Roland Barthes Par Roland Barthes
Roland Barthes Par Roland Barthes
Roland Barthes Par Roland Barthes
ÉCRIVAINS DE TOUJOURS
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BARTHES
par roland barthes
La demande d'amour.
Bayonne, Bayonne, ville parfaite :
fluviale, aérée d'entours sonores ( Mouserolles,
Marrac, Lachepaillet, Beyris), et cependant
ville enfermée, ville romanesque : Proust, Balzac,
Plassans. Imaginaire primordial de l'enfance :
la province comme spectacle, l'Histoire
comme odeur, la bourgeoisie
comme discours.
Par un chemin semblable,
descente régulière vers la Poterne (odeurs)
et le centre de la ville. On croisait là
quelque dame de la bourgeoisie bayonnaise
qui remontait vers sa villa des Arènes,
un petit paquet du « Bon Goût >>
à la main.
Les trois jardins.
14
Il aimait à calligraphier des
programmes d'auditions musicales,
ou à bricoler des lutrins, des boîtes,
des gadgets en bois. Lui non plus ne
tenait aucun discours.
15
Les deux grand-mères.
16
La sœur du père :
elle fut seule toute sa vie.
18
Le père, mort très
tôt (à la guerre), n'était
pris dans aucun discours
du souvenir ou du sacrifice.
Par le relais maternel, sa
mémoire, jamais oppressive,
ne faisait qu'effieurer
l'enfance, d'une gratification
presque silencieuse.
Le museau blanc du tram de mon enfance. ·
20
Souvent, le soir, pour rentrer, crochet
par les Allées marines, le long de l'Adour :
grands arbres, bateaux en déshérence,
vagues promeneurs, dérive de l'ennui : il
rôdait là une sexualité de jardin public.
21
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Je commençais à marcher,
Proust vivait encore, et
terminait la Recherche.
Enfant, je m'ennuyais souvent et
beaucoup. Cela a commencé visiblement
très tôt, cela s'est continué toute ma vie,
par bouffées ( de plus en plus rares, il est
vrai, grâce au travail et aux amis), et cela
s'est toujours vu. C'est un ennui panique,
allant jusqu'à la détresse : tel celui que
j'éprouve dans les colloques, les conférences,
les soirées étrangères, les amusements de
groupe : partout où l'ennui peut se voir.
L'ennui serait-il donc mon hystérie?
28
Détresse : la conférence.
35
Toute loi
qui opprime un discours
est insuffisamment fondée.
Darios, que je jouais toujours avec
le plus grand trac, avait deux longues tirades
dans lesquelles je risquais sans cesse de
m'embrouiller :j'étais fasciné par la
tentation de penser à autre chose. Par les
petits trous du masque, je ne pouvais rien
voir, sinon très loin, très haut; pendant
que je débitais les prophéties du roi mort,
mon regard se posait sur des objets inertes
et libres, une fenêtre, un encorbellement,
un coin de ciel: eux, au moins, n'avaient
pas peur. Je m'en 'Qoulais de m'être 'laissé
prendre dans ce piège inconfortable
- tandis que ma voix continuait son débit
égal, rétive aux expressions que j'aurais
dû lui donner.
37
D'où vient donc cet
air-là? La Nature? le Code?
La tuberculose-rétro.
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Mais je n'ai jamais ressemblé à cela!
- Comment le savez-vous? Qu'est-ce que
ce cc vous » auquel vous ressembleriez ou ne
ressembleriez pas? Où le prendre? A quel
étalon morphologique ou expressif? Où est
votre corps de vérité? Vous êtes le seul
à ne pouvoir jamais vous voir qu'en image,
vous ne voyez jamais vos yeux, sinon abêtis
par le regard qu'ils posent sur le miroir ou
sur l'objectif (il m'intéresserait seulement
de voir mes yeux quand ils te regardent) :
même et surtout pour votre corps, vous êtes
condamné à l'imaginaire.
40
1942
1970
Mon corps n'est libre de tout imaginaire
que lorsqu'il retrouve son espace de travail.
Cet espace est partout le même, patiemment
adapté à la jouissance de peindre,
d'écrire, de classer.
Vers l'écriture.
L'adjectif
Il supporte mal toute image de lui-même, souffre d'être
nommé. Il considère que la perfection d'un rapport humain
tient à cette vacance de l'image : abolir entre soi, de l'un à
l'autre, les adjectifs; un rapport qui s'adjective est du côté de
l'image, du côté de la domination, de la mort.
47
Gaucher.
L'aise
Hédoniste (puisqu'il se croit tel), il veut un état qui est
en somme le confort ; mais ce confort est plus compliqué que
le confort ménager dont notre société fixe les éléments : c'est
un confort qu'il s'arrange, qu'il se bricole lui-même (tel mon
grand-père B., à la fin de sa vie, s'était aménagé une petite
estrade le long de sa fenêtre, pour mieux voir le jardin tout en
travaillant). Ce confort personnel, on pourrait l'appeler :
l'aise. L'aise reçoit une dignité théorique(« Nous n'avons pas à
prendre nos distances à l'égard du formalisme, mais seulement
nos aises ,, I97 I, I*), et aussi une force éthique: c'est la perte
volontaire de tout héroïsme, même dans la jouissance.
Le démon de l'analogie
La bête noire de Saussure, c'était l'arbitraire (du signe). La
sienne, c'est l'analogie. Les arts « analogiques >> (cinéma, pho-
tographie), les méthodes " analogiques >> (la critique universi-
taire, par exemple) sont discrédités. Pourquoi ? Parce que
l'analogie implique un effet de Nature : elle constitue le
" naturel >> en source de vérité; et ce qui ajoute à la malédiction
de l'analogie, c'est qu'elle est irrépressible (Ré, 23): dès qu'une
forme est vue, il faut qu'elle ressemble à quelque chose :
l'humanité semble condamnée à l'Analogie, c'est-à-dire en fin
de compte à la Nature. D'où l'effort des peintres, des écrivains,
pour y échapper. Comment? Par deux excès contraires, ou,
si l'on préfère, deux ironies, qui mettent l'Analogie en dérision,
soit en feignant un respect spectaculairement plat (c'est la
Copie, qui, elle, est sauvée), soit en déformant régulièrement
- selon des règles - l'objet mimé (c'est l'Anamorphose,
CV, 64).
En dehors de ces transgressions, ce qui s'oppose bénéfique-
ment à la perfide Analogie, c'est la simple correspondance
structurale : l'Homologie, qui réduit le rappel du premier
objet à une allusion proportionnelle (étymologiquement,
c'est-à-dire en des temps heureux du langage, analogie voulait
dire proportion).
(Le taureau voit rouge lorsque son leurre lui tombe sous le
nez ; les deux rouges coïncident, celui de la colère. et celui de
Au tableau noir
M. B., professeur de la classe de Troisième A au lycée
Louis-le-Grand, était un petit vieillard, socialiste et national.
Au début de l'année, il recensait solennellement au tableau
noir les parents des élèves qui étaient « tombés au champ
d'honneur " ; les oncles, les cousins abondaient, mais je fus le
seul à pouvoir annoncer un père; j'en fus gêné, comme d'une
marque excessive. Cependant, le tableau effacé, il ne restait
rien de ce deuil proclamé - sinon, dans la vie réelle qui, elle,
est toujours silencieuse, la figure d'un foyer sans ancrage
social : pas de père à tuer, pas de famille à haïr, pas de milieu
à réprouver : grande frustration œdipéenne !
(Ce même M. B., le samedi après-midi, par manière de
distraction, demandait à un élève de lui suggérer un sujet de
réflexion, n'importe lequel, et si saugrenu fût-il, il ne renon-
çait jamais à en tirer une petite dictée, qu'il improvisait en se
promenant dans la classe, attestant ainsi sa maîtrise morale et
son aisance de rédaction.)
Affinité carnavalesque du fragment et de la dictée : la dictée
reviendra parfois ici, comme figure obligée de l'écriture sociale,
lambeau de la rédaction scolaire.
L'argent
Par la pauvreté, il a été un enfant désocialisé, mais non
déclassé : il n'appartenait à aucun milieu (à B., lieu bourgeois,
il n'allait que pour les vacances : en visite, et comme à un
spectacle) ; il ne participait pas aux valeurs de la bourgeoisie,
dont il ne pouvait s'indigner, puisqu'elles n'étaient à ses yeux
que des scènes de langage, relevant du genre romanesque ;
il participait seulement à son art de vivre (197 1, 11). Cet art
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subsistait, incorruptible, au milieu des crises d'argent; on
connaissait, non la misère, mais la gêne; c'est-à-dire : la
terreur des termes, les problèmes de vacances, de chaussures,
de livres scolaires, et même de nourriture. De cette privation
supportable (la gêne l'est toujours) est peut-être sortie une
petite philosophie de la compensation libre, de la surdéter-
mination des plaisirs, de l'aise (qui est précisément l'antonyme
de la gêne). Son problème formateur fut sans doute l'argent,
non le sexe.
Le vaisseau Argo
Image fréquente : celle du vaisseau Argo (lumineux et
blanc), dont les Argonautes remplaçaient peu à peu chaque
pièce, en sorte qu'ils eurent pour finir un vaisseau entièrement
nouveau, sans avoir à en changer le nom ni la forme. Ce vais-
seau Argo est bien utile : il fournit l'allégorie d'un objet
éminemment structural, créé, non par le génie, l'inspiration,
la détermination, l'évolution, mais par deux actes modestes
(qui ne peuvent être saisis dans aucune mystique de la créa-
tion) : la substitution (une pièce chasse l'autre, comme dans un
paradigme) et la nomination (le nom n'est nullement lié à la
stabilité des pièces) : à force de combiner à l'intérieur d'un
même nom, il ne reste plus rien de l'origine : Argo est un
objet sans autre cause que son nom, sans autre identité que
sa forme.
L'arrogance
Il n'aime guère les discours de victoire. Supportant mal
l'humiliation de quiconque, dès qu'une victoire se dessine
quelque part, il a envie de se porter ailleurs (s'il était dieu, il
renverserait sans cesse les victoires - ce que d'ailleurs fait
Dieu!). Passée au plan du discours, la victoire la plus juste
devient une mauvaise valeur de langage, une arrogance : le
mot, rencontré chez Bataille, qui parle quelque part des
arrogances de la science, a été étendu à tous les discours
triomphants. Je subis donc trois arrogances : celle de la
Science, celle de la Doxa, celle du Militant.
Vérité et assertion
Son malaise, parfois très vif - allant certains soirs, après
avoir écrit toute la journée, jusqu'à une sorte de peur-, venait
de ce qu'il avait le sentiment de produire un discours double,
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dont le mode excédait en quelque sorte la visée : car la visée
de son discours n'est pas la vérité, et ce discours est néanmoins
assertif.
(C'est une gêne qu'il a eue très tôt; il s'efforce de la domi-
ner - faute de quoi il devrait cesser d'écrire - en se repré-
sentant que c'est le langage qui est assertif, non lui. Quel
remède dérisoire, tout le monde devrait en convenir, que
d'ajouter à chaque phrase quelque clausule d'incertitude,
comme si quoi que ce soit venu du langage pouvait faire
trembler le langage.)
L'atopie
Fiché : je suis fiché, assigné à un lieu (intellectuel), à une
résidence de caste (sinon de classe). Contre quoi une seule
doctrine intérieure: celle de l'atopie (de l'habitacle en dérive).
L'atopie est supérieure à l'utopie (l'utopie est réactive, tac-
tique, littéraire, elle procède du sens et le fait marcher).
L'antonymie
La copie énigmatique, celle qui intéresse, c'est la copie
décrochée : tout en même temps, elle reproduit et retourne :
elle ne peut reproduire qu'en retournant, elle trouble l'en-
chaînement infini des répliques. Ce soir, les deux garçons du
Flore vont prendre l'apéro au Bonaparte; l'un a sa " dame »,
l'autre a oublié de prendre ses suppositoires contre la grippe;
ils sont servis (Pernod et Martini) par le jeune garçon du
Bonaparte qui, lui, est en service (" Excuses, je savais pas que
c'était votre dame») : ça circule, dans la familiarité et la réflexi-
vité, et cependant les rôles restent par force séparés. Mille
exemples de cette réverbération, toujours fascinante : coiffeur
se faisant coiffer, cireur (au Maroc) se faisait cirer, cuisinière
se faisant à manger, comédien allant au théâtre à son jour de
relâche, cinéaste qui voit des films, écrivain qui lit des livres ;
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Mlle M., dactylographe d'âge, ne peut écrire sans rature le
mot " rature »; M., entremetteur, ne trouve personne qui lui
procure (pour son usage personnel) les sujets qu'il fournit à
ses clients, etc. Tout cela, c'est l' autonymie : le strabisme
inquiétant (comique et plat) d'une opération en boucle :
quelque chose comme un anagramme, une surimpression
inversée, un écrasement de niveaux.
La baladeuse
Autrefois un tramway blanc faisait le service de Bayonne à
Biarritz; l'été, on y attelait un wagon tout ouvert, sans coupé :
la baladeuse. Grande joie, tout le monde voulait y monter : le
long d'un paysage peu chargé, on jouissait à la fois du pano-
rama, du mouvement, de l'air. Aujourd'hui, ni la baladeuse ni
le tramway ne sont plus, et le voyage de Biarritz est une
corvée. Ceci n'est pas pour embellir mythiquement le passé,
ni pour dire le regret d'une jeunesse perdue, en feignant de
regretter un tramway. Ceci est pour dire que l'art de vivre n'a
pas d'histoire : il n'évolue pas : le plaisir qui tombe, tombe à
jamais, insubstituable. D'autres plaisirs viennent, qui ne
remplacent rien. Pas de progrès dans les plaisirs, rien que des
mutations.
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images : celle de la main chaude (main sur main : la troisième
revient, ce n'est plus la première), celle du jeu de la pierre, de
la feuille et des ciseaux, celle de l'oignon, feuilleté de peaux
sans noyau. Que la différence ne se paye d'aucune sujétion :
pas de dernière réplique.
Noms propres
Une partie de son enfance a été prise dans une écoute parti-
culière : celle des noms propres de l'ancienne bourgeoisie
bayonnaise, qu'il entendait répéter à longueur de journée par
sa grand-mère, éprise de mondanité provinciale. Ces noms
étaient très français, et dans ce code même, néanmoins sou-
vent originaux; ils formaient une guirlande de signifiants
étranges à mes oreilles (à preuve que je me les rappelle très
bien : pourquoi?) : Mmes Lebœuf, Barbet-Massin, Delay,
Voulgres, Poques, Léon, Froisse, de Saint-Pastou, Pichoneau,
Poymiro, Novion, Puchulu, Chantal, Lacape, Henriquet,
Labrouche, de Lasbordes, Didon, de Ligneroles, Garance.
Comment peut-on avoir un rapport amoureux avec des noms
propres? Aucun soupçon de métonymie : ces dames n'étaient
pas désirables, ni même gracieuses. Et pourtant, impossible
de lire un roman, des Mémoires, sans cette gourmandise
particulière (lisant Mme de Genlis, je surveille avec intérêt
les noms de l'ancienne noblesse). Ce n'est pas seulement une
linguistique des noms propres qu'il faut; c'est aussi une éro-
tique : le nom, comme la voix, comme l'odeur, ce serait le
terme d'une langueur : désir et mort : « le dernier soupir qui
reste des choses », dit un auteur du siècle dernier.
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droit de dire, en somme, que ceci : qu'elle me fascine. La fasci-
nation, ce serait le sentiment juste que doit m'inspirer la
bêtise (si on en vient à prononcer le nom) : elle m'étreint
(elle est intraitable, rien n'a barre sur elle, elle vous prend
dans le jeu de la main chaude).
L'amateur
L'Amateur (celui qui fait de la peinture, de la musique, du
sport, de la science, sans esprit de maîtrise ou de compétition),
l'Amateur reconduit sa jouissance (amator : qui aime et aime
encore); ce n'est nullement un héros (de la création, de laper-
formance) ; il s'installe gracieusement (pour rien) dans le signi-
fiant : dans la matière immédiatement définitive de la musique,
de la peinture ; sa pratique, ordinairement, ne comporte
aucun rubato (ce vol de l'objet au profit de l'attribut); il est- il
sera peut-être - l'artiste contre-bourgeois.
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celle de mater le langage, de réduire toute pa~lotte jusqu'à son
résidu de réel. Comment dès lors tolérer sans deuil que le
politique rentre lui aussi dans le rang des langages, et tourne
au Babil?
(Pour que le discours politique ne soit pas pris dans la
répétition, il faut des conditions rares : ou bien qu'il institue
lui-même un nouveau mode de discursivité : c'est le cas pour
Marx; ou bien, plus modestement, que, par une simple intel-
ligence du langage - par la science de ses effets propres -, un
auteur produise un texte politique à la fois strict et libre, qui
assume la marque de sa singularité esthétique, comme s'il
inventait et variait ce qui a été dit : c'est le cas de Brecht, dans
les Écrits sur la politique et la société; ou bien encore que le
politique, à une profondeur obscure et comme invraisem-
blable, arme et transforme la matière même du langage : c'est
le Texte, celui de Lois, par exemple.)
Le chantage à la théorie
Beaucoup de textes d'avant-garde (encore impubliés)
sont incertains : comment les juger, les retenir, comment leur
prédire un avenir, immédiat ou lointain? Plaisent-ils?
Ennuient-ils? Leur qualité évidente est d'ordre intentionnel :
ils s'empressent de servir la théorie. Cependant cette qualité
est aussi un chantage (un chantage à la théorie) : aimez-rrioi,
gardez-moi, défendez-moi, puisque je suis conforme à la
théorie que vous réclamez; est-ce que je ne fais pas ce qu'ont
fait Artaud, Cage, etc.? - Mais Artaud, ce n'est pas seule-
ment de l' « avant-garde "; c'est aussi de l'écriture; Cage a
aussi du charme ... - Ce sont là des attributs qui, précisément,
ne sont pas reconnus par la théorie, parfois même sont vomis
par elle. Accordez au moins votre goût et vos idées, etc.
(La scène continue, infinie.)
Charlot
Enfant, il n'aimait pas tellement les films de Charlot;
c'est plus tard que, sans s'aveugler sur l'idéologie brouillonne
et lénifiante du personnage (My, 40), il a trouvé une sorte
de délice à cet art, à la fois très populaire (il l'a été) et très
retors; c'était un art composé, qui prenait en écharpe plusieurs
goûts, plusieurs langages. De tels artistes provoquent une
joie complète, parce qu'ils donnent l'image d'une culture à
la fois différentielle et collective : plurielle. Cette image
fonctionne alors comme le troisième terme, le terme subversif
de l'opposition dans laquelle nous sommes enfermés : culture
de masse ou culture supérieure.
Le plein du cinéma
Résistance au cinéma : le signifiant lui-même y est toujours,
par nature, lisse, quelle que soit la rhétorique des plans;
c'est, sans rémission, un continuum d'images; la pellicule
(bien nommée : c'est une peau sans béance) suit, comme un
ruban bavard : impossibilité statutaire du fragment, du
haïku. Des contraintes de représentation (analogues aux
rubriques obligatoires de la langue) obligent à tout recevoir :
d'un homme qui marche dans la neige, avant même qu'il
signifie, tout m'est donné; dans l'écriture, au contraire, je ne
suis pas obligé de voir comment sont faits les ongles du
héros - mais, s'il lui prend envie, le Texte me dit, et avec
quelle force, les ongles trop longs de Holderlin.
(Ceci, à peine écrit, me paraît être un aveu d'imaginaire;
j'aurais dû l'énoncer comme une parole rêveuse qui cherche-
rait à savoir pourquoi je résiste ou je désire; malheureusement
je suis condamné à l'assertion : il manque en français (et
peut-être en toute langue) un mode grammatical qui dirait
légèrement (notre conditionnel est bien trop lourd), non point
le doute intellectuel, mais la valeur qui cherche à se convertir
en théorie.)
Clausules
Souvent, dans les Mythologies, le politique est dans la pointe
finale (par exemple : " On voit donc que les " belles images "
de Continent perdu ne peuvent être innocentes : il ne peut
être innocent de perdre le continent qui s'est retrouvé à
Bandoeng "). Ce genre de clausules a sans doute une triple
fonction : rhétorique (le tableau se ferme décorativement),
signalétique (des analyses thématiques sont récupérées, in
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extremis, par un projet d'engagement) et économique (à la
dissertation politique on tente de substituer une ellipse plus
légère ; à moins que cette ellipse ne soit que le procédé désin-
volte par lequel on congédie une démonstration qui va de soi).
La coïncidence
Je m'enregistre jouant au piano; au départ, c'est par curio-
sité de m'entendre,· mais très vite je ne m'entends plus; ce
que j'entends, c'est, quelque apparence de prétention qu'il
y ait à le dire, l'être-là de Bach et de Schumann, la matérialité
pure de leur musique; parce qu'il s'agit de mon énonciation,
le prédicat perd toute pertinence ; en revanche, fait paradoxal,
si j'écoute Richter ou Horowitz, mille adjectifs me viennent :
je les entends, eux, et non pas Bach ou Schumann. - Que se
passe-t-il donc? Lorsque je m'écoute ayant joué - passé un
premier moment de lucidité où je perçois une à une les fautes
que j'ai faites -, il se produit une sorte de coïncidence rare :
le passé de mon jeu coïncide avec le présent de mon écoute,
et dans cette coïncidence s'abolit le commentaire : il ne reste
plus que la musique (il va de soi que ce qui reste, ce n'est
nullement la « vérité " du texte, comme si j'avais retrouvé
le " vrai " Schumann ou le " vrai " Bach).
Lorsque je feins d'écrire sur ce que j'ai autrefois écrit, il se
produit de la même façon un mouvement d'abolition, non de
vérité. Je ne cherche pas à mettre mon expression présente
au service de ma vérité antérieure (en régime classique, on
aurait sanctifié cet effort sous le nom d'authenticité), je renonce
à la poursuite épuisante d'un ancien morceau de moi-même,
je ne cherche pas à me restaurer (comme on dit d'un monu-
ment). Je ne dis pas : " Je vais me décrire ,, mais : " J'écris un
texte, et je l'appelle R. B. " Je me passe de l'imitation (de la
description) et je me confie à la nomination. Ne sais-je pas
que, dans le champ du sujet, il n'y a pas de référent? Le fait
(biographique, textuel) s'abolit dans le signifiant, parce qu'il
coïncide immédiatement avec lui : en m'écrivant, je ne fais que
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Jouissance graphique :
avant la peinture, la musique.
répéter l'opération ext!4ime par laquelle Balzac, dans Sar-
rasine, a fait « coïncider , la castration et la castrature : je suis
moi-même mon propre symbole, je suis l'histoire qui m'ar-
rive : en roue libre dans le langage, je n'ai rien à quoi me
comparer ; et dans ce mouvement, le pronom de l'imaginaire,
"je ,, se trouve im-pertz"nent; le symbolique devient à la lettre
immédiat : danger essentiel pour la vie du sujet : écrire sur soi
peut paraître une idée prétentieuse; mais c'est aussi une idée
simple : simple comme une idée de suicide.
Contemporain de quoi?
Marx : " De même que les peuples anciens ont vécu leur
préhistoire en imagination, dans la mythologie, nous avons,
nous Allemands, vécu notre post-histoire en pensée dans la
philosophie. Nous sommes des contemporains philosophiques
du présent, sans être ses contemporains historiques. " De la
même façon, je ne suis que le contemporain imaginaire de
mon propre présent : contemporain de ses langages, de ses
utopies, de ses systèmes (c'est-à-dire de ses fictions), bref
de sa mythologie ou de sa philosophie, mais non de son
histoire, dont je n'habite que le reflet dansant : fan-
tasmagorique.
Le contretemps
Son rêve (avouable?) serait de transporter dans une société
socialiste certains des charmes (je ne dis pas : des valeurs)
de l'art de vivre bourgeois (il y en a - il y en avait quelques-
uns) : c'est ce qu'il appelle le contretemps. S'oppose à ce rêve
le spectre de la Totalité, qui veut que le fait bourgeois soit
condamné en bloc, et que toute échappée du Signifiant soit
punie comme une course dont on ramène la souillure.
Le corps pluriel
" Quel corps? Nous en avons plusieurs. » (PZT, 39.) J'ai
un corps digestif, j'ai un corps nauséeux, un troisième migrai-
neux, et ainsi de suite : sensuel, musculaire (la main de
l'écrivain), humoral, et surtout : émotif: qui est ému, bougé,
ou tassé ou exalté, ou apeuré, sans qu'il y paraisse rien. D'autre
part, je suis captivé jusqu'à la fascination par le corps socia-
lisé, le corps mythologique, le corps artificiel (celui des traves-
tis japonais) et le corps prostitué (de l'acteur). Et en plus de
ces corps publics (littéraires, écrits), j'ai, si je puis dire, deux
corps locaux : un corps parisien (alerte, fatigué) et un corps
campagnard (reposé, lourd).
La côtelette
Voici ce que j'ai fait un jour de mon corps
A Leysin, en 1945, pour me faire un pneumothorax extra-
pleural, on m'enleva un morceau de côte, qu'on me restitua
ensuite solennellement, troussé dans un peu de gaze médi-
cale (les médecins, suisses, il est vrai, professaient ainsi que
mon corps m'appartient, dans quelque état dépiécé qu'ils me le
rendent : je suis propriétaire de mes os, dans la vie comme
dans la mort). Je gardai longtemps dans un tiroir ce morceau
de moi-même, sorte de pénis osseux analogue au manche
d'une côtelette d'agneau, ne sachant pas qu'en faire, n'osant
pas m'en débarrasser par peur d'attenter à ma personne,
bien qu'il me fût assez inutile d'être enfermé ainsi dans un
secrétaire, au milieu d'objets « précieux » tels que de vieilles
clefs, un livret scolaire, le carnet de bal en nacre et le porte-
cartes en taffetas rose de ma grand-mère B. Et puis, un jour,
comprenant que la fonction de tout tiroir est d'adoucir, d'ac-
climater la mort des objets en les faisant passer par une sorte
d'endroit pieux, de chapelle poussiéreuse où, sous couvert
de les garder vivants, on leur ménage un temps décent de
morne agonie, mais n'allant pas jusqu'à oser jeter ce bout de
moi-même dans la poubelle commune de l'immeuble, je
balançai la côtelette et sa gaze, du haut du balcon, comme si
je dispersais romantiquement mes propres cendres, dans la
rue Servandoni, où quelque chien dut venir les flairer.
Couples de mots-valeurs
Certaines langues, paraît-il, comportent des énantiosèmes,
des mots qui ont même forme et sens contraires. De la même
façon, chez lui, un mot peut être bon ou mauvais, sans pré-
venir : la « bourgeoisie " est bonne, lorsqu'on la revoit dans
son être historique, ascensionnel, progressiste; elle est mau-
vaise, lorsqu'elle est nantie. Quelquefois, par chance, la
langue fournit elle-même la bifurcation d'un double mot :
la « structure ,, bonne valeur au début, s'est trouvée discré-
ditée lorsqu'il est apparu que trop de monde la concevait
comme une forme immobile (un « plan », un « schéma ,,
un « modèle »); heureusement, « structuration " était là, qui
a pris la relève, impliquant la valeur forte par excellence :
le faire, la dépense perverse (« pour rien »).
La double crudité
La crudité renvoie également à la nourriture et au langage.
De cette amphibologie (« précieuse ,), il tire le moyen d'en
revenir à son vieux problème : celui du naturel.
Dans le champ du langage, la dénotation n'est atteinte
réellement que par le langage sexuel de Sade (SFL, 137);
ailleurs, ce n'est qu'un artefact linguistique; elle sert alors à
fantasmer le naturel pur, idéal, crédible, du langage, et corres-
pond, dans le champ de la nourriture, à la crudité des légumes
et des viandes, image non moins pure de la Nature. Mais
cet état adamique des aliments et des mots est intenable :
la crudité est immédiatement récupérée comme signe d'elle-
même : le langage cru est un langage pornographique (mi-
mant hystériquement la jouissance d'amour), et les crudités
ne sont que des valeurs mythologiques du repas civilisé ou
des ornements esthétiques du plateau japonais. La crudité
passe donc à la catégorie abhorrée du pseudo-naturel : de là,
grande aversion envers la crudité du langage et celle de la
viande.
Décomposer/ détruire
Admettons que la tâche historique de l'intellectuel (ou de
l'écrivain), ce soit aujourd'hui d'entretenir et d'accentuer
la décomposition de la conscience bourgeoise. Il faut alors
garder à l'image toute sa précision; cela veut dire qu'on feint
volontairement de rester à l'intérieur de cette conscience et
qu'on va la délabrer, l'affaisser, l'effondrer, sur place, comme
on ferait d'un morceau de sucre en l'imbibant d'eau. La
décomposition s'oppose donc ici à la destruction : pour détruire
la conscience bourgeoise, il faut s'en absenter, et cette exté-
riorité n'est possible que dans une situation révolutionnaire :
en Chine, aujourd'hui, la conscience de classe est en voie de
destruction, non de décomposition ; mais ailleurs (ici et
maintenant), détruire ne serait en fin de compte que reconsti-
tuer un lieu de parole dont le seul caractère serait l'extériorité :
extérieur et immobile : tel est le langage dogmatique. Pour
détruire, en somme, il faut pouvoir sauter. Mais sauter où?
dans quel langage? Dans quel lieu de la bonne conscience et
de la mauvaise foi? Tandis qu'en décomposant, j'accepte
d'accompagner cette décomposition, de me décomposer moi-
même, au fur et à mesure : je dérape, m'accroche et entraîne.
La déesse H.
Le pouvoir de jouissance d'une perversion (en l'occurrence
celle des deux H : homosexualité et haschisch) est toujours
sous-estimé. La Loi, la Doxa, la Science ne veulent pas com-
prendre que la perversion, tout simplement, rend heureux;
ou pour préciser davantage, elle produit un plus : je suis plus
sensible, plus perceptif, plus loquace, mieux distrait, etc -
et dans ce plus vient se loger la différence (et partant, le Texte
de la vie, la vie comme texte). Dès lors, c'est une déesse, une
figure invocable, une voie d'intercession.
Les amis
Il cherche une définition à ce terme de " moralité ,, qu'il a
lu dans Nietzsche (la moralité du corps chez les anciens Grecs),
et qu'il oppose à la morale; mais il ne peut le conceptualiser;
il peut seulement lui attribuer une sorte de champ d'exer-
cice, une topique. Ce champ est de toute évidence pour lui
celui de l'amitié, ou plutôt (car ce mot de version latine est
trop raide, trop prude) : des amis (parlant d'eux, je ne puis
jamais que me prendre, les prendre, dans une contingence -
une différence). Dans cet espace des affects cultivés, il trouve
la pratique de ce nouveau sujet dont la théorie se cherche
aujourd'hui : les amis forment réseau entre eux et chacun
doit s'y saisir comme extérieur/intérieur, soumis par chaque
conversation à la question de l'hétérotopie : où suis-je parmi
les désirs? Où en suis-je du désir? La question m'est posée
par le développement de mille péripéties d'amitié. Ainsi
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s'écrit au jour le jour un texte ardent, un texte magique, qui
ne finira jamais, image brillante du Livre libéré.
La relation privilégiée
Il ne cherchait pas la relation exclusive (possession, jalou-
sie, scènes); il ne cherchait pas non plus la relation géné-
ralisée, communautaire ; ce qu'il voulait, c'était à chaque
fois une relation privilégiée, marquée par une différence
sensible, rendue à l'état d'une sorte d'inflexion affective
absolument singulière, comme celle d'une voix au grain
incomparable ; et chose paradoxale, cette relation privilégiée,
il ne voyait aucun obstacle à la multiplier : rien que des
privilèges, en somme ; la sphère amicale était ainsi peuplée
de relations duelles (d'où une grande perte de temps : il
fallait voir les amis un à un : résistance au groupe, à la
bande, au raout). Ce qui était cherché, c'était un pluriel
sans égalité, sans in-différence.
Transgression de la transgression
Libération politique de la sexualité : c'est une double
transgression, du politique par le sexuel, et réciproquement.
Mais cela n'est rien : imaginons maintenant de réintroduire
dans le champ politico-sexuel ainsi découvert, reconnu, par-
couru et libéré ... un brin de sentimentalité : ne serait-ce pas la
dernière des transgressions ? la transgression de la transgres-
sion? Car en fin de compte ce serait l'amour : qui reviendrait :
mais à une autre place.
Détacher
Détacher est le geste essentiel de l'art classique. Le peintre
« détache " un trait, une ombre, au besoin l'agrandit, le ren-
verse et en fait une œuvre; et quand bien même l'œuvre serait
unie, insignifiante ou naturelle (un objet de Duchamp, une
surface monochrome), comme elle sort toujours, quoi qu'on
veuille, hors d'un contexte physique (un mur, une rue), elle est
fatalement consacrée comme œuvre. En cela, l'art est à
l'opposé des sciences sociologiques, philologiques, poli-
tiques, qui n'ont de cesse d'intégrer ce qu'elles ont distingué
(elles ne le distinguent que pour mieux l'intégrer). L'art ne
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serait donc jamais paranoïaque, mais toujours pervers,
fétichiste.
Dialectiques
Tout semble indiquer que son discours marche selon une
dialectique à deux termes : l'opinion courante et son contraire,
la Doxa et son paradoxe, le stéréotype et la novation, la
fatigue et la fraîcheur, le goût et le dégoût : j'aime/je n'aime
pas. Cette dialectique binaire, c'est la dialectique même du
sens (marqué/non marqué) et du jeu freudien (Fort/Da) :
la dialectique de la valeur.
Cependant, est-ce bien vrai? En lui, une autre dialectique
se dessine, cherche à s'énoncer : la contradiction des termes
cède à ses yeux par la découverte d'un troisième terme, qui
n'est pas de synthèse, mais de déport : toute chose revient,
mais elle revient comme Fiction, c'est-à-dire à un autre tour
de la spirale.
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plus de retrouver, dans la lecture du monde et du sujet, des
oppositions, mais des débordements, des empiétements, des
fuites, des glissements, des déplacements, des dérapages.
Le goût de la division
Goût de la division : les parcelles, les miniatures, les cernes,
les précisions brillantes (tel l'effet produit par le haschisch au
dire de Baudelaire), la vue des champs, les fenêtres, le haïku,
le trait, l'écriture, le fragment, la photographie, la scène à
l'italienne, bref, au choix, tout l'articulé du sémanticien ou
tout le matériel du fétichiste. Ce goût est décrété progres-
siste : l'art des classes ascendantes procède par encadrements
(Brecht, Diderot, Eisenstein).
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ment sur les effets de votre jeu). Le morceau, dans la perfection
sonore qu'on lui imagine sans jama!s l'atteindre réellement,
agit alors comme un bout de fantasme : je me soumets joyeuse-
ment au mot d'ordre du fantasme: «Immédiatement!,, fût-ce
au prix d'une perte considérable de réalité.
Le mauvais objet
La Doxa (l'Opinion), dont il est fait un grand usage dans
son discours, n'est qu'un « mauvais objet " : aucune définition
par le contenu, rien que par la forme, et cette forme mauvaise,
c'est sans doute: la répétition. -Mais ce qui se répète est par-
fois bon? Le thème, qui est un bon objet critique, c'est bien
quelque chose qui se répète? - Est bonne la répétition qui
vient du corps. La Doxa est un mauvais objet parce que c'est
une répétition morte, qui ne vient du corps de personne
- sinon peut-être, précisément, de celui des Morts.
Doxafparadoxa
Formations réactives : une doxa (une opmton courante)
est posée, insupportable; pour m'en dégager, je postule un
paradoxe ; puis ce paradoxe s'empoisse, devient lui-même
concrétion nouvelle, nouvelle doxa, et il me faut aller plus loin
vers un nouveau paradoxe.
Refaisons ce parcours. A l'origine de l'œuvre, l'opacité des
rapports sociaux, la fausse Nature; la première secousse est
donc de démystifier (Mythologies) ; puis la démystification
s'immobilisant dans une répétition, c'est elle qu'il faut dépla-
cer : la science sémiologique (postulée alors) tente d'ébranler,
de vivifier, d'armer le geste, la pose mythologique, en lui
donnant une méthode; cette science à son tour s'embarrasse
de tout un imaginaire : au vœu d'une science sémiologique
succède la science (souvent fort triste) des sémiologues ; il
faut donc s'en couper, introduire, dans cet imaginaire raison-
nable, le grain du désir, la revendication du corps : c'est alors
le Texte, la théorie du Texte. Mais de nouveau le Texte risq'Ue
de se figer : il se répète, se monnaye en textes mats, témoins
d'une demande de lecture, non d'un désir de plaire : le Texte
tend à dégénérer en Babil. Où aller? }'en suis là.
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La Papillonne
C'est fou, le pouvoir de diversion d'un homme que son tra-
vail ennuie, intimide ou embarrasse : travaillant à la campagne
(à quoi? à me relire, hélas!), voici la liste des diversions que je
suscite toutes les cinq minutes : vaporiser une mouche, me
couper les ongles, manger une prune, aller pisser, vérifier si
l'eau du robinet est toujours boueuse (il y a eu une panne d'eau
aujourd'hui), aller chez le pharmacien, descendre au jardin
voir combien de brugnons ont mûri sur l'arbre, regarder le
journal de radio, bricoler un dispositif pour tenir mes pape-
ralles, etc :je drague.
(La drague relève de cette passion que Fourier appelait la
Variante, l'Alternante, la Papillonne.)
Amphibologies
Le mot " intelligence , peut désigner une faculté d'intel-
lection ou une complicité (être d'intelligence avec ... ) ; en
général, le contexte oblige à choisir l'un des deux sens et à
oublier l'autre. Chaque fois qu'il rencontre l'un de ces mots
doubles, R.B., au contraire, garde au mot ses deux sens,
comme si l'un d'eux clignait de l'œil à l'autre et que le sens du
mot fût dans ce clin d'œil, qui fait qu'un même mot, dans une
même phrase, veut dire en même temps deux choses différentes,
et qu'on jouit sémantiquement de l'un par l'autre. C'est pour-
quoi ces mots sont dits à plusieurs reprises " précieusement
ambigus , : non par essence lexicale (car n'importe quel mot
du lexique a plusieurs sens), mais parce que, grâce à une
sorte de chance, de bonne disposition, non de la langue, mais
du discours, je puis actualiser leur amphibologie, dire " intel-
ligence , en feignant de me référer principalement au sens
intellectif, mais en laissant entendre le sens de " complicité n.
En écharpe
D'une part, ce qu'il dit des gros objets de savoir (le cinéma,
le langage, la société) n'est jamais mémorable : la dissertation
(l'article sur quelque chose) est comme un immense déchet.
La pertinence, menue, (s'il s'en trouve), ne vient que dans des
marges, des incises, des parenthèses, en écharpe : c'est la voix
off du sujet.
D'autre part, il n'explicite jamais (il ne définit jamais) les
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notions qui semblent lui être le plus nécessaires et dont il se
sert toujours (toujours subsumées sous un mot). La Doxa est
sans cesse alléguée, mais n'est pas définie : aucun mcrceau
sur la Doxa. Le Texte n'est jamais approché que métaphori-
quement : c'est le champ de l'aruspice, c'est une banquette,
un cube à facettes, un excipient, un ragoût japonais, un
charivari de décors, une tresse, une dentelle de Valenciennes,
un oued marocain, un écran télévisuel en panne, une pâte
feuilletée, un oignon, etc. Et lorsqu'il fait une dissertation
" sur » le Texte (pour une encyclopédie), sans la renier (ne
jamais rien renier : au nom de quel présent?), c'est une tâche
de savoir, non d'écriture.
La chambre d'échos
Par rapport aux systèmes qui l'entourent, qu'est-il? Plutôt
une chambre d'échos : il reproduit malles pensées, il suit les
mots; il rend visite, c'est-à-dire hommage, aux vocabulaires,
il invoque les notions, il les répète sous un nom ; il se sert de ce
nom comme d'un emblème (pratiquant ainsi une sorte
d'idéographie philosophique) et cet emblèrne le dispense
d'approfondir le système dont il est le signifiant (qui simple-
ment lui fait signe). Venu de la psychanalyse et semblant y
rester, " transfert ,, cependant, quitte allégrement la situation
œdipéenne. Lacanien, " imaginaire » s'étend jusqu'aux confins
de l' " amour-propre » classique. La " mauvaise foi » sort du
système sartrien pour rejoindre la critique mythologique.
" Bourgeois » reçoit toute la charge marxiste, mais déborde
sans cesse vers l'esthétique et l'éthique. De la sorte, sans
doute, les mots se transportent, les systèmes communiquent,
la modernité est essayée (comme on essaye tous les boutons
d'un poste de radio dont on ne connaît pas le maniement),
mais l'intertexte qui est ainsi créé est à la lettre superficiel :
on adhère libéralement : le nom (philosophique, psychanaly-
tique, politique, scientifique) garde avec son système d'origine
un cordon qui n'est pas coupé mais qui reste : tenace et
flottant. La raison de cela est sans doute qu'on ne peut en
même temps approfondir et désirer un mot : chez lui, le désir
du mot l'emporte, mais de ce plaisir fait partie une sorte de
vibration doctrinale.
Fiches
au lit ...
Renversement ·
d'origine érudite, la fiche sui;
les tours divers de la pulsion.
· ·· ou à une table
de travail. ~,ru.h~' . /-GtA.J- c._ 'fA.. '
dk P'- NJ.-1:- ti. ~· " A ,Yu__.; ,
tÛ ~Lu.~ A .f<t.V"""'' d ·c ,
~r h~ bV-.é-df.W'tt.év..·u 1 t.
N'd;.J;..:~, k-"-f W(:c~ f<t"'t?
ll'fN.iL.. ~
-+ &.. ~·~ ~~~I',CIA.~I
L'écriture commence par le style
L'asyndète, tant admirée chez Chateaubriand sous le nom
d'anacoluthe (NEC, 113), il essaye parfois de la pratiquer :
quel rapport peut-on trouver entre le lait et les jésuites?
Celui-ci : " ... les clics, ces phonèmes lactés que le jésuite mer-
veilleux, Van Ginneken, plaçait entre l'écriture et le langage »
(PlT, 12). Il y a aussi des antithèses innombrables (voulues,
construites, corsetées) et des jeux de mots dont on tire tout un
système (plaisir : précaire / jouissance : précoce). Bref, mille
traces d'un travail du style, au sens le plus ancien du mot. Or,
ce style sert à louer une valeur nouvelle, l'écriture, qui est,
elle, débordement, emportement du style vers d'autres régions
du langage et du sujet, loin d'un code littéraire classé (code
penmé d'une classe condamnée). Cette contradiction
s'explique et se justifie peut-être ainsi : sa manière d'écrire
s'est formée à un moment où l'écriture de l'essai tentait de se
renouveler par la combinaison d'intentions politiques, de
notions philosophiques et de véritables figures rhétoriques
(Sartre en est plein). Mais surtout, le style est en quelque sorte
le commencement de l'écriture : même timidement, en s'of-
frant à de grands risques de récupération, il amorce le règne
du signifiant.
L'ellipse
Quelqu'un l'interroge : "Vous avez écrit que l'écriture passe
par le corps : pouvez-vous vous expliquer? »
Il s'aperçoit alors combien de tels énoncés, si clairs pour
lui, sont obscurs pour beaucoup. Pourtant, la phrase n'est pas
insensée, mais seulement elliptique : c'est l'ellipse qui n'est
pas supportée. A quoi s'ajoute ici, peut-être, une résistance
moins formelle : l'opinion publique a une conception réduite
du corps : c'est toujours, semble-t-il, ce qui s'oppose à l'âme :
toute extension un peu métonymique du corps est tabou.
L'emblème, le gag
C'est un véritable trésor textuel que Une nuit à l'Opéra.
Si j'ai besoin, pour quelque démonstration critique, d'une
allégorie où éclatera la mécanique folle du texte carnava-
lesque, le film me la fournira : la cabine du paquebot, le
contrat déchiré, le charivari final des décors, chacun de ces
épisodes (entre autres) est l'emblème des subversions logiques
opérées par le Texte; et si ces emblèmes sont parfaits, c'est
finalement parce qu'ils sont comiques, le rire étant ce qui,
par un dernier tour, délivre la démonstration de son attribut
démonstratif. Ce qui libère la métaphore, le symbole, l'em-
blème, de la manie poétique, ce qui en manifeste la puissance
de subversion, c'est le saugrenu, cette" étourderie, que Fourier
a su mettre dans ses exemples, au mépris de toute bienséance
rhétorique (SFL, 97). L'avenir logique de la métaphore serait
donc le gag.
Emploi du temps
"Pendant les vacances, je me lève à sept heures, je descends,
j'ouvre la maison, je me fais du thé, je hache du pain pour les
oiseaux qui attendent dans le jardin, je me lave, j'époussette
ma table de travail, j'en vide les cendriers, je coupe une rose,
j'écoute les informations de sept heures et demie. A huit
heures, ma mère descend à son tour; je déjeune avec elle de
deux œufs à la coque, d'un rond de pain grillé et de café noir
sans sucre ; à huit heures et quart, je vais chercher le Sud-
Ouest au village; je dis à Mme C. :il fait beau, il fait gris, etc;
et puis je commence à travailler. A neuf heures et demie, le
facteur passe (il fait lourd ce matin, quelle belle journée, etc),
et, un peu plus tard, dans sa camionnette pleine de pains, la
fille de la boulangère (elle a fait des études, il n'y a pas lieu de
parler du temps); à dix heures et demie pile, je me fais du
café noir, je fume mon premier cigare de la journée. A une
heure, nous déjeunons ; je fais la sieste de une heure et demie à
deux heures et demie. Vient alors le moment où je flotte :
guère envie de travailler; parfois je fais un peu de peinture, ou
je vais chercher de l'aspirine chez la pharmacienne, ou je brûle
des papiers dans le fond du jardin, ou je me fais un pupitre,
un casier, une boîte à fiches; viennent ainsi quatre heures et
de nouveau je travaille; à cinq heures et quart, c'est le thé;
vers sept heures, j'arrête mon travail; j'arrose le jardin (s'il
fait beau) et je fais du piano. Après le dîner, télévision : si elle
est ce soir-là trop bête, je retourne à ma table, j'écoute de la
musique en faisant des fiches. Je me couche à dix heures et lis
à la suite un peu de deux livres : d'une part un ouvrage de
langue bien littéraire (les Confidences de Lamartine, le Journal
des Goncourt, etc.), et d'autre part un roman policier (plutôt
ancien), ou un roman anglais (démodé), ou du Zola. "
- Tout cela n'a aucun intérêt. Bien plus : non seulement
vous marquez votre appartenance de classe, mais encore vous
faites de cette marque une confidence littéraire, dont la futilité
n'est plus reçue : vous vous constituez fantasmatiquement en
" écrivain n, ou pire encore : vous vous constituez.
Le privé
C'est en effet lorsque je divulgue mon privé que je m'expose
le plus : non par risque du« scandale n, mais parce que, alors, je
présente mon imaginaire dans sa consistance la plus forte ;
et l'imaginaire, c'est cela même sur quoi les autres ont barre :
ce qui n'est protégé par aucun renversement; aucun déboîte-
ment. Cependant le " privé " change selon la doxa à laquelle on
s'adresse : si c'est une doxa de droite (bourgeoise ou petite-
bourgeoise : institutions, lois, presse), c'est le privé sexuel qui
expose le plus. Mais si c'est une doxa de gauche, l'exposition
du sexuel ne transgresse rien : le " privé n, ici, ce sont les pra-
tiques futiles, les traces d'idéologie bourgeoise dont le sujet
fait la confidence : tourné vers cette doxa, je suis moins exposé
en déclarant une perversion qu'en énonçant un goût : la pas-
sion, l'amitié, la tendresse, la sentimentalité, le plaisir d'écrire
deviennent alors, par simple déplacement structural, des
termes indicibles : contredisant ce qui peut être dit, ce qu'on
attend que vous disiez, mais que précisément - voix même de
l'imaginaire - vous voudriez pouvoir dire immédiatement
(sans médiation).
En fait ...
Vous croyez que la finalité du catch, c'est de gagner? Non,
c'est de comprendre. Vous croyez que le théâtre est fictif,
idéal, par rapport à la vie? Non, dans la photogénie des studios
d'Harcourt, c'est la scène qui est triviale et c'est la ville qui est
rêvée. Athènes n'est pas une ville mythique ; elle doit être
décrite en termes réalistes, sans rapport avec le discours
humaniste ( 1944). Les Martiens ? Ils ne servent pas à mettre
en scène l'Autre (l'Étrange), mais le Même. Le film de gang-
sters n'est pas émotif, comme on pourrait le croire, mais intel-
lectuel. Jules Verne, écrivain du voyage? Nullement, écrivain
de l'enfermement. L'astrologie n'est pas prédictive, mais
descriptive (elle décrit très réalistement des conditions
sociales). Le théâtre de Racine n'est pas un théâtre de la pas-
sion amoureuse, mais de la relation d'autorité, etc.
Ces figures du Paradoxe sont innombrables ; elles ont leur
opérateur logique: c'est l'expression: "en fait»: le strip-tease
n'est pas une sollicitation érotique : en fait il désexualise la
Femme, etc.
Eros et le théâtre
Le théâtre (la scène découpée) est le lieu même de la vénusté,
c'est-à-dire d'Éros regardé, éclairé (par Psyché et sa lampe).
Il suffit qu'un personnage secondaire, épisodique, présente
quelque motif de le désirer (ce motif peut être pervers, ne pas
s'attacher à la beauté, mais à un détail du corps, au grain de la
voix, à une façon de respirer, à quelque maladresse même),
pour que tout un spectacle soit sauvé. La fonction érotique du
théâtre n'est pas accessoire, parce que lui seul, de tous les
arts figuratifs (cinéma, peinture), donne les corps, et non leur
représentation. Le corps de théâtre est à la fois contingent et
essentiel : essentiel, vous ne pouvez le posséder (il est magnifié
par le prestige du désir nostalgique) ; contingent, vous le
pourriez, car il vous suffirait d'être fou un moment (ce qui est
en votre pouvoir) pour sauter sur la scène et toucher ce que
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vous désirez. Le cinéma, au contraire, exclut, par une fatalité
de nature, tout passage à l'acte : l'image y est l'absence irrémé-
diable du corps représenté.
(Le cinéma serait semblable à ces corps qui vont, l'été, la
chemise largement ouverte : voyez mais ne touchez pas, disent
ces corps et le cinéma, tous deux, à la lettre, factices.)
Le discours esthétique
Il essaye de tenir un discours qui ne s'énonce pas au nom de
la Loi et/ou de la Violence : dont l'instance ne soit ni politique,
ni religieuse, ni scientifique; qui soit en quelque sorte le reste
et le supplément de tous ces énoncés. Comment appellerons-
nous ce discours? érotique, sans doute, car il a à faire avec la
jouissance; ou peut-être encore : esthétique, si l'on prévoit de
faire subir peu à peu à cette vieille catégorie une légère torsion
qui l'éloignera de son fond régressif, idéaliste, et l'approchera
du corps, de la dérive.
La tentation ethnologique
Ce qui lui a plu dans Michelet, c'est la fondation d'une
ethnologie de la France, la volonté et l'art d'interroger histo-
riquement - c'est-à-dire relativement - les objets réputés les
plus naturels : le visage, la nourriture, le vêtement, la
complexion. D'autre part la population des tragédies raci-
niennes, celle des romans de Sade ont été décrites comme des
peuplades, des ethnies closes, dont la structure devait être
étudiée. Dans les Mythologies, c'est la France elle-même qui
est ethnographiée. De plus, il a toujours aimé les grandes
cosmogonies romanesques (Balzac, Zola, Proust), si proches
des petites sociétés. C'est que le livre ethnologique a tous les
pouvoirs du livre aimé : c'est une encyclopédie, notant et
classant toute la réalité, même la plus futile, la plus sensuelle;
cette encyclopédie n'adultère pas l'Autre en le réduisant au
Même; l'appropriation diminue, la certitude du Moi s'al-
lège. Enfin, de tous les discours savants, l'ethnologique lui
apparaît comme le plus proche d'une Fiction.
Étymologies
Lorsqu'il écrit déception, cela veut dire déprise; abject veut
dire à rejeter; aimable veut dire que l'on peut aimer; l'image est
une imitation; précaire : que l'on peut supplier, fléchir; l'évalua-
tion est une fondation de valeur; la turbulence, un tourbillon-
nement ,·l'obligation, un lien; la définition, un tracé de limite, etc.
Son discours est plein de mots qu'il coupe, si l'on peut dire,
à la racine. Pourtant, dans l'étymologie, ce n'est pas la vérité
ou l'origine du mot qui lui plaît, c'est plutôt l'effet de surim-
pression qu'elle autorise : le mot est vu comme un palimpseste :
il me semble alors que j'ai des idées à même la langue- ce qui
est tout simplement : écrire (je parle ici d'une pratique, non
d'une valeur).
L'exclusion
Utopie (à la Fourier) : celle d'un monde où il n'y aurait
plus que des différences, en sorte que se différencier ne
serait plus s'exclure.
Céline et Flora
L'écriture me soumet à une exclusion sévère, non seulement
parce qu'elle me sépare du langage courant (« populaire »),
mais plus essentiellement parce qu'elle m'interdit de «m'expri-
mer » : qui pourrait-elle exprimer? Mettant à vif l'inconsis-
tance du sujet, son atopie, dispersant les leurres de l'imaginaire,
elle rend intenable tout lyrisme (comme diction d'un " émoi »
central). L'écriture est une jouissance sèche, ascétique,
nullement effusive.
Or, dans le cas d'une perversion amoureuse, cette séche-
resse devient déchirante : je suis barré, je ne puis faire passer
dans mon écriture l'enchantement (pure image) d'une séduction:
comment parler de qui, à qui l'on aime? Comment faire
résonner l'affect, sinon à travers des relais si compliqués,
qu'il en perdra toute publicité, et donc toute joie?
C'est là un trouble de langage très subtil, analogue au
fading épuisant qui, dans un échange téléphonique, ne frappe
parfois que l'un des interlocuteurs. Proust l'a très bien décrit -
à propos de tout autre chose que l'amour (l'exemple hété-
rologique n'est-il pas souvent le meilleur?). Lorsque les
tantes Céline et Flora veulent remercier Swann pour son
vin d'Asti, c'est, par recherche d'à-propos, excès de discré-
tion, euphorie de langage, astéisme un peu fou, d'une façon
si allusive, que personne ne les entend; elles produisent
un discours double, mais, hélas, nullement ambigu, car la face
publique en est comme abrasée et rendue totalement insi-
gnifiante : la communication échoue, non par inintelligibilité,
mais parce qu'il s'opère une véritable schize entre l'émoi du
sujet - complimenteur ou amoureux - et la nullité, l'aphonie
de son expression.
L'exemption de sens
Visiblement, il songe à un monde qui serait exempté de sens
(comme on l'est de service militaire). Cela a commencé avec
le Degré zéro, où est rêvée " l'absence de tout signe " ; ensuite,
mille affirmations incidentes de ce rêve (à propos du texte
d'avant-garde, du Japon, de la musique, de l'alexandrin,
etc).
Le piquant, c'est que dans l'opinion courante, précisément,
il y a une version de ce rêve ; la Doxa, elle non plus, n'aime
pas le sens, qui a le tort, à ses yeux, de ramener dans la vie
une sorte d'intelligible infini (qu'on ne peut arrêter) : à
l'envahissement du sens (dont sont responsables les intellec-
tuels), elle oppose le concret; le concret, c'est ce qui est
supposé résister au sens.
Cependant, pour lui, il ne s'agit pas de retrouver un pré-
sens, une origine du monde, de la vie, des faits, antérieure
au sens, mais plutôt d'imaginer un après-sens : il faut traver-
ser, comme le long d'un chemin initiatique, tout le sens,
pour pouvoir l'exténuer, l'exempter. D'où une tactique
double : contre la Doxa, il faut revendiquer en faveur du
sens, car le sens est produit de l'Histoire, non de la Nature ;
mais contre la Science (le discours paranoïaque), il faut main-
tenir l'utopie du sens aboli.
La fatigue et la fraîcheur
Le stéréotype peut être évalué en termes de fatigue. Le
stéréotype, c'est ce qui commence à me fatiguer. D'où l'anti-
92
dote, allégué dès le Degré zéro de l'écriture : la fraîcheur du
langage.
93
La fiction
Fiction : mince détachement, mince décollement qui forme
tableau complet, colorié, comme une décalcomanie.
La double figure
Cette œuvre, dans sa continuité, procède par la voie de deux
mouvements : la ligne droite (le renchérissement, l'accroisse-
ment, l'insistance d'une idée, d'une position, d'un goût, d'une
image) et le zigzag (le contre-pied, la contremarche, la
contrariété, l'énergie réactive, la dénégation, le retour d'un
aller, le mouvement du Z, la lettre de la déviance).
L'amour, la folie
Ordre du jour de Bonaparte, Premier consul, à sa garde :
" Le grenadier Gobain s'est suicidé par amour : c'était d'ail-
94
leurs un très bon sujet. C'est le second événement de cette
nature qui arrive au corps depuis un mois. Le Premier consul
ordonne qu'il soit mis à l'ordre de la garde : qu'un soldat doit
vaincre la douleur et la mélancolie des passions; qu'il y a
autant de vrai courage à souffrir avec constance les peines de
l'âme qu'à rester fixe sous la mitraille d'une batterie ... "
Ces grenadiers amoureux, mélancoliques, de quel langage
tiraient-ils leur passion (peu conforme à l'image de leur classe
et de leur métier)? Quels livres avaient-ils lus - ou quelle
histoire entendue? Perspicacité de Bonaparte assimilant
l'amour à une bataille, non pas - banalement - en ce que deux
partenaires s'y affrontent, mais parce que, cinglante comme
une mitraille, la rafale amoureuse provoque assourdissement
et peur : crise, révulsion du corps, folie: celui qui est amoureux
à la manière romantique, connaît l'expérience de la folie.
Or, à ce fou-là, aucun mot moderne n'est aujourd'hui donné,
et c'est finalement en cela qu'il se sent fou : aucun langage à
voler - sinon très ancien.
Forgeries
Comment est-ce que ça marche, quand j'écris? - Sans
doute par des mouvements de langage suffisamment formels
et répétés pour que je puisse les appeler des " figures " : je
devine qu'il y a des figures de production, des opérateurs de
texte. Ce sont entre autres, ici : l'évaluation, la nomination,
l'amphibologie, l'étymologie, le paradoxe, le renchérisse-
ment, l'énumération, le tourniquet.
95
Ces oppositions sont des artefacts : on emprunte à la science
des manières conceptuelles, une énergie de classement : on
vole un langage, sans cependant vouloir l'appliquer jusqu'au
bout : impossible de dire : ceci est de la dénotation, ceci de la
connotation, ou : un tel est écrivain, un tel écrivant, etc :
l'opposition est frappée (comme une monnaie), mais on ne
cherche pas à l'honorer. A quoi sert-elle donc? Tout simplement
à dire quelque chose : il est nécessaire de poser un paradigme
pour produire un sens et pouvoir ensuite le dériver.
Fourier ou Flaubert?
Qui est plus important, historiquement : Fourier ou
Flaubert? Dans l'œuvre de Fourier il n'y a pour ainsi dire
aucune trace directe de l'Histoire, pourtant agitée, dont il
a été le contemporain. Flaubert, lui, a raconté tout au long
d'un roman les événements de 1848. Cela n'empêche pas
Fourier d'être plus important que Flaubert : il a énoncé
indirectement le désir de l'Histoire et c'est en cela qu'il est
à la fois historien et moderne : historien d'un désir.
97
Aimant à trouver, à écrire des débuts, il tend à multiplier
ce plaisir : voilà pourquoi il écrit des fragments : autant de
fragments, autant de débuts, autant de plaisirs (mais il n'aime
pas les fins : le risque de clausule rhétorique est trop grand :
crainte de ne savoir résister au dernier mot, à la dernière
réplique).
Du fragment au journal
Sous l'alibi de la dissertation détruite, on en vient à la
pratique régulière du fragment ; puis du fragment, on glisse
au " journal "· Dès lors le but de tout ceci n'est-il pas de se
donner le droit d'écrire un « journal "? Ne suis-je pas fondé
à considérer tout ce que j'ai écrit comme un effort clandestin
et opiniâtre pour faire réapparaître un jour, librement, le
thème du " journal " gidien? A l'horizon terminal, peut-être
tout simplement le texte initial (son tout premier texte a eu
pour objet le Journal de Gide).
La fraisette
Tout d'un coup, la Femme faisait surface en Charlus : non
pas lorsqu'il courait les militaires et les cochers, mais lorsqu'il
demandait chez les Verdurin, d'une voix suraiguë, de la
fraisette. La boisson serait-elle une bonne tête de lecture (tête
chercheuse d'une vérité du corps)?
99
Boissons qu'on boit toute la vie sans les aimer : le thé, le
whisky. Boissons-heures, boissons-effets et non boissons-
saveurs. Recherche d'une boisson idéale : qui serait très riche
en métonymies de toutes sortes.
Français
Français par les fruits (comme d'autres le furent « par les
femmes n) : goût des poires, des cerises, des framboises ; déjà
moindre pour les oranges ; et tout à fait nul pour les fruits
exotiques, mangues, goyaves, lichees.
Fautes de frappe
Écrire à la machine rien ne se trace : cela n'existe pas,
puis tout d'un coup se trouve tracé : aucune production : pas
d'approximation; il n'y a pas naissance de la lettre, mais
expulsion d'un petit bout de code. Les fautes de frappe sont
IOO
donc bien particulières : ce sont des fautes d'essence : me
trompant de touche, j'atteins le système au cœur; la faute
de frappe n'est jamais un flou, un indéchiffrable, mais une
faute lisible, un sens. Cependant, mon corps tout entier passe
dans ces fautes de code : ce matin, m'étant levé par erreur
trop tôt, je n'arrête pas de me tromper, de falsifier ma copie,
et j'écris un autre texte (cette drogue, la fatigue); et en temps
ordinaire, je fais toujours les mêmes fautes : désorganisant,
par exemple, la " structure " par une métathèse obstinée, ou
substituant " z » (la lettre mauvaise) au " s " du pluriel (dans
l'écriture à la main, je ne fais jamais qu'une faute, fréquente :
j'écris " n >> pour " rn >>, je m'ampute d'un jambage, je veux
des lettres à deux jambes, non à trois). Ces fautes méca-
niques, en ce qu'elles ne sont pas des dérapages, mais des
substitutions, renvoient donc à un tout autre trouble que
les particularismes manuscrits : à travers la machine, l'in-
conscient écrit bien plus sûrement que l'écriture naturelle,
et l'on peut imaginer une graphanalyse, autrement pertinente
que la fade graphologie ; il est vrai qu'une bonne dactylo ne
se trompe pas : elle n'a pas d'inconscient!
Le frisson du sens
Tout son travail, c'est évident, a pour objet une moralité
du signe (moralité n'est pas morale).
Dans cette moralité, comme thème fréquent, le frisson du
sens a une place double ; il est ce premier état selon lequel
le " naturel >> commence à s'agiter, à signifier (à redevenir
relatif, historique, idiomatique); l'illusion (abhorrée) du
cela-va-de-soi s'écaille, craque, la machine des langages se
met en marche, la " Nature >> frissonne de toute la socialité
qui y est comprimée, endormie: je m'étonne devant le" natu-
rel>> des phrases, tout comme l'ancien Grec de Hegel s'étonne
devant la Nature et "y écoute le frisson du sens. Cependant
à cet état initial de la lecture sémantique, selon lequel les
choses sont en marche vers le sens "vrai >> (celui de l'Histoire),
répond ailleurs et presque contradictoirement une autre
valeur : le sens, avant de s'abolir dans l'in-signifiance, fris-
sonne encore : il y a du sens, mais ce sens ne se laisse pas
" prendre » ; il reste fluide, frémissant d'une légère ébullition.
L'état idéal de la socialité se déclare ainsi : un immense et
perpétuel bruissement anime des sens innombrables qui
101
éclatent, crépitent, fulgurent sans jamais prendre la forme
définitive d'un signe tristement alourdi de son signifié : thème
heureux et impossible, car ce sens idéalement frissonnant se
voit impitoyablement récupéré par un sens solide (celui de la
Doxa) ou par un sens nul (celui des mystiques de libération).
(Formes de ce frisson : le Texte, la signifiance, et peut-
être : le Neutre.)
L'induction galopante
Tentation de raisonnement : de ceci, que le récit de rêve
(ou de drague) exclut son auditeur (des délices de son réfé-
rent), induire que l'une des fonctions du Récit serait d'exclure
son lecteur.
(Deux imprudences : non seulement le fait n'est pas sûr -
d'où tirer que le récit de rêve ennuie, sinon d'un sentiment
tout personnel? -, mais encore il est exagérément abstrait,
agrandi à la catégorie générale du Récit : ce fait incertain
devient le départ d'une extension abusive. Ce qui emporte
tout, c'est la saveur du paradoxe : pouvoir suggérer que le
Récit n'est nullement projectif, pouvoir subvertir la doxa
narrative.)
Gaucher
:Ëtre gaucher, cela veut dire quoi? On mange au rebours de
la place assignée aux couverts ; on retrouve la poignée de
téléphone à l'envers, lorsqu'un droitier s'en est servi avant
vous ; les ciseaux ne sont pas faits pour votre pouce. En classe,
autrefois, il fallait lutter pour être comme les autres, il fallait
normaliser son corps, faire à la petite société du lycée l'obla-
tion de sa bonne main (je dessinais, par contrainte, de la main
droite, mais je passais la couleur de la main gauche : revanche
de la pulsion) ; une exclusion modeste, peu conséquente,
tolérée socialement, marquait la vie adolescente d'un pli ténu
et persistant : on s'accommodait et on continuait.
102
Les gestes de l'idée
Le sujet lacanien (par exemple) ne lui fait nullement penser
à la ville de Tokyo ; mais Tokyo lui fait penser au sujet laca-
nien. Ce procédé est constant : il part rarement de l'idée pour
lui inventer ensuite une image; il part d'un objet sensuel, et
espère alors rencontrer dans son travail la possibilité de lui
trouver une abstraction, prélevée dans la culture intellectuelle
du moment : la philosophie n'est plus alors qu'une réserve
d'images particulières, de fictions idéelles (il emprunte des
objets, non des raisonnements). Mallarmé a parlé des " gestes
de l'idée " : il trouve d'abord le geste (expression du corps),
ensuite l'idée (expression de la culture, de l'intertexte).
Abgrund
Peut-on - ou du moins pouvait-on autrefois - commencer
à écrire sans se prendre pour un autre? A l'histoire des
sources, il faudrait substituer l'histoire des figures : l'origine
de l'œuvre, ce n'est pas la première influence, c'est la première
posture : on copie un rôle, puis, par métonymie, un art : je
commence à produire en reproduisant celui que je voudrais
être. Ce premier vœu (je désire et je me voue) fonde un sys-
tème secret de fantasmes qui persistent d'âge en âge, souvent
indépendamment des écrits de l'auteur désiré.
L'un de ses premiers articles ( r942) portait sur le Journal
de Gide; l'écriture d'un autre (« En Grèce "' I944) était visi-
blement imitée des Nourritures terrestres. Et Gide a eu une
grande place dans ses lectures de jeunesse : croisé d'Alsace
et de Gascogne, en diagonale, comme l'autre le fut de Nor-
mandie et de Languedoc, protestant, ayant le goût des
" lettres " et jouant du piano, sans compter le reste, comment
ne se serait-il pas reconnu, désiré dans cet écrivain? L' Abgrund
gidien, l'inaltérable gidien, forme encore dans ma tête un
grouillement têtu. Gide est ma langue originelle, mon Ursuppe,
ma soupe littéraire.
103
Le goût des algorithmes
Il n'a jamais manié de véritables algorithmes; il s'est
rabattu un moment (mais ce goût semble lui être passé) sur
des formalisations moins ardues : des apparences d'équations
simples, des schémas, des tables, des arbres. Ces figures, à
vrai dire, ne servent à rien; ce sont des joujoux peu compli-
qués, l'analogue des poupées que l'on fabrique avec un coin
de mouchoir : on joue pour soi : Zola, de la sorte, se fait un
plan de Plassans pour s'expliquer à lui-même son roman.
Ces dessins, il le sait, n'ont même pas l'intérêt de placer le
discours sous la raison scientifique : qui pourraient-ils
tromper? Cependant, on joue à la science, on la met dans le
tableau, à la façon d'un papier collé. De la même façon, le
calcul - dont relevait le plaisir - était placé par Fourier dans
une chaîne fantasmatique (car il y a des fantasmes de discours).
L'imaginaire de la solitude
Il avait toujours, jusqu'ici, travaillé successivement sous la
tutelle d'un grand système (Marx, Sartre, Brecht, la sémio-
logie, le Texte). Aujourd'hui, il lui semble qu'il écrit davan-
tage à découvert; rien ne le soutient, sinon encore des pans
de langages passés (car pour parler il faut bien prendre appui
sur d'autres textes). Il dit cela sans l'infatuation qui peut
accompagner les déclarations d'indépendance, et sans la pose
de tristesse qu'on met à avouer une solitude; mais plutôt
pour s'expliquer à lui-même le sentiment d'insécurité qui le
tient aujourd'hui, et, plus encore peut-être, le vague tourment
d'une récession vers le peu de chose, la chose ancienne qu'il
est, " livré à lui-même "·
- Vous faites ici une déclaration d'humilité; vous ne sortez
donc pas de l'imaginaire, et du pire qui soit : psychologique.
Il est vrai que ce faisant, par un retournement que vous
n'aviez pas prévu et dont vous vous passeriez bien, vous
attestez la justesse de votre diagnostic : effectivement, vous
rétrogradez. - Mais, le disant, j'échappe... etc. (le redan
continue).
Hypocrisie?
Parlant d'un texte, il crédite son auteur de ne pas ménager
le lecteur. Mais il a trouvé ce compliment en découvrant que
lui-même fait tout pour le ménager et qu'en somme il ne
renoncerait jamais à un art de l'effet.
106
L'idée comme jouissance
L'opinion courante n'aime pas le langage des intellectuels.
Aussi a-t-il été souvent fiché sous l'accusation de jargon intel-
lectualiste. Il se sentait alors l'objet d'une sorte de racisme: on
excluait son langage, c'est-à-dire son corps : « tu ne parles
pas comme moi, donc je t'exclus. " Michelet lui-même (mais
l'ampleur de sa thématique l'excusait) s'était déchaîné contre
les intellectuels, les scribes, les clercs, leur assignant la région
de l'infra-sexe : vue petite-bourgeoise qui fait de l'intellectuel,
à cause de son langage, un être désexué, c'est-à-dire dévirilisé :
l'anti-intellectualisme se démasque comme une protestation
de virilité; il ne reste plus alors à l'intellectuel, tel le Genêt
de Sartre se voulant, se faisant l'être sous lequel on le fiche,
qu'à assumer ce langage qu'on lui colle d~ l'extérieur.
La phrase
La Phrase est dénoncée comme objet idéologique et pro-
duite comme jouissance (c'est une essence réduite du Frag-
ment). On peut, alors, ou accuser le sujet de contradiction,
ou induire de cette contradiction un étonnement, voire un
retour critique : et s'il y avait, à titre de perversion seconde,
une jouissance de l'idéologie?
Idéologie et esthétique
L'idéologie : ce qui se répète et consiste (par ce dernier verbe
elle s'exclut de l'ordre du signifiant). Il suffit donc que l'ana-
lyse idéologique (ou la contre-idéologie) se répète et consiste
(en proclamant sur place sa validité, par un geste de pur
dédouanement) pour qu'elle devienne elle-même un objet
idéologique.
L'imaginaire
L'imaginaire, assomption globale de l'image, existe chez
les animaux (mais point le symbolique), puisqu'ils se dirigent
droit sur le leurre, sexuel ou ennemi, qu'on leur tend. Cet
horizon zoologique ne donne-t-il pas à l'imaginaire une pré-
cellence d'intérêt? Est-ce que ce n'est pas là, épistémolo-
giquement, une catégorie d'avenir?
Le dandy
L'usage forcené du paradoxe risque d'impliquer (ou tout
simplement : implique) une position individualiste, et si l'on
peut dire, une sorte de dandysme. Cependant, quoique soli-
taire, le dandy n'est pas seul : S., étudiant lui-même, me dit
- avec regret - que les étudiants sont individualistes ; dans
une situation historique donnée - de pessimisme et de rejet -,
c'est toute la classe intellectuelle qui, si elle ne milite pas,
est virtuellement dandy. (Est dandy celui qui n'a d'autre
philosophie que viagère : le temps est le temps de ma vie.)
L'instrument subtil
Programme d'une avant-garde :
" Le monde est à coup sûr sorti de ses gonds, seuls des
mouvements violents peuvent tout réemboîter. Mais il se
peut que, parmi les instruments servant à cela, il y en ait un
petit, fragile, qui réclame qu'on le manipule avec légèreté. "
(Brecht, l'Achat du cuivre.)
Pause : anamnèses
Au goûter, du lait froid, sucré. Il y avait au fond du vieux
bol blanc un défaut de faïence; on ne savait si la cuiller, en
tournant, touchait ce défaut ou une plaque du sucre mal fondu
ou mal lavé.
Dans les soirs d'été, quand le jour n'en finit pas, les mères
se promenaient sur de petites routes, les enfants voletaient
autour, c'était la fête.
Bête?
Vue classique (reposant sur l'unité de la personne humaine):
la bêtise serait une hystérie : il suffirait de se voir bête, pour
l'être moins. Vue dialectique : j'accepte de me pluraliser, de
laisser vivre en moi des cantons libres de bêtise.
La machine de l'écriture
Vers 1963 (à propos de La Bruyère, EC, 221), il s'emballe
pour le couple métaphore/métonymie (déjà connu cependant
depuis ses conversations avec G., en 1950). Tel une baguette
de sourcier, le concept, surtout s'il est couplé, lève une possi-
bilité d'écriture : ici, dit-il, gît le pouvoir de dire quelque
chose.
L'œuvre procède ainsi par engouements coliceptuels,
empourprements successifs, manies périssables. Le discours
s'avance par petits destins, par crises amoureuses. (Malice
de la langue : engouement veut dire obstruction : le mot reste
dans la gorge, un certain temps.)
A jeun
En leur donnant rendez-vous pour la prochaine répétition,
Brecht disait à ses comédiens : Nüchtern! A jeun! Ne vous
114
empoissez pas, ne vous remplissez pas, ne soyez pas inspirés,
attendris, complaisants, soyez secs, soyez à jeun. - Ce que
j'écris, suis-je sûr de pouvoir le supporter huit jours plus
tard, à jeun? Cette phrase, cette idée (cette idée-phrase) qui
me contente quand je la trouve, qui me dit qu'à jeun elle ne
m'écœurera pas? Comment interroger mon dégoût (le dégoût
de mes propres déchets)? Comment préparer la meilleure
lecture de moi-même que je puisse espérer : non pas aimer,
mais seulement supporter à jeun ce qui a été écrit?
Lettre de Jilali
" Reçois mon bonjour, mon cher Roland. Votre lettre m'a fait
un très grand plaisir. Pourtant celle-ci donne l'image de notre
amitié intime qui est d'une manière sans défauts. En revanche
j'ai la grande joie de vous répondre à votre sérieuse lettre et de
vôus remercier infiniment et du profond de mon cœur à vos
superbes mots. Cette fois-ci, cher Roland, je vais vous parler
d'un sujet embêtant (à mon avis). Le sujet est le suivant : j'ai
un frère moins âgé que moi, étudiant en Troisième AS, très
mélomane (aimant la guitare) et amoureux; mais la pauvreté
le dissimule et le cache dans son monde terrible (il a mal au
présent, " que dit votre poète ») et je vous prie, cher Roland, de
lui chercher un travail dans votre aimable pays dans les brefs
délais puisqu'il mène une vie pleine d'inquiétude et de souci,· or
vous savez la situation des jeunes Marocains et cela vraiment
m'étonne et me refuse les sourires radieux. Et cela vous étonne
même si vous avez un cœur dépourvu de xénophobie et de misan-
thropie. En attendant impatiemment votre réponse, je demande
à mon Dieu de vous garder en parfaite santé. »
(Délices de cette lettre : somptueuse, brillante, littérale
et néanmoins immédiatement littéraire, littéraire sans culture,
renchérissant à chaque phrase sur la jouissance langagière,
en toutes ses inflexions, précise, impitoyable, au-delà de toute
esthétique, mais sans jamais, et de loin, la censurer (comme
l'auraient fait nos tristes compatriotes), la lettre dit en même
temps la vérité et le désir : tout le désir de Jilali (la guitare,
l'amour), toute la vérité politique du Maroc. Tel est exacte-
ment le discours utopique que l'on peut souhaiter.)
II5
Le paradoxe comme jouissance
G. sort tout excité, tout enivré, d'une représentation de
la Chevauchée sur le lac de Constance, qu'il décrit en ces termes :
c'est baroque, c'est fou, c'est kitsch, c'est romantique, etc.
Et, ajoute-t-il, c'est complètement démodé! Pour certaines
organisations, le paradoxe est donc une extase, une perte,
des plus intenses.
Le discours jubilatoire
- Je t'aime, je t'aime! Surgi du corps, irrépressible, répété,
tout ce paroxysme de la déclaration d'amour ne cache-t-il
pas quelque manque? On n'aurait pas besoin de dire ce mot,
si ce n'était pour obscurcir, comme la seiche fait de son
encre, l'échec du désir sous l'excès de son affirmation.
- Quoi? Condamnés pour toujours au morne retour d'un
discours moyen? N'y a-t-il donc aucune chance pour qu'il
existe dans quelque recoin perdu de la logosphère la pos-
sibilité d'un pur discours jubilatoire? A l'une de ses marges
extrêmes - tout près, il est vrai, de la mystique -,n'est-il pas
concevable que le langage devienne enfin expression première
et comme insignifiante d'un comblement?
- Rien à faire : c'est le mot de la demande : il ne peut donc
que gêner qui le reçoit, sauf la Mère - et sauf Dieu!
- A moins que je ne sois justifié de le jeter, ce mot, pour
le cas (improbable mais toujours espéré) où deux" je t'aime,,
émis dans un éclair unique, formeraient une coïncidence
pure, annulant, par cette simultanéité, les effets de chantage
d'un sujet sur l'autre : la demande se mettrait à léviter.
II6
ÉCOLE PRATIQUE
DES HAUTES ÉTUDES
PA:tJS. le _ - - - - - - 19
1111 • s u : u o ... l
S.::lancn t"CO<\Oonlq,.aa at Soc,.,..,
80R80NNE
Gaspillage.
II7
Comblement
Toute la poésie et toute la musique (romantiques) dans
cette demande : je t'aime, ich liebe dich! Mais la réponse
jubilatoire, si par miracle elle survient, que peut-elle être?
Quel est le goût du comblement? - Henri Heine : Doch wenn
du sprichst : /ch liebe dich! So muss ich weinen bitterlich : je
chavire, je tombe, je pleure amèrement.
(Le mot d'amour travaille : comme un deuil.)
Le travail du mot
Et puis, changement de scène : je m'imagine cherchant au
ressassement une issue dialectique. Je crois alors que l'apos-
trophe amoureuse, bien que je la répète et la reconduise de
jour en jour à travers le temps, va recouvrir, à chaque fois que
je la dirai, un état nouveau. Tel l'Argonaute renouvelant
son vaisseau pendant son voyage sans en changer le nom, le
sujet amoureux va accomplir à travers la même exclamation
une longue course, dialectisant peu à peu la demande origi-
nelle sans cependant jamais ternir l'incandescence de sa
première adresse, considérant que le travail même de l'amour
et du langage est de donner à une même phrase des inflexions
toujours nouvelles, créant ainsi une langue inouïe où la
forme du signe se répète, mais jamais son signifié ; où le
parleur et l'amoureux triomphent enfin de l'atroce réduction
que le langage (et la science psychanalytique) impriment à
tous nos affects.
(Des trois imaginaires que je viens d'alléguer, le plus
opérant est le dernier ; car si une image est construite, cette
image est du moins celle d'une transformation dialectique -
d'une praxis.)
La peur du langage
Écrivant tel texte, il éprouve un sentiment coupable de
jargon, comme s'il ne pouvait sortir d'un discours fou à
force d'être particulier : et si toute sa vie, en somme, il
s'était trompé de langage? Cette panique le prend d'autant plus
vivement ici (à U .) que, ne sortant pas le soir, il regarde
II8
beaucoup la télévision : sans cesse il lui est alors représenté
(remontré) un langage courant, dont il est séparé; ce langage
l'intéresse, mais ce n'est pas réciproque : au public de la
télévision, son langage, à lui, paraîtrait entièrement irréel
(et hors de la jouissance esthétique tout langage irréel a
chance d'être ridicule). Telle est la retombée de l'énergie
langagière : dans un premier temps, écouter le langage des
autres et tirer de cette distance une sécurité; et dans un second
temps, douter de cette retraite : avoir peur de ce qu'on dit
(indissociable de la manière dont on le dit).
La langue maternelle
Pourquoi si peu de goût et, ou si peu d'aptitude pour les
langues étrangères? Appris l'anglais au lycée (ennuyeux :
la reine Mab, David Copperfield, She stoops ta conquer). Pris
plus de plaisir à l'italien, dont un ancien pasteur milanais
(bizarre conjonction) lui donna quelques rudiments. Mais
de ces idiomes, il n'a jamais eu qu'un usage vaguement touris-
tique : il n'est jamais entré dans une langue : peu de goût
pour les littératures étrangères, pessimisme constant à l'égard
de la traduction, affolement devant les questions des traduc-
teurs, tant ils paraissent souvent ignorer ce que je crois
être le sens même d'un mot : la connotation. Tout ce blocage
est l'envers d'un amour : celui de la langue maternelle (la
langue des femmes). Ce n'est pas un amour national : d'une
part, il ne croit à la précellence d'aucune langue et il éprouve
souvent les manques cruels du français ; d'autre part, il ne se
sent jamais en état de sécurité dans sa propre langue; les
occasions sont nombreuses où il en reconnaît la division
menaçante ; parfois, entendant des Français dans la rue, il
est étonné de les comprendre, de partager avec eux une
partie de son corps. Car sans doute la langue française n'est
rien d'autre pour lui que la langue ombilicale.
(Et en même temps, goût pour les langues très étrangères,
Il9
tel le japonais, dont la structure lui représente - image et
remontrance - l'organisation d'un sujet autre.)
Le lexique impur
Ne pourrait-il se définir ainsi : le rêve d'une syntaxe pure
et le plaisir d'un lexique impur, hétérologique (qui mélange
l'origine, la spécialité des mots)? Ce dosage rendrait compte
d'une certaine situation historique, mais aussi d'une donnée
de consommation : lu un peu plus que la pure avant-garde,
mais beaucoup moins qu'un auteur de grande culture.
Structure et liberté
Structuraliste, qui l'est encore? Cependant, il l'est au moins
en ceci : un lieu uniformément bruyant lui paraît instructuré
parce que dans ce lieu il n'y a plus aucune liberté de choisir
le silence ou la parole (combien de fois n'a-t-il pas dit à
un voisin de bar : je ne peux vous parler parce qu'il y a trop
de bruit). La structure au moins me fournit deux termes dont
je peux à volonté marquer l'un et renvoyer l'autre; elle est
donc à tout prendre un gage (modeste) de liberté : comment
ce jour-là donner un sens à mon silence, puisque, de toutes
manières, je ne peux parler?
L'acceptable
Il a fait un assez grand usage de cette notion linguistique :
l'acceptable : une forme est acceptable (lisible, grammaticale),
lorsque, dans une langue donnée, elle peut recevoir du sens.
La notion peut être reportée au plan du discours. Ainsi,
les propositions du haïku sont toujours " simples, courantes,
acceptables " (EpS, 93); ainsi encore : de la machine des
Exercices de Loyola, " sort une demande codée, donc accep-
table " (SFL, 63); et d'une manière générale, la science de
la littérature (si elle existe un jour) n'aura pas à prouver tel
sens, mais à dire " pourquoi un sens est acceptable " (CV,
58).
Cette notion presque scientifique (puisqu'elle est d'origine
121
linguistique) a son versant passionnel; elle substitue la
validité d'une forme à sa vérité; et de là, en douce, pourrait-on
dire, elle amène au thème chéri du sens déçu, exempté, ou
encore : d'une disponibilité en dérive. A ce point, l'acceptable,
sous l'alibi structural, est une figure du désir : je désire la
forme acceptable (lisible) comme une manière de déjouer
la double violence : celle du sens plein, imposé, et celle du
non-sens héroïque.
Le livre du Moi
Ses " idées » ont quelque rapport avec la modernité, voire
avec ce qu'on appelle l'avant-garde (le sujet, l'Histoire, le
sexe, la langue); mais il résiste à ses idées : son" moi», concré-
tion rationnelle, y résiste sans cesse. Quoiqu'il soit fait appa-
remment d'une suite d' " idées », ce livre n'est pas le livre
de ses idées ; il est le livre du Moi, le livre de mes résistances
à mes propres idées; c'est un livre récessif (qui recule, mais
aussi, peut-être, qui prend du recul).
La loquèle
Ce 7 juin 1972, curieux état: par fatigue, dépression énervée,
une loquèle intérieure me. saisit, un bombardement de
phrases; c'est-à-dire que je me sens à la fois très intelligent et
très vain.
C'est tout le contraire de l'écriture, parcimonieuse dans la
dépense même.
Lucidité
Ce livre n'est pas un livre de " confessions n; non pas qu'il
soit insincère, mais parce que nous avons aujourd'hui un
savoir différent d'hier; ce savoir p~ut se résumer ainsi : ce
que j'écris de moi n'en est jamais· le dernier mot : plus je
suis " sincère n, plus je suis interprétable, sous l'œil d'autres
instances que celles des anciens auteurs, qui croyaient n'avoir
à se soumettre qu'à une seule loi : l'authenticité. Ces instances
sont l'Histoire, l'Idéologie, l'Inconscient. Ouverts (et com-
ment feraient-ils autrement?) sur ces différents avenirs, mes
textes se déboîtent, aucun ne coiffe l'autre ; celui-ci n'est
rien d'autre qu'un texte en plus, le dernier de la série, non
l'ultime du sens : texte sur texte, cela n'éclaircit jamais rien.
Un souvenir d'enfance
Lorsque j'étais enfant, nous habitions un quartier appelé
Marrac ; ce quartier était plein de maisons en construction
dans les chantiers desquelles les enfants jouaient; de grands
trous étaient creusés dans la terre glaise pour servir de
fondations aux maisons, et un jour que nous avions joué
dans l'un de ces trous, tous les gosses remontèrent, sauf
moi, qui ne le pus ; du sol, d'en haut, ils me narguaient :
perdu! seul! regardé! exclu! (être exclu, ce n'est pas être
dehors, c'est être seul dans le trou, enfermé à ciel ouvert :
forclos); j'ai vu alors accourir ma mère; elle me tira de là
et m'emporta loin des enfants, contre eux.
Au petit matin
Fantasme du petit matin : toute ma vie, j'ai rêvé de me
lever tôt (désir de classe : se lever pour « penser "• pour écrire,
non pour prendre le train de banlieue); mais ce petit matin
du fantasme, quand bien même je me lèverais, je ne le
verrais jamais; car pour qu'il fût conforme à mon désir, il
faudrait qu'à peine levé, sans perdre de temps, je puisse le
voir dans l'éveil, la conscience, l'accumulation de sensibilité
125
qu'on a le soir. Comment être dispos à volonté? La limite
de mon fantasme, c'est toujours mon in-disposition.
Méduse
La Doxa, c'est l'opinion courante, le sens répété, comme
si de rien n'était. C'est Méduse : elle pétrifie ceux qui la
regardent. Cela veut dire qu'elle est évidente. Est-elle vue?
Même pas : c'est une masse gélatineuse qui colle au fond de
la rétine. Le remède? Adolescent, je me baignai un jour à
Malo-les-Bains, dans une mer froide, infestée de méduses
(par quelle aberration avoir accepté ce bain? Nous étions
en groupe, ce qui justifie toutes les lâchetés) ; il était si courant
d'en sortir couvert de brûlures et de cloques que la tenancière
des cabines vous tendait flegmatiquement un litre d'eau de
Javel au sortir du bain. De la même façon, on pourrait conce-
voir de prendre un plaisir (retors) aux produits endoxaux
de la culture de masse, pourvu qu'au sortir d'un bain de
cette culture, on vous tendît à chaque fois, comme si de rien
n'était, un peu de discours détergent.
Migraines
J'ai pris l'habitude de dire migraines pour maux de tête
(peut-être parce que le mot est beau). Ce mot impropre (car
ce n'est pas seulement d'une moitié de ma tête que je souffre)
est un mot socialement juste : attribut mythologique de la
femme bourgeoise et de l'homme de lettres, la migraine
est un fait de classe : voit-on le prolétaire ou le petit commer-
çant avoir des migraines? La division sociale passe par mon
corps : mon corps lui-même est social.
Le démodé
Soustraite au livre, sa vie était continûment celle d'un
sujet démodé : quand il était amoureux (par la manière et le
fait même), il était démodé; quand il aimait sa mère (qu'eût-
ce été s'il avait bien connu son père et que par malheur il
l'eût aimé!), il était démodé; quand il se sentait démocrate,
il était démodé, etc. Mais que la Mode fasse un tour de vis
supplémentaire, et ce serait une sorte de kitsch psycholo-
gique, en somme.
Politique/morale
Toute ma vie, politiquement, je me suis fait de la bile.
J'en induis que le seul Père que j'ai connu (que je me suis
donné) a été le Père politique.
Mot-mode
Il ne sait pas bien approfondir. Un mot, une figure de pensée,
une métaphore, bref une forme s'empare de lui pendant des
années, il la répète, s'en sert partout (par exemple, « corps ,,
« différence ,, « Orphée ,, « Argo ,, etc), mais il n'essaye guère
de réfléchir plus avant sur ce qu'il entend par ces mots ou
ces figures (et le ferait-il, ce serait pour trouver de nouvelles
métaphores en guise d'explications) : on ne peut approfondir
une rengaine ; on peut seulement lui en substituer une autre.
C'est en somme ce que fait la Mode. Il a de la sorte ses modes
intérieures, personnelles.
Mot-valeur
Les mots préférés qu'il emploie sont souvent groupés par
oppositions ; des deux mots du couple, il est pour l'un, il est
contre l'autre production/produit, structuration/structure,
romanesque/roman, systématique/ système, poétique/poésie, ajouré/
aérien, copie/ analogie, plagiat/pastiche, figuration/représentation,
appropriation/propriété, énonciation/énoncé, bruissement/bruit,
maquette/plan, subversion/contestation, intertextefcontexte, éro-
tisation/érotique, etc. Parfois, il ne s'agit pas seulement
d'oppositions (entre deux mots), mais de clivages (d'un seul
mot) : l'automobile, c'est bien comme conduite, mal comme
objet; l'acteur est sauvé s'il fait partie de la contre-Physis,
condamné s'il appartient à la pseudo-Physis ; l'artifice est
désiré s'il est baudelairien (opposé d'une façon franche à la
Nature), déprécié comme simili (prétendant mimer cette
même Nature). Ainsi entre les mots, dans les mots même,
passe « le couteau de la Valeur , (PIT, 67).
~ë:;?
'
t,' •
-~-
Histoire de la sémiologie.
Mot-couleur
Lorsque j'achète des couleurs, c'est au seul vu de leur nom.
Le nom de la couleur (jaune indien, rouge persan, vert céladon)
trace une sorte de région générique à l'intérieur de laquelle
l'effet exact, spécial, de la couleur est imprévisible; le nom
est alors la promesse d'un plaisir, le programme d'une opé-
ration : il y a toujours du futur dans les noms pleins. De même,
lorsque je dis qu'un mot est beau, lorsque je l'emploie parce
qu'il me plaît, ce n'est nullement en vertu de son charme
sonore ou de l'originalité de son sens, ou d'une combinaison
" poétique» des deux. Le mot m'emporte selon cette idée que
je vais faire quelque chose avec lui : c'est le frémissement
d'un faire futur, quelque chose comme un appétit. Ce désir
ébranle tout le tableau immobile du langage.
Mot-mana
Dans le lexique d'un auteur, ne faut-il pas qu'il y ait tou-
jours un mot-mana, un mot dont la signification ardente,
multiforme, insaisissable et comme sacrée, donne l'illusion
que par ce mot on peut répondre à tout? Ce mot n'est ni
excentrique ni central; il est immobile et porté, en dérive,
jamais casé, toujours atopique (échappant à toute topique),
à la fois reste et supplément, signifiant occupant la place de
tout signifié. Ce mot est apparu dans son œuvre peu à peu;
il a d'abord été masqué par l'instance de la Vérité (celle de
l'Histoire), ensuite par celle de la Validité (celle des systèmes
et des structures); maintenant, il s'épanouit; ce mot-mana,
c'est le mot " corps ».
Le mot transitionnel
Comment le mot devient-il valeur? Au niveau du corps.
La théorie du inot charnel est donnée dans le Michelet : le
vocabulaire de cet historien, le tableau de ses mots-valeurs
est organisé par un frémissement physique, le goût ou l'écœu-
rement de certains corps historiques. Il se crée ainsi, à travers
des relais d'une complication variable, des mots " chéris »,
des mots " favorables » (au sens magique du terme), des mots
133
" merveilleux » (brillants et heureux). Ce sont des mots " tran-
sitionnels », analogues à ces bouts d'oreiller, à ces coins de
drap, que l'enfant suce avec obstination. Comme pour l'enfant,
ces mots chéris font partie de l'aire de jeu; et comme les
objets transitionnels, ils sont de statut incertain; c'est au fond
une sorte d'absence de l'objet, du sens, qu'ils mettent en
scène : malgré la dureté de leurs contours, la force de leur
répétition, ce sont des mots flous, flottants ; ils cherchent à
devenir des fétiches.
Le mot moyen
En parlant, je ne suis pas sûr de chercher le mot juste; je
cherche plutôt à éviter le mot bête. Mais comme j'ai quelque
remords de renoncer trop tôt à la vérité, je m'en tiens au
mot moyen.
Le naturel
L'illusion de naturel est sans cesse dénoncée (dans les
Mythologies, dans le Système de la Mode; dans SfZ même,
où il est dit que la dénotation est retournée en Nature du
langage). Le naturel n'est nullement un attribut de la Nature
physique; c'est l'alibi dont se pare une majorité sociale : le
naturel est une légalité. D'où la nécessité critique de faire
apparaître la loi sous ce naturel-là, et, selon le mot de Brecht,
" sous la règle l'abus ».
On peut voir l'origine de cette critique dans la situation
minoritaire de R.B. lui-même; il a toujours appartenu à
quelque minorité, à quelque marge - de la société, du langage,
du désir, du métier, et même autrefois de la religion (il n'était
pas indifférent d'être protestant dans une classe de petits·
catholiques) ; situation nullement sévère, mais qui marque
un peu toute l'existence sociale : qui ne sent combien il est
naturel, en France, d'être catholique, marié et bien diplômé?
La moindre carence introduite dans ce tableau des confor-
mités publiques forme une sorte de pli ténu de ce que l'on
pourrait appeler la litière sociale.
Contre ce " naturel », je puis me révolter de deux manières :
en revendiquant, tel un légiste, contre un droit élaboré sans
134
moi et contre moi (" Moi aussi, j'ai le droit de ... "), ou en
dévastant la Loi majoritaire par une action transgressive
d'avant-garde. Mais lui, il semble rester bizarrement au
carrefour de ces deux refus : il a des complicités de transgres-
sion et des humeurs individualistes. Cela donne une philosophie
de l'anti-Nature qui reste rationnelle, et le Signe est un objet
idéal pour cette philosophie-là : car il est possible d'en dénon-
cer et/ou d'en célébrer l'arbitraire; il est possible de jouir
des codes tout en imaginant avec nostalgie qu'un jour on les
abolisse : tel un out-sider intermittent, je puis entrer-dans,
ou sortir-de la socialité lourde, selon mon humeur - d'inser-
tion ou de distance.
Neuf/nouveau
Sa partialité (le choix de ses valeurs) lui paraît productive
lorsque la langue française, par chance, lui fournit des couples
de mots à la fois proches et différents, dont l'un renvoie à ce
qu'il aime et l'autre à ce qu'il n'aime pas, comme si un même
vocable balayait le champ sémantique et d'un mouvement
preste de sa queue faisait volte-face (c'est toujours la même
structure : structure du paradigme, qui est en somme celle de
son désir). Ainsi de neuf/nouveau : "nouveau » est bon, c'est le
mouvement heureux du Texte : la novation est justifiée histo-
riquement dans toute société où, par régime, la régression
menace ; mais " neuf " est mauvais : il faut lutter avec un
vêtement neuf pour le porter : le neuf engonce, s'oppose au
corps parce qu'il en supprime le jeu, dont une certaine usure
est la garantie : un nouveau qui ne soit pas entièrement neuf,
tel serait l'état idéal des arts, des textes, des vêtements.
Le neutre
Le Neutre n'est pas une moyenne d'actif et de passif; c'est
plutôt un va-et-vient, une oscillation amorale, bref, si l'on
peut dire, le contraire d'une antinomie. Comme valeur (issue
de la région Passion), le Neutre correspondrait à la force par
laquelle la pratique sociale balaye et irréalise les antinomies
scolastiques (Marx, cité dans SR, 61 : " C'est seulement dans
l'existence sociale que les antinomies telles que subjectivisme
135
et objectivisme, spiritualisme et matérialisme, activité et
passivité perdent leur caractère antinomique... »).
Actif/passif
Viril/non viril : ce couple célèbre, qui règne sur toute la
Doxa, résume tous les jeux d'alternance : le jeu paradigma-
tique du sens et le jeu sexuel de la parade (tout sens bien
formé est une parade : accouplement et mise à mort).
L'accommodation
Quand je lis, j'accommode : non seulement le cristallin de
mes yeux, mais aussi celui de mon intellect, pour capter le
bon niveau de signification (celui qui me convient). Une
linguistique fine ne devrait plus s'occuper des " messages n
(au diable les " messages "!), mais de ces accommodations,
qui procèdent sans doute par niveaux et par seuils : chacun
courbe son esprit, tel un œil, pour saisir dans la masse du texte
cette intelligibilité-là, dont il a besoin pour connaître, pour
jouir, etc. En cela la lecture est un travail : il y a un muscle
qui la courbe.
C'est seulement lorsqu'il voit à l'infini, que l'œil normal
n'a pas besoin d'accommoder. De même, si je pouvais lire
un texte à l'infini, je n'aurais plus besoin de rien courber en
moi. C'est ce qui se passe postulativement devant le texte
dit d'avant-garde (n'essayez pas alors d'accommoder : vous
ne percevrez rien).
137
Le numen
Prédilection pour le mot de Baudelaire, cité plusieurs fois
(notamment à propos du catch) : " la vérité emphatique du
geste dans les grandes circonstances de la vie "· Il appela cet
excès de pose le numen (qui est le geste silencieux des dieux
prononçant le destin humain). Le numen, c'est l'hystérie figée,
éternisée, piégée, puisqu'enfin on la tient immobile, enchaînée
sous un long regard. D'où mon intérêt pour les poses (à
condition qu'elles soient encadrées), les peintures nobles, les
tableaux pathétiques, les yeux levés au ciel, etc.
Odeurs
Chez Proust, trois sens sur cinq conduisent le souvenir.
Mais pour moi, mise à part la voix, moins sonore au fond que,
par son grain, parfumée, le souvenir, le désir, la mort, le
retour impossible, ne sont pas de ce côté-là; mon corps ne
marche pas dans l'histoire de la madeleine, des pavés et des
serviettes de Balbec. De ce qui ne reviendra plus, c'est l'odeur
qui me revient. Ainsi de l'odeur de mon enfance bayonnaise :
tel le monde encerclé par le mandala, tout Bayonne est
ramassé dans une odeur composée, celle du Petit-Bayonne
(quartier entre la Nive et l'Adour) : la corde travaillée par les
sandaliers, l'épicerie obscure, la cire des vieux bois, les cages
d'escalier sans air, le noir des vieilles Basquaises, noires
jusqu'à la cupule d'étoffe qui tenait leur chignon, l'huile
espagnole, l'humidité des artisanats et des petits commerces
(relieurs, quincaillers), la poussière de papier de la biblio-
thèque municipale (où j'appris la sexualité dans Suétone et
Martial), la colle des pianos en réparation chez Bossière,
quelque effluve de chocolat, produit de la ville, tout cela
consistant, historique, provincial et méridional. (Dictée.)
(Je me rappelle avec folie les odeurs : c'est que je vieillis.)
De l'écriture à l'œuvre
Piège de l'infatuation : donner à croire qu'il accepte de
considérer ce qu'il a écrit comme une " œuvre ,, passer d'une
contingence d'écrits à la transcendance d'un produit unitaire,
sacré. Le mot « œuvre » est déjà imaginaire.
139
La contradiction est bien entre l'écriture et l'œuvre (le
Texte, lui, est un mot magnanime : il ne fait pas acception
de cette différence). Je jouis continûment, sans fin, sans
terme, de l'écriture comme d'une production perpétuelle,
d'une dispersion inconditionnelle, d'une énergie de séduction
qu'aucune défense légale du sujet que je jette sur la page ne
peut plus arrêter. Mais dans notre société mercantile, il faut
bien arriver à une " œuvre » : il faut construire, c'est-à-dire
terminer une marchandise. Pendant que j'écris, l'écriture est
de la sorte à tout instant aplatie, banalisée, culpabilisée par
l'œuvre à laquelle il lui faut bien concourir. Comment écrire,
à travers tous les pièges que me tend l'image collective de
l'œuvre? -Eh bien, aveuglément. A chaque instant du travail,
perdu, affolé et poussé, je ne puis que me dire le mot qui ter-
mine le Huis-clos de Sartre : continuons.
«On le sait»
Une expression apparemment explétive (« on le sait "• " on
sait que ... ») est placée en tête de certains développements :
il rapporte à l'opinion courante, au savoir commun, la propo-
sition dont il va partir : il se donne la tâche de réagir contre
140
une banalité. Et souvent, ce qu'il lui faut déjouer, ce n'est
pas la banalité de l'opinion courante, c'est la sienne propre;
le discours qui lui vient d'abord est banal, et ce n'est qu'en
luttant contre cette banalité originelle que peu à peu il écrit.
Doit-il décrire sa situation dans un bar de Tanger? Ce qu'il
trouve d'abord à dire, c'est qu'il y est le lieu d'un cc langage
intérieur n : belle découverte! Il tente alors de se débarrasser
de cette banalité qui l'empoisse et de repérer en elle une
particule d'idée avec laquelle il ait quelque rapport de désir :
la Phrase! Cet objet nommé, tout est sauvé; quoi qu'il écrive
(ce n'est pas une question de performance), ce sera toujours
un discours investi, où le corps fera son apparition (la bana-
lité, c'est le discours sans corps).
En somme, ce qu'il écrit procéderait d'une banalité corrigée.
Opacité et transparence
Principe d'explication : cette œuvre va entre deux termes :
- au terme originel, il y a l'opacité des rapports sociaux. Cette
opacité s'est tout de suite dévoilée sous la forme oppressante
du stéréotype (les figures obligées de la rédaction scolaire, les
romans communistes dans le Degré zéro de l'écriture). Ensuite
mille autres formes de la Doxa ;
- au terme final (utopique), il y a la transparence : le senti-
ment tendre, le vœu, le soupir, le désir d'un repos, comme si
la consistance de l'interlocution sociale pouvait un jour
s'éclaircir, s'alléger, s'ajourer jusqu'à l'invisibilité.
Oscillation de la valeur
D'une part la Valeur règne, décide, sépare, met le bien d'un
côté, le mal de l'autre (le neuf/le nouveau, la structure/la
structuration, etc.) : le monde signifie fortement, puisque tout
est pris dans le paradigme du goût et du dégoût.
D'autre part, toute opposition est suspecte, le sens fatigue,
il veut s'en reposer. La Valeur, qui armait tout, est désarmée,
elle s'absorbe dans une utopie : plus d'oppositions, plus de
sens, plus de Valeur même, et cette abolition est sans reste.
La Valeur (et le sens avec elle) oscille ainsi, sans cesse.
L'œuvre, dans son entier, boite entre une apparence de
manichéisme (lorsque le sens est fort) et une apparence de
pyrrhonisme (lorsque l'on désire son exemption).
Paradoxa
(Correction du Paradoxe.)
Il règne dans le champ intellectuel un fractionnisme
intense : on s'oppose, terme pour terme, au plus proche, mais
l'on reste dans le même " répertoire " : en neuropsychologie
animale, le répertoire est l'ensemble des visées en fonction des-
quelles tel animal agit : pourquoi poser au rat des questions
d'homme, puisque son " répertoire " est celui d'un rat?
Pourquoi poser à un peintre d'avant-garde des questions de
professeur? La pratique paradoxale, elle, se développe dans
un répertoire légèrement différent, qui est plutôt celui de
l'écrivain : on ne s'oppose pas à des valeurs nommées, frac-
tionnées ; ces valeurs, on les longe, on les fuit, on les esquive :
on prend la tangente; ce n'est pas à proprement parler une
contremarche (mot pourtant commode de Fourier) ; la crainte
est de tomber dans l'opposition, l'agression, c'est-à-dire
dans le sens (puisque le sens, ce n'est jamais que le déclic d'un
contre-terme), c'est-à-dire encore : dans cette solidarité
sémantique qui unit les contraires simples.
143
Parler/embrasser
Selon une hypothèse de Leroi-Gourhan, c'est lorsqu'il
aurait pu libérer ses membres antérieurs de la marche, et,
partant, sa bouche de la prédation, que l'homme aurait pu
parler. J'ajoute : et embrasser. Car l'appareil phonatoire est
aussi l'appareil osculaire. Passant à la station debout, l'homme
s'est trouvé libre d'inventer le langage et l'amour : c'est peut-
être la naissance anthropologique d'une double perversion
concomitante : la parole et le baiser. A ce compte-là, plus les
hommes ont été libres (de leur bouche), plus ils ont parlé et
embrassé ; et logiquement, lorsque par le progrès les hommes
seront débarrassés de toute tâche manuelle, ils ne feront plus
que discourir et s'embrasser!
Imaginons à cette double fonction, localisée en un même
lieu, une transgression unique, qui naîtrait d'un usage simul-
tané de la parole et du baiser : parler en embrassant, embrasser
en parlant. Il faut croire que cette volupté existe, puisque les
amants ne cessent de " boire la parole sur les lèvres aimées "·
Ce qu'ils goûtent alors, c'est, dans la lutte amoureuse, le jeu
du sens qui éclôt et s'interrompt : la fonction qui se trouble :
en un mot : le corps bredouillé.
Le jeu, le pastiche
Parmi les nombreuses illusions qu'il entretient sur lui-
même, il y a celle-ci, tenace: qu'il aime jouer, et donc qu'il en
a le pouvoir; or, il n'a jamais fait un pastiche (du moins
volontairement), sauf lorsqu'il était au lycée (sur le Criton,
1974), bien qu'il en ait eu souvent envie. Il peut y avoir une
raison théorique à cela : s'il s'agit de déjouer le sujet, jouer est
une méthode illusoire, et même d'un effet contraire à ce
qu'elle recherche : le sujet d'un jeu est plus consistant que
jamais; le vrai jeu n'est pas de masquer le sujet, mais de
masquer le jeu lui-même.
Patch-work
Me commenter? Quel ennui! Je n'avais d'autre solution
que de me ré-écrire - de loin, de très loin - de maintenant :
ajouter aux livres, aux thèmes, aux souvenirs, aux textes, une
autre énonciation, sans que je sache jamais si c'est de mon
passé ou de mon présent que je parle. Je jette ainsi sur l'œuvre
écrite, sur le corps et le corpus passés, l'effleurant à peine, une
sorte de patch-work, une couverture rapsodique faite de car-
reaux cousus. Loin d'approfondir, je reste à la surface, parce
qu'il s'agit cette fois-ci de « moi " (du Moi) et que la profon-
deur appartient aux autres.
145
La couleur
L'opinion courante veut toujours que la sexualité soit
agressive. Aussi, l'idée d'une sexualité heureuse, douce, sen-
suelle, jubilatoire, on ne la trouve dans aucun écrit. Où donc
la lire? Dans la peinture, ou mieux encore : dans la couleur.
Serais-je peintre, je ne peindrais que des couleurs : ce champ
me paraît libéré également de la Loi (pas d'Imitation, pas
d'Analogie) et de la Nature (car en somme toutes les couleurs
de la Nature ne viennent-elles pas des peintres?).
La personne divisée ?
Pour la métaphysique classique, il n'y avait aucun inconvé-
nient à" diviser» la personne (Racine: " J'ai deux hommes en
moi ») ; bien au contraire, pourvue de deux termes opposés,
la personne marchait comme un bon paradigme (haut/bas,
chair/esprit, ciel/terre); les parties en lutte se réconciliaient
dans la fondation d'un sens : le sens de l'Homme. C'est pour-
quoi, lorsque nous parlons aujourd'hui d'un sujet divisé, ce
n'est nullement pour reconnaître ses contradictions simples,
ses doubles postulations, etc; c'est une diffraction qui est
visée, un éparpillement dans le jeté duquel il ne reste plus ni
noyau principal ni structure de sens : je ne suis pas contradic-
toire, je suis dispersé.
" Tout s'est fait en nous parce que nous sommes nous, toujours
nous, et pas une minute les mêmes. " (Diderot, Réfutation d'Hel-
vétius.)
Partitif
Petit-bourgeois : ce prédicat peut venir coller à n'importe
quel sujet; de ce mal, personne n'est à l'abri (c'est normal :
toute la culture française, bien au-delà des livres, passe par
là) : dans l'ouvrier, dans le cadre, dans le professeur, dans
l'étudiant contestataire, dans le militant, dans mes amis
X., Y., et en moi, bien sûr, il y a du petit-bourgeois : c'est un
massif-partitif. Or, il est un autre objet de langage qui pré-
sente le même caractère mobile et panique, et figure dans le
discours théorique comme un pur partitif : c'est le Texte :
je ne puis dire que telle œuvre est un Texte, mais seulement
qu'en elle il y a du Texte. Texte et petit-bourgeois forment
ainsi une même substance universelle, ici nocive, là exaltante ;
ils ont la même fonction discursive : celle d'un opérateur
universel de valeur.
Bataille, la peur
Bataille, en somme, me touche peu : qu'ai-je à faire avec le
rire, la dévotion, la poésie, la violence? Qu'ai-je à dire du
« sacré n, de l' « impossible "?
Cependant, il suffit que je fasse coïncider tout ce langage
(étranger) avec un trouble qui a nom chez moi la peur, pour
que Bataille me reconquière : tout ce qu'il écrit, alors, me
décrit : ça colle.
147
Phases
Éléments
Saussure sémiologie de sémiologie
Système de la mode
Sollers S/Z
Julia Kristeva textualité Sade, Fourier, Loyola
Derrida Lacan L'Empire des signes
Le texte politique
Le Politique est, subjectivement, une source continue
d'ennui et/ou de jouissance; c'est, de plus et en fait (c'est-à-
dire en dépit des arrogances du sujet politique), un espace
obstinément polysémique, le lieu privilégié d'une interpréta-
tion perpétuelle (si elle est suffisamment systématique, une
interprétation n'y sera jamais démentie, à l'infini). On pour-
rait conclure de ces deux constatations que le Politique est du
textuel pur : une forme exorbitante, exaspérée, du Texte, une
forme inouïe qui, par ses débordements et ses masques,
dépasse peut-être notre entendement actuel du Texte. Et
Sade ayant produit le plus pur des textes, je crois comprendre
que le Politique me plaît comme texte sadien et me déplaît
comme texte sadique.
L'alphabet
Tentation de l'alphabet : adopter la suite des lettres pour
enchaîner des fragments, c'est s'en remettre à ce qui fait la
gloire du langage (et qui faisait le désespoir de Saussure) : uri
ordre immotivé (hors de toute imitation), qui ne soit pas
arbitraire (puisque tout le monde le connaît, le reconnaît et
s'entend sur lui). L'alphabet est euphorique : fini l'angoisse
du " plan », l'emphase du « développement >>, les logiques
tordues, fini les dissertations! une idée par fragment, un frag-
ment par idée, et pour la suite de ces atomes, rien que l'ordre
millénaire et fou des lettres françaises (qui sont elles-mêmes
des objets insensés - privés de sens).
II ne définit pas un mot, il nomme un fragment; il fait l'in-
verse même d'un dictionnaire: le mot sort de l'énoncé, au lieu
que l'énoncé dérive du mot. Du glossaire, je ne retiens que
son principe le plus formel : l'ordre de ses unités. Cet ordre,
cependant, peut être malicieux : il produit parfois des effets
de sens ; et si ces effets ne sont pas désirés, il faut casser l'al-
phabet au profit d'une règle supérieure : celle de la rupture
(de l'hétérologie) : empêcher qu'un sens " prenne "·
151
Le langage-prêtre
En ce qui concerne les rites, est-ce si désagréable d'être
prêtre? Quant à la foi, quel sujet humain peut prédire qu'il
ne sera pas un jour conforme à son économie de " croire , - en
ceci ou en cela? C'est pour le langage que ça n'irait pas : le
langage-prêtre? Impossible.
Le discours prévisible
Ennui des discours prévisibles. La prévisibilité est une
catégorie structurale, car il est possible de donner les modes
d'attente ou de rencontre (bref: de suspense) dont le langage
est la scène (on l'a fait pour le récit); on pourrait donc fonder
une typologie des discours sur leur degré de prévisibilité.
Texte des Morts : texte litanique, où on ne peut changer un
mot.
Projets de livres
(Ces idées sont de différentes époques) : Journal de Désir
(au jour le jour du Désir, dans le champ de la réalité). La
Phrase (idéologie et érotique de la Phrase). Notre France (nou-
velles mythologies de la France d'aujourd'hui; ou plutôt :
suis-je heureux/malheureux d'être français?). L'amateur
(consigner ce qui m'arrive lorsque je peins). Linguistique de
l'Intimidation (de la Valeur, de la guerre des sens). Mille
152
Fantasmes (écrire ses fantasmes, non ses rêves). Éthologie des
Intellectuels (tout aussi important que les mœurs des fourmis).
Le Discours de l'homosexualité (ou : les discours de l'homo-
sexualité, ou encore : le discours des homosexualités). Une
Encyclopédie de la Nourriture (diététique, histoire, économie,
géographie et surtout symbolique). Une Vie des Hommes
illustres (lire beaucoup de biographies et y récolter des traits,
des biographèmes, comme il a été fait pour Sade et Fourier).
Un Recueil de Stéréotypes visuels (« Vu un Maghrébin vêtu
de sombre, le Monde sous le bras, et faisant le siège d'une fille
blonde assise dans un café »).Le Livre/la Vie (prendre un livre
classique et tout y rapporter de la vie pendant un an). Incidents
(mini-textes, plis, haïkus, notations, jeux de sens, tout ce qui
tombe, comme une feuille), etc.
Rapport à la psychanalyse
Son rapport à la psychanalyse n'est pas scrupuleux (sans
qu'il puisse pourtant se prévaloir d'aucune contestation,
d'aucun refus). C'est un rapport indécis.
Psychanalyse et psychologie
Pour que la psychanalyse puisse parler, il faut qu'elle
puisse s'emparer d'un discours autre, d'un discours un peu
gauche, qui n'est pas encore psychanalytique. Ce discours
distant, ce discours en arrière- embarrassé de culture ancienne
et rhétorique -, c'est ici, par plaques, le discours psycho-
logique. Ce serait en somme la fonction de la psychologie que
de se tendre comme un bon objet à la psychanalyse.
(Complaisance à l'égard de qui a barre sur vous; j'avais
ainsi au lycée Louis-le-Grand un professeur d'histoire qui,
ayant besoin d'être chahuté, comme d'une drogue quoti-
dienne, tendait obstinément aux élèves mille occasions de
charivari : bourdes, naïvetés, mots à double sens, postures
ambiguës, et jusqu'à la tristesse dont il marquait toutes ces
conduites secrètement provocantes ; ce qu'ayant vite compris,
les élèves s'abstenaient, certains jours, sadiquement, de le
chahuter.)
153
<< Qu'est-ce que ça veut dire?»
Passion constante (et illusoire) d'apposer sur tout fait,
même le plus menu, non pas la question de l'enfant : pour-
quoi? mais la question de l'ancien Grec, la question du sens,
comme si toutes choses frissonnaient de sens : qu'est-ce que
ça veut dire? Il faut à tout prix transformer le fait en idée, en
description, en interprétation, bref lui trouver un autre nom
que le sien. Cette manie ne fait pas acception de futilité : par
exemple, si je constate - et je m'empresse de le constater -
qu'à la campagne j'aime à pisser dans le jardin et non ailleurs,
je veux aussitôt savoir ce que cela signifie. Cette rage de faire
signifier les faits les plus simples marque socialement le
sujet comme d'un vice : il ne faut pas décrocher la chaîne des
noms, il ne faut pas déchaîner le langage : l'excès de nomina-
tion est toujours ridiculisé (M. Jourdain, Bouvard et
Pécuchet).
(Ici même, sauf dans les Anamnèses, dont c'est précisément
le prix, on ne rapporte rien sans le faire signifier; on n'ose pas
laisser le fait dans un état d'in-signifiance; c'est le mouve-
ment de la fable, qui tire de tout fragment de réel une leçon,
un sens. Un livre inverse peut être conçu : qui rapporterait
mille " incidents », en s'interdisant d'en jamais tirer une ligne
de sens; ce serait très exactement un livre de haïkus.)
Quel raisonnement?
Le Japon est une valeur positive, le babil une valeur néga-
tive. Or les Japonais babillent. Qu'à cela ne tienne : il
suffira de dire que ce babil-là n'est pas négatif(« c'est tout le
corps ... qui entretient avec vous une sorte de babil auquel
la parfaite domination des codes ôte tout caractère régressif,
infantile », EpS, 20). R.B. fait exactement ce qu'il dit que
Michelet fait : " Il existe bien un certain type de causalité
micheletiste, mais cette causalité-là reste prudemment relé-
guée dans les régions improbables de la moralité. Ce sont
des " nécessités " d'ordre moral, des postulats tout psycholo-
giques... : il faut que la Grèce n'ait pas été homosexuelle,
puisqu'elle est toute lumière, etc. » (Mi, 33.) Il faut que le
babil japonais ne soit pas régressif, puisque les Japonais
sont aimables.
154
Le " raisonnement » est fait en somme d'un enchaînement
de métaphores : il prend un phénomène (la connotation, la
lettre Z), et il lui fait subir une avalanche de points de vue;
ce qui tient lieu d'argumentation, c'est le dépliement d'une
image : Michelet " mange » l'Histoire ; donc il la " broute »;
donc il " marche » en elle, etc : tout ce qui arrive à un animal
paissant sera ainsi appliqué à Michelet : l'application méta-
phorique tiendra le rôle d'une explication.
La récession
Dans tout ceci il y a des risques de récession : le sujet
parle de lui (risque de psychologisme, risque d'infatuation),
il énonce par fragments (risque d'aphorisme, risque
d'arrogance).
Le réflexe structural
Comme le sportif se réjouit de ses bons réflexes, le sémio-
logue aime à pouvoir saisir vivement le fonctionnement d'un
paradigme. Lisant le Moise de Freud, il se réjouit de
surprendre le pur déclic du sens ; la jouissance est d'autant
plus forte que c'est ici l'opposition de deux simples lettres
qui conduit, de proche en proche, l'opposition de deux reli-
gions : Amon/Aton :toute l'histoire du judaïsme dans le pas-·
sage du " rn » au " t ».
(Le réflexe structural consiste à reculer le plus longtemps
possible la pure différence jusqu'au bout d'un tronc commun :
que le sens éclate, pur et sec, in extremis; que la victoire du
sens soit acquise de justesse, comme dans un bon " thrilling ».)
Le règne et le triomphe
Dans le pandémonium des discours sociaux, des grands
sociolectes, distinguons deux variétés d'arrogances, deux
modes monstrueux de domination rhétorique : le Règne et le
Triomphe. La Doxa n'est pas triomphaliste; elle se contente
de régner; elle diffuse, elle empoisse; c'est une dominance
légale, naturelle; c'est un nappé général, épandu avec la
bénédiction du Pouvoir; c'est un Discours universel, un
mode de jactance qui est déjà tapi dans le seul fait de "tenir »
un discours (sur quelque chose) : d'où l'affinité de nature
entre le discours endoxal et la radiophonie : à la mort de
Pompidou, pendant trois jours, ça a coulé, ça a diffusé. Au con-
traire, le langage militant, révolutionnaire ou religieux (du
temps où la religion militait) est un langage triomphant :
chaque acte du discours est un triomphe à l'antique : on fait
défiler les vainqueurs et les ennemis défaits. On pourrait
mesurer le mode d'assurance des régimes politiques et pré-
ciser leur évolution selon qu'ils sont (encore) dans le
Triomphe, ou (déjà) dans le Règne. Il faudrait étudier, par
exemple, comment, à quel rythme, selon quelles figures,
le triomphalisme révolutionnaire de 1793 s'est peu à peu
assagi, diffusé, comment il a " pris », est passé à l'état de
Règne (de la parole bourgeoise).
157
EPREUVES ECRITES
COMPOSITION FRANÇAISE"
Duoto,6....,_
Les candidates ont été placées cette année devant un. texte long de Roland BARTHES. On leur
demandait : - d'abord de 1 'analyser pour en dégager les idées de Roland Barthes sur le style,
- puis d •apprécier librement cette conception.
un grand nombre d'entre elles ayant paru déroutées par l'analyse, nous insisterons sur cet
exercice. Nous indiquerons ensuite les principales directions dans lesquelles pouvait s'engager
la discussion.
1 - L'ANALYSE
L'analyse suppose d'abord une lecture attentive du passage proposé. Or beaucoup de copies
révèlent des faiblesses sur ce point. Rappelons donc quelques règles essentielles sur la mulière
de 1 ire un texte.
Puisqu • il ne peut s •aa:ir ici d'une lecture eXJ)re~sive à voix haute, on conseillerait volon-
tiers une lecture annotée, qui n'hésite pas à souligner les mots i'!lportants. les liaisons indis-
pensables, qui mette en évidence les parallélismes ou les reprises d'expression, bref qui dégage
par des moyens matériels la structure du texte. Cette première lecture n'a pour objet que de pré-
parer l'analyse qui doit être elle-même élaborée à partir des éléments retenus.
Récupération.
Le retentissement
Tout mot qui le concerne retentit en lui à l'extrême, et
c'est ce retentissement qu'il redoute, au point de fuir peureu-
sement tout discours qui pourrait être tenu à son sujet. La
parole des autres, complimenteuse ou non, est marquée à la
source du retentissement qu'elle risque d'avoir. Lui seul,
parce qu'il en connaît le point de départ, peut mesurer l'ef-
fort qui lui est nécessaire pour lire un texte s'il parle de lui.
Le lien au monde est ainsi toujours conquis à partir d'une
peur.
Réussi/raté
A se relire, il croit repérer dans la texture même de chaque
écrit un singulier clivage : celui de réussi/raté : par bouffées,
des bonheurs d'expression, des plages heureuses, puis des
marais, des scories, qu'il a même commencé d'inventorier.
Quoi, aucun livre continûment réussi? - Sans doute le livre
sur le Japon. A la sexualité heureuse a correspondu tout
naturellement le bonheur continu, effusif, jubilatoire, de
l'écriture : dans ce qu'il écrit, chacun défend sa sexualité.
Une troisième catégorie est possible : ni réussi, ni raté :
honteux : marqué, fleurdelisé d'imaginaire.
Que ça se sache
Tout énoncé d'écrivain (même des plus farouches) comporte
un opérateur secret, un mot inexprimé, quelque chose comme
le morphème silencieux d'une catégorie aussi primitive que la
négation ou l'interrogation, dont le sens serait : '' et que ça
se sache ! » Ce message frappe les phrases de quiconque
écrit; il y a en chacune d'elles un air, un bruit, une tension
musculaire, laryngale, qui fait penser aux trois coups du
théâtre ou au gong de Rank. Même Artaud, le dieu hété-
rologique, dit de ce qu'il écrit : que ça se sache !
Exercice scolaire
1. Pourquoi l'auteur mentionne-t-illa date de cet épisode?
2. En quoi le lieu justifie-t-il de "rêver , et de" s'ennuyer,?
3· En quoi la philosophie évoquée par l'auteur pourrait-
elle être " coupable , ?
4· Expliquez la métaphore " un tissu "·
5· Citez des philosophies auxquelles peut s'opposer le
" préférentialisme "·
6. Sens des mots " révolution ,, " système ,, " imaginaire ,,
" inclination "·
7· Pourquoi l'auteur souligne-t-il certains mots ou certaines
expressions ?
8. Caractérisez le style de l'auteur.
Le savoir et l'écriture
Travaillant à quelque texte qui est bien en train, il aime
avoir à chercher des compléments, des précisions, dans des
livres de savoir; s'il le pouvait, il aurait une bibliothèque
exemplaire d'usuels (dictionnaires, encyclopédies, manuels,
etc.) : que le savoir soit en cercle autour de moi, à ma dispo-
sition; que je n'aie qu'à le consulter - et non à l'ingérer; que
le savoir soit tenu à sa place comme un complément d'écriture.
La valeur et le savoir
(A propos de Bataille :) " En somme, le savoir est retenu
comme puissance, mais il est combattu comme ennui ; la
161
valeur n'est pas ce qui méprise, relativise ou rejette le savoir,
mais ce qui le désennuie, ce qui en repose; elle ne s'oppose
pas au savoir selon une perspective polémique, mais selon
un sens structural; il y a alternance du savoir et de la valeur,
repos de l'un par l'autre, selon une sorte de rythme amoureux.
Et voilà en somme ce qu'est l'écriture de l'essai (nous parlons
de Bataille) :le rythme amoureux de la science et de la valeur:
hétérologie, jouissance. » (ST, 54.)
La scène
Il a toujours vu dans la" scène» (ménagère) une expérience
pure de la violence, au point que, où qu'il l'entende, elle lui
fait toujours peur, comme à un gosse paniqué par les disputes
de ses parents (il la fuit toujours, sans vergogne). Si la scène
a un retentissement si grave, c'est qu'elle montre à nu le
cancer du langage. Le langage est impuissant à fermer le
langage, c'est ce que dit la scène : les répliques s'engendrent,
sans conclusion possible, sinon celle du meurtre; et c'est
parce que la scène est tout entière tendue vers cette dernière
violence, qu'elle n'assume cependant jamais (du moins entre
gens " civilisés »), qu'elle est une violence essentielle, une
violence qui jouit de s'entretenir : terrible et ridicule, à la
manière d'un homéostat de science-fiction.
(En passant au théâtre, la scène s'y domestique : le théâtre
la mate, en lui imposant de finir : un arrêt du langage est la
plus grande violence qu'on puisse faire à la violence du
langage.)
La science dramatisée
Il suspectait la Science et lui reprochait son adiaphorie
(terme nietzschéen), son in-différence, les savants faisant de
cette indifférence une Loi dont ils se constituaient les pro-
cureurs. La condamnation tombait cependant, chaque fois
qu'il était possible de dramatiser la Science (de lui rendre un
pouvoir de différence, un effet textuel) ; il aimait les savants
chez lesquels il pouvait déceler un trouble, un tremblement,
une manie, un délire, une inflexion; il avait beaucoup profité
du Cours de Saussure, mais Saussure lui était infiniment plus
précieux depuis qu'il connaissait la folle écoute des Ana-
grammes ; chez beaucoup de savants il pressentait ainsi quelque
faille heureuse, mais la plupart du temps, ils n'osaient aller
jusqu'à en faire une œuvre : leur énonciation restait coincée,
guindée, indifférente.
Je vois le langage
J'ai une maladie : je vois le langage. Ce que je devrais sim-
plement écouter, une drôle de pulsion, perverse en ce que
le désir s'y trompe d'objet, me le révèle comme une " vision ,,
analogue (toutes proportions gardées!) à celle que Scipion
eut en songe des sphères musicales du monde. A la scène
primitive, où j'écoute sans voir, succède une scène perverse,
où j'imagine voir ce que j'écoute. L'écoute dérive en scopie :
du langage, je me sens visionnaire et voyeur.
Sed contra
Très souvent, il part du stéréotype, de l'opinion banale
qui est en lui. Et c'est parce qu'il n'en veut pas (par réflexe
esthétique ou individualiste) qu'il cherche autre chose; habi-
tuellement, vite fatigué, il s'arrête à la simple opinion contraire,
au paradoxe, à ce qui dénie mécaniquement le préjugé (par
exemple: " Il n'y a de science que du particulier»). Il entre-
tient en somme avec le stéréotype des rapports de contrage,
des rapports familiaux.
L'idée aventureuse.
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"' /'_ -.d.«.;G 7
-- ~~, ~- ':t·M-;4 '. f4
~
C'est une sorte de « déport » (de « sport ») intellectuel : il
se porte systématiquement là où il y a solidification du lan-
gage, consistance, stéréotypie. Telle une cuisinière vigilante,
il s'affaire, veille à ce que le langage ne s'épaississe pas, à ce
qu'il n'attache pas. Ce mouvement, qui est de pure forme,
rend compte des progrès et des régrès de l'œuvre : c'est une
pure tactique langagière, qui se déploie en l'air, hors de tout
horizon stratégique. Le risque, c'est que le stéréotype se
déplaçant, historiquement, politiquement, il faut bien le
suivre, où qu'il aille :que faire, si le stéréotype passait à gauche?
Le sexy
Différent de la sexualité seconde, le sexy d'un corps (qui
n'est pas sa beauté) tient à ce qu'il soit possible de marquer
(de fantasmer) en lui la pratique amoureuse à laquelle on le
soumet en pensée (j'ai l'idée de celle-ci précisément, et non
de telle autre). De même, distinguées dans le texte, on dirait
qu'il y a des phrases sexy : des phrases troublantes par leur
isolement même, comme si elles détenaient la promesse qui
nous est faite à nous, lecteurs, d'une pratique langagière,
comme si nous allions les chercher en vertu d'une jouissance
qui sait ce qu'elle veut.
La division sociale
Les divisions du rapport social existent bien, elles sont
réelles, il ne le nie pas et écoute avec confiance tous ceux (fort
nombreux) qui en parlent; mais à ses yeux, et parce que sans
doute il fétichise quelque peu le langage, ces divisions réelles
s'absorbent dans leur forme interlocutive : c'est l'interlo-
cution qui est divisée, aliénée : il vit ainsi tout le rapport
social en termes de langage.
Moi, je
Un étudiant américain (ou positiviste, ou contestataire : je
ne puis démêler) identifie, comme si cela allait de soi, subjec-
tivité et narcissisme; il pense sans doute que la subjectivité
consiste à parler de soi, et à en dire du bien. C'est qu'il f'St
victime d'un vieux couple, d'un vieux paradigme : subjecti-
vité/objectivité. Cependant, aujourd'hui, le sujet se prend
ailleurs, et la " subjectivité " peut revenir à une autre place de
la spirale : déconstruite, désunie, déportée, sans ancrage :
pourquoi ne parlerais-je pas de " moi ,, puisque " moi " n'est
plus "soi "?
La surdétermination
Ahmad Al Tîfâchî (II84-1253), auteur des Délices des
cœurs, décrit ainsi le baiser d'un prostitué : il enfonce et
tourne sa langue dans votre bouche avec obstination. On
prendra ceci pour la démonstration d'une conduite surdéter-
minée; car de cette pratique érotique, apparemment peu
conforme à son statut professionnel, le prostitué d'Al Tîfâchî
tire un triple profit : il montre sa science de l'amour, sauve-
garde l'image de sa virilité et cependant compromet peu
son corps, dont, par cet assaut, il refuse l'intérieur. Où est
le thème principal? C'est un sujet, non pas compliqué (comme
dit avec agacement l'opinion courante), mais composé (comme
aurait dit Fourier).
172
La surdité à son propre langage
Ce qu'il écoutait, ce qu'il ne pouvait s'empêcher d'écouter,
où qu'il fût, c'était la surdité des autres à leur propre langage :
il les entendait ne pas s'entendre. Mais lui-même? N'enten-
dait-il jamais sa propre surdité? Il luttait pour s'entendre,
mais ne produisait dans cet effort qu'une autre scène sonore,
une autre fiction. De là à se confier à l'écriture : n'est-elle pas
ce langage qui a renoncé à produire la dernière réplique, vit et
respire de s'en remettre à l'autre pour que lui vous entende?
La symbolique d'État
J'écris ceci, samedi 6 avril 1974, jour de deuil national à la
mémoire de Pompidou. Toute la journée, à la radio, de la
« bonne musique " (pour mes oreilles) : du Bach, du Mozart,
du Brahms, du Schubert. La " bonne musique " est donc une
musique funèbre : une métonymie officielle unit la mort, la
spiritualité et la musique de classe (les jours de grève, on ne
joue que de la " mauvaise musique "). Ma voisine, qui, d'or-
dinaire, écoute de la musique pop, aujourd'hui ne fait pas
marcher son poste. Nous sommes ainsi tous les deux exclus
de la symbolique d'État : elle parce qu'elle n'en supporte pas
le signifiant (la" bonne musique"), moi parce que je n'en sup-
porte pas le signifié (la mort de Pompidou). Cette double
amputation ne fait-elle pas de la musique ainsi manipulée un
discours oppressif?
Le texte symptomal
Comment dois-je faire pour que chacun de ces fragments
ne soit jamais qu'un symptôme? - C'est facile : laissez-vous
aller, régressez.
Système/systématique
Le propre du réel ne serait-il pas d'être immaîtrisable? Et
le propre du système ne serait-il pas de le maîtriser? Que peut
174
donc faire, face au réel, celui qui refuse la maîtrise? Éconduire
le système comme appareil, accepter le systématique comme
écriture (Fourier le fit, SFL, 1 14).
Tactique/stratégie
Le mouvement de son œuvre est tactique : il s'agit de se
déplacer, de barrer, comme aux barres, mais non de conquérir.
Exemples : la notion d'intertexte? Elle n'a au fond aucune
positivité; elle sert à combattre la loi du contexte (I97I, II);
le constat est donné à un certain moment comme une valeur,
mais ce n'est nullement par exaltation de l'objectivité, c'est
pour faire barrage contre l'expressivité de l'art bourgeois;
l'ambiguïté de l'œuvre (CV, 55) ne vient nullement du New
Criticism et ne l'intéresse pas en soi; ce n'est qu'une petite
machine de guerre contre la loi philologique, la tyrannie uni-
versitaire du sens droit. Cette œuvre se définirait donc comme :
une tactique sans stratégie.
Plus tard
II a cette manie de donner des " introductions », des
" esquisses », des " éléments », en remettant à plus tard le
" vrai >>livre. Cette manie a un nom rhétorique : c'est la pro-
lepse (bien étudiée par Genette).
Voici quelques-uns de ces livres annoncés : une Histoire
de l'Écriture (DZ, 22), une Histoire de la Rhétorique (I970,
II), une Histoire de l'Étymologie ( I 9 7 3), une Stylistique
nouvelle (S/Z, 107), une Esthétique du Plaisir textuel (PIT,
104), une nouvelle science linguistique (PIT, 104), une Lin-
guistique de la Valeur (ST, 61), un inventaire des discours
d'amour (S/Z, 182), une fiction fondée sur l'idée d'un Robin-
son urbain (I97I, r), une somme sur la petite-bourgeoisie
(I97I, II), un livre sur la France, intitulé- à la manière de
Michelet- Notre France (I97I, II), etc.
Ces annonces, visant la plupart du temps un livre som-
matif, démesuré, parodique du grand monument de savoir, ne
peuvent être que de simples actes de discours (ce sont bien
des prolepses) ; elles appartiennent à la catégorie du dilatoire.
Mais le dilatoire, dénégation du réel (du réalisable), n'en est
175
pas moins vivant : ces projets vivent, ils ne sont jamais aban-
donnés ; suspendus, ils peuvent reprendre vie à tout instant;
ou tout au moins, tels la trace persistante d'une obsession, ils
s'accomplissent, partiellement, indirectement, comme gestes,
à travers des thèmes, des fragments, des articles : l'Histoire
de l'Écriture (postulée en 1953) engendre vingt ans plus tard
l'idée d'un séminaire sur une histoire du discours français ;
la Linguistique de la Valeur oriente, de son lointain, ce livre-
ci. La montagne accouche d'une souris? Il faut retourner positi-
vement ce proverbe dédaigneux : la montagne n'est pas de
trop pour faire une souris.
Tel Quel
Ses amis de Tel Quel : leur originalité, leur vérité (outre
l'énergie intellectuelle, le génie d'écriture) tiennent à ce qu'ils
acceptent de parler un langage commun, général, incorporel,
à savoir le langage politique, cependant que chacun d'eux le
parle avec son propre corps. - Eh bien, pourquoi n'en faites-
vous pas autant? - C'est précisément, sans doute, que je n'ai
pas le même corps qu'eux; mon corps ne peut se faire à la
généralité, à la puissance de généralité qui est dans le langage.
- N'est-ce pas là une vue individualiste? Ne la trouve-t-on
177
pas chez un chrétien - antihégélien notoire - tel que Kierke-
gaard?
Terre promise
Il avait le regret de ne pouvoir embrasser à la fois toutes les
avant-gardes, atteindre toutes les marges, d'être limité, en
retrait, trop sage, etc ; et son regret ne pouvait s'éclairer d'au-
cune analyse sûre : à quoi résistait-il au juste? Qu'est-ce qu'il
refusait (ou plus superficiellement encore : qu'est-ce qu'il
boudait) ici ou là? Un style? Une arrogance? Une violence?
Une imbécillité?
Ma tête s'embrouille
Sur tel travail, sur tel sujet (ordinairement ceux dont on
fait des dissertations), sur tel jour de la vie, il voudrait pouvoir
mettre comme devise ce mot de commère : ma tête s'em-
brouille (imaginons une langue où le jeu des catégories gram-
maticales obligerait parfois le sujet à s'énoncer sous les espèces
d'une vieille femme).
Le théâtre
Au carrefour de toute l'œuvre, peut-être le Théâtre : il n'y
a aucun de ses textes, en fait, qui ne traite d'un certain
théâtre, et le spectacle est la catégorie universelle sous les
espèces de laquelle le monde est vu. Le théâtre tient à tous les
thèmes apparemment spéciaux qui passent et reviennent dans
179
ce qu'il écrit : la connotation, l'hystérie, la fiction, l'imagi-
naire, la scène, la vénusté, le tableau, l'Orient, la violence,
l'idéologie (que Bacon appelait un "fantôme de théâtre »). Ce
qui l'a attiré, c'est moins le signe que le signal, l'affiche : la
science qu'il désirait, ce n'était pas une sémiologie, c'était une
signalétique.
Le thème
La critique thématique a pris, ces dernières années, un coup
de discrédit. Pourtant, il ne faut pas lâcher cette idée critique
trop tôt. Le thème est une notion utile pour désigner ce lieu
du discours où le corps s'avance sous sa propre responsabilité,
180
et par là même déjoue le signe : le " rugueux ,, par exemple,
n'est ni signifiant ni signifié, ou tous les deux à la fois : il fixe
ici et en même temps renvoie plus loin. Pour faire du thème
un concept structural, il suffirait d'un léger délire étymo-
logique : comme les unités structurales sont ici et là des " mor-
phèmes ,, des " phonèmes ,, des " monèmes ,, des " gus-
tèmes ,, des " vestèmes ,, des " érotèmes ,, des " biogra-
phèmes ,, etc., imaginons, selon la même consonance, que le
« thème " est l'unité structurale de la thèse (le discours idéel) :
ce qui est posé, découpé, avancé par l'énonciation et reste
comme la disponibilité du sens (avant d'en être, parfois, le
fossile).
La maxime
Il rôde dans ce livre un ton d'aphorisme (nous, on, tou-
jours). Or la maxime est compromise dans une idée essentia-
liste de la nature humaine, elle est liée à l'idéologie classique :
c'est la plus arrogante (souvent la plus bête) des formes de
langage. Pourquoi donc ne pas la rejeter? La raison en est,
comme toujours, émotive : j'écris des maximes (ou j'en
esquisse le mouvement) pour me rassurer : lorsqu'un trouble
survient, je l'atténue en m'en remettant à une fixité qui me
dépasse:" au fond, c'est toujours comme ça": et la maxime est
née. La maxime est une sorte de phrase-nom, et nommer, c'est
apaiser. Ceci est au reste encore une maxime : elle atténue ma
peur de paraître déplacé en écrivant des maximes.
181
(Téléphone de X. : me raconte ses vacances, mais ne m'in-
terroge nullement sur les miennes, comme si je n'avais pas
bougé de place depuis deux mois. Je n'y vois aucune indif-
férence ; plutôt la démonstration d'une défense : là où je
n'étais pas, le monde est resté immobile : grande sécurité. C'est
de cette façon que l'immobilité de la maxime rassure les
organisations affolées.)
Le monstre de la totalité
" Qu'on imagine (s'il est possible) une femme couverte d'un
vêtement sans fin, lui-même tissé de tout ce que dit le journal
de Mode ... " (SM, 53). Cette imagination, apparemment
méthodique, puisqu'elle ne fait que mettre en œuvre une
notion opératoire de l'analyse sémantique (« le texte sans
fin ,), vise en douce à dénoncer le monstre de la Totalité (la
Totalité comme monstre). La Totalité tout à la fois fait rire
et fait peur : comme la violence, ne serait-elle pas toujours
grotesque (et récupérable alors seulement dans une esthétique
du Carnaval)?
Écrire le corps.
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Biographie*
26 oct. 1916 Mort de Louis Barthes, dans un combat naval, en mer du Nord.
1934-1935 En cure libre dans les Pyrénées, à Bedous, dans la vallée d'Aspe.
* Une biographie détaillée est donnée dans • Réponses •, Tel Quel, 47, 1971.
1949·1950 Lecteur à l'université d'Alexandrie (Égypte).
I9SO·I9SZ A la Direction générale des Relations culturelles, service de l'En-
seignement.
I95Z•I9S4 Stagiaire de recherches au C.N.R.S. (lexicologie).
1954•1955 Conseiller littéraire aux éditions de l'Arche.
I9SS·I9S9 Attaché de recherches au C.N.R.S. (sociologie).
1960•1962 Chef de travaux à la vi• section de l'École pratique des Hautes Études,
Sciences économiques et sociales.
Directeur d'études â l'École pratique des Hautes Études ( • Sociologie
des signes, symboles et représentations » ).
1976 Professeur au Collège de France (chaire de Sémiologie littéraire).
Bibliographie 1942-1974
LIVRES
Le Degré zéro de l'écriture, Paris, Éd. du Seuil, a Pierres vives », 1953. - En livre de
poche, avec les Éléments de sémiologie, Paris, Gonthier, "Médiations », 1965; avec
les Nouveaux essais critiques, Paris, Éd. du Seuil, a Points •, 1972. - Traductions
en allemand, italien, suédois, anglais, espagnol, tchèque, néerlandais, japonais,
portugais, catalan.
Michelet par lui-même, Paris, Éd. du Seuil, • Écrivains de toujours o, 1954.
Mythologies, Paris, Éd. du Seuil, u Pierres vives •, 1957. - En livre de poche, Paris,
Éd. du Seuil, u Points », 1970, avec un avant-propos nouveau. - Traductions en
italien, allemand, polonais, anglais, portugais.
Sur Racine, Paris, Éd. du Seuil, a Pierres vives », 1963. - Traductions en anglais,
italien, roumain.
Essais critiques, Paris, Éd. du Seuil, « Tel Quel '• 1964. 6° édition avec un avant-
propos nouveau. Traductions en italien, suédois, espagnol, allemand, serbe, japo-
nais, anglais.
Éléments de sémiologie, en livre de poche avec le Degré zéro de l'écriture, Paris, Gonthier,
1965. - Traductions en italien, anglais, tchèque, néerlandais, espagnol, portugais.
Critique et Vérité, Paris, Éd. du Seuil, u Tel Quel •, 1966. - Traductions en italien,
allemand, catalan, portugais, espagnol.
Système de la Mode, Paris, Éd. du Seuil, 1967. - Traduction en italien.
S/Z, Paris, Éd. du Seuil, • Tel Quel •, 1970. -Traductions en italien, japonais, anglais.
L'Empire des signes, Genève, Skira, « Sentiers de la création n, 1970.
Sade, Fourier, Loyola, Paris, Éd. du Seuil, • Tel Quel •, 1971.- Traduction en allemand.
La Retorica antiqua, Milan, Bompiani, 1973 (version française dans : Communicau·ons,
16, 1970).
Nouveaux essais critiques, en livre de poche avec le Degré zéro de l'écn"ture, Paris,
Éd. du Seuil, • Points •, 1972.
Le Plaisir du Texte, Paris, Éd. du Seuil, • Tel Quel •, 1973. -Traduction en allemand.
* II s'agit d'un choix. On peut trouver une bibliographie complète des articles,
arrêtée à la fin de 1973, dans : Stephen Heath, Vertige du déplacement, lecture de
Barthes, Fayard, • Digraphe •, 1974·
186
" Le troisième sens, notes de recherche sur quelques photogrammes de S.M.
Eisenstein 11, Cahiers du Cinéma, 222.
" L'ancienne Rhétorique, aide-mémoire », Communications, 16.
1971 « Style and its image ))' in Literary Style: a symposium, éd. S. Chatman, Londres
et New York, Oxford University Press, 1971.
cc Digressions 11, Promesses, 29.
' f
188
Résumé: 62. Surdétermination : so, 172.
Rhétorique : 99. Symbolique : 62, 1 s6.
Rite: 69. Sympathie : 140.
Roman: 124.
Romanesque : 94· Tableau (noir) : 49·
Ton (d'aphorisme) : 181.
Scopie : 164. Topique : 68, 69.
Sémiologie : 163. Transgression : 70.
Sentimentalité : 70. Transparence : 141.
Sexualité : 159, 166 s. Travail (du mot) : uS.
Sexy: 167.
Sidération : 126, 127. Viril (/non viril) : 136, 137.
Signalétique : 180. Virilité (protestation) : 107.
Signature : 6o, 169. Vision : 94, 164.
Signe : 135· Voix : 72, 152.
Spirale : 73, 92. Vol (de langage) : 95, 142, 170.
Sujet (sans référent) : 62. Vulgarité : 92, 130.
Textes cités
LIVRES
1942 " Notes sur André Gide 1968, II « La peinture est-elle un lan-
et son Journal '' gage? »
1944 «En Grèce'' 1969 11 Un cas de critique culturelle»
1953 11 Pouvoirs de la tragédie antique '' 1970, 1 (( L'esprit et la lettre ))
1954 « Pré-romans » 1970, II « L'ancienne rhétorique ''
1956 « Aujourd'hui' ou les Coréens» 1971, I « Digressions »
1962 « A propos de deux ouvrages 1971, Il «Réponses»
de Cl. Lévi-Strauss ' 1973 « Aujourd'hui, Michelet ,,
1968, 1 « La mort de l'auteur • 1974 « Premier texte ))
-~
... ou le signifiant sans signifié.
Illustrations·
Table
IMAGES : 5·
FRAGMENTS : 47·
Actif/réactif: 47· - L'adjectif: 47· -L'aise: 48. -Le démon de l'analogie: 48. -Au
tableau noir : 49· - L'argent : 49· - Le vaisseau Argo : so. - L'arrogance : 51. - Le
geste de l'aruspice : 52. - L'assentiment, non Je choix : 52. - Vérité et assertion : 52. -
L'atopie : 53· - L'autonymie : 53·
La baladeuse : 54· - Quand je jouais aux barres : 54· - Noms propres : ss. -De la
bêtise, je n'ai Je droit ... : ss. - L'amour d'une idée : 56. - La jeune fille bourgeoise :
s6.- L'amateur: 56.- Reproche de Brecht à R.B.: 57·
Le chantage à la théorie: 58.- Charlot: s8.- Le plein du cinéma: 59·- Clausules: 59· -
La coïncidence : 6o. - Comparaison est raison : 62. - Vérité et consistance : 63 . . .
Contemporain de quoi? : 63. -Éloge ambigu du contrat : 63. - Le contretemps : 64. -
Mon corps n'existe ... : 64.- Le corps pluriel: 65.- La côtelette: 65.- La courbe folle
de l'imago : 66. - Couples de mots-valeurs : 66. - La double crudité : 67.
Décomposer/détruire : 67. - La déesse H. : 68. - Les amis : 68. - La relation privi-
légiée : 69. - Transgression de la transgression : 70. - Le second degré et les autres : 70. -
La dénotation comme vérité du langage : 71. - Sa voix : 72. - Détacher : 72. - Dialec-
tiques : 73· -Pluriel, différence, conflit : 73. - Le goût de la division: 74· - Au piano,
Je doigté ... : 74·- Le mauvais objet: 75·- Doxa/paradoxa: 75· -La Papillonne: 76.-
Amphibologies : 76.
En écharpe: 77·- La chambre d'échos: 78.- L'écriture commence par Je style: 8o.-
A quoi sert l'utopie : Bo. - L'écrivain comme fantasme : 8 I. - Nouveau sujet, nouvelle
science : 82. - Est-ce toi, chère Élise ... : 82. - L'ellipse : 83. -L'emblème, Je gag : 83. -
Une société d'émetteurs : 84.- Emploi du temps : 84. -Le privé: 85.- En fait ... : 86. -
Éros et Je théâtre: 86.- Le discours esthétique: 87.- La tentation ethnologique: 87.-
Étymologies : 88. - Violence, évidence, nature : 88. - L'exclusion : 88. - Céline et
Flora : 89. - L'exemption de sens : 90.
Le fantasme, pas Je rêve : 90. - Un fantasme vulgaire : 92. - Le retour comme farce : 92.
- La fatigue et la fraîcheur : 92. - La fiction : 94· - La double figure : 94· - L'amour,
la folie: 94·- Forgeries: 95·- Fourier ou Flaubert?: 96.- Le cercle des fragments:
96. - Le fragment comme illusion : 99· - Du fragment au journal : 99· - La fraisette :
99· - Français : 100. - Fautes de frappe : 100. - Le frisson du sens : 101.
L'induction galopante : 102. - Gaucher : 102. - Les gestes de l'idée : 103. - Abgrund :
103. - Le goût des algorithmes : 104.
Et si je n'avais pas lu ... : 104. - Hétéroiogie et violence : 106. - L'imaginaire de la
solitude : 106. - Hypocrisie? : 106.
L'idée comme jouissance : 107. - Les idées méconnues : 107. - La phrase : 108. -
Idéologie et esthétique : 108. - L'imaginaire : 109. - Le dandy : 110. - Qu'est-ce que
l'influence? : 1 xo. - L'instrument subtil : II 1.
Pause : anamnèses : 1 1 1.
Bête? : 114. - La machine de J'écriture : I 14.
191
A jeun : II4 .- Lettre de Jilali : ns. - Le paradoxe comme jouissance : II6. - Le dis-
cours jubilatoire: 116.- Comblement: 118.- Le travail du mot: II8.
La peur du langage : 118. - La langue maternelle : 119. - Le lexique impur : 120. -
J'aime, ;e n'aime pas: 120. -Structure et liberté: 121.- L'acceptable: 121.- Lisible,
scriptible et au-delà : I22. - La littérature comme mathésis : I22. - Le livre du moi :
I23. -La loquèle : I24. - Lucidité : I24.
Le mariage : 125. -Un souvenir d'enfance : 125. -Au petit matin : 125. -Méduse :
126. -Abou Nowas et la métaphore : I27. - Les allégories linguistiques : I27. -Mi-
graines : 128. - Le démodé : I29. - La mollesse des grands mots : I29. - Le mollet
de la danseuse: I30.- Politique/morale: I30.- Mot-mode: I3I.- Mot-valeur: I3I.-
Mot-couleur: I33·- Mot-mana: I33· - Le mot transitionnel: I33· -Le mot moyen:
I34·
Le naturel: I34·- Neuf/nouveau: I3S·- Le neutre: I3S· -Actif/passif: I36.- L'accom-
modation: I37·- Le numen: I38.
Passage des objets dans le discours : I38. - Odeurs : I39· - De l'écriture à l'œuvre :
I39· - • On le sait • : I40. - Opacité et transparence : I4I. - L'antithèse : I42. - La
défection des origines : I42. - Oscillation de la valeur : I42.
Paradoxa : I43· - Le léger moteur de la paranoïa : I43· -Parler/embrasser : I44· -
Les corps qui passent: I44·- Le jeu, le pastiche: I4S·- Patch-work: I4S·- La couleur:
I46. - La personne divisée? : I46. -Partitif: I47· -Bataille, la peur : I47· -Phases :
I48. - Effet bienfaisant d'une phrase : ISO. - Le texte politique: ISO .- L'alphabet:
ISO.- L'ordre dont je ne me souviens plus: ISI.- L'œuvre comme polygraphie: ISI.-
Le langage-prêtre : IS2. - Le discours prévisible : IS2. - Projets de livres : IS2. -
Rapport à la psychanalyse : IS3· - Psychanalyse et psychologie : IS3·
« Qu'est-ce que ça veut dire ? » : 154-
Quel raisonnement? : IS4· - La récession : ISS· -Le réflexe structural : IS6. -Le
règne et le triomphe : IS6. - Abolition du règne des valeurs : IS7· - Qu'est-ce qui
limite la représentation? : IS7· - Le retentissement : IS9· - Réussi/raté : IS9· - Du
choix d'un vêtement : IS9· - Le rythme : I6o.
Que ça se sache : I6o. - Entre Salamanque et Valladolid : I6o. - Exercice scolaire :
161. - Le savoir et l'écriture : x6x. - La valeur et le savoir : 161. - La scène : 162. -
La science dramatisée: I63.- Je vois le langage: I64.- Sed contra: I64.- La seiche
et son encre : I66. -Projet d'un livre sur la sexualité : I66. - Le sexy : I67. - Fin
heureuse de la sexualité? : I67. - Le shifter comme utopie : I68. - Dans la signifi-
cation, trois choses : I69. - Une philosophie simpliste : I69. - Singe entre les singes :
I70. - La division sociale : I70. - Moi, je : I70. - Un mauvais sujet politique : I72. -
La surdétermination: I72. -La surdité à son propre langage: I74· - La symbolique
d'État : I74· - Le texte symptomal : I74·- Système/systématique: I74· -Tactique/
stratégie: I7S·
Plus tard: I7S· -Tel Quel: I77.- Le temps qu'il fait: I78. -Terre promise: I78. -
Ma tête s'embrouille : I79· - Le théâtre : I79· - Le thème : I8o. - Conversion de la
valeur en théorie: I8I.- La maxime: I8I.- Le monstre de la totalité: I82.
BIOGRAPHIE : 184.
REPÈRES : 188.
ILLUSTRATIONS : 190.