Pasolini Ou La Rage D'aimer
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Fabrice Bourlez
Érès | « Chimères »
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http://www.pierpaolopasolini.eu/cinema_Venezia2008_LaRabbia_molteni.htm
(Trad. fr. : Marie-Pierre Duhamel-Muller, in Images documentaires, op. cit., p. 28).
4. Ibid.
5. Cf. Pasolini, Contre la télévision et autres textes sur la politique et la société, Les soli-
taires intempestifs, 2003.
6. Pasolini, « Appendice alla Rabbia : il trattamento », p. 409 (Trad. fr., p. 26).
7. Pasolini, Teorema, Milano, Garzanti, 1968, p. 193 (Trad. fr. : Théorème, José Guidi,
Gallimard, 1978, p. 181).
8. Ibid.
9. Cf. le texte de présentation et le documentaire de Roberto Chinesi, in Pier Paolo
Pasolini, La rabbia di Pasolini, réalisation de Giuseppe Bertolucci, DVD, Luce, Minerva
Rarovideo, Cineteca di Bologna, 2008. Chinesi estime que « le film de Guareschi a
trouvé une filiation inattendue dans la télévision berlusconienne, à savoir : dans une
mise au goût du jour de la rhétorique de la vulgarité et de la violence », ibid., p. 5.
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10. Pier Paolo Pasolini, « Il cinema di poesia » (1965), in Empirismo eretico, Garzanti,
1972, p. 172 (Je traduis).
11. Gilles Deleuze, L’image-mouvement, Minuit, 1983, p. 8.
12. Le dehors est un concept blanchotien, présent dans l’œuvre de Deleuze mais sur-
tout dans celle de Foucault. Cf. Marie-Claire Ropars, « La pensée du dehors dans
L’Image-Temps » (Deleuze et Blanchot) in Cinémas : revue d’études cinématographiques/
Cinémas : journal of film Studies, vol.16, n° 2-3, 2006, p.12-31.
13. Gilles Deleuze, L’image-mouvement, op. cit., p. 284.
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des liens sensori-moteurs, qui avait été mise à mal, notamment par les
films du néo-réalisme italien ou de la Nouvelle Vague mais aussi par
ceux de Welles ou d’Ozu. Même si l’on continue, aujourd’hui encore,
à produire des films qui racontent des histoires, des fictions où la per-
ception et le mouvement maintiennent leur préséance sur le temps,
avec l’avènement de cette modernité cinématographique, une inver-
sion s’est établie : le faux-mouvement a pris le dessus, laissant ainsi
apparaître une image-temps où la temporalité s’impose d’emblée dans
toute son intensité. Un tel cinéma n’est pas tellement fait pour être vu
mais pour rendre voyant, pour donner à voir les intensités du virtuel
que la perception normée, soucieuse d’unité dramatique, d’intrigue
bien ficelée, n’est pas vraiment capable de mettre en lumière.
Toutefois, rappelons aussi que pareille crise constituait l’un des hori-
zons possibles du cinéma dès ses origines. Deleuze explique que le
scénariste de La fête espagnole (1928) de Germaine Dulac n’était peut-
être pas le seul à avoir été tenté de « plonger le drame dans une ‘pous-
sière de faits’ dont aucun ne serait principal ou secondaire, si bien
qu’on ne pourrait le reconstituer que suivant une ligne brisée prélevée
parmi tous les points et toutes les lignes de l’ensemble de la fête »14.
Cette tentation du faux-mouvement avait donc hanté le cinéma de-
puis toujours. Cependant, au moment où l’image commence à se faire
de plus en plus envahissante au quotidien, au moment où « le pouvoir
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18. La réécriture pasolinienne des actualités n’a d’autre visée que la diversité. Son trai-
tement de ce qu’on appellerait aujourd’hui des news laisse entrevoir un fond virtuel en
mesure d’affirmer d’autres réalités. Plutôt que de faire entendre un consensus mou, sa
relecture des images, la tension qu’il y inscrit entre le dire et le voir, laisse apparaître
l’éclat d’une rage salutaire. En ce sens, on ne peut s’empêcher de rapprocher ce travail
de celui d’Orson Welles, architecte de la modernité cinématographique, ouvrant son
premier long-métrage, Citizen Kane (1941), par une paradoxale séquence d’actualités.
Les News on the march – autre ensemble d’images à mi-chemin entre le ciné-journal
et la fiction – à partir desquelles s’élance la narration, contrarient « les techniques du
journalisme », affirment « la différence entre le document – plénitude du ‘donné’ triom-
phant avec sa reproduction technique par les images et les sons – et le film qui nie cette
plénitude dès son premier plan », Youssef Ishagpour, Orson Welles Cinéaste. Une caméra
visible. Vol. II. Les films de la période américaine, la Différence, 2001, p. 42.
19. Pour une critique du langage utilisé par les nouveaux philosophes, cf. Gilles
Deleuze, « À propos des nouveaux philosophes et d’un problème plus général » in
Deux régimes de fous, Minuit, 2005.
20. G. Deleuze - F. Guattari, Mille Plateaux, Minuit, 1980, p. 97.
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sinueuse et est amené dans une zone haute du langage, ou très haute,
et est transformé en fonction expressive ou expressionniste »27.
Pareil discours est le ressort même du cinéma de poésie auquel Pasolini
a travaillé toute sa vie durant. Il est encore à l’œuvre dans La Rabbia.
Voyons comment le poète expérimente sa langue dans la langue du
cinéma.
La rage entre le dire et le voir
David Lapoujade, relisant les mouvements aberrants de l’œuvre deleu-
zienne, écrit : « Nous sommes pris dans des agencements qui nous
font voir, parler et agir de sorte qu’on agit conformément à ce rapport,
la redondance comme fonction sociale et nouveau sens commun.
(…C) haque fonction contrôle l’autre : le visible-lisible permet de
contrôler les énoncés en leur donnant un cadre préétabli, l’énonçable
contrôle le visible-lisible en y découpant des formes prédéfinies »28.
Dans La Rabbia, la réutilisation d’images d’actualité, de journaux té-
lévisés brise la continuité de la ligne du temps. La cohérence ne vient
plus d’une mise en ordre mais, à l’inverse, de l’indignation poétique,
de la furie philosophique, de la rage intellectuelle qui constituent le
« paradigme transversal » — pour reprendre l’expression de Georges
Didi-Huberman — de toutes les « tentatives littéraires, critiques,
politiques, ou cinématographiques »29 de Pasolini. Sur son écran, les
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27. Pasolini, Empirismo eretico, op. cit., p. 179 (Je traduis). Pour un usage mineur de
la langue italienne cf. Pasolini, Ragazzi di vita, Garzanti, 1955.
28. David Lapoujade, Deleuze, Les mouvements aberrants, Minuit, 2014, p. 253.
29. Georges Didi-Huberman, Sentir le grisou, Minuit, 2014, p. 76.
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30. « Pier Paolo Pasolini ritira la firma dal film La rabbia », op. cit., (Tr. Fr., p. 28).
31. Ibid., p. 179 (Je traduis).
32. Ibid.
33. Gilles Deleuze, L’image-temps, op. cit., p. 237.
34. Pasolini, « La rabbia », in Tutte le opere. Per il cinema, op. cit., p. 372 (je traduis).
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