Sante Publique
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L
Jean-Claude Palicot a mobilisation des acteurs (professionnels, et ils proposent des solutions.
Enseignant- citoyens, usagers, décideurs, institutionnels…) Il y aurait beaucoup à dire sur l’histoire de ces comités
chercheur, École revient comme un leitmotiv dans les propos des et de la promotion de la santé en France, ce n’est pas
nationale de la santé politiques, des responsables de programmes et de l’objet de cet article ; mais incontestablement cette
projets… la recherche de l’implication est perçue en effet démarche marque le milieu des professionnels de
publique
comme une composante nécessaire pour le succès de santé publique (administrations, associations, insti-
l’action… Les programmes régionaux de santé en ont tutions d’enseignement…). Le dynamisme est réel3,
fait un argument majeur. On peut essayer de comprendre la mobilisation certaine… même si cette politique aux
pourquoi et en discuter les conséquences. moyens réduits demeure marginale et ne bouleverse
pas fondamentalement le fonctionnement des grandes
Un courant de pensée et une pratique qui privilégient institutions de santé.
la mobilisation des acteurs Toutefois, les idées de proximité, de participation, de
Lorsque démarrent les premiers programmes régionaux prévention, de priorités discutées localement se déve-
de santé (fin 1993), ils ne surgissent pas du néant ; ils loppent… la notion de santé communautaire prend du
reflètent les questions de l’époque, ils sont l’expression sens. Elle est reprise dans nombre d’institutions (École
d’une histoire, de courants de pensée, d’expériences. de santé publique de Nancy, Faculté de médecine de
Ils sont la concrétisation de rencontres et notamment Saint-Antoine, École nationale de la santé publique, de
celle du bureau « Promotion de la santé et prospective »1 nombreux IFSI…).
de la direction générale de la Santé et d’enseignants
de l’École nationale de la santé publique2 passionnés La charte d’Ottawa (novembre 1986)
de santé publique au plus près des populations et ces Celle-ci reprend les principes énoncés par l’OMS pour la
rencontres ne sont pas fortuites. mise en place des soins de santé primaires. Elle insiste
Les programmes régionaux de santé font référence sur les conditions de la santé qui ne sont pas seulement
plus ou moins explicitement à quelques moments de le système de soins mais la création d’environnements
cette histoire. On en retiendra quelques-uns. favorables. Les notions de déterminants de la santé sont
très concrètes, elles légitiment la prévention, l’éducation,
Les soins de santé primaires formalisés par l’OMS à l’engagement des citoyens. « La participation effective
Alma-Ata en 1978 et concrète de la communauté à la fixation des priorités,
Ceux-ci mettent l’accent sur quelques principes : à la prise des décisions et à l’élaboration et à la mise en
● La prise en compte du contexte, de la culture de œuvre des stratégies de planification » doit être recherchée
la population et ses besoins réels, et développée. Les populations doivent trouver tous les
● L’accessibilité des soins, de la prévention au plus éléments d’information et d’action leur permettant de
près des intéressés, prendre du pouvoir sur leur environnement.
● L’accent sur le niveau local,
● L’intégration d’autres secteurs qui rendent compte La fin des années quatre-vingt, un tournant
de la santé, Le dispositif promotion de la santé semble s’essouffler ;
● La participation active de la population à la con- le bureau Promotion de la santé à la direction générale
ception et à la conduite des activités. de la Santé perd une partie de ses « animateurs »…
Approche globale de la santé, proximité des intéressés, Néanmoins les idées cheminent, les professionnels
participation de la population… voilà quelques principes d’origines diverses (animateurs, médecins, enseignants,
que l’on retrouvera dans la conception des programmes infirmiers(ères), gestionnaires…) sont plus nombreux à
régionaux de santé. s’intéresser à une approche globale de la santé, et en
particulier à la prévention. L’émergence du sida accentue cutée de solutions paraissait une démarche riche et
certainement cette prise de conscience. productive.
On s’intéresse peut-être davantage à la fin des années Celle-ci devait permettre aussi de mieux entendre et
quatre-vingt, au début des années quatre-vingt-dix, à comprendre les mots des autres (le « jargon » de santé
la santé publique dans ses dimensions culturelles, publique, entre autres !…) et de leur donner du sens.
socio-anthropologiques, économiques, sociales, épidé- On parle aujourd’hui de culture commune ; ce n’était
miologiques… Les déterminants de la santé sont mis pas le premier objectif des programmes régionaux de
en exergue, on discute des priorités et des réponses santé, mais cela allait clairement dans cette direction
cohérentes à mettre en place. On souhaite mieux planifier et semblait une condition nécessaire pour une réelle
et organiser (premiers schémas régionaux d’organisation mobilisation. En proposant un accompagnement dans la
sanitaire, plan triennal sida…). durée, en faisant en sorte que l’élaboration du programme
Mais ces réponses restent centrées pour l’essentiel s’effectue en prenant du temps -- ce temps nécessaire
sur l’offre de soins et demeurent assez éloignées des aux allers-retours, à l’appropriation, à l’invention -- on se
populations. Elles ne mobilisent pas, ou peu. La plani- démarquait de la démarche spécialisée de l’expert en
fication, la programmation semblent se suffire à elles- santé publique, en planification et en programmation. On
mêmes… et ce n’est pas suffisant ! mettait en place les conditions (même relatives) d’une
Les premiers programmes régionaux naîtront pour mobilisation plus grande et efficace des acteurs.
partie de ces réflexions, insatisfactions, doutes, de la C’est en effet tout le contraire d’une démarche
nécessité de penser des modes d’intervention et d’action d’expertise. Le groupe de programmation n’a jamais
complémentaires aux « schémas de planification », de été conçu comme un groupe expert, mais comme un
les enrichir ; ils naîtront de la volonté de développer des facilitateur de l’appropriation par le plus grand nombre
approches plus transversales, moins cloisonnées… d’acteurs concernés des questions qui font problème
bref plus mobilisatrices. dans la région. L’expertise n’est pas niée, elle est au
La planification par programme en effet, aussi utile service d’une analyse collective, elle vient au besoin
fût-elle, montre ses limites : souvent technocratique, aider à dégager des orientations, définir des objectifs
rigide, verticale, peu participative et peu ancrée dans de santé plus clairs ; elle doit être utile à l’ensemble
la réalité de l’action… de la communauté
La rencontre DGS–ENSP arrive à un moment où idées Les programmes ont ainsi permis d’entrer dans une
et acteurs sont en mesure de proposer, en cohérence démarche au long cours, de se sentir acteur, de pouvoir
avec les questions du moment4, une démarche destinée dire « j’y étais » comme on l’entend parfois, de construire
à mobiliser le plus grand nombre d’acteurs de santé sur une histoire dans laquelle on se reconnaît comme l’un
des priorités de santé identifiées au niveau régional. de ces acteurs.
temps, d’inscrire l’action dans la durée, de multiplier les de l’expertise) de former un groupe d’experts aux con-
rencontres et donc les réunions, de trouver des moyens naissances pointues, mais de permettre à un groupe
qui n’étaient pas d’emblée à disposition, de s’appuyer qui s’est largement coopté d’animer une politique sur
sur des coordinateurs (chefs de programme) décidés à des objectifs discutés et partagés.
accompagner et à faire vivre le projet5. Les groupes de programmation, s’ils n’avaient pas pour
Nous étions bien conscients des difficultés, des argu- vocation d’élaborer seuls le programme, d’en formuler
ments qui pouvaient nous être opposés (les moyens, les objectifs, se devaient de faire vivre une démarche
la légitimité…), mais en même temps s’affirmait une d’élaboration participative jusqu’à l’action.
conviction de plus en plus partagée qu’il fallait développer Tout cela s’est réalisé évidemment avec des for-
des projets d’action en santé publique moins adminis- tunes diverses, parfois de manière rigoureuse, parfois
tratifs, moins hiérarchiques, moins technocratiques, plus très « souple », tantôt assez bureaucratique, tantôt très
ouverts à une approche globale de la santé et s’appuyer participative. Le temps d’accompagnement (qui a été
pour ce faire sur l’ensemble des acteurs concernés appelé formation-action, temps de fait très court…) ne
par les problèmes de santé retenus comme priorités pouvait à lui seul gommer toutes les difficultés mais
de santé (professionnels des secteurs sanitaires et il faut le considérer comme un temps d’impulsion, un
sociaux, du logement, de l’environnement, de la justice, temps qui permet de se connaître, d’apprécier les savoirs
responsables politiques, animateurs d’associations, réciproques, de se dire qu’il est possible de multiplier
représentants de la population). les potentialités d’action en mettant en commun toutes
C’est pourquoi a été mis en place fin 1993 début les volontés liées aux métiers et positions sociales des
1994 une démarche d’accompagnement à l’initiative de uns et des autres.
la direction générale de la Santé et de l’École nationale L’expérience a mis en exergue l’intérêt des temps
de la santé publique, une formation-action dont l’objectif de formation, mais souligne aussi que la liaison avec
était de permettre l’élaboration des réponses collectives l’action n’est pas simple. Si l’on souhaite sortir d’une
à des problèmes locaux et régionaux. démarche abstraite, il y a nécessité de coordinateurs
Cette formation-action (programmation stratégique mobilisateurs formés et compétents ; il y a nécessité
des actions de santé, Psas), accompagnement pendant de reconnaissance, de légitimité ; et se pose très vite
le temps de la fabrication du programme, visait princi- aussi la question des moyens, et paradoxalement pas
palement à la mobilisation des acteurs en valorisant tant pour les actions (pour lesquelles on réussit géné-
les connaissances et les compétences de chacun. Il ne ralement à mobiliser des ressources) que pour le temps
s’agissait en aucun cas (cf. ci-dessus notre conception de l’élaboration.
Il demeure que la démarche de programmation, en
démultipliant (raisonnablement) les rencontres, les
5. Les documents pédagogiques ayant été utilisés pour l’élaboration
des premiers programmes régionaux de santé sont disponibles sur niveaux d’intervention, les débats, en s’efforçant d’écrire
le site de la BDSP, www.bdsp.tm.fr. Le programme des formations le déroulement (comptes-rendus), en validant les étapes,
actions, les modalités de déroulement peuvent être consultés sur le a permis l’expression, la participation (de plusieurs
site. On y trouve la plus grande partie des PRS. Ces documents ne centaines de personnes parfois).
rendent pas nécessairement compte des dynamiques, des difficultés,
des choix faits par leurs auteurs… Mais leur diversité permet de
Avec un recul de près de dix années maintenant, on
« mesurer » de quelle manière chaque région s’est engagée dans le peut certes souligner les difficultés, les insuffisances
processus d’élaboration des PRS. de la construction d’une démarche collective. On peut
aussi souligner tout ce que semble avoir apporté l’éla- du processus de formation et d’accompagnement des
boration des programmes régionaux de santé : programmes régionaux de santé.
● partage d’une culture de santé publique Le travail ENSP, universités, DGS, Drass s’est révélé
● approche transversale des problèmes de santé passionnant. Outre les rencontres humaines qu’il a
● décloisonnement professionnel générées, il a obligé à questionner sur le fond les concep-
● reconnaissance des compétences et spécificités tions et les méthodes d’intervention en santé publique…
des uns et des autres L’échange entre formateurs, chercheurs, administratifs
● réflexion sur les enjeux de la programmation dans un processus de formation-action rendait concrets
● affirmation du travail local et régional les interventions et l’engagement sur le terrain.
● meilleure prise en compte des points de vue, des La généralisation de la démarche et le transfert péda-
problèmes très concrets des populations concernées gogique ont été incontestablement très positifs et ils
par le programme, etc. ont d’ailleurs permis de pérenniser quelques liens et
expériences.
Construire une légitimité… se positionner en tant Pour l’ENSP, on pourra souligner l’ouverture sur l’uni-
qu’acteur versité et pour les universités, l’ouverture sur d’autres
Au cours de la formation-action, une place assez impor- logiques, en particulier celle de l’intervention sur le
tante a été accordée à une réflexion et à un travail terrain pas toujours aisée à valoriser dans le système
sur les positionnements de chacun des acteurs. Cela de la recherche universitaire ! Cette démarche a permis
paraissait non seulement utile mais nécessaire pour parfois de proposer aux internes de nouvelles perspec-
comprendre où se trouvaient les acteurs concernés par tives de travail et de recherche.
le problème de santé, quels étaient leurs objectifs, quels ● La formation sort des « murs » ; elle peut aussi se
étaient leurs intérêts institutionnels voire personnels ; en définir hors des références académiques.
mettant autant que faire se peut les cartes sur la table, ● La réflexion sur la définition des priorités, les indi-
on pouvait faire l’hypothèse que ce travail de clarification cateurs, les méthodes, l’évaluation… beaucoup de
rendrait possible une meilleure prise en compte des thèmes restent en suspens ; ils ont cependant pu être
problèmes de la population. Ce travail (inspiré de la débattus et ont permis à chacun de progresser.
sociologie des organisations) a pu parfois paraître un Ce type de collaboration dessine (aurait pu dessiner !)
peu abstrait (ou dérangeant ?). Néanmoins, quand les les contours de collaborations plus ouvertes en santé
participants ont joué le jeu, il a permis de mieux cerner publique où sont reconnus les apports pluridiscipli-
certaines contradictions, les conflits d’intérêts, les naires, pluriprofessionnels et les complémentarités. La
résistances, les verrous à ouvrir, de prendre conscience collaboration ENSP–départements de santé publique
qu’il ne suffit pas d’énoncer des buts ou des objectifs universitaires préfigure peut-être un type de collaboration
communs pour qu’un programme fonctionne, que la avec reconnaissance et valorisation des compétences
« position » des acteurs est déterminante et toujours à respectives. Les retours (informels certes !) des pro-
interroger. Ce travail a facilité la reconnaissance des fessionnels du terrain ont souligné fréquemment le
différences, une meilleure connaissance des acteurs caractère mobilisateur de ces collaborations.
et de leurs logiques (professionnels et population) une L’aspect simple mais rigoureux du schéma de program-
meilleure évaluation des niveaux de responsabilité et mation donne une bonne lisibilité aux intervenants et
une argumentation plus cohérente des exigences pour permet de bien se situer dans un processus approprié
les mobiliser. par un très grand nombre d’acteurs.
Quelques années plus tard, certains participants des Cette mobilisation pourrait sans aucun doute être
formations-actions disent que ce travail, qui paraissait réactivée pour développer des complémentarités néces-
lointain au cours de la formation, a été et reste un moment saires à la mise en œuvre, à l’évaluation des actions,
important pour eux, ayant pu par la suite sentir très dans les domaines de la prévention, de l’éducation, de
concrètement que la légitimité ne s’écrit pas seulement l’accès à la santé.
sur le papier dans un organigramme, mais qu’elle se Cet engagement pourrait donner des arguments, de
reconstruit dans la pratique en prenant en compte une la réalité, de la visibilité et du sens à la mise en œuvre
multiplicité d’intérêts et de contradictions. d’une politique de promotion de la santé.
sont des réalités — exemple ces dernières années : les ce qui rend compte de leur état de santé (cf. charte
conférences régionales de santé, les États généraux de d’Ottawa).
la santé, la loi sur le droit des malades, la méthodologie Vœux pieux, bonnes intentions pour certains. L’éla-
d’élaboration des Praps et des PRS… boration de tous ces programmes n’est ni comprise ni
Les programmes régionaux de santé se sont en effet appropriée (appropriable !) par tous… Il y a une tendance
inscrits dans une philosophie de l’action publique. forte à retrouver de vieilles ornières pour faire de la
Au-delà des choix techniques, c’est penser que les planification à teinture locale…
gens sont porteurs d’une histoire personnelle et col- Si la mobilisation doit être au cœur des programmes,
lective, qu’ils peuvent donner leur avis, qu’ils ont des elle est sans cesse à travailler. Partager un diagnostic,
propositions de solutions ; qu’il est possible en créant s’entendre sur des objectifs, assurer la mise en œuvre
des cadres favorables de les prendre en compte. C’est d’actions suppose de l’adhésion et de la conviction…
rediscuter les priorités du point de vue des populations et cela ne se décrète pas !
concernées. Il y a urgence à former ou à poursuivre la formation
Les PRS, c’est croire au niveau local (les développe- de professionnels et d’équipes suffisamment reconnus
ments récents des programmes locaux, territoriaux de et légitimés pour animer ce processus en respectant
santé, renforcent ces convictions…). les principes et les valeurs.
C’est développer des démarches (parfois incertaines La mobilisation, on a tout à y gagner. En l’améliorant
mais participatives). et la développant, le temps dépensé n’est pas du temps
C’est se repositionner au sein des institutions. perdu… L’action est plus efficace, on développe de la
C’est permettre aux populations de prendre du pouvoir responsabilité et peut-être et surtout de l’engagement
sur leur environnement, leurs conditions de vie et tout et de la citoyenneté. I