Evolution Creationnisme
Evolution Creationnisme
Evolution Creationnisme
Introduction.
Socrate (470-399 av. J.C.) : “Je sais que je ne sais rien”. cf. Platon Apologie de
Socrate.
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Lao Tseu (570-490) : “Celui qui parle ne sait pas, celui qui sait ne parle pas.” in
Les philosophes taoïstes La Pléiade Gallimard nrf.
***
a. Création ex nihilo
La notion de Création désigne l’idée selon laquelle tout ce qui existe, dans la
Nature, procède d’un acte exceptionnel, surnaturel, exclusivement divin
consistant à produire ex nihilo c’est-à-dire à partir de rien. L’humain est
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capable de produire, mais toujours à partir de quelque chose, de matières
premières : il fabrique, il ne crée pas. Au sens strict, Dieu seul crée.
Les créationnistes considèrent que la Genèse relate la Création telle qu’elle
s’est réellement déroulée.
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Elohim dit : “Qu’il y ait des luminaires au firmament des cieux pour séparer le
jour de la nuit et qu’ils servent de signes pour les saisons, pour les jours et
pour les années ! Qu’ils servent de luminaires dans le firmament des cieux
pour luire au-dessus de la Terre !” Il en fut ainsi. Elohim fit donc les deux
grands luminaires, le grand luminaire pour dominer sur le jour et le petit
luminaire pour dominer sur la nuit, et aussi les étoiles. Elohim les plaça au
firmament des cieux pour luire sur la terre, pour dominer sur le jour et pour
dominer sur la nuit, pour séparer la lumière des ténèbres. Elohim vit que
c’était bien. Il y eut un soir, il y eut un matin : quatrième jour.
Elohim dit : “Que les eaux foisonnent d’une foison d’animaux vivants et que
des volatiles volent au-dessus de la terre, à la surface du firmament des cieux
!” Elohim créa donc les grands dragons et tous les animaux vivants qui
remuent, ceux dont les eaux foisonnent, selon leur espèce, et tout volatile ailé,
selon son espèce. Elohim vit que c’était bien. Elohim les bénit en disant :
“Fructifiez et multipliez-vous, remplissez les eaux dans les mers, et que les
volatiles se multiplient sur la terre !” Il y eut un soir, il y eut un matin :
cinquième jour.
Elohim dit : “Que la terre fasse sortir des animaux vivants selon leur espèce :
bestiaux, reptiles, bêtes sauvages, selon leur espèce !” Il en fut ainsi. Elohim fit
donc les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce et
tous les reptiles du sol selon leur espèce. Elohim vit que c’était bien.
Elohim dit : “Faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance ! Qu’ils
aient autorité sur les poissons de la mer et sur les oiseaux des cieux, sur les
bestiaux, sur toutes les bêtes sauvages et sur tous les reptiles qui rampent sur
terre !” Elohim créa donc l’homme à son image, à l’image d’Elohim il les créa. Il
les créa mâle et femelle. Elohim les bénit et leur dit : “Fructifiez et multipliez-
vous, remplissez la terre et soumettez-la, ayez autorité sur les poissons de la
mer et sur les oiseaux, sur tout vivant qui remue sur la terre !”
Elohim dit : “Voici que je vous ai donné toute herbe émettant semence, qui se
trouve sur la surface de toute la terre, et tout arbre qui a en lui fruit d’arbre,
qui émet semence : ce sera pour votre nourriture. A toute bête sauvage, à tout
oiseau des cieux, à tout ce qui rampe sur la terre, à tout ce qui a en soi âme
vivante, j’ai donné toute herbe verte en nourriture.” Il en fut ainsi. Elohim vit
tout ce qu’il avait fait et voici que c’était très bien. Il y eut un soir, il y eut un
matin : sixième jour.” Fin du chapitre premier.
[* Pour faciliter la distinction des sources dans le Pentateuque, nous gardons le
nom divin d’Elohim “Dieu”. Le nom de Iahvé, le Dieu national, apparaîtra dans
le second récit de la création qui commence à II, 4. Iahvé (hébreu Yahwéh). Le
nom de Jéhovah est dû à une vocalisation factice des consonnes de Iahvé, y h
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w h, par les voyelles d’Adonaï “Mon seigneur”, pour suggérer la lecture et
éviter la prononciation du nom mystérieux.]
[** Chaos : en latin, “l’état de confusion ayant précédé l’organisation du
monde” (Virgile) ; en hébreu, tohû-wâ-bohu, c’est-à-dire tohu-bohu, ce qui
signifie en hébreu : déserte et vide. (Espace infini, abîme, gouffre).]
Chapitre deuxième :
“Ainsi furent achevés les cieux, la terre et toute leur armée. Elohim acheva, au
septième jour, l’œuvre qu’il avait faite et il se reposa, au septième jour, de
toute l’œuvre qu’il avait faite. Elohim bénit donc le septième jour et le
consacra, parce qu’en lui il se reposa de toute son œuvre qu’Elohim avait créée
par son action. Telle fut la genèse des cieux et de la terre quand ils furent
créés.
Au jour où Iahvé Elohim fit la terre et les cieux, il n’y avait encore sur la terre
aucun buisson des champs et aucune herbe des champs n’avait encore germé,
car Iahvé Elohim n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas
d’homme pour cultiver le sol.
Alors Iahvé Elohim forma l’homme, poussière provenant du sol, et il insuffla en
ses narines une haleine de vie et l’homme devint âme vivante. Iahvé Elohim
planta un jardin en Eden, à l’Orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé.
Iahvé Elohim fit germer du sol tout arbre agréable à voir et bon à manger, ainsi
que l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la science du bien et du mal.
[...]”
Arnould Dieu versus Darwin p 219 : “Les exégètes n’ont pas manqué de relever
l’existence de deux sources littéraires auxquelles le récit biblique actuel paraît
avoir recours. Les anthropologues ont découvert la trace de semblables
épopées dans d’autres cultures, à travers l’histoire, de l’Amérique du Nord à
l’Inde en passant par la Mésopotamie, le plus souvent à propos de l’origine du
monde et des premiers temps de l’humanité. Et les historiens des sciences ont
étudié le rôle que ce thème a pu jouer, dans l’Europe de la Renaissance, puis
des Lumières, sur l’émergence de ce que nous appelons désormais la science.”
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Ces lectures se retrouvent essentiellement dans la chrétienté et plus
précisément chez les Protestants dits évangéliques, mais certains
représentants de l’Islam développent cette interprétation par le moyen de
films diffusés sur l’Internet ou de publications.
Stephen Jay Gould Et Dieu dit : “Que Darwin soit!”. Préface de Dominique
Lecourt p 13 : “L’argumentation des fondamentalistes trouve dans cette
référence biblique ses ressorts essentiels. Elle se résume ainsi : la Bible est un
recueil de faits composé sous la dictée de la plus fiable des autorités, Dieu.
Parmi ces faits figure la création de chaque être séparément selon son espèce.
La théorie darwinienne de l’évolution contredit ces faits. Les biologistes et les
épistémologues avouent eux-mêmes qu’il ne s’agit que d’une théorie.
Pourquoi donc l’enseigner dans les écoles, et l’enseigner seule ? D’autant que,
en faisant de l’homme le descendant d’un être inférieur, cette théorie dénoue
le lien privilégié qui existe, d’après la Bible, entre l’homme et son Créateur. Elle
porte ainsi atteinte à la dignité de l’homme, qu’elle ravale au rang de l’animal ;
elle est “obscène” parce qu’elle l’aligne sur le singe, animal lubrique. Non
seulement elle ruine le fondement des valeurs qui se trouvent au principe de la
Constitution des Etats-Unis, mais elle bafoue les plus sacrées de celles qui
fondent la famille américaine.”
p 12 : “La première singularité américaine tient aux rapports qu’y ont établis
certains théologiens puritains entre science et religion. Le drame commença
en vérité à se jouer dès la fin du XVIIIe siècle, lorsque les évangélistes se firent
gloire en théologie d’une véritable orthodoxie selon laquelle leur démarche
pouvait être qualifiée de “scientifique”. A tort ou à raison, ils ne manquèrent
jamais de citer Francis Bacon (1561-1626) pour défendre leur version originale
de la théologie naturelle, selon laquelle la Bible contiendrait, comme la nature,
des “faits” qui devraient être étudiés par la méthode inductive et qui, selon
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eux, constitueraient autant de “preuves” (“evidences”) des idées
fondamentales du christianisme.
Ce véritable positivisme théologique, qui équivaut à faire du texte biblique un
compte-rendu d’observations, s’est ainsi trouvé, depuis longtemps, appelé à
soutenir une déconcertante théologie scientiste qui n’a pas son équivalent en
Europe.”
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représentent, selon les pays, entre 5 et 30% de la population (...). En Afrique,
leur influence va croissant à tous les échelons de la société, (...) p 67
Huit organisations officielles. Dans le monde : Alliance évangélique mondiale
Fondée en 1846, elle est le principal réseau évangélique mondial. 128 pays.
400 millions d’évangéliques.
CBN (Christian Broadcasting Network) 1959 Télévangéliste Pat Robertson.
Empire audiovisuel d’orientation fondamentaliste et charismatique.
Comité de Lausanne pour l’évangélisation du monde Initié par 4000 délégués
lors du Congrès international évangélique de Lausanne en 1974. Action
missionnaire.
National Association of Evangelicals (NAE) 1942 Premier réseau évangélique
des E.U.
World Vision 1950 Bob Pierce. Une des trois grandes ONG humanitaires du
monde.
En France : Conseil national des évangéliques de France (CNEF) 2002 Première
structure représentant l’ensemble des sensibilités évangéliques françaises
(FEF, AEF, et pentecôtistes).
Alliance évangélique française (AEF) 1847, relancée en 1953. Le plus ancien
réseau évangélique français. Avec la FEF, elle a contribué à la création du CNEF.
Fédération évangélique de France (FEF) 1969 Projet de faire contre-poids à la
Fédération protestante de France.
On peut aussi consulter Le Monde des religions septembre-octobre 2007 n°
25.
Arnould Dieu versus Darwin p 257 : ”Falwelle, l’un des télévangélistes les plus
politiques, a créé en 1979 le mouvement The Moral Majority dont l’objectif est
de rechristianiser les Etats-Unis. Ses thèmes favoris sont la lutte contre
l’avortement, la réintroduction de la prière à l’école, une remise en cause de la
politique “sans Dieu” menée par les pouvoirs publics et une nouvelle manière
d’articuler la famille à la société civile.”
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illustré (premier d’une série de sept, les tomes 2 et 3 étant déjà disponibles en
février 2008). (...) L’auteur de l’ouvrage s’appelle Harun Yahya, de son vrai nom
Adnan Oktar. Etc. Voir p. 73 et suivantes.
2. Le Dessein intelligent.
Ce terme désigne la deuxième modalité selon laquelle la réalité naturelle est
trop complexe, trop harmonieuse pour ne résulter que d’un hasard
nécessairement “aveugle”. Seule une Intelligence Supérieure a pu mettre en
place, par un Dessein (un projet/un plan), les processus et les lois découverts
par les sciences de la Nature. Autrement dit, l’élucidation des processus
naturels conduit nécessairement, selon ce point de vue, à, au moins, supposer
l’existence d’un Dessein intelligent présidant au bon fonctionnement dudit
processus, sans cela inintelligible.
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(Intelligent Design ou ID). Cette “théorie” était déjà énoncée depuis plusieurs
années mais ce livre va la propulser sur le devant de la scène. (Voir suite page
18.) (...) La Bible, la Création ou Dieu ne sont jamais explicitement nommés.
(...) Ce mouvement et ces idées [constituent une reprise] d’arguments de la
théologie naturelle dus à un professeur de Cambridge devenu prêtre anglican,
William Paley. Dans un ouvrage datant de 1802, Natural Theology : or
Evidences of the Existence and Attributes of the Deity (Théologie naturelle, ou
preuves de l’existence et des propriétés de la déité), il développe une analogie
entre une montre et la nature. Si vous observez une montre, vous constatez
que chacune des pièces qui la constituent a une forme définie et que toutes les
pièces sont parfaitement agencées les unes par rapport aux autres, en vue
d’une fonction bien déterminée. De cette complexité et de cette apparente
perfection, vous inférez l’existence d’un horloger. Ce raisonnement [par
analogie], Paley le transpose à la nature, où il constate la diversité, la
complexité et l’adaptation des organismes vivants à leur milieu. Il en infère
donc l’existence d’un créateur, d’un designer, d’un grand concepteur à
l’origine de cette apparente “perfection”.
(...) les partisans du Dessein intelligent [considèrent que la nouveauté de leur
approche] est liée au fait qu’ils travaillent cette idée à l’échelle de l’expression
génétique ou du fonctionnement cellulaire.”
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Critique de la Raison Pure, GF. p 547 “Le monde présent, qu’on l’explore dans
l’infinité de l’espace ou dans la division illimitée à laquelle il peut donner lieu,
nous propose un théâtre si incommensurable de diversité, d’ordre, de finalité
et de beauté que, même à travers les connaissances que notre faible
entendement a pu en acquérir, tout langage, confronté à des merveilles, si
nombreuses et si infiniment grandes, se sent privé de ses capacités
d’expression, tous les nombres perdent leur puissance de mesure et même nos
pensées ne parviennent plus à tracer aucune limite, si bien que notre jugement
porté sur le tout ne peut que se dissoudre en étonnement muet, mais d’autant
plus éloquent. De tous les côtés, nous voyons un enchaînement d’effets et de
causes, de fins et de moyens, une régularité dans la génération ou dans la
corruption des choses ; et puisque rien n’est parvenu de lui-même jusqu’à
l’état où il se trouve, il renvoie encore et toujours à une autre chose comme
constituant sa cause, laquelle rend nécessairement, à nouveau, exactement la
même question, en sorte que, à supposer que l’on continuât ainsi, le tout dans
son intégralité sombrerait inévitablement dans l’abîme du néant, si l’on
n’admettait quelque chose qui, extérieurement à cette infinité de choses
contingentes, trouvant par soi-même originairement et en toute indépendance
sa consistance, servît de support au contingent et lui assurât, comme cause de
son origine, également sa durée.”
BILAN : La question est donc de savoir si la finalité est dans les choses, dans la
Nature (Créationnismes) ou bien si elle est une expression du fonctionnement
de notre esprit ayant besoin de recourir à cette idée de finalité pour penser
“le fouillis du divers”, la nature vivante et son rapport avec le milieu (point de
vue proche de celui de Kant).
Selon les partisans du Dessein intelligent, la finalité doit être dans la réalité
naturelle car sans cette finalité la Nature serait un chaos inintelligible,
inexplicable dans la mesure où les notions de hasard, de contingence, de
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nécessité, de “sélection naturelle” - utilisées par la Théorie de l’Evolution - sont
insuffisantes pour rendre compte de la complexité et de l’harmonie du monde.
Une telle finalité ne pouvant procéder du hasard, elle est donc le signe d’une
Intelligence Supérieure organisatrice et peut-être créatrice.
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ultimes.” “Preuves de l’existence de Dieu à partir de l’observation de la nature,
tout comme l’avait fait William Paley (1743-1805) La théologie naturelle en
1802”.
p 251 “Le principal apport du courant de l’intelligent design pourrait résider
dans l’alternative qu’il propose au réductionnisme matérialiste (...) : pour les
partisans de l’ID, il s’agit de convaincre leurs collègues scientifiques que de
l’information* ne peut surgir de la matière, brute et inerte.”
[* Il s’agit là d’une difficulté majeure : toute la réalité n’est-elle que matérielle
ou bien y a-t-il matière et esprit ? Quelle est alors leur relation ?]
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soupçon mais illustre notre rapport au monde d’êtres parlants : par le langage,
nous opérons des césures, des distinctions.
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et Livre II Prop. XL Ethique : SCOLIE I : “ (...) j’ajouterai quelques mots sur les
causes d’où sont provenus les termes appelés Transcendantaux, tels que Etre,
Chose, Quelque chose. Ces termes naissent de ce que le corps humain, étant
limité, est capable seulement de former distinctement en lui-même un certain
nombre d’images à la fois (cf. le Scolie de la Prop. 17) ; si ce nombre est
dépassé, ces images commencent à se confondre ; et, si le nombre des images
distinctes, que le Corps est capable de former à la fois en lui-même, est
dépassé de beaucoup, toutes se confondront entièrement entre elles. Puisqu’il
en est ainsi, il est évident, par le Corollaire de la Proposition I7 et par la
Proposition 18, que l’Ame humaine pourra imaginer distinctement à la fois
autant de corps qu’il y a d’images pouvant être formées à la fois dans son
propre Corps. Mais sitôt que les images se confondent entièrement dans le
Corps, l’Ame aussi imaginera tous les corps confusément, sans nulle
distinction, et les comprendra en quelque sorte sous un même attribut, à
savoir sous l’attribut de l’Etre, de la Chose, etc. Cela peut aussi provenir de ce
que les images ne sont pas toujours également vives, et d’autres causes
semblables, qu’il n’est pas besoin d’expliquer ici (...). Toutes en effet
reviennent à ceci que ces termes signifient des idées au plus haut degré
confuses. De causes semblables sont nées aussi ces notions que l’on nomme
Générales, telles : Homme, Cheval, Chien, etc., à savoir, parce que tant
d’images, disons par exemple d’hommes, sont formées à la fois dans le Corps
humain, que sa puissance d’imaginer se trouve dépassée ; elle ne l’est pas
complètement à la vérité, mais assez pour que l’Ame ne puisse imaginer ni les
petites différences singulières (telles la couleur, la taille de chacun), ni le
nombre déterminé des êtres singuliers, et imagine distinctement cela seul en
quoi tous conviennent, en tant qu’ils affectent le Corps. C’est de la manière
correspondante en effet que le Corps a été affecté le plus fortement, l’ayant
été par chaque être singulier, c’est cela que l’Ame exprime par le nom
d’homme , et qu’elle affirme d’une infinité d’êtres singuliers. Car, nous l’avons
dit, elle ne peut imaginer le nombre déterminé des êtres singuliers. Mais on
doit noter que ces notions ne sont pas formées par tous de la même manière ;
elles varient en chacun corrélativement avec la chose par laquelle le Corps a
été plus souvent affecté et que l’Ame imagine ou se rappelle le plus aisément.
Ceux qui, par exemple, ont plus souvent considéré avec étonnement la stature
des hommes, entendront sous le nom d’hommes un animal de stature droite ;
pour ceux qui ont accoutumé de considérer autre chose, ils formeront des
hommes une autre image commune, savoir : l’homme est un animal doué du
rire ; un animal à deux pieds sans plumes ; un animal raisonnable, etc.”
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c. Propositions de Platon. L’idée d’ordre promet des repères fixes auxquels
notre pensée peut s’arrimer, elle permet de rendre la pensée possible du fait
de la stabilité, voire de l’immobilité de l’objet étudié. D’autre part, l’ordre dans
la réalité n’est possible que s’il y a des essences immuables (immobiles/fixes),
liées à la notion platonicienne d’Idées éternelles. Sans ces Idées, la réalité,
toujours en mouvement, en devenir, sur le mode de ce qu’Aristote appelle la
“génération et la corruption”, serait inintelligible. Autrement dit, il n’y aurait
de catégories possibles pour l’esprit (par exemple : les espèces) que dans la
mesure où des Idées existent.
[Ce que contestent les nominalistes en affirmant que c’est le langage humain
(qui donne nom/qui nomme) qui forme des catégories n’existant pas dans la
Nature...]
Platon (427-347 av. J.C.) Allégorie de la Caverne Livre VII La République :
“SOCRATE - Maintenant, représente-toi notre nature selon qu’elle a été
instruite ou ne l’a pas été, sous des traits de ce genre : imagine des hommes
dans une demeure souterraine, une caverne, avec une large entrée, ouverte
dans toute sa longueur à la lumière : ils sont là les jambes et le cou enchaînés
depuis leur enfance, de sorte qu’ils sont immobiles et ne regardent que ce qui
est devant eux, leur chaîne les empêchant de tourner la tête. La lumière leur
parvient d’un feu qui, loin sur une hauteur, brûle derrière eux ; et entre le feu
et les prisonniers s’élève un chemin en travers duquel imagine qu’un petit mur
a été dressé, semblable aux cloisons que des montreurs de marionnettes
placent devant le public, au-dessus desquelles ils font voir leurs marionnettes.
GLAUCON - Je vois.
SOCRATE - Imagine le long du mur des hommes qui portent toutes sortes
d’objets qui dépassent le mur ; des statuettes d’hommes et d’animaux, en
pierre, en bois, faits de toutes sortes de matériaux ; parmi ces porteurs,
naturellement il y en a qui parlent et d’autres qui se taisent.
G. - Voilà un étrange tableau et d’étranges prisonniers.
S. - Ils nous ressemblent. Penses-tu que de tels hommes aient vu d’eux-mêmes
et des uns et des autres autre chose que les ombres projetées par le feu sur la
paroi de la caverne qui leur fait face ?
G. - Comment cela se pourrait-il, en effet, s’ils sont forcés de tenir la tête
immobile pendant toute leur vie ?
S. - Et pour les objets qui sont portés le long du mur, est-ce qu’il n’en sera pas
de même ?
G. - Bien sûr.
S. - Mais, dans ces conditions, s’ils pouvaient se parler les uns aux autres, ne
penses-tu pas qu’ils croiraient nommer les objets réels eux-mêmes en
nommant ce qu’ils voient ?
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G. - Nécessairement.
S. - Et s’il y avait aussi dans la prison un écho que leur renverrait la paroi qui
leur fait face ? Chaque fois que l’un de ceux qui se trouvent derrière le mur
parlerait, croiraient-ils entendre une autre voix, à ton avis, que celle de l’ombre
qui passe devant eux ?
G. - Ma foi non.
S. - Non, de tels hommes ne penseraient absolument pas que la véritable
réalité puisse être autre chose que les ombres des objets fabriqués.
G. - De toute nécessité.
S. - Envisage maintenant ce qu’ils ressentiraient à être délivrés de leurs chaînes
et à être guéris de leur ignorance, si l’un d’eux était délivré et forcé soudain de
se lever, de tourner le cou, de marcher et de regarder la lumière ; s’il souffrait
de faire tous ces mouvements et que, tout ébloui, il fût incapable de regarder
les objets dont il voyait auparavant les ombres, que penses-tu qu’il répondrait
si on lui disait que jusqu’alors il n’a vu que des futilités mais que, maintenant,
plus près de la réalité et tourné vers des êtres plus réels, il voit juste ; lorsque,
enfin, en lui montrant chacun des objets qui passent, on l’obligerait à force de
questions à dire ce que c’est, ne penses-tu pas qu’il serait embarrassé et
trouverait que ce qu’il voyait auparavant était plus véritable que ce qu’on lui
montre maintenant ?
G. - Beaucoup plus véritable.
S. - Si on le forçait à regarder la lumière elle-même, ne penses-tu pas qu’il
aurait mal aux yeux, qu’il la fuirait pour se retourner vers les choses qu’il peut
voir et les trouver vraiment plus distinctes que celles qu’on lui montre ?
G. - Si.
S. - Mais si on le traînait de force tout au long de la montée rude, escarpée, et
qu’on ne le lâchât pas avant de l’avoir tiré dehors à la lumière du soleil, ne
penses-tu pas qu’il souffrirait et s’indignerait d’être ainsi traîné ; et que, une
fois parvenu à la lumière du jour, les yeux pleins de son éclat, il ne pourrait pas
discerner un seul des êtres appelés maintenant véritables.
G. - Non, du moins pas sur le champ.
S. - Il aurait, je pense, besoin de s’habituer pour être en mesure de voir le
monde d’en haut. Ce qu’il regarderait le plus facilement d’abord, ce sont les
ombres, puis les reflets des hommes et des autres êtres sur l’eau, et enfin les
êtres eux-mêmes. Ensuite il contemplerait plus facilement pendant la nuit les
objets célestes et le ciel lui-même - en levant les yeux vers la lumière des
étoiles et de la lune - qu’il ne contemplerait, de jour, le soleil et la lumière du
soleil.
G. - Certainement.
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S. - Finalement, je pense, c’est le soleil, et non pas son image dans les eaux ou
ailleurs, mais le soleil lui-même à sa vraie place, qu’il pourrait voir et
contempler tel qu’il est.
G. - Nécessairement.
S. - Après cela il en arriverait à cette réflexion, au sujet du soleil, que c’est lui
qui produit les saisons et les années, qu’il gouverne tout dans le monde visible,
et qu’il est la cause, d’une certaine manière, de tout ce que lui-même et les
autres voyaient dans la caverne.
G. - Après cela, il est évident que c’est à cette conclusion qu’il en viendrait.
S. - Mais quoi, se souvenant de son ancienne demeure, de la science qui y est
en honneur, de ses compagnons de captivité, ne penses-tu pas qu’il serait
heureux de son changement et qu’il plaindrait les autres ?
G. - Certainement.
(...)
S. - Et réfléchis à ceci : si un tel homme redescend et se rassied à la même
place, est-ce qu’il n’aurait pas les yeux offusqués par l’obscurité en venant
brusquement du soleil ?
G. - Si, tout à fait.
S. - Et s’il lui fallait à nouveau donner son jugement sur les ombres et rivaliser
avec ces hommes qui ont toujours été enchaînés, au moment où sa vue est
trouble avant que ses yeux soient remis - cette réaccoutumance exigeant un
certain délai - ne prêterait-il pas à rire, ne dirait-on pas à son propos que pour
être monté là-haut, il en est revenu les yeux gâtés et qu’il ne vaut même pas la
peine d’essayer d’y monter ; et celui qui s’aviserait de les délier et de les
emmener là-haut, celui-là s’ils pouvaient s’en emparer et le tuer, ne le
tueraient-ils pas ?
G. - Certainement.”
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donne, à l’un de nous, le frisson et à l’autre point ? à l’un, léger, à l’autre
violent ? T. - Très certainement. S. - Que sera en ce moment, en soi-même, le
vent ? Dirons-nous qu’il est froid, qu’il n’est pas froid ? Ou bien accorderons-
nous à Protagoras qu’à celui qui frissonne, il est froid, qu’à l’autre, il ne l’est
pas. T. - C’est vraisemblable. S. - N’apparaît-il pas tel à l’un et à l’autre ? T. - Si.
S. - Or, cet apparaître, c’est être senti ? T. - Effectivement. S. - Donc,
apparence et sensation sont identiques, pour la chaleur et autres états
semblables. Tels chacun les sent, tels aussi, à chacun, ils risquent d’être. T. -
Vraisemblablement. S. - IL n’y a donc jamais sensation que de ce qui est, et
jamais que sensation infaillible, vu qu’elle est science. T. - Apparemment. S. -
Etait-ce donc, par les Grâces, une somme de sagesse que ce Protagoras, et n’a-
t-il donné là qu’énigmes pour la foule et le tas que nous sommes, tandis qu’à
ses disciples, dans le mystère, il enseignait la vérité ? T. - Qu’est-ce donc,
Socrate, que tu entends par là ? S. - Je vais te le dire et ce n’est certes point
thèse banale. Donc, rien n’est en soi et pour soi ; il n’y a rien que l’on puisse
qualifier ou dénommer avec justesse ; si tu le proclames grand, il apparaîtra
aussi bien petit ; si lourd, léger ; et ainsi de tout, parce que rien n’est un, ni
déterminé, ni qualifié de quelque façon que ce soit. C’est de la translation, du
mouvement et du mélange mutuels que se fait le devenir de tout ce que nous
affirmons être ; affirmation abusive, car rien jamais n’est, toujours il devient.”
Autrement dit, si l’on n’admet pas l’idée selon laquelle il y a des essences
éternelles (les Idées - ou des espèces fixes, cf. Le Créationnisme), alors tout
relève d’une mobilité insaisissable pour l’esprit : tout est en mouvement, tout
change (“rien n’est en soi” (...) il n’y a rien que l’on puisse qualifier grand/petit)
au point que tout jugement est relatif au sujet percevant l’énonçant :
l’universalité est inaccessible, seul le règne des opinions aussi instables que la
réalité est possible...
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c’est que nous ne croyons plus à des concepts éternels, à des valeurs
éternelles, à des formes éternelles, à des âmes éternelles ; et la philosophie,
dans la mesure où elle est scientifique et non dogmatique, n’est pour nous que
l’extension la plus large de la notion d’”histoire”. L’étymologie et l’histoire du
langage nous ont appris à considérer tous les concepts comme devenus,
beaucoup d’entre eux comme encore en devenir ; de telle sorte que les
concepts les plus généraux, étant les plus faux, doivent aussi être les plus
anciens. “L’être”, la “substance”, “l’absolu”, “l’identité”, la “chose” - la pensée
a inventé d’emblée et de toute antiquité ces schèmes qui contredisent
foncièrement le monde du devenir, mais qui semblaient d’abord lui
correspondre, dans l’état obtus et indifférencié de la conscience naissante,
inférieure encore à celle de l’animal ; toute “expérience” semblait les
confirmer à nouveau, et eux seuls. Peu à peu, grâce à l’acuité croissante des
sens et de l’attention, au développement et aux luttes qu’entraînaient les
formes d’une vie extrêmement complexe, les cas d’identité ou d’analogie ont
paru de plus en plus rares, tandis que pour les êtres inférieurs tout semblait
éternellement “semblable à soi-même”, “identique”, “constant”, “absolu”,
“neutre”. Peu à peu le monde extérieur se diversifie ainsi ; mais pendant des
temps infinis, il suffisait d’une seule qualité, la couleur par exemple, pour
qu’une chose passât pour semblable et identique à une autre. On n’a reconnu
qu’avec une extrême lenteur la multiplicité des qualités distinctes dans un
même objet ; dans l’histoire du langage humain nous voyons encore se
manifester la résistance à la multiplicité des épithètes. La confusion qui s’est le
plus longtemps perpétuée, c’est que l’épithète elle-même a été posée comme
identique à l’objet ; les philosophes qui ont le mieux reproduit en eux les plus
anciens instincts de l’humanité, ses plus anciennes angoisses, ses superstitions
les plus reculées (la superstition de l’âme par exemple) - on peut parler chez
eux d’un atavisme par excellence - ont contresigné cette confusion, en
enseignant que les signes justement, les “idées”, sont la véritable réalité,
invariable et universellement valable. Alors qu’en fait la pensée, dans la
perception d’une chose, parcourt une série de signes que la mémoire lui offre,
et cherche des analogies ; alors que l’homme, en marquant la chose d’un signe
analogue, la pose comme connue, s’en empare, la saisit et a cru longtemps en
saisir le sens. L’acte de saisir et d’appréhender, de s’approprier, signifiait déjà
pour lui une façon de reconnaître, de connaître à fond ; les mots mêmes du
langage humain ont longtemps semblé n’être pas des signes, mais des vérités
relatives aux choses qu’ils désignent. Plus les sens se sont affinés, plus
l’attention est devenue sévère, plus multiples les exigences de la vie, plus
difficilement aussi l’on a admis que la “connaissance” d’une chose, d’un fait,
pût passer pour une connaissance définitive, pour une “vérité” ; et, en fin de
20
compte, au point où la méfiance méthodique nous a pénétrés de nos jours,
nous ne nous reconnaissons plus du tout le droit de parler de vérités au sens
absolu - nous avons abjuré la croyance à la cognoscibilité des choses, comme la
croyance à la connaissance. La “chose” n’est qu’une fiction (la “chose en soi”
est même une fiction contradictoire, interdite !) ; mais la connaissance elle-
même - la connaissance absolue et même relative - n’est également qu’une
fiction. Du coup tombe aussi le “sujet” de la connaissance, je ne sais quelle
“intelligence pure”, je ne sais quel “esprit absolu” ; - cette mythologie que Kant
lui-même n’a pas complètement abandonnée, que Platon a préparée à
l’Europe pour son malheur, et qui a menacé de mort toute science du corps et
par là même, tout développement du corps, grâce au dogme fondamental du
christianisme : “Dieu est esprit” - cette mythologie a désormais fait son
temps.”
21
alors que les biologistes travaillent sur des individus variables, différents. Le
physicien peut établir une loi, le biologiste travaille sur le registre de la
statistique. Et la généralisation en biologie est de l’ordre du concept, non de la
loi. Voilà pourquoi on peut parler, avec Bachelard de “rationalisme régional”
illustrant l’idée de modes de raisonnement/de méthode propres à chaque
science, selon son objet.
L’idée d’un Dessein intelligent (ID) et les religions du Livre : L’ID fait référence à
une Intelligence Suprême intervenant dans l’organisation de la Nature en y
inscrivant un plan, des lois, mais sans intervenir par la suite. La notion de
Dessein intelligent ne se réfère pas explicitement à l’idée de Création, ni même
à celle de Dieu.
22
fondamentaux : ils sont les enfants de Dieu et doivent prendre soin d’eux-
mêmes - en vivant bien, ensemble - et de la nature ainsi que de tous les autres
êtres. Ils doivent rendre culte à Dieu par de bonnes actions. Il ne s’agit donc
pas d’un discours scientifique mais d’une parole morale.
Par contre, certains mouvements religieux contemporains, essentiellement liés
au Christianisme et à l’Islam, sont attachés à diffuser largement la
représentation créationniste du monde avec le souci de la situer sur un plan
identique à la théorie de l’Evolution soit en présentant le Créationnisme
comme une science, soit en présentant la théorie de l’Evolution comme une
croyance. Ces mouvements ont un objectif plus ou moins affiché : soit
remplacer la théorie de l’Evolution, dans l’enseignement scolaire, par le
Créationnisme, soit faire en sorte qu’ils soient enseignés en classe de science,
au même titre.
23
Eglise catholique : Jean-Paul II (1981) “L’Ecriture sainte veut simplement
déclarer que le monde a été créé par Dieu et, pour enseigner cette vérité, elle
s’exprime avec les termes de la cosmologie en usage au temps de celui qui
écrit. (...) Tout autre enseignement sur l’origine et la constitution de l’univers
est étranger aux intentions de la Bible : celle-ci ne veut pas enseigner comment
a été fait le ciel, mais comment on va au ciel.” p 89
Dominique Lecourt Préface au livre de S.J. Gould Et Dieu dit : “Que Darwin soit
!” “(...) la plupart (des Eglises protestantes) adoptent, en des sens divers, une
interprétation symbolique ou allégorique des textes, (...). Au cours du procès
de Little Rock (voir infra), on avait vu les représentants des communautés
juives et catholiques, mais aussi des méthodistes, faire cause commune avec
les biologistes pour s’opposer à ce type de législation (voulant faire triompher
dans les écoles la vérité littérale de la Bible telle qu’elle était affirmée par les
fondamentalistes protestants).” p10
24
6) ils diabolisent leurs opposants et sont essentiellement réactionnaires ;
7) ils sont sélectifs et ne conservent de leurs traditions et de leurs héritages
que certains aspects ;
8) ils ont toujours un leader à leur tête, un chef charismatique, volontiers
autoritaire ;
9) ils envient l’hégémonie culturelle de la modernité et visent à accéder au
pouvoir.”
[“Gardons-nous de confondre Eglises évangéliques et fondamentalismes : si de
nombreux fondamentalistes sont évangéliques, l’inverse n’est pas vrai. Des
évangéliques progressistes (Martin Luther King, Jimmy Carter, Billy Graham) ne
sont pas fondamentalistes.”
p213 Le Ku Klux Klan : “Ses liens avec les fondamentalistes sont avérés : on
évalue à quarante mille le nombre de prédicateurs fondamentalistes qui ont
rejoint le KKK. Au début du XXe siècle, le KKK a apporté son soutien aux
évangélistes créationnistes (...).”]
25
d’une religion universelle, conçue comme simple instrument moral destiné au
maintien d’un ordre social menacé par les multitudes affranchies du
christianisme.”
26
caractéristiques du milieu favorisent ou défavorisent la reproduction des êtres
porteurs d’une telle mutation.”
Thomas Lepeltier Darwin hérétique p21 “1678 John Ray Naturaliste anglais.
Rupture fondamentale dans le domaine de l’ornithologie. Pour la première fois
depuis des siècles, on parle des oiseaux sans faire référence à leur dimension
symbolique. Tout au long de la période médiévale, le monde naturel était
perçu comme un livre à interpréter. Avant d’être une chose, animée ou
27
inanimée, un objet était un signe. Présages, emblèmes, leçons de moralité...
Vision symbolique de la nature. (...) Dans le monde que le naturaliste anglais
laissait derrière lui, les choses n’étaient pas fondamentalement distinctes des
mots. Elles aussi renvoyaient à autre chose qu’elles-mêmes. Il y avait l’idée
d’une chaîne potentiellement infinie de références ; une vision symbolique de
la nature et lecture allégorique des textes canoniques allaient de pair.
Au XVIe siècle, le protestantisme avait condamné la lecture allégorique de la
Bible et prôné une interprétation exclusivement littérale. cf. Calvin, Luther,
Melanchthon. (...) Cela eut pour conséquence d’ôter toute possibilité
d’attribuer une signification aux objets naturels. Seuls les mots font référence.
Les choses ne sont plus les symboles de quoi que ce soit. L’insistance sur la
lecture littérale mit un terme à la conception symbolique de la nature.
C’est parce que les objets n’étaient plus liés les uns aux autres
symboliquement qu’il fut possible d’établir entre eux des liens mathématiques,
mécaniques ou causaux, et de les classer suivant leurs seules ressemblances
physiques.
Jérôme Cardan (1501-1576) philosophe, médecin et mathématicien italien. De
la subtilité. Idée que toutes les choses existantes étaient apparues
successivement, de la plus imparfaite à la plus parfaite : les métaux, les
plantes... fourmis... poissons... lièvres, chiens, éléphants, singes et hommes.
Contrairement à Epicure (341-270 av. J.C.), par exemple, pour qui les espèces
vivantes étaient celles qui avaient survécu parmi toutes les combinaisons
possibles. p26 Lucilio Vanini (1485-1619) Philosophe (... ) des plantes d’une
certaine espèce pouvaient se transformer en plantes d’une autre espèce.
Possibilité que l’homme fût issu du singe.
F. de la Mothe Le Vayer (1588-1672) Philosophe, conseiller d’Etat, précepteur
de Louis XIV. (...) Selon cet auteur, les créatures terrestres provenaient
d’animaux aquatiques.
Savinien de Cyrano de Bergerac (1619-1655) fit dire à l’un de ses personnages
que le jeu du hasard qui assemble diversement les atomes permet de passer,
par ajouts successifs, des plantes à l’huître, puis au ver, à la mouche (...) au
moineau, au singe et à l’homme.
28
John Ray (1627-1705). Membre de la Société royale de Londres (Royal Sociéty).
On peut le ranger parmi ces savants modernes pour qui la science se fonde
avant tout sur l’observation et l’expérimentation. Il est également connu pour
avoir donné une des premières - si ce n’est la première - définitions de
l’espèce. L’idée de Ray fut de définir l’espèce par la filiation. L’espèce
remontait les générations et présentait un caractère de permanence. cf. La
tradition aristotélicienne où la permanence et la stabilité ont un caractère
divin. Il en inféra que les espèces avaient été créées par Dieu. Dans ce monde
où tout avait une place bien définie et un rôle à jouer, Ray n’était pas pour
autant un fixiste rigide. La nature offrait le spectacle de multiples variations sur
un thème établi lors de la création. Ray était un atomiste. Or l’atomisme était
souvent accusé de conduire à l’athéisme. Il s’agit d’une interprétation de la
nature qui, s’inspirant de Démocrite et d’Epicure, consistait à affirmer que tout
ce qui faisait partie de l’univers s’était formé à la suite de collisions entre des
atomes se déplaçant de façon aléatoire dans l’espace vide. Une telle
interprétation, qui excluait la Providence divine de la nature, faisait horreur à
Ray. Il savait bien que certains de ses contemporains avaient intégré cette
conception atomiste dans une vision théiste de la nature. Alors que les anciens
atomistes estimaient que tout ce qui existait était le résultat d’une longue
suite d’essais et d’erreurs, où seules avaient survécu les entités viables, il était
possible de considérer que Dieu avait créé la matière et les lois la régissant de
telle sorte que tout finissait par se combiner suivant son dessein. Mais Ray
n’acceptait pas une telle conception. Il avait du mal à concevoir comment la
matière pouvait s’organiser sans intervention divine, surtout en ce qui
concerne les organismes vivants. Et puis son Dieu n’était pas le grand
ordonnateur des lois de la nature qui aurait créé la matière et qui se serait
ensuite retiré pour regarder le monde se mettre en place comme il l’avait
voulu. Son Dieu était celui de la Bible : le Dieu qui avait directement parlé aux
hommes et qui avait été jusqu’à se faire homme lui-même.
Carl von Linné (1707-1778) Botaniste suédois. Il a développé une méthode de
classification plus simple et plus globale que celle de son prédécesseur, J. Ray.
Système de la nature 1735. Il y distribuait alors tous les représentants alors
connus des trois règnes, minéral, végétal et animal en classes, ordres, genres,
espèces et variétés. Comme pour J. Ray, rien n’était plus étranger à Linné que
l’idée d’évolution. Il semblait d’ailleurs reprendre à son prédécesseur sa
définition de l’espèce et la marquait ainsi du sceau de la permanence. Il fit de
la nature un système parfaitement ordonné où tout élément avait une place
bien déterminée. Les espèces dites “nuisibles” avaient pour rôle de maintenir
l’équilibre de la nature, de réguler le développement des populations.
L’ensemble existait comme un théâtre pour l’activité de l’homme, sans qui la
29
Création aurait été incomplète. Lui seul d’ailleurs pouvait apprécier la sagesse,
la puissance et la bonté du Créateur à travers sa Création. Etudier la nature
était presque un devoir religieux.
Ainsi les transformations constatées d’une plante ne touchent pas à l’essence
de la plante : les variations n’altèrent pas l’ordre du monde. Confronté à des
“mutants” qui perturbaient ses catégories, Linné en vint à suggérer que de
nouvelles espèces pouvaient apparaître par hybridation d’espèces différentes.
Cela revenait à reposer toute la question de l’origine des espèces qui, pour lui,
étaient jusque-là toutes distinctement créées par Dieu.
La pensée scientifique aux XVIIe et XVIIIe siècles se caractérise par sa vision
mécaniste de la nature. Pour la plupart des scientifiques et philosophes de
l’époque, l’univers était similaire à une horloge géante, mise en mouvement
par Dieu et fonctionnant suivant les lois de la mécanique. Dans ce cadre de
pensée, la matière était passive. Elle n’était pas la source du mouvement. C’est
Dieu qui lui avait transmis une certaine quantité de mouvement. Cette thèse
de la passivité de la matière traduisait un rejet du concept de cause finale, cher
à la pensée scolastique (Latin : scholasticus - Grec : scholasticos : relatif à
l’école). [Doctrine de l’Ecole. Philosophie et théologie enseignées dans les
écoles ecclésiastiques et les universités d’Europe du IXe au XVIIe siècle. Cette
doctrine se préoccupait essentiellement de concilier la raison et la foi, en
s’appuyant sur la philosophie grecque (en particulier Aristote)] Une des
questions importantes était de savoir comment les engrenages de l’horloge-
monde bougeaient les uns par rapport aux autres. En ce qui concernait les
organismes vivants, les réponses se situaient à deux niveaux. A un niveau
macroscopique, il fallait expliquer le mouvement des membres, la circulation
du sang, la contraction de l’estomac, etc., comme des phénomènes
mécaniques. Les os étaient alors les appuis et les leviers ; les muscles, les
cordes ; le cœur et les poumons, des pompes ; et les vaisseaux sanguins, des
canaux. A un niveau microscopique, l’argumentation était plus spéculative. Il
fallait expliquer, à partir de corpuscules invisibles, comment fonctionnaient les
glandes, les nerfs, etc. ou comment se développaient un embryon, etc. L’autre
grande question était de savoir comment les engrenages étaient apparus en
première instance.
Deux réponses possibles : 1) Dieu avait tout créé en l’état. Position défendue
par Ray, Linné, Newton (1643-1727) [Pour ce dernier, Dieu avait créé
directement le système solaire, positionné chaque planète à la bonne distance
du Soleil et mis le tout en mouvement.] 2) Descartes (1596-1650). Toutes les
structures existantes, aussi complexes qu’elles soient, étaient le résultat d’un
processus naturel, c’est-à-dire qu’elles provenaient du mouvement et de
l’appariement de corpuscules ou d’atomes suivant les lois établies par Dieu.
30
Mais une question s’imposait, portant sur la reproduction : comment les lois
de la mécanique peuvent-elles expliquer la formation des organismes ? Une
solution allait s’imposer à la fin du XVIIe siècle : la théorie de la préformation
ou de la préexistence. [Voir documents en Annexe : Textes de Gould et de
Bachelard.]
De l’Antiquité jusqu’au milieu du XVIIe siècle, la croyance à la génération
spontanée semble unanime. Si tout le monde s’accordait sur la génération
spontanée des limaces, des vers, des insectes et autres petites bestioles,
certains savants mettaient en doute celle d’animaux plus gros comme les
souris et les grenouilles, etc. Seule l’étendue de la génération spontanée était
sujette à débat, pas son principe. D’ailleurs, l’idée était explicitement reconnue
par la Bible, dans le livre des Juges.
Cette théorie servait la thèse cartésienne selon laquelle des organismes vivants
pouvaient provenir naturellement de la matière soumise aux lois de la nature.
Mais, d’un autre côté, elle s’accordait difficilement avec la nouvelle pensée
classificatrice. L’ordre était une condition nécessaire de la science.
Francesco Redi (1626-1698) Médecin et naturaliste italien. Expériences sur la
génération des insectes. Expériences montrant que des aliments en
décomposition ne produisaient pas de vers quand on veillait à empêcher les
mouches d’y déposer leurs œufs... On lui reprochait d’avoir contredit les
Ecritures saintes. Redi considérait toujours que la vie pouvait engendrer une
vie étrangère à elle-même, à l’exemple des intestins qui semblaient produire
les vers qui y séjournaient.
Jan Swammerdam (1637-1680) Hollandais. Histoire générale des insectes
1669. Observations au microscope de l’anatomie des petits animaux. Il était
difficile de croire que de telles merveilles se formaient d’elles-mêmes à partir
de la pourriture. Donc tous les niveaux de la Création avaient bénéficié d’une
attention divine particulière.
Marcello Malpighi (1628-1694) Anatomiste. Observations d’œufs de poule
fécondés, mais non incubés. L’embryon d’un poulet, dès les premières étapes
de son développement, présentait en miniature l’amorce des structures qui
seraient les siennes à la naissance. Idée d’une structure déjà en place, d’un
embryon préformé mais replié sur lui-même. Mais où se trouvaient les germes
? On pensait que la miniature de l’organisme se trouvait dans le spermatozoïde
ou l’ovule. Opter pour le spermatozoïde impliquait que des milliards
d’organismes potentiels étaient gaspillés lors de chaque éjaculation. Toute
l’espèce humaine devait donc plutôt avoir existé, emboîtée comme des
poupées russes, dans les ovaires de la première femme, Eve. La théorie
garantissait l’absolue stabilité du monde. Des savants comme Ray et Linné
adoptèrent cette théorie qui, en plus, répondait aux exigences de la
31
philosophie mécaniste. Le déploiement d’une structure déjà existante semblait
pouvoir s’expliquer mécaniquement.
Benoît de Maillet (1656-1738). Il offrit une théorie de l’apparition des êtres
vivants s’appuyant sur la thèse de la préformation sans que Dieu y intervînt. Il
partait d’un univers où les germes étaient éparpillés à travers tout l’espace.
L’océan primordial aurait offert des conditions permettant aux germes
immergés de se développer sans parents. Il y a là un certain fixisme : le
nombre d’espèces existantes était déterminé par l’existence de différents
types de germes. Il y avait pérennité des types, pas des formes. Il s’agit là d’un
des premiers scénarios matérialistes modernes de l’origine des espèces.
Cette représentation avait deux défauts aux yeux des philosophes matérialistes
du XVIIIe : 1) cette idée de préformation évoquait trop la notion de création
divine ; 2) et rien ne justifiait l’existence des germes.
Les matérialistes étaient par conséquent fortement incités à maintenir la
théorie de la génération spontanée et à trouver une alternative à la théorie de
la préformation.
Abraham Trembley (1710-1784) Naturaliste suisse. Découverte du fait que
l’hydre, coupée en morceaux, était capable de se régénérer en autant
d’animaux complets qu’il y avait de morceaux... Comment retenir alors la
théorie de la préformation ?
Autres objections au sujet de la théorie de la préformation : fallait-il considérer
Dieu comme responsable des malformations ? Comment expliquer que les
enfants ressemblaient aux deux parents ?
Mais de nouveaux arguments sont énoncés en sa faveur : Charles Bonnet
(1720-1793) avait découvert que la femelle des aphides se reproduisait sans
mâle. Louis Moreau de Maupertuis (1698-1759) Physicien, mathématicien.
Production de la première analyse statistique de la transmission des caractères
des parents à leur progéniture. Il fut un des grands précurseurs de la génétique
moderne. Reprise d’une vieille idée : la génération du fœtus se fait par le
mélange des deux semences. En tant que mécaniste, il devait expliquer
comment les corpuscules de chaque semence se combinaient avec ceux de
l’autre semence suivant des lois mécaniques. Idée “d’affinités chimiques”
entre les corpuscules des semences. Il en vint à imaginer que les particules
possédaient un “instinct” ou un “principe d’intelligence” qui les poussait à
s’unir correctement.
A l’épreuve de l’épigenèse (thèse opposée au préformationnisme), le
matérialisme fut finalement conduit à introduire les caractéristiques de la vie
au cœur de la matière. Pour cette raison, il fut souvent rejeté au nom de la
philosophie mécaniste.
32
Une autre conséquence de cette orientation matérialiste fut de permettre un
retour des idées transformistes des XVIe et XVIIe siècles.
Denis Diderot (1713-1784) Déisme puis matérialisme radical. La nature avait
expérimenté par le biais de la génération spontanée de multiples formes de
vie. Comme ces dernières étaient conçues sans plan, la plupart n’étaient pas
viables et disparurent. Par chance, la nature avait parfois réussi à élaborer des
structures qui avaient pu survivre et se reproduire. Les espèces actuelles
étaient donc les survivantes d’un processus d’essais et d’erreurs. Les espèces
pouvaient changer du tout au tout d’une époque à l’autre, elles pouvaient
avoir une origine commune. Dans le matérialisme, une espèce ne peut avoir
une essence garantissant sa fixité.
Jean-Claude Delamétherie (1743-1817) Naturaliste. Il décrivait comment des
êtres organisés étaient apparus par génération spontanée grâce à la fertilité
naturelle des eaux des zones torrides.
L’explication la plus approfondie de transformation des espèces chez les
matérialistes se trouve vraisemblablement chez Maupertuis. Dans sa théorie
de l’épigenèse, il avait accordé une place fondamentale à la notion d’erreur. Il
y avait erreur quand des particules de semences s’apparaillaient sans se
correspondre ou quand elles se combinaient dans de mauvaises proportions.
De telles erreurs pouvaient entraîner une anormalité de la progéniture. Il n’y
avait là aucune idée de téléologie ou de dessein dans la nature. Maupertuis
avait remarqué que les éleveurs pouvaient modifier les caractéristiques de
leurs cheptels en sélectionnant les traits qui les intéressaient. Hypothèse :
toutes les races humaines provenaient d’une unique race : leur distribution
actuelle résultait d’erreurs fortuites et de migrations successives. Toutes les
espèces provenaient d’un unique couple : pour expliquer l’origine de ce couple
primordial, Maupertuis eut recours aux propriétés vitales de la matière.
La théorie de la préformation pouvait autant s’accorder avec l’idée d’une fixité
des espèces qu’avec celle de leur transformation, cf Maillet. Ce qu’elle ne
permettait pas était celle d’un ancêtre commun. La théorie de la génération
spontanée, combinée avec celle de l’épigenèse n’était pas soumise à une telle
restriction. cf Maupertuis.
Georges Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788) Naturaliste. Il voulait,
dans l’esprit du matérialisme, expliquer l’origine de la vie et la reproduction
uniquement par des processus naturels. Se méfiant de toute idée d’essence, il
avait commencé par être nominaliste, considérant que les espèces ne sont que
des catégories de l’esprit. L’idée de transmutation ne devait pas lui poser
problème. Pourtant, confronté à la stérilité des hybrides, Buffon en vint
rapidement à considérer que les espèces étaient réelles et invariables. Il mit
même la stérilité au cœur de sa définition de l’espèce. Les animaux ne peuvent
33
descendre d’un même animal. Cadre globalement fixiste. Pour ne pas recourir
à des causes surnaturelles dans l’explication de l’origine de la vie, Buffon,
Diderot, Maupertuis et presque tous les matérialistes s’appuyaient sur la
théorie de la génération spontanée ; cependant elle était de plus en plus
délicate à défendre, depuis la fin du XVIIe siècle, sur le plan expérimental.
A partir du milieu du XVIIIe siècle, les matérialistes purent toutefois s’appuyer
sur les expériences d’un prêtre catholique anglais, John Turberville Needham
(1713-1781) : au lieu d’analyser l’apparition d’insectes dans la matière en
décomposition, ce dernier eut l’idée d’étudier l’apparition d’animalcules,
découverts à la fin du XVIIe siècle. [Expérimentation : Jus de mouton chauffé.
Examen microscopique : fourmillement d’animalcules. Il concluait qu’il existait
dans la matière organique une “force plastique” capable d’engendrer des
corpuscules organisés. Lazare Spallanzani (1729-1799) refit les expériences en
augmentant la température... Ses détracteurs lui reprochèrent d’avoir détruit
par son chauffage, non les germes, qui n’existaient pas, mais la force plastique
de la matière. Cette longue controverse dura jusqu’à Pasteur (1822-1895).]
Projet des philosophes matérialistes : essayer de rendre compte de
l’émergence de la vie à partir de la matière inerte.
Au XVIIIe siècle, l’idée d’une création divine des espèces s’inscrivait souvent
dans le cadre d’une pensée classificatrice. Plan défini par Dieu. Classement
hiérarchique où chaque espèce trouvait sa place dans une longue chaîne en
fonction de son degré d’être. Ce concept de “chaînes des espèces” remontait à
l’Antiquité. En éliminant toute contingence dans la répartition des êtres, ce
principe de plénitude avait une signification autant religieuse que
philosophique : il reflétait aussi bien la foi dans la puissance divine que la
croyance en une intelligibilité de la nature. Vision statique de la nature.
34
mise à infiltrer les réflexions sur le vivant et entrait en conflit avec l’idée d’un
monde où chaque chose avait une forme fixe.
L’idée d’une nature toujours parfaite commença à être remplacée par celle
d’une nature dont la perfection augmentait avec le temps.
Erasmus Darwin (1731-1802) Médecin et poète. Grand-père de Charles
Darwin. Vision évolutionniste. Le développement des organismes individuels,
de l’embryon à l’âge adulte, peut être vu comme une analogie de ce qui a pu
se passer au niveau de l’évolution des espèces. Il interprète la similarité de
certaines parties anatomiques chez différentes espèces, comme un indice de
l’origine commune de ces espèces. Il voit dans la capacité des éleveurs à
modifier les caractéristiques des espèces une preuve de la possible
transformation du vivant. C’était un déiste qui considérait l’évolution comme
le plus grand triomphe de Dieu, et même comme la plus grande preuve de son
existence.
Jean-Baptiste Pierre Antoine de Monet, chevalier de Lamarck (1744-1829)
Botaniste. Fixiste. Mais, après avoir reçu la charge des invertébrés au Jardin
des Plantes de Paris en 1790, il devint évolutionniste. Car beaucoup de fossiles
ne lui semblaient pas avoir de correspondants vivants. Philosophie zoologique
(1809). Référence au concept de chaîne des êtres, mais temporalisée (comme
Bonnet et Robinet). Partisan de la génération spontanée, il ne déterminait pas
le chemin évolutif des espèces en s’appuyant sur les fossiles (même si c’étaient
eux qui avaient fait de lui un évolutionniste), il estimait que des formes très
simples de vie (vers, mites, etc.) pouvaient émerger spontanément, et
qu’ensuite ces formes simples donnaient naissance à des formes plus
compliquées, etc. Lamarck imaginait des lignes ascendantes, où chaque lignée
suivait sa propre progression. Il croyait, comme Erasmus Darwin, à la
transmission des caractères acquis. La girafe avait un long cou parce que ses
ancêtres avaient étiré leur cou pour manger les feuilles des arbres durant des
générations. Mais ce mécanisme n’était pas, selon Lamarck, bien qu’il soit
connu de nos jours sous le nom de lamarckisme, le moteur de l’évolution. Il
occasionnait seulement des déviations sur le chemin évolutif principal. Chez
Lamarck comme chez E. Darwin, le mécanisme principal de l’évolution était
une tendance interne qui poussait les organismes à se complexifier en
permanence. Lamarck était déiste en considérant que l’œuvre divine se
réalisait à travers les lois de la nature.
Georges Cuvier (1769-1832) Anatomiste. Une des importantes questions
étaient de savoir si la disposition des fossiles dans les couches géologiques
permettait de soutenir le gradualisme. La réponse de Cuvier était négative :
l’étude de la géologie et des fossiles le persuadèrent que la Terre avait été
sujette à de violentes et périodiques convulsions ou catastrophes et que la vie
35
repartait de zéro après chaque catastrophe. Si Lamarck avait raison, on devait
voir des preuves tangibles de transformations graduelles. Or, Cuvier constatait
qu’aucune espèce encore vivante ne montrait des signes d’évolution. Selon lui,
l’idée d’évolution (cf. Lamarck) paraissait non seulement spéculative, au sens
où elle reposait sur des hypothèses sans preuve, mais démentie à la fois par les
séries fossiles et par l’anatomie des animaux. Si Cuvier faisait référence au
Déluge, jamais il ne fondait sa critique de la théorie de l’évolution sur le récit
biblique. Cela n’a pas empêché son autorité scientifique de servir de caution à
tous ceux qui cherchaient à confirmer le récit de la Genèse par la géologie.
C’est ce qu’entendait faire le géologue anglais William Buckland (1784-1856).
William Paley (1743-1805) Théologie naturelle. Selon lui, le fait que toutes les
parties du corps des animaux étaient utiles à leur mode de vie et très bien
adaptées à leur environnement était la preuve de l’existence d’un Dieu sage et
bienveillant. Etienne-Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844), selon lui,
contrairement à Cuvier, il existait des similarités chez tous les animaux qui
laissaient entrevoir une unité du vivant, laquelle, par conséquent, rendait
possible le passage d’une espèce en une autre.
Louis Agassiz (1807-1873) Naturaliste suisse et spécialiste des poissons
fossiles. Vision idéaliste de la nature. Farouche défenseur de l’idée de création
divine. Mais il refusait de suivre les enseignements de la Bible, que ce soit sur
l’âge de la Terre ou l’existence du Déluge. Thèse d’une origine multiple des
races humaines, contraire au récit biblique. Selon lui, chaque organisme
individuel était construit à partir d’un prototype, de sorte que les variations au
sein de chaque espèce ne modifiaient en rien l’essence du prototype, ayant
son origine dans l’esprit divin et étant par suite fixe et éternel.
Herbert Spencer (1820-1903) Sa pensée est avant tout orientée vers les
problèmes de société, mais, toujours, elle s’intégrait à une vision globale de la
nature. Il avançait que lorsqu’une population croît, la société devient plus
complexe et, par conséquent, les individus doivent s’accommoder de
conditions de vie plus difficiles, notamment en développant de nouvelles
habitudes. Sur le long terme, ces nouvelles habitudes entraînent des
modifications anatomiques qui deviennent héréditaires. Ainsi, de génération
en génération, les individus se transforment continuellement afin de s’adapter
à un environnement changeant. Spencer estima également que les individus
qui n’arrivaient pas à s’adapter disparaissaient au profit de ceux qui y
parvenaient. Une forme de sélection naturelle assurait la pérennité des plus
aptes au détriment des autres. Article “L’hypothèse du développement”, 1852.
Toutes les formes vivantes actuelles ont évolué graduellement à partir d’autres
structures vivantes plus simples, qui elles-mêmes provenaient de structures
vivantes plus simples, etc. Philip Henry Gosse (1810-1888) Zoologiste anglais,
36
spécialiste du monde marin, vulgarisateur et membre d’un mouvement
évangélique dit la Confrérie de Plymouth, tenait à une interprétation littérale
de la Bible.
Charles Darwin (1809-1882) et Alfred Russel Wallace (1823-1913) naturaliste
gallois. 1859 l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, ou la
Préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie. La lutte pour la vie,
la sélection naturelle, l’adaptation, l’hérédité des variations et leur côté
aléatoire : toutes ces notions étaient connues à l’époque, tant en biologie et
en zoologie qu’en paléontologie. Quant à l’idée d’une transformation des êtres
vivants au cours du temps, il y a longtemps qu’elle avait été avancée. Le génie
de Darwin consista à réunir ces concepts dans un tout cohérent ou, du moins,
plus cohérent qu’auparavant. Avant de devenir évolutionniste à l’issue de son
voyage sur le Beagle, il croyait comme nombre de ses contemporains à
l’immutabilité des espèces. Quand il exposa sa théorie, ce ne fut pas l’idée
d’évolution qui suscita le plus de résistances. Ce fut le mécanisme d’évolution
qu’il privilégiait, à savoir la sélection naturelle. Face aux critiques auxquelles
fut confrontée cette dernière, Darwin finit d’ailleurs par en minimiser le rôle.
Darwin, à la suite de son voyage autour du monde, cherchait un mécanisme
naturel pour expliquer la transmutation des espèces. Il s’intéressa à la façon
dont les éleveurs créaient de nouvelles variétés. Il lut le livre d’un pasteur
anglican, Thomas Malthus (1766-1834) Essai sur le principe de population
1798. Celui-ci soulignait la tendance universelle de la population humaine à
croître plus rapidement que les ressources disponibles, ce qui conduisait à la
pauvreté, la maladie, la guerre. Darwin eut l’idée d’appliquer cette loi de
Malthus aux plantes et aux animaux qui, à la différence des humains, sont
incapables d’accroître leurs ressources. Avec des conditions
environnementales changeantes et des organismes ne se reproduisant jamais
à l’identique, cette lutte pour la survie jouait le rôle d’un processus de
sélection favorisant les individus les mieux adaptés, de manière contingente.
Sur le long terme, ce processus conduisait à une transformation graduelle des
espèces.”
37
auxquelles on a assisté ne suffisent pas à prouver en toute rigueur qu’il n’y a
aucune vérité scientifique définitive, mais seulement qu’on ne peut être sûr du
caractère définitif d’aucune vérité scientifique, autrement dit qu’il peut y avoir
des vérités scientifiques définitives, mais qu’on ne peut savoir s’il y en a, et, s’il
y en a, lesquelles. D’autant plus que la complexité de plus en plus grande des
problèmes, la difficulté de plus en plus grande à réaliser des expériences pour
vérifier les nouvelles théories peuvent devenir telles qu’elles dépasseront nos
possibilités intellectuelles et pratiques ; (...) il faut donc penser que la validité
de nos connaissances scientifiques s’étend sinon infiniment, du moins
indéfiniment et jusqu’à preuve du contraire.”
c. L’idée de Temps.
La découverte de fossiles, de modifications des êtres vivants conduit à faire
intervenir une idée nouvelle dans la représentation de la Nature : l’idée de
Temps. En effet, d’un point de vue créationniste, le temps est une donnée
superflue puisque les espèces sont fixes : la Nature se déploie sur le mode de
la répétition du même. Tandis que l’idée d’évolution, c’est-à-dire de
“modifications avec descendance”, intègre l’idée d’un temps à prendre en
compte, un temps très long. Cette idée de temps est admise par le Dessein
intelligent, associée à l’idée de progrès orienté.
38
valeur), seulement l’idée que la réalité, complexe, est changeante et qu’il faut
tâcher de penser ce changement/cette évolution (neutre).
Nicole Le Douarin Des chimères, des clones et des gènes, p 55 : “En résumé, et
pour reprendre un exemple devenu canonique : chez Lamarck, les girafes ont
un long cou en raison des efforts de leurs ancêtres qui voulaient consommer
les feuilles haut perchées des grands végétaux quand les basses venaient à
manquer ; pour Cuvier, les girafes ont la tête surélevée parce qu’un jour Dieu
en décida ainsi. Selon Darwin, les girafes au long cou, capables de se nourrir
des feuilles situées à la cime des arbres, moins vulnérables par conséquent que
“leurs cousines au col plus bref”, ont davantage de chances de survivre, donc
de temps pour se reproduire : c’est pourquoi la proportion de girafes
héréditairement dotées d’une grande encolure a continuellement augmenté
jusqu’à complète disparition des autres variantes.”
[* Ceux qui ont construit la théorie synthétique de l’Evolution étaient soit des
matérialistes : Simpson, Stebbins ; soit des chrétiens : Dodzhansky (orthodoxe),
Fisher (anglican), Wright (presbytérien), L’Héritier (catholique) ; soit des
agnostiques (J. Huxley).]
DOCUMENTS : Arnould J. Dieu versus Darwin p 39. Darwin “osa voir dans la
nature ce que les éleveurs anglais appliquaient aux animaux : la sélection.”
39
Darwin L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la lutte
pour l’existence dans la nature 1859 : “Faut-il donc s’étonner quand on voit
que les variations utiles à l’homme se sont certainement produites, que
d’autres variations, utiles à l’animal dans la grande et terrible bataille de la vie,
se produisent dans le cours des nombreuses générations ? Si ce fait est admis,
pouvons-nous douter (il faut se rappeler qu’il naît beaucoup plus d’individus
qu’il n’en peut vivre) que les individus possédant un avantage quelconque,
quelque léger qu’il soit d’ailleurs, aient la meilleure chance de vivre et de se
reproduire ? Nous pouvons être certains, d’autre part, que toute variation, si
peu nuisible soit-elle à l’individu entraîne forcément la disparition de celui-ci.
J’ai donné le nom de sélection naturelle ou de persistance du plus apte à cette
conservation des différences et des variations individuelles favorables et à
cette élimination des variations nuisibles.”
“Plusieurs écrivains ont mal compris, ou mal critiqué ce terme de sélection
naturelle”. (...) “Les uns se sont même imaginé que la sélection naturelle
amène la variabilité, alors qu’elle implique seulement la conservation des
variations accidentellement produites, quand elles sont avantageuses dans les
conditions d’existence, ce où il se trouve placé.” Ainsi se trompent-ils ceux qui
prétendent “que le terme sélection implique un choix conscient de la part des
animaux qui se modifient.” (...) “On a dit que je parle de sélection naturelle
comme d’une puissance active ou divine ; mais qui donc critique un auteur
lorsqu’il parle de l’attraction ou de la gravitation, comme régissant les
mouvements des planètes ? Chacun sait ce que signifient, ce qu’impliquent ces
expressions métaphoriques nécessaires à la clarté de la discussion. Il est aussi
très difficile d’éviter de personnifier le nom nature ; mais par nature, j’entends
seulement l’action combinée et les résultats complexes d’un grand nombre de
lois naturelles ; et, par lois, la série de faits que nous avons reconnus.” [...] “Il
est intéressant de contempler un rivage luxuriant, tapissé de nombreuses
plantes appartenant à de nombreuses espèces abritant des oiseaux qui
chantent dans les buissons, des insectes variés qui voltigent çà et là, des vers
qui rampent dans la terre, si l’on songe que ces formes si admirablement
construites, si différemment conformées, et dépendantes les unes des autres
d’une manière si complexe, ont toutes été produites par des lois qui agissent
autour de nous. Ces lois, prises dans leur sens le plus large, sont : la loi de
croissance et de reproduction ; la loi d’hérédité qu’implique presque la loi de
reproduction ; la loi de variabilité, résultant de l’action directe et indirecte des
conditions d’existence, de l’usage et du défaut d’usage ; la loi de la
multiplication des espèces en raison assez élevée pour amener la lutte pour
l’existence, qui a pour conséquence la sélection naturelle, laquelle détermine
la divergence des caractères, et l’extinction des formes moins perfectionnées.
40
Le résultat direct de cette guerre de la nature, qui se traduit par la famine et
par la mort, est donc le fait la plus admirable que nous puissions concevoir, à
savoir : la production des animaux supérieurs. N’y a-t-il pas une véritable
grandeur dans cette manière d’envisager la vie, avec ses puissances diverses
attribuées primitivement par le Créateur à un petit nombre de formes, ou
même à une seule ? Or, tandis que notre planète, obéissant à la loi fixe de la
gravitation continue de tourner dans son orbite, une quantité infinie de belles
et admirables formes, sorties d’un commencement si simple, n’ont pas cessé
de se développer et se développent encore !” Paris, La Découverte, 1985 p.
619-620
IV. Pourquoi peut-on dire que la théorie de l’Evolution est une démarche
scientifique et non le Créationnisme et le Dessein intelligent ? La questions
des critères...
La question de la scientificité ou non d’une démarche est cruciale et très
difficile à traiter. D’abord parce que nous avons tous une représentation très
vague de LA science comme s’il n’y avait qu’une science tandis qu’ il y a des
sciences (ce qui ne signifie pas que l’unité de la science est impossible ; c’est
un autre problème). Ensuite, parce qu’on ne peut pas, rationnellement, exiger
41
et appliquer les mêmes méthodes de recherche à un objet inerte ou à un être
vivant, par exemple. Il y a des sciences différentes parce qu’il y a des objets
très différents. Evaluer une science à l’aune des méthodes d’une autre n’est
pas rationnel. La théorie de l’Evolution a donc des méthodes propres à son
objet : les êtres vivants, en interactions entre eux et avec le milieu dans lequel
ils évoluent, pendant que lui-même évolue, le tout sur un mode relevant
globalement à la fois de la contingence et de la nécessité.
42
d’une manière générale, ce qui fait de ce qui est fait, et ce qui fait changer est
cause de ce qui est changé. De plus on parle de cause comme de la fin, c’est-à-
dire le “ce en vue de quoi”, par exemple la cause du fait de se promener c’est
la santé.” La science est ainsi conçue comme connaissance des causes. C’est
par là qu’Aristote distinguera la médecine empirique et la science médicale : le
médecin empirique sait, par expérience mais sans pouvoir l’expliquer, quel
remède soigne telle fièvre mais c’est par le savoir médical qu’il pourrait savoir
pourquoi tel remède soigne telle fièvre.
(a) La forme désigne l’essence (la quiddité), l’idée, l’ensemble des
déterminations qui caractérisent un être. C’est elle qui donne forme, ou
“informe” la matière brute pour faire passer toute chose de la puissance à
l’acte.]
(1) La notion de causes pose plusieurs problèmes et c’est pourquoi le
positivisme, par exemple, propose le concept de lois. Ce passage de la notion
de cause à celle de loi est l’une des marques du passage à la science moderne
effectué, entre autres chercheurs, par Galilée. Les lois énoncent des /les
rapports entre les phénomènes.
43
surnaturelle, divine : une Intelligence Suprême (ordonnatrice ou créatrice)
dont il faudrait prouver l’existence, ce qui ne relève pas des compétences de la
science. Dieu n’est pas un objet d’étude pour la science puisque le travail de
celle-ci ne porte que sur les réalités naturelles.
44
b. Les concepts de nécessité, de hasard, de contingence.
La théorie de l’Evolution exclut donc tout recours à la notion de finalité
présupposant nécessairement l’affirmation de l’existence de Dieu. Ses
concepts sont donc ceux de nécessité, de hasard et de contingence.
La notion de nécessité désigne l’idée de ce qui est et ne peut pas ne pas être ;
ce qui est ainsi et ne peut être autrement.
La notion de hasard désigne l’idée selon laquelle il y a des séries causales
indépendantes qui se rencontrent : il y a donc de possibles variations
aléatoires, complexes et par suite très difficiles à déterminer.
La notion de contingence désigne l’idée de ce qui est mais peut ne pas être ; ce
qui est ainsi mais peut être autrement.
Ces notions résument en quelque sorte le point de vue de la théorie de
l’Evolution : étudier les phénomènes naturels sur un plan exclusivement
rationnel, selon les observations des faits, les hypothèses, les
expérimentations, quand elles sont possibles, tout en sachant que le donné est
complexe dans la mesure où la causalité biologique est à plusieurs dimensions
et concernée par l’interaction des phénomènes entre eux. Cournot (1801-
1877) souligne cette difficulté : “Le propre de l’esprit humain est d’avoir ce
qu’il faut pour saisir nettement ce qui est du ressort de la mécanique et de
manquer de ce qu’il faudrait pour saisir de même la nature et le mode d’action
de ce principe supérieur qui met en branle les fonctions de la vie et qui se sert
de tous les moyens mécaniques, physiques, chimiques pour arriver à ses fins.”
45
présentent des variations. La source de la variabilité reste le talon d’Achille de
la théorie.”
p181 “Au milieu du XXe siècle, la théorie synthétique de l’évolution a fait la
synthèse entre la zoologie, la paléontologie et la génétique des populations.
Les concepts hérités de cette dernière ont imposé l’idée d’évolution graduelle
se traduisant par une modification dans la fréquence relative des gènes au fil
des générations - ce qu’on appelle la microévolution. La sélection naturelle
opère sur la forte variabilité qui permet à certains individus de s’adapter, et
ainsi de suite. Pour expliquer l’apparition de nouvelles espèces, puis de
nouvelles lignées - c’est-à-dire la macroévolution - , la théorie invoque
l’interposition d’une barrière géographique entre les populations. Les
premières applications de ce modèle de spéciation pour la lignée humaine
seront celui de l’isolement des populations ancestrales des hommes de
Neandertal en Europe, proposé par Francis Clark Howell à la fin des années
1970, et l’East Side Story d’Yves Coppens, entre notre lignée et celle des
chimpanzés de part et d’autres des vallées du Rift en Afrique au début des
années 1980. La théorie synthétique replace la sélection naturelle au cœur de
l’évolution et s’efforce d’interpréter tous les caractères distinguant des
populations ou des espèces comme des adaptations à leurs environnements
respectifs. Dans un tel contexte, tous les caractères qui distinguent la lignée
humaine de celle des grands singes se rapportent respectivement à des
adaptations à la vie dans les savanes ou dans les forêts. ”
p183 “Stephen Jay Gould réintroduit (...) les concepts de contraintes et de
contingence. Il n’existe pas de plus “apte” au sens absolu ou métaphysique,
mais des individus qui survivent et se reproduisent plus que les autres. Le
concept de contrainte ne signifie pas qu’il n’y a pas de variations ni de
plasticité, mais que celles-ci sont contraintes dans un “jeu des possibles”.
Quant à la contingence, elle désigne le fait que l’état de nature, à une époque
donnée, propose un jeu des possibles sur lequel opère la sélection naturelle, la
sélection sexuelle et aussi le hasard ou la chance. On comprend bien que les
individus qui ont un meilleur succès reproductif diffusent plus leurs gènes,
mais, ce faisant, ils contraignent la variabilité du génome. Si de la variabilité et
de la plasticité ne se redéploient pas à partir de ce génome, alors les
populations se maintiennent dans une phase d’équilibre tant que
l’environnement ne change pas trop (équilibre) ; s’il se modifie, alors les
individus appartenant le plus souvent à des populations périphériques peuvent
se retrouver avantagés et diffuser rapidement leurs caractères (ponctuation).
De tels changements peuvent se produire rapidement par effet fondateur et
dérive génétique de populations périphériques, fixant leurs caractéristiques
dans le génome, ce qui peut conduire à une spéciation de type périphérique.”
46
c. La dialectique de la théorie et de l’expérimentation ou de la confrontation
avec les faits (données factuelles).
D’autre part, la théorie de l’Evolution énonce des propositions, des
hypothèses, provoquées par l’observation des faits, des données factuelles et
soumises à la confrontation avec ces faits : il y a donc un rapport dialectique
entre l’hypothèse et la réalité factuelle. Les observations sont soumises à des
hypothèses, elles-mêmes soumises aux jugements contradictoires de la
communauté scientifique, avec un retour aux observations des faits, etc.
Mais qu’est-ce qu’un fait ? On peut dire qu’un fait est une donnée observable,
localisable dans l’espace-temps, consistant en une relation particulière entre
objets. Cela dit, parce que le Temps est une donnée capitale pour la Théorie de
l’Evolution, il est certain qu’on ne peut traiter un fait selon ce point de vue
comme d’un fait en physique, par exemple, que l’on peut dégager du temps
historique, c’est-à-dire, à certaines conditions et dans une certaine mesure,
reproduire en laboratoire.
Mais les faits ne “parlant” pas d’eux-mêmes, une lecture, une interprétation
dans le cadre d’une hypothèse, d’une théorie sont nécessaires. Un fait, au sens
minimal, et naïf, est une donnée objective appartenant au champ de la réalité
et pouvant être constaté par chaque sujet percevant. Un fait est donc, d’abord,
l’objet d’une observation. Cela dit, un fait, à lui tout seul, est “muet” (comme
dans une enquête policière), s’il reste isolé de toute la structure, de tout le
réseau auxquels il appartient. Isolément, un fait est une abstraction. Le fait
n’est intelligible que s’il est inséré, inscrit dans un ensemble structuré
d’interprétations, d’explications. Le fait scientifique est donc une construction,
à la fois théorique et matérielle, (par les instruments scientifiques utilisés). Il
est inintelligible si on ne sait pas l’interpréter théoriquement. Ainsi, la
découverte hasardeuse d’un fossile par un passant n’est pas à confondre avec
le traitement scientifique de cette découverte. Un autre exemple (lié à la
représentation dite de la génération spontanée) peut illustrer cette idée : un
fait est constaté : il y a des asticots sur un morceau de viande. Sans la
connaissance des paramètres suivants : mouche, reproduction, etc. ce fait n’a
pas de signification d’un point de vue scientifique. Enfin, il ne suffit pas
d’observer le fait éclipse pour en comprendre le processus. Le fait n’a de sens
opératoire scientifiquement que s’il est interprété, selon des critères précis. Un
fait seul n’a aucun sens. Il en est de même de la théorie, seule, elle peut très
vite devenir une spéculation abstruse, c’est pourquoi il faut qu’elle soit
confrontée à l’expérimentation, à l’observation méthodique des faits. Il en est
ainsi au sujet du travail portant sur la découverte des fossiles. (Cela montre
47
que l’opposition habituelle entre objectivité et subjectivité est un peu courte,
mais c’est un autre problème).
La question de l’expérimentation est tout aussi complexe dans la mesure où
elle n’est pas toujours possible en fonction des paramètres concernés : on ne
peut reproduire en laboratoire certaines données factuelles du fait du Temps,
très long, de l’évolution du vivant, des vivants et du milieu.
48
ne sont point innées. Elles ne surgissent point spontanément, il leur faut une
occasion ou un excitant extérieur, comme cela a lieu dans toutes les fonctions
physiologiques. Pour avoir une première idée des choses, il faut voir ces choses
; pour avoir une idée sur un phénomène de la nature, il faut l’observer. L’esprit
de l’homme ne peut concevoir un effet sans cause, de telle sorte que la vue
d’un phénomène éveille toujours en lui une idée de causalité. Toute la
connaissance humaine se borne à remonter des effets observés à leur cause. A
la suite d’une observation, une idée relative à la cause du phénomène observé
se présente à l’esprit ; puis on introduit cette idée anticipée dans un
raisonnement en vertu duquel on fait des expériences pour la contrôler.
Introduction à la médecine expérimentale, 1865, Flammarion, p. 65-66.
d. De la Réfutabilité/Falsifiabilité/testabilité.
Enfin, on peut considérer, malgré les réserves de la part de certains penseurs,
que le concept de réfutabilité peut s’appliquer à la théorie de l’Evolution(*)
dans la mesure où elle est soumise à des objections internes, contradictions,
ajustements. En effet, ce concept de réfutabilité proposé par Popper, permet
de distinguer clairement Créationnisme et Théorie de l’Evolution dans la
mesure où le premier ne peut être soumis à la réfutabilité puisque les textes
sacrés font autorité à titre de dogmes, (comme le souligne déjà Pascal dans la
Préface pour le Traité du vide), tandis que la théorie de l’Evolution est
constamment soumise à la confrontation avec la réalité factuelle et avec les
diverses hypothèses et conjectures énoncées par différents chercheurs.
Popper (1902-1994) La logique de la découverte scientifique Payot 1973. La
Falsifiabilité (testabilité, réfutabilité) constitue la caractéristique des théories
scientifiques qui sont toujours susceptibles d’être réfutées par l’expérience,
mais qui ne peuvent jamais être définitivement confirmées ou corroborées
(vérifiées). La falsification est une réfutation par
l’expérience/l’expérimentation qui caractérise l’un des processus de la science
empirique et de son progrès. Ne sont par suite scientifiques que les énoncés
qui peuvent être empiriquement réfutés. “Je suggère de prendre la réfutabilité
comme critère de démarcation (...).”, (entre science et non-science). Pour
Popper, la connaissance procède par essais (conjectures) et élimination de
l’erreur, ce qui conduit à privilégier une nouvelle hypothèse. Les énoncés sont
donc toujours en sursis c’est-à-dire acceptés jusqu’à “preuve” du contraire.
(*) Popper considère, dans certains de ses propos, que le darwinisme n’est pas
une théorie scientifique puisqu’il ne propose pas d’expérience possible. Mais à
partir du darwinisme se sont construites des théories (dont la théorie de
l’Evolution puis la Théorie synthétique de l’Evolution) qui, elles, sont
49
falsifiables. D’autre part, on peut penser que la réflexion de Popper se réfère
essentiellement aux critères concernant la science physique.
BILAN : La démarche scientifique exige de l’esprit l’acceptation de l’abandon
d’un énoncé, d’une théorie s’ils se révèlent erronés, c’est-à-dire la lutte contre
le dogmatisme. C’est une exigence méthodique, ce n’est pas nécessairement
une réalité car tout esprit est attaché (affectivement) à ses représentations et
n’en veut pas faire le deuil. C’est pour cette raison, et d’autres, que le
dogmatisme “scientifique” existe, même si c’est une contradiction dans les
termes.
50
ainsi, je parle de la disposition et de l’inclination de mon esprit et non de la
réalité factuelle.
Kant Critique de la Raison pure p 525 “En dépit de ce besoin pressant
qu’éprouve la raison de supposer quelque chose qui puisse servir
complètement de fondement pour la détermination intégrale de ses concepts,
elle remarque pourtant beaucoup trop facilement ce qu’a d’idéal et de
purement fictif une telle supposition pour pouvoir être persuadée par cela seul
d’admettre d’emblée comme un être effectivement réel une simple créature
engendrée spontanément par sa pensée...” [...] p 527 : “Ainsi en est-il du cours
naturel de la raison humaine. D’abord, elle se persuade de l’existence de
quelque être nécessaire. En celui-ci, elle reconnaît une existence
inconditionnée. Or elle cherche le concept de ce qui est indépendant de toute
condition et le trouve dans ce qui contient soi-même la condition suffisante de
toute autre chose, c’est-à-dire dans ce qui contient toute réalité. Mais le tout
que rien ne vient limiter est unité absolue et implique le concept d’un être
unique, à savoir le concept de l’être suprême ; et ainsi la raison conclut-elle
que l’être suprême, en tant que fondement originaire de toutes choses, existe
d’une façon absolument nécessaire. [...] p 530 “On voit à partir de ce qui
précède que le concept d’un être absolument nécessaire est un concept pur de
la raison, c’est-à-dire une simple Idée dont la réalité objective est encore loin
de se trouver démontrée par le fait que la raison en a besoin...”.
Ainsi, l’esprit humain peut projeter sur la Nature l’idée d’un plan cohérent,
mais il doit se rappeler constamment qu’il ne s’agit là que d’une idée de la
raison et non d’un concept, idée qui joue un rôle régulateur et non constitutif,
et qui relève du jugement réfléchissant et non déterminant.
51
Or, la Genèse évoque, par exemple, un processus impossible dans les faits : les
végétaux sont créés avant l’apparition du soleil. D’autre part, de nombreuses
données factuelles vérifiées par la communauté scientifique sont étrangères
aux textes sacrés : l’âge de la Terre, l’existence de fossiles d’espèces disparues,
modifiées. Enfin, les créationnistes refusent de reconnaître l’existence de faits
quand ils sont contraires aux écrits de la Genèse : la découverte de fossiles
d’espèces manifestement disparues.
La lecture de la Bible est hors du champ de la science. Les représentants des
Eglises majoritaires/officielles considèrent que la lecture de la Bible doit être
effectuée sur le mode métaphorique, symbolique c’est-à-dire sur un mode
distinct de l’approche scientifique. La Bible (comme tous les textes religieux)
est un livre relevant de la morale non de la science, elle prescrit des valeurs,
des règles de vie, des Commandements et ne délivre pas des explications
scientifiques de la Nature.
La science et la religion sont deux domaines qui ne peuvent être confondus :
chacun a son objet, sa démarche ; chacun traite de questions qui lui sont
spécifiques et l’un ne peut répondre aux questions de l’autre puisqu’ils ne
parlent pas de la même chose.
J. Arnould Dieu versus Darwin p 254 : “God-of-the-gaps : Dieu est invoqué
seulement là où l’esprit humain ne trouve pas d’explication naturelle ; il
disparaît dès lors qu’un phénomène jusqu'alors inexpliqué est élucidé grâce au
travail de la raison. Il n’est plus que le Dieu tout juste bon à combler les abîmes
de l’ignorance humaine.”
52
Il n’y a de conflit possible qu’entre des thèses ou hypothèses relevant du
même champ de recherche, traitant des mêmes données, ayant les mêmes
démarches d’investigations. Or le Créationnisme et la Théorie de l’Evolution ne
traitent pas les mêmes questions, n’ont pas le même champ d’investigation,
n’ont pas les mêmes compétences, les mêmes missions. La science et la
religion (dont le Créationnisme est une expression possible) ne parlent pas de
la même chose : la science traitera par exemple du fonctionnement du corps
humain, la religion s’adressera aux fidèles (ceux qui ont la foi) en les invitant à
vivre selon la Loi de Dieu : aimer son prochain, être réellement pieux (ne pas
être un faux dévot), pratiquer la charité, etc. (et lue de manière métaphorique,
symbolique, la Genèse s’adresse aux croyants pour leur signifier qu’étant tous
enfants de Dieu (le Dieu des trois religions du Livre), ils doivent tous s’aimer les
uns les autres).
53
morale et le Créationnisme, à se prétendre scientifique, fait plus de tort à la
religion qu’il ne fait du bien à la science...
54
c. La science et la religion, deux domaines totalement distincts.
La science et la religion n’énoncent et ne traitent pas du tout des mêmes
questions (Quels sont les ascendants de Homo sapiens ? Comment s’est formé
l’univers actuel ?/Quelle est l’Origine absolue de l’Humain ? Quelle est
l’Origine absolue de L’Univers) ?), ne travaillent pas les mêmes objets
(Données factuelles naturelles/Textes sacrés et références au surnaturel),
n’usent pas des mêmes méthodes (Analyse des données
factuelles/Interprétations des textes religieux) et n’ont pas les mêmes finalités
(Elucider autant qu’il est possible les processus de la réalité/Apaiser l’angoisse
humaine en répondant aux questions métaphysiques). Ces deux activités de
l’esprit humain n’ont donc pas matière à être en conflit car pour que le débat
d’idées soit possible et opératoire il faut qu’il porte sur de mêmes objets, de
mêmes questions et selon de mêmes méthodes. Ainsi, lorsqu’il y a conflit entre
science et religion, c’est pour des raisons qui leur sont étrangères, des motifs
relevant essentiellement du désir de domination de l’autre... le désir d’avoir le
dernier mot : désir mortifère en ce sens que c’est la mort qui a toujours le
dernier mot...
55
prochain.” (...) “Quant à savoir ce qu’en soi est ce Dieu ou modèle de vie vraie,
peu importe qu’il soit feu, Esprit, lumière, pensée, etc. La réalité exacte de son
être n’a rien à voir avec la foi.” (...) “Entre la foi et la théologie d’une part, la
philosophie de l’autre, il n’y a aucun rapport, aucune affinité.(...) La
philosophie ne se propose que la vérité ; la foi (...), que l’obéissance.”
Chapitre XV : “(...) la théologie ne doit pas être mise au service de la raison, ni
la raison à celui de la théologie. L’une et l’autre ont leur royaume propre : la
raison, celui de la vérité et de la sagesse, la théologie, celui de la ferveur
croyante et de la soumission. Il n’est pas en la puissance de la raison de
décider si les hommes peuvent parvenir à la béatitude, même sans aucune
compréhension intellectuelle, par la simple soumission de cœur. En revanche,
la théologie se borne à soutenir l’efficacité de la soumission sans
compréhension ; elle ne commande que l’obéissance, sans vouloir ni pouvoir
déconsidérer la raison.”
56
de pensée : une pensée d’adhésion à des vérités préétablies susceptibles
d’aider les êtres humains à maîtriser leurs angoisses irréductibles qui
concernent, pour chacun, aussi bien le mystère de sa propre mort que celui de
son origine et son identité.
Distinguer fermement ces deux formes de pensée : telle paraît être la première
condition pour qu’elles se déploient l’une et l’autre le plus librement. Mais
doit-on pour autant renoncer à affirmer l’unité de la pensée humaine ? La
philosophie n’est-elle pas susceptible ici de jouer pleinement son rôle ? forme
transactive de la pensée, elle peut inciter la pensée scientifique à maîtriser son
allure tout en se réassurant à chaque pas de son sens et inviter la pensée
religieuse à réinscrire les motifs et les modalités de l’adhésion qu’elle requiert
dans l’effort que fait l’être humain pour accroître ses capacités d’agir et de
penser.”
Lepeltier Darwin hérétique p11 : “Darwin, quoiqu’il soit allé au cours de sa vie
vers un athéisme de plus en plus franc, s’est toujours gardé de suggérer
publiquement que sa théorie de la modification des espèces par sélection
naturelle était en contradiction avec la théologie. A condition d’admettre que
Dieu n’intervient pas directement dans le détail de la Création, mais opère par
l’intermédiaire des lois de la nature, la théorie de l’évolution organique était
pour lui compatible aussi bien avec une vision matérialiste qu’avec une vision
théologique de l’origine du cosmos.”
P11 “(...) ceux qui ont construit la théorie synthétique de l’évolution étaient
tantôt des matérialistes (Simpson, Stebbins), tantôt des chrétiens engagés
appartenant à toutes les Eglises possibles (Dobzhansky, orthodoxe ; Fisher,
anglican ; Wright, presbytérien ; L’Héritier, catholique), tantôt des agnostiques
(Julian Huxley).”
On voit donc qu’il n’y a pas de conflit possible entre science et religion, sauf à
confondre ce qui est distinct et à viser une hégémonie délétère.
57
humain est incapable de trouver des réponses définitives à de nombreuses
questions fort importantes pour l’humanité (...).”
Aux Etats-Unis, les mouvements créationnistes militent depuis des années afin
de conduire les Etats à imposer l’enseignement du Créationnisme, en classe de
science, au même titre que la Théorie de l’Evolution ; ou bien à permettre
l’enseignement du Créationnisme et de la théorie de l’Evolution à titre de
croyances. Des procès se sont déroulés, au cours desquels des questions
épistémologiques ont été traitées, dont une, capitale : la question des critères
de la science. A quelles conditions une démarche intellectuelle est-elle
scientifique ?
58
* Les critères : (J. Arnould Dieu versus Darwin p 74-75 et Thomas Lepeltier
Darwin hérétique p 197-198)
“Au cours des audiences, le juriste de l’ACLU (American Civil Liberties Union),
Jack Novick, demande à Michael Ruse, de l’université de Guelph, dans l’Ontario
:
“Qu’est-ce que la science ?”
Le philosophe des sciences en donne cinq propriétés :
1) La science est guidée par les lois de la nature et vise à expliquer comment
les phénomènes se produisent ;
2) elle offre des explications qui font référence à ces lois(*) et s’emploie à faire
des prédictions(*) ;
3) ses théories peuvent être testées de manière expérimentale(*) afin de
corroborer ou de réfuter ses assertions ;
4) ses conclusions ne sont pas définitives ;
5) la science est falsifiable** et exige l’honnêteté.” (** cf Popper.)
59
2. Le créationnisme était accusé de ne pas être testable (cf. critère de Popper).
Faux, rétorquait Laudan, la plupart des affirmations des créationnistes (comme
celle disant que la Terre est âgée de 6000 à 10 000 ans) étaient testables - elles
avaient été testées et réfutées. Il y avait bien quelques affirmations qui
n’étaient pas testables (l’homme comme résultat d’une création surnaturelle),
mais dans toute théorie scientifique il y a des affirmations qui, prises
isolément, ne sont pas testables.
3. Le créationnisme était accusé de refuser toute remise en cause. Faux
affirmait Laudan en soulignant que le créationnisme avait évolué au cours des
XIXe et XXe siècles. Laudan ajoutait qu’il était naïf de croire qu’il n’y avait pas
de dogmatisme chez les scientifiques, en précisant qu’un certain degré de
dogmatisme est essentiel au développement de la science.
4. Les créationnistes étaient accusés d’être des chercheurs malhonnêtes. La
statut d’une discipline, rappela Laudan ne s’évalue pas aux comportements de
ses promoteurs mais à la valeur de ses arguments.
Conclusion de Laudan : le créationnisme est une mauvaise science, si l’on se
réfère aux critères énoncés par Ruse.
[Autres critiques mettant en jeu la définition même de la science. William
Whewell (1794-1886) in Thomas Lepeltier Darwin hérétique p 106.]
Ernest Mayr in Après Darwin La biologie, une science pas comme les autres p
13, reprend cette question : “La biologie est-elle une science ? Il n’est pas
certain que tout le monde soit d’accord sur la réponse à cette question, tant il
est difficile de s’entendre sur ce qu’est la science. Une définition pragmatique
et exhaustive pourrait en être “l’activité humaine visant à mieux comprendre
le monde par l’observation, l’expérimentation, l’analyse, la synthèse et la
conceptualisation”. Une autre définition pourrait être “un ensemble de faits
(les connaissances) et de concepts qui permettent de les expliquer”. Il en
existe encore bien d’autres et j’ai consacré un chapitre de vingt pages d’un de
mes livres Qu’est-ce que la biologie ? à cette question de “qu’est-ce que la
science ?”.
Les difficultés à définir la science proviennent aussi du fait que le terme a été
utilisé pour désigner des activités humaines très différentes des sciences de la
nature, telles que les sciences sociales, les sciences politiques, (...) (...) erronée
est la position (...) de certains physiciens et philosophes, qui consiste à
restreindre l’usage du terme science à la physique mathématique. En fait, de
nombreux arguments suggèrent qu’il est très difficile, et peut-être impossible,
de délimiter le champ de ce qui constitue incontestablement la science. Cette
diversité est un héritage de l’histoire.”
Cela dit, on peut être sûr d’une définition négative précisant ce qui n’est pas
scientifique : le recours aux causes finales, au surnaturel, aux dogmes, etc.
60
Mais Mayr souligne que s’il est si difficile de définir la science c’est parce qu’on
se limite trop souvent à la mathématique, la physique, la mécanique (p 15) : “
(...) Galilée (1564-1642)... A son époque, n’existait qu’une seule science, la
mécanique, qui comprenait l’astronomie. Par conséquent, Galilée définissait la
science à partir de sa connaissance de la mécanique. Comme il n’avait aucun
point de comparaison, il ne pouvait pas comprendre que sa définition de la
science comme quasi synonyme de la mécanique mélangeait des aspects
valides pour toutes les sciences et d’autres propres à la mécanique. Il était par
exemple incapable de voir que le rôle des mathématiques est bien plus
important en mécanique que dans d’autres sciences, d’où leur rôle
prédominant dans sa conception de la science. Galilée insistait sur le fait que le
livre de la nature “ne peut être compris tant que l’on n’a pas appris à connaître
son langage et les lettres qui le composent. Il est écrit dans le langage des
mathématiques, dont les lettres sont des triangles, des cercles et autres figures
géométriques. Celui qui les ignore ne peut en comprendre un traître mot, et se
condamne à errer dans un labyrinthe obscur.” [in Dialogue sur les deux
principaux systèmes du monde (1632)] Cette erreur n’était pas le fait du seul
Galilée, mais de toute son époque car il n’existait alors aucune science à
laquelle on puisse comparer la mécanique. Pour Galilée, Newton et tous les
grands savants de la Révolution scientifique, la physique mathématique était
l’exemple-type de science et l’interprétation en termes physiques, que nous
appelons ici le physicalisme, dominait la philosophie des sciences.
Curieusement, les discussions sur la science ont durant tout ce temps ignoré le
fait que de nouvelles sciences étaient apparues. Lorsqu’on y prêtait attention,
c’était pour les lire à travers le cadre conceptuel de la physique et la
mathématisation restait le signe distinctif des vraies sciences. C’est ce
qu’exprimait Kant lorsqu’il écrivait qu’il “n’existe qu’une science authentique
[richtig], les mathématiques, puisqu’elles sont présentes dans toutes les
autres”. Cette surévaluation des mathématiques et de la physique existe
encore de nos jours. Elle était présente chez les philosophes des sciences
(Whewell, Herschel...) qui ont influencé la pensée de Darwin. Pourtant, quel
aurait été le statut scientifique de L’Origine des espèces (1859), qui ne contient
aucune formule mathématique et seulement une figure (un diagramme
phylogénétique) pas même géométrique, si Kant avait eu raison ? Cela
n’empêche pas que des philosophes des sciences continuent à publier des
Philosophie de la biologie fondées uniquement sur le cadre conceptuel de la
physique classique (par exemple Kitcher 1984 ; Ruse 1973 ; Rosenberg 1985),
ignorant tout ce qui fait la spécificité de la biologie. (...) les chercheurs tant
médecins que naturalistes s’intéressant au monde vivant ont, aux 17e et 18e
siècles, défini les fondations d’une science biologique. Pourtant, ces avancées
61
ont été presque entièrement ignorées par les historiens et les philosophes.
Après avoir constaté son incapacité à expliquer les phénomènes du monde
vivant avec les lois de Newton, Kant a, dans sa Critique du jugement (1790),
résolu le problème en assimilant tous les processus biologiques à des
théologies. La plupart des autres philosophes ignoraient purement et
simplement l’existence de la biologie. La science, c’est la physique,
soutenaient-ils. Plus récemment, les travaux de philosophie des sciences, de
l’Ecole de Vienne à Hempel et Nagel en passant par Popper et Kuhn n’étaient
fondés que sur la physique et ne s’appliquaient qu’à elle. (...)
Malgré les développements spectaculaires de la génétique, de Darwinisme et
de la biologie moléculaire, la biologie continue à être traitée comme un
subdivision des sciences physiques. Seule une poignée de philosophes a pris
conscience du fait que la mécanique, comme toutes les sciences post-
galiléennes, a deux attributs distincts. Le premier, qui est caractéristique de
toute science authentique, est l’organisation et la classification du savoir à
partir de principes explicatifs. Le second est typique d’une science, ou d’un
groupe de sciences, donné. Dans le cas de la mécanique, il s’agit du rôle
particulier des mathématiques, du fait que ses théories reposent sur des lois
naturelles, et enfin de la tendance au déterminisme, au raisonnement
typologique et au réductionnisme qui y est bien plus puissante qu’en biologie.
Aucune de ces caractéristiques propres à la mécanique ne joue un rôle
important dans l’élaboration des théories biologiques.”
Il importe donc, et c’est un travail qui n’est pas achevé, de déterminer le plus
clairement possible des critères réellement valables pour toutes les sciences et
non pas seulement pour la physique.
62
victoire, c’est un cheminement où le parcours est presque plus important que
l’arrivée.
Kuhn Thomas (1922-1996) La structure des révolutions scientifiques 1962
Flammarion. La science repose sur des “paradigmes” c’est-à-dire des modèles
généraux de l’ordre de la nature, établis et admis dans la communauté
scientifique sur le mode du consensus. Lorsqu’un paradigme n’est plus
opératoire, s’installe une période de crise, de “révolution scientifique”
générant un nouveau paradigme. “L’échec des règles existantes est le prélude
de la recherche de nouvelles règles”. Un paradigme peut être pensé comme
une organisation systématique des faits qui permet de rendre compte,
pendant un temps, des données expérimentales. C’est une construction
intellectuelle, une “matrice disciplinaire”, un modèle opératoire résultant des
recherches scientifiques et permettant des recherches scientifiques.
63
DOCUMENTS : Nicole Le Douarin Des chimères, des clones et des gènes, p
25/26 :”(...) une fois reconnus certains caractères propres au vivant -
autoreproduction, autonomie, individuation... - [...] concepts originaux -
“évolution”, “milieu intérieur”, “cellule” - qui ont tous en commun de satisfaire
simultanément deux exigences auparavant inconciliables : ils définissent des
entités et des modes de fonctionnement qui ne valent que pour la vie, mais ils
conçoivent ces propriétés autonomes du vivant comme les conséquences
d’interactions complexes conformes aux lois générales de la matière inerte.
Sur la base des relations physico-chimiques qui régissent les constituants des
êtres vivants émergent des caractéristiques nouvelles absolument propres à la
vie. (...) p33 La révolution scientifique qui se produisit à la Renaissance
concerna avant tout les sciences mécaniques. Elle n’a contribué
qu’indirectement à des progrès dans la connaissance de la nature vivante par
l’invention d’instruments comme le microscope, dont la fécondité ne s’est
pleinement manifestée qu’au XIXe siècle. Les lois ont une importance
fondamentale en physique où un événement donné est considéré comme
compris lorsqu’on démontre qu’il est le résultat de causes qui entrent dans le
cadre de lois générales rigoureusement prédictives.
En biologie, les généralisations n’atteignent pas ce degré de précision
universelle : s’il en existe, elles souffrent de nombreuses exceptions. Plus que
des lois au sens strict, ce sont des règles probabilistes. (...) Plutôt que de
s’acharner à réduire la vie aux lois de la mécanique, on va s’efforcer de
constituer des sciences de la vie autonomes qui respectent la spécificité de
leur objet en y adaptant leurs méthodes et leurs concepts. (...) il s’agit
d’inventer de nouvelles approches rendant possible l’analyse rationnelle de
phénomènes jusque-là rebelles à toute rationalisation.
Trop souvent on méconnaît ce qui sépare les sciences biologiques des sciences
physiques, eu égard aux objets différents dont elles s’occupent et aux
méthodes particulières que ceux-ci appellent. Bien des physiciens considèrent
que la physique représente le paradigme universel de la science. Selon eux,
lorsqu’on connaît les lois de la physique, on peut comprendre toutes les
sciences, y compris la biologie.
Cette attitude hégémonique n’a pas été sans conséquences sur les choix
expérimentaux, les modes de théorisation privilégiés et, bien sûr, le partage
des moyens dévolus à la science ! (...) une dimension particulière des objets
biologiques tient à leur histoire. Chaque organisme possède un programme
génétique, lui-même historiquement déterminé, qui préside à son
développement, détermine sa forme et contrôle son fonctionnement(*). On le
voit, si les sciences du vivant ont solidement établi leur autonomie et
démontré leur fécondité, elles doivent encore se défendre contre une
64
définition dogmatique de la rationalité scientifique qui s’enracine dans
certaines représentations développées aux XVIIIe et XIXe siècles.
Mais pour que la biologie puisse trouver sa voie propre, il a d’abord fallu que
les “savants” de l’âge classique et des Lumières “réactivent” les questions
laissées en suspens depuis l’Antiquité en les reconstruisant au gré des
conceptions de l’expérience et de la raison qui avaient alors cours.”
(*) Cette précision nous permet d’anticiper sur le thème 2 Animal/Humain : si
l’organisme est “historiquement déterminé”, quand celui-ci est humain, les
données sont encore plus complexes du fait de l’assujettissement au langage.
[Données que travaille la psychanalyse, par exemple.]
65
Si la science doit exclure dans sa démarche tout recours au surnaturel, au
finalisme, etc., est-elle pour autant limitée au seul travail de la raison ?
66
verrons aussi qu’il y a plusieurs sortes d’hypothèses, que les unes sont
véritables et qu’une fois confirmées par l’expérience, elles deviennent des
vérités fécondes ; que les autres, sans pouvoir nous induire en erreur, peuvent
nous être utiles en fixant notre pensée, que d’autres enfin ne sont des
hypothèses qu’en apparence et se réduisent à des définitions ou à des
conventions déguisées. Ces dernières se rencontrent surtout dans les
mathématiques et dans les sciences qui y touchent. C’est justement de là que
ces sciences tirent leur rigueur ; ces conventions sont l’oeuvre de la libre
activité de notre esprit, qui, dans ce domaine ne reconnaît pas d’obstacle. Là,
notre esprit peut affirmer parce qu’il décrète ; mais entendons-nous : ces
décrets s’imposent à notre science, qui, sans eux, serait impossible ; ils ne
s’imposent pas à la nature. Ces décrets, pourtant, sont-ils arbitraires ? Non,
sans cela ils seraient stériles. L’expérience nous laisse notre libre choix, mais
elle le guide en nous aidant à discerner le chemin le plus commode. (...) (...)la
liberté n’est pas l’arbitraire. (...) (ce que la science) peut atteindre, ce ne sont
pas les choses elles-mêmes (...), ce sont seulement les rapports entre les
choses ; en dehors de ces rapports, il n’y a plus de réalité connaissable.”
67
Créationnisme, ces conjectures sont vouées à être, au moins en théorie,
dépassées tandis que le Créationnisme pose des dogmes irréductibles. Ces
deux démarches ne traitent pas des mêmes questions, elles ne peuvent donc
pas apporter les mêmes réponses : les unes relèvent de la science, les autres
de la foi.
Le relativisme nous égarerait dans une nuit où, comme le dit Hegel, “toutes les
vaches sont grises”. Même si les limites sont difficiles à pointer clairement,
nous avons besoin de ces limites : sans elles nous serions dans l’indistinction et
comme dans une dilution du langage.
Le caractère historique de la démarche scientifique (différent des vérités
éternelles de la foi) ne condamne pas pour autant ce travail de la raison
humaine à être confondu avec un propos arbitraire et fictif, comme peut l’être
une rêverie de notre imagination.
68
la science. S’il est croyant, il peut apporter, pour lui-même, une réponse de
l’ordre de la foi.
De nouvelles questions éthiques sont provoquées par les progrès scientifiques
et techniques - les biotechnologies - contemporains : questions liées à la
procréation, par exemple. La science est incapable d’apporter des réponses à
des questions qu’elle provoque. (Nous rencontrerons ces difficultés en thème
5 Le clonage.)
(*) Abbé Georges Lemaître, astronome belge qui a posé les bases de la théorie
dite de l’atome primitif, plus connue sous le nom de théorie du Big bang.
Arnould Dieu versus Darwin p 199.
c. Un paradoxe.
La science contemporaine provoque des questions inédites auxquelles elle ne
pourra jamais répondre, alors qu’une certaine croyance naïve, qu’on peut
appeler le scientisme, peut prêter à la démarche scientifique le pouvoir de
répondre à toutes les questions humaines. Le scientisme consiste à croire en la
science, à lui conférer le monopole de la connaissance véritable et à lui
attribuer la capacité de résoudre progressivement tous les problèmes qui se
présentent aux humains. Au bout du compte, le scientisme réduit la rationalité
à la seule science (physique mathématique, la plupart du temps) et instaure un
rapport religieux à cette science. Au nom de la rationalité, le dogmatisme n’est
pas loin...
69
de Dieu : cette question est pour elle hors-sujet. D’autre part, au cours de
l’histoire, et encore actuellement, de nombreux chercheurs en science
étaient/sont croyants.
DOCUMENT : S.J. Gould Et Dieu dit :”Que Darwin soit !” p22 “Je ne suis pas
croyant. Je suis agnostique, au sens que donne à ce terme Thomas Henry
Huxley, selon lequel pareil scepticisme tolérant est la seule position rationnelle
car, de fait, on ne peut pas trancher.”
70
utilisée par un croyant ou par un athée pour soi-disant montrer que Dieu existe
ou non. L’un dirait que la théorie du Big bang montre bien qu’il faut une Cause
première pour déclencher le Big bang, l’autre dirait qu’avant le Big bang autre
chose était présent et que la matière peut être là, d’elle-même, car il est dans
la nature de l’être d’être, et tous deux, au bout d’une longue discussion,
devraient convenir que ce n’est pas parce que mon esprit a besoin de penser
quelque chose que ce quelque chose existe nécessairement. Rappelons-nous
ce que disait Descartes : “Ma pensée n’impose pas nécessité aux choses.” Le
croyant devra admettre que beaucoup de choses plus ou moins claires le
conduisent à avoir foi en l’existence de Dieu, son interlocuteur devra admettre
que beaucoup de choses plus ou moins claires le conduisent à croire que Dieu
n’existe pas, et ils pourront poursuivre leur discussion...
3. De l’athéisme.
L’athéisme est une position qui appartient au champ de la réflexion
philosophique, une question traitée, par exemple, par Spinoza qui critique les
représentations imaginaires, anthropomorphiques de Dieu et analyse l’idée de
Dieu en montrant que, rationnellement, ce concept ne peut pas correspondre
à un Etre transcendant, volontaire, etc. mais à Deus sive Natura, dont nous
sommes des “modes”, etc. On peut lire L’Ethique de Spinoza, ou au moins le
premier Livre intitulé : De Dieu.
71
donner des éléments de réponses concernant les processus déterminant la vie,
la mort mais c’est tout. Il y a donc un silence indépassable de la science au
sujet de certaines questions. Ce silence semble de plus en plus repéré
actuellement, d’autant que la science, par ses progrès liés aux évolutions
techniques, provoque des questions auxquelles elle ne peut pas répondre et
auxquelles chacun d’entre nous ne sait que répondre, avec assurance.
Voilà pourquoi une certaine déréliction peut s’emparer des esprits qui, déçus
par cette représentation de la science, voient dans les dogmes religieux la
promesse de certitudes définitives. Le Créationnisme (et le Dessein intelligent
dans une moindre mesure) a l’avantage de pouvoir prétendre répondre à
toutes les questions en se présentant à la fois comme scientifique et religieux.
La philosophie peut veiller à montrer que certaines questions sont fausses, mal
posées, mal traitées mais elle ne peut apporter aucune promesse de réponses
définitives et rassurantes : elle place l’humain face à l’aventure de l’existence,
face à sa peur, à son sentiment de déréliction (ce sentiment d’enfant perdu,
abandonné dans un monde dont il ne possède pas les clefs), à son angoisse
d’être-là et à sa responsabilité de sujet.
72
indéfini, c’est l’idée d’une perfection suprême, d’une loi qui domine toutes les
lois particulières, d’un but éminent auquel tous les êtres doivent concourir
dans leur existence passagère. C’est donc au fond l’idée de divin : et il ne faut
point être surpris si, chaque fois qu’elle est spécieusement évoquée en faveur
d’une cause, les esprits les plus élevés, les âmes les plus généreuses se sentent
entraînées de ce côté. Il ne faut pas non plus s’étonner que le fanatisme y
trouve un aliment et que la maxime qui tend à corrompre toutes les religions,
celle que l’excellence de la fin justifie les moyens, corrompe aussi la religion du
progrès.”
73
DOCUMENTS : Arnould J. Les créationnistes p 92 “La question centrale est
celle du sens que peut offrir une activité ou un discours humain. Après avoir
(trop vite) prétendu pouvoir donner définitivement le sens de toute chose, de
l’Univers comme de la vie humaine, la science doit aujourd’hui reconnaître un
certain échec.”
74
civilisations (religions) évoquées ont un héritage commun sur de nombreux
points : historiques, religieux, liés aux connaissances, au commerce, etc. Seuls
ceux qui veulent céder à leur appétit guerrier, à leur haine, “leur soif de
destruction et leur vanité puérile” (Kant) se laisseront séduire par cet appel au
conflit destructeur.
Mais en même temps, ces ennemis de civilisations/religions différentes,
seulement différentes mais proclamées incompatibles au point que l’une
devrait exterminer l’autre (ce qui serait un acte fratricide), ces ennemis ont un
ennemi commun qui les réunit contre lui. Ainsi, on voit les créationnistes
fondamentalistes/littéralistes chrétiens et musulmans (qui se combattent
ailleurs et se qualifient mutuellement de suppôt du Diable) s’allier contre la
Théorie de l’Evolution, la laïcité, sous diverses appellations : athéisme,
matérialisme, etc.
Et si ces propos persuadent certains esprits c’est souvent parce que ceux-ci
sont écœurés face à cette idolâtrie banalisée dans laquelle nous évoluons tous
plus ou moins à notre insu, idolâtrie pour les choses que l’on achète et que l’on
vend, pour le corps humain devenu chose dans un rapport pornographique à
ce corps et à l’érotisme, idolâtrie pour l’argent et fallacieuse promesse des
choses : avec l’argent je peux tout acheter/obtenir (ou presque, en tout cas
l’illusion de tout avoir). La religion pourrait parler de culte du Veau d’or...
Face à ce pitoyable spectacle de notre monde cynique qui n’accorde
d’importance qu’à ce qui a un prix, au détriment de la valeur, et que certains
qualifient de “matérialiste”, “athée” en donnant à ces termes des significations
déformées, le discours fondamentaliste peut sembler pur. Si le Créationnisme,
et ce qu’il cache, peut avoir tant de succès, c’est peut-être, en partie, parce
que notre monde que l’on pourrait dire marchand et techniciste (plus que
scientifique) n’écoute pas l’humain. Et c’est là que des personnes de bonne foi
peuvent suivre des loups déguisés en agneaux. Qu’il y ait parmi les
créationnistes des personnes honnêtes ne fait aucun doute. Mais il est certain
que lorsque le conflit dépasse celui des idées et vise le pouvoir - voire la
domination - la situation devient grave.
75
p 56 “Pour Tim Lahaye, les craintes exprimées dès la parution de l’ouvrage De
l’Origine des espèces de Darwin, se sont rapidement trouvées confirmées : “La
théorie de l’évolution est le fondement philosophique de toutes les pensées
séculières contemporaines, de l’éducation à la biologie, de la psychologie aux
sciences sociales. Elle est la plate-forme à partir de laquelle ont été lancés le
socialisme, le communisme, l’humanisme, le déterminisme et l’unitarisme
mondial (...) En considérant l’homme comme un animal, elle prône des
comportements animaux comme l’amour libre, l’éthique situationnelle, les
drogues, le divorce, l’avortement et une foule d’idées qui contribuent à
conduire l’homme d’aujourd’hui vers la futilité et le désespoir.”
p 57 “Henry Morris, pour sa part, souligne comment “la Terre a été exploitée
non à la suite de quelque mandat divin, mais à cause du darwinisme social, de
l’impérialisme économique et militaire, du matérialisme séculier, de
l’individualisme anarchiste et d’autres applications de l’esprit de lutte et de
survie de l’évolutionnisme moderne.” p 76-77 “L’évolution est la racine de
l’athéisme, du communisme, du nazisme, du béhaviorisme, du racisme, de
l’impérialisme économique, du militarisme, du libéralisme, de l’anarchisme et
de tous les systèmes anti-chrétiens de croyance et de pratique.”
Au fond, l’objection fondamentale que les créationnistes posent à l’égard de la
biologie évolutionniste et qu’Henry Morris résume ici ne concerne pas tant les
données scientifiques, leurs analyses et les théories qui en sont déduites, que
les conséquences maléfiques pour la société civile et religieuse qu’entraîne
leur enseignement.”
Ainsi, ce n’est pas tant (ou pas seulement) la Théorie de l’Evolution qui est
visée qu’une certaine représentation de la société. Le Créationnisme est le
point de fixation (pour certains le Cheval de Troie) de ceux qui restent fidèles à
une morale traditionnelle (c’est leur droit) et de ceux qui, avançant masqués,
ont des ambitions politiques dissimulées.
76
de la biologie et non de la politique) a conduit certains esprits à rejeter cette
théorie au nom de principes tout à fait louables et à s’orienter vers le
Créationnisme. C’est ce que montre Gould S.J. Et Dieu dit :”Que Darwin soit !”
p142 “Bryan qui se trouva au premier rang pour la plupart des conquêtes
progressistes de son époque : le vote des femmes, l’élection des sénateurs au
suffrage direct, l’impôt progressif sur le revenu. Comment cet homme put-il se
joindre aux forces qui cultivaient le "littéralisme" de la lecture biblique, vouloir
purger la religion de toute forme de libéralisme et étouffer la libre-pensée
dont il s’est fait le champion en tant d’autres contextes ?”
p 143 “l’attitude de Bryan à l’égard de la théorie de l’évolution reposait sur une
triple erreur. Tout d’abord, par une confusion trop courante, il assimilait le fait
de l’évolution à l’explication darwinienne de son mécanisme. Par ailleurs, il
entendait à tort par “sélection naturelle” une théorie martiale où la survie
s’obtiendrait par le combat et la destruction des ennemis. Enfin, il était tombé
dans un piège logique, alléguant que le darwinisme impliquerait une vertu
morale de cette lutte à mort. (...) Cette troisième erreur traduit une confusion
entre vérité scientifique et vérité morale (...) Bryan Prince of Peace (1904) : “La
théorie darwinienne présente l’homme comme ayant atteint son actuelle
perfection par l’opération de la haine - de la loi impitoyable selon laquelle les
forts s’élèvent au-dessus de la foule et exterminent les faibles. Si telle est la loi
de notre évolution, et s’il existe une logique contraignante pour l’esprit
humain, nous ne pourrions que retourner à l’état des bêtes si nous choisissions
la loi de l’amour. Je préfère croire que la loi du développement est l’amour et
non la haine.”
En 1906, Bryan déclara au sociologue E.A. Ross : “Une telle conception de
l’origine de l’homme affaiblirait la cause de la démocratie, au profit de l’orgueil
de classe et du pouvoir de la richesse.” Il demeura dans cet embarras jusqu’à la
Première Guerre mondiale, où deux éléments le jetèrent dans son combat.
Tout d’abord, il apprit que la conception martiale du darwinisme avait été
invoquée par la plupart des intellectuels et des chefs militaires allemands pour
justifier la guerre et leur future domination. Ensuite, il redoutait la montée du
scepticisme dans son propre pays, comme source de faiblesse morale face au
militarisme allemand.” Voir suite p 146-149
Gould p 151 “Si les scientifiques avaient toujours fait preuve d’une suffisante
prudence dans leurs interprétations, d’une suffisante humilité, en s’opposant
aux extensions impropres de leurs découvertes à des domaines où elles n’ont
rien à faire...”
p153 Bryan accusait les évolutionnistes d’avoir abusé de la science pour
présenter certaines opinions morales sur l’ordre social comme des faits de la
Nature (...) Que redire à cela ? Un des chapitres les plus tristes de toute
77
l’histoire de la science est celui de l’exploitation infondée, mais largement
répandue, de certaines données pour justifier les prétendues conséquences
morales et sociales du déterminisme biologique, de la thèse selon laquelle les
inégalités liées à la race, au sexe ou à la classe ne pourraient être corrigées car
elles refléteraient l’infériorité du patrimoine génétique des moins avantagés.
Bien des dégâts ont été causés par des scientifiques qui violaient le principe de
NOMA en identifiant, à tort, dans leurs écrits théoriques, leurs préférences
sociales personnelles à des faits naturels. Jusqu’où ne va pas le dommage
quand des scientifiques rédacteurs de manuels scolaires, utilisés surtout dans
l’enseignement primaire et secondaire, font passer ces doctrines sociales pour
des découvertes objectives de leur spécialité ? (Gould donne l’exemple d’un
livre - P154 - où il y a l’affirmation “selon laquelle la science détiendrait la
réponse morale à des questions telles que l’arriération mentale ou la misère
sociale. Autres exemples : “Le parasitisme et son coût social : le remède” ; “Les
races de l’homme” cf. Hunter )
Bryan avait choisi le mauvais camp, mais fort bien identifié un problème réel.”
p 155.
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comme le seul discours possible, un discours total, saturant toutes les
questions, de telle sorte qu’il n’y a plus que des réponses. Or la science est un
travail incessant de recherche.
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En guise de conclusion...
2. Ce que peut nous apprendre sur nous, les humains, ce type de faux
problème.
Cela montre, d’abord, que nous avons, tous, un fort penchant pour le
dogmatisme, si rassurant, (lié à la croyance infantile de posséder LA Vérité) et
pour la domination de l’autre (lié au besoin infantile de se croire supérieur à
l’autre) de telle sorte que le rapport à la foi ou à la recherche du savoir peut
être perverti par le désir de la domination de l’autre, voire son élimination.
Tous ces travers expriment aussi une grande peur...
Cela montre en outre que nous avons un puissant désir de destruction de
(l’insupportable ?) altérité (comme s’il était vital de réduire l’autre au même, à
l’identique, c’est-à-dire à soi, d’avoir le dernier mot, grâce à un discours total,
définitif : clos.) Position mortifère.
Cela montre, enfin, que la réflexion sans préjugés, sans dogmatisme - autant
qu’il est possible - portant sur des représentations fausses, voire fallacieuses,
nous permet de clarifier nos propres erreurs, illusions et de veiller à poser de
bonnes et vraies questions : comment faire pour vivre bien, ensemble, avec
nos différences parfois radicales et en luttant contre les inégalités destructrices
?
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l’impression que ce que tu viens de dire n’est pas tout à fait cohérent, ni
parfaitement accordé à ce que tu disais d’abord au sujet de la rhétorique. Et
puis, j’ai peur de te réfuter, j’ai peur que tu ne penses que l’ardeur qui
m’anime vise, non pas à rendre parfaitement clair le sujet de notre discussion,
mais bien à te critiquer. Alors, écoute, si tu es comme moi, j’aurais plaisir à te
poser des questions, sinon, j’y renoncerais. Veux-tu savoir quel type d’homme
je suis ? Eh bien, je suis quelqu’un qui est content d’être réfuté, quand ce que
je dis est faux, quelqu’un qui a aussi plaisir à réfuter quand ce qu’on me dit
n’est pas vrai, mais auquel il ne plaît pas moins d’être réfuté que de réfuter. En
fait, j’estime qu’il y a plus grand avantage à être réfuté, dans la mesure où se
débarrasser du pire des maux fait plus de bien que d’en délivrer autrui. Parce
qu’à mon sens, aucun mal n’est plus grave pour l’homme que de se faire une
fausse idée des questions dont nous parlons en ce moment. Donc, si toi, tu
m’assures que tu es comme moi, discutons ensemble ; sinon, laissons tomber
la discussion et brisons là.”
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Freud (1856-1939) “C’est manifestement dans l’intérêt de la vie en commun
des hommes - sans cela impossible - que la civilisation institua la défense de
tuer son prochain quand on le hait, quand il nous gêne ou lorsqu’on convoite
ses biens. Car le meurtrier attirerait sur lui-même la vengeance des proches de
sa victime et l’envie sourde des autres, qui sentent en eux-mêmes tout autant
d’inclination interne à un tel acte de violence. Il ne pourrait par conséquent
pas jouir longtemps de sa vengeance ou de son butin, mais aurait toutes les
chances d’être lui-même bientôt assassiné. Parviendrait-il à se protéger, grâce
à une force et une prudence extraordinaires, contre un adversaire isolé, il
succomberait à une conjuration d’adversaires même moins forts. Si pareille
conjuration ne se produisait pas, le meurtre succéderait sans fin au meurtre et,
à la fin, les hommes s’extermineraient réciproquement.”
Thème 2 :
Pourquoi, nous, humains, nous distinguons-nous des animaux, alors que nous
sommes, d’un point de vue zoologique, des animaux ?
***
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