Les Morts Vivent-Ils
Les Morts Vivent-Ils
Les Morts Vivent-Ils
LES MORTS
VIVENT-ILS ?
E N Q U E T E S U R L ’ E T A T P R E S E N T
D E S S C I E N C E S P S Y C H I Q U E S
9e MILLE
PARIS
L A R E N A I S S A N C E D U L I V R E
DU MEME AUTEUR
_____
LES MORTS
VIVENT-ILS ?
E N Q U E T E S U R L ’ E T A T P R E S E N T
D E S S C I E N C E S P S Y C H I Q U E S
Opinions de MM.
GABRIEL DELANNE – PROFESSEUR
CHARLES RICHET – CAMILLE
FLAMMARION – MME CURIE ─
MAURICE MAETERLINCK – CONAN
DOYLE – PROF. BRANLY – DOCTEUR
GELEY – R. P. MAINAGE, ETC.
PARIS
L A R E N A I S S A N C E D U L I V R E
78, Boulevard Saint-Michel, 78
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction réservés
pour tous pays.
Copyright by La Renaissance du Livre 1921.
AVERTISSEMENT
_ _ _ _ _
Lorsque le premier chapitre de cette étude parut dans l’Opinion, il était précédé de
l’avant-propos que voici :
Je pense qu’il n’y a rien à ajouter à ces quelques lignes, qui montrent exactement le
but que je me suis proposé.
Dès les premiers articles, et surtout après les déclarations inattendues du professeur
Ch. Richet, il y eut un bruit énorme. Il va sans dire que je n’ai pas la simplicité de m’en
attribuer le mérite, mais j’y veux voir une preuve que de telles questions intéressent, ─ ce
n’est pas assez dire, ─ passionnent bon nombre de gens : J’ai reçu, en quelques semaines,
plus d’un millier de lettres.
Je tiens à faire pourtant cette remarque : que, ayant publié, sur le sujet le plus délicat
qu’il soit, dix opinions différentes, celles de Gabriel Delanne, docteur Geley, Camille
Flammarion, Conan Doyle, Maeterlinck, Charles Richet, Mme Curie, Mme Bisson, le P.
Mainage, E. Branly, j’ai eu, en tout et pour tout, un petit désaccord avec Camille
Flammarion (qui n’a d’ailleurs, paraît-il, surpris personne). Je ne dirai rien ici de cet
incident : le lecteur en trouvera plus loin le récit, et jugera.
Que maintenant quelques chercheurs me lisent sans ennui, et je me jugerai
récompensé, largement, de tous mes efforts.
P.H.
C’est qu’il y a, dans toutes ces séances un élément redoutable : précisément, c’est
l’obscurité, l’obscurité créatrice, qu’on le veuille ou non, de cette terreur nerveuse. Quand on
se sent en frôlement, dans le noir, avec le mystère, quel qu’il soit, on est profondément
impressionné ; et cela est vrai pour le cerveau le plus solide je crois. Un soir, il y a de cela
une dizaine d’années, j’assistais à une séance chez les L. H… (les gens au courant verront de
qui je veux parler), lorsqu’un fantôme, ou une partie de fantôme, apparut, que je ne vis pas,
mais que voyait certainement et décrivait la jeune fille de la maison, remarquable médium.
C’était, si je ne me trompe, la matérialisation de sainte Radegonde [pourquoi diable sainte
Radegonde fréquentait-elle régulièrement chez les L. H…(1) ?]. Ce fantôme, invisible pour
moi, ayant, dans l’obscurité complète bien entendu, exécuté plusieurs déplacements d’objets,
m’ayant giflé assez violemment, et ayant dénoué et ôté la cravate d’un des assistants, je me
plaçai au milieu du cercle, je croisai les bras, et je priai le fantôme de venir m’enlever mon
portefeuille. J’attendis. Cela dura dix bonnes minutes. Hé bien, je le proclame ici : je n’étais
pas du tout rassuré ! et je pense que personne ne m’en mésestimera. J’ai fait quatre ans de
guerre ; j’ai connu la vraie peur ; mais je n’ai pas éprouvé alors cette espèce d’horrible
angoisse que m’avait donné l’inconnu. ─ J’ajoute, pour être véridique, que ce soir-là, mon
portefeuille ne sortit pas de ma poche.
La guerre, pour des raisons que je ne répéterai pas ici, parce que tout le monde les
connaît, a provoqué un renouveau de ce genre de préoccupations et de recherches plus ou
moins maladroites.
L’année dernière, il y eut une recrudescence lorsque arriva d’Amérique la nouvelle,
jugée d’abord mensongère, puis confirmée, des études, insolemment prétentieuses
d’ailleurs(2), du fameux Edison.
Et enfin, là-dessus, est tombé récemment, comme une bombe, lancée avec les mêmes
procédés que les pastilles Géraudel, le livre d’un célèbre fabricant de produits
pharmaceutiques : Réincarné. Et voilà pas mal de gens complètement fous(3).
J’en demande bien pardon à son auteur, mais Réincarné est, à mon avis, une œuvre
détestable ; et c’est là, je le dis tout de suite, l’opinion que j’ai recueillie chez tous les
intéressés que j’ai vus, c’est-à-dire chez les hommes qui s’intéressent au mystère de la vie et
de la mort sous toutes ses formes, même chez les spirites plus avancés.
Que l’auteur ait adopté les doctrines spirites, c’est son droit qu’il s’en soit fait l’apôtre,
c’est encore son droit ; mais ce qui n’était peut-être pas son droit, c’était de donner à son
roman des allures de simple document, de pure observation scientifique. Réincarné nous est
présenté comme une « histoire vraie » ; et, ce qui est grave, l’auteur paraît appuyer ses
théories sur tout un groupe de savants, qu’il cite dans sa préface, fort adroitement, comme
s’ils partageaient sa manière de voir. Or, c’est faux pour Charles Richet, pour William
Crookes, pour Gustave Geley, pour Maeterlinck, pour de Rochas, pour Maxwell, pour
Hyslop, pour Myers, pour Ochorowicz, pour Schiaparelli, pour bien d’autres sans doute !
« Mais, comme me disait Camille Flammarion, il ne nous a pas demandé notre avis ! »
L’auteur a, en somme, mis en scène les dogmes spirites ; et son livre est venu jeter le
trouble dans beaucoup d’esprits, qui, certes, n’avaient pas besoin de cela !
─ Ah ! s’écriait une dame de ma connaissance, après avoir lu le bouquin, je savais
bien que c’était ma pauvre fille qui me parle chaque nuit !…
(1)
C’était un certain C… qui dirigeait les séances et qui évoquait cette pieuse reine des Francs. Il m’a toujours
été impossible de discerner si C…, ─ charmant compagnon d’ailleurs, ─ était sérieux, ou bien s’il mystifiait nos
hôtes. Je l’ai perdu de vue. Si ces lignes tombent sous ses yeux, il devrait bien me renseigner… maintenant !
(2)
« Si ceux qui ont quitté la forme de la vie terrestre ne peuvent se servir de mon appareil, la chance de leur
survivance disparaît ! »
(3)
Un ménage de mes amis vient de divorcer, après quinze ans d’union, par suite d’un désaccord provoqué
exclusivement par les pratiques spirites de l’un des époux.
10 Les morts vivent-ils ?
٭
٭ ٭
Y a-t-il un autre livre à faire ? Qu’on se rassure, en tout cas, je ne le ferai pas. Mon
ambition est plus modeste. Exposer ici, brièvement, dans ses traits essentiels l’état actuel des
recherches métapsychiques.
Tâche ardue, d’ailleurs. Car il règne dans ce domaine, j’en préviens tout de suite le
lecteur, une extraordinaire confusion ; et, de plus, même si l’on se fait une loi de rester neutre,
il est à peu près impossible de ne pas laisser paraître une opinion personnelle : sur quoi on est
profondément méprisé par tous ceux qui n’ont pas l’opinion semblable.
Il m’a paru que, dans de telles conditions, le procédé le plus pratique était d’interroger
et de faire parler ici quelques-unes des « personnalités » les plus qualifiées en cette matière.
Cette espèce d’enquête se fera donc surtout sous forme d’interviews. Le lecteur y gagnera
certainement ; et moi, j’aurai peut-être quelque chance d’échapper ainsi au reproche de
partialité.
Un mot encore. Etais-je qualifié spécialement pour entreprendre ce travail ? Je n’en
sais rien ; peut-être autant qu’un autre. Il y a douze ans que j’ai assisté pour la première fois à
des « phénomènes » depuis, j’ai vu, je crois, à peu près tout ce qu’on peut voir, sauf des
matérialisations (manifestations extrêmement rares). J’ai lu les principaux ouvrages, les
rapports, les bulletins. Mais je suis resté spectateur : aussi étais-je, réellement, sans idée
préconçue, sans parti pris, sans entêtement.
Me suis-je fait, cette fois, pour moi-même, une opinion, en cours de route ? Certes
oui : celle-ci, que je vais dire tout de suite : Je prétends qu’il est, pour presque tout le monde,
inutile de se livrer à des expériences, quelles qu’elles soient, et que c’est, le plus souvent,
dangereux. Voilà quelle sera ma vraie et seule conclusion. On va voir, à présent, sur quoi je
l’appuie.
I
LE PROBLÈME.
M. GABRIEL DELANNE.
« D’abord, il est bien convenu, n’est-ce pas ? me dit-il, qu’il ne sera pas question ici
des théories spirites : ces théories, vous les trouverez exposées dans de nombreux ouvrages et,
aussi bien, il faut reconnaître qu’il n’y a aucun changement notable, à ce point de vue, depuis
notre grand maître à tous, Allan Kardec. Nous autres, nous nous sommes seulement donné
pour tâche d’expérimenter ce qui, chez lui, n’était qu’un exposé des enseignements qui lui
furent dictés par des esprits bienveillants. Nous nous occupons d’une science, un point c’est
tout, sans essayer d’en dégager, ─ du moins provisoirement, ─ une philosophie. Nous
disons : oui, il y a des esprits (gardons ce terme banal), puisque nous prouvons
scientifiquement leur existence. Que, sur la base des faits, on construise, ou non, une théorie
et des dogmes, cela, c’est une autre question, que je ne traiterai pas avec vous. Je reste ici
dans le domaine de la science(1).
Je ne vous ferai donc pas l’historique de la doctrine. Et j’aborde tout de suite l’étude,
fort brève, des phénomènes sur lesquels nous nous appuyons.
D’abord, une première observation s’impose, et n’omettez pas de la rappeler, c’est que
le phénomène spirite est bien moins fréquent qu’on ne le suppose dans certains milieux. Dans
la plupart des manifestations, il y a purement et simplement suggestion ou autosuggestion.
Dites-le bien. Il ne faut pas croire qu’il suffise que quelques amateurs se mettent
autour d’une table, la fassent remuer, lui prêtent le nom d’un mort et lui fassent dire toutes
sortes de niaiseries pour qu’il y ait là intervention d’un esprit. La table tournera toujours,
évidemment, s’il y a, parmi les assistants, un médium, conscient ou non ; il pourra se greffer,
là-dessus, des communications de subconscient à subconscient entre des personnes présentes
ou absentes : c’est tout : le phénomène est alors purement physique. Si figurer que nous
sommes entourés d’esprits de morts qui peuvent accourir, au premier appel de n’importe qui,
pour se loger dans le pied d’une table, est absurde. L’intervention des morts est, au contraire,
extrêmement rare, surtout expérimentalement.
Cette précaution prise, quelles sont les bases de nos affirmations ?
Le premier des phénomènes, c’est l’action sans contact, qu’on appelle couramment –
et assez improprement – lévitation. Vous savez ce que c’est : un médium peut, à distance,
sans le toucher, déplacer un objet. C’est à Londres, il y a une soixantaine d’années, que la
Société Dialectique, qui comptait parmi ses membres des savants comme sir John Lubbock et
Alfred Russel Wallace, commença à étudier scientifiquement ce phénomène, considéré alors
comme un simple truquage. Elle obtint rapidement la preuve, premièrement que les
mouvements sont réels, secondement que les mouvements sont intelligents. Alors intervint
William Crookes, qui se livra à ses premières expériences avec le médium Douglas Home et,
au moyen d’appareils inventés par lui, enregistra la « force psychique ». Le plus simple de
ces appareils est une sorte d’enregistreur de Marey : quand le médium approche ses mains de
(1)
Je le répète, je ne fais que transcrire les paroles de mon interlocuteur. Car on sait, ─ et nous le verrons plus
loin, ─ que ce que les adversaires du spiritisme lui reprochent, c’est précisément de n’être pas une science, mais
une religion, d’exiger une foi : là où il y a la foi, il y a le contraire de la science.
LES MORTS VIVENT-ILS ? 13
la peau du tambour, celle-ci vibre plus ou moins, et un levier inscrit la mesure de la force
émanée du corps du médium.
Depuis a été créé, en France(1), l’Institut général psychologique, avec un comité de
savants parmi lesquels les Curie, Branly, Bergson, d’Arsonval, etc., qui entreprit une série
d’expériences à ce sujet, particulièrement avec le médium Eusapia Paladino, en 1905, 1906 et
1907. On prit des photographies. Les faits de ce genre paraissent donc aujourd’hui
indéniables.
Est-ce à dire que personne ne les nie ? Non pas. M. Gustave Le Bon, par exemple,
déclare qu’il ne croit pas à la lévitation, parce qu’il n’en a jamais eu la preuve. Je me rappelle
qu’un jour, en 1900, j’étais chez Camille Flammarion avec Eusapia. Il y avait là, entre autres
savants éminents, Gustave Le Bon. Après une première lévitation, obtenue en pleine lumière,
Le Bon ou un autre ayant émis un doute sur l’immobilité réelle du médium, Flammarion se fit
apporter une serviette, avec cette serviette il attacha les pieds d’Eusapia, puis deux des
assistants, ─ dont l’un était, si je ne me trompe, Jules Claretie, ─ lui tinrent les mains. Alors
la table se leva et resta quelques instants en l’air. Le Bon ne fut pas convaincu !
Il y aurait, il est vrai, une objection possible à la réalité de ces mouvements, et on n’a
pas manqué de la faire : c’est la thèse de l’hallucination collective. Or la réponse a été
immédiate et fort simple : la photographie. On a photographié, non pas une fois, mais cent
fois ; vous connaissez certainement les clichés qu’à obtenus entre autres le colonel de
Rochas : ils constituent, pour nous, des preuves absolues.
Comme complément du phénomène de lévitation, il faut mentionner le scellement de
la table au sol, scellement qui n’est pas plus rare sous l’influence d’un vrai médium. J’ai
obtenu, chez moi, bien des expériences intéressants à ce point de vue ; en voici une : nous
étions quatre, mon père, ma mère (médium remarquable), moi et un ami incrédule, assis
autour de la table de la salle à manger. C’était une table toute simple à battants. Ma mère
ayant scellé la table au sol, l’ami essaya de la soulever : ses efforts furent vains, et il arracha le
battant de la table !
Mais poursuivons.
Je vous ai dit, tout à l’heure, que les mouvements de la table, reconnus réels, furent
reconnus également intelligents je le répète ; et j’arrive ainsi au second point de mon exposé.
Le fait que les mouvements sont intelligents va vous faire dire, évidemment, tout
d’abord, qu’ils sont causés par une force qui émane du corps du médium. Je vous répondrai à
cela que ces mouvements ont une physionomie propre et comme une personnalité, qui peut
différer considérablement de celle du médium et qui, d’ailleurs, varie avec le même médium.
La table en mouvement se déclare alors, elle-même, animée par l’esprit de X. Si personne ne
connaît ni n’a pu connaître ce X, néanmoins une enquête, par la suite, démontre la véracité
absolue des renseignements donnés par lui. Dans ce cas, si je ne me trompe, il n’y a pas
d’autre explication possible que l’intervention de X lui-même, c’est-à-dire de son esprit.
J’ai fait personnellement, comme tant d’autres, des expériences absolument probantes.
Je suis allé parfois chercher les preuves dans des villages inconnus que les esprits m’avaient
indiqués : j’ai pu contrôler une moyenne de huit expériences sur dix. Ma conviction est faite.
J’ai pris ici, jusqu’à présent, comme exemple, le phénomène de la table et des coups
frappés. Mais vous n’ignorez pas que nous avons, toujours dans le domaine de l’expérience,
beaucoup d’autres manifestations qu’il est impossible d’expliquer sans l’intervention de ceux
que nous appelons les désincarnés.
Il y a l’écriture. Le médium, sans même être endormi, écrit directement, parfois avec
les deux mains à la fois, des messages différents, tout en soutenant une conversation sur un
autre sujet les réponses sont absolument claires, contrôlables, rédigées souvent dans une
(1)
Tandis que s’était fondée, à Londres, la Society for psychical research, qui publie, depuis trente-cinq ans, dans
ses fameux Proceedings, les résultats de tous ses travaux.
14 Les morts vivent-ils ?
langue qu’il ne connaît pas. Il faut donc bien que ses mains soient au pouvoir d’une
intelligence qui n’est pas la sienne ! J’ai vu ma mère qui, je vous l’ai dit, était un excellent
médium, donner ainsi à un Russe une réponse en russe, avec l’écriture exacte de la mère de
cet étranger, morte depuis longtemps, et écrire, pour un Italien, un message en patois des
environs de Turin, animée qu’elle était alors par l’esprit de la sœur de son interlocuteur. De là
les médiums dessinateurs, comme Hugo d’Alési ou le graveur Desmoulins, qui crayonnaient,
en pleine obscurité, des dessins charmants ; comme Sardou, dont les dessins spirites furent
publiés dès 1858.
Quant aux médiums voyants, qu’il s’agisse d’intuition, de lucidité, de clairvoyance ou
de clairaudience, de vision à distance, de psychométrie – [faculté qu’ont certaines personnes
de se mettre en relations avec des gens ou des choses inconnus par l’intermédiaire d’un objet]
– ou de télépsychie – [communication du même genre, mais sans l’intermédiaire d’un objet] –
ce sont eux précisément qui apportent les meilleures démonstrations du « spiritisme
expérimental ».
Ce qu’ils nous enseignent, en effet, de la manière la plus claire, c’est que, s’il est vrai
que le cerveau est le siège, l’instrument nécessaire de la pensée pendant la vie, il n’est pas
moins évident que, en nous, ce qui pense, ce qui sent et ce qui veut a une existence propre,
indépendante de celle du corps.
Les preuves de cette existence ? D’abord, cet être intérieur possède des pouvoirs qui
sont absolument indépendants du fonctionnement des organes : la vue à distance, par
exemple. Il est évident que, dans la vue à distance, l’organe de la vision, l’œil, ne joue aucun
rôle. Secondement, cet être intérieur peut communiquer avec un autre être intérieur à une
distance énorme comme celle de Paris à New-York. Or, s’il s’agissait, comme on le dit
maintenant, de simples ondes assimilables aux ondes hertziennes, avec syntonisation, etc., je
répondrais : Dans la T.S.F., la puissance physico-chimique nécessaire pour l’émission de ces
ondes est formidable : 150 chevaux par exemple. Alors, le cerveau pourrait avoir une
puissance de 150 chevaux ? C’est absurde. Il y a donc, on ne peut le nier, un être interne qui,
lui seul, possède ce pouvoir animique extraordinaire. Cet être intérieur, c’est notre âme.
Mais ici il est nécessaire de préciser. L’âme, selon nous, est constituée par deux
parties, l’une immatérielle, qui est l’âme proprement dite, l’autre semi-matérielle ou fluidique,
que nous appelons périsprit, et qui sert de support à la première : l’âme et le périsprit sont
d’ailleurs inséparables. A la mort, l’âme, en quittant le corps, emporte donc avec elle son
périsprit. Or, comme c’est dans ce périsprit que s’emmagasinent toutes nos pensées, toue
notre personnalité, il en découle que cette personnalité survit au corps, avec l’âme.
Comment, alors, définir clairement le périsprit ? Il est, si vous voulez, le moule dans
lequel la matière peut s’introduire, ou non, pour donner naissance à un corps vivant.
Il ne s’agit pas là d’un dogme, d’une théorie, mais d’une vérité scientifique de premier
(1)
ordre .
L’existence de ce périsprit est prouvée : 1° par les dédoublements pendant la vie
(apparitions à distance) ; 2° par les apparitions au moment de la mort ; 3° par les apparitions
après la mort.
Car notre raisonnement est des plus simples. Si, pendant la vie, c’est l’âme qui est
cause de ces manifestations, après la mort, les manifestations étant les mêmes, leur seule
cause ne peut être que l’âme encore.
Nos instruments de preuve ? Ce sont, comme pour n’importe quelle autre science,
l’observation et l’expérimentation.
Le fait capital étant la manifestation après la mort, c’est celui-là que nous nous
sommes appliqués à expérimenter. De là le phénomène des matérialisations que vous
connaissez, du moins dans sa forme.
(1)
Même observation que précédemment.
LES MORTS VIVENT-ILS ? 15
Quel est, pour nous, le mécanisme de la matérialisation ? Celui-ci : l’âme (du mort)
empruntant au médium la matière et l’énergie (les deux éléments qu’elle n’a plus, puisqu’elle
n’a plus son corps), se sert de son périsprit comme d’un moule pour reconstituer exactement
le corps qu’elle avait. »
Ici, je ne peux m’empêcher d’interrompre M. Delanne :
─ Vous voulez dire sans doute les apparences du corps qu’elle avait ?
─ Nullement. Je dis bien le corps ; c’est-à-dire un ensemble d’organes en plein
fonctionnement, un cœur qui bat, des poumons qui respirent, du sang qui circule(1). William
Crookes, avec, comme médium, une jeune fille de dix-sept ans, miss Florence Cook, a obtenu
la matérialisation (et on n’a d’ailleurs rien vu de mieux, depuis) d’une certaine Katie King
fille défunte du pirate Morgan, qui allait et venait dans son laboratoire et qui avait sa
personnalité absolument distincte de celle de Miss Cook, à ce point que, Miss Cook ayant
attrapé un rhume et toussant, Katie King ne ressentait aucun symptôme du même mal.
Crookes a fait plus de trente photographies de Katie King. Lombroso, le docteur Gibier,
Charles Richet ont obtenu des matérialisations du même genre. Ce phénomène, quoique
extrêmement rare, ─ contrairement à ce qui se raconte, ─ n’est donc pas niable.
Je vous ferai remarquer ici d’ailleurs, entre parenthèses, que ces faits
d’expérimentation ne viennent que s’ajouter à des faits d’observation que l’histoire nous
rapporte en grand nombre et dont nous n’avons plus à présent aucune raison de douter : les
apparitions, les transfigurations, les soi-disant résurrections. La vie de Jésus, celle de
Mahomet, les vies des saints fourmillent de ces faits ; et ce qui est remarquable, c’est qu’ils se
sont déroulés toujours avec les mêmes caractères. Etudiez l’histoire, vous serez frappé de
cette vérité.
Nous n’avons donc pas la prétention d’avoir fait une découverte. Nous essayons
seulement de dégager des lois naturelles et, retenez cette expression, de « démocratiser le
mystère » ; et l’on peut se demander, avec amertume, pourquoi la science officielle nous a
toujours si durement écartés ! Malheureusement, c’est là le fait ; l’entêtement des « savants »
est inimaginable. Il l’a toujours été ; pour s’en convaincre, il suffit de lire l’histoire de toutes
les grandes acquisitions de l’esprit humaine.
Voilà à peu près, Monsieur, où nous en sommes sur le terrain de l’expérience. Que,
sur l’étude de ces phénomènes, nous bâtissions une philosophie, c’est possible. Mais nous ne
sommes pas des sectaires ; nous n’avons même pas, à proprement parler, comme l’Eglise, des
dogmes auxquels il soit interdit de toucher. Que l’on vienne nous démontrer que nous avons
tort, et, s’il y a là un véritable progrès dans l’ordre scientifique, loin de protester et de nous
entêter, nous nous déclarerons absolument enchantés.
Mais je pense qu’il n’est pas question de cela pour le moment ! »
٭
٭ ٭
(1)
On sait, je dois le signaler immédiatement, la grande objection qui est faite par la science moderne à cette
théorie ; ─ car, en dépit des affirmations néo-spirites, ce n’est qu’une théorie ; ─ c’est la question des vêtements.
Que le périsprit serve de moule à la reconstitution d’un corps humain, c’est défendable. Mais qu’il puisse
façonner, avec la matière empruntée au médium, une redingote, des bottines ou une chaîne de montre en or, la
théorie du périsprit ne l’explique nullement. Mais j’avoue que je n’ai pas osé poser cette objection à M.
Delanne. Je l’ai posée, on le verra, à M. Camille Flammarion, ─ qui n’a pu que la déclarer irréfutable pour le
moment.
16 Les morts vivent-ils ?
S’il y a, parmi mes lecteurs, des spirites pratiquants, il est probable que je ne leur ai
rien appris ici. Je suppose pourtant qu’ils auront trouvé quelque intérêt à entendre parler, ─
même de choses qu’ils connaissent, ─ un homme de la valeur de M. Gabriel Delanne.
(1)
A plus forte raison pourrait-on faire cette objection à M. Léon Denis, lui qui, spirite ardent, a écrit cependant :
« Les vibrations de la pensée peuvent se propager dans l’espace, comme la lumière et le son, et impressionner
un autre organisme en affinité avec celui du manifestant. Les ondes psychiques, comme les ondes hertziennes
dans la T.S.F., se propagent au loin et vont éveiller, dans l’enveloppe du sensitif, des impressions, de nature
variée suivant son état dynamique : visions, voix ou mouvements » ; et ailleurs : « L’homme pourrait être
comparé à un foyer d’où émanent des radiations, des effluves, qui peuvent s’extérioriser en couches,
concentriques au corps physique, et même, dans certains cas, se condenser à des degrés divers et se matérialiser
au point d’impressionner des plaques photographiques et des appareils enregistreurs. » Il me semble que, si
j’étais spirite voilà qui me donnerait singulièrement à réfléchir !
III
L’ECTOPLASME.
Considérés dans leur ensemble, les phénomènes sont, en somme, de deux sortes : les
uns sont perçus par l’intermédiaire de nos sens ; les autres sont perçus directement par notre
intelligence. Les uns, si l’on veut, sont d’ordre dynamique et matériel, les autres d’ordre
intellectuel et psychologique. Une table remue : phénomène matériel ; elle frappe des coups :
encore phénomène matériel ; mais, tout à coup, ces coups signifient quelque chose, forment
une phrase : nous entrons dans le domaine de l’intelligence. La télépathie, la lucidité, la
prémonition, voilà pour l’intelligence ; l’extériorisation de la sensibilité, la matérialisation
sous toutes ses formes, voilà pour la matière(1). Les deux ordres de phénomènes étant, bien
entendu, constamment mélangés dans la pratique.
Puisqu’il est admis aujourd’hui, ─ même par les spirites, ─ que beaucoup des
phénomènes d’ordre intellectuel : télépathie, clairvoyance, prémonitions, etc., sont
attribuables aux forces psychiques des vivants(2), mais qu’il semble difficile d’expliquer
également par des « ondes » certaines manifestations matérielles, dont la réalité objective est
prouvée (photographies), c’est à cette catégorie de faits que se sont attaqués d’abord les
praticiens de la métapsychique.
٭
٭ ٭
Mais il faut commencer par dire ici quelques mots des expériences très originales de
Crawford, savant anglais mort l’année dernière.
A la suite d’observations du même genre faites par Mme Bisson, par le docteur
Schrenck-Notzing, par Charles Richet, par d’autres peut-être, Crawford s’était demandé si
(1)
Cette distinction se trouve très bien établie dans les deux citations de M. Léon Denis faites dans une note du
précédent chapitre. D’autre part, on verra plus loin que M. le professeur Richet met, lui aussi, cette distinction à
la base de ses études.
(2)
Ces phénomènes sont non des communications de pensée (expression à peu près abandonnée), mais des
communications mento-mentales, c’est-à-dire d’esprit à esprit de subconscient à subconscient ou, pour être plus
moderne encore, de subliminal à subliminal. Le subliminal est le domaine de cette faculté, que possède
l’individu, d’emmagasiner et de conserver une foule de notions, voire même de forces actives, qui demeurent
latentes, travaillent à notre insu au fond de nous-mêmes et peuvent envahir cependant sous une influence
quelconque, le champ de la conscience. C’est, en termes vulgaires, le domaine de la subconscience. On
s’endort, las d’avoir cherché vainement la solution d’un problème ; le lendemain on se réveille, et la solution est
trouvée sans effort : pendant le sommeil, le subconscient a travaillé pour nous. Dans Paris, vous traversez, en
pensant à autre chose, un de ces carrefours où vous risquez la mort : vous faites tous les gestes nécessaires pour
éviter vingt voitures. Or : 1° vous avez fait ces gestes sans les vouloir : c’est votre subliminal qui les a voulus ;
2° si l’on vous dit : « Avez-vous vu cette bizarre voiture jaune, etc. ? », vous vous entêterez à répondre non, et
cependant vous l’avez vue, puisque vous l’avez évitée, et son image est donc gravée pour toujours dans votre
subliminal ; et cette image pourra tout à coup, dans dix ans, s’offrir à votre conscience. Cette mémoire cachée
est la cryptomnésie, l’ensemble de l’étude de la psychologie du subconscient étant nommé cryptopsychie.
18 Les morts vivent-ils ?
l’on ne pouvait pas déterminer dans quelles conditions exactement, se produit l’action sans
contact, autrement dit par quel mécanisme le médium soulève un objet à distance. Il arriva à
établir expérimentalement(1) que cette action est conditionnée par l’extériorisation d’une
substance, ─ et non plus d’une onde, ─ qui sort du corps du médium en transe. Cette
substance avait déjà été observée, imparfaitement, par les autres expérimentateurs, et le
professeur Richet l’avait appelée, à tout hasard, ectoplasme (extos, en dehors, plasma,
production biologique). Crawford lui conserva ce nom. Et il démontra que c’est bien
l’ectoplasme qui, dans le cas de lévitation, s’échappant du corps du médium, le plus souvent
par la partie inférieure du tronc, se répand au loin, jusqu’à plusieurs mètres de distance, et va
soulever l’objet (ou l’attirer ou le repousser). Si l’objet est trop lourd, l’espèce de tige de
substance, ou « levier psychique », comme l’appelle Crawford, se courbe, prend un point
d’appui sur le sol et se redresse pour s’élever verticalement. L’ectoplasme était généralement
invisible, tout en étant pesant, capable d’influencer le sens du toucher et capable de marquer
son empreinte dans une substance plastique (argile).
La démonstration du poids de la substance est peut-être ce qu’il y a de plus frappant
dans les expériences de Crawford. Le médium étant placé sur une balance, quand
l’ectoplasme était sorti de lui le plus qu’il lui était possible, ledit médium perdait jusqu’à 24
kilos de son poids(2).
Au toucher, l’ectoplasme donnait l’impression d’une masse froide et visqueuse
comparable à celle que donne le contact d’un reptile.
Quant à la vue, Crawford arriva peu à peu, dit-il, à percevoir avec ses yeux des sortes
de filaments de couleur claire, se massant pour former comme une pâte, et il put en prendre
quelques photographies, dont on voit des reproductions dans une plaquette posthume : The
psychic structures at the Goligher circle(3). (Le médium était miss Goligher.)
Le phénomène, ainsi décrit, durait plus ou moins longtemps ; puis l’étrange matière
rentrait dans le corps du médium, lequel était agité de violents frissons.
« Mes conclusions, écrit Crawford, ─ de qui la mort a interrompu les travaux, ─ sont
les suivantes : Les phénomènes sont causés par des tiges flexibles, semblables à des rayons
sortant du corps du médium. Ces rayons sont la cause des manifestations : lévitation,
mouvements de la table sur le sol, coups frappés, attouchements, ou toute autre modalité du
phénomène. »
Voilà, n’est-il pas vrai ? des observations sensationnelles.
L’explication, proposée par les « non-spirites », de la télépathie avec apparitions était
que ces apparitions pouvaient être des projections de celui qui les voit ou les entend,
projections déclenchées par une onde, reçue d’une distance quelconque : l’onde psychique
était, dans ce cas, comparée à l’onde électrique, qui, au poste où on la recueille, met en branle
un appareil susceptible de reproduire les mouvements de l’appareil qui se trouve au poste de
départ. Mais le point obscur était précisément de savoir comment (en dehors, bien entendu,
de la pure hallucination) un individu pouvait projeter hors de lui-même une figure ayant une
réalité objective.
Les expériences de Crawford et de ceux qui marchent sur les mêmes traces ouvrent-
elles la voie à une explication définitive ?
La tentation est bien forte de franchir ce pas !… Je ne pense pas cependant que la
science l’ait osé franchir : il ne faut pas aller si vite ; nous sommes en pleins tâtonnements…
Et c’est ce que va nous expliquer maintenant celui à qui j’ai fait allusion l’autre jour : le
docteur Gustave Geley, directeur de l’Institut métapsychique international.
(1)
Crawford a publié deux volumes, non encore traduits. J’emprunte ces explications à un remarquable exposé
de M. Stanley de Brath, publié dans le Bulletin de l’Institut métapsychique (n°2).
(2)
Il va sans dire que nous abordons ici un ordre de phénomènes pour lesquels il y a encore des négateurs. Je
rappelle simplement ce que Crawford et ses collaborateurs ont affirmé.
(3)
J’avoue que, pour ma part, ces photographies me font absolument l’effet d’être truquées.
LES MORTS VIVENT-ILS ? 19
Le docteur Geley m’a reçu fort aimablement, à plusieurs reprises, dans un des
laboratoires de l’élégant hôtel qu’occupe l’Institut, avenue Niel (1). Ce qui m’a frappé
davantage, dans le visage, si caractéristique, du docteur Geley, ─ et je pense que quiconque
l’a vu doit conserver la même impression, ─ ce sont les yeux : grands, saillants, ronds,
sombres avec des éclats dorés. Le regard est d’une remarquable fixité, mais avec, cependant,
une espèce de voile, quelque chose de nébuleux et de brouillé, comme si le reflet du mystère,
si souvent contemplé, y demeurait fixé pour toujours. Regard insoutenable et attirant à la fois,
disons le mot : fascinant. Puis, dans la face extrêmement sévère, par instant, l’éclair brusque
d’un sourire absolument charmant. La voix est nette et les termes précis.
Avec lui, nous allons entrer, tout de suite, dans le cœur même du débat.
(1)
L’Institut métapsychique, fondé par « un initiateur éclairé et généreux » (M. Jean Meyer), est placé sous la
direction d’une élite de personnalités compétentes : président d’honneur : Ch. Richet ; président : professeur
Santoliquido ; membres : MM. A. de Gramont, Camille Flammarion, médecin inspecteur Calmette, Teissier,
Gabriel Delanne, Jules Roche, Saurel, etc. ; directeur : Dr G. Geley.
IV
« Il n’est pas question ici, n’est-ce pas ? me dit-il, de faire une étude historique ou
critique des matérialisations. J’apporte simplement ma contribution à l’analyse et à la
synthèse d’un phénomène qui, selon moi, bouleverse de fond en comble les fondements de la
physiologie.
Le processus des matérialisations peut se résumer ainsi : 1° Du corps du médium sort
une substance d’abord amorphe ou polymorphe ; 2° Cette substance se constitue en
représentations diverses, généralement représentations d’organes plus ou moins complexes.
La substance s’extériorise du médium, soit sous la forme gazeuse ou vaporeuse, soit
sous la forme liquide ou solide.
La forme vaporeuse est la plus fréquente et la plus connue. Auprès du médium
s’agglomère une sorte de vapeur visible, de brouillard, souvent relié à lui par un lien ténu de
la même substance. Puis il se produit comme une condensation, en divers points de ce
brouillard. Ces points de condensation prennent enfin l’apparence d’organes, dont le
développement s’achève très rapidement.
Sous sa forme liquide ou solide, la substance est plus accessible pour nous. Son
organisation est en effet plus lente, je veux dire qu’elle reste plus longtemps à l’état amorphe,
ce qui permet un examen plus attentif. Elle a été observée sous cette forme chez plusieurs
médiums, et particulièrement par Schrenck-Notzing et Crawford, ainsi que vous l’avez
rappelé précédemment ; mais c’est chez le médium Eva(1) que la genèse de la substance solide
se produit surtout avec une intensité extraordinaire. J’ai eu l’occasion, grâce à l’amabilité de
Mme Bisson, d’étudier avec elle Eva pendant dix-huit mois, soit chez elle, soit dans mon
propre laboratoire. Après Eva, j’ai pu étudier quelques autres sujets qui m’ont donné des
phénomènes analogues. Pour le moment, je poursuis des expériences sur M. Franek Kluski,
en collaboration avec le professeur Ch. Richet et M. A. de Gramont : les premiers résultats
seront publiés incessamment. Les matérialisations dont je vous parle, j’ai donc pu les voir, les
toucher, les photographier : maintes fois, j’ai suivi le phénomène depuis son origine jusqu’à
sa terminaison : je n’ai pas le droit d’émettre un doute sur sa réalité.
Le mode opératoire pour obtenir des matérialisations est très simple.
Quand il s’agit d’Eva, par exemple, le médium est mis soit en état d’hypnose
artificielle (état superficiel, mais comportant néanmoins quelquefois l’oubli de la
personnalité), soit en état de transe spontanée, après qu’on l’a fait asseoir, quelquefois, dans
un cabinet noir. Ce cabinet noir n’a d’autre but que de soustraire d’abord le médium aux
influences perturbatrices ambiantes et spécialement à l’action de la lumière : il permet de
garder dans le reste de la pièce un éclairage suffisant. Toutes les précautions sont prises,
d’ailleurs, bien entendu, contre la fraude : en entrant dans le laboratoire, le médium est
entièrement déshabillé et revêtu d’un maillot que l’on coud dans le dos et aux poignets. La
chevelure, la cavité buccale, sont visitées avant et après les séances. Les mains restent
(1)
Mlle Eva Carrière.
LES MORTS VIVENT-ILS ? 21
toujours visibles et tenues ; une lumière très suffisante éclaire constamment la salle ; en un
mot, il n’y a pas possibilité de fraude. Pour Kluski, nous n’avons pas adopté de costume
spécial ; mais les moyens de contrôle, exposés dans le rapport que je publierai bientôt (1), ont
été encore plus sévères. Du reste, je le répète, dans un cas comme dans l’autre, presque
toujours les matérialisations se sont faites sous mes yeux.
Voici comment se déroule généralement le phénomène.
On perçoit tout d’abord une forte odeur d’ozone. Cette odeur, analogue à celle des
salles de radioscopie, se dégage au début des phénomènes, et avant tout phénomène, souvent
au moment de commencer la séance. Ce symptôme n’a jamais manqué dans nos expériences.
L’odeur survenait brusquement et s’évanouissait de même.
On voyait alors (la lumière étant très faible) des vapeurs légèrement phosphorescentes,
une sorte de brouillard flotter autour du médium, surtout au-dessus de sa tête. En même
temps, apparaissaient des lueurs, semblant des foyers de condensation. Ces lueurs étaient
généralement nombreuses et éphémères ; parfois elles étaient plus durables et, dans ce cas,
elles donnaient l’impression d’être comme des régions lumineuses d’organes invisibles par
ailleurs, par exemple, des extrémités de doigts. Enfin, quand la matérialisation s’achevait, on
voyait des mains – ou des visages – parfaitement formés… Mais n’anticipons pas.
Les lueurs ont constitué le phénomène prédominant de nos expériences avec Kluski.
Elles n’ont jamais manqué complètement, même dans les séances nulles. Leur aspect était
souvent celui d’une traînée de vapeur blanchâtre et vaguement lumineuse, dont la dimension
et la forme changeaient constamment, comme celle d’un brouillard : ça et là, dans la traînée
lumineuse, se constituaient peu à peu des points plus brillants, d’un éclat comparable à celui
des vers luisants.
Les « phénomènes » se produisent, ─ quand ils se produisent, ─ au bout d’un temps
variable, parfois très court, parfois très long, une heure et plus. Ils débutent par des sensations
douloureuses du médium. Eva pousse des soupirs, des plaintes intermittentes rappelant tout à
fait celles d’une femme en couches. Ces plaintes atteignent leur paroxysme au moment où
commence le phénomène ; elles diminuent ou cessent quand il est entièrement formé. Franek
Kluski, lui, ne se plaint pas, ne pousse ni soupirs ni gémissements ; ses mains restent sensibles
et chaudes ; seuls, la respiration et le pouls s’accélèrent quelque peu. Bref, Franek ne
présente à peu près aucune des manifestations sensibles, motrices, vasomotrices, immédiates,
constatées chez Eva et la plupart des autres médiums. Mais, par contre, la réaction
consécutive aux séances est très forte. Le système nerveux marque alors longtemps des
signes d’épuisement et, en même temps, de surexcitation. L’insomnie est la règle. Parfois,
des vomissements de sang répétés imposent de longues interruptions dans la pratique de sa
médiumnité ; ─ ce qui vous explique suffisamment, n’est-ce pas, que nous ne puissions pas
multiplier avec lui les expériences pour satisfaire aux curiosités même les plus légitimes.
L’apparition de la substance est annoncée généralement par la présence de taches
blanches, de la dimension d’un pois à celle d’une pièce de cinq francs, disséminées çà et là
sur le vêtement du médium, plutôt du côté gauche. La substance proprement dite, ensuite, se
dégage de tout le corps du médium, mais spécialement des orifices naturels et des extrémités
du corps : sommet de la tête, doigts, bouche.
La substance se présente sous un aspect variable. Tantôt c’est celui d’une pâte
malléable, tantôt celui de fils nombreux et menus, tantôt celui de fils nombreux et menus,
tantôt celui de cordons de grosseurs diverses, de rayons étroits et rigides, tantôt celui d’une
bande large et étalée, tantôt celui d’une membrane, tantôt celui d’une étoffe mince, aux
contours indéfinis et irréguliers.
L’abondance de la substance varie également : parfois infime, parfois considérable ;
dans certains cas, elle recouvre entièrement le médium comme d’un manteau. La visibilité
(1)
Bulletin de l’Institut métapsychique, n°
22 Les morts vivent-ils ?
peut s’accentuer ou diminuer dans le cours de l’expérience ; la couleur blanche est la plus
fréquente, bien qu’il y ait du noir et du gris. Quant au contact, la substance donne des
impressions en rapport avec la forme momentanée qu’elle revêt : elle semble molle et un peu
élastique quand elle s’étale, dure et noueuse quand elle forme des cordons. Parfois, elle
donne la sensation d’une toile d’araignée frôlant la main de l’observateur(1).
La substance est mobile : tantôt elle évolue lentement, monte, descend, se promène sur
le médium, sur ses épaules, sa poitrine, ses genoux, par une sorte de glissement qui rappelle
celui d’un reptile ; tantôt ses évolutions sont brusques et rapides : elle apparaît et disparaît
comme un éclair.
En résumé, la substance primordiale se présente sous deux aspects principaux :
substance solide ou liquide et substance gazeuse. Dans nos expériences ave Eva, nous avons
noté que la substance solide est prédominante, presque exclusive ; chez la plupart des
médiums connus, c’est l’inverse que l’on constate : la substance se dégage presque toujours
sous l’apparence de vapeur, et la substance solide ne s’observe que par exception.
Ce que tous les expérimentateurs ont remarqué, c’est que la substance ainsi
extériorisée du corps du médium, non seulement est sensible, mais que sa sensibilité se
confond avec celle du médium. Tout attouchement retentit douloureusement sur ce dernier.
Si l’attouchement est tant soit peu brutal et prolongé, le médium accuse une douleur qu’il
compare à celle que produirait un choc sur sa chair mise à vif(2).
La substance est sensible même aux rayons lumineux. Une lumière, surtout brusque et
inattendue, provoque un ébranlement douloureux du médium. Cependant cet effet est très
variable : dans certains cas, la lumière du jour est tolérée. L’éclair du magnésium provoque
un soubresaut du médium, mais il est supporté et permet les photographies. La substance
paraît, en un mot, avoir toute la méfiance d’un animal sans défense : elle craint les contacts,
toujours prête à se dérober et à se résorber dans le corps d’où elle est sortie.
(1)
Notons que, dans toutes les relations d’apparitions les « fantômes » offrent, au toucher, cette même
consistance un peu flasque, ce frôlement, qui donne l’impression d’un léger tissu.
(2)
Franek s’intéresse aux phénomènes ; il les observe, gardant, non toujours, mais assez souvent, sa connaissance
pendant que se déroulent les matérialisations.
LES MORTS VIVENT-ILS ? 23
médium, tantôt d’un brouillard condensé aux côtés d’Eva. Dans le premier cas, on voyait
fréquemment, sur la matérialisation terminée, des rudiments plus ou moins importants du
cordon originel de substance. J’appelle l’attention sur l’intérêt que présentent ces rudiments :
comme dans l’embryologie, ils sont les témoins de l’origine et de la genèse des formations.
Quant aux dimensions des formations, ainsi que vous pouvez aussi le voir sur cette
photographie, qui représente une belle tête, bien formée, à la hauteur de l’épaule du médium
Eva, elles sont souvent beaucoup plus petites que nature : ce sont alors, comme ici, de
véritables miniatures.
Avec Franek, les dimensions étaient aussi plus petites que nature. Il prétend que cette
espèce de réduction est due à un état de fatigue ou de mauvaise santé du médium : quand il est
bien portant, dit-il, les matérialisations ont des dimensions normales. Effectivement, tout
récemment, à Varsovie, où il est retourné, j’ai obtenu avec lui deux figures de grandeur
naturelle : Franek était en bonne santé, reposé et plein de force. Rappelons-nous, à ce propos,
que, pendant tout le temps que dure le phénomène, la formation est en rapports physiologique
et psychologique évidents avec le médium. Toute impression reçue par la substance
(l’ectoplasme) se répercute sur le médium : l’ectoplasme, en somme, est le médium même,
partiellement extériorisé.
Les expériences faites ici cet hiver avec Franek Kluski confirment entièrement les
résultats obtenus ave Eva et nous ont appris des faits nouveaux. Le contrôle était encore plus
rigoureux, en ce sens que le médium n’entrait pas dans le cabinet noir, mais restait au milieu
de nous. Nous avons eu des représentations de visages et de membres, que nous avons pu
mouler. Nous avons eu aussi des matérialisations de formes animales. A la séance du 20
novembre 1920 l’un de nous sentit une grosse tête velue s’appuyer lourdement sur son épaule
droite, contre sa joue : cette tête donnait l’impression d’être celle d’une sorte de grand singe ;
une odeur de fauve se dégageait de lui. Un des assistants ayant alors avancé la main, le
mystérieux animal la saisit puis la lécha longuement : sa langue était large et douce.
Malheureusement, Franek est tombé assez malade pour nous forcer à interrompre nos travaux
avant d’avoir pu obtenir des photographies. »
Le docteur Geley me donne alors quelques détails qu’il préfère ne point voir encore
divulgués. Puis il me montre les moulages en plâtre, ainsi que les creux en paraffine obtenus
sur les matérialisations : de petites mains fort bien formées, des pieds, un bas de visage avec
les lèvres entrouvertes. Il faut reconnaître qu’il y a là quelque chose de véritablement
ahurissant(1).
─ Tels sont les faits, reprend mon interlocuteur.
Y a-t-il déjà quelque interprétation à en tirer ? J’ai essayé de le faire dans mon
ouvrage De l’Inconscient au Conscient, et ce n’est pas ici le lieu de s’étendre sur ce sujet.
Disons seulement qu’il est deux enseignements qui se dégagent, pour moi, de ces
observations :
Le premier est relatif à la constitution psychophysiologique de l’individu. Il me
semble ressortir des faits métapsychiques que les conceptions biologiques classiques sont
erronées. L’être n’apparaît plus comme un simple complexus cellulaire (complexus des
éléments constitutifs de l’organisme), mais semble conditionné par un dynamisme supérieur.
(1)
Les moules sont obtenus de la manière suivante. Dans le voisinage du médium est préparée une grande
cuvette contenant de la paraffine, qui est maintenue à l’état liquide par le contact d’eau chaude, sur laquelle elle
flotte dans la cuvette. Lorsqu’une matérialisation d’organe se produit, visible ou non, ─ on va un peu à
l’aventure, évidemment, ─ l’expérimentateur demande, à haute voix, à l’entité intelligente qui agit (le
subconscient du médium ?), de plonger cet organe dans la cuvette. Et l’organe, ─ une main par exemple, ─ s’y
plonge, ou non, à plusieurs reprises. Il se forme alors, autour de cette main, une espèce de gant (de 1 millimètre
d’épaisseur environ). L’opération terminée, le gant se trouve déposé sur le parquet ou donné à un des assistants :
il est vide ; la main s’est évanouie ; l’ectoplasme est rentré dans le corps du médium. Il ne reste plus qu’à couler
dedans du plâtre et ensuite à enlever la paraffine en trempant le tout dans de l’eau bouillante.
24 Les morts vivent-ils ?
Les molécules constitutives n’ont pas de spécificité absolue ; leur spécificité est relative et
leur vient du moule dynamique qui les conditionne (qui en fait de la substance viscérale,
nerveuse, musculaire, etc.), et qui leur attribue une forme, une situation, une fonction. La
conscience ne peut plus être ramenée au fonctionnement du cerveau : l’être vivant est un
dynamopsychisme ; le complexus cellulaire n’apparaît que comme un produit idéoplastique(1)
de ce dynamopsychisme. Tout se passe, en un mot, comme si l’organisme, au lieu d’être le
générateur de l’idée, une représentation, un produit idéoplastique du dynamopsychisme
essentiel de l’être.
Le second enseignement est relatif à l’évolution… Mais ici nous sortirions, n’est-il
pas vrai ? du domaine que vous m’avez vous-même tracé.
Vous voyez l’importance sans égale des problèmes que pose la métapsychique : elle
donne déjà les premiers éléments d’une grandiose démonstration. Il n’y a pas
d’inconnaissable, il n’y a que de l’inconnu. Les phénomènes météorologiques les plus
simples étaient attribués, par nos ancêtres, à des puissances surnaturelles : ils sont aujourd’hui
du domaine de la science. Il en sera de même, un jour ou l’autre, pour les grandes lois de la
vie et de la destinée, de l’univers et de l’individu.
─ Puis-je vous poser, docteur, une petite question ? Que pensez-vous de la
dématérialisation des objets ?
─ Je n’ai jamais rien vu qui ressemble à cela.
─ Ce serait évidemment fort troublant.
─ Pourquoi ? Il n’y a aucune raison pour que le fait soit impossible, étant donnée la
dématérialisation partielle du médium lui-même. Il n’y a pas de miracle, et le mot
supranormal devrait être biffé de notre langue !
─ D’autre part, n’avez-vous jamais songé, docteur, qu’il pourrait être intéressant de
faire des tentatives de ces extériorisations avec des animaux ?
─ Oui, j’y ai pensé ; et, sans doute quelque jour ferons-nous des essais à ce sujet. Pour
moi, je l’ai écrit, il n’y a aucune différence de nature entre l’homme et l’animal. Nous
devrions donc, avec des méthodes que j’entrevois, arriver à des résultats.
─ Ce serait l’explication des chevaux d’Elberfeld ?
─ Cette explication, on la trouvera, n’en doutez pas.
─ Maintenant, docteur, y a-t-il quelque rapport entre tout cela et le spiritisme ?
─ Très franchement, je ne le crois pas ; mais je n’en sais rien. Nous sommes sur le
seuil d’une science tout à fait nouvelle, qui ne nous dira sans doute rien de précis avant
quelques années.
Je ne suis dont pas contre l’hypothèse spirite. Néanmoins, et c’est par-là que je finirai,
laissez-moi vous dire ceci :
Il sévit actuellement, dans la région parisienne, une véritable épidémie de
matérialisations : je me fais un devoir d’en signaler le danger. Ces pseudophénomènes ne
sont que des imitations, plus ou moins grossières, faites par un sujet hypnotisé ou prétendu tel,
des phénomènes réels que je viens de vous décrire. La scène est toujours la même : un cercle
d’assistants réunis dans la plus complète obscurité ; au centre, l’hypnotiseur ; dans un coin de
la pièce, sur un fauteuil, toujours à une certaine distance des assistants, un sujet hypnotisé,
absolument libre de ses mouvements et sans aucun contrôle. Aux côtés du sujet, des bouquets
de fleurs du papier et des crayons, des écrans phosphorescents (la face lumineuse posée sur le
sol). Une musique douce berce les assistants, des parfums subtils flottent… L’hypnotiseur
endort le sujet. Quand la transe est suffisamment profonde, les phénomènes commencent.
Des fleurs sont jetées sur les assistants, le papier blanc du guéridon se couvre d’écriture ;
enfin, parfois, les écrans se soulèvent, ils éclairent très vaguement quelque chose d’indistinct,
qui semble être couvert de mousseline : avec un peu de bonne volonté, on distingue parfois
(1)
Que veut dire ce mot idéoplastie ? Il signifie : modelage par l’idée de la matière vivante.
LES MORTS VIVENT-ILS ? 25
une face humaine. Quand le niveau général de confiance naïve de l’assistance le permet, le
« fantôme » s’approche, serre des mains, parle, laisse entrevoir une « matérialisation »
parfaite et complète…, trop parfaite et trop complète !
Comment cette morne comédie, d’ailleurs d’une déconcertante monotonie, est-elle
possible ? Pour deux raisons : l’incompétence (ou la fourberie) des organisateurs, l’absence
d’esprit critique de l’assistance. La scène suivante, que j’ai déjà racontée, montre jusqu’où
peut aller cette naïveté du public. Une dame qui avait perdu son fils, tué à la guerre, voyant
l’écran venir près d’elle, s’écrie : « Est-ce toi, Emile ? » L’écran s’incline de haut en bas, ce
qui veut dire oui dans le langage des écrans. La dame pleure, et l’assistance est émue. Le
magnétiseur prend la parole : « Si c’est toi, Emile, offre des fleurs à ta mère, embrasse-la et
montre-toi ! » Et l’écran se penche en touchant à plusieurs reprises la tête de la vieille dame ;
puis des fleurs lui sont jetées. Enfin, on voit les deux écrans se soulever, éclairant entre eux
une sorte de colonne blanche indéfinie. La pauvre mère éclate en sanglots… Mais quand,
après la séance, je lui demandai si elle avait reconnu son fils : « Oh ! non, monsieur, me
répondit-elle naïvement, il n’était pas assez matérialisé ! »
Les vraies matérialisations ne ressemblent en rien à ces scènes pitoyables qui dénotent
autant d’ignorance que d’imprudence. La matérialisation, qui constitue, à nos yeux, le
phénomène à la fois le plus important du métapsychisme et le plus sûrement établi, est aussi
le plus rare et le plus difficile à obtenir. Mais il est, en tout cas, absolument faux que
l’obscurité complète soit nécessaire ; de très belles manifestations sont obtenues à la lumière
atténuée ; et il est également absolument faux que le contrôle gêne la production du
phénomène. Les procédés d’enregistrement, spécialement les photographies, les pesées, les
empreintes, doivent toujours être employés.
Que l’on me comprenne bien : nous n’avons pas la prétention d’avoir, dans nos
laboratoires, le monopole de ces expériences. Quiconque aurait la bonne fortune, ─ très rare,
hélas ! ─ de rencontrer un médium véritablement doué et sincère, aurait le droit strict d’en
profiter pour s’instruire. Mais ces séances d’amateurs, dénuées de toute valeur scientifique,
sont d’un exemple déplorable et très dangereuses à tous les points de vue : des hommes de
science, des chercheurs de bonne foi, ont été détournés à tout jamais de nos études pour avoir
assisté une seule fois à l’une de ces regrettables parodies. »
V
M. CONAN DOYLE.
Voilà donc maintenant le problème posé devant nous sous une forme très précise:
Premièrement : La plupart des phénomènes d’ordre mystérieux(1) sont reconnus par
tout le monde comme étant le produit ou de facultés psychiques du sujet, ou de
communications mento-mentales de vivant à vivant.
Secondement : Pour un petit nombre de phénomènes, il y a désaccord : les uns, les
nos-spirites, les considèrent comme pouvant être également des manifestations des forces
psychiques des vivants ; les autres, les spirites, y voient des manifestations évidentes des
forces psychiques des désincarnés.
A l’appui de leur thèse, les spirites apportent-ils des preuves ? Evidemment oui : des
apparitions de mots nettement identifiés. Et le débat se trouve donc, en réalité, circonscrit
autour de quelques faits, dont les deux partis discutent précisément la valeur comme preuves.
(1)
Je rappelle que les « phénomènes » (spirites ou métapsychiques, suivant les interprétations) peuvent se
résumer ainsi : phénomènes spontanés : coups frappés ou raps, déplacement d’objets, apports, dématérialisation
(passage de la matière à travers la matière), apparitions (subjectives et objectives), souffles, vue à distance,
clairvoyance et clairaudience, lecture de pensée, prémonitions, prédictions concernant des personnes inconnues.
Phénomènes provoqués : lévitation et déplacement d’objets, matérialisation (avec empreintes et photographies),
dématérialisation (douteux), écriture, lucidité, vue à distance, prédictions, suggestion, incarnation en un sujet
d’un personnage qui le possède.
(2)
Ecriture actuelle : Göteborg.
LES MORTS VIVENT-ILS ? 27
Au surplus, pour mon propre compte, j’ajouterai ceci : c’est que la question de
l’authenticité même de cette photographie n’est nullement résolue. Ou plutôt que, pour moi,
elle est résolue dans le sens négatif.
J’ai écrit à ce sujet à Conan Doyle qui, fort aimablement, m’a envoyé la fameuse
épreuve. Eh bien, ce n’est pas ici le lieu d’ouvrir un débat, ─ que j’ouvrirai ailleurs, ─ mais
cette photographie, selon moi (et selon tous les photographes à qui je l’ai montrée) est
vraisemblablement le résultat d’un truquage. Il y a, sur le visage du fantôme, un quadrillage,
une trame, que nous appelons couramment, en termes de métier, un « grain de simili » et qui
est absolument inexplicable s’il s’agit d’un esprit réincarné. Il ne saurait être question, inutile
de le dire, de suspecter un instant la bonne foi de Sir Arthur Conan Doyle : il aurait été
trompé, ─ comme tant d’autres ! ─ voilà tout. Je le lui ai dit, d’ailleurs, le plus nettement du
monde ; et il a bien voulu me répondre ceci(2) :
Yours sincerely,
A. CONAN DOYLE.
(1)
Cité par C. FLAMMARION, Les forces naturelles inconnues, II, 504.
(2)
La lettre est en français. J’ai seulement arrangé quelques fautes grammaticales bien excusables.
(3)
De skotos, obscurité.
28 Les morts vivent-ils ?
٭
٭ ٭
Mais poursuivons.
Il est d’usage, lorsqu’on annonce qu’on va parler du spiritisme, qu’il y ait un petit
frémissement chez les auditeurs :
─ Ah ! vous allez nous raconter des histoires !…
Des « histoires », il y en a , en effet, une quantité innombrable lorsqu’il s’agit des
esprits. Mais il n’est pas indispensable que je les raconte ici, car il existe un livre qui vient de
paraître, ─ ou, plutôt, qui est en train de paraître, ─ et dont on peut dire qu’il les contient
toutes : j’ai nommé La Mort et son mystère, de Camille Flammarion.
Oui, des histoires, en voilà, par centaines ! et on peut même ajouter, je pense, que,
jusqu’à présent, dans l’ouvrage en question, il n’y a que cela. Au surplus, elles sont fort bien
choisies, car M. Camille Flammarion est un grand artiste ; et, quant à des conclusions,
l’auteur lui-même n’en a tiré encore aucune.
Le nom de Camille Flammarion est un de ceux qui, comme d’autres que j’ai cités, ont
été accaparés une fois pour toutes par les adeptes les plus fougueux du spiritisme : l’illustre
astronome a reçu et reçoit des milliers de lettres et de témoignages : il est, pour les spirites du
monde entier un de leurs plus vénérés pontifes. J’avoue que, personnellement, cette manière
de voir m’a toujours fort surpris, étant donné que, dans son dernier ouvrage relatif à ces
questions (Les forces naturelles inconnues, 1906) M. Flammarion avait écrit des phrases
comme celles-ci :
Dans l’état actuel de nos connaissances, il nous est impossible de nous rendre compte
de la manière dont notre esprit conscient ou inconscient, peut soulever un meuble, frapper
des coups, former une main ou une tête, imprimer une empreinte(1). Mais tous ces actes
restent dans le domaine humain et même, ne le dissimulons pas, dans un domaine assez
vulgaire (p. 561).
─ Ames des morts ? C’est très loin d’être démontré : dans les innombrables
observations que j’ai multipliées depuis plus de quarante ans, tout m’a prouvé le contraire :
aucune identification satisfaisante n’a pu être faite… L’être évoqué s’évanouit lorsqu’on
(1)
Pas plus que nous ne pouvons comprendre comment l’électricité réalise les bizarres phénomènes que M.
Flammarion rapporte lui-même dans son livre Les Caprices de la foudre : objets déplacés sans que personne y
touche, clefs enlevées d’une porte et cachées dans un sabot, sonnettes agitées, pendules arrêtées, balancier
décroché, glace descellée et posée délicatement à terre, chapeau lancé à dix pas sans qu’il y ait le moindre
souffle de vent, femme déshabillée, les vêtements accrochés à un arbre, des pierres pesant des centaines de kilos
précipitées au loin, bougies, becs de gaz, lampes électriques allumés ou éteints, clous arrachés à un canapé de
satin et portés sous une tuile du toit, dans le bureau de gare de Figanières (Var) tous les encriers vidés de leur
encre sans qu’il y ait nulle part la moindre tache d’encre, etc., etc. Les esprits ne font pas mieux, a écrit, depuis,
M. Flammarion (Autour de la mort, p. 311).
LES MORTS VIVENT-ILS ? 29
insiste pour le pousser à bout (p. 583). ─ J’ai en vain cherché jusqu’ici une preuve certaine
d’identité dans les communications médiumniques (p. 588). ─ J’ai sur un rayon, devant moi,
plusieurs milliers de communications dictées par les « esprits » l’analyse ne laisse au fond du
creuset qu’une obscure incertitude sur les causes : forces psychiques inconnues, entités
fugaces, figures évanouissantes : rien de solide à saisir, même pour la pensée… (p.589). ─
Les phénomènes… sont des manifestations du dynamisme universel, avec lequel nos cinq sens
ne nous mettent en relation que très imparfaitement (p. 599), etc., etc. »
M. CAMILLE FLAMMARION.
Je fus reçu d’abord, de la manière plus aimable, ─ dans le salon que le maître a décrit
bien souvent, ─ par Mme Camille Flammarion. Et celle-ci, dès mes premières paroles, me
répondit assez vivement :
─ Vous auriez tout à fait raison, monsieur, si vous vouliez essayer de mettre au point
la question des « phénomènes » et, particulièrement, si vous tentiez d’endiguer ce flot de soi-
disant manifestations spirites qui envahit tant de demeures, où l’on ferait bien mieux de
s’occuper d’autre chose ! Mon mari n’est nullement spirite ; et, pour le moment, précisément,
nous nous occupons, au contraire, d’expériences de la nature de celles de notre ami le docteur
Geley. Le médium Eva vient ici un soir de chaque semaine, et nous avons eu déjà des
manifestations extrêmement intéressantes. De l’extrémité des doigts d’Eva, ses mains étant
placées comme ceci, devant elle, coule une sorte de pâte de guimauve des baraques foraines.
Une odeur bizarre et très désagréable s’en dégage. Le phénomène se produit à la lumière ; et
il n’y a ici, je vous l’affirme, aucune possibilité de fraude. Nous n’avons pas obtenu jusqu’à
présent, pas plus que notre ami Geley d’ailleurs, je crois, de « fantômes » : aussi bien, mon
mari vous dira qu’il n’a jamais vu de matérialisation complète, organisée… Mais justement
le voici.
Le vieux maître apparaît en effet, toujours alerte et toujours gai. Je ne ferai pas ici, au
surplus, un portrait, qui serait bien inutile, de cette physionomie si populaire. Et je n’ai qu’à
transcrire ses paroles. Ecoutons-le :
« J’espère, mon cher collègue, dit-il tout de suite, que vous ne venez pas me demander
de vous dire quelque chose de très précis, car j’en serais absolument incapable. J’ai
commencé mes travaux sur ces questions en 1862 : voilà donc soixante ans que je cherche ;
aujourd’hui, je ne peux vous affirmer qu’une chose : c’est que je ne sais rien, que je n’y
comprends absolument rien.
Un seul point m’apparaît éclairci : c’est que, dans la grande majorité des cas, il y a
suggestion, consciente ou non, d’esprit à esprit. Dans certains cas, très rares, il semble que
cette explication puisse paraître insuffisante ; et alors quelle autre lui substituer ? Je l’ignore
de plus en plus. Est-ce le médium qui agit lui-même ? Est-ce une cause différente de lui ?
Après soixante ans d’études, je n’en sais rien, rien, rien.
J’écrivais en 1899 : « L’action d’un esprit sur un autre, à distance, surtout en des
circonstances aussi graves que la mort, la transmission de pensée, la suggestion mentale ne
sont pas plus extraordinaires que l’action de l’aimant sur le fer, que l’attraction de la lune sur
la mer, que le transport de la voix humaine par l’électricité. » Que dirai-je du moins dans ce
sens, aujourd’hui que nous connaissons la téléphonie sans fil ?
J’ai ici, dans ces casiers, une accumulation de documents de toutes sortes. Si vous
saviez ce qu’il y a de niaiseries là-dedans ! Comme me le disait jadis mon ami Alexandre
Dumas : « Oui, oui, la terre, le ciel, les astres, le firmament, l’infini ! on se sent écrasé !…
LES MORTS VIVENT-ILS ? 31
Mais il y a un infini plus stupéfiant encore, c’est celui de la bêtise humaine (1) ! » Alors, moi,
je voudrais qu’on recommençât tout par le commencement. Je recommence tout.
Actuellement, nous recevons, chaque semaine, comme vous l’a dit Mme Flammarion, le
médium Eva ; et j’ai vu ici même, tenez, dans ce coin, sur cette chaise, ces extériorisations de
matière que le docteur Geley vous a si exactement décrites. Qu’est-ce que cela ? Quelle est
cette nouvelle substance inconnue ? Nous n’en savons rien. Mais nous la constatons, nous la
photographions, nous l’enregistrons : tout est là. D’autres, sans doute, dans un laps de temps
plus ou moins éloigné, trouveront ce que nous n’avons pas trouvé !
─ Maître, vous n’ignorez pas, bien entendu, que les spirites, ─ j’entends les amateurs,
les humbles fidèles, les interrogateurs de tables, ─ s’abritent toujours, à grand bruit, derrière
votre haute autorité pour affirmer l’existence des esprits…
─ Ils ont bien tort ! et s’ils ont vu des esprits, je vous garantis qu’ils sont plus avancés
que moi ! Ah ! oui, ils en ont de la chance ! Moi, je n’en ai jamais vu, et j’aurais bien voulu,
pourtant !… »
Cependant, voici, sur le bureau, des papiers couverts d’écriture : le manuscrit du tome
III de l’ouvrage actuel : Après la mort.
─ Ah ! maître, ai-je dit, c’est là, au tome III, que l’on vous attend !
─ On ne trouvera rien(3). Je ne sais rien. Je n’ai qu’une certitude : c’est que, vivants,
nous avons une âme c’est qu’il y a, à côté de notre corps, un élément psychique, doué de
facultés spéciales dont la plupart nous restent inconnues ; capable, par exemple, d’agir en
dehors de notre organisme, nous ignorons comment. Le temps, l’espace ne comptent pas pour
lui, ou, si vous voulez, il n’y a pas de commune mesure entre la matière, l’espace et le temps,
dont, d’ailleurs, nous ne pouvons avoir aucune idée précise. Nos cellules cérébrales baignent
dans l’inconnu nous sommes reliés à tout ce qui existe, je veux dire à toutes les forces
naturelles, par un inextricable réseau d’ondes et de vibrations, et la pensée elle-même est un
agent agissant à travers l’espace. Hors de cela, aucune preuve !
─ Il est certain, maître, que vous vous êtres appliqué, dans les deux premiers livres de
votre ouvrage, à démontrer justement l’existence de cette âme différente du corps. Mais
pourrais-je, à ce sujet, vous poser quelques questions ?
─ Je vous écoute.
─ D’abord, quelle conception avez-vous quant aux animaux ?
(1)
M. Camille Flammarion a écrit lui-même tout dernièrement : « En général les hommes sont stupides… Sur les
seize cents millions d’êtres humains qui peuplent notre planète… ceux qui étudient et s’initient personnellement
à la science, leur nombre peut être évalué à cinquante mille pour le globe tout entier, dont six mille en France. »
(Avant la mort, p. 28.)
(2)
« Je puis dire que, depuis quarante ans, presque tous les médiums célèbres sont passés par mon salon de
l’avenue de l’Observatoire, et que je les ai à peu près tous surpris trichant. » (CAMILLE FLAMMARION, Les Forces
naturelles inconnues, t. I, p.90.)
(3)
On verra plus loin l’incident que souleva M. Camille Flammarion, au sujet de ces quatre mots et qui fit tant de
bruit.
32 Les morts vivent-ils ?
─ Mais la même. C’est évident(1). Il y a d’ailleurs des faits psychiques chez les
animaux, tout à fait semblables à ceux que l’on a enregistrés chez les hommes. Ils sont plus
rares, bien entendu. Tenez, en voici un. Un de mes jeunes collègues habitant la Suisse avait
un chien qu’il aimait beaucoup et qui lui était tout particulièrement attaché. Il avait l’habitude
de l’avoir auprès de lui en travaillant dans son bureau. Un soir que, rentrant de voyage et
préoccupé, il était entré justement seul dans ce bureau, ─ je veux dire sans le chien, ─ il voit
tout à coup la porte s’ouvrir sans bruit et l’animal apparaître, avec un air tout triste. Il
l’appelle ; le chien le regarde anxieusement… puis s’évanouit. Mon ami, surpris, passe dans
son appartement et s’informe : le chien, lui dit-on, n’a pas été revu depuis la veille. Inquiet, il
téléphone à la fourrière de la ville ; il fait la description exacte de son chien : on lui apprend
alors que son vieux compagnon vient d’être abattu. Voilà un fait de télépathie caractéristique
entre un homme et un animal. J’en connais quelques autres.
─ Je vous remercie, maître, de cette intéressante anecdote. Et j’arrive à ma seconde
question. Il y a un problème qui paraît aux spirites, ─ j’entends ceux qui raisonnent et qui
cherchent, ─ bien plus difficile à résoudre ; c’est celui des vêtements. Admettons, disent-ils,
que l’esprit d’un mort puisse reconstituer son corps, soit. Mais ses chaussures ? ses habits ?
son linge ?…
─ Vous avez parfaitement raison. Tenez, lisez cette inscription, ici, sur ce dossier :
« Question des vêtements » ; c’est justement celle qui me préoccupe pour le tome troisième.
Il faudra bien que je la traite, et je ne sais trop sous quelle forme, car je ne lui connais pas de
réponse sensée. Le corps d’un désincarné devrait être nu. Dans la nature, il n’y a pas de
pudeur : c’est là un sentiment de convention, tout artificiel. Un double fluidique de l’être
humain avec un chapeau, des gants, une ombrelle, et répandant un parfum à la mode, est
grotesque et incompréhensible. Quand il y a hallucination, parbleu, cela va tout seul. Ou
encore, si un vivant matérialise sa pensée. Mais dans le cas où il y aurait reconstitution réelle,
photographiable, du corps d’un désincarné, c’est inexplicable… Je vous le répète, je ne sais
rien, rien, rien !… Tenez, parlons d’autre chose(2).
(1)
Alors, quand nous écrasons une mouche, son âme s’en va errer… ─ Je rappelle qu’Alfred Fouillée dotait d’un
rudiment de conscience, d’un atome de conscience, chacune de nos molécules, plus généralement toutes
molécules qu’Alfred Binet a cru pouvoir attribuer aux infusoires la faculté de sentir et celle de raisonner, etc.
(2)
Cette question des vêtements – et ses annexes – est fort complexe. En voici un aperçu pris au hasard, car je
voudrais que mes lecteurs se rendent compte du caractère des discussions qui occupent les spirites.
Dans un livre d’Oliver Lodge, qui fit grand bruit, son fils mort, Raymond (c’est le titre de l’ouvrage), racontant
le genre de vie qu’il mène dans l’au-delà, déclare que les esprits y ont le même aspect physique que sur la terre.
Les êtres et les choses lui apparaissent comme des solides. Il habite dans une maison en briques, construite sur
un vrai terrain avec des arbres et des fleurs à l’entour. Il n’a plus le « désir » de manger, mais il affirme qu’il y
a des désincarnés qui ont gardé ce genre de besoin… Par contre, il ne ressent le froid et le chaud que lorsqu’il
reprend, grâce à un médium, une enveloppe charnelle.
Pour expliquer cet aspect matériel de la vie d’outre-tombe, ces maisons, ces vêtements, Raymond « révèle » que
les esprits utilisent des « émanations » de notre monde, des « essences », des « gaz », des « éthers », des
« atomes ». « Ils les condensent, les solidifient et leur donnent l’apparence des choses terrestres. »
Inutile de dire qu’il y eut, là-dessus, force railleries. Le fait est !… Bref, un militant spirite, P.-E. Cornillier,
vient de publier une brochure, intitulée : Les conditions de la vie post mortem, d’après Oliver Lodge, dans
laquelle il explique qu’il a obtenu, lui, par l’intermédiaire de son médium, des renseignements complémentaires.
Un des esprits, interrogé, lui a répondu qu’il est bien, en effet, habillé comme sur la terre, mais que ses
vêtements sont plus légers, c’est-à-dire fabriqués avec une matière moins dense. Cette matière, d’où vient-elle ?
Il la prend chez les tailleurs terrestres, où elle s’échappe des étoffes sous la forme de petites particules. De
même, les « émanation » de nos maisons servent aux esprits à bâtir des maisons, etc., etc. ─ Je pense inutile de
vous aventurer plus loin dans cette voie.
LES MORTS VIVENT-ILS ? 33
─ Madame, lui dis-je en souriant, le maître ne m’a pas affirmé, en somme d’une
manière formelle, au milieu de tout cela…
─ Je sais ce que vous allez dire, répondit-elle ; mais alors, c’est que vous n’avez pas
compris. Je vous dis que mon mari n’est pas spirite. Je vous le répète : Pas spirite du tout.
Je m’inclinai et partis.
Le lendemain, je pouvais lire, dans la Revue spirite, un long exposé, fait par M.
Camille Flammarion, d’une « histoire de revenant », de laquelle il indique lui-même une
interprétation spirite (au début) et une interprétation non spirite (à la fin) !
Et qui, en tout cas, une fois de plus, ne prouve absolument rien.
VII
UN INCIDENT.
Quelques jours après qu’avait été publiée l’interview qu’on vient de lire, M. Camille
Flammarion me faisait l’honneur de m’envoyer une lettre, étincelante de verve, que je
transcrivis dans l’Opinion avec les commentaires que voici :
٭
٭ ٭
On avait pu croire, ─ et je l’avais cru tout le premier, ─ non pas peut-être d’après les
paroles de l’illustre astronome, qui étaient restées, somme toute, assez vagues à ce point de
vue, mais surtout (si l’on veut bien se reporter à mon étude précédente) d’après les
affirmations fort nettes de Mme Camille Flammarion, que l’auteur de La mort et son mystère
n’est pas spirite.
Je m’étais trompé. Se tromper est humain. Seul est diabolique de persévérer dans son
erreur : je n’y persévérerai point.
Notons que j’avais été prudent. Ne voulant pas me fier à mes propres impressions, en
sortant, je demandais à Mme Flammarion :
─ Madame, le maître ne m’a pas affirmé, en somme, d’une manière formelle, au
milieu de tout cela…
─ Je sais ce que vous allez me dire, répondait-elle ; mais alors, c’est que vous n’avez
pas compris. Je vous dis que mon mari n’est pas spirite, je vous le répète, pas spirite du tout.
Et bien, c’était là qu’était l’erreur.
M. Camille Flammarion m’écrit aujourd’hui pour me dire qu’il affirme qu’il y a bien
des revenants et des fantômes de morts. Je suis, je dois le dire, fort satisfait de cette
déclaration. Ainsi que je l’ai répété plusieurs fois déjà, je n’ai pas personnellement, ici, à
prendre parti. Je cherche seulement à exposer l’état de la question en transcrivant, aussi
fidèlement que je le puis, les opinions des personnalités qualifiées. J’avais cru comprendre
que M. Camille Flammarion n’était pas spirite : je mets le même empressement à le
proclamer.
Maintenant, voici sa lettre :
Vos spirituelles interviews ont un grand nombre de lecteurs, et je suis de ceux-là (1).
Vous m’avez fait l’honneur de signaler les deux premiers volumes publiés de mon ouvrage La
(1)
Une remarque : M. Camille Flammarion a donné cette lettre à publier à la Revue Spirite, à Psychica, etc. Il y a
fait – bien qu’il n’en eût pas le droit – quelques petites modifications.
Les trois premières lignes deviennent : « Vos interviews ont un grand nombre de lecteurs. Vous m’avez fait
l’honneur, etc. »
LES MORTS VIVENT-ILS ? 35
Mort et son mystère, et vous annoncez, en soulignant cette phrase, que je n’ai tiré aucune
conclusion. Permettez-moi de vous prier de mettre sous les yeux de vos lecteurs les trois
dernières lignes du tome premier. Les voici : « Ce volume prouve l’existence de l’âme
humaine, indépendante de l’organisme corporel. C’est là, me semble-t-il, un fait acquis, de
la plus haute importance pour toute doctrine philosophique. »
Et de transcrire aussi les dernières lignes du tome II : « Cette deuxième partie de
notre trilogie nous donne la certitude des fantômes de vivants, des apparitions et
manifestations de mourants. Nous savons désormais que l’homme spirituel existe, qu’il est
relativement indépendant de l’homme matériel. Celui-ci meurt, le premier ne meurt pas. »
Vous ne voyez là aucune conclusion ?
J’en demande pardon à mon illustre correspondant, mais ici il me paraît commettre
(c’est bien son tour !) une petite erreur. Voici ce que j’avais écrit : C’était le maître qui
parlait :
« Je n’ai qu’une certitude : c’est que, vivants, nous avons une âme ; c’est qu’il y a, à
côté de notre corps, un élément psychique, doué de facultés spéciales, etc. »
A quoi je répondais :
« Il est certain, maître, que vous vous êtes appliqué, dans les deux premiers livres de
votre ouvrage, à démontrer(2) justement l’existence de cette âme différente du corps, etc… »
Passons.
A propos du tome III, Après la mort, que je termine actuellement, et des preuves de la
survivance que je réunis, vous me faites dire : On ne trouvera rien. Je ne sais rien. L’un de
nous deux a dû rêver, et il me semble que ce n’est pas moi.
Je comprends très bien votre scepticisme dans ces questions. Vous n’êtes pas le seul.
On ne sait que ce que l’on a appris, et vous êtes même en excellente société, avec l’Académie
des Sciences du temps de Lavoisier. Elle affirma, et c’était clair comme le jour, que des
Je ne suis donc plus son cher confrère, mes interviews ne sont plus spirituelles, et M. Camille Flammarion ne me
lit plus !…
Plus loin, il ajoute une phrase entière : « Certains discoureurs pensent que le spiritisme se résume en des
incidents tels que celui-ci. »
Plus loin il ajoute : « Très bien, mes amis, attendez un instant. »
(2)
Car, bien entendu, quand M. Camille Flammarion dit qu’il a prouvé l’existence de l’âme, c’est une façon de
parler : il s’agit de preuves pour lui. Je le lui accordais volontiers, comme on le voit.
36 Les morts vivent-ils ?
pierres ne peuvent pas tomber du ciel, par la raison toute simple qu’il n’y a pas de pierres
dans le ciel. La savante compagnie a changé d’avis depuis. Vous changerez aussi.
D’après votre interview, vous êtes venu me voir il y a quelques mois, au moment où je
faisais des expériences avec Mme Bisson et son médium Eva sur les « matérialisations ». Il est
bien possible que sur ce sujet je vous aie déclaré que je ne comprends absolument rien à la
production de ces phénomènes et que je ne puis vous en donner aucune explication. J’ai pu
vous dire aussi que, dans les expériences spirites, il y a beaucoup d’illusions, que j’ai surpris
des médiums trichant, que les faux billets de banque n’empêchent pas les vrais d’exister, et
que l’animisme et le spiritisme sont souvent difficiles à séparer. Mais de là à cette phrase :
« C’est au tome III que l’on vous attend », à laquelle j’aurais répondu : « On ne trouvera
rien ; je ne sais rien », il y a une distance plus grande que celle de la Lune à la Terre.
Le lion de Némée, en tombant de la Lune, n’a pas été plus surpris que moi et qu’un
grand nombre de vos lecteurs.
Il me semble que, lorsqu’on discute le spiritisme, il conviendrait de s’entendre sur la
signification du mot et ne pas confondre Paris avec Tombouctou.
Vous avez rappelé Alexandre Dumas, me disant que l’immensité de la bêtise humaine
surpasse celle de l’infini des cieux. On a cette impression-là un peu partout, chez les spirites
comme ailleurs.
─ Toc ! toc ! toc ! cher esprit. C’est bien vous, Napoléon ?
─ Oui, que désirez-vous ?
─ Vous seriez gentil d’aller chercher la Vierge Marie, car nous avons un
renseignement à lui demander sur les apparitions à Lourdes.
─ Toc ! toc ! toc ! La Vierge Marie ?
─ Non, elle est occupée. Mais voici Cléopâtre.
J’ai connu un brave homme qui non seulement ne doutait pas de l’authenticité de ces
conversations typtologiques, mais encore conseillait à son neveu, candidat au baccalauréat,
de ne pas apprendre son programme et de se fier tout simplement à l’inspiration de son esprit
protecteur.
Si c’est cela être spirite, j’ai très bien pu vous avouer que je ne partage pas ces
illusions.
Dame ! Pourquoi cela n’est-il pas être spirite ?… J’avoue que je ne comprends plus
du tout.
Tout à fait d’accord, oui. Et je pense bien que c’est là, essentiellement, ce que j’avais
fait dire à mon interlocuteur.
Et voici la fin de sa lettre, qui est capitale :
J’arrête cette lettre déjà trop longue, en vous affirmant, comme contraste QU’IL Y
A DES REVENANTS, DES FANTOMES DE MORTS, et même des maisons
hantées.
Seulement, ce n’est pas en cinq minutes que l’on peut exposer les distinctions
nécessaires à une étude sérieuse.
Et j’ajoute, mon cher confrère, mes meilleurs vœux pour la continuation de votre
enquête, qui pourra amener de fort curieuses discussions, d’où jaillira la lumière.
CAMILLE FLAMMARION.
٭
٭ ٭
Il était fatal, étant donnée la personnalité de mon correspondant, qu’un tel différend fît
quelque bruit. Presque toute la presse de France et de l’étranger y fit allusion. La Dépêche
de Brest, dans une spirituelle chronique, le résumait ainsi :
« Il arrive à cet astronome une aventure fort désagréable, encore que très commune. Il
a reçu un de nos confrères, en l’espèce M. Paul Heuzé, et il a eu avec celui-ci une
conversation qui a été rapportée dans l’Opinion. Il n’y a pas eu de surprise : M. Flammarion
savait que ses paroles étaient destinées à la publicité, et il s’est exprimé en toute indépendance
en présence d’un interlocuteur compétent et honnête.
Cependant, il est arrivé ceci que M. Flammarion, en lisant son interview imprimée, est
resté étonné de ce qui avait pu lui échapper dans l’entraînement de la discussion. Cette
impression a été renforcée par le succès inattendu de propos auxquels, sur le moment, il
n’avait pas attaché d’importance, et qui, subitement grossis, mis en vedette, se sont trouvés
reproduits dans toute la presse, câblés à l’étranger et discutés avec furie dans les milieux
spirites. Enfin, assailli de demandes d’explication, en butte aux reproches de ses disciples
consternés, M. Flammarion a senti toute la gravité de la situation, et, comme il n’avait jamais
38 Les morts vivent-ils ?
eu l’intention de se mettre dans un cas pareil, sincèrement, de très bonne foi, il dément : on a
mal interprété sa pensée, ce n’est pas cela qu’il a voulu dire, etc…
En somme, il résultait de l’article incriminé : 1° que M. Flammarion n’était pas
spirite ; 2° qu’il ne comprenait rien au spiritisme.
D’après la rectification qu’insère l’Opinion, il semble bien que M. Flammarion soit
spirite sans l’être et qu’il comprenne le spiritisme, tout en n’y entendant goutte.
─ Mon mari n’est pas spirite, affirmait l’imprudente Mme Flammarion, résumant
l’entretien.
─ J’affirme, écrit aujourd’hui M. Flammarion, qu’il y a des revenants, des fantômes de
morts et même des maisons hantées.
Voilà qui est net, M. Flammarion cite aussi ce dialogue type :
٭
٭ ٭
L’incident, quoi qu’il en soit, aurait pu se terminer ainsi. Mais un article du journal le
Matin, du 14 septembre, article d’ailleurs remarquablement clair, ramena l’attention sur lui,
une fois encore, par la volonté de M. Camille Flammarion(1). Le Matin avait, parmi les
premiers, dès le 2 septembre, signalé notre enquête dans un long article de première page, ─
Les Morts vivent-ils ?, ─ qui, bien entendu, avait été fort commenté. Quelques jours après, il
avait publié une intéressante lettre de M. Gabriel Delanne, dans laquelle le président de
l’Union spirite française, parlant à ce titre, déclarait que M. Flammarion (entre autres) n’avait
jamais été considéré par les spirites comme un des leurs. Le 14 septembre enfin, il dut
(1)
Le 7 mai 1899 (ce n’est pas hier), M. Camille Flammarion, dans un article des Annales politiques et
parlementaires, écrivait que, selon lui, l’Esprit qui, à Jersey, s’entretenait avec Victor Hugo était Victor Hugo
lui-même. Et il ajoutait : « J’ai été moi-même médium, et Allan Kardec a publié, dans son livre de la Genèse, les
dissertations que j’écrivais et que je signais Galilée. Elles sont, de toute évidence, le reflet de ce que je savais,
de ce que nous pensions à cette époque sur les planètes, sur les étoiles, sur la cosmogonie, etc. Elles ne m’ont
rien appris. » (Voyez ces pages dans Les Forces naturelles inconnues, p. 69.) Cette déclaration ayant fait un
grand vacarme dans les milieux spirites, ─ est-ce que le maître trahirait le parti ?… ─ M. Flammarion riposta
qu’il n’avait « nullement prétendu rompre avec le vrai spiritisme » et qu’on voulût bien attendre, pour en juger,
son prochain livre, qui paraîtrait incessamment (c’est curieux comme cet incident ressemble à celui
d’aujourd’hui !). Or le livre parut : L’Inconnu et les Problèmes psychiques. Il n’y avait pas un mot de ce qui
s’était passé : le passage sur Victor Hugo et sur lui-même était purement et simplement supprimé !
LES MORTS VIVENT-ILS ? 39
« Deux personnes, A et B, ont convenu un certain jour que celui d’entre eux qui
mourra le premier viendra manifester sa présence par des coups frappés chez l’autre sur le
lustre. A quelque temps de là, A est en train de déjeuner. Soudain, il entend des bruits secs
et intermittents, analogues à ceux que pourraient produire des chocs, provenant du lustre de
sa salle à manger. Ces bruits continuent jusqu’à ce qu’un morceau du lustre se détache et
vienne se briser avec fracas sur le plancher. Or A apprend peu après – ce qu’il ignorait –
que B, qu’il avait perdu de vue, est mort peu avant le jour où on a constaté ce phénomène. »
Voilà donc, suivant les dernières méditations de l’illustre astronome – (j’allais écrire :
de l’illustre spirite… mais je n’ose plus) – quelle était la démonstration scientifique des
communications des morts avec les vivants !
Je ne me livrerai ici à aucune appréciation : le « docteur Ox » l’a fait alors beaucoup
mieux que moi(1).
Mais j’ai pensé qu’il était de mon devoir de joindre, impartialement, à notre dossier,
ce document de premier ordre.
(1)
« Beaucoup de personnes penseront que le fait rapporté ci-dessus et les analogues, ─ leur réalité étant
supposée bien démontrée, ─ peuvent être rapportés à des causes simples et naturelles où la survivance des âmes
n’entre pour rien.
Si même aucune cause physiquement classée ne pouvait être invoquée, cela n’autoriserait pas scientifiquement à
croire à une action des morts. Il y a dans la nature un grand nombre de phénomènes bien constatés et dont la
cause physique est encore mal élucidée.
Reste le grand argument, la question des coïncidences analogues au fait dont nous a parlé M. Flammarion. Qu’il
y ait, et même en assez grand nombre, de telles coïncidences, c’est incontestable. Elles frappent ceux qui les
observent, mais ceux-ci laissent systématiquement de côté les cas où le phénomène annoncé n’a pas eu lieu. Or
ces derniers cas sont infiniment plus nombreux que les premiers, dont seuls on tient compte. Et le calcul des
probabilités montre alors que ces coïncidences ne sont pas autre chose que des coïncidences et ne correspondent
que par hasard au phénomène annoncé.
On peut d’ailleurs s’étonner que les morts, s’ils reviennent effectivement parmi nous, ne manifestent jamais leur
présence que par des phénomènes aussi simples, aussi rudimentaires, aussi puérils que des coups frappés dans
une muraille, phénomène que bien d’autres causes courantes peuvent produire pareillement…
Si les morts sont capables de gestes à effets mécaniques, tels que des chocs, il n’y a pas de raison pour qu’ils ne
soient pas capables d’autres gestes, qui, mécaniquement, seraient aussi simples, mais qui, scientifiquement,
seraient convaincants : tels que d’apposer leur signature sur un papier, etc… Or on ne peut supposer que les
esprits des morts s’amusent à n’apparaître que par des phénomènes déconcertants et vagues. N’est-ce pas
manquer un peu de respect aux morts que de les assimiler à des sortes de mauvais plaisants, de mystificateurs,
qui s’amusent à ne se manifester que d’une manière toujours douteuse et à nous laisser exprès dans l’embarras.
En résumé et scientifiquement parlant : rien ne prouve que les morts ne survivent pas, mais rien non plus ne
prouve, jusqu’ici, qu’ils survivent, et qu’ils viennent se mêler aux médiocres ébats des vivants par des gestes
puérils et sans portée. Il est sage quelquefois de dire : je ne sais pas. »
(Matin du 14 septembre 1921)
VIII
Dans les milieux où l’on interroge les Esprits, le nom du professeur Richet était
presque toujours cité, partout et en tous lieux, comme celui d’un des plus fermes soutiens de
la doctrine. Ce n’est pas assez dire : certains spirites, ─ j’en connais pas mal, ─ brandissaient
ce nom absolument comme un étendard : Richet a dit ! Richet a vu ! Richet prétend !…
Je m’attendais donc à entendre, une fois encore, un exposé des dogmes spirites, ce qui
me faisait même craindre, comment dirai-je ?… un « double emploi » avec celui, si
remarquable, de M. Gabriel Delanne.
Or l’illustre professeur, ayant posé sa pipe, parla ainsi :
contact ; j’élimine, par conséquent, le processus ordinaire des soi-disant tables tournantes des
gens du monde, dans lequel les mains touchent la table, et qui comporte, presque toujours,
une action musculaire, consciente ou non, des opérateurs. Ces phénomènes, d’action sans
contact, dites-le bien, sont rares. Il y a de nombreuses fraudes ; car il faut, pour les cas
authentiques, de vrais grands médiums : or, si l’on veut compter et citer de vrais grands
médiums, je ne crois pas qu’on arrive, même en prenant ceux qui sont morts, à un total d’une
douzaine. Présentement, s’il y en a trois ou quatre, c’est tout.
Les phénomènes auxquels je fais allusion là, et qui sont ceux que j’appelle de
métapsychique objective, vous les connaissez, et vous devez les avoir déjà décrits.
Vous voulez maintenant savoir ce que j’en pense, moi ? Ceci simplement :
Premièrement : L’intelligence humaine a des procédés de connaissance que nous ne
connaissons pas.
Secondement : Une telle connaissance a une tendance invincible à se rattacher à une
personnalité ; et elle en choisit une, généralement, parmi celles d’êtres disparus. ─ Voilà
tout.
Ce n’est pas grand-chose, direz-vous ? Mais c’est là tout ce que nous avons le droit
d’affirmer. Car, notez-le, nous sommes ici en présence du dilemme suivant : ou nous
connaissons toutes les forces de la nature, ou nous les ignorons. La première de ces
hypothèses est absurde : il faut donc se rallier à la seconde.
─ Il y a quelques points, mon cher maître, sur lesquels je désirerais avoir plus
spécialement vos lumières. D’abord quel rôle attribuez-vous, dans ce domaine de la
métapsychique, objective, aux animaux inférieurs, un chien, un chat, par exemple ?
Autrement dit, vous obtenez des actions sans contact et des matérialisations avec un médium
homme : ce phénomène, l’a-t-on essayé avec des animaux ?
─ Je n’en sais rien ; mais cela n’a encore aucun intérêt. Les animaux ont donné,
comme les hommes, le spectacle de phénomènes psychiques. Toutefois, il sera très difficile,
dans l’état actuel de notre outillage scientifique, d’étudier expérimentalement les animaux.
─ Mais en présence de cas comme celui des chevaux d’Elberfeld(1), ne peut-on pas se
demander s’il n’y a pas là, du moins, des phénomènes de communication mento-mentale entre
l’animal et son maître ?
─ Je ne crois pas. L’intelligence des animaux peut leur faire accomplir certaines
actions assez complexes telles que celles qu’accomplissaient justement ces chevaux
allemands. Ils avaient l’intelligence moyenne d’un enfant et s’en servaient, comme de bons
écoliers, pour apprendre un peu d’arithmétique. Je ne vois pas là de nouveau mystère…
Dois-je dire ici toute ma pensée ? Il m’a paru que ma question avait un peu
embarrassé M. le professeur Richet. Selon lui, les chevaux d’Elberfeld auraient fait les
opérations ? C’était l’opinion, je crois, de leur propriétaire. Mais il semble aujourd’hui
plutôt admis – si j’en juge d’après les récentes études du Dr William Mackenzie, de MM.
Duchatel et Hachet-Souplet, ─ que les chevaux Muhamed et Zarif, comme le chien Rolf,
comme la chienne Lola, autres animaux calculateurs, étaient ou sont des « médiums ». Ce
point de détail n’étant pas, au surplus, très important, je passe à ma seconde question.
─ C’est celle, mon cher maître, des « prémonitions ». C’est là, en effet, une catégorie
de phénomènes (au point de vue de l’établissement des faits) d’une importance capitale.
Qu’il s’agisse, ou non, d’esprits, le problème de leur authenticité se pose d’abord ; car celle-ci
peut avoir, pratiquement, de grosses conséquences !
(1)
On a déjà parlé ici des chevaux d’Elberfeld. Je rappelle qu’à Elberfeld (Prusse), avant la guerre, M. Krall
possédait deux chevaux arabes, Muhamed et Zarif, qui, en se servant de coups frappés avec les sabots, suivant un
alphabet conventionnel, faisaient des calculs compliqués, jusqu’à extraire des racines, répondaient au langage
humain parlé et entretenaient de véritables conversations avec leur maître. (Voir L’Hôte inconnu, de MAURICE
MAETERLINCK, p. 171-282.)
42 Les morts vivent-ils ?
─ N’ayez aucun doute, Monsieur, les prémonitions existent. Je serai même, ici,
beaucoup plus affirmatif parce qu’il se trouve que, si ces faits sont les plus étranges parmi
ceux dont nous parlons, ce sont aussi ceux qui, selon moi, sont le mieux prouvés. Lisez, si
vous ne l’avez fait, l’ouvrage de Bozzano, Des phénomènes prémonitoires, dans lequel tous
ces faits ont été recueillis, vous en trouverez qui constituent des preuves. Personnellement,
j’ai été le témoin de phénomènes de ce genre ; je les ai rapportés par écrit, à plusieurs reprises.
En voici un que j’ai raconté récemment dans une conférence : Un jour de novembre 1913, je
vois arriver ici le docteur Tardieu, excellent médecin, qui me fait le récit suivant : « En 1869,
me promenant au Luxembourg avec un de mes camarades, Sonrel, je vois tout à coup celui-ci
transporté, comme en extase, et qui me dit : C’est singulier, tu as un uniforme militaire, tu
comptes de l’argent dans un képi ; te voilà en chemin de fer, où vas-tu ?… C’est à Sedan,
dieu ! quelle horreur, c’est effrayant ! quel massacre !… Mais moi aussi, je suis en uniforme,
je meurs en trois jours, et tu restes pour protéger mes enfants !… Attends ! Quarante ans
encore… Que de sang versé ! Quel massacre !… Mais voilà la France jusqu’au Rhin,
Cologne, Coblence !… O France, tu es la plus grande et tous les peuples t’admirent ! ─ Or,
la première partie de cette prédiction s’est accomplie dans ses moindres détails. Je suis venu
vous trouver parce que voici le moment où la seconde partie doit se réaliser. » Je vous répète
que le docteur Tardieu me dit ces paroles en 1913. N’est-il pas vrai qu’il y a là une prédiction
authentique qui doit nous donner à réfléchir sur la possibilité pour l’esprit humain de prévoir
les événements quarante ans à l’avance ?
─ Mais nous voilà brusquement, maître, en présence d’une conclusion effrayante !
Car c’est, ni plus ni moins, la question de la réalité du temps qui serait tranchée
expérimentalement, et dans le sens le plus noir !
─ Ayons le courage de ne pas refuser de reconnaître les faits. Je n’explique rien.
Notre observation n’est qu’à ses débuts. Mais, pour moi, je crois fermement à la possibilité
de la prévision.
(1)
Au sujet du subliminal, voir la note page 16.
(1)
Pendant la guerre, aucun médium n’a jamais annoncé la date du 11 novembre 1918. Récemment, aucun
médium, consulté à ce sujet, n’a été capable de prédire, un quart d’heure auparavant, la défaite de Carpentier.
LES MORTS VIVENT-ILS ? 43
Mais allons-nous lancer ici, ─ car il faudrait élargir le débat, ─ dans l’étude du
formidable problème, dans lequel les notions de « déterminisme », de « prescience divine » et
de « libre arbitre » se battent et se corbattent depuis des siècles ? Evoquer la magie, la
sorcellerie, l’astrologie, la cabale, la chiromancie, l’oniromancie, la cartomancie, le
satanisme ?… La philosophie nous enseigne, ─ et ces questions sont actuellement à l’ordre
du jour(2), ─ que le temps n’existe pas. Soit, Mais autre chose serait une démonstration
expérimentale de cette vérité. Ce serait épouvantable ! Maurice Maeterlinck a écrit sur ce
sujet, dans L’Hôte inconnu, quelques pages admirables et grandioses, auxquelles je serais bien
incapable de rien ajouter.
(2)
Je m’applique, dans la mesure où je le puis, à être au courant de ce que l’on découvre, ou croit découvrir, dans
ce domaine. Mais il ne faut pas oublier que, par exemple, les théories d’Einstein, ─ que je ne prétends pas
comprendre complètement, ─ ne sont précisément que des théories. Leurs conséquences sont également
théoriques. Les défenseurs de la réalité de l’espace – et donc du temps – me paraissent encore très bien portants.
IX
M. MAURICE MAETERLINCK.
Je n’avais jamais entendu parler de ce film. C’est vous dire que j’y suis absolument
étranger.
Quant au spiritisme, mon attitude est toujours « expectante »(1). Vous le verrez, du
reste, dans mon dernier livre, Le Grand Secret, qui paraîtra, je pense, dans une quinzaine de
jours et que j’aurai le plaisir de vous envoyer.
Bien vôtre
MAETERLINCK.
٭
٭ ٭
(1)
Les guillemets sont mis par M. Maeterlinck.
LES MORTS VIVENT-ILS ? 45
Alors, me dira-t-on, vous allez prendre tous les noms de ceux qui passent pour les
grands appuis du spiritisme et vous appliquer à démontrer qu’ils ne sont pas spirites du tout ?
Il est possible que je me laisse emporter ici, ─ je m’en rends compte, ─ par le
sentiment de déception profonde que j’ai éprouvé à mesure que mes observations
s’avançaient. Mais c’est que je remarque, aussi, que, au bout du compte, le seul grand
argument des spirites, qui ne peuvent apporter aucune preuve irréfutable à l’appui de leur
croyance, c’est que « des savants parmi les plus éminents, après avoir étudié longuement ces
questions », sont de leur avis.
En février dernier, j’assistais à une controverse publique sur le spiritisme. Il y avait là
des spirites, ou néo-spirites, ou spiritistes notoires. Or, ─ si l’on excepte quelques thèmes
enfantins, comme celui-ci (développé par un sectaire fort bavard, qui se croit orateur) : « la
preuve que les esprits des morts existent, c’est que moi, toutes les nuits, je vois, en rêve, mon
frère mort ! », si l’on excepte, dis-je, quelques histoires de ce genre, ─ le grand argument a
été : quand des hommes comme William Crookes, Charles Richet, Maeterlinck, de Rochas,
Maxwell, etc., partagent nos croyances, qu’oserez-vous objecter(1) ?
On pourrait, certes, répondre d’abord que c’est là un argument de valeur absolument
nulle, attendu qu’on a vu, à toutes les époques de l’histoire, des hommes de génie se
compromettre pour des erreurs. Mais il y a une réplique autrement péremptoire : c’est que les
hommes nommés ici, et toujours nommés ailleurs dans les ouvrages de propagande spirite, ne
sont nullement des spirites. Il serait très facile de le démontrer.
J’ai justement sous les yeux un des derniers de ces ouvrages de propagande, la Réalité
spirite. Et, en tête de l’introduction, parmi les noms ordinaires toujours repris avec la même
obstination (entre autres William Crookes, Myers, Richet, Maxwell, Ochorowicz, Geley, etc.),
je vois celui de Mme Curie (p. 17) ! Cette fois, l’audace est grande. Et c’est pourquoi je suis
allé tout droit, un beau matin, à l’Institut du Radium, interroger celle qu’on a appelée « un des
plus grands et des plus puissants savants de France ».
(
Ça a été l’unique argument de M. Albin Valabrègue, entre autres. Le spirituel. Valabrègue, qui est si
amusant quand il s’agit de son art, n’est plus amusant du tout, qu’il me laisse le lui dire, quand il s’agit de sa
religion. Il vient de m’écrire une longue lettre, dont je citerai seulement ce passage.
« … Ce qu’on ne voit pas, ce qu’il faut montrer, souligner, clamer, c’est que le spiritisme, en triomphant, ─ et ce
triomphe est prochain ! ─ apportera à l’humanité, veuve de foi et d’espérance, l’éblouissante certitude de
l’immortalité… Le spiritisme est partout dans l’Evangile ; à une époque où l’on nie le surnaturel, il vient nier la
négation et il apporte la preuve… Rappelez-vous les méfiances, les injures, les calomnies qui ont accueilli le
christianisme naissant : le spiritisme seul peut prouver que le Christ est toujours vivant, toujours agissant, et
j’ajoute que l’heure de son Avènement va sonner, malgré l’opinion contraire ! »
Allons, voyons, mon cher confrère, racontez-nous plutôt quelques histoires drôles.
X
MADAME CURIE.
Ce n’est pas sans émotion, je l’avoue, que j’ai pénétré, en importun, dans le cabinet de
travail particulier de cette femme illustre, de qui les découvertes constituent, aux yeux de
l’univers, un magnifique titre de gloire pour notre pays. Et quand, après avoir traversé le
laboratoire, où, dans le silence, si modestement, si simplement, Mme Curie étudie sans répit la
mystérieuse matière, je me suis incliné devant ces cheveux blancs, ce visage fier et tourmenté,
je n’ai pu tout d’abord que balbutier quelques excuses.
J’ai parlé plus haut, ─ le lecteur s’en souviendra peut-être, ─ des yeux du docteur
Geley. Mais que dire de ce regard, clair, aigu, net et profond de M me Curie, regard où passe
comme une espèce de volonté de certitude, ─ je ne sais si je me fais comprendre, ─ regard
qu’on sent qui ne peut pas se tromper, parce qu’il ne veut voir qu’avec le contrôle absolu de la
raison.
─ Je voudrais, Madame, ai-je dit timidement, vous interroger sur le spiritisme et les
sciences psychiques…
─ Oh ! mais je ne connais absolument rien à tout cela !
Mme Curie a souri ; et, tout de suite, me voilà un peu moins piteux : car je sens que je
n’aurai pas fait, probablement, une démarche inutile.
─ Je ne me suis jamais occupée de ces questions, Monsieur ; et, par conséquent, je ne
puis avoir aucune opinion susceptible de vous intéresser.
─ Vous avez cependant assisté à des phénomènes de métapsychique ?
─ C’est exact… Ou, du moins, cela peut être ; je n’en sais rien. J’ai assisté, oui, à
pas mal de séances ; j’ai vu souvent des manifestations qui pouvaient parfaitement être celles
de forces psychiques, telles que tables soulevées, etc. ; mais ce fut toujours comme simple
spectatrice. J’ai rencontré, c’est vrai, dans ces réunions, Eusapia Paladino et l’ai vue se prêter
à des expériences qui m’ont intéressée sur le moment ; mais, encore une fois, j’étais là comme
n’importe quel autre spectateur. J’aurais pu, sans doute, me mettre ensuite à étudier ces
phénomènes et j’aurais alors pu, peut-être, qui sait, me faire une opinion, puisque plusieurs de
ceux qui les étudient ont une opinion. Un fait n’est scientifique que lorsqu’on peut le suivre,
─ lui ou d’autres de même nature, ─ dans un laboratoire, le provoquer à volonté et à coup sûr.
Je n’avais pas le temps de me lancer dans cette étude.
─ Vous n’avez donc aucune opinion personnelle, Madame, quant à la valeur de ces
phénomènes ? S’ils sont, par exemple, des manifestations d’individualités survivant aux
corps qu’elles ont quittés ?
─ Aucune opinion de ce genre.
─ S’ils sont, au contraire, le produit des facultés du médium ?
─ Aucune opinion de ce genre.
─ Lorsqu’on nous dit, par exemple, que la matière se dégage du corps du médium en
état de transe et que cette matière, prenant une forme et s’organisant, donne réellement un
corps d’homme, ayant sa vie propre, son cœur qui bat, ses poumons qui respirent, son sang
qui circule…
LES MORTS VIVENT-ILS ? 47
Les spirites continueront-ils à inscrire le nom de Mme Curie au fronton de leur temple ?
Très probablement oui.
(1)
Je répéterai ici ce que je disais tout à l’heure : que je m’applique à être au courant de ce qui se dit à ce sujet.
Mais j’ajouterai, dans ma modeste compétence, que je crains bien que remplacer le concept de matière par celui
d’énergie ne soit jouer avec des mots. M me Curie nous donne ici, à ce point de vue, une belle leçon de modestie.
En tout cas, le matérialisme, si l’on va bien au fond des théories nouvelles de l’énergétique, de la désagrégation
de la matière et des électrons ─ [« L’énergie est la seule réalité » (Ostwald) ; « C’est de l’énergie intra-atomique
libérée pendant la dissociation de la matière que résultent la plupart des forces de l’univers » (G. Le Bon), etc.] ─
et puisqu’on attribue à l’énergie toutes les propriétés de la matière, le matérialisme, dis-je, me paraît encore, lui
aussi, bien portant.
XI
QUELQUES LETTRES.
Ici, nouvel incident, à peu près insignifiant d’ailleurs, et que je ne rapporterais pas si je
ne m’étais fait une règle de garder une absolue impartialité.
J’avais écrit (voyez la fin du chapitre IX) :
« J’ai justement sous les yeux un des derniers de ces ouvrages de propagande, La
Réalité spirite ; et, en tête de l’introduction, parmi les noms ordinaires toujours repris avec la
même obstination (entre autres William Crookes, Myers, Richet, Maxwell, Ochorowicz,
Geley, etc.), je vois celui de Mme Curie. »
Le passage auquel je faisais allusion était celui-ci :
« Les faits spirites ont également été étudiés en France, en Russie, en Italie, par
nombre d’expérimentateurs qui en ont constaté l’exactitude (ce mot mis sans doute pour
authenticité). Tout le monde connaît, au moins de nom, le livre de l’astronome Camille
Flammarion, Les Forces naturelles inconnues, où l’auteur raconte la série d’observations, de
lévitations de tables sans contact qu’il a eu l’occasion de faire… On connaît tout autant Le
Phénomène spirite et Le Spiritisme devant la science de Gabriel Delanne, Les Phénomènes
psychiques du docteur Maxwell. Nous nous bornerons à rappeler les ouvrages et les travaux
de l’astronome italien Porro, du physiologiste Charles Richet, membre de l’Institut et de
l’Académie de médecine, du lieutenant-colonel de Rochas, administrateur de l’Ecole
polytechnique, de Léon Denis, des savants russes Ochorowicz, Aksakof, les observations de
l’illustre Curie, de Mme Curie et de D’Arsonval, etc. »
J’ai reçu, de l’auteur de La Réalité spirite, une lettre, ─ qui n’est pas précisément
débordante de compliments, bien entendu, ─ et où il me dit, entre autres choses :
Si vous aviez lu attentivement, vous auriez constaté que je dis, page 17 : « les faits
spirites ont également été étudiés en France, en Russie, en Italie, par nombre
d’expérimentateurs qui en ont constaté l’exactitude. »… Et c’est dans le sens de la
constatation, des faits qui prouvent l’exactitude de leurs théories, faits encore niés
aujourd’hui par des savants officiels, que les spirites brandissent comme un drapeau les
noms de MM. Charles Richet, Camille Flammarion et autres. Tel est le sens du passage de
mon livre auquel vous faites allusion en dénaturant tout à fait ma pensée.
Je réponds :
Si c’est là le sens du passage de votre livre, nous sommes, mon cher confrère, tout à
fait d’accord.
Mais je continue à me demander, ─ et j’en fais juge le public, ─ s’il n’y a pas, dans ce
mélange voulu de spirites et de non-spirites cités comme ayant constaté les faits spirites, une
équivoque tendancieuse. Je désire, je l’ai déjà dit, rester très courtois ; mais je me demande,
et je demande, si vous aviez le droit d’écrire que « le professeur Richet et Mme Curie, ont
constaté l’exactitude des faits spirites ». Et je conclus, pour ma part, que vous avez le droit
LES MORTS VIVENT-ILS ? 49
d’écrire seulement : « Le professeur Richet, et peut-être Mme Curie, ont constaté l’authenticité
de faits mystérieux et incompréhensibles que nous qualifions, nous, de spirites, mais que, eux,
ne qualifient pas. »
Je sais très bien, d’ailleurs, mon cher correspondant, que je ne vous convaincrai pas,
puisque, encore cette fois, dans votre lettre, vous écrivez sans sourciller cette phrase :
… De votre interview même de Mme Curie se dégage nettement ceci : elle a constaté
des faits spirites.
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
« ─ En somme, pour nous résumer, Madame, votre réponse, c’est que, bien qu’ayant
assisté à des phénomènes incontestables…
« ─ Pardon, ne me faites pas dire cela. J’ai vu des tables se soulever : s’il y a là des
faits incontestables, je n’en sais rien. »
٭
٭ ٭
En même temps que celle qu’on vient de lire, je recevais une longue lettre de M. Louis
Lormel, rédacteur à la Revue Spirite et à la Revue du Spiritisme, collaborateur immédiat, par
conséquent, de M. Gabriel Delanne.
Qu’une telle étude soulève des passions, c’est bien ce qui n’est pas pour nous
surprendre ; et on en a même déjà tiré publiquement toutes sortes de conclusions, que, pour
ma part, je n’ai nullement adoptées. J’ai abordé cette enquête sans aucun esprit de parti pris,
loyalement ; je désire la poursuivre loyalement et sans aucun esprit de parti pris.
Je constate que les adversaires du spiritisme – (je veux dire les adversaires courtois) –
lui reprochent d’être une religion ; je constate que beaucoup de spirites n’acceptent à aucun
prix ce reproche ; à quoi les autres, alors :
─ Apportez-nous donc des preuves !
50 Les morts vivent-ils ?
Et c’est toujours là, autour des « phénomènes », que tout le monde se retrouve,
spirites, métapsychistes, sceptiques, le tout mélangé dans une extraordinaire confusion, où, je
le répète une fois encore, il est bien difficile de se reconnaître.
A ce point de vue, la lettre de M. Lormel n’apporte positivement rien de nouveau.
Mais elle m’a paru des plus intéressantes en ce qu’elle nous offre ici, ─ par la plume d’un
spirite autorisé, ─ une sorte, comment dirai-je ?… de décompte officiel des vrais grands
maîtres actuels du spiritisme : c’est un renseignement que M. Lormel était peut-être le seul, ─
avec M. Gabriel Delanne, ─ à pouvoir donner.
Je transcrirai sa lettre presque intégralement :
Je ferai ici une petite remarque que j’avais pourtant, en effet, entendu très souvent cet
argument (beaucoup de mes lecteurs aussi j’en suis certain) ; et, en particulier, ainsi que je le
rappelais l’autre jour, ce fut le seul qu’employa, dans une séance publique, M. Albin
Valabrègue. Cela prouverait, me dit-on, que M. Albin Valabrègue n’est pas un spirite éclairé
et renseigné. C’est fort possible après tout(1).
Ils ont invoqué leur témoignage au point de vue des faits psychiques et non de leur
explication…
Quand on invoque le nom du professeur Richet comme témoin des matérialisations de
la Villa Carmen et de l’Institut Métapsychique, cela ne veut pas dire qu’il soit spirite. Le
professeur Richet ne l’est pas et ne l’a jamais été.
Par contre, le docteur Geley est spirite. Il est possible qu’il ne l’avoue pas
officiellement en raison de sa qualité de directeur de l’Institut Métapsychique, parce qu’il
veut rester sur un terrain neutre. Mais je me fais fort de vous prouver que le docteur Geley
est spirite (qu’il le proclame ou non), et cela par des citations de ses propres ouvrages.
(Voici ce que le docteur Geley m’a écrit à ce sujet, au cours d’une longue lettre datée
de Varsovie : « J’estime que l’on n’a pas le droit, en se basant sur les faits, de déclarer dès
maintenant : Je suis spirite ! ou : Je ne suis pas spirite ! Parler ainsi, c’est faire un acte de foi,
soit positif, soit négatif. A cela je me refuse absolument. »)
(
Depuis, M. Albin Valabrègue m’a écrit :
« … Je répudie absolument et formellement toute la doctrine spirite dont Denis et Delanne sont les apôtres
français. Tout cela va sombrer. Il restera que les morts vivent et se communiquent à nous : ils donnent la
lumière, suivant les yeux !
Le spiritisme triomphera, et bientôt, et partout
Vous demandez une « histoire drôle » ? Je raconterai votre enquête dans ma prochaine conférence.
Et sans rancune !… »
J’ai répondu :
« Mais certainement, sans l’ombre de rancune, aucune, mon cher confrère. Et tâchez de faire rire vos auditeurs,
comme vous savez si bien le faire quand vous voulez. »
LES MORTS VIVENT-ILS ? 51
M. Camille Flammarion a toujours dit qu’il n’était pas spirite ou, plus exactement, il
a toujours dit : Nous ne savons rien, cherchons. Ce qui n’est pas du tout la même chose.
Il y a, en réalité, trois hommes éminents qui sont actuellement qualifiés pour parler du
spiritisme : Ernest Bozzano en Italie, Sir Oliver Lodge en Angleterre et Gabriel Delanne en
France.
Certains spirites n’osent pas s’avouer spirites, soit parce qu’ils craignent le ridicule
(il faut reconnaître que le spiritisme a été déconsidéré, aux yeux du public, par de désolantes
farces), soit parce qu’ils ont une situation officielle et ne veulent pas passer pour fous.
L’humanité en est encore là !
Je me demande, par exemple, ce que peuvent être des phénomènes qui ont une
« tendance invincible à se rattacher à une personnalité défunte » et qui ne sont pas des
phénomènes spirites. Evidemment, il y a l’explication avec le fameux Subconscient, mais ce
Subconscient omniscient, omniprésent et omnipotent, est beaucoup plus invraisemblable que
l’existence des Esprits.
Veuillez agréer, etc…
LOUIS LORMEL.
Je pense que le lecteur aura pris un vif intérêt de cette page, que le nom, la situation
considérable et le grand talent de son auteur rendent particulièrement précieuse pour nous.
Ce qui est important, c’est que, d’après M. Louis Lormel, il y a actuellement trois
grands hommes dans le spiritisme : Gabriel Delanne, Oliver Lodge et Bozzano. – N’ai-je
point le droit de dire que cette déclaration vient tout à fait en confirmation de ce qui a pu se
dégager jusqu’à présent de ma modeste étude ?
Quelques jours après, il est vrai, dans une lettre fort aimable, M. Louis Lormel
m’écrivait qu’il n’avait pas voulu dire qu’il n’y eût que ces trois grands hommes dans le
spiritisme. « C’est, disait-il, outrepasser ma pensée qui, peut-être, fut trop concise : je n’ai
pas la prétention de décerner des prix. Voici, en France (sans parler de l’étranger), les noms
les plus marquants du spiritisme : Léon Denis, Alfred Bénézech, le pasteur Wiétrich,
Cornillier, Chevreuil, Darget, etc. »
Et c’est bien avec le plus grand plaisir que je reproduis cette déclaration, qui montre le
très légitime désir qu’avait M. Lormel de ne pas paraître, par suite d’un malentendu, ignorer
ses maîtres et ses collaborateurs. Mais cela ne change rien à la conclusion : il n’en reste pas
moins qu’il n’y a, en effet, qu’un grand nom parmi tous ces noms : c’est celui de M. Gabriel
Delanne. Je reviendrai d’ailleurs sur cette question.
(1)
Au moment où nous mettons sous presse, je relis dans le Matin une lettre, parfaitement courtoise d’ailleurs, de
M. Gabriel Delanne, où je relève cette phrase : « Jamais un auteur spirite qualifié n’a rangé MM. Charles Richet,
Camille Flammarion… parmi les défenseurs du spiritisme. » ─ Ceci, simplement pour montrer combien la
question est embrouillée !
52 Les morts vivent-ils ?
٭
٭ ٭
J’avais reçu, bien avant beaucoup d’autres, et dès mon deuxième article, pas mal de
lettres, dont la teneur, à travers les développements variés, peut se résumer en cette simple
phrase :
─ Nous sommes catholiques : nous voudrions bien savoir, d’une manière précise, si
nous avons le droit de nous occuper de ces choses. Ne pouvez-vous nous faire entendre,
parmi d’autres voix, la voix de l’Eglise ?
Une telle curiosité, que j’avais bien un peu prévue, m’a paru des plus légitimes. Et
c’est pourquoi je me suis remis en route et suis allé, tout droit, trouver le R.P. Mainage.
Le P. Mainage, des Frères prêcheurs, professeur d’histoire des religions à l’Institut
catholique, s’est consacré officiellement, depuis quelques années, à l’étude des
questions de spiritisme et de sciences psychiques ; et nul plus que lui, présentement,
n’était qualifié pour nous donner une opinion autorisée – c’est le mot. L’année
dernière, il s’est attaqué publiquement au spiritisme, dans une série de conférences.
On peut ne pas partager les croyances du très érudit dominicain, mais il faut bien
reconnaître que les spirites furent alors fort en colère : par la plume et par la parole
d’un de leurs jeunes chefs actuels, ils ripostèrent et ils continuent à riposter. Le petit
ouvrage auquel j’ai fait allusion plus haut, La Réalité spirite, rédigé par ce nouveau
chef, qui fait des efforts vraiment touchants pour qu’on s’occupe de lui, et préfacé par
M. Gabriel Delanne, est tout justement un « essai de réfutation des sermons du R.P.
Mainage ». Il est, d’ailleurs, d’une pauvreté d’argumentation lamentable, et j’avoue
qu’elle me fait de la peine pour les spirites eux-mêmes. – Chaque fois que le P.
Mainage prend la parole en public, le jeune chef en question distribue, à la sortie, des
invitations à une réplique également publique et écrasante. D’autre par, quand il parle
lui-même, il invite préalablement, par lettre recommandée, le dominicain à venir
discuter librement, même lorsqu’il s’agit d’une manifestation « artistique » avec
(
Les lettres des spirites sont presque toujours injurieuses. Une seule (en dehors de celle de M. Louis Lormel)
est vraiment polie. – Mais il y a des passages bien amusants !… Ceci, d’un directeur de cinémas :
« En chemin, vous émettez une opinion juste, la seule qui soit à retenir jusqu’à présent dans vos articles : elle a
trait à Réincarné. A part ce rapide moment de clairvoyance, tout le reste nous confirme qu’il faut répondre :
« non » à votre question : « Etais-Je qualifié pour entreprendre ce travail ? »… Vient ensuite la très belle page
de Delanne, extrêmement bien reproduite. Cette reproduction fidèle vous vaudra peut-être, à elle seule,
l’indulgence du jury ( ?). »
Les dieux soient loués !
(
Je veux faire une exception encore pour une fort belle lettre de M. Georges de Dubor, l’auteur des Mystères
de l’hypnose. En voici le passage essentiel (M. Georges de Dubor, bien entendu, n’est pas spirite) :
« … La thèse que je défends… est précisément celle qui vous occupe et qui est aussi celle de mon ami
Flammarion et de Charles Richet… La plupart des phénomènes dits spirites ressortissent au domaine de
l’hypnose et ne sont que des faits physiques de matérialisation. J’ai assisté, pendant tout un hiver, à ces
phénomènes de matérialisation ; j’ai vu le sujet, en état d’hypnose profonde, se dédoubler en ma présence, avec
une lumière me permettant de tout voir, et cela sans rideaux, sans placard, sans aucune préparation, par
conséquent dans les conditions les plus certaines de vérité et d’authenticité. »
LES MORTS VIVENT-ILS ? 53
exhibition d’une danseuse. Il faut espérer, ─ et, pour ma part, je le souhaite de tout
mon cœur, ─ qu’un tel zèle sera quelque jour récompensé !
XII
LE PÈRE MAINAGE.
Un appartement modeste sur une cour de la rue de Grenelle ; une toute petite
antichambre ; puis l’austère oratoire, avec quelques fleurs sur l’autel, une tenture de velours
gris brodée aux armes de saint Dominique portant la fière devise : Veritas ; un grand silence ;
une atmosphère de foi, de travail et de paix, loin des vaines agitations… Et me voici devant
le P. Mainage, habillé de la belle robe de laine blanche, le visage jeune et hardi, le geste net,
la parole précise.
J’ai exposé ma requête, et, tandis que nous passons dans le cabinet de travail, mon
interlocuteur se recueille quelques instants. Puis :
─ Je ne serai, me dit-il, nullement embarrassé pour vous répondre ; aussi bien, pour
l’Eglise, il n’y a là, Dieu merci, rien de bien difficile ; et il est seulement navrant de voir que
certains catholiques, qui se disent des croyants sincères, hésitent encore à prendre une
résolution. Je suis heureux de l’occasion que vous m’offrez de leur parler, une fois de plus.
Que pense l’Eglise des théories spirites ? C’est très simple : l’Eglise les condamne
formellement et absolument.
D’abord l’Eglise, de tout temps, a prohibé le commerce spontané des vivants avec les
êtres d’outre-tombe. Dieu peut permettre, il est vrai, exceptionnellement, la manifestation des
âmes des morts ; mais, en aucun cas, il ne nous est permis, à nous, de les évoquer au gré de
nos désirs. Notez d’ailleurs qu’à ce point de vue le spiritisme n’a rien de bien original : il
n’est qu’une réédition de superstitions vieilles comme le monde et abandonnées par les
hommes à mesure de leur civilisation.
D’autre part, le spiritisme dresse des dogmes en face du dogme chrétien. Ayant
proclamé une nouvelle révélation, recueillie par lui dans les messages des désincarnés, il vise
à remplacer toutes les religions existantes, il se flatte de contenir en germe la vraie et seule
religion de l’avenir. Or, prenez quelques-uns de ses dogmes, au hasard : nous croyons, nous,
chrétiens, que l’être humain se compose de deux éléments : l’un, matériel, le corps, qui
meurt ; l’autre, immatériel, l’âme, qui survit : Les désincarnés, eux, ont révélé l’existence de
trois éléments : le corps, l’âme et le périsiprit ou corps astral. – Nous croyons, nous, qu’à la
mort, l’âme reçoit immédiatement, et pour toujours, la récompense ou le châtiment de ses
actes ; le spiritisme, lui, croit à la transmission à la réincarnation, aux vies successives… Est-
il nécessaire de poursuivre ce parallèle ? Notre Dieu et les Esprits de l’au-delà se
contredisent, voilà le fait : il n’y a pas, entre eux et nous, de conciliation possible.
Remarquez que, si nous voulions aborder le fond de la question, il me serait facile, je
crois, de démontrer l’inanité de cette prétendue révélation par les « messages », en faisant tout
simplement ressortir ce fait : que, toujours et partout, la teneur desdits messages est un exact
reflet des préoccupations des personnes qui interrogent : les spirites enregistrent
consciencieusement l’écho de leurs propres pensées. – Mais, somme toute, ce n’est pas cela
que vous me demandez, n’est-ce pas ? Et je me borne donc, pour ceux qui voudront
m’entendre, à répondre, une fois pour toutes, à leur question : Peut-on, à la fois, pratiquer le
LES MORTS VIVENT-ILS ? 55
le nom de Home est couvert par le patronage de lord Lindsay, etc. « Comment, disent les
spirites, refuser créance à des expériences en quelque sorte brevetées et patentées par de tels
personnages ? » ─ Présenté sous cette forme, l’argument semble presque sans réplique.
Malheureusement, le problème comporte une nuance : il s’agirait de savoir, au net, si ces
honorables témoins seraient prêts à contresigner les déclarations qu’on leur prête. Or, ce
blanc-seing universel, ils ne l’ont pas donné, et vous l’avez montré vous-même pour
quelques-uns. William Crookes, de Rochas, Geley, Branly, Mme Curie, Charles Richet,
n’étaient ou ne sont, après ce qu’ils ont vu, nullement spirites. Alors ? Que devient cet
argument ? Ne se retourne-t-il pas contre ses auteurs ?
Quant aux médiums mis en jeu dans ces expériences, si l’on excepte, je crois, Kluski,
il n’est pas un seul d’entre eux qui n’ait été pris en flagrant délit de fraude. Florence Cook a
trompé. Je ne m’attarde pas à instruire le procès des faits de matérialisation obtenus par
Crookes : jamais on ne saura le fin mot de cette curieuse aventure, puisque le rapport de
Crookes ne le livre pas(1) : il est impossible d’apprendre si le médium et sa matérialisation
étaient deux personnages distincts. Mais en 1880, devant l’Association des spirites à Londres,
une dame Comer, endormie et « liée sur une chaise » ( ?), ayant fait apparaître l’esprit d’une
enfant morte à douze ans, soudain un spectateur, de qui le fluide, sans doute, manquait de
sympathie, s’interposa entre l’apparition et le rideau classique, soigneusement clos. Le rideau
écarté, la chaise apparut vide ; l’esprit et son médium n’étaient qu’une seule et même
personne. Or, qui était cette dame Comer ? Miss Florence Cook, l’ancienne Katie King. ─
Eusapia Paladino a trompé. Elle employait souvent de longs cheveux pour déplacer les objets
et, grâce à un éclairage latéral, Gustave Le Bon découvrit qu’elle se servait de ses mains pour
simuler des mains matérialisées. ─ Daniel Home a trompé. Il fut surpris le pied sorti de son
soulier et simulant, avec ce pied, des contacts d’outre-tombe. D’ailleurs, sur le point de
mourir, il déclarait au docteur Philip Davis, qui l’a rapporté (dans un livre que les spirites se
gardent bien de lire) : « Pour moi, je n’ai jamais rencontré d’esprits sur mon chemin. Je m’e
suis servi pour donner à mes expériences une apparence de mystère… Non ! un médium ne
peut pas croire aux esprits. C’est même le seul qui n’y puisse jamais croire ! » ─ Citerai-je
encore les cas, non moins célèbres, de Slade, d’Anna Roth, de Bredif, d’Eglington, de Miller,
et l’histoire grotesque de Buguet le photographe(2) ? Vous avez cité vous-même, avec raison,
(1)
Ces expériences ont eu lieu en 1873-74 (entre parenthèses pendant quatre mois et demi, et non trois ans,
comme on le raconte). Vingt-quatre ans après (1898), Crookes disait (Discours à l’Association britannique pour
l’avancement des sciences) : « … Si je présentais aujourd’hui pour la première fois ces recherches au monde
scientifique, je choisirais un point de départ différent de celui que j’ai choisi jadis. Il serait bon de commencer
par la télépathie, en posant ce que je crois être une foi fondamentale, que les pensées et les images peuvent être
transportées d’un esprit dans un autre sans l’emploi des sens… » « … il est antiscientifique d’appeler à son aide
des agents mystérieux, alors que chaque nouveau progrès de la science nous démontre que les vibrations de
l’éther ont des pouvoirs et des qualités amplement suffisants pour rendre compte de tout, même de la
transmission de pensée ; etc. »
(
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici, ─ parce que des entêtements du même genre ont lieu
présentement, particulièrement en Angleterre, ─ que, lors du procès de Buguet, quand, devant le tribunal, le
fraudeur dévoila tous ses trucs, ─ têtes découpées, étoffes, etc., ─ la plupart des anciennes dupes,
convoquées, ne voulurent jamais admettre qu’elles avaient été dupées. Du compte rendu des débats :
M. le comte de Bullet. ─ Je suis allé chez Buguet et, dans l’image qu’il m’a livrée, j’ai très positivement reconnu
le portrait de ma sœur ; je suis parfaitement convaincu que c’est son image.
M. le substitut.. – Mais on vous a montré la tête découpée à l’aide de laquelle on a obtenu cette image !
─ Pour moi, cela n’est rien. La ressemblance est incontestable ; je suis convaincu de la réalité du portrait.
─ Mais, dans l’enquête, on a fait l’opération devant vous, on a manœuvré la poupée en votre présence !
─ Ce n’est pas le même cliché.
─ Que dire pour combattre votre crédulité ? La preuve est acquise que les procédés n’ont rien de surnaturel, que
les moyens sont frauduleux, que vous êtes dupe de vos illusions. Voici la tête à l’aide de laquelle on a obtenu le
portrait de votre sœur.
─ Non, cela ne ressemble pas à ma sœur.
LES MORTS VIVENT-ILS ? 57
une phrase de Flammarion, tirée de ses Forces naturelles inconnues, dans laquelle il confesse
que, de tous les médiums qu’il a vus, il a « surpris presque tous trichant ». ─ Cela ne prouve
rien, bien entendu et, encore une fois, je n’en tire aucune conclusion contre la réalité des
phénomènes, puisque je vous dis que je crois aux phénomènes. Je prétends seulement qu’il y
en a, de ces phénomènes caractéristiques, beaucoup moins qu’on ne pense, et peut-être moins
complexes.
Il reste alors une troisième catégorie de faits, ceux qui sont absolument prouvés. Et
c’est ici qu’apparaît l’essai d’une explication scientifique. Essai timide encore, d’une science
qui balbutie, mais qui, sans aucun doute, arrivera à des certitudes.
L’affirmation de cette science est celle-ci, ─ et c’est celle à laquelle je me rallie : Il
n’y a pas besoin des morts : l’esprit des vivants suffit. Avant d’invoquer une cause
surnaturelle ou préternaturelle, on doit épuiser toutes les causes naturelles.
Ce n’est pas mon rôle de traiter ces questions. Mais il me semble qu’on arrive à
expliquer déjà bien des choses avec la télépathie (sensations psychiques, sensations visuelles
et auditives, sensations tactiles, lecture de pensée, apparitions, actions motrices, exercées à
distance, etc.)(1), avec l’hypnotisme, c’est-à-dire avec la suggestibilité (à la Salpêtrière, on
colle sur le dos d’un malade hypnotisé un timbre-poste, et l’on suggère à ce malade qu’on lui
a posé un vésicatoire : sur-le-champ la peau rougit, se boursoufle, un abcès se forme et perce)
et avec le subliminal (qui explique les incorporations, les « vies successives » de De Rochas(2),
etc.) ; enfin avec les expériences du genre de celles de Geley (dédoublement de la
personnalité revêtant, grâce à la plasticité du corps humain, une existence réelle, extérieure,
distincte du moi authentique, et néanmoins création de ce moi momentanément dissocié) qui
serait l’explication des « doubles » de toute nature. Je trouve très frappante également, je
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
Melle Marie de Veh.. ─ Je suis allée chez Buguet par curiosité ; j’ai demandé une apparition ; il est venu deux
esprits : un ami et un oncle.
Le président. ─ Que vous avez reconnus ?
─ Parfaitement.
─ Et cependant Buguet avoue qu’il n’est pas un médium, qu’il n’est que photographe. N’y a-t-il pas eu
d’illusion de votre part ?
─ Non monsieur ; je les ai parfaitement reconnus.
─ Vous avez devant vous la boîte aux Esprits : on les tire de là, voyez-vous ? Est-ce que vous persistez à y
croire ?
─ Oui, monsieur.
M. de Veh (le père). ─ Nous avons tous reconnu le portrait. Tout le monde s’est écrié : c’est notre Charles !
─ Et bien, vous avez devant vous la boîte de laquelle on tire les esprits.
─ M’a-t-on fait venir ici pour me dire que j’étais un imbécile ?
Etc., etc…
(1)
Cette transmission par télépathie a été fort bien expliquée, au point de vue de son mécanisme, par Flammarion
dans son dernier ouvrage (La Mort et son mystère, I, p. 131).
(2)
Un sujet, endormi par De Rochas, avait la faculté de revivre (voix, gestes, etc.) successivement les étapes de sa
vie passée, puis, parvenu à sa naissance, il franchissait d’un bond une période de « néant » et revivait une
existence d’une génération antérieure. Et ainsi de suite. ─ Mme J…, par exemple, revécut devant
l’expérimentateur onze à douze existences. En 1860, elle était une jeune fille appelée Marguerite Duchesne, et
son père tenait une épicerie. En 1757, elle était un jeune homme, Jules Robert, distributeur de journaux à
Besançon ; en 1702, elle portait le nom de Jenny Ludovic ; sous François Ier, elle fut un soldat, Michel Berry, qui
combattit et fut tué à Marignan ; en 1302, elle s’appelait Mariette Martin, institutrice privée à Vannes ; en 1010,
etc., etc. De Rochas a écrit lui-même : « Ces révélations, quand on a pu les contrôler, ne répondent
généralement pas à la réalité ». Un médium ayant révélé qu’il avait été jadis l’évêque Belzunce, « j’ai vu, en
étudiant une biographie très complète du prélat, qu’il avait eu de longs démêlés avec le Parlement d’Aix et les
Jansénistes : or, ces démêlés, Marguerite, jouant le rôle de Belzunce, les ignore complètement. Elle a donc créé
un Belzunce imaginaire, d’après une vie sommaire dont elle a eu connaissance. » On sait qu’au surplus
l’authenticité même des expériences de De Rochas n’est pas unanimement admise. ─ Pour moi, je me demande
pourquoi on ne cherche pas aussi des explications du côté de l’hérédité, qui est un fait scientifique indiscuté.
58 Les morts vivent-ils ?
(1)
Le terme psychométrie est franchement mauvais. Je trouve, pour ma part, qu’il serait bien préférable de dire
psychographie.
(2)
Cela expliquerait les impressions ressenties par certains animaux (chiens qui aboient à la mort, etc.), dans les
cas de maisons « hantées ».
XIII
AUTRES LETTRES.
G. DELANNE.
Je suis sûr que mes lecteurs seront unanimes à saluer ici, ─ comme je le fais moi-
même, ─ l’émouvant désintéressement et la magnifique noblesse de caractère de M. Gabriel
Delanne.
J’aurais pu remettre en discussion l’affirmation contenue dans la dernière ligne de
cette lettre : à quoi bon ?… J’ai répondu publiquement à M. Delanne :
MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
60 Les morts vivent-ils ?
Un seul, parmi les neuf, était réellement notoire, c’est celui de M. Léon Denis.
Mais voici, pour ceux de mes lecteurs qui, tout en connaissant son nom, n’ont jamais
eu entre les mains les ouvrages de M. Léon Denis, quelques passages de l’un de ses derniers
articles de la Revue spirite (le dernier que j’aie lu, personnellement), numéro d’avril 1921 :
radiations et les couleurs, en chassant les molécules qui nuisent à la transparence de l’être…
(…).
En ce qui concerne les facilités de déplacement dans la vie de l’espace, s’il est vrai
que les passions enchaînent autour de la Terre les Esprits avides de sensualité, en revanche,
l’Esprit épuré plonge avec la rapidité de la pensée dans les profondeurs de l’infini… Les
esprits grossiers sont éblouis par la lumière de l’espace et flottent étourdis et comme
somnolents, tandis que l’âme spiritualisée plane avec aisance, etc. »
Je ne dirai rien du fond de cette page (voilà ce qu’on veut que nous acceptions pour de
la science !). Mais, très franchement, je demande, ─ non pas à vous, monsieur le président,
n’écoutez pas…, ─ je demande au lecteur quelle figure aurait pu faire cette sorte de prose
mystique à côté de la claire éloquence de M. Gabriel Delanne ?
Et j’ai choisi l’auteur qui est nommé le premier !…
On me rendra ce témoignage, ─ on me l’a déjà rendu, d’ailleurs, ─ que, désirant
exposer ici la doctrine spirite, j’ai cherché l’homme qui pouvait le faire à la fois de la façon la
plus haute, la plus complète et la plus sympathique. Il m’aurait été facile de faire dire, après
certains spirites (pris parmi ceux que M. Gabriel Delanne cite comme qualifiés), certaines
choses, après lesquelles on m’aurait nettement accusé « de le faire exprès ».
Par exemple, je m’en excuse, mais un lecteur, à qui j’ai tout simplement répondu
quelque chose comme cela il y a quinze jours, me mettant maintenant, dit-il, « au pied du
mur », me fait cette espère de sommation :
─ Vous auriez pu, en tout cas, prendre l’exposé dans Allan Kardec !
J’ouvre, au hasard, celui des ouvrages du fondateur du spiritisme qui est généralement
considéré comme le meilleur, et, puisque sans doute beaucoup de mes lecteurs ignorent aussi
la manière d’Allan Kardec, en voici un échantillon :
Parmi les médiums voyants, il en est qui ne voient que les Esprits que l’on évoque…
Il en est d’autres chez lesquels cette faculté est encore plus générale ; ils voient toute la
population spirite ambiante aller, venir, et l’on pourrait dire vaquer à ses affaires.
169. ─ Nous assistâmes un soir à la représentation de l’opéra d’Obéron avec un très
bon médium voyant. Il y avait dans la salle un assez grand nombre de places vacantes, mais
dont beaucoup étaient occupées par des Esprits qui avaient l’air de prendre leur part du
spectacle ; quelques-uns allaient auprès de certains spectateurs et semblaient écouter leur
conversation. Sur le théâtre se passait une autre scène ; derrière les acteurs, plusieurs
Esprits d’humeur joviale s’amusaient à les contrefaire en imitant leurs gestes d’une manière
grotesque ; d’autres, plus sérieux, semblaient inspirer les chanteurs et faire des efforts pour
leur donner de l’énergie. L’un d’eux était constamment auprès d’une des principales
cantatrices ; nous lui crûmes des intentions un peu légères ; l’ayant appelé après la chute du
rideau, il vint à nous, et nous reprocha avec quelque sévérité notre jugement téméraire. « Je
ne suis pas ce que vous croyez, dit-il ; je suis son guide et son Esprit protecteur ; c’est moi
qui suis chargé de la diriger. » Après quelques minutes d’un entretien très grave, il nous
quitta en disant : « Adieu ; elle est dans sa loge ; il faut que j’aille veiller sur elle. » Nous
évoquâmes ensuite l’Esprit de Weber, l’auteur de l’opéra, et lui demandâmes ce qu’il pensait
à l’exécution de son œuvre. « Ce n’est pas trop mal, dit-il, mais c’est mou ; les acteurs
chantent, voilà tout ; il n’y a pas d’inspiration ! Attendez, ajouta-t-il ; je vais essayer à leur
donner un peu du feu sacré. » Alors on le vit sur la scène, planant au-dessus des acteurs ; un
effluve semblait partir de lui et se répandre sur eux ; à ce moment, il y eut chez eux une
recrudescence visible d’énergie. »
62 Les morts vivent-ils ?
٭
٭ ٭
Parmi les innombrables lettres que j’ai reçues, j’avais mis à part celle-ci, qui m’a paru
plus particulièrement intéressante :
MONSIEUR,
(Je passe sur quelques lignes trop flatteuses.)… Je prends la liberté de vous soumettre
une remarque que tous vos lecteurs ont déjà faite évidemment : l’ectoplasme, comme toute
chose matérielle, peut être examiné microscopiquement et analysé chimiquement.
Certainement des milliers de lecteurs brûlent d’être édifiés à ce point de vue.
Veuillez, Monsieur, etc.
G. GANAT,
Chemin des Collinettes, Nice
J’ai répondu :
MONSIEUR,
1° Réfléchissez d’abord à ceci : que l’ectoplasme est insaisissable. Il ne faut donc pas
songer à s’en emparer sans son consentement. En couper un morceau (pour parler en termes
simples) est donc absolument impossible. Songez aussi qu’il s’agit là d’une substance qui est
issue du médium, qui y rentrera, qui fait partie de son corps : en enlever une partie (et c’est
d’ailleurs la conviction de tous les médiums) pourrait avoir sur leur organisme de terribles
conséquences, peut-être même, qui sait, déterminer la mort… Au surplus, je le répète, parce
que c’est le mot exact, l’ectoplasme est insaisissable. Vous voyez donc à quelle difficulté on
se heurte, en pratique, dans ce nouveau domaine.
─ Mais les moulages, me direz-vous ?
Réponse : Les moulages sont faits avec le consentement de l’ectoplasme et sont
impossibles autrement. Par exemple, quand l’expérimentateur aperçoit la formation d’un
organe quelconque, main, pied, il donne un ordre, ou, plutôt, il adresse une demande à l’entité
opérante (le subconscient du médium) : « Je vous prie de tremper cette main dans la
paraffine », et la main, d’elle-même, se plonge dans la cuvette de paraffine. Tout autre
procédé est, pour le moment, impossible.
2° En se servant, précisément, de cette espèce d’obéissance intelligente de
l’ectoplasme, un des expérimentateurs, M. Lebiedzinski, a réussi, à Varsovie, le 20 février
1916, à obtenir que la substance issue de la bouche de son médium (M me Stanislawa P…,
médium également de Schrenck-Notzing) avant de se résorber, abandonnât volontairement un
petit fragment d’elle-même, dans un godet préparé spécialement. Ce fragment avait un
centimètre de grosseur et avait un peu l’aspect « d’écume de blanc d’œuf battu ». En séchant,
il se réduisit de moitié (poids : 10 centigrammes) et, au microscope, son aspect resta celui de
blanc d’œuf battu. Deux analyses en furent alors faites, l’une à Munich par Schrenck-
LES MORTS VIVENT-ILS ? 63
MADAME BISSON.
Mme Bisson est fort connue pour ses expériences de métapsychique avec le médium
Eva. C’est elle, je crois (je dis : je crois, car il s’agit d’être prudent), qui, la première, a
observé la « substance », avant Geley, avant Crawford, avant Richet, avant Schrenck-Notzing.
Pourquoi, dans ces conditions, n’avais-je pas cherché à interroger Mme Bisson ? Je le dis ici
tout net : à cause de la personnalité du médium Eva, qui est véritablement par trop discutée.
Eva Carrière est l’ancienne Marthe Béraud, de la villa Carmen d’Alger. Je ne prétends
nullement posséder la clef du mystère de la villa Carmen(1) ; encore moins, ai-je besoin de le
dire, mettre en doute à présent la bonne foi de Mme Bisson. Mais, ayant à faire exposer les
expériences sur l’ectoplasme, j’ai préféré, c’est tout simple, le faire faire par un autre.
Au surplus, nous aurons quand même ici, ─ et j’en suis tout à fait heureux, ─
l’essentiel de l’opinion de Mme Bisson. Mme Bisson a bien voulu, en effet, me faire l’honneur
de m’écrire une longue lettre. Je ne peux malheureusement en reproduire la plus grande
partie, qui met en cause des tiers(2). Mais je transcris ici toute la fin, dont l’importance
n’échappera, je pense, à personne :
(1)
Dans une salle des communs de la villa du général Noël, à Alger, en 1905, Mlle Marthe B…, avec la négresse
Aïsha prise comme médium, faisait apparaître un fantôme casqué, qui répondait au nom de Bien-Boa. Le
professeur Ch. Richet fut appelé pour contrôler cette matérialisation. Il prit des photographies et se livra à
diverses expériences. Pourtant plusieurs points lui paraissaient obscurs : « Pourquoi, disait-il, dans certaines
photographies, le corps et la manche de Marthe assise semblent-ils vides ? Pourquoi, dans toutes ces
photographies, ne voit-on jamais distinctement la figure de Marthe, aussi nettement qu’on voit la figure d’Aïsha,
par exemple ? Pourquoi l’obscurité est-elle à ce point nécessaire ? Pourquoi la figure de Bien-Boa est-elle si
ressemblante à la figure que pourrait avoir Marthe, si elle avait collé une grosse barbe noire à sa lèvre
supérieure ? Pourquoi, après que Bien-Boa m’eut promis que sa main fondrait dans la mienne, n’ai-je pu rien
obtenir d’analogue, alors que j’avais cependant déclaré que cette expérience était vraiment l’experimentum
crucis fondamental ? Pourquoi, lorsque Bien-Boa se promène, sortant du cabinet, autour de nous, dans la salle,
n’est-il pas permis de le toucher ? etc… » ─ En 1906, les Nouvelles d’Alger racontèrent que Marthe B…
avouait avoir mystifié le savant. Marthe B… démentit ; il y eut une polémique. L’affaire s’est terminée sur un
point d’interrogation.
(
Je relèverai seulement que Mme Bisson, parlant du professeur Richet, paraît croire qu’il est peut-être plus
spirite qu’il ne l’a voulu dire. Or, non seulement M. le professeur Richet n’a pas cherché à expliquer ( ?) ─
(comme a cru devoir le faire M. Camille Flammarion) ─ ses sensationnelles déclarations, mais il écrivit lui-
même ensuite, en toutes lettres, dans le progrès civique du 17 septembre :
« Les spirites ont construit… une théorie très cohérente, très intéressante, mais qui comporte tant
d’invraisemblables hypothèses que je me refuse absolument à l’admettre. Ils ont procédé très naïvement, u peu
comme les sauvages devant les grandes forces naturelles, qu’ils ne comprennent pas, et qui attribuent les orages,
les éclairs, la pluie, les tempêtes, les éclipses, les maladies, à des divinités bienfaisantes ou malfaisantes. De
même, en présence de faits non habituels, dont l’interprétation est mystérieuse, les spirites disent : ce sont des
esprits, c’est-à-dire des forces à demi-divines, omniscientes, omnipotentes, âmes des défunts qui ont survécu…
(…) Le grand malheur de la métapsychique, c’est qu’on a voulu en faire une sorte de religion, etc… »
LES MORTS VIVENT-ILS ? 65
JULIETTE-A. BISSON.
Une fois de plus, par cette lettre fort claire, le sens général de la conclusion qui se
dégage peu à peu de cette étude n’est-il pas confirmé, d’une manière presque inespérée ?
XV
M. LE PROFESSEUR BRANLY.
Nous avons été entraînés par toute cette correspondance(1), d’ailleurs généralement
précieuse, j’en conviens, un peu en dehors du plan général de cette étude. Quelques lecteurs
me ramènent, ─ dans le domaine de la science.
Car il s’agit de science, ─ du moins c’est ce que les métapsychistes nous on dit. Et les
noms de Mme Curie et de Charles Richet, ─ j’ai pu le voir par les articles consacrés à notre
enquête, ─ sont ceux qui ont le plus frappé l’attention du public.
Or voici un autre nom, qui est le seul peut-être qui pouvait venir maintenant ici
prendre place : Branly.
Nous allons atteindre, avec lui, au point culminant de ces recherches.
٭
٭ ٭
hélas ! Mais, instantanément, ces esprits ont paru s’éteindre. Et les plus grandes découvertes
scientifiques, celles qui ont paru changer la face du monde, ont été faites sous de modestes
toits, dans des chambres dénuées de toute splendeur, à la lumière souvent fumeuse et
vacillante d’une lampe d’artisan ou d’écolier. »
N’ai-je pas, devant moi, le commentaire vivant de ces hautes pensées ?… Que
conclure !…
Mais toutes ces images se sont succédées dans mon esprit comme dans un éclair…
Déjà, je suis assis en face de l’illustre maître. J’écoute, je n’ai plus qu’à enregistrer ses
paroles. Les voici maintenant, reproduites mot pour mot :
« Je dois vous dire tout d’abord que je me suis souvent intéressé à ces questions et que
je m’en suis même beaucoup occupé autrefois, lorsque j’étais jeune. Quand on est jeune, on a
le temps !…
Je crois qu’il y a en nous, dans notre organisme, des régions assez peu connues : ce
sont celles de notre système nerveux. Je vais, pour vous expliquer ce que je veux dire, vous
raconter une expérience : c’est peut-être celle qui m’a le plus frappé parmi les innombrables
expériences auxquelles j’ai assisté. Dans les environs de 1880, ─ j’avais trente-cinq ans et
j’avais suivi les études de Charcot à la Salpêtrière, ─ un dimanche matin, à l’hôpital de la
Charité, le docteur Luys vint faire une conférence sur les phénomènes nerveux ; Luys était
alors, avec Charcot, le grand maître des malades nerveuses. Il avait amené avec lui une petite
ouvrière, dénuée de toute instruction. Il l’endormit, il la fit monter sur l’estrade, et il annonça
qu’elle allait faire la conférence à sa place. Alors, la petite ouvrière se mit à nous répéter, mot
à mot, une fort belle causerie que le docteur Luys avait faite précédemment, non seulement en
employant un langage scientifique impeccable, mais encore en empruntant la voix et les
gestes de l’illustre professeur, en mettant de l’énergie dans les passages où il en avait mis, en
réalisant en un mot une imitation parfaite de son modèle, sur une question dont, bien entendu,
elle ne connaissait pas le premier mot.
Qu’y a-t-il à conclure de ce genre d’expériences ? Qu’il y a, dans notre cerveau,
plusieurs régions nerveuses : certaines sont en fonction constamment, pour les actes
ordinaires de la vie ; d’autres n’agissent que dans certaines circonstances et parfois sans que
nous en ayons la moindre connaissance. Cela paraît être d’accord avec d’autres expériences
comme celles d’Azam, de Bordeaux, qui avait eu l’occasion de faire l’étude du phénomène de
la double personnalité. Il s’agit d’un phénomène qui existe, bien qu’il soit rare. Azam a suivi
longtemps un sujet qui avait une existence absolument double, vivant un certain temps avec
une certaine personnalité, en prenant ensuite une autre, puis reprenant la première, et ainsi de
suite, sans aucune supercherie possible. Oui, nous avons, dans notre cerveau, différentes
régions de centres nerveux, dont certaines peuvent, à notre insu, soit nous rendre service, soit
fonctionner à notre détriment. Et quand on parle de « forces psychiques », je pense que c’est
cela qu’on a en vue.
Cependant, dans des phénomènes comme ceux dont je viens de vous parler, sommes-
nous seuls en cause ? Je veux dire par là : Y a-t-il en dehors de nous, en dehors des forces
psychiques provenant de nous-mêmes, des forces d’origine inconnue ?
Cela, c’est possible.
Il ne s’agit pas du tout ici de spiritisme, entendons-nous bien. Le spiritisme est une
théorie, qui n’a rien à faire dans ces questions. J’ai assisté à un grand nombre de séances où
l’on prétendait démontrer qu’on faisait intervenir des Esprits : elles étaient toujours conduites
d’une manière trop peu scientifique ; les conversations étaient quelquefois insignifiantes et
68 Les morts vivent-ils ?
(1)
C’est, sous une autre forme, et aussi avec une tout autre valeur (mais je ne peux m’empêcher de faire ce
rapprochement) l’argument d’un de mes lecteurs, qui m’écrit : « Demandez donc aux spirites pourquoi les esprits
de Victor Hugo, de Musset, de Leconte de Lisle, de Lamartine, qui se sont « manifestés », n’ont écrit que des
vers de mirliton », et à qui j’ai répondu d’ailleurs : « Soyez tranquille, le spiritisme explique cela très bien. »
(2)
En 1828, Robert Bruce, marin, navigue dans les parages de Terre-Neuve. Il interpelle son capitaine, qu’il croit
être dans une cabine voisine de la sienne. En effet, un homme est là, mais en s’approchant, Bruce s’aperçoit que
cet homme est un personnage absolument inconnu, occupé à écrire sur une ardoise. Le capitaine, averti,
descend. L’inconnu n’est plus là ; l’ardoise porte ces mots : « Gouvernez au nord-ouest. » L’écriture n’a rien de
celles des passagers du navire. On se porte dans la direction indiquée ; on découvre un vaisseau pris dans les
glaces et à demi-brisé. Parmi les hommes de l’équipage, Bruce reconnaît le mystérieux visiteur, dont l’écriture
est identique à l’écriture de l’ardoise.
LES MORTS VIVENT-ILS ? 69
vieille hypothèse de l’émission, qui semblait oubliée !… Non, non, nous ne savons pas tout,
nous ne savons pas grand-chose !…
Mais revenons aux phénomènes psychiques.
L’année dernière, il y a juste un an, un grand magazine français publiait une
photographie sur laquelle on pouvait me voir assistant à une lévitation de table avec Eusapia
Paladino. Il y avait là, avec moi, ─ tenez, voici cette photographie, ─ Debienne, un assistant
de Mme Curie, un vrai savant, MM. Tchorowicz et Serge Yourievitch. Quand on m’a posé, à
ce sujet, la question : Avez-vous été témoin de manifestations psychiques telles que
soulèvements d’objets pesants ? ─ J’ai répondu, et je réponds de nouveau :
J’ai vu ou j’ai cru voir ; on peut se faire illusion sur des phénomènes qu’on ne sait
pas reproduire dans des circonstances identiques.
C’est qu’en effet tout est là. Ces phénomènes ne sont, pour le moment, nullement du
domaine scientifique. Demandez donc à Debienne si les expériences avec Eusapia ont été
menées avec une méthode scientifique ? Aucunement : ce fut impossible !… Il y a bien eu là
aussi, parfois, d’Arsonval : mais il a été obligé de ne s’en occuper qu’avec beaucoup
d’indulgence scientifique. On me cite bien, moi aussi, parbleu, comme ayant constaté les
faits, et on reproduit la photographie ! En réalité, je n’ai rien constaté(1).
Tenez, un soir, la séance avec Eusapia étant terminée, nous causions avec celle-ci
lorsqu’un verre, qui se trouvait à une petite distance de nous, se brisa. Je vis bien les débris
du verre. Je demandai à Eusapia de refaire immédiatement cette expérience : elle n’a jamais
voulu. C’était toujours ainsi ! ─ Or, il faudrait justement produire, pour bien l’observer, le
phénomène qu’on attend, exactement, et non pas un autre qui, forcément, nous surprend et
qu’on ne peut observer. Il faudrait prendre une expérience, n’importe laquelle, mais une
seule, et puis chercher à la reproduire deux fois, dix fois, vingt fois : c’est ainsi que nous
faisons, nous autres. Je ne prétends pas qu’il faille réussir tout de suite : on patiente, on
contrôle avec une attention profonde et soutenue, sans distraction d’aucune sorte, on saisit un
tout petit indice qui met sur la voie, et on arrive enfin.
Les expériences psychiques ont toujours été faites, au contraire, avec le plus grand
désordre. Il est venu et il vient ici, chez moi, des quantités de gens qui m’apportent des
photographies de phénomènes. Je les regarde attentivement et je réponds : « Choisissez une
seule de ces photographies, à votre idée ; bien ; maintenant reproduisez, dans le délai que
vous voudrez, ce même phénomène » : pas un seul n’en est capable. J’ai fait cette même
réponse, récemment, à un homme distingué qui fait de fameuses photographies de fluides –
(dues probablement, d’ailleurs, ainsi que l’a démontré Guébhard, aux mouvements des
liquides dans les cuvettes). ─ Même impossibilité.
Oh ! certes, ils parlent tous d’ « appareils scientifiques », de travaux « de laboratoire ».
Mais, quand il y a, en effet, des appareils, ceux-ci sont, ou de constitution déplorable, ou en
mauvais état ; même les balances sont des balances quelconques mal équilibrées. Je me
rappelle les visites, ici, de l’excellent Baraduc, avec son célèbre biomètre. Pendant des
semaines, il vint, le dimanche matin, accompagné de ses sujets. Je remarquai immédiatement
que lorsque lui – ou un sujet – approchait la main de l’appareil pour faire dévier l’aiguille, en
même temps il penchait la tête pour regarder le chiffre marqué. Je crus voir que c’était la
chaleur de la tête pour regarder le chiffre marqué. Je crus voir que c’était la chaleur de la tête
qui agissait surtout. J’imposai donc un dispositif permettant de lire les chiffres au moyen
d’une lunette placée à cinquante centimètres : il ne se produisit plus rien. Je finis par dire à
Baraduc : « Que voulez-vous, l’atmosphère est mauvaise ici ; peut-être les murailles de mon
laboratoire sont-elles hostiles ; nous irons chez vous ! » Chez lui, ce fut la même chose !
(1)
Notons que voilà, en des termes un peu différents, même réponse que celle de Mme Curie.
70 Les morts vivent-ils ?
Quand j’employai la lunette, les résultats devinrent à peu près nuls : il n’était plus question
que de déviations insignifiantes.
Je ne vous dirai rien des expériences de l’Institut métapsychique, sinon qu’elles
paraissent dénuées de méthode scientifique. Notez bien que je ne nie pas la possibilité de ces
phénomènes. Il serait intéressant qu’ils fussent réels. Je n’ai toujours demandé qu’à
croire !… Mais je demande quelques preuves : les expérimentateurs n’ont jamais pu en
donner quand il y avait un véritable contrôle.
Vous me parliez tout à l’heure du Congrès de Copenhague. Que valent ces
affirmations ? Ce que valent (je me place toujours, bien entendu, dans le domaine de la
science) celles de chacun de ses membres.
Or, quand ces messieurs reçoivent un défi, ─ et ils en reçoivent, ─ alors ils répondent
que la personne qui leur porte ce défi ou bien n’est pas intéressante, ou bien même est
méprisable. C’est là un raisonnement antiscientifique au plus haut point, car, précisément,
c’est cette personne-là qui est intéressante. Si Lénine m’apportait une preuve scientifique de
quelque chose, je serais bien obligé de l’accepter, et même de le remercier. En matière de
science, il ne s’agit pas du tout de la moralité de celui qui apporte la preuve : il s’agit de la
valeur de la preuve en soi. Si quelqu’un, quel qu’il soit, dit à ces messieurs : je me fais fort de
prouver que vous êtes victimes d’une erreur, ils doivent, sans hésiter, le mettre en mesure, et
même en demeure, de s’exécuter.
En lui donnant naturellement les vrais moyens de le faire !
Par exemple, voilà bien des fois qu’un de ceux qui étudient ave le plus d’ardeur ces
questions troublantes me demande d’aller chez lui, où il aurait réalisé des expériences
extraordinaires avec plusieurs médiums. Je lui ai toujours répondu : « Faites-moi d’abord, sur
une seule de ces expériences, un rapport clair, scientifique, avec croquis, qui me permette de
juger de la méthode : je pourrai alors, ensuite, aller observer en toute connaissance de
cause. » Je ne l’ai pas encore obtenu.
Je ne nie pas : mais j’attends des preuves.
Je n’ai donc, pour nous résumer, sur cette expérimentation métapsychique, aucune
certitude scientifique, ni même aucune conviction personnelle. »
XVI
CONCLUSIONS.
٭
٭ ٭
(1)
Le 22 septembre.
72 Les morts vivent-ils ?
telles d’ailleurs que Mme Bisson me les a écrites depuis (Voir plus haut). ─ Le Congrès a
décidé :
Sur le premier paragraphe, aucune surprise. Il aurait été absurde de supposer que les
psychistes, après s’être réunis précisément pour exposer ce qu’ils avaient constaté
individuellement au cours de leurs expériences, émissent ensuite, en corps, un vote final
déclarant que tout ce qu’ils étaient venus raconter étaient faux !
Quant au deuxième paragraphe, il signifie, ─ et c’est bien ce que M. Jaworski a
expliqué, ─ que les membres du Congrès se sont divisés en deux partis : d’un côté, les spirites
de l’autre, les scientifiques : entre eux, un fossé.
Ceci est assez nouveau, je crois. Et je me demande si ce n’est pas aussi ce qui se
dégage de l’intéressante lettre de M. Léon Denis, qu’a publiée le Matin du 25 septembre :
٭
٭ ٭
Mais, pour nous, ici, quelles remarques pourrions-nous tirer plus spécialement des
divers chapitres de notre étude ?
Je rappellerai d’abord en quelques mots, ─ cela ne me paraît pas inutile, car certains
spirites m’ont accusé de parti pris dans le choix des personnes que j’ai interrogées, ─ quel
était mon plan :
1° Faire exposer la doctrine spirite. J’ai choisi pour cela celui qui reste, en dépit des
querelles, la responsabilité la plus éminente du spiritisme : M. Gabriel Delanne ;
2° Faire exposer les expériences de métapsychique. J’ai choisi l’homme
indiscutablement le plus qualifié pour traiter de ces questions : le docteur Geley ;
3° Interroger, sur les deux faces du problème, des hommes habitués à en parler en
parler en connaissance de cause, c’est-à-dire ceux avec qui il y avait chance d’entendre soit le
pour, soit le contre. J’ai choisi :
M. le professeur Richet. ─ Il a été contre le spiritisme (à noter qu’il aurait aussi bien
pu être pour).
M. Camille Flammarion. ─ Après discussion, il a été pour le spiritisme.
M. le professeur Branly et Mme Curie, interrogés au nom de la science, ont réservé leur
opinion et déclaré qu’il n’y a même pas actuellement des preuves des faits.
Le P. Mainage, ; interrogé au nom de l’Eglise, a interdit les recherches spirites et
autorisé les recherches métapsychiques.
LES MORTS VIVENT-ILS ? 73
… Veuillez examiner le cas de lors Dufferin, raconté par Camille Flammarion dans
Autour de la Mort, pages 231,232… Le fait est rapporté d’après « un psychologue
distingué ». Mais, au lieu de dire : « Un jour, une nuit, quelques années après », pourquoi ce
psychologue distingué ne donne-t-il pas des dates précises ? les noms ? le nombre de
victimes ? Bref, des renseignements permettant de contrôler l’exactitude du récit ? Ne
pensez-vous pas, monsieur le Rédacteur, qu’il y a là, pour un habitant de Paris, une enquête
facile ? etc.
Signé : E. BELOUET,
à Mézières(Loiret).
Je l’ai tellement pensé que, cette enquête, je l’ai faite immédiatement, et j’ai d’autant
moins hésité que, justement, j’avais été fort invectivé parce que j’avais émis des doutes,
précédemment, sur les qualités d’historien de M. Camille Flammarion. Or, je n’ai pas eu
besoin de faire appel à toutes les ressources de la « méthode historique » : c’était si simple !
D’abord, qu’est-ce que le « cas de lord Dufferin » ?
Ouvrons Flammarion :
Une nuit ( ?), en Irlande ( ?), lord Dufferin vit lui apparaître un homme hideux qui
portait un cercueil, et cette vision resta dans son souvenir… Quelques années après ( ?), étant
ambassadeur à Paris, un jour ( ?), il se rendit à une « réception diplomatique » ( ?) au Grand-
Hôtel. Au moment de prendre l’ascenseur, il reconnut dans l’homme qui le faisait manœuvrer
l’affreux porteur de cercueil de jadis ! ─ Ici, je cite :
« Mû par un ressort instinctif, l’ambassadeur recula, rebroussa chemin et prononçant
quelques mots d’excuse et, prétextant d’un oubli, demanda qu’on prît les devants sans
l’attendre ; puis il se rendit au bureau de l’hôtel afin de se renseigner sur le personnage qui
causait sa légitime émotion. Mais il n’en eut pas le temps : on entendit à ce moment un bruit
épouvantable mêlé de cris d’angoisse. L’ascenseur, parvenu à une certaine hauteur, s’était
affaissé tout à coup au fond de son puits, broyant ou mutilant ceux qui l’occupaient. »
Ce récit ne respire-t-il pas la véracité ? Les moindres détails y sont (sauf les dates).
Et voici la fin, qui est magnifique de précision :
(1)
C’est dans ce sens que la presse, dans son ensemble, a conclu. Je ne parle pas d’articles comme ceux de Léon
Daudet, ─ remarquables d’ailleurs, ─ ou de G. de la Fouchardière, qui étaient peut-être tendancieux, mais des
études parues dans le Temps, l’Illustration, le Matin, le Gaulois, la Liberté, Excelsior, la Lanterne, le Radical, la
Victoire, Bonsoir, des articles de MM. Abel Hermant, Pierre Mille, Roland de Marès, Etienne Charles, etc…, et
de tous ceux de la presse belge et de la presse italienne.
74 Les morts vivent-ils ?
« L’employé mystérieux fut tué avec ceux qu’il transportait. On ne put identifier son
origine. C’était, dit-on ( ?), un extra, une doublure, un homme de passage qu’on avait
temporairement embauché. Lord Dufferin n’en sut pas davantage, et il chercha vainement à
s’expliquer par quel sortilège la main de la Destinée l’avait sauvé du péril, en levant pour lui,
de si mystérieuse manière, un coin du voile tendu sur cette partie de l’éternité que nous
appelons le futur ! »
Hé bien ! allons maintenant aux sources.
Premièrement, j’ai vérifié que lord Dufferin fut ambassadeur à Paris de 1892 à 1896.
Ensuite je me suis rendu au Grand-Hôtel, où mon enquête a été des plus simplifiées : il
n’y a eu, au Grand-Hôtel, aucun accident mortel d’ascenseur public depuis celui de 1878. J’ai
vu et interrogé le principal témoin de cet accident de 1878 : il est toujours au Grand-Hôtel,
d’où il n’a pas bougé depuis. Ce jour-là (1878), la chute de l’ascenseur tua un seul voyageur :
une jeune femme, jeune mariée, qui remontait chercher quelque chose dans sa chambre. Il
n’y avait absolument aucune « réception diplomatique » et, par conséquent, pas plus
d’ambassadeur que dans le creux de ma main.
Cette année 1878, lord Dufferin, âgé de cinquante-deux ans, la passa en partie au
Canada et en partie à Saint-Pétersbourg.
Et voilà.
Naturellement, M. Camille Flammarion, lui, écrit froidement :
« Lettre 4236. »
Et il ajoute :
« Cette aventure fantastique est bien arrivée, etc… »
Et, bien entendu, après une telle consécration, cette histoire est reproduite partout(1).
Quant à mon correspondant de Mézières, il concluait :
Cette enquête paraîtrait d’autant plus nécessaire que, dans l’ouvrage de Bozzano :
Des phénomènes prémonitoires (p. 397), se trouve rapporté à peu près le même fait, qui se
serait passé à Chicago. Mais, là encore, on se garde bien de donner des précisions.
Parbleu !…
─ Mais, me dit quelqu’un qui regarde par-dessus mon épaule, soyez assuré que, si
vous faisiez ces mêmes recherches au sujet des faits que l’on imprime comme se passant de
nos jours, vous trouveriez les mêmes marques d’invention. Or, dans cinquante ans, lorsqu’un
spécialiste de ces questions publiera un nouvel ouvrage de propagande, il recueillera
tranquillement toutes ces légendes, y compris encore celles de lord Dufferin, pour en faire son
volume. Et il le faut bien ! Car autrement, ─ je veux dire si les auteurs de ces ouvrages
contrôlaient eux-mêmes l’authenticité de leurs récits, ─ lesdits ouvrages resteraient tout
justement de simples cahiers de papier blanc(2).
(1)
Le mécanisme de la formation de ces légendes est toujours le même : à la base (et c’est ce qui les rend si
dangereuses), un fait authentique. Ici, le fait authentique est : accident d’ascenseur au Grand-Hôtel.
(
Au cours d’une conférence sur le spiritisme dont j’ai déjà parlé, un des orateurs affirma que Charles Richet
avait eu récemment une matérialisation remarquable : une belle jeune femme lui était apparue, et il avait pu
couper une mèche de ses cheveux, qu’il conserve présentement dans le tiroir de son bureau ! Or, on a lu
ici-même les paroles si prudentes de M. le professeur Richet, et on peut se demander, une fois de plus,
quelle peut être l’origine de ces perpétuelles extravagances.
Il ne faudrait pas croire, d’ailleurs, qu’elles soient l’apanage des spirites : leurs adversaires se livrent eux-mêmes
aux fantaisies.
L’autre jour, au « Faubourg », un des orateurs proclamait avec une foi vraiment émouvante :
─ D’ailleurs, c’est bien simple, et vous n’avez qu’à le dire à vos médiums : il y a toujours, à la Préfecture de
Police, une somme de 250 000 francs pour la personne qui pourra lire une lettre à travers une enveloppe
cachetée.
LES MORTS VIVENT-ILS ? 75
Entendons-nous bien : du fait que j’ai fait parler ici Mme Curie et le professeur Branly
et qu’ils ont été catégoriquement sceptiques au sujet de toutes ces histoires, je n’en conclus
pas qu’eux seuls ont raison. Ce que dit la science n’est pas parole d’évangile ! Mais je
cherche à dégager les données de ce problème de l’authenticité qui, évidemment, domine de
beaucoup celui des explications.
Continuons les exemples.
Si l’on passe aux phénomènes provoqués et si l’on prend les phénomènes de
matérialisation, il est certain que le plus frappant, le toujours cité, est celui de Katie King. Or,
il faut bien le dire, la lecture des récits de William Crookes dans le texte original laisse place à
tous les doutes. Le médium Douglas Home, celui-là même qui avait précédé Miss Florence
Cook dans le laboratoire de Crookes, disait d’elle qu’elle était une « farceuse »(1) : rien dans
Crookes ne prouve le contraire. ─ N’oublions pas non plus que Crookes, s’il est exact qu’il
fut un grand savant, semble avoir, dans cette aventure, assez vite perdu pied au point de vue
de l’observation rigoureuse : il fit du sentiment et de la poésie, devint amoureux de Katie,
entremêla son rapport de vers écrits en l’honneur de la jeune fille :
« … Mais la photographie est aussi impuissante à dépeindre la beauté parfaite du
visage de Katie que les mots le sont eux-mêmes à décrire le charme de ses manières :
comment pourrait-elle reproduire la pureté brillante de son teint ou l’expression sans cesse
changeante de ses traits si mobiles, tantôt voilés de tristesse lorsqu’elle racontait quelque amer
événement de sa vie passée, tantôt souriant avec toute l’innocence d’une jeune fille,
lorsqu’elle avait réuni mes enfants autour d’elle et qu’elle les amusait en leur racontant des
épisodes de ses aventures dans l’Inde ?
On conviendra que voilà, tout de même, de singulières façons, dans un compte rendu
d’expériences de laboratoire !
Je ne peux m’empêcher de faire ici un rapprochement avec les comptes rendus
d’Oliver Lodge. Parlant de Raymond, ce livre déconcertant, je demandais à un grand savant
de France :
─ Oliver Lodge est-il un vrai savant ?
─ Oui, un très grand savant.
─ Alors ?…
─ Alors… et bien, il s’agit de son fils.
Parole profonde ! et que je tiens aussi à mettre en parallèle avec un mot frappant du
professeur Branly. Je disais à celui-ci, au cours d’un entretien :
─ En somme, ayant suivi passionnément les expériences de Charcot…
Le lendemain, je me rendais à la Préfecture de police, où l’aimable secrétaire de M. Leullier me déclara, en riant,
que c’était là une « blague » de la pire espèce.
Précédemment, j’avais entendu dire en public, ─ et j’avais lu dans plusieurs ouvrages, ─ que « l’Institut détient
depuis quarante ans une somme de 50 000 francs pour la personne qui pourra lire une phrase écrite sur un papier
enfermé dans une enveloppe cachetée » (ça ne change pas beaucoup) ! Je me rendis, un beau matin, à l’Institut,
où l’aimable secrétaire de l’Académie des sciences me déclara, en riant, que j’avais été mystifié.
(Et je le regrette vivement d’ailleurs. Et si ces lignes tombaient sous les yeux d’un homme riche qui voulût bien
créer enfin, à l’Académie des sciences, un prix de ce genre, on peut dire que celui-là ferait faire un grand pas à
toutes ces questions !)
(1)
« M. Home… m’a personnellement exprimé son opinion que Mlle Cook avait été une habile farceuse et avait
indignement trompé l’illustre savant. » (CAMILLE FLAMMARION, Les Forces naturelles inconnues, p. 462).
76 Les morts vivent-ils ?
De l’authenticité des phénomènes notés par Crawford, j’ai mes raisons, que je ne peux
malheureusement pas produire encore, de douter sérieusement.
Restent les expériences du docteur Geley. On m’a dit :
─ Mais, enfin, le docteur Geley vous a-t-il fait assister à ces extériorisations
d’ectoplasme ?
Je réponds : Non, et d’ailleurs il ne s’agit pas du tout de savoir si j’ai vu et palpé
l’ectoplasme : mon témoignage ici n’aurait absolument aucune valeur.
─ Alors, disent les sceptiques, ─ et je les comprends parfaitement, ─ pourquoi les
expérimentateurs ne font-ils jamais assister à leurs travaux des professionnels du truquage ?
Nous lisons dans les comptes rendus des séances avec Eusapia Paladino, quelle fut
« contrôlée » par toutes sortes de savants. Contrôlée ? Le moindre prestidigitateur, pris dans
une baraque de foire, roulera comme il voudra, c’est clair, un impressionnant aréopage de
« contrôleurs » composé des plus magnifiques savants de l’univers. Au contraire, un
prestidigitateur ou un illusionniste de profession est à peu près « inroulable » par ses
confrères. Alors, quand il s’agit de « contrôler » des médiums, pourquoi, ─ étant donné que
tous ont été vus fraudant, ─ le premier personnage que l’on invite n’est-il pas un
prestidigitateur ? Des expériences comme celles du docteur Geley, faites par des hommes,
éminents, certes, mais généralement incapables de découvrir les « trucs », ne prouvent rien : il
y faudrait le contrôle de truqueurs professionnels. Si donc Mlle Eva ou M. Kluski refusent
d’opérer devant un illusionniste, ─ Dickson ou autre, ─ c’est que tous les phénomènes sont de
vulgaires tours de passe-passe. »
J’ai soumis ces observations au docteur Geley, lui-même qui m’a répondu :
─ J’admets parfaitement que nos expériences stupéfient ceux qui ne les ont point vues.
Pour moi, qui y suis habitué, la formation de figures par l’ectoplasme n’est pas plus étonnante
que le mécanisme de la digestion. Opérer en public ? c’est impossible, vous le comprenez
(1)
Revue de Paris.
LES MORTS VIVENT-ILS ? 77
bien. D’autre part, il ne faut pas d’hostilité chez les assistants. Que voulez-vous, c’est
regrettable mais c’est ainsi, et nous n’y pouvons rien. Quant à des professionnels de la
prestidigitation, s’ils sont sérieux, nous ne refusons pas de faire nos expériences devant eux :
mais nous manquons de médiums. Nos expériences sont le plus souvent exténuantes pour eux
et, je vous l’ai déjà dit, nous n’avons pas le droit de les répéter dans le seul but de satisfaire
des curiosités. ─ Attendez ; patientez ; nous essayerons de trouver quelque moyen de rendre
ces phénomènes mathématiquement indiscutables. »
Je ne cherche ici à convaincre personne. Le point d’interrogation subsiste donc.
٭
٭ ٭
Si, cependant, puisque les faits semblent se dérober, certains phénomènes, une fois
admis, de confiance, on passe à la question de leur interprétation, on se trouve alors en
présence de deux partis. D’un côté, les spirites en nombre de plus en plus restreint, je crois,
parmi les « savants », mais ayant, par contre, une foule innombrable de disciples ; de l’autre,
les « scientifiques », en nombre de plus en plus grand, parmi les hommes qui étudient, mais
avec moins de disciples, ─ puisque aussi bien ils ne se soucient nullement de disciples.
Il n’est pas question d’aborder ici, je l’ai déjà dit, une discussion de fond.
Seulement, nous avons pu constater que plusieurs des hommes éminents qui ont étudié
de près ces phénomènes n’appartiennent pas ou n’appartiennent plus à la doctrine spirite,
parce que celle-ci n’a jamais apporté aucune preuve.
Combien elle aurait eu cependant l’occasion de le faire, depuis trois ans, avec tous ces
morts de la guerre ! et combien, au contraire, je reçois de lettres qui me disent : « J’ai
interrogé : les morts n’ont pas répondu ! »
On peut lire, dans le numéro de septembre de Psychica (p. III), cette lettre de M. F.
Niard :
Comment se fait-il que tant de morts de la grande guerre restent classés parmi les
disparus, sans que leur mère ou leur épouse éplorées puissent savoir s’ils sont parmi les
morts ou les vivants ? Au milieu du deuil universel, le spiritisme a fait du progrès. Beaucoup
d’âmes angoissées se sont tournées vers lui avec l’espoir de savoir. Elles sont allées chez des
voyantes, chez des médiums, ont assisté à des séances spirites. J’en connais beaucoup et,
dans aucun cas, le sort du disparu n’a été connu. Les consultants, au contraire, ont été
bercés de chimères : le disparu était prisonnier… il allait écrire… puis il allait revenir…
Aujourd’hui les parents savent qu’il faut le compter parmi les morts. Pourquoi l’être évoqué
n’a-t-il pas répondu à l’appel, ou pourquoi, à défaut de lui, son guide, un parent, un ami, n’a-
t-il pas répondu pour lui ?
Je ne sais si les spirites sont très satisfaits de ces plaintes, mais, pour moi, j’avoue que
je trouve tout cela profondément navrant.
Que le spiritisme affirme comme un dogme religieux la survivance de l’âme, c’est
absolument respectable. Mais qu’il prétende faire, et qu’il engage à faire, la démonstration
pratique – « scientifique » ─ de cette vérité, c’est là où beaucoup se refusent à le suivre.
En un mot comme en cent, à cette question : les morts vivent-ils ?… c’est une religion,
qui, comme toutes les autres religions, répond : oui. La science nous dit : nous n’en savons
rien.
٭
٭ ٭
78 Les morts vivent-ils ?
Nous n’en savons rien… C’est le terme exact ; car cette preuve, pour laquelle les
religions restent impuissantes, l’autre thèse, celle de la métapsychique, celle qui expliquerait
tout par les forces psychiques des vivants, ne l’apporte pas davantage.
On serait, certes, tenté tout d’abord de croire qu’elle a vraiment quelques droits à se
montrer, elle du moins, affirmative, car, quand on relit, à la lumière d’expériences comme
celles de Geley, les récits des expériences antérieures, ─ et, particulièrement, toutes celles
d’Eusapia Paladino, ─ on ne peut manquer de s’écrier, tellement tout concorde : Il est évident
que voilà l’explication ! ─ Or, ce serait aller trop vite ; et les auteurs mêmes de ces
expériences n’accepteraient pas qu’il soit dit d’eux qu’ils ont éclairci définitivement le grand
mystère. Ils font remarquer simplement que les méthodes qu’ils emploient donnent une
garantie sérieuse à leurs travaux et à leur commencement de découverte.
Essayons de les croire.
Et attendons.
─ Mais alors – (et cela pourrait être notre dernier mot) – il s’agit, dans leur cas,
d’expériences extrêmement délicates, pour lesquelles les profanes ne sont nullement
qualifiés ?
C’est exact ; et c’est pourquoi nous dirons décidément :
Pratiquement, l’étude des phénomènes ne doit donc pas être une distraction mondaine,
mais une entreprise scientifique. Il est possible que, dans certains salons, il se trouve parfois
un médium capable de faire osciller légèrement une table (sans la toucher, bien entendu) ;
mais tout ce qui s’ensuit est, presque toujours, ou de la fraude (consciente ou non), ou,
exceptionnellement, de la communication de subconscience à subconscience, incapable de
dépasser certaines limites très étroites.
Or, n’importe qui ne peut pas faire de l’observation scientifique ; surtout dans un
domaine où, ─ ainsi que je l’ai rappelé, ─ tout contribue, l’atmosphère ambiante, le mystère,
l’obscurité, les lueurs, les formes rampantes, à détraquer le spectateur qui n’a pas le sang-
froid nécessaire : les exemples, hélas ! ne manquent pas !… Il faut absolument, pour
s’adonner à ces recherches, une préparation, un bagage, une culture : tout homme qui n’a pas
cette culture scientifique devrait donc, ─ me voilà revenu ici à mon point de départ, ─
s’interdire formellement de se lancer dans ce genre de travaux.
Et je crois que ce devrait être, en tout cas, un devoir élémentaire, pour tous ceux qui
l’entourent et qui l’aiment, de l’en empêcher.
FIN
T A B L E
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AVERTISSEMENT
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..................................................................................................................................................... 6
I
Le Problème.............................................................................................................................. 11
II
M. Gabriel Delanne................................................................................................................... 12
III
L’Ectoplasme............................................................................................................................ 17
IV
M. Conan Doyle........................................................................................................................ 26
VI
M. Camille Flammarion............................................................................................................ 30
VII
Un Incident................................................................................................................................ 34
VIII
M. Maurice Maeterlinck........................................................................................................... 44
X
Madame Curie........................................................................................................................... 46
XI
Quelques Lettres....................................................................................................................... 48
LES MORTS VIVENT-ILS ? 81
XII
Le Père Mainage....................................................................................................................... 54
XIII
Autres Lettres............................................................................................................................ 59
XIV
Madame Bisson......................................................................................................................... 64
XV
M. le Professeur Branly............................................................................................................ 66
XVI
Conclusions............................................................................................................................... 71