Conception D'une Station de RER
Conception D'une Station de RER
Conception D'une Station de RER
Par chance, la gare est bordée sur son flanc sud IN TE N TIO N IN IT IA LE :
par une très large m ais courte avenue, « un coup de sabre ! »
Eastboume Terrace, qui semble presque inoccu
pée tan t elle est large m algré les bus et les Le tra vail d'A lsop consista à analyser et c ri
taxis q u i attendent en permanence les voya tiquer ce schéma en m ontrant q u 'il n'était pas
geurs (2). Sa longueur (400 m) et sa largeur (40 aussi cla ir et pratique qu’il y paraissait au
m ) conviennent particulièrem ent bien aux d i prem ier abord et su rtou t q u 'il ne tenait pas
m ensions d'une station souterraine (300 de assez compte du contexte de la gare et du sys
long sur 20 de large). Il fu t donc décidé que la tème de c ircu la tio n existant. En ré a lité sa
n ou ve lle lig n e lo n g e ra it la gare et serait critique lu i perm ettait de m ettre en place une
creusée sous Eastbourne Terrace. Les h u it stratégie, destinée à convaincre les ingénieurs
membres du com ité d irecteur de Crossrail, de la nécessité de donner un m axim um de
constatant que les dernières réalisations de lum ière naturelle.
stations souterraines étaient tro p semblables
et m anquaient de qualités esthétiques, déci Reprenant à la base les données techniques
dèrent d'associer des architectes aux ingé (deux tunnels entourant une plate-form e cen
nieurs civ ils dès le début des études. Celles-ci trale à 15 mètres de profondeur sous terre) et
se développeraient, dans la prem ière phase, la situation existante, il donna l'im age (4)
au sein d'une équipe commune (environ 40 des travaux m inim um q ui lu i sem blaient, à
personnes) mais la mise au p o in t d é fin itive première vue, nécessaires d'effectuer :
serait le seul fa it des ingénieurs civils .
* Garder les deux niveaux de circu la tio n de
W illia m ALSOP fu t choisi parm i les tro is l'avenue (niveau 127 m des bus et 124 m des
architectes so llicité s « essentiellement pour taxis) car ils séparent de façon efficace les
ses qualités inventives mais aussi parce qu'il mouvements des nom breux taxis de la circula
semblait le moins cher au niveau des hono tion des bus et des véhicules ordinaires.
raires d ’étude » 1 .
I l a v a it été re m a rq u é p a r L o n d o n * Enlever le m inim um de terre pour accéder à
U nderground à l'occasion de l'étude d'une la plate-form e des bille ts (niveau 119 m ) et à
station de m étro de la Jubilee Line et par celle des quais d'em barquem ent, d ix mètres
B ritis h R ailw ay lo rs de la réalisation de la plus bas (niveau 109 m).
Tottenham H aie Station près du nouvel aé
ro p o rt de Stansted co n s tru it par N orm an * O u vrir aux voyageurs un accès direct depuis
Foster. la gare de chemin de fer vers la plate-form e
des bille ts de Crossrail (niveau 119).
La m aîtrise d'ouvrage, représentée par la
C om m ission C rossrail, est essentiellem ent * Fracturer le sol pour donner de la lum ière
form ée d'in gé n ie urs c iv ils . Ceux-ci avaient naturelle dans le h a ll des tickets (119 m ) et
établi en 1991 un programme précis des flu x de en p ro fite r pour créer un nouvel objet archi
personnes et des contraintes techniques ac tectural qui m arquerait une des entrées p rin
compagné de schémas descriptifs. Dans un cipales de la gare, actuellem ent confondue
prem ier temps, W. A lsop se borna à traduire avec celles des nom breux im m eubles de bu
les données du programm e en dessins (3). Ces reaux.
dessins donnaient de la station une image ba A ce schéma, Crossrail répond que le niveau
nale, fo n c tio n n e lle et réalisable par des de la plate-form e enterrée n ’étant qu'à 15 m
techniques éprouvées. On pouvait effective sous le niveau du sol, il est in fin im e n t m oins
m ent construire une telle station.
5
Les Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 85 Laboratoire "Architecture, Usage, A lté rité "
Il fa u t d ire que l'idée de créer une fa ille en du temps de faire évoluer les premières idées
p le in m ilie u de l'avenue et d 'y encastrer une jusqu'à la réalisation. C'est pourquoi la
lame de verre é ta it dans la tête de W. Alsop peinture joue un rôle im portant car en
dès q u 'il sut que la ligne du RER passait exac continuant à peindre, tu crées un autre type de
tem ent sous Eastbourne Terrace ; et ceci, bien travail qui te permet de t'observer et de
avant d 'a v o ir é tu d ié les déta ils du p ro prendre de la distance par rapport au projet
gramme. Une telle attitu d e rappelle celle que lui-même.
D. P errault avait prise quand il avait décidé, A insi sur ce projet de Crossrail, j'essaie
avant de recevoir le programme du concours de actuellement de rassembler toutes mes
la B ib liothèque de France, d 'in s ta lle r une peintures pour réaliser une sorte de calendrier
vaste place sur lè site3. Chez W. A lsop, le (diary)... car c'est intéressant de vo ir
concept prom oteur d'architecture est le plus comment les choses peuvent être reprises dans
souvent d'ordre plastique. le projet. La peinture est un tra va il
parallèle : stockage des idées et reprise ou
non de celles-ci. Pour moi, la peinture n o u rrit
fonction de la peinture la conception 5.
Peindre est vraiment utile au début du projet
L'agence de Pow er House est rem plie de pour bien comprendre les choses ; tu fais tes
peintures accrochées aux m urs ou remisées essais en dessinant et tant que tu as besoin de
verticales à même le sol (8). A vant de tester changer des choses, tu peins. Mais à partir du
la fa isa b ilité d'une idée par le dessin tech moment où tout est plus ou moins fixé, tu ne
nique ou les maquettes, W. Alsop cherche la peins plus » 6.
qualité et la diversité des émotions que pour
ra it pro du ire l'idée, en peignant : A in si quand il y a une d iffic u lté majeure, il
« Quand j ’ai un nouveau dossier, je m ’en vais entre dans la pièce q u i voisine son bureau et
à la campagne, à mon atelier au bord de la lu i sert d'atelier. L ’espace est restreint, 12 à
mer ; je passe quelques jours à réfléchir et à 15 m2, beaucoup m oins grand que son atelier
peindre juste pour avoir des sensations »4. p rin cip a l où il p e in t souvent avec son ami
I l ajoute : «S ur un projet, tu t'observes en Bruce MC LEAN, peintre de m étier. L'atelier
train de travailler. Tu es en train d'apprendre de l'agence est dans un désordre permanent et
et par conséquent tu observes ce que tu fais et sym pathique : les tubes, papiers, chiffons
tu te dis que tu peux faire mieux. Tout au long maculés de peinture voisinent avec des ma
de la démarche tu vas au-delà de ce que tu quettes, un vélo, un casque de m oto... une cafe
connais ; tu essayes d ’aller au-delà de tes a tière (9). A lsop réalisa a insi de très nom
priori et c'est très dur. breuses peintures de toutes tailles ; du form at
Etablir une recette pour faire l'architecture ne de ses carnets de croquis (20 x 25 cm ou double
m'intéresse pas, je ne veux pas être mené par page 20 x 50 cm) jusqu'à de très grandes pein
le bout du nez. Je veux toujours garder ma tures (10 à 12 m2) réalisées en com m un avec
liberté de choix. Ceci est important car la Bruce (10) :
démarche architecturale suit un processus « Tous les lundis soirs je vais à l'atelier de
complexe qui est très lent ; parce que ça prend Bruce et nous travaillons ensemble sur la
même toile. Quelquefois nous pensons à
d iffé re ntes po ssib ilité s en une succession de très petits l'architecture, quelquefois nous ne pensons à
croquis, certains inachevés, exécutés avec une extrême
ra p id ité ! Est-ce à d ire que dès le début, avant même de
rien ; c'est une façon de découvrir les
m a îtris e r toutes les données, on p e u t a vo ir déjà une choses »7.
approche in tu itiv e et synth étiqu e de la p ro p o sitio n
fin a le ?
3- cf. l'é tu d e de la dém arche de conception de D. Perrault
p o u r la B ib lio thèq ue de France, in « Le processus de
conception architecturale », DEA O liv ie r Trie, U niversité 5- W. A lsop interview é par O. Trie, mars 1993.
de Rennes II, 1992. 6- W. Alsop interview é par O. Trie, 1994.
4- W . A lsop interview é par O. Trie, septembre 1992. 7- W. Alsop interview é par O. Trie, septem bre 1992.
Les Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 91
La réponse fu t sans am biguïté ; mais malgré * le 1er croquis m ontre une profonde et étroite
cette enquête c'était l'architecte qui se tro u tranchée sur laquelle est posée une sorte
v a it de fa it porteur de l'idée et défenseur des d'auvent capteur de lum ière.
intérêts des usagers et de leur confort : sur ce
plan, les ingénieurs de la m aîtrise d'ouvrage * le 2ème, m ontre la distance irré d u c tib le
avaient laissé échapper une p a rt de leurs entre la tranchée de surface du h a ll des t i
re sponsabilités. « La plupart des ingénieurs ckets (-5 m) et the tube, 20 mètres plus bas,
civils ne connaissent rien à l'architecture. A sorte de cytoplasme navigant dans les p ro
l ’époque Victorienne, oui, mais au 2Oéme fondeurs. La liaison entre les deux n’est plus
siècle, ils ont oublié qu'ils étaient respon signifiée que par quelques petits tra its incer
sables aussi de l ’esthétique »8. tains.
W . A lsop saisit l'occasion pou r reprendre forme ». L'ingénieur p rin cip a l in te rv in t alors
l'id é e d u « coup de sabre » sur toute la de façon décisive : « Il nous faut écouter les
longueur de la station mais en pratiquant une architectes car ils nous apportent une autre
saignée beaucoup plus étroite ; non plus 20 m manière de voir. D ’autre part c'est, de tout le
de large m ais 5 à 6 m, juste assez pour le réseau, la seule station où l'on peut amener
passage des escalators. largement le jour du fait que l'axe de la voie
coïncide avec celui de la rue ; il faut donc le
« Nous n'avons pas d'ingénieur attaché au bu faire ! »12
reau mais j ’aime travailler dès le début avec
un ingénieur. Par exemple nous parlons d'une une dialogique du compromis
idée : une faille? peut-être dans une rue? peut-
être en verre ? D'abord tu lances l'idée, « Quand tu fais le premier croquis que tu
ensuite tu les écoutes. Pendant ce temps tu considères comme du bon travail, raconte W .
travailles. Cela commence dans un carnet de A ls o p 13, tu vas le présenter au client et une
croquis, ensuite nous nous rencontrons et tu leur discussion s'ensuit qui t'oblige à retravailler.
montres d'autres dessins ; ils ne comprennent J'aime l ’idée de co m p ro m is entre le client et
toujours pas que c'est la rue entière mais cela moi-même. Mon idée, c ’est qu’il y a l'archi
leur donne un feeling concernant les rapports tecte, le client maître d'ouvrage, les ingé
entre la gare existante, le nouvel aspect de la nieurs etc... et au milieu il y a l'objet, le bâ
rue et la lumière. Ils peuvent laisser aller leur timent. Chacun à son idée mais la communi
imagination... Petit à petit, tu introduis une cation s'établit. Le rôle de l'architecte, c'est
idée, et certaines choses qu'ils disent mo d'essayer de faire se rejoindre les points de
difient cette idée chez eux ; et chez toi bien vue pour que les a-priori soient dissipés, au
sûr ! Le vrai conflit commence plus tard quand tant les leurs que les nôtres, car nous avons
tu dois leur dire : "hé bien, ça mesure presque nous aussi des a-priori... Le compromis permet
400 m de long ! »n de trouver quelque chose de plus fort que ce que
W . A lsop se re n d it lui-m êm e à la réunion tu as toi-même proposé, de plus fort que ce que
program m ée avec la d ire ctio n de C rossrail l'autre a proposé... La qualité de la discussion
formée de cinq ingénieurs. Ces derniers refusè se joue sur l'objet. Tu commences avec quelque
rent de revenir à une tranchée, si étroite soit- chose que tu connais et à la fin tu as une vraie
elle, q u i court sur toute la longueur de la sta surprise : le processus t'a fa it découvrir non
tio n. Ils en restaient à la dernière proposition seulement un n ouvel o b je t mais aussi de
où seulem ent tro is poches étaient à excaver. nouvelles personnes ! »
Ils a ffirm a ie n t q u 'ils m aîtrisaient parfa ite
m ent la lum ière a rtific ie lle (ce qui est vrai) L'exem ple précédent où W. A lsop a tapé du
et q u 'ils étaient capables de créer une am poing, n'est pas contradictoire avec l'idée du
biance to u t à fa it confortable. Ils avancèrent com prom is car il ne peut y en avoir sur cer
q u 'il serait p lu s rationnel et m oins coûteux tains choix fondam entaux et l'a ttitu d e réso
d 'u tilis e r les parties hautes, ouvrant sur l'ex lue de W. A lsop a certainem ent m o d ifié le
té rie u r et donnant le jo u r, pour disposer les point de vue de certains ingénieurs, même si, a
équipem ents techniques... L'ambiance de la posteriori, on peut penser que cette décision
station s'assom brissait et, avec elle, celle de n'était pas vraim ent surprenante. Elle corres
la réunion... Seul l'ing é nieu r en chef, respon pondait en effet à la logique du choix in itia l
sable de C rossrail se taisait. P ro fita n t d'un de B ritish Rail et London U nderground de
silence un peu plus long que les autres, Alsop faire p articiper des architectes à la concep-
posa un poing sur la table et d it : « Non, il y
aura de la lumière ; je veux de la lumière na
turelle sur toute la longueur de la plate- 12- in te rv ie w de M onsieur John B erry, architecte de
B ritish R ailxay, coordinateur de l'ensem ble du p ro je t
Crossrail, mars 1993.
11- W. A lsop interview é par O. Trie mars 1992. 13- W. Alsop interview é par O. T rie m ars 1992.
Les Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 99 Laboratoire "Architecture, Usage, A lté rité 1
tio n des stations. Ce n'é ta it pas non plus un des architectes pour les concevoir avec nous de
hasard si W . A lso p a va it été finalem ent façon différente.
choisi pour réaliser la station la plus im p o r
tante et la plus complexe de la ligne. En effet,
lors de la séance décisive, il s'était présenté un chem inem ent hasardeux
avec 6 ou 7 grandes peintures q u 'il avait ac
Cet épisode révèle l'im prévisibilité perma
crochées aux m urs de la salle :« il n'est pas sûr
nente de to u t système d'acteurs. On ne sait
que les ingénieurs aient apprécié la peinture
jamais comment va réagir tel ou tel in d iv id u .
en tant que telle, disait l'architecte de
Le degré d'incertitude est très élevé au niveau
Crossrail qui supervisait les différents
des personnes. C'est notre présence active qui
projets, mais les peintures représentaient
fa it basculer un ensemble compliqué en un
l'e s p rit de créativité q u 'ils recherchaient
système complexe. (E. M O R IN ) : on peut
chez un architecte » 14. La p eintu re avait
parvenir à m aîtriser une réaction en chaîne
certainement joué un rôle non négligeable dans
sauf quand elle est humaine...
le choix de W. A lsop, mais aussi sa présence
chaleureuse et son charisme. Les plus hauts « Dans le projet, e xpliqu e A lso p , des choses
responsables a tte n d a ie n t que l'a rch ite cte
s'ajoutent continuellement et cela devient plus
rajoute une dimension esthétique aux nécessi
complexe ; mais la complexité, ce n'est pas un
tés purem ent fonctionnelles d'une station,
problème, tu te poses des questions auxquelles
mais sans tro p se rendre compte qu'une dimen
tu ne répondras jamais, auxquelles tu ne
sion esthétique est indissociable du reste et
pourras jamais répondre. I l faut apprendre à
q u 'e lle p a rticip e à la conception même de
vivre avec ce fait, à ne pas s'inquiéter. Il faut
l'ouvrage.
rester calme et détendu... on vivra plus
lo n g te m p s! » 15. C 'est là une excellente
Cet épisode illu s tre parfaitem ent le caractère recommandation car en architecture, l'incom-
dialogique de toute démarche de projet dans
plétude ne se retrouve pas qu'au niveau des
laquelle le système d'acteurs p rin cip al, maî
acteurs mais aussi à celui du program m e.
trise d'ouvrage-m aîtrise d'oeuvre, se trouve
C ertains élém ents g arde n t u n caractère
tantôt en étroite collaboration tantôt en oppo indécidable ; p arfo is sans que les p ro ta
s itio n flagrante to u t en restant indissocia
gonistes ne le sachent eux mêmes ! Lorsque ce
blement lié parce que tendu vers un même but :
projet a été lancé, q u i se serait douté qu'un
réaliser une belle station. Cette antonym ie, nouveau tu n n e lie r a lla it apparaître sur le
co o p é ra tio n /co n flit, est le refle t des logiques marché international ? Q ui se serait douté que
différentes mais complémentaires que suivent
cette technologie p o u rra it aider au creuse
les acteurs réunis dans une même démarche de
ment vertical de la tranchée ?
projet. Ces deux logiques peuvent être anta Sur une des pages d'un des v in g t carnets de
goniques mais restent néanmoins nécessaires croquis qui, comme les peintures, restituent sa
l'une à l'autre ; c'est pourquoi elles obligent au trajectoire (ses trajectoires ?), W illia m A lsop
compromis : com prom is entre les acteurs p rin
a collé en date du 16 novembre 1992 (en plein
c ip a u x, m a îtris e d 'o u vra g e e t m aîtrise
tra va il de Crossrail) une cita tion de Bernard
d'oeuvre, mais com prom is aussi au sein d'une S H A W . « the reasonable man adapts
équipe, ic i celle de la m aîtrise d'ouvrage.
himself to the world. The unreasonable one
Les antagonismes se sont révélés à l'in té rie u r
persits in tryin g to adapt the world to
même du groupe des ingénieurs et ne furent ré
himself. Therefore ail progress dépends on
solus que par le rappel du contexte in itia l : les
the unreasonable man »16.
stations sont tro p semblables, faisons appel à
15- W. Alsop interview é par O. Trie mars 1992.
16- « l ’homme raisonnable s'adapte lui-mêm e au monde.
14- in te rv ie w de M onsieur John B erry, architecte de L'homme déraisonnable s'obstine à essayer d'adapter le monde
B ritis h R ailxay, coordinateu r de l'ensem ble du pro je t à lui-même. Par conséquent tout progrès dépend de l ’homme
Crossrail, mars 1993. déraisonnable ».
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Les Cahiers du LAUA, n ° 3,1995 101
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Les Cahiers du LAUA, n ° 3 , 1995 103 Laboratoire "Architecture, Usage, A lté rité "
capables de les recevoir : les deux arêtes p o u rra ie n t être plus fines si elles étaient
horizontales, intersection des tro is forages placées sous l'axe de la voie de circulation des
h o riz o n ta u x fo rm a n t l'e xca va tio n de la bus mais alors sa base ne serait plus dans l'axe
station. Ces deux arêtes constituent en effet la de l'arête du radier et l'ensemble serait désé
seule structure capable de ré p artir les lourdes q u ilib ré . Dans le p ro jet a rch itectu ra l, plus
charges transmises par les colonnes (31). encore que dans le projet de génie c iv il, chaque
élément pris à part p ou rrait être rendu encore
On ne peut m o d ifie r un seul de ces éléments plus perform ant mais cela se fe ra it au d é tri
sans m o d ifie r l ’ensemble car chaque élément m ent de la cohérence esthétique ou fonction
est re lié aux autres par diffé re n tes con nelle de l'ensemble de la construction. Cette
traintes. La cohérence technique et architec surdétermination de très nom breux éléments
turale est globale et on ne peut comprendre constitutifs du projet rend la démarche incer
une partie sans la référer à l'ensemble et l'en taine et oblige le concepteur à tâtonner sans
semble ne peut se comprendre qu'en connais cesse car il ne cherche pas l'o p tim isa tio n de
sant le rôle et la disposition de chacune de ses chaque partie mais le u r adéquation optim ale
parties. Ce ne sont pas tan t les parties que au to u t. A chaque étape, le sa voir et
leurs relations q u 'il faut comprendre. Enterrés l'expérience acquise sont nécessaires mais plus
à 20 m sous terre, nous sommes tou t proche de encore l'in tu itio n car c'est elle q u i guidera les
l'é to n n a n te fo rm u le de Pascal : « Toutes acteurs au travers de cet extrao rd in a ire et
choses étant causées (ou) et causantes, aidées permanent ajustement des choses cherchant
(ou) et aidantes, médiates (ou) et immédiates leur pertinence globale.
et toutes s'entretenant par un lieu naturel et
insensible qui lie les plus éloignées et les plus un système déviant
différentes, je tiens pour impossible de
connaître les parties sans connaître le tout, L'incertitude de la démarche, conséquence de
non plus que de connaître le tout sans connaître l'im p ré v is ib ilité des réactions du système
particulièrement les parties »17. d'acteurs et de l'incom plétude de certaines
données, entraîne le système à dévier fré
Cette agrégativité des éléments, des implexes quemment dans des directions q u i n'avaient
d ira it J.- L. Le M oigne 18, se rencontre dans pas été pressenties. Par exemple, la décision
to u t p ro jet architectural et la démarche de d'enfoncer le tunnel 5 m plus profond, obligea
conception d o it s'efforcer progressivement de les escalators à franchir une plus grande dé
prendre en compte chacun de ces implexes pour n ive lla tio n . Dans la situ a tio n in itia le , l'es
les com biner ensemble de façon que chacun sentiel de la descente se faisait à l'e xté rie u r
trouve sa place, non pas la plus perform ante de la boîte de verre, au m ilie u d'une tranchée
pour lui-m êm e mais la plus pertinente pour le large de 20 m (32). Dans la solution retenue, la
tout. La place, le rôle et la nature de chacun durée de la descente (ou la montée) en escala
de ces im plexes sont eux-mêmes le résultat to r se trouve augmentée de 50% et e lle
d 'u n com prom is. Dans l'exem ple que nous s'effectue en totalité à l'intérieur de l'étroite
étudions, les colonnes qui supportent la route boîte de verre, elle-m êm e é troitem ent en
châssée dans la tranchée creusée.
A in si, dans le prem ier cas, le bien-être des
17- Pensées sur la religions et sur quelques autres sujets,
E ditions du Luxem bourg, Paris,1951, p. 140. gens est lié à l'am biance de la station elle-
18- A u lie u d'éléments nous devrions parler d'unités actives même dont les m urs avaient 15 m de haut.
(la modélisation des systèmes complexes, 1990), car ces entités Dans le second cas, les m urs étant toujours
sont en continuelle m od ifica tion au cours de la démarche
de conception. C ette tra n sfo rm a tio n est le fa it du derrière du verre, l ’essentiel du co nfo rt dé
mécanisme de récursion (cf. note 9) par lequel les effets et pend du traitem ent de ces vastes parois v i
p ro d u its sont eux mêmes producteurs et causateurs (E. trées. Les études d'ambiance ne sont donc plus
M o rin ) selon un processus en boucle ou en hélice ; alors
que dans le processus de rétroaction, effets et pro du its centrées sur les m urs en maçonnerie mais sur
sont toujours les mêmes.
Les Cahiers du LAUA, n ° 3,1995
107 Laboratoire "Architecture, Usage, A lté rité '
rencontre dans un projet habituel. Cela serait * Mais dans la deuxième phase, l'enfoncement
peut-être dû au degré peu élevé de complexité de la ligne rend le creusement d'une large
des implexes, ces unités actives sur lesquelles tranchée p ro h ib itif et inadéquat, car le vo
s'appuient le raisonnem ent et la logique de lume dégagé aurait été démesuré par rapport
projet. aux nécessités fonctionnelles. La démarche
des architectes et le u r volonté d 'in tro d u ire la
Dans un tel projet, où la part de Génie C iv il lum ière naturelle sont sérieusement remises en
est im portante, les données ont un haut degré question. M ais la volonté têtue des deux
de d é fin itio n logique qui laisse peu de liberté acteurs p rin cip au x, l'in g é n ie u r en chef et
d 'in te rp ré ta tio n ; il n 'y a pas 36 manières de l'architecte, le rappel des objectifs in itia u x et
faire monter ou descendre des voyageurs, n i de les nouvelles données techniques définissent
les faire chem iner d'un p o in t à un autre. Les un nouveau contexte qui réenclenche le proces
flu x de passagers sont canalisés, divisés, sus. Celui-ci se développe sur les mêmes objets
réunis selon des nécessités précises. A insi non (la tranchée, le flu x des passagers, le prism e
seulement le degré de com plexité serait moins de verre, les escalators) mais leurs contenus
élevé m ais le nom bre et la com plexité des signifiants se sont m odifiés à tel p o in t q u 'il
im plexes eux-mêmes seraient plus faibles que fa u t les re d é fin ir ; et cette reconception se
dans la p lu p a rt des program m es a rch i développe à p a rtir du nouveau contexte psy
tecturaux où l'a ctivité des personnes est beau chologique (le système d'acteurs est le même
coup plus diverse et complexe que le sim ple mais les points de vue ont évolué) et technique
fa it de voyager. I l a rrive en effet rarem ent que les acteurs doivent se réapproprier peu à
qu'une station de m étro, un pont, une gare ne peu. Ce mouvement de récursion répété sans
donnent pas satisfaction sur l'essentiel. Ce qui cesse, non seulement au sein de chaque in d i
est rem arquable dans ce projet de création vid u mais aussi à l'in té rie u r de chaque équipe
d'une quinzaine de stations de métro rapide, comme à celui du système re lia n t l'ensemble
c'est que la notio n d'esthétique est devenue des acteurs, n'est-il pas c o n s titu tif de la dé
aussi im p o rta nte que la fonction u tilita ire . marche du projet ? C est q u 'il nous semble au
Dans le projet de Paddington Station, les d if vu de cette succession de cycles de reconception
férents acteurs des m aîtrises d'oeuvre et où contexte, implexes et concepts se m odifient
d'ouvrage ont réuni dans un même processus continuellem ent et m utuellem ent en vue d'at
des données techniques et fonctionnelles im teindre un même objectif.
pératives et un désir esthétique lié au p laisir
et au bien-être procurés par la lum ière natu « Tout est question d'imagination et de tech
relle. C'est en effet sur cette présence que les nique » d it D. Perrault ; nous pourrions rajou
principales divergences entre les acteurs sont ter... et de contexte. Cette o p in io n paraît ic i
apparues ; c'est sur elle que les architectes d'autant plus vraie que c'est par une lu m i
n’ont jamais cédé et c'est par elle que la pro neuse opération mentale presque saugrenue,
blém atique de conception s'est développée. mais parfaitem ent adaptée à la situ a tio n ,
qu'on a pu envisager le coup de sabre dans une
* Nous avons constaté que dans la prem ière rue, sim plem ent pour m ettre le soleil v in g t
phase des études, la station occupe une grande cinq mètres sous terre et lu i perm ettre chaque
tranchée presqu'aussi large que haute et la jo u r 19, été comme hive r pendant quelques m i
réussite de son ambiance repose principale nutes, de descendre sur le q u a i... et m onter
ment sur le traitem ent des parois de maçonne dans le train.
rie, le prism e jouant dans ce cas le rôle
d ’un capteur de lum ière, totalem ent transpa *
rent, qu'on traverse ou qu'on n'em prunte que U n tiré à part couleur peut être obtenu auprès du L A U A po u r la
p a rtie lle m e n t. somme de cinquante francs.
Postface
Cette étude a été réalisée après un séjour d'une O utre W illia m A lsop dont la personnalité
semaine, entre 92 et 94, dans l'agence de W. chaleureuse perm et toutes les questions et
A lsop, d'une part à p a rtir d'une sélection de Peter Clash dont la précision du dessin à
55 peintures, sur la centaine éxécutées à m ain-levée m 'a dévo ilé la com plexité du
propos de C rossrail, et d'autre part à p a rtir projet, je tiens à remercier tous les membres de
de 190 croquis de W. Alsop, choisis dans ses l ’agence qui ont toujours répondu à nos ques
nom breux sketchbooks, et 650 dessins de P. tions les plus diverses avec une grande atten
Clash tirés des ses cahiers retraçant au jo u r le tio n, et particulièrem ent Em m anuelle Poggi,
jo u r les avancées et les hésitations de la sans laquelle cette étude aurait eu bien du m al
conception. à se faire.