Récits Postmodernes?: Ginette Michaud
Récits Postmodernes?: Ginette Michaud
Récits Postmodernes?: Ginette Michaud
Études françaises
Récits postmodernes?
Ginette Michaud
Jacques Poulin
URI : https://id.erudit.org/iderudit/036870ar
DOI : https://doi.org/10.7202/036870ar
Éditeur(s)
Les Presses de l'Université de Montréal
ISSN
0014-2085 (imprimé)
1492-1405 (numérique)
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GINETTE MICHAUD
6 La question du genre est, bien sûr, l'un des enjeux importants du post-
modernisme et Poulin n'est pas sans l'aborder à l'agent des douanes qui lui
demande «What kind of novels?» il écrit (remarquons l'astuce qu'il y a à faire poser
cette question par un représentant de la Loi), il répondra par une non-réponse en
forme de question «C'était la question classique et il n'a\ait jamais réussi à
trouver une réponse satisfaisante Combien y a\ait-il de sortes de romans 3 Dans
quelle catégorie fallait-il mettre les siens? Pour répondre à ces questions, il aurait
d'abord fallu qu'il fût en mesure de dire quel était le sujet principal de ses
romans Or, il en était incapable pour la simple raison que l'écriture était pour
lui non pas un moyen d'expression ou de communication, mais plutôt une forme
d'exploration» (VB, 90) Ailleurs dans Volkswagen Blues, Jack qui cherche un livre
dans le fouillis de sa bibliothèque donnera une autre réponse imperceptiblement
ironique à une question similaire de la Grande Sauterelle « — Quel genre de
livre? demanda la Grande Sauterelle qui était assise dans son coin préféré, sur la
tablette de la fenêtre — Un livre bleu, dit Jack» (VB, 43)
7 Ce ton «naturel», il ne faut pas s'y tromper, est la ruse la plus réussie de
ces textes Comme l'écrit la Grande Sauterelle dans son journal (inédit) dont le
lecteur trouvera en ces pages un extrait, «II avait l'air de dire ça spontanément,
mais on voyait bien qu'il y avait pensé un bout de temps et qu'il avait cherché un
ton naturel pour le dire »
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S'il n'est pas facile de trancher entre ces deux codes parce
que, précisément, c'est leur interpénétration qui est source de
plaisir, on entrevoit ce qu'une lecture détaillée de l'infiniment
petit peut donner lorsque le détail cesse d'être le simple véhicule de
données sociologiques ou lorsque, détotalisé, il ne renvoie plus à
l'ensemble du texte ou au monde comme macrocosme. Dans les
textes de Poulin, le détail force le lecteur à constamment revenir
sur ses opérations de lecture et lui enjoint, entre autres, de
réinterpréter en retour tout le contexte (Poulin affirmera à plu-
sieurs reprises l'importance de la relecture : pas de lecture sans
relecture). Ce n'est donc jamais une perte de temps que d'analyser
en détail des fictions déjà si économes, si sobres et précises. Poulin
n'a de cesse de nous le rappeler, à nous lecteurs trop rapides : il ne
faut pas négliger ou mépriser les petits problèmes techniques15
puisque ce sont eux qui, le plus souvent, sont susceptibles de nous
mener le plus loin. C'est en tout cas ce qui se passe dans deux
autres scènes — celle qui ouvre Volkswagen Blues, celle qui clôt les
Grandes Marées — scènes qui, me semble-t-il, soulèvent encore plus
finement peut-être la question de la lecture de telles fictions
postmodernes.
UNE CARTE POSTALE ILLISIBLE CONTRE UN POT DE
MARMELADE
Rarement roman (surtout québécois!) n'aura mieux
commencé16 que Volkswagen Blues. D'entrée enjeu, on propose ici
au lecteur une énigme à résoudre, les personnages sont eux-mêmes
présentés en leur qualité de lecteurs avertis examinant une carte
postale «vraiment bizarre» : «La carte montrait un paysage
typique de la Gaspésie : un petit village de pêcheurs au creux
d'une anse; le texte qui se trouvait à l'endos était tout à fait illisible
à l'exception de la signature : Ton frère Théo» (VB, 12). Devant ce
15 Du genre sui\ ant «II aurait \ oulu lui dire aussi de ne pas lire trop \ ite,
parce que l'écriture de Gabnelle Roy était très personnelle et que, par exemple, il
était toujours intéressant de regarder à quel endroit dans la phrase elle plaçait ses
adverbes» (VB, 46)
16 Si Poulin a toutes les peines du monde à terminer ses «histoires de
zoua\es» (sur cette question, voir en ces pages l'éclairant article de Gilles
Marcotte), il accorde une importance tout aussi grande aux commencements de
ses fictions et, notamment, aux phrases d'ouverture «Je travaille sur la première
phrase, dit l'Auteur dans les Grandes Marées [ ] Elle contient encore une ou deux
faiblesses, alors je la recommence tous les jours Ça ne donne rien d'aller plus loin
si la première phrase n'est pas parfaite» {GM, 135), «la première phrase, selon lui,
devait toujours être une invitation à laquelle personne ne pouvait résister — une
porte ouverte sur un jardin, le sourire d'une femme dans une ville étrangère»
(VB, 36)
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