Rphi 053 0357
Rphi 053 0357
Rphi 053 0357
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
Presses Universitaires de France | « Revue philosophique de la France et de
l'étranger »
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
e
XIX SIÈCLE
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
Bourdeau, la première partie est consacrée à la philosophie des sciences.
Elle s’ouvre avec une contribution de Jean Dhombres sur la signification
de Comte dans l’histoire des mathématiques. Si Auguste Comte n’a pas
inventé de théorèmes ou de théories mathématiques, l’auteur du Traité
élémentaire de géométrie analytique (1843) a eu une pratique soutenue
d’examinateur et d’enseignant, et c’est dans cette pratique pédagogique
que Jean Dhombres cherche la postérité de Comte dans le domaine des
mathématiques. Selon Anastasios Brenner, la philosophie comtienne des
sciences se situe entre une vision classique de la science et la conception
des conventionnalistes de la fin du XIXe siècle. Suivant les analyses de
Milhaud et Le Roy, Brenner commente les critiques que Poincaré ou
Duhem ont formulées à l’égard du positivisme comtien, critiques aboutis-
sant pour certains à un « nouveau positivisme » (Le Roy). Les chapitres
suivants, d’Angèle Kremer-Marietti, Zeïneb Cherni et Laurent Fedi, exa-
minent la conception positiviste des sciences de la vie et ses rapports avec
la sociologie.
Le problème de la politique positive, à laquelle est consacrée la
seconde partie, oblige encore plus que celui de la philosophie des sciences à
lire l’œuvre de Comte dans son contexte historique. Regina Pozzi analyse
ainsi les notions centrales du projet comtien d’une politique positive et ses
conditions historiques. Mike Gane focalise sur l’avènement de la sociologie
dans les œuvres de Bazard, Comte et Littré. Armelle Le Bras-Chopard
compare l’idéal féminin chez Comte avec celui des socialistes contempo-
rains. Cristina Cassina montre que chez Comte on a affaire à un usage très
particulier de la notion de dictature. La notion du pouvoir spirituel est au
centre des contributions de Thierry Leterre et de Mary Pickering. Dans la
troisième et dernière partie, portant sur l’esthétique positiviste, Jean-
Pierre Cometti considère de plus près les prises de position de Comte en
matière esthétique. Maria Donzelli montre combien le rapport à l’Italie a
laissé des traces dans les écrits du second Comte.
Dans la conclusion, Jean-François Braunstein fait le point sur un
grand nombre des travaux récents montrant que, loin d’annuler l’origi-
nalité de son œuvre, les études récentes sur Comte dans le contexte scienti-
fique et politique de son temps permettent de prendre la mesure de la nou-
veauté irréductible de cette œuvre. L’ouvrage est préfacé par un court
texte de Michel Houellebecq sur la religion comme le « vrai sujet » de
Comte et la question majeure de son anthropologie.
Johan HEILBRON.
Depuis quelque temps, les ouvrages sur Comte se multiplient, signe que
le fondateur de la philosophie positive commence à sortir du purgatoire où
il avait été relégué. Dans cette redécouverte, le colloque organisé par Anne
Petit et Angèle Kremer-Marietti en mai 1998 à Montpellier et à Paris pour
célébrer le bicentenaire de la naissance du philosophe a marqué un temps
fort, qui, grâce à la publication de ces Actes, pourra désormais être plus
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
largement partagé.
Les vingt-six contributions sont regroupées autour de trois grands
axes : le temps d’A. Comte ; A. Comte : science et politique ; la diffusion du
positivisme. La première partie dresse en quelque sorte le décor. Physique
tout d’abord, puisque R. Andréani décrit le Montpellier d’A. Comte. Une
fois rappelés le mouvement général des idées en France au XIXe siècle
(G. Cholvy) et la dette d’A. Comte à l’égard de l’Idéologie (J.-P. Schande-
ler), F. Azouvi, s’appuyant sur un rapport de Degérando, donne un
tableau suggestif de la philosophie en France sous l’Europe, tandis
qu’A. LeBras-Chopard en fait autant pour les mouvements socialistes dans
la première moitié du siècle.
Consacrée à l’œuvre de Comte proprement dite, la seconde partie est la
plus importante par la taille comme par l’intérêt. Elle s’ouvre par une mise
au point aussi fine qu’utile d’A. Petit sur les différents usages de positif
(science positive, philosophie positive, politique positive, positivisme) dans
les écrits du philosophe. La place accordée à l’épistémologie est réduite :
quatre contributions sur onze, mais qui se signalent par leur qualité,
notamment celles de B. Bensaude sur la vulgarisation scientifique, de J.-
F. Braunstein sur la philosophie de la médecine, ou encore le parallèle éta-
bli par A. Kremer-Marietti entre les vues de Comte et celles du Cercle de
Vienne sur la question de l’unité de la science. À ce premier groupe peut
encore se rattacher le texte de J. Grondeux sur Comte, Taine et l’histoire.
À mi-chemin de la science et de la politique, A. Negri traite de cette action
de l’homme sur la nature à laquelle Comte avait toujours voulu consacrer
un ouvrage. B. Plé montre la prégnance des métaphores médicales sur la
pensée politique de Comte et M. Larizza l’impact considérable exercé dans
ce domaine par la révolution de 1848. M. Pickering, quant à elle, rappelle
que les positivistes avaient développé toute une théorie de l’espace public
(temple, club, salon), ce qui réfute les accusations portées par Habermas
contre les hommes du XIXe siècle, qui auraient ignoré cette dimension de la
vie politique.
Les huit textes de la dernière section se laissent répartir en deux grou-
pes égaux. A. Picon compare la façon dont positivistes et saint-simoniens
entendaient le rôle social de la science. A. Gérard nous présente le cercle,
mal connu, des disciples « complets », c’est-à-dire religieux, tandis que
C. Blanckaert et J. Lalouette étudient respectivement, l’un le rôle des posi-
tivistes dans les querelles qui ont accompagné le développement de
l’anthropologie en France autour de 1880, l’autre les rapports complexes
de ceux-ci avec les libres-penseurs. Dans le domaine étranger, D. Becque-
mont, K. Wills, M. Donzelli et H. Trindade traitent tour à tour de la diffu-
sion du positivisme en Angleterre, aux Pays-Bas, en Italie et au Brésil.
L’ouvrage s’achève par un texte où M. Sacquin décrit brièvement l’état
des manuscrits de Comte, dont elle a la charge à la BNF.
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
360 Analyses et comptes rendus
Cette description traduit mal l’intérêt que l’on peut prendre à la lecture
de l’ouvrage où, comme il est d’usage pour des Actes, le moins bon côtoie le
meilleur. Traitant le plus souvent de sujets rarement abordés, les contribu-
tions nous invitent à réviser nombre d’idées qui ont cours sur le positivisme
et son fondateur. Le livre s’adresse aux spécialistes, mais de disciplines
variées (philosophie des sciences, philosophie politique, philosophie du
XIXe siècle, sans compter l’histoire ou la sociologie), qui pourront s’y
convaincre de la haute tenue des études comtiennes actuelles.
Michel BOURDEAU.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
Joseph Ferrari, Machiavel, juge des révolutions de notre temps [1849], pré-
face de Georges Navet, Paris, Payot, 2003, coll. « Critique de la poli-
tique », 21 E.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
Paris, 1986, p. 162-177). « Exister, ensuite combattre, conquérir la liberté,
ensuite l’indépendance », « ne pas ajourner la liberté pour des considéra-
tions d’indépendance », tel est, à condition de ne pas se tromper d’allié, le
plan de la révolution italienne que propose ce socialiste milanais émigré en
France. Il promeut le principe d’un républicanisme fédéraliste comme
appartenant au destin de l’Europe ; son projet de long terme semble celui
d’une « grande République européenne » dont le fer de lance serait la
France en tant qu’elle a « achevé à jamais le travail de la nationalité » qui,
seul, permet de conjuguer liberté et indépendance. À court terme, afin de
libérer l’Italie de l’ennemi intérieur, l’enjeu est celui d’une alliance des
révolutionnaires de chaque capitale régionale italienne avec la France, au
prix d’un renoncement, au moins provisoire, à l’indépendance et à l’unité
dont rêvaient « des poètes, des penseurs et des politiques italiens », à
l’instar de Mazzini (cf. chap. 8, p. 173-194).
Georges Navet comble donc une lacune éditoriale française. La présen-
tation de Ferrari et de son œuvre rend manifeste que, pour saisir de manière
satisfaisante la pensée de cet ami de Pierre Joseph Proudhon, il faut considé-
rer son Machiavel en relation avec une série d’autres textes, en particulier La
Federazione republicana et Filosofia della rivoluzione (1851) (cf. Giuseppe
Ferrari, Scritti Politici, éd. par Silvia Rota Ghibaudi, Turin, 1973). On
regrettera l’absence d’un travail substantiel d’annotation. Liée aux circons-
tances actuelles de la construction d’une Europe des régions, celle-ci serait à
compléter par une étude plus serrée du contexte politique et idéologique du
Risorgimento, condition d’une compréhension critique du contenu théorique
et pratique des positions de Ferrari, de son isolement dans la gauche parle-
mentaire italienne et de ses échecs. Autrement, son titre provoquant, son
efficacité stylistique et sa publication dans une collection prestigieuse ris-
quent de ne pas suffire, en France, à redonner à l’ouvrage un second souffle.
Jérémie BARTHAS.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
Dans son Introduction, R. Lauth propose une interprétation d’en-
semble de la dernière philosophie en insistant sur le sens de la conception
fichtéenne de l’enseignement. À Berlin, l’exposition de la W.L. est au cœur
de son enseignement. Il apparaît que c’est d’elle, en tant que théorie du
savoir, que procèdent les théories de la nature, du droit, de l’éthique et de
la religion. L’ensemble s’articule autour du concept de la destination de
l’homme, la Bestimmung signifiant à la fois définition, détermination et
destination. Cette question est alors liée à celle de la détermination de la
philosophie et de la fonction du philosophe. C’est ainsi qu’en 1811 Fichte
pose le problème spécifique de l’ « éthique du savant ». Ce volume con-
tribue ainsi à éclairer la portée de l’enseignement berlinois, montrant com-
ment la dernière philosophie aboutit à un système complet et achevé, où
s’éclairent les concepts fondamentaux de la pensée fichtéenne. Outre un
index nominum, l’ouvrage comporte un index thématique très précis qui
fait ressortir cette perspective systématique et qui permet au lecteur de s’y
orienter.
Jean-Marie VAYSSE.
Bernard Bourgeois, Hegel. Les Actes de l’Esprit, Paris, Vrin, 2001, 354 p.
absolu » (p. 171). L’homme participe à cette vie créatrice par l’art, la reli-
gion et la philosophie.
On peut parler de l’actualité de Hegel en raison même de la conception
qu’il avait de l’actualité. La réalité de la raison est sa réalisation sans cesse
réactivée (p. 348). L’actualité est présence active, dans la diversité empi-
rique naturellement sans fin, d’une raison dont le développement, qui
échappe au mauvais infini, la fait s’achever en totalité absolue. Mais tout
résultat n’est atteint qu’en réactualisant son propre devenir. On ne peut
donc soutenir que la pensée de Hegel se referme dans un système achevé,
elle ouvre bien au contraire à l’actualité présente qui est hégélienne, même
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
si Hegel n’a pas tout prévu.
Hubert FAES.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
texte pas à pas, est donc éclairant et aidera grandement ceux qui veulent
l’étudier. Il n’est pas du tout, par contre, historique et critique, même si,
ici ou là, il situe le texte par rapport à d’autres auteurs et par rapport au
contexte historique et politique, et dément les grands clichés qui courent
toujours sur le caractère réactionnaire de la conception hégélienne de
l’État.
Hubert FAES.
suisse, ses rapports avec Schelling, Hölderlin, Goethe, Schiller, Fichte, mais
aussi avec ses étudiants (il en imposait, mais l’Absolu, tant célébré, était
pour la plupart « chose obscure et chaotique, qu’ils contemplaient bouche
bée bien plus qu’ils n’en saisissaient le vrai sens »), la période d’Iéna, le
besoin d’une présentation plus populaire de sa philosophie grâce à son ensei-
gnement, la crise phénoménologique, l’activité journalistique à Bamberg,
son mariage à l’automne 1811, les rapports avec les philosophes de son
temps comme Sinclair, Windischmann ou Thaden, la polémique contre la
théologie du sentiment, sa vie sociale, ses voyages ( « De ses rencontres avec
les hommes, nous le voyons presque toujours content. Il ne bougonne un
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
peu que là où il note des manières et de l’affectation » ), son style (léger au
début, il se serait alourdi par la suite), des remarques sur sa personne et sur
sa silhouette (il prisait, il y avait de la ressemblance entre sa voix et son œil.
Il était grand, mais tourné vers l’intérieur...), son décès brutal du choléra à
l’automne 1831 (l’automne a toujours scandé les grands changements dans
son existence, fait observer Rosenkranz).
Le système de Hegel est décrit comme « une philosophie de l’esprit en
ce sens que le concept d’esprit, chez lui, est cela seul qui rend d’abord pos-
sible le concept de nature et celui d’idée en tant que logique ». L’intérêt de
Hegel pour le droit et pour l’art se fond dans cette saisie spéculative, l’art
comme le droit se manifestant comme des contenus et des moments néces-
saires d’une articulation conceptuelle.
Dans l’Apologie de Hegel contre le docteur Haym, qui complète fort
opportunément le volume, Rosenkranz répond aux attaques contre Hegel
auxquelles se livre Hayon dans Hegel et son temps. C’est surtout sur le ter-
rain politique de la question nationale que le procès d’un totalitarisme
hégélien se déploie. L’aversion de Haym pour Hegel vient de ce qu’avec sa
catégorie de vie éthique celui-ci se serait montré étranger à l’âme alle-
mande. Les grands devoirs de la vie nationale ne doivent pas être sacrifiés
au panlogisme et au formalisme du système hégélien. Traître à la nation
allemande, Hegel aurait sacrifié sa patrie à la métaphysique. Rosenkranz
remet les choses en perspective, non sans déceler chez Haym un psycho-
linguisme hargneux et des contradictions sophistiques. Avec courage,
en 1870, il maintient l’image d’un Hegel « philosophe national allemand ».
En annexe à ce volume, figurent deux oraisons funèbres prononcées
l’une devant l’assemblée des professeurs et des étudiants, l’autre sur sa
tombe, ainsi qu’un portrait de Hegel par H. G. Hotho, où il est décrit
comme animé d’un bout à l’autre par l’exigence de rompre avec la contin-
gence de l’opinion et du plaisir subjectifs pour lui substituer les fermes dis-
positions de l’esprit pour ce que la vie comporte de stable et de substantiel.
Guy SAMAMA.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
plus la volonté de l’esprit absolu mais la pulsion aveugle. Nietzsche inverse
la métaphysique en prenant pour fondement le devenir inconstant qui lui-
même n’est autre que volonté de puissance. La métaphysique rescendante
se présente aussi comme réduction anthropologique de la métaphysique,
soit matérialiste chez Marx, soit spiritualiste chez Kierkegaard. La méta-
physique est réduite à la dimension de l’homme et trouve son fondement
dans la vie du sujet objectif ou dans l’existence du sujet individuel.
Dans toutes ces figures de la pensée, il s’avère déjà que la métaphy-
sique comme savoir ontologique n’est plus possible. Le positivisme scienti-
fique est une autre figure de l’inversion du mouvement de la métaphysique
où celle-ci vient s’établir dans les sciences positives, c’est-à-dire des scien-
ces qui n’ont plus pour fondement celui que leur donnait la métaphysique
ontologique mais qui se fondent par elles-mêmes à partir du donné factuel
dont elles sont la science.
Cette étude est conduite avec une grande rigueur et beaucoup de péda-
gogie. Pour chaque auteur, elle reconduit très directement au noyau cen-
tral de la pensée. Cette reconstruction systématique du destin de la méta-
physique dans la pensée récente apporte une contribution importante à la
réflexion sur l’avenir de l’ontologie. On regrette que l’ouvrage s’arrête
abruptement sur la figure du positivisme.
Hubert FAES.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
férence des sphères de la logique hégélienne. Mais, sur d’autres, il semble
aller en sens contraire. Jean-François Marquet ne le suit pas quand il
prête à l’essence les attributs de l’Idée (la liberté, la vie, la générosité). On
s’interroge aussi sur la pertinence d’un langage manifestement contaminé
par la référence néo-platonicienne, qui parle de la « manence » de l’essence
ou de son cercle « pneumatique ». L’image du cercle convient au concept,
mais convient-elle à l’essence ? Il n’est pas précisé non plus si le terme
« pneumatique » est préféré pour une raison précise et par différence avec
« spirituel » (« cercle spirituel » est employé aussi à la dernière page). La
lecture proposée ne rend peut-être pas assez compte du fait que l’étude
hégélienne de l’essence appartient au domaine d’une logique objective et
non subjective.
Hubert FAES.
lution avait jusque-là buté sur le problème social. Mais la recherche dans
cette direction est « court-circuitée par une volonté de réconciliation pré-
maturée » ; elle croit résoudre la crise par un saut hors du politique.
L’autre voie part d’une relecture révolutionnaire de la philosophie hégé-
lienne, retrouve la tradition révolutionnaire de la Réforme et élabore une
proposition véritablement politique, démocratique et révolutionnaire. Le
politique ne se dissout pas dans le social, mais se pense comme événement.
Le prolétariat ne se définit ni par sa négativité ni par sa situation sociolo-
gique mais par une pratique politique. « La problématique de la révolution
radicale et de la constitution du prolétariat représente la première formula-
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
tion de la politique posée comme révolution en permanence » (p. 426).
Cette proposition est la rupture politique fondatrice de la pensée de Marx.
Hubert FAES.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
ries matérialistes, à commencer par celles de contradiction antagonique et
de contradiction non antagonique. La clé de l’orientation marxienne et du
rapport politique à Marx, c’est de restituer à la visée du communisme, exi-
gence historique, négation de la négation, « son immédiateté de mouve-
ment réel déjà commencé » (p. 163), optimistement malgré tout.
Jean-Marc GABAUDE.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
Zarathoustra en tant que Je qui incorpore l’excès ensuite, enfin la tenta-
tion qui « correspond aussi à l’effondrement de Nietzsche lui-même » :
celle de prendre « la place christique d’une chair qui récapitule toutes les
chairs » (p. 380).
Jean-Hugues BARTHÉLÉMY.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
le philosophe, tant les systèmes philosophiques sont empreints du vertige
métaphysique.
L’étude suivante ( « Doute ou croyance » ) nous ramène à une autre
thématique récurrente de l’œuvre de Renouvier : la critique radicale de
l’infinitisme et du déterminisme absolu, « croyances possibles, certes, mais
irrationnelles ». Ici se dessine, à partir d’un questionnement sur le progrès,
l’opposition, que l’on retrouvera dans l’étude consacrée à la méthode en his-
toire de la philosophie, entre « foi rationnelle » et « faux dogmatisme ».
Cette opposition permet de classer toutes les doctrines philosophiques, révé-
lant du même coup le choix décisif que chacun doit faire entre deux options
inconciliables. C’est encore cette affirmation de la liberté contre le détermi-
nisme absolu qui préside à l’élaboration d’Uchronie, plaidoyer contre tout
fatalisme historique et remède à toute illusion d’un progrès fatal. Si la
connaissance procède de la liberté, elle ne peut sans absurdité servir à dis-
qualifier la liberté. L’étude consacrée à la Science de la morale permettra de
clarifier certaines difficultés en confrontant le texte renouviériste avec les
objections que lui adressèrent Hamelin et Fouillée. On y verra aussi souli-
gnées l’originalité et la profondeur de la morale appliquée. À cette étude
font écho les deux autres, consacrées, l’une au problème de l’éducation,
l’autre à l’Allemagne, la France et l’Europe vues par Renouvier en 1872. On
y remarque combien le théoricien de la morale et du droit pouvait être
préoccupé par les problèmes de son époque. La « hardiesse » de ses prises de
position éclairera en retour le sens de ses engagements théoriques.
Renouvier portait également un intérêt particulier à l’esthétique,
comme en témoignent certains passages de la Science de la morale. Turlot l’a
bien vu, c’est ici le bonheur de l’homme complet qui est en question. Sous
l’influence de Schiller (théorie du jeu), en référence à Kant (le désintéresse-
ment), en opposition à Spencer (évolutionnisme) et à Guyau (utilitarisme),
Renouvier développe une véritable réflexion esthétique qui fait de l’art un
paradis, là où le sujet se trouve à la fois libéré du besoin et délesté de la con-
trainte morale. On apprendra encore beaucoup en lisant les trois études por-
tant sur les lectures et les analyses que Renouvier consacra à d’autres philo-
sophies. Tout d’abord (sur Schopenhauer), une capacité remarquable à
saisir les implications d’une œuvre ardue. Ensuite, son intérêt pour la philo-
sophie antique et plus particulièrement présocratique, avec toujours cette
extrême radicalité dans la détermination des enjeux philosophiques des
grandes doctrines. Enfin, on mesurera sa proximité (et sa distance) avec
Fichte, que ses discussions avec Lequier devaient lui avoir fait connaître.
L’ouvrage présente ainsi un philosophe dont l’œuvre est bien plus
vaste qu’on ne le croit souvent, un esprit à la fois ouvert et déterminé dans
ses options, une philosophie « complète » et ambitieuse.
Thierry de TOFFOLI.
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
372 Analyses et comptes rendus
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
recensions qui permettent d’éclairer le contexte général de la réflexion
schellingienne. Il s’agit notamment de contributions au Journal de phy-
sique spéculative. L’Introduction, qui porte comme sous-titre Du concept de
la physique spéculative et de l’organisation interne d’un système de cette
science, expose le sens de la philosophie de la nature dans sa relation à la
philosophie transcendantale et permet de comprendre ce que Schelling
entend par « physique spéculative », distinguant la nature naturée comme
simple produit et objet de la nature naturante comme productivité et
sujet. La Déduction, qui est l’autre grand texte important de ce volume, se
présente comme une construction de la matière au moyen de la déduction
des trois dimensions de l’espace à partir de la notion de « sujet de la
nature ». Schelling emprunte à Kant, ainsi qu’aux spéculations de Goethe,
l’idée d’une construction de la matière à partir des forces. Ce volume pré-
sente les mêmes qualités scientifiques que les précédents et constitue un
précieux instrument de travail.
Jean-Marie VAYSSE.
Si par là l’art est lié à la religion, il s’en distingue cependant, car il est à
la religion ce que le langage est à la science : il est l’organe de communica-
tion et d’organisation de la religion, tout grand art étant en son fond reli-
gieux et l’esthétique permettant de penser le lien entre les principes éthi-
ques et la réalité historique. Par ailleurs, l’esthétique renvoie également à
l’herméneutique, car l’œuvre d’art est l’objet d’une compréhension infinie.
En tant que l’art est reflet de l’individualité dans l’objectif, le problème de
l’esthétique est celui de la communicabilité des aspects subjectifs de la
connaissance. C’est ainsi que, dans sa postface, P. d’Angelo souligne
l’importance de la question de l’individuel chez Schleiermacher, en nuan-
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
çant la thèse d’une esthétique purement romantique : l’insistance sur le
sentiment comme connaissance particulière et sur le caractère individuel
de l’œuvre d’art n’est pas un simple thème romantique, mais renvoie à
l’idée de l’impossibilité d’une connaissance logique de l’individualité, qui
est une idée du XVIIIe siècle.
On ne peut que se féliciter de la publication de cet ouvrage qui permet
de mieux cerner la pensée de Schleiermacher, à la croisée des Lumières et
du romantisme.
Jean-Marie VAYSSE.
du devoir, elle définit les actions et réalisations effectives qui rendent pos-
sible un monde humain. Sont ainsi ouvertes les perspectives qui seront
celles de Dilthey et de Cassirer, voire de Apel et Habermas.
Jean-Marie VAYSSE.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
Paris, Nathan, 2002, coll. « Les Intégrales de philosophie », 142 p.
par une note habile (p. 77), il explique à ceux qui voient en Schopenhauer
un dangereux nihiliste que le néant dont il parle est relatif au monde des
phénomènes et non absolu. Point capital ! Bien des malentendus sont dissi-
pés par ces commentaires. Il lève ainsi le préjugé d’un Schopenhauer
raciste. Un plan et un réseau de notes éclairantes (qu’on ne peut pas
confondre avec celles de Schopenhauer lui-même, intégrées dans le corps
du texte) guident le lecteur. Ainsi, dans l’essai Sur la mort (p. 61) où Scho-
penhauer déclare que la connaissance est un produit de la nature « ani-
male », le lecteur est averti que la vie animale implique la représentation
du monde extérieur et doit être comprise par différence avec la vie orga-
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
nique, comme Bichat l’a conçue.
Lecteurs débutants ou avertis, étudiants ou professeurs, tous auront
profit à lire et à étudier Schopenhauer dans cette traduction, avec
l’ensemble de son commentaire. Quand Schopenhauer (p. 62) évoque la
fraîcheur des souvenirs d’enfance comme argument d’appoint en faveur
de notre indestructibilité et de l’idéalité du temps, Jean Lefranc nous
signale que Bergson et Freud reprendront ce thème. La vaste culture
d’historien de la philosophie lui permet de reconstruire l’atmosphère de
l’époque de Schopenhauer.
Marie-José PERNIN.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
hauer constitue un point commun des études de Nicoletta De Cian et Jean
Lefranc. Celui-ci fournit un exposé thématique très clair des aspects les
plus importants de l’œuvre de Schopenhauer comme philosophe inactuel
proposant une alternative, restée marginale jusqu’à la fin du XIXe siècle, au
logocentrisme de Hegel. Cette alternative, Lefranc le montre dans son der-
nier chapitre, est d’origine platonicienne plutôt que kantienne, bien que
l’influence de Kant soit indiscutable : l’interprétation schopenhauerienne
de Kant présuppose déjà le point de vue platonicien et idéaliste d’une réali-
sation des Idées intemporelles et métaphysiques dans le monde empirique.
Schopenhauer opère un renversement du platonisme sans abolir l’idéalisme
objectif : du sujet absolu ne reste chez lui que le cadavre. Si, dans la tradi-
tion augustinienne, Dieu était en même temps personne, connaissance et
volonté, dans la pensée de Schopenhauer il disparaît en tant que sujet, ne
laissant derrière lui qu’une volonté métaphysique insondable qui implique
une vision du monde profondément pessimiste et irrationnelle. Sans ce
« Dieu » qui ne pense pas, qui n’a pas de connaissances et d’identité, et qui
n’est donc plus un Dieu, sans ce fondement énergétique du monde rappe-
lant le concept de Pouvoir chez Nietzsche, Bataille et Foucault, il n’est pas
possible de comprendre la position de Schopenhauer envers le kantisme, la
science, l’éthique et l’esthétique (chap. II à V). Et pourtant cette volonté
unique et générale engendre les Idées qui constituent le monde et des
monades qui constituent les sujets. Restent alors les questions majeures :
Est-il possible de penser un être sans connaissance et sans personnalité
capable de développer des Idées et des sujets ? Et si le monde que nous
voyons est une illusion subjective due à l’imperfection intellectuelle des
sujets, pourquoi est-il alors créé et en quel sens peut-on parler d’imperfec-
tion ? Pourquoi le monde est-il le pire des mondes possibles ? Comment
déchiffrer une volonté irrationnelle avec des concepts philosophiques
rationnels ? Et comment, finalement, se représenter une volonté sans
intentionnalité et sans connaissance de cette intentionnalité ? Voilà quel-
ques questions importantes que suscite la lecture de Jean Lefranc et aux-
quelles ce grand-père du postmodernisme ne semble pas avoir porté
l’attention nécessaire.
Nicoletta De Cian explore le développement de la pensée de Schopen-
hauer, de ses premières lectures à la parution du Monde comme volonté et
comme représentation (1819). Elle montre comment il crée sa vision du
monde non à partir d’une argumentation au-delà de la tradition occiden-
tale, mais plutôt à partir d’un dialogue avec cette tradition dont il
emprunte des idées qui se chargent progressivement d’un sens très person-
nel, bien éloigné de l’intention originelle. La clé exégétique pour com-
prendre la Frühphilosophie de Schopenhauer, elle la trouve dans l’idée de
rédemption : tous ses efforts pour constituer un système dépendent de
cette idée. L’origine de cette préoccupation pour la rédemption chez Scho-
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
Schopenhauer 377
penhauer n’est cependant pas bien claire. Il s’agirait d’un reste de sa for-
mation piétiste des années de Hambourg (p. 31). Schopenhauer développe
l’idée du salut à partir d’une conception philosophique de la « conscience
meilleure ». La conception même de la rédemption resterait pourtant
d’origine préphilosophique (p. 64). Pour comprendre le développement
de sa théorie de la « conscience meilleure », il faut surtout souligner
l’influence du platonisme et de l’Idéalisme allemand sur le jeune Schopen-
hauer. Bien que, dès ses premières lectures, il soit très critique envers la
philosophie de Fichte et Schelling, les concepts fichtéen de « conscience
supérieure » (höhes Bewußtsein) et schellingien d’ « intuition intellec-
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
tuelle » (intellektuelle Anschauung) ont constitué, avec le concept platoni-
cien de « contemplation », la source de son idée de « conscience meilleure ».
Or, chez le jeune Schopenhauer, cette conception d’une conscience non
empirique présuppose déjà l’idée d’une déconstruction systématique de la
raison (p. 146). Ce côté sceptique de Schopenhauer, selon Nicoletta De
Cian, ne lui est pas venu de Schulze, l’auteur sceptique de l’Aenesidemus,
dont il a suivi les cours en 1810-1811, mais a son origine dans un sens per-
sonnel et profond de l’ascétisme. Pour Schopenhauer, le salut n’est pas seu-
lement possible par une renonciation au monde, mais aussi par la destruc-
tion de la rationalité et de la conceptualisation, facultés d’origine
empirique et donc illusoires. Le salut est dans la transgression des limites
de la raison. Comme chez Sade, il y a dans son œuvre un fond de destruc-
tion, mais tandis que chez l’un il s’agit de la destruction d’autrui, chez
l’autre il s’agit d’une destruction de soi-même comme instance de raison.
Mais est-il possible de concevoir une « conscience meilleure » sans partici-
pation de la raison ? Nicoletta De Cian montre que les conceptions du salut
et de la volonté chez Schopenhauer n’ont pas vraiment un fondement phi-
losophique et renvoient à une mystique de l’expérience intérieure.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
pourquoi la raison est l’expression du cerveau et non le cerveau la représen-
tation de la conscience. Notre corps, cerveau inclus, est l’expression de la
volonté métaphysique (p. 109). La raison est à la fois un produit du cer-
veau et l’espace où le monde est représenté tel que nous le voyons et
connaissons. Pernin souligne que la « raison » de Schopenhauer se rap-
proche plutôt du Verstehen de Heidegger. Elle n’est pas un a priori, mais
une structure qui reflète le langage (p. 33). Mais, à la différence du Verste-
hen heideggérien, elle n’est pas un entendement naturel. Alors que les ani-
maux comprennent le monde immédiatement par l’entendement, la raison
humaine est, pour Schopenhauer, le résultat d’abstractions illusoires.
Chaque degré d’abstraction correspond à une déperdition de la richesse
intuitive (p. 99). Notre langage n’est que la fixation de ces concepts abs-
traits. L’intuition seule, déterminée par les formes transcendantales de
l’entendement, fournit l’évidence originelle (p. 101). Pour Schopenhauer,
les mathématiques et la logique sont, par conséquent, un abus de notre
faculté d’abstraction. Cette dévalorisation de la raison fonde aussi son
mépris pour la philosophie rationaliste et idéaliste. Franco Volpi souligne
qu’à la base de l’art de l’insulte il y a « un appel à l’animalité » fondé sur ce
mépris et cette dévalorisation de la raison (3 /, p. 13).
Si le monde est le produit de la conscience, de formes transcendantales
préétablies, comment le penser alors comme volonté ? L’idée d’une volonté
comme fondement du monde ne présuppose-t-elle pas déjà l’existence
d’une causalité en dehors de la conscience ? (1 /, p. 75). Pour Pernin, cette
contradiction peut être résolue si l’on prend au sérieux l’idée du monde
comme objectivation de la volonté à travers une pluralité d’individus : la
nature ne serait pas seulement l’objectivation d’idées, mais aussi celle
d’une multiplicité de volontés s’objectivant dans des représentations.
L’image que Schopenhauer donne de cette objectivation est pourtant assez
idéaliste. La volonté se ramifie dans une multitude de désirs structurés par
des forces primitives ou Idées qui semblent se trouver en dehors de la
chaîne causale (p. 121). Pour Schopenhauer, cette objectivation ou maté-
rialisation par des formes éternelles ou Idées n’est cependant pas un procès
de la pensée : l’objectivation n’a pas la structure d’une représentation. Ses
conceptions sont bien « hybrides » (p. 160).
Suivant Michel Henry, Pernin se demande comment la volonté peut
distinguer entre des choses qu’elle veut et des choses qu’elle ne veut pas,
sans faire référence à la représentation (p. 144). Ce qui est désiré par la
volonté métaphysique n’est pas quelque chose par-delà la volonté, mais
bien une forme spécifique du désir. Ce que la volonté veut est une multipli-
cité de volontés, c’est-à-dire une multiplicité de sujets dont la représenta-
tion rend possible le monde des phénomènes. En ce sens, il n’y a pas une
vraie objectivation, puisque rien ne transcende vraiment la volonté. Ce qui
reste pourtant difficile à comprendre, selon Pernin, c’est que la volonté
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
Schopenhauer 379
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
représentation de « sujets » qui communiquent entre eux sans arriver à se
connaître. Ce qui rend possible la représentation du monde est le sujet,
mais le sujet lui-même ne peut pas être connu (p. 61). Les sujets existent
« pour soi » dans une communauté insondable et inavouable. L’origine de
cette multiplicité est, selon Pernin, « le mystère de l’être comme manque,
comme désir » (p. 114). Cette hypothèse, qui fait du corps la représentation
du sujet, éviterait aussi de fixer la subjectivité au corps, ce qui a l’avantage
de rendre la métempsychose possible. En effet, croire que l’individu
s’éprouve immédiatement en liaison avec son corps, comme le fait Scho-
penhauer (p. 109), interfère avec sa conception de la palingenèse. Il faut
alors concevoir les sujets par-delà la corporéité, dans un espace où le moi
est en même temps tous les autres. Le moi est un moment nécessaire de la
volonté métaphysique. Pernin reprend dans ce contexte les paroles du
mystique Angelus Silesius : « Je sais que sans moi Dieu ne peut vivre un
seul instant. Si je meurs, il faut qu’il rende l’esprit » (p. 119).
Dans leur contribution à la revue espagnole d’études nietzschéennes,
Marco Parmeggiani et Mariano Rodríguez arrivent à une même solution de
la dichotomie représentation-volonté. Pour le premier, la volonté est inté-
riorité sans forme, tandis que le monde extérieur n’est que l’illusion des
sujets désirés par la volonté première (2 /, p. 56). Pour le second, le sujet en
tant que volonté est actualisation d’une volonté métaphysique, tandis que
le sujet comme intelligence est un être physique, c’est-à-dire une illusion du
sujet métaphysique (p. 72).
L’existence d’un monde nouménal, dans le sens d’une communauté
d’intériorités, est, pour Pernin, aussi essentielle pour comprendre l’éthique
schopenhauerienne de la compassion. D’abord, cette communauté n’est
pas libre : bien que par moments nous nous croyions libres, parce que nous
sentons l’aséité de la volonté, en vérité nos actions sont toujours soumises à
la volonté générale de l’univers. Comme Luther, Schopenhauer croit au
serf arbitre et, par conséquent, à la prédétermination de nos actions
(1 /, p. 85). Dans l’amour, cette servitude de nos actions devient très claire.
Nous nous croyons libres en choisissant nos objets d’amour, alors que nous
sommes victimes d’une volonté générale de reproduction. L’amour n’est
qu’une ruse de la nature au service de la survie de l’espèce (p. 194), un
retour au péché originel. Nous sommes les victimes d’un principe irration-
nel, puisque la volonté est la cause des souffrances et des misères. La
volonté elle-même ne souffre pas, parce qu’elle est inconsciente. Mais la
souffrance est éprouvée dans la mesure où la multitude d’intériorités
devient consciente. C’est dans les sujets que la volonté se manifeste comme
souffrance, comme combat, comme quelque chose en nous exigeant tou-
jours plus. Pour Schopenhauer, le monde ne peut être qu’une « maison de
fous » (p. 220). La volonté est l’origine de l’égoïsme, de la violence, de la
cruauté, et cause directe du mal. Mais elle est aussi indestructible (p. 190).
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
380 Analyses et comptes rendus
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
volonté puisqu’elle n’anéantit pas notre être vivant qui continue à exister
dans l’ensemble de la nature, relancé dans un cycle indéfini des métamor-
phoses (p. 202). Seul le renoncement total aux désirs de la volonté peut
mettre fin à l’oppression. L’homme est responsable de tout ce qui est dans
son entourage dans la mesure où il peut contrarier l’affirmation du monde
(p. 219). Pernin montre que l’éthique de Schopenhauer est fondée sur une
contradiction puisque le renoncement de la volonté présuppose déjà un
acte de la volonté (p. 244). Bien que cet acte ne soit pas affirmatif, il peut
seulement exister comme renversement d’une affirmation. L’acte éthique
est dirigé vers une volonté sans volitions. « Faire le bien » consiste donc à
ne pas faire de distinctions entre le moi et le non-moi (p. 239). Compatir
aux souffrances des autres et tenter de les soulager est fondé dans l’idée du
renoncement absolu. L’acte éthique cherche ainsi à anéantir la multiplicité
d’intériorités qui, en vérité, ne sont que des désirs de la volonté. Comme
Éric Blondel le note, dans l’article de la Revue philosophique (no 3, 1998)
traduit dans la revue espagnole sur Nietzsche, la philosophie de Schopen-
hauer finit par être une négation du vitalisme, ce qui conduira Nietzsche à
rejeter la solution de son maître et, avec elle, toute philosophie de la com-
passion (3 /, p. 31).
Fernando SUÁREZ MÜLLER.
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
XXe siècle 381
e
XX SIÈCLE
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
Ce recueil de textes en partie déjà publiés de Jacques Bouveresse a
l’intérêt de nous montrer simultanément sur la vie philosophique française
contemporaine ce qui avait été présenté successivement, sous des angles,
des points de vue différents et dans des circonstances variées. S’en dégage
une ligne, celle d’un rationalisme responsable, ouvert, très éloigné des cari-
catures qu’en offrent les penseurs postmodernes, et aussi iconoclaste
puisqu’il s’emploie à remettre en cause les formes de dévotion intellectuelle
inscrites dans les discours philosophiques ou favorisées par lui. La « pré-
cision » ne s’exerce pas nécessairement contre l’imagination ou la poésie,
comme on le dit souvent, elle est une façon de préserver le sens des propor-
tions quand tant d’incitations nous pousseraient à la grande aventure de
l’inédit, de l’immémorial et de l’abyssal. On peut trouver matière à
réflexion chez Valéry, auteur abondamment cité et étudié ici par
Bouveresse.
Heidegger est évidemment un personnage incontournable pour le genre
de démarche illustré par Bouveresse dans la mesure où il conduit à poser la
question des conditions de possibilité de l’emploi de la règle d’exception
« deux poids deux mesures ». Heidegger a été compromis avec le nazisme
au-delà de ce qu’une recherche charitable de preuves demanderait, et il
nous a offert un discours sur la technique indigne d’une renommée de
grand penseur. Imagine-t-on ce qui aurait été dit si des membres du Cercle
de Vienne s’étaient égarés à la façon de Heidegger dans une idéologie
régressive ? Et, de même, imagine-t-on la moue réprobatrice que tout
autre que lui aurait suscitée (en particulier sur des individus à prétentions
progressistes) avec des considérations aussi banales sur les méfaits de la
maîtrise universelle de la nature et le destin de l’Occident ? La pensée du
héros philosophique est constituée en point de vue suprême, soustrait à des
objections qui ne feraient de toute façon que s’inscrire dans l’histoire de la
méconnaissance des questions essentielles sur lesquelles cette pensée nous
invite à méditer. L’œcuménisme de Richard Rorty qui voudrait réconcilier
tout le monde enferme quelque ingénuité.
S’il fallait donc être pourvu d’une forme d’entêtement obstiné pour
chercher à faire valoir une exigence d’intelligibilité à propos de Heidegger,
de la philosophie française contemporaine, comme jadis à propos de Régis
Debray ou d’interprètes postmodernes de Wittgenstein, l’entreprise n’est
pas pour autant stérile. À bien des lecteurs, elle offrira des analyses et, plus
encore, par la vertu des exemples, une façon de s’orienter dans la pensée,
pour reprendre la terminologie kantienne revisitée dans l’un des textes.
C’est pour cette raison que Bouveresse écrit. S’étonner de la crédulité des
philosophes devrait après tout bien être aussi la marque authentique d’un
philosophe.
Louis PINTO.
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
382 Analyses et comptes rendus
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
pensée académique, on cherche un nouveau monde, on normalise l’anor-
mal. Dix-sept auteurs sont proposés, dans des présentations précises, docu-
mentées, allant à l’essentiel. On saisira la genèse de l’anarchisme moderne
avec Kropotkine, l’approche de la violence avec Sorel, le scepticisme prag-
matique de Vaihinger, l’angoisse exacerbée de Ganivet, l’irrationalisme
tragique et vitaliste d’Unamuno, le nihilisme de la finitude chez Michel
Staedter, le pessimisme individualiste de Rensi, le chaos vivant et le relati-
visme vital chez Tilgher, l’antidogmatisme solipsiste d’Auguste Levi. On
rencontrera ensuite des auteurs qui nous sont plus familiers comme Sartre,
Camus, Jean Wahl, Jankelevitch, Berdiaeff, Chestov, Cioran et Gabriel
Marcel. Ces orientations de la pensée moderne se trouvent dans le nomina-
lisme, l’empirisme, le relativisme et le nihilisme. Comme dans le Cratyle
(439 a-b), on est en présence d’une dynamique réductrice où les choses sont
ramenées aux noms correspondants. La raison est employée d’une façon
irrationnelle, dans l’invasion d’un univers mental devenu lieu technique.
L’expérience interne est réduite à une sensibilité complexe, associée dra-
matiquement à un abus d’abstraction. L’humain s’éloigne devant une rhé-
torique pessimiste et le rejet d’une métaphysique intégrale de la personne.
Michel ADAM.
tures, qui embrasse tous les champs de la culture. Par exemple, nous pour-
rons appréhender sous un regard plus précis l’opposition entre métaphy-
sique, d’un côté, et logique et herméneutique, de l’autre. Le problème posé
par les développements de la science, dans son rapport à celui, plus fonda-
mental, de l’homme lui-même permet de repérer avec exactitude ce qui
peut rassembler Bergson, Dilthey ou Husserl (un regard porté au fond
même de la vie et de l’action, par opposition à une approche purement
positiviste), tandis que leurs démarches les différencient très nettement.
S’agissant encore de Husserl, nous pouvons voir comment sa collaboration
avec Hilbert, autour d’un projet lié aux questions logiques et mathémati-
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
ques qui se posent en cette fin de XIXe siècle, ne laisse pas de véhiculer, par-
delà une apparente convergence de vues, une divergence d’horizon ; de
même que l’apparente proximité entre le même Husserl et Frege ne doit
pas nous masquer la discordance qui habite cette « parenté ». Il serait ici
trop long de reprendre le détail des savantes contributions qui composent
cet ouvrage. De convergences trompeuses en efforts sincères pour réaliser
une unité du penser, de rapprochements transdisciplinaires (musique,
science, philosophie par exemple) en éclaircissements conceptuels (l’éner-
gétique, le conventionnalisme, l’oubli, pour ne donner qu’un simple échan-
tillon), il nous ramène véritablement au cœur de problématiques qui,
aujourd’hui encore, nous concernent.
De fait, deux lectures sont à pratiquer. Chaque étude permet d’abord
d’étudier ponctuellement, par le biais de quelques œuvres particulières, un
héritage, des consensus apparents, des conflits plus ou moins latents et
relativement plus complexes que ne le laissent apparaître nos oppositions
habituelles. On devine alors l’enjeu plus large que recouvrent ces moments
de la pensée. Mais c’est encore en traversant l’ouvrage transversalement
que l’on peut voir se tisser des liens entre les différentes approches, discus-
sions, et champs intellectuels. On retiendra donc de cette étude une lecture
savante de l’époque « 1900 », qui permet de montrer l’ampleur du travail
effectué par des hommes dont certains sont aujourd’hui quelque peu tom-
bés dans l’oubli, et de mieux comprendre le visage actuel de la philosophie,
les enjeux de ses clivages, leur complexité. D’où une possible reprise de ces
tensions par une réappropriation de leur source.
Thierry de TOFFOLI.
et qui n’est qu’un moment d’une crise plus large, celle de la modernité.
L’éducation, selon Arendt, est engagée dans un processus nihiliste en ce
qu’elle semble avoir renoncé à sa finalité propre qui est de conserver. Le
conservatisme est l’essence même de l’éducation en ce qu’il a pour tâche
d’entourer et de protéger quelque chose : l’enfant contre le monde qui
menace de l’écraser, le monde contre la barbarie des nouveaux venus qui le
mettent en péril. La subversion de l’enseignement par le pédagogisme, le
refus des adultes d’assumer la responsabilité d’éduquer, la fétichisation de
l’enfance sont quelques-unes des caractéristiques de cette éducation
contradictoire qui est une menace pour « le monde », car elle touche à ses
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
fondements.
Les analyses d’Arendt sont d’une telle actualité que le commentaire
pourrait céder à la facilité de peindre du noir sur du noir. J. Lombard s’y
refuse et s’applique, plus utilement, à préciser en regard des thèses
d’Arendt ce à quoi elles s’opposent, et qui est visé parfois de façon trop
allusive. L’ouvrage comporte une bibliographie sélective en trois parties :
œuvres d’Arendt, commentaires, ouvrages relatifs aux problèmes actuels
de l’éducation.
Yves LORVELLEC.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
subversion.
Le deuxième registre, proprement philosophique, s’ouvre par l’article
de S. James, « Complicité et esclavage dans Le Deuxième Sexe ». Elle
questionne la manière qu’a Beauvoir de s’approprier la question du pou-
voir et de la transformer dans l’optique du féminisme. Quels sont les argu-
ments convoqués pour cerner la domination des hommes sur les femmes ?
Quelles sont les théories politiques qui naturalisent cette domination au
lieu d’y voir un accident historique ? Mais, surtout, le commentateur
épingle le contexte dans lequel Beauvoir pense cette domination. Non
selon la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave telle que Sartre la
repense, mais dans la tradition française (Arnauld, Nicole, La Bruyère,
Malebranche). La complicité des femmes dans leur propre domination
n’est pas comprise en termes hégéliens ou sartriens, elle est conçue comme
la condition de l’incarnation de leurs capacités et projets dans des circons-
tances sociales données. Il y aurait donc une tension, dans Le Deuxième
Sexe, entre la conception beauvoirienne de l’incarnation et la version sar-
trienne de l’homme comme jeu entre transcendance et immanence. C’est
en rapprochant Beauvoir de Kant que C. Wilson ( « Simone de Beauvoir
et la dignité humaine » ) montre que l’approche beauvoirienne, d’ins-
piration marxo-existentialiste, est plus pertinente que la morale kantienne
en ce que la dignité morale doit émerger dans les mêmes attitudes et acti-
vités que la dignité sociale. Car il est clair que la condition féminine ne
peut changer que si les femmes modifient la perception sociale qu’elles ont
d’elles-mêmes. Sur la lancée de son ouvrage de 2001, Simone de Beauvoir,
Philosophy and Feminism, Nancy Bauer, dans « Devons-nous lire Simone
de Beauvoir ? », fait retour à la réception ambivalente oscillant entre res-
pect et critiques féministes et montre que la transposition anglo-saxonne
est en partie due à l’aridité et à l’abstraction de la philosophie continen-
tale. Les griefs des mouvements féministes manquent Beauvoir quand
simultanément ils la perçoivent comme celle qui aurait opéré une simple
reprise de l’existentialisme sartrien tout en affirmant qu’elle invente
l’existentialisme en s’éloignant des idées de Sartre. Or, objecte N. Bauer,
l’allégeance à Sartre s’accomplit précisément quand elle devance le projet
existentialiste en rédigeant Le Deuxième Sexe. Par exemple, si elle part de
la relation moi/autrui, ce n’est pas pour conclure à l’impossibilité de la
réciprocité des consciences ; le respect mutuel devient au contraire le
point central de cet écrit comme dans celui de 1947. Elle s’appuie moins
sur une métaphysique ou une psychologie que sur la réalité sociale et sur
une anthropologie. Et notre exégète de conclure que la philosophie fémi-
niste doit avec S. de Beauvoir revoir l’articulation des problèmes et des
méthodes, notamment en prenant en considération la reprise beauvoi-
rienne de l’être-avec heideggérien (Mitsein), suggérant de nouvelles
perspectives.
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
386 Analyses et comptes rendus
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
abstraites, mais des êtres humains avec lesquels il vit. Dans sa réplique à
T. Moi, « Disant ce que nous signifions », A. Stevenson l’approuve dans ce
qu’elle refuse, mais elle fait observer que, pour dire ce que nous signifions,
encore faut-il le savoir, que l’intention peut être travaillée en agissant,
et modifiée dans le « procès de délibération pratique ». Il revient à
E. R. Grosholz de clore ce spicilège d’essais. Après le récit de sa fascination
pour Beauvoir et de sa lecture de Colette, « La maison que nous n’avons
jamais quittée : enfance, refuge, et liberté dans les écrits de Beauvoir et de
Colette », elle établit le contraste entre elles quant aux rapports à leur
mère, à l’enfance, les deux voies différentes de la liberté ; puis montre que
la première section du tome 2 du Deuxième Sexe est imprégnée de l’écriture
de Colette.
La richesse de ces contributions tient à la force des thèses soutenues,
mais aussi à cette manière originale de revisiter, à partir de S. de Beauvoir
toute la tradition philosophique d’Aristote à Arendt ou Habermas en pas-
sant par Malebranche, Kant et Hegel. Ce qui montre que l’héritage légué,
n’est pas seulement une nouvelle conception du monde mais une autre pra-
tique des grands auteurs.
Robert TIRVAUDEY.
Hölderlin ou Nietzsche. Le jeune Achille qui vole vers la mort, pour y trou-
ver la gloire, entretiendrait-il des « affinités électives » avec Siegfried ou tel
autre héros de Wagner ?
Le triste et le tragique engendrent deux formes théâtrales distinctes,
dont M. Sagnol ne va cesser de traquer les différences : le Trauerspiel et la
Tragödie. Dans ce dernier genre, le héros se rend coupable d’§briV (hybris)
et provoque le destin. La signification ici donnée à l’§briV s’infléchit dans le
sens d’une croyance, selon laquelle le bonheur serait quelque chose d’autre
qu’un cadeau des dieux. La découverte de ce bonheur consiste dans la déli-
vrance à l’égard du destin. L’homme devient majeur dans l’affirmation de
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
lui-même et sa rébellion contre la fatalité démoniaque. Prenant appui sur
deux œuvres de Goethe et de Calderón, l’auteur accorde la plus grande
importance à la dimension métaphysique de la tragédie. Le noyau central
du concept n’est pas constitué, en effet, par une faute éthique mais la faute
« créaturelle », sorte de péché originel, que l’être créé porte en soi, comme
marque de sa condition, et qu’il transmet de génération en génération. La
mort finale n’intervient pas comme châtiment, mais comme expiation. En
avance sur son temps, le héros va être sacrifié comme victime expiatoire,
d’où son silence ( « douleur sans voix » ) devant une situation qui le
dépasse et dont l’§briV paie le droit par la mort.
Finalement, la tragédie repose sur une vision optimiste de l’histoire qui
tranche avec la vision désespérée du Trauerspiel. Ce dernier appartient au
registre de la plainte ou de la déploration, que le chœur entonne et réper-
cute, alors qu’il joue le rôle inverse dans la tragédie : celui d’un obstacle au
développement des affects. Les liens subtils tissés entre la mélancolie et
l’allégorie font l’objet d’analyses délicates. L’allégorie constitue, par son
caractère mort et figé (à la différence du symbole), son déroulement pro-
gressif à travers le temps, l’unique et puissant divertissement offert au
mélancolique. En résumé : « La tragédie, partant de l’ordre mythique, fait
émerger l’histoire, la transcendance à partir de la nature ; le Trauerspiel,
au contraire, partant de l’histoire, la transforme en nature mythique »
(p. 229).
La théorie de W. Benjamin apporte donc sur ces deux concepts des
vues originales, à contre-courant de nombre d’idées reçues, et leur confère
une dimension métaphysique indiscutable. Comme toujours, dans les
œuvres de cet auteur, on est frappé par le fait que les références littéraires,
à la base de sa construction théorique, demeurent, d’une part, réduites
(une œuvre de Goethe, une de Calderón, quelques textes de Baudelaire) et,
d’autre part, limitées à un certain horizon culturel (comment intégrer,
dans cette vision, les héros de Shakespeare ou de Racine ?). Le rapport par-
ticulier qu’entretient l’allégorie avec la temporalité apporte une lumière
nouvelle, mais la figure de style y subit un effet indéniablement réducteur
et mériterait, de toute façon – tellement ses formes sont multiples, variées,
diversement interprétées –, une exploration analytique plus élaborée.
Jean DUBRAY.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
ne plus entendre. [...] Il a su donner à la grande tradition occidentale,
celle d’individualisme et de compréhensibilité, un nouveau visage en en
extrayant de nouvelles valeurs. »
Les huit auteurs du présent recueil examinent la doctrine bergsonienne
à partir de thèmes concrets : la mémoire, la perception, la relation entre
l’âme et le corps, le problème du dualisme, la liberté, la connexion réci-
proque entre le mouvement, le temps et l’espace. J. Fulka ( « Bergson et le
problème de la mémoire » ) voit dans la démonstration de l’ « autosuffi-
sance ontologique du passé », qui, par le souvenir, la mémoire, intervient
dans notre perception du présent et modifie son image, « une des pensées
plus originales de Bergson » (p. 26-27). M. Petríçek ( « La fiction de
l’image : l’imagologie de Bergson » ) compare le procédé phénoménologique
de Husserl et celui du philosophe français. O. Švec ( « Le dualisme néo-
cartésien de Bergson » ) traite de la critique du dualisme traditionnel fondé
sur la distinction rigide, abstraite, entre l’âme et le corps, et de la nécessité
de la concevoir comme évolutive, concrète, temporelle. En confrontant
« La conception de liberté chez Bergson » avec d’autres thèses, J. Capek,
suivant Merleau-Ponty, conclut que la théorie bergsonienne échoue à « éta-
blir une fois pour toutes [...] le fait que la liberté apparaîtra ou comme un
acte libre ou comme un acte de volonté », car ce qu’il faut chercher, ce
« n’est pas le sentiment de liberté, mais son sens » (p. 90). P. Kouba ( « Le
mouvement entre le temps et l’espace : le combat de Bergson avec sa propre
découverte » ) apprécie l’effort de Bergson pour cerner et mettre en relation
la matière et la mémoire, l’espace et le temps, mais voit dans l’option de « la
pureté de la durée temporelle » (p. 105) un tribut à la Lebensphilosophie de
l’époque. Suit une traduction d’un chapitre ( « Bergson and Einstein. Phy-
sical word as extensive becoming » ) du livre de M. Capek, Bergson and
Modern Physics (Dordrecht, 1971), auteur de la première et unique mono-
graphie tchèque consacrée au philosophe français (Henri Bergson, Prague,
1939). J. Hrdliçka ( « De l’intuition chez Bergson » ) essaie de la décrire
« comme acte » (p. 128) à partir de ses quatre fonctions dans l’œuvre en
tant qu’attitude intuitive, acte intuitif de connaissance, faculté spirituelle
et méthode. Enfin, dans un texte non centré directement sur la philosophie
bergsonienne, A. Markoš tente de montrer que le progrès actuel de
l’épistémologie scientifique pourrait « conduire à une nouvelle synthèse où
le primat de la biologie sur la physique remplacerait celui de la physique sur
la biologie » (p. 151) ; il note que, jusqu’ici, les propos précurseurs de Berg-
son concernant ce domaine n’ont pas été pris en considération.
Le volume se termine par une bibliographie primaire (les œuvres de
Bergson en français et les traductions tchèques) et secondaire (les ouvrages
cités) ; on peut s’y étonner de l’absence de quelques études de référence
(H. Gouhier, H. Hude, A. de Lattre, etc.).
Zdenék KOURÍM.
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
Bergson 389
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
trice et témoigne d’une lecture unique d’Aristote et de Descartes. Un cours
« admirable », comme le dit Frédéric Worms, pour son double effort cri-
tique et interprétatif.
Un deuxième moment des Annales est consacré à un cours inédit de
Deleuze sur Bergson, et plus précisément sur le chapitre III de L’Évolution
créatrice. Ce cours a été prononcé en 1960, six ans avant la publication de
son Bergonisme, et constitue une étape essentielle d’une lecture commencée
dès 1956. Il témoigne moins d’une perspective d’un auteur sur un autre que
de deux mouvements singuliers qui se croisent, se séparent et s’éclairent,
comme le montre la très pertinente introduction d’Anne Sauvagnargues.
La différenciation, comme pivot de la métaphysique deleuzienne, s’élabore
dans une lecture de Bergson, dont ce cours est une étape remarquable.
Ensuite, un dossier important, issu de deux colloques tenus respective-
ment à Prague (2002) et à Paris (2003), sur « Bergson et la phénoméno-
logie », établit des relations privilégiées aussi bien entre problèmes com-
muns et solutions opposées, concernant le mouvement, la conscience, la
vie, la liberté, la corrélation, qu’à travers des rencontres, de Husserl à
Levinas en passant par Scheler et Ingarden, Sartre ou Merleau-Ponty. Ces
études confirment que cette relation entre Bergson et la phénoménologie
est « l’une des principales relations philosophiques du siècle » (F. Worms).
Cette confrontation « ramène la phénoménologie à son origine, dans son
partage intérieur d’avec la vie, tout comme elle renvoie le bergsonisme à
son unité, dans sa relation à une vie, où est cependant toujours à l’œuvre
un acte de conscience » (p. 12). Le tout est complété par deux études sur
des lettres inédites et sur la relation entre Canguilhem et Bergson, ainsi que
des recensions d’ouvrages.
Patricia VERDEAU.
Frédéric Worms, Bergson ou les deux sens de la vie, Paris, PUF, 2004, « Qua-
drige », 361 p., 15 E.
que le problème de leur dualité même. Dans Matière et mémoire, les plans
de conscience, sur le plan psychologique, et les degrés de durée, sur un plan
métaphysique, unissent des termes opposés mais renvoient à la durée. La
distinction entre durée et espace semble résolue au bénéfice ontologique de
la durée, mais une question se pose à la fin du chapitre II : « La dualité de
la vie psychologique peut-elle renvoyer à une dualité de la vie réelle et bio-
logique, sans perdre du même coup l’unité de la durée ? » (p. 166). La pers-
pective d’une vie pratique en suspens trouvera son éclaircissement dans
L’Évolution créatrice, moment de l’œuvre où la distinction et l’unité sont
affirmées. Il s’agit, pour Bergson, de montrer que l’étude de la vie rend
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
compte de l’origine de l’écart entre notre connaissance et la réalité, mais
aussi des moyens de le surmonter, de sorte que toute la philosophie pourra
être considérée comme un « évolutionnisme vrai ». Dans le dernier livre de
Bergson, l’expérience morale et religieuse rend compte d’une nouvelle sur-
prise intérieure ou intuitive : « L’expérience où l’homme prend conscience,
en quelque sorte de ce double sens de la vie, de sa double relation à la vie,
renouvelle ce double sens lui-même, devenu intrinsèquement moral et
métaphysique » (p. 18). Il est nécessaire de relier l’expérience de la clôture
et de la fermeture à l’expérience même de la vie. Nous sommes ainsi invités
à « rendre compte des pointes extrêmes de notre expérience, de la souf-
france et de la joie, où la vie perd ou trouve son sens » (p. 345). Plus que
jamais, nous sommes invités à une biologie au sens « très compréhensif »
qui oblige à étudier scientifiquement les aspects de notre vie, et précisé-
ment ceux qui lui donnent son sens métaphysique. Entre vie et connais-
sance, vie organique et vie individuelle, l’étude de Frédéric Worms effectue
des traversées, approfondit les tensions à l’œuvre et rend compte in fine
des tâches fondamentales de la philosophie.
Patricia VERDEAU.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
voir créateur en lui accordant une existence libre ; pour d’autres, elle se
révèle dans la position d’être en face de..., d’être la chose de..., d’être dans
l’Être... C’est avec « Chestov devant Nietzsche » qu’elle lève le problème
de fond du penseur russe : « Lorsque nous sommes affrontés à l’intolérable,
traqués jusqu’à la mort au-delà des forces humaines, le cri primitif de fai-
blesse et de peur qui nous échappe malgré nous a-t-il un rapport quel-
conque avec le vrai ? » (p. 203). C’est sur cette alternative que s’achève cet
ensemble de Notes : « Je n’ai pu ni adopter sa position ni la rejeter absolu-
ment. C’est peut-être que l’existence concrète ne comporte pas pour moi la
possibilité d’un tel choix. Dans l’adhésion qu’obtient de nous l’énig-
matique banalité, il n’y a place ni pour le oui sans réserve de Nietzsche, ni
pour le non sans nuances de Chestov » (p. 247-249).
Robert TIRVAUDEY.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
parties du cours de logique est présentement traduite.
Robert TIRVAUDEY.
Paola Marrati, Gilles Deleuze, cinéma et philosophie, Paris, PUF, 2003, coll.
« Philosophies », 126 p.
Les travaux sur l’empirisme logique ont connu, depuis une vingtaine
d’années, un fort renouveau, dont les livres de Coffa, Stadler, Friedman
notamment témoignent. À la fois on revisite de nombreux thèmes positi-
vistes à la lumière des analyses contemporaines (par exemple les questions
de l’a priori, des définitions implicites, des énoncés d’observation) et on
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
étudie les doctrines du Cercle de Vienne et de ses associés de manière un
peu plus historique. Le premier livre participe de ce mouvement. Il offre
une analyse intéressante du positivisme viennois comme réaction à la
conception kantienne de la connaissance, et fournit des analyses riches et
informées sur Schlick, Neurath, Carnap et Reichenbach. Dans une
deuxième partie, l’A. donne des matériaux d’archive, des lettres entre
Schlick et Reichenbach. La troisième réévalue le thème de l’analyticité et
celui des énoncés d’observation à la lumière des critiques de Quine et de
Kuhn notamment. C’est un ouvrage savant et utile.
Le second volume est un ensemble d’articles, où l’A. essaie de trouver
une sorte de voie moyenne entre, d’une part, une forme de réalisme scienti-
fique « dur » (à l’australienne) et, d’autre part, une conception herméneu-
tique, foncièrement antiréaliste. C’est un projet au cœur d’une bonne partie
de la philosophie contemporaine, bien que les contours n’en soient pas ici
assez dessinés. Quoi qu’il en soit, ce sont des livres très stimulants, savants
et riches qui témoignent, une fois encore, de l’ouverture et de la qualité de la
philosophie italienne contemporaine analytique.
Pascal ENGEL.
Ces trois recueils de textes, auxquels ont contribué plus d’une ving-
taine d’auteurs, sont issus de trois rencontres qui ont eu lieu en 1996
et 1997.
Le premier volume est consacré au cours de Foucault donné en 1975-
1976 au Collège de France et intitulé Il faut défendre la société (Galli-
mard / Le Seuil, coll. « Hautes études », 1997, premier cours publié d’une
série de treize dont plusieurs sont parus à ce jour). Le titre de ce cours para-
phrase un énoncé qui exprime l’origine de la bio-politique : ce n’est plus
une collectivité donnée qui en combat une autre, mais plutôt la société elle-
même qui gère la vie de sa propre population en obéissant à la logique d’un
« racisme d’État ». D’où la nouvelle préoccupation, issue de l’âge clas-
sique, visant à opérer une purification de la société. Il s’agit donc d’un
thème charnière dans le parcours de Foucault qui quitte l’analyse des insti-
tutions (d’Histoire de la folie de 1961 à Surveiller et punir de 1975) pour
s’intéresser aux questions « plus générales » liées au rapport entre la vie et
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
394 Analyses et comptes rendus
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
véritable spécificité du cours de 1975-1976 est moins d’introduire une nou-
velle problématique que de constituer un point de passage entre « la fin
d’un cycle d’analyse généalogique », intéressé aux systèmes de répression
institutionnalisés et aux négativités (asile/folie, hôpital/maladie, pri-
son/délinquance, etc.), et « un autre mode d’analyse qui se donne en termes
d’intensification, de production ». Gestion productive qui conduira plus
tard Foucault, pourrait-on ajouter, à interroger les processus de constitu-
tion de soi. T. C. Holt montre enfin l’utilité de la conception foucaldienne
du racisme dans l’analyse des sociétés esclavagistes américaines. L’ouvrage
est entrecoupé de deux séries de discussions et constitue une excellente pré-
sentation des principales problématiques développées par Foucault dans ce
cours de 1975-1976.
Le deuxième volume étudie les rapports de Foucault à certains philo-
sophes (Spinoza, Kant, Hegel, Deleuze), courants de pensée ou périodes
historiques (Renaissance, Aufklärung, phénoménologie). Le sarcasme de
Foucault l’amenait parfois à dévaluer la philosophie dans ses ambitions
théoriques. C’est le cas, par exemple, lorsqu’il présentait le panoptique
de Bentham comme « plus important pour notre société que Kant ou
Hegel » (Dits et écrits, II, Gallimard, 1994, p. 594). Mais il demeure aussi
vrai qu’il n’a jamais véritablement rompu le dialogue avec la tradition
philosophique. Cette portée philosophique de l’œuvre foucaldienne est
bien mise en valeur par le deuxième volume des Lectures de Foucault. Les
premier et dernier chapitres de l’ouvrage semblent se répondre en interro-
geant certaines lacunes ou incohérences liées à l’anti-hégélianisme de Fou-
cault. J. d’Hondt oppose au discontinuisme foucaldien, victime de
« l’idéologie française de la rupture » (coupure épistémologique de Bache-
lard et rupture épistémologique d’Althusser), un certain idéal hégélien
d’homogénéité et de continuité historique. F. Fischbach explique que le
projet de Foucault de « poser un diagnostic sur notre actualité » ne
trouve pas son origine uniquement chez Kant, mais constitue une sorte de
synthèse entre le criticisme réflexif kantien et la détermination hégélienne
de notre situation dans le présent. Après avoir rappelé quelques emprunts
de Foucault au mouvement phénoménologique (origine husserlienne de la
notion d’a priori historique et reprise de la problématique merleau-
pontienne du « voir » et du « dire »), B. Han rend compte de l’adoption
par Foucault de l’approche généalogique par l’échec de la méthode
archéologique qui oscille entre un réalisme (les mots se définissent en réfé-
rence aux choses) et un nominalisme (c’est à partir des mots qu’on peut
concevoir les productions discursives). O. Remaud trace quelques paral-
lèles entre Spinoza et le Foucault d’après 1975 (on rappelle que Foucault
lisait l’Éthique sur son lit d’hôpital en 1984), en rapprochant notamment
le souci de soi d’une technologie des affects, la destruction par Foucault
du modèle juridique de la souveraineté de l’exercice spinoziste du droit
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
Foucault 395
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
adopté des positions en partie opposées. P. Artières analyse la manière
particulière qu’avait Foucault de faire de la philosophie en s’intéressant
à différents genres d’écriture et à différentes mises en scène discursives.
Il montre ainsi à l’œuvre dans Surveiller et punir la présence d’un qua-
drillage qui n’est pas simplement spatial, mais aussi scriptural. T. Dagron
s’intéresse à une période quelque peu négligée au sein des études fou-
caldiennes, et non moins déterminante, celle de la Renaissance, qui
constitue le point de départ de l’Histoire de la folie et de Les mots et les
choses. En citant certains représentants de la Renaissance (Pic de la
Mirandole, G. Bruno, N. de Cues, etc.) et en s’appuyant de manière éru-
dite sur plusieurs historiens de la Renaissance (Cassirer, Panofsky,
Garin, etc.), il présente le rapport de Foucault à la tradition historiogra-
phique comme relativement orthodoxe, tout en soulignant l’originalité de
l’approche foucaldienne par laquelle la Renaissance trouve une certaine
actualité.
Le troisième volume porte sur les milliers de pages correspondant aux
conférences, interviews et textes rédigés par Foucault en marge de ses
livres et de ses cours qui furent rassemblés et publiés dans les Dits et écrits
(4 vol., Gallimard, 1994). Contenant des éléments essentiels sur l’unité de
son travail, cette série de mises au point, de bilans rétrospectifs et
d’annonces des recherches à venir est en quelque sorte l’Ecce Homo de Fou-
cault. Les contributions réunies dans ce troisième volume fournissent des
clés d’accès à cette œuvre qui n’en est pas véritablement une, puisque la
masse de textes qui la composent furent rassemblés dix ans après la mort
de l’auteur. P. Sabot s’intéresse à la vingtaine de textes consacrés à la litté-
rature par Foucault entre 1962 et 1964. Foucault associe alors le « dehors »
et « l’absence d’œuvre » à une expérience littéraire pour laquelle Sade,
Nerval, Artaud, Roussel (Foucault lui consacre un livre en 1963) et
d’autres offrent une véritable perspective critique sur notre situation his-
torique. J.-F. Pradeau étudie les « dits et écrits » de 1981-1984 où Fou-
cault explique le passage allant de son intérêt pour la critique des techni-
ques d’assujettissement institutionnels (années 1960-1970) à l’analyse des
modes de subjectivation (années 1980). Celle-ci n’est pas un « retour au
sujet » comme certains ont pu le prétendre, mais constitue plutôt le pré-
lude à une pensée politique (le « gouvernement des autres ») qui est cepen-
dant demeurée programmatique en raison de la mort prématurée de Fou-
cault. B. Vandewalle soutient que la persistance des préoccupations
anthropologiques chez Foucault se trouve le plus clairement exprimée dans
les Dits et écrits. Bien que s’appuyant peu sur les Dits et écrits, A. Marino
offre des éléments intéressants d’analyse sur la convergence des modes de
véridiction et de subjectivation vers la création d’un êthos. Suit une étude
comparative des deux versions de « Qu’est-ce que les Lumières ? » conte-
nues dans le tome IV des Dits et écrits (textes 339 et 351). F. Brugère y
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
396 Analyses et comptes rendus
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
cante (1983-1984) en définissant le complexe savoir/pouvoir/sujet comme
un processus simultané de « véridiction », de « gouvernementalité » et de
subjectivation qui constitue, en outre, un lointain écho aux trois Critiques
kantiennes.
Si ces contributions sont parfois de valeur inégale, l’ensemble conserve
une grande qualité. Chacun des volumes de cette trilogie aborde le travail de
Foucault sous un angle à la fois spécifique et pertinent.
Alain BEAULIEU.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
de l’analyse de « représentations » à celle de « dispositifs de pouvoir ».
C’est ainsi, par exemple, que, abordant la question de la structure fami-
liale, il renvoie dos à dos les historiens qui analysent le Code civil
comme ayant donné à la famille « le maximum de pouvoir » et ceux qui
parviennent à des conclusions opposées : il montre que le Code en a sur-
tout redéfini les contours, qu’il a concentré la structure familiale autour
de cette « micro-cellule des époux et des parents-enfants », et permis que
se constitue là une « alvéole de souveraineté » et que se mettent en place
des dispositifs disciplinaires (28 novembre 1973). Dans la même leçon,
Foucault présente pour la première fois son hypothèse d’une « société
disciplinaire généralisée », qu’il reprendra dans Surveiller et punir, mais
qu’il rectifiera quelques années plus tard. Parallèlement, le registre
d’analyse change, et l’approche en termes d’ « archéologie », qui souli-
gnait la succession de strates, fait place à une approche que Foucault dit
« généalogique », qui insiste sur les filiations et les lignages entre les dif-
férents phénomènes.
En 2004, année du 20e anniversaire, deux nouveaux volumes sont édi-
tés, présentés et annotés par Michel Senellart. On y trouve, avec le même
plaisir et le même intérêt de lecture, les cours des années 1977-1978
et 1978-1979, intitulés Sécurité, territoire, population et Naissance de la bio-
politique. La continuité entre les deux est manifeste : on aurait pu les réu-
nir en un seul volume, sous le titre du second, Michel Foucault ayant lui-
même annoncé, dès le 17 mars 1976, son projet de commencer l’étude du
« biopouvoir » ; cependant, cette question de la biopolitique reste finale-
ment en suspens, et le titre le plus conforme à ce dont il est question tout
au fil des leçons aurait pu être « Histoire de la gouvernementalité », notion
avancée dès le 22 février 1978.
Depuis le début de ses cours au Collège de France, Foucault articule sa
pensée sur l’analyse de cas concrets, de techniques et de pratiques. Il ne
s’attache donc ni aux théories de la souveraineté, ni au jeu des forces poli-
tiques, mais aux techniques de pouvoir. Il analyse l’État à travers
l’évolution des pratiques de gouvernement, à différents niveaux hiérarchi-
ques et jusqu’aux « micropouvoirs ». Cette évolution des pratiques n’est
pas considérée dans la stricte perspective d’une connaissance du passé :
comme toujours chez Foucault, nous avons affaire à un stimulant diagnos-
tic du présent qui prend les formes d’un détour par l’analyse historique.
L’argumentation est développée en deux temps, réfutation puis affirma-
tion, suivis d’une interrogation. Dans un premier temps, Foucault montre
l’erreur des analyses du libéralisme animées par une « phobie d’État » qui
caractérisait, à l’époque, certains discours d’extrême gauche, soutenus par
exemple par Deleuze ou Guattari (dénonçant le fascisme de l’État bour-
geois, instrument de domination de classe, monstre froid, etc.). Il analyse
l’avènement du libéralisme (dans Sécurité, territoire, population) et du néo-
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
398 Analyses et comptes rendus
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
jettis a fait place à un gouvernement libéral de vivantes masses de popula-
tion, pour lesquelles l’extension de la liberté individuelle est inséparable du
besoin de se voir garantie une certaine sécurité. L’exemple du traitement
de la variole (25 janvier 1978) est symptomatique : le gouvernement disci-
plinaire isole les malades, les met en quarantaine, les surveille individuelle-
ment, alors que le gouvernement libéral se place dans une dynamique de
prévention, dresse des courbes épidémiologiques, vaccine, vise à prévenir
pour éviter d’avoir à guérir, intervenant peut-être plus que ne le faisait un
gouvernement disciplinaire, mais de façon moins directement coercitive,
plus douce. La logique disciplinaire impose de façon autoritaire, la logique
libérale influence en organisant des régulations. La biopolitique est donc
un pouvoir qui investit la vie quotidienne, qui ne s’exerce plus directement
sur le corps des individus mais qui influence, de façon diffuse, l’ensemble de
la population. On passe de la réglementation, tatillonne et précise, qui seg-
mente la société, à la gestion prévisionnelle, qui établit des probabilités et
opère une double intégration, toujours plus étendue : de plus en plus de
paramètres dans les modalités de gouvernement, et de plus en plus
d’individus dans une masse globale. La gouvernementalité tend vers la glo-
balisation et la mondialisation.
Deux ouvrages consacrés à l’œuvre de Foucault retiennent l’attention.
Le « Que sais-je ? » Michel Foucault, de Frédéric Gros, est réédité. Il
s’agit d’un ouvrage fondamental, qui permet au lycéen ou à l’étudiant
débutant de se familiariser avec l’œuvre, mais aussi au chercheur
confirmé de se confronter au point de vue, toujours clairement argumenté,
de l’auteur de l’étude. Après une première partie consacrée à la bio-
graphie, de la jeunesse dans le Poitou jusqu’aux derniers voyages et pro-
jets d’expatriation, Frédéric Gros développe son analyse de l’œuvre en
trois chapitres. Les premiers retracent l’évolution de ses différents thèmes
(la folie, l’expérience littéraire, les sciences humaines, la société discipli-
naire, le capitalisme, la gouvernementalité...) en distinguant deux étapes :
« L’archéologie des sciences humaines » et « Pouvoir et gouvernementa-
lité ». Le troisième, « Les pratiques de subjectivation », commence par
traiter de « l’énigme du dernier Foucault » et enchaîne de stimulants
allers-retours entre les concepts abordés par l’auteur à la fin de sa vie et
ses travaux ou projets antérieurs. La conclusion rappelle la tâche assignée
par Foucault à la philosophie (produire des savoirs qui puissent s’opposer
aux gouvernementalités dominantes) et montre comment il a essayé de
l’accomplir : « en nous racontant des histoires », dans les trois acceptions
du terme (récit, domaine du savoir, registre d’actions).
Les Éditions Sils Maria, dirigées par Stéfan Leclercq, inaugurent avec
Abécédaire de Michel Foucault une collection intitulée « ABéCédaire »,
dont le nom fait explicitement référence à l’entreprise vidéographique de
Gilles Deleuze ; on se trouve en présence de ce qu’on pourrait appeler une
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
Gadamer 399
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
vaste, comme l’avait d’ailleurs montré Gilles Deleuze lui-même, dans son
Michel Foucault (Minuit, 1986). On remarquera néanmoins les articles
« Désir », « Plaisir » et « Rapport à soi », dans lesquels Philippe Mengue,
bien connu pour ses travaux concernant Deleuze et Sade, propose
d’enrichir l’analyse foucaldienne du plaisir en l’articulant avec l’inter-
prétation positive du désir présente dans Histoire de la folie ; ce faisant, il
réhabilite la psychanalyse mise à mal dans La volonté de savoir et L’usage
des plaisirs.
Si le « Que sais-je ? » est sans doute mieux adapté pour une première
approche de Michel Foucault, cet Abécédaire se prête particulièrement à la
stimulation intellectuelle de chercheurs poursuivant des travaux sur ou à
partir de ses œuvres. Rien ne remplacera, pourtant, la lecture in extenso de
ses cours : l’intérêt de ceux qui viennent de paraître suscite l’attente des
publications à venir.
Philippe COMBESSIE.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
2002). Dès l’avant-propos, G. Deniau et J.-C. Gens soulignent que le point
nodal de ces études porte sur l’opus magnum de 1960, Vérité et méthode,
sans oublier pour autant les dix volumes des Gesammelte Werke [GW] du
fondateur du mouvement de l’herméneutique philosophique.
F. Volpi aborde le problème de la praxis, selon le mode par excellence
de l’agir politique, en se demandant s’il rentre dans les formes « extra-
méthodiques » de la vérité, et indique comment l’herméneutique philoso-
phique contribue à libérer la praxis du « malentendu objectiviste » qui a
conditionné la science politique moderne. Dénonçant la synonymie généra-
lisée de l’histoire, du langage, du dialogue et du jeu, opérée par W. Schultz,
élève de Gadamer, Y. Élissalde se donne pour objectif de « définir
l’interprétation » par un dialogue critique avec le Maître. G. Deniau dis-
cute le sens et la signification des termes de « sens » (Sinn) et de « signifi-
cation » (Bedeutung) dans l’herméneutique gadamérienne. A. Stanguen-
nec, dans « L’appropriation de l’histoire chez H.-G. Gadamer », vise chez
celui qui incarne ce qu’on appelle la seconde École de Francfort la manière
pour l’homme de s’approprier son temps historique.
Si la position philosophique d’ensemble de Gadamer est ramassée dans
la formulation affirmant que « l’être, qui peut être compris, est langage »,
R. Dottoti privilégie cette autre formule : « La dialectique doit se
reprendre dans l’herméneutique » qu’il puise dans l’étude « L’idée de la
logique hégélienne », parue dans Hegels Dialektik (GW 3). Aussi dégage-t-il
l’interprétation gadamérienne de Hegel centrée autour des notions d’être,
de logos et de langue.
Suivent trois études comparatives : « Gadamer et Bultmann » de
J. Grondin, « Gadamer et l’herméneutique post-romantique de Kierke-
gaard » de V. Delecroix, et « Le dialogue de la poésie. Entre Gadamer et
Celan » de D. Di Cesare. K.-O. Apel, quant à lui, entre en débat avec
l’auteur de Vérité et méthode par une intervention au titre délimitant son
enjeu : « Idées régulatrices ou advenir de la vérité ? », précisé par le sous-
titre : « À propos de la tentative gadamérienne de répondre à la question
des conditions de possibilité d’une compréhension valide », justifiant la
solution du problème comme la tâche de son propre philosopher.
L’identification entre l’herméneutique et la philosophie gadamérienne,
relève G. Scholtz, risque d’emporter dans le non-sens les sciences de l’esprit.
En effet, face aux attaques des scientistes et de certains déconstructivistes,
il est urgent de montrer que la critique de l’herméneutique de Gadamer ne
doit pas entourer la perte de la légitimité des sciences de l’esprit. Dans
« Remarques sur Gadamer et la philosophie italienne », F. Vercellone
s’attache à la réception de Gadamer en Italie, notamment chez E. Betti,
L. Pareyson et G. Vattimo.
« La question que nous voudrions poser, c’est de savoir si la pensée de
Dilthey ne peut être réinterrogée que dans le cadre d’un stérile combat
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
Gadamer, Gauchet, Girard 401
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
Marcel Gauchet, La condition historique, entretiens avec François Azouvi
et Sylvain Piron, Paris, Stock, 2003, coll. « Les Essais », 357 p., 20 E.
Bien que Marcel Gauchet fût très connu, et très présent, quoique ce
soit plutôt à l’arrière, sur la scène intellectuelle contemporaine, aucun
panorama de l’ensemble de ses travaux et de son parcours intellectuel
n’existait jusqu’à ce jour. Cette lacune est comblée par ce passionnant livre
de dialogues. Marcel Gauchet ne propose pas seulement une analyse spec-
trale de l’époque, de ses contradictions et de ses « crises » : crise de la cul-
ture, crise de l’école et de l’Université, crise de l’histoire, crise du sujet,
crise du religieux, et crise de nos démocraties. Il déploie une réflexion origi-
nale sur les relations ambiguës, parfois à front renversé, entre les savoirs,
les droits de l’homme et la démocratie (aucun des trois ne progressant en
ligne droite) ainsi que sur le changement qui affecte la condition humaine
lorsqu’elle devient condition historique. La vérité de cette condition, ce
n’est pas l’homme promis à se trouver, c’est l’humanité devenue définitive-
ment une énigme pour elle-même. Les questions évoquées par le biais de
coups de sonde sont aussi variées et décisives que la matrice de mai 1968, le
structuralisme et la phénoménologie, l’invention monothéiste, la revue
comme creuset de la vie intellectuelle, que faire de Freud un siècle après la
découverte de l’inconscient, l’idée d’une histoire du sujet, la sortie de la
religion et la Révolution française, les totalitarismes, la place des intellec-
tuels aujourd’hui, les pouvoirs de la philosophie si elle veut penser le pré-
sent. Si le spectre est large, la précision et la pertinence de l’analyse sont
constantes. Ce qui a servi à Gauchet de guide et de boussole est cette obser-
vation qu’une partie du travail philosophique lui semble devoir consister à
éclairer la situation qui nous est donnée par l’histoire afin de discriminer
les possibles pertinents et les tâches sensées. Cet exercice de réflexion est la
réforme de l’entendement appelée par la condition historique.
Guy SAMAMA.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
travail sur le religieux dans Le feu sacré.
Ce qui est frappant à cette lecture, c’est d’abord l’immense culture lit-
téraire, scientifique et anthropologique de René Girard. Mais c’est aussi la
manière dont il revient sans cesse sur ses travaux, et sur les malentendus
qui les ont parfois accompagnés, décrivant sa recherche comme une sorte
de roman à énigmes, dès lors qu’il faut résoudre non pas un crime unique,
mais une multitude de crimes analogues au crime initial. Or, si notre
monde moderne peut se définir comme une série de crises mimétiques tou-
jours plus intenses, mais qui ne peuvent plus être résolues par le méca-
nisme du bouc émissaire, relire René Girard nous permettra de com-
prendre par quels biais le phénomène de la violence collective est de
nature religieuse.
Guy SAMAMA.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
dépassement de la métaphysique. On voit en effet s’opposer une philo-
sophie qui s’emploie à penser logiquement ce qui est, et une pensée qui
remonte vers l’Être comme ce vers quoi l’étant vient à la présence. Or la
considération platonicienne et plotinienne de l’épékeina tès ousias semble-
rait bien venir inquiéter ce partage et exiger un élargissement du sens de la
constitution. En effet, selon que le Principe est un étant fondamental ou
un au-delà de l’ « étance », la constitution change de sens : ou bien un
logos déterminant qui dit quelque chose sur quelque chose, ou bien un
logos indéterminant, qui se délie de la détermination et de l’ « étance ».
Nous serions ainsi reconduits vers Plotin qui, après avoir posé l’Un comme
au-delà de la détermination, distingue la voie de la thèse, qui détermine
l’Un comme un étant, et la voie de la levée, qui abolit la détermination et
respecte l’irréductibilité du principe, sa liberté. Or, si Hegel semble conju-
guer ces deux voies, Heidegger retrouve la voie plotinienne.
Jean-Marie VAYSSE.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
L. Marion, c’est en appeler à l’ « Archi-Révélation de la Vie ». Car seule la
Vie en son « Archi-passibililé » appelle encore lorsque l’être s’est tu. Contre
la décision galiléenne qui réduit le monde humain au monde de la science,
c’est avec Descartes que Michel Henry opère une « contre-réduction ». Au
lieu d’exclure du champ de la connaissance la sensibilité, les passions, les
émotions, la volonté – en un mot, la subjectivité selon toutes ses modali-
tés –, il les accueille car elles constituent la substance même de notre être
en son immédiation pathétique.
C’est à l’épreuve d’une phénoménologie de la naissance, de l’incan-
tation, de la souffrance, du toucher, de l’expérience d’autrui qu’il remonte
au christianisme par-delà toute la tradition philosophique depuis les Grecs
qui pensent le Logos comme Logos du monde, le corps comme corps mon-
dain, l’homme comme être pensant pour appréhender le Logos en tant que
Logos de la Vie. « Ultimement dons ce Logos de Vie qu’est le Verbe de
Dieu » (p. 177). Michel Henry reprend les deux propositions de Jean ( « Au
début était le Verbe », « Et le Verbe s’est fait Chair » ) en montrant que le
procès de l’autorévélation de Dieu en son Verbe engendre celui-ci comme ce
en quoi ce procès consiste : « Au début. » La seconde proposition se com-
prend si quelque chose comme une chair s’auto-impressionne dans l’Archi-
passibililé de la Vie absolue en son Verbe. La phénoménologie de l’imma-
nence, qui se réclame de Spinoza, s’oppose ainsi à toute phénoménologie de
la transcendance en excluant le « hors-de-soi » de la phénoménalité propre
à la vie comprenant l’immanence de la vie comme pur pathos, en saisissant
la génération dans la Vie absolue de tout vivant comme une relation elle-
même immanente.
De la subjectivité brasse les diverses formes historiques de la critique du
sujet en se bornant à repérer son enracinement philosophique chez Heideg-
ger, son origine extra- ou paraphilosophique dans les sciences humaines,
notamment dans le marxisme et le freudisme, et dont le couronnement sera
le structuralisme. Le paradoxe est que ces critiques du sujet se sont déve-
loppées dans une méprise de la philosophie cartésienne du cogito. Car Des-
cartes inaugure la philosophie du sujet en faisant retour à cette essence ori-
ginelle de la subjectivité qu’est l’affectivité en conduisant une époché
radicale du monde. L’erreur grossière de toute critique du sujet est pro-
duite par Descartes pour des raisons essentielles. Car, si le cogito ne signi-
fie pas « je pense », mais ce qui apparaît immédiatement à soi dans
l’apparaître pur, donc la subjectivité comme immédiation pathétique de
l’apparaître comme auto-apparaître, Descartes recule pourtant devant la
phénoménalité effective de ce non-voir. Il reste rivé à l’idée que la pensée
est lumière et représentation. C’est donc dès son acte de naissance que la
philosophie du sujet a avorté. À l’exception d’un certain Descartes (notam-
ment l’article 76 des Passions de l’âme) et de Maine de Biran (qui pose de
manière systématique la question de la subjectivité : existe-t-il un mode de
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
Henry 405
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
parole de Nietzsche ( « Nous les bons, les heureux... » ), que le phénoméno-
logue teste les thèses fondamentales d’une phénoménologie radicale. Ce
second ouvrage se termine par l’analyse de la critique herméneutique
ricœurienne de la psychanalyse.
Ces deux volumes sont essentiels, d’abord parce qu’il ne s’agit pas
d’une simple reprise des thèses énoncées dans ses grands ouvrages, ils don-
nent bien des précisions que l’on ne retrouve pas par ailleurs. Ensuite parce
que la phénoménologie matérielle, radicale et pure, écartant toute présup-
position étrangère, réévalue tous les thèmes de l’ontologie, qui domine la
tradition de pensée à laquelle nous appartenons.
Les deux derniers tomes donnent la pleine mesure de la fécondité de la
phénoménologie de la vie. Ils recoupent des exposés, entretiens, actes de
colloques qui couvrent pratiquement tout l’acheminement de la pensée du
phénoménologue. Loin de répéter les thèses centrales, ils montrent le tra-
vail à l’œuvre, la richesse et la puissance dialogique, et lèvent les quipro-
quos, voire les contresens, que ses écrits majeurs suscitent.
Le tome 3 traite d’abord du politique. Sous ce registre sont regroupées
des contributions de Michel Henry qui s’attachent à débouter la thèse hei-
deggérienne de « l’être comme production », à lever les préalables philo-
sophico-ontologiques de Marx, ainsi que la rationalité du matérialiste, le
concept marxien de la lutte des classes pour terminer sur les deux visages
de la crise du marxisme, dans une reprise synthétique magistrale de ses
deux écrits consacrés à Marx (Marx, I. Une philosophie de la réalité ;
II. Une philosophie de l’économie, Paris, Gallimard, 1976). À la suite de
quoi, il engage une problématisation de fond du Politique avec « La vie et
la république » et « Difficile démocratie ». L’art et la culture, intitulé du
deuxième volet, se consacre essentiellement à la nature et au sens de
l’œuvre d’art chez Kandinsky selon la thèse que toute œuvre d’art est abs-
traite, esquissée dans « La métamorphose de Daphné », déployée dans
« Kandinsky et la signification de l’œuvre d’art », argumentée avec « Kan-
dinsky : le mystère des dernières œuvres », consolidée dans « La peinture
abstraite et le cosmos (Kandinsky) », et durcie avec « Dessiner la
musique : théorie pour l’art de Briesen ». L’ensemble se clôt par un entre-
tien avec M. Huhl et J.-M. Brohm sur « Art et phénoménologie de la vie »,
qui précède « Narrer le pathos », dialogue qui soumet la pensée henryenne
aux questions de M. Calle-Gruber interrogeant les deux pans de sa pensée :
philosophique et littéraire dans leurs étroites connexions. Ce troisième
volume se parachève par une phénoménologie du langage avec « Phénomé-
nologie matérielle et langage (ou pathos et langage) ».
Le dernier tome s’ouvre sur l’Éthique et nous y retrouvons les thèmes
privilégiés de Michel Henry avec « La question de la vie et de la culture
dans la perspective d’une phénoménologie radicale », « L’éthique et la
crise de la culture contemporaine », « Ce que la science ne sait pas »,
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
406 Analyses et comptes rendus
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
poser des questions. On ne cachera pas que cette phénoménologie de la vie
fait montre d’une métaphysique à l’allure archaïque face à la rationalité
scientifique, à moins d’accepter, avec notre auteur, que la raison trouve
son propre fondement dans la vie, que les catégories concrètes ne se dédui-
sent pas a priori de la pensée pure, mais sont l’expression des catégories de
la vie, que la causalité, par exemple, trouve sa raison dans notre corporéité.
Le grand malaise qui parcourt notre monde peut-il être dissipé par la
venue de nouvelles formes de vie ? La phénoménologie de la vie n’est-elle
pas une métaphysique cachée construisant spéculativement l’idée d’une
Vie absolue, d’une Archi-intelligibilité, d’une Archignose ? La phénoméno-
logie matérielle ne participe-t-elle pas à ce « tournant théologique de la
phénoménologie française » relevé par D. Janicaud ?
Robert TIRVAUDEY.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
revendiquant le « texte », alors que philosophe et théologien le prétextent,
en rappelant la nécessaire « contextualité » littéraire de la notion biblique
de « chair » en sa polysémie, en convoquant le principe d’historicité. « Y a-
t-il une chair sans corps ? », s’interroge E. Falque qui décoche trois réfuta-
tions quant à la notion nucléaire d’Incarnation, dénonçant ainsi le double
rejet de l’hellénisme et du judaïsme, la rupture entre « chair » et « corps »,
la réductibilité de l’histoire de la philosophie au modèle du voir. C’est en
théologien résolu que J.-L. Souletie problématise les liens d’articulation
entre autocommunication du Dieu et vérité du monde, entre phénomène
du monde et intelligibilité théologique, tout en insistant sur l’urgence de
repenser la question du corps mystique du Christ.
Le summum de l’ouvrage est constitué par l’intervention de Michel
Henry qui donne la réplique aux questions soulevées précédemment. Le
recueil s’achève par une lecture émouvante et serrée par J. Greisch du
manuscrit testamentaire de Michel Henry dont le centre est occupé par la
question : « Est-il possible à l’homme d’entendre, dans le langage qui est le
sien, une parole qui parlerait dans un autre langage, qui serait celle de
Dieu, très exactement celle de son Verbe ? Et sinon comment pourrait-il
du moins s’assurer de l’existence d’une telle parole ? » (Paroles du Christ,
Paris, Le Seuil, 2002, p. 13).
Robert TIRVAUDEY.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
l’analyse intentionnelle reste tendue entre la propriété des représentations
intuitives et l’impropriété des représentations symboliques. Les représenta-
tions de l’imagination sont impropres en raison de leur incapacité à repré-
senter le domaine des intuitions et ne peuvent prétendre à une valeur heu-
ristique comparable à celle des représentations perceptives. En 1898, tout
en s’employant à poursuivre ses Recherches logiques, Husserl dissocie les
représentations de l’imagination des représentations de la perception et de
la signification en analysant celle-là sous le double rapport de la Phantasie
et de la conscience d’image. En dépit de la pertinence des distinctions faites
préalablement, la troisième partie montre comment Husserl devra revenir
sur le statut de l’imagination dans le cours de 1904-1905 pour rompre la
similarité générique entre la conscience d’image et la Phantasie, libérant
celle-ci du modèle de compréhension jugé inadéquat pour saisir la spécifi-
cité de son monde intentionnel.
Il resterait, mais ce serait là un tout autre travail, à apprécier le renou-
vellement husserlien de la conscience imaginative lors du tournant trans-
cendantal de la phénoménologie en rapport avec l’élaboration de la
conscience intime du temps et en correspondance avec la réduction phéno-
ménologique telle qu’elle est exposée dans les leçons de 1907 sur l’Idée de la
phénoménologie. Cette remarque, loin de décourager notre auteur, est au
contraire ce qui souligne la fécondité, le sérieux et la pertinence de cet écrit.
Robert TIRVAUDEY.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
comme médecin assistant dans une clinique psychiatrique auprès de Franz
Nissl ? Sans doute, des raisons occasionnelles interviennent. La mucovisci-
dose dont il était atteint dès l’enfance, la volonté de rester à Heidelberg
contrarièrent sa carrière de praticien. « Mais, relève J.-C. Gens, son travail
de recherche en psychiatrie lui avait fait toucher du doigt les limites de
toute science, de sorte que cette expérience a négativement déterminé son
orientation vers la philosophie » (p. 82). En effet, la question de
l’aliénation mentale n’est intelligible que si l’on inscrit l’individu à
l’intérieur de la totalité de son être. Aussi cet engagement dans la voie phi-
losophique est-il la reprise d’une vocation ancienne à laquelle il avait
d’abord pensé devoir renoncer.
Psychologie des visions du monde (1919), Strindberg et Van Gogh (1922),
qui contribuèrent à la notoriété du psychiatre, préfigurent sa philosophie
de l’existence qui viendra se préciser lors de la percée philosophique des
années 1931-1932. Mais déjà 1913 marquait un tournant dans l’histoire de
sa pensée avec la parution de Psychopathologie générale, son habilitation en
psychologie, sa rencontre avec Husserl, sa découverte de Nietzsche, puis de
Kierkegaard. À sa nomination comme professeur extraordinaire de philo-
sophie (1920) suit une période de maturation (1921-1931) durant laquelle
s’élaborent La situation spirituelle de notre époque (1931), Philosophie et
Max Weber. L’Essence allemande dans la pensée politique, la recherche et la
philosophie (1932).
C’est durant la période tragique (1933-1945) que le résistant silencieux
connaît une émigration intérieure dans ce pénitencier qu’était l’Allemagne
nazie. Il prononce pourtant une série de conférences donnant naissance
aux ouvrages majeurs Raison et existence, La situation spirituelle de notre
époque, Philosophie de l’existence. Dans le même temps, se dessinent les
œuvres publiées après guerre telles que Les grands philosophes, Origine et
sens de l’histoire.
Mais la grandeur du « penseur existentiel » apparaît lorsqu’il s’engage
dans les problèmes politiques de son temps. Il s’implique dans la création
du mensuel Die Wandlung, dont le prolongement sera la publication de La
question de la culpabilité (1948) appelant à une « purification » de
l’individu. Il participe aux Rencontres internationales de Genève en 1946
sur l’ « esprit européen », et en 1949 sur « Pour un nouvel humanisme »
dans de vives discussions avec G. Lukács et H. Lefebvre. En 1948, celui qui
incurve la conscience morale de l’Allemagne accepte, dans l’agitation fié-
vreuse des médias, le poste à l’Université de Bâle où cinq conférences
seront regroupées dans La foi philosophique (1948). Ce long séjour bâlois
sera entrecoupé de conférences tenues à Heidelberg (1950) qui paraîtront
sous le titre de Raison et déraison de notre époque. Avec La bombe atomique et
l’avenir de l’homme (1958), l’universaliste s’attache aux problèmes d’une
histoire mondiale de la philosophie.
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
410 Analyses et comptes rendus
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
la Bildung chez Goethe, dont le danger est de soustraire les Allemands à la
conversion vers une authentique germanité, il se heurte au romaniste Cur-
tius. Il entre directement dans la vie politique allemande avec Liberté et
réunification (1960), moins dans le souci de penser les institutions que de
rappeler l’esprit qui devrait les inspirer. Où va la République fédérale ?
de 1966 poursuit la nécessité d’une rééducation politique des Allemands.
Dans ces écrits politiques s’énonce la tâche de l’ « écrivain politique » qui
consiste à éclairer les possibilités pratiques d’une situation en les pensant
jusqu’à leurs conséquences ultimes. Et notre biographe de déceler leur ins-
piration weberienne. Prenant sa retraite en 1961, Jaspers se détourne du
politique et n’a de cesse, jusqu’en 1968, d’examiner la conscience lors-
qu’elle doit affronter un État criminel.
On consultera donc avec un vif intérêt cette biographie, à l’érudition
aussi pertinente que sobre, qui est une invitation à lire ou relire Jaspers.
Signalons que l’ouvrage comporte une bibliographie des cours et sémi-
naires de Jaspers, un index des noms et un cahier photos.
Robert TIRVAUDEY.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
M. de Launay, Paris, Vrin, 2002, 290 p.
réalité effective, qui forment le premier hémisphère, celui de ce qui n’est pas
valant » (p. 70-71). L’être en tant que valant n’est donc rien d’étant, mais
en même temps, comme l’affirme M. de Launay, « cette différence ontolo-
gique n’est intelligible que grâce à l’étant, et non l’inverse : le concept d’être
ne rend pas l’étant intelligible » (p. 15). Il est donc un fossé irréductible
entre la forme et le contenu, ce dernier demeurant inépuisable et le travail
logique n’étant qu’un travail de clarification.
Il convient de souligner le grand intérêt de la traduction de cet ouvrage
d’un auteur peu connu en France. Il s’agit d’abord d’une pièce essentielle
de l’histoire du néo-kantisme dans sa réélaboration de la théorie de
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
l’objectivité. Il s’agit ensuite d’un texte qui éclaire tant les débats logiques
du début du XXe siècle, au centre desquels s’est trouvé Husserl, que les nou-
velles approches des questions esthétiques et éthiques. Cet ouvrage permet
enfin de mesurer l’influence que Lask a pu avoir sur le jeune Heidegger.
Jean-Marie VAYSSE.
Jean École, Louis Lavelle et l’histoire des idées, Hildesheim, Olms, 2004,
344 p.
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
Lavelle, Levinas 413
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
permanente. S’il est hors de question de reconstruire l’édifice de la pensée
levinassienne, il ne s’agit pas davantage de laisser passer l’an-archique qui
l’excède au risque d’une pluralité informe. C’est pourquoi l’exégète dis-
tingue, dans la totalité que l’œuvre de Levinas finit par composer, au sein
des trois parties de son livre, deux sous-ensembles dont le premier suit de
l’intérieur les articulations et la dynamique constituant l’espace éthique
cher Levinas ; le second l’expose à des confrontations d’inspirations diver-
gentes, voire conflictuelles, afin de mettre à l’épreuve sa cohérence para-
doxale, d’en repérer les déplacements et les altérations.
Cet entrelacs, clairement énoncé dans l’introduction, se trouve dans la
première section, « Voix et envois », dans laquelle l’auteur se risque à
prendre un « raccourci » pour évoquer trois moments cruciaux du tracé
éthique. Dans « Raccourci : Bonheur, Bonté, Partage », il est montré com-
ment l’éthique n’a de sens que dans la vigilance respectueuse des tensions
et des scansions entre les dimensions hétérogènes de la pro-existence et de
la co-existence. « Ressources : Élan(s) d’une pensée » repart de la manière
spécifiquement levinassienne de remettre en cause la logique paradoxale de
l’autrement en y décelant la trace des « voix » diverses qui l’ont animée : la
ductibilité phénoménologique de Husserl, le tranchant existentiel heideg-
gérien, la concrétude spirituelle hégélienne.
La deuxième partie ( « Versions d’une traversée » ) déploie la ligne
paradoxale d’un sensé levinassien. « Menaces : le fond obscur de l’il y a »
insiste sur la pesante opacité de l’il y a d’où ne cesse d’émerger l’adresse de
la signifiance. En s’appuyant sur l’article de 1963, « La signification et le
sens », « Hauteur : cultures et transcendance » explore l’irréductibilité de
la « hauteur » obligeante du Visage comme lieu d’irruption de la « trans-
cendance ». « Forage : d’un secret à l’autre » s’attache à une question de
fond : « Si le secret inquiète et déjoue les révélations toujours trop manifes-
tes du logos, s’il échappe à la curiosité qu’il suscite et qu’il diffère, est-il
possible – et comment ? – de suivre et de penser les voies – et le droit ? – de
ce qui n’entre ni ne saurait entrer sans reste dans la clarté et la transpa-
rence du dévoilement ? Comment distinguer – et au nom de quoi ? – entre
les modalités et les stratégies diverses, voire opposées, du secret et de sa
“garde” ? » (p. 118).
Le dernier parcours, « Espacements d’une orientation », s’essaie à
montrer, sur la base de quelques confrontations, comment éthique et poli-
tique, philosophie et culture peuvent donner lieu à des rapprochements
pluriellement renouvelés à partir de cette pensée tournée vers l’unique
merveille d’une relation d’altérité n’ordonnant l’un à l’autre qu’en
s’écartant l’un de l’autre. « Métaphore(s) : vigilance et praxis » laisse
venir à l’examen quelques interrogations majeures, notamment sur les
limites éventuelles de cette « obsession » éthico-religieuse, de cet « excès
métaphorique ». À un niveau plus fondamental d’engagement philoso-
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
414 Analyses et comptes rendus
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
sens” (J.-L. Nancy) ? ».
« Mise à l’épreuve – de la philosophie » conclut qu’à travers ces intri-
gues multiples où se relance la signifiance insondable et indécidable d’une
phénoménologie foncièrement portée à sa limite il est moins question de res-
taurer la pureté intelligible d’une philosophie spéculative que d’éprouver un
« Dire de transcendance » dont la puissance ne cesse de résonner au sein du
monde, monde qu’il nous incombe de tenir éveillé à la responsabilité infinie
de son à-venir.
Robert TIRVAUDEY.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
Robert TIRVAUDEY.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
que par de l’inconsolable, et au lieu du concept de « néant », dont Bergson
avait montré le non-sens, il vaut mieux parler d’un rien-irrécupérable, un
résidu qui précédait le langage, de sorte que le problème n’est pas de
savoir que dire, mais comment dire ce que l’on ne peut cesser de penser.
Toute réponse sera sans doute outrepassante, mais cette audace totale-
ment humble, qui me contraint de dire à ce Dieu absent que je maintien-
drai ma confiance même s’il fait tout pour m’en dissuader, me maintient
en ce monde comme en un chez-moi où je suis étranger, sans qu’il y ait
un autre lieu de refuge. La trace du non-dicible qui ouvre le dire de la
parole me déroute vers un irrécupérable, vers un exil sur place, attente et
écoute.
La révélation n’est pas un dire, le dire ouvre une révélation qui
manque son but, sauf par les lapsus qui introduisent la signifiance dans le
langage. Le dit dément le dire, et à travers la fracture de la vérité « alé-
thique » se laisse apercevoir un autre-que-le-vrai. Il n’est donc plus ques-
tion de lier langue, logique et ontologie : la transcendance est une défail-
lance prélapsaire qui fait que la parole trahit la langue et propose un
renversement de ce même dit, de sorte que le dit peut trahir à son tour la
trahison du dit : il n’y a pas de langue propre à dire l’essentiel, sauf si elle
s’ouvre par ces failles à l’écoute de l’Autre.
Que l’Autre soit Dieu qui parle à Moïse ou un homme qui en écoute un
autre, c’est l’Altérité qui est révélante. Par là on peut dire que la révélation
pose le « rien » irrécupérable en le situant dans le Non-lieu du vide, comme
une inessence qui est le cœur de toute facticité. La langue ne peut rien dire
tant qu’elle ne se fait pas sa propre demeure vide, et par là les dialectiques
traditionnelles qui font aller l’esprit vers les Idées transcendantes (ou refu-
sent cet accès) sont abolies : en habitant en soi, non comme « méta-
langue », mais comme « catalangue » du dire lapsaire, la parole vient à
l’idée, comme on dit qu’un soupçon nous vient à l’esprit.
La révélation unit en soi la création et la rédemption sous la figure de
l’Inexorable, qui « assujettit le sujet », si l’on peut oser cette expression.
Et cet assujettissement est l’amour comme essence prophétique de la des-
tinée humaine. S’il y a un sens à parler d’une « parole de Dieu », c’est le
concept d’amour qui convient. Entendons bien : « aimer » cela veut dire
« mourir à soi », rencontrer l’Autre comme un A-sujet, un Non-Soi, non un
autre-soi magnifié. Aimer est bien, comme Diotime le disait, s’élancer-
vers..., mais il ne s’agit plus ici d’une ascension dialectique (pêdan), mais
de l’ob-session de la non-ipséité où c’est l’Infini qui passe par l’urgence
d’une approche toujours étrange des autres. Car, si l’Autre prend figure
dans la figure des autres, aucun des autres n’ « est » l’Autre.
Si l’Autre n’est jamais fixé dans tel ou tel autre, alors l’entrecroisement
de ces non-lieux est la mêmeté du non-lieu que je suis pour l’altérité,
l’Autre habite le Même dans le même que je ne suis pas pour moi. Le Même
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
Levinas 417
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
l’Ereignis du « es gibt », mais l’exil hypostatique du « il y a » dans la pro-
messe de la foi. Dans son texte Das Wort, Heidegger a l’habileté de ne
jamais mettre le mot das Wort au pluriel : en effet, il y a deux pluriels, die
Wörter (les mots) et die Worte (les dits, les aphorismes), et dans un poème
Heidegger demande : « Wann die Wörter wieder Worte werden ? » Mais ici
cette recherche d’un retour à des mots qui redeviendraient les paroles pri-
mitives de l’Être n’a pas de place, puisque ces retours, lorsqu’ils se produi-
sent, nous les trouvons dans les « cris » de la détresse, de l’angoisse, de
l’agonie. Si la pensée n’est pas liée à un être-pour-la-mort, le retour à un
Mot-Parole originaire est déconnecté de tout pathos.
Naturellement, les pensées de Rosenzweig et de Levinas ne se superpo-
sent pas. L’auteur marque bien que si, chez Rosenzweig, la révélation est
la mort du « soi », elle est, chez Levinas, le signe de la dominance de la
structure d’altérité par laquelle l’Autre m’est adressé dans le visage des
autres. Il y va de deux éthiques : mon prochain est-il le lointain, ou est-ce
le lointain qui doit devenir mon prochain ? Suis-je l’otage de l’autre, ou
est-ce l’autre qui est le kairos du moi ? Mais ces deux éthiques sont liées à
deux « théologies » divergentes. Chez Rozenzweig, puisque l’autre est dans
le dialogue (cf. Buber) l’occasion de la relation du Même à l’Autre, il doit y
avoir possibilité de la rencontre de la rédemption dans un « récit » reli-
gieux, qui lie la rédemption à la création selon les trois extases temporelles
du passé (création, mythe), du présent (révélation, torah), du futur
(rédemption, sagesse). Mais, chez Levinas, la théorie de la trace a pour
conséquence de désorganiser les extases de la temporalité, chacune se réins-
crivant en une seconde par la médiation de la troisième, et cette dislocation
introduit à une temporalité sans présence, où l’Autre n’a jamais lieu : il n’y
a pas de « lieu spatial » pour l’Autre, en qui le lointain devient prochain
dans le visage des autres (et inversement), et l’Autre n’a « jamais lieu »
temporellement, puisque son irruption n’est pas un kairos pour ma
« mêmeté » mais une déchirure. Il y aura deux manières pour l’existant
d’être-à-Dieu : si, pour Rosenzweig, le Moi est à Dieu comme relation à
l’Autre par la double médiation du monde et de Dieu lui-même, chez Levi-
nas, l’être-à-Dieu a la forme d’un Adieu, toute rencontre est rongée par la
perte, sans que je sois certain que l’ouverture qui est créée en moi par
l’absence confère à la trace la validité d’un espoir. Mais là est l’éthique, une
espérance qui sait dépasser les espoirs les plus désespérés. Nous espérons
que ce résumé incitera des lecteurs à méditer les pages denses, précises et
rigoureuses que S. Habib a consacrées à Rosenzweig, Levinas et quelques
autres au passage (Heidegger, Buber, Mosès, Löwith, Rosenstock-Huessy,
Derrida, Blanchot), sans oublier le Cantique des cantiques et Shakespeare
(Hamlet).
Pierre TROTIGNON.
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
418 Analyses et comptes rendus
S’il a semblé opportun de publier ensemble ces deux essais rédigés sépa-
rément c’est que « la démonstration qui est faite ici d’un néo-platonisme
agissant, mais en même temps relativement méconnu au sein de notre
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
culture, vaut non seulement pour la séquence historique couvrant la
période de Bergson à aujourd’hui, mais pour la pensée et l’articulation
interne de Levinas [...] » (p. VII). De plus, il est question de mesurer
l’influence particulière exercée par Levinas sur le « néo-platonisme phéno-
ménologique » de la seconde moitié du XXe siècle, choix nourri par un
double étonnement : celui d’éclairer la pensée levinassienne questionnée à
partir d’un renouveau néo-platonicien français ; et celui d’un platonisme
relancé et réinterprété par des auteurs aussi différents que Bergson, Der-
rida, Bréhier, Marion et Henry.
La première étude ne lève pas la résurgence et la prégnance des motifs
platoniciens et néo-platoniciens dans l’œuvre de Levinas, mais relève les
refus et les désaveux du platonisme afin de retracer sa critique de
l’entreprise philosophique en rabaissant quelques prétentions spécifiques de
la philosophie. Ce que Levinas appelle le « thématisme », qui recoupe l’idée
du rationalisme philosophique tentant de détruire la transcendance, de
réduire l’autre au même, qui fait du Dieu un être adéquat à la raison, n’est
pas « néfaste » au divin. Car non seulement le questionnement sur la nature
du divin est coextensif à la recherche philosophique dès son origine, mais, de
surcroît, sa prise en considération des croyances traditionnelles et sa reprise
du divin comme principes premiers et comme l’inconditionné ne condam-
nent pas tout discours sur Dieu. La philosophie relance la théologie comme
science, fait naître une « foi néo-platonicienne » (p. 118) étayée sur des rai-
sonnements et des démonstrations, en rivalité à la foi chrétienne et aux
sagesses originales. Levinas a ainsi exploré ce que Platon avait pressenti, à
savoir que le « Bien au-delà de l’être » s’émancipe du Neutre ou du il y a, de
tout ce qui ressortit aux choses anonymes en laissant apparaître l’humain
sur fond de ce lieu obscur. C’est dite que les questions du sens de l’être et du
droit à l’être précèdent celles de la nature ou de la geste de l’être heideggé-
rien. Si Levinas est proche de Heidegger en refusant d’identifier le divin à
l’étant, il s’en éloigne en renonçant à la méditation du Seyn (Estre). C’est sur
cette critique de l’ontologie heideggérienne que revient l’au-delà de l’être de
source platonicienne pensée comme éthique à l’antique, comme règne de la
justice. L’au-delà de l’être devient alors le Bien comme autrement qu’être,
comme imposition à l’Être d’exigences que le commentateur nomme
« outre-être ». Le néo-platonisme levinassien est alors réponse à l’être, impé-
ratif éthique d’avant la venue de l’être ou encore, pour parler comme Levi-
nas, un « dire originel ou pré-original », une « intrigue de responsabilité »
instaurant un « ordre plus grave que l’être et antérieur à l’être » (Autrement
qu’être ou au-delà de l’essence, Paris, Le Livre de poche, 1990, p. 17). Il reste
que l’on comprend mal pourquoi l’exégète s’attache si obstinément au néo-
platonisme chez Levinas, puisqu’il conclut que « l’au-delà de l’être platoni-
cien (et même néo-platonicien) sert donc de tremplin pour un autrement
qu’être qui n’est plus platonicien (ni même néo-platonicien) à proprement
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
Levinas 419
parler » (p. 120). Ne serait-il pas plus judicieux et conséquent de parler d’un
dépassement du (néo-)platonisme dans la pensée levinassienne ?
Cent ans de néo-platonisme en France propose l’esquisse du retour du
platonisme dans la philosophie, la théologie et la vie spirituelle française
du XXe siècle, largement occulté, hormis quelques exceptions notables.
Cette « brève histoire philosophique » s’ouvre par la réactualisation du
néo-platonisme inaugurée principalement par Bergson en mettant en relief
les deux caractéristiques essentielles que nous retrouverons tout au long du
siècle dernier : l’opposition à une certaine tradition métaphysique occiden-
tale, perçue comme constitutive de la Modernité, et l’anti-idéalisme cher-
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
chant à lier le sensible et le corporel. Sont analysés successivement : le plo-
tinisme de Bergson en insistant sur le fait que le penseur entre en rapport
de continuité et de rupture avec Hegel relançant le néo-platonisme au
XIXe siècle et avec Kant qui en a émoussé la portée ; Bréhier, tenu pour un
« Plotin hégélien » ; Blondel, perçu comme un « laïc mystique et le père du
néo-platonisme clérical » ; Trouillard et Duméry marquant le passage de
« l’ontologie augustinienne à l’hénologie proclienne ». On apprend que, de
Bréhier à Festugière, « Platon devient un mystique ». Le paragraphe titré
« L’Angleterre entre mysticisme plotinien et théurgie proclienne » montre
comment la recherche néo-platonicienne de tradition anglaise a été impor-
tante pour les études françaises, notamment par la coopération de Festu-
gière avec A. D. Nock et le témoignage de Saffrey à propos de E. R. Dodds.
Avec « La problématique française », W. Hankey rend compte de la réha-
bilitation des penseurs antiques et médiévaux resitués dans le cadre du
néo-platonisme avec des philosophes d’horizons aussi divers que Milbank,
Manon, Hadot, Aubenque, Libera et Henry. Et de conclure ( « Une con-
clusion canadienne française » ) sur l’apport des spécialistes canadiens au
néo-platonisme avec Klibansky, Brisson, Leroux et Narbonne. Avouons
une réticence quant à cette seconde partie de l’ouvrage : la cascade de réfé-
rences, de citations, de renvois et la multiplicité des auteurs retardent la
lecture et tendent à voiler l’arête centrale.
Robert TIRVAUDEY.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
du refus du concept, est revendiquée l’impatience des réponses. Rétablir
ainsi la praxis dans ses droits, en développant un espace laissé libre par
Levinas, implique, d’un côté, de ne pas se contenter d’appliquer a priori la
catégorie de totalité à toutes les formations de sens, de l’autre, de minimiser
les accents eschatologiques de la destinée du sujet éthique. Le geste décisif
selon Vanni consiste, dans cette optique, à réinscrire le Dit dans ses Dires,
sans vouloir refermer immédiatement ceux-ci dans la synchronie du sys-
tème. Dans une perspective phénoménologique de type merleau-pontyen, il
faut laisser être la genèse productive des Dits à partir du Dire avant qu’ils ne
se figent dans la totalité. Car ce qui importe, c’est de pouvoir décrire non pas
seulement le processus général de l’affection par Autrui, mais la genèse et la
pluralisation du sens par différenciation, donc l’articulation mutuelle des
intrigues éthiques dans leurs prolongements mondains. Derrière les idées de
différenciation et d’écart, se cache le schème gestaltiste de la figure se déta-
chant sur un fond indifférent, ou de la forme signifiante se différenciant d’un
champ. La notion de récit, à son tour, comme asymétrique et discontinu, per-
met de synthétiser l’intrication des réponses dans la praxis éthique. Synthé-
tiser, et non totaliser en confrontant l’espace où se déploient les phénomènes
à une signification trop radicale, comme le fait Levinas après Heidegger,
On l’aura compris : cette lecture de Levinas, ouverte en ce qu’elle
rouvre le mouvement même du répondre comme prolongement de l’affect
éthique, ne convaincra sans doute pas tous les levinassiens. Elle en est
d’autant plus stimulante.
Guy SAMAMA.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
vité. « Il s’agit d’opérer entre le sujet et autrui le même renversement
qu’entre la métaphysique et l’éthique : autrui prend la première place,
comme l’éthique devient la philosophie première » (p. 55). « L’analytique
existentiale » met en évidence la passivité, la vulnérabilité du sujet impuis-
sant à trouver en soi-même un fondement. Le sujet n’existe qu’en vue
d’autrui infini, « visage » et transcendance de l’Autre. « Une éthique bou-
leversée », dernier moment de l’ouvrage, questionne le bouleversement
qu’implique l’idée d’une éthique comme philosophie première. L’éthique
n’est plus code de devoirs, catalogue des moyens d’accéder au bonheur,
ensemble de règles de comportement, mais champ infini ayant pour unique
objet : autrui, autrui infini. D’où découle le pivot central de la responsabi-
lité comme réponse à l’autre dont l’appel est premier. Cependant, comment
le champ de l’éthique et donc de la responsabilité infinie et singulière peut-
il croiser celui de l’Histoire ? C’est par l’esquisse d’une théorie de la justice
que la dimension excessive de l’ « exposition » du sujet responsable s’ouvre
à la multiplicité des relations sociales et politiques entre humains.
Robert TIRVAUDEY.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
une relecture de Descartes, laquelle préoccupait le dernier Merleau-Ponty,
une réévaluation de la pensée de Schelling qui l’amène à poser la tâche
ultime de la phénoménologie comme philosophie de la conscience en com-
prenant ses relations avec le non-phénoménologique, une réflexion sur les
développements récents de la science (physique et biologie) afin d’éclairer le
concept de corps comme « système d’équivalences », un dialogue avec Berg-
son, Whitehead, et la théorie évolutionniste, et un examen du phénomène
de la vie dont les analyses renouent avec son premier ouvrage, La structure
du comportement.
Le premier cours propose une vue sur les éléments historiques du
concept de nature, il analyse le concept cartésien de nature, qui est plus
complexe qu’il semble de prime abord et qui débouche sur les derniers
cours de 1960-1961, « L’ontologie cartésienne, l’ontologie aujourd’hui »
(Notes de cours - Collège de France, vol. XVIII du fonds manuscrit BNF
Maurice Merleau-Ponty). Si Merleau-Ponty pense que la notion de nature
est l’expression privilégiée de l’ontologie, c’est parce qu’avec Descartes
toutes les oppositions classiques deviennent manifestes et conditionnent
toute ontologie. La première réponse à Descartes est la conception huma-
niste kantienne, laquelle ne s’affranchit pas de l’idée cartésienne, plaçant
l’homme au centre de l’ontologie épistémologique et faisant de la nature
d’abord un « ensemble de tous les objets des sens » et ensuite « le véri-
table abîme de la raison humaine ». Sur cette voie, nous ne pouvons pas
connaître la production naturelle, mais seulement la nature naturée par la
représentation. Schelling reprend le second point de Kant en l’articulant
avec une conception romantique et voit la nature comme « principe bar-
bare » dans son Système de l’idéalisme transcendantal (1800). Les héritiers
de la version romantique de la nature sont Bergson et Husserl. À l’instar
de Schelling, Bergson pense la nature comme « une indivision primordiale
et perdue », unité que les contradictions nient et expriment à leur
manière. L’analyse de l’élan vital reconduit la question de la nature orga-
nique en voulant décrire la production naturelle qui va du tout aux par-
ties, mais qui ne doit rien à la préméditation du concept et sans téléologie.
Husserl est perçu non sous l’angle de la question de la productivité natu-
relle mais sous le regard de Schelling réhabilitant la nature dans la
réflexion philosophique. La conception cartésienne de la nature est impli-
citement présente dans la science. Aussi Merleau-Ponty questionne-t-il les
nouveaux acquis de la physique afin de nourrir une autre voie que celle du
cartésianisme. Il considère l’ontologie classique laplacienne, qui a été
longtemps le socle dogmatique de la pensée scientifique, pour aborder la
mécanique quantique et les concepts scientifiques d’espace et de temps.
Puis il poursuit la réflexion bergsonienne de la théorie de la relativité. Sur
fond de ces critiques de la causalité, de l’espace et du temps, Merleau-
Ponty élabore une nouvelle vision de la nature, en rapport avec les décou-
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
Merleau-Ponty 423
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
de la phénoménalité de l’animalité et de la vie. Dans cette perspective, le
cours peut être lu comme un développement des premières analyses de La
structure du comportement (notamment « L’ordre vital ») et aussi comme
une élaboration de la Gestalt. L’acquis majeur est une réinterrogation du
corps humain comme « expression symbolique », comme jonction de phy-
sis et logos.
En 1958-1959, la série des cours est réduite. Merleau-Ponty se consacre
alors au manuscrit qui deviendra Le visible et l’invisible. Néanmoins, il
donne une leçon intitulée « La philosophie aujourd’hui » (Notes de cours -
Collège de France, vol. XVIII) dans laquelle il développe son idée de non-
philosophie, en se retournant contre Husserl et en offrant une relecture de
Heidegger. En effet, Merleau-Ponty veut questionner les sources de la phi-
losophie contemporaine en reformulant les problèmes posés par la méta-
physique classique. Il reprend la question de la nature avec ce troisième
cours, « Le concept de nature : nature et logos : le corps humain ». La
même année (1959-1960), sa lecture du lundi porte sur « Husserl aux limi-
tes de la phénoménologie » en visant L’origine de la géométrie et les textes
tardifs de Husserl ainsi qu’Acheminement vers la parole de Heidegger. Ce
cours sur la nature analyse l’émergence du corps humain dans son interac-
tion entre nature et langage. Dans sa dernière partie, nous trouvons des
considérations sur la psychanalyse quant à la question du corps humain
comme « corps libidinal » et sur une philosophie de la chair.
Robert TIRVAUDEY.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
à l’amour, puis à l’incarnation et à la chair. Il est attesté que le dernier
Merleau-Ponty cherchait le « propre du freudisme ». Et l’étude de M. Car-
bone sur l’interprétation merleau-pontyenne de la « philosophie du freu-
disme » se prolonge par celle d’A. Renault qui met en évidence le dialogue
(possible ?) entre Merleau-Ponty et Lacan.
Le problème de la chair occupe d’abord A. Flajoliet reconstituant
l’itinéraire du penseur en montrant comment apparaît une « sorte de
vision perspectiviste du corps ». Ensuite, P. Dupond s’attache à dégager
l’esquisse d’une ontologie dans les Cours du Collège de France de la fin des
années 1950 en mettant en évidence la manière pour Merleau-Ponty de
dépasser la diplopie (lumière ou mystère de l’être ?) consciente d’elle-même
en accédant à une philosophie de l’Ineinander, chiasme du percevant et du
perçu. Mais la définition du sujet telle qu’elle se donne dans les notes de
travail pour Le visible et l’invisible n’interdit-elle pas la reprise des analyses
antérieures sur le phénomène d’expression, ce qui exigerait de remanier la
conception initiale de la chair ? Telle est l’entreprise de P. Cassou-Noguès.
Philosophie de la chair qui semble ambiguë, selon R. Barbaras, nous proje-
tant en deçà ou au-delà d’elle-même : en deçà, au terme d’une phénoméno-
logie transcendantale, ou au-delà, dans une ontologie de la Vie. Plaçant
Merleau-Ponty dans le cadre de la « grande philosophie des années 1960 »,
L. Lawlor insiste sur le point de diffraction dans le concept philosophique
d’archéologie entre le phénoménologue et Foucault.
Enfin, sur l’interrogation sur l’invisible, F. Dastur retrace le parcours
de l’ontologie phénoménologique se fondant sur l’entrelacement de la visi-
bilité et de l’invisibilité renonçant à la dualité être/néant. Se trouve
modifiée la tâche philosophique replaçant l’invisibilité de l’esprit dans le
monde en passant par une destruction de l’idole du Rien de la pensée néga-
tiviste. C. Da Silva-Charak défend l’hypothèse que, dans Le visible et
l’invisible, la véritable négativité, non pensée, mais éprouvée ou perçue,
consiste dans ce que la tradition classique appelle l’union de l’âme et du
corps. Pour J. Slatman, la philosophie de l’essence (eidos) comme idéalité
se développant dans le temps s’expose dans une « phénoménologie de
l’icône » (eikôn) trouvant son point de départ dans l’œuvre d’art. E. de
Saint-Aubert relève la pertinence et les limites de la confrontation entre
Merleau-Ponty et Claudel sur leur conception de la perception comme
épreuve interrogative de la coexistence et les liens qu’ils tissent entre être
et connaître dans la « co-naissance ». Chaque intervention est résumée en
anglais et en italien.
Robert TIRVAUDEY.
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
Merleau-Ponty 425
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
découle le fondement de l’idée nouvelle de philosophie ou non-philosophie.
Dans le chapitre I, « The time of half-sleep : Merleau-Ponty between Hus-
serl and Proust », l’auteur épingle les éléments clés de la pensée de Merleau-
Ponty en rapport avec Husserl et Proust sur la question du souvenir du
temps passé. Le deuxième chapitre, « Ad Limina Philosophiae : Merleau-
Ponty and the “Introduction” to Hegel’s Phenomenology of Spirit », porte
sur l’Introduction de la Phénoménologie de l’esprit et est centré autour de
trois questions : D’où vient la connaissance ? Qu’est-ce que le savoir
absolu ? Quel langage pour la philosophie ? Les variations sur le thème de la
nature qui ouvrent l’avant-dernier chapitre ( « Nature : Variations on the
theme » ) visent les rapports entre la nature et l’ontologie, la mélodie et les
espèces, sur la voyance et la « généralité des choses ». Enfin, le dernier essai,
qui donne son titre à l’ensemble, pose le problème du concept, plus exacte-
ment le lieu de passage de l’ « idéalité d’horizon » à l’ « idéalité pure », de
l’ « idée sensible » à l’ « idée de l’intelligence », pour user des concepts du
Visible et l’invisible. S’ensuit une pertinente confrontation entre le « laisser-
être » (Letting-Be) heideggérien (Gelassenheit) et l’ « ouverture » chez
Merleau-Ponty.
Un livre pour tous ceux qui s’intéressent à Merleau-Ponty, aux ques-
tions du corps, de la temporalité, et de la nature, ou de la possibilité de la
philosophie d’aujourd’hui.
Robert TIRVAUDEY.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
éclairent ainsi bien des phénomènes qu’une anthropologie dogmatique
aurait laissés dans l’ombre. Le phénomène humain, deux fois décentré, est
rendu à lui-même sous une forme plus concrète. Cesser de parler de
l’homme pour en bien parler : tel serait pour Étienne Bimbenet l’un des
enseignements de cette philosophie qui « défait notre savoir habituel de
l’humain, et défait l’humain en direction de la vie » (p. 33).
Patricia VERDEAU.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
Nishida Kitarô, L’éveil à soi, trad., introd. et notes de Jacynthe Tremblay,
préface de Matsumaru Hisao, Paris, CNRS Éditions, 2004, coll. « CNRS
philosophie », 300 p., 24 E.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
école, nous renvoyons à la Revue philosophique de Louvain, mai 1993,
p. 275-295, novembre 1994, p. 423-569, et février 1996, p. 43-68, ainsi qu’à
Bernard Stevens, Le néant évidé. Ontologie et politique chez Keiji Nishitani.
Une tentative d’interprétation (Louvain, Peeters, 2003).
Jean-Marc GABAUDE.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
diter le Combat pour l’Individu. Là encore, l’ouvrage est agrémenté d’une
préface et de notes de Michel Onfray.
Stéphane BEAU.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
essai.
Le chapitre I ( « De Parménide à Platon : l’ “invention” de la diffé-
rence » ) marque un arrêt chez Parménide qui inaugure la pensée en po-
sant la différence ontologique présente dans le seul terme de eon en tant
qu’elle tient tout à la fois conjoints et écartés l’être et l’étant. Contre
l’interprétation nietzschéenne, aggravée par celle de Heidegger, qui pense
que le platonisme repose sur la dualité des deux mondes, intelligible et sen-
sible, F. Dastur restitue le discours de Platon sur la séparation (khôrismos)
entre idea et eidos, doublé d’une théorie de la participation (methexis) qui
disjoint pour réunir, écarte pour conjuguer l’ici-bas (enthade) et le là-bas
(ekeî).
Le chapitre II aborde l’idéalisme allemand. La pensée kantienne de la
distinction (Unterscheidung) entre sensible et intelligible connaît un tour-
nant en 1772, dans la lettre à M. Herz, avec l’abandon de l’hypothèse
d’un deus ex machina qui résoudrait tous les problèmes métaphysiques.
Mais la philosophie transcendantale ne suffit pas à surmonter le problème
de la représentation puisque Kant réaffirme la coupure entre l’intuition
des choses elles-mêmes (intellectus archetypus) et l’intuition sensible sub-
jective (intellectus ectypus) des choses. Le refus d’accorder l’intuition
intellectuelle à l’homme est la suite de la séparation entre entendement et
sensibilité. Et Kant de réouvrir à l’intérieur du monde fini la différence
entre sensible et intelligible, sans toutefois les opposer. Ce déplacement
ouvre la distinction entre phénomène et noumène désignant la même
chose selon le point de vue de l’être ou de l’apparaître, car tout phéno-
mène est apparition de quelque chose. Reste que de l’en-soi nous ne
savons rien, d’où la levée d’une « ontologie négative » chez Kant. Sans
traiter exhaustivement de la différence et de l’identité chez Hegel, F. Das-
tur retrace les étapes qui le conduisent à réfuter le kantisme en consti-
tuant une « dialectique » conjuguant le moment de la différence avec celui
de l’identité. Au terme d’un éloignement de Hölderlin, d’une critique de
Fichte et de Schelling, apparaît alors une nouvelle forme de la différence :
l’identité de l’identité et de la non-identité ou encore unité de l’identité et
de la différence.
Le dernier chapitre ( « Phénoménologie et différence » ) nous projette
au XXe siècle en examinant le statut de la différence dans la phénoméno-
logie. La différence entre le transcendant et l’empirique chez Husserl se
heurte au problème de la naissance et de la mort du sujet lui-même. La
« différence ontico-ontologique » heideggérienne entre l’être et l’étant est
critiquée par Heidegger lui-même après le « tournant » des années 1930,
évitant ainsi de penser l’être comme un étant. Chez Merleau-Ponty, la
« différance du visible et de l’invisible » se pose comme « écart » ou « diffé-
rence interne » du sensible et du sens, entrelacement de la chair et du lan-
gage, chiasme entre moi et autrui. « C’est la raison pour laquelle, explique-
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432
Phénoménologie 431
t-elle, cette pensée de l’identité est en même temps une pensée de la différence,
qu’il faut peut-être déjà commencer ici par écrire avec un “a” » (p. 105).
Mais si la différance merleau-pontyenne marque la temporalité de la ségré-
gation de l’invisible et du visible, elle n’a rien à voir avec la « différance »
derridienne qui lie de manière interne la « différance » au « jeu du monde »
et au signe. Derrida choisit d’écrire « différance » pour penser, avec
Nietzsche et contre Heidegger, une différence plus ancienne que la diffé-
rence ontologique.
En abordant la philosophie et ses différences, F. Dastur rend à la phé-
noménologie sa vérité et son actualité, en remontant à sa source la plus
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
lointaine. La profondeur s’ajoute ici à la clarté de pensée pour faire de ce
« cours » une ample et riche synthèse qu’on peut considérer comme une
excellente introduction à l’histoire philosophique de la philosophie de Par-
ménide à Derrida. Saluons au passage cet autre avènement d’une nouvelle
maison d’édition, spécialisée en philosophie et cinéma, qui se tient dans le
souci de rendre plus transparente la pensée contemporaine en accueillant ce
« cours » de F. Dastur.
Robert TIRVAUDEY.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 20/03/2022 sur www.cairn.info via Ecole Normale Supérieure - Paris (IP: 129.199.59.249)
Gadamer qui, chacun selon son propre style, déploient une herméneutique
historique.
Le point crucial de la phénoménologie est l’accent sur ce que la philo-
sophie classique a esquivé, la question de la finitude et de la mortalité.
C’est sous ce dernier intitulé – Finitude et mortalité – que sont abordés les
problèmes du lien entre la phénoménologie, l’homme et la finitude dans un
dialogue entre Heidegger et Patoçka ; la question de la mondanéité et de la
mortalité sur la base du débat entre Fink et Heidegger. La pensée de la
finitude de l’homme interdit-elle toute remontée à un appel du divin ?
Alors que Husserl pense un dieu sans l’éternité, confondu avec le processus
infini de la temporalisalion, Heidegger interroge la dimension du divin
ayant perdu sa transcendance, toujours en retrait comme un dieu éphé-
mère qui ne fait que « passer ».
Robert TIRVAUDEY.
Robert TIRVAUDEY.
o
Revue philosophique, n 3/2005, p. 357 à p. 432