticho- PREPOSITIONS : souvent confondues
métrie, Scholies versifiées. - de le dans l'écriture abrégée . 358 (diá et
- 169
ὑπέρ) . 361 (ἐν pour ἀντὶ τοῦ) . 230-234 . STICHOMÉTRIE (Application de la) à
345. 351. 399. 402. 404. 405. 407. 476. la critique verbale. 98. 99. Cf. 221 ,
447. 280. 126. 127. 128. Cf. 317, 425 , 279.
454. SUBSTITUTION ARBITRAIRE d'un mot
PROPRES (NOMS ) méconnus. § . 33 . à un autre. 19.
58. 244. [ C. vers 65. ] SUPPLEMENTS . Voy. Restitution, La-
cunes.
Q. R. SYNONYMES (PERMUTATION Des ) . [ C.
v. 311.]
RAPPROCHEMENTS (Usage des) avec
d'autres passages du même auteur, ou T.
de ses imitateurs, ou de ses modèles,
ou d'autres écrivains de son école. 187 .
197. 50. TÉMÉRITÉ en matière de conjecture.
RARETE des mots, des formes , des Ce que c'est : 66. Exemple cité : 105 .
constructions : origine fréquente de TERMINOLOGIE PHILOLOGIQUE (Imper-
mauvaises lectures. 374. 375 , 342. 364. fection de la) . 184 n . 9 n.
13. 75. 80. [ C. vers 314. ] 120. 150. THEOGNIS . Preuve à priori de l'exis-
180. 38. 226. Voy. Crases , Propres tence d'intrusions nombreuses dans le
(Noms) , Tmèse. recueil que nous avons sous son nom.
RÈGLES FAUSSES : principe d'alté- 472.
ration. 380. TMESE méconnue . 462 .
RESTAURATION (ou correction de TRADUCTIONS ( Usage des anciennes)
passages altérés gravement et en en critique verbale. 227. 228. 235. 236.
plusieurs endroits. Il y aurait avantage à 241 .
réserver pour un autre emploi le mot TRANSPOSITIONS . [ C. v. 28-29 et
« Restitution » auquel l'usage présent 169-176] 3. 4. 500 note. Elles pro-
attribue deux acceptions assez diffé- viennent ordinairement d'une omission.
rentes. Voy. l'article suivant). 238. 22 . 318. - quelquefois de diascève, à
60. 106. 107. 113. 133. 206. 464 . - la suite d'une première faute. 216.
incomplète. 140. 382 . 369. Transpositions par permutation.
RESTITUTION (ou correction par 456. [ C. v. 25-27 . 331-332 .] 2. 21. 103 .
laquelle on comble une lacune soit 148. 159. 217. 283 .
actuellement visible, soit présumée).
[C. vers 72-73 ] . 138. 215. 260. 271 . U. V.
340. 389. Voy. Lacunes, Omission .
RETICENCE méconnue. 276.
VARIANTES (Classement et Réduction
S. des). [ C. v. 10. 191-193 . 215. 309-311.
332. 361.] (Conciliation des) :
SCHOLIES (Usage des) en critique corrections obtenues par ce procédé.
verbale. 166. 84. 122. 323. 386. 499. 450. 82. 147. -- (Juxtaposition de)
490. 493. - déplacées . 105. 320. dans le texte même . 439. 453.
insérées. 59-61 . 192 (cf. 133 ) . 202. 366.
413. - versifiées. 321. W. X. Y. Z.
II. TABLE DES COLLABORATEURS .

ALBERT (Maurice) , élève de l'École Normale Supérieure. Exercice 499 note.


Anonyme. 83 .
BOURGET (Paul), auditeur à l'École pratique des Hautes Études. 8 , 18 , 20,
29, 48, 65 .
CARTAULT (Augustin) , élève de l'École Normale . [ Coll . v. 52-53 . ]
CHATELAIN (Emile) , élève de l'École des Hautes Études. 15 , 47, 48, 101 ,
102 , 103 , 154, 155 , 162 , 213 , 264 , 272 , 316 , 321 , 323 , 381 .
DROZ (Édouard) , élève de l'École Normale. 499 note.
DUCHESNE (L'abbé George), élève de l'École des Hautes Études . 125 , 126,
128, 132 , 182 note, 187 , 192 , 200, 255 , 262 , 277 , 298 .
DULAC , auditeur à l'École des Hautes Études. 499 note.
DURAND (Henri) , élève de l'École Normale. 499 note.
GANDERAX (Louis), élève de l'École Normale. 500 note.
GRAUX (Charles) , élève, puis répétiteur, à l'École des Hautes Études.
16, 41-45 , 87 , 104 , 105 , 112 , 148 , 154, 184 , 185 , 193 , 194, 273 , 277 , 278, 279,
303 , 305 , 310, 311 , 312 , 319 , 322 , 325 , 326, 330, 365 , 366, 367 , 452, 454, 460,
461 , 479, 500, 462 note, 464 note, 499 note.
GRÉGOIRE (André), élève de l'École Normale. 198 note.
HÉMON, élève de l'École Normale. [ Coll . v. 317. ]
LEBARQ (L'abbé) , auditeur à l'École des Hautes Études . 291 .
LE COULTRE (Jules), auditeur à l'École des Hautes Études. 17.
NICOLE (Jules), élève, puis répétiteur, à l'École des Hautes Études. 14, 21 ,
166, 190, 191 , 304, 344, 348.
III . TABLE DES PASSAGES CORRIGÉS .

N. B. Les conjectures auxquelles renvoient les n° accompagnés du signe * sont


mauvaises , ainsi que celle que nous avons publiée sous le n° 184.

ALCÉE 1040 476


Scholie sur le vers 926 IS
Fragments du recueil de Bergk (Poetæ Nuées
Lyrici Græci) 40 et 41 ( Dans Athénée, 593 195
I, 22 F; X, 430 C; XI, 481 A. )
Exercice 478 ARISTOTE
ALEXIS
Politique
85 I, ch. 8, p. 1256 B, 1. 27 46
Chez Athénée, VI, page 226
Rhetorique, Livre II
ANTHOLOGIE PALATINE Chap. 1 , p. 1377 B, 1. 29-31 462 n.
2 passim 456-460 et 462 n.
VI, 226 (Léonidas) 464 3, p. 1380 A, 1. 31-33 461
ib., 238 (Apollonidès) 295 8, p. 1385 B, 1. 32 500 n.
VII, 524 ( Callimaque ) 463 23 , p. 1397-1398 462
IX, 350 (Léonidas d'Alexandrie) 464 n.
ATHÉNÉE
APOLLONIDES
Voy. ALCÉE, ALEXIS et POSIDIPPE
Voy. ANTHOLOGIE PALATINE .
BABRIUS
APOLLONIUS DE RHODES VII , 7 74
IX, 9 75
I, 870 XXIII, 3-5 76
II, 365 [ Notes sur Colluthus , vers 271 ] XXIV, 4-5 54
ib. , 771 II 78
XXXI, 22 80
ARISTODÈME (Fragmenta Histori- L, 10
LI, 10 124
corum Græcorum , éd . K. Müller- 165
Didot, tome V, pages et suivantes) LIII, 8
20

LIX , 17 79
CVI, 8 83
Nombreux passages 126-132 , 182-
189, 280, 309-311
CALLIMAQUE , épigramme XIV
ARISTOPHANE
Voy. ANTHOLOGIE PALATINE
Grenouilles
477 CLÉMENT D'ALEXANDRIE
Vers 467
1395 306
307 Protrepticos , Chapitre II
IS10-1514 16 Klotz , page 14 Potter 133
Guépes 192
6 473 20, p. 16
52-53 474 DÉCRET DU PEUPLE ATHÉNIEN
649 475
166
838 Voy. INSCRIPTION
914-918
- 172 -
DEMOSTHENE 35 , p. 188 66
37, p. 188 32
Discours I ( Olynthienne I) XV (Pour la Liberté des Rhodiens)
Ch. 1, p. 9 29 Ch . 15, p. 194 151
11, p. 12 30 ib. ib. 176
15 , p. 13 178, cf. 71 21 , p . 196 285
19-20, P. 14 12 XVÍ (Pour les Mégalopolitains)
II (Olynthienne II) Ch. 4, p. 202-203 148
Ch. 14, p. 22 136 8, p. 204 286
16, p. 22 137 12, p. 205 9
21 , p. 24 134 16, p. 206 25
26, p. 25 135 17, p. 206 143
27, p. 26 152 20, p. 207 48
29, p . 26 153 25, p. 208 70*
III (Olynthienne III) 31 , p . 210 20
Ch. 6, p. 30 65* ib. ib . I
7, p. 30 118 32, p. 210 164
13 , P. 31-32 62 XIX (Sur l'Ambassade)
ib. , p. 32 104 Ch. 197, p. 403 215
14, p . 32 139 213 , p . 407 142
16 , p. 32-33 98 XX (Contre Leptine)
17, P. 33 64 Ch. 71 , p. 478 287
19, P. 33 49 88, p . 483 72
20, p. 34 112 115 , p. 492 288
27, p. 35-36 140 XXI ( Contre Midias)
28, p . 36 So Ch. 15 , p. 519 308
34, p . 38 141 XXII (Contre Androtion)
IV (Philippique I) Ch. 36, p. 604 10
Ch. 5 , p. 41 273 XXIV (Contre Timocrate)

66
15 , p. 44 27 Ch . 15 , p. 704-705 26
20, p. 45 274 56, p. 718 56
27, P. 47 23 57, p. 718 28
28, p. 47 149 80, p. 726 24
30, p. 48 150
35 , p . so 221 DENYS DE BYZANCE
37, p. So 47
43, P. 52 14 Nombreux passages 223-253 , 397-
49, P. 54 99 408, et page 128 note.
V (Sur la Paix)
Ch. 3, P. 57 138 DENYS D'HALICARNASSE
8, p. 58-59 73
10, p . 59 275 Lettre I à Ammée
11, P. 59 276 Ch . 9 87
17, p. 61 222 Ib. Voy. PHILOCHORE
VI (Philippique II)
Ch. 15 , p. 69 220 DINARQUE
17, P. 70 219 Plusieurs passages
VII (Sur l'Halonnèse) 324-334
Ch. 33 , p. 85 144
VIII (Sur la Chersonèse) DIODORE DE SICILE
Ch. 17, p. 93-94 216
So, p. 102 217 I, 2, I 454
69, p . 106 218 XVIII, 70, 4 305
IX (Philippique III) DION CASSIUS .
Ch. 61 , p. 126 277
65-66, p. 128 278
Fragment 20, p. 626-627 (éd . Gros
X (Philippique IV) et Boissée) . 169
Ch. 20, p. 136 282
45 , P. 143 283 ESCHYLE
SI , p. 144 284
ΧΙΙΙ (Περὶ Συντάξεως) Perses
Ch. 17, p. 171 279 vers 161-162 290
26, p. 173-174 281 254-255 291
XIV (Sur les Symmories) 277 292
Ch. 1 , p. 178 146 603 293
ib. ib. 147 834-836 289
- 173
Suppliantes Médée
77-81 206 77 296
148 203 274 297
204 204 296 298
229 207 Oreste
239 205 1211 90
242 162 Erechthee (fragment d') .
268 155 V. 10 7
330-331 161 EURIPIDE (Scholiaste d')
383 163 Hippolyte nombreux passages 343-
405-406 294 362
530 156
537 159 EUSÈBE (Fragmenta Historicorum
539 160 Græcorum, éd. K. Müller-Didot, tome
560 157 V, pages 21 et suivantes)
562 158
$68 211 Quatre passages 312-315
636 212
665 213 Saint GRÉGOIRE DE NAZIANZE
672-673 214
857-858 210 Oraison funèbre de Césaire
Plusieurs passages 495-499
924 208
1006 209 HÉRODOTE
Scholie sur le v. 299 154 200
II, 1
Ib., s 201
ÉSOPIQUES (FABLES) 202
Ib. , 7
Fable 291 (éd . Halm) 81 Trés-nombreux passages de tous les
livres. 409-444
EURIPIDE HÉSIODE
Hippolyte Travaux et Jours, v. $ 7 468
vers 29-33 97
99 96 HISTORICORUM GRÆCORUM
103 96 FRAGMENTA
214 43
261 445 Voy. ARISTODÈME , EUSEBE,
290-292 34 PHILOCHORE, PRISCUS.
351 268
379-389 22 HOMÈRE
396 335
431 19 Odyssée
449 6 I, 238 465
465 269 XI , 144 466
703 53 ib. 204 467
799 91 HYPÉRIDE
836-837 103
933 120 Pour Euxenippe
986 9༨ Colonne 30 2
༡༡༠ 92 31-32 31 *
1002 271 fragment 210 Blass 21
1018 93
1052 261 INSCRIPTION (Ussing , Inscriptions
1076 270 grecques inédites, n° 7) 500
1091 94
1115 272 ISÉE
1213-1214 286
1228 70 (Argument anonyme du plaidoyer
1307 145 d') sur l'Héritage d'Aristarque, ligne
20 Scheibe 193
1315 163
1346 262
264 ISOCRATE
1369
1416-1422 265 A Démonique, 46, page 12 B 194
1430 266
1459-1460 267 LÉONIDAS
Iphigénie à Aulis
968-969 69 Voy. ANTHOLOGIE PALATINE
- 174
LUCIEN ib. 53-54 488
Alexandre ib. 61-62 489
ib. 95-97 490
Ch. 2, p. 209 299 III, 17
34-35, p. 342 300 12- 491
V, 13 492
Sur les Familiers à gages
Ch. 1 , p. 652 VI, 82 (et scholie) 493
301 VII, 46
27, p. 686 302 494
ib. ib . PLATON
303
Sur la Manière d'écrire l'Histoire
Ch. 6 , p. 8 Gorgias
44 page 483 A 191
7, p. 8 63 523 C 190
8, p. 10 89 527 C 45
9, p. 12 57* ib. C-D 119
10, p. 13-14 363 Phédon
ib. p. 15 60 page 62 A
21, p. 29 455
364 page 68 3
22 , p . 30° SI PLUTARQUE
24, p. 32 365
25 , P. 33-34 366 Vie de Sylla
26, p. 34 367 page 454 171
37, p. 49 ‫ور‬ 455 179
ib. ib. 368 POSIDIPPE
so, p. 61 369
ȘI , p. 62 370 (Chez Athénée , XIII, page 596) 33
ib. ib. 371
ib. p. 62-63 372 PRISCUS (Fragmenta Historicorum
$ 3, p. 63 52 Græcorum, éd . K. Müller-Didot, tome
54, p. 64 61 V, p. 24)
59, p. 67 SS fragment I 125
Songe ou Coq SCHOLIASTES
Ch. 14, P. 724 101
18, p. 730 102
Voy. ARISTOPHANE , ESCHYLE, EURI-
LYCURGUE PIDE, MUSÉE, PINDARE , SOPHOCLE .
Page 161. Voy. EURIPIDE, fragment SOPHOCLE
d'Erechthée.
LYSIAS Antigone
VII, 2, vers 4-6 380
100
Ib. , >, IS 381
42 24-25 382
MUSÉE
vers 81 8 30 383
160 (et scholie) 105 62 384
173 316* 385
181 77 386
317 80
303-304 318 323
NONNUS 94 387
177 388
Dionysiaques 178 389
III , 123 182 390
S 220
XLVIII , 302 391
280-281 392
PHILOCHORE 465-468 117
513 121
(Chez Denys d'Halicarnasse , Lettre I 519 82
à Ammée, 9) 167 726 et 728 393
99༠ 394
PINDARE 1112 84
1170-1171 395
Olympiques 1178
I, 27 (éd. Tycho Mommsen) 35
482 1183 396
ib. 37-38 483 Électre
ib. 88 89 484
ib . 99 316 38
ib. 110 485 1301-1302 36
48 6 Edipe à Colone
II, 35-36 487 250 122
- 175
263-269 107, 373 THÉOGNIS
277 109 vers 19 469
328 123 91 470
495 IIS 453 471
588-589 116 461-462 472
813 106 675 18
1003 37 THUCYDIDE
1426 374 Livre I
1662 110 Ch. 36 446
Edipe Roi 37 447
409 108
43 448
579 114 73 449
622-629 113 124 450
936 180
125 451
987 67 Livre II

1885
1076 375 Ch. 8 13
Philoctete 10 68
39 196 II 16
42 197 37 254
SS 198 40 41*
81 199 41
268 39
376 52 255
625 377 $3 256
1269 198 n. ib. 40
1387 378 54 260
Trachiniennes $9
160 172 257
181 64 258
373 65 259*, 88
714-718 173 TRIPHIODORE
723 174 vers 152 168
929 175 XENOPHON
935 III
941 177 Anabase, Livre I
1129 379 1, S 337
1216 336 ib. 11 452
SOPHOCLE (Scholiaste de) 2, 15 453
Sur Antigone, v. 14, 33-34, 64, 69 , 3,5-6 338
80-81 319-323 ib. 18 339
THEOCRITE 6,6 340
8, 10 341
Idylle 1 , v. 148 479 9, 27 342
XI, 50-51 (53-54) 480 Mémorables, Livre I
XV, 144 481 3, I 304

FIN.

Nogent- le-Rotrou , Imprimerie de A. GOUVERNEUR .


BIBLIOTHÈQUE

DE L'ÉCOLE

DES HAUTES ÉTUDES

PUBLIÉE SOUS LES AUSPICES

DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

SCIENCES PHILOLOGIQUES ET HISTORIQUES

DIXIEME FASCICULE

EXERCICES CRITIQUES DE LA CONFÉRENCE DE PHILOLOGIE GRECQUE , RECUEILLIS


ET RÉDIGÉS PAR ED. TOURNIER, DIRECTEUR D'ÉTUDES ADJOINT.
1er août 1872-1er août 1875

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PARIS

LIBRAIRIE A. FRANCK
F. VIEWEG, PROPRIÉTAIRE
RUE RICHELIEU, 67
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CONFÉRENCE DE PHILOLOGIE GRECQUE


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DE LA

CONFÉRENCE DE PHILOLOGIE GRECQUE

( 1er août 1872 - 1er août 1875 )

RECUEILLIS ET RÉDIGÉS PAR

ED. TOURNIER ,
2
DIRECTEUR D'ÉTUDES ADJOINT

ORSU
RETR

PARIS

LIBRAIRIE A. FRANCK

F. VIEWEG, PROPRIÉTAIRE
67, RUE RICHELIEU
1875

۱۲
PRÉFACE .

Faire connaître l'origine de ce recueil ; l'approprier, par quelques


indications complémentaires , à l'usage des personnes qui désirent
étudier les procédés et les règles de la critique verbale ; enfin , signa-
ler et réparer celles de nos fautes qu'il nous a été donné de recon-
naître tel est le triple objet de cette préface.
Depuis le premier jour de son existence , l'École pratique des
Hautes Études n'a pas cessé d'exercer un certain nombre de ses élèves
à la critique des textes grecs. A l'origine , cet enseignement était
étroitement lié à celui de la Paléographie. C'est ainsi que les fac-
simile joints à une édition de Colluthus dont son auteur, l'illustre
sinologue Stanislas Julien , nous avait offert libéralement plusieurs
exemplaires , devinrent , par la force des choses , le premier texte
d'étude philologique proposé aux élèves de notre conférence. On
pourra se faire une idée de ce qu'a été cette première année d'ensei-
gnement , en parcourant le troisième fascicule (Notes critiques sur
Colluthus) de la Bibliothèque de l'École .
Dès l'année suivante , les élèves , qui , jusque-là , n'avaient guère
cessé d'être simples auditeurs que pour répondre à des questions , ou
déchiffrer à tour de rôle quelques lignes de vieille écriture , com-
mencèrent à jouer un rôle plus actif. Chacun d'eux dut copier à la
Bibliothèque Nationale quelques morceaux de Vies de Saints res-
tées inédites. Le texte qu'ils avaient transcrit était ensuite accentué,
ponctué, et, au besoin , corrigé , avec leur concours et celui de leurs
a
II

condisciples , comme s'il eût dû être publié . En même temps qu'on


les initiait ainsi par la pratique à l'art de l'éditeur, on ne négligeait
pas de leur en faire connaître la théorie. L'Exposition des Principes
de la Critique des Textes qu'on trouvera à la suite de cette préface
n'est, en effet, sauf des modifications de détail , que la reproduction
d'une leçon faite à cette époque , et publiée au commencement de
1870 dans la Revue des Cours Littéraires (nºs des 22 et 29 janvier)
sous ce titre : « Qu'est-ce que faire une édition ? »
L'année 1872 inaugura pour la Conférence le genre de travaux
auquel ce fascicule doit son origine . Dès lors , un certain nombre de
textes fut distribué chaque semaine aux élèves pour servir de ma-
tières à autant de dissertations, qui, à leur tour, étaient l'objet d'un
examen approfondi dans la séance suivante . Chaque dissertation
devait mentionner , d'abord les leçons des manuscrits, soit d'après
l'édition critique la plus recommandable, soit d'après les manuscrits
mêmes , quand la chose était possible . Venaient ensuite les variantes
des éditions, avec les notes qu'avaient pu y joindre les éditeurs ;
puis les interprétations , soit des commentateurs , soit des traduc-
teurs mêmes , de ceux du moins qu'il pouvait être utile de consul-
ter. Ces recherches préparatoires terminées, l'élève devait examiner
et discuter, en premier lieu les leçons traditionnelles, au double
point de vue de leur filiation ou de leur parenté mutuelle , et de leur
valeur propre ; puis les explications proposées ; ensuite , les essais de
restitution des critiques . Enfin, il concluait, soit en se rangeant à
l'avis d'un des philologues dont il avait rapporté l'opinion , soit en
s'efforçant de justifier le texte traditionnel au moyen d'une inter-
prétation originale ; le plus souvent , en émettant une conjecture
nouvelle.
Ces conjectures, qui occupent dans notre recueil une place assez
notable, doivent toujours être considérées comme propres aux élèves
à qui elles sont attribuées en d'autres termes , si on leur fait l'hon-
neur de les citer , ce devra être , exclusivement, sous le nom dont elles
sont signées. A plus forte raison , en faut- il dire autant des obser-
vations critiques suivies de la mention Communiqué par .... Là , en
effet, ce n'est pas seulement la correction qui est due au signataire ,
c'est encore le choix du texte , souvent la découverte de la faute,
quelquefois la rédaction même. Les conjectures anonymes appar-
tiennent en propre au Directeur-adjoint de la Conférence. Dans cette
catégorie sont comprises notamment celles qui ont rapport à Héro-
- III -

dote, au Scholiaste d'Euripide , et au texte récemment publié de


Denys de Byzance , ces trois auteurs ayant été matières de leçons , et
non d'exercices. On remarquera peut-être que le nombre de ces con-
jectures sans nom d'auteur devient, relativement, beaucoup plus
considérable vers la fin du fascicule la faute en est à une rencontre
fortuite de circonstances qui a fait perdre, d'un coup , à notre Con-
férence, dans le courant de l'année dernière , tout ce qu'elle comptait
d'élèves suffisamment exercés à ce genre de travail 1. Les dernières
feuilles ont cela, encore , de particulier, qu'on y a mentionné, en note ,
quelques conjectures dues à des élèves de l'École Normale. On en
aurait eu , certainement, un bien plus grand nombre à citer, si la
critique des textes était à l'École Normale, comme à l'École des
Hautes Études, l'objet d'un enseignement spécial et distinct.
Les procédés de la critique sont, jusqu'à un certain point , sujets
à varier, suivant les auteurs à qui elle s'applique. Aussi s'est-on
attaché à composer ce fascicule des éléments les plus divers . Les
principaux dialectes , la plupart des genres, y sont représentés . Si ,
à côté des plus beaux monuments de l'époque classique , on n'a pas
craint d'y introduire les scholiastes , c'est que l'écriture généra-
lement consacrée , dans les manuscrits anciens , à la reproduction
des scholies , autorise beaucoup de corrections qui , transportées à
d'autres textes, cesseraient d'être légitimes : de sorte que rien ne
peut remplacer cette étude pour qui s'occupe des applications de la
Paléographie à la Critique . Si Homère est loin d'y tenir une place
proportionnée à son importance , c'est que le peu qu'on croit savoir
de la transmission des poëmes homériques concourt, avec tout ce
qu'on en ignore , à faire de l'élaboration critique , en ce qui les con-
cerne, une entreprise singulièrement hasardeuse, et dont les règles
particulières sont encore loin d'être fixées avec une précision suffi-
sante.

C'est principalement aux futurs élèves de l'École que s'adresse


notre publication : c'est à eux surtout que nous pensons , en indi-

1. L'abbé Louis Duchesne, envoyé en mission philologique à Rome


et en Grèce ; Jules Nicole (élève , puis répétiteur), nommé professeur
de Littérature grecque à l'Académie de Genève ; Charles Graux, nommé
répétiteur à l'École ; Émile Chatelain, qui s'est toujours occupé prin-
cipalement de philologie latine , et paraît devoir, désormais , se con-
sacrer exclusivement à cette étude .
- IV

quant ici la meilleure marche à suivre pour y apprendre les éléments


de la Critique.
On étudiera préalablement , après avoir lu la Leçon préliminaire :
4° Les spécimens d'écriture onciale contenus dans le Livre III de
la Palæographia Græca de Montfaucon .
2º Le petit ouvrage de Wattenbach (Anleitung zur Griechischen
Palæographie, Leipzig , Hirzel , 1867) , ou , tout au moins , la partie
autographiée de cet ouvrage, de laquelle la Bibliothèque de l'Univer-
sité possède une traduction manuscrite , due à Charles Graux.
3º La Commentatio Palæographica de Bast (à la suite de Gré-
goire de Corinthe, De Dialectis , éd . Schæfer) ¹ .
Puis on lira successivement les exercices auxquels renvoient les
articles suivants de la Table I :
Lacunes provenant d'accidents matériels.
Variantes.
Ponctuation . Accent. Apostrophe. Division des mots. Dialogue
dramatique (Distribution du ) . Parenthèse.
Iotacisme .
Traductions (Usage des anciennes) . Scholies ( Usage des ) . Iso-
pséphie.
Fautes signalées , non corrigées.
Abréviations . Confusions de lettres . Prépositions.
Omission. Scholies déplacées . Transpositions. Digraphie.
Influence. Rareté. Propres (Noms ) . Règles fausses. Grammaticales
(Corrections) .
Gloses ajoutées . Scholies insérées . Citations marginales . Observa-
tions de lecteurs . Intrusion .
Gloses substituées .
Diascève.
Substitution arbitraire . Restitution .
Amplification du texte original.
Restauration.
Les autres articles de la table.

1. Le seul manuel, à notre connaissance , qui puisse, dans une cer-


taine mesure, tenir lieu de ce livre et des précédents, est la courte
brochure (Studia Palæographica, Leyde, 1871 ) où I. C. Vollgraff a exposé,
en les éclairant au moyen d'exemples généralement bien choisis , et
souvent très- piquants, les principales applications de la Paléographie à
la critique des textes grecs .
Après cette lecture, on aura une connaissance assez complète des
principaux genres de fautes , comme des procédés généraux qui ser-
vent à la restauration des textes, pour être à même d'apprécier la
légitimité des corrections conjecturales proposées par les critiques ,
et aussi de s'exercer avec fruit à l'application de leur méthode , d'a-
bord sur les textes non encore étudiés de notre recueil ou ceux des
publications analogues , puis sur les passages suspects d'altération
que l'on rencontrera en lisant les auteurs .
Il n'est question qu'incidemment , dans nos Exercices , du classe-
ment des manuscrits ; et ce qu'on trouvera sur ce sujet dans les
Notes critiques sur Colluthus ne contient que les résultats de tra-
vaux antérieurs . Le xxne fascicule de notre Bibliothèque ( Les Pleurs
de Philippe, poëme grec publié par l'abbé Emmanuel Auvray) pourra
servir à combler cette lacune . Nous y signalerons notamment une
très-ingénieuse invention , dont l'honneur , si nous ne nous trom-
pons , revient tout entier au jeune éditeur elle consiste à rendre
sensibles , au moyen d'un tableau des lacunes qui se rencontrent
dans les différents manuscrits , les rapports de parenté qui existent
entre eux . Nous croyons aussi pouvoir recommander à l'avance ,
comme devant renfermer un classement de manuscrits rigoureu-
sement méthodique et fortement motivé, l'édition du Cinquième
livre de Philon l'Ingénieur (ou de l'opuscule connu sous ce titre)
que prépare Charles Graux pour faire partie de la même collection .
Les élèves de notre École, à quelque conférence qu'ils appartiennent ,
n'ont pas besoin qu'on les renvoie , pour tout ce qui regarde cette
première partie de la tâche de l'éditeur, à l'Introduction dont Gaston
Paris a fait précéder son édition de la Vie de S. Alexis (vie fasci-
cule) . Dans la Notice de Charles Thurot sur un manuscrit du xiie
siècle des Epistolæ ad Familiares de Cicéron (xvII fascicule) , on
trouvera, outre des exemples de la méthode à suivre dans la discus-
sion des variantes, un certain nombre d'observations utiles pour
la théorie de la Critique conjecturale .
Parmi les ouvrages analogues au nôtre qu'il y aura profit à lire
et à étudier, ceux de Dobree (dont les notes sont, d'ailleurs , trop
brèves pour servir à l'instruction des commençants) , de Cobet , de
Meineke, occupent le premier rang . Madvig est peut-être sans rival
dans cette partie de la Critique qui consiste à démontrer l'existence
des altérations et , à cet égard , on ne peut trop recommander la
lecture de ses Adversaria . Malheureusement , des inadvertances
- VI -

nombreuses déparent ce précieux recueil ; et le grand philologue


danois, nonobstant le renom européen de sa Syntaxe grecque , n'est
évidemment égal à lui-même que dans la critique des textes latins.
D'autre part, son Introduction , intitulée Artis criticæ conjecturalis
Adumbratio, a le grave défaut d'être incomplète de propos délibéré,
et d'exclure systématiquement toute une partie essentielle et consi-
dérable de la méthode qu'elle prétend exposer. Un complément
nécessaire de cette lecture sera l'étude des travaux de Heimsæth, ou
encore des appendices critiques joints par Nauck au Sophocle de
Schneidewin, ou enfin des éditions que Henri Weil a données d'Es-
chyle et de Sept tragédies d'Euripide ' .

Nous ne nous croirions pas quittes envers ceux à qui ces conseils
sont adressés , si nous ne leur donnions , de plus , le bon exemple
d'avouer ici nos fautes . En trois ans , nous avons eu le temps de
changer d'avis sur certains points , et de reconnaître que nous nous
étions trompés dans plusieurs de nos conjectures . D'autres fois , les
élèves chargés de rechercher les corrections précédemment proposées
par les critiques, ne se sont pas acquittés de ce soin avec toute
l'exactitude désirable et nous avons appris trop tard que nous
nous étions approprié, à notre insu , les idées d'autrui . L'errata que
voici concerne uniquement les fautes qui rentrent dans l'une de ces
catégories.

1. Voici l'indication exacte de ceux de ces ouvrages que nous recom-


mandons principalement : DOBREE . Adversaria critica, Cambridge 1831-
1832 ; Berlin, Calvary, 1874-1875. - COBET. Surtout : De Arte interpretandi
Grammatices et Critices fundamentis innixa, Leyde 1847. Variæ Lectiones
(2 éd. augmentée) , Leyde 1873. Nova Lectiones, Leyde 1858.-A. MEINEKE.
Notamment Vindiciarum Strabonianarum Liber, Berlin 1852. -- Analecta
critica ad Athenæi Deipnosophistas. Leipzig, Teubner, 1867.- MADVIG, Adver-
saria critica (vol . I : De Arte conjecturali. Emendationes Græcæ; vol . II :
Emendationes Latina Copenhague 1871-1873. - HEIMSOETH, Die Wieder-
herstellung der Dramen des Eschylus, Bonn 1861. - Die indirecte Ueber-
lieferung des Eschylischen Textes, Bonn 1862. - Kritische Studien zu den
griechischen Tragikern, Bonn 1865. De diversa diversorum mendorum
emendatione, Bonn, 1866-1868. · De vitiorum in codicibus generibus a Mad-
vigio definitis, Bonn , 1871-1872 . — H. WEIL, Æschyli quæ supersunt Tragœ-
dia, Giessen 1858-1867 . Sept tragédies d'Euripide, Paris, Hachette , 1868 .
(Les pages XXXV-XLV de l'Introduction mettent en lumière divers points
de théorie laissés dans l'ombre par Madvig . ) NAUCK, Sophocles erklært
von Schneidewin. (Dernière édition donnée par AUGUST NAUCK , Berlin ,
Weidmann, 1869-1873.)
VII
Nous retirons les conjectures proposées sous les nºs 31 , 41 , 57 ,
65, 70 , 184 , 259 , 316. Celle du n° 74 est corrigée au n° 178.
La priorité des suivantes appartient à d'autres : 8 [ D'Orville] ; 30
[Cobet] ; 42 [ un manuscrit secondaire et Reiske] ; 46 [ Lambin ] ; 404
[Dobree] ; 200 [ Cobet] ; 225 et 226 [ un journaliste grec, à ce qu'on
nous rapporte] ; 263 [ Herwerden ] ; 312 [ Louis Dindorf] ; 446 [ Bloom-
you field]. (Nous avons devancé Badham en ce qui regarde les conjectures
13 et 88. La faute que nous nous étions bornés , par exception , à
signaler, sous le nº 68, a été corrigée depuis par le même critique . )
Nous ne saurions , d'ailleurs , prendre la responsabilité de toutes
les attributions qui précèdent. Pour la plupart, nous ne faisons que
parler sur la foi d'autrui , et d'après des renseignements trop vagues
pour qu'il ait toujours été possible d'en vérifier l'exactitude .
Il reste à signaler quelques fautes de détail, typographiques ou
autres, et quelques omissions .
Exercice 12 , ligne : « ch . 20. » Lisez : « ch . 19. »
Exercice 23 , ligne 13 : « Mevéλzov inлaρуsiv ; » Écrivez , en fai-
sant disparaitre le point d'interrogation : « Μενέλαον ἱππαρχεῖν . »
Exercice 46 , fin . Ajoutez : « [Jules Nicole , élève. ] » (Mais on a vu
plus haut que la priorité appartient à Lambin .)
Exercice 50. Après la ligne 18 , ajoutez : « Au surplus , on lit dans
un passage imité de celui-ci (Περὶ Συντάξεως, ch. 27) : οὓς δ᾽ἐν τῷ
πολέμῳ συμμάχους ἐκτησάμεθα , οὗτοι νῦν ἐν τῇ εἰρήνῃ ἀπολώλασιν. »
Exercice 53 , fin . Ajoutez : « D'ailleurs, on pourrait aussi , sauf à
expliquer autrement la faute, corriger : 10 ' poù xwpeïv λóyog. Cf.
Sophocle , Odipe Roi, 4007 : ἀλλ᾽ οὔποτ᾽ εἶμι τοῖς φυτεύσασίν γ᾽ ὁμοῦ .
Et nous ne sommes pas éloignés de préférer cette conjecture à la
précédente. >>>
Exercice 125 , fin . Ajoutez : « Cependant, on pourrait encore
songer à perdo , qui serait moins élégant peut-être, mais s'éloigne-
rait moins de la lecon φίλοι . »
Exercice 129 , fin . Ajoutez « Cf. Thucydide, I , 136 : πapà
Αδμητον τὸν Μολοσσῶν βασιλέα , ὄντα αὐτῷ οὐ φίλον. »
Exercice 133 , ligne : « Protrepticon . » Lisez : « Protrepticos. »
Exercice 457 , fin . Ajoutez « Ailleurs (II, 25 ) , il dit du Nil & è
Netλos év dvop.épos...., en d'autres termes , exactement ce que notre
restitution fait dire à Eschyle . »>
Exercice 183 , fin . Ajoutez : « Cf. Thucydide , I , 89 : öоnеp ýуet̃тo
τῶν ἐν Μυκάλῃ Ἑλλήνων. »
VIII

Exercice 191 , ligne 3 : « Selon la nature, commettre l'injustice


est plus honteux que la souffrir. » Écrivez : « Selon la nature , souf-
frir l'injustice est plus honteux que la commettre . »
Exercice 209 , fin . Ajoutez : « Ou plutôt encore napojev, mot dont
le sens est à peu près le même, et qui ressemble davantage à
πάθωμεν . »
Exercice 275 , ligne 10 « oudèv toútwv oïy'kácas » . Écrivez :
οὐδὲν τούτων... σίγ᾽ ἐάσας . »
Exercice 382, fin . Ajoutez : « On pourrait aussi écrire táp . Cf.
même pièce, vers 196 » .
Exercice 497 , ligne 24 : « substituer aρoτiosis à πρottlèv . » Lisez :
« substituer προτιθὲν ἡ προτιθείς . »
TABLE DES COLLABORATEURS . « DUCHESNE (L'abbé George) . >> Lisez :
« DUCHESNE (L'abbé Louis) . »
TABLE DES PASSAGES CORRIGÉS. (DÉMOSTHÈNE III , Olynthienne III)
« 28 , p. 36 50 ». Ajoutez « Voy. l'errata. » — (DEMOSTHENE
IV, Philippique I) « 27 , p. 47 23 ». Ajoutez « Voy. l'errata. »
___ 209. » Ajoutez : « Voy. l'er-
(ESCHYLE, Suppliantes) « 1006
rata . » - (EURIPIDE, Hippolyte) « < 703 53 ». Ajoutez : « Voy.
l'errata ». - 191 ». Ajoutez :
(PLATON, Gorgias ) « page 483 A
« Voy. l'errata. >> (SOPHOCLE , Antigone) « 24-25 382 ». Ajou-
tez : « Voy. l'errata . >»

La première feuille de ces Exercices a été publiée un peu avant le


1er août 1872 , date inscrite sur le titre de la livraison ; la deuxième ,
vers le 1er novembre de la même année ; les quatre suivantes , en
avril 1874 ; la septième et la huitième , trois mois après ; les trois
dernières , le 12 juin (et non en mai , comme dit le titre) 1875 .
La Préface et l'Introduction, qui vont être envoyées aujourd'hui
même à l'Imprimerie, ne sauraient guère se faire attendre au-delà
du 1er août courant. A l'origine, nous avions cru pouvoir annoncer
qu'il paraîtrait une feuille tous les trimestres : les interruptions
qui , bientôt, sont venues ôter à notre publication toute régula-
rité, n'en auront pas, du moins , retardé l'achèvement .

Paris , 20 juin 1875 .


Ed. TOURNIER.
H

LEÇON PRÉLIMINAIRE .

Exposition des principes de la Critique des textes .

Faut-il entendre par Philologie grecque la science de l'Antiquité


grecque en général , ou bien vaut-il mieux , conformément à l'usage
vulgaire, restreindre le sens de cette expression à la seule étude de
la langue des Grecs et de leur littérature. Quoi qu'il en soit , une
dénomination aussi générale laisse désirer une définition plus pré-
cise de l'objet des travaux et des recherches qui occuperont cette
conférence .
En premier lieu , le cadre prescrit à notre enseignement en exclut
tout ce qui ne rentre pas dans la plus étroite des deux définitions
qui viennent d'être rappelées . A côté de cette conférence , il en existe
une autre, consacrée à l'étude des Antiquités grecques , en d'autres
termes, de l'Histoire politique, de la Géographie, de l'Archéologie,
de tout ce qui n'a un rapport direct ni à l'histoire de la langue ni à
celle de la littérature . Quelque artificielle que puisse paraitre cette
division, elle était nécessaire et nous devons nous y assujettir .
Mais ce serait là , pour un seul cours , une matière encore trop
vaste cette partie même qui reste notre lot propre, nous ne pou-
vons songer à l'embrasser tout entière . D'autres enseigneront ici , ou
dès maintenant, ou aussitôt que les ressources de l'École le permet-
tront, les règles à suivre dans les recherches grammaticales , les
procédés d'enquête qui servent à résoudre les difficiles problèmes de
l'Histoire littéraire , comme on y enseigne, depuis le premier jour, à
déchiffrer et à collationner les manuscrits . C'est du texte des auteurs
seulement que nous nous occuperons . Or, les textes peuvent être
X -

considérés à deux points de vue. On peut les étudier en humaniste


ou en professeur, pour les comprendre ou les interpréter . On peut
les étudier en éditeur, pour les publier. Il y a une méthode exégé-
tique , qui sera l'objet principal d'un autre enseignement. Il y a
aussi une méthode applicable à la constitution des textes . Cette
méthode, à laquelle il manque encore un nom qui lui soit propre
(car celui de Méthode critique est beaucoup trop général) , et qu'on
pourrait peut-être appeler Méthode ecdotique , ou , d'un seul mot ,
Ecdotique ( endotixý , s . -ent. tén) , est celle dont nous commen-
çons aujourd'hui l'étude .
Est-il besoin de dire qu'en séparant , pour la première fois, le
cours de Critique verbale de celui de Paléographie, comme en faisant
une place à part à l'explication des auteurs , on n'entend aucunement
tracer une ligne de démarcation arbitraire entre les objets mêmes de
ce triple enseignement ? Distinguer ces objets , ce n'est pas mécon-
naitre le lien qui les unit . Ils se tiennent de telle façon que l'esprit
qui en considère un est à chaque instant ramené vers les autres. Et
c'est précisément ce qui nous permettra de restreindre notre pro-
gramme sans mutiler notre enseignement. On peut même dire qu'au-
cun autre choix n'aurait eu, à cet égard, les mêmes avantages . En
effet, à considérer par un certain côté toutes les parties si diverses
qui composent la vaste science de l'antiquité, sans en excepter celles
qui ne sont point de notre domaine, on voit qu'il n'y en a aucune
qui ne soit, ou ne puisse devenir, une auxiliaire pour la critique des
textes. Si la Paléographie procure à l'éditeur les matériaux de son
travail, la Grammaire lui en fournit le principal instrument. D'autre
part, il ne suffit pas de bien connaître l'auteur qu'on publie : on ne
saurait impunément ignorer son époque , ses imitateurs , ses mo-
dèles , l'histoire du genre auquel appartiennent ses écrits , en d'autres
termes, se passer du secours de l'Histoire Littéraire . Pour tout ce
qui regarde l'orthographe , quelquefois si difficile à fixer , l'Épigra-
phie offre à l'éditeur des lumières que rien , souvent , ne peut sup-
pléer. Il n'est guère de textes qui ne le forcent , à chaque instant ,
d'interroger l'Archéologie ou la Géographie , la Mythologie ou l'His-
toire. En un mot, les recherches que peut exiger son travail n'ont
d'autres limites que celles de l'érudition même. Que faut-il conclure
de là ? C'est que l'enseignement de la Critique verbale est moins une
des parties qu'une des formes de l'enseignement philologique. Ainsi ,
notre programme, quelque étroit qu'il puisse paraître à première
vue , reste ouvert à toutes les études dont le mot de Philologie éveille
l'idée, prit-on-méme ce mot dans la belle et large acception que lui
attribuaient les Otfried Müller et les Bockh .
- XI

Mais il est temps d'arriver à ce qui est proprement notre objet.


Nous aurons tous à corriger des textes ; quelques-uns d'entre nous
pourront être appelés à en publier. En ce qui regarde la méthode ,
c'est une seule et même chose : car, que la critique ait affaire à des
morceaux isolés ou à des ouvrages de longue haleine, il est évident
que ses procédés restent les mêmes . Tout se réduit donc pour nous
à connaître la méthode à suivre lorsqu'on veut faire une édition . Il
faudrait dire, pour ne pas franchir les bornes qui nous sont assi-

gnées : Une édition d'auteur grec. Mais la fortune des textes grecs
et des textes latins a été à peu près la même ; et les moyens dont on
dispose pour les constituer ne diffèrent pas sensiblement . Nous nous
permettrons donc de parler à la fois des uns et des autres , et nous
dirons Une édition d'auteur grec ou latin .

La tâche de l'éditeur qui publie un texte grec ou latin se compose


essentiellement de trois parties : 1 ° le classement des manuscrits ;
2º le choix des leçons ; 3° la restitution conjecturale des passages
qu'aucun manuscrit autorisé ne parait avoir conservés sans alté-
ration .

Classement des Manuscrits .

Le principe du classement des manuscrits , c'est la parenté, plus


ou moins prochaine, qu'ont nécessairement entre elles toutes les
reproductions d'un même texte. Quant à la nécessité de ce travail
préalable, elle n'est pas difficile à démontrer. Il est clair, en effet,
que toute copie dont l'original direct ou indirect existe encore est ,
par là même, comme non avenue, et ne doit jamais être comptée
parmi les sources du texte : or, on ne peut savoir s'il existe de telles
copies qu'après avoir classé les manuscrits .
Pour faire ce classement, nous commencerons par diviser les
manuscrits en un certain nombre de groupes , d'après le rapport plus
ou moins grand qu'ils paraîtront, au premier coup d'œil , avoir entre
eux . Puis nous comparerons deux à deux ceux qui auront le plus de
traits de ressemblance , afin de nous assurer si l'un des deux n'est
pas une simple copie de l'autre. Ce dernier travail est loin d'être
sans difficultés . Ce qui le prouve, c'est que les philologues les plus
exercés ont souvent bien de la peine à se mettre d'accord sur cette
question capitale. Voyons quels peuvent être les moyens de la
résoudre.
XII -

- Nous pouvons tout d'abord reconnaître , à certains signes qui ne


trompent guère, s'il y a parenté étroite entre les deux manuscrits.
La présence ou l'absence de certaines lacunes dans ces exemplaires
à l'exclusion de tous les autres , sera un premier indice , et un
indice souvent concluant. D'autres caractères, moins notables en
apparence, ne sont guère moins significatifs. Je veux parler de ces
fautes qui répugnent tellement à toute analogie grammaticale , s'é-
cartent si fort des habitudes de la langue la moins châtiée , qu'on ne
puisse raisonnablement en expliquer l'existence , dans deux manus-
crits à la fois , par un simple jeu du hasard.
Si cet examen nous conduit à admettre qu'il y a parenté étroite
entre les deux manuscrits , alors il faudra nous appliquer à discerner
si l'un provient de l'autre , ou s'ils sont simplement collatéraux. C'est
ici que commence vraiment la difficulté.
Voici deux variantes : il peut arriver qu'elles s'expliquent natu-
rellement l'une par l'autre , qu'elles paraissent être dans le rapport
de mère à fille, d'antécédent à conséquent. Il peut arriver aussi
qu'elles ne s'expliquent bien que par la supposition d'un auteur com-
mun, de telle sorte qu'on doive les tenir pour sœurs . Bornons-nous
à ces deux cas , pour ne pas trop compliquer le problème. La ques-
tion étant ainsi posée , il s'agit de savoir si, en combinant les deux
leçons , en prenant quelques traits de l'une et quelques traits de
l'autre, on peut arriver à composer une leçon hypothétique , qui
puisse en être considérée comme la souche commune ; ou bien , si
l'une des deux leçons données doit être regardée simplement comme
une dégénérescence , une altération de l'autre . A supposer que l'é-
preuve , répétée un nombre de fois suffisant, ait constamment abouti
au même résultat , on pourra prononcer en toute assurance que la
parenté des deux manuscrits est directe , ou qu'elle est collatérale.
Ce sont probablement les difficultés d'un tel travail , ou plutôt du
travail dont ce n'est là que le commencement , (car une détermination
plus précise de la parenté exigera nécessairement des recherches plus
minutieuses , ) qui ont fait si longtemps , je ne dirai pas méconnaître,
mais négliger dans la pratique ce principe , par lui-même si évident,
de la nécessité d'éliminer du nombre des sources les copies dont les
originaux existent. C'est à la scrupuleuse exactitude avec laquelle
elle a su l'appliquer, que la philologie moderne doit la meilleure part
de ses progrès . Collationner tous les manuscrits d'un auteur, accu-
muler une énorme quantité de variantes puisées indifféremment à
toutes les sources , puis choisir, parmi toutes ces variantes , celle qui
paraissait s'adapter le mieux au contexte, c'était la méthode des
siècles précédents ; et elle régné encore au commencement du
— XIII -
nôtre. Ce procédé , laborieux en apparence, avait , au fond , sa com-
modité. On aurait eu bien peu de bonheur si , parmi tant de leçons ,
il ne s'en était pas trouvé une qui fût intelligible et suffisamment
conforme aux habitudes de la langue. Mais quelle était l'autorité de
cette leçon jugée préférable à toute autre ? Elle pouvait être très-
grande ; elle pouvait être nulle. Rien n'en avertissait le lecteur , et
l'éditeur lui-même paraissait ne s'en être pas inquiété.
Considérons , au contraire, une édition moderne, par exemple , une
de celles que produit l'école de M. Ritschl : nous y remarquerons une
méthode toute différente . En général , le texte y est précédé d'une
dissertation critique sur l'âge , la valeur et la parenté mutuelle des
manuscrits . Dans un bon nombre , cette parenté est même rendue
visible au moyen d'un stemma , d'un arbre généalogique , où l'on suit
sans peine, à partir de la souche primitive , les ramifications de la
famille des manuscrits ; où l'on distingue d'un coup d'œil à quelle
distance de l'archétype commun se trouve chaque copie, et par quels
intermédiaires, conservés ou perdus, elle a hérité du texte. Si le
manuscrit en question a pour père ou pour ancêtre un manuscrit
existant , on voit tout d'abord qu'il n'y a pas lieu d'en tenir compte .
Si , au contraire, il n'a plus ni père ni ancêtres, il peut mériter plus
ou moins de confiance , mais il ne doit pas être exclu à priori du
nombre des sources .
Éliminer les non-valeurs , voilà le premier devoir du critique , et
c'est le principal objet du travail généalogique dont il vient d'être
question . En second lieu , il s'agit de déterminer la valeur relative
des manuscrits sans aïeux existants , en d'autres termes , des témoi-
gnages utiles à consulter. Il est naturel qu'on soit porté d'abord à
attribuer le plus d'autorité au manuscrit le plus ancien ; mais ce
n'est qu'une présomption , qu'un examen approfondi ne confir-
mera pas toujours . On comprend , en effet, qu'un manuscrit ancien
puisse représenter une tradition plus altérée qu'un manuscrit d'ori-
gine beaucoup plus récente . Tout dépend du nombre des copies an-
térieures et de leur fidélité . Ainsi , l'antiquité relative d'un manuscrit
ne prouve nullement qu'il ait plus de valeur que les autres , en
d'autres termes , qu'il représente une tradition plus pure. Par consé-
quent, il ne suffit point de classer les manuscrits d'après leur âge ,
ni même d'après la parenté qu'ils ont entre eux. Il faut encore
déterminer le degré de confiance que mérite, par rapport aux autres,
chacun de ceux qui n'ont pas dû être exclus du nombre des
sources .
Ici, on peut nous faire une objection au nom de la logique. On
dira De quoi conclurez-vous que tel manuscrit est bon ? Apparem-
XIV
ment , de la bonté des leçons qu'il renferme. Mais si vous vous servez
des leçons pour autoriser le manuscrit, vous ne pouvez plus, sous
peine de cercle vicieux , partir de la bonté du manuscrit pour auto-
riser les leçons. Pour avoir raison de cette objection , il suffira de
répondre Nous nous appuyons sur les leçons évidemment bonnes,
ou , pour mieux dire, évidemment antiques , du manuscrit , pour lui
attribuer une valeur , une autorité exceptionnelle ; et nous nous ap-
puyons , ensuite, sur l'autorité ainsi établie de ce manuscrit, pour
donner la préférence , en général , à celles de ses leçons que leur
valeur propre ne recommanderait pas suffisamment. Notre méthode
n'implique donc pas cercle vicieux .
Il va de soi que cet examen de la valeur relative des manuscrits
peut aboutir , selon les cas , aux conclusions les plus différentes . Nous
pourrons être conduits à mettre en première ligne ou un seul ma-
nuscrit ou plusieurs , à laisser aux autres une part plus ou moins
grande d'autorité . Cette autorité devra être très-faible, si nulle part
les manuscrits de second ordre n'offrent une leçon qui soit évidem-
ment la plus ancienne. Dans cette hypothèse, ils pourront inspirer
à l'éditeur une telle défiance qu'il croie ne devoir, en aucun cas , y
ajouter foi. Ils seront alors pour lui comme s'ils n'existaient pas , ou
comme s'ils provenaient d'un original conservé. Quant à donner à
cet égard une règle qui soit constamment applicable, on voit assez
que ce serait vouloir résoudre par une formule générale une foule
de problèmes essentiellement différents.
Cependant on l'a essayé. Lorsqu'on commença à se lasser du
fatras de variantes inutiles qui surcharge l'apparat critique des
anciennes éditions , on tomba, par une réaction naturelle, dans un
autre excès. Des philologues soutinrent alors , comme une propo-
sition d'une vérité générale, que l'éditeur devait travailler exclusi-
vement d'après le meilleur manuscrit , et ne tenir aucun compte des
autres . Que cette doctrine ait rencontré des adhérents , c'est ce dont
il ne faut pas trop s'étonner. D'abord, il est évident qu'une édition
qui représente le texte du meilleur manuscrit a, par là même, un
mérite considérable . L'autorité de ce manuscrit donne à ses fautes
mêmes un intérêt, une valeur . Une certaine confiance raisonnée
peut s'attacher à la déposition d'un témoin généralement véridique.
D'autre part, si l'on considère, non plus la valeur absolue de cette
méthode, mais les résultats des applications qui en furent faites , on
ne peut nier qu'elle ait donné , en son temps , d'excellents fruits.
Grâce à elle , une foule de leçons sans autorité disparurent des ma-
nuscrits. Le texte d'un bon nombre d'auteurs fut constitué sur la
meilleure base. Ce sont là des services considérables , par lesquels la
XV -
méthode nouvelle montra sans peine sa supériorité sur la routine de
l'âge précédent. Enfin , cette méthode avait , dans la pratique , un
avantage que nulle autre , encore aujourd'hui , ne partage avec elle .
Les bibliothèques qui renferment les manuscrits anciens sont dissé-
minées sur toute la surface de l'Europe . Il est rare qu'un critique
puisse avoir sous la main toutes les sources du texte qu'il se propose
de publier. On conçoit que beaucoup d'éditeurs aient cru mieux mé-
riter de la science en se servant , uniquement, d'un manuscrit qu'ils
pouvaient consulter eux-mêmes , qu'en essayant de compléter leurs
renseignements au moyen de collations dont rien ne leur garantis-
sait l'exactitude.
Mais , si l'on s'explique parfaitement qu'une telle méthode ait pu
être recommandée , qu'elle ait été mise en pratique, et qu'elle puisse
même , dans tel cas donné , l'être encore, il est tout aussi évident
que, si l'on reste au point de vue de la logique pure et de la théorie,
elle ne peut soutenir la discussion . Essayer d'en démontrer le vice
radical, ce serait vouloir recommencer, en pure perte, l'exposition
des principes , incontestables et incontestés , sur lesquels repose la
seule méthode critique vraiment digne de ce nom. Bornons-nous à
les rappeler en deux mots : il faut classer les manuscrits d'après
leur parenté ; il faut classer une seconde fois les manuscrits chefs de
famille, d'après l'antiquité de la tradition qu'ils représentent . Alors ,
seulement, on sera en état de juger si l'autorité réside dans tous , ou
dans une partie , ou dans un seul .

II

Choix des leçons.

Une fois qu'on a posé les bases du texte par le classement des ma-
nuscrits, il s'agit de le constituer par le choix des leçons . Il résulte ,
en effet, de ce qui précède que , dans la plupart des cas , la première
opération ne nous dispensera pas de l'autre . Dès qu'on reconnaît
plusieurs autorités, ne fût- ce que deux , il y a lieu , partout où elles
se contredisent, de comparer leurs témoignages , afin de discerner
lequel est véridique . Quelles sont maintenant les raisons qui peuvent
déterminer en faveur d'une leçon la préférence de l'éditeur ? Ce sera ,
en premier lieu , l'autorité du manuscrit qui la donne naturel-
lement, plus cette autorité sera grande , plus elle devra peser dans
la balance . Quant aux autres motifs de préférence , on comprend
qu'il soit impossible de les énumérer tous. Tantôt ce sera le sens ,
tantôt la syntaxe, tantôt le mètre , tantôt une raison historique , très-
- XVI -

souvent un rapprochement avec d'autres passages du même auteur ,


qui devra dicter notre choix . Il y a pourtant quelques conseils géné-
raux que l'on peut donner, et qu'il importe de ne jamais perdre de
vue dans ce travail délicat ; sans quoi , à chaque ligne , on sera
exposé à prendre une conjecture spécieuse pour une leçon authen-
tique.
D'abord, une leçon incorrecte doit quelquefois être préférée à
toute autre, à cause de son incorrection même. Très-souvent, en
effet, cette incorrection n'est qu'un déguisement transparent sous
lequel se laisse reconnaître le mot qu'a dû écrire l'auteur. Au con-
traire, les leçons plus correctes, qui semblent au premier abord pré-
férables, peuvent provenir simplement de ce qu'un copiste, ou a mal
lu une leçon difficile ou barbare, ou a cru rendre service au texte en
la corrigeant arbitrairement . De même, nous devrons nous défier des
leçons claires , intelligibles à première vue, aux endroits où un autre
manuscrit donnera une variante obscure . Ce principe, connu et pro-
fessé depuis longtemps, n'a pas été toujours , il s'en faut, appliqué
avec assez de rigueur . En cela encore, l'école moderne a un avan-
tage décidé sur celle qui l'a précédée . On ne veut pas seulement
aujourd'hui que la leçon préférée par un éditeur paraisse en elle-
même satisfaisante, et ne prête à aucune objection . Une pareille
leçon, jugée d'abord acceptable par tout le monde, peut devenir
inadmissible , par le seul fait de la découverte d'un manuscrit qui
portera, à cet endroit, un non -sens ou un barbarisme . C'est que
l'altération des textes suit une marche à peu près constante. De
copie en copie, on les voit gagner en facilité, en même temps que
décliner vers la platitude. Figurons-nous Corneille ou Molière , à
plus forte raison Montaigne ou Rabelais , transcrits de nos jours par
un écrivain public : nous aurons, sinon la mesure de la fidélité avec
laquelle les copistes nous ont transmis les textes antiques, au moins
l'idée du genre de changements qu'ils leur ont fait subir . La critique,
qui prétend remédier à ces altérations , doit donc s'efforcer de faire
remonter au texte la pente que les copistes lui ont fait descendre ; en
d'autres termes , lorsqu'elle a le choix entre une leçon facile et une
leçon difficile, préférer en général celle-ci , sinon comme authen-
tique, du moins comme plus voisine que l'autre de l'authenticité . Il
sera toujours hasardeux de supposer qu'un copiste ait substitué à
une leçon qu'il pouvait comprendre une leçon difficile même pour
des philologues . Il est , au contraire , parfaitement légitime d'expli-
quer l'origine de la leçon facile par l'existence même de la leçon
difficile.
Ce principe , toutefois, n'est pas toujours applicable . L'admettre
XVII

sans restriction , ce serait nier ces fautes grossières produites par


l'ignorance , par l'étourderie, par les difficultés du déchiffrement, et
qui ont très- souvent pour effet de rendre inintelligible une leçon
parfaitement claire . Ne disons donc pas qu'il faut toujours s'y con-
former, mais seulement qu'il faut l'avoir toujours présent à l'esprit.
Le seul principe auquel l'expérience puisse accorder une valeur
absolue, la seule règle qu'elle puisse avouer , est la suivante : Une
fois les manuscrits classés au moyen des variantes les plus signifi-
catives , faites pour les autres leçons ce que vous avez dû faire pour
celles-là ; en d'autres termes, appliquez-vous à en dresser l'arbre
généalogique . Bien que rendu plus aisé par la connaissance, dès
lors acquise, de la parenté mutuelle des manuscrits , ce nouveau
: classement ne sera pas lui -même sans difficultés . Parmi les leçons ,
comme parmi les manuscrits , il y aura sans doute des membres de
la famille qui manqueront à l'appel . Il faudra de temps en temps
supposer une leçon intermédiaire, comme ayant existé dans un
exemplaire aujourd'hui perdu ; l'hypothèse deviendra parfaitement
légitime si cet exemplaire paraît avoir existé réellement, s'il occupe
une place dans l'arbre généalogique des manuscrits. En faisant cette
généalogie des leçons , on s'apercevra promptement , pour peu que
les variantes soient nombreuses , que les agents de corruption sont 1
de deux espèces d'une part l'ignorance , l'étourderie, la difficulté
de lire, qui ont produit les fautes grossières ; d'autre part, la demi-
science et les corrections arbitraires de certains copistes , d'où pro-
viennent les fautes spécieuses. On s'efforcera alors de former de
toutes ces fautes une chaîne solide , qui pourra , ou rester une d'un
bout à l'autre , ou se dédoubler , se subdiviser à diverses hauteurs ,
de telle façon que les fautes les plus récentes soient au bas , et la
leçon la plus ancienne au sommet.
Ainsi, se rendre compte de l'origine de toutes les variantes , s'en
servir comme de degrés pour remonter jusqu'à la plus vieille leçon ,
attestée ou supposable , c'est là , pour ce qui regarde le choix des
leçons , la seule méthode vraiment logique . L'application en est diffi-
cile ; mais il n'existe pas pour l'éditeur d'autre moyen , fondé en
raison, de satisfaire aux obligations de sa tâche . Le choix des leçons
n'est donc pas pure affaire de goût , ou de bon sens , ou de savoir
grammatical . C'est une opération méthodique, qui ne peut réussir
qu'à la condition qu'on y apporte la rigueur et la précision de
l'esprit scientifique.
XVIII -

III.

Nécessité et légitimité du recours à la conjecture.

La leçon choisie par l'éditeur , conformément aux règles qui pré-


cèdent, sera ou la leçon authentique, ou celle de toutes les leçons
conservées qui en dérive par le plus petit nombre d'intermédiaires,
ou enfin , à défaut d'une variante unique à laquelle on puisse attri-
buer en propre ce degré d'ancienneté, une de celles qui paraissent
l'avoir en commun . Ce ne sera pas toujours la meilleure , si l'on
entend par là celle qui répond le mieux aux exigences du sens ou
de la grammaire. Rien n'empêche même que cette variante, anté-
rieure à toute autre par son origine , ne soit un solécisme, ou un
barbarisme, ou un non-sens. L'éditeur sera-t-il condamné à admettre
dans son texte cette faute évidente, ou bien devra-t- il s'efforcer de
retrouver le mot authentique dont elle a usurpé la place ? C'est poser
la question de la légitimité des conjectures .
Disons d'abord que , jusqu'à une époque assez voisine de nous ,
aucun éditeur n'avait cru faillir à son devoir, en rectifiant çà et là,
par un effort de sagacité , les indications évidemment fausses des
manuscrits . Ce n'est guère que dans notre siècle qu'on s'est avisé
d'émettre ce principe : « Ne rien insérer dans le texte imprimé, qui
ne soit au moins dans un manuscrit . » Cette dernière expression,
qui paraîtrait aujourd'hui si vague et si peu scientifique, « un manu-
scrit »
> (comme si tout manuscrit était une autorité) , indique suffi-
samment l'époque où cette opinion put se produire . C'est le temps
où l'on entassait pêle-mêle , au bas des éditions , les variantes les
plus diverses d'origine , les plus inégales en valeur . Aujourd'hui ,
nous l'avons vu , la situation n'est pas la même les éditions sont
beaucoup moins riches en variantes , si, en pareille matière , le
nombre fait la richesse . Un triage sévère a fait justice de toutes
celles que ne recommandait aucune autorité . Il ne reste plus que des
leçons de bon aloi , et elles sont rarement assez nombreuses pour
suffire , dans tous les passages, aux besoins du texte. A l'embarras
du choix, a succédé un embarras d'un tout autre genre . Plus que
jamais, les éditeurs ont senti la nécessité d'interpréter avec intelli-
gence le témoignage des manuscrits, au lieu de se borner à en tenir
registre fidèle , et d'appliquer la critique , non-seulement au choix
des leçons , mais à la discussion même de la variante préférée.
D'autre part, la comparaison méthodique des leçons aboutissait fré-
quemment à faire reconnaître pour fausse la plus spécieuse de
- XIX ―

toutes, celle même que les éditeurs avaient adoptée jusque-là avec
le plus de confiance. Les fondements de l'autorité, en matière de
tradition écrite, une fois mis en pleine lumière , il devenait clair pour
tous les yeux que ces vieux textes tant de fois reproduits , com-
mentés , traduits , admirés, ne reposaient que sur un chaos de
variantes assemblées sans critique et sans méthode . Il fallait donc
tout rebâtir, et cela, avec des matériaux bien moins abondants que
ceux dont avaient cru pouvoir disposer les premiers architectes.
La naissance de la moderne école conjecturale est donc étroite-
ment liée à l'introduction du véritable esprit scientifique dans la
philologie. Les éditeurs les plus rigoureux dans la solution des ques-
tions d'autorité , les plus difficiles dans le choix de leurs sources, les
plus exacts à les classer d'après leur origine et leur valeur , sont
ceux-là mêmes que nous entendons quelquefois taxer d'une impar-
donnable témérité . Faut-il croire que leur critique, si méthodique
au début de son œuvre, change brusquement de caractère au moment
de la compléter ? Tâchons de répondre à cette question , en ayant
soin de ne rien dire qui ne repose sur les données de l'expérience ,
sur des faits que tout le monde puisse voir et toucher . Car , plus le
procédé dont il s'agit peut paraître hardi , et d'une pratique difficile ,
plus il importe d'en établir solidement la légitimité.
Les manuscrits renferment des fautes : c'est une vérité que per-
sonne, sans doute , n'a jamais songé à contester. Quand bien même
toutes les règles de la syntaxe seraient des inventions des grammai-
riens , quand les Grecs et les Latins auraient eu un esprit si différent
du nôtre, que ce qui est absurde à nos yeux ait été raisonnable aux
leurs, quand leurs poëtes auraient fait des hexamètres de cinq pieds
et demi , enfin, quand nous ne serions juges, à aucun degré, de la
langue , de la métrique , de la manière de penser des écrivains
anciens, il resterait toujours une preuve irréfragable de l'existence
des fautes c'est la diversité des leçons . Quand je trouve un mot
dans un manuscrit, et qu'un autre manuscrit me donne un mot
différent à la même place, il est évident pour moi que l'un des
deux copistes au moins , ou un de ceux dont ils ont transcrit les
copies , s'est trompé. Donc , il y a des fautes dans les manuscrits.
Soit, répondra-t-on . Les copistes ont fait des fautes ; mais est- il
possible de reconnaître ces fautes , surtout de les corriger ? A cela
nous répondrions , s'il s'agissait d'auteurs français et contemporains,
que nous ne lisons pas un journal , sans corriger mentalement un
bon nombre de fautes d'impression . Il en est probablement qui nous
échappent dans une lecture rapide ; du moins , parmi celles que
nous apercevons , il y en a peu que nous ne corrigions du premier
- XX -

coup . Mais il s'agit d'auteurs grecs ou latins, et d'auteurs anciens .


Nous répondrons donc que la possibilité, même en pareil cas , de
reconnaître les fautes , et aussi de les corriger, est un fait, dont une
innombrable quantité d'exemples atteste la réalité. En effet , rien n'est
moins rare que de voir des conjectures devenir tout à coup, grâce à
la découverte d'un nouveau manuscrit , les seules leçons autorisées ' .
Allons plus loin . Il résulte assez clairement de tout ce qui précède
qu'il n'y a pas , à proprement parler , de leçons sûres , mais seule-
ment des leçons plus ou moins vraisemblables . Qui oserait dire ,
maintenant , qu'une leçon absurde ou barbare , comme en contien-
nent en si grand nombre tous les textes qui n'ont point passé par le
contrôle de la critique, soit plus vraisemblable qu'une conjecture à
la fois parfaitement satisfaisante quant au résultat, et , quant à la
méthode, absolument régulière ? Et que sont bien souvent ces inter-
prétations au moyen desquelles les critiques dits conservateurs s'ef-
forcent de justifier ce qu'il y a de plus choquant dans les vulgates ,
que sont ces suppositions d'acceptions sans exemple, de construc-
tions inouïes , d'idées contradictoires ou ridicules , sinon des conjec-
tures, et des conjectures parfois bien plus hardies que les essais de
restitution auxquels on les oppose ? Nous ne parlons pas des traduc-
teurs . On sait assez comment s'y prennent la plupart d'entre eux
pour n'être pas arrêtés par les difficultés qui excitent les soupçons
des critiques .
En résumé, il y a des fautes ; il est possible à un philologue
moderne de les reconnaître ; il lui est possible de les corriger , non
sans doute avec certitude, mais avec ce degré de probabilité dont est
forcé de se contenter quiconque s'occupe de philologie. La légiti-
mité de la conjecture , son efficacité, seront désormais pour nous
choses démontrées .
Une question assez étroitement liée à la précédente est celle de
savoir jusqu'à quel point il est permis d'insérer des corrections
conjecturales , dans le texte même de l'auteur qu'on publie . N'est-il
pas plus convenable de n'admettre à cette place que des leçons de
manuscrits , soit textuelles , soit corrigées , au besoin , suivant les
règles de l'orthographe ? A ce sujet, quelques distinctions sont à
faire . Il y a des conjectures qui , à peine proposées par un critique ,
sont adoptées à l'unanimité par les éditeurs , et doivent l'être. Il y en
a d'autres sur la valeur desquelles les philologues peuvent différer
d'avis. Il est clair que ces dernières , avant d'être reçues dans le

1. Voyez, par exemple , Ch . Thurot , Notice sur un manuscrit du


xu siècle des Epistolæ ad Familiares de Cicéron, page 21 .
XXI --

texte, devront être soumises à un contrôle sévère. Il faut distinguer


ensuite entre les conjectures propres à l'éditeur, et celles qu'il
emprunte à ses devanciers . Dans le second cas , l'étude spéciale qu'il
doit avoir faite de son auteur , lui permet de prononcer avec assu-
rance, et de mettre sans crainte son propre jugement à exécution . Il
n'en est pas tout à fait ainsi , quand la conjecture provient de l'édi-
teur lui-même. Dans cette hypothèse , on le comprend , juge en sa
propre cause, il doit agir avec plus de circonspection . Autant que
possible, il consultera d'autres philologues ; s'il doute encore , il
pourra se borner à proposer sa correction en note, manière simple
et commode de soumettre la question au jugement de tous les
hommes compétents . L'admission , ou le rejet, de la conjecture pro-
posée , devient alors l'affaire de l'éditeur suivant . Enfin , il faut mettre
en ligne de compte la nature de l'édition . Dans une édition princeps,
on peut se contenter de reproduire avec fidélité la lettre du manu-
scrit qu'on a sous les yeux , de manière à fournir aux savants qui
viendront ensuite une base solide pour leurs travaux critiques. Ne
veut-on que propager un texte sans entreprendre de l'améliorer par
aucune innovation ? Dans ce cas , la tâche de l'éditeur se bornera à
faire un choix réfléchi entre les leçons ou corrections admises dans
les éditions critiques .
Arrivons maintenant à ces dernières . Elles ne sont pas destinées
aux écoliers , ni aux gens du monde, mais seulement aux philolo-
gues . Elles n'ont pas pour but de constituer un texte qui représente
à peu près l'état actuel de la science, mais un texte qui la fasse
avancer. C'est l'édition par excellence , et , peut- être, la seule qui soit
digne de ce nom . A ce titre , elle doit avoir aussi certains priviléges .
L'éditeur peut reléguer dans les notes les conjectures qui lui appar-
tiennent, et n'insérer dans le texte que celles qu'il emprunte. Il peut
aussi , surtout dans le cas où sa contribution personnelle est consi-
dérable , faire à ses idées le même honneur qu'à celles d'autrui ,
à la seule condition d'indiquer l'origine de toutes les leçons
qu'il adopte , et de citer la lettre des manuscrits autorisés , partout
où il croit devoir s'en écarter . En effet, les corrections dont il s'agit
sont une partie essentielle de son œuvre : elles en sont généralement
la plus originale . Ajoutons qu'elles ressortent mieux , s'expliquent
plus clairement , une fois placées dans leur cadre naturel . Enfin ,
elles se recommandent plus efficacement à l'attention des éditeurs
suivants, toujours un peu lents à se décider, quand il s'agit de faire
à une conjecture un accueil dont paraît l'avoir jugée indigne celui
même qui l'a trouvée. Objectera-t-on que , en voulant corriger le
texte, on risque de l'altérer ? comme si , par ce fait seul de rétablir
- XXII

ce qu'on croit la leçon vraie , on anéantissait toutes les précédentes


éditions , qui portent la leçon ancienne, avec le manuscrit qui en est
l'origine. Celui- là altérerait véritablement le texte d'un auteur, qui
corromprait la source où chacun , à tout instant , peut aller le pui-
ser. Il est très-certain que les critiques ne sont pas infaillibles , et
que le nom de corrections ne peut être appliqué qu'improprement à
beaucoup de leurs conjectures . Mais ce malheur paraîtra de peu de
conséquence, si l'on se rappelle que dans les travaux scientifiques ,
il n'y a que le vrai qui dure. Parlons mieux : il n'y a que le vrai
qui compte. Le faux peut compromettre l'autorité d'un savant ; quant
à la science même , pour mettre les choses au pire, c'est tout au plus
si elle peut en éprouver quelque retard . Dans l'état actuel des études
philologiques , une conjecture décidément mauvaise a les plus
grandes chances de n'être adoptée par personne . Par contre, purger
d'une faute le texte d'un grand écrivain , c'est rendre un service que
la postérité, sans doute , oubliera facilement, mais dont elle ne ces-
sera jamais de profiter.

IV.

De la méthode en matière de conjecture .

La restitution conjecturale des leçons aujourd'hui perdues ou défi-


gurées est assurément, de toutes les obligations imposées à l'éditeur
d'un texte classique , la plus difficile à remplir. Mais il ne peut s'y
soustraire, s'il veut véritablement faire œuvre de critique. La seule
question est de savoir quelle méthode il doit suivre pour s'en bien
acquitter. Mais d'abord , peut-il exister , et existe-t-il , en effet, une
méthode en matière de conjecture ?
Pour qu'il puisse y avoir une méthode en matière de conjecture , il
faut d'abord qu'il y ait des moyens de connaître avec précision :
1° les divers genres de fautes ; 20 les genres de corrections qui y
correspondent ; 3° les signes qui permettent de distinguer le genre
de fautes auquel on a affaire , et , conséquemment, le genre de cor-
rections qu'il faut y appliquer.
Avouons-le dès l'abord : ces moyens ne sont pas tous connus .
Mais on en connaît quelques- uns de sorte qu'on peut dire , dès
maintenant, que la critique conjecturale est en possession , sinon
d'une méthode complète, au moins d'un certain nombre de procédés
scientifiques. Avant tout , la légitimité de ces procédés est ce qu'il
importe d'établir. On y aura réussi , si on parvient à démontrer
qu'ils ne sont que des applications d'une science tout expérimentale
XXIII --
et positive, connue dans son ensemble, il est vrai , plutôt que régu-
lièrement organisée , mais facile à constituer jusque dans le plus
menu détail : c'est de la science des variantes qu'il s'agit.
Ce qu'on appelle « apparat critique » consiste , en effet, essentielle-
ment dans la juxtaposition des formes diverses sous lesquelles un
passage se présente dans les différents manuscrits . Partout où la
vraie leçon est bien établie , et où cette vraie leçon est celle d'un
manuscrit, l'apparat nous montre le remède à côté du mal. Il
suffirait donc d'avoir des collations bien exactes de tous les manus-
crits des auteurs dont le texte peut être le mieux fixé ; puis , de
recueillir et de classer tout ce qui , dans ces collations , se rapporterait
à tel genre de fautes et au genre correspondant de corrections on
aurait alors sous la main tous les moyens que l'expérience peut
fournir pour savoir , en général , comment les textes s'altèrent , et
quelle espèce de remèdes il faut appliquer à chaque espèce d'altéra-
tions. Ce classement n'est pas fait on ne peut dire, par conséquent,
qu'aucun genre de fautes ni de corrections n'ait jusqu'ici échappé à
la science. Du moins , elle en connaît un bon nombre, dont l'exis-
tence peut être démontrée, au besoin , par des témoignages empruntés
aux variantes.
D'abord, nous trouvons des mots qui ne different , d'un manuscrit
à l'autre, que par une ou deux lettres de sorte que l'une des
variantes n'est, ordinairement, qu'une faute grossière contre l'or-
thographe ou la grammaire. Il est manifeste , alors , que l'altération
provient simplement d'un mot mal copié ou mal lu . Dans la première
hypothèse, c'est à l'histoire de la prononciation et de l'orthographe
qu'il faut recourir pour expliquer la variante ; dans la seconde , c'est
à l'histoire de l'écriture. D'autres fois , deux manuscrits portent à la
même place deux mots entièrement différents par la forme, mais
très-voisins , ou presque identiques , pour le sens. Il y a lieu d'ad-
mettre alors , au moins dans la plupart des cas , que l'un de ces mots
n'est qu'une glose , une note explicative écrite primitivement au-
dessus du mot ou à la marge : places où s'écrivaient aussi les correc-
tions , destinées à remplacer dans le texte les mots dénaturés par le
transcripteur. Il est possible, d'ailleurs , que ni l'une ni l'autre des
leçons ne soit telle qu'il ait pu paraître utile de l'interpréter. Et ,
d'autre part, il arrive que les mots qui different, dans les diverses
copies, n'ont aucun rapport entre eux, ni pour le sens , ni pour la
forme . Certaines fautes paraissent donc provenir de substitutions
purement arbitraires , qui peuvent s'expliquer diversement , par
exemple, par le penchant de certains copistes , assez différents en
cela des calligraphes de profession , à donner toute leur attention au
XXIV

fond des choses , et à n'en rien réserver pour le détail de la diction ;


ou encore, par la disparition dans un manuscrit, à la suite d'un
accident matériel comme une tache d'encre ou une piqûre de ver,
d'un mot reproduit, précédemment, avec fidélité dans d'autres
exemplaires ; auquel cas on a pu restituer arbitrairement les lettres
effacées. Ailleurs , un manuscrit offrira un mot parasite qu'on cher-
chera vainement dans les autres . Si ce mot a dans la même phrase
un synonyme dont l'emploi soit rare, ou la signification douteuse,
on sera porté à croire qu'ici encore le mal provient d'une glose , non
plus substituée , comme tout à l'heure , au mot authentique , mais
purement et simplement ajoutée au texte.
D'autres fois, ce n'est pas un mot , c'est toute une phrase, ce
sont des pages entières qui se trouvent dans une partie des manus-
crits , et manquent dans les autres . Dans ce cas, il peut y avoir
intrusion ou lacune. En d'autres termes , il résulte de la compa-
raison des manuscrits qu'il arrive aux copistes d'omettre des mots,
des phrases , des pages de leur original . Il en résulte aussi qu'un
texte, pour être authentique dans l'ensemble , ne l'est pas nécessai-
rement dans toutes ses parties. Enfin , deux copies peuvent offrir le
même passage à des places différentes.
Ce n'est pas tout il est des altérations bien plus profondes
encore que nous ne pourrions même soupçonner , si les variantes ne
nous en dénonçaient l'existence. Le texte de beaucoup d'auteurs
nous a été transmis conjointement par deux races de manuscrits ,
dont l'une n'a dégénéré de la pureté de l'archétype que successive-
ment, et par le fait même de la tradition ; tandis que l'autre dérive
d'une édition revue par un de ces correcteurs sans critique ni scru-
pule, que les Grecs appelaient diascévastes2 , ou arrangeurs. Le rap-
prochement des leçons fournies par ces deux catégories de manus-
crits révèle une nouvelle espèce de fautes, consistant dans un
remaniement arbitraire d'un texte ou pur ou déjà altéré.
Si l'étude des variantes nous initie à la connaissance des
fautes , l'étude des manuscrits nous en fait toucher du doigt l'origine.
Ce ne sont pas seulement les variations de l'écriture dont elle nous
instruit, ce sont encore celles de la prononciation . Nous comprenons
facilement que des gloses aient pu passer quelquefois de la marge

1. Voyez Exercices critiques, page 6, note .


2. Sur le vrai sens de ce mot, souvent mal interprété par les Modernes,
on peut consulter l'Introduction dont A. Pierron a fait précéder son édi-
tion de l'Iliade, aux pages xvj -xviij . On verra, à la page 6 des Exercices
critiques (en note) , pourquoi nous n'avons pas cru devoir employer les
mots Interpolateurs, Interpolation.
XXV -

ou des interlignes dans le texte, quand nous voyons, sur les manu-
scrits , ce genre d'annotations disputer la place aux rectifications des
correcteurs . Nous ne pouvons douter que les difficultés du
déchiffrement n'aient été l'origine habituelle des substitutions
arbitraires , quand nous trouvons , dans beaucoup de manuscrits ,
des mots complétement effacés ou illisibles. De même , les notes
de toute espèce et de toute main qui en bordent souvent les pages
nous expliquent pourquoi nous rencontrons chez les auteurs anciens
des phrases qu'ils ne sauraient avoir écrites . En ce qui regarde les
lacunes , on peut induire très-légitimement d'un nombre incalculable
de variantes, que la répétition, à peu de distance, d'un mot ou d'un
groupe de lettres, en est la cause ordinaire. Dire que les transposi-
tions ont souvent pour origine une lacune , réparée plus loin au moyen
de signes de renvoi quelquefois peu distincts , ce n'est qu'affirmer
un fait établi , pour maint passage , par la comparaison des manu-
scrits . Enfin , il n'existe guère d'anciennes copies où ne se laissent
apercevoir des retouches aussi légitimes, sans doute , que les conjec-
tures des critiques modernes, tant qu'elles restent à la marge ou
entre les lignes avec un signe qui en indique l'origine ; mais qui
deviennent de véritables falsifications, du moment où elles se subs-
tituent , par voie de rature ou de surcharge, aux leçons de première
main.
Cet aperçu de l'origine des diverses fautes est sans doute bien
sommaire qu'il suffise , pour le moment, d'avoir rappelé comment
l'étude et la comparaison des manuscrits nous permettent , non-
seulement de faire le compte des genres de fautes dûment consta-
tées , et des genres de moyens que l'expérience fournit pour les
corriger, mais encore de déterminer, en beaucoup de cas , l'origine
des altérations.
Il s'agit maintenant de savoir à quels signes nous reconnaîtrons
le genre de l'altération , et, par suite , celui du remède.
Ici même, il appartient à l'expérience de compléter, en les confir-
mant, les indications du bon sens . Étudions les variantes : voyons
quels sont les effets produits par chaque catégorie de fautes sur le texte
des manuscrits où elles se rencontrent. Quand nous retrouverons
ensuite, dans un autre texte, la même apparence qui nous aura frap-
pés dans ces manuscrits altérés , nous aurons le droit de conclure
que le même effet dérive de la même cause, que la même espèce de
désordre provient de la même espèce d'altération . La science des
signes ou symptômes des fautes se réduit donc à la connaissance
des effets que chaque sorte d'altération a coutume de produire , dans
les textes qui en sont le plus manifestement atteints , en d'autres
XXVI
termes, dans les manuscrits dont d'autres copies nous permettent de
rectifier le témoignage.
Énumérons brièvement les principaux d'entre ces effets. Que
résulte-t-il, dans un manuscrit, de la confusion d'une lettre avec
une autre? Des barbarismes , des solécismes, des non-sens , tout au
moins des fautes d'orthographe. Que résulte-t-il de la substitution
d'une glose au mot qu'elle était destinée à expliquer ? Des platitudes ,
des impropriétés de langage . Si la glose , au lieu de se substituer au
mot authentique , a pris place dans le texte à côté de ce mot , une
explication puérile ou inexacte allongera inutilement le texte, ou en
faussera le sens. Si un mot a été inséré arbitrairement à la place
d'un autre , le manuscrit qui aura subi cette altération péchera
doublement , comme renfermant un mot superflu , et manquant d'un
mot nécessaire ou utile. Une intrusion , non plus de quelques mots ,
mais d'un membre de phrase entier, dérangera la symétrie du lan-
gage, mettra du désordre dans les idées , détruira l'unité du style.
Une lacune aura pour effet d'interrompre brusquement, soit la suite
des idées , soit , plus fréquemment encore , la construction des
phrases. Une transposition laissera un vide sensible dans un endroit,
et mettra ailleurs un hors-d'œuvre, qui , le plus souvent, ne s'accor-
dera nullement avec le contexte.
Nous nous arrêterons ici . Dire à quels symptômes on reconnaît
les retouches des grammairiens , ces remaniements systématiques
dont nous avons fait une classe à part, ou , du moins, ceux d'entre
eux qui ne rentrent dans aucune des catégories d'altérations précé-
demment énumérées , ce serait peut-être devancer quelque peu les
progrès de la science . En fait , on peut dire que les critiques recou-
rent à cette supposition d'un remaniement du texte, quand , d'un
côté, l'altération leur semble évidente , et que , d'autre part, les pro-
cédés ordinaires de la méthode leur paraissent impuissants à y
remédier.
En résumé , et sauf la restriction qui précède , on voit que la
science tout expérimentale et positive des variantes suffit à fournir
la base et tous les procédés généraux de la critique conjecturale.
Elle nous instruit de l'existence des fautes , nous permet de les
classer, nous indique l'espèce de remèdes qu'il convient d'appliquer
à chaque classe , nous aide, enfin, à connaître les symptômes des
divers genres de maux que nous pouvons avoir à guérir . En un mot ,
elle nous autorise à dresser un tableau , ou , si l'on veut , un formu-
laire tel que celui-ci .
XXVII ―
GENRE I.
CONFUSION DE LETTRES.
Origine. Étourderie ou ignorance d'un copiste. - Symptomes. Non-
sens, barbarismes, solėcismes. - Remède. Correction fondée sur la
paléographie, ou sur l'histoire de la prononciation , ou sur la connais-
sance des lapsus familiers aux copistes.
Ce que nous appelons « digraphie » (voy. page 68, note 2) peut être
rattaché à ce genre.
GENRE II.
GLOSE SUBSTITUÉE AU MOT AUTHENTIQUE .
Origine. Confusion avec les corrections marginales ou interlinéaires ;
penchant à faciliter l'intelligence du texte . - Symptómes. Platitude,
impropriété. - Remède. Correction fournie par les anciens lexicogra-
phes, à défaut de variantes pareilles dans d'autres textes.
GENRE III.
SUBSTITUTION ARBITRAIRE d'un mot a UN AUTRE.
Origine. Difficulté de déchiffrement ; lacunes arbitrairement comblées ;
témérité d'un réviseur ; insouciance de certains copistes en ce qui
concerne le détail du style . - Symptómes. Mot inutile , où l'on cherche
un mot nécessaire ; dérogation aux habitudes constantes de l'écrivain .
- Remède. Correction suggérée par le besoin du sens ou par les habi-
tudes de l'écrivain.
GENRE IV.
GLOSE AJOUTÉE AU TEXTE.
Origine. Confusion avec les addenda de la marge ou de l'interligne ,
destinés à réparer une omission . - Symptómes. Explication inutile,
quelquefois fausse ; désordre. Remède. Suppression .
(Ce genre peut être considéré comme une espèce du suivant. Si nous
avons cru devoir l'en distinguer, c'est à cause de la parenté qui le rat-
tache, d'autre part, au genre II . )

GENRE V.
INTRUSION.
Origine. Introduction de notes marginales ; fraude intéressée des
copistes ou des libraires ; supercheries diverses. -
— Symptómes. Remplis-
sage, diffusion, incohérence , changement de style. - Remède. Suppression .
GENRE VI.
LACUNE.
Origine. Accidents matériels ; répétition d'un même mot ou groupe de
lettres à peu de distance ; distraction ; suppression volontaire.
Symptômes. Interruption brusque dans la suite des idées, et, le plus
souvent, dans la construction grammaticale . - Remède. Aucun qui
ait quelque chance d'être efficace, dès qu'il manque un membre de
phrase entier. L'examen du sens, la connaissance des habitudes de
l'écrivain, peuvent permettre de suppléer avec vraisemblance un petit
nombre de mots.
GENRE VII.
TRANSPOSITION.
Origine. Interversion de feuillets ; omissions reconnues et réparées
tardivement à une autre place. · Symptómes. Désordre introduit dans
XXVIII
un endroit par un mot, une phrase, un morceau , qui , transporté ail-
leurs, s'adapterait exactement au contexte. - Remède. Déplacement
suggéré par la suite naturelle des idées.

GENRE VIII.
REMANIEMENT.
Origine. Effort d'un ancien éditeur, critique, ou simple lecteur, pour
corriger une faute réelle ou supposée . Symptómes. Extrêmement
variables et faciles à confondre avec ceux de plusieurs autres genres
de fautes ; souvent imperceptibles . En fait, l'évidence d'une altération
qu'il paraît impossible de corriger par les moyens ordinaires est ce qui
suggère ordinairement aux critiques l'hypothèse d'un remaniement. -
Remède. Aussi variable que les symptómes. Pour le trouver, l'étude
comparative des bons manuscrits et de ceux qui renferment un texte
falsifié pourra être d'un grand secours.

Ce n'est pas seulement la correction de ce dernier genre de fautes


qui laisse encore trop à faire à la sagacité et à l'expérience des édi-
teurs , faute de règles suffisamment sûres qui puissent les guider.
On voit de plus par le tableau précédent que les fautes du genre VI
(lacunes) sont, en général , irrémédiables . Aucun progrès de la science
ne permettra , sans doute , à la critique , de corriger celles qui ont
quelque gravité. Par contre, les fautes des genres IV, V et VII
(gloses ajoutées , intrusions , transpositions) sont corrigées , aussitôt
que reconnues. Restent les genres I , II et III (confusions de lettres,
gloses substituées , substitutions arbitraires) . Jusqu'ici , cette partie
de la critique qui consiste , l'espèce de remède trouvée , à trouver le
remède même, a été, pour ces trois genres , affaire de sagacité plutôt
que de science . Ce que le grand Wolf appelait, d'un nom à la fois
ambitieux et compromettant, « la divination » , a été , jusqu'à nos
jours , pratiqué comme un art, assujetti , il est vrai , à certaines
règles , mais où je ne sais quelle inspiration surnaturelle n'était pas
moins la première condition , et le principe même, de toute décou-
verte. Cependant , les derniers progrès permettent d'entrevoir , dès
maintenant, un avenir meilleur , où le hasard et le mystère auront
moins de part, et où un savoir exact jouera le principal rôle. C'est
qu'alors la science des variantes , enfin constituée , sera devenue
pour la critique le point d'appui solide qui lui a manqué jusqu'ici .
A l'heure qu'il est , le genre I (confusions de lettres) est , de beau-
coup , le mieux connu des trois que nous avons mis à part . L'excel-
lente Commentatio Palæographica, de Bast, indique les fautes les
plus fréquentes , parmi celles dont l'histoire de l'écriture rend un
compte suffisant . Celles qui proviennent de la prononciation se
réduisent , en somme, à un assez petit nombre, et peuvent être con-
sidérées comme connues . Les lapsus proprement dits n'ont pas été
XXIX ---

assez étudiés. Il faudrait recueillir et classer les plus remarquables ,


au moins , de ceux qu'on trouve dans les manuscrits. On tâcherait
ensuite de découvrir les lois suivant lesquelles ils se produisent . A
vrai dire, la science des lapsus est encore à faire. Heureusement , il
en est peu qu'une pénétration ordinaire ne réussisse à reconnaître
sur-le-champ .
La science des gloses est encore peu avancée. Il faudrait recueillir
toutes les variantes de cette espèce, et les joindre à celles qui se
trouvent déjà, en grand nombre , réunies chez les anciens lexico-
graphes. C'est surtout dans les manuscrits de poëtes qu'elles se
rencontrent une fois cette collection faite, le mètre indiquerait sou-
vent avec certitude le mot dont la glose a pris la place, entre tous
ceux auxquels elle sert ordinairement d'explication .
Une science des substitutions arbitraires est probablement impos-
sible . Ce cas est , d'ailleurs , de beaucoup le plus rare, pour ce qui
regarde la grande majorité des auteurs .
En résumé, on le voit , la critique conjecturale n'a pas encore la
disposition de tous ses moyens d'enquête . Il lui manque certains
instruments , à défaut desquels beaucoup de ses opérations ne sau-
raient arriver à la précision désirable. D'ailleurs , à la supposer
même pourvue de ce qui lui fait défaut aujourd'hui , elle aura tou-
jours ses desiderata ; il restera toujours des altérations auxquelles
elle ne saura pas remédier . Dans tous les cas , du moins , elle procé-
dera assez régulièrement pour aboutir à des résultats vraiment scien-
tifiques. Là même où elle ne réussira pas à guérir le mal , elle
pourra , le plus souvent, en dire avec précision et la source et la
nature, ce qui a déjà son prix pour l'exacte connaissance des textes .

Une préface de Godefroid Hermann (Opuscula , tome IV) renferme


une comparaison assez piquante de la critique conjecturale, que
l'auteur appelle un jeu (conjectandi lusus ) , avec la médecine , qu'on
définissait dans ce temps-là « l'art de guérir » . Si l'on y fait la part
du badinage, et des exagérations inséparables d'une plaisanterie un
peu prolongée , ce morceau fait bien voir ce qu'était alors la critique
des textes , aux yeux de ceux mêmes qui s'y montraient le plus
habiles ; il permet de mesurer le progrès accompli , depuis une cin-
quantaine d'années , dans cet ordre d'études .

« Les critiques, dit Hermann , ont beaucoup de ressemblance avec


les médecins : ou plutôt la seule différence entre eux consiste en ce
que les uns s'occupent des textes, et les autres, des corps. Les méde-
cins ont besoin de savoir distinguer les maladies , c'est l'objet de la
science qu'ils appellent Séméiotique ; de connaître les choses qui leur
XXX -
sont nécessaires pour guérir, c'est la Matière médicale ; de s'entendre à
composer les médicaments, c'est la Pharmaceutique ; d'être habiles à
soigner les malades, c'est ce qu'ils nomment Thérapeutique. De même
le critique doit connaître les diverses espèces d'altérations, et leurs
causes. Il doit savoir quels sont les remèdes, et où il faut les aller cher-
cher. Il doit être capable d'en proportionner les doses. Il faut qu'il
sache, enfin, quelle méthode il convient de suivre dans le traitement.
On voit des médecins toujours prêts à brûler, à couper ; d'autres , au
contraire, qui ont toujours peur, et perdent la tête devant la moindre
indisposition. De même, on rencontre des critiques dont les mains bru-
tales n'épargnent pas même les endroits intacts , tandis que d'autres
osent à peine poser un doigt tremblant sur les parties malades. Il est
rare que les médecins guérissent radicalement , il arrive qu'ils tuent
ou, comme ils disent, que l'art reçoit une victime en tribut. De même,
un critique qui ait restitué complétement le texte d'un écrivain , pour
peu que ce texte ait plus d'une page, cet homme - là est encore à trou-
ver mais on en a vu exposer en public, tout fiers de leur talent, les
cadavres volumineux d'auteurs qu'ils avaient égorgés. Tel médecin,
présumant qu'une drogue , entre cent, ne peut manquer d'être efficace,
mêle dans ses potions toute espèce d'herbes, de racines, d'écorces, de
métaux ; d'autres, faute d'études ou d'imagination , débitent des panacées,
et tirent d'un seul bocal des remèdes pour tous les maux. . . . . De
même certains critiques, pour mieux extirper les fautes, emploient un
antidote fait de cent ingrédients ; d'autres, au contraire, prônent une
recette unique, universelle soit la transposition des mots , soit l'élimi-
nation des gloses, soit la thériaque souveraine de la paléographie, soit
tout autre remède qui leur a réussi une fois. . . . . Que sais-je encore?
Il a paru naguère des médecins, à qui une dose infinitésimale suffit
pour venir à bout des plus graves maladies. Nous avons aussi des cri-
tiques homœopathes, qui se vantent d'avoir tiré d'affaire un auteur,
quand ils ont rétabli dans son texte úv pour σúv, si c'est un Attique, cồ
pour , si c'est un Éolien, ou s'ils en ont banni quelques prétendus
solėcismes, à l'affût desquels on les voit toujours, comme des chats
guettant des souris. »

Ce que Hermann dit de la médecine, était-il vrai en 4828 ? a-t-il


cessé de l'être aujourd'hui ? A ces deux questions , ce n'est pas nous
qui pouvons essayer de répondre tout au plus nous est -il permis
de soupçonner comment d'autres y satisferaient. En ce qui regarde
la philologie, le morceau qui précède peut donner une idée assez
juste de ce qu'elle était au temps de Hermann ; mais si l'on considère
ce qu'elle est aujourd'hui , le portrait ne paraîtra plus aussi ressem-
blant. Peut- être la philologie critique n'est- elle encore qu'un art,
mais elle aspire à prendre rang parmi les sciences ; et c'est vers ce
but qu'elle paraît diriger de plus en plus tous ses efforts. La science
des fautes, constituée sur une base solide , ce qu'on peut appeler,
pour continuer la comparaison de Hermann , « la pathologie des
textes », voilà ce qu'elle doit tendre à devenir, voilà, selon toute
XXXI
apparence, comment quelque jour on la définira . D'ici là , il lui
reste bien des hasards à courir , bien des fautes à commettre. Long-
temps encore, le meilleur critique sera celui qui aura le plus de
sagacité un jour viendra sans doute, où ce sera celui qui aura le
plus de science ' .

1. On a tâché , par maintes additions, suppressions, et modifications


diverses, de rendre cette exposition moins imparfaite qu'elle ne l'était
sous sa première forme. Il aurait fallu la refondre en entier, et l'étendre
considérablement, pour qu'elle devînt tout à fait complète. Quelques
personnes regretteront peut-être, non sans raison , qu'on n'ait rien dit
de l'espèce de restauration qui consiste à rétablir, dans toute la teneur
d'un texte , les formes et l'orthographe propres à l'époque où a écrit
l'auteur. On peut dire cependant, pour excuser cette omission , que la
philologie classique , et surtout, nonobstant des travaux comme ceux
de Lobeck, de Cobet et des deux Dindorf, la philologie grecque, est restée
jusqu'ici, pour cette partie de la science, dans un état d'infériorité rela-
tive il est singulier notamment que , jusqu'à la publication de l'utile
opuscule de N. Wecklein (Curæ Epigraphicæ ad Grammaticam Græcam et
Poetas scenicos pertinentes, Leipzig, Teubner, 1869), on ait tiré si peu de
parti des renseignements fournis par les Inscriptions. D'autre part ,
l'opération dont il s'agit n'est qu'une application directe de l'histoire de
la langue, indépendante , comme telle, des règles prescrites à la con-
jecture, aussi bien que de l'autorité des manuscrits, et dont la théorie
de la critique n'a guère à se préoccuper que pour en établir la légi-
timité. Or, cette légitimité se conclut aisément de ce qu'on a lu plus
haut à propos du genre VIII ; et peut-être aurons-nous épuisé tout ce
qui reste à dire de général sur ce sujet, quand nous aurons ajouté que
l'insouciance des copistes n'a pas contribué pour une moindre part que
le demi-savoir des grammairiens de décadence au remplacement des
formes authentiques par des formes plus modernes. La préface de ce
fascicule, et la première des tables qui le terminent, aideront le lecteur
à réparer lui-même d'autres omissions de moindre gravité.
D
1
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3 6105 127 187 818

DATE DUE

STANFORD UNIVERSITY LIBRARIES

STANFORD, CALIFORNIA 94305

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