Texte 1 - Le Merle - Cours Version Complete

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Colette, Sido (1930) et Les Vrilles de la vigne (1908) - La célébration du monde

Texte 1 - Sido - Le portrait de la mère


Etude linéaire (complète)

Introduction
[Amorce éventuelle]
[Présentation : auteur et contexte, oeuvre, texte]
En 1930, Colette, âgée de 57 ans, publie Sido, récit autobiographique, qui poursuit le travail de
remémoration et d’hommage au monde de l’enfance entrepris en 1922 avec La Maison de Claudine.
Elle cherche à retrouver la petite fille qu’elle était, mais surtout sa mère Sido. Celle-ci est la figure
centrale de ce récit autobiographique. La première partie lui est entièrement consacrée et son
influence sur le reste de la famille est perceptible dans la deuxième et la troisième parties
consacrées au père de Colette et à ses frères et soeurs. Dans cet extrait, Colette tente de faire
percevoir la personnalité singulière de sa mère à travers une anecdote.

[Lecture expressive du texte]


Je vais maintenant procéder à la lecture du texte.
Rappel : accordez une attention toute particulière à cette lecture, notée sur deux points !

[Problématique]
Comment Colette rend-t-elle hommage à sa mère dans ce texte ?
Quel portrait de sa mère Colette dresse-t-elle dans ce texte ?

[Mouvements du texte ]
1. Présentation : le portrait d’une femme exceptionnelle (l. 1 à 7)
2. Récit : une anecdote révélatrice (l. 7 à la fin)

I. PRÉSENTATION : LE PORTRAIT D’UNE FEMME EXCEPTIONNELLE (l. 1 à 7)

A. Une mère exceptionnelle par son choix de vie - l. 1 à 3


Au vrai, cette Française vécut son enfance dans l’Yonne, son adolescence parmi des peintres, des
journalistes, des virtuoses de la musique, en Belgique, où s’étaient fixés ses deux frères aînés, puis
elle revint dans l’Yonne et s’y maria deux fois.

1. Présentation très rapide et efficace : présentation apparemment neutre (Sido est désignée par
cette Française : déterminant démonstratif cette + origine géographique). Sommaire de l’existence
de sa mère : enfance / adolescence / adulte. Associée à des lieux géographiques : Yonne / Belgique /
Yonne, et à des activités : enfance rien / adolescence : vie culturelle et intellectuelle très riche / âge
adulte : mariages.
2. Un choix de vie étonnant : choix singulier de retourner en Bourgogne à l’âge adulte : renonce à
la vie urbaine en Belgique, à la proximité avec sa famille (frères aînés s’y sont fixés = verbe fixés =
stabilité) et à un environnement culturel et intellectuel très riche : énumération méliorative :
fréquente des artistes (peintres et musiciens très talentueux : adj virtuose), des intellectuels -
(journalistes).

B. Une mère exceptionnelle par ses qualités l. 3 à 7


D’où, de qui lui furent remis sa rurale sensibilité, son goût fin de la province ? Je ne saurais le
dire. Je la chante, de mon mieux. Je célèbre la clarté originelle, qui, en elle, refoulait, éteignait
souvent les petites lumières péniblement allumées au contact de ce qu’elle nommait le « commun
des mortels ».

Colette exprime ensuite toute son admiration pour sa mère pour les qualités exceptionnelles dont
elle fait preuve.

1. Une femme d’une finesse innée


- Colette renonce à l’apparente distanciation de la première phrase et fait l’éloge de sa mère avec
deux groupes nominaux mis en valeur dans un chiasme sa rurale sensibilité, son goût fin de la
province (l. 4).
- sensibilité innée : Colette s’interroge elle-même sur l’origine de ces qualités à l’aide de deux
interrogations partielles : d’où, de qui lui furent remis […] ? (l. 3-4). Ces interrogations cultivent
le mystère autour de cette personnalité singulière, d’autant plus que Colette n’a pas d’explication,
comme elle l’exprime dans une phrase négative très brève : Je ne saurais le dire (l. 4).

2. Une femme digne de louanges, d’être célébrée


Elle évoque avec modestie son projet littéraire : il s’agit de célébrer sa mère (Je la chante, de mon
mieux l. 5, Je célèbre l. 5). Les deux verbes au présent d’énonciation, définissent l’art de Colette :
rendre hommage en utilisant toutes les ressources musicales du langage.

3. Une femme unique, différente des autres


Cet hommage est perceptible dans une métaphore filée qui oppose la clarté originelle (l. 5) de la
mère aux petites lumières péniblement allumées au contact de ce qu’elle nommait le "commun des
mortels" (l. 6-7). On découvre le caractère sans doute un peu hautain de Sido qui se considère
unique et au-dessus des autres, mais Colette adhère totalement à ce point de vue, puisqu’elle
caractérise les lumières des autres par un adjectif péjoratif (petites l. 6) et par l’adverbe tout aussi
négatif péniblement (l. 6). Colette veut signifier que sa mère est un être libre qui ne se laisse pas
dicter sa conduite par les convenances et la médiocrité. La liberté et la sagesse de sa mère sont ainsi
caractérisées dans une métaphore laudative (clarté originelle l. 5). L’aura et le pouvoir de cette mère
sont signalés par les deux verbes (elle refoulait, éteignait souvent les petites lumières l. 6) = Sido ne
se laisse pas enfermer dans les normes et les convenances.

II. UN RÉCIT : UNE ANECDOTE RÉVÉLATRICE (l. 7 à la fin)

Colette, dans une démarche déductive, raconte une anecdote qui vise à illustrer le caractère de sa
mère. L’anecdote cocasse permet de comprendre comment Sido se démarque du commun des
mortels.

A. Situation initiale
Je l’ai vue suspendre, dans un cerisier, un épouvantail à effrayer les merles, car l’Ouest, notre
voisin, enrhumé et doux, secoué d’éternuements en série, ne manquait pas de déguiser ses cerisiers
en vieux chemineaux et coiffait ses groseilliers de gibus poilus.
- on trouve un exemple de ce que Sido désigne par l’expression un peu méprisante de « commun
des mortels » dans le personnage du voisin. Il est caractérisé de manière comique, dans une
métonymie qui le réduit à sa localisation l’Ouest (l. 8) et à ses salves d’éternuements en série (l.
8). Ce personnage déjà comique en soi s’efforce de protéger son verger contre les merles à l‘aide
d’épouvantails, qui prennent l’allure de vieux chemineaux (l. 9) et en coiffant ses groseilliers de
gibus poilus : plusieurs procédés renforcent le comique de la scène, qui prend l’allure d’un
tableau grotesque : les personnifications (verbes déguiser et coiffait), l’antithèse entre
chemineaux et gibus, et la qualification par l’adjectif poilus appliquée aux gibus.
- Dans un premier temps, la mère de Colette semble séduite par cette lumineuse idée et elle installe
aussi un épouvantail à effrayer les merles pour les dissuader de picorer ses cerises.
= la situation initiale dévoile comment la mère de Colette semble se conformer aux petites lumières
(l. 6) de son voisinage.

B. Situation finale
Peu de jours après, je trouvais ma mère sous l’arbre, passionnément immobile, la tête à la
rencontre du ciel d’où elle bannissait les religions humaines...
– Chut !... Regarde...
– Mais maman, l’épouvantail…
– Chut !... l’épouvantail ne le gêne pas…
– Mais, maman, les cerises !…
Ma mère ramena sur la terre ses yeux couleur de pluie :
– Les cerises ?... Ah ! oui, les cerises…
Dans ses yeux passa une sorte de frénésie riante, un universel mépris, un dédain dansant qui me
foulait avec tout le reste, allègrement…

Après une ellipse (Peu de jours après l. 10), qui passe sous silence l’élément perturbateur et les
péripéties (= ellipse qui renforce l’efficacité du récit), le lecteur découvre la situation finale : il
comprend comment Sido a éteint ces petites lumières et a retrouvé la clarté originelle.

1. Description élogieuse de Sido, dans une attitude contemplative


Peu de jours après, je trouvais ma mère sous l’arbre, passionnément immobile, la tête à la
rencontre du ciel d’où elle bannissait les religions humaines...
– Chut !... Regarde...
- Sido se trouve sous un arbre la tête levée vers le ciel. Elle est immobile (l’adverbe passionnément
qualifie de manière oxymorique l’adjectif immobile (l. 10), pour mettre en valeur l’intensité de
son observation) et silencieuse (interjection chut !) ; son attitude contraste avec l’attitude
bruyante du voisin.
- Le lexique de l’élévation transforme quasiment Sido en déesse à la rencontre du ciel (l. 11), elle
qui bannissait les religions humaines… (l. 11). Elle apparaît comme une athée plus intéressée
par les phénomènes naturels que par les inventions humaines.
- Sido invite sa fille à adopter la même attitude contemplative qu’elle : à rester silencieuse
(interjection chut !) et à observer (impératif Regarde)

2. La description du merle, objet de la contemplation de Sido


Un merle noir, oxydé de vert et de violet, piquait les cerises, buvait le jus, déchiquetait la chair
rosée...
– Qu’il est beau !... chuchotait ma mère. Et tu vois comme il se sert de sa patte ? Et tu vois les
mouvements de sa tête et cette arrogance ? Et ce tour de bec pour vider le noyau ? Et remarque
bien qu’il n’attrape que les plus mûres...
- description du petit merle en train de picorer les cerises pleine de sensualité et de poésie.
Colette parvient à saisir les subtiles couleurs du petit oiseau noir dans une expression musicale
où se mêlent allitérations et assonances oxydé de vert et de violet (l. 13-14). Le plumage
contraste avec l’évocation de la chair rosée (l. 14) des cerises, gravant dans l’esprit du lecteur un
tableau coloré. Le rythme ternaire souligne poétiquement l’enchaînement des actions du merle
avec la juxtaposition des verbes tout en poursuivant l’allitération en [e] : piquait les cerises,/
buvait le jus, /déchiquetait la chair rosée… (l. 13-14).
- enthousiasme de Sido : Elle manifeste avec enthousiasme son admiration pour la beauté de ce
petit oiseau, d’abord dans une phrase exclamative (Qu’il est beau ! l. 15), puis dans une question
rhétorique (les mouvements de sa tête et cette arrogance ? l. 16). Elle poursuit sa célébration du
petit merle en évoquant son habileté à manger les cerises au lieu de la déplorer : Et tu vois
comme il se sert de sa patte ? (l. 16) Et ce tour de bec pour vider le noyau ? (l. 16). Elle finit par
évoquer l’intelligence du petit oiseau : Et remarque bien qu’il n’attrape que les plus mûres… (l.
17).
- La leçon de Sido : elle poursuit auprès de sa fille au silence et à la contemplation de ce spectacle
en chuchotant (verbe chuchotait) + Et tu vois… en anaphore aux lignes 15 et 16 + impératif Et
remarque (l. 17). Sido transmet à sa fille un véritable art d’être au monde : écouter, regarder,
saisir la beauté d’un petit oiseau. NB : Colette prouve qu’elle a compris cette leçon par sa
description du merle.

3. Un échange comique
– Mais maman, l’épouvantail…
– Chut !... l’épouvantail ne le gêne pas…
– Mais, maman, les cerises !…
Ma mère ramena sur la terre ses yeux couleur de pluie :
– Les cerises ?... Ah ! oui, les cerises…
- Passage au discours direct : dialogue comique entre Colette et sa mère. L’attitude de Sido
déclenche l’incompréhension de la petite fille ( – Mais maman, l’épouvantail… l. 18 / – Mais,
maman, les cerises !... l. 20). Sido ne pense plus à chasser les oiseaux, et au contraire s’oublie
dans la contemplation du merle. Dans un renversement comique, elle déclare : l’épouvantail ne le
gêne pas… (l. 19). L’insertion de ce dialogue aux répliques courtes dynamise ce petit récit qui
montre de manière cocasse la véritable nature de Sido qui n’obéit pas à la logique du commun
des mortels.
- Sido cesse alors d’observer le merle et ramène sur la terre ses yeux (l. 21). Après l’envolée
signalée l. 11 (tête était à la rencontre du ciel.), retour au réel : interrogation les cerises ? Puis :
points de suspension.
- Colette évoque la couleur des yeux de sa mère dans une formulation qui souligne la fusion de
Sido avec la nature : ses yeux couleur de pluie (l. 21).

4. Une femme singulière


Dans ses yeux passa une sorte de frénésie riante, un universel mépris, un dédain dansant qui me
foulait avec tout le reste, allègrement…
La dernière phrase du texte l. 24-25 est une célébration du caractère unique de Sido où se mêlent la
gaieté (adj riante, dansant, adv allégrement l. 25), l’énergie (frénésie, qui me foulait), mais aussi un
mépris affirmé pour le conformisme (un universel mépris, un dédain). Les trois compléments
d’objets directs mettent en place un rythme ascendant qui renforce l’expression de l’admiration de
Colette pour le caractère de cette mère unique.

Conclusion
[Bilan] Dans ce portrait, Colette peint sa mère comme un esprit libre, prompt à s’écarter des
sentiers battus. Elle évoque aussi sa capacité à s’émerveiller devant le spectacle quotidien de la
nature. Elle célèbre « sa clarté originelle », c’est-à-dire sa capacité à voir la beauté du monde dans
une anecdote pétillante. Cet hommage est original car Colette ne masque pas les aspects plus
contestables de la personnalité de sa mère : son indifférence aux autres, sa singularité assumée.
[Ouverture] Ce texte, dans lequel s’exprime l’admiration de Colette pour sa mère, nous permet
également de comprendre d’où Colette tient son regard sur le monde. Dans ses œuvres, elle
applique les injonctions maternelles : elle se tait, elle regarde et cherche à saisir la beauté du monde.
Dans « Maquillages », Colette observe avec tendresse les femmes en mettant en application les
préceptes maternels : « J’écoute, mais surtout je regarde. »

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