Territoires Et Création de Valeurs - 19-12-2022-Web
Territoires Et Création de Valeurs - 19-12-2022-Web
Territoires Et Création de Valeurs - 19-12-2022-Web
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TERRITOIRES
M
I ET CRÉATION
A DE VALEURS
L’État et la dynamique
des acteurs au Maroc
B
O
O Sous la direction de
K Abdelhak KAMAL
Claude DE MIRAS
Vol. N°
2
2022
TERRITOIRES
ET CRÉATION
DE VALEURS
L’État et la dynamique
des acteurs au Maroc
Sous la direction de
Abdelhak KAMAL
Claude DE MIRAS
Titre :
TERRITOIRES ET CRÉATION DE VALEURS
L’État et la dynamique des acteurs au Maroc
ISBN : 978-9920-9202-3-0
© Economia-HEM, Research Center
www.economia.ma
Tél. : 00 212 537 65 14 25
Rabat, 2022
COPYRIGHT
Tous droits réservés pour tous pays.
Toute reproduction, même partielle, doit être
soumise à l’accord préalable de l’éditeur.
Coordination scientifique :
Claude DE MIRAS, Économiste, Directeur de recherche émérite
de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), Marseille
Abdelhak KAMAL, Professeur, Faculté d’Économie et de Gestion,
Université Hassan 1°, Settat
ONT CONTRIBUÉ
À CE VOLUME
Introduction : ��������������������������������������������������������������������� 10
par Claude DE MIRAS et Abdelhak KAMAL
2e p a r t i e �������������������������������������������������������������������������� 121
•• D
éterminants des politiques publiques nationales
et territoriales
1. La cohésion socio-spatiale : quels impératifs pour
la cohérence des politiques publiques ? ������������������������������������������������������������������������������������������������������� 123
par Larabi JAIDI
2. De la convergence de l’action publique dans
les projets de développement humain. ������������������������������������������������������������������������������������������������������������� 157
par Aziz IRAKI, Abdelhak KAMAL et Mohamed TAMIM
3. L’inscription nécessaire du territoire au coeur du Nouveau modèle
de développement : des orientations stratégiques face aux défis
de la cohésion territoriale. ������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������� 175
par Claude COURLET et Abdelhak KAMAL
4. Entretien avec Mohamed TOZY (Sciences Po, Aix-En-Provence)
Macro et micro-politique des territoires au Maroc ����������������������������������������������������������������������� 197
Propos recueillis par Bachir ZNAGUI
6
TERRITOIRES ET CRÉATION DE VALEURS
L’État et la dynamique des acteurs au Maroc
7
Préface
E
t de deux. Après les jeunes, les territoires. Economia Book est
dorénavant la publication annuelle phare de notre centre de recherche.
Celui-ci intervient dans un contexte international et national
particulièrement paradoxal où la pandémie a renforcé le retour à l’autorité – si ce
n’est l’autoritarisme des États –, où la complexité des effets papillon produits par
la mondialisation exige plus de politiques localisées et où, dans le cas du Maroc
précisément, il commence à y avoir pléthore de textes prônant la régionalisation
avancée et le développement territorial, sans que cela soit réellement suivi d’effets
tangibles.
8
Préface
Driss KSIKES
Écrivain et chercheur,
Directeur d’Economia-HEM
Prolégomènes
En abordant la problématique des territoires au Maroc, un obstacle patent
aurait pu s’imposer, du fait que l’étendue de la thématique n’a d’égale que la
complexité des approches et analyses requises. La difficulté épistémologique que
pose l’abord du territoire aurait pu rendre l’exercice plutôt périlleux, d’autant que
cette ambivalence semble de prime abord renvoyer à une notion technocratique
et médiatique très tendance mais approximative dont on use et abuse. Or, à y
voir de plus près, on peut également estimer qu’il s’agit d’un concept théorique
robuste et stratégique. Et de là, considérer que ces deux acceptions du territoire
sont le plus souvent superposées ou intriquées.
Par conséquent, nous avons tenté de relever le défi en optant pour la mise
en perspective de dix-huit contributions produites par des spécialistes d’horizons
disciplinaires et institutionnels divers, tout en évitant le risque d’avoir à embrasser
un patchwork inutile. Le travail qui suit est ainsi composé de points de vue d’autant
plus contrastés que le terme de territoire est éminemment polysémique, aux
contours et aux contenus très variables, parfois incertains mais pouvant également
être riches et féconds. La diversité et la richesse des réflexions rassemblées dans
cette publication collective va donc, espérons-le, enrichir notoirement notre
approche des territoires, en particulier au Maroc.
10
Introduction
Si l’on admet que les territoires et leur dynamique sont bien plus qu’un
périmètre spatial, contingent et neutre, on devait donc pouvoir circonscrire
certains ressorts empiriques et théoriques de l’évolution de ces socio-systèmes
territoriaux.
Considérations générales
L’anthropisation des espaces occupés et façonnés par les sociétés humaines
territorialisées est inhérente à l’histoire du Monde même si, initialement, s’impose
une incontournable contingence naturelle relative aux dotations en ressources
naturelles, aux paysages, au climat, au relief et à la localisation de ces espaces
territoriaux.
Aussi, nous ne prendrons pas grand risque à affirmer que la dynamique de ces
espaces anthropisés est à la croisée de deux dynamiques, l’une exogène et l’autre
endogène. Considérant que le territoire n’est pas une entité indépendante, des
forces exogènes influent fortement sur la dynamique des territoires. Quels sont
ces principaux facteurs exogènes ?
12
Introduction
1. O
livier de Sardan, J.-P. (2022). Les modèles voyageurs : une ingénierie sociale du développement. Dans
Revue Internationale des Études de Développement, n° 248. Pau : Éditions Cairn.
ais l’impuissance publique ou les contextes d’États faillis n’est en rien un gage d’autonomie des
2. M
territoires mais seulement la cause de l’abandon de ces territoires à leur propre sort.
14
Introduction
Cette longue liste – non exhaustive – des forces extérieures qui agissent
sur les territoires, signifierait-elle que, finalement, ces espaces infranationaux
verraient leur autonomie se rétrécir comme peau de chagrin ? La perspective d’un
territoire proactif ne serait-elle alors qu’un vœu pieux ou une vue de l’esprit car
ces socio-systèmes territorialisés, soumis à ces multiples et puissantes influences
extérieures, n’auraient pas la capacité de faire émerger une dynamique endogène
de développement local ?
De plus, il ressort que les analyses proposées des territoires ne dépasseront pas
les frontières nationales. Est-ce à dire qu’implicitement les conditions matérielles
et institutionnelles ne sont pas encore toutes réunies localement pour que les
territoires intègrent pleinement des préoccupations émergentes (environnement,
transition énergétique, relations de voisinage, etc.) ? Ou bien, observe-t-on aussi
que certains domaines entrent peu à peu dans le champ des préoccupations
opérationnelles des territoires (par exemple, une information statistique digitalisée
et actualisée pour un pilotage conséquent de ces entités infranationales) ? La
diversité des dynamiques des territoires marocains impose la nuance.
16
Introduction
7. P
andémies et risques sanitaires ; changements climatiques (inondations, feux de forêts, sécheresses,
famines, etc.) ; instabilité géostratégique croissante liée à l’affaiblissement des organes internationaux
de résolution des conflits et au retour de nationalismes affirmés ; résurgence d’une inflation
généralisée ; renoncement de facto à une gouvernance mondiale.
18
Introduction
8. « Dans les pays démocratiques, elle tend à être utilisée pour désigner la fonction publique avec son inertie
et ses blocages ainsi que les bureaucraties permanentes – militaire, renseignement, diplomatie... – que l’on
retrouve dans tous les pays. » https://www.toupie.org/Dictionnaire/Etat_profond.htm
9. P
rogramme de développement des Provinces du Sud lancé à Laâyoune en 2015, dont 80 % ont été
engagés à ce jour.
10. V oir le Rapport : Conseil économique social et environnemental (CESE) (2013, octobre). Nouveau
modèle de développement pour les Provinces du Sud.
20
Introduction
11. https://www.ecoactu.ma/investissement-prive-les-paradoxes-marocaine/
12. Puisque c’est l’État qui redistribue vers les communes la TVA collectée nationalement.
22
Introduction
d’orienter les décideurs publics dans le choix des meilleures voies d’aménagement,
de répartition d’investissement ou de spécialisation ou encore a posteriori sur
l’évaluation d’impact de leurs actions sur le territoire. Plus que de simples outils
d’identification des déséquilibres territoriaux, les contributions de ce chapitre
permettent d’aborder la question de l’efficacité des investissements publics et
les choix derrière leur orientation vers des secteurs et des territoires particuliers
mais également la question de l’adéquation entre compétences transférées et les
ressources dont disposent les communes, leur réalité financière et de leur degré
d’autonomie dans le cadre du processus de décentralisation.
1
P artie
1re partie CONCEPT POLYSÉMIQUE ENTRE LIEUX ET LIENS
Territoire : notion
molle invasive ou
concept stratégique ?
par Claude DE MIRAS
Économiste, Directeur de recherche émérite de l’Institut
de recherche pour le développement (IRD), Marseille
Résumé
A
plus d’un titre, le terme territoires apparaît
éminemment ambigu et d’un usage délicat. Il est devenu
une référence incantatoire convoquée par les stratégies
socio-économiques de développement local, et un vocable préempté
par la novlangue médiatique transformé en un substantif aussi
invasif qu’approximatif.
28
1. Territoire : notion molle invasive ou concept stratégique ?
1. L e Berre, M. (1995). Territoires. Dans A. Bailly, R. Ferras et D. Pumain (dir.), Encyclopédie de géographie
(2e édition). Paris : Economica. Voir notamment encadré p. 603 : des définitions du territoire dans les
dictionnaires de géographie.
2. [ En ligne]. https://transmettre.assoligue.org/files/DiagnosticDeTerritoire_file_1608301127862_cours-
dt-a-charrier-s1-csgu-hors-examen.pdf (page 3).
3. L atour, B. (2021, 10 décembre). L’écologie, c’est la nouvelle lutte des classes. Le Monde.
4. P ourtant, comme nous le verrons dans notre partie « Le territoire comme concept », la référence
éthologique avancée par Bruno Latour va se révéler pertinente eu égard à la consistance complexe,
systémique et immatérielle du concept de territoire puisque l’éthologie renvoie aux multiples
comportements concrets des êtres vivants dans leur environnement proche, avec leurs multiples
dimensions : sociale, alimentaire, de communication, de déplacement et de reproduction.
5. Ibid, p. 38-40.
6. Jalabert, L. (2014). Vivre au pays, les régionalismes en France dans les années 1960-1970. Dans M.
Pigenet et D. Tartakosky (dir.), Histoire des mouvements sociaux en France. Paris : La Découverte, p. 563-
569.
7. M ay, N. (1986). Constitution d’un regard. Fordisme et localisme. Les Annales de la recherche urbaine,
n°29. Industries et territoires. Paris : PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture), p. 4-12.
8. P résident des États-Unis de janvier 1981 à janvier 1989.
9. P remier ministre du Royaume-Uni de mai 1979 à novembre 1990.
10. John Williamson (1990).
11. L es excès du keynésianisme (endettement extérieur et déficits publics) n’y seront pas non plus étrangers.
30
1. Territoire : notion molle invasive ou concept stratégique ?
32
1. Territoire : notion molle invasive ou concept stratégique ?
12. S
avoir issu d’expériences antérieures à la réflexion. Savoir élaboré avant toute analyse scientifique.
octeau, J. (1973). Les mariés de la Tour Eiffel. Paris : Éditions Gallimard, p. 87.
13. C
moins qu’il ne s’agisse de l’effet Dunning-Kruger, résultant de biais cognitifs qui schématiquement
14. À
« amènent les personnes les moins compétentes à surestimer leurs compétences et les plus compétentes à
les sous-estimer. » [En ligne]. http://www.psychomedia.qc.ca/psychologie/biais-cognitifs
15. B
runo Lautier (1949-2013) a été professeur de sociologie à l’Université de Paris 1-Panthéon-Sorbonne,
ancien directeur de l’Institut d’études du développement économique et social (IEDES). Il était
considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de l’économie informelle.
Dans cet ordre d’idée, on observera que, depuis plus d’un demi-siècle, face au
surgissement de phénomènes sociétaux nouveaux et de plus en plus complexes (tels
que les ambivalences de la mondialisation, l’émergence du local, une urbanisation
exponentielle non maîtrisée, le dérèglement climatique, le recul de la biodiversité,
une démocratie représentative en question, etc.), vont surgir ce que l’on appellera
ici des « mots-valises », au sens où leur contenu est largement incertain et variable
mais leur usage abondant et généralisé. Leur diffusion large et consensuelle laisse
penser qu’ils sont parfaitement fonctionnels puisqu’ils présentent l’avantage de
réduire en apparence la complexité de processus socio-économiques composites
en un raccourci sémantique extrêmement pratique.
Pour ces raisons, ils ont fait consensus pour s’imposer dans le langage
commun. La communication a pris le pas sur l’épistémologie et la ductilité de la
notion l’emporte clairement aujourd’hui sur la robustesse du concept.
autier, B., Miras, C. de et Morice, A. (1991). L’État et l’Informel. Paris : Éditions L’Harmattan, p. 109.
16. L
34
1. Territoire : notion molle invasive ou concept stratégique ?
Ces termes ont, à l’évidence, une fonctionnalité certaine malgré (ou grâce à ?)
leur ambivalence et leur polysémie.
17. K
eith Hart (1971) a été le premier à employer ce terme, mais c’est après la publication du Rapport du
BIT relatif au Kenya (ILO, 1972) que la formule a fait florès.
ncore que la dissémination géographique des territoires paraît avoir été plus restrictive.
18. E
auss, M. (1923-1924). Essai sur le don. L’Année Sociologique, seconde série.
19. M
Camille Tarot précise que « le fait social total, c’est une curiosité bien maussienne pour les zones de
pénombre non fréquentées entre les disciplines, pour les interstices négligés ; c’est aussi le refus des
hiérarchies prématurées dans l’explication de phénomènes qu’on ne sait pas encore décrire intégralement »
[Tarot, C. (1996). Du fait social de Durkheim au fait social total de Mauss : un changement de paradigme.
Revue européenne des sciences sociales, tome XXXIV. Genève : Librairie Droz.]
20. T
erme qui renvoie à une croyance implicite ou explicite aux vertus immanentes de la décentralisation.
36
1. Territoire : notion molle invasive ou concept stratégique ?
De plus, l’affirmation d’un pouvoir émergent des acteurs locaux s’est opérée
en même temps que le Consensus de Washington visait à faire reculer le pouvoir
d’État, et que Reagan et Thatcher s’efforçaient d’enterrer les stigmates d’un
keynésianisme usé par plus d’un demi-siècle d’un règne sans partage. Ainsi,
la décentralisation et l’affirmation urbi et orbi des « territoires » ont pu être
instrumentalisées par l’idéologie des instances internationales dominantes moins
pour tenter de faire émerger et soutenir les acteurs locaux que pour contribuer à
diluer le pouvoir étatique et celui des administrations centrales.
21. C
ette vitalité territoriale de nature éminemment politique ne doit pas être confondue avec les joutes
partisanes microcosmiques liées à des intérêts contingents et soumis à des rapports de force très
localistes, car ceux-ci sont sans volonté ni capacité à influer sur les puissantes politiques publiques et
privées nationales descendantes.
À cet égard, si pour Adam Smith, « c’est une main invisible qui conduit
l’individu »23, une autre force, tout aussi impalpable et non marchande, fondée sur
toute une série d’éléments non directement productifs et désignée sous le terme
de capital immatériel, ne contribue-t-elle pas, à côté des objets économiques
matériels, à métamorphoser les espaces infranationaux en territoires collaboratifs
donc dynamiques ? À ceci près que la main invisible du marché agit instantanément
au croisement de l’offre et de la demande alors que l’émergence d’un écosystème
territorial générateur d’un capital immatériel s’inscrit dans le long terme...
22. P
ierre Calame, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, a été Directeur Général de la
Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme, après une carrière dans l’Administration
française (Équipement) et dans l’industrie (Secrétaire général d’Usinor). [En ligne]. https://lms.fun-
mooc.fr/c4x/CNFPT/87002/asset/capital-immateriel.pdf
mith, A. (1776). Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations (édité et préfacé par
23. S
Gérad Mairet, 1976). Paris : Éditions Gallimard.
38
1. Territoire : notion molle invasive ou concept stratégique ?
Il ne s’agit pas de dresser ici une théorie générale de ces inputs immatériels
générateurs24 de valeur, mais de considérer que les territoires sont probablement
l’aboutissement de cette théorisation des multiples facteurs exogènes non
palpables qui affectent de façon invisible mais prégnante la chaîne de valeur,
véritable capital caché aussi précieux que le capital matériel visible.
40
1. Territoire : notion molle invasive ou concept stratégique ?
42
1. Territoire : notion molle invasive ou concept stratégique ?
La notion d’exclusion signifie que l’accès à ce bien est soit libre et gratuit,
soit au contraire soumis à un coût d’accès (abonnement, péage, redevance, etc.).
33. C
ité par Thierry Paquot, urbaniste, éditeur de la Revue Urbanisme ; [En ligne]. https://www.
voyages-d-affaires.com/thierry-paquot-philosophe-editeur-de-la-revue-urbanisme-20091205.html
44
1. Territoire : notion molle invasive ou concept stratégique ?
Dans cette équation, il ressort que le capital immatériel est une composante
forte de la richesse des nations :
Exemples
46
1. Territoire : notion molle invasive ou concept stratégique ?
Un autre exemple, fondé cette fois-ci sur l’effet d’agglomération, est celui
des échanges informels d’informations ou de bonnes pratiques au sein d’un
cluster d’entreprises sectorielles. C’est aussi la fonction que nous connaissons
tous des colloques et congrès de générer des contacts spontanés entre panélistes,
en parallèle à nos interventions formelles. Schématiquement, c’est la vertu de
la « machine à café » qui, en rassemblant physiquement quelques intervenants
qui ont certains intérêts communs, crée du lien, des potentialités créatives et des
retombées effectives en termes de production scientifique, fondés sur la proximité
et l’atmosphère de coopération localisée et d’échanges non marchands qu’elle
induit, bien au-delà de la distribution de boissons chaudes...
Un dernier exemple non pas de gain invisible mais de coût caché renverra aux
externalités négatives que génèrent toutes les sources de pollution de l’air comme
celle de l’eau, qu’elles soient diversement le fait des entreprises, de l’agriculture
ou des ménages. Le principe du pollueur-payeur et la taxe carbone sont des
tentatives d’internalisation de ces coûts cachés. Avec une telle approche en termes
de coûts complets, il s’agit de faire entrer dans le compte d’exploitation des unités
économiques le coût effectif de la lutte contre les effluents. Schématiquement,
on distinguera alors, d’une part, un coût ex ante déterminé par la somme des
prix marchands des facteurs matériels de production et, d’autre part, un coût ex
post qui incorporera non seulement les charges d’investissement et d’exploitation
mais aussi les composantes immatérielles que sont les externalités positives (gains)
diminuées des externalités négatives (coûts). On disposera alors du coût complet
ou du coût économique de long terme d’un processus productif.
48
1. Territoire : notion molle invasive ou concept stratégique ?
Et, sur un mode romanesque encore plus éthéré, l’urbaniste italien Alberto
Magnaghi considèrera que « le territoire est un acte d’amour entre des humains et
un site » (cité précédemment).
39. Latour, B. (2021). Où suis-je ? Leçons du confinement à l’usage des terrestres. Paris : Éditions La Découverte.
ibou, B. et Tozy, M. (2020). Tisser le temps politique au Maroc. Paris : Éditions Karthala, p. 14.
40. H
41. D
éfinition proposée par Max Weber (1904) que nous reprenons ici dans la traduction de Jean-Pierre
Grossein. ref Revue française de sociologie 2005/4 (Vol. 46)
donné, qu’il soit national ou territorial, la différence entre État et territoire tenant
aux fonctions régaliennes (Justice, Sécurité intérieure et extérieure, Diplomatie,
Monnaie et Finances) qui, par définition, échappent aux territoires infranationaux.
50
1. Territoire : notion molle invasive ou concept stratégique ?
Le pouvoir des élus locaux sourcilleux : ils entendent défendre une autonomie
chèrement ou lentement acquise, même si elle dissimule parfois des dérives
peu compatibles avec la conception d’un territoire mû par des dynamiques
économiques vertueuses.
Seuls les grands groupes privés et les grandes écoles d’ingénieur considèrent
le capital immatériel comme un gisement de productivité. Le Secteur public y
semble peu sensible, aussi bien en termes de dispositifs administratifs, que de
formation et de recherche.
52
1. Territoire : notion molle invasive ou concept stratégique ?
43. A
rticle du Professeur Franco SAVI, directeur Istituto di Geografia Economica ‒ Facolta’ di
Economia e Commercio. [En ligne]. https://www.erudit.org/fr/revues/ipme/1989-v2-n2-3-
ipme5006447/1007932ar.pdf
44. C
haire européenne de l’Immatériel. Fondation Paris-Saclay. Discours inaugural par Ahmed Bounfour.
[En ligne]. http://www.chairedelimmateriel.universite-paris-saclay.fr/wpcontent/uploads/2016/12/
Chaire-de-limmat%c3%a9riel-discours-inaugural-Ahmed-Bounfour.pdf
oir à ce propos : Chauffour, J.-P. (2018). Le Maroc à l’horizon 2040 : Investir dans le capital immatériel
45. V
pour accélérer l’émergence économique. Washington, DC : La Banque mondiale. [En ligne]. DOI :
10.1596/978-1-4648-1078-7.
54
1. Territoire : notion molle invasive ou concept stratégique ?
Mais si une de ces conditions fait défaut, le territoire est réduit à être une
simple notion se rapportant à un banal espace géographique contingent. CQFD...
Entretien avec
Olivier MONGIN :
(Université de Lausanne)
Les dimensions
philosophiques
des territoires
Propos recueillis par Bachir Znagui
Economia-HEM
58
2. Entretien avec : Olivier MONGIN : Les dimensions philosophiques des territoires .
La dimension spatiale.
À mon sens, l’une des premières entrées au territoire par la philosophie aura
été spatiale. Emmanuel Kant a considéré au XVIIIe siècle déjà l’espace comme
une catégorie a priori de l’intuition et de la connaissance. Il l’a envisagé donc
comme une catégorie de l’esprit à part entière, et pas uniquement une réalité
1. Sous la direction de Thierry Paquot, Chris Younès (2009). La Découverte, Collection : Recherches. 398 p.
2. Espace habitable de la surface terrestre ; ensemble des milieux habités par l’être humain.
extérieure. Cette vision a permis d’envisager l’espace non pas comme une simple
expression matérielle, mais également comme le fruit de représentations. La
philosophie a introduit la conception de l’espace comme « dimension spatiale
des sociétés ».
Dérivé du latin territorium au XIIIe siècle, le mot « territoire » est resté peu
utilisé, avant de devenir, à partir du XIXe siècle, un objet d’étude pour toutes
les disciplines des sciences humaines et sociales. L’avènement de la territorialité
a constitué une transition de l’étude des « espaces de vie » vers celle des « espaces
vécus » (Di Méo, 2000, p. 38-39), puis des espaces perçus. En effet, en plus de sa
dimension géophysique, la territorialité envisage l’espace aussi dans sa dimension
immatérielle et symbolique.
60
2. Entretien avec : Olivier MONGIN : Les dimensions philosophiques des territoires .
7. A rchitecte français de renommée mondiale, né à Casablanca en 1944, il a réalisé dans cette ville le
projet des Arènes, ainsi que l’actuel grand théâtre. La préface du livre d’Olivier Mongin, Vers la troisième
ville ?, porte sa signature.
8. Olivier Mongin (2007). La Condition urbaine. La ville à l’heure de la mondialisation. Paris : Éditions du Seuil,
Sciences humaines.
9. Prix Nobel d’économie indien.
10. V oir l’ouvrage collectif, Le territoire des philosophes. Lieu et espace dans la pensée au XXe siècle (dir.
Thierry Paquot et Chris Younès), La Découverte, 2009. Sont pris en considération les pensées de
Hannah Arendt, Gaston Bachelard, Walter Benjamin, Henri Bergson, Maiche de Cernai, Gilles Deleuze
et Felix Guattari, Jacques Derrida, Michel Foucault, Martin Heidegger, William James, Hans Jonas, Henri
Lefebvre, Emmanuel Levinas, Henri Maldiney, Maurice Merleau-Ponty, Jean-Luc Nancy, Georg Simmel,
Peter Sloterdijk, Simone Weil, Ludwig Wittgenstein.
62
2. Entretien avec : Olivier MONGIN : Les dimensions philosophiques des territoires .
Ainsi, durant des millénaires, le monde rural a gagné sur le monde sylvain,
rejeté dans la sauvagerie. Mais celui-là même qui l’avait remplacé touche à sa
fin (Mendras, 1967). En effet, le monde rural, lui aussi, a été oblitéré par un
autre qui, à son tour, l’a rejeté dans l’érème... Partout, la ville s’est imposée
progressivement comme centre du monde, aux dépens du monde rural. Les
mondes humains ont été refondés. La ville a converti la campagne en nature.
Mais les campagnes ou les villes ne sont pourtant pas des mondes clos, elles sont
des espaces en interaction, au sein d’un même « système » global qui contribue
à les structurer et à les modifier. La ruralité a perdu de son autonomie sur les
niveaux géographique, social et symbolique. L’histoire de l’humanité a fait que
progressivement l’urbanité est devenue un opérateur du fonctionnement et de
l’organisation de l’espace rural dans son ensemble.
ugustin Berque (2011). Le rural, le sauvage, l’urbain. Études rurales [En ligne], 187 | 2011, mis en ligne le
13. A
01 janvier 2011, consulté le 10 février 2020. URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/9367 ;
DOI : 10.4000/etudesrurales.9367
14. Espace habitable de la surface terrestre ; ensemble des milieux habités par l’être humain.
Selon les statistiques onusiennes, les citadins sont devenus majoritaires sur
la planète depuis 2008, et ce, même si les zones rurales demeurent des réservoirs
de croissance démographique, alimentant, via l’émigration, les métropoles
et villes intermédiaires. Si on admet que la ruralité désigne l’ensemble de
représentations collectives et de caractères concourant à une forme d’identité et
de fonctionnement des espaces ruraux. Aujourd’hui, le bâti de type « urbain »
se diffuse par la « rurbanisation » ; les « ruraux » adoptent les mêmes modes
de vie, les mêmes mobilités et représentations que les citadins, tandis que les
catégories socioprofessionnelles se diversifient, conduisant à la marginalisation
des agriculteurs. Le rural n’est plus désormais l’agricole. On est en train de passer à
un système plus éclaté (dissociation des lieux de résidence et d’emploi, résidences
alternantes…).
64
2. Entretien avec : Olivier MONGIN : Les dimensions philosophiques des territoires .
sujet mais des structures ; pour Certeau, la structure (à commencer par celle
qu’impose le cadre urbain dessiné par l’urbaniste) va de pair avec des pratiques
qui en contrecarrent les tendances lourdes et aliénantes, c’est pourquoi il parle
de prise de parole, un autre de ses titres. Comme je n’ai jamais été à la recherche
du « bon urbaniste » ou du « bon architecte », seules les pratiques architecturales
et urbanistiques rendant possibles des pratiques démocratiques doivent retenir
l’attention, celles qui sont déterminantes pour juger de la « justesse » d’une
réalisation urbaine ou architecturale. Cela ne revient pas à dire que l’architecte
est l’otage du Plan urbain imposé d’en haut mais qu’il doit peser sur les modalités
de l’urbanisation en cours pour rendre possible des pratiques spatiales permettant
d’habiter et non pas de survivre dans l’informel. À l’époque, Michel de Certeau
qui animait un séminaire d’anthropologie où la question urbaine était centrale,
enseignait que l’anthropologie doit s’inscrire dans une réflexion sur l’espace autant
que sur le temps. Connaisseur de la « grammaire urbaine », il s’intéressait donc aux
pratiques de l’architecte et de l’urbaniste qui favorisent des parcours plus ou moins
égalitaires et démocratiques. C’est pourquoi Michel de Certeau et quelques-uns
de ses amis ont mené, au milieu des années 1970, un travail lié aux questions des
migrations dans le XIVe arrondissement à Paris. Certeau était très intéressé par
« la place du funambule », celui qui est en déséquilibre sur un fil séparant deux
espaces ; ainsi, il regarde non les entités territoriales en tant que telles mais ce qui
articule deux espaces, deux entités, deux territoires, ce qui fait d’une frontière un
espace infranchissable ou un pont qui relie, autrement dit, ce qui permet de se
mouvoir et non pas de subir un enfermement. Le funambule, c’est l’artiste qui
peut être l’architecte ou l’urbaniste… mais aussi l’habitant…
Michel de Certeau était un proche de Françoise Choay, dont j’ai déjà évoqué
le travail décisif ayant pour ambition de ne pas dissocier la question urbaine
d’une anthropologie de l’espace. C’était une référence majeure : en 1969, elle
a écrit un texte où elle montrait les différents types de spatialisation qui ont
marqué le développement dans le monde européen, ce qui lui a donné l’occasion
d’élaborer une critique radicale du fonctionnalisme. Elle y soulignait, en effet, la
place désormais centrale de la connexion et de la connectivité tant dans l’univers
matériel qu’immatériel (la connexion prend le dessus sur la fonction), anticipant
ainsi la Révolution numérique. Cinquante ans après, la plupart des gens que je
vois dans les milieux qui administrent l’urbain n’ont toujours pas compris que
la connectivité met radicalement en cause le fonctionnalisme. Un autre penseur
important pour moi est Claude Lefort qui a travaillé sur Machiavel et m’a amené à
faire le lien entre les questions urbaines et la politique en tant que condition d’un
vivre-ensemble. Telle est la question de Machiavel selon lui : comment une société
fait « tenir ensemble » des gens divisés ? Comment un pouvoir peut respecter sa
société sans se couper d’elle ? Comment un espace politique se maintient-il dans
le temps sans favoriser la seule pression du pouvoir du haut ? Bien entendu, il
ne faut pas oublier Hannah Arendt dont la réflexion sur la polis et l’agora est
essentielle ; et Paul Ricoeur – auquel j’ai consacré divers ouvrages – qui a appliqué
sa thématique de l’identité narrative, celle qui met en relation temps et récit, à
l’architecture et à l’urbanisme.
R : Rappeler ces influences laisse croire que je ne suis redevable qu’à des
intelligences européennes, ce qui va contre le fait que j’ai accordé une importance
à l’urbanisme de l’Ottoman Sinan, et à l’œuvre d’Ibn Khaldun, un Maghrébin
considéré comme l’un des inventeurs de la géographie, un analyste précieux de la
ville qui conserve tout son sens aujourd’hui, tant il a anticipé la « villagisation de
la ville » et la guerre des Cités. Par ailleurs, c’est peut-être le plus important, je suis
beaucoup sorti du pré carré européen grâce à des voyages. J’ai beaucoup appris de
l’observation du développement des villes du Maghreb ou du Machrek où je me
rends fréquemment, qu’il s’agisse de Rabat, Alger et surtout du Caire, sans parler
de Khartoum ou de New Delhi. Dans ces villes visitées régulièrement, la vitesse
inimaginable de l’urbanisation contemporaine est une évidence. Rem Koolhaas
a peut-être raison lorsqu’il affirme que les mégalopoles africaines comme Lagos
sont les laboratoires de l’urbain contemporain !
66
2. Entretien avec : Olivier MONGIN : Les dimensions philosophiques des territoires .
Le projet urbain
Publié en 1915, L’Esthétique des villes d’Emile Magne rappelait que tout
logement ouvre vers l’extérieur, qu’il n’y a pas d’espace d’habitation qui ne
renvoie à un dehors urbain qui l’enveloppe, à commencer par celui de la rue,
d’où ses évocations d’espaces publics divers et mouvementés : le décor de la rue,
le mouvement de la rue, des cortèges, des marchés, des bazars et des foires, mais
aussi des cimetières. La liste de ces espaces publics que l’urbanisme, souvent réduit
68
2. Entretien avec : Olivier MONGIN : Les dimensions philosophiques des territoires .
L’imaginaire
La ville européenne est d’autant plus complexe que l’urbanisme est jugé à sa
capacité de respecter les « mouvements » des habitants qui écrivent le récit de leurs
villes. Il n’y a pas de ville qui ne soit portée par un imaginaire urbain, ce dont a
longtemps témoigné la commedia dell’arte qui se figurait les villes italiennes comme
autant de personnages portant des masques : Pantalone le marchand est originaire
de Venise, le Dottore – le savant, l’universitaire – est originaire de Bologne,
Arlequin de Bergame et Polichinelle de Naples. C’est ce qui faisait dire à Claude
Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques que la ville, en l’occurrence la ville européenne
qu’il évoque, est « la chose humaine par excellence » Selon lui, « la ville se situe au
confluent de la nature et de l’artifice. Elle est à la fois objet de nature et sujet de culture :
individu et groupe ; vécue et rêvée.…» Si l’urbanisme déploie matériellement le
cadre urbain susceptible de valoriser des pratiques urbaines (un urbain entendu
au sens d’urbanité), celles-ci sont marquées par des « mises en forme » corporelles
au sens où chacun écrit « sa ville avec ses pieds » ; par une « mise en scène » dont
le théâtre forain et nomade en est l’illustration, mais aussi par des événements
ritualisés, par des pratiques collectives qui font de la ville « l’espace public » par
excellence, comme on le voit encore dans les marchés des villes marocaines par
exemple. Ce n’est pas un hasard, les grandes villes ont leur romancier attitré qui en
déroule le récit : Hugo et Paris, Joyce et Dublin, Pessoa et Lisbonne, Mahfouz et
Le Caire, Pahmuk et Istanbul… Mais, l’un des meilleurs exemples est marocain :
La dimension politique
e terme urbs (urbs, urbis, féminin) est un mot latin qui désigne une ville dans la Rome antique ; le mot
15. L
grec polis désigne une cité dans la Grèce antique, c’est-à-dire la ville et le territoire qui lui est associé.
70
2. Entretien avec : Olivier MONGIN : Les dimensions philosophiques des territoires .
aujourd’hui disparu, est plus que jamais actuelle. À l’époque, on vivait à l’heure
de Sarajevo ou de Grozny ; aujourd’hui, on vit à l’heure d’Alep, de Marioupol
et de nombreuses autres villes. Si « l’urbicide » rappelle que les valeurs urbaines
incarnent des valeurs, ce n’est pas un hasard. Née dans les déserts du Proche-
Orient, là-même où les villes sont saccagées, la tradition juive de la ville-refuge
consiste à « devoir » accueillir celui qui a commis un crime involontairement dans
le désert. « Accueillir un crime involontaire » : cette expression qui, bien entendu,
ne concerne pas les réfugiés d’aujourd’hui, a suscité mille commentaires dans la
Torah. Elle signifie d’abord que la ville a une dimension de justice et d’hospitalité :
si le porche de la justice se trouve à l’entrée de nombreuses villes anciennes au
Proche-Orient (Irak et Syrie), c’est parce que le criminel (involontaire) doit
pouvoir bénéficier d’un jugement pour échapper à la vengeance.
Il faut d’ailleurs imaginer des villes-refuges pour ceux qui ne sont même pas
des meurtriers involontaires et imprudents. Qu’en est-il de nos villes sécurisées,
moralement abattues par des attentats terroristes, à l’heure où celles du Proche-
Orient disparaissent de la carte sous les coups des bombes et des canons, les armes
des terroristes locaux et des États terroristes locaux ?
72
2. Entretien avec : Olivier MONGIN : Les dimensions philosophiques des territoires .
il renverser le cours de l’histoire urbaine, non plus se replier sur la ville contre
les dangers de la nature mais revaloriser ce qui a été urbanisé de force dans une
nature qui n’est pas l’envers de la technique.
Les scénarios de
la mondialisation urbaine
Après la ville pieuvre, celle qui se déplie comme dirait Gilles Deleuze, il y a la
ville qui se replie, la ville hyperconnectée. Singapour, les Émirats ‒ qui sont des
Cités-États ‒ en sont des exemples mais on peut trouver ces Cités-États dans un
pays-continent comme la Chine, à Shanghai, Shenzhen ou Hong Kong. L’idée
est de faire des petits Dubaï, des petits Singapour dans des espaces donnés. L’idée
de Sarkozy avait été de faire avec le Grand Paris un petit Dubaï à la Défense : un
pôle affaires, des hôtels, un lien avec Saclay, la Cité des chercheurs… et de laisser
la banlieue ailleurs et à l’abandon.
Enfin, il y a le troisième scénario, celui que j’ai défendu avec d’autres pour les
métropoles françaises, celui de la ville recontextualisée, accordée à un contexte. J’ai
enseigné pendant dix ans à l’École du Paysage de Versailles. J’y ai compris que la
question du paysage est fondamentale car la ville extensive doit s’inscrire dans un
site. On retrouve alors le problème de l’imaginaire : un paysage c’est de l’imaginaire,
c’est « là où le ciel touche la terre au coucher du soleil », c’est une limite qui est
poreuse car il y a un en deçà et un au-delà de la limite. J’ai été formé par des gens qui
ne pensent pas les entités (De Certeau, Choay) mais qui pensent les relations qui
sont le ressort de l’urbanisme et de l’architecture. Dans cette perspective, l’œuvre
de l’architecte colombien Rogelio Slamona est exemplaire : dans la ville de Bogota,
il a créé quarante espaces publics qu’il appelle « espaces ouverts ». Selon lui, la
construction est l’art du palimpseste. Pour activer des espaces publics, il faut que
des bâtiments publics viennent s’y inscrire comme des bibliothèques.
La wallification
74
2. Entretien avec : Olivier MONGIN : Les dimensions philosophiques des territoires .
les lieux se recomposent pour s’accrocher aux flux, et ce n’est pas la même chose à
Dubaï, à Singapour, à New York, à Paris ou à Rabat. La mixité – c’est-à-dire la rue
– perd du terrain au profit de modes de fragmentation, visibles ou non visibles.
16. Une fonction qui permet de faire des liens entre texte(s) et image(s).
17. U
n palimpseste (du grec ancien παλίμψηστος / palímpsêstos, « gratté de nouveau ») est un manuscrit
constitué d’un parchemin déjà utilisé, dont on a fait disparaître les inscriptions pour pouvoir y écrire
de nouveau.
Un monde inhabitable ?
e métavers (de l’anglais metaverse) est un monde virtuel dans lequel des personnages interagissent
18. L
au travers d’avatars.
76
2. Entretien avec : Olivier MONGIN : Les dimensions philosophiques des territoires .
De l’économie culturelle
aux biens communs,
le territoire en quête d’un
nouveau contrat social
par Sylvie DAVIET
Professeur de géographie, UMR TELEMME1, Aix-Marseille Université
1. UMR 7303 TELEMME : Temps Espaces Langages Europe Méridionale Méditerranée.
Résumé
C
e texte tend à mettre en évidence l’existence d’un cadre
théorique et épistémologique plaçant le territoire et ses
ressources culturelles au centre des enjeux de développement,
en y incluant progressivement la question de la durabilité. Ce
nouveau champ de recherche a suscité, au cours des vingt-cinq
dernières années, une part notable de la littérature scientifique,
en particulier dans le champ de l’économie et de la géographie
économique et sociale. On distinguera sommairement trois temps
dans cette dynamique émergente : (1) au cours des années 1990-
2000, la culture entre dans le champ de l’économie mais conserve
un statut spécifique ; (2) les années 2000 et 2010 voient la vision
de cette économie culturelle se territorialiser avec l’avènement du
concept de ressources territoriales ; et enfin (3), depuis le milieu
des années 2010, la notion de ressources territoriales, partagées
et gérées durablement par une communauté, s’incarne de plus en
plus dans le concept de « communs ». Nous nous intéresserons aux
conditions d’émergence ou de réémergence de ces concepts, comme
à leurs éléments de filiation.
80
3. De l’économie culturelle aux biens communs , le territoire en quête d ’ un nouveau contrat social
Introduction
Au milieu des années 2000, l’idée d’un « tournant territorial » (Pecqueur,
2006 ; Benko, 2008) est venue cristalliser, au sein de la géographie économique
et de l’économie régionale, l’ascension du concept de territoire. Dans un contexte
de globalisation et de dérégulation généralisée, les réponses apportées par ce
« tournant » ont été nombreuses et productives : acteurs, ressources, avantages
différenciatifs, développement endogène, systèmes productifs… En France,
le concept de territoire s’inscrit en outre dans une logique d’aménagement, de
décentralisation, tandis que la loi1 lui reconnaît une fonction fédératrice des acteurs
locaux et des institutions (Moine, 2006). Cependant, victime de son succès, le
territoire a également montré ses limites : son usage inflationniste lui a fait perdre
de sa valeur. Après 2008, les crises de la mondialisation s’enchaînent (Bost et
Leriche, 2018) et les enjeux de durabilité se font plus prégnants (changement
climatique, défis de l’anthropocène, crise sanitaire). Alors que la recherche d’une
gouvernance mondiale de l’environnement reste fragile et aléatoire, comme en
témoigne la COP26 de Glasgow, l’échelle locale et régionale reste privilégiée par
les communautés d’usagers qui parviennent à inventer des systèmes de gestion
plus résilients (Le Roy, 2012). Nous sommes désormais dans l’œil du cyclone,
ce qui confère au territoire une nouvelle dimension, celle d’un bien commun.
C’est pourquoi il nous semble nécessaire de revisiter plus finement ce concept
de territoire, et d’en déceler les paramètres, avant de le placer au cœur de notre
problématique.
1. L
a Loi d’orientation, d’aménagement et de développement durable du territoire (LOADDT 99), dite « Loi
Voynet ».
2. L a théorie de la régulation est une théorie économique qui vise à tenter d’expliquer le passage de la
croissance à la crise, sans invoquer de chocs externes.
3. « […] le destin du local n’était pas la simple projection du global. Si de nouveaux centres d’activité parvenaient
à émerger et à se stabiliser, ils le devaient d’abord à eux-mêmes, à leurs caractéristiques internes. Cette
«personnalité régionale» […] se trouvait un nom plus moderne : la “bonne gouvernance”. C’est-à-dire une
capacité, sans doute héritée d’une culture historique, de stabiliser des modes de coopération interne, entre
capital et travail, entre grandes entreprises et sous-traitants, entre administration et société civile, entre
banque et industrie » (Benko et Lipietz, 2000, p. 10).
4. GREMI : Groupe de recherche européen sur les milieux innovateurs.
82
3. De l’économie culturelle aux biens communs , le territoire en quête d ’ un nouveau contrat social
Pour avancer dans cette voie de l’innovation non technologique, il faut aussi
inclure la perspective de l’innovation sociale participative (Bucolo et al., 2015 ;
Hillier et al., 2004 ; Richez-Battesti et al., 2012) et les théories de la créativité
qui ont connu un essor important à la suite des travaux de Florida (2002). La
créativité repose davantage sur les individus, tout particulièrement ceux de la
« classe créative ». De plus, le dépassement de l’individu se retrouve dans le concept
d’« économie créative » (Howkins, 2001). La proposition de « territoires créatifs »
témoigne d’une appropriation de ces théories américaines dans les sciences sociales
francophones (Vignau, 2019) et chez les acteurs de l’aménagement du territoire
en France (CAE, 2010). En faisant appel à la culture, la créativité est un facteur
de régénération urbaine. La créativité nous ramène à la culture comme ressource
territoriale spécifique (Landel et Pecqueur, 2009). Tout ce terreau conceptuel est
aussi d’une grande potentialité à l’heure où les enjeux de la durabilité amènent
les acteurs publics locaux à concevoir de nouveaux territoires énergétiques, en
interaction avec des usagers/consommateurs devenus producteurs au sein de
nouveaux systèmes sociotechniques (Raineau, 2011). Dans ce contexte, le territoire
devient un laboratoire à ciel ouvert, apte à expérimenter et à développer de
nouvelles ressources, de nouvelles pratiques, de nouveaux modes de gouvernance.
84
3. De l’économie culturelle aux biens communs , le territoire en quête d ’ un nouveau contrat social
I. L’émergence controversée
d’une économie de la culture
L’idée que la culture et l’économie constitueraient des champs distincts, voire
antinomiques, au sein de la société (Daviet, 2007) a bel et bien cédé le pas face à
la marchandisation croissante de la culture. Mais, la prise en compte de la culture
comme facteur de production lui a donné une nouvelle légitimité en tant que
vecteur de croissance et d’emploi. Les débats politiques et scientifiques des années
1990 reflètent en partie l’ambiguïté de ce nouveau secteur d’activité sur fond de
capitalisme triomphant.
6. E
n 2018, en France, soit à la veille de la pandémie COVID, l’ensemble du secteur pesait 91,4 milliards
d’euros de revenus totaux et sa valeur ajoutée représentait 2,3 % du PIB, soit un poids comparable à
celui de l’industrie agro-alimentaire et 1,9 fois plus important que celui de l’industrie automobile.
egourd, S. et Rogard, P. (2020, 24 février). L’exception culturelle. https://chmcc.hypotheses.org/10535
7. R
86
3. De l’économie culturelle aux biens communs , le territoire en quête d ’ un nouveau contrat social
88
3. De l’économie culturelle aux biens communs , le territoire en quête d ’ un nouveau contrat social
9. http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/territoire
10. P
rojet de recherche Ress Terr (« Ressources Territoriales, Politiques Publiques et Gouvernance »), sous
la responsabilité scientifique de l’Université de Grenoble – UMR PACTE, dans le cadre du programme
« Pour et Sur le Développement Régional » (PSDR3 Rhône-Alpes, 2007-2011).
Un bel exemple en est fourni par le savon de Marseille qui a fait les beaux jours
de l’industrie marseillaise du XVIIe au milieu du XXe siècle avant de disparaître
en tant qu’industrie obsolète, concurrencée par de nouveaux produits industriels.
Pourtant, à partir des années 1970, la contestation de la société de consommation
renvoie à l’idée d’un retour à la terre. Ce contexte inspire un jeune étudiant qui
entreprend une production artisanale de savons en récupérant de vieux moules
utilisés pour le façonnage du savon de Marseille ; il récupère également un vieil
alambic pour fabriquer des huiles essentielles. Loin des nouvelles technologies de
la Silicon Valley, notre étudiant (à l’origine de l’entreprise l’Occitane en Provence)
collecte des outils complètement obsolètes et abandonnés. Pourtant, il a la vision
de ce que nombre de consommateurs recherchent désormais : l’authenticité d’une
époque où les produits étaient plus « naturels ». Le succès est au rendez-vous. Les
savons, parfums et autres articles de soin, produits aujourd’hui par « L’Occitane
en Provence », sont vendus aux quatre coins de la planète. Le savon lui-même, sa
forme, sa couleur, son odeur, son emballage et le décor des magasins reconstituent
une Provence en miniature et contribuent à raconter une histoire en plaçant le
produit dans son décor idéalisé. L’entreprise utilise de la lavande classée AOC en
Haute Provence. Toute une filière se développe dans cet arrière-pays. La ressource
moribonde a été révélée et réactualisée, à un moment où les acteurs ont identifié son
potentiel tant en termes symboliques que de durabilité (Daviet et Monge, 2010).
90
3. De l’économie culturelle aux biens communs , le territoire en quête d ’ un nouveau contrat social
92
3. De l’économie culturelle aux biens communs , le territoire en quête d ’ un nouveau contrat social
ressource, une communauté et des règles, permettant aux usagers une pratique de
mise en commun, d’accès et de partage (commoning). L’appropriation de la
ressource ne transite alors plus par le droit de propriété détenu par chacun des
individus mais bien par l’accès à la ressource permis par l’appartenance à une
communauté d’usagers.
11. L
es Observatoires hommes-milieux promus par le CNRS (Centre national de la recherche scientifique),
dépendent de l’INEE (Institut national écologie et environnement).
12. E
n géographie et en écologie, l’anthropisation est la transformation d’espaces, de paysages ou de
milieux naturels par l’action de l’homme.
13. L
e Resilience Center est un institut de recherche international basé à Stockholm, fondé en 2007. Parmi
ses membres éminents, on compte notamment Carl Folke.
94
3. De l’économie culturelle aux biens communs , le territoire en quête d ’ un nouveau contrat social
sont construits autour d’un objet (un lieu), un fait structurant et un évènement
fondateur qui bouleverse l’équilibre du système ; ce dernier est alors en quête
d’un nouvel équilibre. Les recherches donnent lieu à la constitution de bases de
données, comme c’est le cas de l’Observatoire-hommes-milieux du Bassin minier
de Provence (on compte une douzaine d’observatoires de ce type en France et
dans le monde) ; et les études conduites s’inscrivent dans une démarche science-
société.
Conclusion
Plusieurs enseignements découlent de ce texte. La place des questions de
culture et patrimoine, dans le développement des territoires, revêt une dimension
spécifique en Europe et en Méditerranée. Tout d’abord, en Europe, le patrimoine
fait partie des politiques de l’Union européenne. Si le traité de Lisbonne y
fait référence en 200714, il convient de rappeler des dispositifs antérieurs. Dès
1985, la désignation d’une ville comme capitale européenne de la culture, pour
une période d’une année civile, a été initiée par Athènes15, afin de rapprocher
les Européens, en mettant en avant la richesse et la diversité des cultures du
continent. Plus de 50 villes ont été ainsi désignées depuis le début du programme
(Bernié-Boissard, 2010). Cette désignation est très souvent un catalyseur pour
le développement culturel de la ville lauréate qui met en place des programmes
de renouvellement urbain, renforce son image et acquiert plus volontiers une
visibilité internationale. Cette contribution à l’image et l’identité de la ville est
emblématique dans le cas de Marseille, lauréate en 2013 du titre de capitale
européenne de la culture (Grésillon, 2011). Le nouveau musée des civilisations
de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM) est rapidement devenu une pièce
maîtresse du rayonnement de la cité phocéenne. Par son ambition, le MUCEM
a suscité, dès son ouverture, la fascination et l’engouement d’un public attiré
par l’architecture audacieuse de Rudy Ricciotti (Crivello, 2014). Ce succès n’est
pas le fruit du hasard ; il s’inscrit également dans une histoire longue portée par
tout un environnement intellectuel qui a permis l’émergence d’un programme
scientifique et culturel dédié aux civilisations de l’Europe et de la Méditerranée16.
’article 3.3 du traité de Lisbonne (2007) précise que « l’Union doit veiller à la sauvegarde et au
14. L
développement du patrimoine culturel européen » car il contribue aux objectifs de croissance,
développement durable, attractivité des territoires et cohésion sociale.
15. Alors que Melina Mercouri est ministre de la Culture.
16. C
omme souligné par Maryline Crivello (2014), cet environnement intellectuel comprend
notamment : les Rencontres d’Averroès, la revue La Pensée de Midi, les recherches menées à la
Maison méditerranéenne des sciences de l’homme (MMSH) à Aix-en-Provence depuis 1998 et, tout
particulièrement, la coordination du réseau d’excellence euro-méditerranéen.
17. D
’après l’ASCAME (l’Association des Chambres de commerce et d’industrie de la Méditerranée).
96
3. De l’économie culturelle aux biens communs , le territoire en quête d ’ un nouveau contrat social
l’Union européenne a soutenu des programmes culturels reliant les deux rives de
la Méditerranée, dans le contexte du processus de Barcelone. De 1998 à 2013,
plusieurs générations du programme Euromed Héritage ont permis de sceller des
partenariats entre institutions et experts de la conservation de ce patrimoine. Près
de 400 partenaires des États de l’Union et des pays MEDA (Algérie, Autorité
palestinienne, Chypre, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Syrie,
Tunisie et Turquie) ont bénéficié de ce programme. Mais, force est de reconnaître
que ce patrimoine est aujourd’hui menacé de multiples manières. Dans le sillage
du Printemps arabe, la guerre qui a ensanglanté la Syrie, avec son cortège de
destructions, de bombardements, de pillages… a mis à mal un héritage de 5 000
ans d’histoire. Hors des zones de conflit d’une Méditerranée déstabilisée, la menace
du tourisme de masse et de la « touristification » (ou mise en tourisme) témoigne
de la subversion d’un lieu par un ensemble de transformations spatiales, sociales,
économiques qui se manifestent dans un territoire, du fait de la présence accrue
des touristes. Il peut en découler une « tourismophobie » traduisant une aversion
très vive de la population locale vis-à-vis des touristes, comme cela a été le cas en
Espagne dès 2016. En Italie, les Vénitiens ont dénoncé le « VENEXODUS » :
l’exode forcé des habitants face au tourisme de masse. L’impact démographique du
tourisme sur la population résidente et les dégradations environnementales font
l’objet d’un nombre croissant de publications. En somme, culture et patrimoine
se retrouvent au cœur d’un modèle de développement à bout de souffle. Enfin,
grandes perdantes de la crise du Covid, les régions méditerranéennes peinent
à réinventer un nouveau modèle économique, d’où un besoin impérieux de
nouvelles régulations et des questionnements sur la place du territoire dans cette
nouvelle quête de sens.
En outre, parce qu’il est le lieu du sentiment d’appartenance, le territoire local est
une échelle de prise de conscience et de mobilisation : « Le sentiment d’appartenance
n’est pas un héritage du passé mais l’adhésion à un projet » (Poulle et Gorgeu, 1997).
Nous entendons souligner ici le lien entre sentiment d’appartenance et action
locale. De même que le territoire est « le lieu de constitution d’une société historique
et d’une possibilité de vivre ensemble » (Biarez, 1996). Alexandre Moine (2006) y
voit cette rétroaction qui fait du territoire un système au sein duquel nous agissons
et évoluons. Le territoire est ainsi un lieu de pouvoir et d’organisation, laboratoire
d’expérimentations et coalition d’acteurs locaux autour de projets partagés. Mais,
les acteurs ont également des intérêts divergents, parfois contradictoires. Comme
on a pu le voir à Venise, les croisières génèrent des revenus considérables pour les
commerçants et le port. Par conséquent, les systèmes d’acteurs locaux ne sont pas
homogènes et sont sous tension. Par ailleurs, au sein d’un espace multiscalaire, les
coalitions d’acteurs locaux n’ont qu’une autonomie relative. Le décret adopté le
13 juillet 2021 par le Conseil des ministres pour cantonner les plus gros navires
dans le port de Marghera est un compromis. En s’engageant à compenser les
manques à gagner pour la filière, le gouvernement italien a joué les arbitres et a
fait office de régulateur. Le recours à un arbitrage étatique répond au besoin de
justice sociale, économique et environnementale. Face aux tensions multiples,
le retour de l’État répond à la quête d’un nouveau contrat social qui implique
désormais une dimension environnementale.
ranovetter, M. (1985). L’embeddedness des Anglophones. The American. Journal of Sociology, 913, p. 481-510.
18. G
19. B erkes, F. and Folke, C. (1998). Linking social and ecological systems: management practices and social
mechanisms for building resilience. Cambridge: Cambridge University Press.
98
3. De l’économie culturelle aux biens communs , le territoire en quête d ’ un nouveau contrat social
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diffusion. Sociologies pratiques, 31. Presses de Sciences Po, Paris, p. 1-6.
• Camagni, R. (2007, 28-31 août). Towards a concept of territorial capital. 47e conférence de la
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• Camagni, R., Maillat, D. et Matteaccioli, A. (2004). Ressources naturelles et culturelles, milieux
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• Chenorkian, R. (2014). Chapitre 1. Éléments constitutifs des Observatoires hommes-milieux,
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Versailles : Éditions Quæ, p. 23-38.
• CAE, Conseil d’analyse économique (2010). Créativité et innovation dans les territoires. Paris :
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Dans R. Camagni et D. Maillat. Milieux innovateurs, théorie et politique. Paris : Economica,
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• Crivello, M. (2014). L’invention d’un musée d’un nouveau genre ? S. & R., 37. Sociétés et
représentations, Ed. La Sorbonne, p. 197-201.
100
3. De l’économie culturelle aux biens communs , le territoire en quête d ’ un nouveau contrat social
« Le(s) territoire(s) »
à travers l’expérience
marocaine
par Aziz IRAKI
Professeur à l’Institut National d’Aménagement et d’Urbanisme (Rabat)
Résumé
C
ette brève note se propose de passer en revue la notion de
territoire à travers différentes acceptions données au terme
dans l’action publique au Maroc. Elle propose, en filigrane,
une définition du territoire ayant une charge de pouvoir politique
instituée ou non instituée. L’objectif n’est pas tant une étude sur
l’évolution de la décentralisation/déconcentration au Maroc, qui
demanderait davantage de développement, mais de visiter les
différentes manières et définitions du territoire se retrouvant
dans l’analyse, sinon dans l’action publique dans divers niveaux de
territoires infranationaux.
104
4. « Le(s) territoire ( s ) » à travers l ’ expérience marocaine
Cet aspect institutionnel forme une base du découpage entre les nations
(territoire national), puis à l’intérieur du national, des territoires infranationaux :
régional, provincial, communal… Ces territoires infranationaux institutionnalisés
dépendent, au-delà de leurs limites géographiques, du pouvoir politique exercé
par la communauté concernée en termes de compétences juridiques et de moyens
financiers et humains (niveau de décentralisation). Mais deux éléments s’imposent,
quel que soit le niveau de décentralisation : la délimitation géographique qui
implique des droits et obligations à la population qui réside dans les limites de ce
territoire par rapport au territoire voisin, et les interactions politiques entre élus,
population et autres acteurs autour de ce que permettent les ressources locales et
missions gérées par le territoire institutionnel concerné (région, commune…).
Ici, la notion de territoire est figée par son volet institutionnel relevant du
droit.
1. L oi n° 17-08 modifiant et complétant la loi n° 78-00 portant Charte communale, telle que modifiée et
complétée le 18 février 2009 (B.O n° 5714).
2. « Ce procédé consolide la nouvelle approche stratégique et participative du développement local envisagée
par l’État marocain, entendue comme un moyen d’interaction politique locale et renforçant davantage le rôle
des Conseils communaux dans la conception et la formulation de l’intérêt général local et dans le processus
de décision. » Voir : DGCL/APDN/Targa (2010). Programme d’appui et d’accompagnement à l’élaboration
des PCD. Feuille de route. Guide méthodologique n° 1.
3. D ahir n° 1-15-85 du 7 juillet 2015 portant promulgation de la loi organique n° 113-14 relative aux
communes (BO du 18/2/2016) article 78.
4. D ahir n° 1-15-83 du 7 juillet 2015 portant promulgation de la loi organique n° 111-14 relative aux
régions (BO du 18/2/2016).
106
4. « Le(s) territoire ( s ) » à travers l ’ expérience marocaine
terres appropriées et gérées par les résidents du douar), mais aussi par le droit de
participer aux décisions collectives concernant le douar dans ses limites, règles et
institutions traditionnelles évoluant en fonction des besoins5. Cette définition
du territoire par le bas rejoint pleinement celle développée précédemment en
termes de limite de souveraineté, mais ces institutions coutumières ne sont pas
reconnues comme des collectivités territoriales.
À l’image de ces territoires ruraux, le milieu urbain fait aussi émerger des
territoires par le bas, autrement dit sur la base de construits sociaux. Ainsi en
est-il des quartiers d’habitat non réglementaire qui intéressent une population
allant jusqu’à 60 % de la population urbaine dans plusieurs villes du Maroc (Iraki
et Letellier, 2009). Ils se caractérisent par une action collective permanente de
leurs habitants pour obtenir et négocier l’équipement, la restructuration et enfin
la régularisation foncière de leur quartier : les mêmes conditions de vie et de
lutte qui forgent un « nous » qui mobilise au-delà des appartenances ethniques
et autres.
5. A
insi pourrons-nous citer les cas de gestion de l’instituteur par le douar (par une aide pour son logement
et ses repas durant la période où il n’est pas encore régularisé par le ministère de l’Éducation nationale),
de l’ouverture de piste par la mobilisation de la force de travail formée par les jeunes (chaque douar
contribuant en fonction du tracé de la piste le concernant)…
108
4. « Le(s) territoire ( s ) » à travers l ’ expérience marocaine
secteur. Leur liste de douars diffère, puisque basée sur une masse de population
minimale ou sur le degré d’éloignement d’un établissement humain du réseau.
Un arbitrage est nécessaire même, si la Commission spéciale pour le nouveau
modèle de développement (CSMD) insiste sur sa prise en compte dans les actions
de développement.
En milieu urbain, l’action publique n’a que très peu reconnu ces territoires.
Là aussi, les départements agissent en fonction de leurs objectifs ; de relogement
ou de recasement pour le Département de l’habitat, d’injections de certaines
ressources aux jeunes et aux ONG dans le cas de l’Initiative marocaine pour le
développement humain (INDH, phase I et II) à travers les quartiers-cibles, de mise
en place de nouveaux outils de participation pour les organismes internationaux
au nom d’une « participation citoyenne », etc. La prise en compte du social dans
l’action publique finit bien par s’appuyer sur ces territoires qui s’imposent par la
mobilisation et la résistance de leurs habitants, mais aucune instance ni loi ne
vont jusqu’à proposer des comités de quartier dans les instances de concertation
prévues par la nouvelle Constitution et dans loi organique relative aux communes.
6. N
ous utilisons le terme d’aire pour bien distinguer un cadre spatial dans lequel se passe un phénomène
donné qu’il soit économique, climatique ou autre. Il est alors loin de constituer un territoire dans le sens
précisé auparavant, soit par le haut, soit par le bas, en termes de pouvoir et de souveraineté.
Les aires urbaines des grandes villes représentent une transformation de leurs
périphéries par l’action conjuguée : 1) des délocalisations industrielles (de la ville-
centre vers ses périphéries) ; 2) des opérations de relogement des bidonvillois
(occupant des espaces convoités de la ville-centre) menées par des opérateurs
engageant public et privé autour d’opportunités foncières ; 3) du développement
de résidences fermées pour les catégories aisées (représentant de nouvelles
offres des promoteurs immobiliers qui y trouvent des espaces de déploiement.
Ils font se rencontrer un nouveau modèle d’habitat en phase avec les attentes
et les aspirations d’une classe moyenne supérieure avec le développement d’un
urbanisme de projets mené sous l’emblème de la ville verte ou de l’éco-cité7) ;
et 4) du déploiement de l’habitat non réglementaire (sous l’action conjuguée
d’une partie des populations de la ville-centre à la recherche de lots de terrains au
moindre coût et de propriétaires fonciers qui morcellent et vendent des lots en
dehors de toute réglementation).
7. V
oir les projets de la ville verte de Bouskoura, les résidences fermées des communes de Dar Bouazza
ou d’Al Menzah, l’éco-cité de Zenata…
110
4. « Le(s) territoire ( s ) » à travers l ’ expérience marocaine
Par ailleurs, les aires fonctionnelles autour des grandes villes se distinguent
surtout par la fragmentation et les chevauchements de pouvoir. Elles restent
composées de plusieurs collectivités territoriales de base, alors que des collectivités
territoriales supérieures (comme la région) y assurent des compétences limitées. Il
y a bien absence d’une entité institutionnelle élue capable de « diriger, de financer
et de définir le cadre et les objectifs d’une action urbaine » (Prost, 2005)8. Au Maroc,
le dépassement de cette situation par la promotion de l’intercommunalité est
encore loin de se faire. Sans revenir sur les raisons d’une non-institutionnalisation
des aires métropolitaines (stratégie de gestion du pouvoir central, injonctions
externes…), il faut reconnaître que la fragmentation politique institutionnelle des
aires métropolitaines a aussi un contenu social. Le processus d’étalement urbain
concerne des types et couches sociales très différenciées qui finissent par créer
des situations de coprésence entre des bidonvillois relogés, des classes moyennes
supérieures en mal de verdure et une couche très hétérogène de ménages urbains
à la recherche d’un foncier au moindre coût. Le caractère fonctionnel cache
l’intégration de plusieurs morceaux d’espaces regroupant des populations aux
demandes parfois divergentes, comme la demande pressante des populations
les plus pauvres de bus de qualité fonctionnant avec une bonne fréquence
contrecarrée par celle des résidents des cités fermées qui s’opposent à l’arrivée des
bus à leurs résidences. Le renchérissement du foncier provoqué par la présence
de ces derniers (implantation des services et équipements privés ; établissements
d’éducation privés internationaux, restaurants, salles de sport…) devient un
obstacle à l’installation d’équipements publics. L’institutionnalisation d’une
collectivité territoriale regroupant les aires métropolitaines reste certainement le
moyen le plus direct pour provoquer les interactions politiques permettant de
fédérer ces populations. À défaut, c’est le traitement « juste » de ces périphéries
8. Prost, M. (2005). D’abord les moyens, les besoins viendront après. Commerce et environnement dans la
« jurisprudence » du GATT et de l’OMC. Bruxelles : Éditions Bruylant.
en termes d’équipement et services publics qui est demandé aux pouvoirs publics,
véritable défi à la régionalisation avancée au Maroc.
Par ailleurs, les petites régions autour des petites villes peuvent être définies
comme des zones rurales qui fonctionnent largement autour d’un petit centre
urbain. Une petite région correspondrait à une aire fonctionnelle de fait,
produit du fonctionnement des marchés locaux, d’initiatives publiques, et de
recours et convergences des populations concernées. L’expérience montre que la
fonctionnalité réside dans le fait que la petite ville forme un nœud qui assure des
fonctions ou services variés qu’on ne peut rencontrer dans l’espace de la commune
rurale, et qu’il est coûteux pour la population d’aller chercher dans le chef-lieu de
province, de préfecture ou de région. C’est donc d’un niveau supracommunal et
infraprovincial qu’il s’agit ; il présente un caractère rural important et interpelle
l’action publique quant à l’optimisation de la localisation de certaines actions
publiques destinées aux populations rurales (équipements et services de proximité
sociaux et d’appui à l’économie locale). La délimitation de ces aires fonctionnelles
autour des petites villes permet de voir, là aussi, la somme de plusieurs communes
rurales autour d’une commune urbaine ; une fragmentation du pouvoir que les
pouvoirs publics ont aussi voulu dépasser par une intercommunalité très peu
appréciée par les élus locaux. Le contenu de ces aires se retrouve bien dans les espaces
pratiqués par ces populations, mais ils ne relèvent ni d’une action collective ni des
interactions politiques qu’imposent des compétences de collectivités territoriales.
Leur contour devient flou. Seule une action par le haut en les instituant en tant
que collectivité territoriale) les renforcerait. Pour l’instant, la CSMD insiste sur le
renforcement du Cercle, entité administrative relevant du ministère de l’Intérieur
située entre la commune et la province. Un niveau qui correspond bien à ces
petites régions, mais dont il faudrait d’abord redessiner les limites géographiques.
112
4. « Le(s) territoire ( s ) » à travers l ’ expérience marocaine
Dans le même sens, nous pouvons relever au Maroc le cas dit des « territoires
miniers ». Là aussi, et spécialement dans le plateau des phosphates géré par
l’Office chérifien des phosphates (OCP), l’entreprise minière s’appuie sur les
droits exceptionnels que lui procure la loi : celle d’exproprier pour cause d’utilité
publique sur l’ensemble des espaces recelant des produits miniers. Ni les collectivités
territoriales, ni les habitants concernés ne connaissent les délimitations des futures
extensions de la mine. Des pâturages entiers sur des terres collectives sont retirés
aux populations usagères. La mine et son mode d’exploitation ponctuent la vie
d’une grande partie de ces populations. Elle devient l’un des organisateurs, sinon
le principal organisateur de l’espace ; gestion du patrimoine immobilier de la
mine, sa session, gestion d’une grande partie des réseaux techniques, création de
centres de relogement, de Station d’épuration des eaux usées (STEP), évolution
du transport des minerais et ses implications spatiales, unités de traitement du
minerais et ses implications environnementales, création de nouvelles unités
urbaines, promotion immobilière… Peut-on alors parler de territoire minier ?
Certainement pas, le minerais concerne un ensemble d’espaces interconnectés
(lieux de production, de transformation, de transport) et l’entreprise minière gère
ces espaces suivant ses propres logiques écartant ou instrumentalisant les élus
des différentes collectivités territoriales urbaines et rurales concernées. Comme
pour les « territoires de projet », le « territoire » minier disparaîtra avec l’arrêt de
114
4. « Le(s) territoire ( s ) » à travers l ’ expérience marocaine
Une vision un peu idyllique qui évacue dans un premier temps le politique
comme constructeur du territoire et qui amène vers « le projet de territoire qui
inclurait la participation active de tous les acteurs impliqués pour identifier et réaliser
9. L
es luttes incessantes ponctuent régulièrement la vie politique de cette ville depuis décembre 2017 dénonçant
l’abandon par l’État, la cherté de la vie et revendiquant le droit à de meilleures conditions de vie. Ces jeunes
ont fini par prendre les rênes du Conseil communal lors des dernières élections de septembre 2021.
les actions qui correspondent à la mise en valeur des atouts de ce territoire ». Ainsi, la
mise en commun de ces acteurs amènerait vers le projet de territoire qui procède
d’une vision globale spécifique du développement et révélatrice de ressources.
ourlet, C., El Kadiri, N., Fejjal, A., Jennan, L. et Lapèze, J. (2010). Étude sur les projets de territoires,
10. C
(4 volumes). Rabat : Direction de l’aménagement du territoire.
11. Le système d’agrément des bureaux d’études géré par le ministère de l’Équipement.
12. C
es techniques développent plusieurs principes d’action tel que : i) Développer une Intelligence
collective (capacité de surpasser l’individu, avoir des passeurs accessibles) ; ii) La co-création (un
leadership basé sur la confiance, le soutien, l’apprentissage) ; iii) Un état d’esprit innovant (expertise de
l’autre, horizontalité des rapports, curiosité, risque de l’expérimentation) ; iv) Assumer la complexité
(inconfort, incertitude, plusieurs perspectives et vue globale, éléments émergeants). Mais s’agit-il de
techniques de communication ?
116
4. « Le(s) territoire ( s ) » à travers l ’ expérience marocaine
En guise de conclusion
Cette revue de la notion de territoire dans ses différentes acceptions et dans ce qu’il
renferme à différentes échelles, finit par montrer combien l’action publique au
Maroc est restée incapable de relayer ou de mettre en adéquation, d’une part, les
territoires formés par le bas sous la forme de construits autour d’action collective
de promotion par des interactions politiques, et, d’autre part, de nouveaux
territoires assurant le développement.
Il faut l’avouer, ces objectifs relèvent surtout des modes de gouverner au Maroc.
L’État central, incapable de satisfaire l’ensemble des demandes issues des territoires
est amené à lâcher quelques ressources et compétences aux collectivités territoriales
qui se traduisent dans les réformes récentes de la régionalisation avancée, mais il
a du mal à vouloir consolider des territoires à forte identité alors qu’une grande
partie des acteurs locaux cherchent surtout à maintenir une clientèle par des
ressources procurées par le Centre. Parallèlement, fruit de l’histoire, comme le
préconisent Mohamed Tozy et Béatrice Hibou13, la gestion impériale du local
s’appuie davantage sur des individus-relais que sur des territoires. Elle accepte et
gère différentes normes et pratiques locales. L’ensemble de ces éléments combinés
explique pleinement la situation jugée paradoxale du processus de régionalisation
et des territoires au Maroc. Un paradoxe traité tantôt sur un mode alternatif,
passant de mesures concrètes proposées par la Commission consultative de la
régionalisation (CCR, 2010)14 à une longue période d’attente qui laisse libre
cours à l’informel (2010-2016)), tantôt de manière concomitante (des mesures de
renforcement institutionnel des maires inscrites dans la loi 01-03) et une reprise en
main totale de la gestion des grandes villes par les walis par une contractualisation
portant le sceau royal (les projets de mise à niveau depuis 2013) ce qui ne manque
pas de désorienter l’observateur
ibou, B. et Tozy, M. (2020). Tisser le temps politique au Maroc. Paris : Éditions Karthala.
13. H
14. L
a Commission consultative de la régionalisation (CCR) a été instituée par le roi Mohammed VI le
3 janvier 2010 afin de proposer une conception générale de la régionalisation avancée en gardant à
l’esprit toutes les dimensions y afférentes, ainsi que le rôle qui revient aux institutions constitutionnelles
compétentes.
118
4. « Le(s) territoire ( s ) » à travers l ’ expérience marocaine
Bibliographie
• Badie, B. (1997). La fin des territoires. Paris : Éditions Bayard.
• Courlet, C. (2010, septembre 23 et 24). Le projet de territoire comme processus de révélation des
ressources. Communication colloque international de fin de programme de recherche. Rabat :
FLSH/ RELOR.
• Courlet, C., El Kadiri, N., Fejjal, A., Jennan, L. et Lapèze, J. (2010). Étude sur les projets de
territoires, (4 volumes). Rabat : Direction de l’Aménagement du Territoire.
• Debarbieux, B. et Vanier, M. (dir.), (2002). Ces territorialités qui se dessinent. La Tour d’Aigue :
Éditions de l’Aube/DATAR.
• Hibou, B. et Tozy, M. (2020). Tisser le temps politique au Maroc. Paris : Éditions Karthala.
• Tozy, M., (2006). Interrogations autour de la commune. Développement rural, pertinence des
territoires et gouvernance (coordination Iraki, A.). Rabat : INAU/Relor.
2
P artie
2e partie D
ÉTERMINANTS DES POLITIQUES PUBLIQUES
NATIONALES ET TERRITORIALES
La cohésion
socio-spatiale :
quels impératifs pour
la cohérence des
politiques publiques ?
par Larabi JAIDI
Économiste, enseignant - chercheur
Résumé
L
’ambition de cette communication est d’apporter un
éclairage sur le lien entre la cohésion des territoires et la
cohésion sociale à partir de l’étude du cas du Maroc. Les
politiques publiques ont placé ce lien comme un enjeu central de la
recomposition de l’action publique à travers de grandes réformes
institutionnelles de l’organisation des territoires. La question
abordée dans cet article concerne la dynamique du développement
des territoires dans leurs rapports à la réduction des inégalités
sociales. Il s’agit d’étudier la différenciation spatiale du Maroc, y lire
la transcription géographique des inégalités sociales et apprécier
l’impact des principales politiques territoriales sur leur évolution.
124
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
Introduction
La compréhension des liens entre la cohésion territoriale et la cohésion
sociale est un défi majeur pour les politiques publiques. Le nœud constituant de
ce lien est la capacité de l’action publique à réduire les inégalités tant territoriales
que sociales. Les territoires sont par nature inégaux et le jeu du marché tend à les
rendre plus inégaux encore. Les politiques publiques sont appelées à corriger ces
inégalités. Le principe d’égalité des territoires se justifie par le « souci de préserver
une application uniforme des droits fondamentaux sur l’ensemble du territoire
national ». Réfléchir à la cohésion spatio-sociale suppose de penser le lien entre
égalité des personnes et égalité des territoires, entre justice sociale et justice
spatiale. Autrement dit, agir pour que les politiques publiques aient comme
constante préoccupation de donner aux hommes et aux femmes des conditions
équitables d’accès à l’emploi, à l’éducation, à la santé, à l’habitat, à la culture et à
des facilités de mobilité dans leurs espaces de vie.
En réalité, le sujet est plus complexe qu’une simple lecture des dynamiques
des inégalités sociales et territoriales. L’objectif du propos est à la fois descriptif
et analytique. Descriptif car il s’agit ici de rappeler les indicateurs classiques des
inégalités régionales et sociales et de porter un regard sur la combinaison des
différentes formes d’expression de ces inégalités socio-spatiales. Analytique car
il s’agit de mobiliser les concepts et outils théoriques susceptibles d’en permettre
l’intelligence et d’apprécier les enjeux qui entravent l’efficacité de l’action
publique.
I. L’égalité et la justice,
deux notions fondatrices
de la cohésion socio-spatiale
Dans le fondement de l’analyse du lien entre la cohésion territoriale et
la cohésion sociale réside la question des inégalités sociales et spatiales. Sont-
elles liées ou déconnectées ? Renvoient-elles à des causalités similaires ou à de
simples concomitances ? Comment réduire l’une sans négliger ou amplifier
l’autre ? Comment traiter l’une pour éviter la survenance ou la reproduction de
l’autre ? Ces questions sont légitimes parce qu’elles renvoient à un phénomène
économiquement inefficace, socialement indésirable, politiquement intolérable
et moralement répréhensible : celui des inégalités. Mais peut-on donner aux
manifestations spatiale ou sociale de ce concept le même contenu ? Oui, tant
qu’il signifie une observation des différences de développement dans les domaines
économiques, sociaux et culturels. Mais l’inégalité n’est pas qu’une simple
disparité, un écart de situation mesurée par des indicateurs appropriés, elle est
souvent révélatrice d’une situation de déséquilibre, voire d’injustice. Elle génère
des tensions, voire des conflits qui déstabilisent « l’équilibre » souhaité au sein
de la société ou entre les territoires d’une nation. C’est pour éviter le point de
rupture de cet équilibre que la cohésion sociale et territoriale est recherchée.
Observer la dimension spatiale des faits sociaux, c’est relever l’évolution des
inégalités sociales et territoriales et s’intéresser à la mise en cohérence de la cohésion
126
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
Le concept d’égalité s’entend surtout pour des personnes. Il signifie le fait pour
elles de disposer des mêmes droits, l’accès aux droits conditionnant largement son
effectivité. Pour les territoires, espaces terrestres où une population vit, travaille et
noue des rapports sociaux, régis par un pouvoir politique et administratif (c’est-
à-dire, l’État et les collectivités territoriales), la notion d’égalité est d’application
moins évidente. Toute personne est différente et unique, physiquement,
intellectuellement, psychologiquement et moralement. Il en va de même de
chaque territoire, qui est particulier par sa géographie naturelle, son histoire, sa
culture, les personnes qui y habitent, leurs comportements...
Ainsi, l’inégalité, selon qu’elle soit approchée sous un angle social ou spatial,
est de nature très différente. Les inégalités spatiales ne sont pas assimilables aux
inégalités sociales. L’inégalité sociale dépend d’abord du caractère excluant du
système socio-économique et politique qui opère dans l’espace géographique. Elle
n’a pas nécessairement un corollaire territorial, puisque même si le développement
économique peut être hétérogène, il n’a pas à être socialement inégal (Lopez
1. Eloi, L. (2013). Vers l’égalité des territoires. Dynamiques, mesures, politiques. Paris : Éditions Documentation
française, collection Rapports officiels.
128
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
La notion de justice spatiale telle qu’elle a été élaborée par les travaux sur la
justice de John Rawls2 définit la justice sociale à partir d’une approche normative
– par un double principe d’égalité et d’équité. Si l’on suit John Rawls, la limite
de la légitimité du sentiment d’injustice, c’est lorsque celui-ci remet en question
le postulat d’égalité de base entre citoyens3 (Rawls, 1997). De son côté, Iris
Marion Youg4 considère qu’il y a des situations d’injustices prioritaires. Ce sont
toutes celles qui sont renforcées par la discrimination, un a priori qui n’est jamais
justifiable moralement (Young, 2011)5. Les deux auteurs montrent tous deux que
toute société se construit inévitablement sur des différences ou des inégalités,
parmi lesquelles certaines sont jugées justes et d’autres injustes ; dans ce dernier
cas, il faut les corriger. Par conséquent, l’enjeu est double. D’abord, déterminer la
limite entre inégalités justes et injustes, par exemple en délibérant sur la nécessité
de l’accès des personnes à telle ou telle ressource. Ensuite, en déterminant les
moyens de corriger ces inégalités injustes.
2. P rofesseur dans les universités de Princeton, Oxford, Cornell et Harvard, John Rawls (1921-2002) est
un philosophe américain. Son œuvre est construite autour de la réactualisation du concept de justice
sociale, notamment dans son ouvrage de référence, A Theory of Justice, publié en 1971.
3. E n simplifiant, c’est quand on réclame plus d’avantages pour soi que ceux qui permettraient simplement
de corriger une inégalité observée – avantages qui, de ce fait, vous placent dans une situation supérieure
à une situation d’égalité moyenne.
4. Iris Marion Young (1949-2006) est une philosophe américaine, féministe, et professeure de sciences
politiques à l’Université de Chicago.
5. La politique de la ville a constitué une tentative – inachevée – de réponse à ces discriminations.
Pour John Rawls, il faut sortir du mythe égalitariste pour privilégier celui de
l’équité, en donnant plus à celles et ceux qui ont moins. Tout le travail est donc de
réfléchir aux conditions d’un accès équitable de tous aux ressources en corrigeant les
inégalités par des processus de compensation, de dotation, de péréquation, etc. Le
débat public sur l’espace a développé des théories très contestables. Pour certains, c’est
le territoire en lui-même, sa nature géographique, sa localisation, etc., qui produit
les difficultés des gens qui y vivent, parce qu’il s’agit d’un territoire défavorable,
éloigné, sans ressources, etc. Or, comme d’autres chercheurs qui travaillent en
géographie sociale l’ont montré, le territoire ne génère pas les inégalités, il n’est que
le révélateur de difficultés socialement construites (Bret, 2006).
6. D
uprez propose de mobiliser une série de critères (pauvreté, équipements, etc.) pour identifier ces
échelles d’espaces et de temps. Ce sont des espaces ruraux éloignés, certaines banlieues et quartiers
sensibles, mais aussi des zones en plein cœur de ville ou des friches urbaines.
130
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
7. L
e maximin est le principe de la maximisation du minimum, un principe utile pour penser la répartition
géographique des services publics.
8. Il s’agit notamment du Schéma de développement de l’espace communautaire (SDEC) adopté en 1999,
puis de l’Agenda territorial de l’Union européenne : « Vers une Europe plus compétitive et durable avec
des régions diverses » (2007) et du Livre vert sur la cohésion territoriale en 2008.
132
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
l’espace. Comment repérer les facteurs essentiels de la cohésion de nos sociétés que
sont les disparités sociales et la précarité, l’accessibilité aux services d’intérêt général,
la participation des citoyens à la vie publique, ou encore la capacité à coopérer et
mutualiser des ressources, aux différentes échelles géographiques où ils s’expriment ? »9.
Il ressort de toutes les définitions une compréhension partagée de la finalité de
la cohésion territoriale : celle de réduire les disparités, d’améliorer l’intégration
sociale et d’encourager la coopération entre territoires (CGET, 2018).
9. S
ource : site internet de l’Observatoire des territoires (www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/
observatoire-des-territoires/fr/node).
10. U
n indicateur a une capacité à rendre compte de phénomènes complexes, de façon concise et
objectivée. Néanmoins, il présente toujours un modèle de la réalité, non la réalité elle-même ; c’est
pourquoi il doit être accompagné d’informations qualitatives et de commentaires.
134
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
11. L
’élaboration d’une mesure IDHN du développement a été fondée sur un système d’indicateurs
élémentaires, tous calculables à partir de l’enquête panel. Le système ainsi construit se compose
de 18 indicateurs et est organisé, à l’instar des systèmes en vigueur à l’échelle internationale, selon
l’approche par pallier ou par dimension.
136
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
12. L
a DEPF (Direction des études et des prévisions financières) a établi un indice synthétique des
Objectifs de développement durable (ISODD), intégrant 56 indicateurs relevant de 11 ODD (Objectifs
du développement durable). Axé sur la méthode de scoring, l’ISODD (Indice synthétique des Objectifs
de développement durable) a permis de capter la dynamique de convergence des Régions marocaines
par rapport aux ODD. Il permet d’examiner les progrès accomplis par chacune des Régions et le
chemin qui reste à parcourir pour atteindre les cibles fixées d’ici à l’horizon 2030.
138
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
aux plus fortes difficultés sociales. Deux erreurs doivent être évitées : l’une serait
de penser que les métropoles ne sont que des terres favorisées, gagnantes sur tous
les tableaux, n’attirant que richesses et avantages de toute nature ; l’autre erreur
serait de polariser uniquement sur elles la quasi-totalité des politiques publiques,
des crédits d’investissements nationaux et de l’attention des ministères, voire
des Régions. La richesse territoriale du Maroc réside en grande partie dans le
réseau des villes petites et moyennes, constitué par l’histoire. Il est indispensable
de soutenir ce maillage, car il joue un rôle majeur pour la cohésion territoriale
et le maintien d’une répartition équilibrée des ressources et des activités. Son
affaiblissement appauvrirait le territoire national.
Dans l’optique d’améliorer le cadre de vie des populations rurales et des zones
de montagnes, l’État a mis en œuvre plusieurs programmes visant à réduire les
carences dont souffrent les habitants de ces zones en matière d’électrification,
d’accès à l’eau potable et de désenclavement du monde rural. Un appui a été
apporté aux territoires oasiens et aux zones de montagne à travers la mobilisation
de moyens financiers importants dans le cadre du Fonds pour le développement
rural et des zones de montagne. La politique publique en matière de développement
rural a cherché à promouvoir une approche territoriale concertée et contractuelle
en intégrant les différentes politiques « rurales » existantes (Initiative nationale
de développement humain, Santé, Agriculture, Éducation, Aides monétaires
à la scolarisation, Routes, eau potable et Électrification). Sa contribution à la
cohésion socio-spatiale s’exprime dans les programmes de mise à niveau sociale
des communes les plus en retard, d’appui à une dynamique économique durable
des structures de production et l’intégration des zones rurales, oasiennes et
montagneuses dans l’espace national au moyen de projets structurants.
En dépit des multiples efforts que l’État a déployés dans le cadre de politiques
conçues en faveur des zones rurales, ces dernières demeurent encore marquées
par la précarité et la pauvreté. Une pauvreté accentuée par le déficit en matière
d’infrastructures et de services sociaux de base indispensables au développement
humain (CESE, 2017). Un effort reste à conduire en matière d’investissements
publics, que ce soit en matière de transports et désenclavement, de gestion de la
ressource en eau, d’énergie, de maîtrise foncière, d’appareil éducatif et sanitaire.
Les collectivités rurales n’ont pas vocation à se spécialiser dans une économie
agricole. La mise en valeur de certaines Régions à travers une politique de
tourisme durable – à forte valeur ajoutée – reste à parfaire. Une nouvelle ambition
entrepreneuriale plus large peut leur être donnée dans le cadre de la nouvelle
économie rurale de services. Les potentiels de la transition digitale (procédés
numériques...), de l’économie circulaire, des activités de la santé et du bien-être
trouvent dans les territoires ruraux des terrains propices de développement.
140
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
142
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
III. L
es grands enjeux des politiques
publiques dans la mise en
œuvre de l’articulation cohésion
sociale et cohésion territoriale
La réflexion sur une politique de cohésion socio-temporelle ne peut s’affranchir
d’une analyse institutionnelle des politiques territoriales. Mais elle ne peut non
plus s’y restreindre. Pour répondre à cet enjeu, il faudrait remédier aux difficultés
rencontrées dans la mise en œuvre de quelques politiques publiques territoriales
emblématiques. Notre réflexion s’est concentrée sur certaines des politiques qui
souffrent particulièrement de complexité, d’éclatement, et d’enchevêtrement : la
planification territoriale, la décentralisation/déconcentration, le financement des
territoires. Cette approche thématique nourrit une approche transversale, centrée
sur les enjeux d’élaboration de la norme et de maîtrise des politiques publiques.
L’une innerve constamment l’autre : le cadre et les conditions nécessaires à la
conduite efficace d’une politique publique donnée sont définis par l’analyse de
ces problématiques transverses.
L’enjeu de la planification et
de l’aménagement du territoire
13. L
e Conseil supérieur de l’Aménagement du Territoire et du Développement durable (CSAT), la
Commission nationale permanente de l’Aménagement (CIPAT), les Commissions régionales
d’Aménagement du Territoire.
144
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
L’enjeu de la décentralisation/déconcentration
La régionalisation a pris son envol. Mais elle est encore à basse altitude. La
Région, collectivité territoriale, s’est dotée de ses organes élus. Mais elle peine à saisir
ses prérogatives, à se doter de ses outils d’intervention et des moyens de sa politique.
La régionalisation ressemblerait à un « sac de nœuds » que le pouvoir réglementaire
n’a pas encore totalement dénoué. Dans ce chantier de la régionalisation, il est une
réforme qui est d’une urgente nécessité, c’est celle de l’administration territoriale
de l’État. C’est elle qui permettra la montée en puissance de l’échelon régional.
La difficulté à consacrer le niveau régional est manifeste. Sa vocation à devenir
l’échelon territorial de référence pour la conduite et la cohérence de nombre de
politiques publiques est mise à mal par la lenteur avec laquelle évolue la dévolution
des compétences et l’organisation territoriale de l’État. Le principe de subsidiarité
doit assurer un cadre général de cohérence afin de garantir la plus grande efficacité
des politiques publiques locales. La contractualisation est aussi un instrument
s’inscrivant dans cette logique, un cadre qui permettra d’assurer la cohésion et la
solidarité de manière plus dynamique et cohérente.
146
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
L’enjeu du financement
14. L
es parts de l’Impôt sur les Sociétés (IS) et de l’Impôt sur les revenus (IR) affectées aux Régions sont
portées progressivement à 5 % et la part des droits sur les contrats d’assurance à 20 %. Les collectivités
territoriales bénéficient, également, de crédits transférés du Budget général de l’État. Outre ces
transferts, les Régions sont habilitées à procéder à des emprunts et bénéficier d’avances de l’État.
148
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
Ainsi, les ressources publiques injectées dans les territoires par différents
circuits (dépenses de l’État, programmes des entreprises publiques, budget des
collectivités, Fonds…) s’enchevêtrent sans pour autant conforter les convergences
des politiques publiques. On a des difficultés à rendre lisible et à mesurer l’impact
de ces flux financiers sur le développement réel des territoires. Une évaluation de
l’impact de l’ensemble du dispositif financier public s’impose pour fixer des règles
de jeu objectives et rigoureuses dans les relations financières de l’État avec les
collectivités territoriales. Certains principes devraient être clarifiés : la solidarité
financière fondée sur des critères d’équité territoriale, le renforcement de
l’autonomie fiscale locale, la nécessaire concertation entre l’État et les collectivités
territoriales sur la régulation globale des finances publiques.
150
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
Conclusion
De nouvelles ambitions doivent être affichées pour le territoire. Le renouveau
de la problématique cohésion territoriale/cohésion sociale doit être repensé à
l’aune des nouveaux enjeux du développement territorial. Au moins quatre enjeux
justifient le renforcement de l’implication des territoires dans l’action publique.
Le territoire est au cœur des stratégies visant à renforcer la création des richesses.
Le territoire est le lieu où peut se renforcer la cohésion sociale. Le territoire est
l’instrument de modernisation des politiques publiques à travers la transversalité
qu’il impose à ces politiques et leur décloisonnement. Enfin, le territoire n’est plus
le domaine de l’action exclusive de l’État ; il est le lieu d’ancrage des institutions
locales qui réclament leurs parts de compétences et de moyens leur permettant
d’améliorer l’efficacité économique, tout autant que démocratique, de notre
système d’administration publique.
et par rapport aux autres acteurs. C’est autour de cet équilibre que se noue un
double enjeu d’approfondissement démocratique et d’efficacité gestionnaire.
152
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
Bibliographie
• Augia, D. (2017). De l’aménagement à l’égalité des territoires : quelle stratégie pour
l’État ? Dans Nicolas Kada (dir.), Droit et gestion des collectivités territoriales. Les
territoires de l’État. 2017. Paris : Éditions du Moniteur. https ://hal.archives-ouvertes.
fr/hal-03194641
• Algan, Y. et al. (2020, janvier). Territoires, bien-être et politiques publiques. Les notes
du Conseil d’analyse économique, no 55. Paris : Éditions Conseil d’analyse économique.
• Bret, B. (2006). Inégalité sociale et cohésion territoriale, pour une lecture rawlsienne
du territoire brésilien. Revue Géocarrefour, vol. 81(3). Lyon : Éditions Géocarrefour, p.
1-24. https ://doi.org/10.4000/geocarrefour.1931
• Bret, B. (2015). Pour une géographie du Juste, Lire les territoires à la lumière de la
philosophie morale de John Rawls. Paris : Presses universitaires de Paris Ouest, coll.
Espace et Justice.
• Commission des Communautés européennes (CCE) (2008, octobre, 16). Livre vert sur
la cohésion territoriale : faire de la diversité territoriale un atout. Communication de la
Commission au Conseil, au Parlement, aux Régions et au Comité économique et social
européen, Bruxelles.
• Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) (2018, juillet). Rapport sur la
cohésion des territoires. Paris.
• Depraz, S. (2017). La France des marges. Géographie des espaces « autres ». Paris : Éditions
Armand Colin.
• Davezies, L. (2012). La crise qui vient. La nouvelle fracture territoriale ; Paris : Éditions
Seuil, coll. La République des idées. https://doi.org/10.4000/lectures.14875
• Davezies, L. (2021). L’État a toujours soutenu ses territoires. Paris : Éditions Seuil, coll.
La République des idées.
• Eloi, L. (2013). Vers l’égalité des territoires. Dynamiques, mesures, politiques. Paris :
Éditions Documentation française, collection Rapports officiels. www.viepublique.fr
• Ferru, M. et Chachefoin, P. (20221). Territoires. État des savoirs et des pratiques. Poitiers :
Éditions de l’Actualité Nouvelle-Aquitaine.
• Jaidi, L. (2011). Note soumission de l’étude sur les disparités territoriales. Ministère de
l’Aménagement du Territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique
de la Ville. Rabat.
154
1. La cohésion socio - spatiale : quels impératifs pour la cohérence des politiques publiques ?
• Young, I-M. (2011). Justice and the politics of differences. Princeton University Press.
Princeton, New Jersey, USA.
De la convergence
de l’action publique
dans les projets de
développement humain
par A
ziz IRAKI1, Abdelhak KAMAL2
et Mohamed TAMIM 3
1. Professeur à l’Institut National d’Aménagement et d’Urbanisme à Rabat
2. Professeur Habilité en Économie, Faculté d’Économie et de Gestion,
Université Hassan 1er
Chercheur associé, Economia, HEM Research Center
3. Professeur de l’enseignement supérieur à l’Institut National
d’Aménagement et d’Urbanisme à Rabat
Résumé
C
ette contribution a pour objectif d’identifier et d’analyser
et les dysfonctionnements de la convergence de l’action
publique au niveau local au Maroc, particulièrement des
programmes et projets « PPA » couvrant différents secteurs du
développement humain (santé, éducation, jeunesse et sport, eau
potable, assainissement, routes…), et des mécanismes explicatifs
à travers des études de cas, mettant les différents acteurs en
situation. Elle s’appuie sur 358 PPA sélectionnés sur un échantillon
de 30 communes regroupant différents contextes géographiques et
politiques (rural dans sa variété, ville moyenne, métropoles, petits
centres et périurbain). Nous considérons dans cette étude cinq
dimensions de la convergence (institutionnelle, financière, d’objectifs
et de référentiel, dans le processus et territoriale). Les résultats
montrent que la convergence se pose différemment en fonction de
la dimension considérée et selon qu’il s’agit de projets sectoriels
menés avec le département en question et d’autres acteurs dans un
cadre partenarial ou de programmes intégrés impliquant plusieurs
secteurs. Dans ce dernier cas de figure, le rôle d’un fort leadership
s’avère essentiel.
158
2. De la convergence de l ’ action publique dans les projets de développement humain
Introduction
La réforme de l’organisation territoriale du Maroc recouvre deux évolutions
majeures. D’une part, les processus de déconcentration et de décentralisation
qu’elle induit préfigurent une montée en puissance des acteurs territoriaux
(services déconcentrés et élus) dont la place et le rôle sont confortés dans les
processus d’action publique (relations de partenariat et de coopération entre les
acteurs ; nécessité d’une gestion plus concertée des territoires…). D’autre part,
l’efficience de l’action publique dans de nombreux domaines dépend de plus en
plus de la faculté à en maîtriser la dimension transversale et intersectorielle.
1. L’évaluation de l’action publique : pistes pour un débat. 2004 Fondation Abderrahim Bouabid.
NDH, Observatoire national du développement humain (2020). Évaluation de la gouvernance locale
2. O
et de la convergence territoriale des actions de développement humain. Rapport. Rabat.
3. C
ompte tenu de la problématique de l’étude, seuls les PPA faisant intervenir plusieurs acteurs menés en
partenariat ont été retenus. Les PPA relevant de l’action d’un département dans ses missions propres
et son quotidien ont été écartés.
160
2. De la convergence de l ’ action publique dans les projets de développement humain
I. Cadre conceptuel :
les dimensions de la convergence
Parler de la convergence de l’action publique dans un territoire donné
nécessite de préciser les différentes dimensions que recouvre cette notion.
Coordination et
convergence
Cadre de Contribution
planification Porteur Partenariat public
financière
Partenariats avec
Cadre de conception Blocage- d'autres collectivités Programmation
dépassements territoriales
Vulnérabilité Partenariat
société civile
Source : auteurs
162
2. De la convergence de l ’ action publique dans les projets de développement humain
Plus que cela, les présidents de communes les plus dynamiques ont pu, en
s’inscrivant dans la réponse à ces besoins essentiels de la population, acquérir
l’adhésion de la population et des acteurs institutionnels. C’est le cas des présidents
de Nihit, d’Aoulouz (Province de Taroudant), d’Asni (Province d’Al Haouz), de
Dar Bouazza (Province de Nouaceur), à travers le transport scolaire dans une
zone à habitat dispersé, l’AEP, la Santé dans une zone manquant cruellement de
structures hospitalière, l’école communautaire…
4. M
ancur Olson soutient le fait que la participation à l’action collective n’est pas « naturelle » dans le
comportement de l’individu. Celui-ci, au contraire, préférerait bénéficier de l’action collective sans avoir
à y participer. Ce qu’il qualifie alors de « ticket gratuit ». (Mancur, 1978, p. 81 à 84).
164
2. De la convergence de l ’ action publique dans les projets de développement humain
5. L
a DGCL est l’administration chargée des collectivités territoriales au sein du ministère de l’Intérieur
au Maroc.
Sur l’ensemble des cas rencontrés, ces opérateurs techniques n’ont pas cette
capacité. Leur personnel local est réduit et n’a pas les compétences sociales
requises. Ils font tout au plus appel à des bureaux d’études pour assurer des
accompagnements comme dans certains cas d’AEP. La fonction de coordination
et le leadership par rapport au projet sont laissés, le plus souvent, à l’autorité
locale (pacha ou gouverneur et ses équipes locales). Encore une fois, l’urgence
mobilisatrice joue, ici, lorsqu’il n’y a pas de problèmes majeurs avec les populations.
6. P
AGER : Projet d’alimentation en eau potable rurale
PERG : Programme d’électrification rurale globale
PNRR : Programme national des routes rurales
PNA : Programme national d’assainissement liquide
166
2. De la convergence de l ’ action publique dans les projets de développement humain
Toujours dans les projets sectoriels, ces derniers se présentent parfois avec
une certaine complexité, due à la multiplicité des acteurs qu’ils peuvent faire
intervenir et à la nécessaire maîtrise de leur intervention dans le temps. C’est
le cas des Plateformes de commerce de proximité (PCP de Bernoussi), des
centres d’hémodialyse, des écoles communautaires associées au transport scolaire
(Nihit, Asni), des complexes sportifs (Salé). Tous ces cas ont pour dénominateurs
communs des associations sur lesquelles repose le leadership. Très professionnelles,
ces associations arrivent à l’assurer (cas de Bernoussi pour les PCP ou des
écoles communautaires, mais aussi de l’équipement et de la gestion d’une salle
couverte à Salé). Autrement, les échecs sont patents (complexe sportif de Salé,
centre d’hémodialyse de Bernoussi, la maison du safran à Taliouine…). Il faut se
demander jusqu’où le leadership laissé à une association doit rester encadré (en
termes de régulation) par les départements concernés.
Par ailleurs, dans les projets et actions sectoriels, les communes sont de plus
en plus sollicitées non seulement pour se procurer un foncier gratuitement,
pour réduire les risques liés aux résistances des populations, et pour permettre le
branchement aux réseaux et les démarches administratives, mais également pour
assurer l’aménagement et/ou le fonctionnement de l’équipement ou une part de
financement. De même que l’associatif est de plus en plus sollicité pour assurer
le fonctionnement des équipements réalisés, car les départements ministériels
pèchent par leur manque de personnel et la rigidité de leur cadre financier
(appel d’offre, CPS). Ces deux caractéristiques, ajoutées à celle des compétences
Dans l’urbain : les projets de mise à niveau avec le sceau royal menés en silo,
mais avec forte implication du wali, permettent de dégager un leadership fort
du wali qui écarte, certes, les élus dans sa conception, mais qui négocie avec les
niveaux centraux (pour le financement) et dans la mise en œuvre sur les questions
foncières. La question de la convergence institutionnelle et financière ne se
pose pas ; elle est contenue dans des conventions signées par les départements
centraux. Dans le processus, les projets et actions sont surplombants ; ils émanent
des études sectorielles techniques, difficiles à rattacher à un référentiel commun
à l’ensemble des acteurs. C’est le wali qui fait le lien et qui intervient pour
débloquer les situations de conflit (notamment autour du foncier). C’est à partir
de la légitimité que lui procure le Roi (en sa qualité de responsable de chantiers
inaugurés par le Roi) que le leadership est assuré.
7. Voir http://www.indh.ma/
168
2. De la convergence de l ’ action publique dans les projets de développement humain
Des initiatives locales de programmes intégrés ont été aussi recensées dans le
périurbain. Elles mettent en action les communes et les promoteurs immobiliers.
En écartant les autres départements (santé, éducation, jeunesse et sports,
promotion nationale), la convergence dans le processus de mise en œuvre des
chantiers et leur suivi ne pose pas de problème. Mais, c’est dans la mise en service
de ces équipements que les échecs risquent de se poser. Les départements concernés
veulent faire respecter leurs normes. Par ailleurs, la pénurie de personnel dont
ils se plaignent leur donne une justification pour n’affecter aucun personnel en
dehors de la programmation préétablie sur la base de leurs propres équipements.
Les initiatives locales devraient faire de la convergence en amont. Or, leur point
fort est justement d’aller vite dans la réalisation des équipements sans avoir à
impliquer les départements concernés. Le périurbain, en tant qu’espace convoité
par les promoteurs, et vu les valeurs foncières qu’il mobilise, devrait bénéficier de
programmes adéquats impliquant, certes, le privé, mais bénéficiant de l’appui des
différents départements ministériels. La convergence financière ne se pose pas ici
(financement par les promoteurs). Le président de la commune bénéficie souvent
dans ces situations d’une richesse fiscale suffisante pour avoir des effets de levier.
Des atouts à faire valoir dans des programmes spécifiques.
8. D
ans l’organisation territoriale du Maroc, le Cercle est une unité administrative intermédiaire qui
fait le lien entre plusieurs communes rurales ; il s’agit d’une circonscription rurale administrative
déconcentrée.
170
2. De la convergence de l ’ action publique dans les projets de développement humain
Par ailleurs, c’est le CPDH qui devient le lieu de mise en convergence des
politiques publiques en matière de développement social et humain à travers
l’élaboration des Programmes pluriannuels de développement humain (PPDH)
et qui doit assurer leur mise en œuvre. Le niveau régional et son Comité
régional de développement humain (CRDH) reste celui de la consolidation,
de l’allocation des fonds et de la contractualisation (Contrat-programme de
développement humain) avec les différents autres programmes. Par ailleurs, le
recours aux ONG ne se fera plus par le système d’appel à projet, mais se basera sur
les acteurs associatifs ou fondations d’entreprises d’envergure, déjà répertoriées
par les Divisions de l’action sociale (DAS) pour constituer des associations têtes
de réseau qui mobiliseront d’autres ONG pour la mise en œuvre des projets dans
le cadre des programmes de l’INDH.
Conclusion
Les PPA documentés dans l’étude dont cet article fait écho montrent,
d’abord, que la convergence de l’action publique comporte plusieurs dimensions
de la convergence qui ne sont souvent pas mises en exergue et qui sont à prendre
en compte. Ensuite, la convergence ne peut « couler de source » ou être le fruit
évident d’une simple juxtaposition ou la somme de partenaires qui s’accordent
pour réaliser un objectif commun dans un cadre partenarial. En effet, comme dans
toute action collective, et quel que soit le domaine ou champ d’action, la gravité
du problème à résoudre comme ciment des partenaires est souvent fort présente ;
si cela n’est pas le cas, l’action collective en pâtit. Par ailleurs, le leadership émanant
du porteur d’un PPA ou d’un autre partenaire autre que le porteur du PPA est
crucial dans toute action collective. Le leadership s’entend, particulièrement pour
celui qui l’assure, dans la disposition des trois qualités suivantes : des capacités de
coordination entre partenaires, des capacités de gestion des situations de crise, et
des capacités à dénouer les conflits qui peuvent surgir à un moment ou à un autre
du processus de mise en œuvre des PPA.
172
2. De la convergence de l ’ action publique dans les projets de développement humain
Le PRDST lui accorde une place importante dans le milieu rural comme lieu de
convergence institutionnelle et territoriale des PPA. L’interpellation devra se faire
aussi sur ces deux questions à travers l’analyse des processus de programmation,
d’institutionnalisation, puis de mise en œuvre. Là aussi, le rôle du wali semble
primordial. Enfin, le Cercle, en tant que niveau territorial pour le département
de l’Intérieur, supracommunal et infraprovincial, doit jouer un rôle important
dans le nouveau dispositif de l’INDH, notamment pour renforcer et impulser
l’intercommunalité. Sa place dépendra de l’adhésion des départements ministériels
à lui accorder davantage d’attention, par leur déconcentration ou représentation
à ce niveau, notamment dans son chef-lieu, lorsque ce dernier est une petite ville
qui polarise un arrière-pays rural
Bibliographie
• ONDH, Observatoire national du développement humain (2016). Étude sur la Gouvernance
de l’INDH. Rapport de synthèse, rapport de la phase 3, version définitive. CREADH.
• Mancur, Olson (1978). Logique de l’action collective. Paris : Presses universitaires de France.
L’inscription nécessaire du
territoire au cœur du Nouveau
modèle de développement :
des orientations stratégiques
face aux défis de la cohésion
territoriale
par Claude COURLET 1 et Abdelhak KAMAL2
1. Professeur émérite des universités ; Président honoraire de l’Université
de Grenoble
2. Professeur Habilité en Économie, Faculté d’Économie et
de Gestion, Université Hassan 1er
Chercheur associé, Economia-HEM Research Center
Résumé
L
e territoire est un réceptacle où s’accumulent les effets
de mouvements à long terme, les tendances de fond et les
impacts des décisions nationales et/ou supranationales. Les
défis sont tels qu’il devient nécessaire de définir les contours d’un
modèle d’aménagement à même de contribuer à la révision en cours
du Nouveau modèle de développement (NMD). Ces grandes lignes
s’inscrivent dans le grand mouvement du “spatial turn” (Sassen,
2009) qui fait du territoire le moment clé des transformations
économiques et sociales qu’exprime la référence désormais
partagée à un « moment territorial ».
176
3. L’inscription nécessaire du territoire au cœur du Nouveau modèle de développement :
des orientations stratégiques face aux défis de la cohésion territoriale
Introduction
Le territoire comme cadre et outil des politiques publiques occupe une place
de plus en plus importante dans l’élaboration et la mise en œuvre des actions
publiques. En effet, la question territoriale constitue à la fois un objet et un
moteur de la transformation des politiques publiques dont la conception passe
désormais par le prisme du territoire. Dans ce contexte, l’espace local apparaît à
la fois comme un lieu de mise en cohérence des politiques sectorielles permettant
de dépasser dans une certaine mesure les effets pervers des excès de la verticalité
et comme un lieu où peuvent s’exprimer les relations entre les acteurs locaux et
se construire des relations de proximité (Béhar, 2000 ; De Maillard, 2000 ; De
Maillard et Roché, 2005).
La réponse à ces questions constitue des enjeux majeurs pour les politiques
publiques d’aménagement du territoire faisant de la cohésion territoriale un
objectif central.
1. M
inistère de l’Aménagement du territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique
de la ville (2018). Dynamiques et disparités territoriales : une analyse des dynamiques spatio-temporelle
du développement au Maroc : 1999-2014. Par ailleurs, une étude est en cours, menée par l’OPPAT
(Orientations de la politique publique de l’Aménagement du Territoire).
178
3. L’inscription nécessaire du territoire au cœur du Nouveau modèle de développement :
des orientations stratégiques face aux défis de la cohésion territoriale
180
3. L’inscription nécessaire du territoire au cœur du Nouveau modèle de développement :
des orientations stratégiques face aux défis de la cohésion territoriale
Le travail avec les indicateurs synthétiques est une autre façon d’apprécier
globalement cette question d’intégration et de cohésion sociale dans les
territoires. Les écarts régionaux en termes de développement humain ne sont
pas exclusivement imputables aux richesses produites et les avancées dans ces
domaines sont aussi tributaires de la distribution des revenus dans les Régions :
182
3. L’inscription nécessaire du territoire au cœur du Nouveau modèle de développement :
des orientations stratégiques face aux défis de la cohésion territoriale
L’accès aux soins reste aussi très inégalitaire dans un pays où le financement
de ces derniers dépend encore à 54 % du financement direct des ménages. Des
analyses de cas montrent par exemple que les difficultés de paiement touchent
plus de la moitié des familles et que ce taux peut atteindre presque 75 % à Figuig
(Conseil économique, social et environnemental, 2013). L’enclavement en milieu
rural est aussi pénalisant en la matière. Enfin, il faut mentionner l’importance
des contraintes socio-culturelles à l’accès aux soins, particulièrement présentes
en milieu rural qui sont liées à l’analphabétisme, à certaines pratiques de vie
traditionnelles, et au statut de la femme. L’indicateur de l’espérance de vie à la
naissance résume assez bien ces inégalités territoriales en matière de santé : par
exemple pour 2010, l’écart est de 10 ans entre le Grand Casablanca (79 ans) et
Taza Al Hoceima Taounate (69 ans).
184
3. L’inscription nécessaire du territoire au cœur du Nouveau modèle de développement :
des orientations stratégiques face aux défis de la cohésion territoriale
figurent de plus en plus au premier rang de ses préoccupations au même titre que
les exigences économiques et sociales. Deux types d’espaces sont particulièrement
concernés par cette problématique : la montagne où la dégradation des milieux
se cumule avec les handicaps du délaissement : enclavement, sous-équipement,
inconsistance économique et misère sociale ; les oasis dont la durabilité est
menacée par l’éclatement démographique et une gestion inadéquate de leurs
ressources.
Une première conception regarde la notion d’égalité des places centrée sur
la structure des positions occupées par les individus ou les territoires et qui
vise à réduire les inégalités entre ces positions. L’expérience montre qu’il ne
s’agit pas forcément d’une politique volontariste de rééquilibrage régional. Les
moyens d’action sont un meilleur accès aux droits élémentaires, l’éducation, le
logement, la santé, etc., et aux services (au sens large du terme : services publics,
commerces de proximité, numérique, etc.) en concentrant avec soin des moyens
spécifiques sur les territoires les plus en difficulté afin de leur donner une chance
de revitalisation face à des risques de trappes spatiales.
186
3. L’inscription nécessaire du territoire au cœur du Nouveau modèle de développement :
des orientations stratégiques face aux défis de la cohésion territoriale
3. D
’un point de vue théorique, il faut aller chercher une spécialiste de la sociologie de la globalisation,
Saskia Sassen. Celle-ci a été la première à montrer dans sa fresque du Moyen Âge à nos jours (Sassen,
2009), l’hypothèse de l’émergence du « territoire » ("territory" dans son texte) comme « nouvelle logique
organisationnelle au sein de laquelle d’anciennes capacités sont repositionnées et de nouvelles forgées ». Le
territoire comme mode contemporain de regroupement d’acteurs commence à prendre forme.
4. B
agnasco, A. (2010). Recentrages. Les sociétés locales dans la nouvelle économie. Dans G. Novarina
(dir.), Sociétés urbaines et nouvelle économie. Paris : L’Harmattan, p. 21-60.
torper, M. (2015). The rise and Fall of Urban Economies: Lesson from San Francisco and Los Angeles.
5. S
Redwood City (CA): Stanford Business Books.
188
3. L’inscription nécessaire du territoire au cœur du Nouveau modèle de développement :
des orientations stratégiques face aux défis de la cohésion territoriale
ommission spéciale sur le modèle de développement (2021, avril). Le nouveau modèle de développement :
6. C
libérer les énergies et restaurer la confiance pour accélérer la marche vers le progrès et la prospérité pour tous.
ibou, B. et Tozy, M. (2020, septembre). Tisser le temps politique au Maroc, imaginaire de l’État à l’âge
7. H
néolibéral. Paris : Éditions Karthala.
190
3. L’inscription nécessaire du territoire au cœur du Nouveau modèle de développement :
des orientations stratégiques face aux défis de la cohésion territoriale
192
3. L’inscription nécessaire du territoire au cœur du Nouveau modèle de développement :
des orientations stratégiques face aux défis de la cohésion territoriale
Au-delà des grands écarts saisis au niveau national, des modèles régionaux
différenciés, le cadre de référence de l’aménagement doit aussi traiter des
dynamiques plus fines d’interaction entre développement et territoire. Il s’agit
d’être au niveau du vécu quotidien des populations. On est en présence de
politiques de lieux qu’il s’agit d’équiper et de doter de fonctions et de services,
dans une logique de couverture ponctuelle du territoire. En ce domaine, le Maroc
a été relativement performant. Mais au bout d’un moment, la politique des lieux
ne suffit plus dans le moment présent. Les relations entre territoires sont de plus
en plus importantes, qu’il s’agisse des liens physiques et matériels (hommes,
marchandises, ressources…) ou de liens immatériels (informations, données,
compétences…). On passe des lieux aux liens entre territoire et la politique
d’aménagement du territoire doit passer par l’activation de ces derniers.
Les relations au
Les grands Les trajectoires sein et entre les
Enjeu
déséquilibres régionales territoires : des
lieux et des liens
Objectif Garantir Différencier Activer
Distribuer ;
redistribuer
Logique Spécifier/
(la production Maîtriser/relier
d’action contribuer
de biens
communs)
Conclusion
En 2004, le SNAT (Schéma national d’aménagement du territoire) constatait
que le développement du Maroc n’était pas durable « pas plus en matière écologique
qu’en matière économique et sociale ». Dans ce constat, il interpellait fortement les
facteurs territoriaux. Dans le volume de synthèse, il insistait sur la nécessité de
ne plus hésiter entre la mise à niveau du rural et le développement des grandes
villes : « L’approche territoriale des problèmes est une nécessité impérative, quel que
soit le point de vue auquel on se place. »9 Jusqu’à une date récente, les politiques
publiques, pensées de manière isolée pour garantir leur succès, ne se traduisent
pas en une matérialisation territoriale. Plus qu’à une simple déclinaison spatiale
des stratégies, les orientations en matière d’aménagement du territoire doivent
œuvrer à cette matérialisation territoriale en allant à la rencontre des Régions qui,
pleines d’ambitions, construisent leur identité
194
3. L’inscription nécessaire du territoire au cœur du Nouveau modèle de développement :
des orientations stratégiques face aux défis de la cohésion territoriale
Bibliographie
• Bagnasco, A. (2010). Recentrages. Les sociétés locales dans la nouvelle économie. Dans G.
Novarina (dir.), Sociétés urbaines et nouvelle économie. Paris : L’Harmattan, p. 21-60.
• Conseil économique, social et environnemental (CESE) (2013). Les soins de santé de base : vers
un accès équitable et généralisé. Saisine n°4.
• De Maillard, J. et Roché, S. (2005). La sécurité entre secteurs et territoires. Dans A. Faure et A.-
C. Douillet (dir.), L’action publique et la question territoriale. Grenoble : Presses universitaires
de Grenoble, p. 33-51.
• Hibou, B. et Tozy, M. (2020). Tisser le temps politique au Maroc, imaginaire de l’État à l’âge
néolibéral. Paris : Éditions Karthala.
• Institut royal des études stratégiques (IRES) (2014). Industrialisation et compétitivité globale du
Maroc : enjeux et défis. Séminaire du 12 juin 2014. Rabat.
• Sassen, S. (2009). Critique de l’État (territoire, autorité et droits de l’époque médiévale à nos
jours). Paris : Éditions Démopolis, le Monde diplomatique.
• Storper, M. (2015). The rise and Fall of Urban Economies: Lesson from San Francisco and Los
Angeles. Redwood City (CA): Stanford Business Books.
Entretien avec
Mohamed TOZY :
(Sciences Po, Aix-En-Provence)
Macro et micro-politique
des territoires au Maroc
Propos recueillis par Bachir ZNAGUI
Economia-HEM
198
4. Entretien avec : Mohamed TOZY : Macro et micro - politique des territoires au Maroc
ebti, A. (2009). Entre « Zettat » (passeur) et bandit de grands chemins : la sécurité sur les routes du Maroc
1. S
pré-protectoral. Rabat : Éditions Toubkal.
200
4. Entretien avec : Mohamed TOZY : Macro et micro - politique des territoires au Maroc
R : Oui, cela s’est traduit par la mise en place d’un nouveau paradigme
construit par le Mouvement national et surtout par Hassan II, lequel avait sur ce
point la même culture que les nationalistes. Mais, le changement va être très vite
confronté à la logique politique du contrôle de la population et sera posé avec
acuité par la question des élections. Le Maroc était une société segmentarisée et
tribale, en rapide mutation, mais le type de solidarité dominant était largement
encore mécanique : « Je vote avec mes frères. » Les partis n’arrivaient pas ainsi à
faire voter les gens, même si l’UNFP et l’Istiqlal ont fourni un grand effort et réussi
une grande révolution par rapport à cela ; l’ossature de base n’était pas organique
et restait mécanique. Il y a ainsi une logique territoriale qui va s’imposer avec le
découpage et les élections communaux de 1960. Mais, la question du contrôle
politique demeurait importante, et cela continue à ce jour. Même si la solidarité
mécanique s’est réduite et que nous sommes plutôt en un ordre organique, où
les loyautés d’intérêts l’emportent sur les loyautés d’origine, on constate que
dans certaines parties du Maroc, notamment les parties agropastorales où les
populations bougent, le vote mécanique demeure !
202
4. Entretien avec : Mohamed TOZY : Macro et micro - politique des territoires au Maroc
204
4. Entretien avec : Mohamed TOZY : Macro et micro - politique des territoires au Maroc
TENTATION JACOBINE
ET TERRITOIRES
206
4. Entretien avec : Mohamed TOZY : Macro et micro - politique des territoires au Maroc
des critères d’inscription des populations sur un territoire, et analysez les modes
de rétribution des taleb : on s’aperçoit qu’il y a autant de types de contrats qu’on
a de territoires. On ne paie pas de la même façon chez les sédentaires ou les
éleveurs, chez les céréaliers ou les arboriculteurs. Chaque contrat est adapté aux
richesses produites par les populations, et cette idée du territoire est d’ailleurs
aussi reflétée par le mode de la zakat au Maroc. La zakat est ainsi calculée selon
une combinaison, faite de façon optimale et dans un contexte géographique
donné, des ressources disponibles et du fruit de l’effort déployé par les personnes.
208
4. Entretien avec : Mohamed TOZY : Macro et micro - politique des territoires au Maroc
210
4. Entretien avec : Mohamed TOZY : Macro et micro - politique des territoires au Maroc
paradoxe : une telle formation était très minoritaire par rapport au reste des
disciplines et des milieux professionnels existant au pays. Cette préoccupation
n’était pas portée ailleurs par les autres intervenants, et ce, pour des raisons à
la fois techniques et politiques. On n’était pas vraiment dans une posture de
développement des territoires, mais plutôt dans celle de les contrôler !
réflexion sur ces aspects. Les techniciens finissaient par travailler sans aucune
norme de référence, les ouvrages étaient bricolés. Cela est devenu non seulement
trop flagrant, mais aussi particulièrement important dans ce que l’État injectait
en fonds publics dans les ouvrages locaux ! Beaucoup d’associations dans le Souss,
avant que le partenariat public/privé ne soit enclenché, ont enduré la difficulté
d’un tel handicap. Je citerai le cas de celles qui se sont aventurées dans la réalisation
d’un ouvrage d’art pour les besoins de leur communauté. Le même problème se
pose d’ailleurs même pour les communes. Par exemple, pour construire un petit
pont afin de sécuriser l’accès de 150 ou 200 élèves à leur établissement et parer
aux problèmes d’un lit de rivière, sur une voie complètement dégagée et isolée, il
faut légalement avoir un agrément du ministère des Travaux publics. Celui-ci a
des normes spécifiques pour les ponts qui sont théoriquement en vigueur partout.
L’association peut s’adresser à un bureau d’études, afin d’élaborer un dossier
conforme ; mais pour respecter les normes, on peut se trouver en train de payer
500 000 Dhs pour ladite étude portant sur un petit ouvrage coûtant moins de
200 000 Dhs ! À ce jour d’ailleurs, on n’a pas encore territorialisé les normes de
ces ouvrages, même pas au niveau régional ! Une telle démarche pourrait pourtant
contribuer à la réalisation d’équipements très utiles. Elle pourrait permettre
aussi de faire de l’innovation technique pour intégrer les savoirs vernaculaires
des gens et les normer, les réinventer pour qu’ils deviennent plus adaptés aux
nouveaux besoins des populations. Cela aurait exigé plus d’efforts de la part des
administrations, plus de travaux de recherches sur le terrain, plus de rapports
directs avec les usagers et citoyens. Un autre exemple est la norme de l’école
en préfabriqué qui existe partout. Sa matière première, elle, est plus coûteuse et
moins disponible. N’est-il pas plus utile d’inventer la norme pour des écoles en
pisée là où la construction en pisée est plus disponible ? En tout cas, cela coûterait
moins que certaines écoles en amiante, et offrirait plus de sécurité pour les élèves !
Il est peut-être raisonnable de reconnaître que les pouvoirs publics n’ont jamais
dégagé assez de temps, de compétences, ni d’expertise à cette fin. Peut-être qu’ils
ne réalisaient pas l’importance de tels efforts. Démultiplier les normes suppose de
l’expérimentation et des prises de risques assumées, et ce, pour avoir au final des
normes valables au bénéfice de larges populations.
212
4. Entretien avec : Mohamed TOZY : Macro et micro - politique des territoires au Maroc
214
4. Entretien avec : Mohamed TOZY : Macro et micro - politique des territoires au Maroc
La régionalisation, si elle n’est pas saisie dans ces termes, demeurerait une
énigme. Pourtant son histoire est très simple : le Roi désigne une commission,
propose dans sa lettre de désignation l’objectif d’une régionalisation avancée,
acceptable sous forme d’autonomie. L’enjeu était ainsi posé, il s’agissait d’envisager
une autonomie crédible pas seulement au niveau national mais aussi au niveau
international. Et cette idée n’était que la continuation de cet imaginaire que je
qualifie d’impérial. Hassan II en avait déjà parlé comme une boutade en disant
qu’il était prêt à discuter de tout sauf du timbre, du drapeau et de la monnaie. Cela
veut dire que pour le monarque, la loyauté était plus importante que l’obéissance,
le gouvernement plus que l’administration. Et l’histoire sur cinq siècles, dans les
méandres et les péripéties que ce pays a connues, n’a jamais prouvé autre chose
que cela !
une dissociation entre le wali de Région et l’agent d’autorité. Le premier est le lieu
où sont implantés tous les départements de l’État et qui sont les interlocuteurs
techniques de la Région. Le wali est ainsi le lieu de mise à disposition des moyens
de l’État déconcentré au profit de l’entité décentralisée. Pour ce faire, il faudra
dissocier le wali de la Région de sa compétence d’agent d’autorité, au profit
de celle d’agent de développement, les deux étant antinomiques. La fiche du
poste, ou Job description qui n’existe pas pour le wali, est prédéterminée par des
considérations d’ordre public qui sont, par définition, incertaines. Si on relève le
wali de cette charge et qu’il devient exclusivement le représentant de l’État, et non
l’agent d’autorité également nécessaire, pour des tâches importantes de sécurité,
son appui sera très utile dans la nouvelle configuration.
UN ATOUT INSOUPÇONNABLE :
LE RÉSEAU DES PETITES VILLES
AU MAROC
216
4. Entretien avec : Mohamed TOZY : Macro et micro - politique des territoires au Maroc
traditionnelles, ou des villes ayant une activité économique particulière, avec une
identité forte en général, non prise en compte dans ses multiples fonctions pour
livrer du service aux citoyens. Ces atouts supposent une autre façon pour l’État
de se déployer sur un territoire, notamment par rapport aux cinq services de
base : l’école, la santé, la mobilité, l’électricité et l’eau. Comment s’assurer que ces
services sont qualitativement livrés aux citoyens ? La commune est une structure
trop petite, dotée souvent de services de base sous équipés et de très faible qualité
(un dispensaire, une salle d’accouchement…), ce qui fait du saupoudrage et cause
une dispersion des moyens de l’État. Un autre aspect relevé par la CSNMD : c’est
la tendance désormais à la réurbanisation, les standards dominant aujourd’hui
au Maroc étant les standards urbains. Il faut peut-être organiser les politiques de
l’État autrement, partant de ces spécificités.
écoles du préscolaire dans les douars. Là aussi, on doit reparler des normes car on
ne peut pas faire le même préscolaire partout. On peut avoir les mêmes objectifs
(résultats) mais on le fera différemment selon les lieux : installer une tente caïdale
sur un site pour la maternelle ; sur un autre site, on la tiendra sur une annexe de
la mosquée, ou une ancienne salle de classe… Il faut juste redésigner les lieux et
former des jeunes filles et des femmes du douar aux métiers qu’elles vont exercer
auprès des enfants. L’État, à travers tous les services implantés dans le douar, doit
accepter institutionnellement de déléguer leur gestion au douar, par le biais de
sa communauté d’associations et autres formes d’organisation, et disposer dans
ce contexte des formations et initiations nécessaires pour réussir cette gestion. Il
faudra, notamment, former des femmes qui exercent dans ces différents services.
On aura alors un collectif composé de toutes sortes d’associations actives du douar,
dont les coopératives féminines, et faire émerger des femmes et des jeunes qui
représenteraient effectivement et légitimement le douar au sein de la commission
du genre et de l’égalité des chances au niveau de la commune.
218
4. Entretien avec : Mohamed TOZY : Macro et micro - politique des territoires au Maroc
R : Les 208 Cercles qui existent devraient devenir des agents de développement,
et ces changements sont en cours au niveau du ministère de l’Intérieur. L’idée qu’on
a défendue au niveau de Targa, dans les discussions avec le ministère de l’Intérieur,
est qu’on a 208 territoires spécifiques, qui coïncident relativement à 80 % avec
180 pays agricoles (avec des spécificités au niveau de leur production, leur terroir,
parfois même ethniquement homogène). Il s’agit ainsi de territoires à servir en
éducation (lycées) formation professionnelle, culture, apprentissage de langues...
On s’étonnera toujours de cette logique qui juge les performances uniquement par
la grille des constructions bâties, pas celles des prestations de service fournies ou de
la qualité des soins. Alors, on a dit qu’au lieu d’avoir 7 000 centres d’accouchements
sans électricité, sans assainissement, sans eau et sans médecins, il faut proposer
à l’État, en matière de santé, de faire 208 hôpitaux de proximité avec des salles
d’opération, des laboratoires d’analyses publics ou privés, et trois spécialités par
Cercle. Et comme on a dans chaque province en général entre trois et cinq Cercles,
ladite province couvrira alors un large spectre des spécialités.
En outre, l’État – qui a démantelé 210 des Centres de travaux (CT) et CMD
dans les zones MVD, lesquels étaient des bijoux et les lieux authentiques de
modernisation de l’agriculture – garde toujours la propriété des sites. Le foncier de
ces centres demeure. Il sera ainsi possible de réduire les coûts de la mise en place de
lieux de formation professionnelle au niveau des Cercles. Et pour chaque Cercle,
on a en général un chef-lieu ayant une population d’au moins 10 000 personnes
220
4. Entretien avec : Mohamed TOZY : Macro et micro - politique des territoires au Maroc
En résumé, ces Cercles ayant une situation ambiguë pour le moment peuvent
devenir le point de départ d’un autre déploiement de l’État sur le territoire ; les
chefs de Cercles, dont certains n’ont même pas de sièges aujourd’hui, vont devoir
passer à une autre phase en devenant de véritables agents du développement. On a
d’ailleurs dressé aussi un état de leurs compétences et équipements, pour constater
combien ils sont démunis de moyens. Ces changements sont à leurs balbutiements
au stade actuel. Les chefs de Cercles sont dotés désormais d’une carte très précise
du territoire dont ils ont la charge. Tous les équipements y sont géolocalisés, les
circuits routiers, les points à risque, il s’agit d’une base de données très précise et
très riche en informations à laquelle ils accèdent désormais. Ils ont reçu par ailleurs
une formation pour l’utiliser, gérer et mettre à jour. En face de ce chef de Cercle,
se trouvera l’interface politique qui est l’intercommunalité par la mise en place de
syndicats de communes. Ce sont les communes qui vont décider des budgets, mais
cela nécessitera toujours en termes de moyens une contribution de l’État et des
communes. Le chef de Cercle gagnera ainsi en moyens et en prérogatives. Dans cet
ordre d’idées, on trouvera des solutions à de nombreux problèmes de gestion et de
gouvernance au niveau territorial. Par exemple, il faudra décentraliser complètement
à la charge des Cercles la maintenance des routes et des décharges publiques…
aucun droit de décider sur aucun aspect de leur territoire. Ils n’ont que le moyen
de convaincre les décideurs de coordonner et de négocier entre eux ! Ce ne sont pas
les compétences qui manquent chez les chefs de Cercle, mais surtout l’habitude de
prendre des initiatives, asseoir des engagements au nom de l’État pour prouver sa
présence et sa contribution aux actions nécessaires et, surtout, la compétence de
mener des négociations complexes avec des intervenants aussi compliqués ! Mais,
je suis optimiste parce que, pour certains territoires du pays, cette évolution est une
urgence et qu’elle répond dans l’ensemble à des besoins inévitables.
R : Il n’y a pas de territoire s’il n’y a pas d’informations sur les territoires. Il
s’agit d’une nécessité qui a plusieurs natures : sociologique ; économique ; des
ressources de leurs dynamiques données à la fois actualisées et authentiques. Les
intervenants doivent arbitrer et trancher sur des questions qui représentent des
intérêts conflictuels et dans lesquels il faut préserver l’intérêt général du territoire
concerné, lequel n’est pas forcément identique à l’intérêt général au niveau
national. La connaissance de ces éléments permet au décideur d’arbitrer entre
intérêts contradictoires et faire face aux prédateurs toujours et partout présents.
Cela permet également et, surtout, d’orienter correctement les politiques
publiques. Pour expliquer cela, l’exemple du fonds national de réduction des
disparités territoriales du ministère de l’Agriculture est intéressant. Il existe
et exerce depuis plus de cinq ans, avec une commission représentant tous les
départements du gouvernement et qui est doté de 58 millions de dirhams, montant
plutôt raisonnable, destiné à répondre aux besoins des communes concernant les
cinq services de base (eau, électricité, mobilité, santé, éducation). Au départ, il
n’avait aucune connaissance du territoire pour arbitrer les demandes des élus. On
pouvait être devant une situation où une commune demande une route alors
qu’elle n’a pas d’accès à l’eau potable ; la demande est présentée juste parce que
l’intérêt de quelques élus s’y trouve ! Actuellement, la commission nationale et
les commissions régionales de ce fonds sont désormais en possession d’un outil
simple d’arbitrage qui leur permet de juger et décider de l’option à prendre
concernant l’admissibilité des demandes de crédit des communes. Il s’agit d’une
enquête annuelle de terrain qui offre à la commission un classement national des
222
4. Entretien avec : Mohamed TOZY : Macro et micro - politique des territoires au Maroc
communes par rapport aux services de base. Il y a désormais un scoring que les
projets sont censés améliorer. À titre d’exemple, la Région la moins couverte en
eau potable au Maroc est celle de Rabat-Salé-Zemmour, et la plus couverte est
celle du Souss ! Et cela impose aux communes de Rabat de rattraper le retard
énorme en eau potable pour améliorer son score dans cette enquête annuelle.
3P artie
3e partie L
ES ENJEUX OPÉRATIONNELS DE L’INFORMATION
TERRITORIALE
Données, intelligence
territoriale et
développement au Maroc
par Taoufik BENKARAACHE
Economia-HEM, Research Center
Résumé
A
fin de comprendre les dynamiques territoriales, les
acteurs du développement ont besoin de mobiliser
toutes les connaissances et compétences disponibles
en vue d’élaborer des systèmes d’information territoriaux à même
d’alimenter leur processus d’intelligence territoriale. La multiplicité
des données à considérer et la complexité interacteurs territoriaux
exigent le déploiement d’outils adaptés pour profiter des opportunités
offertes par les nouvelles formes de données et maîtriser les
nouveaux risques informationnels. La première partie de ce travail
présente les principaux éléments théoriques issus de la littérature
pour décrire comment on peut enrichir la connaissance territoriale
à partir de données publiques (Open Data) et de données massives
(Big Data) à vocation publique, dans une démarche d’intelligence
territoriale mobilisant un système d’information territorial adapté.
La seconde partie analyse, à la lumière des enseignements
théoriques et des rapports, publications et portails d’informations,
l’état des systèmes nationaux et régionaux d’information au Maroc,
leur coordination et coopération nécessaires, pour créer une
intelligence informationnelle collective à même de répondre aux
attentes du développement régional et national.
228
1. Données, intelligence territoriale et développement au Maroc
Introduction
Les transformations des sociétés mondialisées et leurs effets sur les
territoires et l’environnement interpellent les décideurs de l’aménagement et du
développement afin de comprendre l’état et les dynamiques de leurs champs de
compétences. Avec le mouvement irréversible d’innovation qui est en constante
évolution, le territoire se doit de réussir rapidement sa transition vers un
« territoire intelligent » dont l’ambition est portée par des enjeux d’inclusion,
de durabilité, de résilience et d’attractivité. L’ère de la digitalisation ouvre une
vraie fenêtre d’opportunité pour les acteurs locaux, basée sur la mutualisation
et l’interopérabilité des informations territoriales pour la dynamisation du tissu
socioéconomique local.
Le rapport publié par la Banque mondiale en 20211 illustre bien les possibilités
illimitées offertes par les données pour créer de la valeur en améliorant les
programmes et les politiques de développement. Cependant, leur accumulation
peut entraîner une concentration du pouvoir économique et politique, et accroître
le risque d’une utilisation déréglée.
anque mondiale (2021). Le développement dans le monde 2021 : des données au service d’une vie meilleure.
1. B
Le Maroc, après avoir opté pour une régionalisation avancée, a défini les
grands axes de son modèle de développement au moment où il subit, au même
titre que le reste du Monde, des transformations technologiques et numériques
synonymes de nouveaux défis, dans un contexte de perturbations et d’incertitudes.
Les acteurs du développement sont amenés à réfléchir sur un modèle d’intelligence
informationnelle collective dans une perspective d’intelligence territoriale pour
servir le développement territorial et donc national. L’efficacité du système national
de l’information statistique, l’ouverture des données et statistiques publiques
(Open Data), l’intégration des données massives (Big Data) et la maturité des
systèmes d’information territoriaux sont autant de sujets qui interpellent les
parties prenantes au développement tant au niveau national que territorial.
Afin d’analyser les éléments susceptibles de nous éclairer sur ces questions de
recherche-action, nous prenons appui d’abord sur l’impact de la transformation
technologique et numérique sur la multiplication des données afin d’expliquer
pourquoi les systèmes d’informations territoriaux « classiques » ne peuvent plus
répondre aux exigences des nouvelles formes d’intelligence territoriale, et qu’il
est donc nécessaire de concevoir une nouvelle approche pour l’organisation et la
gouvernance des données. Nous analysons ensuite la maturité de l’intelligence
informationnelle des acteurs du développement au Maroc à l’ère de l’Open Data
et du Big Data, en particulier la question de la collaboration public-public et
public-privé en matière d’information, à la lumière non seulement des objectifs
initiés par la mise en place de la régionalisation avancée, mais aussi des ambitions
actuelles du nouveau modèle de développement.
230
1. Données, intelligence territoriale et développement au Maroc
2. R
encontre de l’Open Governement Group à Sébastopol (Californie, 2007) ayant pour objectif de définir
le concept de données publiques ouvertes.
L’exemple des données géographiques est édifiant car elles sont portées
par plusieurs évolutions majeures dans le domaine de la cartographie, comme
l’émergence d’acteurs privés et la multiplication des terminaux mobiles GPS. Les
données géographiques ne sont plus uniquement issues de sources institutionnelles
puisque, au-delà des entreprises, tout individu peut créer et réutiliser de la donnée
géographique dans le cadre d’un système de stockage libre qui leur accorde une
utilité et une visibilité de plus en plus remarquées. La rencontre entre données
3. S
elon la Sunlight Foundation, organisation nationale et non partisane à but non lucratif qui plaide pour
un gouvernement ouvert. Depuis septembre 2020, la Sunlight Foundation n’est plus active.
orld Wide Web Foundation. (2017, mai). L’Open Data Barometer. [En ligne] : http://opendatabarometer.
4. W
org/doc/4thEdition/ODB-4thEdition-GlobalReport-FR.pdf
232
1. Données, intelligence territoriale et développement au Maroc
Les données massives (Big Data), appelées aussi mégadonnées (Nations Unies)
- qualifiées d’avalanche de données (Miller, 2010), de déluge (Hu et al., 2014)
ou encore de déferlante de données (Berthoud et al., 2015) - correspondent à
l’arrivée inattendue de grands volumes de données souvent non structurées et en
temps réel. L’évolution de la puissance de calcul des processeurs prédite par la loi
de Moore depuis les années 60, la vulgarisation des TIC et la démocratisation
croissante des objets connectés sont les moteurs de cette « explosion des données ».
Les Big Data sont souvent caractérisées par les « 3V », initiales de « volume »,
« variété » (hétérogénéité des données) et « vélocité » (données éphémères,
fréquence d’actualisation élevée), augmentées au fil du temps par de nouveaux
« V », pour « valeur » (la valeur contenue dans les données), « véracité » (qualité et
fiabilité des sources), etc. Néanmoins, ce portrait ne prend pas en compte le rôle
des capacités (technologiques et humaines), qui « donnent vie » à ces données.
Il est donc important de mettre les Big Data dans leur contexte économique et
politique. On évoque alors, en parallèle des 3V, les « 3C »5 pour désigner « crumbs »
Les travaux de recherche sur l’intégration des Big Data dans les prévisions
économiques sont nombreuses (Bortoli et al., (2018) ; Ollion et Boelaert,
2015 ; etc.). Bortoli et al. (2018) présente par exemple une étude intéressante
sur l’utilisation des Big Data dans la prévision de la croissance du PIB à partir
6. https://unstats.un.org/unsd/undataforum
7. ONU (2021). Les Big Data au service du développement.
acundo A., Schmukler S., Tessada J. (2019). Using Big Data to Expand Financial Services: Benefits and Risks.
8. F
World bank.
rganisation mondiale du Tourisme (UNWTO) (2022). Un Data Lab de l’OMT et de la CET pour propulser
9. O
le tourisme européen.
234
1. Données, intelligence territoriale et développement au Maroc
Ces nombreuses opportunités offertes par l’exploitation des Big Data à des fins
décisionnelles interrogent les systèmes d’information territoriaux conventionnels
sur leur capacité à restituer une connaissance territoriale à la hauteur des ambitions
et exigences du développement et de la société du savoir.
236
1. Données, intelligence territoriale et développement au Maroc
territoriale (Marcon et Moinet, 2011), l’IT peut relever d’une logique « bottom-
up » où le territoire est responsable de son propre développement. À l’image de
l’organisation apprenante qui est capable d’apprendre d’elle-même et de ses actions,
le territoire apprenant repose sur l’apprentissage collectif (Pelissier, 2009). Il appelle
à la coopération des acteurs dans une organisation en réseaux et la mobilisation des
savoirs et compétences dans le cadre d’un projet partagé (Bier, 2010). L’IT tente
alors de diffuser les éléments d’anticipation des opportunités, risques et ruptures
qui peuvent affecter le territoire, pour développer une culture fondée sur la collecte
et la mutualisation des signaux et informations (Herbaux, 2004).
238
1. Données, intelligence territoriale et développement au Maroc
ses positions. Jaïdi (2018) souligne que « le HCP peine à convaincre les décideurs
politiques, économiques et sociaux de la pertinence des informations produites par
ses soins et de l’interprétation de certains indicateurs ». Le HCP n’a pas manqué,
lors de la présentation de son programme d’activité 2022-2025 en juillet 2022,
de revenir sur les réticences gouvernementales récurrentes à propos du HCP. Par
ailleurs, on relève également une grande dispersion des sources d’information
statistique et une faible coordination entre les différents producteurs et utilisateurs
des statistiques publiques, ce qui confirme le climat défavorable pour créer une
intelligence informationnelle nationale capable de servir le développement
avec sérénité. Lafrem (2022) montre, à travers un travail de recherche sur les
systèmes de veille des organismes publics producteurs d’information, une absence
de coordination et de vision stratégique. Une diversité de producteurs et des
méthodologies et logiques non harmonisés finit par engendrer le problème de
l’interopérabilité et de la comparabilité des statistiques et indicateurs.
240
1. Données, intelligence territoriale et développement au Maroc
La question de l’ouverture
des données publiques au Maroc
10. h
ttp://www.lavieeco.com/news/maroc/politique/acces-a-linformation-plus-quun-simple-texte-de-loi.html
11. E
SCWA : Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale en charge de la
supervision et du suivi de la mise en œuvre du chantier de l’Open Data.
242
1. Données, intelligence territoriale et développement au Maroc
Figure 1: Analyse des Big Data : ratio des mots positifs des commentaires de l’offre touristique
web de Marrakech et Agadir relativement au total des mots positifs et négatifs en 2019
98% 97 %
96%
94% 94 %
92 % 92 %
92%
90% 90 % 89 %
88%
86%
84%
lie nce ni ne gne c
Ita Fra e-U mag Espa Maro
yau
m Alle
Ro
Secteur privé
Média
Secteur public
Universités Plateforme d’investissement
Jeunes
La figure 2 illustre comment l’analyse des données textuelles issues des sites
d’emploi permettent de relever le faible niveau d’échange d’information entre
les universités et le secteur privé, ou encore que les jeunes reçoivent très peu
d’informations sur le marché de travail de la part des autres parties prenantes, etc.
Les visualisations des Big Data permettent alors d’extraire des informations qui
étaient jusque-là impossible à remonter.
244
1. Données, intelligence territoriale et développement au Maroc
axe concerne la digitalisation des services de l’État qui permettrait de générer des
données utiles sur les pratiques administratives et dynamiques interacteurs en vue
de leur amélioration.
246
1. Données, intelligence territoriale et développement au Maroc
Conclusion
Tout au long de cette contribution, nous avons essayé de mettre en évidence
l’importance de reconsidérer la place des données dans les systèmes décisionnels,
tant au niveau territorial que national, en tenant compte des évolutions actuelles,
tant technologiques, organisationnelles que réglementaires. En particulier, les
territoires sont plus que jamais interpelés par de nouvelles formes d’intelligence
territoriale, capables d’appréhender toutes les données territoriales pour une
meilleure compréhension de leurs environnements. Deux formes d’intelligence
territoriales ont été confrontées : la première, descendante, sous forme de
déclinaison d’une politique nationale d’intelligence économique au niveau
régional et qui consiste à irriguer les systèmes d’information territoriaux à
partir d’un système d’information nationale ; la seconde, ascendante, basée
sur une intelligence collective locale et un système de veille territorial partagé
qui alimente les acteurs de développement territorial et national. Il apparaît
alors que l’une comme l’autre rencontrent des difficultés d’ordre technique,
organisationnel et interinstitutionnel. Le manque de vision partagée et approuvée
par toutes les parties prenantes sur la production, le partage et la gouvernance des
données territoriales entrave la mise en place des programmes et politiques de
développement. La question qui se pose aujourd’hui dépasse de loin les objectifs
initialement fixés (jamais atteints) par la régionalisation avancée visant la mise
en place des systèmes d’information territoriaux. Le défi actuel qui se conjugue
tant au niveau national que territorial, réside dans la question de l’intégration
des nouvelles possibilités offertes, d’une part, par les données publiques
structurées, non partagées et, d’autre part, au travers des opportunités offertes
par les données massives non structurées, créées par tous les acteurs territoriaux
et qui échappent encore à l’intelligence territoriale collective. La mise en place de
certaines recommandations du nouveau modèle de développement, relatives au
développement de plateformes numériques territoriales et la mise à jour du cadre
légal et institutionnel pour assurer la confiance et la souveraineté numériques,
devraient être les premiers chantiers prioritaires pour la valorisation de toutes les
formes de données territoriales utiles au développement
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248
1. Données, intelligence territoriale et développement au Maroc
Géographie de
l’investissement
public au Maroc
par Oumaima ER-REYYAHY 1, Hajar FANCHY 2,
Yasser Y. TAMSAMANI 3
1. Doctorante à MAEPP-Université Hassan II et chargée d’études au
ministère de l’Aménagement du territoire national, de l’Urbanisme,
de l’Habitat et de la Politique de la Ville
2. Doctorante à PEL-Université Hassan II et
chargée d’analyse au Haut-Commissariat au Plan
3. Chercheur affilié au Laboratoire de Modélisation et Analyse
Economiques des Politiques Publiques (MAEPP), FSJES - Ain Chock,
Université Hassan II, Casablanca
Résumé
L
’objectif principal de cet article est d’établir une
cartographie de l’investissement public au Maroc et
d’identifier les faits stylisés relatifs à sa distribution spatiale
et par département ministériel, sur la base d’un travail fouillé et
inédit des données couvrant la période 2012-2021. Il en ressort que
l’investissement public en niveau et par tête est concentré dans les
deux plus grandes Régions du Royaume. Cependant, en matière de
dynamique, ce sont les trois Régions les moins loties qui enregistrent
les taux de croissance les plus élevés débouchant à terme, si une
telle dynamique est maintenue, sur une convergence interrégionale
des taux d’investissement public. Cette concentration se double par
une domination des fonds alloués à l’investissement au profit de deux
départements : l’Équipement et Transport d’une part et l’Agriculture
d’autre part.
252
2. Géographie de l ’ investissement public au Maroc
Dans un travail de synthèse, Adelman (2001) insiste sur le fait que les trajectoires
du développement et l’efficacité des mesures et choix pris dépendent des conditions
initiales spatio-temporelles des pays ou régions qui les mettent en place. Ces
conditions initiales, selon elle, renvoient à une multitude de facteurs économiques,
sociaux, culturels, institutionnels, ethniques et naturels dont la combinaison donne
autant de cas particuliers qu’il y a de territoires et de regroupements humains.
Chaque territoire génère sa propre expérience en se rapportant à l’histoire qui est la
sienne et trace la trajectoire de son évolution en phase avec les aspirations et attentes
de sa population (Adelman, 1958 ; Morris et Adelman, 1988).
Dans ce contexte, l’action publique est reliée d’une manière ou d’une autre
à un territoire et son efficacité en dépend. Elle peut être conçue soit pour le
transformer et, dans ce cas, elle se situe en amont de son processus d’émergence,
soit pour accompagner son dynamisme déjà enclenché. Dans un cas, elle aura pour
finalité de rendre attractif un territoire donné en attirant vers lui des personnes
et des entreprises ; dans l’autre, elle sera la conséquence d’une maturité propre
(endogène) du territoire en question, et l’objectif de l’action publique sera alors
de faciliter son expansion et de confirmer son positionnement. Dans les deux
cas, c’est de la rencontre des conditions territoriales et de la politique publique
adaptée que cette dernière peut produire les effets escomptés à l’échelle locale et,
par ricochet, sur le plan national.
répartit souvent d’une manière inégalitaire entre les territoires et y prend des
dynamiques différenciées. Cette distribution territoriale inégale, confrontée
aux caractéristiques des lieux lors de sa mise en place, constituerait un facteur
explicatif de sa plus ou moins efficacité en termes de son effet d’entraînement sur
l’investissement privé et de sa capacité à créer de l’emploi et de la richesse.
1. L
es données recueillies sur l’investissement public ne permettent pas de porter l’observation à
un niveau plus fin que la région. C’est une limite car à ce niveau de désagrégation une partie des
spécificités locales nous échappent, d’autant plus que les frontières entre les régions ont été tracées
en réponse à des exigences administratives et non sur la base de leur homogénéité interne. Cela dit,
la région peut représenter une unité d’observation pertinente à partir du moment où la démarche est
comparative. Si l’hétérogénéité interne des régions est de mise, l’homogénéité de leur composition
rend possible la comparaison de la distribution spatiale de l’investissement public. En effet, chaque
région est composée plus ou moins du centre et de la périphérie, d’une ou plusieurs métropoles et de
petites agglomérations, ainsi que de l’urbain et du rural.
254
2. Géographie de l ’ investissement public au Maroc
finalement sur une faible efficacité et un effet limité sur la convergence spatiale.
En revanche, l’article n’a pas pour objectif d’identifier des liens de causalité
en vue d’analyser et de comprendre le comportement du ciblage territorial de
l’investissement public. Ceci fera l’objet d’un travail ultérieur.
S’agissant des données mobilisées pour ce travail, force est de constater que
plus on souhaite aller dans le détail, plus l’information se fait rare et disparate.
Notre base de données a été d’abord construite en compilant manuellement les
informations sur la répartition territoriale de l’investissement public contenues
dans les rapports qui accompagnent les projets de Loi de finances couvrant la
période entre 2012 à 2021 et les budgets ventilés par composantes. Ensuite,
l’investissement public régional est réparti par département ministériel en termes
de budget général pour la période allant de 2016 à 2021. L’harmonisation de ces
données a été effectuée en recourant à la technique de calage pour assurer une
correspondance entre les informations réparties sur l’espace et ce qui est observé
à l’échelle nationale. Le changement du découpage administratif des régions en
2015 a nécessité également un travail d’harmonisation. Les données relatives au
PIB et à la population par région proviennent des annuaires statistiques annuels
du Haut-Commissariat au Plan (HCP). Elles couvrent la période entre 2012 et
2019 pour la première variable et entre 2014 et 2020 pour la deuxième.
En outre, il fallait déflater toutes les séries construites pour pouvoir neutraliser
l’effet prix et travailler sur les variables en volume. Pour cela, nous avons eu recours
à l’Indice de prix à la consommation (IPC) par ville publié par le HCP comme
proxy de l’indice régional en faisant l’hypothèse que le comportement des prix au
niveau d’une région serait dominé par celui de sa plus grande ville.
Le reste de l’article est scindé en trois parties : la première partie est dédiée
à l’examen de la répartition régionale de l’investissement public au Maroc ; la
deuxième partie est consacrée à son analyse départementale, et la troisième partie
interroge la logique sous-jacente au ciblage spatial de cet investissement qui lui
assure une meilleure intégration/appropriation au sein du territoire.
2. L
e taux annuel moyen de la FBCF (Formation brute de capital fixe, aussi appelée « investissement »)
pour la décennie 2010 était bien de 32 %. Il est composé de l’investissement (30 %) et de la variation
des stocks (2 %).
3. T
ous les chiffres sur l’investissement se rapportent aux montants programmés qu’il ne faut pas
confondre avec ceux réellement engagés. Plus loin, nous comparons les réalisations avec ce qui
a été programmé, mais uniquement pour les investissements des administrations centrales et des
collectivités territoriales et seulement au niveau agrégé, faute de disponibilité des données exhaustives.
4. C
et investissement en termes de budget de l’État se décompose également en investissement du
Trésor, des SIGMA et des comptes spéciaux.
256
2. Géographie de l ’ investissement public au Maroc
5000
20 %
En Dh et / tête
4000
En % du PIB
15 %
3000
10 %
2000
1000 5%
0 0%
2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019
70 %
60 %
50 %
40 %
30 %
20 %
10 %
0%
2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019
Les trois Régions les moins loties sont celles aussi qui drainent le moins
d’investissement public au sens large par rapport à leurs capacités productives
(Graphique 3)5. En effet, l’investissement en pourcentage du PIB par Région
5. L
es observations au niveau des Régions de Dakhla-Oued Eddahab (DOE), Guelmim-Oued Noun (GON)
et Laâyoune-Sakia El Hamra (LSH) ne sont pas systématiquement commentées car elles présentent
des comportements de l’investissement public total et par composantes relativement instables avec
des points aberrants au niveau de leur taux croissance annuel. Cela rend difficile la tâche d’en déduire
des faits stylisés.
258
2. Géographie de l ’ investissement public au Maroc
Graphique 3 : Classement des Régions selon le taux d’investissement public moyen par
Région et par composantes pour la période entre 2012 et 2019
260
2. Géographie de l ’ investissement public au Maroc
Note de lecture : la variable en abscisse (Y) représente l’investissement public et celle en ordonnée (WY)
son décalage spatial. Ce qui divise le plan en quatre quadrants selon la valeur d’auto-
corrélation spatiale. Elle est positive dans les quadrants I et III et négative pour II et IV.
e Gallo (2000) définit l’auto-corrélation spatiale « comme la corrélation, positive ou négative, d’une
6. L
variable avec elle-même provenant de la disposition géographique des données ».
262
2. Géographie de l ’ investissement public au Maroc
Pour conclure cette section, il convient de noter que toutes les données relatives
à l’investissement public au sens large et celui de ses composantes présentées et
analysées jusque-là sont des programmations. Ce qui est effectivement réalisé est
en deçà des prévisions. Les données désagrégées (par composante et par région)
sur les réalisations ne sont pas disponibles. Seul l’écart au niveau agrégé de
l’investissement public est publié. Il est en moyenne de l’ordre de 2 points de
pourcentage sur toute la période de l’étude. Le taux d’investissement public prévu
a été de 7,63 % contre un taux de 5,66 % pour ce qui a été réalisé sur le terrain
(Graphique 6).
Dans la suite de cette section, l’accent sera mis uniquement sur l’investissement
public en termes de budget général de l’État (investissement public de l’État central)
et ne couvre que la période entre 2016 et 2021 à cause de la non-disponibilité
des données historiques et détaillées par strate administrative. Néanmoins, cette
composante représente la plus grande part de l’investissement public (68,16 %),
bien qu’elle n’inclue ni les dépenses d’investissement des SIGMA et des comptes
spéciaux du Trésor, ni celles des collectivités territoriales.
264
2. Géographie de l ’ investissement public au Maroc
Part de l’investissement public par département dans l’investissement public national global
en termes de budget général 2016-2021
80,00% 2016
2017
2018
60,00%
2019
2020
40,00% 2021
part moyenne 2016-2021
20,00%
0,00%
Agriculture Environnement Eau Équipement et Santé Autres
et développement transports
durable
CS 20,66 % FM 21,49 %
LO 16,19 % SM 12,53 %
266
2. Géographie de l ’ investissement public au Maroc
Mis à part ces deux secteurs budgétivores, les autres postes qui occupent
une place importante dans la répartition par département des fonds publics
d’investissement au niveau des Régions sont l’eau dans les Régions de DT (22 %
du total des investissements de l’État central programmés pour la Région) et de
GON (16 %), l’éducation dans la Région BMK (12 %), la santé dans les Régions
de RSK (20 %) et de LSH (23 %), et l’environnement dans la Région SM (10 %)
et les Régions de BMK, de GON, de LO et de MS à hauteur de 9 %.
100,00%
TTA
2016
75,00%
2017
2018
2019
50,00% 2020
2021
poids moyen 2016-2021
25,00%
0,00%
Agriculture Eau Environnement Équipement et Jeunesse et Autres
et développement transports sports
durable
80,00%
RSK
2016
2017
60,00%
2018
2019
2020
40,00% 2021
poids moyen 2016-2021
20,00%
0,00%
rab em nt
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100,00%
CS
2016
2017
75,00% 2018
2019
2020
50,00% 2021
poids moyen 2016-2021
25,00%
0,00%
268
2. Géographie de l ’ investissement public au Maroc
60,00%
50,00%
FM
2016
2017
40,00% 2018
2019
30,00% 2020
2021
20,00% poids moyen 2016-2021
10,00%
0,00%
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2016
60,00% 2017
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2020
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poids moyen 2016-2021
20,00%
0,00%
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80,00%
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2016
2017
60,00%
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2019
2020
40,00% 2021
poids moyen 2016-2021
20,00%
0,00%
Éducation Environnement et Équipement et
Agriculture Nationale développement durable transports Urbanisme Autres
60,00%
50,00%
SM
2016
2017
40,00% 2018
2019
30,00% 2020
2021
20,00% poids moyen 2016-2021
10,00%
0,00%
Agriculture Eau Éducation Environnement Équipement Santé Autres
Nationale et développement et transports
durable
100,00% LO
2016
2017
75,00% 2018
2019
2020
50,00% 2021
poids moyen 2016-2021
25,00%
0,00%
Agriculture Eau Environnement Équipement Santé Urbanisme Autres
et développement et transports
durable
80,00%
LSH
2016
2017
60,00% 2018
2019
2020
40,00% 2021
poids moyen 2016-2021
20,00%
0,00%
Environnement et Équipement
Agriculture développement durable et transports Santé Autres
270
2. Géographie de l ’ investissement public au Maroc
60,00%
50,00%
DT
2016
2017
40,00% 2018
2019
30,00% 2020
2021
20,00% poids moyen 2016-2021
10,00%
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100,00% GON
2016
2017
75,00% 2018
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2020
50,00% 2021
poids moyen 2016-2021
25,00%
0,00%
s
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Sa
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Ur
Ag
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100,00%
DOE
2016
2017
75,00% 2018
2019
2020
50,00% 2021
poids moyen 2016-2021
25,00%
0,00%
Équipement Industrie, commerce et
Agriculture Autres
et transports économie numérique
Cet effet qu’on appelle « effet structurel » dans l’analyse shift-share est obtenu
en appliquant la dynamique nationale observée de l’investissement public par
département ministériel à celui au niveau de chaque région cette fois-ci, en
corrigeant par la composition départementale de chaque région (Tableau 2).
Cet effet correspond alors à son évolution théorique au niveau de la région.
En soustrayant de cette dernière la dynamique nationale réellement observée
pondérée par la structure de la région, nous obtenons l’effet propre à la région.
Ce dernier résume un ensemble de phénomènes complexes relatifs aux conditions
du territoire (externalités, dotations, histoire, système de valeurs local, etc.).
272
2. Géographie de l ’ investissement public au Maroc
Effet résiduel
Effet structurel Taux observé
(régional)
Effet résiduel
-0,20 1 0,98
(régional)
8. Il importe de rappeler que tous les résultats dans cet article ne relèvent que de la statistique descriptive
mobilisée pour établir des faits stylisés et ils ne doivent absolument pas être interprétés comme étant
des liens de causalité. L’identification de ces derniers fera l’objet d’un travail ultérieur qui s’appuiera
bien évidement sur lesdits faits stylisés.
274
2. Géographie de l ’ investissement public au Maroc
III. C
onclusion : quelle approche
du ciblage territorial de
l’investissement public faudrait-
il adopter : top-down versus
bottom-up ?
La nouvelle économie géographique, autant que l’histoire des faits, nous
indiquent que la prospérité ou non d’un territoire est le résultat d’un processus
complexe de convergence, de divergence, de confrontations, de chevauchements,
de ruptures et de complémentarités entre des facteurs internes propres au territoire
et avec son environnement extérieur. Ce processus est soit convergent, porté par
le phénomène d’agglomération ; soit divergent, caractérisé par la dispersion des
activités et de la population.
National 0,37
276
2. Géographie de l ’ investissement public au Maroc
Il ne s’agit pas de réfuter tout lien entre les infrastructures et les territoires,
mais il faut juste se rendre à l’évidence que le développement des territoires est
le produit de la combinaison d’une multitude de facteurs qu’il faut intégrer au
moment de la conception d’un nouveau projet structurant. Et, parmi ces facteurs,
il y a l’usage que les locaux en font. La mobilité par exemple comme besoin
du territoire est indéniable mais rien ne plaide pour que sa satisfaction soit
uniforme et que le même type de route ou de moyen de transport soit généralisé
sur tous les territoires. De même, rien ne justifie que les besoins des territoires
ou à quoi ils accordent de l’importance se distribuent également d’une manière
uniforme. Moralité, l’inclusion des territoires, de leurs trajectoires historiques
et des spécificités de leurs besoins représentent une condition nécessaire, mais
non insuffisante, car d’autres facteurs sont également en jeu, d’efficacité des
investissements publics et de réussite des projets d’infrastructure.
leur localisation. Sur la base de quels critères ces projets sont-ils hiérarchisés ?
Quel degré de coordination entre les différentes échelles de l’État est requis pour
l’orientation spatiale de l’investissement public structurant ? Les aspirations des
riverains de ces projets d’infrastructure, qu’ils soient bénéficiaires ou non, sont-
elles intégrées dans ce processus de classification de projets au niveau central ? Et
jusqu’à quel point ? À notre connaissance, aucun document officiel en mesure de
nous éclairer sur ces questions n’est rendu public.
Nous avons peut-être ici l’une des pistes d’analyse pour comprendre les
contreperformances à l’échelle macroéconomique de l’investissement public et,
en particulier, celui en infrastructure. Pour y remédier, il est peut-être urgent de
faire converger le processus qui débouche sur la hiérarchisation et la conception
des projets structurants vers une approche qui associe davantage les acteurs locaux.
Mais, la réussite de cette approche requiert au préalable une certaine qualité
de gouvernance des territoires et une capacité d’immersion des responsables
politiques et administratifs locaux (Ahrend, Gamper et Schumann, 2014).
L’idée n’est pas de mettre en place une décentralisation à outrance des décisions
autour de l’investissement public, mais de délimiter les contours d’un champ de
négociation et d’action où le central et le local puissent interagir efficacement
en vue d’assurer une meilleure insertion de l’investissement public dans son
278
2. Géographie de l ’ investissement public au Maroc
Il s’agit au fond de trouver l’équilibre entre deux logiques ; l’une tire vers
la localisation de la décision (approche bottom-up), l’autre vers sa centralisation
(approche top-down) dans un mode de gouvernance multi-niveau. La Chine est
un exemple éloquent de ce genre d’imbrication que certains auteurs considèrent
comme l’un des facteurs explicatifs majeurs de la rapide transformation de ses
organisations et ses systèmes (Whittaker, Sturgeon, Okita & Zhu, 2020).
La quête de cet équilibre ressemble à une marche sur une ligne de crête entre
assurer l’efficacité des projets publics en allant de plus en plus vers la co-conception
avec les acteurs locaux, voire en décentralisant sous certaines conditions, et la
recherche permanente de moins d’injustice spatiale. Tracer cette ligne d’équilibre
et les conditions de son existence représentent un champ de recherche et
d’analyse économiques peu exploré au Maroc. Un champ qui devrait receler
plein d’enseignements et affiner notre compréhension des contreperformances
à l’échelle agrégée du modèle de développement au Maroc. Les chercheurs
gagneraient à intégrer cette dimension territoriale dans leurs travaux. Cependant,
on est bien conscient que l’ampleur et la dynamique que cela peut prendre sont
tributaires de la capacité de l’appareil statistique national à fournir des bases de
données harmonisées et consolidées
Bibliographie
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University Press.
• Ahrend, R., Gamper, C. and Schumann , A. (2014). The OECD Metropolitan Governance
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• Whittaker, D.H., Sturgeon, T., Okita, T. and Zhu, .T (2020). Compressed Development: time
and timing in economic and social development. Oxford: Oxford University Press.
280
2. Géographie de l ’ investissement public au Maroc
Abréviations Régions
BMK Beni Mellal-Khénifra
CS Casablanca-Settat
DOE Dakhla-Oued Eddahab
DT Drâa-Tafilalet
FM Fès-Meknès
GON Guelmim-Oued Noun
LSH Laâyoune-Sakia El Hamra
LO L’Oriental
RSK Rabat-Salé-Kénitra
SM Souss-Massa
TTA Tanger-Tétouan-Al Hoceima
Résumé
L
es disparités de développement territorial au Maroc
continuent à préoccuper les décideurs publics et
les chercheurs, et reflètent une situation d’injustice
territoriale et un manque d’équité auxquels il faut faire face.
Les rapports nationaux et internationaux sont unanimes à
reconnaître qu’il s’agit en particulier d’un problème de mise
en œuvre des politiques publiques centralisées et plaident en
faveur de politiques de développement localement repensées.
284
3. Étude des appareils productifs régionaux : un outil pour l’identification des déséquilibres territoriaux
I. Introduction
Les rapports nationaux (CCR, 2010 ; HCP, 2019 ; CSMD, 2021)1 mettent
en avant les fortes disparités territoriales entre les Régions du Maroc. Des disparités
en matière de contribution à la création des richesses (en 2019, trois Régions sur
douze ont contribué à près de 60 % du PIB)2, du niveau de vie et des dépenses de
consommation des ménages (3 Régions accaparent 51,5 % du total des dépenses
en 2019), des taux de croissance du PIB régional, etc.
1. C
CR : Commission consultative de la régionalisation ; HCP : Haut-Commissariat au Plan ; CSMD :
Commission spéciale sur le modèle de développement.
2. HHCP (2021, décembre). Note d’information relative aux comptes régionaux de l’année 2019.
3. C
’est ce dernier point qui nous intéresse dans ce travail : évaluer les choix des investissements au
niveau régional.
Toutefois, la mise en place d’un chantier fondé sur les spécificités régionales
nécessite a priori un diagnostic et une compréhension de ces dernières afin
d’appréhender les facteurs agissant sur l’attractivité et la dynamique à l’échelle
régionale. Un tel diagnostic permet ainsi de comprendre la nature et de mesurer
l’intensité, en amont et en aval, des liaisons intra et interrégionales.
À cet effet, l’usage des Tableaux entrées-sorties (TES) conçus sur le plan
régional (MRIO)4 semble être le moyen le plus adéquat d’après la littérature
existante (Wang et al., 2021 ; Roman et al., 2016).
En utilisant un MRIO, Wen et Wang (2019) ont pu identifier les secteurs clés
et les provinces où des politiques doivent être élaborées afin de réduire les émissions
nationales du CO2 en Chine tout en maintenant le même rythme de croissance
économique. De même, pour répondre aux exigences environnementales, Islam
et al. (2021) ont réussi à identifier les secteurs clés permettant d’optimiser l’usage
de l’eau en Australie.
Cependant, l’analyse des travaux existants utilisant les MRIO pour l’étude
des caractéristiques sectorielles des régions révèle, d’une part, la rareté de ces
travaux et, d’autre part, l’étude uniquement de deux ou quelques régions avec
une agrégation des branches (Wang et al., 2021 ; Hasegawa et al., 2015) vu
la complexité croissante des calculs, due aux interdépendances sectorielles et
régionales.
L’objectif de ce travail est d’identifier les régions qui présentent les effets
d’entraînement les plus élevés et les secteurs stratégiques/clés de chaque région
permettant une spécialisation des territoires dans les branches exerçant plus
d’effets d’entraînement sur l’ensemble de l’économie. Une meilleure coordination
et complémentarité entre les régions serait par la suite bénéfique pour l’ensemble.
Elle contribuerait à la réussite de la transition nationale vers un modèle de
développement décentralisé et une croissance économique soutenue et inclusive.
À notre connaissance, aucun travail n’a traité cette question dans le contexte
marocain5.
286
3. Étude des appareils productifs régionaux : un outil pour l’identification des déséquilibres territoriaux
Les réponses à ces questions aideront les décideurs à mieux allouer les
ressources, limitées, disponibles en termes d’investissement public et de donner
des orientations en matière d’investissement privé en tenant compte des spécificités
des régions. In fine, gagner en termes de points de croissance.
288
3. Étude des appareils productifs régionaux : un outil pour l’identification des déséquilibres territoriaux
Une branche d’activité est représentée par une ligne et une colonne :
la colonne pour la branche et la ligne pour les produits caractéris-
tiques des branches. Le Tableau des entrées-sorties interrégional
(MRIO) est une présentation plus détaillée de l’économie que le TES
national. Il donne une mesure des ressources et emplois de chaque
région et les flux intra et interrégionaux permettant de comprendre
la structure des liens spatiaux et interdépendances sectorielles entre
les régions.
Pour chaque région, les données sont détaillées par branche d’acti-
vité. La lecture par ligne indique l’utilisation de la production d’une
branche : pour satisfaire la demande (intermédiaire ou finale) des
unités institutionnelles de la région, des unités de production des
autres régions ou celle de l’étranger (exportations). La lecture par co-
lonne donne pour chaque branche, l’origine de sa consommation in-
termédiaire (intrarégionale, interrégionale ou importée), les impôts
nets sur les produits et la répartition de la valeur ajoutée entre les
différents facteurs de production.
Demande finale
Demandes intermédiaires Exportations Production totale
intérieure
Nord Sud
1 2 3 1 2 3 Nord Sud
1
Nord 2
3
1
Sud 2
3
1
Importations
intermédiaires
2
3
Valeur ajoutée
Production
1.L
a méthodologie préconisée dans ce papier repose sur le modèle input-output de Leontief et de
Ghosh (Miller et Blair, 2009) ; voir les annexes pour plus de détails.
Les données exploitées proviennent des MRIO 2016 élaborés par la Direction des études et des
prévisions financières (DEPF) relevant du ministère de l’Économie et des Finances (MEF).
290
3. Étude des appareils productifs régionaux : un outil pour l’identification des déséquilibres territoriaux
En bas du classement, ce sont les régions du Sud et Drâa Tafilalet qui ont le
moins d’effets d’impulsion sur l’économie.
Quant aux effets en aval (tableau 2), l’analyse agrégée montre que la Région
de Souss-Massa (1,5510) suivie des Régions de Rabat-Salé Kénitra (1,4611) et
Casablanca-Settat (1,4554) se positionnent comme étant les plus entraînantes
en termes de fourniture des inputs nécessaires à l’ensemble de l’économie.
292
3. Étude des appareils productifs régionaux : un outil pour l’identification des déséquilibres territoriaux
De manière générale, l’analyse des effets de liaisons par région révèle qu’à
l’exception de la Région de Souss-Massa, les liens jouent essentiellement dans l’un
des deux sens : en amont ou en aval. La Région de Souss-Massa est la seule qui
maximise les effets combinés. Vu sa forte dynamique, elle est supposée contribuer
significativement à la production nationale. Paradoxalement, elle n’y participe
qu’à raison de 6,39 % (Figure 1). Ce constat (entre autres) affirme l’inefficacité
de l’investissement au Maroc et explique sa faible induction sur la croissance. Une
réorientation des fonds vers les régions et les secteurs les plus dynamiques serait
bénéfique pour stimuler des effets d’entraînements.
• Région de Souss-Massa
294
3. Étude des appareils productifs régionaux : un outil pour l’identification des déséquilibres territoriaux
Amont Aval
production
Part de la
Secteurs
Somme
Somme
Rang
Rang
Rang
Rang
Rang
Rang
Inter
Inter
Intra
Intra
Agriculture, forêt 1,68 2 1,30 2 0,38 3 1,79 4 1,42 6 0,37 6 12,18 %
Pêche, aquaculture 1,24 16 1,13 16 0,11 15 1,72 6 1,14 14 0,59 3 4,23 %
Industrie
d’extraction
1,00 19 1,00 19 0,00 19 3,35 1 2,42 1 0,93 1 0,03 %
Industries
alimentaires et 1,88 1 1,38 1 0,49 1 1,34 12 1,16 11 0,18 12 21,13 %
tabac
Industries du textile
et du cuir
1,60 3 1,13 15 0,46 2 1,49 10 1,06 15 0,43 5 0,04 %
Industrie chimique 1,47 7 1,14 14 0,34 4 2,12 2 1,51 4 0,61 2 0,89 %
Industrie
mécanique
1,40 9 1,17 10 0,23 9 1,43 11 1,16 12 0,27 8 1,28 %
Autres industries 1,40 8 1,17 9 0,24 8 1,77 5 1,33 8 0,44 4 3,27 %
Raffinage de pétrole 1,00 20 1,00 20 0,00 20 1,00 20 1,00 20 0,00 20 0,00 %
Électricité et eau 1,38 10 1,14 13 0,24 7 1,71 7 1,35 7 0,36 7 2,31 %
Bâtiment et travaux
publics
1,48 6 1,19 8 0,28 5 1,06 18 1,05 18 0,01 19 7,59 %
Commerce 1,30 14 1,16 12 0,14 11 1,69 8 1,52 3 0,18 11 8,43 %
Hôtels et
restaurants
1,50 4 1,24 4 0,26 6 1,27 14 1,06 16 0,21 9 8,79 %
Transports 1,31 13 1,20 7 0,11 16 1,28 13 1,16 13 0,12 14 4,57 %
Postes et télécom-
munications
1,34 12 1,20 6 0,14 12 1,23 15 1,18 9 0,05 16 2,47 %
Activités
financières et 1,48 5 1,30 3 0,19 10 1,83 3 1,63 2 0,20 10 3,10 %
assurances
Immobilier
et location
1,21 17 1,12 17 0,09 17 1,61 9 1,48 5 0,13 13 5,53 %
Administration
publique
1,36 11 1,23 5 0,13 13 1,07 17 1,06 17 0,01 17 5,39 %
Éducation, santé
et action sociale
1,11 18 1,07 18 0,05 18 1,04 19 1,03 19 0,01 18 7,73 %
Autres services
non financiers
1,28 15 1,16 11 0,12 14 1,21 16 1,16 10 0,05 15 1,05 %
En considérant l’effet en aval, les calculs montrent que, d’un point de vue
agrégé, l’effet d’entraînement le plus élevé est enregistré par les branches « Industrie
d’extraction », « Industrie chimique et parachimique » et « Activité financière et
assurances », qui ne présentent cependant que 4 % de la production totale de la
région. Ces branches sont aussi les plus entraînantes en termes de liens intra et
interrégionaux, sauf pour la branche « Activité financière et assurances » dont les
effets intra dominent considérablement et remplacent les échanges interrégionaux
impliquant que les unités locales préfèrent s’adresser aux organismes financiers les
plus proches (qui opèrent à l’intérieur de la région).
Comme mentionné précédemment, des calculs ont été effectués pour identifier
les branches clés des régions. Pour la Région Souss Massa, ce sont « l’Agriculture,
forêt et services annexes » et « les Activités financières et assurances ». Ces branches
sont représentées par la lettre K (Key) au niveau de la colonne 46 du tableau
4. Cependant, elles se caractérisent par une faible contribution à la production
totale de la région, soit 12,18 % et 3,10 % respectivement.
296
3. Étude des appareils productifs régionaux : un outil pour l’identification des déséquilibres territoriaux
• Région de Casablanca-Settat
Achats Ventes
production
Part de la
Secteurs
Somme
Somme
Rang
Rang
Rang
Rang
Rang
Rang
Inter
Inter
Intra
Intra
Agriculture,
forêt et services 1,23 15 1,09 16 0,14 10 1,75 5 1,40 4 0,35 5 4,05 %
annexes
Pêche,
1,23 16 1,09 17 0,14 9 1,67 7 1,27 7 0,40 3 0,10 %
aquaculture
Industrie
1,11 19 1,06 19 0,04 17 2,52 1 1,55 3 0,98 1 0,01 %
d’extraction
Industries
alimentaires et 1,83 1 1,31 3 0,52 1 1,32 12 1,11 15 0,21 7 15,62 %
tabac
Industries du
1,59 2 1,36 1 0,23 4 1,40 9 1,21 10 0,19 8 5,13 %
textile et du cuir
Industrie
chimique et 1,47 4 1,14 14 0,33 2 1,30 13 1,14 13 0,15 12 7,74 %
parachimique
Industrie
mécanique, 1,40 8 1,24 6 0,15 8 1,29 14 1,13 14 0,16 10 11,02 %
métallurgique
Autres industries
manufac. hors 1,40 6 1,22 7 0,18 6 1,75 4 1,26 9 0,49 2 8,34 %
raffinage pétrole
298
3. Étude des appareils productifs régionaux : un outil pour l’identification des déséquilibres territoriaux
Achats Ventes
production
Part de la
Secteurs
Somme
Somme
Rang
Rang
Rang
Rang
Rang
Rang
Inter
Inter
Intra
Intra
Raffinage de
pétrole et
1,00 20 1,00 20 0,00 20 1,00 20 1,00 20 0,00 20 8,82 %
autres produits
d’énergie
Électricité et eau 1,39 9 1,17 13 0,22 5 1,76 3 1,39 5 0,37 4 1,30 %
Bâtiment et
1,42 5 1,25 5 0,17 7 1,08 18 1,06 18 0,01 18 4,59 %
travaux publics
Commerce 1,29 11 1,19 11 0,10 13 1,72 6 1,57 2 0,15 11 5,37 %
Hôtels et
1,52 3 1,26 4 0,26 3 1,33 11 1,18 11 0,15 13 0,72 %
restaurants
Transports 1,26 14 1,19 10 0,07 16 1,11 16 1,08 16 0,02 16 3,39 %
Postes et
télécommunica- 1,28 12 1,20 9 0,09 14 1,22 15 1,18 12 0,04 15 1,83 %
tions
Activités
financières et 1,40 7 1,32 2 0,08 15 1,92 2 1,58 1 0,33 6 4,98 %
assurances
Immobilier,
location et
1,17 17 1,14 15 0,03 19 1,49 8 1,33 6 0,16 9 8,87 %
serv. rendus
entreprises
Administration
publique et 1,31 10 1,20 8 0,11 11 1,09 17 1,08 17 0,02 17 3,23 %
sécurité sociale
Éducation, santé
1,12 18 1,08 18 0,04 18 1,03 19 1,02 19 0,01 19 4,06 %
et action sociale
Autres services
1,28 13 1,18 12 0,10 12 1,35 10 1,26 8 0,09 14 0,85 %
non financiers
Effets Part de la
Secteurs Liens en amont Liens en aval
dominants production
Agriculture, forêt et
0,92208802 1,126708588 F 4,05 %
services annexes
Industries alimentaires et
1,104023213 0,89537255 B 15,62 %
tabac
Industries du textile et du
1,151047394 0,978300181 B 5,13 %
cuir
Industrie chimique et
0,965379393 0,922494655 L 7,74 %
parachimique
Industrie mécanique,
1,048502324 0,911266945 B 11,02 %
métallurgique et électrique
Raffinage de pétrole et
0,844600647 0,805842996 L 8,82 %
autres produits d’énergie
300
3. Étude des appareils productifs régionaux : un outil pour l’identification des déséquilibres territoriaux
Effets Part de la
Secteurs Liens en amont Liens en aval
dominants production
Postes et
1,009906122 0,950241186 B 1,83 %
télécommunications
Activités financières et
1,110446905 1,274251937 K 4,98 %
assurances
Immobilier, location et
0,961992709 1,070690707 F 8,87 %
serv. rendus entreprises
Administration publique et
1,010160963 0,86725287 B 3,23 %
sécurité sociale
Conclusion
La combinaison des inégalités spatiales en matière de répartition de
l’investissement public et des choix non optimaux des projets et secteurs
prioritaires risque d’accentuer le retard de développement des régions et creuser
les écarts et les déficits en matière de croissance locale et nationale.
Afin d’aider les décideurs publics dans le choix des meilleures voies
d’investissement et de spécialisation, nous avons fourni des hiérarchisations
détaillées des régions puis des secteurs selon leurs effets de liaisons (en amont, en
aval, agrégés, intra et interrégionaux). Une réorientation des fonds vers les régions
et les secteurs clés permettrait de combler en partie le gap spatial en matière de
développement. Dans le cas contraire, le prix à payer suite au creusement des
inégalités pourrait être lourd, sur les plans économique, social et humain
302
3. Étude des appareils productifs régionaux : un outil pour l’identification des déséquilibres territoriaux
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304
3. Étude des appareils productifs régionaux : un outil pour l’identification des déséquilibres territoriaux
Annexes
Le modèle input-output
Le modèle de base de Leontief est orienté, demande et permet de mesurer les effets directs et
indirects (via l’interdépendance sectorielle) de la variation de la demande finale sur la valeur de
la production totale (et, normalement, si l’on prend en compte l’ouverture des économies), de
l’ensemble des ressources pour satisfaire la demande, y compris les importations (Mourji, 1982). Il
part de l’équilibre emploi-ressource d’un produit par l’équation :
(1)
(2)
(3)
L’élément de la matrice carrée représente la production intérieure de (ou les ressources totales
en) produit i qui est nécessaire directement et indirectement pour satisfaire un niveau donné de
demande finale. Miller et Blair (2009) donnent le nom de « multiplicateurs » aux éléments de cette
matrice.
Le modèle de Ghosh (1958), orienté, offre et vise à déterminer le montant de la production totale
(directe et indirecte) suite à l’extraction d’une ressource primaire d’une valeur équivalente à une
unité monétaire. Ce modèle part de la définition de la production selon l’optique de l’offre :
(4)
Le modèle de Ghosh donne ensuite la matrice des débouchés indiquant le montant en dirhams
du produit vendu aux différentes branches, suite à la production d’une unité monétaire. Ainsi, le
modèle de Ghosh, à la différence du modèle de Leontief, adopte une approche par les ventes de
produits. La matrice des coefficients de livraison C (n x n) est calculée par l’équation :
(5)
L’accent circonflexe indique qu’il s’agit d’une matrice diagonale (dont les termes
significatifs correspondent à la production en produits i = 1 …n). Le modèle de Ghosh suppose
que les coefficients de livraisons restent stables. Après quelques transformations, nous obtenons :
(6)
(7)
(8)
est mesuré par le total en colonne de la matrice L ( ) et est mesuré par le total en ligne de
la matrice .
Le premier indice, appelé « indice d’intégration par les achats », est le rapport entre la variation
unitaire de la production de la branche j et la variation induite de la production de toutes les
branches en amont, suite à une variation de la demande finale adressée à j. Si , la branche j
aura besoin d’accroître sa production fortement, relativement aux autres branches, pour répondre
à un accroissement unitaire de la demande finale en produit j. En d’autres termes, la branche j
aura un effet d’entraînement plus fort sur le système productif, supérieur à la moyenne des autres
branches (et vice versa si ).
Le deuxième indice désigné d’« indice d’intégration par les ventes » est le rapport entre la variation
unitaire de la production de la branche i et la variation induite de la production de toutes les
branches, suite à une variation de leurs inputs primaires en i. Si , la branche i devra accroître
son offre de façon plus importante que les autres branches pour satisfaire les n accroissements
unitaires de la demande finale adressée aux autres branches. Le système productif entraînera dans ce
cas la branche i plus que les autres branches (et vice versa ).
Le classement des branches selon l’un ou l’autre des effets en amont et en aval ne peut renseigner
d’une manière globale sur le degré d’entraînement de ces dernières. Ainsi, une branche j à fort effet
306
3. Étude des appareils productifs régionaux : un outil pour l’identification des déséquilibres territoriaux
de demande exerce un effet d’entraînement sur les autres branches par une plus large utilisation des
produits de ces dernières comme consommations intermédiaires. Pour satisfaire un accroissement
additionnel de la demande qui lui est adressée, une branche donnée doit accroître ses consommations
intermédiaires en produit des autres branches, de ce fait, elle stimule leurs productions. Or, si cette
branche n’a qu’un faible effet par les ventes, elle n’a pas une grande induction (suite à un progrès
technique ou à une baisse des coûts) sur les autres branches, étant donné que celles-ci n’absorbent
pas conséquemment sa production. De ce fait, il est plus significatif de considérer la somme des
deux effets pour faire ressortir la position stratégique. La prise en compte simultanée des deux effets
a conduit Miller et Blair (2009) à classer les branches en quatre catégories.
Encadré A1.
La catégorisation des branches selon
la nature des effets dominants
Résumé
C
e papier tente d’identifier les facteurs qui expliquent la
mobilisation des ressources fiscales locales au Maroc. Pour ce
faire, nous avons utilisé une base de données riche portant sur
1376 communes marocaines de 2005 à 2009. Les résultats montrent
que les recettes fiscales des communes dépendent davantage
des facteurs socio-économiques et démographiques que de la
décentralisation. La mobilisation fiscale locale au Maroc ne dépend
pas seulement d’un système de décentralisation adéquat et avancé,
mais aussi d’autres facteurs tels que la pauvreté, les inégalités ou
l’urbanisation. Ces résultats peuvent éclairer les décideurs pour
concevoir des mesures susceptibles d’améliorer l’efficacité du
système de décentralisation marocain en matière de mobilisation
fiscale afin d’améliorer la gouvernance publique (centrale et locale)
et de permettre aux collectivités locales de disposer de ressources
propres pour subvenir aux besoins de leurs citoyens.
310
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
Introduction
Dans le contexte marocain, bien que la réforme de la « Régionalisation
avancée » ait donné plus d’autonomie aux collectivités locales, ces dernières
sont toujours confrontées à des défis croissants de fournitures d’infrastructures
nécessaires pour faire face à l’augmentation continue de la population urbaine
(Banque mondiale, 2019). En effet, la Banque mondiale (2019) estime que
les communes urbaines marocaines devraient multiplier par cinq leur niveau
d’investissement actuel afin de répondre aux futurs besoins de la population
locale. Ainsi, il est nécessaire que les communes marocaines disposent d’un niveau
de recettes fiscales propres afin de subvenir aux besoins de ces habitants. Les
communes marocaines se voient également confrontées à plusieurs responsabilités1.
Ces dernières rendent le fonctionnement des communes plus difficile ; leurs
ressources propres étant insuffisantes pour satisfaire les besoins de la population.
En effet, elles ne couvrent en moyenne que 54 % des dépenses d’exploitation ;
le reste est composé par la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) transférée par l’État2
(Cour des comptes, 2015). Selon le rapport de l’Organisation de coopération et
de développement économiques (OCDE, 2019), les subventions et transferts
représentaient 63,9 % des revenus des collectivités locales marocaines en 2016
(contre 49 % dans les pays plus centralisés de la zone de l’OCDE).
1. M
ise en place du Plan de développement économique et social (gestion des services publics
communaux, fourniture des principaux services de proximité, etc.).
2. Rapport de la Cour des comptes sur la fiscalité locale, mai 2015.
3. L
es gouvernements locaux doivent générer des revenus à partir de sources locales au même niveau
d’efficacité administrative et économique du gouvernement central.
Ainsi, une bonne mobilisation des ressources locales peut aider les
gouvernements locaux à financer leurs budgets et à fournir des services publics de
base à leurs citoyens. En plus de générer des revenus, la mobilisation des recettes
locales a le potentiel de favoriser la responsabilisation politique et administrative
des élus (Shah, 1998 ; Oates, 1998). Fjeldstad et al. (2014) insistent sur le fait que
les pays africains devraient indispensablement créer un système fiscal transparent
et efficace, avec une quantité d’impôt homogène (à la fois local et central) dans
le but d’avoir un État capable de promouvoir la croissance, la réduction de la
pauvreté, l’inclusion sociale et de réduire plus efficacement la dépendance à l’aide
internationale.
Au regard de tout ce que nous avons présenté ci-dessus, nous procédons dans
ce papier à analyser la relation entre la mobilisation fiscale locale et le niveau
de centralisation au Maroc. L’objectif est de savoir si les recettes fiscales locales
dépendent seulement du niveau de décentralisation ou d’autres facteurs. Pour ce
faire, nous utiliserons une base de données portant sur 1376 communes marocaines
de 2005 à 2009. Les données ont été collectées auprès des deux institutions : le
Haut-Commissariat au Plan (HCP) et la Trésorerie générale du Royaume (TGR).
Le choix des communes a été motivé par le fait que, d’une part, la décentralisation
s’opère au niveau communal dans les pays en développement (Caldeira et Rota-
Graziosi, 2014). De plus, le gouvernement du Maroc a historiquement donné
la priorité à une décentralisation centrée sur les communes (Banque mondiale,
2009). D’autre part, les communes au Maroc sont plus impliquées dans la gestion
locale et mobilisent 79 % des ressources des collectivités locales marocaines (Cour
des comptes, 2015), alors que les régions et provinces/préfectures représentent
respectivement 5 % et 16 % des ressources nationales.
312
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
I. Les déterminants de la
mobilisation fiscale locale
La mobilisation fiscale locale a été largement étudiée dans les pays développés.
Ces études utilisent souvent des données agrégées et macroéconomiques. Compte
tenu du manque de données sur les finances publiques locales, ce type d’étude
concerne rarement les pays en développement. Le degré de décentralisation est
notre variable d’intérêt dans l’analyse de la mobilisation fiscale locale au Maroc.
314
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
centrales, mais aussi pour la mobilisation des ressources des collectivités locales.
Une différence de niveau de richesse entre deux juridictions pourrait ainsi avoir
un impact sur leur niveau de ressources. De plus, l’existence d’une grande frange
de la population à faible revenu constitue un véritable obstacle à la mobilisation
fiscale. En effet, la pauvreté est synonyme de revenu inférieur entraînant une
diminution du montant des impôts et même des difficultés à supporter la taxation
(Chambas, 2010).
Quant aux inégalités, elles peuvent également avoir un effet négatif sur
la mobilisation des ressources fiscales locales. Selon Bird (2011), dans une
collectivité très inégalitaire, une grande partie des contribuables considère la
distribution des revenus comme injuste. Dans ce cas, la pression fiscale croissante
ne peut être perçue comme légitime par la population que lorsqu’elle est liée à des
dépenses publiques efficaces et égales entraînant une amélioration du bien-être et
une réduction de la pauvreté. Par ailleurs, les couches aisées échappent à l’impôt
du fait de la complaisance des États.
ressources publiques. Le deuxième groupe d’auteurs a montré que dans les pays
démocratiques très inégalitaires, les gouvernements ont tendance à augmenter
les impôts sur les riches et à augmenter les dépenses publiques afin de réduire les
inégalités. De facto, les ressources fiscales vont augmenter.
Pour ce qui est de l’impact des facteurs démographiques sur la fiscalité locale,
d’autres variables telles que l’urbanisation et la taille de la juridiction peuvent
jouer un rôle important dans la mobilisation fiscale. En effet, les personnes les plus
pauvres, provenant principalement des zones rurales, migrent vers la périphérie des
grandes villes pour trouver un emploi et ainsi échapper à la dégradation de leurs
conditions de vie. En conséquence, les collectivités urbaines peuvent bénéficier
d’un potentiel plus élevé de ressources locales et de meilleures infrastructures
administratives pour mobiliser les ressources (Chambas, 2010). De facto, l’auteur
a constaté que les grandes agglomérations urbaines mobilisent principalement les
impôts locaux et centraux. Ainsi, les ressources locales sont fortement concentrées
dans les plus grandes agglomérations urbaines. Ces dernières se caractérisent par
une activité économique dense à forte valeur ajoutée, facilitant la collecte des
recettes locales.
316
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
12
62 13
72
188
32
1211
Par ailleurs, il existe des services extérieurs définis par le Décret du 20 octobre
1993 relatif à la déconcentration administrative. La majorité des ministères et
départements gouvernementaux ont des bureaux extérieurs généralement situés
dans chaque province ou préfecture pour assurer la déconcentration administrative.
À titre d’exemple, les délégations provinciales de la santé qui relèvent du ministère
de la Santé ou les AREF (Académie régionale de l’Éducation et de la Formation)
qui relèvent du ministère de l’Éducation nationale.
318
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
320
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
322
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
5. N
ous nous sommes trouvés en difficulté pour fusionner ces bases dans la mesure où les communes
n’avaient pas les mêmes identifiants. Un travail important a alors été fait pour établir une clé de passage
qui nous a permis de fusionner les trois bases de données.
6. P
our avoir une idée sur les effets des élections sur le budget (recettes et dépenses) des communes ainsi
que sur leurs comportements stratégiques, voir Zine El Alaoui (2017) et ElKhdari et al. (2021).
Aux fins de notre analyse, nous avons réparti les recettes des communes en
six catégories distinctes. La première concerne les « taxes locales7 ». Ces taxes sont
gérées et collectées par la commune qui détermine la base et le taux d’imposition.
La deuxième englobe trois taxes locales gérées et collectées par la TGR pour
les communes (taxe professionnelle, taxe d’habitation et taxe des services
communaux). Les troisième, quatrième et cinquième catégories concernent
respectivement les transferts, les emprunts et les subventions. La dernière catégorie,
dite des « autres recettes », comprend les produits des services, les recettes du
patrimoine, l’excédent précédent et le produit de l’aliénation du domaine privé.
Les communes ont un pouvoir de décision s’agissant des ressources issues de deux
catégories de recettes : les « taxes locales » et les « autres recettes ». Toutefois, les
taxes locales gérées et collectées par la TGR, les transferts, les emprunts et les
subventions sont sous le contrôle de l’administration centrale. Les recettes des
communes demeurent donc largement centralisées et limitées.
7. Il s’agit de la taxe sur les terrains urbains non bâtis, la taxe sur les opérations de construction, la taxe
sur les opérations de lotissement, la taxe sur les débits de boissons, la taxe de séjour, la taxe sur les
eaux minérales et de table, la taxe sur le transport public de voyageurs et la taxe sur l’extraction des
produits de carrières (Loi n° 47-06).
324
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
Les transferts représentent une part importante des recettes totales des
communes. Sur la période étudiée, ils se situent entre 28 % et 34 % tandis que
la part des emprunts se situe entre 2,71 % et 4,93 %. Au Maroc, la formule
actuelle vise à inciter les communes à accroître leur effort fiscal et à réduire les
déséquilibres horizontaux et verticaux provenant des différences de capacité
fiscale entre les collectivités territoriales. Cette formule repose principalement
sur la capacité fiscale et ne prend pas officiellement en compte les besoins des
communes (voir tableau 3).
Critères d’allocation
Dotation Effort
Potentiel fiscal
forfaitaire fiscal
• Potentiel fiscal : cette dotation a pour but de réduire les disparités des
ressources fiscales, nées d’une inégale répartition de la matière imposable. Par
ailleurs, elle permet de favoriser de manière constante et progressive l’équipement
des collectivités incapables de dégager des ressources pour l’investissement. Cette
dotation est attribuée aux communes ayant une richesse fiscale inférieure au
moins à 125 % de la moyenne cible de leur catégorie pour les recettes locales
collectées pour les communes rapportées à la population, dans la limite maximale
d’une population représentant 2,5 fois la population moyenne des communes.
Ces communes bénéficient d’une correction proportionnelle à l’écart par rapport
à la cible de leur catégorie, pondérée par la taille de la population.
326
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
Il serait judicieux de repenser cette formule afin d’inclure en plus des critères
fiscaux des indicateurs basés sur les besoins socio-économiques des communes
afin de transférer plus de revenus à celles qui en ont le plus besoin. À l’inverse, les
transferts conditionnels alloués sur une base discrétionnaire et instable peuvent
mettre en péril l’autonomie des collectivités locales. Ils pourraient décourager
la mobilisation des recettes locales et encourager les dépenses inefficaces.
L’amélioration du système de transfert marocain impliquerait de réduire les
transferts conditionnels et d’augmenter la capacité des communes à collecter des
revenus propres locaux.
La faible part des dettes des communes dans leurs ressources totales peut
s’expliquer par le fait que les communes marocaines ne veulent pas multiplier les
acteurs dans la gestion de leurs projets. En effet, l’endettement des communes
implique plus de contre-pouvoir. Ainsi, cela va accroître la redevabilité des
communes envers le FEC qui est lui-même sous contrôle du ministère de
l’Intérieur. En outre, en adoucissant les conditions d’octroi de crédits aux
collectivités territoriales, le gouvernement central marocain verra sa marge de
manœuvre se réduire.
Par ailleurs, les communes génèrent des excédents durant toute la période
étudiée. Les excédents sont estimés à 7,5 milliards de dirhams en moyenne par
an. Ces excédents ne proviennent pas d’une gestion efficace de la part des élus
locaux mais la Loi organique n °45-08, titre II, article 6, impose aux communes
d’avoir un budget équilibré et les excédents budgétaires devraient être reportés sur
le budget de l’année prochaine.
328
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
6000
5000
4000
3000
2000
1000
0
2005 2006 2007 2008 2009
mettant à jour les tarifs en fonction des données économiques. C’est le cas des
valeurs locatives anciennes, qui contribuent à la faiblesse des recettes foncières.
Ensuite, le processus de collecte des impôts par les communes est assuré
par trois entités administratives distinctes : tout d’abord, le receveur communal,
qui n’a ni les ressources humaines ni les outils nécessaires à l’identification,
au recensement et à la collecte fiscale ; ensuite, des services du ministère
de l’Économie et des Finances chargés de la gestion et de la collecte de taxes
rétrocédées aux communes (taxe des services communaux, taxe professionnelle et
taxe d’habitation) ; enfin, certains services dépendant d’autres administrations, à
l’image de l’administration des transports chargée de gérer la taxe sur le permis
de conduire, l’Office national des pêches pour la redevance sur les ventes sur le
marché de gros et les services des eaux et des forêts pour les taxes sur la vente de
produits forestiers.
330
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
80
60
40
20
0
2005 2006 2007 2008 2009
8. L
e taux de pauvreté représente le pourcentage des individus membres d’un ménage dont la dépense
par tête est inférieure au seuil de pauvreté relative. En 2007, ce seuil a été de 3834 Dhs par personne et
par an en milieu urbain et de 3569 Dhs par personne et par an en milieu rural.
s’écarte d’une répartition égale entre les individus d’une même juridiction. Plus
le coefficient de Gini est proche de 1, plus les inégalités sont élevées et vice versa.
40
30
20 2005/2006
10 2007/2009
0
Q1 Q2 Q3 Q4 Q1 Q2 Q3 Q4
Poverty Inequality
332
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
5.000.000
4.000.000
3.000.000 Urban
2.000.000 Rural
1.000.000
D’un côté, la dépendance des communes marocaines envers les transferts leur
fait perdre le pouvoir d’imposition, et ainsi une partie de leur autonomie, ce qui
induit de la démobilisation fiscale. D’un autre côté, cette dépendance encourage
les communes à adopter un comportement évasif et à imputer la fragilité de
leurs ressources fiscales à l’administration centrale. De ce constat, les communes
doivent être moins dépendantes des transferts de l’État central afin de mobiliser
9. La méthodologie ainsi que l’estimation utilisées sont présentées dans l’encadré A1 dans les annexes.
334
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
Conclusion
Pour favoriser la mobilisation fiscale locale, ce papier met en avant la nécessité
d’agir sur l’ensemble des facteurs de cette mobilisation. Il est non seulement
nécessaire de mettre en œuvre un système fiscal local pertinent (ne dépendant ni
des subventions ni des transferts rétrocédés) pour garantir l’autonomie financière,
mais il est aussi nécessaire d’identifier les facteurs globaux, tels que la pauvreté
et les inégalités, constituant des obstacles à la mobilisation des ressources fiscales
locales ainsi que d’engager des actions pour promouvoir un environnement
plus favorable à cette mobilisation. Par ailleurs, il est question de prendre en
considération un ensemble d’enjeux liés au fonctionnement de la fiscalité locale
et de son mode d’administration.
Ces critères restent essentiellement fiscaux et ne sont pas liés aux données
socio-économiques des communes. Une péréquation basée sur des critères socio-
économiques, par exemple les investissements, favoriserait le développement
local. Cependant, le gouvernement central doit d’abord équilibrer les critères
de transferts bénéficiant aux collectivités locales avec un faible potentiel de
ressources et les critères d’incitation à l’effort de mobilisation fiscale. Ensuite, le
gouvernement central doit surveiller la mise en œuvre effective de ces critères.
336
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
L’État marocain doit également mettre en place une fiscalité locale simple en
réduisant le nombre d’impôts et en synthétisant les prélèvements. En effet, il faut
éviter la double imposition et assurer une harmonisation entre la fiscalité locale et
centrale étant donné que les contribuables sont parfois assujettis à une multiplicité
de taxes. Ces taxes sont souvent un frein plutôt qu’une source de recettes fiscales
car elles engendrent des frais de recouvrement inutiles et encouragent l’évasion
fiscale. Une réduction de leurs nombres doit être envisageable pour réduire une
surimposition contreproductive (« Trop d’impôts tue l’impôt ») et pour fusionner
les taxes qui font doublon, telles que la taxe sur les débits de boissons et la TVA
338
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
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340
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
Annexes :
Encadré A1 : Estimation économétrique utilisée
La variable milieu reste la même dans le temps et les données
socioéconomiques ne varient pas dans la période 2005/2006 et 2007/2009.
Ces aspects nous ont poussés à utiliser la méthodologie proposée par
Plümper et Troeger (2007). Le modèle de panel « normal » à effets fixes
permet d’éliminer les effets spécifiques en recourant à l’estimateur
« within » ou en en estimant l’équation en différence première. Néanmoins,
ces transformations ne permettent pas d’éliminer l’impact d’une variable
explicative invariante ou peu variante dans le temps. Pour tenir compte de
cet impact, Plümper et Troeger (2007) proposent un estimateur qui permet
de résoudre le problème des variables invariantes dans les modèles à
effets fixes, le Fixed Effect Vector Decomposition (FEVD).
Les auteurs trouvent que sous certaines conditions, le FEVD est plus
pertinent que le modèle à effets fixes, le modèle à effets aléatoires et les
estimateurs de type Haussman et Taylor. En premier lieu, la première
condition, et la plus importante, est que la variation interindividuelle
(variation entre individus) doit être plus grande que la variation intra-
individuelle (variation dans le temps pour le même individu). En deuxième
lieu, plus la corrélation entre les variables invariantes dans le temps et
l’effet fixe est importante, moins l’estimateur FEVD est performant par
rapport au modèle à effets fixes ; plus le ratio between/within est grand,
plus le FEVD est fiable. Ces conditions sont respectées dans le cas de nos
variables.
342
4. Les déterminants des ressources fiscales des communes marocaines : quel rôle joue la décentralisation ?
Variable dépendante :
Effet Hausman
Recettes fiscales FEVD Effet fixe
aléatoire Taylor
locales
Nombre
1376 1376 1376 1376
d’Observation
Notes : e
rreurs standard robustes entre parenthèses : *variable significative au seuil de 10 %, **variable
significative au seuil de 5 %, ***variable significative au seuil de 1 %.
L’étude d’impact
socio-économique :
une approche par
le territoire
par Manal EL ABBOUBI 1 et Aziza MAHIL 2
1. Professeure HDR, Université Mohammed V, Rabat
Chercheure associée, Economia, HEM Research Center (Maroc)
Résumé
L
a présente étude, menée dans le cadre d’un partenariat
de recherche appliquée entre Economia-HEM et Lydec,
s’intéresse à l’impact socio-économique des entreprises sur
le territoire du Grand Casablanca (GC) (Maroc), et ce, en documentant
et analysant les apports ciblés ayant des retombées, intentionnelles
et/ou non intentionnelles, sur les parties prenantes de la métropole.
346
5. L’étude d’impact socio - économique : une approche par le territoire
Introduction
La mesure des impacts socio-économiques des actions menées par les
entreprises est de plus en plus recherchée et questionnée. En effet, cette mesure
est avantageuse à plusieurs égards : elle permet de mieux orienter les stratégies
organisationnelles, conforter les bailleurs de fonds et les autres parties prenantes,
ou encore attirer des investisseurs responsables. En outre, l’entreprise doit
valoriser et mesurer l’étendue de ses impacts tout en prenant conscience de sa
responsabilité élargie.
Depuis le milieu des années 1990, l’essentiel des outils déployés en termes
d’évaluation et de mesure servaient essentiellement à améliorer les performances
économiques et financières. L’intérêt, bien plus récent, pour la mesure d’impact
socio-économique s’est imposé comme une nouvelle norme libérale, à partir de la
doctrine de « société ouverte ». Il s’avère désormais stratégique pour les entreprises
qui ont fait le choix et l’engagement d’une politique volontariste de RSE. La
348
5. L’étude d’impact socio - économique : une approche par le territoire
2. C
ité dans : Stievenart, E. et Pache, A.-C. (2014). Évaluer l’impact social d’une entreprise sociale : points
de repère. Revue internationale de l’économie sociale, (331), 76–92. https://doi.org/10.7202/1023486ar
(page 78)
Les entreprises sont alors partagées entre la nécessité d’évaluer leur impact
social et leur incertitude quant à la meilleure façon d’y procéder de manière
concrète. C’est peut-être aussi ce qui fait que chaque entreprise se fabrique sa
propre évaluation, construit ses propres indicateurs à partir, certes, de méthodes
reconnues par la littérature comme la matrice de matérialité3, mais elle interprète
« son impact » selon sa propre compréhension de ce que devrait être un impact
social.
Dans tous les cas, l’enjeu de la mesure de l’impact social devient désormais
important pour les entreprises malgré ces incertitudes de définitions et
d’évaluation. Le plus important à souligner et à observer, c’est que ces structures
en font désormais l’exercice et tentent de trouver les meilleurs indicateurs
pour évaluer leurs actions auprès des communautés et sur les territoires qui les
accueillent.
3. L
a matrice de la matérialité est une pratique qui vise à hiérarchiser les enjeux sociétaux,
environnementaux, économiques et financiers fixés par l’entreprise en réponse à ses objectifs,
stratégies et attentes des parties prenantes.
350
5. L’étude d’impact socio - économique : une approche par le territoire
Rappelons ici que ces réformes et dispositions nouvelles ont été initiées sur le
territoire casablancais suite à un discours du Roi, devant le Parlement, en 2013.
Dans ce discours, devenu historique dans la mémoire aussi bien des populations
que des responsables de la métropole, le Roi avait dressé un bilan très critique
de la situation déplorable de Casablanca. Il a rappelé ses atouts en termes de
potentialité économique pour l’économie nationale et en a surtout souligné
le décalage avec les réalités et le vécu de ses habitants. Il a ensuite présenté les
perspectives d’avenir en ces termes : « En réalité, la transformation de Casablanca
en hub financier international exige d’abord et avant tout des infrastructures et
des services de base, répondant aux normes mondiales. Elle requiert, en outre, la
consolidation des règles de bonne gouvernance, la mise en place d’un cadre juridique
approprié, la formation de ressources humaines hautement qualifiées et l’adoption de
techniques et de méthodes de gestion modernes » (Extrait du Discours royal, 2013).
352
5. L’étude d’impact socio - économique : une approche par le territoire
354
5. L’étude d’impact socio - économique : une approche par le territoire
• LA PERFORMANCE
Un ensemble d’indicateurs de réalisation comme le nombre de personnes
ayant bénéficié d’une formation, le retour sur investissement, le chiffre d’affaires,
etc. La nature de ces indicateurs est souvent quantitative.
• L’IMPACT
La mesure de la différence entre le résultat et ce qui se serait passé sans
l’intervention du projet étudié.
• LE RÉSULTAT
Un ensemble d’indicateurs qui mesurent l’évolution de la situation des
bénéficiaires de projets. Il s’agit de mesurer l’écart entre la situation avant et celle
après projet.
Par ailleurs, la mise en place d’une approche par l’impact social impose la
prise en considération des éléments suivants, comme le souligne Gadrey (2004) :
− l’utilité sociale à forte composante économique ;
− l’égalité, le développement humain et le développement durable ;
− le lien social et la démocratie locale ;
− l’innovation sociale, économique, institutionnelle ;
− l’utilité sociale « interne » avec impacts externes possibles.
Méthodologie
Pour comprendre l’écosystème casablancais et appréhender les initiatives
menées par les acteurs clés du territoire, nous avons choisi de nous pencher en
profondeur sur des cas d’entreprises phares sur le Grand Casablanca et d’analyser
leurs actions en matière de RSE/DD en vue de comprendre comment émergent
et évoluent ces actions et, le cas échéant, si elles sont mesurées d’une manière ou
d’une autre.
Ainsi, nous avons opté pour une recherche qualitative exploratoire qui permet
de mieux cerner notre objet de recherche axé sur : 1- une compréhension des
perceptions des acteurs économiques des enjeux du Grand Casablanca en matière
de développement durable ; 2- une étude des diverses initiatives menées par ces
acteurs ; et 3- une analyse de l’impact social de ces initiatives sur le territoire.
356
5. L’étude d’impact socio - économique : une approche par le territoire
Industrie
E3 Grande entreprise, nationale
agroalimentaire
Grande entreprise,
E4 IT
multinationale
Moyenne entreprise,
E6 STEM
internationale
Grande entreprise,
E7 Transport
nationale
Grande entreprise,
E8 Telecom
multinationale
Grande entreprise,
E10 Énergie
multinationale
4. L
a visibilité de l’engagement RSE, l’existence de reportings extra-financiers actualisés, la nature des
actions en matière de RSE, le(s) territoire(s) concerné(s) par les actions RSE, l’existence d’une matrice
de matérialité, etc.
Ensuite, un regard satellite sur les activités des entreprises étudiées a permis
de croiser les données à notre disposition pour construire une cartographie
consolidée, reprenant l’ensemble des actions et des indicateurs recensés. Cet
exercice est d’abord indispensable à l’analyse du degré d’accomplissement des
objectifs RSE/DD de chacune des entreprises étudiées et, ensuite, dans une
logique prospective, il est important pour la conception des nouvelles orientations
RSE/DD, que ce soit de manière singulière ou collective.
Pour cela, une grille d’analyse à géométrie variable a été conçue afin
de cartographier les étapes intermédiaires pour arriver aux impacts socio-
économiques. Elle se compose des critères suivants :
358
5. L’étude d’impact socio - économique : une approche par le territoire
Qualité de vie
Culture et valeurs
Infrastructures
sportives
E1 E2 E3 E4 E5 E6 E7 E8
Aussi, parmi les huit items identifiés comme prioritaires lors des rencontres
avec les entreprises, l’enjeu de l’éducation et de la formation occupe une
place importante dans les stratégies RSE/DD. À cet égard, l’investissement
est majoritairement accordé aux jeunes et aux femmes, tant au niveau de leur
formation qu’au niveau de leur insertion socio-professionnelle.
Cet enjeu est tantôt traité de manière généraliste, en offrant des opportunités
de formation ou de stage aux jeunes et aux femmes, tantôt de manière ancrée dans
le métier de l’entreprise, à l’instar de E6 et E8.
360
5. L’étude d’impact socio - économique : une approche par le territoire
Qualité de vie
Culture et valeurs
Infrastructures
sportives
E1 E2 E3 E4 E5 E6 E7 E8
Force est de constater que les réalisations les plus documentées et mesurées
tournent autour de l’éducation. En effet, la majorité des entreprises concrétisent
leurs actions en réalisations à travers des interventions directes sur les territoires
dans lesquels elles opèrent directement ou indirectement.
La qualité de vie passe par des actions mettant l’humain au centre des
préoccupations de l’entreprise (E6). Aussi, la santé et la sécurité au travail
constituent une nécessité au sein des organisations qui misent sur le bien-être
en milieu de travail. Ce bien-être couvre aussi les enfants des employés qui
bénéficient à leur tour de plusieurs avantages comme des bourses d’études, des
camps d’été, etc. (E3, E2).
362
5. L’étude d’impact socio - économique : une approche par le territoire
Qualité de vie
Culture et valeurs
Infrastructures
sportives
E1 E2 E3 E4 E5 E6 E7 E8
Le passage des indicateurs des réalisations à ceux des résultats est intéressant
à analyser pour de multiples raisons. La première est de détecter le degré
d’investissement des entreprises dans la mesure de leurs réalisations, et d’avoir
des indicateurs mesurés. Le deuxième est de pouvoir opérer des comparaisons
inter-organisationnelles sur les thématiques choisies dans le cadre de l’étude. La
troisième est de pouvoir détecter les points de concentration et de fragilité des
actions RSE/DD opérées sur le Grand Casablanca.
La deuxième analyse porte sur les comparaisons possibles entre les résultats
inter-organisationnels. Cette opération s’avère impossible à réaliser dans la mesure
où les indicateurs communiqués sur les actions entreprises ne s’y prêtent pas du fait
de leur divergence. La troisième analyse montre que la concentration de résultats
sur les enjeux éducation et environnement (comme souligné précédemment) est
plus dominante.
Les résultats se rapportant à l’éducation, sans surprise, sont les plus probants
relativement aux autres items par rapport à la pluralité des accomplissements et
à leur diversité. Notons à ce sujet le nombre de jeunes formés et insérés dans le
marché de travail, le nombre de femmes formées aux métiers divers pour être
employables, le nombre de cours de soutien assurés pour les jeunes, la variété
des thèmes des ateliers de formation, les régions couvertes par les aides et les
initiatives pour réhabiliter les écoles, etc.
364
5. L’étude d’impact socio - économique : une approche par le territoire
La qualité de vie pour E6 se présente comme une variable dont les réalisations
sont très présentes dans le Grand Casablanca. De par son métier, l’entreprise
participe directement à l’amélioration du quotidien des Casablancais à travers le
raccordement ininterrompu aux services fondamentaux. Pour d’autres acteurs,
la qualité de vie s’apparente à la satisfaction de la clientèle interne, à savoir
les employés, en leur permettant de recycler leurs connaissances à travers des
programmes ponctuels de formation (E4, E3), d’intégrer leurs enfants dans des
programmes de soutien scolaire, d’organiser des colonies de vacances, d’octroyer
des bourses, etc. (E3).
Conclusion et recommandations
Rappelons le contexte. Lorsque nous avons conjointement lancé cette étude,
la conscience de la nécessité d’aller au-delà d’une démarche RSE classique au
niveau des entreprises était, au mieux, conditionnée par la littérature onusienne
en rapport avec les Objectifs de développement durable (ODD) et par les
objectifs stratégiques que les conseils d’administration respectifs ont validés
pour matérialiser des ambitions différentes et se conformer à des normes
discriminatoires. Cela a évidemment été confirmé sur le terrain, même si c’est à
des degrés divers.
En général, il s’avère que le ciblage des actions RSE en lien avec l’espace de
la métropole est rationalisé par certaines entreprises après coup et marginalement
défini a priori. Par ailleurs, le gap entre réalisations et impacts révèle un besoin de
développer des démarches plus systémiques, allant de la conception à l’évaluation.
Nous en tirons deux recommandations majeures :
366
5. L’étude d’impact socio - économique : une approche par le territoire
5. S
elon l’approche théorique de l’acteur-réseau, aussi connue sous l’abréviation ANT (Actor-Network
Theory), l’innovation est considérée comme un construit aux dimensions sociales et techniques.
L’innovation est un objet en constante évolution, façonné réciproquement par ces deux dimensions
indissociables (source : https ://www.supagro.fr/ress-pepites/ProcessusInnovation/co/grain03.html).
368
5. L’étude d’impact socio - économique : une approche par le territoire
Bibliographie
· Akrich, M., Callon, M. et Latour, B. (2006). Sociologie de la traduction : textes fondateurs.
Paris : Presses de l’École des Mines.
· Economia-HEM (2020). Impact socio-économique et rôle dans le développement de la CDG.
Rabat. Rapport d’étude
· Gadrey, J. (2004, septembre). L’utilité sociale des organisations de l’économie sociale et solidaire.
Rapport de synthèse pour la DIIESES et la MIRE
· Kim, S.-J. (2018, juillet). Dialogue Maroc-OCDE sur les politiques de développement territorial.
Quelle gouvernance pour une aire métropolitaine durable et inclusive de Casablanca ? Rabat.
https://www.oecd.org/fr/pays/maroc/Gouvernance-pour-une-aire- m%C3%A9tropolitaine-
durable-et-inclusive-de-Casablanca.PDF
· Mulgan, T. (2010). Measuring social value. Stanford Social Innovation Review. https://carleton.
ca/3ci/wp-content/uploads/Social-Metrics-Primer-Sept-20-final-2.pdf
· Stievenart, E. et Pache, A.-C. (2014, janvier). Évaluer l’impact social d’une entreprise sociale :
points de repère. Érudit Revues Revue internationale de l’économie sociale, n° 331, p. 4-130.
https://www.erudit.org/fr/revues/recma/2014-n331-recma01239/1023486ar/
· Stievenart, E. et Pache, A.-C. (2014). Évaluer l’impact social d’une entreprise sociale : points
de repère. Revue internationale de l’économie sociale, n° 331, p. 76-92.
· Stievenart, É. (propos recueillis par Novethic) (2016). La mesure de l’impact social commence
à s’ancrer dans l’entreprise. https://www.novethic.fr/actualite/entreprise-responsable/isr-rse/
la-mesure-de-l-impact-social-commence-a-s-ancrer-dans-l-entreprise-144107.html (dernière
consultation, le 07/11/2022).
4P artie
4e partie I NITIATIVES LOCALES ET RÉPONSES TERRITORIALES
Les émergences
territoriales ou
l’indicible ritournelle
« La perception dispose de l’espace dans l’exacte
proportion où l’action dispose de temps. »
Henri Bergson
Résumé
L
a mise en perspective proposée ici nous a été suggérée
au cours du programme de recherche « Maroc des
Émergences »1, fruit d’une accumulation théorique et
empirique, où l’on a constaté les difficultés de modélisation et de
mesure de ce qu’est une émergence, mais surtout de la complexité
quant au développement et déploiement d’un territoire émergent.
Entre le rôle et le poids des facteurs dits endogènes et hyper-
localisés et des facteurs plus macroscopiques et descendants, entre
formalité et informalité, les territoires au Maroc tels qu’observés ces
trois dernières années montrent des réalités diverses d’émergence
« par le bas » aux impacts différenciés. Mais si une réalité a été
communément admise par les équipes de recherche, c’est celle de la
difficulté de propulsion et d’essaimage d’une expérience ou initiative
locale probante dont l’apport modifierait structurellement un
territoire, au point d’en assurer une territorialisation2 significative
et durable. Ainsi, ce papier se veut être une synthèse réflexive sur
le phénomène d’émergence comme levier de développement local
et territorial.
1. P
iloté par Economia, Centre de recherche de HEM, l’École centrale de Casablanca et
l’Université Polytechnique Mohammed VI de Ben Guérir, en partenariat avec la Fondation
Friederich Ebert.
2. A
u sens de Bernard Debardieux (2009) : « Ensemble des actions, des techniques et des
dispositifs d’action et d’information qui façonnent la nature ou le sens d’un environnement
matériel pour le conformer à un projet territorial. »
374
1. Les émergences territoriales ou l ’ indicible ritournelle
376
1. Les émergences territoriales ou l ’ indicible ritournelle
Quelques repères
méthodologiques
Le point de départ de cette réflexion porte sur les difficultés et échecs des
grandes politiques publiques, nationales ou transposées de modèles préconçus,
qui inhibent toute forme d’expressions émergentes d’initiatives et d’expériences
localisées, et freinent toute appropriation collective par les populations,
ce qui compromet en bout de chaîne les processus de territorialisation ou
d’affermissement des territoires. A contrario, nous avons observé des émergences
localisées dont le produit servait le développement d’un territoire, sans pour
autant qu’elles soient initiées par des politiques de grande envergure. D’une
configuration où les acteurs locaux « se débrouillent » et bricolent des solutions
(acheminement de l’eau, transport des écoliers, économie circulaire…) à la
catalyse par des agents externes (natifs de la région, associations, universités…),
il s’opère des mouvements incessants, socialement organisés qui produisent du
sens (développement, progrès, recherche de solutions court ou moyen terme,
transmission de valeurs, éducation…). Ces processus, qui échappent quelque peu
au contrôle des politiques, nécessitent ainsi une plus grande attention et donc une
meilleure compréhension afin de les intégrer dans une réflexion plus large sur le
type de développement à adopter.
Dans cette acception, l’émergence puise, selon nous, ses sources dans une
ontologie du lien. Du point de vue des sciences humaines et sociales, elle exprime
les dynamiques sociales par lesquelles s’institutionnalisent et se régularisent les
innombrables interactions matérielles et immatérielles des humains entre eux et
avec leur environnement (« douars », villages, villes, territoires, régions, pays…).
Entre instituant et institué, dans l’éphémère et le pérenne, l’émergence est une
représentation enrichissante de la dynamique des organisations sociales et se
révèle auto productrice de ses propres connaissances par le jeu complexe de ses
interactions internes et externes, qui la transforment, et qu’elle transforme. De
plus, l’émergence s’inscrit dans un perpétuel mouvement impulsé par la mise en
interaction d’intentionnalités individuelles et collectives qui vont faire vivre un
tissu relationnel. Nous retrouvons ici la notion de « projet », exprimée par des
expériences et des processus différenciés, eux-mêmes situés dans des spatialités
et temporalités diffuses. Les notions d’impulsion ou de catalyse, de mécanismes
Dans cette vision, nous avions émis l’hypothèse selon laquelle une émergence
ne pourrait se développer et ne peut être durable et distributive sans le concours
de plusieurs facteurs et acteurs multiniveaux et multidimensionnels. De plus, ce
complexe va établir une situation2 où les populations ou acteurs sont en droit de
choisir et d’agir, selon leurs enjeux, leurs désirs, leurs besoins et leurs capacités.
Par ailleurs, sur le plan épistémologique, une émergence n’est pas une création aux
propriétés ex nihilo, ce qui constitue une aberration dans l’étude du phénomène.
C’est pour cette raison que, méthodologiquement, les approches de l’action et
de la cognition située dans des modalités de recherche-action nous semblent
préférables et plus justes. Le chercheur pourra ici s’immerger dans la situation
tout en ayant une vision plus globale du contexte afin de mieux comprendre
l’activité des acteurs de l’émergence (leurs ressorts et leurs freins, les arrangements
et compromis, leurs détournements et autres stratégies d’action).
Dans nos travaux, nous avons situé le concept d’émergence à travers une
analyse épistémologique historique, entre lois mécaniques empreintes de rapports
de causalité et lois relevant de la chimie et de la biologie afin de mieux en saisir
les contours. Aristote fut le premier penseur à poser le problème de l’émergence
dans De la génération et de la corruption, selon lequel lors d’un « mixte », il y
a « génération » d’un nouveau corps qui est homogène et « corruption » des
ingrédients. Toute la difficulté consiste à comprendre comment il est possible
de « re-générer » deux ingrédients qui ont préalablement disparu en formant un
composé inédit dont les propriétés ne sont pas celles qu’ils peuvent eux-mêmes
manifester. Pour échapper à cette aporie, Aristote propose la distinction entre la
puissance et l’acte : les ingrédients ont cessé d’exister en acte dans le mixte mais
se conservent « en puissance ». Si Aristote n’emploie pas le terme d’émergence, il
en donne une définition intéressante : une conservation de puissance génératrice
de nouvelles potentialités. Ce « nouveau » engendré du procédé du mixte sera
qualifié plus tard dans les sciences de « propriétés » des émergents qui sont
hétérogènes par rapport aux ingrédients, ou de « qualité » (John Stewart Mill).
378
1. Les émergences territoriales ou l ’ indicible ritournelle
• Le principe de non-linéarité.
Mais si les recherches, au fil des siècles, se complètent pour stabiliser la notion
dans une acception moderne systémique et complexe, une question demeure
en suspens : d’où provient l’apparition des nouvelles propriétés ? Quelle en est
l’origine ? Dans la logique de Hegel, le « nouveau quelque chose ne s’explique pas
plus par ses éléments que sans eux ; il s’explique par leurs rapports, base explicative de
sa qualité, qui mutent à des seuils de quantité ». Pour comprendre ces rapports, le
philosophe Lucien Sève précise que « la connexion générale des niveaux s’accommode
mal d’être représentée sous la forme d’une série unilinéaire, mais elle offre en des points
inattendus des structures en boucle comme des ramifications imprévisibles appelant
qu’on le veuille ou non l’approche dialectique ».
enabadji, A., LLored, J.-P., Sqalli, H. (2021). Émergences collectives et modèle de développement, relier le
3. B
conceptuel et l’opérationnel. p. 20-25
epris plus en détail dans L’action située dans le développement de l’activité de Pascal Béguin et Yves Clot
4. R
(2004).
380
1. Les émergences territoriales ou l ’ indicible ritournelle
leurs valeurs praxiques, le rôle des artefacts dans les processus de médiation, les
passages entre le donné et le créé, le type d’interactions et des réseaux, etc. En
somme, prendre comme bases les constitutifs théoriques et méthodologiques des
trois courants interactionniste, écologique et anthropo-cognitif. C’est dans ce
faisceau que nous nous attelons à élargir et approfondir les futures recherches sur
l’émergence.
Selon cette perspective, nous avions retenu dans nos recherches qu’il est
question d’émergence lorsque les processus mis en jeu et leurs effets s’inscrivent
dans une durée longue et croissent avec le temps, et que l’essentiel de la gouvernance
et de « l’énergie de changement » est interne à la communauté qui l’a initiée ;
d’où le besoin impérieux, pour cerner au mieux la complexité sous-tendant ces
émergences, d’articuler les remontées de terrains, de type ethnographique ou
sociologique, tout en incluant des études de cas, aux approches systémiques
et aux autres méthodes attentives aux boucles de rétroaction, aux éléments de
catalyse, interactions, (inter)dépendances, complémentarités, antagonismes et
reliances5. En cohérence avec cette approche, il semble pertinent de relier (i) le
besoin des acteurs empiriques pour appréhender l’émergence comme phénomène
complexe et multidimensionnel, s’appuyant sur des « expériences probantes » (ii)
à la nécessité d’une perspective analytique holistique incluant des analyses multi-
échelles. Malgré l’apparente rareté des émergences parvenant à créer de la valeur
dans des territoires oubliés ou des communautés en déshérence, les actrices et
acteurs engagés dans le cadre du « Maroc des émergences » ont estimé que ce
concept trouve sa justification dans la nécessité de mieux articuler et dynamiser
les complémentarités entre des politiques supranationales mondialisées, des
politiques nationales macroéconomiques et sociales, et des actions citoyennes
d’où naissent les énergies et initiatives locales. En effet, ces articulations multiples
peuvent, parfois, en retour, générer des modifications dans les modalités d’action
et de réflexion des gouvernants et des citoyens.
382
1. Les émergences territoriales ou l ’ indicible ritournelle
8. B
enabadji, A., Benmlih A., LLored, J.-P., Sqalli, H. (2019). Pour un Maroc des émergences. À la recherche
d’une société durable et inclusive. Rabat : Economia-HEM, Research Center.
9. Commission présidée par M. Chakib Benmoussa et réunissant 35 experts.
384
1. Les émergences territoriales ou l ’ indicible ritournelle
selon des objectifs clairs. Plus que cela, la préférence donnée aux opérateurs
économiques pour les activités rentières et protégées mine la prise d’initiative
d’acteurs locaux (notamment les PME et PMI). Enfin, le « trop de contrôle »
comme mode d’administration et d’action représente un écueil important dans
la bonne marche des processus d’émergence locaux, et agit comme une force
contraire au développement de l’efficience et de la confiance. De prime abord,
nous pouvons établir un constat majeur : ces freins d’ordre macro traduisent une
rigidité du cadre d’émergence, comme un handicap de départ. En parallèle, tel
que l’on a pu le relever, les initiatives localisées, si elles ne s’essoufflent pas par
manque de capacités et de motivation, stagnent au point d’étioler tout potentiel
d’émergence durable, c’est-à-dire d’une émergence capable d’effets d’entraînement
pour le développement de nouvelles potentialités.
386
1. Les émergences territoriales ou l ’ indicible ritournelle
c. une capacité innovative, beaucoup plus rare, qui les amène à tenter
des améliorations, à initier des réformes, à mener des expériences, à faire des
propositions. »
Nous pouvons, sur la base de cette nouvelle typologie, entrevoir des rôles
et des prérequis différenciés, voire des langages spécifiques à chaque type, d’où
résulte une complexité centrale dans le déploiement des activités. Ici, les besoins,
les visions, les intérêts, les capacités et les compétences diffèrent et constituent des
risques d’échec à tout processus d’émergence. La section suivante vise justement à
approfondir ces propos et à élargir la problématique des émergences territoriales.
388
1. Les émergences territoriales ou l ’ indicible ritournelle
Commentaires et ouvertures
Émergences, jeux et logiques d’acteurs
Faire vivre une émergence, mobiliser des énergies demeure, en soi, une
trajectoire semée d’embûches. Mais l’on voit que multiplier des émergences au
point que le territoire devienne émergent demande, lui aussi, la conjonction de
plusieurs conditions. Dans les deux cas de figure, des facteurs horizontaux et
verticaux président quant au succès ou à l’échec de dynamiques émergentes. Au-
delà des grands leviers comme les enjeux stratégiques à haut niveau qui entraînent
avec eux des viviers d’émergence (nouvelle politique industrielle régionale par
exemple), nous avons observé, que cela soit à une échelle microscopique ou plus
grande, la prépondérance de la logique des acteurs, surtout dans les passages
ou les transitions des émergences à un niveau plus élevé. Ainsi, des intérêts
contradictoires donnant lieu à des stratégies d’acteurs (au sens de Michel Crozier,
1977)14 surgissent forcément, et donnent une tonalité politique aux dynamiques
territoriales. Ce phénomène est visible depuis le catalyseur territorial aux décideurs
à haut niveau en passant par les agents des communes. En effet, nous avons relevé
auprès de plusieurs intervenants de nos journées d’études que plus une émergence
locale prend une ascension et a besoin de validations des circuits formels, et plus
des jeux personnels prennent le pas sur la rationalité et l’enthousiasme du projet.
14. L
’Acteur et le Système est un essai sociologique de Michel Crozier et Erhard Friedberg paru en 1977
aux éditions du Seuil. Il s’agit d’un ouvrage classique, essentiel dans l’histoire de l’école française de la
sociologie des organisations et de l’analyse stratégique.
390
1. Les émergences territoriales ou l ’ indicible ritournelle
Ils étayent leur typologie sur la base d’un travail empirique volumineux et
longitudinal en prenant des illustrations concrètes de plusieurs territoires, en
expliquant les points de bascule entre passivité et action, entre résistances et
coopérations, jusqu’à l’assise d’un territoire créatif (ou émergent selon notre
terminologie), et ce, sur fond d’ancrages territoriaux et évolutions sociales et
économiques de fond. Chaque période son contexte, et, selon les logiques en
présence, les trajectoires territoriales vont prendre des cheminements différents.
Certains territoires accéderont aux paliers supérieurs plus rapidement que
d’autres, l’essentiel est de saisir les grandes logiques et leurs probables évolutions
(travail prospectif ) qui s’inscrivent dans des contextes globaux. Cet exercice que
l’on soumet à la recherche sur les territoires marocains nous semble pertinent :
comprendre les évolutions des territoires selon des logiques spécifiques, pour
mieux approcher le degré de maturité d’un territoire émergent. Résumons à ce
stade les différents paliers et logiques d’acteurs :
392
1. Les émergences territoriales ou l ’ indicible ritournelle
Les deux derniers types de territoires, ceux de projets et créatifs, semblent les
plus idoines quant au développement des émergences, car ils sont moins inscrits
dans des formes de passivité et de rigidité.
Le multiniveau réinterroge
le rôle de l’État
Le niveau micro apparaît a priori comme un espace-temps d’émergence
dynamique par son éloignement avec les niveaux méso et macro. Un éloignement
qui rendrait libres et possibles des trajectoires puissantes. Les liens et interactions
fortes produites à ce niveau, pour augmenter davantage leur pouvoir et capacité,
ont besoin d’effets multiplicateurs du niveau méso qui, lui, doit aboutir à la
constitution de ponts solides (ensembles d’interactions médiatrices) envers le
micro et le macro15. Pour que l’émergence « d’en bas » puisse pleinement donner
corps à une modification pertinente, le niveau macro ne doit pas freiner le processus
en agissant comme un hub sélectif qui redistribuerait les énergies, ou plutôt le
fruit des énergies du micro, à des entités ou des nœuds trop raccordés à ce hub,
ce qui, finalement, produirait de la non-émergence, ou de l’émergence partielle et
non durable. Par ailleurs, dans tout processus d’émergence liant plusieurs niveaux
d’acteurs et de pouvoirs, si le niveau macro, qui comporte des nœuds puissants,
pose les conditions et règles d’interactions pour produire de la reproductibilité et
du suivisme, les niveaux inférieurs sont freinés dans leur pouvoir d’émergence.
Dans ce cas de figure (le plus général), si émergence il y a, ce serait plutôt une
fausse émergence, car dictée par le haut sans donner pleinement un potentiel de
création et de nouveauté, encore moins d’une appropriation totale des acteurs
de leurs propres projets. Même si la confiance n’exclut pas le contrôle, le cadre
macro (autorités, politiques, État de manière général…) doit accepter l’idée de
l’émergence et surtout l’idée de perdre du pouvoir, ou que les territoires aient
davantage de pouvoir. En effet, quel niveau de confiance et de liberté accorderait
l’État aux acteurs de l’émergence ? Il apparaît en substance que l’émergence,
surtout si son développement en devenait exponentiel, aura pour effet de produire
un chaos dérangeant des structures déjà bien établies. Finalement, épouser l’idée
du développement d’un pays par les émergences territoriales revient à réinscrire
le rôle de l’État dans une nouvelle rationalité et de nouveaux rapports. Si un
État historiquement centralisateur, dirons-nous plutôt jacobin, au mieux pourra
donner davantage une illusion de pouvoir aux territoires qu’un réel pouvoir, ou
permettre un développement des territoires par l’émergence mais dans un cadre
394
1. Les émergences territoriales ou l ’ indicible ritournelle
très circonscrit. Ce qui pourrait, à notre sens, limiter quelque peu cette hypothèse
et que les instances dirigeantes puissent, dans leurs politiques et leur déploiement,
admettre d’une part que le développement soit permis par des émergences, et
d’autre part moins intervenir et laisser libres les communautés et les acteurs
d’initier, impulser et construire, quitte à échouer.
Courant proximiste
et territorialisation
Mais c’est oublier l’importance de la loi proxémique (Moles et Rohmer,
1978) : « Fondamentalement, axiomatiquement, ce qui est proche est, toutes
choses étant égales par ailleurs, plus important que ce qui est loin, qu’il s’agisse
d’un événement, d’un objet, d’un phénomène ou d’un être. » Les tenants du
mouvement de la proximité, qui s’intéressent à la géographie, la sociologie et
l’économie, font écho aux dynamiques territoriales, et éclairent cette question.
Les thèses proximistes avancent notamment qu’envisager les organisations (les
rapports intra et extrinsèques des processus émergents) permet de raccourcir les
temps de transaction et de production, augmenter la fréquence relationnelle et
facilite les processus d’innovation et d’apprentissage, en créant les conditions de
communautés de pratiques et de valeurs culturelles. En revanche, « la proximité
peut induire des conflits et des économies de coordinations par une surintensité des
interactions et une surabondance d’informations » (Pecqueur et Zimmermann,
2004, p. 6). Nous pouvons avancer avec ce dernier point qu’une émergence
doit porter une masse critique d’acteurs sans laquelle asymétries d’informations
et autres intérêts divergents et passagers clandestins peuvent surgir et miner ce
type de processus. Suivant ces auteurs, il existe plusieurs formes de proximité :
la géographique, l’institutionnelle et l’organisationnelle. Les deux dernières sont
intéressantes pour mieux appréhender les processus dynamiques d’émergence.
396
1. Les émergences territoriales ou l ’ indicible ritournelle
17. N
ous avons participé, en collaboration avec Transilience Institute en septembre 2021 à la réflexion
générale avec les membres du RAMEAU pour la mise en place d’une charte nationale des territoires, à
travers deux axes : le « Récit national » et « Faire alliance ».
Conclusion
L’approche développée ci-dessus fait écho aux thèses de Di Méo (1999) pour
lequel la « territorialité n’existerait guère sans un minimum de pratiques spatiales
répétitives, même si les représentations spatiales territoriales ne se calquent jamais
fidèlement, ni exclusivement, sur les cheminements routiniers du quotidien ». Il
avance notamment la notion de « territoire de proximité » où cette condition
de répétition est centrale. La résonnance avec la vision de Gilles Deleuze est
saisissante. Dans Mille Plateaux (Deleuze et Guattari, 1980), le territoire est
ritournelle, comme un sifflement émis par un oiseau marquant, en voletant, la
territorialité de la nidification. C’est en effet dans les approches des éthologues
que les philosophes ont puisé l’idée de la ritournelle : « Le territoire, affirment-
ils, est en fait un acte, qui affecte les milieux et les rythmes, qui les “territorialise”. Le
territoire est le produit d’une territorialisation des milieux et des rythmes. Il revient au
même de demander quand les milieux et les rythmes se territorialisent, ou quelle est la
différence entre un animal sans territoire et un animal à territoire. […] Précisément,
il y a territoire dès que des composantes de milieux cessent d’être directionnelles
pour devenir dimensionnelles, quand elles cessent d’être fonctionnelles pour devenir
expressives. Il y a territoire dès qu’il y a expressivité du rythme. C’est l’émergence de
matières d’expression (qualités) qui va définir le territoire ». C’est dans le rhizome
que s’effectuent des mouvements de déterritorialisation qui re-territorialisent par
le processuel, le mémoriel et l’indicible jusqu’à éclosion des émergences
398
1. Les émergences territoriales ou l ’ indicible ritournelle
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L’autoconstruction
dans la Commune de
Bir Jdid (Région du
Grand Casablanca):
évolutions, pratiques
et résistances
par Soraya EL KAHLAOUI
Chercheuse postdoc, rattachée au département Conflict & Development,
Menarg, Ghent University, associée à l’IFPO
Résumé
A
u Maroc, dans le sillage des révolutions tunisiennes et
égyptiennes s’est constitué un mouvement politique :
le mouvement du 20 février. D’une ampleur nationale,
le mouvement du 20 février a profondément bousculé le pouvoir
politique et a abouti à une réforme constitutionnelle ainsi qu’aux
premières élections dite libres du pays, faisant accéder au pouvoir,
pour la première fois, le parti d’opposition islamiste : le Parti pour
la Justice et le Développement (PJD). Tous ces bouleversements, qui
sont autant de marqueurs de la reconfiguration politique engagée au
Maroc depuis 2011, n’ont pas échappé à la plupart des observateurs
et analystes des transitions démocratiques. Mais il est un phénomène
qui, lui, est resté bien plus inaperçu, alors même qu’il a profondément
transformé le paysage urbain du pays : l’explosion de « el ‘achwai ».
Pour saisir la complexité de ce phénomène, ce travail de recherche
entend décrire, à partir des données extraites d’une enquête
ethnographique menée en 2012-2013 dans une petite agglomération,
Bir Jdid, située à 45 km au sud de Casablanca, l’installation et la
vie quotidienne d’un de ces quartiers d’habitation informelle. Cette
agglomération se trouve dans une zone rurale, à dominante agricole,
dans laquelle il n’y a que peu d’industrie. Néanmoins, ces dernières
années, du fait de l’expansion de Casablanca, Bir Jdid tend à se
développer et à devenir une périphérie de grande ville. Cet article
revient sur une enquête ethnographique menée sur le douar lota
(2012-2013), et vient offrir une description détaillée de la genèse
de création d’un quartier auto-construit à Bir Jdid dans le contexte
post-2011 au Maroc. Dans cet élan, cet article cherche également à
réinscrire les formes contemporaines de création de territoire par
le bas dans l’histoire plus longue du colonialisme et des structures
post-coloniales que son héritage a laissé.
402
2. L’autoconstruction dans la Commune de Bir Jdid (Région du Grand Casablanca) :
évolutions , pratiques et résistances
Début 2012, une rumeur laisse entendre que « el bni tatlak », c’est-à-dire que
la construction est devenue libre. Cette rumeur, qui a été lancée au lendemain de
la victoire du PJD aux élections législatives, affirmait qu’il n’y avait plus besoin
d’autorisation pour construire ou même lotir un terrain. En quelques mois, le
Maroc a alors assisté à une véritable prolifération du « bni el ‘achwai » – l’habitat
informel –, de sorte qu’en périphérie de toutes les villes marocaines, des quartiers
entiers se sont construits sur des terrains qui n’étaient pas constructibles, sans respect
des plans d’urbanisme. Ce phénomène, au départ toléré par les pouvoirs publics, a
vite été à l’origine d’altercations entre les habitants de ces quartiers et les autorités
publiques, lorsque ces dernières ont voulu intervenir pour stopper les constructions.
Suite à ces incidents, ces quartiers se sont construit « de force », comme en atteste
le nom d’un quartier situé à la périphérie d’Agadir que les habitants ont baptisé
« Derb bzzez » – ce qui veut littéralement dire « quartier construit de force » – au
lendemain des affrontements qui les ont opposés aux forces de l’ordre.
404
2. L’autoconstruction dans la Commune de Bir Jdid (Région du Grand Casablanca) :
évolutions , pratiques et résistances
Cet article revient sur une enquête ethnographique menée sur le douar lota
(2012-2013), et vient offrir une description détaillée de la genèse de création
d’un quartier autoconstruit à Bir Jdid dans le contexte post-2011 au Maroc. Dans
cet élan, cet article cherche également à réinscrire les formes contemporaines de
création de territoire par le bas dans l’histoire plus longue du colonialisme et des
structures postcoloniales que son héritage a laissées.
1. E
n 1992, les communes de Dar Bouazza, Ain Harrouda, Mediouna et Bouskoura seront également
transformées en commune urbaine.
406
2. L’autoconstruction dans la Commune de Bir Jdid (Région du Grand Casablanca) :
évolutions , pratiques et résistances
consisté à regrouper les différentes poches des douars originels qui se trouvaient
alors comprises dans le « centre délimité » du village. Ce regroupement des douars
a formé un quartier appelé aujourd’hui douar Makhzen. En pratique et dans sa
forme, ce « nouveau quartier » a simplement pris la forme d’un bidonville. Il
faudra attendre les années 1980 pour que ce douar bénéficie d’une restructuration
en bonne et due forme et qu’il soit raccordé aux services urbains de base. Dans les
années 1970, la première opération de construction de logements sociaux visant
à résorber le logement informel est mise en place. Ce programme, financé par le
Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM), permet, d’une part,
le financement de l’autoconstruction en fournissant aux personnes souhaitant
construire, l’accès à des lots à des tarifs privilégiés dans un lotissement équipé des
services de base par la commune et, d’autre part, de bénéficier d’une avance sur les
matériaux de construction élémentaires (microcrédit). Ce programme donnera
naissance à un nouveau quartier à Bir Jdid qui portera, tout naturellement, le
nom « PAM ». Mais, ce programme ne suffira pas à endiguer la prolifération
de l’informel. À partir des années 1980, commence à se développer le premier
grand quartier d’habitations informelles, derb dra’ou – qui veut littéralement
dire "quartier construit à la force de ses bras". Le douar lota, deuxième quartier
clandestin, n’apparaîtra que dans les années 1990.
3. C
itation tirée de l’article de Bessaoud, extraite de sa communication lors du colloque sur la réforme
agraire, qui s’est tenu au Maroc. Voir à ce sujet : Jean Dresch et al. (1963). Réforme agraire au Maghreb
(séminaire sur les conditions d’une véritable réforme agraire au Maroc). Paris : Maspero.
408
2. L’autoconstruction dans la Commune de Bir Jdid (Région du Grand Casablanca) :
évolutions , pratiques et résistances
À l’instar de bon nombre de quartiers clandestins, c’est sur une zone de flou
administratif qu’est venu se planter ce quartier d’habitations informelles. Le
douar lota est délimité par le haut par la grande route de Bir Jdid qui amène au
marché hebdomadaire – souk khmiss6. Par le bas, son étalement est stoppé par la
voie ferrée qui amène à la gare. Sans être désaffectée, la gare ne fonctionne pas
réellement. Les trains qui relient Casablanca à El Jadida la traversent toutes les
heures sans s’arrêter. Seuls deux trains du matin, (de sept heures et de huit heures)
marquent l’arrêt. Le douar lota fait l’effet d’une zone urbaine non achevée, en
suspens : une gare fantôme, ornée de vieilles habitations à l’abandon initialement
destinées au personnel de l’ONCF7, reliée à la ville par une piste qui longe le
chemin de fer, une usine de production de farine, et quelques poteaux électriques.
En 2012, une rumeur naît et enfle. Le bruit court que le Roi lui-même autorise
les auto-constructions. Au Maroc, l’émergence de la rumeur « el bni tatlaq »
est apparue dans un contexte politique particulier : celui de la reconfiguration
4. Lota, en darija, veut littéralement dire « en bas de la pente ». Le douar lota a trouvé son nom de par sa
situation géographique.
5. V oir à ce sujet le rapport : INDH (2010, août). Diagnostic territorial participatif de la commune rurale de
Laghdira. Initiative nationale pour le développement humain.
6. Souk khmiss qui veut littéralement dire « marché du jeudi » tire son nom du fait que le souk hebdomadaire
a lieu chaque jeudi.
7. Office national des chemins de fer.
410
2. L’autoconstruction dans la Commune de Bir Jdid (Région du Grand Casablanca) :
évolutions , pratiques et résistances
chaque jour pour trente dirhams aller/retour et une heure de transport. Pour
d’autres encore, douar lota est une aubaine d’investissement. Ce sont des jeunes
issus des bidonvilles de Chichane, qui disent avoir investi. Ils attendent de savoir si
l’électricité arrivera dans le quartier pour décider s’ils s’y installeront pour de bon.
Ceux de la grande ville dénigrent les autochtones. À l’inverse, ceux qui viennent
des campagnes reculées ont le sentiment de progresser vers la ville. Ils viennent
le plus souvent de la région des Doukkala, mais « maintenant il y a aussi des
Chleuhs.8 », disent amusés les anciens habitants. Tous sont venus dans l’espoir de
trouver du travail à Bir Jdid et se rapprocher des grandes villes : Casablanca et El
Jadida. Sans formation, autre que celle de savoir cultiver leur terre, ces habitants
sont rapidement déçus. Le travail se fait rare à Bir Jdid, et le manque de confort
offert par le quartier déroute les femmes qui ont du mal à gérer leur nouvelle vie
et les impératifs induits par la promiscuité.
412
2. L’autoconstruction dans la Commune de Bir Jdid (Région du Grand Casablanca) :
évolutions , pratiques et résistances
Les déchets : Il est vrai que les misères ne manquent pas. Les eaux usées
minent d’humidité les fondations des habitations, celles des pluies pleuvent
dans les pièces à travers les toits de tôles. Ceux qui ont construit en bas des
pentes, face à la voie ferrée, reçoivent le reste de l’eau ruisselante des égouts et se
retrouvent inondés en hiver. Les déchets brûlés envahissent une fois par semaine
l’atmosphère du quartier. Un jour maudit où chaque habitant est condamné à
s’enfermer dans une pièce avec un bout de tissu sur le nez pour tenter d’inhaler
le moins d’odeurs toxiques. Chaque habitant nettoie sa maison et la proximité de
sa maison en abandonnant le reste au soin du lessivage du temps. Tous pensent,
comme à la campagne, que la nature nettoiera les déchets. Ils auraient bien voulu
régler cette affaire, s’organiser pour faire une collecte, mais tous sont pris dans
une lutte quotidienne pour la survie. Alors, ils ont appris, entre les mouches et
les moustiques, les odeurs et les eaux ruisselantes, à exister autant que possible.
fait un métier. Appelés par les habitants, ils vident et récoltent cette « commission »
en échange de quelques sous. Sans gants, ni protection.
414
2. L’autoconstruction dans la Commune de Bir Jdid (Région du Grand Casablanca) :
évolutions , pratiques et résistances
bas âge. L’eau du puits est bouillie, mais elle n’est pas traitée. Bien qu’elle ait
l’air suspecte, les habitants la consomment, dans un soupir, l’air de dire : « On
n’est pas à ça près. », en regardant noircir de tartre et de calcaire leur vaisselle de
cuisine. Chercher l’eau est un périple quotidien. Les plus pauvres du quartier se
répartissent les points d’approvisionnement. La fontaine d’eau publique ou les
puits d’eau douce pour l’eau à boire, et les autres puits d’eau salée pour les tâches
ménagères (hormis le lessivage des vêtements qui, lui, nécessite de l’eau douce,
car l’eau salée ne fait pas mousser le savon). Quand il pleut, ils récupèrent l’eau
de pluie, dans des bassines ou des seaux posés en dessous des tôles, elle sert à la
vaisselle. L’eau bonne à boire se répartit en carafes, bouteilles, jarres, bidons, qu’il
faut chaque jour nettoyer et remplir sitôt la fontaine ouverte. Le calcul du temps
de la journée se fait d’abord en fonction du parcours de l’eau : plus d’une heure
de queue en heure de pointe à la fontaine ; et pour ceux qui habitent en bas du
quartier, il faut au moins compter – avec la charge des bidons – vingt minutes
de marche. Alors les femmes se plaignent. Difficile de devoir gérer le temps de
l’école pour les enfants et le temps de l’eau. Parfois, en été, les puits s’assèchent.
Tout le quartier doit alors se rabattre sur l’unique fontaine qui ferme, quelles
que soient les conditions, à midi. C’est la course effrénée. Chaque goutte d’eau
à boire est économisée. Pas de gaspillage au douar lota. Les théières sont rincées
avec parcimonie, et le thé ne se boit que deux fois par jour. Quand l’eau se fait
trop rare, certains habitants vont se la débrouiller en ville. Mais quand l’été est
trop sec et que l’eau manque même en ville, ce qui arrive fréquemment, alors c’est
la catastrophe.
L’école : Deux salles de classes, une petite cour, sans eau, ni électricité, telle
est la seule école dont est pourvu le douar lota. Située à l’extrémité sud de l’autre
partie du quartier, cette école fait face à la voie ferrée. Pour s’y rendre, les enfants
du douar lota doivent traverser le terrain vague. Environ trente minutes de marche.
Les habitants se plaignent du non-suivi dont sont victimes les enfants scolarisés
dans cette école. Il se dit dans le quartier que l’enseignant enferme les enfants
dans la salle de classe toute la journée, et qu’il ne revient les chercher qu’une fois
sa journée de travail censée être finie. Il est vrai que les enfants scolarisés là-bas
ne savent toujours pas lire, même arrivés à l’âge de neuf ans. Pour cette raison, la
plupart des parents inscrivent leurs enfants à l’école de Bir Jdid. Un long trajet à
faire pour les mères devant accompagner leur petit chaque matin, puis les chercher
à midi, les raccompagner à 14h et les ramener en fin de journée. Mais, tout le
monde espère une meilleure éducation pour ses enfants. Ils n’ont pas les moyens
de les inscrire dans les écoles privées mais, au moins, ils les font entrer dans la
meilleure école publique possible. De plus en plus, les parents déposent aussi
leurs enfants à la crèche – rawd – pour qu’ils puissent bénéficier d’une maternelle.
Les enfants de la ville, eux, entrent au CP en sachant déjà déchiffrer les lettres.
Aucune crèche n’existe dans le quartier, mais certaines femmes, arrivées après
2012, ont ouvert deux crèches clandestines. Elles sont moins chères que celle de
la ville. La petite fille de Mehdi est inscrite dans l’une d’elles. Parfois, les parents
se plaignent du manque de professionnalisme qui existe dans ces crèches, mais
au moins, disent-ils, leurs enfants sont à côté. Une corvée de transport en moins
pour les mères déjà affairées à chercher l’eau chaque matin.
9. D
epuis la fin de notre enquête, le maire et l’adjoint au maire ont été condamnés par la justice pour
détournement de fonds. Ils ont tous deux écopés de peines de prison ferme.
416
2. L’autoconstruction dans la Commune de Bir Jdid (Région du Grand Casablanca) :
évolutions , pratiques et résistances
Mon terrain d’enquête porte sur cette partie du quartier, car pour pouvoir avoir
accès aux habitants, il fallait choisir son camp. Pour des raisons d’opportunité, il
m’a semblé plus judicieux de choisir le camp de ceux qui se trouvaient à la marge
de la marge. Cette étude racontera donc le parcours politique des « oubliés » du
douar lota.
Entrer en politique pour gérer les affaires locales par le parcours associatif,
voilà un espoir qui leur a été offert par les « avancées démocratiques » de 2011.
Mais, pour ces combattants du soir, la levée au grand jour n’est pas si simple.
Combattre dans l’ombre est leur spécialité, mais apprendre à dire le droit en plein
jour les transforme en enfants à qui on retire la tétée, et ce, d’autant que rien n’est
fait pour les aider. En 2013, le pouvoir central a repris pied. Le mouvement de
418
2. L’autoconstruction dans la Commune de Bir Jdid (Région du Grand Casablanca) :
évolutions , pratiques et résistances
contestation de 2011 est enterré et, au niveau local, l’étau se resserre sur l’habitat
clandestin. Au niveau du douar lota, les autorités mais aussi les politiques de la
ville de Bir Jdid mettront en place toute une série de mesures visant à l’exclusion
des habitants des quartiers clandestins.
Quelques mois plus tôt, la venue de la journaliste étrangère avait scellé chez
les habitants le désir de créer une association. Mais la démarche de s’organiser en
association n’est pas usuelle pour le quartier. Plusieurs tentatives passées avaient
d’ailleurs toutes abouti à un échec.
Il ne s’agit pas ici de dire que le type d’organisation associatif n’est pas
courant dans les quartiers d’habitat informel, mais plutôt de faire observer que
ce quartier est marqué par une marginalisation particulière, de sorte que l’on
peut dire que des trois autres quartiers d’habitats informels qui composent la
ville de Bir Jdid, le douar lota est le plus marginalisé. En effet, situé aux lisières
de la ville, ce douar ne bénéficie pas de l’administration urbaine puisqu’il est
encore rattaché administrativement à la commune rurale voisine. De ce fait,
ce quartier ne bénéficie d’aucune infrastructure urbaine, sans pour autant être
structurellement rattaché au monde rural. En somme, ni en ville ni à la campagne,
cette situation place les habitants de douar lota dans un type de structure sociale
qui ne facilite pas l’action collective. En effet, n’étant pas rattachés à la commune
urbaine, les habitants ne peuvent pas inscrire leurs revendications dans le cadre
des politiques d’aménagement urbain, ni faire jouer la pluralité d’acteurs que l’on
trouve en ville pour augmenter leurs chances de voir leurs demandes exaucées.
Par ailleurs, le cadre offert par l’administration rurale est particulier. Il fonctionne
principalement sur la base de réseaux de solidarité étendue entre les élus et la
population des douars environnants plus ou moins reliés par des liens de parenté.
Or, les premiers habitants du douar lota, bien qu’étant originaires de la campagne
environnante, ne sont pas nécessairement issus des cercles familiaux locaux. Bien
souvent, ces habitants ont un parcours de vie « anormal » dans le sens où l’arrivée
dans ce quartier est une conséquence d’un processus d’exclusion de la campagne
d’origine. Autrement dit, ces « anciens » habitants ne bénéficient pas du cadre de
solidarité qui fonde l’organisation sociale dans le monde rural.
situation d’illégalité ainsi que le flou administratif dans lesquels se trouvent les
habitants ne leur permettent pas d’asseoir un socle de revendications sur une
base aussi formelle et légale que le type associatif – dont nous faisons l’hypothèse
qu’il est nécessairement lié à une forme de pouvoir moins concentrée que
celle qui s’exerce sur le quartier. Jusqu’ici, les anciens habitants formaient des
revendications sous la forme d’une allégeance symbolique et publique à l’adjoint
au maire. C’est ainsi que les anciens habitants racontent, avec sourires et désarroi,
l’épopée qui a conduit à l’électrification d’une partie du quartier il y a sept ans.
C’est l’épicier du quartier, un homme d’une cinquantaine d’années, qui a mené
l’opération. Accoudé au comptoir de sa petite épicerie, il raconte avec lassitude et
amertume la manière dont il a finalement réussi à amener l’électricité dans sa rue :
« Un jour, avec les hommes du quartier, on a décidé qu’il n’était plus possible
que l’on reste les seuls du coin à être sans électricité. N’importe quelle
campagne, même la plus reculée a l’eau et l’électricité aujourd’hui. Nous,
cela faisait dix ans que l’on vivait dans ces conditions. On a donc décidé de
se renseigner sur la procédure à suivre pour demander l’électrification du
quartier. On a appris qu’il fallait formuler une demande collective. J’ai alors
décidé de toquer aux portes de tous les voisins pour leur demander leurs
cartes d’identité et en faire une copie pour déposer la demande.
J’ai décidé de me charger des choses parce qu’avec ma carte d’invalidité, j’avais
plus de chance de faire aboutir la demande. Mais cela a été plus compliqué que
prévu. D’abord, les voisins étaient méfiants. Certains ont dit que je n’allais pas
faire profiter tout le monde. Du coup, certains voisins n’ont pas voulu me donner
leurs cartes. Mais outre les problèmes que j’ai eus avec le voisinage, je n’ai
trouvé aucun interlocuteur officiel qui me disait clairement quelles procédures
je devais suivre. Le cheikh me disait que je devais réunir l’ensemble des cartes
d’identité pour les déposer au caïd. Le caïd, lui, me disait qu’il ne pouvait rien
faire pour nous. Je suis allé jusqu’à la Province d’El Jadida pour déposer la
demande. J’ai fait tout cela à mes frais. J’ai payé tous les taxis de ma poche.
Mais, je n’ai eu aucune nouvelle. Je me faisais toujours baladé d’administration
en administration sans que jamais personne ne me dise clairement quoi faire.
Un jour, j’ai appris que le raïss avait laissé entendre qu’il n’allait jamais nous
accorder l’électricité puisque nous passions par des chemins détournés. Bref,
je n’ai pas trop compris ce qui se passait, alors je suis allé le voir.
420
2. L’autoconstruction dans la Commune de Bir Jdid (Région du Grand Casablanca) :
évolutions , pratiques et résistances
La discussion était agitée. Il nous reprochait d’être passés par d’autres canaux
que lui, alors qu’il est censé être notre interlocuteur principal. Il disait qu’il
était d’ailleurs le seul à pouvoir nous amener l’électricité. Pour le rassurer, on
a décidé avec tous les voisins, d’organiser un grand dîner de réconciliation en
l’honneur du raïss pour lui demander d’appuyer notre demande d’électrification.
On s’est tous cotisé : on a acheté de l’huile, de la semoule, de la viande, des
fruits, de la limonade. Les femmes ont cuisiné plusieurs plats de couscous et,
une nuit, on a tout emmené en cortège chez lui.
Mais, tout cela a créé beaucoup d’histoires dans le quartier parce que tous les
voisins n’ont pas accepté de jouer le jeu. Du coup, tout le monde n’a pas eu le
droit à l’électricité. Aujourd’hui, beaucoup disent que j’ai profité de la situation.
Pour ce quartier, moi je ne bougerai plus. Si les autres veulent monter une
association tant mieux, je pense qu’il le faut, mais je ne m’en mêlerai plus. »
La rue de l’épicier a été la première à être électrifiée, il y a sept ans. Les autres
ont dû attendre le vote pour le référendum constitutionnel en juillet 2011 pour
bénéficier du raccordement, que certains présentent comme « un des avantages du
vote pour la Constitution ».
Cette histoire d’électrification, tous les habitants en ont une version différente.
Ceux qui n’ont pas bénéficié de la première vague d’électrification sont scandalisés
par cette affaire : non seulement ils ont dû attendre quatre ans pour être raccordés
mais, en plus, les premiers raccordés n’ont pas eu à payer l’aménagement des
poteaux d’électricité dans le quartier, alors que les autres se retrouvent à payer, en
sus de leurs factures mensuelles d’électricité, une cotisation visant à rembourser
l’aménagement des poteaux installés en 2011. Cette différence de traitement est
expliquée par le refus de certains à se prêter au cérémoniel d’allégeance au raïss.
Dans tous les cas, chaque habitant exclu de la première vague d’électrification,
donne une explication à dimension personnelle de son exclusion :
« C’est pour mieux nous tenir, il nous fait comprendre qu’on ne peut pas
bouger sans lui. »
« C’est une manière de se venger de ceux qui n’ont pas voté pour lui. »
Ainsi, jusqu’en décembre 2012, la structure du quartier était ainsi faite que
les revendications des habitants ne pouvaient s’exprimer que sous la forme de
médiation interpersonnelle avec les autorités locales. Cependant, avec l’arrivée
massive de nouveaux habitants en 2012, la structure sociale du quartier et le
422
2. L’autoconstruction dans la Commune de Bir Jdid (Région du Grand Casablanca) :
évolutions , pratiques et résistances
rapport au pouvoir qui s’y dégageait s’en sont trouvés profondément bousculés,
et ont participé à modifier les structures du processus revendicatif
Il faut noter qu’à ce moment, les nouveaux habitants ne sont pas encore
totalement intégrés dans le quartier. Néanmoins, du fait que bon nombre d’entre
eux viennent de la ville et ont bénéficié de plus d’éducation, un nouvel habitant
âgé d’une trentaine d’années, réparateur informatique, se trouve hissé membre
du bureau. La réunion est assez impressionnante à observer. Les hommes parlent
avec enthousiasme. Ils donnent l’impression d’être d’une détermination que rien
ne pourrait stopper. Mais cette impression n’a pas duré très longtemps. Au bout
de quelques instants, le cheikh, prévenu qu’une réunion s’était organisée dans le
quartier, est intervenu pour demander de justifier la présence de la journaliste
étrangère. Comme décrit précédemment, après les quelques échauffourées avec
le cheikh, les habitants se sont dissipés aussi rapidement qu’ils s’étaient regroupés.
Suite à cet événement, la constitution du bureau est modifiée. Le premier bureau
de l’association se constitue trois jours plus tard.
424
2. L’autoconstruction dans la Commune de Bir Jdid (Région du Grand Casablanca) :
évolutions , pratiques et résistances
habitants n’ont pas été invités aux discussions, d’autant qu’ils ne sont pas
concernés par les mêmes revendications. En effet, les nouveaux habitants
revendiquent en premier lieu l’électrification de leurs maisons. Seulement,
comme cela arrive souvent au Maroc, le caïd refuse d’accorder au nouveau bureau
le statut d’association. La cause invoquée : le président présenté n’aurait pas de
carte d’identité valide. S’en sont ensuivis trois mois durant lesquels le projet
associatif est resté paralysé car, comme nous l’avons évoqué précédemment, il
est difficile de refaire sa carte d’identité lorsqu’on réside dans un quartier illégal.
En décembre 2013, les membres du bureau ont décidé de déposer la demande
d’association de quartier en présentant un nouveau président. Mais la procédure
s’avère compliquée.
Rachid, un des membres du bureau, dit qu’ils ne lâcheront pas jusqu’à obtenir
le récépissé légalisant leur déclaration d’association. S’il veut entrer dans le réseau
associatif, c’est pour se former, dit-il, et améliorer le quartier. Son objectif : créer
une vie culturelle pour les enfants du quartier. Rachid est un jeune homme,
marié et père de deux enfants, il est titulaire d’un bac +3, travaille au péage
de l’autoroute de Bir Jdid, et ne se déplace qu’à bicyclette. Il a déjà rencontré
plusieurs associations de quartiers de la ville qui ont été amenées à entamer les
mêmes procédures. Lorsqu’il évoque l’association, ses yeux brillent en pensant à
tout ce qu’il pourrait entamer comme travail de fond dans le quartier.
« Pour nous c’est fini, mais quand je regarde mes enfants, je pense à
l’avenir. »
Mais tous les efforts déployés par les habitants n’aboutiront à rien. En 2013,
il est hors de question de permettre aux habitants des quartiers autoconstruits de
se regrouper en association. Cette instruction « vient d’en haut », confie le maire
de Bir Jdid.
Conclusion
L’informel reprend sa place habituelle. Il est relégué au sécuritaire. Si l’État
reprend le contrôle, il le fait sous d’autres formes que celles d’avant 2011. Moins
de tolérance. La transition démocratique des années 2000, accompagnée d’un
assouplissement dans la gestion et la lutte contre l’habitat clandestin et insalubre, est
reléguée aux temps anciens. Du côté des autorités, on ne parle plus de concertations
avec les habitants ou de droit aux services de base : c’est tout l’inverse. Les circulaires
internes circulent de municipalité en municipalité. À Bir Jdid, le maire a reçu
pour ordre de ne pas entamer de démarches visant à améliorer l’état des quartiers
autoconstruits. Aucune rénovation n’est possible. Laisser les gens dans la misère est
une bonne façon de dissuader les nouveaux de s’implanter.
Les droits de l’Homme sont relégués aux grands discours car, concrètement
au Maroc en 2013, les habitants du « el bni jdid » n’auront pas le droit
d’être enregistrés dans leur commune. Impossible d’avoir le moindre papier
administratif. Les enfants, dont les parents sont venus d’ailleurs et qui passent
leur bac se retrouvent bloqués car ils ne peuvent pas passer l’examen dans le
lycée de la ville. Les habitants doivent redoubler de signes de déférence, et de
corruption pour supplier les autorités locales de leur donner une attestation de
logement. Celle-ci est systématiquement refusée. Les enfants nés dans le quartier
ne sont pas inscrits au registre de la commune, les parents doivent quémander
des attestations d’hébergement chez leur proche pour pouvoir donner un état
civil à leur progéniture. Des habitants sans ville, des habitants sans citoyenneté,
voilà le sort qui a été réservé aux combattants de l’an 2012. L’État leur a fait payer
leur audace. Désormais, l’école de Bir Jdid ne prendra plus les enfants du douar
lota. Tous les habitants du quartier seront obligés de se retrancher sur l’école
du quartier. Celle que chaque parent fuit, espérant pouvoir donner un avenir à
son enfant en l’inscrivant en ville. Deux salles de classes, alors que le quartier a
explosé. Certes, on ne touche pas aux maisons. Les autorités ont compris la limite
à ne pas dépasser, mais ils jouent avec les nerfs. Fragilisent, divisent, et retirent les
droits les plus élémentaires à une population déjà vulnérable. Dans ce contexte,
« el jam’ia » fait son trou. Comme une maison du quartier, elle naît de nuit, se
démolit, renaît de ses cendres, est abandonnée, puis revit. Le parcours de lutte des
habitants pour l’amélioration de leurs conditions de vie sonne l’entrée dans un
processus revendicatif qui ne s’éteindra pas.
426
2. L’autoconstruction dans la Commune de Bir Jdid (Région du Grand Casablanca) :
évolutions , pratiques et résistances
Bibliographie
• Abkhar, M. et al. (2004). Étude diachronique de 1949 à 2000 de l’évolution du trait côte du
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Lettres El Jadida, 89. El Jadida : UCD, p. 163-171.
• Gadille, J. (1955). La colonisation officielle au Maroc. Cahiers d’Outre-Mer, 32. Toulon : Persée,
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• Jmahri, M. (2012). Une vie de colon à Mazagan. El Jadida : Les Cahiers d’El Jadida.
• Kaioua, A., Troin J.-F. (2002). Les espaces satellites de Casablanca : Chaouia et Doukkala. Dans
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Tarik et Urbama, p. 71-88.
• Khyati, S. (2010). Structures foncières, morcellement et question des propriétés indivises dans
le périmètre irrigué des Doukkala. Revue Faculté des Lettres et des Sciences humaines d’El Jadida,
1112, p. 21-36.
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Azemmour. Revue de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines, 16. Mohammedia, p. 73-90.
• Michaux-Bellaire, E. (1915). Région des Doukkala. Tome II. Les Doukkala. Casablanca : Éditions
Frontispice.
Résumé
L
’activité minière, partout où elle nait, est par définition
une activité localisée qui nécessite pour la mise en valeur
d’une mine des infrastructures, des équipements et de la
main d’œuvre. Mais l’espace minier n’est pas qu’une configuration
physique, c’est un ensemble de réseaux et de rapports sociaux. C’est
un espace fabriqué, identifié, dimensionné, polarisé et approprié par
la compagnie minière et les populations qui y vivent.
430
3. Les mines et les villes minières marocaines : des territoires complexes face aux défis de la préservation
et la reconversion
Introduction
Les territoires connaissent des mutations multiples : mondialisation,
globalisation des échanges, métropolisation, injonction à la participation et au
développement durable, de nouveaux enjeux liés à l’identité, individualisation,
etc.
L’activité minière, partout où elle nait, est par définition une activité
localisée qui nécessite, pour la mise en valeur d’une mine, des infrastructures,
des équipements et de la main-d’œuvre. Mais l’espace minier n’est pas qu’une
configuration physique, c’est un ensemble de réseaux et de rapports sociaux. C’est
un espace fabriqué, identifié, dimensionné, polarisé et approprié par la compagnie
minière et les populations qui y vivent.
432
3. Les mines et les villes minières marocaines : des territoires complexes face aux défis de la préservation
et la reconversion
L’extraction des minerais ou des combustibles minéraux est donc une activité
étroitement localisée, dont le développement peut constituer une occupation
originale de l’espace et entraîner la formation de groupements de populations
denses.
Les petites mines, notamment celles qui sont exploitées d’une manière
artisanale, donnent rarement lieu à des concentrations denses de la population.
Généralement, c’est l’agglomération la plus proche du site minier qui sert de lieu
d’hébergement aux mineurs.
Ainsi, on distingue :
434
3. Les mines et les villes minières marocaines : des territoires complexes face aux défis de la préservation
et la reconversion
La ville minière peut être « spontanée » ou planifiée et créée de toutes pièces par la
compagnie minière. Les agglomérations minières ne peuvent être isolées de l’activité
et de l’espace minier qui les ont sécrétées. Comme pour tout espace économique, la
ville minière constitue le nœud, le pôle, l’unité structurante de l’espace minier produit.
436
3. Les mines et les villes minières marocaines : des territoires complexes face aux défis de la préservation
et la reconversion
438
3. Les mines et les villes minières marocaines : des territoires complexes face aux défis de la préservation
et la reconversion
440
3. Les mines et les villes minières marocaines : des territoires complexes face aux défis de la préservation
et la reconversion
• Les mines ont toujours été, à travers les dynasties qui se sont
succédé au Maroc, un symbole de puissance, de domination et de
pouvoir. En effet, l’armement et la frappe de monnaie constituaient
les fondements de la suprématie dynastique.
Les mines d’Afrique du Nord ont été pour la plupart connues et parfois
même exploitées depuis longtemps. Les récits anciens relatifs à la période romaine
signalent les restes de travaux miniers à Jbel Lahdid, situé à 22 km d’Assaouira
pour l’extraction du minerai de fer, à Sidi Rahhou, à Jbel Mahsour et Sidi
Boubkere dans la région d’Oujda pour l’exploitation du plomb2. Les travaux de
prospection et d’exploitation minière entamés au début du XXe siècle ont permis
de reconnaître l’existence dans la région de l’Oriental, en 1924, d’une batterie
de 36 fours en argile, dont les parois ont été maintenues par la maçonnerie pour
traiter le minerai sur la base d’une oxydation partielle. De même,, dans la région
de Taddars, ont été trouvées deux lampes en terre à proximité de filons exploités
pour l’extraction de l’étain3.
1. P
our une étude historique et archéologique bien fournie, nous conseillons la lecture de l’importante
recherche de B. Rosenberger intitulée : Les vieilles exploitations minières et les centres métallurgiques
du Maroc, essai de carte historique, publiée en deux parties dans les n° 17 et 18 de 1970 de la Revue de
Géographie du Maroc, ancienne série.
2. C
ité par Pierre Despujols : (1936). Historique des recherches minières au Maroc (zone française) des
origines à 1930. Notes et Mémoires n° 3. Rabat : Service des mines et de la carte géologique.
ité dans : Ministère de l’Énergie et des Mines (1990). Panorama de l’industrie minière.
3. C
4. Ibn Khordadbah dans Routes musulmanes de l’Asie centrale aux Pyrénées, cité par Georges S. Colin (1936,
juillet). Les mines marocaines et les Marocains. Bulletin économique et social du Maroc. p. 195 ; cité
également dans Panorama de l’industrie minière, 1990.
5. Géographe andalou, décédé en 1094, connu pour son ouvrage Description de l’Afrique septentrionale.
6. Ainsi Yahia s’est établi à Daï où l’on extrayait le cuivre, Abdallah a régné sur Igli et Tamdoult dans le Sud.
442
3. Les mines et les villes minières marocaines : des territoires complexes face aux défis de la préservation
et la reconversion
Al Wazzane10 (dit aussi Léon l’Africain) donne des précisions nouvelles sur
l’exploitation des gîtes miniers au XVIe siècle. Il a cité l’existence de nombreuses
mines, notamment le fer à Damsira, le cuivre dans la région de Gzoula, l’argent
chez les Ilalene (60 km au sud de Taroudante), l’or à Taïjant (actuel Tiout
probablement, 20 km au sud-est de Taroudante).
Par ailleurs, les mines ont été à l’origine de la fondation de nombreuses villes
dont la plus importante a été, sans doute, Sijilmassa, capitale de la zone minière
de Tafilalt et métropole économique de l’Afrique du Nord. Les géographes arabes
la qualifiaient également de « porte de la mine d’or », voulant exprimer par là que
l’on partait de Sijilmassa pour se rendre au Soudan et au Ghana et que c’était
là que les caravanes, à leur retour, apportaient la poudre d’or. Importatrice d’or,
Sijilmassa exportait du cuivre vers l’Afrique subsaharienne14.
Al Wazzane rapporte aussi qu’« à Maâdene Aouame, sur les rives du Bouregreg,
un trésorier du Sultan Abdalmoumine (1130-1163) construisit une ville pour
l’exploitation des mines de fer. Cette ville fut ruinée sous les Mérinides »15.
Il rapporte également qu’à la ville d’« Al Joumouà, ville du pays des Haskoura, il
y a une profonde mine de fer, les habitants en font des fers à cheval qu’ils échangent avec
les habitants du désert contre des produits de leurs pays »16. Selon G.S.Colin, il s’agit du
Souk Al Jamaà des N’tifa, situé sur l’Oued Laabid, entre Bzou et Azilal.
De nombreux centres miniers ont été cités dans des ouvrages d’histoire ou de
géographie, des rapports diplomatiques ou des récits de voyages. Ces villes n’existent
plus aujourd’hui ou n’existent qu’à l’état de ruines, voire de simples traces.
De surcroît, les mines ont joué un rôle fondamental dans les conflits politico-
ethniques et la succession des dynasties. Ainsi, les Almoravides au XIe siècle se
sont emparés de Sijilmassa, du Draà, de Tamdoult, des mines de Boumaàdene-
Aouame et Oued Kannas. Les Almohades, quant à eux, dominaient plusieurs
exploitations minières telles que les mines de Sanhaja dans le Moyen Atlas
méridional et d’Aghbar dans le Siroua. Une forteresse a été construite pour
protéger la mine de Zgoundar.
444
3. Les mines et les villes minières marocaines : des territoires complexes face aux défis de la préservation
et la reconversion
Après les Saadiens et jusqu’à la fin du XIXe siècle, les informations sur l’activité
minière se font de plus en plus rares, en raison probablement du ralentissement de
la production dû essentiellement à la stagnation technologique et aux événements
politiques. À la veille du XXe, le sultan Hassan 1er, conscient de l’importance
stratégique des ressources minérales, procède à l’envoi d’étudiants marocains à
l’étranger pour acquérir les techniques occidentales dans le domaine minier, et
fait aussi appel à des ingénieurs anglais pour aider à la prospection minière dans
certaines zones du Maroc, notamment les régions de Marrakech et Tanger.
18. Ministère de l’Énergie et des Mines (1988). Panorama de l’industrie minière. Tome 1. p. 14.
Source: http://www.hoteltomboctou.com
Source : http://www.zagorapress.com
446
3. Les mines et les villes minières marocaines : des territoires complexes face aux défis de la préservation
et la reconversion
Source : http://www.sud-maroc.com
Source : http://midelt-rca.skyrock.com
Source : http://www.spiriferminerals.com
La découverte du phosphate par Abel Brives (1905), ensuite par Louis Gentil
(1908) va accélérer la colonisation du Maroc et donc la déclaration du Protectorat.
Abel Brives est le premier géologue français envoyé par une compagnie de
son pays en 1901 dans le but de reconnaître le pays et d’estimer ses potentialités
minières. D’autres géologues et prospecteurs, notamment français, sillonnent
le Maroc dans la discrétion totale. De nombreux gisements découverts, dont
le phosphate, pendant cette période précoloniale, ne sont exploités qu’avec
l’établissement du Protectorat à la suite de la signature du Traité de Fès le 30 mars
1912.
19. S
ignalons les textes de 1914, 1923, 1929, 1938 et surtout le dahir du 16 avril 1951 qui constitue le
premier Code minier au Maroc.
20. L
e Service géologique, l’Office chérifien des Phosphates et surtout le Bureau de recherche et de
participation minière (BRPM).
448
3. Les mines et les villes minières marocaines : des territoires complexes face aux défis de la préservation
et la reconversion
Dans les années trente et quarante, le Maroc était parmi les rares colonies
d’Afrique à disposer d’une « activité » minière moderne et d’une infrastructure
adéquate permettant d’expédier vers l’Europe des minerais à des prix compétitifs,
450
3. Les mines et les villes minières marocaines : des territoires complexes face aux défis de la préservation
et la reconversion
ourquoi le Maroc tourne-t-il le dos à ses mines ? Dans Le Matin du Sahara et du Maghreb (2000,
21. P
novembre, 10).
452
3. Les mines et les villes minières marocaines : des territoires complexes face aux défis de la préservation
et la reconversion
Mais s’il y a une activité minière qui a conduit à des bouleversements socio-
spatiaux irréversibles et qui a surtout produit une urbanisation durable dans les
zones de production, c’est bien le phosphate.
454
3. Les mines et les villes minières marocaines : des territoires complexes face aux défis de la préservation
et la reconversion
• La reconversion industrielle ;
• La tertiarisation (finances) ;
456
3. Les mines et les villes minières marocaines : des territoires complexes face aux défis de la préservation
et la reconversion
Conclusion
Le succès des expériences de reconversion des sites miniers en Europe trouve
son explication dans les éléments suivants :
458
3. Les mines et les villes minières marocaines : des territoires complexes face aux défis de la préservation
et la reconversion
Bibliographie
• Adidi, Abdelaziz.(2006). Mécanismes et formes de croissance urbaine des agglomérations phosphatières
marocaines. Thèse de doctorat d’État en géographie. Université Mohamed V, Rabat.
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• Despujols, Pierre (1936). Historique des recherches minières au Maroc (zone française) des
origines à 1930. Notes et Mémoires, n° 37. Rabat : Service des mines et de la carte géologique.
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• Lerat, Serge (1971). Géographie des mines. Paris : Presses universitaires de France.
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Anthropologie du bassin minier. Actes du colloque international de Bethune 24, 25, 26 mai 2000.
Résumé
C
onfrontées à des dynamiques croissantes de
métropolisation, les grandes villes au Maroc font l’objet
de fortes restructurations socio-spatiales se traduisant,
entre autres, par des pressions foncières au niveau des territoires
périphériques. Ces derniers sont de plus en plus le réceptacle
de projets immobiliers (logements sociaux, lots de recasement
destinés à l’auto-construction) où sont relocalisées des populations
issues principalement de bidonvilles situés au cœur des territoires
métropolitains. Au-delà de l’implémentation de pratiques instituées
dans ces quartiers tels les projets de l’INDH ou encore ceux se
rapportant aux initiatives portées par des acteurs nationaux ou des
bailleurs de fonds étrangers, cet article s’intéresse aux pratiques
d’innovation sociale qui naissent dans les quartiers de relogement
« par le bas » et qui permettent de redéfinir la notion de territoire.
462
4. les territoires périurbains, des lieux d’innovation « ordinaire » au Maroc ?
Exemple des territoires périphériques de l’agglomération Rabat-Salé
Introduction générale :
les territoires périurbains,
entre attractivité économique
et innovations sociales
Dans un monde de plus en plus globalisé, les villes tant au Nord qu’au Sud
sont mises en concurrence pour amorcer leur attractivité à l’échelle internationale
(Bardet et Helluin, 2010 ; Cusin et Damon, 2010). De ce fait, l’attractivité
économique et la compétitivité territoriale prennent des dimensions de plus en
plus importantes et représentent des enjeux majeurs à relever par les pouvoirs
publics dans le cadre des différentes politiques publiques de développement
territorial (Camagni, 2006).
Dans son grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Pierre Larousse précise
qu’étymologiquement, le terme territoire viendrait du latin territorium dérivant
de terra « terre » et désignerait une surface appartenant « à une autorité ou à une
juridiction quelconque » (Paquot, 2011, p. 23). Y. Pesqueux précise davantage son
origine en le qualifiant de « zone conquise par l’armée romaine et gouvernée par
une autorité militaire » (Pesqueux, 2014, p. 60). L’État et son pouvoir participent
donc à la production du territoire (Rafestin, 1982, p.167). C’est le lieu où « se
déploie la souveraineté de l’État » et de ses institutions et où celui-ci est régi par des
normes (Lyon-Caen, 2006, p. 18), tandis que « l’espace est un enjeu du pouvoir, le
territoire est un produit du pouvoir » (Raffestin, 1982, p. 168).
464
4. les territoires périurbains, des lieux d’innovation « ordinaire » au Maroc ?
Exemple des territoires périphériques de l’agglomération Rabat-Salé
est appropriable, a des limites et porte un nom (Nordman cité par Paquot,
2011, p.3). Pour M. Le Berre, le territoire est une entité spatiale appropriable
par les humains et permettant de répondre à leurs besoins. Le territoire n’est
plus seulement un substrat matériel (Giraut, 2008), mais devient un enjeu
d’appropriation et de contrôle. Le géographe Guy Di Méo élargit cette notion
à trois variantes de l’espace : l’espace géographique en tant qu’écosystème
produit par les individus ; l’espace de vie caractérisé par les mobilités et l’activité
professionnelle ; et l’espace vécu, celui des représentations habitantes (Di Méo
cité par Lyon-Caen, 2006, p.17).
otion déjà utilisée par M. Weber (sous le terme « invention sociale ») au tournant du XXe siècle et par J.
2. N
Schumpeter dans les années 1930. Schumpeter était le premier à souligner la nécessité de l’innovation
sociale afin de garantir l’efficacité partielle d’une innovation technologique.
466
4. les territoires périurbains, des lieux d’innovation « ordinaire » au Maroc ?
Exemple des territoires périphériques de l’agglomération Rabat-Salé
ouchard, M.- J. (dir.). (2011). L’Économie sociale, vecteur d’innovation. Le cas du Québec. Québec : Presses
3. B
de l’Université du Québec.
Dans un article réalisé par Prades et Castel sur le rapport entre vulnérabilité
et innovation sociale, les auteurs défendent l’idée que les pratiques d’innovation
ne sont pas l’apanage des milieux structurés et organisés de l’entreprise, ni le fait
exclusif des territoires riches dotés de ressources financières et techniques plus
importantes, ni plus globalement une caractéristique propre des pays du Nord en
tant que principaux milieux de diffusion de l’innovation. Ils montrent, à travers
des exemples concrets, comment la question de l’innovation sociale s’observe
particulièrement dans les milieux vulnérables et les marges sociales et spatiales,
notamment au Sud, qui, confrontées à des situations sociales et économiques
contraignantes, parviennent à donner forme à des pratiques inédites. Les auteurs
précités affirment à ce sujet que :
468
4. les territoires périurbains, des lieux d’innovation « ordinaire » au Maroc ?
Exemple des territoires périphériques de l’agglomération Rabat-Salé
Inscrit dans cette même optique, le sociologue Alter met en forme le concept
de l’innovation « ordinaire » qui souligne l’intérêt d’une approche par le bas,
(bottom-up) de l’innovation et qui met en exergue les pratiques de la vie quotidienne
et les formes d’organisation spontanée comme catalyseurs de changement (Alter,
2000). Il montre que l’innovation sociale est un processus « ordinaire », suscité au
quotidien par des acteurs modestes dotés de ressources et de compétences sociales
qui leur permettent de faire face à leurs contraintes socio-économiques. Elle
consiste selon lui « à appréhender ce qui bouscule la norme et transgresse les règles »
(Alter 2002, 2005). Le sociologue Damon, ayant analysé largement le potentiel
d’innovation dans les bidonvilles, mobilise quant à lui l’expression d’innovation
« frugale » pour souligner le caractère spontané, improvisé et sobre des formes de
changement observées dans les bidonvilles malgré le peu de ressources disponibles
(Damon, 2017). Une acception partagée par Radjou lorsqu’il la définit comme
« une solution innovatrice, improvisée, née de l’ingéniosité et de l’intelligence », où
l’enjeu majeur est de faire « mieux » avec moins (Radjou et al., 2015, p. 23).
470
4. les territoires périurbains, des lieux d’innovation « ordinaire » au Maroc ?
Exemple des territoires périphériques de l’agglomération Rabat-Salé
Capitale administrative du Royaume, Rabat est depuis le début des années 2000,
date d’avènement au trône du Roi Mohammed VI, une métropole émergente tournée
vers l’international. Il s’agissait dés lors de changer l’image de ville « administrative »
en y impulsant un processus de modernisation de ses infrastructures et en y injectant
de grands projets d’aménagement et de développement économique.
4. L
es deux territoires ont affiché un rythme de croissance démographique relativement soutenu entre
2004 et 2014 dépassant 5 % (RGPH, 2014).
472
4. les territoires périurbains, des lieux d’innovation « ordinaire » au Maroc ?
Exemple des territoires périphériques de l’agglomération Rabat-Salé
S’étalant sur 1000 hectares et ayant une population prévisionnelle de 250 000
habitants, dont plus de 30 % est constituée de populations issues des bidonvilles,
cette opération a été conçue comme une véritable solution à la crise de logement
observée dans la capitale. Présentée lors de sa création comme une opération
modèle où les principes de durabilité, de mixité sociale et d’innovation urbaine
étaient mises en avant, cette opération a été confrontée au fil de sa réalisation à
une série de contraintes (juridiques, économiques et politiques) qui ont remis en
question toutes ces aspirations.
5. Terrains dont l’État est propriétaire et dont la proportion s’élève à plus de 80 % à Ain El Aouda.
6. T
out d’abord, nous tenions à avancer que les initiatives d’innovations sociales issues de l’empirie ne
sont pas exhaustives et ne témoignent pas de la diversité des situations existantes au sein de Tamesna
et de Ain El Aouda.
474
4. les territoires périurbains, des lieux d’innovation « ordinaire » au Maroc ?
Exemple des territoires périphériques de l’agglomération Rabat-Salé
Photo 3 : Poulailler (Ain El Aouda, 2021) Photo 4 : potagers urbains (Ain El Aouda, 2021)
7. S
ur le plan socio-économique, cuire le pain dans ces fours en terre cuite représente une économie
d’argent. Pour cuire un pain au four du quartier, il faut 1Dh (0.1 centime d’euros) et pour des familles
nombreuses, cela constitue un budget qu’elles n’ont pas, vu qu’elles consomment en moyenne entre
3 et 5 pains par jour.
476
4. les territoires périurbains, des lieux d’innovation « ordinaire » au Maroc ?
Exemple des territoires périphériques de l’agglomération Rabat-Salé
Pour des mariages, des naissances ou des funérailles, ces habitants devenus
auto-entrepreneurs n’hésitent pas à proposer leurs services aux résidents jusqu’à
ce qu’il soit possible ultérieurement pour les familles de régler. Ces actions
novatrices sont un support de solidarité au sein du quartier Attadamoune et
permettent de soutenir l’esprit de collectivité malgré les conditions de précarité
socio-économiques d’une majorité d’habitants. L’innovation sociale se lie à la
matérialité et est symbolisée par des formes d’appropriation de l’espace public
mobilisé pour répondre à des impératifs économiques et individuels des familles,
mais qui ne manque pas d’être un support au collectif et à la consolidation des
relations de voisinage.
478
4. les territoires périurbains, des lieux d’innovation « ordinaire » au Maroc ?
Exemple des territoires périphériques de l’agglomération Rabat-Salé
Conclusion :
les territoires périurbains, des lieux
d’innovation sociale inscrits dans la
durabilité urbaine
Inscrite dans le champ émergent de l’innovation « ordinaire » qui associe de
plus en plus la dynamique de changement aux capacités et compétences des acteurs
dits « subalternes », cette contribution a tenté de nuancer certaines affirmations
récurrentes en rapport avec les fondements et conditions de l’innovation. Celle-
ci n’est plus uniquement et exclusivement associée à l’innovation technique et
technologique, mais peut également être le fruit et l’émanation de l’action des
agents ordinaires (les habitants de Tamesna et Ain El Aouda).
sens, pour répondre à leurs besoins quotidiens, ces habitants mobilisent l’espace,
se le réapproprient et le renégocient. Il est territorialisé et contourné par les
nouvelles activités qui y prennent place, les rapports sociaux qui s’y organisent
et les activités socio-économiques qui s’y déploient dessinant ainsi de nouvelles
façons de conceptualiser et de produire le territoire « par le bas » tout en y mettant
en place des pratiques d’innovations sociales
480
4. les territoires périurbains, des lieux d’innovation « ordinaire » au Maroc ?
Exemple des territoires périphériques de l’agglomération Rabat-Salé
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Casa-Anfa et
CasaNearshore :
une dynamique multi-
acteurs pour un territoire
attractif et innovant
par Aziza MAHIL 1 et Iitidal FETTAH KHARROUBI 2
1. Professeur chercheur UH2, FSJES Ain Sebaâ
Chercheur associé, Economia-Hem, Research Center
2. Professeur chercheur à l’Université Internationale de Casablanca
Chercheur associé, Economia-Hem, Research Center
Résumé
L
’objectif de cet article est de comprendre – à travers
deux études de cas de projets de la CDG (Caisse de depot
et de gestion), notamment Casa-Anfa et CasaNearshore –
comment émergent et évoluent des dynamiques territoriales, quelle
place occupe l’innovation dans les stratégies d’attractivité des deux
projets, et comment se constituent et se développent les réseaux de
collaboration dans ces territoires.
486
5. Casa-Anfa et CasaNearshore : une dynamique multi-acteurs pour un territoire attractif et innovant
Introduction
Casablanca est une métropole à forte attractivité productive et résidentielle où
se développent plusieurs dynamiques territoriales à vocations aussi bien diverses
que complémentaires dont l’objectif est d’assurer un développement socio-
économique. Ce dernier se construit et se réinvente en permanence à travers une
co-construction multi-acteurs dans le cadre d’un écosystème dynamique.
base n’est pas nécessairement locale (Rallet, 1999). Le deuxième axe considère
le territoire comme objet de théorisation à travers deux courants : 1- le premier
est « le district industriel »1 qui mise sur un développement local basé sur la
proximité géographique des acteurs ; et 2- le second considère le territoire comme
lieu de révélation, de concrétisation et d’objectivation des comportements et des
processus d’acteurs.
1. « Zone géographique qui regroupe dans un tout cohérent un système de production, une culture technique
et des acteurs » Jean (2022).
488
5. Casa-Anfa et CasaNearshore : une dynamique multi-acteurs pour un territoire attractif et innovant
490
5. Casa-Anfa et CasaNearshore : une dynamique multi-acteurs pour un territoire attractif et innovant
Parmi les facteurs évoqués, la synergie entre les acteurs est une condition
nécessaire à l’attractivité territoriale. Ainsi, pour répondre à cette condition
essentielle, il est nécessaire de repenser le modèle de coopération entre acteurs
locaux et de s’inscrire dans une vision partagée fondée sur la coopération,
l’intelligence collective et la confiance. En effet, un territoire s’imprègne
d’une : « […] "atmosphère spéciale", qui est rendue possible par une "organisation
automatique" et un environnement stimulant de compétition et de coopération entre
les entreprises installées, cet environnement favorisant l’innovation et le développement
local » (Lahorgue et al. 2015).
492
5. Casa-Anfa et CasaNearshore : une dynamique multi-acteurs pour un territoire attractif et innovant
échanges et circulations de toutes sortes ; et 2- située qui mise sur les « effets de
proximité spatiale » facilitant, entre autres, le transfert des savoirs tacites3.
L’approche technologique : elle est abordée selon les approches des systèmes
régionaux d’innovation et des milieux innovateurs qui misent sur les arrangements
sociaux dans le développement de l’innovation. Ces approches appréhendent
l’innovation comme un processus d’accumulation du savoir qui met en jeu le feed-
back du marché, le savoir des acteurs et les initiatives des entrepreneurs. Les liens
entre les différents acteurs constituent un pont qui facilite les flux de connaissances.
Le processus de l’innovation est ainsi un processus interactif, réunissant plusieurs
acteurs et construit doublement : institutionnellement et socialement. Il est un
construit institutionnel car plusieurs institutions sont engagées dans ce processus
et un construit social puisque ce sont des réseaux sociaux qui interagissent entre
eux pour innover (Freeman, 1987 ; Lundvall, 1992 ; Nelson, 1993). Ces auteurs
s’accordent sur la conception dynamique et systémique de l’innovation qui réunit,
d’une part, les institutions, leur fonctionnement et les différentes interactions et,
d’autre part, les acteurs et leurs stratégies par rapport à la science et la technologie :
une interdépendance entre des « unités » de différentes natures.
3. G
énéralement les savoirs et savoir-faire scientifiques non publiés ou non codifiables en raison de leur
nouveauté.
494
5. Casa-Anfa et CasaNearshore : une dynamique multi-acteurs pour un territoire attractif et innovant
Méthodologie de recherche
Pour explorer comment un territoire assure son attractivité en misant sur
l’innovation, nous nous sommes penchés sur deux projets structurants initiés
par la CDG dans la région de Casablanca, à savoir : les projets Casa-Anfa et
CasaNearshore. En effet, la CDG finance à long terme des projets qui répondent
aux besoins en infrastructures socio-économiques dans des secteurs clés tels
que l’énergie, les TIC, la santé, l’éducation, le logement, l’urbanisme, les zones
d’activités, etc. La question posée est de savoir, comme pour tout projet initié par
la CDG, si Casa-Anfa et CasaNearshore renvoient aux prescriptions fondatrices
de la CDG, notamment :
Nous avons choisi une approche qualitative car nous avons laissé beaucoup
de place aux données issues du terrain et au sens que les acteurs leur donnaient. La
collecte de données a été réalisée à travers des entretiens qualitatifs avec plusieurs
acteurs internes et externes pour les deux projets (7 pour AUDA4 et 10 pour
CasaNearshore5), en plus d’une recherche documentaire approfondie. Pour les
4. T
rois entrevues en profondeur avec des directeurs AUDA (Agence d’urbanisation et de développement
d’Anfa), une entrevue avec un haut responsable CFC (Casablanca Finance City), une entrevue avec une
résidente, une entrevue avec un ex-président, une entrevue avec un développeur. D’autres entrevues
qualitatives ont été menées en amont avec des hauts responsables des diverses filières de la CDG en
vue de comprendre la dynamique autour des projets.
5. D
eux entrevues avec deux hauts responsables MEDZ (filiale du Groupe CDG), deux entrevues avec deux
anciens haut responsables de la CDG, une entrevue avec un ancien maire de la ville de Casablanca,
une entrevue avec un directeur d’une entreprise installée à CasaNearshore, quatre entrevues avec
des hauts fonctionnaires (Agence urbaine, ANAPEC, Centre régional d’Investissement, Commune).
D’autres entretiens qualitatifs ont été menées avec des directeurs et des employés travaillant pour le
site CasaNearshore.
deux terrains approchés, nous avons tenté, à travers nos entretiens, de répondre,
entre autres, aux questions suivantes :
• Les besoins qui ont motivé le projet (si cela a été considéré au
démarrage du projet)
• Etc.
496
5. Casa-Anfa et CasaNearshore : une dynamique multi-acteurs pour un territoire attractif et innovant
Casa-Anfa et CasaNearshore
Casablanca est une métropole qui ambitionne de devenir un lieu d’innovation
et une destination privilégiée pour les investisseurs6. Elle se positionne comme
une place financière internationale au riche potentiel économique, industriel
et humain pour se développer et attirer les investissements étrangers, et offrir
les conditions nécessaires à l’implantation et au développement des entreprises,
alliant proximité, logistique, compétences et disponibilité de la main-d’œuvre.
6. D
epuis le discours du Roi Mohammed VI du 11 octobre 2013, Casablanca s’engage dans plusieurs
chantiers, notamment les infrastructures de transport, les espaces culturels et de loisirs, les quartiers
d’affaires, la promenade maritime, les projets d’Éco-cité, le « hub financier international », etc.
498
5. Casa-Anfa et CasaNearshore : une dynamique multi-acteurs pour un territoire attractif et innovant
« AUDA d’un point de vue urbain est un projet très innovant par
rapport au cadre casablancais classique. Casablanca a tout le temps été
développée dans un cadre urbaniste de prospect, d’alignement, d’axes qui a
fait ses preuves et qui crée une qualité urbaine. Le projet Casa-Anfa vient
remettre en question ces règles classiques d’urbanisme. On ne parle plus de
prospect, on ne cherche pas d’alignement et il n’y a pas de gabarits préétablis,
pas de définition ni de délimitations des hauteurs. On fonctionne par strates,
villes moyennes, villes hautes. On laisse le gabarit émerger. On laisse place à
la créativité architecturale avec un projet dont le cadre d’urbanisme flexibles
et ouvertes. »
(Architecte 1)
Par contre, les parties prenantes externes jugent le projet d’élitiste car
inaccessible au regard des prix exercés. Pour elles, l’inclusion sociale est l’ouverture
du projet aux classes sociales moyennes en pensant à des offres qui correspondent
9. Processus par lequel la population d’un quartier populaire fait place à une couche sociale plus aisée.
500
5. Casa-Anfa et CasaNearshore : une dynamique multi-acteurs pour un territoire attractif et innovant
10. M
EDZ a été créée sous la forme d’une société à conseil d’administration ne faisant pas appel public à
l’épargne le 29 septembre 1967 au nom de Marrakech Motel SA, devenue en 2001 « Hôtel et Village
Marocains » et « MEDZ » en 2006.
11. E
n mars 2019, CasaNearshor SA et Technopolis Rabatshore SA fusionnent pour créer Ewane
Assets, filiale de CDG Développement, qui est en charge de la conception, de la programmation, du
développement et de la commercialisation de quatre parcs : CasaNearshore, Technopolis, FesShore et
OujdaShore. https://aujourdhui.ma/economie/immobilier/ewane-assets-nouvelle-fonciere-de-medz
12. L
e Spin-off correspond à la création d’une nouvelle entreprise dans le cadre d’une scission relative à
une branche d’activité d’une société existante, consistant en la distribution sous forme de dividendes
aux actionnaires des actions de la filiale en échange des actions d’origine de l’entreprise mère.
https://www.mazars.fr/Accueil/Services/Financial-Advisory/Glossaire-Definition/S/Spin-off
13. Rapport annuel de la Cour des comptes au titre de l’année 2018.
502
5. Casa-Anfa et CasaNearshore : une dynamique multi-acteurs pour un territoire attractif et innovant
14. L
’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC) est un établissement
public administratif marocain placé sous la tutelle de l’État, créé par la Loi n° 51-99 promulguée par le
dahir no 220-00-1 du 5 juin 2000.
15. h
ttps://www.travail.gov.ma/mtip-espace-emploi/mtip-ministere-emploi-portail-emlpoi/mtip-
ministere-emploi-portail-emlpoi/?lang=fr
16. L
’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT) est un opérateur public
en formation professionnelle.
Innovation territoriale
Casa-Anfa
Synergie multi-acteurs
Casa-Anfa, un territoire qui se veut attractif, réunit des acteurs multiples, les
pousse à collaborer et coordonner en vue de faire émerger des innovations.
« Notre intérêt pour Casa-Anfa est que c’est une nouvelle ville aux
dimensions internationales en termes d’architecture, services pour les usagers,
respect d’environnement, facilité d’accès, rocades, accès à l’aéroport en moins
de 30 minutes, etc. L’intérêt de l’AUDA est que, grâce à CFC, de très grandes
enseignes viendront s’installer sur le territoire. Nous mettons en place le
cadre fiscal, juridique, économique pour les entreprises multinationales qui
choisissent le Maroc et Casablanca pour venir s’installer et faire de Casablanca
une base d’investissement à l’international et, notamment, en Afrique. »
(Haut responsable, CFC)
Ainsi, pour les dynamiques interacteurs, AUDA semble être au cœur d’un
écosystème composé de plusieurs parties prenantes avec lesquelles elle collabore,
dialogue et co-construit des solutions à fort impact territorial. Les investissements17
initiés dans le territoire Casa-Anfa redynamisent ce territoire et la ville de
17. Q
uelques investissements AUDA pour les infrastructures et les équipements d’intérêt commun du territoire :
• Échangeur OCP (Rond-point Azbane) (214 millions de dhs)
• Le viaduc (super collecteur) de Oued Bouskoura (50 millions de dhs)
• Travaux boulevard Moulay Abderrahmane
• 100 hectares parking en sous-sol
• Foncier pour la mosquée du quartier
• École (hors service) Tantaoui (refaire en lycée)
• Etc.
504
5. Casa-Anfa et CasaNearshore : une dynamique multi-acteurs pour un territoire attractif et innovant
Entrepreneuriat et innovation
AUDA vise une offre adaptée aux jeunes entrepreneurs artisans, notamment
en vue de les encourager à percer dans leurs métiers en s’appuyant sur la proximité
territoriale pour développer de nouvelles opportunités à partir du territoire dans
lequel ils évoluent. Ces entrepreneurs devraient miser sur la polyvalence et le
multiservice en vue de répondre aux nouveaux besoins du marché qui ne sont pas
assouvis. Une grande composante d’innovation est présente dans le cadre de cette
initiative en vue de sauvegarder les techniques artisanales ancestrales menacées
de disparition tout en répondant aux transformations profondes que connaît le
mode de création de la valeur : agilité, réactivité, pilotage par la demande, gestion
intégrée, etc.
CasaNearshore
Co-construction
Synergie multi-acteurs
506
5. Casa-Anfa et CasaNearshore : une dynamique multi-acteurs pour un territoire attractif et innovant
« […] Bien qu’un guichet unique existe, il n’est pas facile de démarrer
un projet à cause des administrations et pas une administration […] Chacun
impose des étapes et des procédures interminables. »
(Acteur local 2)
18. R
ebaptisée Agence marocaine pour le développement des investissements et des exportations (AMDIE)
en 2016 et mise en place dans le cadre d’une fusion entre l’Agence marocaine de développement des
investissements (AMDI), le Centre marocain de la promotion des exportations (CMPE) et l’Office des
foires et des expositions de Casablanca (OFEC).
À travers les deux projets, l’enjeu est de créer des synergies entre les acteurs
pour améliorer et affiner les services proposés, offrir un environnement de travail
adapté et compétitifs dans le cadre d’un écosystème dynamique. Un territoire
attractif ouvre la voie à l’innovation et crée un impact socio-économique. La
multitude des acteurs sur le territoire permet de créer une dynamique de co-
construction de solutions pour l’inclusion sociale et financière.
Toutefois, plusieurs défis doivent être surmontés. Dans le cadre du projet Casa-
Anfa, même si des initiatives multi-acteurs à forts impacts socio-économiques
font partie intégrante des plans de mise en œuvre et de déploiement du projet,
leurs impacts socio-économiques ne sont pas considérés en amont, ce qui ne
permet pas d’évaluer les impacts directs, indirects et induits de ses actions ; de
valoriser l’apport de ses activités économiques, sa stratégie d’entreprise, etc. ; et
de ressortir l’empreinte de ses activités sur le territoire et la région à travers son
ancrage.
508
5. Casa-Anfa et CasaNearshore : une dynamique multi-acteurs pour un territoire attractif et innovant
510
5. Casa-Anfa et CasaNearshore : une dynamique multi-acteurs pour un territoire attractif et innovant
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Territoires :
enseignements
et extensions
par B
achir ZNAGUI, Economia-HEM
C
et ouvrage aborde les territoires à travers une approche
pluridisciplinaire, ce qui n’est pas forcément une superposition d’états
ou d’essences, mais un choix à la fois délicat et périlleux, exigeant le
respect de normes académiques, sans brider les élans de leur dépassement, parfois
nécessaires, pour une meilleure intelligibilité des paradoxes, des contradictions et
des défis.
Conclure est souvent une manière de diriger les lecteurs vers les perspectives
dégagées selon une méthodologie bien déclinée, dans le cadre d’un travail donné.
On pourrait donc emboîter le pas à l’ambition des auteurs de cet ouvrage pour
scruter les horizons de ce qui reste ou manque à ce travail : les pistes encore à
déblayer à partir des divers terrains explorés. Notre choix s’est arrêté – outre les
différentes approches traitées dans ce livre, et au-delà des efforts, des enquêtes
et des travaux de recherches globalement fournis – sur quelques aspects que
nous abordons ici, en guise d’enseignements transversaux, de compléments et
d’ouvertures.
De son côté, Pierre Veltz dans son dernier ouvrage,3 en appelle à « un néo-
localisme » en interrogeant le « tournant local » ; il considère – comme Bruno Latour
– que « face à l’impuissance des États, seul le niveau local est désormais capable de
dessiner des perspectives mobilisatrices. [...] L’écologie est le langage privilégié de ce retour
à la proximité. » Mais il réfute le « localisme » qui signifie « replis et sous-estimation
des interdépendances entre territoires, à l’échelle nationale et internationale ».
La question qui nous intéresse, dans ce contexte bousculé, est que le « local »
pour Pierre Veltz comme pour Bruno Latour reste un moyen de l’action collective.
Le Maroc maintient plus ou moins cette même conviction tout en suivant sa propre
trajectoire : la descente au local y est poursuivie car elle recèle des gisements de valeur
économique et sociétale qui, jusqu’ici, ont été peu ou pas exploités. La Régionalisation
avancée devrait en être la matrice et le Nouveau modèle de développement en
annonce la trame. Mais l’immense défi reste néanmoins de métamorphoser le local
en territoire, pour sortir d’une ambiguité autant sémantique que stratégique et
réduire les écarts importants entre territoires en termes de capabilités.
516
Territoires : enseignements et extensions
Le local renvoie à un lieu qui est, par le haut et trop souvent, la projection
descendante de politiques publiques sectorielles ou, par le bas, la cristallisation
d’initiatives ponctuelles ayant peu ou pas d’effets d’entraînement dans le temps et
dans l’espace. En revanche, le territoire – au plein sens du terme – suppose des liens
constituant un écosystème vivant. Idéalement, sa gouvernance est à la fois verticale
en relation avec l’État central, et horizontale entre les protagonistes des territoires :
leurs synergies et la co-construction d’une ambition territoriale vont générer des
valeurs additionnelles puisque le tout est supérieur à la somme des parties.
L’impératif historique
L’un des traits distinctifs du Maroc, justement, est que la dimension territoriale
y est d’abord le résultat d’une longue histoire qui n’a pas cessé d’interpeller les
chercheurs par sa richesse et sa singularité. À ce propos, il est souvent inquiétant
de relever l’ignorance de cette histoire des territoires par des acteurs, parfois même
des décideurs politiques et des porteurs de projets de territoires. Aussi, une des
conclusions à tirer de ce travail serait de souligner l’impératif d’une histoire et
d’une mémoire pour chaque territorialité et, par extension, le besoin d’interroger
tout projet de territoire, de politique publique territorialisée ou d’initiative privée
au Maroc, sur ses relais en histoire et en mémoire.
Il faut reconnaître aussi que toutes les structures consultatives conçues par
l’État marocain a constamment intégré en son sein des historiens ou académiciens
réputés pour leur maîtrise des structures et pratiques héritées, prolongées ou
abandonnées. Une telle attitude indique que le pouvoir politique a toujours intégré
cette dimension dans ses réflexions stratégiques territorialisées. Cela est d’autant
plus important qu’il évite d’importer des modèles sans ancrage et tient, malgré
quelques approximations, à s’approprier les concepts en lien avec les territoires.
De plus, les politiques publiques peuvent être inspirées par une culture
technicienne d’ingénieur (dans un sens métaphorique). Selon cette conception –
toujours implicite – la politique publique serait un ensemble composite d’actions
du secteur public juxtaposant différents chantiers traités et ajustés séparément
comme les éléments indépendants du mécano de la technostructure. Dans cette
perspective, les politiques publiques peuvent être façonnées par la mise en œuvre
séparée de stratégies ou d’opérations distinctes menées selon une approche en
« silo » inspirée par une ingénierie strictement sectorielle.
4. Il s’agit d’une donnée historique : effectivement, on n’a jamais vu des États (forts) jacobins basculer rapidement
dans une décentralisation vertueuse et laisser les territoires exprimer toutes leurs potentialités. De même,
on n’a jamais vu surgir des territoires, un mouvement bottom up capable de faire plier un État jacobin : la
résilience du jacobinisme est puissante et c’est toujours l’État qui impose sa cadence.
518
Territoires : enseignements et extensions
5. « Nous réitérons donc Notre appel au gouvernement pour qu’il assure les conditions de convergence entre
les différentes stratégies sectorielles » (Mohammed VI, Discours royal à la Nation à l’occasion de la Fête
du Trône, le 30 juillet 2012).
6. L
’approche nexus est une nouvelle méthodologie de travail en vertu de laquelle un large nombre
d’acteurs (autorités nationales, humanitaires, spécialistes du développement, représentants du
secteur privé) concourent à l’élaboration de réalisations collectives pluriannuelles, plurisectorielles,
quantifiables et mesurables.
520
Territoires : enseignements et extensions
les concernés se tournent, la plupart du temps, vers les zones les plus riches et
attractives de la planète, souvent aiguillés en cela par leurs propres employeurs
dans ces zones où ils peuvent avoir de meilleurs salaires, de meilleures conditions
de travail. Cette hémorragie des bons talents du Sud vers le Nord se poursuit. Et
en pensant aujourd’hui territoires, il devient nécessaire de bien comprendre les
articulations entre les dimensions du national, régional local et global. Faute de
quoi, nous risquons de passer à côté de l’essentiel, par méprise.
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Territoires : enseignements et extensions
Il est convenu de dire que l’État appartient à ses citoyens, mais cela suppose
qu’ils y soient librement attachés. Aussi, si ce même État gère son territoire
souverainement, quelles sont les contraintes et les limites de sa souveraineté ? Une
telle question est fondamentale. Comment les forces extérieures, les contraintes
intérieures et les moyens disponibles disposent-ils de cette souveraineté ? Cette
situation se pose directement par les relations entre États limitrophes, mais aussi
par les clivages qui se créent souvent sous des faits naturels ou des écosystèmes
locaux.
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Territoires : enseignements et extensions
Dans le cas marocain, les effets de l’exode rural sur l’urbanisation – et même
en termes de ressources agricoles ou pastorales, par le fait de la mobilité de la
main-d’œuvre ou de la pratique de la transhumance – génèrent des conflits et des
cohabitations difficiles dans certains confins du pays. Ces éléments ont toujours
un intérêt au niveau opérationnel, tant pour les projets d’aménagement et de
développement des territoires, que dans l’élaboration des politiques publiques
ayant pour objet, ou devant se réaliser dans des territoires. Ces rapports dans le
cas marocain, déjà très présents au niveau des écosystèmes locaux, ne reflètent
qu’un niveau du mouvement des populations, lié à une époque particulière, se
rapportant parfois à la décolonisation, à la constitution des institutions modernes
de l’État, à des processus d’industrialisation et d’urbanisation dits modernes.
Au fond, conclure dans le cas des territoires est simplement une illusion ;
même en ayant l’impression d’avoir tout dit, on aura déjà plusieurs aspects à
affiner. Le territoire étant une construction en continu et en permanence, il sera
toujours prétentieux de l’épuiser par la science et la recherche, et encore moins
par la politique. Affaire non classée, affaire à suivre !
• Taoufiq BENKARAACHE
• Manal EL ABBOUBI Coordinateur éditorial
• Yasmina EL KADIRI • Bachir ZNAGUI
• Nabil EL MABROUKI
• Iitidal FETTAH KHARROUBI
Relecture
• Zakaria KADIRI
• Zahra EL HAROUCHY
• Abdelhak KAMAL
• Issam-Eddine TBEUR
• Aziza MAHIL
• Caroline MINIALAI
• Aziz RAGBI Suivi éditoial
• Kenza SEFRIOUI • Khadija BOUTALEB
• Hammad SQALLI • Hajar CHOUKI
Communication Graphiste
• Karima GUENICH • Taha BENHAMMOU
526
E
n consacrant cet ouvrage collectif aux territoires en
lien avec la création de valeurs, nous sommes restés
attentifs à ce que la littérature — mise à jour — nous
permet de saisir à propos du rôle de l’État et de la dynamique
des acteurs. Dans ce sens, nous avons pu solliciter des
chercheurs qui ont accumulé une réelle expertise sur le
sujet, comme nous avons valorisé des travaux menés au
sein de notre centre, sur l’impact territorial, mais aussi les
émergences locales, afin d’enrichir le débat académique et
le pluraliser à partir d’une démarche pluridisciplinaire.