X. Gagnepain - Entretien
X. Gagnepain - Entretien
X. Gagnepain - Entretien
En fait ce projet ne vient pas de moi. Tout est venu d'un concert-
conférence consacré à la Sonate arpeggione, où je devais présenter la
démarche d'un musicien qui va du manuscrit à l'interprétation. Il
s'agissait de réfléchir sur la notion de fidélité aux sources et sa relativité.
C'est à l'issue de cette séance, que Caroline Rosor m'a proposé de faire
un livre sur l'enseignement du violoncelle dans la collection qu'elle
dirigeait à la Cité de la musique. Après moult hésitations, j'ai accepté, à
condition de pouvoir élargir le propos au fonctionnement des musiciens
en général. Vous avez d'ailleurs sans doute remarqué que le dessin de
couverture de ce livre -réalisé par Vincent Courtois, admirable
violoncelliste de jazz, dont j'ai la fierté d'avoir été, un temps, le
professeur -représente un pupitre et non un violoncelle.
Et Sebok ?
Donc l’enseignement est une passion pour vous. Mais alors comment se
croisent une carrière d’interprète et une carrière de professeur ?
Pour moi, l’enseignement est une passion absolue, sans doute héritée de
Jean Brizard, mon premier véitable maître. Pendant des années, j’ai dit
que, si je me trouvais acculé à choisir entre concerts et enseignement, je
n’abandonnerais jamais l’enseignement. Longtemps, j’ai vécu comme une
frustration le caractère éphémère du concert ; quant au disque, il
m’apparaît souvent comme une mise en boîte de conserve.
Dans l’enseignement, on n’est pas figé dans le temps : on a la faculté de
retour en arrière. On peut transmettre l’amour d’un texte tout en
pouvant vérifier si la chose est bien transmise. Cela se double du défi de
donner à son interlocuteur les moyens de l’exprimer lui-même. Pour moi,
jouer le concerto de Schumann, cela veut dire partager tout ce que je suis
capable d’aimer et de comprendre dans ce concerto. Mais, lors d’une
exécution publique, rien ne me dit que j’ai réussi à le faire. Dans
l’enseignement, il y a une interaction ; on peut même jouer une seconde
fois un passage mal réalisé. Au concert, on n’a pas cette seconde chance.
En fait, toutes ces pensées cachaient certainement une certaine angoisse
et révélaient un manque d’humilité. Depuis six ou sept ans, j’ai passé un
cap et j’ai retrouvé ce plaisir de jouer en public qui était le mien quand
j’avais 18 ans. Alors aujourd’hui, je ne pourrais plus envisager
d’abandonner les concerts.
Je sais, au demeurant, à quel point mes élèves bénéficient de mon
expérience quotidienne de concertiste. Et je sais aussi les progrès
instrumentaux que je dois à l’enseignement.
Pour moi, c’est la clef de voûte. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi
d’en faire le point de départ de mon livre. Il s’agit en fait de savoir qui
décide : les doigts ou l’oreille. Et de savoir si c’est l’oreille qui sert de
modèle aux doigts ou l’inverse. Le résultat n’est pas du tout le même.
Dans mon livre, j’ai voulu épargner au lecteur les sempiternelles
anecdotes, lui laissant à penser qu’on est un docteur-miracle. J’ai
néanmoins vu des transformations spectaculaires s’opérer en intervenant
exclusivement sur cette question.
Peut-on parler d’un sens du son ? Peut-on parler d’un son personnel ?
Une des tristesses de notre époque, c’est la perte de la diversité des sons.
Autrefois, dès les premières notes d’un enregistrement, on reconnaissait
Fournier, Tortelier, Lodéon, Gendron, Piatigorski, etc. Alors
qu’aujourd’hui, les sons se ressemblent de plus en plus, peut-être est-ce
tout simplement parce qu’ils sont de plus en plus irréprochables.
Malheureusement cette recherche de la beauté entraîne paradoxalement
une sorte de pasteurisation des sonorités. Mais ne rentrons- nous pas là
dans un débat sur la mondialisation et l’internationalisation de la
pensée…
Bien sûr que c'est là mon credo. Mais je dis simplement que l'Urtext n'est
pas toujours parole d'évangile. C'est souvent la moins mauvaise source
disponible, qu'il faut cependant savoir interroger et interpréter.
Ma démarche est toujours allée vers le respect des styles. Avec mon père
musicologue, j'ai été très tôt bercé de musique ancienne, et, j'ai très tôt
spontanément adhéré à l'interprétation " baroque " des Suites de Bach.
J'ai d'ailleurs transmis cette conception à mes élèves. Ophélie Gaillard,
par exemple, joue Bach dans un très style baroque sobre, dénué de tout
maniérisme inutile. Jérôme Pernoo fait preuve d'une grande imagination
tout en conservant une esthétique baroque. Je crois avoir eu une
influence sur ces deux lectures.
Si je ne crois pas qu'il y ait un moule unique, je pense qu'il est néanmoins
de mon devoir de m'assurer que mes élèves sont réellement aptes à
choisir. Et pour cela, je dois d'abord leur apprendre à connaître les
idiomes baroques. Souvent, ce sont d'ailleurs les plus réfractaires, au
départ, qui se montrent les plus convaincus, par la suite.
Cela dit, quand je vais au concert, je suis plus tolérant avec mes collègues
qu'avec mes élèves ou moi-même. Du moment qu'une interprétation est
riche de contenu, je peux la trouver très belle, même si je n'y adhère pas
personnellement. Je ne suis pas de ceux qui rejètent l'interprétation d'un
Maïski, parce qu'elle répond à une autre esthétique que la mienne. J'ai
surtout tendance à me dire : " Mon Dieu, ce que ça peut être beau, Bach "