La Construction Logique Du Texte
La Construction Logique Du Texte
La Construction Logique Du Texte
La construction logique du texte: rflexions sur les micro-analyses de Michel Charles. Dans l'ventail des micro-lectures inventes par notre modernit critique, Michel Charles a ceci de particulier qu'il a progressivement mis au point des expriences de micro-analyse textuelle qui sont, aujourd'hui encore, sans quivalent. Les propositions et les pratiques novatrices dont il a t l'instigateur ont t construites, rappelons-le, dans le sminaire E.N.S. des annes 1990-1993, reprises et structures dans l'ouvrage paru en 1995 aux Editions du Seuil, Introduction l'tude des textes. Pour prsenter en un mot ce qui fait la fois la singularit et la force de ce travail, nous dirons que ce que Michel Charles et sa suite, dans une moindre mesure, les participants du sminaire ont mis en place et mobilis, c'est essayer, nous semble-t-il, de penser une logique du langage textuel. Problme de lisibilit, problme de situation. Reconnaissons d'emble que cette proposition ne va pas de soi, qu'elle n'a rien d'vident: d'abord parce qu'il n'existe pas de cercle, d'cole, de disciples institus; ensuite parce que les acquis de la thorie de Charles publie en 1995 sont loin d'tre aisment manipulables, dominables. Thorie difficilement matrisable, disions-nous: nous revenons sur cette ide pour expliciter quels buts nous poursuivons en oprant sur elle une opration de clarification. Ces buts ne sont pas uniquement communautaro-biographiques [1] : ils visent estimer, structurer, spcifier, valider, dans la mouvance de la philosophie du langage ordinaire, un champ de recherches, un champ de la critique littraire, qui empiriquement nous parat la fois erratique (ressurgissant dans les travaux des uns ou des autres au hasard des rencontres, avec un air de familiarit troublant par-del la diversit des objets) et illisible au sens pistmologique du terme, bien videmment [2]. Cette illisibilit peut s'apprhender trois niveaux. 1. Rcupration difficile par l'histoire littraire. Lisibilit complexe de l'ouvrage Introduction l'tude des textes tout d'abord: il s'agit d'un objet curieux, insituable, incit. Sans doute y a-t-il l trop d'hypothses, des ides trs labores, difficilement articulables. Cette difficult, on peut mieux l'analyser si on se reporte au niveau des travaux ultrieurs que les participants du sminaire ont produits. En quoi consiste, partage des degrs divers, cette non-lisibilit / cette impossibilit de lire et de mmoriser ce qui est propos? Ce sont effectivement des travaux peu cits, ou cits alatoirement, pour d'autres raisons que lies leurs problmatiques (par exemple, il leur arrive d'tre convoqus pour tablir un point d'histoire littraire, d'interprtation d'un auteur, d'histoire des genres ou des formes, etc.). Bref, ils sont citables en tant qu'ils recoupent les proccupations de l'histoire littraire telle qu'elle s'est empiriquement focalise sur les questions d'auteurs, de genres, d'histoires des ides (et en particulier des ides esthtiques, des formes). Mais leur problmatique gnrale chappe ordinairement l'attention et au dbat. 2. Contre-lisibilit idologique. Autre faon d'apprhender cette illisibilit, on peut aussi parler d'une illisibilit doctrinale, idologique, hermneutique. Certaines propositions manant de ces annes de sminaire et marteles dans l'ouvrage de 1995, sont en effet comme un socle commun de connaissance, communment partag: nous pensons ici la contestation de l'autorit du texte, de sa monumentalit, de sa cohrence d'une part, la remise en question de la prpondrance de l'auteur et de sa situation d'autre part. Et ces propositions, reprises et rpandues, ont pu tre values par d'autres comme une contestation idologique des donnes objectives du travail critique (le texte, l'auteur, l'poque), dans la mouvance des poticiens des annes 1960-1980. Les tenants de ces positions-l seraient en quelque sorte la trane d'un systme, des pigones. Une telle clef est ainsi doublement improductive, renforant doublement l'illisibilit, en ce qu'elle replie sur de l'idologique des positionnements mthodologiques, et en ce qu'elle referme sur une ligne de lecture politique et institutionnelle plus ancienne (des annes 1970) une constellation nouvelle d'ides et d'intrts, qui dpassent en grande partie les dbats no- et poststructuralistes. On peut ainsi tablir le diagnostic d'une faible lisibilit historique et d'une contre-lisibilit hermneutique.
3. Dception mthodologique Or, ces reproches sont la fois connus, pris en charge par Michel Charles lui-mme, et en mme temps rfuts par un argument double tranchant. En effet, la rponse voulue comme forte par Charles, et totalement comprise, banalise dans les travaux ultrieurs des uns ou des autres, peut tre dcrite ainsi: l'air de famille, la cohrence entre tous ces travaux se situent un niveau mthodologique, puisque c'est une problmatique mthodologique (sur laquelle nous revenons l'instant) qui a t revendique et assure par les acteurs de ce sminaire et par son responsable. L'intrt de cette voie critique n'a pas de pertinence forte dans le domaine de l'histoire littraire ni dans les dbats structuralistes: il est dans la faon d'tablir et de penser une certaine mthodologie de questionnement sur le texte. Mais c'est prcisment l une ultime raison d'illisibilit. Pour qui comprend et prend au srieux ce travail sur la mthodologie de la micro-lecture, l'impression se fait jour d'une lourdeur des pr-requis, d'un artifice digressif dans le dmarrage de la lecture critique. A quoi bon autant de mises au point pour se lancer dans l'aventure d'une lecture colle-serre? A l'illisibilit historique et hermneutique s'ajoute ainsi une illisibilit mthodologique. Il nous semble que ces diverses rticences pointent avec justesse et srieux une lacune, un manque, qui prive les propositions de Michel Charles et de quelques autres d'une pleine validit: savoir la spcification du lieu d'o elles sont penses. Il y a l en jeu un vritable problme de champ. Constituer, crer le champ pistmologique de cette dmarche critique, c'est d'abord et en mme temps permettre une lisibilit de ce champ pour tous les ples de la critique (historique, hermneutique, textuelle), c'est clarifier cette mthodologie critique qui a t mise en place avec Michel Charles. Clarifier: analyse littraire et philosophie analytique Le terme que nous employons ici est philosophiquement connot: il renvoie globalement au mouvement intellectuel de la philosophie analytique, telle qu'elle est apparue dans les milieux autrichiens des annes 1910-20 et telle s'est dploye en de multiples ramifications aux Etats-Unis, avant de revenir en force dans le champ de la pense franaise. Une question est en effet au centre de l'investigation philosophique analytique: Qu'est-ce que tu signifies avec tes noncs? (Manifeste du Cercle de Vienne, 1929 ). L'intrt ici ne porte pas sur ce qu'un nonc pris en lui-mme signifie mais sur les conditions que l'on doit reconnatre comme ncessaires pour qu'un nonc soit dou de sens (E. Nagel, 1938-1939 [Bibliographie]). A la question de la signification des noncs est donc subordonne celle des voies de la connaissance: Comment le sais-tu? (H. Feigl, 1931) C'est prcisment cette articulation de la connaissance et du langage qui caractrise ce qu'on appelle le tournant linguistique [3]. Connatre et signifier sont ici les deux faces d'un problme unique, un problme de thorie de la connaissance dont la tche demeure essentiellement clarificatrice. Ce lien entre analytique et linguistique s'est trouv la fois renforc et complexifi avec un courant de la philosophie analytique, la philosophie (ou analyse) du langage ordinaire, dans la mouvance du Wittgenstein des Investigations philosophiques [Bibliographie]. Abandonnant la conceptualisation du langage idal (du langage logique), les philosophes du langage ordinaire adoptent le prsuppos suivant: il n'y a rien corriger dans le langage ordinaire, qui est fait de nombreux usages diffrents, des jeux de langage aux rgles adaptes diffrentes circonstances. C'est cette logique du langage ordinaire qu'il convient d'approfondir (cf. les travaux de Austin ou Grice). Dans la mouvance de cette seconde analytique, les philosophes sont convis rflchir ce lien entre logique et langage ordinaire, travailler sur la duret du mou (Sandra Laugier, d'aprs Wittgenstein), c'est--dire sur la rigueur qui organise nos faons de parler. Les philosophes, mais aussi les littraires. Redisons-le, c'est sur cet arrire-plan d'une analytique du langage ordinaire que prend sens notre formule selon laquelle L'Introduction l'tude des textes nous aide penser une logique du travail textuel et que s'inscrit notre ambition de clarifier la mthodologie commentatrice l'uvre dans les micro-analyses charliennes. Comment allons-nous procder pour cette clarification? Par application de la mthodologie mme qui est ici en question, nous allons oprer par dislocation du systme de Charles en quelques propositions, et par construction d'un modle de fonctionnement logique pour articuler entre elles ces propositions. Autrement dit, en mettant au point un tableau logique des hypothses thoriques de M. Charles, nous esprons pouvoir terme spcifier le propre de notre critique.
Propositions pour l'analyse des textes: une logique de formalisation. 1. Du textuel l'nonc: le tournant logique. Le postulat fondamental dans la micro-lecture rhtorique selon Michel Charles est de procder une description raisonne (qui est proprement parler une construction) de la difficult du texte [4]. Pour ce faire, Michel Charles opre en manipulant et donc en dcoupant pralablement des units textuelles petites (voire trs petites: nous reviendrons sur la question de la longueur plus bas). L est le geste dcisif et incommensurable de cette dmarche critique: Michel Charles conoit en effet le texte comme une collection d'noncs autonomes, non organiss, faisant abstraction des structures et de la composition apparentes d'o les consquences qui ont t rappeles plus haut (casser et pluraliser le texte en dmontant sa cohrence et sa ncessit) et qui ont pu tre rifies en dogmes par des acteurs extrieurs au champ [5]. Quelle est la porte de cet a priori mthodologique? Il implique bel et bien, dans la dfinition de la textualit, un changement de statut: concevoir le texte comme somme d'noncs autonomisables revient sortir du paradigme structuraliste linguistique attach une double articulation, syntagmatique et paradigmatique, du texte. L'autonomisation, le dcoupage d'units textuelles fonctionne comme une dpragmatisation et une d-smantisation relatives des noncs, bref comme le pralable leur partielle formalisation logique [6]. Nous pouvons parler d'un tournant logique dans la critique textuelle. C'est d'ailleurs au nom de cette rduction que s'explique l'apparent flottement sur la longueur ou la petitesse des noncs dcoups: les units textuelles ne sont pas isoles en fonction d'un principe syntagmatique (grammatical, pragmatique, smantique) mais en fonction d'une syntaxe logique qui identifie en units logiquement cohrentes ces entits individuelles - d'o, dans les faits, une longueur variable: d'un vers un paragraphe, selon les textes. Mais encore une fois, la variabilit syntagmatique n'est pas pertinente puisque le principe d'identification dpend de la dfinition d'une syntaxe logique cohrente. La collection d'noncs est une collection de propositions dont la syntaxe est formalisable. 2. Manipuler la diversit: une formalisation abstraite. Transformer le texte en une collection d'lments autonomes, c'est ne plus prendre en compte les effets de disposition et de composition programms par le texte: premier coup de force, premier point de rupture, tournant logique de la critique avons-nous dit. Que faire alors d'un texte rduit une collection d'units partiellement d-pragmatises? Comment opre l'analyse de texte pour passer des units autonomes la proposition d'une organisation logique (et non pas potique) complexe d'un tableau logique [7]? Afin de progresser dans le parcours de cette mthodologie exemplaire de la micro-lecture, nous nous appuierons sur quelques exemples d'analyse relativement simples. Premier exemple donc, la lecture du Prologue du Quart Livre: Le Prologue du Quart Livre est une collection d'histoires [Introduction l'tude des textes , p. 119]. C'est la version acceptable de la construction du texte en units htrognes et smantiquement dsinvesties. A partir de l, Michel Charles tente de mettre jour une organisation logique, un rseau de relations qui soit la fois parfaitement cohrent et compltement indiffrent des motivations de signification. L'ensemble des histoires va tre en effet essaime en deux sries, dont l'une a comme point de recoupement le prdicat pierre (ou Pierre) et la deuxime le prdicat coin ou cogne [8]. Ce radical commun n'est ni smantique ni mme philologique (puisqu'en l'occurrence sont assimiles sous le vocable de coin la fois la cogne du bcheron, le coin d'un tableau et Pierre du Coingnet); il est fondamentalement un pur prdicat logique applicable un certain nombre d'histoires selon les principes strictement logiques de la variabilit et de la substitution [9]; autrement dit, les deux sries sont rsumables ainsi: tant donn x (ce dont l'histoire nous parle); x est Pierre OU x est coin/cogne. En toute rigueur logique, et parce que c'est l l'hypothse la plus conomique, la plus simple, la conjonction logique (et non pas smantique ou structurelle) de ces deux rseaux, nous trouvons le seul cas o x est Pierre ET x est Coigne, savoir l'histoire mme de Pierre du Coingnet. Ainsi, la fois digressive et accessoire dans l'conomie gnrale du dispositif potique et rhtorique du prambule, la mention htive (alatoire?) de Pierre Du Coingnet se retrouve au centre du rseau formel (au sens de formalis) au centre du tableau logique qu'labore l'analyse textuelle. Mais ce centre-l est encore une fois comprendre comme point de conjonction de deux logiques prdicatives, comme cas de recoupement, de superposition deux cohrences logiques (et non pas dispositionnelles, narratives ou pragmatiques) [10]. Dans la rduction d'noncs en propositions logiques, le logicien ne fait pas qu'abstraction des conditions d'nonciation: il exclut la considration des intensions, c'est--dire du contenu particulier de signification. Avec l'exemple extrme du Quart Livre, Michel Charles est sans doute au plus prs d'une formalisation logique stricte de la cohrence textuelle, abstraite des considrations sur l'nonciation et sur l'intensionalit. 3. Dysfonctionnements et automates: les formules dynamiques du rseau logique. Toute la dmonstration achoppe cependant sur le point de recoupement en ce que les rsistances hermneutiques qu'il y a promouvoir Pierre Du Coingnet comme double prdicat logique situ au centre
d'quilibre du texte sont trop fortes pour accepter de mettre mthodiquement entre parenthses la considration des significations particulires. Ce point de conjonction logique ne peut tre pens comme un centre ou un nud - car ces notions impliquent une prvalence hermneutique dont il n'est pas facile de faire abstraction. Comment donner penser, comment conceptualiser, dans cette application d'une mthodologie logique la critique textuelle, le cas logique de la conjonction de deux prdicats? Aprs en avoir fait un nud logique statique dans l'analyse rationnelle du Prologue du Quart Livre, Michel Charles entreprend de le thoriser dynamiquement comme lieu thorique de passage d'un fonctionnement logique un autre. Ainsi le cas du recoupement va permettre de penser une logique du rseau en mouvement, selon deux modles concurrents. L'Introduction l'tude des textes met en effet en place deux modles, mcanique puis mathmatique, pour conceptualiser la relation logique entre deux formules. Premier modle, mcanique: construit partir de la notion rhtorique de possibles textuels, le texte dans cette optique se dfinissant comme tat actualis de combinaison des procdures, concurrenc par un ensemble indfini de combinatoires alternatives [11]. L'enjeu sera donc la construction (par l'analyse) de lieux de passage d'un texte possible l'autre: cette analyse, pour Charles, se fera en termes de dysfonctionnement. Le dysfonctionnement, c'est, dans une mcanique des fonctionnements enchans, non pas un centre, mais un point de rupture, de dsquilibre, de passage d'un quilibre un autre. Le dysfonctionnement mcanique rcupre dans un modle dynamique la conjonction logique de deux rationalits, de deux formules fixes rendant compte chacune d'un certain nombre d'units textuelles. Le dysfonctionnement se produit quand F = G, c'est--dire quand il existe un nonc x, tel que f(x) = g (x) [12]. Le second modle, mathmatique, prend en charge des variations plus complexes, par degrs, jouant sur un plus grand nombre d'tats intermdiaires, ou plus exactement de formules logiques (quand entre f(x) et g(x), il existe, f '(x), f ''(x) etc.). Il s'agit du modle des automates. Rappelons qu'en mathmatique, un automate fini est un modle mathmatique des systmes ayant un nombre fini d'tats et que des actions (externes ou internes) peuvent faire passer d'un tat un autre. La notion d'automate permet ainsi de penser une logique fine de la variabilit et de la transformation. Michel Charles va appliquer la formalisation logique des textes ce modle de pense mathmatique. Plus prcisment, au lieu de mesurer deux rationalits, deux logiques prdicatives concurrentes, M. Charles se focalise sur une seule formalisation logique, par exemple, dans Les Coches (Montaigne), la formalisation suivante: x dit que, je pense que ; puis il construit et nonce les rgles de variation logique de la formule initiale, par substitution prdicative (dans x dit que, faire varier le prdicat dit que, et de mme dans la formule je pense que, faire varier je et faire varier pense que). Formule et rgles de variation par substitution des prdicats constituent ainsi l'automate qui permet de penser une logique fine de la variabilit textuelle [13]. On passe ici d'une logique des propositions l'ide plus complexe d'un langage formel insrer dans un automate, dans un modle mathmatique de manipulation et de transformation. Telles sont les diffrentes versions du tableau qui formalise les relations formelles entre noncs. Ajoutons que ce tableau dynamique, cet autonomate, est donc construit rationnellement par la micro-analyse du texte et que Michel Charles le nommera aussi, d'un terme emprunt sans doute Baumgarten, analogue rationnel [14]. Logique et pistmologie: l'arrire-plan idologique. 1. La rfrence la logique analytique: les raisons d'un dtour. A ce point-l, une question se pose, tout fait lgitimement: l'inspiration logiciste que nous avons mise en vidence est-elle dans la mthodologie de Michel Charles, ou dans la prsentation que nous en faisons? Ou encore, Michel Charles a-t-il lu le premier Wittgenstein, ou est-ce (dans un renversement tout borgsien) le jeune Wittgenstein qui a suivi le sminaire de Michel Charles? Redisons-le: ce que nous avons tent ici, c'est un essai de modlisation qui soit mme de formaliser cette mthodologie: autrement dit, le tableau logique que nous dressons nous-mmes de la micro-analyse labore par M. Charles aura pour nous une valeur heuristique sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur son hypothtique valeur projective. En accord avec les principes de la seconde philosophie analytique, nous avons tent de rationaliser la mthodologie de Charles selon une formalisation logique. Mais notre formalisation a permis de relever trois principes majeurs que Michel Charles lui-mme emprunte la logique: l'autonomisation des noncs (version partielle d'une d-pragmatisation formelle totale telle que la pratique la logique), le principe de substitution (de variation) et, nous y revenons l'instant, le principe d'conomie. Il y a donc bien, par dplacement et application, des points de correspondance entre notre description (logique) de sa mthodologie et le mode de fonctionnement (logique) qu'elle explicite. 2. Logique formelle et logique textuelle.
En effet, la logique formelle dveloppe par la philosophie analytique passe tout d'abord par une dpragmatisation totale et une rduction complte des noncs une formulation logique comme nous l'avons vu prcdemment dans la note 6; elle vise ainsi un rsultat scientifique comparable celui que revendique plusieurs reprises l'ouvrage de M. Charles: produire une opration de clarification des problmes par rduction rationnelle. Grce cette clarification, le langage formel parvient rendre aises la manipulation et la transformation de ces noncs, en nonant des rgles de transformation prcises qui peuvent tre appliques sans mme connatre la signification de l'nonc transform ou la signification de la transformation. La transposition de cette opration d'autonomisation logique dans l'analyse textuelle quivaut, redisons-le, un vritable tournant paradigmatique dans la mesure o ce faisant la critique textuelle s'mancipe du modle linguistique (smantico-syntaxique) dominant. Enfin, toutes ces procdures de formalisation, dans la philosophie analytique, obissent donc aux principes d'conomie et de substitution. Nous avons dj prsent en le fonctionnement du principe de substitution et nous avons pu valu qu'il est au cur du montage logique propos par Michel Charles quand il rassemble toute une collection d'histoires sous la formule x est pierre OU x est cogne. La substitutionalit est l'quivalent logique de la variation rhtorique. Quant au principe d'conomie, il s'avre central dans le projet critique de M. Charles: ce principe de raisonnement considre que quand deux formulations (formalisations) sont en concurrence et qu'on ne peut pas les dpartager pratiquement, par l'exprimentation scientifique par exemple, on choisit la plus simple. C'est--dire, qu'on choisit celle qui possde le moins d'hypothses, ou celle dont les hypothses sont les plus facilement dmontrables. M. Charles dotera alors le principe d'conomie d'une vertu quasi esthtique: l'lgance [15]. 3. Mthodologie logique et idologie. C'est ainsi que la logique analytique est un modle acceptable pour penser la mthodologie critique propose par Charles. Il est tentant de regarder quel est le cadre pistmologique global conditionnant la mthodologie de la philosophie analytique, pour envisager de le transposer mutatis mutandis (tout est l!) dans le domaine de la critique littraire et de construire ainsi le cadre pistmologique qui fait dfaut la micro-analyse textuelle de M. Charles et la prive d'une pleine lisibilit. Pour tenter une telle lecture idologique, nous nous contenterons de faire rfrence un texte fondateur rcemment republi, particulirement explicite en la matire: nous voulons parler du modle philosophique propos par la premire philosophie analytique, celle du Cercle de Vienne (nous nous appuyons ici sur la prsentation qu'en fait Antonia Soulez en introduction de l'dition qu'elle leur consacre en 1985 aux P.U.F., et qui reverse cette date les thories de la premire analytique dans l'actualit philosophique contemporaine). Qu'en est-il de ce modle? A partir des thses du premier Wittgenstein, celui du Tractatus logiccophilosophicus [1921, Bibliographie], un certain nombre de philosophes logiciens autrichiens comme Carnap, Hahn, Neurath vont se retrouver pour promouvoir un programme la fois logique et humaniste de recherches philosophiques, annonc dans le manifeste de la Brochure Jaune en 1929. Ce programme articule donc, comme nous le suggrions plus haut, une mthodologie rationnelle et une rflexion pistmologique (sur les tenants et les aboutissants de cette conception scientifique de monde); en voici, trs schmatiquement rsums, les principaux points. Fondamentalement, la Brochure jaune associe un empirisme de combat (anim d'une idologie fortement anti-mtaphysique et dfini comme ancrage dans l'exprimentation), une mthodologie strictement logicienne et une vise pragmatique (passer de la diversit et du conflit des interprtations la possibilit d'une science unitaire). En effet, le projet d'une science unitaire prend appui sur la mthodologie logique, en ce que c'est prcisment dans et par le langage formel que la science sera unifie [16]. Le projet idologique d'une science unitaire autorise, pour les signataires du Manifeste, une application du protocole d'analyse logique dans toutes les sphres du champ de la connaissance, des mathmatiques et de la gomtrie aux sciences sociales [17]. L'extension encyclopdique de la formalisation logique la biologie, la sociologie et aux sciences humaines constitue donc une interprtation logique, au sens (analytique) du terme. Bilan de cette rapide prsentation de la premire analytique, nous disposons, au bout du compte, d'un modle d'autonomisation et de formalisation logique des noncs (qui associe rductionnisme et mthode substitutive), convoqu pour oprer une clarification des domaines de la science, clarification intgrer dans un projet pistmologique, un programme (humaniste) d'unification, de science unitaire. Epistmologie de la micro-lecture 1. La question des fins Le dtour par le Cercle de Vienne nous aura donc permis de mettre en place les tenants et les aboutissants
pistmologiques de cette mthodologie de construction logique du monde (pour reprendre le titre de Carnap). La mthodologie logique est adosse une pistmologie unificatrice et encyclopdique. C'est ainsi un modle double face, pistmologique et mthodologique: d'o son intrt pour aborder l'univers critique des micro-lectures mises au point par Michel Charles. D'un point de vue mthodologique, cette micro-exprimentation sur les textes vise produire une formalisation non strictement logicienne, mais qui s'inspire des principes d'autonomisation, d'conomie et de substitution labors par la logique analytique, de faon travailler sur les rgulations qui organisent non seulement nos faons de parler, la logique du langage ordinaire, mais de faon plus spcifique la logique du langage textuel. Mais surtout, le programme de micro-lecture rhtorique labor dans Introduction l'tude des textes dveloppe erratiquement une vritable pistmologie unificatrice anti-mtaphysique (pour reprendre le vocabulaire analytique des annes 1920), associe la mise en uvre d'une exprimentation empirique sur les fonctionnements textuels. Car le but, ce qui permet d'viter cette mthodologie de tomber dans le formalisme et la tentation des manipulations ludiques (que promeuvent au demeurant des jeunes critiques aussi diffrents que Marc Escola ou Sophie Rabau), c'est prcisment la porte pistmologique et pragmatique de l'entreprise: pour Michel Charles en effet, le tableau logique o sont formalises les relations textuelles devient un objet communicable et un lieu d'entente possible sur les difficults d'un texte, avant l'interprtation [18]. Ainsi, notre prsentation, ou plutt notre reconstruction formalise de la micro-analyse textuelle propose par M. Charles, a un avantage majeur: c'est de rattacher cette mthodologie le programme pistmologique et pragmatique qui, on l'a vu avec le Cercle de Vienne, motive et lgitime un tel outillage formel. Il nous semble donc bien que pour donner la critique opre dans le sillage des propositions de Charles, toute sa force et toute sa lisibilit, toute sa pertinence, il fallait rcuprer ce programme pistmologique et pragmatique, de faon transformer cette mthodologie en vritable champ autonomis de la critique littraire. 2. Le propre de notre critique. On en arrive au terme de ce parcours: que nous apprend-il de plus que ce que Charles a lui mme plusieurs reprises nonc, de ses sminaires son livre? Le fait qu'un modle logico-mathmatique puisse conceptualiser ce pacte mthodologique, puisse rendre compte de cette lecture critique, rend immdiatement lisible le statut/ le champ de cette lecture: un statut pistmologique, un style pistmologique de critique littraire. Un nouveau possible dans le geste critique surgit ainsi et nous interpelle, qui fait bouger les lignes et les frontires, et nous dcentre de la situation poticienne aujourd'hui dominante. Dans les travaux nourris de ces propositions critiques, le dbat est ouvert entre une pratique no-structurale et un usage analytique. C'est la lumire d'une telle lecture que je nous propose de recadrer nos exprimentations thoriques, en avanant quelques rflexions sur la communaut et la familiarit des travaux qui ont t ou pourront tre fconds par cette mthodologie. Nous sommes quelque part, me semble-t-il, entre la potique et l'analytique avec toutes les fluctuations individuelles possibles. Autrement dit, nos oprations critiques (d'analyse littraire) sont aussi (parfois, de plus en plus) conues comme des oprations de conceptualisation (du texte/ des genres/ etc.) : nous construisons des modles de conceptualisation des objets du champ littraire (textes, intertextes, genres, formes, auteurs). Et par rapport l'ensemble des thoriciens, notre particularit pistmologique tient en ces points: 1. La d-pragmatisation relative des noncs, l'mancipation relative par rapport la contrainte du sens, autrement dit l'affaiblissement du paradigme linguistique dominant. 2. La mthode de pluralisation, de substitution. 3. Le principe de rduction, d'conomie comme critre de pertinence pour la slection des hypothses de formalisation/modlisation. 4. Enfin, l'articulation d'une mthodologie logique un projet pragmatique encyclopdique et unitaire. 3. L'insertion de l'histoire Revenons pour finir tout fait sur l'ultime point du programme, le but pragmatique (d'entente collective sur le modle construit pour parler de la difficult du texte et de sa richesse, c'est--dire pour ensuite ancrer des interprtations). Il n'est pas sans poser un certain nombre de difficults. La principale et la seule que nous retiendrons ici est le statut trs curieux que Charles donne l'analyse des
modles historiquement attests ( l'analyse de leur fonctionnement, et donc, ce faisant, la reconstruction, la formalisation de leurs fonctionnements). Michel Charles prsente l'analyse dans l'histoire (l'histoire littraire) comme une interprtation au sens hermneutique du terme, laquelle n'a donc pas le statut d'une enqute thorique ou pistmologique (on se souvient en effet que depuis son ouvrage prcdent, L'Arbre et la Source, Eds. du Seuil, 1984, M. Charles a strictement oppos hermneutique et thorie) [19]. Or, l'outillage logique nous apprend que si les modles logiques peuvent effectivement tre interprts (recevoir une interprtation en situation), cette interprtation peut tout simplement tre comprise au sens logique, et non pas au sens hermneutique du terme: les textes interprtent (appliquent) les modles disponibles comme nous interprtons dans le prsent de la lecture les modles du texte, non au sens hermneutique, mais logique du terme, comme application en situation. Mais la formalisation reste notre langue commune. Autrement dit, inscrire la conceptualisation des modles dans l'histoire, comme certains d'entre nous le pratiquons, ce n'est pas basculer de la thorie dans l'hermneutique. C'est poursuivre une mme dmarche pistmologique d'analyse littraire, applique (interprte) en situation. Nous sommes toujours, me semble-t-il, du mme ct, dans un projet constitutivement thorique de critique pistmologique, que nous soyons dans le textuel, dans le trans-textuel ou hors texte (dans la transcendance textuelle), que nous soyons aussi dans l'historique ou trans- ou hors historique. Par la formalisation relative de notre langage, qui nous apparente au mouvement plus gnral de la philosophie du langage ordinaire, nous travaillons donc cette science unitaire, cette communicabilit des objets et des hypothses qu'avait formules le Cercle de Vienne. C'est du moins l'hypothse que nous avons tent ici de dfendre. Christine Noille-Clauzade BIBLIOGRAPHIE 1921: Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, dans Annalen der Naturphilosophie. 1928: Rudolf Carnap, La construction logique du monde, Berlin, Benary, 298 p. 1929: Brochure jaune de La Conception scientifique du Monde: le Cercle de Vienne , anonyme, Prface cosigne Rudolf Carnap, Hans Hahn et Otto Neurath, Vienne, d. par l'Association Ernst-Mach, chez A. Wolf 1931: H. Feigl et A. E. Blumberg, Logical Positivism, a New Movement in European Philosophy, Journal of Philosophy, XXVIII, p. 281-296 1932: Rudolf Carnap, Le dpassement de la mtaphysique par l'analyse logique du langage, in Erkenntnis II, p. 219-241 1938-9: E. Nagel, The Fight fort Clarity: Logical Empiricism", Amer. Scholar 1953: Ludwig Wittgenstein, Investigations philosophiques, Gallimard, 1961 1884: M. Charles, L'Arbre et la Source, Paris, Eds. du Seuil 1985: Le Manifeste du Cercle de Vienne et autres crits, A. Soulez d., Paris, P.U.F., 1985 1995: M. Charles, Introduction l'tude des textes, Paris, Eds. du Seuil.
[1] Portant sur des objets textuels trans-sculaires et trans-gnriques, le sminaire a vu se croiser plusieurs gnrations d'tudiants aujourd'hui disperss au hasard des nominations dans les institutions d'enseignement et de recherche; ponctuellement, on peut noter des rencontres ou des collaborations, qui chappent cependant aux cadres institutionnels, autour du colloque sur La Case Blanche par exemple (Olron 2003) ou du groupe de recherche Fabula. [2] Les propositions que nous avanons ici sur la mthodologie critique de Michel Charles sont issues d'un
travail effectu trs honntement, et, nous tenons l'ajouter, en toute sympathie. [3] Cf. R. Rorty d., The Linguistic Turn, The Chicago University Press, 1967. [4] Construire la difficult: La mthode, donc, ne peut traiter efficacement que d'un objet construit. Plus prcisment, et plus rigoureusement, il s'agirait de construire mthodiquement l'objet, puis d'en exploiter mthodiquement les possibilits. [Introduction l'tude des textes, p. 46] Il s'agit [] de trouver le moyen de manipuler, de contempler sous ses diffrentes faces la difficult construite: autrement dit, de lui donner une forme viable, un mode d'tre qui en permette la communication. [Introduction l'tude des textes, p. 118] [5] Le texte, collection d'noncs autonomes: Plus gnralement, ce qui me semble important, dans une rflexion sur l'ordre, la cohrence, l'architecture du texte, c'est de savoir en revenir l'ide d'noncs autonomes migrateurs, mmorisables, citables: [] leur prise en compte est la meilleure manire [] d'opposer donc, cet imprialisme hermneutique, une vritable pluralisation du texte. [Introduction l'tude des textes, p. 58] Un [] aspect, capital, de cette ouverture du texte sur d'autres textes, c'est l'ide que le texte examin n'est lui-mme rien d'autre qu'un ensemble d'noncs, que le rapport entre ses parties est, du point de vue de la lecture, ni plus ni moins pertinent, a priori, que le rapport de telle ou telle de ses propres parties telle ou telle partie d'un autre texte. Bref, l'avantage de cette ouverture [] pourrait tre de nous obliger une pluralisation du texte. [Introduction l'tude des textes, p. 49] [6] Comment la logique standard passe-t-elle en effet des noncs du langage ordinaire aux propositions schmatiques et simplifies de son langage idal (p V q, ~ p, ~ q, etc.)? Par d-pragmatisation totale et formalisation, pour reprendre l'analyse de Denis Vernant (Introduction la logique standard, Champs Flammarion, 2001): La langue logique la plus simple est celle qui prend pour objet les propositions. Reste savoir ce qu'est une propositions. [] Ce n'est pas une nonciation, c'est--dire un acte assum par un locuteur qui s'adresse un interlocuteur spcifi dans une situation dtermine de communication. La logique standard exclut toute dimension pragmatique faisant intervenir l'utilisation effective du discours. [p. 23] Une proposition doit fournir une information sur un tat de choses. On peut alors penser aux assertions exprimes par des phrases dclaratives. [] De l'assertion, la logique proposition elle ne retient que son contenu propositionnel, sa seule dimension smantique d' nonc. Ainsi, La fentre est ferme exprime une proposition si l'on fait abstraction du locuteur qui a prononc cette nonciation, du temps et lieu de l'nonciation, de la situation effective, etc. [p. 23-34] Quel rapport existe-t-il alors entre proposition et nonc? On ne peut a priori les confondre dans la mesure o, dans une mme langue, deux noncs synonymes expriment la mme proposition [ s.e. au sens logique du terme], tel Les plantes ont des orbites elliptiques et Les rvolutions des plantes ont la forme d'ellipses. De plus, dans des langue diffrentes, des noncs diffrents mais synonymes expriment la mme proposition, tels: Le ciel est bleu, Der Himmel ist blau, The sky is blue. [p. 25] La (d)construction du texte en collection d'noncs autonomes, prne par M. Charles, est alors mettre en relation avec la construction des noncs ordinaires en propositions formelles dans la logique standard, en ce qu'elle en reproduit les tapes fondamentales ainsi prsentes par D. Vernant: La premire opration consiste abstraire partir des nonciations de la langue ordinaire des noncs ventuellement complexes. Puis, il s'agit d' analyser ces noncs complexes en noncs simples, de les exprimer formellement en propositions simples dsignes par les lettres p, q, r, etc. et de dterminer leurs relations par des oprateurs logiques. [p. 25-26] Redisons-le strictement: l'autonomisation, le dcoupage d'units textuelles fonctionne, dans les microanalyses de M. Charles, comme une dpragmatisation et une d-smantisation relatives des noncs, bref comme le pralable leur partielle formalisation logique. [7] Sur le tableau logique au strict du terme, voir L. Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus (1921), Trad. P. Klossowski [K], Gallimard, 1961. [K] 2. 1. Nous nous faisons des tableaux (Bilder) des faits.
[K] 2. 12. Le tableau est une transposition (Modell) de la ralit. [K] 2. 15 Le fait que les lments du tableau ont des rapports dtermins les uns avec les autres tient ce que les choses se comportent de la mme manire les unes vis--vis des autres. Cette connexion des lments du tableau, nous la nommerons sa structure, et la possibilit de sa structure la forme de la reprsentation. [K] 2. 18. Ce que chaque tableau, de quelque forme que ce soit, doit avoir de commun avec la ralit, pour absolument pouvoir la reprsenter justement ou faussement c'est la forme logique, c'est--dire la forme de la ralit. [K] 2. 181. Si la forme de la reprsentation est la forme logique, le tableau s'appelle un tableau logique. [K] 2. 19. Le tableau logique peut reprsenter le monde. [8] Le traitement de Pierre du Coingnet: On voit dj se dessiner un premier rseau qui associe les histoires htroclites du Prologue. [] Si l'on veut prsenter le rseau de la faon la plus conomique, il convient de partir de Pierre du Coingnet. [] L'intressant, mon sens, est de noter que Pierre du Coingnet peut gouverner par son nom et son histoire les deux sries: pierre et coin/cogne. [Introduction l'tude des textes, p. 119 sq] [9] La formalisation logique expose dans Le Manifeste de Vienne s'appuie sur la mthode substitutionnelle telle qu'elle a t initie bien plus tt par un autre philosophe autrichien, Bolzano nous reprenons ici le dveloppement que Jan Sebestik consacre la Prhistoire du Cercle de Vienne [in Le Manifeste de Vienne , Prsentations, P.U.F., 1985]: Voici comment un philosophe viennois rsume cette mthode: Lorsque nous transformons un constituant d'une proposition en une variable, il existe une classe de propositions qui sont toutes des valeurs de la proposition variable ainsi forme. Cette classe dpend en gnral encore de ce que nous considrons comme parties [variables] de cette proposition, en en ayant convenu de faon arbitraire. Commentons: nous prenons d'abord une proposition, par exemple cet homme est rudit, et nous y considrons un constituant, par exemple le pronom ce comme variable, de telle sorte qu'il se rfre chaque fois un homme diffrent (nous pouvons remplacer ce par un nom). Le rsultat de ces substitutions est une classe de propositions (valeurs de la proposition variable) contenant par exemple des propositions comme l'homme Huetius est rudit, l'homme Heinz (un paysan) est rudit, etc. La classe ainsi obtenue dpend videmment du terme (de la partie) choisi comme variable; en considrant comme variable le constituant rudit, la classe serait tout autre. [J. Sebestik in Le Manifeste de Vienne, Prsentations, pp. 99-100] [10] [Rabelais, Prologue du Quart Livre] Ici, pour faciliter l'expos, on s'en est tenu quelque chose de simple: ce qui est donn, c'est un texte continu, issu d'un flux verbal puissant, d'un rcit procdant par association ou par mtonymie; ce qui a t rapidement construit, c'est l'htrognit du texte, le discours pos comme collection htroclite de rcits. A partir de l, une analyse par recours direct des cls rabelaisiennes ( copia, diversit et mlange des registres et des styles) devenait impertinente. On s'en est tenu la rcurrence d'lments explicites (coin, cogne, pierre) et l'on a cherch la prsentation la plus simple du rseau ainsi constitu. [Introduction l'tude des textes, p. 129] Et c'est l que nous trouvons deux ordres de faits: on peut dire que l'analyse fonctionne selon un principe d'conomie et demander que l'hypothse la meilleure soit celle qui rendra compte le plus lgamment du plus grand nombre d'lments; mais on ne peut pas affirmer qu'il en est ainsi du fonctionnement rel du texte. [] Plus important surtout est de s'entendre sur quelques rgles qui permettraient d'valuer des analyses (et donc de fonder des dbats): ainsi la rgle d'conomie et celle d'efficacit. [ Introduction l'tude des textes, p. 129-130] [11] Sur la notion de possible textuel: La dernire leon que je retiendra ici de la pense rhtorique est la conception du texte rel comme texte possible, comme choix fragile, toujours rvisable. C'est peut-tre la leon la plus forte []. C'est cette trs puissante conviction, selon laquelle le texte n'est qu'un possible parmi d'autres, qui a autoris la tradition d'une critique cratrice, capable, historiquement, d'un vritable dialogue avec les uvres. [] Dans sa progression d'quilibres locaux en quilibres locaux par des crises ponctuelles, le texte abandonne un certain nombre de dveloppements possibles, qui finissent par tisser autour de lui une multitudes d'esquisses. [Introduction l'tude des textes, p. 101-102]
Le texte rel sera considr comme aussi efficace par ce qu'il n'utilise pas et abandonne que par ce qu'il met effectivement en uvre; le texte rel sera considr comme environn de textes virtuels et travers par eux, au point qu'il devient lui-mme un texte virtuel parmi d'autres. [] On fait ainsi chec au principe d'autorit du texte, puisque, bien videmment, le pouvoir d'un texte consiste se faire lire comme seul possible, comme ncessaire. [Introduction l'tude des textes, p. 108] [12] Sur le dysfonctionnement: Le dysfonctionnement est une difficult construite. [Introduction l'tude des textes, p. 130] Un dysfonctionnement nat du passage d'une structure locale une autre, ou d'une structure locale la structure d'ensemble. Il est donc indissolublement li la perception d'une structure double, au brouillage d'une structure par une autre, brouillage dont l'effet est l'assouplissement de l'une et de l'autre. [Introduction l'tude des textes, p. 141] Le dysfonctionnement apparat comme une condition ncessaire de la dynamique du texte, l'accident qui permet de passer d'un quilibre un autre. On parlera alors de structures souples, version positive du dysfonctionnement. [Introduction l'tude des textes, p. 167] [13] Sur Montaigne, Des coches: Il est capital que nous examinions les accidents susceptibles d'affecter la structure lmentaire. [] En d'autres termes, c'est la possibilit de concevoir une vritable dynamique. L'analogue de l'essai est la formule cite plus haut: x dit que, je pense (ou je sais par exprience) que , soumise une rgle de variation qui la fait voluer entre le dfil des opinions et la liste des humeurs, jusqu' (et y compris) la ruine mme de la formule. [Introduction l'tude des textes, p. 233] Formellement, le propos sur les jeux du cirque a, dans l'essai, un statut original. Il est le plus loin de la forme: x dit que, moi je pense (fais l'exprience) que En toute rigueur, nous sommes donc autoriss voir dans ce texte une accident majeur dans le droulement de l'essai. [ Introduction l'tude des textes, p. 235] Montaigne outrepasse quelque part dans l'essai le programme qu'il s'est fix. Que le lieu o se passe cet accident ait une importance particulire, c'est au moins probable, puisque, dans la terminologie propose ici, il s'agit d'un dysfonctionnement, d'un changement de rgime du texte, du passage une autre structure. [Introduction l'tude des textes, p. 238] [14] Sur l'analogue rationnel: L'analogue rationnel ressemble un modle, est une sorte de modle []. Il est [] un objet construit, produit, crit par l'analyste. [] De fait, le texte est un objet trop dense, trop complexe, les dynamiques dont j'ai esquiss la description sont, par dfinition, trop fuyantes, les jeux d'quilibres et de dsquilibres trop instables pour qu'on puisse envisager de les manier en l'tat. [] Il convient donc d'en venir l'ide d'un modle, en effet simplifi et comme rduit, mais qui garderait ou, mieux, mettrait en vidence le rgime de lecture particulier auquel tel texte ou tel ensemble de textes nous astreint. [ Introduction l'tude des textes, p. 211] Qu'est-ce que cette ide de remplacer le texte [] par une sorte de petite mcanique sans me? [] Il faut videmment que cette construction rendre compte d'un type de difficult justifi en thorie: il faut, dans le lexique propos ici, que l'analogue rationnel soit littralement la formule d'un dysfonctionnement et, audel, d'une structure souple ou d'une dynamique textuelle ce qui implique que cette formule soit accompagne de rgles permettant de la modifier. [Introduction l'tude des textes, p. 212-213] Par ailleurs, les rgles et la formule sont insparables: les rgles sont la mise en uvre de la formule, et ne sont rien d'autre. La description de la dynamique du texte, qui doit de toute faon rpondre aux mmes critres d'conomie et d'lgance que la formule, est la description des transformations susceptibles d'affecter la formule. Enfin les rgles doivent tre capables de rendre compte non seulement du dveloppement de la formule, mais aussi et surtout des accidents susceptibles de l'affecter, de la rendre mconnaissable, de l'extnuer, de la distendre jusqu' sa disparition. [ Introduction l'tude des textes, p. 259] [15] Dans le contexte des analyses qui prcdent, la construction de modles de lecture s'est toujours faite ou a toujours essay de se faire sur des critres rationnels: lgance ou conomie des hypothses, efficacit dans le choix des perspectives, rentabilit de telle ou telle prise sur le texte. [ Introduction l'tude des textes, p. 264] [16] Sur l'articulation entre empirisme, mthodologie logique et vise d'une science unitaire: Nous avons caractris la conception scientifique du monde par deux dterminations. Premirement, elle est empiriste et positiviste. Seule existe la connaissance venue de l'exprience, qui repose sur ce qui est immdiatement donn. De cette faon, se trouve trace la frontire qui dlimite le contenu de toute science lgitime. Deuximement, la conception scientifique du monde se caractrise par l'application d'une certaine mthode, savoir celle de l'analyse logique. Le but de l'effort scientifique, la science unitaire, doit tre atteint par l'application de cette analyse logique aux matriaux empiriques. [] Le sens de chaque nonc scientifique s'tablit par rduction un nonc sur le donn []. [ Le Manifeste de Vienne, pp. 118-119]
Sur l'ancrage de la science unitaire dans la mthodologie logique: La conception scientifique du monde ne se caractrise pas tant par des thses propres que par son attitude fondamentale, son point de vue, sa direction de recherche. Elle vise la science unitaire. Son effort est de relier et d'harmoniser les travaux particuliers des chercheurs dans les diffrents domaines de la science. Cet objectif explique l'accent mis sur le travail collectif ainsi que la valeur accorde ce qui peut tre intersubjectivement saisi. De l, la recherche d'un systme formulaire neutre, d'un symbolisme purifi des scories des langues historiques, de l aussi la recherche d'un systme total de concepts. La nettet et la clart sont vises, les lointains sombres et les profondeurs insondables refuss []. [ Le Manifeste de Vienne , p. 115] [17] PLAN [] III. Domaines de problmes: 1. Fondements de l'arithmtique - 2. Les fondements de la physique - 3. Fondements de la gomtrie - 4. Les problmes des fondements de la biologie et de la psychologie - 5. Fondements des sciences sociales Comme nous l'avons dj remarqu, en particulier dans la physique et la mathmatique, toute branche de la science en viendra tt ou tard, au cours de son volution, reconnatre la ncessit d'un rexamen de ses fondements en termes de thorie de la connaissance, d'une analyse logique de ses concepts. Ce sera le cas pour le domaine des sciences sociologiques et, en premire ligne, pour l'histoire et l'conomie politique. [ Le Manifeste de Vienne, p. 126] Cette application d'une formalisation logique dans divers contextes pistmologiques porte aussi le nom d'interprtation. Toutefois, pas d'assimilation htive avec l' interprtation au sens hermneutique du terme; l'interprtation logique d'un systme formel peut consister en effet en deux choses, totalement distinctes d'une quelconque procdure hermneutique: - L'interprtation au sens logique du terme s'effectue tout d'abord quand sont distribues /attribues les valeurs de vrit, c'est--dire quand des propositions logiques sont transformes en affirmations vraies ou fausses. Plus gnralement, l'interprtation logique d'un systme passe par l'assignation de significations (de dnotations) aux axiomes de base, partir d'un domaine spcifis d'individus. [18] Pour achever cette rflexion dans ses grandes lignes, je dirai qu' la croise [d'un ct, les grands schmas/modles hermneutiques, de l'autre des textes qui sont aujourd'hui de fait notre littrature] [], il y a un objet dont la connaissance pourrait tre intressante et c'est cet analogue dont je parlais: le dplacement incessant d'un texte dans les lectures qu'il subit et l'histoire qu'il traverse se fait en un lieu reprable, selon des modalits descriptibles. Ce n'est pas n'importe o que s'effectuent ces oprations. Ou bien alors il faut renoncer: ne pas renoncer crire des textes, ni en lire, mais renoncer se donner pour but de connatre et de communiquer quelque chose de ces processus . [Introduction l'tude des textes, p. 374] [19] Interprtation' est un terme marqu, et que j'ai jusqu'ici rserv une lecture doctrinale, je veux dire une lecture qui s'labore sur des critres idologiques, esthtiques, ou les deux, mais dans tous les cas partir d'une doctrine, d'un corps de savoirs ou de croyances historiques dtermines. [ Introduction l'tude des textes, p. 264] Quoi qu'il en soit, ds lors que nous allons maintenant passer la question de l'inscription historique des modles de lecture, il sera au moins consquent de parler de schmas ou modles hermneutiques. [Ibid.]
Christine Noille-Clauzade