Maurice Careme
Maurice Careme
Maurice Careme
1992
Maurice Carême, fils de la ville de Wavre, Belge,
francophone, européen, est un poète de la grandeur
et de la misère de l’homme. Concises, discrètes et
pénétrantes, sa poésie et sa prose nous parlent de la
solitude profonde de l’homme et de la joie de
l’existence.
Fin observateur de lui-même et des autres, révolté
contre toutes les injustices, il exalte le travail de tous
les jours, chante les merveilles de son Brabant natal
et évoque les grands et simples moments de l’enfance
et de l’amour. La simplicité de Carême n’est qu’une
apparence. C’est une simplicité très complexe,
savamment structurée. Il y a là une musicalité
extraordinaire, due aux longues phrases carémiennes.
Il y a une tension entre le vers et la phrase. Et il y a
les images... Homme de vaste culture, traducteur
éminent de la poésie néerlandaise de Belgique, il unit
la musicalité du verbe à la lucidité des images. Il fait
la synthèse du quotidien et du sacré. Son œuvre a
inspiré des centaines de musiciens et de peintres.
Quand j’ai rencontré Maurice Carême – il avait 77
ans – ce vieux monsieur avait une jeunesse inima-
ginable. Une jeunesse dans le regard, dans les gestes,
et surtout dans une curiosité pluraliste du monde. Ce
vieil homme aimait l’aventure. Il ne jouait pas à être
jeune. Il était un vieil homme malade, plein
d’expérience. Mais il était jeune parce qu’il vivait
dans « son» présent. Il était jeune parce que « son»
passé était vivant. Il était jeune parce qu’il avait
gardé toute sa force créatrice. Sa voix était
silencieuse et forte. Son silence était rassurant et
inspirant. Il était homme de dialogue et il savait
inspirer le dialogue.
Maurice CARÊME - 5
Biographie
En 1914, il écrit ses premiers poèmes, inspirés par une amie d’enfance,
Bertha Detry, dont il s’est épris. Élève brillant, il obtient, la même année,
une bourse d’études et entre à l’École normale primaire de Tirlemont. Son
professeur, Julien Kuypers, l’encourage à écrire et lui révèle la poésie
française du début du XXe siècle. C’est à Tirlemont également que
Maurice Carême découvre les grands poètes de Flandre.
Bibliographie choisie
Texte et analyse
Le poème ci-dessous est extrait de Mère (1935). Ce recueil comprend 32
pièces numérotées. Le texte choisi porte le numéro XXXI. Que signifient les
numéros tenant lieu de titres aux poèmes? Un acte de conscience profonde de la
part de l’auteur, puisque cette présentation est unique dans l’ensemble de l’œuvre.
Il est à remarquer d’ailleurs qu’à partir de Walt Whitman, la numérotation du
poème prend, dans la poésie moderne, une signifiance qui va bien au-delà de
l’architecture de l’œuvre. En fait, la numérotation renforce le sens de chacun des
textes et crée entre eux des liaisons profondes et secrètes. Chaque poème numéroté
dans Mère fait partie d’une unité, d’un thème majeur, d’une conception poétique.
Cependant, chaque poème numéroté a une structure indépendante et un sens
indépendant. Vous pouvez lire, comprendre et goûter ce poème sans connaître les
autres.
Dépendant et indépendant, le poème évoque le souvenir de la mère du poète.
On peut assimiler ce que le poète dit avec ce qu’il écrit dans le poème VIII, Je me
souviens...
Les deux vers et le début du troisième vers qui suivent précisent de quelle
manière et dans quelle disposition d’esprit s’exprimait la mère. En un mot, le poète
du concret veut préciser la situation mentale et spirituelle dans laquelle se trouvait
le protagoniste.
Comme si tu étais déjà un peu absente,
Comme si ton cœur se détachait sans effort
De la vie...
Les deux comparaisons se nuancent et se renforcent l’une l’autre pour mieux
exprimer la douceur et la sérénité d’une fin de vie.
La deuxième strophe répète l’action du premier vers de la première strophe :
Tu me parles...
La troisième strophe commence par une brisure. Tout ce qui était familier
devient solennel et pareil à un cantique. Tout ce qui était quotidien devient
mythique. Tout ce qui était temporel devient intemporel. Les deux derniers mots
du poème ciel bleu, constitue une métaphore qui signifie la mort.
Chose à noter : ciel bleu ne rime avec rien. Cependant, on ne sent pas le
manque de rime. Parce que le mot ruisseau (dernier mot du premier vers de la
dernière strophe) et le mot morceaux (qui précède ciel bleu) font une assonance.
Maurice Carême emploiera souvent ces rappels de la sonorité de la rime à
l’intérieur des vers.
Choix de textes
Monsieur Jason
(Fables)
VIII
Je me souviens...
Le hameau s’éveillait
Dans la fraîche dentelle
De ses pommiers en fleurs.
Fuchsias
À quoi se raccrocher?
(Petite flore)
La forêt damnée
Pourquoi voulez-vous?
La mer et le vent
(Mer du Nord)
L’oiseau
L’araignée du malheur
Ligne de flottaison
Dégoût.
Dégoût de tout
Et de moi-même.
Et de l’amour
Et de ses gestes.
Et de ces poèmes
Où ma vanité
Maurice CARÊME - 23
Ah! me retrouver
Sur les genoux de ma mère,
À sept ans, un soir d’hiver...
La peine
(Petites légendes)
Maurice CARÊME - 24
L’homme
(Défier le destin)
Partout on tue
Le manteau
On t’aimera, on m’aimera,
Et l’homme en moi, la femme en toi
Vont devenir plus grands qu’eux-mêmes.
(La bien-aimée)
Maurice CARÊME - 27
La liberté
Je suis la liberté,
Répétait-il, la liberté
Avec tous les dangers
Que je vais vous valoir
Et, pour me faire taire,
Il faudra me tuer.
Je suis la liberté,
Répétait-il encor.
Regardez-vous. Vous êtes morts.
Mais, comme on avait à manger,
On le laissait crier.
(Défier le destin)
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question qu’il lui posait, elle levait sur lui des yeux hagards et ne faisait
que pleurer, pleurer encore...
Tout à coup, il ne s’y attendait pas, elle s’était dégagée, avait traversé
la rue en courant sans prendre garde à rien. Une auto arrivait à toute
allure. Un coup de frein... un cri... Ah! les salauds!... Tous des salauds,
ces conducteurs!... Tu n’aurais pas dû la lâcher. Non, ne coupe pas... Où
es-tu?... Où est-elle?... Ne raccroche pas, pour l’amour de Dieu, ne
raccroche pas!... C’est une blague, n’est-ce pas, une bonne blague? Ne
mens pas, je vous entends rire autour du téléphone, je vous entends. Allo,
allo, répondez-moi! répondez-moi donc! Quoi! Que dites-vous?... Sous
les roues?... Allons, cessez! Vous jouez à me faire peur. Ramenez-la moi
plutôt... Oui... René allait la ramener. Comment? En taxi... naturellement.
Quand?... Mais tout de suite... oui, tout de suite... Répondez, pour
l’amour de Dieu... Répondez ! Vous n’avez pas coupé, n’est-ce pas?
Coupé! Pourquoi aurait-on coupé? Est-ce lui qui tremblait ainsi?... On
ne m’appellera plus longtemps Madeleine. Bien sûr, il savait bien qu’elle
l’avait dit. Il aurait dû l’écouter... Mais pourquoi ces rires? Car il
entendait rire, rire de plus en plus fort, rire à ne plus s’entendre parler,
rire jusque sous son crâne...
Synthèse
Laszlo Ferenczi
Écrivain hongrois,
Professeur dans diverses Universités.