Le Porteur D'histoire
Le Porteur D'histoire
Le Porteur D'histoire
Le Porteur d’histoire
Présentation, notes, questions et après-texte établis par
Stéphane Maltère
professeur de Lettres
Sommaire
Présentation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
LE PORTEUR D’HISTOIRE
Texte intégral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Après-texte
Pour comprendre
Présentation
5
XXXXX
Xxxxxxxxxx
6
Alexis Michalik Présentation
Alexis Michalik
Le Porteur d’histoire
PERSONNAGES 10
15
20
25
La prise de la Bastille, 1789.
1. Prologue
Christophe Colomb en Amérique, 1492.
Robespierre, Galilée, Ravaillac.
L’homme. – Nous allons vous raconter une histoire. La guerre de Cent Ans,
Mais auparavant, nous allons nous interroger un instant sur le fait même de raconter La guerre de Crimée,
une histoire, sur l’importance qu’on accorde à un récit, et sur les frontières qui La guerre d’Algérie…
séparent la réalité de la fi ction. D’abord qu’est-ce que l’Histoire ? Avec un grand H ? En Algérie, les Français débarquent en 1830 et repartent en 1962. 132 ans
L’Histoire, c’est notre mémoire commune, notre identité. C’est ce qui d’occupation.
nous défi nit en tant qu’êtres humains. Et pendant 132 ans, les petits Algériens ont appris à l’école « Nos ancêtres les
Pour nous tous, l’Histoire est concrète, écrite, immuable1. Il y a des dates ou des Gaulois… ».
évènements dont on est parfaitement sûr. On les a apprises, à l’école, ou dans un livre, Souvent, presque toujours, le récit du vainqueur est celui qu’on retient. Et dans tout
et on sait, on en mettrait littéralement sa main à couper, que ces dates sont exactes. récit historique, il y a, comme son nom l’indique, une part de récit.
Comme par exemple, Marignan ? 1515.
1. Qui ne change jamais.
10
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 11
Chaque historien, même s’il tâche d’être le plus intègre 1 possible, s’inscrit
60
55
30
5
Alia. – Bonsoir.
L’homme surpris. – Oh ! Bonsoir madame,
c’est absolument incroyable de trouver ça en plein désert, comme ça… (il lui fait
machinalement la bise)
40
15
35
Pardonnez-moi, c’est la première fois que j’en tiens un dans mes mains. Mais c’est… Un héritage de… de… de famille, oui, bien sûr.
c’est un incunable, ça.
Vous avez des origines françaises ?
Alia. – Oui.
Alia. – Qui n’en a pas ?
L’homme. – C’est exactement ce qu’on appelle un incunable, un ouvrage imprimé
L’homme. – … des origines françaises ?
dans le… le premier siècle qui suit l’invention de… 70
60
Oui, bien sûr, votre père… ?
(Jeanne acquiesce en souriant)
85
95
Alia. – Ma mère.
L’homme. – Votre mère…
(Jeanne lui tend un verre d’eau)
Merci…
75
Alia. – Racontez-nous.
L’homme. – Ah non, non, non, c’est trop long…
Alia. – Ah ! mais je vous préviens, on est très mauvais public.
10
C’est pour ça qu’on aime les livres, on les ouvre, on les ferme.
155
20
Mars 1988.
Martin, 32 ans, est dans sa voiture, perdu.
Martin. – Putain.
15
Putain de merde.
L’homme. – Non, non, non…
Cette histoire commence en France, un jour de mars 1988.
5
a un café, vous entrez dans le café, vous demandez au patron, il vous
Putain putain putain de merde !
indiquera !
(il aperçoit la passante, baisse sa vitre)
Madame ! Elle disparaît.
Madame, ici, oh ! Martin. – Non ! Non ! Non, je cherche Linchamps !
Je cherche Linchamps, le village de Linchamps ! Linchamps ! Putain ! Putain ! PUTAAAAIN !
La passante. – Vous cherchez le château ?
Martin. – Quel château ? Je cherche Linchamps !
4. Café de Nouzonville, 1988
La passante. – Le château perdu ?
Martin. – Non, je cherche Linchamps. Linchamps ! Un café.
La passante. – Ah ! Gérard, le patron. Josiane, sa femme.
Alors vous allez prendre tout droit ! Gérard. – On va bientôt fermer.
Au carrefour vous tournez à droite ! T’es perdu ? Tu cherches le château ?
Après vous continuez sur 3 km, vous arrivez à Nouzonville ! Sur la place il y
Martin. – Quel château ?
20
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 21
Gérard. – T’as pas lu le routard ? C’est une légende, un château perdu dans Martin. –
la forêt, habité par une princesse… Région
Martin. – Je cherche Linchamps. parisien
Le village de Linchamps. ne…
Vous
connais
sez
35 Lincha
Gérard. – Un petit café, d’abord ? mps,
10
ou
Martin. – … Ok, un café.
pas ? 40
Josiane s’aff aire au café.
Gérard. – Bien sûr qu’on connaît Linchamps, on est de Nouzonville !
Gérard. – T’es pas du coin, t’es d’où ? 15
Bon !
Quand tu sors du café tu vas à gauche, tu prends la deuxième à droite, tu
sors de Nouzonville et là tu fais première à gauche, première à droite, et tu
vas te retrouver à un carrefour avec une vieille grange qui a cramé, tu verras 50
dernière à Josy, hein Josy les cèpes, elle nous a fait une omelette suc culente,
sur la droite t’as la départementale qui va vers Charleville, toi
tu traverses tu traverses tu traverses, et en bas tu vas arriver sur un pont qui
passe au-dessus d’une – écoute-moi parce que c’est là que tout le monde se
goure, t’arrives à une espèce de vieille fourche merdeuse avec quatre routes,
surtout tu prends celle du milieu et t’y
30
45
20
tu prends pas ça, toi tu prends à gauche et tu vas tout droit sur environ deux
kilomètres, deux kilomètres cinq, trois bornes à tout casser, tu vas voir une
forêt avec des grands chênes, tu peux pas la rater, tu traverses tu traverses, et
là d’ailleurs si t’as le temps tu regarderas sur ta droite, t’as des champignons
gros comme ça, des cèpes, j’en ai ramené la semaine
25
55
vas mollo niveau vitesse parce qu’au kilomètre trois t’as une chicane1 1.
Aménagement d’une voie destiné à ralentir la vitesse des véhicules en créant ou en accentuant une Josiane. – C’est à pièces.
courbe. Martin, au café, téléphone à sa femme, Sylvie.
super vicieuse, et y’a six mois y’a le fi ls de Jeannot, le facteur, qui s’est foutu Sylvie. – Oui allô ?
en l’air…
Martin. – Allô Sylvie c’est moi.
Josiane. – C’est le fi ls d’Éric.
Sylvie. – Mais t’es où là ? Tu percutes que t’es pas allé chercher Justine ? Je
Gérard. – Qu’est-ce que tu dis ? n’en peux plus de toi ! Une fois, je te demande un truc ! Une fois, je te
Josiane. – C’est le fi ls d’Éric. demande d’assurer, t’en es même pas capable ! Je n’en peux plus, j’en ai
Gérard. – Mais non, y’a six mois, c’est le fi ls de Jeannot qui s’est planté… marre !
Ça fait six ans que je te traîne comme un vieux boulet et je n’en peux plus,
Josiane. – C’est le fi ls d’Éric, j’te dis ! j’en ai ras-le-bol, t’es un minable ! Un minable de père, un minable de mari,
Gérard. – Y’a six mois ! Sur la chicane ! C’est pas le fi ls d’Éric ! Éric, un minable d’homme, je veux plus t’écouter ! Je veux plus t’écouter !
il était… Martin en même temps. – Je t’ai pas appelée parce que… Je sais,
Martin. – Bon, excusez-moi, vous avez le téléphone ? je suis pas allé chercher Justine, c’est juste…
Gérard. – Juste là.
22
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 23
85
Martin. – …
Mais je sais bien que je suis pas écoute-moi juste arrête ! Sylvie. – Bon, t’es où ?
70
Arrête, c’est pas le moment, c’est pas le moment, là Sylvie…
60 Martin. – J’en sais rien, je suis dans un bled, à Gouzainville…
Sylvie, tais-toi. Gérard et Josiane. – Nouzonville.
Sylvie, tais-toi, bordel, laisse-moi parler.
MAIS TU VAS FERMER TA GUEULE PUTAIN !
(Sylvie a raccroché)
Sylvie ! Sylvie ! Putain !
65
Martin. – Ouais, bref, Nouzonville, je me suis paumé, je suis dans les Allô ?
Ardennes. Sylvie, allô ?
Sylvie. – T’es allé voir ton père ? Gérard. – Si tu mets pas de pièce, ça coupe, après une minute. Bon,
75 pour Linchamps, je t’explique…
Martin. – Mon père est mort.
On m’a appelé ce matin, j’étais au boulot. Il a fait une crise cardiaque, il est
mort. 5. Linchamps, 1988
Il a fait une crise cardiaque.
C’est pour ça que j’ai pas pu aller chercher Justine. Il se retrouve devant la porte close. Il pleut toujours.
80
Ça fait deux heures que je tourne en rond dans la forêt, il pleut, j’en peux Le notaire. – Monsieur Martin ! Monsieur Martin !
plus, là… Monsieur Martin… Vous êtes bien Monsieur Martin ? Oui…
Martin. – Ouais, ouais.
Le notaire. – Maître Favreau, on s’est eus au téléphone pour… Martin. – Ok,
vous avez les clés, ou pas ? J’aimerais rentrer. Le notaire. – Euh… oui, j’ai les
clés, mais elles sont chez moi, j’habite juste en face, là, c’est pour ça, je vous
ai vu par la fenêtre. On va pas res ter sous cette pluie, hein ? Venez, venez,
ma femme a dû nous préparer quelque chose… une petite boisson
chaude…
Le notaire. – Aide monsieur à… à se défaire… La femme du notaire à Martin. – Je vais prendre votre…
Martin. – Ça va, ça va, merci. 45
Martin. – Au Canada.
Le notaire. – Qu’est-ce qu’il tombe…
10 Le notaire. – Au Canada, c’est ça.
(s’installant) Voilà. Vous avez réussi à le joindre ?
Martin, après un temps. – … Oui.
Le notaire. – Tant mieux. Tant mieux. J’ai bien connu votre père,
25
40
Comme mon frère, c’est des gens qu’on aime, des gens qui savent parler.
15 20
L’infirmière. – Et vous ?
Moi je sais pas parler.
Martin. – Je suis dans la restauration.
L’infirmière. – Pourquoi il est pas là, votre frère ?
Je ne suis pas comme eux.
Martin. – Henri ? J’ai jamais été comme eux.
Il habite au Canada, il… il est prof d’histoire.
25
connais pas ce trousseau, non, c’est pas ça… Pas celle-ci…
8. Maison du père, Linchamps, 1988 Heureusement qu’il ne pleut plus, hein ?
Écoutez si c’est pas celle-là, je me suis trompé de trousseau.
5
Le notaire cherche la bonne clé dans le trousseau. Ah si ! Voilà.
Voilà, suivez-moi.
Martin et le notaire pénètrent dans la maison du père. Le notaire bute sur
Le notaire. –
Voilà,
le tout,
ça va
être de
trouver
la
bonne
… je
ne 30
35
une chaise. Le notaire dans le livre. – C’est une magnifi que édition, originale en plus !
Le notaire. – Oh là ! Oh là ! Vous savez où est la lumière, parce que…10 … et paraphée1.
Martin. – Non, c’est la première fois que je viens. « Pour Adélaïde, qui se reconnaîtra. »
Mon père s’est installé ici il y a dix ans. Martin allume la télé.
Le notaire. – Attendez, bougez pas, je vais… je vais trouver… (il Jacques Chirac off. – Permettez-moi juste de vous dire que ce soir, je ne suis
trouve l’interrupteur, allume) Voilà ! pas le Premier ministre et vous n’êtes pas le Président de la République,
nous sommes deux candidats, à égalité, et qui se sou mettent au jugement des
Martin, découvrant. – … On se demande pourquoi.
Français, seul qui compte. Vous me permet trez donc de vous appeler
Le notaire. – Ah ! (devant la bibliothèque, admiratif) monsieur Mitterand.
Belle bibliothèque, hein ? Je savais que votre père était un grand lecteur,
François Mitterand off. – Mais vous avez tout à fait raison, Monsieur le
mais je ne soupçonnais pas un tel trésor.
Premier ministre.
Ah ! Alors, ça, ça c’est un beau livre, « Le Comte de Monte-Christo » !
Le notaire dans ses dents. – Mon dieu mon dieu… Excusez-moi… 1. Portant
« Attendre, et… » et ? « … espérer ». Vous ne l’avez pas lu ? Martin. – Non.
J’ai pas le temps de lire des livres.
la signature de l’auteur.
28
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 29
défi nitive. Ce
ne sont
pas que
des
bonnes
70 5
10 …Michel ?
Michel. – Le cimetière est plein, il est complet ! Oh, putain…
Martin. – Le cimetière est complet ?
10
15
Michel. – Non, là, tout de suite. Il pleut plus. C’est juste à côté de l’église.
25
Martin. – Ah ouais ? C’était des gens pauvres, mais qui travaillaient dur, et pendant la Révolution
60 industrielle, les Leborreu, on a même fait fortune ! Dans nos fonderies2 de
Michel. – Ouais ! Jacques a engendré une lignée de quinze bourreaux. Charleville, on fabriquait des grandes croix en fonte qui se vendaient dans
35
tous les cimetières de France !
Quinze générations de Leborreu ! Et puis on a tout perdu…
Du coup, toute ma famille s’est spécialisée dans les métiers de la mort : Les 45
femmes étaient couseuses de linceuls1, ou alors ensevelisseuses, tu sais, celles Tout ça c’est ton père qui me l’a appris.
qui nettoyaient les cadavres… Avant j’étais perdu, moi, dans les cimetières.
Ton père, il m’a appris à accepter mon héritage, et à en être fi er.
Mon père était fossoyeur, moi je suis fossoyeur, et j’en suis fi er, mon pote.
50
65
5
Le cercueil est tombé brutalement et s’est fracassé sur le sol.
Michel. – On le sort.
Martin. – Michel, il y a quoi, là-dedans ? 20
15
Martin. – Quoi ?
Alia. – Quoi ?
25
queter pour savoir la suite et ça, c’est la règle numéro un du feuilleton, tel que l’a lendemain pour avoir le chapitre suivant ! « Le Comte de Monte-Cristo », « Les
inventé Dumas, le suspense de bas de page, qui vous fait acheter le journal du Trois Mousquetaires », « Vingt ans 20
après », « Bragelonne »… espérer que la pluie se remette pas à tomber !
35
Michel. – Mais les livres, ils ont peut-être plus de cent ans !
Alia. – On s’en fout de Dumas ! On veut savoir la suite !
L’homme riant presque.. – D’accord ! D’accord ! D’accord !
Michel. – Des livres ? Quoi des livres ? Pourquoi des livres ? Comment des
livres ? C’est qui, cet Antès, celui qui est enterré là, ou celui qui a mis les
livres dedans ?
Martin. – J’en sais rien !
10
10
Martin. – Je suis pas dans les mythes et dans les histoires, moi ! J’en ai rien à
foutre des livres ! Moi, je me lève à six heures du matin pour aller couper de
la viande, et quand je rentre le soir, tout ce que je veux c’est allumer la télé
5 pour m’endormir devant parce que j’ai le dos cassé, tu comprends ? Le dos
Michel. – Mais les livres, tu veux pas les ouvrir ? cassé !
5
15
10
tous dans le coff re. Il y en avait sur le siège passager. Il retourne à sa voiture, s’assied.
Il fouille, cherche quelque chose.
Il boit son café. 1. Inutile.
Alia. – « Plus tôt ce matin, nous nous sommes baignés dans le lac. Nous
avons fait nos ablutions1.
Nous avons remercié le Tout Puissant de nous accueillir au village. Les
Français sont encore loin, je suis sereine, nous avons au moins trois jours
devant nous. »
Adélaïde. – « La fontaine est magnifi que : la pierre est sculptée, des
ornements simples et purs, elle est surmontée d’une forme oblongue 2, et en
liseré3, entourant le rebord, je peux distinguer l’arbre-calice. Nous avons
longuement contemplé la fontaine, puis un homme sans âge, à la haute
stature, nous a fait signe d’entrer dans sa maison. Il semblait nous connaître,
il semblait nous attendre.
Le trésor des Saxe de Bourville est ici.
Après un voyage de dix ans, après une quête qui m’a menée aux confi ns4 de
ce monde nouveau, je touche au but. Nous touchons au but. Les Français
sont loin derrière.
Les Prussiens ne savent même pas que nous sommes en Alger. Nous
sommes les premiers à atteindre la fontaine de Sidi Zouaoui. »
15
L’homme. – C’est loin d’ici ? Je vous dois combien, pour la chambre ? Pour le repas ?
5
Alia. – Rien, rien, mais la suite de l’histoire…
Alia. – Non, enfi n, 50 km. L’homme. – Je dois vraiment y aller.
L’homme. – 50 km. Je peux y être en une heure ? Alia. – S’il vous plaît !
Alia. – Pas plus. 20
15
Un temps.
L’homme. – Mais… et votre fi lle ?
Alia. – Jeanne ?
Jeanne. – … Je viens aussi. Martin. – « 1832 ! »
25
20
j’ai ouvert le premier carnet.
Alia. – Non, non, tout droit, tout droit. Alia. – « 17 mai 1822.
L’homme. – D’accord. Qu’est-ce que je disais ? Aujourd’hui, j’ai rencontré l’homme qui m’a donné envie d’écrire.
30
Pourquoi maintenant, pourquoi ici ? Après tout, cela semble évident. C’est
ici que tout commence.
10
25
Adélaïde. – Savinien Cyrano de Bergerac2.
Alexandre. – Parfaitement.
Il pleut, il fait nuit. Ou gris.
Un homme est assis en face d’elle.
Il a vingt ans, beau, les cheveux bouclés. 1. Audacieux, impertinent.
5 2. Écrivain français du XVIIe siècle, auteur de l’Histoire comique des États et Empires de la Lune. Il a
inspiré à Edmond Rostand son personnage de Cyrano de Bergerac.
Alia. – « Le temps est médiocre, il pleut à grosses larmes. Les routes sont
boueuses, l’intérieur est humide… »
44
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 45
Adélaïde. – Et je rajouterai que ce n’est pas de lui non plus, car 65
55 Alexandre. – … Poursuivez.
1
Sénèque disait déjà : « Celui qui ne sait pas se taire, il ne sait pas non plus Adélaïde. – La vie est un récit, et chaque vie et chaque récit sont eux mêmes
parler. » composés de plusieurs récits, d’une multitude, d’une infi nité de récits. Tout
Alexandre. – Et La Fontaine2 de conclure : « Il est bon de parler et meilleur est fi ction.
45
de se taire ».
35 Alexandre. – Tout ?
Mais si tous
font
tant
l’éloge
du
silence,
pourqu
oi est-il
si bon
de
parler ?
60
J’ai vingt ans et je monte à Paris pour y être clerc de notaire1, et pour
105
100 Alexandre. – Peut-être. J’aime, mais vous allez penser que je vous dis cela
quoi pas écrire moi-même un vaudeville ou deux ? 2 pour vous plaire,
85
Alexandre. –
Par la
lecture, 120
oui ! Adélaïde. – Vous dites qu’il a servi dans les armes ?
Shakesp
eare, S’il s’est illustré5, ce devait être pendant…
Molière,
Marivau 1. Employé d’un notaire.
x, 115 2. Pièce de théâtre légère et divertissante.
3. Série d’aventures mouvementées.
Goldoni4, j’en ai usé des volumes entiers ! 4. Dramaturges européens des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.
5. S’il s’est distingué, s’il s’est rendu célèbre.
Il ne me manque que d’en avoir vu…
Alexandre. – Pendant la Révolution, bien sûr. Mon père était un grand
Adélaïde. – Vous verrez, à Paris, vous serez nourri. républicain.
95
prévu de me faire passer au royaume de Prusse1. Mais personne ne vint vivante des Saxe de Bourville.
nous chercher. Je grandis dans ce château, élevée par les livres et par la 125 Alexandre. – Permettez-moi d’en douter…
Adélaïde. – Doutez si vous voulez, doutez tout votre saoul 2, mais gar dez
150 votre langue. C’est pour moi un tel soulagement de pouvoir le dire
nature. 135
155
Martin. – …
10
Henri. – Allô ?
20
25
Henri. – Allô ?
Martin. – …
Henri. – Allô ?
Martin. – Bonsoir, Henri.
5 35
Martin. – …
Henri. – Allô ?
Martin. – Ouais, ouais, merci… et juste, un dernier truc : ça te dit
50
15
10
L’homme. – Après j’étais bouleversé, conquis, transformé. Je suis Ils sortent de la voiture.
54
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 55
entrent.
L’homme. – La fontaine.
Alia. – « La pierre est sculptée, des ornements simples et purs, elle est 24. Aire d’autoroute, Ardennes, 1988
Euh… choukram1, c’est ça ? vous êtes le premier étranger à venir contempler cette fontaine depuis six générations.
10 15
Alia. – En berbère, on dit Saha. L’homme. – Est-ce qu’il sait de quand date cette fontaine ?
L’homme à l’homme sans âge. – Saha. Saha beaucoup. Alia. – Waqt èch tabniyat èlekhsa ?
35
L’homme sans âge. – Hu awal brani ichouf ou lekhssa hazi men set èjyèl. Alia. – Il dit que
40 50
45
15
60
« Edela… »
Alia, lisant. – « Edelau… »
L’homme. – Portons-le au soleil.
Adélaïde. – 30
Eugène Je ne vous ai pas encore remerciée, au fait. Si vous n’étiez pas intervenue
, s’il dans ce diff érend3 qui m’opposait au frère de la jeune fi lle…
vous 10
35
1. Peintre français (1798-1863), célèbre pour son tableau intitulé La Liberté guidant le peuple.
2. Lieux de prostitution.
3. Dispute, altercation liées à un désaccord.
Eugène. – Vous maîtrisez la langue arabe avec une aisance qui m’a Eugène. – Lesquels ?
confondu1. Adélaïde. – Ils ne vous diront rien, c’est du grec.
Adélaïde. – Les livres et les salons n’apprennent pas tout. Eugène. – C’est « Gnossis esti pégué tès zoès. »
tout de même un hasard extraordinaire que vous me trouviez alors que je
(« Γν’ϖις εστι πηγ’η της ξω’ης »)
vous cherchais.
Eugène. – « Le savoir est la source de la vie. »
Adélaïde. – Le hasard n’existe pas, ici on dit Mektoub. Le destin.
L’homme sans âge quitte la pose. Adélaïde. – Vous savez le grec ?
Eugène arrêtant l’homme sans âge. – Hop hop hop. Eugène. – Je l’ai appris dans les livres et les salons.
(L’homme revient à sa place) « Le savoir est la source de la vie »… C’est joli. Et rien d’autre ? Pas de
trésor d’aucune sorte ?
… Et la main, sur le rebord.
(à Adélaïde) Adélaïde grimaçant. – Non…
Qu’avez-vous trouvé, au pied de cette fontaine ? Eugène. – Vous êtes souff rante ?
Adélaïde. – Rien. Quelques mots, gravés dans la pierre.
1. Étonné, déconcerté.
60
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 61
« le savoir est source de vie ». Adélaïde. – Un jour, ce tableau, cette image dépassera votre avis et sera le
Adélaïde. – Non, eff acez-la, je vous prie. symbole d’une nation, bien plus qu’une nation : d’un idéal1.
Eugène. – C’est un bon titre…
1. Ensemble de valeurs constituant la perfection dans un domaine.
Adélaïde. – Eff acez-la, et en échange je vous donnerai un conseil.
50 Eugène sceptique. – Un idéal ?
L’année dernière, vous aviez présenté un tableau au salon offi ciel… Adélaïde. – Il représente l’unique justifi cation valable de la guerre : la
Eugène. – « La liberté » ? conquête de la liberté.
Adélaïde. – C’était un nom plus long, je crois… Eugène. – En connaissez-vous d’autres ?
Eugène. – « La liberté guidant le peuple » ? Adélaïde. – Eugène, de tout temps, la guerre n’a été déclarée que pour des
Adélaïde. – Celui-là, oui. Reprenez-le, et veillez sur lui avec l’attention raisons haineuses, avides1 ou absurdes. Cette guerre même, au cœur de
55
laquelle nous nous trouvons, cette conquête meurtrière s’est décidée en une
d’un père pour son fi ls. nuit, dans un petit salon du Palais-Royal : la nuit de la Saint
Eugène. – Ce n’est pas mon préféré. Sylvestre 1830.
Eugène. – Mais… enfi n, vous plaisantez, j’y étais, moi, au Palais-Royal,
cette nuit-là !
Adélaïde. – Pourquoi croyez-vous qu’Alexandre vous ait envoyé à ma
rencontre ?
Eugène. – Alexandre ?
Réveillon 1830.
Dumas (28 ans) et son ami Eugène Delacroix (31 ans) sont invités au Palais-Royal,
pour fêter la nouvelle année.
Eugène. – Alexandre ! Alexandre ! Alexandre, regarde !
(montrant dans la foule)
Chateaubriand, Stendhal, Lamartine2. Mon cher, si nous manœuvrons bien,
c’est la gloire et la fortune qui nous attendent.
Laisse-lui l’intelligence.
Eugène. – Parfaitement ! Séduis la bonne protectrice, fais rire le bon Baron, (ils trinquent et boivent)
et c’est une bourse ou un théâtre qui s’ouvrira à toi. Nous On dit que le roi va peut-être passer…
10
35
40
n’ai pas.
Eugène. – Il n’est qu’un penseur.
Alexandre. – Un écrivain, un vrai.
50
(à Alexandre) 15
Barbara. – Vous êtes prié de rejoindre le petit salon, au fond du cou loir, à
droite. On vous y attend.
10
Alexandre regarde Eugène, puis se met en marche, intrigué.
Eugène. – Le champagne rend sourd.
(à la cantonade)
60
Eugène. – La gloire et la fortune, Alexandre ! Alexandre avec humour. – Eugène, lui aussi, a assez bu.
5
Polignac. – Tant mieux ! Ce soir, c’est réveillon, n’est-ce pas ? Et puis nous
sommes entre gens de bonne compagnie ? Comme votre ami,
28. Cabinet du Palais, 1830
1. Ne s’en soucie pas.
Ferdinand-Victor-Eugène Delacroix, fi ls d’on ne sait trop qui, même si
certaines rumeurs évoquent le prince Talleyrand1. Et vous ? Alexandre. – Et
moi ?
Polignac. – Alexandre Dumas, fi ls de… ?
Alexandre. – Fils de Th omas Alexandre Davy de la Pailleterie, dit Général
Dumas.
Polignac, cherchant. – Général Dumas… Ah oui. Votre père était un nègre, il
me semble ?
Alexandre. – Mon père était un mulâtre 2, mon grand-père était un nègre,
mon arrière grand-père était un singe. Vous voyez, ma famille commence là
où la vôtre fi nit.
Il se lève, mais on lui bloque la sortie.
Polignac. – Eh bien moi, je suis Jules Auguste Armand de Polignac, comte
de Polignac et prince du Saint-Empire. Ce sont des gens comme votre père
qui nous pourchassèrent et nous massacrèrent. Mais nous savions, voyez-
vous, nous savions que la République n’était que passa
gère. Chaque peuple a besoin d’un roi pour le gouverner, et chaque roi a
25
besoin d’une éminence grise3 pour gouverner à sa place tandis qu’il chasse et
courtise les servantes. Je suis cette éminence.
Polignac. – Entrez, monsieur Dumas, asseyez-vous. Puis-je vous pro poser
En ce jour de l’an 1830, je suis Premier ministre du royaume de France, et
un rafraîchissement ?
vous, vous n’êtes rien. D’un claquement de doigts, je puis vous faire
Alexandre. – Merci, j’ai assez bu. disparaître de la surface de ce monde, et personne ne s’en apercevra, alors, je
Polignac. – Votre ami parle beaucoup, et un peu fort. vous en prie, rasseyez-vous.
Alexandre se rassied.
à nier, tout ce qui se dit dans ce palais m’est immédiatement rapporté. bois.
Alexandre. – Je sais qu’il s’agit d’une légende. Yolande. – Rentrons, Majesté, la nuit est en train de tomber.
Marie-Antoinette. – Savez-vous bien le chemin du retour, Yolande ?
Yolande peu assurée. – Je le crois, oui.
15 5
20
40
les campagnes.
Marie-Antoinette (23 ans) et Yolande de Polastron (29 ans), dans un petit Marie-Antoinette. – Je n’en suis pas si sûre…
Yolande. – Ce devait être par ici…
Marie-Antoinette prise d’un vertige. – Yolande !
Yolande. – Majesté ? Êtes-vous bien ? Marie-Antoinette tombe au sol, évanouie.
Marie-Antoinette. – Je ne sais, pas, je… Yolande panique.
10 Yolande. – Majesté ! Majesté ! Réveillez-vous ! Holà quelqu’un, quelqu’un !
Polignac. – Ma mère était terrifi ée. Puis, quelques instants plus tard, un
homme apparut, seul.
Frédéric apparaît. Il porte un habit sombre et discret.
Yolande. – Quelqu’un !
Frédéric. – Que se passe-t-il, ici ?
Yolande. – Monsieur, aidez-nous, la reine est évanouie !
Pouvez-vous la porter jusqu’au château ?
Frédéric. – La reine ?
Yolande. – La reine, oui ! Monsieur, secourez-la, s’il vous plaît !
Frédéric se penche sur la reine, l’ausculte un instant.
Frédéric. – Inutile de la porter, elle respire.
Yolande. – Comment sauriez-vous ce qui est bon ou pas ? Il sort
un petit fl acon et lui fait respirer.
Marie-Antoinette revient à elle en toussant.
Frédéric. – Buvez, Madame.
Yolande. – Madame ! Monsieur, pour ce « madame », un cachot pour rait
vous attendre !
Frédéric. – Taisez-vous, je vous prie.
Marie-Antoinette reconnaît Frédéric, et boit sans hésiter. Frédéric à
Marie-Antoinette. – Allez-vous mieux ?
Marie-Antoinette. – Merci, oui.
Yolande. – Mais enfi n…
Marie-Antoinette. – Par quel hasard mystérieux vous trouviez-vous dans ces
35 bois, monsieur ?
68
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 69
Frédéric. – Nul hasard, madame. 75
Les terres sur lesquelles vous vous trouvez m’appartiennent, et je médi tais Mesdames…
au bord d’un cours d’eau lorsque j’ai entendu vos cris, (l’auscultant) Il se retire.
40
Yolande. – Encore ce « mesdames » ! Quelle impolitesse !
Vous sentez-vous fatiguée, ces jours-ci ?
Marie-Antoinette troublée et tenant son ventre. – Est-il possible… ? 55
Yolande. – N’en croyez rien, Altesse, cet homme aff abule1.
65
70
Frédéric. – Elle ne souff re de rien. Mais dans quelques mois, le Marie-Antoinette. – Yolande, chaque prédiction de cet homme s’est révélée
50 exacte.
royaume de France aura un héritier, ou bien une héritière. Yolande. – Vous le connaissez donc ?
Marie-Antoinette. – C’est un homme qui m’eff raie autant qu’il me
60
un trésor que les rois de France ont cherché pendant trois siècles !
10
Yolande. – Frédéric de Saxe de Bourville est le descendant de ce
105
Marie-Antoinette. – Et puis ?
Guillaume qui perdit 4 000 hommes à Jérusalem, en l’espace d’une seule
Polignac. – Puis ils réapparurent en 1348, aussi soudainement qu’ils nuit.
100
avaient disparu.
Yolande. – Ils
avaient
acquis
un
nouvea
u nom,
20
des
terres
bénies
et une
15 1. Territoire appartenant à une dynastie berbère des XI
e
et XIIe siècles et s’étendant du sud de
l’Espagne et du Portugal à la Mauritanie.
double particule. 2. Homme qui n’appartient pas à la noblesse.
Marie-Antoinette. – Vous voulez dire que… 30. cabinet du Palais-Royal, réveillon 1830
Polignac. – Et ce trésor, monsieur Dumas, ce trésor dort encore sous la royaume, monsieur le fi ls de nègre, et vous n’y êtes qu’une poussière sur
terre. mes bottes.
Alexandre. – Je n’y vois qu’une légende. Alexandre tend la lettre à Polignac, qui la parcourt rapidement. Polignac. – En
Polignac. – Les Saxe de Bourville ont encouragé et fomenté tous ces 1 Algérie ? Le trésor des Saxe de Bourville est en Algérie ? Louis ! LOUIS !
mouvements de rébellion. Lorsque ma mère, exilée à Vienne, apprit que la Louis de Bourmont (57 ans) entre.
reine avait été guillotinée, elle se laissa mourir de chagrin. Comprenez que je Il est ministre de la guerre.
tiens cette famille pour responsable de la chute de la mienne. Donnez-moi Polignac. – Mon cher Louis, voici Alexandre Dumas, vaudevilliste. Monsieur
cette lettre. Dumas, je vous présente Louis de Bourmont, ministre de la guerre.
Alexandre. – Je ne sais pas de quoi vous parlez. Louis de Bourmont. – Vous ne profi tez pas de la fête, Jules ? 1.
Polignac. – Donnez-moi cette lettre ou je vous ferai fusiller et viendrai la
prendre moi-même sur votre petit cadavre républicain. Ceci est mon Préparé, organisé en secret.
72
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 73
Polignac. – En combien de temps pouvons-nous mobiliser ? Vous êtes en train de me dire… 132 ans d’occupation, de batailles, de
Louis de Bourmont. – … Un mois. massacres ! Pour un trésor ?
30
L’homme. – … Non.
5 10
Sylvie décroche.
Sylvie. – Oui, allô ?
Martin. – Allô, Sylvie, c’est moi.
Non, attends, raccroche pas, s’il te plaît, raccroche pas, je pourrai pas te
rappeler, j’ai droit qu’à un coup de fi l. Je voulais te dire trois choses. La
première, c’est que j’ai enterré mon père.
La deuxième, même si c’est dur à croire, c’est que je t’ai aimée, et que j’ai
tout fait pour être le père que Justine méritait, mais je suis pas son père et je
sais pas faire, j’y arrive pas, et je sais que sans moi, vous serez mieux.
Écoute-moi, Sylvie, je vais essayer d’être le plus concis1 possible.
1. Bref et précis.
74
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 75
Avant de te rencontrer, j’ai fait pas mal de conneries. Je buvais beau coup, j’ai volé des voitures, j’ai fait un peu de prison, pas grand chose
5
été ton boulet. Il a fallu que j’enterre mon père pour comprendre, mais là il
mais assez pour me retrouver tout seul. Et c’est là que t’es arrivée et hon
est temps que je me débrouille tout seul. Merci, Sylvie, dis à Justine
nêtement, sans toi, je sais pas où je serais aujourd’hui. Mais là, je suis au 25
poste, dans les Ardennes, ils m’ont confi squé la bagnole, et comme tu que je l’aime, je sais pas, invente un truc, s’il te plaît lui dis pas que je vous ai
15
quittées. Et une dernière chose, Sylvie, t’es toujours là ?
sais, la bagnole, je l’avais achetée à Julien et Julien, il l’avait volée, et ça je le
savais. Ça s’appelle du recel, ça s’appelle une récidive, et ça va me faire Sylvie. – … Oui.
plonger pour un an ferme et je veux pas, je peux pas aller en prison
10
Martin. – Je quitte le pays, je pars, je sais pas où, et je sais pas si je vais
rentrer mais je pars, demain, je passe la frontière. Voilà, le fl ic com mence à
me faire des signes, alors je te demande pardon, pardon d’avoir
20
15
25
L’homme. – Que voulez-vous, s’il y a une chose que je crois savoir faire,
L’homme. – Fermez la porte, s’il vous plaît, je voudrais vérifi er le moteur. c’est raconter des histoires…
Jeanne. – Vous savez piloter ?
1. Avion.
Alia. – 5 000 francs ! L’homme. – J’ai pris quelques cours, par correspondance…
L’homme. – … de 1988 ! Ce n’est pas énorme, voyons, en dinars ça ferait… Check. Check.
Jeanne. – Justine, ce n’était pas votre fi lle ? Jeanne. – Maman, j’ai peur.
L’homme. – Si je multiplie par 100… Non, c’était celle de Sylvie. L’homme. – Et puis je lui ai laissé ma jeep, comme caution.
(l’homme démarre le moteur) Jeanne. – Maman…
Enfi n, donc, le lendemain, j’ai quitté la France. Alia. – Laissez-nous descendre.
Jeanne. – Qu’est-ce que vous faites ? L’homme. – Ah non, l’avion est en marche. Et les ceintures, alors ? Donc,
L’homme. – Ah ! Euh… Oui, j’ai négocié de faire un petit tour du site, je le je vous disais que j’ai quitté la France le lendemain… Alia. – Concentrez-
paie à l’atterrissage. vous sur l’avion !
Alia. – Attendez, vous lui avez parlé cinq minutes et il vous confi e son Jeanne. – Maman !
avion ?!
76
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 77
L’homme. – Mais ne vous inquiétez pas, j’ai déjà fait ça plein de fois… Alia. L’avion décolle, de justesse. La situation se stabilise.
– Combien de fois ? L’homme. – Vous avez vu ? Les doigts dans le nez.
30
Alia. – Mokhtar fait des grands signes… Il n’a pas l’air très content. 40
L’homme. – Au moins deux. Vous avez pensé à sortir le rétro ?
L’homme. – Oui, je lui ai peut-être dit que nous allions vers le sud. Alia.
– Pourquoi, on va où, là ?
55
Alia. – Le rétro ?
L’homme. – Attention, je mets les gaz.
Alia. – Quel rétro ?!
L’homme décollant. – Je plaisaaaaaante !
35
Alia. – AAAAHH !
Jeanne. – MAMAAAAN !
5
Profi tez du paysage, il y en a pour deux, trois heures, pas plus. Donc,
L’homme. – … À Alger. comme je vous disais, j’ai quitté la France.
50
Jeanne. – À ALGER !
Alia. – … Et vous êtes allé où ?
L’homme. – Je dois juste y faire un petit saut, et je vous ramène après,
45 L’homme. – Sur les traces d’Adélaïde.
promis ! Jeanne. – Et le carnet ? Vous l’avez ouvert ?
Alia. – Mais… Mais… Mais… Mais la Jeep ? L’homme. – Les Indes, la Chine, l’Afrique…
Alia. – Et puis ?
L’homme. – Et puis, cinq ans après, un jour de 1994, j’ai atterri au Canada.
Sonnerie.
1. Bavarde en ligne.
L’homme souriant. – Je l’avais louée. 2. Ordinateur.
78
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 79
Henri ouvre la porte. Il se retrouve face à son frère, plus de quinze ans après 30
Véronique off. – C’est Marie-France ? Martin. – Ah, c’est bien. Je… j’ai pas trop de…
25
Henri. – … Donc voilà, Lucie hésite entre danseuse étoile, star à Hollywood
ou prof de philo.
On essaie de l’orienter subtilement vers la troisième option.
Martin après un temps. – T’as toujours pas d’accent ?
Henri. – Non, je sais. On m’appelle « le Français ». (un temps)
5
35
36. Aix en Provence, 1978 Henri. – Je surveille les pâtes, là, papa…
Le père. – Les pâtes, Henri, franchement, c’est ça, ton excuse ? Assieds toi,
25 je te dis.
Le père et Henri sont au bord de la piscine. Henri soupire, puis s’assied à côté de son père.
Le père a 58 ans, Henri en a 28.
Le père off. – Henri ! Henri !
Henri. – Qu’est-ce qu’il y a ?
Le père. – Viens t’asseoir un peu à côté de moi.
30
5
35
Le père. – Ça va la vie, en ce moment ? 45
1. Installés, fi xés.
Le père, trendrement. – Je sais, Henri, mais tu ne sais pas tout. Avec la
sédentarisation, l’homme a commencé à cogiter1, et il a fi ni par faire le lien
entre l’accouplement et la naissance d’un enfant. Il a alors cessé de
considérer la femme comme une divinité, puisque c’était lui, et lui seul, qui la
fécondait. Il a pris peur. Il a enfermé sa femme, et s’est mis à célébrer le
phallus2 plutôt que la déesse-mère.
Henri. – Oui, je connais cette théorie.
Le père. – Bien. Nous sommes donc passés d’un système matriarcal 3 à une
société patriarcale4.
Mais une petite communauté a refusé cette transition. Les femmes res taient
les patronnes de la maison, et l’héritage se transmettait de femmes en
femmes. Elles choisirent de placer avant tout l’éducation et le savoir,
puis, aidées par la science du calcul, devinrent de solides gestionnaires. Cette
communauté, tu t’en doutes, n’était pas bien vue du reste de la société : non
seulement leurs richesses s’accroissaient, mais la domi nance féminine en
40 était la raison principale.
Henri. – … Non, papa. Sinon, je serais pas là à te faire des pâtes. Ainsi, elles entrèrent dans la clandestinité.
15
Henri. – Comment s’appelaient-elles ?
Le père. – Écoute-moi bien, Henri. Écoute cette histoire. Le père. – À ce stade, elles n’avaient pas encore de nom. Leur histoire se
Aux temps anciens, je veux dire il y a des dizaines de milliers d’années, transmit, d’abord oralement, puis, dès l’invention de l’écriture, sur tous les
lorsque l’homme était encore nomade, il célébrait la femme comme une supports disponibles. C’étaient les hommes qui occupaient cette fonction
déesse, car elle était celle qui donnait la vie, et il ne pouvait l’expliquer. d’information et de désinformation. Quant aux femmes, elles développèrent
une philosophie rationnelle, athée5, et pour répondre à ta
question, c’est dans la Grèce antique qu’on trouve pour la première fois un 80
nom à cette communauté, qui inspira un personnage à Aristophane 1. Ils se Nos souvenirs, notre mémoire s’estompe et s’embellit…
nommaient les Lysistrates. Henri. – Tu as des sources, papa ?
Au fi l des temps, ils s’attribuèrent un emblème. L’emblème était un
50 Le père. – J’ai des sources, oui.
60
arbre,
représe
ntant le
savoir,
en
forme
de
calice,
symbol
e de la
femme
75
Le père. – Les romans les plus anciens. Vois-tu, il est de mon avis que
chaque fi ction cache un fait réel : L’Odyssée, l’Illiade, l’Énéide2… Tous
relatent des faits extraordinaires qui sont inspirés d’une réalité histo rique 5
1. Dramaturge grec du Ve siècle av. J.-C., auteur de Lysistrata.
avérée. Eh bien, tous font mention des Lysistrates, de manière 2. Œuvres majeures de l’Antiquité. L’Odyssée et L’Illiade sont d’Homère, L’Énéide de Virgile.
détournée, bien sûr, mais c’est pour moi la preuve de leur existence. 70 Henri. – Papa…
Le père. – « Artamène, ou le grand Cyrus », écrit au xviie siècle, le plus long
roman connu à ce jour…
Henri. – Je connais « Artamène », papa. Il fait treize mille pages. Personne
ne l’a lu en entier.
Le père. – Je l’ai lu, moi. Il y est fait sept fois mention des Lysistrates. Je te
soutiens que leur histoire existe dans la littérature ancienne, cachée, codée,
mais elle existe.
Henri. – Mes pâtes vont être trop cuites.
Le père. – Viens avec moi, Henri. Je pars à l’aventure, à la recherche des
Lysistrates.
Henri. – On vient de me proposer un poste, papa.
Le père. – J’ai trouvé une petite maison, isolée, dans le nord, de la France.
Henri. – … Au Canada.
Le père. – Un village paisible, au cœur des Ardennes. Linchamps.
Martin. – Linchamps.
Henri. – Quoi ?
Martin. – Linchamps. Linchamps.
Henri. – Oui, Linchamps.
Martin. – Je dois retourner à Linchamps. Les carnets sont à Linchamps, ils
sont dans la voiture, je dois la retrouver ! La clé est à Linchamps.
84
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 85
Henri. – La clé de quoi ? Martin. – Adélaïde était à Linchamps, papa cherchait Adélaïde !
Henri. – C’est qui, Adélaïde ? Alia. – Jeanne ! Jeanne !
5
Martin, excitation montante. – Papa savait ! Papa savait tout !
10 Jeanne. – Je suis là… Il est quelle heure ?
Henri. – C’est qui, Adélaïde ?
Martin. – Je dois retourner en France !
15
10
police des frontières, veuillez descendre du véhicule, s’il vous plaît. L’homme. – Voilà.
L’homme. – … On est à Marseille. L’agent de la douane. – … Il est gentil Mokhtar.
39. Douane de Marseille, 2001 (aux fi lles) Je peux vous demander vos papiers, mesdemoiselles ? Alia qui a
laissé ses papiers à Mechta Layadat. – Euh… c’est-à-dire que… L’homme. –
Ils sont dans un bureau de la douane.
Excusez-moi, je me permets de…
L’agent de la douane fort accent du sud. – Bon alors je récapitule, depuis le
(à Alia)
début, parce que là vous m’emboucanez1, je ne comprends plus rien. Donc,
Pardon.
vous êtes partis ce matin, d’un petit aérodrome algé rien, à proximité de…
1. M’embrouillez, m’induisez en erreur.
86
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 87
(à l’agent de la douane) Alia, Jeanne et Martin sont dans les rues de Marseille.
Puis-je vous parler seul à seul, cinq minutes ?
25
(l’agent hésite)
20
Alia. – Vous parlez deux minutes au douanier, et il nous laisse repartir ! Alia. – … Qu’il habitait Marseille.
L’homme. – Je vous ai dit, je ne sais faire qu’une chose…
Alia. – … Raconter des histoires, oui, oui, j’ai compris…
Jeanne ! Qu’est-ce que tu fais ?
Jeanne. – J’arrive.
10
L’homme. – Je n’y suis pour rien, les choses fi nissent toujours par
10
5
L’homme. – C’est vous qui me l’avez dit. 5
Alia se retourne. Reste pétrifi ée. monde, et dis à Lucie que moi, je préfère danseuse étoile.
Arrive Hervé, 35 ans. Grand, bel homme.
L’homme. – C’est lui.
Alia et Hervé se regardent, sans rien dire.
Alia. – Jeanne !
Jeanne arrive, comprend.
Hervé. – Bonjour, Jeanne.
Jeanne. – Bonjour, papa.
10
Jeanne et son père prennent un café, sous l’œil attendri de Martin et Alia. L’homme.
Henri off. – Bonjour, vous êtes bien chez Henri, Véronique et Lucie, nous ne
– Je suis rentré en France, j’ai été arrêté à la frontière, j’ai pris six mois
sommes pas là, mais laissez un message après le bip. Martin. – Allô Henri,
ferme.
c’est moi. Je… je pensais pas tomber sur ton répondeur. Je savais même pas
que t’avais un répondeur. Bon. C’est con, j’ai droit qu’à un seul coup de fi l.
Alors je voulais te dire que tout va bien, je suis en France, je suis bien arrivé.
On s’occupe de moi. Ah et puis je sais j’ai dit que je donnerai des nouvelles,
mais je pense que, pendant quelques mois, je vais un peu faire le mort.
Mais tout va bien, tout va bien.
Alia. – Et puis ?
L’homme. – Je pense que Jeanne va vouloir rester à Marseille avec son père.
Puis, un jour, caché parmi les livres, j’ai trouvé… un carnet. Ce n’était pas
Alia. – Mais personne n’avait ouvert le coff re ? l’écriture d’Adélaïde. C’était celle de mon père. Très brouillonne, presque
5
un cube de métal.
L’homme. – Eh oui.
(long temps)
… Enfi n presque.
Je suis retourné chez mon père.
J’ai fait un immense ménage. J’ai dépoussiéré les livres, et je les ai lus. 15
15
Clément VI. – Comment êtes-vous entrée ? Qui êtes-vous ? Rose. – Pour
Martin, lisant. – « 1348. Les hommes et les femmes tombaient comme des
mouches. La grande peste avait gagné l’ensemble du sud de la France. l’heure, mon nom importe peu. Sachez juste que nous sommes ceux qui ont
Le pape, alors, vivait en Avignon. » bâti vos églises, ceux qui ont construit votre palais, nous sommes ceux qui
vous ont off ert l’habit que vous portez. Clément VI. – Quelle est cette
Jeanne, lisant. – « Au cours de l’été 1348, soixante mille Avignonnais
25 plaisanterie ?
allaient mourir du même mal. Plus de la moitié de la population de la ville. Rose. – Il y a de cela mille ans, votre prédécesseur s’appelait Sixte, le
À l’abri des hauts murs de son palais, deuxième. Il ne portait pas encore le nom de pape, mais simplement
le pape Clément VI priait, lui aussi, pour le salut de son âme. » d’évêque. Il ne vivait pas en Avignon, mais à Rome. Et en juillet de l’an 258,
45. Avignon, cité papale, 1348 il se terrait dans une catacombe1, en bordure de la voie Apienne.
Rose. – C’étaient pour les chrétiens des temps diffi ciles. Dimitri montre sa bague à Sixte, Rose montre sa bague à Clément VI.
Dimitri. – Au contraire, je viens t’off rir mon aide. Clément VI. – L’arbre-calice.
Sixte II. – L’arbre-calice.
Clément VI. – Ainsi, vous n’êtes pas une légende ?
30
5
reviendra au peuple. Votre religion est le premier mouvement sur 47. Avignon, cité papale, 1348
l’échiquier.
Clément VI. – Je ne vous comprends pas…
Rose. – Un trésor que vous et vos moines-soldats n’avez cessé de cher cher,
Dimitri. – Peu importe. Je suis ici pour te dire que nous allons vous off rir comme des chiens. Mais que jamais, ni vous ni les rois, n’avez trouvé.
des moyens illimités.
Sixte II. – Par quel miracle ?
1. Pardon des péchés acheté par les croyants.
Dimitri. – … Vous allez faire le commerce de la seule chose qui existera tant
94
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 95
Clément VI. – Qu’attendez-vous de moi ? éau qui décime les croyants et aff aiblit leur foi. Allons, mon père, cessez
Rose. – On m’a dit que vous désiriez acheter Avignon… vos prières. Aujourd’hui, je viens vous apporter ces 80 000 fl orins
10
5
d’or.
Clément VI. – La reine de Naples nous en demande 80 000 fl orins
10
d’or.
Rose. – Et votre palais, je crois, est encore en travaux… Sans compter ce fl
15 25
30
48. Marseille, vieux port, 2001
Alia regarde L’homme. Il avait raison.
5
L’homme. – Et moi, je… repars au Canada. Je dois retrouver mon frère, lui
expliquer, lui raconter. Voulez-vous venir avec moi, Alia ? Si je choisis d’y croire ?
Alia. – … Pardon ? Monsieur Martin, si vous parvenez à convaincre l’équipage de ce voilier de
L’homme. – Au Canada ? Voulez-vous m’accompagner ? Alia. nous prendre, je vous suis.
– … Je n’ai pas mes papiers. L’homme après avoir esquissé un petit sourire. – Tenez, Jeanne, j’ai quelque chose
pour vous.
L’Homme. – Ce n’est que ça ?
Depuis treize ans, je le garde sur moi, par tous les temps. (il lui
Nous sommes dans un port. Tenez, ce grand voilier, amarré, je suis sûr que
tend un carnet)
je peux les persuader de nous prendre avec eux.
C’est le carnet que j’ai pris dans ma voiture, avant de me retrouver au poste.
Alia. – Vous ne savez même pas où ils vont ! C’est le dernier carnet d’Adélaïde.
L’homme. – Je vais leur demander. Faites-en ce que vous voulez, il est à vous.
Jeanne. – Maman, tu ne sais rien de cet homme ! Toute son histoire n’est Il part, laissant les fi lles avec le carnet.
qu’une histoire ! Ce sont des mots, de l’air en vibration ! Alia. – Et si je veux Jeanne regarde sa mère, puis ouvre le carnet.
y croire, moi ?
96
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 97
30
en a 68. Elle marche à l’aide d’une canne, aidée par Dumas fi ls, 46 ans. Alia lisant. 10
35
– « C’est un vieil ami que je viens retrouver… sont pas très optimistes. Nous partons pour Dieppe, demain. J’ai une villa
dans les environs, l’air marin lui fera du bien. 20
45
Adélaïde. – Vous croyez que je peux lui parler ? bras et je vous embrasserais comme un jeune homme.
Dumas fils. – Je crois que si vous ne lui parlez pas, il me déshéritera. (il Adélaïde se penche et l’embrasse.
passe la porte) Alexandre. – Enfi n, je peux mourir.
Adélaïde. – Je vous ai lu, vous savez. Vous m’avez transportée.
Alexandre. – Et moi, vous m’avez fait rêver. J’ai conservé chacun de vos
carnets, et je puis vous assurer que personne, hormis moi-même, n’en a
jamais lu une seule ligne.
Adélaïde. – Je le sais.
Alexandre. – Vous venez les reprendre ?
Adélaïde. – Je dois les détruire.
Alexandre. – Non ! Non… Vous ne pouvez pas.
Adélaïde. – Les enterrer, alors ?
Alexandre. – Si vraiment il le faut. Vous avez trouvé votre petit trésor ?
Adélaïde souriant. – Je l’ai trouvé.
Alexandre. – Et ?
Adélaïde. – Je l’ai enterré. Voyez-vous, Alexandre, il ne sert plus à rien, car
nous avons gagné.
Alexandre. – Vraiment ?
Adélaïde. – Depuis dix jours, l’Empire est renversé. Il ne reviendra pas ici.
15
40 Ni la monarchie, ni la tyrannie. Il y a aura des guerres, bien sûr, et notre
Père… vous avez une visite. victoire est pour l’heure circonscrite à la France, mais je veux croire que
celle-ci sera, un jour, un phare pour le reste du continent, pour le reste du
Dumas fi ls les laisse. monde. Nous avons gagné.
Adélaïde très émue. – Cher ami… Alexandre. – Vous dites nous, mais de qui parlez-vous ? Adélaïde. –
Alexandre très faible. – Ah, madame, je vous ai tant attendue. Si ce n’était De vous, de moi, de ma famille et de mes ancêtres. De ceux dont les
cette vilaine attaque qui m’a paralysé, je vous prendrais dans les rêves façonnent l’avenir et glorifi ent le passé. Alexandre. – Comme
vous êtes belle, Adélaïde !
Adélaïde. – Veuillez cesser, Alexandre.
98
Alexis Michalik Le Porteur d’histoire 99
Alexandre. – Ah ça, jamais. Pour la guerre, cela suffi t, mais pour l’amour… 35
On ne doit jamais cesser d’aimer. L’homme. – J’ai la gorge sèche. Je suis fatigué de parler.
50
10
30
Il sort.
Alia. – Comment avez-vous fait ? Que lui avez-vous raconté ?
5
80
Je suis le porteur d’histoire. Je suis fi ls, petit-fi ls et arrière-petit-fi ls L’homme. – Vous possédez aujourd’hui une fortune immense, inesti mable,
100
et le pouvoir d’infl uencer le monde, de lever des armées et d’embra ser des
nations.
de porteurs et Alia. – Non.
raconte L’homme. – Un jour, Jeanne suivra votre voie, et sa fi lle après elle, et
urs 110
L’homme. – La Jeep vous appartenait, l’avion également, et ce voilier aussi. Monsieur, ce bateau, à qui appartient-il ?
Les serviettes sont brodées au nom des Saxe de Bourville. Le steward. – Mais… à une riche famille, de vieille noblesse française.
Alia. – Je ne vous crois pas ! Je vais appeler le steward !
115
1. Historien grec du Ve siècle av. J.-C.
2. Théologien des IIIe et IVe siècles.
Alia. – Leur nom ? Quel est leur nom ?
L’homme au steward. – Dites-le-lui.
Il ouvre la bouche.
Noir
Noir