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Enquête sur un crapaud de lune: Polar rock
Enquête sur un crapaud de lune: Polar rock
Enquête sur un crapaud de lune: Polar rock
Livre électronique356 pages5 heures

Enquête sur un crapaud de lune: Polar rock

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À propos de ce livre électronique

Plongée dans l'univers du rock des seventies.

Décembre 2007, Paris : Jean-Louis Souhanse, ancien musicien d'un groupe de rock " Les crapauds de lune ", soupçonne un médicament fabriqué par Edoxyl Pharma - EP-0699 - d'avoir rendu amnésique son demi-frère, Pierre Poinsignon. Dans une soirée à laquelle participe un ministre actionnaire du laboratoire, il menace de transmettre à la presse un dossier sur le sujet. Poursuivi par les gardes du corps de l'homme politique, il disparaît. Quelques mois plus tard, Tonino Di Nalli, l'ancien batteur du groupe, se retrouve mêlé involontairement aux conséquences de l'amnésie de Pierre Poinsignon et de la disparition du demi-frère de ce dernier. Il va mener l'enquête, aidé par deux personnages aussi inattendus que sympathiques.
Les amateurs de rock se régaleront de cette plongée dans l'univers des seventies où tous les ingrédients d'un excellent polar sont réunis : l'intrigue, la poursuite de la vérité, les dessous peu reluisants des cartes du jeu de l'argent, du pouvoir et de la mort... Pour son premier roman policier à quatre mains le duo Monique Debruxelles / Denis Soubieux s'impose comme une mauvaise habitude qu'on aura plaisir à entretenir...

Suivez les investigations de Tonino Di Nalli, batteur de rock, bien décidé à comprendre la disparition de son ami Pierre et l'amnésie du demi-frère de celui-ci.

EXTRAIT

Il réfléchit à la façon dont il allait s'y prendre. Tout d'abord, il se rendrait au domicile de Pierre, dans l'espoir d'y trouver un indice qui le mettrait sur la voie. Sans les clés de la maison, ce ne serait guère facile d'entrer, mais il devait tout de même essayer. Et, à l'intérieur, il aviserait. Une seule fois dans sa vie, il avait pénétré chez quelqu'un sans permission. Il était encore adolescent. C'était une baraque délabrée, presque à l'abandon, à l'orée d'une forêt. Avec l'aide d'un ami, il n'avait eu aucun mal à défoncer la porte. Ils n'avaient pas de mauvaises intentions, ils voulaient simplement s'amuser et ne pensaient pas commettre un délit. Ils croyaient la maisonnette vide, mais un vieil homme était assis dans un fauteuil, près d'un vieux poêle éteint, une couverture sur les genoux. Les yeux fous de terreur, il les regardait, sans même oser crier. Ils avaient eu encore plus peur que lui et s'étaient enfuis, bafouillant des excuses bien insuffisantes. Tonino s'était senti pendant très longtemps écrasé de remords.

À PROPOS DES AUTEURS

Monique Debruxelles travaille dans le secteur sanitaire et social. Elle est l'auteur de cinq livres, parmi lesquels un roman policier, Enquête sur un crapaud de lune, écrit à quatre mains avec Denis Soubieux.

Né près de Pithiviers, Denis Soubieux habite à Tours. Il a publié des poèmes au siècle dernier en revues et en recueil (Le Silence entre les Dents, CEP Orléans 1981) puis des nouvelles fantastiques, policières ou SF en revues (L'Encrier Renversé, Florilège, nousvelles.com...), journaux (Le Nouveau Ligérien...) ou recueils collectifs (Editions L'Harmattan, Editions Cameras Animales...).
Il est l'auteur, en collaboration avec Monique Debruxelles, d'un polar, Enquête sur un Crapaud de Lune, publié en 2011 aux Editions Ex Aequo (collection Rouge).
LangueFrançais
ÉditeurEx Aequo
Date de sortie7 avr. 2017
ISBN9782359621815
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    Aperçu du livre

    Enquête sur un crapaud de lune - Monique Debruxelles

    cover.jpg

    Table des matières

    OÙ L'ON S'INVITE À UNE SOIRÉE MONDAINE

    OÙ UN CRAPAUD SORT DE SON HIBERNATION ?

    OÙ UN CRAPAUD RENCONTRE LA BELLE AU BOIS DORMANT

    OÙ AZELLA DEVIENT UNE FEMME DE LETTRES

    OÙ L'ON FAIT DES CRÊPES

    OÙ L'ON CROIT QUE ÇA VA BOUGER UN PEU,

    ALORS QUE ÇA S'IMMOBILISE TOUT À FAIT

    OÙ LE DOCTEUR PILET EN DIT PLUS SANS EN SAVOIR BEAUCOUP

    OÙ L'ON VOIT QU'IL NE FAUT PAS CONFONDRE SAXOPHONE ET SEXE APHONE

    OÙ L'ON CROIT QUE ÇA VA SE RÉCHAUFFER,

    ALORS QUE ÇA SE REFROIDIT SÉRIEUSEMENT

    OÙ L'ON CONSTATE QU'UN POULET PEUT S'Y CONNAÎTRE EN CRAPAUDS

    OÙ UN HABITANT DU PERREUX VA MARNER POUR LA DERNIÈRE FOIS

    OÙ L'ON COASSE LA CROÛTE ENSEMBLE

    OÙ UN EX-ROCKER A LE BLUES

    OÙ UN BATTEUR PASSE UNE SOIRÉE À PIANOTER

    OÙ LE PERREUX VAUT BIEN LE PÉROU

    OÙ UN CRAPAUD JETTE UN PAVÉ DANS LA MARE

    OÙ L'ON EST SOUS PRESSION

    OÙ L'ON COMPREND QUE MILA CONNAÎT LA MUSIQUE

    OÙ UN AUTRE CRAPAUD DISPARAÎT DE LA CIRCULATION

    OÙ LA BAVE DU CRAPAUD S'ÉCRASE SUR LE PAVÉ

    OÙ MADELEINE GASPER-LAGRANGE PASSE UN COUP DE FIL

    OÙ  L'ON TOUCHE LE FOND

    ÉPILOGUE

    Monique Debruxelles

    Denis Soubieux

    Enquête sur un crapaud de lune

    Roman policier

    ISBN : 978-2-35962-179-2

    Collection Rouge

    ISSN : 2108-6273

    Dépôt légal juin 2011

    ©couverture Hubely

    ©Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

    Éditions Ex Aequo

    42 rue sainte Marguerite

    51000 Châlons-en-Champagne

    http://www.editions-exaequo.fr

    La rumeur du souvenir emprunte

    au hasard ses voix bègues.

    Hubert Haddad

    Bibliographie des auteurs

    Monique Debruxelles

    Recueil de nouvelles : Délit de vagabondage, paru chez Littéra en 94 ;

    Conte pour enfants : Les pantoufles aux sept songes, chez Littera en 94 ;

    Recueil de nouvelles : La distraction des gares, paru chez Rue des promenades, sous forme numérique en 2010. Paraitra sur papier en octobre 2011.

    Au fil des années sont parus des nouvelles et des poèmes dans des revues littéraires.

    Monique Debruxelles a également collaboré à des livres et des expos d'un photographe.

    Denis Soubieux

    A publié des poèmes au siècle dernier en revues et en recueil (Le Silence entre les Dents, CEP Orléans 1981)

    puis des nouvelles fantastiques, policières ou Science Fiction en revues (L'Encrier Renversé, Florilège, nousvelles.com...), journaux (Le Nouveau Ligérien...) ou recueils collectifs (Editions L'Harmattan, Editions Cameras Animales...).

    Liste des principaux personnages

    Les Crapauds de Lune

    Pierre Poinsignon, chanteur, musicien

    Jean-Louis Souhanse, guitariste, demi-frère de Poinsignon

    Tonino Di Nalli, batteur, percussionniste

    Etienne Lechin, claviers

    Franck Jimenez, bassiste

    L'ex-compagne de Poinsignon

    Azella Alaniepse

    Le commissaire de police

    Marcel Bannier

    Les agents de sécurité

    Georges Culerier

    Frédéric Lavergne

    Le ministre des Affaires étrangères

    Léon Fernandez

    La chargée de com' d'Epsilon Pharma

    Madeleine Gasper-Lagrange

    Chapitre 1

    Où l'on s'invite à une soirée mondaine

    Le jour où les tailleurs décideront de ne plus faire de revers,

    beaucoup de vieux cons perdront leur raison de vivre.

    Frédéric Dard

    Le récit de Georges Culerier, mardi 4 décembre 2007

    À peine perceptible, une musique de fond poisseuse se répandait comme le glaçage d'un gâteau industriel sur les invités de cette soirée morose. J'avais envie de prendre une petite pause. Je cherchai dans ma poche l'interrupteur de mon micro-cravate pour prévenir mes collègues. Et je chantonnais : « Moi, je suis repos-repos, j'en fais toujours un peu trop... », sur l'air de Tango-tango de Guy Marchand, me trémoussant à l'instar du crooner.

    À l'autre bout du salon, j'apercevai, au travers de la masse confuse des convives, mon jeune collègue Pascal Ravenot dans son costume sombre, raide comme un général d'empire, qui peinait à retenir ses bâillements. Je dois dire, pour sa défense, que la réception était d'un ennui mortel. Depuis deux ans qu'avait changé le gouvernement, nous nous retrouvions, à l'occasion, mais assez souvent, au service de Léon Fernandez, le nouveau ministre des Affaires étrangères et on était loin des frasques de son prédécesseur. Du moins en apparence. Pour ses déplacements privés, Fernandez avait prorogé le contrat du ministère auprès de l'agence de protection qui nous employait. Celui-là, nous ne risquions guère de devoir le ramener chez lui ivre mort. En d'autres termes, ça ne bougeait plus des masses et on s'emmerdait ferme. Ne croyez pas que je me plaigne de mon sort. Pour rien au monde je ne reprendrais, contre un pauvre SMIC, mon ancien titre ronflant de chef de la sécurité d'un super-marché. La surveillance d'une personnalité est largement mieux payée, sans compter les grappilles qui arrondissent les fins de mois. Au final, on bouffe et on picole plus ou moins à l'œil, au gré des occasions. Enfin, je veux dire avec ce qu'on rapporte à la maison. Parce que, sur le lieu de travail, c'est devenu de plus en plus difficile.

    Sous Fernandez, j'avais même l'impression de vivre au milieu d'un troupeau d'ascètes. Et pour commencer, personne ne fumait plus dans ces soirées, les invités comme les hôtes. Conséquence des lois anti-tabac ou de la personnalité austère de notre pékin ? Peu importait. Pour l'heure, j'en avais ma claque de cette ambiance et brûlais d'aller m'en griller une. 

    C'était Paul Maurice, l'académicien, qui invitait dans son appartement du quai Malaquais. Tout le monde savait qu'il briguait le grade d'officier de la Légion d'honneur. Il ne s'y prenait pas trop mal, d'ailleurs, pour l'obtenir. Et cela ne scandalisait personne... dans notre microcosme. On n'a rien sans rien, dans ce monde, n'est-ce pas ?

    Ces buffets nous semblaient interminables, à nous, les membres du service de protection rapprochée, habitués à plus d'activité physique. À ce rythme, immobiles des heures à attendre la fin des réceptions, ou assis dans une voiture à conduire Monsieur de-ci de-là, nous finirions par prendre de l'embonpoint, nous ramollir.

    Cependant, en toile de fond de ces soirées, il se passait des tractations. Le plus souvent à notre insu. Nous ne nous fatiguions pas à écouter aux portes. Il nous suffisait de consulter la liste des invités communiquée par le secrétariat du ministère, pour savoir dans quel bois serait taillé l'ordre du jour.

    Il y avait, ce soir-là, une bonne trentaine de convives autour du buffet : quelques écrivains dont j'oubliais toujours les noms, membres de jurys littéraires, quelques sénateurs séniles (hou, le pléonasme !) et surtout la belle Madeleine Gasper-Lagrange, qui perçait l'assemblée de son regard vert,  directrice de com' des laboratoires Edoxyl Pharma, et maîtresse en titre du ministre.

    Il devait être près de 23 heures. Et on était là, à faire le planton depuis au moins quatre heures. La main dans la poche de ma veste, je connectai mon petit micro-cravate :

    — Ravenot !

    Je le vis sursauter à l'autre coin de la pièce. Le bougre, il dormait debout ! Personne d'autre que lui n'avait entendu (on pourra, le jour venu, se reconvertir ventriloques chez Bouglione !) et il tourna son regard de chien battu vers moi.

    — Ravenot, c'est Georges. Je te réveille ?

    Il grommela quelque chose que je ne compris pas vraiment, « Fais pas chier ! » ou autre grossièreté dans le genre. 

    — Ça ne t'embête pas si je descends fumer une clope ? Je ferais bien une petite pause....

    Mon oreillette crachotait un peu. Je me promis de la changer sans trop tarder : dans notre boulot, la moindre erreur peut être lourde de conséquences, l'approximation n'est pas de mise.

    — Pas de problème. Avec l'agitation ambiante, ils pourraient même se garder tous seuls ! Fred est parti pisser. Dès qu'il revient, je te le dis...  Tiens, justement je le vois. Tu peux y aller.

    — OK. Je me débranche. « Moi, je suis repos-repos, j'y serai jusqu'au tombeau ! » À tout' !

    Je contournai le buffet pour gagner l'entrée. En passant je me servis trois ou quatre toasts, saumon, caviar, tapenade. Plus par réflexe que par véritable envie de grignoter. Le vestibule, à lui seul, était plus grand que mon appartement. J'empruntai l'escalier privatif qui donnait sur le porche. À mon approche, la double porte vitrée s'ouvrit et le hall s'éclaira. Un courant d'air frisquet remonta le long des marches. Je pressai le pas pour laisser les battants  se refermer et me dirigeai sur la droite vers le portail. J'utilisai la petite ouverture réservée  aux piétons tout en portant la main à ma poche pour en extraire une cigarette sans sortir le paquet. La rue était glaciale et la nuit frissonnait sous les caresses du vent. J'avais coutume de réchauffer ma carcasse à la braise de mes vieux mégots et ne me connaissais pas frileux. Pourtant, ce soir-là, je ne m'avançai guère sur le trottoir et restai à l'abri, en retrait, sous le porche. Je m'y repris à trois fois, tel un novice, pour allumer ma cigarette, la flamme du briquet soufflée par autant de bourrasques qui contournaient ma main repliée en un médiocre paravent.

    Le quartier était désert. Même au repos, je gardais le réflexe du professionnel : toujours aux aguets. On me paye pour être paranoïaque par procuration. Voici, en quelque sorte, une bonne définition de mon métier.

    En contrebas coulait la Seine blasée. On entendait le ronronnement diffus des voitures, comme étouffé par le brouillard et la somnolence ambiante. Une de nos BMW était garée le long du trottoir, sur une place « handicapé ». Celle du ministre avait été rentrée dans un garage de l'académicien afin de nous épargner une longue et fastidieuse surveillance. Très peu de voitures stationnaient dans la rue, toutes plus somptueuses les unes que les autres et il restait quelques places libres. Les mêmes que lors de notre arrivée. Voici aussi ce qu'on doit observer, enregistrer et qui fait partie de notre job : toute voiture qui se gare devant un immeuble où séjourne le ministre est une bombe potentielle. J'exagère ? Juste un petit peu. Mais c'est dans ce monde en perpétuelle alerte que je vis et c'est ce monde qui me fait vivre.

    Alors que j'allais rentrer, roulant le filtre de ma cigarette entre mes doigts avant de le balancer d'une pichenette dans le caniveau, j'entendis sur ma droite le bruit d'une voiture qui se rapprochait nerveusement. La cadence syncopée de son moteur préjugeait de bougies usées jusqu'au trognon ou d'un filtre à essence encrassé. Diagnostic hâtif avant de plus amples observations. Ce n'était assurément pas une Rolls ni une  Ferrari que je m'attendais à voir apparaître. Et je ne fus pas déçu : une petite Fiat comme on n'en voit plus depuis vingt ans ralentit devant moi en broutant et s'arrêta en biais sur le trottoir, face à l'École des Beaux-Arts, une quinzaine de mètres en aval de l'immeuble de l'académicien. Elle était reconnaissable entre mille : le rouge originel avait viré au gris rose et paraissait encore plus éteint qu'à l'accoutumée sous la lumière famélique des lampadaires. La vitre arrière recouverte d'autocollants écaillés - Médecins du Monde, WWF, Greenpeace, Reporters sans Frontière... - contresignait la caisse à savon : c'était la vieille voiture de Jean-Louis Souhanse refilée, après la dissolution de leur groupe de musique, Les Crapauds de Lune, une bonne vingtaine d'années plus tôt, par son demi-frère Pierre Poinsignon. Jean-Louis était l'aîné. Il avait été le guitariste soliste et l'un des compositeurs du groupe alors que son frère chantait, s'accompagnant de divers instruments. L'un comme l'autre étaient des habitués de ces soirées, des proches de Madeleine Gasper-Lagrange et de Léon Fernandez. On peut presque dire qu'ils faisaient partie du cénacle. Sans doute même avant que Fernandez ne soit ministre. C'était surtout Madeleine Gasper-Lagrange, Mila pour les intimes, MGL pour les autres dont nous faisions partie, qui entretenait des relations avec Pierre Poinsignon. Edoxyl Pharma se targuait d'aider les ONG dans leur travail. Communication, communication.... C'était son boulot. Pierre Poinsignon, qui bourlinguait en tant qu'humanitaire aux quatre coins du monde, s'était désolidarisé de la plupart des ONG en vue. Fâché serait un terme plus juste.  Il fonctionnait en franc-tireur, ne discutant avec personne de ses projets. MGL lui fournissait des médocs, tandis que Fernandez lui facilitait l'obtention de visas litigieux et lui apportait son aide pour ces choses qui relèvent du politique. Cela faisait un certain temps, plusieurs semaines, qu'on n'avait pas vu Pierre Poinsignon. Ni son frère. Ils allaient d'ailleurs rarement l'un sans l'autre.

    À ma connaissance, Jean-Louis Souhanse n'était pas invité ce soir- là.

    — Ravenot ? Fred ? Je suis toujours en bas, j'allais remonter et voilà Souhanse qui se pointe...

    Tout en observant la Fiat 500, j'avais rallumé mon micro. Jean-Louis Souhanse avait bondi de sa caisse et essayait d'en fermer la portière en la claquant. Il s'échina, s'y reprit à trois ou quatre reprises semblant plutôt énervé. Il en vint à bout d'un puissant coup de pied. Cela ne lui ressemblait guère. Il était tout sauf une brute. Sa stature chétive et dégingandée le rapprochait plutôt d'un grand Duduche que d'un boxeur. On ne lui connaissait aucun vice et c'est avec légèreté qu'il portait ses cinquante balais. La seule fois qu'on l'avait vu s'emporter  - l'histoire ayant été largement propagée par la presse people, je ne trahis donc pas un grand secret - ce fut au Printemps de Bourges, après que Christian Presle, le chanteur des Fous de Bassan, eut mis un comprimé d'ectasie dans le demi pression de Pierre, à son insu, pour s'amuser. Il avait fallu séparer Jean-Louis et Presle. Depuis, les deux hommes ne s'étaient plus jamais croisés. Les Crapauds de Lune avaient même fait ajouter dans leur contrat une clause suspensive leur permettant de refuser de jouer dans les mêmes lieux que les Fous de Bassan.

    — Et en plus, il m'a l'air plutôt excité. Demandez à Fernandez si je peux le laisser monter. Il me semble qu'il n'était pas sur la liste. En attendant, je temporise, je vais me rallumer une clope, histoire de donner le change... On a vraiment un métier dangereux pour la santé. Je ne vous dis pas l'état de mes poumons dans dix ans !

    Jean-Louis traversa la rue, se dirigeant vers moi tout en relevant le col de son manteau râpé.

    — Salut, Georges, tu fais le planton dehors, maintenant ? Fait frisquet, ce soir. Ça ne s'arrange pas vos conditions de travail !

    — Non, ça va. J'étais juste descendu m'en fumer une. C'est pas très tempétueux, en ce moment là-haut. Enfin, tu les connais aussi bien que moi. Ce ne sont pas des fêtards. Dans une heure, ils seront tous couchés. Remarque, je ne m'en plains pas. Ça me fait des vacances.

    — Faut que je parle à Mila. C'est urgent !

    — Qui te dit qu'elle est là ?

    — Puisque tu y es, c'est que le ministre est présent. Donc Mila aussi.

    — Comme tu y vas ! Je suis au service de Fernandez, je marche dans son ombre, mais madame Gasper-Lagrange n'est pas obligée d'en faire autant. D'une, c'est une soirée privée et, que je sache, tu n'es pas invité. De deux, tu n'es pas sûr qu'elle soit là.

    — Arrête de me mener en bateau. Faut qu'on discute. Je l'ai eue sur son portable et c'est elle qui m'a proposé de venir. Elle le suit partout, ton ministre, même au plumard. C'est pas un scoop et ça ne date pas d'hier.

    — Partout, partout ! On ne l'a encore jamais vue au  Conseil des ministres !

    — Je pourrais aussi appeler Paul Maurice. Après tout il est chez lui et il invite qui il veut : il me donnera le code de l'immeuble.

    — Ça m'étonnerait qu'il passe outre l'avis de Fernandez : il tient trop à sa rosette pour risquer le moindre incident, se le braquer pour une connerie... Tu vas commencer par te calmer si tu veux que j'appelle là-haut.

    Et je continuai de simuler. Un appel sobre et neutre :

    — Ravenot, Jean-Louis Souhanse est avec moi, en bas. Il vient d'avoir madame Gasper-Lagrange au téléphone qui lui a proposé de passer. Pourrais-tu vérifier s'il peut monter ?

    Sourire diplomatique en direction de Souhanse, accompagné d'un petit signe de tête, signifiant « Tout va bien, il se renseigne », histoire de calmer le gars en attendant. En même temps, j'essayais de baliser le terrain afin de ne pas le laisser, aussi sympathique fût-il, dépasser les bornes. Ce n'était pas parce qu'à l'occasion, nous avions partagé quelques verres qu'il devait oublier de me voir, dans ce contexte, comme un professionnel. Il convenait d'éviter trop de familiarité.

    Dans mon oreillette, j'avais déjà la réponse de Ravenot qui me résumait la situation et la conduite à suivre :

    — MGL confirme. Ils ont effectivement quelque chose sur le feu. Elle est évasive sur le sujet. Ça doit être confidentiel, enfin du genre à pas trop ébruiter. Elle a vu avec Fernandez. Il est OK pour qu'il monte avec toi. Pendant qu'ils discutent, on reste un peu à l'écart, mais pas trop loin. Si ça tourne au vinaigre, on le vire. Mais attention, pas d'initiative : c'est le ministre qui donne le signal.

    Je me tournai vers Souhanse :

    — C'est bon, on monte. Ravenot, tu nous ouvres, je n'ai pas le code !

    À peine entendu le déclic de l'ouverture, Jean-Louis Souhanse, s'interposant vivement entre moi et la porte, s'engouffra dans le hall. En quelques enjambées, il me devançait déjà de six ou sept marches, les gravissant deux par deux de ses guibolles d'échalas. Je m'efforçai de le suivre. Ne pas arriver deux rames en retard. Question de conscience professionnelle, mais surtout de fierté. Fred, impassible devant la porte du vestibule, accueillit Souhanse :

    — Madame Gasper-Lagrange vous attend.

    Et il le conduisit vers MGL qui, arborant son plus large sourire, venait de prendre sur le bar une coupe de champagne pour la tendre à Jean-Louis. Non seulement il ne lui rendit pas son sourire, mais dans un geste brusque et agacé pour refuser la coupe, faillit envoyer le tout, contenu sur la robe et contenant au travers de la salle. Le verre fut rattrapé in extremis par Madeleine Gasper-Lagrange, limitant les dégâts. Les convives, tout à leur conversation et mondanités diverses, ne s'étaient aperçu de rien. En revanche, je vis Fred et Ravenot se tendre, dans un mouvement identique au mien, vers le lieu de l'altercation, prêts à intervenir. Léon Fernandez, un peu en retrait, faisant mine de se servir un toast, nous adressa un petit signe discret, mais clair, afin de stopper notre élan. Jean-Louis était blême et on sentait qu'il n'était pas du tout dans son assiette. Il cherchait ses mots, qui peinaient à sortir :

    — Pierre va très mal. Depuis quelque temps, il n'est pas dans son état normal. Il présente des troubles de la mémoire. Qu'est-ce que tu lui as fait prendre ?

    — Tu devrais savoir que Pierre nous a envoyés balader, qu'on ne l'a pas revu depuis des semaines.  Pourtant, jusqu'ici, il semblait avoir besoin des médicaments d'Edoxyl Pharma. Il venait sans cesse nous en quémander. De toute façon, il est ingérable, ton frangin, il n'a jamais pu travailler bien longtemps avec qui que ce soit.  Et il est parfaitement capable de se démolir tout seul !

    Souhanse eut un mouvement vers Madeleine Gasper-Lagrange, comme pour la frapper. Mais il se réfréna. Sa mâchoire tremblait :

    — Je ne te demande pas de me faire la psychologie de Pierre. Vous avez été bien contents de l'utiliser pour l'image de votre boîte : « Un chanteur qui guérit des enfants grâce à des antibios donnés par Edoxyl Pharma. » Combien ça vous a rapporté, tout ça ? Des articles un peu partout dans la presse, des émissions de télé, davantage de clients. Et tout cela grâce à ton minois séduisant... Oui, tu es photogénique, Mila ! Mais à l'intérieur, c'est moins joli, joli ! Tu l'as aimé, Pierre ? Tu t'en souviens parfois ? Aujourd'hui, il va très mal. Son cerveau est comme une éponge. Par moments, il ne sait même plus qui il est... Alors je te pose une deuxième fois la question : qu'est-ce que vous lui avez fait avaler pour vous débarrasser de lui ?

    — Tu divagues, mon pauvre Jean-Louis ! Dans quel monde vis-tu ? Il est fini, ce temps des festivals de camés où vous évoluiez ! Tu te crois chez les Borgia ? On est dans le monde réel, on a pignon sur rue, comme on dit. Tu t'imagines qu'on va s'amuser à mettre quelque chose dans la soupe de ton frère ? Lui mettre quoi et pour quoi faire ? Lui faire avaler une drogue pour qu'il perde la mémoire ? Pourquoi pas l'assassiner, pendant que tu y es ? Je te rappelle que c'est lui qui nous a lâchés. Ceci dit, et pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté : il ne nous doit rien et nous ne lui devons plus rien. S'il ne veut plus bosser avec nous, ce n'est pas nous qui irons le rechercher. Alors, ciao, Pierre !

    Gasper-Lagrange parlait bas. Délibérément. Son égalité de ton était durcie par un débit rapide. Je n'étais pas très proche, mais grâce à l'expérience acquise par le métier, je détachais chacune de ses paroles de la musique et des conversations ambiantes. Léon Fernandez restait, lui aussi, attentif. Il était évident qu'elle ne souhaitait pas faire profiter les autres convives de cet échange. J'en eus confirmation quand Souhanse reprit, deux tons plus haut, d'une voix posée et ferme :

    — EP-0699, ça te dit quelque chose ?

    Quelques invités proches braquèrent instinctivement leurs regards vers le lieu de l'altercation avant de retourner, indifférents, à leurs propres blablas. Il y eut un moment de flottement, une fraction de seconde durant laquelle je vis MGL perdre pied, se décomposer avant de retrouver son aplomb :

    — Comment veux-tu que je connaisse toutes les molécules sur lesquelles travaille le labo ? Je suis chargée de com, pas chimiste. Il est possible qu'il existe un projet portant ce code : EP, les initiales d'Edoxyl Pharma, suivies de la date de synthèse... Tous les laboratoires « Recherche et Développement » travaillent avec des numéros de ce type... Qu'est-ce que tu veux prouver ? En quoi ça concerne ton frère ?

    Puis, laissant retomber ses épaules et poussant un grand soupir :

    — Bon, tu commences à me fatiguer avec tes histoires. Va, sers-toi une coupe de champagne ou une orangeade. Si tu souhaites rester ici un moment, je veux bien que tu me parles de la santé de Pierre... à condition que tu arrêtes ton délire et que nous puissions discuter normalement, entre personnes sensées.

    — Du délire ? Veux-tu que je te dise ce qu'est EP-0699, que je te le rappelle, que je le raconte à la presse, que je le crie à tout ce beau monde qui bâfre à tes côtés ? Et vos actionnaires, savent-ils ce que cachent  toutes les belles actions humanitaires dont vous vous glorifiez ? Pierre se doutait depuis quelque temps que vous le manipuliez. Il vous en a parlé et c'est après ça qu'il a cessé de vous faire confiance...

    Fernandez s'était rapproché, visiblement préoccupé par la tournure que prenaient les événements. Nous savions qu'il était l'un des principaux actionnaires d'Edoxyl Pharma et comprenions qu'il ne pouvait rester indifférent, par-delà l'altercation centrée sur Mila, aux éclaboussures qu'il risquait d'essuyer si les choses venaient à mal tourner. D'autant que quelques invités commençaient à s'intéresser à la prise de bec, à tendre l'oreille. Paul Maurice, ça pouvait aller, rien ne lui paraissait jamais trop scandaleux, il s'écraserait, mais les autres, les quelques scribouillards aux dents longues, il pourrait leur prendre une envie de mordre : pas encore assez mouillés pour avoir le sens de la discrétion.

    — Calmons-nous ! Notre ami a un peu trop bu et nous allons le raccompagner, affirma Fernandez en  passant le bras autour de l'épaule du fauteur de trouble pour le pousser vers la sortie.

    Jean-Louis se dégagea vivement de la contrainte et s'éloigna :

    — Bourré, mon cul ! Pierre a constitué un dossier sur Edoxyl Pharma. Au cas où il lui arriverait quelque chose. Comme vous n'avez pas l'air de vouloir en causer, avant demain je l'aurai refilé à la presse et vous serez bien obligés de rendre des comptes.

    Mon oreillette se remit à bourdonner. C'était Fernandez :

    — Lavergne et Culerier, vous le raccompagnez à sa voiture. Vous le suivez, pour voir si ce dossier existe vraiment ou si c'est du bluff. S'il va voir des journalistes, vous l'interceptez, vous récupérez le dossier, vous lui foutez, au besoin, une bonne trouille. Enfin, c'est votre boulot, vous savez faire. Efficaces, discrets. Pas d'embrouilles, pas de complications. Et tenez-moi régulièrement au courant, même tard dans la nuit. Ravenot me reconduira chez moi. Vous n'avez pas besoin de rester ici à trois. Vous serez plus utiles à filer Souhanse. Et peut-être pas trop de deux.

    Jean-Louis s'était déjà, sans notre intervention, dirigé vers la sortie avec un air décidé et furibard. Il fallait faire fissa si on ne voulait pas le perdre dès le départ. Et voilà que Fred ne trouvait rien de plus urgent que d'aller récupérer au bar sa petite gratte du soir : il s'était fait mettre de côté une caisse de champagne. Et pas question de la laisser là.

    — T'inquiète, j'arrive ! Démarre la bagnole en attendant et regarde dans quelle direction il part, me dit-il avec son culot habituel. Et déverrouille le coffre que je puisse y mettre la bibine !

    Je prenais beaucoup de plaisir à bosser avec Fred, mais dans des moments pareils il m'exaspérait. Je tentais de m'accrocher aux pas de Souhanse qui avait déjà atteint le hall de l'immeuble et passait la porte vitrée sans se retourner. Le temps d'arriver, j'entendis celle du porche qui se refermait. Sa Fiat étant garée un peu plus loin, nous atteignîmes chacun notre voiture en même temps. Avantage des nouvelles technologies, les portières de la BM étaient ouvertes avant qu'il n'ait introduit sa clé dans la serrure.

    — Merde, Fred, magne-toi, il démarre !

    Chapitre 2

    Où un Crapaud sort de son hibernation

    L'homme est capable de faire ce qu'il est incapable d'imaginer.

    René Char

    Le regard de Tonino, mardi 15 avril 2008

    Il enfila son vieux veston en haussant mentalement les épaules. Le vêtement était avachi, terne et élimé aux poignets, mais Tonino n'en possédait pas de plus neuf et, pour ce qu'il avait à faire, celui-ci conviendrait. Au moins s'y sentait-il à l'aise. Saisi d'un accès

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