SdT53 - Sœur Lucie

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Sœur Lucie de Fatima,

messagère du Cœur Immaculé de Marie


(1907-2005)

par l’abbé Fabrice Delestre

On se demande parfois comment sœur Lucie, qui a vu la


sainte Vierge à plusieurs reprises, a pu accepter sans réagir (au
moins publiquement) la nouvelle messe et les réformes
conciliaires. Cela n’est-il pas un obstacle à une canonisation
future ?
Ce sera à l’Église de juger. Le temps permettra peut-être aussi
de mieux apprécier les choses ; actuellement, les documents
pouvant éclairer l’attitude de sœur Lucie manquent
cruellement.
On peut cependant remarquer que son dernier livre, Les
Appels, est une réfutation de beaucoup d’erreurs qui ont envahi
l’Église depuis le Concile.
L’objet du présent article est seulement de montrer sœur
Lucie dans son rôle de transmission du message révélé en 1917
à Fatima et complété à Tuy et Pontevedra.
Le Sel de la terre.

« Je ne suis que le pauvre et misérable instrument dont il veut se


servir, et, d’ici peu, comme le peintre jette au feu le pinceau devenu
inutile pour qu’il soit réduit en cendres, ainsi le Peintre divin réduira en
cendres dans le tombeau son instrument inutile, jusqu’au jour des joies
éternelles. »
[Sœur Lucie, introduction au quatrième Mémoire, 1941.]

C’ EST LE DIMANCHE 13 février 2005 que le bon Dieu a rappelé à lui


sa fidèle servante, sœur Marie Lucie de Jésus et du Cœur
Immaculé, la dernière voyante encore vivante du groupe des
trois pastoureaux de Fatima, ses deux cousins étant morts très jeunes :
— François Marto le 4 avril 1919, à l’âge de 10 ans et 10 mois, dans la maison
familiale d’Aljustrel ;
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— Jacinthe Marto, sa sœur, le 20 février 1920, à l’hôpital Dona Estefania de


Lisbonne, à l’âge de 9 ans et 11 mois.
A propos de sœur Lucie, son médecin personnel, madame Branca Paul, qui la
suivait depuis quatorze ans, a déclaré : « Elle est morte sereinement, sans
souffrances, comme un cierge qui s’éteint. » Elle précisa que « la mort avait été
causée par la vieillesse et l’usure progressive des organes et des cellules 1. » Née
le 28 mars 1907, sœur Lucie avait presque atteint les 98 ans. Elle est morte au
carmel de Coïmbra (ville située dans le centre du Portugal, à 80 km environ au
nord de Fatima), où elle était entrée en 1948. Elle y aura donc passé plus de 56
ans, soit plus de la moitié de sa vie. C’est sans doute cette raison, et aussi sa
grande charité envers ses sœurs carmélites, qui expliquent qu’elle ait voulu être
enterrée dans la clôture de son carmel pour au moins un an, désir exprimé dans
une lettre remise personnellement à l’évêque de Coïmbra :
Sans contredire ce que j’ai déjà écrit, pour faire plaisir aux sœurs, puisqu’elles
ont manifesté ce désir, j’aimerais qu’après ma mort, mon corps soit enterré dans
le cloître de ce monastère pour au moins un an, avant d’être transféré dans la
basilique de Fatima.
Ce désir a été respecté par les autorités ecclésiastiques, et le transfert du corps
de sœur Lucie à Fatima sera effectué à une date qui sera fixée dans un an 2.
Sœur Lucie désirait mourir soit le 13 d’un mois (date de toutes les apparitions
de Notre-Dame à la Cova da Iria), soit un premier samedi du mois. Elle était
d’ailleurs convaincue qu’il en serait ainsi et l’a toujours affirmé aux carmélites
de sa communauté 3. Savait-elle le jour et l’heure de sa mort, comme sa cousine
et compagne, la petite pastourelle Jacinthe Marto, à laquelle la très sainte Vierge
était venue révéler le jour et l’heure de sa mort 4 ? Une précision de son médecin
personnel peut le laisser supposer. Madame Paul a en effet déclaré que sœur
Lucie resta en relative bonne santé jusqu’en décembre dernier. A partir de là,
« elle cessa de vouloir s’alimenter et commença à s’affaiblir, ce qui la conduisit à
un état de faiblesse générale », avec un épisode final d’insuffisance cardio-
circulatoire qui l’obligea à rester alitée durant les dernières semaines de sa vie.

1 — Toutes ces déclarations de madame Branca Paul ont été publiées par le quotidien
portugais Correio da Manha du mardi 15 février 2005, p. 6. Elle ajoute : « Sœur Lucie
envisagea toujours la mort d’une façon sereine et plaisantait sur certains aspects, montrant la
bonne humeur qu’elle eut toujours ». Ces déclarations du médecin personnel de sœur Lucie
réduisent à néant les allégations de plusieurs revues et journaux français (Le Monde, Monde et
Vie, entre autres) qui affirmaient que « sœur Lucie était sourde et aveugle depuis des
années ».
2 — Informations parues dans le numéro 990, du 13 mars 2005, du mensuel du
sanctuaire de Fatima : Voz da Fatima, p. 1.
3 — Correio da Manha du lundi 14 février, p. 4, et du mardi 15 février, p. 6.
4 — Voici ce que sœur Lucie écrit, à la fin de son premier Mémoire, à propos de la mort
de Jacinthe : « De Lisbonne, Jacinthe me fit dire que Notre-Dame était déjà venue la voir et
qu’elle lui avait dit l’heure et le jour de sa mort, et elle me recommanda d’être très bonne. »
(Mémoires de sœur Lucie, Fatima, Vice Postulação dos videntes, 2e édition française de mai
1991, réimprimée en août 1997, 1er Mémoire p. 48)
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Pourquoi donc sœur Lucie cessa-t-elle de vouloir s’alimenter ? On peut très bien
supposer que c’est parce qu’elle savait qu’elle quitterait cette terre le 13 février !
Quoi qu’il en soit, nous voyons que le bon Dieu a exaucé cet ultime désir de sa
servante, en la rappelant à lui un 13 février, qui était cette année le premier
dimanche de Carême :
— Un dimanche, jour consacré au Seigneur, comme pour souligner la parfaite
fidélité de sœur Lucie aux trois vœux de religion (obéissance, chasteté et
pauvreté) par lesquels elle s’était totalement consacrée au service de Dieu, sous
la protection toute spéciale du Cœur Immaculé de Marie ;
— Un premier dimanche de Carême, temps liturgique dédié tout entier à la
prière et à la pénitence, pour nous rappeler l’un des aspects essentiels de la
mission de sœur Lucie sur cette terre, mission qu’elle-même avait exprimé
ainsi :
Je crois [...] que Dieu a voulu seulement se servir de moi pour rappeler au
monde la nécessité qu’il y a d’éviter le péché, de réparer les offenses envers Dieu
par la prière et par la pénitence 1.
C’est là tout un programme de vie chrétienne, à mettre particulièrement en
pratique durant le temps de Carême, chaque année !

Les deux grandes missions de sœur Lucie


La vie tout entière de sœur Lucie a été marquée par les apparitions de l’ange
gardien du Portugal en 1916, suivies de celles de Notre-Dame du 13 mai au 13
octobre 1917. C’est principalement au cours de la deuxième apparition de l’ange
(été 1916) et de la deuxième apparition de Notre-Dame (le 13 juin 1917) que
Lucie a reçu ses deux hautes et surnaturelles missions.
A l’été 1916, l’ange a donné une mission générale et commune aux trois
pastoureaux, en les appelant à une vie de fervente et persévérante prière et de
généreux sacrifice :
— Que faites-vous ? Priez ! Priez beaucoup ! Les cœurs de Jésus et de Marie
ont sur vous des desseins de miséricorde. Offrez constamment au Très-Haut des
prières et des sacrifices.
— Comment devons-nous nous sacrifier ? demandai-je.
— De tout ce que vous pourrez, offrez un sacrifice en acte de réparation pour
les péchés dont il est offensé, et de supplication pour la conversion des pécheurs.
De cette manière, vous attirerez la paix sur votre patrie. Je suis son ange gardien,

1 — Mémoires de sœur Lucie, Fatima, Vice-postulação dos videntes, 1997, 3e Mémoire,


p. 116.

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l’Ange du Portugal. Surtout, acceptez et supportez avec soumission les


souffrances que le Seigneur vous enverra 1.
Le 13 juin 1917, c’est Notre-Dame elle-même qui donna à Lucie sa mission
plus spécifique, par ces paroles marquantes :
Jacinthe et François, je les emmènerai bientôt [au Ciel], mais toi, tu resteras ici
pendant un certain temps. Jésus veut se servir de toi afin de me faire connaître et
de me faire aimer. Il veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur
Immaculé.
Et pour permettre à Lucie de mener à bien cette haute mission, Notre-Dame
lui promettait une assistance particulière durant tout le cours de sa vie :
Tu souffres beaucoup ? Ne te décourage pas ! Je ne t’abandonnerai jamais !
Mon Cœur Immaculé sera ton refuge et le chemin qui te conduira jusqu’à Dieu 2.
Ainsi, nous pouvons distinguer deux importantes missions confiées par le
Ciel à Lucie, et que cette dernière s’efforcera de mener à bien durant tout le
cours de sa longue vie :
1) Une mission générale, commune aux trois voyants : donner le bon exemple
de la prière et de la pénitence, et rappeler à toutes les âmes que ce sont les deux
grands moyens de salut.
2) Une mission spécifique et personnelle : être l’instrument efficace de Notre-
Seigneur pour faire connaître et aimer Notre-Dame, en étant la fidèle messagère
de ses paroles et de ses demandes auprès de toutes les âmes, mais
particulièrement auprès de ses confesseurs, de ses supérieurs, et auprès de la
hiérarchie de l’Église jusqu’à son plus haut sommet : le pape.

Sœur Lucie, âme de prière et de pénitence


Sœur Lucie est restée fidèle toute sa vie à la mission que lui avait confiée
l’ange lors de l’apparition de l’été 1916. Elle a d’ailleurs concrétisé cette mission
en embrassant la vie religieuse, d’abord dans la congrégation des sœurs
Dorothées, puis, à partir de 1948, comme carmélite, par souci de se donner à
Dieu plus entièrement, plus radicalement encore.
Prière

Dans les principaux écrits de sœur Lucie, nous trouvons de nombreuses


exhortations à la prière : prière fervente, prière confiante, prière persévérante.
Dans son dernier livre, Appels du Message de Fatima, paru en portugais en l’an

1 — Mémoires de sœur Lucie, ibid., 4e Mémoire, p. 158.


2 — Mémoires de sœur Lucie, ibid., 4 e Mémoire, p. 168.
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2000, en français en 2003, plusieurs passages traitent de l’importance et de la


nécessité de la prière. Les chapitres huit et douze de ce livre sont d’ailleurs
consacrés exclusivement à la prière. Et sœur Lucie nous avertit qu’« il n’y a
aucun doute que c’est difficilement qu’une personne se sauvera si elle ne prie
pas 1 . » Elle donne à un autre endroit de son livre l’explication de cette
affirmation si vraie :
C’est par la prière qu’on obtient le pardon de ses péchés, la force et la grâce
pour résister aux tentations du monde, du démon et de la chair. Nous sommes
très faibles ; sans cette force-là, nous n’arriverons pas à vaincre. C’est pourquoi
Jésus a recommandé à ses apôtres : « Veillez et priez pour ne pas entrer en
tentation : l’esprit est ardent, mais la chair est faible » (Mt 26, 41). Pour la même
raison, le message renouvelle cette recommandation du Seigneur : « Priez, priez
beaucoup ! » Cet appel est une reprise de l’appel à la prière qui, tant de fois, nous
a été adressé par Dieu et que Jésus-Christ a laissé à ses Apôtres, et à nous aussi, à
la fin de sa vie terrestre : « Veillez et priez » 2.
Dans la décennie 1970, sœur Lucie a encouragé d’autant plus vivement à une
vie de prière régulière et fervente que la chrétienté était entrée dans un temps
de décadence du fait d’une « désorientation diabolique », selon son expression
si énergique 3. Plusieurs lettres de la voyante sont très claires à ce sujet. Ainsi, le
26 novembre 1970, sœur Lucie écrit-elle ces lignes à l’un de ses amis prêtres,
don Umberto Pasquale, salésien italien :
La décadence qui existe dans le monde est sans nul doute la conséquence du
manque d’esprit de prière. Ce fut en prévision de cette désorientation que la
Vierge a recommandé avec tant d’insistance la récitation du chapelet. Et comme
le chapelet est, après la sainte liturgie eucharistique, la prière la plus propre à
conserver la foi dans les âmes, le démon a déchaîné sa lutte contre lui.
Malheureusement, nous voyons les désastres qu’il a causés. [...] Nous devons
défendre les âmes contre les erreurs qui peuvent les faire dévier du bon chemin.
Je ne puis les aider autrement que par mes pauvres et humbles prières et
sacrifices ; mais pour vous, père Umberto, vous avez un champ d’action
beaucoup plus étendu pour développer votre apostolat. Nous ne pouvons et
nous ne devons pas nous arrêter, ni laisser, comme dit Notre-Seigneur, les fils
des ténèbres être plus avisés que les fils de lumière. [...] Le rosaire est l’arme la
plus efficace pour nous défendre sur le champ de bataille 4.

1 — Sœur LUCIE, Appels du Message de Fatima, 1 ère édition française, Fatima, Éd.
Secrétariat des Pastoureaux, juillet 2003, ch. 12, p. 132. Je me dois de signaler que la
traduction française de ce livre est parfois malhabile, sans être intentionnellement erronée.
C’est pourquoi j’ai systématiquement vérifié le texte portugais pour donner les traductions
les plus exactes possibles, dans les passages de ce livre qui sont cités dans le cadre de cet
article.
2 — Sœur L UCIE, Appels du Message de Fatima, ibid., ch. 8, p. 96.
3 — Voir l’entretien de sœur Lucie avec le père Fuentès (en 1957), publié dans le
présent numéro du Sel de la terre. (NDLR.)
4 — Frère F RANÇOIS DE MARIE-DES-ANGES, Fatima, joie intime, événement mondial, Saint-
Parres-lès-Vaudes, CRC, 2 e édition, revue et corrigée, décembre 1993, p. 411.

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Sœur Lucie insiste en effet tout particulièrement sur l’importance capitale de


la récitation quotidienne du chapelet, en fidèle messagère de Notre-Dame du
Rosaire de Fatima qui, à chacune de ses six apparitions de 1917, avait formulé
cette demande, la seule qu’elle ait faite avec tant d’insistance. Dans une lettre du
12 avril 1970 à l’une de ses amies, Maria Teresa da Cunha, elle écrit par
exemple :
Que l’on récite le chapelet tous les jours ! Notre-Dame a répété cela dans
toutes ses apparitions, comme pour nous prémunir contre ces temps de
désorientation diabolique, pour que nous ne nous laissions pas tromper par de
fausses doctrines et que, par le moyen de la prière, l’élévation de notre âme vers
Dieu ne s’amoindrisse pas 1.
Au sujet de la raison de la demande si instante du chapelet quotidien par
Notre-Dame à Fatima, sœur Lucie, dans son dernier livre, donne une réponse
pertinente à une question qui lui a été souvent posée :
Pourquoi Notre-Dame nous a-t-elle demandé de réciter le chapelet tous les
jours et ne nous a-t-elle pas demandé de participer chaque jour à la sainte
messe ? […] Au sujet de cette question, je crois que Dieu est Père ; et, en tant que
Père, il s’adapte aux nécessités et aux possibilités de ses enfants. Or, si Dieu, par
l’intermédiaire de Notre-Dame, nous avait demandé de participer chaque jour à
la sainte messe et d’y communier, il est certain que beaucoup auraient dit, avec
raison, que cela ne leur est pas possible : les uns, à cause de la distance à
parcourir pour aller à l’église la plus proche où l’on célèbre l’eucharistie ; les
autres, parce que leurs occupations, leur devoir d’état, leur emploi, leur état de
santé, etc., ne le leur permettent pas. Au contraire, la prière du chapelet est
accessible à tous, pauvres et riches, savants et ignorants, grands et petits.
Toutes les personnes de bonne volonté peuvent et doivent, chaque jour, réciter
le chapelet. Et pourquoi ? Pour nous mettre en contact avec Dieu, le remercier de
tous ses bienfaits, et lui demander les grâces dont nous avons besoin. C’est cette
prière du chapelet qui nous mène à la rencontre familière avec Dieu, comme le
fils va trouver son père pour le remercier de tous les bienfaits reçus, pour traiter
avec lui de ses affaires particulières, pour recevoir ses conseils, son aide, son
appui et sa bénédiction.
Puisque nous sommes tous dans la nécessité de prier, Dieu nous demande
comme mesure quotidienne, pourrions-nous dire, une prière qui soit à notre
portée : la prière du chapelet, que l’on peut faire aussi bien en commun qu’en
particulier, aussi bien à l’église devant le Saint-Sacrement qu’à la maison, en
famille ou seul, aussi bien en voyageant qu’en nous promenant tranquillement à
travers champs. […] La journée a vingt-quatre heures. Il n’est pas exagéré de
réserver un quart d’heure à la vie spirituelle, pour nous entretenir intimement et
familièrement avec Dieu 2 !

1 — Frère MICHEL DE LA SAINTE TRINITÉ, Toute la vérité sur Fatima, t. 3, Saint-Parres-lès-


Vaudes, CRC, 3e édition revue en 1986, p. 507.
2 — Sœur L UCIE, Appels du Message de Fatima, ibid., ch. 12, p. 138-139.
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Pénitence
Quant à la pénitence, sœur Lucie montre bien, dans ses Mémoires, que ce
sont les apparitions de l’ange et de Notre-Dame qui ont appris aux enfants ce
qu’était le sacrifice, et combien celui-ci était agréable à Dieu. Dans son
quatrième Mémoire, elle commente ainsi les paroles, citées plus haut, de la
deuxième apparition de l’ange :
Ces paroles de l’ange se gravèrent dans notre esprit comme une lumière qui
nous faisait comprendre qui est Dieu, combien il nous aime et veut être aimé de
nous, la valeur du sacrifice et combien celui-ci lui est agréable, comment, par
égard pour lui, Dieu convertit les pécheurs. C’est pourquoi, à partir de ce
moment, nous avons commencé à offrir au Seigneur tout ce qui nous mortifiait,
mais sans chercher à nous imposer d’autres mortifications ou pénitences, à
l’exception des heures que nous passions prosternés sur le sol, à répéter la
[première] prière que l’ange nous avait apprise 1.
Ce n’est qu’après les troisième et quatrième apparitions de Notre-Dame (13
juillet et 19 août 1917) que les trois pastoureaux commencèrent à s’imposer des
sacrifices volontaires, c’est-à-dire après la terrible vision de l’enfer, qui les
impressionna tous trois très fortement, et après le nouvel appel au sacrifice,
formulé par Notre-Dame en août, qui rappelait aux enfants l’effroyable vision
du mois précédent :
Priez, priez beaucoup et faites des sacrifices pour les pécheurs ! Beaucoup
d’âmes vont en enfer parce qu’il n’y a personne qui se sacrifie et prie pour elles.
Les trois enfants donnèrent alors toute la mesure de leur héroïque générosité,
comme le raconte sœur Lucie 2.
Sœur Lucie a gardé toute sa vie cet esprit de sacrifice si profond et si
généreux, qui lui faisait désirer le martyre :
Comme je me sentirais heureuse si Dieu m’accordait la grâce de donner ma
vie pour défendre sa loi et si, en la donnant, les hommes, à l’imitation de David,
venaient à reconnaître leurs péchés, à demander pardon à Dieu, à corriger leur
vie et à faire pénitence pour pouvoir être sauvés et avoir la vie éternelle ! 3.
Elle semble d’ailleurs avoir reçu une grâce spéciale de force le 13 octobre 1917
pour exhorter les âmes à la pénitence et à la conversion, en faisant connaître les
paroles les plus importantes du message de Notre-Dame ce jour-là : « Que l’on
n’offense pas davantage Dieu, Notre-Seigneur, car il est déjà trop offensé ! »

1 — Mémoires de sœur Lucie, ibid., 4 e Mémoire, p. 158 et 160.


2 — Sur les pénitences des enfants, voir l’article de M. l’abbé LABOUCHE dans le présent
numéro du Sel de la terre. (NDLR.)
3 — Sœur L UCIE, Appels du Message de Fatima, ibid., ch. 32, p 264.

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Voici le témoignage du docteur Carlos Mendès, présent à la Cova da Iria ce 13


octobre 1917 :
Lorsque le soleil se retrouva normal, je pris Lucie dans mes bras pour la porter
jusqu’à la route. Ainsi mon épaule fut la première tribune d’où elle a prêché le
message que venait de lui confier Notre-Dame du Rosaire. Avec un grand
enthousiasme et une grande foi, elle criait : « Faites pénitence ! Faites pénitence !
Notre-Dame veut que vous fassiez pénitence. Si vous faites pénitence, la guerre
finira. » Elle paraissait inspirée. C’était vraiment impressionnant de l’entendre.
Sa voix avait des intonations comme la voix d’un grand prophète 1.
Sœur Lucie gardera d’ailleurs toujours la préoccupation de faire connaître
cette parole de Notre-Dame, et d’exhorter ses lecteurs à la pénitence ; elle écrira
ainsi dans son deuxième Mémoire, en novembre 1937, vingt ans après la
dernière apparition de Notre-Dame :
Les paroles de l’apparition [du 13 octobre] qui se gravèrent le plus dans mon
cœur furent la demande de notre très sainte Mère du Ciel : « N’offensez pas
davantage Dieu, Notre-Seigneur, qui est déjà trop offensé ». Quelle plainte pleine
d’amour et quelle tendre supplication ! Qui me donnera de la faire résonner dans
le monde entier et que tous les enfants de la Mère du Ciel entendent le son de
cette voix 2 !
Cette mission de prière et de pénitence, reçue du Ciel à dix ans, sœur Lucie y
fut fidèle durant toute sa vie, et sa vie dans l’état religieux l’aida puissamment à
la perfectionner, dans le silence et le recueillement du cloître. La voyante l’a
d’ailleurs admirablement résumée dans un passage de sa lettre, déjà citée plus
haut, du 12 avril 1970 à son amie, Maria Teresa da Cunha, qui aurait voulu une
approbation officielle de Lucie pour l’aider dans son combat zélé de défense de
la dévotion mariale :
Notre Mère 3 ne peut pas donner la permission que vous désirez. Mais aussi
n’est-elle pas nécessaire. Je ne dois ni ne peux me mettre en évidence. Je dois
demeurer dans le silence, dans la prière et dans la pénitence. C’est de cette
manière que je peux le plus et que je dois vous aider. Il est nécessaire que tout
apostolat ait ce fondement comme base ; et telle est la part que le Seigneur a
choisie pour moi : prier et me sacrifier pour ceux qui luttent et travaillent dans la
vigne du Seigneur et pour l’extension de son Royaume 4 .

1 — Témoignage cité par le chanoine BARTHAS dans Fatima, merveille du XXe siècle,
Fatima-Éditions, 1952, p. 324.
2 — Mémoires de sœur Lucie, ibid., 2 e Mémoire, p. 83.
3 — Il s’agit ici de la mère prieure du carmel.
4 — Cité par le frère MICHEL DE LA SAINTE-T RINITÉ, Toute la vérité sur Fatima, ibid., t. 3,
p. 507.
S Œ U R L U C I E D E F A T I M A 277

Sœur Lucie, instrument choisi par Dieu pour


établir la dévotion au Cœur Immaculé
Le 13 juin 1917, Notre-Dame donna à Lucie, de la part de son Fils unique,
Notre-Seigneur Jésus-Christ, la mission de la faire connaître et aimer : c’est en
étant fidèle à cette mission qu’elle serait l’instrument efficace permettant au Ciel
d’établir dans le monde la dévotion au Cœur Immaculé de Marie.
Un mois plus tard, la sainte Vierge donnait, par les paroles de la deuxième
partie du secret de Fatima, prononcées juste après l’effroyable vision de l’enfer,
les deux grands moyens qu’il faudrait utiliser pour établir cette dévotion dans
le monde entier, en précisant qu’elle viendrait les expliciter dans des
apparitions futures : la dévotion réparatrice des premiers samedis du mois, et la
consécration de la Russie à son Cœur Immaculé 1.

Sœur Lucie et la dévotion réparatrice


Aussitôt les apparitions de Pontevedra, nous voyons sœur Lucie toute
occupée à faire connaître et à répandre la dévotion réparatrice autour d’elle, en
utilisant les moyens à sa disposition. C’est ainsi qu’elle cherche à faire pratiquer
cette dévotion dans sa famille, comme en témoignent plusieurs lettres : lettre du
24 juillet 1927 à sa mère Maria Rosa ; lettre du 1er novembre 1927 à sa marraine
de confirmation 2. Elle entreprend aussi des démarches auprès de l’évêque de
Leiria, Mgr da Silva, pour obtenir une approbation officielle de cette dévotion.
Malheureusement, malgré de bonnes paroles, celui-ci ne l’a jamais donnée, et
jusqu’à ce jour aucun de ses successeurs ne l’a accordée 3.

Sœur Lucie et la consécration de la Russie

Ce fut sans doute une épreuve très crucifiante pour sœur Lucie que de voir
tant de papes se succéder sans qu’aucun ne daigne accomplir les demandes de
Notre-Dame qu’elle était chargée de leur transmettre. Dans son dernier livre,
paru en 2000, sœur Lucie ne parle absolument pas de la question de la
consécration de la Russie : silence éloquent et révélateur, qui montre son
désaccord avec la position du Vatican. En revanche, nous pouvons deviner, de

1 — La dévotion réparatrice sera demandée à Pontevedra en 1925 et 1926, avec de


nouvelles précisions en 1930 (Tuy) ; la consécration de la Russie sera demandée à Tuy le 13
juin 1929. (NDLR.)
2 — Voir le frère FRANÇOIS DE MARIE-DES-A NGES, Fatima, joie intime événement mondial,
ibid., p. 162.
3 — Voir l’article : « Comment Fatima s’est imposé à l’Église ? » dans le présent numéro
du Sel de la terre.

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manière indirecte, sa véritable pensée sur cette question dans la mesure où sa


description des malheurs actuels du monde montre très clairement l’absence
des trois grâces que la Vierge Marie a attachées à cette consécration :
— la conversion de la Russie à la foi catholique ;
— un certain temps de paix dans le monde ;
— le salut éternel de beaucoup d’âmes.
Sœur Lucie n’aura donc pas vu de son vivant le triomphe du Cœur Immaculé
de Marie dont elle ne doutait absolument pas 1 et pour lequel elle a œuvré toute
sa vie, fidèle à la mission personnelle qu’elle avait reçue du Ciel le 13 juin 1917.
Il n’y a pas là de quoi s’étonner. Aucune parole du message de Fatima
n’assurait que Lucie verrait ce triomphe. Le Ciel lui avait seulement demandé
d’y travailler. Dieu agit ordinairement ainsi : il demande à ses ouvriers de
travailler à sa vigne, mais sans leur permettre de voir les bons et fructueux
résultats de leurs labeurs. Saint Paul le souligne en écrivant aux Corinthiens :
« Moi, j’ai planté, Apollos a arrosé ; mais Dieu a fait croître. Ainsi, celui qui
plante n’est rien, ni celui qui arrose. Dieu, qui fait croître, est tout » (1 Co, 3, 6-
7). Et Dieu agit ainsi pour maintenir ses serviteurs dans une grande et
authentique humilité : « Vous, quand vous aurez fait ce qui vous était
commandé, dites : nous sommes des serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que
nous devions faire » (Lc 17, 10).
Le bon Dieu aura juste permis à sœur Lucie de constater, de son vivant, une
certaine progression dans le monde, surtout à partir de 1940, et jusqu’en 1960,
de la dévotion au Cœur Immaculé de Marie, prélude sans doute à son
établissement ferme et définitif. Elle écrivait ainsi en 1945 :
Je me réjouis des progrès que la dévotion au Cœur Immaculé de Marie est en
train de faire de toutes parts. Dans les temps actuels, c’est cette dévotion qui
nous sauvera 2.

1 — Sœur Lucie a ainsi déclaré au Père Alonso, qui la questionnait sur la phrase de
Notre-Seigneur : « le pape consacrera la Russie, mais ce sera tard », que « la consécration de
la Russie et aussi le triomphe final du Cœur Immaculé de Marie qui lui fera suite sont
absolument certains et se réaliseront en dépit de tous les obstacles ». Voir le frère FRANÇOIS
DE M ARIE-DES-ANGES, Fatima, joie intime, ibid., p. 435.
2 — Lettre de sœur Lucie du 2 mars 1945 au père Aparicio, publiée dans le livre du père
Antonio Maria MARTINS S.J., Novos Documentos de Fatima, Porto, Librairie de l’Apostolat de
la presse, 1984, Document n° 70, p. 338. — La progression de cette dévotion se produisit
sous le pontificat de Pie XII, et grâce à ce pape qui, le 4 mai 1944, instaura la fête du Cœur
Immaculé de Marie, exauçant ainsi la requête si souvent exprimée par la voyante, en
particulier dans une lettre à l’évêque titulaire de Gurza où elle faisait connaître la volonté du
Ciel à ce sujet : « Les très saints Cœurs de Jésus et de Marie aiment et désirent ce culte
parce qu’ils s’en servent pour attirer les âmes à eux, et c’est là tous leurs désirs : sauver les
âmes, beaucoup d’âmes, toutes les âmes. Notre-Seigneur me disait, il y a quelques jours : “Je
désire très ardemment la propagation du culte et de la dévotion au Cœur Immaculé de
Marie, parce que ce Cœur est l’aimant qui attire les âmes à moi, le foyer qui irradie sur la
terre les rayons de ma lumière et de mon amour, la source intarissable qui fait jaillir sur la
terre l’eau vive de ma miséricorde” » (Lettre du 27 mai 1943).

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