CMLF 08328
CMLF 08328
CMLF 08328
) CMLF2008
Congrès Mondial de Linguistique Française - CMLF'08
ISBN 978-2-7598-0358-3, Paris, 2008, Institut de Linguistique Française
1 Introduction
Le découpage de cette section du Congrès, qui associe stylistique et linguistique de l’écrit, permet de
grouper de manière originale des recherches qui participent de divers champs. Dans ces quelques pages,
pour la commodité je vais restreindre mon propos aux seules relations entre sciences du langage et
littérature, tout en étant bien conscient que la « stylistique » pas plus que « l’écrit » ne se laissent
cantonner dans ce domaine. A l’intérieur de cet espace limité je vais opérer une nouvelle restriction en
centrant mon propos sur les problématiques d’analyse du discours littéraire, qui me semblent aujourd’hui
particulièrement fécondes dans un paysage théorique déjà ancien et qui, bon gré mal gré, sont amenées
mettre en cause une certaine conception des relations entre « linguistique » et « littérature », voire la
cartographie institutionnelle des études littéraires.
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CMLF2008 Durand J. Habert B., Laks B. (éds.)
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qu’'aider le commentateur à analyser les ressorts d’une subtile machinerie esthétique, elles peuvent dire
quelque chose sur l’œuvre elle-même en tant que celle-ci participe d’un certain régime du discours, saisi
dans sa double face, linguistique et institutionnelle. Démarche qui met en cause l'opposition immédiate
entre un « intérieur » du texte qui serait passible d'une approche stylistique appuyée sur une linguistique
de la phrase et quelques pans de la rhétorique, et un « extérieur » sur lequel les sciences du langage
n'auraient aucune prise. En appréhendant les œuvres comme participant du « discours littéraire », on
déplace l’axe d’intelligibilité : du texte vers un dispositif de parole où les conditions du dire traversent le
dit et où le dit renvoie à ses propres conditions d'énonciation (le statut de l'écrivain associé à son mode
de positionnement dans le champ littéraire, les rôles attachés aux genres, la relation au destinataire
construite à travers l’œuvre, les supports matériels et les modes de circulation des énoncés...)
(Maingueneau 1993, 2004).
Pour autant, les approches classiques ne sont pas disqualifiées. On peut en effet distinguer quatre
modalités dans les approches « stylistiques » au sens large, c’est-à-dire qui s’appuient sur les sciences du
langage :
1) Selon la première, l’étude précise de phénomènes linguistiques contribue à l’interprétation d’un
passage ou d’un texte singuliers découpés dans une œuvre, de façon à les rapporter à leur créateur et
à son positionnement esthétique ; on retrouve ici la démarche stylistique traditionnelle.
2) Selon la seconde, l’analyse s’efforce de caractériser linguistiquement un ensemble discursif construit
comme corpus : ensemble de textes relevant d’un auteur, d’un genre, d’un positionnement…Cette
fois, il s’agit avant tout de modéliser une zones de régularité.
Ces deux premières approches s’en tiennent à une étude proprement textuelle, même si les phénomènes
considérés se trouvent être d’ordre énonciatif ou pragmatique.
1) Dans la troisième approche, l’analyse stylistique des œuvres s’ouvre à des problématiques plus
compréhensives, à un réseau d’articulations qui inscrit les textes dans un ordre de réalité distinct,
où genre de discours et scène d’énonciation subvertissent la frontière texte/contexte. L’analyste
prend alors systématiquement en compte la dimension institutionnelle de l’énonciation littéraire.
Ici l’étude s’inscrit clairement dans une perspective d’analyse du discours.
2) La quatrième approche va encore plus loin dans ce sens. Cette fois, ce ne sont plus les œuvres qui
sont l’unique objet, mais le discours littéraire, appréhendé comme réseau de genres très divers,
comme zone de l’interdiscours. Ce « discours littéraire » ne se réduit pas, en effet, à l’étude des
« grandes œuvres » littéraires : l’étude des pratiques de construction des canons, les modalités de
l’enseignement de la littérature, les critiques dans les journaux ou les commentaires de type
universitaire deviennent des objets pertinents, des pratiques discursives qui participent du fait
littéraire. La manière dont les textes sont produits, circulent, dont ils sont consommés, la manière
dont l’école gère le patrimoine littéraire… ne peuvent pas être dissociés de ce qui est considéré
comme étant « à l’intérieur » du texte. Spontanément, la plupart des spécialistes de littérature
opposent deux formes de subjectivité : celle de l’ « énonciateur » et celle de l’individu « réel », du
créateur considéré hors du texte. On sait que Marcel Proust, dans son Contre Sainte-Beuve, a
théorisé une distinction de ce type1, mais elle porte en elle-même les germes de sa propre
contestation : l’instance même qui a écrit ce Contre Sainte-Beuve ne se laisse pas capter par cette
opposition élémentaire entre un moi interne à la création et un moi social étranger à la création…
Il faut bien introduire une troisième instance : l’écrivain, qui joue sa partie dans le champ littéraire.
On le voit, par rapport à la stylistique traditionnelle, on assiste aujourd’hui à un double déplacement : 1)
les analyses sont déportées vers l’étude de l’activité énonciative, 2) même les études qui s’en tiennent à
l’étude des textes ne peuvent ignorer que les fonctionnements qu’elles dégagent peuvent être intégrés
dans des problématiques d’analyse du discours qui ne sont pas « extérieures » aux sciences du langage.
En effet, alors que les approches classiques des textes littéraires, qu’elles soient d’ordre psychologique ou
d’ordre sociologique, acceptent de se tenir « hors » du texte, dans l’espoir de trouver une « articulation »
entre texte et contexte, l’analyse du discours questionne l’idée même d’un « hors du texte ». Ce faisant,
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elle est sous la menace de deux dangers, qu’on pourrait nommer « textualisme » et « sociologisme » : la
réduction de son objet d’analyse au seul texte, ou à la seule situation de communication, sans prendre en
compte l’activité discursive.
Poser que le discours littéraire relève des « discours constituants » (Maingueneau et Cossutta, 1995), par
lesquels se disent les paroles ultimes d’une collectivité, est une thèse qui m’est plus personnelle. Elle
implique que l’on peut mieux comprendre le fonctionnement du discours littéraire si on l’intègre dans cet
ensemble plus vaste des discours constituants dont elle assume de manière spécifique les invariants, plutôt
que de s’en tenir à une coupure élémentaire entre discours littéraire et non-littéraire. C’est là un détour qui
peut sembler coûteux, mais qui accroît l’intelligibilité du fait littéraire. Cette intégration dans les discours
constituants a également pour mérite de rendre moins « lourde » l’étude du discours littéraire, puisque
bon nombre de ses propriétés sont partagées par d’autres types de discours. Ainsi l’appartenance à un
champ où se délimitent des positionnements concurrents, l’élaboration de scènes d’énonciation et de code
langagier à la mesure des contenus déployés, l’existence de communautés discursives…
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a eu pour effet de convertir le regard sur ces « documents », qui ont bénéficié désormais d’une attention
comparable à celle des textes étudiés dans les facultés de lettres, mais la répartition traditionnelle des
tâches a perduré : les analystes du discours se sont habitués à ignorer les corpus de type littéraire,
philosophique, religieux en tant qu’ils constituent des œuvres et pas seulement des exemplaires d’une
routine discursive.
OBJET
Focalisation sur l’unicité de chaque œuvre et Focalisation sur les invariants du discours
celle de son commentateur. littéraire, étude des conditions de possibilité de
l’unicité des œuvres.
FINALITE
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étudier. Ce qui importe avant tout, c’est de prendre la mesure de la divergence entre les deux attitudes,
une divergence qui n’exclut pas des hybridations continuelles à telle ou telle étape de l’analyse ;
beaucoup de littéraires ne cessent en effet d’élaborer des compromis entre les exigences des sciences
humaines et sociales et une visée herméneutique.
De toute façon, ceux qui opèrent à l’intérieur du paradigme discursif ne peuvent ignorer qu’ils participent
d’une entreprise inévitablement très minoritaire. Toute sophistiquées qu’elles soient, les approches de
type herméneutique se situent en effet dans le prolongement du rapport spontané aux œuvres, où ces
dernières sont évaluées en fonction du vécu singulier ou collectif de sujets pris dans les multiples trames
de la vie sociale. Les approches discursives, en revanche, sont indubitablement ascétiques et heurtent
constamment l’idéologie spontanée des usagers, y compris des usagers que sont aussi les analystes du
discours amateurs de littérature.
Le développement de problématiques d’analyse du discours a pourtant des conséquences qui sont loin
d’être négligeables dans le monde universitaire : il est désormais très difficile aux démarches
herméneutiques d’agir en toute innocence, d’ignorer qu’il existe d’autres manières d’envisager le fait
littéraire, lesquelles participent d’un mouvement comparable à ce qu’a pu être l’émergence de la
philologie à la jointure des XVIII° et XIX° siècles. Or la philologie, c’était à la fois le corrélat d’une
nouvelle approche du langage, la grammaire historique, et un phénomène dont la portée excédait
largement les études littéraires. Il en va de même pour l’analyse du discours, qui s’appuie sur un ensemble
de transformations dans les sciences du langage en prise sur l’évolution de l’ensemble des sciences
humaines et sociales.
Références
Maingueneau D. (1993), Le contexte de l’œuvre littéraire, Paris, Dunod.
Maingueneau D. (2004), Le discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin.
Maingueneau D., Cossutta F. (1995), « l’Analyse des discours constituants », Langages, 117, 112-125.
1
En fait, Proust ne parle pas d’« énonciateur », notion impensable dans la conjoncture intellectuelle dans laquelle il
était pris, mais de « moi profond » ou de « moi créateur », opposé au « moi social », dit aussi « moi superficiel ».
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