9782265141711

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 22

SUCCUBES

LIVRE 1 : DÉMONS
JEAN-MARCLIGNY

SUCCUBES
Livre 1 : Démons

F
LN
AEUV
TCIEAN
IP O
TOR
I
IN
Laloidu11mars1957na'utorisantauxtermesdesaelnintéréasse2rveéte3sdàeul'lsa'argticelepri4v1é,
ddaunu'naclyeospepsisateertt,eqletusneocnleosudcreteosstipncieésietasotiouànreuspnerdoaudntusiliscuationtionbsnusttrcicdoete'xlm
ectivpele,eto,udda'i'ulutrestrpataiortn,q,utoeuletes
rdeeprla'éusetenutartioonuoduerespersodayuacntiotsndinrotéigtorauleaoyuanptsarctiaeeum le,faitesansleconsenetment
ticelete4re0p).résentationoureproduction,parqueqluesep,roecsétdiléicqiuteec(aelinsoéait,c1ondstei-
la' rC
tpuéenraail.tdoncunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticles425etsuivantsduCode
© 1990 Éditions Fleuve Noir.
ISBN 2-265-04347-8
ISSN 0768-3014
Elle n'a pas de nom. Elle est dans chaque
geste, chaquepensée et chaque rêve. Elle est
tout et rien. Elle attend toujours et attendra
éternellement, sur chaque parcelle de la
Terre.
Tanith Lee, Chimère (The Demoness)

Musique: Cocteau Twins, BelCanto, Dead CanDance


Feïn en Torien
Introduction

Chroniques du VII Va (extraits)

... Tant de prières, d'offrandes, de pénitences,


tant de droiture dans la foi, de respect des Harmo-
nies —et pourtant Galova restait sourde aux appels
désespérés de son Peuple Elu. Une tornade surna-
turelle dévasta le pays ; dans le sud, l'hiver fit irrup-
tion au cœur de l'été; à l'ouest, les moutons bleus
furent pris d'une folie destructrice...
Drod Sau Barth, Harmoniseur Suprême du pays
Torien, passa six jours et six nuits, seul, au sommet
de la tour du Temple Céleste de Mérontori. Six nuits
sous l'éclat sanglant de l'astre maléfique, à lutter
sans relâche contre les démons de Chimère. (...)
Quand il descendit de la haute tour de noire, ses
yeux recelaient une flamme étrange et ses lèvres
grimaçaient un rictus sauvage. Drod Sau Barth
déclara que le salut de Torien résidait dans le Va, le
Voyage Sacré vers la Porte Entre les Mondes: la
source de tous les maux, carpar cetteporte Chimère
envahissait Galova. (...)
Faau Kou Lorkein ne croyait qu'à moitié à cette
légende, pourtant mentionnée dans tous les textes
sacrés. Il pensait que la Porte Entre les Mondes
n'était qu'une métaphore désignant la perméabilité
de Galova à Chimère, dont les émanations seraient
en réalité provoquées par l'Etoile Rouge. Il était
persuadé que les personnes les plus influencées par
les démons dela nuit étaient lessorciers, lesfous, les
hérétiques etlessimples d'esprit. Orsesidées, entant
qu'Interpréteur personnel du Roi à Mérontori,
avaient force de loi. (...) Sans renier le principe
cathartique du Va, Faau Kou Lorkein suggéra
qu'un sacrifice humain —celui d'un sorcier, d'un
hérétique ou d'un simple d'esprit —assurerait le
succès du Va, raffermirait l'emprise de la religion
sur le peuple, augmenterait la puissance de Galova
face au Monde des Chimères. (...)
Comme engendrés par une obscure malédiction,
les malheurs s'abattaient sur Mérontori etsa région:
des Doigts Vertsfurent volés ouperdus, etplusieurs
notables se trouvèrent possédés par Chimère, ou
périrent dans la nuit de l'Etoile Rouge. Des nuéesde
corbeaux agressifs dévastèrent les maigres récoltes
épargnéespar les tempêtes. Lespeuplades du Nord
et de l'Est, chassées de leurs contrées par la montée
de l'océan, se répandirent dans les régionsfertiles du
centre, soulevant la vindicte dupeuple mal nourri et
peu protégé. Il y eut des avalanches dans les mon-
tagnes, des inondations dans les plaines, des pluies
de chauves-rats dans les cités (...).
Outre le Va, un sacrifice s'imposait. Faau Kou
Lorkein n'eut aucune peine à lefaire admettre. Les
fous, les sorciers, les hérétiques: voilà les alliés des
démons de Chimère, affirmait-il. Puis il déclara
connaître l'existence d'un idiot au village de Toriar-
rak. (...)
Un prophète arriva à Sirtori avec les sombres
montagnards de l'Est. Unprophète hors caste, un
hérétique qui prétendait parler au nom de Galova
elle-même. Il répandit la crainte par ses étranges
prédictions: il annonçait l'arrivée d'un dieu libéra-
teur, d'un dieu de vengeance et de colère qui écrase-
rait lepouvoir décadent des Harmoniseurs. Cepro-
phète revendiquait la puissance del'Œil Rouge de la
Nuit —l'Œil de Galova selon lui, qui nous scrutait
sanspitié, jetait sur nous lepoids denosfautes, nous
rendaitpareils à nos abominations. Cethérétiquefut
abattu par les Protecteurs de Jiad Kaïn, l'Harmoni-
seur de Sirtori.
Peu après, Jiad Kaïn reçut un message defélicita-
tions de son cousin de Mérontori, Faau Kou Lor-
kein. Le message lui demandait, en langage codé,
s'il était intéressépar un sacrifice humain. Jiad Kaïn
accepta avec joie. La religion reprend du nerf, se
réjouit-il.
1
Comme un enfant

Dansl'éternité d'avant le temps, dans l'infini


du ciel vide, Galova errait et régnait sur le
néant. Puis elle décida devenir àl'existence.
D'un geste, Galova alluma les étoiles. D'un
chant, Galova commença le temps. Alors le
Monde Elu lui apparut. Des eaux sans fond
couvraient ce monde.
Le Livre de Galova

— Alors, Feïn, que leur racontais-tu, aux


oiseaux?
— Pas les oiseaux, Phalène. Les corbeaux. C'est
pas pareil. Tu les vois? Ce sont eux qui m'ont
raconté.
Feïn tend le bras vers le val touffu, en contrebas.
Une dizaine de moutons paissent l'herbe tondue à
ras par leurs gencives de rongeurs. Le soleil se
couche derrière la colline en face, dont l'ombre se
répand sur leur large dos. Leur laine se pare d'un
bleu éclatant, mauvi par le crépuscule. Dans le ciel
rougissant, des corbeaux tournoient leur ballet her-
métique au-dessus des moutons indifférents. La
température, très douce pour la saison, incite à
s'attarder dans l'herbe. Phalène en arrache un brin
qu'elle plante entre ses dents, et lève sur Feïn assis
près d'elle ses grands yeux noisette couverts de
fard, chargés d'amour.
—Qu'est-ce qu'ils t'ont dit?
Feïn la dévisage. Elle ne rit pas en posant cette
question, n'a même pas cet air-de-sourire que
prennent les Autres en lui adressant la parole. Son
visage hâlé, anguleux, entouré de boucles auburn
aussi foisonnantes que la laine des moutons,
exprime un intérêt dont Feïn connaît bien l'origine.
Son regard glisse sur le corps de la jeune fille,
voilé plutôt que vêtu d'une robe diaphane. Cela
n'éveille en lui aucun désir particulier. Elle est
belle, bien sûr, et gentille, mais... cette passion le
gêne.
—Des choses compliquées, répond-il enfin. Je
n'ai pas bien compris.
—A propos de quoi? De l'Etoile Rouge?
Feïn acquiesce en silence. Adossé contre le tronc
noueux du chêne-beige, perdu dans la contempla-
tion de la vallée, il saisit son arc-à-musique, égrène
un rythme grêle. Le soleil est descendu derrière la
colline ; ses feux rivalisent de pourpres avec ceux
qui naissent à l'est —la grande lueur rouge qui
envahira la nuit entière... Feïn cherche à se rappe-
ler ce que lui ont dit les corbeaux, maisrien d'expli-
cable n'émerge de ce magma d'impressions
bizarres: menace, danger, peur..., espoir...
Lesmoutons se rassemblent vers le sommet, à un
jet de pierre de Feïn et Phalène. Leur piétinement
communique une vibration sourde au sol de la
colline. Phalène les considère avec une certaine
crainte. Il n'y a pas d'animauxplus placides que ces
moutons —maisqui sait ce qui peut arriver encette
époque troublée... Pris de folie, l'un d'eux pourrait
aisément déraciner le chêne-beige qui les abrite,
creuser une trouée dévastatrice dans le bois qui
coiffe la colline et, entraînant le troupeau, se ruer
sur le village telle une avalanche de laine bleue.
Phalène frissonne. Unvent léger soulève sa robe.
Elle n'a rien dessous, mais ne s'en soucie pas. Feïn
non plus. Il se lève soudain:
—Faut que je rentre les moutons.
Dressé dans le ciel mauve, sa crinière blonde
flottante, ses yeux pervenche, son corps gracile...
Seize printemps accuse-t-il —mais de combien se
souvient-il? Pourtant elle l'aime...
—Feïn?
—Les corbeaux me l'ont dit :je dois rentrer les
moutons.
—Sais-tu pourquoi les Autres m'appellent Pha-
lène ?
Les Autres. Leur embryon de code à eux deux,
les parias, pour désigner la masse des gens ordi-
naires, ceux qui ont toujours peur, qui rejettent
toute différence.
—Non...
Feïn se dandine d'un pied sur l'autre. Il a envie
de retourner au village. D'immenses draperies
rouges se déploient dans le ciel.
—Parce que je tourne autour des hommes
commeune phalène autour d'une lampe. Parce que
je vais ybrûler ma vie comme une phalène ybrûle
ses ailes... Tu comprends ?
—Pas très bien.
—Je couche avec tout le monde, voilà ! Et
sais-tu pourquoi ?
Sa voix tremble d'émotion.
—Je m'en fiche. Je t'aime bien comme ça.
—Mais moi... moi je t'aime, Feïn. Tout court.
(Ses yeux s'embuent.) Les Autres... ils ne me
plaisent pas. Aucun d'eux. Sije ne me donnais pas
à eux, ils... ils mevioleraient !Il n'y que toi, Feïn,
toi qui...
Savoix se brise. Debout sous le chêne-beige, elle
pleure. Les corbeaux sont partis. Les moutons se
serrent. La nature écoute, silencieuse. Feïn ne sait
pas quoi faire. Sa main glisse sur les trois cordes de
son arc-à-musique, en tire une plainte vibrante.
—Je sais, murmure-t-il. Je t'aime aussi, Pha-
lène. Tu es la plus gentille.
—Tu n'aimes comme un enfant ! Je voudrais
que tu m'aimes comme un homme !
Sur ce cri du cœur, Phalène s'enfuit en courant.
Ses pieds nus ne produisent aucun bruit dans
l'herbe humide. Feïn la regarde s'enfuir vers le
village. Dans son dos, les moutons s'ébrouent —
comme si le pré entier tremblait.
Il ne comprend pas ce que veut Phalène. Ils
s'aiment, bon, que faut-il de plus ?... Oh, il le
devine, mais... ce n'est pas pour lui. C'est pour les
grands, les Autres. Pourquoi en faire toute une
histoire ? Ça se termine toujours mal. C'est trop
compliqué. Il secoue la tête, unpli amer aucoin des
lèvres.
Le brroumm brrrouoummm des moutons en
marche résonne sous son crâne commeun tonnerre
rythmé, évoque des images, des sensations, qui
estompent vite le difficile problème de l'amour.
Brroummm... brrouoummm... Le tonnerre, les
éclairs, la pluie, la nuit... Le vent, le vent hurlant!
L'Œil Rouge dans le ciel —le visage...
Le visage: grimace de peur, masque de colère.
Levisage surle ciel noir strié d'éclairs. Levisage de
la haine qui l'emporte, qui l'emporte...
Ce cauchemar lui est revenu. Il hante à nouveau
ses nuits —et ça, il sait que c'est un mauvais
présage.
Feïn presse le pas vers Toriarrak, le village niché
au pied de la colline, flanqué de sa vaste bergerie
appuyée contre le roc. Le chemin passe juste au-
dessus, contourne un escarpement, puis descend en
éboulis devant les immenses arbres-à-fil. Plus loin,
la plaine, jusqu'à l'horizon :tous ces champs, carrés
d'ors et de verts, entrecoupés d'arbres serrés
comme des moutons, ou isolés comme des géants
aux bras crochus. Tous ces ruisseaux tels des fils
d'argent sur la plaine... Ce soir ils sont cuivrés:
l'Etoile Rouge va bientôt se lever, déjà son nimbe
ensanglante le ciel.
Feïn dévale à grands bonds l'éboulis, dans une
envolée de cailloux, puis se retourne pour observer
les moutons. Ils le suivent à pas prudents, un par
un, posent leurs fines pattes sur des pierres où
lui-même n'aurait pas osé sauter. Il admire leur
grâce et leur assurance, s'étonne toujours que des
bêtes aussi grosses que des maisons puissent des-
cendre un tas de cailloux aussi souplement qu'un
pannchat. Pour saluer leur exploit, il leur adresse
unjoyeux trille de son arc-à-musique. Les moutons
dressent leurs longues oreilles, attentifs.
Toriarrak est presque désert à cette heure entre
chien et loup. Sur le chemin de la bergerie, Feïn
rencontre GongGai Sogad, le Raconteur, juché sur
sajument bicaude, dont la croupe est tatouée de la
Main de Galova et de ses initiales. Feïn se pros-
terne machinalement, effleure la poussière de ses
mains, ainsi qu'on le lui a appris.
—Merci, Galova, pour la..., commence-t-il à
marmonner.
—Non, mon enfant, non! s'écrie le Raconteur.
J'appelle ça de l'hypocrisie !Situ n'es pas sincère et
profond dans ta prière, elle sonnera aux oreilles de
Galova comme de l'impiété disharmonieuse! A
quoi te sert de remercier Galova si... Mais pour-
quoi ramènes-tu les moutons?
—C'est les co... c'est Galova qui m'a dit de le
faire.
Feïn s'est repris à temps: les corbeaux sont
oiseaux de mauvais augure. Si les Autres appre-
naient qu'il parle avec eux...
—Ah tiens? Pourquoi donc?
—J'ai pas pensé à lui demander. Ouyaaâââh!
A grands gestes des bras, il rassemble les mou-
tons qui s'égaillent sur la place, et les entraîne vers
l'immense bergerie de roc et de troncs.
Feïn se retourne quelques pas plus loin, observe
le Raconteur qui s'éloigne avec ses sermons —et
cette ombre qui le suit, réplique fidèle, noire et
ricanante —, liée à l'esprit du prêtre comme la
morve à son nez. Feïn sait que lui seul voit cette
ombre —sinon comment les Autres pourraient-ils
encore seprosterner devant le Raconteur, lui mani-
fester autant de respect?
Tous lestrois siècles, l'Etoile Rougeenfle dansleciel
de Galova. Lesnuits sont alors envahies par les éma-
nationsdel'AutreMonde:incubes,succubes,démons
et chimères... Pourquoi Feïnnelescraint-il pas?Quel
démonThazi dissimule-t-elle? Quipeut surmonter la
folie de ces nuits rouges?
Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès
par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement
sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012
relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au
sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.
Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire
qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections


de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*
La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original,
qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia
‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒
dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.

Vous aimerez peut-être aussi